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La justice pénale au Dahomey de 1900 à  1960

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par Bénédicte BRUNET-LA RUCHE
Université deToulouse II - Le Mirail - Master 2 histoire contemporaine 2008
  
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Table des matières

TABLE DES MATIERES 2

LISTE DES FIGURES 3

LISTE DES PHOTOS 3

REMERCIEMENTS 4

LISTE DES ABRÉVIATIONS 5

INTRODUCTION 6

1ERE PARTIE : ORGANISER LE SYSTEME REPRESSIF AU DAHOMEY (DU XIXEME SIECLE A 1960)... 28

A. LA JUSTICE DANS LES SOCIETES PRECOLONIALES : DES SYSTEMES VARIES SELON LES ROYAUMES 29

1. Des systèmes judiciaires précoloniaux présentant des caractéristiques communes 30

1. Des différences liées à l'organisation des sociétés précoloniales 31

B. ORGANISATION DE LA JUSTICE DE 1894 A 1945 : UNE TRAJECTOIRE NON LINEAIRE 38

1. Les hésitations du système judiciaire en AOF et au Dahomey de 1894 à 1903 38

1. Evolution vers un principe de cloisonnement des justices française et indigène en 1912 42

1. Une justice organisée et hiérarchisée sur l'ensemble du territoire 48

1. Une composition différenciée des tribunaux 57

1. Une procédure distincte devant les deux types de juridictions 61

1. Un contrôle très poussé de la justice indigène 67

C. LA COHABITATION DE LA JUSTICE INDIGENE AVEC LE CODE DE L'INDIGENAT 69

1. Le « Code de l'indigénat », de multiples règlements au service de l'ordre colonial 70

1. Les justifications de l'indigénat mises à l'épreuve des réalités 72

1. Un Code de l'indigénat ou un enseignement pratique de la discipline ? 74

1. Des pratiques abusives malgré le contrôle des sanctions disciplinaires 75

1. Une limite incertaine entre le Code de l'indigénat et la justice indigène 77

1. Des justices « officieuses » au service des Européens 80

D. LA FIN DE LA JUSTICE PENALE INDIGENE APRES 1945 82

1. Les critiques et les réformes de la justice indigène avant 1945 83

1. La justice indigène pendant la Seconde Guerre mondiale 87

1. En finir avec l'indigénat après 1945 92

2EME PARTIE : METTRE EN OEUVRE LA JUSTICE COLONIALE : ENTRE PRINCIPES AFFICHES ET REALITES DE FONCTIONNEMENT (DE 1900 A 1960) 98

A. LE POUVOIR COLONIAL ET LA JUSTICE INDIGENE : PRINCIPES, REPRESENTATIONS ET PRATIQUES 99

1. Une justice adaptée aux besoins locaux ou une justice au service exclusif du pouvoir ? 100

1. Volonté ou contrainte d'une justice adaptée ? Les problèmes financiers et humains 105

1. L'association des élites locales à la justice : un rôle limité 112

La question des coutumes au coeur des ambivalences du système judiciaire 122

1. Un souci de respect des formes et des droits : un non-sens dans le contexte colonial ? 128

1. Les résistances au changement dans le milieu colonial après 1945 131

B. LA POPULATION DAHOMEENNE ET LA JUSTICE DU COLONISATEUR : ACCEPTATION ET RESISTANCE 137

1. Recours à la justice coloniale et position sociale, des liens forts 138

1. Le maintien d'une justice officieuse : la famille et les autorités traditionnelles 152

1. Les résistances à la justice officielle : une opposition à l'ordre colonial ? 160

CONCLUSION 168

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE 177

SOURCES ARCHIVISTIQUES 177

BIBLIOGRAPHIE 188

LEXIQUE DES TERMES JURIDIQUES 207

ANNEXES 210

ANNEXE 1 : GRILLE D'ENTRETIEN 210

ANNEXE 2 : CADRE DE SAISIE DES DONNEES QUANTITATIVES SUR LA DELINQUANCE ET LES PREVENUS 213

ANNEXE 3 : EXEMPLES DE DOCUMENTS CONSERVES AUX ANB ET PROBLEMES DE CONSERVATION 218

ANNEXE 4 : EVOLUTION DES CIRCONSCRIPTIONS JUDICIAIRES DU DAHOMEY DE 1900 A 1945 219

ANNEXE 5 : EXTRAITS DU TEXTE IMPRIME << POUR UNE REFORME COMPLETE DE LA JUSTICE INDIGENE. LE

DECRET DU 3 DECEMBRE 1931 SUR LA JUSTICE INDIGENE EN AOF » 227

ANNEXE 6 : DICTIONNAIRE BIOGRAPHIQUE 233

Liste des figures

Figure 1. Le Danxomé avant la conquête coloniale 33

Figure 2. Division administrative (cercles) du Dahomey en 1932 49

Figure 3. Tribunaux de cercle et de subdivision du Dahomey en 1932 56

Figure 4. Catégories professionnelles de 555 plaignants, Dahomey, 1903-1958 143

Figure 5. Nature des infractions pour chaque catégorie professionnelle des plaignants 145

Liste des photos

Photo 1. Trône du roi Gbehanzin, symbole du pouvoir au Danhomè 32

Photo 2. Vue intérieure du Palais de Béhanzin à Abomey 34

Photo 3. Palais de Porto-Novo : cour où siégeait le roi 37

Photo 4. Carte de l'Afrique occidentale française en 1930 41

Photo 5. Palais de justice de Cotonou, sans date 50

Photo 6. Tribunal de Grand-Bassam, Côte d'Ivoire, sans date 51

Photo 7. Palais de justice de Dakar, Sénégal, sans date 51

Photo 8. Tribunal indigène de Cotonou, sans date 52

Photo 9. Tribunal indigène dans un poste d'Afrique occidentale (Soudan français) 52

Photo 10. << Préparation à la bastonnade », Dahomey, sans date 81

Photo 11. << Bons voeux », Sénégal 108

Remerciements

Je voudrais remercier Sophie Eckert-Dulucq qui m'a permis de travailler sur ce mémoire tout en étant éloignée de la faculté de Toulouse, pour sa confiance et ses conseils avisées, ses annotations toujours très précieuses et ses encouragements, pour sa disponibilité enfin malgré des distances qui ont varié entre 6 000 et 20 000 km.

Je voudrais adresser aussi tous mes remerciements aux personnes interviewées qui ont accepté de consacrer du temps, le roi d'Abomey, M. Gbehanzin, M. Gaston Fourn, Vieux Jacques, M. Paulin Hountondji et M. Salomon Biokou, le plus ancien de tous.

Parmi ces personnes, je souhaite tout particulièrement saluer la disponibilité, l'amitié et les recherches de Raymond Codjo Gbeze, de sa femme Rosalie, et de son frère Gaston.

Merci également à toute l'équipe des Archives nationales du Bénin, notamment à Jérôme et à M. Labitan, pour leur accueil et les échanges que nous avons pu avoir.

Merci encore à M. Ibrahima Thioub et à Laurent Manière pour avoir bien voulu échanger sur ce thème leurs travaux respectifs, à M. Francis Defranoux, à Cyrille Callens, à Alexis pour les contacts qu'ils m'ont permis d'avoir.

Je souhaite également associer ma famille à ces remerciements, Guy pour les multiples lectures des versions du mémoire et Lucas et Kévin pour les nombreuses heures studieuses que j'ai pu leur imposer à Cotonou et Papeete.

Lac de Porto-Novo

Liste des abréviations

ANB : Archives Nationales du Bénin

art. : article

AEF : Afrique équatoriale française

AOF : Afrique occidentale française

CAOM : Centre des Archives d'Outre-Mer

CFLN : Comité français de libération nationale ENFOM : Ecole nationale de la France d'Outre-mer FOM : France d'Outre-mer

JO : Journal officiel

JOD : Journal officiel du Dahomey

SD : Sans date

coll. : collection

dactyl. : dactylographié

vol. : volume

La situation coloniale fabrique des colonialistes, comme elle fabrique des colonisés.

Albert Memmi, Portrait du colonisateur, p. 77

« On ne devait pas s'ennuyer à Niafounké. Je m'arrêtai là. Justement, c'était jour de tribunal. (...) On s'installa dans une pièce de la résidence, le commandant devant une table, l'interprète à ses côtés. Flanquant la table, deux moricauds de la plus belle eau, deux notables : les jurés. En avant ! Le premier plaignant n'est pas décent. La ficelle qui le ceinturait tombait en lambeaux ! Il pourrait prendre son costume neuf quand il vient au tribunal !

- Qu'est-ce qu'il veut ? demanda le commandant. L'homme partit dans un long discours. Estimant qu'il avait suffisamment parlé, le commandant l'arrêta.

L'interprète traduisit :

- Il dit qu'ayant hérité des deux femmes de son père, dont l'une était sa mère, il a marié sa mère à l'un de ses amis qui, en échange, lui avait promis une vache. Or, au bout de deux mois, l'ami lui a rendu sa mère et lui donne un mouton puisqu'il trouve que sa mère ne vaut pas une vache.

- Qu'en pensent les notables ? demanda le commandant. Les notables dormaient.

- Voyez ces saligauds, fit le commandant, et il frappa un grand coup sur la table. Les autres sursautèrent. Mis au courant, les notables voulurent connaître l'âge de la mère.

- A peu près deux fois mon âge, dit le fils. Les notables répondirent qu'elle ne valait même pas un cabri ! Le tirailleur de garde saisit alors le fils infortuné et le jeta dans la cour.

On passa à l'affaire suivante. »

Albert Londres, Terre d'ébène, p. 88

Introduction

La justice au Bénin, ancien Dahomey, souffre d'un déficit de confiance de la part de la population. Selon un sondage réalisé pour les Etats-Généraux de la justice qui se sont tenus à Cotonou en 1996, << 64,5% des Béninois ne croient pas que les jugements rendus soient justes »1. Les usagers se plaignent notamment de la lenteur dans le traitement des dossiers, du mépris à l'égard des justiciables et de la corruption2 ; le nombre de magistrats reste relativement faible3. Mais le système judiciaire instauré depuis l'indépendance du Dahomey s'inscrit dans l'histoire plus vaste de la justice au Bénin. Il a emprunté certains principes d'organisation et de fonctionnement de la justice coloniale qui, elle-même, n'a pas fait totalement table rase des justices établies dans les différents royaumes précoloniaux.

1 Ministère de la Justice, de la Législation et des Droits de l'Homme de la République du Bénin, EtatsGénéraux de la justice, Cotonou, 4 au 7 novembre 1996, p. 45.

2 Ibid.

3 1 pour 29 000 habitants au Bénin contre 1 pour 9 624 en France ; la médiane pour 12 pays africains francophones est cependant de 1 pour 36 565 habitants. Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT). << La justice dans les pays francophones », Conférence des ministres francophones de la Justice, Le Caire, 1995, Paris, ACCT, coll. << Droit, démocratie et développement », cité par Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice, entre mimétismes et métissages, Paris, Dalloz, 2004, pp. 175-176.

La justice coloniale dont Albert Londres nous donne un aperçu dans son carnet de voyage4 apparaît avant tout marquée par l'arbitraire et l'omnipotence de l'administration. Bien que dénués de la verve du journaliste lorsqu'il décrit une matinée au tribunal de Niafounké, les jugements des tribunaux du Dahomey rédigés par les auxiliaires coloniaux saisissent également les paroles des victimes et des prévenus, les questions et les choix des juges. Lorsqu'un adjudant-garde de cercle, Boni, est présenté devant le tribunal du 2ème degré de Cotonou, après avoir sectionné à coups de machette deux doigts de la main d'un prisonnier et qui avait tenté de s'enfuir, la voix de la victime est retranscrite. Elle ne dit pas tout mais elle relate sa situation, ses sentiments, et en l'occurrence les relations de domination au sein de la société coloniale :

<< Quand j'ai été arrêté, j'ai été brutalisé la nuit même où j'ai été mis en cellule (...). Effrayé, j'ai pris la fuite le lendemain matin et j'ai été arrêté le jour même. Le jour où j'ai eu les doigts coupés, j'ai été conduit devant le commandant, M. Claverie ; c'est l'adjudant Boni qui m'a servi d'interprète et qui a répété comme venant du commandant : «Pourquoi ne l'a-t-on pas tué ?» >>5

L'adjudant Boni reconnaît les faits ; le tribunal criminel estime que ce dernier est coupable de << coups et blessures volontaires, sans ordre du chef de subdivision >>. Mais il fait dans le même temps bénéficier Boni des circonstances atténuantes dans la mesure où son acte n'était pas prémédité et en raison de ses brillants états de service pendant la Grande Guerre. Sa condamnation à 9 mois d'emprisonnement et à des dommages et intérêts apparaît nettement inférieure à celle constatée pour des faits de vols et le jugement est d'ailleurs annulé par la cour d'appel de Dakar qui condamne le prévenu à deux ans d'emprisonnement. Ce jugement rendu en 1937 n'est qu'un exemple parmi bien d'autres des affaires de vols, de coups et blessures ou d'adultères traitées par les juridictions. Le tribunal est le lieu où s'exposent les conflits sociaux et où peuvent être saisis indirectement les comportements, voire les sentiments des acteurs.

Si, comme le souligne John Rawls, << la justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée >>6, l'analyse de l'histoire des sociétés à travers leurs systèmes judiciaires présente un intérêt certain, notamment lors de la confrontation et de la rencontre de sociétés et de cultures différentes comme dans les sociétés coloniales. La présente étude explore donc un pan de l'histoire de la justice pénale qui n'a pas encore été abordée au Bénin et qui reste embryonnaire dans de nombreux autres pays africains : le système judiciaire pendant la période coloniale.

4 Albert Londres, Terre d'ébène, Paris, Le serpent à plumes, 1998 (1ère éd. 1929 Albin Michel), 275 p.

5 ANB, 2F30, fonds du Dahomey colonial, jugement du 5 février 1937 du tribunal criminel de Cotonou.

6 John Rawls, Théorie de la justice, Paris, Le Seuil, 1997 (1ère éd. française 1987), 666 p.

D'une manière générale, l'histoire de la justice et de la répression n'a d'ailleurs que faiblement intéressé les chercheurs jusqu'aux années 1970. Selon certains historiens, les raisons tiennent à l'aspect peu attractif de cette histoire et au durable partage des savoirs entre juristes et historiens depuis le début du XIXème siècle. En effet, le mouvement des Annales a conduit de nombreux historiens à se détourner de l'histoire du droit et à abandonner aux seuls juristes l'histoire de l'Etat et de ses institutions. Les historiens ont privilégié l'économique et le social ; ils ont longtemps orienté leurs choix de recherche vers l'analyse des structures de la société et non vers ses marges7.

Le contexte du début des années 1970 modifie ces perspectives. Les notions de classes sociales se brouillent ; les recherches s'orientent alors davantage vers les franges de la société (études sur les marginaux et les détenus). Les révoltes dans les prisons américaines et françaises poussent également les chercheurs à réinterroger l'histoire du carcéral et de la peine. Les premiers travaux mettent en lumière l'émergence d'une nouvelle conception de la répression à la fin du XVIIIème siècle. Elle tend à substituer une peine certaine mais mesurée, dans le cadre fermé et << éducatif » de la prison, à un châtiment arbitraire mais exemplaire et dissuasif sur la place publique. Michel Foucault8 analyse la prison comme une figure du mouvement de << grand renfermement » qui, depuis la fin du XVIIIème siècle, a pour objet de modeler les corps et de réformer les esprits. L'emprisonnement devient non seulement la sanction pénale privilégiée mais aussi un instrument de contrôle social. Des auteurs anglophones mettent en évidence le lien entre la construction idéologique et matérielle du système carcéral et la mise en place d'un nouvel ordre politique, économique et moral au XIXème siècle en Europe et aux Etats-Unis9. Ces études ouvrent la voie à de multiples recherches sur la répression et les prisons au XIXème 10 et au XXème 11 siècles.

7 Michelle Perrot, Les ombres de l'histoire, crimes et châtiments au XIXème siècle, Paris, Flammarion, 2001, pp. 9-10.

8 Michel Foucault, Surveiller et Punir, Paris, Gallimard, 1975.

9 Notamment David Rothman, The Discovery of the Asylum. Social Order and Disorder in the New Republic, Boston, Little Brown and Cie, 1971 et Michaël Ignatieff, A Just Measure of Pain. The Penitentiary in the Industrial Revolution, New York, Pantheon Books, 1978.

10 Michelle Perrot (sous la direction de), L'impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire au XIXème siècle, Paris, Le Seuil, 1980. Jacques-Guy Petit (sous la direction de), La prison, le bagne et l'histoire, Paris, Librairie des Méridiens, 1984.

11 Robert Badinter présente les débats théoriques sur les objectifs de l'emprisonnement et les réformes du système pénitentiaire qui en résultent, La prison républicaine en France, Paris, Fayard, 1992. Jean-Claude Farcy et Henry Rousso analysent la répression pendant la période de la guerre. << Justice, répression et persécution en France (fin des années 1930-début des années 1950) », Cahiers de l'IHTP, n°24, juin 1993.

Les historiens se penchent également sur les conditions de vie des détenus dans les institutions pénitentiaires12. Ces études portent essentiellement sur le système carcéral. Mais d'autres auteurs abordent l'évolution institutionnelle de la justice en France depuis le XVIIIème siècle, tels que Jean-Pierre Royer ou Jean-Claude Farcy13. Enfin, divers chercheurs ont analysé l'évolution des conceptions sur le crime et le criminel dans la société française en s'appuyant sur les statistiques judiciaires élaborées à partir du XIXème siècle14. La nomenclature et les chiffres de la criminalité sont perçus comme un reflet des sensibilités au fait criminel. Plus récemment encore, l'opinion de la société sur la criminalité a été examinée à travers les romans populaires et les articles de presse consacrés aux faits divers15. D'autres historiens sont quant à eux partis des procédures et des jugements pour saisir les transformations du regard de la société sur certains crimes comme le viol16.

L'essor récent de la justice comme thème de recherche se manifeste également depuis la fin des années 1980 par la rédaction de volumineux guides des archives judiciaires et pénitentiaires17 et par des réflexions sur les usages de ces archives par les historiens18, ainsi que par la création de sites Internet comme celui de Marc Reneville rassemblant les bibliographies, les ressources en ligne, certaines études et conférences en matière d'histoire de la justice et de la délinquance19.

12 Christian Carlier, La Prison aux champs. Les colonies d'enfants délinquants du Nord de la France au XIXème siècle, Paris, Editions de l'Atelier, 1994. Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures. La prison pénale en France, 1780-1875, Paris, Fayard, 1990. Patricia O'Brien, Correction ou châtiment : histoire des prisons en France au XIXème siècle, Paris, PUF, 1988 (1ère éd. 1982), 342 p.

13 Jean-Pierre Royer, Histoire de la justice en France, Paris, PUF, 1995. Jean-Claude Farcy, L'histoire de la justice française de la Révolution à nos jours, Paris, PUF, 2001.

14 Jean-Claude Chesnais, Histoire de la violence en occident de 1800 à nos jours, Robert Laffont, coll. Pluriel, 1981. Philippe Robert, Les comptes du crime. Les délinquances en France et leurs mesures, Paris, L'Harmattan, 1991.

15 Dominique Kalifa, L'Encre et le Sang : Récits de crimes et société à la Belle Epoque, Fayard, 1995. Dominique Kalifa, Crime et Culture, Paris, Perrin, 2005.

16 Georges Vigarello, Histoire du viol, XVIème-XXème siècles, Paris, Le Seuil, coll. l'Univers historique, 1998.

17 Jean-Claude Farcy, Guide des archives judiciaires et pénitentiaires, 1800-1958, Paris, CNRS éd., 1992, 1 175 p. Un autre guide le prolonge pour les documents postérieurs à 1960.

18 Un premier colloque s'est tenu en 1988 à Toulouse sous la direction d'Yves-Marie Bercé et d'Yves Castan, Les archives du délit : empreintes de société, Toulouse, éd. universitaires du sud, 1990, 117 p. Il soulignait l'intérêt de retrouver à travers les archives judiciaires les traces de la société à un moment donné. Un second colloque a eu lieu en 1998 sous la direction de Frédéric Chauvaud et Jacques-Guy Petit, « L'Histoire contemporaine et les usages des archives judiciaires (1800-1939) », Histoire et archives, hors série n°2, Paris, Honoré Champion, 1998, 490 p. Il avait pour objectif de dresser un bilan international de l'apport des archives judiciaires et des problèmes posés par leurs usages pour la période contemporaine. Jean-Claude Farcy souligne également dans son ouvrage sur l'histoire de la justice française depuis la révolution que des associations, comme l'International Association for the History of Crime and Criminal Justice, et des revues, par exemple Crimes, histoire et sociétés, ont été créées depuis les années 1980-1990.

19 Source Internet : http ://www.criminocorpus.cnrs.fr/

Les ouvrages et les revues relatifs au crime, à la justice et à la répression en Europe foisonnent donc actuellement. Ils ne concernent pas le continent africain mais permettent de mieux comprendre les conceptions culturelles qui imprègnent les colonisateurs sur la criminalité et sa répression et ils nous aident également à saisir les sources, les méthodes et les limites des recherches en histoire judiciaire. Les ouvrages de Michel Foucault << Surveiller et Punir » et de Michelle Perrot sur << les ombres de l'histoire » ont suscité pour partie la problématique de départ de ce mémoire, nous conduisant à interroger les sources judiciaires de façon à appréhender le projet répressif des autorités en place au-delà de ses apparences, mais également à comprendre les réactions des << oubliés » de l'histoire, les personnes jugées et les justiciables face à ce système pénal. Cependant, ces études restent centrées sur la métropole. Leurs conclusions ne peuvent être extrapolées à l'Afrique coloniale. En effet, lors de la création des colonies, dont le Dahomey en 1894, les autorités françaises instaurent des modes de règlement des conflits à la fois totalement inédits pour les populations colonisées et différents de ceux existant en métropole. Par ailleurs, la société coloniale ne peut être assimilée à la société métropolitaine. Les colonies connaissent une situation d'altérité entre une minorité colonisatrice dominante qui impose ses normes et une société colonisée qui a ses propres références culturelles et sociales par rapport au crime et à la répression.

Or les chercheurs n'ont que récemment porté une attention spécifique à la justice et la répression en Afrique pendant la période coloniale. Les ouvrages généraux sur l'histoire de l'Afrique développent peu (ou pas) la question de la justice et de la répression durant la période coloniale20. Seuls sont rappelés les principes généraux d'organisation de la justice indigène, distincte de la justice française21. Il s'agit tout d'abord de l'absence d'indépendance des tribunaux indigènes qui sont présidés par un administrateur des colonies cumulant les pouvoirs exécutif et judiciaire. Des notables locaux participent ensuite à l'exercice de la justice en tant qu'assesseurs, chargés d'appliquer les coutumes locales. Mais les élites locales associées à la justice restent dépendantes de l'administrateur européen qui les nomme et les révoque à son gré ; les coutumes ne sont mises en oeuvre que dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux principes de la << civilisation

20 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique Noire de 1800 à nos jours, PUF, coll. Nouvelle Clio, 2005 (5ème éd.).

21 Entre autres, John Iliffe, Les Africains. Histoire d'un continent, Paris, Flammarion, 1997. Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de), L'Afrique occidentale au temps des Français. Colonisateurs et colonisés, 1860-1960, Paris, La Découverte, 1992. Hélène d'Almeida-Topor, L'Afrique au XXème siècle, Paris, Armand Colin, 2003 (3ème éd.). UNESCO, Histoire générale de l'Afrique, volume VII. L'Afrique sous domination coloniale, 1880-1935, Présence Africaine, EDICEF/UNESCO, 1989.

française >>. Enfin, cette justice indigène cohabite avec une << justice >> arbitraire, le Code de l'indigénat, qui permet à l'administrateur européen de punir de sanctions disciplinaires (prison et amendes) de nombreux signes d'insoumission à l'administration. Certains historiens22 décrivent plus précisément l'organisation et le fonctionnement des institutions répressives coloniales. Ils soulignent qu'elles étaient conçues avant tout comme un instrument de contrôle des populations qui avaient souvent recours à d'autres juridictions que celles du << Blanc >> pour régler leurs contentieux. Mais ces ouvrages généraux ne laissent qu'une place marginale à l'étude du système pénal colonial.

En fait, l'intérêt pour l'histoire de la justice et de la répression en Afrique est resté longtemps l'apanage de juristes et d'anthropologues du droit. Ces derniers se sont intéressés à la conception du droit, des infractions et des sanctions dans les sociétés africaines23. Ils mettent en évidence la confusion dans les sociétés africaines entre ordres divin et terrestre, entre atteinte au sacré et violation de l'ordre social dans la définition, la sanction et la réparation d'un crime. Ces juristes opposent les caractéristiques des systèmes juridiques européens fondés sur des lois uniformes et centralisatrices, cherchant à établir la responsabilité objective de l'individu auteur d'un crime, et les systèmes juridiques africains fondés sur des coutumes variées et reflétant les valeurs traditionnelles qui imprègnent largement l'ensemble de la population (harmonie du groupe, importance du sang et de la parenté). Ils soulignent que le droit << moderne >> d'origine européenne est resté extérieur aux sociétés africaines coloniales puis indépendantes et qu'une large partie de la criminalité échappait ou échappe encore aux tribunaux officiels. Les juristes se sont également attachés à mesurer l'impact de la colonisation sur les coutumes répressives et à appréhender ainsi la dénaturation des coutumes africaines au sein des tribunaux coutumiers24.

Les recherches historiques sont en revanche restées rares en ce domaine. Le faible intérêt des historiens serait lié, pour certains chercheurs, à la crainte de ne découvrir qu'une

22 Jean Suret-Canale, Afrique Noire (occidentale et centrale), tome II ; l'ère coloniale, 1900-1945, Paris, Editions sociales, 1964. Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de), L'Afrique occidentale au temps des Français..., op. cit., Saliou Mbaye, Histoire des institutions coloniales françaises en Afrique de l'Quest (1816-1960), Dakar, 1991.

23 Notamment Elias T. Olawale, La nature du droit coutumier africain, Paris, Dakar, Présence africaine, 1961. Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice moderne : le devin, le juge et le sorcier, Paris, L'Harmattan, coll. Logiques juridiques, 1994. Fatou Kiné Camara, Pouvoirs et justice dans la tradition des peuples noirs, L'Harmattan, coll. Etudes africaines, Paris, 2004.

24 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit. Cette question a été l'objet d'étude de nombreux mémoires, y compris au Bénin : R. Robert Akinde et A. Djibril Mourra, Les coutumes répressives et l'influence de la colonisation au Dahomey de 1894 à 1949, Mémoire en sciences juridiques, Université du Bénin, 1979-80.

reproduction sous les tropiques du modèle répressif européen25. La grande dispersion des archives judiciaires entre la France, le siège de l'ancienne Afrique occidentale française (Dakar) et les chefs-lieux des anciennes colonies constitue un obstacle supplémentaire pour les recherches en ce domaine. Ce n'est que dans les années 1980-1990 que des travaux ont été centrés sur l'histoire de la répression en Afrique, notamment anglophone26. Ces recherches se multiplient depuis dans des directions très variées. Certains historiens ont abordé la question de la police dans le contexte de la domination coloniale en Afrique anglophone27. La police coloniale avait des fonctions essentiellement politiques, liées au maintien de l'ordre colonial telles que la surveillance des frontières, des personnes et de la presse. Son action dans la prévention et la répression de la criminalité restait donc marginale. La lutte contre la criminalité et l'insécurité urbaine n'apparaît pas comme une priorité pour les Etats coloniaux. Pourtant, la criminalité progresse en Afrique après la crise économique des années 1930, dans un contexte de paupérisation des campagnes et des villes28.

La prison en Afrique est récemment devenue un objet d'étude. Plusieurs chercheurs ont mis en évidence le recours massif à l'emprisonnement pénal et administratif en Afrique à partir de l'époque coloniale, dans un but de contrôle de la population et d'utilisation

25 Florence Bernault (sous la direction de), Enfermement, prison et châtiments en Afrique du 19ème siècle à nos jours, Paris, Karthala, 1999.

26 Il est à noter de rares études antérieures sur les politiques pénales menées par des chercheurs anglophones, et portant donc prioritairement sur l'Afrique anglophone. Alan Milner, African Penal Systems, London, 1969. Alan Milner, The Nigerian Penal System, London, 1972. Plus récemment, Leonard C. Kercher, The Kenya Penal System. Past, Present and Prospect, Washington, The University Press of America, 1981. Martin Chanock, Law, Custom and Social Order. The Colonial Experience in Malawi and Zambia, Cambridge, Cambridge University Press, 1985. Kristin Mann, Richard Roberts (éds), Law in Colonial Africa, Portsmouth, Heinemann, 1991.

27 William Robert Foran, The Kenya Police, 1887-1960, London : Hale, 1962, 237 p. Tekena N. Tamuno, The Police in Modern Nigeria, 1861-1965 : Origins, Development and Role, Ibadan, Ibadan University Press, 1970. Mike Brogden, << The Emergence of the Police - The Colonial Dimension », British Journal of Criminology, 1987, 27, pp. 4-14. Anthony Clayton, David Killingray, Khaki and Blue : Military and Police in British Colonial Africa, Ohio, University Centre for International Studies, 1989. David Killingray, Policing the Empire, Government, Authority and Control, 1830-1940, Manchester and New-York, Manchester University Press, 1991. Mathieu Deflem, << Law Enforcement in British Colonial Africa : A Comparative Analysis of Imperial Policing in Nyasalang, The Gold Coast and Kenya », Police Studies, vol. 17, n°1, 1994, pp. 45-68. David Anderson, David Killingray, Policing and Decolonisation : Politics Nationalism and The Police (1917-1965), Manchester, New-York, Manchester University Press, 1992. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Violence et sécurité urbaine en Afrique du Sud et au Nigeria, Paris, L'Harmattan, 1997. Kemi Rotimi, The Police in a Federal State, The Nigerian Experience, Ibadan, College Press Limited, 2001. Laurent Fourchard, Isaac Olawale (éd.), Sécurité, crime et ségrégation dans les villes d'Afrique de l'Ouest du XIXème siècle à nos jours, Paris, Ibadan (Nigeria), Karthala/IFRA, 2003.

28 Laurent Fourchard, Isaac Olawale (éd.), op. cit.

économique de la main d'oeuvre pénale plus que de redressement moral des délinquants29. L'organisation et le fonctionnement quotidien des prisons en Afrique coloniale ont fait l'objet d'une étude détaillée en Guinée30 et au Sénégal31. Un ouvrage collectif, réalisé sous la direction de Florence Bernault, présente une première synthèse des études sur la trajectoire des prisons et des modes d'enfermement en Afrique de l'époque précoloniale à nos jours32. Cet ouvrage a particulièrement inspiré la présente recherche. En effet, l'interrogation qu'il pose sur le projet répressif envisagé sous l'angle de l'enfermement et analysé tant du point de vue des colonisateurs que des colonisés est reprise pour questionner le processus judiciaire en milieu colonial. Ces études menées sous la direction de Florence Bernault reprennent le constat d'un projet répressif de domination politique et d'exploitation économique des populations colonisées. Elles mettent également en évidence les réactions de la population africaine face au système répressif colonial : stratégies d'évitement de la prison, utilisation de la prison comme moyen de pression par les individus qui participent à l'ordre colonial (gardes indigènes, chefs locaux...), multiples formes de réactions et de résistances individuelles ou collectives à la prison (suicides, évasions...). Plus récemment encore, un élément important de la politique répressive coloniale, le Code de l'indigénat, qui permet aux administrateurs de condamner les populations colonisées à des peines de prison et d'amende sans recourir à la justice, a été abordée de manière approfondie et innovante dans sa thèse par Laurent Manière33. Enfin, plusieurs contributions ont été apportées sur les modes d'expression et les instruments de la répression dans les colonies lors d'un colloque international qui s'est tenu à Paris en novembre 2007 sur le thème « colonisations et répressions »34.

Les recherches historiques se multiplient donc en ce domaine ; mais si la pratique répressive coloniale et les réactions de la population africaine ont été appréhendées par

29 David Williams, « The Role of Prisons in Tanzania : A Historical Perspective », Crime and Social Justice, n°13, 1980, pp. 27-38. Dirk Van Zyl Smit, « Public Policy and the Punishment of Crime in a Divided Society : A Historical Perspective on the South African Penal System », Crime and Social Justice, n°21-22, 1984, pp. 146-162.

30 Mamadou Dian Chérif Diallo, Répression et enfermement en Guinée, le pénitencier de Fotoba et la prison centrale de Conakry de 1900 à 1958, Paris, L'Harmattan, coll. Etudes africaines, 2005.

31 Babacar Bâ, L'enfermement pénal au Sénégal : 1790-1960. Histoire de la punition pénitentiaire coloniale, Thèse de doctorat de 3ème cycle, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, 2005, 313 p. D'autres travaux ont été réalisés à l'Université Cheikh Anta Diop sur le système pénitentiaire, comme par exemple Babacar Bâ, Histoire du personnel pénitentiaire colonial au Sénégal : 1893-1960, Mémoire de DEA d'histoire, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, FLSH, 1997.

32 Florence Bernault (sous la direction de), Enfermement, prison et châtiments, op. cit.

33 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat en Afrique occidentale française et son application : le cas du Dahomey, Thèse d'histoire dirigée par Odile Georg et soutenue le 3 octobre 2007, Université Paris 7, 485 p.

34 Colloque international «Colonisations et répressions», Paris, Laboratoire SEDET, 15-17 novembre 2007, http :// etudescoloniales.canalblog.com/archives/14_revoltes_dans_espaces_colonises/index.html.

l'analyse de la police, de la prison et des pratiques coloniales << extra-judiciaires >>, l'étude de la << justice >> coloniale elle-même reste embryonnaire. Pour certains historiens, la justice a été une réalité multiforme dont une grande part fut réappropriée par les Africains, contrairement à la prison qui est largement restée sous contrôle colonial35. Ils soulignent cependant la nécessité de développer les connaissances sur la justice coloniale. Malgré l'existence de plusieurs études, notamment sur l'Afrique Equatoriale Française (AEF), il n'existe en effet que peu de recherches en histoire permettant de confirmer ou d'infirmer cette allégation36, ce que nous nous proposons de réaliser à l'échelle d'une colonie, le Dahomey.

Seuls les historiens du droit37 ont porté une attention spécifique à la justice, tout du moins à l'institution et au personnel judiciaires en Afrique coloniale. Bernard Durand insiste, << au-delà des intentions dominatrices >>, sur la nature << imaginative >> et << expérimentale >> du projet judiciaire colonial, remettant en cause l'idée d'<< exportation >> de la justice métropolitaine dans les colonies. Mais si cette recherche met en évidence les contraintes propres à la justice coloniale (notamment l'insuffisance du personnel judiciaire,

35 Florence Bernault (sous la direction de), Enfermement, prison et châtiments, op. cit.

36 Il s'agit notamment pour l'AOF de l'étude de Bara Ndiaye, La justice indigène au Sénégal de 1903 à 1924, Mémoire de maîtrise d'histoire, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, dactyl., 1978-1979. Une intervention du colloque sur le thème << AOF : esquisse d'une intégration africaine >> qui s'est tenu à Dakar en 1995 à l'occasion de la commémoration du centenaire de la création de l'AOF a également porté sur la justice en AOF : Mbaye Gueye, Justice indigène et assimilation, in Colloque relatif à l'« AOF : esquisse d'une intégration africaine », Dakar, 16-23 juin 1995, résumé des communications, 186 p. et Charles Becker, Saliou Mbaye, Ibrahima Thioub (sous la direction de), AOF : réalités et héritages, sociétés ouest-africaines et ordre colonial, 1895-1960, Dakar, Direction des Archives du Sénégal, 1997, 2 volumes, 1 273 p. Sur la justice en AEF, on peut consulter Carmen Claudia Kihoulou Mountsambote, L'exercice de la justice en AEF au XIXème siècle, de 1869 à 1927, Mémoire de DEA en Histoire du droit, Université Lyon III, 1993, dactyl., 45-12f ; Idourah, Silvère Ngoundos, Colonisation et confiscation de la justice en Afrique : l'administration de la justice au Gabon, au Moyen-Congo, en Oubangui-Chari et au Tchad : de la création des colonies à l'aube des indépendances, Paris, Budapest, Turin, L'Harmattan, 2001, 394 p. et en ce qui concerne la justice française en AEF, Brahim Joseph Seid, Histoire de la justice française en AEF de 1869 à 1903, Mémoire DES en sciences politiques, 1959, 78 p., et plus spécifiquement l'Oubangui-Chari, E. Kouroussou Gaoukane, La justice indigène en Oubangui-Chari (1910-1945), Thèse de doctorat en Histoire, Université Aix-Marseille, 1985. Pour Madagascar, un travail a été réalisé à l'université de Madagascar par Dahy Rainibe, L'administration et la justice coloniale : le district d'Arivonimamo en 1910, Antananarivo, Université de Madagascar, département d'histoire, 1987, 198 p. On peut également citer à propos de l'Afrique du nord le travail de Mohamed Hédi Chérif, La justice pénale française sous le protectorat : l'exemple du tribunal de première instance de Sousse (Tunisie) de 1888 à 1939, Tunis, L'Or du Temps, 2001, 520 p., ainsi que celui de Saïd Benabdallah, L'évolution de la justice en Algérie, des origines à la fin du FLN- parti unique : l'impact sur la justice de l'Etat algérien contemporain, Thèse de doctorat de droit, Nice, Université de Nice- Sophia Antipolis, 2003, 611 p. A noter également l'ouvrage de Sylvie Thénault qui analyse le rôle et le fonctionnement de la justice dans le contexte répressif particulier instauré pendant la guerre d'Algérie : Sylvie Thénault, Une drôle de justice, Les magistrats dans la guerre d'Algérie, Paris, La Découverte, 2004.

37 Bernard Durand, << Observer la justice coloniale sous la Troisième République >> dans Jean-Pierre Royer (sous la direction de), La justice d'un siècle à l'autre, Paris, PUF, coll. Droit et Justice, 2003. Dominique Sarr, La cour d'appel de l'Afrique Occidentale Française, Thèse de droit, Université Montpellier, 1980. Jean-Pierre Royer (en collaboration avec J. Vanderlinden et al.), Magistrats au temps des colonies, Lille, Publications de l'Espace Juridique, 1987.

de sa formation et des budgets coloniaux), ses conclusions s'appuient essentiellement sur des travaux réalisés par des juristes et des fonctionnaires pendant la période coloniale, donc sur une auto-justification du projet colonial, sans recours systématique aux archives judiciaires coloniales elles-mêmes.

Or l'étude des archives coloniales nous paraît essentielle pour mieux saisir l'histoire de la justice coloniale. Une conférence internationale intitulée << Archives judiciaires, sciences sociales et démocratie >>, organisée en décembre 2003 à Dakar par le directeur des archives nationales du Sénégal, Saliou Mbaye, soulignait également l'intérêt des sources judiciaires, encore trop souvent négligées38 et le recours aux archives judiciaires est également encouragé par plusieurs historiens39. Nous avons eu l'opportunité, dans le cadre de ce mémoire, d'avoir un accès direct et prolongé aux archives nationales du Bénin. Face à un discours reconstitué sur le projet répressif colonial, seules ces archives laissent transparaître les conceptions directement exprimées par les autorités coloniales << de terrain >> (administrateurs de cercle et de subdivision) sur les objectifs de la justice coloniale et les modalités de sa mise en oeuvre.

Le regard des populations sur le système répressif colonial n'est pas non plus envisagé par les historiens du droit. L'étude des archives permet de saisir de façon indirecte les réactions de rejet, de recours, voire de détournement du système répressif colonial par les populations, à travers l'analyse des plaintes, des appels, mais aussi des infractions à l'ordre judiciaire colonial40.

Par ailleurs, les réactions de l'Etat colonial et de la population face à la délinquance sont liées à une certaine conception de la nature et de la gravité des infractions. Des études appréhendent la sensibilité du pouvoir colonial, et dans une moindre mesure de la société colonisée, au fait criminel. Ces travaux, essentiellement anglophones41, se développent actuellement en Afrique francophone, notamment dans le cadre de mémoires de maîtrise

38 Citée par Catherine Coquery-Vidrovitch, << Procès de femmes et changements de société >>, Cahiers d'études africaines, n°187-188, << Les femmes, le droit et la justice >>, décembre 2007, disponible sur Internet : http :// etudesafricaines.revues.org/document7732.html.

39 Notamment les historiens ayant contribué à l'ouvrage collectif réalisé sous la direction de Florence Bernault, Enfermement, prison et châtiments, op. cit.

40 Comme Jean-Claude Martin, nous estimons que le chercheur doit << s'astreindre à prendre au sérieux les témoignages consignés dans les archives et à respecter l'autonomie des actes posés par les acteurs, avant de savoir comment ils entrent dans des analyses globalisantes >>. Jean-Claude Martin, << Violences sexuelles, étude des archives pratiques de l'histoire >>, Annales HSS, 1996, volume 51, n°3, p. 643.

41 Donald Crummey, Banditry, Rebellion and Social Protest in Africa, Heineman, 1986. Andrew Burton, << Urchins, Loafers and the Cult of the Cowboys : Urbanisation and Delinquency in Dar-es-Salam, 1919- 1961 >>, Journal of African History, 42 (1), pp. 199-216. Une conférence sur le thème << Crime in Eastern Africa : Past and Present Perspectives >> a également été organisée par le British Institute in Eastern Africa (BIEA) et l'Institut Français de Recherche en Afrique (IFRA) à Naivasha (Kenya) du 8 au 11 juillet 2002.

réalisés à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar42, ou encore en France43. Certaines études ont pour objet d'analyser l'évolution des différents types de criminalité44. D'autres mesurent le lien entre la criminalité et les changements sociaux en Afrique, comme l'urbanisation45. Enfin, la délinquance propre à certains groupes sociaux, notamment celle subie ou exercée par les femmes, a fait l'objet de plusieurs recherches46. La plupart de ces études privilégient une approche qualitative de quelques cas de justice. Leurs auteurs soulignent la nécessité de les compléter par une approche plus systématique et plus quantitative des décisions de justice47. Notons enfin que les ouvrages relatifs à l'histoire du Dahomey ne s'intéressent que peu ou pas au système pénal48. Des étudiants béninois ont travaillé sur le thème de l'histoire de la justice, mais leurs études portent sur le système judiciaire des sociétés précoloniales49 ou du Dahomey indépendant50.

42 Ngouda Kane, L'évolution à Saint-Louis à travers les archives de police de 1900 à 1930, Mémoire de maîtrise d'histoire, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, dactyl., 1988. Nazaire Ch. Diedhou, L'évolution de la criminalité au Sénégal de 1930 aux années 1960, Mémoire de maîtrise d'histoire, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, dactyl., 1991. Chérif Daha Bâ, La criminalité à Diourbel, 1925-1960, Mémoire de maîtrise d'histoire, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, dactyl., 1994. Ousseynou Faye, L'urbanisation et les processus sociaux au Sénégal : typologie descriptive et analytique des déviances à Dakar, d'après les sources et archives de 1885 à 1940, Thèse d'histoire, université Cheikh Anta Diop, dactyl., 1989.

43 Laurent Manière, Ordre colonial, contrôle social et correction des déviances au Dahomey (1892-1946), Diplôme d'Etudes Approfondies en histoire, Université Paris VII, 2002. Dans ce Mémoire, Laurent Manière envisage les différentes méthodes de contrôle social mises en place par les autorités coloniales pour asseoir son autorité.

44 Chérif Daha Bâ, op. cit., qui souligne l'importance de la criminalité économique dans les motifs de poursuite et d'incarcération. Chérif Daha Bâ a approfondi ce travail dans le cadre d'une Thèse, Marginalité et exclusion au Sénégal : les comportements délictuels et criminels dans la vallée du Sénégal (1810-1970), Thèse d'Histoire, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, 2001-2002.

45 Andrew Burton, op. cit. Laurent Fourchard, Isaac Olawale (éd), Sécurité, crime et ségrégation, op. cit.

46 Margaret Jean Hay, Marcia Wright (éds), African Women and the Law : Historical Perspectives, Boston, 1982. Terence Osborn Ranger, << Tales of the Wild West : Gold-diggers and Rustlers in South West Zimbabwe, 1898-1940. An Essay in the Use of Criminal Court Records for Social History », South African Historical Journal, n°28, 1993, pp. 40-62. Jock McCulloch, Black Peril, White Virtue : Sexual Crime in Southern Rhodesia, 1902-1935, Indianapolis, Indian University Press, 2000. Plusieurs interventions de la conférence << Crime in Eastern Africa : Past and Present Perspectives », op. cit., avaient pour objet ce thème d'étude.

47 Notamment les interventions de la conférence << Crime in Eastern Africa : Past and Present Perspectives », op. cit.

48 Entre autres Isaac A. Akinjogbin, Dahomey and its Neighbours, 1708-1818, Cambridge, 1967. Robert Cornevin, La République populaire du Bénin : des origines dahoméennes à nos jours, Maisonneuve & Larose, 1981. Hélène d'Almeida-Topor, Histoire économique du Dahomey, 1890-1920, Paris, L'Harmattan, 1994, 2 vol. Luc Garcia, L'administration française au Dahomey, 1894-1920, Thèse EHESS, 1969. Maurice Ahanhanzo Glèlè, Naissance d'un Etat noir (évolution politique et constitutionnelle du Dahomey de la colonisation à nos jours), Paris, Droit et Jurisprudence, 1969. Clément Koudessa Lokossou, La presse au Dahomey 1894-1960 : évolution et réactions face à l'administration coloniale, Paris, Thèse de l'EHESS, 1976.

49 Malick A. Rochade, Le pouvoir judiciaire dans le royaume de Xogbonou-Ajace sous Toffa, 1874-1908, Mémoire de maîtrise d'histoire, Université nationale du Bénin, 1980. F. Glèlè Kakaï, La justice dans le royaume du Danhomè, Mémoire de maîtrise en sciences juridiques, Université du Bénin, 1980. Aboudou Amadou Aliou, La justice pénale dans l'ancien royaume de Kétou : de sa création jusqu'en 1911, Mémoire de maîtrise en sciences juridiques, Université nationale du Bénin, 1989-90.

50 Aboubakar Baparape, Le pouvoir judiciaire au Bénin de l'indépendance à nos jours, évolutions et perspectives, Mémoire de maîtrise en sciences juridiques, Université du Bénin, 1991.

En outre, les recherches sur le système répressif colonial, abordées parfois à l'échelle régionale, voire du continent, restent segmentées. Elles ne concernent qu'une étape du processus pénal : poursuite et arrestation des délinquants par la police, instruction et jugements par les tribunaux ou exécution de la sanction dans les prisons. Si les études sur la police et la prison se développent, celles relatives à la justice elle-même ne sont pas encore très nombreuses. Notre étude propose donc dans un premier temps, dans le cadre du mémoire de Master, de réaliser une analyse de la répression pénale dans sa phase de jugement, pour mieux saisir le projet répressif colonial et sa pratique, ainsi que les réactions des populations africaines à ce stade de la procédure. Mais les données recueillies et analysées permettent d'envisager une étude plus large afin de présenter le processus pénal dans son ensemble depuis la poursuite et le jugement jusqu'à la fin de l'exécution de la peine dans une colonie, le Dahomey.

Le Dahomey devint une colonie française autonome à partir du décret du 22 juin 189451 jusqu'à son accession à l'indépendance le 1er août 1960. Ce territoire regroupait, à la veille de la colonisation, des unités territoriales très variées. Au sud se trouvaient, outre la République des Ouatchis, les royaumes de Porto-Novo et celui du Danhomè (Abomey), le plus connu, qui dominait plus ou moins directement une grande partie de la région. Ce dernier s'était en effet imposé au XVIIIème siècle aux royaumes côtiers d'Allada et de Ouidah qui lui barraient l'accès à la mer et l'empêchaient de traiter directement avec les Européens installés depuis le XVIème siècle sur la côte pour pratiquer le commerce des esclaves52. Le Danhomè étendit au XIXème siècle sa conquête sur les peuples du moyen Dahomey (notamment les Mahis et le royaume de Kétou)53 et menaçait perpétuellement le royaume de Porto-Novo54. Parallèlement, les royaumes Bariba du Borgou (Nikki, Kandi, Kouandé, Parakou), le royaume de Djougou et les populations montagnardes de l'Atacora étaient installés dans la partie nord du futur Dahomey. Tous ces royaumes restaient attentifs à sauvegarder leur indépendance, et les relations entre les Etats côtiers et l'Europe étaient en principe établies sur un pied d'égalité55.

51 Bulletin Officiel des Colonies 1894, pp. 479-480. Robert Cornevin, La République populaire du Bénin..., op. cit., p. 409. La colonie du Bénin avait été créée le 10 mars 1893 mais elle n'englobait pas encore tout le futur Dahomey.

52 Luc Garcia, Le royaume du Dahomey face à la pénétration coloniale. Affrontements et incompréhension (1875-1894), Paris, Karthala, 1988, pp. 18-20. Robert Cornevin, op. cit., pp. 104-106.

53 Robert Cornevin, La République populaire du Bénin..., op. cit., pp. 139-158.

54 Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l'Afrique noire, Paris, Hatier, 1978, p. 276.

55 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique Noire de 1800..., op. cit., p. 51. UNESCO, Histoire générale de l'Afrique, op. cit., p. 47.

Mais cet équilibre fut rompu par la politique expansionniste européenne entamée dès le début du XIXème siècle et qui s'accentua à partir de 1880. Cette entreprise coloniale partie du Sénégal s'étendit progressivement sur toute l'Afrique occidentale, dont la côte du Bénin. Sur cette côte, le roi de Porto-Novo, menacé tant par les entreprises du roi du Danhomè que par les Anglais installés dans la colonie de Lagos depuis 1861, sollicita le protectorat de la France, dont le traité fut signé en 1863 et renouvelé en 188356. Plusieurs accords avec l'Angleterre et l'Allemagne reconnurent le protectorat de la France sur les villages reliant Porto-Novo et Cotonou et sur les territoires à l'ouest de Cotonou (GrandPopo, Agoué...). La côte du futur Dahomey se trouvait donc sous influence française ; mais les villes de Ouidah et Cotonou restaient possessions du roi du Danhomè. La portée des traités franco-dahoméens relatifs à la cession de Cotonou de 1868 et 1878 devint le point de discorde entre le gouvernement français et le roi d'Abomey ; les traitants européens et le résident français au Bénin poussaient parallèlement le gouvernement français à la conquête du Danhomè. Après deux expéditions militaires, en 1889-90 puis 1892, et une résistance acharnée du roi Béhanzin (1889-1894), les troupes françaises entrèrent à Abomey le 17 novembre 1892 et la France imposa son protectorat sur le Danhomè le 3 décembre 189257. La guerre contre le Danhomè ne s'acheva cependant qu'après la reddition de Béhanzin le 29 janvier 1894. Les troupes françaises poursuivirent alors leurs conquêtes dans le Borgou et plusieurs traités de protectorat furent signés dans le nord du Dahomey ; le Haut-Dahomey fut organisé le 1er octobre 1897.

Notre étude commence en 1900, date à laquelle la conquête du Dahomey est achevée et où cette colonie se trouve intégrée dans la fédération de l'Afrique occidentale française (AOF) créée en 1895. Un arrêté du 22 juin 1894 distinguait à l'origine les régions annexées (entre Grand-Popo et Cotonou, incluant Abomey-Calavi proche de Cotonou), divisées en cercles gérés par des administrateurs, les pays de protectorat placés sous la responsabilité de résidents (Porto-Novo, Allada, Abomey, la république des Ouatchis et celle de Ouéré Kétou) et enfin les « territoires d'influence politique >> organisés dans le Haut-Dahomey sous l'autorité du commandant puis du résident supérieur en 1897 et 1898. Mais ces clivages juridiques furent supprimés en 1903 ; le cercle devint alors la « seule vraie division administrative >>58. Les frontières du Dahomey, qui correspondent aux

56 Robert Cornevin, La République populaire du Bénin..., op. cit., pp. 284-285 ; 294.

57 Hélène d'Almeida-Topor, Histoire économique du Dahomey..., op. cit., volume 1, p. 139. Voir sur Béhanzin le dictionnaire biographique en annexe 6.

58 Ibid., pp. 188-190.

frontières contemporaines, subirent une dernière modification dans le cadre de la réorganisation de l'AOF en 1907, avec l'amputation dans le nord du Gourma et du Say59.

La présente étude sur la justice pénale a donc pour cadre le Dahomey colonial ainsi constitué. Elle a pour objet de saisir les perceptions par le pouvoir colonial et la population dahoméenne de la délinquance et de la justice et d'analyser leurs réactions au phénomène criminel lors du jugement des délinquants. Notre attention s'est portée sur la justice répressive et non civile, dans la mesure où les crimes et délits peuvent être analysés comme des atteintes aux valeurs essentielles d'une société et d'un pouvoir. Les contraventions ne sont pas abordées car elles ne constituent que des atteintes secondaires, davantage réprimées par le pouvoir que par le corps social60.

Dans la nouvelle colonie du Dahomey, le pouvoir français souhaitait assurer sa mainmise et organiser ses pouvoirs régaliens, notamment la justice et plus globalement le pouvoir répressif. En effet, l'exercice du pouvoir répressif apparaît comme un des premiers instruments pour la connaissance et le contrôle des territoires et des populations ; l'Etat colonial français a donc cherché progressivement à garantir son monopole dans le droit de surveiller et de punir, à imposer sa vision de la justice. Mais il était sur un territoire peu connu et doté d'une grande variété de systèmes judiciaires très vivants, dont il ne pouvait faire table rase. Cette étude a tout d'abord pour objet de comprendre l'évolution des principes d'organisation judiciaire durant la période coloniale. Il s'agit ici de mesurer non seulement l'importance de la rupture provoquée avec les justices précoloniales du Dahomey mais également le sens et la cohérence des objectifs assignés par le pouvoir colonial au système répressif, lors des réformes judiciaires successives. Ces règles fixées depuis la métropole devaient ensuite être appliquées en Afrique occidentale à des populations très hétérogènes. Il paraît important de confronter ces normes à la pratique judiciaire dans la colonie et de s'interroger sur la perception par les autorités coloniales locales du système répressif. Comment faisaient-elles fonctionner ce système répressif, et cette pratique quotidienne était-elle en décalage ou en conformité par rapport aux principes affichés ?

Mais cette étude entend dépasser la seule vision du colonisateur sur la justice et se placer dans la perspective d'une histoire sociale et culturelle de la justice au Dahomey,

59 Ibid., p. 153.

60 Les actions érigées en contraventions par le pouvoir colonial étaient très nombreuses et portaient sur des matières très variées, de l'hygiène publique (fosses d'aisance, larves de moustiques...) à l'éclairage des véhicules.

envisagée du point de vue des Africains. En effet, la population dahoméenne se vit appliquer un nouveau système répressif fonctionnant selon des formes et des procédures qui rompaient avec les pratiques antérieures. Elle n'est pas restée passive face à ces nouvelles formes de justice imposées. Nous souhaitons donc comprendre dans quelle mesure la population a pu adhérer, utiliser ou au contraire rejeter cette justice, voire recourir à une justice officieuse. La population dahoméenne ne constitue pas bien évidemment un groupe homogène réagissant de manière uniforme. Les modalités d'utilisation des nouvelles opportunités de règlement des conflits introduites par le colonisateur sont donc étudiées en prenant en compte les groupes sociaux en présence (selon le sexe, la profession et le niveau d'intégration sociale des personnes) et les différences géographiques.

Les archives coloniales apparaissent comme la première source pour tenter de cerner ces questions. Mais celles-ci, dispersés entre la métropole et les colonies, n'ont pas fait l'objet d'une attention particulière en vue de leur conservation et de leur classement jusqu'au début du XXème siècle. Au moment de l'indépendance, des rapatriements d'archives ont été organisés. Les archives dites de souveraineté (gouvernements, résidences, préfectures) ont été envoyées en France tandis que les archives de gestion ont été conservées dans les nouveaux Etats et celles de l'AOF sont restées sur place (Archives du Sénégal). Notre recherche s'appuie donc sur ces archives coloniales de « gestion », essentiellement celles conservées aux Archives Nationales du Bénin (ANB) situées à Porto-Novo, et dans une moindre mesure sur les archives de « souveraineté » du Centre des Archives d'Outre-Mer (CAOM) situées à Aix-en-Provence.

Ancien service des archives du Dahomey créé en 1914, la direction des ANB rassemble une importante masse documentaire sur l'histoire du Dahomey, puis du Bénin depuis 1975. Un guide de l'usager a été rédigé, dont la deuxième édition date de 1999. Selon ce guide, les collections sont classées en quatre fonds en fonction de la date de production des documents. Le fonds ancien, ou du Dahomey colonial, couvre la période de 1840 à 196061. Ce fonds occupe plus de 250 mètres linéaires. Les documents sont en plus ou moins bon état, compte tenu des difficultés de conservation en climat tropical. Le fonds ancien comprend également une collection de 138 bobines de microfilms réalisées à partir des archives de l'AOF et couvrant la période 1800-1940. Ce fonds est clos et retient le cadre de classement en vigueur dans les archives de l'AOF. Ce sont les séries de ce fonds

61 Les trois autres fonds concernent le Dahomey indépendant (1960-1972), le Bénin révolutionnaire (1972- 1990) et la République du Bénin de 1990 à nos jours.

en lien avec la problématique du mémoire qui ont retenu particulièrement notre attention, à savoir la série M (justice) et, dans une moindre mesure, la série F (police et prisons)62.

La série M comprend 184 cartons répartis en 3 sous-séries (1M, 2M, 3M), dont 12 ne sont pas numérotés. Un inventaire de la série M a été dressé ; il se présente sous forme de feuilles manuscrites sur lesquelles sont détaillés le nombre, le contenu et les dates extrêmes des documents présents dans les chemises à l'intérieur de chaque carton. Il existe par ailleurs 32 registres où ont été enregistrés différents actes de procédure et jugements entre 1894 et 1965. Aucun inventaire n'est établi pour ces registres. Les documents portent sur la justice indigène, c'est-à-dire les affaires opposant les Dahoméens ; très peu d'éléments concernent la justice française, pour les litiges opposant les Européens entre eux ou avec des Dahoméens. Les documents concernent l'ensemble du territoire du Dahomey et couvrent la période 1894-1960. Ces documents peuvent être précieux pour mettre en évidence plusieurs aspects du système judiciaire colonial :

- L'organisation judiciaire et les orientations du pouvoir colonial dans la poursuite et la sanction des délits et crimes, avec des textes réglementaires, des circulaires et des correspondances diverses.

- La procédure et le fonctionnement de la justice indigène. On trouve dans cette catégorie tous les actes de procédure. Ces documents sont épars et souvent très sommaires. Cependant, certains présentent un intérêt particulier, notamment les plaintes, les procèsverbaux d'interrogatoire des prévenus et d'audition des témoins, qui font pour partie ressortir les caractéristiques sociologiques des plaignants et les motifs de plainte, donnant des indices sur la perception de la justice par la population dahoméenne. Les documents les plus importants en volume sont constitués par les notices mensuelles sur les jugements rendus par les différents tribunaux. Celles-ci ont pour objet de présenter succinctement les affaires, de fournir des éléments sur l'identité du prévenu, la nature de l'infraction, les circonstances de l'affaire, la coutume ou le texte applicable et la sanction. Ces notices fournissent donc une masse importante de renseignements, dans la perspective d'une analyse quantitative des infractions et des délinquants poursuivis devant les juridictions indigènes. Mais si le cadre de ces notices est normalisé, il est plus ou moins bien renseigné ; il existe donc une certaine variabilité de la qualité des informations selon les juridictions et les périodes.

62 La série E (affaires politiques) réunit quant à elle les rapports politiques annuels sur la colonie du Dahomey. Mais ces rapports ne contiennent que ponctuellement des éléments judiciaires, tandis que la série M présente des rapports plus développés et systématiques sur la justice indigène.

- Le contrôle de la justice indigène par le pouvoir colonial. On trouve un nombre non négligeable de rapports sur le fonctionnement de la justice indigène qui devaient être envoyés par les administrateurs présidents des juridictions indigènes au lieutenantgouverneur. Le lieutenant-gouverneur adressait ensuite aux administrateurs ses remarques sur les jugements rendus. Malgré leurs limites, ces documents nous intéressent pour comprendre la portée du contrôle hiérarchique sur la justice, ainsi que la perception du système judiciaire et de la criminalité (volume et gravité des délits, variations saisonnières...) par les administrateurs. Les administrateurs devaient enfin produire des statistiques judiciaires annuelles. Leur nomenclature varie dans le temps et les données sont éparses, mais l'évolution de cette classification des délits et crimes nous renseigne sur la perception que le pouvoir colonial avait de la délinquance et de la gravité des infractions.

- Enfin, des états sur les sanctions disciplinaires étaient remplis par les administrateurs et faisaient l'objet d'un contrôle hiérarchique ; ils mentionnent l'identité des personnes sanctionnées, le motif et le contenu de la sanction disciplinaire. Ils permettent donc d'appréhender l'importance et les motifs de ces sanctions.

Plusieurs difficultés liées aux problèmes de classement de cette série méritent d'être soulignées. En effet, le fonds du Dahomey colonial a connu un certain nombre de vicissitudes, notamment des déménagements réalisés par la main d'oeuvre pénale, ce qui a entraîné des pertes ou des déclassements de documents. Depuis l'installation dans les nouveaux locaux en 2002, les documents ont été répartis entre les différentes séries, mais l'inventaire et l'organisation de chaque série du fonds sont encore en cours ; selon la directrice des ANB rencontrée en 2005 le manque de qualification du personnel travaillant aux archives rend difficile le classement. Les archives nationales du Bénin rencontrent également un problème de conservation des documents compte tenu du fort taux d'humidité dans le sud du pays et de l'absence de système de climatisation dans les locaux d'entreposage des documents. L'annexe 3 présente un exemple de document datant de 1910 étudié aux ANB et partiellement détérioré. Si un inventaire de la série M a été dressé, l'organisation de cette série n'est pas encore faite au moment de notre étude. Il n'existe pas de classement chronologique ni géographique ou par juridiction. Ainsi, chaque carton et chaque chemise contiennent des documents relatifs à des périodes différentes comprises entre 1894 et 1960, et à des cercles et juridictions variés. Le classement n'est pas non plus thématique. Chaque carton, voire chaque chemise, peut contenir tout ou partie des types de documents présentés précédemment. Non seulement les documents d'un même carton sont

très hétérogènes, mais ils peuvent également ne pas correspondre aux indications de l'inventaire. En effet, la série M a été partiellement reprise par des stagiaires archivistes mais l'inventaire n'a pas été révisé en conséquence.

Compte tenu de la masse documentaire de la série M et du délai imparti pour l'analyse des données (accès aux ANB de septembre 2005 à juin 2006), il nous a été impossible d'analyser de manière exhaustive la série. Nous avons donc opéré certains choix pour l'analyse de ce fonds. En l'absence de logique de classement précise permettant de sélectionner certains cartons ou chemises par rapport à notre problématique, nous avons pris le parti de procéder à un sondage aléatoire de la masse documentaire sans tenir compte de l'inventaire, afin d'avoir une vision représentative de la justice pénale au Dahomey sur la période 1900-1960. A cet effet, nous avons décidé de tirer au sort 34 cartons parmi les 184 de la série (18,5%), et nous avons procédé pour le Master à une analyse détaillée des 20 premiers cartons ainsi tirés au sort (soit une analyse de 11% de la série M). Nous avons retenu comme unité de sondage le carton, en raison du caractère hétérogène de leur contenu tant sur le plan qualitatif que quantitatif.

La série F (police et prisons) apporte un éclairage important sur la répression pénale ; elle contient deux sous-séries : 1F relative à la police et 2F sur les prisons. Un inventaire dactylographié de la sous-série 1F a été élaboré en 2000. Cette sous-série est composée de 70 cartons comprenant 494 dossiers sur 7 mètres linéaires. Elle est constituée d'un ensemble de rapports périodiques, bulletins, notes, actes officiels et correspondances portant sur l'organisation générale, les moyens, le fonctionnement et l'activité des services de sûreté générale ou de la police locale et municipale. Il n'y a pas non plus de principe de classement rigoureux dans cette série et chaque carton peut donc contenir des données très variées. Cependant, l'inventaire de la sous-série 1F est fiable et permet de repérer rapidement les éléments recherchés. Nous avons donc sélectionné dans cette sous-série, à partir de l'inventaire, tous les cartons qui permettaient d'apporter un éclairage sur le fonctionnement et l'activité de la police, parallèlement à celle des tribunaux de la justice indigène au Dahomey ; il s'agit de 21 cartons de la sous-série 1F (soit 30% de cette soussérie).

Un inventaire fiable a également été élaboré pour la sous-série 2F sur les prisons. Cette sous-série comprend 40 cartons qui contiennent des documents très variés : textes réglementaires, rapports, registres, correspondances, quelques lettres de détenus ou de leur famille, jugements, etc., portant sur la période 1903-1960. Mais ces documents, à l'instar des séries M et 1F, n'ont fait l'objet d'aucun classement systématique. Afin d'avoir une

vision d'ensemble de la répression au Dahomey, nous avons sélectionné, par un choix raisonné à partir de l'inventaire, et collecté les informations de 20 cartons de la sous-série 2F (soit 50% de l'ensemble de cette sous-série).

Parmi les éléments relatifs à la structure et au fonctionnement de la police et des prisons, seules quelques données sont utilisées dans la présente étude centrée sur la justice. Ces éléments peuvent néanmoins être systématiquement exploités dans le cadre d'un travail plus large sur la répression pénale au Dahomey.

A côté du fonds du Dahomey colonial, il existe un fonds des journaux officiels classés par ordre chronologique. Nous avons eu recours de manière systématique à ce fonds afin d'étudier les Journaux Officiels du Dahomey (JOD) de 1900 à 1960 et connaître ainsi l'évolution de la réglementation sur l'organisation de la justice et la répression des délits et crimes en AOF et au Dahomey.

Enfin, un fonds des journaux et revues (presse gouvernementale et journaux privés) a été constitué aux ANB. Il existait au Dahomey une presse importante, tenue par des intellectuels dahoméens63. Elle proposait à ses lecteurs une vision critique des actes de l'administration coloniale, et l'une de ses cibles privilégiées fut le Code de l'indigénat et la justice indigène. Les collections de journaux sont éparpillées entre les 219 cartons composant ce fonds (dont l'inventaire manuscrit est très sommaire) et elles sont incomplètes. Par ailleurs, compte tenu du grand nombre de journaux et de l'absence d'instrument de travail permettant de repérer les articles ayant trait à la justice indigène, nous nous sommes largement appuyés sur le travail réalisé dans les années 1970 sur la presse au Dahomey.

Les données des ANB sont complétées par quelques éléments collectés au CAOM d'Aix-en-Provence. En effet, le CAOM conserve les archives des ministères de l'empire colonial français et de nombreuses archives privées. Le fonds des archives ministérielles modernes (celles du second empire colonial) contient tout d'abord le dépôt des papiers publics des colonies envoyés régulièrement en métropole, et notamment les papiers des greffes judiciaires. Mais peu de documents ont été utiles à notre recherche. Pour le Dahomey, un seul registre existe et a été analysé : celui des greffes des justices de paix à compétence étendue de Cotonou pour les années 1909-1911 et de Grand-Popo pour la seule année 190964. Cet élément concerne la justice civile et ne permet donc pas de compléter les données des ANB sur la justice indigène par des données sur la justice

63 Clément Koudessa Lokossou, La presse au Dahomey 1894-1960..., op. cit.

64 Cote de référence FR CAOM DPPC GR ; 1 seul registre, n°2681.

française. Ce fonds des archives ministérielles contient également un groupe « Séries Géographiques », dont les chapitres VIII des sous-rubriques AOF et Dahomey consacrés à l'organisation judiciaire ont été analysés65.

Le fonds réunit ensuite des documents de l'Ecole Coloniale, avec entre autres des mémoires d'études rédigés par les élèves de l'Ecole Coloniale de 1930 à 196066 ; nous avons consulté quelques-uns de ces mémoires portant sur la justice indigène.

Le CAOM dispose également de rapports périodiques d'administrateurs coloniaux et des lieutenants-gouverneurs adressés au ministère des Colonies (série 8G, sous microfilms), dont nous avons pu consulter quelques éléments.

Le CAOM contient enfin des archives privées (documents divers produits par des fonctionnaires coloniaux, des particuliers ou des sociétés) réparties en plusieurs séries. Au sein des archives privées des colonies, nous avons étudié les papiers Victor Ballot67 qui fut gouverneur du Dahomey à partir de 1894. Nous avons également retenu, parmi les papiers d'agents, ceux de Marius Moutet qui a laissé des documents sur son activité en tant que ministre des Colonies (1936-1937, 1946-1947), avec notamment des rapports et correspondance sur la justice aux colonies68. Enfin, nous avons analysé les papiers Boulmer, qui fut inspecteur des colonies69.

Mais les archives coloniales ne permettent que très indirectement de saisir les sentiments de la population dahoméenne sur la justice et la délinquance. Par conséquent, nous avons eu recours à la collecte de sources orales. La perception de la justice par la population dahoméenne dans ses différentes composantes (notables, paysans...) ne peut être connue que par la collecte de témoignages. Nous avons donc rencontré des personnes de milieux divers ayant connu la période coloniale et/ou la justice au Dahomey, ou ayant des connaissances sur cette période transmises par leur famille. Nous avons élaboré une grille d'entretien qui a été utilisée pour interviewer 9 personnes70. Nous n'avons pas pu, faute de temps, et compte tenu des difficultés liées au recueil des données orales, obtenir davantage de témoignages.

65 Ces chapitres comportent deux cartons. Le premier porte sur la période 1901-1932 (Cote de référence FR CAOM 1908 COL 1 et 2), le second porte sur la période 1889-1912 et comprend 6 collections relatives à la législation, la réorganisation judiciaire au Dahomey et des dossiers particuliers (Cote de référence FR CAOM 1408 COL 2 à 6).

66 Cote de référence FR CAOM 123 COL 3.

67 Cote de référence FR CAOM 24 APC 1 et 2.

68 Ces papiers comprennent 8 cartons (Cote de référence FR CAOM 28 PA 1 à 8).

69 Ces papiers comportent deux cartons (Cote de référence FR CAOM 111 APOM 1 et 2) portant sur la période 1928-1939.

70 La grille d'entretien est présentée en annexe 1 ; la liste des personnes interviewées figure dans les sources.

En effet, plusieurs difficultés se sont présentées pour collecter ces sources. Tout d'abord, les entretiens visent des personnes âgées, ce qui pose un premier problème dans un pays où l'espérance de vie reste relativement courte. La langue constitue un deuxième obstacle pour interroger ces personnes en dehors des lettrés. Le statut de << Blanche >> et << Française >> de la personne menant l'entretien peut constituer un troisième obstacle, dans la mesure où il peut conduire les personnes interviewées à ajuster leur discours, déjà reconstruit, sur ce qu'elles pensent des attentes de leur interlocuteur, notamment quand il s'agit d'aborder la période coloniale. L'exploitation de ces sources orales concerne plus spécifiquement la prison et certaines infractions spécifiques en milieu colonial dans le cadre d'une étude élargie sur la répression pénale au Dahomey.

Aux termes de cet état des lieux sur les sources exploitées pour le mémoire, la méthode d'analyse des données issues de ces sources mérite d'être précisée. Les données des ANB, des Archives du CAOM et des entretiens ont été analysées sur le plan qualitatif, pour mesurer appréciations et réalités de fonctionnement de la justice. Mais certaines données, notamment celles relatives aux notices des jugements ont également été étudiées sur le plan quantitatif. Les éléments relatifs à l'identité (nom, sexe, âge, domicile, lieu de naissance, profession, coutume, situation familiale), au type de délit, au plaignant (ministère public ou particulier), à l'emprisonnement préventif, au jugement (date du jugement, sanctions appliquées par type, appel) ont été saisis sur le logiciel Excel, permettant des regroupements et des tris croisés71. Une analyse statistique plus fine (comparaison de moyennes et de pourcentages) a été effectuée au moyen du logiciel EpiInfo v.6.04b72. Une partie des analyses quantitatives est présentée dans le cadre de ce mémoire afin d'étudier plus spécifiquement les caractéristiques sociodémographiques des plaignants et les motifs de leurs recours à la justice.

Les données analysées suivant cette méthode permettent de faire ressortir les principes, mais également les réalités du système pénal colonial au Dahomey. Elles font apparaître l'évolution des règles d'organisation judiciaire entre 1894 et 1960, qui traduit également la vision que le ministère avait de la justice à mettre en place dans les colonies (1ère partie). En effet, soucieux d'assurer son monopole sur le droit et la sanction, le pouvoir colonial introduit assez rapidement un système judiciaire en rupture avec les anciennes justices des royaumes et communautés du Dahomey. Mais les autorités

71 Les cadres de saisie sont présentés en annexe 2.

72 Pour les analyses statistiques, le seuil de 5% (p<0,05) a été retenu pour considérer qu'une différence est statistiquement significative.

coloniales, contraintes par des impératifs financiers et humains, marquées par une idéologie de la différence et soucieuses d'obtenir l'adhésion de la population, ne reproduisent pas le modèle métropolitain. Elles inventent alors une justice dite << indigène >>, un système hybride entre le maintien affiché d'une << tradition >> traduite par les élites locales associées, et l'introduction d'une partie des principes de droit pénal existants en France.

Mais il convient également de s'attacher aux pratiques du droit et de la justice coloniale, aux stratégies des acteurs qui le construisent, l'utilisent et le subissent et qui modèlent ainsi les rapports dans la société coloniale. La confrontation entre les principes affichés et leur application par les administrateurs de terrain (2ème partie) met en évidence les ambiguïtés du système répressif colonial. L'intérêt affiché d'une justice << adaptée >> aux populations des colonies mais respectueuse des droits et des formes ne se confronte-t-il pas aux intérêts prédominants du pouvoir ou ne masque-t-il pas une vision racialisée de la société coloniale, ainsi que les faiblesses humaines et financières des autorités ?

Face à ces ambivalences, les réactions des populations dahoméennes sont multiformes ; le recours à la justice indigène variant selon la position sociale ou géographique et le degré d'intégration à la société coloniale des plaignants. Certains groupes évitent ou s'opposent à cette justice étrangère et permettent ainsi le maintien d'un système << infra-judiciaire >> relativement important pendant la période coloniale, ainsi que la construction d'un discours critique sur la société coloniale, dont la justice << indigène >> reste emblématique.

1ère partie :

Organiser le système répressif au Dahomey

(du XIXème siècle à 1960)

Lors de la conquête de nouveaux espaces africains, le colonisateur se trouve en présence de systèmes judiciaires diversifiés, variant selon le niveau de centralisation de l'Etat ou de la communauté. Tout en maintenant au départ les systèmes judiciaires existants, les autorités coloniales ne peuvent se désintéresser d'un pouvoir régalien qui met en jeu les valeurs fondamentales d'une société. Ainsi, le ministre des Colonies Albert Sarraut estimait-il qu'<< il faut considérer l'organisation d'une bonne justice comme un des premiers devoirs de la colonisation et comme une des meilleures garanties de notre autorité »73. Le pouvoir renforce son emprise sur les populations des nouveaux territoires et la justice est un des éléments essentiels de gestion de domination coloniale, avec la mise en place progressive d'un système distinct entre autochtones et populations françaises, hiérarchisé et étroitement contrôlé. Ce système judiciaire coexiste et est parfois même confondu avec un autre instrument de domination coloniale, le Code de l'indigénat, qui permet aux administrateurs coloniaux de prononcer des peines de prison et d'amende en dehors de tout procès.

Mais dans le même temps, le colonisateur n'a pas les moyens humains et financiers de se substituer totalement aux autorités judiciaires << traditionnelles » ou autochtones. Le pouvoir colonial ne peut par ailleurs s'imposer par la seule force ; il doit maintenir les << traditions », quitte à les remanier selon ses intérêts, et rechercher l'adhésion des populations en associant les anciennes autorités judiciaires. Le pouvoir colonial invente donc un nouvel ordre politique et judiciaire. Cet ordre judiciaire << indigène » est fortement critiqué pendant l'entre-deux-guerres mais il perdure jusqu'en 1946 en matière pénale et la justice civile reste encore distincte entre les Français << d'origine africaine et métropolitaine » jusqu'aux indépendances en 1960.

A. La justice dans les sociétés précoloniales : des systèmes variés selon les royaumes

L'étude du droit coutumier précolonial est délicate car elle concerne des communautés africaines très différentes dans leur organisation et leur fonctionnement. Si certains ouvrages mettent en évidence un fonds et certaines caractéristiques communs aux systèmes judiciaires précoloniaux, les études anthropologiques du droit coutumier africain sont souvent réalisées en dehors de toute référence temporelle ou historique. Or, les royaumes et groupements africains n'ont jamais été figés et leurs institutions judiciaires et

73 Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, Mémoire ENFOM, 1952-1953. CAOM, 3 ECOL 113 d1.

sociales ont suivi ces évolutions, variant selon les périodes de systèmes très décentralisés d'administration de la justice à une forte concentration judiciaire.

1. Des systèmes judiciaires précoloniaux présentant des caractéristiques communes

Le droit africain est souvent conçu par les chercheurs, notamment anthropologues, comme un droit visant à préserver l'équilibre social de la communauté et à apporter une compensation en faveur de la personne lésée. Le droit pénal européen s'en différencierait par son but de sanction ou de châtiment. Cependant, cette question reste largement discutée et Elias T. Olawale74 souligne que les deux types de droit ont pour objet de préserver l'ordre social et d'assurer tant la sanction que la réparation75.

Certains anthropologues du droit, tels qu'Etienne Le Roy ou Maryse Raynal, précisent également que le droit africain révèle une « façon d'être dans le monde » ou dans la communauté. Dans cette conception, l'harmonie du groupe, l'importance du sang et de la parenté sont les valeurs essentielles d'un ordre social et cosmogonique baigné de sacralité76. Lorsque cet ordre du monde est atteint par une infraction ou un accident, « il faut qu'[il] soit réparé selon les exigences de la coutume et les rituels de purification »77. Une infraction atteint la victime mais rejaillit aussi sur le groupe. Il convient donc de compenser le préjudice de la victime mais également de rétablir l'ordre social et naturel, par des rites de purification. La responsabilité pénale reste cependant individuelle, c'est-àdire que seul le coupable est reconnu responsable. Mais il appartient à ses proches, qui ont une obligation d'aide à son égard, de répondre de son méfait. Cette obligation de secours concerne les crimes et délits, qui peuvent être réparés en espèces ou en nature, et non les infractions passibles de la peine de mort, de la mutilation ou d'un châtiment corporel78.

Le Roy ajoute que « l'idéal des sociétés africaines est de toujours tenter de régler les différends dans le «ventre», c'est-à-dire au sein du groupe qui l'a vu naître »79. La prise en charge du différend au sein de la communauté pourrait être assimilée au « traitement

74 Elias T. Olawale, La nature du droit coutumier africain, op. cit., p. 151.

75 Le droit européen distingue la fonction de la responsabilité civile qui est la réparation, de la fonction de la responsabilité pénale qui est la sanction. Ibid., p. 152.

76 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice moderne, op. cit., pp. 299-300.

77 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 9.

78 Elias T. Olawale, La nature du droit coutumier africain, op. cit., pp. 108-110. Mais il existe des exceptions, notamment pour les esclaves qui peuvent être amenés à subir les épreuves judiciaires pour prouver ou non la culpabilité de l'auteur, en lieu et place de leur maître.

79 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 9.

médical à l'échelle du groupe >>80. Mamadou Dian Chérif Diallo souligne également que la prévention et la répression de la délinquance en Guinée reposent sur un système communautaire puissant, dans lequel chacun est positionné avec un ensemble de droits et de devoirs déterminés précisément81.

Maryse Raynal estime donc que les systèmes juridiques africains se distinguent de ceux instaurés en Europe à la fin du XVIIIème siècle, selon leur origine << divine ou ancestrale >> ou << humaine >> :

<< [Les premiers] sont fondés sur la coutume, parole pérenne des ancêtres, tandis que les autres sont fondés sur la loi, incarnation abstraite d'un pouvoir fluctuant. Le droit traditionnel, parce qu'il est d'origine divine, est plus contraignant mais admis (...). Dans la société traditionnelle, l'homme se sent lié à son droit qui est perçu comme une partie de lui-même, puisque l'homme est la continuation des ancêtres. >>82

Enfin, les pouvoirs judiciaire et politique sont très souvent liés dans les systèmes africains. Les détenteurs du pouvoir judiciaire, qu'ils soient rois ou chefs de village, détiennent également le pouvoir exécutif et, comme le précise Elias T. Olawale, << quel que soit le type de société africaine considérée, les pouvoirs législatif, juridictionnel et exécutif tendent à coïncider dans leurs titulaires comme dans leurs exercices >>83. Cependant, ces pouvoirs ne sont pas absolus puisqu'ils associent le plus souvent des conseils d'anciens ou de ministres et qu'ils s'appuient sur les pouvoirs religieux.

2. Des différences liées à l'organisation des sociétés précoloniales

Malgré un fonds commun, le mode de règlement des litiges varie en fonction de la nature du groupe social pris en considération, selon que la société est centralisée ou non.

Des différences liées au degré de centralisation du pouvoir dans les sociétés africaines

Au sein même des sociétés très structurées, des différences apparaissent entre la procédure appliquée par le tribunal suprême (celui du roi ou du chef) et par les simples juridictions de village84. Cette distinction existait par exemple en Guinée85. Mamadou Dian Chérif Diallo souligne que les sociétés au pouvoir non centralisé connaissaient deux types de juridictions : le tribunal du clan ou du lignage, juridiction de premier degré présidée par le patriarche et compétente pour les infractions ou les affaires de faible importance, et le

80 Etienne Le Roy fait référence à la conception médicale développée par Philippe Laburhe Tolra pour le Gabon, ainsi que par Dieudonné Muogo dans une Thèse de droit sur la politique criminelle du Cameroun (Université de Paris I, 1981).

81 Mamadou Dian Chérif Diallo, Répression et enfermement en Guinée, op. cit., pp. 46-48.

82 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice moderne, op. cit., p. 300.

83 Elias T. Olawale, La nature du droit coutumier africain, op. cit., p. 206.

84 Ibid., p. 233.

85 Mamadou Dian Chérif Diallo, Répression et enfermement en Guinée, op. cit., pp. 57-58.

tribunal de village, juridiction de second degré présidée par le chef du village et statuant sur des affaires plus graves. Enfin, les chefs de famille restaient compétents pour régler les litiges familiaux, sauf entre époux. En revanche, dans les sociétés plus centralisées, une juridiction est mise en place à chaque échelon du pouvoir (tribunal de village, de province et du royaume), avec parfois un corps de fonctionnaires judiciaires. Ces tribunaux ne sont pas obligatoirement présidés par les patriarches mais par des chefs guerriers généralement issus de la famille du roi. Maryse Raynal constate des situations semblables dans les sociétés de Centrafrique86.

Photo 1. Trône du roi Gbehanzin, symbole du pouvoir au Danhomè

Source : musée du quai Branly

Les systèmes judiciaires dans les sociétés précoloniales du Dahomey

Avant la conquête coloniale, le Dahomey était constitué de nombreux royaumes plus ou moins structurés. Le plus connu d'entre eux est l'ancien royaume du Danxomé ou du Danhomè (Photo1), qui s'étendait sur la partie centrale du sud du Dahomey, entre Ouidah et Cotonou (Kutonu) et depuis la côte jusqu'à Savalou au nord (Figure 1).

Dans ce royaume très centralisé, la justice était devenue depuis Huegbaja (1650- 1680) un attribut personnel du roi87. Ce dernier rendait justice, entouré de ses ministres et

86 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice moderne, op. cit., pp. 181-187.

87 Maurice Ahanhanzo Glèlè, Naissance d'un Etat noir..., op. cit., p. 73. Maurice Ahanhanzo Glélé précise en effet qu'il appartient à Ouegadja [Huegbaja] d'« avoir édicté les premières lois qui interdirent, dans les tribus soumises aux Aladohonou, non seulement la vengeance individuelle mais aussi l'exercice de toute autre justice que la sienne ».

des grands dignitaires, devant son palais à Agbome88 (Abomey, Photo 2), dans une maison aménagée à cet effet et appelée Akaba.

Figure 1. Le Danxomé avant la conquête coloniale

Source : M. A. Glélé, Le Danxomé, du pouvoir aja à la nation fon, Paris, Nubia, 1974, p. 35

Le roi ne jugeait que les plus importantes affaires, notamment criminelles, et il pouvait seul condamner à mort ou gracier89. Son premier ministre, le migan, exerçait d'importantes attributions judiciaires. En effet, le migan connaissait de toutes les affaires portées devant la cour ; s'il ne parvenait pas à trancher il en référait au roi. Maurice Ahanhanzo Glélé précise qu'« en cas de condamnation, c'était ce dernier qui décidait, après avoir recueilli l'avis de tous les ministres. Pendant que l'on délibère, le roi avait, devant lui, une calebasse contenant des cauris avec lesquels il jouait. Tous les avis étant recueillis, si le roi déposait tous les cauris dans la calebasse, le verdict était la

88 La ville d'Abomey dispose de nombreux palais puisque chaque roi se faisait construire le sien, étendant ainsi les limites de la ville.

89 Maurice Ahanhanzo Glélé, Le Danxomé, du pouvoir aja à la nation fon, Paris, 1974, Nubia, p. 144.

condamnation à mort. Le fait de déposer tous les cauris dans la calebasse signifiait : «je n'ai plus d'argent pour le racheter» >>90.

Photo 2. Vue intérieure du Palais de Béhanzin à Abomey

Source : Coll. E. Besson, http :// www.archivesdusenegal.gouv.sn/cartes/1394.JPG

Si l'accusé avouait son crime, le roi prononçait la peine (envoi aux armées, prison à temps ou à perpétuité, mort). Dans le cas contraire, l'accusé devait alors subir les épreuves du fétiche. Sur ce point, il est important de noter le rôle judiciaire du ministre des cultes, le ajaxo, institué par le roi Tegbesu91 (1728-1775). En effet, il était le détenteur de la potion destinée à faire connaître la vérité. Il administrait en public à un coq (qui représentait le prévenu) cette potion toxique composée d'extraits d'écorce. Si ce coq résistait à la potion, le prévenu était innocenté, sinon sa culpabilité était attestée et l'on passait à la phase du jugement. Le ajaxo jouait en quelque sorte le rôle de juge d'instruction. Les questions civiles ou de plus faible importance relevaient ensuite de la compétence du second ministre, le mehu. Maurice Ahanhanzo Glélé ajoute que « ce dernier exerça ces fonctions de juge jusqu'au 15 avril 1900, date de la mort du dernier mehu, après la destitution du roi Agoli-Agbo >>92. Le roi institua au-delà de son territoire personnel un système judiciaire très hiérarchisé, correspondant à la division administrative du royaume en provinces ou régions, elles-mêmes subdivisées en cantons formés de plusieurs villages. Le chef était désigné au sein d'une famille, approuvé par le conseil des anciens puis plébiscité par le

90 Ibid., p. 129.

91 Ibid., p. 134.

92 Ibid., p. 145.

peuple, mais le roi pouvait toujours désigner le chef de son choix. Les chefs de village, assistés des vieillards, jugeaient en première instance et les condamnés pouvaient ensuite faire appel devant le chef de région puis auprès du roi. Maurice Ahanhanzo Glélé estime que << les choses s'arrangeaient [souvent] au niveau du village, le chef du village étant obligé de rendre compte au chef de région, surtout pour lui donner sa part de cadeaux et d'objets divers perçus à l'occasion du règlement >>93. A partir du règne de Tegbesu, tous les chefs de village et de provinces furent soumis au migan.

Le système judiciaire du Danxomé était donc celui d'une monarchie très centralisée, mais associant les ministres au sommet et les conseils des anciens dans les villages et les régions. Dans l'exercice judiciaire, les souverains danhoméens s'appuyaient par ailleurs sur les grands cultes du pays, notamment le culte vodoun, qu'ils étaient parvenus à mettre sous contrôle. La religion vodoun constitua un important instrument de contrôle social utilisé par le pouvoir royal94.

Ce système de contrôle social, fondé pour partie sur la religion, se retrouve dans les territoires situés aux marges du royaume du Danxomé. Mais la puissance des souverains de ces régions, goun, holli, adja ou mahi, est moins importante et ces derniers se trouvent souvent placés dans une situation de dépendance à l'égard du roi d'Abomey95. Le royaume de Kétou connaissait un système comparable à celui existant au Danhomè96, de même que le royaume de Tori-Bossito97. Joseph Ki-Zerbo souligne également que les chefferies Ehvé n'avaient pas une organisation étatique très développée. Chez les groupes Ehvé, installés dans certaines régions des actuels Togo (Palimé, Atakpamé), Ghana et Bénin (dans la région frontière d'Anecho, avec les Ouatchis), la réalité de la vie politique se déroule à l'échelle de cantons à base clanique : << Le pouvoir appartient au chef supérieur entouré des chefs de cantons qui forment autour de lui une assemblée délibérante. (...) Il s'agit de sociétés politiques encore fortement enracinées dans l'organisation des lignages >>98.

A l'est du royaume d'Abomey se trouvait le royaume de Porto-Novo. Ce dernier avait été contraint, sous la pression de son puissant voisin danhoméen, de demander le protectorat de la France en 1863. Le roi était chef de l'exécutif ; il avait en théorie droit de vie et de mort sur tous ses sujets, qui lui devaient tous allégeance, y compris les membres

93 Ibid.

94 Jacques Lombard, << Les moyens de contrôle social dans l'ancien Dahomey : survivances actuelles et formes nouvelles >>, Le monde non chrétien, n°38, avril-juin 1956, pp. 145-157.

95 Laurent Manière, Ordre colonial, contrôle social..., op. cit., pp. 20-21.

96 Aboudou Amadou Aliou, La justice pénale dans l'ancien royaume de Ketou..., op. cit., 59 p.

97 Abiola Félix Iroko, Le royaume de Tori-Bossito du XVIème siècle au XIXème siècle, 260 p.

98 Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l'Afrique noire, op. cit., p. 275.

des familles princières. Le royaume de Porto-Novo se trouvait non seulement affaibli par les attaques extérieures mais également par les conflits internes. En principe, toutes les branches issues de Tê Agbalin, ascendant commun des rois de Porto-Novo, pouvaient accéder au trône, ce qui entraînait d'inextricables contestations lors de la succession des rois. Par ailleurs, la cour royale comprenait un grand nombre de postes de ministres dont les fonctions étaient parfois mal définies, de fonctionnaires au service du roi, les récadères ou lalis99, mais également des princes et princesses sans fonctions administratives et vivant dans l'oisiveté. Joseph Ki-Zerbo, de même que Malick A. Rochade dans son mémoire sur ce royaume sous Toffa, soulignent que cette cour constituait un facteur important d'instabilité pour des rois relativement faibles : « Les princes étaient très turbulents et écumaient le pays »100, tandis que « les princesses passaient leur temps à changer de partenaires, assurées de l'impunité de leurs actes »101.

Les rois de Porto-Novo ne parvenaient pas à ordonner leur administration, y compris judiciaire. Les lalis avaient par exemple pris l'habitude de siéger dans les tribunaux et ils étaient parfois devenus « la terreur du peuple »102. Comme dans les autres royaumes, les chefs de famille, assistés d'un conseil, détenaient un certain pouvoir judiciaire sur leur parenté (les descendants d'un ancêtre commun) pour les affaires civiles ou les petites affaires délictuelles telles que les vols. De même, les chefs de quartier et de village, responsables de l'ordre et de la sécurité pour toutes les familles de leur territoire, jugeaient leurs administrés. Mais le roi était le juge suprême (Photo 3) : lui seul tranchait en dernier ressort tous les litiges, connaissait les affaires les plus graves, tels que les crimes103 et pouvait condamner à mort.

A l'instar du royaume du Danhomè, les ministres des cultes, dont le culte musulman introduit au XVIIIème siècle, détenaient un pouvoir judiciaire important pour faire triompher la vérité dans les procès, après la consultation de l'oracle104.

99 Malick A. Rochade, Le pouvoir judiciaire dans le royaume de Xogbonou-Ajace sous Toffa, op. cit., p. 29.

100 Joseph Ki-Zerbo, op. cit., p. 276.

101 Malick A. Rochade, Le pouvoir judiciaire, op. cit., p. 29.

102 Ibid., p. 30.

103 Ibid., pp. 32-40.

104 Ibid., p. 44. Parmi les principaux ministres du roi de Porto-Novo, on trouvait le migan ou ministre de la justice et l'aplogan ou ministre des cultes. Joseph Ki-Zerbo, op. cit., p. 276.

Photo 3. Palais de Porto-Novo : cour où siégeait le roi

Source : collection personnelle

Le regard des colonisateurs sur les systèmes judiciaires du Dahomey

Le système judiciaire précolonial, plus ou moins centralisé selon les royaumes et les groupements du futur Dahomey, est vivement critiqué par les colonisateurs. Ces derniers accusent les régimes politiques et judiciaires en place, notamment celui de leur principal opposant, le Danhomè, d'archaïsme, d'arbitraire et de corruption. Ainsi Alfred Barbou décrit-il en 1893 la justice danhoméenne de manière très négative : << Les tribunaux ne manquent pas au Dahomey : chaque cabécère, si minime qu'il soit, a le sien. Mais ce n'est pas la justice qui se rend, l'injustice qui se professe. (...) La pratique des juges dahoméens est de faire payer celui qu'ils absolvent et celui qu'ils condamnent »105.

Le Docteur Repin avait, dès 1863, dressé un tableau accablant de la justice au Dahomey :

<< La justice est rendue par les gouverneurs des provinces ou cabeceirs, qui connaissent des délits ordinaires ; mais pour ceux qui entraînent la peine de mort, ils sont soumis à la décision du roi. Quand les juges sont embarrassés, ils ont parfois recours à ce que l'on appelait au Moyen-Age, en Europe : le jugement de Dieu. On y procède de deux manières, en faisant boire à l'accusé une décoction d'une certaine écorce (...) dont les prêtres ont le secret : s'il la supporte sans vomir, il est reconnu innocent, et, dans le cas contraire, coupable ; ou bien cette épreuve peu concluante, il faut l'avouer, est remplacée par la suivante qui ne l'est pas plus : on fait rougir à blanc le fer d'une sagaie, et l'accusé passe trois fois sa langue sur le métal incandescent ; s'il n'est pas brûlé, c'est qu'il est innocent. Je fus un jour témoin d'un jugement de ce genre ; le pauvre diable (c'était un esclave accusé de vol), horriblement martyrisé, reçut encore, pour comble de chance, une vigoureuse bastonnade. C'est le châtiment le plus ordinairement infligé aux gens de la basse classe ; quant aux

105 Alfred Barbou, Histoire de la guerre au Dahomey, Paris, 1893, p. 38. Cité par Laurent Manière, Ordre colonial, contrôle social..., op. cit., p. 79.

riches et aux chefs, c'est par les amendes, la confiscation ou la privation de leur dignité qu'ils sont

punis ; l'emprisonnement est inconnu, et par conséquent, il n'existe nulle part de prison. »106

Au-delà de leur incompréhension, les critiques des voyageurs et des administrateurs permettent de dévaloriser les systèmes judiciaires existants, tout en mettant en valeur l'<< humanisme » de la justice française et sa supériorité. Edouard Foà estime que << nos régimes les plus sévères ne sont que de l'anarchie auprès du gouvernement qui existait hier encore au Dahomey », et il ajoute que les Dahoméens se trouvent dominés par une loi tyrannique :

<< La forme du gouvernement du Dahomey est le régime monarchique absolu et sous contrôle. Il donne lieu, de la part du roi, à toutes sortes d'abus. Le moindre de ses caprices est une loi à laquelle doivent se soumettre, sans murmure, tous ses sujets, du premier au dernier, et il change tous les règlements au gré de sa fantaisie. La justice, c'est sa décision, qui est sans appel. »107

Ces attaques virulentes préparent la conquête politique et la monopolisation du pouvoir judiciaire par le colonisateur. Cependant, l'idée de remplacer purement et simplement les systèmes judiciaires existants dans les différents royaumes par le système judiciaire français ne s'est jamais imposée. Un système hybride, de plus en plus différencié de la justice précoloniale mais aussi de la justice française, est progressivement mis en place.

B. Organisation de la justice de 1894 à 1945 : une trajectoire non linéaire

Le ministère des Colonies hésite jusqu'en 1903 sur l'organisation judiciaire à mettre en place en Afrique occidentale. A partir de cette date, les principes du système judiciaire sont posés, mais ils évoluent encore pendant l'entre-deux-guerres vers un renforcement du contrôle colonial.

1. Les hésitations du système judiciaire en AOF et au Dahomey de 1894 à 1903

Malgré la création de l'AOF en 1895, l'administration de la justice reste régie par plusieurs textes relatifs aux différentes colonies de ce vaste territoire. Le décret du 11 mai 1892 organisant la justice dans la colonie de Guinée française et dépendances s'applique depuis 1893 aux établissements français du golfe du Bénin108. L'impératif colonial est d'achever la conquête militaire.

106 Docteur Repin, << Voyages au Dahomey », Le Tour du Monde, VII, 1863, p. 102. Cité par Laurent Manière, Ordre colonial, contrôle social..., op. cit., pp. 20-21.

107 Edouard Foà, Le Dahomey. Histoire- Géographie- Moeurs- Coutumes- Commerce- Industrie- Expéditions françaises (1891-1894), Paris, 1895, p. 265. Cité par Laurent Manière, Ordre colonial..., op. cit., p. 78.

108 ANB, JO des Etablissements et protectorats français du golfe du Bénin, fonds des JO, 1er octobre 1892.

La réglementation ne s'occupe donc pas encore de régir les rapports entre colonisés ; l'article 27 du décret laisse ainsi aux autorités du pays le soin de juger les affaires entre << indigènes ». Le pouvoir colonial cherche avant tout à régler les litiges intéressant des Européens. A cet effet, des justices de paix à compétence étendue sont instaurées. Elles sont accessibles aux Dahoméens et elles sont compétentes en matière civile, commerciale et pénale (affaires de simple police et correctionnelles). Elles ne sont pas composées de magistrats professionnels mais ce sont des membres choisis parmi les fonctionnaires en service dans les colonies qui exercent les fonctions de juge109.

Lorsque de vastes pans de l'Afrique occidentale passent sous son contrôle militaire, l'autorité française délimite les territoires constitués en colonies. Il lui faut désormais imposer et gérer son pouvoir sur ces espaces et ces populations, dans le cadre de colonies autonomes sur le plan administratif puis judiciaire, et sous la responsabilité d'un lieutenant-gouverneur. Après la reddition de Béhanzin et l'organisation de la colonie du Dahomey et dépendances par le décret du 22 juin 1894, l'un des premiers actes du ministre des Colonies est d'y organiser la justice, avec le décret du 26 juillet 1894110. Ce décret reprend largement les dispositions de 1892 : il maintient à la fois les tribunaux de paix des villes de Porto-Novo et Ouidah, qui peuvent toujours être saisis par les Dahoméens, et les juridictions indigènes traditionnelles. Cet accès de l'ensemble des indigènes à la justice française reste cependant fictif compte tenu de l'éloignement géographique d'une partie des Dahoméens. Une circulaire du gouverneur par intérim du Dahomey précise en outre en 1900 que le décret de 1894 permettant aux indigènes de saisir en toutes matières les tribunaux français << ne peut trouver son application que dans les ressorts des deux justices de paix de Porto-Novo et de Ouidah. Quant aux territoires non compris dans les limites assignées à chaque justice de paix (...), aucun acte ne les y a rattachés, et en fait la distance et les difficultés de communication ne permettent point aux intéressés de s'adresser à ces tribunaux »111.

La nouveauté réside dans la décentralisation de la justice de second degré et criminelle, avec la création d'un conseil d'appel au chef-lieu de la colonie chargé des

109 Les crimes relèvent du Conseil d'appel siégeant à Conakry. Parallèlement, le Sénégal et les territoires << considérés de tout temps comme des dépendances » étaient régis par les décrets des 15 mai et 11 août 1889. ANB, série 1M126(6), fonds ancien, copie des registres de correspondance de la justice de paix 1894-1898, << Lettre du 1er janvier 1894 de l'administrateur Fonssagrives, juge de paix à compétence étendue au Bénin, à Mr le Général de Brigade Commandant supérieur des Etablissements français du Bénin ». ANB, JO des Colonies 1894, fonds des JO, << Rapport au Président de la République du 26 juillet 1894 », p. 553.

110 ANB, JO des Colonies 1894, fonds des JO, décret du 26 juillet 1894 portant organisation de la justice dans la colonie du Dahomey et dépendances, pp. 553 et s.

111 ANB, JOD 1900, fonds des JO.

appels des jugements rendus en premier ressort par les justices de paix112. Parallèlement, la Guinée française et la Côte d'Ivoire se voient reconnaître une autonomie judiciaire correspondant à leur autonomie administrative par des décrets de 1892 et 1896. Mais cette organisation judiciaire << toute rudimentaire, qui n'avait d'autre objectif que de pourvoir à peu de frais aux besoins de colonies naissantes >> 113 est rapidement remise en cause.

Dès 1900 s'affirme la volonté d'une réorganisation judiciaire. Le ministre des Colonies, Albert Decrais, souligne dans son rapport au Président de la République sur le décret du 22 mai 1900 portant organisation de la justice dans les colonies << l'absence d'une organisation judiciaire régulière dans les colonies du Dahomey, de la Guinée française et de la Côte d'Ivoire >>114. Ce décret nomme un magistrat de carrière pour étudier le problème de la réorganisation judiciaire dans les trois colonies. De fortes critiques s'élèvent alors dans le milieu colonial contre la nomination d'un magistrat français et noir115, M. Lioutel, témoignant d'une vision fortement racialisée des rapports coloniaux. La Dépêche Coloniale rapporte le 18 octobre 1900 que << le conflit existant entre le gouverneur de cette colonie et le président du Conseil d'Appel est arrivé à l'état aigu >>. Cet article souligne qu'<< il est entièrement fâcheux que le choix du ministre se soit porté sur un magistrat de couleur qui ne sait pas dépouiller vis-à-vis de la population indigène les préjugés de race qui sont cependant les plus dangereux dans une colonie nouvelle, hier encore placée sous la domination des rois du pays >>116.

La nomination de M. Lioutel suscite des craintes parmi les autorités administratives et commerciales du Dahomey, notamment celle de ne faire partager à ce magistrat leur vision duale de la justice et de la société coloniales. Ainsi, le conseil d'administration adopte-t-il le 26 octobre 1900 une délibération demandant le rappel par le ministre de ce magistrat, accusé de prendre parti pour les indigènes :

112 En matière pénale, il s'agit des jugements relatifs aux délits pour lesquels une peine de plus de deux mois de prison a été prononcée. Ibid., article 8. Ce même conseil joue également le rôle d'une part de tribunal criminel pour statuer sur les crimes commis sur le territoire de la colonie par les Européens et les autochtones et d'autre part de chambre d'annulation (pour excès de pouvoir ou violation de la loi) des jugements rendus en dernier ressort. Ibid., articles 13 à 22. Ce conseil d'appel est une instance purement administrative présidée par le gouverneur de la colonie et composée d'assesseurs choisis parmi les fonctionnaires ou officiers en service dans la colonie.

113 ANB, JOD 1901, fonds des JO, Rapport du ministre des Colonies Albert Decrais au Président de la République le 6 août 1901 présentant le décret en même date portant organisation de la justice au Dahomey, p. 204.

114 ANB, JOD 1900, fonds des JO, arrêté du gouverneur par intérim du Dahomey promulguant le décret du 22 mai 1900 modifiant l'article 13 du décret du 26 juillet 1894 portant organisation de la justice dans les colonies et rapport au Président de la République présentant ce projet de décret.

115 Les documents consultés n'indiquent pas le département d'origine du magistrat nommé, M. Lioutel. Son nom patronymique laisse supposer qu'il est originaire des Antilles.

116 CAOM, fonds régionaux, Dahomey VIII, n°2.

« M. Lioutel s'est jusqu'à présent beaucoup plus occupé des intérêts des noirs sans connaître le pays et les besoins réels de la population. M. Lioutel n'a pas cessé de faire des enquêtes sur les Européens, fonctionnaires ou commerçants de la colonie, ce qui prouve qu'il est parti pris pour les noirs contre les blancs, et que ce magistrat ne paraît pas avoir l'impartialité absolument nécessaire pour remplir une mission aussi délicate que celle qui lui a été confiée. (...) M. Lioutel cherche à se créer parmi les noirs une popularité toute personnelle et au lieu de s'occuper de justice, il cherche à faire naître parmi la population des idées dont les indigènes seront les premiers à souffrir. »117

Photo 4. Carte de l'Afrique occidentale française en 1930

Source : Commissariat de l'Afrique occidentale française, L'Afrique occidentale française, Exposition
coloniale internationale Anvers 1930
, Paris, 1930, 38 p.

L'unification du système judiciaire est finalement réalisée à l'échelle de l'AOF (Photo 4) par trois décrets successifs entre 1901 et 1903 qui posent les principes essentiels d'organisation de la justice dans ces territoires118, complétés ensuite par trois réformes importantes en 1912, 1924 puis 1931. Les réformes judiciaires sont dominées par trois impératifs de rapidité, d'économie et de proximité entre le juge et le justiciable, avec donc un maillage resserré des tribunaux sur l'ensemble du territoire119. Les décrets imposent tout d'abord une hiérarchisation du système judiciaire dans le cadre de la nouvelle fédération,

117 Ibid.

118 ANB, JOD 1901, 1902 et 1904, fonds des JO, décret du 6 août 1901, pp. 204-208, décret du 15 avril 1902, pp. 129-131, décret du 10 novembre 1903, pp. 1 et s. La Guinée française, la Côte d'Ivoire et le Dahomey voient leur organisation judiciaire unifiée par les décrets des 6 août 1901 et 15 avril 1902. Puis le décret du 10 novembre 1903 uniformise le système judiciaire dans l'ensemble des colonies de l'AOF.

119 Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, op. cit., p. 6.

qui se manifeste par l'installation d'un tribunal d'appel à Dakar, siège de la fédération120, et par la mise en place dans chaque colonie de nouveaux tribunaux qui vont couvrir peu à peu l'ensemble du territoire.

Le principe de différenciation entre les tribunaux français et les juridictions indigènes est davantage marqué au fur et à mesure des réformes judiciaires. La possibilité pour les Africains d'accéder aux juridictions françaises se ferme peu à peu. Le pouvoir colonial, hésitant jusqu'en 1912, affirme à partir de cette date l'abandon de sa volonté d'assimilation des populations colonisées sur le plan judiciaire, en distinguant désormais très nettement les juridictions françaises et les tribunaux indigènes.

2. Evolution vers un principe de cloisonnement des justices française et indigène en 1912

Les trois décrets pris entre 1901 et 1903 distinguent déjà les tribunaux français et les tribunaux indigènes. Toutefois, la compétence de ces tribunaux ne varie pas seulement en fonction du statut de la personne (Européen ou indigène) mais parfois aussi selon le domicile des parties intéressées. En effet, le décret du 6 août 1901 établit trois types de juridictions françaises. Il institue un tribunal de première instance dans le ressort de chaque chef-lieu de colonie (Porto-Novo pour le Dahomey) et maintient en dehors de ces territoires les justices de paix à compétence étendue en fonction des besoins appréciés par chaque gouverneur de colonie. Ces tribunaux connaissent de toutes les affaires civiles et commerciales et des contraventions et délits en matière pénale. Les affaires criminelles sont quant à elles déférées à la cour criminelle (devenu tribunal criminel à partir de 1902, puis cour d'assises en 1903) siégeant au chef-lieu de chaque colonie (la cour d'assises est transférée de Porto-Novo à Cotonou en 1903). Mais si les tribunaux de première instance et les cours criminelles sont compétents à l'égard de tous les justiciables résidant dans le ressort du chef-lieu121, quel que soit le statut juridique des parties, les justices de paix, installées dans le reste de la colonie, ne connaissent que des affaires intéressant des Européens ou assimilés. La plus grande partie des litiges entre Africains relève donc des

120 ANB, JOD 1904, fonds des JO, décret du 6 novembre 1903, op. cit. Les décrets de 1901 et 1902 avaient successivement installé un tribunal supérieur à Bingerville (Côte d'Ivoire) puis Conakry (Guinée).

121 ANB, JOD 1901 à 1904, fonds des JO, op. cit. Il est à noter qu'avant le décret du 10 novembre 1903 les cours criminelles étaient compétentes à l'égard de l'ensemble des crimes commis dans la colonie alors que ce décret limite sa compétence aux seuls crimes perpétrés dans le ressort de cette cour ou commis ou subis ailleurs par des Européens ou assimilés.

juridictions indigènes. Cependant, les Dahoméens peuvent encore en toute matière saisir de leur procès les tribunaux français122.

Une mission d'inspection menée en 1911 par Demaret souligne les problèmes liés à la dualité de juridiction au sein des circonscriptions où coexistent des juridictions françaises et indigènes. Selon le rapport de mission, << les habitants indigènes de ces agglomérations se trouvent soumis à la loi française alors que leurs voisins et parents domiciliés dans la circonscription voisine sont assujettis à la juridiction indigène qui, selon l'inspecteur, leur assure sans frais et sans formalités l'application des coutumes locales >>123.

Ces règles de compétence complexes soulignent les hésitations du colonisateur quant au statut juridique des populations colonisées. Claude Liauzu a mis en évidence la difficulté des problèmes juridiques posés par la colonisation :

<< La colonisation a posé des problèmes juridiques complexes, aussi bien théoriques que pratiques. (...) Quelles lois pour l'outre-mer, quel statut pour les indigènes ? (...) L'universalisme de la pensée des Lumières et de 1789 s'inscrit dans l'article 6 de la Constitution du 22 août 1795 : les colonies sont soumises aux lois de la métropole. C'est le fondement de la citoyenneté aux esclaves. Mais en un sens tout à fait opposé, la monarchie et l'Empire ont posé le principe de lois et de règlements particuliers : la charte du 4 juin 1814 stipule : «Les lois et règlements en vigueur dans la métropole ne sont pas applicables aux colonies, sauf décision contraire du pouvoir compétent». C'est cette tendance qui l'emporte avec la IIIème République. La promulgation des lois par décret du président est indispensable, et les gouverneurs ont la possibilité de proposer des modifications. >>124

La conquête française a été entreprise au XIXème siècle par des républicains coloniaux empreints de l'idée de supériorité et de portée universelle de la culture française. La contradiction entre démocratie et impérialisme semblait pouvoir être dépassée par l'accès des sujets colonisés à la citoyenneté française, avec les mêmes droits, y compris judiciaires, que les métropolitains. Mais les partisans de l'assimilation avaient une attitude ambiguë dans la mesure où ils n'étaient pas prêts à assumer les charges financières et humaines qu'impliquait une reconnaissance de l'égalité des droits.

122 ANB, JOD 1901 à 1904, fonds des JO, op. cit.

123 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 232.

124 Claude Liauzu (sous la direction de), Dictionnaire de la colonisation française, Paris, Larousse, 2007, article << droit et colonisation >>, pp. 251-252. Cette question des liens entre la nationalité, la citoyenneté et les colonies fait l'objet depuis quelques années de nombreux débats et elle a donné lieu à plusieurs ouvrages qui s'inscrivent le plus souvent dans la problématique plus large de l'histoire de l'immigration. Parmi ces derniers on peut notamment citer les recherches et synthèses de Gérard Noiriel, Le creuset français, Histoire de l'immigration XIXème-XXème siècles, Paris, Le Seuil, 2006 (1ère éd. 1988), op. cit., ou encore Immigration, antisémitisme et racisme en France (19è-20è siècle), Discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard,

2007, 695 p, mais également celles de Patrick Weil, Qu'est ce qu'un Français ? Histoire de la nationalitéfrançaise depuis la révolution, Paris, 2002, 402 p, La France et ses étrangers, Paris, Gallimard, Folio actuel,

1991, 496 p, Vincent Viet, Histoire des Français venus d'ailleurs, de 1850 à nos jours, Paris, Perrin, 2004, 280 p, Yves Lequin (sous la direction de), Histoire des étrangers et de l'immigration en France, Paris, Larousse, << Bibliothèque historique >>, 2007 (1ère éd. 1988), 545 p.

La seule tentative d'assimilation en Afrique concerna les quatre communes libres du Sénégal (Saint-Louis, Gorée, Dakar et Rufisque). L'application de la loi française à ses habitants fut aussi mal reçue par les colons que par la population majoritairement musulmane qui récusait le principe sous-entendu de son infériorité culturelle et raciale et réclamait le maintien d'une justice musulmane125. Par ailleurs, aucun consensus n'existait parmi les << coloniaux » sur le statut politique et juridique des colonisés et de violentes critiques étaient formulées contre la théorie de l'assimilation, jugée trop centralisatrice et peu respectueuse des coutumes des sociétés colonisées126.

Le développement des connaissances sur les sociétés africaines au début du XXème siècle, avec les multiples enquêtes et la rédaction de coutumiers pour l'AOF encouragée par le gouverneur général en 1905, permet de mieux saisir l'originalité, les valeurs et les richesses des sociétés africaines. Ce mouvement remet donc en cause l'idée dominant jusque-là d'une évolution unilinéaire des civilisations vers le degré << supérieur » des sociétés occidentales. Il se manifeste dès le début du XXème siècle mais s'amplifie avec la Première Guerre mondiale qui voit s'affronter entre elles les puissances dites << civilisées » et pousse à privilégier la conservation des coutumes et les règles judiciaires propres aux populations africaines127.

Les détracteurs de l'assimilation mettent également en avant l'inefficacité de cette théorie sur les peuples assujettis, et son caractère dangereux pour le maintien de la domination française. L'assimilation, du fait de la perturbation provoquée par l'influence européenne sur les populations, paraît dangereuse pour le maintien du pouvoir colonial. Cette crainte est parfaitement résumée par Léopold de Saussure :

<< Dans les pays où le conquérant n'est qu'une infime minorité, la question primordiale, la question sine qua non du succès, est celle de la politique à l'égard des indigènes (...). Les indigènes secoueront (...) les liens de leur assimilation politique. Ils brûleront nos codes et nos règlements et retourneront avec bonheur à leurs anciennes coutumes. »128

Cette évolution des conceptions et les craintes relatives à la domination française, influent sur les réformes coloniales mises en place, dont les réformes judiciaires.

La justice française se trouve alors de plus en plus différenciée par rapport à la justice indigène, ce qui implique de définir l'<< indigène », le << sujet » qui tout en appartenant à la France n'est pas considéré comme << citoyen ». Comme le souligne Emmanuelle Saada, << s'opère dans les colonies un décrochement fondamental entre la

125 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique Noire de 1800..., op. cit., p. 67.

126 Raoul Girardet, L'idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, Hachette, Pluriel, 1972, pp. 130-131.

127 Ibid., pp. 225-236.

128 Laurent Manière, Ordre colonial, contrôle social..., op. cit., p. 101. Voir dictionnaire en annexe 6.

nationalité et la citoyenneté qui oblige à repenser non seulement ce que veut dire «être Français» et aussi ce que signifie «être citoyen» >>129. Depuis la Révolution et la première République, l'Etat-Nation s'est construit en France sur un principe de souveraineté du peuple associant étroitement la citoyenneté, donc les droits politiques et la soumission de l'ensemble des populations à l'Etat français (et à la loi française), à l'appartenance nationale. Nationalité et citoyenneté faisaient corps << mais cette réflexion n'a pas été poussée au-delà du territoire métropolitain en s'interrogeant sur les implications de la construction concomitante d'une nation et d'un Empire colonial >>130.

Le décrochement entre nationalité et citoyenneté s'observe aussi en France métropolitaine à l'égard des étrangers dès 1889 et il est accentué dans les colonies françaises. En effet, à partir des années 1880, dans le contexte de crise économique, de crainte de la concurrence étrangère et de développement de l'antisémitisme, le débat sur la nation fondée sur un contrat, sur les origines ou sur la race fait rage131. La contestation des principes juridiques issus de la révolution se développe et de nombreux projets de loi sont déposés devant le parlement contre les étrangers, renforçant la notion de race dans le débat sur la nationalité. Le code de la nationalité adopté en 1889, tout en ouvrant l'accès à la nationalité aux enfants nés en France de parents étrangers, rompt avec les principes révolutionnaires qui associaient nationalité et citoyenneté. En effet, à partir de cette date, la naturalisation n'offre plus tous les droits reconnus aux citoyens : les nouveaux Français sont exclus de l'éligibilité aux assemblées parlementaires pendant dix ans132.

Cet écart entre nationalité et citoyenneté pour les naturalisés se transforme en rupture dans les colonies. Les colonies sont françaises et leurs habitants, colons et autochtones, sont donc considérés comme Français. Mais la nationalité française ne désigne plus dans les colonies l'appartenance à une même communauté de citoyens ; elle

129 Emmanuelle Saada, Introduction de << Sujets d'Empire >>, Genèses, Paris, Calmann-Lévy, 2003/4, n°53, pp. 1-2.

130 Ibid.

131 Dans le discours le plus célèbre sur la nation, Ernest Renan estime que contrairement à l'Allemagne, il n'existe pas de race française mais un peuple français composé de multiples apports ethniques dont la fusion a été réalisée avant la Révolution française. Pour lui, la nation est une << âme >>, ou le résultat << d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements >>, mais aussi << un principe spirituel >>, c'est-à-dire << le désir clairement exprimé de continuer la vie commune >>. Mais dans les années 1880-1890 se développent un racisme et un antisémitisme qui privilégient la Thèse des origines dans le débat sur la nationalité. Gérard Noiriel, Le creuset français, Histoire de l'immigration XIXème-XXème siècles, op. cit., pp. 27-28. Emmanuelle Saada souligne l'apparition et les usages du terme de race dans la législation française, avec une confusion entretenue sur ce terme qui désigne dans les années 1920 << tout à la fois une réalité biologique et un ensemble de propriétés sociales et de compétences culturelles qui se manifestent dans les comportements >>, Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie, Les métis de l'Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris, La Découverte, 2007, p. 14.

132 Gérard Noiriel, Ibid., p. 83.

désigne seulement le lien juridique qui unit le sujet à l'Etat français. Les sujets français ou indigènes, dans la mesure où ils ne sont pas soumis aux mêmes droits, devoirs et lois que les Français, ne sont pas considérés comme des citoyens français ; parallèlement, en refusant de soumettre les indigènes au droit français, le colonisateur empêche leur accès à la citoyenneté.

Le souci majeur de la République française est de maintenir le lien entre ses expatriés et la France, afin qu'ils demeurent convaincus de leur fonction de représentation de la souveraineté française. L'Etat français, comme le rappellent Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Françoise Vergès, a toujours hésité à imposer ses lois pourtant applicables à tous dans une République << une et indivisible >>, à toute la population des colonies et non pas aux seuls colons. Ainsi en va-t-il en Algérie, où la IIème République instaure des départements de la République mais où est mise en place une ségrégation politique et juridique entre colons d'origine européenne et musulmans133. La cour de cassation estime, dans un arrêt du 15 février 1864, que l'Algérie est une terre française et que ses habitants doivent être considérés comme étant de nationalité française. Mais elle affirme dans le même temps qu'il est impossible d'accorder le titre de citoyen à des populations qui ne sont pas soumises à toutes les lois françaises : les musulmans d'Algérie auxquels s'applique le droit musulman sont alors considérés comme sujets et non comme citoyens134. De même, durant la IIIème République, le nouveau régime construit un empire colonial fondé sur des principes politiques et juridiques dérogatoires des valeurs égalitaires de la métropole, en institutionnalisant une séparation entre << indigènes >> ou << sujets >> et << citoyens >>. Les indigènes peuvent accéder à la citoyenneté française mais les conditions sont très restrictives et seule une infime minorité de candidats obtient ce statut. En 1937, on ne compte, en dehors des natifs des quatre communes du Sénégal135, qu'environ 2 500 personnes disposant de la citoyenneté sur un total de 15 millions d'Africains136.

Dans les colonies, à l'exception des quatre communes sénégalaises, la citoyenneté n'est plus rattachée, comme en métropole, à l'appartenance nationale mais au << statut personnel >>. Ce statut est << défini par l'ensemble des coutumes locales >> et considéré

133 Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise Vergès, La République coloniale, Paris, Albin Michel, 2003, pp. 30-31.

134 << Cette distinction entre nationalité et citoyenneté et le maintien de statuts coutumiers particuliers furent à nouveau confirmés par une décision de la cour de cassation en date du 29 mai 1865 >> souligne Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 35.

135 En effet, les natifs des quatre communes du Sénégal étaient citoyens français et disposaient à ce titre des droits politiques, mais ils pouvaient conserver leur statut personnel.

136 Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l'Afrique noire, op. cit., p. 436.

comme << antinomique avec l'exercice de la citoyenneté >>137. La séparation entre le sujet soumis à la souveraineté française mais ne participant pas à cette même souveraineté est donc liée à la << civilité >>, c'est-à-dire à l'application de droits privés distincts (les coutumes d'un côté et la loi française de l'autre). Dans un contexte où l'idée d'assimilation est jugée impossible et dangereuse à court terme, ces statuts personnels sont censés correspondre à des niveaux de civilisation différents, dont le modèle achevé est celui de << la civilisation française >>.

Emmanuelle Saada précise cependant que << la distinction entre citoyen et sujet apparaît moins comme le résultat d'un projet politique de ségrégation coloniale, posé a priori en métropole, que la conséquence pratique de l'existence de systèmes juridiques distincts aux colonies. Elle a largement suivi le constat selon lequel le code civil ne pouvait être appliqué tel quel aux indigènes et qu'il reportait l'idéal de l'assimilation juridique des colonies à horizon lointain de l'évolution des populations conquises >> 138.

Le droit applicable détermine donc le statut, et inversement. L'accès à la citoyenneté française implique alors un abandon du statut personnel et une soumission à la loi française. Le droit traduit le découpage racial entre les populations dans la société coloniale. Il est au centre de la relation de domination dans les colonies, en opposant les citoyens aux sujets ou indigènes.

Pourtant, si le droit devient central pour distinguer le << sujet >> ou l'<< indigène >> du << citoyen >> et si les autorités coloniales mettent en place une justice indigène distincte, il est paradoxal de constater qu'aucune loi ne définit clairement la notion d'indigène. En effet, les décrets qui ont organisé la justice jusqu'en 1903 en AOF envisageaient dans le même temps la justice française et indigène et n'avaient défini l'<< indigène >> que de manière négative, comme n'étant pas le justiciable des tribunaux français. Le cloisonnement des deux justices et des deux populations s'affirme avec le décret du 16 août 1912, qui organise séparément la justice indigène. Il définit les indigènes comme << les individus originaires des possessions françaises d'AOF, d'AEF et des possessions étrangères comprises entre ces territoires qui n'ont pas dans leur pays d'origine le statut des nationaux européens >>139. Ces personnes sont justiciables des juridictions indigènes et il leur appartient de prouver le statut qu'ils invoquent. Ce décret supprime la compétence

137 Emmanuelle Saada, << Citoyens et sujets de l'Empire français : les usages du droit en situation coloniale >>, in << Sujets d'Empire >>, Genèses, Paris, Calmann-Lévy, 2003/4, n°53, pp. 15-17.

138 Ibid., pp. 17-18.

139 ANB, JOD 1912, supplément au JO n°22 du 15 novembre 1912, fonds des JO, décret du 16 août 1912, article 2.

des tribunaux français à l'égard des << indigènes >> de leur ressort. Plus encore, il limite la possibilité pour les Africains de saisir les tribunaux français aux seules affaires civiles et commerciales, dans le cadre d'un commun accord des parties constaté par une convention140. Parallèlement à cette définition réglementaire, de nombreux ouvrages, travaux et thèses sont consacrées dans les années 1910 à la condition juridique des indigènes et à l'organisation de la justice indigène141. Les réformes successives des 22 mars 1924 et 3 décembre 1931 maintiennent ce dualisme jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La politique indigène glisse vers la théorie de l'<< association >>. Celle-ci se veut respectueuse des coutumes et des valeurs des sociétés africaines. Elle doit organiser une justice << adaptée >> aux populations, c'est-à-dire rendue par les << autorités traditionnelles >> associées au pouvoir colonial, dans la mesure où seules ces élites connaissent et peuvent appliquer les coutumes locales. Mais cette théorie ne se départit pas vraiment de la tendance assimilatrice et centralisatrice qui amène le pouvoir colonial à hiérarchiser et organiser selon des principes très européens les tribunaux indigènes.

Au-delà même des théories d'administration des colonies, la volonté du pouvoir colonial d'imposer sa domination sur les nouvelles colonies le conduit à renforcer son action pour réglementer et contrôler la justice indigène, parallèlement à la justice française.

3. Une justice organisée et hiérarchisée sur l'ensemble du territoire

L'emprise française sur le territoire et les hommes se développe avec la création de postes administratifs. La justice française et indigène est organisée dans le cadre de l'administration territoriale de la colonie, c'est-à-dire au niveau de la cellule administrative qu'est le cercle, et au niveau des provinces ou des subdivisions de ces cercles. Les limites des circonscriptions administratives du Dahomey n'ont cessé d'être modifiées pendant toute la période coloniale, au gré des besoins du colonisateur, et le découpage judiciaire a suivi les aléas des divisions administratives. La Figure 2 présente les limites des cercles en

140 Ibid., article 48. Les différends opposant les Européens aux << indigènes >> sont portés devant les tribunaux français mais le même article leur laisse la possibilité de saisir d'un commun accord les juridictions indigènes de leurs conflits en matière civile et commerciale.

141 Cet aspect est souligné par Laurent Manière dans sa Thèse, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 215. Laurent Manière cite notamment le Dr Asmis, << La condition juridique des indigènes dans l'Afrique occidentale française >>, extrait de Recueil de législation, doctrine et jurisprudence coloniales, Paris, 1910, mais aussi F. Beurdeley, << La justice indigène en Afrique occidentale française. Mission d'études 1913- 1914 >>, Renseignements coloniaux, n°3, 1916, Supplément à l'Afrique française, mars 1916, pp. 45-57 ; Eugène Hild, L'organisation judiciaire en Afrique occidentale française, Paris, Larose, 1912, 118 p. et Pierre Meunier, Organisation et fonctionnement de la justice indigène en Afrique occidentale française, Thèse pour le doctorat en droit, Université de Bordeaux, 1913.

1932. Les cartes de chacun des cercles pour l'année 1926 figurent en annexe 4 ; cette même annexe retrace également les principales évolutions des circonscriptions judiciaires.

Figure 2. Division administrative (cercles) du Dahomey en 1932

Adapté de H. d'Almeida-Topor, Histoire économique du Dahomey/Bénin, 1890-1920, Paris, L'Harmattan,
1994, volume 1, p. 185

Les tribunaux français

Les tribunaux français mis en place par le décret de 1901 évoluent peu jusqu'en 1945. Ils sont installés dans le sud de la colonie où se trouve la majorité de la petite communauté européenne. Il existe d'une part un tribunal de première instance à Porto-Novo, transféré à Cotonou à partir de 1903, dont la compétence s'étend sur l'ensemble des cercles de Cotonou et Ouidah (ville et plage) et, d'autre part, une justice de paix à compétence étendue à Grand-Popo, ayant compétence sur l'ensemble du cercle du Mono

(Figure 2)142. Ces justices de paix à compétence étendue ont, comme leur nom l'indique, des attributions et un ressort plus larges que les juridictions de paix métropolitaines. En effet, « le juge de paix à compétence étendue n'a pas seulement le rôle ordinaire de juge de paix mais il tient lieu de tribunal de première instance »143.

Il statue non seulement en matière de simple police sur les contraventions relevant de la compétence ordinaire des juges de paix en métropole, mais il exerce également les compétences des tribunaux correctionnels métropolitains, puisqu'il connaît de l'ensemble des délits commis par des Européens. Par dérogation à la règle générale de l'incompétence des juges de paix en matière criminelle, le juge de paix peut dans ce domaine procéder à tout acte d'instruction. Enfin, une cour d'assises est installée à Cotonou depuis le décret du 10 novembre 1903, succédant à la cour criminelle installée à Porto-Novo en 1901.

Photo 5. Palais de justice de Cotonou, sans date

Source : Collection Martine et Jean-Michel Bouchez

Comme dans d'autres centres de l'AOF, la justice française est rendue à Cotonou dans des bâtiments grandioses, avec ses arcades et son style imposant, dans le centre-ville (Photo 5). L'architecture des principaux bâtiments coloniaux, comme le Palais de justice, doit manifester le transfert et l'éclat de la souveraineté et du pouvoir français dans les colonies.

142 ANB, JOD 1904, fonds des JO, arrêté du lieutenant-gouverneur du 6 juillet 1904, pp. 182-183.

143 Claude Deschamps, Les attributions judiciaires des administrateurs en Afrique Noire, Mémoire ENFOM d'administrateur colonial, 1945-1946. CAOM, 1M 3 ECOL 51 d7 bis, p. 25.

Le tribunal de Grand-Bassam, en Côte d'Ivoire, reprend dans une moindre mesure ces principes (Photo 6) tandis que le tribunal de Dakar, chef-lieu de l'AOF, s'inscrit plus encore dans cet objectif (Photo 7).

Photo 6. Tribunal de Grand-Bassam, Côte d'Ivoire, sans date

Source : Météyer, n°12, http :// www.archivesdusenegal.gouv.sn/cartes/1219.JPG

Photo 7. Palais de justice de Dakar, Sénégal, sans date

Source : Collection Albaret, http :// www.archivesdusenegal.gouv.sn/cartes/0546.JPG

Par comparaison, le tribunal indigène de Cotonou siège dans un bâtiment moins massif (Photo 8), tandis que les juridictions des autres cercles et des subdivisions connaissent parfois des conditions très précaires.

Photo 8. Tribunal indigène de Cotonou, sans date

Source : Collection personnelle

Nous ne disposons pas de photos de ces juridictions, mais une carte postale présente un tribunal indigène dans un poste en AOF, sans bâtiment spécifique (Photo 9).

Photo 9. Tribunal indigène dans un poste d'Afrique occidentale (Soudan français)

Source : collection Fortier/CGF 1907-1910, N°1222,
http :// www.archivesdusenegal.gouv.sn/cartes/1093.JPG

Les juridictions indigènes

Pour les Dahoméens, le pouvoir colonial, tout en souhaitant maintenir une justice distincte jugée plus « adaptée >> à leurs coutumes, cherche à consolider sa domination dans les colonies en assurant un contrôle de plus en plus serré de la justice indigène par un faible nombre d'administrateurs. Le ministre des Colonies, dans son rapport présentant le décret du 6 août 1901, souligne ainsi que « les décrets actuellement en vigueur s'étaient bornés à maintenir les juridictions indigènes actuelles (...). De sérieuses réclamations se sont élevées contre cette organisation qui maintenait tout simplement des tribunaux dont le fonctionnement nous était peu connu, dès lors difficile à contrôler et qui de plus rendait matériellement impossible la répression des crimes commis dans l'intérieur, souvent à de grandes distances de la côte, par suite de l'obligation où l'on se trouvait d'en déférer les auteurs à la Cour criminelle du chef-lieu >>144.

Le gouvernement français réglemente de manière uniforme en AOF les juridictions indigènes par décret du 10 novembre 1903145. Il institue trois types de tribunaux calqués sur les circonscriptions administratives. Au niveau de la plus petite cellule administrative sont créés les tribunaux de village. Dirigés par les chefs de village, ces juridictions sont chargées de régler par voie de conciliation les affaires civiles et commerciales et de statuer sur les contraventions de faible importance (passibles d'un maximum de 15 francs d'amende et de 5 jours d'emprisonnement). Leur pouvoir est très limité puisque les sentences qu'ils rendent ne lient pas les parties qui peuvent toujours porter leurs différends devant les tribunaux de province146. Les réformes successives ne cessent de réduire les compétences des tribunaux de village qui ne peuvent être que difficilement contrôlés par le pouvoir colonial, en l'absence de sentences écrites. Le décret du 16 août 1912 ôte toute

144 ANB, JOD 1901, fonds des JO, rapport au Président de la République du 6 août 1901, op. cit., pp. 204- 205.

145 Une organisation similaire a été mise en place en AEF. Le décret du 28 septembre 1897 portant réorganisation de la justice dans le Congo français maintenait les juridictions indigènes existantes. Puis plusieurs décrets entre 1903 et 1910 différencièrent la justice française et la justice indigène, qui passa sous le contrôle du colonisateur, avec une organisation et une hiérarchie similaire. Sur ce point plusieurs études présentent l'évolution de l'organisation judiciaire en AEF, notamment Idourah, Silvère Ngoundos, Colonisation et confiscation de la justice en Afrique : l'administration de la justice au Gabon, au MoyenCongo, en Oubangui-Chari et au Tchad : de la création des colonies à l'aube des indépendances, Paris, Budapest, Turin, L'Harmattan, 2001, 394 p. et Carmen Claudia Kihoulou Mountsambote, L'exercice de la justice en AEF au XIXème siècle, de 1869 à 1927, op. cit. On peut également consulter en ce qui concerne la justice française en AEF, Brahim Joseph Seid, Histoire de la justice française en AEF de 1869 à 1903, Mémoire DES en sciences politiques, 1959, 78 p. et plus spécifiquement l'Oubangui-Chari, E. Kouroussou Gaoukane, La justice indigène en Oubangui-Chari (1910-1945), Thèse de doctorat en Histoire, Université Aix-Marseille, 1985. Pour Madagascar, un travail a été réalisé à l'université de Madagascar par Dahy Rainibe, L'administration et la justice coloniale : le district d'Arivonimamo en 1910, Antananarivo, Université de Madagascar, département d'histoire, 1987, 198 p.

146 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art. 47 et 48.

compétence pénale à ces tribunaux jusqu'à ce que le décret du 3 décembre 1931 ne mentionne plus ces juridictions, qui sont réorganisées en 1936 sous l'appellation de tribunaux de conciliation147.

Au niveau supérieur sont institués les tribunaux de province qui tranchent en premier ressort les litiges civils et commerciaux et connaissent de tous les délits, à charge d'appel devant le tribunal de cercle. Ces juridictions deviennent les tribunaux de subdivision en 1912. Enfin, au niveau de chaque cercle, un tribunal de cercle statue en appel sur tous les jugements rendus par les tribunaux de province qui lui sont soumis (au civil comme au pénal) et il connaît de tous les crimes commis entre indigènes dans son ressort. Les jugements définitifs des tribunaux indigènes peuvent être déférés en appel devant le tribunal d'homologation institué en 1903 à la cour d'appel de l'AOF (à Dakar) qui confirme ou annule le jugement et le renvoie dans ce dernier cas devant le même tribunal148.

L'évolution pendant l'entre-deux-guerres

Tout en se prévalant de renforcer le respect des coutumes et d'associer les élites indigènes à la distribution de la justice, les réglementations prises pendant l'entre-deuxguerres, en 1924 puis 1931, hiérarchisent en fait plus fortement le système judiciaire indigène, selon les intérêts propres du colonisateur. Les tribunaux de subdivision deviennent les tribunaux de 1er degré et les tribunaux de cercle les tribunaux de 2nd degré avec le décret du 22 mars 1924. Le décret de 1931 supprime la procédure de l'homologation devant la cour d'appel de l'AOF et institue un tribunal colonial d'appel au chef-lieu de chaque colonie149. Il instaure des tribunaux criminels dans chaque cercle.

En effet, c'est « la nature des procès qui entraîne leur attribution à des juridictions d'ordre différent. Ceux de ces procès qui touchent aux moeurs, aux habitudes des indigènes, à leurs transactions habituelles, ne dépassent pas le cadre du cercle administratif et sont toujours jugées en premier ressort comme en appel par les autorités qui vivent au contact immédiat de nos sujets ; ceux au contraire, qui sont provoqués par l'exploitation des richesses du pays, par la mise en valeur des territoires, et qui intéressent ainsi par leur

147 ANB, JOD 1912, op. cit., art. 3 et JOD 1932, fonds des JO, décret du 3 décembre 1931, art. 1, pp. 129- 130. Claude Deschamps, Les attributions judiciaires des administrateurs en Afrique Noire, op. cit., pp. 68- 69. Leur mission de conciliation ne concerne que les matières civiles.

148 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art. 61 à 68 et JOD 1912, op. cit., art. 21 à 28. Les jugements des tribunaux de cercle prononçant une peine supérieure à cinq années d'emprisonnement sont par ailleurs d'office portés devant le tribunal d'homologation, institué en 1903 à la cour d'appel de l'AOF.

149 Et il reste possible de demander l'annulation des jugements pour violation de la loi ou incompétence devant la chambre d'annulation de la cour d'appel de l'AOF.

importance l'évolution économique de la fédération, sont après un premier examen par le tribunal de deuxième degré déférés en appel au tribunal colonial d'appel >>150. Ainsi, les tribunaux de premier degré connaissent-ils en premier et dernier ressort des affaires civiles et commerciales dont l'intérêt n'excède pas 500 francs en principal et à charge d'appel devant le tribunal de 2nd degré au-delà de ce seuil. Les infractions ne relevant pas du tribunal criminel lui sont également déférées, à charge d'appel devant le tribunal colonial d'appel. Le tribunal de 2nd degré ne statue donc plus qu'en matière civile et commerciale151 tandis que le tribunal criminel connaît les infractions considérées comme les plus graves152. Parmi celles-ci, on trouve les crimes déférés en métropole aux cours d'assises comme le meurtre, les coups et blessures ayant entraîné la mort, le viol, mais également des atteintes aux intérêts de l'Etat comme les « attentats ou complots tendant à troubler de quelque manière que ce soit la paix intérieure de la colonie >> ou des infractions spécifiques tels que les « actes d'anthropophagie >>153.

La justice indigène est rendue par un réseau de tribunaux hiérarchisés qui couvre l'ensemble du territoire de la colonie. Leurs ressorts évoluent en fonction des limites administratives des cercles et des subdivisions (photos et tableaux de l'annexe 4). Comme les circonscriptions administratives, les tribunaux de cercle sont au nombre de 13 en moyenne et les tribunaux de provinces (de subdivisions ou de 1er degré) de 29 de 1903 à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Leur nombre reste à peu près stable sur cette période et décroît pendant la Seconde Guerre mondiale (9 tribunaux de 2e degré et 23 tribunaux de 1er degré en 1944)154.

La Figure 3 présente les 13 tribunaux de cercle et les 28 tribunaux de subdivision ou de 1er degré implantés en 1932 sur l'ensemble du territoire du Dahomey. Les juridictions indigènes sont concentrées dans le sud du Dahomey, où se trouve la plus grande partie de la population.

150 ANB, JOD 1932, fonds des JO, rapport au Président de la République du ministre des Colonies par intérim présentant le décret du 3 décembre 1931 réorganisant la justice indigène, p. 129.

151 Sur l'appel des jugements des tribunaux de 1er degré pour les affaires de faible importance ; en premier ressort et à charge d'appel devant le tribunal colonial d'appel pour les affaires au-delà de 3000 francs.

152 Ces infractions sont définies à l'article 46 du décret du 3 décembre 1931. ANB, JOD 1932, op. cit.

153 ANB, JOD 1932, fonds des JO, arrêté n°151 AP du gouverneur général de l'AOF promulguant le décret du 3 décembre 1931 réorganisant la justice indigène en AOF.

154 Les tableaux 1 et 2 de l'annexe 4 présentent l'évolution des tribunaux de cercle et de subdivision entre 1900 et 1945 tandis que le tableau 3 en annexe 4 détaille le nombre des tribunaux en 1905, 1911, 1913, 1924, 1932 et 1944.

Figure 3. Tribunaux de cercle et de subdivision du Dahomey en 1932

Carte élaborée à partir des données du journal officiel du Dahomey, 1932

D'autres considérations sont parfois mises en avant pour la création ou la suppression de juridictions. La forte densité de la population d'une subdivision et l'importance du nombre d'affaires jugées par un tribunal conduisent à créer deux tribunaux pour la même subdivision, comme à Porto-Novo le 30 avril 1915 (tribunaux de Porto-Novo ville et banlieue)155.

155 ANB, 1M159(5), fonds du Dahomey colonial, rapport n°375 du lieutenant-gouverneur du Dahomey au gouverneur général de l'AOF sur le fonctionnement de la justice indigène de juillet 1915.

L'homogénéité des coutumes appliquées par un tribunal et les conditions d'accessibilité géographique à cette juridiction sont également mises en avant par certains administrateurs. Ainsi, le lieutenant-gouverneur du Dahomey rapporte-t-il en 1915 au gouverneur général que << le maintien du tribunal de subdivision de Godomey ne se justifiait pas en raison de la faible densité de la population de ce canton, composé d'indigènes de même race que ceux du canton de Cotonou et en raison des facilités de communication entre les deux localités >>156.

Mais la création ou la suppression de tribunaux indigènes reste avant tout déterminée par les évolutions territoriales des divisions administratives elles-mêmes. Le lien entre circonscriptions administratives et judiciaires se resserre et le contrôle colonial sur la justice indigène s'accroît, notamment quand les administrateurs des cercles et subdivisions président d'office l'ensemble de ces juridictions à partir de 1924. La différence de composition des tribunaux français et indigènes souligne en effet la conception qu'a le pouvoir colonial de la justice indigène, notamment son absence totale d'indépendance par rapport au pouvoir exécutif.

4. Une composition différenciée des tribunaux

Des magistrats professionnels dans les tribunaux français

Jusqu'en 1901, les tribunaux français étaient composés de membres choisis parmi les fonctionnaires en service dans les colonies. Or, le gouvernement français entend assurer aux Européens << une distribution de la justice analogue à celles qu'ils trouvent dans la métropole >>157.

Le ministre des Colonies estime que << peu préparés aux fonctions judiciaires, les administrateurs déjà très absorbés par les multiples occupations qui leur incombent, se trouvent dans l'impossibilité de solutionner rapidement les différends qui leur sont soumis et la confusion entre leurs mains des pouvoirs administratifs et judiciaires peut exposer leurs décisions à de graves critiques >>158. Par conséquent, le décret du 6 août 1901 portant organisation de la justice en Guinée française, en Côte d'Ivoire et au Dahomey dote les juridictions françaises de ces colonies de magistrats professionnels : le juge-président et le procureur de la République, auxquels s'ajoutent un lieutenant de juge (qui remplit les

156 Ibid., rapport sur le fonctionnement de la justice indigène pendant le 4ème trimestre 1915, SD.

157 ANB, JOD 1901, fonds des JO, rapport au président de la République du 6 août 1901, op. cit., pp. 204- 205.

158 Ibid.

fonctions de juge d'instruction) et un juge suppléant à partir de 1903 pour les tribunaux de 1ère instance.

Mais la justice française dans les colonies ne jouit pas de la même indépendance qu'en métropole. D'une part, les magistrats coloniaux dépendent du ministre des Colonies et non du ministre de la Justice et ils ne sont pas inamovibles. En d'autres termes, les magistrats des colonies n'ont pas de garantie d'indépendance à l'égard des autorités administratives ; ils ne bénéficient pas des procédures protectrices exorbitantes du droit commun applicables aux magistrats métropolitains du siège lorsque l'administration souhaite les exclure de leurs fonctions publiques ou les déplacer. Le pouvoir administratif peut donc intervenir dans les affaires judiciaires en écartant un juge et en le déplaçant dans un autre lieu, ce qui constitue une atteinte au principe fondamental de la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif.

D'autre part, le chef du service judiciaire est le procureur général de l'AOF à Dakar. Ce procureur général est un magistrat du ministère public dépendant directement du gouverneur général, et non un magistrat du siège indépendant. Les juges coloniaux sont donc très largement dépendants du pouvoir administratif qui décide de leur carrière. Les gouverneurs veillent à l'administration de la justice dans leur colonie ; ils peuvent demander des explications à un magistrat et même le suspendre provisoirement159. Enfin, les fonctions de juge de paix continuent à être exercées par les administrateurs des colonies ou par le président du tribunal de 1ère instance160, donc par les autorités coloniales ellesmêmes et non par des magistrats formés à cet effet.

Si le pouvoir colonial estime que la justice française doit être rendue par des magistrats professionnels, tel n'est pas le choix retenu pour les tribunaux indigènes.

Le rôle croissant des administrateurs dans les tribunaux indigènes

En effet, en reprenant les mêmes types d'arguments, le pouvoir colonial agit dans un sens totalement opposé à l'égard des juridictions indigènes. Il renforce le rôle des administrateurs en matière de justice indigène, alors même qu'il estimait que ceux-ci étaient trop occupés et incompétents pour intervenir dans les tribunaux français. Ce faisant, il réduit peu à peu à néant l'indépendance de la justice indigène à l'égard du pouvoir administratif. Le ministre des Colonies, Albert Decrais, souligne dès 1901 que le maintien

159 Saliou Mbaye, Histoire des institutions coloniales françaises..., op. cit., p. 69.

160 ANB, JOD 1901 et 1903, fonds des JO, op. cit. ANB, JOD 1902, fonds des JO, arrêté du gouverneur du Dahomey du 2 juin 1902, p. 134.

pur et simple des anciens tribunaux indigènes ne permet aucun contrôle administratif sur cette justice.

Dans l'attente d'une réglementation d'ensemble des tribunaux indigènes, le décret de 1901 autorise les gouverneurs à organiser les juridictions indigènes. Le tribunal indigène de Porto-Novo institué par le gouverneur du Dahomey, bien que présidé par le roi Toffa et composé de chefs, ne peut fonctionner hors de la présence du Résident, sous peine de nullité du jugement prononcé en son absence161. Le traité du 25 juillet 1883 avait en effet institué un tribunal indigène spécifique à Porto-Novo qui ne se trouvait pas soumis aux dispositions du décret du 10 novembre 1903, en application de l'arrêté du gouverneur général du 29 décembre 1904. Cette juridiction spéciale cessa de fonctionner à la mort du roi Toffa en 1908162.

Le décret de 1903 qui organise l'ensemble des tribunaux indigènes de l'AOF va dans le même sens. Les nouveaux tribunaux de cercle sont présidés par l'administrateur de cercle assisté de deux notables indigènes, musulmans ou non selon le statut des parties en cause. Parallèlement, les tribunaux de province restent présidés par des chefs dahoméens et sont composés de deux notables indigènes (musulmans ou non). Ces assesseurs sont choisis, à partir de 1924, non plus en fonction de leur statut confessionnel, mais selon leur origine ethnique, pour représenter les différentes coutumes des populations de la circonscription judiciaire.

La présidence indigène est remise en cause par le décret de 1924 qui impose à cette place l'administrateur, chef de la subdivision163. Cette réforme est justifiée par les autorités coloniales locales pour garantir aux justiciables << l'impartialité qui faisait trop souvent défaut jusqu'ici >>164. En effet, les administrateurs ont une vision très négative de la justice antérieure, dirigée par les chefs locaux << trop souvent enclins au gain >>165. Les administrateurs des colonies sont unanimes pour souligner << la satisfaction >> des chefs et de la population à l'égard de cette réforme, qui marque l'emprise croissante du pouvoir colonial sur la justice indigène.

161 ANB, JOD 1902, fonds des JO, arrêté du gouverneur du Dahomey du 3 août 1902, pp. 182-183.

162 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 207.

163 En matière civile et commerciale, le tribunal peut cependant être présidé par un notable indigène désigné par le lieutenant-gouverneur. ANB, JOD 1932, op. cit., art. 20.

164 ANB, 1M126(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du commandant de cercle de Porto-Novo sur le fonctionnement de la justice indigène pour le 2ème trimestre 1924, SD.

165 Ibid., rapport du commandant de cercle de Zagnanado sur le fonctionnement de la justice indigène pour le 3ème trimestre 1924, SD.

Il en est ainsi de l'administrateur du cercle d'Abomey qui estime que << cette réorganisation constitue un avantage sur l'état précédent : elle admet tous les chefs principaux de la circonscription administrative au rang de conseiller, et cette charge qui leur incombe, loin d'être une contrainte, leur permet de participer grâce au jeu des remplacements qu'elle autorise à la distribution de la justice, dont le collège se trouve élargi, les différentes particularités des statuts mieux représentées >>.

Le même chef de cercle précise que << les chefs ont accueilli comme un honneur particulier leur nomination à des fonctions qui, de leur nature, relevaient déjà autrefois des plus hautes autorités de la hiérarchie indigène locale. Encore à cette époque, la violence, la faiblesse, l'arbitraire, la concussion, la corruption, se mélangeaient au système primitif de ce gouvernement des peuples >>166.

De même, l'administrateur du cercle du Mono écrit que << la nouvelle réglementation a été accueillie avec beaucoup de sympathie par la population, qui bien que ne se rendant pas encore compte de tous les avantages que la nouvelle organisation a sur l'ancienne a surtout été frappée cependant par cette garantie supplémentaire que constitue la présence du chef de subdivision à la présidence du tribunal de 1er degré >>167.

Les tribunaux criminels institués en 1931 sont également présidés par le commandant de cercle, qui se trouve assisté de deux assesseurs européens et de deux assesseurs indigènes. Enfin, le tribunal colonial d'appel est présidé par le président du tribunal de 1ère instance et il est composé de deux administrateurs des colonies et de deux notables indigènes. Non seulement les tribunaux indigènes sont dirigés par les administrateurs français mais les assesseurs, qui sont des notables dahoméens, sont choisis et révoqués par le chef de la colonie sur proposition du commandant de cercle. Ces assesseurs acquièrent voix délibérative à partir du décret de 1931.

Le pouvoir judiciaire réel se trouve donc progressivement placé entre les mains du commandant de cercle ou du chef de la subdivision, qui concentre également tous les pouvoirs administratifs (chargés du recrutement pour l'armée, de la perception des impôts, des recensements...) et de police dans sa circonscription. Ces administrateurs, souvent issus de l'armée au début de la colonisation puis formés à l'Ecole Coloniale, reçoivent des enseignements en droit et en linguistique. Mais leur polyvalence, et souvent aussi leur manque de connaissance des coutumes locales - ce d'autant plus qu'ils sont amenés à

166 Ibid., rapport du commandant de cercle d'Abomey sur le fonctionnement de la justice indigène pour le 3ème trimestre 1924, SD.

167 Ibid., rapport du commandant de cercle du Mono sur le fonctionnement de la justice indigène pour le 3ème trimestre 1924, SD. Les commandants de cercle de Savalou et Holli-Kétou font les mêmes analyses.

muter fréquemment - rendent difficile l'exercice de la justice. Leurs pouvoirs quasi illimités et difficilement contrôlables, notamment dans le cadre du fonctionnement même de la justice, conduisent également à de nombreux abus168, sur lesquels nous serons amenés à revenir.

5. Une procédure distincte devant les deux types de juridictions

Bien que le déroulement des procès devant les tribunaux indigènes soit largement calqué sur celui des tribunaux français, il existe d'importantes différences de fonctionnement tout au long de la procédure entre ces juridictions. Elles sont justifiées selon le pouvoir colonial par la double nécessité de conserver les règles judiciaires « coutumières » et d'exercer un contrôle étroit sur la justice indigène.

Ce dualisme de procédure se double, par ailleurs, de différences dans le traitement des affaires civiles et pénales, dans la mesure où les autorités coloniales exercent au sein des tribunaux indigènes un contrôle plus poussé encore sur les affaires pénales que sur les affaires civiles.

La saisine des juridictions

Les différences de procédure concernent tout d'abord la saisine des juridictions. En matière civile et commerciale, les parties peuvent directement saisir les tribunaux français ou indigènes de leurs litiges. En matière correctionnelle, les tribunaux français peuvent toujours être saisis directement par les parties ou le ministère public, tandis que les justiciables indigènes doivent obligatoirement passer par le chef de village, de province ou l'administrateur pour porter leurs litiges devant le tribunal de province (puis de subdivision) et le commandant de cercle pour les tribunaux de cercle. Le décret du 3 décembre 1931 renforce encore le rôle des administrateurs et limite d'autant les attributions des notables indigènes : le tribunal de 1er degré ne peut plus être saisi que par le commandant de cercle ou le chef de subdivision, soit d'office, soit sur la dénonciation des chefs locaux, soit sur la plainte de la partie lésée169.

168 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique Noire de 1800..., op. cit., p. 74.

169 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art. 38, 39, 50, 51 et 59. En matière criminelle, le tribunal de cercle est saisi par l'administrateur qui réalise lui-même l'instruction préalable en ce qui concerne les justiciables indigènes. Pour les juridictions françaises, c'est le juge chargé de l'instruction qui remet après son instruction préalable les pièces à l'officier du ministère public ; celui-ci rend une ordonnance renvoyant le prévenu devant la chambre des mises en accusation de la cour d'appel si les charges sont suffisantes. Le procès s'ouvre ensuite devant la cour d'assises. JOD 1912, op. cit., art. 10, 12, 20. JOD 1932, op. cit., art. 29.

Le déroulement du procès

Une fois les tribunaux français saisis, ils appliquent la procédure et la législation françaises ; les parties peuvent être représentées par des avocats-défenseurs170.

Bien que le décret de 1912 précise que les formes de la procédure sont celles résultant des coutumes locales, le procès se déroule de manière similaire devant les tribunaux indigènes, avec la déposition des témoins, la présence et les déclarations des parties. Le tribunal est toujours contraint de motiver ses jugements171, donc de préciser selon le principe de légalité la réglementation ou la coutume qui fonde sa décision. Cette obligation impose une rédaction des jugements et, << autant que possible », des conciliations faites devant le chef de village ; mais le pouvoir colonial semble peu entendu sur ce dernier point compte tenu de l'importance de l'illettrisme au sein de la population et de l'absence de coutume de l'écrit172. Les audiences devant l'ensemble des juridictions sont publiques (sauf danger pour l'ordre public ou les moeurs) et elles se tiennent au siège du ressort judiciaire. Il existe cependant des audiences foraines pour les jugements civils des tribunaux indigènes de premier degré173.

Par ailleurs, l'autorité coloniale ne permet pas aux justiciables indigènes d'être représentés par les avocats-défenseurs institués en AOF. En effet, le décret du 10 novembre 1903 avait consacré l'institution d'officiers ministériels pouvant représenter les parties devant les juridictions françaises de la fédération : les << conseils commissionnés » au Sénégal et les << défenseurs » dans les autres colonies de l'AOF, comme la Guinée et la Côte d'Ivoire. Un arrêté du 26 décembre 1905 les soumet à la même réglementation, sous l'appellation d'<< avocats-défenseurs ». Ces officiers ministériels, licenciés en droit, peuvent intervenir dans l'ensemble du ressort de la cour d'appel de l'AOF. En 1905, leur nombre est limité à trois au siège de chaque tribunal de première instance et ils restent sous le contrôle étroit du procureur général174 et du gouverneur général. Cette dépendance des avocats-défenseurs est liée à la crainte du pouvoir colonial de trouver dans cette profession un ferment de contestation à l'action administrative mais également au souci d'éviter la

170 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art. 29 à 31, 35, 38 et 85. Sauf dans les affaires civiles et commerciales entre indigènes pour lesquelles le tribunal peut appliquer les coutumes locales.

171 Ibid., art. 70. JOD 1912, op. cit., art. 10.

172 ANB, 1M159(5), fonds du Dahomey colonial, rapport du lieutenant-gouverneur du Dahomey au gouverneur général de l'AOF sur le fonctionnement de la justice pendant le 3ème trimestre 1915.

173 ANB, JOD 1932, fonds des JO, op. cit., art. 21. Des audiences foraines avaient été instituées en toute matière par le décret du 22 mars 1924. Les tribunaux indigènes doivent en matière civile chercher avant tout la conciliation des parties.

174 ANB, JOD 1906, fonds des JO rapport au gouverneur général en conseil de gouvernement suivi de l'arrêté du 26 décembre 1905 instituant des avocats-défenseurs.

multiplication des procès175. Devant les juridictions indigènes, l'autorité coloniale autorise tout d'abord l'assistance judiciaire par un parent ou un notable indigène domicilié au même lieu que le prévenu mais uniquement en matière répressive devant le tribunal de cercle176. Plus tard devant les tribunaux criminels institués en 1931, un défenseur est désigné d'office par le président de cette juridiction cinq jours avant l'audience ; il est choisi parmi les fonctionnaires ou agents européens de la localité. Le prévenu peut cependant refuser cette assistance et se faire aider dans sa défense par un parent ou un notable de son lieu de résidence177.

Plus encore, les tribunaux indigènes doivent appliquer en toute matière les coutumes locales, sauf si celles-ci sont << contraires aux principes de la civilisation française ». Cette notion reste très vague et peut donner lieu à de grandes divergences d'interprétation, comme nous le verrons. La seule précision apportée concerne les châtiments corporels prévus par la coutume et auxquels les tribunaux indigènes doivent obligatoirement substituer l'emprisonnement178. Quelques études sur les coutumes indigènes avaient été menées, comme par exemple celle rédigée en 1902 par Clozel et Villamur pour la Côte d'Ivoire179. L'objectif annoncé dans une instruction de 1905 par le gouverneur général Roume est de respecter les coutumes, tout en les rendant conformes aux notions floues du << progrès » et du << droit naturel ». Comme le précise ensuite une circulaire de 1931, le pouvoir colonial attend en réalité une évolution des coutumes vers les principes essentiels de droit français :

<< Nous ne pouvons en effet imposer à nos sujets les dispositions de notre droit français manifestement incompatibles avec leur état social. Mais nous ne saurions davantage tolérer le maintien à l'abri de notre autorité, de certaines coutumes contraires à nos principes d'humanité et au droit naturel. Notre ferme intention de respecter les coutumes ne saurait nous créer l'obligation de les soustraire à l'action du progrès, d'empêcher leur régularisation ou leur amélioration. Avec le concours des tribunaux indigènes eux-mêmes, il sera possible d'amener peu à peu une classification rationnelle, une généralisation des usages compatibles avec la condition sociale des habitants et de rendre ces usages de plus en plus conformes non point à nos doctrines juridiques métropolitaines qui peuvent être opposées, mais aux principes fondamentaux du droit naturel, source première de toutes les législations. »180

175 Bernard Durand, << Les avocats-défenseurs aux colonies. Entre déontologie acceptée et discipline imposée », in Bernard Durand (sous la direction de), La Justice et le droit : instrument d'une stratégie coloniale, rapport remis à la mission de recherche droit et justice, Montpellier, CNRS, UMR 5815, 2001, volume 2, pp. 499-539.

176 ANB, JOD 1912, fonds des JO, op. cit., art. 13.

177 ANB, JOD 1932, fonds des JO, op. cit., art. 53.

178 Ibid., art. 20 et 75.

179 CAOM, APC, Papiers Boulmer, FR CAOM 111 APOM 1 et 2, chemise 3, circulaire du 19 mars 1931 du gouverneur général de l'AOF au lieutenant-gouverneur du Dahomey.

180 Ibid.

Le gouverneur Roume indique en 1905 la nécessité d'énoncer très clairement ces coutumes, de les regrouper en vue de la << rédaction d'un coutumier général qui deviendra la règle des tribunaux indigènes >>181. Mais cette instruction n'aboutit qu'à l'élaboration de plusieurs études et coutumiers dispersés182.

Le mouvement est relancé en 1931 par le gouverneur général Brevié, qui souligne dans sa circulaire du 19 mars 1931, non seulement l'intérêt de << saisir au vif la coutume primitive, avant qu'elle soit devenue méconnaissable au contact de notre civilisation >>, mais également celui d'assurer une unité du droit indigène, ce qui doit permettre d'échapper au reproche de l'arbitraire183. Ce mouvement est poursuivi par Marius Moutet, ministre des Colonies sous le Front Populaire, qui met en place en 1936 un comité d'étude des coutumes indigènes. Le nouveau ministre précise sa pensée :

<< Il ne s'agit pas de saisir sur le vif des coutumes originelles pour en faire une arbitraire codification, mais bien plutôt d'observer les modifications qu'elles subissent au contact du fait colonial et d'apprécier le sens et de prévoir la portée de ces incessantes modifications. Nos protégés, dont la personnalité juridique se fondait autrefois dans celle de la famille, du village, du clan, de la tribu s'éveillent à la notion occidentale de l'individu objet de droits, de personnalité civile et morale. Déjà nous avons fait disparaître les crimes et délits rituels, supprimé les châtiments et mutilations corporels, aboli l'épreuve du poison dont on sait comment il était dosé, suivant le rang de l'inculpé et l'intérêt que lui portait le sorcier. Par contre, pour sauvegarder la race, nous avons ajouté aux actes condamnés par la morale ancestrale des délits nouveaux : faits de traite, mariage des filles impubères (...). Partout, il convient de dégager les principes généraux qui concilieront la souveraineté de notre droit et le respect des coutumes. >> 184

Ces instructions conduisent à l'élaboration du coutumier du Dahomey en 1933 qui concerne cependant les seuls litiges civils et, de manière plus générale, de coutumiers juridiques de l'AOF, publiés chez Larose en 1939185. Ces coutumiers rassemblent des coutumes locales très variées. Le coutumier du Dahomey est d'ailleurs considéré comme beaucoup trop sommaire par de nombreux administrateurs : << En effet, le coutumier du Dahomey qui en 30 pages expose les coutumes des innombrables peuplades dahoméennes ne peut être considéré que comme un résumé, je dirais presque une table des matières, bon

181 Instruction citée par Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 165. Pour la biographie du gouverneur général Ernest Roume, voir le dictionnaire biographique en annexe 6.

182 En 1908, le journal officiel du Haut-Sénégal-Niger publiait des éléments sur les coutumes fétichistes dans le cercle de Niero, puis en 1909, le gouverneur Clozel faisait procéder à une vaste enquête au Haut-SénégalNiger et Delafosse utilisa ce matériau pour rédiger en 1912 un ouvrage sur les peuples du Haut-SénégalNiger. L'administrateur Moulins rédigea un coutumier des Mossis, et une enquête sur l'Islam et les coutumes coraniques devait être entreprise à la veille de la Première Guerre mondiale. Pour le Dahomey, une étude sur l'ancien royaume du Danhomè fut rédigée en 1911 par Le Hérissé. CAOM, Papiers Boulmer, FR CAOM 111 AOPM 1 et 2, op. cit.

183 Ibid. Voir sur le gouverneur général Brevié le dictionnaire biographique en annexe 6.

184 CAOM, Archives privées, Papiers d'agents, Papiers de Marius Moutet, FR CAOM 28 PA 1, Causerie de Marius Moutet à Radio Cité sur le comité d'étude des coutumes indigènes, S.D. Voir pour Marius Moutet le dictionnaire biographique en annexe 6.

185 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la justice..., op. cit.., p. 165. Firmin Medenouvo, Le coutumier du Dahomey, Tillières-sur-Avre, Présence Béninoise, 2004.

tout au plus à un débutant d'éviter les erreurs grossières, mais inutilisables pour trancher les cas épineux >>, déclare en 1934 le chef de la subdivision d'Adjohon au commandant du cercle de Porto-Novo186.

Ces codifications élaborent un droit commun coutumier, ce qui porte atteinte à l'évolution spontanée des coutumes. Le risque de figer les coutumes est d'ailleurs envisagé par le gouverneur général Brevié :

<< On a fait à la codification le reproche de fixer le droit indigène, de lui donner un caractère de rigidité qu'il n'avait pas auparavant et de retarder son évolution au contact de notre civilisation. Il y a dans ce grief une grande part de vérité. Il sera nécessaire de mettre expressément les magistrats indigènes en garde contre les routines infrangibles, de bien leur signifier que si la lettre des codes doit être respectée, il ne leur est pas interdit de l'interpréter dans le sens des suggestions de l'opinion commune (...), de laisser libre cours en un mot à l'évolution d'une jurisprudence semi-prétorienne, dûment contrôlée par les administrateurs eux-mêmes éclairés par les conseils des notables>> 187.

Ces coutumes sont par ailleurs adaptées aux principes et valeurs des Européens, ce qui contribue à les dénaturer. Ainsi le chef de subdivision de Sakété estime-t-il que << le coutumier du Dahomey rédigé en termes laissant à l'interprétation des règles qu'il édicte assez d'élasticité pour qu'elles puissent être adaptées suivant les circonstances aux litiges soumis à la juridiction des tribunaux indigènes, tout en respectant les principes de notre morale sans heurter trop brutalement les anciennes coutumes locales, dont certaines sont fort respectables >>188.

En réalité, selon les juristes, les tribunaux indigènes ne se référent pas aux coutumiers lorsqu'ils statuent. André-Pierre Robert indique dans son étude sur l'évolution des coutumes dans l'Ouest africain que les juridictions semblent même les ignorer et font appel à leur mémoire et à leur expérience des pratiques coutumières dans la résolution des litiges189. En effet, ces coutumiers n'ont pas de valeur officielle et ils ne sont consultés qu'<< à titre de renseignements >> par les administrateurs en charge de la justice indigène190.

Par conséquent, les difficultés d'interprétation amènent le pouvoir colonial à préciser et encadrer les conditions de l'application des coutumes locales par les tribunaux indigènes en matière répressive. Le décret de 1912 ajoute que si les coutumes locales ne sanctionnent pas les infractions prévues par un décret ou un règlement, il doit être fait application des sanctions mentionnées à ce décret. Par ailleurs, les peines applicables sont

186 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, lettre du chef de subdivision d'Adjohon au commandant de cercle de Porto-Novo n°256 du 29 octobre 1934.

187 CAOM, APC, Papiers Boulmer, FR CAOM 111 APOM 1 et 2, op. cit.

188 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, lettre du chef de subdivision de Sakété au commandant de cercle de Porto-Novo du 25 septembre 1934.

189 André-Pierre Robert, L'évolution des coutumes dans l'ouest africain et la législation française, Paris, Thèse de droit, Université de Strasbourg, 1954, p. 212.

190 Emmanuelle Saada, << Citoyens et sujets de l'Empire français..., op. cit., p. 14.

limitativement énumérées191. Les coutumes ne se trouvent en fait exclusivement appliquées qu'en matière civile et commerciale, tandis qu'en matière répressive les juridictions ne doivent que << s'en inspirer » à partir de 1931, << dans la mesure où il n'en doit résulter aucune atteinte à l'ordre public »192.

Différences dans l'exercice du droit d'appel

Enfin, l'exercice du droit d'appel devant les tribunaux indigènes est beaucoup plus limité que devant les tribunaux français ; il tend même à se réduire au fur et à mesure des réformes judiciaires. En effet, les justiciables des tribunaux de première instance et des justices de paix à compétence étendue disposent respectivement d'un délai de quatre et trois mois pour faire appel des jugements rendus en premier ressort en matière civile, commerciale et correctionnelle, devant la cour d'appel de l'AOF. Ils peuvent ensuite demander l'annulation du jugement devant la cour de cassation française, conformément à la législation métropolitaine193. Les justiciables des tribunaux indigènes de province ne disposent en revanche que de deux mois à partir du prononcé du jugement pour faire appel des jugements civils contradictoires, et ce délai passe à un mois à partir de 1912194. Les jugements correctionnels rendus par les mêmes tribunaux ne peuvent quant à eux être soumis par les justiciables en appel devant le tribunal de cercle, puis le tribunal colonial d'appel, que dans les 10 jours suivant le prononcé du jugement. Ce délai passe à 15 jours avec le décret de 1931, mais parallèlement, les magistrats et fonctionnaires du ministère public près le tribunal colonial d'appel disposent pour leur part de trois mois pour faire appel195. Les jugements des tribunaux de subdivision et de cercle ne sont pas susceptibles de pourvoi en cassation, mais ils peuvent être soumis pour homologation ou annulation devant la chambre spéciale de la cour d'appel de l'AOF196. Enfin, les condamnés des

191 Ibid., art. 36 à 38. Il s'agit de la peine de mort, de l'emprisonnement à perpétuité ou pour une durée maximale de 20 ans, de l'interdiction de séjour, de l'amende et enfin de la contrainte par corps pour le recouvrement des amendes pour une durée maximale de deux années.

192 ANB, JOD 1932, op. cit., art. 6 et 10. La circulaire du gouverneur général de l'AOF du 7 mai 1937 n°290/AP/2 précise que << le respect des traditions locales constitue (...) l'un des principes essentiels de notre doctrine coloniale (...). Si en matière répressive, en effet, le texte dont il s'agit [le décret du 3 décembre 1931] peut apporter, à l'application de la coutume, certaines restrictions motivées par la gravité même des infractions commises ou la nécessité de maintenir l'ordre public et d'assurer la sauvegarde des principes fondamentaux de notre civilisation, il n'en consacre pas moins absolument et exclusivement l'autorité en matière civile et commerciale ». ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial.

193 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art. 36, 37 et 40.

194 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art. 52, puis JOD 1912, op. cit., art. 11.

195 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art. 52, puis JOD 1912, op. cit., art. 14, puis JOD 1932, op. cit., art. 26 et 33.

196 ANB, JOD 1912, fonds des JO, op. cit., art. 21.

juridictions indigènes bénéficient d'un droit de recours en grâce auprès du chef de l'Etat (article 44 du décret de 1912197).

En fait, les réformes judiciaires successives, en renforçant le contrôle colonial sur la justice indigène, réduisent le respect de la procédure << coutumière >>. Le ministre des Colonies justifie cela en 1931 par le nouveau << stade d'évolution >> des colonies de l'AOF, qui implique d'assurer de nouvelles garanties judiciaires aux indigènes et donc d'étendre plus largement la procédure française aux tribunaux indigènes198. La procédure criminelle des tribunaux français est alors appliquée aux tribunaux criminels indigènes199. De même, le pouvoir colonial n'avait pas au départ envisagé la prescription des actions civiles ou pénales devant les tribunaux indigènes, contrairement à la législation française. Le décret de 1912 introduit la prescription de 5 ans pour les actions civiles mais il précise qu'en matière répressive, les infractions prévues par la coutume ne sont pas prescriptibles. Ce n'est qu'avec l'affaiblissement du principe d'application des coutumes par les tribunaux que le décret du 3 décembre 1931 impose les prescriptions de la législation métropolitaine aux affaires pénales entre indigènes200.

Les réformes de la justice indigène, guidées selon le ministre des Colonies par le << respect des coutumes indigènes, l'association de nos sujets à la distribution de la justice >>, << l'octroi aux justiciables de garanties nouvelles >> répondent également, et peutêtre surtout, au souci d'un << contrôle juridictionnel des décisions >>201.

6. Un contrôle très poussé de la justice indigène

Le contrôle de la justice indigène est réalisé, sous la direction du procureur général de l'AOF qui est aussi chef du service judiciaire, par les lieutenants-gouverneurs de chaque colonie. A partir de 1901, des états trimestriels et des documents statistiques de l'administration de la justice doivent déjà être adressés au procureur général, puis transmis

197 La question de l'application dans les colonies du droit pour les condamnés de demander leur grâce au président de la République s'était posée avant 1912, bien que cette procédure n'ait pas été prévue par le décret du 10 novembre 1903. Le gouverneur général Ponty avait précisé dans une circulaire du 30 mars 1906 qu'<< il est hors de doute qu'il serait contraire à tout principe de droit et de civilisation de ne pas donner à un indigène condamné à la peine de mort la faculté d'établir un recours en grâce >>. ANB, JOD 1906, fonds des JO. Le décret de 1912 vient donc ensuite préciser ce droit pour les condamnés des juridictions indigènes. Voir dictionnaire biographique en annexe 6.

198 ANB, JOD 1932, fonds des JO, op. cit., rapport au Président de la République du 3 décembre 1931.

199 Après l'instruction préalable, le ministère public saisit le tribunal colonial d'appel qui détermine en tant que chambre d'accusation si les faits soumis doivent ou non être portés devant le tribunal criminel (art. 62 à 64 du décret du 3 décembre 1931).

200 ANB, JOD 1912, fonds des JO, op. cit., art. 46, puis JOD 1932, op. cit., art. 17. D'autres règles métropolitaines sont appliquées aux juridictions indigènes par le décret du 3 décembre 1931, telle que la majorité pénale à 16 ans.

201 ANB, JOD 1932, fonds des JO, op. cit., rapport au Président de la République du 3 décembre 1931.

au ministre des Colonies202. Avec l'organisation de la justice indigène en 1903, son contrôle se précise. Les jugements des tribunaux indigènes, avec certaines mentions obligatoires, doivent être transcrits à leur date sur un registre spécial paraphé par l'administrateur de cercle203. Puis un relevé de tous les jugements des tribunaux de province doit être envoyé chaque mois, mais uniquement en matière correctionnelle204. Le contrôle sur les décisions de justice s'étend avec les réformes successives de 1924 et 1931. D'abord, le nombre de mentions obligatoires portées aux jugements croît fortement, notamment en matière répressive205. Ensuite, des notices de jugements sont transmises mensuellement pour l'ensemble des affaires civiles et pénales par les juridictions du 1er mais aussi du 2e degré et du tribunal criminel au lieutenant-gouverneur (et au procureur général pour les jugements des tribunaux de 2e degré). Le lieutenant-gouverneur adresse alors ses remarques sur les notices envoyées. Enfin, le commandant de cercle et l'inspecteur des affaires administratives contrôlent périodiquement les registres de jugements206.

Le pouvoir colonial porte une attention particulière au contrôle et au respect des principes de la justice répressive indigène afin de renforcer sa légitimité et son autorité. Les circulaires successives du gouverneur général ou du lieutenant-gouverneur insistent sur ce point :

<< Le commandant de cercle a l'impérieux devoir de surveiller strictement l'action répressive des tribunaux de premier degré (...). Par l'examen de leurs registres, il peut prendre connaissance de toutes les décisions rendues ; si certaines lui paraissent contestables, il vous les signale (...). En appliquant cette méthode, le commandant de cercle aura la possibilité de faire redresser à bref délai les décisions entachées d'erreur ; son autorité ne pourra qu'y gagner. »207

De même, les autorités coloniales insistent pour que les notices adressées mensuellement soient établies convenablement. Ainsi, en 1917, le lieutenant-gouverneur du Dahomey, Fourn, souligne-t-il : << mon attention vient d'être attirée sur les conditions défectueuses dans lesquelles sont établies certains des états de jugement que vous

202 ANB, JOD 1901, fonds des JO, op. cit., art. 32.

203 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art. 70 et 71. Les jugements doivent mentionner l'énoncé sommaire des faits, les conclusions et les déclarations des parties, les dépositions des témoins et les noms des juges qui ont participé à la décision.

204 Ibid., art. 72. Les tribunaux doivent mentionner les jugements civils, répressifs et rendus en appel sur des registres distincts.

205 Les notices doivent contenir, outre les anciennes mentions, la coutume du lieu, l'identité du prévenu, la date du mandat de dépôt, la date, le lieu et la nature de l'infraction, la peine prononcée, le texte appliqué et le cas échéant la mention de l'appel interjeté. Les notices des jugements des tribunaux criminels doivent également mentionner le nom du conseil du prévenu.

206 Ibid., art. 94 à 105. Une notice des actes d'instruction criminelle en cours est également envoyée mensuellement par le président du tribunal criminel au lieutenant-gouverneur.

207 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire n°171 du 30 avril 1935 du gouverneur général de l'AOF aux gouverneurs des colonies.

m'adressez mensuellement. (...) Il m'a été donné d'observer que certaines sentences n'étaient pas motivées d'une façon précise et que les références à la coutume du pays sont presque toujours trop brèves et parfois même inexistantes >>208. Le pouvoir colonial est donc soucieux que les jugements rendus soient toujours juridiquement fondés et que ce fondement soit clairement affiché.

La situation ne semble pas s'améliorer par la suite. En 1936, le gouverneur général de l'AOF constate de nombreuses erreurs dans les notices, avec des carences dans les mentions obligatoires et le dépassement du délai mensuel pour l'envoi de ces notices de jugements209. Ces circulaires, ainsi que les correspondances du lieutenant-gouverneur sur ce sujet, mettent en relief l'importance des irrégularités et des erreurs commises dans le cadre des procès devant les tribunaux indigènes. Le lieutenant-gouverneur en arrive à menacer les administrateurs des colonies qui ne prennent pas en compte ses remarques, soulignant ici encore l'absence d'indépendance de la justice :

<< Je remarque que ce sont toujours les mêmes observations qui vous sont faites, soit par le contrôle du bureau politique, soit par celui du parquet général. Elles m'incitent à croire qu'il n'en est tenu aucun compte par les fonctionnaires chargés de la justice indigène (...). Un relevé sera fait au bureau politique au nom de chaque président de tribunal de cercle et il sera tenu le plus grand compte au moment des travaux d'avancement du plus ou moins grand nombre d'observations qui auront été faites sur la même question de doctrine ou de forme. >>210

Le contrôle exercé sur une justice indigène dite << simplifiée >> et << rapide >> souligne le double souci du pouvoir colonial d'assurer le respect de la forme et d'asseoir juridiquement les décisions de justice, donc de les légitimer, tout en faisant fonctionner une justice relativement éloignée de celle d'un Etat de droit. Le souci de fonder les jugements et de contrôler le respect des formes dépasse le cadre judiciaire stricto sensu pour concerner l'ensemble des décisions répressives prises par le pouvoir colonial, y compris celles prises en application du Code de l'indigénat.

C. La cohabitation de la justice indigène avec le Code de l'indigénat

Le contrôle s'exerce non seulement sur la justice indigène << officielle >> mais aussi sur la << justice arbitraire >> fonctionnant parallèlement, celle du Code de l'indigénat.

208 ANB, 2M137(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire n°1543 du 9 octobre 1917.

209 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire n°332 du 15 juin 1936. Dans le même sens, circulaires du 15 janvier 1935 et du 29 janvier 1936.

210 Ibid., télégramme-lettre officiel n°1480 APA du 8 avril 1937 du lieutenant-gouverneur par intérim du Dahomey au commandant de cercle de Porto-Novo.

1. Le « Code de l'indigénat », de multiples règlements au service de l'ordre colonial

Si la France instaure des tribunaux indigènes pour régler les litiges entre les Dahoméens, elle se réserve le droit, quand son autorité risque d'être remise en cause, d'appliquer aux << sujets français » (ou indigènes) des sanctions disciplinaires sans avoir à en justifier devant l'autorité judiciaire. Il s'agit bien d'une justice arbitraire édictée en Algérie en 1881211, puis reprise dans les autres colonies en Indochine212 et en Afrique. Au Sénégal, puis dans les autres colonies d'Afrique occidentale, le décret du 30 septembre 1887 autorise les administrateurs des colonies à punir de 15 jours d'emprisonnement et/ou de 100 francs d'amende au maximum les indigènes non citoyens français qui ont commis une << infraction spéciale », c'est-à-dire un acte ou une omission portant atteinte à l'ordre colonial213. Plusieurs décrets et arrêtés locaux déterminent ces nombreuses infractions spéciales, telles que la négligence dans le règlement de l'impôt ou dans l'exécution des prestations en nature dues à l'autorité coloniale, le refus de répondre à la convocation de l'administrateur, un acte irrespectueux ou offensant à l'égard d'un agent de l'autorité, des propos tenus en public dans le but d'affaiblir l'autorité, etc.214 En outre, le lieutenantgouverneur puis, à partir de 1902, le gouverneur général, peut, en conseil du gouvernement, ordonner l'internement d'indigènes ou le séquestre de leurs biens lorsqu'ils sont coupables << d'insurrection contre l'autorité de la France, de troubles politiques graves

211 Sur l'instauration du régime de l'indigénat en Algérie, on peut utilement se référer à la lecture de Jacques Aumont-Thieville, Du régime de l'indigénat en Algérie, Thèse pour le doctorat en droit, Paris, 1906 ; Charles-Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), tome 1er, Paris, PUF, 1968, pp. 165-176 ; Jacques Fremeaux, << Justice civile, justice pénale et pouvoirs répressifs en territoire militaire (1830-1870) », in La justice en Algérie (1830-1962), Paris, 2005, pp. 31-44 ; Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., chapitre 1, Le Laboratoire algérien, pp. 31-66.

212 La loi du 28 juin 1881 accorda aux administrateurs des communes mixtes d'Algérie, en territoire civil, le droit d'appliquer des peines de simple police en cas d'infractions spéciales. Le 25 mai 1881, un décret autorisa le fonctionnement de l'indigénat en Cochinchine. Puis d'autres réglementations locales furent ensuite adoptées, comme un décret de 1887 qui mit en oeuvre le régime de l'indigénat en NouvelleCalédonie. Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 67. Isabelle Merle signale que le régime de l'indigénat a été étendu en 1887 à l'Annam, au Tonkin, au Laos et aux Iles-sous-le-vent, en 1897 au Cambodge, en 1898 à Mayotte et Madagascar, en 1901 à l'AEF, en 1907 à la Côte des Somalis et au Togo et Cameroun en 1923 et 1924. Isabelle Merle, << De la «légalisation» de la violence en contexte colonial. Le régime de l'indigénat en question », Politix, 2004, vol 17, n°66, p. 142. Voir aussi Anthony Ijaola Asiwaju, «Control Through Coercion : a Study of the Indigénat Regime in French West African Administration, 1887- 1946», Bulletin de l'Institut fondamental d'Afrique noire, série B, vol. 41 (1), 1979, pp. 35-75.

213 Ce maximum des peines pouvait être réduit dans chaque colonie par arrêté du gouverneur, comme ce fut le cas au Dahomey avec l'arrêté du 15 mars 1899 qui limita le maximum des peines disciplinaires à 8 jours de prison et 50 francs d'amende. Mais d'autres arrêtés revinrent postérieurement sur cette limitation.

214 Le décret du 12 octobre 1888 porte une première énumération de ces infractions spéciales, Saliou Mbaye, Histoire des institutions coloniales françaises..., op. cit., pp. 72-73. Un arrêté du lieutenant-gouverneur du Dahomey du 18 février 1905 donne une nouvelle liste des infractions spéciales. ANB, JOD 1905, fonds des JO, p. 50. Plusieurs autres décrets et arrêtés locaux sont pris par la suite.

ou de manoeuvres susceptibles de compromettre la sécurité publique >>215. Les gouverneurs des colonies peuvent enfin imposer des amendes collectives pour désobéissance ou révolte. Selon Le Roy, << à l'Etat de droit en métropole, l'indigénat substitue un «Etat d'exception» fondé sur la notion d'ordre public colonial >>216.

Le décret du 7 décembre 1917 rassemble en un << Code de l'indigénat >>217 l'ensemble de la réglementation portant sur ce point en AOF ; il prévoit en outre la contrainte par corps en cas de non paiement de l'amende infligée disciplinairement218. Les pouvoirs disciplinaires initialement conférés aux administrateurs commandants de cercle étaient en fait souvent délégués aux adjoints, commis et officiers chargés de fonctions civiles. Le ministre des Colonies souligne dans une dépêche du 31 octobre 1912 que << Mr l'Inspecteur Reinhart signale que cette extension de dispositions limitatives a été concentrée en faveur des chefs de poste aux termes mêmes d'une circulaire du lieutenantgouverneur de la Côte d'Ivoire en date du 3 novembre 1910 «par analogie», alors que le même document précise que les pouvoirs disciplinaires ne sont confiés qu'aux seuls administrateurs, commandants de cercle >>219. Il ajoute qu'il s'agit là d'une interprétation irrégulière du texte de 1887. Le décret du 12 septembre 1913 précise alors que les administrateurs ne peuvent déléguer les pouvoirs de l'indigénat qui doivent être conférés par décisions des gouverneurs aux agents civils dans les postes ainsi qu'aux officiers commandants de cercle ou de secteur220. A partir de cette date, les gouverneurs doivent par ailleurs fixer les limites des agents dans leur pouvoir d'utiliser le Code de l'indigénat.

215 Le gouverneur général peut prononcer au maximum 10 années d'internement selon le décret du 21 novembre 1904. Ibid., p. 73. Laurent Manière indique que 20 personnalités furent internées ou interdites de séjour entre 1894 et 1904 au Dahomey, dont Béhanzin et Agoli-Agbo. Ensuite, entre 1905 et 1913 le recours à l'internement se restreint, avec 6 individus sanctionnés entre 1905 et 1913. Le nombre d'internements augmente pendant la Première Guerre mondiale, du fait des révoltes dans tout le Dahomey consécutives à l'accroissement des exigences liées à l'effort de guerre : entre 1914 et 1919, on compte 24 internements. L'internement continue d'être une arme largement utilisée par le pouvoir colonial après la réforme du Code de l'indigénat en 1924, avec 196 personnes internées ou mises en résidence obligatoire, mais la répression chute après 1933 et la part du Dahomey reste limitée. Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., pp. 105, 205 et 279.

216 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 104.

217 Sophie Dulucq, Jean-François Klein, Benjamin Stora (sous la direction de), Les mots de la colonisation, << Code de l'indigénat >>, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2008, p. 27.

218 La contrainte par corps varie de 1 à 5 jours d'emprisonnement pour une amende de 1 à 15 francs, de 5 à 10 jours d'emprisonnement pour une amende de 16 à 50 francs et de 10 à 15 jours de prison pour une amende de 51 à 100 francs.

219 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 230.

220 ANB, JOD 1913, fonds des JO, décret du 12 septembre 1913 du ministre des Colonies promulgué en AOF par arrêté du gouverneur général le 5 octobre 1913, p. 588.

2. Les justifications de l'indigénat mises à l'épreuve des réalités

Le pouvoir colonial justifie ce système dérogatoire au droit commun par la nécessité d'établir son autorité sur des territoires récemment conquis. La circulaire du 10 juillet 1918 explique que << le régime de l'indigénat est un régime d'exception répondant à la situation politique actuelle du pays dont l'administration nous est confiée, mais qui doit se modifier constamment, au fur et à mesure des progrès réalisés par nos populations indigènes, pour disparaître un jour >>221.

Dans le même temps, les autorités soulignent le besoin de réglementer les sanctions administratives prises en dehors de tout procès dans le but d'en limiter l'arbitraire : l'adoption du Code de l'indigénat << fut une mesure libérale pour les indigènes qui jusquelà étaient brutalisés sans pouvoir recourir à aucune protection légale >> explique à la chambre le député de Cochinchine Le Myre de Vilers en 1900222. Une circulaire du gouverneur général de l'AOF du 3 février 1900 rappelle d'ailleurs aux administrateurs de cercle qu'ils sont tenus de respecter la réglementation de 1887 limitant les sanctions disciplinaires à 15 jours de prison. Il précise que si un de ses prédécesseurs les a autorisés à infliger << des peines allant jusqu'à 6 mois de prison (...) la légalité des peines ainsi infligées est assurément contestable >>, et que les administrateurs ne doivent pas se substituer aux juges223. Le Code de l'indigénat correspondrait alors à un processus de limitation et de << légalisation >> de la violence coloniale224.

Les sanctions disciplinaires sont également justifiées selon le pouvoir colonial par l'absence d'organisation adaptée de la justice indigène à la répression de certains règlements de l'autorité publique225. Le régime de l'indigénat est en effet conçu comme évolutif. Edouard Daladier, devenu ministre des Colonies après la victoire des gauches aux élections de 1924, explique dans un rapport au Président de la République du 15 novembre 1924 que le régime normal des colonies est celui d'une intervention judiciaire généralisée, mais qu'<< en attendant que les progrès de la société indigène permettent de faire partout et

221 Cité par Saliou Mbaye, Histoire des institutions coloniales françaises..., op. cit., p. 74.

222 Cité par Denise Bouche, Histoire de la colonisation française, Flux et reflux (1815-1962), tome 2, Paris, Fayard, p. 146. Alice L. Conklin précise également que la réglementation sur l'indigénat permet de fixer des limites à la violence coloniale initiale. Alice L. Conklin, A Mission to Civilize. The Republican Idea of Empire in France and West Africa, 1895-1930, Stanford, 1997, 367 p.

223 ANB, JOD 1900, fonds des JO, circulaire du gouverneur général de l'AOF le 3 février 1900.

224 Isabelle Merle, << De la «légalisation»... >>, op. cit., p. 138.

225 ANB, JOD 1913, fonds des JO, circulaire du gouverneur général de l'AOF du 28 septembre 1913 relative aux pouvoirs disciplinaires des administrateurs coloniaux, pp. 590-591.

pour tous appel aux tribunaux, il fallait maintenir, de façon toute exceptionnelle, l'action administrative >>226.

Mais le Code de l'indigénat est maintenu au-delà même de la phase dite de << pacification >> des colonies de 1900 à 1920, c'est-à-dire après l'affaiblissement des révoltes à l'ordre colonial dans les différents territoires. Il continue également d'être appliqué malgré l'instauration de juridictions indigènes compétentes à l'égard des infractions aux règlements de l'autorité publique227. Certes, le décret du 15 novembre 1924 soumet le régime de l'indigénat à des règles plus précises et en réduit la rigueur : de nombreuses infractions qui étaient sanctionnées par voie disciplinaire relèvent progressivement des tribunaux de droit commun228. Ce décret, complété par celui du 29 mai 1936, impose également aux administrateurs de tenir un registre spécial de toutes les punitions infligées et il écarte certaines catégories sociales de son application, comme les indigènes ayant servi durant la guerre dans les troupes coloniales, ainsi que leurs enfants et leurs femmes, les chefs de province ou de canton, les agents réguliers des cadres de l'administration, les membres des assemblées délibérantes et consultatives ou encore les assesseurs près des tribunaux indigènes ou les indigènes ayant obtenu une décoration ou titulaires du brevet élémentaire, ou commerçants patentés229. Enfin, ce texte de 1924 réduit les peines encourues de 15 à 5 jours de prison et de 100 à 15 francs d'amende, bien qu'il précise dans le même temps que les anciennes peines pouvaient être maintenues dans les régions les plus rebelles ou insoumises230.

Le régime << d'exception >> prévu pour une période transitoire perdure dans les faits jusqu'au décret du 22 décembre 1945 qui impose sa suppression en 1946, reporté périodiquement par arrêtés successifs231. Bien que certaines personnes échappent progressivement aux sanctions disciplinaires, en raison de leurs fonctions ou des services

226 Denise Bouche, Histoire de la colonisation française..., op. cit., p. 146.

227 Laurent Manière souligne qu'en 1910, l'inspecteur Demaret constatait que les tribunaux de village qui auraient dû décharger les administrateurs d'une partie de leurs attributions n'étaient entrés nulle part en fonction, à l'exclusion du cercle de Djougou. Le transfert espéré d'une partie de cette répression vers les tribunaux de village n'a donc pas eu lieu. Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 202.

228 Par exemple les faux renseignements donnés à l'administration à partir de l'arrêté général du 20 juin 1925. ANB, 1M177(1), fonds du Dahomey colonial, jugements du tribunal de 1er degré d'Abomey le 2 novembre 1938 n°282, 285 et du 22 novembre 1938 n°310.

229 Saliou Mbaye, Histoire des institutions coloniales françaises..., op. cit., p. 75. Claude Deschamps, Les attributions judiciaires des administrateurs en Afrique Noire, op. cit., pp. 90-92.

230 Mamadou Dian Chérif Diallo, Répression et enfermement en Guinée, op. cit., p. 86.

231 ANB, JOD 1932, fonds des JO, arrêté n°2459 AP du 26 octobre 1931 maintenant provisoirement dans certaines régions de l'AOF les dispositions du décret du 30 septembre 1887, succédant lui-même aux arrêtés du 20 juin 1925, du 5 décembre 1927 et du 30 septembre 1929.

rendus, la majeure partie des populations des colonies reste soumise au Code de l'indigénat jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

3. Un Code de l'indigénat ou un enseignement pratique de la discipline ?

Qualifiée de manière inappropriée de << code >>, la réglementation sur l'indigénat rassemble en réalité un ensemble de textes épars qui n'ont jamais été compilés à l'échelle de l'ensemble des colonies232. Bien qu'ils soient successivement reportés, les règlements sur l'indigénat sont conçus comme des normes transitoires. Ils ne pouvaient donc faire l'objet d'une codification qui suppose la volonté de pérenniser des règles juridiques en les organisant de manière rationnelle233. Par ailleurs et contrairement à un code, la réglementation sur l'indigénat ne touche pas une matière déterminée mais elle vise une catégorie d'individus, ceux qui n'ont pas le statut de citoyens français ou européens dans les colonies : les << sujets français >>, autrement appelés << indigènes >>. Mais elle cible cette population seulement dans ses rapports au colonisateur. En effet, si les infractions spéciales de l'indigénat sont très variées, depuis la négligence dans le paiement de l'impôt jusqu'au refus de se rendre à une convocation, toutes sont considérées de nature à porter atteinte à l'autorité coloniale. Le Code de l'indigénat contribue à structurer les relations entre la minorité colonisatrice et la masse colonisée.

Les infractions prévues dans ce << code >> sont punies de sanctions dites << disciplinaires >>. L'autorité coloniale est, du début de la conquête jusqu'au lendemain de la Première Guerre mondiale, essentiellement militaire. Ce pouvoir est peu accoutumé au langage juridique et les termes de << sanctions disciplinaires >> relèvent davantage du vocabulaire militaire que de la terminologie juridique. Par ailleurs, la notion de sanctions disciplinaires revêt un sens différent dans les colonies et en métropole. Les sanctions disciplinaires correspondent en France métropolitaine à la répression des atteintes à l'honneur d'une profession tandis que, dans le contexte colonial, elles ont pour objet d'assurer le prestige dû aux représentants de la souveraineté française. Plus qu'un code au sens juridique du terme, le régime de l'indigénat constitue une police des conduites, une

232 Laurent Manière indique dans sa Thèse sur le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 13, la difficulté de rendre compte avec clarté du dispositif compte tenu de l'enchevêtrement des nombreux textes relatifs à l'organisation de l'indigénat ; il a pu recenser 15 décrets, 27 arrêtés et 40 circulaires pour toute l'AOF et 4 arrêtés et 8 circulaires pour le Dahomey. Isabelle Merle souligne également que le terme de << code >> a rarement été utilisé par les juristes eux-mêmes et plusieurs projets de << code de l'indigénat >> ou de << code pénal spécial >> furent présentés mais n'aboutirent jamais. Isabelle Merle, << De la «légalisation»... >>, op. cit., p. 142. Voir aussi Sophie Dulucq, Jean-François Klein, Benjamin Stora (sous la direction de), Les mots de la colonisation, << Code de l'indigénat >>, op. cit., p. 27.

233 Isabelle Merle, op. cit., p. 142.

discipline du corps et de l'esprit des colonisés à l'égard des colonisateurs234. Michel Foucault a mis en évidence dans son ouvrage « Surveiller et punir >> la construction en France depuis la fin du XVIIIème siècle d'un arsenal de mesures destinées à discipliner la société dans le cadre de la nouvelle société industrielle. La police, la prison, mais également toutes les instances des pouvoirs dans la société, telles que l'armée, l'école ou l'atelier, contribuent à accoutumer le peuple à l'ordre et à l'obéissance. Michel Foucault met en relief la fonction de la discipline comme outil de hiérarchisation sociale :

« Alors que les systèmes juridiques qualifient les sujets de droit, selon des normes universelles, les disciplines caractérisent, classifient, spécialisent ; elles distribuent le long d'une échelle, répartissent autour d'une norme, hiérarchisent les individus les uns par rapport aux autres, et à la limite disqualifient et invalident. >>235

Or dans les colonies, le colonisateur est un élément exogène par rapport à une discipline sociale qui lui préexiste. Le pouvoir colonial peut s'appuyer sur les instances disciplinaires déjà établies ou qu'il recompose (chef de famille, chef de village, chef de canton et notables), mais il établit également une discipline à l'usage de l'ensemble du peuple assujetti à son égard. Les infractions spéciales représentent donc un outil de cette nouvelle discipline et hiérarchie sociale.

Le Code de l'indigénat est dans le même temps un instrument au service des impératifs administratifs et économiques des colonies. Comme le souligne Laurent Manière, pendant la période 1907-1934, « les pouvoirs disciplinaires ne servirent plus seulement à réprimer pour des objectifs de maintien de l'ordre public mais à contraindre massivement les indigènes pour les nécessités administratives et économiques des colonies >>236. Cette période est alors marquée par un accroissement important des sanctions disciplinaires mais également la recherche de limites à l'arbitraire de l'indigénat, avec un contrôle accru mais impuissant pour limiter les abus inhérents au mode de fonctionnement du Code de l'indigénat.

4. Des pratiques abusives malgré le contrôle des sanctions disciplinaires

Le Code de l'indigénat constitue un pouvoir répressif arbitraire entre les mains des administrateurs et donne lieu à de nombreux abus. Les multiples circulaires du gouverneur général et des lieutenants-gouverneurs, en appelant les administrateurs à la modération,

234 Emmanuelle Saada éclaire cette conception du régime de l'indigénat par le souci de maintenir le respect dû à la dignité des colonisateurs, à leur prestige dans l'article Emmanuelle Saada, « Citoyens et sujets de l'Empire français..., op. cit., pp. 2-24.

235 Michel Foucault, Surveiller et Punir, op. cit., p. 259.

236 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 27.

manifestent le caractère massif et abusif du recours au Code de l'indigénat dans les cercles des colonies.

Le gouverneur général de l'AOF rappelle en 1913 << la portée parfaitement circonscrite >> des pouvoirs disciplinaires des administrateurs :

<< Ils ne sauraient donc intervenir en toute circonstance et indifféremment pour toute infraction. Il est nécessaire pour que leur application soit régulière qu'elle ait été nettement prévue par les arrêtés ou décisions des lieutenants-gouverneurs ou du gouverneur général. D'autre part, nous ne devons jamais perdre de vue que la répression par voie disciplinaire constitue un régime essentiellement d'exception. A mon sentiment, les autorités locales et les administrateurs dans les colonies sont trop facilement portés à ne voir dans l'indigénat que le régime répressif normal à l'égard de l'autochtone. C'est là une erreur regrettable. >>237

Un autre gouverneur général écrit encore en 1935 :

<< J'ai déjà appelé l'attention des fonctionnaires européens sur les graves conséquences qui peuvent découler pour eux de mauvais traitements infligés aux indigènes. Je vous serais obligé de les mettre à nouveau formellement en garde contre de tels manquements dont il faut obtenir résolument la disparition. >>238

Un contrôle des sanctions disciplinaires est pourtant exercé. Les peines doivent être inscrites sur un registre spécial adressé au supérieur hiérarchique à la fin de chaque mois pour contrôle. Le commandant de cercle peut annuler ou modifier une décision du chef de subdivision et le gouverneur peut en faire autant pour une décision du commandant de cercle. Les exemples sont nombreux où les administrateurs des colonies doivent fournir des explications sur les sanctions infligées. Ainsi, le commandant de cercle d'Abomey explique-t-il au gouverneur du Dahomey le 3 février 1939 qu'une cinquantaine d'indigènes << se sont présentés en masse devant la résidence d'Abomey pour déposer une lettre dans laquelle ils déclaraient ne vouloir faire partie ni du canton d'Allahé ni du canton de Sagon >>. Refusant de rentrer chez eux dans l'attente de la décision du gouverneur et menacés d'être punis disciplinairement, << ils déclarèrent au commandant de cercle : «Mettez-nous en prison, nous ne partirons pas». Cet acte constituant sans aucun doute une manifestation publique de nature à affaiblir le respect dû au représentant de l'autorité française, j'ai crû devoir, force devant rester tout de même à cette autorité, leur infliger à chacun une peine de 5 jours de prison >>239.

La décision de cet administrateur se fonde sur l'arrêté général du 20 juin 1925 portant énumération des infractions spéciales, mais certaines décisions des administrateurs ne reposent sur aucune base juridique.

237 ANB, JOD 1913, fonds des JO, circulaire du 28 septembre 1913, op. cit., p. 590.

238 Saliou Mbaye, Histoire des institutions coloniales françaises..., op. cit., p. 74.

239 ANB, 2M028, fonds du Dahomey colonial, lettre du commandant de cercle d'Abomey au lieutenantgouverneur du 3 février 1939.

Ainsi, un administrateur des colonies explique-t-il l'amende infligée à un chef de village par le seul fait que ce dernier laissait ses enfants détruire les plantations de kola appartenant à la colonie : << Comme il semblait s'en désintéresser, malgré ces observations, je l'ai puni et je dois ajouter que cette punition fut utile car depuis les plantations sont respectées >>240.

Les arrestations administratives sont donc fréquemment dépourvues de motivation ou présentent des libellés erronés ; ce cas de figure concerne 11% des arrestations administratives en 1903 au Dahomey et 24% en 1904241. Laurent Manière indique également que les sanctions disciplinaires étaient parfois infligées par les administrateurs sans qu'aucune motivation juridique ne soit apportée. Cela est notamment le cas au début de l'installation coloniale et ce, jusqu'à la Première Guerre mondiale, lorsque le Code de l'indigénat est utilisé pour lutter contre les oppositions politiques au nouvel ordre colonial.

5. Une limite incertaine entre le Code de l'indigénat et la justice indigène

Le recours à l'indigénat ou à la justice indigène semble alors être effectué de manière indifférente pour imposer le régime politique colonial aux chefs suspectés d'insubordination242. La frontière est donc ténue entre cette << justice disciplinaire >> et l'arbitraire, mais aussi entre cette justice politique et la justice de droit commun. Le choix entre la saisine des tribunaux indigènes et le recours au Code de l'indigénat est laissé à la discrétion des administrateurs des colonies, malgré le contrôle hiérarchique. En effet, dans un rapport sur le fonctionnement de la justice indigène pour le mois de mai 1914, le lieutenant-gouverneur du Dahomey rapporte que << suite aux irrégularités constatées >>, il a pris une circulaire le 25 mai 1914 pour attirer l'attention des commandants de cercle dans l'application des peines disciplinaires. Il insiste sur << le caractère d'exception que revêtent ces punitions, donnant pour instruction aux administrateurs de s'abstenir de faire application de celles-ci en dehors des cas strictement définis par les arrêtés locaux, et leur laissant le soin d'attribuer la connaissance de certaines contraventions aux tribunaux de droit commun chaque fois qu'ils jugeront qu'il ne s'agit pas de mesures politiques >>243.

D'autres circulaires sont adressées par les autorités pour préciser, par rapport à certaines infractions spécifiques comme les menées anti-nationales pendant la Seconde

240 ANB, 2M137 (5), fonds du Dahomey colonial, note d'un administrateur des colonies, sans nom et SD.

241 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 177.

242 Ibid., pp. 99-101.

243 ANB, 1M159(5), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le fonctionnement de la justice indigène, mai 1914.

Guerre mondiale, que les sanctions disciplinaires doivent être prises pour << les agissements délictueux dont la gravité n'est pas suffisante pour motiver l'intervention de la justice, ou les agissements plus graves mais dont les preuves risquent d'être insuffisantes pour entraîner une condamnation par les tribunaux ordinaires ou d'exception >>. Au total, << l'appréciation revient au gouverneur de la colonie. Il ne faut pas se dissimuler que la répression des menées anti-nationales est (...) plus affaire de commandement que de justice >>244.

Par conséquent, des faits de même nature sont tantôt poursuivis devant les juridictions indigènes, tantôt sanctionnés disciplinairement, selon la seule appréciation subjective de leur nature politique ou non et de leur degré de gravité par l'administrateur. Des insultes et scandales sur la voie publique, par exemple, sont dans certains cas jugés par le tribunal de premier degré, mais dans d'autres circonstances, se trouvent sanctionnés par voie disciplinaire245. L'aide fournie à une personne poursuivie (ou le recel de malfaiteurs) est généralement sanctionnée pénalement mais lorsqu'elle présente un caractère plus politique, elle peut relever du Code de l'indigénat.

S'agissant d'une appréciation subjective, les autorités coloniales ont parfois des avis divergents sur la manière la plus appropriée de poursuivre ces infractions. Ainsi, lors de la révolte des Adjas en 1918, le commandant de cercle d'Allada rend-il compte au gouverneur du Dahomey de la punition disciplinaire prise à l'encontre d'un Dahoméen qui << avait reçu chez lui les indigènes du village adja de Hounotin et qui n'en avait jamais fait la déclaration >>. Selon lui, les dispositions disciplinaires sont applicables en l'espèce << car ces Adjas peuvent être considérés comme des agitateurs politiques et il était indispensable que je connaisse la retraite de tous les Adjas. Si [cet indigène] n'avait pas été puni, tous les autres indigènes du cercle auraient agi comme lui et auraient caché des Adjas, m'enlevant de cette façon tout contrôle >>246. Mais le lieutenant-gouverneur estime pour sa part que << les indigènes auraient dû être traduits devant le tribunal de cercle (...). Les faits sont d'ailleurs assez graves pour être punis autrement que disciplinairement >>247.

Laurent Manière souligne également << l'imprécision de la frontière entre les pouvoirs judiciaires et administratifs >>. Le roi de Savé avait été condamné en 1903 par le

244 ANB, 1F28, fonds du Dahomey colonial, circulaire du 13 juillet 1941 du cabinet de la colonie du Dahomey n°875 au sujet de la lutte contre les menées anti-nationales.

245 ANB, 1M126(4), fonds du Dahomey colonial, affaire jugée par le tribunal de 1er degré de Zagnanado le 1er octobre 1935 n°33 et volants de sanctions disciplinaires.

246 ANB, 2M137(5), fonds du Dahomey colonial, lettre du commandant de cercle d'Allada du 16 novembre 1918.

247 Ibid., remarques du lieutenant-gouverneur sur les peines disciplinaires, novembre 1918.

tribunal indigène de Savalou à cinq ans d'emprisonnement et dix ans de résidence obligatoire dans le cercle de Savalou pour « attentat à la sûreté extérieure de l'Etat par l'entretien d'intelligences avec un agent d'une puissance étrangère ». Mais le tribunal spécial de Porto-Novo annula ce jugement en estimant que la juridiction indigène ne pouvait être compétente en ce domaine. La juridiction française aurait dû être saisie de l'affaire mais la distance entre Savalou et Porto-Novo, où siégeait le tribunal français, fut l'argument mis en avant pour recourir aux sanctions administratives plutôt qu'à la juridiction française248. Les arrestations administratives qui auraient dû relever des juridictions judiciaires représentent 26% du total de ces arrestations en 1903 et 22% en 1904249. Il semble que, suite à un contrôle plus étroit, la distinction entre les procédures administratives et judiciaires se précise après 1910, mais sans parvenir à un respect absolu des principes de séparation. Au total, les administrateurs des colonies, qui présidaient au fonctionnement du Code de l'indigénat et de la justice indigène, considéraient ces deux systèmes comme « deux champs d'action interchangeables » qu'ils pouvaient utiliser de façon complémentaire en fonction de leurs besoins250.

Les pouvoirs disciplinaires exercés par les administrateurs mais également par des agents civils peuvent donner lieu à des conflits de compétence entre Européens, dont font les frais des Dahoméens partagés entre deux ordres contradictoires. C'est ainsi qu'en 1907, deux préposés indigènes aux douanes qui viennent d'être témoins de l'enlèvement d'une femme sur la plage de Grand-Popo reçoivent deux ordres opposés, l'un du juge d'instruction pour venir relater les faits, l'autre du chef du bureau des douanes de GrandPopo de se rendre dans son bureau. Le juge d'instruction obtient le témoignage des deux agents après être intervenu auprès de leur chef et lui avoir fait remarqué qu'« il mettait ces derniers dans le cas d'encourir des pénalités » en les empêchant de venir témoigner.

Mais le même juge apprend par la suite « que les deux indigènes en question, du fait qu'ils n'avaient point répondu immédiatement à l'appel du chef de bureau se trouvaient sous le coup d'une sanction disciplinaire grave demandée par leur chef »251. Le juge intervient auprès du procureur de la République en soulignant qu'« il n'est pas possible en effet d'admettre qu'un agent chargé de faire respecter les lois et règlements

248 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., pp. 112-113.

249 Ibid., p. 177.

250 Ibid., p. 210.

251 ANB, 2M137(4), fonds du Dahomey colonial, lettre du juge d'instruction au procureur de la République

le 22 mai 1907.

(...) puisse punir celui-là même qui se soumet à la loi >>252. Les pouvoirs disciplinaires exercées par des autorités différentes et parfois opposées les unes aux autres donnent donc souvent lieu à des abus de pouvoir.

Certes, les lieutenants-gouverneurs annulent parfois les sanctions disciplinaires253, mais le contrôle est exercé a posteriori. Les décisions interviennent donc souvent après l'exécution de ces courtes peines de prison. Dans un télégramme du 8 août 1920, le lieutenant-gouverneur du Dahomey indique que le commandant de cercle de Djougou a rendu une décision irrégulière en condamnant à 20 jours de contrainte par corps un individu pour non paiement de l'amende infligée disciplinairement, alors que la durée de la contrainte par corps ne peut excéder 15 jours pour les amendes de 51 à 100 francs. Cette lettre intervient ici plus d'un mois après l'exécution de la peine254. Des textes rappellent que les pénalités prises par les administrateurs ne sont valables qu'après leur confirmation par un arrêté du gouverneur. Mais cet arrêté n'est souvent qu'une formalité. Comme le souligne Jean Suret-Canale, << on met en prison d'abord, on transmet au gouverneur ensuite (...). Il n'y a guère d'exemple où le gouverneur rejette les pénalités proposées. Parfois d'ailleurs on oublie de marquer la décision sur le registre d'écrou. On régularisera en cas d'inspection >>255.

6. Des justices « officieuses » au service des Européens

Au-delà de cette justice arbitraire mais officielle, existe également une << justice >> officieuse appliquée par les Européens, dans la sphère professionnelle et domestique. Hélène d'Almeida-Topor rappelle que dans les entreprises européennes, les affaires de vol sont souvent jugées en interne, les agents européens devant alors << s'ériger en juge, interroger le voleur et finalement le faire chicoter >>256.

