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Musique Numérique

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par Pierre-Louis Gatineau
ISCOM-Paris - Master 1 Communication 2009
  

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Pierre-Louis Gatineau

REP4D - TC1 0

Mémoire de fin d'études

Le 12 mai 2009

Musique Numérique

Sous la direction de Dominique Viandier

Sommaire

Sommaire 3

Introduction 5

I. L'industrie de la création musicale face aux innovations technologiques 7

1 .1 Les rouages de la création musicale 7

1.1.1 Les principaux acteurs de l'industrie 7

1 .1 .2 Les types de relations contractuelles entre les acteurs 9

1 .1 .3 Les principales sociétés de gestion des droits 1 0

1 .2 L'impact des mutations technologiques sur le marché musical 11

1 .2.1 L'âge d'or de l'industrie du disque 11

1 .2.2 L'émergence de la technologie numérique 13

1 .2.3 La demande d'un contenu numérisé 16

1.3 La difficile adaptation de l'économie musicale à l'ère numérique 20

1.3.1 Une offre commerciale qui tarde à se mettre en place 20

1 .3.2 Un ensemble de dispositions protectionnistes 21

1 .3.3 Les stratégies de communication mises en oeuvre 23

II. Les noeuds d'une économie musicale sous tension 26

2.1 Les trois facteurs explicatifs de la mise sous tension 26

2.1 .1 Un business model dominant à bout de souffle 26

2.1 .2 L'intervention classique du législateur génère la division 30

2.1 .3 Internet, une nouvelle frontière culturelle ? 34

2.2 Le rôle joué par la communication dans une crise de transition 37

2.2.1 Chronologie des discours de communication 37

2.2.2 Le Web, un nouveau canal d'expression 42

III. Des propositions de communication pour une économie musicale

« plurielle » 44

3.1 La promotion de l'offre commerciale en ligne 45

3.1.1 Etat des lieux de l'offre commerciale 45

3.1 .2 Promouvoir l'offre commerciale par la communication 46

3.2 La promotion des offres alternatives : les offres « libres » 48

3.2.1 Etat des lieux de l'offre « libre » 48

3.2.2 Promouvoir l'offre de musique libre par la communication 51

Conclusion 53

Remerciements 54

Bibliographie 56

Annexes 57

Annexe n°1 57

Annexe n°2 61

Annexe n°3 64

Annexe n°4 67

Annexe n°5 68

Annexe n°6 69

Annexe n°7 72

Introduction

Les années 90 ont vu apparaître un outil novateur en matière de télécommunication. A l'origine créé pour mettre en relation des aires d'expertises comme l'armée et les universités, Internet va peu à peu donner naissance à ce qui sera appelé le World Wide Web, un accès mondialisé à la culture et à la connaissance. Très vite intégré par les early adopters1, ce canal dit de transmission et d'expertise va ouvrir le chemin vers un comportement sociétal radicalement nouveau car dédouané des frontières et des contraintes physiques. Puis se déploiera une véritable dynamique de la dématérialisation de la connaissance et de la culture, générant un ensemble de réactions en chaîne dont la fulgurante propagation va profondément modifier la nature des échanges entres les individus. Avec la montée en puissance des technologies de l'information et de la télécommunication, notre économie bascule dans l'immatériel et la révolution de l'économie numérique - opportunités pour les uns, menaces pour d'autres - s'accompagne de stratégie de conquête ou de défense. La confrontation des « infocapitalistes traditionnels »2 et des « pronotaires » 3 décrite par Joël de Rosnay4, va envahir la scène délibérative publique où le législateur est sommé de produire de nouvelles normes face à une tendance de fond en faveur de la gratuité qui affecte les échanges de biens culturels : « Nous ne sommes plus seulement dans une économie de marché, mais d'une économie avec marché, doublée d'une économie de la « gratuité » 5 ».

1 Du français « adopteurs précoces », terme sociologique qui désigne un groupe d'individus jugés « à l'affut » des nouveautés.

2 Détenteurs des moyens de création, de production et de diffusion de contenus informationnels dits «propriétaires».

3 Usagers des réseaux numériques.

4 ROSNAY, Joël, « La révolte du pronétariat », Editions Fayard & Creative Commons http://www.pronetaire.com/livre/

5 LEVY, Maurice & Jean-Pierre Jouyet, « L'économie de l'immatériel », http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000880/0000.pdf

L'industrie musicale se tourne vers l'Etat pour lui demander protection et met en place des plans médias mobilisant les ressorts d'une communication classique fondée sur le tripode : globalisation, dramatisation, simplification. Dans ce contexte, l'actualisation des dispositifs de lutte contre le téléchargement illégal est présentée comme la réponse efficace à la dynamisation de la création musicale française dans l'économie numérique.

Dès lors, entrés dans ces terres nouvelles et pleines de turbulences, les acteurs de l'écosystème de l'immatériel musical sont faces à la problématique suivante :

« Comment la communication peut-elle accompagner l'évolution des pratiques de diffusion et de consommation des oeuvres musicales à l'heure du développement d'Internet tandis que l'industrie musicale paraît empêtrée dans un modèle commercial en crise ? »

L'étude de cette problématique va se dérouler selon trois phases :

- Premièrement, nous procèderons à l'état des lieux de l'industrie de la création musicale face aux innovations technologiques ;

- Deuxièmement, nous nous attacherons à l'exploration des noeuds de cette économie musicale sous tension ;

- Enfin, nous tenterons de dégager des propositions de communication pour une nouvelle économie musicale « plurielle ».

I- L'industrie de la création musicale face aux innovations technologiques.

Pour saisir toute la complexité de la relation entre la création musicale et sa consommation, il est nécessaire de comprendre le fonctionnement de l'industrie créative et ses interrelations entre son public et son environnement. Façonné par une histoire riche en événements, le business model de l'industrie de la création musicale a connu de grands succès mais aussi de rudes épreuves. A l'heure actuelle de profondes tensions sont manifestes dès que le sujet de la création musicale est abordé dans le débat public. La compréhension de ce débat nous conduit à repérer les rouages de la création musicale, puis à mesurer l'impact des mutations technologiques sur le marché musical et enfin à montrer la difficile adaptation de l'économie musicale à l'ère numérique.

1 .1 Les rouages de la création musicale

1 .1 .1 Les principaux acteurs de l'industrie

L'univers de l'industrie musicale s'apparente à celui de la publicité : d'un côté les créatifs, de l'autre les commerciaux. Pour comprendre le fonctionnement de l'industrie musicale, il faut donc identifier ses acteurs et leurs interrelations. Les fonctions de ces acteurs impliqués dans la chaîne de création musicale peuvent être tantôt assurées de façon distincte tantôt de façon cumulée pour partie ou totalité. Elles se présentent comme suit :

L'artiste (auteur, compositeur, interprète) - L'Unesco propose une définition ouverte et de référence de l'artiste :

« On entend par artiste tout personne qui crée ou participe par son interprétation à la création ou à la recréation d'oeuvres d'art, qui considère sa création artistique comme un élément essentiel de sa vie, qui ainsi contribue au développement de l'art et de la culture, et qui est reconnue ou cherche à

être reconnue en tant qu'artiste, qu'elle soit liée ou non par une relation de travail ou d'association quelconque. »

En d'autres termes, l'artiste crée, partage et vit de son art.

Le producteur (record producer) - La gestion de l'enregistrement sonore de l'oeuvre est la mission du producteur. Il peut faire appel à plusieurs contributeurs (ingénieur son, réalisateur artistique, etc.) qui épaulent l'artiste lors de l'enregistrement de son oeuvre. « Le travail d'orfèvre » réalisé, les premières maquettes sont créées. L'enregistrement peut-être géré par un prestataire indépendant mais il est généralement assuré par le label.

Le Label (executive producer) - Peu importe la taille de sa structure, qu'il soit indépendant ou qu'il appartienne à un collectif, un Label est avant tout un éditeur dont la vocation est de rendre accessible la nouvelle création. Après avoir passé un contrat avec l'artiste (Cf. contrats d'artistes), le label prendra en charge le pressage des albums (copies), la promotion de l'oeuvre (marketing & communication), et sa distribution. En fonction du contrat, c'est au Label que revient la décision du nombre d'albums à enregistrer, le choix du réalisateur artistique, les tournées à effectuer, etc. Le label peut céder, contre rétribution, l'artiste et sa production à une major.

La major - Lorsque l'on évoque habituellement les « majors » on désigne les quatre grandes maisons de disques qui se partagent près de 75 % du marché mondial de l'industrie du disque : Universal Music Group, Sony-BMG, EMI Group et Warner Music Group. Une major est un label comme les autres. Elle peut signer directement avec un artiste mais aussi, contrôler d'autres labels (devenant alors des « sous-labels »). Une major prend de plus grands risques qu'un label classique car elle a la capacité d'injecter des sommes d'argent plus importantes dans la promotion de l'artiste (marketing et communication) et ses capacités de production (pressage de disques) sont plus grandes et donc plus rentables que celles d'un label classique. Une major assure généralement la production de l'oeuvre, sa promotion et sa distribution.

Le circuit de distribution - Les distributeurs assurent la vente en gros du support physique et numérique des oeuvres aux détaillants : grandes surfaces alimentaires (GSA), grandes surfaces spécialisées (GSS) et circuits alternatifs (Internet, vente à distance, etc.).

1 .1 .2 Les types de relations contractuelles entre les acteurs

Nous distinguons généralement quatre types de contrats :

Le contrat d'artiste - Le contrat d'artiste lie l'artiste à son producteur. C'est généralement ce que les maisons de disques ou les labels proposent. Ils prennent en charge la production, la fabrication, la promotion et la distribution. L'artiste interprète est rémunéré sous forme de royalties (entre 5 et 10%) calculées sur les ventes de disques. Le producteur reste propriétaire des bandes.

Le contrat de licence - Le contrat de licence lie un producteur à un éditeur ou un distributeur. Ceux-ci financent la fabrication, la promotion et la distribution sur une période déterminée. Le producteur finance, bien sûr, la production et rémunère les artistes. Il perçoit entre 20 et 25 % de royalties sur les ventes.

Le contrat de distribution - Le contrat de distribution lie le producteur à une société de distribution. Celle-ci se charge de la mise en place des disques en magasin moyennant une commission d'environ 40%. La rémunération de l'artiste et la promotion sont à la charge du producteur.

Le contrat d'édition - Le contrat d'édition lie l'auteur/compositeur à un éditeur. Les éditeurs ont pour fonction de faire " travailler " les oeuvres : recherche d'un interprète, d'un contrat, placement, compilations, synchro... Leurs sources de revenus sont les droits d'auteurs que leur cèdent les auteurs/compositeurs à hauteur de 50% et qui leurs sont reversés par la SACEM.

Il peut exister des interactions entre ces différents types de contrats. Dans le cas d'un contrat d'artiste signé avec un label, celui-ci aura sûrement de son côté signé un contrat de distribution ou de licence. Les contrats étant négociables par nature, il n'existe donc pas de réel contrat type.

1 .1 .3 Les principales sociétés de gestion des droits (SPRD)

En France, les principaux organismes de collecte et de rémunération des artistes concernés sont les suivants :

SDRM - Société pour l'Administration du Droit de Reproduction Mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs. Créée en 1935, la SDRM a pour objet d'autoriser la reproduction mécanique des oeuvres des auteurs, compositeurs et éditeurs sur supports phonographiques, vidéographiques ainsi que par les radios, et les télévisions..., de percevoir et répartir les redevances correspondantes.

SACEM - Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. La Sacem a pour vocation de protéger, représenter et servir les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique ainsi que la création musicale. Elle compte 116 000 sociétaires dont 15 000 étrangers. Acteur innovant pour une gestion des droits efficace, elle a pour mission essentielle de collecter les droits d'auteur et de les redistribuer. Forte d'un répertoire majeur, elle le valorise en France et dans le monde et encourage ainsi la diversité culturelle. En 2007 la SACEM a collecté près de 760 millions d'euros.

ADAMI - Administration des droits des artistes et musiciens interprètes. L'Adami gère les droits de plus de 60 000 artistes-interprètes dont plus de 22 000 associés (comédiens, chanteurs, musiciens, chefs d'orchestre, danseurs...) et consacre une partie des droits perçus pour l'aide à la création, à la diffusion et à la formation. En 2007 l'ADAMI a collecté près de 52 millions d'euros.

COPIE France - Crée en 1986, la société de perception de la rémunération pour la copie privée audiovisuelle a pour mission de percevoir et de répartir entre ses associés la rémunération pour la copie privée audiovisuelle. Cette perception est effectuée auprès des fabricants et importateurs de supports d'enregistrement vierges (CD/DVD, et tout autre support de données numérisables).

1 .2 L'impact des mutations technologiques sur le marché musical

Au commencement la musique était enregistrée sur un cylindre et devint « transportable ». Puis, 1 0 ans plus tard, Columbia6 et Victor7 se partageaient le marché de la musique enregistrée aux États-Unis. Mais face aux propriétés supérieures du disque de Victor et de son lecteur, le Victrola, la société d'Edison ne survivra pas.

Dès lors, le marché va s'ouvrir et s'étendre, les coûts de production des disques et lecteurs vont diminuer et l'industrie du phono graph8 va connaître sa première phase de forte croissance (pour l'époque). Seulement voila, au cours de années 1920, la radio fait son apparition aux Etats-Unis. Menacée par la diffusion gratuite de la musique sur les ondes, l'industrie musicale va, pour la 1 ère fois, exercer une pression sur les autorités Américaines afin d'obtenir des radios qu'elles ne puissent pas diffuser de musique...

De nouveaux supports virent le jour, après le disque du phonograph vint le vinyle en 78 tours, puis en 33 tours. Des sociétés furent créées, d'autre détruites, telle que le veut la règle du marché, jusqu'à dévoiler le monde de l'industrie musicale que nous connaissons aujourd'hui, une industrie qui doit, à nouveau, faire face à son époque.

6 Naissance du phonographe - cylindre - de Thomas Edison en 1877 développé par la société Columbia Phonograph Company en 1 888.

7 Apparition du gramophone - disque - d'Emile Berliner produit par la Victor Talking Machine.

8 Entendre ici le gramophone de Berliner, terme employé par les européens car les Américains continuent d'utiliser le terme phonograph.

1 .2.1 L'âge d'or de l'industrie du disque

Nous sommes en France, en 1970, le vinyle (78 et 33 tours) connaît une forte ascension. Ses ventes en volumes atteignent un pic de près de 80 millions d'unités 1980 avant d'entamer une chute vertigineuse jusqu'à la (quasi) disparition du support dès 1992.

Pour les experts, la chute des ventes de 1980 est liée à un contexte économique défavorable, à l'essor d'autres loisirs concurrents (jeux vidéo), et au système du 1 00% return permettant au revendeur final de renvoyer les invendus aux éditeurs.

Mais pour l'industrie, la réponse vient d'ailleurs. La cassette audio qui connaît une ascension plus modérée représente tout de même une révolution du genre. Il devient possible de copier la musique sur cassette (vinyle / radio vers cassette) et l'écouter en mobilité grâce au walkman son lecteur. L'industrie musicale fulmine contre la copie sur cassette jugée responsable de la baisse des ventes.

Signalons que des études américaines indiqueront déjà que les utilisateurs de cassette qui copiaient, achetaient aussi abondamment, constat que nous retrouverons par la suite avec la copie numérique.

Mais c'est avant tout le CD qui va connaître une ascension fulgurante et, jusque dans les années 2000, il est considéré comme le support le plus populaire.

Il est intéressant de constater qu'entre la chute du vinyle et l'ascension du CD, les ventes en volume d'albums ont connu une période de baisse entre 1 982 et 1 988. Cette chute des ventes s'explique sans difficulté par la nécessaire réorganisation de l'industrie musicale qui prendra plusieurs années avant que les ventes ne retrouvent leur niveau antérieur pour ensuite, jusqu'en 2002, connaître la plus forte ascension jamais vécue par l'industrie musicale : plus de 160 millions d'unités vendues. Les années suivantes vont apporter au support CD un rival de taille.

1 .2.2 L'émergence de la technologie numérique

Révolution informatique oblige, la numérisation du contenu d'un support physique devient possible et accessible à un nombre croissant de consommateurs. Couplé à une toute nouvelle technologie d'information, d'échange, et de communication : Internet, la consommation des oeuvres musicales va prendre une autre tournure... Dans un premier temps nous verrons l'émergence des nouvelles pratiques liées à l'apparition de la technologie informatique puis, dans un second temps, celles liées au développement d'Internet.

L'ère de la numérisation

A partir des années 1990 les ménages commencent peu à peu à s'équiper. De 1 996 à 2004, le taux d'équipement des ménages français en micro ordinateurs triple passant de 1 5% à 45%.

Le micro ordinateur devient un outil professionnel puis de loisir

incontournable et en 2006, trouve sa place auprès d'un ménage sur deux. L'engouement des jeunes pour cette nouvelle technologie est immédiat. Leur demande, essentiellement en matière de jeux vidéo, propulse l'offre vers des micros ordinateurs de plus en plus puissants pour un prix toujours plus attractif. Le coût des graveurs de CD diminue jusqu'à équiper les ordinateurs

en série... Chez les jeunes, les échanges massifs de CD musicaux, copiés depuis des originaux grâce au micro ordinateur familial, font florès dans les collèges et lycées. Les ventes de baladeurs CD explosent. Peu de temps après, Internet vient compléter ce qui sera à l'origine du « cauchemar » de l'industrie du disque.

Taux d'évolution d'équipement en informatique et accès à Internet des ménages français.
Source : INSEE

L'avènement d'Internet

Jusqu'alors, l'impact de la numérisation était relativement faible sur les ventes de disques. En parallèle, dans les années 1995, Internet devint accessible pour les foyers aisés déjà équipés en informatique. Grâce à un modem permettant de se connecter à Internet par les lignes téléphonique « le 56K », le 1èr protocole de chat apparaît : Internet Relay Chat (IRC) permis aux internautes de créer des « cybers salons » de discussion. Grâce à ce système, les internautes pouvaient communiquer entre eux mais aussi échanger des fichiers. Les 1 ers morceaux de musique numérisés puis compressés au format de fichier MP3, commencent alors à circuler.

Par la suite apparaîtra NAPSTER, le 1 er logiciel de partage de fichiers basé sur le principe du pair-à-pair9, créé en 1999 par Shawn Fanning un adolescent américain. Rapidement poursuivi par l'industrie musicale, NAPSTER dut fermer (par la suite NAPSTER sera racheté et offrira un service payant). Dans le même temps, des clones de NAPSTER tels que GNUTELLA, KAZAA, EMULE, BITTORENT, développés aux quatre coins du monde, toujours plus puissants, plus rapides, attirent un nombre grandissant d'adeptes. Une nouvelle génération d'échange va naître. Chaque internaute apportant son lot de données numériques, une bibliothèque musicale colossale mutualisée va apparaître sur la toile. Une offre inégalable donnant accès, en quelques clics et gratuitement, à des dizaines de millions d'albums, de remix et autres compositions quasi introuvables dans le commerce. Un tout nouveau circuit de distribution, le plus attractif au monde, voit le jour sur le Net. Selon l'International Federation of the Phonographic Industry (IFPI) en janvier 2004, le nombre de fichiers musicaux disponibles sur les réseaux P2P est estimé à 800 millions10.

Réseau type « pair-à-pair » Réseau type « client-serveur »

Source : Wikipédia

9 Peer to Peer en anglais (P2 P) : Modèle de réseau informatique qui s'oppose strictement au modèle de réseau type « client-serveur ». Les internautes mettent en partage des fichiers préalablement stockés sur leurs ordinateurs. Ces fichiers deviennent accessibles à tous ceux qui disposent d'un logiciel permettant de se connecter à un réseau P2P.

10 Les données étant mutualisées, il peut y avoir plusieurs copies d'un même fichier.

Dès 2003, Internet devient accessible à tous pour une trentaine d'euros par mois. Dès lors, l'échange non autorisé d'oeuvres protégées par droits d'auteurs et droits voisins devient pratique courante pour plusieurs millions d'internautes français. A ce moment précis, la chute des ventes de CD devint palpable.

Source : Observatoire de la musique

En l'espace de 5 ans, les ventes de support CD vont chuter de 50% soit une baisse de 140 millions d'unités à 70 millions d'unités en 2008. « 70 millions » c'est le score qu'affichait le vinyle dans les années 1980, presque 30 ans plus tôt avant de s'effondrer. (N.b. Nous analyserons précisément le lien entre l'accroissement des échanges pair à pair et la chute des ventes de CD dans la partie II de ce mémoire).

1 .2.3 La demande d'un contenu numérisé

A l'image du phonographe, du vinyle et de la K7, la disparition du support CD semble inéluctable. Dans une logique historique, on peut se demander alors, quel sera le support physique qui viendra en remplacement ? Probablement aucun, c'est en tout cas l'avis de Patrick Waelbroeck. Ce dernier nous explique11 que la dématérialisation du support des oeuvres musicales va profondément modifier la nature même de l'échange. L'arrivée du numérique et d'Internet fait écho à une nouvelle demande de la part des consommateurs, la demande pressante d'un produit numérisé, dématérialisé, c'est-à-dire déconnecté de tout support physique, facilement transportable, échangeable, un produit qui s'adapte à leur nouveau mode de vie. De là, de nouvelles règles de jeu en matière de consommation des oeuvres musicales devraient apparaître.

Des pratiques qui évoluent de façon exponentielles

Si certains pouvaient espérer acquérir et stocker des milliers d'albums sur supports physiques, malgré le coût et l'encombrement liés au stockage, la bibliothèque numérique devient désormais accessible à tous. De fait, l'internaute va pouvoir en quelques heures, disposer à distance des titres, albums, discographies complètes d'artistes. Une fois téléchargées depuis P2P puis stockées sur un disque dur ou baladeur multimédia, l'utilisateur peut accéder instantanément à un volume plus considérable d'oeuvres musicales qu'il n'aurait jamais pu se procurer bien qu'il n'en fera jamais usage en totalité.

Une tendance innovante se dégage : l'engouement pour le stockage semble
s'effacer au profit d'une nouvelle vision de l'instantané : le flux multimédias

11 Cf. annexe n°2 p.61, interview de Patrick Waelbroeck, professeur associé à l'Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications (ENST).

continus12. Les fichiers sont stockés sur de puissants serveurs et sur P2P et mis à disposition directement sur la toile, les citoyens français, connectés à Internet jusque dans la rue via leurs ordinateurs portables et téléphones mobiles, peuvent accéder à un contenu sans avoir à le télécharger préalablement. Il n'est dès lors plus utile de stocker des données puisque ces dernières sont devenues accessibles immédiatement.

Economie Monde

Les frontières des réseaux P2P s'étendent bien au-delà de l'hexagone. Le phénomène est mondial et c'est ce qui fait toute sa richesse en termes de volume. Les données numériques stockées sur les ordinateurs des particuliers, contribuant à alimenter les réseaux P2P, sont émiettées ça et là, elles le sont aussi dans le cas des serveurs publics de stockage. Ces puissants ordinateurs hébergent13 et mettent à disposition un contenu pourtant protégé par le droit français, protection inapplicable lorsque ces serveurs sont localisés par exemple en Corée, au Pakistan, etc.

Ainsi la mondialisation du phénomène vient accélérer un processus qui n'a guère mis plus de 3 années à se mettre en place. La complexité portée par delà les frontières n'a fait qu'accroître les difficultés de l'industrie face au rôle grandissant joué par les internautes « pirates » sur l'aire de jeu de l'économie réelle.

Des marchés dynamiques « boostés » par ces pratiques

Ces pratiques de consommation et d'échange des oeuvres musicales ont largement été soutenues par l'émergence de nouveaux marchés :

12 Streaming en anglais. Les fichiers peuvent être stockés sur les ordinateurs des internautes (P2P) et sur des serveurs (client-serveur). Le streaming permet d'accéder à un fichier (vidéo - musique - texte) sans avoir à le télécharger entièrement. Une copie temporaire est cependant effectuée sur la machine de l'utilisateur.

13 Réseau de type « client-serveur » Les internautes transfèrent (upload) un fichier numérisé vers un serveur de stockage. Le lien (adresse web) qui mène au fichier est généré, les internautes mettent à disposition ce lien. Il ne reste plus qu'à cliquer dessus pour accéder au fichier transféré.

- Les fournisseurs d'accès à Internet (FAI) tirent des bénéfices colossaux de ce nouvel engouement pour les échanges sur le web. Bertrand Le Gendre nous explique14 la façon dont les FAI ont fait campagne, indirectement, pour engranger tous les « bénéfices » de leurs offres en matière de connexions Internet toujours plus rapides et performantes, offrant des possibilités infinies en matière d'accès aux oeuvres musicales sur Internet (via la seule offre en ligne à l'époque, le P2 P).

- Le marché des supports de stockage (disque dur, CD/DVD vierges, clefs USB, etc.) et celui des lecteurs multimédia (Ipod, Archos, etc.) connaissent une progression fulgurante.

- Les opérateurs de téléphonie mobile proposent le téléchargement de sonnerie, l'accès aux forfaits pour télécharger des titres musicaux de façon illimitée transformant les téléphones mobiles en lecteur multimédia. Aujourd'hui, grâce à une connexion illimitée à Internet depuis son mobile, l'utilisateur peut écouter gratuitement de la musique en ligne via des plateformes Internet basées sur le flux streaming offrant un accès instantané aux catalogues complets des 4 grandes majors, soit plus d'une dizaine de millions de titres.

- Le marché publicitaire est lui aussi fortement dynamisé. Les plateformes de
streaming comme Deezer rétribuent des droits d'auteurs aux organismes de

14 Cf. annexe n°3 p.64, interview de Bertrand Le Gendre Chroniqueur Editorialiste au Monde

collecte. L'accès aux oeuvres étant donc légal et gratuit pour l'internaute, Deezer trouve son financement grâce à la publicité.

1.3 La difficile adaptation de l'économie musicale à l'ère numérique

1.3.1 Une offre commerciale qui tarde à se mettre en place

Face à cette demande de musique dématérialisée, accessible immédiatement à moindre coût (voire nul) l'industrie du disque (les 4 grandes majors et les labels indépendants), qui avait - pendant des décennies - tiré des profits colossaux grâce au support physique, semble déstabilisée et se heurter à la difficulté d'appréhender un avenir maîtrisable de la consommation. La dépréciation du support CD, fondement du business model de l'industrie depuis plus de 20 ans, associée aux échanges massifs et « sauvages » des oeuvres protégées ne tardera pas à remettre en question son organisation. Cependant, on constate depuis 2004 l'émergence d'une offre commerciale sur Internet. Trop timide pour compenser la chute du CD, cette offre s'est enrichie au fil des années pour proposer des ventes à la carte et abonnements sur Internet (42% des ventes) et téléphonie mobile (58% des ventes).

Taux d'évolution de l'offre commerciale physique et en ligne du marché musical
Source : SNEP (Syndicat national de l'édition phonographique)

Un cadre juridique « inadapté » ?

Longtemps protégés par le système des droits d'auteurs et des droits voisins, les acteurs de l'industrie musicale se sont rapidement employés à obtenir des ajustements juridiques pour se protéger de la « menace numérique ».

Estimant que le développement des pratiques de consommation porte atteinte aux droits des auteurs et complique la mise en place d'une offre commerciale en ligne, le législateur français s'est engagé dans la voie « hasardeuse » de la construction d'un arsenal juridique complexe. Au préalable nous examinerons en quoi consiste le régime juridique actuel puis nous décrirons les évolutions annoncées faisant débat.

1 .3.2 Un ensemble de dispositions protectionnistes

Les droits d'auteurs et droits voisins

- La Loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique est le texte fondamental régissant les droits d'auteurs en France. Toute oeuvre intellectuelle appartient à un auteur qui peut choisir souverainement de sa diffusion pendant un temps donné.

- La loi n°85-660 du 3 juillet 1 985 est relative aux droits dits voisins des droits d'auteurs. Les artistes interprètes jouissent à présent d'un droit exclusif qui leur donne la possibilité d'autoriser ou d'interdire l'utilisation et l'exploitation de leur prestation et de prétendre à une rémunération en contrepartie de leur autorisation.

Les droits d'auteurs et les droits voisins sont protégés pénalement : toute reproduction ou représentation d'une oeuvre sans l'autorisation de son auteur est un délit spécifique de la contrefaçon, punie de trois ans de prison et 300.000 euros d'amende. La loi prévoit cependant plusieurs exceptions à ce principe, notamment le droit à la copie privée.

Le droit d'exception à la copie privée.

La copie privée est une exception au droit d'auteur français. L'exception de copie privée autorise une personne à reproduire une oeuvre de l'esprit pour son usage privé. L'usage privé implique l'utilisation de la ou des copies dans le cercle privé, notion incluant la famille et les proches. C'est par exemple, faire une copie d'un CD audio pour emporter dans la voiture sans crainte d'abîmer ou de se faire voler l'original. Le droit à la copie privée suppose le paiement d'une taxe sur l'achat de tous les consommables et appareils permettant de stocker des données numériques (CD/DVD vierge, clés usb, mémoire flash, disque dur etc...). Cette taxe est redistribuée au profit des ayants droits par les organismes spécialisés.

Les dernières initiatives du législateur

Incité par les puissants lobbys de l'industrie musicale à légiférer dans la régulation des échanges non autorisés sur Internet, l'Etat décide d'adopter dans l'urgence des mesures destinées à condamner les échanges illégaux via P2 P.

Le 1er août 2006 est votée la loi DADVSI (Droit d'Auteur et Droits Voisins dans la Société de l'Information) à la suite de débats virulents. Destinée à protéger les droits des artistes, cette loi condamne, au titre de contrefaçon, toute personne qui met à disposition et télécharge via logiciel P2P, un contenu protégé par des droits d'auteurs. A cette époque, près de 9 millions d'internautes français sont recensés au titre de « pirates ». Devant l'impossibilité d'appliquer la--dite sanction, la chancellerie adressera au parquet une circulaire pour inviter les juges à l'indulgence, c'est-à-dire, ne pas appliquer la loi.

Bien décidé à sauvegarder le business model de l'industrie musicale, le législateur poursuit ses actions répressives en vue d'endiguer tout ou partie des échanges P2P, considérés comme des actes de « vols à l'étalage ». C'est ainsi que le 23 novembre 2007, le Président de la république, Nicolas

Sarkozy, confie à Denis Olivenne (à l'époque PDG de la FNAC) la mission15 de lutte contre le téléchargement illicite et le développement des offres légales d'oeuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques. Le projet de loi « Création et Internet » dit HADOPI voit le jour. Après avoir été voté par le sénat le 31 octobre 2008 en commission mixte paritaire, le texte est rejeté à l'assemblée nationale. Il est représenté le 12 mai 2009. Ce texte de loi garantit une alternative « pédagogique » à la loi DADVSI, en donnant pouvoir à une autorité administrative indépendante de contrôler les échanges illégaux sur Internet et de sanctionner les contrevenants dans une logique dite « de riposte graduée » : envoi de mails de mise en garde puis d'un courrier recommandé annonçant une possible coupure de l'accès à Internet allant de 2 mois à 1 an si le « pirate » ne cesse pas son activité illégale. Cette loi doit compléter le dispositif précèdent (DADVSI).

1.3.3 Les stratégies de communication mises en oeuvre

Le débat public ainsi ouvert par la recherche de nouvelles réponses législatives met en évidence des stratégies de communication qui globalement s'inscrivent dans une continuité de discours et de pratiques. Pourtant, l'apparition de nouveaux modes de communication, véritables canaux d'expression portés par Internet, vient accroître la diversité des acteurs du débat public.

L'industrie communique

Déjà en 1980, alors que la K7 permettait de réaliser des copies privées,
l'industrie musicale avait réagit, soutenant la thèse dommageable de la copie
sur la santé du secteur musical. C'est ainsi que la première campagne de

15 Ministère de la culture et de la communication, « le développement et la protection des oeuvres culturelles sur les nouveaux réseaux, novembre 2007, http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/indexolivennes231 1 07.htm

sensibilisation en direction du public est menée aux Etats-Unis par la Recording Industry Association of America (RIAA) sous le slogan « Home Taping Is Killing Music » (« les copies sur cassettes tuent la musique »). Dès cet instant, l'industrie revendique une taxe sur les supports vierge d'enregistrement.

Aujourd'hui en France, l'histoire se répète. Voyant chuter les ventes de sa meilleure source de revenu, le support CD, l'industrie du disque s'est empressée de fustiger les réseaux P2P et leurs adeptes.

Des nombreuses campagnes16 de communication média ont été réalisées, diffusées en affichage, presse, sur les écrans de télévisons et de cinéma. Elles relayent un message répressif en assimilant le téléchargement illégal à du vol à l'étalage qui expose le contrevenant aux peines réprimant le délit de contrefaçon.

L'Etat soutient l'industrie

Dans le même temps, le législateur prend lui aussi position en légiférant contre le téléchargement illégal (DADVSI) Mais ce n'est qu'avec le projet de loi « Internet et Création » que le gouvernement va mettre en oeuvre un plan de communication visant à obtenir l'appui de l'opinion en recourant au Web avec la création du site « jaimelesartistes.fr ». Observons qu'entre la dernière campagne présidentielle française et l'entrée à la maison blanche de Barak Obama, le Web a très largement prouvé qu'il était devenu un outil innovant, incontournable dans une campagne de communication politique.

Représenté par la ministre de la culture et de la communication Christine Albanel, le gouvernement relaye le message à travers la presse, la radio, les émissions de TV. Ce message y est plus modéré que DADVSI mais reste considéré comme un axe répressif à l'encontre de celui qui est toujours déclaré « pirate » aux yeux du monde.

16 Cf. annexe n°6 p.70, « visuels des campagnes de communication média ».

Internet et le « marché des opinions »

Il suffit de taper « HADOPI » « Création et Internet » sur Goog le17 pour prendre la température du web. N'est-elle pas devenue une immense place publique, cette toile sur laquelle chaque noeud est un socle regroupant un groupe d'opinions ? Des opinions solidement étayées aux assertions incantatoires, les débats se répètent sur l'ensemble des grands sites d'informations des quotidiens nationaux (Le monde, Libération, Les échos etc.), des sites d'information générale (Numerama, Pcinpact, commentçamarche, lejournaldunet, etc.), des Blog et autres relais médias du Web français. Chaque noeud connecté les uns aux autres, les opinions volent sur cette grande scène du débat démocratique. Mais sur le Web 2.0, le ton du discours n'est clairement pas le même que celui de l'industrie ni de l'Etat. En matière de réaction citoyenne, le buzz a très largement été utilisé pour relayer les films, caricatures et autres créations des internautes : « Le CD est mort, c'est à l'industrie de s'adapter ». Une réelle fracture apparaît désormais entre l'industrie musicale et les consommateurs de la « planète numérique » où ces derniers s'imposent de plus en plus comme des acteurs incontournables de l'économie réelle.

Ainsi, cette présentation de l'ensemble des acteurs, de leurs interrelations, des stratégies de communication utilisées met en évidence le contexte dans lequel s'est développée la redondance du discours dominant - provisoirement ? - apportant la répression pour seule réponse au changement.

L'industrie musicale s'est façonnée un business model au fil du temps, connaissant tantôt l'age d'or, tantôt des périodes de crise. Face à ces difficiles adaptations, ce business model a systématiquement subi le comportement changeant des consommateurs sans anticiper sur les effets prévisibles des mutations technologiques. L'ère de la numérisation et d'Internet est un nouveau défi pour l'industrie. En privilégiant les mesures protectrices, l'industrie épaulée par le législateur semble ignorer les leçons du passé. Aussi se trouve- t-elle enfermée dans un système bloqué marqué par un décalage entre l'univers communicationnel public et l'économie réelle !

17 HADOPI : 12 300 000 pages contre 377 000 pour DADVSI.

II. Les noeuds d'une économie musicale sous tension

La consommation numérique comme nous venons de le voir, secoue l'économie musicale. Aussi, le moment est-il venu de repérer les noeuds qui expliquent comment cette situation s'est cristallisée, ce qui va nous conduire dans un premier temps à distinguer trois types de facteurs explicatifs et dans un deuxième temps, à approfondir le rôle joué par la communication dans une crise qui ne pourrait être qu'une crise de transition.

2.1 Les trois facteurs explicatifs de la mise sous tension

Le premier, d'ordre économique, s'intéresse au business model à bout de souffle de l'industrie musicale.

Le second retient l'intervention classique du législateur source de division.

Le troisième d'ordre culturel portera sur l'affrontement de deux visions sociétales : d'un côté une définition traditionnelle des échanges culturels impliquant un coût pour le consommateur final, de l'autre les partisans d'un monde où l'accès à la culture serait libre pour tous (gratuit pour le consommateur final).

2.1 .1 Un business model dominant à bout de souffle

Le business model de l'industrie au service des 4 grandes majors, (se partageant 75% du marché musical mondial), se présente, nous l'avons vu, comme un système d'une grande complexité. A cela s'ajoute qu'aujourd'hui il paraît à bout de souffle, aussi le voit-on chercher à gagner du temps pour poser les fondements d'un système concurrentiel actualisé et plus performant. La situation de crise qu'il connaît s'explique par un double mouvement :

- Le premier selon lequel une poignée de genres musicaux dit « facile à vendre » assure le gros des revenus nécessaires à la production des genres plus difficiles. Grâce à une mécanique « bien huilée » de promotion marketing et distribution industrialisée à forte économie d'échelle, ces « vaches à lait musicale », constituent la pierre angulaire du business model. Pour exemple concret, les 2/3 de la programmation musicale des radios FM « jeunes » (Fun Radio, NRJ, Skyrock, ...) sont construit autour d'une quarantaine de titres ! C'est d'ailleurs et sans aucun doute le plus grand reproche que l'internaute peut faire à l'industrie du disque : industrialiser une création de plus en plus déconnectée des attentes de son public. L'arrivée d'Internet court-circuite cette vision à sens unique de l'industrie musicale. Dégagé de l'influence des médias traditionnels (radio TV), l'internaute peut désormais occulter les effets du « star system ».

- Le second est lié à la notion de support défini en première partie. Le process économique de l'industrie est encore principalement tributaire de l'aspect physique du support. Concrètement, si un ami vous emprunte un CD acheté dans les bacs, vous ne pourrez plus vous en servir, idem si vous le perdez ou s'il s'abîme. La numérisation du support a été la première épine de l'industrie. Duplicable à l'infini, le « produit culturel » une fois numérisé est fatalement dépourvu de toutes ses variantes mercatiques : Packaging, coffret collector, bonus... Ce qui, jadis, faisait toute la valeur du support physique s'est « dématérialisé ».

Une crise oui, mais pas celle que l'on pense

« La crise ? Quelle crise ? » Pour l'association de consommateur « UFC Que Choisir », si l'industrie du disque traverse effectivement quelques turbulences, elle est loin d'être condamnée. C'est en tout cas ce qu'attestent les résultats d'une des majors Universal Music France. Pour l'instant le secteur musical affirme que les revenus de l'offre légale sur Internet ne parviennent pas à équilibrer les pertes sur les ventes du CD. Mais elle oublie de préciser que les

coûts de production et de distribution des oeuvres numériques sont nettement moins importants.

(en millions d'euros)

Finalement, la situation serait même relativement simple. Le CD devient obsolète, l'industrie élargit - tardivement - son offre vers des modèles économiques alternatifs (offre légale sur Internet). Le temps de leur mise en marche, ces nouveaux modèles ne constituent pas encore une rente de situation aussi forte que celle du CD mais l'avenir de ce modèle alternatif est inéluctable.

Tera Consultants Equancy & Co tente de démontrer l'impact négatif du téléchargement illégal via P2P sur la vente de CD. Dans son rapport18 ce cabinet d'étude comptabilise la somme totale des « pertes » liées au téléchargement illégal qu'il considère comme un manque à gagner pour l'industrie. Pourtant des sondages reflètent une tendance évidente : L'internaute n'aurait jamais pu acheter tout ce qu'il télécharge illégalement.

Les artistes sont-ils en danger ?

Qu'en est-il de l'artiste ? Si l'industrie des majors et des labels indépendants traverse les turbulences d'une réorganisation, celle-ci a un impact différé sur les artistes. Ne touchant pratiquement rien (5 à 1 0%) sur les ventes de CD, l'artiste perçoit l'essentiel de ses revenus par l'intermédiaire des organismes de rémunération (SPRD) où il est référencé.

18 Tera Consultants Equancy & Co « Rapport Hadopi - Impact économique de la copie illégale des biens
numérisés en France », novembre 2008, http://www.guim.fr/blog/files/Equancy-Tera-Rapport_Hadopi.pdf

Malgré les discours alarmistes de ces organismes, leurs revenus ne semblent pas menacés par ce contexte perturbé. C'est du moins la conclusion que l'on peut tirer au vu des sommes perçues par la SACEM, revenus qui, somme toute, demeurent le meilleur indicateur de santé financière des auteurs compositeurs.

Source : SACEM

A la vue de cette analyse d'UFC Que Choisir, le SNEP réagit vigoureusement en rappelant que la SACEM ne rémunère qu'une partie des acteurs de la création (auteurs compositeurs). En effet, ce sont surtout les artistes interprètes qui sont le plus touchés. Rémunérés par l'ADAMI, leur source principale de revenus provient des ventes de CD. L'artiste interprète est donc touché de plein fouet par la crise du support. Pire, l'artiste interprète ne touche rien des ventes en ligne. Le SNEP semble donc apporter les précisions nécessaires à une plus juste information. Quand on sait que les maisons d'édition perçoivent 40 à 50 % sur la vente d'un CD, près de 60% sur les ventes en ligne et rédigent les contrats des artistes, beaucoup se demandent alors pourquoi l'artiste interprète ne touche rien des ventes en ligne ?

Bien que certains déplorent le manque d'honnêteté des labels et majors, il faut admettre que ces acteurs sont difficilement contournables. Ainsi, bien que l'artiste plus ou moins célèbre déjà produit semble à l'abri, on ne peut pas en dire de même pour tous ceux qui souhaiteraient le devenir. Dans ce contexte de déstabilisation, l'industrie prendra moins de risque à produire des nouveaux talents surtout si ceux-ci sont dits de genre difficile. Il en est de même pour la conservation de leurs contrats. Plutôt que de parler d'une baisse des revenus des artistes, il vaudrait mieux évoquer ce qui apparaît en réalité être une baisse « à l'embauche ».

Source : SNEP

2.1 .2 L'intervention classique du législateur génère la division

« Il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante »

Montesquieu

Si l'industrie admet une nécessaire évolution de son business model, elle reste campée
sur sa position en dénonçant ces « fauteurs de désordres économiques », les « pirates »
qui s'adonnent librement à ce qu'elle considère être du « vol à l'étalage ». Et c'est ainsi

qu'une partie du monde musical sollicite la protection du législateur. Mais les actions du législateur censées protéger la création ne semblent pas convaincre tous ces acteurs. Dans la classe politique et celle d'artistes médiatisés ou non, la division règne. Et plus le débat public se poursuit, s'intensifie, et plus les opposants au texte « Création et Internet » s'organisent autour d'une autre démarche : la « Contribution Créative »

« Création et Internet » versus « Contribution Collective »

Convaincu par le discours alarmiste du puissant lobby et d'une poignée d'artistes de renom illustrant « l'exception culturelle française » le gouvernement français s'est empressé de légiférer.

A la demande du Président de la république, la mission Olivenne est chargée de fournir un état des lieux de la création musicale et des effets néfastes du téléchargement illégal. Reprenant le concept militaire dit de « riposte graduée », Dennis Olivenne à l'époque PDG de la FNAC se trouve investit de la préparation du projet de loi « Création et Internet » présenté comme « pédagogique ». Pédagogique en effet car à la différence de son ancêtre DADVSI jugée inapplicable car ultra répressive (délit de contrefaçon) la proposition de loi « Création et Internet » se définit comme un processus de mise en garde avant la sanction. En conférant à une Haute Autorité Indépendante dite HADOPI le pouvoir de contrôler les échanges sur les réseaux P2P, le projet de loi prévoit que soit envoyée une série de signaux forts à l'internaute qui se trouverait en situation irrégulière. Si l'internaute ne prend pas acte des avertissements, il verra son abonnement suspendu pour une durée de 2 à 1 2 mois tout en continuant le paiement de ce dernier. Loin d'annuler les peines encourues par la loi DADVSI, la loi dite HADOPI viendra s'y ajouter.

Les défenseurs de la loi - créateurs et élus de gauche comme de droite - attendent avec impatience son adoption et son application. Convaincus que son aspect pédagogique dissuadera une partie des « pirates », les acteurs de la création musicale pro-HADOPI partagent cette impatience à l'idée que

leurs droits (d'auteurs) seront enfin à l'abri des « sauvages qui pillent leur travail ». Selon eux, une fois dissuadé, l'internaute se tournera automatiquement vers l'offre légale. Sur ce point, Patrick Walbroeck nous fait part de sa méfiance19 en rappelant que la musique est avant tout un bien de consommation qui peut se substituer à d'autres loisirs comme les jeux vidéo par exemple.

Mais pour les pro-HADOPI c'est surtout le rêve qu'un jour Internet ne soit plus « une jungle de sauvages » mais bel et bien « un havre de civisme ».

Ce projet de loi, loin de faire l'unanimité, sème donc la discorde au sein même des partis politiques et des acteurs de la création musicale.

Ainsi, il rencontre une opposition qui s'appuie sur l'argumentaire suivant :

- Le texte n'apportera rien en termes de rémunération pour les artistes. En effet aucun réajustement de la répartition des droits n'est prévu dans le texte de loi. La création d'une offre légale sur Internet sera sans effet sur les inégalités du système actuel. Tel est le propos20 que nous avons recueilli de Jean Pelletier. Il déplore que les revendications de l'ADAMI ont systématiquement été écartées lors des négociations visant à revisiter le statut de l'artiste interprète qui, rappelons-le, ne touche rien des ventes commerciales en ligne.

- Un texte qui selon Bertrand Le Gendre, n'est ni plus ni moins la concrétisation du fantasme de l'Etat visant à réguler un monde « sans foi ni loi » où il n'a que très peu d'emprise. Ainsi ajoute t-il « (...) Ses concepteurs (de la loi) sont convaincus que les usages culturels induits par Internet peuvent être réglementés par l'Etat, comme à l'époque où André Malraux et Jack Lang régnaient sur la culture française. Une illusion, bien sûr, un rêve d'énarque »21.

19 Cf. annexe n°2, p.61, interview de Patrick Waelbroeck, professeur associé à l'Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications (ENST).

20 Cf. annexe n°1, p.57, interview de Jean Pelletier, relations extérieures de l'ADAMI.

21 LE GENDRE, Bertrand, « Olivennes, Albanel, Sacem ou la loi "création et Internet" » - Le Monde - 27 avril 2009.

- Le texte est techniquement et juridiquement inapplicable:

Techniquement, l'organisme indépendant chargé de « traquer » les « pirates » ne peut repérer ces derniers que grâce à leur adresse IP (Internet Protocol) une plaque d'immatriculation en quelque sorte. Or, l'adresse IP peut facilement être masquée (anonyme) ou « dérobée » à une tierce personne : Les connexions Wifi sont sécurisées mais des logiciels circulent sur le net pour « casser » les sécurités. Que ce soit pour l'anonymisation comme pour les clés Wifi, pas besoin d'être un internaute averti, n'importe quel adolescent connaît les techniques...

Juridiquement car l'amendement 1 38 du Paquet Telecom22 voté par le parlement européen déclare l'accès Internet comme étant un moyen essentiel à l'exercice de droits fondamentaux tels que la liberté d'expression et d'information ou encore la vie privée. Selon cet amendement, seule une autorité judiciaire peut priver un citoyen de ce droit.

Le texte relève d'une démarche que les opposants estiment pour la plupart « liberticide et d'un autre âge ». Ils reprennent la thèse du complot en accusant le législateur de « copiner » avec les majors sans prendre en considération les vrais intérêts des artistes et de leur public.

Dès lors, comme réponse alternative au projet HADOPI, les opposants avancent la solution dite de « Contribution Collective » appelée aussi « Licence Collective Etendue ». Cette variante de la « Licence Globale » doit permettre selon ses concepteurs, d'échanger gratuitement les musiques entre internautes moyennant une contribution forfaitaire, allant de 5 à 15 euros par mois qui s'ajouterait aux abonnements FAI. En proposant une plateforme de téléchargement, légale et standardisée, les opposants HADOPI sous-entendent une révision du principe des droits d'auteurs qu'ils estiment inadapté à l'ère numérique.

22 Ensemble de dispositions proposées au Parlement européen visant à réformer certains mécanismes du marché des télécommunications.

La joute se poursuit avec les pro-HADOPI qui s'opposent à cette proposition alternative en se fondant sur les arguments suivants :

Outre sa difficile mise en place technique et son système « douteux » de rémunération des créateurs, ils estiment qu'il n'est pas juste de taxer ceux qui ne téléchargent pas illégalement. A cela les opposant HADOPI répliquent que la « taxe copie privée » décrétée par le gouvernement à l'initiative de l'industrie est imposée à l'achat d'un outil de stockage quelque soit l'usage que l'on en fait...

Mais ce projet cause surtout un grave préjudice à l'offre légale qui se développe sur le Net. En « légalisant » le téléchargement P2P, ce projet est une entrave au développement de l'offre légale en ligne.

Les pro-HADOPI (principalement libéraux) dénoncent la « dérégulation » d'Internet et accusent leurs opposants (essentiellement de gauche) de soutenir ce phénomène pourtant contraire à leurs principes. Ces derniers répliquent en affichant le respect de leurs idéaux du fait qu'ils proposent de promouvoir l'accès à la culture et non de la réduire à un produit économique dont les acteurs en libre concurrence se disputeront la distribution sur le net.

En réalité, le clivage est moins sur la ligne de partage des familles politiques et des acteurs de la création que le reflet d'un conflit générationnel.

2.1 .3 Internet, une nouvelle frontière culturelle ?

Avant tout une question de représentation de valeurs.

Pour les uns, Internet est un monde innovant, source d'information et/ou de divertissement pour l'usage privé, d'une utilité avérée pour l'usage professionnel et bien sûr, une source intarissable d'opportunités marchandes et média. L'expérience des années permet à la génération - que l'on peut qualifier d'« analogique » - d'analyser l'impact du Net sur les instances traditionnelles comme les médias classiques par exemple mais aussi l'économie, la créativité, l'aspect pratique de la vie de tous les jours (plus besoin d'aller à la bibliothèque pour trouver des sources à un rapport !). Tenir un blog, partager ses mémoires, ses expériences, retrouver d'anciens camarades... Mais le web n'est pas leur vie et ils s'inquiètent de voir les nouvelles « générations numériques », parfois distendre le lien avec le monde réel, immerger leur esprit dans l'immatériel, qu'ils jugent illusoire et éphémère... La façon dont les jeunes générations consomment les biens culturels étonne les uns, scandalise les autres : jadis il fallait faire des concessions pour pouvoir s'offrir un album de musique. Il y avait une notion forte de valeur associée au plaisir de posséder le bien culturel. Aujourd'hui « les générations numériques » « consomment », « pillent » pour la plupart et n'auraient plus conscience de la valeur des choses... De tels jugements illustrent ce qui peut être considéré comme l'expression d'une fracture génération n elle.

Pour les autres - cette génération numérique née à l'instar du Web - la vision du monde a changé à bien des égards. Avec Internet c'est le rapport à la réalité lui-même qui est modifié : la valeur physique d'un bien, loin de s'effacer, subit de profondes mutations. La numérisation dématérialise. A contrario du voleur qui dérobe et dépossède la victime de son bien, l'internaute, vite affublé des termes « pirate » et « voleur », ne se sent moralement coupable de rien. Bien au contraire...

Internet est plus qu'un outil, il constitue pour les plus passionnés « un nouveau monde, le leur ». Les propos de Marshall MacLuhan s'illustrent ici à merveille lorsqu'il fait allusion au village planétaire. C'est à travers un esprit communautaire, dans une affiliation plus ou moins forte, que la génération

numérique transite du monde réel au virtuel. Et pour eux, Internet est avant tout construit sur le principe fédérateur du « partage ».

Des internautes créent des logiciels et des langages de programmation qu'ils mettent gratuitement à disposition de « la communauté », des logiciels de P2P, de copie (films/musiques), des systèmes d'exploitation (Linux vs Windows) gratuits, souvent bien plus puissants et complexes que ceux trouvables dans le commerce... Des internautes passionnés qui ont façonné cette « Toile » que « les analogiques » apprécient tant.

Comment peut-on espérer « éduquer » une génération qui estime avoir réussi là où d'autres ont échoué ? Peut-on comprendre ce qui anime une personne qui achète un album puis le met en ligne à disposition de tous ?

La fin de l'ère analogique ?

Selon Jean-Claude Carrière. « Si des créateurs souhaitent partager gratuitement leurs oeuvres sur Internet, c'est leur choix mais pas le mien, respectez cela »23.

Cet argument de débat est sérieux. Et c'est bien pour cela que la situation est actuellement bloquée. La chute des ventes physiques est principalement imputable à l'ère numérique c'est un fait. Le lien avec les échanges P2P bien qu'il ne soit pas clairement démontré être la raison de cette chute, fait partie intégrante de l'impact lié à l'essor des nouvelles technologies.

Les droits d'auteurs vieillissent tout comme les modèles économiques des années 1 980. Le consommateur numérique, s'impose de plus en plus comme un acteur clé de l'économie réelle, ouvrant un contexte novateur pour les jeunes créateurs, eux même issus de ce « nouveau monde ».

23 Emission TV - France 3 - « Ce soir ou jamais » - http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/indexfr.php? page =emission&id_rubrique= 662 - mai 2009.

En réponse à Jean-Claude Carrière (dans la même émission) Joseph Paris : « Je dois trouver de nouvelles façons de produire mes oeuvres. Je ne puis plus me baser sur les modèles qui ont fait votre carrière ».

S'il y a bien une certitude, c'est que la vision des échanges physiques des oeuvres musicales est en déclin. Ce douloureux contexte de la transition vers la généralisation de nouvelles voies de business model semble occulté par une bataille de communication qui occupe le devant de la scène publique.

2.2 Le rôle joué par la communication dans une crise de transition

Après avoir analysé les différents noeuds mettant sous tensions l'industrie musicale, qu'ils soient technologiques, économiques, culturels et politiques, il s'agit maintenant de mettre en lumière toute l'importance du rôle de la communication dans la situation de crise qui affecte l'ensemble des acteurs de l'économie musicale. Nourrie par des campagnes de sensibilisation média, des débats télévisés, des articles dans la presse, la communication semble entretenir un débat qui pour l'instant, tourne en rond.

2.2.1 Chronologie des discours de communication

2004, Le SNEP fulmine

De 2002 à 2004, baisse de 25% du volume des ventes de musiques. 9 millions de citoyens français déclarent télécharger via P2P. Pour le SNEP, pas de doute possible, c'est 9 millions de voleurs qu'il faut à tout prix dissuader où alors « la musique mourra ».

« Nous faisons un doigt d'honneur aux pirates qui téléchargent illégalement de la musique en ligne ». Gilles Bressand, président du SNEP

Le visuel phare24 de la campagne média menée par l'agence Nogoodindustry à la demande du SNEP met en scène un émoticône symbolisant « le doigt d'honneur ». Scindé en 2 parties, la 1 ère moitié de l'image illustre l'attitude des internautes jugée (par le SNEP) insultante à l'égard de la création musicale. La 2ème partie du visuel représente cet émoticône derrière des barreaux de prison. Les internautes qui ne connaissaient pas, à l'époque, la nature de leurs actes étaient prévenus. Le message se veut clair, limpide même : « L'échange de musique sur Internet c'est du vol et désormais c'est jusqu'à 300.000 € d'amende et 3 ans d'emprisonnement ».

Les réactions furent à la hauteur de la violence du visuel. De nombreuses associations de consommateurs (Syndicat Français des Artistes, UFC Que Choisir, UNAF, la Ligue de l'enseignement, CLCV, ...) firent part de leur « désapprobation » quant à la virulence du message de la SNEP :

« Cette campagne indécente et irresponsable du SNEP insulte et menace 20 millions d'internautes, (...) Nous réclamons l'arrêt immédiat des pressions et menaces fondées sur des poursuites judiciaires à l'encontre des internautes, tant qu'un "vrai débat" n'aura pas eu lieu et que des "solutions innovantes" n'auront pas été proposées ».

Ce message aurait pu générer chez l'internaute une prise de conscience majeure s'il n'avait pas comporté 2 lourdes erreurs :

« L'échange de musique sur Internet » n'est pas une pratique illégale en soit, la copie privée et l'utilisation de logiciel P2P non plus. Seul l'échange non autorisé d'une musique est considéré comme un délit. Aucune alternative valable de téléchargement légal n'était proposée par l'industrie en réponse à l'essor du numérique (et des baladeurs MP3).

24 Cf. annexe n°5, p.68, « campagne de communication du SNEP » mai 2005

Cette campagne de communication fut considérée pour beaucoup comme « un pavé jeté dans la marre », la déclaration ouverte d'une contre attaque des majors menée contre la « génération numérique »

« Nous nous attendions à ce que notre business ne soit pas affecté dans le monde de l'interactivité, pendant que la connexion permanente et le partage de fichiers explosaient. Bien sûr, nous avions tort. Pourquoi ? Parce qu'en restant immobiles ou en bougeant à un rythme glaciaire, nous sommes involontairement entrés en conflit avec le consommateur, en lui refusant notamment ce qu'il voulait et pouvait trouver ailleurs. Le résultat des courses, c'est que le consommateur l'a emporté ». Edgar Bronfman, PDG de Warner Music.

2006 : DADVSI ouvre le débat

Le ministère de la culture commande à Publicis le site Internet « lestelechargements.com » afin d'informer le public et les acteurs de la création sur le projet de loi DADVSI. Cette première initiative du législateur sur le Web atteste d'une prise de conscience sur la nécessité d'étendre le débat, de créer un pont entre les acteurs de la création et leurs publics. Jugé orienté contre le projet de « Licence Global », alternative proposée à l'époque par les opposants au projet DADVSI, des voix se sont élevées contre la SACD et la SACEM présumées avoir collaboré au développement du site. Bon nombre d'internautes attestent que les commentaires qu'ils laissent étaient « modérés » (censurés). Ces commentaires étaient pourtant jugés construits et cohérents, épurés de toute invective ou critique infondée. Pour bon nombre d'internautes, « lestelechargements.com » n'était qu'une « vitrine de la loi » et « propagande du gouvernement ». Le site a rapidement été fermé.

2007, le SNEP s'aligne

« L'ouverture d'un débat sur l'avenir de la musique nous est apparue essentielle à l'heure où la révolution numérique nous a, paradoxalement, éloigné » Hervé Rosny PDG du SNEP.

Dans la continuité d'une nécessaire ouverture apportée par le débat DADVSI le SNEP lance « www.faceface.fr ». Le site connu le même sort que « lestelechargements.com » pour des raisons similaires.

2008, qui n'aime pas les artistes ?

Depuis, le SNEP a décidé d'ouvrir un Blog « DemainLaMusique.com » qui est actuellement en ligne. Hervé Rosny ainsi que différents membres du SNEP apportent régulièrement des « éclaircissements » et point de vue pour

« rééquilibrer » la tendance du discours sur Internet. Encore une fois, de nombreux internautes déplorent que leurs commentaires, qu'ils jugent pertinents soient systématiquement « modérés ».

Afin d'informer le public sur le actions menées par le ministère de la culture en faveur de la loi « Création et Internet », le site « jaimelesartistes.fr » ouvre ses portes. Les principaux axes du projet de loi HADOPI sont exposés, de nombreux témoignages d'artistes en faveur de la loi sont consultables en vidéo streaming et le site propose de nombreux liens vers les plateformes de vente légale de musique en ligne. A la différence des précédentes initiatives du législateur et de l'industrie de la création en matière de communication sur Internet via site web, jaimelesartistes.fr ne propose pas de forum ni d'espace de commentaire.

Piraté à plusieurs reprises, le site estimé « blindé » par le ministère résiste mal à ses assaillants. La ministre de la Culture, Christine Albanel a déploré « les attaques incessantes (...) mobilisation des groupes de pression qui s'opposent aux droits des artistes et des entreprises culturelles »

Ces mots de la ministre résument assez bien la teneur du discours de communication du gouvernement. Evoquant sans cesse la malveillance des 1 5 millions d'internautes français qui téléchargent illégalement à l'égard des artistes et de la création, le législateur semble se fourvoyer :

- « J'aime les artistes, je ne télécharge pas illégalement » sous-entend clairement « je n'aime pas les artistes, je télécharge illégalement». En tentant d'émouvoir l'internaute, cette stratégie ne semble pas porter ses fruits. Bien au contraire, elle prend le risque de creuser plus profond l'écart entre le monde de la création et son public. Les internautes les plus virulents dans leurs actions contre le projet de loi se réclament d'une vision idéalisée de la culture épurée de son « aversion » mercatique. Convaincu « du large soutien populaire » dont il se prévaut, le ministère de la culture et de la communication balaye ces puissants relais d'opinion du Net estimant que toute opposition au projet HADOPI ne relève que d'une « agitation entretenue par quelques groupuscules ». Le positionnement de ce discours en termes de communication politique s'expose à la critique « d'entretenir la flamme de la discorde ». Alors que l'Etat met en avant un argumentaire protecteur envers les artistes et la création, Henry Padovani25 ne semble pas partager ce point de vue. « Les artistes ne se mobilisant pas eux-mêmes dans cette affaire, ce sont tous les autres acteurs de l'industrie (...) qui mènent le combat à leur place. C'est comme si, par exemple, les producteurs de tomates demandaient à Carrefour de défendre leurs intérêts... »26.

- De nombreux experts ont démontré les limites techniques, juridiques et culturelles du projet de loi et pronostiqué l'inefficacité du dispositif répressif qu'il comporte, face à 15 millions d'internautes « hors la loi », sans apporter de garanties supplémentaires aux artistes et à la création. En d'autres termes

25 Fondateur de la première Police de la musique en 1 977, musicien, directeur de label et producteur d'artistes comme The Cramps ou REM et manager de Zucchero.

26 Interview de Henry Padovani par StopPartage - http://www.stoppartage.fr/s pip.php?article62 - avril09

pour eux le projet de loi relève davantage d'une stratégie de communication que d'une réelle réponse législative.

2.2.2 Le Web, un nouveau canal d'expression

Il fut un temps pas si lointain où les nouvelles générations avaient principalement « la rue » pour faire entendre leur voix. Loin d'être révolue, cette époque s'est enrichie d'un nouveau canal d'expression. Beaucoup de professionnels considèrent Internet comme un outil média « révolutionnaire » dans le monde de la communication. Mais à la grande différence des médias traditionnels laissant peu de place à l'interaction, Internet est bien plus qu'un simple vecteur de campagne. Son utilisation en tant qu'outil est extrêmement délicate et toute erreur d'appréciation peut s'avérer désastreuse. En créant la vitrine figée d'un projet de loi censée « rééduquer » un internaute qui a perdu « tout repère moral », le ministère de la culture et de la communication se heurte à une « rue numérisée » où la violence des uns ne peut plus être étouffée par quelques policiers en armes. La voix numérique est si puissante qu'elle parait raisonner bien au-delà de la sphère virtuelle, jusque dans les bastions de la république.

Le débat, largement relayé par les médias traditionnels sous forme d'articles de presse, d'émission TV / radio prend une tournure peu commune. Blogs, site Internet, forum, vidéo Buzz d'internautes et d'associations de consommateurs. « UFC Que Choisir » a d'ailleurs réalisé un site Internet diffusant une série de courts métrages27 qui tournent en dérision les mesures prises par le projet de loi HADOPI. Partout les opinions déversées par dizaines de milliers, consultées par des millions, sollicitent l'attention, au plus grand dam du gouvernement, des lobbys industriels, d'un monde analogique médusé par les voix dissidentes des jeunes générations. La notion de « vol » et de « piraterie » véhiculée à sens unique perd toute consistance sur la scène

27 Cf. annexe n°4, p.67, « Avec Dédé ça va couper ! » Année 2009 http://www.ca-va-couper.fr/

d'une joute communicationnelle masquant les coulisses d'une mécanique économico-technologico-sociale complexe.

Finalement bien peu à l'écoute d'un public porteur de nouvelles pratiques de consommation ouvrant sur de nouveaux marchés de la création musicale et figée par un business model en burn ouf, l'industrie musicale et ses alliés se heurte à des difficultés pour trouver le ton juste en matière de communication. Ni les majors ni le législateur ne parviennent à sortir d'un débat public qui semble tourner en rond. En cherchant à numériser son modèle économique à travers une offre commerciale, l'industrie se trouve confrontée à une demande plus complexe qu'elle ne le pensait. Le débat public a fait surgir la nécessité de redéfinir à l'ère du numérique les échanges culturels. Loin de contester la rétribution due au créateur, les consommateurs du Web demandent à être mieux pris en compte dans la diversité de leurs pratiques.

Certains acteurs de la création, artistes « visionnaires » à l'écoute de leur public ou tout simplement issus de la génération numérique veulent poser les bases d'un concept novateur destiné à mieux intégrer leur public dans les process de la création musicale. Rarement cités dans les controverses publiques ces créateurs prétendent mener l'artiste et son public sur le chemin du partage et de la réconciliation.

III - Des propositions de communication pour une économie musicale « plurielle »

La consommation numérique secoue l'économie de la création musicale. Les nouvelles technologies permettent-elles d'inventer des formes artistiques novatrices et rémunératrices pour les artistes ?

L'offre commerciale d'oeuvres musicales en ligne se développe à grande vitesse. Il en est de même pour les process alternatifs des créateurs indépendants. Les réseaux P2P au coeur de la définition même du protocole Internet, peuvent être perçus comme les pionniers d'un nouveau type d'échanges culturels en ligne ou la machine à vocation à être à la fois récepteur, émetteur, transmetteur.

Comme nous l'avons vu « les mutations technologiques s'accompagnent de nouveaux comportements, d'un nouveau rapport à la création, de plus en plus collectives, de plus en plus issues du partage » Christian Vanneste Député du Nord.

Parmi l'ensemble des futurs possibles, procédons au débroussaillage des sentiers sur lesquels nous déroulerons des stratégies de communication accompagnant ces évolutions lourdes irréversibles fondées sur un double postulat implicite :

- Au final le consommateur aura le dernier mot.

- La coexistence de deux économies : L'économie de marché traditionnel qui ne va pas disparaître et une économie « plurielle » favorisant des échanges autres que marchands.

Ces stratégies s'articuleront donc autour de deux axes :

Le premier concerne l'offre en ligne dite commerciale pilotée par les grands acteurs de l'industrie musicale, les majors et labels indépendants. Une offre née dans un contexte difficile et qui s'enrichit considérablement.

Le second utilise pleinement la force d'Internet comme technologie de la relation pour promouvoir l'initiative alternative, appelons la « l'offre libre » portée par la génération numérique.

3.1 La promotion de l'offre commerciale en ligne

Premièrement il s'agit de présenter en quoi consiste cette offre et deuxièmement de décrire les finalités et les modalités d'une politique de communication en assurant la promotion.

3.1 .1 Etat des lieux de l'offre commerciale

Actuellement le site du gouvernement « jaimelesartistes.fr » recense plus d'une trentaine de plateformes en ligne proposant le téléchargement ou la simple écoute (streaming), payant à l'achat du titre, sous forme d'abonnement ou gratuit en fonction des plateformes. Une grande partie des catalogues des 4 grandes majors ainsi que ceux des labels indépendants sont actuellement disponibles en ligne soit près de 1 0 millions de titres. Itune Store, la boutique en ligne de téléchargement de musique d'Apple est leader du marché mondial, et a généré 70% des ventes en ligne à travers le monde en 2008.

Une offre attractive qui s'enrichie en valeur ajoutée

Pour attirer un maximum de clients, particulièrement les habitués ou occasionnels des réseaux P2P, l'offre commerciale se veut porteuse d'une plus grande valeur ajoutée. Longtemps protégés contre la copie par des mécanismes de sécurité associés aux DRM (Digital Rights Management) la plupart des fichiers téléchargés via l'offre commerciale sont désormais libérés de leurs protections (bien que sur certaines plateformes comme Itune Store, les musiques sont encore partiellement protégées et ne permettent pas d'être copiées plus de x fois). Pour beaucoup d'adeptes du P2P ces protections représentent encore une contrainte les dissuadant d'utiliser l'offre légale. De plus, les titres sont numérisés dans une qualité relativement similaire à ceux trouvables sur le réseau P2P. Cependant les plateformes commerciales jouent

sur l'attractivité de leur offre par une qualité en matière de graphisme, de navigation, la gestion des comptes utilisateurs et la vitesse de téléchargement. Les nombreux acteurs de ce marché porteur de la vente en ligne semblent permettre aux consommateurs de trouver leur compte à travers l'eccleptisme des plateformes.

Concurrencer le P2P paraît être la meilleure lutte

Même pour un adepte, le réseau P2P reste dans l'ensemble source d'insatisfactions : Les musiques étant numérisées et mises à disposition par l'utilisateur final, la qualité n'est pas garantie et le fichier peut ne pas correspondre à celui espéré (virus, pornographie...). La plupart des plateformes P2P doivent être correctement configurées auquel cas la vitesse de téléchargement peut s'avérer extrêmement ralentie... Pour les plus experts (plutôt marginaux), ces problèmes peuvent être rapidement résolus. Bon nombre d'utilisateurs réguliers ou occasionnels du P2P semblent prêts à payer pour plus de qualité. Un aspect difficilement concurrençable des réseaux P2P repose sur la possibilité pour l'internaute de trouver des titres qui ne seraient pas proposés par l'offre légale. Des titres anciens d'artistes oubliés, des remix et autres compositions difficiles à trouver dans le commerce, l'offre commerciale pourrait trouver moyen de s'enrichir grâce au P2P. La loi prévoit l'indulgence à tous ceux qui obtiendraient via P2P des titres protégés par droits d'auteurs mais introuvables (ou très difficilement) dans l'offre commerciale.

3.1 .2 Promouvoir l'offre commerciale par la communication

Outre les majors et labels qui bénéficient de fortes capacités de promotions pouvant ainsi stimuler leur offre en ligne par le biais des médias traditionnels, l'essentiel de la communication des acteurs de l'offre commerciale en ligne se fait par Internet.

Dans son dispositif de répression à l'encontre du téléchargement illégal l'Etat intègre déjà un axe visant à promouvoir l'offre commerciale dans sa stratégie de communication. Cependant, il faut que le positionnement de cette stratégie se détache d'un discours « à tonalité répressive » afin de parvenir à une mise en valeur beaucoup plus performante de l'offre commerciale.

La nécessaire adaptation du discours de l'Etat et de l'industrie

« Télécharger des oeuvres sans autorisation c'est du vol » « La piraterie doit être sévèrement réprimée » Ce positionnement du législateur et de l'industrie en tant qu'axe de communication, bien que cohérent vis-à-vis de la législation ne semble pas conduire efficacement le public vers l'offre commerciale. Pénalisé pour une pratique qualifiée d'immorale, l'internaute a tendance à contracter une attitude de rejet à l'encontre de son « oppresseur ». Quelque soit son positionnement, s'il comporte les termes « téléchargement illégal / piraterie = vol » il apparaît contre productif. Il serait donc intéressant d'orienter le message vers une notion plus respectueuse, marquée par les enseignements de l'histoire. Après tout, si 15 millions d'internautes ont déjà téléchargé illégalement au moins une fois dans leur vie, c'est somme toute qu'à un moment où à un autre, l'offre commerciale n'était pas en mesure de répondre à leurs attentes. Ainsi le discours gagnerait à ne s'axer que sur la pertinence de l'offre commerciale et sa forte capacité en matière de valeur ajoutée pour le consommateur. Une ouverture à été faite en ce sens28. Les sommes engagées dans la lutte contre le « piratage » pourraient servir cet axe nouveau d'une campagne de sensibilisation nationale à travers les médias traditionnels tels que la TV, Cinéma, Radio Presse, affichage. Cette campagne s'attacherait au renforcement de la notoriété de l'offre commerciale afin que nul ne puisse encore penser qu'il n'existe pas d'alternative au P2P. S'en suit une notion d'image, parti pris fondamental de la campagne sur 2 axes complémentaires. Le premier est bien entendu de

28 Cf. annexe n°6, p.69, « visuels des campagnes de communication média »

faire valoir la qualité de l'offre commerciale, seule capable de garantir un réel service de qualité. Un second axe est nécessaire, il doit réparer la fracture culturelle, rapprocher les acteurs de la création et leurs publics. Sur cet axe, les acteurs de la création gagneraient à afficher une plus grande transparence dans leurs interrelations. La question épineuse d'une possible « exploitation » de l'artiste au profit des « majors » doit rapidement être traitée et résolue. Toute l'importance jouée par l'industrie dans la recherche de nouveaux talents, les risques qui s'en suivent doit être mise en valeur par un discours appelant à la responsabilité des consommateurs sans pour autant se vouloir moralisateur en recréant le lien indispensable entre l'artiste et son public.

3.2 La promotion des offres alternatives : les offres « libres »

Ainsi que l'explique Jean-Baptiste Soufron : « Le libre représente une démarche qui organise l'ensemble de l'Internet ».

Le « libre » est souvent mal comprit car trop souvent confondu avec la gratuité des contenus. Il s'agit bien souligne-t-il, « non d'une absence de règle mais d'un modèle d'innovation comportant des obligations pour les utilisateurs sans lesquels le développement extraordinaire des usages et des applications numériques n'auraient pas été possible ».

3.2.1 Etat des lieux de l'offre « libre »

Qu'est ce que la musique « libre » ?

Une création musicale est dite libre lorsqu'elle est soumise à des conditions
d'utilisation et de distribution (échange, copie) spécifiques. Les « Creative
Commons » constituent le groupement de licences le plus répandu dans le

domaine de la création musicale « libre ». Cet ensemble de licences a pour but de fournir un outil juridique garantissant la protection des droits et autorisations liés à l'utilisation, la modification, la copie et le partage d'une création musicale. Ces licences dissocient les fondements de la propriété intellectuelle à la propriété physique. C'est en quelque sorte la réponse faite par des créateurs (et leurs publics) allant à l'encontre des droits d'auteurs traditionnels qu'ils estiment nuisibles à la diffusion et à la culture.

Qui sont ces créateurs et leurs publics ?

Le principe de la musique libre est apparu en réponse à la domination des majors dans le paysage musical. Jugeant cette domination purement marchande, déconnectée de la valeur profonde de la culture et du partage, on peut appeler ces tenants d'une vision libérée, des « pronétaires » :

« J'appelle pronétaires ou pronétariat (...) une nouvelle classe d'usagers des réseaux numériques capable de produire, diffuser, vendre des contenus numériques non propriétaires, en s'appuyant sur les principes de la « nouvelle économie » (...) il s'agit d'usagers d'internautes de « blo gueurs » de citoyens comme les autres, mais qui entrent de plus en plus en compétition avec les infocapitalistes traditionnels, auxquels ils ne font plus confiance. »

Cet extrait29 de Joël Rosnay illustre toute la teneur idéologique qui anime les créateurs de musiques « libre » et leur public. Le fait d'associer
systématiquement « créateurs » à « public » sous-entend la forte proximité de ces acteurs.

Comment les créateurs de la « musique libre » se produisent-ils

Ces créateurs sont pratiquement inconnus du grand public car n'appartenant pas à une
major ou un label indépendant. Ils ne bénéficient donc pas des effets de promotion du

29 DE ROSNAY, Joël, « La révolte du pronétariat », Editions Fayard & Creative Commons http://www.pronetaire.com/livre/

« star system » relayés par les vecteurs traditionnels des mass médias. Ces pronétaires, créateurs d'une musique conditionnée par les licences « Creative Commons », mettent en partage leurs oeuvres sur les réseaux P2P et sont téléchargeables gratuitement sur des sites tels que « dogmazic.net » et « jamendo.com ». On peut alors se demander comment ces créateurs parviennent à produire leurs oeuvres. Deux situations sont à considérer :

- La première concerne des créations qui font appel à des talents d'artistes tels que les chanteurs et musiciens. Pour un enregistrement de qualité, le passage en studio est quasiment inévitable. Une journée en studio d'enregistrement coûtait jadis près de 2500 euros. Aujourd'hui les tarifs avoisinent 250 euros par jour. 5 à 1 0 jours peuvent suffire pour l'enregistrement d'un album (cette estimation dépend beaucoup du genre musical).

- La seconde est représentée par les créations électroniques, c'est-à-dire réalisables grâce à un ordinateur. Moyennant un investissement pouvant aller de 2000 à 5000 euros et un bon niveau d'expertise, un créateur peut s'autoproduire. L'apport personnel est nécessaire dans les deux cas, mais des créateurs sont parvenus à lever des fonds grâce à Internet en misant sur la contribution de leurs publics/sympathisants.

Comment ces créateurs vivent-ils de leurs créations ?

Partant du principe qu'ils ont acquis une notoriété auprès de leurs publics par le biais d'Internet (site d'écoute/téléchargement et P2P), ces créateurs parviennent à vivre grâce au concert, spectacles vivants et exploitations de leurs oeuvres par des producteurs, publicité, cinéma etc. dans le cadre des licences commerciales prévues par les « Creatives Commons »

De nombreux artistes anciennement produits par des labels ont ouvert la voie en mettant volontairement à disposition leurs oeuvres à la fois sur leur site Internet et sur les réseaux P2P.

A titre d'exemple, en 2007 le groupe Radiohead proposa le téléchargement libre de son dernier album « In Rainbows ». Disponible gratuitement sur le site Internet du groupe (et sur P2P), l'album ensuite commercialisé a été vendu à plus de 3 millions d'exemplaires alors que les 3 précédents albums n'avaient été vendu qu'à quelques centaines de milliers d'exemplaires. Une forte opération marketing au service d'un groupe déjà célèbre qui a ouvert la voie à bon nombre d'initiatives similaires.

3.2.2 Promouvoir l'offre de musique libre par la communication

Les créateurs de musiques libres ne disposent pas des mêmes capacités d'investissement que les majors et labels indépendants en matière de promotion. Ils ne peuvent donc espérer accroître leur notoriété par le biais des mass média traditionnels. Leur canal de promotion passe essentiellement par des sociétés (Jamendo) ou associations (Dogmazic) qui les référencent sur Internet. C'est donc sur la promotion de ces acteurs qu'il faut concentrer les efforts stratégiques.

Promouvoir les plateformes de musiques libres

Dans le monde du « pronétariat », ces acteurs du « monde libre » sont très largement visibles. Internet est leur maison mère, ils connaissent et exploitent tous les rouages nécessaires à l'accroissement de leur visibilité. La publicité apporte la source principale de leur financement. Mais ces acteurs restent encore assez méconnus des internautes occasionnels peu engagés sur le Web. Sur plus de 25 millions d'internautes français, bon nombre ignore encore toute la richesse de la toile. Ce public doit donc être touché en dehors de la sphère virtuelle. Les alternatives aux médias traditionnels sont riches, c'est donc par le biais de moyens hors média qu'il faut articuler les efforts stratégiques.

Le contexte extrêmement favorable du débat sur le devenir de la consommation culturelle numérique est largement entretenu à travers la presse. Quotidiens nationaux, régionaux, gratuits, supports d'information au service du public, beaucoup des journalistes sensibles à cette notion du partage et de la connaissance se mobiliseront pour célébrer toute la richesse de l'offre libre et le lien si particulier du créateur à son public. Il est donc primordial d'obtenir ce soutien stratégique, puissant de la presse.

Un travail de prospection et d'information doit être intensifié afin de donner de la visibilité aux noms et logos de ces sociétés/associations améliorant la notoriété de cet univers du libre échange culturel. Partout où la création d'un artiste est exploitée ou pourrait l'être à des fins commerciales que ce soit lors d'un événement (tournée événementielle) dans une production télévisée (reportage), cinématographique, chez les commerçants (boutiques de vêtements) professions libérales (médecins), dans les parkings souterrains (Vinci), et tous les lieux publics qui diffusent ou le voudraient des oeuvres musicales sans avoir à payer à la SACEM des droits d'auteurs parfois jugés exorbitants.... Beaucoup y gagneraient à découvrir cette offre alternative.

Conclusion

Nous sommes bien engagés dans ce que Joël de Rosnay appelle la « révolution pronétarienne » qui est avant tout sociétale, aussi importante que celle du début de l'ère industrielle car elle répond à une aspiration profonde, à des modes participatifs et de partage posant des problèmes culturels, politiques, sociologiques et économiques nouveaux.

Cette génération numérique réalise la place qu'elle est conduite à occuper dans le « Net du futur » plaçant les responsables industriels et politiques face à ces nouveaux défis. De même les producteurs de biens culturels numériques sont à la recherche de formes alternatives de financement.

Dans cette perspective, il apparaît indispensable et urgent de dépasser la bataille de la communication telle qu'elle ressort aujourd'hui de la confrontation entre les tenants d'un certain conservatisme manifestant une réelle frilosité envers les évolutions des technologies et d'Internet et la nouvelle classe d'usagers des réseaux numériques adeptes d'échanges autres que marchands. En d'autres termes l'urgence n'est-elle pas de sortir des logiques binaires si l'on veut traiter positivement de stratégie de communications adaptées à cet art de vivre et cette capacité à surmonter la peur et à développer des logiques de coopération qui devraient selon l'appel de Patrick Viveret constituer les « axes majeurs d'un projet politique pour le siècle, un projet qui prendra la forme d'une vision et d'une stratégie positive de la mondialité »30.

30 VIVE RET, Patrick, « Pour une vision positive de la mondialité », février 2005,

http://www.lesdialoguesstrategiques.com/index.php?option=com_content&task=view&id=41

Remerciements

Je remercie Jean Pelletier, Patrick Waelbroeck et Bertrand Le Gendre pour avoir bien voulu répondre à mes questions.

Je remercie également la participation de tous les sympathiques internautes qui ont accepté de remplir le questionnaire en ligne.

Un grand merci à celle qui a su « dénicher » les quelques fautes d'orthographe récalcitrantes de ce mémoire ainsi que toutes les petites attentions maternelles qui ont accompagné cette odyssée.

Enfin, je remercie tout particulièrement Dominique Viandier pour ses conseils.

Bibliographie

Ouvrages

- Joël de Rosnay : « La révolte du pronétariat, Des mass média aux média des masses », éditions Fayard & Licences Creative Commons, décembre 2005. http://www.pronetariat.com/livre/

- Florent Latrive : « Du bon usage de la piraterie », éditions La Découverte & Licences Creative Commons, 2007.

http://docs. covertprestige. net/piraterie/00-titres. html

- Patrick Viveret : « Pourquoi ça ne va pas plus mal », éditions Fayard 2005. - Pierre Rosanvallon : « La légitimité démocratique », éditions Seuil 2008.

Presse

- Le Monde - Les échos - Le Figaro - Libération

Presse Online

- www.numerama.com - www.zdnet.fr

- www.lepost.fr

- www.pcinpact.com

Emissions TV

France 3 : « Débat HADOPI dans Ce soir ou jamais » 5 mai 2009 http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/index-fr.php?page=emission&id_ru brique =662

Enquêtes, études et rapports

- UFC Que choisir : « La loi Création et Internet : une mauvaise solution à un faux problème », 10 mars 2009.

http://www.quechoisir.org/positions/Une-mauvaise-solution-a-un-fauxprobleme/3BCE70FA2355 9B9AC 1257574003 7BDA4. htm

- FING (Fondation Internet Nouvelle Génération) : « Débat public musique & numérique créer de la valeur par l'innovation. Synthèse v1 » 5 février 2007. http://www.fing.org/IMG/pdf/Musique_Innovation_FING_fev_2007.pdf

- Equancy-Tera Consultants : « Impact économique de la copie illégale des biens numérisés en France », novembre 2008. http://www.droit-technologie.org/upload/dossier/doc/179-1.pdf

- Ministère de la culture et de la communication (mission Olivenne) : « le développement et la protection des oeuvres culturelles sur les nouveaux réseaux », novembre 2007. http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/index-olivennes231107.htm

- La Quadrature du Net : « HADOPI, Riposte graduée : Une réponse inefficace, inapplicable et dangereuse à un faux problème », 9 février 2009. http://www.laquadrature.net/files/LaQuadratureduNet-Riposte-G raduee_reponseinefficace-inapplicable-dangereuse-a-un-faux-probleme. pdf

- Observatoire de la musique : « Les marchés de la musique enregistrée », année 2008. http://www.wbm.be/dbfiles/doc518_marchemusique2008France.pdf

- Marc Bourreau ENST, Département EGSH, et CREST-LEI Benjamin Labarthe-Piol Université Paris Dauphine : « Le peer to peer et la crise de l'industrie du disque : une perspective historique », année 2004.

http://www.freescape.eu.org/biblio/IMG/pdf/music1.pdf

- ADAMI : « Filière de la musique enregistrée : quels sont les véritables revenus des artistes interprètes ? », avril 2006.

http://www.adami.fr/fileadmin/user_upload/pdf___docs/02_Defendre/etudes/avant_200 9/Etude_Adami_rem uneration_musique_avril_2006.pdf

- LEVY, Maurice & Jean-Pierre Jouyet : « L'économie de l'immatériel », novembre 2006.

http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000880/0000.pdf

Annexes

Annexe n°1 :

- Interview de Jean Pelletier, directeur de la communication - chargé des relations extérieures de la Société civile pour l'Administration des Droits des Artistes et Musiciens Interprètes (ADAMI), mars 2009.

Présentation de l'intervenant :

Jean PELLETIER, né le 11 juin 1 952, ancien élève de l'institut d'études politiques de Paris et titulaire d'une Maîtrise de Lettres à l'Université de Nancy2. Enseignant à l'Université d'Évry Val d'Essonne au département "Administration de la musique et du spectacle vivant", Directeur des Relations Extérieures de l'ADAM I (Société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes).

Présentation du mémoire :

Je réalise un mémoire qui porte sur les nouvelles pratiques de consommation des oeuvres culturelles en France. Les modèles commerciaux qui régissent la situation de l'industrie musicale sont manifestement en crise. Cette crise serait liée à l'essor de nouvelles technologies et de l'Internet qui conduisent à redéfinir les pratiques de diffusion et d'échanges des oeuvres musicales. L'entrecroisement d'enjeux économiques, culturels, idéologiques et politiques entraînerait des conflits entres les différents acteurs de l'industrie musicale et son public. Tous ces constats m'amènent à une première conclusion : Le système est actuellement dans une impasse.

1 - Partagez vous ce constat ?

Tout à fait, finalement ce problème dépasse de loin celui de la création, c'est
un phénomène de société qui découle d'un grand nombre de convergences

liées aux technologiques numériques qui remettent en question les pratiques sociales et culturelles.

2- Quelle est la position de l'ADAMI concernant les initiatives législatives du gouvernement (DADVSI & HADOPI) ?

L'ADAMI a eu plusieurs visions sur ce phénomène. Pendant le débat de la loi DADVSI, l'ADAMI et ses partenaires ont proposé le concept de la « Licence Globale » (dont les bases juridiques ont été élaborées à l'ADAMI) Par la suite un partenariat s'est créé avec d'autres sociétés et plus particulièrement l'alliance « Public Artiste ». Si l'amendement de la « Licence Globale » avait été retenu à l'époque, au regard du nombre d'abonnements ADSL aujourd'hui, cela représenterait 1,4 milliards d'euros par an ! En ne voulant pas adapter le code de la propriété intellectuelle, la filière de l'industrie musicale dont le chiffre d'affaire annuel est d'environ 600 millions d'euros, est passée à côté d'une formidable occasion de compenser ses pertes...

En adoptant cette position, l'ADAMI s'est coupée de son milieu naturel, mise à l'index de la SACEM, SACD, producteurs et acteurs de la création qui étaient tous opposés à la « Licence Globale ». Face à cette situation, la « petite » ADAMI a choisi de réintégrer son milieu naturel en adoptant une stratégie de retrait, tout en continuant de soutenir ses positions initiales.

Vis-à-vis du projet HADOPI, l'ADAMI restera neutre lors du vote, mais dénonce le manque d'utilité et de faisabilité du projet. Finalement cette cause ne nous intéresse guère car à aucun moment elle n'envisage la moindre rémunération pour les artistes interprètes et tous les amendements qui ont été présentés aussi bien au Sénat qu'à l'assemblée ont systématiquement été rejetés.

Le droit n'est plus du tout adapté à la réalité, il en est même contradictoire. Je me suis demandé pendant les débats DADVSI, comment on avait pu en arriver là... Je me suis rendu compte que dans les sociétés de gestion, les maisons de disques, « les majors », tous les décisionnaires et dirigeants se faisaient imprimer leurs mails par leurs secrétaires ! C'est une image bien sûr

mais cela souligne à quel point ceux qui décident de l'avenir du monde sont littéralement « arriérés » face aux nouvelles technologies, ça fait froid dans le dos...

3- Finalement, le business model de l'industrie musicale, basé sur une économie de support, semble largement menacé, non pas essentiellement par les échanges illégaux mais surtout par la mort du CDROM. Partagez vous ce constat ?

Bien entendu, l'économie de support est en train de disparaître et c'est bien cela qui constitue un épisode périlleux dans l'histoire de l'industrie du disque. Son manque de réactivité lui a déjà coûté des centaines de millions d'euros ! Notez que dans un sens, le fichier MP3 est lui aussi un support car il faut le stocker. Ce n'est pas en basant son offre commerciale sur le téléchargement payant de titres que l'industrie va réellement réajuster son économie. La solution c'est le streaming ! C'est un peu comme l'eau qui coule du robinet, on n'est pas obligé d'y mettre un jeton chaque fois que l'on veut un verre d'eau ! C'est cela que l'industrie doit comprendre. Des solutions allant dans ce sens on déjà été proposées, on y arrivera quoi qu'il arrive, c'est dommage d'avoir perdu tout ce temps...

Que pensez-vous des campagnes de communication menées par l'Etat et l'industrie ? Croyez-vous qu'elles ont un impact, qu'elles génèrent la prise de conscience escomptée auprès du public ?

C'est trop tard, beaucoup trop tard... ces lois, ces campagnes, cette logique auraient eu leurs intérêts il y a dix ans... Ce n'est pas le bon angle. La première fois que j'ai expérimenté le P2P il y a quelques années, j'ai eu froid dans le dos. Cela m'a donné l'impression de me réveiller au milieu des rayons de la FNAC seul, en pleine nuit, personne, pas de vigile, je peux prendre ce que je veux... c'est l'effet que cela m'a fait à l'époque.

Bref, ces campagnes suivent un axe de répression du piratage mais on est déjà plus dans le piratage ! Quand j'entendais les parlementaires à l'assemblée parler sans cesse de P2P j'ai réalisé à quel point ils étaient dépassés par les événements. On légifère contre le téléchargement et le stockage illégal alors que la musique devient aussi volatile qu'un courant d'air avec le streaming... il n'y a plus de piratage...

Ce n'est pas la bonne méthode. Sur ce sujet le gouvernement n'a eu de cesse depuis plusieurs années de stigmatiser les gens, de créer des clivages, d'éloigner l'artiste de son public, sous l'influence des producteurs bien entendu...

Dans le triptyque artistes-producteurs-publics, les producteurs devraient comprendre qu'ils ne sont pas les maîtres du monde ! Sans création que vont- ils produire ? Et sans public qui écoutera la création ? Le producteur a un rôle loin d'être négligeable mais il faudrait qu'il cesse de se mettre constamment au devant de la scène et de passer pour une victime sans qui rien n'existerait... Quand on voit la manière dont-ils traitent les associations de consommateur et font pression sur les artistes interprètes...

Et « jaimelesartistes.fr » ?

Propagande ! C'est comme la liste des 1 00.000 artistes de la SACEM ! Madame Albanel n'a pas tous les artistes avec elle, certains sont bâillonnés par leurs producteurs pieds et poings liés financièrement... et puis il faut aussi comprendre que de nombreux artistes ne sont pas de cette époque et ils ont très légitimement la sensation de se faire voler...

Annexe n°2 :

- Interview de Patrick Wealbroeck chercheur et professeur associé à l'Ecole Nationale des Télécommunications (ENST), avril 2009.

Présentation de l'intervenant :

Patrick Waelbroeck est professeur associé à l'ENST au département Economie et Science Sociale. Il y enseigne l'économie industrielle et l'économétrie. Il est détenteur d'un doctorat obtenu à la Sorbonne et fait une partie de ses études à Yale. Ses recherches actuelles portent sur une approche à la fois pratique, scientifique et empirique du piratage sur internet et la protection technologique des industries créatives. Il est également membre du comité éditorial du Journal of Cultural Economics. Il a publié de nombreux travaux sur le sujet du piratage et de l'industrie culturelle et fait parti des sommités mondiales sur le sujet.

Pouvez-vous nous expliquer le déclin du modèle économique de l'industrie musicale ?

D'un point de vue économique, deux facteurs structurels montrent que la musique est en déclin :

- Premièrement un déclin du support, car aucun nouveau support sérieux n'est parvenu à concurrencer le CD (mini disque de Sony, cassette digitale de Philips). Or, une grande partie de la demande de musique est dictée par un renouvellement de la bibliothèque, un renouvellement lié à chaque nouvelle apparition de support (ceux qui possédaient des vinyles ont racheté leurs albums en CD). Mais aujourd'hui grâce aux technologies numériques, « dématérialiser » sa bibliothèque devient enfantin et surtout gratuit ! Inutile donc de racheter via une plateforme de téléchargement commerciale un fichier numérique que l'on peut créer soit même !

- Deuxièmement un facteur lié au secteur du loisir. On sait qu'aujourd'hui la TV et la musique occupent la plus grande part en termes de loisir dans le quotidien d'un consommateur, le jeu vidéo arrive juste après. Que ce soit en termes d'heures d'activités ou en termes de budget, toutes les prévisions indiquent que dans 5 à10 ans le jeu vidéo viendra en première position. La musique va forcement continuer son déclin structurel qui est lié à des effets de substitution entre les différents types de loisirs. Tout ceci est indépendant du piratage qui ne fait qu'accélérer le processus.

Quelle est votre opinion sur cette tendance à la répression visant à limiter les accès à la technologie à ceux dont les pratiques sont jugées illégales ? (téléchargement de musiques sur Internet) Pensez vous que cette démarche relancera le secteur économique de l'industrie musicale ?

On distingue deux types d'internautes :

- « Les pirates » majoritaires, qui téléchargent beaucoup, stockent mais ne consomment pas réellement ce qu'ils téléchargent. Ils cherchent plus à se constituer une bibliothèque dans l'idée d'« amasser » quelques richesses plus que d'en disposer. Ce genre d'internaute n'achète pas de musique. Il n'en a jamais vraiment acheté et il n'en n'achètera probablement jamais (pas plus que quelques CD par an et encore...). Ceux là ne se sentent pas concernés par ces mesures répressives car ils connaissent les méthodes pour les contourner.

- « Les explorateurs », minoritaire (25%), ne téléchargent pas pour stocker une musique qu'ils n'écouteraient pas, au contraire, ils l'effacent une fois qu'ils l'ont consommé. Ils téléchargent des volumes qu'ils n'auraient pas pu se payer. On constate que ce sont eux les plus gros acheteurs et ils ont notamment des rôles de prescriptions dans leur communauté. Si on réduit leur accès à Internet, ils n'exploreront plus ce domaine et ils transféreront leur budget ailleurs (jeu vidéo par exemple). Ainsi, couper l'accès à Internet ne

fera pas gagner grand-chose à l'industrie, il y a même fort à parier que cela ne fasse qu'empirer son état.

Expliquez-moi pourquoi les scientifiques sont-ils finalement si peu présent dans le débat public... ?

Comme vous vous en êtes aperçu dans vos recherches, très peu d'études sérieuses sur le domaine ont été réalisées. Les premières datent de 4 à 5 ans et ne concernent qu'une quarantaine de chercheur dans le monde (pas plus de 10 vrais experts). Ce ne sont pas des sujets économiques classiques. Il est d'ailleurs regrettable que le seul scientifique choisit par la commission Olivenne, Olivier Bomsel, loin de douter de ses qualités de scientifique, paraisse aussi orienté en faveur de cette tendance à la répression.

Certes la commission a acquis une légitimité scientifique mais
malheureusement pas suffisamment neutre.

Annexe n°3 :

- Interview de Bertrand Le Gendre, chroniqueur éditorialiste au journal Le Monde, avril 2009.

Présentation de l'intervenant :

Journaliste au Monde depuis 1 974, Bertrand Le Gendre a été rédacteur à la rubrique Education, chef adjoint du service des Informations générales, chef de la rubrique Justice, grand reporter, rédacteur en chef (1 993-2006), désormais éditorialiste depuis septembre 2006.

Bertrand Le Gendre est professeur associé à l'université Paris-II Panthéon- Assas depuis septembre 2000 et a été directeur de collection aux éditions Gallimard (1 986-1989).

Pourquoi, le public ne semble-t-il pas réellement sensible aux messages alarmistes de la filière musicale prédisant la mort de la création à venir ?

Vous savez il existe quand même des gens qui sont convaincus que ce système de téléchargement illégal fait du mal à la création. Mais il faut reconnaître que les gros industriels de la culture musicale tels que les majors ont pendant longtemps fait fortune prenant les mélomanes en otage, les forçant à acheter des albums de 12-15 titres dont seulement 2 ou 3 valaient le coup ! Ils ont bénéficié de ce système pendant des années jusqu'à ce qu'ils l'asphyxient eux-mêmes ! Ils ont été les plus forts pendant des nombreuses décennies mais depuis près de 1 5 ans qu'Internet existe, ils ont été stratégiquement incapables d'anticiper ce qui est en train de leur arriver...

Et puis vous savez, il y a usages et discours, regarder les usages ! Les usages ne sont finalement pas modifiés par ces discours alarmistes et culpabilisants. Peut-être qu'ils le seront par les menaces de la coupure d'Internet...

Les discours qui paraissent avoir de l'impact aujourd'hui en auront peut-être moins demain. On est dans un système mouvant, dans un brouillard complet où personne n'a de certitudes...

Que pensez-vous de la position du gouvernement dans cette affaire ? Pensez- vous qu'il a réellement intérêt à faire face à des millions de citoyens français juste pour sauvegarder une industrie vieillissante et peu encline au changement ?

Je crois que le gouvernement est l'objet d'une intense opération de lobbying de la part de ceux qui ont intérêt au statut quo c'est-à-dire préserver la chaîne de valeur traditionnelle du disque car, vous l'avez compris, Internet déplace cette chaîne de valeurs. Ces industriels de la culture musicale perdent actuellement du terrain et qui sait peut-être la partie un de ces jours. Ils n'ont pas su réagir à temps et se retournent donc vers leur interlocuteur habituel, le ministère d'une culture régulée, règlementée, afin qu'ils puissent espérer éradiquer des pratiques qui, soit disant les blessent.

Le ministère de la culture et de la communication reconnaît lui-même qu'une diminution significative des échanges, même à la marge, serait satisfaisante. Car en fin de compte, le gouvernement n'est pas dupe et bien qu'il n'ait guère le choix face à la pression des lobbys, il est sans illusion sur les nécessaires évolutions du business model de l'industrie musicale.

Pensez-vous que les français sont sensibles aux discours de communication du gouvernement et de la filière musicale ? Se considèrent-ils comme des pirates ?

Les citoyens français sont très ambivalents, une partie d'eux-mêmes est consciente que leur comportement nuit à la filière et la création, quoique surtout à Universal et à la FNAC et une autre partie d'eux-mêmes demeure animée par l'attractivité (gratuite) de la pratique.

Il ne faut non plus oublier que pendant un temps, les fournisseurs d'accès Internet ont largement profité de ces pratiques illégales, faisant campagne de façon « subliminale » sur tous les bénéfices que leurs offres pouvaient apporter au phénomène du téléchargement (Téléchargez encore plus rapidement avec nos offres etc...).

Mais en fin de compte le téléchargement reste une pratique assez marginale dans le sens qu'elle concerne essentiellement les jeunes et donc les cycles de vie. Un cadre de 40 ans ne s'intéresse pas au téléchargement. J'enseigne à l'université, quand je demande aux étudiants : qui télécharge régulièrement ? Plus des deux tiers des mains se lèvent pour la simple raison que la majorité d'entre eux n'a pas les moyens de se payer des albums à la FNAC ! C'est avant tout un fossé générationnel, avec l'âge, les jeunes délaisseront peu à peu ces pratiques (d'autres prendront leur place naturellement...)

Vous et le peer to peer ?

J'ai déjà essayé mais ça ne m'intéresse pas, je n'ai pas envie d'attraper un virus ! Non moi vous savez, si une musique me plaît, je l'écoute en streaming ;-)

Annexe n°4 :

- « Screenshot » (imprimé-écran) du site Internet et courts métrages, campagne de communication Buzz de l'association « UFC Que Choisir » sur le sujet « Avec, Dédé ça va couper ! » - http://www.ca-va-couper.fr/

Annexe 5 :

- Visuel de la campagne de communication du Syndicat national de l'édition phonographique (SNEP) réalisé par l'agence de communication Nogoodindustry, mars 2004.

Annexe n°6 :

- Divers visuels de campagnes de communication - sensibilisation - Buzz - Sites Internet de 2005 à 2009.

Source : TNS media intelligence - http://www.adscope.fr

1. Campagne d'affichage nationale janvier 2005 :

2. Site Internet du ministère de la culture et de la communication « jaimelesartistes.fr » janvier 2009 - www.jaimelesartistes.fr

3. « Screenshot » (imprimé-écran) des spots de sensibilisation contre le piratage, précédents la diffusion d'un film en DVD et Cinéma.

Source : TNS media intelligence - http://www.adscope.fr

Annexe n°7 :

- Enquête réalisée auprès d'internautes volontaires par le biais d'un générateur de questionnaire en ligne : Limesurvey - www.limesurvey.org






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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera