Table des matières
TABLE DES MATIERES 2
LISTE DES FIGURES 3
LISTE DES PHOTOS 3
REMERCIEMENTS 4
LISTE DES ABRÉVIATIONS 5
INTRODUCTION 6
1ERE PARTIE : ORGANISER LE SYSTEME REPRESSIF AU DAHOMEY (DU
XIXEME SIECLE A 1960)... 28
A. LA JUSTICE DANS LES SOCIETES PRECOLONIALES : DES SYSTEMES
VARIES SELON LES ROYAUMES 29
1. Des systèmes judiciaires
précoloniaux présentant des caractéristiques communes
30
1. Des différences liées à l'organisation
des sociétés précoloniales 31
B. ORGANISATION DE LA JUSTICE DE 1894 A 1945 : UNE TRAJECTOIRE
NON LINEAIRE 38
1. Les hésitations du système
judiciaire en AOF et au Dahomey de 1894 à 1903
38
1. Evolution vers un principe de cloisonnement des justices
française et indigène en 1912 42
1. Une justice organisée et hiérarchisée
sur l'ensemble du territoire 48
1. Une composition différenciée des tribunaux
57
1. Une procédure distincte devant les deux types de
juridictions 61
1. Un contrôle très poussé de la justice
indigène 67
C. LA COHABITATION DE LA JUSTICE INDIGENE AVEC LE CODE DE
L'INDIGENAT 69
1. Le « Code de l'indigénat », de
multiples règlements au service de l'ordre colonial
70
1. Les justifications de l'indigénat mises à
l'épreuve des réalités 72
1. Un Code de l'indigénat ou un enseignement pratique de
la discipline ? 74
1. Des pratiques abusives malgré le contrôle des
sanctions disciplinaires 75
1. Une limite incertaine entre le Code de l'indigénat et
la justice indigène 77
1. Des justices « officieuses » au service des
Européens 80
D. LA FIN DE LA JUSTICE PENALE INDIGENE APRES 1945 82
1. Les critiques et les réformes de la
justice indigène avant 1945 83
1. La justice indigène pendant la Seconde Guerre mondiale
87
1. En finir avec l'indigénat après 1945 92
2EME PARTIE : METTRE EN OEUVRE LA JUSTICE COLONIALE : ENTRE
PRINCIPES AFFICHES ET REALITES DE FONCTIONNEMENT (DE 1900 A 1960) 98
A. LE POUVOIR COLONIAL ET LA JUSTICE INDIGENE : PRINCIPES,
REPRESENTATIONS ET PRATIQUES 99
1. Une justice adaptée aux besoins locaux ou
une justice au service exclusif du pouvoir ? 100
1. Volonté ou contrainte d'une justice adaptée ?
Les problèmes financiers et humains 105
1. L'association des élites locales à la justice :
un rôle limité 112
La question des coutumes au coeur des ambivalences du
système judiciaire 122
1. Un souci de respect des formes et des droits : un non-sens
dans le contexte colonial ? 128
1. Les résistances au changement dans le milieu colonial
après 1945 131
B. LA POPULATION DAHOMEENNE ET LA JUSTICE DU COLONISATEUR :
ACCEPTATION ET RESISTANCE 137
1. Recours à la justice coloniale et position
sociale, des liens forts 138
1. Le maintien d'une justice officieuse : la famille et les
autorités traditionnelles 152
1. Les résistances à la justice officielle : une
opposition à l'ordre colonial ? 160
CONCLUSION 168
SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE 177
SOURCES ARCHIVISTIQUES 177
BIBLIOGRAPHIE 188
LEXIQUE DES TERMES JURIDIQUES 207
ANNEXES 210
ANNEXE 1 : GRILLE D'ENTRETIEN 210
ANNEXE 2 : CADRE DE SAISIE DES DONNEES QUANTITATIVES SUR LA
DELINQUANCE ET LES PREVENUS 213
ANNEXE 3 : EXEMPLES DE DOCUMENTS CONSERVES AUX ANB ET PROBLEMES
DE CONSERVATION 218
ANNEXE 4 : EVOLUTION DES CIRCONSCRIPTIONS JUDICIAIRES DU DAHOMEY
DE 1900 A 1945 219
ANNEXE 5 : EXTRAITS DU TEXTE IMPRIME << POUR UNE REFORME
COMPLETE DE LA JUSTICE INDIGENE. LE
DECRET DU 3 DECEMBRE 1931 SUR LA JUSTICE INDIGENE EN AOF »
227
ANNEXE 6 : DICTIONNAIRE BIOGRAPHIQUE 233
Liste des figures
Figure 1. Le Danxomé avant la conquête coloniale
33
Figure 2. Division administrative (cercles) du Dahomey en 1932
49
Figure 3. Tribunaux de cercle et de subdivision du Dahomey en
1932 56
Figure 4. Catégories professionnelles de 555 plaignants,
Dahomey, 1903-1958 143
Figure 5. Nature des infractions pour chaque catégorie
professionnelle des plaignants 145
Liste des photos
Photo 1. Trône du roi Gbehanzin, symbole du pouvoir au
Danhomè 32
Photo 2. Vue intérieure du Palais de Béhanzin
à Abomey 34
Photo 3. Palais de Porto-Novo : cour où siégeait le
roi 37
Photo 4. Carte de l'Afrique occidentale française en 1930
41
Photo 5. Palais de justice de Cotonou, sans date 50
Photo 6. Tribunal de Grand-Bassam, Côte d'Ivoire, sans date
51
Photo 7. Palais de justice de Dakar, Sénégal, sans
date 51
Photo 8. Tribunal indigène de Cotonou, sans date 52
Photo 9. Tribunal indigène dans un poste d'Afrique
occidentale (Soudan français) 52
Photo 10. << Préparation à la bastonnade
», Dahomey, sans date 81
Photo 11. << Bons voeux », Sénégal
108
Remerciements
Je voudrais remercier Sophie Eckert-Dulucq qui m'a permis de
travailler sur ce mémoire tout en étant éloignée de
la faculté de Toulouse, pour sa confiance et ses conseils
avisées, ses annotations toujours très précieuses et ses
encouragements, pour sa disponibilité enfin malgré des distances
qui ont varié entre 6 000 et 20 000 km.
Je voudrais adresser aussi tous mes remerciements aux
personnes interviewées qui ont accepté de consacrer du temps, le
roi d'Abomey, M. Gbehanzin, M. Gaston Fourn, Vieux Jacques, M. Paulin
Hountondji et M. Salomon Biokou, le plus ancien de tous.
Parmi ces personnes, je souhaite tout particulièrement
saluer la disponibilité, l'amitié et les recherches de Raymond
Codjo Gbeze, de sa femme Rosalie, et de son frère Gaston.
Merci également à toute l'équipe des
Archives nationales du Bénin, notamment à Jérôme et
à M. Labitan, pour leur accueil et les échanges que nous avons pu
avoir.
Merci encore à M. Ibrahima Thioub et à Laurent
Manière pour avoir bien voulu échanger sur ce thème leurs
travaux respectifs, à M. Francis Defranoux, à Cyrille Callens,
à Alexis pour les contacts qu'ils m'ont permis d'avoir.
Je souhaite également associer ma famille à ces
remerciements, Guy pour les multiples lectures des versions du mémoire
et Lucas et Kévin pour les nombreuses heures studieuses que j'ai pu leur
imposer à Cotonou et Papeete.
Lac de Porto-Novo
Liste des abréviations
ANB : Archives Nationales du Bénin
art. : article
AEF : Afrique équatoriale française
AOF : Afrique occidentale française
CAOM : Centre des Archives d'Outre-Mer
CFLN : Comité français de libération
nationale ENFOM : Ecole nationale de la France d'Outre-mer FOM : France
d'Outre-mer
JO : Journal officiel
JOD : Journal officiel du Dahomey
SD : Sans date
coll. : collection
dactyl. : dactylographié
vol. : volume
La situation coloniale fabrique des colonialistes, comme
elle fabrique des colonisés.
Albert Memmi, Portrait du colonisateur,
p. 77
« On ne devait pas s'ennuyer à
Niafounké. Je m'arrêtai là. Justement, c'était jour
de tribunal. (...) On s'installa dans une pièce de la résidence,
le commandant devant une table, l'interprète à ses
côtés. Flanquant la table, deux moricauds de la plus belle eau,
deux notables : les jurés. En avant ! Le premier plaignant n'est pas
décent. La ficelle qui le ceinturait tombait en lambeaux ! Il pourrait
prendre son costume neuf quand il vient au tribunal !
- Qu'est-ce qu'il veut ? demanda le commandant. L'homme
partit dans un long discours. Estimant qu'il avait suffisamment parlé,
le commandant l'arrêta.
L'interprète traduisit :
- Il dit qu'ayant hérité des deux femmes de
son père, dont l'une était sa mère, il a marié sa
mère à l'un de ses amis qui, en échange, lui avait promis
une vache. Or, au bout de deux mois, l'ami lui a rendu sa mère et lui
donne un mouton puisqu'il trouve que sa mère ne vaut pas une
vache.
- Qu'en pensent les notables ? demanda le commandant. Les
notables dormaient.
- Voyez ces saligauds, fit le commandant, et il frappa un
grand coup sur la table. Les autres sursautèrent. Mis au courant, les
notables voulurent connaître l'âge de la mère.
- A peu près deux fois mon âge, dit le fils. Les
notables répondirent qu'elle ne valait même pas un cabri ! Le
tirailleur de garde saisit alors le fils infortuné et le jeta dans la
cour.
On passa à l'affaire suivante. »
Albert Londres, Terre d'ébène,
p. 88
Introduction
La justice au Bénin, ancien Dahomey, souffre d'un
déficit de confiance de la part de la population. Selon un sondage
réalisé pour les Etats-Généraux de la justice qui
se sont tenus à Cotonou en 1996, << 64,5% des Béninois ne
croient pas que les jugements rendus soient justes »1. Les
usagers se plaignent notamment de la lenteur dans le traitement des dossiers,
du mépris à l'égard des justiciables et de la
corruption2 ; le nombre de magistrats reste relativement
faible3. Mais le système judiciaire instauré depuis
l'indépendance du Dahomey s'inscrit dans l'histoire plus vaste de la
justice au Bénin. Il a emprunté certains principes d'organisation
et de fonctionnement de la justice coloniale qui, elle-même, n'a pas fait
totalement table rase des justices établies dans les différents
royaumes précoloniaux.
1 Ministère de la Justice, de la Législation
et des Droits de l'Homme de la République du Bénin,
EtatsGénéraux de la justice, Cotonou, 4 au 7 novembre
1996, p. 45.
2 Ibid.
3 1 pour 29 000 habitants au Bénin contre 1 pour 9
624 en France ; la médiane pour 12 pays africains francophones est
cependant de 1 pour 36 565 habitants. Agence de Coopération Culturelle
et Technique (ACCT). << La justice dans les pays francophones »,
Conférence des ministres francophones de la Justice, Le Caire,
1995, Paris, ACCT, coll. << Droit, démocratie et
développement », cité par Etienne Le Roy, Les Africains
et l'institution de la Justice, entre mimétismes et
métissages, Paris, Dalloz, 2004, pp. 175-176.
La justice coloniale dont Albert Londres nous donne un
aperçu dans son carnet de voyage4 apparaît avant tout
marquée par l'arbitraire et l'omnipotence de l'administration. Bien que
dénués de la verve du journaliste lorsqu'il décrit une
matinée au tribunal de Niafounké, les jugements des tribunaux du
Dahomey rédigés par les auxiliaires coloniaux saisissent
également les paroles des victimes et des prévenus, les questions
et les choix des juges. Lorsqu'un adjudant-garde de cercle, Boni, est
présenté devant le tribunal du 2ème degré de
Cotonou, après avoir sectionné à coups de machette deux
doigts de la main d'un prisonnier et qui avait tenté de s'enfuir, la
voix de la victime est retranscrite. Elle ne dit pas tout mais elle relate sa
situation, ses sentiments, et en l'occurrence les relations de domination au
sein de la société coloniale :
<< Quand j'ai été arrêté,
j'ai été brutalisé la nuit même où j'ai
été mis en cellule (...). Effrayé, j'ai pris la fuite le
lendemain matin et j'ai été arrêté le jour
même. Le jour où j'ai eu les doigts coupés, j'ai
été conduit devant le commandant, M. Claverie ; c'est l'adjudant
Boni qui m'a servi d'interprète et qui a répété
comme venant du commandant : «Pourquoi ne l'a-t-on pas tué ?»
>>5
L'adjudant Boni reconnaît les faits ; le tribunal
criminel estime que ce dernier est coupable de << coups et blessures
volontaires, sans ordre du chef de subdivision >>. Mais il fait dans le
même temps bénéficier Boni des circonstances
atténuantes dans la mesure où son acte n'était pas
prémédité et en raison de ses brillants états de
service pendant la Grande Guerre. Sa condamnation à 9 mois
d'emprisonnement et à des dommages et intérêts
apparaît nettement inférieure à celle constatée pour
des faits de vols et le jugement est d'ailleurs annulé par la cour
d'appel de Dakar qui condamne le prévenu à deux ans
d'emprisonnement. Ce jugement rendu en 1937 n'est qu'un exemple parmi bien
d'autres des affaires de vols, de coups et blessures ou d'adultères
traitées par les juridictions. Le tribunal est le lieu où
s'exposent les conflits sociaux et où peuvent être saisis
indirectement les comportements, voire les sentiments des acteurs.
Si, comme le souligne John Rawls, << la justice est la
première vertu des institutions sociales comme la vérité
est celle des systèmes de pensée >>6, l'analyse
de l'histoire des sociétés à travers leurs systèmes
judiciaires présente un intérêt certain, notamment lors de
la confrontation et de la rencontre de sociétés et de cultures
différentes comme dans les sociétés coloniales. La
présente étude explore donc un pan de l'histoire de la justice
pénale qui n'a pas encore été abordée au
Bénin et qui reste embryonnaire dans de nombreux autres pays africains :
le système judiciaire pendant la période coloniale.
4 Albert Londres, Terre d'ébène,
Paris, Le serpent à plumes, 1998 (1ère éd. 1929 Albin
Michel), 275 p.
5 ANB, 2F30, fonds du Dahomey colonial, jugement du 5
février 1937 du tribunal criminel de Cotonou.
6 John Rawls, Théorie de la justice, Paris,
Le Seuil, 1997 (1ère éd. française 1987), 666 p.
D'une manière générale, l'histoire de la
justice et de la répression n'a d'ailleurs que faiblement
intéressé les chercheurs jusqu'aux années 1970. Selon
certains historiens, les raisons tiennent à l'aspect peu attractif de
cette histoire et au durable partage des savoirs entre juristes et historiens
depuis le début du XIXème siècle. En effet, le
mouvement des Annales a conduit de nombreux historiens à se
détourner de l'histoire du droit et à abandonner aux seuls
juristes l'histoire de l'Etat et de ses institutions. Les historiens ont
privilégié l'économique et le social ; ils ont longtemps
orienté leurs choix de recherche vers l'analyse des structures de la
société et non vers ses marges7.
Le contexte du début des années 1970 modifie ces
perspectives. Les notions de classes sociales se brouillent ; les recherches
s'orientent alors davantage vers les franges de la société
(études sur les marginaux et les détenus). Les révoltes
dans les prisons américaines et françaises poussent
également les chercheurs à réinterroger l'histoire du
carcéral et de la peine. Les premiers travaux mettent en lumière
l'émergence d'une nouvelle conception de la répression à
la fin du XVIIIème siècle. Elle tend à
substituer une peine certaine mais mesurée, dans le cadre fermé
et << éducatif » de la prison, à un châtiment
arbitraire mais exemplaire et dissuasif sur la place publique. Michel
Foucault8 analyse la prison comme une figure du mouvement de
<< grand renfermement » qui, depuis la fin du
XVIIIème siècle, a pour objet de modeler les corps et
de réformer les esprits. L'emprisonnement devient non seulement la
sanction pénale privilégiée mais aussi un instrument de
contrôle social. Des auteurs anglophones mettent en évidence le
lien entre la construction idéologique et matérielle du
système carcéral et la mise en place d'un nouvel ordre politique,
économique et moral au XIXème siècle en Europe
et aux Etats-Unis9. Ces études ouvrent la voie à de
multiples recherches sur la répression et les prisons au XIXème
10 et au XXème 11 siècles.
7 Michelle Perrot, Les ombres de l'histoire, crimes et
châtiments au XIXème siècle, Paris, Flammarion, 2001,
pp. 9-10.
8 Michel Foucault, Surveiller et Punir, Paris,
Gallimard, 1975.
9 Notamment David Rothman, The Discovery of the
Asylum. Social Order and Disorder in the New Republic, Boston, Little
Brown and Cie, 1971 et Michaël Ignatieff, A Just Measure of Pain. The
Penitentiary in the Industrial Revolution, New York, Pantheon Books,
1978.
10 Michelle Perrot (sous la direction de),
L'impossible prison. Recherches sur le système pénitentiaire
au XIXème siècle, Paris, Le Seuil, 1980. Jacques-Guy Petit
(sous la direction de), La prison, le bagne et l'histoire, Paris,
Librairie des Méridiens, 1984.
11 Robert Badinter présente les débats
théoriques sur les objectifs de l'emprisonnement et les réformes
du système pénitentiaire qui en résultent, La prison
républicaine en France, Paris, Fayard, 1992. Jean-Claude Farcy et
Henry Rousso analysent la répression pendant la période de la
guerre. << Justice, répression et persécution en France
(fin des années 1930-début des années 1950) »,
Cahiers de l'IHTP, n°24, juin 1993.
Les historiens se penchent également sur les conditions
de vie des détenus dans les institutions
pénitentiaires12. Ces études portent essentiellement
sur le système carcéral. Mais d'autres auteurs abordent
l'évolution institutionnelle de la justice en France depuis le
XVIIIème siècle, tels que Jean-Pierre Royer ou
Jean-Claude Farcy13. Enfin, divers chercheurs ont analysé
l'évolution des conceptions sur le crime et le criminel dans la
société française en s'appuyant sur les statistiques
judiciaires élaborées à partir du XIXème
siècle14. La nomenclature et les chiffres de la
criminalité sont perçus comme un reflet des sensibilités
au fait criminel. Plus récemment encore, l'opinion de la
société sur la criminalité a été
examinée à travers les romans populaires et les articles de
presse consacrés aux faits divers15. D'autres historiens sont
quant à eux partis des procédures et des jugements pour saisir
les transformations du regard de la société sur certains crimes
comme le viol16.
L'essor récent de la justice comme thème de
recherche se manifeste également depuis la fin des années 1980
par la rédaction de volumineux guides des archives judiciaires et
pénitentiaires17 et par des réflexions sur les usages
de ces archives par les historiens18, ainsi que par la
création de sites Internet comme celui de Marc Reneville rassemblant les
bibliographies, les ressources en ligne, certaines études et
conférences en matière d'histoire de la justice et de la
délinquance19.
12 Christian Carlier, La Prison aux champs. Les
colonies d'enfants délinquants du Nord de la France au XIXème
siècle, Paris, Editions de l'Atelier, 1994. Jacques-Guy Petit,
Ces peines obscures. La prison pénale en France, 1780-1875,
Paris, Fayard, 1990. Patricia O'Brien, Correction ou châtiment :
histoire des prisons en France au XIXème siècle, Paris, PUF,
1988 (1ère éd. 1982), 342 p.
13 Jean-Pierre Royer, Histoire de la justice en
France, Paris, PUF, 1995. Jean-Claude Farcy, L'histoire de la justice
française de la Révolution à nos jours, Paris, PUF,
2001.
14 Jean-Claude Chesnais, Histoire de la violence en
occident de 1800 à nos jours, Robert Laffont, coll. Pluriel, 1981.
Philippe Robert, Les comptes du crime. Les délinquances en France et
leurs mesures, Paris, L'Harmattan, 1991.
15 Dominique Kalifa, L'Encre et le Sang : Récits
de crimes et société à la Belle Epoque, Fayard, 1995.
Dominique Kalifa, Crime et Culture, Paris, Perrin, 2005.
16 Georges Vigarello, Histoire du viol,
XVIème-XXème siècles, Paris, Le Seuil, coll.
l'Univers historique, 1998.
17 Jean-Claude Farcy, Guide des archives judiciaires et
pénitentiaires, 1800-1958, Paris, CNRS éd., 1992, 1 175 p.
Un autre guide le prolonge pour les documents postérieurs à
1960.
18 Un premier colloque s'est tenu en 1988 à
Toulouse sous la direction d'Yves-Marie Bercé et d'Yves Castan, Les
archives du délit : empreintes de société, Toulouse,
éd. universitaires du sud, 1990, 117 p. Il soulignait
l'intérêt de retrouver à travers les archives judiciaires
les traces de la société à un moment donné. Un
second colloque a eu lieu en 1998 sous la direction de Frédéric
Chauvaud et Jacques-Guy Petit, « L'Histoire contemporaine et les usages
des archives judiciaires (1800-1939) », Histoire et archives,
hors série n°2, Paris, Honoré Champion, 1998, 490 p. Il
avait pour objectif de dresser un bilan international de l'apport des archives
judiciaires et des problèmes posés par leurs usages pour la
période contemporaine. Jean-Claude Farcy souligne également dans
son ouvrage sur l'histoire de la justice française depuis la
révolution que des associations, comme l'International Association for
the History of Crime and Criminal Justice, et des revues, par exemple
Crimes, histoire et sociétés, ont été
créées depuis les années 1980-1990.
19 Source Internet : http
://www.criminocorpus.cnrs.fr/
Les ouvrages et les revues relatifs au crime, à la
justice et à la répression en Europe foisonnent donc
actuellement. Ils ne concernent pas le continent africain mais permettent de
mieux comprendre les conceptions culturelles qui imprègnent les
colonisateurs sur la criminalité et sa répression et ils nous
aident également à saisir les sources, les méthodes et les
limites des recherches en histoire judiciaire. Les ouvrages de Michel Foucault
<< Surveiller et Punir » et de Michelle Perrot sur << les
ombres de l'histoire » ont suscité pour partie la
problématique de départ de ce mémoire, nous conduisant
à interroger les sources judiciaires de façon à
appréhender le projet répressif des autorités en place
au-delà de ses apparences, mais également à comprendre les
réactions des << oubliés » de l'histoire, les
personnes jugées et les justiciables face à ce système
pénal. Cependant, ces études restent centrées sur la
métropole. Leurs conclusions ne peuvent être extrapolées
à l'Afrique coloniale. En effet, lors de la création des
colonies, dont le Dahomey en 1894, les autorités françaises
instaurent des modes de règlement des conflits à la fois
totalement inédits pour les populations colonisées et
différents de ceux existant en métropole. Par ailleurs, la
société coloniale ne peut être assimilée à la
société métropolitaine. Les colonies connaissent une
situation d'altérité entre une minorité colonisatrice
dominante qui impose ses normes et une société colonisée
qui a ses propres références culturelles et sociales par rapport
au crime et à la répression.
Or les chercheurs n'ont que récemment porté une
attention spécifique à la justice et la répression en
Afrique pendant la période coloniale. Les ouvrages
généraux sur l'histoire de l'Afrique développent peu (ou
pas) la question de la justice et de la répression durant la
période coloniale20. Seuls sont rappelés les principes
généraux d'organisation de la justice indigène, distincte
de la justice française21. Il s'agit tout d'abord de
l'absence d'indépendance des tribunaux indigènes qui sont
présidés par un administrateur des colonies cumulant les pouvoirs
exécutif et judiciaire. Des notables locaux participent ensuite à
l'exercice de la justice en tant qu'assesseurs, chargés d'appliquer les
coutumes locales. Mais les élites locales associées à la
justice restent dépendantes de l'administrateur européen qui les
nomme et les révoque à son gré ; les coutumes ne sont
mises en oeuvre que dans la mesure où elles ne sont pas contraires aux
principes de la << civilisation
20 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique
Noire de 1800 à nos jours, PUF, coll. Nouvelle Clio, 2005
(5ème éd.).
21 Entre autres, John Iliffe, Les Africains. Histoire
d'un continent, Paris, Flammarion, 1997. Catherine Coquery-Vidrovitch
(sous la direction de), L'Afrique occidentale au temps des Français.
Colonisateurs et colonisés, 1860-1960, Paris, La Découverte,
1992. Hélène d'Almeida-Topor, L'Afrique au XXème
siècle, Paris, Armand Colin, 2003 (3ème éd.). UNESCO,
Histoire générale de l'Afrique, volume VII. L'Afrique sous
domination coloniale, 1880-1935, Présence Africaine, EDICEF/UNESCO,
1989.
française >>. Enfin, cette justice
indigène cohabite avec une << justice >> arbitraire, le Code
de l'indigénat, qui permet à l'administrateur européen de
punir de sanctions disciplinaires (prison et amendes) de nombreux signes
d'insoumission à l'administration. Certains historiens22
décrivent plus précisément l'organisation et le
fonctionnement des institutions répressives coloniales. Ils soulignent
qu'elles étaient conçues avant tout comme un instrument de
contrôle des populations qui avaient souvent recours à d'autres
juridictions que celles du << Blanc >> pour régler leurs
contentieux. Mais ces ouvrages généraux ne laissent qu'une place
marginale à l'étude du système pénal colonial.
En fait, l'intérêt pour l'histoire de la justice
et de la répression en Afrique est resté longtemps l'apanage de
juristes et d'anthropologues du droit. Ces derniers se sont
intéressés à la conception du droit, des infractions et
des sanctions dans les sociétés africaines23. Ils
mettent en évidence la confusion dans les sociétés
africaines entre ordres divin et terrestre, entre atteinte au sacré et
violation de l'ordre social dans la définition, la sanction et la
réparation d'un crime. Ces juristes opposent les caractéristiques
des systèmes juridiques européens fondés sur des lois
uniformes et centralisatrices, cherchant à établir la
responsabilité objective de l'individu auteur d'un crime, et les
systèmes juridiques africains fondés sur des coutumes
variées et reflétant les valeurs traditionnelles qui
imprègnent largement l'ensemble de la population (harmonie du groupe,
importance du sang et de la parenté). Ils soulignent que le droit
<< moderne >> d'origine européenne est resté
extérieur aux sociétés africaines coloniales puis
indépendantes et qu'une large partie de la criminalité
échappait ou échappe encore aux tribunaux officiels. Les juristes
se sont également attachés à mesurer l'impact de la
colonisation sur les coutumes répressives et à appréhender
ainsi la dénaturation des coutumes africaines au sein des tribunaux
coutumiers24.
Les recherches historiques sont en revanche restées
rares en ce domaine. Le faible intérêt des historiens serait
lié, pour certains chercheurs, à la crainte de ne
découvrir qu'une
22 Jean Suret-Canale, Afrique Noire (occidentale et
centrale), tome II ; l'ère coloniale, 1900-1945, Paris, Editions
sociales, 1964. Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de),
L'Afrique occidentale au temps des Français..., op.
cit., Saliou Mbaye, Histoire des institutions coloniales
françaises en Afrique de l'Quest (1816-1960), Dakar, 1991.
23 Notamment Elias T. Olawale, La nature du droit
coutumier africain, Paris, Dakar, Présence africaine, 1961. Maryse
Raynal, Justice traditionnelle, justice moderne : le devin, le juge et le
sorcier, Paris, L'Harmattan, coll. Logiques juridiques, 1994. Fatou
Kiné Camara, Pouvoirs et justice dans la tradition des peuples
noirs, L'Harmattan, coll. Etudes africaines, Paris, 2004.
24 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de
la Justice..., op. cit. Cette question a été
l'objet d'étude de nombreux mémoires, y compris au Bénin :
R. Robert Akinde et A. Djibril Mourra, Les coutumes répressives et
l'influence de la colonisation au Dahomey de 1894 à 1949,
Mémoire en sciences juridiques, Université du Bénin,
1979-80.
reproduction sous les tropiques du modèle
répressif européen25. La grande dispersion des
archives judiciaires entre la France, le siège de l'ancienne Afrique
occidentale française (Dakar) et les chefs-lieux des anciennes colonies
constitue un obstacle supplémentaire pour les recherches en ce domaine.
Ce n'est que dans les années 1980-1990 que des travaux ont
été centrés sur l'histoire de la répression en
Afrique, notamment anglophone26. Ces recherches se multiplient
depuis dans des directions très variées. Certains historiens ont
abordé la question de la police dans le contexte de la domination
coloniale en Afrique anglophone27. La police coloniale avait des
fonctions essentiellement politiques, liées au maintien de l'ordre
colonial telles que la surveillance des frontières, des personnes et de
la presse. Son action dans la prévention et la répression de la
criminalité restait donc marginale. La lutte contre la
criminalité et l'insécurité urbaine n'apparaît pas
comme une priorité pour les Etats coloniaux. Pourtant, la
criminalité progresse en Afrique après la crise économique
des années 1930, dans un contexte de paupérisation des campagnes
et des villes28.
La prison en Afrique est récemment devenue un objet
d'étude. Plusieurs chercheurs ont mis en évidence le recours
massif à l'emprisonnement pénal et administratif en Afrique
à partir de l'époque coloniale, dans un but de contrôle de
la population et d'utilisation
25 Florence Bernault (sous la direction de),
Enfermement, prison et châtiments en Afrique du 19ème
siècle à nos jours, Paris, Karthala, 1999.
26 Il est à noter de rares études
antérieures sur les politiques pénales menées par des
chercheurs anglophones, et portant donc prioritairement sur l'Afrique
anglophone. Alan Milner, African Penal Systems, London, 1969. Alan
Milner, The Nigerian Penal System, London, 1972. Plus
récemment, Leonard C. Kercher, The Kenya Penal System. Past, Present
and Prospect, Washington, The University Press of America, 1981. Martin
Chanock, Law, Custom and Social Order. The Colonial Experience in Malawi
and Zambia, Cambridge, Cambridge University Press, 1985. Kristin Mann,
Richard Roberts (éds), Law in Colonial Africa, Portsmouth,
Heinemann, 1991.
27 William Robert Foran, The Kenya Police,
1887-1960, London : Hale, 1962, 237 p. Tekena N. Tamuno, The Police in
Modern Nigeria, 1861-1965 : Origins, Development and Role, Ibadan, Ibadan
University Press, 1970. Mike Brogden, << The Emergence of the Police -
The Colonial Dimension », British Journal of Criminology, 1987,
27, pp. 4-14. Anthony Clayton, David Killingray, Khaki and Blue : Military
and Police in British Colonial Africa, Ohio, University Centre for
International Studies, 1989. David Killingray, Policing the Empire,
Government, Authority and Control, 1830-1940, Manchester and New-York,
Manchester University Press, 1991. Mathieu Deflem, << Law Enforcement in
British Colonial Africa : A Comparative Analysis of Imperial Policing in
Nyasalang, The Gold Coast and Kenya », Police Studies, vol. 17,
n°1, 1994, pp. 45-68. David Anderson, David Killingray, Policing and
Decolonisation : Politics Nationalism and The Police (1917-1965),
Manchester, New-York, Manchester University Press, 1992. Marc-Antoine
Pérouse de Montclos, Violence et sécurité urbaine en
Afrique du Sud et au Nigeria, Paris, L'Harmattan, 1997. Kemi Rotimi,
The Police in a Federal State, The Nigerian Experience, Ibadan,
College Press Limited, 2001. Laurent Fourchard, Isaac Olawale (éd.),
Sécurité, crime et ségrégation dans les villes
d'Afrique de l'Ouest du XIXème siècle à nos jours,
Paris, Ibadan (Nigeria), Karthala/IFRA, 2003.
28 Laurent Fourchard, Isaac Olawale (éd.), op.
cit.
économique de la main d'oeuvre pénale plus que
de redressement moral des délinquants29. L'organisation et le
fonctionnement quotidien des prisons en Afrique coloniale ont fait l'objet
d'une étude détaillée en Guinée30 et au
Sénégal31. Un ouvrage collectif, réalisé
sous la direction de Florence Bernault, présente une première
synthèse des études sur la trajectoire des prisons et des modes
d'enfermement en Afrique de l'époque précoloniale à nos
jours32. Cet ouvrage a particulièrement inspiré la
présente recherche. En effet, l'interrogation qu'il pose sur le projet
répressif envisagé sous l'angle de l'enfermement et
analysé tant du point de vue des colonisateurs que des colonisés
est reprise pour questionner le processus judiciaire en milieu colonial. Ces
études menées sous la direction de Florence Bernault reprennent
le constat d'un projet répressif de domination politique et
d'exploitation économique des populations colonisées. Elles
mettent également en évidence les réactions de la
population africaine face au système répressif colonial :
stratégies d'évitement de la prison, utilisation de la prison
comme moyen de pression par les individus qui participent à l'ordre
colonial (gardes indigènes, chefs locaux...), multiples formes de
réactions et de résistances individuelles ou collectives à
la prison (suicides, évasions...). Plus récemment encore, un
élément important de la politique répressive coloniale, le
Code de l'indigénat, qui permet aux administrateurs de condamner les
populations colonisées à des peines de prison et d'amende sans
recourir à la justice, a été abordée de
manière approfondie et innovante dans sa thèse par Laurent
Manière33. Enfin, plusieurs contributions ont
été apportées sur les modes d'expression et les
instruments de la répression dans les colonies lors d'un colloque
international qui s'est tenu à Paris en novembre 2007 sur le
thème « colonisations et répressions »34.
Les recherches historiques se multiplient donc en ce domaine ;
mais si la pratique répressive coloniale et les réactions de la
population africaine ont été appréhendées par
29 David Williams, « The Role of Prisons in Tanzania
: A Historical Perspective », Crime and Social Justice,
n°13, 1980, pp. 27-38. Dirk Van Zyl Smit, « Public Policy and the
Punishment of Crime in a Divided Society : A Historical Perspective on the
South African Penal System », Crime and Social Justice,
n°21-22, 1984, pp. 146-162.
30 Mamadou Dian Chérif Diallo, Répression
et enfermement en Guinée, le pénitencier de Fotoba et la prison
centrale de Conakry de 1900 à 1958, Paris, L'Harmattan, coll.
Etudes africaines, 2005.
31 Babacar Bâ, L'enfermement pénal au
Sénégal : 1790-1960. Histoire de la punition pénitentiaire
coloniale, Thèse de doctorat de 3ème cycle,
Université Cheikh Anta Diop, Dakar, 2005, 313 p. D'autres travaux ont
été réalisés à l'Université Cheikh
Anta Diop sur le système pénitentiaire, comme par exemple Babacar
Bâ, Histoire du personnel pénitentiaire colonial au
Sénégal : 1893-1960, Mémoire de DEA d'histoire,
Université Cheikh Anta Diop, Dakar, FLSH, 1997.
32 Florence Bernault (sous la direction de),
Enfermement, prison et châtiments, op. cit.
33 Laurent Manière, Le Code de l'indigénat
en Afrique occidentale française et son application : le cas du
Dahomey, Thèse d'histoire dirigée par Odile Georg et
soutenue le 3 octobre 2007, Université Paris 7, 485 p.
34 Colloque international «Colonisations et
répressions», Paris, Laboratoire SEDET, 15-17 novembre 2007, http
://
etudescoloniales.canalblog.com/archives/14_revoltes_dans_espaces_colonises/index.html.
l'analyse de la police, de la prison et des pratiques
coloniales << extra-judiciaires >>, l'étude de la <<
justice >> coloniale elle-même reste embryonnaire. Pour certains
historiens, la justice a été une réalité multiforme
dont une grande part fut réappropriée par les Africains,
contrairement à la prison qui est largement restée sous
contrôle colonial35. Ils soulignent cependant la
nécessité de développer les connaissances sur la justice
coloniale. Malgré l'existence de plusieurs études, notamment sur
l'Afrique Equatoriale Française (AEF), il n'existe en effet que peu de
recherches en histoire permettant de confirmer ou d'infirmer cette
allégation36, ce que nous nous proposons de réaliser
à l'échelle d'une colonie, le Dahomey.
Seuls les historiens du droit37 ont porté
une attention spécifique à la justice, tout du moins à
l'institution et au personnel judiciaires en Afrique coloniale. Bernard Durand
insiste, << au-delà des intentions dominatrices >>, sur la
nature << imaginative >> et << expérimentale >>
du projet judiciaire colonial, remettant en cause l'idée d'<<
exportation >> de la justice métropolitaine dans les colonies.
Mais si cette recherche met en évidence les contraintes propres à
la justice coloniale (notamment l'insuffisance du personnel judiciaire,
35 Florence Bernault (sous la direction de),
Enfermement, prison et châtiments, op. cit.
36 Il s'agit notamment pour l'AOF de l'étude de
Bara Ndiaye, La justice indigène au Sénégal de 1903
à 1924, Mémoire de maîtrise d'histoire,
Université Cheikh Anta Diop, Dakar, dactyl., 1978-1979. Une intervention
du colloque sur le thème << AOF : esquisse d'une
intégration africaine >> qui s'est tenu à Dakar en 1995
à l'occasion de la commémoration du centenaire de la
création de l'AOF a également porté sur la justice en AOF
: Mbaye Gueye, Justice indigène et assimilation, in Colloque
relatif à l'« AOF : esquisse d'une intégration africaine
», Dakar, 16-23 juin 1995, résumé des communications,
186 p. et Charles Becker, Saliou Mbaye, Ibrahima Thioub (sous la direction de),
AOF : réalités et héritages, sociétés
ouest-africaines et ordre colonial, 1895-1960, Dakar, Direction des
Archives du Sénégal, 1997, 2 volumes, 1 273 p. Sur la justice en
AEF, on peut consulter Carmen Claudia Kihoulou Mountsambote, L'exercice de
la justice en AEF au XIXème siècle, de 1869 à 1927,
Mémoire de DEA en Histoire du droit, Université Lyon III, 1993,
dactyl., 45-12f ; Idourah, Silvère Ngoundos, Colonisation et
confiscation de la justice en Afrique : l'administration de la justice au
Gabon, au Moyen-Congo, en Oubangui-Chari et au Tchad : de la création
des colonies à l'aube des indépendances, Paris, Budapest,
Turin, L'Harmattan, 2001, 394 p. et en ce qui concerne la justice
française en AEF, Brahim Joseph Seid, Histoire de la justice
française en AEF de 1869 à 1903, Mémoire DES en
sciences politiques, 1959, 78 p., et plus spécifiquement
l'Oubangui-Chari, E. Kouroussou Gaoukane, La justice indigène en
Oubangui-Chari (1910-1945), Thèse de doctorat en Histoire,
Université Aix-Marseille, 1985. Pour Madagascar, un travail a
été réalisé à l'université de
Madagascar par Dahy Rainibe, L'administration et la justice coloniale : le
district d'Arivonimamo en 1910, Antananarivo, Université de Madagascar,
département d'histoire, 1987, 198 p. On peut également citer
à propos de l'Afrique du nord le travail de Mohamed Hédi
Chérif, La justice pénale française sous le
protectorat : l'exemple du tribunal de première instance de Sousse
(Tunisie) de 1888 à 1939, Tunis, L'Or du Temps, 2001, 520 p., ainsi
que celui de Saïd Benabdallah, L'évolution de la justice en
Algérie, des origines à la fin du FLN- parti unique : l'impact
sur la justice de l'Etat algérien contemporain, Thèse de
doctorat de droit, Nice, Université de Nice- Sophia Antipolis, 2003, 611
p. A noter également l'ouvrage de Sylvie Thénault qui analyse le
rôle et le fonctionnement de la justice dans le contexte répressif
particulier instauré pendant la guerre d'Algérie : Sylvie
Thénault, Une drôle de justice, Les magistrats dans la guerre
d'Algérie, Paris, La Découverte, 2004.
37 Bernard Durand, << Observer la justice coloniale
sous la Troisième République >> dans Jean-Pierre Royer
(sous la direction de), La justice d'un siècle à
l'autre, Paris, PUF, coll. Droit et Justice, 2003. Dominique Sarr, La
cour d'appel de l'Afrique Occidentale Française, Thèse de
droit, Université Montpellier, 1980. Jean-Pierre Royer (en collaboration
avec J. Vanderlinden et al.), Magistrats au temps des
colonies, Lille, Publications de l'Espace Juridique, 1987.
de sa formation et des budgets coloniaux), ses conclusions
s'appuient essentiellement sur des travaux réalisés par des
juristes et des fonctionnaires pendant la période coloniale, donc sur
une auto-justification du projet colonial, sans recours systématique aux
archives judiciaires coloniales elles-mêmes.
Or l'étude des archives coloniales nous paraît
essentielle pour mieux saisir l'histoire de la justice coloniale. Une
conférence internationale intitulée << Archives
judiciaires, sciences sociales et démocratie >>, organisée
en décembre 2003 à Dakar par le directeur des archives nationales
du Sénégal, Saliou Mbaye, soulignait également
l'intérêt des sources judiciaires, encore trop souvent
négligées38 et le recours aux archives judiciaires est
également encouragé par plusieurs historiens39. Nous
avons eu l'opportunité, dans le cadre de ce mémoire, d'avoir un
accès direct et prolongé aux archives nationales du Bénin.
Face à un discours reconstitué sur le projet répressif
colonial, seules ces archives laissent transparaître les conceptions
directement exprimées par les autorités coloniales << de
terrain >> (administrateurs de cercle et de subdivision) sur les
objectifs de la justice coloniale et les modalités de sa mise en
oeuvre.
Le regard des populations sur le système
répressif colonial n'est pas non plus envisagé par les historiens
du droit. L'étude des archives permet de saisir de façon
indirecte les réactions de rejet, de recours, voire de
détournement du système répressif colonial par les
populations, à travers l'analyse des plaintes, des appels, mais aussi
des infractions à l'ordre judiciaire colonial40.
Par ailleurs, les réactions de l'Etat colonial et de la
population face à la délinquance sont liées à une
certaine conception de la nature et de la gravité des infractions. Des
études appréhendent la sensibilité du pouvoir colonial, et
dans une moindre mesure de la société colonisée, au fait
criminel. Ces travaux, essentiellement anglophones41, se
développent actuellement en Afrique francophone, notamment dans le cadre
de mémoires de maîtrise
38 Citée par Catherine Coquery-Vidrovitch,
<< Procès de femmes et changements de société
>>, Cahiers d'études africaines, n°187-188, <<
Les femmes, le droit et la justice >>, décembre 2007, disponible
sur Internet : http ://
etudesafricaines.revues.org/document7732.html.
39 Notamment les historiens ayant contribué à
l'ouvrage collectif réalisé sous la direction de Florence
Bernault, Enfermement, prison et châtiments, op.
cit.
40 Comme Jean-Claude Martin, nous estimons que le
chercheur doit << s'astreindre à prendre au sérieux les
témoignages consignés dans les archives et à respecter
l'autonomie des actes posés par les acteurs, avant de savoir comment ils
entrent dans des analyses globalisantes >>. Jean-Claude Martin, <<
Violences sexuelles, étude des archives pratiques de l'histoire
>>, Annales HSS, 1996, volume 51, n°3, p. 643.
41 Donald Crummey, Banditry, Rebellion and Social
Protest in Africa, Heineman, 1986. Andrew Burton, << Urchins,
Loafers and the Cult of the Cowboys : Urbanisation and Delinquency in
Dar-es-Salam, 1919- 1961 >>, Journal of African History, 42 (1),
pp. 199-216. Une conférence sur le thème << Crime in
Eastern Africa : Past and Present Perspectives >> a également
été organisée par le British Institute in Eastern Africa
(BIEA) et l'Institut Français de Recherche en Afrique (IFRA) à
Naivasha (Kenya) du 8 au 11 juillet 2002.
réalisés à l'Université Cheikh
Anta Diop de Dakar42, ou encore en France43. Certaines
études ont pour objet d'analyser l'évolution des
différents types de criminalité44. D'autres mesurent
le lien entre la criminalité et les changements sociaux en Afrique,
comme l'urbanisation45. Enfin, la délinquance propre à
certains groupes sociaux, notamment celle subie ou exercée par les
femmes, a fait l'objet de plusieurs recherches46. La plupart de ces
études privilégient une approche qualitative de quelques cas de
justice. Leurs auteurs soulignent la nécessité de les
compléter par une approche plus systématique et plus quantitative
des décisions de justice47. Notons enfin que les ouvrages
relatifs à l'histoire du Dahomey ne s'intéressent que peu ou pas
au système pénal48. Des étudiants
béninois ont travaillé sur le thème de l'histoire de la
justice, mais leurs études portent sur le système judiciaire des
sociétés précoloniales49 ou du Dahomey
indépendant50.
42 Ngouda Kane, L'évolution à
Saint-Louis à travers les archives de police de 1900 à 1930,
Mémoire de maîtrise d'histoire, Université Cheikh Anta
Diop, Dakar, dactyl., 1988. Nazaire Ch. Diedhou, L'évolution de la
criminalité au Sénégal de 1930 aux années
1960, Mémoire de maîtrise d'histoire, Université
Cheikh Anta Diop, Dakar, dactyl., 1991. Chérif Daha Bâ, La
criminalité à Diourbel, 1925-1960, Mémoire de
maîtrise d'histoire, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, dactyl.,
1994. Ousseynou Faye, L'urbanisation et les processus sociaux au
Sénégal : typologie descriptive et analytique des
déviances à Dakar, d'après les sources et archives de 1885
à 1940, Thèse d'histoire, université Cheikh Anta
Diop, dactyl., 1989.
43 Laurent Manière, Ordre colonial,
contrôle social et correction des déviances au Dahomey
(1892-1946), Diplôme d'Etudes Approfondies en histoire,
Université Paris VII, 2002. Dans ce Mémoire, Laurent
Manière envisage les différentes méthodes de
contrôle social mises en place par les autorités coloniales pour
asseoir son autorité.
44 Chérif Daha Bâ, op. cit., qui
souligne l'importance de la criminalité économique dans les
motifs de poursuite et d'incarcération. Chérif Daha Bâ a
approfondi ce travail dans le cadre d'une Thèse, Marginalité
et exclusion au Sénégal : les comportements délictuels et
criminels dans la vallée du Sénégal (1810-1970),
Thèse d'Histoire, Université Cheikh Anta Diop, Dakar,
2001-2002.
45 Andrew Burton, op. cit. Laurent Fourchard, Isaac
Olawale (éd), Sécurité, crime et
ségrégation, op. cit.
46 Margaret Jean Hay, Marcia Wright (éds),
African Women and the Law : Historical Perspectives, Boston, 1982.
Terence Osborn Ranger, << Tales of the Wild West : Gold-diggers and
Rustlers in South West Zimbabwe, 1898-1940. An Essay in the Use of Criminal
Court Records for Social History », South African Historical
Journal, n°28, 1993, pp. 40-62. Jock McCulloch, Black Peril,
White Virtue : Sexual Crime in Southern Rhodesia, 1902-1935, Indianapolis,
Indian University Press, 2000. Plusieurs interventions de la conférence
<< Crime in Eastern Africa : Past and Present Perspectives
», op. cit., avaient pour objet ce thème
d'étude.
47 Notamment les interventions de la conférence
<< Crime in Eastern Africa : Past and Present Perspectives
», op. cit.
48 Entre autres Isaac A. Akinjogbin, Dahomey and its
Neighbours, 1708-1818, Cambridge, 1967. Robert Cornevin, La
République populaire du Bénin : des origines dahoméennes
à nos jours, Maisonneuve & Larose, 1981. Hélène
d'Almeida-Topor, Histoire économique du Dahomey, 1890-1920,
Paris, L'Harmattan, 1994, 2 vol. Luc Garcia, L'administration
française au Dahomey, 1894-1920, Thèse EHESS, 1969. Maurice
Ahanhanzo Glèlè, Naissance d'un Etat noir (évolution
politique et constitutionnelle du Dahomey de la colonisation à nos
jours), Paris, Droit et Jurisprudence, 1969. Clément Koudessa
Lokossou, La presse au Dahomey 1894-1960 : évolution et
réactions face à l'administration coloniale, Paris,
Thèse de l'EHESS, 1976.
49 Malick A. Rochade, Le pouvoir judiciaire dans le
royaume de Xogbonou-Ajace sous Toffa, 1874-1908, Mémoire de
maîtrise d'histoire, Université nationale du Bénin, 1980.
F. Glèlè Kakaï, La justice dans le royaume du
Danhomè, Mémoire de maîtrise en sciences juridiques,
Université du Bénin, 1980. Aboudou Amadou Aliou, La justice
pénale dans l'ancien royaume de Kétou : de sa création
jusqu'en 1911, Mémoire de maîtrise en sciences juridiques,
Université nationale du Bénin, 1989-90.
50 Aboubakar Baparape, Le pouvoir judiciaire au
Bénin de l'indépendance à nos jours, évolutions et
perspectives, Mémoire de maîtrise en sciences juridiques,
Université du Bénin, 1991.
En outre, les recherches sur le système
répressif colonial, abordées parfois à l'échelle
régionale, voire du continent, restent segmentées. Elles ne
concernent qu'une étape du processus pénal : poursuite et
arrestation des délinquants par la police, instruction et jugements par
les tribunaux ou exécution de la sanction dans les prisons. Si les
études sur la police et la prison se développent, celles
relatives à la justice elle-même ne sont pas encore très
nombreuses. Notre étude propose donc dans un premier temps, dans le
cadre du mémoire de Master, de réaliser une analyse de la
répression pénale dans sa phase de jugement, pour mieux saisir le
projet répressif colonial et sa pratique, ainsi que les réactions
des populations africaines à ce stade de la procédure. Mais les
données recueillies et analysées permettent d'envisager une
étude plus large afin de présenter le processus pénal dans
son ensemble depuis la poursuite et le jugement jusqu'à la fin de
l'exécution de la peine dans une colonie, le Dahomey.
Le Dahomey devint une colonie française autonome
à partir du décret du 22 juin 189451 jusqu'à
son accession à l'indépendance le 1er août 1960.
Ce territoire regroupait, à la veille de la colonisation, des
unités territoriales très variées. Au sud se trouvaient,
outre la République des Ouatchis, les royaumes de Porto-Novo et celui du
Danhomè (Abomey), le plus connu, qui dominait plus ou moins directement
une grande partie de la région. Ce dernier s'était en effet
imposé au XVIIIème siècle aux royaumes
côtiers d'Allada et de Ouidah qui lui barraient l'accès à
la mer et l'empêchaient de traiter directement avec les Européens
installés depuis le XVIème siècle sur la
côte pour pratiquer le commerce des esclaves52. Le
Danhomè étendit au XIXème siècle sa
conquête sur les peuples du moyen Dahomey (notamment les Mahis et le
royaume de Kétou)53 et menaçait perpétuellement
le royaume de Porto-Novo54. Parallèlement, les royaumes
Bariba du Borgou (Nikki, Kandi, Kouandé, Parakou), le royaume de Djougou
et les populations montagnardes de l'Atacora étaient installés
dans la partie nord du futur Dahomey. Tous ces royaumes restaient attentifs
à sauvegarder leur indépendance, et les relations entre les Etats
côtiers et l'Europe étaient en principe établies sur un
pied d'égalité55.
51 Bulletin Officiel des Colonies 1894, pp. 479-480.
Robert Cornevin, La République populaire du Bénin...,
op. cit., p. 409. La colonie du Bénin avait été
créée le 10 mars 1893 mais elle n'englobait pas encore tout le
futur Dahomey.
52 Luc Garcia, Le royaume du Dahomey face à la
pénétration coloniale. Affrontements et incompréhension
(1875-1894), Paris, Karthala, 1988, pp. 18-20. Robert Cornevin, op.
cit., pp. 104-106.
53 Robert Cornevin, La République populaire du
Bénin..., op. cit., pp. 139-158.
54 Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l'Afrique noire,
Paris, Hatier, 1978, p. 276.
55 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique
Noire de 1800..., op. cit., p. 51. UNESCO, Histoire
générale de l'Afrique, op. cit., p. 47.
Mais cet équilibre fut rompu par la politique
expansionniste européenne entamée dès le début du
XIXème siècle et qui s'accentua à partir de
1880. Cette entreprise coloniale partie du Sénégal
s'étendit progressivement sur toute l'Afrique occidentale, dont la
côte du Bénin. Sur cette côte, le roi de Porto-Novo,
menacé tant par les entreprises du roi du Danhomè que par les
Anglais installés dans la colonie de Lagos depuis 1861, sollicita le
protectorat de la France, dont le traité fut signé en 1863 et
renouvelé en 188356. Plusieurs accords avec l'Angleterre et
l'Allemagne reconnurent le protectorat de la France sur les villages reliant
Porto-Novo et Cotonou et sur les territoires à l'ouest de Cotonou
(GrandPopo, Agoué...). La côte du futur Dahomey se trouvait donc
sous influence française ; mais les villes de Ouidah et Cotonou
restaient possessions du roi du Danhomè. La portée des
traités franco-dahoméens relatifs à la cession de Cotonou
de 1868 et 1878 devint le point de discorde entre le gouvernement
français et le roi d'Abomey ; les traitants européens et le
résident français au Bénin poussaient parallèlement
le gouvernement français à la conquête du Danhomè.
Après deux expéditions militaires, en 1889-90 puis 1892, et une
résistance acharnée du roi Béhanzin (1889-1894), les
troupes françaises entrèrent à Abomey le 17 novembre 1892
et la France imposa son protectorat sur le Danhomè le 3 décembre
189257. La guerre contre le Danhomè ne s'acheva cependant
qu'après la reddition de Béhanzin le 29 janvier 1894. Les troupes
françaises poursuivirent alors leurs conquêtes dans le Borgou et
plusieurs traités de protectorat furent signés dans le nord du
Dahomey ; le Haut-Dahomey fut organisé le 1er octobre
1897.
Notre étude commence en 1900, date à laquelle la
conquête du Dahomey est achevée et où cette colonie se
trouve intégrée dans la fédération de l'Afrique
occidentale française (AOF) créée en 1895. Un
arrêté du 22 juin 1894 distinguait à l'origine les
régions annexées (entre Grand-Popo et Cotonou, incluant
Abomey-Calavi proche de Cotonou), divisées en cercles
gérés par des administrateurs, les pays de protectorat
placés sous la responsabilité de résidents (Porto-Novo,
Allada, Abomey, la république des Ouatchis et celle de
Ouéré Kétou) et enfin les « territoires d'influence
politique >> organisés dans le Haut-Dahomey sous l'autorité
du commandant puis du résident supérieur en 1897 et 1898. Mais
ces clivages juridiques furent supprimés en 1903 ; le cercle devint
alors la « seule vraie division administrative >>58. Les
frontières du Dahomey, qui correspondent aux
56 Robert Cornevin, La République populaire du
Bénin..., op. cit., pp. 284-285 ; 294.
57 Hélène d'Almeida-Topor, Histoire
économique du Dahomey..., op. cit., volume 1, p. 139. Voir
sur Béhanzin le dictionnaire biographique en annexe 6.
58 Ibid., pp. 188-190.
frontières contemporaines, subirent une dernière
modification dans le cadre de la réorganisation de l'AOF en 1907, avec
l'amputation dans le nord du Gourma et du Say59.
La présente étude sur la justice pénale a
donc pour cadre le Dahomey colonial ainsi constitué. Elle a pour objet
de saisir les perceptions par le pouvoir colonial et la population
dahoméenne de la délinquance et de la justice et d'analyser leurs
réactions au phénomène criminel lors du jugement des
délinquants. Notre attention s'est portée sur la justice
répressive et non civile, dans la mesure où les crimes et
délits peuvent être analysés comme des atteintes aux
valeurs essentielles d'une société et d'un pouvoir. Les
contraventions ne sont pas abordées car elles ne constituent que des
atteintes secondaires, davantage réprimées par le pouvoir que par
le corps social60.
Dans la nouvelle colonie du Dahomey, le pouvoir
français souhaitait assurer sa mainmise et organiser ses pouvoirs
régaliens, notamment la justice et plus globalement le pouvoir
répressif. En effet, l'exercice du pouvoir répressif
apparaît comme un des premiers instruments pour la connaissance et le
contrôle des territoires et des populations ; l'Etat colonial
français a donc cherché progressivement à garantir son
monopole dans le droit de surveiller et de punir, à imposer sa vision de
la justice. Mais il était sur un territoire peu connu et doté
d'une grande variété de systèmes judiciaires très
vivants, dont il ne pouvait faire table rase. Cette étude a tout d'abord
pour objet de comprendre l'évolution des principes d'organisation
judiciaire durant la période coloniale. Il s'agit ici de mesurer non
seulement l'importance de la rupture provoquée avec les justices
précoloniales du Dahomey mais également le sens et la
cohérence des objectifs assignés par le pouvoir colonial au
système répressif, lors des réformes judiciaires
successives. Ces règles fixées depuis la métropole
devaient ensuite être appliquées en Afrique occidentale à
des populations très hétérogènes. Il paraît
important de confronter ces normes à la pratique judiciaire dans la
colonie et de s'interroger sur la perception par les autorités
coloniales locales du système répressif. Comment faisaient-elles
fonctionner ce système répressif, et cette pratique quotidienne
était-elle en décalage ou en conformité par rapport aux
principes affichés ?
Mais cette étude entend dépasser la seule vision
du colonisateur sur la justice et se placer dans la perspective d'une histoire
sociale et culturelle de la justice au Dahomey,
59 Ibid., p. 153.
60 Les actions érigées en contraventions
par le pouvoir colonial étaient très nombreuses et portaient sur
des matières très variées, de l'hygiène publique
(fosses d'aisance, larves de moustiques...) à l'éclairage des
véhicules.
envisagée du point de vue des Africains. En effet,
la population dahoméenne se vit appliquer un nouveau système
répressif fonctionnant selon des formes et des procédures qui
rompaient avec les pratiques antérieures. Elle n'est pas restée
passive face à ces nouvelles formes de justice imposées. Nous
souhaitons donc comprendre dans quelle mesure la population a pu
adhérer, utiliser ou au contraire rejeter cette justice, voire recourir
à une justice officieuse. La population dahoméenne ne constitue
pas bien évidemment un groupe homogène réagissant de
manière uniforme. Les modalités d'utilisation des nouvelles
opportunités de règlement des conflits introduites par le
colonisateur sont donc étudiées en prenant en compte les groupes
sociaux en présence (selon le sexe, la profession et le niveau
d'intégration sociale des personnes) et les différences
géographiques.
Les archives coloniales apparaissent comme la
première source pour tenter de cerner ces questions. Mais celles-ci,
dispersés entre la métropole et les colonies, n'ont pas fait
l'objet d'une attention particulière en vue de leur conservation et de
leur classement jusqu'au début du XXème siècle. Au moment
de l'indépendance, des rapatriements d'archives ont été
organisés. Les archives dites de souveraineté (gouvernements,
résidences, préfectures) ont été envoyées en
France tandis que les archives de gestion ont été
conservées dans les nouveaux Etats et celles de l'AOF sont
restées sur place (Archives du Sénégal). Notre recherche
s'appuie donc sur ces archives coloniales de « gestion »,
essentiellement celles conservées aux Archives Nationales du
Bénin (ANB) situées à Porto-Novo, et dans une moindre
mesure sur les archives de « souveraineté » du Centre des
Archives d'Outre-Mer (CAOM) situées à Aix-en-Provence.
Ancien service des archives du Dahomey créé
en 1914, la direction des ANB rassemble une importante masse documentaire sur
l'histoire du Dahomey, puis du Bénin depuis 1975. Un guide de l'usager a
été rédigé, dont la deuxième édition
date de 1999. Selon ce guide, les collections sont classées en quatre
fonds en fonction de la date de production des documents. Le fonds ancien, ou
du Dahomey colonial, couvre la période de 1840 à 196061. Ce fonds
occupe plus de 250 mètres linéaires. Les documents sont en plus
ou moins bon état, compte tenu des difficultés de conservation en
climat tropical. Le fonds ancien comprend également une collection de
138 bobines de microfilms réalisées à partir des archives
de l'AOF et couvrant la période 1800-1940. Ce fonds est clos et retient
le cadre de classement en vigueur dans les archives de l'AOF. Ce sont les
séries de ce fonds
61 Les trois autres fonds concernent le Dahomey
indépendant (1960-1972), le Bénin révolutionnaire (1972-
1990) et la République du Bénin de 1990 à nos
jours.
en lien avec la problématique du mémoire qui
ont retenu particulièrement notre attention, à savoir la
série M (justice) et, dans une moindre mesure, la série F (police
et prisons)62.
La série M comprend 184 cartons répartis en
3 sous-séries (1M, 2M, 3M), dont 12 ne sont pas numérotés.
Un inventaire de la série M a été dressé ; il se
présente sous forme de feuilles manuscrites sur lesquelles sont
détaillés le nombre, le contenu et les dates extrêmes des
documents présents dans les chemises à l'intérieur de
chaque carton. Il existe par ailleurs 32 registres où ont
été enregistrés différents actes de
procédure et jugements entre 1894 et 1965. Aucun inventaire n'est
établi pour ces registres. Les documents portent sur la justice
indigène, c'est-à-dire les affaires opposant les Dahoméens
; très peu d'éléments concernent la justice
française, pour les litiges opposant les Européens entre eux ou
avec des Dahoméens. Les documents concernent l'ensemble du territoire du
Dahomey et couvrent la période 1894-1960. Ces documents peuvent
être précieux pour mettre en évidence plusieurs aspects du
système judiciaire colonial :
- L'organisation judiciaire et les orientations du
pouvoir colonial dans la poursuite et la sanction des délits et crimes,
avec des textes réglementaires, des circulaires et des correspondances
diverses.
- La procédure et le fonctionnement de la justice
indigène. On trouve dans cette catégorie tous les actes de
procédure. Ces documents sont épars et souvent très
sommaires. Cependant, certains présentent un intérêt
particulier, notamment les plaintes, les procèsverbaux d'interrogatoire
des prévenus et d'audition des témoins, qui font pour partie
ressortir les caractéristiques sociologiques des plaignants et les
motifs de plainte, donnant des indices sur la perception de la justice par la
population dahoméenne. Les documents les plus importants en volume sont
constitués par les notices mensuelles sur les jugements rendus par les
différents tribunaux. Celles-ci ont pour objet de présenter
succinctement les affaires, de fournir des éléments sur
l'identité du prévenu, la nature de l'infraction, les
circonstances de l'affaire, la coutume ou le texte applicable et la sanction.
Ces notices fournissent donc une masse importante de renseignements, dans la
perspective d'une analyse quantitative des infractions et des
délinquants poursuivis devant les juridictions indigènes. Mais si
le cadre de ces notices est normalisé, il est plus ou moins bien
renseigné ; il existe donc une certaine variabilité de la
qualité des informations selon les juridictions et les
périodes.
62 La série E (affaires politiques) réunit
quant à elle les rapports politiques annuels sur la colonie du Dahomey.
Mais ces rapports ne contiennent que ponctuellement des éléments
judiciaires, tandis que la série M présente des rapports plus
développés et systématiques sur la justice
indigène.
- Le contrôle de la justice indigène par le
pouvoir colonial. On trouve un nombre non négligeable de rapports sur le
fonctionnement de la justice indigène qui devaient être
envoyés par les administrateurs présidents des juridictions
indigènes au lieutenantgouverneur. Le lieutenant-gouverneur adressait
ensuite aux administrateurs ses remarques sur les jugements rendus.
Malgré leurs limites, ces documents nous intéressent pour
comprendre la portée du contrôle hiérarchique sur la
justice, ainsi que la perception du système judiciaire et de la
criminalité (volume et gravité des délits, variations
saisonnières...) par les administrateurs. Les administrateurs devaient
enfin produire des statistiques judiciaires annuelles. Leur nomenclature varie
dans le temps et les données sont éparses, mais
l'évolution de cette classification des délits et crimes nous
renseigne sur la perception que le pouvoir colonial avait de la
délinquance et de la gravité des infractions.
- Enfin, des états sur les sanctions disciplinaires
étaient remplis par les administrateurs et faisaient l'objet d'un
contrôle hiérarchique ; ils mentionnent l'identité des
personnes sanctionnées, le motif et le contenu de la sanction
disciplinaire. Ils permettent donc d'appréhender l'importance et les
motifs de ces sanctions.
Plusieurs difficultés liées aux problèmes
de classement de cette série méritent d'être
soulignées. En effet, le fonds du Dahomey colonial a connu un certain
nombre de vicissitudes, notamment des déménagements
réalisés par la main d'oeuvre pénale, ce qui a
entraîné des pertes ou des déclassements de documents.
Depuis l'installation dans les nouveaux locaux en 2002, les documents ont
été répartis entre les différentes séries,
mais l'inventaire et l'organisation de chaque série du fonds sont encore
en cours ; selon la directrice des ANB rencontrée en 2005 le manque de
qualification du personnel travaillant aux archives rend difficile le
classement. Les archives nationales du Bénin rencontrent
également un problème de conservation des documents compte tenu
du fort taux d'humidité dans le sud du pays et de l'absence de
système de climatisation dans les locaux d'entreposage des documents.
L'annexe 3 présente un exemple de document datant de 1910
étudié aux ANB et partiellement détérioré.
Si un inventaire de la série M a été dressé,
l'organisation de cette série n'est pas encore faite au moment de notre
étude. Il n'existe pas de classement chronologique ni
géographique ou par juridiction. Ainsi, chaque carton et chaque chemise
contiennent des documents relatifs à des périodes
différentes comprises entre 1894 et 1960, et à des cercles et
juridictions variés. Le classement n'est pas non plus thématique.
Chaque carton, voire chaque chemise, peut contenir tout ou partie des types de
documents présentés précédemment. Non seulement les
documents d'un même carton sont
très hétérogènes, mais ils peuvent
également ne pas correspondre aux indications de l'inventaire. En effet,
la série M a été partiellement reprise par des stagiaires
archivistes mais l'inventaire n'a pas été révisé en
conséquence.
Compte tenu de la masse documentaire de la série M et
du délai imparti pour l'analyse des données (accès aux ANB
de septembre 2005 à juin 2006), il nous a été impossible
d'analyser de manière exhaustive la série. Nous avons donc
opéré certains choix pour l'analyse de ce fonds. En l'absence de
logique de classement précise permettant de sélectionner certains
cartons ou chemises par rapport à notre problématique, nous avons
pris le parti de procéder à un sondage aléatoire de la
masse documentaire sans tenir compte de l'inventaire, afin d'avoir une vision
représentative de la justice pénale au Dahomey sur la
période 1900-1960. A cet effet, nous avons décidé de tirer
au sort 34 cartons parmi les 184 de la série (18,5%), et nous avons
procédé pour le Master à une analyse
détaillée des 20 premiers cartons ainsi tirés au sort
(soit une analyse de 11% de la série M). Nous avons retenu comme
unité de sondage le carton, en raison du caractère
hétérogène de leur contenu tant sur le plan qualitatif que
quantitatif.
La série F (police et prisons) apporte un
éclairage important sur la répression pénale ; elle
contient deux sous-séries : 1F relative à la police et 2F sur les
prisons. Un inventaire dactylographié de la sous-série 1F a
été élaboré en 2000. Cette sous-série est
composée de 70 cartons comprenant 494 dossiers sur 7 mètres
linéaires. Elle est constituée d'un ensemble de rapports
périodiques, bulletins, notes, actes officiels et correspondances
portant sur l'organisation générale, les moyens, le
fonctionnement et l'activité des services de sûreté
générale ou de la police locale et municipale. Il n'y a pas non
plus de principe de classement rigoureux dans cette série et chaque
carton peut donc contenir des données très variées.
Cependant, l'inventaire de la sous-série 1F est fiable et permet de
repérer rapidement les éléments recherchés. Nous
avons donc sélectionné dans cette sous-série, à
partir de l'inventaire, tous les cartons qui permettaient d'apporter un
éclairage sur le fonctionnement et l'activité de la police,
parallèlement à celle des tribunaux de la justice indigène
au Dahomey ; il s'agit de 21 cartons de la sous-série 1F (soit 30% de
cette soussérie).
Un inventaire fiable a également été
élaboré pour la sous-série 2F sur les prisons. Cette
sous-série comprend 40 cartons qui contiennent des documents très
variés : textes réglementaires, rapports, registres,
correspondances, quelques lettres de détenus ou de leur famille,
jugements, etc., portant sur la période 1903-1960. Mais ces documents,
à l'instar des séries M et 1F, n'ont fait l'objet d'aucun
classement systématique. Afin d'avoir une
vision d'ensemble de la répression au Dahomey, nous
avons sélectionné, par un choix raisonné à partir
de l'inventaire, et collecté les informations de 20 cartons de la
sous-série 2F (soit 50% de l'ensemble de cette sous-série).
Parmi les éléments relatifs à la
structure et au fonctionnement de la police et des prisons, seules quelques
données sont utilisées dans la présente étude
centrée sur la justice. Ces éléments peuvent
néanmoins être systématiquement exploités dans le
cadre d'un travail plus large sur la répression pénale au
Dahomey.
A côté du fonds du Dahomey colonial, il existe un
fonds des journaux officiels classés par ordre chronologique. Nous avons
eu recours de manière systématique à ce fonds afin
d'étudier les Journaux Officiels du Dahomey (JOD) de 1900 à 1960
et connaître ainsi l'évolution de la réglementation sur
l'organisation de la justice et la répression des délits et
crimes en AOF et au Dahomey.
Enfin, un fonds des journaux et revues (presse gouvernementale
et journaux privés) a été constitué aux ANB. Il
existait au Dahomey une presse importante, tenue par des intellectuels
dahoméens63. Elle proposait à ses lecteurs une vision
critique des actes de l'administration coloniale, et l'une de ses cibles
privilégiées fut le Code de l'indigénat et la justice
indigène. Les collections de journaux sont éparpillées
entre les 219 cartons composant ce fonds (dont l'inventaire manuscrit est
très sommaire) et elles sont incomplètes. Par ailleurs, compte
tenu du grand nombre de journaux et de l'absence d'instrument de travail
permettant de repérer les articles ayant trait à la justice
indigène, nous nous sommes largement appuyés sur le travail
réalisé dans les années 1970 sur la presse au Dahomey.
Les données des ANB sont complétées par
quelques éléments collectés au CAOM d'Aix-en-Provence. En
effet, le CAOM conserve les archives des ministères de l'empire colonial
français et de nombreuses archives privées. Le fonds des archives
ministérielles modernes (celles du second empire colonial) contient tout
d'abord le dépôt des papiers publics des colonies envoyés
régulièrement en métropole, et notamment les papiers des
greffes judiciaires. Mais peu de documents ont été utiles
à notre recherche. Pour le Dahomey, un seul registre existe et a
été analysé : celui des greffes des justices de paix
à compétence étendue de Cotonou pour les années
1909-1911 et de Grand-Popo pour la seule année 190964. Cet
élément concerne la justice civile et ne permet donc pas de
compléter les données des ANB sur la justice indigène par
des données sur la justice
63 Clément Koudessa Lokossou, La presse au
Dahomey 1894-1960..., op. cit.
64 Cote de référence FR CAOM DPPC GR ; 1 seul
registre, n°2681.
française. Ce fonds des archives ministérielles
contient également un groupe « Séries Géographiques
», dont les chapitres VIII des sous-rubriques AOF et Dahomey
consacrés à l'organisation judiciaire ont été
analysés65.
Le fonds réunit ensuite des documents de l'Ecole
Coloniale, avec entre autres des mémoires d'études
rédigés par les élèves de l'Ecole Coloniale de 1930
à 196066 ; nous avons consulté quelques-uns de ces
mémoires portant sur la justice indigène.
Le CAOM dispose également de rapports
périodiques d'administrateurs coloniaux et des lieutenants-gouverneurs
adressés au ministère des Colonies (série 8G, sous
microfilms), dont nous avons pu consulter quelques éléments.
Le CAOM contient enfin des archives privées (documents
divers produits par des fonctionnaires coloniaux, des particuliers ou des
sociétés) réparties en plusieurs séries. Au sein
des archives privées des colonies, nous avons étudié les
papiers Victor Ballot67 qui fut gouverneur du Dahomey à
partir de 1894. Nous avons également retenu, parmi les papiers d'agents,
ceux de Marius Moutet qui a laissé des documents sur son activité
en tant que ministre des Colonies (1936-1937, 1946-1947), avec notamment des
rapports et correspondance sur la justice aux colonies68. Enfin,
nous avons analysé les papiers Boulmer, qui fut inspecteur des
colonies69.
Mais les archives coloniales ne permettent que très
indirectement de saisir les sentiments de la population dahoméenne sur
la justice et la délinquance. Par conséquent, nous avons eu
recours à la collecte de sources orales. La perception de la justice par
la population dahoméenne dans ses différentes composantes
(notables, paysans...) ne peut être connue que par la collecte de
témoignages. Nous avons donc rencontré des personnes de milieux
divers ayant connu la période coloniale et/ou la justice au Dahomey, ou
ayant des connaissances sur cette période transmises par leur famille.
Nous avons élaboré une grille d'entretien qui a été
utilisée pour interviewer 9 personnes70. Nous n'avons pas pu,
faute de temps, et compte tenu des difficultés liées au recueil
des données orales, obtenir davantage de témoignages.
65 Ces chapitres comportent deux cartons. Le premier
porte sur la période 1901-1932 (Cote de référence FR CAOM
1908 COL 1 et 2), le second porte sur la période 1889-1912 et comprend 6
collections relatives à la législation, la réorganisation
judiciaire au Dahomey et des dossiers particuliers (Cote de
référence FR CAOM 1408 COL 2 à 6).
66 Cote de référence FR CAOM 123 COL
3.
67 Cote de référence FR CAOM 24 APC 1 et
2.
68 Ces papiers comprennent 8 cartons (Cote de
référence FR CAOM 28 PA 1 à 8).
69 Ces papiers comportent deux cartons (Cote de
référence FR CAOM 111 APOM 1 et 2) portant sur la période
1928-1939.
70 La grille d'entretien est présentée en
annexe 1 ; la liste des personnes interviewées figure dans les
sources.
En effet, plusieurs difficultés se sont
présentées pour collecter ces sources. Tout d'abord, les
entretiens visent des personnes âgées, ce qui pose un premier
problème dans un pays où l'espérance de vie reste
relativement courte. La langue constitue un deuxième obstacle pour
interroger ces personnes en dehors des lettrés. Le statut de <<
Blanche >> et << Française >> de la personne menant
l'entretien peut constituer un troisième obstacle, dans la mesure
où il peut conduire les personnes interviewées à ajuster
leur discours, déjà reconstruit, sur ce qu'elles pensent des
attentes de leur interlocuteur, notamment quand il s'agit d'aborder la
période coloniale. L'exploitation de ces sources orales concerne plus
spécifiquement la prison et certaines infractions spécifiques en
milieu colonial dans le cadre d'une étude élargie sur la
répression pénale au Dahomey.
Aux termes de cet état des lieux sur les sources
exploitées pour le mémoire, la méthode d'analyse des
données issues de ces sources mérite d'être
précisée. Les données des ANB, des Archives du CAOM et des
entretiens ont été analysées sur le plan qualitatif, pour
mesurer appréciations et réalités de fonctionnement de la
justice. Mais certaines données, notamment celles relatives aux notices
des jugements ont également été étudiées sur
le plan quantitatif. Les éléments relatifs à
l'identité (nom, sexe, âge, domicile, lieu de naissance,
profession, coutume, situation familiale), au type de délit, au
plaignant (ministère public ou particulier), à l'emprisonnement
préventif, au jugement (date du jugement, sanctions appliquées
par type, appel) ont été saisis sur le logiciel Excel, permettant
des regroupements et des tris croisés71. Une analyse
statistique plus fine (comparaison de moyennes et de pourcentages) a
été effectuée au moyen du logiciel EpiInfo
v.6.04b72. Une partie des analyses quantitatives est
présentée dans le cadre de ce mémoire afin
d'étudier plus spécifiquement les caractéristiques
sociodémographiques des plaignants et les motifs de leurs recours
à la justice.
Les données analysées suivant cette
méthode permettent de faire ressortir les principes, mais
également les réalités du système pénal
colonial au Dahomey. Elles font apparaître l'évolution des
règles d'organisation judiciaire entre 1894 et 1960, qui traduit
également la vision que le ministère avait de la justice à
mettre en place dans les colonies (1ère partie). En effet,
soucieux d'assurer son monopole sur le droit et la sanction, le pouvoir
colonial introduit assez rapidement un système judiciaire en rupture
avec les anciennes justices des royaumes et communautés du Dahomey. Mais
les autorités
71 Les cadres de saisie sont présentés en
annexe 2.
72 Pour les analyses statistiques, le seuil de 5%
(p<0,05) a été retenu pour considérer qu'une
différence est statistiquement significative.
coloniales, contraintes par des impératifs financiers
et humains, marquées par une idéologie de la différence et
soucieuses d'obtenir l'adhésion de la population, ne reproduisent pas le
modèle métropolitain. Elles inventent alors une justice dite
<< indigène >>, un système hybride entre le maintien
affiché d'une << tradition >> traduite par les élites
locales associées, et l'introduction d'une partie des principes de droit
pénal existants en France.
Mais il convient également de s'attacher aux pratiques
du droit et de la justice coloniale, aux stratégies des acteurs qui le
construisent, l'utilisent et le subissent et qui modèlent ainsi les
rapports dans la société coloniale. La confrontation entre les
principes affichés et leur application par les administrateurs de
terrain (2ème partie) met en évidence les
ambiguïtés du système répressif colonial.
L'intérêt affiché d'une justice << adaptée
>> aux populations des colonies mais respectueuse des droits et des
formes ne se confronte-t-il pas aux intérêts prédominants
du pouvoir ou ne masque-t-il pas une vision racialisée de la
société coloniale, ainsi que les faiblesses humaines et
financières des autorités ?
Face à ces ambivalences, les réactions des
populations dahoméennes sont multiformes ; le recours à la
justice indigène variant selon la position sociale ou
géographique et le degré d'intégration à la
société coloniale des plaignants. Certains groupes évitent
ou s'opposent à cette justice étrangère et permettent
ainsi le maintien d'un système << infra-judiciaire >>
relativement important pendant la période coloniale, ainsi que la
construction d'un discours critique sur la société coloniale,
dont la justice << indigène >> reste emblématique.
1ère partie :
Organiser le système répressif au
Dahomey
(du XIXème siècle à
1960)
|
Lors de la conquête de nouveaux espaces africains, le
colonisateur se trouve en présence de systèmes judiciaires
diversifiés, variant selon le niveau de centralisation de l'Etat ou de
la communauté. Tout en maintenant au départ les systèmes
judiciaires existants, les autorités coloniales ne peuvent se
désintéresser d'un pouvoir régalien qui met en jeu les
valeurs fondamentales d'une société. Ainsi, le ministre des
Colonies Albert Sarraut estimait-il qu'<< il faut considérer
l'organisation d'une bonne justice comme un des premiers devoirs de la
colonisation et comme une des meilleures garanties de notre autorité
»73. Le pouvoir renforce son emprise sur les populations des
nouveaux territoires et la justice est un des éléments essentiels
de gestion de domination coloniale, avec la mise en place progressive d'un
système distinct entre autochtones et populations françaises,
hiérarchisé et étroitement contrôlé. Ce
système judiciaire coexiste et est parfois même confondu avec un
autre instrument de domination coloniale, le Code de l'indigénat, qui
permet aux administrateurs coloniaux de prononcer des peines de prison et
d'amende en dehors de tout procès.
Mais dans le même temps, le colonisateur n'a pas les
moyens humains et financiers de se substituer totalement aux autorités
judiciaires << traditionnelles » ou autochtones. Le pouvoir colonial
ne peut par ailleurs s'imposer par la seule force ; il doit maintenir les
<< traditions », quitte à les remanier selon ses
intérêts, et rechercher l'adhésion des populations en
associant les anciennes autorités judiciaires. Le pouvoir colonial
invente donc un nouvel ordre politique et judiciaire. Cet ordre judiciaire
<< indigène » est fortement critiqué pendant
l'entre-deux-guerres mais il perdure jusqu'en 1946 en matière
pénale et la justice civile reste encore distincte entre les
Français << d'origine africaine et métropolitaine »
jusqu'aux indépendances en 1960.
A. La justice dans les sociétés
précoloniales : des systèmes variés selon les
royaumes
L'étude du droit coutumier précolonial est
délicate car elle concerne des communautés africaines très
différentes dans leur organisation et leur fonctionnement. Si certains
ouvrages mettent en évidence un fonds et certaines
caractéristiques communs aux systèmes judiciaires
précoloniaux, les études anthropologiques du droit coutumier
africain sont souvent réalisées en dehors de toute
référence temporelle ou historique. Or, les royaumes et
groupements africains n'ont jamais été figés et leurs
institutions judiciaires et
73 Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, Mémoire ENFOM, 1952-1953. CAOM, 3 ECOL 113
d1.
sociales ont suivi ces évolutions, variant selon les
périodes de systèmes très décentralisés
d'administration de la justice à une forte concentration judiciaire.
1. Des systèmes judiciaires précoloniaux
présentant des caractéristiques communes
Le droit africain est souvent conçu par les chercheurs,
notamment anthropologues, comme un droit visant à préserver
l'équilibre social de la communauté et à apporter une
compensation en faveur de la personne lésée. Le droit
pénal européen s'en différencierait par son but de
sanction ou de châtiment. Cependant, cette question reste largement
discutée et Elias T. Olawale74 souligne que les deux types de
droit ont pour objet de préserver l'ordre social et d'assurer tant la
sanction que la réparation75.
Certains anthropologues du droit, tels qu'Etienne Le Roy ou
Maryse Raynal, précisent également que le droit africain
révèle une « façon d'être dans le monde »
ou dans la communauté. Dans cette conception, l'harmonie du groupe,
l'importance du sang et de la parenté sont les valeurs essentielles d'un
ordre social et cosmogonique baigné de sacralité76.
Lorsque cet ordre du monde est atteint par une infraction ou un accident,
« il faut qu'[il] soit réparé selon les exigences de la
coutume et les rituels de purification »77. Une infraction
atteint la victime mais rejaillit aussi sur le groupe. Il convient donc de
compenser le préjudice de la victime mais également de
rétablir l'ordre social et naturel, par des rites de purification. La
responsabilité pénale reste cependant individuelle,
c'est-àdire que seul le coupable est reconnu responsable. Mais il
appartient à ses proches, qui ont une obligation d'aide à son
égard, de répondre de son méfait. Cette obligation de
secours concerne les crimes et délits, qui peuvent être
réparés en espèces ou en nature, et non les infractions
passibles de la peine de mort, de la mutilation ou d'un châtiment
corporel78.
Le Roy ajoute que « l'idéal des
sociétés africaines est de toujours tenter de régler les
différends dans le «ventre», c'est-à-dire au sein du
groupe qui l'a vu naître »79. La prise en charge du
différend au sein de la communauté pourrait être
assimilée au « traitement
74 Elias T. Olawale, La nature du droit coutumier
africain, op. cit., p. 151.
75 Le droit européen distingue la fonction de la
responsabilité civile qui est la réparation, de la fonction de la
responsabilité pénale qui est la sanction. Ibid., p.
152.
76 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice
moderne, op. cit., pp. 299-300.
77 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la
Justice..., op. cit., p. 9.
78 Elias T. Olawale, La nature du droit coutumier
africain, op. cit., pp. 108-110. Mais il existe des exceptions,
notamment pour les esclaves qui peuvent être amenés à subir
les épreuves judiciaires pour prouver ou non la culpabilité de
l'auteur, en lieu et place de leur maître.
79 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la
Justice..., op. cit., p. 9.
médical à l'échelle du groupe
>>80. Mamadou Dian Chérif Diallo souligne
également que la prévention et la répression de la
délinquance en Guinée reposent sur un système
communautaire puissant, dans lequel chacun est positionné avec un
ensemble de droits et de devoirs déterminés
précisément81.
Maryse Raynal estime donc que les systèmes juridiques
africains se distinguent de ceux instaurés en Europe à la fin du
XVIIIème siècle, selon leur origine << divine ou
ancestrale >> ou << humaine >> :
<< [Les premiers] sont fondés sur la coutume,
parole pérenne des ancêtres, tandis que les autres sont
fondés sur la loi, incarnation abstraite d'un pouvoir fluctuant. Le
droit traditionnel, parce qu'il est d'origine divine, est plus contraignant
mais admis (...). Dans la société traditionnelle, l'homme se sent
lié à son droit qui est perçu comme une partie de
lui-même, puisque l'homme est la continuation des ancêtres.
>>82
Enfin, les pouvoirs judiciaire et politique sont très
souvent liés dans les systèmes africains. Les détenteurs
du pouvoir judiciaire, qu'ils soient rois ou chefs de village,
détiennent également le pouvoir exécutif et, comme le
précise Elias T. Olawale, << quel que soit le type de
société africaine considérée, les pouvoirs
législatif, juridictionnel et exécutif tendent à
coïncider dans leurs titulaires comme dans leurs exercices
>>83. Cependant, ces pouvoirs ne sont pas absolus puisqu'ils
associent le plus souvent des conseils d'anciens ou de ministres et qu'ils
s'appuient sur les pouvoirs religieux.
2. Des différences liées à
l'organisation des sociétés précoloniales
Malgré un fonds commun, le mode de règlement des
litiges varie en fonction de la nature du groupe social pris en
considération, selon que la société est centralisée
ou non.
Des différences liées au degré de
centralisation du pouvoir dans les sociétés africaines
Au sein même des sociétés très
structurées, des différences apparaissent entre la
procédure appliquée par le tribunal suprême (celui du roi
ou du chef) et par les simples juridictions de village84. Cette
distinction existait par exemple en Guinée85. Mamadou Dian
Chérif Diallo souligne que les sociétés au pouvoir non
centralisé connaissaient deux types de juridictions : le tribunal du
clan ou du lignage, juridiction de premier degré présidée
par le patriarche et compétente pour les infractions ou les affaires de
faible importance, et le
80 Etienne Le Roy fait référence à
la conception médicale développée par Philippe Laburhe
Tolra pour le Gabon, ainsi que par Dieudonné Muogo dans une Thèse
de droit sur la politique criminelle du Cameroun (Université de Paris I,
1981).
81 Mamadou Dian Chérif Diallo, Répression
et enfermement en Guinée, op. cit., pp. 46-48.
82 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice
moderne, op. cit., p. 300.
83 Elias T. Olawale, La nature du droit coutumier
africain, op. cit., p. 206.
84 Ibid., p. 233.
85 Mamadou Dian Chérif Diallo, Répression
et enfermement en Guinée, op. cit., pp. 57-58.
tribunal de village, juridiction de second degré
présidée par le chef du village et statuant sur des affaires plus
graves. Enfin, les chefs de famille restaient compétents pour
régler les litiges familiaux, sauf entre époux. En revanche, dans
les sociétés plus centralisées, une juridiction est mise
en place à chaque échelon du pouvoir (tribunal de village, de
province et du royaume), avec parfois un corps de fonctionnaires judiciaires.
Ces tribunaux ne sont pas obligatoirement présidés par les
patriarches mais par des chefs guerriers généralement issus de la
famille du roi. Maryse Raynal constate des situations semblables dans les
sociétés de Centrafrique86.
Photo 1. Trône du roi Gbehanzin, symbole
du pouvoir au Danhomè
Source : musée du quai Branly
Les systèmes judiciaires dans les
sociétés précoloniales du Dahomey
Avant la conquête coloniale, le Dahomey était
constitué de nombreux royaumes plus ou moins structurés. Le plus
connu d'entre eux est l'ancien royaume du Danxomé ou du Danhomè
(Photo1), qui s'étendait sur la partie centrale du sud du Dahomey, entre
Ouidah et Cotonou (Kutonu) et depuis la côte jusqu'à Savalou au
nord (Figure 1).
Dans ce royaume très centralisé, la justice
était devenue depuis Huegbaja (1650- 1680) un attribut personnel du
roi87. Ce dernier rendait justice, entouré de ses ministres
et
86 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice
moderne, op. cit., pp. 181-187.
87 Maurice Ahanhanzo Glèlè, Naissance
d'un Etat noir..., op. cit., p. 73. Maurice Ahanhanzo
Glélé précise en effet qu'il appartient à Ouegadja
[Huegbaja] d'« avoir édicté les premières lois qui
interdirent, dans les tribus soumises aux Aladohonou, non seulement la
vengeance individuelle mais aussi l'exercice de toute autre justice que la
sienne ».
des grands dignitaires, devant son palais à
Agbome88 (Abomey, Photo 2), dans une maison aménagée
à cet effet et appelée Akaba.
Figure 1. Le Danxomé avant la
conquête coloniale
Source : M. A. Glélé, Le Danxomé, du
pouvoir aja à la nation fon, Paris, Nubia, 1974, p. 35
Le roi ne jugeait que les plus importantes affaires, notamment
criminelles, et il pouvait seul condamner à mort ou
gracier89. Son premier ministre, le migan, exerçait
d'importantes attributions judiciaires. En effet, le migan connaissait
de toutes les affaires portées devant la cour ; s'il ne parvenait pas
à trancher il en référait au roi. Maurice Ahanhanzo
Glélé précise qu'« en cas de condamnation,
c'était ce dernier qui décidait, après avoir recueilli
l'avis de tous les ministres. Pendant que l'on délibère, le roi
avait, devant lui, une calebasse contenant des cauris avec lesquels il jouait.
Tous les avis étant recueillis, si le roi déposait tous les
cauris dans la calebasse, le verdict était la
88 La ville d'Abomey dispose de nombreux palais puisque
chaque roi se faisait construire le sien, étendant ainsi les limites de
la ville.
89 Maurice Ahanhanzo Glélé, Le
Danxomé, du pouvoir aja à la nation fon, Paris, 1974, Nubia,
p. 144.
condamnation à mort. Le fait de déposer tous les
cauris dans la calebasse signifiait : «je n'ai plus d'argent pour le
racheter» >>90.
Photo 2. Vue intérieure du Palais de
Béhanzin à Abomey
Source : Coll. E. Besson, http ://
www.archivesdusenegal.gouv.sn/cartes/1394.JPG
Si l'accusé avouait son crime, le roi prononçait
la peine (envoi aux armées, prison à temps ou à
perpétuité, mort). Dans le cas contraire, l'accusé devait
alors subir les épreuves du fétiche. Sur ce point, il est
important de noter le rôle judiciaire du ministre des cultes, le
ajaxo, institué par le roi Tegbesu91 (1728-1775). En
effet, il était le détenteur de la potion destinée
à faire connaître la vérité. Il administrait en
public à un coq (qui représentait le prévenu) cette potion
toxique composée d'extraits d'écorce. Si ce coq résistait
à la potion, le prévenu était innocenté, sinon sa
culpabilité était attestée et l'on passait à la
phase du jugement. Le ajaxo jouait en quelque sorte le rôle de
juge d'instruction. Les questions civiles ou de plus faible importance
relevaient ensuite de la compétence du second ministre, le
mehu. Maurice Ahanhanzo Glélé ajoute que « ce
dernier exerça ces fonctions de juge jusqu'au 15 avril 1900, date de la
mort du dernier mehu, après la destitution du roi Agoli-Agbo
>>92. Le roi institua au-delà de son territoire
personnel un système judiciaire très hiérarchisé,
correspondant à la division administrative du royaume en provinces ou
régions, elles-mêmes subdivisées en cantons formés
de plusieurs villages. Le chef était désigné au sein d'une
famille, approuvé par le conseil des anciens puis
plébiscité par le
90 Ibid., p. 129.
91 Ibid., p. 134.
92 Ibid., p. 145.
peuple, mais le roi pouvait toujours désigner le chef
de son choix. Les chefs de village, assistés des vieillards, jugeaient
en première instance et les condamnés pouvaient ensuite faire
appel devant le chef de région puis auprès du roi. Maurice
Ahanhanzo Glélé estime que << les choses s'arrangeaient
[souvent] au niveau du village, le chef du village étant obligé
de rendre compte au chef de région, surtout pour lui donner sa part de
cadeaux et d'objets divers perçus à l'occasion du
règlement >>93. A partir du règne de Tegbesu,
tous les chefs de village et de provinces furent soumis au migan.
Le système judiciaire du Danxomé était
donc celui d'une monarchie très centralisée, mais associant les
ministres au sommet et les conseils des anciens dans les villages et les
régions. Dans l'exercice judiciaire, les souverains danhoméens
s'appuyaient par ailleurs sur les grands cultes du pays, notamment le culte
vodoun, qu'ils étaient parvenus à mettre sous contrôle. La
religion vodoun constitua un important instrument de contrôle social
utilisé par le pouvoir royal94.
Ce système de contrôle social, fondé pour
partie sur la religion, se retrouve dans les territoires situés aux
marges du royaume du Danxomé. Mais la puissance des souverains de ces
régions, goun, holli, adja ou mahi, est moins importante et ces derniers
se trouvent souvent placés dans une situation de dépendance
à l'égard du roi d'Abomey95. Le royaume de
Kétou connaissait un système comparable à celui existant
au Danhomè96, de même que le royaume de
Tori-Bossito97. Joseph Ki-Zerbo souligne également que les
chefferies Ehvé n'avaient pas une organisation étatique
très développée. Chez les groupes Ehvé,
installés dans certaines régions des actuels Togo (Palimé,
Atakpamé), Ghana et Bénin (dans la région frontière
d'Anecho, avec les Ouatchis), la réalité de la vie politique se
déroule à l'échelle de cantons à base clanique :
<< Le pouvoir appartient au chef supérieur entouré des
chefs de cantons qui forment autour de lui une assemblée
délibérante. (...) Il s'agit de sociétés politiques
encore fortement enracinées dans l'organisation des lignages
>>98.
A l'est du royaume d'Abomey se trouvait le royaume de
Porto-Novo. Ce dernier avait été contraint, sous la pression de
son puissant voisin danhoméen, de demander le protectorat de la France
en 1863. Le roi était chef de l'exécutif ; il avait en
théorie droit de vie et de mort sur tous ses sujets, qui lui devaient
tous allégeance, y compris les membres
93 Ibid.
94 Jacques Lombard, << Les moyens de contrôle
social dans l'ancien Dahomey : survivances actuelles et formes nouvelles
>>, Le monde non chrétien, n°38, avril-juin 1956,
pp. 145-157.
95 Laurent Manière, Ordre colonial,
contrôle social..., op. cit., pp. 20-21.
96 Aboudou Amadou Aliou, La justice pénale dans
l'ancien royaume de Ketou..., op. cit., 59 p.
97 Abiola Félix Iroko, Le royaume de Tori-Bossito
du XVIème siècle au XIXème siècle, 260
p.
98 Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l'Afrique noire,
op. cit., p. 275.
des familles princières. Le royaume de Porto-Novo se
trouvait non seulement affaibli par les attaques extérieures mais
également par les conflits internes. En principe, toutes les branches
issues de Tê Agbalin, ascendant commun des rois de Porto-Novo, pouvaient
accéder au trône, ce qui entraînait d'inextricables
contestations lors de la succession des rois. Par ailleurs, la cour royale
comprenait un grand nombre de postes de ministres dont les fonctions
étaient parfois mal définies, de fonctionnaires au service du
roi, les récadères ou lalis99, mais
également des princes et princesses sans fonctions administratives et
vivant dans l'oisiveté. Joseph Ki-Zerbo, de même que Malick A.
Rochade dans son mémoire sur ce royaume sous Toffa, soulignent que cette
cour constituait un facteur important d'instabilité pour des rois
relativement faibles : « Les princes étaient très turbulents
et écumaient le pays »100, tandis que « les
princesses passaient leur temps à changer de partenaires,
assurées de l'impunité de leurs actes »101.
Les rois de Porto-Novo ne parvenaient pas à ordonner
leur administration, y compris judiciaire. Les lalis avaient par
exemple pris l'habitude de siéger dans les tribunaux et ils
étaient parfois devenus « la terreur du peuple
»102. Comme dans les autres royaumes, les chefs de famille,
assistés d'un conseil, détenaient un certain pouvoir judiciaire
sur leur parenté (les descendants d'un ancêtre commun) pour les
affaires civiles ou les petites affaires délictuelles telles que les
vols. De même, les chefs de quartier et de village, responsables de
l'ordre et de la sécurité pour toutes les familles de leur
territoire, jugeaient leurs administrés. Mais le roi était le
juge suprême (Photo 3) : lui seul tranchait en dernier ressort tous les
litiges, connaissait les affaires les plus graves, tels que les
crimes103 et pouvait condamner à mort.
A l'instar du royaume du Danhomè, les ministres des
cultes, dont le culte musulman introduit au XVIIIème
siècle, détenaient un pouvoir judiciaire important pour faire
triompher la vérité dans les procès, après la
consultation de l'oracle104.
99 Malick A. Rochade, Le pouvoir judiciaire dans le
royaume de Xogbonou-Ajace sous Toffa, op. cit., p. 29.
100 Joseph Ki-Zerbo, op. cit., p. 276.
101 Malick A. Rochade, Le pouvoir judiciaire,
op. cit., p. 29.
102 Ibid., p. 30.
103 Ibid., pp. 32-40.
104 Ibid., p. 44. Parmi les principaux ministres du
roi de Porto-Novo, on trouvait le migan ou ministre de la justice et
l'aplogan ou ministre des cultes. Joseph Ki-Zerbo, op. cit.,
p. 276.
Photo 3. Palais de Porto-Novo : cour où
siégeait le roi
Source : collection personnelle
Le regard des colonisateurs sur les systèmes
judiciaires du Dahomey
Le système judiciaire précolonial, plus ou moins
centralisé selon les royaumes et les groupements du futur Dahomey, est
vivement critiqué par les colonisateurs. Ces derniers accusent les
régimes politiques et judiciaires en place, notamment celui de leur
principal opposant, le Danhomè, d'archaïsme, d'arbitraire et de
corruption. Ainsi Alfred Barbou décrit-il en 1893 la justice
danhoméenne de manière très négative : << Les
tribunaux ne manquent pas au Dahomey : chaque cabécère, si minime
qu'il soit, a le sien. Mais ce n'est pas la justice qui se rend, l'injustice
qui se professe. (...) La pratique des juges dahoméens est de faire
payer celui qu'ils absolvent et celui qu'ils condamnent
»105.
Le Docteur Repin avait, dès 1863, dressé un tableau
accablant de la justice au Dahomey :
<< La justice est rendue par les gouverneurs des
provinces ou cabeceirs, qui connaissent des délits ordinaires ; mais
pour ceux qui entraînent la peine de mort, ils sont soumis à la
décision du roi. Quand les juges sont embarrassés, ils ont
parfois recours à ce que l'on appelait au Moyen-Age, en Europe : le
jugement de Dieu. On y procède de deux manières, en faisant boire
à l'accusé une décoction d'une certaine écorce
(...) dont les prêtres ont le secret : s'il la supporte sans vomir, il
est reconnu innocent, et, dans le cas contraire, coupable ; ou bien cette
épreuve peu concluante, il faut l'avouer, est remplacée par la
suivante qui ne l'est pas plus : on fait rougir à blanc le fer d'une
sagaie, et l'accusé passe trois fois sa langue sur le métal
incandescent ; s'il n'est pas brûlé, c'est qu'il est innocent. Je
fus un jour témoin d'un jugement de ce genre ; le pauvre diable
(c'était un esclave accusé de vol), horriblement
martyrisé, reçut encore, pour comble de chance, une vigoureuse
bastonnade. C'est le châtiment le plus ordinairement infligé aux
gens de la basse classe ; quant aux
105 Alfred Barbou, Histoire de la guerre au Dahomey,
Paris, 1893, p. 38. Cité par Laurent Manière, Ordre colonial,
contrôle social..., op. cit., p. 79.
riches et aux chefs, c'est par les amendes, la confiscation ou
la privation de leur dignité qu'ils sont
punis ; l'emprisonnement est inconnu, et par conséquent,
il n'existe nulle part de prison. »106
Au-delà de leur incompréhension, les critiques
des voyageurs et des administrateurs permettent de dévaloriser les
systèmes judiciaires existants, tout en mettant en valeur l'<<
humanisme » de la justice française et sa
supériorité. Edouard Foà estime que << nos
régimes les plus sévères ne sont que de l'anarchie
auprès du gouvernement qui existait hier encore au Dahomey », et il
ajoute que les Dahoméens se trouvent dominés par une loi
tyrannique :
<< La forme du gouvernement du Dahomey est le
régime monarchique absolu et sous contrôle. Il donne lieu, de la
part du roi, à toutes sortes d'abus. Le moindre de ses caprices est une
loi à laquelle doivent se soumettre, sans murmure, tous ses sujets, du
premier au dernier, et il change tous les règlements au gré de sa
fantaisie. La justice, c'est sa décision, qui est sans appel.
»107
Ces attaques virulentes préparent la conquête
politique et la monopolisation du pouvoir judiciaire par le colonisateur.
Cependant, l'idée de remplacer purement et simplement les
systèmes judiciaires existants dans les différents royaumes par
le système judiciaire français ne s'est jamais imposée. Un
système hybride, de plus en plus différencié de la justice
précoloniale mais aussi de la justice française, est
progressivement mis en place.
B. Organisation de la justice de 1894 à 1945 :
une trajectoire non linéaire
Le ministère des Colonies hésite jusqu'en 1903
sur l'organisation judiciaire à mettre en place en Afrique occidentale.
A partir de cette date, les principes du système judiciaire sont
posés, mais ils évoluent encore pendant l'entre-deux-guerres vers
un renforcement du contrôle colonial.
1. Les hésitations du système judiciaire en
AOF et au Dahomey de 1894 à 1903
Malgré la création de l'AOF en 1895,
l'administration de la justice reste régie par plusieurs textes relatifs
aux différentes colonies de ce vaste territoire. Le décret du 11
mai 1892 organisant la justice dans la colonie de Guinée
française et dépendances s'applique depuis 1893 aux
établissements français du golfe du Bénin108.
L'impératif colonial est d'achever la conquête militaire.
106 Docteur Repin, << Voyages au Dahomey », Le
Tour du Monde, VII, 1863, p. 102. Cité par Laurent Manière,
Ordre colonial, contrôle social..., op. cit., pp.
20-21.
107 Edouard Foà, Le Dahomey. Histoire-
Géographie- Moeurs- Coutumes- Commerce- Industrie- Expéditions
françaises (1891-1894), Paris, 1895, p. 265. Cité par
Laurent Manière, Ordre colonial..., op. cit., p.
78.
108 ANB, JO des Etablissements et protectorats
français du golfe du Bénin, fonds des JO, 1er
octobre 1892.
La réglementation ne s'occupe donc pas encore de
régir les rapports entre colonisés ; l'article 27 du
décret laisse ainsi aux autorités du pays le soin de juger les
affaires entre << indigènes ». Le pouvoir colonial cherche
avant tout à régler les litiges intéressant des
Européens. A cet effet, des justices de paix à compétence
étendue sont instaurées. Elles sont accessibles aux
Dahoméens et elles sont compétentes en matière civile,
commerciale et pénale (affaires de simple police et correctionnelles).
Elles ne sont pas composées de magistrats professionnels mais ce sont
des membres choisis parmi les fonctionnaires en service dans les colonies qui
exercent les fonctions de juge109.
Lorsque de vastes pans de l'Afrique occidentale passent sous
son contrôle militaire, l'autorité française
délimite les territoires constitués en colonies. Il lui faut
désormais imposer et gérer son pouvoir sur ces espaces et ces
populations, dans le cadre de colonies autonomes sur le plan administratif puis
judiciaire, et sous la responsabilité d'un lieutenant-gouverneur.
Après la reddition de Béhanzin et l'organisation de la colonie du
Dahomey et dépendances par le décret du 22 juin 1894, l'un des
premiers actes du ministre des Colonies est d'y organiser la justice, avec le
décret du 26 juillet 1894110. Ce décret reprend
largement les dispositions de 1892 : il maintient à la fois les
tribunaux de paix des villes de Porto-Novo et Ouidah, qui peuvent toujours
être saisis par les Dahoméens, et les juridictions
indigènes traditionnelles. Cet accès de l'ensemble des
indigènes à la justice française reste cependant fictif
compte tenu de l'éloignement géographique d'une partie des
Dahoméens. Une circulaire du gouverneur par intérim du Dahomey
précise en outre en 1900 que le décret de 1894 permettant aux
indigènes de saisir en toutes matières les tribunaux
français << ne peut trouver son application que dans les ressorts
des deux justices de paix de Porto-Novo et de Ouidah. Quant aux territoires non
compris dans les limites assignées à chaque justice de paix
(...), aucun acte ne les y a rattachés, et en fait la distance et les
difficultés de communication ne permettent point aux
intéressés de s'adresser à ces tribunaux
»111.
La nouveauté réside dans la
décentralisation de la justice de second degré et criminelle,
avec la création d'un conseil d'appel au chef-lieu de la colonie
chargé des
109 Les crimes relèvent du Conseil d'appel
siégeant à Conakry. Parallèlement, le
Sénégal et les territoires << considérés de
tout temps comme des dépendances » étaient régis par
les décrets des 15 mai et 11 août 1889. ANB, série
1M126(6), fonds ancien, copie des registres de correspondance de la justice de
paix 1894-1898, << Lettre du 1er janvier 1894 de
l'administrateur Fonssagrives, juge de paix à compétence
étendue au Bénin, à Mr le Général de Brigade
Commandant supérieur des Etablissements français du Bénin
». ANB, JO des Colonies 1894, fonds des JO, << Rapport au
Président de la République du 26 juillet 1894 », p. 553.
110 ANB, JO des Colonies 1894, fonds des JO,
décret du 26 juillet 1894 portant organisation de la justice dans la
colonie du Dahomey et dépendances, pp. 553 et s.
111 ANB, JOD 1900, fonds des JO.
appels des jugements rendus en premier ressort par les
justices de paix112. Parallèlement, la Guinée
française et la Côte d'Ivoire se voient reconnaître une
autonomie judiciaire correspondant à leur autonomie administrative par
des décrets de 1892 et 1896. Mais cette organisation judiciaire <<
toute rudimentaire, qui n'avait d'autre objectif que de pourvoir à peu
de frais aux besoins de colonies naissantes >> 113 est rapidement remise
en cause.
Dès 1900 s'affirme la volonté d'une
réorganisation judiciaire. Le ministre des Colonies, Albert Decrais,
souligne dans son rapport au Président de la République sur le
décret du 22 mai 1900 portant organisation de la justice dans les
colonies << l'absence d'une organisation judiciaire
régulière dans les colonies du Dahomey, de la Guinée
française et de la Côte d'Ivoire >>114. Ce
décret nomme un magistrat de carrière pour étudier le
problème de la réorganisation judiciaire dans les trois colonies.
De fortes critiques s'élèvent alors dans le milieu colonial
contre la nomination d'un magistrat français et noir115, M.
Lioutel, témoignant d'une vision fortement racialisée des
rapports coloniaux. La Dépêche Coloniale rapporte le 18
octobre 1900 que << le conflit existant entre le gouverneur de cette
colonie et le président du Conseil d'Appel est arrivé à
l'état aigu >>. Cet article souligne qu'<< il est
entièrement fâcheux que le choix du ministre se soit porté
sur un magistrat de couleur qui ne sait pas dépouiller vis-à-vis
de la population indigène les préjugés de race qui sont
cependant les plus dangereux dans une colonie nouvelle, hier encore
placée sous la domination des rois du pays >>116.
La nomination de M. Lioutel suscite des craintes parmi les
autorités administratives et commerciales du Dahomey, notamment celle de
ne faire partager à ce magistrat leur vision duale de la justice et de
la société coloniales. Ainsi, le conseil d'administration
adopte-t-il le 26 octobre 1900 une délibération demandant le
rappel par le ministre de ce magistrat, accusé de prendre parti pour les
indigènes :
112 En matière pénale, il s'agit des jugements
relatifs aux délits pour lesquels une peine de plus de deux mois de
prison a été prononcée. Ibid., article 8. Ce
même conseil joue également le rôle d'une part de tribunal
criminel pour statuer sur les crimes commis sur le territoire de la colonie par
les Européens et les autochtones et d'autre part de chambre d'annulation
(pour excès de pouvoir ou violation de la loi) des jugements rendus en
dernier ressort. Ibid., articles 13 à 22. Ce conseil d'appel
est une instance purement administrative présidée par le
gouverneur de la colonie et composée d'assesseurs choisis parmi les
fonctionnaires ou officiers en service dans la colonie.
113 ANB, JOD 1901, fonds des JO, Rapport du ministre
des Colonies Albert Decrais au Président de la République le 6
août 1901 présentant le décret en même date portant
organisation de la justice au Dahomey, p. 204.
114 ANB, JOD 1900, fonds des JO, arrêté
du gouverneur par intérim du Dahomey promulguant le décret du 22
mai 1900 modifiant l'article 13 du décret du 26 juillet 1894 portant
organisation de la justice dans les colonies et rapport au Président de
la République présentant ce projet de décret.
115 Les documents consultés n'indiquent pas le
département d'origine du magistrat nommé, M. Lioutel. Son nom
patronymique laisse supposer qu'il est originaire des Antilles.
116 CAOM, fonds régionaux, Dahomey VIII,
n°2.
« M. Lioutel s'est jusqu'à présent beaucoup
plus occupé des intérêts des noirs sans connaître le
pays et les besoins réels de la population. M. Lioutel n'a pas
cessé de faire des enquêtes sur les Européens,
fonctionnaires ou commerçants de la colonie, ce qui prouve qu'il est
parti pris pour les noirs contre les blancs, et que ce magistrat ne
paraît pas avoir l'impartialité absolument nécessaire pour
remplir une mission aussi délicate que celle qui lui a été
confiée. (...) M. Lioutel cherche à se créer parmi les
noirs une popularité toute personnelle et au lieu de s'occuper de
justice, il cherche à faire naître parmi la population des
idées dont les indigènes seront les premiers à souffrir.
»117
Photo 4. Carte de l'Afrique occidentale
française en 1930
Source : Commissariat de l'Afrique occidentale
française, L'Afrique occidentale française,
Exposition coloniale internationale Anvers 1930, Paris, 1930, 38 p.
L'unification du système judiciaire est finalement
réalisée à l'échelle de l'AOF (Photo 4) par trois
décrets successifs entre 1901 et 1903 qui posent les principes
essentiels d'organisation de la justice dans ces territoires118,
complétés ensuite par trois réformes importantes en 1912,
1924 puis 1931. Les réformes judiciaires sont dominées par trois
impératifs de rapidité, d'économie et de proximité
entre le juge et le justiciable, avec donc un maillage resserré des
tribunaux sur l'ensemble du territoire119. Les décrets
imposent tout d'abord une hiérarchisation du système judiciaire
dans le cadre de la nouvelle fédération,
117 Ibid.
118 ANB, JOD 1901, 1902 et 1904, fonds des JO,
décret du 6 août 1901, pp. 204-208, décret du 15 avril
1902, pp. 129-131, décret du 10 novembre 1903, pp. 1 et s. La
Guinée française, la Côte d'Ivoire et le Dahomey voient
leur organisation judiciaire unifiée par les décrets des 6
août 1901 et 15 avril 1902. Puis le décret du 10 novembre 1903
uniformise le système judiciaire dans l'ensemble des colonies de
l'AOF.
119 Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, op. cit., p. 6.
qui se manifeste par l'installation d'un tribunal d'appel
à Dakar, siège de la fédération120, et
par la mise en place dans chaque colonie de nouveaux tribunaux qui vont couvrir
peu à peu l'ensemble du territoire.
Le principe de différenciation entre les tribunaux
français et les juridictions indigènes est davantage
marqué au fur et à mesure des réformes judiciaires. La
possibilité pour les Africains d'accéder aux juridictions
françaises se ferme peu à peu. Le pouvoir colonial,
hésitant jusqu'en 1912, affirme à partir de cette date l'abandon
de sa volonté d'assimilation des populations colonisées sur le
plan judiciaire, en distinguant désormais très nettement les
juridictions françaises et les tribunaux indigènes.
2. Evolution vers un principe de cloisonnement des
justices française et indigène en 1912
Les trois décrets pris entre 1901 et 1903 distinguent
déjà les tribunaux français et les tribunaux
indigènes. Toutefois, la compétence de ces tribunaux ne varie pas
seulement en fonction du statut de la personne (Européen ou
indigène) mais parfois aussi selon le domicile des parties
intéressées. En effet, le décret du 6 août 1901
établit trois types de juridictions françaises. Il institue un
tribunal de première instance dans le ressort de chaque chef-lieu de
colonie (Porto-Novo pour le Dahomey) et maintient en dehors de ces territoires
les justices de paix à compétence étendue en fonction des
besoins appréciés par chaque gouverneur de colonie. Ces tribunaux
connaissent de toutes les affaires civiles et commerciales et des
contraventions et délits en matière pénale. Les affaires
criminelles sont quant à elles déférées à la
cour criminelle (devenu tribunal criminel à partir de 1902, puis cour
d'assises en 1903) siégeant au chef-lieu de chaque colonie (la cour
d'assises est transférée de Porto-Novo à Cotonou en 1903).
Mais si les tribunaux de première instance et les cours criminelles sont
compétents à l'égard de tous les justiciables
résidant dans le ressort du chef-lieu121, quel que soit le
statut juridique des parties, les justices de paix, installées dans le
reste de la colonie, ne connaissent que des affaires intéressant des
Européens ou assimilés. La plus grande partie des litiges entre
Africains relève donc des
120 ANB, JOD 1904, fonds des JO, décret du 6
novembre 1903, op. cit. Les décrets de 1901 et 1902 avaient
successivement installé un tribunal supérieur à
Bingerville (Côte d'Ivoire) puis Conakry (Guinée).
121 ANB, JOD 1901 à 1904, fonds des JO,
op. cit. Il est à noter qu'avant le décret du 10
novembre 1903 les cours criminelles étaient compétentes à
l'égard de l'ensemble des crimes commis dans la colonie alors que ce
décret limite sa compétence aux seuls crimes
perpétrés dans le ressort de cette cour ou commis ou subis
ailleurs par des Européens ou assimilés.
juridictions indigènes. Cependant, les Dahoméens
peuvent encore en toute matière saisir de leur procès les
tribunaux français122.
Une mission d'inspection menée en 1911 par Demaret
souligne les problèmes liés à la dualité de
juridiction au sein des circonscriptions où coexistent des juridictions
françaises et indigènes. Selon le rapport de mission, <<
les habitants indigènes de ces agglomérations se trouvent soumis
à la loi française alors que leurs voisins et parents
domiciliés dans la circonscription voisine sont assujettis à la
juridiction indigène qui, selon l'inspecteur, leur assure sans frais et
sans formalités l'application des coutumes locales
>>123.
Ces règles de compétence complexes soulignent
les hésitations du colonisateur quant au statut juridique des
populations colonisées. Claude Liauzu a mis en évidence la
difficulté des problèmes juridiques posés par la
colonisation :
<< La colonisation a posé des problèmes
juridiques complexes, aussi bien théoriques que pratiques. (...) Quelles
lois pour l'outre-mer, quel statut pour les indigènes ? (...)
L'universalisme de la pensée des Lumières et de 1789 s'inscrit
dans l'article 6 de la Constitution du 22 août 1795 : les colonies sont
soumises aux lois de la métropole. C'est le fondement de la
citoyenneté aux esclaves. Mais en un sens tout à fait
opposé, la monarchie et l'Empire ont posé le principe de lois et
de règlements particuliers : la charte du 4 juin 1814 stipule :
«Les lois et règlements en vigueur dans la métropole ne sont
pas applicables aux colonies, sauf décision contraire du pouvoir
compétent». C'est cette tendance qui l'emporte avec la
IIIème République. La promulgation des lois par
décret du président est indispensable, et les gouverneurs ont la
possibilité de proposer des modifications. >>124
La conquête française a été
entreprise au XIXème siècle par des
républicains coloniaux empreints de l'idée de
supériorité et de portée universelle de la culture
française. La contradiction entre démocratie et
impérialisme semblait pouvoir être dépassée par
l'accès des sujets colonisés à la citoyenneté
française, avec les mêmes droits, y compris judiciaires, que les
métropolitains. Mais les partisans de l'assimilation avaient une
attitude ambiguë dans la mesure où ils n'étaient pas
prêts à assumer les charges financières et humaines
qu'impliquait une reconnaissance de l'égalité des droits.
122 ANB, JOD 1901 à 1904, fonds des JO, op.
cit.
123 Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., p. 232.
124 Claude Liauzu (sous la direction de), Dictionnaire de
la colonisation française, Paris, Larousse, 2007, article <<
droit et colonisation >>, pp. 251-252. Cette question des liens entre la
nationalité, la citoyenneté et les colonies fait l'objet depuis
quelques années de nombreux débats et elle a donné lieu
à plusieurs ouvrages qui s'inscrivent le plus souvent dans la
problématique plus large de l'histoire de l'immigration. Parmi ces
derniers on peut notamment citer les recherches et synthèses de
Gérard Noiriel, Le creuset français, Histoire de
l'immigration XIXème-XXème
siècles, Paris, Le Seuil, 2006 (1ère éd.
1988), op. cit., ou encore Immigration, antisémitisme et
racisme en France (19è-20è siècle),
Discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard,
2007, 695 p, mais également celles de Patrick Weil,
Qu'est ce qu'un Français ? Histoire de la
nationalitéfrançaise depuis la révolution,
Paris, 2002, 402 p, La France et ses étrangers, Paris,
Gallimard, Folio actuel,
1991, 496 p, Vincent Viet, Histoire des Français
venus d'ailleurs, de 1850 à nos jours, Paris, Perrin, 2004, 280 p,
Yves Lequin (sous la direction de), Histoire des étrangers et de
l'immigration en France, Paris, Larousse, << Bibliothèque
historique >>, 2007 (1ère éd. 1988), 545 p.
La seule tentative d'assimilation en Afrique concerna les
quatre communes libres du Sénégal (Saint-Louis, Gorée,
Dakar et Rufisque). L'application de la loi française à ses
habitants fut aussi mal reçue par les colons que par la population
majoritairement musulmane qui récusait le principe sous-entendu de son
infériorité culturelle et raciale et réclamait le maintien
d'une justice musulmane125. Par ailleurs, aucun consensus n'existait
parmi les << coloniaux » sur le statut politique et juridique des
colonisés et de violentes critiques étaient formulées
contre la théorie de l'assimilation, jugée trop centralisatrice
et peu respectueuse des coutumes des sociétés
colonisées126.
Le développement des connaissances sur les
sociétés africaines au début du XXème
siècle, avec les multiples enquêtes et la rédaction de
coutumiers pour l'AOF encouragée par le gouverneur général
en 1905, permet de mieux saisir l'originalité, les valeurs et les
richesses des sociétés africaines. Ce mouvement remet donc en
cause l'idée dominant jusque-là d'une évolution
unilinéaire des civilisations vers le degré <<
supérieur » des sociétés occidentales. Il se
manifeste dès le début du XXème siècle
mais s'amplifie avec la Première Guerre mondiale qui voit s'affronter
entre elles les puissances dites << civilisées » et pousse
à privilégier la conservation des coutumes et les règles
judiciaires propres aux populations africaines127.
Les détracteurs de l'assimilation mettent
également en avant l'inefficacité de cette théorie sur les
peuples assujettis, et son caractère dangereux pour le maintien de la
domination française. L'assimilation, du fait de la perturbation
provoquée par l'influence européenne sur les populations,
paraît dangereuse pour le maintien du pouvoir colonial. Cette crainte est
parfaitement résumée par Léopold de Saussure :
<< Dans les pays où le conquérant n'est
qu'une infime minorité, la question primordiale, la question sine qua
non du succès, est celle de la politique à l'égard des
indigènes (...). Les indigènes secoueront (...) les liens de leur
assimilation politique. Ils brûleront nos codes et nos règlements
et retourneront avec bonheur à leurs anciennes coutumes. »128
Cette évolution des conceptions et les craintes relatives
à la domination française, influent sur les réformes
coloniales mises en place, dont les réformes judiciaires.
La justice française se trouve alors de plus en plus
différenciée par rapport à la justice indigène, ce
qui implique de définir l'<< indigène », le <<
sujet » qui tout en appartenant à la France n'est pas
considéré comme << citoyen ». Comme le souligne
Emmanuelle Saada, << s'opère dans les colonies un
décrochement fondamental entre la
125 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique
Noire de 1800..., op. cit., p. 67.
126 Raoul Girardet, L'idée coloniale en France de 1871
à 1962, Paris, Hachette, Pluriel, 1972, pp. 130-131.
127 Ibid., pp. 225-236.
128 Laurent Manière, Ordre colonial, contrôle
social..., op. cit., p. 101. Voir dictionnaire en annexe 6.
nationalité et la citoyenneté qui oblige
à repenser non seulement ce que veut dire «être
Français» et aussi ce que signifie «être citoyen»
>>129. Depuis la Révolution et la première
République, l'Etat-Nation s'est construit en France sur un principe de
souveraineté du peuple associant étroitement la
citoyenneté, donc les droits politiques et la soumission de l'ensemble
des populations à l'Etat français (et à la loi
française), à l'appartenance nationale. Nationalité et
citoyenneté faisaient corps << mais cette réflexion n'a pas
été poussée au-delà du territoire
métropolitain en s'interrogeant sur les implications de la construction
concomitante d'une nation et d'un Empire colonial >>130.
Le décrochement entre nationalité et
citoyenneté s'observe aussi en France métropolitaine à
l'égard des étrangers dès 1889 et il est accentué
dans les colonies françaises. En effet, à partir des
années 1880, dans le contexte de crise économique, de crainte de
la concurrence étrangère et de développement de
l'antisémitisme, le débat sur la nation fondée sur un
contrat, sur les origines ou sur la race fait rage131. La
contestation des principes juridiques issus de la révolution se
développe et de nombreux projets de loi sont déposés
devant le parlement contre les étrangers, renforçant la notion de
race dans le débat sur la nationalité. Le code de la
nationalité adopté en 1889, tout en ouvrant l'accès
à la nationalité aux enfants nés en France de parents
étrangers, rompt avec les principes révolutionnaires qui
associaient nationalité et citoyenneté. En effet, à partir
de cette date, la naturalisation n'offre plus tous les droits reconnus aux
citoyens : les nouveaux Français sont exclus de
l'éligibilité aux assemblées parlementaires pendant dix
ans132.
Cet écart entre nationalité et
citoyenneté pour les naturalisés se transforme en rupture dans
les colonies. Les colonies sont françaises et leurs habitants, colons et
autochtones, sont donc considérés comme Français. Mais la
nationalité française ne désigne plus dans les colonies
l'appartenance à une même communauté de citoyens ; elle
129 Emmanuelle Saada, Introduction de << Sujets d'Empire
>>, Genèses, Paris, Calmann-Lévy, 2003/4,
n°53, pp. 1-2.
130 Ibid.
131 Dans le discours le plus célèbre sur la
nation, Ernest Renan estime que contrairement à l'Allemagne, il n'existe
pas de race française mais un peuple français composé de
multiples apports ethniques dont la fusion a été
réalisée avant la Révolution française. Pour lui,
la nation est une << âme >>, ou le résultat <<
d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements
>>, mais aussi << un principe spirituel >>,
c'est-à-dire << le désir clairement exprimé de
continuer la vie commune >>. Mais dans les années 1880-1890 se
développent un racisme et un antisémitisme qui
privilégient la Thèse des origines dans le débat sur la
nationalité. Gérard Noiriel, Le creuset français,
Histoire de l'immigration XIXème-XXème
siècles, op. cit., pp. 27-28. Emmanuelle Saada souligne
l'apparition et les usages du terme de race dans la législation
française, avec une confusion entretenue sur ce terme qui désigne
dans les années 1920 << tout à la fois une
réalité biologique et un ensemble de propriétés
sociales et de compétences culturelles qui se manifestent dans les
comportements >>, Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie,
Les métis de l'Empire français entre sujétion et
citoyenneté, Paris, La Découverte, 2007, p. 14.
132 Gérard Noiriel, Ibid., p. 83.
désigne seulement le lien juridique qui unit le sujet
à l'Etat français. Les sujets français ou
indigènes, dans la mesure où ils ne sont pas soumis aux
mêmes droits, devoirs et lois que les Français, ne sont pas
considérés comme des citoyens français ;
parallèlement, en refusant de soumettre les indigènes au droit
français, le colonisateur empêche leur accès à la
citoyenneté.
Le souci majeur de la République française est
de maintenir le lien entre ses expatriés et la France, afin qu'ils
demeurent convaincus de leur fonction de représentation de la
souveraineté française. L'Etat français, comme le
rappellent Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Françoise Vergès,
a toujours hésité à imposer ses lois pourtant applicables
à tous dans une République << une et indivisible >>,
à toute la population des colonies et non pas aux seuls colons. Ainsi en
va-t-il en Algérie, où la IIème
République instaure des départements de la République mais
où est mise en place une ségrégation politique et
juridique entre colons d'origine européenne et musulmans133.
La cour de cassation estime, dans un arrêt du 15 février 1864, que
l'Algérie est une terre française et que ses habitants doivent
être considérés comme étant de nationalité
française. Mais elle affirme dans le même temps qu'il est
impossible d'accorder le titre de citoyen à des populations qui ne sont
pas soumises à toutes les lois françaises : les musulmans
d'Algérie auxquels s'applique le droit musulman sont alors
considérés comme sujets et non comme citoyens134. De
même, durant la IIIème République, le nouveau
régime construit un empire colonial fondé sur des principes
politiques et juridiques dérogatoires des valeurs égalitaires de
la métropole, en institutionnalisant une séparation entre
<< indigènes >> ou << sujets >> et <<
citoyens >>. Les indigènes peuvent accéder à la
citoyenneté française mais les conditions sont très
restrictives et seule une infime minorité de candidats obtient ce
statut. En 1937, on ne compte, en dehors des natifs des quatre communes du
Sénégal135, qu'environ 2 500 personnes disposant de la
citoyenneté sur un total de 15 millions d'Africains136.
Dans les colonies, à l'exception des quatre communes
sénégalaises, la citoyenneté n'est plus rattachée,
comme en métropole, à l'appartenance nationale mais au <<
statut personnel >>. Ce statut est << défini par l'ensemble
des coutumes locales >> et considéré
133 Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise
Vergès, La République coloniale, Paris, Albin Michel,
2003, pp. 30-31.
134 << Cette distinction entre nationalité et
citoyenneté et le maintien de statuts coutumiers particuliers furent
à nouveau confirmés par une décision de la cour de
cassation en date du 29 mai 1865 >> souligne Laurent Manière,
Le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 35.
135 En effet, les natifs des quatre communes du
Sénégal étaient citoyens français et disposaient
à ce titre des droits politiques, mais ils pouvaient conserver leur
statut personnel.
136 Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l'Afrique noire,
op. cit., p. 436.
comme << antinomique avec l'exercice de la
citoyenneté >>137. La séparation entre le sujet
soumis à la souveraineté française mais ne participant pas
à cette même souveraineté est donc liée à la
<< civilité >>, c'est-à-dire à l'application
de droits privés distincts (les coutumes d'un côté et la
loi française de l'autre). Dans un contexte où l'idée
d'assimilation est jugée impossible et dangereuse à court terme,
ces statuts personnels sont censés correspondre à des niveaux de
civilisation différents, dont le modèle achevé est celui
de << la civilisation française >>.
Emmanuelle Saada précise cependant que << la
distinction entre citoyen et sujet apparaît moins comme le
résultat d'un projet politique de ségrégation coloniale,
posé a priori en métropole, que la conséquence pratique de
l'existence de systèmes juridiques distincts aux colonies. Elle a
largement suivi le constat selon lequel le code civil ne pouvait être
appliqué tel quel aux indigènes et qu'il reportait l'idéal
de l'assimilation juridique des colonies à horizon lointain de
l'évolution des populations conquises >> 138.
Le droit applicable détermine donc le statut, et
inversement. L'accès à la citoyenneté française
implique alors un abandon du statut personnel et une soumission à la loi
française. Le droit traduit le découpage racial entre les
populations dans la société coloniale. Il est au centre de la
relation de domination dans les colonies, en opposant les citoyens aux sujets
ou indigènes.
Pourtant, si le droit devient central pour distinguer le
<< sujet >> ou l'<< indigène >> du <<
citoyen >> et si les autorités coloniales mettent en place une
justice indigène distincte, il est paradoxal de constater qu'aucune loi
ne définit clairement la notion d'indigène. En effet, les
décrets qui ont organisé la justice jusqu'en 1903 en AOF
envisageaient dans le même temps la justice française et
indigène et n'avaient défini l'<< indigène >>
que de manière négative, comme n'étant pas le justiciable
des tribunaux français. Le cloisonnement des deux justices et des deux
populations s'affirme avec le décret du 16 août 1912, qui organise
séparément la justice indigène. Il définit les
indigènes comme << les individus originaires des possessions
françaises d'AOF, d'AEF et des possessions étrangères
comprises entre ces territoires qui n'ont pas dans leur pays d'origine le
statut des nationaux européens >>139. Ces personnes
sont justiciables des juridictions indigènes et il leur appartient de
prouver le statut qu'ils invoquent. Ce décret supprime la
compétence
137 Emmanuelle Saada, << Citoyens et sujets de l'Empire
français : les usages du droit en situation coloniale >>, in
<< Sujets d'Empire >>, Genèses, Paris,
Calmann-Lévy, 2003/4, n°53, pp. 15-17.
138 Ibid., pp. 17-18.
139 ANB, JOD 1912, supplément au JO n°22 du
15 novembre 1912, fonds des JO, décret du 16 août 1912, article
2.
des tribunaux français à l'égard des
<< indigènes >> de leur ressort. Plus encore, il limite la
possibilité pour les Africains de saisir les tribunaux français
aux seules affaires civiles et commerciales, dans le cadre d'un commun accord
des parties constaté par une convention140.
Parallèlement à cette définition réglementaire, de
nombreux ouvrages, travaux et thèses sont consacrées dans les
années 1910 à la condition juridique des indigènes et
à l'organisation de la justice indigène141. Les
réformes successives des 22 mars 1924 et 3 décembre 1931
maintiennent ce dualisme jusqu'à la fin de la Seconde Guerre
mondiale.
La politique indigène glisse vers la théorie de
l'<< association >>. Celle-ci se veut respectueuse des coutumes et
des valeurs des sociétés africaines. Elle doit organiser une
justice << adaptée >> aux populations, c'est-à-dire
rendue par les << autorités traditionnelles >>
associées au pouvoir colonial, dans la mesure où seules ces
élites connaissent et peuvent appliquer les coutumes locales. Mais cette
théorie ne se départit pas vraiment de la tendance assimilatrice
et centralisatrice qui amène le pouvoir colonial à
hiérarchiser et organiser selon des principes très
européens les tribunaux indigènes.
Au-delà même des théories d'administration
des colonies, la volonté du pouvoir colonial d'imposer sa domination sur
les nouvelles colonies le conduit à renforcer son action pour
réglementer et contrôler la justice indigène,
parallèlement à la justice française.
3. Une justice organisée et
hiérarchisée sur l'ensemble du territoire
L'emprise française sur le territoire et les hommes se
développe avec la création de postes administratifs. La justice
française et indigène est organisée dans le cadre de
l'administration territoriale de la colonie, c'est-à-dire au niveau de
la cellule administrative qu'est le cercle, et au niveau des provinces ou des
subdivisions de ces cercles. Les limites des circonscriptions administratives
du Dahomey n'ont cessé d'être modifiées pendant toute la
période coloniale, au gré des besoins du colonisateur, et le
découpage judiciaire a suivi les aléas des divisions
administratives. La Figure 2 présente les limites des cercles en
140 Ibid., article 48. Les différends opposant
les Européens aux << indigènes >> sont portés
devant les tribunaux français mais le même article leur laisse la
possibilité de saisir d'un commun accord les juridictions
indigènes de leurs conflits en matière civile et commerciale.
141 Cet aspect est souligné par Laurent Manière
dans sa Thèse, Le Code de l'indigénat..., op.
cit., p. 215. Laurent Manière cite notamment le Dr Asmis, <<
La condition juridique des indigènes dans l'Afrique occidentale
française >>, extrait de Recueil de législation,
doctrine et jurisprudence coloniales, Paris, 1910, mais aussi F.
Beurdeley, << La justice indigène en Afrique occidentale
française. Mission d'études 1913- 1914 >>,
Renseignements coloniaux, n°3, 1916, Supplément
à l'Afrique française, mars 1916, pp. 45-57 ; Eugène
Hild, L'organisation judiciaire en Afrique occidentale
française, Paris, Larose, 1912, 118 p. et Pierre Meunier,
Organisation et fonctionnement de la justice indigène en Afrique
occidentale française, Thèse pour le doctorat en droit,
Université de Bordeaux, 1913.
1932. Les cartes de chacun des cercles pour l'année 1926
figurent en annexe 4 ; cette même annexe retrace également les
principales évolutions des circonscriptions judiciaires.
Figure 2. Division administrative (cercles) du
Dahomey en 1932
Adapté de H. d'Almeida-Topor, Histoire
économique du Dahomey/Bénin, 1890-1920, Paris,
L'Harmattan, 1994, volume 1, p. 185
Les tribunaux français
Les tribunaux français mis en place par le
décret de 1901 évoluent peu jusqu'en 1945. Ils sont
installés dans le sud de la colonie où se trouve la
majorité de la petite communauté européenne. Il existe
d'une part un tribunal de première instance à Porto-Novo,
transféré à Cotonou à partir de 1903, dont la
compétence s'étend sur l'ensemble des cercles de Cotonou et
Ouidah (ville et plage) et, d'autre part, une justice de paix à
compétence étendue à Grand-Popo, ayant compétence
sur l'ensemble du cercle du Mono
(Figure 2)142. Ces justices de paix à
compétence étendue ont, comme leur nom l'indique, des
attributions et un ressort plus larges que les juridictions de paix
métropolitaines. En effet, « le juge de paix à
compétence étendue n'a pas seulement le rôle ordinaire de
juge de paix mais il tient lieu de tribunal de première instance
»143.
Il statue non seulement en matière de simple police sur
les contraventions relevant de la compétence ordinaire des juges de paix
en métropole, mais il exerce également les compétences des
tribunaux correctionnels métropolitains, puisqu'il connaît de
l'ensemble des délits commis par des Européens. Par
dérogation à la règle générale de
l'incompétence des juges de paix en matière criminelle, le juge
de paix peut dans ce domaine procéder à tout acte d'instruction.
Enfin, une cour d'assises est installée à Cotonou depuis le
décret du 10 novembre 1903, succédant à la cour criminelle
installée à Porto-Novo en 1901.
Photo 5. Palais de justice de Cotonou, sans
date
Source : Collection Martine et Jean-Michel Bouchez
Comme dans d'autres centres de l'AOF, la justice
française est rendue à Cotonou dans des bâtiments
grandioses, avec ses arcades et son style imposant, dans le centre-ville (Photo
5). L'architecture des principaux bâtiments coloniaux, comme le Palais de
justice, doit manifester le transfert et l'éclat de la
souveraineté et du pouvoir français dans les colonies.
142 ANB, JOD 1904, fonds des JO, arrêté du
lieutenant-gouverneur du 6 juillet 1904, pp. 182-183.
143 Claude Deschamps, Les attributions judiciaires des
administrateurs en Afrique Noire, Mémoire ENFOM d'administrateur
colonial, 1945-1946. CAOM, 1M 3 ECOL 51 d7 bis, p. 25.
Le tribunal de Grand-Bassam, en Côte d'Ivoire, reprend
dans une moindre mesure ces principes (Photo 6) tandis que le tribunal de
Dakar, chef-lieu de l'AOF, s'inscrit plus encore dans cet objectif (Photo
7).
Photo 6. Tribunal de Grand-Bassam, Côte
d'Ivoire, sans date
Source : Météyer, n°12, http ://
www.archivesdusenegal.gouv.sn/cartes/1219.JPG
Photo 7. Palais de justice de Dakar,
Sénégal, sans date
Source : Collection Albaret, http ://
www.archivesdusenegal.gouv.sn/cartes/0546.JPG
Par comparaison, le tribunal indigène de Cotonou
siège dans un bâtiment moins massif (Photo 8), tandis que les
juridictions des autres cercles et des subdivisions connaissent parfois des
conditions très précaires.
Photo 8. Tribunal indigène de Cotonou,
sans date
Source : Collection personnelle
Nous ne disposons pas de photos de ces juridictions, mais une
carte postale présente un tribunal indigène dans un poste en AOF,
sans bâtiment spécifique (Photo 9).
Photo 9. Tribunal indigène dans un
poste d'Afrique occidentale (Soudan français)
Source : collection Fortier/CGF 1907-1910, N°1222, http
://
www.archivesdusenegal.gouv.sn/cartes/1093.JPG
Les juridictions indigènes
Pour les Dahoméens, le pouvoir colonial, tout en
souhaitant maintenir une justice distincte jugée plus «
adaptée >> à leurs coutumes, cherche à consolider sa
domination dans les colonies en assurant un contrôle de plus en plus
serré de la justice indigène par un faible nombre
d'administrateurs. Le ministre des Colonies, dans son rapport présentant
le décret du 6 août 1901, souligne ainsi que « les
décrets actuellement en vigueur s'étaient bornés à
maintenir les juridictions indigènes actuelles (...). De
sérieuses réclamations se sont élevées contre cette
organisation qui maintenait tout simplement des tribunaux dont le
fonctionnement nous était peu connu, dès lors difficile à
contrôler et qui de plus rendait matériellement impossible la
répression des crimes commis dans l'intérieur, souvent à
de grandes distances de la côte, par suite de l'obligation où l'on
se trouvait d'en déférer les auteurs à la Cour criminelle
du chef-lieu >>144.
Le gouvernement français réglemente de
manière uniforme en AOF les juridictions indigènes par
décret du 10 novembre 1903145. Il institue trois types de
tribunaux calqués sur les circonscriptions administratives. Au niveau de
la plus petite cellule administrative sont créés les tribunaux de
village. Dirigés par les chefs de village, ces juridictions sont
chargées de régler par voie de conciliation les affaires civiles
et commerciales et de statuer sur les contraventions de faible importance
(passibles d'un maximum de 15 francs d'amende et de 5 jours d'emprisonnement).
Leur pouvoir est très limité puisque les sentences qu'ils rendent
ne lient pas les parties qui peuvent toujours porter leurs différends
devant les tribunaux de province146. Les réformes successives
ne cessent de réduire les compétences des tribunaux de village
qui ne peuvent être que difficilement contrôlés par le
pouvoir colonial, en l'absence de sentences écrites. Le décret du
16 août 1912 ôte toute
144 ANB, JOD 1901, fonds des JO, rapport au
Président de la République du 6 août 1901, op.
cit., pp. 204- 205.
145 Une organisation similaire a été mise en
place en AEF. Le décret du 28 septembre 1897 portant
réorganisation de la justice dans le Congo français maintenait
les juridictions indigènes existantes. Puis plusieurs décrets
entre 1903 et 1910 différencièrent la justice française et
la justice indigène, qui passa sous le contrôle du colonisateur,
avec une organisation et une hiérarchie similaire. Sur ce point
plusieurs études présentent l'évolution de l'organisation
judiciaire en AEF, notamment Idourah, Silvère Ngoundos, Colonisation
et confiscation de la justice en Afrique : l'administration de la justice au
Gabon, au MoyenCongo, en Oubangui-Chari et au Tchad : de la création des
colonies à l'aube des indépendances, Paris, Budapest, Turin,
L'Harmattan, 2001, 394 p. et Carmen Claudia Kihoulou Mountsambote,
L'exercice de la justice en AEF au XIXème siècle,
de 1869 à 1927, op. cit. On peut également
consulter en ce qui concerne la justice française en AEF, Brahim Joseph
Seid, Histoire de la justice française en AEF de 1869 à
1903, Mémoire DES en sciences politiques, 1959, 78 p. et plus
spécifiquement l'Oubangui-Chari, E. Kouroussou Gaoukane, La justice
indigène en Oubangui-Chari (1910-1945), Thèse de doctorat en
Histoire, Université Aix-Marseille, 1985. Pour Madagascar, un travail a
été réalisé à l'université de
Madagascar par Dahy Rainibe, L'administration et la justice coloniale : le
district d'Arivonimamo en 1910, Antananarivo, Université de
Madagascar, département d'histoire, 1987, 198 p.
146 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art.
47 et 48.
compétence pénale à ces tribunaux
jusqu'à ce que le décret du 3 décembre 1931 ne mentionne
plus ces juridictions, qui sont réorganisées en 1936 sous
l'appellation de tribunaux de conciliation147.
Au niveau supérieur sont institués les tribunaux
de province qui tranchent en premier ressort les litiges civils et commerciaux
et connaissent de tous les délits, à charge d'appel devant le
tribunal de cercle. Ces juridictions deviennent les tribunaux de subdivision en
1912. Enfin, au niveau de chaque cercle, un tribunal de cercle statue en appel
sur tous les jugements rendus par les tribunaux de province qui lui sont soumis
(au civil comme au pénal) et il connaît de tous les crimes commis
entre indigènes dans son ressort. Les jugements définitifs des
tribunaux indigènes peuvent être déférés en
appel devant le tribunal d'homologation institué en 1903 à la
cour d'appel de l'AOF (à Dakar) qui confirme ou annule le jugement et le
renvoie dans ce dernier cas devant le même tribunal148.
L'évolution pendant l'entre-deux-guerres
Tout en se prévalant de renforcer le respect des
coutumes et d'associer les élites indigènes à la
distribution de la justice, les réglementations prises pendant
l'entre-deuxguerres, en 1924 puis 1931, hiérarchisent en fait plus
fortement le système judiciaire indigène, selon les
intérêts propres du colonisateur. Les tribunaux de subdivision
deviennent les tribunaux de 1er degré et les tribunaux de
cercle les tribunaux de 2nd degré avec le décret du 22
mars 1924. Le décret de 1931 supprime la procédure de
l'homologation devant la cour d'appel de l'AOF et institue un tribunal colonial
d'appel au chef-lieu de chaque colonie149. Il instaure des tribunaux
criminels dans chaque cercle.
En effet, c'est « la nature des procès qui
entraîne leur attribution à des juridictions d'ordre
différent. Ceux de ces procès qui touchent aux moeurs, aux
habitudes des indigènes, à leurs transactions habituelles, ne
dépassent pas le cadre du cercle administratif et sont toujours
jugées en premier ressort comme en appel par les autorités qui
vivent au contact immédiat de nos sujets ; ceux au contraire, qui sont
provoqués par l'exploitation des richesses du pays, par la mise en
valeur des territoires, et qui intéressent ainsi par leur
147 ANB, JOD 1912, op. cit., art. 3 et
JOD 1932, fonds des JO, décret du 3 décembre 1931, art.
1, pp. 129- 130. Claude Deschamps, Les attributions judiciaires des
administrateurs en Afrique Noire, op. cit., pp. 68- 69. Leur
mission de conciliation ne concerne que les matières civiles.
148 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit.,
art. 61 à 68 et JOD 1912, op. cit., art. 21 à 28. Les
jugements des tribunaux de cercle prononçant une peine supérieure
à cinq années d'emprisonnement sont par ailleurs d'office
portés devant le tribunal d'homologation, institué en 1903
à la cour d'appel de l'AOF.
149 Et il reste possible de demander l'annulation des jugements
pour violation de la loi ou incompétence devant la chambre d'annulation
de la cour d'appel de l'AOF.
importance l'évolution économique de la
fédération, sont après un premier examen par le tribunal
de deuxième degré déférés en appel au
tribunal colonial d'appel >>150. Ainsi, les tribunaux de
premier degré connaissent-ils en premier et dernier ressort des affaires
civiles et commerciales dont l'intérêt n'excède pas 500
francs en principal et à charge d'appel devant le tribunal de
2nd degré au-delà de ce seuil. Les infractions ne
relevant pas du tribunal criminel lui sont également
déférées, à charge d'appel devant le tribunal
colonial d'appel. Le tribunal de 2nd degré ne statue donc
plus qu'en matière civile et commerciale151 tandis que le
tribunal criminel connaît les infractions considérées comme
les plus graves152. Parmi celles-ci, on trouve les crimes
déférés en métropole aux cours d'assises comme le
meurtre, les coups et blessures ayant entraîné la mort, le viol,
mais également des atteintes aux intérêts de l'Etat comme
les « attentats ou complots tendant à troubler de quelque
manière que ce soit la paix intérieure de la colonie >> ou
des infractions spécifiques tels que les « actes d'anthropophagie
>>153.
La justice indigène est rendue par un réseau de
tribunaux hiérarchisés qui couvre l'ensemble du territoire de la
colonie. Leurs ressorts évoluent en fonction des limites administratives
des cercles et des subdivisions (photos et tableaux de l'annexe 4). Comme les
circonscriptions administratives, les tribunaux de cercle sont au nombre de 13
en moyenne et les tribunaux de provinces (de subdivisions ou de 1er
degré) de 29 de 1903 à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Leur nombre reste à peu près stable sur cette période et
décroît pendant la Seconde Guerre mondiale (9 tribunaux de
2e degré et 23 tribunaux de 1er degré en
1944)154.
La Figure 3 présente les 13 tribunaux de cercle et les
28 tribunaux de subdivision ou de 1er degré implantés
en 1932 sur l'ensemble du territoire du Dahomey. Les juridictions
indigènes sont concentrées dans le sud du Dahomey, où se
trouve la plus grande partie de la population.
150 ANB, JOD 1932, fonds des JO, rapport au
Président de la République du ministre des Colonies par
intérim présentant le décret du 3 décembre 1931
réorganisant la justice indigène, p. 129.
151 Sur l'appel des jugements des tribunaux de 1er
degré pour les affaires de faible importance ; en premier ressort et
à charge d'appel devant le tribunal colonial d'appel pour les affaires
au-delà de 3000 francs.
152 Ces infractions sont définies à l'article 46 du
décret du 3 décembre 1931. ANB, JOD 1932, op.
cit.
153 ANB, JOD 1932, fonds des JO, arrêté
n°151 AP du gouverneur général de l'AOF promulguant le
décret du 3 décembre 1931 réorganisant la justice
indigène en AOF.
154 Les tableaux 1 et 2 de l'annexe 4 présentent
l'évolution des tribunaux de cercle et de subdivision entre 1900 et 1945
tandis que le tableau 3 en annexe 4 détaille le nombre des tribunaux en
1905, 1911, 1913, 1924, 1932 et 1944.
Figure 3. Tribunaux de cercle et de
subdivision du Dahomey en 1932
Carte élaborée à partir des données
du journal officiel du Dahomey, 1932
D'autres considérations sont parfois mises en avant
pour la création ou la suppression de juridictions. La forte
densité de la population d'une subdivision et l'importance du nombre
d'affaires jugées par un tribunal conduisent à créer deux
tribunaux pour la même subdivision, comme à Porto-Novo le 30 avril
1915 (tribunaux de Porto-Novo ville et banlieue)155.
155 ANB, 1M159(5), fonds du Dahomey colonial, rapport n°375
du lieutenant-gouverneur du Dahomey au gouverneur général de
l'AOF sur le fonctionnement de la justice indigène de juillet 1915.
L'homogénéité des coutumes
appliquées par un tribunal et les conditions d'accessibilité
géographique à cette juridiction sont également mises en
avant par certains administrateurs. Ainsi, le lieutenant-gouverneur du Dahomey
rapporte-t-il en 1915 au gouverneur général que << le
maintien du tribunal de subdivision de Godomey ne se justifiait pas en raison
de la faible densité de la population de ce canton, composé
d'indigènes de même race que ceux du canton de Cotonou et en
raison des facilités de communication entre les deux localités
>>156.
Mais la création ou la suppression de tribunaux
indigènes reste avant tout déterminée par les
évolutions territoriales des divisions administratives
elles-mêmes. Le lien entre circonscriptions administratives et
judiciaires se resserre et le contrôle colonial sur la justice
indigène s'accroît, notamment quand les administrateurs des
cercles et subdivisions président d'office l'ensemble de ces
juridictions à partir de 1924. La différence de composition des
tribunaux français et indigènes souligne en effet la conception
qu'a le pouvoir colonial de la justice indigène, notamment son absence
totale d'indépendance par rapport au pouvoir exécutif.
4. Une composition différenciée des
tribunaux
Des magistrats professionnels dans les tribunaux
français
Jusqu'en 1901, les tribunaux français étaient
composés de membres choisis parmi les fonctionnaires en service dans les
colonies. Or, le gouvernement français entend assurer aux
Européens << une distribution de la justice analogue à
celles qu'ils trouvent dans la métropole >>157.
Le ministre des Colonies estime que << peu
préparés aux fonctions judiciaires, les administrateurs
déjà très absorbés par les multiples occupations
qui leur incombent, se trouvent dans l'impossibilité de solutionner
rapidement les différends qui leur sont soumis et la confusion entre
leurs mains des pouvoirs administratifs et judiciaires peut exposer leurs
décisions à de graves critiques >>158. Par
conséquent, le décret du 6 août 1901 portant organisation
de la justice en Guinée française, en Côte d'Ivoire et au
Dahomey dote les juridictions françaises de ces colonies de magistrats
professionnels : le juge-président et le procureur de la
République, auxquels s'ajoutent un lieutenant de juge (qui remplit
les
156 Ibid., rapport sur le fonctionnement de la justice
indigène pendant le 4ème trimestre 1915, SD.
157 ANB, JOD 1901, fonds des JO, rapport au
président de la République du 6 août 1901, op.
cit., pp. 204- 205.
158 Ibid.
fonctions de juge d'instruction) et un juge suppléant
à partir de 1903 pour les tribunaux de 1ère instance.
Mais la justice française dans les colonies ne jouit
pas de la même indépendance qu'en métropole. D'une part,
les magistrats coloniaux dépendent du ministre des Colonies et non du
ministre de la Justice et ils ne sont pas inamovibles. En d'autres termes, les
magistrats des colonies n'ont pas de garantie d'indépendance à
l'égard des autorités administratives ; ils ne
bénéficient pas des procédures protectrices exorbitantes
du droit commun applicables aux magistrats métropolitains du
siège lorsque l'administration souhaite les exclure de leurs fonctions
publiques ou les déplacer. Le pouvoir administratif peut donc intervenir
dans les affaires judiciaires en écartant un juge et en le
déplaçant dans un autre lieu, ce qui constitue une atteinte au
principe fondamental de la séparation des pouvoirs judiciaire et
exécutif.
D'autre part, le chef du service judiciaire est le procureur
général de l'AOF à Dakar. Ce procureur
général est un magistrat du ministère public
dépendant directement du gouverneur général, et non un
magistrat du siège indépendant. Les juges coloniaux sont donc
très largement dépendants du pouvoir administratif qui
décide de leur carrière. Les gouverneurs veillent à
l'administration de la justice dans leur colonie ; ils peuvent demander des
explications à un magistrat et même le suspendre
provisoirement159. Enfin, les fonctions de juge de paix continuent
à être exercées par les administrateurs des colonies ou par
le président du tribunal de 1ère
instance160, donc par les autorités coloniales
ellesmêmes et non par des magistrats formés à cet effet.
Si le pouvoir colonial estime que la justice française
doit être rendue par des magistrats professionnels, tel n'est pas le
choix retenu pour les tribunaux indigènes.
Le rôle croissant des administrateurs dans les
tribunaux indigènes
En effet, en reprenant les mêmes types d'arguments, le
pouvoir colonial agit dans un sens totalement opposé à
l'égard des juridictions indigènes. Il renforce le rôle des
administrateurs en matière de justice indigène, alors même
qu'il estimait que ceux-ci étaient trop occupés et
incompétents pour intervenir dans les tribunaux français. Ce
faisant, il réduit peu à peu à néant
l'indépendance de la justice indigène à l'égard du
pouvoir administratif. Le ministre des Colonies, Albert Decrais, souligne
dès 1901 que le maintien
159 Saliou Mbaye, Histoire des institutions coloniales
françaises..., op. cit., p. 69.
160 ANB, JOD 1901 et 1903, fonds des JO, op. cit.
ANB, JOD 1902, fonds des JO, arrêté du gouverneur du
Dahomey du 2 juin 1902, p. 134.
pur et simple des anciens tribunaux indigènes ne permet
aucun contrôle administratif sur cette justice.
Dans l'attente d'une réglementation d'ensemble des
tribunaux indigènes, le décret de 1901 autorise les gouverneurs
à organiser les juridictions indigènes. Le tribunal
indigène de Porto-Novo institué par le gouverneur du Dahomey,
bien que présidé par le roi Toffa et composé de chefs, ne
peut fonctionner hors de la présence du Résident, sous peine de
nullité du jugement prononcé en son absence161. Le
traité du 25 juillet 1883 avait en effet institué un tribunal
indigène spécifique à Porto-Novo qui ne se trouvait pas
soumis aux dispositions du décret du 10 novembre 1903, en application de
l'arrêté du gouverneur général du 29 décembre
1904. Cette juridiction spéciale cessa de fonctionner à la mort
du roi Toffa en 1908162.
Le décret de 1903 qui organise l'ensemble des tribunaux
indigènes de l'AOF va dans le même sens. Les nouveaux tribunaux de
cercle sont présidés par l'administrateur de cercle
assisté de deux notables indigènes, musulmans ou non selon le
statut des parties en cause. Parallèlement, les tribunaux de province
restent présidés par des chefs dahoméens et sont
composés de deux notables indigènes (musulmans ou non). Ces
assesseurs sont choisis, à partir de 1924, non plus en fonction de leur
statut confessionnel, mais selon leur origine ethnique, pour représenter
les différentes coutumes des populations de la circonscription
judiciaire.
La présidence indigène est remise en cause par
le décret de 1924 qui impose à cette place l'administrateur, chef
de la subdivision163. Cette réforme est justifiée par
les autorités coloniales locales pour garantir aux justiciables <<
l'impartialité qui faisait trop souvent défaut jusqu'ici
>>164. En effet, les administrateurs ont une vision
très négative de la justice antérieure, dirigée par
les chefs locaux << trop souvent enclins au gain >>165.
Les administrateurs des colonies sont unanimes pour souligner << la
satisfaction >> des chefs et de la population à l'égard de
cette réforme, qui marque l'emprise croissante du pouvoir colonial sur
la justice indigène.
161 ANB, JOD 1902, fonds des JO, arrêté du
gouverneur du Dahomey du 3 août 1902, pp. 182-183.
162 Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., p. 207.
163 En matière civile et commerciale, le tribunal peut
cependant être présidé par un notable indigène
désigné par le lieutenant-gouverneur. ANB, JOD 1932,
op. cit., art. 20.
164 ANB, 1M126(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du
commandant de cercle de Porto-Novo sur le fonctionnement de la justice
indigène pour le 2ème trimestre 1924, SD.
165 Ibid., rapport du commandant de cercle de Zagnanado
sur le fonctionnement de la justice indigène pour le 3ème
trimestre 1924, SD.
Il en est ainsi de l'administrateur du cercle d'Abomey qui
estime que << cette réorganisation constitue un avantage sur
l'état précédent : elle admet tous les chefs principaux de
la circonscription administrative au rang de conseiller, et cette charge qui
leur incombe, loin d'être une contrainte, leur permet de participer
grâce au jeu des remplacements qu'elle autorise à la distribution
de la justice, dont le collège se trouve élargi, les
différentes particularités des statuts mieux
représentées >>.
Le même chef de cercle précise que << les
chefs ont accueilli comme un honneur particulier leur nomination à des
fonctions qui, de leur nature, relevaient déjà autrefois des plus
hautes autorités de la hiérarchie indigène locale. Encore
à cette époque, la violence, la faiblesse, l'arbitraire, la
concussion, la corruption, se mélangeaient au système primitif de
ce gouvernement des peuples >>166.
De même, l'administrateur du cercle du Mono écrit
que << la nouvelle réglementation a été accueillie
avec beaucoup de sympathie par la population, qui bien que ne se rendant pas
encore compte de tous les avantages que la nouvelle organisation a sur
l'ancienne a surtout été frappée cependant par cette
garantie supplémentaire que constitue la présence du chef de
subdivision à la présidence du tribunal de 1er
degré >>167.
Les tribunaux criminels institués en 1931 sont
également présidés par le commandant de cercle, qui se
trouve assisté de deux assesseurs européens et de deux assesseurs
indigènes. Enfin, le tribunal colonial d'appel est présidé
par le président du tribunal de 1ère instance et il
est composé de deux administrateurs des colonies et de deux notables
indigènes. Non seulement les tribunaux indigènes sont
dirigés par les administrateurs français mais les assesseurs, qui
sont des notables dahoméens, sont choisis et révoqués par
le chef de la colonie sur proposition du commandant de cercle. Ces assesseurs
acquièrent voix délibérative à partir du
décret de 1931.
Le pouvoir judiciaire réel se trouve donc
progressivement placé entre les mains du commandant de cercle ou du chef
de la subdivision, qui concentre également tous les pouvoirs
administratifs (chargés du recrutement pour l'armée, de la
perception des impôts, des recensements...) et de police dans sa
circonscription. Ces administrateurs, souvent issus de l'armée au
début de la colonisation puis formés à l'Ecole Coloniale,
reçoivent des enseignements en droit et en linguistique. Mais leur
polyvalence, et souvent aussi leur manque de connaissance des coutumes locales
- ce d'autant plus qu'ils sont amenés à
166 Ibid., rapport du commandant de cercle d'Abomey sur
le fonctionnement de la justice indigène pour le 3ème trimestre
1924, SD.
167 Ibid., rapport du commandant de cercle du Mono sur
le fonctionnement de la justice indigène pour le 3ème trimestre
1924, SD. Les commandants de cercle de Savalou et Holli-Kétou font les
mêmes analyses.
muter fréquemment - rendent difficile l'exercice de la
justice. Leurs pouvoirs quasi illimités et difficilement
contrôlables, notamment dans le cadre du fonctionnement même de la
justice, conduisent également à de nombreux abus168,
sur lesquels nous serons amenés à revenir.
5. Une procédure distincte devant les deux types
de juridictions
Bien que le déroulement des procès devant les
tribunaux indigènes soit largement calqué sur celui des tribunaux
français, il existe d'importantes différences de fonctionnement
tout au long de la procédure entre ces juridictions. Elles sont
justifiées selon le pouvoir colonial par la double
nécessité de conserver les règles judiciaires «
coutumières » et d'exercer un contrôle étroit sur la
justice indigène.
Ce dualisme de procédure se double, par ailleurs, de
différences dans le traitement des affaires civiles et pénales,
dans la mesure où les autorités coloniales exercent au sein des
tribunaux indigènes un contrôle plus poussé encore sur les
affaires pénales que sur les affaires civiles.
La saisine des juridictions
Les différences de procédure concernent tout
d'abord la saisine des juridictions. En matière civile et commerciale,
les parties peuvent directement saisir les tribunaux français ou
indigènes de leurs litiges. En matière correctionnelle, les
tribunaux français peuvent toujours être saisis directement par
les parties ou le ministère public, tandis que les justiciables
indigènes doivent obligatoirement passer par le chef de village, de
province ou l'administrateur pour porter leurs litiges devant le tribunal de
province (puis de subdivision) et le commandant de cercle pour les tribunaux de
cercle. Le décret du 3 décembre 1931 renforce encore le
rôle des administrateurs et limite d'autant les attributions des notables
indigènes : le tribunal de 1er degré ne peut plus
être saisi que par le commandant de cercle ou le chef de subdivision,
soit d'office, soit sur la dénonciation des chefs locaux, soit sur la
plainte de la partie lésée169.
168 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique
Noire de 1800..., op. cit., p. 74.
169 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit.,
art. 38, 39, 50, 51 et 59. En matière criminelle, le tribunal de cercle
est saisi par l'administrateur qui réalise lui-même l'instruction
préalable en ce qui concerne les justiciables indigènes. Pour les
juridictions françaises, c'est le juge chargé de l'instruction
qui remet après son instruction préalable les pièces
à l'officier du ministère public ; celui-ci rend une ordonnance
renvoyant le prévenu devant la chambre des mises en accusation de la
cour d'appel si les charges sont suffisantes. Le procès s'ouvre ensuite
devant la cour d'assises. JOD 1912, op. cit., art. 10, 12,
20. JOD 1932, op. cit., art. 29.
Le déroulement du procès
Une fois les tribunaux français saisis, ils appliquent la
procédure et la législation françaises ; les parties
peuvent être représentées par des
avocats-défenseurs170.
Bien que le décret de 1912 précise que les
formes de la procédure sont celles résultant des coutumes
locales, le procès se déroule de manière similaire devant
les tribunaux indigènes, avec la déposition des témoins,
la présence et les déclarations des parties. Le tribunal est
toujours contraint de motiver ses jugements171, donc de
préciser selon le principe de légalité la
réglementation ou la coutume qui fonde sa décision. Cette
obligation impose une rédaction des jugements et, << autant que
possible », des conciliations faites devant le chef de village ; mais le
pouvoir colonial semble peu entendu sur ce dernier point compte tenu de
l'importance de l'illettrisme au sein de la population et de l'absence de
coutume de l'écrit172. Les audiences devant l'ensemble des
juridictions sont publiques (sauf danger pour l'ordre public ou les moeurs) et
elles se tiennent au siège du ressort judiciaire. Il existe cependant
des audiences foraines pour les jugements civils des tribunaux indigènes
de premier degré173.
Par ailleurs, l'autorité coloniale ne permet pas aux
justiciables indigènes d'être représentés par les
avocats-défenseurs institués en AOF. En effet, le décret
du 10 novembre 1903 avait consacré l'institution d'officiers
ministériels pouvant représenter les parties devant les
juridictions françaises de la fédération : les <<
conseils commissionnés » au Sénégal et les <<
défenseurs » dans les autres colonies de l'AOF, comme la
Guinée et la Côte d'Ivoire. Un arrêté du 26
décembre 1905 les soumet à la même réglementation,
sous l'appellation d'<< avocats-défenseurs ». Ces officiers
ministériels, licenciés en droit, peuvent intervenir dans
l'ensemble du ressort de la cour d'appel de l'AOF. En 1905, leur nombre est
limité à trois au siège de chaque tribunal de
première instance et ils restent sous le contrôle étroit du
procureur général174 et du gouverneur
général. Cette dépendance des avocats-défenseurs
est liée à la crainte du pouvoir colonial de trouver dans cette
profession un ferment de contestation à l'action administrative mais
également au souci d'éviter la
170 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art.
29 à 31, 35, 38 et 85. Sauf dans les affaires civiles et commerciales
entre indigènes pour lesquelles le tribunal peut appliquer les coutumes
locales.
171 Ibid., art. 70. JOD 1912, op. cit.,
art. 10.
172 ANB, 1M159(5), fonds du Dahomey colonial, rapport du
lieutenant-gouverneur du Dahomey au gouverneur général de l'AOF
sur le fonctionnement de la justice pendant le 3ème trimestre
1915.
173 ANB, JOD 1932, fonds des JO, op. cit.,
art. 21. Des audiences foraines avaient été instituées en
toute matière par le décret du 22 mars 1924. Les tribunaux
indigènes doivent en matière civile chercher avant tout la
conciliation des parties.
174 ANB, JOD 1906, fonds des JO rapport au gouverneur
général en conseil de gouvernement suivi de l'arrêté
du 26 décembre 1905 instituant des avocats-défenseurs.
multiplication des procès175. Devant les
juridictions indigènes, l'autorité coloniale autorise tout
d'abord l'assistance judiciaire par un parent ou un notable indigène
domicilié au même lieu que le prévenu mais uniquement en
matière répressive devant le tribunal de cercle176.
Plus tard devant les tribunaux criminels institués en 1931, un
défenseur est désigné d'office par le président de
cette juridiction cinq jours avant l'audience ; il est choisi parmi les
fonctionnaires ou agents européens de la localité. Le
prévenu peut cependant refuser cette assistance et se faire aider dans
sa défense par un parent ou un notable de son lieu de
résidence177.
Plus encore, les tribunaux indigènes doivent appliquer
en toute matière les coutumes locales, sauf si celles-ci sont <<
contraires aux principes de la civilisation française ». Cette
notion reste très vague et peut donner lieu à de grandes
divergences d'interprétation, comme nous le verrons. La seule
précision apportée concerne les châtiments corporels
prévus par la coutume et auxquels les tribunaux indigènes doivent
obligatoirement substituer l'emprisonnement178. Quelques
études sur les coutumes indigènes avaient été
menées, comme par exemple celle rédigée en 1902 par Clozel
et Villamur pour la Côte d'Ivoire179. L'objectif
annoncé dans une instruction de 1905 par le gouverneur
général Roume est de respecter les coutumes, tout en les rendant
conformes aux notions floues du << progrès » et du <<
droit naturel ». Comme le précise ensuite une circulaire de 1931,
le pouvoir colonial attend en réalité une évolution des
coutumes vers les principes essentiels de droit français :
<< Nous ne pouvons en effet imposer à nos sujets
les dispositions de notre droit français manifestement incompatibles
avec leur état social. Mais nous ne saurions davantage tolérer le
maintien à l'abri de notre autorité, de certaines coutumes
contraires à nos principes d'humanité et au droit naturel. Notre
ferme intention de respecter les coutumes ne saurait nous créer
l'obligation de les soustraire à l'action du progrès,
d'empêcher leur régularisation ou leur amélioration. Avec
le concours des tribunaux indigènes eux-mêmes, il sera possible
d'amener peu à peu une classification rationnelle, une
généralisation des usages compatibles avec la condition sociale
des habitants et de rendre ces usages de plus en plus conformes non point
à nos doctrines juridiques métropolitaines qui peuvent être
opposées, mais aux principes fondamentaux du droit naturel, source
première de toutes les législations. »180
175 Bernard Durand, << Les avocats-défenseurs aux
colonies. Entre déontologie acceptée et discipline imposée
», in Bernard Durand (sous la direction de), La Justice et le droit :
instrument d'une stratégie coloniale, rapport remis à la
mission de recherche droit et justice, Montpellier, CNRS, UMR 5815, 2001,
volume 2, pp. 499-539.
176 ANB, JOD 1912, fonds des JO, op. cit., art.
13.
177 ANB, JOD 1932, fonds des JO, op. cit., art.
53.
178 Ibid., art. 20 et 75.
179 CAOM, APC, Papiers Boulmer, FR CAOM 111 APOM 1 et 2, chemise
3, circulaire du 19 mars 1931 du gouverneur général de l'AOF au
lieutenant-gouverneur du Dahomey.
180 Ibid.
Le gouverneur Roume indique en 1905 la nécessité
d'énoncer très clairement ces coutumes, de les regrouper en vue
de la << rédaction d'un coutumier général qui
deviendra la règle des tribunaux indigènes
>>181. Mais cette instruction n'aboutit qu'à
l'élaboration de plusieurs études et coutumiers
dispersés182.
Le mouvement est relancé en 1931 par le gouverneur
général Brevié, qui souligne dans sa circulaire du 19 mars
1931, non seulement l'intérêt de << saisir au vif la coutume
primitive, avant qu'elle soit devenue méconnaissable au contact de notre
civilisation >>, mais également celui d'assurer une unité
du droit indigène, ce qui doit permettre d'échapper au reproche
de l'arbitraire183. Ce mouvement est poursuivi par Marius Moutet,
ministre des Colonies sous le Front Populaire, qui met en place en 1936 un
comité d'étude des coutumes indigènes. Le nouveau ministre
précise sa pensée :
<< Il ne s'agit pas de saisir sur le vif des coutumes
originelles pour en faire une arbitraire codification, mais bien plutôt
d'observer les modifications qu'elles subissent au contact du fait colonial et
d'apprécier le sens et de prévoir la portée de ces
incessantes modifications. Nos protégés, dont la
personnalité juridique se fondait autrefois dans celle de la famille, du
village, du clan, de la tribu s'éveillent à la notion occidentale
de l'individu objet de droits, de personnalité civile et morale.
Déjà nous avons fait disparaître les crimes et
délits rituels, supprimé les châtiments et mutilations
corporels, aboli l'épreuve du poison dont on sait comment il
était dosé, suivant le rang de l'inculpé et
l'intérêt que lui portait le sorcier. Par contre, pour sauvegarder
la race, nous avons ajouté aux actes condamnés par la morale
ancestrale des délits nouveaux : faits de traite, mariage des filles
impubères (...). Partout, il convient de dégager les principes
généraux qui concilieront la souveraineté de notre droit
et le respect des coutumes. >> 184
Ces instructions conduisent à l'élaboration du
coutumier du Dahomey en 1933 qui concerne cependant les seuls litiges civils
et, de manière plus générale, de coutumiers juridiques de
l'AOF, publiés chez Larose en 1939185. Ces coutumiers
rassemblent des coutumes locales très variées. Le coutumier du
Dahomey est d'ailleurs considéré comme beaucoup trop sommaire par
de nombreux administrateurs : << En effet, le coutumier du Dahomey qui en
30 pages expose les coutumes des innombrables peuplades dahoméennes ne
peut être considéré que comme un résumé, je
dirais presque une table des matières, bon
181 Instruction citée par Etienne Le Roy, Les
Africains et l'institution de la Justice..., op. cit., p. 165.
Pour la biographie du gouverneur général Ernest Roume, voir le
dictionnaire biographique en annexe 6.
182 En 1908, le journal officiel du
Haut-Sénégal-Niger publiait des éléments sur les
coutumes fétichistes dans le cercle de Niero, puis en 1909, le
gouverneur Clozel faisait procéder à une vaste enquête au
Haut-SénégalNiger et Delafosse utilisa ce matériau pour
rédiger en 1912 un ouvrage sur les peuples du
Haut-SénégalNiger. L'administrateur Moulins rédigea un
coutumier des Mossis, et une enquête sur l'Islam et les coutumes
coraniques devait être entreprise à la veille de la
Première Guerre mondiale. Pour le Dahomey, une étude sur l'ancien
royaume du Danhomè fut rédigée en 1911 par Le
Hérissé. CAOM, Papiers Boulmer, FR CAOM 111 AOPM 1 et 2, op.
cit.
183 Ibid. Voir sur le gouverneur général
Brevié le dictionnaire biographique en annexe 6.
184 CAOM, Archives privées, Papiers d'agents, Papiers
de Marius Moutet, FR CAOM 28 PA 1, Causerie de Marius Moutet à Radio
Cité sur le comité d'étude des coutumes indigènes,
S.D. Voir pour Marius Moutet le dictionnaire biographique en annexe 6.
185 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la
justice..., op. cit.., p. 165. Firmin Medenouvo, Le coutumier du
Dahomey, Tillières-sur-Avre, Présence Béninoise,
2004.
tout au plus à un débutant d'éviter les
erreurs grossières, mais inutilisables pour trancher les cas
épineux >>, déclare en 1934 le chef de la subdivision
d'Adjohon au commandant du cercle de Porto-Novo186.
Ces codifications élaborent un droit commun coutumier,
ce qui porte atteinte à l'évolution spontanée des
coutumes. Le risque de figer les coutumes est d'ailleurs envisagé par le
gouverneur général Brevié :
<< On a fait à la codification le reproche de
fixer le droit indigène, de lui donner un caractère de
rigidité qu'il n'avait pas auparavant et de retarder son
évolution au contact de notre civilisation. Il y a dans ce grief une
grande part de vérité. Il sera nécessaire de mettre
expressément les magistrats indigènes en garde contre les
routines infrangibles, de bien leur signifier que si la lettre des codes doit
être respectée, il ne leur est pas interdit de
l'interpréter dans le sens des suggestions de l'opinion commune (...),
de laisser libre cours en un mot à l'évolution d'une
jurisprudence semi-prétorienne, dûment contrôlée par
les administrateurs eux-mêmes éclairés par les conseils des
notables>> 187.
Ces coutumes sont par ailleurs adaptées aux principes
et valeurs des Européens, ce qui contribue à les
dénaturer. Ainsi le chef de subdivision de Sakété
estime-t-il que << le coutumier du Dahomey rédigé en termes
laissant à l'interprétation des règles qu'il édicte
assez d'élasticité pour qu'elles puissent être
adaptées suivant les circonstances aux litiges soumis à la
juridiction des tribunaux indigènes, tout en respectant les principes de
notre morale sans heurter trop brutalement les anciennes coutumes locales, dont
certaines sont fort respectables >>188.
En réalité, selon les juristes, les tribunaux
indigènes ne se référent pas aux coutumiers lorsqu'ils
statuent. André-Pierre Robert indique dans son étude sur
l'évolution des coutumes dans l'Ouest africain que les juridictions
semblent même les ignorer et font appel à leur mémoire et
à leur expérience des pratiques coutumières dans la
résolution des litiges189. En effet, ces coutumiers n'ont pas
de valeur officielle et ils ne sont consultés qu'<< à titre
de renseignements >> par les administrateurs en charge de la justice
indigène190.
Par conséquent, les difficultés
d'interprétation amènent le pouvoir colonial à
préciser et encadrer les conditions de l'application des coutumes
locales par les tribunaux indigènes en matière répressive.
Le décret de 1912 ajoute que si les coutumes locales ne sanctionnent pas
les infractions prévues par un décret ou un règlement, il
doit être fait application des sanctions mentionnées à ce
décret. Par ailleurs, les peines applicables sont
186 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, lettre du chef de
subdivision d'Adjohon au commandant de cercle de Porto-Novo n°256 du 29
octobre 1934.
187 CAOM, APC, Papiers Boulmer, FR CAOM 111 APOM 1 et 2, op.
cit.
188 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, lettre du chef de
subdivision de Sakété au commandant de cercle de Porto-Novo du 25
septembre 1934.
189 André-Pierre Robert, L'évolution des
coutumes dans l'ouest africain et la législation française,
Paris, Thèse de droit, Université de Strasbourg, 1954, p. 212.
190 Emmanuelle Saada, << Citoyens et sujets de l'Empire
français..., op. cit., p. 14.
limitativement énumérées191.
Les coutumes ne se trouvent en fait exclusivement appliquées qu'en
matière civile et commerciale, tandis qu'en matière
répressive les juridictions ne doivent que << s'en inspirer »
à partir de 1931, << dans la mesure où il n'en doit
résulter aucune atteinte à l'ordre public
»192.
Différences dans l'exercice du droit d'appel
Enfin, l'exercice du droit d'appel devant les tribunaux
indigènes est beaucoup plus limité que devant les tribunaux
français ; il tend même à se réduire au fur et
à mesure des réformes judiciaires. En effet, les justiciables des
tribunaux de première instance et des justices de paix à
compétence étendue disposent respectivement d'un délai de
quatre et trois mois pour faire appel des jugements rendus en premier ressort
en matière civile, commerciale et correctionnelle, devant la cour
d'appel de l'AOF. Ils peuvent ensuite demander l'annulation du jugement devant
la cour de cassation française, conformément à la
législation métropolitaine193. Les justiciables des
tribunaux indigènes de province ne disposent en revanche que de deux
mois à partir du prononcé du jugement pour faire appel des
jugements civils contradictoires, et ce délai passe à un mois
à partir de 1912194. Les jugements correctionnels rendus par
les mêmes tribunaux ne peuvent quant à eux être soumis par
les justiciables en appel devant le tribunal de cercle, puis le tribunal
colonial d'appel, que dans les 10 jours suivant le prononcé du jugement.
Ce délai passe à 15 jours avec le décret de 1931, mais
parallèlement, les magistrats et fonctionnaires du ministère
public près le tribunal colonial d'appel disposent pour leur part de
trois mois pour faire appel195. Les jugements des tribunaux de
subdivision et de cercle ne sont pas susceptibles de pourvoi en cassation, mais
ils peuvent être soumis pour homologation ou annulation devant la chambre
spéciale de la cour d'appel de l'AOF196. Enfin, les
condamnés des
191 Ibid., art. 36 à 38. Il s'agit de la peine
de mort, de l'emprisonnement à perpétuité ou pour une
durée maximale de 20 ans, de l'interdiction de séjour, de
l'amende et enfin de la contrainte par corps pour le recouvrement des amendes
pour une durée maximale de deux années.
192 ANB, JOD 1932, op. cit., art. 6 et 10.
La circulaire du gouverneur général de l'AOF du 7 mai 1937
n°290/AP/2 précise que << le respect des traditions locales
constitue (...) l'un des principes essentiels de notre doctrine coloniale
(...). Si en matière répressive, en effet, le texte dont il
s'agit [le décret du 3 décembre 1931] peut apporter, à
l'application de la coutume, certaines restrictions motivées par la
gravité même des infractions commises ou la
nécessité de maintenir l'ordre public et d'assurer la sauvegarde
des principes fondamentaux de notre civilisation, il n'en consacre pas moins
absolument et exclusivement l'autorité en matière civile et
commerciale ». ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial.
193 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art.
36, 37 et 40.
194 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art.
52, puis JOD 1912, op. cit., art. 11.
195 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit., art.
52, puis JOD 1912, op. cit., art. 14, puis JOD 1932,
op. cit., art. 26 et 33.
196 ANB, JOD 1912, fonds des JO, op. cit., art.
21.
juridictions indigènes bénéficient d'un
droit de recours en grâce auprès du chef de l'Etat (article 44 du
décret de 1912197).
En fait, les réformes judiciaires successives, en
renforçant le contrôle colonial sur la justice indigène,
réduisent le respect de la procédure << coutumière
>>. Le ministre des Colonies justifie cela en 1931 par le nouveau
<< stade d'évolution >> des colonies de l'AOF, qui implique
d'assurer de nouvelles garanties judiciaires aux indigènes et donc
d'étendre plus largement la procédure française aux
tribunaux indigènes198. La procédure criminelle des
tribunaux français est alors appliquée aux tribunaux criminels
indigènes199. De même, le pouvoir colonial n'avait pas
au départ envisagé la prescription des actions civiles ou
pénales devant les tribunaux indigènes, contrairement à la
législation française. Le décret de 1912 introduit la
prescription de 5 ans pour les actions civiles mais il précise qu'en
matière répressive, les infractions prévues par la coutume
ne sont pas prescriptibles. Ce n'est qu'avec l'affaiblissement du principe
d'application des coutumes par les tribunaux que le décret du 3
décembre 1931 impose les prescriptions de la législation
métropolitaine aux affaires pénales entre
indigènes200.
Les réformes de la justice indigène,
guidées selon le ministre des Colonies par le << respect des
coutumes indigènes, l'association de nos sujets à la distribution
de la justice >>, << l'octroi aux justiciables de garanties
nouvelles >> répondent également, et peutêtre
surtout, au souci d'un << contrôle juridictionnel des
décisions >>201.
6. Un contrôle très poussé de la
justice indigène
Le contrôle de la justice indigène est
réalisé, sous la direction du procureur général de
l'AOF qui est aussi chef du service judiciaire, par les lieutenants-gouverneurs
de chaque colonie. A partir de 1901, des états trimestriels et des
documents statistiques de l'administration de la justice doivent
déjà être adressés au procureur
général, puis transmis
197 La question de l'application dans les colonies du droit
pour les condamnés de demander leur grâce au président de
la République s'était posée avant 1912, bien que cette
procédure n'ait pas été prévue par le décret
du 10 novembre 1903. Le gouverneur général Ponty avait
précisé dans une circulaire du 30 mars 1906 qu'<< il est
hors de doute qu'il serait contraire à tout principe de droit et de
civilisation de ne pas donner à un indigène condamné
à la peine de mort la faculté d'établir un recours en
grâce >>. ANB, JOD 1906, fonds des JO. Le décret de
1912 vient donc ensuite préciser ce droit pour les condamnés des
juridictions indigènes. Voir dictionnaire biographique en annexe 6.
198 ANB, JOD 1932, fonds des JO, op. cit.,
rapport au Président de la République du 3 décembre
1931.
199 Après l'instruction préalable, le
ministère public saisit le tribunal colonial d'appel qui
détermine en tant que chambre d'accusation si les faits soumis doivent
ou non être portés devant le tribunal criminel (art. 62 à
64 du décret du 3 décembre 1931).
200 ANB, JOD 1912, fonds des JO, op. cit.,
art. 46, puis JOD 1932, op. cit., art. 17. D'autres
règles métropolitaines sont appliquées aux juridictions
indigènes par le décret du 3 décembre 1931, telle que la
majorité pénale à 16 ans.
201 ANB, JOD 1932, fonds des JO, op. cit.,
rapport au Président de la République du 3 décembre
1931.
au ministre des Colonies202. Avec l'organisation de
la justice indigène en 1903, son contrôle se précise. Les
jugements des tribunaux indigènes, avec certaines mentions obligatoires,
doivent être transcrits à leur date sur un registre spécial
paraphé par l'administrateur de cercle203. Puis un
relevé de tous les jugements des tribunaux de province doit être
envoyé chaque mois, mais uniquement en matière
correctionnelle204. Le contrôle sur les décisions de
justice s'étend avec les réformes successives de 1924 et 1931.
D'abord, le nombre de mentions obligatoires portées aux jugements
croît fortement, notamment en matière
répressive205. Ensuite, des notices de jugements sont
transmises mensuellement pour l'ensemble des affaires civiles et pénales
par les juridictions du 1er mais aussi du 2e degré et du
tribunal criminel au lieutenant-gouverneur (et au procureur
général pour les jugements des tribunaux de 2e
degré). Le lieutenant-gouverneur adresse alors ses remarques sur les
notices envoyées. Enfin, le commandant de cercle et l'inspecteur des
affaires administratives contrôlent périodiquement les registres
de jugements206.
Le pouvoir colonial porte une attention particulière au
contrôle et au respect des principes de la justice répressive
indigène afin de renforcer sa légitimité et son
autorité. Les circulaires successives du gouverneur
général ou du lieutenant-gouverneur insistent sur ce point :
<< Le commandant de cercle a l'impérieux devoir
de surveiller strictement l'action répressive des tribunaux de premier
degré (...). Par l'examen de leurs registres, il peut prendre
connaissance de toutes les décisions rendues ; si certaines lui
paraissent contestables, il vous les signale (...). En appliquant cette
méthode, le commandant de cercle aura la possibilité de faire
redresser à bref délai les décisions entachées
d'erreur ; son autorité ne pourra qu'y gagner. »207
De même, les autorités coloniales insistent pour
que les notices adressées mensuellement soient établies
convenablement. Ainsi, en 1917, le lieutenant-gouverneur du Dahomey, Fourn,
souligne-t-il : << mon attention vient d'être attirée sur
les conditions défectueuses dans lesquelles sont établies
certains des états de jugement que vous
202 ANB, JOD 1901, fonds des JO, op. cit., art.
32.
203 ANB, JOD 1904, fonds des JO, op. cit.,
art. 70 et 71. Les jugements doivent mentionner l'énoncé sommaire
des faits, les conclusions et les déclarations des parties, les
dépositions des témoins et les noms des juges qui ont
participé à la décision.
204 Ibid., art. 72. Les tribunaux doivent mentionner les
jugements civils, répressifs et rendus en appel sur des registres
distincts.
205 Les notices doivent contenir, outre les anciennes
mentions, la coutume du lieu, l'identité du prévenu, la date du
mandat de dépôt, la date, le lieu et la nature de l'infraction, la
peine prononcée, le texte appliqué et le cas
échéant la mention de l'appel interjeté. Les notices des
jugements des tribunaux criminels doivent également mentionner le nom du
conseil du prévenu.
206 Ibid., art. 94 à 105. Une notice des actes
d'instruction criminelle en cours est également envoyée
mensuellement par le président du tribunal criminel au
lieutenant-gouverneur.
207 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire
n°171 du 30 avril 1935 du gouverneur général de l'AOF aux
gouverneurs des colonies.
m'adressez mensuellement. (...) Il m'a été
donné d'observer que certaines sentences n'étaient pas
motivées d'une façon précise et que les
références à la coutume du pays sont presque toujours trop
brèves et parfois même inexistantes >>208. Le
pouvoir colonial est donc soucieux que les jugements rendus soient toujours
juridiquement fondés et que ce fondement soit clairement
affiché.
La situation ne semble pas s'améliorer par la suite. En
1936, le gouverneur général de l'AOF constate de nombreuses
erreurs dans les notices, avec des carences dans les mentions obligatoires et
le dépassement du délai mensuel pour l'envoi de ces notices de
jugements209. Ces circulaires, ainsi que les correspondances du
lieutenant-gouverneur sur ce sujet, mettent en relief l'importance des
irrégularités et des erreurs commises dans le cadre des
procès devant les tribunaux indigènes. Le lieutenant-gouverneur
en arrive à menacer les administrateurs des colonies qui ne prennent pas
en compte ses remarques, soulignant ici encore l'absence d'indépendance
de la justice :
<< Je remarque que ce sont toujours les mêmes
observations qui vous sont faites, soit par le contrôle du bureau
politique, soit par celui du parquet général. Elles m'incitent
à croire qu'il n'en est tenu aucun compte par les fonctionnaires
chargés de la justice indigène (...). Un relevé sera fait
au bureau politique au nom de chaque président de tribunal de cercle et
il sera tenu le plus grand compte au moment des travaux d'avancement du plus ou
moins grand nombre d'observations qui auront été faites sur la
même question de doctrine ou de forme. >>210
Le contrôle exercé sur une justice
indigène dite << simplifiée >> et << rapide
>> souligne le double souci du pouvoir colonial d'assurer le respect de
la forme et d'asseoir juridiquement les décisions de justice, donc de
les légitimer, tout en faisant fonctionner une justice relativement
éloignée de celle d'un Etat de droit. Le souci de fonder les
jugements et de contrôler le respect des formes dépasse le cadre
judiciaire stricto sensu pour concerner l'ensemble des décisions
répressives prises par le pouvoir colonial, y compris celles prises en
application du Code de l'indigénat.
C. La cohabitation de la justice indigène avec
le Code de l'indigénat
Le contrôle s'exerce non seulement sur la justice
indigène << officielle >> mais aussi sur la << justice
arbitraire >> fonctionnant parallèlement, celle du Code de
l'indigénat.
208 ANB, 2M137(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire
n°1543 du 9 octobre 1917.
209 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire
n°332 du 15 juin 1936. Dans le même sens, circulaires du 15 janvier
1935 et du 29 janvier 1936.
210 Ibid., télégramme-lettre officiel
n°1480 APA du 8 avril 1937 du lieutenant-gouverneur par intérim du
Dahomey au commandant de cercle de Porto-Novo.
1. Le « Code de l'indigénat », de
multiples règlements au service de l'ordre colonial
Si la France instaure des tribunaux indigènes pour
régler les litiges entre les Dahoméens, elle se réserve le
droit, quand son autorité risque d'être remise en cause,
d'appliquer aux << sujets français » (ou indigènes)
des sanctions disciplinaires sans avoir à en justifier devant
l'autorité judiciaire. Il s'agit bien d'une justice arbitraire
édictée en Algérie en 1881211, puis reprise
dans les autres colonies en Indochine212 et en Afrique. Au
Sénégal, puis dans les autres colonies d'Afrique occidentale, le
décret du 30 septembre 1887 autorise les administrateurs des colonies
à punir de 15 jours d'emprisonnement et/ou de 100 francs d'amende au
maximum les indigènes non citoyens français qui ont commis une
<< infraction spéciale », c'est-à-dire un acte ou une
omission portant atteinte à l'ordre colonial213. Plusieurs
décrets et arrêtés locaux déterminent ces nombreuses
infractions spéciales, telles que la négligence dans le
règlement de l'impôt ou dans l'exécution des prestations en
nature dues à l'autorité coloniale, le refus de répondre
à la convocation de l'administrateur, un acte irrespectueux ou offensant
à l'égard d'un agent de l'autorité, des propos tenus en
public dans le but d'affaiblir l'autorité, etc.214 En outre,
le lieutenantgouverneur puis, à partir de 1902, le gouverneur
général, peut, en conseil du gouvernement, ordonner l'internement
d'indigènes ou le séquestre de leurs biens lorsqu'ils sont
coupables << d'insurrection contre l'autorité de la France, de
troubles politiques graves
211 Sur l'instauration du régime de l'indigénat
en Algérie, on peut utilement se référer à la
lecture de Jacques Aumont-Thieville, Du régime de l'indigénat
en Algérie, Thèse pour le doctorat en droit, Paris, 1906 ;
Charles-Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France
(1871-1919), tome 1er, Paris, PUF, 1968, pp. 165-176 ; Jacques
Fremeaux, << Justice civile, justice pénale et pouvoirs
répressifs en territoire militaire (1830-1870) », in La justice
en Algérie (1830-1962), Paris, 2005, pp. 31-44 ; Laurent
Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit.,
chapitre 1, Le Laboratoire algérien, pp. 31-66.
212 La loi du 28 juin 1881 accorda aux administrateurs des
communes mixtes d'Algérie, en territoire civil, le droit d'appliquer des
peines de simple police en cas d'infractions spéciales. Le 25 mai 1881,
un décret autorisa le fonctionnement de l'indigénat en
Cochinchine. Puis d'autres réglementations locales furent ensuite
adoptées, comme un décret de 1887 qui mit en oeuvre le
régime de l'indigénat en NouvelleCalédonie. Laurent
Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit.,
p. 67. Isabelle Merle signale que le régime de l'indigénat a
été étendu en 1887 à l'Annam, au Tonkin, au Laos et
aux Iles-sous-le-vent, en 1897 au Cambodge, en 1898 à Mayotte et
Madagascar, en 1901 à l'AEF, en 1907 à la Côte des Somalis
et au Togo et Cameroun en 1923 et 1924. Isabelle Merle, << De la
«légalisation» de la violence en contexte colonial. Le
régime de l'indigénat en question », Politix, 2004,
vol 17, n°66, p. 142. Voir aussi Anthony Ijaola Asiwaju, «Control
Through Coercion : a Study of the Indigénat Regime in French West
African Administration, 1887- 1946», Bulletin de l'Institut
fondamental d'Afrique noire, série B, vol. 41 (1), 1979, pp.
35-75.
213 Ce maximum des peines pouvait être réduit
dans chaque colonie par arrêté du gouverneur, comme ce fut le cas
au Dahomey avec l'arrêté du 15 mars 1899 qui limita le maximum des
peines disciplinaires à 8 jours de prison et 50 francs d'amende. Mais
d'autres arrêtés revinrent postérieurement sur cette
limitation.
214 Le décret du 12 octobre 1888 porte une
première énumération de ces infractions spéciales,
Saliou Mbaye, Histoire des institutions coloniales
françaises..., op. cit., pp. 72-73. Un arrêté
du lieutenant-gouverneur du Dahomey du 18 février 1905 donne une
nouvelle liste des infractions spéciales. ANB, JOD 1905, fonds
des JO, p. 50. Plusieurs autres décrets et arrêtés locaux
sont pris par la suite.
ou de manoeuvres susceptibles de compromettre la
sécurité publique >>215. Les gouverneurs des
colonies peuvent enfin imposer des amendes collectives pour
désobéissance ou révolte. Selon Le Roy, << à
l'Etat de droit en métropole, l'indigénat substitue un «Etat
d'exception» fondé sur la notion d'ordre public colonial
>>216.
Le décret du 7 décembre 1917 rassemble en un
<< Code de l'indigénat >>217 l'ensemble de la
réglementation portant sur ce point en AOF ; il prévoit en outre
la contrainte par corps en cas de non paiement de l'amende infligée
disciplinairement218. Les pouvoirs disciplinaires initialement
conférés aux administrateurs commandants de cercle étaient
en fait souvent délégués aux adjoints, commis et officiers
chargés de fonctions civiles. Le ministre des Colonies souligne dans une
dépêche du 31 octobre 1912 que << Mr l'Inspecteur Reinhart
signale que cette extension de dispositions limitatives a été
concentrée en faveur des chefs de poste aux termes mêmes d'une
circulaire du lieutenantgouverneur de la Côte d'Ivoire en date du 3
novembre 1910 «par analogie», alors que le même document
précise que les pouvoirs disciplinaires ne sont confiés qu'aux
seuls administrateurs, commandants de cercle >>219. Il ajoute
qu'il s'agit là d'une interprétation irrégulière du
texte de 1887. Le décret du 12 septembre 1913 précise alors que
les administrateurs ne peuvent déléguer les pouvoirs de
l'indigénat qui doivent être conférés par
décisions des gouverneurs aux agents civils dans les postes ainsi qu'aux
officiers commandants de cercle ou de secteur220. A partir de cette
date, les gouverneurs doivent par ailleurs fixer les limites des agents dans
leur pouvoir d'utiliser le Code de l'indigénat.
215 Le gouverneur général peut prononcer au
maximum 10 années d'internement selon le décret du 21 novembre
1904. Ibid., p. 73. Laurent Manière indique que 20
personnalités furent internées ou interdites de séjour
entre 1894 et 1904 au Dahomey, dont Béhanzin et Agoli-Agbo. Ensuite,
entre 1905 et 1913 le recours à l'internement se restreint, avec 6
individus sanctionnés entre 1905 et 1913. Le nombre d'internements
augmente pendant la Première Guerre mondiale, du fait des
révoltes dans tout le Dahomey consécutives à
l'accroissement des exigences liées à l'effort de guerre : entre
1914 et 1919, on compte 24 internements. L'internement continue d'être
une arme largement utilisée par le pouvoir colonial après la
réforme du Code de l'indigénat en 1924, avec 196 personnes
internées ou mises en résidence obligatoire, mais la
répression chute après 1933 et la part du Dahomey reste
limitée. Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., pp. 105, 205 et 279.
216 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la
Justice..., op. cit., p. 104.
217 Sophie Dulucq, Jean-François Klein, Benjamin Stora
(sous la direction de), Les mots de la colonisation, << Code de
l'indigénat >>, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2008,
p. 27.
218 La contrainte par corps varie de 1 à 5 jours
d'emprisonnement pour une amende de 1 à 15 francs, de 5 à 10
jours d'emprisonnement pour une amende de 16 à 50 francs et de 10
à 15 jours de prison pour une amende de 51 à 100 francs.
219 Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., p. 230.
220 ANB, JOD 1913, fonds des JO, décret du 12
septembre 1913 du ministre des Colonies promulgué en AOF par
arrêté du gouverneur général le 5 octobre 1913, p.
588.
2. Les justifications de l'indigénat mises
à l'épreuve des réalités
Le pouvoir colonial justifie ce système
dérogatoire au droit commun par la nécessité
d'établir son autorité sur des territoires récemment
conquis. La circulaire du 10 juillet 1918 explique que << le
régime de l'indigénat est un régime d'exception
répondant à la situation politique actuelle du pays dont
l'administration nous est confiée, mais qui doit se modifier
constamment, au fur et à mesure des progrès
réalisés par nos populations indigènes, pour
disparaître un jour >>221.
Dans le même temps, les autorités soulignent le
besoin de réglementer les sanctions administratives prises en dehors de
tout procès dans le but d'en limiter l'arbitraire : l'adoption du Code
de l'indigénat << fut une mesure libérale pour les
indigènes qui jusquelà étaient brutalisés sans
pouvoir recourir à aucune protection légale >> explique
à la chambre le député de Cochinchine Le Myre de Vilers en
1900222. Une circulaire du gouverneur général de l'AOF
du 3 février 1900 rappelle d'ailleurs aux administrateurs de cercle
qu'ils sont tenus de respecter la réglementation de 1887 limitant les
sanctions disciplinaires à 15 jours de prison. Il précise que si
un de ses prédécesseurs les a autorisés à infliger
<< des peines allant jusqu'à 6 mois de prison (...) la
légalité des peines ainsi infligées est assurément
contestable >>, et que les administrateurs ne doivent pas se substituer
aux juges223. Le Code de l'indigénat correspondrait alors
à un processus de limitation et de << légalisation >>
de la violence coloniale224.
Les sanctions disciplinaires sont également
justifiées selon le pouvoir colonial par l'absence d'organisation
adaptée de la justice indigène à la répression de
certains règlements de l'autorité publique225. Le
régime de l'indigénat est en effet conçu comme
évolutif. Edouard Daladier, devenu ministre des Colonies après la
victoire des gauches aux élections de 1924, explique dans un rapport au
Président de la République du 15 novembre 1924 que le
régime normal des colonies est celui d'une intervention judiciaire
généralisée, mais qu'<< en attendant que les
progrès de la société indigène permettent de faire
partout et
221 Cité par Saliou Mbaye, Histoire des institutions
coloniales françaises..., op. cit., p. 74.
222 Cité par Denise Bouche, Histoire de la
colonisation française, Flux et reflux (1815-1962), tome 2, Paris,
Fayard, p. 146. Alice L. Conklin précise également que
la réglementation sur l'indigénat permet de fixer des limites
à la violence coloniale initiale. Alice L. Conklin, A Mission to
Civilize. The Republican Idea of Empire in France and West Africa,
1895-1930, Stanford, 1997, 367 p.
223 ANB, JOD 1900, fonds des JO, circulaire du
gouverneur général de l'AOF le 3 février 1900.
224 Isabelle Merle, << De la
«légalisation»... >>, op. cit., p. 138.
225 ANB, JOD 1913, fonds des JO, circulaire du
gouverneur général de l'AOF du 28 septembre 1913 relative aux
pouvoirs disciplinaires des administrateurs coloniaux, pp. 590-591.
pour tous appel aux tribunaux, il fallait maintenir, de
façon toute exceptionnelle, l'action administrative
>>226.
Mais le Code de l'indigénat est maintenu au-delà
même de la phase dite de << pacification >> des colonies de
1900 à 1920, c'est-à-dire après l'affaiblissement des
révoltes à l'ordre colonial dans les différents
territoires. Il continue également d'être appliqué
malgré l'instauration de juridictions indigènes
compétentes à l'égard des infractions aux
règlements de l'autorité publique227. Certes, le
décret du 15 novembre 1924 soumet le régime de l'indigénat
à des règles plus précises et en réduit la rigueur
: de nombreuses infractions qui étaient sanctionnées par voie
disciplinaire relèvent progressivement des tribunaux de droit
commun228. Ce décret, complété par celui du 29
mai 1936, impose également aux administrateurs de tenir un registre
spécial de toutes les punitions infligées et il écarte
certaines catégories sociales de son application, comme les
indigènes ayant servi durant la guerre dans les troupes coloniales,
ainsi que leurs enfants et leurs femmes, les chefs de province ou de canton,
les agents réguliers des cadres de l'administration, les membres des
assemblées délibérantes et consultatives ou encore les
assesseurs près des tribunaux indigènes ou les indigènes
ayant obtenu une décoration ou titulaires du brevet
élémentaire, ou commerçants patentés229.
Enfin, ce texte de 1924 réduit les peines encourues de 15 à 5
jours de prison et de 100 à 15 francs d'amende, bien qu'il
précise dans le même temps que les anciennes peines pouvaient
être maintenues dans les régions les plus rebelles ou
insoumises230.
Le régime << d'exception >> prévu
pour une période transitoire perdure dans les faits jusqu'au
décret du 22 décembre 1945 qui impose sa suppression en 1946,
reporté périodiquement par arrêtés
successifs231. Bien que certaines personnes échappent
progressivement aux sanctions disciplinaires, en raison de leurs fonctions ou
des services
226 Denise Bouche, Histoire de la colonisation
française..., op. cit., p. 146.
227 Laurent Manière souligne qu'en 1910, l'inspecteur
Demaret constatait que les tribunaux de village qui auraient dû
décharger les administrateurs d'une partie de leurs attributions
n'étaient entrés nulle part en fonction, à l'exclusion du
cercle de Djougou. Le transfert espéré d'une partie de cette
répression vers les tribunaux de village n'a donc pas eu lieu. Laurent
Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit.,
p. 202.
228 Par exemple les faux renseignements donnés à
l'administration à partir de l'arrêté général
du 20 juin 1925. ANB, 1M177(1), fonds du Dahomey colonial, jugements du
tribunal de 1er degré d'Abomey le 2 novembre 1938 n°282,
285 et du 22 novembre 1938 n°310.
229 Saliou Mbaye, Histoire des institutions coloniales
françaises..., op. cit., p. 75. Claude Deschamps, Les
attributions judiciaires des administrateurs en Afrique Noire, op.
cit., pp. 90-92.
230 Mamadou Dian Chérif Diallo, Répression et
enfermement en Guinée, op. cit., p. 86.
231 ANB, JOD 1932, fonds des JO, arrêté
n°2459 AP du 26 octobre 1931 maintenant provisoirement dans certaines
régions de l'AOF les dispositions du décret du 30 septembre 1887,
succédant lui-même aux arrêtés du 20 juin 1925, du 5
décembre 1927 et du 30 septembre 1929.
rendus, la majeure partie des populations des colonies reste
soumise au Code de l'indigénat jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale.
3. Un Code de l'indigénat ou un enseignement
pratique de la discipline ?
Qualifiée de manière inappropriée de
<< code >>, la réglementation sur l'indigénat
rassemble en réalité un ensemble de textes épars qui n'ont
jamais été compilés à l'échelle de
l'ensemble des colonies232. Bien qu'ils soient successivement
reportés, les règlements sur l'indigénat sont
conçus comme des normes transitoires. Ils ne pouvaient donc faire
l'objet d'une codification qui suppose la volonté de pérenniser
des règles juridiques en les organisant de manière
rationnelle233. Par ailleurs et contrairement à un code, la
réglementation sur l'indigénat ne touche pas une matière
déterminée mais elle vise une catégorie d'individus, ceux
qui n'ont pas le statut de citoyens français ou européens dans
les colonies : les << sujets français >>, autrement
appelés << indigènes >>. Mais elle cible cette
population seulement dans ses rapports au colonisateur. En effet, si les
infractions spéciales de l'indigénat sont très
variées, depuis la négligence dans le paiement de l'impôt
jusqu'au refus de se rendre à une convocation, toutes sont
considérées de nature à porter atteinte à
l'autorité coloniale. Le Code de l'indigénat contribue à
structurer les relations entre la minorité colonisatrice et la masse
colonisée.
Les infractions prévues dans ce << code >>
sont punies de sanctions dites << disciplinaires >>.
L'autorité coloniale est, du début de la conquête jusqu'au
lendemain de la Première Guerre mondiale, essentiellement militaire. Ce
pouvoir est peu accoutumé au langage juridique et les termes de <<
sanctions disciplinaires >> relèvent davantage du vocabulaire
militaire que de la terminologie juridique. Par ailleurs, la notion de
sanctions disciplinaires revêt un sens différent dans les colonies
et en métropole. Les sanctions disciplinaires correspondent en France
métropolitaine à la répression des atteintes à
l'honneur d'une profession tandis que, dans le contexte colonial, elles ont
pour objet d'assurer le prestige dû aux représentants de la
souveraineté française. Plus qu'un code au sens juridique du
terme, le régime de l'indigénat constitue une police des
conduites, une
232 Laurent Manière indique dans sa Thèse sur
le Code de l'indigénat..., op. cit., p. 13, la
difficulté de rendre compte avec clarté du dispositif compte tenu
de l'enchevêtrement des nombreux textes relatifs à l'organisation
de l'indigénat ; il a pu recenser 15 décrets, 27
arrêtés et 40 circulaires pour toute l'AOF et 4
arrêtés et 8 circulaires pour le Dahomey. Isabelle Merle souligne
également que le terme de << code >> a rarement
été utilisé par les juristes eux-mêmes et plusieurs
projets de << code de l'indigénat >> ou de << code
pénal spécial >> furent présentés mais
n'aboutirent jamais. Isabelle Merle, << De la
«légalisation»... >>, op. cit., p. 142. Voir
aussi Sophie Dulucq, Jean-François Klein, Benjamin Stora (sous la
direction de), Les mots de la colonisation, << Code de
l'indigénat >>, op. cit., p. 27.
233 Isabelle Merle, op. cit., p. 142.
discipline du corps et de l'esprit des colonisés
à l'égard des colonisateurs234. Michel Foucault a mis
en évidence dans son ouvrage « Surveiller et punir >> la
construction en France depuis la fin du XVIIIème
siècle d'un arsenal de mesures destinées à discipliner la
société dans le cadre de la nouvelle société
industrielle. La police, la prison, mais également toutes les instances
des pouvoirs dans la société, telles que l'armée,
l'école ou l'atelier, contribuent à accoutumer le peuple à
l'ordre et à l'obéissance. Michel Foucault met en relief la
fonction de la discipline comme outil de hiérarchisation sociale :
« Alors que les systèmes juridiques qualifient les
sujets de droit, selon des normes universelles, les disciplines
caractérisent, classifient, spécialisent ; elles distribuent le
long d'une échelle, répartissent autour d'une norme,
hiérarchisent les individus les uns par rapport aux autres, et à
la limite disqualifient et invalident. >>235
Or dans les colonies, le colonisateur est un
élément exogène par rapport à une discipline
sociale qui lui préexiste. Le pouvoir colonial peut s'appuyer sur les
instances disciplinaires déjà établies ou qu'il recompose
(chef de famille, chef de village, chef de canton et notables), mais il
établit également une discipline à l'usage de l'ensemble
du peuple assujetti à son égard. Les infractions spéciales
représentent donc un outil de cette nouvelle discipline et
hiérarchie sociale.
Le Code de l'indigénat est dans le même temps un
instrument au service des impératifs administratifs et
économiques des colonies. Comme le souligne Laurent Manière,
pendant la période 1907-1934, « les pouvoirs disciplinaires ne
servirent plus seulement à réprimer pour des objectifs de
maintien de l'ordre public mais à contraindre massivement les
indigènes pour les nécessités administratives et
économiques des colonies >>236. Cette période
est alors marquée par un accroissement important des sanctions
disciplinaires mais également la recherche de limites à
l'arbitraire de l'indigénat, avec un contrôle accru mais
impuissant pour limiter les abus inhérents au mode de fonctionnement du
Code de l'indigénat.
4. Des pratiques abusives malgré le contrôle
des sanctions disciplinaires
Le Code de l'indigénat constitue un pouvoir
répressif arbitraire entre les mains des administrateurs et donne lieu
à de nombreux abus. Les multiples circulaires du gouverneur
général et des lieutenants-gouverneurs, en appelant les
administrateurs à la modération,
234 Emmanuelle Saada éclaire cette conception du
régime de l'indigénat par le souci de maintenir le respect
dû à la dignité des colonisateurs, à leur prestige
dans l'article Emmanuelle Saada, « Citoyens et sujets de l'Empire
français..., op. cit., pp. 2-24.
235 Michel Foucault, Surveiller et Punir, op.
cit., p. 259.
236 Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., p. 27.
manifestent le caractère massif et abusif du recours au
Code de l'indigénat dans les cercles des colonies.
Le gouverneur général de l'AOF rappelle en 1913
<< la portée parfaitement circonscrite >> des pouvoirs
disciplinaires des administrateurs :
<< Ils ne sauraient donc intervenir en toute
circonstance et indifféremment pour toute infraction. Il est
nécessaire pour que leur application soit régulière
qu'elle ait été nettement prévue par les
arrêtés ou décisions des lieutenants-gouverneurs ou du
gouverneur général. D'autre part, nous ne devons jamais perdre de
vue que la répression par voie disciplinaire constitue un régime
essentiellement d'exception. A mon sentiment, les autorités locales et
les administrateurs dans les colonies sont trop facilement portés
à ne voir dans l'indigénat que le régime répressif
normal à l'égard de l'autochtone. C'est là une erreur
regrettable. >>237
Un autre gouverneur général écrit encore en
1935 :
<< J'ai déjà appelé l'attention des
fonctionnaires européens sur les graves conséquences qui peuvent
découler pour eux de mauvais traitements infligés aux
indigènes. Je vous serais obligé de les mettre à nouveau
formellement en garde contre de tels manquements dont il faut obtenir
résolument la disparition. >>238
Un contrôle des sanctions disciplinaires est pourtant
exercé. Les peines doivent être inscrites sur un registre
spécial adressé au supérieur hiérarchique à
la fin de chaque mois pour contrôle. Le commandant de cercle peut annuler
ou modifier une décision du chef de subdivision et le gouverneur peut en
faire autant pour une décision du commandant de cercle. Les exemples
sont nombreux où les administrateurs des colonies doivent fournir des
explications sur les sanctions infligées. Ainsi, le commandant de cercle
d'Abomey explique-t-il au gouverneur du Dahomey le 3 février 1939 qu'une
cinquantaine d'indigènes << se sont présentés en
masse devant la résidence d'Abomey pour déposer une lettre dans
laquelle ils déclaraient ne vouloir faire partie ni du canton
d'Allahé ni du canton de Sagon >>. Refusant de rentrer chez eux
dans l'attente de la décision du gouverneur et menacés
d'être punis disciplinairement, << ils déclarèrent au
commandant de cercle : «Mettez-nous en prison, nous ne partirons
pas». Cet acte constituant sans aucun doute une manifestation publique de
nature à affaiblir le respect dû au représentant de
l'autorité française, j'ai crû devoir, force devant rester
tout de même à cette autorité, leur infliger à
chacun une peine de 5 jours de prison >>239.
La décision de cet administrateur se fonde sur
l'arrêté général du 20 juin 1925 portant
énumération des infractions spéciales, mais certaines
décisions des administrateurs ne reposent sur aucune base juridique.
237 ANB, JOD 1913, fonds des JO, circulaire du 28
septembre 1913, op. cit., p. 590.
238 Saliou Mbaye, Histoire des institutions coloniales
françaises..., op. cit., p. 74.
239 ANB, 2M028, fonds du Dahomey colonial, lettre du commandant
de cercle d'Abomey au lieutenantgouverneur du 3 février 1939.
Ainsi, un administrateur des colonies explique-t-il l'amende
infligée à un chef de village par le seul fait que ce dernier
laissait ses enfants détruire les plantations de kola appartenant
à la colonie : << Comme il semblait s'en
désintéresser, malgré ces observations, je l'ai puni et je
dois ajouter que cette punition fut utile car depuis les plantations sont
respectées >>240.
Les arrestations administratives sont donc fréquemment
dépourvues de motivation ou présentent des libellés
erronés ; ce cas de figure concerne 11% des arrestations administratives
en 1903 au Dahomey et 24% en 1904241. Laurent Manière indique
également que les sanctions disciplinaires étaient parfois
infligées par les administrateurs sans qu'aucune motivation juridique ne
soit apportée. Cela est notamment le cas au début de
l'installation coloniale et ce, jusqu'à la Première Guerre
mondiale, lorsque le Code de l'indigénat est utilisé pour lutter
contre les oppositions politiques au nouvel ordre colonial.
5. Une limite incertaine entre le Code de
l'indigénat et la justice indigène
Le recours à l'indigénat ou à la justice
indigène semble alors être effectué de manière
indifférente pour imposer le régime politique colonial aux chefs
suspectés d'insubordination242. La frontière est donc
ténue entre cette << justice disciplinaire >> et
l'arbitraire, mais aussi entre cette justice politique et la justice de droit
commun. Le choix entre la saisine des tribunaux indigènes et le recours
au Code de l'indigénat est laissé à la discrétion
des administrateurs des colonies, malgré le contrôle
hiérarchique. En effet, dans un rapport sur le fonctionnement de la
justice indigène pour le mois de mai 1914, le lieutenant-gouverneur du
Dahomey rapporte que << suite aux irrégularités
constatées >>, il a pris une circulaire le 25 mai 1914 pour
attirer l'attention des commandants de cercle dans l'application des peines
disciplinaires. Il insiste sur << le caractère d'exception que
revêtent ces punitions, donnant pour instruction aux administrateurs de
s'abstenir de faire application de celles-ci en dehors des cas strictement
définis par les arrêtés locaux, et leur laissant le soin
d'attribuer la connaissance de certaines contraventions aux tribunaux de droit
commun chaque fois qu'ils jugeront qu'il ne s'agit pas de mesures politiques
>>243.
D'autres circulaires sont adressées par les
autorités pour préciser, par rapport à certaines
infractions spécifiques comme les menées anti-nationales pendant
la Seconde
240 ANB, 2M137 (5), fonds du Dahomey colonial, note d'un
administrateur des colonies, sans nom et SD.
241 Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., p. 177.
242 Ibid., pp. 99-101.
243 ANB, 1M159(5), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le
fonctionnement de la justice indigène, mai 1914.
Guerre mondiale, que les sanctions disciplinaires doivent
être prises pour << les agissements délictueux dont la
gravité n'est pas suffisante pour motiver l'intervention de la justice,
ou les agissements plus graves mais dont les preuves risquent d'être
insuffisantes pour entraîner une condamnation par les tribunaux
ordinaires ou d'exception >>. Au total, << l'appréciation
revient au gouverneur de la colonie. Il ne faut pas se dissimuler que la
répression des menées anti-nationales est (...) plus affaire de
commandement que de justice >>244.
Par conséquent, des faits de même nature sont
tantôt poursuivis devant les juridictions indigènes, tantôt
sanctionnés disciplinairement, selon la seule appréciation
subjective de leur nature politique ou non et de leur degré de
gravité par l'administrateur. Des insultes et scandales sur la voie
publique, par exemple, sont dans certains cas jugés par le tribunal de
premier degré, mais dans d'autres circonstances, se trouvent
sanctionnés par voie disciplinaire245. L'aide fournie
à une personne poursuivie (ou le recel de malfaiteurs) est
généralement sanctionnée pénalement mais
lorsqu'elle présente un caractère plus politique, elle peut
relever du Code de l'indigénat.
S'agissant d'une appréciation subjective, les
autorités coloniales ont parfois des avis divergents sur la
manière la plus appropriée de poursuivre ces infractions. Ainsi,
lors de la révolte des Adjas en 1918, le commandant de cercle d'Allada
rend-il compte au gouverneur du Dahomey de la punition disciplinaire prise
à l'encontre d'un Dahoméen qui << avait reçu chez
lui les indigènes du village adja de Hounotin et qui n'en avait jamais
fait la déclaration >>. Selon lui, les dispositions disciplinaires
sont applicables en l'espèce << car ces Adjas peuvent être
considérés comme des agitateurs politiques et il était
indispensable que je connaisse la retraite de tous les Adjas. Si [cet
indigène] n'avait pas été puni, tous les autres
indigènes du cercle auraient agi comme lui et auraient caché des
Adjas, m'enlevant de cette façon tout contrôle
>>246. Mais le lieutenant-gouverneur estime pour sa part que
<< les indigènes auraient dû être traduits devant le
tribunal de cercle (...). Les faits sont d'ailleurs assez graves pour
être punis autrement que disciplinairement >>247.
Laurent Manière souligne également <<
l'imprécision de la frontière entre les pouvoirs judiciaires et
administratifs >>. Le roi de Savé avait été
condamné en 1903 par le
244 ANB, 1F28, fonds du Dahomey colonial, circulaire du 13
juillet 1941 du cabinet de la colonie du Dahomey n°875 au sujet de la
lutte contre les menées anti-nationales.
245 ANB, 1M126(4), fonds du Dahomey colonial, affaire
jugée par le tribunal de 1er degré de Zagnanado le 1er
octobre 1935 n°33 et volants de sanctions disciplinaires.
246 ANB, 2M137(5), fonds du Dahomey colonial, lettre du
commandant de cercle d'Allada du 16 novembre 1918.
247 Ibid., remarques du lieutenant-gouverneur sur les
peines disciplinaires, novembre 1918.
tribunal indigène de Savalou à cinq ans
d'emprisonnement et dix ans de résidence obligatoire dans le cercle de
Savalou pour « attentat à la sûreté extérieure
de l'Etat par l'entretien d'intelligences avec un agent d'une puissance
étrangère ». Mais le tribunal spécial de Porto-Novo
annula ce jugement en estimant que la juridiction indigène ne pouvait
être compétente en ce domaine. La juridiction française
aurait dû être saisie de l'affaire mais la distance entre Savalou
et Porto-Novo, où siégeait le tribunal français, fut
l'argument mis en avant pour recourir aux sanctions administratives
plutôt qu'à la juridiction française248. Les
arrestations administratives qui auraient dû relever des juridictions
judiciaires représentent 26% du total de ces arrestations en 1903 et 22%
en 1904249. Il semble que, suite à un contrôle plus
étroit, la distinction entre les procédures administratives et
judiciaires se précise après 1910, mais sans parvenir à un
respect absolu des principes de séparation. Au total, les
administrateurs des colonies, qui présidaient au fonctionnement du Code
de l'indigénat et de la justice indigène, considéraient
ces deux systèmes comme « deux champs d'action interchangeables
» qu'ils pouvaient utiliser de façon complémentaire en
fonction de leurs besoins250.
Les pouvoirs disciplinaires exercés par les
administrateurs mais également par des agents civils peuvent donner lieu
à des conflits de compétence entre Européens, dont font
les frais des Dahoméens partagés entre deux ordres
contradictoires. C'est ainsi qu'en 1907, deux préposés
indigènes aux douanes qui viennent d'être témoins de
l'enlèvement d'une femme sur la plage de Grand-Popo reçoivent
deux ordres opposés, l'un du juge d'instruction pour venir relater les
faits, l'autre du chef du bureau des douanes de GrandPopo de se rendre dans son
bureau. Le juge d'instruction obtient le témoignage des deux agents
après être intervenu auprès de leur chef et lui avoir fait
remarqué qu'« il mettait ces derniers dans le cas d'encourir des
pénalités » en les empêchant de venir
témoigner.
Mais le même juge apprend par la suite « que les
deux indigènes en question, du fait qu'ils n'avaient point
répondu immédiatement à l'appel du chef de bureau se
trouvaient sous le coup d'une sanction disciplinaire grave demandée par
leur chef »251. Le juge intervient auprès du procureur
de la République en soulignant qu'« il n'est pas possible en effet
d'admettre qu'un agent chargé de faire respecter les lois et
règlements
248 Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., pp. 112-113.
249 Ibid., p. 177.
250 Ibid., p. 210.
251 ANB, 2M137(4), fonds du Dahomey colonial, lettre du juge
d'instruction au procureur de la République
le 22 mai 1907.
(...) puisse punir celui-là même qui se soumet
à la loi >>252. Les pouvoirs disciplinaires
exercées par des autorités différentes et parfois
opposées les unes aux autres donnent donc souvent lieu à des abus
de pouvoir.
Certes, les lieutenants-gouverneurs annulent parfois les
sanctions disciplinaires253, mais le contrôle est
exercé a posteriori. Les décisions interviennent donc souvent
après l'exécution de ces courtes peines de prison. Dans un
télégramme du 8 août 1920, le lieutenant-gouverneur du
Dahomey indique que le commandant de cercle de Djougou a rendu une
décision irrégulière en condamnant à 20 jours de
contrainte par corps un individu pour non paiement de l'amende infligée
disciplinairement, alors que la durée de la contrainte par corps ne peut
excéder 15 jours pour les amendes de 51 à 100 francs. Cette
lettre intervient ici plus d'un mois après l'exécution de la
peine254. Des textes rappellent que les pénalités
prises par les administrateurs ne sont valables qu'après leur
confirmation par un arrêté du gouverneur. Mais cet
arrêté n'est souvent qu'une formalité. Comme le souligne
Jean Suret-Canale, << on met en prison d'abord, on transmet au gouverneur
ensuite (...). Il n'y a guère d'exemple où le gouverneur rejette
les pénalités proposées. Parfois d'ailleurs on oublie de
marquer la décision sur le registre d'écrou. On
régularisera en cas d'inspection >>255.
6. Des justices « officieuses » au service des
Européens
Au-delà de cette justice arbitraire mais officielle,
existe également une << justice >> officieuse
appliquée par les Européens, dans la sphère
professionnelle et domestique. Hélène d'Almeida-Topor rappelle
que dans les entreprises européennes, les affaires de vol sont souvent
jugées en interne, les agents européens devant alors <<
s'ériger en juge, interroger le voleur et finalement le faire chicoter
>>256.
Des commandants de cercle, souvent en conflit avec les
commerçants, se plaignent d'ailleurs auprès de leur
supérieur de la volonté de certains agents et responsables des
maisons de commerce de se substituer à la justice. C'est ainsi que
l'administrateur du cercle de Ouidah écrit au lieutenant-gouverneur du
Dahomey pour l'informer du refus par
252 Ibid.
253 Entre autres, JOD 1926, fonds des JO,
arrêté n°639 du 25 mai 1926 annulant des peines de prison
infligées par voie administrative à divers indigènes du
cercle d'Allada, p. 256.
254 ANB, 1M008(1), fonds du Dahomey colonial,
télégramme du lieutenant-gouverneur du Dahomey au commandant le
cercle de Djougou le 8 août 1920.
255 Jean Suret-Canale, op. cit., p. 420.
256 Edmond Chaudoin, << Trois mois de captivité au
Dahomey >>, p. 114, cité par Hélène d'Almeida-Topor,
Histoire économique du Dahomey..., op. cit., pp.
121-122.
un agent de la maison de commerce Fabre de restituer l'argent
qu'il avait saisi sur un Dahoméen accusé d'un vol, puis
acquitté par la justice.
Il souligne qu'ayant fait remarquer à cet
employé de la maison Fabre << qu'en France comme dans les
colonies, il existait des lois et des arrêtés que les tribunaux
français et indigènes étaient chargés de faire
respecter, il s'écria : << En France, peut-être, mais nous
sommes aux colonies ! >>257
Le même sentiment de quasi-impunité des colons
peut exister à l'égard des domestiques. Diverses sanctions sont
appliquées dans la sphère privée sans recourir au
système judiciaire. Un exemple peut être donné dans une
autre colonie de l'AOF, où la femme du commandant de cercle de Kayes
écrit à sa mère le 17 octobre 1912 : << J'ai
déjà donné la bastonnade à mon boy et je puis
t'assurer qu'il n'y a que cela pour les assouplir >>258.
Photo 10. << Préparation à
la bastonnade >>, Dahomey, sans date
Source : Collection Martine et Jean-Michel Bouchez
Certains sévices sont également commis à
l'encontre des Dahoméens au sein même de l'administration, sans
que l'on recoure à la justice ou au Code de l'indigénat, ou
parallèlement. La Photo 10 intitulée << Préparation
à la bastonnade >> prise au Dahomey au
257 ANB, 1M168, fonds du Dahomey colonial, lettre de
l'administrateur commandant le cercle de Ouidah au lieutenant-gouverneur du
Dahomey le 10 décembre 1910.
258 Marc Liebessart, Les tam-tams de Bandiagara,
correspondances d'Albertine Suau, Paris, Textims, 2006, 200 p.
début du siècle témoigne de cette
réalité. Bien que cette carte postale ne fasse pas
apparaître la localisation géographique de la scène au sein
du Dahomey ni le contexte de l'action, on voit que la <<
préparation à la bastonnade » est réalisée
sous les ordres et le contrôle d'un agent européen de
l'administration coloniale (à gauche de la photo) et qu'elle est
accomplie par certains gardes de cercle qui portent l'uniforme.
Le gouverneur général de l'AOF Carde rapporte au
lieutenant-gouverneur du Dahomey en 1930 qu'il lui a été
donné au cours de l'année << de relever à la charge
d'Européens appartenant à l'administration, et même de
plusieurs fonctionnaires d'autorité un nombre sans
précédent de sévices infligés à
l'égard des indigènes ». Il souligne la
nécessité de mettre un terme à ces actions qui portent
atteinte aux valeurs mises en avant dans l'administration coloniale, notamment
son prestige :
<< Il n'est pas douteux que, dans certains milieux,
l'indigène réagit autrement qu'il ne réagissait à
une époque récente devant les ordres ou les observations des
représentants de l'autorité et qu'il ne témoigne plus
toujours envers l'Européen en général le respect quasi
superstitieux de naguère. C'est une émancipation
inéluctable (...). Blâmables en elles-mêmes, inadmissibles
et tombant évidemment sous le coup de sanctions sévères
quand elles vont jusqu'à la violence, de telles impulsions [le recours
aux sévices] sont essentiellement nuisibles au commandement. Un
fonctionnaire d'autorité ne peut et ne doit pas ignorer qu'il se diminue
et qu'il porte la plus grave atteinte à son prestige quand il perd le
contrôle de ses actes sous l'effet d'une irritation qu'il n'a pas su
dominer. » 259
Justice indigène et Code de l'indigénat, deux
faces d'une même médaille, commencent, dès les
années 1930, à être fortement critiqués par les
nouvelles élites autochtones mais aussi par certains milieux de la
métropole. Il faut cependant attendre la fin de la Seconde Guerre
mondiale pour assister à la suppression du régime de
l'indigénat et de la justice indigène, tout au moins dans le
domaine pénal.
D. La fin de la justice pénale indigène
après 1945
La justice coloniale et le Code de l'indigénat sont
attaqués par certains milieux anticolonialistes de métropole. Le
parti communiste français publie, par exemple, en 1928, un
réquisitoire rédigé par le secrétariat colonial de
la CGT-U contre le système de l'indigénat, dans lesquels la
justice indigène en Algérie est vivement critiquée, dans
le contexte algérien :
<< Les juges qui sont des fonctionnaires de
l'administration n'ont aucune indépendance vis-à-vis d'elle,
et l'administrateur armé de ses pouvoirs peut, en vertu de
l'Indigénat, faire pression sur le
259 CAOM, APC, Papiers Boulmer, FR CAOM 111, APOM 1 et 2,
lettre du 3 mars 1930 du gouverneur général de l'AOF au
lieutenant-gouverneur du Dahomey n°100 AP/2 au sujet des sévices
contre les indigènes. Voir pour Jules Carde le dictionnaire biographique
en annexe 6.
plaignant ou les témoins et obtenir des dépositions
conformes à ses désirs. Les tribunaux répressifs ne sont
donc qu'une caricature de tribunaux et seuls les indigènes en font les
frais. >>260
De même en 1932, au lendemain de l'Exposition coloniale
à Paris, est publié par le même parti communiste un texte
très critique sur << l'oeuvre coloniale >>, qui fustige la
justice dans les colonies, en reprenant les propos d'un journaliste <<
bourgeois >> :
<< Louis Roubaud, le journaliste bourgeois que nous
avons déjà cité, raconte ce qui suit sur la
«justice» en Indochine : «Dans la même journée,
j'ai vu le tribunal d'Hanoi condamner un étudiant annamite, coupable
d'avoir écrit une chanson patriotique, à trois ans de
détention, et un contremaître français qui avait, pour une
vétille, tué un de ses ouvriers à coup de botte, à
trois mois de prison avec sursis». >>261
D'autres groupes, anticolonialistes ou critiquant les abus du
colonialisme262, tels que les surréalistes, ou dès
1905 le Comité de protection et de défense des indigènes
qui mène des campagnes d'opinion contre le statut de l'indigénat,
sans oublier la Ligue des droits de l'Homme et nombre de journalistes,
politiques, écrivains et associations mettent également en cause
depuis la métropole le Code de l'indigénat et la justice
indigène.
Dans les colonies mêmes, les intellectuels africains
formés à l'école coloniale sollicitent l'évolution
et parfois l'abandon de la justice indigène, mais les réformes
entreprises jusqu'en 1945 restent très limitées.
1. Les critiques et les réformes de la justice
indigène avant 1945
Les nouvelles élites des colonies, relayées par
certains milieux intellectuels en métropole, dénoncent les abus
du colonialisme dès les années 1930263. Les <<
évolués >> de l'AOF expriment leurs revendications dans la
presse, comme par exemple dans l'hebdomadaire qui couvre l'ensemble de la
fédération, L'A-OF de Lamine Gueye, ou dans les nombreux
journaux du Dahomey264. Parmi les premières revendications
figurent la suppression de la justice indigène et du régime
arbitraire qu'est l'indigénat.
Un texte imprimé, intitulé << Pour une
réforme complète de la justice indigène >> est
adressé au ministre des Colonies Marius Moutet en 1936. Très
certainement écrit par un
260 Henri Cartier, Comment la France « civilise
» ses colonies, suivi par Code de l'indigénat, code
d'esclavage, Textes du PCF et de la CGT-U (1932 et 1928),
présentés par Jean-Pierre Aubert, Paris, Les nuits rouges, 2006,
p. 146.
261 Ibid., p. 82. Voir aussi La Question coloniale
dans « L'Humanité » (1904-2004), choix d'articles
présentés par Alain Ruscio, Paris, La Dispute, 2005.
262 Sur la distinction entre ces deux types de pensée,
nous renvoyons aux articles << abus >> et << anticolonialisme
>> de l'ouvrage Les mots de la colonisation de Sophie Dulucq,
Jean-François Klein et Benjamin Stora (sous la direction de), op.
cit., pp. 9 et 12, ainsi qu'à l'article << anticolonialisme
>> du Dictionnaire de la colonisation de Claude Liauzu (sous la
direction de), op. cit., pp. 102-108
263 Nous analyserons plus en détail les réactions
des populations dahoméennes, dont les élites et la presse de la
colonie du Dahomey, face à la justice indigène dans la
deuxième partie de ce Mémoire (II B).
264 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre
mondiale, Paris, Karthala, 1996, p. 20. Voir pour Lamine Gueye le
dictionnaire biographique en annexe 6.
juriste, il rassemble l'ensemble des griefs soulevés
contre la justice indigène. Son auteur anonyme sollicite la suppression
de la justice indigène, << contraire aux principes
démocratiques les plus élémentaires >> de la France
depuis 1789, et l'application de la justice française à tous les
habitants des colonies. Il développe point par point le régime
d'exception mis en place dans les colonies par rapport aux principes de la
déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. L'auteur
s'insurge tout d'abord contre l'application des coutumes dans les colonies pour
déterminer les faits répressibles judiciairement et la peine
applicable. Ce principe applicable dans les colonies constitue une violation au
principe inscrit dans la déclaration << Nulle peine sans une loi
préexistante >> :
<< Ainsi donc lorsqu'un fait est soumis à un
tribunal indigène, on laisse à ce tribunal le soin de
décider si le fait constitue ou non une infraction punissable (...).
Supposons que ce tribunal statue qu'il y a infraction. Alors ce même
tribunal déterminera d'une façon à peu près
souveraine quelle sanction comporte le fait dont il s'agit. Il est donc libre
d'appliquer à cette infraction de son invention une peine allant de un
franc d'amende à 20 ans d'emprisonnement... Que deviennent dans tout
ça la sécurité et la liberté individuelles ?
>> 265
Le rédacteur de ce texte condamne ensuite l'absence de
séparation des pouvoirs (contraire à l'article 16 de la
déclaration de 1789), l'impossibilité pour l'accusé de
choisir son avocat et l'interdiction pour le condamné de se pourvoir en
cassation.
Enfin et surtout, il souligne la négation par le
législateur colonial du droit naturel de l'<< indigène
>> d'être traité de manière égale par rapport
au citoyen français et il conteste l'appellation de << tribunal
indigène >> qui reste dominé par l'administrateur
français :
<< En AOF, les tribunaux indigènes sont
présidés par un administrateur français, assisté
d'Africains choisis par lui (...). Il est évident qu'à tous les
coups l'administrateur sait faire plier la coutume à ses vues
personnelles. De mémoire d'homme, comme s'il y avait harmonie
préétablie, on a toujours vu l'avis des assesseurs coïncider
parfaitement avec la volonté du président
«gallo-romain». >>266
L'auteur illustre son propos en décrivant le
déroulement d'une séance au tribunal indigène :
<< Dans la réalité, les choses se passent
de la façon suivante en matière répressive : après
la comparution de l'accusé, la cour ne se retire pas pour
délibérer, mais le président blanc fait évacuer la
salle et reste en tête à tête avec ses deux augures noirs.
Tous les trois se regardent sans rire ! Le président commente «alla
tudesca» les paroles de l'accusé puis prononce : «On va lui
foutre 10 ans de prison, n'est-ce pas ?». Les augures noirs, sans un
réflexe, acquiescent : «Oui-Oui !» Le président fait
rentrer l'auditoire et l'accusé. Il crache au visage de ce dernier :
«Le tribunal vous condamne à 10 ans de prison !» La justice
«indigène» est rendue ! (...) Les Africains d'une voix unanime
crient qu'il n'y a rien de si laid qu'un jugement de tribunal
«indigène». >>267
265 CAOM, Archives privées, Papiers d'agents, Marius
Moutet, FR CAOM28 PA 1. De larges extraits de ce texte sont reproduits en
annexe 5.
266 Ibid.
267 Ibid.
D'autres critiques de cette justice se multiplient, y compris
en métropole, où Albert Londres, par exemple, offre dans son
ouvrage Terre d'ébène une description similaire de la
justice indigène :
<< (...) On passa à l'affaire suivante.
C'était une tentative de meurtre. Le blessé entra, se
traînant sur son derrière. L'agresseur le suivait et l'aida
fraternellement à se placer.
- Alors ?
- Alors, dit l'interprète, voilà : les gens du
village étaient réunis pour battre le mil. Le père de
celuilà devait treize francs cinquante au grand. Le grand dit :
«Donne-moi l'argent que me doit ton papa.» L'autre répondit :
«Donne-moi un délai». Le grand dit : «Ca va te
coûter cher». L'autre le traita de «petits-yeux». Sous
cette grave injure, le grand le tailla avec son coupe-coupe.
- Pourquoi as-tu fait ça ?
- Allah ! Iaké ! Iaké ! C'est Dieu qui l'a voulu,
répond le meurtrier.
- Tu as frappé ?
- Non ! commandant, c'est ma main qui a frappé.
- Que disent les notables ?
- Ils disent que, selon la coutume, il faudrait donner au grand
cent coups de corde, le mettre aux fers jusqu'à ce que l'autre soit
guéri, et le tuer si le blessé mourrait.
- Comment va le blessé ?
- Il dit qu'il se porte aussi bien qu'une biche peut se porter
quand elle a reçu une sagaie dans la jambe.
- Eh bien ! trois mois de prison, hein ?
- Les notables, fit l'interprète, disent qu'à cause
des «petits-yeux», cela en vaudrait bien quatre. - Un mois de plus
pour les «petits-yeux» !
Il entra encore une femme et deux hommes. Il s'agissait
d'adultère. Le mari, la femme et le n'amant. Le mari était vieux,
mais il avait un magnifique boubou ; la femme était peulh et portait
sans voile une belle jeunesse. Le n'amant était pauvre : une ficelle, un
peigne en fer. Le mari dit :
- Mon femme a couché dix fois avec lui. Je demande cent
francs.
- Il veut aussi le peigne en fer, dit l'interprète.
- Demande à la mousso si c'est vrai.
- Elle dit que c'est vrai.
- Demande lui pourquoi elle a fait ça. La mousso roucoula
et, la tête baissée, parla entre ses seins. - Elle dit que
lorsqu'il n'y a plus de mil dans la case, on va en chercher ailleurs.
- Bien dit ! fit le commandant. Et le n'amant, qu'est-ce qu'il
dit ?
- Il dit qu'il a été content. Les deux notables
regardèrent longuement la Peulh.
- Qu'est-ce qu'ils pensent selon la coutume ?
- Ils pensent que la femme étant jolie, cent francs, ce
n'est pas cher.
- Et le peigne ?
- Qu'il faut qu'il rende le peigne. Le n'amant ne
possédait pas un cauri !
- Je le sais bien, dit le mari, alors qu'il vienne travailler mon
lougan pendant un mois.
- Tu acceptes ? demanda le commandant. Le n'amant dit qu'il
acceptait. Et ils repartirent tous les trois, gentiment. »268
L'auteur du texte anonyme présenté au ministre
des Colonies, comme une partie de la presse dahoméenne, revendiquent
l'application de la justice française dans les colonies. Les critiques
sur l'absence d'indépendance de la juridiction indigène sont en
réalité anciennes, parfois concomitantes de la mise en place de
cette nouvelle forme de justice dans les colonies, comme celle du juriste, le
Dr Asmis, en 1910 :
<< Dans les tribunaux de province, l'influence des
fonctionnaires blancs est telle qu'il ne saurait être question de
jugements librement rendus par les magistrats indigènes. Il est tout
à fait exceptionnel qu'un chef de couleur tienne le
procès-verbal... »269
268 Albert Londres, Terre d'ébène, op.
cit., pp. 92-94. Voir dictionnaire biographique en annexe 6.
269 Dr Asmis, << La condition juridique des
indigènes dans l'Afrique occidentale française », op.
cit., p. 23, cité par Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., p. 204.
Les critiques contre le code de l'indigénat sont
également nombreuses, comme celle de J.-L. Gheerbrandt, directeur de
l'Institut colonial français, qui publie dans la
dépêche coloniale des 22-24 septembre 1935 un <<
Plaidoyer pour l'abolition de l'indigénat >>270. Pour
ce membre du Conseil colonial, le système maintenait une confusion entre
peines disciplinaires et judiciaires et faisait ainsi perdre aux sanctions
pénales << l'effet moral recherché par le
législateur >>.
Face aux critiques contre la justice indigène et le
Code de l'indigénat, les réformes entreprises restent timides. Le
Cartel des gauches, avec le décret du 15 novembre 1924, n'a que
très légèrement assoupli l'indigénat. La crise
économique mondiale provoque un renforcement du recours aux sanctions
disciplinaires dans les années 1930 et le Front populaire se
révèle impuissant à réformer le régime de
l'indigénat qui demeure en l'état271. Les principales
tentatives de réforme de la justice indigène sont quant à
elles affirmées durant le Front populaire par le ministre des Colonies
Marius Moutet, en 1936 et 1937, mais les réalisations ne suivent pas. Un
projet de décret dit << Blum-Violette >> prévoit un
élargissement de la citoyenneté française en
Algérie ; il donne également le droit aux musulmans d'exercer des
fonctions publiques. Mais ce projet soulève une levée de
boucliers qui empêche le vote de la loi devant le
Parlement272. A la demande du gouverneur général de
l'AOF Brevié, les exemptions individuelles au Code de l'indigénat
se multiplient, passant de 159 fin 1935 à 560 en 1936 et
1937273.
Conformément à son programme, le Front populaire
met en place par la loi du 30 janvier 1937 une commission d'enquête dans
les colonies << afin de connaître les aspirations légitimes
de nos protégés et de faire rechercher toutes les mesures aptes
à réaliser une politique coloniale largement humaine et
résolument sociale >>. En février 1937, la
délégation dahoméenne exprime ses voeux à la
mission parlementaire mandatée par le front populaire ; en tête
des revendications figurent la réforme judiciaire et du régime
d'accession à la citoyenneté française, ainsi que
l'élargissement de la liste des personnes exemptées de
l'indigénat274. Un décret du 13 mai 1937 organise le
contrôle mobile de la justice indigène en AOF et une
première commission d'enquête séjourne à
270 Cité par Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., p. 364.
271 Ibid., p. 28.
272 Jean Lacouture, Léon Blum, Paris, Le Seuil,
1977, pp. 327-328.
273 Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., p. 374.
274 Ibid., p. 385.
Dakar de janvier à mars 1937275. Mais les
crédits font défaut ; ces enquêtes et contrôles sont
progressivement abandonnés après le départ de Marius
Moutet du gouvernement.
Le Front populaire affirme également sa volonté
de réprimer sévèrement les actes de violence commis par
des Européens sur les indigènes, afin de « rétablir
dans leur dignité d'Hommes ceux que la colonisation avait trop souvent
abaissés >>276. Marius Moutet indique enfin sa
volonté d'appeler à siéger dans les juridictions
indigènes des magistrats professionnels, spécialisés dans
l'étude des coutumes277. Mais le premier gouvernement du
Front populaire reste peu de temps en place et les réformes
envisagées en matière de justice indigène sont rapidement
abandonnées. Elles témoignent cependant d'un désir de
changement dans les colonies.
La crainte d'une nouvelle guerre mobilise les esprits en
métropole et reporte à plus tard toute idée de
réforme dans les colonies. Seul un décret du 19 avril 1939
soustrait aux juridictions indigènes les électeurs des
assemblées représentatives et les personnes ayant servi dans
l'armée, mais ce texte est abrogé dès 1941.
2. La justice indigène pendant la Seconde Guerre
mondiale
Après la forte mobilisation des «
évolués >> en AOF pendant l'entre-deux-guerres,
marquée par les revendications dans la presse et les grèves de
1936 à 1938, l'entrée en guerre de la France provoque une
accalmie dans les colonies, où les notables affichent leur loyalisme
à l'égard de la métropole.
Le 25 juin 1940, Pierre Boisson278 remplace
Léon Cayla279 à la tête de l'AOF ; il prend
effectivement ses fonctions le 23 juillet 1940. Il dispose alors de
compétences élargies puisqu'il devient Haut-Commissaire de
l'Afrique française pour l'AOF, l'AEF, le Cameroun et le Togo. Mais le
gouverneur Boisson se range derrière le maréchal Pétain.
En août 1940, il perd 50% des territoires relevant de son autorité
: le Tchad et l'AEF (puis le Gabon qui sera pris par les gaullistes en novembre
1940) ont en effet décidé de suivre le général de
Gaulle et d'accepter les propositions économiques de la
Grande-Bretagne280. L'AOF devient un enjeu important dans l'Empire
désormais divisé, un maillon essentiel de la souveraineté
française à sauvegarder pour le gouvernement de Vichy. Le
nouveau
275 Jacques Valette, La France et l'Afrique, L'Afrique
subsaharienne de 1914 à 1960, Paris, SEDES, 1994, p. 90. CAOM,
Archives Privées, Papiers d'agents, Marius Moutet, FR CAOM 28 PA 1.
276 Ibid. Certaines mesures visent plus
particulièrement l'Indochine, comme par exemple la grâce des
condamnés politiques ou le programme de reconstruction
pénitentiaire.
277 Ibid. Causerie de Marius Moutet à Radio
cité.
278 Voir dictionnaire biographique en annexe 6.
279 Ibid.
280 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre
mondiale, op. cit., pp. 33-36.
gouverneur général renforce les effectifs
stationnés aux frontières et développe une lutte active
contre les gaullistes et les résistants.
En effet si Pierre Boisson met en oeuvre la politique
répressive de Vichy à l'encontre des juifs et des
francs-maçons dans toute l'AOF281, le principal danger pour
la sécurité intérieure se situe au niveau des
sympathisants de la France libre et des individus jugés suspects du
point de vue politique. Les services de police sont réorganisés,
avec la création en avril 1941 d'un service des menées
anti-nationales, et renforcés pour cette lutte contre les opposants
politiques. Ces services établissent des listes de suspects,
composées des opposants supposés ou réels à
Pétain et à la Révolution nationale. Ils mettent sous
surveillance les individus susceptibles de basculer dans l'opposition et des
camps sont constitués pour interner les individus jugés dangereux
sur le plan politique282. Il semble que << la
répression en AOF touche différemment les Européens et les
Africains, ces derniers étant d'une manière
générale plus lourdement sanctionnés
>>283.
Par ailleurs, l'accès à la citoyenneté se
restreint encore sous le gouvernement de Vichy. En 1942, seulement cinq
Africains l'obtiennent, essentiellement pour motif de propagande284.
La loi du 17 avril 1942 << portant révision des admissions aux
droits de citoyen français des anciens indigènes,
protégés ou administrés sous mandat français
>> retire même la citoyenneté de tous les indigènes
ayant fait l'objet depuis le 1er septembre 1939 d'une mesure
d'internement administratif ou d'une condamnation par une juridiction de droit
commun ou un tribunal d'exception pour menées anti-françaises ou
crime ou délit de droit commun285. Si le racisme et les
pratiques inégalitaires préexistaient au régime de Vichy,
ce dernier << semble avoir marqué une aggravation, un paroxysme
>>286. Selon Eric Jennings, la nécessité de
maintenir l'Empire et donc le loyalisme des populations et des élites
à l'égard de Vichy oblige le régime à
atténuer son racisme anti-noir, mais ce dernier se manifeste à de
nombreuses reprises dans les décisions coloniales, ce qui lui permet de
fleurir sans entraves parmi les colons et dans l'administration.
281 Le statut des juifs du 30 octobre 1940 s'applique en AOF
et au Togo à partir du 8 novembre 1940 et l'administration ne recense
aucun juif au Dahomey en 1942. Ibid., p. 55. Colette Zytnicki,
<< L'application des lois antisémites dans les colonies >>,
in Jacques Cantier, Eric Jennings (sous la direction de), L'empire colonial
sous Vichy, Paris, Odile Jacob, 2004, 398 p.
282 Pierre Ramognino, << L'Afrique de l'Ouest sous le
proconsulat de Pierre Boisson (juin 1940-juin 1943) >>, in Jacques
Cantier, Eric Jennings, op. cit.
283 Ibid.
284 Ruth Ginio, << Les élites européennes et
coloniales face au nouveau régime en AOF >>, in Jacques Cartier,
Eric Jennings, op. cit.
285 Eric Jennings, << Vichy fut-il aussi anti-noir ?
>>, in Jacques Cartier, Eric Jennings, op. cit.
286 Ibid.
La justice indigène évolue dans le contexte de
ce nouveau régime, qui exporte outre-mer son idéologie, ses
valeurs et son appareil répressif. Mais le gouvernement de Vichy ne
rompt pas totalement et poursuit même les réformes lancées
antérieurement, notamment dans le cadre du Comité des
études indigènes instauré sous le Front populaire et
chargé d'élaborer une législation plus uniforme pour les
sujets d'AOF. Un code pénal indigène est promulgué par
décret du 11 février 1941, dont certains articles étaient
prêts depuis 1939287. Ce code simplifié s'inspire
à la fois du code pénal français et de la pratique,
c'est-à-dire des délits généralement
sanctionnés par les juridictions indigènes et des peines
appliquées par celles-ci288. Il définit infractions et
peines, mais les tribunaux semblent peu le respecter, comme le constate le
procureur général, R. Attuly, dans son rapport du 2 septembre
1943 :
<< [Il existe] une tendance très fâcheuse
à décider de la répression d'un fait sans avoir au
préalable recherché quelle infraction pénale ce fait
constitue et si tous les éléments du délit sont
réunis. Il arrive ainsi fréquemment que le tribunal, après
avoir prononcé une peine, constate que l'action ou l'abstention
reprochée au prévenu ne relève de l'application d'aucun
article du code pénal indigène et d'aucun texte spécial.
»289
Lorsqu'il est appliqué, ce code pénal aggrave
encore la répression à l'égard des indigènes. Dans
son rapport, le procureur général constate une propension
marquée des juges à << prononcer des peines plus
sévères que sous la législation antérieure et
fréquemment le maximum ». Il souligne le rejet par la population
africaine de ce texte : << Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'a
pas accueilli ce texte comme un important bienfait du législateur
colonial »290.
En 1943, Lamine Gueye démontre également la plus
grande sévérité des peines encourues par les Africains
dans le code pénal indigène par rapport aux peines prévues
dans le code pénal français. Les services de renseignements
anglais renforcent également ce sentiment d'une justice
sévère et injuste au sein de la population dahoméenne :
<< Beaucoup d'Africains sont alarmés par les
changements menaçants dans la législation criminelle qui
prévoit selon diverses sources de lourdes peines dont la peine de mort
après la troisième condamnation pour vol et de longs temps
d'emprisonnement pour adultère. Des meetings de protestation ont
été tenus à Cotonou et ailleurs... »291
Dans les faits, la répression s'accroît fortement
entre 1940 et 1941. Le nombre des affaires pénales en AOF, après
avoir diminué entre 1938 et 1940 (- 3,5%), augmente de
287 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre
mondiale, op. cit., p. 129.
288 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en
AOF, Athiémé (Dahomey), Mémoire ENFOM
d'administrateur à Athiémé (Dahomey), 1946-1947, CAOM, 3
ECOL 73 d6.
289 Catherine Akpo-Vaché, op. cit., p. 130.
290 Ibid.
291 Ibid., p. 131.
plus de 50% entre 1940 et 1941, passant de 34 755 affaires en
1940 à 53 513 en 1941292. Globalement, Laurent Manière
estime que les peines de toute nature infligées en AOF augmentent de 20
à 37% selon les années de guerre293. Les années
1940-1943 sont marquées en AOF par un renforcement de l'autorité
coloniale, d'autant plus important que la coupure avec la métropole
laisse une large marge de liberté aux pouvoirs locaux. La
répression accrue, dont les populations africaines sont l'objet,
alimente le sentiment d'injustice mais aussi un sentiment populaire <<
anti-français, terreau propice du nationalisme africain
>>294.
Après le débarquement allié en 1942 en
Afrique du Nord, le gouverneur général de l'AOF se rallie
à Darlan et aux Américains le 23 novembre 1942. Mais Darlan se
fait assassiner un mois plus tard et le nouveau Conseil impérial
présidé par le général Giraud maintient les lois
fondamentales publiées par le gouvernement de Vichy. Ce n'est que le 14
mars 1943, sous la pression américaine et guidé par Jean Monnet,
que le général Giraud rétablit la légalité
républicaine et supprime une partie des textes adoptés sous le
gouvernement de Vichy : ceux relatifs au statut des juifs, aux
francs-maçons, à la Légion ou encore à la
déchéance de la nationalité. La politique giraudiste
appliquée par le gouverneur général Boisson conserve
cependant de nombreux aspects de celle du gouvernement de Vichy. Mais entre le
3 juin 1943 (constitution à Alger d'un Comité français de
libération nationale [CFLN] bicéphale, dirigé par de
Gaulle et Giraud) et avril 1944 (destitution de Giraud de son commandement
militaire), le général de Gaulle s'assure la direction du CFLN et
de la France libre.
Parallèlement, les aspirations démocratiques et
gaullistes commencent à s'exprimer librement en AOF ; les changements
politiques à Alger et en métropole donnent lieu à
l'expression de toutes les incertitudes en Afrique. Maurice Ahanhanzo
Glélé retrace le tourbillon des sentiments manifestés par
le Africains dans ce contexte :
<< Le Dahomey vibrait aux événements de
Paris : à l'école, on faisait chanter aux enfants en classe,
à la gymnastique, en français, fon, yoruba, à la gloire du
maréchal Pétain : «Maréchal, nous
voilà...». Un matin, les élèves se virent interdire
de fredonner même cet air ; on devait, sous peine d'emprisonnement,
déchirer ou brûler les photos du maréchal. On n'y
comprenait rien. Vivant à l'heure de Paris, le Dahomey fut pris dans le
tourbillon des passions françaises, c'était à qui serait
gaulliste ou pétainiste. >> 295
Bernard B. Dadié, dans son roman Les jambes du fils
de Dieu, relate également cette période changeante à
travers l'expérience d'un Africain jeté en prison pour avoir
crié
292 Ibid., pp. 129-130.
293 Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat, op. cit., p. 400.
294 Catherine Akpo-Vaché, op. cit., p. 146.
295 Maurice Ahanhanzo Glèlè, Naissance d'un
Etat noir..., op. cit., p. 65.
<< Vive de Gaulle ! >> quand il fallait acclamer le
Maréchal et qui vient de sortir de prison deux ans après :
<< J'étais hors de la prison. L'ombre et le
soleil, l'eau, les couleurs et le ciel, la fraîcheur de la
liberté, que faut-il de plus à un ancien détenu pour
être heureux ? Et quelle autre chanson me pourrait monter aux
lèvres, sinon celle à l'ordre du jour, au son de laquelle matin
et soir j'avais marché ? Voilà pourquoi j'entonnai le
«Maréchal, nous voilà» avec force. (...).
J'étais cerné. Des gendarmes tout bardés, revolver au
poing, me frappaient à qui mieux mieux... «Pardon, messieurs, vous
vous trompez. Je suis partisan du Maréchal... J'aime la France. Je suis
un bon sujet.» Non ! ils me frappaient de plus belle. (...). Je me
réveillai sur un lit d'hôpital (...).
- Mais au fait, docteur, qu'est-ce que tout cela ? Je crie
«Vive De Gaulle», on me coffre ; je crie «Vive le
Maréchal», on me cherche noise. Ah ! Quelle poisse !
- Eh bien, mon pauvre ami, le Maréchal n'est plus au
pouvoir. Les évènements ont changé depuis six mois.
Maintenant c'est le Général qui gouverne. (...) Si j'ai un
conseil à te donner, c'est de crier à l'avenir «Vive De
Gaulle !»
- Êtes-vous sûr, docteur, qu'il ne faudrait pas
devoir crier autre chose ? (...)
- Criez désormais simplement : Vive la France !
>>296
Une page se tourne lorsque le gouverneur général
Boisson quitte son poste le 7 juillet 1943. Un dispositif d'épuration de
l'administration est mis en place depuis Alger. Mais compte tenu de la
pénurie de personnel dans les colonies et de la prévalence des
considérations politiques sur le devenir de l'Empire français,
l'épuration reste modérée. Le gouverneur du Dahomey est
traduit devant une chambre civique puis acquitté et admis à la
retraite. Plus sûrement, la reprise de la mobilisation entraîne de
nombreuses mutations de cadres des colonies au sein de l'Empire
français.
Un << vent de liberté >> souffle sur les
terres africaines et relance les aspirations démocratiques,
égalitaires et, dans une faible mesure encore, d'autonomie des
intellectuels africains. Par ailleurs, le contexte international dominé
par les Etats-Unis et porté à émanciper les peuples
colonisés contraint les autorités de la France
libérée à redéfinir leur politique coloniale. La
Conférence de Brazzaville, présidée par le commissaire aux
Colonies René Pleven, se tient du 30 janvier au 8 février 1944 et
il n'est pas alors question d'abandonner l'Empire mais de le reconstituer face
aux prétentions britanniques et aux demandes américaines. Les
actes de la Conférence indiquent d'ailleurs en préambule à
ses recommandations sur l'organisation politique de l'Empire français
que << les fins de l'oeuvre de civilisation accomplie par la France dans
ses colonies écartent toute idée d'autonomie, toute
possibilité d'évolution hors du bloc français de l'Empire
>>297.
296 Bernard B. Dadié, Les jambes du fils de Dieu,
Paris, Hatier, 1980. Cité par Jacques Chevrier, Anthologie africaine
I, Le roman et la nouvelle, Paris, Hatier International, 2002, pp.
33-36.
297 Cité dans Denise Bouche, Histoire de la
colonisation..., op. cit., pp. 378-379. Voir également
Denise Bouche, << La réception des principes de Brazzaville par
l'administration en AOF >>, Colloque sur Brazzaville
(janvier-février 1944) : aux sources de la décolonisation
organisé par l'Institut Charles de Gaulle et l'IHTP à Paris
les 22-23 mai 1987, Paris, Plon, 1988, pp. 207-221 ; Joseph Roger De
Benoist, L'AOF de 1944 à 1960, De la conférence de
Brazzaville à l'indépendance, Nouvelles éditions
africaines, Dakar, 1982, 617 p.
Les participants à la Conférence de Brazzaville
recommandent de satisfaire une revendication ancienne des élites
colonisées : la suppression progressives dès la fin des
hostilités des peines ordinaires de l'indigénat. Ils estiment
également qu'<< en ce qui concerne les affaires pénales, il
ressort que les coutumes ne peuvent plus, dans l'état actuel des moeurs
servir de base à la législation pénale > et ils
préconisent << la rédaction d'un code pénal commun
à tout le continent africain >298. Ce texte est
promulgué quelques mois plus tard. Parallèlement, la
conférence préconise pour les affaires civiles et commerciales de
maintenir les jugements selon la coutume et dans la mesure du possible par des
juges indigènes, à l'exclusion des affaires d'état et de
famille pour lesquelles l'intervention constante de l'administration reste
recommandée. Le principe de juridictions distinctes entre
indigènes et citoyens français est maintenu et le code
pénal reste largement calqué sur celui de 1941, avec cependant un
adoucissement des peines. Ce code pénal indigène de 1944
connaît en réalité une brève existence : la loi du 7
mai 1946 dite Lamine Gueye accorde la citoyenneté française
à tous les ressortissants des nouveaux territoires d'OutreMer tandis que
le décret du 20 février 1946 supprime les peines de
l'indigénat et que le décret du 30 avril 1946 supprime la justice
indigène en matière pénale. Le code pénal
métropolitain est promulgué en Afrique par un décret du 16
octobre 1946.
3. En finir avec l'indigénat après
1945
Après 1945, il convient de redéfinir les
relations entre la métropole et les colonies. L'objectif n'est pas
l'indépendance à plus ou moins long terme des territoires
coloniaux. Mais l'idée est de substituer une Union établie sur la
libre volonté des populations à un empire fondé sur la
domination. L'Union française est instituée par la constitution
du 27 octobre 1946 qui fonde la IVème République
(titre VIII). Ce nouveau rapport entre métropole et territoires
d'Outre-Mer implique l'accès à la citoyenneté des
populations << exprimant leur libre volonté de participer à
l'Union française >. La loi du 7 mai 1946 dite Lamine Gueye permet
à tous les ressortissants des Territoires d'Outre-Mer d'accéder
à la citoyenneté française à partir du
1er juin 1946.
La justice indigène est abrogée en
matière pénale
Les termes de << colonies > et d'<< empire >
sont remplacés par << territoires d'outremer > et <<
Union française >, tandis que le mot << indigène >
est appelé à disparaître du vocabulaire colonial. Les
institutions fondées sur la distinction entre indigènes et
citoyens
298 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en
AOF, op. cit.
sont donc supprimées. L'usage du Code de
l'indigénat tendait déjà à diminuer depuis
1945299. Le décret du 22 décembre 1945 supprime
à partir du 1er janvier 1946 les sanctions ordinaires de
l'indigénat et le décret du 20 février 1946 abroge les
grandes peines de l'indigénat, telle que l'internement. Les gouverneurs
locaux prennent alors des arrêtés locaux pour réprimer les
infractions qui relevaient de ce code300.
Puis le décret du 30 avril 1946 supprime à
compter du 1er juillet 1946 les juridictions pénales
indigènes et le code pénal indigène de 1944. Son article
1er précise que << les juridictions françaises
connaîtront seules, à l'exclusion de toute juridiction
indigène, de toutes les infractions commises par les indigènes
>>301 et elles devront appliquer le droit pénal
français. Les élèves administrateurs au lendemain de la
guerre soulignent que, parmi l'ensemble des réformes entreprises, celles
relatives à la justice tiennent une place importante. Claude Deschamps,
dans son mémoire de l'école nationale de la France d'Outre-mer
(ENFOM) de 1945-1946, estime que << le domaine de la justice, avec celui
du travail, est un de ceux où le problème des rapports de
dominant à dominé est susceptible de soulever le plus de
difficultés >>302.
De même, Nanlo Bamba, écrit dix ans plus tard
dans son mémoire de fin d'études, que << parmi les
réformes institutionnelles que la France a entreprises ou
réalisées dans les territoires d'outre-mer au lendemain de la
dernière guerre, la réforme de l'organisation judiciaire figure
au rang de celles qui ont eu le plus grand retentissement auprès des
populations autochtones de l'AOF >>303.
Les difficultés liées à l'extension de
la justice française dans les colonies
Cette suppression de la justice indigène pose cependant
un énorme problème d'organisation judiciaire. En effet, en deux
mois, entre fin avril et début juillet 1946, le nombre de justiciables
des tribunaux français passe au Dahomey de moins d'un millier à
plus d'un million. Le décret du 9 mai 1946 maintient les tribunaux de
première instance ainsi que les justices de paix à
compétence étendue. Ces deux juridictions sont compétentes
en matière pénale à l'égard des populations de
l'AOF, anciennement ou nouvellement citoyennes, et elles ont les mêmes
attributions que les tribunaux correctionnels métropolitains. En
revanche, elles n'interviennent en matière civile et commerciale que
299 Catherine Akpo-Vaché, op. cit., p. 214.
300 Ibid. Claude Deschamps, Les attributions
judiciaires des administrateurs en Afrique Noire, op. cit.
301 Ibid.
302 Ibid.
303 Nanlo Bamba, Les Africains devant la réforme
judiciaire de 1946, Mémoire ENFOM d'administrateur, 1956-1957.
CAOM, 3 ECOL 127 d6.
pour les seuls citoyens qui ont choisi d'abandonner leur
statut personnel. Un décret du 3 juillet 1946 prévoit en outre
l'institution de justice de paix à compétence correctionnelle
restreinte ; un arrêté général du 2 août 1946
crée 83 justices de paix et détermine leurs ressorts. Ces
juridictions sont chargées, sous réserve d'appel, des affaires de
simple police (contraventions) et des délits d'interprétation
simple, les plus nombreux et les moins graves. Des cours d'assises,
composées d'un jury de citoyens et de magistrats professionnels, sont
instituées dans chaque territoire pour juger des crimes. Enfin, des
conseils supérieurs d'appel, avec un magistrat de cour d'appel
assisté de deux fonctionnaires juges, connaissent l'appel des jugements
rendus par les justices de paix à compétence
restreinte304. La cour d'appel de l'AOF continue à
siéger à Dakar mais son personnel s'étoffe, jusqu'à
la création, par le décret du 20 août 1949, d'une
quatrième chambre qui siège de manière permanente à
Bamako. Une nouvelle cour d'appel est ensuite créée en 1951
à Abidjan305. La cour d'appel de Dakar reste
compétente pour connaître les appels des jugements rendus par les
justices de paix à compétence étendue et les tribunaux de
première instance. Mais les crédits et le personnel
affectés à ces nouveaux tribunaux ne suivent pas. Des citoyens
sont alors délégués dans les fonctions de juges de paix le
6 août 1946 par le Haut-Commissaire, afin de pallier la pénurie de
personnel306.
Les justices de paix à compétence
correctionnelle et de simple police sont installées au chef-lieu de
chaque cercle. Certains cercles plus peuplés, comme celui de Porto-Novo,
ont deux justices de paix à compétence restreinte, mais
globalement le nombre des juridictions françaises instaurées
reste inférieur à celui des anciennes juridictions
indigènes qui siégeaient dans chaque chef-lieu de subdivision et
de cercle. Les justices de paix comprennent un juge unique. Ce même
magistrat cumule les fonctions : lui seul décide ou non de la poursuite,
instruit l'affaire puis la juge. Mais la nouveauté réside dans la
séparation des pouvoirs entre l'exécutif - l'administrateur
civil, commandant de cercle ou chef de subdivision - et le pouvoir
judiciaire.
La croissance du rôle du magistrat colonial
L'administrateur, mais également les notables locaux,
perdent une grande partie de leurs fonctions judiciaires au profit d'une figure
qui prend de l'importance : le magistrat colonial. Ce dernier obtient un statut
équivalent à celui des magistrats métropolitains : la
constitution de 1946 lui reconnaît l'inamovibilité et les
gouverneurs perdent leurs pouvoirs
304 Mamadou Dian Chérif Diallo, Répression et
enfermement en Guinée, op. cit., p. 536.
305 Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, op. cit.
306 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en
AOF, op. cit.
disciplinaires sur les magistrats du siège. En effet,
la nouvelle constitution confie au Conseil supérieur de la magistrature
d'assurer la discipline des magistrats du siège, leur
indépendance et l'administration des tribunaux
judiciaires307. Face aux besoins de magistrats
supplémentaires pour les nouvelles juridictions créées,
les places réservées aux concours d'entrée à la
magistrature coloniale sont accrues308.
Par ailleurs, ce corps s'ouvre aux femmes à partir de
1946. Mais cette ouverture se heurte aux préjugés de
l'administration. L'exemple de Madame Gaillard qui réussit le concours
de la magistrature coloniale dès 1946 mais qui dut attendre dix ans pour
se voir attribuer un poste est emblématique. Le Conseil d'Etat lui donne
finalement gain de cause dans un arrêt du 13 janvier 1956, en soulignant
que le refus qui lui était opposé d'accéder à la
fonction de magistrat colonial constituait une mesure
discriminatoire309. L'accès des femmes à la
magistrature est très mal perçu au sein de cette corporation. Les
femmes ne peuvent, aux yeux des magistrats coloniaux, avoir une autorité
naturelle suffisante pour s'imposer dans le milieu indigène et il est
nécessaire de les exclure dans un premier temps des juridictions
à juge unique :
<< L'indigène (...) n'accorde pas la même
valeur à l'homme et à la femme... La femme magistrat n'aurait
donc pas la considération, le prestige, l'ascendant dont
bénéficie son collègue masculin. De toute façon,
seule l'expérience éprouvera cette promotion de la femme à
la magistrature. Mais dès l'instant, on peut avancer que
l'indigène, au moins au début, sera réticent pour
être jugé publiquement par une femme. Aussi dans la phase initiale
de l'expérience, il serait préférable que la femme
magistrat soit affectée à des parquets et que les justices de
paix leur soient proscrites. Ainsi, avant de distribuer la justice, elle en
aura au moins analysé les rouages et compris le fonctionnement.
>>310
Ce sentiment est largement partagé. La majorité
des magistrats interrogés par Martine Fabre estime en effet que les
nominations de femmes << étaient impensables en pays musulman
>> au motif que << les autochtones n'auraient pas acceptés
d'être jugés par une femme >>311. L'accès
des femmes à la magistrature constituait une révolution tant en
métropole que dans les colonies. Les opinions exprimées par les
magistrats coloniaux n'étaient alors guère
éloignées de celles de leurs collègues
métropolitains. La difficile acceptation des femmes dans le corps de la
magistrature coloniale semble davantage se poser du côté des juges
que des justiciables, comme le souligne la réponse de Madame Gaillard
à la question de Martine Fabre : << Comment les magistrats
féminins étaient-ils
307 Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, op. cit.
308 Ibid. Un décret du 30 octobre 1950 modifie
les modes d'accès au concours d'entrée à l'ENFOM.
309 Martine Fabre, << Le magistrat d'outre-mer : un
élément capital dans la stratégie coloniale >>, in
Bernard Durand (sous la direction de), La Justice et le droit...,
op. cit., pp. 423-451.
310 H. Gueziec, Le fonctionnement de la justice
répressive en AOF : aspects particuliers et problèmes,
Mémoire ENFOM d'élève magistrat, 1954-1955, CAOM, 3 ECOL
121 d9,
311 Martine Fabre, << Le magistrat d'outre-mer... >>,
op. cit., p. 429.
accueillis ? >> : << par les autochtones
très bien, par mes collègues masculins, très mal dans
l'ensemble >>312. Malgré les modifications de statuts
et les recrutements réalisés, les effectifs de magistrats restent
insuffisants en AOF jusqu'en 1960. Leur nombre réel est toujours
inférieur d'un quart à un sixième par rapport aux besoins
et les effectifs théoriques eux-mêmes s'avèrent
insuffisants : en 1948, on doit compter 151 magistrats en AOF pour 16 millions
de justiciables313. Mais l'application de la justice
française pour l'ensemble de la population des territoires d'outre-mer
ne touche que le domaine pénal.
Le maintien d'une justice distincte dans les colonies en
matière civile
Les nouveaux citoyens français depuis 1946
relèvent des tribunaux pénaux français mais ils conservent
en fait leur << statut personnel >>, qui les soumet en
matière civile et commerciale à des juridictions
coutumières distinctes des juridictions françaises. Ils peuvent
cependant renoncer à ce statut personnel pour le statut civil
français et relever alors des juridictions civiles françaises,
comme le souligne l'article 82 de la Constitution de 1946. Le
législateur français escompte que l'évolution sociale et
politique dans les territoires d'outre-mer conduira progressivement les
Africains à abandonner leur statut personnel. Mais en
réalité, peu de personnes y renoncent.
Une dichotomie entre les matières pénale et
civile se met donc progressivement en place. A partir de 1944 le colonisateur
s'oriente vers une politique judiciaire clairement assimilatrice en
matière pénale. Un code pénal indigène est alors
institué : il ne laisse que peu de place à la coutume et il a
pour objet d'uniformiser selon les principes de droit français le droit
pénal en AOF. A partir de 1946, la suppression des juridictions
indigènes en matière pénale achève ce mouvement
d'assimilation.
Mais parallèlement, le colonisateur maintient et
accentue même la différenciation entre les juridictions
françaises et les juridictions coutumières en matière
civile et commerciale. Le décret du 26 juillet 1944 met en place des
tribunaux indigènes coutumiers, composés exclusivement de
notables indigènes. La présidence du tribunal par
l'administrateur est cependant maintenue pour les affaires relatives à
l'état des personnes et à la famille, afin de contrôler et
conduire l'évolution de la coutume en ce domaine. Ces tribunaux
coutumiers sont chargés de juger les affaires civiles et commerciales
selon la seule coutume. Le gouvernement français opère donc une
décentralisation du pouvoir judiciaire en matière civile et
commerciale au profit des notables locaux.
312 Ibid., pp. 429-430.
313 Bernard Durand, << La magistrature coloniale : de
l'intérim à la suppléance >>, in Bernard Durand
(sous la direction de), La Justice et le droit..., op. cit.,
p. 480.
Il estime également que les << coutumes »
doivent continuer à servir de fondement aux décisions judiciaires
civiles, tout en renonçant à leur codification314. Une
réforme de ces juridictions civiles est entreprise entre 1951 et 1954,
mais leur architecture varie peu jusqu'à l'indépendance des Etats
africains. Les tribunaux coutumiers prennent alors la dénomination de
<< tribunaux locaux coutumiers » de premier ou de deuxième
degré. Les tribunaux du premier degré, compétents pour les
affaires de moins de 50 000 francs, sont exclusivement composés de
notables indigènes, mais ces derniers sont toujours nommés par le
chef du territoire. Les tribunaux de deuxième degré sont en
revanche présidés par l'administrateur du cercle et ils
connaissent les appels des jugements rendus au premier degré, ainsi que
les affaires de plus de 50 000 francs. Enfin, un tribunal supérieur de
droit local est instauré au chef-lieu de chaque territoire par un
décret du 21 avril 1953 pour l'appel des jugements rendus par les
tribunaux de deuxième degré315.
Après 1945, les législateurs et gouvernements
français successifs ne parviennent pas à une position claire sur
l'organisation judiciaire en AOF. Tout en soumettant l'ensemble des populations
de ces territoires aux mêmes juridictions pénales, ils continuent
à distinguer statut personnel et statut civil français en
matière civile et commerciale. Cette distinction réglementaire
révèle le maintien de relations inégalitaires entre
colonisateur et colonisé, malgré les fictions entretenues pendant
la IVème et la Vème Républiques,
d'une Union française librement consentie.
Les principes affichés tant à partir de 1945
qu'avant doivent donc être confrontés aux pratiques judiciaires
des autorités coloniales et à leurs perceptions par les
populations africaines. Comme le soulignent Florence Bernault, Pierre Boiley et
Ibrahima Thioub, << le droit colonial et le fonctionnement de ces
institutions renseignent sur la nature de l'autorité établie
outre-mer », invitant ainsi à une << histoire culturelle et
sociale » de la justice et des prisons316. Il paraît donc
fondamental de saisir les sentiments et les réactions des groupes en
présence face à la justice, dans un contexte colonial qui modifie
le sens des institutions et la place des catégories sociales. En
d'autres termes, il convient de mesurer les liens et les décalages entre
les principes affichés au niveau judiciaire et les
réalités coloniales.
314 Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, op. cit.
315 Denis Tahet, Les juridictions de droit local en Afrique
occidentale, Mémoire ENFOM d'un auditeur fonctionnaire en
Côte d'Ivoire, 1958-1959. CAOM, 3 ECOL 153 d6.
316 Florence Bernault, Pierre Boiley, Ibrahima Thioub,
<< Pour une histoire du contrôle social dans les mondes coloniaux :
justice, prisons et enfermement de l'espace », Revue française
d'histoire d'Outre-mer, tome 86, n°324-325, 1999, p. 7. Cité
par Laurent Manière, Ordre colonial, contrôle social...,
op. cit., p. 3.
2ème partie :
Mettre en oeuvre la justice coloniale :
entre principes affichés et
réalités de
fonctionnement
(de 1900 à 1960)
|
Plusieurs études ont mis en évidence
l'écart entre les principes affichés par le colonisateur, telle
que la mission civilisatrice, et la réalité coloniale,
dominée par d'autres impératifs, comme l'utilité pour la
métropole. Selon Georges Balandier, ce constat est lié au fait
que << la situation coloniale apparaît comme possédant d'une
manière essentielle, un caractère d'inauthenticité. Le
sociologue saisit combien la société européenne coloniale
animée par une doctrine incertaine, condamnée à des
comportements inauthentiques et liée par une image
stéréotypée de l'indigène, agit en fonction de ces
représentations sur la société colonisée
>>317. Certains auteurs, tel que Jean Fremigacci, soulignent
donc l'intérêt d'étudier au-delà des principes
affichés et des textes officiels leur mise en oeuvre sur le terrain :
<< L'histoire coloniale a d'abord été
écrite à partir du discours du pouvoir, qui utilise son monopole
de la parole pour s'autoproclamer et se mettre en scène, y compris dans
le Journal Officiel. Mais une recherche au niveau du terrain en dégage
les aspects fictifs et l'illusion suivant laquelle le progrès pouvait
avancer par décret. En fait, un fort pourcentage d'arrêtés,
circulaires et décisions n'ont pas connu de traduction dans la
réalité, ou bien habillent une réalité qu'ils
feignent de créer. >>318
La justice dans les colonies, en tant que pouvoir
régalien par excellence, a donné lieu à
l'élaboration d'une doctrine et de principes permettant la mise en
valeur de l'action réalisée. Mais la pratique de la justice
coloniale met en évidence le caractère incertain et ambigu de ces
principes, dominés par des stéréotypes et des
impératifs pragmatiques. Ce faisant, le pouvoir colonial a parfois
opéré une véritable << chirurgie sociale
>>319 dans les colonies, en cherchant à modifier les
valeurs et les modèles sociaux préexistants. Mais le corps social
ne reste pas inactif : les réactions de refus, d'adaptation ou
d'intégration des nouvelles normes sociales par les populations
africaines modifient la pratique de cette justice coloniale.
A. Le pouvoir colonial et la justice indigène
: principes, représentations et pratiques
Tout au long de la période étudiée, les
autorités coloniales manifestent le souci de justifier l'organisation
judiciaire mise en place en AOF. Dans son rapport au Président de la
République du 10 novembre 1903, le ministre des Colonies souligne la
nécessité d'unifier l'administration de la justice en AOF
<< en tenant compte en même temps des droits de nos nationaux et de
la population européenne, des besoins des populations
317 Georges Balandier, Sociologie actuelle de l'Afrique
noire, Paris, PUF, 1955, p. 7.
318 Jean Fremigacci, L'Etat colonial français, du
discours mythique aux réalités (1880-1940), Matériaux pour
l'histoire de notre temps, 1993, vol.32, p. 33, cité par Laurent
Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit.,
p. 13.
319 Georges Balandier, Sociologie..., op. cit.,
p. 5.
indigènes et des intérêts
supérieurs de notre politique >>320. Les objectifs mis
en avant mêlent donc à la fois l'intérêt des
populations colonisatrices de disposer d'une justice équivalente
à celles qu'ils connaissent en métropole et les « besoins
>> estimés des populations colonisées d'une justice «
adaptée >> à leur « niveau de civilisation >>.
Les principes d'organisation judiciaire expriment la vision racialisée
et duelle du pouvoir colonial. Mais le rapport invoque également la
prédominance des « intérêts supérieurs de notre
politique >>, qui sont ceux d'une domination non contestée et
d'une utilité des colonies à un moindre coût. Ce constat
permet donc de s'interroger sur le sens et la portée de la notion de
justice adaptée aux indigènes que le colonisateur entend mettre
en oeuvre.
1. Une justice adaptée aux besoins locaux ou une
justice au service exclusif du pouvoir ?
En différenciant la justice indigène de la
justice française, le pouvoir colonial affiche sa volonté
d'organiser une justice « adaptée >> au « stade
d'évolution >> des autochtones, respectant les coutumes et les
autorités traditionnelles. Les autorités coloniales ont le
sentiment d'une responsabilité et d'une tutelle à l'égard
des populations colonisées, qui ne sont pas aptes à comprendre
« notre législation compliquée >>321. Cet
état d'esprit paternaliste laisse transparaître un sentiment de
supériorité culturelle et raciale qui se manifeste nettement chez
les administrateurs des colonies dans leurs écrits sur les
réformes de la justice indigène.
L'idée d'une justice « adaptée » :
entre pragmatisme et vision racialisée
Nous avons vu que l'existence de deux systèmes
juridiques différents dans les colonies est à la fois à
l'origine et la conséquence pratique de la distinction entre citoyen et
sujet français. Or, comme le souligne Emmanuelle Saada, « si les
statuts et les systèmes juridiques sont en étroite relation,
c'est (...) bien parce que ces deux ensembles sont la traduction juridique des
découpages raciaux >>322. Les statuts de citoyens et de
sujets recoupent presque exactement les catégories de Français et
d'indigènes et renvoient donc à l'appartenance raciale. En fait,
les juristes et les administrateurs coloniaux estiment, en
320 ANB, JOD 1904, fonds des JO, rapport au
Président de la République du 10 novembre 1903 du ministre des
Colonies Gaston Doumergue.
321 ANB, 1M123(4), fonds du Dahomey colonial, lettre du
lieutenant-gouverneur au commandant de cercle de Ouidah le 18 janvier 1913.
322 Emmanuelle Saada, « Citoyens et sujets de l'Empire
français..., op. cit., p. 19.
faisant prévaloir les notions de << race historique
>>, qu'à << chaque race son droit et à chaque droit
sa race >>323.
L'assimilation ne peut donc être conçue que dans
un avenir très lointain dans la mesure où la production juridique
d'une race est liée à son milieu qui ne pourra <<
évoluer >> que lentement au contact du colonisateur. Les statuts
juridiques devraient donc, selon cette perspective évolutionniste, se
modifier au fur et à mesure des contacts entre les
sociétés coloniale et colonisée. De nouvelles
catégories intermédiaires émergent, comme les
métis, les convertis ou les << évolués >>
formés à l'école coloniale. Le pouvoir colonial est
amené à envisager de nouveaux statut et système juridique
pour ces groupes324. Interrogé en 1912 sur l'idée de
créer des tribunaux de subdivisions spécifiques à un
groupement ethnique ou une région déterminée, le
commandant de cercle estime que cette réforme ne peut concerner pour
Ouidah que << les mulâtres brésiliens ou portugais >>
: << C'était là, à mon point de vue, le seul
groupement ethnique possible visé par le décret et apparemment
séparé de la masse des indigènes par son extérieur,
son degré d'instruction, sa connaissance partielle de notre langue, plus
nettement encore par ses origines et sa mentalité
>>325. Cet administrateur rassemble dans un même groupe
la masse des indigènes et n'en distingue que les métis, pour
lesquels une organisation judiciaire spécifique devrait selon lui
être envisagée.
La ségrégation judiciaire, tout comme la
ségrégation spatiale dans les villes coloniales, se base avant
tout sur un critère racial (<< l'extérieur >>,
<< les origines >>) et un sentiment de proximité culturelle
(<< degré d'instruction >>, << connaissance de la
langue >>, << mentalité >>). Dans cette perception des
populations et de la justice, les métis restent un groupe distinct,
intermédiaire et jamais totalement intégré dans la
communauté européenne ou indigène. Ce sentiment est
partagé par d'autres administrateurs, notamment le lieutenant-gouverneur
qui écrit :
<< La mesure qui avait assimilé les habitants de
Ouidah aux justiciables français n'est pas sans inconvénient
pour les intéressés eux-mêmes. Aussi l'administration
locale a proposé une solution moyenne : donner aux habitants de
Ouidah un tribunal propre qui leur appliquera les règles
323 Ibid., p. 20. Selon Emmanuelle Saada,
théoriciens et autorités coloniales se basent davantage sur la
notion de << race historique >>, et notamment sur l'analyse
d'Hyppolite Taine qui associe << race >>, << moment >>
et << milieu >>, que sur la conception scientifique ou biologique
de la race.
324 Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie...,
op. cit. Emmanuelle Saada, dans cet ouvrage tiré d'une
Thèse, étudie les questions juridiques liées aux <<
métis de l'Empire français >>, qui se trouvent à la
frontière entre la citoyenneté et l'indigénat. Sur la
situation des métis au Dahomey : Anne-Marie Sanvi, Métis et
Brésiliens dans la colonie du Dahomey, 1890-1920 : le problème du
métissage, Mémoire de maîtrise d'histoire,
Université nationale du Bénin, 1977, 282 p.
325 ANB, 1M123(4), fonds du Dahomey colonial, lettre de
l'administrateur de cercle de Ouidah au lieutenantgouverneur du Dahomey en date
du 19 juin 1913.
juridiques que réclame leur état social,
éloigné de celui des indigènes de l'intérieur mais
qui n'est pas devenu pour cela et qui ne deviendra jamais identique au
nôtre. >>326
Ces interrogations sur les populations intermédiaires
entre sociétés coloniale et indigène traduisent un
mouvement qui « répond aussi à une dynamique interne
à la sphère juridique coloniale qui s'est progressivement
dotée d'un système cohérent de catégories et de
procédures pour penser le statut des personnes en milieu colonial
>>. La question métisse donne lieu à une série de
décrets entre 1928 et 1944 pour fixer leur statut en matière de
citoyenneté327, tandis que les convertis et les «
évolués >> se voient refuser un statut
spécifique.
Le travail d'élaboration de ces catégories
raciales et sociales construit et fige les groupes. De même, la crainte
permanente par la minorité dirigeante d'une contestation de l'ordre
colonial conduit à renforcer le cloisonnement entre citoyens et
indigènes entre 1900 et 1945. Cette ségrégation se
manifeste dans tous les domaines de la vie sociale. Ainsi l'organisation
judiciaire s'oriente-t-elle vers une séparation de plus en plus
marquée entre justice française et justice indigène, avec
la suppression des passerelles dès 1912. Le souci d'une justice
adaptée aux populations traduit donc en réalité le
découpage racial fondamental dans la société coloniale.
Une recherche de légitimation de l'autorité
coloniale
Mais au-delà des préjugés que
véhicule l'idée de justice « adaptée >> aux
indigènes, l'administration coloniale se montre en fait très
attentive à savoir ce que pense la population de la justice
indigène. Il s'agit pour elle de répondre au mieux aux besoins
présumés des autochtones, et, ce faisant, de renforcer sa
légitimité et son autorité sur les populations
colonisées. En effet, comme le souligne John Iliffe, les administrateurs
sont très « fiers de leur tâche essentielle : rendre la
justice et faire appliquer la loi. Les premiers d'entre eux furent aussi
soucieux que les empereurs éthiopiens ou les Ashanti d'attirer les
procès dans leurs tribunaux, et pour les mêmes raisons,
c'est-à-dire accroître leur pouvoir politique, soumettre la
population à leur autorité et imposer l'idée qu'ils se
faisaient de la justice >>328.
L'intérêt pour le pouvoir colonial de renforcer
son autorité et son prestige par l'organisation d'une justice «
adaptée >> aux besoins des populations se décline
d'ailleurs en reprenant certains préjugés raciaux, comme celui du
sentiment inné de la justice chez
326 Ibid., minute du lieutenant-gouverneur du 14
février 1913 n°C11.
327 Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie...,
op. cit., p. 73.
328 John Iliffe, Les Africains. Histoire d'un continent,
op. cit., p. 281.
l'Africain. Un administrateur stagiaire écrit dans son
mémoire pour l'ENFOM en 1953 que << le sentiment de la justice est
fortement ancré chez l'Africain des tropiques. Ce besoin même de
tout mettre en question, de calibrer son droit, d'en débattre des
heures, ce désir de voir ses intuitions confirmées d'une sentence
plus ou moins officielle, plus ou moins cérémonieuse, est un des
éléments les plus typiques de l'âme africaine
>>329. Il en conclut l'importance pour le pouvoir colonial
d'instaurer une justice répondant aux sentiments du peuple noir :
<< Etre juste, appliquer les règles de l'équité et
faire triompher le bon droit, c'est se faire l'ami des Noirs, ce qui vaut
considérablement mieux que d'en être craint >>.
De manière générale, le gouverneur du
Dahomey sollicite les administrateurs pour avoir des rapports trimestriels sur
le fonctionnement de la justice indigène, mentionnant notamment
l'état d'esprit des justiciables à l'égard des
institutions judiciaires et des juges. Les administrateurs des cercles et des
subdivisions, à la fois juge et partie, estiment le plus souvent que la
population est satisfaite de la justice coloniale. Comme la plupart de ses
collègues, le Résident de Porto-Novo souligne en 1911 : <<
Nous pouvons constater, ainsi que précédemment, que la confiance
des indigènes en notre administration n'a guère diminuée :
la mentalité de la généralité des indigènes
est bonne >>330.
Les comptes rendus des exécutions capitales
dressés par les administrateurs de cercle reflètent plus
particulièrement l'intérêt de l'autorité coloniale
à légitimer son intervention judiciaire auprès des
Dahoméens. Ils sont accompagnés d'un rapport sur l'effet moral
qu'a produit l'exécution, dans lequel l'administrateur insiste sur
l'acceptation et même l'approbation de la sentence par la population et
les élites locales. A propos de l'exécution en 1912 d'un homme
condamné à mort pour assassinat, le commandant de cercle relate
que << la reine de Kétou et sa suite assistaient à
l'exécution, 300 personnes, des femmes principalement à une
centaine de mètres en arrière. La population fut avertie la
veille. Elle exprima une joie non déguisée en apprenant la
nouvelle de l'exécution (...). Aucun murmure n'a été
entendu pendant la durée de l'exécution ; tout s'est passé
dans le plus grand calme >>331.
329 Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, op. cit.
330 ANB, 1M136(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du
Résident de Porto-Novo n°487 du 19 juillet 1911. De multiples
exemples identiques se trouvent dans les rapports sur le fonctionnement de la
justice indigène en 1911 (1M136(2)), en 1910 et 1914 (1M159(5)), en 1924
(1M126(2)).
331 ANB, 1M123(8), fonds du Dahomey colonial, rapport du
commandant de cercle de Zagnanado sur l'exécution de Fagbité le
16 mai 1912.
L'administrateur insiste sur le consensus de la population
autour de la sentence rendue par une juridiction coloniale. Il met ainsi en
relief l'acceptation par les autorités locales, auparavant souveraines,
du rôle du colonisateur dans l'administration de la justice :
<< Aussitôt après l'inhumation, la Reine et
les notables sont venus devant la foule remercier l'administrateur en lui
déclarant que l'exécution était nécessaire, qu'ils
avaient cependant un regret à exprimer, c'est qu'elle ait
été tardive. »332
L'exécution apparaît ici comme un <<
spectacle » de légitimation du pouvoir régalien de
l'autorité coloniale en matière de justice. Le
lieutenant-gouverneur du Dahomey informe lui-même le gouverneur
général de l'AOF, estimant que << la justice faite donne
satisfaction à la population de la région de Kétou
»333 et mettant ainsi en évidence que la
répression coloniale s'accorde avec les attentes de l'opinion
africaine.
La nécessité de satisfaire la population en
sanctionnant sévèrement les criminels les plus craints est
intimement liée au besoin de donner une bonne image de la justice
coloniale et de renforcer ainsi l'autorité du colonisateur. A propos
d'un recours en grâce formé par deux individus condamnés
à mort dans une affaire de fétichisme, le lieutenantgouverneur
estime l'exécution nécessaire pour tenir compte des sentiments de
la population à l'égard des crimes liées à la
sorcellerie :
<< La sentence prononcée contre eux est juste et
il est nécessaire qu'elle soit exécutée. Toute la
région de Manigri à Agoué vit sous la terreur trop
explicable du poison. L'on comprend quel peut être l'effroi de la
population lorsqu'elle voit comme à Pira, sept jeunes filles
tuées - par le fétiche - dans une seule soirée. Ce crime
n'est pas le seul qui soit parvenu à notre connaissance mais combien
plus nombreux doivent être ceux que nous ignorerons toujours. Les
coupables restent ordinairement impunis et la population qui sait pour avoir
maintes fois fait l'expérience que les prévenus seront
probablement remis en liberté hésite de plus en plus à
venir témoigner contre les féticheurs par crainte de vengeance
trop probables (...). Il nous faut la rassurer, lui montrer que notre justice
sait être ferme et tutélaire lorsque tous les doutes sont
levés. A ce prix seulement nous pouvons être renseignés et
être en mesure de prouver à nos sujets la sécurité
que nous leur devons. »334
Ces derniers arguments en faveur du rejet du recours en
grâce soulignent la conception de la justice coloniale qu'ont les
autorités françaises. Il s'agit bien de << notre justice
», non celle de la population dahoméenne mais celle du
colonisateur, qui doit s'imposer dans sa justesse et son autorité
à << nos sujets » pour être acceptée et remplir
son rôle, à savoir imposer moralement sa tutelle et sa
domination.
Le pouvoir colonial, en affichant l'idée d'une justice
adaptée, c'est-à-dire respectueuse des coutumes et associant les
autorités locales, cherche donc avant tout à
332 Ibid.
333 Ibid., lettre du 24 mai 1912 du
lieutenant-gouverneur du Dahomey par intérim au gouverneur
général de l'AOF.
334 Ibid., avis du lieutenant-gouverneur du Dahomey sur
le recours en grâce des nommés Akaté et Aballot, SD (leur
exécution a eu lieu en 1912).
renforcer son autorité. Mais l'organisation judiciaire
retenue est également une solution pragmatique, imposée par les
contraintes financières et humaines dans les colonies.
2. Volonté ou contrainte d'une justice
adaptée ? Les problèmes financiers et humains
En effet, au-delà même de la volonté
déclarée d'une justice adaptée, le pouvoir se trouve
matériellement contraint d'associer les autorités locales. Le
manque de moyens financiers et humains ne permet pas au colonisateur
d'implanter une justice fournie et totalement dirigée par des cadres et
des agents européens.
Le principe d'une justice peu coûteuse
La justice, qui est un des éléments de
l'administration coloniale, suit les principes de gestion coloniale. Or si les
colonies doivent être source de profits, elles ne doivent rien
coûter à la métropole. Selon la loi de 1901 sur l'autonomie
financière des colonies, cellesci doivent se suffire à
elles-mêmes ; le principe de la subvention métropolitaine est donc
supprimé335.
Au début du XXème siècle,
l'implantation des services administratifs sur l'ensemble des territoires
entraîne une forte croissance des dépenses publiques mais la
création de l'impôt de capitation permet au Dahomey de disposer de
nouvelles ressources à partir de 1899 et de prendre en charge les
dépenses diverses.
Cependant, le rattachement du Dahomey à l'AOF, qui est
définitivement organisée en 1904, modifie les perspectives. En
effet, les huit colonies sont contraintes de verser directement leurs revenus
douaniers à la Fédération qui distribue ensuite les
ressources selon les besoins estimés de chaque colonie : le Dahomey qui
disposait jusque là de recettes importantes dans ses caisses se trouve
défavorisé336. Dans le récit de son voyage en
Afrique, Albert Londres traduit la perte financière ressentie par le
Dahomey en ces termes :
« Nous sommes pour l'instant en AOF. Huit colonies.
Chacune a un budget. D'où vient l'argent ? De l'impôt que verse
chaque nègre et des droits de douane que paye tout le monde. Exemple :
le Dahomey, le plus petit morceau de cette galette, avoue cette année
soixante-deux millions de recettes. On lui abandonne vingt millions pour ses
besoins. Dakar (le gouvernement général) prend quarante-deux
millions. (...) Le Dahomey affirme qu'avec l'argent qu'il envoie à Dakar
les Dahoméens pourraient s'offrir de beaux wharfs, des kilomètres
de chemins de fer et des installations définitives. »337
335 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique
Noire de 1800..., op. cit., p. 60.
336 Hélène d'Almeida-Topor, Histoire
économique du Dahomey..., op. cit., pp. 183-188.
337 Albert Londres, Terre d'ébène, op.
cit., p. 131.
Par conséquent, les services administratifs
fonctionnent souvent dans des conditions précaires, comme le rappellent
les administrateurs des colonies dans leurs rapports sur le fonctionnement de
la justice indigène, notamment dans l'arrière-pays. Ainsi, le
commandant de cercle de l'Atacora, au nord du Dahomey, souligne-t-il
qu'<< à défaut de locaux spéciaux, les tribunaux
continuent à siéger dans les bureaux »338. De
même, le procureur se trouve obligé de solliciter auprès du
lieutenant-gouverneur les fonds nécessaires à
l'emménagement du personnel judiciaire :
<< Si j'ai bien compris vos intentions bienveillantes
à l'égard du personnel judiciaire, vous êtes disposé
aujourd'hui à octroyer aux magistrats le mobilier sommaire indispensable
à l'existence qu'il leur est matériellement impossible de se
procurer sur place. Je viens de solliciter de votre autorité des ordres
utiles pour que le logement du président du tribunal et celui du
commis-greffier soient munis d'urgence de quelques meubles en prévision
de l'arrivée des occupants attendus. Le demilogement laissé
vacant par le commis greffier d'Erneville n'a comme celui du président
titulaire aucune espèce de meubles (...). Ce n'est pas au dernier
moment, le jour de leur arrivée, qu'il conviendra de venir en aide
à ces deux fonctionnaires. »339
Ces problèmes financiers entraînent et se doublent
d'un manque de personnel pour assurer le fonctionnement aussi bien de la
justice française que de la justice indigène.
Le manque et les carences du personnel européen dans
la justice coloniale
La justice française dans les colonies ne recrute que
difficilement. Certains magistrats sont attirés vers les colonies par
<< la recherche d'horizons nouveaux » ou par les perspectives de
salaire, dans la mesure où le supplément colonial leur permet de
doubler leur traitement de base340. Mais la séparation des
carrières entre les magistratures coloniale et métropolitaine,
les << difficultés de la vie coloniale » - notamment le
climat, l'importante mobilité d'une colonie à l'autre, l'absence
d'indépendance et la non-application du principe d'inamovibilité
en outre-mer341 et le mépris de la métropole à
l'égard de cette fonction - en limitent l'intérêt. Bernard
Durand souligne cette crise du recrutement ; citant une thèse de 1929
sur le sujet, il note que << sur 351 postes, 68 étaient sans
titulaires » à cette date342.
Le statut de la magistrature d'outre-mer est aligné sur
celui des juges métropolitains après la Seconde Guerre mondiale.
Le principe d'inamovibilité est ainsi consacré pour l'ensemble de
la magistrature par la constitution de 1946 et une plus grande
indépendance
338 ANB, 1M126(2), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le
fonctionnement de la justice indigène pendant le 1er et le
2ème trimestre 1924 du commandant de cercle de l'Atacora.
339 ANB, 3M001, fonds du Dahomey colonial, lettre du procureur de
la République près du tribunal de première instance de
Cotonou au lieutenant-gouverneur du Dahomey le 2 avril 1920.
340 Bernard Durand, << La justice en perspectives, la
magistrature coloniale », actes de sessions de l'Ecole Nationale de la
Magistrature, source Internet http ://
enm.justice.fr
341 Voir la définition de l'inamovibilité dans le
lexique des termes juridiques employés.
342 Bernard Durand, << Observer la justice coloniale sous
la Troisième République », op. cit., p. 66.
est reconnue aux magistrats du siège d'outre-mer qui
relèvent disciplinairement du conseil supérieur de la
magistrature, et non plus du procureur général de l'AOF. Mais la
pénurie de magistrats outre-mer perdure et s'aggrave même, selon
le président Sédille, en raison de la multiplication des
juridictions françaises après 1946343.
Par ailleurs, le régime des congés
spéciaux entraîne une fréquente vacance des postes. Les
autres magistrats présents sur le territoire sont alors
sollicités pour remplacer leurs collègues, aggravant la
mobilité ou le caractère ambulatoire de la magistrature
coloniale344. Les fonctionnaires coloniaux sont aussi parfois
contraints de remplacer les magistrats absents. Si l'administration coloniale
se plaint des problèmes de gestion du personnel judiciaire liés
au régime des congés, elle souligne également la
difficulté pour le personnel administratif qui se trouve lui-même
en nombre insuffisant d'assurer les fréquents remplacements des
personnels judiciaires. Ainsi, le service du personnel du Dahomey
écrit-il en 1920 au gouverneur général de l'AOF :
« J'ai été saisi d'une demande de
congé administratif par Mr le procureur de la République Cornette
de Saint-Ouin qui désire rentrer en France dès l'expiration de
son séjour réglementaire de deux ans. Il y aurait
intérêt à ce que des mesures soient prises pour assurer le
remplacement de ce magistrat au moment opportun car le service judiciaire du
Dahomey se présente actuellement dans une situation assez
précaire. En effet, Mr le juge-suppléant Abel, qui compte,
après 17 mois de séjour en Côte d'Ivoire et au Dahomey,
plus de 6 années de service ininterrompu sans congé à la
Guadeloupe, son pays d'origine, rentre en congé administratif en France.
Quant à Mr le juge Ounx [nom peu lisible], d'après les
connaissances qui me parviennent, son état de santé ne lui
permettra vraisemblablement pas de prolonger longtemps son séjour au
Dahomey. Je saisis cette occasion pour attirer votre attention sur
l'impossibilité d'affecter actuellement à des fonctions
judiciaires, même temporaires, des fonctionnaires de l'ordre
administratif qui sont déjà trop peu nombreux pour pouvoir
assurer comme il conviendrait, la marche des services du chef-lieu et des
cercles. »345
La magistrature coloniale reste marquée jusqu'en 1946
par sa dépendance à l'égard du pouvoir administratif, son
caractère ambulatoire, ses fréquentes et longues absences.
L'indépendance des juges coloniaux est en effet perçue à
l'origine comme « contraire au maintien de la discipline au sein d'une
magistrature recrutée avec légèreté, aux moeurs
jugées critiquables et dont le comportement laissait à
désirer »346. Une image négative se forme
à l'égard de ces magistrats coloniaux, sur le plan de leur
compétence mais plus encore de leur moralité. Un certain nombre
d'entre eux se trouvent accusés de compromettre l'autorité, le
prestige et l'honneur de la magistrature du fait de leur cohabitation avec des
femmes indigènes ou en raison de soupçons de corruption.
343 Bernard Durand, « Un dogme soumis à la force des
choses : l'inamovibilité des magistrats outre-mer », Revue
d'histoire du droit, juin 2004, pp. 261-262.
344 Ibid., p. 256.
345 ANB, 3M001, fonds du Dahomey colonial, lettre du 11
août 1920 du service du personnel du Dahomey sur la situation du
personnel judiciaire au gouverneur général de l'AOF.
346 Bernard Durand, « Un dogme... », op. cit.,
p. 241.
Ainsi, le procureur de la République du Dahomey
s'estime-t-il gravement outragé par un article paru en novembre 1905
dans le journal L'écho du Dahomey intitulé <<
Moeurs de magistrat », qui remet en cause la moralité de ce
dernier347. En effet, les cartes postales et photos du début
du XXème siècle, comme par exemple la carte de voeux
présentée en Photo 11, présentent souvent les femmes des
colonies sous des abords érotiques, laissant entendre le
caractère aisé des conquêtes sous les tropiques. Cet aspect
a su attirer certains jeunes aventuriers sur lesquels plane ensuite le
soupçon d'une morale douteuse.
Photo 11. << Bons voeux »,
Sénégal
Source : Collection Fortier, http ://
www.archivesdusenegal.gouv.sn/cartes/0745.JPG
Les rapports sur les comportements de deux juges au Dahomey au
début du XXème siècle peuvent également
renforcer ce sentiment d'une magistrature coloniale parfois jugée
<< indigne ». En effet, les problèmes d'alcoolisme du
procureur de la République, M. Gr., et du juge d'instruction, M. Ga.,
soulèvent des difficultés dans le fonctionnement de la justice,
ainsi que l'indignation de la communauté européenne et des
autorités. L'administrateur délégué du gouverneur
à Cotonou rapporte au gouverneur le 24 janvier 1911 que le procureur de
la République perd complètement la mémoire et qu'il ne se
souvient par exemple plus d'un voyage effectué la veille à
Porto-Novo. Plusieurs plaintes sont adressées par des justiciables,
comme celle de M. Graziani, agent d'une maison de commerce, du fait de
l'absence de réponse du procureur de la République à des
plaintes déposées348.
347 ANB, 1M161, fonds du Dahomey colonial, lettre du procureur de
la République du Dahomey au lieutenant-gouverneur du Dahomey le 22
février 1906.
348 ANB, 1M168, fonds du Dahomey colonial, lettre de Mr
Graziani, agent de la maison Pozzo di Borgo et Co à Adjohon au
lieutenant-gouverneur du Dahomey le 9 décembre 1910. Une plainte est
également adressée par Me Germain Crespin,
avocat-défenseur à Cotonou, pour déni de justice contre le
juge d'instruction (SD).
Ce magistrat étant ensuite hospitalisé, le
gouverneur de la colonie reproche au juge d'instruction de ne pas le
suppléer dans ses fonctions administratives en lui transmettant des
éléments sur un dossier et de faire ainsi obstruction à la
bonne marche judiciaire :
<< Je n'ai demandé la communication des dossiers
que parce qu'il m'a été impossible d'obtenir les renseignements
par le département pour le vol de 30 000 F. Ainsi, le procureur est hors
d'état d'agir et personne ne veut prendre les responsabilités qui
lui incombent (...). Il me paraissait d'autre part inadmissible que des
inculpés ne pussent être remis en liberté parce que le
procureur étant hors de service l'instruction ne peut lui communiquer
ses affaires. Il y a des cas de force majeure où l'équité
et la justice doivent passer avant la forme. »349
Au-delà des manquements à leurs fonctions
judiciaires, il est reproché à ces deux magistrats leurs
manifestations d'ivresse publique, et donc leur atteinte au prestige de la
magistrature coloniale. Comme d'autres fonctionnaires coloniaux, le commissaire
de la République rapporte les faits témoignant de leur
indignité à la fonction judiciaire :
<< En signalant administrativement un état de
choses qui tend à discréditer près de la population
européenne et indigène le tribunal entier, je ne fais que noter
les remarques et plaintes verbales qui me sont apportées nombreuses au
sujet de la conduite de ces deux magistrats, et dont par
déférence pour les fonctions qu'ils remplissent, je pensais ne
devoir jamais m'occuper. Les manifestations d'ivresse de MM. Gr. et Ga. sont
fréquentes et tellement notoires qu'il devient inutile de
détailler les écarts quotidiens de leur conduite.
Néanmoins et pour préciser quelque peu, je puis signaler les
nombreuses fois où, M Gr., sortant à des heures tardives du
café, a cherché en vain le chemin de son appartement au palais de
justice et, inconscient, a essayé d'ouvrir les portes d'autres domiciles
croyant rentrer chez lui, ou bien, perdu dans la ville, est revenu
s'échouer seul au café pour le restant de la nuit. D'un
tempérament plus solide, M Ga. manifeste surtout son état
d'ivresse au café où il est accompagné de son
collègue, avec lequel surviennent parfois des scènes
écoeurantes et publiques. Tout récemment enfin, il n'était
bruit, facile à vérifier malheureusement, que d'une instruction
conduite par M Ga., dans son cabinet, où seul et pris de boisson, il
menaçait d'une main mal assurée les prévenus ahuris d'un
tel spectacle, et faisant un tapage tel qu'interprètes et
employés intervinrent. Un tel état de choses ne peut se
continuer. »350
Le départ du Dahomey de ces deux magistrats est donc
demandé tant par les autorités coloniales que par les
commerçants européens qui décident de ne plus engager
d'affaire en justice tant que leur remplacement n'est pas effectué. Le
recrutement des magistrats est par la suite plus strict afin d'améliorer
l'image de la magistrature coloniale.
Les magistrats se trouvent enfin souvent en butte avec les
administrateurs des colonies, qui leur reprochent d'entraver l'action
administrative par des considérations juridiques qu'ils estiment
inadaptées aux << indigènes », comme le souligne
Georges Deherme dans un ouvrage sur l'AOF :
<< L'institution d'une chambre d'homologation
présente plus d'inconvénients que d'avantages. Et d'abord, elle
introduit trop de magistrats dans la colonie. Elle leur donne trop de pouvoirs.
La magistrature ne peut que faire de médiocre justice coloniale et par
là entraver l'action administrative. Elle a l'esprit de corps. La
routine professionnelle, la déformation mentale et morale du
métier la rendent impropre à ce qu'on doit attendre d'elle aux
colonies. Elle s'en tient aux textes
349 ANB, 1M168, fonds du Dahomey colonial, lettre du cabinet du
gouverneur du Dahomey du 26 février 1911.
350 ANB, 1M168, fonds du Dahomey colonial, lettre du commissaire
de police de Cotonou du 17 décembre 1910 au délégué
du gouverneur à Cotonou.
là où il faut de l'intelligence (...). Tout
notre formalisme juridique est de trop, le plus souvent. Et l'on sait bien que,
pour des magistrats, c'est là l'essentiel de la justice. Des
administrateurs, pour ne pas avoir d'«affaires», sont capables de
quelque souplesse, jamais des magistrats ne comprendront une justice à
un autre point que celui du droit enseigné à l'Ecole. Qu'on leur
sacrifie les Européens si l'on veut, mais pas les indigènes.
>>351
Les avocats-défenseurs devant les juridictions
françaises ne sont eux-mêmes guère nombreux. Le Dahomey en
compte quatre ayant leur résidence à Cotonou en
1906352 et leur nombre évolue peu jusqu'en 1945. Les
candidats sont difficiles à recruter et ils restent inférieurs au
nombre de places à pourvoir : seuls 18 postes sur 26 sont pourvus en AOF
en 1931353. Les parties n'ont donc pas souvent la possibilité
de choisir leur avocat puisqu'on en trouve parfois seulement deux, voire un
seul. En l'absence d'avocats, certaines personnes, parmi les juges ou les
fonctionnaires, peuvent être autorisées à défendre
les parties dans la colonie. Le lieutenant-gouverneur du Dahomey estime
dès 1905 que << le nombre des avocats-défenseurs sera
toujours très réduit au Dahomey >> et que << par
conséquent les cas d'absence ou d'empêchement permettant
l'accès du tribunal à des personnes étrangères
à cette compagnie se produiront assez fréquemment >>. Il
souligne alors le risque pour les parties de se trouver en présence de
personnes incompétentes ou de moralité douteuse et propose
d'encadrer très soigneusement leur désignation354.
Du côté des juridictions indigènes, les
administrateurs des colonies qui président ces tribunaux restent
également en nombre limité pour la totalité des
territoires à couvrir. Le problème de l'absence de ces
fonctionnaires liée à de longs congés administratifs ou
des convalescences se pose dans les mêmes termes que pour les magistrats.
Certaines circonscriptions territoriales sont même parfois fermées
provisoirement du fait du départ d'administrateurs qui ne sont pas
remplacés immédiatement, ce qui laisse la charge des services
administratifs, dont la justice, à un autre chef de subdivision ou de
cercle plus éloigné et occupé par ses autres
fonctions355. La justice ne constitue en outre qu'une des
351 Georges Deherme, L'Afrique occidentale française.
Action politique-Action économique-Action sociale, Paris, 1908, p.
86, cité par Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., p. 188.
352 ANB, JOD 1906, fonds des JO, arrêté du
16 janvier 1906, p. 76, et arrêté du 30 octobre 1906 du gouverneur
général AOF, p. 562.
353 Bernard Durand, << Les avocats-défenseurs aux
colonies, Entre déontologie acceptée et discipline imposée
>>, in Bernard Durand (sous la direction de), La justice et le
droit..., op. cit., p. 537.
354 ANB, 1F22, fonds du Dahomey colonial, lettre du
lieutenant-gouverneur du Dahomey au gouverneur général de l'AOF
du 3 mai 1905 au sujet du projet d'arrêté concernant les avocats
défenseurs en exercice en AOF n°316.
355 Par exemple la décision n°716 du 12 juin 1926
du lieutenant-gouverneur du Dahomey fermant provisoirement la subdivision de
Bembèrèkè (cercle du Borgou), << vu le rapatriement
pour fin de séjour de Mr le lieutenant Boudet de l'infanterie coloniale,
chef de la subdivision, et l'impossibilité faute de personnel de
remplacer cet officier dans ses fonctions >>. ANB, JOD 1926,
fonds des JO, p. 290. De même la subdivision de Parahoué (cercle
d'Abomey) est fermée du 2 juin au 1er décembre 1927
suite au départ en congé administratif du chef de subdivision.
ANB, JOD 1927, fonds des JO, décisions locales n°724 du 2
juin 1927 et n°1578 du 1er décembre 1927.
multiples activités des administrateurs des colonies,
qui sont fortement sollicités par la perception des impôts, la
réalisation de travaux publics ou le recrutement de tirailleurs. Pendant
les périodes de mobilisation militaire, la justice se trouve parfois
interrompue comme dans le poste de Sô-Awa en juillet 1914, qui <<
dès le premier jour de la mobilisation (...) a été
évacué, le chef de poste et les gardes de cercle qui y
étaient détachés ayant dû être envoyés
par suite des nécessités de la situation sur un autre point de la
colonie ; aussi le cours de la justice a-t-il été suspendu dans
cette localité >>356.
Les autres personnels judiciaires européens, tels que
les greffiers et commisgreffiers sont insuffisants. Le fonctionnement de la
justice est souvent perturbé compte tenu de leur pénurie et
parfois de leur carence, comme le souligne le juge d'instruction par
intérim en juillet 1914. Ce dernier déplore en 1914 << la
situation dans laquelle [il a] trouvé à [son] arrivée le
cabinet d'instruction et les conditions dans lesquelles [il a] travaillé
au déblaiement et à la liquidation des affaires >> :
<< Malgré toutes les difficultés de la
tâche, toutes les interruptions de travail et toute la pénurie de
moyens mis à ma disposition, je n'ai jamais négligé
l'expédition la plus rapide possible des affaires et toujours
veillé à abréger les détentions préventives.
(...) J'attire votre attention sur l'insuffisance que j'ai signalée en
son temps de l'unique commis-greffier du tribunal, M. Arnal, incapable
malgré sa bonne volonté, et étant l'importance de ce
siège qui est peut-être le plus chargé de l'AOF, incapable
d'expédier à lui tout seul le travail du greffe, de tenir les
audiences, copier les jugements, préparer les inventaires des dossiers
d'appel, assister le juge d'instruction aux interrogatoires des
témoins... Ce malheureux était complètement
débordé et n'a pas tardé à tomber malade. M. Girot
avant lui avait été mis en congé d'office par le Dr Wagon
et rapatrié immédiatement. Cette insuffisance de l'unique
commis-greffier m'a obligé à différentes reprises à
fermer mon cabinet d'instruction. >>357
Les insuffisances du personnel judiciaire et leur polyvalence
entraînent des retards dans le déroulement des procédures.
Le problème n'est pas conjoncturel et cette situation perdure bien
au-delà de la Première Guerre mondiale qui avait vu le retour en
métropole d'un certain nombre de fonctionnaires. Ainsi le gouverneur du
Dahomey adresse-t-il une circulaire aux commandants de cercle le 25 août
1935 dans laquelle il se plaint des << retards apportés par les
présidents des tribunaux indigènes à l'envoi des copies de
jugements réclamés par son parquet. De même des
justiciables se plaignent souvent de ne pouvoir obtenir qu'après de
longs délais copies des jugements par eux demandés
>>358. Le gouverneur précise qu'il << n'ignore
pas qu'en raison de nombreuses occupations imposées
356 ANB, 1M159(5), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le
fonctionnement de la justice indigène du lieutenant-gouverneur du
Dahomey au gouverneur général pour juillet 1914, SD.
357 Ibid., lettre du 19 mai 1914 du juge d'instruction
au procureur de la République de Cotonou.
358 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire du 25
août 1935 du gouverneur du Dahomey aux commandants de cercle.
au personnel des cercles et de la pénurie de bons
dactylographes >>, la situation est difficile à juguler, mais elle
pose problème compte tenu des délais pour les
appels359.
Le pouvoir colonial, comme nous l'avons vu, s'oriente non
seulement volontairement vers l'association des élites locales à
l'administration de la justice, mais est également matériellement
contraint de s'appuyer sur les notables dahoméens face à la
pénurie de personnel européen. La part entre le choix et la
nécessité de recourir aux élites locales est
délicate à déterminer. L'administration a dans un premier
temps souhaité supprimer les grands chefs et les remplacer par des
fonctionnaires français mais elle a commencé à se servir
des structures locales quand cela était possible360.
Le colonisateur transforme en réalité la notion
de pouvoir. Après avoir écarté les chefs
récalcitrants et face au manque de personnel européen, il cherche
le concours des nouveaux chefs de canton ou de province que le gouverneur
nomme, mais en réduisant leur rôle à de simples
auxiliaires. La fonction attendue des autorités locales est
définie dans la formule du gouverneur Delavignette : << Il n'y a
pas de colonisation sans politique indigène, pas de politique
indigène sans commandement territorial et pas de commandement
territorial sans chefs indigènes qui servent de rouages entre
l'autorité coloniale et la population >>361.
3. L'association des élites locales à la
justice : un rôle limité
Le pouvoir colonial se révèle très ambigu
dans l'administration de la justice. Recherchant et associant par
nécessité les autorités dites << traditionnelles
>>, il leur reconnaît une place particulière dans le
processus judiciaire et un statut spécifique en tant que victime ou
auteur d'infractions. Mais l'administration coloniale, dans son effort de
domination politique, entend garder le contrôle du système
répressif.
La participation des notables dahoméens au
système répressif
Comme par le passé, lorsqu'une infraction est commise,
le premier sollicité reste le chef de village, de quartier ou de canton.
Le délinquant est souvent arrêté par le chef luimême.
Ce dernier commence alors l'enquête avant de diriger l'auteur du
délit ou du crime vers le chef de subdivision ou de cercle.
L'intervention du chef du lieu où a été commise
l'infraction permet souvent d'établir plus rapidement les faits, au sein
d'une communauté dont les membres se connaissent, que devant
l'administrateur étranger et
359 Ibid.
360 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique
Noire de 1800..., op. cit., pp. 65-74.
361 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la
Justice..., op. cit., p. 101.
géographiquement plus éloigné. L'exemple
dans lequel le prévenu avoue son vol d'argent au chef de village qui l'a
arrêté, mais se rétracte ensuite devant le chef de
subdivision362, n'est pas isolé. Un stagiaire de l'ENFOM
souligne également en 1956 dans son mémoire professionnel qu'il
est très difficile pour le gendarme ou le commissaire de police
métropolitain d'obtenir des témoignages exacts de la part de la
population, dans la mesure où les témoins ou les inculpés
répondent souvent dans le sens attendu par l'enquêteur pour ne pas
le contrarier, avant de se rétracter devant une autre autorité
pouvant inspirer davantage de confiance, comme par exemple un magistrat. Il
estime que « les enquêteurs avisés devraient donc...
s'adresser d'abord aux chefs de village ou de canton mieux placés pour
obtenir sans réticences des renseignements auprès de leurs
compatriotes >>363. Les témoignages et aveux sont
également parfois obtenus plus facilement par le chef de village, compte
tenu de la pression sociale exercée sur les membres de la
communauté ; ces pressions peuvent également être parfois
exercées physiquement.
Les autorités locales interviennent ensuite lors de
l'audience pour assurer la défense du prévenu, comme la
réglementation sur la justice les y autorise. Dans une affaire de vol de
pintade jugée en juin 1930, l'enquête a été
menée par le chef de village qui demande au tribunal l'indulgence car le
prévenu est vieux et en mauvaise santé364. Les chefs
de village se portent parfois défenseurs d'un individu dont
eux-mêmes ont été victimes, comme dans cette affaire de vol
d'une barre de fer jugée en 1930. Le plaignant est le chef de village
mais déclare en audience que l'inculpé n'a pas «
d'antécédents fâcheux et demande luimême l'indulgence
du tribunal >> qui l'acquitte365. Les chefs locaux sont ainsi
plus généralement sollicités pour donner leur avis sur le
délinquant et la sanction à appliquer ; ils jouent alors un
rôle de représentant des intérêts de la
communauté villageoise. Dans une affaire de vol de canards jugée
en juin 1930, le chef de village interrogé souligne que le
prévenu a déjà été condamné sept ans
auparavant à six mois de prison pour vol. « Depuis il vit
uniquement de rapines dans les champs et les basses-cours >> et il
précise que « jamais il ne travaille >>366. Au nom
des notables du village, le chef demande ici qu'on punisse
sévèrement le délinquant récidiviste. Parfois, les
chefs et membres mêmes de la famille du
362 ANB, 1M126(3), fonds du Dahomey colonial, notice des
jugements mars 1930, jugement du tribunal de 1er degré de Porto-Novo
banlieue le 10 mars 1930 n°23.
363 Nanlo Bamba, Les Africains devant la réforme
judiciaire de 1946, op. cit.
364 ANB, 1M126(5), fonds du Dahomey colonial, notice des
jugements juin 1930, jugement du tribunal de 1er degré de Porto-Novo
banlieue le 16 juin 1930 n°59.
365 Ibid., notice des jugements janvier 1930, jugement
du tribunal de 1er degré de Porto-Novo banlieue le 27 janvier
1930 n°12.
366 Ibid., notice des jugements juin 1930, jugement du
tribunal de 1er degré de Porto-Novo banlieue le 16 juin 1930,
n°60.
prévenu demandent des sanctions très lourdes pour
les voleurs récidivistes, notamment le bannissement du
village367. Cet avis n'est pas obligatoirement suivi par les
juges.
Les chefs locaux jouent aussi un rôle de courroie de
transmission entre les autorités coloniales et la population. Ils sont
notamment chargés de faire connaître les décisions de
justice et leur exécution aux habitants. L'administrateur de cercle de
Zagnanado rapporte cette fonction de relais des élites locales pour
diffuser l'annonce d'une exécution capitale : << La reine, ainsi
que le chef de Kétou et les notables qui faisaient partie de son escorte
se sont chargés de faire connaître cette nouvelle, dans la nuit
même, aux villages les plus éloignés »368.
Certains de ces chefs, enfin, sont nommés assesseurs au sein des
différents tribunaux indigènes. L'association des chefs
indigènes à la mise en oeuvre du système répressif
leur permet d'accéder à un statut particulier.
Un statut distinctif des chefs locaux
En faisant de ces chefs leurs auxiliaires, les
autorités coloniales veulent leur reconnaître un certain prestige,
ne serait-ce que pour leur permettre d'imposer les contraintes sur leurs
concitoyens, notamment la levée de l'impôt de capitation et la
réquisition des prestataires. Les chefs de province et de canton
échappent au Code de l'indigénat qui constitue une menace
permanente d'arbitraire pour les autres Dahoméens. Mais les chefs de
village continuent à y être soumis.
Le pouvoir colonial accorde également une attention
particulière aux autorités locales lorsqu'elles sont victimes
d'infraction. Ainsi, les délits portant atteinte à un agent de
l'Etat sont-ils plus gravement sanctionnés, en particulier lorsqu'il
s'agit d'infractions attentatoires à l'autorité de ces chefs,
telles que les injures. Certains chefs locaux n'hésitent pas à
solliciter à maintes reprises les administrateurs pour obtenir une aide
particulière afin de découvrir les auteurs des infractions dont
ils sont les victimes. Le chef de Pakou, qui a été l'objet d'un
vol d'effets divers dans sa case, adresse ainsi de multiples lettres et
rapports d'enquête au commandant de cercle de Ouidah, dans lesquels il
critique les méthodes de la police :
<< Je tiens à vous faire savoir que les gardes ne
sont peut-être pas des hommes qualifiés pour mener une
enquête de vol à bonne fin, il faut un homme compétent et
habile qui par ses tactiques et ses interrogatoires (...) puisse
découvrir le vol, même le plus caché, et l'enquête
doit être menée rapidement car plus on y met du temps, plus elle
est difficile. Ainsi les gardes se sont bornés à fouiller sans
aucune interrogation mais les voleurs de nos jours sont assez sages de ne pas
songer à cacher les objets nouvellement volés dans leurs cases.
(...) Maintenant, comme vous m'autorisez de
367 Ibid., jugement du tribunal de 1er
degré de Porto-Novo banlieue le 24 juin 1930 n°71 dans une affaire
de vol de manioc. A l'audience, les témoins, dont le plaignant, chef de
Vakon, et l'oncle du prévenu, soulignent que le prévenu est un
vaurien qui ne vit que de rapines. Ils demandent qu'on en débarrasse le
village.
368 ANB, 1M123(8), fonds du Dahomey colonial, op.
cit.
procéder à des investigations à ce sujet, je
vous prie, M. l'administrateur, de mettre à ma disposition deux gardes
pour m'aider dans l'enquête, je vous en signalerai le résultat
aussitôt obtenu. >>369
La police prend très au sérieux cette
enquête, avec l'interrogatoire des multiples personnes
soupçonnées par le chef de Pakou. Le pouvoir colonial est tout
autant attentif aux infractions dans lesquelles sont impliqués des chefs
locaux, dans la mesure où les autorités doivent garder un certain
crédit moral pour être des auxiliaires efficaces du pouvoir. Dans
une note de service, le juge d'instruction Crespin fait valoir l'importance
politique et juridique d'une affaire de vol qualifié, eu égard
à la qualité de chef de village de la personne poursuivie :
« L'importance de sa capture ne manquera pas de vous frapper étant
donné les faits que vous connaissez et sa qualité de chef (...),
au point de vue politique et juridique, elle me paraît nécessaire
>>370. Mais malgré la reconnaissance d'un statut plus
favorable des chefs, leur rôle dans l'administration de la justice est
limité, dans la mesure où ils restent en permanence
contrôlés et encadrés par le pouvoir colonial.
Des juges dahoméens sous la coupe du pouvoir
colonial
Les appréciations des administrateurs des colonies sur
les juges des tribunaux indigènes sont variables. Ils se montrent le
plus souvent satisfaits des chefs participant à la justice. Le
commandant de cercle du Mono estime en 1911 que « les juges des tribunaux
de cercle et de province s'acquittent avec zèle de leurs fonctions
>>371. De même, l'administrateur du cercle de Savalou
écrit en 1911 :
« Ceux-ci [les juges] sont conscients de la
délicatesse de leur rôle ; ils ne rendent leur sentence
qu'après avoir longuement étudié les affaires (...). Les
peines rendues par eux ont toujours été très
modérées, sévères seulement dans un litige
où l'inculpé était un voleur endurci déjà
condamné. >>372
Son successeur dans ce cercle rapporte plus succinctement en 1924
que « les juges s'acquittent convenablement de leurs tâches
>>373.
Sur 23 rapports rendus par les commandants de cercle entre
1910 et 1925, 17 contiennent des appréciations exclusivement positives
sur l'impartialité, la droiture, l'assiduité et la conscience des
juges dahoméens374. Cependant, certains administrateurs
369 ANB, 1M123(6), fonds du Dahomey colonial, lettre du 21
novembre 1923 du chef de Pakou au commandant de cercle de Ouidah.
370 ANB, 1M123(5), fonds du Dahomey colonial, note de service du
juge d'instruction RC n°22 du 11 février 1904 au résident de
Porto-Novo.
371 ANB, 1M136(2), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le
fonctionnement de la justice indigène dans le cercle du Mono pendant le
2ème trimestre 1911.
372 Ibid., rapport sur le fonctionnement de la justice
indigène dans le cercle de Savalou pendant le 2ème trimestre
1911.
373 ANB, 1M126(2), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le
fonctionnement de la justice indigène dans le cercle de Savalou pendant
le 4ème trimestre 1924.
374 Il s'agit des rapports pour certains trimestres de 1910,
1911, 1914, 1924 et 1925. ANB, 1M136(2), 1M126(2), 1M159(5) et 2F32, fonds du
Dahomey colonial.
soulignent que les notables locaux n'exercent parfois leurs
fonctions qu'à contrecoeur, dans la mesure où elles leur sont
imposées. A propos du tribunal de province de Kétou
récemment installé en 1911, le commandant de cercle de Zagnanado
<< ne peut signaler aucun progrès dans l'attitude des notables qui
le composent. Choisis d'office parmi les meilleurs, les juges ne cherchent
guère à s'intéresser à leurs fonctions et à
éclaircir les causes qui leur sont soumises. Ils siègent, avec
des figures de condamnés, pour éviter les punitions. Il y a
là un état d'esprit qui ne changera que lentement, très
lentement >>375.
En fait, l'administration coloniale locale critique souvent
sévèrement les premiers juges, dans la mesure où ils ont
été non pas sélectionnés par les autorités
mais désignés de manière automatique en raison de leurs
fonctions politiques. Ainsi l'administrateur du poste de Kandi, dans le nord du
Dahomey, estime-t-il que << le vieux roi Chaka, président, ne
comprend pas toujours très bien les explications des parties et
prononcerait quelquefois des jugements un peu hâtifs si on le laissait
à lui-même (...), mais ses fonctions politiques le
désignent comme président >>376.
Le pouvoir colonial entend nommer les chefs et les juges qui
répondent à ses attentes. Le lieutenant-gouverneur du Dahomey
estime en 1927 qu'il << ne voit pas la nécessité de laisser
s'établir la tradition de nommer de préférence les chefs
indigènes, à quelque titre qu'ils exercent, comme membres des
tribunaux indigènes >> :
<< Sans doute ils ne sauraient être
écartés, mais j'estime souvent que des notables indigènes,
dépourvus de tous autres titres, honorablement connus et estimés
des populations, ayant la connaissance approfondie des coutumes locales,
paraissent aussi qualifiés que certains chefs indigènes pour
faire partie des tribunaux indigènes. >>377
Le gouverneur Reste fixe également la ligne directrice en
matière de recrutement des chefs indigènes dans un rapport du 10
août 1930 :
<< Sans rompre brusquement avec les règles
traditionnelles de la dévolution coutumière, nous devons nous
efforcer de chercher le chef là où il est vraiment. Il convient
en certaines circonstances de faire résolument table rase de l'armature
traditionnelle quand elle devient défaillante pour lui substituer au
besoin un cadre construit de toutes pièces. Je me suis efforcé
depuis mon arrivée de ne confier le commandement indigène
qu'à des jeunes gens instruits. >>378
En effet, l'occupation européenne ébranle les
hiérarchies traditionnelles. Deux facteurs jouent un rôle alors
essentiel dans la mobilité sociale : l'argent et
l'école379. Les élites nouvelles instruites à
l'école du colonisateur se révèlent mieux adaptées
aux
375 ANB, 1M136(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du
1er juillet 1911 n°155 du commandant de cercle de Zagnanado.
376 Ibid., rapport de l'administrateur de poste de Kandi
pour le 2ème trimestre 1911.
377 ANB, 1M168, fonds du Dahomey colonial, lettre du
lieutenant-gouverneur du Dahomey au commandant le cercle de Holli-Kétou
du 12 mars 1927.
378 CAOM, APC, Papiers Boulmer, FR CAOM 111 APOM 1 et 2.
379 Claude Liauzu, Dictionnaire de la colonisation
française, op. cit., article << élites
nouvelles >>, p. 268.
fonctions qui leur sont assignées par le pouvoir en
place et ce dernier tend à procéder au recrutement de ses
auxiliaires en son sein, y compris pour les chefferies. Après avoir
écarté les chefs supérieurs les plus
récalcitrants380, l'autorité coloniale choisit des
chefs de province, de canton et de village et les nomme présidents ou
assesseurs des tribunaux indigènes en fonction de leur rang mais surtout
de leur docilité à l'administration381.
Les juges dahoméens sont donc appréciés
selon ces critères et les administrateurs rapportent ainsi que «
les juges tendent de plus en plus au rôle que nous attendons d'eux
>>382. Les changements parmi les assesseurs dahoméens
sont nombreux jusqu'en 1915-1920, mais ils tendent à se stabiliser par
la suite. A titre d'exemple, les assesseurs du tribunal de cercle de Cotonou
changent à de multiples reprises entre 1900 et 1924, puis on trouve le
même assesseur, Antoine Quenum, de 1924 à 1944. Il en va de
même au tribunal de cercle de l'Atacora, où le premier assesseur
Malaté se maintient en place de 1924 à 1944, ou encore au
tribunal de premier degré de Kouandé où Bania Parapei
siège de 1911 à 1937.
La longévité de ces juges est exceptionnelle
mais les juges indigènes restent relativement stables dans les
années 1920-1930. Les fiches signalétiques de notables assesseurs
d'un tribunal de subdivision (Pobé) dressées par l'administration
coloniale en 1924 ont pu être consultées et elles permettent de
dresser le portrait des assesseurs de ce lieu383. Il s'agit le plus
souvent d'hommes relativement âgés (55 ans en moyenne) qui sont
nés dans ce lieu. Bien établis, ces assesseurs ont en moyenne
deux à trois femmes et un grand nombre d'enfants (5 en moyenne). Ils
exercent une fonction de chef de village ou de canton mais vivent
essentiellement du produit de leurs cultures. Les chefs et juges sont certes
devenus des fonctionnaires de l'administration coloniale, mais ils sont mal
payés. Un arrêté local du 19 décembre 1930
réorganisant le commandement indigène au Dahomey prévoit
pour les chefs de canton des soldes de 2 600 à 18 000 F mais il
n'envisage aucune rémunération pour les chefs de
village384. Jean Suret-Canale souligne le caractère parfois
modique des rémunérations. Ainsi, dans le nord du Dahomey, la
solde du
380 Les chefs supérieurs issus des familles
régnantes ne sont maintenus qu'à Porto-Novo, Kandi et Parakou.
Sylvain Anignikin, Coffi Belarmin Codo, Léopold Dossou, « Le
Dahomey (Bénin) >>, in Catherine CoqueryVidrovitch (sous la
direction de), L'Afrique occidentale au temps des Français...,
op. cit., p. 390.
381 Les chefs de village sont choisis en fonction des coutumes
mais avec l'agrément du commandant de cercle tandis que les chefs de
canton sont nommés par le lieutenant-gouverneur de la colonie.
Ibid. Les anciens chefs et rois cèdent la place à de
simples chefs de canton au Dahomey. John Iliffe, Les Africains. Histoire
d'un continent, op. cit., p. 284.
382 ANB, 1M136(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du
commandant cercle Savalou 1911, op. cit.
383 ANB, 1M83, fonds du Dahomey colonial.
384 CAOM, APC, Papiers Boulmer, FR CAOM 111 APOM 1 et 2, rapport
de l'inspecteur des affaires administratives au sujet des faits
reprochés aux chefs de canton de la subdivision d'Athiémé
le 16 mars 1932.
chef supérieur de Nikki, héritier des anciens
rois Bariba se trouve-t-elle sensiblement inférieure à celle du
planton auxiliaire de la subdivision385. Lorsque les notables sont
assesseurs, ils reçoivent en outre des indemnités lors de la
tenue des séances mais celles-ci restent dérisoires. Elles sont
fixées à 1 franc par jour d'audience en 1913 et ont pour objet de
dédommager les assesseurs des frais occasionnés par l'exercice de
leurs fonctions386.
Leur marge de manoeuvre, de manière
générale et plus précisément en matière
judiciaire, est très limitée. Les administrateurs coloniaux les
contrôlent étroitement et se positionnent comme leurs <<
éducateurs >> pour leur faire acquérir l'esprit juridique
européen. Le commandant de cercle du Borgou écrit en ce sens en
1911 :
<< Ils [les magistrats] ne sont pas encore à
même d'apprécier la valeur des délits selon la
méthode que nous essayons de leur inculquer et ce ne sera que par une
longue pratique qu'ils acquerront un sens juridique auquel ne les avait pas
préparés l'emploi des coutumes locales appliquées au
règlement de la justice avant notre arrivée dans leur pays.
>>387
Ce sentiment est largement partagé dans les
différents cercles de la colonie du Dahomey. L'administrateur du poste
de Kandi estime, également en 1911, que << les juges (...) ont
toujours besoin de la tutelle administrative >>388 et le
commandant de cercle de Zagnanado rappelle encore en 1924 que << les
juges accomplissent leurs tâches en essayant de se soustraire à
toute influence de leur entourage. Malheureusement, ils ont souvent besoin
d'être conseillés pour les rappeler à leur devoir qui
consiste à juger en toute équité >>389.
Le contrôle des administrateurs se trouve d'ailleurs fortement
renforcé à partir de 1924, date à partir de laquelle les
administrateurs président d'office les tribunaux indigènes.
Un pouvoir judiciaire limité, une position difficile
entre population et administration
Le colonisateur, tout en accordant une place
particulière aux chefs locaux, ne leur laisse qu'un rôle
très limité. Leurs fonctions d'assesseurs judiciaires,
consultatives jusqu'en 1931, ne sont même pas mentionnées parmi
les attributions essentielles des chefs locaux par un des théoriciens de
la colonisation française, le gouverneur général Joost Van
Vollenhoven :
<< A la vérité, depuis le régime
colonial qui les a domestiqués, les chefs indigènes ne sont
plus investis que d'attributions mineures : ils représentent leur
collectivité dans ses rapports avec
385 Jean Suret-Canale, op. cit., p. 409.
386 ANB, JOD 1913, fonds des JO, arrêté du
lieutenant-gouverneur du 27 novembre 1912 portant allocation
d'indemnités aux membres indigènes des tribunaux de cercle et de
subdivision.
387 ANB, 1M136(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du
commandant de cercle du Borgou pour le 2ème trimestre 1911.
388 Ibid.
389 ANB, 1M126(2), fonds du Dahomey colonial, rapport du
commandant de cercle de Zagnanado pour le 2ème trimestre 1924.
l'administration supérieure, ils peuvent concilier les
parties en matière civile et commerciale, ils aident les chefs de
circonscription dans leurs fonctions de police générale et de
maintien de l'ordre, ils signalent aux autorités judiciaires les
infractions qu'ils constatent, ils renseignent et apportent leur collaboration
aux services techniques locaux, ils peuvent requérir les services de
leurs administrés en cas de calamité publique, enfin et surtout,
ils participent aux opérations de recrutement et ils collectent les
impôts. >>390
Le rôle judiciaire qui leur est reconnu est celui de
conciliateur et de conseil, mais le pouvoir de décision en
matière de justice, notamment sur le plan pénal, revient in
fine à l'administrateur. L'administrateur dirige les débats
et sollicite surtout les assesseurs pour connaître la coutume applicable.
Ces derniers peuvent orienter la décision de justice essentiellement
à ce niveau. Comme l'observe Albert Londres lors de son voyage en
Afrique au début du XXème siècle, << la
justice en brousse n'a pas de palais. Elle n'a pas de juges non plus (...). La
justice, c'est le commandant >>391. Des plaintes
s'élèvent même lorsqu'un assesseur indigène prend
l'ascendant dans un tribunal. Justin Aho, juge indigène au tribunal
d'Abomey et chef de canton, est par exemple accusé d'arbitraire et de
corruption par certaines personnes, notamment des chefs évincés.
Mais l'enquête diligentée estime que Justin Aho
Glélé est en réalité essentiellement accusé
par certains de s'approprier le rôle de chef normalement dévolu
à l'administrateur colonial :
<< Son rôle au tribunal aurait été
exorbitant. Mais peut-on affirmer que ses interventions aient tendu à
fausser les faits d'une cause, d'une manière à faire condamner un
accusé innocent ou à acquitter un accusé coupable ? Une
telle manoeuvre aurait été vite découverte et connue de
tous et les juges d'Abomey, tous très intelligents, capables
d'apprécier les faits et connaissant les coutumes ne se seraient point
associés à cette manoeuvre. A cet égard les
collègues de Aho continuent à observer la plus grande
réserve et ne l'accusent pas de partialité. La principale
accusation est la suivante : Justin Aho substituerait son autorité
à celle de M. Madern. Pour substituer son autorité à celle
de M. Madern, il eut fallu que ce dernier en eût un peu. Or M. Madern
n'en a jamais possédé la moindre parcelle. Ce fonctionnaire a
plus de 20 ans de service et je crois pouvoir affirmer que sa longue
expérience administrative ne l'a pas haussé au dessus de la
notion du bordereau d'envoi (...). Les indigènes très
observateurs n'ont pas manqué de constater l'insuffisance notoire de ce
fonctionnaire président de la juridiction de premier degré et le
rôle de M. Justin Aho s'en trouva naturellement amplifié. Il a sur
ses collègues du tribunal une supériorité. Il est chef de
canton. Il prend souvent la parole, peut-être plus souvent que les autres
assesseurs qui tout en se rangeant à ses avis se trouvent
humiliés de la part peu importante qu'ils prennent aux débats. La
prépondérance de M. Aho est en raison inverse de la
personnalité de M. Madern qui n'a aucun prestige, aucune connaissance de
la justice indigène. Non que j'incrimine en quoi que ce soit
l'intégrité de ce fonctionnaire en tant que juge. Je suis certain
qu'il a toujours jugé selon sa conscience, plus ou moins
éclairée mais je suis obligé de remarquer que la forme des
jugements, leur rédaction, la régularité matérielle
de leur transcription, l'observation des formalités
réglementaires et l'inquiétude de ne pas s'attirer d'observations
de la part des services de contrôle sont pour lui des
préoccupations plus graves que le souci de la vérité
elle-même. >>392
Ce chef omnipotent à Abomey semble en
réalité avoir été un adversaire non seulement de
certains chefs locaux mais également du groupe des <<
évolués >> qui
390 Circulaire du 15 août 1917 citée par Etienne Le
Roy, Les Africains et l'institution de la Justice..., op.
cit., p. 102. Voir dictionnaire biographique en annexe 6.
391 Albert Londres, Terre d'ébène, op.
cit., p. 89.
392 CAOM, 8G29 (14 Mi 2154), rapport d'enquête à
Abomey en 1937.
dénoncent ses exactions dans la presse.
Considéré comme un soutien du pouvoir colonial, notamment
grâce à son journal, Le Coeur du Dahomey, il se trouve
donc protégé par l'administration, qui prend sa
défense393.
En fait, les fonctions essentielles des chefs locaux
rappelées par le gouverneur général sont les tâches
les plus ingrates de collecte d'impôts impopulaires, de
réquisition de main d'oeuvre et de recrutement de tirailleurs. Les chefs
nommés par le pouvoir colonial en fonction de leur obéissance et
qui n'ont plus grand chose à voir avec les anciens chefs, sont souvent
non officiellement rémunérés et ne vivent que des
ristournes sur l'impôt. Ils sont fréquemment
méprisés par les populations, d'autant plus que certains
profitent de leur position d'intermédiaires pour imposer à leur
profit des contraintes supplémentaires à leurs administrés
ou se comportent en despotes locaux. Aussi les chefs de canton sont-ils souvent
l'objet de plaintes et d'attaques en justice, à l'instar de
Djigbodé Akplogan, poursuivi et jugé à quatre reprises en
1937 pour vol et complicité de vol. Il bénéficie à
chaque fois de l'acquittement faute de preuves tandis que deux cultivateurs
sont condamnés à trois mois de prison pour faux témoignage
contre lui394. La presse dahoméenne s'empare de l'affaire de
ce chef de canton jugé indigne de ses fonctions par la population. En
effet, ce chef « qui s'était conséquemment surnommé
«Kossou Kossou Agbodra» (ce qui signifie termite qui dévore
tout, même les rapports que l'on peut établir sur son compte)
était devenu pour le canton et les contribuables un véritable
fléau. De connivence avec des commandants qu'il soudoyait avec de
l'argent, il gérait le canton comme bon lui semblait
»395.
Or le tribunal qui l'acquitte à quatre reprises est
présidé par un administrateur sous les ordres du commandant de
cercle d'Allada. Clément Koudessa Lokossou, dans son travail sur la
presse au Dahomey, rapporte que ce chef de canton faisait emprisonner et
condamner les journalistes qui l'attaquaient. Le directeur du journal
L'écho des cercles, Simon Akindes, se trouve ainsi
condamné à la prison par le tribunal de 1er
degré d'Allada pour dénonciation calomnieuse contre le chef
Djigbodé Akplogan. L'avocat Codjo [ou kojo] Tovalou
Houenou396, engagé dans la lutte anti-coloniale,
dénonce ce jugement qui lui semble inique. Il adresse des
télégrammes au ministère des Colonies par lesquels il
proteste
393 Clément Koudessa Lokossou, La presse au Dahomey
1894-1960..., op. cit., pp. 141-142.
394 ANB, 1M177(1), fonds du Dahomey colonial, notice des
jugements de septembre 1937, jugements du 21 septembre 1937 n°97 et 98 du
tribunal du 1er degré d'Allada pour des affaires de vol
remontant à 1933 et 1934 et jugement du 27 septembre 1937 n°104 et
105 du même tribunal.
395 Clément Koudessa Lokossou, La presse au Dahomey
1894-1960..., op. cit., p. 142.
396 Voir dictionnaire biographique en annexe 6.
contre ceux qu'ils jugent les réels coupables, « la
brute sanguinaire, l'administrateur Mary, et le chef Djigbodé », en
demandant la révision du procès397.
Cette affaire est exemplaire pour témoigner de
l'impopularité de chefs corrompus et agissant en complicité avec
certains administrateurs. Elle met en relief le problème majeur de la
justice indigène qui se trouve placée dans une entière
dépendance à l'égard de l'administration coloniale. Par
ailleurs, si les chefs locaux sont en situation souvent délicate
à l'égard de leurs administrés, leur position envers le
pouvoir colonial n'est guère plus enviable. Lorsque leurs fonctions ne
semblent pas correctement remplies, ils sont rapidement suspectés, voire
emprisonnés en vertu du Code de l'indigénat, tout au moins en ce
qui concerne les chefs de village.
Parallèlement aux chefs locaux, la colonisation fait
également émerger une nouvelle élite dahoméenne qui
a reçu une instruction en français et joue un rôle
primordial dans le système judiciaire, à des postes de
secrétariat ou d'interprétariat.
Les nouvelles élites instruites, auxiliaires de la
justice indigène
En effet, les écrivains-interprètes, souvent
issus au Dahomey de familles de négociants en relation avec les
Européens, comme les Béraud, les Chagas ou les de Souza, entrent
dans les services administratifs installés par le colonisateur. Ils sont
indispensables au colonisateur qui ne maîtrise pas les langues locales et
ils trouvent dans leurs fonctions un moyen de promotion sociale. Le cas
d'Achille Béraud est à ce titre représentatif. Né
d'une femme de Porto-Novo et d'un Français, il participe aux
expéditions coloniales contre le Danhomè avant de devenir
inspecteur puis commissaire de police398. Considéré
comme un homme de confiance par les autorités coloniales, on lui confie
certaines arrestations délicates comme celle, en 1903, d'un criminel qui
était protégé par les habitants du village de Zivié
et qui avait réussi à échapper à toutes les
poursuites du roi Gigla et du Résident de la province
d'Allada399.
Les interprètes sont aussi des intermédiaires
incontournables dans les procès. En outre, ils sont les hommes de
confiance du commandant de cercle, ce qui leur confère une influence
importante. La population s'adresse souvent à eux pour obtenir
satisfaction dans
397 Ibid., p. 117.
398 Luc Garcia, Le royaume du Dahomey face à la
pénétration coloniale, op. cit., pp. 37-54.
399 ANB, 1M008, fonds du Dahomey colonial, lettre du
résident de Porto-Novo au lieutenant-gouverneur du Dahomey le 17 juin
1903.
ses litiges. Le portrait, dressé par Amadou
Hampaté Bâ400, de l'interprète profitant de sa
situation pour obtenir des avantages de la part des administrés et des
plaignants se retrouve dans le Dahomey colonial. En 1909, un interprète
est poursuivi pour << avoir créé un tribunal dans lequel il
règle toutes les questions avant de les soumettre à
l'administrateur ; ce n'est pas pour rien, il faut payer en poulets, en
moutons, en argent... [Il] a dit que le Blanc croira tout ce qu'il raconte
>>401. Le cas est loin d'être isolé mais lorsque
le pouvoir colonial découvre ces malversations, l'interprète ou
l'agent administratif (garde de cercle, préposé aux douanes...)
est sévèrement réprimé car il porte atteinte
à l'autorité même de l'Etat.
Comme les interprètes ou les agents administratifs
locaux, << les chefs africains nommés et salariés par
l'ordre nouveau, ne détiennent qu'une souveraineté subalterne
inféodée aux desiderata des Européens. Sous
l'action conjuguée de ces nouvelles règles juridiques et des
classes sociales qui les prennent en charge, la colonisation bouleverse en
profondeur la loi, le maintien de l'ordre et la résolution des conflits
privés >>402. La question de l'application ou de la
dénaturation des coutumes par l'ordre colonial est au centre de ces
mutations.
4. La question des coutumes au coeur des ambivalences du
système judiciaire
Le pouvoir colonial, soucieux de mettre en place une justice
spécifique et adaptée aux Africains, érige en principe
essentiel l'application des coutumes par les tribunaux indigènes, mais
nous avons vu que cette règle est écartée en
matière pénale dès que les coutumes sont contraires
<< aux principes de la civilisation française >> ou
lorsqu'un règlement sanctionne une infraction non prévue par la
coutume. Les contradictions des autorités coloniales, entre d'une part
leur volonté de préserver les << traditions judiciaires
>> et d'autre part la mission civilisatrice qui leur impose de guider les
autochtones vers << le progrès >> et une justice <<
éclairée >> selon le modèle européen, sont
ici caractéristiques.
Les ambiguïtés du pouvoir colonial
Certains chercheurs, tel Etienne Le Roy, soulignent cette
opposition entre justice traditionnelle et justice moderne, entre coutumes et
droit européen dans le cadre de la
400 Amadou Hampaté Bâ, L'étrange
destin de Wangrin ou les roueries d'un interprète africain, Paris,
10/18, 1973, 378 p. On retrouve des personnages similaires dans le récit
autobiographique d'Amadou Hampaté Bâ, Oui mon commandant,
Paris, Flammarion, 508 p.
401 William B. Cohen, Rulers of Empire : the French Colonial
Service in Africa, Stanford, 1971, cité par John Iliffe, Les
Africains. Histoire d'un continent, op. cit., p. 127.
402 Florence Bernault (sous la direction de), Enfermement,
prison et châtiments, op. cit., p. 27.
justice coloniale. Des administrateurs des colonies
dénonçaient eux-mêmes l'ambiguïté du
colonisateur. Ainsi A. Giraud, dans un ouvrage de législation coloniale
publié en 1929, estime-t-il qu'<< on veut faire
pénétrer dans le droit toutes les dispositions de nos codes qui
ne sont pas en opposition formelle avec lui et, d'autre part, on essaie
d'adoucir et de transformer les règles qui jurent trop avec nos
conceptions. Or c'est là un procédé qui, au fond, manque
de loyauté. Quand nous promettons aux indigènes le maintien de
leurs coutumes, ce sont ces coutumes elles-mêmes qu'il faut appliquer et
non pas une copie plus ou moins dénaturée
>>403.
L'historien John Iliffe affirme que les tribunaux ne faisaient
qu'appliquer les << ordres et les interdictions qu'ils
définissaient eux-mêmes >> ou la coutume définie par
les vieux assesseurs indigènes et remodelée à leur
avantage404. C'est ce qu'Eric Hobsbawn et Terence Osborn Ranger
appellent << l'invention de la tradition >>. Ces <<
traditions inventées tentent d'établir une continuité
[fictive] avec un passé historique approprié >> mais elles
se distinguent des coutumes par leur invariabilité405. Le
même constat peut être fait dans d'autres colonies, comme l'Inde
britannique où << les tribunaux coloniaux, en voulant appliquer
aux indigènes leur droit propre, se référaient
systématiquement à l'interprétation que leurs assistants
brahmanes leur donnaient des traités de droit sanskrit, érigeant
par là une jurisprudence brahmanique particulière en norme fixe
et applicable à tous les Hindous >>406. En effet,
Jacques Pouchepadass souligne que l'Etat colonial, toujours soucieux d'asseoir
sa légitimité au sein de la population, cherche à se
présenter comme << l'héritier et le gardien de la tradition
>>407. Mais il choisit et fait prévaloir au sein des
différentes traditions hindoues la tradition savante, ce qui contribue
à figer le système des castes dans son acception brahmanique la
plus discriminatoire. Le pouvoir colonial, associé à certains
groupes de la société colonisée, << invente >>
donc avec efficacité la tradition juridique africaine.
Les limites à l'application des coutumes
constatées par les administrateurs des colonies dans leur
expérience quotidienne méritent d'être mesurées avec
les données dont nous disposons sur la justice au Dahomey de 1900
à 1960.
403 Cité par Etienne Le Roy, Les Africains et
l'institution de la Justice..., op. cit., p. 25.
404 John Iliffe, op. cit., pp. 282-283.
405 Eric Hobsbawn, Terence Osborn Ranger, Christine Vivier
(sous la direction de), L'invention de la tradition, Paris, Editions
Amsterdam, 2006 (1ère éd.1983), 370 p. D'autres
auteurs ont étudié ce processus d'invention de la tradition,
comme par exemple Sally Falk Moore, Social Facts and Fabrication :
Customary Law on Kilimandjaro, 1880-1980, Cambridge, Cambridge University
Press, 1986, 397 p.
406 Jacques Pouchepadass, << L'Inde, le premier
siècle colonial >>, in Marc Ferro, Le livre noir du
colonialisme, de l'extermination à la repentance, Paris,
Robert Laffont, Hachette Littératures, 2004, pp. 388-389.
407 Ibid., p. 389.
Une faible application des coutumes dans le Dahomey
colonial
Nous avons vu que, théoriquement, les coutumes doivent
toujours être appliquées dans les litiges civils et commerciaux,
contrairement aux affaires pénales. Pourtant, même en ces
matières, et notamment dans le domaine sensible de la famille,
l'administration coloniale intervient, par une circulaire, pour éliminer
du mariage indigène « les règles coutumières
anachroniques ou choquantes se rattachant aux unions encore conclues contre
le gré des intéressés et plus
particulièrement de la femme >>408 Cette circulaire
vise
notamment la coutume du lévirat qui oblige le frère
du décédé à épouser sa veuve ; elle
entend faire prévaloir le libre consentement au
mariage.
Dans le domaine pénal qui nous intéresse plus
spécifiquement, les coutumes ne s'appliquent pas de manière
systématique. Sur 982 affaires pénales analysées, la
référence à la coutume ou à une
réglementation coloniale n'est mentionnée que dans 371
cas409. Sur ces 371 affaires, le tribunal concerné n'a fait
application de la coutume que dans 37% des cas (136 affaires). Pour ces
affaires, la coutume n'est en réalité respectée que dans
la mesure où elle est conforme à la législation
française, c'est-à-dire qu'elle prévoit une sanction
identique, comme l'emprisonnement et/ou l'amende ou l'acquittement faute de
preuves410. Dans 37% des cas (137 affaires), le tribunal sanctionne
une infraction réprimée par la réglementation de
l'autorité coloniale et non par la coutume411. Enfin, la
coutume n'est pas appliquée car elle est contraire aux « principes
de la civilisation française >> dans 26% des cas (98 affaires).
La coutume est le plus souvent écartée (dans 85%
de ces cas, soit 83/98) parce que la sanction prévue est jugée
trop sévère et contraire aux principes judiciaires ou
législatifs français qui se sont imposés depuis la fin du
XVIIIème siècle. Il s'agit des cas où la
coutume punit les infractions de châtiments corporels ou de la vente du
condamné en tant qu'esclave. La coutume n'est pas appliquée dans
les autres cas (15/98), soit parce que la
408 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire du
gouverneur général de l'AOF du 7 mai 1937 n°290/AP/2.
409 Nous avons dépouillé 982 affaires qui
concernent 1663 prévenus. Sur la question de l'application des coutumes
ou d'une réglementation coloniale, nous disposons d'informations sur 371
affaires, soit 38% des cas. L'absence de référence à la
coutume dans 62% des cas est contraire à la réglementation.
410 Nous n'avons trouvé que deux cas où le
tribunal applique la coutume à une infraction sanctionnée
différemment par la législation française (notamment dans
une affaire de coups et blessures entre deux femmes, le tribunal applique la
compensation pécuniaire du préjudice en se référant
uniquement à la coutume).
411 Il s'agit notamment des infractions relative aux armes et
munitions (32% de ces affaires, soit 43 cas/137 portent sur la vente, le port
illégal, ou le trafic d'armes ou de munitions) ou à la
fabrication, détention et circulation des alcools de traite (32% des
affaires). Les autres affaires concernent les délits douaniers (10% des
cas), le vagabondage (5%), les entraves au recrutement (5%), les
évasions (2%) ou autres atteintes à l'autorité de l'Etat
(faux renseignements à l'administration, injures à
l'autorité, etc.).
sanction prévue apparaît trop faible au regard de
la gravité des faits412, soit au contraire parce que le
tribunal ne juge même pas nécessaire de retenir la compensation
pécuniaire coutumière. Globalement, les coutumes sont
appliquées de manière très inégale d'un cercle
à l'autre ; cette différence observée est statistiquement
significative (p< 0,01). Certains cercles n'appliquent pratiquement jamais
les coutumes (notamment ceux de Cotonou et Natitingou), tandis que d'autres,
comme Allada, les appliquent nettement plus souvent413. De fait, les
coutumes sont trois fois plus souvent appliquées par les tribunaux du
sud du Dahomey (42%) que par ceux du nord (15%, p< 0,01)414. La
sévérité des peines prévues par les coutumes Bariba
et Somba du nord peut expliquer ce constat, dans la mesure où ces
peines, telles que la fustigation ou la vente comme esclave ne peuvent
être appliquées car elles sont jugées contraires aux
principes de la civilisation française. Surtout, les administrateurs
sont plus nombreux dans le sud ; ils peuvent donc exercer un contrôle
plus étroit sur la norme à appliquer dans les jugements
répressifs. Le contact avec les Européens est plus ancien et la
coutume a déjà évolué avant la conquête
coloniale, dans le sens d'un rapprochement avec la sanction européenne,
notamment l'emprisonnement. Enfin, la présence plus forte de
l'administration coloniale dans le sud du pays peut conduire les assesseurs
à « réinventer » la tradition dans le sens
souhaité par les présidents métropolitains des
juridictions indigènes.
Bien que les lieutenants-gouverneurs rappellent la
nécessité de motiver les sentences en s'appuyant sur les
coutumes415, certains administrateurs en arrivent à
s'interroger sur la nécessité ou non de faire
référence à la coutume dans les jugements. Le chef de la
subdivision de Parakou demande en 1924 des éclaircissements sur ce point
au lieutenant-gouverneur du Dahomey. Il rappelle les demandes du procureur
général aux administrateurs de toujours mentionner la coutume.
Mais il souligne la contradiction entre cette injonction et la
déclaration du gouverneur général lors de la session du
conseil du
412 La coutume prévoit une compensation pécuniaire
du préjudice causé mais le pouvoir colonial estime que cette
sanction est trop légère et il lui substitue la peine
d'emprisonnement.
413 Ainsi les juridictions de Cotonou font-elles application des
coutumes dans seulement 6% des cas tandis que les tribunaux du cercle d'Allada
se fondent sur les coutumes dans 71% des cas.
414 Nous avons retenu comme limite géographique entre
le Dahomey sud très peuplé et le Dahomey nord la ligne passant
au-dessus du cercle de Zagnanado. Le sud comprend donc les cercles de
Porto-Novo, de Cotonou, d'Allada, de Ouidah, du Mono, d'Abomey, de Zagnanado et
de Holli-Kétou. Le nord comprend les cercles de Savalou, du Borgou, du
Djougou, de Natitingou (ou Atacora) et du Moyen Niger. L'année 1932 a
été retenue comme référence pour les limites des
cercles.
415 ANB, 2M137, fonds du Dahomey colonial, circulaire du
lieutenant-gouverneur Fourn n°1543 du 9 octobre 1917 au sujet de
l'établissement des états de jugements. Dans cette circulaire, le
lieutenantgouverneur observe que « certaines sentences n'étaient
pas motivées d'une façon précise et que les
références à la coutume du pays sont presque toujours trop
brèves et parfois même inexistantes » et il insiste pour que
ces indications soient mentionnées dans les états mensuels des
jugements qui lui sont adressés.
gouvernement : << Puisque l'expérience a
prouvé que la coutume ne pouvait pas être appliquée, il
vaut mieux n'en pas parler et s'en tenir aux peines applicables
>>416. La cour d'appel d'AOF précise par ailleurs dans
un arrêt du 15 mai 1934 que si le tribunal doit respecter la coutume, en
ce sens que l'infraction doit être poursuivie et sanctionnée par
la coutume et que cette coutume doit être rappelée dans le
jugement, le tribunal reste libre d'appliquer toute sanction prévue dans
la réglementation de 1931, qui lui << paraît le mieux en
rapport avec l'importance du délit >>, même si elle n'est
pas prévue par la coutume417. Le rappel de la coutume n'est
donc que de pure forme puisque les administrateurs présidant les
juridictions indigènes sont libres de ne pas retenir la sanction
coutumière, fût-elle conforme aux << principes de
civilisation française >>.
Les administrateurs des colonies sont dans les faits
imprégnés du modèle juridique européen qui leur
apparaît souvent comme le seul valable et pour lequel les coutumes sont
des règles archaïques, arbitraires et violentes. Le jugement sur
les coutumes exprimé par l'abbé Bouche, missionnaire sur la
côte des esclaves à la fin du XIXème
siècle, reflète largement la pensée occidentale sur la loi
et la justice :
<< On aurait tort de croire que les coutumes
définissent ou expliquent les prescriptions de la loi naturelle. Elles
se basent non sur le droit et la justice mais sur des décisions
arbitraires antérieures (...). La perfection de la loi consiste à
ne rien laisser à l'arbitraire du juge ; cette perfection ne saurait
convenir à la coutume, qui laisse toutes portes ouvertes au caprice du
juge. >>418
Par ailleurs, les administrateurs ont du mal à faire
respecter une coutume qu'ils ne connaissent pas ou mal, et dont ils ne
saisissent généralement pas la portée ; la
fréquente absence de maîtrise des multiples langues locales rend
plus difficile encore l'exercice. Ils sont obligés de s'appuyer sur les
notables locaux chargés de << dire la coutume >>, mais qui
peuvent aussi manipuler cette dernière selon leurs intérêts
et leur souci d'entrer dans les vues du colonisateur. La coutume d'un groupe
n'est pas publiée ni connue ; elle peut être différemment
conçue selon les lieux, les notables et les périodes. L'exemple
de la coutume fon, ethnie majoritaire au Dahomey, est significatif. Son contenu
est différemment interprété selon les tribunaux. Par
exemple, le tribunal criminel de Cotonou affirme en 1939 que la coutume fon
punit le vol à main armée de l'emprisonnement et de la
flagellation, tandis que le tribunal criminel d'Abomey en 1936 estime que la
même
416 ANB, 1M126(2), fonds du Dahomey colonial, rapport sur le
fonctionnement de la justice indigène pour le 4ème trimestre 1924
du chef de subdivision de Parakou Bidaine (cercle du Borgou).
417 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, extrait des minutes des
greffes de la cour d'appel de l'AOF, chambre d'annulation, audience du 15 mai
1934, affaire Gourza.
418 L'abbé Bouche, La côte des esclaves et le
Dahomey, Paris, Plon, 1885, p. 172.
coutume sanctionne cette infraction de l'emprisonnement et de
dommages et intérêts419. Des exemples similaires
peuvent être donnés pour de nombreux autres délits, depuis
le vol simple jusqu'au viol ou au meurtre.
Etienne Le Roy souligne la différence entre les
coutumes, mouvantes, et le droit coutumier produit dans le cadre des tribunaux
ou écrit dans les coutumiers. Selon lui, le droit coutumier « est
une production normative distincte de la coutume africaine : il s'inscrit dans
un «entre-deux», celui que la situation coloniale autorise, entre loi
et coutume, non comme un espace de liberté mais comme un facteur de
domination. L'objectif en reconnaissant la coutume comme droit coutumier n'est
pas d'assurer le développement endogène du droit indigène,
mais de provoquer son déclin et de la faire disparaître au plus
vite. Seule une culture de la loi, pense-t-on, peut présider au
développement économique et social >>420.
La justice répressive, malgré un principe
affiché d'application des coutumes, reste dictée par les
principes judiciaires et moraux de l'autorité coloniale, y compris dans
les modalités d'exécution des peines. Les coutumes locales
doivent plier devant la volonté du colonisateur, comme après
cette exécution capitale où « la coutume voulait que le
corps ne fut pas enterré mais exposé à
l'extrémité de la ville, sur le lieu même où le
criminel avait accompli ses forfaits. L'administrateur a fait comprendre aux
indigènes que cette coutume ne pouvait plus être appliquée
et il a fait procéder lui-même à l'inhumation du corps du
fusillé, près du poteau d'exécution, où un
fossé avait été creusé >>421.
La tendance française à imposer le modèle
juridique européen à la justice indigène à tous les
niveaux du procès semble moins forte dans les colonies britanniques.
Selon le principe de l'Indirect Rule britannique, les autorités
coloniales ne sont pas censées intervenir dans le fonctionnement de la
justice indigène. Mais l'administration indirecte porte également
atteinte aux modalités d'exercice de l'autorité et David
Killingray démontre que les chefs locaux doivent eux aussi
écarter les sanctions pénales jugées incompatibles avec
les lois européennes, telles que les mutilations ou la
lapidation422. Le principe affiché par les autorités
coloniales d'une justice respectueuse des chefferies traditionnelles et des
coutumes se trouve donc contredit par la domination des
419 ANB, 1M159(2) et 1M030(1), fonds du Dahomey colonial,
notice des jugements du tribunal criminel de Cotonou au 2ème
trimestre 1939 et d'Abomey en novembre 1936, jugements du 11 mai 1939 n°7
et du 24 novembre 1936 n°7.
420 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la
Justice..., op. cit., p. 114.
421 ANB, 1M123(8), fonds du Dahomey colonial, rapport sur
l'exécution de Fagbité du 16 mai 1912, op. cit.
422 Cité par Florence Bernault (sous la direction de),
Enfermement, prison et châtiments, op. cit., p. 27.
administrateurs et la prévalence de la législation
coloniale française dans le fonctionnement de la justice
indigène.
Il s'agit en effet de concilier l'objectif d'orienter les
coutumes indigènes vers le modèle européen jugé
supérieur et l'impératif d'une domination coloniale
acceptée par les populations, et faisant donc cas des coutumes
indigènes. Emmanuelle Saada précise en ce sens que « les
juristes ont essayé d'atténuer la tension entre l'objectif de la
mission civilisatrice et les impératifs d'une domination qui
réinvestit la légitimité de la coutume en proposant de
promulguer les seuls éléments du droit métropolitain,
«nécessaires pour que l'Etat colonisateur impose aux
indigènes son autorité et les soumette à son action
gouvernementale», tout en maintenant une large partie des institutions
juridiques indigènes »423.
Les autorités coloniales se montrent par ailleurs
attachées au respect des procédures et des droits des parties.
Mais comment ces principes sont-ils concrètement appliqués dans
un contexte de domination coloniale ?
5. Un souci de respect des formes et des droits : un
non-sens dans le contexte colonial ?
Plusieurs exemples soulignent que si les formes peuvent
être respectées, le contenu des droits réellement reconnus
aux prévenus est peu consistant. Le lieutenant-gouverneur rappelle
souvent les règles de procédure qui ont été
violés par les administrateurs, comme celles relatives au droit d'appel
qui ne peut être exercé par les chefs de cercle ou de
subdivision424. Il recommande également que le
ministère public présente un pourvoi dans l'intérêt
des condamnés lorsqu'un tribunal ne lui semble pas avoir établi
la responsabilité des prévenus425 ; il se montre donc
soucieux de présenter une justice respectueuse des formes et des droits
des indigènes poursuivis.
Parmi les procédures auxquelles le pouvoir colonial
attache une importance particulière, le mandat de dépôt des
prévenus tient une place essentielle. Cet intérêt se
manifeste très rapidement après la conquête coloniale.
Dès 1902, le ministre des Colonies, Gaston Doumergue, adresse au
gouverneur du Dahomey une circulaire imposant de limiter strictement le recours
et la durée de la préventive :
423 Emmanuelle Saada, « Citoyens et sujets de l'Empire
français..., op. cit., p. 15.
424 ANB, 1M159(5), fonds du Dahomey colonial, remarques du
lieutenant-gouverneur sur les jugements rendus, 1910.
425 Ibid., rapport du lieutenant-gouverneur sur le
fonctionnement de la justice indigène au Dahomey pour juillet 1914.
<< Mon attention a été appelée sur
le fait que, lorsqu'un indigène est inculpé d'un crime ou d'un
délit relevant de la justice indigène, il est retenu en prison
pendant un temps plus ou moins long, au gré de l'administrateur, sans
qu'aucune garantie lui soit accordée, sans qu'il soit même tenu un
registre des arrestations opérées. Cette manière de
procéder, outre qu'elle n'est pas conforme à votre
législation, ne s'accorde pas très bien non plus avec les
idées de civilisation et le bon renom de la France. J'ai l'honneur de
vous faire savoir, en conséquence, qu'il y a lieu de prendre les mesures
nécessaires pour que aussitôt arrêté,
l'indigène soit soumis dans un délai n'excédant pas 8
jours au conseil des notables ou au tribunal indigène qui doit prononcer
la sentence. La prévention ne devrait en aucun cas, sauf des
circonstances exceptionnelles, être supérieure à ce
délai. Les registres devront être tenus par les administrateurs,
mentionnant les arrestations, avec le motif et la date, les décisions du
conseil des notables et les mesures prises en vue de leur exécution.
>>426
La réglementation sur la prison préventive
répond au double souci de limiter la détention préventive
et d'appliquer une procédure équitable aux prévenus. Le
décret du 3 décembre 1931 prévoit en effet que le mandat
ne peut être délivré que par le commandant de cercle
après l'interrogatoire du prévenu par le président du
tribunal concerné. Le gouverneur général rappelle en 1935
cette prescription dont << l'application a donné lieu à des
critiques, notamment par la mission d'inspection >>427.
L'affaire doit ensuite être jugée dans les 15 jours qui suivent la
date de mise en dépôt pour que << la détention (...)
soit réduite au minimum strictement exigé pour la mise en
état de la procédure >>428.
La durée du mandat de dépôt est connue
pour 1 018 parmi les 1 663 prévenus dont nous avons analysé les
données. Le délai entre le mandat de dépôt et le
jugement n'excède pas la durée réglementaire dans 83% des
cas (840/1 018). La justice indigène est donc rendue rapidement,
conformément aux voeux des autorités coloniales. Les
délais sont bien sûr allongés pour les affaires
criminelles, compte tenu du temps imparti à l'instruction
préalable429. Le respect de cette procédure varie
cependant de manière statistiquement significative selon les cercles
(p< 0,01). Certains tribunaux jugent presque toujours dans les délais
réglementaires (Allada, Zagnanado, les tribunaux du nord du Dahomey
à l'exception de ceux du Borgou), tandis que d'autres dépassent
plus fréquemment le délai imposé entre la date du
dépôt et le jour du jugement. Ce sont principalement les
juridictions des cercles de Cotonou, Ouidah et Porto-Novo qui ne respectent pas
cette procédure, dans respectivement 39, 32 et 22% des cas. Plus
globalement, les tribunaux du sud du Dahomey n'appliquent pas le délai
trois fois plus souvent que ceux du nord (16% contre 5%).
426 ANB, JOD 1902, fonds des JO, circulaire du 22
août 1902 sur les crimes et délits commis par les indigènes
du ministre des Colonies au gouverneur du Dahomey.
427 ANB, 1M136(6), fonds du Dahomey colonial, circulaire du 30
avril 1935 (n°171).
428 Ibid. Le tribunal peut cependant renvoyer l'affaire
au maximum à la quinzaine suivante par un jugement qui statue
obligatoirement sur le maintien du mandat de dépôt.
429 Le délai réglementaire entre le mandat de
dépôt et le jour du jugement n'est pas respecté dans 55%
des affaires criminelles (56/102) contre seulement 9% dans les affaires
correctionnelles (84/916).
Les juridictions du sud sont implantées dans des
cercles plus peuplés que ceux du nord ; elles sont donc davantage
sollicitées par la population et les autorités
coloniales430. Les tribunaux en charge de nombreux dossiers
rencontrent donc plus de difficultés pour juger les prévenus dans
les 15 jours qui suivent leur mandat de dépôt. Par ailleurs, le
respect de ce délai augmente significativement dans le temps (p<
0,01). Avant 1930, 52% des prévenus ne sont pas jugés dans les 15
jours qui suivent leur détention préventive. Il n'y en a plus que
12% entre 1930 et 1940, ce qui peut être en lien avec le contrôle
plus étroit exercé par les autorités coloniales sur la
justice indigène.
Le pouvoir colonial affiche également sa volonté
de garantir les droits des prévenus au cours de la procédure.
Mais il ne reconnaît aux indigènes le droit de se faire assister
d'un défenseur autre qu'un parent ou notable que devant le tribunal
criminel. Encore ne s'agit-il pas d'avocats professionnels, mais de
fonctionnaires ou d'agents européens qui n'ont souvent aucune
connaissance juridique. Il peut par exemple s'agir du responsable du secteur
médical ou d'un préposé des douanes. Ces derniers doivent
théoriquement être désignés cinq jours avant
l'audience mais, dans les faits, les prévenus découvrent leur
défenseur le jour même de l'audience431. Par ailleurs,
ces << apprentis avocats » sont chargés au cours d'une
même audience de défendre des prévenus impliqués
dans des affaires très différentes, passant d'un viol à un
vol à main armée432. Dans ces conditions, le droit
pour les Dahoméens de recourir à un défenseur reste
relativement fictif. Cette situation est critiquée dans le texte
adressé au ministre des Colonies Marius Moutet :
<< [Le] décret [du 3 décembre 1931]
n'admet, et cela en cas de crime seulement, que l'assistance par un
fonctionnaire européen, non avocat. C'est l'article 53. Mais on doit
noter que ce fonctionnaire n'est même pas choisi par l'accusé ; il
lui est désigné d'office par le président du tribunal.
Enfin il faut ajouter que cette désignation n'est même pas
obligatoire ; encore faut-il que le président de la juridiction y
consente. »433
La liberté de conscience est également un droit
affirmé par le colonisateur au bénéfice des
Dahoméens. En effet, dans son rapport sur l'exécution d'un
condamné à mort, le commandant de cercle rapporte que << M.
Vallée, Père des Missions africaines de Lyon, avait
demandé la veille au soir de passer la nuit auprès du
condamné pour essayer de le convertir à la religion catholique et
lui assurer une bonne mort. L'administrateur a
430 Sur les 1 018 prévenus mentionnés, 868 (85%)
ont été jugés par des juridictions du sud Dahomey.
431 ANB, 1M159(2), fonds du Dahomey colonial, notice des
jugements des tribunaux criminels, 1939.
432 ANB, 1M030(1), fonds du Dahomey colonial, notice des
jugements du tribunal criminel d'Abomey, novembre 1936.
433 CAOM, FR CAOM 28 PA 1, Texte imprimé << Pour une
réforme complète de la justice indigène. Le décret
du 3 décembre 1931 sur la justice indigène en AOF », auteur
anonyme, SD, op. cit.
considéré que ce serait infliger inutilement au
prisonnier une torture morale de longue durée et il a
décidé de n'accorder à M. Vallée qu'un entretien
avec le criminel >>434.
Le gouverneur général par intérim de
l'AOF Clozel, qualifiant l'acte du missionnaire de << propagande
catholique >>, réplique que << l'intervention au moment de
l'exécution d'un condamné d'un prêtre étranger
à son culte constitue une atteinte évidente aux droits de
conscience dont nous nous sommes faits une loi de garantir, dans la mesure
compatible avec l'ordre public, l'entière liberté de chacun de
nos sujets >>435.
Ces propos marquent certes l'attachement des autorités
coloniales au respect de certains droits des condamnés, mais ils
reflètent plus encore les luttes entre les missionnaires catholiques et
l'administration dans la société coloniale, dans un contexte
radical et anti-clérical fort. Cependant, si la promulgation de la loi
de 1905 consacrant la séparation de l'Eglise et de l'Etat secoua
fortement la France, Côme Kinata estime que << l'ouragan ne souffla
pas avec la même violence dans les colonies >>, où <<
il n'y a pas eu de persécution pure et dure mais seulement une attitude
hostile de certaines individualités contre les ecclésiastiques
>>436.
L'affirmation incessante du pouvoir colonial de garantir les
procédures judiciaires au bénéfice des populations
souligne également les fréquentes violations de ces règles
par les administrateurs omnipotents. La justice indigène, dominée
par les administrateurs, répond aux intérêts et aux valeurs
de l'ordre colonial avant de servir ceux des populations dahoméennes. La
suppression de la justice indigène en 1945 suscite donc de nombreuses
résistances au sein du milieu colonial, et notamment parmi les
administrateurs des colonies. Ceux-ci perdent en effet un pouvoir important, le
pouvoir judiciaire, au bénéfice d'une autre figure de l'ordre
colonial : le magistrat.
6. Les résistances au changement dans le milieu
colonial après 1945
Les changements intervenus au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale sont souvent perçus comme autant de menaces par
l'administration coloniale. En 1944, lors de la rencontre d'une cinquantaine de
<< broussards >> à Alger, le sentiment prédominant
parmi eux est, selon Robert Cornevin, que les principes de la conférence
de Brazzaville sont essentiellement destinés à rassurer les
Américains mais qu'ils restent sans effets dans << la
434 ANB, 1M123(8), fonds du Dahomey colonial, rapport du 16 mai
1912.
435 Ibid., lettre du 5 juillet 1912 au
lieutenant-gouverneur du Dahomey.
436 Côme Kinata, << Les administrateurs et les
missionnaires face aux coutumes au Congo français >>, Cahiers
d'études africaines, XLIV (3), 175, 2004, pp. 593-607.
brousse >>. Catherine Akpo-Vaché estime que <<
ce refus de prendre en compte la nouvelle donne fut un trait commun à
beaucoup d'Européens en AOF >>437.
Or, dans cette nouvelle donne, les réformes qui
suppriment le Code de l'indigénat puis la justice indigène
tiennent une place particulière. Portant atteinte aux pouvoirs
essentiels des administrateurs coloniaux, elles sont particulièrement
mal ressenties.
Un sentiment de perte de pouvoir par les
administrateurs
Les futurs administrateurs des colonies critiquent fortement
la nouvelle organisation judiciaire. Leurs griefs portent non seulement sur les
carences de personnel et de matériel pour faire face à la
réforme, mais plus encore sur l'inadéquation de la justice
française à l'<< état d'esprit indigène
>> et sur la perte d'un moyen de pression important pour l'administrateur
des colonies, qui perd ainsi sa toute-puissance.
Les administrateurs soulignent tout d'abord le nombre
insuffisant de magistrats coloniaux pour siéger dans les nouvelles
juridictions françaises et le recours à des citoyens, notamment
parmi les stagiaires et les administrateurs des colonies, pour pallier le
manque de personnel judiciaire professionnel :
<< On s'efforça en principe de désigner
à ces fonctions des gens licenciés en droit ou ayant au moins
quelques connaissances juridiques. Mais on pourrait citer des juges n'ayant
jamais ouvert un livre de droit ni mis les pieds dans une faculté. De
plus, ces délégations furent faites la plupart du temps d'office,
sans nullement consulter l'intéressé qui ne cacha pas qu'il
n'appréciait point cette manière de faire et prit son service
sans goût. >>438
L'absence d'organisation matérielle des nouvelles
juridictions est également dénoncée par l'administration
coloniale : << On cite à plaisir les tribunaux installés
dans des hangars branlants ou sous les préaux des écoles, les
magistrats sans bibliothèque ni moyens de transport
>>439.
Certains avantages sont cependant reconnus à ce nouveau
système, notamment la plus grande indépendance des juges
répressifs par rapport au pouvoir politique et la qualification d'un
personnel judiciaire de carrière qui permet d'écarter tout
soupçon de partialité. Un administrateur stagiaire estime
également, dans un souci de légitimation de l'administration, que
la justice française a su inspirer une << crainte salutaire aux
délinquants >> pour deux raisons :
<< [Tout d'abord], après les grandes
réformes politiques, réformes brusquées qui furent
accueillies avec étonnement ou satisfaction par l'ensemble de la
population, un certain nombre, guidé en cela par une propagande
démagogique, s'est imaginé que l'ère de la liberté
totale était arrivée et que chacun pourrait agir à sa
guise, sans aucune entrave. On s'est aperçu assez rapidement que les
tribunaux français mettaient aussi bien en prison que les autres et
disposent des mêmes moyens pour
437 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre
mondiale, op. cit., p. 227.
438 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en
AOF, op. cit.
439 Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, op. cit.
rechercher et punir les coupables. Parfois même, ils
sont plus sévères dans l'application de la loi. Une autre raison
est sans doute dans le caractère nouveau de ces juridictions : une
procédure, un peu différente et plus solennelle, une loi et des
méthodes avec lesquelles on n'est pas encore familiarisés, un
juge que l'on connaît moins bien que le «commandant».
»440
Mais ces avantages concédés par les
administrateurs au nouveau système ne prévalent pas sur les
critiques formulées. Il est ainsi affirmé que la justice
française est << lente et délocalisée », tandis
que la justice indigène était << rapide et efficace »
: << Les condamnations sont donc rendues avec retard et loin de
l'infraction, ce qui est en désaccord avec les conditions psychologiques
et humaines locales »441. Certains administrateurs
n'hésitent pas alors à indiquer que << les indigènes
dans la plupart des cas, ont regretté la justice sommaire mais rapide
rendue par les officiers et les administrateurs »442.
Pour les administrateurs stagiaires, l'intérêt de
cette réforme judiciaire reste inaccessible aux populations, alors
même que le code pénal sur lequel se fonde la justice
répressive française est inadapté aux faits
répréhensibles aux yeux des justiciables africains :
<< Il ne faut pas exagérer l'ampleur de ces
avantages (...). La grande majorité des indigènes est incapable
d'en apprécier la portée et est loin d'avoir atteint la
maturité qu'avait le peuple français au moment où il
bénéficia de semblables réformes. (...) Le plus ennuyeux
pour le magistrat est de se trouver devant certains faits que la conscience
indigène réprouve et qu'elle était accoutumée
à voir punir, tandis que la loi française ne prévoit pour
eux aucune sanction pénale (...). L'escroquerie au mariage est ainsi un
délit fréquent et bien caractérisé qu'il est
parfois difficile de sanctionner par l'article 405 du code pénal.
»443
Surtout, les futurs administrateurs estiment que les
populations africaines ne comprennent pas la distinction qui est
désormais faite entre les fonctions de l'administrateur et les fonctions
judiciaires du magistrat. Ainsi Yves Pravaz, administrateur stagiaire au
Dahomey en 1945-1946 précise-t-il que << pour le brave
cultivateur, c'est toujours le Blanc qui rend la justice ; il saisit
difficilement la différence entre administrateur et magistrat
»444. Les administrateurs estiment que le principe de
séparation des pouvoirs n'a aucun sens dans la conception de
l'autorité en Afrique :
<< Encore si les indigènes appréciaient
cette séparation des autorités administratives et judiciaires.
Mais à leurs yeux, c'est une chinoiserie pure, un émiettement
incompréhensible du pouvoir. L'indigène est un simpliste. Il ne
comprend pas que celui-là qui commande ne puisse pas réprimer.
»445
440 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en
AOF, op. cit.
441 Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, op. cit.
442 Claude Deschamps, Les attributions judiciaires des
administrateurs en Afrique Noire, op. cit.
443 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en
AOF, op. cit.
444 Ibid.
445 Claude Deschamps, op. cit.
Un autre administrateur stagiaire, Deschanel, rappelle en ce
sens les propos de Maître Maurice Rolland, avocat général
près de la cour d'appel de Paris après 1945, sur
l'intérêt de maintenir une justice indigène distincte de la
justice française :
<< Pour le barbare, la justice est l'attribut essentiel
de la souveraineté ; il ne peut concevoir l'idée de
séparation des pouvoirs, il conviendrait donc que le représentant
de l'autorité, l'administrateur, reste investi de la puissance
judiciaire exercée avec l'assistance de conseillers indigènes.
»446
La critique essentielle des administrateurs, au-delà de
l'abandon de l'assessorat indigène également
évoqué, réside dans la suppression de leurs pouvoirs
judiciaires, part importante de leur prestige et de leur autorité sur la
population :
<< On peut aussi dire que le nouveau système
porte préjudice à l'autorité des administrateurs et de
tous les chefs de circonscription au profit des magistrats. Ce fait est en
premier lieu la conséquence d'une propagande et de critiques
adressées parfois presque officiellement aux cadres de commandement.
Ceux-ci ne disposent plus de cet instrument extrêmement commode
qu'était le régime de l'indigénat ; enfin ce ne sont plus
eux qui châtient les coupables au tribunal. »447
La lecture des mémoires de l'ENFOM après 1945
consacrés à ce thème fait ressortir dans la
majorité des cas un sentiment de perte de pouvoir ressenti par les
administrateurs, alors même qu'ils se considèrent les mieux
armés pour rendre une justice adaptée aux populations locales
:
<< L'aptitude de l'administrateur qui vit
perpétuellement en contact avec la population, a
pénétré intimement les coutumes et l'âme
indigène, paraît plus grande que celle du magistrat qui prisonnier
d'une formation souvent strictement métropolitaine se réfugie
derrière les principes de la procédure et aura tendance à
considérer le cas africain musulman ou malgache par derrière le
rempart factice de ses codes. »448
Si l'administrateur des colonies se trouve
dépossédé de la justice pénale, il peut encore
intervenir grâce à son pouvoir de conciliation, comme le rappelle
un ancien chef de subdivision en Haute-Volta :
<< Si l'administrateur n'avait plus de pouvoirs de
justice proprement dits, il pratiquait la conciliation, y compris quand il y
avait du sang, mais avant qu'il n'y ait mort d'homme, [il s'agissait] de se
réunir
446 Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, op. cit. Maître Maurice Rolland est
avocat général à la cour d'appel de Paris. Cette citation
n'est pas datée dans le Mémoire de Deschanel mais elle est
prononcée par Maître Rolland au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale, entre 1945 et 1955. En effet Maurice Rolland (1904-1988), né
en 1904 à Montauban, entre dans la magistrature en 1927. Substitut
à Laon en 1930, à Corbeil en 1931, puis procureur de la
République à Provins en 1939, il est nommé substitut du
procureur de la République à Paris en 1940. Résistant, il
dirige en 1942 un service de renseignement rattaché au réseau
<< Samson » et gagne l'Angleterre en 1944 avant de se rendre
à Alger. Après la guerre, Maurice Rolland est nommé
substitut du procureur près la Cour d'appel de Paris puis Avocat
général. En 1955, il est nommé conseiller à la cour
de cassation et devient en 1964 président de la chambre correctionnelle
de la cour de cassation jusqu'en septembre 1974. Source : http ://
www.ordredelaliberation.fr/fr_compagnon/852.html
(site consulté le 14 mai 2008)
447 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en
AOF, op. cit.
448 Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, op. cit.
pour décortiquer les causes du conflit et décider
de l'arrêter moyennant les compensations coutumières, car tout
était apprécié en fonction des coutumes locales.
>>449
Les administrateurs, compte tenu des critiques
formulées contre la justice française et le manque de
légitimité du magistrat de carrière, mettent alors en
avant le risque que << certaines affaires ne se règlent plus
devant le tribunal mais «en famille» ou devant le chef de canton
>> :
<< Il ne faut pas trop négliger ce fait qui peut
avoir des conséquences graves au moment où l'autorité des
chefs indigènes a beaucoup à souffrir des réformes
démocratiques ; la loi ne sanctionne plus l'opposition à
l'autorité des chefs. Il leur est donc difficile d'exercer leurs
pouvoirs de police et il est à craindre que leurs administrés,
éloignés du tribunal, n'aient tendance à se faire justice
eux-mêmes, d'où des coups de coupe-coupe.
>>450
En 1952-1953, l'administrateur stagiaire Deschanel se fait
également l'écho de cette crainte d'éloignement des
populations à l'égard de la justice officielle, en
déclarant qu'<< on note un regain à l'égard des
arbitres clandestins ou occultes : les sorciers, les fétiches, les
jugements d'ordalies, quand ce n'est pas le retour à la loi du talion ou
à la guerre des clans. En Côte d'Ivoire, des tribunaux clandestins
appliqueraient des peines corporelles allant jusqu'à la mutilation
>>451.
Ces critiques formulées par les administrateurs des
colonies, qui monopolisaient jusque-là l'ensemble des pouvoirs dans leur
circonscription, sont donc liées à l'émergence d'un
personnage au rôle croissant dans l'ordre colonial : le magistrat. Mais
la perception que le magistrat colonial développe de son rôle et
de sa position présente de nombreux points communs avec celle de
l'administrateur dans le cadre de l'ancienne justice indigène.
Les magistrats coloniaux face au miroir
Le magistrat reprend à son compte le sentiment de
toute-puissance offert par l'exercice du pouvoir judiciaire dans les colonies
et autrefois détenu par l'administrateur. Dans son livre sur Le
métier de magistrat, François Romerio rapporte << la
sensation terrible, mais quand on la maîtrise singulièrement
formatrice (...) d'«être» un homme qui décide, sous son
entière responsabilité, de la liberté et de la fortune de
ses semblables >>452. Certains magistrats soulignent
également, comme les administrateurs, l'inadaptation du code
pénal français à certaines situations dans les colonies
:
449 Marcel Dolmaire, << Les activités d'un
administrateur de France d'Outre-Mer en Haute-Volta (Pays Lobi) entre 1953 et
1957, in Gabriel Massa, Y. Georges Madiega, La Haute-Volta coloniale,
Témoignages, recherches, regards, Paris, Karthala, 1995, p. 106.
450 Yves Pravaz, Les transformations de la justice en
AOF, op. cit.
451 Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, op. cit.
452 François Romerio, Le métier de
magistrat, Paris, Edition France Empire, 1977, p. 82. Cité par
Martine Fabre, << Le magistrat d'outre-mer... >>, op.
cit., p. 434.
<< En matière pénale, l'intrusion d'un
système judiciaire à l'occidentale dans certains types d'affaires
apparaissait tout à fait artificielle dès lors que nous ne
pouvions appréhender que la manifestation extérieure des
comportements dont les causes réelles échappaient à la
connaissance et à la compréhension du juge. Celui-ci en
était alors réduit à prononcer des sanctions qui ne
correspondaient ni à la personnalité du prévenu ni
à l'attente du milieu social dans lequel avaient été
commis les faits estimés délictuels à l'égard de ce
code. »453
Mais les magistrats coloniaux mettent justement en avant leurs
qualités d'innovation et d'adaptation du droit français à
la culture locale :
<< Les situations concrètes qui nous
étaient soumises ne rentraient pas toujours dans les cadres ou concepts
des juridictions françaises, ce qui nous amenait souvent à
statuer en équité plutôt qu'en droit (...) en
matière de viol ou de prétendu viol, très rapidement, j'ai
renoncé à la voie criminelle et correctionnalisé en
outrage public à la pudeur. Ici encore, l'intérêt essentiel
des plaignants était d'obtenir des dommages et intérêts et
le litige portait principalement sur ce dommage. »454
Certains peuvent acquérir, du fait de leur
responsabilité, de leur rôle de médiation et de leur
obligation à s'adapter aux contextes locaux, un sentiment de
supériorité par rapport à leurs collègues de
métropole. Un magistrat interviewé par Martine Fabre s'exprime en
ce sens :
<< J'ai connu outre-mer des fonctionnaires et des
magistrats d'une valeur tout à fait exceptionnelle, tant leur
compétence et leur force de travail étaient grandes.
Malheureusement, certains de leurs collègues atteignaient juste une
honnête moyenne, acceptable en métropole, mais sûrement pas
outre-mer. »455
Il est nécessaire de rappeler cependant qu'il s'agit
là de discours reconstitués après plusieurs
décennies et, surtout, postérieurement à la
décolonisation, qui permettent également aux anciens
fonctionnaires coloniaux de revaloriser une fonction qu'ils estiment avoir
été parfois déconsidérée par la
métropole et par les travaux historiques sur la colonisation.
Les magistrats coloniaux estiment que la réforme
judiciaire de 1946 a constitué un progrès, et que cela a
été également perçu comme tel par les populations,
par rapport à << la justice coutumière demeurant
marquée par le tribalisme, la corruption et la politique
»456. En effet, si le magistrat colonial, tout comme avant lui
l'administrateur, a le sentiment d'avoir un << rôle civilisateur
» dans l'exercice de la justice, il se présente, par opposition au
commandant de cercle ou au chef de subdivision, comme le défenseur
indépendant des droits des autochtones. Certains juges interrogés
par Martine Fabre soulignent que << les juges étaient
perçus par les indigènes comme leurs défenseurs face aux
exactions des administrateurs de la FOM »457. Les conflits
entre administrateurs et magistrats ont en effet
453 Ibid., pp. 440-441.
454 Martine Fabre, << Le magistrat d'outre-mer... »,
op. cit., pp. 438-439.
455 Ibid., p. 444.
456 Ibid., p. 445.
457 Ibid., p. 446. La FOM est l'abréviation
employée pour la France d'Outre-mer.
été fréquents selon les
témoignages de ces professionnels et les juges estiment avoir
été souvent limités dans leur action par les
administrateurs458. Un administrateur souligne le sentiment qu'il
avait << qu'en lui retirant le pouvoir judiciaire, on tarissait la source
de son autorité >> :
<< Au sud de Madagascar où le vol d'un boeuf est
aussi populaire que le rugby en Aquitaine, j'ai refusé de passer la main
au magistrat. Je continuais à créer aux voleurs un climat
d'insécurité... conformément à ma coutume
j'imposais, sans jugement écrit et sans surveillance, des
journées de travail sur les pistes (...). Plus tard, la
fréquentation des magistrats me fit mesurer combien j'avais agi en chef
barbare n'hésitant pas à accepter comme preuve le serment sur les
tombeaux. >>459
Les magistrats coloniaux, bien que conscients que certaines
affaires leur échappent, se posent en défenseurs des populations
autochtones contre le pouvoir parfois abusif de l'administration coloniale. La
justice indigène, tout comme la justice française après
1946, est présentée comme adaptée aux conditions locales
et donc acceptée, en grande partie du moins, par les Africains.
Mais cette vision est-elle partagée par l'ensemble de
la population ? La perception de la justice indigène et les
réalités de son fonctionnement méritent d'être
étudiées du point de vue de la population dahoméenne, afin
de saisir les regards croisés dans le monde colonial. Comment les
populations réagissent-elles à la justice imposée par le
colonisateur ?
B. La population dahoméenne et la justice du
colonisateur : acceptation et résistance
Les historiens qui ont tenté d'appréhender les
réactions des populations africaines à la justice
instituée pendant la période coloniale estiment, comme John
Iliffe, que les nouveaux régimes judiciaires restaient en
général étrangers et impersonnels pour les
colonisés460. Les auteurs de l'Histoire
générale de l'Afrique, écrite sous l'égide de
l'UNESCO, souhaitent écrire cette histoire du point de vue africain et
ils soulignent que << les membres de toutes les classes sociales (qu'ils
fussent intellectuels ou analphabètes, citadins ou ruraux) partageaient
les griefs contre le système colonial, ce qui fit naître une
conscience commune de leur condition d'Africain et de Noir, par opposition
à leurs oppresseurs : les dirigeants coloniaux et les Blancs
>>461.
Les Africains n'ont pas eu une attitude d'indifférence, de
passivité ou de résignation pendant la période coloniale
mais il est nécessaire d'envisager les différentes
458 Certains juges soulignent même que << les
magistrats en FOM ont été souvent
«persécutés» par les administrateurs des colonies
>>. Ibid.
459 Ibid.
460 John Iliffe, Les Africains. Histoire d'un continent,
op. cit., p. 279.
461 UNESCO, Histoire générale de
l'Afrique, op. cit., p. 37.
réactions des populations concernées face
à l'ordre colonial, et plus particulièrement à la justice
coloniale. En effet, outre des manifestations de résistances,
apparaissent des réactions d'évitement, d'utilisation ou de
détournement des institutions judiciaires.
Précisons bien que les populations africaines ne
forment pas un bloc homogène et que leurs réactions varient selon
leur statut social et professionnel, leur implantation géographique ou
la période considérée. Comme le souligne Odile Goerg,
<< la justice indigène n'est pas uniquement subie, marque de la
répression coloniale ; elle est aussi un recours possible contre les
pesanteurs de la société ou la partialité des chefs locaux
(...). Cette perspective permet de voir comment les colonisés
s'approprient les nouveaux mécanismes de règlement des conflits
proposés par la colonisation, selon des modalités qui varient en
fonction de leur culture, de leur sexe ou de leur statut social
>>462. Les sentiments de la population dahoméenne
considérée dans ses différentes composantes sont
difficiles à cerner en l'absence d'écrits comparables à
ceux laissés par l'administration coloniale et compte tenu de la
difficulté de rassembler des témoignages de personnes ayant connu
non seulement cette période, mais également le système
judiciaire. Si les intellectuels ou << évolués >> ont
pu exposer leur vision de la justice dans les articles d'une presse
particulièrement florissante au Dahomey, les sentiments de la
majorité de la population encore illettrée restent pour
l'essentiel inaccessibles.
Cependant, la majorité analphabète pouvait avoir
recours à des écrivains publics pour établir ses plaintes.
L'analyse des plaintes et des plaignants dont nous avons des traces dans les
archives du Bénin fournit des éléments précieux sur
les caractéristiques sociales des populations qui ont recours à
la justice indigène, et sur les motifs de saisine. Ces sources
croisées permettent de mettre en évidence la variabilité
du recours et du motif de recours à la justice indigène selon le
statut social de la victime, mais également le maintien d'une justice
officieuse, à travers la famille et les autorités
traditionnelles, d'autant plus importante que l'on s'éloigne des centres
urbains. Elles permettent enfin de retracer les oppositions à la justice
indigène exprimées par voie de presse ou par la résistance
(violente ou non violente) à l'exécution des jugements.
1. Recours à la justice coloniale et position
sociale, des liens forts
Recourir à la justice officielle, porter plainte, est un
signe d'intégration de la norme sociale, du caractère
intolérable du fait en cause pour le plaignant et de la
reconnaissance
462 Odile Goerg, << Femmes adultères, hommes voleurs
? La << justice indigène >> en Guinée >>,
Cahiers d'études africaines, 187-188, décembre 2007.
de la légitimité du tribunal pour le
trancher463. L'analyse des plaintes et de leur origine, en
distinguant les personnes physiques et l'administration, permet donc de cerner
dans quelle mesure la population participe à l'utilisation de la justice
coloniale.
L'origine des plaintes devant la justice indigène :
des plaintes populaires ou des actions judiciaires administratives ?
L'origine de l'action judiciaire est connue pour 75% des
prévenus de notre échantillon (soit 1 240 cas sur 1 663
prévenus). Une difficulté particulière apparaît pour
la connaissance de cette information dans les colonies, dans la mesure
où les tribunaux répressifs sont toujours saisis par le chef de
la circonscription territoriale où siège la juridiction et non
directement par les particuliers. Cependant, l'existence d'une plainte est
mentionnée dans un certain nombre de jugements ou d'états
périodiques de jugements, accompagnée d'éléments
variables sur l'identité des plaignants (nom, âge, sexe, coutume
et domicile).
Parmi les 1 240 prévenus pour lesquels nous avons des
informations en ce domaine, 66% comparaissent devant les juridictions
indigènes à la suite d'une plainte présentée par un
particulier (824/1 240), tandis que 34% ont été poursuivis par
l'administration coloniale (intervenant en qualité de ministère
public) en dehors de toute plainte d'un particulier464.
Les actions judiciaires introduites suite à des
plaintes de particuliers sont donc majoritaires, mais le chef de la subdivision
ou le commandant de cercle qui saisit le tribunal reste souverain pour
décider de saisir ou non la juridiction après le
dépôt d'une plainte. Certaines plaintes sont donc classées
sans suite, ce qui provoque un mécontentement dont se fait écho
la presse dahoméenne. Ainsi le lieutenant-gouverneur du Dahomey
intervient-il à ce sujet auprès de l'adjoint au commandant de
cercle d'Allada, pour l'enjoindre d'instruire les plaintes
présentées par les particuliers :
<< Le n°72 du 15 novembre du «Courrier du
golfe du Bénin» fait allusion à une plainte qui aurait
été déposée le 24 mai à Cotonou par un
nommé Sogan du village de Ouagbo contre Maho Zohungbogbo qui lui aurait
ravi sa femme Sossi. A en croire le directeur du journal la plainte n'aurait
pas eu la suite qu'elle compte et se serait terminée par une
admonestation sévère de votre part au plaignant.(...) Un principe
doit être admis et respecté, c'est que les plaintes
déposées régulièrement doivent être
instruites. Si elles ne sont pas fondées il appartiendra à la
personne calomniée de
463 Jean-Claude Martin, << Violences sexuelles... »
op. cit., pp. 654-655. Jean-Claude Martin établit le constat
suivant à propos des affaires sexuelles : << L'incorporation de la
justice et de la loi réprouvant les attentats sexuels est une des
explications de la montée brutale du nombre des affaires jugées
à partir des années 1845- 1850. La volonté des femmes
d'accéder à la justice est en effet manifeste et essentielle
».
464 Selon les données fournies par le compte
général de l'administration de la justice en France, 30% des
affaires correctionnelles étaient introduites par le ministère
public dans les années 1831-1835, contre 89% entre 1876-1880. Michelle
Perrot, Les ombres de l'histoire..., op. cit., p. 172. Mais
la comparaison entre les justices française et indigène reste
délicate dans la mesure où elles ne suivent pas les mêmes
règles de fonctionnement.
demander des dommages et intérêts. Si -
même dans les meilleures intentions du monde - un administrateur
arrête une plainte, il pourra être taxé de
partialité. Laissez donc les plaintes suivre leur cours. »465
L'action judiciaire au Dahomey, tout au moins au niveau de la
justice indigène, est donc plus souvent mise en oeuvre après le
dépôt d'une plainte par un particulier qu'à la suite de
l'intervention unilatérale de l'administration coloniale. Mais cette
situation ne s'applique pas à toutes les infractions en cause, ce qui
témoigne d'une sensibilité populaire variable selon les
délits concernés.
Un recours de la population variable selon les
infractions
Les procès pour adultère sont par exemple
toujours introduits après une plainte, le plus souvent du mari mais
aussi parfois d'un membre de la famille, en l'absence ou en cas de maladie du
mari. Il en va de même pour les cas d'escroquerie simple ou d'escroquerie
au mariage466. La quasi-totalité des vols simples ou
qualifiés et des recels dans notre échantillon sont
également poursuivis à la suite d'une plainte (94% des cas).
Cette part baisse lorsqu'on considère les coups et blessures (80% des
prévenus pour coups et blessures de notre échantillon sont
poursuivis après une plainte) ou, plus encore, les injures et menaces
(52%). A contrario, certaines infractions ne touchent qu'indirectement la
population, comme l'entrave au recrutement, les actes de rébellion ou
encore les évasions ou complicités d'évasions. Ces
délits n'affectent que l'administration coloniale et ses agents,
commandants de cercle ou chefs de subdivision, mais aussi chefs de canton ou de
village, ou encore gardes de cercle. Ces délits qui constituent en fait
des « atteintes à l'autorité coloniale » ne donnent
donc le plus souvent pas lieu à des plaintes de la part de la
population, sauf dans le but de se venger d'une personne, comme par exemple
dans le cas de dénonciations pour port d'armes prohibées.
Les atteintes à l'autorité coloniale suscitent
en revanche des rapports ou des plaintes de la part des fonctionnaires de
l'administration coloniale qui déclenchent l'action judiciaire. Ainsi
les prévenus pour évasions ou complicités d'évasion
de notre échantillon sont-ils exclusivement poursuivis par
l'administration en dehors de toute plainte de particuliers. Parmi les
prévenus pour rébellion, 38% (10/26) sont poursuivis suite
à une
465 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, lettre du
lieutenant-gouverneur du Dahomey à Mr Claverie adjoint au commandant de
cercle d'Allada le 20 novembre 1934.
466 L'escroquerie au mariage est le fait de promettre une
fille ou parente en mariage et de percevoir une partie ou la totalité de
la dot, puis de ne pas tenir son engagement en mariant la parente à une
autre personne dont on perçoit également la compensation
matrimoniale.
plainte de la part de gardes de cercle ou de chefs de canton
agissant comme des particuliers467.
La lecture des plaintes soumises par les particuliers aux
autorités coloniales conforte ces données chiffrées. Les
plaignants interviennent le plus souvent pour des affaires d'escroquerie, de
vols ou pour des conflits familiaux, comme des coups et blessures, des
enlèvements de femmes ou d'enfants ou des escroqueries au mariage. Un
Dahoméen écrit par exemple en 1912 au Résident du
Protectorat pour demander justice dans une affaire d'escroquerie au mariage
:
<< C'était en 1892 au retour de
l'expédition du Dahomey où le sieur Yénou, devineur,
demeurant au village de Kotoklomé m'avait promis en mariage la
nommée Tohoun [orthographe incertaine] sa propre fille et pour laquelle
il avait obtenu une somme principale de 200 F. Pour pouvoir faire des frais
nécessaires relatifs à cette alliance, je me suis donc mis en
gage au moyen duquel j'ai fait à mon beau-père des frais
s'élevant à la somme de 660,15 F. Or il y a un an environ
où à mon insu mon beau-père a fait épouser la dite
fille par un autre homme au moyen d'une somme d'argent et d'autres cadeaux
obtenus de ce dernier et m'a donc empêché jusqu'à ce moment
de la jouissance de même. Je vous prie (...) de bien vouloir faire juger
la duplicité et l'action frauduleuse de mon beaupère au sujet de
la fille en question et de la somme déboursée. »468
Ces démarches sont parfois entreprises auprès de
l'administration coloniale lorsque les plaignants se trouvent en opposition
avec les chefs indigènes, qui sont sollicités avant tout recours
judiciaire pour trancher les conflits ou qui participent à la
juridiction indigène en tant qu'assesseurs. Tel est le cas d'un
père qui réclame la restitution de son enfant, enlevé en
même temps que sa concubine par l'ancien fiancé de cette
dernière. Le plaignant estime que l'ex-fiancé a intrigué
auprès des chefs du tribunal indigène pour obtenir leur aval afin
d'enlever l'enfant :
<< Vers l'année 1908, la nécessité
m'avait obligé de quitter Adjarra, mon pays natal pour chercher quoi
faire dans la ville de Sakété où la destinée
m'avait conduit à faire une démarche auprès d'une fille
qui avait été promise en mariage par ses parents, le sieur Taino
et la dame Lebigi, originaires de Sakété au sieur C Couché
(...), demeurant à la même ville. La fille en question qui
s'appelle Fayemi préférait mieux devenir ma concubine que
d'être la femme de Couché son fiancé qui était
même détesté par son père pour cause de ce qu'il
était l'auteur d'un vol commis chez ce dernier. Or ma démarche
auprès de la dite fille a eu son effet, car au bout de quelques mois
après mon arrivée à Sakété elle était
devenue ma concubine à l'assentiment de ses parents susnommés.
Heureusement nous y étions bénis par le Bon Dieu d'un enfant
appelé Egbéléyé qui est aujourd'hui
âgé de 4 ans environ. Il s'agissait M. le Résident que
notre concubinage était interrompu par des intrigues que formaient
Couché auprès des chefs indigènes du Tribunal de Province
de Sakété. Ces intrigues ont causé en effet
l'enlèvement de la femme Fayemi et de mon fils
Egbéléyé au marché de Sakété il y a
environ deux semaines, lesquels étaient amenés par force chez
Couché, l'ancien fiancé de la dame Fayemi. Depuis je n'ai
reçu aucune nouvelle de mon fils, ce qui m'étonne beaucoup. J'ai
l'honneur de venir très respectueusement et très humblement
réclamer par votre intermédiaire auprès du
467 Rappelons également qu'une partie des infractions
échappe aux tribunaux indigènes et se trouve punie par des
sanctions disciplinaires, en application du << Code de l'indigénat
». Or ces infractions qui sont toutes des atteintes à
l'autorité coloniale (refus de payer l'impôt, non
présentation à une convocation par l'administrateur,...)
augmenteraient d'autant la part des actions judiciaires introduites par
l'administration en dehors de toute plainte de particulier si elles
étaient jugées par les tribunaux indigènes.
468 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, plainte à M. le
Résident du Protectorat de Porto-Novo le 5 février 1912.
tribunal de province de Sakété du sieur
Couché mon fils Egbéléyé de peur qu'il ne soit
empoisonné. J'ose espérer, M. le Résident, que vous
voudrez bien me secourir dans cette affaire auprès du tribunal de
province de Sakété afin qu'il puisse justifier ma plainte et de
condamner en outre Couché à me restituer sans aucun délai
mon fils Egbéléyé. >>469
En dehors des cas de conflit entre les populations et les
chefs indigènes, le recours au tribunal indigène n'intervient
souvent qu'en ultime recours, lorsque le traitement amiable par
l'administrateur colonial ou le règlement du conflit par le chef de
famille ou de village a échoué. Certains plaignants soulignent
ainsi qu'ils n'introduisent une action judiciaire pour escroquerie qu'à
défaut d'exécution du règlement amiable par lequel
<< le commandant de cercle avait obligé [le prévenu]
à rendre l'argent ou son équivalent en maïs escroqué
à une date donnée >>470.
Mais qui porte plainte devant la justice indigène ? Les
plaignants présentent-ils des caractéristiques
socio-professionnelles spécifiques, permettant de mettre en relief la
nature des conflits ou les groupes sociaux en opposition au sein de la
société coloniale ?
Des plaintes essentiellement masculines
Sur les 824 prévenus de notre échantillon
poursuivis à la suite de la plainte d'un particulier, nous connaissons
le sexe des plaignants dans 93% des cas (pour 769 prévenus). Parmi eux,
85% sont de sexe masculin contre 14% de femmes (1% relevant de plaintes
collectives présentées à la fois par des hommes et des
femmes).
Le fait de porter plainte reste donc l'apanage des hommes.
Mais les femmes ne portent pas plainte pour les mêmes types de
délits que les hommes (p< 0,003). Aucune plainte relative à
des infractions à l'autorité (évasions, entraves au
recrutement...) n'est déposée par les femmes, dans la mesure
où celles-ci ne participent pas à l'<< administration
>> coloniale. Par ailleurs, si 13% des plaintes relatives à des
infractions contre les biens (vols, recels, escroqueries) sont le fait de
femmes, cette proportion s'accroît pour les infractions contre les
personnes (18%), notamment en ce qui concerne les coups et blessures (24%). En
effet, les femmes ont moins accès que les hommes à la
propriété des biens dans la société coloniale et se
trouvent donc rarement, sauf lorsqu'elles sont marchandes, en position de
plaignantes pour des infractions contre les biens.
Catherine Coquery-Vidrovitch a souligné que <<
les grandes perdantes dans les campagnes sont les femmes >>, les hommes
se réservant le travail salarié mais aussi la
469 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, lettre à M. le
Résident du Protectorat de Porto-Novo le 28 février 1912.
470 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial, jugement du tribunal
de premier degré d'Allada n°9 le 27 janvier 1930.
propriété sur les terres : « Seules les
commerçantes des zones côtières où une part
importante de l'activité marchande leur est traditionnellement
réservée (grossistes de pagnes au Dahomey) profite des nouvelles
conditions »471. En revanche, elles se trouvent souvent au
centre des conflits familiaux et sociaux, en tant que victimes, et leur action
comme plaignantes est donc plus importante en ce domaine.
Figure 4. Catégories professionnelles
de 555 plaignants, Dahomey, 1903-1958
Source : Archives Nationales du Bénin,
échantillon représentatif
Porter plainte : une action plus marquée parmi les
« élites »
Plus encore que le genre, la catégorie professionnelle
des plaignants permet de mieux cerner la nature des conflits et les groupes
sociaux en rivalité (Figure 4). Sur les 824 prévenus de notre
échantillon poursuivis suite à la plainte d'un particulier, nous
connaissons la profession des plaignants dans 67% des cas (pour 555
prévenus).
Si les cultivateurs constituent près de la
moitié de ces plaignants (260/555), cette proportion est très
inférieure à leur poids réel dans la société
dahoméenne, puisqu'on estime que près des trois-quarts des
Dahoméens étaient des paysans pendant la période
471 Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de),
L'Afrique occidentale au temps des Français..., op.
cit., pp. 29-30. Le même constat est également fait par
Catherine Coquery-Vidrovitch, Les Africaines. Histoire des femmes d'Afrique
noire du XIXème au XXème
siècles, Paris, Desjonquères, 1994, 395 p.
coloniale472. Le profil socio-professionnel des
plaignants reflète pour partie les mutations sociales en oeuvre pendant
la colonisation. Une nouvelle classe de << nantis autochtones » est
en formation, comme << les citadins devenus entrepreneurs de commerce ou
de transports et enrichis (surtout en conjoncture de pénurie de vivres)
par la spéculation »473. Dans notre échantillon,
les professions commerciales représentent 24% des plaignants. Mais il
est nécessaire de distinguer au sein de ces professions commerciales les
commerçants et traitants (13% des plaignants) - qui
bénéficient de patentes474 - des marchands (9%) et
colporteurs (2%) - qui vivent le plus souvent du commerce précaire de la
rue.
Parmi les nouveaux << nantis autochtones »,
figurent également les << chefs de canton qui augmentent leur
accaparement des terres »475 et affirment leur pouvoir (ils
représentent 9% des plaignants de notre échantillon), mais aussi
une partie du nouveau personnel administratif lettré qui compose la
jeune bourgeoisie africaine et revendique sa participation aux affaires
publiques (les employés de l'administration constituent 8% des
plaignants de notre échantillon). Le fait de porter plainte est un signe
d'acceptation de la norme sociale, mais également la marque de
l'intégration du plaignant dans la société. Le plaignant
devant la justice indigène est plus souvent une personne qui dispose
d'une reconnaissance sociale dans l'ordre colonial, qui a même parfois
connu une promotion sociale (comme les interprètes et plus globalement
les employés de l'administration coloniale ou encore certains chefs de
canton). Il peut utiliser la justice indigène pour se voir
reconnaître ses droits dans la société coloniale et
régler ses conflits contre d'autres personnes ou groupes sociaux.
Le type d'infractions donnant lieu à des plaintes varie
fortement selon la catégorie professionnelle du plaignant et selon la
nature de son intégration sociale. La Figure 5 représente la
nature des atteintes donnant lieu à des plaintes pour chaque grand type
de professions.
472 Hélène d'Almeida-Topor, Histoire
économique du Dahomey..., op. cit., p. 58.
473 Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de),
L'Afrique occidentale..., op. cit., p. 29.
474 La décision prise par les autorités
coloniales de faire payer une taxe de patente à tous les
commerçants des possessions du Bénin à partir du
1er janvier 1890 introduisit des critères objectifs de
classification. Hélène d'Almeida-Topor, Histoire
économique du Dahomey..., op. cit., pp. 106-107.
475 Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de),
L'Afrique occidentale..., op. cit., p. 29.
Figure 5. Nature des infractions pour chaque
catégorie professionnelle des plaignants
Source : Archives Nationales du Bénin,
échantillon représentatif
Plus des trois-quarts des plaintes des commerçants
(93%) et des marchands ou colporteurs (80%) concernent des infractions contre
les biens. Ils constituent en effet les cibles privilégiées des
vols, notamment des vols avec effraction et en bandes organisées ; leur
place sociale est liée à leur activité économique
et les atteintes à cette activité donnent facilement lieu
à une plainte de leur part. Les plaintes des cultivateurs, artisans et
pêcheurs concernent également en majorité des atteintes
contre leurs biens (60 à 70%), mais il s'agit plus souvent de vols
simples, de faible ampleur. La part des infractions contre les personnes
(assassinats, coups et blessures, mais aussi adultères,
enlèvements...) est en revanche plus élevée chez cette
catégorie professionnelle de plaignants (entre 30 et 40%) ainsi que chez
les personnes sans profession ou ménagères (73%). Enfin, les
atteintes à l'autorité coloniale (injures, coups et blessures
contre un représentant de l'autorité ou encore entraves au
recrutement, complicités d'évasion...) ne donnent en pratique
lieu à plainte que de la part des agents de l'administration coloniale.
Elles représentent 23% des plaintes des employés de
l'administration et 68% de celles déposées par des chefs de
village ou de canton. Ces représentants de l'autorité ont en
effet une place reconnue dans la société coloniale du fait de
leurs fonctions. Ils n'hésitent pas, lorsque leur autorité se
trouve atteinte, à porter plainte, notamment les chefs, sachant que
cette plainte sera très certainement instruite par une administration
coloniale sourcilleuse sur le respect dû à ses
représentants.
Les plaintes exprimées par les chefs de canton ou de
village et les employés de l'administration traduisent également
les conflits qui traversent la société coloniale. Leurs
fonctions leur permettent souvent d'obtenir un pouvoir
important sur les populations et certains en abusent (pour le recouvrement de
l'impôt mais aussi le maintien de l'ordre public), ce qui les rend
parfois impopulaires. Ainsi ces chefs et employés de l'administration
font-ils eux-mêmes l'objet de nombreuses plaintes de la part d'individus
ou de communautés entières, comme par exemple le chef de canton
de Segboroué, accusé en 1937 de viols par un individu du nom de
Cossou476, ou encore les chefs de canton de la subdivision
d'Athiémé, accusés par la population d'enfermement
arbitraire, de << saisie et ventes d'animaux >> et de <<
mises en gage ou mariages forcés >> lors du recouvrement de
l'impôt :
<< Divers indigènes se sont plaints d'avoir au
moment du recouvrement de l'impôt été attachés et
frappés par leurs chefs. D'une façon générale, si
les chefs se défendent d'avoir exercé des violences graves, ils
ne nient pas avoir attaché les contribuables récalcitrants, et
nous ne nous trompons certainement pas si nous affirmons qu'en ligotant les
personnes, les récadères ne se sont certainement pas
privés de les passer quelque peu à tabac. Quiconque a
exercé un commandement en brousse a certainement eu maintes fois
à intervenir pour tâcher de faire comprendre à ses
auxiliaires indigènes qu'arrêter ne signifie pas frapper. Un nomme
Dansou du village de Dévé (canton de
Ouédémé) s'est plaint de ce que son frère Boni fut
décédé trois jours après avoir été
brutalisé par les récadères. Un Michel Dokpo, du village
de Lokossa, s'est plaint d'avoir été frappé par le chef
Kakaï avec une telle violence qu'il a eu un oeil très
sérieusement endommagé. Mais il était déjà
atteint à l'oeil et est en réalité un témoin de
mauvaise foi. >>477
Les plaintes contre les chefs sont parfois adressées au
procureur de la République lorsque l'administrateur ne semble pas
satisfaire les revendications. Plusieurs piroguiers du canton de Hettin
écrivent par exemple au procureur de la République en 1936 pour
lui demander une enquête sur le chef de ce canton, Martin Gnao, qui
utilise de manière lucrative des prestataires pour transporter les
marchandes d'un bord du fleuve à l'autre, empêchant ainsi les
piroguiers d'exercer leur métier :
<< Nous venons respectueusement nous jeter à vos
pieds en vous exposant humblement les abus de pouvoir commis à notre
préjudice par le nommé Martin Gnao, chef du canton de Hettin
(basOuémé). Depuis plus de 15 ans, nous exerçons à
Hettin le métier de piroguiers pour les passagers devant passer de
l'autre côté du fleuve. Notre métier consiste simplement
à transporter les marchandes venant du côté de Gbessou pour
se rendre au marché de Dangbo et celles qui vont dans la direction
opposée. (...) C'est à notre grande surprise que Martin Gnao,
devenu chef, a cherché il y a deux ans à nous interdire notre
profession, sous prétexte que c'est un emploi lui revenant. Ainsi il a
placé des prestataires au bord du fleuve et ces derniers, travaillant et
percevant de l'argent, font des versements qu'il met dans sa poche tout en
faisant croire à l'administrateur qu'il fait passer des passagers pour
rien. Nous avions exposé cet état de choses à
l'administrateur Grob qui lui intima l'ordre de cesser de nous embêter.
Au départ de cet administrateur, Mr Dunglas à qui nous nous
sommes plaint lui a renouvelé le même ordre. Cependant Martin Gnao
n'a pas perdu courage voyant que notre métier fait partie de ceux qui
rapportent mieux lorsqu'ils sont exécutés par des prestataires
recrutés pour le compte de l'administrateur. Ainsi à
l'arrivée du commandant Pilatriau, l'incorrigible chef a
recommencé la même chose. Nous nous sommes plaint à nouveau
mais on a refusé de nous écouter à Sakété
étant donné les gros mensonges forgés par le chef. Il
aurait prétendu faire passer les
476 CAOM, 8G26, correspondance judiciaire sur les agissements
commis par un chef de canton.
477 CAOM, 111 APOM 1 et 2, APC, Papiers Boulmer, chemise 3,
rapport du 16 mars 1932 de l'inspecteur des affaires administratives Desanti au
sujet des faits reprochés par leurs ressortissants aux chefs de canton
de la subdivision d'Athiémé.
voyageurs sans bourse déliée. C'est alors que
nous nous sommes rendus nous expliquer au résident de Porto-Novo qui a
promis de s'occuper de nous en transmettant avec plus de recommandation notre
réclamation à Sakété, ce qu'il a fait en effet. Une
semaine plus tard le chef de la subdivision de Sakété nous fit
appeler ensemble avec Martin Gnao. Après quelques explications
mensongères du chef, le commandant nous infligea une punition de 10
jours de prison à chacun de nous, peine que nous avons purgé sans
murmure (...). >>478
Les chefs de village ou de canton, mais également les
autres employés de l'administration, notamment les interprètes ou
les gardes de cercle, sont réciproquement parfois victimes de
dénonciation calomnieuse, d'injures, voire de coups et blessures. Ils
portent donc plainte en se fondant sur l'atteinte à l'autorité
qu'ils représentent. Ces conflits peuvent même opposer les agents
de l'administration entre eux : les notables d'Abomey portent par exemple
plainte contre les agissements de certains interprètes, accusés
d'avoir exigé de l'argent des populations lors du
recensement479.
Le profil des plaignants devant la justice indigène
fait donc sans grande surprise émerger la figure des <<
élites >> autochtones (élites traditionnelles ou
nouvelles), qui ont une plus grande facilité à saisir ces
juridictions, dans la mesure où elles sont plus souvent
alphabétisées mais surtout qu'elles ont une place reconnue par le
pouvoir dans l'ordre colonial. Ces élites sont également au
centre de conflits sociaux nouveaux, qui les opposent à la population
mais parfois aussi entre elles.
Des plaintes croissantes contre l'administration
coloniale
L'analyse des plaintes devant la justice indigène doit
être complétée par l'étude de celles
formulées contre des << citoyens >> français, donc
auprès des juridictions françaises. Notre échantillon ne
contient pas de données chiffrées sur ce point mais plusieurs
rapports et correspondances font état de plaintes de la population
contre des missionnaires, des commerçants ou encore des administrateurs
français.
L'affaire Schüb, du nom d'un missionnaire d'Agoué,
donna lieu à un conflit entre chefs locaux et missionnaires mais aussi
à un règlement de comptes entre les différentes
composantes de la société coloniale blanche (administration,
missionnaires et commerçants). En effet, à la suite de la plainte
d'un chef de quartier, Michel Schüb fut condamné en 1903 par le
tribunal de première instance de Porto-Novo à 100 francs d'amende
et au minimum de la durée de la contrainte par corps pour coups et
blessures n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail
contre le chef de quartier, Djongbo. Le tribunal
478 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, lettre de trois
piroguiers à M. le procureur de la République du Dahomey (sous
couvert du commandant de cercle de Cotonou) le 24 juillet 1936.
479 CAOM, 8G24, plainte du 24 juin 1936 des notables d'Abomey au
lieutenant-gouverneur au sujet des abus et agissements de certains
interprètes d'Abomey.
de première instance était alors
présidé, en l'absence de magistrat professionnel, par un
administrateur civil, Lucien Dreyfus, également juge de paix à
compétence étendue.
Le père Schüb assistait avec deux autres
missionnaires à « une cérémonie indigène qui
avait lieu avec l'autorisation de ce même administrateur Dreyfus »
:
« Cette cérémonie consistait en une danse
de zangbetos devant le logis d'un nommé Julien Pereira qui les avait
convoqués pour célébrer la mort d'un parent. Les zangbetos
sont des veilleurs de nuit, ils se couvrent la tête d'un cône de
paille dans l'exercice de leurs attributions et dans tous les villages du Bas
Dahomey, on les invite généralement à participer aux
danses nocturnes. Mais déjà le père Schüb avait eu
des difficultés avec certains zangbetos dans des circonstances autres.
La présence de trois missionnaires à une cérémonie
privée ne pouvait manquer d'amener un conflit. C'est par des injures
réciproques que l'incident prit naissance, il se termina par un coup de
canne du père Schüb lancé au chef de quartier Djongbo qui
était intervenu. »480
Cette affaire confronta donc un missionnaire aux chefs et aux
fétichistes. Ceux-ci avaient porté plainte auprès de
l'administration. L'intervention de l'administrateur qui donna gain de cause en
justice aux fétichistes contre les missionnaires souleva un conflit
entre le pouvoir colonial et la hiérarchie catholique. Ce conflit
s'élargit ensuite à d'autres groupes sociaux, comme certains
commerçants métropolitains ou encore des chefs de village
destitués, qui utilisèrent l'affaire pour se venger de
l'administrateur avec lequel ils étaient en opposition. En effet, le
lieutenant-gouverneur du Dahomey, en prenant la défense de son
subordonné, présenta ainsi la situation au ministre des Colonies
:
« L'affaire aurait pu s'arranger très facilement
si le père Schüb avait montré un peu de bonne volonté
car la blessure de Djongbo était insignifiante, mais aux
premières tentatives de conciliation faites par Barreme [un
administrateur civil] qui en cette qualité avait reçu la plainte,
le père Schüb se montra intraitable. En outre, le père
d'Aspord, supérieur de la mission de Grand-Popo qui avait
accompagné Schüb au cabinet de Mr Barreme lui conseilla de se
laisser condamner à l'amende pour voir si l'on oserait exercer contre
lui la contrainte par corps. La conciliation devenait impossible dans ces
conditions et l'affaire suivit son cours, elle s'amplifia et devint grâce
aux racontars des uns et des autres une cause d'agitation dans la ville de
Grand-Popo. Le chef de la colonie, qui heureusement se trouvait au
Sénégal, était accusé d'avoir dit qu'il fallait
être sans pitié pour les missionnaires. Un agent de la factorerie
Fabre, Mr Pagès ayant eu précédemment des
démêlés d'ordre administratif avec Mr Dreyfus, devint un
agent aussi actif que clandestin dans les menées qui avaient pour but le
renvoi de Grand-Popo de Mr Dreyfus, de son interprète et du chef de
village d'Hevié. L'ancien chef de ce village destitué depuis deux
ans et qui comptait être remis en possession de son titre après le
départ de Dreyfus fit avec ses partenaires une manifestation contre cet
administrateur. A ce moment furent envoyées des lettres au
Président de la République, au gouverneur de Cotonou et à
diverses personnes pour se plaindre du gouvernement à Grand-Popo. Un
certain nombre de Noirs de Grand-Popo vinrent à Porto-Novo porter leurs
doléances au gouverneur et au procureur de la République. Ils
reçurent 75 F de la mission pour leurs frais de voyage. »481
Les chefs expriment ici par des plaintes leurs conflits contre
les missionnaires catholiques. Ils peuvent le faire d'autant plus facilement
que l'administration se trouve parfois elle-même en opposition avec ces
mêmes missionnaires et accueille donc
480 CAOM, FR Dahomey VIII, jugement correctionnel, audience du
20 janvier 1903 du tribunal de première instance de Porto-Novo n°21
(affaire Schüb) et lettre du lieutenant-gouverneur du Dahomey Liotard au
ministre des Colonies le 12 avril 1903.
481 Ibid.
favorablement les demandes des chefs. Les plaintes de la
population contre l'administration peuvent aussi, comme dans l'affaire
Schüb, être manoeuvrées et utilisées pour
régler des conflits personnels entre missionnaires, commerçants
ou chefs locaux et administrateurs.
Mais de manière plus générale, les
populations formulent des plaintes, souvent collectives, afin de se
protéger d'éventuelles représailles, contre certains
administrateurs accusés d'exactions, de mauvais traitements ou
d'arbitraire. L'importance de ces plaintes est difficile à mesurer mais
on en trouve de nombreuses traces dans les archives. Elles manifestent de
l'opposition des populations à l'égard d'actes
répréhensibles commis par certains administrateurs. Ces plaintes
sont rendues possibles par le fait que l'administration coloniale cherche
toujours à paraître respectable. Comme le rappellent les
nombreuses circulaires des gouverneurs aux commandants de cercle, les
administrateurs doivent assurer leurs fonctions avec dignité et les
éléments corrompus doivent être écartés. Dans
son mémoire de l'ENFOM, un administrateur stagiaire va dans le
même sens en 1945- 1946 :
<< Il existe encore des «Frères de la
Côte» (cf. Terre d'ébène d'Albert Londres), cupides et
bêtement cruels. L'administration doit les supprimer. (...) Sans s'en
tenir aux dénonciations d'un «Phare du Dahomey» par trop
véhémentes, sans remonter aux exploits de l'administrateur X et
de sa cartouche de dynamite qui lui a valu une condamnation à mort, n'y
a-t-il pas des fonctionnaires qui s'adaptent mal au pays, qui ne comprendront
jamais rien à la mentalité de l'indigène ? Et qui dira le
mal qu'ils font ou qu'ils ont fait ? Le renom même de la France est par
eux diffamé. Evidemment le «mauvais commandant» c'est
l'exception, mais un seul, c'est déjà trop ! »482
Malgré des sanctions très limitées contre
les administrateurs ayant commis des actes délictueux, les
autorités administratives, relancées par leur hiérarchie
et dénoncées par la presse, ne peuvent pas ignorer les plaintes
formulées. Une enquête est ainsi réalisée vers 1938
à la suite de plaintes déposées dans le cercle de Savalou
sur les agissements de l'adjoint principal des services civils, Dupont,
accusé de brutalités sur des indigènes entre mai et
juillet 1936, et sur ceux de l'administrateur Berge, accusé de mauvais
traitements sur un interprète, emprisonné à Savé,
et de détention arbitraire d'un garde483. De même, un
Dahoméen porte plainte en 1910 contre plusieurs administrateurs,
estimant que << dans l'exercice de leurs fonctions de commandant de
cercle à Ouidah, MM. les administrateurs Suvillier et Dessirier de
Pauwel [l]'ont poursuivi de leurs rancunes, soit en intervenant
482 Lucien Blot, La sécurité en AOF,
Mémoire ENFOM d'administrateur, 1945-1946, CAOM, 3 ECOL 49 d 12, pp.
10-12.
483 CAOM, 8G29, enquêtes dans le cercle de Savalou
(1936-1944).
contre [lui] auprès des juridictions indigènes,
soit en [lui] infligeant des peines disciplinaires imméritées
»484.
Les plaintes contre les autorités coloniales semblent
s'accroître pendant l'entredeux-guerres. Selon Catherine
Akpo-Vaché, cette tendance se poursuit pendant la Seconde Guerre
mondiale. Entre mai 1940 et janvier 1941, plus de la moitié des plaintes
déposées par des Africains de l'Ouest concernent des
représentants de l'autorité : 21% visent des chefs de canton et
33% des administrateurs485.
Après le dépôt de la plainte et si
l'affaire n'est pas classée sans suite, celle-ci est instruite et le
jugement est rendu. Le plaignant et le prévenu ont encore la
possibilité d'intervenir et de faire valoir leurs positions, donc
d'utiliser la justice indigène, en faisant appel de cette
décision. Mais il semble, selon les rapports administratifs, que les
justiciables dahoméens aient peu recouru à cette
possibilité. Cette situation est-elle confirmée par les
données de notre échantillon et quelle analyse peut-on faire du
recours et de l'utilisation par la population de la justice indigène
?
Un faible recours à l'appel
Sur les 1 663 prévenus de notre échantillon, la
décision de recourir ou non à l'appel est connue dans 51% des cas
(soit pour 846 prévenus). En effet, les données relatives
à l'appel ne sont souvent pas correctement mentionnées sur les
états des jugements ou restent encore inconnues lors du jugement,
puisque le délai d'appel n'a pas encore expiré. En outre, il est
mentionné dans le jugement la décision de faire ou non appel,
mais le prévenu peut toujours revenir sur cette décision pendant
le délai fixé. Les données sur l'appel n'ont donc
été retenues dans notre échantillon que si le délai
pour former appel était expiré et que la décision de
constituer un appel ou non était alors définitivement connue. Sur
ces 846 cas, il n'y a pas eu de décision ou de recours en appel à
la juridiction supérieure dans 73% des cas (616/846). La décision
de faire appel n'est donc prise que dans 27% des cas, le plus souvent par le
ministère public (17% des cas, soit 148/846) et dans une moindre
proportion par le prévenu (9% des cas, soit 77/846) ou par le plaignant
(1% des cas, soit 5/846). Le nombre de décisions d'appels
formulés par les justiciables est donc limité ; il est d'ailleurs
surévalué dans notre échantillon dans la mesure où
le recours est probablement moins fréquent pour les cas où
l'information sur le recours n'est pas disponible.
484 CAOM, 8G 41, plainte du nommé Adjovi contre certains
administrateurs de la colonie en 1910. L'orthographe du nom des administrateurs
est incertaine.
485 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre
mondiale, op. cit., p. 139.
Pour les administrateurs, la faiblesse des appels traduit
l'acceptation et la qualité des jugements rendus. Dans son rapport sur
le fonctionnement de la justice indigène en 1911, le commandant de
cercle du Borgou plaide en ce sens : << On ne peut que se
féliciter de la confiance que témoignent dans la valeur morale
des jugements rendus les indigènes qui y sont soumis. Le peu de
fréquence des appels de ces sentences confirme cette appréciation
et tout fait espérer que dans un avenir rapproché les
indigènes seront entièrement pénétrés du
sentiment de justice rationnelle qui nous inspire et qui respecte à la
fois leurs coutumes, leurs croyances et leurs droits >>486. De
même, l'administrateur adjoint du secteur d'Adjohon estime que <<
les peines infligées aux rares délinquants paraissent
raisonnables ; ces derniers d'ailleurs en refusant de porter leur cause devant
la juridiction d'appel montrent qu'ils reconnaissent le bien fondé des
condamnations >>487.
Mais il s'agit pour chaque administrateur de faire valoir le
bon fonctionnement des institutions dans son ressort territorial, et plus
encore l'adhésion de la population à ces dernières.
Certains fonctionnaires coloniaux s'opposent d'ailleurs au droit des
prévenus et des victimes de faire appel des jugements, pour
éviter une remise en cause du jugement rendu. C'est ce que souligne le
lieutenant-gouverneur du Dahomey dans une circulaire du 28 avril 1913, dans
laquelle il invite les chefs de subdivision et les commandants de cercle
à cesser ces pratiques :
<< Nombre d'indigènes sont venus protester
auprès de moi contre le refus qui leur serait opposé par les
membres de certains tribunaux de subdivision d'accueillir les demandes d'appel.
Ces réclamants ne sont certes pas tous de bonne foi ; il se peut
cependant que certains justiciables aient été laissés dans
l'ignorance de leur droit ou empêchés par intimidation d'en user.
Vous aurez donc désormais à recevoir vous-même, de la
partie succombante en personne, les déclarations d'appel qui seront
portées à leur date sur un registre spécial. Cette
comparution devra avoir lieu autant que possible à l'issue de chaque
séance du tribunal de subdivision. Il est bien entendu que le
justiciable qui vous aura déclaré vouloir renoncer à
l'appel n'est pas de ce fait forclos et qu'il conserve jusqu'à
l'expiration des délais la faculté de revenir sur sa
décision. (...) Ce procédé aura pour effet de ne plus
permettre à un indigène quelconque d'accuser impunément de
forfaiture les juges qui auront refusé de lui donner gain de cause. Il
fera cesser l'injuste suspicion dans laquelle nous pourrions tenir, à la
suite d'accusations gratuites mais répétées des magistrats
fort honorables, scrupuleusement choisis et auxquels nous devons au contraire
protection contre les calomnies dont ils peuvent être l'objet.
L'indépendance morale des juges est la meilleure garantie de
l'équité de leurs sentences. >>488
La faible utilisation des voies d'appel par les autochtones
semble traduire davantage une méconnaissance des procédures
judiciaires qu'une adhésion de la
486 ANB, 1M136, fonds du Dahomey colonial, rapport pour le
2ème trimestre 1911.
487 Ibid. Dans un rapport sur le fonctionnement de la
justice indigène dans le cercle d'Allada durant le 1er trimestre 1914,
le lieutenant-gouverneur du Dahomey précise que << les juges
indigènes comprennent de plus en plus l'importance de leurs fonctions ;
ils mettent le plus grand soin à rendre leurs décisions et cet
équilibre explique le petit nombre des appels devant les tribunaux de
cercle >>. ANB, 1M159, fonds du Dahomey colonial, lettre du 21 mai 1914
au gouverneur général.
488 ANB, JOD 1913, fonds des JO, circulaire
n°630 du 28 avril 1913.
population à la justice indigène489.
Le nombre limité d'appels témoigne même d'une certaine
méfiance à l'égard de la justice indigène. En
effet, le prévenu ou la victime peuvent légitimement craindre que
<< l'appel ne soit interprété comme un acte d'indiscipline,
pouvant attirer les foudres de l'administrateur qui disposait du régime
de l'indigénat >>490. Les autochtones sont
également méfiants à l'égard d'une juridiction
lointaine, composée de juges inconnus et majoritairement
étrangers. Enfin, selon un administrateur stagiaire, dans la
mentalité populaire, << on ne conçoit pas qu'un tribunal
puisse réformer les décisions d'un autre tribunal
>>491.
Au total, si la justice indigène est majoritairement
mise en action à la suite de plaintes déposées par des
particuliers, les plaignants appartiennent souvent aux << élites
>> autochtones (commerçants, chefs de canton ou employés de
l'administration tels que les interprètes) ou du moins aux groupes qui
ont acquis une certaine reconnaissance sociale dans le nouvel ordre colonial.
Ces derniers agissent dans la mesure où ils savent que leur affaire sera
instruite et jugée favorablement par les autorités. Par ailleurs,
les plaintes n'interviennent souvent que lorsque le recours à la
médiation par les chefs locaux a échoué. Une partie des
infractions, qu'il est impossible de quantifier mais qui peut être
importante, échappe donc à la justice indigène. Elle donne
lieu à des médiations ou à des jugements de la part des
chefs de famille ou locaux reconnus par la population.
2. Le maintien d'une justice officieuse : la famile
et les autorités traditionnelles
L'existence et l'importance d'une justice officieuse dans
l'Afrique coloniale sont mises en évidence par plusieurs historiens,
comme Sylvain Anignikin, Coffi Belarmin Codo et Léopold Dossou qui
soulignent qu'<< en dépit de cette infrastructure [juridictions
indigènes imposées par le pouvoir colonial et faisant application
des coutumes locales], les populations dahoméennes échappaient en
grande partie à la nouvelle juridiction. (...) Ces différends
étaient réglés par les chefs de village et de canton
>>492. L'évitement de la justice indigène par la
population est également reconnu par certains administrateurs coloniaux.
Ainsi Desanti, dans son ouvrage Du Dahomey au Bénin-Niger
estime-t-il que << les différends soumis par les indigènes
à nos tribunaux ne constituent qu'une infime partie des
489 Nanlo Bamba, Les Africains devant la réforme
judiciaire de 1946, p. 14. Etienne Le Roy, Les Africains et
l'institution de la Justice..., op. cit., p. 155.
490 Ibid. Nanlo Bamba souligne que cette crainte
était fondée << dans la mesure où il y allait dit-on
du prestige des administrateurs-juges >>.
491 Ibid.
492 Sylvain Anignikin, Coffi Belarmin Codo, Léopold
Dossou, << Le Dahomey (Bénin) >>, in Catherine
Coquery-Vidrovitch (sous la direction de), L'Afrique occidentale au temps
des Français..., op. cit., p. 390.
litiges s'élevant au sein des collectivités de
brousse »493. La plupart des fonctionnaires coloniaux
soulignent eux aussi le faible nombre d'affaires jugées par les
tribunaux indigènes. Mais si certains l'expliquent par la <<
tranquillité des populations », d'autres mettent en évidence
l'existence d'une zone infra-judiciaire de résolution des litiges.
Un recours à l'infra-judiciaire plus
élevé dans les cercles du nord Dahomey
En réalité, les appréciations sur le
degré d'adhésion de la population aux juridictions
indigènes divergent entre les administrateurs exerçant dans le
sud Dahomey, par rapport à leurs collègues du nord, notamment
ceux des cercles de Savalou et du Borgou. Les commandants des cercles du sud
estiment que les tribunaux indigènes ont acquis une
légitimité auprès de la population. Ainsi,
l'administrateur du cercle de Ouidah déclare-t-il en 1911 que <<
les indigènes se sont habitués et préfèrent porter
leurs différends devant ces tribunaux [de province] que devant les chefs
et anciens des villages et devant les féticheurs comme cela se faisait
autrefois. Ainsi les tribunaux de village ont peu de succès et de
longtemps ne fonctionnent que peu ou pas du tout »494. Les
commandants de cercle du nord du Dahomey précisent en revanche que les
autochtones ne recourent que rarement et en dernière instance aux
tribunaux officiels. Tel est le cas du commandant de cercle du Borgou qui
rappelle en 1911 que << le nombre d'affaires devant la justice
indigène du secteur demeure assez restreint » :
<< Dans la plupart des cas les indigènes
s'efforcent de régler entre eux les différends qui peuvent les
séparer. Ils n'apportent leur cause que dans des cas extrêmes
devant les tribunaux indigènes qu'ils continuent, malgré tous les
efforts faits, à considérer comme les tribunaux du
«blanc». »495
Plus de dix ans après, en 1924, l'administrateur du cercle
du Borgou établit le même constat :
<< Il est évident que les chefs de canton
règlent à peu près tous les litiges. Pour éviter
les abus qui peuvent se produire, je profite de toutes les occasions et
notamment au cours de mes tournées pour rappeler à la population
qu'elle a intérêt à s'adresser pour le règlement de
ses affaires aux juges nommés par l'administration. »496
493 Hyacinthe Desanti, Du Dahomey au
Bénin-Niger, Paris, Larose, 1944, p. 89. Cité par Sylvain
Anignikin, Coffi Belarmin Codo et Léopold Dossou, << Le Dahomey
(Bénin) », in Catherine Coquery-Vidrovitch (sous la direction de),
L'Afrique occidentale..., op. cit., p. 390.
494 ANB, 1M159, fonds du Dahomey colonial, rapport sur le
fonctionnement de la justice indigène pour le 2ème trimestre 1911
en date du 30 juin 1911. Des appréciations similaires sont
portées par les administrateurs des cercles du sud en 1911.
495 ANB, 1M136, fonds du Dahomey colonial, rapport sur le
fonctionnement de la justice indigène dans le cercle du Borgou pendant
le 2ème trimestre 1911.
496 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial, rapport sur le
fonctionnement de la justice indigène dans le cercle du Borgou pour le
1er trimestre 1924.
La situation dans le cercle du Borgou prévaut
également dans les cercles de Savalou et de
Savé497.
Si l'existence d'une justice officieuse, fonctionnant
parallèlement à la justice indigène, semble clairement
établie, notamment dans les zones où l'encadrement administratif
est moins fourni, les causes avancées sur le non-recours aux tribunaux
indigènes varient selon les observateurs.
De multiples causes au maintien d'une justice
officieuse
Pour certains chefs de subdivision, le faible recours aux
tribunaux indigènes s'explique par l'illégitimité des
chefs composant ces juridictions, comme le souligne le chef de subdivision de
Bembèrèkè (cercle du Borgou) :
<< La population Bariba est assez peu disposée
à porter ses différends devant nos juridictions. Cela provient
à mon avis pour une très grande part à ce que les juges
actuels, sauf un chef, lui-même un peu vieux, ne sont pas les chefs
influents et obéis du canton. »498
Certains administrateurs coloniaux estiment donc que la
réforme judiciaire du 22 mars 1924, qui confie la présidence du
tribunal de subdivision au chef de subdivision et non plus à un notable
indigène, doit permettre de développer le recours à la
justice officielle. Selon eux << une plus grande confiance naîtra
dans l'esprit indigène et il est à présumer qu'ils
viendront plus nombreux soumettre leurs litiges au jugement
désintéressé du Blanc »499. Mais d'autres
fonctionnaires coloniaux pensent que les autochtones préfèrent
naturellement recourir aux instances judiciaires traditionnelles qui
privilégient la médiation et qu'ils ne font appel aux tribunaux
indigènes qu'en cas d'échec de la conciliation :
<< Ainsi que je l'ai déjà signalé,
la population Bariba primitive et ombrageuse, ne se résout à
porter ses différends devant le tribunal que lorsqu'elle ne peut faire
autrement. Elle épuise auparavant tous les moyens de conciliation et
d'arrangements en présence de ses chefs, et il est rare que ces derniers
ne réussissent pas à mettre les parties d'accord. Le chef de la
subdivision ne manque pas une
497 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial. Dans un rapport sur
le fonctionnement de la justice indigène dans le cercle de Savalou
pendant le 3ème trimestre 1924, le commandant de cercle
affirme qu'<< il y a lieu de croire que malgré nos conseils, les
chefs règlent directement et à notre insu la plus grande partie
des différends de leurs administrés ». ANB, 1M159, fonds du
Dahomey colonial, lettre du 27 mai 1910 du procureur général des
services judiciaires de l'AOF au gouverneur général de l'AOF
n°296. Dans cette lettre le procureur général résume
ainsi la situation à Savé : << les affaires de la
compétence du tribunal de province dans le cercle de Savé se sont
réduites à trois ; la raison : les habitants du cercle, nagots et
mahis continuent à faire régler les différends par les
notables dans leurs villages et mettent fort peu d'empressement à les
soumettre aux juges indigènes que nous avons institués ».
498 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial, rapport sur
le fonctionnement de la justice indigène pour le 2ème trimestre
1924 du chef de subdivision de Bembèrèkè.
499 Ibid., rapport sur le fonctionnement de la justice
indigène dans le cercle de Savalou pendant le 3ème trimestre
1924.
occasion de rappeler à la population quel
intérêt elle a à porter ses différends devant le
tribunal régulier qui offre plus de garanties. »500
Les chercheurs contemporains, comme l'anthropologue du droit
Etienne Le Roy, soulignent qu'il existe aussi des problèmes liés
aux distances et aux coûts financiers à engager, ainsi que la
crainte de la population d'aller à l'encontre de chefs locaux ou des
administrateurs coloniaux en estant en justice501. Les mêmes
causes étaient mises en avant par un administrateur stagiaire dans son
mémoire de l'ENFOM sur la sécurité en AOF en 1945-1946
:
<< Mon opinion (les statistiques criminelles
n'étant pas publiées), est que les crimes ainsi
révélés seraient même moins fréquents que
dans beaucoup d'autres contrées. Ce fait s'explique par la
criminalité clandestine. De grandes distances séparent souvent le
justiciable du siège du tribunal : on préfère
régler la question dans le village même, plutôt que d'avoir
à faire 50 à 100 km à pied pour implorer une justice que
l'on connaît mal et dans laquelle on n'a pas toujours une grande
confiance. Et puis le coupable peut avoir pris la fuite, alors à quoi
bon ! (...). Des intérêts haut placés sont mis en cause :
le criminel ou l'instigateur du crime n'est pas toujours un quelconque
individu, mais tel chef, tel notable dont la puissance est redoutée. On
craint de la voir se retourner contre soi si l'on se mêle d'aller mettre
le «blanc» dans cette affaire. »502
L'insuffisante maîtrise de la langue locale par
l'administrateur, ainsi que l'obstacle de l'analphabétisme des
populations, laissent à l'interprète et aux assesseurs
indigènes la possibilité d'exercer un pouvoir exorbitant et de
dénaturer les coutumes dans un sens qui leur soit favorable. Les
autochtones peuvent se sentir floués par cette justice censée
faire prévaloir les coutumes, dans la mesure où celles-ci sont
déformées par la logique juridique du colonisateur et les
intérêts des notables.
Enfin, les différences de conception à
l'égard de l'infraction, de la responsabilité et de la sanction
entre les Africains et les administrateurs européens expliquent le
faible recours à la justice indigène officielle et une nette
préférence pour la justice coutumière. Dans la conception
africaine du monde, l'harmonie du groupe et la parenté revêtent
une valeur essentielle et l'ordre social est baigné de sacralité.
Aussi, comme l'exprime Maryse Raynal, << la population, essentiellement
rurale (...), continuant de vivre comme avaient vécu [ses]
ancêtres et à croire que toute mort ou phénomène
anormal est la conséquence d'un crime ou la manifestation de la
colère des ancêtres, recourt aux anciennes modalités de
preuve (...) et soumet ses différends aux autorités judiciaires
traditionnelles (chef de village ou de quartier) »503. Par
ailleurs, dans la mesure où l'infraction commise affecte l'ordre
cosmogonique et communautaire, il convient que le différend soit
réglé au sein
500 Ibid., rapport sur le fonctionnement de la justice
indigène pour le 4ème trimestre 1924 dans le cercle du
Borgou, subdivision de Bembèrèkè.
501 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la
Justice..., op. cit., p. 155.
502 Lucien Blot, La sécurité en AOF,
op. cit., p. 3.
503 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice
moderne, op. cit., p. 127.
même du groupe qui l'a vu naître et non par un
tribunal étranger. Etienne Le Roy explique que le fait de <<
laisser un étranger s'immiscer dans un conflit interne au groupe est une
preuve de faiblesse tant pour ce qui concerne le présent
(incapacité à mobiliser ses forces pour prendre en charge un
différend) que le futur. C'est en effet lui faire connaître la
coutume propre à ce groupe, laquelle a pour vocation de rester
discrète, voire secrète car elle signe son identité
»504. Maryse Raynal précise que dans le système
judiciaire précolonial, l'infraction commise est portée à
la connaissance des siens, de son groupe, mais non de tout le monde. Or la
justice coloniale porte atteinte à ce principe dans la mesure où
<< lorsque les autorités légales sont saisies d'un
différend, elles le dévoilent obligatoirement à l'ensemble
de la population composée d'éléments
hétérogènes »505.
De plus, et dans la mesure où l'infraction dans les
sociétés africaines précoloniales porte atteinte non
seulement à l'individu mais également à la
communauté, la réparation doit concerner cette communauté.
La sanction de la justice coloniale est inefficace à ce niveau
puisqu'elle ne prend pas en considération cette notion. Elle prive le
responsable de liberté mais n'assure pas la réparation
communautaire du dommage, lésant ainsi les parents de la victime. La
sanction prévalant dans la justice indigène, l'emprisonnement, ne
répond pas aux attentes de la victime qui attend une réparation
pécuniaire ou sous forme de prestations de travail. La notion même
d'infraction varie d'une société à l'autre et des actes
considérés comme normaux dans certaines sociétés
précoloniales, tels les coups portés à un sorcier, se
trouvent poursuivis en tant qu'infraction (sous la qualification de coups et
blessures) et sanctionnés par la justice coloniale.
Dans ces conditions, le fait de porter une infraction à
la connaissance des autorités peut être considéré
comme << une provocation », comme un véritable <<
scandale », car << c'est méconnaître les
intérêts, voire l'existence du groupe ». L'individu peut se
trouver marginalisé, voire exposé à la vengeance
privée, s'il a méconnu cette réalité506.
L'exemple de l'assassinat d'un propriétaire cultivateur, Akoklanou, par
un autre riche propriétaire, Aloakénou, en 1902 est
révélateur de cette réalité. En effet, les deux
hommes étaient en litige au sujet d'une plantation et Akoklanou avait
obtenu gain de cause devant le tribunal indigène. Le cultivateur
débouté le fit assassiner par ses domestiques et il << fit
clouer ces lambeaux de chair contre le portique du féticheur en disant :
«c'est ainsi que je traiterai ceux qui auront recours à la justice
des blancs» »507. Il semble donc qu'<< avoir recours
aux
504 Etienne Le Roy, Les Africains et l'institution de la
Justice..., op. cit., p. 9.
505 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice
moderne, op. cit., p. 304.
506 Ibid.
507 ANB, 1M30, fonds du Dahomey colonial, réquisitoire
introductif du procureur le 10 septembre 1902.
instances légales, c'est paradoxalement s'exposer
à la vengeance privée >>. Maryse Raynal ajoute que certains
individus poursuivis devant la justice indigène acceptaient de verser
une forte somme d'argent pour éviter qu'une vendetta ne s'exerce contre
eux ou leur famille : << La crainte de la vengeance est telle que l'on
préfère s'en remettre aux autorités coutumières
>>508.
Pour toutes ces raisons, une part importante des litiges n'est
pas portée devant la justice indigène, mais ce recours à
l'infra-judiciaire existait également dans d'autres
sociétés. En effet, plusieurs études ethnologiques et
historiques ont mis en évidence une part importante de litiges
réglés hors juridictions dans la France rurale du
XIXème siècle, notamment dans certaines régions
encore mal intégrées à l'ensemble national. Comme dans ces
territoires, les litiges font l'objet au Dahomey d'autres méthodes de
résolution, par le recours à la vengeance personnelle et
familiale ou par un règlement parallèle, devant le chef de
famille, de village ou de canton509.
Les méthodes parallèles de résolution
des litiges
La vengeance personnelle et familiale semble souvent
utilisée pour régler des questions litigieuses. Plusieurs
affaires arrivent en dernier recours en justice, mais après avoir
donné lieu à des règlements personnels. Un exemple peut
être fourni dans une affaire de coups et blessures mortels jugée
le 20 juin 1924 par le tribunal de cercle de l'Atacora. Un homme,
Yapoté, accusé par son voisin Koumagou d'avoir pour
maîtresse une femme du village, alla à sa rencontre pour lui
demander des explications, mais l'histoire dégénéra en
règlement de compte qui impliqua la famille de Yapoté. Le
jugement relate ainsi les faits :
<< Koumagou maintint ses dires mais sans donner de
précisions, ajoutant qu'un Somba n'avait pas à discuter avec un
sale Darobou et que s'il n'était pas lâche, ils pourraient
régler cette histoire dans la brousse. Koumagou s'arma d'une houe,
Yapoté prit un fouet et tous deux allaient mais en passant devant le
tata [maison] de Koumagou, Yapoté ayant pu parer le coup que par
surprise avait voulu lui porter Koumagou, fonça tête
baissée sur son adversaire et tous deux roulèrent à terre.
Aux cris et jurons accoururent Timpa et Koumpé, tante et soeur de
Yapoté. Yapoté avait crié «tapez fort, il veut me
tuer». Les deux femmes s'armèrent de gros bambous et
frappèrent violemment Koumagou qui atteint au dos et à la hanche
demanda grâce. Koumagou s'alita le lendemain et mourut le 13 juin. Les
trois furent arrêtés et conduits à Natitingou par les gens
du village (...) le 14 juin. >>510
508 Maryse Raynal, Justice traditionnelle, justice
moderne, op. cit., p. 304.
509 Jean-Claude Farcy, L'histoire de la justice
française, op. cit., pp. 247-248, sur l'infra-judiciaire
en France. Si les médiateurs hors juridictions ne sont pas les
mêmes en métropole et au Dahomey, ils appartiennent toujours
à l'élite de la communauté au sein de laquelle doit se
régler le litige. En France, dans les régions encore peu
intégrées, les << arbitres de ces conflits appartiennent
essentiellement au monde des notables ou de la petite bourgeoisie locale
instruite (médecins, notaires, curés, maires),
représentants de la communauté >>.
510 ANB, 1M123, fonds du Dahomey colonial.
De même, le tribunal de premier degré de
Natitingou juge le 16 août 1938 trois prévenus d'un village,
accusés par le plaignant M'Po de coups et blessures. Il ressort des
débats que les faits ont pour origine une vengeance familiale. En effet,
quelques temps auparavant, plusieurs membres de la famille de M'Po avaient
donné des coups de fouet à des parents des agresseurs du
plaignant. Selon le jugement, les représailles familiales à la
suite d'une agression ne sont pas punies par la coutume somba ; mais le
tribunal écarte la coutume pour condamner les trois prévenus
à 6 mois de prison, sans accorder de dommages et intérêts
au plaignant511.
Victimes et auteurs d'infractions peuvent par ailleurs
parvenir à un accord destiné à mettre fin au conflit et
à assurer la réparation à la victime. Ceci est notamment
le cas pour les homicides ou les blessures par imprudence. L'affaire n'est
alors portée en justice que si l'accord n'a pu être
respecté. Ainsi, la notice d'un jugement rendu par le tribunal de cercle
du Mono en 1931, à propos d'un homicide par imprudence commis lors d'une
chasse, indique-t-elle que le frère de la victime avait demandé
au prévenu de payer la somme pour les funérailles mais que
celui-ci ne l'avait pas encore versée et que le parent de la victime
porta alors plainte. Le frère de la victime interrogé lors du
procès précise qu'il n'aurait pas porté plainte si le
prévenu lui avait payé la somme convenue512.
La résolution personnelle des conflits pose
problème aux fonctionnaires coloniaux. Les responsables de la police
interrogent les parties sur les raisons du non-recours à la justice,
sans réellement obtenir de réponse. C'est ainsi que le
commissaire de police de Grand-Popo interroge un homme, Boyi, accusé
d'avoir frappé Assavi. Boyi reconnaît avoir porté des coups
à la victime mais les justifie par le fait que c'est Assavi qui a
commencé à donner des coups de coupe-coupe à l'un de ses
boeufs, après un ancien conflit de voisinage, - les boeufs de Boyi
venant brouter dans les champs d'Assavi. Mais lorsque le chef de police
déclare « vous n'avez pas à vouloir vous faire justice
vous-même. Vous n'avez qu'à venir trouver l'administrateur qui se
serait chargé d'arranger l'affaire », il n'obtient pas de
réponse513.
Certains Dahoméens se trouvent même parfois
poursuivis devant les tribunaux indigènes pour avoir réglé
par eux-mêmes des litiges sans recourir à la justice officielle.
Tel est le cas de Moussa Barboza, condamné à 50 francs d'amende
par le tribunal de
511 ANB, 1M177, fonds du Dahomey colonial.
512 ANB, 1M161, fonds du Dahomey colonial, jugement en audience
foraine du tribunal de cercle du Mono le 4 mai 1931.
513 ANB, 1M123, fonds du Dahomey colonial, procès-verbal
d'interrogatoire de Boyi par le chef de la police de Grand-Popo le 15 septembre
1928.
premier degré de Grand-Popo le 23 novembre 1936, pour
avoir tranché une affaire de vol de mouton dont il a été
victime sans la soumettre à la juridiction compétente. Ce
jugement se trouve cependant annulé par le tribunal colonial d'appel le
5 février 1937, dans la mesure où le fait reproché
<< ne tombe pas sous le coup de la loi pénale
>>514.
Au-delà du règlement personnel des litiges, la
population dahoméenne a également recours au chef traditionnel,
qui n'est pas automatiquement le chef établi par le pouvoir
colonial515. Lors des révoltes contre l'autorité
coloniale, comme par exemple celle menée par le chef rebelle Gaba entre
1916 et 1917 dans l'Atacora, on assiste d'ailleurs à la reconstitution
des tribunaux coutumiers516. L'existence de cette justice officieuse
est connue des autorités coloniales, mais son importance n'est pas
clairement mesurée. L'administration coloniale n'est parfois
informée de l'existence de règlements judiciaires par des chefs
de canton que lorsque ceux-ci font l'objet de plaintes de la part de la
population mécontente de la sanction ou de chefs qui ont
été eux-mêmes dépossédés de leurs
attributions et rémunérations judiciaires par le chef en cause.
Une affaire est ainsi portée devant l'adjoint au résident de
Sakété par le roi de Sakété en 1904, donc à
une époque où subsistent encore certaines juridictions
coutumières présidées par des rois ou des chefs
supérieurs. Le roi de Sakété, Agbola, se plaint
auprès de l'administration de ce que le chef de Takon ait jugé de
sa propre autorité, sans l'en informer et de manière arbitraire,
une affaire d'homicide par imprudence :
<< Il y a deux mois environ, c'est-à-dire en mai
dernier, un individu, neveu du chef Elémon de Sakété, a
blessé mortellement un homme de Takon dont j'ignore le nom. Cet homme
aurait été victime d'une erreur de la part du meurtrier, qui dans
la brousse aurait pris l'homme pour une biche. On avait oublié
volontairement de me prévenir de cet accident. Ce n'est que le 11
juillet dernier que je fus mis au courant de ce meurtre par Elémon. Le
chef de Takon, de concert avec Toffa, paraît-il, avait arrangé la
chose. Les parents du meurtrier auraient versé au chef de Takon une
amende de 500 francs, trois moutons, 2 dames-jeannes de Tafia et 2 caisses de
gin, sous condition que le chasseur maladroit serait mis en liberté. Or
j'apprends que le meurtrier est devenu par force lary ou esclave du chef de
Takon. Ce que voyant la famille est venue me trouver en me priant de soumettre
cette affaire à l'autorité administrative. Je crois devoir
ajouter que le chef de Takon auprès de qui j'avais envoyé un
émissaire m'a fait répondre que cette affaire ne me regardait
pas, qu'il l'avait arrangée avec Toffa et que les blancs n'avaient rien
à y voir. >>517
Par ailleurs, les anciennes attributions judiciaires des chefs
de village ou de canton restent jalousement conservées et
défendues non seulement parce qu'elles sont symbole de pouvoir, mais
également parce qu'elles sont rémunératrices. Maurice
Ahanhanzo Glélé
514 Ibid., jugement du tribunal colonial d'appel.
515 Catherine Coquery-Vidrovitch, Henri Moniot, L'Afrique
Noire de 1800..., op. cit., pp. 65-74.
516 Luc Garcia, << Les mouvements de résistance au
Dahomey (1914-1917) >>, Cahiers d'études africaines,
n°37, 1970, p. 173.
517 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, procès-verbal du
17 juillet 1904 dressé par Edouard Lecocq adjoint au résident du
Protectorat à Sakété.
souligne que cette situation se maintint au-delà de la
période coloniale, précisant en 1974 que << cela durera
encore un quart de siècle, vu la pénurie de cadres et la
modicité des moyens économiques et financiers du Dahomey pour
doter les sous-préfectures de juges professionnels
>>518.
Le règlement des litiges hors juridictions,
apprécié par les populations et encouragé par les chefs
locaux souhaitant conserver leurs prérogatives, reste donc important
pendant toute la période coloniale. En outre, si certains
Dahoméens, notamment les mieux intégrés dans la
société coloniale, ont recours à la justice
indigène, des résistances se développent à
l'encontre de cette justice qui apparaît comme un symbole de l'ordre
colonial.
3. Les résistances à la justice
officielle : une opposition à l'ordre colonial ?
Les critiques à l'égard de la justice
indigène et du Code de l'indigénat se multiplient au Dahomey au
cours des années 1920-1930. Les critiques les mieux connues sont celles
formulées dans la presse dahoméenne par l'élite
cultivée. Mais au-delà de la seule pensée des <<
évolués >>, il convient d'appréhender les sentiments
et l'opposition des masses populaires vis-à-vis de la justice
indigène - réactions qui peuvent prendre la forme de plaintes
mais également d'actes d'insoumission à l'égard des
décisions de justice. Si des formes de résistance à la
justice officielle se manifestent de manière évidente, leur
ampleur est difficile à mesurer. Plus encore, le sens à donner
à ces critiques mérite d'être discuté, entre refus
de l'arbitraire colonial et opposition au colonisateur.
Les critiques des « évolués »
à travers la presse dahoméenne
Plusieurs études et thèses soulignent que le
Dahomey est une colonie où la presse dirigée par des autochtones,
de manière clandestine ou autorisée, a été
particulièrement florissante519. Dès la veille de la
Première Guerre mondiale, sous l'impulsion d'un instituteur, Louis
Hunkanrin520, sont constitués la section de Porto-Novo du
Comité francomusulman et la Ligue des droits de l'Homme. Ces
associations, regroupant les notables traditionnels et quelques
évolués, entament une lutte contre l'arbitraire colonial qui se
manifeste notamment dans la critique de la justice indigène et du Code
de l'indigénat521. Il
518 Maurice Ahanhanzo Glélé, Le
Danxomé..., op. cit., p. 145.
519 Notamment Clément Koudessa Lokossou, La presse
au Dahomey 1894-1960..., op. cit. Bellarmin Coffi Codo, La
Presse dahoméenne face aux aspirations des « évolués
» ; « La Voix du Dahomey » 1927-1957, Thèse de
IIIème cycle, Histoire, Paris VII, 1978.
520 Voir dictionnaire biographique en annexe 6.
521 Sylvain Anignikin, Coffi Belarmin Codo, Léopold
Dossou, << Le Dahomey (Bénin) >>, in Catherine
Coquery-Vidrovitch (sous la direction de), L'Afrique occidentale au temps
des Français..., op. cit., p. 396.
s'agit alors moins d'une remise en cause de la colonisation
que des abus commis par ses agents et d'une revendication d'assouplissement du
système colonial. Après avoir publié des tracts, la
contestation acquiert une nouvelle dimension avec la parution clandestine du
premier journal dahoméen en 1917, Les Récadères de
Béhanzin, sous la direction de Louis Hunkanrin, Paul
Hazoumé522 et les frères Zinsou Bodé. Ce
journal à tirage très limité dénonce << les
administrateurs prévaricateurs, impitoyables et injustes >>,
<< mais aussi et surtout la justice indigène
>>523. La petite élite << évoluée
>>, proche dans ses modes de vie de la bourgeoisie coloniale, aspire
à bénéficier des mêmes conditions sociales,
politiques et juridiques, mais prend conscience des limites à cette
revendication du fait de la ségrégation imposée entre
<< sujets >> et << citoyens >> français. Souvent
associé à la gestion coloniale, ce groupe social (instituteurs,
interprètes, médecins...) cultivé et éduqué
selon des normes européennes, se sent différent de ses
compatriotes africains sans être assimilé aux citoyens
français. La même question se pose pour les métis ou les
chrétiens, pour lesquels des statuts particuliers ou de citoyens
français sont revendiqués.
Mais la politique de << domination >> coloniale,
ou << politique du prestige >>, selon l'expression d'Emmanuelle
Saada, << suppose d'abord une différence >>. Selon ce
principe, il convient de toujours << maintenir la bonne distance entre
colonisateur et colonisé >>. Le colonisateur impose à la
fois aux indigènes de << se maintenir dans leur
indigénéité >>, par exemple en refusant parfois aux
agents sous leur direction qu'ils vêtent des costumes européens,
<< et de se civiliser >>524. Ne pouvant obtenir le
même statut et la même place que le Français
métropolitain, le groupe des << évolués >>,
bien que marqué par des stratégies parfois
hétérogènes, se positionne alors en porte-parole de la
défense des indigènes contre l'arbitraire colonial et
réclame, selon les cas, l'égalité des conditions et des
statuts ou la reconnaissance d'un statut particulier pour les <<
évolués >>. Pour exprimer cette lutte, l'élite
dahoméenne utilise la presse légale au lendemain de la
Première Guerre mondiale.
Si la loi sur la presse du 29 juillet 1881 est applicable dans
les colonies, le droit de gérer une activité de presse n'est
accordé qu'aux seuls citoyens français, soit un petit nombre de
Dahoméens. Certains d'entre eux, après avoir participé
à la Grande Guerre, obtiennent la citoyenneté française et
peuvent dès lors créer des journaux, comme l'ancien combattant
Dorothée Lima, qui fonde Le Guide du Dahomey en 1921. Louis
Hunkanrin crée également à Paris en 1920 Le messager
dahoméen, qui est animé par l'avocat antillais
522 Voir dictionnaire biographique en annexe 6.
523 Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., p. 315.
524 Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie...,
op. cit., p. 73.
Max Clainville Bloncourt. De même, Kojo [ou Codjo]
Tovalou Houénou fonde en 1924 << La ligue universelle pour la
défense de la race noire >>, qui milite pour l'octroi de la
citoyenneté à tous les colonisés, parallèlement
à un journal Les Continents, publié en France pendant
huit mois525. Après l'interdiction du Guide du
Dahomey en 1923, La Voix du Dahomey prend en 1927 le relais des
revendications des intellectuels dahoméens, de même que d'autres
journaux tel que La quinzaine dahoméenne de Blaise Kouassi,
devenue Le Courrier du Golfe du Bénin en 1933,
L'écho des cercles, dirigé par Simon Akindes, La
Presse Porto-Novienne, le Phare du Dahomey ou
L'étoile du Dahomey.
Laurent Manière souligne que La Voix du
Dahomey, à ses débuts, critique de manière virulente
la justice indigène, qualifiée de << régime de la
chicotte >>, et réclame l'application du droit français
mais au seul bénéfice des << évolués
>>, dans la mesure où le tribunal français est << la
seule juridiction qui convienne à leur degré de civilisation
>> :
<< Si l'on veut être dans la logique, il faut
soustraire nécessairement l'indigène instruit dans nos
écoles à toute juridiction indigène. (...) Les
instituteurs, les médecins auxiliaires, enfin les fonctionnaires non
citoyens français mais nantis de diplômes qui les placent aux
premiers échelons de la civilisation, sont du ressort du tribunal
indigène. >>526
Mais les autorités coloniales n'entendent pas
soustraire l'évolué indigène ou l'Africain converti au
christianisme de la masse des habitants527, maintenant une
conception purement duale du principe de la différence entre le
colonisateur et le colonisé, correspondant à l'opposition entre
citoyen et sujet, voire à celle entre Blancs et Noirs. La Voix du
Dahomey se fait l'écho des brimades exercées contre des
Africains, pourtant citoyens français :
<< Il nous revient que notre compatriote Maximilien
Falade, naturalisé français pourtant, a
été malmené par les agents de police (...). Ce citoyen
français de couleur avait beau déclarer aux agents de police
qu'il était un «Français», mais n'ayant pu montrer
aucune «étiquette», il a été passé
à
525 Laurent Manière, Le Code de
l'indigénat..., op. cit., p. 316.
526 La Voix du Dahomey, n°15, 15 mars 1928, cité par
Laurent Manière, Le Code de l'indigénat..., op.
cit., p. 356.
527 La chambre d'homologation de la Cour d'Appel de l'AOF,
dans un arrêt du 13 novembre 1924, estime que la << religion
catholique ne confère pas aux indigènes un statut particulier ou
des droits civils nouveaux contraires à leurs coutumes >>. Le fait
de se convertir au catholicisme ne permet donc pas d'échapper aux
juridictions indigènes et à l'application des coutumes locales, y
compris celles relatives au mariage et à la famille. André-Pierre
Robert critique cette solution jurisprudentielle dans son ouvrage sur les
coutumes, en estimant que << le plus grave, c'est que la jurisprudence
oppose l'inefficacité des pratiques religieuses chrétiennes
à la légalité des coutumes inspirées de l'Islam
>>. Cette distinction tient selon lui à un <<
procédé de colonisation que de protéger l'islam pour
assurer l'expansion du droit musulman considéré comme plus
évolué que les coutumes, mais tout de même plus facile
à assimiler que notre système juridique. C'est d'ailleurs au nom
de ce principe que l'on couvrit le nord de la fédération de
tribunaux musulmans, même pour juger des fétichistes >>.
André-Pierre Robert, L'évolution des coutumes dans l'ouest
africain..., op. cit., pp. 60-67. Voir aussi sur ce point,
Côme Kinata, << Les administrateurs et les missionnaires face aux
coutumes au Congo français >>, op. cit., pp. 600-602.
tabac... et contraint à l'hospitalité de la
taule... pour prévenir de pareilles méprises, il serait
nécessaire de distribuer aux «naturalisés» des cartes
d'identité. »528
Les autorités coloniales ne souhaitent également
pas créer des statuts particuliers pour les évolués ou les
convertis au christianisme car elles ont besoin de l'appui des autorités
traditionnelles sur lesquelles repose l'organisation sociale.
Face au refus des autorités coloniales, le discours des
élites cultivées du Dahomey se radicalise. Elles dénoncent
l'application d'une << juridiction d'exception qu'on continue de nous
appliquer au nom de je ne sais quelle mission de tutelle », ainsi que
l'absence de séparation des pouvoirs. Elles revendiquent la suppression
de la justice indigène et l'application du droit français
à tous les habitants des colonies. L'administration coloniale resserre
sa surveillance sur la presse, notamment à partir de 1933, sous
l'impulsion du lieutenant-gouverneur De Coppet529. Cette politique
est mise en oeuvre par les administrateurs Desanti et Léo Antoine qui
rendent périodiquement compte des attaques de la presse
dahoméenne contre les institutions coloniales. Ainsi Léo Antoine
distingue-t-il, entre 1931 et 1935, trois campagnes successivement
menées contre la justice indigène par La Voix du
Dahomey. Tout d'abord en 1931 et 1932, La Voix du Dahomey publie
plusieurs articles revendiquant l'application d'une justice unique dans les
colonies, dont l'un s'intitule << Leur justice n'est pas la justice
» :
<< Il s'agit encore de la justice des administrateurs,
dite justice indigène, comme si la justice, la vraie, pouvait s'affubler
d'un qualificatif au même titre que la politique qui, elle, peut
très bien être tout ce qu'on veut. (...) Il faut rendre
l'administrateur à son administration indigène, à sa
politique indigène : il faut lui retirer la justice parce que celle-ci
ne peut être ni indigène ni autre chose, mais uniquement ce que
son nom indique qu'elle doit être : la JUSTICE. »530
Léo Antoine constate ensuite que les articles
consacrés à dénoncer la justice indigène sont plus
nombreux encore en 1934. Certains étayent les critiques de faits
concrets, par exemple << la monstruosité judiciaire » commise
par l'administrateur pour protéger le chef Djigbodé, dont nous
avons déjà parlé. D'autres développent de
manière plus générale les revendications des
évolués :
<< Nous ne saurons jamais assez de crier les
méfaits de cette juridiction indigène, qui n'est pas la justice,
mais une plaie hideuse et une arme dangereuse entre les mains des
administrateurs (...). Cette justice doit disparaître pour faire place
à la justice du droit commun, nantie d'un cadre humanitaire.
»531
528 La Voix du Dahomey, n°7, 15 novembre 1927, cité
par Clément Koudessa Lokossou, La presse au Dahomey
1894-1960..., op. cit., p. 139.
529 Voir dictionnaire biographique en annexe 6.
530 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, lettre de
l'administrateur Léo Antoine au lieutenant-gouverneur par intérim
du Dahomey le 5 janvier 1935. Complété par Laurent
Manière, Le Code de l'indigénat..., op. cit.,
p. 358.
531 ANB, 2M28, Ibid.
Enfin, l'administrateur Léo Antoine rappelle que la
dernière campagne de presse contre la justice indigène a
été menée en 1935 et qu'elle avait pour objet la
défense même du journal La Voix du Dahomey, victime d'un
nouveau « scandale judiciaire >>, puisque plusieurs de ses membres
sont poursuivis pour recel de documents administratifs.
Les « évolués >> critiquent la
justice indigène et les juges qui y siègent, tant les
administrateurs que les chefs locaux. En effet, les akowés (ou cols
blancs) dahoméens se trouvent parfois en conflit avec les notables
locaux, qui représentent en quelque sorte les « autorités
traditionnelles >> avec lesquels ils se trouvent en concurrence. Par
ailleurs, formés à l'école coloniale, ils se sont parfois
éloignés des valeurs traditionnelles et « supportent mal les
décisions des assesseurs attachés aux coutumes
>>532.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la promotion sociale
des élites restait encore limitée. Le projet de décret
élaboré par la direction des affaires politiques d'AOF et
définissant le statut des évolués est finalement
abandonné533. Une majorité d'intellectuels africains
sollicitent toujours l'intégration à la métropole et donc
la suppression non seulement du Code de l'indigénat mais
également de la justice indigène. Il s'agit notamment de
personnalités dahoméennes comme José Firmin Santos,
directeur du journal La Voix du Dahomey, ou encore
sénégalaises. Pourtant, comme le souligne Catherine
Akpo-Vaché, l'accès de tous les Africains à la
citoyenneté en 1946 et la suppression de toutes les institutions
indigènes suscitèrent parfois une certaine « amertume chez
les anciens akowés [cols blancs] qui avaient vu concéder à
la masse des droits qu'eux-mêmes avaient acquis difficilement
>>534.
Au-delà de la revendication des «
évolués >> de supprimer la justice indigène à
leur endroit ou pour l'ensemble des populations des colonies, le sentiment
populaire à l'égard de la justice est plus difficile à
connaître, mais certaines plaintes et réactions permettent de
constater une opposition très large à la justice indigène
à l'échelle du Dahomey.
Oppositions populaires à la justice
indigène
Les oppositions se manifestent le plus souvent de
manière individuelle, notamment de la part de personnes s'estimant
injustement condamnées par les juges indigènes et demandant
parfois la possibilité de se faire juger par la justice
française. Tel est le cas de Jules Déguenon, qui après
avoir été condamné en 1935 à un mois de prison et 8
francs
532 Nanlo Bamba, Les Africains devant la réforme
judiciaire de 1946, p. 15.
533 Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde
guerre mondiale, op. cit., p. 217. Selon ce projet, le «
notable évolué >> était un demi-citoyen qui
bénéficiait du régime juridique des citoyens mais
n'exerçait ses droits politiques qu'à l'échelon local.
534 Ibid., p. 257.
d'amende pour vol de bois au préjudice de la colonie par
le tribunal de premier degré de Zagnanado, s'écrie devant cette
juridiction :
<< Je fais appel du jugement me condamnant à un
mois de prison ; pendant le temps qui s'écoulera avant que le jugement
du tribunal colonial soit rendu, je n'irai pas à la corvée, je
resterai à la prison. Je n'accepte pas votre jugement ; je veux
être jugé par un tribunal européen. Je ne me
considère pas comme coupable, car si j'ai volé c'est que je ne me
trouvais pas assez payé. »535
Le condamné est aussitôt condamné à
un autre mois de prison pour insulte à l'égard du tribunal. Mais
plus souvent, les condamnés se plaignent seulement de jugement
arbitraire ou injustement obtenu par des tromperies, sans solliciter le
jugement par le tribunal français. Ainsi l'administrateur Le
Hérissé informe-t-il l'inspecteur des Colonies en 1912 que
<< le nommé Chabli de Boton, détenu à la prison de
Porto-Novo en vertu d'un jugement du tribunal de province de Savalou, sollicite
d'être entendu par vous. Il prétend que la condamnation pour vol
est injuste ; elle n'aurait été prononcée qu'à la
suite de faux témoignages, que l'interprète de Savalou, Hodonou,
par l'intermédiaire d'un garde de cercle, aurait su obtenir de deux
Gambaris, Mama et Ali, actuellement détenus à Porto-Novo
»536. Certaines personnes menacent même de recourir
à une justice officieuse si le tribunal ne leur donne pas gain de cause,
comme la personne condamnée en 1935 à un mois de prison pour
attitude injurieuse à l'égard du tribunal après avoir
déclaré que << si le tribunal de premier degré de
Zagnanado refusait d'accorder la rupture de mariage demandée par son
père, il en résulterait un procès qui ne serait pas
jugé à Zagnanado »537. Ces paroles furent
considérées comme constituant une tentative d'intimidation et une
menace à l'égard du tribunal et le président demanda
l'arrestation de l'individu.
Mais les oppositions s'expriment parfois aussi de
manière collective afin de prendre la défense d'un groupe ou d'un
individu considéré comme injustement accusé,
condamné ou emprisonné par un administrateur. Une lettre anonyme
signée d'<< un originaire d'Adjohon chargé des affaires
courantes et des notables d'Adjohon » est adressée au
lieutenant-gouverneur du Dahomey le 19 janvier 1920 pour se plaindre des
agissements d'un administrateur d'Adjohon, M. Gavoi, qui est qualifié
d'<< impatient rendant l'injustice à la justice ». L'individu
qui écrit ce courrier se présente comme représentant les
revendications de la communauté d'Adjohon. En effet, l'administrateur
est accusé d'avoir emprisonné des femmes avec leurs
bébés dans des conditions inhumaines :
535 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial, jugement du tribunal
de premier degré de Zagnanado le 9 septembre 1935.
536 ANB, 2M28, fonds du Dahomey colonial, lettre du 18 janvier
1912.
537 ANB, 1M126, fonds du Dahomey colonial, jugement du tribunal
de premier degré de Zagnanado le 4 juin 1935.
<< M. Gavoi emprisonna les femmes en les mettant dans la
cellule avec leurs bébés de 3 à 4 mois. Pendant la nuit,
ces petits enfants commençaient à pleurer dans leur chambre
fermée toute noire et obscure en voulant téter leurs
mères, et personne n'osait ouvrir la porte. Oh ! Quelle pitié,
quel geste lamentable à ces enfants souffrants et assoiffés en
cellule. C'est un homicide. Il y a encore des femmes enceintes qui (...) sont
ainsi enfermées dans la cellule pendant la nuit, elles se mettent en
douleur, transpirantes, comme rôties dans le four. »538
Le plaignant indique que M. Gavoi agit sans avoir même
pris le temps de réunir le tribunal, suite à la plainte des
parents de ces femmes qui avaient promis leurs filles à d'autres hommes
que ceux avec lesquels elles vivaient.
Parfois, plusieurs personnes prennent la défense d'un
individu dont on estime qu'il est injustement jugé par les
autorités coloniales, comme Pierre Johnson, commerçant
d'Athiémé condamné à dix ans de prison et dix ans
d'interdiction de séjour en 1936 pour complicité dans une
tentative de meurtre. Ce détenu transféré au
pénitencier de Fotoba est fermement défendu par certains
intellectuels comme Jean Adjovi ou encore Maurice Satineau,
député de Guadeloupe, qui demandent la révision du
procès en mentionnant dans La Dépêche Coloniale du
25 juin 1938 qu'il s'agit là d'une << petite affaire Dreyfus au
Dahomey »539.
Certains jugements font par ailleurs apparaître des
résistances par rapport aux forces de l'ordre elles-mêmes,
chargées de venir arrêter un individu ou exécuter un
jugement. Ces réactions peuvent s'analyser parfois en opposition par
rapport à la justice indigène. Plusieurs individus sont par
exemple jugés pour rébellion en 1938 par le tribunal de premier
degré de Tanguiéta, après avoir injurié et
menacé de flèches le chef de canton venu, sur ordre du chef de
subdivision, arrêter un habitant du village accusé de vol de
boeufs par un habitant d'un autre village540.
L'existence de ces plaintes et réactions d'opposition
permet de souligner que les critiques exprimées par les
évolués sur l'arbitraire de la justice indigène semblent
partagées par la population. Ces manifestations de résistance ne
mentionnent en revanche que rarement une revendication d'application de la
justice française. Si le groupe des intellectuels dahoméens
sollicite collectivement par voie de presse le recours aux juridictions
françaises, il semble que la population dans son ensemble exprime son
refus de
538 ANB, 1M008, fonds du Dahomey colonial, lettre du 19 janvier
1920 au lieutenant-gouverneur du Dahomey.
539 CAOM, 8G8, dossier Pierre Johnson (1935-1946). Finalement,
Pierre Johnson obtient en 1938 par décret présidentiel la remise
de la moitié de sa peine, puis le gouverneur général de
l'AOF lui accorde la libération conditionnelle par arrêté
du 16 mars 1939.
540 ANB, 1M123, fonds du Dahomey colonial, jugement du 14
septembre 1938 du tribunal de premier degré de Tanguiéta, notice
des jugements rendus par ce tribunal en septembre 1938. Un cas similaire est
jugé le 3 septembre 1926 par le tribunal de cercle de Porto-Novo. ANB,
1M126, fonds du Dahomey colonial.
la justice indigène par des plaintes individuelles lors
d'arrestations ou de condamnations arbitraires, voire plus encore par des
réactions d'évitement de la justice officielle et un recours
à la justice traditionnelle.
Au total, la justice dans le Dahomey colonial apparaît
comme une institution hybride, reflétant la vision racialisée du
colonisateur mais aussi ses ambiguïtés, entre la recherche d'un
système « adapté » aux colonies mais en
réalité profondément dénaturé par rapport
aux justices précoloniales, et les impératifs d'une
administration au moindre coût répondant avant tout aux besoins du
pouvoir. Les modalités d'utilisation de la justice indigène, tout
autant que les manifestations de refus et d'opposition à son
fonctionnement, révèlent également les conflits et les
relations qui traversent la société coloniale. Cette instance
devant laquelle sont présentés les litiges traduit le
caractère subtil et parfois contradictoire des changements survenus
pendant la colonisation : le nouveau ne se substitue pas purement à
l'ancien mais se fond avec lui, donnant lieu à des synthèses
nouvelles.
Conclusion
Cette étude, entamée à l'heure de la
multiplication des débats sur la << question coloniale >>,
intervient également à un moment où se développent
des analyses de plus en plus riches sur les systèmes répressifs
dans les colonies541. Mais si les recherches sur la police ou les
prisons présentent un instrument répressif sous le seul
contrôle colonial, cette affirmation est-elle absolue pour la justice
pénale ? Cette question a parcouru la présente recherche, en
interrogeant les conceptions et pratiques judiciaires du colonisateur et de la
population colonisée. Aux termes de l'étude, la justice
apparaît comme une réalité essentiellement marquée
par la domination coloniale mais moins uniforme que les autres aspects du
système répressif colonial, un principe et une institution plus
<< éclatés >> au sein de la société
coloniale. En effet, la justice, bien que sous contrôle colonial,
apparaît comme un des lieux de contact, de confrontation, voire
d'évitement privilégié, non seulement entre la
minorité européenne et la majorité africaine, mais
également entre les différents groupes émergents ou
déclassés : elle est la scène où se
dévoilent les opérations de << chirurgie sociale >>
intervenues pendant la période coloniale. Cet aspect plus multiforme de
la justice par rapport aux autres instruments répressifs n'est pas
antinomique et ne doit pas faire oublier que la justice a
représenté avant tout un outil fondamental de domination
coloniale.
La justice pénale au Dahomey, un instrument au service
principal du colonisateur
En effet, la justice, qui est l'action par laquelle une
autorité reconnaît le droit de chacun, constitue un enjeu de
pouvoir pour la France, après la conquête du Dahomey à la
fin du XIXème siècle. Cet aspect semble primordial
dans toutes les colonies, comme le souligne Claude Liauzu en citant le
gouverneur général de l'Algérie, Louis de Gueydon, entre
1871 et 1873 : << La justice est un des attributs de la
souveraineté ; le juge musulman doit s'effacer devant le juge
français ; nous sommes les conquérants, sachons le vouloir
>>542. Si dans un premier temps, les autorités
coloniales encore investies dans la conquête laissent les juridictions
existantes fonctionner tout en instituant des juridictions
541 Nous renvoyons ici aux ouvrages mentionnés en
introduction, notamment celui de Florence Bernault (sous la direction de),
Enfermement, prison et châtiments, op. cit., mais aussi
aux recherches de Mamadou Dian Chérif Diallo sur le système
pénitentiaire en Guinée, de Babacar Bâ, d'Ibrahima Tioub et
des étudiants de l'université Cheikh Anta Diop sur l'enfermement
au Sénégal ou de Laurent Manière sur le Code de
l'indigénat au Dahomey.
542 Claude Liauzu (sous la direction de), Dictionnaire de la
colonisation française, op. cit., article << Droit
et colonisation >>, p. 252.
françaises propres aux Européens, elles ne
tardent pas à prendre le contrôle des tribunaux autochtones puis
à substituer entre 1901 et 1903 un nouveau système judiciaire en
AOF, caractérisé par un dualisme entre les juridictions
indigènes propres aux Africains, appliquant les coutumes, et les
juridictions françaises destinées aux Européens et suivant
les principes du droit français.
Les juridictions indigènes créées
s'intègrent dans la hiérarchie administrative coloniale : les
juridictions de village, mais plus encore les tribunaux de province et de
cercle suivent le découpage administratif. Le pouvoir colonial utilise
la justice comme outil de domination et sa gestion répond aux
mêmes principes que les autres actions administratives. En effet,
associant les élites locales à la fois par manque de moyens
humains de métropole et par souci de donner une légitimité
au droit coutumier prononcé, les juridictions indigènes restent
sous monopole colonial. Les magistrats indigènes sont nommés par
le pouvoir colonial et leur choix est intimement lié à leur
degré d'obéissance en qualité d'auxiliaire. Le
contrôle ne cesse d'ailleurs de s'affirmer pendant l'entre-deuxguerres,
non seulement lorsque les administrateurs assurent la présidence des
tribunaux de subdivision jusque-là laissée entre les mains des
notables locaux, mais également avec la perte de pouvoir des chefs de
village qui ne conservent qu'une compétence de conciliation en
matière civile. Plus encore, la coexistence de la justice
indigène avec le Code de l'indigénat, qui permet aux
administrateurs des colonies de sanctionner d'amende et de peine
d'emprisonnement les Africains sans en justifier devant une autorité
judiciaire, donne à la << justice >> un contour incertain et
marqué par l'arbitraire. Les frontières entre justice
indigène et Code de l'indigénat sont perméables et
certaines infractions peuvent selon les périodes ou les
intérêts du pouvoir être jugées devant les tribunaux
indigènes ou faire l'objet de sanctions disciplinaires en application du
Code de l'indigénat.
Enjeu de pouvoir, la justice constitue également un
enjeu social pour le colonisateur dans la mesure où elle
détermine le droit et fixe la place de chacun dans la
société. La justice et le droit sont donc au coeur de la
constitution de la société coloniale. Comme le souligne
Emmanuelle Saada, << le droit (...) est un discours efficace : il ne
reflète pas le social ; il le produit >>543.
L'instauration de deux droits distincts, << indigène >> et
français, justifie et crée dans le même temps la
césure entre les << sujets >> et les << citoyens
>> au sein du même Etat français. Le droit applicable
détermine le statut colonial et inversement.
543 Emmanuelle Saada, Les enfants de la colonie ...,
op. cit., p. 17.
Le pouvoir colonial s'efforce de justifier le dualisme de
statut et de justice par le souci de respecter les droits coutumiers existants
et par la nécessité d'instituer des juridictions adaptées
aux besoins présumés des autochtones, avec des tribunaux
adaptés à << leur degré d'évolution >>,
statuant rapidement et se fondant sur les coutumes.
Ce cloisonnement judiciaire traduit certains
préjugés raciaux et la crainte d'une extension du droit
français, et donc du statut de citoyen dans des colonies plus
peuplées que la métropole qui pourrait s'avérer dangereuse
pour le maintien du pouvoir colonial. Ce choix résulte non seulement des
représentations portées sur la population colonisée mais
également d'impératifs plus pragmatiques : le colonisateur ne
dispose que de moyens financiers limités, ce qui impose la mise en place
d'une justice au moindre coût ; la faiblesse des ressources humaines
issues de métropole contraint également à rechercher
l'association des élites locales pour rendre la justice.
Soucieux d'afficher des principes cohérents et
d'assurer sa légitimité, le pouvoir colonial institue une justice
indigène dite << adaptée >> aux populations locales,
respectant leurs coutumes et les autorités traditionnelles mais qui
présente également quelques règles de procédure et
d'organisation judiciaire proches de celles existantes en métropole,
comme par exemple le droit d'appel ou encore l'obligation de motiver les
décisions judiciaires. Plus encore, cette << adaptation >>
aux besoins présumés des Dahoméens reste toujours
subordonnée aux intérêts supérieurs du colonisateur
et elle doit plier lorsque les coutumes sont contraires aux principes de la
civilisation française, dans la mesure où l'objectif ultime du
pouvoir colonial est de guider les autochtones vers le << progrès
>> et une justice << éclairée >> selon le
modèle européen. Les pratiques de la justice coloniale mettent
donc en évidence le caractère incertain et ambigu des principes
établis : les tribunaux ne font réellement application de la
coutume que dans un peu plus d'un tiers des cas et le respect des droits et des
procédures reste souvent de pure forme, tandis que les administrateurs
coloniaux qui président les juridictions jouent un rôle souvent
essentiel dans les jugements théoriquement rendus collégialement.
Non seulement le projet judiciaire colonial est fondé sur des objectifs
contradictoires mais la pratique des tribunaux révèle
également certaines incohérences ou des écarts par rapport
aux principes affichés. Les Dahoméens se trouvent donc en
présence d'une justice << hybride >>, aussi
éloignée des juridictions des royaumes précoloniaux que de
la justice prévalant en métropole.
Enfin, la justice est, selon la définition
donnée par le dictionnaire, un principe moral qui exige le respect du
droit et de l'équité, dont le contenu varie d'une
société à l'autre. Or les Africains se voient imposer un
système judiciaire étranger et une loi
désacralisée, qui demeure hermétique
à une conception coutumière de la loi ainsi qu'à un
règlement interne à la communauté des conflits. La rupture
introduite avec les systèmes judiciaires précoloniaux est plus ou
moins brutale selon le degré de centralisation des anciens royaumes et
leurs liens déjà plus ou moins développés avec les
colonisateurs européens. Les autorités reconnues par les
communautés locales, notamment dans les zones rurales les plus
éloignées, cherchent donc à conserver le pouvoir,
notamment en maîtrisant la zone infra-judiciaire de résolution des
litiges. Par ailleurs, le caractère arbitraire des juridictions
indigènes et leur domination par l'administration coloniale
détournent la population de son usage. Les affaires ne sont pas
systématiquement portées devant les tribunaux indigènes
mais plus certainement résolues devant les chefs locaux, voire dans
certains cas grâce à la vengeance personnelle et familiale.
Mais si la justice indigène reste sous l'emprise du
pouvoir colonial et est souvent remplacée par d'autres formes de
résolution des litiges, son caractère hybride ouvre une
brèche pour transformer le projet judiciaire colonial en une
réalité plus multiforme, utilisée par certains groupes
colonisés pour faire prévaloir leurs intérêts et
inscrire ainsi dans le droit les mutations sociales coloniales. Cette «
drôle de justice », pourrait-on dire en reprenant les termes de
Sylvie Thénault544, est aussi critiquée et
rejetée pour imposer la réforme de la citoyenneté et du
système judiciaire.
La justice indigène : un droit utilisé pour les
intérêts des nouvelles « élites »
En effet, la justice constitue également un enjeu de
pouvoir pour les populations colonisées. La participation de certains
notables locaux, certes nommés et subordonnés aux
autorités coloniales, dans les tribunaux judiciaires en tant
qu'assesseurs, ainsi que l'emploi des jeunes hommes instruits dans les
écoles des colonies comme auxiliaires dans les tribunaux, facilitent des
promotions sociales ou des privilèges particuliers, comme par exemple le
fait d'être exonéré des peines de l'indigénat pour
les chefs de canton ou d'être plus particulièrement entendu en
justice, voire d'exercer une autorité parfois importante sur la masse de
la population. Plus encore, en fondant les décisions des juridictions
sur les coutumes locales, les administrateurs coloniaux, qui connaissent peu ou
mal ces coutumes, ouvrent la possibilité aux notables assesseurs, voire
aux secrétaires et interprètes des tribunaux, de «
réinventer » les règles juridiques en leur faveur. Cette
« fabrique » d'un
544 Sylvie Thénault, Une drôle de
justice..., op. cit. Il est à noter que Sylvie
Thénault utilise ce terme à propos de la justice appliquée
en Algérie dans le contexte particulier de la Guerre d'Algérie,
ce qui est assez distinct de notre étude, mais le terme pourrait
s'appliquer à la justice indigène compte tenu de ses
ambivalences.
droit coutumier indigène se fait en se conciliant
l'aval des autorités mais elle contribue à modifier la nature des
rapports sociaux, notamment dans la sphère privée, à
l'égard des femmes et de la famille, où le pouvoir colonial
laisse, voire renforce, le pouvoir des notables. Le pouvoir colonial
lui-même contribue à « refabriquer » ce droit coutumier,
en écartant certaines règles ou sanctions contraires aux «
principes de la civilisation française », en imposant de nouvelles
réglementations, comme par exemple celles relatives à la
répression du vagabondage ou de l'alcoolisme, destinées à
« discipliner » la population colonisée selon les valeurs des
autorités coloniales. L'analyse de l'origine des actions en justice
permet par ailleurs de souligner que celles-ci sont essentiellement
engagées suite à des plaintes. Ces plaintes sont formées
parfois en dernier recours, après échec de la phase de
conciliation, et plus fréquemment par les groupes
bénéficiant des mutations sociales et économiques
introduites par la colonisation. En effet, bénéficiant d'une
reconnaissance sociale dans l'ordre colonial, les « nantis autochtones
» recourent plus aisément à la justice indigène pour
faire prévaloir leurs droits, comme en cas de vols pour certains
commerçants, ou pour régler leurs conflits personnels et
familiaux, voire assurer le respect dû à leur autorité,
comme par exemple les chefs de canton ou les employés de
l'administration. La justice indigène utilisée tant par le
pouvoir colonial dans une logique de domination mais aussi d'évolution
de la population sociale que par les groupes autochtones émergents pour
faire prévaloir leurs intérêts génère un
« droit coutumier » refabriqué, qui se place dans la
continuité mais s'oppose dans les faits au droit antérieur dit
« traditionnel » et qui emprunte beaucoup tout en le déformant
au droit occidental dit « moderne ».
La justice indigène constitue donc une institution
composite. Elle affiche des principes d'adaptation aux coutumes et
d'association des notables locaux. Mais ces principes, sous-tendus par des
préjugés raciaux, sont largement contredits par des pratiques
d'arbitraire ; ils restent liés à l'intérêt
supérieur de la domination coloniale. Institution qui ne peut s'imposer
par la seule force, dans la mesure où elle doit prouver sa
légitimité en répondant aux attentes de résolution
des litiges de la population, la justice indigène est également
un instrument employé pour imposer ou faire reconnaître de
nouveaux rapports sociaux. Elle apparaît alors comme une scène
privilégiée des conflits apparus dans le cadre des mutations de
la société coloniale.
De la même manière, la justice constitue un enjeu
essentiel de contestation des abus coloniaux puis d'opposition à la
domination coloniale. De nombreuses plaintes sont formées, de
manière croissante pendant l'entre-deux-guerres, contre les
administrateurs
coloniaux et leurs représentants, traduisant un certain
usage de la justice elle-même pour lutter contre les abus, bien que cette
justice indigène incarne l'arbitraire. En effet, la justice
indigène, tout comme le Code de l'indigénat, canalisent les
critiques des nouvelles élites autochtones, dans la mesure où
elle symbolise le cloisonnement colonial et empêche la reconnaissance du
statut de citoyen aux individus figés dans leur statut personnel de
sujets. Si les Dahoméens instruits et ayant connu une promotion
économique sollicitent également une promotion sociale et
politique grâce à l'extension du statut de citoyen et de la
justice française à leur égard, l'absence de
réforme de la justice jusqu'en 1945 conduit à radicaliser leur
position. Ils se placent progressivement en représentants de la
population et revendique en son nom la fin de la justice indigène et du
Code de l'indigénat.
Le maintien d'un système hybride après 1945 ;
les choix judiciaires des Etats africains indépendants
Ces revendications longtemps restées vaines sont
entendues au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par un pouvoir contraint
de revoir les modalités de ses relations avec les colonies dans le cadre
d'une << Union française >>. Mais l'accès à la
citoyenneté et l'extension de la justice française à
l'ensemble des populations des colonies suscitent de nombreuses
résistances, notamment de la part des administrateurs qui perdent leurs
pouvoirs judiciaires. Cette extension n'est par ailleurs pas absolue puisqu'en
matière civile sont maintenues des juridictions coutumières
composées de notables locaux et appliquant les coutumes, laissant ainsi
les règles de droit applicables dans la sphère domestique sous le
contrôle des élites autochtones. Enfin, le manque de moyens
financiers pour doter les colonies de juridictions françaises, avec des
magistrats professionnels et indépendants, laisse perdurer certaines
caractéristiques de la justice indigène dans le fonctionnement
judiciaire.
L'introduction d'un nouveau système judiciaire dans les
pays colonisés, fonctionnant selon un modèle hybride entre
principes du droit français et coutumes locales, mais dont les pratiques
contredisent les principes, a donné lieu à l'émergence
d'un nouveau type de justice << pluraliste >> et <<
ambivalent >> dont il était nécessaire de sortir.
Au lendemain des indépendances, les Etats africains ont
souhaité se doter d'un ordre juridique nouveau : il paraissait alors
nécessaire de s'orienter plus résolument vers le système
juridique occidental ou vers une valorisation d'un retour aux <<
traditions
réelles >>545. La dualité de
l'ordre juridique colonial, entre tribunaux civils coutumiers et tribunaux
pénaux calqués sur le modèle métropolitain,
était le plus souvent remplacée par une unité de
juridictions. L'organisation judiciaire tendait à reprendre celle
existant en France, avec une suppression immédiate des tribunaux de
droit coutumier, comme au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au
Mali, au Burundi ou au Rwanda. Certains Etats ont cependant
décidé de maintenir à titre transitoire, dans l'attente
d'une codification judiciaire, le système de la dualité de
juridictions, ce qui fut notamment le cas du Dahomey546.
L'idée était alors de s'orienter vers un système
judiciaire unique, rompant avec << la tradition >> ou avec les
coutumes réinventées pendant la période coloniale.
Plusieurs juristes africains547 ou européens548
estiment cependant que le droit coutumier s'est largement maintenu, voire s'est
étendu au-delà de son domaine traditionnel.
Le système judiciaire << pluraliste >> tel
qu'il peut exister dans les Etats africains est différent de celui qui
s'est construit dans le cadre de la société coloniale selon une
logique essentielle de domination, mais les confrontations et conciliations
entre des organisations, des règles et des pratiques judiciaires
diverses continuent de susciter interrogations et débats. La France est
elle aussi traversée par la question d'une << norme à
multiples facettes >> dans les territoires et pays d'outre-mer où
coexistent des juridictions civiles de droit coutumier et des tribunaux civils
et pénaux appliquant le droit métropolitain, comme en
Nouvelle-Calédonie, à Mayotte ou à Wallis et
Futuna549. Par ailleurs, le déficit de confiance de certaines
populations africaines dans leurs systèmes judiciaires, comme au
Bénin, peut interroger sur les continuités et ruptures entre le
système judiciaire << pluraliste >> et << ambivalent
>> résultant de la période coloniale et l'ordre juridique
institué après l'indépendance.
545 Stanislas Melone, << Les juridictions mixtes de
droit écrit et de droit coutumier dans les pays en développement,
Du bon usage du pluralisme judiciaire en Afrique : l'exemple du Cameroun
>>, Revue internationale de droit comparé, 1986, vol. 38,
n°2, p. 328.
546 Loi 64-28 du 9 décembre 1964, ordonnance 71-11 CP du 9
mars 1971 et loi 81-004 du 23 mars 1981.
547 Guy Adjete Kouassigan, << Quelle est ma loi ?
Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille >>,
Pédone, 1974, pp. 178-194 ; << Compte rendu du colloque
de Dakar sur les résistances traditionnelles >>, Revue
sénégalaise de droit, 1979, n°21 ; Agondjo-Okawe,
<< Domaine d'application des droits traditionnels >>, in
Encyclopédie juridique de l'Afrique, tome I, chapitre XVI, pp.
393 et s ; Michel Alliot, << Les résistances traditionnelles au
droit moderne dans les États d'Afrique francophone et à
Madagascar >>, in Jean Poirier (sous la direction de), Études
de droit africain et de droit malgache, Paris, Cujas, 1965, pp.
235-255.
548 Stanislas Melone, << Les juridictions mixtes de droit
écrit... >>, op. cit.
549 En effet, l'article 75 de la constitution française
de 1958 a toujours été maintenu et dispose que << Les
citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun,
seul visé à l'article 34, conservent leur statut personnel tant
qu'ils n'y ont pas renoncé >>. Il a été
complété par d'autres textes pour les différents
territoires concernés, notamment la loi organique du 19 mars 1999 pour
la Nouvelle-Calédonie qui affirme l'égalité des statuts
entre eux et la relativité des normes. Régis Lafargue, <<
La justice outre-mer : justice du lointain, justice de proximité
>>, Revue française d'administration publique, 2002-1,
n°101, pp. 97-109.
Plus globalement, la justice pénale, aussi bien pendant
la phase coloniale que depuis l'indépendance, ne peut être
envisagée que dans le cadre plus global du processus répressif,
depuis l'acte constitutif de l'infraction, jusqu'à la sanction, en
passant par la poursuite et le jugement.
La justice pénale, un élément à
intégrer dans une analyse plus globale du système
répressif En effet, les prévenus ne sont
présentés devant les tribunaux que dans la mesure
oüle système répressif poursuit les faits
incriminés et développe une organisation policière en
ce sens. Les orientations données à la police
déterminent donc largement l'activité des tribunaux, de la
même manière que les décisions prises par les juridictions
pénales sont largement conditionnées par les choix faits par le
pouvoir en matière de sanctions. Cette vision d'ensemble du
schéma répressif colonial n'a pas encore fait l'objet d'une
étude spécifique.
Or les recherches menées pour ce mémoire ont
été l'occasion de constater la richesse des archives du
Bénin pour appréhender l'organisation, les stratégies et
pratiques policières et pénitentiaires dans le Dahomey colonial,
ainsi que les réactions de la population à l'égard de ces
instruments répressifs. La masse des données recueillies a
déjà été pour partie exploitée et
mériterait d'être analysée de manière plus
approfondie afin d'apporter un éclairage plus complet sur le
système répressif colonial au Dahomey, ce qu'il est
proposé de faire dans le cadre d'un travail de thèse.
Par ailleurs, si les perceptions et réalités du
système répressif constituent l'essentiel du présent
mémoire et de l'étude plus large envisagée, le
système pénal colonial ne peut être
appréhendé seulement du point de vue de son organisation et de
son fonctionnement. Il reste à étudier son objet même,
à savoir le fait délictuel et criminel. Le pouvoir colonial en
mettant en place le système pénal devait déterminer ce qui
constituait à ses yeux un délit et un crime. Il est donc
proposé dans le cadre du travail de thèse sur la
répression dans le Dahomey colonial de mesurer l'évolution de la
classification des délits et des crimes qui nous renseigne sur la
perception du fait criminel par l'autorité coloniale. Au-delà de
la classification des délits et des crimes, il s'agirait de saisir la
sensibilité du pouvoir colonial et celle de la population au fait
criminel. Ce travail analyserait donc quantitativement les délits
jugés pour mesurer non seulement leur volume et leur nature dans la
colonie, mais plus encore la préoccupation qu'en a le pouvoir colonial,
et dans une moindre mesure la population. En effet, la courbe des délits
et des crimes peut révéler la variation de la
sensibilité au fait criminel dans le temps mais aussi
dans l'espace. Les données chiffrées sur la délinquance
font également ressortir le profil des délinquants. Quels
renseignements nous fournissent-elles sur les caractéristiques des
déviants dans la société coloniale, sur le soupçon
ou l'indulgence de cette société à l'égard de ses
membres en fonction de leur sexe, de leur âge ou de leur origine
géographique ? Cette étude se propose également
d'appréhender les perceptions par la société coloniale du
fait criminel à travers les sanctions appliquées. Il s'agirait
alors de saisir ce que révèlent les taux de condamnation ou
d'acquittement, le type et la durée des peines sur l'évolution de
la sensibilité pénale au sein de la société
coloniale.
L'analyse quantitative de la délinquance poursuivie et
des sanctions prononcées dans le Dahomey colonial présente une
vision macroscopique des pratiques pénales mais elle reste impuissante
à appréhender certains aspects plus précis. En effet, les
travaux menés ont permis de constater que certaines catégories
d'infractions donnent lieu à la confrontation de sensibilités
différentes au phénomène criminel qui ne peuvent
être mesurées quantitativement. Tels sont par exemple les cas des
actes de sorcellerie, des faits de traite, des délits impliquant les
femmes, comme l'adultère, ou encore des infractions contre
l'autorité, qui soulignent les ambivalences du système
pénal colonial face aux attentes de la population. Ces infractions
spécifiques dans le contexte colonial nécessitent une
étude plus précise des discours et comportements des acteurs en
présence tout au long du processus pénal. De la même
manière, l'analyse globale du processus pénal à
l'échelle du Dahomey mériterait d'être confrontée
aux situations plus concrètes ou « vivantes » de ce processus,
à travers les parcours singuliers d'un ou plusieurs prévenus ou
la vie quotidienne des instances répressives d'une ville. A l'instar
d'Arlette Farge qui a utilisé les archives judiciaires pour exprimer la
voix des silencieux de l'histoire550 et en suivant les
préconisations de Michelle Perrot551 et d'Odile
Goerg552, la confrontation des documents des archives judiciaires
étudiés sur les plans statistiques avec les écrits des
autorités coloniales et les plaintes et témoignages issus des
archives judiciaires, qui donnent indirectement la parole aux colonisés,
semblent essentiels pour saisir le processus pénal colonial dans sa
globalité mais aussi dans sa réalité quotidienne et
humaine.
550 Arlette Farge, Vivre dans la rue à Paris au
XVIIIème siècle, Paris, Gallimard-Julliard, coll.
Archives, 1979.
551 Michelle Perrot, Les ombres de l'histoire...,
op. cit.
552 Odile Goerg, « Femmes adultères, hommes
voleurs... », op. cit.
Sources et bibliographie
Sources archivistiques
Archives nationales du Bénin
Fonds du Dahomey colonial
ï 34 cartons de la Série M
:
- 1M 001 (14 chemises sans numéro)
Extraits des registres et notices de jugements, punitions
disciplinaires, actes d'instruction, correspondances sur les justices de paix
(1892-1955)
- 1M 008 (5 chemises sans numéro)
: correspondances judiciaires, plaintes, sanctions
disciplinaires, procès-verbaux d'interrogatoire, jugements, fiches
judiciaires, notices de jugements (1894-1955)
- 1M 018 (7 chemises sans numéro) :
Correspondances du tribunal de première instance,
plaintes, jugements et notices de jugements, réquisitoires, statistiques
judiciaires et correspondances diverses (1917-1950)
- 1M 027 (15 chemises sans numéro) :
Plaintes, procès-verbaux de police judiciaire, notices
des actes d'instruction, jugements et notices de jugements, remarques sur les
jugements, règlements et circulaires, statistiques et correspondances
judiciaires (1908-1959)
- 1M 030 (4 chemises sans numéro) :
Extraits des registres de jugements, de la chambre
d'homologation et des minutes du greffe de la cour d'appel de l'AOF, notices de
jugements, rapports sur les affaires judiciaires, correspondances
(1914-1940)
- 1M 032 (2 cartons : 16 chemises sans
numéro)
Etats et extraits des registres de jugements, rapports sur le
fonctionnement de la justice indigène, plaintes, actes d'instruction,
correspondances diverses, extraits de registre d'écrou (1903-1951)
- 1M 039 : (3 chemises sans numéro)
Etats des jugements et extraits de registres de jugements,
casiers judiciaires, rapports sur le fonctionnement de la justice
indigène, états des punitions disciplinaires, correspondances
diverses (1913-1937)
- 1M 049 : (10 chemises sans numéro)
Etats et extraits des registres de jugements, plaintes,
correspondances diverses (1894-1962) - 1M 065 : chemises 2 et
3
Plaintes, correspondances judiciaires, notices de jugements
(1905-1948)
- 1M 083 (9 chemises étudiées
n°1, 3 à 8 et 2 chemises numérotées 1M3) :
Mandats de dépôt, plaintes,
procès-verbaux, jugements et notices des jugements,
réquisitoires, état récapitulatif des punitions
disciplinaires, copie de registre d'écrou, correspondances judiciaires,
rapports sur le fonctionnement de la justice indigène (1905- 1944)
- 1M 086 (2 chemises)
Notices des jugements, réquisitoires (1929-1936)
- 1M 099 : chemises 1 à 6
Plaintes, jugements et notices des jugements, actes
d'instruction, états des punitions disciplinaires, copies des registres
d'écrou (1906-1946)
- 1M 102 (8 chemises) :
Plaintes, jugements et notices des jugements, rapports sur le
fonctionnement de la justice indigène, fiches judiciaires, statistiques
judiciaires (1906-1954)
- 1M 108 (1 chemise) :
Etats des jugements rendus par les tribunaux indigènes
(1923-1926)
- 1M 123 (9 chemises étudiées,
n°1 à 9) :
Mandats de dépôt, procès-verbaux
d'interrogatoire et d'audition des témoins, extraits de registres de
jugement et notices des jugements, actes d'instruction, correspondances
judiciaires, remarques sur les jugements rendus, rapport relatif à
l'état des mutations des prévenus et détenus de la justice
indigène, copies des registres d'écrou (1903-1950)
- 1M 126 (6 chemises étudiées
n°1 à 6) : plaintes, états des jugements rendus par les
tribunaux indigènes et observations sur les jugements, rapport sur le
fonctionnement de la justice indigène, correspondances judiciaires
(1900-1957)
- 1M 129 (12 chemises étudiées)
Plaintes, jugements, actes d'instruction, correspondances
judiciaires, rapports sur le fonctionnement de la justice indigène,
statistiques judiciaires (1904-1938)
- 1M 136 (2chemisesétudiées
n°2 et 6) : rapports sur le fonctionnement de la justice indigène,
extraits du registre des jugements, extraits des minutes des greffes de la cour
d'appel de l'AOF, circulaires et correspondances judiciaires (1911-1936)
- 1M 142 (7 chemises)
Procès-verbaux de police judiciaire, plaintes,
correspondances diverses (1907-1949) - 1M 143 (4 chemises)
Notices des jugements des tribunaux et extraits des registres de
jugements, états des propositions de libérations conditionnelles,
actes d'instruction (1906-1953)
- 1M 147 (1 chemise)
Notices des jugements (1932)
- 1M 159 (4 chemises étudiées,
n°2, 3, 5 et 8) : notice des jugements des tribunaux indigène,
arrêts de la cour d'appel d'AOF, plaintes, actes d'instruction, rapports
sur le fonctionnement de la justice indigène et correspondances
judiciaires, statistiques judiciaires (1901-1946)
- 1M 161 (18 chemises, n°1 à 17 et
autre chemise numérotée 1) :
Plaintes, procès-verbaux d'interrogatoire et d'audition
des témoins, extraits des registres de jugements et notices de
jugements, remarques sur les jugements, statistiques judiciaires, rapports sur
le fonctionnement de la justice indigène et sur les évasions,
correspondances judiciaires, punitions disciplinaires, fiches judiciaires
(1900-1959)
- 1M168 (6 chemises qui ne sont pas toutes
numérotées)
Extrait du registre des jugements, correspondances
judiciaires, fiches signalétiques sur les notables assesseurs, plaintes,
notices des actes d'instruction, état des propositions de
libération conditionnelle (1905-1944)
- 1M 177 (7 chemises) : arrêté
de création des tribunaux de subdivision, actes relatifs au personnel
judiciaire, plaintes, procès-verbaux d'audition de témoins,
notices des jugements et extraits des registres de jugements, états des
punitions disciplinaires, correspondances judiciaires (1912-1938)
- 1M 182
Composition des juridictions, correspondances diverses,
états des affaires criminelles, notices des actes d'instruction,
extraits des registres de jugements (1932-1938)
- 2M 005 : notices des actes d'instruction
(1936)
- 2M 010 (9 chemises)
Notices de jugements et correspondances judiciaires
(1911-1957)
- 2M 025 (9 chemises sans numéro)
Correspondances sur la réorganisation judiciaire,
plaintes, notices des actes d'instruction, jugements et notices de jugements,
punitions disciplinaires, textes réglementaires et correspondances
diverses (1900-1941)
- 2M 028 (13 chemises sans numéro)
Jugements du tribunal colonial d'appel, état des
affaires jugées sur appel et extrait des minutes du greffe de la cour
d'appel d'AOF, arrêtés relatifs à la justice, sanctions
disciplinaires, statistiques judiciaires, correspondances judiciaires
(notamment sur la presse au Dahomey), procès-verbaux d'enquêtes,
rapports de police judiciaire, plaintes (1903- 1946)
- 2M111 : carton vide
- 2M 137 (9 chemises étudiées,
n°1 à 8 et 1 chemise numérotée 2M2)
Rapports sur le fonctionnement de la justice indigène,
plaintes, procès verbaux d'interrogatoire, notices des actes
d'instruction, extraits des registres de jugements, notices des jugements,
remarques sur les peines disciplinaires et les jugements, extraits des minutes
de greffe du tribunal colonial d'appel, cahier des soldes du personnel de la
prison civile, correspondances judiciaires, circulaires, copie de registre
d'écrou (1899-1955)
- 3M 001 (37 chemises)
Correspondances sur le personnel judiciaire et plaintes diverses
(1920-1944) - carton M sans numéro (n°2) : 7
chemises sans numéro
Etats des jugements (1924-1937)
· Série E (rapports politiques)
- 1 E164 : rapport politique (incluant un
rapport judiciaire) de janvier 1906.
Série F (police et prisons)
· Sous-série 1F (police) : 21 cartons
- 1F2 : dossier 8 : police criminelle : bulletin
d'information (1937-1939)
- 1F8 : dossier 69 : police locale et
municipale, commissariat central de Porto-Novo, rapports journaliers et
sanctions d'agents de police (1940-1943)
- 1F9 : rapport annuel sur l'activité et
le fonctionnement du service de police, arrêtés (1912-1940)
- 1F14 : dossiers 102 : pétition et
correspondances au sujet d'affaires criminelles (1912- 1913)
- 1F17 : dossier 129 : rapport d'activité
de la police et arrêtés (1918-1955)
- 1F22 : 5 dossiers (n°155 à 159)
Procès-verbaux de police judiciaire et correspondances
diverses (1905-1945) - 1F27 : 8 dossiers (n°187, 188,
193, 200 à 202, 204, 207)
Plaintes, rapports et correspondances sur le fonctionnement et
le personnel des services de police, les travaux et équipement des
services, l'émigration de populations, la surveillance des journaux et
les affaires correctionnelles et criminelles (1904-1953)
- 1F28 : circulaires et rapport annuel du
service de police (1941-1949)
- 1F30 : correspondances du commissariat de
police (1909)
- 1F34 : dossiers 246 et 247
Rapport et correspondances sur le fonctionnement et le personnel
des services de police (1911-1954)
- 1F38 : (4 dossiers n°261 à 264)
Procès-verbaux de police judiciaire et correspondances
diverses (1915-1939) - 1F42 : 4 dossiers (n°279 à
281)
Rapports de police et correspondances diverses (1912-1957)
- 1F43 : dossiers 283 et 284 :
Rapports sur la fabrication d'alcool et sur des incidents
à Ouidah (1931-1935) et bulletins de police criminelle (1946-1947)
- 1F44 : dossier 290 : rapport sur la
sécurité dans la colonie, surveillance des individus suspects et
des malfaiteurs, procès-verbaux de recherches infructueuses
(1931-1945)
- 1F55 : 4 dossiers (n°344 à 347)
Correspondances diverses et actes relatifs au personnel de police
(1924-1949) - 1F58 : 4 dossiers (n°363, 364, 366 et
368)
Rapports de police sur les menées anti-françaises,
plaintes et correspondances diverses (1916-1950)
- 1F59 : dossier 372 : police,
sûreté générale : plaintes, comptes-rendus,
procès-verbaux (1933-1952)
- 1F63 : 9 dossiers (n°406 à 414)
Plaintes et correspondances diverses, statistiques de police
(1906-1959)
- 1F65 : dossier 430 : commissariat de police de
Ouidah (rapports journaliers 1910-1934)
- 1F67 : dossier 450 : correspondances sur
l'organisation de la police à Ouidah, rapports et correspondances divers
(1906-1930)
- 1F70 : 11dossiers étudiés (473
à 476, 500, 502, 505, 506, 508 à 510)
Plaintes, transfert de détenus, correspondances et
arrêtés sur la restructuration de la prison de Cotonou, sur le
personnel de police, l'activité et la réorganisation de la
police, la surveillance des étrangers (1904-1958)
ï Sous-série 2F (prisons) : 20
cartons
- 2F4 : (4 dossiers n°28, 30, 31, 34) :
Libérations conditionnelles (lettres et
arrêtés), répartition journalière des gardes et des
détenus, correspondances et arrêtés sur les évasions
et les rations alimentaires des détenus (1922-1951)
- 2F5 : (4 dossiers : n°35, 36, 39 et
40)
Répartition journalière des gardes et des
détenus, punitions disciplinaires, registres d'écrou, rapports
des commissions de surveillance des prisons et sur les libérations
conditionnelles (1919-1953)
- 2F6 : 20 dossiers (n°41 à 60)
Punitions disciplinaires, copies de registres d'écrou,
rapports des commissions de surveillance des prisons, correspondances diverses
(1907-1946)
- 2F8 : 5 dossiers n°80 à 84
Correspondances au sujet de la main d'oeuvre pénale, de
l'habillement et de la ration alimentaire des détenus et des
évasions et transferts, punitions disciplinaires, registres
d'écrou (1905-1937)
- 2F9 : 9 dossiers étudiés
n°88, 92 à 96et 98 à 100
Libérations conditionnelles, affaires d'évasion,
copie de registre d'écrou : notes, rapports, lettres,
arrêtés, jugements (1913-1940)
- 2F10 : 28 dossiers (n°106, 107, 109, 112,
114 à 118, 120 à 123, 125, 126, 129, 132 à 134,
136, 138 à 140, 143, 145, 146, 148, 149 et 151)
Correspondances sur les transferts, l'alimentation et
l'habillement des détenus, punitions disciplinaires, registres
d'écrou, dossiers de libérations conditionnelles (1906-1937)
- 2F11 : 7 dossiers analysés : 155
à 160, 162
Décès de détenus, visites de prison,
transfert et évasions de détenus (correspondances), copies de
registres d'écrou, états des punitions, répartition
journalière des gardes et des détenus (feuilles de services),
rapports et arrêtés sur les libérations conditionnelles
(1912- 1954)
- 2F12 : 8 dossiers analysées : 166
à 173
Registre d'écrou, punitions disciplinaires, rapports
des commissions de surveillance des prisons, correspondances, rapports et
circulaires sur les besoins de main d'oeuvre pénale, les travaux
d'entretien des prisons, la ration alimentaire et l'habillement des
détenus, les transferts et évasions des prisonniers, les
libérations conditionnelles (1907-1954)
- 2F13 : 11 dossiers (n°174 à 180,
183 à 185, 187)
Punitions disciplinaires, registres d'écrou,
correspondances sur le travail, les punitions, la santé, les
décès, les transferts et les évasions de détenus,
sur le personnel des prisons, répartition journalière des gardes
et des détenus (1909-1952)
- 2F14 : 11 dossiers (n°189 à 193,
196, 197, 199 à 202)
Etat des propositions de libérations conditionnelle et
arrêtés, correspondances sur les évasions, la ration
alimentaire et les décès des détenus, extraits de registre
d'écrou, punitions disciplinaires (1905-1923)
- 2F15 : 27 dossiers (n°228 à
253)
Rapports sur la surveillance dans les prisons, copies de
registres d'écrou, dossiers de libérations conditionnelles,
correspondances diverses
- 2F16 : 5 dossiers (n°255 à 259)
Etats des libérations conditionnelles, correspondances
sur les transferts, les évasions, la santé, la nourriture et
l'habillement des détenus, punitions disciplinaires et copies de
registres d'écrou (1912-1945)
- 2F17 : 9 dossiers (n°260 à 268)
Punitions disciplinaires, correspondances diverses, dossiers de
libérations conditionnelles (1909-1948)
- 2F19 : 18 dossiers (n°276 à
293)
Registres d'écrou, correspondances diverses, punitions
disciplinaires (1906-1931)
- 2F20 : 3 dossiers (n°294 à 296) :
états des punitions disciplinaires, copies de registres d'écrou,
répartition journalière des gardes et des détenus
(1926-1946)
- 2F24 : 26 dossiers (n°321 à
346)
Rapports de visite de prison, copies de registres d'écrou,
correspondances diverses, dossiers de libérations conditionnelles
(1902-1944)
- 2F27 : 5 dossiers (n°391à 393, 401
et 404)
Punitions disciplinaires contre les gardiens de prison, copies
de registres d'écrou, dossiers et arrêtés de
libérations conditionnelles, répartition journalière des
détenus et des gardes de la prison de Porto-Novo, états des
corvées des prisonniers (1905-1952)
- 2F28 : 22 dossiers (n°405, 408 à
410, 412, 414 à 426, 428 à 431)
Registres d'écrou, répartition journalière
des gardes et des détenus, punitions disciplinaires, correspondances
diverses (1927-1954)
- 2F30 : 4 dossiers (n°442 à 445)
Répartition journalière des gardes et des
détenus, copies des registres d'écrou, dossiers de
libérations conditionnelles (1919-1953)
- 2F32 : 17 dossiers (n°471 à
487)
Correspondances diverses et plans de prisons, rapports de visite
d'inspection, dossiers de libérations conditionnelles, rapports de
police (1902-1958)
ï Atlas AOF, cartes des cercles du Dahomey
1926
Fonds des Journaux Officiels - JO des colonies
1894
- JOD de 1900 à 1960
Archives du CAOM
Rapports périodiques sur microfilms :
série G (8G pour le Dahomey) : 14 MIOM
- 8G4 : affaires judiciaires dans le cercle de
Porto-Novo (septembre-décembre 1920, 1923, 1924, 1928, 1944)
- 8G8 : correspondances sur les
manifestations de femmes dans le cercle du Mono contre l'impôt en 1932,
dossier Pierre Johnson (1935-1946) accusé et jugé pour affaire de
corruption et complicité de meurtre, interventions en sa faveur
- 8G9 : dossier Hunkarin, libéré
le 20 mai 1933.
- 8G17 : correspondance du lieutenant-gouverneur
du Dahomey au Gouverneur Général d'AOF (1934)
- 8G19 : Article du Trait d'Union
Dahoméen sur le banditisme de détenus libérés
(23janvier 1937)
- 8G20 : cercle d'Athiémé
(1935-1939) : plaintes sur l'administration de la prison
d'Athiémé : inspection en juin-juillet 1935 ; correspondances sur
les tensions en le chef de canton Sodokin et ses administrés
- 8G24 : Plainte des notables d'Abomey au
lieutenant-gouverneur au sujet des « abus et agissements de certains
interprètes d'Abomey » (24juin 1936)
- 8G26 : correspondance judiciaire sur
agissements commis par un chef de canton (1937)
- 8G29 : Enquête dans le cercle de Savalou
1936-1944 sur les agissements d'un administrateur des colonies accusé de
brutalités sur les indigènes
- 8G30 : renseignements politiques
(février 1945) sur un début d'insurrection née de la
perception de l'impôt dans le canton des Holli
- 8G34 : affaire Djibodé et examen des
voeux de la population indigène du Dahomey (février 1937) ; note
sur les incidents d'Abomey (1937)
- 8G41 : plaintes du nommé Adjovi contre
certains administrateurs des colonies (1910)
- 8G53 : circulaire du 31 mars 1923 du
lieutenant-gouverneur du Dahomey au sujet du trafic de monnaie
Dépôt des papiers publics des colonies
(DPPC)
- Greffes 2681 : justice de paix à
compétence étendue Cotonou 1909, 1910, 1911 et Grand-Popo 1909 :
jugements civils
FR CAOM Dahomey VIII 1 à 6
Registre des délibérations du Conseil
d'Administration 1900, article de presse au sujet du président de la
Cour d'appel faisant une étude pour la réforme judiciaire au
Dahomey ; affaire Schuh, missionnaire accusé de coups et blessures sur
un chef de canton, correspondances judiciaires.
Archives privées des colonies
- Papiers Victor Ballot (FR CAOM APC 1 et 2) :
cartes Dahomey
Archives privées : papiers
d'agents
- Papiers Boulmer (FR CAOM 111 APOM 1 et 2 :
chemise Dahomey : correspondances, circulaires et rapports sur le commandement
indigène, la codification des coutumes indigènes, et les
manifestations contre l'impôt (1924-1932), courriers relatifs à la
préparation de la mission d'inspection (1933-1934), rapports sur la
situation politique au Dahomey
- Papiers Marius Moutet (FR CAOM 28 PA 1
à 8) : notes et rapports sur l'activité du ministre des colonies
Marius Moutet (1936-37 et 1946-47), article de presse.
Mémoires d'élèves de l'Ecole
Coloniale
- Yves Pravaz, Les transformations de la justice en AOF,
Athiémé (Dahomey), Mémoire ENFOM, 1946-1947 (3 ECOL 73
d6)
- Deschanel, La réforme judiciaire dans les
territoires de l'AOF, Mémoire ENFOM, 1952- 1953 (3 ECOL 113 d1)
- Claude Deschamps, Les attributions judiciaires des
administrateurs en Afrique Noire, Mémoire ENFOM, 1945-1946 (3 ECOL
51 d7bis)
- Christian Roque, La délinquance juvénile
en Afrique Noire et plus spécialement en Haute-Volta et en Côte
d'Ivoire, Mémoire d'élève magistrat ENFOM, 1958-1959
(3 ECOL 152 d5)
- Ratuld (de), Les juridictions indigènes,
Mémoire ethnographique, ENFOM, 1930-1931 (3 ECOL 2)
- Denis Tahet, Les juridictions de droit local en Afrique
Occidentale, Mémoire ENFOM d'un auditeur fonctionnaire en
Côte d'Ivoire, 1958-1959 (3 ECOL 153 d 6)
- Nanlo Bamba, Les Africains devant la réforme
judiciaire de 1946, Mémoire ENFOM, 1956-1957 (3 ECOL 127 d6)
- H. Gueziec, Le fonctionnement de la justice
répressive en AOF : aspects particuliers et problèmes,
Mémoire d'élève magistrat en FOM, 1954-1955 (3 ECOL 121
d9)
- Lucien Blot, La sécurité en AOF,
Mémoire d'un administrateur adjoint, 1945-1946 (3 ECOL 49 d12)
Archives privées
Marc Liebessart, Les tam-tams de Bandiagara, correspondances
d'Albertine Suau, Paris, éd. Textims (sous presse), 2006, 200 p.
Sources orales : 9 personnes interviewées
:
- Salomon Biokou : âgé
de 103 ans, ancien instituteur puis inspecteur de l'enseignement primaire,
ancien premier adjoint au maire de Porto-Novo, ancien vice-président de
l'assemblée nationale, président du comité des anciens
notables et cadres de Porto-Novo et de l'Ouémé, Grand chancelier
de l'ordre national du Bénin
- Gaston Fourn : âgé
d'environ 65 ans, petit-fils de l'ancien lieutenant gouverneur du Dahomey Fourn
(1917-1928). Il fit des études à Porto-Novo et Paris en droit
puis intégra le barreau au Dahomey en 1962 et devint procureur de la
République au tribunal de 1ère instance de Cotonou. Parti en
1973, il revint au Bénin en tant qu'assistant technique avec la
coopération française sur le projet justice de 1993 à
2000. Ce projet concernait notamment le système pénitentiaire
- Gbéhanzin : âgé
d'environ 67 ans, roi d'Abomey, ancien médecin colonel.
- Gbegbemabou Mélè
Glélè, chef de la lignée Glélè
: âgé d'environ 68 ans, ingénieur des travaux publics
à la retraite
- Guy Gbéhanzin, neveu
du roi Gbéhanzin, âgé de 35 ans, chargé du protocole
près du roi d'Abomey
- Raymond Codjo Gbeze :
âgé de 27ans, ancien cultivateur du Mono venu s'installer à
Cotonou, personne ressource pour interviewer d'autres personnes. Il a la
mémoire de certains faits anciens et a recueilli plusieurs
témoignages de son village de Sahoué Adromé.
- Gaston Gbeze :
âgé de 70 ans, demeurant au village de
Sahoué-Adromé dans le Mono, cultivateur.
- Paulin Hountondji : âgé
de 59 ans, professeur de philosophie à l'Université nationale du
Bénin, interviewé à Porto-Novo.
- Vieux Jacques : âgé
de 64 ans, originaire de Dédomè, dans le Mono, venu dans son
enfance à Cotonou parce que son père travaillait au Wharf en tant
que manoeuvre, retraité militaire.
Bibliographie
La bibliographie comprend des ouvrages relatifs à la
justice mais également à l'ensemble du système
répressif (police, prisons), ainsi qu'à la délinquance
dans les colonies. Ces références ne sont pas toutes
exploitées pour le mémoire de Master mais elles ont
été étudiées dans la perspective d'une étude
plus large sur le système répressif et la délinquance au
Dahomey.
1. Annuaires et répertoires
bibliographiques
[1] Désiré Aihonnou, Répertoire des
archives, série E, deuxième partie, Direction des Archives
Nationales du Bénin, octobre 2005, 60 p.
Jean-Claude Farcy, Guide des archives judiciaires et
pénitentiaires, 1800-1958, Paris, CNRS éd., 1992, 1175 p.
Alphonse Labitan, Répertoire des archives, série
F : police et prisons, tome I, sous-série 1F : police et
sûreté générale (1834-1959), Direction des Archives
Nationales du Bénin, 2000.
2. Ouvrages généraux sur l'Afrique, l'AOF
l'impérialisme et la situation coloniale
[2] Charles-Robert Ageron, Marc Michel (sous la direction de),
L'ère des décolonisations, Paris, Karthala, 1995, 516
p.
Charles-Robert Ageron, Catherine Coquery-Vidrovitch et al,
Histoire de la France coloniale, tome III, le déclin (1931
à nos jours), Paris, A. Colin, 1991, 550 p.
Catherine Akpo-Vaché, L'AOF et la seconde guerre
mondiale, Paris, Karthala, 1996, 330 p.
Hélène d'Almeida-Topor, L'Afrique au
20ème siècle, Paris, A. Colin, 2003
(2e éd., 1ère éd, 1993), 383 p.
Hannah Arendt, L'impérialisme, Paris, Fayard,
1982 (1ère éd. 1951), 378 p.
Fall Babacar, Le Travail forcé en Afrique occidentale
française (1900-1945), Paris, Karthala, 1993, 346 p.
[3] Georges Balandier, « La situation coloniale : approche
théorique », Sociologie des Brazzavilles noires, Paris,
PUF, 1955, coll. Quadrige, pp. 3-38.
[11] Georges Balandier, Sociologie actuelle de l'Afrique
Noire, Dynamique des changements sociaux en Afrique centrale, Paris,
P.U.F., 1955, 511 p.
[12] Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Françoise
Vergès, La République coloniale, Paris, Albin Michel,
2003, 172 p.
Charles Becker, Saliou Mbaye, Ibrahima Thioub (sous la
direction de), AOF . réalités et héritages,
sociétés ouest-africaines et ordre colonial, 1895-1960,
Dakar, Direction des Archives du Sénégal, 1997, 2 volumes, 1273
p.
Denise Bouche, Histoire de la colonisation française,
Flux et reflux (1815-1962), tome 2, Paris, Fayard, 607 p.
Denise Bouche, << La réception des principes de
Brazzaville par l'administration en AOF », Colloque sur Brazzaville
(janvier -février 1944) . aux sources de la décolonisation
organisé par l'Institut Charles de Gaulle et l'IHTP à Paris les
22-23 mai 1987, Paris, Plon, 1988, pp. 207-221.
Gilles Brenac, Les Africaines au miroir colonial
(début XXème siècle- décolonisation),
Soeur Marie-André du Sacré-Coeur et les autorités
françaises face à la condition féminine en Afrique
sub-saharienne, Mémoire de maîtrise en Histoire,
Université de Toulouse II le Mirail, septembre 2001, 162 p.
Henri Brunschwig, L'avènement de l'Afrique noire du
XIXème siècle à nos jours, Paris, A.Colin,
1963, 248 p.
Henri Brunschwig, Noirs et Blancs dans l'Afrique noire
française ou comment le colonisé devient le colonisateur,
1870-1914, Paris, Flammarion, 1982, 243 p.
Henri Brunschwig, Mythes et réalités de
l'impérialisme colonial français, 1871-1914, Paris, A.Colin,
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Compétence matérielle (ou rationae
materiae)
Procédure pénale : aptitude d'une
juridiction à connaître de certaines infractions en fonction de
leur nature (contraventions, délits, crimes par exemple).
Compétence personnelle
Procédure pénale : aptitude d'une
juridiction à connaître de certaines infractions en fonction de la
qualité personnelle du délinquant (mineur de 18 ans par
exemple).
Compétence territoriale (ou rationae
loci)
Procédure pénale : aptitude d'une
juridiction pénale à connaître d'une infraction en fonction
d'une circonstance de lieu (lieu de commission de l'infraction, de la
résidence ou de l'arrestation du prévenu...).
Contrainte par corps (procédure
pénale)
Incarcération d'une personne majeure condamnée
pour une infraction de nature non politique et n'emportant pas peine
perpétuelle, qui ne s'acquitte pas de ses obligations pécuniaires
autres que de réparation civile au profit du Trésor public
(amendes pénales ou fiscales, frais de dépens, etc.).
L'emprisonnement est ici utilisé comme moyen de pression ; il est d'une
durée variable en fonction du montant des créances garanties,
voire des infractions en cause.
Criminalité (droit pénal)
Ensemble des infractions à la loi pénale
commises pendant une longue période de référence (en
général l'année) dans un pays déterminé. On
distingue la criminalité légale (ensemble des infractions
sanctionnées par les juridictions pénales), la criminalité
apparente (ensemble des faits apparemment constitutifs d'infractions connus des
autorités) et la criminalité réelle (ensemble des
infractions commises en incluant par une évaluation celles
demeurées inconnues).
Droit civil (droit privé)
Ensemble des règles de droit privé normalement
applicables. Il constitue le droit commun par rapport aux règles
correspondant à des milieux spéciaux et qui se sont
constitués en disciplines propres (droit commercial, droit rural, droit
social...).
Droit judiciaire (procédure
générale)
Terme qui tend à supplanter celui trop étroit de
procédure pour désigner l'ensemble des règles gouvernant
l'organisation et le fonctionnement des juridictions civiles et pénales
de l'ordre judiciaire. L'ordre judiciaire englobe les juridictions civiles et
pénales.
Droit pénal
Ensemble des règles de droit ayant pour but la sanction
des infractions. En un sens large, le droit pénal englobe
également les règles qui tendent à la sanction des
états dangereux.
Ecrou
Acte authentique constatant officiellement l'entrée et la
sortie d'un prisonnier dans une prison et établissant ainsi à
tout instant la position pénitentiaire des détenus.
Enquête préliminaire (procédure
pénale)
Enquête diligentée d'office ou à la
demande du parquet par la police ou la gendarmerie avant l'ouverture de toute
information et permettant au ministère public d'être
éclairé sur le bien fondé d'une poursuite.
InamovibilitéDroit
administratif : Garantie de leur indépendance reconnue à
certains magistrats et
fonctionnaires et consistant non dans l'impossibilité
juridique de mettre fin à leurs fonctions mais dans l'obligation pour
l'administration qui voudrait les exclure du service public ou les
déplacer, de mettre en oeuvre des procédures protectrices
exorbitantes du droit commun disciplinaire.
L'inamovibilité protège les magistrats du
siège contre toute mesure arbitraire de suspension,
rétrogradation, déplacement, même en avancement,
révocation.
L'inamovibilité est instituée pour la garantie des
plaideurs, en assurant l'indépendance de la magistrature. Les magistrats
du parquet ne bénéficient pas de l'inamovibilité.
Infraction
Action ou omission définie par la loi pénale et
punie de certaines peines également fixées strictement par
celle-ci.
Juridiction
Droit général
Dans un sens large, proche de celui du mot anglais similaire
(jurisdiction), synonyme un peu vieilli d'autorité, de
souveraineté.
Procédure générale : synonyme de
tribunal.
On distingue l'ordre administratif (tribunaux administratifs)
et l'ordre judiciaire (tribunaux répressifs, tribunaux civils). On
classe également les juridictions d'après leur nature en
juridictions de droit commun et juridictions d'exception. Enfin, une
juridiction doit toujours être située par le degré qu'elle
occupe dans la hiérarchie judiciaire.
Libération conditionnelle
Droit pénal
Mesure de libération anticipée d'un
condamné à l'emprisonnement, accordée à titre de
faveur lorsqu'il a subi une partie également déterminée de
sa peine, qu'il présente des gages sérieux de réadaptation
sociale et sous condition de bonne conduite pendant une période qui ne
peut être inférieure à la durée de la peine restant
à subir.
Ministère public
Ensemble des magistrats de carrière qui sont
chargés devant certaines juridictions de requérir l'application
de la loi et de veiller aux intérêts généraux de la
société. Indépendants des juges du siège, les
magistrats du parquet sont hiérarchisés et ne
bénéficient pas de l'inamovibilité.
Annexes
Annexe 1 : Grille d'entretien
1. Présentation personnelle
Présentation
Nom, âge, lieu de naissance et du domicile, ancienne
fonction.
1. Présentation du Mémoire :
thème, l'objet de l'entretien dans ce thème
Entretien :
Sur la justice précoloniale :
- Quels étaient les éléments
considérés comme graves, considérés comme des
infractions et donnant lieu à un jugement ?
- Qui portait alors plainte et auprès de qui ? Un
représentant particulier de la famille (le chef de famille...),
autres...
- Qui jugeait ? Qui étai(en)t le ou les juges qui
intervenaient ?
- Savez-vous comment se passait un jugement contre un
délit, par exemple un vol ?
- Quelles sanctions étaient alors prononcées ? Pour
quel type d'infractions ? Et quelle réparation pour la victime ou sa
famille ?
- Que devenait ensuite le délinquant ?
Sur la justice coloniale.
Perception des tribunaux et justice
Est ce que vous connaissez beaucoup de personnes qui ont eu
affaire à la justice à un titre ou à un autre ? Des
exemples ?
Est ce que les gens portaient plainte et auprès de qui
? Est ce qu'ils faisaient appel aux tribunaux mis en place par le pouvoir
colonial ? Qui faisait appel à ces tribunaux ? Des exemples de recours
?
Pour quels types de problèmes ou d'infractions ? Comment
étaient perçus les gens qui faisaient appel à ces
tribunaux ?
Est ce que les gens avaient recours à d'autres
autorités pour régler les problèmes judiciaires ? A Qui ?
Pour quels types de problèmes ou d'infractions ? Des exemples ?
Au titre du code de l'indigénat : avez vous
des souvenirs sur les sanctions disciplinaires imposées par le pouvoir
colonial ? Personnes concernées ? Pour quels motifs ? Comment cela
était perçu par la population ?
Perception des autorités de police
Qui procédait aux arrestations ? Les gardes de cercle,
les chefs de village ou de canton : comment étaient perçues les
autorités chargées de ces arrestations ? Y avait il des
oppositions à ces personnes de la part de la population ?
Perception des juges
Comment étaient perçus les juges
européens (les administrateurs) et les notables dahoméens qui
participaient à ces tribunaux ? Est ce que les gens avaient confiance en
leur justice ?
Comment selon vous étaient choisis les notables
dahoméens ?
Y avait il des problèmes de corruption dans le
fonctionnement de la justice ?
Déroulement de la justice :
Savez vous ou avez vous des exemples sur le déroulement
d'une affaire en justice, comment se passait une audience en justice ?
En ce qui concerne les coutumes : est ce que les gens avaient le
sentiment que les coutumes étaient appliquées par les tribunaux
?
Sanctions :
Prisons
Que savez vous sur les prisons ? Par exemple, y avait il une
prison près de votre domicile ? La connaissiez vous et comment
était-elle ?
Quel était votre sentiment et celui de la population sur
les prisons ? Comment étaient elles perçues ?
Comment étaient perçus les prisonniers ? De
même que pensaient les gens des travaux imposés aux prisonniers
?
Quand les prisonniers sortaient de prison, retrouvaient ils
facilement leur place au sein de leur famille ou de leur village ?
Réparations et compensations des victimes :
les victimes obtenaient elles une compensation par rapport à ce
qu'elles avaient subi ? Etaient elles satisfaites de la justice rendue ?
Les sanctions infligées paraissaient elles lourdes,
sévères ou non ?
Evasions
Avez-vous le souvenir d'évasions de prisonniers ? Est ce
que les gens protégeaient les gens qui s'évadaient des prisons ?
Avez vous des souvenirs ou des exemples là dessus ?
Annexe 2 : Cadre de saisie des données
quantitatives sur la délinquance et les prévenus
Cadre de saisie des données sur fichier Excel sur la
délinquance et les prévenus Prévenus
- Numéro du prévenu - Numéro de l'affaire
- Source (document archives)
- Nature du document (jugement, arrêt de la cour d'appel,
notice de jugement...)
- Nom du prévenu
- Sexe : M/F
- Profession :
APEL Apprenti et élève
ARTI Artisan
CHEF Chef de village, de canton
COMM Commerçant, traitant
CULT Cultivateur
ELEV Eleveur, pasteur, bouvier
EMAD Employé de l'administration
EMCO Employé de commerce ou de particuliers
MARC Marchand, colporteur
OUVR Ouvrier, manoeuvre
PECH Pêcheur, piroguier
SPRO Sans profession, enfants, ménagères
- Age
- Classe d'âge :
- 1 = moins de 16 ans
- 2 = 16-24 ans
- 3 = 25-34 ans
- 4 = 35-44 ans
- 5 = 45-54 ans
- 6 = 55-54 ans
- 7 = 55 ans et plus
- Domicile
- Rural ou urbain (lieu où a été commis
l'infraction)
- Situation familiale :
- C = célibataire
- M = marié
- V = veuf
- D = divorcé
- Délit ou crime :
- AAU : autres atteintes à l'autorité (faux
renseignements à l'administration, introduction frauduleuse de
marchandises, insoumission, tentatives de corruption de fonctionnaires, non
comparutions aux audiences, usurpations de fonctions, vagabondages, vente
illicite de poudre de traite). Ces délits ont été
renseignés chacun individuellement dans une colonne, puis
regroupés dans une autre)
- ATA : Assassinat, tentatives d'assassinat
- AA : Abus d'autorité
- ADA : Adultères, abandon de domicile conjugal (les deux
types de délits sont
renseignés individuellement dans une colonne puis
regroupés dans une autre). - CBA : Manoeuvres abortives
- CBL : Coups et blessures et complicité
- CBM : Coups et blessures mortels
- DES : Destructions de biens
- DIA : détention et fabrication illicite d'alcool
- DIF : Diffamations, dénonciations calomnieuses
- ESC : Escroqueries, abus de confiance, détournements
de fonds, falsifications (ces délits ont été
renseignés individuellement dans une colonne puis regroupés dans
une autre)
- EMA : Escroqueries au mariage
- ENL : Enlèvements
- ENT : Entrave au recrutement
- EVA : Evasions, complicités d'évasions et
dissimulation de malfaiteurs - HBI : Homicide et blessures par imprudence
- MEN : Menaces, injures
- PAP : port d'armes prohibées
- REB : Rebellions
- TRA : Trafic de personnes
- VIO : Viols, attentats à la pudeur, tentatives (ces
infractions ont été renseignées individuellement dans une
colonne puis regroupées dans une autre)
- VOL : Vols simples, recels et complicités
- VMA : Vols à main armée
- VOQ : Vols qualifiés
- AUT : Autres (ex : guet-apens, violations de
sépultures, incendies volontaires...). Ces infractions ont
été également renseignées individuellement dans une
colonne puis regroupées dans une autre.
- Gravité de l'infraction : crime, délit, ou nature
de l'infraction ayant varié entre une contravention ou un
délit.
- Nature de l'infraction :
- Atteintes contre les biens :AB
- Atteintes contre les personnes : AP et plus
spécifiquement contre les femmes (AF) - Atteintes contre
l'autorité de l'Etat (AA)
- Récidive : oui/non
- Situation du prévenu au moment du jugement :
- en prison préventive : PRE
- emprisonné suite à un précédent
jugement : PRI
- en liberté, donc sans préventive : NON
- en fuite : FUI
- non connu : « vide »
- date de l'emprisonnement préventif
- nature et montant des objets volés
- année du jugement
- mois du jugement
- date précise du jugement (jj/mm/aa)
- nom du tribunal et numéro de jugement
- cercle où se trouve le tribunal
- subdivision où se trouve le tribunal quand il s'agit
d'un tribunal de subdivision (sinon mention CERCLE)
- tribunal de cercle ou de subdivision (C/S)
- tribunal situé dans le nord du Dahomey ou le sud du
Dahomey (N/S)
- 1ère mesure de la peine principale :
condamnation prononcée en nombre de mois de prison (si acquittement = 0,
si mort = 500, si perpétuité = 480, si seulement une amende ou
des dommages et intérêts prononcés en peine principale =
vide)
- 2ème mesure de la peine principale :
- emprisonnement à temps = PRI
- emprisonnement à perpétuité = PER
- acquittement = ACQ
- amende = AM
- dommages et intérêts = DI
- interdiction de séjour = IS
- condamnation à mort = MOR
- mesure de la peine accessoire (en plus de la peine
principale) : amende (AM), dommages et intérêts (DI), interdiction
de séjour (IS), amendes et dommages et intérêts (AMDI),
amendes et interdiction de séjour (AMIS), amendes, dommages et
intérêts et interdiction de séjour (AMISDI), dommages et
intérêts et interdiction de séjour (ISDI)
Respect de la coutume
- coutume mentionnée dans le jugement : ethnie
- condamnation prévue par la coutume
- Respect de la coutume
- application totale de la coutume
- application partielle, non prise en compte de certains
éléments comme les dommages et intérêts
prévus par la coutume
- non respect de la coutume car coutume contraire aux principes
de la civilisation française,
- non respect de la coutume car sanction prévue par la
coutume jugée trop faible au regard de la gravité de
l'infraction
- infraction non prévue par la coutume, poursuivie et
sanctionnée sur un fondement réglementaire
Plaintes
- origine de la plainte : administration (ADM) ou particulier
(PAR) - si plainte vient d'un particulier :
- sexe (M, M, F/M si plainte collective)
- âge et classe d'âge en reprenant les mêmes
classes d'âge que pour les prévenus : colonne ne pouvant
être remplie que lorsqu'il s'agit d'une plainte individuelle
- profession,
- domicile
Appels
- tribunal d'appel
- date du jugement en appel
- qui a fait appel ? La personne condamnée, la victime,
l'administration - décision prise en appel
Annexe 3 : Exemples de documents conservés aux ANB
et problèmes de conservation
Photos 1 et 2 : Lettre du 18 mai 1910
du lieutenant-gouverneur du Dahomey à l'administrateur de
Grand-Popo (ANB, 1M99)
Annexe 4 : Evolution des circonscriptions judiciaires du
Dahomey de 1900 à 1945
Tableau 1 : Evolution des tribunaux de cercle de 1900
à 1945
Tribunal de cercle
|
1900-1909
|
1910-1919
|
1920-1929
|
1930-1939
|
1940-1945
|
ABOMEY
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
ALLADA
|
X a
|
X
|
X
|
X
|
|
ATACORA
|
|
X
|
X
|
X
|
X
|
BORGOU (Parakou)
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
COTONOU b
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
DJOUGOU
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
FADA N'GOURMA
|
X c
|
|
|
|
|
HOLLI-KETOU
|
|
|
X
|
X
|
|
GRAND-POPO
|
|
X
|
|
|
|
MONO
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
MOYEN-NIGER/KANDY
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
OUIDAH
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
PORTO-NOVO
|
X (vers 1907-1908)
|
X
|
X
|
X
|
X
|
SAVALOU
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
SAVE
|
|
X
|
|
|
|
SAY
|
X (1905) c
|
|
|
|
|
ZAGNANADO
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
Tableau constitué d'après les données
des JOD, fonds des JO (ANB)
X : existence du tribunal sur l'ensemble ou une partie de la
période considérée.
a Allada est une chefferie supérieure jusqu'en
1912. b Le cercle de Cotonou comprenait également la subdivision
d'Awansouri entre 1909 et 1911 mais il ne semble pas qu'il y ait eu un tribunal
de subdivision installé durant cette brève période. c
Rattaché à Haut-Sénégal-Niger en 1907.
Tableau 2 : Evolution des tribunaux de cercle et de
subdivision entre 1900 et 1945
Tribunal de cercle
|
Tribunal de subdivision a
|
1900-1909
|
1910-1919
|
1920-1929
|
1930-1939
|
1940-1945
|
ABOMEY
|
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
Abomey
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
Parahoué
|
|
|
X (1924)
|
X (1932)
|
|
|
Zagnanado
|
|
|
|
|
X (1944)
|
ALLADA
|
|
X b
|
X
|
X
|
X
|
|
|
Allada
|
X
|
X (1912)
|
X
|
X
|
|
|
Abomey-Calavi
|
|
X (1912)
|
X
|
|
|
ATACORA
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
X
|
|
|
|
Kouandé
|
|
|
(1910-1911)
|
|
|
|
Natitingou
|
|
|
|
X (1924)
|
X
|
X
|
|
Kouandé
|
|
X (1911)
|
X
|
X
|
X
|
|
Natitingou
|
|
|
X (1924)
|
X
|
X
|
|
Tanguieta
|
|
X (1912)
|
X
|
X
|
X
|
|
Boukombé
|
|
|
X (1924)
|
|
|
BORGOU (Parakou)
|
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
Parakou
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
Nikki
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
Bembereke
|
|
X
|
X
|
|
|
|
Djougou
|
|
|
|
|
X (1944)
|
COTONOU c
|
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
Cotonou Abomey-Calavi
|
X
|
X (1910-1911) supprimé en 1912 d
|
X
|
X
|
X X (1944)
|
|
|
|
X
|
|
|
|
|
Godomey
|
X
|
(supprimé vers 1915)
|
|
|
|
DJOUGOU
|
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
|
Djougou Kouandé
|
X X
|
X supprimé en 1911
|
X
|
X
|
|
|
Bassila
|
|
|
X
|
X
|
|
FADA N'GOURMA
|
|
X e
|
|
|
|
|
|
Fada N'Gourma
|
X
|
|
|
|
|
|
Diapaga
|
X
|
|
|
|
|
|
Kongobiri
|
X
|
|
|
|
|
HOLLI-KETOU
|
|
|
|
|
|
|
Kétou
|
|
|
|
X
|
|
|
Pobé
|
|
|
|
|
X
|
|
|
Kétou
|
|
|
X
|
|
|
|
Pobé
|
|
|
X
|
X
|
|
GRAND-POPO
|
|
|
X
|
|
|
|
|
Grand-Popo zone intérieure
|
|
X
|
|
|
|
|
Grand-Popo zone maritime
|
|
|
|
|
|
MONO
|
|
|
|
|
|
|
Grand-Popo
|
|
X
|
f
|
X
|
X
|
|
Athiémé
|
|
|
X
|
|
|
X (1944)
|
|
Grand-Popo
|
X
|
|
X
|
X
|
X
|
|
Grand-Popo sud
|
|
|
X
|
X
|
|
|
Athiémé
|
X
|
X
|
X
|
|
X
|
|
Parahoué
|
X
|
X
|
g
|
|
X (1944)
|
|
Bopa
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
|
Lonkly
|
|
X (1913)
|
|
|
|
MOYEN-NIGER/KANDY
|
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
Kandy
|
X
|
X
|
X
|
X
|
X
|
|
Zougou
|
X (1905)
|
|
|
|
|
|
Carimama
|
X
|
X (supprimé en 1912)
|
|
|
|
|
Guéné
|
|
X (1912)
|
X
|
X
|
|
Tribunal de cercle Tribunal de subdivision a
1900-1909 1910-1919 1920-1929 1930-1939 1940-1945
OUIDAH X X X X X
Adjara X (1905) h
Savi X (1905) h
Segboué-Ahémé X (1905) h
Ouidah X (1906) X X X X
Allada X (1911) i X
Abomey-Calavi X (1911) i
X (vers
PORTO-NOVO 1907-1908) X X X
X
Porto-Novo ville X X X
Porto-Novo banlieue X X X X X
Ouémé X
X X (supprimé
Sô en 1912-13)
Adjohon X (1912-13) X X X
Gbessou X X
Pobé X
SAVALOU X X X X X
Savalou X X X X X
Cabolé X X
Savé X X X X
SAVE X
Savé X
SAY X (1905) e
Botou X (1905)
ZAGNANADO X X X X
Zagnanado X X X X
Kétou X (1911-13)
Pobé X (1913)
X : existence du tribunal sur l'ensemble ou une partie de la
période considérée.
a Ou tribunal de province, puis tribunal de 1er
degré. b Allada est une chefferie supérieure jusqu'en 1912. c Le
cercle de Cotonou comprenait également la subdivision d'Awansouri entre
1909 et 1911 mais il ne semble pas qu'il y ait eu un tribunal de subdivision
installé durant cette brève période. d Rattaché
à Allada. e Rattaché à Haut-Sénégal-Niger en
1907. f Supprimé pour devenir un cercle à part 1910-1911. g
Supprimé et rattaché à Abomey. h Supprimé en 1906.
i Supprimé en 1912.
Carte 1 : Carte du cercle d'Allada, 1926
Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles, 1926,
carte n°21 Carte 2 : Carte du cercle d'Abomey,
1926
Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles 1926, carte
n°20
Carte 3 : Carte du cercle de l'Atacora, 1926 Carte 4 :
Carte du cercle du Borgou, 1926
Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles, 1926,
carte n°22
Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles, 1926,
carte n°25
Carte 5 : Carte du cercle de Cotonou, 1926
Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles, 1926,
carte n°24
Carte 6 : Carte du cercle de Djougou, 1926 Carte 7 :
Carte du cercle de Holli-Kétou, 1926
Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des Source : ANB, fonds
des cartes, Atlas des cercles,
cercles, 1926 1926, carte n°25
Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des Source : ANB, fonds
des cartes, Atlas des cercles,
cercles, 1926, carte n°27 1926, carte n°28
Carte 10 : Carte du cercle de Ouidah, 1926
Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles, 1926,
carte n°29
Carte 11 : Carte du cercle Porto-Novo, 1926 Carte 12 :
Carte du cercle de Savalou, 1926
Source : ANB, fonds des cartes, Atlas des cercles, Source :
ANB, fonds des cartes, Atlas des
1926, carte n°30 cercles, 1926, carte n°31
Tableau 3 : Evolution du nombre des tribunaux au Dahomey
entre 1905 et 1944
Année
|
Tribunal de cercle
|
Tribunal de province ou de subdivision
|
1905
|
13
|
29
|
1911
|
13
|
26
|
1913
|
14
|
29
|
1924
|
13
|
31
|
1932
|
13
|
28
|
1944
|
9
|
23
|
Annexe 5 : Extraits du texte imprimé « Pour
une réforme complète de la justice indigène. Le
décret du 3 décembre 1931 sur la justice indigène en AOF
»
(sans auteur)
Archives privées : papiers d'agents papiers Marius
Moutet, FR CAOM28 PA 1
Ô France, jusqu'à quand durera encore dans ce
pays cette << JUSTICE INDIGENE » sans garantie humaine et qui n'a
l'hospitalité chez aucun peuple du monde civilisé pour faire
place à la vraie JUSTICE FRANCAISE ?
MISERERE NOBIS
On ne peut pas dire que la distribution de la justice aux
peuples colonisés a laissé le législateur colonial
français indifférent. On relève même, et cela est
tout à son honneur, un louable souci de rapprocher la justice du
justiciable indigène, de la rendre plus expéditive, plus
respectueuse de ses coutumes, plus voisine de ses moeurs
particulières.
Dans ces Frances d'outre-mer, en effet, il n'y a qu'un tout
petit nombre de citoyens ; et comme on ne croit pas qu'il existe un type
abstrait et unitaire de l'homme, l'application aux autochtones, de la
législation française parut donc indésirable et
impossible. Dès lors on pouvait donner libre cours, dans l'organisation
judiciaire de ces colonies, à une volonté de diversité qui
tendait à épouser la diversité des psychologies ethniques
et qui devait se manifester par cette floraison de décrets en apparence
<< faits sur mesure » (pour l'AEF, l'AOF...).
Mais à y regarder de près, on s'aperçoit
que les mêmes intentions, les mêmes préoccupations, les
mêmes principes s'y révèlent et maintiennent une
indéniable uniformité. Partout, on sent que le législateur
colonial a voulu beaucoup moins protéger la liberté individuelle
de l'indigène, garantir ses droits civils et défendre ses droits
politiques, qu'il n'a eu le souci de fortifier l'autorité de
l'administration et assurer la sécurité de l'Etat colonisateur.
Pour lui, comme si Montesquieu n'était pas encore né, le
judiciaire ne devait pas être mis à la disposition de
l'indigène pour le défendre contre le législatif et
l'exécutif ; il devait au contraire rester entre les mains de
l'exécutif qui se trouve être en même temps le
législatif, pour mieux << tenir le pays » par
l'intimidation.
Le système construit sur ces bases, ne pouvait aboutir
qu'à un régime autocratique digne d'une monarchie absolue. Et de
fait, il est curieux et pénible de voir combien les dispositions les
plus importantes de ces décrets, sont en violente opposition avec les
principes de la déclaration de 1789. Prenons par exemple le
décret du 3 décembre 1931 sur la justice indigène en AOF.
Voici les principaux points où il heurte les principes
démocratiques les plus élémentaires.
Exclusion de la règle : Nulle peine sans une loi
préexistante (article VIII de la déclaration de 1789 et
article 4 du code pénal)
Or on lit ceci dans le décret du 3 décembre 1931
(article 10) : « En matière répressive les juridictions
indigènes s'inspirent de la coutume du lieu de l'infraction, aussi bien
pour déterminer les faits répressibles judiciairement que pour
déterminer la gravité de la sentence, dans la mesure où il
n'en doit résulter aucune atteinte à l'ordre public ».
Ainsi donc lorsqu'un fait est soumis à un tribunal
indigène, on laisse à ce tribunal le soin de décider si le
fait constitue ou non une infraction punissable (au cas où bien entendu
où une loi, un décret ou un arrêté n'auraient pas
réglé la question déjà). Supposons que ce tribunal
statue qu'il y a infraction. Alors ce même tribunal déterminera
d'une façon à peu près souveraine quelle sanction comporte
le fait dont il s'agit. Il est donc libre d'appliquer à cette infraction
de son invention une peine allant de 1 franc d'amende jusqu'à 20 ans
d'emprisonnement...
Que deviennent dans tout ça la sécurité et
la liberté individuelle ?
Pas de séparation des pouvoirs (article 16 de la
déclaration de 1789)
Or d'après le décret du 3 décembre 1931,
le même fonctionnaire accuse, instruit, dit le droit, fixe le quantum de
la peine et exécute sa propre sentence !
Nous voici ramenés sous l'ancien régime,
époque où les agents de l'octroi, de la douane, de la police, de
l'administration jugeaient eux-mêmes les délits et crimes qu'ils
étaient chargés de constater. Mais même alors ils
n'exécutaient pas leurs propres sentences.
Pas d'assistance d'avocat
Quand on lit les cahiers de doléances de 1789 un voeu
d'ensemble relatif à la réforme judiciaire se dégage
nettement. La nation recherche beaucoup plus la protection de l'accusé
que l'indépendance du juge. Tous les cahiers recommandent
sévèrement que personne ne soit condamné sans avoir eu un
défenseur.
Or, à l'article 31 du décret du 3
décembre 1931, on lit ceci : << Les prévenus comparaissent
en personne et présentent eux-mêmes leur défense...
>>.
Ce décret n'admet, et cela en cas de crime seulement,
que l'assistance par un fonctionnaire européen, non avocat. C'est
l'article 53. Mais on doit noter que ce fonctionnaire n'est même pas
choisi par l'accusé ; il lui est désigné d'office par le
Président du tribunal. Enfin, il faut ajouter que cette
désignation n'est même pas obligatoire ; encore faut-il que le
Président de la juridiction y consente.
Restriction capitale apportée à la
liberté de l'indigène et négation de ses droits naturels
(...). Les législateurs français de 1789 reconnaissaient que
la liberté faisait partie du droit naturel et positif de l'homme. Mais
le législateur colonial est moins large vis-à-vis du
colonisé. Il crée une catégorie spéciale d'hommes
qu'il appelle et définit à l'article 1 : indigènes. Puis
il soumet cette catégorie spéciale à une
législation particulière dite l'indigénat. Or ce code
particulier baptise crimes ou délits des faits qui ne constituent pas
à proprement parler des infractions au sens du code pénal : par
exemple le manque de déférence à l'égard d'un agent
de l'autorité, le fait d'égratigner le << prestige >>
par une critique si légère qu'elle soit visant un membre de
l'autorité, qui correspond à l'ancien crime de
lèse-majesté, le retard dans le paiement de l'impôt, le
manque d'empressement à exécuter un ordre de l'administration,
etc. Et à ces faits qu'un français de 1789 n'aurait pas retenu
comme n'étant pas nuisibles à autrui, ce code applique des
sanctions sévères. L'administrateur ou son adjoint convoque la
personne coupable et, sans même le simulacre d'un jugement, le condamne
à une amende ou à l'emprisonnement.
Pas de pourvoi en cassation : mission de la cour de cassation
: interpréter la loi
On ne pouvait évidemment pas déférer
à la Cour de cassation des jugements fondés soit sur des coutumes
indigènes et variables à l'infini, soit sur des décisions
personnelles même vierges de fantaisie ou de passion.
Au-dessus des juridictions indigènes qu'il
créait, le législateur colonial ne pouvait donc placer qu'une
chambre spéciale : le Tribunal colonial d'appel (article 55), où
participaient des fonctionnaires européens.
L'administration est une fois de plus appelée à
se prononcer sur un jugement élaboré par un de ses membres. Et
ainsi, on peut dire que l'administrateur, souvent partie, est toujours juge.
Pas d'amnistie pour les condamnés des tribunaux
indigènes.
Cette exclusion ne résulte d'aucun texte.
L'administration se contente de ne pas étendre le bénéfice
de la loi d'amnistie aux ressortissants des tribunaux indigènes. Le
Parlement ignore le fait. La question doit être liquidée
officiellement. (...)
Le décret du 3 décembre 1931 laisse en marge de
toute justice une importante catégorie d'indigènes.
Un indigène lésé par un colon ne peut
traduire ce dernier devant le tribunal indigène. Supposons qu'un
Européen emploie un boy pendant 29 jours et le renvoie le
30ème. Prend un second boy et le renvoie de même. Que
peuvent faire ces indigènes ? Le tribunal d'arbitrage qui devrait
connaître de toute demande de paiement de salaire, leur est interdit du
fait qu'ils ne sont ni manoeuvres, ni engagés sur les plantations et
qu'ils sont domestiques attachés à la personne. On prétend
qu'ils doivent avoir recours aux tribunaux français. Or, pour obtenir
justice il leur faut :
1°) que le Président du tribunal de
1ère instance veuille bien leur accorder audience pour la
tentative de conciliation ;
2°) en cas de poursuite autorisée, l'indigène
doit consigner entre les mains de l'huissier le coût de l'assignation (un
minimum de 35 F) ;
3°) pour qu'il puisse lever le jugement, il faut qu'il verse
au greffe un minimum de 50 F ; 4°) pour signifier un jugement il faut
qu'il verse à l'huissier un minimum de 50 F.
Si le maître ne paie pas, l'indigène doit trouver
des fonds pour passer à la saisie. Il est évident qu'une fois
seulement sur mille le hasard réunira les conditions qui permettront
à l'indigène d'aller jusqu'au bout. Pratiquement on peut dire que
cette organisation de la justice indigène livre la catégorie des
<< domestiques ».
Appellation abusive des tribunaux indigènes
L'article 1er est ainsi libellé : << La
justice est rendue aux indigènes par des juridictions indigènes
». Il y a là une erreur qu'il faut signaler. (...)
En d'autres termes sont indigènes : les noirs
nés en Afrique et non citoyens des Etats colonisateurs de l'Afrique. On
s'attend donc à ne voir siéger que des noirs dans les divers
tribunaux dits indigènes. C'est ainsi que cela se passe au Maroc. Ici ce
sont des Marocains qui jugent au nom d'une puissance marocaine et selon des
règles juridiques marocaines. En AOF au contraire, les tribunaux
indigènes sont présidés par un administrateur
français, assisté d'Africains choisis par lui, ou ce qui revient
au même, désignés par
l'administration. Il est évident qu'à tous les
coups l'administrateur sait faire plier la coutume à ses vues
personnelles. De mémoire d'homme, comme s'il y avait harmonie
préétablie, on a toujours vu l'avis des assesseurs coïncider
parfaitement avec la volonté du président << gallo-romain
>>.
Dans la réalité, les choses se passent de la
façon suivante, en matière répressive : après la
comparution de l'accusé, la cour ne se retire pas pour
délibérer, mais le président blanc fait évacuer la
salle et reste en tête à tête avec ses deux augures noirs.
Tous les trois se regardent sans rire ! Le président commente <<
alla tudesca >> les paroles de l'accusé puis prononce : <<
On va lui foutre 10 ans de prison, n'est-ce pas ? >> Les augures noirs,
sans un réflexe, acquiescent << Oui-Oui ! >> Le
président fait rentrer l'auditoire et l'accusé. Il crache au
visage de ce dernier : << Le Tribunal vous condamne à 10 ans de
prison ! >>. La justice << indigène >> est rendue !
(...) Les Africains d'une voix unanime, crient qu'il n'y a rien de si laid
qu'un jugement de tribunal << indigène >>. Ils sentent
cruellement la calomnie majeure qu'il y a à baptiser de leur nom des
dénis de justice ou des crimes judiciaires. Car cette << justice
qui n'ose pas dire son nom >> n'a, ni pour le fond, ni pour la forme,
absolument rien d'indigène.
Jaurès et tous les grands révolutionnaires de
1789, de 1830, de 1848, ont affirmé : << La République
c'est la justice ! >>.
Les indigènes souhaitent enfin l'avènement de la
République dans les colonies françaises. En matière de
justice, ils mettent tout leur espoir dans les grands principes
dégagés par les révolutionnaires de 89, qui doivent
être à la base d'une justice vraiment démocratique (cf.
Comité de vigilance de la Tribune Républicaine d'Hanoi ;
décision communiquée par M. Marceau).
Ils estiment indispensable la complète et absolue
indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir
exécutif ou administratif. Ils demandent qu'on ne laisse, jusqu'à
nouvel ordre, à la disposition des administrateurs, que des peines ne
dépassant pas 2 jours de prison.
Ils pensent qu'avant la nouvelle organisation
matérielle de la justice qui s'impose aux colonies, qu'avant le choix
des futurs magistrats, il soit bien établi que les tribunaux jugeront
désormais d'après une loi uniforme. Il est temps que la
variété des coutumes fasse place à l'unité de
législation. En quelque endroit de l'empire colonial français que
soient recrutés les tirailleurs, ils obéissent à la
même discipline et sont justiciables de la même justice militaire
que les citoyens de la métropole. Ils demandent qu'il en soit ainsi dans
le
civil. Si la raison exige la conservation momentanée de
certaines coutumes locales, il faut que l'exception porte sur le détail
et non sur le principe de la loi. La codification de ces coutumes pourrait se
faire en une année en organisant le travail par un questionnaire
intelligent auquel les instituteurs de toutes les régions seraient tenus
de répondre. En attendant l'achèvement de cette codification, les
indigènes souhaitent pouvoir opter dès le début de
l'action judiciaire pour la justice française sans plus.
Ils demandent instamment que personne ne soit condamné
sans avoir eu un défenseur, choisi par lui, que ce défenseur soit
avocat ou fonctionnaire payé par la colonie, ou commerçant
libre.
Ils demandent que les prisonniers, quelquefois innocents,
toujours malheureux, attendent leur jugement et subissent leur peine dans des
lieux d'une salubrité suffisante pour que leur santé n'ait pas
à souffrir de cette détention.
Ils demandent que dans les cas graves on avise aux moyens
d'admettre le jugement par jurés, par des compatriotes
indépendants des juges qui quelquefois sont prévenus d'avance.
Ils demandent que le jury soit composé pour moitié de natifs du
pays et pour l'autre moitié d'Européens non administrateurs.
Enfin, ils demandent que les sanctions n'aient pour objet que
de servir d'exemple et de frein aux hommes que leur mauvaise inclinations
peuvent égarer ; que la liberté et la vie d'un indigène,
surtout dans des contrées qui manquent d'hommes, soient toujours
considérées comme plus précieuses au colonisateur que le
châtiment d'un coupable ne lui est profitable. Ils demandent donc que ces
déportations, ces interdictions de séjour qui sont
prononcées pour des motifs vraiment futiles soient rayées de la
liste des peines prévues.
Annexe 6 : Dictionnaire biographique
Béhanzin
Prince héritier Kondo, il prend pour nom
Gbéhanzin Aï Djéré (Béhanzin) lorsqu'il
devient roi du Danhomè en succédant à son père
Glèlè à partir de décembre 1889. Soucieux de
conserver sa souveraineté face aux menaces françaises, il choisit
pour emblème le requin << qui empêche l'étranger de
débarquer sur la terre danhoméenne ». La première
guerre entre la France et le Danhomè en 1890, engagé suite
à l'enjeu de la souveraineté sur Cotonou, souligne l'importance
de son armée, notamment le rôle joué par les Amazones qui
mènent alors l'attaque contre Cotonou. La deuxième guerre est
déclarée par la France en avril 1892 et les troupes du
général Dodds entrent à Abomey en novembre 1892.
Béhanzin entre alors en résistance ; il se réfugie dans la
brousse avec ses fidèles et mène une guérilla mais est
contraint de se rendre en janvier 1894. Il est alors déporté en
Martinique, puis en 1900 en Algérie où il reste jusqu'à sa
mort en décembre 1906. Le gouvernement français fait ensuite
rapatrier ses cendres au Dahomey en 1928. La commémoration du centenaire
de sa mort a été célébrée au Bénin en
décembre 2006.
Pierre Boisson (1894-1948)
Ancien combattant et mutilé de la Première
Guerre mondiale, Pierre Boisson intègre en 1917 l'Ecole coloniale.
Nommé gouverneur général de l'AOF de 1938 à 1939
puis de l'AEF entre 1939 et 1940, il revient à la tête de l'AOF du
25 juin 1940 au 7 juillet 1943. Il se rallie à Pétain et applique
la politique de Vichy. Pierre Boisson quitte son poste le 7 juillet 1943 et est
convoqué par la commission d'épuration en novembre 1943. Il est
alors révoqué sans pension puis il est à nouveau
condamné pour indignité nationale en juillet 1948 par la Haute
cour de justice.
Joseph Jules Brevié (1880-1964)
Administrateur colonial, il est nommé
lieutenant-gouverneur du Niger de 1922 à 1929 puis gouverneur
général de l'AOF du 15 octobre 1930 au 27 septembre 1936. Auteur
de plusieurs études historiques et ethnographiques (Monographie du
cercle de Bamako en 1904, Islamisme contre naturisme au Soudan
français : essai de psychologie politique coloniale, Leroux, Paris
en 1923), il plaide pour une vision scientifique de la colonisation (Jules
Brevié, << Science et colonisation », in Trois
études de M. le gouverneur général
Brévié, Imprimerie du gouvernement
général de l'AOF, Dakar, 1936). Il relance le mouvement de
rédaction des coutumes en 1931 et crée en août 1936 l'IFAN
(Institut français d'Afrique noire) pour mettre en oeuvre une
étude scientifique de l'Afrique noire. Nommé ensuite gouverneur
de l'Indochine puis ministre de l'Outre-mer et des Colonies du 18 avril 1942 au
26 mars 1943 dans le gouvernement de Pierre Laval, il participe à la
création d'un office de la recherche scientifique coloniale.
Jules Carde (1874-1949)
Administrateur colonial, il débute à Madagascar
où il reste de 1900 à 1907, puis après différents
postes en Martinique, en Côte d'Ivoire, en AEF et au Cameroun, il est
nommé gouverneur général de l'AOF le 18 mars 1923 et y
reste jusqu'au 15 octobre 1930. Il s'attache plus particulièrement aux
questions du développement économique, de la santé
publique et de l'éducation. Il est ensuite nommé gouverneur
général de l'Algérie de 1930 à 1935.
Léon Cayla (1881-1965)
Nommé en 1910 chef de cabinet du gouverneur
général à Madagascar puis gouverneur général
de Madagascar, il devient gouverneur général de l'AOF du 10
août 1939 au 25 juin 1940. Il retourne alors à son ancien poste
à Madagascar. Proche de Pierre Laval, il dirige une organisation
collaborationniste. Il est condamné le 19 juillet 1946 à cinq ans
de prison.
Marcel de Coppet (1881-1968)
Administrateur colonial, il est lieutenant-gouverneur du
Dahomey de 1933 à 1934. Puis il succède à Jules
Brévié en tant que gouverneur général de l'AOF du
27 septembre 1936 au 14 juillet 1938. A son départ, Léon Geismar
fait fonction pendant quelques mois avant l'arrivée de Pierre Boisson.
Il dirige une encyclopédie consacrée à Madagascar et
publiée en 1947. Un ouvrage lui a été consacré par
Alain Couturier, Le Gouverneur et son miroir. Marcel de Coppet
(1881-1968), Paris, L'Harmattan, 2006, 202 p.
Lamine Gueye (1891-1968)
(tiré de Claude Liauzu (sous la direction de),
Dictionnaire de la colonisation française, op. cit., p.350)
Né au Soudan, Lamine Gueye, après avoir
été instituteur à Dakar devient avocat ; il est
le premier Africain docteur en droit et est représentatif de
l'élite moderne africaine. Il adhère
à la SFIO en 1923, rachète en 1924 le journal
l'AOF, et est élu maire de Saint-Louis en 1925.
Défenseur des tirailleurs du camp de Thiaroye accusés de
sédition et engagé dans les luttes pour la citoyenneté, la
liberté d'association, la suppression de la justice indigène et
du travail forcé, il s'impose politiquement à partir du front
populaire. Elu en 1945 avec Léopold Sédar Senghor pour
représenter le Sénégal à l'Assemblée
constituante, il est alors porte-parole des élus africains. Nommé
sous-secrétaire d'Etat aux colonies dans le gouvernement Blum, il
rapporte le projet de loi supprimant l'indigénat et est élu en
1946 président du Conseil général du
Sénégal. Réélu en 1958 député, il est
élu président du Parlement au sein de la fédération
du Mali puis à l'Assemblée nationale du Sénégal
jusqu'à sa mort en 1968.
Paul Hazoumé (1890-1980)
Né en 1890 à Porto-Novo, il fait ses
études au Sénégal, où il obtient un diplôme
de l'École Normale de Saint-Louis. Instituteur au Dahomey, il participe
au premier journal dahoméen fondé en 1917, Les
Récadères de Béhanzin, avec Louis Hunkanrin. Il
écrit en 1931 << le Pacte de sang au Dahomey >> (Institut
d'ethnologie de Paris) puis il rédige son premier roman en 1935,
<< Goguicimi >>, reconstituant l'atmosphère de la cour de
l'ancien royaume. Homme politique, il a été conseiller
auprès de l'Union française et conseiller territorial au
Dahomey.
Kojo [Codjo] Tovalou Houénou
(1887-1936)
Né au Dahomey, Kojo Tovalou Houénou,
diplômé en médecine et en droit de l'université de
Bordeaux, s'engage dès 1914 dans l'armée française.
Blessé et démobilisé, il s'installe à Paris et se
lance dans la politique. Il se rend en 1921 aux Etats-Unis, au congrès
de l'Universal Negro Improvement Association, le mouvement panafricaniste de
Marcus Garvey. De retour en France, il fonde un journal, Les
Continents, où il proclame son attachement à la France tout
en critiquant les méthodes coloniales, ainsi qu'en 1924 << La
ligue universelle pour la défense de la race noire >> (Ludrn). En
1934, il gifle un confrère au tribunal. Incarcéré à
Dakar, il meurt au cours de sa détention en 1936. L'ancien
président du Bénin, Emile Derlin Zinsou, et un universitaire
béninois, Luc Zouménou, lui ont consacré un ouvrage
publié en 2004 (Kojo Tovalou Houénou. Précurseur,
1887-1936. Pannégrisme et modernité, Maisonneuve &
Larose, Paris, 2004, 235 p).
Louis Hunkanrin (1886 - 1964)
Originaire du Dahomey, Louis Hunkanrin fait partie de la
première promotion de l'Ecole normale de Saint-Louis du
Sénégal qui en sort en 1907. Révoqué de
l'enseignement en 1910, il est condamné a deux reprises pour ses
activités journalistiques (1911 et 1912) et placé en
résidence obligatoire a Dakar. Il devient journaliste, collaborant
régulièrement a La Dépêche coloniale et,
surtout, a La démocratie du Sénégal de Blaise
Diagne dont il devient l'un des proches. En 1914, Louis Hunkanrin revient au
Dahomey où il fonde une section de la Ligue des droits de l'homme, mais
il est de nouveau condamné a de la prison pour ses écrits
dakarois. Toutefois, a la demande de Blaise Diagne, il se fait l'avocat d'une
participation effective du Dahomey au premier conflit mondial. Poursuivant son
action militante, il participe a la rédaction du
Récadère de Béhanzin (1917), puis s'installe a
Paris où il fonde Le Messager dahoméen (1920) avec l'avocat
antillais Max Clainville Bloncourt (qui anime a partir de 1922 l'organe de
presse de l'Union Intercolonial, Le Paria, fondé par Nguyên Ai
Quôc, le futur Hô Chi Minh). Condamné a dix ans
d'internement administratif en Mauritanie, pour sa participation aux «
évènements de Porto-Novo » de 1923, il revient ensuite au
Dahomey où il écrit dans La Voix du Dahomey et il est
condamné a une amende a l'issue du procès contre le journal en
mai 1936. Lors du second conflit mondial, il est déporté au
Soudan français pour « gaullisme ». Après la Seconde
Guerre mondiale Louis Hunkanrin ne participe pas a la vie politique
dahoméenne, bien que son fils Gutenberg dirige brièvement
(1948-1950) la section dahoméenne du Rassemblement démocratique
africain (RDA). Après le décès de Louis Hunkarin en 1964,
des obsèques nationales sont consacrées a celui qui est
considéré comme le « père du mouvement national
dahoméen ».
Joost Van Vollenhoven (1877-1918)
Né a Rotterdam, il passe ses premières
années en Algérie avec ses parents installés comme colons.
Il suit des études de droit a la Faculté d'Alger.
Naturalisé français en 1899, et après un an de service
militaire en 1900- 1901, il intègre l'Ecole coloniale dont il sortira en
1903 avant d'y devenir lui-même professeur en 1905. Administrateur
colonial, il occupe différents postes au ministère des Colonies,
en Guinée, au Sénégal et en AEF. Il devient gouverneur
général de l'Indochine par intérim de janvier 1914 au 7
avril 1915 avant de rejoindre le front en avril 1915 dans le régiment
d'infanterie coloniale du Maroc (RICM). Blessé et cité plusieurs
fois, il est promu sous-lieutenant le 21 mai 1917 et est nommé
gouverneur général de l'AOF a partir du 3 juin 1917. S'opposant a
de nouveaux recrutements de troupes africaines, il démissionne de son
poste le 17 janvier 1918, après
avoir appris l'envoi de la mission Diagne en AOF et en AEF. Il
retourne au front dans le RICM avec le grade de capitaine. Joost Van
Vollenhoven est grièvement blessé le 19 juillet 1918 et meurt le
lendemain.
Albert Londres (1884-1932)
Journaliste engagé, il enquête en 1923 sur la
bagne en Guyane et contribue par son étude Au bagne à sa
fermeture. Il dénonce en 1924 (Dante n'avait rien vu) les
bagnes militaires d'Afrique du Nord ou Biribi, puis les abus dans les colonies
en 1929 (Terre d'ébène), l'exploitation esclavagiste des
Pêcheurs de perles en 1931 dans le golfe Persique.
Présentés sous forme de carnets de voyage, ses reportages, entre
observation et témoignage, ne s'opposent pas au principe colonial
lui-même mais en dénonce les abus.
Marius Moutet (1876-1968)
Membre des étudiants socialistes de Lyon, il devient
avocat et est élu député du Rhône en 1914. Il est
successivement réélu en 1919, 1924, puis dans le
département de la Drôme en 1929. Choisi comme avocat des
indépendantistes en Indochine, il se spécialise dans les
questions coloniales et devient ministre des Colonies de 1936 à 1938. Il
décide alors de la suppression du bagne de Guyane et de l'amnistie des
condamnés politiques en Indochine, assouplit le Code de
l'indigénat en élargissant la liste des personnes
exemptées de l'indigénat et développe une politique
sociale dans les colonies. Marius Moutet nomme également Félix
Eboué gouverneur de la Guadeloupe puis du Tchad. Il prône une
politique d'accès à la citoyenneté plus
généreuse en Algérie, avec notamment le projet de
décret dit « Blum-Violette » ; il souhaite réformer la
justice indigène et développer les commissions d'enquête
dans les colonies « afin de connaître les aspirations
légitimes de nos protégés et de faire rechercher toutes
les mesures aptes à réaliser une politique coloniale largement
humaine et résolution sociale ».Mais ces projets de réforme
sont rapidement abandonnés du fait de l'opposition parlementaire, du
défaut de crédits affectés aux mesures et de la
brièveté du premier gouvernement du Front populaire.
Réfugié en Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale après
avoir refusé de voter les pleins pouvoirs à Philippe
Pétain, il est réélu député de la
Drôme en 1945 et est nommé ministre de la France d'outre-mer de
janvier 1946 à octobre 1947 : « Il négocie d'abord avec
Hô Chi Minh avant d'assumer la guerre d'Indochine, comme il restera
longtemps fidèle à l'Algérie française. Car pour
lui, le pire serait « le déchaînement des forces
incontrôlables » (Claude Liauzu (sous la
direction de), Dictionnaire de la colonisation
française, article << Marius Moutet », op.
cit., p. 484).
William Merlaud-Ponty (1866-1915)
Gouverneur général de l'AOF de 1908 à
1915, il fut notamment chargé du recrutement des volontaires africains
pendant la Première Guerre mondiale. Occupé par
l'éducation, l'Ecole Normale de Dakar prit le nom de William Ponty.
Ernest Roume (1858-1941)
Administrateur colonial français, gouverneur
général de l'AOF du 15 mars 1902 au 15 décembre 1907. Il
succède à Noël Ballay à ce poste, après un
bref intérim de Pierre Capest. Il déplace l'administration
centrale de Saint-Louis à Dakar et le rôle du gouverneur
général de l'AOF se renforce sous sa gouvernance. Ernest Roume
s'intéresse à la construction du réseau de chemin de fer
et sera surnommé l'architecte de l'AOF. Il se trouve au poste de
gouverneur général lors de l'unification du système
judiciaire en AOF en 1903 et sollicite dès 1905 par voie de circulaire
<< la rédaction d'un coutumier général qui deviendra
la règle des tribunaux indigènes ». Malade, il rentre en
France en 1908 et est remplacé par William Ponty en AOF. Il est ensuite
nommé gouverneur général de l'Indochine entre 1914 et
1917, puis assure la présidence d'Air Orient et enfin de la compagnie
aérienne Air France entre 1933 et 1935.
Léopold de Saussure
(tiré de Claude Liauzu (sous la direction de),
Dictionnaire de la colonisation française, op. cit., p.579)
Psychologue (1866-1925). Son livre Psychologie de la
colonisation française dans ses rapports avec les sociétés
indigènes (1899) reprend les thèses de Gustave le Bon et critique
la politique d'assimilation. << Les races n'ont cessé de diverger
depuis leur origine et sont désormais séparées les unes
des autres par des caractères stables anatomiques et mentaux [...].
L'écart mental entre deux races étant évalué
d'après l'écart des civilisations, on peut se rendre compte [...]
qu'il ne suffira pas de quelques générations pour accomplir une
transformation... ». L'assimilation << se heurte dans les
sociétés organisées au respect des traditions et provoque
le mécontentement et la résistance. Bien au contraire, elle
satisfait les intérêts et la vanité des nègres ou
mulâtres de nos anciennes colonies créoles ». <<
Inadaptée, l'assimilation par la loi, par l'école, est impossible
et nuisible ». A la fin du XIXème siècle, les
thèses assimilationnistes reculent sous le choc de ce discours.
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