Des commandants de cercle, souvent en conflit avec les commerçants, se plaignent d'ailleurs auprès de leur supérieur de la volonté de certains agents et responsables des maisons de commerce de se substituer à la justice. C'est ainsi que l'administrateur du cercle de Ouidah écrit au lieutenant-gouverneur du Dahomey pour l'informer du refus par

252 Ibid.

253 Entre autres, JOD 1926, fonds des JO, arrêté n°639 du 25 mai 1926 annulant des peines de prison infligées par voie administrative à divers indigènes du cercle d'Allada, p. 256.

254 ANB, 1M008(1), fonds du Dahomey colonial, télégramme du lieutenant-gouverneur du Dahomey au commandant le cercle de Djougou le 8 août 1920.

255 Jean Suret-Canale, op. cit., p. 420.

256 Edmond Chaudoin, << Trois mois de captivité au Dahomey >>, p. 114, cité par Hélène d'Almeida-Topor, Histoire économique du Dahomey..., op. cit., pp. 121-122.

un agent de la maison de commerce Fabre de restituer l'argent qu'il avait saisi sur un Dahoméen accusé d'un vol, puis acquitté par la justice.

Il souligne qu'ayant fait remarquer à cet employé de la maison Fabre << qu'en France comme dans les colonies, il existait des lois et des arrêtés que les tribunaux français et indigènes étaient chargés de faire respecter, il s'écria : << En France, peut-être, mais nous sommes aux colonies ! >>257

Le même sentiment de quasi-impunité des colons peut exister à l'égard des domestiques. Diverses sanctions sont appliquées dans la sphère privée sans recourir au système judiciaire. Un exemple peut être donné dans une autre colonie de l'AOF, où la femme du commandant de cercle de Kayes écrit à sa mère le 17 octobre 1912 : << J'ai déjà donné la bastonnade à mon boy et je puis t'assurer qu'il n'y a que cela pour les assouplir >>258.

Photo 10. << Préparation à la bastonnade >>, Dahomey, sans date

Source : Collection Martine et Jean-Michel Bouchez

Certains sévices sont également commis à l'encontre des Dahoméens au sein même de l'administration, sans que l'on recoure à la justice ou au Code de l'indigénat, ou parallèlement. La Photo 10 intitulée << Préparation à la bastonnade >> prise au Dahomey au

257 ANB, 1M168, fonds du Dahomey colonial, lettre de l'administrateur commandant le cercle de Ouidah au lieutenant-gouverneur du Dahomey le 10 décembre 1910.

258 Marc Liebessart, Les tam-tams de Bandiagara, correspondances d'Albertine Suau, Paris, Textims, 2006, 200 p.

début du siècle témoigne de cette réalité. Bien que cette carte postale ne fasse pas apparaître la localisation géographique de la scène au sein du Dahomey ni le contexte de l'action, on voit que la << préparation à la bastonnade » est réalisée sous les ordres et le contrôle d'un agent européen de l'administration coloniale (à gauche de la photo) et qu'elle est accomplie par certains gardes de cercle qui portent l'uniforme.

Le gouverneur général de l'AOF Carde rapporte au lieutenant-gouverneur du Dahomey en 1930 qu'il lui a été donné au cours de l'année << de relever à la charge d'Européens appartenant à l'administration, et même de plusieurs fonctionnaires d'autorité un nombre sans précédent de sévices infligés à l'égard des indigènes ». Il souligne la nécessité de mettre un terme à ces actions qui portent atteinte aux valeurs mises en avant dans l'administration coloniale, notamment son prestige :

<< Il n'est pas douteux que, dans certains milieux, l'indigène réagit autrement qu'il ne réagissait à une époque récente devant les ordres ou les observations des représentants de l'autorité et qu'il ne témoigne plus toujours envers l'Européen en général le respect quasi superstitieux de naguère. C'est une émancipation inéluctable (...). Blâmables en elles-mêmes, inadmissibles et tombant évidemment sous le coup de sanctions sévères quand elles vont jusqu'à la violence, de telles impulsions [le recours aux sévices] sont essentiellement nuisibles au commandement. Un fonctionnaire d'autorité ne peut et ne doit pas ignorer qu'il se diminue et qu'il porte la plus grave atteinte à son prestige quand il perd le contrôle de ses actes sous l'effet d'une irritation qu'il n'a pas su dominer. » 259

Justice indigène et Code de l'indigénat, deux faces d'une même médaille, commencent, dès les années 1930, à être fortement critiqués par les nouvelles élites autochtones mais aussi par certains milieux de la métropole. Il faut cependant attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour assister à la suppression du régime de l'indigénat et de la justice indigène, tout au moins dans le domaine pénal.

D. La fin de la justice pénale indigène après 1945

La justice coloniale et le Code de l'indigénat sont attaqués par certains milieux anticolonialistes de métropole. Le parti communiste français publie, par exemple, en 1928, un réquisitoire rédigé par le secrétariat colonial de la CGT-U contre le système de l'indigénat, dans lesquels la justice indigène en Algérie est vivement critiquée, dans le contexte algérien :

<< Les juges qui sont des fonctionnaires de l'administration n'ont aucune indépendance vis-à-vis
d'elle, et l'administrateur armé de ses pouvoirs peut, en vertu de l'Indigénat, faire pression sur le

259 CAOM, APC, Papiers Boulmer, FR CAOM 111, APOM 1 et 2, lettre du 3 mars 1930 du gouverneur général de l'AOF au lieutenant-gouverneur du Dahomey n°100 AP/2 au sujet des sévices contre les indigènes. Voir pour Jules Carde le dictionnaire biographique en annexe 6.

plaignant ou les témoins et obtenir des dépositions conformes à ses désirs. Les tribunaux répressifs ne sont donc qu'une caricature de tribunaux et seuls les indigènes en font les frais. >>260

De même en 1932, au lendemain de l'Exposition coloniale à Paris, est publié par le même parti communiste un texte très critique sur << l'oeuvre coloniale >>, qui fustige la justice dans les colonies, en reprenant les propos d'un journaliste << bourgeois >> :

<< Louis Roubaud, le journaliste bourgeois que nous avons déjà cité, raconte ce qui suit sur la «justice» en Indochine : «Dans la même journée, j'ai vu le tribunal d'Hanoi condamner un étudiant annamite, coupable d'avoir écrit une chanson patriotique, à trois ans de détention, et un contremaître français qui avait, pour une vétille, tué un de ses ouvriers à coup de botte, à trois mois de prison avec sursis». >>261

D'autres groupes, anticolonialistes ou critiquant les abus du colonialisme262, tels que les surréalistes, ou dès 1905 le Comité de protection et de défense des indigènes qui mène des campagnes d'opinion contre le statut de l'indigénat, sans oublier la Ligue des droits de l'Homme et nombre de journalistes, politiques, écrivains et associations mettent également en cause depuis la métropole le Code de l'indigénat et la justice indigène.

Dans les colonies mêmes, les intellectuels africains formés à l'école coloniale sollicitent l'évolution et parfois l'abandon de la justice indigène, mais les réformes entreprises jusqu'en 1945 restent très limitées.

1. Les critiques et les réformes de la justice indigène avant 1945

Les nouvelles élites des colonies, relayées par certains milieux intellectuels en métropole, dénoncent les abus du colonialisme dès les années 1930263. Les << évolués >> de l'AOF expriment leurs revendications dans la presse, comme par exemple dans l'hebdomadaire qui couvre l'ensemble de la fédération, L'A-OF de Lamine Gueye, ou dans les nombreux journaux du Dahomey264. Parmi les premières revendications figurent la suppression de la justice indigène et du régime arbitraire qu'est l'indigénat.

Un texte imprimé, intitulé << Pour une réforme complète de la justice indigène >> est adressé au ministre des Colonies Marius Moutet en 1936. Très certainement écrit par un

260 Henri Cartier, Comment la France « civilise » ses colonies, suivi par Code de l'indigénat, code d'esclavage, Textes du PCF et de la CGT-U (1932 et 1928), présentés par Jean-Pierre Aubert, Paris, Les nuits rouges, 2006, p. 146.

261 Ibid., p. 82. Voir aussi La Question coloniale dans « L'Humanité » (1904-2004), choix d'articles présentés par Alain Ruscio, Paris, La Dispute, 2005.

262 Sur la distinction entre ces deux types de pensée, nous renvoyons aux articles << abus >> et << anticolonialisme >> de l'ouvrage Les mots de la colonisation de Sophie Dulucq, Jean-François Klein et Benjamin Stora (sous la direction de), op. cit., pp. 9 et 12, ainsi qu'à l'article << anticolonialisme >> du Dictionnaire de la colonisation de Claude Liauzu (sous la direction de), op. cit., pp. 102-108

263 Nous analyserons plus en détail les réactions des populations dahoméennes, dont les élites et la presse de la colonie du Dahomey, face à la justice indigène dans la deuxième partie de ce Mémoire (II B).

264 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre mondiale, Paris, Karthala, 1996, p. 20. Voir pour Lamine Gueye le dictionnaire biographique en annexe 6.

juriste, il rassemble l'ensemble des griefs soulevés contre la justice indigène. Son auteur anonyme sollicite la suppression de la justice indigène, << contraire aux principes démocratiques les plus élémentaires >> de la France depuis 1789, et l'application de la justice française à tous les habitants des colonies. Il développe point par point le régime d'exception mis en place dans les colonies par rapport aux principes de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. L'auteur s'insurge tout d'abord contre l'application des coutumes dans les colonies pour déterminer les faits répressibles judiciairement et la peine applicable. Ce principe applicable dans les colonies constitue une violation au principe inscrit dans la déclaration << Nulle peine sans une loi préexistante >> :

<< Ainsi donc lorsqu'un fait est soumis à un tribunal indigène, on laisse à ce tribunal le soin de décider si le fait constitue ou non une infraction punissable (...). Supposons que ce tribunal statue qu'il y a infraction. Alors ce même tribunal déterminera d'une façon à peu près souveraine quelle sanction comporte le fait dont il s'agit. Il est donc libre d'appliquer à cette infraction de son invention une peine allant de un franc d'amende à 20 ans d'emprisonnement... Que deviennent dans tout ça la sécurité et la liberté individuelles ? >> 265

Le rédacteur de ce texte condamne ensuite l'absence de séparation des pouvoirs (contraire à l'article 16 de la déclaration de 1789), l'impossibilité pour l'accusé de choisir son avocat et l'interdiction pour le condamné de se pourvoir en cassation.

Enfin et surtout, il souligne la négation par le législateur colonial du droit naturel de l'<< indigène >> d'être traité de manière égale par rapport au citoyen français et il conteste l'appellation de << tribunal indigène >> qui reste dominé par l'administrateur français :

<< En AOF, les tribunaux indigènes sont présidés par un administrateur français, assisté d'Africains choisis par lui (...). Il est évident qu'à tous les coups l'administrateur sait faire plier la coutume à ses vues personnelles. De mémoire d'homme, comme s'il y avait harmonie préétablie, on a toujours vu l'avis des assesseurs coïncider parfaitement avec la volonté du président «gallo-romain». >>266

L'auteur illustre son propos en décrivant le déroulement d'une séance au tribunal indigène :

<< Dans la réalité, les choses se passent de la façon suivante en matière répressive : après la comparution de l'accusé, la cour ne se retire pas pour délibérer, mais le président blanc fait évacuer la salle et reste en tête à tête avec ses deux augures noirs. Tous les trois se regardent sans rire ! Le président commente «alla tudesca» les paroles de l'accusé puis prononce : «On va lui foutre 10 ans de prison, n'est-ce pas ?». Les augures noirs, sans un réflexe, acquiescent : «Oui-Oui !» Le président fait rentrer l'auditoire et l'accusé. Il crache au visage de ce dernier : «Le tribunal vous condamne à 10 ans de prison !» La justice «indigène» est rendue ! (...) Les Africains d'une voix unanime crient qu'il n'y a rien de si laid qu'un jugement de tribunal «indigène». >>267

265 CAOM, Archives privées, Papiers d'agents, Marius Moutet, FR CAOM28 PA 1. De larges extraits de ce texte sont reproduits en annexe 5.

266 Ibid.

267 Ibid.

D'autres critiques de cette justice se multiplient, y compris en métropole, où Albert Londres, par exemple, offre dans son ouvrage Terre d'ébène une description similaire de la justice indigène :

<< (...) On passa à l'affaire suivante. C'était une tentative de meurtre. Le blessé entra, se traînant sur son derrière. L'agresseur le suivait et l'aida fraternellement à se placer.

- Alors ?

- Alors, dit l'interprète, voilà : les gens du village étaient réunis pour battre le mil. Le père de celuilà devait treize francs cinquante au grand. Le grand dit : «Donne-moi l'argent que me doit ton papa.» L'autre répondit : «Donne-moi un délai». Le grand dit : «Ca va te coûter cher». L'autre le traita de «petits-yeux». Sous cette grave injure, le grand le tailla avec son coupe-coupe.

- Pourquoi as-tu fait ça ?

- Allah ! Iaké ! Iaké ! C'est Dieu qui l'a voulu, répond le meurtrier.

- Tu as frappé ?

- Non ! commandant, c'est ma main qui a frappé.

- Que disent les notables ?

- Ils disent que, selon la coutume, il faudrait donner au grand cent coups de corde, le mettre aux fers jusqu'à ce que l'autre soit guéri, et le tuer si le blessé mourrait.

- Comment va le blessé ?

- Il dit qu'il se porte aussi bien qu'une biche peut se porter quand elle a reçu une sagaie dans la jambe.

- Eh bien ! trois mois de prison, hein ?

- Les notables, fit l'interprète, disent qu'à cause des «petits-yeux», cela en vaudrait bien quatre. - Un mois de plus pour les «petits-yeux» !

Il entra encore une femme et deux hommes. Il s'agissait d'adultère. Le mari, la femme et le n'amant. Le mari était vieux, mais il avait un magnifique boubou ; la femme était peulh et portait sans voile une belle jeunesse. Le n'amant était pauvre : une ficelle, un peigne en fer. Le mari dit :

- Mon femme a couché dix fois avec lui. Je demande cent francs.

- Il veut aussi le peigne en fer, dit l'interprète.

- Demande à la mousso si c'est vrai.

- Elle dit que c'est vrai.

- Demande lui pourquoi elle a fait ça. La mousso roucoula et, la tête baissée, parla entre ses seins. - Elle dit que lorsqu'il n'y a plus de mil dans la case, on va en chercher ailleurs.

- Bien dit ! fit le commandant. Et le n'amant, qu'est-ce qu'il dit ?

- Il dit qu'il a été content. Les deux notables regardèrent longuement la Peulh.

- Qu'est-ce qu'ils pensent selon la coutume ?

- Ils pensent que la femme étant jolie, cent francs, ce n'est pas cher.

- Et le peigne ?

- Qu'il faut qu'il rende le peigne. Le n'amant ne possédait pas un cauri !

- Je le sais bien, dit le mari, alors qu'il vienne travailler mon lougan pendant un mois.

- Tu acceptes ? demanda le commandant. Le n'amant dit qu'il acceptait. Et ils repartirent tous les trois, gentiment. »268

L'auteur du texte anonyme présenté au ministre des Colonies, comme une partie de la presse dahoméenne, revendiquent l'application de la justice française dans les colonies. Les critiques sur l'absence d'indépendance de la juridiction indigène sont en réalité anciennes, parfois concomitantes de la mise en place de cette nouvelle forme de justice dans les colonies, comme celle du juriste, le Dr Asmis, en 1910 :

<< Dans les tribunaux de province, l'influence des fonctionnaires blancs est telle qu'il ne saurait être question de jugements librement rendus par les magistrats indigènes. Il est tout à fait exceptionnel qu'un chef de couleur tienne le procès-verbal... »269

268 Albert Londres, Terre d'ébène, op. cit., pp. 92-94. Voir dictionnaire biographique en annexe 6.

269 Dr Asmis, << La condition juridique des indigènes dans l'Afrique occidentale française », op. cit., p. 23, cité par Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 204.

Les critiques contre le code de l'indigénat sont également nombreuses, comme celle de J.-L. Gheerbrandt, directeur de l'Institut colonial français, qui publie dans la dépêche coloniale des 22-24 septembre 1935 un << Plaidoyer pour l'abolition de l'indigénat >>270. Pour ce membre du Conseil colonial, le système maintenait une confusion entre peines disciplinaires et judiciaires et faisait ainsi perdre aux sanctions pénales << l'effet moral recherché par le législateur >>.

Face aux critiques contre la justice indigène et le Code de l'indigénat, les réformes entreprises restent timides. Le Cartel des gauches, avec le décret du 15 novembre 1924, n'a que très légèrement assoupli l'indigénat. La crise économique mondiale provoque un renforcement du recours aux sanctions disciplinaires dans les années 1930 et le Front populaire se révèle impuissant à réformer le régime de l'indigénat qui demeure en l'état271. Les principales tentatives de réforme de la justice indigène sont quant à elles affirmées durant le Front populaire par le ministre des Colonies Marius Moutet, en 1936 et 1937, mais les réalisations ne suivent pas. Un projet de décret dit << Blum-Violette >> prévoit un élargissement de la citoyenneté française en Algérie ; il donne également le droit aux musulmans d'exercer des fonctions publiques. Mais ce projet soulève une levée de boucliers qui empêche le vote de la loi devant le Parlement272. A la demande du gouverneur général de l'AOF Brevié, les exemptions individuelles au Code de l'indigénat se multiplient, passant de 159 fin 1935 à 560 en 1936 et 1937273.

Conformément à son programme, le Front populaire met en place par la loi du 30 janvier 1937 une commission d'enquête dans les colonies << afin de connaître les aspirations légitimes de nos protégés et de faire rechercher toutes les mesures aptes à réaliser une politique coloniale largement humaine et résolument sociale >>. En février 1937, la délégation dahoméenne exprime ses voeux à la mission parlementaire mandatée par le front populaire ; en tête des revendications figurent la réforme judiciaire et du régime d'accession à la citoyenneté française, ainsi que l'élargissement de la liste des personnes exemptées de l'indigénat274. Un décret du 13 mai 1937 organise le contrôle mobile de la justice indigène en AOF et une première commission d'enquête séjourne à

270 Cité par Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 364.

271 Ibid., p. 28.

272 Jean Lacouture, Léon Blum, Paris, Le Seuil, 1977, pp. 327-328.

273 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 374.

274 Ibid., p. 385.

Dakar de janvier à mars 1937275. Mais les crédits font défaut ; ces enquêtes et contrôles sont progressivement abandonnés après le départ de Marius Moutet du gouvernement.

Le Front populaire affirme également sa volonté de réprimer sévèrement les actes de violence commis par des Européens sur les indigènes, afin de « rétablir dans leur dignité d'Hommes ceux que la colonisation avait trop souvent abaissés >>276. Marius Moutet indique enfin sa volonté d'appeler à siéger dans les juridictions indigènes des magistrats professionnels, spécialisés dans l'étude des coutumes277. Mais le premier gouvernement du Front populaire reste peu de temps en place et les réformes envisagées en matière de justice indigène sont rapidement abandonnées. Elles témoignent cependant d'un désir de changement dans les colonies.

La crainte d'une nouvelle guerre mobilise les esprits en métropole et reporte à plus tard toute idée de réforme dans les colonies. Seul un décret du 19 avril 1939 soustrait aux juridictions indigènes les électeurs des assemblées représentatives et les personnes ayant servi dans l'armée, mais ce texte est abrogé dès 1941.

2. La justice indigène pendant la Seconde Guerre mondiale

Après la forte mobilisation des « évolués >> en AOF pendant l'entre-deux-guerres, marquée par les revendications dans la presse et les grèves de 1936 à 1938, l'entrée en guerre de la France provoque une accalmie dans les colonies, où les notables affichent leur loyalisme à l'égard de la métropole.

Le 25 juin 1940, Pierre Boisson278 remplace Léon Cayla279 à la tête de l'AOF ; il prend effectivement ses fonctions le 23 juillet 1940. Il dispose alors de compétences élargies puisqu'il devient Haut-Commissaire de l'Afrique française pour l'AOF, l'AEF, le Cameroun et le Togo. Mais le gouverneur Boisson se range derrière le maréchal Pétain. En août 1940, il perd 50% des territoires relevant de son autorité : le Tchad et l'AEF (puis le Gabon qui sera pris par les gaullistes en novembre 1940) ont en effet décidé de suivre le général de Gaulle et d'accepter les propositions économiques de la Grande-Bretagne280. L'AOF devient un enjeu important dans l'Empire désormais divisé, un maillon essentiel de la souveraineté française à sauvegarder pour le gouvernement de Vichy. Le nouveau

275 Jacques Valette, La France et l'Afrique, L'Afrique subsaharienne de 1914 à 1960, Paris, SEDES, 1994, p. 90. CAOM, Archives Privées, Papiers d'agents, Marius Moutet, FR CAOM 28 PA 1.

276 Ibid. Certaines mesures visent plus particulièrement l'Indochine, comme par exemple la grâce des condamnés politiques ou le programme de reconstruction pénitentiaire.

277 Ibid. Causerie de Marius Moutet à Radio cité.

278 Voir dictionnaire biographique en annexe 6.

279 Ibid.

280 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre mondiale, op. cit., pp. 33-36.

gouverneur général renforce les effectifs stationnés aux frontières et développe une lutte active contre les gaullistes et les résistants.

En effet si Pierre Boisson met en oeuvre la politique répressive de Vichy à l'encontre des juifs et des francs-maçons dans toute l'AOF281, le principal danger pour la sécurité intérieure se situe au niveau des sympathisants de la France libre et des individus jugés suspects du point de vue politique. Les services de police sont réorganisés, avec la création en avril 1941 d'un service des menées anti-nationales, et renforcés pour cette lutte contre les opposants politiques. Ces services établissent des listes de suspects, composées des opposants supposés ou réels à Pétain et à la Révolution nationale. Ils mettent sous surveillance les individus susceptibles de basculer dans l'opposition et des camps sont constitués pour interner les individus jugés dangereux sur le plan politique282. Il semble que << la répression en AOF touche différemment les Européens et les Africains, ces derniers étant d'une manière générale plus lourdement sanctionnés >>283.

Par ailleurs, l'accès à la citoyenneté se restreint encore sous le gouvernement de Vichy. En 1942, seulement cinq Africains l'obtiennent, essentiellement pour motif de propagande284. La loi du 17 avril 1942 << portant révision des admissions aux droits de citoyen français des anciens indigènes, protégés ou administrés sous mandat français >> retire même la citoyenneté de tous les indigènes ayant fait l'objet depuis le 1er septembre 1939 d'une mesure d'internement administratif ou d'une condamnation par une juridiction de droit commun ou un tribunal d'exception pour menées anti-françaises ou crime ou délit de droit commun285. Si le racisme et les pratiques inégalitaires préexistaient au régime de Vichy, ce dernier << semble avoir marqué une aggravation, un paroxysme >>286. Selon Eric Jennings, la nécessité de maintenir l'Empire et donc le loyalisme des populations et des élites à l'égard de Vichy oblige le régime à atténuer son racisme anti-noir, mais ce dernier se manifeste à de nombreuses reprises dans les décisions coloniales, ce qui lui permet de fleurir sans entraves parmi les colons et dans l'administration.

281 Le statut des juifs du 30 octobre 1940 s'applique en AOF et au Togo à partir du 8 novembre 1940 et l'administration ne recense aucun juif au Dahomey en 1942. Ibid., p. 55. Colette Zytnicki, << L'application des lois antisémites dans les colonies >>, in Jacques Cantier, Eric Jennings (sous la direction de), L'empire colonial sous Vichy, Paris, Odile Jacob, 2004, 398 p.

282 Pierre Ramognino, << L'Afrique de l'Ouest sous le proconsulat de Pierre Boisson (juin 1940-juin 1943) >>, in Jacques Cantier, Eric Jennings, op. cit.

283 Ibid.

284 Ruth Ginio, << Les élites européennes et coloniales face au nouveau régime en AOF >>, in Jacques Cartier, Eric Jennings, op. cit.

285 Eric Jennings, << Vichy fut-il aussi anti-noir ? >>, in Jacques Cartier, Eric Jennings, op. cit.

286 Ibid.

La justice indigène évolue dans le contexte de ce nouveau régime, qui exporte outre-mer son idéologie, ses valeurs et son appareil répressif. Mais le gouvernement de Vichy ne rompt pas totalement et poursuit même les réformes lancées antérieurement, notamment dans le cadre du Comité des études indigènes instauré sous le Front populaire et chargé d'élaborer une législation plus uniforme pour les sujets d'AOF. Un code pénal indigène est promulgué par décret du 11 février 1941, dont certains articles étaient prêts depuis 1939287. Ce code simplifié s'inspire à la fois du code pénal français et de la pratique, c'est-à-dire des délits généralement sanctionnés par les juridictions indigènes et des peines appliquées par celles-ci288. Il définit infractions et peines, mais les tribunaux semblent peu le respecter, comme le constate le procureur général, R. Attuly, dans son rapport du 2 septembre 1943 :

<< [Il existe] une tendance très fâcheuse à décider de la répression d'un fait sans avoir au préalable recherché quelle infraction pénale ce fait constitue et si tous les éléments du délit sont réunis. Il arrive ainsi fréquemment que le tribunal, après avoir prononcé une peine, constate que l'action ou l'abstention reprochée au prévenu ne relève de l'application d'aucun article du code pénal indigène et d'aucun texte spécial. »289

Lorsqu'il est appliqué, ce code pénal aggrave encore la répression à l'égard des indigènes. Dans son rapport, le procureur général constate une propension marquée des juges à << prononcer des peines plus sévères que sous la législation antérieure et fréquemment le maximum ». Il souligne le rejet par la population africaine de ce texte : << Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas accueilli ce texte comme un important bienfait du législateur colonial »290.

En 1943, Lamine Gueye démontre également la plus grande sévérité des peines encourues par les Africains dans le code pénal indigène par rapport aux peines prévues dans le code pénal français. Les services de renseignements anglais renforcent également ce sentiment d'une justice sévère et injuste au sein de la population dahoméenne :

<< Beaucoup d'Africains sont alarmés par les changements menaçants dans la législation criminelle qui prévoit selon diverses sources de lourdes peines dont la peine de mort après la troisième condamnation pour vol et de longs temps d'emprisonnement pour adultère. Des meetings de protestation ont été tenus à Cotonou et ailleurs... »291

Dans les faits, la répression s'accroît fortement entre 1940 et 1941. Le nombre des affaires pénales en AOF, après avoir diminué entre 1938 et 1940 (- 3,5%), augmente de

287 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre mondiale, op. cit., p. 129.

288 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en AOF, Athiémé (Dahomey), Mémoire ENFOM d'administrateur à Athiémé (Dahomey), 1946-1947, CAOM, 3 ECOL 73 d6.

289 Catherine Akpo-Vaché, op. cit., p. 130.

290 Ibid.

291 Ibid., p. 131.

plus de 50% entre 1940 et 1941, passant de 34 755 affaires en 1940 à 53 513 en 1941292. Globalement, Laurent Manière estime que les peines de toute nature infligées en AOF augmentent de 20 à 37% selon les années de guerre293. Les années 1940-1943 sont marquées en AOF par un renforcement de l'autorité coloniale, d'autant plus important que la coupure avec la métropole laisse une large marge de liberté aux pouvoirs locaux. La répression accrue, dont les populations africaines sont l'objet, alimente le sentiment d'injustice mais aussi un sentiment populaire << anti-français, terreau propice du nationalisme africain >>294.

Après le débarquement allié en 1942 en Afrique du Nord, le gouverneur général de l'AOF se rallie à Darlan et aux Américains le 23 novembre 1942. Mais Darlan se fait assassiner un mois plus tard et le nouveau Conseil impérial présidé par le général Giraud maintient les lois fondamentales publiées par le gouvernement de Vichy. Ce n'est que le 14 mars 1943, sous la pression américaine et guidé par Jean Monnet, que le général Giraud rétablit la légalité républicaine et supprime une partie des textes adoptés sous le gouvernement de Vichy : ceux relatifs au statut des juifs, aux francs-maçons, à la Légion ou encore à la déchéance de la nationalité. La politique giraudiste appliquée par le gouverneur général Boisson conserve cependant de nombreux aspects de celle du gouvernement de Vichy. Mais entre le 3 juin 1943 (constitution à Alger d'un Comité français de libération nationale [CFLN] bicéphale, dirigé par de Gaulle et Giraud) et avril 1944 (destitution de Giraud de son commandement militaire), le général de Gaulle s'assure la direction du CFLN et de la France libre.

Parallèlement, les aspirations démocratiques et gaullistes commencent à s'exprimer librement en AOF ; les changements politiques à Alger et en métropole donnent lieu à l'expression de toutes les incertitudes en Afrique. Maurice Ahanhanzo Glélé retrace le tourbillon des sentiments manifestés par le Africains dans ce contexte :

<< Le Dahomey vibrait aux événements de Paris : à l'école, on faisait chanter aux enfants en classe, à la gymnastique, en français, fon, yoruba, à la gloire du maréchal Pétain : «Maréchal, nous voilà...». Un matin, les élèves se virent interdire de fredonner même cet air ; on devait, sous peine d'emprisonnement, déchirer ou brûler les photos du maréchal. On n'y comprenait rien. Vivant à l'heure de Paris, le Dahomey fut pris dans le tourbillon des passions françaises, c'était à qui serait gaulliste ou pétainiste. >> 295

Bernard B. Dadié, dans son roman Les jambes du fils de Dieu, relate également cette période changeante à travers l'expérience d'un Africain jeté en prison pour avoir crié

292 Ibid., pp. 129-130.

293 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat, op. cit., p. 400.

294 Catherine Akpo-Vaché, op. cit., p. 146.

295 Maurice Ahanhanzo Glèlè, Naissance d'un Etat noir..., op. cit., p. 65.

<< Vive de Gaulle ! >> quand il fallait acclamer le Maréchal et qui vient de sortir de prison deux ans après :

<< J'étais hors de la prison. L'ombre et le soleil, l'eau, les couleurs et le ciel, la fraîcheur de la liberté, que faut-il de plus à un ancien détenu pour être heureux ? Et quelle autre chanson me pourrait monter aux lèvres, sinon celle à l'ordre du jour, au son de laquelle matin et soir j'avais marché ? Voilà pourquoi j'entonnai le «Maréchal, nous voilà» avec force. (...). J'étais cerné. Des gendarmes tout bardés, revolver au poing, me frappaient à qui mieux mieux... «Pardon, messieurs, vous vous trompez. Je suis partisan du Maréchal... J'aime la France. Je suis un bon sujet.» Non ! ils me frappaient de plus belle. (...). Je me réveillai sur un lit d'hôpital (...).

- Mais au fait, docteur, qu'est-ce que tout cela ? Je crie «Vive De Gaulle», on me coffre ; je crie «Vive le Maréchal», on me cherche noise. Ah ! Quelle poisse !

- Eh bien, mon pauvre ami, le Maréchal n'est plus au pouvoir. Les évènements ont changé depuis six mois. Maintenant c'est le Général qui gouverne. (...) Si j'ai un conseil à te donner, c'est de crier à l'avenir «Vive De Gaulle !»

- Êtes-vous sûr, docteur, qu'il ne faudrait pas devoir crier autre chose ? (...)

- Criez désormais simplement : Vive la France ! >>296

Une page se tourne lorsque le gouverneur général Boisson quitte son poste le 7 juillet 1943. Un dispositif d'épuration de l'administration est mis en place depuis Alger. Mais compte tenu de la pénurie de personnel dans les colonies et de la prévalence des considérations politiques sur le devenir de l'Empire français, l'épuration reste modérée. Le gouverneur du Dahomey est traduit devant une chambre civique puis acquitté et admis à la retraite. Plus sûrement, la reprise de la mobilisation entraîne de nombreuses mutations de cadres des colonies au sein de l'Empire français.

Un << vent de liberté >> souffle sur les terres africaines et relance les aspirations démocratiques, égalitaires et, dans une faible mesure encore, d'autonomie des intellectuels africains. Par ailleurs, le contexte international dominé par les Etats-Unis et porté à émanciper les peuples colonisés contraint les autorités de la France libérée à redéfinir leur politique coloniale. La Conférence de Brazzaville, présidée par le commissaire aux Colonies René Pleven, se tient du 30 janvier au 8 février 1944 et il n'est pas alors question d'abandonner l'Empire mais de le reconstituer face aux prétentions britanniques et aux demandes américaines. Les actes de la Conférence indiquent d'ailleurs en préambule à ses recommandations sur l'organisation politique de l'Empire français que << les fins de l'oeuvre de civilisation accomplie par la France dans ses colonies écartent toute idée d'autonomie, toute possibilité d'évolution hors du bloc français de l'Empire >>297.

296 Bernard B. Dadié, Les jambes du fils de Dieu, Paris, Hatier, 1980. Cité par Jacques Chevrier, Anthologie africaine I, Le roman et la nouvelle, Paris, Hatier International, 2002, pp. 33-36.

297 Cité dans Denise Bouche, Histoire de la colonisation..., op. cit., pp. 378-379. Voir également Denise Bouche, << La réception des principes de Brazzaville par l'administration en AOF >>, Colloque sur Brazzaville (janvier-février 1944) : aux sources de la décolonisation organisé par l'Institut Charles de Gaulle et l'IHTP à Paris les 22-23 mai 1987, Paris, Plon, 1988, pp. 207-221 ; Joseph Roger De Benoist, L'AOF de 1944 à 1960, De la conférence de Brazzaville à l'indépendance, Nouvelles éditions africaines, Dakar, 1982, 617 p.

Les participants à la Conférence de Brazzaville recommandent de satisfaire une revendication ancienne des élites colonisées : la suppression progressives dès la fin des hostilités des peines ordinaires de l'indigénat. Ils estiment également qu'<< en ce qui concerne les affaires pénales, il ressort que les coutumes ne peuvent plus, dans l'état actuel des moeurs servir de base à la législation pénale > et ils préconisent << la rédaction d'un code pénal commun à tout le continent africain >298. Ce texte est promulgué quelques mois plus tard. Parallèlement, la conférence préconise pour les affaires civiles et commerciales de maintenir les jugements selon la coutume et dans la mesure du possible par des juges indigènes, à l'exclusion des affaires d'état et de famille pour lesquelles l'intervention constante de l'administration reste recommandée. Le principe de juridictions distinctes entre indigènes et citoyens français est maintenu et le code pénal reste largement calqué sur celui de 1941, avec cependant un adoucissement des peines. Ce code pénal indigène de 1944 connaît en réalité une brève existence : la loi du 7 mai 1946 dite Lamine Gueye accorde la citoyenneté française à tous les ressortissants des nouveaux territoires d'OutreMer tandis que le décret du 20 février 1946 supprime les peines de l'indigénat et que le décret du 30 avril 1946 supprime la justice indigène en matière pénale. Le code pénal métropolitain est promulgué en Afrique par un décret du 16 octobre 1946.

3. En finir avec l'indigénat après 1945

Après 1945, il convient de redéfinir les relations entre la métropole et les colonies. L'objectif n'est pas l'indépendance à plus ou moins long terme des territoires coloniaux. Mais l'idée est de substituer une Union établie sur la libre volonté des populations à un empire fondé sur la domination. L'Union française est instituée par la constitution du 27 octobre 1946 qui fonde la IVème République (titre VIII). Ce nouveau rapport entre métropole et territoires d'Outre-Mer implique l'accès à la citoyenneté des populations << exprimant leur libre volonté de participer à l'Union française >. La loi du 7 mai 1946 dite Lamine Gueye permet à tous les ressortissants des Territoires d'Outre-Mer d'accéder à la citoyenneté française à partir du 1er juin 1946.

La justice indigène est abrogée en matière pénale

Les termes de << colonies > et d'<< empire > sont remplacés par << territoires d'outremer > et << Union française >, tandis que le mot << indigène > est appelé à disparaître du vocabulaire colonial. Les institutions fondées sur la distinction entre indigènes et citoyens

298 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en AOF, op. cit.

sont donc supprimées. L'usage du Code de l'indigénat tendait déjà à diminuer depuis 1945299. Le décret du 22 décembre 1945 supprime à partir du 1er janvier 1946 les sanctions ordinaires de l'indigénat et le décret du 20 février 1946 abroge les grandes peines de l'indigénat, telle que l'internement. Les gouverneurs locaux prennent alors des arrêtés locaux pour réprimer les infractions qui relevaient de ce code300.

Puis le décret du 30 avril 1946 supprime à compter du 1er juillet 1946 les juridictions pénales indigènes et le code pénal indigène de 1944. Son article 1er précise que << les juridictions françaises connaîtront seules, à l'exclusion de toute juridiction indigène, de toutes les infractions commises par les indigènes >>301 et elles devront appliquer le droit pénal français. Les élèves administrateurs au lendemain de la guerre soulignent que, parmi l'ensemble des réformes entreprises, celles relatives à la justice tiennent une place importante. Claude Deschamps, dans son mémoire de l'école nationale de la France d'Outre-mer (ENFOM) de 1945-1946, estime que << le domaine de la justice, avec celui du travail, est un de ceux où le problème des rapports de dominant à dominé est susceptible de soulever le plus de difficultés >>302.

De même, Nanlo Bamba, écrit dix ans plus tard dans son mémoire de fin d'études, que << parmi les réformes institutionnelles que la France a entreprises ou réalisées dans les territoires d'outre-mer au lendemain de la dernière guerre, la réforme de l'organisation judiciaire figure au rang de celles qui ont eu le plus grand retentissement auprès des populations autochtones de l'AOF >>303.

Les difficultés liées à l'extension de la justice française dans les colonies

Cette suppression de la justice indigène pose cependant un énorme problème d'organisation judiciaire. En effet, en deux mois, entre fin avril et début juillet 1946, le nombre de justiciables des tribunaux français passe au Dahomey de moins d'un millier à plus d'un million. Le décret du 9 mai 1946 maintient les tribunaux de première instance ainsi que les justices de paix à compétence étendue. Ces deux juridictions sont compétentes en matière pénale à l'égard des populations de l'AOF, anciennement ou nouvellement citoyennes, et elles ont les mêmes attributions que les tribunaux correctionnels métropolitains. En revanche, elles n'interviennent en matière civile et commerciale que

299 Catherine Akpo-Vaché, op. cit., p. 214.

300 Ibid. Claude Deschamps, Les attributions judiciaires des administrateurs en Afrique Noire, op. cit.

301 Ibid.

302 Ibid.

303 Nanlo Bamba, Les Africains devant la réforme judiciaire de 1946, Mémoire ENFOM d'administrateur, 1956-1957. CAOM, 3 ECOL 127 d6.

pour les seuls citoyens qui ont choisi d'abandonner leur statut personnel. Un décret du 3 juillet 1946 prévoit en outre l'institution de justice de paix à compétence correctionnelle restreinte ; un arrêté général du 2 août 1946 crée 83 justices de paix et détermine leurs ressorts. Ces juridictions sont chargées, sous réserve d'appel, des affaires de simple police (contraventions) et des délits d'interprétation simple, les plus nombreux et les moins graves. Des cours d'assises, composées d'un jury de citoyens et de magistrats professionnels, sont instituées dans chaque territoire pour juger des crimes. Enfin, des conseils supérieurs d'appel, avec un magistrat de cour d'appel assisté de deux fonctionnaires juges, connaissent l'appel des jugements rendus par les justices de paix à compétence restreinte304. La cour d'appel de l'AOF continue à siéger à Dakar mais son personnel s'étoffe, jusqu'à la création, par le décret du 20 août 1949, d'une quatrième chambre qui siège de manière permanente à Bamako. Une nouvelle cour d'appel est ensuite créée en 1951 à Abidjan305. La cour d'appel de Dakar reste compétente pour connaître les appels des jugements rendus par les justices de paix à compétence étendue et les tribunaux de première instance. Mais les crédits et le personnel affectés à ces nouveaux tribunaux ne suivent pas. Des citoyens sont alors délégués dans les fonctions de juges de paix le 6 août 1946 par le Haut-Commissaire, afin de pallier la pénurie de personnel306.

Les justices de paix à compétence correctionnelle et de simple police sont installées au chef-lieu de chaque cercle. Certains cercles plus peuplés, comme celui de Porto-Novo, ont deux justices de paix à compétence restreinte, mais globalement le nombre des juridictions françaises instaurées reste inférieur à celui des anciennes juridictions indigènes qui siégeaient dans chaque chef-lieu de subdivision et de cercle. Les justices de paix comprennent un juge unique. Ce même magistrat cumule les fonctions : lui seul décide ou non de la poursuite, instruit l'affaire puis la juge. Mais la nouveauté réside dans la séparation des pouvoirs entre l'exécutif - l'administrateur civil, commandant de cercle ou chef de subdivision - et le pouvoir judiciaire.

La croissance du rôle du magistrat colonial

L'administrateur, mais également les notables locaux, perdent une grande partie de leurs fonctions judiciaires au profit d'une figure qui prend de l'importance : le magistrat colonial. Ce dernier obtient un statut équivalent à celui des magistrats métropolitains : la constitution de 1946 lui reconnaît l'inamovibilité et les gouverneurs perdent leurs pouvoirs

304 Mamadou Dian Chérif Diallo, Répression et enfermement en Guinée, op. cit., p. 536.

305 Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, op. cit.

306 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en AOF, op. cit.

disciplinaires sur les magistrats du siège. En effet, la nouvelle constitution confie au Conseil supérieur de la magistrature d'assurer la discipline des magistrats du siège, leur indépendance et l'administration des tribunaux judiciaires307. Face aux besoins de magistrats supplémentaires pour les nouvelles juridictions créées, les places réservées aux concours d'entrée à la magistrature coloniale sont accrues308.

Par ailleurs, ce corps s'ouvre aux femmes à partir de 1946. Mais cette ouverture se heurte aux préjugés de l'administration. L'exemple de Madame Gaillard qui réussit le concours de la magistrature coloniale dès 1946 mais qui dut attendre dix ans pour se voir attribuer un poste est emblématique. Le Conseil d'Etat lui donne finalement gain de cause dans un arrêt du 13 janvier 1956, en soulignant que le refus qui lui était opposé d'accéder à la fonction de magistrat colonial constituait une mesure discriminatoire309. L'accès des femmes à la magistrature est très mal perçu au sein de cette corporation. Les femmes ne peuvent, aux yeux des magistrats coloniaux, avoir une autorité naturelle suffisante pour s'imposer dans le milieu indigène et il est nécessaire de les exclure dans un premier temps des juridictions à juge unique :

<< L'indigène (...) n'accorde pas la même valeur à l'homme et à la femme... La femme magistrat n'aurait donc pas la considération, le prestige, l'ascendant dont bénéficie son collègue masculin. De toute façon, seule l'expérience éprouvera cette promotion de la femme à la magistrature. Mais dès l'instant, on peut avancer que l'indigène, au moins au début, sera réticent pour être jugé publiquement par une femme. Aussi dans la phase initiale de l'expérience, il serait préférable que la femme magistrat soit affectée à des parquets et que les justices de paix leur soient proscrites. Ainsi, avant de distribuer la justice, elle en aura au moins analysé les rouages et compris le fonctionnement. >>310

Ce sentiment est largement partagé. La majorité des magistrats interrogés par Martine Fabre estime en effet que les nominations de femmes << étaient impensables en pays musulman >> au motif que << les autochtones n'auraient pas acceptés d'être jugés par une femme >>311. L'accès des femmes à la magistrature constituait une révolution tant en métropole que dans les colonies. Les opinions exprimées par les magistrats coloniaux n'étaient alors guère éloignées de celles de leurs collègues métropolitains. La difficile acceptation des femmes dans le corps de la magistrature coloniale semble davantage se poser du côté des juges que des justiciables, comme le souligne la réponse de Madame Gaillard à la question de Martine Fabre : << Comment les magistrats féminins étaient-ils

307 Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, op. cit.

308 Ibid. Un décret du 30 octobre 1950 modifie les modes d'accès au concours d'entrée à l'ENFOM.

309 Martine Fabre, << Le magistrat d'outre-mer : un élément capital dans la stratégie coloniale >>, in Bernard Durand (sous la direction de), La Justice et le droit..., op. cit., pp. 423-451.

310 H. Gueziec, Le fonctionnement de la justice répressive en AOF : aspects particuliers et problèmes, Mémoire ENFOM d'élève magistrat, 1954-1955, CAOM, 3 ECOL 121 d9,

311 Martine Fabre, << Le magistrat d'outre-mer... >>, op. cit., p. 429.

accueillis ? >> : << par les autochtones très bien, par mes collègues masculins, très mal dans l'ensemble >>312. Malgré les modifications de statuts et les recrutements réalisés, les effectifs de magistrats restent insuffisants en AOF jusqu'en 1960. Leur nombre réel est toujours inférieur d'un quart à un sixième par rapport aux besoins et les effectifs théoriques eux-mêmes s'avèrent insuffisants : en 1948, on doit compter 151 magistrats en AOF pour 16 millions de justiciables313. Mais l'application de la justice française pour l'ensemble de la population des territoires d'outre-mer ne touche que le domaine pénal.

Le maintien d'une justice distincte dans les colonies en matière civile

Les nouveaux citoyens français depuis 1946 relèvent des tribunaux pénaux français mais ils conservent en fait leur << statut personnel >>, qui les soumet en matière civile et commerciale à des juridictions coutumières distinctes des juridictions françaises. Ils peuvent cependant renoncer à ce statut personnel pour le statut civil français et relever alors des juridictions civiles françaises, comme le souligne l'article 82 de la Constitution de 1946. Le législateur français escompte que l'évolution sociale et politique dans les territoires d'outre-mer conduira progressivement les Africains à abandonner leur statut personnel. Mais en réalité, peu de personnes y renoncent.

Une dichotomie entre les matières pénale et civile se met donc progressivement en place. A partir de 1944 le colonisateur s'oriente vers une politique judiciaire clairement assimilatrice en matière pénale. Un code pénal indigène est alors institué : il ne laisse que peu de place à la coutume et il a pour objet d'uniformiser selon les principes de droit français le droit pénal en AOF. A partir de 1946, la suppression des juridictions indigènes en matière pénale achève ce mouvement d'assimilation.

Mais parallèlement, le colonisateur maintient et accentue même la différenciation entre les juridictions françaises et les juridictions coutumières en matière civile et commerciale. Le décret du 26 juillet 1944 met en place des tribunaux indigènes coutumiers, composés exclusivement de notables indigènes. La présidence du tribunal par l'administrateur est cependant maintenue pour les affaires relatives à l'état des personnes et à la famille, afin de contrôler et conduire l'évolution de la coutume en ce domaine. Ces tribunaux coutumiers sont chargés de juger les affaires civiles et commerciales selon la seule coutume. Le gouvernement français opère donc une décentralisation du pouvoir judiciaire en matière civile et commerciale au profit des notables locaux.

312 Ibid., pp. 429-430.

313 Bernard Durand, << La magistrature coloniale : de l'intérim à la suppléance >>, in Bernard Durand (sous la direction de), La Justice et le droit..., op. cit., p. 480.

Il estime également que les << coutumes » doivent continuer à servir de fondement aux décisions judiciaires civiles, tout en renonçant à leur codification314. Une réforme de ces juridictions civiles est entreprise entre 1951 et 1954, mais leur architecture varie peu jusqu'à l'indépendance des Etats africains. Les tribunaux coutumiers prennent alors la dénomination de << tribunaux locaux coutumiers » de premier ou de deuxième degré. Les tribunaux du premier degré, compétents pour les affaires de moins de 50 000 francs, sont exclusivement composés de notables indigènes, mais ces derniers sont toujours nommés par le chef du territoire. Les tribunaux de deuxième degré sont en revanche présidés par l'administrateur du cercle et ils connaissent les appels des jugements rendus au premier degré, ainsi que les affaires de plus de 50 000 francs. Enfin, un tribunal supérieur de droit local est instauré au chef-lieu de chaque territoire par un décret du 21 avril 1953 pour l'appel des jugements rendus par les tribunaux de deuxième degré315.

Après 1945, les législateurs et gouvernements français successifs ne parviennent pas à une position claire sur l'organisation judiciaire en AOF. Tout en soumettant l'ensemble des populations de ces territoires aux mêmes juridictions pénales, ils continuent à distinguer statut personnel et statut civil français en matière civile et commerciale. Cette distinction réglementaire révèle le maintien de relations inégalitaires entre colonisateur et colonisé, malgré les fictions entretenues pendant la IVème et la Vème Républiques, d'une Union française librement consentie.

Les principes affichés tant à partir de 1945 qu'avant doivent donc être confrontés aux pratiques judiciaires des autorités coloniales et à leurs perceptions par les populations africaines. Comme le soulignent Florence Bernault, Pierre Boiley et Ibrahima Thioub, << le droit colonial et le fonctionnement de ces institutions renseignent sur la nature de l'autorité établie outre-mer », invitant ainsi à une << histoire culturelle et sociale » de la justice et des prisons316. Il paraît donc fondamental de saisir les sentiments et les réactions des groupes en présence face à la justice, dans un contexte colonial qui modifie le sens des institutions et la place des catégories sociales. En d'autres termes, il convient de mesurer les liens et les décalages entre les principes affichés au niveau judiciaire et les réalités coloniales.

314 Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, op. cit.

315 Denis Tahet, Les juridictions de droit local en Afrique occidentale, Mémoire ENFOM d'un auditeur fonctionnaire en Côte d'Ivoire, 1958-1959. CAOM, 3 ECOL 153 d6.

316 Florence Bernault, Pierre Boiley, Ibrahima Thioub, << Pour une histoire du contrôle social dans les mondes coloniaux : justice, prisons et enfermement de l'espace », Revue française d'histoire d'Outre-mer, tome 86, n°324-325, 1999, p. 7. Cité par Laurent Manière, Ordre colonial, contrôle social..., op. cit., p. 3.

2ème partie :

Mettre en oeuvre la justice coloniale :

entre principes affichés et réalités de

fonctionnement

(de 1900 à 1960)

Plusieurs études ont mis en évidence l'écart entre les principes affichés par le colonisateur, telle que la mission civilisatrice, et la réalité coloniale, dominée par d'autres impératifs, comme l'utilité pour la métropole. Selon Georges Balandier, ce constat est lié au fait que << la situation coloniale apparaît comme possédant d'une manière essentielle, un caractère d'inauthenticité. Le sociologue saisit combien la société européenne coloniale animée par une doctrine incertaine, condamnée à des comportements inauthentiques et liée par une image stéréotypée de l'indigène, agit en fonction de ces représentations sur la société colonisée >>317. Certains auteurs, tel que Jean Fremigacci, soulignent donc l'intérêt d'étudier au-delà des principes affichés et des textes officiels leur mise en oeuvre sur le terrain :

<< L'histoire coloniale a d'abord été écrite à partir du discours du pouvoir, qui utilise son monopole de la parole pour s'autoproclamer et se mettre en scène, y compris dans le Journal Officiel. Mais une recherche au niveau du terrain en dégage les aspects fictifs et l'illusion suivant laquelle le progrès pouvait avancer par décret. En fait, un fort pourcentage d'arrêtés, circulaires et décisions n'ont pas connu de traduction dans la réalité, ou bien habillent une réalité qu'ils feignent de créer. >>318

La justice dans les colonies, en tant que pouvoir régalien par excellence, a donné lieu à l'élaboration d'une doctrine et de principes permettant la mise en valeur de l'action réalisée. Mais la pratique de la justice coloniale met en évidence le caractère incertain et ambigu de ces principes, dominés par des stéréotypes et des impératifs pragmatiques. Ce faisant, le pouvoir colonial a parfois opéré une véritable << chirurgie sociale >>319 dans les colonies, en cherchant à modifier les valeurs et les modèles sociaux préexistants. Mais le corps social ne reste pas inactif : les réactions de refus, d'adaptation ou d'intégration des nouvelles normes sociales par les populations africaines modifient la pratique de cette justice coloniale.

A. Le pouvoir colonial et la justice indigène : principes, représentations et pratiques

Tout au long de la période étudiée, les autorités coloniales manifestent le souci de justifier l'organisation judiciaire mise en place en AOF. Dans son rapport au Président de la République du 10 novembre 1903, le ministre des Colonies souligne la nécessité d'unifier l'administration de la justice en AOF << en tenant compte en même temps des droits de nos nationaux et de la population européenne, des besoins des populations

317 Georges Balandier, Sociologie actuelle de l'Afrique noire, Paris, PUF, 1955, p. 7.

318 Jean Fremigacci, L'Etat colonial français, du discours mythique aux réalités (1880-1940), Matériaux pour l'histoire de notre temps, 1993, vol.32, p. 33, cité par Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 13.

319 Georges Balandier, Sociologie..., op. cit., p. 5.

indigènes et des intérêts supérieurs de notre politique >>320. Les objectifs mis en avant mêlent donc à la fois l'intérêt des populations colonisatrices de disposer d'une justice équivalente à celles qu'ils connaissent en métropole et les « besoins >> estimés des populations colonisées d'une justice « adaptée >> à leur « niveau de civilisation >>. Les principes d'organisation judiciaire expriment la vision racialisée et duelle du pouvoir colonial. Mais le rapport invoque également la prédominance des « intérêts supérieurs de notre politique >>, qui sont ceux d'une domination non contestée et d'une utilité des colonies à un moindre coût. Ce constat permet donc de s'interroger sur le sens et la portée de la notion de justice adaptée aux indigènes que le colonisateur entend mettre en oeuvre.

1. Une justice adaptée aux besoins locaux ou une justice au service exclusif du pouvoir ?

En différenciant la justice indigène de la justice française, le pouvoir colonial affiche sa volonté d'organiser une justice « adaptée >> au « stade d'évolution >> des autochtones, respectant les coutumes et les autorités traditionnelles. Les autorités coloniales ont le sentiment d'une responsabilité et d'une tutelle à l'égard des populations colonisées, qui ne sont pas aptes à comprendre « notre législation compliquée >>321. Cet état d'esprit paternaliste laisse transparaître un sentiment de supériorité culturelle et raciale qui se manifeste nettement chez les administrateurs des colonies dans leurs écrits sur les réformes de la justice indigène.

L'idée d'une justice « adaptée » : entre pragmatisme et vision racialisée

Nous avons vu que l'existence de deux systèmes juridiques différents dans les colonies est à la fois à l'origine et la conséquence pratique de la distinction entre citoyen et sujet français. Or, comme le souligne Emmanuelle Saada, « si les statuts et les systèmes juridiques sont en étroite relation, c'est (...) bien parce que ces deux ensembles sont la traduction juridique des découpages raciaux >>322. Les statuts de citoyens et de sujets recoupent presque exactement les catégories de Français et d'indigènes et renvoient donc à l'appartenance raciale. En fait, les juristes et les administrateurs coloniaux estiment, en

320 ANB, JOD 1904, fonds des JO, rapport au Président de la République du 10 novembre 1903 du ministre des Colonies Gaston Doumergue.

321 ANB, 1M123(4), fonds du Dahomey colonial, lettre du lieutenant-gouverneur au commandant de cercle de Ouidah le 18 janvier 1913.

322 Emmanuelle Saada, « Citoyens et sujets de l'Empire français..., op. cit., p. 19.

faisant prévaloir les notions de << race historique >>, qu'à << chaque race son droit et à chaque droit sa race >>323.

L'assimilation ne peut donc être conçue que dans un avenir très lointain dans la mesure où la production juridique d'une race est liée à son milieu qui ne pourra << évoluer >> que lentement au contact du colonisateur. Les statuts juridiques devraient donc, selon cette perspective évolutionniste, se modifier au fur et à mesure des contacts entre les sociétés coloniale et colonisée. De nouvelles catégories intermédiaires émergent, comme les métis, les convertis ou les << évolués >> formés à l'école coloniale. Le pouvoir colonial est amené à envisager de nouveaux statut et système juridique pour ces groupes324. Interrogé en 1912 sur l'idée de créer des tribunaux de subdivisions spécifiques à un groupement ethnique ou une région déterminée, le commandant de cercle estime que cette réforme ne peut concerner pour Ouidah que << les mulâtres brésiliens ou portugais >> : << C'était là, à mon point de vue, le seul groupement ethnique possible visé par le décret et apparemment séparé de la masse des indigènes par son extérieur, son degré d'instruction, sa connaissance partielle de notre langue, plus nettement encore par ses origines et sa mentalité >>325. Cet administrateur rassemble dans un même groupe la masse des indigènes et n'en distingue que les métis, pour lesquels une organisation judiciaire spécifique devrait selon lui être envisagée.

La ségrégation judiciaire, tout comme la ségrégation spatiale dans les villes coloniales, se base avant tout sur un critère racial (<< l'extérieur >>, << les origines >>) et un sentiment de proximité culturelle (<< degré d'instruction >>, << connaissance de la langue >>, << mentalité >>). Dans cette perception des populations et de la justice, les métis restent un groupe distinct, intermédiaire et jamais totalement intégré dans la communauté européenne ou indigène. Ce sentiment est partagé par d'autres administrateurs, notamment le lieutenant-gouverneur qui écrit :

<< La mesure qui avait assimilé les habitants de Ouidah aux justiciables français n'est pas sans
inconvénient pour les intéressés eux-mêmes. Aussi l'administration locale a proposé une solution
moyenne : donner aux habitants de Ouidah un tribunal propre qui leur appliquera les règles

323 Ibid., p. 20. Selon Emmanuelle Saada, théoriciens et autorités coloniales se basent davantage sur la notion de << race historique >>, et notamment sur l'analyse d'Hyppolite Taine qui associe << race >>, << moment >> et << milieu >>, que sur la conception scientifique ou biologique de la race.

324 Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie..., op. cit. Emmanuelle Saada, dans cet ouvrage tiré d'une Thèse, étudie les questions juridiques liées aux << métis de l'Empire français >>, qui se trouvent à la frontière entre la citoyenneté et l'indigénat. Sur la situation des métis au Dahomey : Anne-Marie Sanvi, Métis et Brésiliens dans la colonie du Dahomey, 1890-1920 : le problème du métissage, Mémoire de maîtrise d'histoire, Université nationale du Bénin, 1977, 282 p.

325 ANB, 1M123(4), fonds du Dahomey colonial, lettre de l'administrateur de cercle de Ouidah au lieutenantgouverneur du Dahomey en date du 19 juin 1913.

juridiques que réclame leur état social, éloigné de celui des indigènes de l'intérieur mais qui n'est pas devenu pour cela et qui ne deviendra jamais identique au nôtre. >>326

Ces interrogations sur les populations intermédiaires entre sociétés coloniale et indigène traduisent un mouvement qui « répond aussi à une dynamique interne à la sphère juridique coloniale qui s'est progressivement dotée d'un système cohérent de catégories et de procédures pour penser le statut des personnes en milieu colonial >>. La question métisse donne lieu à une série de décrets entre 1928 et 1944 pour fixer leur statut en matière de citoyenneté327, tandis que les convertis et les « évolués >> se voient refuser un statut spécifique.

Le travail d'élaboration de ces catégories raciales et sociales construit et fige les groupes. De même, la crainte permanente par la minorité dirigeante d'une contestation de l'ordre colonial conduit à renforcer le cloisonnement entre citoyens et indigènes entre 1900 et 1945. Cette ségrégation se manifeste dans tous les domaines de la vie sociale. Ainsi l'organisation judiciaire s'oriente-t-elle vers une séparation de plus en plus marquée entre justice française et justice indigène, avec la suppression des passerelles dès 1912. Le souci d'une justice adaptée aux populations traduit donc en réalité le découpage racial fondamental dans la société coloniale.

Une recherche de légitimation de l'autorité coloniale

Mais au-delà des préjugés que véhicule l'idée de justice « adaptée >> aux indigènes, l'administration coloniale se montre en fait très attentive à savoir ce que pense la population de la justice indigène. Il s'agit pour elle de répondre au mieux aux besoins présumés des autochtones, et, ce faisant, de renforcer sa légitimité et son autorité sur les populations colonisées. En effet, comme le souligne John Iliffe, les administrateurs sont très « fiers de leur tâche essentielle : rendre la justice et faire appliquer la loi. Les premiers d'entre eux furent aussi soucieux que les empereurs éthiopiens ou les Ashanti d'attirer les procès dans leurs tribunaux, et pour les mêmes raisons, c'est-à-dire accroître leur pouvoir politique, soumettre la population à leur autorité et imposer l'idée qu'ils se faisaient de la justice >>328.

L'intérêt pour le pouvoir colonial de renforcer son autorité et son prestige par l'organisation d'une justice « adaptée >> aux besoins des populations se décline d'ailleurs en reprenant certains préjugés raciaux, comme celui du sentiment inné de la justice chez

326 Ibid., minute du lieutenant-gouverneur du 14 février 1913 n°C11.

327 Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie..., op. cit., p. 73.

328 John Iliffe, Les Africains. Histoire d'un continent, op. cit., p. 281.

l'Africain. Un administrateur stagiaire écrit dans son mémoire pour l'ENFOM en 1953 que << le sentiment de la justice est fortement ancré chez l'Africain des tropiques. Ce besoin même de tout mettre en question, de calibrer son droit, d'en débattre des heures, ce désir de voir ses intuitions confirmées d'une sentence plus ou moins officielle, plus ou moins cérémonieuse, est un des éléments les plus typiques de l'âme africaine >>329. Il en conclut l'importance pour le pouvoir colonial d'instaurer une justice répondant aux sentiments du peuple noir : << Etre juste, appliquer les règles de l'équité et faire triompher le bon droit, c'est se faire l'ami des Noirs, ce qui vaut considérablement mieux que d'en être craint >>.

De manière générale, le gouverneur du Dahomey sollicite les administrateurs pour avoir des rapports trimestriels sur le fonctionnement de la justice indigène, mentionnant notamment l'état d'esprit des justiciables à l'égard des institutions judiciaires et des juges. Les administrateurs des cercles et des subdivisions, à la fois juge et partie, estiment le plus souvent que la population est satisfaite de la justice coloniale. Comme la plupart de ses collègues, le Résident de Porto-Novo souligne en 1911 : << Nous pouvons constater, ainsi que précédemment, que la confiance des indigènes en notre administration n'a guère diminuée : la mentalité de la généralité des indigènes est bonne >>330.

Les comptes rendus des exécutions capitales dressés par les administrateurs de cercle reflètent plus particulièrement l'intérêt de l'autorité coloniale à légitimer son intervention judiciaire auprès des Dahoméens. Ils sont accompagnés d'un rapport sur l'effet moral qu'a produit l'exécution, dans lequel l'administrateur insiste sur l'acceptation et même l'approbation de la sentence par la population et les élites locales. A propos de l'exécution en 1912 d'un homme condamné à mort pour assassinat, le commandant de cercle relate que << la reine de Kétou et sa suite assistaient à l'exécution, 300 personnes, des femmes principalement à une centaine de mètres en arrière. La population fut avertie la veille. Elle exprima une joie non déguisée en apprenant la nouvelle de l'exécution (...). Aucun murmure n'a été entendu pendant la durée de l'exécution ; tout s'est passé dans le plus grand calme >>331.

329 Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, op. cit.

330 ANB, 1M136(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du Résident de Porto-Novo n°487 du 19 juillet 1911. De multiples exemples identiques se trouvent dans les rapports sur le fonctionnement de la justice indigène en 1911 (1M136(2)), en 1910 et 1914 (1M159(5)), en 1924 (1M126(2)).

331 ANB, 1M123(8), fonds du Dahomey colonial, rapport du commandant de cercle de Zagnanado sur l'exécution de Fagbité le 16 mai 1912.

L'administrateur insiste sur le consensus de la population autour de la sentence rendue par une juridiction coloniale. Il met ainsi en relief l'acceptation par les autorités locales, auparavant souveraines, du rôle du colonisateur dans l'administration de la justice :

<< Aussitôt après l'inhumation, la Reine et les notables sont venus devant la foule remercier l'administrateur en lui déclarant que l'exécution était nécessaire, qu'ils avaient cependant un regret à exprimer, c'est qu'elle ait été tardive. »332

L'exécution apparaît ici comme un << spectacle » de légitimation du pouvoir régalien de l'autorité coloniale en matière de justice. Le lieutenant-gouverneur du Dahomey informe lui-même le gouverneur général de l'AOF, estimant que << la justice faite donne satisfaction à la population de la région de Kétou »333 et mettant ainsi en évidence que la répression coloniale s'accorde avec les attentes de l'opinion africaine.

La nécessité de satisfaire la population en sanctionnant sévèrement les criminels les plus craints est intimement liée au besoin de donner une bonne image de la justice coloniale et de renforcer ainsi l'autorité du colonisateur. A propos d'un recours en grâce formé par deux individus condamnés à mort dans une affaire de fétichisme, le lieutenantgouverneur estime l'exécution nécessaire pour tenir compte des sentiments de la population à l'égard des crimes liées à la sorcellerie :

<< La sentence prononcée contre eux est juste et il est nécessaire qu'elle soit exécutée. Toute la région de Manigri à Agoué vit sous la terreur trop explicable du poison. L'on comprend quel peut être l'effroi de la population lorsqu'elle voit comme à Pira, sept jeunes filles tuées - par le fétiche - dans une seule soirée. Ce crime n'est pas le seul qui soit parvenu à notre connaissance mais combien plus nombreux doivent être ceux que nous ignorerons toujours. Les coupables restent ordinairement impunis et la population qui sait pour avoir maintes fois fait l'expérience que les prévenus seront probablement remis en liberté hésite de plus en plus à venir témoigner contre les féticheurs par crainte de vengeance trop probables (...). Il nous faut la rassurer, lui montrer que notre justice sait être ferme et tutélaire lorsque tous les doutes sont levés. A ce prix seulement nous pouvons être renseignés et être en mesure de prouver à nos sujets la sécurité que nous leur devons. »334

Ces derniers arguments en faveur du rejet du recours en grâce soulignent la conception de la justice coloniale qu'ont les autorités françaises. Il s'agit bien de << notre justice », non celle de la population dahoméenne mais celle du colonisateur, qui doit s'imposer dans sa justesse et son autorité à << nos sujets » pour être acceptée et remplir son rôle, à savoir imposer moralement sa tutelle et sa domination.

Le pouvoir colonial, en affichant l'idée d'une justice adaptée, c'est-à-dire respectueuse des coutumes et associant les autorités locales, cherche donc avant tout à

332 Ibid.

333 Ibid., lettre du 24 mai 1912 du lieutenant-gouverneur du Dahomey par intérim au gouverneur général de l'AOF.

334 Ibid., avis du lieutenant-gouverneur du Dahomey sur le recours en grâce des nommés Akaté et Aballot, SD (leur exécution a eu lieu en 1912).

renforcer son autorité. Mais l'organisation judiciaire retenue est également une solution pragmatique, imposée par les contraintes financières et humaines dans les colonies.

2. Volonté ou contrainte d'une justice adaptée ? Les problèmes financiers et humains

En effet, au-delà même de la volonté déclarée d'une justice adaptée, le pouvoir se trouve matériellement contraint d'associer les autorités locales. Le manque de moyens financiers et humains ne permet pas au colonisateur d'implanter une justice fournie et totalement dirigée par des cadres et des agents européens.

Le principe d'une justice peu coûteuse

La justice, qui est un des éléments de l'administration coloniale, suit les principes de gestion coloniale. Or si les colonies doivent être source de profits, elles ne doivent rien coûter à la métropole. Selon la loi de 1901 sur l'autonomie financière des colonies, cellesci doivent se suffire à elles-mêmes ; le principe de la subvention métropolitaine est donc supprimé335.

Au début du XXème siècle, l'implantation des services administratifs sur l'ensemble des territoires entraîne une forte croissance des dépenses publiques mais la création de l'impôt de capitation permet au Dahomey de disposer de nouvelles ressources à partir de 1899 et de prendre en charge les dépenses diverses.

Cependant, le rattachement du Dahomey à l'AOF, qui est définitivement organisée en 1904, modifie les perspectives. En effet, les huit colonies sont contraintes de verser directement leurs revenus douaniers à la Fédération qui distribue ensuite les ressources selon les besoins estimés de chaque colonie : le Dahomey qui disposait jusque là de recettes importantes dans ses caisses se trouve défavorisé336. Dans le récit de son voyage en Afrique, Albert Londres traduit la perte financière ressentie par le Dahomey en ces termes :

« Nous sommes pour l'instant en AOF. Huit colonies. Chacune a un budget. D'où vient l'argent ? De l'impôt que verse chaque nègre et des droits de douane que paye tout le monde. Exemple : le Dahomey, le plus petit morceau de cette galette, avoue cette année soixante-deux millions de recettes. On lui abandonne vingt millions pour ses besoins. Dakar (le gouvernement général) prend quarante-deux millions. (...) Le Dahomey affirme qu'avec l'argent qu'il envoie à Dakar les Dahoméens pourraient s'offrir de beaux wharfs, des kilomètres de chemins de fer et des installations définitives. »337

335 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique Noire de 1800..., op. cit., p. 60.

336 Hélène d'Almeida-Topor, Histoire économique du Dahomey..., op. cit., pp. 183-188.

337 Albert Londres, Terre d'ébène, op. cit., p. 131.

Par conséquent, les services administratifs fonctionnent souvent dans des conditions précaires, comme le rappellent les administrateurs des colonies dans leurs rapports sur le fonctionnement de la justice indigène, notamment dans l'arrière-pays. Ainsi, le commandant de cercle de l'Atacora, au nord du Dahomey, souligne-t-il qu'<< à défaut de locaux spéciaux, les tribunaux continuent à siéger dans les bureaux »338. De même, le procureur se trouve obligé de solliciter auprès du lieutenant-gouverneur les fonds nécessaires à l'emménagement du personnel judiciaire :

<< Si j'ai bien compris vos intentions bienveillantes à l'égard du personnel judiciaire, vous êtes disposé aujourd'hui à octroyer aux magistrats le mobilier sommaire indispensable à l'existence qu'il leur est matériellement impossible de se procurer sur place. Je viens de solliciter de votre autorité des ordres utiles pour que le logement du président du tribunal et celui du commis-greffier soient munis d'urgence de quelques meubles en prévision de l'arrivée des occupants attendus. Le demilogement laissé vacant par le commis greffier d'Erneville n'a comme celui du président titulaire aucune espèce de meubles (...). Ce n'est pas au dernier moment, le jour de leur arrivée, qu'il conviendra de venir en aide à ces deux fonctionnaires. »339

Ces problèmes financiers entraînent et se doublent d'un manque de personnel pour assurer le fonctionnement aussi bien de la justice française que de la justice indigène.

Le manque et les carences du personnel européen dans la justice coloniale

La justice française dans les colonies ne recrute que difficilement. Certains magistrats sont attirés vers les colonies par << la recherche d'horizons nouveaux » ou par les perspectives de salaire, dans la mesure où le supplément colonial leur permet de doubler leur traitement de base340. Mais la séparation des carrières entre les magistratures coloniale et métropolitaine, les << difficultés de la vie coloniale » - notamment le climat, l'importante mobilité d'une colonie à l'autre, l'absence d'indépendance et la non-application du principe d'inamovibilité en outre-mer341 et le mépris de la métropole à l'égard de cette fonction - en limitent l'intérêt. Bernard Durand souligne cette crise du recrutement ; citant une thèse de 1929 sur le sujet, il note que << sur 351 postes, 68 étaient sans titulaires » à cette date342.

Le statut de la magistrature d'outre-mer est aligné sur celui des juges métropolitains après la Seconde Guerre mondiale. Le principe d'inamovibilité est ainsi consacré pour l'ensemble de la magistrature par la constitution de 1946 et une plus grande indépendance

338 ANB, 1M126(2), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le fonctionnement de la justice indigène pendant le 1er et le 2ème trimestre 1924 du commandant de cercle de l'Atacora.

339 ANB, 3M001, fonds du Dahomey colonial, lettre du procureur de la République près du tribunal de première instance de Cotonou au lieutenant-gouverneur du Dahomey le 2 avril 1920.

340 Bernard Durand, << La justice en perspectives, la magistrature coloniale », actes de sessions de l'Ecole Nationale de la Magistrature, source Internet http :// enm.justice.fr

341 Voir la définition de l'inamovibilité dans le lexique des termes juridiques employés.

342 Bernard Durand, << Observer la justice coloniale sous la Troisième République », op. cit., p. 66.

est reconnue aux magistrats du siège d'outre-mer qui relèvent disciplinairement du conseil supérieur de la magistrature, et non plus du procureur général de l'AOF. Mais la pénurie de magistrats outre-mer perdure et s'aggrave même, selon le président Sédille, en raison de la multiplication des juridictions françaises après 1946343.

Par ailleurs, le régime des congés spéciaux entraîne une fréquente vacance des postes. Les autres magistrats présents sur le territoire sont alors sollicités pour remplacer leurs collègues, aggravant la mobilité ou le caractère ambulatoire de la magistrature coloniale344. Les fonctionnaires coloniaux sont aussi parfois contraints de remplacer les magistrats absents. Si l'administration coloniale se plaint des problèmes de gestion du personnel judiciaire liés au régime des congés, elle souligne également la difficulté pour le personnel administratif qui se trouve lui-même en nombre insuffisant d'assurer les fréquents remplacements des personnels judiciaires. Ainsi, le service du personnel du Dahomey écrit-il en 1920 au gouverneur général de l'AOF :

« J'ai été saisi d'une demande de congé administratif par Mr le procureur de la République Cornette de Saint-Ouin qui désire rentrer en France dès l'expiration de son séjour réglementaire de deux ans. Il y aurait intérêt à ce que des mesures soient prises pour assurer le remplacement de ce magistrat au moment opportun car le service judiciaire du Dahomey se présente actuellement dans une situation assez précaire. En effet, Mr le juge-suppléant Abel, qui compte, après 17 mois de séjour en Côte d'Ivoire et au Dahomey, plus de 6 années de service ininterrompu sans congé à la Guadeloupe, son pays d'origine, rentre en congé administratif en France. Quant à Mr le juge Ounx [nom peu lisible], d'après les connaissances qui me parviennent, son état de santé ne lui permettra vraisemblablement pas de prolonger longtemps son séjour au Dahomey. Je saisis cette occasion pour attirer votre attention sur l'impossibilité d'affecter actuellement à des fonctions judiciaires, même temporaires, des fonctionnaires de l'ordre administratif qui sont déjà trop peu nombreux pour pouvoir assurer comme il conviendrait, la marche des services du chef-lieu et des cercles. »345

La magistrature coloniale reste marquée jusqu'en 1946 par sa dépendance à l'égard du pouvoir administratif, son caractère ambulatoire, ses fréquentes et longues absences. L'indépendance des juges coloniaux est en effet perçue à l'origine comme « contraire au maintien de la discipline au sein d'une magistrature recrutée avec légèreté, aux moeurs jugées critiquables et dont le comportement laissait à désirer »346. Une image négative se forme à l'égard de ces magistrats coloniaux, sur le plan de leur compétence mais plus encore de leur moralité. Un certain nombre d'entre eux se trouvent accusés de compromettre l'autorité, le prestige et l'honneur de la magistrature du fait de leur cohabitation avec des femmes indigènes ou en raison de soupçons de corruption.

343 Bernard Durand, « Un dogme soumis à la force des choses : l'inamovibilité des magistrats outre-mer », Revue d'histoire du droit, juin 2004, pp. 261-262.

344 Ibid., p. 256.

345 ANB, 3M001, fonds du Dahomey colonial, lettre du 11 août 1920 du service du personnel du Dahomey sur la situation du personnel judiciaire au gouverneur général de l'AOF.

346 Bernard Durand, « Un dogme... », op. cit., p. 241.

Ainsi, le procureur de la République du Dahomey s'estime-t-il gravement outragé par un article paru en novembre 1905 dans le journal L'écho du Dahomey intitulé << Moeurs de magistrat », qui remet en cause la moralité de ce dernier347. En effet, les cartes postales et photos du début du XXème siècle, comme par exemple la carte de voeux présentée en Photo 11, présentent souvent les femmes des colonies sous des abords érotiques, laissant entendre le caractère aisé des conquêtes sous les tropiques. Cet aspect a su attirer certains jeunes aventuriers sur lesquels plane ensuite le soupçon d'une morale douteuse.

Photo 11. << Bons voeux », Sénégal

Source : Collection Fortier, http :// www.archivesdusenegal.gouv.sn/cartes/0745.JPG

Les rapports sur les comportements de deux juges au Dahomey au début du XXème siècle peuvent également renforcer ce sentiment d'une magistrature coloniale parfois jugée << indigne ». En effet, les problèmes d'alcoolisme du procureur de la République, M. Gr., et du juge d'instruction, M. Ga., soulèvent des difficultés dans le fonctionnement de la justice, ainsi que l'indignation de la communauté européenne et des autorités. L'administrateur délégué du gouverneur à Cotonou rapporte au gouverneur le 24 janvier 1911 que le procureur de la République perd complètement la mémoire et qu'il ne se souvient par exemple plus d'un voyage effectué la veille à Porto-Novo. Plusieurs plaintes sont adressées par des justiciables, comme celle de M. Graziani, agent d'une maison de commerce, du fait de l'absence de réponse du procureur de la République à des plaintes déposées348.

347 ANB, 1M161, fonds du Dahomey colonial, lettre du procureur de la République du Dahomey au lieutenant-gouverneur du Dahomey le 22 février 1906.

348 ANB, 1M168, fonds du Dahomey colonial, lettre de Mr Graziani, agent de la maison Pozzo di Borgo et Co à Adjohon au lieutenant-gouverneur du Dahomey le 9 décembre 1910. Une plainte est également adressée par Me Germain Crespin, avocat-défenseur à Cotonou, pour déni de justice contre le juge d'instruction (SD).

Ce magistrat étant ensuite hospitalisé, le gouverneur de la colonie reproche au juge d'instruction de ne pas le suppléer dans ses fonctions administratives en lui transmettant des éléments sur un dossier et de faire ainsi obstruction à la bonne marche judiciaire :

<< Je n'ai demandé la communication des dossiers que parce qu'il m'a été impossible d'obtenir les renseignements par le département pour le vol de 30 000 F. Ainsi, le procureur est hors d'état d'agir et personne ne veut prendre les responsabilités qui lui incombent (...). Il me paraissait d'autre part inadmissible que des inculpés ne pussent être remis en liberté parce que le procureur étant hors de service l'instruction ne peut lui communiquer ses affaires. Il y a des cas de force majeure où l'équité et la justice doivent passer avant la forme. »349

Au-delà des manquements à leurs fonctions judiciaires, il est reproché à ces deux magistrats leurs manifestations d'ivresse publique, et donc leur atteinte au prestige de la magistrature coloniale. Comme d'autres fonctionnaires coloniaux, le commissaire de la République rapporte les faits témoignant de leur indignité à la fonction judiciaire :

<< En signalant administrativement un état de choses qui tend à discréditer près de la population européenne et indigène le tribunal entier, je ne fais que noter les remarques et plaintes verbales qui me sont apportées nombreuses au sujet de la conduite de ces deux magistrats, et dont par déférence pour les fonctions qu'ils remplissent, je pensais ne devoir jamais m'occuper. Les manifestations d'ivresse de MM. Gr. et Ga. sont fréquentes et tellement notoires qu'il devient inutile de détailler les écarts quotidiens de leur conduite. Néanmoins et pour préciser quelque peu, je puis signaler les nombreuses fois où, M Gr., sortant à des heures tardives du café, a cherché en vain le chemin de son appartement au palais de justice et, inconscient, a essayé d'ouvrir les portes d'autres domiciles croyant rentrer chez lui, ou bien, perdu dans la ville, est revenu s'échouer seul au café pour le restant de la nuit. D'un tempérament plus solide, M Ga. manifeste surtout son état d'ivresse au café où il est accompagné de son collègue, avec lequel surviennent parfois des scènes écoeurantes et publiques. Tout récemment enfin, il n'était bruit, facile à vérifier malheureusement, que d'une instruction conduite par M Ga., dans son cabinet, où seul et pris de boisson, il menaçait d'une main mal assurée les prévenus ahuris d'un tel spectacle, et faisant un tapage tel qu'interprètes et employés intervinrent. Un tel état de choses ne peut se continuer. »350

Le départ du Dahomey de ces deux magistrats est donc demandé tant par les autorités coloniales que par les commerçants européens qui décident de ne plus engager d'affaire en justice tant que leur remplacement n'est pas effectué. Le recrutement des magistrats est par la suite plus strict afin d'améliorer l'image de la magistrature coloniale.

Les magistrats se trouvent enfin souvent en butte avec les administrateurs des colonies, qui leur reprochent d'entraver l'action administrative par des considérations juridiques qu'ils estiment inadaptées aux << indigènes », comme le souligne Georges Deherme dans un ouvrage sur l'AOF :

<< L'institution d'une chambre d'homologation présente plus d'inconvénients que d'avantages. Et d'abord, elle introduit trop de magistrats dans la colonie. Elle leur donne trop de pouvoirs. La magistrature ne peut que faire de médiocre justice coloniale et par là entraver l'action administrative. Elle a l'esprit de corps. La routine professionnelle, la déformation mentale et morale du métier la rendent impropre à ce qu'on doit attendre d'elle aux colonies. Elle s'en tient aux textes

349 ANB, 1M168, fonds du Dahomey colonial, lettre du cabinet du gouverneur du Dahomey du 26 février 1911.

350 ANB, 1M168, fonds du Dahomey colonial, lettre du commissaire de police de Cotonou du 17 décembre 1910 au délégué du gouverneur à Cotonou.

là où il faut de l'intelligence (...). Tout notre formalisme juridique est de trop, le plus souvent. Et l'on sait bien que, pour des magistrats, c'est là l'essentiel de la justice. Des administrateurs, pour ne pas avoir d'«affaires», sont capables de quelque souplesse, jamais des magistrats ne comprendront une justice à un autre point que celui du droit enseigné à l'Ecole. Qu'on leur sacrifie les Européens si l'on veut, mais pas les indigènes. >>351

Les avocats-défenseurs devant les juridictions françaises ne sont eux-mêmes guère nombreux. Le Dahomey en compte quatre ayant leur résidence à Cotonou en 1906352 et leur nombre évolue peu jusqu'en 1945. Les candidats sont difficiles à recruter et ils restent inférieurs au nombre de places à pourvoir : seuls 18 postes sur 26 sont pourvus en AOF en 1931353. Les parties n'ont donc pas souvent la possibilité de choisir leur avocat puisqu'on en trouve parfois seulement deux, voire un seul. En l'absence d'avocats, certaines personnes, parmi les juges ou les fonctionnaires, peuvent être autorisées à défendre les parties dans la colonie. Le lieutenant-gouverneur du Dahomey estime dès 1905 que << le nombre des avocats-défenseurs sera toujours très réduit au Dahomey >> et que << par conséquent les cas d'absence ou d'empêchement permettant l'accès du tribunal à des personnes étrangères à cette compagnie se produiront assez fréquemment >>. Il souligne alors le risque pour les parties de se trouver en présence de personnes incompétentes ou de moralité douteuse et propose d'encadrer très soigneusement leur désignation354.

Du côté des juridictions indigènes, les administrateurs des colonies qui président ces tribunaux restent également en nombre limité pour la totalité des territoires à couvrir. Le problème de l'absence de ces fonctionnaires liée à de longs congés administratifs ou des convalescences se pose dans les mêmes termes que pour les magistrats. Certaines circonscriptions territoriales sont même parfois fermées provisoirement du fait du départ d'administrateurs qui ne sont pas remplacés immédiatement, ce qui laisse la charge des services administratifs, dont la justice, à un autre chef de subdivision ou de cercle plus éloigné et occupé par ses autres fonctions355. La justice ne constitue en outre qu'une des

351 Georges Deherme, L'Afrique occidentale française. Action politique-Action économique-Action sociale, Paris, 1908, p. 86, cité par Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 188.

352 ANB, JOD 1906, fonds des JO, arrêté du 16 janvier 1906, p. 76, et arrêté du 30 octobre 1906 du gouverneur général AOF, p. 562.

353 Bernard Durand, << Les avocats-défenseurs aux colonies, Entre déontologie acceptée et discipline imposée >>, in Bernard Durand (sous la direction de), La justice et le droit..., op. cit., p. 537.

354 ANB, 1F22, fonds du Dahomey colonial, lettre du lieutenant-gouverneur du Dahomey au gouverneur général de l'AOF du 3 mai 1905 au sujet du projet d'arrêté concernant les avocats défenseurs en exercice en AOF n°316.

355 Par exemple la décision n°716 du 12 juin 1926 du lieutenant-gouverneur du Dahomey fermant provisoirement la subdivision de Bembèrèkè (cercle du Borgou), << vu le rapatriement pour fin de séjour de Mr le lieutenant Boudet de l'infanterie coloniale, chef de la subdivision, et l'impossibilité faute de personnel de remplacer cet officier dans ses fonctions >>. ANB, JOD 1926, fonds des JO, p. 290. De même la subdivision de Parahoué (cercle d'Abomey) est fermée du 2 juin au 1er décembre 1927 suite au départ en congé administratif du chef de subdivision. ANB, JOD 1927, fonds des JO, décisions locales n°724 du 2 juin 1927 et n°1578 du 1er décembre 1927.

multiples activités des administrateurs des colonies, qui sont fortement sollicités par la perception des impôts, la réalisation de travaux publics ou le recrutement de tirailleurs. Pendant les périodes de mobilisation militaire, la justice se trouve parfois interrompue comme dans le poste de Sô-Awa en juillet 1914, qui << dès le premier jour de la mobilisation (...) a été évacué, le chef de poste et les gardes de cercle qui y étaient détachés ayant dû être envoyés par suite des nécessités de la situation sur un autre point de la colonie ; aussi le cours de la justice a-t-il été suspendu dans cette localité >>356.

Les autres personnels judiciaires européens, tels que les greffiers et commisgreffiers sont insuffisants. Le fonctionnement de la justice est souvent perturbé compte tenu de leur pénurie et parfois de leur carence, comme le souligne le juge d'instruction par intérim en juillet 1914. Ce dernier déplore en 1914 << la situation dans laquelle [il a] trouvé à [son] arrivée le cabinet d'instruction et les conditions dans lesquelles [il a] travaillé au déblaiement et à la liquidation des affaires >> :

<< Malgré toutes les difficultés de la tâche, toutes les interruptions de travail et toute la pénurie de moyens mis à ma disposition, je n'ai jamais négligé l'expédition la plus rapide possible des affaires et toujours veillé à abréger les détentions préventives. (...) J'attire votre attention sur l'insuffisance que j'ai signalée en son temps de l'unique commis-greffier du tribunal, M. Arnal, incapable malgré sa bonne volonté, et étant l'importance de ce siège qui est peut-être le plus chargé de l'AOF, incapable d'expédier à lui tout seul le travail du greffe, de tenir les audiences, copier les jugements, préparer les inventaires des dossiers d'appel, assister le juge d'instruction aux interrogatoires des témoins... Ce malheureux était complètement débordé et n'a pas tardé à tomber malade. M. Girot avant lui avait été mis en congé d'office par le Dr Wagon et rapatrié immédiatement. Cette insuffisance de l'unique commis-greffier m'a obligé à différentes reprises à fermer mon cabinet d'instruction. >>357

Les insuffisances du personnel judiciaire et leur polyvalence entraînent des retards dans le déroulement des procédures. Le problème n'est pas conjoncturel et cette situation perdure bien au-delà de la Première Guerre mondiale qui avait vu le retour en métropole d'un certain nombre de fonctionnaires. Ainsi le gouverneur du Dahomey adresse-t-il une circulaire aux commandants de cercle le 25 août 1935 dans laquelle il se plaint des << retards apportés par les présidents des tribunaux indigènes à l'envoi des copies de jugements réclamés par son parquet. De même des justiciables se plaignent souvent de ne pouvoir obtenir qu'après de longs délais copies des jugements par eux demandés >>358. Le gouverneur précise qu'il << n'ignore pas qu'en raison de nombreuses occupations imposées

356 ANB, 1M159(5), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le fonctionnement de la justice indigène du lieutenant-gouverneur du Dahomey au gouverneur général pour juillet 1914, SD.

357 Ibid., lettre du 19 mai 1914 du juge d'instruction au procureur de la République de Cotonou.

358 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire du 25 août 1935 du gouverneur du Dahomey aux commandants de cercle.

au personnel des cercles et de la pénurie de bons dactylographes >>, la situation est difficile à juguler, mais elle pose problème compte tenu des délais pour les appels359.

Le pouvoir colonial, comme nous l'avons vu, s'oriente non seulement volontairement vers l'association des élites locales à l'administration de la justice, mais est également matériellement contraint de s'appuyer sur les notables dahoméens face à la pénurie de personnel européen. La part entre le choix et la nécessité de recourir aux élites locales est délicate à déterminer. L'administration a dans un premier temps souhaité supprimer les grands chefs et les remplacer par des fonctionnaires français mais elle a commencé à se servir des structures locales quand cela était possible360.

Le colonisateur transforme en réalité la notion de pouvoir. Après avoir écarté les chefs récalcitrants et face au manque de personnel européen, il cherche le concours des nouveaux chefs de canton ou de province que le gouverneur nomme, mais en réduisant leur rôle à de simples auxiliaires. La fonction attendue des autorités locales est définie dans la formule du gouverneur Delavignette : << Il n'y a pas de colonisation sans politique indigène, pas de politique indigène sans commandement territorial et pas de commandement territorial sans chefs indigènes qui servent de rouages entre l'autorité coloniale et la population >>361.

3. L'association des élites locales à la justice : un rôle limité

Le pouvoir colonial se révèle très ambigu dans l'administration de la justice. Recherchant et associant par nécessité les autorités dites << traditionnelles >>, il leur reconnaît une place particulière dans le processus judiciaire et un statut spécifique en tant que victime ou auteur d'infractions. Mais l'administration coloniale, dans son effort de domination politique, entend garder le contrôle du système répressif.

La participation des notables dahoméens au système répressif

Comme par le passé, lorsqu'une infraction est commise, le premier sollicité reste le chef de village, de quartier ou de canton. Le délinquant est souvent arrêté par le chef luimême. Ce dernier commence alors l'enquête avant de diriger l'auteur du délit ou du crime vers le chef de subdivision ou de cercle. L'intervention du chef du lieu où a été commise l'infraction permet souvent d'établir plus rapidement les faits, au sein d'une communauté dont les membres se connaissent, que devant l'administrateur étranger et

359 Ibid.

360 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique Noire de 1800..., op. cit., pp. 65-74.

361 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 101.

géographiquement plus éloigné. L'exemple dans lequel le prévenu avoue son vol d'argent au chef de village qui l'a arrêté, mais se rétracte ensuite devant le chef de subdivision362, n'est pas isolé. Un stagiaire de l'ENFOM souligne également en 1956 dans son mémoire professionnel qu'il est très difficile pour le gendarme ou le commissaire de police métropolitain d'obtenir des témoignages exacts de la part de la population, dans la mesure où les témoins ou les inculpés répondent souvent dans le sens attendu par l'enquêteur pour ne pas le contrarier, avant de se rétracter devant une autre autorité pouvant inspirer davantage de confiance, comme par exemple un magistrat. Il estime que « les enquêteurs avisés devraient donc... s'adresser d'abord aux chefs de village ou de canton mieux placés pour obtenir sans réticences des renseignements auprès de leurs compatriotes >>363. Les témoignages et aveux sont également parfois obtenus plus facilement par le chef de village, compte tenu de la pression sociale exercée sur les membres de la communauté ; ces pressions peuvent également être parfois exercées physiquement.

Les autorités locales interviennent ensuite lors de l'audience pour assurer la défense du prévenu, comme la réglementation sur la justice les y autorise. Dans une affaire de vol de pintade jugée en juin 1930, l'enquête a été menée par le chef de village qui demande au tribunal l'indulgence car le prévenu est vieux et en mauvaise santé364. Les chefs de village se portent parfois défenseurs d'un individu dont eux-mêmes ont été victimes, comme dans cette affaire de vol d'une barre de fer jugée en 1930. Le plaignant est le chef de village mais déclare en audience que l'inculpé n'a pas « d'antécédents fâcheux et demande luimême l'indulgence du tribunal >> qui l'acquitte365. Les chefs locaux sont ainsi plus généralement sollicités pour donner leur avis sur le délinquant et la sanction à appliquer ; ils jouent alors un rôle de représentant des intérêts de la communauté villageoise. Dans une affaire de vol de canards jugée en juin 1930, le chef de village interrogé souligne que le prévenu a déjà été condamné sept ans auparavant à six mois de prison pour vol. « Depuis il vit uniquement de rapines dans les champs et les basses-cours >> et il précise que « jamais il ne travaille >>366. Au nom des notables du village, le chef demande ici qu'on punisse sévèrement le délinquant récidiviste. Parfois, les chefs et membres mêmes de la famille du

362 ANB, 1M126(3), fonds du Dahomey colonial, notice des jugements mars 1930, jugement du tribunal de 1er degré de Porto-Novo banlieue le 10 mars 1930 n°23.

363 Nanlo Bamba, Les Africains devant la réforme judiciaire de 1946, op. cit.

364 ANB, 1M126(5), fonds du Dahomey colonial, notice des jugements juin 1930, jugement du tribunal de 1er degré de Porto-Novo banlieue le 16 juin 1930 n°59.

365 Ibid., notice des jugements janvier 1930, jugement du tribunal de 1er degré de Porto-Novo banlieue le 27 janvier 1930 n°12.

366 Ibid., notice des jugements juin 1930, jugement du tribunal de 1er degré de Porto-Novo banlieue le 16 juin 1930, n°60.

prévenu demandent des sanctions très lourdes pour les voleurs récidivistes, notamment le bannissement du village367. Cet avis n'est pas obligatoirement suivi par les juges.

Les chefs locaux jouent aussi un rôle de courroie de transmission entre les autorités coloniales et la population. Ils sont notamment chargés de faire connaître les décisions de justice et leur exécution aux habitants. L'administrateur de cercle de Zagnanado rapporte cette fonction de relais des élites locales pour diffuser l'annonce d'une exécution capitale : << La reine, ainsi que le chef de Kétou et les notables qui faisaient partie de son escorte se sont chargés de faire connaître cette nouvelle, dans la nuit même, aux villages les plus éloignés »368. Certains de ces chefs, enfin, sont nommés assesseurs au sein des différents tribunaux indigènes. L'association des chefs indigènes à la mise en oeuvre du système répressif leur permet d'accéder à un statut particulier.

Un statut distinctif des chefs locaux

En faisant de ces chefs leurs auxiliaires, les autorités coloniales veulent leur reconnaître un certain prestige, ne serait-ce que pour leur permettre d'imposer les contraintes sur leurs concitoyens, notamment la levée de l'impôt de capitation et la réquisition des prestataires. Les chefs de province et de canton échappent au Code de l'indigénat qui constitue une menace permanente d'arbitraire pour les autres Dahoméens. Mais les chefs de village continuent à y être soumis.

Le pouvoir colonial accorde également une attention particulière aux autorités locales lorsqu'elles sont victimes d'infraction. Ainsi, les délits portant atteinte à un agent de l'Etat sont-ils plus gravement sanctionnés, en particulier lorsqu'il s'agit d'infractions attentatoires à l'autorité de ces chefs, telles que les injures. Certains chefs locaux n'hésitent pas à solliciter à maintes reprises les administrateurs pour obtenir une aide particulière afin de découvrir les auteurs des infractions dont ils sont les victimes. Le chef de Pakou, qui a été l'objet d'un vol d'effets divers dans sa case, adresse ainsi de multiples lettres et rapports d'enquête au commandant de cercle de Ouidah, dans lesquels il critique les méthodes de la police :

<< Je tiens à vous faire savoir que les gardes ne sont peut-être pas des hommes qualifiés pour mener une enquête de vol à bonne fin, il faut un homme compétent et habile qui par ses tactiques et ses interrogatoires (...) puisse découvrir le vol, même le plus caché, et l'enquête doit être menée rapidement car plus on y met du temps, plus elle est difficile. Ainsi les gardes se sont bornés à fouiller sans aucune interrogation mais les voleurs de nos jours sont assez sages de ne pas songer à cacher les objets nouvellement volés dans leurs cases. (...) Maintenant, comme vous m'autorisez de

367 Ibid., jugement du tribunal de 1er degré de Porto-Novo banlieue le 24 juin 1930 n°71 dans une affaire de vol de manioc. A l'audience, les témoins, dont le plaignant, chef de Vakon, et l'oncle du prévenu, soulignent que le prévenu est un vaurien qui ne vit que de rapines. Ils demandent qu'on en débarrasse le village.

368 ANB, 1M123(8), fonds du Dahomey colonial, op. cit.

procéder à des investigations à ce sujet, je vous prie, M. l'administrateur, de mettre à ma disposition deux gardes pour m'aider dans l'enquête, je vous en signalerai le résultat aussitôt obtenu. >>369

La police prend très au sérieux cette enquête, avec l'interrogatoire des multiples personnes soupçonnées par le chef de Pakou. Le pouvoir colonial est tout autant attentif aux infractions dans lesquelles sont impliqués des chefs locaux, dans la mesure où les autorités doivent garder un certain crédit moral pour être des auxiliaires efficaces du pouvoir. Dans une note de service, le juge d'instruction Crespin fait valoir l'importance politique et juridique d'une affaire de vol qualifié, eu égard à la qualité de chef de village de la personne poursuivie : « L'importance de sa capture ne manquera pas de vous frapper étant donné les faits que vous connaissez et sa qualité de chef (...), au point de vue politique et juridique, elle me paraît nécessaire >>370. Mais malgré la reconnaissance d'un statut plus favorable des chefs, leur rôle dans l'administration de la justice est limité, dans la mesure où ils restent en permanence contrôlés et encadrés par le pouvoir colonial.

Des juges dahoméens sous la coupe du pouvoir colonial

Les appréciations des administrateurs des colonies sur les juges des tribunaux indigènes sont variables. Ils se montrent le plus souvent satisfaits des chefs participant à la justice. Le commandant de cercle du Mono estime en 1911 que « les juges des tribunaux de cercle et de province s'acquittent avec zèle de leurs fonctions >>371. De même, l'administrateur du cercle de Savalou écrit en 1911 :

« Ceux-ci [les juges] sont conscients de la délicatesse de leur rôle ; ils ne rendent leur sentence qu'après avoir longuement étudié les affaires (...). Les peines rendues par eux ont toujours été très modérées, sévères seulement dans un litige où l'inculpé était un voleur endurci déjà condamné. >>372

Son successeur dans ce cercle rapporte plus succinctement en 1924 que « les juges s'acquittent convenablement de leurs tâches >>373.

Sur 23 rapports rendus par les commandants de cercle entre 1910 et 1925, 17 contiennent des appréciations exclusivement positives sur l'impartialité, la droiture, l'assiduité et la conscience des juges dahoméens374. Cependant, certains administrateurs

369 ANB, 1M123(6), fonds du Dahomey colonial, lettre du 21 novembre 1923 du chef de Pakou au commandant de cercle de Ouidah.

370 ANB, 1M123(5), fonds du Dahomey colonial, note de service du juge d'instruction RC n°22 du 11 février 1904 au résident de Porto-Novo.

371 ANB, 1M136(2), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le fonctionnement de la justice indigène dans le cercle du Mono pendant le 2ème trimestre 1911.

372 Ibid., rapport sur le fonctionnement de la justice indigène dans le cercle de Savalou pendant le 2ème trimestre 1911.

373 ANB, 1M126(2), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le fonctionnement de la justice indigène dans le cercle de Savalou pendant le 4ème trimestre 1924.

374 Il s'agit des rapports pour certains trimestres de 1910, 1911, 1914, 1924 et 1925. ANB, 1M136(2), 1M126(2), 1M159(5) et 2F32, fonds du Dahomey colonial.

soulignent que les notables locaux n'exercent parfois leurs fonctions qu'à contrecoeur, dans la mesure où elles leur sont imposées. A propos du tribunal de province de Kétou récemment installé en 1911, le commandant de cercle de Zagnanado << ne peut signaler aucun progrès dans l'attitude des notables qui le composent. Choisis d'office parmi les meilleurs, les juges ne cherchent guère à s'intéresser à leurs fonctions et à éclaircir les causes qui leur sont soumises. Ils siègent, avec des figures de condamnés, pour éviter les punitions. Il y a là un état d'esprit qui ne changera que lentement, très lentement >>375.

En fait, l'administration coloniale locale critique souvent sévèrement les premiers juges, dans la mesure où ils ont été non pas sélectionnés par les autorités mais désignés de manière automatique en raison de leurs fonctions politiques. Ainsi l'administrateur du poste de Kandi, dans le nord du Dahomey, estime-t-il que << le vieux roi Chaka, président, ne comprend pas toujours très bien les explications des parties et prononcerait quelquefois des jugements un peu hâtifs si on le laissait à lui-même (...), mais ses fonctions politiques le désignent comme président >>376.

Le pouvoir colonial entend nommer les chefs et les juges qui répondent à ses attentes. Le lieutenant-gouverneur du Dahomey estime en 1927 qu'il << ne voit pas la nécessité de laisser s'établir la tradition de nommer de préférence les chefs indigènes, à quelque titre qu'ils exercent, comme membres des tribunaux indigènes >> :

<< Sans doute ils ne sauraient être écartés, mais j'estime souvent que des notables indigènes, dépourvus de tous autres titres, honorablement connus et estimés des populations, ayant la connaissance approfondie des coutumes locales, paraissent aussi qualifiés que certains chefs indigènes pour faire partie des tribunaux indigènes. >>377

Le gouverneur Reste fixe également la ligne directrice en matière de recrutement des chefs indigènes dans un rapport du 10 août 1930 :

<< Sans rompre brusquement avec les règles traditionnelles de la dévolution coutumière, nous devons nous efforcer de chercher le chef là où il est vraiment. Il convient en certaines circonstances de faire résolument table rase de l'armature traditionnelle quand elle devient défaillante pour lui substituer au besoin un cadre construit de toutes pièces. Je me suis efforcé depuis mon arrivée de ne confier le commandement indigène qu'à des jeunes gens instruits. >>378

En effet, l'occupation européenne ébranle les hiérarchies traditionnelles. Deux facteurs jouent un rôle alors essentiel dans la mobilité sociale : l'argent et l'école379. Les élites nouvelles instruites à l'école du colonisateur se révèlent mieux adaptées aux

375 ANB, 1M136(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du 1er juillet 1911 n°155 du commandant de cercle de Zagnanado.

376 Ibid., rapport de l'administrateur de poste de Kandi pour le 2ème trimestre 1911.

377 ANB, 1M168, fonds du Dahomey colonial, lettre du lieutenant-gouverneur du Dahomey au commandant le cercle de Holli-Kétou du 12 mars 1927.

378 CAOM, APC, Papiers Boulmer, FR CAOM 111 APOM 1 et 2.

379 Claude Liauzu, Dictionnaire de la colonisation française, op. cit., article << élites nouvelles >>, p. 268.

fonctions qui leur sont assignées par le pouvoir en place et ce dernier tend à procéder au recrutement de ses auxiliaires en son sein, y compris pour les chefferies. Après avoir écarté les chefs supérieurs les plus récalcitrants380, l'autorité coloniale choisit des chefs de province, de canton et de village et les nomme présidents ou assesseurs des tribunaux indigènes en fonction de leur rang mais surtout de leur docilité à l'administration381.

Les juges dahoméens sont donc appréciés selon ces critères et les administrateurs rapportent ainsi que « les juges tendent de plus en plus au rôle que nous attendons d'eux >>382. Les changements parmi les assesseurs dahoméens sont nombreux jusqu'en 1915-1920, mais ils tendent à se stabiliser par la suite. A titre d'exemple, les assesseurs du tribunal de cercle de Cotonou changent à de multiples reprises entre 1900 et 1924, puis on trouve le même assesseur, Antoine Quenum, de 1924 à 1944. Il en va de même au tribunal de cercle de l'Atacora, où le premier assesseur Malaté se maintient en place de 1924 à 1944, ou encore au tribunal de premier degré de Kouandé où Bania Parapei siège de 1911 à 1937.

La longévité de ces juges est exceptionnelle mais les juges indigènes restent relativement stables dans les années 1920-1930. Les fiches signalétiques de notables assesseurs d'un tribunal de subdivision (Pobé) dressées par l'administration coloniale en 1924 ont pu être consultées et elles permettent de dresser le portrait des assesseurs de ce lieu383. Il s'agit le plus souvent d'hommes relativement âgés (55 ans en moyenne) qui sont nés dans ce lieu. Bien établis, ces assesseurs ont en moyenne deux à trois femmes et un grand nombre d'enfants (5 en moyenne). Ils exercent une fonction de chef de village ou de canton mais vivent essentiellement du produit de leurs cultures. Les chefs et juges sont certes devenus des fonctionnaires de l'administration coloniale, mais ils sont mal payés. Un arrêté local du 19 décembre 1930 réorganisant le commandement indigène au Dahomey prévoit pour les chefs de canton des soldes de 2 600 à 18 000 F mais il n'envisage aucune rémunération pour les chefs de village384. Jean Suret-Canale souligne le caractère parfois modique des rémunérations. Ainsi, dans le nord du Dahomey, la solde du

380 Les chefs supérieurs issus des familles régnantes ne sont maintenus qu'à Porto-Novo, Kandi et Parakou. Sylvain Anignikin, Coffi Belarmin Codo, Léopold Dossou, « Le Dahomey (Bénin) >>, in Catherine CoqueryVidrovitch (sous la direction de), L'Afrique occidentale au temps des Français..., op. cit., p. 390.

381 Les chefs de village sont choisis en fonction des coutumes mais avec l'agrément du commandant de cercle tandis que les chefs de canton sont nommés par le lieutenant-gouverneur de la colonie. Ibid. Les anciens chefs et rois cèdent la place à de simples chefs de canton au Dahomey. John Iliffe, Les Africains. Histoire d'un continent, op. cit., p. 284.

382 ANB, 1M136(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du commandant cercle Savalou 1911, op. cit.

383 ANB, 1M83, fonds du Dahomey colonial.

384 CAOM, APC, Papiers Boulmer, FR CAOM 111 APOM 1 et 2, rapport de l'inspecteur des affaires administratives au sujet des faits reprochés aux chefs de canton de la subdivision d'Athiémé le 16 mars 1932.

chef supérieur de Nikki, héritier des anciens rois Bariba se trouve-t-elle sensiblement inférieure à celle du planton auxiliaire de la subdivision385. Lorsque les notables sont assesseurs, ils reçoivent en outre des indemnités lors de la tenue des séances mais celles-ci restent dérisoires. Elles sont fixées à 1 franc par jour d'audience en 1913 et ont pour objet de dédommager les assesseurs des frais occasionnés par l'exercice de leurs fonctions386.

Leur marge de manoeuvre, de manière générale et plus précisément en matière judiciaire, est très limitée. Les administrateurs coloniaux les contrôlent étroitement et se positionnent comme leurs << éducateurs >> pour leur faire acquérir l'esprit juridique européen. Le commandant de cercle du Borgou écrit en ce sens en 1911 :

<< Ils [les magistrats] ne sont pas encore à même d'apprécier la valeur des délits selon la méthode que nous essayons de leur inculquer et ce ne sera que par une longue pratique qu'ils acquerront un sens juridique auquel ne les avait pas préparés l'emploi des coutumes locales appliquées au règlement de la justice avant notre arrivée dans leur pays. >>387

Ce sentiment est largement partagé dans les différents cercles de la colonie du Dahomey. L'administrateur du poste de Kandi estime, également en 1911, que << les juges (...) ont toujours besoin de la tutelle administrative >>388 et le commandant de cercle de Zagnanado rappelle encore en 1924 que << les juges accomplissent leurs tâches en essayant de se soustraire à toute influence de leur entourage. Malheureusement, ils ont souvent besoin d'être conseillés pour les rappeler à leur devoir qui consiste à juger en toute équité >>389. Le contrôle des administrateurs se trouve d'ailleurs fortement renforcé à partir de 1924, date à partir de laquelle les administrateurs président d'office les tribunaux indigènes.

Un pouvoir judiciaire limité, une position difficile entre population et administration

Le colonisateur, tout en accordant une place particulière aux chefs locaux, ne leur laisse qu'un rôle très limité. Leurs fonctions d'assesseurs judiciaires, consultatives jusqu'en 1931, ne sont même pas mentionnées parmi les attributions essentielles des chefs locaux par un des théoriciens de la colonisation française, le gouverneur général Joost Van Vollenhoven :

<< A la vérité, depuis le régime colonial qui les a domestiqués, les chefs indigènes ne sont plus
investis que d'attributions mineures : ils représentent leur collectivité dans ses rapports avec

385 Jean Suret-Canale, op. cit., p. 409.

386 ANB, JOD 1913, fonds des JO, arrêté du lieutenant-gouverneur du 27 novembre 1912 portant allocation d'indemnités aux membres indigènes des tribunaux de cercle et de subdivision.

387 ANB, 1M136(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du commandant de cercle du Borgou pour le 2ème trimestre 1911.

388 Ibid.

389 ANB, 1M126(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du commandant de cercle de Zagnanado pour le 2ème trimestre 1924.

l'administration supérieure, ils peuvent concilier les parties en matière civile et commerciale, ils aident les chefs de circonscription dans leurs fonctions de police générale et de maintien de l'ordre, ils signalent aux autorités judiciaires les infractions qu'ils constatent, ils renseignent et apportent leur collaboration aux services techniques locaux, ils peuvent requérir les services de leurs administrés en cas de calamité publique, enfin et surtout, ils participent aux opérations de recrutement et ils collectent les impôts. >>390

Le rôle judiciaire qui leur est reconnu est celui de conciliateur et de conseil, mais le pouvoir de décision en matière de justice, notamment sur le plan pénal, revient in fine à l'administrateur. L'administrateur dirige les débats et sollicite surtout les assesseurs pour connaître la coutume applicable. Ces derniers peuvent orienter la décision de justice essentiellement à ce niveau. Comme l'observe Albert Londres lors de son voyage en Afrique au début du XXème siècle, << la justice en brousse n'a pas de palais. Elle n'a pas de juges non plus (...). La justice, c'est le commandant >>391. Des plaintes s'élèvent même lorsqu'un assesseur indigène prend l'ascendant dans un tribunal. Justin Aho, juge indigène au tribunal d'Abomey et chef de canton, est par exemple accusé d'arbitraire et de corruption par certaines personnes, notamment des chefs évincés. Mais l'enquête diligentée estime que Justin Aho Glélé est en réalité essentiellement accusé par certains de s'approprier le rôle de chef normalement dévolu à l'administrateur colonial :

<< Son rôle au tribunal aurait été exorbitant. Mais peut-on affirmer que ses interventions aient tendu à fausser les faits d'une cause, d'une manière à faire condamner un accusé innocent ou à acquitter un accusé coupable ? Une telle manoeuvre aurait été vite découverte et connue de tous et les juges d'Abomey, tous très intelligents, capables d'apprécier les faits et connaissant les coutumes ne se seraient point associés à cette manoeuvre. A cet égard les collègues de Aho continuent à observer la plus grande réserve et ne l'accusent pas de partialité. La principale accusation est la suivante : Justin Aho substituerait son autorité à celle de M. Madern. Pour substituer son autorité à celle de M. Madern, il eut fallu que ce dernier en eût un peu. Or M. Madern n'en a jamais possédé la moindre parcelle. Ce fonctionnaire a plus de 20 ans de service et je crois pouvoir affirmer que sa longue expérience administrative ne l'a pas haussé au dessus de la notion du bordereau d'envoi (...). Les indigènes très observateurs n'ont pas manqué de constater l'insuffisance notoire de ce fonctionnaire président de la juridiction de premier degré et le rôle de M. Justin Aho s'en trouva naturellement amplifié. Il a sur ses collègues du tribunal une supériorité. Il est chef de canton. Il prend souvent la parole, peut-être plus souvent que les autres assesseurs qui tout en se rangeant à ses avis se trouvent humiliés de la part peu importante qu'ils prennent aux débats. La prépondérance de M. Aho est en raison inverse de la personnalité de M. Madern qui n'a aucun prestige, aucune connaissance de la justice indigène. Non que j'incrimine en quoi que ce soit l'intégrité de ce fonctionnaire en tant que juge. Je suis certain qu'il a toujours jugé selon sa conscience, plus ou moins éclairée mais je suis obligé de remarquer que la forme des jugements, leur rédaction, la régularité matérielle de leur transcription, l'observation des formalités réglementaires et l'inquiétude de ne pas s'attirer d'observations de la part des services de contrôle sont pour lui des préoccupations plus graves que le souci de la vérité elle-même. >>392

Ce chef omnipotent à Abomey semble en réalité avoir été un adversaire non seulement de certains chefs locaux mais également du groupe des << évolués >> qui

390 Circulaire du 15 août 1917 citée par Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 102. Voir dictionnaire biographique en annexe 6.

391 Albert Londres, Terre d'ébène, op. cit., p. 89.

392 CAOM, 8G29 (14 Mi 2154), rapport d'enquête à Abomey en 1937.

dénoncent ses exactions dans la presse. Considéré comme un soutien du pouvoir colonial, notamment grâce à son journal, Le Coeur du Dahomey, il se trouve donc protégé par l'administration, qui prend sa défense393.

En fait, les fonctions essentielles des chefs locaux rappelées par le gouverneur général sont les tâches les plus ingrates de collecte d'impôts impopulaires, de réquisition de main d'oeuvre et de recrutement de tirailleurs. Les chefs nommés par le pouvoir colonial en fonction de leur obéissance et qui n'ont plus grand chose à voir avec les anciens chefs, sont souvent non officiellement rémunérés et ne vivent que des ristournes sur l'impôt. Ils sont fréquemment méprisés par les populations, d'autant plus que certains profitent de leur position d'intermédiaires pour imposer à leur profit des contraintes supplémentaires à leurs administrés ou se comportent en despotes locaux. Aussi les chefs de canton sont-ils souvent l'objet de plaintes et d'attaques en justice, à l'instar de Djigbodé Akplogan, poursuivi et jugé à quatre reprises en 1937 pour vol et complicité de vol. Il bénéficie à chaque fois de l'acquittement faute de preuves tandis que deux cultivateurs sont condamnés à trois mois de prison pour faux témoignage contre lui394. La presse dahoméenne s'empare de l'affaire de ce chef de canton jugé indigne de ses fonctions par la population. En effet, ce chef « qui s'était conséquemment surnommé «Kossou Kossou Agbodra» (ce qui signifie termite qui dévore tout, même les rapports que l'on peut établir sur son compte) était devenu pour le canton et les contribuables un véritable fléau. De connivence avec des commandants qu'il soudoyait avec de l'argent, il gérait le canton comme bon lui semblait »395.

Or le tribunal qui l'acquitte à quatre reprises est présidé par un administrateur sous les ordres du commandant de cercle d'Allada. Clément Koudessa Lokossou, dans son travail sur la presse au Dahomey, rapporte que ce chef de canton faisait emprisonner et condamner les journalistes qui l'attaquaient. Le directeur du journal L'écho des cercles, Simon Akindes, se trouve ainsi condamné à la prison par le tribunal de 1er degré d'Allada pour dénonciation calomnieuse contre le chef Djigbodé Akplogan. L'avocat Codjo [ou kojo] Tovalou Houenou396, engagé dans la lutte anti-coloniale, dénonce ce jugement qui lui semble inique. Il adresse des télégrammes au ministère des Colonies par lesquels il proteste

393 Clément Koudessa Lokossou, La presse au Dahomey 1894-1960..., op. cit., pp. 141-142.

394 ANB, 1M177(1), fonds du Dahomey colonial, notice des jugements de septembre 1937, jugements du 21 septembre 1937 n°97 et 98 du tribunal du 1er degré d'Allada pour des affaires de vol remontant à 1933 et 1934 et jugement du 27 septembre 1937 n°104 et 105 du même tribunal.

395 Clément Koudessa Lokossou, La presse au Dahomey 1894-1960..., op. cit., p. 142.

396 Voir dictionnaire biographique en annexe 6.

contre ceux qu'ils jugent les réels coupables, « la brute sanguinaire, l'administrateur Mary, et le chef Djigbodé », en demandant la révision du procès397.

Cette affaire est exemplaire pour témoigner de l'impopularité de chefs corrompus et agissant en complicité avec certains administrateurs. Elle met en relief le problème majeur de la justice indigène qui se trouve placée dans une entière dépendance à l'égard de l'administration coloniale. Par ailleurs, si les chefs locaux sont en situation souvent délicate à l'égard de leurs administrés, leur position envers le pouvoir colonial n'est guère plus enviable. Lorsque leurs fonctions ne semblent pas correctement remplies, ils sont rapidement suspectés, voire emprisonnés en vertu du Code de l'indigénat, tout au moins en ce qui concerne les chefs de village.

Parallèlement aux chefs locaux, la colonisation fait également émerger une nouvelle élite dahoméenne qui a reçu une instruction en français et joue un rôle primordial dans le système judiciaire, à des postes de secrétariat ou d'interprétariat.

Les nouvelles élites instruites, auxiliaires de la justice indigène

En effet, les écrivains-interprètes, souvent issus au Dahomey de familles de négociants en relation avec les Européens, comme les Béraud, les Chagas ou les de Souza, entrent dans les services administratifs installés par le colonisateur. Ils sont indispensables au colonisateur qui ne maîtrise pas les langues locales et ils trouvent dans leurs fonctions un moyen de promotion sociale. Le cas d'Achille Béraud est à ce titre représentatif. Né d'une femme de Porto-Novo et d'un Français, il participe aux expéditions coloniales contre le Danhomè avant de devenir inspecteur puis commissaire de police398. Considéré comme un homme de confiance par les autorités coloniales, on lui confie certaines arrestations délicates comme celle, en 1903, d'un criminel qui était protégé par les habitants du village de Zivié et qui avait réussi à échapper à toutes les poursuites du roi Gigla et du Résident de la province d'Allada399.

Les interprètes sont aussi des intermédiaires incontournables dans les procès. En outre, ils sont les hommes de confiance du commandant de cercle, ce qui leur confère une influence importante. La population s'adresse souvent à eux pour obtenir satisfaction dans

397 Ibid., p. 117.

398 Luc Garcia, Le royaume du Dahomey face à la pénétration coloniale, op. cit., pp. 37-54.

399 ANB, 1M008, fonds du Dahomey colonial, lettre du résident de Porto-Novo au lieutenant-gouverneur du Dahomey le 17 juin 1903.

ses litiges. Le portrait, dressé par Amadou Hampaté Bâ400, de l'interprète profitant de sa situation pour obtenir des avantages de la part des administrés et des plaignants se retrouve dans le Dahomey colonial. En 1909, un interprète est poursuivi pour << avoir créé un tribunal dans lequel il règle toutes les questions avant de les soumettre à l'administrateur ; ce n'est pas pour rien, il faut payer en poulets, en moutons, en argent... [Il] a dit que le Blanc croira tout ce qu'il raconte >>401. Le cas est loin d'être isolé mais lorsque le pouvoir colonial découvre ces malversations, l'interprète ou l'agent administratif (garde de cercle, préposé aux douanes...) est sévèrement réprimé car il porte atteinte à l'autorité même de l'Etat.

Comme les interprètes ou les agents administratifs locaux, << les chefs africains nommés et salariés par l'ordre nouveau, ne détiennent qu'une souveraineté subalterne inféodée aux desiderata des Européens. Sous l'action conjuguée de ces nouvelles règles juridiques et des classes sociales qui les prennent en charge, la colonisation bouleverse en profondeur la loi, le maintien de l'ordre et la résolution des conflits privés >>402. La question de l'application ou de la dénaturation des coutumes par l'ordre colonial est au centre de ces mutations.

4. La question des coutumes au coeur des ambivalences du système judiciaire

Le pouvoir colonial, soucieux de mettre en place une justice spécifique et adaptée aux Africains, érige en principe essentiel l'application des coutumes par les tribunaux indigènes, mais nous avons vu que cette règle est écartée en matière pénale dès que les coutumes sont contraires << aux principes de la civilisation française >> ou lorsqu'un règlement sanctionne une infraction non prévue par la coutume. Les contradictions des autorités coloniales, entre d'une part leur volonté de préserver les << traditions judiciaires >> et d'autre part la mission civilisatrice qui leur impose de guider les autochtones vers << le progrès >> et une justice << éclairée >> selon le modèle européen, sont ici caractéristiques.

Les ambiguïtés du pouvoir colonial

Certains chercheurs, tel Etienne Le Roy, soulignent cette opposition entre justice traditionnelle et justice moderne, entre coutumes et droit européen dans le cadre de la

400 Amadou Hampaté Bâ, L'étrange destin de Wangrin ou les roueries d'un interprète africain, Paris, 10/18, 1973, 378 p. On retrouve des personnages similaires dans le récit autobiographique d'Amadou Hampaté Bâ, Oui mon commandant, Paris, Flammarion, 508 p.

401 William B. Cohen, Rulers of Empire : the French Colonial Service in Africa, Stanford, 1971, cité par John Iliffe, Les Africains. Histoire d'un continent, op. cit., p. 127.

402 Florence Bernault (sous la direction de), Enfermement, prison et châtiments, op. cit., p. 27.

justice coloniale. Des administrateurs des colonies dénonçaient eux-mêmes l'ambiguïté du colonisateur. Ainsi A. Giraud, dans un ouvrage de législation coloniale publié en 1929, estime-t-il qu'<< on veut faire pénétrer dans le droit toutes les dispositions de nos codes qui ne sont pas en opposition formelle avec lui et, d'autre part, on essaie d'adoucir et de transformer les règles qui jurent trop avec nos conceptions. Or c'est là un procédé qui, au fond, manque de loyauté. Quand nous promettons aux indigènes le maintien de leurs coutumes, ce sont ces coutumes elles-mêmes qu'il faut appliquer et non pas une copie plus ou moins dénaturée >>403.

L'historien John Iliffe affirme que les tribunaux ne faisaient qu'appliquer les << ordres et les interdictions qu'ils définissaient eux-mêmes >> ou la coutume définie par les vieux assesseurs indigènes et remodelée à leur avantage404. C'est ce qu'Eric Hobsbawn et Terence Osborn Ranger appellent << l'invention de la tradition >>. Ces << traditions inventées tentent d'établir une continuité [fictive] avec un passé historique approprié >> mais elles se distinguent des coutumes par leur invariabilité405. Le même constat peut être fait dans d'autres colonies, comme l'Inde britannique où << les tribunaux coloniaux, en voulant appliquer aux indigènes leur droit propre, se référaient systématiquement à l'interprétation que leurs assistants brahmanes leur donnaient des traités de droit sanskrit, érigeant par là une jurisprudence brahmanique particulière en norme fixe et applicable à tous les Hindous >>406. En effet, Jacques Pouchepadass souligne que l'Etat colonial, toujours soucieux d'asseoir sa légitimité au sein de la population, cherche à se présenter comme << l'héritier et le gardien de la tradition >>407. Mais il choisit et fait prévaloir au sein des différentes traditions hindoues la tradition savante, ce qui contribue à figer le système des castes dans son acception brahmanique la plus discriminatoire. Le pouvoir colonial, associé à certains groupes de la société colonisée, << invente >> donc avec efficacité la tradition juridique africaine.

Les limites à l'application des coutumes constatées par les administrateurs des colonies dans leur expérience quotidienne méritent d'être mesurées avec les données dont nous disposons sur la justice au Dahomey de 1900 à 1960.

403 Cité par Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 25.

404 John Iliffe, op. cit., pp. 282-283.

405 Eric Hobsbawn, Terence Osborn Ranger, Christine Vivier (sous la direction de), L'invention de la tradition, Paris, Editions Amsterdam, 2006 (1ère éd.1983), 370 p. D'autres auteurs ont étudié ce processus d'invention de la tradition, comme par exemple Sally Falk Moore, Social Facts and Fabrication : Customary Law on Kilimandjaro, 1880-1980, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, 397 p.

406 Jacques Pouchepadass, << L'Inde, le premier siècle colonial >>, in Marc Ferro, Le livre noir du colonialisme, de l'extermination à la repentance, Paris, Robert Laffont, Hachette Littératures, 2004, pp. 388-389.

407 Ibid., p. 389.

Une faible application des coutumes dans le Dahomey colonial

Nous avons vu que, théoriquement, les coutumes doivent toujours être appliquées dans les litiges civils et commerciaux, contrairement aux affaires pénales. Pourtant, même en ces matières, et notamment dans le domaine sensible de la famille, l'administration coloniale intervient, par une circulaire, pour éliminer du mariage indigène « les règles coutumières anachroniques ou choquantes se rattachant aux unions encore conclues contre

le gré des intéressés et plus particulièrement de la femme >>408 Cette circulaire vise

notamment la coutume du lévirat qui oblige le frère du décédé à épouser sa veuve ; elle

entend faire prévaloir le libre consentement au mariage.

Dans le domaine pénal qui nous intéresse plus spécifiquement, les coutumes ne s'appliquent pas de manière systématique. Sur 982 affaires pénales analysées, la référence à la coutume ou à une réglementation coloniale n'est mentionnée que dans 371 cas409. Sur ces 371 affaires, le tribunal concerné n'a fait application de la coutume que dans 37% des cas (136 affaires). Pour ces affaires, la coutume n'est en réalité respectée que dans la mesure où elle est conforme à la législation française, c'est-à-dire qu'elle prévoit une sanction identique, comme l'emprisonnement et/ou l'amende ou l'acquittement faute de preuves410. Dans 37% des cas (137 affaires), le tribunal sanctionne une infraction réprimée par la réglementation de l'autorité coloniale et non par la coutume411. Enfin, la coutume n'est pas appliquée car elle est contraire aux « principes de la civilisation française >> dans 26% des cas (98 affaires).

La coutume est le plus souvent écartée (dans 85% de ces cas, soit 83/98) parce que la sanction prévue est jugée trop sévère et contraire aux principes judiciaires ou législatifs français qui se sont imposés depuis la fin du XVIIIème siècle. Il s'agit des cas où la coutume punit les infractions de châtiments corporels ou de la vente du condamné en tant qu'esclave. La coutume n'est pas appliquée dans les autres cas (15/98), soit parce que la

408 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire du gouverneur général de l'AOF du 7 mai 1937 n°290/AP/2.

409 Nous avons dépouillé 982 affaires qui concernent 1663 prévenus. Sur la question de l'application des coutumes ou d'une réglementation coloniale, nous disposons d'informations sur 371 affaires, soit 38% des cas. L'absence de référence à la coutume dans 62% des cas est contraire à la réglementation.

410 Nous n'avons trouvé que deux cas où le tribunal applique la coutume à une infraction sanctionnée différemment par la législation française (notamment dans une affaire de coups et blessures entre deux femmes, le tribunal applique la compensation pécuniaire du préjudice en se référant uniquement à la coutume).

411 Il s'agit notamment des infractions relative aux armes et munitions (32% de ces affaires, soit 43 cas/137 portent sur la vente, le port illégal, ou le trafic d'armes ou de munitions) ou à la fabrication, détention et circulation des alcools de traite (32% des affaires). Les autres affaires concernent les délits douaniers (10% des cas), le vagabondage (5%), les entraves au recrutement (5%), les évasions (2%) ou autres atteintes à l'autorité de l'Etat (faux renseignements à l'administration, injures à l'autorité, etc.).

sanction prévue apparaît trop faible au regard de la gravité des faits412, soit au contraire parce que le tribunal ne juge même pas nécessaire de retenir la compensation pécuniaire coutumière. Globalement, les coutumes sont appliquées de manière très inégale d'un cercle à l'autre ; cette différence observée est statistiquement significative (p< 0,01). Certains cercles n'appliquent pratiquement jamais les coutumes (notamment ceux de Cotonou et Natitingou), tandis que d'autres, comme Allada, les appliquent nettement plus souvent413. De fait, les coutumes sont trois fois plus souvent appliquées par les tribunaux du sud du Dahomey (42%) que par ceux du nord (15%, p< 0,01)414. La sévérité des peines prévues par les coutumes Bariba et Somba du nord peut expliquer ce constat, dans la mesure où ces peines, telles que la fustigation ou la vente comme esclave ne peuvent être appliquées car elles sont jugées contraires aux principes de la civilisation française. Surtout, les administrateurs sont plus nombreux dans le sud ; ils peuvent donc exercer un contrôle plus étroit sur la norme à appliquer dans les jugements répressifs. Le contact avec les Européens est plus ancien et la coutume a déjà évolué avant la conquête coloniale, dans le sens d'un rapprochement avec la sanction européenne, notamment l'emprisonnement. Enfin, la présence plus forte de l'administration coloniale dans le sud du pays peut conduire les assesseurs à « réinventer » la tradition dans le sens souhaité par les présidents métropolitains des juridictions indigènes.

Bien que les lieutenants-gouverneurs rappellent la nécessité de motiver les sentences en s'appuyant sur les coutumes415, certains administrateurs en arrivent à s'interroger sur la nécessité ou non de faire référence à la coutume dans les jugements. Le chef de la subdivision de Parakou demande en 1924 des éclaircissements sur ce point au lieutenant-gouverneur du Dahomey. Il rappelle les demandes du procureur général aux administrateurs de toujours mentionner la coutume. Mais il souligne la contradiction entre cette injonction et la déclaration du gouverneur général lors de la session du conseil du

412 La coutume prévoit une compensation pécuniaire du préjudice causé mais le pouvoir colonial estime que cette sanction est trop légère et il lui substitue la peine d'emprisonnement.

413 Ainsi les juridictions de Cotonou font-elles application des coutumes dans seulement 6% des cas tandis que les tribunaux du cercle d'Allada se fondent sur les coutumes dans 71% des cas.

414 Nous avons retenu comme limite géographique entre le Dahomey sud très peuplé et le Dahomey nord la ligne passant au-dessus du cercle de Zagnanado. Le sud comprend donc les cercles de Porto-Novo, de Cotonou, d'Allada, de Ouidah, du Mono, d'Abomey, de Zagnanado et de Holli-Kétou. Le nord comprend les cercles de Savalou, du Borgou, du Djougou, de Natitingou (ou Atacora) et du Moyen Niger. L'année 1932 a été retenue comme référence pour les limites des cercles.

415 ANB, 2M137, fonds du Dahomey colonial, circulaire du lieutenant-gouverneur Fourn n°1543 du 9 octobre 1917 au sujet de l'établissement des états de jugements. Dans cette circulaire, le lieutenantgouverneur observe que « certaines sentences n'étaient pas motivées d'une façon précise et que les références à la coutume du pays sont presque toujours trop brèves et parfois même inexistantes » et il insiste pour que ces indications soient mentionnées dans les états mensuels des jugements qui lui sont adressés.

gouvernement : << Puisque l'expérience a prouvé que la coutume ne pouvait pas être appliquée, il vaut mieux n'en pas parler et s'en tenir aux peines applicables >>416. La cour d'appel d'AOF précise par ailleurs dans un arrêt du 15 mai 1934 que si le tribunal doit respecter la coutume, en ce sens que l'infraction doit être poursuivie et sanctionnée par la coutume et que cette coutume doit être rappelée dans le jugement, le tribunal reste libre d'appliquer toute sanction prévue dans la réglementation de 1931, qui lui << paraît le mieux en rapport avec l'importance du délit >>, même si elle n'est pas prévue par la coutume417. Le rappel de la coutume n'est donc que de pure forme puisque les administrateurs présidant les juridictions indigènes sont libres de ne pas retenir la sanction coutumière, fût-elle conforme aux << principes de civilisation française >>.

Les administrateurs des colonies sont dans les faits imprégnés du modèle juridique européen qui leur apparaît souvent comme le seul valable et pour lequel les coutumes sont des règles archaïques, arbitraires et violentes. Le jugement sur les coutumes exprimé par l'abbé Bouche, missionnaire sur la côte des esclaves à la fin du XIXème siècle, reflète largement la pensée occidentale sur la loi et la justice :

<< On aurait tort de croire que les coutumes définissent ou expliquent les prescriptions de la loi naturelle. Elles se basent non sur le droit et la justice mais sur des décisions arbitraires antérieures (...). La perfection de la loi consiste à ne rien laisser à l'arbitraire du juge ; cette perfection ne saurait convenir à la coutume, qui laisse toutes portes ouvertes au caprice du juge. >>418

Par ailleurs, les administrateurs ont du mal à faire respecter une coutume qu'ils ne connaissent pas ou mal, et dont ils ne saisissent généralement pas la portée ; la fréquente absence de maîtrise des multiples langues locales rend plus difficile encore l'exercice. Ils sont obligés de s'appuyer sur les notables locaux chargés de << dire la coutume >>, mais qui peuvent aussi manipuler cette dernière selon leurs intérêts et leur souci d'entrer dans les vues du colonisateur. La coutume d'un groupe n'est pas publiée ni connue ; elle peut être différemment conçue selon les lieux, les notables et les périodes. L'exemple de la coutume fon, ethnie majoritaire au Dahomey, est significatif. Son contenu est différemment interprété selon les tribunaux. Par exemple, le tribunal criminel de Cotonou affirme en 1939 que la coutume fon punit le vol à main armée de l'emprisonnement et de la flagellation, tandis que le tribunal criminel d'Abomey en 1936 estime que la même

416 ANB, 1M126(2), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le fonctionnement de la justice indigène pour le 4ème trimestre 1924 du chef de subdivision de Parakou Bidaine (cercle du Borgou).

417 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, extrait des minutes des greffes de la cour d'appel de l'AOF, chambre d'annulation, audience du 15 mai 1934, affaire Gourza.

418 L'abbé Bouche, La côte des esclaves et le Dahomey, Paris, Plon, 1885, p. 172.

coutume sanctionne cette infraction de l'emprisonnement et de dommages et intérêts419. Des exemples similaires peuvent être donnés pour de nombreux autres délits, depuis le vol simple jusqu'au viol ou au meurtre.

Etienne Le Roy souligne la différence entre les coutumes, mouvantes, et le droit coutumier produit dans le cadre des tribunaux ou écrit dans les coutumiers. Selon lui, le droit coutumier « est une production normative distincte de la coutume africaine : il s'inscrit dans un «entre-deux», celui que la situation coloniale autorise, entre loi et coutume, non comme un espace de liberté mais comme un facteur de domination. L'objectif en reconnaissant la coutume comme droit coutumier n'est pas d'assurer le développement endogène du droit indigène, mais de provoquer son déclin et de la faire disparaître au plus vite. Seule une culture de la loi, pense-t-on, peut présider au développement économique et social >>420.

La justice répressive, malgré un principe affiché d'application des coutumes, reste dictée par les principes judiciaires et moraux de l'autorité coloniale, y compris dans les modalités d'exécution des peines. Les coutumes locales doivent plier devant la volonté du colonisateur, comme après cette exécution capitale où « la coutume voulait que le corps ne fut pas enterré mais exposé à l'extrémité de la ville, sur le lieu même où le criminel avait accompli ses forfaits. L'administrateur a fait comprendre aux indigènes que cette coutume ne pouvait plus être appliquée et il a fait procéder lui-même à l'inhumation du corps du fusillé, près du poteau d'exécution, où un fossé avait été creusé >>421.

La tendance française à imposer le modèle juridique européen à la justice indigène à tous les niveaux du procès semble moins forte dans les colonies britanniques. Selon le principe de l'Indirect Rule britannique, les autorités coloniales ne sont pas censées intervenir dans le fonctionnement de la justice indigène. Mais l'administration indirecte porte également atteinte aux modalités d'exercice de l'autorité et David Killingray démontre que les chefs locaux doivent eux aussi écarter les sanctions pénales jugées incompatibles avec les lois européennes, telles que les mutilations ou la lapidation422. Le principe affiché par les autorités coloniales d'une justice respectueuse des chefferies traditionnelles et des coutumes se trouve donc contredit par la domination des

419 ANB, 1M159(2) et 1M030(1), fonds du Dahomey colonial, notice des jugements du tribunal criminel de Cotonou au 2ème trimestre 1939 et d'Abomey en novembre 1936, jugements du 11 mai 1939 n°7 et du 24 novembre 1936 n°7.

420 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 114.

421 ANB, 1M123(8), fonds du Dahomey colonial, rapport sur l'exécution de Fagbité du 16 mai 1912, op. cit.

422 Cité par Florence Bernault (sous la direction de), Enfermement, prison et châtiments, op. cit., p. 27.

administrateurs et la prévalence de la législation coloniale française dans le fonctionnement de la justice indigène.

Il s'agit en effet de concilier l'objectif d'orienter les coutumes indigènes vers le modèle européen jugé supérieur et l'impératif d'une domination coloniale acceptée par les populations, et faisant donc cas des coutumes indigènes. Emmanuelle Saada précise en ce sens que « les juristes ont essayé d'atténuer la tension entre l'objectif de la mission civilisatrice et les impératifs d'une domination qui réinvestit la légitimité de la coutume en proposant de promulguer les seuls éléments du droit métropolitain, «nécessaires pour que l'Etat colonisateur impose aux indigènes son autorité et les soumette à son action gouvernementale», tout en maintenant une large partie des institutions juridiques indigènes »423.

Les autorités coloniales se montrent par ailleurs attachées au respect des procédures et des droits des parties. Mais comment ces principes sont-ils concrètement appliqués dans un contexte de domination coloniale ?

5. Un souci de respect des formes et des droits : un non-sens dans le contexte colonial ?

Plusieurs exemples soulignent que si les formes peuvent être respectées, le contenu des droits réellement reconnus aux prévenus est peu consistant. Le lieutenant-gouverneur rappelle souvent les règles de procédure qui ont été violés par les administrateurs, comme celles relatives au droit d'appel qui ne peut être exercé par les chefs de cercle ou de subdivision424. Il recommande également que le ministère public présente un pourvoi dans l'intérêt des condamnés lorsqu'un tribunal ne lui semble pas avoir établi la responsabilité des prévenus425 ; il se montre donc soucieux de présenter une justice respectueuse des formes et des droits des indigènes poursuivis.

Parmi les procédures auxquelles le pouvoir colonial attache une importance particulière, le mandat de dépôt des prévenus tient une place essentielle. Cet intérêt se manifeste très rapidement après la conquête coloniale. Dès 1902, le ministre des Colonies, Gaston Doumergue, adresse au gouverneur du Dahomey une circulaire imposant de limiter strictement le recours et la durée de la préventive :

423 Emmanuelle Saada, « Citoyens et sujets de l'Empire français..., op. cit., p. 15.

424 ANB, 1M159(5), fonds du Dahomey colonial, remarques du lieutenant-gouverneur sur les jugements rendus, 1910.

425 Ibid., rapport du lieutenant-gouverneur sur le fonctionnement de la justice indigène au Dahomey pour juillet 1914.

<< Mon attention a été appelée sur le fait que, lorsqu'un indigène est inculpé d'un crime ou d'un délit relevant de la justice indigène, il est retenu en prison pendant un temps plus ou moins long, au gré de l'administrateur, sans qu'aucune garantie lui soit accordée, sans qu'il soit même tenu un registre des arrestations opérées. Cette manière de procéder, outre qu'elle n'est pas conforme à votre législation, ne s'accorde pas très bien non plus avec les idées de civilisation et le bon renom de la France. J'ai l'honneur de vous faire savoir, en conséquence, qu'il y a lieu de prendre les mesures nécessaires pour que aussitôt arrêté, l'indigène soit soumis dans un délai n'excédant pas 8 jours au conseil des notables ou au tribunal indigène qui doit prononcer la sentence. La prévention ne devrait en aucun cas, sauf des circonstances exceptionnelles, être supérieure à ce délai. Les registres devront être tenus par les administrateurs, mentionnant les arrestations, avec le motif et la date, les décisions du conseil des notables et les mesures prises en vue de leur exécution. >>426

La réglementation sur la prison préventive répond au double souci de limiter la détention préventive et d'appliquer une procédure équitable aux prévenus. Le décret du 3 décembre 1931 prévoit en effet que le mandat ne peut être délivré que par le commandant de cercle après l'interrogatoire du prévenu par le président du tribunal concerné. Le gouverneur général rappelle en 1935 cette prescription dont << l'application a donné lieu à des critiques, notamment par la mission d'inspection >>427. L'affaire doit ensuite être jugée dans les 15 jours qui suivent la date de mise en dépôt pour que << la détention (...) soit réduite au minimum strictement exigé pour la mise en état de la procédure >>428.

La durée du mandat de dépôt est connue pour 1 018 parmi les 1 663 prévenus dont nous avons analysé les données. Le délai entre le mandat de dépôt et le jugement n'excède pas la durée réglementaire dans 83% des cas (840/1 018). La justice indigène est donc rendue rapidement, conformément aux voeux des autorités coloniales. Les délais sont bien sûr allongés pour les affaires criminelles, compte tenu du temps imparti à l'instruction préalable429. Le respect de cette procédure varie cependant de manière statistiquement significative selon les cercles (p< 0,01). Certains tribunaux jugent presque toujours dans les délais réglementaires (Allada, Zagnanado, les tribunaux du nord du Dahomey à l'exception de ceux du Borgou), tandis que d'autres dépassent plus fréquemment le délai imposé entre la date du dépôt et le jour du jugement. Ce sont principalement les juridictions des cercles de Cotonou, Ouidah et Porto-Novo qui ne respectent pas cette procédure, dans respectivement 39, 32 et 22% des cas. Plus globalement, les tribunaux du sud du Dahomey n'appliquent pas le délai trois fois plus souvent que ceux du nord (16% contre 5%).

426 ANB, JOD 1902, fonds des JO, circulaire du 22 août 1902 sur les crimes et délits commis par les indigènes du ministre des Colonies au gouverneur du Dahomey.

427 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire du 30 avril 1935 (n°171).

428 Ibid. Le tribunal peut cependant renvoyer l'affaire au maximum à la quinzaine suivante par un jugement qui statue obligatoirement sur le maintien du mandat de dépôt.

429 Le délai réglementaire entre le mandat de dépôt et le jour du jugement n'est pas respecté dans 55% des affaires criminelles (56/102) contre seulement 9% dans les affaires correctionnelles (84/916).

Les juridictions du sud sont implantées dans des cercles plus peuplés que ceux du nord ; elles sont donc davantage sollicitées par la population et les autorités coloniales430. Les tribunaux en charge de nombreux dossiers rencontrent donc plus de difficultés pour juger les prévenus dans les 15 jours qui suivent leur mandat de dépôt. Par ailleurs, le respect de ce délai augmente significativement dans le temps (p< 0,01). Avant 1930, 52% des prévenus ne sont pas jugés dans les 15 jours qui suivent leur détention préventive. Il n'y en a plus que 12% entre 1930 et 1940, ce qui peut être en lien avec le contrôle plus étroit exercé par les autorités coloniales sur la justice indigène.

Le pouvoir colonial affiche également sa volonté de garantir les droits des prévenus au cours de la procédure. Mais il ne reconnaît aux indigènes le droit de se faire assister d'un défenseur autre qu'un parent ou notable que devant le tribunal criminel. Encore ne s'agit-il pas d'avocats professionnels, mais de fonctionnaires ou d'agents européens qui n'ont souvent aucune connaissance juridique. Il peut par exemple s'agir du responsable du secteur médical ou d'un préposé des douanes. Ces derniers doivent théoriquement être désignés cinq jours avant l'audience mais, dans les faits, les prévenus découvrent leur défenseur le jour même de l'audience431. Par ailleurs, ces << apprentis avocats » sont chargés au cours d'une même audience de défendre des prévenus impliqués dans des affaires très différentes, passant d'un viol à un vol à main armée432. Dans ces conditions, le droit pour les Dahoméens de recourir à un défenseur reste relativement fictif. Cette situation est critiquée dans le texte adressé au ministre des Colonies Marius Moutet :

<< [Le] décret [du 3 décembre 1931] n'admet, et cela en cas de crime seulement, que l'assistance par un fonctionnaire européen, non avocat. C'est l'article 53. Mais on doit noter que ce fonctionnaire n'est même pas choisi par l'accusé ; il lui est désigné d'office par le président du tribunal. Enfin il faut ajouter que cette désignation n'est même pas obligatoire ; encore faut-il que le président de la juridiction y consente. »433

La liberté de conscience est également un droit affirmé par le colonisateur au bénéfice des Dahoméens. En effet, dans son rapport sur l'exécution d'un condamné à mort, le commandant de cercle rapporte que << M. Vallée, Père des Missions africaines de Lyon, avait demandé la veille au soir de passer la nuit auprès du condamné pour essayer de le convertir à la religion catholique et lui assurer une bonne mort. L'administrateur a

430 Sur les 1 018 prévenus mentionnés, 868 (85%) ont été jugés par des juridictions du sud Dahomey.

431 ANB, 1M159(2), fonds du Dahomey colonial, notice des jugements des tribunaux criminels, 1939.

432 ANB, 1M030(1), fonds du Dahomey colonial, notice des jugements du tribunal criminel d'Abomey, novembre 1936.

433 CAOM, FR CAOM 28 PA 1, Texte imprimé << Pour une réforme complète de la justice indigène. Le décret du 3 décembre 1931 sur la justice indigène en AOF », auteur anonyme, SD, op. cit.

considéré que ce serait infliger inutilement au prisonnier une torture morale de longue durée et il a décidé de n'accorder à M. Vallée qu'un entretien avec le criminel >>434.

Le gouverneur général par intérim de l'AOF Clozel, qualifiant l'acte du missionnaire de << propagande catholique >>, réplique que << l'intervention au moment de l'exécution d'un condamné d'un prêtre étranger à son culte constitue une atteinte évidente aux droits de conscience dont nous nous sommes faits une loi de garantir, dans la mesure compatible avec l'ordre public, l'entière liberté de chacun de nos sujets >>435.

Ces propos marquent certes l'attachement des autorités coloniales au respect de certains droits des condamnés, mais ils reflètent plus encore les luttes entre les missionnaires catholiques et l'administration dans la société coloniale, dans un contexte radical et anti-clérical fort. Cependant, si la promulgation de la loi de 1905 consacrant la séparation de l'Eglise et de l'Etat secoua fortement la France, Côme Kinata estime que << l'ouragan ne souffla pas avec la même violence dans les colonies >>, où << il n'y a pas eu de persécution pure et dure mais seulement une attitude hostile de certaines individualités contre les ecclésiastiques >>436.

L'affirmation incessante du pouvoir colonial de garantir les procédures judiciaires au bénéfice des populations souligne également les fréquentes violations de ces règles par les administrateurs omnipotents. La justice indigène, dominée par les administrateurs, répond aux intérêts et aux valeurs de l'ordre colonial avant de servir ceux des populations dahoméennes. La suppression de la justice indigène en 1945 suscite donc de nombreuses résistances au sein du milieu colonial, et notamment parmi les administrateurs des colonies. Ceux-ci perdent en effet un pouvoir important, le pouvoir judiciaire, au bénéfice d'une autre figure de l'ordre colonial : le magistrat.

6. Les résistances au changement dans le milieu colonial après 1945

Les changements intervenus au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sont souvent perçus comme autant de menaces par l'administration coloniale. En 1944, lors de la rencontre d'une cinquantaine de << broussards >> à Alger, le sentiment prédominant parmi eux est, selon Robert Cornevin, que les principes de la conférence de Brazzaville sont essentiellement destinés à rassurer les Américains mais qu'ils restent sans effets dans << la

434 ANB, 1M123(8), fonds du Dahomey colonial, rapport du 16 mai 1912.

435 Ibid., lettre du 5 juillet 1912 au lieutenant-gouverneur du Dahomey.

436 Côme Kinata, << Les administrateurs et les missionnaires face aux coutumes au Congo français >>, Cahiers d'études africaines, XLIV (3), 175, 2004, pp. 593-607.

brousse >>. Catherine Akpo-Vaché estime que << ce refus de prendre en compte la nouvelle donne fut un trait commun à beaucoup d'Européens en AOF >>437.

Or, dans cette nouvelle donne, les réformes qui suppriment le Code de l'indigénat puis la justice indigène tiennent une place particulière. Portant atteinte aux pouvoirs essentiels des administrateurs coloniaux, elles sont particulièrement mal ressenties.

Un sentiment de perte de pouvoir par les administrateurs

Les futurs administrateurs des colonies critiquent fortement la nouvelle organisation judiciaire. Leurs griefs portent non seulement sur les carences de personnel et de matériel pour faire face à la réforme, mais plus encore sur l'inadéquation de la justice française à l'<< état d'esprit indigène >> et sur la perte d'un moyen de pression important pour l'administrateur des colonies, qui perd ainsi sa toute-puissance.

Les administrateurs soulignent tout d'abord le nombre insuffisant de magistrats coloniaux pour siéger dans les nouvelles juridictions françaises et le recours à des citoyens, notamment parmi les stagiaires et les administrateurs des colonies, pour pallier le manque de personnel judiciaire professionnel :

<< On s'efforça en principe de désigner à ces fonctions des gens licenciés en droit ou ayant au moins quelques connaissances juridiques. Mais on pourrait citer des juges n'ayant jamais ouvert un livre de droit ni mis les pieds dans une faculté. De plus, ces délégations furent faites la plupart du temps d'office, sans nullement consulter l'intéressé qui ne cacha pas qu'il n'appréciait point cette manière de faire et prit son service sans goût. >>438

L'absence d'organisation matérielle des nouvelles juridictions est également dénoncée par l'administration coloniale : << On cite à plaisir les tribunaux installés dans des hangars branlants ou sous les préaux des écoles, les magistrats sans bibliothèque ni moyens de transport >>439.

Certains avantages sont cependant reconnus à ce nouveau système, notamment la plus grande indépendance des juges répressifs par rapport au pouvoir politique et la qualification d'un personnel judiciaire de carrière qui permet d'écarter tout soupçon de partialité. Un administrateur stagiaire estime également, dans un souci de légitimation de l'administration, que la justice française a su inspirer une << crainte salutaire aux délinquants >> pour deux raisons :

<< [Tout d'abord], après les grandes réformes politiques, réformes brusquées qui furent accueillies avec étonnement ou satisfaction par l'ensemble de la population, un certain nombre, guidé en cela par une propagande démagogique, s'est imaginé que l'ère de la liberté totale était arrivée et que chacun pourrait agir à sa guise, sans aucune entrave. On s'est aperçu assez rapidement que les tribunaux français mettaient aussi bien en prison que les autres et disposent des mêmes moyens pour

437 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre mondiale, op. cit., p. 227.

438 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en AOF, op. cit.

439 Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, op. cit.

rechercher et punir les coupables. Parfois même, ils sont plus sévères dans l'application de la loi. Une autre raison est sans doute dans le caractère nouveau de ces juridictions : une procédure, un peu différente et plus solennelle, une loi et des méthodes avec lesquelles on n'est pas encore familiarisés, un juge que l'on connaît moins bien que le «commandant». »440

Mais ces avantages concédés par les administrateurs au nouveau système ne prévalent pas sur les critiques formulées. Il est ainsi affirmé que la justice française est << lente et délocalisée », tandis que la justice indigène était << rapide et efficace » : << Les condamnations sont donc rendues avec retard et loin de l'infraction, ce qui est en désaccord avec les conditions psychologiques et humaines locales »441. Certains administrateurs n'hésitent pas alors à indiquer que << les indigènes dans la plupart des cas, ont regretté la justice sommaire mais rapide rendue par les officiers et les administrateurs »442.

Pour les administrateurs stagiaires, l'intérêt de cette réforme judiciaire reste inaccessible aux populations, alors même que le code pénal sur lequel se fonde la justice répressive française est inadapté aux faits répréhensibles aux yeux des justiciables africains :

<< Il ne faut pas exagérer l'ampleur de ces avantages (...). La grande majorité des indigènes est incapable d'en apprécier la portée et est loin d'avoir atteint la maturité qu'avait le peuple français au moment où il bénéficia de semblables réformes. (...) Le plus ennuyeux pour le magistrat est de se trouver devant certains faits que la conscience indigène réprouve et qu'elle était accoutumée à voir punir, tandis que la loi française ne prévoit pour eux aucune sanction pénale (...). L'escroquerie au mariage est ainsi un délit fréquent et bien caractérisé qu'il est parfois difficile de sanctionner par l'article 405 du code pénal. »443

Surtout, les futurs administrateurs estiment que les populations africaines ne comprennent pas la distinction qui est désormais faite entre les fonctions de l'administrateur et les fonctions judiciaires du magistrat. Ainsi Yves Pravaz, administrateur stagiaire au Dahomey en 1945-1946 précise-t-il que << pour le brave cultivateur, c'est toujours le Blanc qui rend la justice ; il saisit difficilement la différence entre administrateur et magistrat »444. Les administrateurs estiment que le principe de séparation des pouvoirs n'a aucun sens dans la conception de l'autorité en Afrique :

<< Encore si les indigènes appréciaient cette séparation des autorités administratives et judiciaires. Mais à leurs yeux, c'est une chinoiserie pure, un émiettement incompréhensible du pouvoir. L'indigène est un simpliste. Il ne comprend pas que celui-là qui commande ne puisse pas réprimer. »445

440 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en AOF, op. cit.

441 Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, op. cit.

442 Claude Deschamps, Les attributions judiciaires des administrateurs en Afrique Noire, op. cit.

443 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en AOF, op. cit.

444 Ibid.

445 Claude Deschamps, op. cit.

Un autre administrateur stagiaire, Deschanel, rappelle en ce sens les propos de Maître Maurice Rolland, avocat général près de la cour d'appel de Paris après 1945, sur l'intérêt de maintenir une justice indigène distincte de la justice française :

<< Pour le barbare, la justice est l'attribut essentiel de la souveraineté ; il ne peut concevoir l'idée de séparation des pouvoirs, il conviendrait donc que le représentant de l'autorité, l'administrateur, reste investi de la puissance judiciaire exercée avec l'assistance de conseillers indigènes. »446

La critique essentielle des administrateurs, au-delà de l'abandon de l'assessorat indigène également évoqué, réside dans la suppression de leurs pouvoirs judiciaires, part importante de leur prestige et de leur autorité sur la population :

<< On peut aussi dire que le nouveau système porte préjudice à l'autorité des administrateurs et de tous les chefs de circonscription au profit des magistrats. Ce fait est en premier lieu la conséquence d'une propagande et de critiques adressées parfois presque officiellement aux cadres de commandement. Ceux-ci ne disposent plus de cet instrument extrêmement commode qu'était le régime de l'indigénat ; enfin ce ne sont plus eux qui châtient les coupables au tribunal. »447

La lecture des mémoires de l'ENFOM après 1945 consacrés à ce thème fait ressortir dans la majorité des cas un sentiment de perte de pouvoir ressenti par les administrateurs, alors même qu'ils se considèrent les mieux armés pour rendre une justice adaptée aux populations locales :

<< L'aptitude de l'administrateur qui vit perpétuellement en contact avec la population, a pénétré intimement les coutumes et l'âme indigène, paraît plus grande que celle du magistrat qui prisonnier d'une formation souvent strictement métropolitaine se réfugie derrière les principes de la procédure et aura tendance à considérer le cas africain musulman ou malgache par derrière le rempart factice de ses codes. »448

Si l'administrateur des colonies se trouve dépossédé de la justice pénale, il peut encore intervenir grâce à son pouvoir de conciliation, comme le rappelle un ancien chef de subdivision en Haute-Volta :

<< Si l'administrateur n'avait plus de pouvoirs de justice proprement dits, il pratiquait la conciliation,
y compris quand il y avait du sang, mais avant qu'il n'y ait mort d'homme, [il s'agissait] de se réunir

446 Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, op. cit. Maître Maurice Rolland est avocat général à la cour d'appel de Paris. Cette citation n'est pas datée dans le Mémoire de Deschanel mais elle est prononcée par Maître Rolland au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, entre 1945 et 1955. En effet Maurice Rolland (1904-1988), né en 1904 à Montauban, entre dans la magistrature en 1927. Substitut à Laon en 1930, à Corbeil en 1931, puis procureur de la République à Provins en 1939, il est nommé substitut du procureur de la République à Paris en 1940. Résistant, il dirige en 1942 un service de renseignement rattaché au réseau << Samson » et gagne l'Angleterre en 1944 avant de se rendre à Alger. Après la guerre, Maurice Rolland est nommé substitut du procureur près la Cour d'appel de Paris puis Avocat général. En 1955, il est nommé conseiller à la cour de cassation et devient en 1964 président de la chambre correctionnelle de la cour de cassation jusqu'en septembre 1974. Source : http :// www.ordredelaliberation.fr/fr_compagnon/852.html (site consulté le 14 mai 2008)

447 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en AOF, op. cit.

448 Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, op. cit.

pour décortiquer les causes du conflit et décider de l'arrêter moyennant les compensations coutumières, car tout était apprécié en fonction des coutumes locales. >>449

Les administrateurs, compte tenu des critiques formulées contre la justice française et le manque de légitimité du magistrat de carrière, mettent alors en avant le risque que << certaines affaires ne se règlent plus devant le tribunal mais «en famille» ou devant le chef de canton >> :

<< Il ne faut pas trop négliger ce fait qui peut avoir des conséquences graves au moment où l'autorité des chefs indigènes a beaucoup à souffrir des réformes démocratiques ; la loi ne sanctionne plus l'opposition à l'autorité des chefs. Il leur est donc difficile d'exercer leurs pouvoirs de police et il est à craindre que leurs administrés, éloignés du tribunal, n'aient tendance à se faire justice eux-mêmes, d'où des coups de coupe-coupe. >>450

En 1952-1953, l'administrateur stagiaire Deschanel se fait également l'écho de cette crainte d'éloignement des populations à l'égard de la justice officielle, en déclarant qu'<< on note un regain à l'égard des arbitres clandestins ou occultes : les sorciers, les fétiches, les jugements d'ordalies, quand ce n'est pas le retour à la loi du talion ou à la guerre des clans. En Côte d'Ivoire, des tribunaux clandestins appliqueraient des peines corporelles allant jusqu'à la mutilation >>451.

Ces critiques formulées par les administrateurs des colonies, qui monopolisaient jusque-là l'ensemble des pouvoirs dans leur circonscription, sont donc liées à l'émergence d'un personnage au rôle croissant dans l'ordre colonial : le magistrat. Mais la perception que le magistrat colonial développe de son rôle et de sa position présente de nombreux points communs avec celle de l'administrateur dans le cadre de l'ancienne justice indigène.

Les magistrats coloniaux face au miroir

Le magistrat reprend à son compte le sentiment de toute-puissance offert par l'exercice du pouvoir judiciaire dans les colonies et autrefois détenu par l'administrateur. Dans son livre sur Le métier de magistrat, François Romerio rapporte << la sensation terrible, mais quand on la maîtrise singulièrement formatrice (...) d'«être» un homme qui décide, sous son entière responsabilité, de la liberté et de la fortune de ses semblables >>452. Certains magistrats soulignent également, comme les administrateurs, l'inadaptation du code pénal français à certaines situations dans les colonies :

449 Marcel Dolmaire, << Les activités d'un administrateur de France d'Outre-Mer en Haute-Volta (Pays Lobi) entre 1953 et 1957, in Gabriel Massa, Y. Georges Madiega, La Haute-Volta coloniale, Témoignages, recherches, regards, Paris, Karthala, 1995, p. 106.

450 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en AOF, op. cit.

451 Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, op. cit.

452 François Romerio, Le métier de magistrat, Paris, Edition France Empire, 1977, p. 82. Cité par Martine Fabre, << Le magistrat d'outre-mer... >>, op. cit., p. 434.

<< En matière pénale, l'intrusion d'un système judiciaire à l'occidentale dans certains types d'affaires apparaissait tout à fait artificielle dès lors que nous ne pouvions appréhender que la manifestation extérieure des comportements dont les causes réelles échappaient à la connaissance et à la compréhension du juge. Celui-ci en était alors réduit à prononcer des sanctions qui ne correspondaient ni à la personnalité du prévenu ni à l'attente du milieu social dans lequel avaient été commis les faits estimés délictuels à l'égard de ce code. »453

Mais les magistrats coloniaux mettent justement en avant leurs qualités d'innovation et d'adaptation du droit français à la culture locale :

<< Les situations concrètes qui nous étaient soumises ne rentraient pas toujours dans les cadres ou concepts des juridictions françaises, ce qui nous amenait souvent à statuer en équité plutôt qu'en droit (...) en matière de viol ou de prétendu viol, très rapidement, j'ai renoncé à la voie criminelle et correctionnalisé en outrage public à la pudeur. Ici encore, l'intérêt essentiel des plaignants était d'obtenir des dommages et intérêts et le litige portait principalement sur ce dommage. »454

Certains peuvent acquérir, du fait de leur responsabilité, de leur rôle de médiation et de leur obligation à s'adapter aux contextes locaux, un sentiment de supériorité par rapport à leurs collègues de métropole. Un magistrat interviewé par Martine Fabre s'exprime en ce sens :

<< J'ai connu outre-mer des fonctionnaires et des magistrats d'une valeur tout à fait exceptionnelle, tant leur compétence et leur force de travail étaient grandes. Malheureusement, certains de leurs collègues atteignaient juste une honnête moyenne, acceptable en métropole, mais sûrement pas outre-mer. »455

Il est nécessaire de rappeler cependant qu'il s'agit là de discours reconstitués après plusieurs décennies et, surtout, postérieurement à la décolonisation, qui permettent également aux anciens fonctionnaires coloniaux de revaloriser une fonction qu'ils estiment avoir été parfois déconsidérée par la métropole et par les travaux historiques sur la colonisation.

Les magistrats coloniaux estiment que la réforme judiciaire de 1946 a constitué un progrès, et que cela a été également perçu comme tel par les populations, par rapport à << la justice coutumière demeurant marquée par le tribalisme, la corruption et la politique »456. En effet, si le magistrat colonial, tout comme avant lui l'administrateur, a le sentiment d'avoir un << rôle civilisateur » dans l'exercice de la justice, il se présente, par opposition au commandant de cercle ou au chef de subdivision, comme le défenseur indépendant des droits des autochtones. Certains juges interrogés par Martine Fabre soulignent que << les juges étaient perçus par les indigènes comme leurs défenseurs face aux exactions des administrateurs de la FOM »457. Les conflits entre administrateurs et magistrats ont en effet

453 Ibid., pp. 440-441.

454 Martine Fabre, << Le magistrat d'outre-mer... », op. cit., pp. 438-439.

455 Ibid., p. 444.

456 Ibid., p. 445.

457 Ibid., p. 446. La FOM est l'abréviation employée pour la France d'Outre-mer.

été fréquents selon les témoignages de ces professionnels et les juges estiment avoir été souvent limités dans leur action par les administrateurs458. Un administrateur souligne le sentiment qu'il avait << qu'en lui retirant le pouvoir judiciaire, on tarissait la source de son autorité >> :

<< Au sud de Madagascar où le vol d'un boeuf est aussi populaire que le rugby en Aquitaine, j'ai refusé de passer la main au magistrat. Je continuais à créer aux voleurs un climat d'insécurité... conformément à ma coutume j'imposais, sans jugement écrit et sans surveillance, des journées de travail sur les pistes (...). Plus tard, la fréquentation des magistrats me fit mesurer combien j'avais agi en chef barbare n'hésitant pas à accepter comme preuve le serment sur les tombeaux. >>459

Les magistrats coloniaux, bien que conscients que certaines affaires leur échappent, se posent en défenseurs des populations autochtones contre le pouvoir parfois abusif de l'administration coloniale. La justice indigène, tout comme la justice française après 1946, est présentée comme adaptée aux conditions locales et donc acceptée, en grande partie du moins, par les Africains.

Mais cette vision est-elle partagée par l'ensemble de la population ? La perception de la justice indigène et les réalités de son fonctionnement méritent d'être étudiées du point de vue de la population dahoméenne, afin de saisir les regards croisés dans le monde colonial. Comment les populations réagissent-elles à la justice imposée par le colonisateur ?

B. La population dahoméenne et la justice du colonisateur : acceptation et résistance

Les historiens qui ont tenté d'appréhender les réactions des populations africaines à la justice instituée pendant la période coloniale estiment, comme John Iliffe, que les nouveaux régimes judiciaires restaient en général étrangers et impersonnels pour les colonisés460. Les auteurs de l'Histoire générale de l'Afrique, écrite sous l'égide de l'UNESCO, souhaitent écrire cette histoire du point de vue africain et ils soulignent que << les membres de toutes les classes sociales (qu'ils fussent intellectuels ou analphabètes, citadins ou ruraux) partageaient les griefs contre le système colonial, ce qui fit naître une conscience commune de leur condition d'Africain et de Noir, par opposition à leurs oppresseurs : les dirigeants coloniaux et les Blancs >>461.

Les Africains n'ont pas eu une attitude d'indifférence, de passivité ou de résignation pendant la période coloniale mais il est nécessaire d'envisager les différentes

458 Certains juges soulignent même que << les magistrats en FOM ont été souvent «persécutés» par les administrateurs des colonies >>. Ibid.

459 Ibid.

460 John Iliffe, Les Africains. Histoire d'un continent, op. cit., p. 279.

461 UNESCO, Histoire générale de l'Afrique, op. cit., p. 37.

réactions des populations concernées face à l'ordre colonial, et plus particulièrement à la justice coloniale. En effet, outre des manifestations de résistances, apparaissent des réactions d'évitement, d'utilisation ou de détournement des institutions judiciaires.

Précisons bien que les populations africaines ne forment pas un bloc homogène et que leurs réactions varient selon leur statut social et professionnel, leur implantation géographique ou la période considérée. Comme le souligne Odile Goerg, << la justice indigène n'est pas uniquement subie, marque de la répression coloniale ; elle est aussi un recours possible contre les pesanteurs de la société ou la partialité des chefs locaux (...). Cette perspective permet de voir comment les colonisés s'approprient les nouveaux mécanismes de règlement des conflits proposés par la colonisation, selon des modalités qui varient en fonction de leur culture, de leur sexe ou de leur statut social >>462. Les sentiments de la population dahoméenne considérée dans ses différentes composantes sont difficiles à cerner en l'absence d'écrits comparables à ceux laissés par l'administration coloniale et compte tenu de la difficulté de rassembler des témoignages de personnes ayant connu non seulement cette période, mais également le système judiciaire. Si les intellectuels ou << évolués >> ont pu exposer leur vision de la justice dans les articles d'une presse particulièrement florissante au Dahomey, les sentiments de la majorité de la population encore illettrée restent pour l'essentiel inaccessibles.

Cependant, la majorité analphabète pouvait avoir recours à des écrivains publics pour établir ses plaintes. L'analyse des plaintes et des plaignants dont nous avons des traces dans les archives du Bénin fournit des éléments précieux sur les caractéristiques sociales des populations qui ont recours à la justice indigène, et sur les motifs de saisine. Ces sources croisées permettent de mettre en évidence la variabilité du recours et du motif de recours à la justice indigène selon le statut social de la victime, mais également le maintien d'une justice officieuse, à travers la famille et les autorités traditionnelles, d'autant plus importante que l'on s'éloigne des centres urbains. Elles permettent enfin de retracer les oppositions à la justice indigène exprimées par voie de presse ou par la résistance (violente ou non violente) à l'exécution des jugements.

1. Recours à la justice coloniale et position sociale, des liens forts

Recourir à la justice officielle, porter plainte, est un signe d'intégration de la norme sociale, du caractère intolérable du fait en cause pour le plaignant et de la reconnaissance

462 Odile Goerg, << Femmes adultères, hommes voleurs ? La << justice indigène >> en Guinée >>, Cahiers d'études africaines, 187-188, décembre 2007.

de la légitimité du tribunal pour le trancher463. L'analyse des plaintes et de leur origine, en distinguant les personnes physiques et l'administration, permet donc de cerner dans quelle mesure la population participe à l'utilisation de la justice coloniale.

L'origine des plaintes devant la justice indigène : des plaintes populaires ou des actions judiciaires administratives ?

L'origine de l'action judiciaire est connue pour 75% des prévenus de notre échantillon (soit 1 240 cas sur 1 663 prévenus). Une difficulté particulière apparaît pour la connaissance de cette information dans les colonies, dans la mesure où les tribunaux répressifs sont toujours saisis par le chef de la circonscription territoriale où siège la juridiction et non directement par les particuliers. Cependant, l'existence d'une plainte est mentionnée dans un certain nombre de jugements ou d'états périodiques de jugements, accompagnée d'éléments variables sur l'identité des plaignants (nom, âge, sexe, coutume et domicile).

Parmi les 1 240 prévenus pour lesquels nous avons des informations en ce domaine, 66% comparaissent devant les juridictions indigènes à la suite d'une plainte présentée par un particulier (824/1 240), tandis que 34% ont été poursuivis par l'administration coloniale (intervenant en qualité de ministère public) en dehors de toute plainte d'un particulier464.

Les actions judiciaires introduites suite à des plaintes de particuliers sont donc majoritaires, mais le chef de la subdivision ou le commandant de cercle qui saisit le tribunal reste souverain pour décider de saisir ou non la juridiction après le dépôt d'une plainte. Certaines plaintes sont donc classées sans suite, ce qui provoque un mécontentement dont se fait écho la presse dahoméenne. Ainsi le lieutenant-gouverneur du Dahomey intervient-il à ce sujet auprès de l'adjoint au commandant de cercle d'Allada, pour l'enjoindre d'instruire les plaintes présentées par les particuliers :

<< Le n°72 du 15 novembre du «Courrier du golfe du Bénin» fait allusion à une plainte qui aurait été déposée le 24 mai à Cotonou par un nommé Sogan du village de Ouagbo contre Maho Zohungbogbo qui lui aurait ravi sa femme Sossi. A en croire le directeur du journal la plainte n'aurait pas eu la suite qu'elle compte et se serait terminée par une admonestation sévère de votre part au plaignant.(...) Un principe doit être admis et respecté, c'est que les plaintes déposées régulièrement doivent être instruites. Si elles ne sont pas fondées il appartiendra à la personne calomniée de

463 Jean-Claude Martin, << Violences sexuelles... » op. cit., pp. 654-655. Jean-Claude Martin établit le constat suivant à propos des affaires sexuelles : << L'incorporation de la justice et de la loi réprouvant les attentats sexuels est une des explications de la montée brutale du nombre des affaires jugées à partir des années 1845- 1850. La volonté des femmes d'accéder à la justice est en effet manifeste et essentielle ».

464 Selon les données fournies par le compte général de l'administration de la justice en France, 30% des affaires correctionnelles étaient introduites par le ministère public dans les années 1831-1835, contre 89% entre 1876-1880. Michelle Perrot, Les ombres de l'histoire..., op. cit., p. 172. Mais la comparaison entre les justices française et indigène reste délicate dans la mesure où elles ne suivent pas les mêmes règles de fonctionnement.

demander des dommages et intérêts. Si - même dans les meilleures intentions du monde - un administrateur arrête une plainte, il pourra être taxé de partialité. Laissez donc les plaintes suivre leur cours. »465

L'action judiciaire au Dahomey, tout au moins au niveau de la justice indigène, est donc plus souvent mise en oeuvre après le dépôt d'une plainte par un particulier qu'à la suite de l'intervention unilatérale de l'administration coloniale. Mais cette situation ne s'applique pas à toutes les infractions en cause, ce qui témoigne d'une sensibilité populaire variable selon les délits concernés.

Un recours de la population variable selon les infractions

Les procès pour adultère sont par exemple toujours introduits après une plainte, le plus souvent du mari mais aussi parfois d'un membre de la famille, en l'absence ou en cas de maladie du mari. Il en va de même pour les cas d'escroquerie simple ou d'escroquerie au mariage466. La quasi-totalité des vols simples ou qualifiés et des recels dans notre échantillon sont également poursuivis à la suite d'une plainte (94% des cas). Cette part baisse lorsqu'on considère les coups et blessures (80% des prévenus pour coups et blessures de notre échantillon sont poursuivis après une plainte) ou, plus encore, les injures et menaces (52%). A contrario, certaines infractions ne touchent qu'indirectement la population, comme l'entrave au recrutement, les actes de rébellion ou encore les évasions ou complicités d'évasions. Ces délits n'affectent que l'administration coloniale et ses agents, commandants de cercle ou chefs de subdivision, mais aussi chefs de canton ou de village, ou encore gardes de cercle. Ces délits qui constituent en fait des « atteintes à l'autorité coloniale » ne donnent donc le plus souvent pas lieu à des plaintes de la part de la population, sauf dans le but de se venger d'une personne, comme par exemple dans le cas de dénonciations pour port d'armes prohibées.

Les atteintes à l'autorité coloniale suscitent en revanche des rapports ou des plaintes de la part des fonctionnaires de l'administration coloniale qui déclenchent l'action judiciaire. Ainsi les prévenus pour évasions ou complicités d'évasion de notre échantillon sont-ils exclusivement poursuivis par l'administration en dehors de toute plainte de particuliers. Parmi les prévenus pour rébellion, 38% (10/26) sont poursuivis suite à une

465 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, lettre du lieutenant-gouverneur du Dahomey à Mr Claverie adjoint au commandant de cercle d'Allada le 20 novembre 1934.

466 L'escroquerie au mariage est le fait de promettre une fille ou parente en mariage et de percevoir une partie ou la totalité de la dot, puis de ne pas tenir son engagement en mariant la parente à une autre personne dont on perçoit également la compensation matrimoniale.

plainte de la part de gardes de cercle ou de chefs de canton agissant comme des particuliers467.

La lecture des plaintes soumises par les particuliers aux autorités coloniales conforte ces données chiffrées. Les plaignants interviennent le plus souvent pour des affaires d'escroquerie, de vols ou pour des conflits familiaux, comme des coups et blessures, des enlèvements de femmes ou d'enfants ou des escroqueries au mariage. Un Dahoméen écrit par exemple en 1912 au Résident du Protectorat pour demander justice dans une affaire d'escroquerie au mariage :

<< C'était en 1892 au retour de l'expédition du Dahomey où le sieur Yénou, devineur, demeurant au village de Kotoklomé m'avait promis en mariage la nommée Tohoun [orthographe incertaine] sa propre fille et pour laquelle il avait obtenu une somme principale de 200 F. Pour pouvoir faire des frais nécessaires relatifs à cette alliance, je me suis donc mis en gage au moyen duquel j'ai fait à mon beau-père des frais s'élevant à la somme de 660,15 F. Or il y a un an environ où à mon insu mon beau-père a fait épouser la dite fille par un autre homme au moyen d'une somme d'argent et d'autres cadeaux obtenus de ce dernier et m'a donc empêché jusqu'à ce moment de la jouissance de même. Je vous prie (...) de bien vouloir faire juger la duplicité et l'action frauduleuse de mon beaupère au sujet de la fille en question et de la somme déboursée. »468

Ces démarches sont parfois entreprises auprès de l'administration coloniale lorsque les plaignants se trouvent en opposition avec les chefs indigènes, qui sont sollicités avant tout recours judiciaire pour trancher les conflits ou qui participent à la juridiction indigène en tant qu'assesseurs. Tel est le cas d'un père qui réclame la restitution de son enfant, enlevé en même temps que sa concubine par l'ancien fiancé de cette dernière. Le plaignant estime que l'ex-fiancé a intrigué auprès des chefs du tribunal indigène pour obtenir leur aval afin d'enlever l'enfant :

<< Vers l'année 1908, la nécessité m'avait obligé de quitter Adjarra, mon pays natal pour chercher quoi faire dans la ville de Sakété où la destinée m'avait conduit à faire une démarche auprès d'une fille qui avait été promise en mariage par ses parents, le sieur Taino et la dame Lebigi, originaires de Sakété au sieur C Couché (...), demeurant à la même ville. La fille en question qui s'appelle Fayemi préférait mieux devenir ma concubine que d'être la femme de Couché son fiancé qui était même détesté par son père pour cause de ce qu'il était l'auteur d'un vol commis chez ce dernier. Or ma démarche auprès de la dite fille a eu son effet, car au bout de quelques mois après mon arrivée à Sakété elle était devenue ma concubine à l'assentiment de ses parents susnommés. Heureusement nous y étions bénis par le Bon Dieu d'un enfant appelé Egbéléyé qui est aujourd'hui âgé de 4 ans environ. Il s'agissait M. le Résident que notre concubinage était interrompu par des intrigues que formaient Couché auprès des chefs indigènes du Tribunal de Province de Sakété. Ces intrigues ont causé en effet l'enlèvement de la femme Fayemi et de mon fils Egbéléyé au marché de Sakété il y a environ deux semaines, lesquels étaient amenés par force chez Couché, l'ancien fiancé de la dame Fayemi. Depuis je n'ai reçu aucune nouvelle de mon fils, ce qui m'étonne beaucoup. J'ai l'honneur de venir très respectueusement et très humblement réclamer par votre intermédiaire auprès du

467 Rappelons également qu'une partie des infractions échappe aux tribunaux indigènes et se trouve punie par des sanctions disciplinaires, en application du << Code de l'indigénat ». Or ces infractions qui sont toutes des atteintes à l'autorité coloniale (refus de payer l'impôt, non présentation à une convocation par l'administrateur,...) augmenteraient d'autant la part des actions judiciaires introduites par l'administration en dehors de toute plainte de particulier si elles étaient jugées par les tribunaux indigènes.

468 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, plainte à M. le Résident du Protectorat de Porto-Novo le 5 février 1912.

tribunal de province de Sakété du sieur Couché mon fils Egbéléyé de peur qu'il ne soit empoisonné. J'ose espérer, M. le Résident, que vous voudrez bien me secourir dans cette affaire auprès du tribunal de province de Sakété afin qu'il puisse justifier ma plainte et de condamner en outre Couché à me restituer sans aucun délai mon fils Egbéléyé. >>469

En dehors des cas de conflit entre les populations et les chefs indigènes, le recours au tribunal indigène n'intervient souvent qu'en ultime recours, lorsque le traitement amiable par l'administrateur colonial ou le règlement du conflit par le chef de famille ou de village a échoué. Certains plaignants soulignent ainsi qu'ils n'introduisent une action judiciaire pour escroquerie qu'à défaut d'exécution du règlement amiable par lequel << le commandant de cercle avait obligé [le prévenu] à rendre l'argent ou son équivalent en maïs escroqué à une date donnée >>470.

Mais qui porte plainte devant la justice indigène ? Les plaignants présentent-ils des caractéristiques socio-professionnelles spécifiques, permettant de mettre en relief la nature des conflits ou les groupes sociaux en opposition au sein de la société coloniale ?

Des plaintes essentiellement masculines

Sur les 824 prévenus de notre échantillon poursuivis à la suite de la plainte d'un particulier, nous connaissons le sexe des plaignants dans 93% des cas (pour 769 prévenus). Parmi eux, 85% sont de sexe masculin contre 14% de femmes (1% relevant de plaintes collectives présentées à la fois par des hommes et des femmes).

Le fait de porter plainte reste donc l'apanage des hommes. Mais les femmes ne portent pas plainte pour les mêmes types de délits que les hommes (p< 0,003). Aucune plainte relative à des infractions à l'autorité (évasions, entraves au recrutement...) n'est déposée par les femmes, dans la mesure où celles-ci ne participent pas à l'<< administration >> coloniale. Par ailleurs, si 13% des plaintes relatives à des infractions contre les biens (vols, recels, escroqueries) sont le fait de femmes, cette proportion s'accroît pour les infractions contre les personnes (18%), notamment en ce qui concerne les coups et blessures (24%). En effet, les femmes ont moins accès que les hommes à la propriété des biens dans la société coloniale et se trouvent donc rarement, sauf lorsqu'elles sont marchandes, en position de plaignantes pour des infractions contre les biens.

Catherine Coquery-Vidrovitch a souligné que << les grandes perdantes dans les campagnes sont les femmes >>, les hommes se réservant le travail salarié mais aussi la

469 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, lettre à M. le Résident du Protectorat de Porto-Novo le 28 février 1912.

470 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial, jugement du tribunal de premier degré d'Allada n°9 le 27 janvier 1930.

propriété sur les terres : « Seules les commerçantes des zones côtières où une part importante de l'activité marchande leur est traditionnellement réservée (grossistes de pagnes au Dahomey) profite des nouvelles conditions »471. En revanche, elles se trouvent souvent au centre des conflits familiaux et sociaux, en tant que victimes, et leur action comme plaignantes est donc plus importante en ce domaine.

Figure 4. Catégories professionnelles de 555 plaignants, Dahomey, 1903-1958

Source : Archives Nationales du Bénin, échantillon représentatif

Porter plainte : une action plus marquée parmi les « élites »

Plus encore que le genre, la catégorie professionnelle des plaignants permet de mieux cerner la nature des conflits et les groupes sociaux en rivalité (Figure 4). Sur les 824 prévenus de notre échantillon poursuivis suite à la plainte d'un particulier, nous connaissons la profession des plaignants dans 67% des cas (pour 555 prévenus).

Si les cultivateurs constituent près de la moitié de ces plaignants (260/555), cette proportion est très inférieure à leur poids réel dans la société dahoméenne, puisqu'on estime que près des trois-quarts des Dahoméens étaient des paysans pendant la période

471 Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de), L'Afrique occidentale au temps des Français..., op. cit., pp. 29-30. Le même constat est également fait par Catherine Coquery-Vidrovitch, Les Africaines. Histoire des femmes d'Afrique noire du XIXème au XXème siècles, Paris, Desjonquères, 1994, 395 p.

coloniale472. Le profil socio-professionnel des plaignants reflète pour partie les mutations sociales en oeuvre pendant la colonisation. Une nouvelle classe de << nantis autochtones » est en formation, comme << les citadins devenus entrepreneurs de commerce ou de transports et enrichis (surtout en conjoncture de pénurie de vivres) par la spéculation »473. Dans notre échantillon, les professions commerciales représentent 24% des plaignants. Mais il est nécessaire de distinguer au sein de ces professions commerciales les commerçants et traitants (13% des plaignants) - qui bénéficient de patentes474 - des marchands (9%) et colporteurs (2%) - qui vivent le plus souvent du commerce précaire de la rue.

Parmi les nouveaux << nantis autochtones », figurent également les << chefs de canton qui augmentent leur accaparement des terres »475 et affirment leur pouvoir (ils représentent 9% des plaignants de notre échantillon), mais aussi une partie du nouveau personnel administratif lettré qui compose la jeune bourgeoisie africaine et revendique sa participation aux affaires publiques (les employés de l'administration constituent 8% des plaignants de notre échantillon). Le fait de porter plainte est un signe d'acceptation de la norme sociale, mais également la marque de l'intégration du plaignant dans la société. Le plaignant devant la justice indigène est plus souvent une personne qui dispose d'une reconnaissance sociale dans l'ordre colonial, qui a même parfois connu une promotion sociale (comme les interprètes et plus globalement les employés de l'administration coloniale ou encore certains chefs de canton). Il peut utiliser la justice indigène pour se voir reconnaître ses droits dans la société coloniale et régler ses conflits contre d'autres personnes ou groupes sociaux.

Le type d'infractions donnant lieu à des plaintes varie fortement selon la catégorie professionnelle du plaignant et selon la nature de son intégration sociale. La Figure 5 représente la nature des atteintes donnant lieu à des plaintes pour chaque grand type de professions.

472 Hélène d'Almeida-Topor, Histoire économique du Dahomey..., op. cit., p. 58.

473 Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de), L'Afrique occidentale..., op. cit., p. 29.

474 La décision prise par les autorités coloniales de faire payer une taxe de patente à tous les commerçants des possessions du Bénin à partir du 1er janvier 1890 introduisit des critères objectifs de classification. Hélène d'Almeida-Topor, Histoire économique du Dahomey..., op. cit., pp. 106-107.

475 Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de), L'Afrique occidentale..., op. cit., p. 29.

Figure 5. Nature des infractions pour chaque catégorie professionnelle des plaignants

Source : Archives Nationales du Bénin, échantillon représentatif

Plus des trois-quarts des plaintes des commerçants (93%) et des marchands ou colporteurs (80%) concernent des infractions contre les biens. Ils constituent en effet les cibles privilégiées des vols, notamment des vols avec effraction et en bandes organisées ; leur place sociale est liée à leur activité économique et les atteintes à cette activité donnent facilement lieu à une plainte de leur part. Les plaintes des cultivateurs, artisans et pêcheurs concernent également en majorité des atteintes contre leurs biens (60 à 70%), mais il s'agit plus souvent de vols simples, de faible ampleur. La part des infractions contre les personnes (assassinats, coups et blessures, mais aussi adultères, enlèvements...) est en revanche plus élevée chez cette catégorie professionnelle de plaignants (entre 30 et 40%) ainsi que chez les personnes sans profession ou ménagères (73%). Enfin, les atteintes à l'autorité coloniale (injures, coups et blessures contre un représentant de l'autorité ou encore entraves au recrutement, complicités d'évasion...) ne donnent en pratique lieu à plainte que de la part des agents de l'administration coloniale. Elles représentent 23% des plaintes des employés de l'administration et 68% de celles déposées par des chefs de village ou de canton. Ces représentants de l'autorité ont en effet une place reconnue dans la société coloniale du fait de leurs fonctions. Ils n'hésitent pas, lorsque leur autorité se trouve atteinte, à porter plainte, notamment les chefs, sachant que cette plainte sera très certainement instruite par une administration coloniale sourcilleuse sur le respect dû à ses représentants.

Les plaintes exprimées par les chefs de canton ou de village et les employés de l'administration traduisent également les conflits qui traversent la société coloniale. Leurs

fonctions leur permettent souvent d'obtenir un pouvoir important sur les populations et certains en abusent (pour le recouvrement de l'impôt mais aussi le maintien de l'ordre public), ce qui les rend parfois impopulaires. Ainsi ces chefs et employés de l'administration font-ils eux-mêmes l'objet de nombreuses plaintes de la part d'individus ou de communautés entières, comme par exemple le chef de canton de Segboroué, accusé en 1937 de viols par un individu du nom de Cossou476, ou encore les chefs de canton de la subdivision d'Athiémé, accusés par la population d'enfermement arbitraire, de << saisie et ventes d'animaux >> et de << mises en gage ou mariages forcés >> lors du recouvrement de l'impôt :

<< Divers indigènes se sont plaints d'avoir au moment du recouvrement de l'impôt été attachés et frappés par leurs chefs. D'une façon générale, si les chefs se défendent d'avoir exercé des violences graves, ils ne nient pas avoir attaché les contribuables récalcitrants, et nous ne nous trompons certainement pas si nous affirmons qu'en ligotant les personnes, les récadères ne se sont certainement pas privés de les passer quelque peu à tabac. Quiconque a exercé un commandement en brousse a certainement eu maintes fois à intervenir pour tâcher de faire comprendre à ses auxiliaires indigènes qu'arrêter ne signifie pas frapper. Un nomme Dansou du village de Dévé (canton de Ouédémé) s'est plaint de ce que son frère Boni fut décédé trois jours après avoir été brutalisé par les récadères. Un Michel Dokpo, du village de Lokossa, s'est plaint d'avoir été frappé par le chef Kakaï avec une telle violence qu'il a eu un oeil très sérieusement endommagé. Mais il était déjà atteint à l'oeil et est en réalité un témoin de mauvaise foi. >>477

Les plaintes contre les chefs sont parfois adressées au procureur de la République lorsque l'administrateur ne semble pas satisfaire les revendications. Plusieurs piroguiers du canton de Hettin écrivent par exemple au procureur de la République en 1936 pour lui demander une enquête sur le chef de ce canton, Martin Gnao, qui utilise de manière lucrative des prestataires pour transporter les marchandes d'un bord du fleuve à l'autre, empêchant ainsi les piroguiers d'exercer leur métier :

<< Nous venons respectueusement nous jeter à vos pieds en vous exposant humblement les abus de pouvoir commis à notre préjudice par le nommé Martin Gnao, chef du canton de Hettin (basOuémé). Depuis plus de 15 ans, nous exerçons à Hettin le métier de piroguiers pour les passagers devant passer de l'autre côté du fleuve. Notre métier consiste simplement à transporter les marchandes venant du côté de Gbessou pour se rendre au marché de Dangbo et celles qui vont dans la direction opposée. (...) C'est à notre grande surprise que Martin Gnao, devenu chef, a cherché il y a deux ans à nous interdire notre profession, sous prétexte que c'est un emploi lui revenant. Ainsi il a placé des prestataires au bord du fleuve et ces derniers, travaillant et percevant de l'argent, font des versements qu'il met dans sa poche tout en faisant croire à l'administrateur qu'il fait passer des passagers pour rien. Nous avions exposé cet état de choses à l'administrateur Grob qui lui intima l'ordre de cesser de nous embêter. Au départ de cet administrateur, Mr Dunglas à qui nous nous sommes plaint lui a renouvelé le même ordre. Cependant Martin Gnao n'a pas perdu courage voyant que notre métier fait partie de ceux qui rapportent mieux lorsqu'ils sont exécutés par des prestataires recrutés pour le compte de l'administrateur. Ainsi à l'arrivée du commandant Pilatriau, l'incorrigible chef a recommencé la même chose. Nous nous sommes plaint à nouveau mais on a refusé de nous écouter à Sakété étant donné les gros mensonges forgés par le chef. Il aurait prétendu faire passer les

476 CAOM, 8G26, correspondance judiciaire sur les agissements commis par un chef de canton.

477 CAOM, 111 APOM 1 et 2, APC, Papiers Boulmer, chemise 3, rapport du 16 mars 1932 de l'inspecteur des affaires administratives Desanti au sujet des faits reprochés par leurs ressortissants aux chefs de canton de la subdivision d'Athiémé.

voyageurs sans bourse déliée. C'est alors que nous nous sommes rendus nous expliquer au résident de Porto-Novo qui a promis de s'occuper de nous en transmettant avec plus de recommandation notre réclamation à Sakété, ce qu'il a fait en effet. Une semaine plus tard le chef de la subdivision de Sakété nous fit appeler ensemble avec Martin Gnao. Après quelques explications mensongères du chef, le commandant nous infligea une punition de 10 jours de prison à chacun de nous, peine que nous avons purgé sans murmure (...). >>478

Les chefs de village ou de canton, mais également les autres employés de l'administration, notamment les interprètes ou les gardes de cercle, sont réciproquement parfois victimes de dénonciation calomnieuse, d'injures, voire de coups et blessures. Ils portent donc plainte en se fondant sur l'atteinte à l'autorité qu'ils représentent. Ces conflits peuvent même opposer les agents de l'administration entre eux : les notables d'Abomey portent par exemple plainte contre les agissements de certains interprètes, accusés d'avoir exigé de l'argent des populations lors du recensement479.

Le profil des plaignants devant la justice indigène fait donc sans grande surprise émerger la figure des << élites >> autochtones (élites traditionnelles ou nouvelles), qui ont une plus grande facilité à saisir ces juridictions, dans la mesure où elles sont plus souvent alphabétisées mais surtout qu'elles ont une place reconnue par le pouvoir dans l'ordre colonial. Ces élites sont également au centre de conflits sociaux nouveaux, qui les opposent à la population mais parfois aussi entre elles.

Des plaintes croissantes contre l'administration coloniale

L'analyse des plaintes devant la justice indigène doit être complétée par l'étude de celles formulées contre des << citoyens >> français, donc auprès des juridictions françaises. Notre échantillon ne contient pas de données chiffrées sur ce point mais plusieurs rapports et correspondances font état de plaintes de la population contre des missionnaires, des commerçants ou encore des administrateurs français.

L'affaire Schüb, du nom d'un missionnaire d'Agoué, donna lieu à un conflit entre chefs locaux et missionnaires mais aussi à un règlement de comptes entre les différentes composantes de la société coloniale blanche (administration, missionnaires et commerçants). En effet, à la suite de la plainte d'un chef de quartier, Michel Schüb fut condamné en 1903 par le tribunal de première instance de Porto-Novo à 100 francs d'amende et au minimum de la durée de la contrainte par corps pour coups et blessures n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail contre le chef de quartier, Djongbo. Le tribunal

478 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, lettre de trois piroguiers à M. le procureur de la République du Dahomey (sous couvert du commandant de cercle de Cotonou) le 24 juillet 1936.

479 CAOM, 8G24, plainte du 24 juin 1936 des notables d'Abomey au lieutenant-gouverneur au sujet des abus et agissements de certains interprètes d'Abomey.

de première instance était alors présidé, en l'absence de magistrat professionnel, par un administrateur civil, Lucien Dreyfus, également juge de paix à compétence étendue.

Le père Schüb assistait avec deux autres missionnaires à « une cérémonie indigène qui avait lieu avec l'autorisation de ce même administrateur Dreyfus » :

« Cette cérémonie consistait en une danse de zangbetos devant le logis d'un nommé Julien Pereira qui les avait convoqués pour célébrer la mort d'un parent. Les zangbetos sont des veilleurs de nuit, ils se couvrent la tête d'un cône de paille dans l'exercice de leurs attributions et dans tous les villages du Bas Dahomey, on les invite généralement à participer aux danses nocturnes. Mais déjà le père Schüb avait eu des difficultés avec certains zangbetos dans des circonstances autres. La présence de trois missionnaires à une cérémonie privée ne pouvait manquer d'amener un conflit. C'est par des injures réciproques que l'incident prit naissance, il se termina par un coup de canne du père Schüb lancé au chef de quartier Djongbo qui était intervenu. »480

Cette affaire confronta donc un missionnaire aux chefs et aux fétichistes. Ceux-ci avaient porté plainte auprès de l'administration. L'intervention de l'administrateur qui donna gain de cause en justice aux fétichistes contre les missionnaires souleva un conflit entre le pouvoir colonial et la hiérarchie catholique. Ce conflit s'élargit ensuite à d'autres groupes sociaux, comme certains commerçants métropolitains ou encore des chefs de village destitués, qui utilisèrent l'affaire pour se venger de l'administrateur avec lequel ils étaient en opposition. En effet, le lieutenant-gouverneur du Dahomey, en prenant la défense de son subordonné, présenta ainsi la situation au ministre des Colonies :

« L'affaire aurait pu s'arranger très facilement si le père Schüb avait montré un peu de bonne volonté car la blessure de Djongbo était insignifiante, mais aux premières tentatives de conciliation faites par Barreme [un administrateur civil] qui en cette qualité avait reçu la plainte, le père Schüb se montra intraitable. En outre, le père d'Aspord, supérieur de la mission de Grand-Popo qui avait accompagné Schüb au cabinet de Mr Barreme lui conseilla de se laisser condamner à l'amende pour voir si l'on oserait exercer contre lui la contrainte par corps. La conciliation devenait impossible dans ces conditions et l'affaire suivit son cours, elle s'amplifia et devint grâce aux racontars des uns et des autres une cause d'agitation dans la ville de Grand-Popo. Le chef de la colonie, qui heureusement se trouvait au Sénégal, était accusé d'avoir dit qu'il fallait être sans pitié pour les missionnaires. Un agent de la factorerie Fabre, Mr Pagès ayant eu précédemment des démêlés d'ordre administratif avec Mr Dreyfus, devint un agent aussi actif que clandestin dans les menées qui avaient pour but le renvoi de Grand-Popo de Mr Dreyfus, de son interprète et du chef de village d'Hevié. L'ancien chef de ce village destitué depuis deux ans et qui comptait être remis en possession de son titre après le départ de Dreyfus fit avec ses partenaires une manifestation contre cet administrateur. A ce moment furent envoyées des lettres au Président de la République, au gouverneur de Cotonou et à diverses personnes pour se plaindre du gouvernement à Grand-Popo. Un certain nombre de Noirs de Grand-Popo vinrent à Porto-Novo porter leurs doléances au gouverneur et au procureur de la République. Ils reçurent 75 F de la mission pour leurs frais de voyage. »481

Les chefs expriment ici par des plaintes leurs conflits contre les missionnaires catholiques. Ils peuvent le faire d'autant plus facilement que l'administration se trouve parfois elle-même en opposition avec ces mêmes missionnaires et accueille donc

480 CAOM, FR Dahomey VIII, jugement correctionnel, audience du 20 janvier 1903 du tribunal de première instance de Porto-Novo n°21 (affaire Schüb) et lettre du lieutenant-gouverneur du Dahomey Liotard au ministre des Colonies le 12 avril 1903.

481 Ibid.

favorablement les demandes des chefs. Les plaintes de la population contre l'administration peuvent aussi, comme dans l'affaire Schüb, être manoeuvrées et utilisées pour régler des conflits personnels entre missionnaires, commerçants ou chefs locaux et administrateurs.

Mais de manière plus générale, les populations formulent des plaintes, souvent collectives, afin de se protéger d'éventuelles représailles, contre certains administrateurs accusés d'exactions, de mauvais traitements ou d'arbitraire. L'importance de ces plaintes est difficile à mesurer mais on en trouve de nombreuses traces dans les archives. Elles manifestent de l'opposition des populations à l'égard d'actes répréhensibles commis par certains administrateurs. Ces plaintes sont rendues possibles par le fait que l'administration coloniale cherche toujours à paraître respectable. Comme le rappellent les nombreuses circulaires des gouverneurs aux commandants de cercle, les administrateurs doivent assurer leurs fonctions avec dignité et les éléments corrompus doivent être écartés. Dans son mémoire de l'ENFOM, un administrateur stagiaire va dans le même sens en 1945- 1946 :

<< Il existe encore des «Frères de la Côte» (cf. Terre d'ébène d'Albert Londres), cupides et bêtement cruels. L'administration doit les supprimer. (...) Sans s'en tenir aux dénonciations d'un «Phare du Dahomey» par trop véhémentes, sans remonter aux exploits de l'administrateur X et de sa cartouche de dynamite qui lui a valu une condamnation à mort, n'y a-t-il pas des fonctionnaires qui s'adaptent mal au pays, qui ne comprendront jamais rien à la mentalité de l'indigène ? Et qui dira le mal qu'ils font ou qu'ils ont fait ? Le renom même de la France est par eux diffamé. Evidemment le «mauvais commandant» c'est l'exception, mais un seul, c'est déjà trop ! »482

Malgré des sanctions très limitées contre les administrateurs ayant commis des actes délictueux, les autorités administratives, relancées par leur hiérarchie et dénoncées par la presse, ne peuvent pas ignorer les plaintes formulées. Une enquête est ainsi réalisée vers 1938 à la suite de plaintes déposées dans le cercle de Savalou sur les agissements de l'adjoint principal des services civils, Dupont, accusé de brutalités sur des indigènes entre mai et juillet 1936, et sur ceux de l'administrateur Berge, accusé de mauvais traitements sur un interprète, emprisonné à Savé, et de détention arbitraire d'un garde483. De même, un Dahoméen porte plainte en 1910 contre plusieurs administrateurs, estimant que << dans l'exercice de leurs fonctions de commandant de cercle à Ouidah, MM. les administrateurs Suvillier et Dessirier de Pauwel [l]'ont poursuivi de leurs rancunes, soit en intervenant

482 Lucien Blot, La sécurité en AOF, Mémoire ENFOM d'administrateur, 1945-1946, CAOM, 3 ECOL 49 d 12, pp. 10-12.

483 CAOM, 8G29, enquêtes dans le cercle de Savalou (1936-1944).

contre [lui] auprès des juridictions indigènes, soit en [lui] infligeant des peines disciplinaires imméritées »484.

Les plaintes contre les autorités coloniales semblent s'accroître pendant l'entredeux-guerres. Selon Catherine Akpo-Vaché, cette tendance se poursuit pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre mai 1940 et janvier 1941, plus de la moitié des plaintes déposées par des Africains de l'Ouest concernent des représentants de l'autorité : 21% visent des chefs de canton et 33% des administrateurs485.

Après le dépôt de la plainte et si l'affaire n'est pas classée sans suite, celle-ci est instruite et le jugement est rendu. Le plaignant et le prévenu ont encore la possibilité d'intervenir et de faire valoir leurs positions, donc d'utiliser la justice indigène, en faisant appel de cette décision. Mais il semble, selon les rapports administratifs, que les justiciables dahoméens aient peu recouru à cette possibilité. Cette situation est-elle confirmée par les données de notre échantillon et quelle analyse peut-on faire du recours et de l'utilisation par la population de la justice indigène ?

Un faible recours à l'appel

Sur les 1 663 prévenus de notre échantillon, la décision de recourir ou non à l'appel est connue dans 51% des cas (soit pour 846 prévenus). En effet, les données relatives à l'appel ne sont souvent pas correctement mentionnées sur les états des jugements ou restent encore inconnues lors du jugement, puisque le délai d'appel n'a pas encore expiré. En outre, il est mentionné dans le jugement la décision de faire ou non appel, mais le prévenu peut toujours revenir sur cette décision pendant le délai fixé. Les données sur l'appel n'ont donc été retenues dans notre échantillon que si le délai pour former appel était expiré et que la décision de constituer un appel ou non était alors définitivement connue. Sur ces 846 cas, il n'y a pas eu de décision ou de recours en appel à la juridiction supérieure dans 73% des cas (616/846). La décision de faire appel n'est donc prise que dans 27% des cas, le plus souvent par le ministère public (17% des cas, soit 148/846) et dans une moindre proportion par le prévenu (9% des cas, soit 77/846) ou par le plaignant (1% des cas, soit 5/846). Le nombre de décisions d'appels formulés par les justiciables est donc limité ; il est d'ailleurs surévalué dans notre échantillon dans la mesure où le recours est probablement moins fréquent pour les cas où l'information sur le recours n'est pas disponible.

484 CAOM, 8G 41, plainte du nommé Adjovi contre certains administrateurs de la colonie en 1910. L'orthographe du nom des administrateurs est incertaine.

485 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre mondiale, op. cit., p. 139.

Pour les administrateurs, la faiblesse des appels traduit l'acceptation et la qualité des jugements rendus. Dans son rapport sur le fonctionnement de la justice indigène en 1911, le commandant de cercle du Borgou plaide en ce sens : << On ne peut que se féliciter de la confiance que témoignent dans la valeur morale des jugements rendus les indigènes qui y sont soumis. Le peu de fréquence des appels de ces sentences confirme cette appréciation et tout fait espérer que dans un avenir rapproché les indigènes seront entièrement pénétrés du sentiment de justice rationnelle qui nous inspire et qui respecte à la fois leurs coutumes, leurs croyances et leurs droits >>486. De même, l'administrateur adjoint du secteur d'Adjohon estime que << les peines infligées aux rares délinquants paraissent raisonnables ; ces derniers d'ailleurs en refusant de porter leur cause devant la juridiction d'appel montrent qu'ils reconnaissent le bien fondé des condamnations >>487.

Mais il s'agit pour chaque administrateur de faire valoir le bon fonctionnement des institutions dans son ressort territorial, et plus encore l'adhésion de la population à ces dernières. Certains fonctionnaires coloniaux s'opposent d'ailleurs au droit des prévenus et des victimes de faire appel des jugements, pour éviter une remise en cause du jugement rendu. C'est ce que souligne le lieutenant-gouverneur du Dahomey dans une circulaire du 28 avril 1913, dans laquelle il invite les chefs de subdivision et les commandants de cercle à cesser ces pratiques :

<< Nombre d'indigènes sont venus protester auprès de moi contre le refus qui leur serait opposé par les membres de certains tribunaux de subdivision d'accueillir les demandes d'appel. Ces réclamants ne sont certes pas tous de bonne foi ; il se peut cependant que certains justiciables aient été laissés dans l'ignorance de leur droit ou empêchés par intimidation d'en user. Vous aurez donc désormais à recevoir vous-même, de la partie succombante en personne, les déclarations d'appel qui seront portées à leur date sur un registre spécial. Cette comparution devra avoir lieu autant que possible à l'issue de chaque séance du tribunal de subdivision. Il est bien entendu que le justiciable qui vous aura déclaré vouloir renoncer à l'appel n'est pas de ce fait forclos et qu'il conserve jusqu'à l'expiration des délais la faculté de revenir sur sa décision. (...) Ce procédé aura pour effet de ne plus permettre à un indigène quelconque d'accuser impunément de forfaiture les juges qui auront refusé de lui donner gain de cause. Il fera cesser l'injuste suspicion dans laquelle nous pourrions tenir, à la suite d'accusations gratuites mais répétées des magistrats fort honorables, scrupuleusement choisis et auxquels nous devons au contraire protection contre les calomnies dont ils peuvent être l'objet. L'indépendance morale des juges est la meilleure garantie de l'équité de leurs sentences. >>488

La faible utilisation des voies d'appel par les autochtones semble traduire davantage une méconnaissance des procédures judiciaires qu'une adhésion de la

486 ANB, 1M136, fonds du Dahomey colonial, rapport pour le 2ème trimestre 1911.

487 Ibid. Dans un rapport sur le fonctionnement de la justice indigène dans le cercle d'Allada durant le 1er trimestre 1914, le lieutenant-gouverneur du Dahomey précise que << les juges indigènes comprennent de plus en plus l'importance de leurs fonctions ; ils mettent le plus grand soin à rendre leurs décisions et cet équilibre explique le petit nombre des appels devant les tribunaux de cercle >>. ANB, 1M159, fonds du Dahomey colonial, lettre du 21 mai 1914 au gouverneur général.

488 ANB, JOD 1913, fonds des JO, circulaire n°630 du 28 avril 1913.

population à la justice indigène489. Le nombre limité d'appels témoigne même d'une certaine méfiance à l'égard de la justice indigène. En effet, le prévenu ou la victime peuvent légitimement craindre que << l'appel ne soit interprété comme un acte d'indiscipline, pouvant attirer les foudres de l'administrateur qui disposait du régime de l'indigénat >>490. Les autochtones sont également méfiants à l'égard d'une juridiction lointaine, composée de juges inconnus et majoritairement étrangers. Enfin, selon un administrateur stagiaire, dans la mentalité populaire, << on ne conçoit pas qu'un tribunal puisse réformer les décisions d'un autre tribunal >>491.

Au total, si la justice indigène est majoritairement mise en action à la suite de plaintes déposées par des particuliers, les plaignants appartiennent souvent aux << élites >> autochtones (commerçants, chefs de canton ou employés de l'administration tels que les interprètes) ou du moins aux groupes qui ont acquis une certaine reconnaissance sociale dans le nouvel ordre colonial. Ces derniers agissent dans la mesure où ils savent que leur affaire sera instruite et jugée favorablement par les autorités. Par ailleurs, les plaintes n'interviennent souvent que lorsque le recours à la médiation par les chefs locaux a échoué. Une partie des infractions, qu'il est impossible de quantifier mais qui peut être importante, échappe donc à la justice indigène. Elle donne lieu à des médiations ou à des jugements de la part des chefs de famille ou locaux reconnus par la population.

2. Le maintien d'une justice officieuse : la famile et les autorités traditionnelles

L'existence et l'importance d'une justice officieuse dans l'Afrique coloniale sont mises en évidence par plusieurs historiens, comme Sylvain Anignikin, Coffi Belarmin Codo et Léopold Dossou qui soulignent qu'<< en dépit de cette infrastructure [juridictions indigènes imposées par le pouvoir colonial et faisant application des coutumes locales], les populations dahoméennes échappaient en grande partie à la nouvelle juridiction. (...) Ces différends étaient réglés par les chefs de village et de canton >>492. L'évitement de la justice indigène par la population est également reconnu par certains administrateurs coloniaux. Ainsi Desanti, dans son ouvrage Du Dahomey au Bénin-Niger estime-t-il que << les différends soumis par les indigènes à nos tribunaux ne constituent qu'une infime partie des

489 Nanlo Bamba, Les Africains devant la réforme judiciaire de 1946, p. 14. Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 155.

490 Ibid. Nanlo Bamba souligne que cette crainte était fondée << dans la mesure où il y allait dit-on du prestige des administrateurs-juges >>.

491 Ibid.

492 Sylvain Anignikin, Coffi Belarmin Codo, Léopold Dossou, << Le Dahomey (Bénin) >>, in Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de), L'Afrique occidentale au temps des Français..., op. cit., p. 390.

litiges s'élevant au sein des collectivités de brousse »493. La plupart des fonctionnaires coloniaux soulignent eux aussi le faible nombre d'affaires jugées par les tribunaux indigènes. Mais si certains l'expliquent par la << tranquillité des populations », d'autres mettent en évidence l'existence d'une zone infra-judiciaire de résolution des litiges.

Un recours à l'infra-judiciaire plus élevé dans les cercles du nord Dahomey

En réalité, les appréciations sur le degré d'adhésion de la population aux juridictions indigènes divergent entre les administrateurs exerçant dans le sud Dahomey, par rapport à leurs collègues du nord, notamment ceux des cercles de Savalou et du Borgou. Les commandants des cercles du sud estiment que les tribunaux indigènes ont acquis une légitimité auprès de la population. Ainsi, l'administrateur du cercle de Ouidah déclare-t-il en 1911 que << les indigènes se sont habitués et préfèrent porter leurs différends devant ces tribunaux [de province] que devant les chefs et anciens des villages et devant les féticheurs comme cela se faisait autrefois. Ainsi les tribunaux de village ont peu de succès et de longtemps ne fonctionnent que peu ou pas du tout »494. Les commandants de cercle du nord du Dahomey précisent en revanche que les autochtones ne recourent que rarement et en dernière instance aux tribunaux officiels. Tel est le cas du commandant de cercle du Borgou qui rappelle en 1911 que << le nombre d'affaires devant la justice indigène du secteur demeure assez restreint » :

<< Dans la plupart des cas les indigènes s'efforcent de régler entre eux les différends qui peuvent les séparer. Ils n'apportent leur cause que dans des cas extrêmes devant les tribunaux indigènes qu'ils continuent, malgré tous les efforts faits, à considérer comme les tribunaux du «blanc». »495

Plus de dix ans après, en 1924, l'administrateur du cercle du Borgou établit le même constat :

<< Il est évident que les chefs de canton règlent à peu près tous les litiges. Pour éviter les abus qui peuvent se produire, je profite de toutes les occasions et notamment au cours de mes tournées pour rappeler à la population qu'elle a intérêt à s'adresser pour le règlement de ses affaires aux juges nommés par l'administration. »496

493 Hyacinthe Desanti, Du Dahomey au Bénin-Niger, Paris, Larose, 1944, p. 89. Cité par Sylvain Anignikin, Coffi Belarmin Codo et Léopold Dossou, << Le Dahomey (Bénin) », in Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de), L'Afrique occidentale..., op. cit., p. 390.

494 ANB, 1M159, fonds du Dahomey colonial, rapport sur le fonctionnement de la justice indigène pour le 2ème trimestre 1911 en date du 30 juin 1911. Des appréciations similaires sont portées par les administrateurs des cercles du sud en 1911.

495 ANB, 1M136, fonds du Dahomey colonial, rapport sur le fonctionnement de la justice indigène dans le cercle du Borgou pendant le 2ème trimestre 1911.

496 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial, rapport sur le fonctionnement de la justice indigène dans le cercle du Borgou pour le 1er trimestre 1924.

