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Intérêts et enjeux économiques de l'intégration à  l'Union Européenne d'un point de vue turc

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par Benoit ILLINGER
Université Pierre Mendès France (Grenoble II Sciences Sociales) - DEA Economie et Politiques Internationales 2002
  

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· Les effets de l'ouverture commerciale sur la répartition des revenus

Le théorème Stolper-Samuelson s'imbrique logiquement à la suite du théorème d'Hecksher-Ohlin. Comme nous l'avons brièvement montré, sous les hypothèses de mobilité parfaite des facteurs entre branches à l'intérieur des pays et d'immobilité totale entre pays, les facteurs de production s'utilisent dans la branche (en croissance) qui utilise relativement plus de facteurs abondants. Dans cette configuration, les prix tendent à évoluer à la hausse pour le facteur abondant et à la baisse pour le rare. Il y a ainsi une modification de la répartition en faveur des possesseurs du facteur relativement abondant au détriment de ceux du rare.

Cette analyse est souvent considérée comme relativement bien adaptée pour traiter de l'échange entre pays inégalement développés.

Dans ce modèle, il existe en effet un lien mécanique entre les dotations factorielles et le niveau de développement dès lors que celui-ci est approché par la productivité du travail. Puisque les techniques de production sont identiques entre pays et que les productivités marginales des facteurs sont considérées comme décroissantes, la plus faible productivité du travail constatée dans le pays en « retard économiquement », s'explique par son utilisation plus intensive dans la production. Cette combinaison plus intensive en travail est cohérente avec un prix relatif moins élevé qui est lui-même la conséquence de sa relative abondance. Une distinction entre travail qualifié et non qualifié nous amène aux mêmes résultats : un pays « moins avancés » comme la Turquie, mieux doté en travail non qualifié que les pays européen « avancés », aura une rémunération de ce facteur initialement plus faible (relativement au prix du travail qualifié ou du capital) ce qui lui permettra de bénéficier d'un avantage comparatif dans les biens utilisant le plus intensément ce facteur. Notons que, théoriquement, la rémunération relative des autres facteurs devrait au contraire être plus élevée dans les pays moins développés comme la Turquie.

Par construction donc, ces approches conduisent à la conclusion que :

« (...) l'ouverture crée davantage de gains mutuels entre pays inégalement développés, qu'entre pays économiquement proches, puisque les réallocations de ressources sont, à priori, plus importantes. » (SIROËN J.-M. [1996], L'intégration entre pays inégalement développés dans la régionalisation de l'économie mondiale. Une analyse comparative, Etude pour le Commissariat Général du plan, novembre, p. 39)

Cette approche est donc relativement bien adaptée à notre cas d'espèce. Néanmoins elle comporte certaines limites lorsque nous l'appliquons à des pays inégalement développés :

- la validité des mécanismes du modèle impliquerait que la hausse de la rémunération du travail qualifié s'accompagne dans les pays développés, d'une hausse de la part du travail non qualifié dans l'ensemble des secteurs. Or, il n'existe pas de preuve empirique de ce mouvement.

- Une autre limite est issue de l'identification même de l'origine des différences entre pays et de leur corrélation avec le niveau de développement. Les écarts s'expliquent-ils par l'abondance relative de la main-d'oeuvre et donc de la population ou par l'inégal accès aux techniques de production ?

De même, des différences dans les fonctions de consommation, vraisemblables dans des pays situés à des niveaux de développements différents influencent les spécialisations dès lors qu'elles contribuent à modifier la structure des prix relatifs. De ce point de vue, la célèbre proposition de LEAMER44(*) : « a pure factor-proportions model would not be very useful for studying the free-trade agreement between Canada and the United States... [but] would capture most of the effects of including Mexico in a North American free-trade area. » pourrait être inverse. En effet le modèle factoriel ne s'appliquerait-il pas mieux entre le Canada et les Etats-Unis qui ont un accès comparable aux technologies et qui ont le même type de consommation mais qui ont comme différence une dotation factorielle initialement différente.

On peut donc conclure que le recours au modèle HOS pour apprécier les relations commerciales entre pays inégalement développés permet certes de mettre en exergue des différences essentielles du type « niveau de qualification de la main-d'oeuvre » mais il doit recourir à des hypothèses formelles fortes et trop peu réalistes.

Revenons à la conclusion générale du théorème en l'acceptant. Elle affirme que les prix tendent à évoluer à la hausse pour le facteur abondant et à la baisse pour le rare provoquant alors une modification de la répartition en faveur des possesseurs du facteur relativement abondant au détriment de ceux du rare.

Le point essentiel à retenir ici pour la suite est le fait que la modification de la répartition des revenus n'est pas seulement relative. Il y en terme absolu une augmentation de la rémunération du facteur abondant et une diminution de celle du facteur rare.

Il y a donc de réelles oppositions d'intérêts qui proviennent de pertes/gains en terme absolu à la suite de l'application du libre-échange. Le libre-échange est donc par nature conflictuel. 

Une fois de plus, pour résoudre ce conflit il est nécessaire d'avoir recours à une redistribution équitable des gains c'est-à-dire à une indemnisation des perdants par les gagnants. Ainsi aucun groupe ne serait perdant au libre-échange car ce dernier, sous les hypothèses habituelles, procure une augmentation réelle du revenu national global permettant donc non seulement d'indemniser les perdants mais aussi d'enregistrer un gain net.

On peut donc considérer que le libre-échange est « optimal au sens de Pareto » sous condition de redistribution.

Néanmoins cette indemnisation compensatoire pose une série de questions politiques : comment faut-il mettre en place les mécanismes distributifs permettant les compromis sociaux ? est-il judicieux de pratiquer l'ouverture si la redistribution des richesses n'est pas appliquée ? La théorie économique ne répond pas à ces questions qui s'éloignent de son domaine de compétence (Kebabdjian [1999]).

« Le problème est celui des choix politiques en démocratie et de la formation d'une volonté collective autour d'un projet commun face à la mondialisation. » (KEBABDJIAN [1999], p. 56.)

Si l'on se focalise à nouveau sur notre cas d'espèce et que l'on observe alors les revenus en Turquie, on constate qu'il existe déjà de grandes disparités45(*). De surcroît les écarts de revenu se ressentent non seulement entre classes sociales mais aussi entre les régions et entre les zones rurales et urbaines. Les écarts portent aussi bien sur le revenu par habitant que sur l'accès aux infrastructures de base (accès à l'eau ou au réseau routier) ou à la santé. À titre d'exemple, on retiendra que lorsque le PNB turc augmentait en moyenne de 22% entre 1987 et 1994, celui de l'Anatolie (voir carte en annexe 1) connaissait une croissance de seulement 10% sur la même période. Le PNB de la région de Marmara était en 1994 alors 3,5 fois plus élevé que celui de l'Anatolie de l'Est et ne cesse depuis de s'accroître. (source : Agenda 2000)

À ces inégalités s'ajoute le fait que le système social de redistribution est peu développé46(*).

En conclusion on retient que selon la théorie, le libre-échange est profitable sous réserve qu'il ne produise pas trop d'inégalités ou que celles-ci soient estompées par l'existence d'un système de redistribution. Or, en Turquie il existe de grandes disparités et aucun système de redistribution digne de ce nom vient entraver celles-ci.

Aussi, on peut conclure que globalement la Turquie à intérêt au libre-échange puisque celui-ci est l'optimum à atteindre. Mais actuellement dans le cas précis de l'ouverture turque qui crée certainement des disparités encore accrues (qui ne semblent donc pas à première vue être compensées par des systèmes redistributions), on peut se demander si celle-ci est réellement optimale ?

Si ce n'est pas le cas alors qu'est-ce qui la motive ? Cette démarche se réalise-t-elle au profit et au détriment de qui ? De quel groupe social47(*)?

Pour répondre à ces questions nous allons étudier dans la section suivante « l'économie politique du protectionnisme » qui cherche à expliquer les déterminants du choix entre protection et ouverture.

* 44 LEAMER [1993] in SIROËN [1996], p. 39.

* 45 Comme nous l'avons déjà souligné en foot-note n°38 p. 29.

* 46 A titre d'exemple, on relève que le gouvernement turc a des dépenses de santé publique et d'éducation qui représentent environ 6% du PNB. Ces dépenses permettent de couvrir par le régime de sécurité sociale à peine plus de la moitié de la population active. (chiffres issus de l'Agenda 2000). De surcroît, sous la pression du FMI, auquel la Turquie est largement redevable, l'Etat providence déjà faible, tend encore à réduire son rôle.

* 47 Un groupe social désigne tout ensemble d'individus formant une unité sociale durable, caractérisée par des liens internes - directs ou indirects - plus ou moins intenses, une situation et/ou des activités communes, une conscience collective plus ou moins affirmée (sentiment d'appartenance, représentations propres) ; cette unité est reconnue comme telle par les autres. (C.-D. ECHAUDEMAISON [1993] Dictionnaire d'économie, Nathan.)

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