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L'estime de soi dans la philosophie de Kant

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par Thomas Giraud
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master 2 Recherche 2010
  

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2.1.2. Estime de soi et présomption

Peut-on à partir des analyses précédentes conclure que, l'estime de soi semblant s'opposer à l'humilité, celle-là ne joue aucun rôle dans la vie morale ? On prendra garde à ce stade à ne pas émettre de jugements hâtifs. Paradoxalement, Kant n'oppose pas toujours l'estime de soi au sentiment d'humilité, ou, du moins, il n'oppose pas une certaine estime de soi à un certain sentiment d'humilité. Il est même une forme de l'estime de soi qui est liée nécessairement à un sentiment d'humiliation, à tel point que Kant définit la première par le second : « L'humilité, d'une part, et la fierté noble et véritable,

d'autre part, sont les éléments d'une estime de soi (Selbstschätzung) bien
ordonnée »84. C'est que l'humilité entre dans la composition d'une estime de soi

« modérée » par l'humilité devant la loi. Comment comprendre donc que la détermination morale puisse à la fois sacrifier et tolérer l'estime de soi ? La solution de cette apparente contradiction réside dans une distinction.

La Critique de la raison pratique distingue, nous l'avons vu, une tendance à l'estime de soi dans laquelle nous érigeons tels désirs en lois et où, conséquemment, nous sommes satisfaits de nos actions lorsque celles-ci satisfont

ces désirs. Kant nomme cette tendance ou l'estime de soi qui en résulte
« présomption », ou encore « satisfaction de soi-même (arrogantia) »85. Dans la

présomption, nous prétendons avoir une valeur en ne considérant que la satisfaction de tel ou tel désir érigé en loi, hors de toute considération de la conformité ou de la non-conformité de l'intention avec la loi morale : nous élevons des « prétentions de l'estime de soi-même, qui précèdent la conformité de

la volonté à la loi morale »86. Or, « la condition de toute valeur de la personne »87 réside précisément dans cette conformité. C'est le sens de la célèbre phrase qui ouvre la Première section des Fondements de la métaphysique des moeurs, où Kant explique que « il n'est rien qui puisse sans restriction être tenu pour bon, si ce n'est seulement une BONNE VOLONTE ». La bonne volonté est la seule chose absolument bonne parce qu'elle est la « condition suprême de tout le reste »88, commente J. Barni : elle est la condition à moins de laquelle une chose ne peut être dite moralement bonne. Or la bonne volonté n'est autre que celle qui agit en vue de l'observation de la loi morale, celle dont l'intention est morale. On comprend pourquoi les prétentions de la présomption sont considérées comme illégitimes devant le tribunal de la loi morale : « toutes les prétentions de l'estime de soi-même (...) sont nulles et illégitimes »89. Pour qu'une prétention de l'estime de soi soit jugée légitime, il faudrait précisément que soit considérée l'intention de la volonté dans sa conformité à la loi, dans sa moralité : « la certitude d'une intention conforme à cette loi est précisément la première condition de toute valeur de la personne »90. Or, c'est précisément ce qui n'est pas considéré dans les prétentions de la présomption. Ses prétentions étant délégitimées, la présomption ne peut trouver d'accès dans notre esprit : la loi morale, comme principe de détermination, va bien jusqu'à « terrasser entièrement »91 la présomption.

Cette forme de l'estime de soi-même que nie la loi morale, c'est précisément celle que nous avons appelée l'estime de soi pathologique. Kant

86 CrPr, p. 697

87 CrPr, p. 697

88 Barni (1851), p. 10

89 CrPr, p. 697

90 CrPr, p. 697

91 CrPr, p. 697

définit le sentiment pathologique comme celui qui est « reçu par influence »92 sensible, c'est-à-dire celui qu'on éprouve parce que le sentiment (comme faculté) a été affecté par un objet quelconque, indépendamment de toute action de la loi sur la volonté. Il s'oppose au sentiment pratique, c'est-à-dire celui qui est possible par une détermination objective de la volonté, par la détermination de la volonté par un principe objectif de la raison. Autrement dit, est pratique ce qui dépend de la libre activité de la raison. L'estime de soi pathologique est la satisfaction de soi que l'on éprouve lorsque la représentation de tel objet a affecté notre sentiment de plaisir et de peine, et non le sentiment qu'on éprouve parce que notre volonté a été déterminée librement par la loi morale. Elle s'identifie donc bien à la présomption telle que nous l'avons définie plus haut. Sous cette forme, l'estime de soi ne peut avoir aucune place dans la moralité, sinon celle d'un obstacle que l'agent moral doit surmonter.

Mais nous avons vu qu'il était possible de concevoir la forme pratique d'un sentiment. Est-ce le cas avec l'estime de soi ? Si c'était le cas, il y aurait alors une estime de soi pratique. Nous ne voulons pas parler cette fois de l'estime de soi pratique dont nous avons vu dans la section 1.2.1 qu'elle correspondait à une certaine manière d'agir et qu'elle constituait un devoir de l'homme. Nous voulons parler d'une estime de soi au sens pratique que nous avons défini au paragraphe précédent, celle qui doit résulter de la conscience du caractère moral de notre action et qui donc « ne repose que sur la moralité »93. On peut déjà pressentir que, du point de vue kantien, il existe bien un tel sentiment, puisque nous avons déjà rencontré une forme « bien ordonnée » de l'estime de soi, celle que modère l'humilité morale comme humiliation produite par la loi morale. Cette estime de

soi sensible est-elle pratique ? Et fait-elle plus qu'être l'effet passif de l'influence

de la loi morale sur notre volonté ? Joue-t-elle un rôle actif dans la production de la moralité ? Nous traiterons cette question dans notre section 2.2.1 sur le rapport entre l'estime de soi et le mobile moral.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus