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L'esthétique humaniste des films de Walter Salles

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par Sylvia POUCHERET
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Esthétique et études culturelles 2007
  

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Leçons de vie et utopies tronquées

En outre, si l'on analyse les derniers plans de chaque film, force est de constater que ce désir de tirer l'âme humaine vers le haut ne trouve pas de réalisation concrète dans la fiction et demeure en suspens. Salles évite soigneusement d'esquisser une quelconque solution institutionnelle, sociale ou politique dans ses films. Le résultat de la logique sacrificielle à l'oeuvre dans tous ses films sans exception laisse le spectateur conjecturer sur le véritable sens de la démonstration. Les images finales sont énigmatiques voire de nature à contredire ce qui a été avancé auparavant. L'image de la mer qui vient en point d'orgue dans Avril Brisé (2001) certes fait allusion à l'image lyrique finale du film de Glauber Rocha Dieu Noir Diable Blond (1964) symbolisant l'espoir révolutionnaire mais elle apparaît ici comme ambiguë, ambivalente si l'on considère l'ensemble narratif. Comme le cinéaste le répète dans ses interviews, le réel est trop complexe, il faut donc se garder de donner à voir des résolutions dogmatiques. Si bien que ses films, comme le souligne Lucia Nagib60(*), se présentent comme des utopies humanistes tronquées ,vides, illusoires. Encore une fois, le propos de Salles n'est pas de résoudre le politique par le truchement de l'art comme l'espérait naïvement Glauber Rocha mais plutôt de transmettre une image plus positive de son pays, de donner à ce dernier un visage séduisant d'humanité pour le public du monde entier. Toutefois, son approche pourrait s' apparenter à une forme «d'ingression 61(*)» selon le néologisme du philosophe Michel Maffesoli, c'est à dire à une forme d'utopie « interstitielle » symptomatique d'une désaffection fondamentale vis à vis du politique pour réaffirmer des zones de sacré (en opposition à toute transcendance), ce que Lévi-Strauss désignait comme « bricolages interstitiels »ou petites utopies culturelles au quotidien. Cette forme d'  « ingression » ferait partie des humanismes re-émergents où la progression vers l'intérieur, c'est à dire vers l'ordre de l'émotionnel, vers la culture du sentiment d'appartenance à partir d'un lieu donné sont mis en exergue. Il semblerait que le parti pris esthétique et la ligne idéologique des films de Walter Salles soient en connivence avec cette tendance humaniste privilégiant l'ordre du « sensible » comme le soutient l'universitaire brésilien Muniz Sodré.62(*)Le philosophe explicite de manière plus théorique l'arrière-plan idéologique du cinéma de Salles . Il cite « l'ordre du coeur » de Pascal pour souligner la puissance du sensible , de l'émotionnel, du mythique et de l'affectif comme formes émergentes de socialité souvent en désaccord avec les institutions reconnues par le pouvoir de l'Etat. Pour lui , le nouvel humanisme affiche une stratégie de la sensibilité pour réinventer des institutions et des formes de citoyenneté en vue d'une « mondialisation solidaire ».Selon Munoz,c'est aux artistes et aux philosophes que revient le travail du « sensible collectif ».La logique affective, la culture de l'émotion se présente comme une nécessité pour accéder à la connaissance du bien commun, de la réalité des choses. Il plaide pour une sensibilité lucide à l'instar d'Aristote qui affirmait l'impossibilité du triomphe du logos sur le mythos (« l'âme ne connaît point sans fantaisie »). Sodré rappelle à ce stade de la réflexion, que « tout discours et toute perception prennent leur élan dans un noyau identitaire ». Encore une fois,

l' identitaire et l'émotionnel sont affirmés comme étant les clés de la connaissance chez certains philosophes et cinéastes brésiliens.

Il convient toutefois de rappeler l'importance du travail critique de Christian Salmon sur les dérives d'un tel parti pris idéologique. Salmon63(*) dénonce la séduction émotionnelle des nouveaux gourous (politiques, artistes, publicitaires..) dans leur entreprise de fabulation. C'est précisément en des temps d'incertitude ,d'insécurité mondialisée que la résurgence des mythes , du sentiment d'appartenance, ou l'exacerbation de l'affect et son pouvoir d'adhésion se confirment. A l'opposé de Muniz Sodré, Salmon démontre que les engrenages narratifs des récits artificiels ainsi constitués orientent les flux émotionnels, conduisent les individus à s'identifier à des modèles spécieux, tout en déstabilisant les réflexes critiques pour mieux asseoir « la suspension provisoire de l'incrédulité » chère à Coleridge. Comme dans un méchanisme basique de manipulation des esprits, ces récits « placebos 64(*)» produisent un effet de surprise de nature à intégrer, séduire, programmer psychiquement les gens en proie à des souffrances morales, non dépassées, des désirs contradictoires de plus en plus nombreux; cette perte de repère généralisée constitue le terrain idéal pour des discours en apparence réparateurs mais en réalité totalement destructeurs et aliénants pour la conscience et la condition humaine. Pour Salmon, plus que jamais les spectateurs gagnent à aiguiser leur sens critique, à réagir en secptique face à la recrudescence des formules faciles invitant le spectateur à l'investissement éthique, à cette multiplication des postures humanistes qui pourraient bien se transformer en impostures idéologiques commodes65(*):

« les histoires nous permettent de nous mentir à nous même, nos mensonges nous aident à satisfaire nos désirs »

Salmon dénonce dans ce mensonge organisé, dans cette désinformation tendancieuse, une forme de pouvoir aliénant au détriment du spectateur. Il convient selon lui de se méfier des élaborations fictionnelles qui se proposent de restituer la condition d'une nation tout en la structurant «  non avec des arguments rationnels mais en racontant des histoires(...)ce n'est plus la pertinence qui donne à la parole publique son efficacité, mais la plausibilité, la capacité à remporter l'adhésion, à séduire, à tromper. »

Ainsi, le traitement réaliste et l'esthétique documentaire de certains films se proposant de restituer une histoire du ressenti collectif, d'explorer les données d'une identité nationale en des termes relevant de la poésie et du mythe ( comme c'est le cas chez Salles, en particulier dans Terre lointaine et Central Do Brasil) ne saurait être une garantie de vérité contrairement à ce que prétend le cinéaste et malgré son autorité dans le microcosme du cinéma ou des intellectuels brésiliens.

* 60 Lúcia Nagib,The New Brazilian Cinema, I. Tauris, 2003

* 61 Michel Maffesoli, « Utopies interstitielles:du politique au domestique »,Revue Diogène n°206 Avril-Juin 2004, p 34-35

* 62 Muniz Sodré, « Pour un humanisme sensible :l'émergence politique de l'affectif » Revue Diogène

n°206, p 89-98

* 63 Christian Salmon,op.cit.,p 41

* 64 Boris Cyrulnik,De chair et d'âme, Edition Odile Jacob,oct 2006,p 186

* 65 Christian Salmon, ibid,p.30

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus