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Intérêts et enjeux économiques de l'intégration à  l'Union Européenne d'un point de vue turc

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par Benoit ILLINGER
Université Pierre Mendès France (Grenoble II Sciences Sociales) - DEA Economie et Politiques Internationales 2002
  

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2.2 L'explication factorielle

Comme nous l'avons vu, avec l'ouverture extérieure, chaque pays doit se spécialiser dans la production la plus intensive en facteurs relativement abondants et importer la production intensive en facteurs relativement rares. Le théorème Stolper-Samuelson démontre sur cette base que les groupes sociaux propriétaires du facteur abondant ont tout intérêt au libre-échange, tandis que ceux propriétaires du facteur rare seront favorables au protectionnisme.

L'approche factorielle cherche à expliquer la protection48(*) par le comportement des groupes sociaux propriétaires du facteur relativement rare qui vise à la préservation des revenus. C'est une explication en termes de conflits de classe.

Sous sa forme simple à deux facteurs, l'explication ne couvre aucunement l'ensemble des cas de figure possibles dans la réalité. Néanmoins pour parfaire à cette lacune, il existe deux extensions qui ont été mobilisées en plus de cette analyse :

- Une extension politique qui prend en compte les institutions politiques à travers lesquelles se rencontrent les offres et demandes sociétales de protection (et de libre-échange).

- La généralisation économique, qui pour sa part reste dans le cadre de la logique factorielle, consistant à élargir le nombre de facteurs retenus49(*).

Pour comprendre cette approche factorielle, nous allons voir successivement l'analyse de Rogowski qui s'intéresse à la dimension domestique des politiques commerciales puis nous élargirons en exposant succinctement l'analyse de BRAWLEY qui s'intéresse pour sa part, plus à la dimension comparative entre les pays.

2.2.1 Le modèle de Rogowski

ROGOWSKI [1989] tente d'expliquer le choix de la protection ou du libre-échange par le biais de coalisation entre groupes sociaux détenteurs des facteurs rares ou abondants. Dans son modèle à trois groupes, les groupes qui se coalisent imposeront leur volonté protectionniste (s'ils sont détenteurs de facteurs rares) ou libre-échangiste (s'ils sont détenteurs de facteurs abondants) au groupe seul. Ainsi à chaque type de coalition correspond un type de conflit.

Pour mieux comprendre ces coalitions, il compose une maquette permettant d'appréhender les différents types de configurations.

La maquette utilisée originellement par ROGOWSKI retient trois facteurs : capital, travail et terre pour analyser les configurations historiques.

Quand ce sont les facteurs rares qui s'allient face au facteur abondant, la politique commerciale est de type protectionniste. Ainsi à chaque type de coalition, correspond un type de conflits :

- Un conflit de classes quand la terre et le capital sont simultanément abondants ou rares

- Un conflit ville-campagne quand le capital et le travail sont simultanément abondants ou rares.

ROGOWSKI propose par ailleurs, dans la conclusion de son travail l'éventualité d'utiliser une maquette avec d'autres facteurs plus appropriés à la période actuelle qui seraient alors : le capital, le travail qualifié et le travail non qualifié (c'est cette maquette que nous présentons figure 1 ci-dessous). Cette grille d'analyse semble en effet plus pertinente pour la période actuelle car en règle générale la terre est devenue un facteur de production marginal (lorsqu'un pays se modernise, la part de son agriculture dans le PIB et dans l'occupation de la main-d'oeuvre diminue significativement).

Pour des raisons de commodité, nous limiterons l'analyse, comme ce qui est fait en général, à quatre configurations en faisant l'hypothèse qu'un pays ne peut être simultanément riche en travail qualifié et non-qualifié50(*).

En croisant la possibilité que le ratio travail non-qualifié/travail qualifié soit élevé ou faible avec la possibilité pour que le ratio capital/travail non-qualifié soit également élevé ou faible (cas typiques de l'économie dite « avancée » et de l'économie dite « retardée ») nous obtenons quatre configurations.

Ratio Travail non qualifié/travail qualifié

Elevé
Faible
Ratio capital/travail non qualifié

Elevé

(économie dite « avancée »)

I

- Capital et travail non-qualifié abondants (pour ouverture)

- Travail qualifié rare (pour protectionnisme)

Exemple : NPI.

II

- Capital et travail qualifié abondants (pour ouverture)

- Travail non-qualifié rare (pour protectionnisme)

Exemple : France.

Faible

(économie dite « retardée »)

III

- Travail non-qualifié abondant (pour ouverture)

- Capital et Travail qualifié rares (pour protectionnisme)

Exemple : PED.

IV

- Travail qualifié abondant (pour ouverture)

- Capital et Travail non-qualifié rares (pour protectionnisme)

Exemple : Pays de l'Est.

Figure 1 : Types de dotations factorielles dans un modèle de ROGOWSKI à facteurs : travail qualifié, non qualifié et capital.

Si l'on cherche à placer la Turquie, dans cette matrice, fidèle à l'application contemporaine de l'analyse de ROGOWSKI, il semble qu'elle se situerait dans la case III51(*).

En effet il semble que la Turquie soit (comparativement aux autres pays européens52(*)) :

- abondamment dotée en main-d'oeuvre non qualifiée et cette affirmation peut être corroborée par le fait qu'elle en exporte une part importante vers l'Europe comme le rappelle Deniz AKAGüL dans son article sur les migrations de mains-d'oeuvre turques vers le reste du monde53(*).

- non abondamment doté en capital (en confondant les deux types de capital productif et financier) relativement aux autres pays européens. En effet, l'abondance des IDE entrant par rapport à ceux sortant54(*) laisse peu de place aux tergiversations. Si l'on estime que l'abondance (la rareté) du facteur capital se juge au solde de la balance des capitaux, la Turquie avant ouverture de son compte de capital était rarement dotée en capital.

- en ce qui concerne le travail qualifié, juger de son abondance (rareté) est moins aisé. En effet, on constate que d'une part la Turquie voit une certaine fuite de ses jeunes diplômés ou apte à le devenir mais d'autre part il s'avère que les IDE entrants sont souvent accompagnées de main-d'oeuvre qualifiée. Il est difficile de mettre ces faits en balance. Néanmoins en abordant la question sous l'angle de la comparaison entre pays et non plus du solde de la Turquie, il semble que, relativement à la structure des autres pays, la Turquie soit rarement dotée en main-d'oeuvre qualifiée55(*).

Ainsi si l'on se limite à trois facteurs, la Turquie se trouverait dans la position représentée par la case III de la figure 1. Cela signifie qu'il y aurait théoriquement en Turquie une coalition entre capitalistes et travailleurs qualifiés pour le protectionnisme. Et que cette coalition empêcherait la réalisation de l'optimum (le libre-échange intégral) dans une perspective mondiale ou elle empêcherait la réalisation de l'optimum libre-échange régional dans le cas d'une perspective européenne.

Cette affirmation n'est ni entièrement corroborée, ni entièrement infirmée par les faits. En effet la Turquie tente de se diriger vers le libre-échange avec l'Europe mais parfois on peut remarquer qu'elle manque de détermination (voir notamment la période 1970-1980 dans le bref aperçu historique de la Turquie en introduction).

Néanmoins malgré ces hésitations et comme notre bref historique en introduction l'a rappelé, la Turquie a déjà accompli une grande partie de son intégration à l'Union européenne. Aussi il ne semble pas vérifié qu'une coalition travail qualifié-capital ait influé sur le choix de la Turquie. De plus nous sommes à nouveau confrontés au problème soulevé plus tôt entre la préférence théorique des capitalistes et leurs actions concrètes en faveur de l'ouverture.

On peut alors adopter différents types de comportements face à ces résultats :

- Soit on estime que l'analyse à la ROGOWSKI est pertinente pour notre cas mais que la coalition n'a pas eu lieu ou n'a pas eu le poids nécessaire pour influer (on estime qu'il faut juste affiner ces résultats en les complétant par d'autres types d'explications expliquant le non aboutissement des « désirs » de ces groupes) ;

- Soit on applique une matrice avec d'autres facteurs ;

- Soit on rejette ce type d'analyse et on recherche alors d'autres types d'explications.

Pour notre part, nous adopterons le premier comportement et rechercherons à compléter notre analyse.

Nous retirerons tout de même comme enseignement de cette analyse qu'en Turquie les intérêts des capitalistes et des travailleurs qualifiés s'opposent à ceux des travailleurs non-qualifiés (représentent représente, en y incluant les travailleurs non-qualifiés de l'agriculture, la majorité du pays). Et donc que, quelque soit l'issue de l'affrontement, il y aura un des deux groupes lésé et donc on conclu encore une fois que sans redistribution un des deux groupes verra sa situation se dégrader ; on ne s'orientera donc pas vers un optimum parétien.

* 48 Pour notre raisonnement, nous cherchons à expliquer l'ouverture limitée de la Turquie au régionalisme mais notre démarche est identique à celle des théories qui expliquent au départ pourquoi « tout n'est pas du libre-échange ». Nous estimons pour notre part qu'elles expliquent par extension quelles sont les raisons qui poussent dans une direction - dans notre cas le régionalisme - qui est plus ouvert que l'autarcie et moins libre-échangiste que le libre-échange intégral et multilatéral.

* 49 Le nombre de facteurs retenus doit rester inférieur au nombre de secteurs pour que la validité du théorème Stolper-Samuelson persiste. Quoi qu'il en soit, un trop grand nombre de facteurs dilue l'analyse et empêche d'en tirer des conclusions claires. Aussi il semble qu'un modèle à trois facteurs se révèle efficace et suffisant.

* 50 Il est improbable ou alors « transitoire » qu'un pays soit dépourvu ou soit abondant dans les trois facteurs en même temps (LEAMER E. [1984], Sources of International Comparative Advantage, Cambridge, The MIT Press.in PEYTRAL P.-O.[2002]) Par ailleurs on estime qu'il est improbable qu'un pays soit simultanément doté abondamment de travail qualifié et non-qualifié.

* 51 Il est intéressant de procéder à cette analyse pour la suite car il apparaît clairement que la place de la Turquie est représenté par la case III alors que les pays de l'est candidats à l'UE (les PECO) correspondent plus à la case IV. Aussi, ces derniers ne sont donc pas confrontés aux mêmes types de conflits et cela nous met en garde contre les comparaisons trop rapides et simplistes. Par contre la situation du Mexique correspond à la même case, donc la comparaison Turquie/UE - Mexique/ALENA peut-être pertinente dans certains cas.

* 52 Comme notre analyse cherche à trouver les déterminant du choix du libre-échange vis-à-vis de l'UE, la dotation factorielle s'apprécie relativement aux autre pays de l'UE.

* 53 Voir AKAGüL D. [1995] Emigration de la main-d'oeuvre turque : approche économique, Turc d'Europe et d'ailleurs, Institut National des Langues et Civilisations Orientales, Paris.

* 54 A titre d'exemple on notera que durant l'année 1999, la Turquie a effectué à l'extérieur cinq opérations financières (en Albanie, Bulgarie, Roumanie et Italie) alors que sur la même période un des pays européen non réputé pour l'abondance de son capital, la Grèce, en effectuait 18. ( OPPENCHAIM S. [2000])

* 55 On notera pour appuyer le fait que la main d'oeuvre est surtout non-qualifiée qu'en 1995 la Turquie comptait encore parmi sa population environ 28% d'illettrés chez les femmes et 8% chez les hommes et que malgré les efforts accomplis, en août 1997, la durée de l'enseignement obligatoire n'est passé que de 5 à 8 ans.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci