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Evangélisation et Promotion Humaine

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par Bienvenu KONE
GRAND SEMINAIRE SAINT AUGUSTIN DE BAMAKO - Licence Canonique 2009
  

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GRAND SEMINAIRE SAINT AUGUSTIN DE SAMAYA

B.P : 298 BAMAKO - MALI

LA VISION CHRETIENNE DE PROMOTION HUMAINE

Le Cas du Diocèse de San au MALI

MEMOIRE DE FIN D'ETUDES

Présenté par :

Bienvenu KONE

Sous la direction de :

Père Joseph DEMBELE

BAMAKO, Juin 2009

A mon Père Jacob qui me fut arraché à l'affection pendant la rédaction de ce travail,

et à ma Mère Pascaline TYENOU,

par lesquels le don de la vie me fut donné par le Seigneur notre DIEU,

A tous ceux qui oeuvrent pour la promotion humaine et intégrale de l'être humain, pour le respect de la dignité des plus pauvres et pour l'avènement d'un monde plus juste, plus humain et plus digne au nom du Christ Jésus, le Révélateur du Dieu Amour.

A Son Excellence Monseigneur Jean Gabriel DIARRA,

Evêque de San

A toute l'Eglise famille de Dieu à San,

Aux Pères Joseph DEMBELE et Cyriaque DIARRA qui ont guidé et stimulé cette réflexion,

A tous mes professeurs du Grand Séminaire Saint Augustin de Samaya

Au Père Emmanuel N. KONE et à tous mes aînés prêtres qui m'ont soutenu et encouragé durant mes études au Séminaire.

Aux Pères Edmond DEMBELE, Hervé TIENOU, Emmanuel A.KONE, qui m'ont encouragé et accompagné durant l'expérience du stage pastoral

A tous mes amis, frères et soeurs, qui par leurs critiques et leurs conseils ont contribué à la réalisation de ce travail,

A tous ceux qui de quelques manières que se soit ont contribué à la réalisation du présent travail

A tous, j'adresse mes très sincères remerciements.

Mi wure bari'a, bari'a.

CARTE I

CARTE DU BWATUN « PAYS DES BWA » J.CAPRON, Sept Etudes d'ethnologie bwa, Burkina Faso, 1957-1987, Université François Rabelais de Tours, Mémoire du laboratoire d'anthropologie et de sociologie, n°1, 1988

Carte II

INTRODUCTION GÉNÉRALE

« L'Eglise a besoin aujourd'hui de chrétiens disposés à donner un témoignage clair de leur identité de catholiques, et qui prennent leur part de la mission de l'Eglise dans le monde, en étant des ferments de religiosité, de justice, de promotion de la dignité de l'homme dans tous les milieux sociaux »1(*), telle est l'invitation sans appel que le Pape Jean Paul II lançait aux chrétiens du monde entier depuis les terres latino-américaines de Puebla en 1979. Le saint Père voulu ainsi réaffirmer que la foi chrétienne engage donc la responsabilité du chrétien à être acteur de progrès social dans son milieu de vie. Cette foi l'invite à oeuvrer pour rendre la terre habitable et qu'en agissant ainsi selon le dessein de Dieu, il puisse concourir à sa propre sanctification. Car la Parole de Dieu invite chaque jour, l'homme de foi, à poursuivre l'oeuvre de Dieu, son oeuvre de création dans le monde.

Dès lors, la participation à l'édification de l'humanité est non seulement une exigence de la foi au Dieu de la vie, mais aussi de l'appartenance à l'Eglise-famille de Dieu qui à la mission d'humaniser davantage le monde par l'Evangile du Christ qu'elle annonce.

Le monde a été longtemps déconsidéré par de nombreux chrétiens des vieilles époques comme le royaume du diable et de tout ce qui est mauvais, susceptible de conduire en Enfer loin du regard d'amour de Dieu. Malheureusement cette compréhension erronée du monde et de toute la création a conduit bon nombre de fidèles chrétiens à détourner leur regard des réalités d'ici bas et de toute activité temporelle, fuyant ainsi leur responsabilité face au destin de la race humaine, pour attendre dans la passivité le retour du Christ. Ils croyaient ainsi mieux s'orienter vers les réalités d'en haut en se détachant de la terre et de tout ce qui peut les entraver. En adoptant un tel comportement, ils ont failli, par ignorance, à la grande mission qui leur revenait ; celle d'être co-créateurs de Dieu.

Aujourd'hui, tout chrétien, qu'il soit clerc ou laïc, est appelé à prendre une part active dans la mission d'évangélisation de l'Eglise. En d'autres termes, il doit porter l'amour de Dieu à ses contemporains, à ses frères et soeurs, non pas dans un langage spéculatif et superficiel, mais en assumant pleinement sa responsabilité de porteur d'espérance chrétienne, de l'Evangile de la vie. C'est-à-dire, par la prise en compte des réalités sociopolitiques et économiques de ses auditeurs ; les réalités quotidiennes où le Christ leur adresse sa bonne nouvelle de Salut. C'est la nouvelle dynamique de la mission du témoin du Christ en Afrique aujourd'hui. C'est également l'enjeu de présent et de l'avenir de l'évangélisation chez les Bwa.

A l'homme, Dieu a donné la grâce de connaître ce qui est bien, bon et beau par son Esprit Saint, afin qu'il soit aussi, une lampe qui luit dans les ténèbres du monde. Car, au lieu de condamner les ténèbres, il vaut mieux y allumer une lampe pou les éclairer.

Revêtu de l'amour de Dieu en Jésus Christ et vivifié par l'Esprit Saint, le chrétien est invité à oeuvrer pour que le règne de Dieu n'apparaisse pas comme une réalité sublimement lointaine pour ses contemporains, ni pour lui-même, reporté dans l'au-delà, mais comme un avènement qui se réalise aussi pour les hommes et les femmes d'aujourd'hui, ici et maintenant. La Parole de Dieu pourra être, pour ceux qui l'écoutent, vecteur de progrès social et économique pour le bien être de toute l'humanité. Car Dieu rejoint chaque homme et chaque femme dans son histoire personnelle et collective ; il est le maître de l'histoire. Témoin du Christ dans le monde, le chrétien devra être pour ses contemporains un autre Christ, sensible à la situation concrète et aux réalités sociopolitiques et économiques que vivent les hommes et les femmes de son milieu de vie. C'est pourquoi il est invité à relever l'humanité déchue comme le Christ l'a fait sur la croix, et à rendre crédible sa foi en devenant un témoin ardent de l'espérance et de la charité dans le monde, dans sa société.

C'est pourquoi, il s'avère plus que nécessaire, d'aider tout homme en général et tout chrétien en particulier à répondre à cette vocation humaine et chrétienne dans le monde. Et nous tenons donc à rappeler ici les fondements évangéliques de l'engagement temporel et l'ampleur de cette responsabilité de tout homme et surtout du chrétien bo d'aujourd'hui. Car il nous faut réaffirmer pour ceux qui croyaient le contraire, que si le Christ sauve, c'est l'homme tout entier qu'il sauve, c'est-à-dire, l'être humain, corps et âme.

1-MOTIVATIONS PASTORALES

La Parole de Dieu est vie et action qui réveille l'homme de foi de son sommeil et l'aide à surmonter les tourments, les contraintes de la vie. Elle produit dans la profondeur de son être un éveil et un dynamisme en lui donnant la soif de la transformation du monde et de la promotion humaine.

Aujourd'hui, la vie de foi de bon nombre de fidèles chrétiens est parfois réduite uniquement à l'aspect cultuel, sans le moindre enracinement socioculturel. Elle ne les engage pas suffisamment dans les réalités quotidiennes de leur milieu de vie. C'est une foi verbale et spéculative qui n'a aucune influence sur leur vie quotidienne personnelle, ni sur la vie collective et sociale de leur peuple.  

De nos jours de nombreuses Communautés chrétiennes dépendent entièrement de leurs pasteurs ; pasteurs qu'elles devraient prendre en charge. Elles ne sont pas engagées pour soutenir la pastorale, non pas qu'elles sont pauvres en fidèles, mais parce que composées de chrétiens à la foi chancelante et occasionnellement vécue. Dans ces communautés, très souvent rurales, le problème n'est pas seulement la pauvreté matérielle, mais aussi l'aveuglement des mentalités et surtout le manque d'engagement et de volonté pour leur propre développement. Cette vie de « mendiant » qui consiste à tout attendre du prêtre et/ou de l'Eglise, a fait mourir toute idée d'entreprenariat et d'initiative de développement chez bon nombre de fidèles chrétiens, hommes et femmes. Plongeant ainsi nos Eglises d'Afrique de façon générale, dans la dépendance totale des aides des Eglises-Soeurs d'Europe. De nombreuses communautés chrétiennes sont dépendantes jusque dans les espèces du pain et du vin nécessaires pour le « sacrifice » eucharistique. Ainsi, le terme Eglise renvoie malheureusement d'abord à l'hiérarchie, à l' Evêque et/ou même uniquement aux prêtres « papa-noël » auxquels les fidèles ont recours de jours comme de nuits non pas pour les sacrements mais pour leurs besoins les plus fondamentaux que sont la nourriture, l'habitat et les soins.

Toute chose qui fait transparaître, aujourd'hui, l'image d'une Eglise-organisme humanitaire ou une institution réduite à une pure et simple éthique sociale au service de l'homme. Dans l'incapacité de se battre pour survenir à leurs besoins quotidiens, bon nombre de chrétiens ont cédé aux gains faciles.

Il nous faut donc faire renaître le dynamisme évangélique dans les coeurs. Et pour cela, il est nécessaire de rappeler aujourd'hui aux fidèles chrétiens, hommes et femmes, leur mission face à toute la création, surtout envers la personne humaine. Car, nul ne peut conduire les hommes vers Dieu comme si la terre n'existait pas et personne ne peut parvenir à Dieu en rejetant l'oeuvre de Dieu qu'est la création comme une impureté.

Aujourd'hui tout disciple du Christ est invité à s'approprier cette affirmation de J. LEBRET lorsqu'il dit que « je ne puis aimer Dieu sans être miséricordieux avec Dieu, sans que les misères du monde m'aient envahi et aient pénétré dans mon coeur, sans qu'en moi, de façon habituelle, j'en porte l'angoisse »2(*) En l'appropriant comme une résolution personnelle on s'évertuera à la traduire dans son vivre quotidien pour mieux vivre sa foi en Dieu de façon pleine et véritable.

Le chrétien est invité à être un témoin infatigable de la Bonne Nouvelle, comme l'a dit le Pape Paul VI en ces termes : « Notre monde d'aujourd'hui a plus besoin de témoins que de maîtres »(E N 41), Car le témoignage chrétien fait du disciple du Christ une Bible ouverte pour l'évangélisation de ses frères et soeurs.

Il nous faut donc aujourd'hui, et dans l'urgence de l'amour ardent de la vérité qui sauve, la vérité de l'Evangile, rectifier dans la mesure de nos moyens et du possible, la vision du chrétien bo qui a été chargée d'erreur quant à l'essentiel, faire le tri du bon et du moins bon, le tri de l'humain du divin dans le message évangélique qui lui a été enseigné, afin d'activer le réveil des chrétiens endormis dans leurs communautés chrétiennes et dans leur société. Il nous faut, en d'autres termes, sauver l'homme bo de ce qui le condamne à la misère par l'Evangile de la Vie.

2-MOTIVATIONS THÉOLOGIQUES

A l'homme fut confiée la mission de travailler la terre pour la rendre habitable. Car Le monde a sans cesse besoin d'être imprégné de l'Esprit de Dieu pour l'édification de la race humaine et pour sa sanctification. Car le Christ, garant de l'espérance chrétienne, est aussi garant du vrai progrès humain, que lui seul peut empêcher de tourner en mal, en le faisant déboucher sur le bien véritable de l'homme et non pas sur un nouvel esclavage

Malheureusement l'explication traditionnelle erronée longtemps prêtée à la Parabole des Béatitudes « heureux les pauvres, heureux ceux qui souffrent  » (Lc6, 20) a plongé bon nombre de fidèles chrétiens qui ne sont pas les moindres, dans un pessimisme véritable à l'égard des biens temporels. A cela vient s'ajouter la lecture littérale de la parabole du jeune homme riche, parabole également vidée de son sens réel et de son contexte : «il est plus facile à un chameau de passé par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume des cieux »3(*) ; et qui a paralysé tout esprit de progrès social et véritable dans les mentalités du chrétien bo. 

Le chrétien ne devrait point mener une quelconque activité lucrative, a-t on coutume d'entendre, qui le rendrait peut être riche, donc condamnable et prédestination à l'Enfer par un Dieu qui préfère les pauvres. En plus beaucoup de chrétiens nantis étaient mal vu par certains pasteurs et pire, ils étaient souvent considérés comme de mauvais chrétiens ayant un penchant exagéré pour les biens de ce monde. L'Evangile dit, répétaient-ils très souvent pour dissuader leurs fidèles : « N'amassez pas de fortune durant votre séjour sur la terre (...) dit Jésus. Amassez plutôt une fortune dans le ciel (...) car là où est ton trésor, là aussi est votre coeur »4(*).

Dès lors, bon nombre de chrétiens semblent avoir opté pour la pauvreté pour mieux rentrer dans l'esprit de l'évangile, confondant le gain illégal des richesses et leur usage abusif qui peut conduire au péché et à l'éloignement de Dieu. Un témoin nous confessa qu'une fois le Père S.., à la sortie d'une messe dominicale s'arrêta un peu pour causer avec ses fidèles et ayant aperçu les nombreux boeufs qui appartenaient à un des responsables de la communauté il s'écria d'un ton ironique « hen wure a tuwa mi wa ani ye le/ ceci-tout-de-la-viande-qui passe ou encore tout ce que je vois n'est que de la viande qui passe. Cette ironie n'est qu'un exemple parmi tant d'autres qui traduit véritablement la mentalité du catholicisme, à travers les hommes et femmes qui l'ont enseigné chez lez bwa.

Le fondement de ces interprétations erronées se situerait dans l'ignorance de la distinction entre la juste possession des richesses, des biens temporels et leur usage pour la gloire et selon le dessein de Dieu.

Pour réussir notre mission d'accompagnement des chrétiens, il importe de  purifier la foi chrétienne de toute idéologie contraire à l'Evangile et de toute fausse mystique doloriste qui renforce le fatalisme et la passivité au sein de nos communautés chrétiennes et qui condamne le chrétien bo à la misère. Car il est impossible et même inconcevable d'établir un lien de quelque manière que ce se soit entre la misère, la pauvreté et l'Evangile du Christ, l'Evangile de la vie.

Faut-il que l'homme bo demeure dans une certaine pauvreté pour se sentir toujours concerné par ces paroles d'espérance de l'évangile qui proclame heureux les pauvres, heureux ceux qui ont faim maintenant, heureux ceux qui pleurent maintenant, heureux les persécutés pour la justice ? Sachant que le Christ sauveur , le rédempteur, crucifié pour le salut de tout homme, est la réalisation du salut pour tous, pour les plus pauvres, les affamés, les opprimés abandonnés à leur propre sort, installé à l'ombre de la mort.

Il nous faut donc préciser aujourd'hui pour l'homme bo que l'accueil de l'évangile ne nie pas/ou inclut la réalisation des aspirations humaines ; car la vie éternelle espérée n'est pas synonyme d'une vie terrestre déficiente et résignée, et que le salut qu'apporte le Christ est l'un des signes du règne de Dieu, l'une des expressions du monde d'ici bas et du monde à venir selon notre foi chrétienne. La Bonne Nouvelle annoncée aux pauvres ne les invite point à la résignation, mais au contraire à l'espérance, à la responsabilité et à l'action pour que la volonté se fasse sur la terre comme au Ciel, en référence aux termes même du Pater.

Comment faire comprendre au chrétien bo que le Dieu de Jésus Christ qui a créé l'homme par amour, ne peut et ne prédestine aucun de ses enfants à la souffrance, à la misère ? Mais qu'au contraire, il l'a créé par amour afin qu'il demeure heureux sur la terre dans l'attente de la vie en plénitude.

Comment éclairer l'homme bo par la lumière de l'Evangile aujourd'hui et l'ouvrir à la vérité de l'Evangile. Car la « confusion longtemps entretenue  entre « pauvreté en esprit » et « pauvreté matérielle » tout court ; entre « richesse en esprit » et « richesse matérielle » tout court, ne cesse de culpabiliser les chrétiens Bwa qui voudraient se sortir de la spirale implacable de la paupérisation »5(*)comme l'exprime J.T.DIARRA.

Comment faire pour que la foi au Dieu de Jésus Christ retrouve sa vraie définition en terre bo afin que l'homme bo devienne un chrétien, c'est-à-dire un disciple du christ qui a vaincu toute misère et toute pauvreté dans sa mort et sa résurrection ? Comment faire renaître une foi chrétienne dans le coeur de l'homme bo, purgée de toutes les illusions dont elle a été l'objet depuis très longtemps au Bwatun pour que nos communautés rayonnent de la parole de Dieu qu'elles annoncent, pour le développement intégral des Bwa ? Comment l'homme bo peut-il se sentir concerné par l'Evangile du Christ aujourd'hui ?

Voilà autant de questions auxquelles nous devons trouver réponse pour le salut intégral de l'homme africain et de l'homme bo en particulier ; pour que la lumière de ce grand Mystère du christ resplendisse dans nos vies quotidiennes et éclaire nos ténèbres de douleur et de doute, pour nous communiquer l'espérance véritable que Dieu a ouverte pour toute l'humanité en son Fils bien-aimé. Et que renaisse également l'espérance au sein de nos communautés chrétiennes de base, pour le progrès intégral de l'homme bo, progrès social, économique et politique véritable.

3- PROBLÉMATIQUE

En 1988, L'Eglise Famille au Mali a célébré son Centenaire d'évangélisation.

Cent ans de présence effective et souveraine de l'Evangile du Christ en terre africaine du Mali, pour que se réveillent les coeurs et les esprits alourdis par le doute et que se relèvent les corps abattus par les troubles religieux et politiques, pour le salut de l'homme malien.

En 1998, l'Eglise Diocésaine de San a célébré ses Soixante quinze ans d'implantation de la première Paroisse du diocèse de San.

Marchant vers son Centenaire, elle est à sa quatre Vingt Cinquièmement année d'évangélisation. Plus de trois quarts de siècle que la Bonne Nouvelle du Christ, est semée dans les coeurs des Bwa.

Or la Parole de Dieu lorsqu'elle atteint l'homme, elle le recrée dans son fort interne, en nourrissant sa foi en Dieu et son espérance à la vie éternelle. Elle est une « Parole » qui, par sa puissance créatrice, met l'homme de Dieu debout et lui confère un dynamisme énorme en tout temps et pour toujours. Elle lui donne la capacité d'annoncer et de témoigner de Dieu par sa parole, sa vie et ses actes. Bref qu'il soit un être rayonnant de l'amour de Dieu pour ses frères et soeurs, et qu'en prenant une part active dans l'édification de la famille humaine selon le dessein de Dieu, il oeuvre pour sa propre sanctification.

Mais après tant d'année de rencontre de l'homme bo avec le Dieu de Jésus Christ, le Dieu qui sauve, celui-ci semble demeurer encore dans l'immobilisme, comme depuis toujours, face à son destin misérable qui frôle l'ombre de la mort et le ramène au shéol initial comme à l'aube de la création. Comme si le Christ, jusque-là, n'a pu conquérir le coeur de l'homme bo dans son intégralité pour arriver à le récréer et le faire naître à nouveau, libre de l'esclavage de la pauvreté, de l'oppression et de toutes les mentalités absurdes qui développent en lui le fatalisme.

La Parole de Dieu devrait faire rayonner les communautés Chrétiennes de dynamisme et recréer des hommes et des femmes qui sont engagés effectivement pour la cause de Dieu et de toute l'humanité. Malheureusement le constat est tout autre, et c'est triste. Cette Parole d'action qu'est l'Evangile du Christ, n'a pu être une source d'éveil du coeur et de la conscience de l'homme bo pour son bien être intégral. A cette affirmation, la misère que le peuple vit aujourd'hui en est une preuve parmi tant d'autres. Car la misère continue d'implanter ses racines dans toute la société ; et les communautés demeurent dans un immobilisme remarquablement affreux, laissant les fidèles chrétiens dans un état de survie et de dépendance totale, entraînant les uns et les autres à des vices qui n'existaient pas dans les manières comportementales des Bwa.

La foi donne l'impression d'avoir même dopé l'homme bo face à sa misère qui date bien des années. « Sinon comment comprendre qu'après plus de quatre vingt ans de présence d'Eglise, avec un Evangile subversif poussant l'homme à dominer la nature, le poussant à se libérer de toutes les situations invalidantes, on n'ait vu nulle part en pays bo, émerger des leaders, meneurs d'hommes, ayant une assise économique et/ou politique »6(*) comme l'exprime J. T DIARRA. Même si l'Église a une place importante par sa capacité à éclairer les esprits sur la base des valeurs éthiques et spirituelles, il faut reconnaître que toute son action avait jadis consisté en Afrique qu'à tourner le peuple vers la pastorale priante soit à faire du micro développement, avec des projets relevant de l'action sociale, que l'on désigne globalement par le terme d'oeuvres de l'Eglise : les hôpitaux, les écoles, les centres d'alphabétisation et les activités agropastorales. Même si ces oeuvres sociales ont une signification importante pour soulager les misères, elles ne créent pas encore une véritable dynamique de développement à grande échelle qui soutiendrait les initiatives d'auto-prise en charge des communautés chrétiennes. Est-ce là un héritage comportemental du colon français en général ? La réponse ne saurait être donnée sans faire au préalable une étude sociologique à la Durkheim. Mais une simple comparaison entre les Eglises Locales francophones et les Eglises locales anglophones en général, pourrait traduire une certaine idéologie de marginalisation des colonies même dans la religion. Sinon comment comprendre que les Eglises en terre africaine de colonies anglaises aient prit le dessus, du point de vue aisance financière, sur leurs soeurs de colonies françaises ? Si l'on sait que du christianisme dont nous héritons de l'Orient est, même de nos jours assigné des traits socioculturels du peuple Juif, un peuple reconnu unanimement comme travailleur et comme un peuple de persévérants chercheurs et que même Durkheim qualifie de peuple ayant une éthique sociale favorisant le développement social et économique. En plus cet Evangile nous a été apporté par les Missionnaires occidentaux, continent où le christianisme à posé les bases du développement industriel et scientifique depuis le Moyen-Âge et dont on reconnaît avoir eu un impact sur l'enclenchement de l'esprit du capitalisme qui amorça le développement dans tout l'Occident, nous rapporte l'éthique protestante et l'esprit du capitalismes de Max Weber !

Le témoignage de vie chrétienne semble se résumer, pour bon nombre de chrétiens bwa, hommes et femmes, aux célébrations eucharistiques et/ou la récitation du rosaire.

Il apparaît certain, que l'Evangile qui est vie et action, n'a pas encore touché les sensibilités de l'homme bo pour atteindre tous les secteurs de sa vie sociale économique et politique afin de les transformer véritablement et l'aider à prendre son destin en main en le libérant de ses idées vaguement spéculatives sur l'au-delà longtemps entretenues dans sa religion et sa culture traditionnelle. Car seul l'Evangile peut libérer de tout ce qu'il y a dans sa culture d'enchaînant et qui le voue à la mort, malgré les efforts et les possibilités de développement.

Pourquoi les chrétiens demeurent-ils encore timides dans leur vie de foi ? L'Evangile aurait-il changé de fond en passant de l'Europe à l'Afrique ? Sinon que comprendre de la nonchalance de nos communautés chrétiennes aujourd'hui ? Le christianisme se serait-il transformé en un fardeau de préceptes et d'interdits par milliers sous lesquels, l'homme bo jouant sans cesse au portefaix, ploierait éternellement ?

D'où la pertinence aujourd'hui d'élucider les raisons de cet immobilisme suicidaire auquel nous assistons chez l'homme bo et dont les impacts sur les communautés chrétiennes et la société tout entière sont clairement visiblement. Car tous reconnaissent que la misère à laquelle le Bo est en proie et qu'il veut fuir par l'exode rural et l'immigration vers les capitales régionales, n'est pas une fatalité, puisque la pauvreté et la misère n'ont jamais été une fatalité pour un quelconque peuple. Et, pourquoi l'exception ne se ferait que chez les Bwa, un peuple reconnu unanimement de braves travailleurs ?

4- HYPOTHÈSES

De nos jours, de nombreux de baptisés retournent aux religions traditionnelles, parce que, disent-ils, a qui veut les entendre, que le christianisme n'a pas trouvé satisfaction à leurs aspirations humaines et temporelles. Situant le christianisme comme une religion de l'au-delà, les uns et les autres y voient une vie de foi beaucoup déconnectée des réalités du monde d'ici bas. Ces impressions certes personnelles mais bien réelles, trouvent leurs fondements dans la situation sociopolitique et économique que les bwa dans leur grande majorité vivent aujourd'hui.

Gagnés massivement à la cause des missionnaires, les Bwa se sont vus abandonnés à leur propre sort par ceux pour lesquels ils avaient abandonnés religion et culture en blâmant totem et mythes, père et mère, frères et soeurs (certains catéchumènes ont même été chassés de l'enceinte familiale sans qu'ils ne renient leur appartenance aux « blancs »).

Aujourd'hui l'Eglise autochtone se retrouve face à elle-même et les Bwa se voient responsables du christianisme ce qu'ils ont longtemps lié à la « peau blanche » du missionnaire ; et l'Eglise désormais administrée par leurs frères et soeurs, leurs fils et filles du « pays » doit être à leur charge. Ce qui suscite de nombreuses inquiétudes, surtout par rapport à la mission et au christianisme dans son ensemble. Certains vont jusqu'à se demander si le l'homme bo pouvait réellement être un « Père », non pas qu'ils doutent de sa capacité d'étudier la bible ou de consacrer le pain et le vin en corps et sang du Christ, mais parce qu'ils définissent le « Père » comme celui qui donne toujours, « un papa-noël », et comme celui qui n'attend rien en retour de ses fidèles que la foi. Voilà la définition que beaucoup donnent du Père ; étonnant, mais pas surprenant pour celui qui sait que c'est l'impression que les premiers pasteurs ont laissé d'eux-mêmes. Le contexte d'alors les condamne en même tant qu'il les justifie.

La mission du chrétien bo aujourd'hui consiste essentiellement  à s'approprier l'Eglise, en prenant conscience que l'Eglise leur revient, pour éviter de vivre la foi par accoutumance, ou pour faire plaisir aux « Pasteurs ». Voici, ce que nous appelons la « mer rouge » que le chrétien bo doit traverser pour arriver à la terre promise. C'est-à-dire, passer du « Pèrenii » (gens des Pères), à des chrétiens, à des disciples du Christ ressuscité. C'est l'appel que l'Evangile lance aujourd'hui aux chrétiens bwa, c'est-à-dire, à être ses disciples du Christ, des porteurs de l'Evangile du salut.

Redynamiser la vie chrétienne par la construction de communautés chrétiennes à la lumière de l'Evangile s'avère plus que nécessaire pour nos Eglises aujourd'hui. Mais cela exige des fidèles un changement de mentalités et une formation catéchétique conséquente insistant davantage sur le témoignage de vie chrétienne suivant les réalités propres au Bwatun, en ayant le souci ardent de la fidélité aux « termes » du credo. Or si c'est uniquement un problème de mentalité, toute une vie, même celle des plus vigoureux (quatre vingt dix selon le Psalmiste) ne suffirait, car les mentalités changent par génération. Mais en plus du problème de mentalités, c'est également une sorte d'ignorance du Christ et de son Evangile de salut, un manque d'instruction, une catéchèse littérale jadis enseignée et qui aujourd'hui nous lance un grand défi à relever.

Pour que le témoignage chrétien s'affirme dans la dynamique d'une vie évangélique, il faut que l'Evangile soit inscrit au coeur de l'homme bo, dans les secteurs vitaux de la société. En s'engageant d'avantage à traduire l'esprit de l'Evangile dans leur milieu de vie, les chrétiens pourront construire de communautés chrétiennes beaucoup plus dynamiques et aideront la société à transcender sa lourdeur sociopolitique et économique, pour la promotion humaine et intégrale de l'homme. De ce fait, l'évangile pourra être un vecteur du progrès social qui s'amorcera selon le dessein de Dieu pour le bien être de toute la société. Ainsi il importe aujourd'hui d'insister sur la vocation humaine et chrétienne de l'homme bo dont il doit prendre conscience dans sa vie de tous les jours. Et que le message évangélique soit transmis aussi bien par l'exemple de vie que par la parole et que le chrétien devienne par son témoignage de foi en Christ, une Bible ouverte pour ses frères et soeurs dans la société, un témoin de l'espérance, de l'amour et de la charité dans le monde. Il s'agit d'une reprise en compte des dimensions sociopolitiques de la Bonne Nouvelle du Christ pour mieux lui être fidèle.

5- L'ÉTAT DE LA QUESTION

Des réflexions ont déjà été menées sur l'engagement du chrétien dans la promotion humaine dans le cadre des oeuvres d'assistance sociale et caritative. Plusieurs secteurs comme la politique, la justice, la paix et la réconciliation ont fait l'objet de recherches fournies, pour tenter de déceler la mission et le rôle que le chrétien peut jouer dans la construction de l'édifice social dans les perspectives prédéfinies dans/par la Doctrine Sociale de l'Eglise.

Certaines recherches dans le cadre d'une étude socio-anthropologique des Bwa du Mali, qui ont été menées par nos aînés, servent aujourd'hui de référence et d'appui incontournable pour tout travail quelqu'il soit sur l'ethnie bo. Car ce sont des recherches remarquablement consistantes par la fiabilité de leurs sources.

6- L'ORIGINALITÉ DE LA QUESTION

Diverses études ont essayé de retracer l'histoire de l'Eglise en terre africaine du Mali (ex Soudan Français). Ces recherches ont inclus l'histoire de l'Evangélisation des Bwa du Mali et en certains cas celle de la Haute Volta (actuel Burkina Faso).

Des recherches plus ou moins récentes ont porté également sur l'anthropologie bo dans le cadre d'une étude socio-anthropologique de l'homme bo.

Mais des recherches sur l'apport spécifique du chrétien bo dans la situation sociopolitique actuelle des Bwa, c'est-à-dire, l'engagement sociopolitique et économique du chrétien en tant que témoin du christ dans la communauté chrétienne pour la promotion humaine et intégrale de l'homme bo, dans une perspective théologique et Pastorale, gardent néanmoins une certaine originalité.

7- DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE

Pour mieux cerner le sujet dans ses détours notre travail consistera en un premier temps à retourner aux origines de l'Evangélisation de l'homme bo pour voir dans quel contexte sociopolitique et économique, il a accueilli le catholicisme et quel a pu être son impact sur l'implantation de l'Evangile sur cette partie du Mali qu'est le Bwatun « terre des bwa ».²

Ensuite, dans un second temps, nous tenterons de dégager les fondements scripturaires de l'engagement mondain du chrétien, pour tenter de purger le message évangélique des doutes qui l'ont longtemps enfermé dans l'ornière de l'au-delà chez les Bwa ; afin de couper cour à toute interprétation erronée et littérale qui empêcherait le chrétien bo de mieux répondre à sa vocation chrétienne dans le monde et d'apporter sa pierre de construction à l'édification de la communauté humaine.

Enfin dans un troisième et dernier temps, nous tenterons de donner des propositions concrètes pouvant aider nos fidèles chrétiens à s'engager davantage, afin de rendre leurs communautés chrétiennes plus dynamiques et dans un contexte sociopolitique rénové et transcendé pour une société plus digne de l'être humain ; Puis nous terminerons en projetant un regard rétrospectif sur l'Eglise famille de Dieu à San en marche vers son Centenaire

En ce qui concerne la transcription de la langue et des mots en langue bo dans notre travail, nous prenons en compte les normes imposées par la DNAFLA. Cette nouvelle graphie retient ceci : un Bo des Bwa ou Buwa, mais on dit : la langue bo, un jeune bo, ou un chrétien bo. Lorsque « bo » est un adjectif on l'écrit sans majuscule, mais, quand c'est un nom, il faut la majuscule.

PREMIERE PARTIE

Certaines études socio-anthropologiques ont prouvé que les Bwa n'ont pas toujours occupé la partie géographique où ils vivent aujourd'hui ; même si les Bwa ne doute pas que ces « terres » du Bwatun qu'ils habitent aujourd'hui n'ont pas toujours été la propriété de leurs aïeux

Comme tous les peuples, les Bwa ont eu des pratiques religieuses et des croyances bien avant l'arrivée des premiers missionnaires. Leur conversion au christianisme a eu d'énormes impacts sur leur culture, leurs croyances, leur vie et même leur organisation sociale.

D'abord fermé à tous les peuples voisins, les Bwa accueillent la « religion des blancs » dans la chaleur de la colonisation du Soudan français (actuel Mali). Cette colonisation va faciliter en certains domaines leur adhésion, et freinera en d'autres domaines leur conversion au Christianisme. Les réalités socioculturelles, les conditions de vie et les différents problèmes auxquels les Bwa furent confrontés, vont motiver les missionnaires à prendre une part active dans leur développement à travers les oeuvres sociales de l'Eglise.

Plus tard, d'autres programmes d'aide au développement viennent s'ajouter aux oeuvres de l'Eglise, dans leurs tentatives de promouvoir l'homme bo ; il s'agit des Organismes d'aide au développement et des ONG qui accompagnent le processus de developpement du Bwatun.

CHAPÎTRE I- PRÉSENTATION DU BWATUN « PAYS DES BWA »

I-1 SITUATION GÉOGRAPHIQUE

Le Bwatun, « Terre de Bwa » ou encore « le pays bo », est un vaste territoire situé à «cheval» sur le Mali (ex Soudan français) et la Haute Volta ( actuel Burkina Faso).

Couvrant une superficie de 18 951 km² et englobant les Cercles de San, Tominian et Rosso, le Pays bo se situe au Sud-Est du Mali et au Sud-Est du Burkina Faso, «entre les 11° et 14° degré de la latitude Nord, et les 5° et 3° degré de la longitude Ouest»7(*). Ce territoire est vaguement arrosé dans sa partie Nord- Ouest par le Bani, un affluent du Niger et au Sud-Est par la Volta Noire. Le relief est hétérogène, alternant plateaux, collines, plaines et petites montagnes, de glacis avec des sols granuleux, limoneux, argileux, sablonneux et caillouteux. Le climat est de type Soudano-sahélien, avec des précipitations variant entre 200 mm et 700 mm/an au rythme desquelles naissent et meurent les rivières et les marigots.

La population à majorité jeune s'élève à 600 000 habitants environ, avec un taux de croissance s'élevant à 2,5%. La densité moyenne est de 30%, selon le recensement de 1998.

I-2- SITUATION HISTORIQUE

Longtemps les Bwa ont vécu à l'écart des autres ethnies voisines. Mais plus tard ils vont être violemment mêlés aux conquêtes politiques qui aboutirent au découpage et à la formation des états à pouvoir centralisé tant au Mali que dans l'ancienne Haute Volta aujourd'hui Burkina Faso. Laissant les Bwa à leur propre sort entre le Mali et le Burkina, sans que d'un coté ni de l'autre on ne vienne à rompre les liens sociaux de mariage par des frontières imaginaires. Les difficultés de délimitation frontalière sont souvent occasion de conflits meurtriers entre certains villages.

Plusieurs auteurs s'accordent à reconnaître les Bwa souvent dit « bobo »8(*) comme la plus archaïque de toutes les populations de la Volta Noire, avec une singularité socioculturelle qui la distingue de tous les peuples voisins.

Mais cette richesse va connaître un profond bouleversement comme ce fut le cas dans diverses régions du continent noir par l'arrivée du « colon pillard ». Dès lors son mode d'organisation sociale, économico-politique et même sa vie religieuse vont connaître une profonde mutation.

Les Bwa n'ont jamais cherché à conquérir un peuple et ils n'ont jamais été conquis par les autres peuples voltaïques. C'est dire que la liberté et la dignité sont deux valeurs que les Bwa tiennent toujours à garder contre-tout. Ce qui les rend réfractaire à l'assaillant colonial par la fameuse Révolte de 1916. Une révolte sanglante au cours de laquelle les Bwa ont affirmé leur liberté, refusant donc toute domination sur « leurs propres terres ». Nous reviendrons un peu plus en détails dans les chapitres suivants sur cette révolte des Bwa.

I-3- L'ANTHROPOLOGIE BO

I-3-1- L"ETHNIE

Très longtemps, on a pu confondre les Bwa et leurs voisins voltaïques, les Bobo, en les nommant par l'unique vocable « bobo ». Et pour les distinguer on procédera à l'ajout de quelques nuances. C'est ainsi qu'on retiendra le vocable  bobo Oulé « bobo-rouge » en Djoula pour designer les Bwa, et le vocable  bobo-fing « bobo-noir » pour les Bobo. Cette confusion trouverait son fondement dans la vie religieuse qui s'articule autour du « DO » comme symbole d'unité et des ancêtres. Rappelons ici que le Do est au sommet de la cosmogonie bo.

Il est vrai que les deux ethnies présentent des traits de ressemblance s'agissant de la religion traditionnelle certes, mais elles se diffèrent bien l'une de l'autre ne serait-ce que par la physionomie.

I-3-2 LA LANGUE

Les différences régionales et dialectiques de l'ethnie bo donnent lieu à deux appellations distinctes :

-Pour la région de Dédougou-wakara (province du Burkina Faso), ils sont dits Bwaba ou Bwawa et leur dialectique est le bomu.

-Pour ceux qui vivent dans la région de Mandiakuy, on parle de Bwa au pluriel et bo au singulier, et leur dialecte est le Boré ou le Bomu également divisée en deux formes d'expression dialectales : le  Duèmu pour la partie Nord et le Dahaamu pour le Sud du Diocèse de San.

I-3-3 LA SOCIÉTÉ

Des études anthropologiques ont prouvé qu'une seule et unique société bo n'existerait pas en tant que peuple ayant une organisation sociopolitique spécifique. Car l'organisation sociale des Bwa est essentiellement horizontale et le politique diffus dans les différentes responsabilités sont assumées par le chef de village, le lo-so, reconnaissent les Sociologues. Souvent le village est une juxtaposition d'ensembles lignagers dans des quartiers ou des hameaux. Car le lignage (zun) est le lieu où le Bo se replie sur lui-même avec ceux qui lui ressemblent et constituent la fratrie, ceux qui ont le même sang, le même nom, descendant d'un même couple de géniteurs.

En effet chaque village ou grande famille a son organisation et sa structuration hiérarchique et manifeste son autonomie vis-à-vis des villages voisins.

Aucune structure politique ne régit véritablement nulle part, la vie commune du Bwatun dans sa globalité. L'unique entité politique est donc la communauté villageoise, qui a son organisation sociopolitique propre, ses manières de vivre la religion traditionnelle. Seuls les liens de parenté par le mariage, régissent les rapports sociaux entre les villages. Ce qui justifie le fait que les Bwa sont allergiques à toute autorité et rétifs au pouvoir centralisé.

Les Bwa vivent dans une étroite dépendance avec la nature qui rythme toutes leurs activités ; une nature à laquelle ils cherchent à s'adapter au lieu de la dominer. Essentiellement agriculteurs, les Bwa n'ont jamais cherché à diversifier leurs sources de revenus, sauf en quelques rares horizons. Aujourd'hui les difficultés demeurent à cause des caprices des saisons et l'ingratitude des terres avec une forme d'agriculture encore très traditionnelle ; et cela malgré la lutte et le soutien des Eglises Chrétiennes et l'appui des ONG qui oeuvrent dans la zone.

Les jeunes Bwa, garçons et filles qui n'ont pas pu pousser leur études à l'école ont très peu de chance de réussite et n'ont presque d'autres alternatives que l'exode rural et l'immigration vers les différentes capitales régionales. Ce qui vide les villages de leurs bras valides, réduit encore davantage la capacité de productivité agricole et économique.

I-3-4 LA CONCEPTION DE L'UNIVERS

Pour les Bwa, c'est « Debwenu », vocable sous lequel il nomme « l'Etre suprême », qui a créé le monde. Ils conçoivent le monde comme une médaille à double face : une face visible et une invisible.

Le monde visible est la face explicite, le domaine de la clarté où peuvent s'exercer le pouvoir de gestion et la sagesse de l'homme. L'homme peut dominer cette face, car les phénomènes sont accessibles à sa compétence.

Le monde invisible est le domaine des esprits, des génies et de toutes les puissances préposées de l'extérieur par l'Etre suprême, « Debwenu », à la gestion de la nature.

En jetant un regard sur le village bo et ses alentours, on peut constater l'existence des autels de sacrifices « Ti-sian ». Ce sont des représentations matérielles des différents esprits ; et ces statues constituent les lieux de cultes de l'homme bo. La dépendance totale de l'homme bo de la nature (puisqu'il vit essentiellement des produits de la terre) influence sa conception du monde, surtout lorsqu'il s'agit du monde mystique, des esprits et des puissances surhumaines dont le déploiement dans l'univers lui échappe naturellement.

I-4 LA CONCEPTION DU PROGRÈS SOCIAL CHEZ LES BWA

Pour l'homme bo, le monde des vivants est celui des imperfections et de la souffrance. C'est le monde où sévissent les maux de toute sorte et de tout genre tels que les maladies, la famine, la misère et aussi de la mort qui reste toujours comme une absurdité naturelle toujours crainte.

Dans ce monde visible, l'homme n'est pas maître de son destin, il est plutôt sous l'administration des esprits surnaturels rendu maître de l'univers visible par « Debwenu », le grand propriétaire « Naso benu ». Ils ont pouvoir sur les vivants et sur tout ce qui existe sur la terre.

Pour l'homme bo le monde est une escale, un lieu de séjour qu'il ne peut modifier ni la durée ni la structure. Ainsi, il doit toujours se référer aux ancêtres qui sont les intermédiaires entre les deux mondes, le monde des vivants et le monde des esprits. Pour les Bwa chaque homme naît avec un destin préétabli, qu'il ne peut modifier. L'effort personnel ne peut rien écrire ni effacer « des lignes ce livre » de vie. Chaque être naît, exploite la terre pour survivre et il n'a pas à s'occuper de ce que leurs descendants devront vivre, car « Debwenu » ne peut pas ne pas survenir aux besoins de ses créatures.

Le monde invisible est le monde où vivent les ancêtres ; il s'agit des pères de famille qui ont réussi leur séjour terrestre dans la fidélité aux pratiques religieuses et culturelles, et qui vivent désormais non loin de « Debwenu » dans l'au-delà. C'est le lieu du bonheur réservé aux honnêtes gens sur jugement des relations avec les ancêtres et les autres puissances surnaturelles.

Pour l'homme bo, c'est dans l'au-delà, auprès des ancêtres que toutes les aspirations humaines et terrestres seront comblées. Tout ce qui manque au bonheur des humains se trouve de ce coté, un domaine sans entraves ni contraintes où on ne parle plus de souffrance, ni de maladie, ni de mort qui sont des aléas réservés au monde des humains. Si l'homme bo est travailleur c'est parce qu'il sait que non seulement que c'est par le travail que l'être humain s'affirme et se réalise «  A saa a nucoro », mais surtout parce qu'il pense que le repos de l'homme est réservé pour l'au-delà, lieu où toutes les attentes de l'homme seront comblées.

Il faut reconnaître que cette conception traditionnelle de la nature a d'énormes influences sur la vie quotidienne des Bwa et constitue en certains domaines un frein à leur développement.

CHAPÎTRE II- L'ÉVANGÉLISATION DU BWATUN

II-1 LE CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DES BWA AVANT «L'INVASION » MISSIONNAIRE

II-1-1 LA CRISE GÉNÉRALE A L'AUBE DE L'EVANGÉLISATION

En ses débuts en 1889, l'Evangélisation du Soudan français était bien parti. Les missionnaires entretenaient de très bonnes relations avec les administrations. Ils « ne semblaient pas gêner les autres français arrivés dans la région avant eux ...le missionnaire marche sur la trace du soldat et se trouve protégé par ses armes »9(*). Les missionnaires sont invités aux grandes cérémonies officielles de l'administration qui les honorent volontiers. Le combat des formes multiples de misères semble préoccuper missionnaires et administrateurs colons, sans aucune rivalité.

Plus tard, la dégradation des rapports entre l'Eglise et l'Etat français, aura des répercutions sur les relations entre missionnaires et administrateurs colons en Afrique Occidentale française. En France, cette séparation conduisit à la laïcisation et même à l'anticléricalisme prononcé.

Les missionnaires et les administrateurs vont se retrouver dans des situations difficiles de conflits qui les opposent sur toute la ligne. Des rivalités teintées de haines définissent les rapports des deux parties.

Désormais, les missionnaires tenteront de se démarquer aux yeux des populations indigènes, des exploitants colons dont ils n'hésitent pas à dénoncer les abus sur les populations. Certains missionnaires verront leur rapatriement forcé après la fermeture de leurs structures sociales. Ce fut le cas des dispensaires de Kati et de Kayes où les soeurs seront remplacées par des porteurs de tenus, pour écarter toute implication des missionnaires que l'administration qualifie d'oeuvres prosélytismes.

Bref, l'atmosphère tendue de « guerre froide », devient un frein à l'Evangélisation et l'expansion de la Bonne Nouvelle dans les localités les plus reculées.

II-1-2 LA RÉVOLTE DE 1916 AU BWATUN

Malgré la famine qui sévissait de façon générale dans la région, les céréales étaient réquisitionnées de force, pour être envoyées vers la Métropole en guerre.

Les populations déjà fragilisées sont, malgré tout, obligées de faire la collecte et de se déposséder de leurs vivres que les employés colons poursuivaient en fouillant de village à village. A cette situation difficile de pénurie alimentaire, il faut ajouter le recrutement des bras valides et les travaux forcés sur les chantiers pour entretenir les routes pour transporter le ravitaillement.

Les Bwa avaient manifesté dès le début beaucoup de résistances, mais jusque là non-violentes face aux administrateurs qui leur sont imposés. Les gardes Cercles qui sillonnent les villages sont de véritables pillards qui abusent des populations. En passant d'un village à un autre, le village d'accueil devrait lui trouver une monture, très souvent un cheval. En plus « il fallait que le village lui donne chaque jour gratuitement sa nourriture, plusieurs poules, du Dolo, travaille pour lui... et mette à sa disposition plusieurs filles »10(*). Un petit séjour n'existait pas parce que tout le village devrait se mettre en branle pour que le chef soit bien accueilli.

Tout cela paraissait insupportable pour un peuple qui avait soif de liberté. L'affront ne pouvait être qu'une confrontation physique pour chasser l'intrus. Pour cela de nombreux sacrifices de poules et de moutons, de cabris et même de boeufs furent fait pour résoudre secrètement le problème et pour conjurer une malédiction à l'ennemi, mais sans résultats perceptibles.

La contrainte était si insupportable que rien ne pouvait faire reculer les Bwa de leur volonté de retrouver leur liberté, même pas la mort. Le proverbe « Humu su'ani nuwa » qui se traduit par, « plutôt la mort que la honte » devenait le slogan de tous, hommes et femmes, jeunes et vieux. Hors il n'y a pas de plus grande humiliation pour l'homme bo que sa domination sur ses propres terres, celles de ses ancêtres. Et donc l'occupation du colons était comprise comme une sorte d'esclavage de l'homme bo.

Comment ne pas réagir face à une telle domination et à une telle maltraitance. C'est pourquoi les Bwa ne désarmèrent point et la révolte s'engagea dans une violence sans précédent. Il a fallu « six mois de lutte et d'opérations répressives nécessitant l'emploi de deux mille cinq cents tirailleurs, deux mille partisans, deux cents gardes, six canons, quatre mitrailleuses »11(*)pour maîtriser cette révolte des Bwa. Si les générations d'aujourd'hui réclament cet « événement historique » comme un souvenir fier et glorieux, il est certain que la cruauté et la violence qui ont marqué cette époque, restent encore gravées encore dans les mémoires.

II-1-3 L'IMPLANTATION DE LA MISSION DE MANDIAKUY

En 1921, Monseigneur SAUVANT qui devient vicaire Apostolique de Bamako, décide de faire de nouvelles missions. Il envoie trois missionnaires, les Pères Félix THEAUDIERE, Ernest DUVERNOIS et Eugène RATISSEAU dans le but de fonder une Mission entre Ségou à l'Ouest et Toma à l'Est, une ville située dans l'actuel Burkina Faso. Arrivée à San après quelques jours de marche, les « Pères missionnaires » furent accueillis par Mr GARBOU alors commandant du Cercle de San. Celui-ci par prudence a voulu qu'ils s'installent loin de l'administration. Ils durent poursuivre leur marche un peu plus au Sud que prévu.

Le 08 Octobre 1922 les Pères, Missionnaires d'Afrique, arrivent à Mandiakuy, qui était un chef-lieu de canton situé à 80 kilomètres au Sud-Est de San. Ils fondèrent la première Paroisse du Diocèse de San qui était jusque là, rattachée à la préfecture Apostolique de Nouna (dans actuel Burkina Faso) avant les délimitations frontalières.

Les Soeurs Blanches arrivèrent, quant à elles, en 1931 pour appuyer l'apostolat des Pères. Elles se focaliseront surtout sur les oeuvres éducatives et sociales, tels l'école et le dispensaire. En plus elles vont s'investir pour la pastorale de la famille dans le cadre de la promotion féminine.

II-1-4 LA DIFFICULTÉ DES NOUVEAUX ADHÉRENTS À LA « NOUVELLE RELIGION »

L'accueil de L'Evangile chez les Bwa a été teinté par une série de révoltes et de difficultés. Les conversions massives des Bwa au catholicisme semblent donner lieu à des mesures répressives de la part des chefs administratifs de cantons qui sont de véritables explorateurs. La communauté chrétienne apparaît comme une seconde société au sein de la grande société ou une nouvelle société sous la direction des missionnaires. Les chefs de Cantons se sentent minimisés et affichent leurs jalousies. Accusés de refus d'obéissance aux autorités locales, les catéchumènes vont être victimes de répressions violentes. Certains se verront « étroitement ligotés, roués de coups, piétinés violemment, suspendus en l'air, privés de nourriture et de boissons plusieurs jours durant, promenés comme des criminels à travers le pays, la corde au cou »12(*) de village en village, en exemple pour tous les « rebelles », sans qu'ils n'aient la possibilité de se plaindre.

Dans les rangs de l'administration, certains qui avaient une haine présupposée à l'encontre des gens des Pères (Pere-nii), n'hésitaient pas à accuser les chrétiens à la moindre occasion comme fauteurs de troubles. En 1929, l'administrateur PLANE décrète à la suite d'une vexation subie par les catéchumènes, l'interdiction formelle d'aller faire la catéchèse dans les villages, comme si les Pères avaient une part de responsabilité dans le comportement de leurs fidèles chrétiens.

L'exemple isolé des Catéchumènes de Dittara, un petit village de la sous-préfecture de Mandiakuy, résume l'atmosphère et les rapports que des catéchumènes entretenaient avec les autorités locales. Un dimanche 29 Juin 1929, les catéchumènes du village de Dittara, un petit village situé non loin de Mandiakuy, gagnés à la cause des Pères revenaient des offices dominicaux. Ils trouvent le reste de la population villageoise ameutée contre eux sous la direction d'un représentant du chef, avec l'ordre ferme de corriger ces « rebelles » de chrétiens. Ils furent contraints de rebrousser chemin vers la mission, après avoir essuyé une pluie de coups.

Mais il faut noter que le sentiment de mépris que portaient les chrétiens à l'égard des chefs de canton, des interprètes et des gardes cercles, suite aux différentes exactions, était un sentiment général chez tous les Bwa. Car toute la population était maîtrisée dans une sorte d'esclavage, sans aucune possibilité de révolte. Puisque les moindre soupçons de rébellion étaient soldés par de violentes répressions afin dissuader tous les sympathisants de ces soulèvements.

II-1-5 LA SÉCURITÉ DE LA RELIGION DU MISSIONNAIRE BLANC

Une médaille, un chapelet acquis par un tiers, des bouts de prière ou un refrain de cantique appris en assistant à quelques rencontres de chrétiens, était signe de sécurité chez les Bwa. Il est incontestable que, en raison du climat d'insécurité générale et de torpeur face aux autorités locales et administratives, plusieurs personnes croyaient qu'en se rangeant parmi les chrétiens ils auraient la protection des missionnaires qui sont du même pays que le commandement, et avec lequel ils parlaient la même langue. Les missionnaires ont facilement accès facile aux bureaux de l'administration.

Face aux difficultés grandissantes provoquées par la famine, les maladies épidémiques, les sauterelles et la sécheresse, la bienveillance des pères ne pouvait laisser personne indifférente. Les soins qu'ils accordaient aux malades et les fêtes qu'ils organisaient souvent, suffisaient pour accorder un pouvoir illimité aux « missionnaires blancs ».

Les missionnaires sont entourés et acclamés dans les villages, car ils s'intéressent aux populations et parlent leur langue. Cette popularité va s'accroître davantage dans la région de Mandiakuy où l'année 1933-1934 fut une année de famine causée par la sécheresse et les invasions acridiennes. En proie à la famine, les missionnaires, Pères et Soeurs furent les seuls recours des populations. Des adolescents filles et garçons, vendus comme esclaves aux marchands peulhs, furent rachetés par les Pères. En plus les Pères prenaient en charge les impôts et les taxes de bon nombre de personnes pour les racheter de la « main » de l'administration.

En plus, l'oeuvre des catéchistes et des Soeurs à l'école, l'ouvroir et le dispensaire donnaient une image positive de la présence des Missionnaires. Le Père J. reconnaît avoir accueilli, en ces années de famine, plus de 400 catéchumènes environ, pour un stage de préparation immédiate au baptême. Car la famine était si intense que certains individus préféraient se réfugier à la Mission pour survivre. Les chrétiens nés dans de telles circonstances n'avaient pas cherché à se faire baptiser, ils ont voulu éviter une situation de famine. Et donc, il ne faut donc pas s'étonner s'ils retournent quelques semaines plus tard à la religion traditionnelle, puisqu'ils ont été baptisés sans être convertis.

A cette époque « Ils sont passés en faisant le bien » pourrait -on dire avec raison et sans risque de se tromper dans ces villages.

Le christianisme apparu très vite aux yeux de bon nombre de chrétien comme le signe de leur libération intégrale. Une libération d'abord contre les chefs de cantons qui abusaient de leur pouvoir en faisant travailler les populations dans leurs propres chantiers et aussi face aux maladies épidémiques qui faisaient des ravages sans limites et enfin contre les sauterelles qui étaient plus que la sécheresse la principale cause de famine. C'est à juste titre que D.Y Pierre DIARRA affirme qu'à cette époque « le missionnaire était facilement vu comme le bouclier du chrétien catholique ». Mais cette apparence pacifiste, d'agent de la Croix-Rouge et du protecteur du missionnaire ne nous fait pas oublier la violence pratiquée pour maintenir les nouveaux adhérents dans le catholicisme, et pour drainer les gens à l'Eglise. En effet, le christianisme était devenu une sorte « d'enclos » ; une fois entré on avait plus le droit de sortir. « Tout priant qui avait « inscrit » son nom n'avait plus le loisir d'en prendre et d'en laisser des activités de la petite communauté naissante. Celui ou celle qui n'était pas vu(e) le dimanche à la prière ou le soir à la récitation du chapelet, était démarche à la maison fouetté(e) au vu et au su de tous »13(*). Pour dire aux indigènes qu'on ne devrait pas « s'amuser » avec « le blanc », qu'il soit administrateur ou missionnaire. Cette politique sera poursuivie par certains autochtones responsables de communautés chrétiennes même en l'absence du Père.

II-1-6 LA POLITIQUE SOCIALE DU CATHOLICISME CHEZ LES BWA

Sensibles à la situation misérable des populations, les Pères mirent sur pieds beaucoup de structures sociales pour le bien être social des Bwa. Des dispensaires ont été construits et peuplés de religieuses qui y ont consacré presque toutes leurs énergies.

S'agissant des Ecoles dites paroissiales, elles sont d'abord des écoles de catéchisme. L'instruction et la formation religieuse y sont données à des enfants de 12 à 14 ans, pendant la saison sèche. Ce programme d'éducation comprenait quelques cours de lecture et d'écriture en langue indigène et en français pour ceux qui seront disposés à entrer dans les Ecoles de catéchistes. Ces écoles fonctionnent normalement grâce à la bonne administration des Soeurs Blanches. En 1945, l'Ecole de Mandiakuy compte 99 élèves. Pour les filles une formation propre est organisée par la mise sur place de la « sixas ». La sixas fut un centre des fiancées chrétiennes pour un stage de formation obligatoire, plus ou moins long, variant entre quatre et six mois, suivant le degré de catéchisme de l'intéressé. Au début, elle avait l'appréciation de tous, car les fiancés retrouvaient leurs fiancées quelques mois après, prêtes pour le foyer, bonnes mères de famille, capables de donner une éducation chrétienne à leurs enfants.

Au fil du temps, le nombre croissant d'année en année complique la tâche aux soeurs blanches. La sixas deviendra plus tard, par manque de rigueur dans sa gestion, un centre attroupement de jeunes filles sans autre programme de formation que de suivre des cours de catéchismes appropriés à leur état prénuptial, de faire la cuisine aux élèves de la mission, apprendre la filature du coton et de danser au son de tambour les soirées dans la cour de la mission. En plus, plusieurs filles, sans motif valable, venaient s'y réfugier pour se libérer de leurs fiancés indésirables.

Ces oeuvres catholiques mises sur place par les missionnaires semblèrent êtres des structures de prosélytisme pour convertir les Bwa à la nouvelle religion, qu'il s'agisse des écoles, des dispensaires, des « sixas » ou des autres oeuvres missionnaires.

Ce qui nous laisse un grand doute sur la gratuité de la mission catholique auprès des Bwa ; suscitant la question à savoir si le missionnaire fut animé d'une réelle volonté, malgré ces « réalisations », de sortir l'homme bo de sa misère sociopolitique et économique.

Comme cela s'est fait remarquer dans certaines parties du Soudan français, telles que les régions de Kayes, Bamako et Ségou où les Missionnaires avaient comme objectifs, en créant les écoles, de préparer la relève missionnaire et non de former des citoyens pour le futur Etat indépendant du Mali. La preuve est qu'ils n'ont formé que de « collaborateurs sociaux » spécifiés pour des postes d'enseignants, d'infirmiers, aides-soignants et de matrones qu'ils emploieraient dans leurs structures sanitaires et éducatives. Il est certain que la même politique fut validité chez les bwa.

Les Ecoles Catholiques abritaient les séances de Catéchisme. La plupart des écoles primaires et secondaires ont été ouvertes par des missionnaires, d'abord pour leurs propres besoins tels que les écoles des catéchistes à Mandiakuy qui furent transférées quelques années plus tard à Dobwo pour la formation des agents pastoraux, des auxiliaires de la Mission, des assistants à la catéchèse et des animateurs de communautés chrétiennes.

Il s'agissait pour les structures d'éducation catholique, de former d'abord des prêtres et ensuite des catéchistes incontestables hérauts et héros de la Bonne Nouvelle du Christ à travers les villages du Bwatun. Bref, ces écoles n'avaient pas pour objectifs de former des citoyens et des fonctionnaires d'état qui s'impliqueraient plus tard dans l'édification de leur pays dès que le colonisateur se serait replié de la colonie.

Nous ne voulons donc pas remettre en cause le Catholicisme, mais la méthode jadis utilisée par les Missionnaires pour convertir les Bwa.

Le Christianisme semble avoir été transmis dans la culture occidentale par le missionnaire, la culture dont ils sont usus. Car « l'homme ne peut, sans illusion sur lui-même, ni déséquilibre en lui-même, oublier les données natives et l'enracinement corporel de son être »14(*). Même si nous avons l'air d'adopter un langage quelque peu « révoltant » à ce niveau, nous ne nions en aucun cas les bienfaits de la mission catholique dont l'engagement social qui, en bien des secteurs, est digne de louange ; mais nous révoquons juste certaines pratiques qui ont fait plus de mal que de bien aux Bwa.

Nous voulons donc dénoncer les tares d'un biblicisme et d'une idéologie erronée longtemps prêtés au message évangélique pour garder les Bwa dans leur misère, et qui sont aujourd'hui, tout comme hier, inconcevables et incompatibles avec l'esprit de l'Evangile du Christ, qui est une Parole de vie. Mais « critiquer ce qui fut fait hier et aujourd'hui (de critiquable) n'obère en rien la qualité de ce qui fut fait hier (de beau et bon) »15(*) comme l'exprime J.T. DIARRA. Puisqu' il ne s'agit point « de savoir n'importe quoi, d'acquérir un amas confus de connaissances, d'écraser à force les données inintelligibles, il s'agit de répondre aux questions de l'humanité en désarroi »16(*) affirme L.J.LEBRET.

Il faut se dire que c'est dans le souci d'une préparation de la relève missionnaire que plusieurs oeuvres éducatives furent d'abord réalisées chez les Bwa. Et donc, les aspirations humaines de l'homme bo n'avaient pas été une priorité majeure.

Est-ce dans le souci d'éviter au catholicisme le visage d'un organisme humanitaire ? Le salut qu'apporte Jésus Christ ne se porterait uniquement qu'à l'âme sans prendre en compte les réalités sociopolitiques ? Si notre remarque est juste, cela n'est-il pas une note d'insuffisance sur le rôle du religieux et/ou de l'oeuvre des hommes et femmes de Dieu au Bwatun ?

Voilà autant de questions qui suscitent engouement et curiosité chez les nouvelles générations de Bwa aujourd'hui.

Les problèmes sociaux liés à la famine, à la servitude des populations et aux aléas climatiques caractérisés par la sécheresse, ont permis aux Bwa de mieux découvrir le rôle que les missionnaires pouvaient jouer en vue d'un progrès intégral des Bwa. Mais reconnaissons que cette participation sociale n'a pas été à hauteur de souhait, si nous faisons une évaluation de la situation qui prévaut encore aujourd'hui dans cette partie du Mali. L'assistance perpétuelle et illimitée n'a pas aidé l'homme bo à prendre conscience de sa misère, mais, il a plutôt poussé les Bwa à fonder sur le missionnaire de flux et faux espoirs.

Ce qui explique sans justifier, le retour de certains baptisés vers les croyances traditionnelles dès l'annonce du répit du missionnaire. Puisque déçu quelque part, par un catholicisme déconnecté des réalités mondaines et quotidiennes des Bwa et s'intéressant trop peu à la vie d'ici-bas, les uns et les autres ont préféré revenir à leur situation de départ, la religion traditionnelle africaine.

II-2 LE RÔLE DE L'EGLISE DANS LA SITUATION SOCIOPOLITIQUE ET ÉCONOMIQUE ACTUELLE DES BWA

L'élan des Bwa envers le missionnaire semble n'avoir pas été au prime abord, dans le but d'adhérer au catholicisme, mais pour solliciter son aide et son efficacité face aux fléaux tels que la famine, l'invasion des sauterelles, la sécheresse accablante. Fléaux qu'ils considéraient jusque là comme une manifestation de la colère des esprits et des autres puissances surnaturelles. Car certains villages qui ont réclamé, à cor et à cri, les Missionnaires durant les années difficiles de 1938-1942 de la sécheresse, des Sauterelles et de la famine, n'ont pas enregistré de conversions massives même après l'installation des Pères dans leur localités.

Mais, il faut reconnaître que ces oeuvres sociales notamment les dispensaires ont été d'un grand apport pour les populations Bwa face aux épidémies et à la misère.

Mais il faut reconnaître que ces structures constituèrent les meilleurs moyens de former une bonne chrétienté et de l'étendre. Et de ce fait, ils ont joué un rôle politique non négligeable même si ce ne fut pas le but primordial. Puisque toute instruction une fois acquise, quelqu'en soit la qualité, peut ouvrir à l'homme d'autres perspectives de réflexion et de développement.

II-3 L'EGLISE LOCALE ET SES oeUVRES SOCIALES

Après l'indépendance du Mali le 22 Septembre 1960, l'Eglise autochtone sous la direction de Monseigneur Joseph Perrot nommé Evêque de San le 29 septembre 1964, poursuit la lutte auprès des populations du Bwatun à travers les oeuvres d'assistance sociale.

Dans le cadre de l'éducation, des Ecoles privées catholiques furent construites pour la formation/Education qui seule pouvait promettre un avenir meilleur aux populations.

C'est le cas des villages comme :

- Mandiakuy (Premier et Second Cycle),

- Tuba Premier Cycle)

- Bénéna (Premier Cycle),

- Waramata (Premier Cycle devenu gouvernemental depuis 1989),

-Somo (premier Cycle),

-Togo : Premier Cycle créé en 1953. Et plus tard un Second Cycle aux comptes des Diocèses de San et de Mopti le petit Séminaire Interdiocésain ouvre ses portes en Octobre 1965 sous la direction du Père Jean Poulain. Réservé aux seuls séminaristes en ses débuts, le petit Séminaire St Paul est aujourd'hui un Séminaire-Collège s'ouvrant aux élèves venant de divers horizons. En 2006 les Séminaristes ne représentaient que 16% de l'effectif général.

- Dobwo : Un Second cycle qui abrite le Juvénat des frères du Sacré Coeur depuis 1980. Dobwo abrite également le CFC (Centre de Formation des Catéchistes) qui fut transféré de Mandiakuy à partir de 1973 et le Centre de Vocation féminine sous l'administration des SAB depuis 1982.

Pour aider les paysans à dompter une nature qui devient de plus en plus capricieuse, le Centre de formation Agricole Rurale de Zura (CFAR) fut créé en 1968 et ensuite le koni en 1971 pour développer de nouvelles méthodes, modernes, de l'agriculture.

Pour permettre aux populations d'avoir facilement accès aux soins, les dispensaires de Touba et de Togo furent construits, pour dépeupler le seul Dispensaire de Mandiakuy construit par les premiers Missionnaires.

Mais l'Eglise semblait rendre se service libre de tout engagement politique qui lui ferait prendre le risque de donner à l'autorité administrative l'occasion de penser que les chrétiens étaient jusqu'à présent à son encontre. Cela explique sans justifier le sentiment rétif des chrétiens Bwa, dans leur grande majorité, à l'activité politique.

CHAPÎTRE III- LES ORGANISMES D'AIDE AU DEVELOPPEMENT DES BWA

III-1 CARITAS/SAN

En appui aux structures de secours aux populations de l'Eglise Catholique énoncées plus haut, vient s'ajouter l'action de la Caritas diocésaine jadis connus sous l'appellation de Secours Catholique/Action Sociale et dont les actions sont surtout connues à travers les greniers de prévoyance sociale et les caisse d'épargne. Caritas assiste également les paysans par la formation aux nouvelles méthodes agricoles, les sélections des espèces de semence mieux adaptées aux conditions d'avantage déplorable de la pluie.

Il faut considérer aujourd'hui la Caritas comme un signe tangible d'engagement social de l'Eglise Catholique digne d'éloge ; car elle est à l'origine des premiers grands programmes de développement dans cette « région oubliée » du Mali.

En effet depuis bien des années, les Bwa semblent victimes d'une marginalisation et d'une discrimination camouflées de la part de l'administration ; a-t-on coutume d'entendre. Une sorte d'exclusion du système Etatique malien « qui peut être de l'ordre de la négligence inconsciente de l'Etat malien vis-à-vis de cette région, une certaine indifférence par rapport aux besoins parce que on se dit que les Eglises chrétiennes et/ou les ONG présentes dans la région depuis longtemps assument une part non négligeable des attentes en éducation, en santé »17(*) comme l'exprime J. T. DIARRA. Ce qui pousse à avouer que l'Eglise Catholique occupe une place de choix irréductible dans le domaine du développement aujourd'hui. Sa réussite, résiderait dans le fait que le caractère humanitaire de ses interventions ressemble bien fort à la solidarité communautaire culturelle jadis vécue dans les communautés villageoises et dont on a aujourd'hui la vive nostalgie. Car la probabilité de réussite de toute intervention sociale d'appui au développement qui ne prend pas en compte le facteur social et les mentalités du milieu, peut être bien faible dans une zone comme le Bwatun.

En plus, la crise de confiance née des rapports des paysans Bwa avec l'appareil étatique qu'ils trouvent corrompus sur toute la ligne, menaçait toutes les interventions de développement étatique d'un échec préétabli.

L'absence de l'Etat lance un grand défi à l'Action Caritative de l'Eglise Catholique à étendre ses perspectives d'aides au développement pour relever le niveau de vie des populations.

En ses débuts sous forme d'organisme humanitaire vers les années 1970 en réponse aux besoins ponctuels des populations, l'action de l'Eglise sera ensuite transformée en 1984 en organisme de développement, devenant ainsi le pionnier des organismes d'aide au développement du Bwatun.

· Le Secours Catholiques/ Caritas San

Il s'articulera d'abord sur l'Alphabétisation et la formation des animateurs, la Stabulation saisonnière des animaux, mode de logement du bétail, principalement les bovins pour mieux les entretenir. Car les paysans abandonnaient leurs animaux dès la fin de l'hivernage. Faute d'entretien et en plus du manque d'aliment et d'eau sans parler des soins, les animaux mourraient en grand nombre (surtout les vaches laitières et les veaux) durant les mois d'Avril de Mai, et de Juin et de Juillet qui ouvrent sur la saison pluvieuse. Et ceux qui échappaient à cette période, en général les boeufs, succombaient plus tard en Juillet suite à la demande subitement intense pour les travaux de labour.

Plus tard la Caritas va s'intéresser au reboisement face à la sécheresse et aux feux de brousse qui accélèrent l'avancée très imminente du désert. Puis elle entame un système de crème de crédit, aujourd'hui concrétisée par la construction de caisse d'épargne pour des groupements de villages en secteur. Les paysans peuvent y garder leurs économies ou y faire des prêts, après s'être inscrits moyennant une petite somme (2,3 € environ).

Le secours catholique s'est fait distinguer par son rôle dans la promotion de la santé villageoise, par la construction de margelles de puits, de latrines et l'assainissement des villages. Mais il faut noter que ces Aides Caritatives d'urgence, favorisent et nourrissent l'attentisme, la paresse et la dépendance villageoise, si elles ne font pas participer les villageois au plan de développement ; cette assistance peut, à long terme, réduire la capacité et la volonté des assistés à entreprendre pour leur propre developpement. Il faut que les individus à développer deviennent acteurs de leur propre développement, sinon le pourcentage de réussite se réduit considérablement.

· Le Centre de Formation et d'Animation rurale de Zura (CFAR-Zura) 

Mis sur pied pour révolutionner l'agriculture jusque-là traditionnelle, CFAR-Zura sera un centre de formation, de promotion et de vulgarisation agricole pour améliorer la productivité paysanne locale. Des jeunes, souvent délégués par leurs villages ou en solitaire venaient y apprendre les nouvelles techniques agricoles, l'entretient des cultures, la gestion des récoltes et l'élevage. Au terme de leur formation qui s'étendait souvent sur plusieurs jours, ils recevaient chacun un équipement (une charrette à deux roues, un âne, une charrue, une paire de boeufs et du petit matériel agricole : une brouette et une pèle). Le centre se transformera plus tard en action-projet, qui élabore, exécute et finance des actions d'intérêts collectifs dans les villages. Il prend en compte dans son volet d'hydraulique, les forages de puits et la construction de petits barrages, puis la formation de gestionnaires villageois, la construction de banques de céréales, la réalisation de programmes de sensibilisation et d'animation dans sa lutte contre l'érosion et d'appui à l'essor du jardinage par la confection de grillage.

Il faut reconnaître aujourd'hui la recrudescence de ces activités de développement au profit d'autres organisations non gouvernementales (les ONG) d'appui au développement qui se sont recensement installés dans la zone.

III-2 LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES (ONG)

Les ONG avec leurs programmes d'appui au développement du Bwatun, conscients de la généralité des besoins, se sont rangées aux cotés de la Caritas pour tenter de désenclaver la région, même s'il n'existe pas de liens spécifiques entres elles. Parmi elles nous notons, celles qui sont marquées par un caractère religieux comme la Mission Protestante qui n'est pas une ONG mais peut être citée comme un projet de développement, un peu comme la branche protestante du Secours Catholique. Seulement ses oeuvres caritatives sont destinées uniquement aux seuls protestants.

III-2-1 LA MISSION PROTESTANTE 

Elle se donne, d'abord aux oeuvres caritatives uniquement en direction des adhérents du protestantisme, à l'encadrement des associations de protestants dans les villages. Plus tard elle va oeuvrer dans l'éducation par la construction de salles de classes et de salles d'alphabétisation. Son impact est reconnu pour l'éducation et l'alphabétisation, la résolution des problèmes d'urgence qui teinte ses actions de prosélytisme.

Nous avons les ONG comme Word Vision International ou Vision Mondiale Bwatun, ensuite SOS Sahel, AID et Mali- Aqua- VIVA et bien d'autres ONG qui sont obligées pour une raison ou une autre d'élargir leur programme aux localités voisines sous la menace de réduction de l'aide externe ; c'est le cas de la CMDT qui collabore avec le PAE, la BNDA, l'AID et qui coordonne les interventions de ces Agences de développement dans la zone.

Mais nous suivrons l'ordre chronologique dans la description de ces organismes d'aide au développement qui sont entrain de faire leur preuve dans la promotion des Bwa.

III-2-2 MALI- AQUA-VIVA 

Face au problème grandissant de pénurie d'eau dans certaines localités du Bwatun due à l'insuffisance pluviométrique, Mali-Aqua VIVA vient en aide aux populations villageoises. Elle adopte un programme hydraulique villageois par la construction de forage avec un système de pompe solaire. Mali-Aqua VIVA ne réussira pas à hauteur de souhait faute d'une bonne collaboration des populations villageoises qui n'ont pas accordé d'importance à l'entretien de ces ouvrages coûteux que sont les pompes solaires.

III-2-3 SOS SAHEL (SAVE OUR SOUL- SAHEL)

Arrivée en 1989, cette ONG s'engage une dizaine d'année pour le désenclavement du Bwatun. SOS-SAHEL s'engage par l'appui institutionnel villageois pour la gestion des ressources, mesure de lutte anti-érosive, octroi de petits crédits, compostage, formation « d'accoucheuses traditionnelles » auxquelles elle distribue du matériel de base. En plus elle prend dans ses programmes la formation d'animateurs villageois, la construction de Banques céréalières pour les associations féminines, l'alphabétisation, Aménagement du terroir, santé villageoise.

L'impact de ce projet est surtout connu par sa méthode de diffusion d'information que véhicule des groupes d'artistes de la localité, sensibilisation des paysans par cassette audio sur les mesures de protection de l'environnement écologique (feu de brousse, déboisement) par le reboisement ou sur la santé (lutte contre le SIDA) ou encore sur des thèmes sociaux comme l'exode rurale et la vie conjugale. Cette méthode de sensibilisation des paysans par des chansons dans la langue locale s'est avérée efficace, car elle permet aux informations d'atteindre tous les coins et toutes les couches sociales des populations Bwa.

III-2-4 WORD VISION INTERNATIONAL (VISION MONDIALE BWATUN)

Arrivée en 1999 elle s'est montrée efficace par l'appui à l'éducation formelle et informelle (soutien des écoles de base en équipement, construction et équipement de salles de classes et d'alphabétisation des femmes et des adultes), l'agroforesterie, Aménagement du terroir, création de banques de céréales. En pleine expansion de ses zones d'action, World Vision International s'engage dans le domaine de la santé communautaire par la lutte contre le VIH/SIDA dont les panneaux d'affiche de sensibilisation planent dans presque tous les villages. En plus, elle mène un dur combat contre l'excision des jeunes filles, un fléau de la localité.

Son impact est connu également dans le parrainage des enfants de 4 à 9ans auxquels elle fait des distributions de vêtements une ou deux fois par an.

A ces ONG s'ajouteront d'autres comme Luxe-Developpement uniquement pour le cercle de San, Iles des Eaux pour le Cercle de Tominian, dont les impacts seront connus dans un avenir proche selon leur efficacité et les leçons qu'elles auront tirées de leur phase d'essai.

Même si l'heure n'est pas encore au bilan pour ces ONG, nous pouvons affirmer que des efforts sont entrain d'être déployés de part et d'autre afin que la promotion humaine et intégrale de l'homme bo devienne une réalité constatable.

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

Nous pouvons affirmer que cette vaste terre qu'habitent les Bwa, est confrontée à certaines difficultés dues à la nature et aux fléaux climatiques. Face à cette misère, l'Eglise locale, appuyée par certaines ONG, lance les jalons du développement. Mais les stratégies utilisées pour répondre dans l'immédiateté aux besoins des Bwa, à court terme, et la mauvaise volonté de certains acteurs, rendent presque vains les efforts de développement.

Les Bwa, malgré toutes les implications sociales de l'Eglise et les ONG, restent confrontés aux problèmes de développement. Car, les acteurs d'aide au développement ont voulu développer « le Bwâtun » sans les Bwa eux-mêmes, sans les aider à être les vrais acteurs de leurs propres développement. Il n'y a pas de véritable engagement solidaire avec les pauvres si on les considère seulement comme des personnes qui attendent passivement une aide, car ils sont les vrais acteurs de leur développement. Respecter leur condition d'acteurs est une clause indispensable à une authentique solidarité. Car pour toute personne, être agent de sa propre histoire est une expression de liberté et de dignité, point de départ et source d'un développement authentiquement humain et durable.

DEUXIEME PARTIE

Le coeur du message de Jésus est l'annonce de Dieu qui s'exprime dans la proclamation de son royaume. Royaume qui transporte le sens de l'histoire au-delà d'elle-même, jusqu'à son accomplissement ; et en même temps, il est présent en elle dès maintenant, dans la formule classique du « déjà et du pas encore ».

Le but de la promotion humaine, dans une vision chrétienne, ne se résume pas à l'assouvissement des seuls besoins, des désirs et des fantasmes de l'être humain. Mais d'une remise de cet être humain dans le projet de Dieu pour la création. Car la promotion humaine se fait dans un but plus large d'une plénitude de relation entre Dieu et l'homme et de promotion de la création comme mission de l'homme. Dès lors, le développement ne peut plus être compris comme un processus d'émancipation orgueilleuse de l'homme vis-à-vis de son Créateur, résultant de l'augmentation des moyens matériels jusqu'à l'oubli de Dieu, mais plutôt comme une responsabilité, un devoir de l'homme envers la création et envers le créateur. C'est à cette mission divine que l'Eglise invite l'être humain et lui donne les moyens pour y parvenir, grâce à la Parole de Dieu, l'Evangile du Salut qu'elle annonce. La foi chrétienne invite à témoigner d'un amour sans frontières en dénonçant le prestige et la menace de la force pure, l'injustice, la corruption au mépris du droit, de la justice et de la vérité. Invitation pour le chrétien à être de plus en plus un facteur d'éveil de conscience, pour aider ses concitoyens à progresser vers la vérité de Dieu pour que la Cité terrestre devienne l'accomplissement des promesses divines de salut et de libération en Jésus Christ.

CHAPÎTRE I- LES FONDEMENTS SCRIPTURAIRES DE L'AGIR SOCIAL DU CHRÉTIEN

En parcourant la Bible, nous pouvons bien nous rendre compte que de l'amour immense dont Dieu entourant l'homme, est transcrit de façon particulière dans ses différentes interventions.

Progressivement révélé à travers les signes multiples et divers de sa présence protectrice au sein du peuple élu, Dieu a manifesté Son Amour à Son peuple, le peule d'Israël qu'il s'est choisi de préférence parmi tous les peuples de la terre . Au-delà de cette longue histoire d'amour vrai et réel avec le Peuple élu, c'est avec toute l'humanité qu'il établi ce lien d'amour accompli par/en l'avènement de son Jésus Christ, le révélateur du Père par excellence, le Verbe dont l'incarnation est la preuve sublime et plénière de l'amour de Dieu pour l'homme et pour tout homme. Dieu vient à la rencontre de l'homme pour le relever de sa chute, de son humiliation face au péché et lui restaure toute sa dignité « d'Etre créé à l'image et la ressemblance de Dieu »18(*).

Le regard d'amour de Dieu pour l'humanité se découvre dans sa relation avec l'homme à travers l'histoire propre du peuple d'Israël dans l'ancienne alliance et son dessein de salut pour toute l'humanité dans la nouvelle alliance. D'où la nécessité pour nous de redécouvrir cet amour dans toute sa profondeur pour tous les hommes en général et surtout pour l'homme bo en particulier dans sa précarité, afin de saisir tout le sens pour ce peuple de façon particulière. « Il s'agit de savoir dans quel mesure, en fin de compte, le destin des pauvres est au coeur du mystère de la Révélation Divine »19(*) et comment la Parole de Dieu qui est bonne nouvelle vient relever l'homme bo.

Nous sommes convaincus que le règne d'amour et de paix de Dieu proclamé par Jésus Christ est destiné à tous les hommes comme leur libération du mal sous toutes ses formes, même les plus abominables. Le Christ a vaincu la mort par sa résurrection pour donner à tous les hommes la vie ; cela prouve qu'il a vaincu toutes les forces du mal et toutes les formes de mort, dont la pauvreté, la famine, la soif, la misère, l'oppression qui constituent des formes expressives de la mort de l'homme bo. Car ce salut et cette libération qu'apporte le Christ à tous les hommes, incluent le salut de la personne humaine dans tous ses aspects physiques et spirituels, son corps et son âme.

I-1- DANS L'ANCIEN TESTAMENT

L'histoire de Yahvé Dieu avec son Peuple, le peuple d'Israël nous montre que Dieu n'est pas neutre. Il prend une part active dans la vie et la survie de son peuple au milieu des nations païennes. Mais bien avant, lorsque nous remontons à l'origine, dans le livre de la genèse, au commencement de l'existence de l'homme sur la terre, nous découvrons que l'homme est le fruit de l'amour.

Dans l'histoire du peuple d'Israël, nous découvrons le regard bienveillant de Dieu envers les pauvres que sont la veuve et l'orphelin les opprimés et les esclaves fréquemment cités. C'est en raison de cet grand amour dont il veut embellir l'être humain qu'il veut libérer l'homme de toute forme de domination, non seulement de la domination spirituelle qu'est le péché, mais aussi de la domination charnelle, physique, que peuvent être l'exploitation et l'exclusion sociale qui handicapent l'être humain jusqu'aux profondeurs de son être, son intégrité physique, morale et spirituelle.

Dès les origines d'Israël, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob se révèle comme celui qui prend toujours la défense du pauvre la veuve et l'orphelin. Il est le Dieu juste. Le peuple, toute fois se laissait abuser par les démons du pouvoir et de la richesse : les forts opprimaient les faibles et les riches s'enrichissaient au détriment des pauvres. Mais la voix des prophètes rappelait sans cesse les exigences de la justice que Yahvé veut pour ses enfants.

Ainsi Israël ne pouvait nullement pas prétendre être le peuple du Dieu juste, si de toute son énergie, il ne s'efforçait pas de faire de la justice le centre et la norme de sa vie sociale et collective. C'est ainsi qu'existaient parmi les coutumes deux audaces qui suscitent encore l'admiration, même si elles n'étaient pas toujours appliquées strictement comme elles sont prescrites. En effet, chaque septième année en Israël, la terre devait être laissé en jachère et ses produits spontanés revenaient aux pauvres. C'était en quelque sorte l'année sabbatique (Ex 23, 10-13 ; Dt 15, 1-8 ; Lev 25, 2-7). Les esclaves étaient affranchis, et les débiteurs, libérés de leurs dettes, pouvaient à nouveau tenter leur chance. Les possédants devaient compter sur les récoltes de six années précédentes pour vivre. Pour les petites gens, c'était l'année de grâce accordée par Yahvé, le Dieu juste.

En plus, après 49 ans, c'était l'année jubilaire, une institution plus subversive encore (Lv 25,8-17 ; 23-55). Outre la mise en jachère des terres, la libération des esclaves et la remise des dettes, les maisons et les champs qui avaient été aliénés, pour une raison ou une autre, revenaient à leurs anciens propriétaires. Puisque tout était à Dieu, une minorité ne pouvait donc pas s'approprier tous les biens et les outils de travail. C'était une forme de justice sociale en Israël pour traduire la volonté de Yahvé, le Dieu juste et vrai, le seul vrai juge.

Adorer Dieu et exploiter le pauvre étaient donc considérés comme deux attitudes contraires. Quand le peuple l'oubliait, les prophètes élevaient leur voix pour le rappeler et avec la plus grande fermeté, en Oracle de Yahvé.

Le peuple d'Israël attendait le messie qui viendrait instaurer la justice de Dieu dans le monde en chassant l'occupant.

Marie quand elle apprend qu'elle sera la mère du Messie, chante son allégresse au nom des opprimés, des affamés et des pauvres de Dieu. Les mots de son cantique d'allégresse font écho à la parole des prophètes et à sa foi au Dieu juste, qui aime les pauvres et se préoccupe de la situation des plus faibles de son peuple.

Au coeur donc de l'expérience du peuple d'Israël se trouvent sans doute la conviction et la confession d'une foi au Dieu libérateur. La foi au Dieu libérateur suppose de toute évidence la foi au Dieu Unique, au Dieu Créateur, miséricordieux et juste, qui est au coeur de la confession de foi du peuple juif : « Ecoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est Unique »20(*). C'est dans cette foi au Dieu créateur et Unique que doit se découvrir l'imminente dignité de l'homme et de tout être humain, car elle confère à la libération d'Egypte une signification universelle. Une réalité du peuple d'Israël, un peuple jadis marginalisé qui va s'actualiser en tout homme. Tous les exploités et les opprimés (peuples, minorités ethniques, individus) de toute l'histoire et tous les pays ont le droit de se réapproprier cette histoire impersonnelle des hébreux, puisqu'elle n'est pas liée à un moment donné de l'histoire humaine mais à la réalité même du Dieu Sauveur. Dieu en libérant son peuple dont le cri lui est parvenu depuis l'Egypte (Ex1, 7), atteste à travers une histoire particulière, celle du Peuple d'Israël, qu'Il est non seulement contre toute exploitation et toute oppression de l'homme par l'homme mais qu'il a une préférence particulière pour les pauvres, les faibles que les psalmistes désignent par la veuve et l'orphelin. Il est le Dieu qui a du souci pour l'opprimé. Nous osons dire que la libération d'Egypte déboucha sur des conséquences pratiques que sont la confession de foi et la révélation d'un Dieu libérateur.

Le livre de l'Exode qui est le paradigme même de la rédemption raconte une histoire de libération, de promotion de l'être humain à travers celle du seul Peuple, le peuple d'Israël. L'histoire d'un Dieu, Yahvé, qui accorde un grand prix à son peuple et à travers le peuple d'Israël, c'est à tout peuple et à tout être humain que Dieu accorde ce prix. « J'ai vu la misère de mon peuple ; je connais ses angoisses, je suis descendu pour le délivrer » (Ex3, 7-8). Ce cri des nécessiteux, des innocents et des victimes qui constituent le peuple d'Israël auquel Dieu ne peut rester sourd est toujours d'actualité dans le contexte sociopolitique de l'homme bo aujourd'hui. Son coeur de Père en souffre réellement devant la misère des enfants en esclavage. Cela se précisera plus tard par l'alliance  qu'il va conclure avec son peuple.

C'est bien chez les prophètes que l'appel à la justice et à la solidarité, fondé sur la foi au Dieu libérateur, s'est fait le plus pressant. Les pratiques religieuses qui s'accompagnent d'injustice et d'égoïsme n'étaient qu'une abominable hypocrisie pour ces hommes de Dieu.

Ils annoncent un Dieu qui se porte au secours des pauvres, des persécutés et des opprimés. Ils interpellent vivement la société sur le sort des pauvres. Ils veulent faire comprendre que dès que l'injustice et l'oppression se généralisent et que la corruption se répand à l'encontre et à la défaveur des pauvres abandonnés à leur propre sort, la vraie religion n'est plus. Car Dieu ne peut accepter une oppression de sa créature.

Les prophètes situent la vraie religion dans la relation avec les pauvres et des opprimés et mieux encore, ils montrent que la prise en charge de leur destin social fait l'objet d'une béatitude de la part de Dieu : « N'est-ce pas partager ton pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre chair, alors ta lumière éclatera et la gloire de Yahvé te suivra. Si tu te prives pour l'affamé et si tu rassasies l'opprimé ta lumière se lèvera dans les ténèbres »21(*).

Il s'agit ici des faibles, des persécutés, des malheureux, des indigents, des veuves et des orphelins, de tous les hommes et femmes qui sont victimes des injustices sociales et politico-économiques de notre monde.

A travers l'histoire propre du peuple d'Israël, un peuple qui a connu une condition d'esclavage (Ex 13,3), nous découvrons donc la manifestation suprême de ce Dieu, Maître de l'histoire et dont l'universalité de la tendresse atteint tous les hommes en situation difficile et surtout les plus démunis, les nécessiteux. Dieu vient promouvoir chaque homme en lui accordant sa dignité d' « être sacré » puisqu'il porte l'emprunte sacré de son créateur qui est Saint, Sacré, à l'image et à la ressemblance duquel il fut créé (Gn1, 27). C'est dans ce contexte que les prophètes ne cessent d'élever la voix contre les abus des plus hautes autorités. Ils dénoncent donc une religion qui n'a pas de rapport avec la vie quotidienne, politique, sociale et professionnelle. Ils font ressentir que la prise en compte du sort des pauvres est également une fidélité à la Loi.

L'amour de Dieu s'affirme pour tous ceux qui sont dans la survivance, en proie à la faim, à l'injustice, à la violence, à toute forme de misère et pour tous ceux sont déjà morts ou inexistants dans leur fort interne parce que sans espoir. Cet amour s'étend également pour tous ceux qui appartiennent aujourd'hui dans notre monde au cortège des humiliés de l'histoire humaine. Et lorsque Dieu promet la libération et le don d'une terre merveilleuse à son Peuple, c'est par amour qu'il le réalise. Non seulement il veut délivrer son Peuple, mais aussi il veut qu'il vive dans le bonheur. Car la liberté sans le bonheur apparaît insuffisante pour l'épanouissement véritable de l'être humain. « Je vous ferai monter de l'affliction d'Egypte vers la terre...vers une terre qui ruisselle de lait et de miel »22(*) dit Yahvé à l'endroit de son peuple livré en esclavage sur une terre étrangère égyptienne.

Le livre des proverbes montre le lien particulier qui attache Dieu au plus démunis, aux faibles : « Opprimer le pauvre, c'est outrager son Créateur » (Pr14, 31). En d'autres termes, Dieu est atteint dans tout ce qui dégrade, dénigre, anéanti la liberté et la dignité de l'être humain. Cet être humain, c'est chaque homme ou femme, quelque soit son appartenance ethnique, raciale ou clanique.

Car Dieu subit en sa personne la maltraitance, la peine et la misère des pauvres et des opprimés, oserions-nous dire en nous referant aux sapientiaux « Ne dépouille pas le pauvre, et n'opprime pas, à la porte, le malheureux, car Yahvé épouse leur querelle et ravit à leurs ravisseurs la vie »23(*).

La prise en charge du destin des plus démunis, des affamés, des opprimés, des non vêtus, des sans-logis, des affamés, des exclus de la société est l'objet d'une béatitude dont il convient que chaque chrétien en prenne conscience dans sa réalité quotidienne, sa vie de chaque jour et de tous les jours s'il veut être fidèle à sa foi chrétienne. La foi au Dieu Créateur engage dans une responsabilité conséquente qui doit se sentir et se découvrir dans le vécu quotidien du croyant. Car il se sanctifie par son action qui fait du bien aux autres, comme le livre des proverbes nous le consigne « Béni sera l'homme bienveillant, car il donne de son pain au pauvre » (Pr22, 9) ; « Heureux qui a pitié des pauvres » (Pr14, 21), Dieu se réjouit de ses oeuvres de fidélité et il lui destine ses bienfaits.

Dans les psaumes, Yahvé est le Dieu qui libère, le Père de son peuple, surtout les plus démunis (Ps70, 6). Il est le Dieu de la vie dont l'amour et la puissance se révèlent dans les situations de détresse, de douleur et de mort ; « J'étais faible, et il m'a sauvé... Tu m'as délivré de la mort. Il en coûte au Seigneur de voir mourir ses fidèles. Tu as dénoué mes liens »24(*) écrit le psalmiste qui confesse sa reconnaissance au Dieu de la vie.

Le Dieu Yahvé dont il est question dans les Psaumes est un Dieu attentif à la vie de ses enfants ; C'est donc un Père qui se rend présent dans la vie de chaque homme et à tout instant, pour trouver remède à tout ce qui entrave son épanouissement. Il est celui qui fait justice aux défavorisés, car tous les hommes ont du prix à ses yeux. « Il fait droit aux opprimés, il donne du pain aux affamés ; le Seigneur délie les Prisonniers, le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse ceux qui fléchissent, le Seigneur aime les justes, le Seigneur protège les immigrés, il soutient l'orphelin et la veuve »25(*).

L'expérience d'Israël est celle d'un Dieu sauveur qui vient libérer l'être humain d'une situation dont est elle prisonnière et qu'on peut qualifier de situation mortelle. Car la maltraitance déshumanise et l'esclavage enlève à l'être humain sa dignité d'enfant de Dieu.

L'engagement du croyant et surtout du chrétien dans la société trouve son sens et toute sa vérité dans sa foi en ce Dieu bienveillant envers les pauvres, les opprimés, les sans défenses. Pour cela, le chrétien est invité à faire renaître dans son milieu de vie, dans sa société, l'espérance là où sévissent et surgissent les formes de misère, d'injustice et de violence.

Cet amour de Dieu pour l'humanité et pour tout être humain atteint sa plénitude, son perfectionnement dans la personne de Jésus Christ, le verbe de Dieu. La présence de Dieu se manifeste dans les mouvements miraculeux de libération de son peuple, et dans l'accompagnement de ce même peuple. Mais cet amour s'est révélé de façon beaucoup plus manifeste en son fils Jésus christ. Pour rendre sa relation avec l'homme davantage visible et plénière, Dieu est venu habiter parmi les hommes, afin que l'humanité soit restaurée dans son intégrité. En Jésus Christ, c'est Dieu qui vient faire chemin avec l'homme.

Nous reconnaissons l'image parfaite du Père en son Fils Jésus Christ. Celui qui est venu témoigner, par sa vie, ses actes et ses paroles de l'infini amour et suprême de Dieu pour l'humanité et pour tout être humain dans la singularité de son histoire et de sa personnalité.

I-2 DANS LE NOUVEAU TESTAMENT

En Jésus Christ son fils Unique, Dieu le Père fait irruption dans l'histoire humaine, dans l'histoire personnelle et individuelle de chaque homme et femme pour le relever de sa chute. Il est la révélation ultime du Dieu d'amour, et la plénitude de cet amour. Jésus se présente comme celui qui accomplit les annonces brûlantes des prophètes. Ce qui s'affirme de lui déjà au premier jour de sa vie publique, lorsqu'il se lève dans la synagogue de Nazareth et proclame la Parole de Dieu : « L'Esprit du seigneur est sur moi, parce qu'il m'a consacré par l'Onction. Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance et aux aveugles le retour à la vue, rendre la liberté aux opprimés, proclamer une année de grâce du seigneur. » Et il ajoute à la fin « aujourd'hui s'accompapli à vos oreilles ce passage de l'écriture » Lc4, 16-22.

Désormais, c'est en la personne du Christ que se poursuit la manifestation de la miséricorde de Dieu dans notre monde et dans la réalité sociopolitique de tout être humain. Il est celui qui libère de toutes les captivités qui humilient l'être humain en diminuant sa dignité de créature de Dieu. Le Christ apporte à l'humanité la libération du péché, du mal, de la souffrance, de l'oppression, de la rupture, de la haine et de la désunion (Lc4, 16s ; Mt11, 2-6). Jésus perçoit les besoins des foules, et en particulier des personnes vulnérables, les petites gens, et n'attend plus pour alléger de leurs jougs (Lc13, 10-13). Puisque ceux qui sont malades, alités, diminués de quelque façon que ce soit vivent une certaine mort ; celle de l'exclusion sociale et de la misère.

C'est par les gestes miraculeux de guérison qui témoignent de la miséricorde de Dieu dans les situations de maladie, de douleur, de pauvreté et de misère, que vont se révéler le mystère salvifique du Christ pour les plus démunis.

Nous retenons quelques passages édifiants qui prouvent l'amour infini de Dieu pour l'être humain:

-« Seigneur, aie pitié de mon fils, qui est lunatique, et qui souffre cruellement; il tombe souvent dans le feu, et souvent dans l'eau ». (Mt 17,15)

- « Et voici, une femme cananéenne, qui venait de ces contrées, lui cria: Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David! ». (Mt 15,22)

Parlant de l'aveugle de Jéricho « il se mit à crier; Fils de David, Jésus aie pitié de moi! » (Mc10, 47 ; Lc 18,38, Mt 20,31-32)

Lorsque nous parcourons les évangiles, nous découvrons la grande compassion du Christ à l'égard de la misère humaine (Mt4, 23 ; Mc1, 39 ; Lc4, 44) ; il révèle un Dieu Père, refuge et réconfort des exclus, des opprimés, les rejetés (Lc 7,37-50 ; Jn5, 27-28 ; Jn4, 5-42). Il dit à ses disciples : « Allez, et apprenez ce que signifie: « Je prends plaisir à la miséricorde, et non aux sacrifices. Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs ». (Mt 9,13). Aujourd'hui c'est à tous ses disciples dissipés à travers le monde, à tout chrétien que le Christ s'adresse pour l'inviter à découvrir le projet de Dieu pour l'humanité et pour chaque personne.

Le Christ vient délier l'être humain des chaînes du mal qui l'handicapent, du mal spirituel qu'est le péché et du mal corporel qu'est la maladie, la souffrance physique (Lc8, 40-56 ; Mt 9, 18,26 ; Jn 11,1-43). Il s'agit là de chaînes qui peuvent conduire à la mort ; la mort de l'âme et du corps, la mort de l'être tout entier.

-« Ma petite fille est à l'extrémité, viens, impose-lui les mains, afin qu'elle soit sauvée et qu'elle vive » dit Jarus, un des chefs de la synagogue, désespéré devant son enfant malade, à Jésus Christ. (Mc5, 21) ; Car il a reconnu en Jésus Christ celui qui pouvait sauver son fils de son mal, le délivrer de la mort.

A celui qui est malade le Christ accorde la guérison, aux pauvres et aux misérables, il se rend présent pour les sauver ; il réintègre les exclus et les marginalisés dans leur société. C'est le cas des lépreux qui viennent à lui, invoquant sa pitié (Lc17, 12-14) ; C'est également au nom du même amour débordant de Dieu qu'il vient au secours de la veuve dont le coeur et l'âme sont meurtris par la mort de son fils, son fils unique (Lc7, 12-15) et qui invoque la miséricorde et la bonté de Dieu en confessant sa foi :« Un grand prophète s'est levé parmi nous, Dieu a visité son peuple » (Lc7, 17). Et lorsque le Christ guérit le paralytique (Mc2, 3-5), il veut qu'il s'épanouisse pleinement et qu'il retrouve sa dignité et sa liberté. Il le décharge de son fardeau, le restaure dans sa dignité d'enfant de Dieu, le délivrant ainsi du rejet, de l'exclusion, de la maltraitance et de la déconsidération sociale dont il était l'objet.

L'importance de la pitié et de la miséricorde que nous relevons en parcourant les Evangiles (Mt9, 13 ; 12, 7 ; 23, 23 ; Lc1, 50 ; 10, 37 ; 6, 36), traduit dans toute sa vérité l'amour de Dieu manifesté en son Fils pour le salut, la libération intégrale et l'épanouissement de l'être humain. Car, il nous faut, aujourd'hui, découvrir comment le christ a fait l'option préférentielle des pauvres tout au long de sa mission et comment son sacrifice sur la Croix fut le couronnement, la plénitude de l'amour de Dieu pour l'humanité et pour chaque homme en particulier dans la réalité spécifique qui est la sienne. Afin que l'histoire de la Croix ne soit pas une réalité ne soit pas pour nous une vaine histoire événementielle, mais une réalité divine qui se concrétise dans le vivre quotidien de tout être humain.

Reconnaître dans la mission du Christ la centralité du message de paix et ses gestes de soulagement comme fruit de l'amour de Dieu pour tout homme, est déjà une confession du Dieu-Amour. Le Christ est donc la plénitude de la vie, de la vérité, de la justice et de l'amour salvifique de Dieu. C'est en cela que son message nous est une Bonne nouvelle, et peut être objet d'espérance pour l'humanité, surtout pour les plus démunis.

Puisque, en lui, tous les espoirs et les désirs humains trouvent leurs assouvissements et leurs réponses. Bref, « toute la vie du christ est l'expression maximale de la compassion du Dieu des prophètes »26(*) comme nous l'exprime M. ELA. C'est la compassion et l'amour du Dieu libérateur, révélés dans le livre de l'Exode qui s'expriment dans le geste-libérateur du Christ lorsqu'il guérit (Mt4, 23 ;Mc1 ,39 ;Lc4, 44), accueille les pécheurs (Mt9, 13 ; Lc7, 37-50 ; Jn5, 27-28), approche les rejetés, les exclus(Jn4, 5-42) et délivre les enchaînés des forces du mal (Mc5,21-43 ;Lc8,40-56 ;Mt9,18-26 ;Jn11,1-43).

Le règne d'amour qu'inaugure le christ signifierait-il pas la fin de la misère, la victoire sur le mal et surtout l'introduction d'un nouvel ordre de relations sociales basé sur le principe de l'inclusion et non plus de l'exclusion ? Désormais, tout être humain est concerné par la paix et l'amour du Dieu, ami des hommes, Père de miséricorde qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et qui fait tomber la pluie sur les justes et les injustes (Mt5,45).

Toutes les aspirations des hommes et des femmes de ce temps, à la liberté et à la justice, à la dignité et au bien-être, à l'amour et à la vie trouvent leur comble et leur accomplissement en Jésus Christ, mort pour le salut de tous. Il est l'agneau de Dieu, sacrifié, humilié, crucifié sur le bois de la croix afin que part sa mort et par sa résurrection, tous les hommes retrouvent la liberté, la joie, la paix, la vie en plénitude.

Puisque celui qui n'est pas libre ne vit pas, celui qui est malheureux non plus, tout comme celui qui a faim ou celui qui est en manque de vêtements, d'habitat et de soins, le disciple du Christ est invité à être pour ses frères et soeurs en humanité, un second Christ, prêt à se donner pour leur épanouissement.

C'est en Jésus Christ que se réalise pour le chrétien sa quête de liberté ; libération de l'ignorance qui est aussi une forme d'esclavage et la libération du joug peineux de tout ce qui porte atteinte à la vie, au bonheur et à la dignité de l'être humain. Il fut crucifié pour tous, les pauvres, les opprimés et les affamés afin que soient essuyées à jamais toutes larmes et que triomphe la vérité de Dieu dans le monde. C'est là le mystère de la croix que nous sommes appelés, en tant que disciple du Christ, à découvrir dans la réalité de chaque jour ; pour qu'à la suite du Christ chacun porte sa croix librement, en portant les infirmités de ses frères et soeurs. Voilà la dynamique de l'agir chrétien dont il importe de prendre conscience aujourd'hui, pour que la mort du Christ soit pour nous, le signe du refus de toute pauvreté, de toute misère et de toute passivité vicieuse. La misère de l'être humain quelque soit son rang social, son appartenance ethnique et raciale est donc un crime qu'il faut réprimer avec toutes ses énergies au nom de l'amour du Christ qui doit transformer notre monde.

Car l'élévation cruelle et humiliante du Christ sur le bois de la croix en rappel au serpent de bronze élevé au Désert par Moise, peut se comprendre également comme la condamnation de toutes les entraves qui diminuent l'être humain dans son rapport avec Dieu. La maladie est le premier cas, la misère, l'oppression en sont d'autres signes que nous ne cesseront pas de citer comme des atteintes à la liberté et à la dignité de l'homme.

La mission du Christ dans notre monde est donc une mission de rédemption pour l'épanouissement et le bien être intégral de tous.

Le cri du Christ lancé en croix « Eli, Eli, lema sabachtani » (Mt27, 46) est le cri de tous les opprimés, des victimes de l'injustice, des affamés, des isolés, des abandonnés et de tous les exclus de notre monde. Ce cri retentit aujourd'hui encore, sous de formes multiples et variées à travers le monde. C'est pourquoi il nous importe de discerner la relation du Crucifié avec les crucifiés de notre monde, que sont les « pauvres » de notre monde, pour comprendre, que la foi en Dieu est une invitation à sortir de soi-même, de l'égoïsme humain, pour oeuvrer à ce que soit évitée, une nouvelle crucifixion du Christ dans notre monde.

S'engager pour la cause des plus faibles par leur promotion sociale, revient pour le chrétien à refuser cette seconde crucifixion du Christ. Mort et ressuscité pour tous les hommes, le Christ est donc source de libération pour l'homme bo également. Mais en la personne du Christ, Dieu accorde à notre monde le salut, la paix. Le Christ est donc le rédempteur de l'humanité et donc il n'est plus possible que le chrétien se tienne dans l'inactivité face à la misère de son milieu de vie. C'est cela qu'il précisera lui-même, en parlant du royaume de Dieu, lorsqu'il dit « le royaume de Dieu ne se laissera pas observer, et on ne dira pas, le voilà, il est ici ! Ou bien il est là. Car voici que le règne de Dieu est au milieu de vous » (Lc17, 21). Il s'agit pour le chrétien de vivre selon les principes qui vont rendre ce royaume de Dieu, visible, tangible, concret, pour ses contemporains. Il s'agit de témoigner, par la parole et les actes, que le royaume de Dieu est parmi nous.

La liberté à l'égard du péché signifie également que l'homme échappe à la fascination du mal qui le rend esclave, tel que la course effrénée au pouvoir, la soif de domination et l'égoïsme qui engendre les structures oppressives et étouffantes. Puisque le péché s'incarne et s'enracine dans tous les systèmes humains, économiques et politiques aliénants, qui engendrent des pauvres, des esclaves, des affamés, des opprimés. Dès lors, la libération qu'apporte le Christ, qui ne se réduit pas à un état d'esprit purement spéculatif ou une pratique strictement interne, mais aussi dans les dimensions politique, économique et socio-anthropologique, qui engagent tous les chrétiens et les invitent incessamment à promouvoir, par leur vie et leur travail une société plus humaine, de justice, de paix et de vérité. Mais, le changement de comportement doit venir nécessairement du fort interne, c'est-à-dire, d'une prise de conscience et ensuite que les impacts soient visibles dans des actes concrets. La foi chrétienne devient une interpellation et une invitation en elle-même, à instaurer le règne d'amour du Christ dans le monde. Car en « s'ouvrant à la détresse humaine afin de participer aux luttes pour la vie et la justice, l'Eglise est au service du Royaume de Dieu dont la venue se dessine aujourd'hui autour des destins des pauvres et des opprimés »27(*) Dans l'engagement à la cause de cette mission commune de toute l'Eglise, les chrétiens sont appelés, chacun dans son milieu de vie, à partager effectivement les luttes et les résistances des hommes et des femmes qui, à travers le monde, refusent tout ce qui porte atteinte à la dignité de la personne humaine et qui enlèvent à l'homme ses droits les plus essentiels : le droit à la vie, à l'éducation, à la nourriture, à l'habitat, aux soins, et le droit à la liberté qui constituent les droits fondamentaux de l'être humain. Car la foi au Christ allume dans leurs coeurs des baptisés une flamme, la flamme de l'amour provenant de la lumière du ressuscité, celle qui fait jaillir l'espoir que tout peut et doit être transformé pour que l'être humain quelque soit sa couleur, son rang social vive dans le bonheur, la paix, la tranquillité et jouisse de tous ses droits.

Dans le monde d'aujourd'hui, où sévissent toutes les formes d'exploitation et de domination, la mission du baptisé en tant que témoin du Christ ressuscité s'avère urgente pour que l'esprit de l'évangile imprègne notre société de sa vérité et de sa charité. Particulièrement, dans notre continent africain, il s'agit pour le chrétien de redécouvrir le Dieu solidaire des innombrables victimes des mécanismes que sont la mauvaise gouvernance, la corruption, les pouvoirs dictatoriaux, qui produisent la pauvreté et la misère qui créées des violents et des aigris au coeur de nos sociétés.

La mission du chrétien consiste à faire en sorte que sa foi en l'avènement du royaume d'amour du Christ, dont il est le témoin, ne soit pas une vaine espérance pour lui-même et un vain discours qui pense la plaie des pauvres et de tous les souffrants sans pouvoir les guérir. Son témoignage de foi devra traduire en vérité et effectivement la présence de ce royaume de Dieu pour tous les hommes et toutes les femmes de notre monde. Il s'agit aujourd'hui de rendre présent le règne d'amour du Christ où « le loup pourra habiter avec l'agneau, où le nourrisson s'amusera sur le nid du cobra sans peur, royaume où l'enfant pourra étendre sa main sur le trou de la vipère sans trembler et sans peur d'être mordu »(Is11,6-8) ; car l'amour de Dieu aura l'emporté sur la violence, l'injustice, la corruption, sur toute forme de méchanceté et de haine ; Royaume de Dieu où il n'existera plus « d'esclaves ou hommes libres, ni de juifs ou de païens » (1Co 12,13), un monde sans aucune ségrégation ni de discrimination car Dieu aura gagné tous les coeurs à la cause de l'amour, de la charité et de la vérité, principes de la justice de la paix. Le règne de Dieu signifie d'une part la transformation intégrale de l'humanité en une nouvelle création, une renaissance du monde et la libération des hommes et femmes de toutes les formes d'esclavage et d'oppression personnelle et sociale d'autre part. Il signifie la manifestation et la pleine réalisation du dessein d'amour et de salut de Dieu pour notre monde.

I-3 L'ENSEIGNEMENT SOCIAL DES PÈRES DE L'EGLISE

Les Pères de l'Eglise donnent un message très instructif sur le témoignage et l'engagement du chrétien, témoin du Christ, dans la société. Ce message traduit toute la foi et l'espérance grandissante en Dieu dont ils ont fait preuve durant leur pèlerinage terrestre, certains jusqu'au don ultime de leur vie. Il faut malgré tout reconnaître que les références explicites à leur égard sont moins nombreuses qu'on ne pourrait s'y attendre dans le cadre d'un enseignement social spécifié. Car il est vrai que l'apport des Pères est plus important dans le domaine de la théologie dogmatique et de la spiritualité que dans le domaine de l'enseignement social. La situation contextuelle d'une communauté chrétienne minoritaire en ses premiers siècles dans l'Empire romain, qui vit sous de constantes persécutions païennes pour son non-conformisme aux principes sociaux, l'Eglise ne pouvait que se prévaloir le droit d'une implication sociopolitique bien limitée et teintée de réserves. C'est ce que souligne l'historien Mounier lorsqu'il affirme que « l'Eglise ancienne n'a pas cherché à briser les cadres sociaux, culturels, politiques, façonnés par l'histoire et inscrits dans les moeurs. Elle a accepté les structures sociales du monde antique, notamment l'esclavage, mais cette acception des inégalités sociales ne signifie pas, de sa part, résignation passive ni tolérance complice. En inculquant aux chrétiens de toutes les conditions les devoirs de fraternité, de charité, d'honnêteté, qui leur incombent, elle a contribué de manière efficace, insensiblement, à transformer les relations des hommes, d'abord au sein des communautés, mais aussi, dans une certaine mesure, les rapports sociaux »28(*). Mais nous constatons qu'à l'image de la première communauté de Jérusalem (Ac2, 42-47), les chrétiens des premiers siècles, dans une société du droit romain où la propriété privée avait un caractère absolu, pratiquaient l'entraide et par une libre invention, faisait un certain partage des biens surtout avec les plus nécessiteux. Ce sont les agapes.

Les communautés témoignaient d'une réelle communion enracinée solidement dans la joie du Christ ressuscité. Leur volonté, certes discrète, d'imprégnation évangélique de la société se découvrait dans la vie communautaire intense qu'ils menaient et surtout « à travers la mise en pratique de l'idéal chrétien de la sexualité et de la vie conjugale et familiale, ainsi que par une charité intense»29(*). C'est ce que voulait dire par des termes synthétiques l'auteur de l'Epître à Diognète lorsqu'il dit que « en un mot, ce que l'âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde»30(*). Car les adhérents du Christ avaient désormais une nouvelle vision de la société, de la vie et de l'homme. Les chrétiens interpellent les injustes en invitant à un monde plus fraternel. C'est bien un nouveau type de société, une nouvelle façon de vivre qui s'invite dans l'adhésion à Jésus Christ. C'est dans ce même contexte que St Augustin (354-430) définit l'Eglise comme maîtresse de vérité et éducatrice des Peuples : « Tu unis non seulement par la société mais encore par une sorte de fraternité les citoyens aux citoyens, les nations aux nations, et tous les hommes, en souvenirs de leurs premiers parents. Tu apprends aux rois à veiller sur les peuples,...Tu enseignes avec soin à qui est due l'honneur, à qui l'affection, à qui le respect, à qui la crainte... montrant que si tout n'est due à tous, à tous est due la charité, à personne l'injustice »31(*). Il faut reconnaître des Pères de l'Eglise que leur souci brûlant de transformer en profondeur toutes les réalités et les dimensions de l'existence à la lumière de l'Evangile du Christ laisse pour notre époque des références remarquables et un ensemble de témoignages d'une vie de foi imprégnée des valeurs morales du christianisme. Leur courage et leur audace qui a conduit certains au martyre, sont des exemples édifiants de témoignage et de fidélité au Christ.

Certains Pères de l'Eglise vont s'attaquer à la situation sociale et économique de leur société, surtout au moment où les pauvres sont victimes de la fiscalité et de la puissance des riches.

A l'égard des riches, ils retrouvent l'accent vengeur des prophètes en mettant vigoureusement en cause tout ce qu'on pouvait avoir d'égoïste, d'injuste ou excessif dans la richesse et le pouvoir. Malgré ses compromissions avec la société civile à partir du IIIème, l'Eglise s'est toujours souvenue de sa source. Si certains s'en allaient au désert, dans des monastères pour vivre entre eux les exigences radicales de l'Evangile, d'autres, en plein monde, face donc aux injustices, rappelaient que « la terre est à tous parce que tout est à Dieu ».

Un des Pasteurs louables de cette doctrine est Saint Basile, le grand archevêque et grand prédicateur de Cappadoce en 370. Fils d'un père riche et considéré, il se dépouilla de tous ses biens en faveur des pauvres. Car pour lui, la justice consiste également, à subvenir aux misères des autres. Il dira qu'à l'affamé appartient le pain que tu gardes, à l'homme nu, le manteau que tu enfoui dans ta valise et tes offres, au va-nu-pieds revient la chaussure qui pourrit chez toi et au miséreux l'argent que tu tiens enfoui. Ce Père grec nous est présenté comme l'un des premiers « apôtres » sociaux, touché par la misère et l'injustice sociale dont les pauvres sont les premières victimes. Il va développer dans l'Homélie 7 contre les riches, les grands thèmes sociaux tels que l'imminente égalité de tous les hommes devant le Dieu et l'inviolable de la dignité de toute personne humaine. C'est pourquoi il évoquera la nécessité d'une redistribution des biens pour limiter la cupidité et l'enrichissement des uns, et pour mettre fin au scandale social et à la misère des autres. Il invite la société à porter plus d'attention aux personnes vulnérables tels les vieillards, les malades, les employés et les ouvriers.

Un second « apôtre du social », c'est Saint Jean Chrysostome (+407). Il renonce aux biens de famille et se fait moine. Mais sa charité le ramène vers les hommes. Il devient patriarche de Constantinople et se fait avocat des pauvres. Il s'engage dans la lutte contre les fléaux sociaux en réponse à l'invitation de la parole de Dieu.

Ensuite nous avons Saint Ambroise, évêque de Milan (+379). Il est l'auteur d'un opuscule intitulé « Nabot le pauvre », composé à partir de plusieurs homélies consacrées au commentaire d'un récit du premier livre des Rois (I R21), qui raconte comment le roi Achab s'empara injustement de la vigne de Nabot. L'Evêque de Milan va à partir de l'exemple de Nabot pour dénoncer les formes d'injustices aujourd'hui présentes dans notre monde et toutes les vicissitudes de la richesse. C'est donc un appel à la justice par la juste répartition des biens de la terre qui sont à tous parce que tout est à Dieu. C'est donc une invitation à la charité dans l'attention aux plus pauvres que l'Evêque lançait à ses contemporains.

En somme, ce qui est mis en exergue dans la pastorale sociale des Pères de l'Eglise c'est la participation active du chrétien dans la construction de la société, par la charité. Une invitation à combattre l'exploitation des pauvres, l'oppression des petits par les riches l'injustice sociale, la faim, la pauvreté et la misère sous toutes ses formes. C'est l'objet de cette doctrine morale patristique.

Il s'agit pour le chrétien de se munir de son arme de combat qui est l'Evangile du Christ, pour agir face aux misères humaines. Ils étaient convaincus, que l'Evangile n'est pas seulement une Bonne Nouvelle pour une vie individuelle et personnelle, mais surtout une grâce pour l'organisation de la structure sociale selon le projet et la vision de Dieu.

Cela prouve que l'enseignement social de l'Eglise n'a pas commencé avec les Encycliques, même si en fonction des époques et face à certaines situations ponctuelles, l'Eglise s'est montrée beaucoup plus rigoureuse dans ses messages qu'à d'autres moments de l'histoire du monde.

CHAPÎTRE II- LA DOCTRINE SOCIALE DE L'EGLISE

Le Concile Vatican II a réaffirmé l'importante de la mission et le rôle de l'Eglise dans le monde lorsqu'il écrit que « l'Eglise, en poursuivant la fin salvifique qui lui est propre, ne communique pas seulement à l'homme la vie divine, elle répand aussi, et d'une certaine façon sur le monde entier, la lumière que cette vie divine irradie, notamment en guérissant et en élevant la dignité de la personne humaine, en affermissant la cohésion de la société et en procurant à l'activité quotidienne des hommes un sens plus profond, la pénétrant d'une signification plus haute.»32(*). C'est pourquoi l'Eglise doit sans cesse rappeler aux hommes et aux femmes de notre monde comment ils doivent se situer en face du monde et de leurs frères dans les relations sociales tout autant que dans les rapports interpersonnels. Car « si les aspects techniques de la pensée et de l'action politique sont à découvrir par un effort d'intelligence dont rien ne peut dispenser, le chrétien cependant recevra de la doctrine de l'Eglise l'inspiration pour une vie politique en tous points conforme aux vraies requêtes de la nature de l'homme et de la société »33(*) comme l'exprime J.JULIEN.

Cette mission n'est point un second rôle que l'Eglise voudrait jouer aujourd'hui en moins une nouvelle mission qui s'ajouterait à sa mission salvifique, mais plutôt une partie prenante de sa mission d'évangélisation. L'Eglise a mission d'éclairer les hommes et femmes de ce temps, elle est invitée à être sel et lumière pour la société humaine. Par l'Eglise, c'est tout disciple du Christ qui est invité à faire sien ce message évangélique pour la promotion de l'homme, pour être fidèle au Dieu qu'il confesse. Et lorsqu'elle invite ses fils et filles à être des acteurs de développement c'est parce que par « chacun de ses membres comme toute la communauté qu'elle forme, l'Eglise croit pouvoir largement contribuer à humaniser toujours plus la famille des hommes et son histoire »34(*).

Le message évangélique a impérativement une portée sociale qui suscite une permanente interpellation à l'adresse de tous les disciples du Christ. Chacun selon son charisme est invité à faire de l'Evangile un facteur d'assainissement, de développement et de rénovation sociale dans son milieu de vie. Membres de la société humaine, les chrétiens, hommes et femmes, ont la mission divine de participer à son édification selon le dessein de Dieu. Car les anthropologues reconnaissent que l'homme est un être social par nature. Il ne s'agit donc pas en premier lieu d'une convention humaine, même si les relations sociales peuvent être réglées par des conventions arbitraires pour faciliter les rapports sociaux. Et c'est dans cette même nature d'être social que l'homme trouve le fondement de sa relation à l'autre. Dès lors l'engagement social pour la promotion intégrale de l'être humain apparaît comme un devoir naturel, mais surtout, un devoir divin, puisque l'homme tient sa nature de Dieu ; c'est-à-dire, que le fait d'être homme, donne le devoir d'oeuvrer au rayonnement de la société et au bien être de tout être humain, faute de quoi on ne saurait se dire véritablement homme. « En raison du caractère social de la personne, il y a donc un lien, une interdépendance entre l'essor de la personne et le développement de la société elle-même »35(*). Le domaine social est le lieu d'invention et de créativité de l'être humain. L'homme construit l'ordre social, en mettant en oeuvre toutes les ressources de sa personnalité, de son intelligence, il favorise les relations humaines.

En somme dans la doctrine sociale de l'Eglise, c'est la perspective d'une évolution et d'une orientation vers une société plus humaine qui mène le croyant au royaume de Dieu, qui est recherchée.

Evangéliser, c'est annoncer le salut de l'homme retrouvé en Christ et aider les hommes à entrer dans cette perspective divine. La mission d'évangélisation de l'Eglise inclut de toutes manières la prise en charge de ses aspirations humaines et temporelles par fidélité à l'Evangile qu'elle porte aux hommes et femmes, dans les réalités quotidiennes. Car le salut en Dieu suppose aussi le bien être intégral et réel de l'homme, dans le règne de paix et de justice rendu présent dans la personne du christ, ici et maintenant. Ce règne de Dieu ne pourrait se réserver à l'au-delà très souvent situé dans un avenir lointain et vague. L'espérance chrétienne en la vie éternelle ne doit pas être un refuge qui fait oublier la vie d'ici bas, ni être une occasion ou une astuce de fuite de sa responsabilité face aux réalités terrestres et au combat de la vie.

C'est pourquoi l'Eglise appelle tous enfants à prendre une part active dans la mission salvifique d'évangélisation dans toutes ses perspectives en réaffirmant que « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ »36(*). Cette affirmation de l'Eglise est donc une interpellation adressée à tous les fidèles chrétiens, à s'engager pour la cause de l'humanité, surtout pour les plus pauvres, en signe d'une étroite solidarité avec toute la famille humaine dont ils sont membres. Comme l'affirme Jean Paul II « Le fils de l'homme qui s'est incarné il y a deux mille ans par amour pour les hommes, accomplit son oeuvre aujourd'hui : nous devons avoir un regard pénétrant pour la voir et surtout nous devons avoir le coeur large pour en devenir nous-mêmes les artisans »37(*). Car l'engagement social du fidèle chrétien pour la promotion de l'être humain et de tout être humain sans exception, dans le respect de sa dignité, est une exigence impérative de la vocation chrétienne. Mais le progrès social n'est véritablement promotion de l'homme que s'il est au service de la personne humaine, s'il respecte sa dignité. Une mise à l'écart des réalités socioculturelles et politico-économiques de l'homme par l'Eglise reviendrait certainement à vouloir le conduire au ciel comme si la terre où il est d'abord accueilli n'existait pas. Car les chrétiens ne vivent pas en dehors du monde et donc, ils sont invités à y porter la lumière de l'Evangile qu'ils ont eux-mêmes reçu.

II-1 L'ÊTRE HUMAIN, BUT DE LA DOCTRINE SOCIALE DE L'EGLISE

Nous sommes dans un monde qui juge l'être humain sur son agir, sur sa fonction, ses capacités plus que sur son être en soi. Il faut donc nous rappeler que l'homme par nature à une valeur, indépendamment de son rang social, de sa race, de son appartenance ethnique et indépendamment de tout autre critère de jugement ou de distinction. Cette dignité « naturelle » lui a été conférée par Dieu, son Créateur. C'est dire que la dignité de l'être humain réside dans sa nature, en tant qu'être créé à l'image et à la ressemblance de Dieu (Gn1,27-28) ; Ce qui fait de l'homme un être « sacré » portant donc la marque divine de son Créateur. Ainsi, affirmer la primauté de la personne humaine sur les structures (économiques, politiques, industrielles), l'inviolabilité de sa dignité, le droit à la vie pour tout homme depuis la conception jusqu'à sa fin naturelle, est un devoir de chrétien. Toute l'anthropologie chrétienne à son fondement essentiel dans le fait que l'être humain est à l'image de Dieu.

En plus, rappeler l'amour et la solidarité dans une société aujourd'hui marquée par les tensions et les violences multiples, faire du souci des pauvres la condition sine qua non de la transformation sociale, sont des constantes de l'esprit évangélique transmis et enseigné par l'Eglise pour éclairer la société humaine.

Le Concile Vatican II va réaffirmer l'importance de cette dignité intrinsèque de l'être humain « Cet Evangile annonce et proclame la liberté des enfants de Dieu, rejette tout esclavage qui en fin de compte provient du péché, respecte scrupuleusement la dignité de la conscience et son libre choix, enseigne sans relâche à faire fructifier les talents humains au service de Dieu et pour le bien des hommes, enfin confie chacun à l'amour de tous »38(*).

L'Eglise dans sa mission d'évangélisation s'engage donc efficacement à travers ses pasteurs, tous ses fils et filles à « honorer et promouvoir la dignité de la personne humaine, sa vocation intégrale et le bien de toute la société. C'est l'homme en effet qui est l'auteur, le centre et le but de la vie socio-économique. »39(*). Car de nos jours la dignité de la personne n'est pas toujours respectée. L'être humain est souvent instrumentalisé, réduit à une machine de production ou de plaisir exacerbé et vicieux. Les conditions de vie et de travail, le salaire et les heures de travail de certains employés, la violence faite aux femmes à travers le monde, la maltraitance et l'abus fait aux personnes vulnérables en sont des preuves.

Aujourd'hui, dans certaine partie de notre monde, l'être humain est souvent réduit à un matériau biologique manipulable, un outil de recherches scientifiques.

Il nous faut donc nécessairement découvrir la dignité inaliénable de l'être humain qu'il tient de son origine divine. Instrumentaliser la personne humaine reviendrait à l'écraser dans son intégralité physique et morale. Mais, cette exploitation est également une négation de son Créateur qui est Dieu.

Sur notre continent africain aujourd'hui, nous assistons à des guerres ethniques, à la pauvreté, à la misère, à la famine, à l'exploitation des enfants dans les mines et les rébellions dans des conditions indignes de l'être humain.

L'Eglise a donc une mission plus pressante en ces zones de troubles. C'est pourquoi à travers ses pasteurs, ses fidèles et tous les hommes de bonne volonté, elle interpelle l'homme face à lui-même et face à la création tout entière. Les systèmes étatiques tyranniques et dictatoriaux qui enlèvent à l'homme toute les formes de liberté, liberté d'expression, liberté de réunion, liberté d'entreprise constituent également des formes d'aliénation et de refus de la dignité de l'être humain qu'il faut combattre par la vérité de l'Evangile. Cet engagement pour la promotion sociale de l'homme nécessite également que le croyant oeuvre pour la justice et la paix dans sa société ; et par une lutte, bien entendu pacifique, pour l'éradication des formes d'injustices et de violences.

Il faut également sortir de ses extrêmes pour enfin prendre conscience que toute personne humaine est une histoire, histoire du mystère d'amour de Dieu. C'est en raison de son origine divine que l'homme ne peut être instrumentalisé ni maltraité sans qu'on s'en prenne à son Créateur. C'est le fondement théologique du combat pour la dignité humaine, pour la justice et la paix sociale, pour la promotion humaine, la libération et le développement intégral de l'homme et de tout homme40(*) que mène l'Eglise il y a plus de deux mille ans.

L'Eglise ne s'érige pas en experte d'une théorie économique ou politique et ne prétend pas détenir un bâton magique pour résoudre les problèmes sociaux d'une manière miraculeuse. Mais par son engagement à promouvoir la vérité, la justice et la paix, en raison de sa conception très élevée de l'homme et de la société, elle vise à promouvoir la reconnaissance de la dignité de l'homme et de tout homme. Cet homme qui est l'objet de la mission, c'est tout être humain quelque soit son origine, sa situation sociale et sa religion. C'est donc l'homme et son salut intégral qui demeurent au coeur de la doctrine sociale de l'Eglise. Le salut intégral de l'homme est la raison d'être de la doctrine sociale de l'Eglise. Il s'agit de l'homme, « l'homme considéré dans son unité et sa totalité, l'homme corps et âme, coeur et conscience, pensée et volonté»41(*). La mention de l'homme corps et âme revêt une grande importance, puisqu'elle évoque l'homme vivant, et l'homme vivant est corps et âme. C'est donc l'homme considéré dans tous ses aspects physiologique, intellectuel et spirituel. Et « grâce à la doctrine sociale, l'Eglise annonce Dieu et le mystère du salut dans le Christ, et, pour la même raison, elle révèle l'homme a lui-même »42(*). La promotion intégrale de l'être humain constitue une partie indissociable de l'unique mission assignée par le Christ à ses apôtres : « Allez donc ! Faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ; apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donné »43(*).

« Les relativismes actuels et les irénismes dans le domaine religieux ne sont pas un motif valable pour faillir à cet onéreux engagement qui appartient à la nature même de l'Eglise et qui constitue sa tâche primaire »44(*) rappelait Benoît XVI dans son homélie du 25 avril 2005. Une mission que tous les fidèles sont appelés à faire sienne pour que l'Evangile transcende nos réalités temporelles. Puisque l'histoire de l'homme et de tout homme, « prend tout son sens dans l'Incarnation du verbe de Dieu qui est le fondement de la dignité humaine restaurée »45(*). La fidélité de l'Eglise à cette Bonne Nouvelle inclut la fidélité aux conséquences inhérentes à la Parole de Dieu, qui englobent le social et la relation de l'homme dans son rapport avec autrui ; c'est-à-dire, que l'Evangile appelle à une prise de conscience effective de la fraternité et de la charité chrétienne envers tous les hommes et envers tout homme. Car la conversion à l'Evangile transforme notre représentation du monde, bouleverse l'échelle de nos valeurs, nos critères de jugements, nos règles tacites et confuses qui structurent et gèrent le fonctionnement de la société, celles qui repartissent les hommes en classes sociales, pour leur assigner un rôle et une place selon le dessein de Dieu.

II-2 LA DOCTRINE DE LA PROMOTION HUMAINE

L'Église contribue à harmoniser les relations sociales par le message d'amour de l'Evangile qui enseigne la vérité de l'amour de Dieu. Car le fondement de la moralité de l'agir chrétien et de toute oeuvre sociale pour le progrès intégral de la personne humaine devrait se situer dans le souci et l'engagement qui visent à créer des conditions qui permettent à tout homme de réaliser sa destinée en Dieu. En fait « tout est considéré à partir de la personne et en direction de la personne »46(*). C'est le résumé du message de l'Eglise quand elle s'adresse aux hommes et aux femmes dans un message touchant le social.

L'appartenance de l'homme à la société temporelle qui est d'ores et déjà un motif de solidarité, est supplantée par le message d'amour de l'Evangile. C'est pourquoi à la fin du XVIIIème siècle face à la montée du capitalisme « sauvage » favorisé par un état libéral, le Pape Léon XVIII appelle l'humanité à plus de justice. Car l'Evangile du salut que l'Eglise prêche et annonce n'est pas seulement une Bonne Nouvelle pour la vie personnelle, mais qu'elle est aussi ordonnée à l'organisation des structures sociales. C'est pourquoi elle interpelle les détenteurs de l'autorité à promouvoir la vérité et la justice dans le monde.

A travers l'Encyclique Rerum Novarum le Pape Léon XIII, le 15 Mai 1891, fait connaître la position de l'Eglise sur les conditions des ouvriers, marquant ainsi, pourrait-on dire, l'origine d'une « doctrine Sociale » de l'Eglise destinée à tous les hommes et femmes de bonne volonté, croyants ou non-croyants. Dans cette encyclique, le Pape donne une orientation fondamentale et judicieuse sur le contrat de travail, la propriété privée et son usage social. Car, dit-il, « il est une loi de justice naturelle plus élevée et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas être insuffisant à faire subsister l'ouvrier sobre et honnête »47(*).

Parlant des richesses, des biens temporels, le Pape évoque la solidarité et la charité qui doivent marquer toujours les plus riches, afin que l'usage de leurs biens se fasse selon la volonté de Dieu. C'est pourquoi il affirme qu'« il est permis à l'homme de posséder en propre et c'est même nécessaire à la vie humaine. L'homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, mais pour communes, de telle sorte qu'il en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessités »48(*). Léon XIII évoque la question de la dignité humaine face à l'exploitation des ouvriers dans les industries. Invitant au respect de la personne humaine, il dénonce l'exigence d'«une somme de travail qui, en émoussant toutes les facultés de l'âme, écrase le corps et en consume les forces jusqu'à épuisement »49(*).

Il invite également à combattre toutes les idéologies contraires à la vision de Dieu.

II-3 LA DOCTRINE DE LA STABILITÉ SOCIALE

La valeur jadis prédominante dans l'Eglise et qu'elle cherchait à promouvoir était la stabilité sociale, en invitant les chrétiens à se préserver de toute prise de position pouvant occasionner des tensions. Les pauvres étaient invités à suivre le Christ souffrant avec un appel habituellement appuyé par une spiritualité de fuite du monde en orientant les coeurs et les esprits vers le monde à venir. Les esclaves étaient invités à supporter les « croix » de l'oppression et de la maltraitance pour être davantage en communion le Christ souffrant. Dans un tel spiritisme, le monde était fustigé comme une vallée de souffrances et de larmes au profit d'un ciel considéré comme le « chez-nous des chrétiens », le lieu où les injustices inévitables de ce monde seraient rectifiées.

En plus l'Eglise ne cessait de mettre en garde les fidèles chrétiens face au danger de réduire l'Evangélisation aux seules sphères économique, politique, sociale et culturelle, et surtout face aux dangers d'une politisation excessive du rôle de l'Eglise. Néanmoins elle rappelait sa mission d'accompagner et d'interpeller l'Etat dans la mission de conduire le destin du peuple, tout en l'invitant selon l'esprit de l'Evangile à promouvoir la paix entre les Nations. Car elle reconnaît que tout être humain devrait « croître et se développer à travers tout ce qui concourt au développement et au progrès du monde où il vit »50(*).

Certains Pasteurs soutenaient que la mission de l'Eglise s'arrêtait à l'amour et celle de l'Etat à la justice ; excluant ainsi l'Eglise de toute implication sociopolitique dans le monde, sans prendre conscience que l'amour et la justice sont inséparables dans le royaume de Dieu.

Aujourd'hui l'Eglise doit éduquer et conscientiser les hommes de son temps sur les exigences de la justice et sur le respect de la dignité inviolable de l'homme. Et cette mission est d'avantage importante dans nos Pays d'Afrique où le respect de la personne est difficilement accepté, même de nos jours.

Dans sa mission d'évangélisation, l'Eglise prêche et pratique un amour qui s'incarne dans son combat pour la justice, la paix, la liberté et la vérité qui constituent les valeurs fondamentales à tout progrès social et intégral de l'être humain aujourd'hui.

L'évolution de la doctrine sociale de l'Eglise est liée aux mutations politiques et économiques du monde si nous asseyons de voir les circonstances des discours et encycliques traitant des questions du social. C'est aussi l'actualisation du message évangélique dans les situations concrètes des hommes et femmes.

Face aux menaces grandissantes de la paix sociale déjà ébranlée par la guerre de 1945, l'Eglise invite à la paix. Dans son encyclique, Pacem in Terris (Paix sur la Terre), le Pape Jean XXIII affirme que tous les Droits de l'homme sont le fondement de la Paix qui appelle au désarmement. Il invite les grandes puissances à reconnaître à toutes les nations une égale dignité et le droit de se développer par elles-mêmes. Car Dieu a créé les hommes égaux en droits et en dignité, et par conséquent « la paix sur terre, objet du profond désir de l'humanité de tous les temps, ne peut se fonder ni s'affermir que dans le respect absolu de l'ordre établi par Dieu »51(*).

Le Concile Vatican II, spécialement dans sa Constitution Pastorale Gaudium et Spes chercha à écarter cette dichotomie entre ce monde-ci et le monde à venir en soulignant l'importance de l'engagement de l'Eglise, surtout à travers ses fidèles laïcs, dans l'édification de la société humaine. Les pauvres eux-mêmes étaient vus non plus comme objets de l'histoire, mais comme les acteurs privilégiés de Dieu pour créer son nouveau monde.

La mission de l'Eglise vis-à-vis de la société n'est ni de soutenir les interventions violentes, ni de renverser par des moyens violents, les pouvoirs tyranniques. Au contraire elle a mission d'interpeller et de rappeler par son opposition à ces utopistes convaincus, qui sont prêts à utiliser tous les moyens, même les plus violents pour instaurer la justice, pour qu'ils sachent que seule la vérité triomphe par la justice. Cette interpellation consiste à donner un témoignage délibérément choisi et vécu qui emploie les méthodes de la paix et de la vérité, celles qui auront toujours le dernier mot sur la violence et sur l'injustice qui constituent aujourd'hui les causes de la misère et de la famine dans nos sociétés, en particulier, celles d'Afrique. Car les paroles et les actions de Jésus interpellaient constamment les attitudes, les pratiques et les structures socioculturelle, politico-religieuse et économique qui tendaient arbitrairement à restreindre ou à exclure les membres potentiels de la communauté Israélite que furent les pauvres, les malades.

L'affirmation chrétienne de Dieu comme notre avenir absolu, loin de diminuer la valeur de nos engagements sociopolitiques pour une société plus humaine, leur ouvre au contraire une perspective divine qui peut garantir leur signification durable et leur vraie valeur. Cet engagement consiste également à soutenir les efforts des hommes et femmes de bonne volonté dans leur lutte contre tout ce qui se caractérise par l'injustice, l'esclavage, la misère et la pauvreté, pour transformer le monde selon le principe d'amour de l'Evangile. Car il nous faut découvrir où le royaume est déjà présent comme germe pour y nourrir les semences en y consacrant nos ressources et nos énergies pour qu'advienne la paix, la justice et l'amour de Dieu pour sur tous les peuples. C'est la caractéristique fondamentale de notre engagement social. Même si le fait de secourir les victimes d'accidents tous les jours est une oeuvre charitable, mais réparer le virage qui cause ses accidents est davantage évangélique.

II-4 L'AGIR SOCIAL COMME PARTICIPATION À LA MISSION DE L'EGLISE

Dans la période qui a suivi le Concile Vatican II, diverses réflexions théologiques insistèrent sur la nécessité d'une présence efficace du chrétien dans la sphère publique comme fidélité à l'Evangile du Christ. Elles insistèrent également à que l'on prenne en considération la puissance de l'annonce de la foi à partir de l'envers de l'histoire, à partir du monde de l'injustice et de l'insignifiance sociale où vivent les pauvres et toutes les couches vulnérables de la société pour que l'Evangile soit véritablement « Bonne Nouvelle » de salut pour toutes ces couches sociales méprisées. Car le Christ est venu libérer l'homme du péché, un péché dont les conséquences et ses formes expressives sont la servitude, la misère et toutes les formes d'oppression et d'injustice qui subsistent dans notre monde, surtout sur notre continent africain. Cette préoccupation de l'Eglise fut effectivement traduite dans plusieurs textes du magistère, notamment Gaudium et Spes où les Pères conciliaires exposèrent la vision de l'Eglise dans le monde actuel. Car, l'Eglise possède la vérité sur l'homme qui est le fondement de toute vraie libération.

Peu après, le synode Romain en 1971 sur le thème « Justice dans le monde » affirmera que la mission de l'Eglise « inclut la défense et la promotion de la dignité et des droits fondamentaux de la personne humaine » (n°37).

Paul VI dans le texte qui correspond au synode sur l'Evangélisation en 1974 affirme que « l'Evangélisation apporte avec elle un message explicite (...) sur les droits et devoirs de toute personne humaine, sur la vie familiale (...), la paix, la justice, le développement ; un message, particulièrement vigoureux de nos jours, sur la libération »52(*). Dans son discours inaugural du Puebla en 1979, Jean Paul II, s'inspirant de la parabole du bon samaritain, soutenait que la mission évangélisatrice de l'Eglise comporte un élément indispensable : l'action pour la justice et la promotion de l'humain.

Le concile Vatican II reprécisa en profondeur la mission des chrétiens, spécifiquement celle des fidèles laïcs dans la société ; laïcs auxquels il lance une invitation particulière lorsqu'il affirme que « les laïcs doivent assumer comme leur tache propre le renouvellement de l'ordre temporel. Eclairés par la lumière de l'Evangile, conduits par l'Esprit de l'Evangile, entraînés par la charité chrétienne, membres de la cité, ils ont à coopérer avec les autres citoyens suivant leur compétence particulière en assumant leur propre responsabilité et à chercher partout et en tout la justice royaume de Dieu »53(*). Car certains états totalitaires ont tendance à réduire l'activité chrétienne au seul et unique culte, c'est-à-dire ici, au seul domaine individuel. La Parole de Dieu et la prise de conscience des valeurs spécifiques de l'Evangile sont ressenties par ces pouvoirs comme une menace pour leurs conceptions globalisantes de la société.

Les chrétiens sont marqués par une sagesse issue de l'Evangile et de l'Expérience ecclésiale, mais ils sont invités à en prendre conscience pour que cette grâce de Dieu soit profitable à toute la famille humaine. Comme tels, ils ne doivent pas se mettre au dessus de la société, ni à coté, mais au milieu de tous. Ils doivent se sentir concernés par les débats et des enjeux de l'humanité. Puisque c'est le présent et l'avenir de toute la société dont il est question. Acteurs en elle lorsqu'elle fait son histoire en prenant des décisions lourdes de conséquences pour l'homme et lorsqu'elle élabore ses repères éthiques, les chrétiens ont à s'exprimer en personnes éclairées. Ils sont invités à être « sel et lumière » pour leur société. Cette sagesse a été maintes fois rappelée par les Pasteurs dans les encycliques ou par les lettres Apostoliques. Ces différentes responsabilités des laïcs dans le dialogue de l'Eglise avec le « monde » d'aujourd'hui, correspondent aux différents secteurs d'engagement et d'actions des chrétiens qui sont les secteurs familial, économique, social, culturel et politique. Tout homme a de la valeur en lui-même, il est appelé à une promotion humaine et spirituelle et le progrès social doit favoriser cette promotion sociale. Partout où des hommes vivent, travaillent et souffrent, partout où ils réclament la vérité et la justice, le chrétien doit être présent et doit se sentir interpellé par les aspirations de ces peuples en manque, car l'Eglise a davantage une mission à remplir dans ces milieux socioculturels. A travers tous les fidèles laïcs engagés pour la promotion sociale et l'épanouissement de l'être humain, c'est le Christ qui est à l'oeuvre dans le monde par son Eglise qui veut mettre en oeuvre l'esprit évangélique pour qu'en transformant les dimensions humaines, elle leur confère une finalité spirituelle pour le salut de l'homme et la plus grande gloire de Dieu.

II-5 L'AGIR SOCIAL COMME EXIGENCE DE FOI CHRÉTIENNE

L'expérience des chrétiens engagés dans les Actions et Mouvements d'oeuvres sociales/caritatives d'aide au développement est motivée et orientée par l'Evangile et par la doctrine sociale de l'Eglise qui proclame les devoirs de l'Eglise à l'égard de l'humanité et précise également les responsabilités des fidèles laïcs dans l'édification de la société humaine. Pour nous chrétiens, le fait de savoir que tout être humain est aimé de Dieu et sauvé par le Christ, est une raison d'action de plus pour le progrès social et l'épanouissement de tous les hommes et femmes de ce monde. C'est à cela que Saint Augustin (354-430) nous invite lorsqu'il affirme que celui que la vérité a rendu libre, la charité le rend esclave.

Nos relations humaines préparent notre relation avec Dieu. A ce niveau, l'histoire de Saint Martin qui donna son manteau au Christ en croyant le donner à un pauvre sera notre histoire à tous : « Tout ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à Moi que l'avez fait ». (Mt25, 40)

La participation effective et véritable du chrétien pour le progrès social de son milieu sociopolitique est donc une exigence de sa vocation chrétienne, de disciple du Christ. Le disciple imprégné de la Parole de son maître, se met au service de Dieu à travers celui de ses frères et soeurs. Comme le Seigneur qui passait en faisant le bien, le chrétien ne doit pas hésiter, lorsqu'il peut le faire sans compromission de sa foi, à aider les plus démunis, à mieux vivre, à se cultiver, à se développer par une charité chrétienne, tout simplement parce qu'il porte en lui l'amour du christ, un amour contagieux, qui est dynamisme et vie au service des autres. Ce qui signifie que la promotion humaine doit se réaliser dans la promotion intégrale de l'homme, de la famille et de toute la société dans la vérité, la justice et l'amour. En apportant son soutien pour la promotion sociale, il est important de faire en sorte que les hommes et les femmes en misère soient eux-mêmes les vrais acteurs de la promotion de leur société en y assumant toujours leurs responsabilités pour un développement intégral et harmonisé. D'où la faiblesse et l'irresponsabilité d'un assistanat perpétuel comme action d'aide au développement et de la promotion humaine.

L'engagement social du chrétien dans les réalités terrestres de sa société n'a pas de sens si ce n'est pas pour participer à la promotion sociale des hommes et femmes de son milieu de vie comme l'Evangile le recommande. Cet engagement total et gratuit, mais motivé par la foi en Jésus Christ, découle de la liaison entre la charité chrétienne et la vie de foi.

En plus la libération signifiée par le salut en Jésus christ doit concerner les libérations historiques et l'épanouissement véritable de l'homme à l'égard de toutes les servitudes. L'engagement social du chrétien pour la promotion sociale doit être toujours considéré dans la perspective de la charité évangélique, comme un don de soi pour les autres, surtout les plus faibles.

CHAPÎTRE III- LA PROMOTION HUMAINE À LA LUMIÈRE DU RÉCIT DE LA CRÉATION (GN1, 26-2)

III-1 LA MISSION DE L'HUMANITÉ AU CoeUR DE LA CRÉATION

Les chrétiens croient pourtant en un Dieu Créateur. « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre » sont les premières phrases du Symbole des Apôtres, l'une des plus anciennes confessions de foi chrétienne. Le Symbole de Nicée-Constantinople (381) précise que ce Dieu est aussi créateur « de toutes choses visibles et invisibles.». Cela veut dire que nous croyons non seulement que Dieu a créé toutes choses, mais qu'il les gouverne et les conduit, disposant et réglant selon sa volonté tout ce qui arrive de bien, de beau et de bon dans le monde, tout ce qui concoure à l'épanouissement de la famille humaine ». Comme toute idéologie religieuse, philosophique ou politique, la foi en un Dieu créateur influence notre regard sur le monde, sur les hommes et les femmes comme sur toute créature ; elle influence également notre façon de vivre dans ce monde. La Parole de Dieu nous invite à oeuvrer de sorte que la volonté de Dieu, le Créateur qui a voulu toute chose « bonne » et bienfaisante, soit faite dans notre vie et dans celle des autres, pour le bien être de la famille humaine.

la création de l'humanité : Gn1, 26-31

- Gn1, 26 « Faisons l'homme à notre image... »

Avant de créer l'être humain, Dieu, prend le soin, de préparer là où il va accueillir celui qu'il veut qu'il soit à son image, l'homme. Tout a pour but de fournir le cadre où l'homme sera appelé à l'Existence. L'homme se distingue d'une manière spéciale des autres créatures. C'est pourquoi Dieu s'est déterminé à le créer à la suite d'une décision particulière et solennelle.

Dieu se recueille ; il délibère : peut être une délibération avec sa cour céleste (Ps8, 6 ; Jb1, 6). Mais ce pluriel est interprété comme, exprimant la majesté, la plénitude et la richesse intérieure dont témoigne le nom commun « Elohim ». Les Pères de l'Eglise évoquent ici la préfiguration de la Trinité, ce que l'on pourrait désigner aujourd'hui, dans la perspective de la théologie africaine, par la Famille-Trinitaire.

- « Dieu créa l'homme » : la personne humaine est une créature. Ici le verbe créer, employé trois fois, souligne vraiment que la personne humaine est créée et qu'elle est limitée.

- « A l'image de Dieu il le créa » : la personne humaine limitée est créée à l'image de Dieu. Le terme hébreu Selem  qui signifie : de Dieu, mais le verset ajoute le terme Demut qui signifie comme à notre ressemblance.

Le terme Selem : se réfère à une chose concrète comme une statue, par laquelle on peut se faire une idée de la personne représentée. Il est traduit par une image qui suggère une similitude physique parfaite.

Le terme Demut quant à lui, correspond à une notion abstraite : comme similitude, une analogie. Demut qualifie selem en diminuant sa force.

Nous trouvons également la même formulation en Gn5, 3, pour indiquer la conformité entre Adam et son Fils. Le Fils ressemble au Père sans lui être identique : la similitude divine est un caractère de nature que le premier homme, Adam, transmet à ses descendants. Une personne humaine ; c'est une reproduction, une copie de Dieu mais seulement de façon analogue. Toute la création, y compris la personne humaine icône de Dieu, est l'oeuvre de Dieu et donc sa propriété.

La Bible nous donne une conception toute particulière de l'être humain : l'homme est cette créature qui a reçu un pouvoir royal sur le reste de la création. Dieu lui confie la gérance de l'univers. Comme Dieu, l'homme possède la souveraineté sur l'Univers. L'effort humain pour connaître et maîtriser l'univers s'inscrit dans cette perspective divine. Il est invité à participer à l'action créatrice de Dieu comme coopérateur, collaborateur de Dieu, il est co-créateur de Dieu dans la création.

Dans le livre de la genèse plusieurs verbes sont employés pour définir précisément le mandat adressé par Dieu à l'humanité. Ce mandat demeure, malgré la « chute », la rupture de l'alliance et de la communion avec Dieu.

Trois couples de verbes nous semblent résumer cette mission de l'humanité dans le monde : « Multiplier (fructifier) et remplir la terre, « dominer et soumettre » les animaux, la végétation et les ressources naturelles, au sens large ; et enfin, « cultiver et garder » la terre. Notons qu'il s'agit là, en premier lieu, d'une bénédiction de Dieu et non pas d'une contraignante oeuvre face à laquelle un Adam historique, en compagnie de son épouse Eve, serait condamné, après son éjection du jardin de Dieu, comme on le fut comprendre selon une vielle idéologie des siècles antérieurs.

Que signifient ces verbes de la Genèse dans leur racine hébraïque ?

Quelles en sont les conséquences pour le milieu naturel, pour notre environnement et pour la société ?

Les chrétiens ont-ils une responsabilité plus particulière dans la transformation de la nature et du monde ?

Voila les questions auxquelles nous tenterons de réponse dans cette partie.

Multiplier et remplir : Peupler la terre

- Pârâh : porter du fruit, être fécond

- : Râbâ : multiplier, augmenter

- : mâlçh : remplir

Gn 1.22, 28 ; 9.1: - -  : ordre, mandat

Bénédiction-multiplication : terme employé 10 fois dans le livre de la Genèse, avant et après chute/déluge : Gn 1.22 (animaux) ; Gn1. 28 ; 8.17 ; 9.1, 7 (hommes) ; Gn 17.20 ; 28.3 ; 35.11 ; 47.27 ; 48.4 (lignée d'Abraham).

- Gn1, 28 «Dieu les bénit et leur dit : Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux qui fourmillent sur la terre ».

Il existe une double mission pour l'être humain à ce niveau.

Une première mission qui découle de cet aspect sexué de la nature humaine, consistera pour l'humain à donner vie à des êtres qui seront son image, comme Dieu. C'est pourquoi en créant l'être humain à Son Image, Dieu a acquis un partenaire, quelqu'un qui lui ressemble, l'homme, avec lequel il peut entrer en dialogue, en relation. A l'image d'un Dieu relationnel, l'être humain est aussi relationnel. L'Amour ne peut être solitaire : c'est un couple, un homme et une femme qui s'aime et dont l'amour produit la vie. Homme et femme, Dieu les créa, ou plus exactement « mâle et femelle » il les créa, deux termes réservés aux animaux. Pour dire, que l'être humain est un être unique, mais qui en même temps fait partie du monde terrestre, animal.

Dieu accorde la bénédiction à l'humanité et le pouvoir de donner la vie. Même bénédiction que pour les autres êtres vivants qui ont en commun avec l'humanité d'être mâle et femelle.

La seconde mission est propre à l'humanité, il s'agit de soumettre et de dominer la terre.

Dominer et soumettre : râoâh et kâbash 

Le terme Dominer râoâh : signifie prendre soin de, gouverner (Gn 1.28 ; Ps 110.2).

Dans les mythes de la création, l'homme était fait pour travailler pour les dieux, pour que ceux-ci aient des temps libres de loisirs. Mais dans la Bible, les humains sont les serviteurs de Dieu et la fonction de l'humanité est en rapport avec le monde. Par la bénédiction, Dieu rend l'être humain capable d'accomplir cette mission. Cette bénédiction est en rapport avec la vie, la fertilité, la fécondité, la croissance, la prospérité, le succès.

D'après le livre de la Genèse, les hommes et les femmes étaient au commencement invités à remplir, dominer et cultiver la terre en communion avec Dieu, c'est-à-dire avec amour et justice. Il ne s'agissait pas pour eux d'exercer leur tyrannie sur la création, mais plutôt d'en prendre soin pour le bien de toutes les créatures et pour la gloire du Créateur. C'est le sens de l'un des verbes traduits par dominer ; l'hébreu raoâh est employé à plusieurs reprises dans le Pentateuque (les cinq premiers livres de la Bible). Dans le Lévitique, en particulier, il est rappelé aux descendants d'Abraham, dans le cadre des lois sur le travail domestique, qu'ils ne doivent pas dominer sur leurs frères de façon arbitraire (Lévitique 25 et 26). Ces lois étaient données pour éviter les problèmes de l'esclavage. Les serviteurs juifs pouvaient être rachetés par un membre de leur famille ; ils avaient la possibilité de recouvrer la liberté lors de l'année sabbatique dont nous avons parlé plus haut, tous les sept ans, ou lors du jubilé, tous les cinquante ans. Le même verbe dominer (raoâh) est employé par les prophètes, comme Ézéchiel ou Jérémie, qui rappellent au roi qu'il doit exercer sa domination avec bienveillance et justice, qu'il doit prendre soin de son peuple comme un berger envers son troupeau, et non comme un tyran assoiffé de pouvoir. Il s'agit donc pour l'homme de dominer sur la terre en tant qu'être créé à l'image de Dieu comme le précisent les Pères de l'Église sur la base de la traduction grecque (Septante) de la Bible : l'hébreu raoâh est traduit par le grec árkhô, qui évoque la capacité à commander, à exercer la fonction de chef, avec toutes les qualités requises.

Le terme Soumettre : kâbash: signifie assujettir (grec katakurieúô: devenir maître) fouler aux pieds : prendre possession sur permission du souverain.

Le verbe hébreu kâbash a suscité les contresens les plus douteux et destructeurs pour la nature. Car s'il signifie, en effet, soumettre, fouler aux pieds, il a aussi le sens de «prendre possession » (cf. grec de la Septante : katakurieúô, devenir maître de), ainsi qu'on peut le comprendre dans la littérature du Proche-Orient ancien, comme sur la stèle de Thoutmès III (Égypte, XVIIIe dynastie, 1505 - 1450 av. J.-C.), à Karnak, et dans lettre de Sargon II (Assyrie, 722-705 av. J.-C.) : le souverain donne l'autorisation à l'un de ses gouverneurs de « fouler aux pieds » son territoire pour l'administrer en son nom. Dans le contexte de la Genèse, cela signifie que l'homme et la femme sont appelés à gérer (bien administrer) la création avec intelligence. A une nuance de violence (Job 18, 1 ; 2Sm8, 11), ce terme est utilisé pour décrire la conquête de la terre promise qui est une responsabilité particulière du Roi. Car le roi a pour fonction de promouvoir la justice et la paix avec une préoccupation pour les faibles. Ainsi la fonction royale de domination est un service pour la justice, la paix, l'harmonie dans le monde créé par Dieu et non pas pour l'exploitation du monde à des fins personnelles. La conquête de la terre promise n'est pas sa destruction mais l'enlèvement des obstacles pour qu'on y vive en paix. Ainsi est la mission de l'humanité par rapport à la terre. Dieu a mis de l'ordre dans le chaos, mais le chaos n'est pas détruit : il l'a plutôt organisé. Aussi notre mission est d'empêcher que le chaos ne prenne le dessus, et de travailler pour que tous puissent y vivre dans la culture de la paix et de la prospérité. Et pour cela, il faut s'inspirer des principes du créateur lui-même, qui a voulu un univers unique, bien ordonné et bon.

Au sens moral et religieux d'autres significations se dégagent nécessairement par rapport à la pratique religieuse.

- Garder les commandements de Dieu (Dt 4.2 ; 10.13, etc.), le sabbat (Dt 5.12), les fêtes (Ex23.15), l'alliance (Gn17.9), son âme (Dt4.9; Ps 25.20).

- Cultiver, travailler, rendre un culte, servir Dieu : activité des lévites dans le temple, garder le sanctuaire, préserver la pureté du lieu saint (Ex 10.26, Nb 3.7, 4.23, 24, 30, 47 ; 8.11-22).

Au-delà du sens littéral (cultiver la terre pour se nourrir), en hébreu, les verbes cultiver (âbad) et garder (ðamar) ont aussi une connotation religieuse : on garde les commandements ou l'alliance de Dieu, on garde le sabbat ou son âme. Le verbe cultiver, travailler, peut avoir le sens de « rendre un culte », « servir Dieu». Il est employé pour désigner l'activité des lévites dans le tabernacle dressé dans le désert ou dans le temple de Jérusalem. Les prêtres étaient également tenus de « garder » le sanctuaire, et notamment de préserver la pureté du lieu saint de toute souillure profane. La domination des êtres humains - autorité déléguée par Dieu, vocation de remplir et cultiver la terre, d'identifier, nommer et protéger les êtres vivants - implique également leur responsabilité humaine et religieuse.

III-2 LES IMPLICATIONS SOCIALES DU RÉCIT DE LA CRÉATION (GN1, 26-2)

Les lois de l'Ancien Testament mettent en évidence le lien entre la terre, sa fécondité, l'obéissance morale et religieuse du peuple de Dieu. Dans les livres du Lévitique et du Deutéronome, en particulier dans l'énoncé des bénédictions et des malédictions, un lien étroit est souligné entre l'obéissance à Dieu, le climat favorable, la fertilité de la terre et l'abondance des récoltes, et comme une conséquence logique, le culte que l'on rend à Dieu par amour et par reconnaissance lors des fêtes agricoles (Pâques, Pentecôte et fête des tentes ou Soukkôt).

La tâche que Dieu a confié à l'homme qui consiste à cultiver et à garder la terre et la protéger ne signifie pas qu'elle lui appartienne, que l'homme en est le seul et unique responsable. La terre lui est déléguée, confiée en tant qu'intendant, gestionnaire qui doit rendre compte à son maître, il se rend coupable de pillage. Cet engagement de l'homme au service de la création toute entière sous le contrôle de Dieu peut déjà le qualifier d'agent de développement. La création de l'homme n'est pas le fruit du hasard. Dieu n'a pas créé l'homme sans objectifs. Il y avait des dispositions précises dans son plan créateur de développement. A cet effet, il serait nécessaire et important de voir quels types de dispositions Dieu a prises dans son plan de développement par rapport à la création. A cet effet, l'ennemi de la gestion est le détournement et l'ennemi de la soumission, serait l'orgueil de l'homme. Le développement, pour qu'il soit véritable et conforme au plan voulu par Dieu, doit d'abord rentrer dans cette perspective.

Le lecteur rapide de la Genèse verrait dans la mise au travail d'Adam, le résultat d'une malédiction pesant sur toutes les générations, comme ce fut le cas de la vieille théologie du « péché originel ». Chaque goutte de transpiration dégoulinant sur les corps épuisés, renverrait inévitablement au verdict d'un Dieu sévère et intraitable. Le judaïsme a refusé cette lecture trop pessimiste du Pentateuque.

En quittant l'Eden, Adam n'est point maudit, il n'a rien perdu de son image divine comme le rappellera Yahvé quelques générations plus tard à Noé ; ses potentialités spirituelles sont restées intactes. La transgression l'a seulement placé dans un nouveau rapport au monde, non plus fondé sur la gratuité et l'innocence, mais sur la connaissance et l'effort de production.

Adam en s'éloignant du paradis ressemblerait à ce jeune homme quittant père et mère pour construire son existence d'adulte. C'est acquérir une certaine maturité et de travailler pour son propre épanouissement et pour son propre développement.

Par la transformation de la nature, l'homo faber se distingue radicalement de l'animal. Le travail n'est plus une malédiction mais une responsabilisation et une élévation de l'activité de l'homme. Par travail, il ne faut point comprendre uniquement le travail de la terre, comme ce fut le cas chez les Bwa qui n'admettaient comme travail que le travail manuel, le travail de la terre. Il s'agit de toute activité qui nécessite à l'homme un effort quelconque, qu'il soit physique, intellectuelle ou spirituelle.

Fidèles à cette logique de lecture, les sages d'Israël proposèrent comme idéal de vie pour chaque membre de la collectivité, d'associer un métier à côté de la pratique religieuse. Cette harmonie s'exprime de façon éclatante dans la conception hébraïque qui associe à la fois activité économique et service de Dieu.

Ainsi un même terme désigne à priori deux démarches opposées. Avoir les pieds dans la boue ou les mains sur un clavier, paraît-il antinomique à l'attitude qui consiste à s'isoler pour mieux se concentrer dans la récitation d'un psaume ? Dans la logique monothéiste Hébraïque, chaque lieu traversé, chaque moment qui s'égrène devient le tremplin d'une rencontre ultime, totale avec la transcendance. Dieu se trouve aussi bien au coeur du dévot dans sa chapelle que dans celui d'un cadre tenant la mallette se rendant à son rendez-vous professionnel. Car la ferveur peut s'exprimer partout, seules les modalités d'expression sont variables.

Travail/ production, travail/ prière invitent le croyant à cet effort continu de transformation de la nature, nature extérieure ou intérieure à soi-même.

Dans une société où le travail/production n'est plus le lot de tout un chacun, mais où le pain se quémande comme la société bo, l'on comprend à quel point l'activité économique porte l'honneur de l'homme. La prière loin de nous éloigner du monde devrait être alors source d'engagement et de grande motivation dans le labeur quotidien.

III-3 LA VALEUR INESTIMABLE DE TOUT HOMME AUX YEUX DE DIEU

« Tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t'aime » (Is 43,4)

Comme pour les autres créatures, la création de l'homme commence par une Parole de Dieu, mais celle-ci est différente des précédentes. Il ne s'agit pas en effet d'un ordre suivi immédiatement de sa réalisation, « Que la lumière soit', et la lumière fut » (Gn 1,3), mais d'une Parole exprimant un désir. Dieu semble nous révéler ainsi son rêve, son intention la plus profonde : l'homme.

De plus, le verbe « faire » n'intervient pas ici lors de sa création, mais seulement le verbe « créer, bara' », un verbe qui dans toute la Bible n'a que Dieu pour sujet. Et il apparaît trois fois. Or le chiffre « trois » est souvent un chiffre symbolique qui renvoie à Dieu en tant qu'il agit. Dieu a donc agi pour l'homme avec une intensité toute particulière, comme il ne l'avait encore jamais fait jusqu'à présent. On pourrait dire dans un langage beaucoup moins théologique, qu'Il a déployé pour l'être humain, tous ses talents de Créateur, et l'homme est apparu dans l'existence. Le texte nous fait attester que son origine de l'homme demeure un Mystère que Dieu seul connaît.

Enfin, le même terme arrive pour la septième fois dans le texte en signe de plénitude, Dieu déclare une fois l'homme créé : « Et voici : cela était très bon ». Or, « tob », « bon » en hébreu, peut aussi se traduire par « bien », « beau ». Nous le retrouverons plus tard dans « l'arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2,9). Comme le souligne André Boulet, « littéralement, il faudrait traduire par « Quel bien ! »... Le terme employé pour signifier cette bonté ne se réfère pas d'abord à une catégorie esthétique, mais à une catégorie éthique : « la Création est fondamentalement bonne, et, parce que bonne, elle est belle »54(*). Et Dieu regarde l'homme au coeur de la création comme un bien profond.

Puis, juste après l'avoir créé, Dieu va le bénir, comme il l'avait fait auparavant pour les premiers êtres vivants qui étaient apparus dans la mer et dans le ciel ; c'est là une révélation indirecte de son amour pour la vie. Cette bénédiction est la grâce que Dieu donne à tout homme pour pouvoir pleinement s'accomplir. Elle l'accompagne tout au long de sa vie et ne demande qu'à être accueillie par des coeurs de bonne volonté. Nous percevons déjà ici l'importance de la relation « Créateur-créature », nous y reviendrons. Cette grâce devrait nous inciter à avoir confiance dans la vie, dans l'avenir, car elle sous-entend que Dieu accompagne l'histoire de chacun, l'histoire de l'humanité, pour lui permettre de déboucher sur cet « à venir » qui nous attend tous, par-delà notre mort sur cette terre.

Pour les animaux, nous avions : Dieu les bénit en disant : « Soyez féconds, multipliez... », tandis que pour l'homme nous avons : Dieu les bénit et Dieu leur dit : «Soyez féconds, multipliez ». La différence est minime mais elle est capitale : l'homme est la seule créature à laquelle Dieu adresse la Parole. L'être humain a donc été créé pour vivre en relation avec Dieu, le Créateur, pour l'écouter, le comprendre et lui répondre. Tel est l'un des fondements ultimes de l'existence humaine.

Enfin, l'homme est la seule créature à « être à l'image et ressemblance de Dieu ». Il existe donc un lien unique entre l'homme et Dieu, à tel point qu'en regardant l'homme, il est possible de découvrir quelque chose du Mystère de Dieu, et ce n'est qu'en regardant Dieu que l'on comprendra toujours davantage « qui » est l'homme.

Le second récit de la création permet de préciser ce que signifie : « être à l'image et ressemblance de Dieu ». En effet, dans ce second récit, l'homme est la seule créature vivante que Dieu suscite dans l'existence en soufflant en lui : « Le Seigneur Dieu modela l'homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines un souffle de vie et l'homme devint un être vivant » (Gn 2,7). Or, le souffle dans la Bible renvoie à l'Esprit de Dieu, à l'Esprit Saint.

Et, St Jean nous dit que « Dieu est Esprit » (Jn 4,24). Le mystère de la vie de chaque être humain s'enracine donc dans la Présence de Dieu, au plus profond de son être d'une réalité qui est de l'ordre de « l'Esprit Saint », c'est-à-dire de l'ordre de ce que Dieu est en Lui-même. Comme l'écrit le P. Ceslas SPCQ, « être l'image » c'est « participer l'être » et la vie du « Dieu vivant »55(*). L'idée de « souffle » est en effet inséparable de celle de « vie », le souffle manifestant la présence de la vie. Recevoir le souffle de Dieu, c'est donc recevoir la vie de Dieu. L'Esprit de Dieu est ainsi avant tout une réalité de l'ordre de la vie : « c'est l'Esprit qui vivifie » nous dit Jésus (Jn 6,63 ; cf. Ga 5,25).

Ainsi, le Mystère de la vie de tout homme s'enracine dans le Mystère de sa participation à l'Esprit de Dieu, c'est-à-dire à la Vie de Dieu. Et c'est dans cette perspective que la notion « d'image et de ressemblance » prend toute son intensité. Tout être humain est invité à reconnaître en Dieu la source originaire de sa propre existence comme de celle d'autrui. C'est en remontant à ce Principe suprême que peut être perçue la valeur inconditionnelle de l'être humain et de tout être humain.

III-4 L'INTENDANCE DE L'HOMME DANS LA CRÉATION

L'homme a été créé pour vivre en relation avec Dieu, et cela est bien sûr valable dans la mise en oeuvre concrète de sa mission sur cette terre. En effet, le Seigneur et le Maître de la Création n'est pas l'homme, mais Dieu. L'auteur nous l'a maintes fois répété lorsqu'il nous montrait Dieu nommant les réalités qu'il venait de créer : « Dieu appela la lumière jour, et les ténèbres nuit » (Gn 1,5). Or, dans la mentalité biblique, « donner un nom » c'est être le Seigneur et le Maître de la réalité que l'on nomme. Si la vocation de l'homme est de « dominer » la terre, cette vocation ne pourra donc que s'exercer dans le cadre plus général de l'unique Seigneurie de Dieu.

L'homme apparaît donc ici comme « l'intendant de Dieu », « son mandataire libre et responsable ». De plus, dans ses prises de décisions, il devra toujours se référer à son Seigneur et aux valeurs qui sont les siennes, car c'est Lui et Lui seul qui sait ce qui est bon ou pas, ce qui est bien ou pas. Il est l'unique « Juge » de l'univers. La recherche du « bien », du « beau »du « bon » ne pourra donc que se réaliser dans le cadre d'une relation avec Celui-là seul qui est à l'origine du « bien » du « beau », du « bon », Dieu lui-même. Ce n'est qu'ainsi que l'homme pourra « cultiver et garder » la terre (Gn 2,15), deux verbes hébreux que l'on pourrait aussi traduire par « servir et protéger ». Alors il sera vraiment « à l'image et ressemblance » de son Créateur et Père.

Précisons maintenant le sens de ce mot « adam » en Gn 1,26. Lorsque Dieu dit : « Faisons l'homme, na`aséh `adam », ce singulier « Adam » est aussitôt suivi d'un verbe au pluriel : « et qu'ils dominent ». « Adam » ne renvoie donc pas ici à une personne humaine unique, mais à l'humanité tout entière. Chaque personne humaine a donc été créée à « l'image et ressemblance de Dieu » mais c'est aussi l'humanité en son ensemble qui est appelée à l'être.

Seul le Nouveau Testament permettra d'approfondir cette perspective en nous révélant que Dieu est Mystère de Communion de Trois Personnes divines distinctes dans l'unité d'un même Esprit. Tous les êtres humains, issus d'un même Père et donc tous frères, sont ainsi appelés par Dieu à ne former qu'une seule et même famille, un seul et même Mystère de Communion dans l'unique Esprit, à l'image et à la ressemblance de Dieu. S'agissant de la famille humaine, cette maison c'est la terre, le milieu que le Dieu Créateur nous a donné pour que nous y habitions de manière créative et responsable. Nous devons avoir un ardent souci pour l'environnement : il a été confié à l'homme pour qu'il le garde et le protège dans une liberté responsable, en ayant toujours en vue, comme critère d'appréciation, le bien de tous.

Cette perspective d'une humanité « Mystère de communion » à l'image et à la ressemblance de Dieu « Mystère de Communion » appartient déjà à l'ordre des réalités si l'on fait référence au second récit de la création où la vie de l'homme nous est présentée comme prenant sa source dans la Présence de Dieu, au plus profond de son être Divin, son Esprit Saint, cet « Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; cf. Ga5, 25). Cette communion de vie unit ainsi chaque être humain à Dieu et à son semblable. Mais puisque nous sommes sur cette terre des êtres en devenir, tout notre travail consiste à faire en sorte que cette potentialité qui nous habite déjà puisse pleinement s'épanouir dans toutes les dimensions de notre être. Ainsi, tout ce qui unit les hommes entre eux, tout ce qui les réunit, tout ce qui contribue à les faire travailler ensemble au bien commun de tous, appartient au projet de Dieu. L'humanité est une multitude d'êtres différents, dont les différences nourrissent d'ailleurs les relations, unis dans la communion d'une même Vie et travaillant ensemble au bien de tous. Et ce « bien » est perceptible à tous car c'est la présence de ce souffle de Dieu, de cet Esprit de Dieu à la racine du Mystère de notre Être, qui est à l'origine de ce que nous appelons notre « conscience ». Cette « loi inscrite dans le coeur de tout homme, la loi naturelle inscrite dans le coeur de l'être humain et manifestée à lui par la raison » qu'on nomme conscience, est la conséquence directe de la Présence de l'Esprit de Dieu au plus profond de chaque être humain. Un Esprit qui nous donne de participer à l'insondable richesse de Dieu Lui-même. Et cet Esprit apporte avec Lui toutes les valeurs inhérentes au Mystère de Dieu : altruisme, bienveillance, droiture, justice, vérité, patience, respect et tolérance pour le bien être de la famille humaine.

III-5 L'UNIVERSALISME DE LA MISSION DE L'HOMME DANS LE MONDE

La raison humaine est en outre capable de la discerner au moins au niveau des exigences fondamentales, en remontant à la Raison créatrice de Dieu, qui est à l'origine de tout. La connaissance de la norme morale naturelle n'est pas réservée à l'homme qui rentre en lui-même et qui, face à sa destinée, s'interroge sur la logique interne des aspirations les plus profondes qu'il discerne en lui. Non sans perplexité ni incertitudes, il peut arriver à découvrir, au moins dans ses lignes essentielles, cette loi morale commune qui, au-delà des différences culturelles, permet aux êtres humains de se comprendre entre eux en ce qui concerne les aspects les plus importants du bien et du mal, du juste et de l'injuste. Mais le droit ne peut être une force de paix efficace que si ses fondements demeurent solidement ancrés dans le droit naturel, donné par le Créateur. C'est aussi pour cela que l'on ne peut jamais exclure Dieu de l'horizon de l'homme et de l'histoire. Cette prise de conscience pourrait aider, entre autres, à orienter les initiatives de dialogue interculturel et inter-religieux. Ces initiatives sont toujours plus nombreuses et elles peuvent stimuler la collaboration sur des thèmes d'intérêt mutuel, comme la dignité de la personne humaine, la recherche du bien commun, la construction de la paix et le développement pour toute l'humanité. L'esprit d'association pour le bien de toute la société. La création n'est pas une réalité inerte et sans signification, oeuvre permanente de Dieu, toute créature est appelée à lui rendre témoignage. L'être humain est appelé à participer à la vie divine, a aussi pour mission de rendre plus significative cette relation de toute créature à Dieu. C'est le sens profond de son existence terrestre, de dominer la terre, comme un gérant administrant des biens au nom de leur auteur. Or, l'homme réalise cette tache essentiellement par le travail qui  marque la nature de son empreinte, comme c'est rappelé par les Pères conciliaires à Vatican II. Ce travail constitue   le prolongement de l'oeuvre du Créateur et permet à l'homme de coopérer à l'achèvement de la création en Dieu.

Car en faisant passer dans les choses son intelligence et son labeur transformant, l'homme y fait passer aussi la pensée et la puissance de Dieu dont il est l'image et le relais plus ou moins influençable. Le travail parait alors comme le moyen de perfectionnement du croyant, lorsque celui-ci est placé dans son contexte juste. Car, c'est en mettant en oeuvre ses possibilités que l'homme se perfectionne en traduisant la volonté de son maître dans le monde.

Pour toute définition du travail humain et de sa raison d'être reflètera une option sur l'homme lui-même et sa vocation, sur sa fin ultime. La création des richesses terrestres à partir de la nature est la preuve de son engagement à traduire la volonté de Dieu dans le monde. Cette création des richesses par la médiation du travail correspond d'une manière obvie à une sorte « humanisation » et donc de domination de la nature que le créateur lui a confié à l'homme. Ainsi, par le travail, l'homme non seulement utilise la nature à son service en la modifiant, mais aussi transforme sa vie et se réalise lui-même dans la nature. Mais il faut pouvoir affirmer que l'homme ne se contente pas de marquer la nature de son sceau, il devient véritablement homme-dans-la nature. Nous pourrions dire que la nature donc semble faire corps avec l'être humain. Cette nature, d'extérieure à l'homme qu'elle était, devient dans le premier temps, un bien mis à la disposition de l'homme, mais, dans le second temps, c'est l'homme lui-même qui est transformé par son travail. Il se perfectionne ainsi dans son labeur quotidien, dans une action laborieuse. Faisant ainsi du travail un lieu de sanctification et de perfection où l'homme en se construisant, construit un monde objectif et humain.

Il nous faut comprendre, aujourd'hui, que l'espérance eschatologique n'est pas qu'une question de chronologie, mais de tension intérieure, de préparation et même de participation à la construction du Royaume de Dieu sur la terre. C'est donc cette construction du royaume de Dieu dans son étape terrestre, stade fait de labeur ; c'est-à-dire, à partir des taches humaines. L'eschatologie prend comme relais les espoirs humains, pour leur infuser un dynamisme divin et une certaine assurance que le meilleur de ces espoirs ne sera pas perdu. Ainsi, l'espérance chrétienne n'est plus ce que critiquait Karl Max et qui faisait dire à Nietzsche le chrétien est un inutile, un séparé, un résigné ; il est étranger au travail de la terre.

La règle souveraine qui domine alors ce processus est d'exercer cette transformation de la nature, non pour la dénaturer, mais pour la gérer dans le but pour lequel elle a été mise à la disposition de l'homme. Deux excès sont alors à éviter.

D'abord voir cette sauvegarde comme une sorte de respect de l'esprit de la protection d'un parc naturel. Cette nature n'est pas offerte à l'homme pour être seulement un objet de contemplation esthétique « panthéisme », de vénération, mais pour être entretenue et lui permettre, par le travail et l'innovation technique, de mieux réaliser son développement intégral et solidaire.

La justice de Dieu ne fait qu'exprimer ce droit fondamental de tout être humain de se développer, afin d'avoir accès aux moyens pour y parvenir, d'abord et en priorité, les moyens économiques qui assurent une vie digne de l'être humain.

Le Christ est donc venu nous révéler une réalité qui existe depuis toujours et pour toujours : le Mystère de ce Dieu Présent au coeur de sa création depuis qu'elle existe, ce Dieu « qui éclaire tout homme venant en ce monde » (Jn 1,9), qui « pétrit et façonne le coeur de chacun », comme dit le Psalmiste (Ps 33(32), 13-15). Le chrétien saura donc reconnaître en tout homme de bonne volonté un frère que Dieu guide, éclaire, soutient, conduit, tout comme lui, même s'il en parle autrement, même s'il n'en a pas conscience. Et il s'attachera à s'engager avec lui pour travailler avec lui au bien de toute la famille humaine.

Cette perspective est bien présente dans le premier récit de la Création. En effet, c'est à «Adam » qui représente ici l'humanité tout entière, qu'est donné la mission de «dominer la terre». Et cette «Adam-humanité» se différencie ensuite en deux blocs principaux : «l'Adam mâle» et «l'Adam femelle» dite Eve. Et bien sûr, chacun de ces blocs est ensuite constitué de la multitude des personnes humaines créées de sexe masculin et de sexe féminin. De cette simple remarque découlent de nombreuses conséquences, tout aussi révolutionnaires autrefois qu'aujourd'hui : cette égalité foncière de toute personne humaine, homme ou femme, en droits et en devoirs, devant Dieu. C'est une invitation à défendre les droits de l'homme et de tout homme.

Travailler au bien de tous sera ainsi notamment faire en sorte que chacun puisse bénéficier d'un espace de liberté où il pourra développer sa diversité et mettre en oeuvre les talents qui lui sont propres. Et si tel est vraiment le cas, cette mise en oeuvre se fera toujours pour le bien de tous! En d'autres termes, travailler au bien de l'autre, c'est non seulement s'accomplir soi-même mais c'est encore travailler au bien commun, et donc à son propre bien!

Le Christ est donc venu accomplir le projet de Dieu qui a créé l'humanité pour qu'elle soit «la famille» de ses enfants unis à Lui dans la communion d'un même Esprit, d'une même Vie, dans l'Amour. Ce projet commence à se mettre en oeuvre dès maintenant par l'oeuvre de Réconciliation accomplie par sa mort et sa résurrection, réconciliation avec Dieu et donc aussi réconciliation des hommes entre eux. Les chrétiens reçoivent ainsi par leur foi la grâce de mourir à tout ce qui sépare pour ressusciter à tout ce qui unit. Et cette grâce est tout en même temps Lumière et Force qui leur permet de collaborer activement, dans l'aujourd'hui de leur histoire, à la construction de cette humanité « famille de Dieu ».

Cette Lumière leur donnera notamment de reconnaître la Présence de cette même Lumière au coeur de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté, quel que soit leur chemin religieux. En effet ceux qui, sans faute de leur part, ignorent l'Evangile du Christ et son Eglise et cependant cherchent Dieu d'un coeur sincère et qui, sous l'influence de la grâce, s'efforcent d'accomplir dans leurs actes sa volonté qu'ils connaissent par les injonctions de leur conscience, ceux-là aussi peuvent obtenir le salut éternel. Et la divine Providence ne refuse pas les secours nécessaires au salut à ceux qui ne sont pas encore parvenus, sans qu'il y ait de leur faute, à la connaissance claire de Dieu et s'efforcent, avec l'aide de la grâce divine, de mener une vie droite. En effet, tout ce que l'on trouve chez eux de bon et de vrai, l'Eglise le considère comme un terrain propice à l'Evangile et un don de Celui qui éclaire tout homme, pour qu'il obtienne finalement la vie » (Concile Vatican II, Lumen Gentium & 16). St Paul, dans son épîtres aux Romains, souligne l'importance du regard fraternel, universel et bienveillant que nous devrions porter sur tous ceux et celles qui nous entourent, quelles que soient leur culture, leur appartenance religieuse ou raciale. En effet, les valeurs de Dieu, les seules sur lesquelles toute vie personnelle ou communautaire peut vraiment se construire, habitent au coeur des hommes et des femmes de bonne volonté. En reconnaissant leur présence au-delà de toutes les étiquettes sociales ou religieuses, nous pourrons alors nous engager avec eux, quels qu'ils soient, pour travailler ensemble au bien commun de toute l'humanité.

Tous les chrétiens sont donc invités à s'engager avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, en responsables actifs de la cité, pour travailler ensemble au bien commun de tous en cultivant les valeurs de droiture, de justice, d'honnêteté, de tolérance, de bienveillance. Ces valeurs, Dieu ne cesse de les insuffler au plus profond de chacun d'entre nous par le Souffle de son Esprit qui est à la racine du Mystère de toute vie humaine sur cette terre. Mais à la lumière de leur foi, en s'engageant activement avec eux, les chrétiens savent qu'ils travaillent à l'accomplissement de la volonté de Dieu qui ne désire que l'authentique épanouissement de toute la famille humaine.

CHAPÎTRE IV- L'ACTUALISATION DU MESSAGE DE LA CRÉATION CHEZ LES BWA, AUJOURD'HUI

IV-1 LA PLANIFICATION DE LA SAINTETÉ DANS LE LABEUR QUOTIDIEN

Croire, ce n'est pas simplement être en règle avec une série de prescriptions et de pratiques religieuses. Beaucoup de gens pensent être de « bons chrétiens », parce qu'ils sont baptisés, vont à la messe tous les dimanches, participent aux offices de la semaine et aux neuvaines, sont présents aux pèlerinages diocésains et nationaux. Pour eux, la foi n'a pas de lien avec le travail, les études, le foyer, la politique, l'économie qui sont des réalités temporelles et dont il faut s'en débarrasser pour mieux s'orienter vers Dieu et son paradis.

La religion, comme ensemble de pratiques rituelles, ne peut être facteur de progrès intégral de l'homme, s'elle n'est pas l'expression dense, symbolique et sacramentelle, et du véritable culte de notre vie chrétienne et si elle ne nous incite pas à rendre cette vie plus humaine pour tous. (Rm 12,1).

Vivre en chrétien, c'est avant tout vivre en témoin du Christ qui est saint, au sein du monde pour y actualiser sa Parole qui sauve. C'est dire que le chrétien est appelé à vivre la sainteté au quotidien comme le Christ, pour être fidèle à l'Evangile.

Les Evêques de l'espace CEREAO pendant leur assemblée plénière tenue à Bamako au Mali en 2003 avaient opté pour la planification de la sainteté ici et maintenant en référence à l'ordre donné par le Seigneur « soyez saints comme votre Père céleste est saint »(Mt5, 48). Mais, la question qu'on se pose, est de savoir quelle forme de sainteté nous pouvons vivre en milieu bo aujourd'hui, et quel genre de saint nous pouvons imiter ? C'est à ces questions que nous allons tenter de répondre pour aider le chrétien bo à être pour ces frères et soeurs, signe et porteur de l'espérance chrétienne.

Les chrétiens sont plus que jamais appelés à vivre la sainteté, c'est-à-dire, à vivre dans les circonstances sociopolitiques et économiques actuelles, la seule sainteté qui soit une participation à la mission d'évangélisation de l'Eglise en oeuvrant à rendre présent le royaume de Dieu dans leur milieu de vie. Car la foi véritable fait référence à un dynamisme authentique pour le croyant ; elle à cette capacité de mettre les hommes en mouvement et de les pousser vers leur pleine réalisation.

Nous ne prétendons pas inventer chez les Bwa, et uniquement pour eux, un modèle de sainteté qui leur conviendrait et dont nous en ferions ici l'éloge. Car chaque croyant est spécifique, et à une relation unique avec Dieu. Mais, il faut reconnaître que tout chrétien est invité, en toute époque et en tout lieu, à faire fructifier la grâce baptismale et à atteindre cette « union parfaite avec le christ qui est la sainteté »56(*). Néanmoins, il importe aujourd'hui de réaffirmer que la sainteté n'est pas seulement une qualité objective et eschatologique du croyant comme cela s'est fait comprendre chez bon nombre de fidèles chrétiens.

Même si le martyre durant les persécutions et la vie monastique à l'époque Médiévale avaient été décrites comme des voies certaines de sainteté, il faut bien se dire que la voie de sainteté chez les Bwa ne peut plus être unilatéralement la vie monastique, identique à celle de ces chrétiens d'une certaine époque et un contexte social, politico-économique spécifique. Car le saint pourrait se définir davantage comme celui qui s'est consacré tout entier durant son séjour terrestre à traduire la volonté de Dieu dans sa vie et à se conformer à Sa volonté, plutôt que quelqu'un qui n'a pas péché une seule fois dans sa vie.

Le catholicisme en milieu bo semble ne pas avoir accorder jusque là de valeur positive à l'action professionnelle dans le monde. Le retrait hors du monde et le refus de la recherche des biens, ont très souvent été valorisés comme chemin de perfectionnement et de sainteté.

Dans le contexte dramatique de la pauvreté, le chrétien bo ne pourrait prétendre se conformer à la volonté de Dieu en se réfugiant dans une vie monastique comme les chrétiens du Moyen Age. Cela reviendrait à une « idolisation » du Dieu, en le programmant magiquement à réaliser nos intentions comme un « bon Dieu » à tout faire et à notre place. C'est au mieux par le travail que l'homme bo peut témoigner de la bonté, de l'amour de Dieu pour ses contemporains aujourd'hui. L'effort humain mérite d'être considéré comme un chemin de perfectionnement, de sanctification du croyant ; car il y a un lien étroit entre la rédemption et la transformation du monde par le travail.

Si les chrétiens ne sont pas mieux, de point de vue aisance économique, il faut se dire que c'est un contre-témoignage. La misère du chrétien doit se définir comme une certaine infidélité à la Parole de Dieu et un contre témoignage de sa foi en Christ. Cela ne s'applique pas seulement au travail de la terre, mais à tout ce qui engage l'homme être dans une responsabilité ou un mission à remplir. C'est dans sa réalité sociale actuelle que l'homme bo doit témoigner de son attachement, de son amour pour le Christ, par le service de ses contemporains.

A la suite de Saint Irénée nous disons que la  gloire de Dieu chez les Bwa, c'est homme vivant, l'homme bo debout qui refuse la misère sous toutes ses formes et qui ne s'obstine pas dans un état de vie résignante de mendicité, d'ivrognerie et de paresse au service de tous les vices de notre temps, comme on peut le constater chez plus d'un chrétien aujourd'hui. Le chrétien africain en général et bo en particulier doit savoir, et reconnaître en âme et conscience, que désirer être pauvre équivaut à désirer la mort, ce qui est condamnable en tant que acte prémédité de suicide, et dommageable à la gloire de Dieu. « En particulier la mendicité, de la part d'un individu en état de travailler, outre qu'elle est paresse condamnable est également (...) violation du devoir envers le prochain »57(*). Les aides de l'Eglise à travers l'action du secours catholique, ont souvent créé dans certaines localités, chefs-lieux de paroisse, des chrétiens paresseux (hommes et femmes), des partisans du moindre effort. La vie de sainteté est en l'occurrence celle d'un chrétien versé lui-même dans l'histoire de son temps. Certes la sainteté de l'âge des Pères de l'Eglise n'est pas différente de la sainteté d'aujourd'hui, en ce sens que c'est de la sainteté du Christ qu'il est question dans les deux cas; mais le saint de cette même époque est différent de celui que nous pouvons définir comme saint (en nous rassurant que les saints et saintes ne sont pas uniquement ceux qui ont leurs noms inscrits dans le calendrier liturgique) chez les Bwa en raison la spécificité du contexte politico-économiques et socioreligieux. On peut dire, qu'il est parfaitement conforme au plan de Dieu que chacun se perfectionne par son travail quotidien pour donner un sens plus large à sa vie, car le travail est un facteur de solidarité humaine. Le modèle de sainteté est celui de Dieu, mais les chemins pour parvenir à cette sainteté peuvent varier suivant les réalités soico-politiques du milieu de vie du chrétien.

IV-2 L'ENGAGEMENT POLITIQUE, DYNAMIQUE DU TÉMOIGNAGE DE FOI

Parler d'engagement politique et exercer cet engagement supposent, du chrétien d'aujourd'hui, qu'il soit suffisamment formé, informé et averti de la vision chrétienne de l'activité politique. La Parole de Dieu est la lumière qui aide le chrétien à ne pas perdre de vue la charité. Car, « s'il y a pas un enseignement politique chrétien, il y a nécessairement des exigences chrétiennes en politique, comme dans tous les domaines dans lesquels l'homme engage son destin »58(*) nous affirme J. AUBERT.

En effet, la politique est un domaine qui a toujours suscité de graves réserves chez les chrétiens (hommes et femmes) du Mali de façon générale et peut être à un degré encore un plus élevé chez les Bwa. Cette attitude des catholiques dans leur majorité, a longtemps prêté à de variantes interprétations. Mais, il faut se dire que l'attitude rétive des Bwa chrétiens face à l'activité politique s'explique de façon diverse.

D'abord, les séquelles de la répression violente suite à la fameuse Révolte de 1916 a créé un sentiment de haine de la politique encore bien présente dans les mémoires, qu'on soit chrétien ou non. A cela vient s'ajouter le fait créé par la Séparation de l'Eglise et de l'Etat en France et qui fut été à l'origine des tensions entre le Missionnaire et le colon. Crise qui a marqué également les premiers convertis.

Ensuite, la vision populaire à laquelle l'activité politique se prête dans nos pays africains, comme manière acquérir illicitement des biens, suscite beaucoup de méfiance chez les chrétiens (hommes et femmes). En Afrique, beaucoup (pour ne pas dire tous) d'individus s'engagent en politique pour s'enrichir aux dépends des pauvres populations. Ce qui fait que la politique se définit selon la masse populaire, comme l'art de convaincre par le mensonge ; ce qui fait que l'action politique est synonyme de vol et de tricherie, vices contraires aux valeurs évangéliques. C'est la course au profit personnel. Ce sont les grandes interprétations qui justifieraient le sentiment de méfiance et de haine à l'égard de l'activité politique aux regards des chrétiens « justes et honnêtes » au Mali. Ainsi bon nombre de chrétiens se demandent si de tels engagements politiques, « impropres », ne risquent-ils pas de compromettre leur foi chrétienne et leur salut, à travers des liaisons et des options partisanes. Il en va de même pour le commerce que beaucoup de chrétiens, notamment les Bwa considéraient comme une activité contraire aux valeurs évangéliques. En plus, les chrétiens, surtout quand ils sont minoritaires comme au Mali, restent attachés ne serait-ce juste que par les activités religieuses ou sociales telles les fêtes ou les funérailles qui les rassemblent. Et donc l'unité confessionnelle dont ils doivent témoigner serait brisée par des options partisanes dans des camps politiques très opposés, en violentes concurrences. Car en politique, il semblerait qu'on ne peut pas rester neutre, puisque même le refus de prendre position est déjà une implicite prise de position. Ce qui fait qu'au Mali on assiste à une résignation des chrétiens (hommes et femmes) de toute activité politique. La politique a pourtant un grand impact social et elle constitue une force de contestation devant les injustices sociales et les oppressions, car elle concerne directement la gestion de la cité. Oubliant que « le droit d'être un membre de sa communauté politique n'est pas une simple faculté. C'est aussi, sur le plan éthique, un destin devoir fondé sur la solidarité humaine. Puisqu'on partage le destin commun et qu'on bénéficie de ses avantages.»59(*) Chaque personne doit se situer en citoyen libre et responsable par rapport à l'ensemble du reste de la société. En effet, la politique est le domaine des décisions fondamentales, d'où son caractère nécessaire et impérative, les chrétiens ne peuvent prétendre être acteurs du royaume de Dieu sans prendre une part active dans l'édification de leur communauté et de leur société.

Le Pape Jean Paul II appelle les chrétiens à s'investir davantage pour le renouveau du Monde pour une société plus humaine et plus juste lorsqu'il dit qu'il invite les « chrétiens à un renouveau dans leur esprit et dans leur coeur pour que, en promouvant une plus grande justice (...), personne ne manque de la nourriture, du vêtement, du logement et du travail, c'est dire, de tout ce qui donne sa dignité à la personne humaine ; l'image du christ sur la croix, prix de la rédemption de l'humanité, est un appel pressant à mettre sa vie au service de ceux qui sont dans le besoin, au rythme d'une charité généreuse qui ne sympathise non pas avec l'injustice, mais avec la vérité »60(*). Car il est plus que convaincu que l'évangélisation entraîne indispensablement le souci du développement humain et du progrès social.

Chez les Bwa, la réticence face à l'activité politique est plus vive parce que beaucoup de chrétiens ont de la peine à comprendre que la réalisation humaine est une réponse à l'acte de foi, au credo professé au cours de la messe dominicale ; et que croire en Jésus Christ aujourd'hui ne signifie pas simplement adhérer à une série de vérités. Certains pensent avoir la foi parce qu'ils sont toujours à la messe et récitent leur Credo : je crois en Dieu, le Père, le Fils et l'Esprit Saint, abandonne l'alcool durant le temps de Carême, respectent les prescriptions chrétiennes. Mais il faut se dire que tant que la foi se maintient au niveau des vérités intellectuelles, sans implications sociales responsables, pouvons-nous parler encore d'une foi authentiquement vécue et capable d'aider au changement positif de la société ?

En plus, bon nombre de fidèles chrétiens souhaitent un Dieu facile, qui leur apporte des décisions toutes faites à leur place. Ils attendent que quelqu'un vienne d'ailleurs changer l'ordre social et politique, en leur faveur. Pour ces chrétiens (hommes et femmes), la foi est un refuge ; et face aux situations difficiles, ils attendent que Dieu vienne tout faire à leur place, oubliant que le fait de céder à la facilité, à la corruption, signifie également se rendre complice de la misère et de l'oppression dans le monde.

L'action politique est également l'activité soucieuse de la promotion de l'être humain, de son épanouissement, de la justice sociale et de son avenir

La politique est l'activité sociale la plus élevée, celle dans laquelle les autres activités familiale, économique et culturelle, qui fondent l'essentiel de la vie humaine, trouvent leur sécurité, leur régulation sociale et leur efficacité, en tant qu'elle est le domaine des décisions fondamentales portées en vue du Bien commun de tous. Bref, l'activité politique exprime et concerne donc le caractère social de l'existence humaine ; et du fait que la politique est la gestion des activités sociales pour le bien commun, elle est en rapport avec l'avènement du salut chrétien. Et pour le chrétien, l'effort de libération, à la fois contre le péché et les servitudes extérieures individuelles et collectives, est déjà une réalisation du vouloir divin sur sa création ; et constitue une manière d'accueillir le projet de Dieu dans sa vie, pour le bien de toute la société.

Ainsi tout processus social, politique de libération, en vue d'une existence plus digne de l'homme et tout ce qui rapproche les hommes est une préfiguration et une préparation de la communauté du Peuple de Dieu à l'avènement du royaume de Dieu rendu présent dans le Christ. Puisque ce sont les hommes et femmes qui sont concernés dans leur unité vitale ; une question de vie et de survie pour la société.

Il importe donc de réaffirmer que le christianisme est la religion qui rejoint tout homme aujourd'hui dans ses préoccupations, ses soucis, ses angoisses et ses frustrations, de telle sorte que la foi soit une réponse authentiquement humaine aux aspirations profondes de libération, de salut et de plein épanouissement. Et donc, le disciple du Christ ne peut pas ne pas s'intéresser à tout ce qui concerne le bien être social, car, « tout ce qui touche aux droits de la personne nous renvoie au coeur du message chrétien avec son exigence d'amour et de service »61(*)comme l'exprime J. Marc ELA.

De nos jours, le chrétien bo doit prendre conscience que l'agir chrétien, dans le sens d'une présence politique active est aussi une dimension de la mission baptismale du chrétien. Car « la mission de toute l'Eglise comme peuple de Dieu, et donc de tout chrétien, est de vivre l'Evangile, de l'actualiser au cours de l'histoire, pour le rendre présent dans la vie des hommes de notre temps »63(*).l'exprime J. GRITTI Et à ce niveau, nous pouvons nous dire que « la foi lui donnera des raisons plus profondes que la simple solidarité humaine pour s'engager au service de ses frères »64(*) Dans le monde.

Il ne faut surtout pas penser que la politique est un nouveau champ d'action dans lequel on inviterait les fidèles aujourd'hui pour quelque raison que se soit, mais, nous voulons juste redonner à l'action politique toute sa valeur sociale et son impérativité dans le témoignage de foi du chrétien.

Malgré toutes les investigations sociales à travers la sensibilisation et les intellectuels bwa qui travaillent dans les hautes structures étatiques, nous nous étonnons aujourd'hui de n'avoir « vu nulle part en pays bo, émerger des leaders, meneurs d'hommes, ayant une assise économique et/ou politique »65(*) comme l'exprime J.T DIARRA.

La foi chrétienne à forcement une dimension politique, puisqu'elle pousse le chrétien, homme ou femme, à sortir de son ornière de peur et de complexe social pour contester les situations d'injustice, afin de rendre l'avenir commun meilleur pour tout le peuple. C'est là également que se situe la vocation sociale du chrétien.

Il nous faut reconnaître également que la bonne citoyenneté du chrétien est non seulement un témoignage de foi, mais surtout une implication dans l'avenir des hommes et femmes de notre société. C'est aussi une participation à la mission commune des hommes dans le monde.

IV-3 L'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE DU CHRÉTIEN COMME EXIGENCE DE LA MISSION DE L'HOMME DANS LA CRÉATION

Max Weber (1864-1920) avait fait une grande étude comparative des religions du monde pour tenter de comprendre comment elles ont influencé ou non le développement économique. Dans son ouvrage intitulé L'Ethique protestante et l'Esprit du Capitalisme, il part d'un constat, le caractère très majoritaire des protestants tant des possesseurs de capital et des chefs d'entreprise que des cadres supérieurs qualifiés et en particulier du personnel des entreprises modernes doté d'une formation technique ou commerce supérieure. Et suite à ce constat, il découvre que les étudiants protestants s'orientaient de préférence dans les hautes facultés d'économie et/ou de gestion, tandis que les étudiants catholiques s'orientaient davantage vers les études à caractère social. Il compris que l'éthique protestante qui considérait la réussite comme une bénédiction de Dieu, avait certainement de l'influence sur cette tendance économiste des protestants. Et, donc le fait que les catholiques s'intéressaient davantage au social, traduisait également une éthique religieuse catholique de la réticence face à l'argent et au devoir chrétien de venir au secours des nécessiteux en « bon samaritain ».

Aujourd'hui encore, la question de l'argent ou des richesses dans la vie d'un catholique reste encore un sujet délicat et névralgique qui suscite bien de la méfiance voire même de la peur dans nos Eglises ; un tabou, tout comme certaines questions touchant la sexualité.

Nos Eglises locales ont donc hérité de cette morale catholique méfiante face à l'argent et aux biens terrestres de façon générale

Mais lorsque nous nous efforçons d'en faire un sujet de réflexion nous ne pouvons pas ne pas nous heurté à la complexité et à l'ambivalence de la question. Parce qu'il s'agit de développer une morale des biens temporels, de la richesse de façon générale et surtout de l'argent en particulier, « le nerf de la guerre ».

De nombreux fidèles gardent encore en mémoire, les sermons sur la parabole du jeune riche en dialogue avec Jésus « Va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres ; puis, viens et suis-moi » (Mt 19,16-30). Beaucoup de théologiens se sont servi de cette phrase du Christ pour développer une éthique de la richesse purement eschatologique, faisant le choix du dépouille de soi jusqu'au martyre. Une autre théologie fondée sur la Parabole des talents n'a pas manqué de faire l'éloge des biens temporels comme étant la preuve d'une mise à profit de l'intelligence et du labeur humain. Face donc à cette ambivalence de la question économique, bon nombres de fidèles ont préféré se dérober pour ne pas être l'objet de calomnie au niveau de leur communauté. Longtemps, le commerce fut fustigé comme un vol, une activité malhonnête que toute personne qui craint Dieu devrait éviter dans sa vie.

Le développement économique est pourtant l'un des domaines qui a plus de place dans notre monde aujourd'hui. Car il touche toute l'existence quotidienne dans sa qualité et exprime le progrès social. Nul ne peut se passer de l'argent, et mener une vie normale comme au paléolithique où les peuples vivaient de chasse, de pêche et de cueillette.

Le développement économique est une activité qui concerne également l'homme dans sa recherche des biens nécessaires à sa subsistance et à son développement. Car l'homme est appelé à croître, à grandir et à se développer. C'est pourquoi il éprouve de nombreux besoins, insatiables sur terre, sa nature fait que ces besoins portent sur des réalités matérielles qui alors deviennent des biens à acquérir. Il s'agit donc et avant tout d'une activité productrice de richesses pour la subsistance de l'homme. Mais, dès que nous parlons de richesses à acquérir ou à a accumuler pour mieux vivre, le chrétien catholique se sent intriqué et demeure pantelant face un Evangile qui proclame « heureux les pauvres » et qui met les riches en enfer en leur disant qu'ils ont déjà leurs récompenses ici sur terre. Le chrétien bo en particulier a de la peine à se situer par rapport à une éthique chrétienne qui à fait l'éloge de sa pauvreté sociale, de sa misère (car Il y a donc misère quand les biens vitalement nécessaires et indispensables à une vie digne et à maintenir l'état social de vie) et qui aujourd'hui l'invite à s'auto-prendre en charge.

L'activité économique consiste donc à une adaptation de la nature à l'homme qui est chargé de la faire correspondre à ses besoins. Tout effort humain dans le sens d'une vraie croissance, celui du développement intégral et solidaire de l'homme, même s'il se situe sur le plan purement temporel et terrestre, contribue à la croissance de l'homme tout entier.

Toutefois, en raison de la présence du péché et du mal en l'homme (l'orgueil, l'angoisse et l'oppression des faibles etc.) qui corrompt la croissance économique et la détourne de sa finalité, les chrétiens ont un témoignage à apporter, celui qui ne serait pas orientée vers le bien de l' homme. Car aujourd'hui, l'argent en tant que moyen n'est pas un mal, bien au contraire. Mais sa nature, telle se réalise dans notre monde est soumise à une monstrueuse perversion. C'est pourquoi le chrétien à plus que besoin de la lumière de l'évangile pour ne pas tomber dans cet état de perversité et de divinisation de l'argent et des richesses économiques. Ainsi, il parviendra à faire la part des choses entre le gain frauduleux des biens et leur usage égoïste qui conduisent au péché, donc à l'éloignement et à la richesse économiques en que tant fruit du labeur humain et de la bénédiction de Dieu.

IV-3-1 LA LÉGITIMITÉ DES BIENS TEMPORELS DU CHRÉTIEN

Dans les évangiles on retrouve un enseignement plus explicite sur l'activité économique avec la parabole des talents (Mt25, 14-30 ; Lc19, 12-27), ces paraboles bancaires dans lesquelles Jésus met comme critère de vie chrétienne le devoir de faire fructifier les dons de Dieu et donc de ne pas rester dans une attitude d'immobiliste stérile. Il s'agit là d'une invitation à la mise en valeur du ferment évangélique.

Il faut reconnaître que la richesse acquise dans la légitimité et à la sueur du front (il ne faut pas comprendre par « sueur de front » le seul travail de la terre longtemps considéré comme seule oeuvre loyale et digne du Chrétien) est une mise en valeur du rôle créateur de l'homme, du chrétien, de son sens de l'entreprenariat grand stimulant pour le progrès et l'innovation.

Malheureusement, les biens temporels, surtout l'argent, ont souvent été considérés comme une présence de l'esprit démoniaque dans la vie d'un homme par de nombreux fidèles chrétiens. Et pour cela, il fallait s'en débarrasser pour mieux se disposer au royaume. L'activité économique apparaît presque comme la séduction de la richesse avec les soucis du monde et les convoitises, et qui sont donc les épines qui envahissent et étouffent la Parole de Dieu, l'empêchant de porter son fruit, la moisson du royaume (Mc4,19 ; Mt13,22 ; Lc8,14).

Dans l'Ancien Testament, certains écrits comme le livre d'Hénoch, l'argent apparaît comme la puissance sur laquelle s'appuient les impies, tandis que les pauvres et les pieux ne se confient qu'en Dieu. Et dans le monde à venir, Dieu renverserait la situation. Les riches, déjà rassasiés de biens, s'en iront au feu de la géhenne avec toutes les richesses et les pauvres iraient jouir des richesses de Dieu dont ils ont hérité

Il faut reconnaître que l'antithèse pauvre-riche, désignait plutôt des attitudes religieuses. Le pauvre est synonyme de juste, saint, tandis que le riche est l'impie ; qui persécute les amis de Dieu (Ps22 ; 25 ; 34 ; 69 ; 147 ; 149). Les pauvres sont les humbles qui cherchent Dieu, ceux qui mettent en lui leur sécurité, ceux qui ont faim et soif de la justice de Dieu, et qui attendent sa bonté. Pour ces « justes » même les récoltes de leurs champs appartiennent à Dieu. Tandis que les riches sont les impies, qu'ils disposent de biens matériels ou pas, il s'agit de ceux qui se réfèrent à leur force et à leurs richesses, ceux qui nient pratiquement Dieu et cherchent à ébranler la foi des amis de Dieu. La pauvreté et la richesse renvoyaient davantage à un état d'esprit qu'à une condition de vie misérable ou aisée.

IV-3-2 MAMMON, UN BON SERVITEUR, MAIS UN MAUVAIS MAÎTRE

De l'Evangile nous connaissons que « Nul ne peut servir deux maîtres, vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Lc16, 43). Mammon est le « dieu de l'argent » ou « l'argent divinisé », qui semble être à l'origine des tentations du matériel.

La richesse apparaît comme ce qui aveugle l'homme sur le royaume de Dieu ; et la pauvreté se définit comme le détachement et la libéralité. Il s'agit d'une attitude plus radicale « ne rien amasser sur terre pour mieux s'enrichir dans le royaume de Dieu à avenir. Dès lors ; le terme riche ou richesse finit par prendre une nuance péjorative, au point que les fidèles décident de manquer même du pain quotidien, des biens de subsistance, pour mieux vivre l'esprit évangélique comme cela a pu s'observer chez les bwa.

En allant à son sens réel, comprenons que ce verset biblique ne peut pas être réduit à un sens péjoratif, car la suite du texte éclaire davantage sur notre conception de l'argent « l'argent est un bon serviteur, mais un mauvais maître ».

Ce premier avertissement compare la sagesse du chrétien à celle de l'intendant, sur la prudence de celui-ci que sur sa manière de gérer les biens de son maître. Il est appelé injuste ou malhonnête, parce qu'il dilapidait les biens de son maître.

L'homme en effet, est intendant des biens de son Maître, son Créateur, et donc qu'il est gérant de « biens » qui ne lui appartiennent, mais dont il tire son profit, sa subsistance ; les économistes parleraient de pourcentage ou d'intérêts. Mais, le principe de gestion de ses biens a été déjà défini par le Maître. Or, d'un intendant, on ne peut qu'exiger que la fidélité. Et par conséquence, l'honnêteté ou la malhonnêteté du gérant dépendra donc de sa fidélité, qualité que l'on exige de l'intendant.

Pas plus que dans l'Ancien Testament, le nouveau testament ne contient pas comme on l'a prétendu dans les siècles derniers, d'un pessimisme troublant et d'un dualisme radical à l'égard des richesses et des biens de la terre. Car, tout vient de Dieu et tout doit s'orienter à Dieu. C'est là le rôle et/ou le service que l'argent et toutes autres richesses devront rendre. Ces richesses ne seront plus une finalité de la vie de l'homme mais des moyens qui concourent à son épanouissement intégral sur la terre.

Lorsque Jésus, dans cette parole célèbre, désigne l'argent du nom de Mammon (Mt 6:24, Lc 16:13), il personnifie le pouvoir de l'argent, et le reconnaît comme étant susceptible de devenir pour l'homme une sorte de divinité «revendiquant la place et l'autorité qui sont celles de Dieu. Au niveau le plus profond de notre être, l'amour de Dieu et l'amour de l'argent lui apparaissent comme étant totalement contraires et exclusifs l'un vis-à-vis de l'autre. De plus, le Christ, parlant de Dieu et de Mammon, décrit la condition humaine comme étant «enfermée dans l'alternative d'être soumise à l'un ou à l'autre de ces deux maîtres». De telle sorte que la seule façon, pour l'homme, de ne pas être l'esclave de Mammon sera - et c'est bien là la pointe de son exhortation - de faire de Dieu son unique Maître, de faire allégeance au Royaume de Dieu. Seule la justification par la foi est susceptible de libérer de l'esclavage de Mammon. Un des signes par lesquels se manifeste l'esclavage de l'argent, dans l'Ecriture, est aussi «l'insatiabilité de l'amour de l'argent»! «Celui qui aime l'argent n'est pas rassasié par l'argent» (Ec10, 19). Comme l'a écrit J. Ellul: «Dans cette recherche hallucinée, haletante, ce n'est pas seulement la jouissance que l'homme recherche, mais l'éternité, obscurément.».66(*)

Car le risque souvent mal connu des richesses est que face à elles le croyant ne puisse recouvrer de sa liberté d'enfant de Dieu, d'être en marche et/ou en quête de Dieu, son ultime finalité. Une fois que l'homme a le regard fixé sur Dieu et son royaume, comme bien Absolu, il n'aura pas cédé aux tentations d'orgueil de la chair ; il retrouve sa fonction d'intendant, de gardien de ces biens, qui a mission d'ordonner tous les biens de la terre à Dieu. Ainsi, l'argent et toutes autres richesses rentreront donc dans un circuit normal, celui du service des hommes et d'abord des plus démunis.

Grâce à l'esprit de Dieu qui est en l'oeuvre dans le croyant et sa fidélité au Royaume de Dieu que celui-ci pourra restituer les richesses économiques, notamment l'argent à son véritable rôle de moyens de subsistance de l'être humain et de manifestation de l'amour fraternel. Elles ne pourront plus s'ériger en anti-Dieu, un second maître pour l'homme qui n'a de maître que Dieu seul, son Créateur.

Si l'homme est intendant des biens que Dieu lui a confié, toute emprise de l'argent sur lui se présente comme une révolte, une infidélité dans sa conduite de serviteur. Derrière l'argent ou Mammon, le dieu de l'argent, il y a la possibilité d'une obsession du coeur de l'homme jusqu'au rejet de Dieu et de sa justice. Les méfaits de la déification de l'argent consistent donc à détourner l'homme de Dieu, à détourner sa vision de Dieu comme son bien absolu. Mais la tendance dangereuse est que l'homme peut se faire absorber par ses propres biens, ne plus être à mesure de jugement juste.

Comment donc concevoir encore aujourd'hui que les biens qui appartiennent à l'homme, y compris l'argent, peuvent être considérés comme impurs. Cela reviendra-t-il pas à avoir une idée péjorative de la création et de tout son contenu qui vient de Dieu. Il faut plutôt se dire que lorsque l'homme se met à la recherche effrénée de l'argent, par tous les moyens au dépend de toute de la morale de l'Evangile, il n'a plus de temps pour Dieu et se met ainsi au service de Mammon au lieu que ce soit celui-ci qui le serve. L'homme ainsi obsédé par ses biens, se laisse posséder et toute sa vie est dédiée à son avoir. L'argent devient dans ce cas le maître de l'homme, celui qui commande son coeur, et toute sa vie en dépend. Les biens ne doivent donc point s'ériger en anti-Dieu. Et pour cela, si l'homme est placé au coeur du développement économique, l'argent devient donc un «serviteur», puisqu'il sera un outil qui permet à l'homme de s'épanouir sur terre.

Si l'on place la personne humaine au coeur du développement économique, sa dignité et ses droits, en ayant à coeur que la finalité, c'est de parvenir à une meilleure satisfaction ses besoins de tous les hommes, besoins qui permettent à l'être humain de mener une vie digne.

Comme Job, l'homme sait que tout ce qu'il possède est à Dieu et doit un jour retourner à Dieu, il fera en sorte que la justice de Dieu prime sur toute sa vie. C'est là que Mammon peut apparaître comme un bon serviteur, un moyen pour mieux servir Dieu, en gérant selon les principes définis par le propriétaire même « de la maison » qui est Dieu. Dès lors, il n'y a plus la tentation de placer sa confiance, sa suffisance, en lui-même ni en son avoir propre, mais en Dieu de qui vient ces biens. Car la richesse, c'est tout ce qui permet une meilleure satisfaction des besoins humains et contribue à une sorte d'humanisation du monde : meilleure alimentation, bons soins, logement et tout ce qui concours au bien être social et spirituel de l'homme. Dans ce contexte d'économie humaine, l'argent et tout autre bien retrouvent leur rôle exact, celui de moyen au service d'une activité dont l'objectif est l'épanouissement de tout l'être humain. C'est pourquoi, le renoncement à son avoir personnel pour subvenir aux besoins de ses frères et soeurs nécessiteuses traduira l'amour fraternel auquel le Christ invite ses disciples. Cette fraternité dont la première communauté de Jérusalem a témoigné par le partage « Nul ne disait sien ce qui lui appartenait mais entre eux tout était commun» (Ac4, 32). La répartition des biens de la terre doit aider à l'épanouissement de toute la société et non q'une minorité qui gardent jalousement toutes les richesses et en jouissent au mépris des autres, surtout des plus nécessiteux.

La magnification de la Pauvreté évangélique n'est-elle pas une attitude qui pousse à couper à la racine, tout effort pour améliorer sa condition sociale ? Cela, il faut le réaffirmer que la pauvreté évangélique ne peut pas s'opposer à la magnanimité et à l'audace. Car la capacité d'avoir de l'ambition économique, de se développer, c'est améliorer sa propre condition de vie. Or, c'est un devoir de se développer, de mettre la création à profit pour s'épanouir lorsque les conditions que le chrétien vit le prive de sa dignité d'icône de Dieu et déshumanise; car Dieu n'a pas crée l'homme pour qu'il vive malheureux. La preuve, c'est qu'il l'a crée par amour. Or, aux êtres aimés on souhaite tout le bonheur qu'il faut même dans notre condition d'homme ; combien plus Dieu, dont l'amour est sans frontières, sans limites, peut nous aimer, d'un son amour propre et nous souhaiter tout le bonheur qu'il faut.

La pauvreté véritable exigée par Dieu consiste donc à mettre toute sa confiance en Lui et à attendre la justice de Son Royaume. Nous sommes bien loin d'une exaltation de la pauvreté comme condition sociale, mais de la pauvreté du coeur, par-dessus tous les biens dont nous disposons. Car les patriarches Abraham, Isaac et Jacob disposaient de grandes richesses par la bénédiction de Yahvé en qui ils n'ont jamais désespéré. Mais à l'appel de Dieu, ils ne sont pas peaufinés sur leurs biens temporels pour désobéir à Dieu, mais plutôt, tout concourait à le servir. Cette pauvreté d'esprit ne signifie pas non plus, la pauvreté intellectuelle, comme le prétendait ironiquement Julien l'Apostat et d'autres ennemis de foi chrétienne. Elle signifie l'esprit de pauvreté. Il s'agit de cette vie que mènent certaines personnes, qui même au sein de l'opulence, sont pourtant des pauvres d'esprit, parce qu'elles possèdent leurs richesses sans attache de coeur et sans orgueil, savent s'émanciper de leur servitude et de leur tyrannie et, savent que tout appartient au Seul Maître de la création, Dieu. Cette heureuse pauvreté à laquelle la Parole de Dieu invite le chrétien condamne la pauvreté misérable, indigne et criminelle, qui est une déshumanisation de l'être humain. Telle fut la pauvreté d'Abraham, de David, des Saints Louis, Charles Borromée, des Saintes Elisabeth, Jeanne-Françoise de Chantal et bien d'autres encore.

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE

Si la terre est faite pour fournir à chacun les moyens de sa subsistance et les instruments de son progrès, tout homme a donc le droit d'y trouver ce qui lui est nécessaire. Tous les autres droits, quels qu'ils soient, y compris ceux de la propriété et de libre commerce, y sont subordonnés: ils n'en doivent donc pas entraver, mais bien au contraire faciliter la réalisation, et c'est un devoir social grave et urgent de les ramener à leur finalité première (Populorum Progressio, n. 22). Le chrétien conscient de cette tâche inhérente à sa nature « d'icône » de Dieu ne peut pas se soustraire, se dérober à cette mission divine et abandonner l'ordre temporel comme une activité en dehors de sa quête de Dieu. Participer à la construction de la société devient une exigence de sa foi en ce Dieu qui est toujours à l'oeuvre au coeur de sa création pour la sanctifier par son Esprit Saint. Pour le chrétien, sa foi en Jésus Christ est donc la source, la justification et la raison ultime de son engagement pour la promotion intégrale de la société humaine, tout en évitant les tomber dans les vices qui empêchent de vivre sa relation avec Dieu.

TROISIEME PARTIE

Malgré les efforts de ces dernières années dans le cadre d'une théologie africaine, il faut reconnaître que la culture africaine n'est pas suffisamment exploitée dans l'annonce de la Parole de Dieu pour la conversion de l'africain

Le Fétichisme, le Totémisme, l'Animisme, le Vitalisme, le Paganisme, le Panthéisme, le Polythéisme, le Culte des ancêtres, le Culte des esprits, les possessions Démoniaques, le tabou, l'Idolâtrie, la Sorcellerie, les Religions archaïques, les Religions traditionnelles africaines, les Religions indigènes, les Religions Aborigènes, les Religions Naturelles, les Religions Autochtones, tels sont souvent les termes dont on fustige la spiritualité de l'homme africain. Ainsi, avec ce qu'elle peut avoir de positif, ce qu'elle a comme valeur morale et qui n'est pas en contradiction avec l'Evangile, la vie spirituelle de l'homme africain se cristallise autour de quatre grands points : l'Unicité du Divin, créateur et propriétaire du monde, la bi dimensionnalité du monde (le monde de l'invisible et le monde du visible), la bi dimensionnalité de l'homme ( l'homme du visible et l'homme de l'invisible et la symbiose de vie entre le Divin et l'ensemble de sa créature. Cette unité s'exprime essentiellement par la croyance en une communauté de vie entre les deux dimensions du monde, entre les deux aspects de l'homme et entre le monde et l'homme. C'est à partir de cette vision communautaire du monde et de l'homme, inspirée par l'unité du Divin que l'homme bo pourra donner une signification à son existence dans sa société et dans la communauté chrétienne.

L'expansion de l'Evangile du Christ dans le monde aujourd'hui, prouve l'évidence de la possibilité que les hommes de cultures différentes peuvent vivre diversement les valeurs absolues et universelles auxquelles cet Evangile les invite. Tout comme ces valeurs divines ont intégré l'histoire du peuple d'Israël depuis son élection jusqu'à son installation en terre promise en passant par sa délivrance en Egypte, les valeurs évangéliques intègrent l'histoire humaine de chaque peuple avec ses hauts et ses bas, son contexte sociopolitique et économique, pour le transcender. Cela nécessite au préalable une bonne connaissance de la culture une prise de conscience chez les bwa des valeurs et des contre-valeurs de leur culture.

CHAPITRE I- LA CULTURE TRADITIONNELLE AFRICAINE BO ET SON ÉTHIQUE SOCIALE

I-1 LA CULTURE BO, UNE CULTURE DE LA COMMUNAUTÉ CLANIQUE

L'homme africain en général est un être social. Sa vie et son être tout entier n'ont de valeur qu'au sein de sa communauté, quelle soit villageoise ou même familiale. La culture traditionnelle est une valeur certes, mais cette culture n'a de valeur que si elle est au service de l'homme et de son épanouissement.

Or, souvent une culture très développée de la communauté s'obstine à garder tous les membres de la société sur la même ligne de pauvreté. Dans de nombreuses cultures, on assiste à une stratégie sociale pour maintenir les membres de la communauté au même niveau de vie.

Très souvent ceux qui ont une petite sécurité financière, qui sont dits « riches67(*) », au ras de l'échelle hiérarchique familiale. Et donc les pauvres très majoritaire, sont les premiers décideurs du destin de la communauté. Ce qui créé évidemment un climat de jalousie, de rivalité, d'envie a mort et de destruction réciproque. La société est tirée par une politique familiale stricte vers le bas, vers le niveau de vie de cette majorité. Cela se découvre davantage dans les pratiques magico-occultes et d'incantation meurtrière dont les uns et les autres se servent pour se défaire de ceux qui veulent changer cet « ordre » social préétabli pour tous, celui de la pauvreté généralisée. Chez les Bwa aujourd'hui, en plus des autels et fétiches propres à la famille, certains « malins » détiennent et par mauvaise intention, des autels privés en provenance des peuples voisins comme les Bobofing, les Minianka et les Senoufo68(*).

Cela constitue un frein au progrès social, parce que ce sont des pratiques qui empêchent les individus de réfléchir et d'entreprendre des projets d'avenir, de se concentrer sur les problèmes réels, chacun étant plutôt préoccupé par sa propre sécurité (si je ne tue pas, je serai tuer), cherche un moyen de défense, de protection ou un moyen pour exterminer les autres. Et nous assistons donc à une sorte de guerre-froide indéterminée entre clans ou entre des individus. Dans de telles conditions de concurrente ouverte, de chasse à l'homme, l'instinct de survie prend le dessus sur le souci du développement et du progrès, dans la société.

L'homme bo semble ne pas avoir de réelles ambitions de développement social. L'homme bo semble vivre du jour le jour, malgré les diverses sensibilisations des ONG et les organismes d'aide au développement. Le fait de ne pas pouvoir s'unir pour faire le bien, sauf quand c'est pour détruire, est en quelque sorte un mal inné aux Bwa en général. Voilà ce que nous appelons ici « le péché originel » des Bwa ; un péché nourri par l'individualisme, la jalousie et l'orgueil. L'esprit d'association pour faire le bien n'existe que chez très peu de Bwa. Mais il existe des réseaux de sorciers et d'autres réseaux de malfaiteurs.

I-2 LA CULTURE BO, UNE CULTURE DU « SECRET »

C'est à juste titre que le sage Hampaté Bâ disait qu'en Afrique chaque fois qu'un vieillard meurt c'est une bibliothèque qui brûle. Car la culture africaine de façon générale est connue comme une culture du secret. Les connaissances ne sont généralement pas enseignées, ou elles sont transmises de générations en générations au sein de la même et unique communauté familiale69(*) ou villageoise par le canal de groupes restreints que sont « les initiés ». Le savoir familial n'est transmis qu'aux « initiés » et l'initiation demeure l'unique domaine de la transmission de la connaissance des connaissances et du savoir faire de la communauté familiale ou clanique. Même à ce niveau la « science » est transmise avec une certaine marge de sécurité pour celui l'enseigne. C'est donc un savoir-faire purement ésotérique. Ainsi, il n'y a donc pas d'évolution, au contraire, il y a régression, car beaucoup de sages meurent sans avoir transmis toute leur science. Il garde toujours une certaine marge pour sa propre sécurité. Alors, il n'y pas de continuité, mais plutôt de la stabilité et de la constance. De telles pratiques peuvent être un frein au développement socio-économique d'un peuple

I-3 LA CULTURE BO, UNE CULTURE DU « CONSERVATISME »

Chez l'africain en générale et chez l'homme bo en particulier, il existe un certain esprit traditionnel de conservatisme négatif, qui se traduit dans les faits par une idéologie de stagnation fermée aux initiatives et hostile à tout changement. Il faut dire que les Bwa sont, en général, hostiles aux innovations sociales et politiques. On se contente non seulement de gérer le quotidien sans se préoccuper de l'avenir jugé souvent lointain, mais on donne toujours raison au passé glorieux des aïeux, qu'on aime se rappeler en public. Ce traditionalisme fait barrière à l'esprit de créativité et d'entreprenariat tout en cultivant l'inertie et l'immobilisme au sein de toute la société. L'homme bo semble toujours s'accrocher à un passé glorieux déjà conclu pour se dérober aux réalités quotidiennes et faire oublier sa condition présente.

En Afrique l'individu est souvent contraint par une certaine pression sociale de sa communauté ethnique ou clanique, et toutes les initiatives sont étouffées par l'idéal du groupe ou de la société. Une telle culture est un frein au développement, une bombe à retardement, un opium pour le peuple. Le sens aigu de la communauté ne favorise nullement pas l'initiative, la liberté d'action et de pensée, la créativité ou l'entreprenariat d'un individu. Or sans risque d'ouverture, l'esprit d'innovation est écarté au profit d'une mentalité conservatrice qui favorise et promeut une société d'hommes uniformisés dans la pauvreté, submergés dans l'anonymat du groupe ethnique ou clanique. Les initiatives de changement et les talents individuels sont très souvent enterrés au nom d'une valeur clanique qui veut, à tout prix, maintenir tout le groupe dans une certaine idéologie dont le franchissement des barrières n'est pas sans risque de mort. C'est ainsi que cela a toujours été fait et ce ne sera pas toi qui pourras le changer, avons-nous coutume d'entendre. L'individu est donc subordonné à sa communauté familiale, villageoise, clanique ou ethnique. Toute tentative de rupture avec les normes sociales est considérée comme une trahison, un reniement, et c'est la mort qui s'en suit. Un groupe d'extermination sécrète est mise sur pied pour les exécutions de ces genres de traites innovateurs.

La culture africaine de façon générale est caractérisée par un esprit de subsistance, une certaine routine dans les activités quotidiennes sans une volonté déterminée de changement. Pire encore, chez le Bwa, la société semble s'organiser de sorte à cultiver chez les jeunes générations l'amour du répétitif et du statu quo. Cela se caractérise par le maintien de certaines valeurs traditionnelles, aujourd'hui contraires à tout esprit de progrès social, puisqu'elles constituent un handicap à l'épanouissement réel de l'être humain. A cela vient s'ajouter le fait que l'homme bo est très individualisme, sauf quand c'est pour faire le mal. L'esprit d'association est très peut développer. Car nul ne veut être sous la responsabilité d'un autre, surtout si celui-ci n'est pas de son groupe clanique ou de sa famille. Or, sans association, le progrès n'advient que très lentement.

Aujourd'hui de nombreuses études ont prouvé que l'innovation, l'ouverture, l'esprit d'initiative et de créativité sont indispensables à tout progrès de l'être humain, que ce soit dans le domaine du social, de l'économie.

CHAPÎTRE II- LES EXIGENCES FONDAMENTALES, INDISPENSABLES AU PROGRÈS SOCIAL

Pour que se réalise un progrès social et intégral au service de l'être humain et dans le respect de sa dignité, certaines dispositions psychologique, spirituelle et morale sont indispensables.

L'être humain pour lequel ce progrès se réalise, doit avoir la forte conviction qu'il peut et qu'il doit oeuvrer à améliorer ses propres conditions de vie pour son propre épanouissement et celui de toute la société. Il faut donc une prise de conscience de la nécessité du progrès social et économique, pour que ce progrès soit réalisable, en ayant comme référence la loi de Dieu, afin que ce ne soit pas un sursaut d'orgueil qui le sépare de Dieu.

Dans le cas ici traité, qui concerne l'homme bo, il faut que les Bwa prennent conscience du progrès qui doit s'opérer d'abord dans leurs mentalités pour qu'enfin ils puissent traduire concrètement cette conviction dans leurs manières de vivre et d'agir.

L'agir du bo chrétien doit traduire avant tout, sa foi chrétienne, sa conception de l'être humain et de la création. Une prise de conscience de la misère est le premier pas à tout engagement pour la promotion humaine. Car on ne peut chercher à evoluer si on ne prend pas conscience de son retard par rapport au niveau des autres.

L'imaginaire de l'homme bo, sa vision du monde et sa conception de la vie et de la mort sont entre autres les causes du sous-développement.

Aujourd'hui, il existe dans nos sociétés des genres de comportements et de pratiques qui ne favorisent nullement pas le progrès social. Beaucoup de pratiques rendent les tentatives de développement très problématiques et peuvent même les vouer d'avance à l'échec.

D'où l'impérative mission pour les nouvelles générations d'oeuvrer à faire évoluer ces mentalités vers le bien, pour vaincre le drame de la misère et de la pauvreté chez les Bwa. Et les nouvelles générations de fidèles chrétiens qui sont plus ou moins de cette mission doivent être les premiers acteurs afin d'entraîner avec eux toutes les couches sociales au développement.

II-1 LES CONFLITS SOCIAUX ET LEURS IMPACTS SUR LE DÉVELOPPEMENT

Les conflits entre communautés villageoises se soldent très souvent par une haine à mort et une destruction réciproque entre groupes sociaux. Car une idée trop poussée de la communauté villageoise ou de l'ethnocentrisme créé également un individualisme exacerbé, limitant la solidarité à l'unique clan dont on veut préserver les secrets et les traditions par tous les moyens, même au détriment des autres clans que l'on cherche à anéantir.

Des conflits entre communautés claniques datant de plus d'un demi-siècle continuent de faire encore des victimes dans nos villages.

Certains projets d'aide au développement sont refusés et orientés vers d'autres zones parce que les groupements de villages qui étaient les bénéficiaires n'arrivent pas à s'entendre.

Plusieurs projets de constructions d'établissement scolaires dans le Bwatun ont échoué par le fait que les villages qui étaient désignés comme les bénéficiaires directs entretiennent encore de vieux conflits animés par des perturbateurs sociaux toujours aux argueux, toujours prêts à réveiller les vieux démons et établissant un blocage dans les tentatives de réconciliation. Plus d'un établissement scolaire financé par les ONG de la place ont été construits dans des carrefours en pleine brousse. Car les bénéficiaires entretiennent de vieux conflits claniques, et chaque partie refuse que l'établissement porte tout simplement le nom de l'un ou l'autre des villages.

Ce sont là des attitudes qui ne favorisent en aucune manière ni la communion, ni la paix, ni le développement d'une zone.

L'Eglise est davantage attendue chez les Bwa, à être sans cesse le signe de la réconciliation et l'éveilleuse de consciences. Elle est invitée à être le signe et le lieu de la nouvelle unité, à être le nouveau « Do » symbole de l'unité des bwa, pour que le progrès social soit possible. C'est le défi que les pasteurs d'aujourd'hui doivent impérativement relever, résoudre ces conflits entre villages pour qu'un progrès social soit possible.

Comment développer un peuple aussi parsemé de rivalités? Comment faire progresser des gens qui ne veulent pas avancer?

Il faut donc convertir les mentalités, réconcilier l'homme bo avec lui-même pour prétendre à un quelconque progrès économique.

Telle devra être la mission de l'Eglise au Bwatun, rendre l'évangile présent dans les coeurs des Bwa pour créer, au delà des communautés villageoises et claniques, une communauté d'enfants de Dieu, réconciliés et rassemblés dans/autour le Christ. L'Evangile sauve l'homme bo, dans la mesure où il arrivera à rassembler les Bwa, hommes et les femmes, au delà des différences claniques. Et l'Evangile ne sera Bonne Nouvelle pour les Bwa que dans la mesure où il aura recréé ce peuple en le délivrant de tout ce qui est obstacle à son unité.

En éclairant l'homme bo sur sa réalité sociopolitique et culturelle, l'Evangile lui permettra de quitter les champs du fatalisme, qui le rend toujours démissionnaire face aux formes de misère, pour enfin les pousser à l'action dans l'abnégation et dans l'incitation à la créativité dans une responsabilité personnelle et collective.

Avant tout, l'homme bo a soif de Dieu, comme l'exprimait Mère Teresa que « la première pauvreté des peuples est de ne pas connaître le Christ. Les gens ont faim de Dieu. Les gens ont soif d'amour. En sommes-nous conscients ? Le savons-nous ? Avons-nous des yeux pour le voir ?... Nous devons ouvrir les yeux et voir » disait-elle. D'où la nécessité de l'inculturation, mettre la Parole de Dieu au coeur, au centre et au sommet de la vie de l'homme bo pour que le progrès social soit possible. Etablir le lien entre la vie de foi et le vivre quotidien est la condition sine qua nom à tout éventuel progrès social chez les Bwa aujourd'hui.

II-2 LE SENS PERDU DE LA VALEUR DU « SACRÉ » CHEZ LES BWA

De nombreux sociologues et anthropologues intéressés par le milieu bo ont trouvé presque à l'unanimité que les conditions et les manières dont la conversion des Bwa s'est effectuée à « la religion des Pères » laissent croire qu'il s'est plutôt agit d'un reniement des coutumes et des valeurs culturelles et religieuses des Bwa, pour faire plaisir au missionnaire, que d'une conversion veritable au Christ. Un pasteur autochtone illustre bien cette affirmation lorsqu'il dit « qu'a son époque, les premiers qui arrivaient à l'Eglise pour la messe du Dimanche étaient les plus grands sorciers du village ». Il voulu ainsi traduire toute l'hypocrisie religieuse des fidèles de sa communauté, même si nous devons nuancer cette affirmation. Pour lui, qu'il a été plutôt question chez les Bwa d'un reniement de leur culture que d'une conversion à une nouvelle religion ; même si ce sont des étapes difficiles à délimiter. Certains faits démontrent que chez les Bwa convertis au christianisme, le sens du sacré avait été perdu.En effet, en brûlant les buissons, les autels ancestraux, en profanant les lieux sacrés pour convaincre les « pères » de leur adhésion à «la nouvelle religion », les Bwa venaient de perdre le sens du sacré ; le sacré culturel et religieux qui constituait la référence morale de l'homme bo.

En plus, en creusant une fosse entre les frères convertis et leurs familles/villages, l'Evangile prêché chez les Bwa, n'a-t-il pas été cause d'un certain spiritisme suicidaire, qui, au lieu de rassembler dans le Christ, a plutôt été un facteur de rupture familiale, de haine conduisant à la rivalité généralisée et à l'envie à mort, à la dispersion des Bwa. Donnant naissance à un individualisme exacerbé chez les bwa.

Sans vouloir créer de polémique entre le « sacré ancestral » et le « sacré chrétien », nous trouvons que les exactions commises à la culture, soldées par la profanation des domaines sacrés, laissent croire que l'homme bo n'a pas été conscient de sa conversion. Qu'il a peut être été tiré vers cette conversion par la contrainte des réalités sociopolitiques et économiques qui prévalaient chez lui à l'aube de l'Evangélisation du Bwatun.

En remettant en cause les valeurs religieuses et toutes les pratiques culturelles jadis homologuées par plus d'un missionnaire comme du « fétichisme », les Bwa acquis à la cause des « Pères », perdaient les bases inhérentes à toute spiritualité. Car la spiritualité est d'abord et avant tout une réalité culturelle. Elle est l'expression de la sensibilité du croyant. Or toute sensibilité spirituelle qui ne s'origine pas dans la culture, la tradition, n'est qu'une pure et simple hypocrisie, ou même une aberration, et peut poser des problèmes de pratique religieuse fidèle et de conviction culturelle véritable.

Le question se pose aujourd'hui à savoir, comment enraciner le message du Christ dans les coutumes culturelles non plus reconnues comme valeurs par les Bwa « traîtres »70(*) qui sont chrétiens aujourd'hui ?

Dans la perspective de l'inculturation ou de la nouvelle évangélisation, nous ne douterons plus de la nécessité d'un retour au sacré et aux valeurs culturelles longtemps bafouées ou laissées à l'oubli par le catholicisme prêché chez les bwa.

Aujourd'hui certains pasteurs d'autres cultures admettent nonchalamment, l'existence d'une spiritualité africaine réelle. Et pourtant certains administrateurs colons en avaient conscience dès les débuts de l'invasion coloniale comme nous pouvons le constater par le discours du ministre Belge des colonies, J. RENQUIN lorsqu'il donne des instructions aux prêtres belges venus évangéliser le Congo : « Prêtres, vous venez certes pour évangéliser. Mais,...Le but essentiel de votre mission n'est donc point d'apprendre aux Noirs à connaître Dieu. Ils le connaissent déjà. Ils parlent et se soumettent à un NZRABE ou un MVINDI-MUKULU, et que sais-je encore. Ils savent que tuer, voler, calomnier, injurier...est mal. Ayons le courage de l'avouer, vous ne venez donc pas leur apprendre ce qu'ils savent déjà... »71(*).

Notre culture traditionnelle est un pas qui nous donne de comprendre beaucoup plus facilement notre relation au Dieu d'amour révélé en Jésus Christ.

CHAPÎTRE III- L'ÉVANGÉLISATION DES BWA AUJOURD'HUI

Toute personne humaine est une histoire sacrée du fait même de son origine divine. Mais en plus de cette origine divine qui assigne a tout être humain une dignité inaliénable, il y a aussi la valeur culturelle qui le fait exister dans son milieu. Un être humain sans culture apparaît donc comme un être sans repères sociale, morale et même religieuse. Il lui manque de la cohérence éthique, car la culture constitue la première éducation intégrale de l'être humain, antérieure à toute autre connaissance.

L'enracinement culturel du message évangélique apparaît donc comme une preuve de maturité de notre foi chrétienne et la condition sine qua nom d'une foi réellement accueillie et vécue par un peuple. C'est donc à juste titre que J. GRITTI affirme que celui« qui veut faire le croyant à l'état pur se retrouve prisonnier de lui-même »72(*). La culture façonne l'être humain indépendamment de sa propre volonté, Puisque « le culturel dans ces puissances mentales comme dans ses dynamiques instinctifs, l'homme l'est par ses enracinements historiques et ses appartenances sociales. Il lui est impossible d'échapper à cette seconde nature, à ce qui précisément le fait homme, lui confère sa spécificité : la culture»73(*).

Les socio-anthropologues modernes relèvent plusieurs aspects de la culture parmi lesquels nous retenons deux : l'aspect pratique et l'aspect symbolique.

L'aspect pratique de la culture concerne les réalités tangibles ; il s'agit là des activités et des conduites de la vie sociale tels les outils et les techniques, les coutumes, les formes d'apprentissage, d'instruction et d'éducation. Et par aspect symbolique nous désignons tout ce qui transmet des significations, des valeurs éthiques comportementales entre les membres d'une même société ou d'une même communauté clanique : rites, traditions, mythes et langage.

La foi chrétienne est bien culturelle, inévitablement culturelle, dès lors qu'elle se vit, se pratique, s'exprime dans les moeurs et mentalités, dans les formes de culture et de société, dans les langages et symboles, dans les aspirations et interrogations des époques et des pays ou elle s'implante et se transmet74(*).

La culture apparaît comme l'outil de fabrication, la moule de toute personne humaine. Dès lors aucun enseignement ne peut se comprendre sans qu'on ne fasse recours à la culture, car la culture constitue les assises de références d'une société. C'est pourquoi, il importe donc de partir de la culture bo pour transmettre l'Evangile du Christ pour que celui-ci se sente vraiment concerné et touché.

Il est donc important et même primordial comme l'exprime J. ELA de « courir le risque de comprendre le mystère de Dieu en assumant les questions posées aux Eglises d'Afrique par des hommes qui se demandent en quoi Dieu les concerne dans les conditions dramatiques ou ils vivent aujourd'hui. Essayer de montrer que la Révélation de Dieu en Jésus Christ trouve sa pleine signification en Afrique lorsque l'Eglise fait mémoire d'un Evangile de libération»75(*). Sur cette lancée culturelle, l'Eglise découvre la tâche de rencontrer, dans la diversité des cultures humaines, les symboles qui parlent davantage aux Bwa, en faisant sans cesse référence à leur culture et aux valeurs culturelles qui ne sont pas en contradiction avec la Parole de Dieu.

Pour cela, il importe aujourd'hui d'accorder à la culture bo toute sa valeur, toute sa signification en descendant des hauteurs intellectuelles pour rencontrer des modes de sagesse, des pratiques et des parlers quotidiens des Bwa, pour leur rendre la Parole de Dieu accessible dans les expressions sont les leurs. Car la Bonne nouvelle en retentissant dans le milieu bo rencontre un langage, des pratiques, des formes d'expressions religieuses qui constituent la culture de ce peuple. Cette culture bo, façonnée par des valeurs éthiques, sociales, religieuses et aussi d'une sagesse quotidienne, ne peut que favoriser la rencontre de l'homme bo avec le Dieu de la vie, maître de l'histoire humaine, mais à condition qu'elle se laisse transcender par la vérité de l'Evangile. La Parole de Dieu vient l'épurer de ce qu'elle peut avoir d'inhumain et contraire à la loi naturelle et à l'Evangile.

III-1 LA TRADUCTION DE LA PAROLE DE DIEU DANS LA LANGUE LOCALE, PREMIERE ETAPE DE L'ÉVANGÉLISATION D'UN PEUPLE

Les premiers chrétiens se demandaient si les mots, le style et les images prêtées par les quatre évangélistes au Christ lui furent réellement propres, c'est-à-dire, propre à son milieu et à sa culture araméenne ? Même si quelques rares expressions sont retenues dans les évangiles comme propres au Christ dans le langage local araméen comme talitha koum (Mt 5,41) ; Ephata (Mt 7,44) ; Eloi Eloi lama sabachtani (Mt 15, 34), les textes de la Bible utilisent des expressions et un langage propre à la culture des rédacteurs.

Aujourd'hui les sciences sociolinguistiques et ethnolinguistiques nous démontrent toute l'importance du langage local et quotidien dans la compréhension de tout savoir extérieur à la culture et surtout le rôle social et culturel de la syntaxe et du lexique.

Pour une culture, la langue représente la base de tout savoir scientifique. Puisque en dehors des règles de base et des structures d'une langue, les usages ou la manière locale de la parler, supportent et manifestent une culture et traduit une mentalité. La langue d'un peuple est une sorte de synthèse de sa culture et de ses coutumes.

Les différentes traductions de la Bible en intégralité dans nos langues locales n'ont commencé que très récemment.

Le fait de rendre la parole de Dieu accessible à un peuple dans sa langue constitue les préliminaires incontournables à toute inculturation, à toute évangélisation. Que le croyant bo entende Dieu dans les mots et les expressions qui lui sont propres, est indispensable à la compréhension de ce message et à son acceptation.

Lorsque nous parlons de l'enracinement culturel de la foi chrétienne, beaucoup pensent d'abord, à l'introduction du folklore dans la liturgie ; ceci n'est qu'une minime partie de l'inculturation. Comment l'homme bo peut-il se sentir réellement concerné par une Parole qui lui est étrange, transmise dans un style linguistique qui est bien différent du sien ? En effet, la préoccupation de l'Eglise en Afrique de faire entendre la Parole de Dieu dans la langue locale des fidèles chrétiens correspond à un besoin profond chez tout croyant qui s'efforce d'accorder sa foi et sa culture dont il est imprégné, pour mieux vivre cette foi. En plus, chaque croyant, pour le développement de sa vie chrétienne, est travaillé par le besoin de cohérence entre ce qu'il croit et son vécu et par là même, devra effectuer la synthèse personnelle entre sa foi et sa culture. Car la foi qui implique une décision et un attachement au Christ, n'est ni aveugle ni isolée. Elle construit le croyant et change sa manière de vivre, de parler et d'agir. Loin de designer une opération purement intellectuelle, la foi « n'est pas un choix résigné et défaitiste pour se consoler de la dureté de l'existence »76(*) comme l'exprime Y. P DIARRA. Elle se vit et s'exprime dans un témoignage de vie et de relation avec Dieu et le prochain.

III-2 PROMOUVOIR UNE FOI CHRÉTIENNE CENTRÉE SUR LE TÉMOIGNAGE DE VIE

Depuis notre tendre enfance, la foi nous a été souvent présentée au catéchisme comme un don de Dieu que l'être humain reçoit comme un cadeau, sans aucun mérite de sa part. Comme une« chose » qui lui viendrait « d'En Haut » pour s'ajouter à sa nature humaine, la foi apparaît comme un supplément que certains possèderaient et d'autres non. Et aussi comme un don qui se recevrait par le baptême et ferait en sorte qu'un enfant « païen » se transforme magiquement en chrétien, ayant droit au ciel.

Si nous nous représentons la foi comme elle fut jadis définie dans les cours de catéchisme, il apparaît alors qu'elle n'est pas essentiellement pour la vie d'ici-bas, si non elle ressemblerait à une sorte d'assurance, à un « self-conduit » pour entrer dans la vie future, une croyance, pour se réserver un siège au Ciel en attendant sa fin. Ce qui est bien contestable, car la foi est avant tout, la dynamique qui fait grandir l'être humain en humanité. Elle est la force qui le fait marcher et qui ravive son espérance chrétienne. La foi ainsi considérée, bien que son inspiration dépende de l'initiative de Dieu, est un bien authentiquement humain puisque acceptée par l'homme de façon consciente et libre. La foi authentiquement vécue n'est donc pas un supplément, et toute expérience de foi doit toujours produire des fruits pour le bien de la communauté et de toute la société. Comme l'a exprimé le Cardinal SUHARD dans sa lettre pastorale « Essor ou déclin de l'Eglise ? » en 1947 lorsqu'il dit « quand la vitalité religieuse est en recul dans une société, la vie religieuse se réfugie dans les seuls actes cultuels ; à l'inverse, quand elle est en progrès, elle se diffuse, à partir des actes du culte, dans toutes les activités du chrétien, même les plus profanes en apparence »77(*). Réaffirmant ainsi le lien indissociable entre la foi et le vivre quotidien. Pour cela, une promotion de la culture et de ses valeurs dans l'éducation chrétienne en milieu bo s'avère plus que nécessaire pour que l'homme bo redécouvre d'avantage ce à quoi le Christ l'appelle l'aujourd'hui, sa mission dans la situation sociopolitique et économique qui est la sienne, pour pouvoir y répondre avec générosité et espérance.

Si nous insistons sur la nécessité de l'inculturation du message, c'est parce que nous pensons qu'il faut que l'homme bo se sente concerné et interpellé par le message évangélique pour qu'il soit à mesure de confesser sa foi chrétienne par sa vie et ses oeuvres. Car le danger de l'évangile sans inculturation, c'est la déconnection du vivre quotidien avec la Parole de Dieu.

Le message évangélique peut paraître très beau comme le discours d'un grand orateur, mais il faut que ceux qui l'écoutent se sentent concernés par ce message dans leur situation présente de misère et de sous-développement, pour découvrir ce en quoi un tel message répond à leurs aspirations. Pour cela, il faut qu'il y ait un lien entre ce qui est dit et la vie de ceux qui écoutent ce message, pour qu'ils puissent en vivre. Ce qui n'est pas possible si référence n'est pas faite à la culture, aux coutumes et aux valeurs dominantes de l'auditoire.

III-3 LA PROMOTION DES VALEURS CULTURELLES TRADITIONNELLES DANS TOUS LES SECTEURS DE L'ÉDUCATION CHRÉTIENNE

« La rupture entre Evangile et culture est sans doute le drame de notre époque » disait Paul VI en 1975 dans son exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi (n°20) ; soulignant ainsi la difficulté des fidèles chrétiens à traduire dans leur vivre quotidien le message évangélique. Avec ces paroles, Paul VI lançait une invitation à toutes les communautés chrétiennes à revaloriser les valeurs culturelles locales pour mieux vivre leur foi chrétienne. De nombreux efforts ont été faits, mais il importe d'élaborer une stratégie beaucoup plus scientifique depuis la base, dans le catéchisme et les autres domaines de formation chrétienne, pour que dès le jeune age, l'initiation chrétienne ne soit pas un amas de sacrements, mais aussi d'expérience de vie chrétienne.

L'être humain est inséré dans une culture ; c'est dire qu'il est pétri de valeurs culturelles qui fondent sa personnalité et son identité. Il est donc important que l'inscription de la foi chrétienne dans une culture donnée soit une priorité dans la formation des individus qui ont accueilli la foi chrétienne et qui portent en eux une grande soif ; la soif de comprendre ce qu'ils croient et la soif de traduire ce qu'ils croient dans leur vivre quotidien. Puisque la culture désigne la manière d'être d'un groupe humain particulier, avec un ensemble de pratiques des plus simples aux plus complexes telles la manière de parler, la façon de s'habiller, de construire, de produire et de s'organiser, bref la façon de vivre à laquelle s'attache des valeurs importantes pour le peuple. Elle est en effet ce qui fonde l'identité de l'être humain. C'est donc la culture qui fonde la particularité d'un être humain. C'est telle qui fait d'un tel un Bo et non pas un Bobofing, et qui le diffère d'un Senoufo ou d'un Dogon.

La culture est donc le domaine d'humanisation de l'être humain qui lui confère une identité propre, elle est donc une référence morale, sociale ; en ce sens que la culture « désigne tout ce par quoi l'homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son corps, s'efforce de soumettre l'univers par la connaissance et le travail, humanise la vie sociale, aussi bien la vie familiale que l'ensemble de la vie civile, grâce au progrès des moeurs et des institutions, traduit, communique et conserve enfin dans ses oeuvres, au cours des temps, les grandes expériences spirituelles et les aspirations majeures de l'homme, afin qu'elles servent au progrès d'un grand nombre et même de tout le genre humain» (Gaudium et Spes n°53 § 2).

Aujourd'hui, le défi de l'inculturation doit être impérativement relevé si nous voulons fonder des communautés de disciples du Christ. Car le christianisme doit pouvoir constituer l'identité de ceux qui y adhèrent et cela doit s'opérer non pas en dehors de leur culture qui fonde leur personnalité et leur vie, mais à l'intérieur même des réalités culturelles données. Cela ne peut se faire sans une formation catéchétique adéquate et conséquence ; une lourde tâche qui incombe une responsabilité partagée entre les parents, la communauté chrétienne et les Pasteurs. Par cette formation on aboutirait à une inculturation des sacrements. Car la catholicité véritable, nous dit J. GRITTI, « souhaite et recherche l'accomplissement et non le dépérissement des cultures, la vie et non la mort. »78(*). Et Comme l'exprime Paul VI dans son exhortation apostolique que « la construction du Royaume ne peut pas ne pas emprunter des éléments de la culture et des cultures humaines »79(*). Aujourd'hui, « la réinterprétation des traditions religieuses à la lumière de l'Evangile et l'intelligence de l'Evangile à la lumière de ces traditions, nécessaires pour une évangélisation en profondeur, sont aussi, par elles-mêmes, un des facteurs du développement »80(*) nous affirme V.CASMAO. Pour nous dire que l'inculturation réussie peut être un vecteur d'incitation au développement.

III-3-1 AU NIVEAU DE LA FORMATION CATÉCHÉTIQUE

Que signifierait une catéchèse qui se situerait au-dessus ou hors des cultures africaines et qui prétendrait s'adresser aux africains et aux Bwa que nous sommes?

Il est nécessaire que la catéchèse ne se fasse plus dans l'impasse des réalités cultures si l'on veut fonder des communautés réellement chrétiennes, c'est-à-dire, des communautés de disciples du Christ, de fidèles témoins (hommes et femmes) de l'Evangile, prêts à s'engager pour qu'advienne le royaume d'amour et de paix du Christ, ici et maintenant. Car il n'y a pas de réelle évangélisation ni d'éveil à la foi chrétienne, si le catéchète ne prend pas en compte, les réalités concrètes les individus auxquels le message évangélique est adressé, tels qu'ils sont. Sinon, on en viendrait à un encrage véritable avec de vains mots.

Si aujourd'hui nous insistons sur la nécessité de prendre en compte les valeurs culturelles dans le catéchisme, c'est parce que la foi chrétienne ne se résume pas à assimiler les données de la foi ou l'histoire du Salut depuis les origines jusqu'à nos jours. Et que « la foi elle-même, dans son contenu, dans les rapports entre Révélation divine et langages humains détient les raisons profondes de son propre statut culturel »81(*) comme l'exprime V. CASMAO. Car, il serait bien difficile de faire comprendre la Révélation à un Bo, en oubliant ses valeurs culturelles de jugement, de sa conception de l'Etre Suprême, et des expressions qui caractérisent sa relation avec le divin et avec le prochain.

Il nous faut donc partir aujourd'hui de la culture bo, c'est-à-dire, des mentalités, les valeurs dominantes, les types de comportements du milieu, les critères de jugement, les habitudes qui s'accordent avec l'Evangile pour recréer l'homme bo, capable de créativité et d'innovation, s'engageant pour le rayonnement de sa communauté et de toute la société. C'est dire que dans le catéchisme, il ne s'agit plus uniquement de « prêcher l'Evangile dans les tranches géographiques toujours plus vastes, ou à des populations toujours plus massives, mais d'atteindre et comme de bouleverser par la force de l'Evangile les critères de jugement, les valeurs dominantes, les points d'intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l'humanité qui sont en contraste avec la Parole de Dieu et le dessein du Salut »82(*) comme l'exprime Paul VI.

S'agissant du programme du cours de catéchisme et de sa méthodologie actuelle, il faut reconnaître que nos méthodes actuelles ne répondent pas véritablement aux genres de communautés chrétiennes que nous voulons fonder, ni aux genres de chrétiens dynamiques et engagés dans le destin avenir de notre continent africain, pour sortir de son drame actuel.

Si nous voulons former aujourd'hui des chrétiens conscients de leur mission dans le processus de développement du Bwatun, il faut inévitablement les aider à dépasser cette vie de foi résignante et passive. On voit par là combien il est opportun de présenter le christianisme à l'Africain non pas comme un enseignement technique qu'on donne uniquement au cours de catéchisme, mais cimme une initiation religieuse, comme l'entrée dans un groupe, comme la participation à une vie nouvelle, supérieure, qu'on partage avec d'autres et qu'on vit au milieu d'autres personnes qui ne partagent pas notre foi.

Les stages de catéchuménat bien qu'ils s'étendent sur trois à quatre ans, que ce soit la catéchèse scolaire ou non scolaire, sont souvent des rassemblements ponctuels de catéchumènes qui se soldent par la célébration des sacrements, baptême, première communion ou confirmation. Ce temps de formation s'apparente souvent à une révision des notions sur le credo catholique. Une telle méthode ne suffit pas pour leur donner une formation chrétienne réelle, permettant de grandir dans la foi. Bon nombre de ces catéchumènes ne se préoccupent point de la formation, ni de ce à quoi les différents sacrements les engagent dans leur vivre quotidien, mais plutôt des festivités, des amis (filles et garçons) que l'individu va rassembler en famille à cette occasion, ou même de sa tenue de cérémonie.

En plus, les sacrements s'apparentent pour certains chrétiens à des certificats qui donnent droit à une somme de choses dans l'Eglise. Ainsi les uns les autres diront que le sacrement de Baptême donne droit à des funérailles chrétiennes et le sacrement de confirmation à un mariage religieux dans l'Eglise. Il s'agit d'une sorte de promotion sociale à laquelle les sacrements font accéder.

Il importe donc que nos cours de catéchisme ne soient plus basés exclusivement sur la transmission de savoirs (une doctrine, une morale, des formules...). Ce ne serait ni efficace ni conforme à notre perspective d'Eglise Famille de Dieu, où chaque fils ou fille doit apporter sa pierre de construction.

De nos jours, le fait de transmettre la foi comme un héritage spirituel, sans proposer des exemples d'expérience de vie concrète aux nouveaux adhérents, leur permettant d'exprimer concrètement leur foi à la face du monde, n'est plus conforme à la vision pastorale de nos Eglises africaines qui veulent former des chrétiens dynamiques et engagés, responsables dans leur vie de foi et dans la société. Cette nouvelle approche de la catéchèse s'inspire du modèle de catéchuménat des adultes restauré par le Concile Vatican II, qui veut que nous passions d'une catéchèse d'instruction unilatérale à une catéchèse davantage axée sur la foi vécue et pratiquée, et à la vie en Eglise. C'est donc une invitation à sortir d'une catéchèse ponctuelle ou événementielle centrée sur des célébrations sacramentaires (baptême, première communion, confirmation), pour arriver à une catéchèse comme cadre d'apprentissage de la vie de foi, de témoignage et d'une culture chrétienne. A ce niveau il faut impérativement faire en sorte que la catéchèse ne vise pas seulement l'adhésion à un contenu de croyances et de valeurs, mais qu'elle soit aussi centrée sur la personne en marche et son devenir chrétien, qui permettra aux chrétiens de prendre conscience de sa mission dans sa communauté et dans la société.

Il a été dit que l'Afrique est catéchisée et « sacramentalisée » et non pas encore évangélisée. Et nous constatons que bon nombre de chrétiens ignorent la Parole de Dieu, parce qu'ils ont été formés par un catéchisme de « questions-réponses ».

Heureusement que de nouveaux schémas de catéchèse centrée sur la Parole de Dieu ont vu le jour grâce aux efforts des commissions de catéchèse et sont en train d'être mis en application. De tels efforts sont à encourager et à poursuivre, si nous ne voulons pas retomber dans les erreurs de nos devanciers.

Bon nombre des fidèles de nos communautés ont du mal à comprendre et même à percevoir le sens réel des sacrements. Il en résulte la nécessité de promouvoir la catéchèse sacramentaire davantage ressourcée dans la Parole de Dieu, d'où ils s'originent, pour ne pas perdre de vue la relation entre l'Evangile et tout sacrement. Il est donc urgent, de faire comprendre aux baptisés, hommes et femmes, par une formation catéchétique adéquate et permanente, la dimension missionnaire des sacrements de l'initiation chrétienne et de tous les autres sacrements, pour aider les fidèles chrétiens à être de véritables missionnaires du Christ, des disciples qui témoignent par un engagement authentiquement évangélique.

Dans cette perspective, il s'avère nécessaire de promouvoir toutes les activités permettant aux fidèles chrétiens de connaître la Parole de Dieu. Et que dans la perspective de l'Eglise-famille de Dieu, les Communautés Chrétiennes de Bases (C.C.B) en viennent à s'organiser pour prendre en charge la catéchèse au niveau des quartiers, des établissements scolaires et des centres communautaires.

Ce qui fait que beaucoup de fidèles sont emportés par les sectes qui développent un sens aigu de la communauté avec une certaine chaleur humaine si forte qu'on souffrirait d'un manque en quittant la communauté. Beaucoup de fidèles se sentent faire chemin en solitaire dans le catholicisme. Il faut donc que dans nos communautés chrétiennes soient mises en place des structures d'accompagnement des nouveaux chrétiens.

III-3-2 AU NIVEAU DES MOUVEMENTS D'ACTION CATHOLIQUE (MAC)

S'agissant essentiellement du Mouvement Amis de Kizito, de la C.E.C (communauté des Elèves Croyants) et du Scoutisme, les Mouvements d'Action Catholique sont des cadres d'éveil à la foi et d'apprentissage d'une vie chrétienne engagée et active à travers les oeuvres de charité. Ce sont également des cadres d'animation de vocation et ils participent à l'une ou l'autre activité de la vie paroissiale à travers souvent des animations liturgiques. Beaucoup d'efforts sont déployés pour que ces Mouvements participent efficacement et effectivement à la vie paroissiale.

Aujourd'hui ces mouvements s'apparentent à des associations de groupe d'âge avec un programme hebdomadaire de rencontre, pour jouer, s'amuser et causer. Leur dimension chrétienne démunie d'année en année. Cela est dû au manque de formation des accompagnateurs de ces mouvements. Car ceux-ci sont très souvent des volontaires, très souvent de jeunes sans expérience chrétienne véritable qui ont déjà fait le mouvement et qui ont accepté d'accompagner volontairement le mouvement à la demande de la communauté paroissiale. Ils ne reçoivent pas suffisamment de formation dans ce sens ; juste, au besoin des rencontres de recyclage. Leur préoccupation, c'est de faire en sorte que beaucoup de jeunes puissent s'intéresser au mouvement. Ce qui les pousse à miser davantage sur l'aspect recréation. Et peu à peu, le mouvement perd son objectif primordial, qui est de donner une éducation chrétienne aux jeunes.

Or l'objectif primordial de ces mouvements, c'est d'aider les jeunes à grandir dans la foi et à acquérir une expérience de vie chrétienne, pour les aider à prendre conscience de leur rôle et de leur mission de chrétien, d'abord au sein de leur communauté chrétienne et aussi dans toute la société. C'est-à-dire, apprendre aux jeunes à développer les vertus évangéliques, à témoigner de leur foi chrétienne par de petites actions de charité ; surtout face à l'avancée grandissante des sectes et des courants de spiritisme, qui n'épargnent aucune société.

Il importe aujourd'hui de redynamiser et de redonner sens à ces mouvements d'action catholique, par un accompagnement beaucoup plus adéquat pour en faire des cadres d'éducation chrétienne. Ce qui passe impérativement par la formation des accompagnateurs et/ou accompagnatrices. Et que toute la communauté chrétienne s'organise, avec des chrétiens, hommes et femmes, ayant une certaine expérience chrétienne crédible, disposés à aider les jeunes à prendre aux sérieux leur vie de foi et de témoignage, dans l'Eglise et dans la société.

III-3-3 AU NIVEAU DE L'ENSEIGNEMENT PRIVÉ CATHOLIQUE

L'enseignement catholique s'est donné comme mission d'apporter aux jeunes, avenir de notre Eglise et de notre pays, une formation intellectuelle et humaine digne de ce nom. Il s'est jadis distingué par la qualité et le niveau encore crédible de ses élèves. Des grands efforts sont consentis pour que les élèves soient formés aux vertus du travail bien fait, de la persévérance, de la discipline et de l'excellence.

En plus, malgré sa non neutralité, l'Ecole catholique reste un cadre propice au dialogue interreligieux, car elle accueille des jeunes de toutes confessions religieuses. Ce qui constitue des valeurs certaines pour la culture de la paix dans notre société.

Ces dernières années, l'Ecole malienne, de façon générale, traverse de graves crises qui affectent l'ensemble du système éducatif national. L'Ecole catholique n'est donc pas en marge de ces crises. Même s'elle n'est pas toujours concernée par toutes les revendications d'étudiants ou de professeurs, elle reste pourtant victime des mascarades académiques auxquelles nous assistons depuis plus d'une décennie au Mali.

L'élite qui a fait une certaine fierté de l'Ecole catholique, a presque atteint son déclin. Cette élite composée d'un certain groupe d'éducateurs qui avaient un sens élevé du travail bien fait, du sacrifice et qui avaient des compétences intellectuelles crédibles et auxquels l'Ecole catholique doit tout son prestige, sont pour la plupart, atteints par l'âge de la retraite ou sont arrachés par la mort. En plus, les fidèles chrétiens, compétents dans le domaine de l' éducation, enseignants de formation et qui devraient prendre la relève aujourd'hui, sont ceux qui, pour la plupart, critiquent violemment la « trop grande rigueur » de l'enseignement catholique. Et ils préfèrent se faire embaucher dans l'enseignement public où ils se voient beaucoup plus libres, échappant à tout contrôle de régularité ; libre de mal faire ou même de ne pas travailler, sans qu'ils se fassent interpeller par un directeur comme ce pourrait être le cas dans l'Ecole catholique. Le personnel enseignant de l'enseignement catholique est aujourd'hui d'un certain nombre de carriéristes sans âmes et sans consciences, qui ont eux aussi attrapé le virus du monnayage des services et qui ne vont à l'église que par crainte du « que dirait-on ». Le métier d'instituteur est devenu un « métier-refuge » aujourd'hui, pour beaucoup d'individus. Ce n'est plus ceux qui ont la passion et la capacité d'enseigner qui sont enseignants, mais, pour la grande majorité, ceux qui ne voient plus d'autres alternatives de réussites et qui vont s'y réfugier pour gagner leur « pain », leur vie. La preuve est que plus de 7/10 étudiants dans les Instituts de Formation de Maîtres (IFM) sont souvent des rescapés du Secondaire ou du Supérieur. En plus ces futurs enseignants continuent de souffrir d'une formation académique et pédagogique au rabais et ne sont plus que des personnages résignés, aigris et susceptibles. Et quand s'y mêlent les intrigues de service, l'utilitarisme égocentrique et l'irresponsabilité des responsables administratifs, il se produit un effet étouffant et boomerang, pouvant exploser à tout moment au grand dam des pauvres élèves qu'on voulait pourtant libérer du joug de l'ignorance. Cela s'appelle du contre-témoignage.

A ce niveau les agents pastoraux notamment les prêtres, les religieux et les religieuses ont une grande responsabilité dans l'avenir de l'Enseignement catholique qui affiche de plus en plus des signes d'instabilité. Ils sont invités à s'impliquer davantage dans le domaine de l'éducation qui reste avant tout un domaine d'évangélisation et de témoignage. Cela ne peut se faire sans une formation sérieuse en la matière, car de nos jours, notre société à horreur des amateurs. La volonté et le zèle ne suffisent plus pour réussir ; il faut nécessairement une qualification (être un professionnel) dans le domaine, pour être davantage efficace.

CHAPÎTRE IV- L'EGLISE DE SAN EN MARCHE VERS SON CENTENAIRE D'EVANGÉLISATION

IV-1 LA JEUNESSE, AVENIR DE NOTRE EGLISE ET DE NOTRE PAYS

La pastorale des jeunes a toujours été l'une des priorités majeures de notre Eglise ; Cela ne fait aucun doute, puisque l'initiation des Journées Diocésaines de la jeunesse (JDJ) en est une preuve. Ces événements qui ont lieu tous les deux ans et qui ont déjà fait leurs preuves dans la pastorale des jeunes sont à soutenir et encourager.

Au delà des efforts fournis au niveau général, chaque paroisse s'improvise une animation pastorale spéciale pour sa jeunesse.

A ce niveau, les activités sont diverses. Les uns organisent des Journées Paroissiales de la jeunesse tous les ans et les autres, des journées d'amitiés. Certaines paroisses arrivent également à soutenir des événements artistiques ou sportifs pour développer les talents des jeunes. Mais, l'aspect recréation a souvent pris malheureusement le dessus sur l'esprit évangélique que l'on veut véhiculé à travers ces activités. Et même si les paroisses ruinent souvent leurs budgets pour réussir ces événements, il faut reconnaître que les résultats ne sont pas encore, jusque là a hauteur de souhait. Ces journées sont certainement des journées de rencontre, mais il faut reconnaître aujourd'hui, qu'elles sont davantage des occasions de retrouvailles, d'amourettes entre filles et garçons ; faute de structuration.

Si nous faisons une évaluation de cette pastorale de la jeunesse, nous voyons que les paroisses qui s'investissent davantage pour ces événements, sont très souvent celles qui enregistrent aujourd'hui plus de filles mères/ élèves-mères ou de garçons-pères/ élèves-pères. Par ailleurs, ce sont des jeunes gens ou jeunes filles, mariés ou non mariés qui s'adonnent à l'alcool, au libertinage sexuel, au vol et que sais-je encore.

C'est donc la preuve que ces événements manquent de canalisation et de suivie constante ; et sont donc un fiasco pastoral, pour qui connaît combien coûte un seul événement de ce genre à un budget paroissial.

Nous ne minimisons pas les bonnes intentions de cette pastorale, mais, nous en appelons à plus de responsabilités dans l'accompagnement de la jeunesse dans nos paroisses. La pastorale de la jeunesse si elle n'est pas suffisamment élaborée, continuera à créer encore de des chrétiens, hommes et femmes irresponsables, pour nos communautés et dans notre société, comme cela s'est passé avec les générations précédentes.

L'exemple des jeunes de la Paroisse de Touba qui ont effectué en 2007 une « marche politique de protestation » contre la mutation d'un Pasteur, est le signe d'un manque d'accompagnement responsable de cette jeunesse. C'est la preuve qu'après plus de vingt Cinq ans de présence Salésienne à Touba, les jeunes se savent encore ce que c'est qu'un pasteur et quelle est sa mission. C'est une grande tristesse pour les Pasteurs qui y ont donné leur vie. Car beaucoup d'efforts sont consentis au niveau de cette paroisse dans l'accompagnement de la jeunesse. Cela nous permet de nous interroger sur la pastorale menée dans cette paroisse et même au niveau général dans le Diocèse.

Beaucoup de fidèles chrétiens (hommes et femmes) ont encore la nostalgie du Mouvement « Hirimi Hirosi », mouvement qui a fait ses preuves, avec une certaine génération de catéchistes et d'animateurs engagés dans leurs communautés chrétiennes. Il y a donc lieu de restructurer la Pastorale de la jeunesse pour que cette jeunesse, avenir de notre Eglise et de notre pays, puisse cultiver et développer les valeurs. Pour qu'enfin se réveil à travers cette jeunesse les espoirs d'une Eglise Diocésaine beaucoup plus rayonnante et d'une société ayant un niveau de vie un peu plus élevé.

Notre peuple à besoin de jeunes (filles et garçons) qui ont de l'ambition, Car, l'un des problèmes du sous-développement des Bwa est le manque d'ambition et l'absence d'une soif du changement chez les jeunes gens et jeunes filles aujourd'hui.

Le besoin d'une pastorale, qui va aider les jeunes à se déployer, à s'engager dans de nouvelles dynamiques capables de rassembler les chrétiens et les chrétiennes dans une nouvelle volonté de bâtir le monde sur les valeurs culturels et évangéliques.

IV-2 LA NÉCESSITÉ D'UNE PASTORALE DE LA CULTURE BO

Il y a juste quelques années, nous reprochions aux Bwa leur trop grande fermeture et leur sorte de refus orgueilleux des autres peuples.

Même si aujourd'hui le Bo n'a pas changer ses manières de manger, de produire, d'enterrer et de pleurer ses morts, même si sa conception du monde et du progrès non pas évolué, il faut reconnaître qu'une culture bo reposant sur les valeurs humaines de l'honnêteté, la discipline et la franchise tend à disparaître aujourd'hui chez les Bwa.

Cela est dû certainement aux vagues de migrations des Bwa vers les villes régionales malgré les nombreuses sensibilisations. Certains villages Bwa sont devenus aujourd'hui des villages Bambara, car la première langue de communication est le Bambara.

Certains parents préfèrent ne pas apprendre le Boré à leurs enfants, affichant une sorte de complexe d'appartenance à ce peuple.

Aujourd'hui nous assistons à une interpénétration des cultures que facilitent les moyens modernes de communications et d'échanges. Si nous prenons le cas isolés des funérailles chez les Bwa, quelles soient traditionnelles africaines ou même chrétiennes, de nouvelles pratiques se sont mêlées. Des petits fils confisquent aujourd'hui le corps d'un grand père défunt ou d'une grand-mère pour demander des rançons avant sa mise en terre. Certains vous diront qu'il faut faire du haricot ou du « dègè » (bouillie de mil) le quarantième jour de la mort d'un parent, et pire encore, certains exigent la messe de requiem de leur défunt le quarantième jour de son décès. Ce sont des pratiques qui n'existaient pas chez les Bwa et qui sont entrées aujourd'hui dans la culture bo en provenance des peuples voisins.

Aujourd'hui certains enfants de père bo et de mère bo vous diront qu'ils comprennent Boré, mais qu'ils ne peuvent s'exprimer dans cette langue. A cette allure, nous assisterons sans nul doute et en moins d'un quart de siècle, à une mort du Boré, si de dispositions ne sont pas prises pour préserver la culture et surtout la langue, comme c'est le cas aujourd'hui du grec et du latin. Les pasteurs ont une très grande responsabilité dans la survie de cette culture qui est la leur. La liturgie est un pas, et une inculturation réussie sera d'un grand apport à ce niveau. Comme l'exprime V. COSMAO : « le message évangélique ne peut, en effet, être reçu, intériorisé, sans mettre en mouvement un travail souterrain de réactivation culturelle des groupes qui y adhèrent»83(*). Il y a donc un besoin imminent d'une pastorale de la culture bo, d'avantage élaborée, pour préserver les valeurs et les richesses culturelles des Bwa.

CONCLUSION DE LA TROISIÈME

Tous les peuples qui ont accueilli l'Evangile du Christ avant les Bwa, ont dit, vécu et pratiqué leur foi dans leur propre culture de façon spontanée et quotidienne, sans avoir au préalable élaboré une théorie de la rencontre entre leur foi chrétienne et leur culture.

Attentifs à l'Esprit Saint, ils se sont laissés transformés par la Parole de Dieu, dans leurs réalités ordinaires de leur culture. Convaincu de la vérité du message évangélique, le chrétien travaille à le faire passer dans sa propre culture. Les chrétiens de toute culture ont à puiser dans leur propre expérience socioculturelle et d'unité spirituelle, pour vivre leur foi chrétienne. Cela nécessite une disponibilité intérieure et une bonne connaissance de sa culture, de ce qu'elle peut avoir de valeurs et contre--valeurs. Cet effort interne trouve dans la rencontre des cultures humaines une exigence et une stimulation constantes, et permet au chrétien de vivre sa foi dans les réalités socioculturelles qui lui sont propres et de traduire cette foi dans des actes concrets, pour son propre épanouissement et celui de sa communauté de vie.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Quel est le lien entre le message évangélique et les réalités concrètes de notre monde ? Les réponses à cette question devisent depuis des millénaires les chrétiens et influencent encore aujourd'hui leurs approches des questions sociales, notamment celles liées au développement, à la promotion humaine. Pour les uns, l'Evangile est avant tout un message de libération, un message d'évasion hors des contrariétés, des turpitudes matérielles et des appétits mondains, pour fixer « l'âme » à des idéaux eschatologiques plus nobles, dans l'attente pieuse du retour glorieux du Christ à la fin des temps. Pour les autres, la proclamation de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus Christ annonce, au contraire, l'irruption du Règne de Dieu dans l'histoire de l'humanité ; faisant de l'Evangile un message d'espérance et de changement pour le plus grand bien de toute l'humanité. Car l'Eglise est au service de la promotion de l'homme, au service de son épanouissement, au service de son salut et au service de l'orientation de son existence. Dans la mesure où c'est pour sauver cet homme que le Christ s'est incarné et a donné sa vie, tout ce qui contribue à la libération de l'être humain, à l'affirmation de la vie en abondance et à l'efflorescence de ses capacités inventives et de son potentiel créatif pour transformer le monde et créer une société de bonheur, relève du ressort de la vocation de l'Eglise. Le développement enviable est pour nous, cette dynamique de la promotion de l'être humain dans toutes ses dimensions d'humanité, ses dimensions physique, morale, spirituelle, politique, économique, sociale et culturelle.

« L'Eglise existe pour évangéliser »84(*) affirme Paul VI dans son Exhortation Apostolique Evangelii Nuntiandi. Paul VI invitait tous les fidèles chrétiens, hommes et femmes, à faire le lien entre la présence active de l'Eglise dans le monde et sa mission d'évangélisation. La transformation des réalités humaines par la force de l'Évangile, témoignée par des hommes et des femmes fidèles au Christ sauveur, a toujours été un défi pour nos Eglises locales. L'annonce de Jésus Christ, Bonne Nouvelle de salut, d'amour, de justice et de paix, ne trouve pas facilement accueil dans le monde d'aujourd'hui dévasté par les guerres, la misère et les injustices de tout genre. Annoncer le Christ c'est susciter une prise de conscience de l'état du délabrement moral et spirituel dans lequel l'homme se trouve en vue d'un changement radical et salvateur des mentalités et de toutes les contre-valeurs culturelles hostiles à l'épanouissement de l'humanité. Car cette promotion humaine ne se définit pas en termes de monde à conquérir mais d'homme à reconstruire. Et la promotion humaine n'a de sens que s'elle l'homme libère de son ignorance tous azimuts pour le faire vivre à hauteur d'homme, entendu comme « image de Dieu » (Gn1, 27). D'où le rôle sacré de l'Eglise de réveilleur et de mobilisateur des consciences en vue de la construction d'un type d'homme capable de conduire avec efficacité les projets de développement.

Cependant, L'Eglise s'est rendue compte que le Christ qui est la Parole révélée, ne s'est pas contenté de la prêcher sans en même temps prendre le soin d'assurer sa réalisation pratique dans le quotidien des hommes à travers des actes ponctuels de soulagement de leurs misères et de tous leurs maux. Notre monde a donc besoin de la foi qui sauve, de l'espérance qui éclaire et de la charité qui aime, à travers des hommes et des femmes plus que jamais engagés pour qu'advienne le règne de Dieu dans une société plus humaine et plus digne de l'être humain.

Mais, de nombreuses communautés chrétiennes à tendance spiritualiste ont refusé la problématique du développement comment tâche du chrétien. Faisant de la seule annonce de l'Église et de la proclamation de Jésus Christ le centre de son message, elles ont orienté leurs actions vers l'au-delà en refusant les enjeux sociopolitiques par une interprétation extra-mondaine de la foi et de l'espérance chrétienne. C'est pourquoi, un christianisme de réflexion sur la promotion de l'homme et de sa dignité s'est affirmé avec vigueur par les Pères de l'Église et plus tard, avec beaucoup plus de fermeté dans l'enseignement social de l'Eglise de diverses manières par les encycliques, notamment la célèbre encyclique publié par le Pape Paul IV, Populorum Progressio, orienté dans le sens de la promotion intégrale de la personne humaine et des sociétés, et au Concile Vatican II.

La mission de l'Eglise n'est donc pas uniquement et unilatéralement une première annonce kérygmatique (la passion, la mort et la résurrection du christ) de l'Evangile. C'est porté le message du Christ dans les réalités sociales et historiques des hommes d'aujourd'hui afin qu'il les transforme et les renouvelle grâce à sa puissance de sanctification. Car c'est « le propre de l'Evangile de pénétrer tous les tissus de l'existence et de les irriguer d'un sang toujours neuf »85(*) comme l'exprime J. RIGAL.

D'où cette interpellation à l'égard des fidèles chrétiens (hommes et femmes) à être plus conscients de leurs responsabilités dans la vie de leurs communautés chrétiennes et dans l'avenir du Pays. Car le Christ rejoint chaque personne dans sa situation sociale individuelle et communautaire. C'est également une invitation à comprendre que la responsabilité de l'annonce de l'Evangile n'est plus l'affaire des seuls pasteurs, l'hiérarchie de l'Eglise, mais une charge qui implique tous les chrétiens. Le salut libérateur qu'apporte le Christ à tout homme et à tous les hommes, surtout aux plus pauvres, aux opprimés et aux nécessiteux, fait prendre conscience du lien indissoluble qui existe entre l'Evangélisation et l'action pour la promotion humaine et intégrale de l'être humain et de tout être humain.

L'être chrétien chez les Bwa consiste aujourd'hui à prendre une part active dans le combat de l'Eglise contre « les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent »86(*), afin de transformer la terre en une demeure digne de l'homme, afin de rendre tous les hommes et femmes, participants du royaume de Dieu, rendu présent en Jésus Christ, ici et maintenant.

Le chrétien bo est invité à vivre intensément l'idéal évangélique dans son lieu de travail, et à revaloriser sa foi chrétienne, dans tout ce qu'il peut faire de bien pour sa société sans tomber dans la violence du prosélytisme. Car Le salut libérateur qu'apporte le christ appelle tous les hommes à une véritable révolution, un changement de coeur pour témoigner de l'amour et de la charité à travers la plus belle manière de rendre service au prochain. Mais l'amour ne peut avoir toute sa signification s'il ne s'incarne dans des actions concrètes, s'il n'anime pas tous les efforts et toutes les luttes pour plus de justice, pour une libération intégrale de l'être humain. Et l'activité politique est citée parmi ces meilleures possibilités d'aider la société humaine à se construire humainement, à s'humaniser davantage.

C'est pourquoi nous avons voulu redonner à l'action chrétienne toute sa valeur, valeur qui avait été longtemps blâmée par de nombreux chrétiens (hommes et femmes) au profit d'un spiritisme eschatologique centré uniquement sur la vie à avenir dans l'au-delà. Car, nous pensons que si la foi chrétienne n'a pas pu aider l'homme Bo à se mettre debout pour changer sa situation sociopolitique et économique, comme sur d'autres terres, c'est parce que celui-ci a eu du mal à établir le lien pourtant indissociable entre sa quête de Dieu et l'engagement mondain pour le bien de tous, au nom du sacrifice d'amour du Christ sur la Croix. Il nous a paru opportun de « redonner toute sa valeur au monde d'ici-bas auquel le christianisme négrier n'a jamais accordé d'importance pour les africains dans la mesure où le bonheur ne leur était promis que dans l'au-delà »87(*) comme l'exprime J. ELA. Car, dans les situations inhumaines et dramatiques de la misère, de l'oppression, de la famine et de maladie, il n'y a plus de salut sans la réintégration de l'homme dans toute son identité qui est corps et âme. Une promotion qui consistera donc pour l'homme bo en une transformation profonde des réalités socioculturelles et politico-économiques, dans leur globalité et leur complexité pour les Bwa et par les bwa eux-mêmes. Le chrétien bo est plus que jamais attendu à ce niveau par ses frères et soeurs, surtout les plus pauvres. Mais pour que cela soit possible ou même envisageable, il faut qu'il y ait au niveau des populations à la base, des communautés chrétiennes, des paroisses, des groupes et associations locales, une transformation profonde et véritable des mentalités. Afin qu'il n'y ait plus d'attentisme et de passivité, plus de faux-fuyants, de renvoi de la responsabilité personnelle et collective à des forces politiques, économiques ou mystiques occultes. Tous, hommes et femmes, doivent prendre la responsabilité personnelle et collective, de leur implication dans l'édification de leur société, en cessant d'être uniquement théoriciens, consommateurs et commentateurs, pour enfin devenir des acteurs et des décideurs de leur propre sort. Car le royaume de Dieu que le chrétien bo est invité à annoncer, est donc la vie sur la mort, la lumière de la vérité sur les ténèbres de l'ignorance et du mensonge.

L'Eglise locale à un rôle considérable à jouer par rapport au changement de mentalités. L'Eglise prêche, éduque et catéchise, mais elle est aussi capable de mobiliser autour d'expériences, et par ses structures sociales, de promouvoir par de projets concrets, afin de restaurer l'envie du développement chez les Bwa. C'est là que pourront véritablement s'élaborer des mentalités nouvelles, purgées de tout fatalisme, capables d'entreprendre un changement social en profondeur pour la plus grande gloire de Dieu et le salut intégral de l'homme bo.

BIBLIOGRAPHIE

I- SOURCES

1- Code de Droit Canonique Annoté, Paris, Cerf, 1989, 1116p.

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8- Vocabulaire de Théologie Biblique (VTB), Paris, Cerf, 1999, 1405p.

II- OUVRAGES

1- AUBERT Jean-Marie, vivre en chrétien au xxè siècle, Tome 2ème l'engagement du Chrétien, la sexualité, l'économie, la politique, Strasbourg, Salvador, 1977, 192p.

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3- BENOIST (de) Joseph Roger, les Relations entre l'Administration coloniale et les Missions Catholiques, au Soudan français et en Haute Volta, De1885 à 1945, thèse pour le Doctorat d'Etat des lettres et Sciences Humaines (histoire de l'Afrique), Paris VII, Juin 1984, 807p.

4- CAPRON Jean, Sept études d'ethnologie Bwa, Mali-Burkina Faso, 1957-1987, Paris, N.I-1988, 255p.

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8-COSTE René, Evangile et politique, Paris, Aubier, 1968, 313p.

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10- DONDEYNE Albert, La foi écoute le monde, Paris, Ed. Universitaires, 1964, 322p.

11- DIARRA Joseph Tanden, Etats, Eglises et Société, les BUWA, les mécanismes oubliés d'une marginalisation, Bamako, EDIM-SA 2007 , 120p.

12- GRITTI Jules, l'expression de la foi dans les cultures humaines, Paris, Centurion, 1975, 153p.

13- HAMMAN Adalbert, Pour lire les Pères de l'Eglise, Paris, Cerf, 1991, 181p.

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14- LEBRET Louis Joseph, Dimensions de la charité, Lyon 1958, Editions Ouvrières, 186p.

15- ELA Jean-Marc, Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003, 444p.

16- Jean Paul II, La Mission du christ rédempteur, Paris, Cerf 1991, 128p.

Coste René, Pas de pauvre chez toi, la pensée sociale de l'Eglise, Paris, Nouvelle Cité, 1984,

17- Jean Paul II, Ecclésia in Africa, Paris, Cerf, 1995 130p.

18- REGNIER Jérôme, Cent ans d'Enseignement social de l'Eglise, Pais, Desclée, 1991 (BHC n°28).

19- WEBER Max, L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964, 286p.

20- LEGUY Céline, Le proverbe chez les Bwa du Mali, Parole africaine en situation d'énonciation, Paris, Karthala, 2001 323p.

21- MANARANCHE André, L'homme dans son univers, Paris, Ed. Ouvrières, 1966, 253p.

22- MAWUTO R. Afan, La participation démocratique en Afrique, Ethique politique et engagement chrétien, Paris, 2001, cerf, 372p.

23- PERRIN Joseph Marie, le laïc un baptisé, Paris, Nouvelle Cité, 1987, 155p.

24- RIGAL Jean, le courage de la mission, Toulouse, Cerf, 1985, 190p.

25-SIDIBE Mori Julien Marie, le devenir du Mali à la lumière de ses racines socioculturelles, Bamako, Imprim Color, 2001, 65p.

26- LAURENTIN R., Développement et Salut, Paris, Seuil, 1962

III- THESES

1- DIARRA Pierre D.Y, la mission catholique auprès des Bwa avant et après l'indépendance du Mali (1888-1988), gratuité de l'Evangile et responsabilité de l'Eglise, thèse de Doctorat en histoire des religions et anthropologie religieuse, Paris IV, Juin 1992, 622p.

2- Idem, Le christianisme et la libération des Bwa du Mali, quelle religions pour quel homme. Thèse pour l'obtention du DEA en histoire des religions et science théologique, Paris IV, Octobre 1998, 217p.

3- DIARRA Sì'ìã Cyriaque, « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc22, 19b), pour une herméneutique Bo du « Touto». Thèse en vue de l'obtention du Doctorat en théologie biblique, Abidjan, Février 2001, 326p.

IV- MEMOIRES

1- DIARRA Jean Baptiste, l'engagement politique du chrétien au Mali, mémoire de fin d'études au GSSA de Samaya, Mai 1993, 48p.

2- DEMBELE Joseph, le nom traditionnel et le nom chrétien chez les Bwa, ( une étude anthropologique et théologique), Institut Catholique de Paris, Mémoire de Maîtrise en théologique, Juin 1997, 128 p.

3- KONE Pierre, Baranyini, mon frère, Exode rural des jeunes du Bwa-tû et pastorale des migrants du diocèse de San (Mali), mémoire de fin d'Etudes, GSK, 1989, 69p.

4- SANOU Jean Baptiste, l'Evangélisation comme oeuvre de développement en Afrique, mémoire de fin d'Etudes au GSSA de Samaya, Avril 1993, 55p.

V- REVUES

1-Document de travail pour le Synode des évêques, Vocation et Mission des laïcs dans l'église et dans le monde 20 ans après Vatican II, présentation de Gastro Piétri, Paris, Centurion, 1987, 70p.

2- Lumen Vitae, Revue Internationale de la formation religieuse, Volume XXI, 1966, n°4

3- Lumen Vitae, Revue Internationale de la formation religieuse, Volume XLIII, 1988, n°2

4- RUCAO, Personne humaine et crise de la société en Afrique, sortir de la crise, Abidjan, 2003, n°18

5-Catéchèse, Inscrire la foi dans notre culture, Janvier 1989, n°114

TABLE DES MATIERES

DEDICACE 2

REMERCIEMENTS 3

CARTE I 4

CARTE II 5

INTRODUCTION GÉNÉRALE 6

1-MOTIVATIONS PASTORALES 7

2-MOTIVATIONS THÉOLOGIQUES 9

3- PROBLÉMATIQUE 11

4- HYPOTHÈSES 14

5- L'ÉTAT DE LA QUESTION 15

6- L'ORIGINALITÉ DE LA QUESTION 16

7- DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE 16

PREMIERE PARTIE 18

CHAPÎTRE I- PRÉSENTATION DU BWATUN « PAYS DES BWA » 19

I-1 SITUATION GÉOGRAPHIQUE 19

I-2- SITUATION HISTORIQUE 19

I-3- L'ANTHROPOLOGIE BO 20

I-3-1- L"ETHNIE 20

I-3-2 LA LANGUE 20

I-3-3 LA SOCIÉTÉ 20

I-3-4 LA CONCEPTION DE L'UNIVERS 21

I-4 LA CONCEPTION DU PROGRÈS SOCIAL CHEZ LES BWA 22

CHAPÎTRE II- L'ÉVANGÉLISATION DU BWATUN 23

II-1 LE CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE ET ÉCONOMIQUE DES BWA AVANT «L'INVASION » MISSIONNAIRE 23

II-1-1 LA CRISE GÉNÉRALE A L'AUBE DE L'EVANGÉLISATION 23

II-1-2 LA RÉVOLTE DE 1916 AU BWATUN 24

II-1-3 L'IMPLANTATION DE LA MISSION DE MANDIAKUY 25

II-1-4 LA DIFFICULTÉ DES NOUVEAUX ADHÉRENTS À LA « NOUVELLE RELIGION » 25

II-1-5 LA SÉCURITÉ DE LA RELIGION DU MISSIONNAIRE BLANC 26

II-1-6 LA POLITIQUE SOCIALE DU CATHOLICISME CHEZ LES BWA 28

II-2 LE RÔLE DE L'EGLISE DANS LA SITUATION SOCIOPOLITIQUE ET ÉCONOMIQUE ACTUELLE DES BWA 31

II-3 L'EGLISE LOCALE ET SES oeUVRES SOCIALES 31

CHAPÎTRE III- LES ORGANISMES D'AIDE AU DEVELOPPEMENT DES BWA 32

III-1 CARITAS/SAN 32

III-2 LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES (ONG) 34

III-2-1 LA MISSION PROTESTANTE 35

III-2-2 MALI- AQUA-VIVA 35

III-2-3 SOS SAHEL (SAVE OUR SOUL- SAHEL) 35

III-2-4 WORD VISION INTERNATIONAL (VISION MONDIALE BWATUN) 36

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE 37

DEUXIEME PARTIE 38

CHAPÎTRE I- LES FONDEMENTS SCRIPTURAIRES DE L'AGIR SOCIAL DU CHRÉTIEN 39

I-1- DANS L'ANCIEN TESTAMENT 40

I-2 DANS LE NOUVEAU TESTAMENT 44

I-3 L'ENSEIGNEMENT SOCIAL DES PÈRES DE L'EGLISE 50

CHAPÎTRE II- LA DOCTRINE SOCIALE DE L'EGLISE 53

II-1 L'ÊTRE HUMAIN, BUT DE LA DOCTRINE SOCIALE DE L'EGLISE 55

II-2 LA DOCTRINE DE LA PROMOTION HUMAINE 58

II-3 LA DOCTRINE DE LA STABILITÉ SOCIALE 59

II-4 L'AGIR SOCIAL COMME PARTICIPATION À LA MISSION DE L'EGLISE 61

II-5 L'AGIR SOCIAL COMME EXIGENCE DE FOI CHRÉTIENNE 63

CHAPÎTRE III- LA PROMOTION HUMAINE À LA LUMIÈRE DU RÉCIT DE LA CRÉATION (GN1, 26-2) 64

III-1 LA MISSION DE L'HUMANITÉ AU CoeUR DE LA CRÉATION 64

III-2 LES IMPLICATIONS SOCIALES DU RÉCIT DE LA CRÉATION (GN1, 26-2) 69

III-3 LA VALEUR INESTIMABLE DE TOUT HOMME AUX YEUX DE DIEU 70

III-4 L'INTENDANCE DE L'HOMME DANS LA CRÉATION 72

III-5 L'UNIVERSALISME DE LA MISSION DE L'HOMME DANS LE MONDE 74

CHAPÎTRE IV- L'ACTUALISATION DU MESSAGE DE LA CRÉATION CHEZ LES BWA, AUJOURD'HUI 78

IV-1 LA PLANIFICATION DE LA SAINTETÉ DANS LE LABEUR QUOTIDIEN 78

IV-2 L'ENGAGEMENT POLITIQUE, DYNAMIQUE DU TÉMOIGNAGE DE FOI 80

IV-3 L'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE DU CHRÉTIEN COMME EXIGENCE DE LA MISSION DE L'HOMME DANS LA CRÉATION 84

IV-3-1 LA LÉGITIMITÉ DES BIENS TEMPORELS DU CHRÉTIEN 86

IV-3-2 MAMMON, UN BON SERVITEUR, MAIS UN MAUVAIS MAÎTRE 87

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE 91

TROISIEME PARTIE 92

CHAPITRE I- LA CULTURE TRADITIONNELLE AFRICAINE BO ET SON ÉTHIQUE SOCIALE 93

I-1 LA CULTURE BO, UNE CULTURE DE LA COMMUNAUTÉ CLANIQUE 93

I-2 LA CULTURE BO, UNE CULTURE DU « SECRET » 94

I-3 LA CULTURE BO, UNE CULTURE DU « CONSERVATISME » 94

CHAPÎTRE II- LES EXIGENCES FONDAMENTALES, INDISPENSABLES AU PROGRÈS SOCIAL 96

II-1 LES CONFLITS SOCIAUX ET LEURS IMPACTS SUR LE DÉVELOPPEMENT 96

II-2 LE SENS PERDU DE LA VALEUR DU « SACRÉ » CHEZ LES BWA 98

CHAPÎTRE III- L'ÉVANGÉLISATION DES BWA AUJOURD'HUI 100

III-1 LA TRADUCTION DE LA PAROLE DE DIEU DANS LA LANGUE LOCALE, PREMIERE ETAPE DE L'ÉVANGÉLISATION D'UN PEUPLE 101

III-2 PROMOUVOIR UNE FOI CHRÉTIENNE CENTRÉE SUR LE TÉMOIGNAGE DE VIE 102

III-3 LA PROMOTION DES VALEURS CULTURELLES TRADITIONNELLES DANS TOUS LES SECTEURS DE L'ÉDUCATION CHRÉTIENNE 104

III-3-1 AU NIVEAU DE LA FORMATION CATÉCHÉTIQUE 105

III-3-2 AU NIVEAU DES MOUVEMENTS D'ACTION CATHOLIQUE (MAC) 108

III-3-3 AU NIVEAU DE L'ENSEIGNEMENT PRIVÉ CATHOLIQUE 109

CHAPÎTRE IV- L'EGLISE DE SAN EN MARCHE VERS SON CENTENAIRE D'EVANGÉLISATION 111

IV-1 LA JEUNESSE, AVENIR DE NOTRE EGLISE ET DE NOTRE PAYS 111

IV-2 LA NÉCESSITÉ D'UNE PASTORALE DE LA CULTURE BO 112

CONCLUSION DE LA TROISIÈME114

CONCLUSION GÉNÉRALE 115

BIBLIOGRAPHIE 119

TABLE DES MATIERES 122

* 1 Jean Paul II, le message de Puebla, Edit. du Centurion, Paris 1979, p.60

* 2 L. J LEBRET, Dimensions de la charité, Lyon 1958, Editions Ouvrières, p. 41

* 3 Mt19, 23-24

* 4 Mt 6, 19-24

* 5 J.Tanden DIARRA, Etats, Eglises et Sociétés, les Buwa, les mécanismes oubliés d'une marginalisation, Bamako,EDIM-SA, 2007 p.68

* 6 Idem, p.67

* 7 J.CAPRON, Sept Etudes d'ethnologie bwa, Burkina Faso, 1957-1987, Université François Rabelais de Tours, Mémoire du laboratoire d'anthropologie et de sociologie, n°1, 1988, p. 50

* 8 Terme désignant les bwa et aussi les Bobo

* 9 D Y P. DIARRA, la Mission Catholique auprès des bwa avant et après l'Indépendance du Mali, Paris, Juin 1992, Tome I p.38

* 10 J. Roger de BENOIST, les Relations entre l'Administration coloniale et les Missions Catholiques, au Soudan français et en Haute Volta, De1885 à 1945, Paris, Tome I p.370

* 11 N. BONI, Crépuscule des temps anciens, Présence Africaine, in Y.D. P. DIARRA, la Mission Catholique auprès des bwa du Mali (1888-1988, Gratuité de l'Evangile et Responsabilité de l'Eglise, Paris, Juin 1992, Tome I p.142

* 12 Y.D. P. DIARRA, la Mission Catholique auprès des bwa du Mali (1888-1988, Gratuité de l'Evangile et Responsabilité de l'Eglise, Paris, Juin 1992, Tome I p.167

* 13 Ibidem, p.62

* 14 J. GRITTI, l'expression de la foi dans les cultures humaines, Paris, Centurion 1975 p.19

* 15 J.Tanden DIARRA, Etats, Eglises et Société, les BUWA, les mécanismes oubliés d'une marginalisation, Bamako, EDIM-SA 2007 p.13

* 16 L. J LEBRET, Dimensions de la charité, Lyon 1958, Editions Ouvrières, p.153

* 17 Idem, p.15

* 18 Gn1, 27

* 19 J.ELA, Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003, p.224

* 20 Dt 6,4

* 21 Is 58,7-8.10

* 22 Ex3, 17

* 23 Pr22, 22-23

* 24 Ps116, 3-8, 15, 17

* 25 Ps146,6-9 ;1o,18 ; 103,6,14 ; 107,9,14-16 ; 68,7 ; 145,14 ; 42,7

* 26 Ela J., op. cit p.227

* 27 ibidem p.211

* 28 C. MUNIER, l'Eglise dans l'empire romain (IIè et IIIè siècles), Eglise et Cité, Paris, Cujas, 1979, p.73 in R. Coste, Pas de pauvre chez toi, la pensée sociale de l'Eglise, Paris, Nouvelle Cité, 1984 p.77

* 29 R. Coste, Pas de pauvre chez toi, la pensée sociale de l'Eglise, Paris 1984, Nouvelle Cité, p. 78

* 30 Trad. H.-I. MARROU, «sources chrétiennes», n°33, p. 65 in A. Hammam, pour lire les Pères de l'Eglise, Paris 1991, Cerf, p.26

* 31 ST Augustin, De moribus Ecclésias (XXX, 63) in R. Coste, Pas de pauvre chez toi, la pensée sociale de l'Eglise, Paris, Nouvelle Cité, 1984 p.78

* 32 Gaudium et spes n°40 §3

* 33 J.JULIEN, Le chrétien et la politique, Tournai, Desclée, 1963, p.199

* 34 Gaudium et Spes n°40 §3

* 35 Gaudium et Spes n°25

* 36 Gaudium et Spes n°1

* 37 Novo Millenio Ineute n°58

* 38 Gaudium et Spes n°41 §2

* 39 Gaudium et Spes n°63

* 40 Ecclésia in Africa n°69

* 41 Gaudium et Spes n°3

* 42 Centesimus Anno n°54

* 43 Mt 28,19-20

* 44 Documentation catholique 102 (2005), p.553

* 45 Ecclésia in Africa n°69

* 46 Gaudium et Spes n°45

* 47 Rerum Novarum n°34

* 48 Rerum Novarum n°19

* 49 Rerum Novarum n°19

* 50 Jean Paul II, Allocution au Bourget, 1er Juin 1980, Documentation Catholique, n°1788 (Juin 1980), p.586

* 51 Jean XXII, Pacem in Terris, 11 Avril 1963

* 52 Evangelii Nutiandi n°29

* 53 Apostolat des Laics n°7

* 54 1 BOULET A., Création et rédemption (Chambray 1995) p. 39. Sr JEANNE D'ARC,

Chemins à travers la Bible p. 75: " Toute chose est faite par Dieu belle et bonne. Il faut souligner l'optimisme foncier de cette perspective".

* 55 2 SPICQ C., "eijkwvn ", Lexique théologique du Nouveau Testament (Paris 1991) p.

429-431.

* 56 Lumen gentium n° 49

* 57 M. Weber, l'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964, p.197

* 58 J. AUBERT, Vivre en chrétien au XXè siècle, tome 2eme, l'engagement du chrétien, sexualité, l'économie, la politique, Paris, Salvador, 1977 p.160

* 59 R. COSTE, Les communautés politiques, Paris, Cerf, 2000, p.156

* 60 Jean Paul II, Homélie de la messe pour la justice et la paix, Cathédrale de Brazzaville, 05 Mars 1980

* 61 62 J. Marc ELA, Repenser la théologie africaine, le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003 p.83

* 63 J. GRITTI, l'expression de la foi dans les cultures humaines, Paris, le Centurion, 1975, p.7

* 64 J.JULIEN, Le chrétien et la politique, Tournai, Desclée, 1963, p.199

* 65 J.T DIARRA, Etats, Eglises et Société, les Buwa, les mécanismes oubliés d'une marginalisation, Bamako, EDIM-SA, 2007 p.67

* 66 J. Ellul, L'homme et l'argent, Presses Bibliques Universitaires, Lausanne 1954, p.65

* 67 Ici nous voulons par les termes riches, ceux qui ont de quoi se nourrir et de quoi se vêtir tous les 12 mois de l'année. A ceux-ci on ajouterait ceux qui détiennent quelques têtes de bovins et de caprins.

* 68 En fait, les fétiches propres sont des autels de communication avec les ancêtres et les esprits de la nature. Ceux-ci n'ont pas de porté néfaste, ils peuvent porter des effets correctionnels de la par des ancêtres en cas d'infraction à la coutume.

* 69 En général, le savoir faire d'une communauté est considéré comme un bien de la famille et ne doit en aucun cas être transmis en dehors cette famille. Car ces connaissances sont considérés comme l'expression de la puissance familiale et doit, pour cette raison, être conservé orgueilleusement.

* 70 Chez les Bwa, l'abandon des pratiques traditionnelles culturelles et religieuses est considéré comme une sorte de trahison, d'apostasie.

* 71 Extrait de la communication du ministre Belge des colonies, J. RENQUIN, en 1920 avec les premiers missionnaires catholiques du Congo. Sources: L'avenir colonial Belge, Bruxelles, 30, Octobre, 1921

* 72 J. GRITTI, L'expression de la foi dans les cultures humaines, Paris, le Centurion, 1975 p.19

* 73 Idem, p. 20

* 74 Cf. commentaire du cours

* 75 J. ElA, Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003, page de garde.

* 76 D Y P. DIARRA, la Mission Catholique auprès des bwa avant et après l'Indépendance du Mali, Paris, Université de Paris-Sorbonne, Juin, 1992, Tome II p.542

* 77 Cardinal SUHARD dans sa lettre pastorale « Essor ou déclin de l'Eglise ? » en 1947

* 78 J. GRITTI, l'expression de la foi dans les cultures humaines, Paris, le Centurion, 1975, p.138

* 79 Paul VI, Evangelii Nuntiandi, n°20

* 80 V. COSMAO, Changer le monde une tâche pour l'Eglise, Paris, Cerf, 1979, p.104

* 81 Idem, p.98

* 82 Evangelii Nuntiandi n°19

* 83 V. COSMAO, Changer le monde une tâche pour l'Eglise, Paris, Cerf, 1979, p.104

* 84 Paul VI, Evangelii Nuntiandi n°14

* 85 J. RIGAL, le courage de la mission, Paris, Cerf, p.10

* 86 Gaudium et Spes n°1

* 87 J. ELA, Repenser la théologie africaine, le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003 p.81






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