La situation dans le cercle du Borgou prévaut également dans les cercles de Savalou et de Savé497.

Si l'existence d'une justice officieuse, fonctionnant parallèlement à la justice indigène, semble clairement établie, notamment dans les zones où l'encadrement administratif est moins fourni, les causes avancées sur le non-recours aux tribunaux indigènes varient selon les observateurs.

De multiples causes au maintien d'une justice officieuse

Pour certains chefs de subdivision, le faible recours aux tribunaux indigènes s'explique par l'illégitimité des chefs composant ces juridictions, comme le souligne le chef de subdivision de Bembèrèkè (cercle du Borgou) :

<< La population Bariba est assez peu disposée à porter ses différends devant nos juridictions. Cela provient à mon avis pour une très grande part à ce que les juges actuels, sauf un chef, lui-même un peu vieux, ne sont pas les chefs influents et obéis du canton. »498

Certains administrateurs coloniaux estiment donc que la réforme judiciaire du 22 mars 1924, qui confie la présidence du tribunal de subdivision au chef de subdivision et non plus à un notable indigène, doit permettre de développer le recours à la justice officielle. Selon eux << une plus grande confiance naîtra dans l'esprit indigène et il est à présumer qu'ils viendront plus nombreux soumettre leurs litiges au jugement désintéressé du Blanc »499. Mais d'autres fonctionnaires coloniaux pensent que les autochtones préfèrent naturellement recourir aux instances judiciaires traditionnelles qui privilégient la médiation et qu'ils ne font appel aux tribunaux indigènes qu'en cas d'échec de la conciliation :

<< Ainsi que je l'ai déjà signalé, la population Bariba primitive et ombrageuse, ne se résout à porter ses différends devant le tribunal que lorsqu'elle ne peut faire autrement. Elle épuise auparavant tous les moyens de conciliation et d'arrangements en présence de ses chefs, et il est rare que ces derniers ne réussissent pas à mettre les parties d'accord. Le chef de la subdivision ne manque pas une

497 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial. Dans un rapport sur le fonctionnement de la justice indigène dans le cercle de Savalou pendant le 3ème trimestre 1924, le commandant de cercle affirme qu'<< il y a lieu de croire que malgré nos conseils, les chefs règlent directement et à notre insu la plus grande partie des différends de leurs administrés ». ANB, 1M159, fonds du Dahomey colonial, lettre du 27 mai 1910 du procureur général des services judiciaires de l'AOF au gouverneur général de l'AOF n°296. Dans cette lettre le procureur général résume ainsi la situation à Savé : << les affaires de la compétence du tribunal de province dans le cercle de Savé se sont réduites à trois ; la raison : les habitants du cercle, nagots et mahis continuent à faire régler les différends par les notables dans leurs villages et mettent fort peu d'empressement à les soumettre aux juges indigènes que nous avons institués ».

498 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial, rapport sur le fonctionnement de la justice indigène pour le 2ème trimestre 1924 du chef de subdivision de Bembèrèkè.

499 Ibid., rapport sur le fonctionnement de la justice indigène dans le cercle de Savalou pendant le 3ème trimestre 1924.

occasion de rappeler à la population quel intérêt elle a à porter ses différends devant le tribunal régulier qui offre plus de garanties. »500

Les chercheurs contemporains, comme l'anthropologue du droit Etienne Le Roy, soulignent qu'il existe aussi des problèmes liés aux distances et aux coûts financiers à engager, ainsi que la crainte de la population d'aller à l'encontre de chefs locaux ou des administrateurs coloniaux en estant en justice501. Les mêmes causes étaient mises en avant par un administrateur stagiaire dans son mémoire de l'ENFOM sur la sécurité en AOF en 1945-1946 :

<< Mon opinion (les statistiques criminelles n'étant pas publiées), est que les crimes ainsi révélés seraient même moins fréquents que dans beaucoup d'autres contrées. Ce fait s'explique par la criminalité clandestine. De grandes distances séparent souvent le justiciable du siège du tribunal : on préfère régler la question dans le village même, plutôt que d'avoir à faire 50 à 100 km à pied pour implorer une justice que l'on connaît mal et dans laquelle on n'a pas toujours une grande confiance. Et puis le coupable peut avoir pris la fuite, alors à quoi bon ! (...). Des intérêts haut placés sont mis en cause : le criminel ou l'instigateur du crime n'est pas toujours un quelconque individu, mais tel chef, tel notable dont la puissance est redoutée. On craint de la voir se retourner contre soi si l'on se mêle d'aller mettre le «blanc» dans cette affaire. »502

L'insuffisante maîtrise de la langue locale par l'administrateur, ainsi que l'obstacle de l'analphabétisme des populations, laissent à l'interprète et aux assesseurs indigènes la possibilité d'exercer un pouvoir exorbitant et de dénaturer les coutumes dans un sens qui leur soit favorable. Les autochtones peuvent se sentir floués par cette justice censée faire prévaloir les coutumes, dans la mesure où celles-ci sont déformées par la logique juridique du colonisateur et les intérêts des notables.

Enfin, les différences de conception à l'égard de l'infraction, de la responsabilité et de la sanction entre les Africains et les administrateurs européens expliquent le faible recours à la justice indigène officielle et une nette préférence pour la justice coutumière. Dans la conception africaine du monde, l'harmonie du groupe et la parenté revêtent une valeur essentielle et l'ordre social est baigné de sacralité. Aussi, comme l'exprime Maryse Raynal, << la population, essentiellement rurale (...), continuant de vivre comme avaient vécu [ses] ancêtres et à croire que toute mort ou phénomène anormal est la conséquence d'un crime ou la manifestation de la colère des ancêtres, recourt aux anciennes modalités de preuve (...) et soumet ses différends aux autorités judiciaires traditionnelles (chef de village ou de quartier) »503. Par ailleurs, dans la mesure où l'infraction commise affecte l'ordre cosmogonique et communautaire, il convient que le différend soit réglé au sein

500 Ibid., rapport sur le fonctionnement de la justice indigène pour le 4ème trimestre 1924 dans le cercle du Borgou, subdivision de Bembèrèkè.

501 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 155.

502 Lucien Blot, La sécurité en AOF, op. cit., p. 3.

503 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice moderne, op. cit., p. 127.

même du groupe qui l'a vu naître et non par un tribunal étranger. Etienne Le Roy explique que le fait de << laisser un étranger s'immiscer dans un conflit interne au groupe est une preuve de faiblesse tant pour ce qui concerne le présent (incapacité à mobiliser ses forces pour prendre en charge un différend) que le futur. C'est en effet lui faire connaître la coutume propre à ce groupe, laquelle a pour vocation de rester discrète, voire secrète car elle signe son identité »504. Maryse Raynal précise que dans le système judiciaire précolonial, l'infraction commise est portée à la connaissance des siens, de son groupe, mais non de tout le monde. Or la justice coloniale porte atteinte à ce principe dans la mesure où << lorsque les autorités légales sont saisies d'un différend, elles le dévoilent obligatoirement à l'ensemble de la population composée d'éléments hétérogènes »505.

De plus, et dans la mesure où l'infraction dans les sociétés africaines précoloniales porte atteinte non seulement à l'individu mais également à la communauté, la réparation doit concerner cette communauté. La sanction de la justice coloniale est inefficace à ce niveau puisqu'elle ne prend pas en considération cette notion. Elle prive le responsable de liberté mais n'assure pas la réparation communautaire du dommage, lésant ainsi les parents de la victime. La sanction prévalant dans la justice indigène, l'emprisonnement, ne répond pas aux attentes de la victime qui attend une réparation pécuniaire ou sous forme de prestations de travail. La notion même d'infraction varie d'une société à l'autre et des actes considérés comme normaux dans certaines sociétés précoloniales, tels les coups portés à un sorcier, se trouvent poursuivis en tant qu'infraction (sous la qualification de coups et blessures) et sanctionnés par la justice coloniale.

Dans ces conditions, le fait de porter une infraction à la connaissance des autorités peut être considéré comme << une provocation », comme un véritable << scandale », car << c'est méconnaître les intérêts, voire l'existence du groupe ». L'individu peut se trouver marginalisé, voire exposé à la vengeance privée, s'il a méconnu cette réalité506. L'exemple de l'assassinat d'un propriétaire cultivateur, Akoklanou, par un autre riche propriétaire, Aloakénou, en 1902 est révélateur de cette réalité. En effet, les deux hommes étaient en litige au sujet d'une plantation et Akoklanou avait obtenu gain de cause devant le tribunal indigène. Le cultivateur débouté le fit assassiner par ses domestiques et il << fit clouer ces lambeaux de chair contre le portique du féticheur en disant : «c'est ainsi que je traiterai ceux qui auront recours à la justice des blancs» »507. Il semble donc qu'<< avoir recours aux

504 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 9.

505 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice moderne, op. cit., p. 304.

506 Ibid.

507 ANB, 1M30, fonds du Dahomey colonial, réquisitoire introductif du procureur le 10 septembre 1902.

instances légales, c'est paradoxalement s'exposer à la vengeance privée >>. Maryse Raynal ajoute que certains individus poursuivis devant la justice indigène acceptaient de verser une forte somme d'argent pour éviter qu'une vendetta ne s'exerce contre eux ou leur famille : << La crainte de la vengeance est telle que l'on préfère s'en remettre aux autorités coutumières >>508.

Pour toutes ces raisons, une part importante des litiges n'est pas portée devant la justice indigène, mais ce recours à l'infra-judiciaire existait également dans d'autres sociétés. En effet, plusieurs études ethnologiques et historiques ont mis en évidence une part importante de litiges réglés hors juridictions dans la France rurale du XIXème siècle, notamment dans certaines régions encore mal intégrées à l'ensemble national. Comme dans ces territoires, les litiges font l'objet au Dahomey d'autres méthodes de résolution, par le recours à la vengeance personnelle et familiale ou par un règlement parallèle, devant le chef de famille, de village ou de canton509.

Les méthodes parallèles de résolution des litiges

La vengeance personnelle et familiale semble souvent utilisée pour régler des questions litigieuses. Plusieurs affaires arrivent en dernier recours en justice, mais après avoir donné lieu à des règlements personnels. Un exemple peut être fourni dans une affaire de coups et blessures mortels jugée le 20 juin 1924 par le tribunal de cercle de l'Atacora. Un homme, Yapoté, accusé par son voisin Koumagou d'avoir pour maîtresse une femme du village, alla à sa rencontre pour lui demander des explications, mais l'histoire dégénéra en règlement de compte qui impliqua la famille de Yapoté. Le jugement relate ainsi les faits :

<< Koumagou maintint ses dires mais sans donner de précisions, ajoutant qu'un Somba n'avait pas à discuter avec un sale Darobou et que s'il n'était pas lâche, ils pourraient régler cette histoire dans la brousse. Koumagou s'arma d'une houe, Yapoté prit un fouet et tous deux allaient mais en passant devant le tata [maison] de Koumagou, Yapoté ayant pu parer le coup que par surprise avait voulu lui porter Koumagou, fonça tête baissée sur son adversaire et tous deux roulèrent à terre. Aux cris et jurons accoururent Timpa et Koumpé, tante et soeur de Yapoté. Yapoté avait crié «tapez fort, il veut me tuer». Les deux femmes s'armèrent de gros bambous et frappèrent violemment Koumagou qui atteint au dos et à la hanche demanda grâce. Koumagou s'alita le lendemain et mourut le 13 juin. Les trois furent arrêtés et conduits à Natitingou par les gens du village (...) le 14 juin. >>510

508 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice moderne, op. cit., p. 304.

509 Jean-Claude Farcy, L'histoire de la justice française, op. cit., pp. 247-248, sur l'infra-judiciaire en France. Si les médiateurs hors juridictions ne sont pas les mêmes en métropole et au Dahomey, ils appartiennent toujours à l'élite de la communauté au sein de laquelle doit se régler le litige. En France, dans les régions encore peu intégrées, les << arbitres de ces conflits appartiennent essentiellement au monde des notables ou de la petite bourgeoisie locale instruite (médecins, notaires, curés, maires), représentants de la communauté >>.

510 ANB, 1M123, fonds du Dahomey colonial.

De même, le tribunal de premier degré de Natitingou juge le 16 août 1938 trois prévenus d'un village, accusés par le plaignant M'Po de coups et blessures. Il ressort des débats que les faits ont pour origine une vengeance familiale. En effet, quelques temps auparavant, plusieurs membres de la famille de M'Po avaient donné des coups de fouet à des parents des agresseurs du plaignant. Selon le jugement, les représailles familiales à la suite d'une agression ne sont pas punies par la coutume somba ; mais le tribunal écarte la coutume pour condamner les trois prévenus à 6 mois de prison, sans accorder de dommages et intérêts au plaignant511.

Victimes et auteurs d'infractions peuvent par ailleurs parvenir à un accord destiné à mettre fin au conflit et à assurer la réparation à la victime. Ceci est notamment le cas pour les homicides ou les blessures par imprudence. L'affaire n'est alors portée en justice que si l'accord n'a pu être respecté. Ainsi, la notice d'un jugement rendu par le tribunal de cercle du Mono en 1931, à propos d'un homicide par imprudence commis lors d'une chasse, indique-t-elle que le frère de la victime avait demandé au prévenu de payer la somme pour les funérailles mais que celui-ci ne l'avait pas encore versée et que le parent de la victime porta alors plainte. Le frère de la victime interrogé lors du procès précise qu'il n'aurait pas porté plainte si le prévenu lui avait payé la somme convenue512.

La résolution personnelle des conflits pose problème aux fonctionnaires coloniaux. Les responsables de la police interrogent les parties sur les raisons du non-recours à la justice, sans réellement obtenir de réponse. C'est ainsi que le commissaire de police de Grand-Popo interroge un homme, Boyi, accusé d'avoir frappé Assavi. Boyi reconnaît avoir porté des coups à la victime mais les justifie par le fait que c'est Assavi qui a commencé à donner des coups de coupe-coupe à l'un de ses boeufs, après un ancien conflit de voisinage, - les boeufs de Boyi venant brouter dans les champs d'Assavi. Mais lorsque le chef de police déclare « vous n'avez pas à vouloir vous faire justice vous-même. Vous n'avez qu'à venir trouver l'administrateur qui se serait chargé d'arranger l'affaire », il n'obtient pas de réponse513.

Certains Dahoméens se trouvent même parfois poursuivis devant les tribunaux indigènes pour avoir réglé par eux-mêmes des litiges sans recourir à la justice officielle. Tel est le cas de Moussa Barboza, condamné à 50 francs d'amende par le tribunal de

511 ANB, 1M177, fonds du Dahomey colonial.

512 ANB, 1M161, fonds du Dahomey colonial, jugement en audience foraine du tribunal de cercle du Mono le 4 mai 1931.

513 ANB, 1M123, fonds du Dahomey colonial, procès-verbal d'interrogatoire de Boyi par le chef de la police de Grand-Popo le 15 septembre 1928.

premier degré de Grand-Popo le 23 novembre 1936, pour avoir tranché une affaire de vol de mouton dont il a été victime sans la soumettre à la juridiction compétente. Ce jugement se trouve cependant annulé par le tribunal colonial d'appel le 5 février 1937, dans la mesure où le fait reproché << ne tombe pas sous le coup de la loi pénale >>514.

Au-delà du règlement personnel des litiges, la population dahoméenne a également recours au chef traditionnel, qui n'est pas automatiquement le chef établi par le pouvoir colonial515. Lors des révoltes contre l'autorité coloniale, comme par exemple celle menée par le chef rebelle Gaba entre 1916 et 1917 dans l'Atacora, on assiste d'ailleurs à la reconstitution des tribunaux coutumiers516. L'existence de cette justice officieuse est connue des autorités coloniales, mais son importance n'est pas clairement mesurée. L'administration coloniale n'est parfois informée de l'existence de règlements judiciaires par des chefs de canton que lorsque ceux-ci font l'objet de plaintes de la part de la population mécontente de la sanction ou de chefs qui ont été eux-mêmes dépossédés de leurs attributions et rémunérations judiciaires par le chef en cause. Une affaire est ainsi portée devant l'adjoint au résident de Sakété par le roi de Sakété en 1904, donc à une époque où subsistent encore certaines juridictions coutumières présidées par des rois ou des chefs supérieurs. Le roi de Sakété, Agbola, se plaint auprès de l'administration de ce que le chef de Takon ait jugé de sa propre autorité, sans l'en informer et de manière arbitraire, une affaire d'homicide par imprudence :

<< Il y a deux mois environ, c'est-à-dire en mai dernier, un individu, neveu du chef Elémon de Sakété, a blessé mortellement un homme de Takon dont j'ignore le nom. Cet homme aurait été victime d'une erreur de la part du meurtrier, qui dans la brousse aurait pris l'homme pour une biche. On avait oublié volontairement de me prévenir de cet accident. Ce n'est que le 11 juillet dernier que je fus mis au courant de ce meurtre par Elémon. Le chef de Takon, de concert avec Toffa, paraît-il, avait arrangé la chose. Les parents du meurtrier auraient versé au chef de Takon une amende de 500 francs, trois moutons, 2 dames-jeannes de Tafia et 2 caisses de gin, sous condition que le chasseur maladroit serait mis en liberté. Or j'apprends que le meurtrier est devenu par force lary ou esclave du chef de Takon. Ce que voyant la famille est venue me trouver en me priant de soumettre cette affaire à l'autorité administrative. Je crois devoir ajouter que le chef de Takon auprès de qui j'avais envoyé un émissaire m'a fait répondre que cette affaire ne me regardait pas, qu'il l'avait arrangée avec Toffa et que les blancs n'avaient rien à y voir. >>517

Par ailleurs, les anciennes attributions judiciaires des chefs de village ou de canton restent jalousement conservées et défendues non seulement parce qu'elles sont symbole de pouvoir, mais également parce qu'elles sont rémunératrices. Maurice Ahanhanzo Glélé

514 Ibid., jugement du tribunal colonial d'appel.

515 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique Noire de 1800..., op. cit., pp. 65-74.

516 Luc Garcia, << Les mouvements de résistance au Dahomey (1914-1917) >>, Cahiers d'études africaines, n°37, 1970, p. 173.

517 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, procès-verbal du 17 juillet 1904 dressé par Edouard Lecocq adjoint au résident du Protectorat à Sakété.

souligne que cette situation se maintint au-delà de la période coloniale, précisant en 1974 que << cela durera encore un quart de siècle, vu la pénurie de cadres et la modicité des moyens économiques et financiers du Dahomey pour doter les sous-préfectures de juges professionnels >>518.

Le règlement des litiges hors juridictions, apprécié par les populations et encouragé par les chefs locaux souhaitant conserver leurs prérogatives, reste donc important pendant toute la période coloniale. En outre, si certains Dahoméens, notamment les mieux intégrés dans la société coloniale, ont recours à la justice indigène, des résistances se développent à l'encontre de cette justice qui apparaît comme un symbole de l'ordre colonial.

3. Les résistances à la justice officielle : une opposition à l'ordre colonial ?

Les critiques à l'égard de la justice indigène et du Code de l'indigénat se multiplient au Dahomey au cours des années 1920-1930. Les critiques les mieux connues sont celles formulées dans la presse dahoméenne par l'élite cultivée. Mais au-delà de la seule pensée des << évolués >>, il convient d'appréhender les sentiments et l'opposition des masses populaires vis-à-vis de la justice indigène - réactions qui peuvent prendre la forme de plaintes mais également d'actes d'insoumission à l'égard des décisions de justice. Si des formes de résistance à la justice officielle se manifestent de manière évidente, leur ampleur est difficile à mesurer. Plus encore, le sens à donner à ces critiques mérite d'être discuté, entre refus de l'arbitraire colonial et opposition au colonisateur.

Les critiques des « évolués » à travers la presse dahoméenne

Plusieurs études et thèses soulignent que le Dahomey est une colonie où la presse dirigée par des autochtones, de manière clandestine ou autorisée, a été particulièrement florissante519. Dès la veille de la Première Guerre mondiale, sous l'impulsion d'un instituteur, Louis Hunkanrin520, sont constitués la section de Porto-Novo du Comité francomusulman et la Ligue des droits de l'Homme. Ces associations, regroupant les notables traditionnels et quelques évolués, entament une lutte contre l'arbitraire colonial qui se manifeste notamment dans la critique de la justice indigène et du Code de l'indigénat521. Il

518 Maurice Ahanhanzo Glélé, Le Danxomé..., op. cit., p. 145.

519 Notamment Clément Koudessa Lokossou, La presse au Dahomey 1894-1960..., op. cit. Bellarmin Coffi Codo, La Presse dahoméenne face aux aspirations des « évolués » ; « La Voix du Dahomey » 1927-1957, Thèse de IIIème cycle, Histoire, Paris VII, 1978.

520 Voir dictionnaire biographique en annexe 6.

521 Sylvain Anignikin, Coffi Belarmin Codo, Léopold Dossou, << Le Dahomey (Bénin) >>, in Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de), L'Afrique occidentale au temps des Français..., op. cit., p. 396.

s'agit alors moins d'une remise en cause de la colonisation que des abus commis par ses agents et d'une revendication d'assouplissement du système colonial. Après avoir publié des tracts, la contestation acquiert une nouvelle dimension avec la parution clandestine du premier journal dahoméen en 1917, Les Récadères de Béhanzin, sous la direction de Louis Hunkanrin, Paul Hazoumé522 et les frères Zinsou Bodé. Ce journal à tirage très limité dénonce << les administrateurs prévaricateurs, impitoyables et injustes >>, << mais aussi et surtout la justice indigène >>523. La petite élite << évoluée >>, proche dans ses modes de vie de la bourgeoisie coloniale, aspire à bénéficier des mêmes conditions sociales, politiques et juridiques, mais prend conscience des limites à cette revendication du fait de la ségrégation imposée entre << sujets >> et << citoyens >> français. Souvent associé à la gestion coloniale, ce groupe social (instituteurs, interprètes, médecins...) cultivé et éduqué selon des normes européennes, se sent différent de ses compatriotes africains sans être assimilé aux citoyens français. La même question se pose pour les métis ou les chrétiens, pour lesquels des statuts particuliers ou de citoyens français sont revendiqués.

Mais la politique de << domination >> coloniale, ou << politique du prestige >>, selon l'expression d'Emmanuelle Saada, << suppose d'abord une différence >>. Selon ce principe, il convient de toujours << maintenir la bonne distance entre colonisateur et colonisé >>. Le colonisateur impose à la fois aux indigènes de << se maintenir dans leur indigénéité >>, par exemple en refusant parfois aux agents sous leur direction qu'ils vêtent des costumes européens, << et de se civiliser >>524. Ne pouvant obtenir le même statut et la même place que le Français métropolitain, le groupe des << évolués >>, bien que marqué par des stratégies parfois hétérogènes, se positionne alors en porte-parole de la défense des indigènes contre l'arbitraire colonial et réclame, selon les cas, l'égalité des conditions et des statuts ou la reconnaissance d'un statut particulier pour les << évolués >>. Pour exprimer cette lutte, l'élite dahoméenne utilise la presse légale au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Si la loi sur la presse du 29 juillet 1881 est applicable dans les colonies, le droit de gérer une activité de presse n'est accordé qu'aux seuls citoyens français, soit un petit nombre de Dahoméens. Certains d'entre eux, après avoir participé à la Grande Guerre, obtiennent la citoyenneté française et peuvent dès lors créer des journaux, comme l'ancien combattant Dorothée Lima, qui fonde Le Guide du Dahomey en 1921. Louis Hunkanrin crée également à Paris en 1920 Le messager dahoméen, qui est animé par l'avocat antillais

522 Voir dictionnaire biographique en annexe 6.

523 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 315.

524 Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie..., op. cit., p. 73.

Max Clainville Bloncourt. De même, Kojo [ou Codjo] Tovalou Houénou fonde en 1924 << La ligue universelle pour la défense de la race noire >>, qui milite pour l'octroi de la citoyenneté à tous les colonisés, parallèlement à un journal Les Continents, publié en France pendant huit mois525. Après l'interdiction du Guide du Dahomey en 1923, La Voix du Dahomey prend en 1927 le relais des revendications des intellectuels dahoméens, de même que d'autres journaux tel que La quinzaine dahoméenne de Blaise Kouassi, devenue Le Courrier du Golfe du Bénin en 1933, L'écho des cercles, dirigé par Simon Akindes, La Presse Porto-Novienne, le Phare du Dahomey ou L'étoile du Dahomey.

Laurent Manière souligne que La Voix du Dahomey, à ses débuts, critique de manière virulente la justice indigène, qualifiée de << régime de la chicotte >>, et réclame l'application du droit français mais au seul bénéfice des << évolués >>, dans la mesure où le tribunal français est << la seule juridiction qui convienne à leur degré de civilisation >> :

<< Si l'on veut être dans la logique, il faut soustraire nécessairement l'indigène instruit dans nos écoles à toute juridiction indigène. (...) Les instituteurs, les médecins auxiliaires, enfin les fonctionnaires non citoyens français mais nantis de diplômes qui les placent aux premiers échelons de la civilisation, sont du ressort du tribunal indigène. >>526

Mais les autorités coloniales n'entendent pas soustraire l'évolué indigène ou l'Africain converti au christianisme de la masse des habitants527, maintenant une conception purement duale du principe de la différence entre le colonisateur et le colonisé, correspondant à l'opposition entre citoyen et sujet, voire à celle entre Blancs et Noirs. La Voix du Dahomey se fait l'écho des brimades exercées contre des Africains, pourtant citoyens français :

<< Il nous revient que notre compatriote Maximilien Falade, naturalisé français pourtant, a été
malmené par les agents de police (...). Ce citoyen français de couleur avait beau déclarer aux agents
de police qu'il était un «Français», mais n'ayant pu montrer aucune «étiquette», il a été passé à

525 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 316.

526 La Voix du Dahomey, n°15, 15 mars 1928, cité par Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 356.

527 La chambre d'homologation de la Cour d'Appel de l'AOF, dans un arrêt du 13 novembre 1924, estime que la << religion catholique ne confère pas aux indigènes un statut particulier ou des droits civils nouveaux contraires à leurs coutumes >>. Le fait de se convertir au catholicisme ne permet donc pas d'échapper aux juridictions indigènes et à l'application des coutumes locales, y compris celles relatives au mariage et à la famille. André-Pierre Robert critique cette solution jurisprudentielle dans son ouvrage sur les coutumes, en estimant que << le plus grave, c'est que la jurisprudence oppose l'inefficacité des pratiques religieuses chrétiennes à la légalité des coutumes inspirées de l'Islam >>. Cette distinction tient selon lui à un << procédé de colonisation que de protéger l'islam pour assurer l'expansion du droit musulman considéré comme plus évolué que les coutumes, mais tout de même plus facile à assimiler que notre système juridique. C'est d'ailleurs au nom de ce principe que l'on couvrit le nord de la fédération de tribunaux musulmans, même pour juger des fétichistes >>. André-Pierre Robert, L'évolution des coutumes dans l'ouest africain..., op. cit., pp. 60-67. Voir aussi sur ce point, Côme Kinata, << Les administrateurs et les missionnaires face aux coutumes au Congo français >>, op. cit., pp. 600-602.

tabac... et contraint à l'hospitalité de la taule... pour prévenir de pareilles méprises, il serait nécessaire de distribuer aux «naturalisés» des cartes d'identité. »528

Les autorités coloniales ne souhaitent également pas créer des statuts particuliers pour les évolués ou les convertis au christianisme car elles ont besoin de l'appui des autorités traditionnelles sur lesquelles repose l'organisation sociale.

Face au refus des autorités coloniales, le discours des élites cultivées du Dahomey se radicalise. Elles dénoncent l'application d'une << juridiction d'exception qu'on continue de nous appliquer au nom de je ne sais quelle mission de tutelle », ainsi que l'absence de séparation des pouvoirs. Elles revendiquent la suppression de la justice indigène et l'application du droit français à tous les habitants des colonies. L'administration coloniale resserre sa surveillance sur la presse, notamment à partir de 1933, sous l'impulsion du lieutenant-gouverneur De Coppet529. Cette politique est mise en oeuvre par les administrateurs Desanti et Léo Antoine qui rendent périodiquement compte des attaques de la presse dahoméenne contre les institutions coloniales. Ainsi Léo Antoine distingue-t-il, entre 1931 et 1935, trois campagnes successivement menées contre la justice indigène par La Voix du Dahomey. Tout d'abord en 1931 et 1932, La Voix du Dahomey publie plusieurs articles revendiquant l'application d'une justice unique dans les colonies, dont l'un s'intitule << Leur justice n'est pas la justice » :

<< Il s'agit encore de la justice des administrateurs, dite justice indigène, comme si la justice, la vraie, pouvait s'affubler d'un qualificatif au même titre que la politique qui, elle, peut très bien être tout ce qu'on veut. (...) Il faut rendre l'administrateur à son administration indigène, à sa politique indigène : il faut lui retirer la justice parce que celle-ci ne peut être ni indigène ni autre chose, mais uniquement ce que son nom indique qu'elle doit être : la JUSTICE. »530

Léo Antoine constate ensuite que les articles consacrés à dénoncer la justice indigène sont plus nombreux encore en 1934. Certains étayent les critiques de faits concrets, par exemple << la monstruosité judiciaire » commise par l'administrateur pour protéger le chef Djigbodé, dont nous avons déjà parlé. D'autres développent de manière plus générale les revendications des évolués :

<< Nous ne saurons jamais assez de crier les méfaits de cette juridiction indigène, qui n'est pas la justice, mais une plaie hideuse et une arme dangereuse entre les mains des administrateurs (...). Cette justice doit disparaître pour faire place à la justice du droit commun, nantie d'un cadre humanitaire. »531

528 La Voix du Dahomey, n°7, 15 novembre 1927, cité par Clément Koudessa Lokossou, La presse au Dahomey 1894-1960..., op. cit., p. 139.

529 Voir dictionnaire biographique en annexe 6.

530 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, lettre de l'administrateur Léo Antoine au lieutenant-gouverneur par intérim du Dahomey le 5 janvier 1935. Complété par Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 358.

531 ANB, 2M28, Ibid.

Enfin, l'administrateur Léo Antoine rappelle que la dernière campagne de presse contre la justice indigène a été menée en 1935 et qu'elle avait pour objet la défense même du journal La Voix du Dahomey, victime d'un nouveau « scandale judiciaire >>, puisque plusieurs de ses membres sont poursuivis pour recel de documents administratifs.

Les « évolués >> critiquent la justice indigène et les juges qui y siègent, tant les administrateurs que les chefs locaux. En effet, les akowés (ou cols blancs) dahoméens se trouvent parfois en conflit avec les notables locaux, qui représentent en quelque sorte les « autorités traditionnelles >> avec lesquels ils se trouvent en concurrence. Par ailleurs, formés à l'école coloniale, ils se sont parfois éloignés des valeurs traditionnelles et « supportent mal les décisions des assesseurs attachés aux coutumes >>532.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la promotion sociale des élites restait encore limitée. Le projet de décret élaboré par la direction des affaires politiques d'AOF et définissant le statut des évolués est finalement abandonné533. Une majorité d'intellectuels africains sollicitent toujours l'intégration à la métropole et donc la suppression non seulement du Code de l'indigénat mais également de la justice indigène. Il s'agit notamment de personnalités dahoméennes comme José Firmin Santos, directeur du journal La Voix du Dahomey, ou encore sénégalaises. Pourtant, comme le souligne Catherine Akpo-Vaché, l'accès de tous les Africains à la citoyenneté en 1946 et la suppression de toutes les institutions indigènes suscitèrent parfois une certaine « amertume chez les anciens akowés [cols blancs] qui avaient vu concéder à la masse des droits qu'eux-mêmes avaient acquis difficilement >>534.

Au-delà de la revendication des « évolués >> de supprimer la justice indigène à leur endroit ou pour l'ensemble des populations des colonies, le sentiment populaire à l'égard de la justice est plus difficile à connaître, mais certaines plaintes et réactions permettent de constater une opposition très large à la justice indigène à l'échelle du Dahomey.

Oppositions populaires à la justice indigène

Les oppositions se manifestent le plus souvent de manière individuelle, notamment de la part de personnes s'estimant injustement condamnées par les juges indigènes et demandant parfois la possibilité de se faire juger par la justice française. Tel est le cas de Jules Déguenon, qui après avoir été condamné en 1935 à un mois de prison et 8 francs

532 Nanlo Bamba, Les Africains devant la réforme judiciaire de 1946, p. 15.

533 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre mondiale, op. cit., p. 217. Selon ce projet, le « notable évolué >> était un demi-citoyen qui bénéficiait du régime juridique des citoyens mais n'exerçait ses droits politiques qu'à l'échelon local.

534 Ibid., p. 257.

d'amende pour vol de bois au préjudice de la colonie par le tribunal de premier degré de Zagnanado, s'écrie devant cette juridiction :

<< Je fais appel du jugement me condamnant à un mois de prison ; pendant le temps qui s'écoulera avant que le jugement du tribunal colonial soit rendu, je n'irai pas à la corvée, je resterai à la prison. Je n'accepte pas votre jugement ; je veux être jugé par un tribunal européen. Je ne me considère pas comme coupable, car si j'ai volé c'est que je ne me trouvais pas assez payé. »535

Le condamné est aussitôt condamné à un autre mois de prison pour insulte à l'égard du tribunal. Mais plus souvent, les condamnés se plaignent seulement de jugement arbitraire ou injustement obtenu par des tromperies, sans solliciter le jugement par le tribunal français. Ainsi l'administrateur Le Hérissé informe-t-il l'inspecteur des Colonies en 1912 que << le nommé Chabli de Boton, détenu à la prison de Porto-Novo en vertu d'un jugement du tribunal de province de Savalou, sollicite d'être entendu par vous. Il prétend que la condamnation pour vol est injuste ; elle n'aurait été prononcée qu'à la suite de faux témoignages, que l'interprète de Savalou, Hodonou, par l'intermédiaire d'un garde de cercle, aurait su obtenir de deux Gambaris, Mama et Ali, actuellement détenus à Porto-Novo »536. Certaines personnes menacent même de recourir à une justice officieuse si le tribunal ne leur donne pas gain de cause, comme la personne condamnée en 1935 à un mois de prison pour attitude injurieuse à l'égard du tribunal après avoir déclaré que << si le tribunal de premier degré de Zagnanado refusait d'accorder la rupture de mariage demandée par son père, il en résulterait un procès qui ne serait pas jugé à Zagnanado »537. Ces paroles furent considérées comme constituant une tentative d'intimidation et une menace à l'égard du tribunal et le président demanda l'arrestation de l'individu.

Mais les oppositions s'expriment parfois aussi de manière collective afin de prendre la défense d'un groupe ou d'un individu considéré comme injustement accusé, condamné ou emprisonné par un administrateur. Une lettre anonyme signée d'<< un originaire d'Adjohon chargé des affaires courantes et des notables d'Adjohon » est adressée au lieutenant-gouverneur du Dahomey le 19 janvier 1920 pour se plaindre des agissements d'un administrateur d'Adjohon, M. Gavoi, qui est qualifié d'<< impatient rendant l'injustice à la justice ». L'individu qui écrit ce courrier se présente comme représentant les revendications de la communauté d'Adjohon. En effet, l'administrateur est accusé d'avoir emprisonné des femmes avec leurs bébés dans des conditions inhumaines :

535 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial, jugement du tribunal de premier degré de Zagnanado le 9 septembre 1935.

536 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, lettre du 18 janvier 1912.

537 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial, jugement du tribunal de premier degré de Zagnanado le 4 juin 1935.

<< M. Gavoi emprisonna les femmes en les mettant dans la cellule avec leurs bébés de 3 à 4 mois. Pendant la nuit, ces petits enfants commençaient à pleurer dans leur chambre fermée toute noire et obscure en voulant téter leurs mères, et personne n'osait ouvrir la porte. Oh ! Quelle pitié, quel geste lamentable à ces enfants souffrants et assoiffés en cellule. C'est un homicide. Il y a encore des femmes enceintes qui (...) sont ainsi enfermées dans la cellule pendant la nuit, elles se mettent en douleur, transpirantes, comme rôties dans le four. »538

Le plaignant indique que M. Gavoi agit sans avoir même pris le temps de réunir le tribunal, suite à la plainte des parents de ces femmes qui avaient promis leurs filles à d'autres hommes que ceux avec lesquels elles vivaient.

Parfois, plusieurs personnes prennent la défense d'un individu dont on estime qu'il est injustement jugé par les autorités coloniales, comme Pierre Johnson, commerçant d'Athiémé condamné à dix ans de prison et dix ans d'interdiction de séjour en 1936 pour complicité dans une tentative de meurtre. Ce détenu transféré au pénitencier de Fotoba est fermement défendu par certains intellectuels comme Jean Adjovi ou encore Maurice Satineau, député de Guadeloupe, qui demandent la révision du procès en mentionnant dans La Dépêche Coloniale du 25 juin 1938 qu'il s'agit là d'une << petite affaire Dreyfus au Dahomey »539.

Certains jugements font par ailleurs apparaître des résistances par rapport aux forces de l'ordre elles-mêmes, chargées de venir arrêter un individu ou exécuter un jugement. Ces réactions peuvent s'analyser parfois en opposition par rapport à la justice indigène. Plusieurs individus sont par exemple jugés pour rébellion en 1938 par le tribunal de premier degré de Tanguiéta, après avoir injurié et menacé de flèches le chef de canton venu, sur ordre du chef de subdivision, arrêter un habitant du village accusé de vol de boeufs par un habitant d'un autre village540.

L'existence de ces plaintes et réactions d'opposition permet de souligner que les critiques exprimées par les évolués sur l'arbitraire de la justice indigène semblent partagées par la population. Ces manifestations de résistance ne mentionnent en revanche que rarement une revendication d'application de la justice française. Si le groupe des intellectuels dahoméens sollicite collectivement par voie de presse le recours aux juridictions françaises, il semble que la population dans son ensemble exprime son refus de

538 ANB, 1M008, fonds du Dahomey colonial, lettre du 19 janvier 1920 au lieutenant-gouverneur du Dahomey.

539 CAOM, 8G8, dossier Pierre Johnson (1935-1946). Finalement, Pierre Johnson obtient en 1938 par décret présidentiel la remise de la moitié de sa peine, puis le gouverneur général de l'AOF lui accorde la libération conditionnelle par arrêté du 16 mars 1939.

540 ANB, 1M123, fonds du Dahomey colonial, jugement du 14 septembre 1938 du tribunal de premier degré de Tanguiéta, notice des jugements rendus par ce tribunal en septembre 1938. Un cas similaire est jugé le 3 septembre 1926 par le tribunal de cercle de Porto-Novo. ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial.

la justice indigène par des plaintes individuelles lors d'arrestations ou de condamnations arbitraires, voire plus encore par des réactions d'évitement de la justice officielle et un recours à la justice traditionnelle.

Au total, la justice dans le Dahomey colonial apparaît comme une institution hybride, reflétant la vision racialisée du colonisateur mais aussi ses ambiguïtés, entre la recherche d'un système « adapté » aux colonies mais en réalité profondément dénaturé par rapport aux justices précoloniales, et les impératifs d'une administration au moindre coût répondant avant tout aux besoins du pouvoir. Les modalités d'utilisation de la justice indigène, tout autant que les manifestations de refus et d'opposition à son fonctionnement, révèlent également les conflits et les relations qui traversent la société coloniale. Cette instance devant laquelle sont présentés les litiges traduit le caractère subtil et parfois contradictoire des changements survenus pendant la colonisation : le nouveau ne se substitue pas purement à l'ancien mais se fond avec lui, donnant lieu à des synthèses nouvelles.

Conclusion

Cette étude, entamée à l'heure de la multiplication des débats sur la << question coloniale >>, intervient également à un moment où se développent des analyses de plus en plus riches sur les systèmes répressifs dans les colonies541. Mais si les recherches sur la police ou les prisons présentent un instrument répressif sous le seul contrôle colonial, cette affirmation est-elle absolue pour la justice pénale ? Cette question a parcouru la présente recherche, en interrogeant les conceptions et pratiques judiciaires du colonisateur et de la population colonisée. Aux termes de l'étude, la justice apparaît comme une réalité essentiellement marquée par la domination coloniale mais moins uniforme que les autres aspects du système répressif colonial, un principe et une institution plus << éclatés >> au sein de la société coloniale. En effet, la justice, bien que sous contrôle colonial, apparaît comme un des lieux de contact, de confrontation, voire d'évitement privilégié, non seulement entre la minorité européenne et la majorité africaine, mais également entre les différents groupes émergents ou déclassés : elle est la scène où se dévoilent les opérations de << chirurgie sociale >> intervenues pendant la période coloniale. Cet aspect plus multiforme de la justice par rapport aux autres instruments répressifs n'est pas antinomique et ne doit pas faire oublier que la justice a représenté avant tout un outil fondamental de domination coloniale.

La justice pénale au Dahomey, un instrument au service principal du colonisateur

En effet, la justice, qui est l'action par laquelle une autorité reconnaît le droit de chacun, constitue un enjeu de pouvoir pour la France, après la conquête du Dahomey à la fin du XIXème siècle. Cet aspect semble primordial dans toutes les colonies, comme le souligne Claude Liauzu en citant le gouverneur général de l'Algérie, Louis de Gueydon, entre 1871 et 1873 : << La justice est un des attributs de la souveraineté ; le juge musulman doit s'effacer devant le juge français ; nous sommes les conquérants, sachons le vouloir >>542. Si dans un premier temps, les autorités coloniales encore investies dans la conquête laissent les juridictions existantes fonctionner tout en instituant des juridictions

541 Nous renvoyons ici aux ouvrages mentionnés en introduction, notamment celui de Florence Bernault (sous la direction de), Enfermement, prison et châtiments, op. cit., mais aussi aux recherches de Mamadou Dian Chérif Diallo sur le système pénitentiaire en Guinée, de Babacar Bâ, d'Ibrahima Tioub et des étudiants de l'université Cheikh Anta Diop sur l'enfermement au Sénégal ou de Laurent Manière sur le Code de l'indigénat au Dahomey.

542 Claude Liauzu (sous la direction de), Dictionnaire de la colonisation française, op. cit., article << Droit et colonisation >>, p. 252.

françaises propres aux Européens, elles ne tardent pas à prendre le contrôle des tribunaux autochtones puis à substituer entre 1901 et 1903 un nouveau système judiciaire en AOF, caractérisé par un dualisme entre les juridictions indigènes propres aux Africains, appliquant les coutumes, et les juridictions françaises destinées aux Européens et suivant les principes du droit français.

Les juridictions indigènes créées s'intègrent dans la hiérarchie administrative coloniale : les juridictions de village, mais plus encore les tribunaux de province et de cercle suivent le découpage administratif. Le pouvoir colonial utilise la justice comme outil de domination et sa gestion répond aux mêmes principes que les autres actions administratives. En effet, associant les élites locales à la fois par manque de moyens humains de métropole et par souci de donner une légitimité au droit coutumier prononcé, les juridictions indigènes restent sous monopole colonial. Les magistrats indigènes sont nommés par le pouvoir colonial et leur choix est intimement lié à leur degré d'obéissance en qualité d'auxiliaire. Le contrôle ne cesse d'ailleurs de s'affirmer pendant l'entre-deuxguerres, non seulement lorsque les administrateurs assurent la présidence des tribunaux de subdivision jusque-là laissée entre les mains des notables locaux, mais également avec la perte de pouvoir des chefs de village qui ne conservent qu'une compétence de conciliation en matière civile. Plus encore, la coexistence de la justice indigène avec le Code de l'indigénat, qui permet aux administrateurs des colonies de sanctionner d'amende et de peine d'emprisonnement les Africains sans en justifier devant une autorité judiciaire, donne à la << justice >> un contour incertain et marqué par l'arbitraire. Les frontières entre justice indigène et Code de l'indigénat sont perméables et certaines infractions peuvent selon les périodes ou les intérêts du pouvoir être jugées devant les tribunaux indigènes ou faire l'objet de sanctions disciplinaires en application du Code de l'indigénat.

Enjeu de pouvoir, la justice constitue également un enjeu social pour le colonisateur dans la mesure où elle détermine le droit et fixe la place de chacun dans la société. La justice et le droit sont donc au coeur de la constitution de la société coloniale. Comme le souligne Emmanuelle Saada, << le droit (...) est un discours efficace : il ne reflète pas le social ; il le produit >>543. L'instauration de deux droits distincts, << indigène >> et français, justifie et crée dans le même temps la césure entre les << sujets >> et les << citoyens >> au sein du même Etat français. Le droit applicable détermine le statut colonial et inversement.

543 Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie ..., op. cit., p. 17.

Le pouvoir colonial s'efforce de justifier le dualisme de statut et de justice par le souci de respecter les droits coutumiers existants et par la nécessité d'instituer des juridictions adaptées aux besoins présumés des autochtones, avec des tribunaux adaptés à << leur degré d'évolution >>, statuant rapidement et se fondant sur les coutumes.

Ce cloisonnement judiciaire traduit certains préjugés raciaux et la crainte d'une extension du droit français, et donc du statut de citoyen dans des colonies plus peuplées que la métropole qui pourrait s'avérer dangereuse pour le maintien du pouvoir colonial. Ce choix résulte non seulement des représentations portées sur la population colonisée mais également d'impératifs plus pragmatiques : le colonisateur ne dispose que de moyens financiers limités, ce qui impose la mise en place d'une justice au moindre coût ; la faiblesse des ressources humaines issues de métropole contraint également à rechercher l'association des élites locales pour rendre la justice.

Soucieux d'afficher des principes cohérents et d'assurer sa légitimité, le pouvoir colonial institue une justice indigène dite << adaptée >> aux populations locales, respectant leurs coutumes et les autorités traditionnelles mais qui présente également quelques règles de procédure et d'organisation judiciaire proches de celles existantes en métropole, comme par exemple le droit d'appel ou encore l'obligation de motiver les décisions judiciaires. Plus encore, cette << adaptation >> aux besoins présumés des Dahoméens reste toujours subordonnée aux intérêts supérieurs du colonisateur et elle doit plier lorsque les coutumes sont contraires aux principes de la civilisation française, dans la mesure où l'objectif ultime du pouvoir colonial est de guider les autochtones vers le << progrès >> et une justice << éclairée >> selon le modèle européen. Les pratiques de la justice coloniale mettent donc en évidence le caractère incertain et ambigu des principes établis : les tribunaux ne font réellement application de la coutume que dans un peu plus d'un tiers des cas et le respect des droits et des procédures reste souvent de pure forme, tandis que les administrateurs coloniaux qui président les juridictions jouent un rôle souvent essentiel dans les jugements théoriquement rendus collégialement. Non seulement le projet judiciaire colonial est fondé sur des objectifs contradictoires mais la pratique des tribunaux révèle également certaines incohérences ou des écarts par rapport aux principes affichés. Les Dahoméens se trouvent donc en présence d'une justice << hybride >>, aussi éloignée des juridictions des royaumes précoloniaux que de la justice prévalant en métropole.

Enfin, la justice est, selon la définition donnée par le dictionnaire, un principe moral qui exige le respect du droit et de l'équité, dont le contenu varie d'une société à l'autre. Or les Africains se voient imposer un système judiciaire étranger et une loi

désacralisée, qui demeure hermétique à une conception coutumière de la loi ainsi qu'à un règlement interne à la communauté des conflits. La rupture introduite avec les systèmes judiciaires précoloniaux est plus ou moins brutale selon le degré de centralisation des anciens royaumes et leurs liens déjà plus ou moins développés avec les colonisateurs européens. Les autorités reconnues par les communautés locales, notamment dans les zones rurales les plus éloignées, cherchent donc à conserver le pouvoir, notamment en maîtrisant la zone infra-judiciaire de résolution des litiges. Par ailleurs, le caractère arbitraire des juridictions indigènes et leur domination par l'administration coloniale détournent la population de son usage. Les affaires ne sont pas systématiquement portées devant les tribunaux indigènes mais plus certainement résolues devant les chefs locaux, voire dans certains cas grâce à la vengeance personnelle et familiale.

Mais si la justice indigène reste sous l'emprise du pouvoir colonial et est souvent remplacée par d'autres formes de résolution des litiges, son caractère hybride ouvre une brèche pour transformer le projet judiciaire colonial en une réalité plus multiforme, utilisée par certains groupes colonisés pour faire prévaloir leurs intérêts et inscrire ainsi dans le droit les mutations sociales coloniales. Cette « drôle de justice », pourrait-on dire en reprenant les termes de Sylvie Thénault544, est aussi critiquée et rejetée pour imposer la réforme de la citoyenneté et du système judiciaire.

La justice indigène : un droit utilisé pour les intérêts des nouvelles « élites »

En effet, la justice constitue également un enjeu de pouvoir pour les populations colonisées. La participation de certains notables locaux, certes nommés et subordonnés aux autorités coloniales, dans les tribunaux judiciaires en tant qu'assesseurs, ainsi que l'emploi des jeunes hommes instruits dans les écoles des colonies comme auxiliaires dans les tribunaux, facilitent des promotions sociales ou des privilèges particuliers, comme par exemple le fait d'être exonéré des peines de l'indigénat pour les chefs de canton ou d'être plus particulièrement entendu en justice, voire d'exercer une autorité parfois importante sur la masse de la population. Plus encore, en fondant les décisions des juridictions sur les coutumes locales, les administrateurs coloniaux, qui connaissent peu ou mal ces coutumes, ouvrent la possibilité aux notables assesseurs, voire aux secrétaires et interprètes des tribunaux, de « réinventer » les règles juridiques en leur faveur. Cette « fabrique » d'un

544 Sylvie Thénault, Une drôle de justice..., op. cit. Il est à noter que Sylvie Thénault utilise ce terme à propos de la justice appliquée en Algérie dans le contexte particulier de la Guerre d'Algérie, ce qui est assez distinct de notre étude, mais le terme pourrait s'appliquer à la justice indigène compte tenu de ses ambivalences.

droit coutumier indigène se fait en se conciliant l'aval des autorités mais elle contribue à modifier la nature des rapports sociaux, notamment dans la sphère privée, à l'égard des femmes et de la famille, où le pouvoir colonial laisse, voire renforce, le pouvoir des notables. Le pouvoir colonial lui-même contribue à « refabriquer » ce droit coutumier, en écartant certaines règles ou sanctions contraires aux « principes de la civilisation française », en imposant de nouvelles réglementations, comme par exemple celles relatives à la répression du vagabondage ou de l'alcoolisme, destinées à « discipliner » la population colonisée selon les valeurs des autorités coloniales. L'analyse de l'origine des actions en justice permet par ailleurs de souligner que celles-ci sont essentiellement engagées suite à des plaintes. Ces plaintes sont formées parfois en dernier recours, après échec de la phase de conciliation, et plus fréquemment par les groupes bénéficiant des mutations sociales et économiques introduites par la colonisation. En effet, bénéficiant d'une reconnaissance sociale dans l'ordre colonial, les « nantis autochtones » recourent plus aisément à la justice indigène pour faire prévaloir leurs droits, comme en cas de vols pour certains commerçants, ou pour régler leurs conflits personnels et familiaux, voire assurer le respect dû à leur autorité, comme par exemple les chefs de canton ou les employés de l'administration. La justice indigène utilisée tant par le pouvoir colonial dans une logique de domination mais aussi d'évolution de la population sociale que par les groupes autochtones émergents pour faire prévaloir leurs intérêts génère un « droit coutumier » refabriqué, qui se place dans la continuité mais s'oppose dans les faits au droit antérieur dit « traditionnel » et qui emprunte beaucoup tout en le déformant au droit occidental dit « moderne ».

La justice indigène constitue donc une institution composite. Elle affiche des principes d'adaptation aux coutumes et d'association des notables locaux. Mais ces principes, sous-tendus par des préjugés raciaux, sont largement contredits par des pratiques d'arbitraire ; ils restent liés à l'intérêt supérieur de la domination coloniale. Institution qui ne peut s'imposer par la seule force, dans la mesure où elle doit prouver sa légitimité en répondant aux attentes de résolution des litiges de la population, la justice indigène est également un instrument employé pour imposer ou faire reconnaître de nouveaux rapports sociaux. Elle apparaît alors comme une scène privilégiée des conflits apparus dans le cadre des mutations de la société coloniale.

De la même manière, la justice constitue un enjeu essentiel de contestation des abus coloniaux puis d'opposition à la domination coloniale. De nombreuses plaintes sont formées, de manière croissante pendant l'entre-deux-guerres, contre les administrateurs

coloniaux et leurs représentants, traduisant un certain usage de la justice elle-même pour lutter contre les abus, bien que cette justice indigène incarne l'arbitraire. En effet, la justice indigène, tout comme le Code de l'indigénat, canalisent les critiques des nouvelles élites autochtones, dans la mesure où elle symbolise le cloisonnement colonial et empêche la reconnaissance du statut de citoyen aux individus figés dans leur statut personnel de sujets. Si les Dahoméens instruits et ayant connu une promotion économique sollicitent également une promotion sociale et politique grâce à l'extension du statut de citoyen et de la justice française à leur égard, l'absence de réforme de la justice jusqu'en 1945 conduit à radicaliser leur position. Ils se placent progressivement en représentants de la population et revendique en son nom la fin de la justice indigène et du Code de l'indigénat.

Le maintien d'un système hybride après 1945 ; les choix judiciaires des Etats africains indépendants

Ces revendications longtemps restées vaines sont entendues au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par un pouvoir contraint de revoir les modalités de ses relations avec les colonies dans le cadre d'une << Union française >>. Mais l'accès à la citoyenneté et l'extension de la justice française à l'ensemble des populations des colonies suscitent de nombreuses résistances, notamment de la part des administrateurs qui perdent leurs pouvoirs judiciaires. Cette extension n'est par ailleurs pas absolue puisqu'en matière civile sont maintenues des juridictions coutumières composées de notables locaux et appliquant les coutumes, laissant ainsi les règles de droit applicables dans la sphère domestique sous le contrôle des élites autochtones. Enfin, le manque de moyens financiers pour doter les colonies de juridictions françaises, avec des magistrats professionnels et indépendants, laisse perdurer certaines caractéristiques de la justice indigène dans le fonctionnement judiciaire.

L'introduction d'un nouveau système judiciaire dans les pays colonisés, fonctionnant selon un modèle hybride entre principes du droit français et coutumes locales, mais dont les pratiques contredisent les principes, a donné lieu à l'émergence d'un nouveau type de justice << pluraliste >> et << ambivalent >> dont il était nécessaire de sortir.

Au lendemain des indépendances, les Etats africains ont souhaité se doter d'un ordre juridique nouveau : il paraissait alors nécessaire de s'orienter plus résolument vers le système juridique occidental ou vers une valorisation d'un retour aux << traditions

réelles >>545. La dualité de l'ordre juridique colonial, entre tribunaux civils coutumiers et tribunaux pénaux calqués sur le modèle métropolitain, était le plus souvent remplacée par une unité de juridictions. L'organisation judiciaire tendait à reprendre celle existant en France, avec une suppression immédiate des tribunaux de droit coutumier, comme au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Mali, au Burundi ou au Rwanda. Certains Etats ont cependant décidé de maintenir à titre transitoire, dans l'attente d'une codification judiciaire, le système de la dualité de juridictions, ce qui fut notamment le cas du Dahomey546. L'idée était alors de s'orienter vers un système judiciaire unique, rompant avec << la tradition >> ou avec les coutumes réinventées pendant la période coloniale. Plusieurs juristes africains547 ou européens548 estiment cependant que le droit coutumier s'est largement maintenu, voire s'est étendu au-delà de son domaine traditionnel.

Le système judiciaire << pluraliste >> tel qu'il peut exister dans les Etats africains est différent de celui qui s'est construit dans le cadre de la société coloniale selon une logique essentielle de domination, mais les confrontations et conciliations entre des organisations, des règles et des pratiques judiciaires diverses continuent de susciter interrogations et débats. La France est elle aussi traversée par la question d'une << norme à multiples facettes >> dans les territoires et pays d'outre-mer où coexistent des juridictions civiles de droit coutumier et des tribunaux civils et pénaux appliquant le droit métropolitain, comme en Nouvelle-Calédonie, à Mayotte ou à Wallis et Futuna549. Par ailleurs, le déficit de confiance de certaines populations africaines dans leurs systèmes judiciaires, comme au Bénin, peut interroger sur les continuités et ruptures entre le système judiciaire << pluraliste >> et << ambivalent >> résultant de la période coloniale et l'ordre juridique institué après l'indépendance.

545 Stanislas Melone, << Les juridictions mixtes de droit écrit et de droit coutumier dans les pays en développement, Du bon usage du pluralisme judiciaire en Afrique : l'exemple du Cameroun >>, Revue internationale de droit comparé, 1986, vol. 38, n°2, p. 328.

546 Loi 64-28 du 9 décembre 1964, ordonnance 71-11 CP du 9 mars 1971 et loi 81-004 du 23 mars 1981.

547 Guy Adjete Kouassigan, << Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille >>, Pédone, 1974, pp. 178-194 ; << Compte rendu du colloque de Dakar sur les résistances traditionnelles >>, Revue sénégalaise de droit, 1979, n°21 ; Agondjo-Okawe, << Domaine d'application des droits traditionnels >>, in Encyclopédie juridique de l'Afrique, tome I, chapitre XVI, pp. 393 et s ; Michel Alliot, << Les résistances traditionnelles au droit moderne dans les États d'Afrique francophone et à Madagascar >>, in Jean Poirier (sous la direction de), Études de droit africain et de droit malgache, Paris, Cujas, 1965, pp. 235-255.

548 Stanislas Melone, << Les juridictions mixtes de droit écrit... >>, op. cit.

549 En effet, l'article 75 de la constitution française de 1958 a toujours été maintenu et dispose que << Les citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l'article 34, conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé >>. Il a été complété par d'autres textes pour les différents territoires concernés, notamment la loi organique du 19 mars 1999 pour la Nouvelle-Calédonie qui affirme l'égalité des statuts entre eux et la relativité des normes. Régis Lafargue, << La justice outre-mer : justice du lointain, justice de proximité >>, Revue française d'administration publique, 2002-1, n°101, pp. 97-109.

Plus globalement, la justice pénale, aussi bien pendant la phase coloniale que depuis l'indépendance, ne peut être envisagée que dans le cadre plus global du processus répressif, depuis l'acte constitutif de l'infraction, jusqu'à la sanction, en passant par la poursuite et le jugement.

La justice pénale, un élément à intégrer dans une analyse plus globale du système répressif
En effet, les prévenus ne sont présentés devant les tribunaux que dans la mesure le système répressif poursuit les faits incriminés et développe une organisation policière en

ce sens. Les orientations données à la police déterminent donc largement l'activité des tribunaux, de la même manière que les décisions prises par les juridictions pénales sont largement conditionnées par les choix faits par le pouvoir en matière de sanctions. Cette vision d'ensemble du schéma répressif colonial n'a pas encore fait l'objet d'une étude spécifique.

Or les recherches menées pour ce mémoire ont été l'occasion de constater la richesse des archives du Bénin pour appréhender l'organisation, les stratégies et pratiques policières et pénitentiaires dans le Dahomey colonial, ainsi que les réactions de la population à l'égard de ces instruments répressifs. La masse des données recueillies a déjà été pour partie exploitée et mériterait d'être analysée de manière plus approfondie afin d'apporter un éclairage plus complet sur le système répressif colonial au Dahomey, ce qu'il est proposé de faire dans le cadre d'un travail de thèse.

Par ailleurs, si les perceptions et réalités du système répressif constituent l'essentiel du présent mémoire et de l'étude plus large envisagée, le système pénal colonial ne peut être appréhendé seulement du point de vue de son organisation et de son fonctionnement. Il reste à étudier son objet même, à savoir le fait délictuel et criminel. Le pouvoir colonial en mettant en place le système pénal devait déterminer ce qui constituait à ses yeux un délit et un crime. Il est donc proposé dans le cadre du travail de thèse sur la répression dans le Dahomey colonial de mesurer l'évolution de la classification des délits et des crimes qui nous renseigne sur la perception du fait criminel par l'autorité coloniale. Au-delà de la classification des délits et des crimes, il s'agirait de saisir la sensibilité du pouvoir colonial et celle de la population au fait criminel. Ce travail analyserait donc quantitativement les délits jugés pour mesurer non seulement leur volume et leur nature dans la colonie, mais plus encore la préoccupation qu'en a le pouvoir colonial, et dans une moindre mesure la population. En effet, la courbe des délits et des crimes peut révéler la variation de la

sensibilité au fait criminel dans le temps mais aussi dans l'espace. Les données chiffrées sur la délinquance font également ressortir le profil des délinquants. Quels renseignements nous fournissent-elles sur les caractéristiques des déviants dans la société coloniale, sur le soupçon ou l'indulgence de cette société à l'égard de ses membres en fonction de leur sexe, de leur âge ou de leur origine géographique ? Cette étude se propose également d'appréhender les perceptions par la société coloniale du fait criminel à travers les sanctions appliquées. Il s'agirait alors de saisir ce que révèlent les taux de condamnation ou d'acquittement, le type et la durée des peines sur l'évolution de la sensibilité pénale au sein de la société coloniale.

L'analyse quantitative de la délinquance poursuivie et des sanctions prononcées dans le Dahomey colonial présente une vision macroscopique des pratiques pénales mais elle reste impuissante à appréhender certains aspects plus précis. En effet, les travaux menés ont permis de constater que certaines catégories d'infractions donnent lieu à la confrontation de sensibilités différentes au phénomène criminel qui ne peuvent être mesurées quantitativement. Tels sont par exemple les cas des actes de sorcellerie, des faits de traite, des délits impliquant les femmes, comme l'adultère, ou encore des infractions contre l'autorité, qui soulignent les ambivalences du système pénal colonial face aux attentes de la population. Ces infractions spécifiques dans le contexte colonial nécessitent une étude plus précise des discours et comportements des acteurs en présence tout au long du processus pénal. De la même manière, l'analyse globale du processus pénal à l'échelle du Dahomey mériterait d'être confrontée aux situations plus concrètes ou « vivantes » de ce processus, à travers les parcours singuliers d'un ou plusieurs prévenus ou la vie quotidienne des instances répressives d'une ville. A l'instar d'Arlette Farge qui a utilisé les archives judiciaires pour exprimer la voix des silencieux de l'histoire550 et en suivant les préconisations de Michelle Perrot551 et d'Odile Goerg552, la confrontation des documents des archives judiciaires étudiés sur les plans statistiques avec les écrits des autorités coloniales et les plaintes et témoignages issus des archives judiciaires, qui donnent indirectement la parole aux colonisés, semblent essentiels pour saisir le processus pénal colonial dans sa globalité mais aussi dans sa réalité quotidienne et humaine.

550 Arlette Farge, Vivre dans la rue à Paris au XVIIIème siècle, Paris, Gallimard-Julliard, coll. Archives, 1979.

551 Michelle Perrot, Les ombres de l'histoire..., op. cit.

552 Odile Goerg, « Femmes adultères, hommes voleurs... », op. cit.

Sources et bibliographie

Sources archivistiques

Archives nationales du Bénin

Fonds du Dahomey colonial

ï 34 cartons de la Série M :

- 1M 001 (14 chemises sans numéro)

Extraits des registres et notices de jugements, punitions disciplinaires, actes d'instruction, correspondances sur les justices de paix (1892-1955)

- 1M 008 (5 chemises sans numéro) : correspondances judiciaires, plaintes, sanctions disciplinaires, procès-verbaux d'interrogatoire, jugements, fiches judiciaires, notices de jugements (1894-1955)

- 1M 018 (7 chemises sans numéro) :

Correspondances du tribunal de première instance, plaintes, jugements et notices de jugements, réquisitoires, statistiques judiciaires et correspondances diverses (1917-1950)

- 1M 027 (15 chemises sans numéro) :

Plaintes, procès-verbaux de police judiciaire, notices des actes d'instruction, jugements et notices de jugements, remarques sur les jugements, règlements et circulaires, statistiques et correspondances judiciaires (1908-1959)

- 1M 030 (4 chemises sans numéro) :

Extraits des registres de jugements, de la chambre d'homologation et des minutes du greffe de la cour d'appel de l'AOF, notices de jugements, rapports sur les affaires judiciaires, correspondances (1914-1940)

- 1M 032 (2 cartons : 16 chemises sans numéro)

Etats et extraits des registres de jugements, rapports sur le fonctionnement de la justice indigène, plaintes, actes d'instruction, correspondances diverses, extraits de registre d'écrou (1903-1951)

- 1M 039 : (3 chemises sans numéro)

Etats des jugements et extraits de registres de jugements, casiers judiciaires, rapports sur le fonctionnement de la justice indigène, états des punitions disciplinaires, correspondances diverses (1913-1937)

- 1M 049 : (10 chemises sans numéro)

Etats et extraits des registres de jugements, plaintes, correspondances diverses (1894-1962) - 1M 065 : chemises 2 et 3

Plaintes, correspondances judiciaires, notices de jugements (1905-1948)

- 1M 083 (9 chemises étudiées n°1, 3 à 8 et 2 chemises numérotées 1M3) :

Mandats de dépôt, plaintes, procès-verbaux, jugements et notices des jugements, réquisitoires, état récapitulatif des punitions disciplinaires, copie de registre d'écrou, correspondances judiciaires, rapports sur le fonctionnement de la justice indigène (1905- 1944)

- 1M 086 (2 chemises)

Notices des jugements, réquisitoires (1929-1936)

- 1M 099 : chemises 1 à 6

Plaintes, jugements et notices des jugements, actes d'instruction, états des punitions disciplinaires, copies des registres d'écrou (1906-1946)

- 1M 102 (8 chemises) :

Plaintes, jugements et notices des jugements, rapports sur le fonctionnement de la justice indigène, fiches judiciaires, statistiques judiciaires (1906-1954)

- 1M 108 (1 chemise) :

Etats des jugements rendus par les tribunaux indigènes (1923-1926)

- 1M 123 (9 chemises étudiées, n°1 à 9) :

Mandats de dépôt, procès-verbaux d'interrogatoire et d'audition des témoins, extraits de registres de jugement et notices des jugements, actes d'instruction, correspondances judiciaires, remarques sur les jugements rendus, rapport relatif à l'état des mutations des prévenus et détenus de la justice indigène, copies des registres d'écrou (1903-1950)

- 1M 126 (6 chemises étudiées n°1 à 6) : plaintes, états des jugements rendus par les tribunaux indigènes et observations sur les jugements, rapport sur le fonctionnement de la justice indigène, correspondances judiciaires (1900-1957)

- 1M 129 (12 chemises étudiées)

Plaintes, jugements, actes d'instruction, correspondances judiciaires, rapports sur le fonctionnement de la justice indigène, statistiques judiciaires (1904-1938)

- 1M 136 (2chemisesétudiées n°2 et 6) : rapports sur le fonctionnement de la justice indigène, extraits du registre des jugements, extraits des minutes des greffes de la cour d'appel de l'AOF, circulaires et correspondances judiciaires (1911-1936)

- 1M 142 (7 chemises)

Procès-verbaux de police judiciaire, plaintes, correspondances diverses (1907-1949) - 1M 143 (4 chemises)

Notices des jugements des tribunaux et extraits des registres de jugements, états des propositions de libérations conditionnelles, actes d'instruction (1906-1953)

- 1M 147 (1 chemise)

Notices des jugements (1932)

- 1M 159 (4 chemises étudiées, n°2, 3, 5 et 8) : notice des jugements des tribunaux indigène, arrêts de la cour d'appel d'AOF, plaintes, actes d'instruction, rapports sur le fonctionnement de la justice indigène et correspondances judiciaires, statistiques judiciaires (1901-1946)

- 1M 161 (18 chemises, n°1 à 17 et autre chemise numérotée 1) :

Plaintes, procès-verbaux d'interrogatoire et d'audition des témoins, extraits des registres de jugements et notices de jugements, remarques sur les jugements, statistiques judiciaires, rapports sur le fonctionnement de la justice indigène et sur les évasions, correspondances judiciaires, punitions disciplinaires, fiches judiciaires (1900-1959)

- 1M168 (6 chemises qui ne sont pas toutes numérotées)

Extrait du registre des jugements, correspondances judiciaires, fiches signalétiques sur les notables assesseurs, plaintes, notices des actes d'instruction, état des propositions de libération conditionnelle (1905-1944)

- 1M 177 (7 chemises) : arrêté de création des tribunaux de subdivision, actes relatifs au personnel judiciaire, plaintes, procès-verbaux d'audition de témoins, notices des jugements et extraits des registres de jugements, états des punitions disciplinaires, correspondances judiciaires (1912-1938)

- 1M 182

Composition des juridictions, correspondances diverses, états des affaires criminelles, notices des actes d'instruction, extraits des registres de jugements (1932-1938)

- 2M 005 : notices des actes d'instruction (1936)

- 2M 010 (9 chemises)

Notices de jugements et correspondances judiciaires (1911-1957)

- 2M 025 (9 chemises sans numéro)

Correspondances sur la réorganisation judiciaire, plaintes, notices des actes d'instruction, jugements et notices de jugements, punitions disciplinaires, textes réglementaires et correspondances diverses (1900-1941)

- 2M 028 (13 chemises sans numéro)

Jugements du tribunal colonial d'appel, état des affaires jugées sur appel et extrait des minutes du greffe de la cour d'appel d'AOF, arrêtés relatifs à la justice, sanctions disciplinaires, statistiques judiciaires, correspondances judiciaires (notamment sur la presse au Dahomey), procès-verbaux d'enquêtes, rapports de police judiciaire, plaintes (1903- 1946)

- 2M111 : carton vide

- 2M 137 (9 chemises étudiées, n°1 à 8 et 1 chemise numérotée 2M2)

Rapports sur le fonctionnement de la justice indigène, plaintes, procès verbaux d'interrogatoire, notices des actes d'instruction, extraits des registres de jugements, notices des jugements, remarques sur les peines disciplinaires et les jugements, extraits des minutes de greffe du tribunal colonial d'appel, cahier des soldes du personnel de la prison civile, correspondances judiciaires, circulaires, copie de registre d'écrou (1899-1955)

- 3M 001 (37 chemises)

Correspondances sur le personnel judiciaire et plaintes diverses (1920-1944) - carton M sans numéro (n°2) : 7 chemises sans numéro

Etats des jugements (1924-1937)

· Série E (rapports politiques) - 1 E164 : rapport politique (incluant un rapport judiciaire) de janvier 1906.

Série F (police et prisons)

· Sous-série 1F (police) : 21 cartons

- 1F2 : dossier 8 : police criminelle : bulletin d'information (1937-1939)

- 1F8 : dossier 69 : police locale et municipale, commissariat central de Porto-Novo, rapports journaliers et sanctions d'agents de police (1940-1943)

- 1F9 : rapport annuel sur l'activité et le fonctionnement du service de police, arrêtés (1912-1940)

- 1F14 : dossiers 102 : pétition et correspondances au sujet d'affaires criminelles (1912- 1913)

- 1F17 : dossier 129 : rapport d'activité de la police et arrêtés (1918-1955)

- 1F22 : 5 dossiers (n°155 à 159)

Procès-verbaux de police judiciaire et correspondances diverses (1905-1945) - 1F27 : 8 dossiers (n°187, 188, 193, 200 à 202, 204, 207)

Plaintes, rapports et correspondances sur le fonctionnement et le personnel des services de police, les travaux et équipement des services, l'émigration de populations, la surveillance des journaux et les affaires correctionnelles et criminelles (1904-1953)

- 1F28 : circulaires et rapport annuel du service de police (1941-1949)

- 1F30 : correspondances du commissariat de police (1909)

- 1F34 : dossiers 246 et 247

Rapport et correspondances sur le fonctionnement et le personnel des services de police (1911-1954)

- 1F38 : (4 dossiers n°261 à 264)

Procès-verbaux de police judiciaire et correspondances diverses (1915-1939) - 1F42 : 4 dossiers (n°279 à 281)

Rapports de police et correspondances diverses (1912-1957)

- 1F43 : dossiers 283 et 284 :

Rapports sur la fabrication d'alcool et sur des incidents à Ouidah (1931-1935) et bulletins de police criminelle (1946-1947)

- 1F44 : dossier 290 : rapport sur la sécurité dans la colonie, surveillance des individus suspects et des malfaiteurs, procès-verbaux de recherches infructueuses (1931-1945)

- 1F55 : 4 dossiers (n°344 à 347)

Correspondances diverses et actes relatifs au personnel de police (1924-1949) - 1F58 : 4 dossiers (n°363, 364, 366 et 368)

Rapports de police sur les menées anti-françaises, plaintes et correspondances diverses (1916-1950)

- 1F59 : dossier 372 : police, sûreté générale : plaintes, comptes-rendus, procès-verbaux (1933-1952)

- 1F63 : 9 dossiers (n°406 à 414)

Plaintes et correspondances diverses, statistiques de police (1906-1959)

- 1F65 : dossier 430 : commissariat de police de Ouidah (rapports journaliers 1910-1934)

- 1F67 : dossier 450 : correspondances sur l'organisation de la police à Ouidah, rapports et correspondances divers (1906-1930)

- 1F70 : 11dossiers étudiés (473 à 476, 500, 502, 505, 506, 508 à 510)

Plaintes, transfert de détenus, correspondances et arrêtés sur la restructuration de la prison de Cotonou, sur le personnel de police, l'activité et la réorganisation de la police, la surveillance des étrangers (1904-1958)

ï Sous-série 2F (prisons) : 20 cartons

- 2F4 : (4 dossiers n°28, 30, 31, 34) :

Libérations conditionnelles (lettres et arrêtés), répartition journalière des gardes et des détenus, correspondances et arrêtés sur les évasions et les rations alimentaires des détenus (1922-1951)

- 2F5 : (4 dossiers : n°35, 36, 39 et 40)

Répartition journalière des gardes et des détenus, punitions disciplinaires, registres d'écrou, rapports des commissions de surveillance des prisons et sur les libérations conditionnelles (1919-1953)

- 2F6 : 20 dossiers (n°41 à 60)

Punitions disciplinaires, copies de registres d'écrou, rapports des commissions de surveillance des prisons, correspondances diverses (1907-1946)

- 2F8 : 5 dossiers n°80 à 84

Correspondances au sujet de la main d'oeuvre pénale, de l'habillement et de la ration alimentaire des détenus et des évasions et transferts, punitions disciplinaires, registres d'écrou (1905-1937)

- 2F9 : 9 dossiers étudiés n°88, 92 à 96et 98 à 100

Libérations conditionnelles, affaires d'évasion, copie de registre d'écrou : notes, rapports, lettres, arrêtés, jugements (1913-1940)

- 2F10 : 28 dossiers (n°106, 107, 109, 112, 114 à 118, 120 à 123, 125, 126, 129, 132 à 134,

136, 138 à 140, 143, 145, 146, 148, 149 et 151)

Correspondances sur les transferts, l'alimentation et l'habillement des détenus, punitions disciplinaires, registres d'écrou, dossiers de libérations conditionnelles (1906-1937)

- 2F11 : 7 dossiers analysés : 155 à 160, 162

Décès de détenus, visites de prison, transfert et évasions de détenus (correspondances), copies de registres d'écrou, états des punitions, répartition journalière des gardes et des détenus (feuilles de services), rapports et arrêtés sur les libérations conditionnelles (1912- 1954)

- 2F12 : 8 dossiers analysées : 166 à 173

Registre d'écrou, punitions disciplinaires, rapports des commissions de surveillance des prisons, correspondances, rapports et circulaires sur les besoins de main d'oeuvre pénale, les travaux d'entretien des prisons, la ration alimentaire et l'habillement des détenus, les transferts et évasions des prisonniers, les libérations conditionnelles (1907-1954)

- 2F13 : 11 dossiers (n°174 à 180, 183 à 185, 187)

Punitions disciplinaires, registres d'écrou, correspondances sur le travail, les punitions, la santé, les décès, les transferts et les évasions de détenus, sur le personnel des prisons, répartition journalière des gardes et des détenus (1909-1952)

- 2F14 : 11 dossiers (n°189 à 193, 196, 197, 199 à 202)

Etat des propositions de libérations conditionnelle et arrêtés, correspondances sur les évasions, la ration alimentaire et les décès des détenus, extraits de registre d'écrou, punitions disciplinaires (1905-1923)

- 2F15 : 27 dossiers (n°228 à 253)

Rapports sur la surveillance dans les prisons, copies de registres d'écrou, dossiers de libérations conditionnelles, correspondances diverses

- 2F16 : 5 dossiers (n°255 à 259)

Etats des libérations conditionnelles, correspondances sur les transferts, les évasions, la santé, la nourriture et l'habillement des détenus, punitions disciplinaires et copies de registres d'écrou (1912-1945)

- 2F17 : 9 dossiers (n°260 à 268)

Punitions disciplinaires, correspondances diverses, dossiers de libérations conditionnelles (1909-1948)

- 2F19 : 18 dossiers (n°276 à 293)

Registres d'écrou, correspondances diverses, punitions disciplinaires (1906-1931)

- 2F20 : 3 dossiers (n°294 à 296) : états des punitions disciplinaires, copies de registres d'écrou, répartition journalière des gardes et des détenus (1926-1946)

- 2F24 : 26 dossiers (n°321 à 346)

Rapports de visite de prison, copies de registres d'écrou, correspondances diverses, dossiers de libérations conditionnelles (1902-1944)

- 2F27 : 5 dossiers (n°391à 393, 401 et 404)

Punitions disciplinaires contre les gardiens de prison, copies de registres d'écrou, dossiers et arrêtés de libérations conditionnelles, répartition journalière des détenus et des gardes de la prison de Porto-Novo, états des corvées des prisonniers (1905-1952)

- 2F28 : 22 dossiers (n°405, 408 à 410, 412, 414 à 426, 428 à 431)

Registres d'écrou, répartition journalière des gardes et des détenus, punitions disciplinaires, correspondances diverses (1927-1954)

- 2F30 : 4 dossiers (n°442 à 445)

Répartition journalière des gardes et des détenus, copies des registres d'écrou, dossiers de libérations conditionnelles (1919-1953)

- 2F32 : 17 dossiers (n°471 à 487)

Correspondances diverses et plans de prisons, rapports de visite d'inspection, dossiers de libérations conditionnelles, rapports de police (1902-1958)

ï Atlas AOF, cartes des cercles du Dahomey 1926

Fonds des Journaux Officiels - JO des colonies 1894

- JOD de 1900 à 1960

Archives du CAOM

Rapports périodiques sur microfilms : série G (8G pour le Dahomey) : 14 MIOM

- 8G4 : affaires judiciaires dans le cercle de Porto-Novo (septembre-décembre 1920, 1923, 1924, 1928, 1944)

- 8G8 : correspondances sur les manifestations de femmes dans le cercle du Mono contre l'impôt en 1932, dossier Pierre Johnson (1935-1946) accusé et jugé pour affaire de corruption et complicité de meurtre, interventions en sa faveur

- 8G9 : dossier Hunkarin, libéré le 20 mai 1933.

- 8G17 : correspondance du lieutenant-gouverneur du Dahomey au Gouverneur Général d'AOF (1934)

- 8G19 : Article du Trait d'Union Dahoméen sur le banditisme de détenus libérés (23janvier 1937)

- 8G20 : cercle d'Athiémé (1935-1939) : plaintes sur l'administration de la prison d'Athiémé : inspection en juin-juillet 1935 ; correspondances sur les tensions en le chef de canton Sodokin et ses administrés

- 8G24 : Plainte des notables d'Abomey au lieutenant-gouverneur au sujet des « abus et agissements de certains interprètes d'Abomey » (24juin 1936)

- 8G26 : correspondance judiciaire sur agissements commis par un chef de canton (1937)

- 8G29 : Enquête dans le cercle de Savalou 1936-1944 sur les agissements d'un administrateur des colonies accusé de brutalités sur les indigènes

- 8G30 : renseignements politiques (février 1945) sur un début d'insurrection née de la perception de l'impôt dans le canton des Holli

- 8G34 : affaire Djibodé et examen des voeux de la population indigène du Dahomey (février 1937) ; note sur les incidents d'Abomey (1937)

- 8G41 : plaintes du nommé Adjovi contre certains administrateurs des colonies (1910)

- 8G53 : circulaire du 31 mars 1923 du lieutenant-gouverneur du Dahomey au sujet du trafic de monnaie

Dépôt des papiers publics des colonies (DPPC)

- Greffes 2681 : justice de paix à compétence étendue Cotonou 1909, 1910, 1911 et Grand-Popo 1909 : jugements civils

FR CAOM Dahomey VIII 1 à 6

Registre des délibérations du Conseil d'Administration 1900, article de presse au sujet du président de la Cour d'appel faisant une étude pour la réforme judiciaire au Dahomey ; affaire Schuh, missionnaire accusé de coups et blessures sur un chef de canton, correspondances judiciaires.

Archives privées des colonies

- Papiers Victor Ballot (FR CAOM APC 1 et 2) : cartes Dahomey

Archives privées : papiers d'agents

- Papiers Boulmer (FR CAOM 111 APOM 1 et 2 : chemise Dahomey : correspondances, circulaires et rapports sur le commandement indigène, la codification des coutumes indigènes, et les manifestations contre l'impôt (1924-1932), courriers relatifs à la préparation de la mission d'inspection (1933-1934), rapports sur la situation politique au Dahomey

- Papiers Marius Moutet (FR CAOM 28 PA 1 à 8) : notes et rapports sur l'activité du ministre des colonies Marius Moutet (1936-37 et 1946-47), article de presse.

Mémoires d'élèves de l'Ecole Coloniale

- Yves Pravaz, Les transformations de la justice en AOF, Athiémé (Dahomey), Mémoire ENFOM, 1946-1947 (3 ECOL 73 d6)

- Deschanel, La réforme judiciaire dans les territoires de l'AOF, Mémoire ENFOM, 1952- 1953 (3 ECOL 113 d1)

- Claude Deschamps, Les attributions judiciaires des administrateurs en Afrique Noire, Mémoire ENFOM, 1945-1946 (3 ECOL 51 d7bis)

- Christian Roque, La délinquance juvénile en Afrique Noire et plus spécialement en Haute-Volta et en Côte d'Ivoire, Mémoire d'élève magistrat ENFOM, 1958-1959 (3 ECOL 152 d5)

- Ratuld (de), Les juridictions indigènes, Mémoire ethnographique, ENFOM, 1930-1931 (3 ECOL 2)

- Denis Tahet, Les juridictions de droit local en Afrique Occidentale, Mémoire ENFOM d'un auditeur fonctionnaire en Côte d'Ivoire, 1958-1959 (3 ECOL 153 d 6)

- Nanlo Bamba, Les Africains devant la réforme judiciaire de 1946, Mémoire ENFOM, 1956-1957 (3 ECOL 127 d6)

- H. Gueziec, Le fonctionnement de la justice répressive en AOF : aspects particuliers et problèmes, Mémoire d'élève magistrat en FOM, 1954-1955 (3 ECOL 121 d9)

- Lucien Blot, La sécurité en AOF, Mémoire d'un administrateur adjoint, 1945-1946 (3 ECOL 49 d12)

Archives privées

Marc Liebessart, Les tam-tams de Bandiagara, correspondances d'Albertine Suau, Paris, éd. Textims (sous presse), 2006, 200 p.

Sources orales : 9 personnes interviewées :

- Salomon Biokou : âgé de 103 ans, ancien instituteur puis inspecteur de l'enseignement primaire, ancien premier adjoint au maire de Porto-Novo, ancien vice-président de l'assemblée nationale, président du comité des anciens notables et cadres de Porto-Novo et de l'Ouémé, Grand chancelier de l'ordre national du Bénin

- Gaston Fourn : âgé d'environ 65 ans, petit-fils de l'ancien lieutenant gouverneur du Dahomey Fourn (1917-1928). Il fit des études à Porto-Novo et Paris en droit puis intégra le barreau au Dahomey en 1962 et devint procureur de la République au tribunal de 1ère instance de Cotonou. Parti en 1973, il revint au Bénin en tant qu'assistant technique avec la coopération française sur le projet justice de 1993 à 2000. Ce projet concernait notamment le système pénitentiaire

- Gbéhanzin : âgé d'environ 67 ans, roi d'Abomey, ancien médecin colonel.

- Gbegbemabou Mélè Glélè, chef de la lignée Glélè : âgé d'environ 68 ans, ingénieur des travaux publics à la retraite

- Guy Gbéhanzin, neveu du roi Gbéhanzin, âgé de 35 ans, chargé du protocole près du roi d'Abomey

- Raymond Codjo Gbeze : âgé de 27ans, ancien cultivateur du Mono venu s'installer à Cotonou, personne ressource pour interviewer d'autres personnes. Il a la mémoire de certains faits anciens et a recueilli plusieurs témoignages de son village de Sahoué Adromé.

- Gaston Gbeze : âgé de 70 ans, demeurant au village de Sahoué-Adromé dans le Mono, cultivateur.

- Paulin Hountondji : âgé de 59 ans, professeur de philosophie à l'Université nationale du Bénin, interviewé à Porto-Novo.

- Vieux Jacques : âgé de 64 ans, originaire de Dédomè, dans le Mono, venu dans son enfance à Cotonou parce que son père travaillait au Wharf en tant que manoeuvre, retraité militaire.

Bibliographie

La bibliographie comprend des ouvrages relatifs à la justice mais également à l'ensemble du système répressif (police, prisons), ainsi qu'à la délinquance dans les colonies. Ces références ne sont pas toutes exploitées pour le mémoire de Master mais elles ont été étudiées dans la perspective d'une étude plus large sur le système répressif et la délinquance au Dahomey.

1. Annuaires et répertoires bibliographiques

[1] Désiré Aihonnou, Répertoire des archives, série E, deuxième partie, Direction des Archives Nationales du Bénin, octobre 2005, 60 p.

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2. Ouvrages généraux sur l'Afrique, l'AOF l'impérialisme et la situation coloniale

[2] Charles-Robert Ageron, Marc Michel (sous la direction de), L'ère des décolonisations, Paris, Karthala, 1995, 516 p.

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Fall Babacar, Le Travail forcé en Afrique occidentale française (1900-1945), Paris, Karthala, 1993, 346 p.

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[11] Georges Balandier, Sociologie actuelle de l'Afrique Noire, Dynamique des changements sociaux en Afrique centrale, Paris, P.U.F., 1955, 511 p.

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3. Ouvrages sur l'histoire du Dahomey

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4. Travaux sur le système répressif : police, justice, prisons

Délinquance, police et justice en Afrique

[88] R. Robert Akinde et A. Djibril Mourra, Les coutumes répressives et l'influence de la colonisation au Dahomey de 1894 à 1949, Mémoire en sciences juridiques, Université du Bénin, 1979-80.

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[234] Michaël Ignatieff, A Just Measure of Pain, The Penitentiary in the Industrial Revolution, Harmondsworth, Penguin Books, 1989 (1ère éd. 1978), 251 p.

Dominique Kalifa, Crime et Culture, Perrin, 2005, 331 p.

Dominique Kalifa, L'encre et le sang : récits de crimes et société à la belle-époque, Paris, Fayard, 1995, 351 p.

Dominique Kalifa, << magistrature et << crise de la répression » à la veille de la Grande Guerre », Vingtième Siècle. Revue d'Histoire, n°67, juillet-septembre 2000, pp. 43-59.

[235] Jean-Claude Martin, << Violences sexuelles, études d'archives, pratiques de l'histoire », Annales HSS, 1996, vol. 51, n°3, pp. 643-651.

[234] Patricia O'Brien, Correction ou châtiment : histoire des prisons en France au XIXème siècle, Paris, PUF, 1988 (1ère éd. 1982), 342 p.

Michelle Perrot (sous la direction de), L'impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire au XIXème siècle, Paris, Seuil, coll. l'Univers historique, 1980, 317 p.

Michelle Perrot, Les ombres de l'histoire, crime et châtiment au XIXème siècle, Flammarion, 2001, 427 p.

Denis Peschanski (sous la direction de), << Justice, répression et persécution en France (fin des années 1930-début des années 1950) », Paris, Cahiers de l'IHTP, n°24, juin 1993, 206 p.

[243] Jacques-Guy Petit (sous la direction), La prison, le bagne et l'histoire, Paris, L'Harmattan, 1984, 233 p.

Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures. La prison pénale en France, 1780-1875, Paris, Fayard, 1990, 749 p.

Marc Reneville, Crime et folie, Paris, Fayard, 2003, 526 p.

Philippe Robert, Les comptes du crime, les délinquances en France et leurs mesures. Paris, L'Harmattan, 1994 (1ère éd. 1991,), 329 p.

David Rothman, The Discovery of the Asylum, Social Order and Disorder in the New Republic, Boston, Little Brown and Cie, 1971, 376 p.

Jean-Pierre Royer, Histoire de la justice en France, Paris, PUF, 1995, 788 p.

Georg Rusche, Otto Kircheimer, Peine et structure sociale, Paris, CERF, 1994 (1ère éd 1939), 399 p.

Georges Vigarello, Histoire du viol, XVIème-XXème siècles, Paris, éd. Le Seuil, coll. l'Univers historique, 1998, 357 p.

5. Romans, récits et essais

[243] Jacques Chevrier, Anthologie africaine, le roman et la nouvelle, Paris, Hatier international, 2002, 367 p.

Amadou Hampaté Bâ, L'étrange destin de Wangrin ou les roueries d'un interprète africain, Paris, éd. 10/18, 1973, 378 p.

Amadou Hampaté Bâ, Oui mon commandant !, Paris, Actes Sud, 1994, 508 p.

Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Le Seuil, coll. Points, 2000, 380 p.

Ahmadou Kourouma, Le soleil des indépendances, Paris, Le Seuil, 1976 (1ère éd. 1968), 195 p.

Albert Londres, Terre d'ébène, Paris, éd. Le serpent à plumes, 1998 (1ère éd. 1929 Albin Michel), 275 p.

Albert Memmi, Portrait du colonisateur, portrait du colonisé, Paris, Gallimard, coll. folio actuel, 1985 (1ère éd. Corria 1957), 157 p.

John Rawls, Théorie de la justice, Paris, Le Seuil, 1997 (1ère éd. française 1987), 666 p.

Lexique des termes juridiques

Raymond Guillien, Jean Vincent, Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 1990 (8ème éd.), 517 p.

Compétence matérielle (ou rationae materiae)

Procédure pénale : aptitude d'une juridiction à connaître de certaines infractions en fonction de leur nature (contraventions, délits, crimes par exemple).

Compétence personnelle

Procédure pénale : aptitude d'une juridiction à connaître de certaines infractions en fonction de la qualité personnelle du délinquant (mineur de 18 ans par exemple).

Compétence territoriale (ou rationae loci)

Procédure pénale : aptitude d'une juridiction pénale à connaître d'une infraction en fonction d'une circonstance de lieu (lieu de commission de l'infraction, de la résidence ou de l'arrestation du prévenu...).

Contrainte par corps (procédure pénale)

Incarcération d'une personne majeure condamnée pour une infraction de nature non politique et n'emportant pas peine perpétuelle, qui ne s'acquitte pas de ses obligations pécuniaires autres que de réparation civile au profit du Trésor public (amendes pénales ou fiscales, frais de dépens, etc.). L'emprisonnement est ici utilisé comme moyen de pression ; il est d'une durée variable en fonction du montant des créances garanties, voire des infractions en cause.

Criminalité (droit pénal)

Ensemble des infractions à la loi pénale commises pendant une longue période de référence (en général l'année) dans un pays déterminé. On distingue la criminalité légale (ensemble des infractions sanctionnées par les juridictions pénales), la criminalité apparente (ensemble des faits apparemment constitutifs d'infractions connus des autorités) et la criminalité réelle (ensemble des infractions commises en incluant par une évaluation celles demeurées inconnues).

Droit civil (droit privé)

Ensemble des règles de droit privé normalement applicables. Il constitue le droit commun par rapport aux règles correspondant à des milieux spéciaux et qui se sont constitués en disciplines propres (droit commercial, droit rural, droit social...).

Droit judiciaire (procédure générale)

Terme qui tend à supplanter celui trop étroit de procédure pour désigner l'ensemble des règles gouvernant l'organisation et le fonctionnement des juridictions civiles et pénales de l'ordre judiciaire. L'ordre judiciaire englobe les juridictions civiles et pénales.

Droit pénal

Ensemble des règles de droit ayant pour but la sanction des infractions. En un sens large, le droit pénal englobe également les règles qui tendent à la sanction des états dangereux.

Ecrou

Acte authentique constatant officiellement l'entrée et la sortie d'un prisonnier dans une prison et établissant ainsi à tout instant la position pénitentiaire des détenus.

Enquête préliminaire (procédure pénale)

Enquête diligentée d'office ou à la demande du parquet par la police ou la gendarmerie avant l'ouverture de toute information et permettant au ministère public d'être éclairé sur le bien fondé d'une poursuite.

InamovibilitéDroit administratif : Garantie de leur indépendance reconnue à certains magistrats et

fonctionnaires et consistant non dans l'impossibilité juridique de mettre fin à leurs fonctions mais dans l'obligation pour l'administration qui voudrait les exclure du service public ou les déplacer, de mettre en oeuvre des procédures protectrices exorbitantes du droit commun disciplinaire.

L'inamovibilité protège les magistrats du siège contre toute mesure arbitraire de suspension, rétrogradation, déplacement, même en avancement, révocation.

L'inamovibilité est instituée pour la garantie des plaideurs, en assurant l'indépendance de la magistrature. Les magistrats du parquet ne bénéficient pas de l'inamovibilité.

Infraction

Action ou omission définie par la loi pénale et punie de certaines peines également fixées strictement par celle-ci.

Juridiction

Droit général

Dans un sens large, proche de celui du mot anglais similaire (jurisdiction), synonyme un peu vieilli d'autorité, de souveraineté.

Procédure générale : synonyme de tribunal.

On distingue l'ordre administratif (tribunaux administratifs) et l'ordre judiciaire (tribunaux répressifs, tribunaux civils). On classe également les juridictions d'après leur nature en juridictions de droit commun et juridictions d'exception. Enfin, une juridiction doit toujours être située par le degré qu'elle occupe dans la hiérarchie judiciaire.

Libération conditionnelle

Droit pénal

Mesure de libération anticipée d'un condamné à l'emprisonnement, accordée à titre de faveur lorsqu'il a subi une partie également déterminée de sa peine, qu'il présente des gages sérieux de réadaptation sociale et sous condition de bonne conduite pendant une période qui ne peut être inférieure à la durée de la peine restant à subir.

Ministère public

Ensemble des magistrats de carrière qui sont chargés devant certaines juridictions de requérir l'application de la loi et de veiller aux intérêts généraux de la société. Indépendants des juges du siège, les magistrats du parquet sont hiérarchisés et ne bénéficient pas de l'inamovibilité.

Annexes

Annexe 1 : Grille d'entretien

1. Présentation personnelle

Présentation

Nom, âge, lieu de naissance et du domicile, ancienne fonction.

1. Présentation du Mémoire : thème, l'objet de l'entretien dans ce thème

Entretien :

Sur la justice précoloniale :

- Quels étaient les éléments considérés comme graves, considérés comme des infractions et donnant lieu à un jugement ?

- Qui portait alors plainte et auprès de qui ? Un représentant particulier de la famille (le chef de famille...), autres...

- Qui jugeait ? Qui étai(en)t le ou les juges qui intervenaient ?

- Savez-vous comment se passait un jugement contre un délit, par exemple un vol ?

- Quelles sanctions étaient alors prononcées ? Pour quel type d'infractions ? Et quelle réparation pour la victime ou sa famille ?

- Que devenait ensuite le délinquant ?

Sur la justice coloniale.

Perception des tribunaux et justice

Est ce que vous connaissez beaucoup de personnes qui ont eu affaire à la justice à un titre ou à un autre ? Des exemples ?

Est ce que les gens portaient plainte et auprès de qui ? Est ce qu'ils faisaient appel aux tribunaux mis en place par le pouvoir colonial ? Qui faisait appel à ces tribunaux ? Des exemples de recours ?

Pour quels types de problèmes ou d'infractions ? Comment étaient perçus les gens qui faisaient appel à ces tribunaux ?

Est ce que les gens avaient recours à d'autres autorités pour régler les problèmes judiciaires ? A Qui ? Pour quels types de problèmes ou d'infractions ? Des exemples ?

Au titre du code de l'indigénat : avez vous des souvenirs sur les sanctions disciplinaires imposées par le pouvoir colonial ? Personnes concernées ? Pour quels motifs ? Comment cela était perçu par la population ?

Perception des autorités de police

Qui procédait aux arrestations ? Les gardes de cercle, les chefs de village ou de canton : comment étaient perçues les autorités chargées de ces arrestations ? Y avait il des oppositions à ces personnes de la part de la population ?

Perception des juges

Comment étaient perçus les juges européens (les administrateurs) et les notables dahoméens qui participaient à ces tribunaux ? Est ce que les gens avaient confiance en leur justice ?

Comment selon vous étaient choisis les notables dahoméens ?

Y avait il des problèmes de corruption dans le fonctionnement de la justice ?

Déroulement de la justice :

Savez vous ou avez vous des exemples sur le déroulement d'une affaire en justice, comment se passait une audience en justice ?

En ce qui concerne les coutumes : est ce que les gens avaient le sentiment que les coutumes étaient appliquées par les tribunaux ?

Sanctions :

Prisons

Que savez vous sur les prisons ? Par exemple, y avait il une prison près de votre domicile ? La connaissiez vous et comment était-elle ?

Quel était votre sentiment et celui de la population sur les prisons ? Comment étaient elles perçues ?

Comment étaient perçus les prisonniers ? De même que pensaient les gens des travaux imposés aux prisonniers ?

Quand les prisonniers sortaient de prison, retrouvaient ils facilement leur place au sein de leur famille ou de leur village ?

Réparations et compensations des victimes : les victimes obtenaient elles une compensation par rapport à ce qu'elles avaient subi ? Etaient elles satisfaites de la justice rendue ?

Les sanctions infligées paraissaient elles lourdes, sévères ou non ?

Evasions

Avez-vous le souvenir d'évasions de prisonniers ? Est ce que les gens protégeaient les gens qui s'évadaient des prisons ? Avez vous des souvenirs ou des exemples là dessus ?

Annexe 2 : Cadre de saisie des données quantitatives sur la délinquance et les prévenus

Cadre de saisie des données sur fichier Excel sur la délinquance et les prévenus Prévenus

- Numéro du prévenu - Numéro de l'affaire - Source (document archives)

- Nature du document (jugement, arrêt de la cour d'appel, notice de jugement...)

- Nom du prévenu

- Sexe : M/F

- Profession :

APEL Apprenti et élève

ARTI Artisan

CHEF Chef de village, de canton

COMM Commerçant, traitant

CULT Cultivateur

ELEV Eleveur, pasteur, bouvier

EMAD Employé de l'administration

EMCO Employé de commerce ou de particuliers

MARC Marchand, colporteur

OUVR Ouvrier, manoeuvre

PECH Pêcheur, piroguier

SPRO Sans profession, enfants, ménagères

- Age

- Classe d'âge :

- 1 = moins de 16 ans

- 2 = 16-24 ans

- 3 = 25-34 ans

- 4 = 35-44 ans

- 5 = 45-54 ans

- 6 = 55-54 ans

- 7 = 55 ans et plus

- Domicile

- Rural ou urbain (lieu où a été commis l'infraction)

- Situation familiale :

- C = célibataire

- M = marié

- V = veuf

- D = divorcé

- Délit ou crime :

- AAU : autres atteintes à l'autorité (faux renseignements à l'administration, introduction frauduleuse de marchandises, insoumission, tentatives de corruption de fonctionnaires, non comparutions aux audiences, usurpations de fonctions, vagabondages, vente illicite de poudre de traite). Ces délits ont été renseignés chacun individuellement dans une colonne, puis regroupés dans une autre)

- ATA : Assassinat, tentatives d'assassinat

- AA : Abus d'autorité

- ADA : Adultères, abandon de domicile conjugal (les deux types de délits sont

renseignés individuellement dans une colonne puis regroupés dans une autre). - CBA : Manoeuvres abortives

- CBL : Coups et blessures et complicité

- CBM : Coups et blessures mortels

- DES : Destructions de biens

- DIA : détention et fabrication illicite d'alcool

- DIF : Diffamations, dénonciations calomnieuses

- ESC : Escroqueries, abus de confiance, détournements de fonds, falsifications (ces délits ont été renseignés individuellement dans une colonne puis regroupés dans une autre)

- EMA : Escroqueries au mariage

- ENL : Enlèvements

- ENT : Entrave au recrutement

- EVA : Evasions, complicités d'évasions et dissimulation de malfaiteurs - HBI : Homicide et blessures par imprudence

- MEN : Menaces, injures

- PAP : port d'armes prohibées

- REB : Rebellions

- TRA : Trafic de personnes

- VIO : Viols, attentats à la pudeur, tentatives (ces infractions ont été renseignées individuellement dans une colonne puis regroupées dans une autre)

- VOL : Vols simples, recels et complicités

- VMA : Vols à main armée

- VOQ : Vols qualifiés

- AUT : Autres (ex : guet-apens, violations de sépultures, incendies volontaires...). Ces infractions ont été également renseignées individuellement dans une colonne puis regroupées dans une autre.

- Gravité de l'infraction : crime, délit, ou nature de l'infraction ayant varié entre une contravention ou un délit.

- Nature de l'infraction :

- Atteintes contre les biens :AB

- Atteintes contre les personnes : AP et plus spécifiquement contre les femmes (AF) - Atteintes contre l'autorité de l'Etat (AA)

- Récidive : oui/non

- Situation du prévenu au moment du jugement :

- en prison préventive : PRE

- emprisonné suite à un précédent jugement : PRI

- en liberté, donc sans préventive : NON

- en fuite : FUI

- non connu : « vide »

- date de l'emprisonnement préventif

- nature et montant des objets volés

- année du jugement

- mois du jugement

- date précise du jugement (jj/mm/aa)

- nom du tribunal et numéro de jugement

- cercle où se trouve le tribunal

- subdivision où se trouve le tribunal quand il s'agit d'un tribunal de subdivision (sinon mention CERCLE)

- tribunal de cercle ou de subdivision (C/S)

- tribunal situé dans le nord du Dahomey ou le sud du Dahomey (N/S)

- 1ère mesure de la peine principale : condamnation prononcée en nombre de mois de prison (si acquittement = 0, si mort = 500, si perpétuité = 480, si seulement une amende ou des dommages et intérêts prononcés en peine principale = vide)

- 2ème mesure de la peine principale :

- emprisonnement à temps = PRI

- emprisonnement à perpétuité = PER

- acquittement = ACQ

- amende = AM

- dommages et intérêts = DI

- interdiction de séjour = IS

- condamnation à mort = MOR

- mesure de la peine accessoire (en plus de la peine principale) : amende (AM), dommages et intérêts (DI), interdiction de séjour (IS), amendes et dommages et intérêts (AMDI), amendes et interdiction de séjour (AMIS), amendes, dommages et intérêts et interdiction de séjour (AMISDI), dommages et intérêts et interdiction de séjour (ISDI)

Respect de la coutume

- coutume mentionnée dans le jugement : ethnie

- condamnation prévue par la coutume

- Respect de la coutume

- application totale de la coutume

- application partielle, non prise en compte de certains éléments comme les dommages et intérêts prévus par la coutume

- non respect de la coutume car coutume contraire aux principes de la civilisation française,

- non respect de la coutume car sanction prévue par la coutume jugée trop faible au regard de la gravité de l'infraction

- infraction non prévue par la coutume, poursuivie et sanctionnée sur un fondement réglementaire

Plaintes

- origine de la plainte : administration (ADM) ou particulier (PAR) - si plainte vient d'un particulier :

- sexe (M, M, F/M si plainte collective)

- âge et classe d'âge en reprenant les mêmes classes d'âge que pour les prévenus : colonne ne pouvant être remplie que lorsqu'il s'agit d'une plainte individuelle

- profession,

- domicile

Appels

- tribunal d'appel

- date du jugement en appel

- qui a fait appel ? La personne condamnée, la victime, l'administration - décision prise en appel

Annexe 3 : Exemples de documents conservés aux ANB et problèmes de conservation

Photos 1 et 2 : Lettre du 18 mai 1910 du
lieutenant-gouverneur du Dahomey à
l'administrateur de Grand-Popo (ANB, 1M99)

Annexe 4 : Evolution des circonscriptions judiciaires du Dahomey de 1900 à 1945

Tableau 1 : Evolution des tribunaux de cercle de 1900 à 1945

Tribunal de cercle

1900-1909

1910-1919

1920-1929

1930-1939

1940-1945

ABOMEY

X

X

X

X

X

ALLADA

X a

X

X

X

 

ATACORA

 

X

X

X

X

BORGOU (Parakou)

X

X

X

X

X

COTONOU b

X

X

X

X

X

DJOUGOU

X

X

X

X

 

FADA N'GOURMA

X c

 
 
 
 

HOLLI-KETOU

 
 

X

X

 

GRAND-POPO

 

X

 
 
 

MONO

X

X

X

X

X

MOYEN-NIGER/KANDY

X

X

X

X

X

OUIDAH

X

X

X

X

X

PORTO-NOVO

X (vers
1907-1908)

X

X

X

X

SAVALOU

X

X

X

X

X

SAVE

 

X

 
 
 

SAY

X (1905) c

 
 
 
 

ZAGNANADO

X

X

X

X

 

Tableau constitué d'après les données des JOD, fonds des JO (ANB)

X : existence du tribunal sur l'ensemble ou une partie de la période considérée.

a Allada est une chefferie supérieure jusqu'en 1912. b Le cercle de Cotonou comprenait également la subdivision d'Awansouri entre 1909 et 1911 mais il ne semble pas qu'il y ait eu un tribunal de subdivision installé durant cette brève période. c Rattaché à Haut-Sénégal-Niger en 1907.

Tableau 2 : Evolution des tribunaux de cercle et de subdivision entre 1900 et 1945

Tribunal de cercle

Tribunal de subdivision a

1900-1909

1910-1919

1920-1929

1930-1939

1940-1945

ABOMEY

 

X

X

X

X

X

 

Abomey

X

X

X

X

X

 

Parahoué

 
 

X (1924)

X (1932)

 
 

Zagnanado

 
 
 
 

X (1944)

ALLADA

 

X b

X

X

X

 
 

Allada

X

X (1912)

X

X

 
 

Abomey-Calavi

 

X (1912)

X

 
 

ATACORA

 
 
 
 
 
 
 
 
 

X

 
 
 

Kouandé

 
 

(1910-1911)

 
 
 

Natitingou

 
 
 

X (1924)

X

X

 

Kouandé

 

X (1911)

X

X

X

 

Natitingou

 
 

X (1924)

X

X

 

Tanguieta

 

X (1912)

X

X

X

 

Boukombé

 
 

X (1924)

 
 

BORGOU (Parakou)

 

X

X

X

X

X

 

Parakou

X

X

X

X

X

 

Nikki

X

X

X

X

X

 

Bembereke

 

X

X

 
 
 

Djougou

 
 
 
 

X (1944)

COTONOU c

 

X

X

X

X

X

 

Cotonou Abomey-Calavi

X

X
(1910-1911)
supprimé en
1912 d

X

X

X
X (1944)

 
 
 

X

 
 
 
 

Godomey

X

(supprimé
vers 1915)

 
 
 

DJOUGOU

 

X

X

X

X

 
 

Djougou
Kouandé

X
X

X
supprimé en
1911

X

X

 
 

Bassila

 
 

X

X

 

FADA N'GOURMA

 

X e

 
 
 
 
 

Fada N'Gourma

X

 
 
 
 
 

Diapaga

X

 
 
 
 
 

Kongobiri

X

 
 
 
 

HOLLI-KETOU

 
 
 
 
 
 

Kétou

 
 
 

X

 
 

Pobé

 
 
 
 

X

 
 

Kétou

 
 

X

 
 
 

Pobé

 
 

X

X

 

GRAND-POPO

 
 

X

 
 
 
 

Grand-Popo zone intérieure

 

X

 
 
 
 

Grand-Popo zone maritime

 
 
 
 
 

MONO

 
 
 
 
 
 

Grand-Popo

 

X

f

X

X

 

Athiémé

 
 

X

 
 

X (1944)

 

Grand-Popo

X

 

X

X

X

 

Grand-Popo sud

 
 

X

X

 
 

Athiémé

X

X

X

 

X

 

Parahoué

X

X

g

 

X (1944)

 

Bopa

X

X

X

X

 
 

Lonkly

 

X (1913)

 
 
 

MOYEN-NIGER/KANDY

 

X

X

X

X

X

 

Kandy

X

X

X

X

X

 

Zougou

X (1905)

 
 
 
 
 

Carimama

X

X (supprimé
en 1912)

 
 
 
 

Guéné

 

X (1912)

X

X

 

Tribunal de cercle Tribunal de subdivision a 1900-1909 1910-1919 1920-1929 1930-1939 1940-1945

OUIDAH X X X X X

Adjara X (1905) h

Savi X (1905) h

Segboué-Ahémé X (1905) h

Ouidah X (1906) X X X X

Allada X (1911) i X

Abomey-Calavi X (1911) i

X (vers

PORTO-NOVO 1907-1908) X X X X

Porto-Novo ville X X X

Porto-Novo banlieue X X X X X

Ouémé X

X X (supprimé

Sô en 1912-13)

Adjohon X (1912-13) X X X

Gbessou X X

Pobé X

SAVALOU X X X X X

Savalou X X X X X

Cabolé X X

Savé X X X X

SAVE X

Savé X

SAY X (1905) e

Botou X (1905)

ZAGNANADO X X X X

Zagnanado X X X X

Kétou X (1911-13)

Pobé X (1913)

X : existence du tribunal sur l'ensemble ou une partie de la période considérée.

a Ou tribunal de province, puis tribunal de 1er degré. b Allada est une chefferie supérieure jusqu'en 1912. c Le cercle de Cotonou comprenait également la subdivision d'Awansouri entre 1909 et 1911 mais il ne semble pas qu'il y ait eu un tribunal de subdivision installé durant cette brève période. d Rattaché à Allada. e Rattaché à Haut-Sénégal-Niger en 1907. f Supprimé pour devenir un cercle à part 1910-1911. g Supprimé et rattaché à Abomey. h Supprimé en 1906. i Supprimé en 1912.

Carte 1 : Carte du cercle d'Allada, 1926

Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles, 1926, carte n°21
Carte 2 : Carte du cercle d'Abomey, 1926

Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles 1926, carte n°20

Carte 3 : Carte du cercle de l'Atacora, 1926 Carte 4 : Carte du cercle du Borgou, 1926

Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des
cercles, 1926, carte n°22

Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des
cercles, 1926, carte n°25

Carte 5 : Carte du cercle de Cotonou, 1926

Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles, 1926, carte n°24

Carte 6 : Carte du cercle de Djougou, 1926 Carte 7 : Carte du cercle de Holli-Kétou, 1926

Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles,

cercles, 1926 1926, carte n°25

Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles,

cercles, 1926, carte n°27 1926, carte n°28

Carte 10 : Carte du cercle de Ouidah, 1926

Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles, 1926, carte n°29

Carte 11 : Carte du cercle Porto-Novo, 1926 Carte 12 : Carte du cercle de Savalou, 1926

Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles, Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des

1926, carte n°30 cercles, 1926, carte n°31

Tableau 3 : Evolution du nombre des tribunaux au Dahomey entre 1905 et 1944

Année

Tribunal de cercle

Tribunal de province
ou de subdivision

1905

13

29

1911

13

26

1913

14

29

1924

13

31

1932

13

28

1944

9

23

Annexe 5 : Extraits du texte imprimé « Pour une réforme complète de la justice indigène. Le décret du 3 décembre 1931 sur la justice indigène en AOF »

(sans auteur)

Archives privées : papiers d'agents papiers Marius Moutet, FR CAOM28 PA 1

Ô France, jusqu'à quand durera encore dans ce pays cette << JUSTICE INDIGENE » sans garantie humaine et qui n'a l'hospitalité chez aucun peuple du monde civilisé pour faire place à la vraie JUSTICE FRANCAISE ?

MISERERE NOBIS

On ne peut pas dire que la distribution de la justice aux peuples colonisés a laissé le législateur colonial français indifférent. On relève même, et cela est tout à son honneur, un louable souci de rapprocher la justice du justiciable indigène, de la rendre plus expéditive, plus respectueuse de ses coutumes, plus voisine de ses moeurs particulières.

Dans ces Frances d'outre-mer, en effet, il n'y a qu'un tout petit nombre de citoyens ; et comme on ne croit pas qu'il existe un type abstrait et unitaire de l'homme, l'application aux autochtones, de la législation française parut donc indésirable et impossible. Dès lors on pouvait donner libre cours, dans l'organisation judiciaire de ces colonies, à une volonté de diversité qui tendait à épouser la diversité des psychologies ethniques et qui devait se manifester par cette floraison de décrets en apparence << faits sur mesure » (pour l'AEF, l'AOF...).

Mais à y regarder de près, on s'aperçoit que les mêmes intentions, les mêmes préoccupations, les mêmes principes s'y révèlent et maintiennent une indéniable uniformité. Partout, on sent que le législateur colonial a voulu beaucoup moins protéger la liberté individuelle de l'indigène, garantir ses droits civils et défendre ses droits politiques, qu'il n'a eu le souci de fortifier l'autorité de l'administration et assurer la sécurité de l'Etat colonisateur. Pour lui, comme si Montesquieu n'était pas encore né, le judiciaire ne devait pas être mis à la disposition de l'indigène pour le défendre contre le législatif et l'exécutif ; il devait au contraire rester entre les mains de l'exécutif qui se trouve être en même temps le législatif, pour mieux << tenir le pays » par l'intimidation.

Le système construit sur ces bases, ne pouvait aboutir qu'à un régime autocratique digne d'une monarchie absolue. Et de fait, il est curieux et pénible de voir combien les dispositions les plus importantes de ces décrets, sont en violente opposition avec les principes de la déclaration de 1789. Prenons par exemple le décret du 3 décembre 1931 sur la justice indigène en AOF. Voici les principaux points où il heurte les principes démocratiques les plus élémentaires.

Exclusion de la règle : Nulle peine sans une loi préexistante (article VIII de la déclaration de 1789 et article 4 du code pénal)

Or on lit ceci dans le décret du 3 décembre 1931 (article 10) : « En matière répressive les juridictions indigènes s'inspirent de la coutume du lieu de l'infraction, aussi bien pour déterminer les faits répressibles judiciairement que pour déterminer la gravité de la sentence, dans la mesure où il n'en doit résulter aucune atteinte à l'ordre public ».

Ainsi donc lorsqu'un fait est soumis à un tribunal indigène, on laisse à ce tribunal le soin de décider si le fait constitue ou non une infraction punissable (au cas où bien entendu où une loi, un décret ou un arrêté n'auraient pas réglé la question déjà). Supposons que ce tribunal statue qu'il y a infraction. Alors ce même tribunal déterminera d'une façon à peu près souveraine quelle sanction comporte le fait dont il s'agit. Il est donc libre d'appliquer à cette infraction de son invention une peine allant de 1 franc d'amende jusqu'à 20 ans d'emprisonnement...

Que deviennent dans tout ça la sécurité et la liberté individuelle ?

Pas de séparation des pouvoirs (article 16 de la déclaration de 1789)

Or d'après le décret du 3 décembre 1931, le même fonctionnaire accuse, instruit, dit le droit, fixe le quantum de la peine et exécute sa propre sentence !

Nous voici ramenés sous l'ancien régime, époque où les agents de l'octroi, de la douane, de la police, de l'administration jugeaient eux-mêmes les délits et crimes qu'ils étaient chargés de constater. Mais même alors ils n'exécutaient pas leurs propres sentences.

Pas d'assistance d'avocat

Quand on lit les cahiers de doléances de 1789 un voeu d'ensemble relatif à la réforme judiciaire se dégage nettement. La nation recherche beaucoup plus la protection de l'accusé que l'indépendance du juge. Tous les cahiers recommandent sévèrement que personne ne soit condamné sans avoir eu un défenseur.

Or, à l'article 31 du décret du 3 décembre 1931, on lit ceci : << Les prévenus comparaissent en personne et présentent eux-mêmes leur défense... >>.

Ce décret n'admet, et cela en cas de crime seulement, que l'assistance par un fonctionnaire européen, non avocat. C'est l'article 53. Mais on doit noter que ce fonctionnaire n'est même pas choisi par l'accusé ; il lui est désigné d'office par le Président du tribunal. Enfin, il faut ajouter que cette désignation n'est même pas obligatoire ; encore faut-il que le Président de la juridiction y consente.

Restriction capitale apportée à la liberté de l'indigène et négation de ses droits naturels (...). Les législateurs français de 1789 reconnaissaient que la liberté faisait partie du droit naturel et positif de l'homme. Mais le législateur colonial est moins large vis-à-vis du colonisé. Il crée une catégorie spéciale d'hommes qu'il appelle et définit à l'article 1 : indigènes. Puis il soumet cette catégorie spéciale à une législation particulière dite l'indigénat. Or ce code particulier baptise crimes ou délits des faits qui ne constituent pas à proprement parler des infractions au sens du code pénal : par exemple le manque de déférence à l'égard d'un agent de l'autorité, le fait d'égratigner le << prestige >> par une critique si légère qu'elle soit visant un membre de l'autorité, qui correspond à l'ancien crime de lèse-majesté, le retard dans le paiement de l'impôt, le manque d'empressement à exécuter un ordre de l'administration, etc. Et à ces faits qu'un français de 1789 n'aurait pas retenu comme n'étant pas nuisibles à autrui, ce code applique des sanctions sévères. L'administrateur ou son adjoint convoque la personne coupable et, sans même le simulacre d'un jugement, le condamne à une amende ou à l'emprisonnement.

Pas de pourvoi en cassation : mission de la cour de cassation : interpréter la loi

On ne pouvait évidemment pas déférer à la Cour de cassation des jugements fondés soit sur des coutumes indigènes et variables à l'infini, soit sur des décisions personnelles même vierges de fantaisie ou de passion.

Au-dessus des juridictions indigènes qu'il créait, le législateur colonial ne pouvait donc placer qu'une chambre spéciale : le Tribunal colonial d'appel (article 55), où participaient des fonctionnaires européens.

L'administration est une fois de plus appelée à se prononcer sur un jugement élaboré par un de ses membres. Et ainsi, on peut dire que l'administrateur, souvent partie, est toujours juge.

Pas d'amnistie pour les condamnés des tribunaux indigènes.

Cette exclusion ne résulte d'aucun texte. L'administration se contente de ne pas étendre le bénéfice de la loi d'amnistie aux ressortissants des tribunaux indigènes. Le Parlement ignore le fait. La question doit être liquidée officiellement. (...)

Le décret du 3 décembre 1931 laisse en marge de toute justice une importante catégorie d'indigènes.

Un indigène lésé par un colon ne peut traduire ce dernier devant le tribunal indigène. Supposons qu'un Européen emploie un boy pendant 29 jours et le renvoie le 30ème. Prend un second boy et le renvoie de même. Que peuvent faire ces indigènes ? Le tribunal d'arbitrage qui devrait connaître de toute demande de paiement de salaire, leur est interdit du fait qu'ils ne sont ni manoeuvres, ni engagés sur les plantations et qu'ils sont domestiques attachés à la personne. On prétend qu'ils doivent avoir recours aux tribunaux français. Or, pour obtenir justice il leur faut :

1°) que le Président du tribunal de 1ère instance veuille bien leur accorder audience pour la tentative de conciliation ;

2°) en cas de poursuite autorisée, l'indigène doit consigner entre les mains de l'huissier le coût de l'assignation (un minimum de 35 F) ;

3°) pour qu'il puisse lever le jugement, il faut qu'il verse au greffe un minimum de 50 F ; 4°) pour signifier un jugement il faut qu'il verse à l'huissier un minimum de 50 F.

Si le maître ne paie pas, l'indigène doit trouver des fonds pour passer à la saisie. Il est évident qu'une fois seulement sur mille le hasard réunira les conditions qui permettront à l'indigène d'aller jusqu'au bout. Pratiquement on peut dire que cette organisation de la justice indigène livre la catégorie des << domestiques ».

Appellation abusive des tribunaux indigènes

L'article 1er est ainsi libellé : << La justice est rendue aux indigènes par des juridictions indigènes ». Il y a là une erreur qu'il faut signaler. (...)

En d'autres termes sont indigènes : les noirs nés en Afrique et non citoyens des Etats colonisateurs de l'Afrique. On s'attend donc à ne voir siéger que des noirs dans les divers tribunaux dits indigènes. C'est ainsi que cela se passe au Maroc. Ici ce sont des Marocains qui jugent au nom d'une puissance marocaine et selon des règles juridiques marocaines. En AOF au contraire, les tribunaux indigènes sont présidés par un administrateur français, assisté d'Africains choisis par lui, ou ce qui revient au même, désignés par

l'administration. Il est évident qu'à tous les coups l'administrateur sait faire plier la coutume à ses vues personnelles. De mémoire d'homme, comme s'il y avait harmonie préétablie, on a toujours vu l'avis des assesseurs coïncider parfaitement avec la volonté du président << gallo-romain >>.

Dans la réalité, les choses se passent de la façon suivante, en matière répressive : après la comparution de l'accusé, la cour ne se retire pas pour délibérer, mais le président blanc fait évacuer la salle et reste en tête à tête avec ses deux augures noirs. Tous les trois se regardent sans rire ! Le président commente << alla tudesca >> les paroles de l'accusé puis prononce : << On va lui foutre 10 ans de prison, n'est-ce pas ? >> Les augures noirs, sans un réflexe, acquiescent << Oui-Oui ! >> Le président fait rentrer l'auditoire et l'accusé. Il crache au visage de ce dernier : << Le Tribunal vous condamne à 10 ans de prison ! >>. La justice << indigène >> est rendue ! (...) Les Africains d'une voix unanime, crient qu'il n'y a rien de si laid qu'un jugement de tribunal << indigène >>. Ils sentent cruellement la calomnie majeure qu'il y a à baptiser de leur nom des dénis de justice ou des crimes judiciaires. Car cette << justice qui n'ose pas dire son nom >> n'a, ni pour le fond, ni pour la forme, absolument rien d'indigène.

Jaurès et tous les grands révolutionnaires de 1789, de 1830, de 1848, ont affirmé : << La République c'est la justice ! >>.

Les indigènes souhaitent enfin l'avènement de la République dans les colonies françaises. En matière de justice, ils mettent tout leur espoir dans les grands principes dégagés par les révolutionnaires de 89, qui doivent être à la base d'une justice vraiment démocratique (cf. Comité de vigilance de la Tribune Républicaine d'Hanoi ; décision communiquée par M. Marceau).

Ils estiment indispensable la complète et absolue indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir exécutif ou administratif. Ils demandent qu'on ne laisse, jusqu'à nouvel ordre, à la disposition des administrateurs, que des peines ne dépassant pas 2 jours de prison.

Ils pensent qu'avant la nouvelle organisation matérielle de la justice qui s'impose aux colonies, qu'avant le choix des futurs magistrats, il soit bien établi que les tribunaux jugeront désormais d'après une loi uniforme. Il est temps que la variété des coutumes fasse place à l'unité de législation. En quelque endroit de l'empire colonial français que soient recrutés les tirailleurs, ils obéissent à la même discipline et sont justiciables de la même justice militaire que les citoyens de la métropole. Ils demandent qu'il en soit ainsi dans le

civil. Si la raison exige la conservation momentanée de certaines coutumes locales, il faut que l'exception porte sur le détail et non sur le principe de la loi. La codification de ces coutumes pourrait se faire en une année en organisant le travail par un questionnaire intelligent auquel les instituteurs de toutes les régions seraient tenus de répondre. En attendant l'achèvement de cette codification, les indigènes souhaitent pouvoir opter dès le début de l'action judiciaire pour la justice française sans plus.

Ils demandent instamment que personne ne soit condamné sans avoir eu un défenseur, choisi par lui, que ce défenseur soit avocat ou fonctionnaire payé par la colonie, ou commerçant libre.

Ils demandent que les prisonniers, quelquefois innocents, toujours malheureux, attendent leur jugement et subissent leur peine dans des lieux d'une salubrité suffisante pour que leur santé n'ait pas à souffrir de cette détention.

Ils demandent que dans les cas graves on avise aux moyens d'admettre le jugement par jurés, par des compatriotes indépendants des juges qui quelquefois sont prévenus d'avance. Ils demandent que le jury soit composé pour moitié de natifs du pays et pour l'autre moitié d'Européens non administrateurs.

Enfin, ils demandent que les sanctions n'aient pour objet que de servir d'exemple et de frein aux hommes que leur mauvaise inclinations peuvent égarer ; que la liberté et la vie d'un indigène, surtout dans des contrées qui manquent d'hommes, soient toujours considérées comme plus précieuses au colonisateur que le châtiment d'un coupable ne lui est profitable. Ils demandent donc que ces déportations, ces interdictions de séjour qui sont prononcées pour des motifs vraiment futiles soient rayées de la liste des peines prévues.

Annexe 6 : Dictionnaire biographique

Béhanzin

Prince héritier Kondo, il prend pour nom Gbéhanzin Aï Djéré (Béhanzin) lorsqu'il devient roi du Danhomè en succédant à son père Glèlè à partir de décembre 1889. Soucieux de conserver sa souveraineté face aux menaces françaises, il choisit pour emblème le requin << qui empêche l'étranger de débarquer sur la terre danhoméenne ». La première guerre entre la France et le Danhomè en 1890, engagé suite à l'enjeu de la souveraineté sur Cotonou, souligne l'importance de son armée, notamment le rôle joué par les Amazones qui mènent alors l'attaque contre Cotonou. La deuxième guerre est déclarée par la France en avril 1892 et les troupes du général Dodds entrent à Abomey en novembre 1892. Béhanzin entre alors en résistance ; il se réfugie dans la brousse avec ses fidèles et mène une guérilla mais est contraint de se rendre en janvier 1894. Il est alors déporté en Martinique, puis en 1900 en Algérie où il reste jusqu'à sa mort en décembre 1906. Le gouvernement français fait ensuite rapatrier ses cendres au Dahomey en 1928. La commémoration du centenaire de sa mort a été célébrée au Bénin en décembre 2006.

Pierre Boisson (1894-1948)

Ancien combattant et mutilé de la Première Guerre mondiale, Pierre Boisson intègre en 1917 l'Ecole coloniale. Nommé gouverneur général de l'AOF de 1938 à 1939 puis de l'AEF entre 1939 et 1940, il revient à la tête de l'AOF du 25 juin 1940 au 7 juillet 1943. Il se rallie à Pétain et applique la politique de Vichy. Pierre Boisson quitte son poste le 7 juillet 1943 et est convoqué par la commission d'épuration en novembre 1943. Il est alors révoqué sans pension puis il est à nouveau condamné pour indignité nationale en juillet 1948 par la Haute cour de justice.

Joseph Jules Brevié (1880-1964)

Administrateur colonial, il est nommé lieutenant-gouverneur du Niger de 1922 à 1929 puis gouverneur général de l'AOF du 15 octobre 1930 au 27 septembre 1936. Auteur de plusieurs études historiques et ethnographiques (Monographie du cercle de Bamako en 1904, Islamisme contre naturisme au Soudan français : essai de psychologie politique coloniale, Leroux, Paris en 1923), il plaide pour une vision scientifique de la colonisation (Jules Brevié, << Science et colonisation », in Trois études de M. le gouverneur général

Brévié, Imprimerie du gouvernement général de l'AOF, Dakar, 1936). Il relance le mouvement de rédaction des coutumes en 1931 et crée en août 1936 l'IFAN (Institut français d'Afrique noire) pour mettre en oeuvre une étude scientifique de l'Afrique noire. Nommé ensuite gouverneur de l'Indochine puis ministre de l'Outre-mer et des Colonies du 18 avril 1942 au 26 mars 1943 dans le gouvernement de Pierre Laval, il participe à la création d'un office de la recherche scientifique coloniale.

Jules Carde (1874-1949)

Administrateur colonial, il débute à Madagascar où il reste de 1900 à 1907, puis après différents postes en Martinique, en Côte d'Ivoire, en AEF et au Cameroun, il est nommé gouverneur général de l'AOF le 18 mars 1923 et y reste jusqu'au 15 octobre 1930. Il s'attache plus particulièrement aux questions du développement économique, de la santé publique et de l'éducation. Il est ensuite nommé gouverneur général de l'Algérie de 1930 à 1935.

Léon Cayla (1881-1965)

Nommé en 1910 chef de cabinet du gouverneur général à Madagascar puis gouverneur général de Madagascar, il devient gouverneur général de l'AOF du 10 août 1939 au 25 juin 1940. Il retourne alors à son ancien poste à Madagascar. Proche de Pierre Laval, il dirige une organisation collaborationniste. Il est condamné le 19 juillet 1946 à cinq ans de prison.

Marcel de Coppet (1881-1968)

Administrateur colonial, il est lieutenant-gouverneur du Dahomey de 1933 à 1934. Puis il succède à Jules Brévié en tant que gouverneur général de l'AOF du 27 septembre 1936 au 14 juillet 1938. A son départ, Léon Geismar fait fonction pendant quelques mois avant l'arrivée de Pierre Boisson. Il dirige une encyclopédie consacrée à Madagascar et publiée en 1947. Un ouvrage lui a été consacré par Alain Couturier, Le Gouverneur et son miroir. Marcel de Coppet (1881-1968), Paris, L'Harmattan, 2006, 202 p.

Lamine Gueye (1891-1968)

(tiré de Claude Liauzu (sous la direction de), Dictionnaire de la colonisation française, op. cit., p.350)

Né au Soudan, Lamine Gueye, après avoir été instituteur à Dakar devient avocat ; il est le
premier Africain docteur en droit et est représentatif de l'élite moderne africaine. Il adhère

à la SFIO en 1923, rachète en 1924 le journal l'AOF, et est élu maire de Saint-Louis en 1925. Défenseur des tirailleurs du camp de Thiaroye accusés de sédition et engagé dans les luttes pour la citoyenneté, la liberté d'association, la suppression de la justice indigène et du travail forcé, il s'impose politiquement à partir du front populaire. Elu en 1945 avec Léopold Sédar Senghor pour représenter le Sénégal à l'Assemblée constituante, il est alors porte-parole des élus africains. Nommé sous-secrétaire d'Etat aux colonies dans le gouvernement Blum, il rapporte le projet de loi supprimant l'indigénat et est élu en 1946 président du Conseil général du Sénégal. Réélu en 1958 député, il est élu président du Parlement au sein de la fédération du Mali puis à l'Assemblée nationale du Sénégal jusqu'à sa mort en 1968.

Paul Hazoumé (1890-1980)

Né en 1890 à Porto-Novo, il fait ses études au Sénégal, où il obtient un diplôme de l'École Normale de Saint-Louis. Instituteur au Dahomey, il participe au premier journal dahoméen fondé en 1917, Les Récadères de Béhanzin, avec Louis Hunkanrin. Il écrit en 1931 << le Pacte de sang au Dahomey >> (Institut d'ethnologie de Paris) puis il rédige son premier roman en 1935, << Goguicimi >>, reconstituant l'atmosphère de la cour de l'ancien royaume. Homme politique, il a été conseiller auprès de l'Union française et conseiller territorial au Dahomey.

Kojo [Codjo] Tovalou Houénou (1887-1936)

Né au Dahomey, Kojo Tovalou Houénou, diplômé en médecine et en droit de l'université de Bordeaux, s'engage dès 1914 dans l'armée française. Blessé et démobilisé, il s'installe à Paris et se lance dans la politique. Il se rend en 1921 aux Etats-Unis, au congrès de l'Universal Negro Improvement Association, le mouvement panafricaniste de Marcus Garvey. De retour en France, il fonde un journal, Les Continents, où il proclame son attachement à la France tout en critiquant les méthodes coloniales, ainsi qu'en 1924 << La ligue universelle pour la défense de la race noire >> (Ludrn). En 1934, il gifle un confrère au tribunal. Incarcéré à Dakar, il meurt au cours de sa détention en 1936. L'ancien président du Bénin, Emile Derlin Zinsou, et un universitaire béninois, Luc Zouménou, lui ont consacré un ouvrage publié en 2004 (Kojo Tovalou Houénou. Précurseur, 1887-1936. Pannégrisme et modernité, Maisonneuve & Larose, Paris, 2004, 235 p).

Louis Hunkanrin (1886 - 1964)

Originaire du Dahomey, Louis Hunkanrin fait partie de la première promotion de l'Ecole normale de Saint-Louis du Sénégal qui en sort en 1907. Révoqué de l'enseignement en 1910, il est condamné a deux reprises pour ses activités journalistiques (1911 et 1912) et placé en résidence obligatoire a Dakar. Il devient journaliste, collaborant régulièrement a La Dépêche coloniale et, surtout, a La démocratie du Sénégal de Blaise Diagne dont il devient l'un des proches. En 1914, Louis Hunkanrin revient au Dahomey où il fonde une section de la Ligue des droits de l'homme, mais il est de nouveau condamné a de la prison pour ses écrits dakarois. Toutefois, a la demande de Blaise Diagne, il se fait l'avocat d'une participation effective du Dahomey au premier conflit mondial. Poursuivant son action militante, il participe a la rédaction du Récadère de Béhanzin (1917), puis s'installe a Paris où il fonde Le Messager dahoméen (1920) avec l'avocat antillais Max Clainville Bloncourt (qui anime a partir de 1922 l'organe de presse de l'Union Intercolonial, Le Paria, fondé par Nguyên Ai Quôc, le futur Hô Chi Minh). Condamné a dix ans d'internement administratif en Mauritanie, pour sa participation aux « évènements de Porto-Novo » de 1923, il revient ensuite au Dahomey où il écrit dans La Voix du Dahomey et il est condamné a une amende a l'issue du procès contre le journal en mai 1936. Lors du second conflit mondial, il est déporté au Soudan français pour « gaullisme ». Après la Seconde Guerre mondiale Louis Hunkanrin ne participe pas a la vie politique dahoméenne, bien que son fils Gutenberg dirige brièvement (1948-1950) la section dahoméenne du Rassemblement démocratique africain (RDA). Après le décès de Louis Hunkarin en 1964, des obsèques nationales sont consacrées a celui qui est considéré comme le « père du mouvement national dahoméen ».

Joost Van Vollenhoven (1877-1918)

Né a Rotterdam, il passe ses premières années en Algérie avec ses parents installés comme colons. Il suit des études de droit a la Faculté d'Alger. Naturalisé français en 1899, et après un an de service militaire en 1900- 1901, il intègre l'Ecole coloniale dont il sortira en 1903 avant d'y devenir lui-même professeur en 1905. Administrateur colonial, il occupe différents postes au ministère des Colonies, en Guinée, au Sénégal et en AEF. Il devient gouverneur général de l'Indochine par intérim de janvier 1914 au 7 avril 1915 avant de rejoindre le front en avril 1915 dans le régiment d'infanterie coloniale du Maroc (RICM). Blessé et cité plusieurs fois, il est promu sous-lieutenant le 21 mai 1917 et est nommé gouverneur général de l'AOF a partir du 3 juin 1917. S'opposant a de nouveaux recrutements de troupes africaines, il démissionne de son poste le 17 janvier 1918, après

avoir appris l'envoi de la mission Diagne en AOF et en AEF. Il retourne au front dans le RICM avec le grade de capitaine. Joost Van Vollenhoven est grièvement blessé le 19 juillet 1918 et meurt le lendemain.

Albert Londres (1884-1932)

Journaliste engagé, il enquête en 1923 sur la bagne en Guyane et contribue par son étude Au bagne à sa fermeture. Il dénonce en 1924 (Dante n'avait rien vu) les bagnes militaires d'Afrique du Nord ou Biribi, puis les abus dans les colonies en 1929 (Terre d'ébène), l'exploitation esclavagiste des Pêcheurs de perles en 1931 dans le golfe Persique. Présentés sous forme de carnets de voyage, ses reportages, entre observation et témoignage, ne s'opposent pas au principe colonial lui-même mais en dénonce les abus.

Marius Moutet (1876-1968)

Membre des étudiants socialistes de Lyon, il devient avocat et est élu député du Rhône en 1914. Il est successivement réélu en 1919, 1924, puis dans le département de la Drôme en 1929. Choisi comme avocat des indépendantistes en Indochine, il se spécialise dans les questions coloniales et devient ministre des Colonies de 1936 à 1938. Il décide alors de la suppression du bagne de Guyane et de l'amnistie des condamnés politiques en Indochine, assouplit le Code de l'indigénat en élargissant la liste des personnes exemptées de l'indigénat et développe une politique sociale dans les colonies. Marius Moutet nomme également Félix Eboué gouverneur de la Guadeloupe puis du Tchad. Il prône une politique d'accès à la citoyenneté plus généreuse en Algérie, avec notamment le projet de décret dit « Blum-Violette » ; il souhaite réformer la justice indigène et développer les commissions d'enquête dans les colonies « afin de connaître les aspirations légitimes de nos protégés et de faire rechercher toutes les mesures aptes à réaliser une politique coloniale largement humaine et résolution sociale ».Mais ces projets de réforme sont rapidement abandonnés du fait de l'opposition parlementaire, du défaut de crédits affectés aux mesures et de la brièveté du premier gouvernement du Front populaire. Réfugié en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale après avoir refusé de voter les pleins pouvoirs à Philippe Pétain, il est réélu député de la Drôme en 1945 et est nommé ministre de la France d'outre-mer de janvier 1946 à octobre 1947 : « Il négocie d'abord avec Hô Chi Minh avant d'assumer la guerre d'Indochine, comme il restera longtemps fidèle à l'Algérie française. Car pour lui, le pire serait « le déchaînement des forces incontrôlables » (Claude Liauzu (sous la

direction de), Dictionnaire de la colonisation française, article << Marius Moutet », op. cit., p. 484).

William Merlaud-Ponty (1866-1915)

Gouverneur général de l'AOF de 1908 à 1915, il fut notamment chargé du recrutement des volontaires africains pendant la Première Guerre mondiale. Occupé par l'éducation, l'Ecole Normale de Dakar prit le nom de William Ponty.

Ernest Roume (1858-1941)

Administrateur colonial français, gouverneur général de l'AOF du 15 mars 1902 au 15 décembre 1907. Il succède à Noël Ballay à ce poste, après un bref intérim de Pierre Capest. Il déplace l'administration centrale de Saint-Louis à Dakar et le rôle du gouverneur général de l'AOF se renforce sous sa gouvernance. Ernest Roume s'intéresse à la construction du réseau de chemin de fer et sera surnommé l'architecte de l'AOF. Il se trouve au poste de gouverneur général lors de l'unification du système judiciaire en AOF en 1903 et sollicite dès 1905 par voie de circulaire << la rédaction d'un coutumier général qui deviendra la règle des tribunaux indigènes ». Malade, il rentre en France en 1908 et est remplacé par William Ponty en AOF. Il est ensuite nommé gouverneur général de l'Indochine entre 1914 et 1917, puis assure la présidence d'Air Orient et enfin de la compagnie aérienne Air France entre 1933 et 1935.

Léopold de Saussure

(tiré de Claude Liauzu (sous la direction de), Dictionnaire de la colonisation française, op. cit., p.579)

Psychologue (1866-1925). Son livre Psychologie de la colonisation française dans ses rapports avec les sociétés indigènes (1899) reprend les thèses de Gustave le Bon et critique la politique d'assimilation. << Les races n'ont cessé de diverger depuis leur origine et sont désormais séparées les unes des autres par des caractères stables anatomiques et mentaux [...]. L'écart mental entre deux races étant évalué d'après l'écart des civilisations, on peut se rendre compte [...] qu'il ne suffira pas de quelques générations pour accomplir une transformation... ». L'assimilation << se heurte dans les sociétés organisées au respect des traditions et provoque le mécontentement et la résistance. Bien au contraire, elle satisfait les intérêts et la vanité des nègres ou mulâtres de nos anciennes colonies créoles ». << Inadaptée, l'assimilation par la loi, par l'école, est impossible et nuisible ». A la fin du XIXème siècle, les thèses assimilationnistes reculent sous le choc de ce discours.






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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon