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La condition de l'épuisement des voies de recours internes devant la Commission africaine des Droits de l'Homme et des peuples

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par Josep Martial ZANGA
Université Yaoundé II Cameroun - Diplôme d'études approfondies en droit international et communautaire 2008
  

Disponible en mode multipage

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DEDICACES

A mes parents,

NIEME ZANGA Denis,

MINX° Germaine.

Trouvez ici C~aurore des moissons,

De vos sacrifices ensemencés.

'line gratitude, pour votre soCCicitu de 'line béatitu de de vos expectations,

'lin encouragement pour votre ministére.

REMERCIEMENTS

R&diger la page de remerciements est toujours un exercice difficile. Tellement de rencontres et de personnes contribuent en effet a faire de nous ce que nous sommes.

Ma profonde gratitude s'exprime:

Au Professeur Jean-Louis ATANGANA AMOUGOU' qui m'a propos& ce sujet et a accept& de diriger cette recherche malgr& ses plurielles occupations. Pour sa sollicitude' sa rigueur' la qualit& de ses contributions et son sens du magister.

Au Professeur Bernard Raymond GUIMDO' qui m'a &veill& a la recherche et n'a pas m&nag& son conseil a mon endroit.

Au Professeur Alain Didier OLINGA' pour m'avoir permis de puiser dans sa riche exp&rience en Droit International des Droits de l'Homme.

A l'ensemble de mes Enseignants de DEA Droit International Public et Communautaire.

A mon pere NLEME 2ANGA Denis et ma mere NLEME Germaine n&e MINKO' qui m'ont initi& depuis ma tendre enfance a la religion du travail et au culte de l'excellence' qui ont cru en moi et l'ont manifest& en assurant chaque ann&e mes frais de scolarit& et les charges connexes.

Au Docteur Doreen BRADY WEST' a Maitre DISSAKE Dorette' au Colonel OYONGO Francois' a Mme MOFIRE Lucie et M. NJOYA Israel' qui sont depuis de longues ann&es mon soutien et ne cessent de sacrifier a l'autel de ma r&ussite.

A Roger Emmanuel LINGOM' St&phan BANGOUB' Patrick NDJOMNNANG' Willy ENDAMEYO' Sandrine NJEUNGA' Jeanne Mercise OBOUNOU AMOUGOU' amis de destin&e' sans vous rien de ce qui est aujourd'hui ne serait possible.

A Mme BOMBANG Marie qui a accept& de relire le manuscrit.

A tous mes camarades de promotion de DEA Droit International Public et Communautaire' particulierement' Carole NOUA2I et Ghislain BOMBELA MOSOUA pour les &changes enrichissants.

Je remercie Dieu' le Pere des lumieres' de qui je tiens l'etre' le mouvement et l'&tincelle de l'&rudition' pour la richesse de sa faveur' l'huile de sa grace' constante et incontestable dans mes existences.

AVERTISSEMENT

L'Université de Yaoundé II n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans le présent mémoire. Ces opinions devront être considérées comme propres à leur auteur.

LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES

AFDI : Annuaire Français de Droit International

AHRLJ : African Human Rights Law Journal Art : Article

CEDA : Centre d'Edition et de Diffusion Africaines

CEDH : Cour Européenne des droits de l'Homme

CEDIC : Centre d'Études et de Recherche en Droit International et Communautaire

CIRDI : Centre international de règlement de différends relatifs aux investissements CIJ : Cour Internationale de Justice

CPJI : Cour Permanente de Justice Internationale

CDH : Comite des Droits de l'Homme

Charte : Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.

Com : Communication

Commission : Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. Conf : Confère

Cour africaine : Cour africaine des droits de l'homme et des peuples.

DIP : Droit international public

DUDH : Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

EJLS : European Journal of Legal Studies

FIDH : Fédération Internationale des Droits de l'Homme

JCL : Journal of Criminal Law

IRIC : Institut des Relations Internationales du Cameroun.

LGDJ : Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence

OACI : Organisation de l'Aviation Civile Internationale

ONG : Organisation Non Gouvernementale

ONU : Organisation des Nations Unies

OUA : Organisation de l'Unité Africaine

PIRDCP : Pacte International relatif au Droits Civils et Politiques PIRDSE : Pacte International relatif au Droits Sociaux et Économiques

PUF : Presse Universitaire Française.

RADDH : Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme RASJ : Revue africaine des sciences juridiques

RCEI : Revue camerounaise d'études internationales RIEJ : Revue Interdisciplinaire d'Études Juridiques. RGDIP : Revue Générale de Droit International Public

RJ PIC : Revue Juridique et Politique Indépendance et Coopération

RTDH : Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme
R.UDH : Revue Universelle des Droits de l'Homme.

TANU : Tribunal Administratif de Nations Unies

UA : Union Africaine

UIDH : Union Interafricaine de Droits de l'Homme

UNESCO : Organisation des Nations Unies pour la Science et la Culture

SOMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE 1

PREMIERE PARTIE : LA REAFFIRMATION D'UNE DEFINITION 21

FONCTIONNELLE DE LA REGLE

CHAPITRE I : LA GARANTIE DU PRINCIPE DE LA PRIMAUTÉ DE LA 23

PROTECTION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME

Section 1 : Une consécration tacite du principe de la souveraineté des États 23

Section 2 : Une présomption et une incitation indirecte à l'effectivité des droits de 39 l'homme dans l'ordre juridique interne

CHAPITRE II : LA SAUVEGARDE DU PRINCIPE DE LA SUBSUSDIARITÉ 51 DE LA PROTECTION INTERNATIONALE DES DROITS DE L'HOMME

Section 1 : Une prise en compte de la subsidiarité des recours internationaux 51

Section 2 : Une prise en compte des contraintes du règlement international 64

75 77 77 85

100

101

SECONDE PARTIE : L'AFFIRMATION D'UNE DEFINITION MATERIELLE DE LA REGLE

CHAPITRE I : L'EDICTION RESTRICTIVE DES CRITERES D'APPLICATION DU PRINCIPE

Section 1 : le critère formel : le contrôle systématique de l'épuisement des voies de recours interne

Section 2 : Les critères matériels : la disponibilité, la satisfaction et l'effectivité des recours à épuiser

CHAPITRE II : L'ENONCIATION NON LIMITATIVE DES CIRCONSTANCES D'EXCEPTION

Section 1 : Les exceptions relatives aux circonstances exceptionnelles d'ordre politique et juridique

Section 2 : Les exceptions relatives aux circonstances personnelles du requérant 113

CONCLUSION GENERALE 122

BIBLIOGRAPHIE 126

ANNEXE 145

TABLE DES MATIERES 187

RESUME

Depuis plus de deux décennies, la Commission Africaine des droits de l'homme et des peuples oeuvre à assurer aux populations africaines, l'effectivité des droits que leur confère la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Dans un contexte marqué par l'instabilité de la règle de droit, la précarité des institutions judiciaires et les ingérences politiques dans la pratique juridictionnelle, la règle de l'épuisement des recours internes, consacrée par l'art. 56(5) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, semble être un obstacle insurmontable pour les victimes qui réclament justice devant l'organe de Banjul.

La présente étude relève les difficultés de la pratique de la justice en Afrique et, le rôle de coordination et de conciliation, que la Commission assure dans ce domaine. En effet, pour éviter le déni de justice, la Commission a opté pour une interprétation téléologique et une application in situ de la règle.

Entre nécessité et flexibilité, la Commission a élaboré à travers sa riche jurisprudence une véritable définition fonctionnelle et matérielle qui guide désormais sa pratique de la règle. En dépit de quelques novations, cette définition s'harmonise parfaitement avec l'ensemble de la pratique de la règle devant les mécanismes universels ou régionaux des droits de l'homme. Elle rappelle aux justiciables demandeurs, qu'il revient d'abord aux États d'assurer la réalisation et le redressement des violations des droits humains. Il n'est meilleure protection en matière des droits de l'homme que celle assurée par l'État. Cette position est respectueuse de la structure de l'ordre juridique international, de son droit, ainsi que des récents développements qui y sont advenus. En effet, aux États ainsi mis en confiance, l'organe conventionnel souligne de manière péremptoire l'obligation qui leur incombe de garantir, l'efficacité des recours, aux risques de voir leur responsabilité internationale engagée.

Mots clés: Règle, recours internes, recevabilité, droits de l'homme, procédures, réparation, subsidiarité, exception, contrôle, effectivité, efficacité, règlement, justice.

ABSTRACT

Since more than two decades, the African's human and peoples rights works to ensure that African population enjoys effectively the right acknowledged to them by the African Charter of human and people's rights. In a context where the rule of law is unstable, where judicial institutions are substandard and under the influence of politics, the local remedies exhaustion rule, provided by art 56(5) of the Charter, seems to be a hindrance to victims who claim justice to the Banjul organ.

The current survey highlights the difficulties in the practice of justice in Africa and the role of coordination and conciliation that the Commission is playing in this domain. In fact, to avoid a denied of justice the Commission has opted to a finalistic interpretation and an application in situ of the rule.

Between necessity and flexibility, the Commission has constructed trough its rich jurisprudence a genuine functional and substantive definition that guides its practice of the rule. Despite some innovations this definition well harmonizes with others universal and regional institutions practice of the rule. This definition reminds the requester that it is primary to States to supplied remedies to human's rights violations. The best protection as far as human rights are concerns is of States. Such a position line up with the international juridical order, its law and the recent developments that had occurred in this realm. As a matter of fact, to the now confident States, the conventional organ firmly updates their duty to guaranty the efficiency of the local remedies, on plausibly to see their international liability undertaken.

Key words: Rule, local remedies, admissibility, human rights, procedure, remedies, subsidiarity, exception, control, effectiveness, efficiency, settlement, justice.

INTRODUCTION GENERALE

La place de l'individu en droit international fait l'objet d'un débat récurrent et la question reste d'actualité. Ce qui par contre ne fait aucun doute, c'est que sa prise en compte par ce droit a été facteur d'évolution voire de révolution. La raison est que son avènement dans la société internationale s'est fait par le vecteur d'une notion très féconde, qui s'est imposée à l'ensemble des domaines des relations internationales. Les droits de l'homme puisqu'il s'agit d'eux, sont nés sur le champ des idéologies, et renvoient à des idéaux ayant donné lieu à des combats politiques. Ils peuvent se définir comme étant à la fois, « des droits individuels, naturels, primitifs, absolus, primordiaux ou personnels. Ce sont des facultés, des prérogatives morales que la nature confère à l'homme en tant qu'être intelligen1. Cette conception ancrée dans le jus naturalisme, avait déjà fait l'objet d'une théorisation par les théologiens espagnols de l'école de Salamanque. Francesco de Vitoria (1483-1546) à travers les principes de droit naturel qu'il a formulé et son oeuvre contre la colonisation des Indiens par les Portugais et les Espagnols, avait démontré que les droits naturels de l'individu sont opposables aux États. Une telle approche qui plaçait déjà l'individu comme potentiel sujet de droit international, s'est trouvée minorée par la doctrine souverainiste dominante. Quatre siècles plus tard, notamment en 1948, sans pour autant renouer avec le jus naturalisme, les droits de l'homme deviennent des normes au sens le plus juridique du terme. Entendus comme l'«ensemble des droits et libertés fondamentales inhérents à la dignité de la personne humaine et qui concernent tous les êtres humains »,2 les droits de l'homme vont rentrer dans le dispositif normatif, c'est-à-dire intégrer le droit positif. Cette mutation fondamentale consistait à reconnaître aux individus de véritables droits subjectifs et à considérer comme fautive la violation de ses droits par l'État. Elle constitue donc une évolution du droit international jusqu'alors strictement interétatique.

L'autre révolution résulte de la prise en charge institutionnelle dont les droits de l'homme ont fait l'objet. Cette avancée est d'autant plus significative qu'elle s'opère dans le domaine de la justice internationale où les États sont exclusivement, sinon principalement les justiciables.

1Hersch (J),« Le droit d'être un Homme »Anthologie mondiale de la liberté, JCL, UNESCO, 1990, p.129. 2Salmon (J), Dictionnaire de droit international public, Bruylant, Bruxelles, 2001, p.396-397.

Au sens du droit international classique, les différends entre personnes privés et l'État sont des différends intra-étatiques, donc en principe irrecevables devant les juridictions internationales. Le principe est infléchi lorsque la personne privée en question est le national d'un autre État ; alors, ce type de différend peut provoquer la naissance d'un différend interétatique, par le jeu de la protection diplomatique, au demeurant, institution coutumière très ancienne du droit international.3 Cette pratique introduisait déjà pour les individus, la possibilité d'un accès indirect à la justice internationale. Toutefois, ce n'est qu'après la seconde guerre mondiale, dans les hypothèses du règlement des litiges économiques internationaux, et du contentieux international des droits de l'homme, que l'individu accède de façon immédiate à la juridiction internationale.

La reconnaissance des droits de l'homme proclamée au plan universel avec l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, a donné lieu dans le cadre régional européen et interaméricain à la mise en place d'un appareillage normatif et institutionnel. Du point de vue normatif, il s'agit des Conventions européenne et américaine des droits de l'homme. Le cadre institutionnel, quant à lui, renvoie aux mécanismes de contrôle, notamment la Commission européenne des droits de l'homme, aujourd'hui, Cour européenne des droits de l'homme et la Commission interaméricaine des droits de l'homme, à laquelle s'est ajoutée, la Cour interaméricaine des droits de l'homme.

Ce schéma a été reproduit en Afrique, puisque les États africains ont adopté dans le cadre de l'OUA, une convention multilatérale, ouverte à la signature et à la ratification des membres : La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Celle-ci constitue, comme en témoigne le professeur Paul Gérard Pougoué, « un point de non retour et un espoir pour l'avenir4A la différence des instruments de même nature, le texte panafricain est un carrefour tant pour les traditions positives et la modernité que pour les droits individuels et les droits collectifs. Elle s'affirme comme étant le consensus entre l'universalité des droits de l'homme et les spécificités africaines, ainsi que permet de le voir un regard croisé des §5 et §10 du préambule.

3Voir affaire des concessions Mavromatis en Palestine, arrêt du 30 Août 1924, CPJI, Ser A, n°2...C, n°5-I, p.637. 4Pougoue (P.G), « Lecture de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples », Droits de l'homme en Afrique centrale, Acte de colloque de Yaoundé 9- 11 Nov. 1994 UCAC- Karthala. Yaoundé, Paris 1996, p. 31

Par ailleurs, la proclamation des droits de l'homme en Afrique a été conjointe à la prévision des mécanismes institutionnels, gardiens de l'effectivité desdits droits. Il ne pouvait en être autrement, puisque la pratique révèle comme l'écrit le Professeur Frédéric Sudre que « la justiciabilité de la règle conditionne l'efficacité de la garantie et de la sanction » et qu' « aucune protection internationale des droits de l'homme ne peut sérieusement être mise en oeuvre si elle ne s'accompagne pas de mécanismes juridictionnels appropriés. »5Il revient donc aux institutions juridictionnelles de veiller à la mise en oeuvre des dispositions consacrées. Cette mission incombe, au premier plan, aux juridictions nationales. En réalité, la justice interne est le lieu par excellence où les victimes des violations des droits de l'homme doivent réclamer le respect de leurs droits et la réparation des préjudices subis. La justice interne est « la pierre angulaire » de la protection des droits de l'homme dans une société démocratique. Elle est suppléée dans cette charge par les juridictions internationales qui ne peuvent être saisies qu'en cas d'échec du règlement interne. C'est ce postulat qui justifie le caractère classique dans les Conventions de droits de l'homme, de la condition d'épuisement des voies de recours internes. L'article 56(5) de la Charte africaine de droits de l'homme et des peuples dispose inter alia « Les communications visées à l'article 55 reçues à la Commission et relatives aux droits de l'homme et des peuples doivent nécessairement, pour être examinées, remplir les conditions ci-après : (...) Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d'une façon anormale ». Celle-ci est la seule condition de recevabilité commune aux deux types de communications que sont les communications interétatiques6 et les « autres communications »7. Cette règle est appelé à s'appliquer aux requérants dans un contexte africain particulièrement délicat,

A - CONTEXTE DE L'ÉTUDE

Les obstacles à l'accès à la justice et à sa bonne administration caractérisent à suffisance la crise de l'État de droit en Afrique. Trois points de vue permettent de le signifier. Il s'agit respectivement du contexte politique, juridique et social.

5Sudre (F), Droit international et européen des droits de l'homme, 3e Edition, Paris, PUF, 1997, p. 13.

6 Art 50 Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, art 90 [2(d)], 93[2(b)], 97(c) Règlement intérieur de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.

7 Art 55, Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, art 104(f) Règlement intérieur de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.

Sur le plan politique, Il est en effet facile de constater que la crise de la démocratie a transformé l'Afrique en un vaste champ de bataille. Actuellement, il y a plusieurs foyers de tension avérés ou potentiels. Ces conflits armés qui affectent 15 pays soit le tiers du continent,8 menacent la paix et la sécurité dans leurs sous régions respectives avec des risques d'extension dans les pays voisins. Les conséquences sont plurielles et ont pour dénominateur commun la violation des droits humains.9

Que ce soit en période de conflit ou de post-conflit, le contexte d'urgence, provoqué, hypothèque l'administration d'une justice équitable. Les réfugiés et les personnes déplacées rencontrent des obstacles parfois insurmontables pour accéder à la justice. De plus, les régimes militaires qui arrivent au pouvoir à la faveur d'un coup d'Etat ont l'habitude de suspendre certaines compétences des tribunaux. A l'occurrence, la pratique des clauses dérogatoires dans le droit interne a, pendant près d'une décennie, occasionné une situation au Nigeria où il semblait ne pas avoir de justice disponible. Cette pratique au Nigeria comme en Gambie, au Soudan en Mauritanie s'est compliquée avec de violations graves des droits de l'homme tel qu'il a été observé au Bénin, au Tchad, au Togo au Malawi au Zaïre.

L'état actuel des droits de l'homme en Afrique rend compte de violations constantes et flagrantes des droits constitutionnellement proclamés. Ces violations vont s'installer, par leur

8 Les droits de l'homme en Afrique : Rapport 2004-2005 Union interafricaine des Droits de l'Homme (UIDH), p.12.

9 D'une part, les conflits armés entraînent un drame humanitaire. Ils favorisent la prolifération des armes légères, le développement du grand banditisme, de la criminalité transfrontalière et du mercenariat sources s'insécurité pour les populations. Ainsi plus d'un million de personnes ont perdues la vie lors du génocide rwandais en 1994 les femmes et les enfants en particulier sont exposées aux violences sexuelles ; les prises d'otage et le recrutement d'enfants soldats sont des pratiques fréquentes. En même temps, ces crises occasionnent des déplacements massifs de populations. Le Sénégal à l'instar des autres pays d'Afrique et conformément aux instruments régionaux et internationaux, accueille sur son sol des réfugiés en provenance du Libéria, de la Sierra Léone, du Rwanda, du Burundi etc. Ces personnes déplacées et autres réfugiés sont très souvent victimes de violations graves et systématiques des droits de la personne dans leur Etat où régions d'accueil. Les conflits armés représentent un des périls majeurs pour la démocratie, l'État de droit et les droits de l'homme en Afrique.

D'autre part, les conflits armés qui ravagent le continent conduisent très souvent les protagonistes des Etats concernés à brader les ressources naturelles pour s'équiper en armement, mettant ainsi à nu des fonds qui auraient pu servir pour renforcer l'économie, l'éducation, la santé, etc. Ils sont aussi obligés de s'endetter et de subir par la même occasion les pressions des multinationales qui les ont aidés à s'équiper. L'économie des Etats est ainsi fragilisée et les droits de la personne humaine tels que l'alimentation, le droit au développement, sont compromis. Cette situation est lourde de sens dans les Etats en situation de post conflits comme en Angola, au Mozambique, au Liberia, en Sierra Leone, au Rwanda, au Burundi, au Congo-Brazzaville, en Guinée Bissau etc.

étendue et par leur constance parce qu'elles n'épargnent aucune catégorie de droits. Cinq ordres d'arguments sont convoqués pour justifier cette situation : la nécessité de la construction nationale10, la spécificité du pays résultant d'une longue guerre, la jeunesse de la démocratie, la sauvegarde des institutions républicaines, le développement de l'économie. Les institutions républicaines vont être largement perverties pour cette besogne.

Sur le plan juridique, il est facile de constater qu'en Afrique, la pratique quotidienne de la justice révèle sa forte dépendance à l'autorité politique. Cette institution est sinistrée parce ce qu'elle semble ne pas toujours être un véritable pouvoir. Il a été observé au sujet des garanties normatives qui assurent la séparation des pouvoirs que, « (...) dans la plupart des pays d'Afrique noire francophone, les codes et les constitutions clef en main ne sont bien souvent que des façades destinées à l'extérieur (le retour à l'envoyeur !). »11. Ce qui conduit à un contexte où les mutations de l'ordre politique, se manifestent par l'instabilité de la règle de droit de sorte que le fondement juridique du pouvoir politique change au rythme du changement des hommes, et l'ordre juridique paraît subir les caprices des saisons. « Des constitutions sont élaborées, abrogées" et remplacées. » alors même qu' « elles comportent toutes l'affirmation des mêmes principes au service d'un même idéal de progrès dans l'ordre et la liberté. ».12 Il faut convenir avec le Professeur Atangana Amougou, que de nos jours encore, les révisions constitutionnelles « participent souvent de la volonté des gouvernants d'en faire un usage instrumental, généralement tourné vers un renforcement de leur attributions. Les dernières révisions constitutionnelles en Afrique s'inscrivent dans cette logique. »13. Il en résulte que le fonctionnement de l'institution judiciaire ne donne pas toujours cette belle image de « dame justice » qui châtie les coupables, acquitte les innocents, répare les torts, lave l'honneur bafoué des plaignants, sanctionne l'arbitraire et les injustices. Elle apparaît plutôt dominée par le pouvoir exécutif et les puissants qui la manipulent et l'utilisent pour écraser leurs adversaires et

10 Kamto(M) Pouvoirs et droit en Afrique, LGDJ, 1987 ; voir également, Atangana Amougou (J-L), L'Etat et les libertés publiques au Cameroun, Essai sur l'évolution des libertés publiques en droit camerounais. Thèse de droit Université Jean moulin Lyon 3,1999.

11Nambo (J), « Le droit et ses pratiques au Gabon », KUYU Camille (éd.), Repenser les Droits africains pour le XXIème siècle », Yaoundé, Menaibuc, 2001, pp.89-104.

12Kouassigan (G.A), Quelle est ma loi ? Tradition et modernisme dans le droit privé de la famille en Afrique noire francophone, Lyon, Éditions A, Pédone, 1974, p.202.

13 Atangana Amougou (J-L), « Les révisions constitutionnelles dans le nouveau constitutionalisme africain », Politea, n°7, 2005 p.608. ATANGANA AMOUGOU (J-L) « Rigidité Instabilité constitutionnelle dans le nouveau constitutionalisme africain», Afrique juridique et politique, Vol 2, n°2, Juil-Dec.2006, pp. 42-87.

les faibles. La dépendance des institutions judiciaires du pouvoir politique constitue une menace sérieuse pour une meilleure garantie des libertés individuelles et collectives car c'est le pouvoir judiciaire qui est gardien des droits et libertés définis par la Charte et repris par les constitutions. Cela passe nécessairement par la garantie de l'exécution des décisions de justice.

Sur le plan social et culturel, Le transfert de l' « État de droit » occidental14 et de la vision du monde qui le sous-tend démontre pleinement « l'exogénéité de la justice »15tel qu'instituée en Afrique. Cela se manifeste par la carence des demandes en justice comparativement aux violations des droits. Le fossé entre les offres et les demandes de justice pose problème par sa permanence et son intensité avec des origines plus profondes tel qu'en témoigne le Doyen Kamto lorsqu'il observe que « si l'on considère que la culture des sociétés africaines traditionnelles est dominée par le souci de préserver la cohésion et l'harmonie du groupe, c'est-à-dire par les valeurs collectives, alors que la culture occidentale tourne autour de la préservation des valeurs individuelles, on peut dire que la coexistence ou la superposition des deux cultures dans les États africains indépendants renvoie à une opposition des conceptions de la fonction sociale de la Justice dans ces pays : opposition entre l'équité et le glaive, entre l'esprit de la conciliation et l'esprit de combat. »16 La justice moderne est certes présente. Elle déploie ses mécanismes et ses méthodes, mais force est de reconnaître qu'elle ne réussit pas à s'intégrer dans les mentalités et ne touche finalement qu'une infime partie des populations souvent décrites comme « occidentalisée ». Certes le règlement à l'amiable est reconnue et encouragé par la justice moderne. Il y'a néanmoins une telle crise de la justice moderne au point où le justiciable préfère subir le préjudice plutôt que de saisir des juridictions auxquelles il n'a pas confiance au risque du déni de justice entre autres caractéristiques de la crise de l'État de

14Du point de vue de l'histoire il y'a lieu de dire qu'il existe une contradiction fondamentale entre la conception de la justice dans l'Etat moderne et sa caractérisation au sein des civilisations de l'Afrique traditionnelle. En Afrique traditionnelle l'administration de la justice ce fait par le biais de la « juridiction de la parole » à travers le procédé de la palabre. Il ne s'agit pas de répartir tort et raison à travers l'application de normes générales et impersonnelles par une instance tierce et supérieure, mais de négocier, lors du processus de palabre, un compromis qui puisse rétablir une harmonie entre toutes les parties concernées. Il ne s'agit pas de s'en remettre à un tiers, de se soumettre à la pyramide judiciaire et d'en attendre une solution. La solution revêt de l'autorité non pas parce qu'elle est imposée par une autorité légitime, mais parce qu'elle se dégage dans la négociation entre tous les acteurs concernés et en vertu d'un idéal partagé par tous, celui de rétablir l'harmonie sociale troublée. Cet objectif prime même celui de l'exigence de vérité. Voire Bidima (J-G), La palabre. Une juridiction de la parole, France, Éditions Michalon, Col. Le bien commun, 1997, p.8.

15Leroy (E), « Contribution à la refondation de la politique judiciaire en Afrique francophone à partir des exemples maliens et centrafricains », afrika Spectrum n° 32, 1997, p.312.

16Kamto (M), « Une justice entre tradition et modernité », Afrique Contemporaine, 4e trimestre, n° 156 (spécial) 1990, p.58.

droit. Pour Michel Alliot, « des sociétés africaines, trop réalistes pour admettre les mythologies européennes, nous donnent une grande leçon. Elles ne font pas confiance au droit de l'État pour garantir les individus et les groupes contre l'État : elles tiennent pour illusoire l'image occidentale du droit de l'État conquis sur l'État par les individus auquel il assurerait les garanties fondamentales. Elles comptent bien plus sur les solidarités de groupe, la structure sociale, la diversité et l'interdépendance des pouvoirs, le droit non étatique. (...) Le droit n'a point de force par lui-même. Il a besoin des hommes ».17

Par ailleurs, les justiciables en Afrique sont très souvent ignorants de leurs droits, et partant, des différents recours qui leurs sont ouverts.

Que dire du grand nombre de justiciables qui vivent en zones rurales où des familles sont privées illégalement de leurs terres et de leurs moyens d'existence sans annonce préalable, sans compensation ni relogement, où les veuves sont déshéritées par leur belle famille qui s'approprie les biens du mari décédé ? L'État africain a le plus souvent éprouvé de grandes difficultés à garantir l'existence de mécanismes de justice, et en permettre l'accès. Pour les rares cas dont les besoins en termes de justice reçoivent quelque attention, la signification même de la justice est incertaine, son contenu varie d'une place à l'autre et le rendu de la justice dépend inévitablement de l'endroit où les justiciables vivent, de leur réseau de connaissances, de leurs ressources financières, et de la mesure dont l'autorité de l'État se fait sentir sur la zone dans laquelle ils se trouvent. Il est possible de dire que pour la majorité des habitants du continent, le champ assez limité de l'État africain effectif fait en sorte que la plupart de leurs besoins en termes de justice sont pris en charge à l'extérieur des mécanismes judiciaires de l'État.

L'instance y dure très souvent des années avec des renvois répétés à outrance. Le principe conventionnel de l'égal accès de tous à la justice se heurte au coût élevé de la justice qui exclut, de fait, l'immense majorité des Africains des prétoires parce qu'elle n'est pas en mesure de faire face aux contraintes financières qu'impose un procès civil, pénal ou commercial. Ce sentiment de l'injustice de la justice fige les justiciables dans les positions inflexibles à l'égard de l'institution qu'ils ont tendance à considérer comme une structure étrange et étrangère à eux. Plus graves, les pratiques coutumières l'emportent sur toutes autres considérations juridiques.

17Alliot (M), « La coutume dans les droits originellement africains », Bulletin de Liaison du Laboratoire d'Anthropologie Juridique de Paris, n° 7-8, 1985, p 79-100.

Au moment où l'avènement de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples attise l'espoir des gouvernements et peuples africains, parce que pressentie comme constituant « sans aucun doute une avancée importante dans le système africain de protection des droits de l'homme dans la mesure où la Cour assurera un meilleur respect de la Charte et pourra à terme faire triompher la démocratie et l'État de droit, »18 il est judicieux de constater que « des interrogations subsistent, notamment en matière d'accès des requérants, qui pourraient hypothéquer le fonctionnement et l'efficacité de la nouvelle Cour»19. Cette remarque nous paraît essentielle. Elle invite à relire le système africain de protection des droits de l'homme dans une perspective d'efficacité et d'effectivité. Dans cette optique, il y a lieu au premier plan, de faire un bilan critique du rôle qu'aura joué la Commission africaine dans la mise en oeuvre des droits de l'homme en Afrique. La fonction de la Commission ne s'exerçant qu'à l'amont d'un examen du respect de la règle. L'épuisement des voies de recours internes occupe une place de choix dans le contentieux africain des droits de l'homme. Elle constitue d'ailleurs, de l'avis de la Commission, le coeur du contentieux des droits de l'homme, l'exigence majeure, lorsque la Commission est saisie d'une communication. En effet, il s'agit d'une condition qui détermine très souvent fatalement la suite de la requête, et qui se trouve être la courroie de transmission permettant aux justiciables de passer des juridictions nationales à la juridiction internationale. Dans le chantier de la relecture de l'activité de la Commission, une étude sur la pratique de cette règle telle que dégagée des interprétations du commissaire africain des droits de l'homme, se révèle impérative. Elle est d'autant pertinente en ce que la Commission africaine est appelée à jouer un rôle déterminant dans la recevabilité des requêtes devant la Cour africaine, qui suscite toutes sortes de passions. Aussi, en accord avec Paul Reuter sur le fait que « la construction juridique, dans son austère édification, mène ceux qui la tentent dans une voie ou clarté et sérénité doivent faire reculer les intérêts et les passions »20, cette recherche dans le système régional africain de protection des droits de l'homme, se doit d'être clairement délimitée.

18Atangana Amougou (J-L), « Avancées et limites du système africain de protection des droits de l'homme : la naissance de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples », Revue de Droits fondamentaux, n°3, janvierdécembre 2003, pp.175.

19Idem.

20Reuter (P), Plaidoirie devant la CIJ, 17juillet 1952, dans l'affaire Anglo-iranien, oil, compagny (exceptions préliminaires).

B - DÉLIMITATION DU SUJET

La question de l'épuisement des voies de recours internes est un aspect d'une problématique encore plus vaste, à savoir celle des règles de procédure devant les instances juridictionnelles internationales. Aussi pour une meilleure analyse, il serait utile de l'appréhender au regard de la pratique en cours et à partir d'un champ scientifique prédéfini. Il s'agit en effet de délimiter cette étude dans le temps, l'espace et la matière au sens scientifique du terme.

Pour ce qui est de la délimitation dans le temps cette étude analyse la jurisprudence et les déclarations de la Commission à partir de l'année 1989 date à laquelle elle est saisie des premières communications à la sixième session ordinaire d'Octobre 1989 jusqu'à la date de réalisation de la présente étude. Il importe de préciser que la Commission africaine instituée par l'article 30 de la Charte africaine, est inaugurée à Addis-Abeba le 02 novembre 1987, quelques mois après que ses premiers membres soient élus par la 23e conférence des Chefs d'État de l'OUA tenue en juillet 1987.Toutefois, ce n'est qu'après l'inauguration de son Siège à Banjul que la Commission africaine commence effectivement son activité c'est-à-dire, le 12 juin 1989.

En ce qui concerne la délimitation spatiale, le présent travail s'effectuera dans le cadre régional africain. Le système régional africain de protection des droits de l'homme, coexiste avec d'autres systèmes régionaux notamment les systèmes européen et interaméricain des droits de l'homme. Ces deux derniers systèmes ne seront convoqués dans la présente étude qu'à titre comparatif, tant il est vrai qu'ils auront et continuent d'inspirer le système africain.

Sur le plan matériel, l'étude est intrinsèquement une étude de la procédure devant une instance internationale. Deux disciplines de droit international public serviront ainsi de cadre scientifique. La première est le droit international des droits de l'homme dont le but est de comprendre la théorie et la mise en ouvre des droits de l'homme au niveau universel et régional ainsi que les interactions entre les différents systèmes de protection des droits de l'homme. La seconde est le droit du contentieux international entendu comme l'ensemble des normes de fonds et de procédures, droit qui étudie les questions soulevées par la justice internationale et gouvernent le règlement juridictionnel de différends opposant des sujets de droit international. Ce champ matériel a entre autres caractéristiques la rigueur de sa terminologie et la précision de ses

termes. Il est indispensable de restituer un sens et un contenu précis aux concepts et mots clés qui forment l'énoncé cette réflexion.

B - DÉFINITION DES TERMES OU CONCEPTS

Pour mieux appréhender le sujet, il importe de définir certains de ces concepts notamment les termes « condition » et les expressions « voies de recours internes » « épuisement des voies de recours internes»,

Littéralement, une « condition » est, en termes de synonymie, une exigence, une obligation, c'est-à-dire un pré requis auquel il faut satisfaire au risque de ne pouvoir aller plus loin dans la procédure. Bien plus, l'édition de 2004 du Petit Larousse, définit le mot « condition » comme étant la « situation, l'état général »21. Le terme « condition » aurait donc un double sens, il traduit soit une règle sine qua non, soit le sort d'une personne ou d'une chose matérielle ou théorique.

En droit, le mot est employé pour indiquer les circonstances juridiques ou matérielles, déterminantes et nécessaires, préalables à l'exercice d'un droit. Cette définition ne rend pas compte de la dualité sémantique du mot. Aussi, lui adjoint-on souvent le qualificatif « juridique » et, la « condition juridique » renvoie à l'ensemble des règles relatives à certaines catégories de personnes ou de choses. Elle englobe à la fois l'état, le statut et la qualité de la personne ou de la chose. Dans ce sens elle est analogue à la situation juridique, entendue comme ensemble des conséquences juridiques qui découlent de la pratique et dont la somme caractérise la condition de la règle.

Perçue comme telle, la condition de l'épuisement des voies de recours internes renvoie autant à la règle en tant que pré requis de principe pour la recevabilité devant la Commission africaine, qu'à la situation, à l'état général de cette règle au sens conceptuel. La condition de l'épuisement des voies de recours internes est donc la définition de la règle en raison de la somme des interprétations tirées de la pratique du commissaire africain des droits de l'homme. C'est cette définition que notre étude retiendra.

21Petit Larousse, édition 2004.

S'agissant de l'expression « voies de recours internes», il importe préalablement de définir ce que l'on entend généralement par « recours ». En effet ce terme est défini par le Petit Larousse 200422, comme étant l'action de recourir, du moins de courir à nouveau. Plus loin, le dictionnaire spécifie qu'en droit le mot se réfère à la procédure permettant d'obtenir un nouvel examen d'une décision judiciaire. Le recours serait donc une procédure dont la finalité est l'obtention d'une réexamination de la requête.

Aux fins de la présente étude, cette définition présente un défaut majeur ; elle tend à assimiler le recours à l'acte par lequel il est mis en oeuvre (appel, opposition, tierce opposition etc.) et fait ainsi abstraction de ce que le recours est constitutif d'un droit au sens le plus complet du terme.

La signification que donne le Professeur Gerald Cornu, constitue donc une étape intéressante vers une définition plus adéquate : « tout droit de critique ouvert contre un acte, quelque soit la nature de cet acte (décision administrative ou juridictionnelle etc.), et la qualité de l'autorité de recours (juridiction ou autorité administrative etc.) »23. En liant ainsi « recours » et « droit » il inscrit le terme au répertoire des voies de droit. La jonction entre le mot « recours » et l'expression « voies de recours » est ainsi faite, puisque les voies de droit en question, s'entendent des moyens offerts par la loi aux citoyens pour faire reconnaître et respecter leurs droits, ou défendre leurs intérêts, c'est-à-dire simplement des voies de recours. Le mot « recours » comme le souligne d'ailleurs le Professeur Gerald Cornu, est synonyme de « voies de recours », même s'il est plus exact de dire qu'il est synonyme « d'une voie de recours. » A la vérité, si « une voie de recours » est un moyen ou une procédure permettant de reconsidérer une décision prise par une autorité public ou privée, administrative ou juridictionnelle, les « voies de recours », comme le précise l'auteur précité, « englobe (...) toutes les voies de recours ou l'ensemble de ses voies, à l'exception du pourvoi en cassation. ». L'auteur entend par voies de recours « les moyens juridictionnels, tendant à la fois à la reformation, à la rétraction ou la cassation d'une décision de justice. »24 Il s'agit en effet, de « l'ensemble des procédures destinées à permettre un nouvel examen de la cause. Soit que la procédure ait été irrégulièrement suivie, soit que le juge n'ait pas tenu compte d'un élément de fait présenté par la partie, soit que le jugement n'ait pas été motivé

22Ibidem

23Cornu (G), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitan, 4e Edition, PUF, Quadrige, mai 2002, p.743-745. 24Ibid, p. 935.

ou ait été insuffisamment motivé, soit qu'il contienne une erreur de droit ».25Appréhender ainsi, l'expression « voies de recours » est nécessairement une notion qui s'applique à un ordre juridique spécifique pris dans sa globalité. S'il est vrai qu'elle peut renvoyer à l'ordre juridique international, il reste tout aussi vrai que l'expression est fréquemment utilisée par référence à un ordre interne ; d'où l'adjectif interne qu'on lui adjoint. Les « voies de recours internes » sont donc, l'ensemble des moyens juridictionnels prévues par la législation d'un État, en vue de permettre un nouvel examen de la cause. Cette définition est celle qui est retenue à l'occasion de cette étude26.

Cette définition permet de comprendre l'expression, « épuisement des voies de recours internes ». En effet cette expression traduit une règle de droit international commune au contentieux des réclamations internationales. Si épuiser est dans ce contexte synonyme d'achever, de terminer et de finir, l'épuisement est forcement, soit le processus qui traduit l'action par laquelle l'on est entrain de finir, soit l'état de ce qui est terminé. L'épuisement des voies de recours internes ne peut alors signifier que l'utilisation de toutes les procédures

25 Braudo (S), Dictionnaire du droit privé, disponible sur le site www.dictionnairejuridique.com

26 Mais alors, s'il est vrai qu'aucune analyse approfondie ne peut se faire sur la question de l'épuisement des voies de recours internes, en faisant l'impasse sur la typologie des recours à épuiser, il importe de dire que les auteurs s'accordent difficilement sur les critères de distinction et la pertinence de l'action en recours. Tel est en tout cas ce qui ressort au regard des développements de Gérard Cornu, qui en ne retenant que les recours juridictionnels, qui plus est à l'exception du pourvoi, s'écarte de la position défendue par Messieurs Valère Eteka Yemet et Fatsah Ouguergouz.Pour le premier, le terme « recours » dans le contexte de la Charte africaine « désigne toute démarche auprès d'une autorité compétente : il renferme donc aussi bien les recours administratifs que juridictionnels, ordinaires qu'extraordinaires.» (Voir, Eteka Yemet (V), La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Étude comparative, Harmattan, Paris, 1996, p.308.) Il est d'avis que ce n'est pas la nature du différend qui détermine les types de recours à épuiser, mais plutôt la nature de la revendication dont le recours fait l'objet. Ainsi, il est tenu de respecter uniquement « les recours susceptibles d'apporter une solution à la revendication d'un droit et non ceux qui ont pour objet l'obtention d'une faveur. »( Eteka Yemet, p308). M. Ouguergouz est du même avis quand il affirme « l'épuisement des recours internes doit être apprécié sans qu'il y ait lieu de distinguer entre recours ordinaires et recours extraordinaires, recours juridictionnels et recours administratifs ; la seule exigence en la matière, est que le plaideur ait exploité tous les moyens et voies juridiques adéquates et `efficaces' mis à sa disposition par le système juridictionnel et procédural de l'Etat mis en cause »( Fatsah Ouguergouz, La Charte la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples: Une approche juridique des droits de l'homme entre tradition et modernité, Paris, PUF, 1993, p.325.) . Cette controverse marquée par le silence des textes nous autorise à convoquer la « jurisprudence de la Commission africaine » comme arbitre et c'est ce qui se fera dans le cadre de cette étude. Parallèlement la traduction anglaise parle de « locals remedies ». La notion anglaise de « remedies » couvre deux aspects. Le premier est procédural et le second substantiel. Au sens procédural les « remedies » renvoient aux différentes voies de droits offertes à la victime de la violation d'un droit. Ils s'assimilent au droit à un recours et englobe ainsi le recours en appel, le recours en opposition, le recours en cassation etc. Au sens substantiel les « remedies » se rapportent à l'issue de la procédure et la solution accordée au plaignant. Dans ce sens ils sont synonymes de droit à la réparation et correspondent au recours en réparation, recours en annulation. La réparation est l'essence même du mot recours elle traduit les diverses voies par lesquelles l'État, auteur d'une violation du droit international redresse la violation alléguée. La réparation couvre aussi bien l'aspect procédural que substantif d'un recours.

disponibles dans un pays pour protéger ses droits. Il s'agit de mettre en oeuvre et ce de manière exhaustive tous les moyens juridictionnels prévus par la législation nationale. Les recours sont réputés épuiser lorsque la cause a fait l'objet d'un jugement définitif, c'est-à-dire obtenu valeur de la chose jugée. En effet, lorsque après un jugement en première instance, une des parties exerce son droit d'appel, la cause reste "pendante" devant la Cour d'appel et l' autorité qui s'attache au jugement encore appelée " force de chose jugée ", est conservée jusqu'à ce que la juridiction du second degré ait statué. Si le jugement de première instance est infirmé, ou s'il est seulement réformé, l'autorité de la chose jugée s'attache alors à la nouvelle décision. Si le jugement de première instance est confirmé, l'autorité de la chose jugée continue à s'appliquer. Après sa signification l'arrêt de la Cour d'appel, devient exécutoire. Ce principe qui pose le principe hiérarchique réglant les rapports des tribunaux, interdit, sauf s'il s'agit d'une juridiction supérieure saisie d'un recours légal (opposition, appel ou pourvoi en cassation), de revenir sur les dispositions d'une décision précédente devenue définitive. Il impose, sous certaines conditions, au second tribunal devant lequel l'exception est soulevée, de tenir compte du contenu de la ou des décisions définitives déjà prononcées par un autre tribunal d'un même Ordre (juridictions civiles entre elles, juridictions pénales entre elles). L'autorité de la chose jugée agit à l'égard des parties, dans son double effet positif et négatif : elle constitue une présomption de vérité d'une part et d'irrecevabilité de la nouvelle demande d'autre part à la condition, d'une triple identité de parties, d'objet et de cause. Ces conditions sont cumulatives. L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux décisions définitives, à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement et ce qui a été tranché dans le jugement ou l' arrêt27, et encore à la condition que la juridiction ait jugé au fond et non sur un incident de procédure. Cette irrecevabilité devant les juridictions de l'ordre interne, justifie que de manière exceptionnelle et suivant les prescriptions conventionnelles, ladite demande fasse l'objet d'un examen au fond devant une instance internationale.

Il faut retenir qu'aux fins de cette étude, l'épuisement des voies de recours internes s'entend de la règle de droit international, suivant laquelle la réclamation internationale ne peut être déclarée recevable, qu'à la triple condition qu'elle ait fait l'objet d'une procédure devant les juridictions internes, que toutes les degrés de juridiction de l'ordre juridictionnelle concerné aient été saisies de la procédure, et qu'a l'issue de cette procédure, il y'ait eu un jugement définitif.

272e Civ., 10 juillet 2003, Bull., II, n°237, p. 197, 1ère CIV. ; arrêt du 22 novembre 2005, BICC 1er mars 2006 n°358 ; 17 janvier 2006. BICC n°638 du 15 avril 2006

D - INTÉRÊT DU SUJET

Comme le relève le Professeur Alain Didier Olinga : « il est difficile de ne pas être redondant, voire ennuyeux, au sujet de la Charte Africaine des Droits de l'homme et des Peuples, ou plus globalement, du régionalisme africain en matières de droits fondamentaux »28. L'auteur souligne la grande production doctrinale qui traite de la question et finit par conclure qu'il y a une nécessité d'un « renouvellement de problématique », d'un « réajustement focale de l'approche ».29 Cette posture à laquelle nous adhérons, transcende la redondance d'une certaine doctrine qui s'est limitée à une description ondoyante du paysage normatif et institutionnel de la protection des droits de l'homme en Afrique, sans véritablement en questionner l'applicabilité et l'application. Il est question d'admettre qu'il ne suffit pas de passer de l'idéal au droit, mais qu'il faut encore passer du droit à la réalité. Aussi, aborder la question de l'épuisement des voies de recours internes c'est toucher le coeur même du contentieux des droits de l'homme car tout ou presque est conditionné par elle. La question revêt donc un intérêt à la fois scientifique et social.

Au plan scientifique, le présent travail permettra de voir comment la Commission africaine des droits de l'homme participe à réconcilier le justiciable africain avec sa juridiction nationale, en contribuant à la conciliation entre la souveraineté et les droits de l'homme. De plus, il concourt à mieux appréhender l'articulation, dans le cadre africain, entre l'interne et l'international. Il s'intègre dans les «chantiers prioritaires de la recherche africaine à venir en matière de droits de l'homme. »30. Sous un certain angle, la dimension comparative de ce travail apportera plus de visibilité sur l'homogénéité de la pratique internationale en matière de droits de l'homme. A terme, l'étude est une contribution à la formation d'une « théorie générale de la condition de l'épuisement des voies de recours internes devant les juridictions régionales de droits de l'homme ».31 Elle participera dans ce sens, à dégager l'évolution qu'a connu la règle de l'épuisement des voies de recours internes comme préalable devant les instances régionales des droits de l'homme, à travers les interprétations du commissaire africain des droits de l'homme.

28Olinga (A.D), « L'effectivité de la charte africaine des droits de l'homme et des peuples», Revue Afrique 2000, avril-octobre, n°227-228, pp. 171

29Ibid, p.172.

30Olinga (A.D), op cit, p.168.

31Ghazi Gheraïri, « Aspect de la procédure devant les juridictions relatives aux droits de l'homme »in Justice et

juridictions internationale s, Actes du Colloque de Tunis, 13-15 avril 2000, Paris, Pédone, p. 204.

C'est en réalité l'apport de la pratique africaine des droits de l'homme, dans la théorisation d'une règle commune à différents systèmes de protection des droits de l'homme.

Au plan social, cette étude est une modeste participation à l'enracinement d'une culture des droits de l'homme en Afrique. En réalité, la justice et le droit, tiennent une place croissante dans la régulation des rapports sociaux en Afrique. Elle contribuera donc à la juridiciarisation de la société africaine. On parle de « juridiciarisation de la société », au sens où la propension « à entamer un litige, à faire valoir des prétentions ou plus généralement à affirmer ses droits, à travers un recours accru aux tribunaux »32. L'étude fournira des informations relatives à la procédure devant la Commission. Elle pourra ainsi être utile aux auteurs des communications pour mieux se prémunir pour le test de la recevabilité, étape `'périlleuse» de la garantie juridictionnelle des droits par l'organe de Banjul. En effet, la complexité des règles en la matière et une certaine méconnaissance de la procédure devant la Commission font qu'un grand nombre des communications sont déclarés irrecevables alors que certaines d'entre elles auraient pu donner lieu à des décisions sur des problèmes de fond importants. Cette contribution permettra donc de faciliter la compréhension des modalités de mise en oeuvre des requêtes que les justiciables déposent lorsqu'ils se prévalent, dans un cas particulier, d'une atteinte aux principes posés par la Charte et ratifiés par les États.

E- PROBLÉMATIQUE

Il ressort de la doctrine33 que la question de l'épuisement des voies de recours internes devant la Commission africaine des droits de l'homme reste sinon actuelle, au moins pertinente pour la recherche. Il convient cependant, de relever que les analyses portent très souvent sur des thématiques parfois plus vaste ou simplement connexe à celle de l'épuisement des recours internes. Si la pluparts se préoccupent de l'attitude que la Commission adopte dans la pratique de la règle34, elles suggèrent de s'y intéresser de prés.

32 Arnaud (A-J), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, LGDJ, Paris, 1988, p.487.

33 Eteka Yemet (V), La charte africaine des Droits de l'Homme et des peuples : Étude comparative, Harmattan, Paris, 1996, 477 p ; Fatsah Ouguergouz, La Charte la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples: Une approche juridique des droits de l'homme entre tradition et modernité, Paris, PUF, 1993, 393 p.

34 Olinga (A.D), « L'effectivité de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples », op cit, pp.177 ; Olinga
(A.D), « L'Afrique face à la « globalisation » des techniques de protection des droits fondamentaux », Revue

.

Dès lors, la question principale se poserait en ces termes : Comment la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples appréhende et applique la règle de l'épuisement des voies de recours internes ?

F - HYPOTHÈSE DE RECHERCHE

Cette question s'inscrit dans la logique des acquis de la protection des droits de l'homme en Afrique au cours de ces deux dernières décennies

L'hypothèse que pose cette étude consiste à dire que la jurisprudence de la Commission africaine laisse percevoir une conception foncièrement finaliste et une application intrinsèquement in situ de la règle. C'est dire que la Commission appréhende et applique la règle de l'épuisement des voies de recours internes suivant deux aspects à la fois différencié enchevêtré et en tout point de vue convergents : un aspect fonctionnel, et un aspect matériel. Le

premier, elle le tient des éléments d'emprunt. Le second, est le fruit d'une construction propre quis'appuie sur les règles du droit international général et du droit international des droits de

l'homme. Autrement dit, à travers la jurisprudence de la Commission, l'épuisement des voies de recours internes a reçu une définition fonctionnelle et matérielle. Cette hypothèse sera vérifiée en suivant une méthodologie bien définie.

G - DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE.

La recherche en droit comme dans toute autre science est intimement liée à la méthode, laquelle requiert des procédés pratiques ou techniques d'investigation.

La méthode

La méthode peut être entendue de façon concrète de «la manière d'envisager ou d'organiser la recherche, mais ceci de façon plus ou moins impérative, plus ou moins précise, complète et

camerounaise des relations internationales, IRIC, 2000, pp.145-169 ;Olinga (A.D), « Le contentieux camerounais devant le comité de droits de l'homme et la commission africain de Banjul », in Intégrité physique et dignité humaine, Cahiers africains des droits de l'homme, n°1, août 2001, pp. 115-135.

systématique ».35Cependant comme le souligne le professeur Maurice Kamto, en droit international : « le raisonnement juridique est structuré autour du respect ou du non respect d'une norme juridique, que celle-ci exprime une obligation subjective ou une obligation objective. »36 Cette assertion rend bien compte de la typologie du raisonnement en droit, qui, comme aime à le précise le Professeur Bernard Raymond Guimdo : « ne sont que des conjonctions et des transpositions spécifiques des formes générales de raisonnement »37. Pour ce faire, le juriste doit recourir à un ensemble d'instruments rationnels, et mobiliser un certain nombre de ressources juridiques et des faits. Le juriste quoique tenu de respecter le droit positif, ne doit aucunement se déconnecter de la réalité. C'est dans cette logique qu'il faut comprendre le Professeur Kamto lorsqu'il affirme qu' « en droit international la pratique est aussi importante que la règle de droit »38.

Ces considérations rendent compte de la méthode juridique qui constitue la méthode principale par laquelle ce travail sera conduit. Il s'agit concrètement de recourir à l'exégèse en analysant d'une par la doctrine et d'autre part la jurisprudence. Cette dernière variante de la méthode juridique sera d'autant plus usité que nous sommes d'avis avec les Professeurs Jean-Marie Auby et Roland Drago que : « l'étude des recours s'intègre au contentieux » 39non seulement par ce qu'il en est la meilleure illustration mais aussi parce que les liens entre la règle de fond et la règle de procédure sont intimement mêlés en raison de l'importance de la jurisprudence. La présente étude étant une étude dans le contentieux africain des droits de l'homme, elle est donc principalement une analyse, un commentaire des décisions de la Commission africaine.

La technique d'investigation

S'agissant de la technique, la recherche se fera à travers la technique documentaire qui implique inéluctablement la collecte des décisions de la Commission africaine.

35Grawitz (M), Méthodes en Sciences Sociales, Paris, Dalloz, 2001, p. 301.

36Kamto (M), Tcheuwa (J.C) et Mouangue Kobila (J), Manuel de méthodologie et d'exercices corrigés en droit international public, CEDIC, Yaoundé 2004, p.13

37Guimdo (B.R), Cours de Théorie générale du droit, DEA droit public interne, Université de Yaoundé II, 2007- 2008, (inédit)

38Kamto (M), Tcheuwa (J.C) et Mouangue Kobila (J). Op.cit., p. 13.

39Auby (J-M) et Drago (R), Traite des recours en matière administrative, Lilec, Paris, p.1.

H - ARTICULATION ET JUSTIFICATION DU PLAN

L'interprétation et l'application de la règle par la Commission suggèrent une approche en deux parties. Non pas qu'il faille distinguer le moment de l'interprétation de celui de l'application car il n'existe pas de frontière étanche entre l'interprétation et l'application. En effet s'il est évident que la Commission africaine énonce certaines considérations avant de mettre la règle en oeuvre, il reste tout aussi évident que cette mise oeuvre pourrait comme cela est fréquemment le cas trahir une interprétation implicite de la règle. Cette conjonction entre l'interprétation et l'application de la règle rend difficile une distinction entre l'activitée interprétative et la mise en oeuvre proprement dite. De plus, ces deux moments de la mise en oeuvre se recoupent et s'entremêlent en raison des logiques par lesquelles ils sont menés. Suivant celles-ci, la Commission africaine interprète la règle à la lumière de son devoir de protéger les droits de l'homme et des peuples tel que stipulés par la Charte. Elle l'applique cependant en tenant compte des particularités de chaque communication. D'une part l'interprétation téléologique, c'est-à-dire finaliste aboutit à une variabilité de l'appréhension suivant les cas examinés. La Commission africaine donne à la règle le sens qui permet le mieux la protection des droits de l'homme dans la circonstance considérée. D'autre part l'application in situ se manifeste par une inconstance des solutions. La Commission africaine décide d'appliquer ou de ne pas appliquer la règle suivant que celle-ci permet ou ne permet pas une meilleure protection des droits de l'homme dans la circonstance particulière de la communication examinée. Il n'est alors pas surprenant qu'on retrouve des interprétations ou des solutions différentes pour des communications fondées sur des faits similaires.40 Néanmoins il est possible de tirer des éléments de constance de cette jurisprudence arc-en-ciel. Ceux-ci émergent dès lors qu'on jette un regard sur la règle pour en souligner la substance. En passant en revue la jurisprudence de ces deux dernières décennies, on arrive à constater que deux arguments communs à toutes les espèces imprègnent l'interprétation et l'application de la règle.

Le premier ressort du fait que la Commission réaffirme toujours les fondements, la finalité ou les fonctions de cette règle telles que reconnues par le droit international. La Commission prend ainsi en compte la définition fonctionnelle élaborée en droit international laquelle vise à

40Comparé les faits de la Com 219/98,Legal Defence Center c. Gambie à ceux des Com93/93,International Pen c. Ghana et com.147/95,149/96, Sir Dawada K. Jawara c. Gambie.

assurer la primauté du règlement national et la subsidiarité du règlement international (PREMIERE PARTIE).

Le second se dégage au cours de la recherche de la preuve de l'épuisement des recours internes. Au cours de cette étape, la Commission rappelle constamment les critères formels et substantiels qui conditionnent l'application du principe d'épuiser les recours internes. A défaut de ceux-ci, elle procède à une application extensive des exceptions en raison du contexte de la protection des droits fondamentaux. L'affirmation et le respect de cette définition matérielle sont un axe essentiel de l'interprétation et de l'application de la règle (SECONDE PARTIE).

LA REAFFIRMATION D'UNE DEFINITION

FONCTIONNELLE DE LA REGLE.

PREMIERE PARTIE:

A travers sa riche jurisprudence, la Commission Africaine a réaffirmé de manière décisive et irréfutable, les fonctions du préalable d'épuisement des recours internes aux fins de justifier son opportunité dans la procédure devant elle. Dans cette optique la Commission a repris les justifications communes à l'ensemble des mécanismes de protection des droits de l'homme. Ainsi a-t-elle reconnu que : « L'épuisement des voies de recours locales est un principe de droit international permettant aux États de résoudre leurs problèmes internes conformément à leurs propres procédures constitutionnelles avant que ne soient invoqués les mécanismes internationaux reconnus. L'État concerné peut donc avoir une opportunité de réparer le tort causé dans le cadre de son propre ordre juridique. Il s'agit d'une règle bien établie de droit international qui veut, qu'avant l'instauration de procédures internationales, les diverses voies de recours offertes par l'État aient été épuisées »41. Elle s'est ainsi référée au fondement de la règle en droit international. Ce fondement est celui du principe de la subsidiarité des organes internationaux de protection des droits de l'homme. A cet effet, les Professeurs PETTITI et DECAUX affirment que : « le fondement le plus général réside dans le principe de subsidiarité qui veut que les procédures les plus graves, les plus solennelles, celles qui se déroulent devant les instances les plus éloignées ou les plus élevées ne soient entreprises que si les plus simples les plus immédiatement offertes ne parviennent à rétablir le droit. »42. En prenant en compte ce fondement dans sa pratique de la règle, la Commission appréhende et applique l'art 56 (5) dans le respect d'une véritable définition fonctionnelle. Celle-ci a largement été élaborée par le droit international général. En vertu des articles 60 et 61 de la Charte, la Commission a pris acte de cette définition qu'elle a consacrée dans sa jurisprudence. Consubstantielle au principe de subsidiarité, cette définition fonctionnelle traduit la double finalité de la norme : à savoir d'une part garantir la primauté du règlement interne en matière des droits de l'homme (Chapitre I) et d'autre part assurer que le règlement international reste d'un recours subsidiaire (Chapitre I)

41Com.275/200, Article 19/État d'Érythrée, voire aussi, Com. 263/02, Section Kenyane de la Commission Internationale de Juristes, Law Society of Kenya, Kituo Cha Sheria c. Kenya ; « La règle imposant l'épuisement des voies de recours internes a été appliquée par les organes internationaux chargés de l'application des traités et elle est basée sur le principe qui veut que l'Etat défendeur doit d'abord avoir l'opportunité de redresser, par ses propres moyens et dans le cadre de son propre système judiciaire interne, les torts supposés être causés aux individus »

42Pettiti (L-E), Decaux (E), Imbert (P-H), La convention européenne des droits de l'homme commentaire article par article (dir) Louis-Edmond Pettiti, Economica ,2e édition, p.591.

CHAPITRE I : LA GARANTIE DU PRINCIPE DE LA
PRIMAUTÉ DE LA PROTECTION NATIONALE DES
DROITS DE L'HOMME.

L'ordre national est la pierre angulaire de la protection des droits de l'homme. C`est la nature des droits qui explique ce fait puisque les droits et devoirs consacrés par la Charte Africaine créent des obligations qui ne jouent pas directement entre États, mais entre les États et leurs sujets de droit étant donné que ces droits sont des prérogatives attachées à la personne humaine. La Commission a souligné que « Les droits de la personne considèrent comme d'une importance suprême qu'une personne dont les droits ont été violés puisse s'adresser à des recours internes pour corriger le tort au lieu de porter la question devant un tribunal international ».43 C'est pourquoi elle a constamment rappelle que :« La condition d'épuisement des voies de recours internes est fondée sur le principe qu'un gouvernement doit être informé des violations des droits de l'homme afin d'avoir l'opportunité d'y remédier avant qu'il ne soit appelé devant un organe international ».44En reconnaissant qu'il faut nécessairement donner à l'État mis en cause l'opportunité de redresser par lui-même la violation alléguée la Commission consacre de manière implicite deux autres principes qui relaient le principe de subsidiarité et servent de fondements immédiats à la règle. Il s'agit du principe de souveraineté (Section I) et celui de la prépondérance de la Charte dans l'ordre interne des États qui assure l'effectivité des droits dans cet ordre et prescrit la sanction nationale prioritaire45. (Section II).

SECTION I : UNE CONSÉCRATION TACITE DU PRINCIPE DE LA
SOUVERAINETÉ DES ÉTATS

Sans nécessairement employer le terme souveraineté, la Commission semble d'avis avec la doctrine et la pratique internationale que la règle de l'épuisement des voies de recours tend à

43 Com 299/2005 Anuak Justice Council / Ethiopie

44Com. 27/89, 46/90, 49/91, 99/93 Organisation Mondiale contre la Torture et l'Association Internationale de Juristes Démocrates, Commission Internationales de Juristes (CIJ), Organisation Mondiale contre la Torture, Union Interafricaine des Droits de l'Homme/Rwanda

45Pettiti (L E), Decaux (E), Imbert (P-H), op cit, p.592

ménager la souveraineté des États. Cette consécration de la souveraineté des États par la Commission a consisté à reconnaitre avec l'ensemble des juridictions internationales, et à travers la volonté de donner d'abord à l'État l'opportunité de redresser les tors allégués, le principe fondateur qu'est la souveraineté (Paragraphe I). Toutefois la Commission a concomitamment reconnue que la règle de l'épuisement des recours internes permettait de restreindre la mise en jeu de la responsabilité des États (Paragraphe II).

Paragraphe I : Le respect de la juridiction souveraine des États.

La commission affirme clairement que la règle de l'épuisement des recours internes a pour justification de permettre à l'État qui a violé les droits de l'homme « d'avoir l'opportunitéde pouvoir les redresser ».46. Cette volonté de rendre la sanction nationale prioritaire tient des

considérations relatives à la souveraineté des États. Celles-ci ont été développées en droit international coutumier (A) et le principe à été consacré par les autres instruments internationaux des droits de l'homme (B) auxquelles la jurisprudence de la Commission fait largement référence

A - La référence aux fonctions de la règle en droit international
général

L'art 97(c) dispose que « La Commission n'examine une communication que dans la mesure où : La Commission s'est assurée que tous les recours internes disponibles ont été utilisés et épuisés, conformément aux principes de droit international généralement reconnus ». Pour la Commission, l'épuisement des voies de recours internes est un « principe adopté par la Charte Africaine comme par le droit coutumier international ».47Le préalable d'épuiser les recours internes a en effet, d'abord été développé en droit des gens. Cette règle, bien ancrée dans le contentieux international fait désormais partie des règles coutumières48. Certes, il est difficile de dire au regard du phénomène de la conventionalisation du droit coutumier et celui de la coutumièrisation du droit conventionnel si c'est la grande référence à cette règle dans les traités

46Com 54/91, 61/91, 98/93, 164-196/97 et 210/98, Malawi African Association, Amnesty International, Mme Sarr Diop, Union Interafricaine des Droits de l'Homme et Rencontre Africaine des Droits de l-Homme, Collectif des Veuves et Ayants Droit et Association Mauritanienne des Droits de l'Homme c. Mauritanie, 13eme Rapport d'activité.

47Com 249/2002 Institut pour les Droits Humains et le Développement en Afrique pour le compte des Réfugiés Sierra-léonais en Guinée / République de Guinée

48 Affaire de l'Hinterland Hinterland (Suisse. c. États-Unis), Exceptions préliminaires, CIJ 27 Mars 1959, REC CIJ 1959, p.27.

qui a conduit à sa reconnaissance en droit coutumier ou si la reconnaissance conventionnelle n'a fait que suivre une règle coutumière bien établie. En droit international général, deux régimes permettent de rendre compte de cette consécration. Il s'agit d'une part de l'arbitrage international et d'autre part du mécanisme de la protection diplomatique (2). Il importe néanmoins pour mieux comprendre les principes que la règle vise à garantir, de présenter brièvement la notion de souveraineté qui en est le fondement. (1)

1 - Le principe de souveraineté en droit international général

Selon Carré de Malberg, la souveraineté est une notion française à l'origine qui apparaît au moyen âge « où elle a d'abord eu un simple rôle comparatif et servait à désigner le caractère d'une autorité qui est supérieure à une autre pour se spécifier dès le XVIème siècle dans un rôle superlatif où elle ne servait plus qu'à désigner le caractère d'une autorité qui ne relève d'aucune autre et n'admet aucune puissance supérieure ».49 Elle apparaît ainsi comme une construction théorique qui sert à affranchir le roi de l'omnipotence divine, c'est-à-dire, à substituer à la souveraineté de Dieu celle du suzerain.50 Devenue au fil des ans un concept juridique autonome, elle se traduit par ces deux aspects que sont une supériorité absolue au-dedans et une indépendance complète au dehors.

Dans son premier aspect, il s'agit de la possibilité qu'à l'État souverain d'imposer sa volonté à l'intérieur de son territoire, non seulement aux individus, mais à tout groupement publique et ou privé. La souveraineté interne est un « pouvoir de droit originaire et suprême » (Jules Laferière). Envisagée sous l'angle de la compétence étatique, elle se résumerait à l'exclusivité de la compétence, l'autonomie de la compétence, et la plénitude de la compétence. C'est au nom de ce pouvoir supérieur et originaire que l'État déciderait lui-même de sa propre organisation. La souveraineté assoit l'autorité de l'État, se définissant comme les attributs essentiels de l'État, qui lui permettent d'influer directement les politiques sociales, économiques et culturelles d'un groupe identifier de citoyens.

Il appartient donc à l'État de définir le régime des libertés publiques qui s'applique sur son territoire et à sa population. La souveraineté interne implique donc qu'aucune autre autorité ne peut jouir et exercer quelques compétences que ce soit sur le territoire de l'État souverain. Elle

49Benyekhlef (K), « internet : un reflet de la concurrence des souverainetés », lex electronica, vol 8, n° 1 automne 2002, p.6.

50Ibidem, p.7

implique l'exclusivité de juridiction, postulat qui s'applique à tout État. Cette souveraineté absolue au-dedans est complétée par une indépendance totale au dehors.

Le second aspect quant à lui, part de la doctrine que la prééminence du pouvoir étatique se traduit par l'absence de toute sujétion à l'égard d'autres États ou de toute autre autorité. La souveraineté externe est donc la liberté qu'a l'État d'agir sans contrainte extérieure. C'est ce que consacrer l'article 2 de la Charte des Nations Unies qui reconnaît un principe d'égalité souveraine entre États. L'État, n'est pas soumis à un droit Extérieur à lui-même. La paix de Westphalie aura ainsi constitué la naissance d'un ordre international fondé sur la pluralité d'États indépendants qui ne connaissent aucune autorité supérieure à eux. L'Assemblée Générale des Nations Unies condamne depuis 1965 les atteintes à la souveraineté de l'État à travers sa « déclaration pour l'inadmissibilité de l'intervention dans les affaires intérieures des États et la protection de leur indépendance et de leur souveraineté. » Celle-ci proclame Qu'« aucun État n'a le droit d'intervenir directement ou indirectement pour quelques raisons que ce soit dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre État »51. Ainsi pour qu'un État intervienne dans une affaire qui relève de la compétence première des juridictions d'un autre État, il est nécessaire que cette intervention soit antérieure à l'épuisement des recours internes.

Certes, la souveraineté n'est pas une donnée figée, inaltérable et transcendante. Elle est simplement un concept médiateur du pouvoir et de la force. Des ses origines, la notion s'est transformée pour passer du ciel à la terre, et aujourd'hui encore, le concept est en pleine mutation, puisque les États reconnaissent en même temps les limites imposées par le droit international.

2 - Le rôle de la règle dans la pratique de l'arbitrage international et de la protection diplomatique.

La pratique de l'arbitrage internationale et celle de la protection diplomatique suffisent à démontrer que la règle est un principe bien établi de droit international ayant une justification certaine.

Pour ce qui est de l'arbitrage international, l'article 37 de la Convention de la Haye du 18 octobre 1907 pose clairement que, « l'arbitrage international a pour objet le règlement des

51Résolution 2131 (XX) AG /NU

litiges entre les États par des juges de leur choix et sur la base du respect du droit. » La pratique de l'arbitrage international52 a prospéré dans le domaine des investissements étrangers53.

Dans les cas de règlement des litiges entre deux États ou un État et un particulier, investisseur étranger, l'épuisement des recours internes est de règle. Il permet de réduire la portée du contentieux des investissements étrangers. C'est une application directe de la doctrine Calvo (1865) dont les postulats sont les suivants : les étrangers ne peuvent pas revendiquer du pays d'accueil plus de droits que les nationaux, spécialement en ce qui concerne la liquidation des dommages subis ; en conséquence, le pays d'origine ne peut pas intervenir dans ce sens en faveur de son citoyen ; au contraire, les étrangers restent soumis exclusivement au droit matériel et à la juridiction de l'État d'accueil.54 Ce n'est qu'après avoir épuisé les recours internes qu'ils peuvent évoquer la protection diplomatique de leur État.

Concernant la protection diplomatique55, le projet d'articles sur la protection diplomatique bien que n'étant pas rentré dans le droit positif, joue un rôle normatif incontestable. Élaboré par la Commission de droit international sous les auspices des Nations Unies, il sert de référence à plus de 150 États parties à la Charte des Nations Unies. En son article 14, il est explicitement reconnu que « l'État de la nationalité ne peut formuler une réclamation internationale à raison d'un préjudice causé à une personne ayant sa nationalité ou une autre personne visée dans l'article 8 avant que la personne lésée ait sous réserve de l'article 16 épuisé

52L'arbitrage international repose avant tout sur le consentement et la confiance des parties. L'arbitrage est le plus souvent rendu par un organe ad hoc établis pour le règlement d'un litige généralement pour une durée indéterminée. Les parties peuvent néanmoins, ce qui est très rare, confier l'arbitrage à un organe permanant qui a d'autres compétences. C'est l'exemple du traité de paix de 1947 qui charge l'Assemblée Générale des Nations Unies comme arbitre pour fixer le sort des colonies italiennes. L'organe ad hoc d'arbitrage peut avoir la forme juridique d'un arbitrage unipersonnel ou d'un arbitrage collégial par commission ou par tribunal

53 La plupart des conventions bilatérales d'investissement exige l'épuisement des voies de recours internes dans un délai précis, celui-ci varie de trois mois à deux ans et plus. A titre d'exemple, la convention sur le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d'autres États, prescrit que si les parties s'accordent à soumettre le litige au CIRDI (Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements), l'étranger doit préalablement épuiser les recours internes, à moins qu'une disposition particulière en dispose autrement. (Convention CIRDI art 26, 18 mars 1965). Les parties peuvent s'accorder à écarter cette exigence avant la saisine du tribunal arbitral.

54Calvo (C), Le droit international théorique et pratique, vol II, 5eme édition, Paris 1896, p.348-349, voir également Shea(D), The Calvo Clause : A problem of Inter-American and International Law, Minneapolis 1955, p.16-20.

55 L'article 1er du projet d'articles sur la protection diplomatique définit la protection diplomatique comme consistant

dans « le recours à une action diplomatique ou à d'autre moyens de règlement pacifique par un État qui prend fait et cause en son nom propre pour l'une des personnes ayant sa nationalité en raison d'un préjudice subit par cette dernière, découlant d'un fait internationalement illicite d'un autre État ». Ce faisant, l'État exerce son droit de s'assurer par la personne des ses sujets le respect du droit international public. Ce mécanisme fonctionne sur deux piliers : la nationalité du requérant ou de la victime, et l'épuisement des voies de recours internes.

tous les recours internes ». La règle fait échec à l'applicabilité de la protection diplomatique devant une instance internationale, jusqu'à ce que le règlement national soit épuisé. Il s'agit d'un usage, non pas partiel mais complet et exhaustif des voies de recours internes. La règle assure l'égalité des étrangers devant la loi nationale et les tribunaux devant lesquels les nationaux ou l'État ont été accusés.

Dans l'affaire Hinterland qui opposa la Suisse aux États-Unis, exception préliminaire, le juge international en l'occurrence, celui de la CIJ avait reconnu que « la règle selon laquelle les recours internes doivent être épuisés avant qu'une procédure internationale puisse être engagée est une règle bien établie du droit international coutumier ». Pour la Cour, « les motifs sur lesquels se fonde la règle de l'épuisement des voies de recours internes sont les mêmes, qu'il s'agisse d'une Cour internationale, d'un tribunal arbitrale ou d'une Commission de conciliation». 56Ces motifs se résument à la garantie de l'exercice plein et entier de la souveraineté de l'État territorial sur les individus se trouvant sur son territoire. Comme l'a fait valoir le juge Cordova dans son opinion dissidente à l'occasion de l'affaire Hinterland, l'existence de cette règle tient de « la nécessité absolue d'harmoniser les juridictions internationales et nationales assurant ainsi le respect dû à la juridiction souveraine des États (...) L'on parvient à cette harmonie, à ce respect de la souveraineté des États, en accordant priorité à la juridiction des tribunaux internes de l'État » 57

Au delà de la compétence de la juridiction, l'exception préliminaire du préalable d'épuiser les voies de recours internes doit être d'abord considérée comme dirigée contre la recevabilité de

la requête. La Cour prend acte du fait que, cette règle a été généralement observée dans le cas un État prend faits et cause pour son ressortissant dont les droits auraient été lésés dans un autre

État en violation du droit international. Elle affirme de façon péremptoire que « La règle subordonne l'action judicaire internationale à l'épuisement préalable des recours internes ».

Il ne fait pas de doute qu'en droit international général, la finalité de la règle d'épuisement des voies de recours internes est de ménager la souveraineté des États. Il en est de même en droit international des droits de l'homme.

56Affaire de Hinterland (Suisse. c. États-Unis), Exceptions préliminaires, CIJ 27 Mars 1959 ; voir également Aff. des Concessions Mavrommatis en Palestine (Grèce c. Grande-Bretagne) CPJI 30 Aout 1924 Ser. A.

57 Affaire de l'Hinterland, opinion dissidente du juge Cordova, Recuiel CIJ, 1959, p.45.

B - La référence aux fonctions de la règle dans les autres instruments
internationaux des droits de l'homme

C'est sur le fondement de la détermination conventionnelle que l'épuisement des voies de recours va rentrer dans les instruments de protection des droits de l'homme. Dans Ilesanmi la Commission a déclaré que : « Le principe selon lequel une personne qui a subi une violation des droits de l'homme épuise d'abord ses voies de recours internes se retrouve dans la plupart des traités internationaux sur les droits de l'homme »58Dans Jawara c. Gambie, il est fait état de ce que la justification de la règle de l'épuisement des recours internes est la même « tant dans la Charte que dans les autres instruments internationaux des droits de l'homme »59. Cependant tous ces instruments n'indiquent pas cette justification. Il faut nécessairement retourner à la jurisprudence des mécanismes de sauvegarde qu'ils instituent pour retrouver cette justification. Ceci se vérifie tant dans la jurisprudence des organes de sauvegarde de ces instruments qu'ils soient à portée universelle (1) ou régionale (2).

1 - La justification de la règle dans les textes à portée universel

La déclaration universelle des droits de l'homme n'institue pas un organe chargé de veiller au respect des droits qu'elle prescrit. Il a fallut attendre l'adoption de deux pactes par l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 2200 A(XXI) du 16 déc. 1966.

Si le pacte relatif aux droits socio-économiques n'institue pas d'organe de surveillance, celui relatif aux droits civils et politiques, institue en son art 28 un Comité dénommé Comité des droits de l'homme. Selon l'art 41(c) le Comité ne peut connaitre d'une affaire qui lui est soumise « qu'après s'être assuré que tout les recours internes disponibles ont été utilisés et épuisés, conformément aux principes de droit international généralement reconnus. Cette règle ne s'applique pas dans le cas ou les procédures des recours excédent les délais raisonnables ».

Le protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par la même résolution et entrée en vigueur dans la même date porte sur les procédures individuelles. L'article 5(b) dispose que la Commission ne reçoit les communications individuelles contre un État partie que si « le particulier a épuisé tous les recours internes

58 Com 268/2003 Ilesanmi c. Nigeria.

59Com 147/95et 149/96, Sir Dawda k Jawara c. Gambie

disponibles. Cette règle ne s'applique pas si les procédures de recours excédent les délais raisonnables ».

De même, Le Conseil Économique et Social a adopté une résolution en date du 27 mai 1970 qui a été révisé par la résolution 2003/3 du Conseil. Cette résolution 1503 (XLVIII) institue une procédure nommée procédure 1503. Celle-ci est mise en oeuvre dans le cadre du Conseil des droits de l'homme crée par la résolution 60/251 du 15 mai 2006, en remplacement de la Commission des droits de l'homme.

Une communication est recevable aux fins de la procédure 1503 à la condition que « les recours internes aient été épuisés, à moins qu'il n'apparaisse que ces recours seraient inefficaces ou d'une durée excessivement longue ».

2 - La justification de la règle dans les textes à portée régionale

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et celle de la Cour interaméricaine des droits de l'homme suffisent à mettre en évidence la raison d'être du préalable d'épuiser les recours internes dans les instruments de protection des droits humains autres que la Charte.

La convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose en son art 35(1) que : « 1. La Cour ne peut être saisie qu'après l'épuisement des voies de recours internes, tel qu'il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ». Cette disposition est la reprise de l'ancien article 26 puisque la reforme des organes de Strasbourg, avec l'entrée en vigueur en 1998 du protocole additionnel n°11, n'a en rien changer les conditions de recevabilité. Si le contrôle de recevabilité est actuellement effectué par la Cour elle- même, « il ne semble toutefois pas que la « fusion » de la Cour et de la Commission en un organe unique, opérée par le Protocole n° 11, ait entraîné des revirements de jurisprudence quant au contenu même de l'exigence d'épuisement des voies de recours internes, telle qu'elle avait été précisée par la Commission européenne des droits de l'homme »60.

60Rosoux (G), « La règle de l'épuisement des voies de recours internes et le recours au juge constitutionnel : une
exhortation aux dialogues des juges commentaire de la décision de la Cour européenne des droits de l'homme, D. c.

Ainsi, la Cour européenne des droits de l'homme a à plus d'une fois rappelée que « la finalité de l'article 35 est de ménager aux États contractants l'occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention [...]. Les États n'ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d'avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. »61Le fait que la protection nationale doive devancer la protection internationale traduit donc d'abord le principe de souveraineté des États que la règle sert à ménager. Il en est ainsi par ce que la juridiction internationale n'existe qu'en vertu d'un acte souverain des États, lesquels l'ont voulus et acceptent de s'y soumettre. Cette finalité de la règle est approuvée par le système interaméricain de protection des droits de l'homme.

La Convention américaine relative aux droits de l'homme et entrée en vigueur en 1978, dispose en son art 46(a) que la Commission américaine des droits de l'homme ne retient une pétition si « toutes les voies de recours internes aient été dûment utilisées et épuisées conformément aux principes de droit international généralement reconnus ». Cette condition vaut également pour la recevabilité devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Les principes de droit international en question sont pour l'essentiel le principe de la souveraineté des Etats qui commande l'antériorité des mécanismes internationaux. Dans la célèbre jurisprudence Velasquez Rodriquez, la Cour interaméricaine a reconnue que l'obligation d'épuiser les recours internes était justifiée car le système international de protection des droits de l'homme garanti par la Convention, est subordonné à la législation nationale des États interaméricains. Elle a ainsi affirmé en substance dans l'Affaire Viviana Gallardo qu'« aux termes des principes du droit international généralement reconnus et des pratiques internationales, la règle qui fait une obligation d'épuiser au préalable les voies de recours internes est conçue pour bénéficier à l'État, car cette règle vise à éviter à l'État de devoir répondre à des accusations devant un organe international pour des actes qui lui sont imputés avant qu'il n'ait eu la possibilité d'y

Irlande, du 5 juillet 2006, et digression autour du mécanisme préjudiciel devant la cour constitutionnelle de Belgique », RBDI, 2008, p.15.

61Cour européenne des droits de l'homme, Dr. h. Selmouni c. France, 28 juillet 1999, point 74. Voir également, Kuda c. Pologne CEDH 2000-XI, § 152 ; Andráik et autres c. Slovaquie (déc.), n° 57984/00, CEDH 2002-IX.

remédier par des moyens internes. C'est pourquoi cette obligation est considérée comme un moyen de défense... »62.

La règle de l'épuisement des recours internes se justifie, tant en droit international général qu'en droit international des droits de l'homme, par la prise en compte de la juridiction souveraine de l'État sur les individus vivants sur son territoire. La Commission africaine est venue prendre acte de cet état de chose et là consacré dans sa jurisprudence. Elle a toutefois reconnue que la règle permet de sauver la réputation des États en ce qu'elle limite la mise en jeu de leur responsabilité internationale.

Paragraphe II : Le souci de restreindre la mise en jeu de la responsabilité
internationale des États.

La Commission soutient que la règle de l'épuisement des recours internes a pour justification de permettre à l'État qui a violé les droits de l'homme d'avoir l'opportunité de

pouvoir les redresser «et sauver sa réputation qui serait inévitablement ternie s'il était appelédevant une instance nationale63Ce faisant, elle reconnaît que la règle est un préalable à la mise
en jeu de la responsabilité internationale des États (A) même si elle pense qu'un procès international est susceptible de ternir la réputation de l'État mis en cause (B).

A - Un préalable à la mise en jeu de la responsabilité internationale
des États

Il est évident que le respect de la règle d'épuisement des voies de recours internes est un préalable à la mise en jeu de la responsabilité international des États. La Commission a considéré que : « Cela reflète le fait que les États ne sont pas considérés avoir violé leurs obligations en matière de droits de l'homme s'ils dispensent des voies de recours authentiques et effectives aux victimes de violations de droits de l'homme. »64 En effet en s'assurant que, le requérant a épuisé les recours internes avant de se pourvoir devant la Commission le droit international, reconnait et

62Voir Cour interaméricaine des droits de l'homme, dans l'Affaire Viviana Gallardo et autres. Jugement sur les exceptions préliminaires, 13 novembre 1981, série A n° G 101/81, §26, pp.87-89.

63Com 54/91, 61/91, 98/93, 164-196/97 et 210/98, Malawi African Association, Amnesty International, Mme Sarr Diop, Union Interafricaine des Droits de l'Homme et Rencontre Africaine des Droits de l-Homme, Collectif des Veuves et Ayants Droit et Association Mauritanienne des Droits de l'Homme c. Mauritanie, 13eme Rapport d'activité.

64 Com 268/2003 Ilesanmi c. Nigeria.

à l'État mis en cause le droit d'utiliser cette règle comme un moyen de défense (1) et par cela, oblige le requérant à une conduite loyale à l'égard de l'ordre interne (2).

1 - La règle d'épuisement des recours internes comme un moyen de défense.

S'il est reconnu que la règle de l'épuisement des voies de recours internes est « un important principe du droit international coutumier »65, les débats sur sa nature perdurent et sont loin d'êtres clos. En effet tandis que certains y voient une règle de procédure d'autre l'appréhende comme une règle de fond. Pour les premiers, à l'instar de Jean Chappez la règle de l'épuisement des recours est « une exigence de procédure qui tient à maintenir la balance égale entre la souveraineté de l'État présumé responsable et la sauvegarde du droit international »66. Elle appartient au cadre purement procédural. Pour Charles Rousseau, « l'exigence du local redress (n'est) que la traduction technique de l'idée que la protection diplomatique est une voie exceptionnelle ou subsidiaire par rapport aux recours de droit commun ».67 Pour les seconds par contre, notamment Louis Cavare, « la règle de l'épuisement des recours internes n'est pas une simple règle de procédure (...), cette règle vise à protéger les États contre des réclamations mal fondées ou prématurées »68. De même « lorsque la responsabilité de l'État apparait certaine, la mise en ouvre de la règle a pour effet, de retarder l'exercice de l'action internationale. »69. L'épuisement des voies de recours rime avec la responsabilité internationale. Le Professeur kaufmann note à ce sujet que « dans le cas ou le délit a été commis avant tout recours judiciaire, il n'est pas douteux que ce préjudice initial est le fait générateur du dommage et que l'épuisement des recours internes n'est qu'une condition de recevabilité. »70 Même si la première semble l'emporter, il reste clair que ces deux thèses se recoupent et se complètent. La règle procédurale de l'épuisement des recours internes participe à la mise en jeu de la responsabilité internationale des États. Autrement dit « la procédure est au service du fond »71. Ainsi pour la Commission de Droit International, cette règle est perçue comme nécessaire à la mise en ouvre de

65 Affaire Ziat, Ben Kiran, (Grande-Bretagne c. Espagne), Max Huber, 24 décembre 1924, Sentence arbitrale relative aux réclamations dans la zone espagnole du Maroc, RSA, vo II, pp.729-732.

66Chappez (J), « La protection diplomatique », JCL droit international, vol 4, édition du Juris-classeur, 1999, fascicule 250, p.22

67Rousseau (C), Droit international public, tome 5, Paris Sirey, 1983, p .158.

68Cavare (L), Le doit international public positif ,3eme édition, Pédone 1967, vol II, p.433.

69Ibidem, p.434

70Kaufman cité par Delbez (L) Les principe généraux du contentieux international, LGDJ ? Paris ? 1962, p. 198.) 71Rosoux (G), op cit, p.18.

la responsabilité des États. En effet l'art 11 décline clairement que : « les recours internes doivent être épuisés lorsqu'une réclamation internationale (...) repose principalement sur un préjudice causé à un national(...) ».72L'épuisement des recours internes est donc autant une condition de recevabilité de la demande qu'un corollaire de la responsabilité internationale de l'État. L'art 13 énonce à ce propos que «Lorsqu'un étranger introduit une instance devant les tribunaux internes d'un État pour obtenir réparation à raison d'une violation du droit interne de cet État, qui ne constitue pas un fait illicite international, l'État dans lequel l'instance est introduite peut voir sa responsabilité internationale engagée s'il y'a déni de justice au détriment du ressortissant étranger »73. La Commission de droit International confirme bien que la règle de l'épuisement des recours internes constitue bien un préalable nécessaire à la mise en jeu de la responsabilité internationale d'un État.

Cependant, plus qu'un préalable la règle est un moyen de défense. En effet, la règle quiexige d'épuiser au préalable les voies de recours internes est conçue pour bénéficier à l'État.

Cette règle est considérée comme un moyen de défense de l'État et, à ce titre, il peut y renoncer, même tacitement. La Cour interaméricaine des droits de l'homme a énoncé ce principe à l'occasion de plusieurs affaires, particulièrement l'Affaire Viviana Gallardo et l'Affaire Godinez Cruz. Dans la première, elle a considéré que: « aux termes des principes du droit international généralement reconnus et des pratiques internationales, la règle qui fait une obligation d'épuiser au préalable les voies de recours internes est conçue pour bénéficier à l'État, car cette règle vise à éviter à l'État de devoir répondre à des accusations devant un organe international pour des actes qui lui sont imputés avant qu'il n'ait eu la possibilité d'y remédier par des moyens internes. C'est pourquoi cette obligation est considérée comme un moyen de défense et à ce titre, il est possible d'y renoncer, même tacitementi74 Elle a considéré dans la seconde affaire que, « Les principes du droit international généralement reconnus indiquent premièrement que [l'épuisement des voies de recours internes] est une règle à laquelle l'État qui a le droit de l'invoquer peut renoncer, explicitement ou implicitement». 75

72Article 11 ,deuxième rapport sur la protection diplomatique de la CDI, disponible sur le site, www.un.org. 73bid, art 13.

74Voir Cour interaméricaine des droits de l'homme, dans l'Affaire Viviana Gallardo et autres, jugement sur les exceptions préliminaires (13 novembre 1981), série A n° G 101/81, p. 87-88, § 26.

75Voir Cour interaméricaine des droits de l'homme, dans l'Affaire Godinez Cruz, jugement sur les exceptions préliminaires 26 juin 1987, §88.

La CIJ est de cet avis puisqu'elle affirme que la règle d'épuisement des voies de recours internes est un « des moyens de défense qui visse la recevabilité de la réclamation ».76Cette règle est adossée d'une fiction généralement admise dans le contentieux des réclamations internationales selon laquelle le plaignant doit avoir les mains propres77.

2 - La règle d'épuisement des recours internes comme un corollaire de la fiction des « mains propres »

Pour engager la responsabilité d'un État devant une instance internationale, il est nécessaire que l'individu victime prouve un comportement irréprochable. Cette exigence est traduite par la théorie des mains propres. Selon cette théorie « la personne physique ou juridique étrangère doit avoir eu une conduite correcte envers l'état territorial, s'en tenant à ses lois ». Le recours à cette théorie a été observé dans le contentieux devant la CIJ. A l'occasion de ce contentieux les États fondent très souvent des exceptions préliminaires, sur la conduite « anti juridique, immorale(e) ou inconvenant(e) »78 de l'individu qui se réclame victime d'un préjudice. La doctrine majoritaire s'accorde à dire que la conduite blâmable et illicite de l'individu peut s'analysée comme une cause d'exonération de la responsabilité internationale de l'État territorial.79 Mais ce qui est entendu par comportement blâmable reste très floue puisqu'on pourrait y inclure un nombreux considérables de comportement individuels. Toutefois l'on peut s'accorder à dire que le comportement blâmable peut consister soit en comportement individuel en violation du droit interne de l'État mis en cause, soit en une conduite individuelle en violation du droit international. En effet, comment peut on recevoir la requête d'un individu qui a méconnu le droit interne au risque de méconnaître les règles du droit international lesquelles obligent l'individu à se conformer impérativement aux lois nationales. La condition de l'épuisement des recours internes participe donc à exiger de la victime une conduite convenant et révérencieuse envers l'État sur le territoire duquel il vit. La fiction des mains propres très invoquée dans la

76Affaire Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), CIJ, 19 mai 1953.

77 Garcia-Arias(L), « La doctrine des « clean hands » en droit international public », Annuaire des anciens auditeurs de l'académie de droit international, vol 30, pp.14-22, cité par Salomon(J.A), « Des « mains propres » comme condition de recevabilité des réclamations internationales », AFDI, 1964, pp.225-266.

78Miaja de la Muela (A), « Le rôle de la condition des mains propres de la personne lésée dans les réclamations devant les tribunaux internationaux », Mélanges offerts à Juraj Andrassy, La Haye, Martinus Nijhoff, 1968, pp.189- 213.

79A l'exemple de Perrin (g), « Réflexion sur la protection diplomatique », in Mélanges à Bridel, Lausanne, Imprimeries réunies, 1968, pp.379-411.

pratique de la protection diplomatique, participe en droit international des droits de l'homme à travers l'exigence d'épuiser les recours internes, à s'assurer que le requérant à été loyal envers l'ordre juridique de l'État. En effet bien qu'étant la victime, « son comportement peut conduire à la restriction, voire à la suppression de son droit d'agir ».80 Par contre l'exemplarité de ce comportement, notamment en respectant la condition d'épuisement des recours internes, justifie la recevabilité de la communication. Cette situation selon la Commission ternie à coup sûr la réputation de l'État mis en cause.

B - Un moyen de sauvegarder la réputation des États.

Pour la Commission la règle de l'épuisement des recours internes évite qu'un État se retrouve sans préavis devant une instance internationale ce qui ternira inévitablement sa réputation. Mais Dans quelle mesure un procès international nuit il inévitablement à la réputation d'un État ? Pour répondre à cette question, il importe au préalable de comprendre la place des droits de l'homme dans les relations internationales (1) avant que de voir la portée de la recevabilité d'une communication. (2)

1 - La place des droits de l'homme dans les relations internationales.

L'après seconde guerre mondiale marque de manière significative une mutation profonde du droit international général. A un droit international jusque là très largement fondé sur des références souveraines, est en train de se substituer un droit international qui trouve de plus en plus son fondement dans la prise en compte, imposée par une sorte de nécessité de la protection des individus et des peuples. Au cours des cinq dernières décennies le droit international positif semble révéler que les besoins sociaux auxquels s'adapte en les réglementant le droit des la société internationale sont ceux des individus et groupements humains dont les droits sont de plus en plus protégés au niveau supra étatique.

L'avènement d'un droit international plus humaniste à la place d'un droit international territorialiste et donc souverainiste a était catalysé par les exactions des deux guerres mondiales. Le souci de la protection de la dignité humaine impulsé dans les domaines du droit humanitaire et

80Tigroudja (H), Contribution à l'étude du statut de la victime en droit international des droits de l'homme, thèse de doctorat, Lille II,2001, p.246.

des droits de l'homme a fini par gagner toutes les autres branches du droit international, notamment, le droit de la Paix et de la Sécurité Internationales (intervention humanitaire ou responsabilité de protéger), Droit des Espaces (notion de patrimoine commun de l'humanité), Droit des Organisations Internationales, Droit International de Développement, Droit International de l'Environnement etc. La théorie des droits de l'homme est venue remettre en cause la définition classique de la souveraineté étatique. La souveraineté étatique ne peut plus en aucun cas être assimilée à un pouvoir illimité et inconditionné de l'État, elle devient nécessairement « la compétence qu'un État possède sur la base du droit international »81 et n'est invocable que « dans la mesure de la charge normative définit par la communauté internationale ».82 Cette mutation de l'ordre juridique international semble donner raison aux partisans de l'école sociologique (Scelle, Duguit, Calvare) pour lesquels, l'individu est le sujet et l'objet final de toute construction juridique. Le professeur Mouelle Kombi fait remarquer à ce sujet qu'« en déclarant les droits de l'homme, la pleinitudo potesta est quelque peu passé de l'État à l'homme. »83 Les rapports entre individus formant une société universelle et appartenant en même temps à d'autres entités politiques, étatiques, inter étatiques, supra étatiques, extra étatiques, que la communauté humaine englobe et coordonne et que son droit régit.

Il relève aujourd'hui du lieu commun d'expliquer que les progrès de la technique et des communications font de notre planète un village. Dans cette société internationale plurielle et de plus en plus rétrécie, les États entretiennent des relations qui dépassent les limites de leur territoire et échappent à l'emprise d'un pouvoir étatique unique. Les informations relatives aux violations graves des droits de l'homme sont instantanément répandues dans le globe et influencent les relations internationales. En effet La protection des droits de l'homme est un indicateur de l'État de droit. Elle traduit une stabilité et une sécurité certaine, propre à attirer des investisseurs, à inciter l'action des institutions internationales, à favoriser les relations diplomatiques.

81Nguele Abada (M), « Conditionnalités et souveraineté », in La conditionnalité dans la coopération internationale, Colloque de Yaoundé, 20-22 juillet 2004, p.46.

82Ibid, p.42-43

83 Mouelle Kombi (N), « Éthique et souveraineté dans l'ordre juridique international », RCEI, n° 002, 1er semestre 2009, p.40.

A titre d'exemple, le régime des conditionnalités économiques aura fortement remis en cause la conception classique de la souveraineté car, « pour les pays récipiendaires, la conditionnalité requiert...la promotion des droits fondamentaux »84 .

Dans le monde contemporain, la réputation des États dans les relations internationales est bâtie sur le respect des droits de l'homme. C'est pourquoi la recevabilité d'une communication devant la Commission est gênante pour l'État mis en cause.

2 - La recevabilité de la communication comme preuve d'un comportement étatique constituant une violation de la Charte

Comme il sera souligné plus tard, dans l'ordre international le procès demeure toujours exceptionnel. La Commission a fait valoir que l'un des objectifs de la règle des « local remédies », est d'éviter qu'un État soit appelé devant une juridiction internationale ce qui ternirait à coup sûr sa réputation. En d'autres mots le contentieux international des droits de l'homme est déjà en lui-même préjudiciable à la réputation de l'État mis en cause. En effet la recevabilité d'une communication est la preuve que l'État a faillit à ces obligations conventionnelles. L'étude du contentieux international des droits de l'homme permet de voir comment les États s'emploient à amener la juridiction à déclarer la requête irrecevable. Avant que l'organe ne statue sur le fond pour établir si oui ou non la responsabilité de l'État peut être engagée sa décision sur la recevabilité a pour enjeux d'admettre qu'il ya dans le comportement de l'État mis en cause une attitude inique. Cette bataille juridique autour de la recevabilité des communications est avant tout une lutte pour l'État de sauvegarder son honorabilité. Pour l'État mis en cause, déclaré une communication recevable c'est confirmé qu'il a refusé de réparer le dommage subi par la victime. C'est reconnaître qu'au moins au premier degré cet État a violé les dispositions de la Charte relatives au droit à un recours.

Par ailleurs le simple fait qu'un grand nombre de communications à l'encontre d'un État particulier soient déclarées recevables, signifie largement que cet État viole constamment les droits de l'homme et ne garantie par le droit à un recours qui, au demeurant, est un droit protecteur des autres droits. Cette situation est préjudiciable à la réputation de l'État, même si la décision au fond, prouve infondées les prétentions de la victime.

84Atangana Amougou (J-L), « Conditionnalité et les droits de l'homme », in La conditionnalité dans la coopération internationale, Colloque de Yaoundé, 20-22 juillet 2004, p.65.

A l'inverse, c'est avec une certaine fierté que l'État mis en cause accueille très souvent l'irrecevabilité des communications dirigées contre lui. C'est une preuve qu'il est à même de résoudre les diverses violations que ces institutions causent.. C'est l'évidence qu'il fait partie des nations civilisées dont fait référence l'art 2 de la Charte des Nations Unies et dont qu'il est recommandable dans les relations internationales.

Sans doute le principe de la sanction nationale prioritaire est dicté par le respect de la souveraineté des États. Il reste à démontrer que la garantie de ce principe incite les États à appliquer les dispositions de la Charte.

SECTION II- UNE PRESOMPTION ET UNE INCITATION INDIRECTE A
L'EFFECTIVITÉ DES DROITS DE L'HOMME DANS L'ORDRE
JURIDIQUE INTERNE.

Les droits de l'homme sont par nature des droits opposables à l'État. Comme l'écrit Daniel Lochak, « les droits de l'homme mettent en jeu les rapports entre l'individu et l'État, mais aussi les rapports entre le pouvoir et le droit »85. C'est dire que l'ordre interne est le cadre privilégié de la réalisation des droits de l'homme. La primauté du règlement national découle naturellement de la qualité des normes internationales de protection de droits de l'homme. La Commission, en reconnaissant l'opportunité donnée à l'État de redresser la violation présume que ce dernier a aligné sa législation avec les standards internationaux. Pour elle : « Cette règle est fondée sur le postulat selon lequel la mise en oeuvre pleine et efficace des obligations internationales dans le domaine des droits de l'homme est destinée à améliorer la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales au niveau national »86. Comme l'écrit le Professeur Atangana Amougou, « La reconnaissance des droits est une étape fondamentale car elle est la condition initiale de leur efficacité et de leur opposabilité. »87 La Commission est « consciente des obligations positives qui incombent aux États parties à la Charte Africaine en vertu de l'article 1 de la Charte Africaine. Les États parties ont le devoir non seulement de «reconnaître » les droits conformément à la Charte Africaine mais encore de continuer à s'engager à «adopter des mesures législatives ou autres pour les appliquer. L'obligation est

85Lochak (D), Les droits de l'homme, éditions la découverte, F Syres, Paris 2002, p.4.

86Com 299/2005 Anuak Justice Council / Éthiopie, 20eme Rapport d'activités.

87Atangana Amougou (J-L), « Conditionnalité et droits des l'homme », in La conditionnalité dans la coopération internationale Colloque de Yaoundé 20-22 juillet 2004, CEDIC p.65.

péremptoire et ne souffre d'aucune exception. A vrai dire, ce n'est que lorsque les États prennent leurs obligations au sérieux que les droits des citoyens peuvent être protégés. »88

Les principes qui gouvernent cette réception rendent compte de la nature spécifique des droits de l'homme. Celle-ci influe sur les procédés d'incorporation des droits de la Charte dans l'ordre interne car la majorité des États africains subordonnent l'introduction du traité dans l'ordre juridique interne qui, en reproduisant les prévisions du traité, le transforme en règle interne obligatoire (Paragraphe I). La nature des droits de la Charte conduit également à des principes spécifiques qui assurent leur applicabilité dans ledit ordre (Paragraphe II).

Paragraphe I- L'obligation de conformer la législation interne à la
Charte

La règle de l'épuisement des voies de recours internes a donc une fonction essentielle, celle de protéger l'ordre juridique national des États. Cet ordre juridique national doit préalablement être conforme à la charte, laquelle jouit d'un régime particulier d'application. En effet « l'un des objectifs visés par la condition d'épuisement des voies de recours internes est de donner la possibilité aux juridictions internes de statuer sur des cas avant de les porter devant un forum international, pour éviter des jugements contradictoires par des lois nationales et internationales. Lorsqu'un droit n'est pas bien prévu par la législation interne et qu'aucun procès ne peut être prévu, toute possibilité de conflit est écartée. De même, lorsque le droit n'est pas bien prévu, il ne peut y avoir des recours efficaces ou un recours quelconque89 La mise en oeuvre interne de la Charte participe pleinement à l'effectivité des droits de l'homme. Comme l'écrit Alain Pellet, l'État a « la compétence du dernier mot, il est le « bras séculier », seul capable de donner vie à la norme internationale »90. La convention de Viennes sur le droit des traités en ses articles 26 et 27 crée une obligation juridique de l'État de faire respecter les clauses du traité. Les États sont ainsi contraints d'adopter les modifications législatives nécessaires pour garantir le respect des obligations contenues dans la convention91. Il s'agit pour

88Com 211/98 Legal Resources Foundation c. Zambie

89Voir les décisions de la Commission sur les communications 25/89, 47/90. 56/91 et 100/93 : Organisation Mondiale contre la torture et autres /Zaïre

90Pellet (A), « Droit de l'homnisme en droit international » in colloque de Strasbourg : protection des droits de l'homme et évolution du droit international, Avril 2003, p.13.

91Cour permanente de justice internationale, Échange des populations grecques et turques, 1925, p. 20.

les États de transposer le traité dans l'ordre interne à travers des procédés d'incorporation (B). Cependant, cette transposition est le reflet de la conception que l'État a des rapports entre la norme internationale et la norme interne. (A)

A - Les rapports entre le droit international et la loi nationale

Les droits de la Charte ont vocation à se réaliser dans l'ordre interne des États. Comme l'écrit le Professeur Olinga pour « assurer l'effectivité de la Charte Africaine sur le plan interne, il faut lui assurer une place de choix dans l'ordonnancement juridique(...) il faut lui attribuer un rang hiérarchique privilégié ».92 Il est certes vrai, comme le souligne le Doyen Maurice Kamto que : « Les techniques classiques de réception des normes du droit international dans l'ordre juridique interne des États sont fort connues »93 . Il importe néanmoins, en raison de l'importance de la relation entre ces procédés et la règle, d'en rappeler brièvement la substance. Sans entrer dans les détails d'une étude didactique qui dépasserait très largement le cadre de cette réflexion il suffira pour illustrer ces techniques d'en rappeler les traits caractéristiques. A ce propos, la doctrine classe les systèmes juridiques des États en deux groupes qui correspondent à deux techniques classiques d'incorporation du droit international dans le droit interne : les systèmes monistes (1) et les systèmes dualistes (2).

1 - L'approche moniste

La conception moniste94 repose sur l'idée de départ selon laquelle, le droit international et
le droit interne constituent un seul et même ensemble dans lequel les deux types de règles seront
subordonnés l'un à l'autre. Naturellement deux options seront possibles et, l'on pourra avoir, soit
un monisme avec primauté du droit interne, soit un monisme avec primauté du droit international.
Pour le monisme avec primauté du droit interne, il considère que le droit international
découle du droit interne. De ce fait, le droit interne est supérieur au droit international lequel n'est
qu'une forme de droit public externe de l'État. Les arguments évoqués par les tenants de cette
théorie sont que, en l'absence d'autorité super étatique l'État détermine par conséquent librement

92Olinga (A-D), L'effectivité de la Charte Africaine des droits de l'homme et des peuples, op cit, p.181. 93M Kamto, « Charte africaine instrument internationaux de protection des droits de l'homme, constitutions

nationales, articulations respectives », in L'application nationale de la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, J-F Flauss et Elisabeth Lambert-Abdelgawad (dir), Bruyant 2004, p.P30.

94Présentée en Allemagne par l'"École de Bonn" : Zorn, Erich Kaufmann, Max Wenzel (1920); en France par Decencière- Férrandière, et ayant inspiré largement la conception "soviétique " du droit international

ses obligations internationales et reste seul juge de la façon dont il les exécute. De plus c'est sur le fondement constitutionnel (donc interne) que l'État a des compétences pour conclure des traités qui l'engagent sur le plan international.

Pour le monisme avec primauté du droit international, le droit interne dérive du droit international. Ce dernier lui est donc supérieur et le conditionne. Les rapports entre les deux droits seraient comparables à ceux existant, dans un État fédéral, entre le droit des États membres et le droit fédéral.

Quel que soit la tendance, l'une des conséquences de la conception moniste est que l'acceptation et l'adoption d'une norme internationale par un État, le fait rentrer automatiquement dans son ordre juridique interne de sorte que les tribunaux et les autorités publiques pourront directement appliquer les dispositions de la convention internationale.

2 - L'approche dualiste

Cette technique appréhende le droit international et le droit interne comme deux systèmes juridiques spécifiquement distincts. Elle découle des conceptions volontaristes des fondements du caractère obligatoire du droit international public. Exposée par les auteurs positivistes allemands Heinrich Triepel (1899), Helborn, Strupp et italiens Dionisio Anzilotti (1905) et Cavaglieri, cette doctrine considère que le droit interne et le droit international constituent deux systèmes juridiques égaux, indépendants et séparés. La valeur propre du droit interne est indépendante de sa conformité au droit international. Pour Heinrich Triepel, qui est le père de cette théorie les arguments qui fondent cette théorie sont de deux ordres. D'une part, les sources des deux droits sont différentes. En effet, si le droit interne procède de la volonté d'un seul État, le droit international tient lui de la volonté de plusieurs États. D'autre part les deux droits régissent des sujets de droits différents. Pour l'interne les rapports régis sont ceux entre individus ou entre individus et État, tandis que le droit international régit les rapports entre État et État.

Pour la théorie dualiste il ne peut y avoir, dans aucun des deux systèmes juridiques, de normes obligatoires émanant de l'autre. De même, Il ne peut y avoir de conflits possibles entre les deux ordres juridiques. Les deux ordres étant totalement, séparés, la seule possibilité qui existera sera uniquement le renvoi de l'un à l'autre. De ce fait la norme internationale a préalablement besoin d'une loi interne d'incorporation ou d'autres instruments nationaux juridiquement contraignant pour être insérée dans le droit interne

Indifféremment de ce que l'État est moniste ou dualiste il existe une obligation de prendre des mesures pour assurer l'exécution des traités auxquelles il est partie. Cette conception sur l'obligation d'un État de prendre des mesures, y compris d'ordre législatif, afin d'assurer l'application du Traité, est acceptée par les États sous la forme de l'irrecevabilité de l'invocation des lois nationales pour contester la validité d'un Traité ou pour refuser son exécution.

B - L'incorporation de la Charte dans le droit interne

L'art.1 de la Charte crée une obligation expresse pour les États parties à incorporer la Charte dans leur législation nationale. Cependant, il n'est pas de règle de droit international règlementant la manière dont on fasse l'incorporation des règlementations internationales dans le droit interne ; une telle norme ne saurait exister, puisque la manière dont les États garantissent l'application des Traités dans le droit interne est établie par chaque État, selon ses dispositions constitutionnelles, ce qui explique le fait que, dans ce domaine, la pratique varie. A coté des techniques de promulgation, de proclamation et de publication, les États africains procèdent le plus souvent à la technique dite de constitutionnalisation (1). Elle est la traduction ultime de la volonté des États de garantir l'effectivité et la prépondérance des droits proclamés (2).

1 - La technique de la constitutionnalisation des droits de l'homme.

La constitutionnalisation des droits fondamentaux se réalise à travers deux techniques principales, celle dite de la constitutionnalisation bloquée, et celle dite de la constitutionnalisation ouverte.

La constitutionnalisation bloquée renvoie à un « énoncé limitatif de tous les droits constitutionalisés dans le texte de la constitutionnalisation »95. Les droits ainsi constitutionalisés sont inscrits dans un titre spécifique de la constitution. Cette technique est relativement récente en Afrique francophone et récente dans la plupart des pays anglophones d'Afrique.96Les constitutions béninoise du 11 décembre 1990 (titre II) burundaise du 9 mars 1992 (titre II) congolaise du 15 mars 1992(titre II) malgache du 19 août 1992 (titre II), et togolaise du 27 septembre 1992 (titre II), pour ne cité que celles là, ont adopté cette technique.

95Kamto (M), « Charte africaine instrument internationaux de protection des droits de l'homme, constitutions nationales, articulations respectives », op cit, p.33.

96Ibid, p.35.

La constitutionnalisation ouverte quant à elle, consiste à un renvoie pure et simple de la constitution à des instruments juridiques et internationaux de protection des droits de l'homme. Il peut également s'agir d'une référence à la Charte suivie d'une énumération des droits de l'homme dans le texte constitutionnel et selon le cas, dans le préambule ou dans le dispositif. La Constitution camerounaise du 18 janvier 1996 dans son préambule, au demeurant contraignant, s'inscrit dans l'approche de la constitutionnalisation ouverte des droits de l'homme.

2 - La portée de la constitutionnalisation des droits de l'homme

La technique de la constitutionnalisation est pratiquée dans la plupart des États membres de l'UA Comme le souligne le Doyen Maurice Kamto, « la constitutionnalisation des droit de l'homme est relativement ancienne en Afrique comme en témoigne l'évolution constitutionnelle de la plupart des États du continent »97. Les enjeux de cette constitutionnalisation des droits de l'homme sont doubles, d'une part, elle « hisse ces droits au rang de norme suprême dans l'ordonnancement juridique interne des États » d'autre part, elle fait du juge constitutionnel, le juge des droits de l'homme et des libertés publiques. La constitutionnalisation des droits de l'homme est, en n'en point douter, une garantie normative de leur effectivité. Elle apparait comme « le modèle universel de respect efficace des droits fondamentaux sur le plan interne ».98 Ce modèle de protection constitutionnelle des droits de l'homme, débouche généralement sur une garantie juridictionnelle de type constitutionnel des dits droits. La juridiction constitutionnelle assure à travers le contrôle de la constitutionalité des lois et règlements, la prise en compte des droits de l'homme dans l'élaboration de la législation interne. La norme internationale de protection des droits de l'homme jouit, par cette technique, d'une autorité supra-législative dans l'ordre juridique interne. Des lors, l'application du principe de la valeur interprétative constitutionnelle de la Charte relève principalement du juge constitutionnel. Dans le contrôle de constitutionnalité, la Cour constitutionnelle doit vérifier la compatibilité des lois avec la Constitution. Il s'agit directement d'une question de constitutionnalité, par le biais de

l'interprétation de la Constitution à la lumière de la Charte. En cas d'inconstitutionnalité, la loicesse de s'appliquer, avec des effets erga omnes.

97Ibidem, p.32.

98 Olinga (A-D), « L'Afrique face à la globalisation des techniques de protection des droits de l'homme », op cit, p.154.

La technique de la constitutionnalisation offre le fondement de la responsabilité des gouvernements à protéger les droits énoncés. En effet, s'il n'existe pas de règle générale suivant laquelle la non-conformité de la législation nationale aux engagements internationaux constitue une violation mettant en jeu la responsabilité internationale de l'État. Il y a toutefois violation du droit international lorsqu'un traité l'oblige expressément ou lorsque la non incorporation entraîne le non respect de l'obligation internationale.99

La protection des droits de l'homme dépend en grande partie des mesures nationales d'implémentation en raison de la constante interaction entre le droit interne et le droit international dans cette matière. La norme internationale de protection des droits de l'homme, une fois rentrée dans l'ordre, interne est applicable.

Paragraphe II- L'obligation d'appliquer la Charte dans l'ordre interne

La norme internationale de protection des droits de l'homme s'avère être la plus efficace car elle prévaut toujours sur les autres. Les instruments internationaux des droits de l'homme tendent en effet à garantir au nom des valeurs communes et supra étatiques, la protection des droits fondamentaux. La convention internationale relative aux droits de l'homme n'est pas soumise au principe classique de réciprocité et au caractère relatif et contingent du traité en droit international. Les obligations conventionnelles en matière des droits de l'homme ne s'imposent dont pas à titre de contrepartie des droits consentis. La Cour européenne l'aura souligné en 1978 dans l'affaire Irlande contre Royaume Unis qu' « à la différence des traités internationaux de type classique, la convention déborde le cadre de la simple réciprocité entre État contractant ». Cette particularité normative se traduit dans l'ordre interne par le principe de l'applicabilité directe des droits de la Charte dans l'ordre interne (A) même si celle-ci semble tempérée par la distinction droits intangibles et droits conditionnels. (B)

A - Le principe de l'applicabilité directe

Dans la communication Legal Resources Foundation c. Zambie, la Commission a invoqué le commentaire général no. 9 (XIX/1998) du Comité des Nations Unies sur les Droits

99 Art 29 Convention de Vienne, droit des traités, art 30 et 31 projet d'articles sur la responsabilité de l'Etat, Commission du droit international

Économiques et Sociaux au sujet du devoir de donner effet au Pacte dans la législation nationale. Il avait été retenue que « les principes internationaux des droits de l'homme légalement obligatoires devraient s'appliquer directement et immédiatement dans le système juridique interne de chaque État partie ; et ainsi permettre aux individus de faire valoir leurs droits devant les Cours et tribunaux nationaux. » A la différence des autres instruments internationaux le traité international relatif aux droits humains énonce des droits erga omnes. Il en découle qu'il jouit de l'effet direct (1) et fait du juge interne le juge de droit commun en matière des droits de l'homme. (2)

1 - La signification du principe

C'est la faculté qu'a l'individu d'invoquer directement devant les juridictions internes les
droits garantis par la Charte. L'applicabilité directe suppose que les droits de la Charte n'ont pas
besoin pour être applicables qu'une disposition spéciale les introduise dans l'ordre interne. Ce
régime ne vaut que sous deux conditions. La première est liée à la réception de la règle
conventionnelle de protection des droits de l'homme tel que précédemment développée.
En effet, la prééminence de la règle internationale de protection des droits humains ne
signifie nullement que celle-ci va se substituer à la règle interne. Les règles matérielles que la
Charte édicte n'ont pas pour visée de supplanter le droit interne, mais au contraire de le
compléter. Il ne s'agit donc pas pour les États parties d'introduire dans leurs ordre interne des
dispositions identiques sur les droits humains, il s'agit simplement, par le fait de la Charte, d'un
minimum de protection définit de façon uniforme pour tous les États parties, lequel harmonise les
ordres juridiques nationaux en fonction du standard de la Charte. Quant à la seconde, elle a trait à
la qualité de la règle internationale. En effet, « un accord international ne peut comme tel créer
directement des droits et obligations pour les particuliers à moins que les parties à l'accord
aient exprimé leur consentement à adopter des règles déterminées créant des droits et des
obligations pour les individus et susceptibles d'être appliquées par des tribunaux internes
»100.
L'effet direct de la norme internationale est une exception qui tient de la volonté des parties
contractante. Mais cette exception est le caractère même des conventions des droits de l'homme.
La Charte africaine décline en son art1er que « les États membres de l'organisation de l'unité

100Affaire de la compétence des tribunaux de Dantzig, CPJI Avis du 3 mars 1928, Série B n°15 p17.

africaine (...) parties à la présente charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou autre pour les appliquer ».

2 - Les effets du principe

L'applicabilité directe de la Charte revient in fine au juge national. C'est dire que, l'effet direct a pour conséquence principale de conférer au justiciable un titre à agir et au juge national un titre à statuer.

Pour le juge, l'effet direct de la charte fait de lui, le juge des droits communs de la charte. C'est à lui qu'il appartient en premier d'assurer la sanction des droits garantis par la Charte. Il s'agit d'une question de « conventionalité », et en cas de conflit entre la Charte et une loi, le juge décide l'application de la Charte en écartant l'application de la loi. La loi, en tant que telle, n'est pas annulée, elle n'est pas déclarée incompatible à la Charte, les effets de sa non application ne se produisent qu'inter partes, et la loi continue à être en vigueur à caractère général, pour toutes les autres personnes juridiques et dans toutes les autres affaires, devant tout autre juge.

C'est donc le juge judiciaire qui est le principal gardien de la « conventionalité » des lois alors que le juge constitutionnel, en tant que juge à attribution spéciale, reste le gardien de la constitutionnalité des lois.

Pour le plaideur, l'effet direct de la Charte lui permet une double option à l'occasion d'une affaire judiciaire. Ainsi, s'il considère qu'il y a contradiction entre une loi interne et la Charte, deux voies de procédure lui sont accessibles. Il peut invoquer l'« inconventionalité » de la loi c'est-à-dire la contrariété directe entre la loi et la Charte, ou l'inconstitutionnalité de la loi c'est-à-dire la contrariété entre la loi et la Constitution. L' « inconventionnalité » de la loi constitue une question préalable, de la compétence du juge judiciaire où elle a été soulevée, et qui doit statuer avant de régler le fond de l'affaire. Par contre, l'inconstitutionnalité représente une question préjudicielle, qui relève de la compétence du juge constitutionnel, sous la forme d'une exception d'inconstitutionnalité, le juge judiciaire étant obligé de reporter l'affaire et de renvoyer l'exception d'inconstitutionnalité devant la Cour constitutionnelle, en réinscrivant l'affaire sur le rôle après la décision constitutionnelle.

Toutefois, la portée réelle de la norme internationale de protection des droits de l'homme dans l'ordre interne, tient aussi aux modalités qui assurent sa mise en oeuvre. La Commission à ce propos souligner l'indivisibilité et l'interdépendance des droits de la Charte.

B - L'affirmation de l'indivisibilité et de l'interdépendance des droits
de la Charte

Bien que la Commission ait affirmé avec force, « qu'aucun État partie à la Charte Africaine ne devrait fuir ses responsabilités en ayant recours aux limitations et aux clauses de limitation de la Charte Africaine. Il a été déclaré, suite aux développements dans d'autres juridictions, que la Charte Africaine ne peut pas être utilisée pour justifier des violations de certaines de ses parties. La Charte Africaine doit être interprétée comme un tout et toutes les clauses doivent se renforcer mutuellement. »101. Cette position de la jurisprudence de la Commission reste originale (2) en ce qu'elle déroge à la distinction classique affirmer en droit international des droits de l'homme (1).

1 - La distinction classique droits intangibles et droits conditionnels.

En droit international des droits de l'homme il est classique de constater que le principe de l'applicabilité directe tend à être relativisé par la distinction102 droits intangibles, droits conditionnels.

La notion de droits intangibles renvoie à l'ensemble des droits conventionnels ne pouvant faire l'objet d'aucune restriction ou dérogation par les États parties à la Charte. Ce sont des droits individuels relatifs à l'intégrité physique et morale de la personne et à sa liberté. La Convention européenne en énonce cinq. Ce sont notamment, le droit à la vie (art 2), le droit de ne pas être torturer ,ni de subir des traitements inhumains ou dégradants (art 3) le droit de ne pas être placé en esclavage ou en servitude et de ne pas être astreint à un travail forcé (art 4), le droit à la non rétroactivité pénale (art 7) et la règle non bis in idem qui interdit aux juridictions d'un même État de poursuivre ou de punir pénalement pour une même infraction quiconque a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif. Le Pacte international sur les droits civils et politiques reprend la liste des droits intangibles de la CEDH à l'exception de la règle non bis in idem

101Com 218/98, Civil Liberties Organisation, Legal Defence Centre, Legal Defence and Assistance Project / Nigeria 102 Il existe d'autres classifications des droits de l'homme notamment la distinction droits classiques, droits sociaux proposé dans l'ordre communautaire européen (voir, Human rights handbook publier par le Ministère néerlandais des Affaires Étrangères, (1995) p.4-7.) Citons aussi, la classification droit processuels/droits substantiels. La classification la plus largement acceptée reste celle qui distingue les droits de la première génération de ceux de la seconde génération. On parle même, suivant le développement historique des droits de l'homme, d'une troisième génération des droits de l'homme.

et l'élargit à trois autres droits : le droit à la reconnaissance de la personnaliste juridique (art. 16), le droit à la liberté de penser, de conscience et de religion (art. 18) et le droit de ne pas être emprisonné pour dette (art. 11).

Le régime juridique des droits conditionnels quant à lui n'est pas homogène. Certains droits sont susceptibles de dérogations et peuvent alors faire l'objet, à titre exceptionnel, d'une non application provisoire mais non de restrictions103. D'autres droits conditionnels sont susceptibles à la fois de dérogations et de limitations.104 Les restrictions peuvent aussi prendre la forme d'une clause générale d'ordre public. Cette clause autorise l'État à limiter l'exercice du droit proclamé tout en laissant subsister le droit: selon elle, l'exercice du droit en cause peut faire l'objet des seules restrictions prévues par la loi et lesquelles sont nécessaires à la protection de l'ordre public dans une société démocratique.

Cette distinction qui contribue à la mise en ouvre des droits de l'homme n'est pas défendable au regard de la jurisprudence de la Commission, qui s'avère distinctive sur la question.

2 - L'originalité de la jurisprudence de la Commission

Contrairement aux autres instruments internationaux des droits de l'Homme, la Charte ne possède pas de clause générale de dérogation, qui permet aux États, en cas de situation d'urgence nationale, de suspendre l'application de certains droits fondamentaux. Certes il existe dans la Charte africaine des clauses de réserve associées à plusieurs articles, par lesquelles la jouissance d'un droit ou d'une liberté peut être limitée par les lois nationales. Par exemple, la liberté d'association est protégée «sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi » (art. 10). Cependant, les clauses de réserve sont conformes au droit international si : « Les raisons de la limitation se fondent sur un intérêt public légitime et les inconvénients de la limitation sont strictement proportionnels et absolument nécessaires pour les avantages à obtenir. - la limitation n'a pas comme conséquence le fait de rendre le droit lui-même illusoire. »105.

103 Il en va ainsi du droit à un procès équitable, du droit à un recours, du droit à l'instruction, du droit à des élections libres

104 C'est spécialement le cas du droit à la liberté et à la sureté.

105 Com 105/93, 128/94, 130/94 et 152/96, Media Rights Agenda, Constitutional Rights Project, Media Rights agenda and Constitutional Rights Project c/ Nigeria

Toutefois la Commission a par ailleurs affirmé l'indivisibilité et l'interdépendance des droits de l'homme.106 En effet, la Commission a d'abord eu la tentation d'écarter l'examen des violations des droits économiques et sociaux107 au profit des droits civils et politiques. Cette résistance a peu à peu cédé aux réalités du continent africain rendant nécessaire la prise en compte de tels droits.

Dans l'affaire Legal Resources Foundation c. Zambie, la Commission a tenue à rappeler « qu'aucun État partie à la Charte Africaine ne devrait fuir ses responsabilités en ayant recours aux limitations et aux clauses de limitation de la Charte Africaine. Il a été déclaré, suite aux développements dans d'autres juridictions, que la Charte Africaine ne peut pas être utilisée pour justifier des violations de certaines de ses parties. La Charte Africaine doit être interprétée comme un tout et toutes les clauses doivent se renforcer mutuellement. Le but ou l'effet de toute limitation doit également faire l'objet d'un examen, car la limitation d'un droit ne peut pas être utilisée pour retirer des droits déjà acquis. Par conséquent, la justification ne peut pas provenir de la seule volonté populaire et, partant, elle ne peut pas être utilisée pour limiter les responsabilités des États Parties en vertu de la Charte Africaine »108. Dans la même affaire l'organe de Banjul a réaffirmé avec la Déclaration et le Programme d'Action de Vienne (1993) que «tous les droits humains sont universels, inter reliés, interdépendants »... et, en tant que tels, ils doivent être interprétés et appliqués en gardant à l'esprit qu'ils se renforcent mutuellement ». En 2002, sur plus de 45 cas examinés par la Commission, 15 concernaient différents droits économiques et sociaux garantis par la Charte109. En admettant que le principe de l'épuisement des recours internes permet en droit international de garantir la primauté de la protection nationale des droits de l'homme, la Commission a reconnu le caractère subsidiarité du mécanisme qu'elle constitue.

106Guide pour comprendre et utiliser la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, op cit, p.37. 107Art. 15-18 Charte africaine des droits de l'homme.

108Com 211/98, Legal Resources Foundation c. Zambie § 70.

109 Guide, op cit, p.37.

CHAPITRE II : LA SAUVEGARDE DU PRINCIPE DE LA
SUBSIDIARITE DE LA PROTECTION
INTERNATIONALE DES DROITS DE L'HOMME.

Pour des raisons historiques et juridiques, les États sont, sinon exclusivement, du moins principalement les acteurs du contentieux international. En effet, le contentieux international relève du droit international. Or, pendant longtemps, les États ont été considérés comme les seuls sujets du droit international. Par conséquent, le droit du contentieux international est d'abord un droit interétatique et le règlement international des conflits internationaux n'est qu'un succédané du règlement national. Pour la Commission, « la demande d'épuisement des recours internes évite que la Commission ne devienne un tribunal de première instance, une fonction qui ne lui est pas dévolue et pour laquelle elle ne dispose pas des moyens adéquats »110. La Commission prend ainsi en compte le principe de la subsidiarité des juridictions internationales (Section I) ainsi que les contraintes spécifiques à ce mode de règlement des différends. (Section II).

SECTION I- UNE PRISE EN COMPTE DE LA SUBSIDIAIRITÉ DES
RECOURS INTERNATIONAUX.

Les juridictions internationales ne ressemblent que très peu aux juridictions internes. Un ensemble d'éléments théoriques participent à différencier les deux ordres. Il tient du caractère primaire de la justice internationale. La justice internationale est primaire en ce que sa saisine dépend largement du consentement des parties, lesquelles déterminent également son rôle (Paragraphe I) et sa place. (Paragraphe II)

Paragraphe I- La reconnaissance du caractère supplétif des recours
internationaux.

L'instance judiciaire internationale est une instance exceptionnelle. Normalement, le règlement de litiges internationaux se fait par voie diplomatique pour ce qui est des différends

110Com 74/92 et 155/96, Social and Economic Rights Action Center, Center for Economic and Social Rights c. Nigeria

entre États, et à travers les juridictions nationales pour ce qui est des différends mettant au prise État et particuliers.

Le juge international n'est saisi qu'en cas d'échec des modes ordinaires de règlement susévoqués. La CPJI considérait déjà qu' « il apparaît bien désirable qu'un État ne procède pas à une démarche aussi sérieuse que l'assignation d'un autre État devant la Cour sans avoir auparavant, dans une mesure raisonnable tâché d'établir clairement qu'il s'agit d'une différence de vue qui ne peut être dissipée autrement ».111 La Commission a estimé que, la règle de l'épuisement des recours internes évite que la Commission ne devienne un tribunal de première instance, « une fonction qui ne lui est pas dévolue »112. Elle reconnaissait ainsi le caractère supplétif de la juridiction internationale. L'idée selon laquelle la Commission est une instance supplétive est traduite par le fait que sa mise en oeuvre n'est pas obligatoire (A) et que son mandat de protection ne s'inscrit que dans une logique d'harmonisation et de coordination (B).

A - La Commission : une instance consensuelle

Dans l'ordre interne, la justice est obligatoire. Toute partie à un litige est en droit de saisir les tribunaux compétents. Cette action oblige la partie adverse à comparaître sauf engagement légal contraire.

Autre est la situation devant la justice internationale. Le recours à une procédure de type juridictionnel est subordonné au consentement des parties (2). Par contre il est avéré que la règle de l'épuisement des recours internes autorise une juridiction internationale à statuer sur un cas déjà solutionné par la plus haute juridiction d'un État. La première question qui se pose est inéluctablement celle de savoir si la Commission Africaine des droits de l'homme et des peuples est une juridiction internationale. (1)

1 - De la juridictionalité de la Commission.

La question de savoir si la Commission est une juridiction internationale, ne manque pas de pertinence. En effet, dans sa décision du 5 mars 1964 relative aux affaires linguistiques belges, la Commission européenne s'était auto qualifiée de « juridiction internationale ». Dans l'affaire Anuak Justice contre Ethiopie, la Commission affirme clairement que « dans la mesure du

111Interprétation des arrêts n°7 et 8, usine de Chorzów arrêt n° 11 du 16 décembre 1927, CPJI, Série A, n°13. 112Com 74/92 et 155/96, Social and Economic Rights Action Center, Center for Economic and Social Rights c. Nigeria

possible, un tribunal international y compris la présente Commission ne devrait pas jouer le rôle d'une première instance, rôle qui ne saurait s'arroger en aucune circonstance ». Le « y compris » conduit à assimiler l'organe de Banjul à un tribunal c'est-à-dire à un organe de type juridictionnel. Cependant, définir la notion de juridiction n'est pas une entreprise consensuelle, il est généralement invoqué l'un ou l'autre des points que sont : le point de vue formel et le point de vue matériel.

Au point de vue formel, il s'agit d'analyser à quels signes se reconnaît une juridiction, question qui « intéresse aussi bien le droit interne que le droit international »113. Il a été suggéré de considérer l'ensemble des règles de forme et de procédure auquel l'organe est soumis. Cellesci ont trait à la composition, à l'organisation et au fonctionnement de l'organe selon qu'elles offrent aux plaideurs les garanties essentielles qu'ils sont en droit d'attendre d'une bonne justice. Ainsi, un organe de règlement a le statut de juridiction dés lors qu'il se soumet à des règles dont l'objet est d'assurer le respect du contradictoire c'est à dire l'égalité des parties. La Commission africaine, à en croire les articles du chapitre III de la Charte, obéis bien à cette exigence du contradictoire et de l'égalité des parties.

Au point de vue matériel, une juridiction se singularise par sa vocation à trancher des litiges avec force de vérité légale. Ainsi et à tout le moins, l'organe exerçant des fonctions juridictionnelles se distingue par le contenu de sa décision. Celle-ci résulte d'un exercice qui consiste à constater les faits d'une situation pour en apprécier la légalité. C'est donc l'autorité de l'interprétation légale qui fonde la juridiction.

Néanmoins il semble que, vouloir opposer les approches formelle et matérielle c'est s'inscrire dans une démarche déductive qui ne peut déboucher que sur une définition purement synthétique. Chaque point de vue repose non sur une analyse de la pratique juridictionnelle, mais sur ce que devrait être cette pratique. En effet, une analyse inter subjective et inductive des juridictions existantes révèle qu'elles possèdent simultanément les caractères soulignés séparément par les deux points de vue. A titre d'exemple, le fondement juridique du règlement devant la Commission comme celui devant toute autre instance judicaire internationale réside dans la volonté des parties en conflit. Les deux procédés étant avant tout des modes juridictionnels de règlement internationaux effectué sur la base du respect du droit. C'est à ce

113 Cavaré (L), « notion de juridiction » AFDI, 1956, pp. 502-503.

titre qu'il a été relevé qu'il « parait impossible de prendre comme critère un certain tout, au moins tel quel, un de ceux, formel ou matériel que le droit interne reconnaît. Il faut dans chaque cas faire état de la structure de l'organisation de la nature des décisions rendues par lui, de la procédure suivie devant lui, du rôle qu'il joue, c'est la seule considération de tout cet ensemble qui peut amener à prendre partie » 114.

A la réalité, les caractères formels ou matériels peuvent être plus ou moins marqués selon les juridictions. Cette gradation des caractères permet de distinguer par exemple, le règlement devant un organe quasi juridictionnel de celui devant un organe purement juridictionnel. Le premier n'assure qu'une fonction juridictionnelle alors que le second jouit de la nature juridictionnelle. En effet, cette distinction tient essentiellement de l'absence des juges et du caractère non obligatoire des décisions lesquelles conduisent à qualifier la Commission de quasi juridiction. Toutefois, à l'instar des juridictions internationales proprement dites, la saisine de cette quasi juridiction est soumise au consentement des parties.

2 - De l'expression du consentement

Le principe de souveraineté fait obstacle à l'établissement d'une justice internationale obligatoire115. Le Droit international n'habilite pas un État à citer unilatéralement un autre devant une juridiction internationale, sauf consentement actuel ou passé du défendeur.

Dans le premier cas, l'acceptation de la juridiction internationale peut intervenir avant la naissance du conflit, on parle de consentement ante délictum. L'acceptation est soit conventionnelle soit, unilatérale.

L'acceptation conventionnelle correspond à un engagement spécial ou à un engagement général. L'engagement spécial est pris dans le cadre d'un traité dont l'objet principal n'est pas le règlement des différends. Il vise les litiges qui peuvent naître de l'application ou de l'interprétation de ce traité. Il s'agit en fait d'une clause compromissoire. Cependant, l'engagement général est stipulé dans un traité ayant pour objet principal le règlement des différends. L'acceptation conventionnelle peut être assortie de réserves116 .

114Ibidem.

115George Abi-Saab parle de justice consensuelle, voir colloque de Lyon « La juridiction internationale permanente », Paris, Pédone, p. 409.

116Affaire du plateau continental de la mer Égée, Grèce c. Turquie, exception de compétence nationale reconnue contre la Grèce, CIJ 19 décembre.

L'acceptation unilatérale correspond à la clause d'option ou clause facultative de juridiction obligatoire comme c'est le cas de l'article 36(2) du statut de la CIJ. Cette déclaration peut être faite simplement ou sous condition de réciprocité pour une durée déterminée. Il s'agit d'une clause facultative en ce sens que nulle partie n'est tenue d'y souscrire, mais sa souscription a pour conséquence de rendre obligatoire la juridiction de la CIJ. Elle permet une saisine par voie de requête unilatérale en dehors de tout compromis.

Dans le second cas, l'acceptation de la Juridiction intervient après la naissance du différend. En principe, le consentement post delictum résulte d'un accord entre parties au différend appelé compromis, dans cette hypothèse, la juridiction est saisie par la notification du compromis (art 40 statuts CIJ).

Exceptionnellement, le consentement peut être donné par l'État défendeur après la saisine unilatérale de la juridiction par son adversaire. Cette acceptation subséquente peut être explicite ou implicite. Elle illustre le principe du forum prorogatum c'est-à-dire, l'extension de la compétence normale de la Cour à une affaire qui d'après les règles ordinaires n'en relève pas.

Ce tempérament constitue donc un phénomène assez exceptionnel. L'indépendance des différentes juridictions existantes les unes par rapport aux autres est bien caractéristique de l'ordre juridique international. Un ordre dominé par le consensualisme et le volontarisme.

Pour ce qui est de la Charte, la ratification par un État de cet instrument vaut instrument vaut acceptation de la compétence de la Commission pour les litiges relatifs à l'interprétation et à la mise en oeuvre de la Charte.

B - La Commission : une instance de coordination et d'harmonisation
des jurisprudences nationales.

Contrairement au contrôle national qui tient d'une logique de compétence souveraine, « Le contrôle international procède d'une logique d'harmonisation (et) de coordination ».117De l'avis de la Commission, « l'un des objectifs visés par la condition d'épuisement des voies de recours internes est de donner la possibilité aux juridictions internes de statuer sur des cas avant de les porter devant un forum international, pour éviter des jugements contradictoires par des lois nationales et internationales.»118 En effet, pour la Commission,« Les mécanismes

117Olinga (A-D), « L'effectivité de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples », op cit, p.181. 118Com 155/96, Social and Economic Rights Action Center, Center for Economic and Social Rights / Nigeria

internationaux ou les missions ne sont pas des substituts à la mise en oeuvre interne des droits de l'homme mais devraient être considérés comme des outils destinés à assister les autorités nationales dans l'élaboration d'une protection suffisante des droits de l'homme sur leur territoire.»119 Deux affaires suffisent à exposer les observations de la Commission concernant son rôle dans la coordination des ordres internes et internationaux. Il s'agit d'une part de la communication 255/2002 sur l'affaire Garreth Anver Prince c. Afrique du Sud120(1) et d'autre part de la Communication 211/98 Legal Resources Foundation c. Zambie (2).

1 - La négation des interprétations restrictive de la doctrine de la marge d'appréciation et la prééminence du mandat de la Commission

Dans l'affaire Garreth Anver Prince c. Afrique du Sud, le plaignant, un Sud Africain, adepte de la religion rastafari s'était vu refuser l'enregistrement de son contrat de travail à titre d'intérêt public par l'Ordre des avocats du Cap de Bonne Espérance. Le refus était motivé par sa double condamnation pour possession de cannabis au titre de la loi sur la possession et le trafic des drogues. Le plaignant maintenait sa volonté de continuer à consommer du cannabis en raison de ses convictions religieuses sur les vertus de l'herbe. L'affaire avait été examiné par les tribunaux sud africains qui donnèrent raison, au regard de la Constitution, à l'Ordre. La Cour constitutionnelle sud africaine, lors de son jugement avait « établi un juste milieu entre les intérêts opposé dans la société tout en restant consciente du contexte historique et du caractère unique de la société sud africaine. ». Le problème semblait délicat puisque l'Etat défendeur, qui était l'Afrique du sud, avait fait remarquer à la Commission qu'en prenant « une décision qui serait en contradiction avec celle prise par un organe judiciaire hautement appréciée, cela sèmerait inévitablement les germes d'un conflit éventuel entre les systèmes judiciaires nationaux et internationaux et perturberais le juste équilibre entre les nouveaux systèmes des droits de l'homme des États membres de l'UA ».

L'État défendeur, avait prétendu qu'« en utilisant les mêmes sources du droit international que les tribunaux sud africains, la Commission africaine parviendra aux mêmes conclusions que ceux des tribunaux nationaux sud africains ».Il avait été recommandé à l'organe de recourir à deux méthodes d'interprétation afin de rendre pacifique la coexistence entre le

119 Com 268/2003 Ilesanmi c. Nigeria.

120 Toutes les références jurisprudentielles citées dans ce sous paragraphe sont tirées de la Com 255/2002 sur l'affaire Garreth Anver Prince c. Afrique du Sud à l'exception des revoient explicitement évoqués.

système judicaire de l'État défendeur et la Charte africaine. Les deux méthodes se rapportaient au principe subsidiaire et à la doctrine de la marche d'appréciation121

Pour la Commission, les deux doctrines établissent la compétence et les devoirs de l'État défendeur dans la mise en oeuvre de la Charte dans l'ordre interne. Ils justifient l'obligation qu'à le plaignant d'épuiser les recours internes prescrit par la Charte. S'il est vrai qu'elles autorisent aux États membres d'introduire des restrictions, il doit être remarqué que les États procèdent à des interprétations restrictives lesquelles ne doivent en aucun cas remettre en cause la prééminence du mandat de la Commission.

Ces interprétations consistent à élargir le champ de la compétence des autorités nationales et à l'inverse amoindrir celui de la Commission. Selon elle, de telles interprétations si elles ne sont pas rectifiées « équivaudraient à déposséder la Commission africaine de son mandat de suivi et de supervision, de la mise en oeuvre de la Charte africaine ». Elles sont donc à proscrire et l'entendement de la Commission sur la question participe à conforter le primat de son mandat.

En matière de coordination entre les systèmes judiciaires nationaux et l'ordre international le rôle de la Commission est clair. Il consiste à «guider, assister, superviser et inciter les États membres à acquérir des normes plus élevé en matière de promotion et de protection des droits de l'homme ». La doctrine du principe subsidiaire et celle de la marge d'appréciation partent de la présomption que les États membres ont donné plein effet aux droits énoncés par la Charte. Nonobstant la discrétion dont jouissent tous les États membres du fait de ces doctrines « elles ne dénient pas à la Commission africaine son mandat ». Il reviendra à celle-ci de se prononcer si les restrictions à apporter aux libertés et droits de l'homme sont compatibles avec la Charte. Pour ce faire elles se réfèrent a l'article 27(2) qui énonce clairement que les droits garantis par la

121 La Commission a reconnu avec l'État défendeur que la doctrine du principe subsidiaire « guide la Charte africaine comme tout autre instrument des droits internationaux et ou régionaux des droits de l'homme par rapport à son organe de supervision respectif créer a cet effet ». Des lors, les compétences de supervision de l'organe subsidiaire qu'est la commission doivent être exercées dans un cadre restreint par le choix des moyens employés par l'État pour donner vie à la Charte dans l'ordre interne. En effet, la Commission ne devrait en aucun cas « se substituer aux institutions nationales dans l'interprétation et l'application de la législation nationale». Elle ne peut remplacer les procédures internes et nationales trouvées dans l'État défendeur pour mettre en oeuvre la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples prescris par la Charte. Il s'agit d'une construction théorique qui « guide la Commission africaine en ce sens qu'elle considère l'État défendeur comme mieux disposé à adopter des politiques, lignes directrices et règles nationales relatives à la promotion et la profession des droits des peuples ». Elle s'explique par le fait que, l'État connait très bien les besoins et les défis de sa société mieux que la Commission. Quant à la marche d'appréciation, elle est une faculté de discrétion dont jouit l'État dans l'application des droits de l'homme .Elle oblige l'organe de supervision à ne pas examiner les communications in abstracto, mais plutôt à la lumière spécifique de l'État défendeur..

Charte « doivent être exercés en tenant dûment compte des droits des autres, de la sécurité collective, de la moralité et de l'intérêt commun ». Aussi, « les restrictions éventuelles doivent être fondées sur l'intérêt légitime de l'État et les conséquences néfastes de la restriction des droits doivent être strictement proportionnelles et absolument nécessaires pour les avantages à obtenir » (§43). Cette position a prévalu dans le cas Garreth puisque les restrictions étaient compatibles et ne violent aucun droit de la Charte.

Par ailleurs, la Commission par la technique de « l'emprunt interprétatif », assure à travers sa jurisprudence l'harmonisation des jurisprudences nationales.

2 - La règle de l'épuisement des voies de recours internes comme instrument de coordination et d'harmonisation de la jurisprudence nationale et internationale des droits de l'homme.

La commission a fait valoir que la règle de l'épuisement des voies de recours internes
« renforce également la relation subsidiaire et complémentaire existant entre le système
international et les systèmes de protection internes. »122
A travers les juridictions nationales,
l'épuisement des voies de recours internes contribue à l'arrimage des législations nationales au
standard commun qu'est la Charte. L'invocabilité de la jurisprudence de la Commission dans
l'ordre interne participe de ce qui a été appelé « le dialogue des juges entre ordres juridiques », à
l'échelle internationale, entre l'ordre juridique conventionnel africain et l'ordre juridique interne.
Dans l'affaire Legal Resources Foundation c. Zambie, la Commission était appelée à se
prononcer sur la légitimité d'une loi portant modification de la Constitution zambienne aux fins
inavouées de priver l'ancien Président Kenneth Kaunda du droit de candidature aux élections
présidentielles. L'organe de Banjul avait alors fait valoir qu'« un organe créé en vertu
d'instruments internationaux comme la Commission n'a aucune compétence pour interpréter ou
appliquer le droit national. Par contre, un organe comme la Commission peut examiner le
respect d'un traité par un État et donc, dans le cas d'espèce, le respect de la Charte Africaine.
Autrement dit l'exercice consiste à interpréter et à appliquer la Charte africaine plutôt que de
tester la validité du droit national
».123 Ces précisions faites, la Commission avait alors « opérer

122Com 299/2005 Anuak Justice Council c. Ethiopie 123Com 211/98 Legal Resources Foundation c. Zambie

un véritable coup de force institutionnel »124en affirmant que : « Lorsque la Commission estime qu'une mesure législative est incompatible avec la Charte Africaine, son avis oblige l'État concerné à rétablir la conformité dans le respect des dispositions de l'article 7 ».125 Une telle interprétation de sa compétence équivaudrait à inviter indirectement la juridiction constitutionnelle zambienne, à travers le contentieux interne des droits de l'homme, à donner des interprétations évolutives de la constitution qui prennent en compte la Charte. Cette perspective, semble être le seul moyen d'éviter des jugements contradictoires entre les juridictions nationales et la Commission de Banjul. En effet, si l'individu doit rechercher la réparation de la violation auprès des juridictions nationales, les États, et les juridictions nationales, doivent également, chercher à éviter une sanction de la Commission. Ils ne peuvent y parvenir qu'en appliquant un droit interne qui reflète et, s'inspire des principes et de la jurisprudence de la Commission. Il ya de ce fait une incitation de la jurisprudence de la Commission à l'endroit du juge national à appliquer le droit interne de manière compatible avec la jurisprudence de la Commission. En influençant l'interprétation même de la loi fondamentale des États, la Commission s'assurer

d'une certaine façon, qu'aucune norme interne ne puisse échapper à un contrôle de compatibilitéavec les dispositions de la Charte. Ce contrôle de la portée des dispositions constitutionnelles

nationales, permet à la Commission de forger bien qu'elle s'en défende, un standard africain qui gomme progressivement les identités juridiques des États.

Du fait qu'elle intervient avant toute décision au fond, la règle de l'épuisement des voies de recours internes participe, peut-être encore plus, sinon autant que le contenu « matériel » des décisions au fond, à l'harmonisation des droits nationaux autour du standard commun qu'est la Charte126. Cette règle est un « mécanisme boomerang »127, qui instaure une forme de coopération, être les juridictions internes et la Commission aboutissant à une mutation du droit interne, conformément aux dispositions de la Charte. Elle constitue un facteur extérieur qui en induisant une modification du droit interne, fait du juge l'acteur essentiel de la standardisation de l'ordre juridique interne.

124Olinga (A-D), « Les emprunt normatifs de la Commission Africaine des droits de l'homme et des peuples aux systèmes européen et interaméricain de garantie des droits de l'homme », op ci, p.517.

125Com 211/98 Legal Resources Foundation c. Zambie

126Sudre(F), « Existe-t-il un ordre public européen ? », in Quelle Europe pour les droits de l'homme ? La Cour de Strasbourg et la réalisation d'une « Union plus étroite » (35 années de jurisprudence : 1959-1994), Bruylant, Bruxelles, 1996, p. 49.

127Sudre (F), « L'influence de la Convention européenne des droits de l'homme sur l'ordre juridique interne», R.U.D.H., 1991, pp. 259-274, p. 265.

Si la Commission a admis que la règle de l'épuisement des recours internes traduit le principe selon lequel la juridiction internationale est une instance supplétive, elle a par ailleurs validé le principe suivant lequel ces juridictions sont exclusivement des organes de derniers recours.

Paragraphe II- L'acceptation du caractère ultime des recours
internationaux.

En reconnaissant que, la règle de l'épuisement des recours interne « évite (également) à la Commission de jouer le rôle d'un tribunal de première instance mais plutôt celui d'un organe de dernier recours »128, la Commission a accepté le principe du caractère ultime des recours internationaux généralement admis en droit international. Cette acceptation s'est traduite par un refus de la Commission à jouer les premières instances (2), refus motivé par les considérations de droit international selon lesquelles la justice internationale est une justice extrême (1).

A - La justice internationale : une justice extrême

Il est constamment rappeler dans la jurisprudence de la Commission que : « Dans la mesure du possible, un tribunal international, y compris la présente Commission, ne devrait pas jouer le rôle d'une première instance, rôle qu'il ne saurait s'arroger en aucune circonstance. L'accès à un organe international devrait être disponible mais seulement en dernier ressort : après épuisement et échec des recours internes ».129 Dire que la juridiction internationale est une justice extrême, c'est reconnaître qu'elle ne peut aucunement constituer un premier degré de juridiction puisqu'il n'existe pas une hiérarchie formelle des tribunaux dans l'ordre international

(1). Toutefois, il y-a lieu de signaler que ce principe connaît un certain nombre de tempéraments

(2).

1 - L'absence de soumission à une juridiction suprême.

Contrairement à l'ordre interne, les justiciables de l'ordre international choisissent la juridiction qui tranchera leur litige. Il n'existe pas de règle générale les soumettant à un ordonnancement judiciaire précis. L'ordre international a entre autres caractéristiques

128Com 147/95 et 149/96 Sir Dawda K. Jawara c .Gambie, §31. 129 Com 299/2005 Anuak Justice Council / Éthiopie

fondamentales l'absence d'un aménagement judiciaire comparativement à l'ordre interne. Le Professeur Rafa'a Ben Achour écrit : « il n'existe pas de système de juridiction hiérarchisé avec au sommet une juridiction suprême ayant pour rôle la vérification et l'harmonisation de la jurisprudence ». 130

Dans l'ordre interne, les tribunaux s'insèrent dans un ordonnancement hiérarchisé qui traduit la procédure devant les juridictions nationales. Ainsi les justiciables sont obligés de saisir les juridictions inférieures avant de prétendre aux l'instance supérieures. Pour preuve, la saisine des juridictions supérieures est conditionnée par la saisine préalable des juridictions inférieures.

Il en va autrement dans l'ordre international. A l'image de l'ordre international, « la justice est en effet décentralisée, éclatée et les différentes juridictions qui existent ne sont pas soumises à une autorité juridictionnelle suprême »131. C'est à cet égard qu'il a été affirmé « que la justice internationale n'existe pas, il n'y a que des juridictions internationales ».132Elle n'existe pas car sa saisine demeure très largement fermée aux autres sujets de droit international et, largement soumise à la discrétion des États. Il y a tout de même quelques tempéraments au morcellement de la justice internationale.

2 - Les tempéraments au morcellement de la justice internationale

Il existe en effet des juridictions dont les décisions sont susceptibles d'appel devant une autre juridiction internationale. Cette tendance peut se voir dans trois hypothèses.

D'abord, une partie au litige peut sous certaines conditions contester devant la CIJ la validité d'une sentence arbitrale. C'est ce qui ressort de l'affaire de la sentence arbitrale rendue par le Roi d'Espagne le 23 décembre 1906133 . Ensuite, la CIJ est juge d'appel des décisions du Conseil de l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI) et ce au terme de l'article 84 de la convention relative à l'aviation civile internationale du 17 décembre 1944 134Chicago. Enfin, la CIJ peut être saisi pour avis sur la validité des décisions rendues par le Tribunal Administratif des Nation Unies.

130Rafa'a Ben Achour, « Quel rôle pour la justice internationale ? », Colloque de Tunis 13, 14 et 15 Avril 2000 Justice et juridictions internationales (dir) Rafa'a Ben Achour et Slim Loghmani, Paris, Pédone 2000, p.17. 131Ibid, p.17.

132Cavare (L), cité par Rafa'a Ben Achour Ibid., p.17.

133Voir aussi l'arrêt du 18 novembre 1960, CIJ, recueil 1960, sentence arbitrale du 31 juillet 1989 Guinée Bissau contre Sénégal. Arrêt du 12 novembre 1991 CIJ recueil 1991.

134Cf. Appel concernant la compétence du Conseil de l'OACI, Arrêt du 18 Août 1972 CIJ, recueil 1972

Il y a lieu de préciser néanmoins que la CIJ est une institution comme les autres, elle n'est « au terme de l'article 92 de la charte des Nations Unies, que l'organe judiciaire « principale » (et non suprême) de l'ONU et non de la Société internationale ». Elle ne constitue donc pas d'office une juridiction d'appel ou de cassation à l'égard des autres tribunaux internationaux. Ce tempérament constitue donc un phénomène assez exceptionnel. L'indépendance des différentes juridictions existantes les unes par rapport aux autres est bien caractéristique de l'ordre juridique international. Un ordre dominé par le consensualisme et le volontarisme. Cependant de ce que les juridictions internationales sont indépendantes, peut on conclure que la Commission est un organe suprême ?

B - La Commission : Un recours suprême ?

Le caractère supplétif du règlement international présente la juridiction internationale comme un organe de dernier recours. La Commission a plusieurs fois rappelé que « la justification de la règle de l'épuisement des voies de recours tant dans la Charte que les autres instruments internationaux des droits de l'homme évite à la Commission de jouer le rôle d'un tribunal de première instance mais plutôt celui d'un organe de dernier recours ».135 Cette aperception est conforme à la Charte (1) mais tend à être relativisée au regard du nouveau système africain des droits de l'homme (2).

1 - Selon la Charte africaine

En tant que texte constitutif de la Commission, la Charte africaine reconnaît à l'organe, un mandat de promotion et de protection des droits de l'homme en Afrique (art 30). Une analyse des dispositions pertinentes de la Charte, notamment celle du chapitre III permet d'affirmer que la Commission constitue bien l'organe de dernier recours en matière des droits de l'homme en Afrique.

Dans le cadre des communications étatiques, il est institué en vertu des articles 47, 48 et 49 une procédure de conciliation préalable à la saisine de la commission. L'échec de la négociation bilatérale ou de toute autre voie de règlement pacifique justifie que les Etats disposent du droit de saisir la Commission. Cette disposition ne signifie pas que la négociation

135Com. 25/89Jawara contre Gambie, com. 74/92, Free Légal Assistance Group et autre c. Zaïre, et com. 83/92 Degli et autre c. Togo.

soit obligatoire. L'unique communication étatique136 enregistrée jusqu'à cette date, confirme bien la possibilité garantie par l'art 49 d'une saisine direct de la Commission. Il ne pouvait en être autrement puisqu'on sait que ni dans la Charte « ni ailleurs en droit international de règle générale selon laquelle l'épuisement des négociations diplomatiques serait un préalable à la saisine de la Cour »

Les juridictions internationales ne sanctionnent l'obligation de négocier que si elle a été expressément souscrite par la partie contre laquelle elle est invoquée. Par ailleurs, l'exigence d'épuiser les recours internes, commune aux deux types de communications participe à rendre compte du fait que la Commission constitue bien un organe ultime de recours ou de dernier recours.

2 - Selon le nouveau système africain de protection des droits de l'homme.

Le nouveau système mis en place par le protocole additionnel de 1998 instituant la Cour africaine des droits de l'homme tend à relativiser le caractère ultime du recours devant la Commission. Dans l'avènement de la Cour africaine, le caractère ultime du recours devant la Commission semble être mis en bémol. Le rôle de la Commission risque s'inscrire dans une logique de dépendance et de subordination à la Cour africaine dont elle est l'antichambre en matière de recevabilité. Dans la nouvelle configuration du système il est difficile de savoir si la décision de la recevabilité, prise au niveau de la Commission lie la Cour africaine. En d'autres mots dans le cadre de la saisine directe la Cour peut elle examiner une communication alors que la Commission l'a déclarée irrecevable ? En l'état actuel du droit positif cette question semble être sans réponse. Néanmoins l'extension des compétences de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples à l'application d'autres instruments internationaux de protection des droits humains137 suggère de répondre par l'affirmative. Tel est le cas lorsque l'irrecevabilité

136La Communication 227/99, R. D. Congo / Burundi, Rwanda et Ouganda est à cette date l'unique communication examinée par la Commission. Introduite au Secrétariat de la Commission le 8 mars 1999 elle à été examine à la 33eme session en mai 2003.

137En effet, l'article 3 du Protocole de Ouagadougou dispose: « La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés ». L'article 7 stipule que : « la Cour applique les dispositions de la Charte ainsi que tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par l'État concerné ». Ces dispositions sont reprise par l'article 26 § 1 du Règlement intérieur intérimaire de la Cour africaine.

devant la Commission est fondée sur l'incompétence de l'organe à statuer sur les différends relatifs à des textes autres que la Charte. De même L'article 6 § 1 du Protocole dispose que : « la Cour, avant de statuer sur la recevabilité d'une requête introduite en application de l'article 5 § 3 du présent Protocole, peut solliciter l'avis de la Commission qui doit le donner dans les meilleurs délais ». Cette disposition semble indiquer que la Commission ne serait plus un organe de denier recours.

Il importe de préciser que les rapports entre la Cour et la Commission africaine sont plus des rapports de complémentarité que des rapports de compétition. Au regard de cet attelage, il apparaît évident que la primauté de la Cour sur la Commission est avérée. En effet sans, nécessairement reprendre la forme, le système africain de protection des droits de l'homme est catalogué sur le modèle européen lequel trahit la prééminence de la Cour, nature juridictionnelle oblige. La fusion prochaine de la Cour de justice africaine d'avec la Cour africaine des droits de l'homme traduit à suffisance cette option. Il n'ya qu'a constater que la Commission est conservée dans la Section droits de l'homme de la future Cour africaine de justice et des droits de l'homme (CAJDH).

A travers le principe de l'épuisement des recours internes la Commission n'a pas seulement admis la subsidiarité des recours internationaux, elle a aussi reconnu les difficultés relatives à ce type de procédures.

SECTION II- UNE PRISE EN COMPTE DES CONTRAINTES DU
RÈGLEMENT INTERNATIONAL

La Commission a pris en considération les difficultés liées à la mise en oeuvre des recours internationaux. Elle a admis qu': « En outre, les recours internes sont normalement plus rapides, moins onéreux et plus efficaces que les recours internationaux. Ils peuvent être plus efficaces au sens qu'un tribunal d'appel peut casser la décision d'un tribunal inférieur alors que la décision d'un organe international n'a pas cet effet, bien qu'elle engage la responsabilité internationale

de l'Etat concerné. »138 Ceux-ci justifient la subsidiarité du règlement international et peuvent être appréciées sous deux angles. Il y a d'une part les nécessités qu'impose le travail de la Commission. (Paragraphe I) D'autre part, il y'a les réalités peu attrayantes auxquelles donne lieu le recours au règlement international (Paragraphe II).

Paragraphe I : Le souci du filtrage et de la diligence dans le traitement
des communications

La règle de l'épuisement des recours locaux a entre autre fonction d'assurer un certain filtrage des communications (A) et de permettre la célérité dans le traitement de ces communications (B).

A - Le filtrage des communications

Certes, les sept conditions de recevabilité servent toutes d'une certaine manière à filtrer les requêtes devant la Commission. Cependant, l'épuisement des recours locaux est la condition qui assure le mieux cette fonction. En effet si toutes les autres à l'exception de l'article 56(6) peuvent être remplies dès lors qu'il y a violation des droits de la Charte, la condition 56(5) exige nécessairement un certain temps. Cela évite le rôle de la Commission d'être engorgée (2) dans un contexte où les violations sont plurielles (1).

1 - La réalité des violations plurielles et multiformes

L'Afrique continue de s'illustrer par l'autoritarisme de ses dirigeants politiques. La conception et la gestion du pouvoir par les leaders politiques africains tire plus dans l'autoritarisme que dans la démocratie. Cette situation se traduit par des politiques répressives extrêmes à la suite de chaque contestation des régimes au pouvoir. Au nom de la construction nationale, il s'est développé en Afrique une véritable culture de l'impunité des violations des droits de l'homme par l'Etat et ses agents. Dans le passé, et notamment cette dernière décennie, les situations de crise qui ont frappé nombre d'Etats africains font état de multiples violations des droits de l'homme. A titre d'exemple, dans la seule année de 2008 à 2009, l'Afrique a été secouée par des crises aux répressions politiques très critiquées. Il est notable de citer la

138Com 299/2005 Anuak Justice Council / Ethiopie

répression des émeutes de la vie chère qui ont eu lieu au Cameroun en février 2008, la répression des contestations électorale au Togo et au Zimbabwe, les assassinats politiques en Guinée Bissau et la récente répression de la junte militaire en Guinée Conakry (28 septembre 2009).

Il ne s'agit là que de violations intéressant l'opinion internationale, parce que rendues visibles par l'activité des mass médias. D'autres violations multiformes prolifèrent. Elles touchent des individus isolés, des groupes minoritaires dans leurs droits les plus absolus tel que la vie, l'intégrité physique, la propriété.139

Cette multitude de violations quotidiennes de la Charte, permet d'entrevoir ce que pourrait être le rôle de la Commission, si la règle de l'épuisement des voies de recours, n'assurait pas son rôle de filtre. Il est clair qu'il y aurait risque d'engorgement.

2 - Le risque d'engorgement de la Commission

A l'idée que les multiples violations précédemment évoquées parviennent devant la Commission, celle-ci se trouverait inévitablement débordée. Le principe subsidiaire, que garantie la règle de l'épuisement des voies de recours, sert à éviter une telle situation. En réalité, il évite que des requêtes fantaisistes et manifestement mal fondées n'arrivent au rôle de la Commission et encombre celui-ci. Il canalise les demandes en justice vers les juridictions internes, plus nombreuses et diverses. Organe unique pour tout un continent, la Commission ne peut prendre en charge à elle toute seule, autant de demande en justice. Seules les requêtes pertinentes qui n'ont pas de réponse en droit interne sont retenues par la Commission. L'engorgement du rôle de la commission compromettrait considérablement son mandat de protection puisqu'il conduira à différer le rendu d'une justice dont la diligence est déjà querellée.

B - La diligence dans le traitement des communications

Le souci de la célérité de la justice est une préoccupation constante en matière de protection des droits humains. La diligence dans le traitement des communications est une résultante du rôle de filtre que joue la règle 56(5). Il est pertinent de préciser que cette diligence se trouverait fortement compromise dès lors que les méthodes et la fréquence de travail de la commission semblent inadéquates (1). Par ailleurs, la durée de l'instance de recevabilité devant la

139Voir Rapport des droits de l'homme 2007-2008, Union Interafricaine des Droits de L'homme, disponible, en ligne www.fidh.org

Commission est un argument sérieux qui participe au souci de célérité dans le traitement des communications (2).

1 - L'incommodité des méthodes de travail

La Commission tient deux sessions ordinaires par an, c'est-à-dire une session tous les six mois. Chaque session ordinaire dure deux semaines, au cours desquelles elle examine les communications à elle soumises et remplit certaines de ses obligations de promotion. Elle a tenu sa première session le 2 Novembre 1987 à Addis-Abeba. Elle a également la possibilité de se réunir en session extraordinaire sur décision de son président et selon les modalités de l'article 3 de son règlement intérieur. La durée de rencontre de la Commission, comparativement au nombre éventuel de communication conduirait inéluctablement à l'impasse. Ceci est d'autant plus vrai qu'il a été observé que les « réunions sont ainsi trop brèves pour permettre un travail approfondi »140 il a même été constaté qu'« Au fil des ans, il est devenu claire que les quatre semaines au cours desquelles la commission se réunit chaque année sont inadéquates pour permettre à la Commission de remplir son mandat »141.

Par ailleurs pendant les deux semaines que durent les travaux, la moitié des sessions est ouverte au public et l'autre moitié est tenue à huis clos. C'est pendant cette seconde moitié, soit sept jours, que les affaires confidentielles et les communications sont examinées.142

Au regard du champ et de la masse du contentieux africain des droits de l'homme ces sept jours de travail sont insuffisants et la règle joue un véritable rôle de frein.

2 - La durée de l'instance de recevabilité devant la Commission.

Il faut distinguer la procédure de saisine de la procédure de recevabilité. Selon l'art 55(1) la soumission d'une communication est suivie par leur compilation par le Secrétaire de la Commission en une liste transmise par le Secrétaire à chaque membre de l'organe. Les articles 55(2) de la Charte et 102(1) du règlement intérieur prévoient qu'une communication est prise en compte si elle a été admise par la majorité simple des onze membres de la Commission.

140Atangana Amougou (J-L), « La commission africaine des droits de l'homme et des peuples », op cit, p.100. 141Bahame Tom Nyanduga, « Perspectives on the African Commission on Humans' and Peoples Rights' at the occasion of the 20th Anniversary of the entry into force of the African Charter on humans' and Peoples Rigths' », African Human rights law journal, vol 6, n°2, 2006, p. 259.

142Murray (R), « The African Charter on Human and Peoples' Rights' 1987-2000: An overview of its progress and problems », African human rights law journal (AHRLJ), vol 1, n°1, 2001, p.8.

La procédure normale veut que, la saisine et la recevabilité soient considérées en deux sessions différentes. Ces sessions ne sont pas nécessairement consécutives, dans la communication 97/93, Modise contre Botswana, la Commission a décidé de la saisine de la communication à sa 13ème session et ne l'a déclaré recevable qu'à sa 17ème session, contrairement à la communication 204/97, Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des peuples contre Burkina Faso ou la saisine a eu lieu à la 23ème session et la recevabilité à la 24ème session. Selon l'article 114 du règlement intérieur, la Commission examine les communications suivant l'ordre de leur réception ceci afin d'assurer que chaque communication reçoivent l'attention qu'elle mérite. Il s'en suit qu'une période d'au moins un an sépare le moment de la saisine de celui de la recevabilité. Pour preuve, l'une des communications qui a mis le moins de temps devant la Commission est la communication 221/98, Cudjoe c. Ghana. Reçue au secrétariat de la Commission en 1998, elle a été soumise à la Commission à la 24ième session en octobre 1998 et déclarée recevable à la 25ième session de mai 1999 date à laquelle elle fut examinée. Elle aura passé un an devant l'organe. L'une des plus longues instances est la communication Malawi Afican Association c. Mauritanie. Elle est restée devant la Commission du 14 novembre 1991 à mai 2000 soit neuf ans.143. La durée moyenne de l'instance de recevabilité semble être de quatre ans. En effet, en faisant une analyse statistique des différentes durées d'instance, on peut conclure que la plupart des communications restent pendantes durant près de quatre ans avant de se voir examiner144. Cette situation est réelle alors que l'art 113 du Règlement Intérieur de la Commission, prévoit que la Commission décidera le plut tôt possible si la communication est admissible selon la Charte.

Les requêtes étant examinées par ordre de saisine, une requête qui arrive au rôle de la Commission devra attendre que toutes les requêtes qui l'ont précédé soient examinées avant de

143Com 54/91, voir également communication 65/92 Ligue Camerounaise des Droits de l'Homme contre Cameroun (1992-1997) communication Association pour la Défense des Droits de l'Homme et des Liberté contre Djibouti (1994-2000) communication 73/92 Diakate contre Gabon (1992-2000), Com 39/90, Annette Pagnoulle( pour le compte de Abdoulaye Mazou ) c. Cameroun (1990-1997)communication 97/93 Modise contre Botswana (1993-2000) la Commission avait elle-même reconnu que « cette communication est longtemps resté en instance devant la commission »

144Voir et comparer les Com 104/93, Centre pour l'indépendance des magistrats et des avocats c Algérie (1993- 1995) ; Com 16/88, Comite Culturel pour la Démocratie au Bénin et autres c. Bénin (1988-1995); Com 97/93, John k. Modise c. Botswana (1993-2000); Com 39/90, Annette Pagnoulle( pour le compte de Abdoulaye Mazou ) c. Cameroun (1990-1997) ;Com 59/91, Embga Mekongo c. Cameroun (1991-1995); Com133/94, Association pour la Défense des Droits de l'Homme et des Libertés c. Djibouti (1994-2000); Com 40 :90, Bob Ngozi Njoku c. Egypte (1990-1997); Com 73/92 Mohammed Lamine Diakité c. Gabon (1992-2000); Com 90/93, Paul S Haye c. Gambie (1993-1995) ;Com 86/93, M S Ceesay c. Gambie (1993-1995); Com 147/95 et 149/96 Sir Dawada K. Jawara c.Gambie (1996-2000); Com 54/91 Malawi Afican Association c. Mauritanie (1991- 2000) .

recevoir l'attention de la Commission. La règle, en filtrant le nombre de requête réduit le nombre d'année que la requête pourra faire en instance car le moins elles sont, le plus vite elles seront traitées pour faire place au traitement d'autres.

Paragraphe II- Les considérations relatives au coût et à l'effectivité du
règlement international

Le plaignant qui décide d'emprunter les recours internationaux devra faire face à certaines réalités. Parmi celles-ci le coût de la procédure internationale (A) et la relativité de la décision du juge international (B) semblent être des plus notables.

A - Le coût élevé du règlement international

Dans l'affaire Annuak Justice contre Ethiopie, la Commission observe que « les recours internes sont normalement plus rapides, moins onéreux et plus efficaces que les recours internationaux »145. C'est dire en d'autres termes que la procédure internationale serait plus coûteuse (1) ce qui justifie la pratique de l'actio popularis (2).

1 - Les frais de procédure et la représentation légale.

Dans l'ordre interne, la gratuité de la justice est assurée par le principe de gratuité du service publique. Il reste que la gratuité de la justice ne dispense pas de certaines charges légales. Les dépenses se composent d'une part des différents frais de justice, d'autre part des droits de greffe146. Il faut ajouter à ces dépenses, le coût de la représentation que sont les émoluments ou droits d'avocat, lesquelles comprennent un droit fixe de constitution de dossier et un droit proportionnel fixé en fonction de la difficulté et de l'importance de la procédure.

Il n'existe ni dans la Charte ni dans le règlement intérieur de la Commission une clause prévoyant la provision d'une représentation légale pour les requérants. Aucun article ne prévoit

145Com 299/2005 Anuak Justice Council / Ethiopie, 20eme Rapport d'activités.

146 Les frais de justice couvrent les frais de correspondances et de notification, les frais d'établissement des copies et des requêtes, mémoires et pièces jointes ou des expéditions des jugements et arrêts notifier aux parties, des frais d'instruction et de greffe et des frais de timbres et d'enregistrement. Quant aux droits de greffe, ils sont destinés à l'expédition, à la mise au rôle, à la transcription des actes, aux actes reçus par le greffier, aux frais d'affranchissement et à la notification. Voir pour les développements sur les frais de justice dans l'ordre interne Guimdo Dogmo (B-R), « Le droit d'accès à la justice administrative au Cameroun. Contribution à l'étude d'un droit fondamental. », op cit, p.208.

une assistance légale pour les requérants indigents. Or le magistère d'un avocat est de plus en plus nécessaire puisque la jurisprudence de la Commission est de plus en plus complexe. Un avocat est plus outillé pour les questions techniques de la phase de recevabilité surtout lorsque les voies de recours internes non pas été épuisées ou que les procédures se prolongent indûment. Les honoraires de plaidoirie de l'avocat qui sont fixés d'accord partie entre l'avocat et le requérant sont variables. Comme l'a écrit le Doyen M. Kamto, ils « dépendent en général de la notoriété de l'avocat, de la difficulté du procès, de l'importance de la procédure, de l'intérêt en jeu...et parfois aussi du « statut social » du client ».147 Ils représentent un obstacle majeur à la saisine de la Commission.

Par ailleurs, le plaignant supporte les frais de traduction, dans les langues de travail de la Commission des documents annexés à sa plainte. Les copies de ces documents que le Secrétariat de la Commission transmet aux parties sont faites aux dépens du demandeur.

Il est donc clair qu'au niveau international également, et conformément à ce qui a été observé, « la gratuité de la justice est un leurre au vue des frais qu'il faut engager ».148Le coût élevé de ce contentieux a conduit à l'admission de l'actio popularis.

2- Les limites de l'actio popularis

Dans un continent marqué par la pauvreté, le coût des procédures internationales est un obstacle incontestable à franchir. La Charte tient compte cette réalité. Elle permet que l'auteur de la communication ne soit pas nécessairement la victime mais toute autre personne physique ou morale agissant en son compte. La Commission permet à un large panel de personnes et d'organisations de soumette des Communications sans qu'il ne leur soit exigée un intérêt à agir. Cette approche est plus connue sous l'expression latine actio popularis. L'actio popularis est un principe qui renvoi à une capacité légale et générale des individus ou institutions à initier une procédure. Si une telle perspective a le mérite d'aider les victimes indigentes, il convient de dire qu'elle a néanmoins été prouvée désavantageuse lorsque les plaignants ont de grandes difficulté à apporter des informations et des preuves suffisantes concernant certaines violations. A titre d'exemple dans l'affaire Interrigths pour le compte de (de Safia Yakobu Husaini) et Autres c.

147 kamto (M), Droit administratif processuel du Cameroun, Presses Universitaires du Cameroun, Yaoundé, 1990, p. 95. Cité par Guimdo Dogmo (B-R), Ibid p. 208.

148Guimdo Dogmo (B-R), « Le droit d'accès à la justice administrative au Cameroun. Contribution à l'étude d'un droit fondamental. », op cit, p.209.

Nigeria, la communication avait été rédigée et introduite par l'ONG Interigths. Elle alléguait différentes violations de la Charte par les Cours nigérianes appliquant la nouvelle loi sur la Charia notamment, la Condamnation à la mort par lapidation de Mme Safia Yakobu Husaini par la Cour de l'État du Sokoto au Nigeria. Il s'est avéré que pendant le procès l'ONG a été incapable de prouver suffisamment les allégations qu'elle avait faites149.

Cet exemple comme bien d'autres, montre que les ONG, qui depuis prolifèrent, ne se rapprochent pas suffisamment des victimes pour avoir l'information nécessaire. Une situation préjudiciable quant on sait que la Commission n'examine les Communications qui portent sur des faits avérées de violations des droits de l'homme150. Au cas contraire, la communication est simplement rayée du rôle de la Commission ce qui est forcement au détriment de la victime. Par ailleurs, les ONG comme tout autre individu ont la faculté de retirer la communication même si ce retrait n'est pas nécessairement à l'avantage de la victime. Cette faculté s'explique par la logique conciliatoire qui guide la Commission151. Il arrive qu'une ONG décide de retirer ou d'arrêter de poursuivre une communication à cause d'un changement de priorité. Le Contentieux africain des droits de l'homme semble dominer par l'initiative et la pratique des ONG. Il semble être de facto un contentieux entre États et ONG. Lorsque la victime est en même temps le plaignant comme il est généralement de règle en droit interne, elle dispose de plus de chance pour permettre l'examen au fond de sa plainte et le cas échéant obtenir réparation. La règle de l'épuisement des recours internes participe à favoriser cette option, ce d'autant plus que les solutions internationales semblent relatives.

B- La relative effectivité du règlement international

La Commission a affirmé que la règle de l'épuisement des recours internes se justifiait par le fait que « les recours internes sont normalement plus rapides, moins onéreux et plus efficaces que les recours internationaux. Ils peuvent être plus efficaces au sens qu'un tribunal d'appel peut casser la décision d'un tribunal inférieur alors que la décision d'un organe international n'a pas

149 Com 269/2003, Interights (on behalf of Safia Yakobu Husaini & Others) v Nigeria 18 rapport d'activité 150Com 224/98Media Rights Agenda c/ Nigeria, Com 225/98 - Huri-Laws c/ Nigeria.

151 Olinga (A-D), « L'Afrique face à la globalisation des techniques de protection des droits de l'homme », op cit, p.158.

cet effet, bien qu'elle engage la responsabilité internationale de l'État concerné ».152 Ainsi comparativement au règlement national qui jouit de la force obligatoire et des mécanismes coercitifs d'application, tel le recours à la police judiciaire ou à la contrainte par corps, le règlement international est relativement efficace. Ceci s'explique par la nature de ses décisions (1) et l'absence d'une autorité d'appel pour les réviser (2).

1 - La nature et la portée des règlements internationaux

La juridiction internationale donne des décisions obligatoires pour les parties. On parle de la force obligatoire des décisions de juridictions internationales. Par contre, les quasis juridictions à l'instar de la Commission, émettent des décisions qui n'ont pas de force Obligatoire Elles ont l'autorité de la chose constatée, contrairement à celle des juridictions qui ont l'autorité de la chose jugée.

La typologie de ces décisions en est une illustration. Si les juridictions rendent des arrêts et que les arbitres prononcent des sentences, les quasi juridictions ne font elles, que des recommandations ce que la doctrine a défini comme des résolutions d'un organe international, dépourvu en principe de force obligatoire pour les États parties153.

Cependant au-delà du plan théorique il n'ya pas de grande différence entre les recommandations et les arrêts pris dans le cadre des droits de l'homme. Comme l'écrit le professeur Karel Vasak « il n'existe pas d'institution de droit de l'homme exerçant une fonction de sanction »154. Le fait est que la mise en oeuvre d'une recommandation comme celle d'un arrêt, dépend encore de la bonne foi de l'État mis en cause. Il n'y a pas de mesure de contrainte directe sur l'État, sinon celle touchant sa réputation et son honorabilité. Aucune institution chargée du respect des droits de l'homme ne dispose d'un pouvoir coercitif efficace.

2 - L'absence d'une juridiction d'appel

La décision d'un tribunal international est irrévocable. Cette situation s'explique par l'absence d'une véritable hiérarchie des tribunaux internationaux tels que précédemment

152 Com 299/2005 Anuak Justice Council / Ethiopie

153Guilien (R) et Jean Vincent, lexique des termes juridiques (dir) Serge Guinchard et Gabriel Montagnier, 8ième éd, Dalloz, 1990, p.409.

154Vasak (K), « Les institutions internationales de protection et de promotion des droits de l'homme », in Les dimensions internationales des droits de l'homme, dir Karel Vasak UNESCO, Paris, 1978, p. 244.

évoqués. Elle ne peut faire l'objet d'un autre examen par un autre organe. Cette situation qui concerne le jugement au fond est confortée par la règle contenue à l'article 56(7) selon laquelle les communications sont recevables si elles n'ont fait l'objet d'un examen devant une autre juridiction. Cet article, est commun aux instruments régionaux de protection des droits de l'homme et traduit le principe classique « electa una via, non datur recursus ad alteram »155.

La question reste de savoir si dans un système comme celui Africain, qui consacre l'attelage Commission-Cour, une affaire examinée au fond par la commission, peut faire l'objet d'un appel devant le Cour africaine ?

155Olinga (A.D) « Le contentieux camerounais devant le CDH et la Commission Africaine de Banjul », op cit, note n°7, p.116.

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE

La règle de l'épuisement des voies de recours internes comme préalable à la saisine d'une juridiction internationale a été développée et appliquée en droit international général avant de s'étendre dans les conventions internationales de protection des droits de l'homme. En faisant constamment référence à ces cadres dans sa jurisprudence, la Commission est venue prendre acte de l'existence d'une définition fonctionnelle ayant cours dans la pratique de l'arbitrage international, de la protection diplomatique et du contentieux international des droits de l'homme. A l'occasion, elle a réaffirmé la double fonction de la règle. D'une part elle a accepté que la règle vise à garantir le principe de la primauté des juridictions nationales dans le règlement des différends entre États et individus. Ce faisant elle consacrait de manière tacite mais fort innovante, le principe de la souveraineté des États et celui de la primauté de la Charte dans l'ordre juridique interne. D'autre part, elle a admis que la règle permet de s'assurer que le recours aux instances internationales reste un mode subsidiaire de règlement de ce type de différends. Il s'agissait pour la Commission de reconnaître le rôle de substitut et les contraintes du règlement international. Néanmoins, si l'emprunt de la définition fonctionnelle permet à la Commission de circonscrire la finalité de la règle, et partant de dégager sa légitimité, elle ne lui sert que trop peu à la mettre en oeuvre. Aussi lui est-il apparut essentiel d'élaborer par elle-même une définition substantielle.

L'AFFIRMATION D'UNE DEFINITION

MATERIELLE DE LA REGLE.

SECONDE PARTIE :

Il est difficile à la seule lecture des articles 56 (5) de la Charte et 97 du règlement intérieur, de se rendre compte de la densité normative de la règle d'épuisement des recours internes. En effet, « cette règle simple dans sa formulation s'avère en réalité assez complexe à mettre en oeuvre ».156L'un des mérites de la Commission africaine a été d'apporter une définition matérielle à cette règle. Dans cette oeuvre d'interprétation, la Commission d'une manière générale ne s'est pas éloignée de la définition substantielle pourvue par les autres mécanismes de protection des droits humains. Elle a par contre adopté des approches différentes sur certains points. Il ressort de la pratique de la règle que la Commission est guidée par un souci permanent de rester fidèle au sens matériel qu'elle a progressivement élaboré. En effet, « En interprétant et en appliquant la Charte Africaine, la Commission se fonde sur les précédents juridiques de plus en plus nombreux créés par ses décisions prises sur presque quinze ans environ ».157 L'affirmation d'une définition substantielle de la règle est le signal d'une volonté d'harmonisation de la jurisprudence. Cette définition matérielle constitue donc le modus operandis de la Commission en matière de recevabilité. Elle a été dégagée à l'occasion de l'établissement de la preuve de l'épuisement des recours internes et des motivations relatives à la décision sur la recevabilité des communications. Il s'est agi pour la Commission, d'une part, de souligner la nécessité et de requérir des critères fondamentaux pour l'application du principe (Chapitre I) et d'autre part, d'indiquer et de défendre sa flexibilité dans l'application des exceptions (Chapitre II)

156Pettiti (L E), Decaux (E), Imbert (P-H), La convention européenne des droits de l'homme commentaire article par article, op cit, p.591.

157Com 218/98, Civil Liberties Organization, Legal Defense Centre, Legal Defense and Assistance Project / Nigeria

CHAPITRE I : L'EDICTION RESTRICTIVE DES
CRITÈRES D'APPLICATION DU PRINCIPE

En droit processuel, l'établissement de la preuve est un élément central du procès. Elle en constitue le pilier, car la preuve est un élément déterminant dans la résolution du litige et l'application du droit. Dans la quête de la preuve que les recours internes ont été dûment épuisés, la jurisprudence de la Commission témoigne de deux conditions qui encadrent l'application du principe. D'une part, il faut un contrôle systématique de la preuve de l'épuisement des recours internes. (Section I) D'autre part, il faut obligatoirement que les recours à épuiser présentent un certain nombre de caractère (Section II).

SECTION I : LE CRITÈRE FORMEL: LE CONTRÔLE SYSTÉMATIQUE
DE L'ÉPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES.

Le système interaméricain applique les mêmes conditions de recevabilité que celles pratiquées par la Commission. Devant la Commission interaméricaine rares sont, sur le plan pratique, les obstacles à l'examen des requêtes portées devant elle. Pour faire face à la réalité des États de l'Amérique latine où les systèmes judiciaires n'étaient pas susceptibles de garantir le droit à un procès équitable, la Commission interaméricaine a choisi de présumer l'épuisement des recours internes, laissant aux États mis en cause le soin d'évoquer la question158 .

Autre est le cas, devant la Commission africaine. En effet, celle-ci procède systématiquement à l'examen de la règle de l'épuisement des voies de recours internes. De façon constante, la Commission examine à l'occasion de chacune des communications dont elle est saisie, que la règle de l'épuisement des voies de recours internes a été respectée. Pour l'organe « cette règle est l'une des conditions les plus importantes de la recevabilité des communications, et c'est pour cela que dans presque tous les cas ,la première question que se pose aussi bien l'État visé que la Commission est relative à l'épuisement des recours internes »159. Cette phase scrupuleuse de contrôle (Paragraphe I) aboutit fréquemment à la sanction d'irrecevabilité (Paragraphe II).

158Guide pour comprendre et utiliser la Cour Africaine des Droits de l'Homme, p. 52.

159Com 147/95 et 149/96, Sir Dawada K. Jawara c. Gambie, 13eme Rapport annuel d'activités.

Paragraphe I : L'exercice du contrôle

La constance du contrôle de l'épuisement des voies de recours internes devant la Commission, peut se vérifier dans le dispositif de la décision par les considérations contenues dans la partie intitulée « du droit : Recevabilité ». La condition de l'épuisement des voies de recours internes est parmi les sept conditions de recevabilité celle qui est la plus fréquemment invoquée et contestée par les parties et qui « requiert le plus d'attention »160 . Cette grande attention consiste à examiner, que la condition de l'épuisement des voies de recours internes a bel et bien été respectée. La Commission a formulé une véritable méthodologie pour examiner les voies de recours internes. Cette méthodologie s'articule autour de la charge de la preuve (A) et des modes de la preuve (B).

A - La charge de la preuve

Avant de comprendre comment la charge de la preuve est répartie entre les parties au procès (2), il convient de préciser à qui incombe la charge d'épuiser les recours internes. (1)

1 - De la responsabilité d'épuiser les recours internes

La première question qui se pose est celle de savoir, qui de la victime des violations alléguées des droits de l'homme ou de l'auteur de la communication doit épuiser les recours internes ?

Selon l'article 56(1) de la Charte c'est l'auteur de la communication qui doit indiquer son identité. Cela laisse t'il présupposer que c'est l'auteur qui doit épuiser les recours internes ? Comme il a été souligné, précédemment la Charte prend en compte les situations d'indigence dans la mesure où elle autorise que l'auteur d'une communication ne soit pas nécessairement la victime. Très souvent les auteurs de communications sont des ONG agissants pour le compte des véritables victimes. De nombreuses communications émanant de ces ONG ont ainsi été admises devant la Commission. Pour la Commission « il incombe à l'auteur d'une communication de prendre des mesures concrètes pour se conformer aux dispositions de l'article 56 ou d'indiquer

160Com. 140/90 141/94, 145/95 Civil Liberty Organisation and Media Rights Agenda c. Nigeria

la raison pour laquelle il lui est impossible de le faire »161. Les ONG et autres particuliers qui sont très souvent auteurs de la communication en faveur des véritables victimes, sont donc tenus de rapporter la preuve que les recours ont été épuisés. La charge de la preuve qui incombe à l'auteur de la communication ne l'est qu'au premier degré.

2 - La rotation de la charge de la preuve

Il existe devant la Commission un cadre d'affectation de la charge de la preuve entre les plaignants et les États défendeurs162. La charge de la preuve pèse en premier lieu sur le requérant. Celui-ci doit démontrer qu'à l'occasion d'une violation actuelle des droits de la Charte, il a épuisé ou tenté d'utiliser dans l'ordre interne toutes les possibilités judiciaires pour obtenir réparation. La charge de la preuve initiale, sera pour le requérant, d'établir que non seulement la procédure n'est pas pendante devant les juridictions internes, mais que la décision de la juridiction suprême a été obtenue sans qu'il n'y ait eu satisfaction. La preuve consiste donc à démontrer que l'État a eu l'opportunité de résoudre le problème dans le cadre de son propre système national. Il ne s'agit pas de montrer que le problème a été résolu où qu'il ne l'a pas été. Mais que l'État a eu l'opportunité de le résoudre. En effet « tout ce que la Commission africaine souhaite entendre du plaignant est qu'il s'est approché des organes judiciaires internes ou nationaux ».163Il faut dire que très peu de communications arrivent à prouver l'épuisement des voies de recours internes en démontrant un jugement définitif de la plus haute juridiction de leur pays164. La plupart prouve plutôt l'exception de non épuisement des recours. Les requérants y parviennent « en présentant des preuves découlant de situations analogues ou en témoignant d'une politique de l'État leur refusant ce recours »165 ; ce qui fera l'objet d'un autre développement. La charge de la preuve initiale à l'endroit du requérant a été admise dans l'affaire Illssami c. Nigeria.

La Charge initiale de la preuve est réalisée dans la plainte que le requérant adresse à la Commission. Après réception de cette plainte, la Commission en adresse une copie à l'État mis en cause. Dans son contre mémoire celui-ci doit réfuter point par point chacune des allégations

161Com. 275/2003, Art. 19 c. Erythree

162Com. 293/2004- Zimbabwe Lawyers for Human Rights & Institute for Human Rights and Development /République du Zimbabwe, § 44.

163Com 221/98 Alfred B. Cudjoe c/ Ghana],et com 260/02 Bakweri Land Claims Committee / Cameroun 164Com 243/2001 Woman's Legal Aid Central, § 27; Com 49/90 Njoku c. Egypte, §57.

165Com 299/2005 Anuak Justice Council c. Ethiopie.

du plaignant en y apportant des réponses spécifiques. Celui-ci doit démontrer que le plaignant avant de saisir la Commission n'a pas préalablement épuisé les recours internes. La preuve secondaire est consacrée dans la jurisprudence Art 19 c. Érythrée.

Lors de l'examen de la communication la Commission, revient sur les objections faites par l'État dans son contre mémoire. Si l'État contredis la thèse de la partie demanderesse sur l'épuisement des recours internes en démontrant que les recours dans le système juridique national permettent de traiter la violation en question, il revient alors au plaignant de démontrer que lesdits recours ont été épuisés ou que l'exception à l'art 56(5) est applicable. Il y a donc une rotation de la charge de la preuve entre les parties tout au long du procès.

B- Les modes de la preuve

selon les jurisprudences 263/02 - Section Kenyane de la Commission Internationale de Juristes, Law Society of Kenya, Kituo Cha Sheria/Kenya, et 127/94 Sana Dumbuya c/Gambie, la preuve de l'épuisement des recours internes consiste à « fournir les informations sur les efforts faits pour épuiser les voies de recours internes ». En effet, « Il doit être démontré qu'il a été accordé à l'État lui-même une opportunité de remédier au cas avant d'avoir recours à un organe international»166 Il appartient au requérant et au défendeur de mettre à la disposition de la Commission toute information167 concernant les efforts faits pour épuiser les voies de recours internes. La preuve porte soit sur l'épuisement des recours internes soit sur l'exception à l'art 56(5) de la Charte. L'épuisement des recours internes ou son exception peut être prouvé par tous les moyens. La preuve est très souvent écrite (1) et /ou verbale (2)

1 - La preuve écrite

Il s'agit de preuves matérielles qui consistent en la présentation de tout document, démontrant que l'État, a eu l'opportunité de régler l'affaire par son système judicaire. La preuve peut ainsi être les copies de décisions des juridictions nationales jointes aux requêtes168. A titre d'exemple, dans la communication 228/99 Law Office of Ghazi Suleiman c. Soudan la Commission a « demandé au plaignant de soumettre, par écrit, ses observations sur la question

166 Com 268/2003 Ilesanmi c. Nigeria.

167Com 263/02 Section Kenyane de la Commission Internationale de Juristes, Law Society of Kenya, Kituo Cha Sheria/Kenya Communication 127/94 - Sana Dumbuya c/Gambie,§ 36.

168Com 48/90, 50/91, 52/91, 89/93 Amnesty International. c. Zambie

de l'épuisement des voies de recours internes. En outre, les parties devraient lui fournir la législation et les décisions de justice pertinentes (en anglais ou en français) »

Dans le cas de l'exception de non épuisement des recours internes, la preuve peut être établie à partir de toute jurisprudence, de correspondances administratives, de textes législatifs, appuyés de commentaires pour montrer l'incidence de l'application de ces documents sur la procédure des recours. De simples doutes sur l'effectivité des voies de recours internes ne suffisent pas,169 au risque que la Commission « établirait un dangereux précédent si elle recevait un cas sur la base du sentiment d'un plaignant de l'absence d'indépendance des institutions internes d'un pays ».170

De même l'État qui allègue le non épuisement des voies de recours internes doit en apporter la preuve. Il s'agira pour lui de présenter le droit positif instituant ces recours171, de rapporter des pièces officielles de procédures démontrant que l'affaire est pendante devant ses tribunaux, ou simplement de remettre à la Commission des jurisprudence qui démontrent que les recours internes ont redressé des violations similaires et sont donc aptes à redressée la situation litigieuse172. Toutefois, il en va autrement lorsque les autorités nationales ont amplement été informées de la violation et ce même en dehors des modes juridictionnels. En effet la Commission a décidé dans la Communication 275/2003 - Article 19/État d'Érythrée que « le fait que le plaignant n'ait pas suffisamment démontré avoir épuisé les voies de recours érythréennes ne signifie pas que ces voies de recours soient accessibles, effectives et suffisantes. La Commission africaine peut arriver à des déductions à partir des circonstances entourant le cas et déterminer si ces recours sont en fait accessibles et s'ils le sont, s'ils sont effectifs et suffisants. »

169Dans l'affaire Article 19, la Commission se rapportant à la jurisprudence du comité des droits de l'homme, (Affaire A c. Australie) normes minimales d'indépendance judicaire de l'IBA adopté e 1982. Voir également L. Emile Caabe c. Island, Com. N° 674/1995 UN Doc ; CCPR/C/58/D/674/1995/(1996) ; Antoine Randolph c. Togo Com. 910 ONU Doc. CCPR/C/79/D/910/2000 (2003) est d'avis que « de simples doutes sur l'efficacité des voies de recours nationales ou sur la perspectives de coûts financiers impliqué n'absolvait pas l'auteur de rechercher ces voies de recours ».

170Com 260/02 Bakweri Land Claims Committee / Cameroun.

171Com 228/99 Law Office of Ghazi Suleiman /Soudan §28, « Le Représentant de l'État a fourni des preuves de recours internes efficaces sous forme de lois et de cas de jurisprudence.»

172Com 198/97 SOS-Esclaves c. Mauritanie.§16 ; la Commission a considéré que le silence du demandeur au sujet des information relative à l'art 56(5) donne « à penser que les recours internes n'auront pas été épuisés...le cas échéant le requérant l'aurait fait savoir. »

2 - La preuve verbale

La preuve verbale est retenue au cours du procès pendant lequel les déclarations des parties sont prises en compte.173 Tel a été le cas dans la jurisprudence Bakweri Land Claims Committee où il est rapporté que : « Comme il ressort de l'ensemble des faits présentés devant la Commission Africaine par les deux parties, tant par écrit que verbalement, le plaignant n'a pas saisi une seule fois un tribunal local ou national »174.

La preuve matérielle de l'épuisement des voies de recours internes n'est pas le seul mode de vérification de cette condition. La jurisprudence de la Commission fait état de nombreux cas de présomption du non épuisement des voies de recours. Il en est ainsi lorsque malgré les appels de la Commission les parties restent silencieuses.175

La preuve de l'épuisement des voies de recours, entraîne la recevabilité de la communication. Dans le cas contraire la plainte est simplement déclarée irrecevable.

Paragraphe II : Les effets du contrôle

Le contrôle de la preuve de l'épuisement de recours internes se termine par la décision sur la recevabilité (A). Cette décision est par contre révisable conformément au règlement intérieur de la Commission (B).

A - La décision sur la recevabilité

C'est la deuxième décision de la Commission sur une communication après la décision sur la saisine. Elle consiste soit à déclarer la communication recevable (1) soit à la déclarer irrecevable (2).

173Com 236/2000 Curtis Francis Doebbler / Soudan §13, « Lors de la 28è Session Ordinaire tenue du 23 octobre au 6 novembre 2000 à Cotonou, Bénin, la Commission Africaine a reporté l'examen de cette communication à la 29è Session Ordinaire et a demandé au Secrétariat d'incorporer les observations orales de l'État Défendeur ainsi que les observations écrites de l'avocat des plaignants dans le projet de décision afin de lui permettre de statuer sur la recevabilité en pleine connaissance de cause. »

174Com 260/02 Bakweri Land Claims Committee / Cameroun

175Com 230/99 Motale Zacharia Sakwe c. Cameroun, § 19; Com 201/97 Egyptian organisation for Human Rights c. Egypte,§ 15; Com 127/94 Sana Dumbuya c.Gambie,§ 2.

1 - De la recevabilité de la communication

La recevabilité de la communication est la première victoire que remporte la victime d'une violation des droits de l'homme. Elle est la preuve que la communication satisfait à toutes les exigences de l'art 56. En effet la Commission n'admet une communication que si et seulement si elle est en règle avec l'ensemble des sept conditions de la recevabilité. Le respect établi de l'épuisement des recours internes est pour la Commission synonyme du sérieux et de la bonne foi du plaignant. La recevabilité marque donc le point de départ d'un examen au fond de la communication. En l'occurrence, la Commission va devoir s'intéresser de près au véritable contentieux des droits de l'homme. Le contentieux de la recevabilité quoique déterminant n'est donc qu'accessoire au contentieux de la réparation qui est l'essence même du contentieux des droits humains. A ce jour, peu de requêtes réussissent à braver l'étape de la recevabilité. La plupart tombe sous le coup du non épuisement des recours internes et sont ainsi déclarées irrecevables.

2 - De l'irrecevabilité de la communication

L'irrecevabilité est la sanction qui frappe toute communication dont l'auteur n'a pas entre autres conditions, épuisé les recours internes sans qu'il ne soit prouvé autrement. A plusieurs reprises, des communications ont été déclarées irrecevables chaque fois que les plaignants ont omit de répondre à la question concernant l'épuisement des voies de recours internes. Dans le cadre européen, la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes « constitue le motif de prés de la moitie des cas d'irrecevabilité prononcés par la Commission »176. A titre d'exemple, des 52 communications déclarées irrecevables à la date du 1er janvier 1998, 23 l'étaient pour incompatibilité avec la Charte, 16 pour d'autres raisons et 13 pour non épuisement des recours internes177 . A la fin de Mai 2002, la Commission a reçu 251 communications. De ces 251communications, 80 furent déclarées irrecevables soit 31% du total. Il n'existe pas de statistiques actualisées pour montrer combien parmi, les communications irrecevables celles qui l'étaient pour non épuisement des recours internes.178

176Pettiti (L E), Decaux (E), Imbert (P-H), La convention européenne des droits de l'homme commentaire article par article, op cit, p.591.

177Nsongurua Udombana (J.), « So far, so fair: the local remedies rule in the jurisprudence of the African Commission on Human and Peoples' Rights», op cit, p. 14.

178 Ibid.

En 2008, « environ 300 requêtes ont été reçus depuis 25ans, dont un tiers environ déclaré irrecevable principalement pour non épuisement des voies de recours internes »179

Cette sanction d'irrecevabilité n'est par contre pas définitive.

B - La possibilité d'une réexamination de la communication

Si la décision peut porter selon le cas sur la recevabilité ou l'irrecevabilité, seule la dernière situation peut faire l'objet d'un réexamen (1). Une telle pratique ne va pour autant pas sans enjeux. (2)

1 - Les conditions de la réexamination

L'article 118 al .2 du règlement intérieur de la Commission stipule que : « Si la Commission a déclaré une communication irrecevable, elle peut reconsidérer cette décision à une date ultérieure si elle en reçoit la demande ». La sanction de non épuisement des voies de recours internes n'est donc pas définitive. L'irrecevabilité qui frappe de désuétude, la communication, pourra faire l'objet d'un réexamen à la demande du plaignant ou de son représentant. La pertinence d'une telle demande dépend des nouvelles informations qui rendent caduques les motifs d'irrecevabilité en l'occurrence ici, l'épuisement effectif des recours internes ou la preuve de l'impossibilité d'une telle exigence180.

2 - La portée de la réexamination

Contrairement au cadre européen où le juge peut selon sa conviction s'autosaisir, pour réexaminer la décision d'irrecevabilité, la Commission africaine, à en croire l'article 118 (2), ne jouit pas de cette faculté. Tout comme à l'inverse, elle ne peut à l'instar du juge européen réviser la décision de recevabilité. Dans l'affaire Article 19 c. Érythrée ; il a été retenu qu' « il n'existe aucune disposition selon laquelle la Commission africaine peut déclarer une communication irrecevable après l'avoir déclarée recevable ». Par contre la Commission s'est rapprochée du

179 Abdelgawad (E.L), « La Charte Africaine des droits de l'homme » in Dictionnaire des droits de l'homme, Andriantsinnbazovina (J) et Gaudin (H), 1er édition, Octobre 2008, Quadrige-Puf, p.122.

180Com 90/93 Paul S.Haye c.Gambie §4. La communication a été déclarée irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes. Le plaignant a écrit de nouveau à la Commission pour lui demander de revoir sa décision « Comme aucun élément nouveau n'a été invoqué, la Commission n'avait aucune raison de revoir sa première décision qu'elle a d'ailleurs confirmée. »

juge européen. Comme il sera vu plus loin, lorsqu'une nouvelle voie de recours a été pourvue dans le cadre interne, la Commission déclare la communication irrecevable afin que le plaignant épuise le nouveau recours. Ce fut le cas lors de l'examen de la communication 263/02 Section Kenyane de la Commission Internationale de Juristes, Law Society of Kenya, Kituo Cha Sheria/Kenya. La Commission Africaine ayant reçu l'information que l'État défendeur avait mis sur pied des tribunaux spéciaux. Elle avait alors considéré « qu'en l'état actuel des choses, les plaignants peuvent approcher les tribunaux nationaux du Kenya sans aucune appréhension d'un procès arbitraire dans cette affaire. (...) En conséquence, comme les plaignants ont maintenant un locus standi dans le processus de révision judiciaire, ils devraient épuiser les voies de recours internes disponibles »

A côté de ce critère formel de la preuve, la Commission a défini des critères matériels nécessaires à la mise en oeuvre de la règle d'épuisement des voies de recours internes.

SECTION II - LES CRITÈRES MATÉRIELS : LA DISPONIBILITÉ, LA
SATISFACTION ET L'EFFECTIVITÉ DES RECOURS À ÉPUISER

En cette fin de XXIe siècle et la cinquième décennie des indépendances approchant, il se dégage de la pratique que l'administration de la justice sur le continent se heurte à plusieurs difficultés liées à l'indépendance, à la crédibilité et à l'effectivité des institutions judiciaires.

Consciente de cette réalité, la Commission a fait oeuvre de médiation à travers sa jurisprudence. Elle a réconcilié le justiciable africain avec ses tribunaux. Pour ce, elle a mis à la charge de l'État défendeur, la responsabilité d'assurer que les recours internes à épuiser remplissent un certain nombre de condition faute de quoi, le requérant en est exonéré. Un recours interne a été défini comme étant « toute action juridique interne pouvant donner lieu à la résolution de la plainte au niveau local ou national. »181 Selon l'organe de Banjul : « Les organes internationaux reconnaissent effectivement que, dans de nombreux pays, les voies de recours sont inexistantes ou illusoires. En conséquence, ils ont élaboré des règles sur les caractéristiques que devraient présenter les voies de recours, la manière dont ces recours devront être épuisés et les circonstances particulières où il pourrait ne pas s'avérer nécessaire de les épuiser. La Commission africaine a considéré que, pour être épuisées, les voies de

181Com 60/91 constitutional right project c. Nigeria, et Com 299/2005 Anuak Justice Council c. Éthiopie.

recours locales doivent être accessibles, effectives et suffisantes. Si les voies de recours internes qui existent ne remplissent pas ces critères, une victime peut ne pas avoir à les épuiser avant de porter sa réclamation devant un organe international. Toutefois, le plaignant doit pouvoir démontrer que les voies de recours ne remplissent pas ces critères in practice, et non pas seulement dans l'opinion de la victime ou de son représentant léga »182. Ainsi, trois critères pertinents ont ainsi été dégagés depuis la jurisprudence Jawara. Ils concernent la disponibilité (Paragraphe I) l'effectivité et la satisfaction des recours internes183 (Paragraphe II).

Paragraphe I - Des recours internes effectifs : Le critère de
disponibilité

Selon les termes de l'Article 56 (5), les recours doivent être épuisés « s'ils existent ». Il y a là une condition qui laisse supposer que l'inexistence des voies de recours constitue la première exception à la règle. Cependant, les dispositions textuelles inter alia ne déterminent pas les conditions qui permettent de valider l'existence d'un recours. Dans plus d'une espèce la Commission a précisé que l'existence dont il s'agit est la disponibilité des recours. Celle-ci est déterminée par certains traits (A) et, elle vise à garantir l'effectivité du droit à un recours (B).

A- La caractérisation de la disponibilité des recours internes

En examinant l'affaire Jawara c. Gambie (com. 147/95), la Commission, a évoqué l'idée de disponibilité des recours internes. Elle, pose clairement qu' « une voie de recours est considérée comme existante lorsqu'elle peut être utilisée sans obstacle pour le requérant ». Selon l'organe de Banjul, « l'existence d'une voie de recours interne doit être suffisamment certaine non seulement en théorie mais aussi en pratique » Il ressort de cette définition que la disponibilité des recours est à la fois théorique (1), et pratique (2).

1 - Une disponibilité théorique : l'existence des recours internes

Certes l'existence d'une voie de recours est d'abord une prérogative républicaine, mais elle est surtout une obligation conventionnelle. Suivant l'article 7 de la charte, l'État a le devoir de mettre en place des voies juridictionnelles pour assurer à toute personne « le droit à ce que sa

182 Com 268/2003 Ilesanmi c. Nigeria.

183Communication 147/95 et 149/96 Sir Dawda K Jawara c. Gambie, et com. 275/2003, Art 19 c. Érythrée.

cause soit entendue ». La Commission interprète l'article 56(5) concomitamment avec l'article7184. L'existence renvoie donc à la mise en place d'un système judiciaire identifiable et effectif. Or ce qui est effectif, c'est « le caractère de ce qui existe en fait. C'est la qualité d'une situation juridique qui correspond à la réalité, d'une compétence qui s'exerce réellement »185. La Commission indique que. Cela traduit le souci de l'évidence des voies de recours et c'est à l'État qu'incombe la charge de prouver que les recours existent. Il peut le faire en convoquant et en présentant tous documents officiels tels que les textes légaux qui instituent ces recours ou la jurisprudence des recours en question. Dans l'affaire Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme c. Zambie (Com 71/92), la Commission a observé que « lorsque le gouvernement zambien affirme que la communication devait être déclarée irrecevable parce que les voies de recours non pas été épuisées, il lui incombe de démontrer l'existence de ces recours ». Le gouvernement zambien s'est ainsi référé sur la loi relative à l'immigration et à la déportation, qui prévoit une procédure d'appel contre les mesures d'expulsion. Dans l'affaire Art 19 c. Érythrée la Commission a fait remarquer que « la partie État a généralement réfuté les plaintes alléguées et a insisté sur le fait qu'il existe des voies de recours en Érythrée et que le plaignant ne s'est pas efforcé de les épuiser ».

La Commission s'est rapprochée de la Cour européenne dans la définition de l'exigence de recours disponibles. La Cour européenne est d'accord qu'une voie de recours, aux termes de l'article 35 de la Convention européenne des droits de l'homme, doit nécessairement satisfaire au critère de disponibilité. Pour l'essentiel, la cour énonce en des termes à peu près similaires à ceux de la Commission, ce qu'elle entend par disponibilité des recours.

Dans l'arrêt Selmouni c. France186, la Cour pose clairement que l'article 35 de la Convention ne prescrit l'épuisement des recours internes que s'ils sont « disponibles et adéquats». Elle poursuit qu' « ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie, mais aussi en pratique sans quoi ils leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues »187. Il incombe au gouvernement excipant du non épuisement de convaincre la Cour que le recours était « disponible en théorie et en pratique » c'est-à-dire « qu'il était accessible, était susceptible d'offrir au requérant le règlement de ses griefs».

184Com 48/90 Amnesty Internationale c. Soudan.

185Jean Salomon, Dictionnaire de droit International public, op cit, pp. 411-412. 186Arrêt Selmouni c. France n° 25803/94 ; CEDH 1999-V.

187Arrêt Vernillo c. France du 20/02/1991 série A n° 198, p. 11 -12.

Toutefois elle a souligné « que la partie État s'est contentée d'énumérer in abstracto l'existence de voies de recours sans les lier aux circonstances du cas et sans démontrer de quelle manière elles pourraient permettre une réparation effective des circonstances de ce cas ». La preuve de l'existence des recours ne consiste donc pas en une énumération de ceux-ci mais à la démonstration de leur opérationnalité.

2 - Une disponibilité pratique : l'accessibilité des recours internes

Selon la jurisprudence Anuak Justice Council c. Éthiopie (com. 299/2005), la Commission considère qu'un recours est disponible « si le requérant peut le poursuivre sans empêchement ou s'il peut l'utiliser dans les circonstances entourant son cas »188. Cette définition met en valeur deux éléments essentiels à l'accessibilité, l'un étant objectif et l'autre purement subjectif. L'élément objectif de l'accessibilité renvoie selon la Commission, à ce qui est « immédiatement possible d'être obtenue, accessible »189 ou à ce qui est « réalisable, joignable à la demande, à portée de main, frais, présenté »190 ; il s'agit de s'assurer que le recours est sans entrave , qu'il est actuel et comporte en son sein les éléments de son opérationnalité.

Quant à l'élément subjectif, il fait allusion à ce qui est « opportun, à son service, à sa volonté, à sa disposition, au doigt et à l'oeil. »191 Suivant cette approche, la disponibilité ou plus nettement l'accessibilité s'apprécie en fonction des possibilités qu'a le requérant d'emprunter les recours en question. Elle emphase sur l'aptitude du requérant à utiliser le recours invoqué. Tout compte fait, il s'agit d'une interprétation extensive de la disponibilité qui rend compte de la maxime selon laquelle, l'organe examine la règle de l'épuisement des voies de recours internes à la lumière de son devoir de protéger les droits de l'homme et des peuples tels que stipulés par la Charte. La disponibilité peut aussi être appréciée dans les cas où une nouvelle voie de recours devient accessible au requérant, après le dépôt de sa requête, mais avant que la Commission ne se soit prononcée sur sa recevabilité. Le requérant est alors tenu d'épuiser cette nouvelle voie de recours. C'est ce qui ressort de la Com. 263/02 - Section Kenyane de la Commission Internationale de Juristes, Law Society of Kenya, Kituo Cha Sheria/Kenya. L'État défendeur avait informé la Commission qu'il avait mise en place des tribunaux spéciaux d'enquête pour les

188Voir également, Com 228/99, Law Office of Ghazi Suleiman c. Soudan §31.

189Com 299/2005 Anuak Justice Council c. Ethiopie

190Idem.
191Idem.

membres de la magistrature soupçonnés d'avoir pris part à des actes contraires à l'éthique dans l'exercice de leurs fonctions. La commission a estimé que« face à une telle information, la Commission Africaine considère qu'en l'état actuel des choses, les plaignants peuvent approcher les tribunaux nationaux du Kenya sans aucune appréhension d'un procès arbitraire dans cette affaire »192 et, « En conséquence, comme les plaignants ont maintenant un locus standi dans le processus de révision judiciaire, ils devraient épuiser les voies de recours internes disponibles et saisir aussi cette opportunité pour mettre en cause devant une juridiction supérieure du Kenya les ordonnances qui ont été émises par le Tribunal de grande instance »193. En considérant ces motifs la communication avait été déclarée irrecevable pour non épuisement des voies de recours.

Cette position est similaire à celle de la jurisprudence européenne. En effet la Cour européenne évalue l'épuisement des voies de recours internes en fonction de l'état de la procédure à la date de laquelle la requête a été déposée devant elle bien. Cette façon d'opérer connaît, toutefois, quelques exceptions comme il a été indiqué dans l'affaire Icyer c. Turquie194. Ainsi lorsque dans un arrêt pilote elle a constaté des lacunes structurelles ou générales , elle peut demander à l'État mis en cause d'examiner la situation, et si nécessaire de prendre des mesures effectives pour éviter que des affaires de même nature ne soient porter devant elle.195L'effectivité avérée d'une telle voie oblige les auteurs des requêtes analogues à l'épuiser pour autant qu'ils n'en soient pas empêchés par des questions de délai. A défaut de cela, elle déclare les requêtes analogues irrecevables au titre de l'article 35 (1), même si celles-ci ont été exercées avant la création de ces nouvelles voies196.

A travers le critère de disponibilité la Commission s'assure de l'effectivité du droit à un recours.

B - Une garantie du droit à un recours

Le préalable de l'épuisement des recours internes et le droit à un recours dans l'ordre interne, constituent les deux faces de la même médaille qui tend à favoriser l'application matérielle des droits de l'homme par les autorités nationales. La maxime latine Ubi jus, Ibi

192Com. 263/02, Section Kenyane de la Commission Internationale de Juristes, Law Society of Kenya, Kituo Cha Sheria c. Kenya, §45.

193Ibid, §46.

194Arrêt Icyer c. Turquie, n° 18888/02 décision du 02 janvier 2006, §72.

195Arrêt Broniwski c. Pologne (GC) Arrêt du 232 Juin 2004

196Arrêt Charzynski c. Bologne et Michkal c. Pologne, Scordino c. Italie (n°1) (GC) Arrêt du 29 Mars 2006 (§140- 149.

remedium, traduit clairement que la violation de tout droit doit nécessairement se suivre d'un redressement ou d'un recours. Le droit à un recours est nécessairement, un droit d'accès à la justice (1), avant d'être le droit à un procès équitable (2).

1 - Un droit d'accès à la justice

Le droit d'accès à la justice, traduit parfaitement l'exigence que les recours soient disponibles. Pour le professeur J. Morand-Devilliers, le droit d'accès au juge indique « la place de l'État de droit au sein d'une société »197. Il est autant un droit subjectif, c'est à dire une faculté dont jouit un individu 198 qu' « un mécanisme essentiel de garantie »199 des autres droits.

L'État a donc l'obligation en vertu des articles 1, 7 et 26 de la Charte, de garantir un accès libre des individus à la justice. L'un des aspects essentiel de ce droit qui retient l'attention de cette étude est l'assistance judiciaire. Dans un continent où la grande majorité des populations vit en dessous du seuil de la pauvreté200l'aide à l'accès à la justice, encore appelée assistance judiciaire ou aide juridictionnelle est fortement problématique. L'accès effectif des indigents à la justice est fondamental en matière de protection des droits de l'homme. Le critère d'accessibilité et de disponibilité des recours, conduit à considérer que l'État devrait accorder aux personnes défavorisées une aide juridictionnelle devant toutes les juridictions, que ce soit en matière civile comme en matière pénale et administrative. L'aide juridictionnelle aux justiciables indigents est « nécessaire pour assurer l'effectivité de l'accès à la justice »201.

Plus qu'un simple droit d'accès à la justice, le droit au juge est « non seulement la possibilité de saisir le juge, mais aussi celle d'obtenir un jugement et exiger l'exécution de la décision »202.

197Morand-Devilliers (J), Cours de droit administratif, Motehres Tien, Paris, 2005, pp. 706-709

198Guimdo Dogmo (B-R), « Le droit d'accès à la justice administrative au Cameroun. Contribution à l'étude d'un droit fondamental. », op cit, p. 171.

199Sawadogo (F.M) « L'accès à la justice en Afrique francophone : Problèmes et perspectives. Le cas du Burkina Faso ». RJ PIC, n°2, 1995, p.168.

200Selon un rapport de la Banque mondiale publie en 1990, le seuil de pauvreté est de 1dollar US par jour .Ce chiffre à été revue à été revue à 1,25 dollar US en 2008.Les nouveaux chiffre semblent ne pas concernée l'Afrique subsaharienne ou le taux de pauvreté en de 50% soit le même qu'en 1981.www.onu.org (centre d'actualité de l'ONU).

201Article 47 Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne

202Rainaud (J.M), « le droit u juge devant les juridictions administratives » in le droit au juge dans l'Union européenne » cité par Guimdo (B-R) « le droit d'accès à la justice administrative au Cameroun. Contribution à l'étude d'un droit fondamental », op cit, p.171.

Le droit au juge est assuré par la consécration tant au civil qu'au pénal du double degré de juridiction, et par conséquent l'exclusion du juge de première instance dans la composition de l'instance de la Cour d'Appel. Le droit d'interjeter appel est un droit qui relève du droit à ce que sa cause soit entendue, tel que prévu aux termes de l'Article 7 de la Charte. Le droit d'interjeter appel est également déterminant dans la réalisation des exigences de l'Article 56(5) de la Charte.203

La disponibilité de la justice doit être appréciée par référence à ces considérations. Le droit au juge n'a de sens que si celui-ci assure un procès équitable.

2 - Un droit à un procès équitable

Dans l'affaire Anuak Justice c. Éthiopie, la Commission fait observer que l'art.56 (5) « doit être appliqué concomitamment à l'art.7 qui établit et protège le droit à un procès équitable».204C'est dire l'étroitesse des liens que les deux articles entretiennent. La notion de procès équitable a son origine en Common Law, où le fair trial, n'est que la transposition en droit processuel du fair play en sport.205 Il constitue une émanation du droit à une bonne administration de la justice. La Commission a rappelé que le droit à un procès équitable nécessite certains critères objectifs, notamment le droit à l'égalité de traitement, le droit à la défense par un avocat, ainsi que les obligations pour les Cours et Tribunaux de se conformer aux normes internationales afin de garantir un procès équitable pour tous.206 Le droit à un procès équitable est donc réparti autour de l'égalité des armes entre les parties qui doivent avoir les mêmes chances de préparation et de présentation de leur plaidoirie et de réquisitoire au cours du procès.

Le droit à la défense, est spécifiquement le droit d'être informé des charges retenues contre soi, ainsi que des preuves desdites charges. Il s'exerce non seulement au cours du procès mais également durant la détention.207La notion de procès équitable, intègre les garanties spécifiques à l'accusé telles que : la présomption d'innocence, le droit à l'assistance judiciaire.

203Com. 228/99 Law Office of Ghazi Suleiman c. Soudan §35.

204Voir aussi com. 48/90. Amnistie Internationale c. Soudan §31.

205Matcher (F), « le droit à un procès équitable dans la jurisprudence européenne de la Convention des Droits de l'Homme», in Le droit à un procès équitable, Commission européenne pour la Démocratie et le Droit, collection science et technique de la démocratie, n° 28, p.10.

206Com. 231/99, Avocats Sans Frontières (pour le compte de Gaétan Bwanpanye) c. Burundi.

207Com. 144/95 William A Courson c. Guinée Equatoriale

A l'impératif de la disponibilité des recours la Commission adjoint celui de leur effectivité et de leur satisfaction.

Paragraphe II - Des recours internes efficaces : Les critères de
satisfaction et d'effectivité

A côté du critère de disponibilité, la Commission n'exige l'épuisement des recours internes que s'ils sont effectifs et satisfaisants. L'efficacité et la satisfaction comme caractère fondamental des recours à épuiser ont fait l'objet d'une définition substantielle devant la Commission. Celle-ci porte sur l'admission exclusive des modes juridictionnels comme gage d'efficacité des recours (A), et les modes de réparation qui en détermine la suffisance (B).

A- L'admission exclusive des modes juridictionnelles

La jurisprudence de la Commission donne la preuve que les recours à épuiser ne peuvent être efficace que s'ils sont d'abord judiciaires. Elle souligner que : « aux termes du présent Article [art 56(5)], tout ce que la Commission Africaine souhaite entendre du plaignant est qu'il s'est approché des organes judiciaires internes ou nationaux ».208 Ceci se confirme au regard de la définition que l'organe a donné au terme efficacité (1) et au vue de la pertinence des recours juridictionnels (2).

1 - La signification de l'effectivité et de la satisfaction des recours

internes

Dans la jurisprudence Jawara c. Gambie, la Commission s'était limitée à exiger que soit pris en compte le critère de l'efficacité des recours, entendu comme des recours qui « offrent une perspective d'aboutissement ». C'est dans l'affaire Anuak justice, que la Commission va définir le terme efficace comme étant ce qui est « adéquat pour accomplir un objectif ; produisant le résultat recherché ou attendu ». Elle ajoutera qu'il s'agit d'un recours « opérant, utile, utilisable, exécutable, en ordre, pratique, courant, effectif, réel, valide ».209Deux tests permettent

208 Com 221/98 Alfred B. Cudjoe c/ Ghana

209Com 299/2005, Anuak Justice Council c Éthiopie.

d'apprécier l'efficacité d'un recours. Le premier est que ce recours doit présenter toutes les garanties permettant d'obtenir la solution recherchée. Il ne s'agit pas de relever que le recours doit absolument aboutir à cette solution, mais de considérer qu'il doit offrir de manière certaine des perspectives probantes pour la solution. En d'autres mots et plus commodément, l'efficacité de recours se mesure, à sa plausibilité à résoudre le problème.

La seconde possibilité est que le recours doit être praticable c'es-à-dire à mesure d'être utilisé. Elle fait allusion à la mécanique interne qui assure le fonctionnement du recours et partant sa validité.

Pour réunir ces deux exigences fondamentales de l'efficacité, le recours ne peut être que juridictionnel. La Commission va d'ailleurs le rappeler dans plus d'une espèce, notamment l'affaire Amnesty International et Autres c. Soudan ; où il est clairement affirmé que l'épuisement des voies de recours internes n'est exigible que si « les recours existent et sont juridictionnels ».

En substance, elle affirme qu'elle « exige l'épuisement des voies des recours internes si elles existent, si elles sont juridictionnelles (...) et ne dépendent pas du pouvoir discrétionnaire de l'autorité publique ». En examinant la communication Cudjoe c. Ghana (com. 221/98), la Commission reconnaît que « les recours internes dont fait mention l'alinéa 5 de l'art. 56 cidessus, s'entendent des recours introduits devant les Tribunaux de l'ordre judiciaire». Il y a là une affirmation péremptoire de la nature juridictionnelle du recours qui confirme bien le fondement de la règle suivant laquelle : « l'État visé doit d'abord avoir l'opportunité de redresser par ces propres moyens dans le cadre de son système judiciaire les tords qui auraient été causés à l'individu »210. Le choix des modes juridictionnels des jugements s'explique en raison de leur indépendance à l'égard du pouvoir politique.

2 - La pertinence des recours juridictionnels

Dans Malawi African Association et autres c. Mauritanie, la Commission rappelle que l'une des justifications de la règle est que « l'État mis en cause, doit être informé des violations des droits de l'homme dont il est accusé afin d'avoir l'opportunité de pouvoir les redresser ». Elle ne précise pas par quels moyens l'État mis en cause devra redresser les violations, il en est de même dans l'affaire Commission des Droits de l'Homme et des Libertés c. Tchad (com. 74/92) où la Commission parle simplement de « la possibilité d'y remédier» sans préciser comment. La

210Com. 71/92, Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme c. Zambie.

position de l'organe reste tout aussi équivoque dans Jawara c. Gambie, puisqu'elle parle de « remédier à la situation par son propre système national. » Mais qu'est-ce que le système national ? Les jurisprudences RADDH c. Gambie et Diakate c. Gabon semblent répondre unanimement avec plusieurs autres espèces qu'il s'agit du « système judiciaire ». Dans ces espèces, la Commission précise clairement que l'État doit avoir « l'opportunité de redresser par ses propres moyens dans le cadre de son propre système judiciaire ». Ainsi, «les recours internes dont fait mention l'alinéa 5 de l'art. 56 ci-dessus, s'entendent des recours introduits devant les Tribunaux de l'ordre judiciaire ». la Commission a tenue à préciser qu' « il demeure cependant que dans l'acception généralement admise, les voies de recours, dont l'épuisement est requis avant d'engager une procédure de communication - plainte devant la Commission africaine, sont les voies de recours ordinaires de droit commun, disponibles devant les juridictions et normalement accessibles au justiciable ».211 En tout état de cause, le système judiciaire dans ce contexte est synonyme d'ordre judiciaire ou d'organisation judiciaire. A en croire le Professeur Guimdo : « Organiquement la justice est l'ensemble des institutions juridictionnelles chargées de régler des différends par voie de jugement au terme d'une procédure donnée. Fonctionnellement, elle est l'activité qui consiste à juger, mieux à «trancher les litiges sur la base du droit»»212.

Celle-ci varie selon les traditions juridiques des États. L'on s'accorde à dire que cette organisation est faite suivant plusieurs ordres. Selon le droit applicable l'on distinguera les juridictions de l'ordre administratif et celles de droit commun. Selon la nature du litige, l'on distinguera les juridictions pénales, les juridictions civiles et les juridictions administratives. Suivant l'objet du litige on distingue les juridictions de fond (premier degré et appel, et les juridictions de cassation). Selon la matière du procès, on distinguera les juridictions de droit

211 Com. 242/01 Interights, Institut de droits humains et développement en Afrique et Association mauritanienne des droits de l'homme/République islamique de Mauritanie, 17ème Rapport annuel d'activités.

Il faut relever également qu'au cours de l'examen de la recevabilité de la communication 254/02 Mouvement des Réfugiés Mauritaniens au Sénégal c. Sénégal la Commission a indiqué que le plaignant avait la possibilité d'intenter une action contre l'arrêté incriminé qui est un acte administratif susceptible de deux voies de recours dont : Le recours administratif qui consiste à saisir l'autorité hiérarchique pour excès de pouvoir, notamment le gouverneur, le Ministre de l'Intérieur, le Premier Ministre et enfin le Président de la République conformément à loi organique no. 92-24 du 30 mai 1992 sur le conseil d'État telle que modifiée et l'article 729 du Code de Procédure Civile ; Le recours juridictionnel, par la saisine du conseil d'État en annulation pour excès de pouvoir de l'acte administratif incriminé. La représentante de l'État Défendeur a démontré que ces voies de recours existent et que le plaignant n'a utilisé aucune des deux. Elle a indiqué par ailleurs que dans les cas d'urgence, le recours à la procédure de référé d'heure à heure est également ouvert aux justiciables. Elle a conclu que le plaignant n'a pas épuisé les voies de recours internes.

212Guimdo Dogmo (B-R), « Le droit d'accès à la justice administrative au Cameroun. Contribution à l'étude d'un droit fondamental. », op cit, p.173.

commun et les juridictions spécialisées. Ce qui importe malgré ces distinctions c'est qu'il existe dans chaque ordre, une hiérarchie des tribunaux coiffée par une juridiction suprême, très souvent une Cour Suprême. La hiérarchie des Tribunaux traduit la notion de recours en tant que voie de réformation. Ainsi, les Tribunaux hiérarchiquement supérieurs pourront connaître des recours portant sur les décisions des Tribunaux hiérarchiquement inférieurs. Ces recours peuvent être des recours en annulation, des recours en reformation etc.

La pertinence des recours juridictionnels doit tout à la notion de pouvoir judiciaire dont l'indépendance de la justice constitue l'essentiel. En effet, le pouvoir judiciaire est souvent entendu comme étant à la fois, « l'ensemble des actes par lesquels sont jugés les procès » et « un ensemble de Tribunaux présentant certaines propriétés structurelles »213. Un ensemble de maximes constitutionnelles détermine et organise l'exercice de ce pouvoir. Elles garantissent en même temps l'indépendance et l'impartialité des juridictions.

Par l'indépendance des tribunaux on voit une manifestation de l'État de droit. Au nom de l'intérêt général, les Cours veillent à ce que les législations ne portent pas atteinte d'une manière injustifiable à certains intérêts individuels et collectifs fondamentaux. Les tribunaux assurent la protection des droits garantis par la Charte autour de chaque individu. A travers cette prérogative, ils apportent des réparations aux violations par l'État des droits humains La Charte africaine par confère aux tribunaux un rôle important, à savoir la défense des libertés individuelles214 fondamentales et des droits de la personne contre les ingérences de tout organe gouvernemental.. Il est donc capital de donner à ce mandat tout son sens.. Ce rôle essentiel et profondément constitutionnel, passe nécessairement par une indépendance de la justice.

L'indépendance judiciaire stricto sensu, renvoie à la garantie qu'ont les tribunaux contre toute influence de l'exécutif. C'est la liberté pleine et totale des juges d'instruire et de juger les affaires qui leur sont soumises. Personne ne doit intervenir ou tenter d'intervenir dans la façon dont un juge mène l'affaire et rend sa décision. L'indépendance judiciaire a deux dimensions. Il s'agit d'une part d'une indépendance individuelle du juge, et d'autre part d'une indépendance institutionnelle ou collective de la Cour ou du Tribunal auquel le juge appartient215.

213Troper (M), « Le pouvoir judiciaire et la démocratie », EJLS vol.1, n°2, p. 1.

214 Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, art 7.

215Michel Robert (J-J), « l'indépendance judiciaire de Valente à aujourd'hui : les zones claires et les zones grises », 6e conférence Albert Mayrand, Université de Montréal, faculté de droit ,14 Novembre 2002, p. 8.

L'indépendance judiciaire est réalisée à travers trois critères que sont : l'inamovibilité, la sécurité financière et l'indépendance administrative216. Elle assure que les recours à épuiser ne dépendent pas « du pouvoir discrétionnaire de l'autorité publique »217.

L'admission exclusive des modes juridictionnels ne signifie par contre pas que si cette action est conjointe à l'usage d'autres modes non juridictionnels des règlements, elle tombe en désuétude. Ainsi dans l'affaite Annette Pagnoule le requérant qui recherchait sa réintégration dans ses fonctions de magistrat a adressé un recours gracieux au Président de la République et propose un arrangement à l'amiable au ministère de la justice. Il a par ailleurs introduit une requête auprès de la Chambre administrative et introduit d'autre recours auprès de la Cour Suprême camerounaise. La Commission avait retenue que : « compte tenu de toutes ses actions entreprises par la victime, sans qu'aucun résultat ne soit atteint, la Commission considère que les voies de recors internes ont été dûment épuisées». Au-delà de la « diversité des actions conjointes à l'absence des résultats concrets »218, c'est plus le recours au juge quoique conjoint aux recours politiques, qui a conduit à la recevabilité de la communication. Les recours juridictionnels offrent les garanties pour la réparation des violations de droits de la personne.

B - Une garantie du droit à la réparation

Dans Anuak Justice, la Commission estime qu' « un recours est jugé suffisant s'il est capable de réparer la plainte ». Le terme « suffisant » signifie ce qui est « adéquat pour l'objectif, assez » ou « ample, abondant, ...satisfaisant. » La notion de droit porte en elle-même l-obligation de redresser sa violation. Si le droit à un recours est une réparation procédurale le

216 L'inamovibilité comme condition première de l'indépendance judiciaire, est aux antipodes de la révocation discrétionnaire ou arbitraire des juges. Elle hisse la fonction judiciaire à l'abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l'exécutif ou de l'autorité responsable des nominations. La sécurité financière quant à elle est à la fois individuelle, collective et institutionnelle. Elle génère de l'impératif constitutionnel qui veut que, les rapports entre le judiciaire et les deux autres pouvoirs soient dépolitisés. Cet impératif commande que la magistrature soit protégée contre l'ingérence des politiques et des autres pouvoirs, par le biais des manipulations financières. C'est une sécurité qui place le droit au traitement et la pension des juges à l'abri des ingérences et de l'arbitraire de l'exécutif. Quant à l'indépendance administrative, elle pourrait s'entendre du pouvoir d'un Tribunal de contrôler les décisions administratives qui portent directement et immédiatement sur l'exercice des fonctions judiciaires. Ces décisions concernent notamment l'affectation des juges aux causes, les séances de la Cour, le rôle de la Cour, ainsi que les domaines connexes de la location des salles d'audience et de la direction du personnel administratif exerçant cette fonction.

217Com.87/93 Constitutional Rights Project(pour le compte de Zamani Lekwot et six Autres) c. Nigeria, voir également, com. 49/90, com50/91, com. 52/9, com. 51/93.

218Olinga (A.D), « le contentieux camerounais devant la CDH et la Commission Africaine de Banjul », op cit, p.136.

droit à la réparation est plus substantiel. C'est la capacité à réparer le dommage subi et à apporter ainsi satisfaction au besoin de justice, qui constitue la suffisance des recours. L'absence d'une mention express du droit à la réparation dans la Charte a conduit certain auteurs à penser qu'il n'existe pas de droits à une réparation dans la Charte219. Mais il suffit de remarquer que la justiciabilité des droits de la Charte rend évident le droit à la réparation de sorte qu'il n'est plus nécessaire de le consacrer de façon spécifique. Plusieurs dispositions revoient à ce droit220 Les jurisprudences Malawian African Association et Autres c. Mauritanie, et Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples c. Burkina Faso sont des cas ou la Commission à ordonner des réparations concrètes et spécifiques. La réparation des violations peut prendre plusieurs formes. Il peut s'agir soit d'une indemnisation ou d'une restitution(1), soit d'une réadaptation ou des garanties de non répétition(2).

1 - La restitution et l'indemnisation

Le droit à la réparation des violations des droits de l'homme s'inscrit dans l'essence même du droit à un recours effectif et emporte le droit à de réparations matérielles. Ce principe est une règle d'or de droit international. La Cour Permanente de Justice (CPJI) a rappelé que « la règle selon laquelle violer une obligation au terme du droit international entraîne le devoir d'accorder réparation, constitue un principe fondamental de droit international général »221. Selon le Comité des droits de l'homme « la réparation doit au tant que possible effacer toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis »222.

La restitution consiste à rétablir le statu quo ante, c'est-à-dire ramener l'état initial qui prévalait avant la violation .Elle pourra par exemple consister à remettre la personne en liberté, à lui restituer ses fonctions ou son emploi, sa citoyenneté ou ses droits politiques. Dans Constitutional Rights projects and Civil Liberties Organization c. Nigeria La commission a

219 Musila (GM) `The Right to an Effective Remedy under the African Charter on Human and Peoples' Rights' AHRLJ, Vol. 6 No 2 (2006) 442. Voir également, Naldi(G) « future trends in human rigths in africa : The increased role of the OAU ? in M Evans et Murray (ed) The African charter on Human and Peoples' Rigths : The système in practice, 1986-2000(2002), p. 1.

220 Voir les articles 7(1), 21(2) et 10 de la Charte africaine des droits de l'homme.

221Affaire Usine de Chorzow Pologne c. RFA 1927, série A n° 17.

222Albert Wilson c. Philippines, com. 868/1999, doc. NU, CCPR/C/79/D/868/1999, 2003.

ordonné la relaxation de tous ceux qui étaient détenus en raison de contestation de l'annulation des élections.223 Elle exiger la réintégration de M Mazou dans ces fonctions de magistrat224

Quant à l'indemnisation, elle est une réparation par compensation. Il s'agira, selon que le préjudice est financièrement estimable, de compenser la victime en lui versant une somme à titre de dommage - intérêt. L'indemnisation couvre tant le préjudice matériel que le préjudice moral. Elle doit cependant satisfaire au principe de l'adéquation, et son calcul doit prendre en compte la réparation totale du dommage, de sorte qu'on puisse parler de « la juste indemnité ». La Commission a toujours laissé aux autorités nationales le soin de fixer selon leur loi le quantum des préjudices225. Si plus tard elle s'est référée à la décision de la Court Suprême de Brazzaville pour prononcer une indemnisation a titre de compensation pour le préjudice subie en sa personne et ses biens par Antoine Bissangou du fait de la police nationale. Le montant de l'indemnisation s'élevait à 195.037.000 FCFA, soit 297.333.00 Euros226. Néanmoins le manque dû au non paiement du montant initial devait selon la Commission être calculer selon la législation congolaise et verser à la victime.

La restitution et l'indemnisation ne sont pas les seuls moyens de réparation de la violation. Il ya aussi la réadaptation et les garanties de non répétition.

2 - La réadaptation et les garanties de non répétition

La réadaptation s'avère utile lorsque le préjudice subi a entraîné des troubles physiques et/ou psychologiques chez la victime. Il pourra s'agir d'une prise en charge médicale et psychologique avec accès à des services juridiques et sociaux. Très souvent en nature, la réadaptation peut être incluse dans une réparation pécuniaire. Sous cette forme, elle se distingue de l'indemnité versée à titre d'indemnisation.

Les garanties de non répétition quant à elles sont toutes mesures susceptibles de contribuer à des objectifs de réparation plus large et à plus long terme. Un certain nombre de ces mesures sont énoncées dans les principes fondamentaux sur le droit à la réparation. Parmi ceuxci, la cessation des violations persistantes, les sanctions judiciaires à l'encontre des responsables

223Com 1023 Constitutional Rights projects and Civil Liberties Organization c. Nigeria

224 Com 39/90 Annette Pagnoulle (pour le compte de Abdoulaye Mazou) c. Cameroun.

225Com 59/91, Embga Mekongo c. Cameroun, op cit, § 2. Com

226 Com 253/2002 Antoine Bissangou c. République Démocratique du Congo, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, 21 rapports d'activités.

des violations, des excuses publiques, des commémorations et hommages aux victimes, ainsi que la mise en oeuvre des mesures préventives telles que le contrôle des forces armées et des forces de sécurité par l'autorité civile, la protection des défenseurs des droits de l'homme, des membres des professions juridiques et du personnel des médias et autres professions analogues. Dans Malawi African Association et Autres c. Mauritanie la Commission à recommander au gouvernement Mauritanien de « mettre en place une stratégie tendant à l'éradication totale et définitive »227 des pratiques avilissantes et dégradantes que constitue l'esclave en Mauritanie

Toutefois, comme l'écrit Etienne Leroy « la justice souffre en Afrique d'un mal mystérieux, comme si quelque magie noire pesait sur son exercice ou sur ses représentants... le nombre de magistrats est notoirement insuffisant et leur formation laisse à désirer, le contrôle hiérarchique à céder à un compagnonnage clientéliste ou claniste, l'évitement très généralisé de la justice officielle tant au civil qu'au pénal, la corruption et bien d'autres maux endémiques, rendent l'administration de la justice difficile» 228. La Commission consciente de cet état de fait ne se limite pas à exiger que les recours à épuiser soient disponibles, effectifs et satisfaisants, elle souligne que l'application de la règle n'est pas rigide. Celle-ci ne s'applique pas littéralement dans un certain nombre de cas.

227 Com Malawi African Association et Autres c. Mauritanie, op cit.

228Le Roy (E), « Contribution à la refondation de la politique judiciaire en Afrique francophone à partir des exemples maliens et centrafricains », Afrika Spectrum n°32, 1997, p. 311.

CHAPITRE II : L'ÉNONCIATION NON LIMITATIVE
DES CIRCONSTANCES D'EXCEPTION

Dans l'affaire Malawi Africain Association et autres c. Mauritanie (com. 54/91, 69/91, 98/93, 164-196/97 et 210/98) la Commission rappelle que l'art.56 (1) de la Charte exige que tous les auteurs des communications reçues, relatives aux violations des droits de l'homme déclinent leur identité. Les auteurs ne doivent donc pas être nécessairement des victimes directes ou des membres de leur famille. Pour la Commission, « cette caractéristique de la Charte africaine reflète une sensibilité aux difficultés pratiques que peuvent rencontrer les individus dans les pays où les droits de l'homme sont violés. Les voies de recours nationales ou internationales peuvent ne pas être accessibles aux victimes elles-mêmes, ou peuvent s'avérer dangereuses à suivre ». La Commission reconnaît ainsi clairement que les voies de recours internes ne doivent être épuisées que « si elles existent » et « à moins que la procédure de ces recours ne se prolonge d'une façon anormale ».

La Charte consacre deux exceptions à la règle. L'une ayant trait à l'inexistence des recours, l'autre au prolongement anormal de leur procédure. La Commission est d'avis que la règle « ne signifie pas que les plaignants doivent épuiser les voies de recours qui en termes pratiques ne sont indisponibles, ni efficaces » mieux encore, « ce principe ne signifie pas que le requérant doit impérativement épuiser les recours qui, en termes pratiques ne sont pas disponibles »229. De même, la Commission ne considère pas que la condition d'épuisement des recours internes s'applique littéralement aux cas où il n'est « ni pratique, ni souhaitable »230 pour les plaignants ou les victimes de se tourner vers ces voies de recours internes dans chaque situation de violation des droits de l'homme. La Commission n'a jamais considéré « que la condition d'épuisement des voies de recours internes ne s'appliquent à la lettre lorsqu'il n'est ni pratique, ni souhaitable que le plaignant saisisse les tribunaux nationaux dans le cas de chaque violation ».231

La Commission consacre ainsi, la flexibilité dans application de la règle. Pour preuve, « La Commission Africaine note que l'exigence d'épuisement des voies de recours internes aux

229Com 73/92, Diakate c. Gabon, §10

230Com 54/91, 61/91, 98/93, 164-196/98, Malawi African Association, (...) c. Mauritanie, §85. 231Com 25/89, 47/90, 56/91, 100/93, Free Legal Assistance Group et autres c. Zaire, §46.

termes de l'Article 56 (5) de la Charte africaine devrait être interprétée souplement de manière à ne pas fermer la porte à ceux qui ont ne serait-ce que timidement tenté d'épuiser les voies de recours internes ».232Par une interprétation extensive des exceptions conventionnelles, la Commission a admis de nouvelles exceptions ou exceptions jurisprudentielles. Ainsi a-t-elle admise que « la règle des voies de recours locales n'est pas rigide. Elle ne s'applique pas si :

(i) Les voies de recours locales sont inexistantes ;

(ii) les voies de recours locales sont indûment et irraisonnablement prolongées ;

(iii) le recours aux voies de recours locales est rendu impossible ;

(iv) au vu de la plainte, il n'y a pas de justice ou il n'y a aucun recours local à épuiser, par exemple, lorsque le pouvoir judiciaire est sous le contrôle de l'organe exécutif responsable de l'action illégale ;

(v) le tort est dû à un décret du gouvernement, à l'évidence non soumis, en tant que tel, à la juridiction des tribunaux nationaux».233

Cette énumération on le voit bien, est simplement indicative. Elle est appelée à s'étendre en raison des spécificités des communications examinées. Selon cette logique au lieu d'une classification qui distingue les exceptions conventionnelles aux exceptions jurisprudentielles il apparait plus indiquer de les ranger en exceptions relatives aux circonstances d'ordre politique et juridique (Section I) et celles relatives aux circonstances personnelles du requérant ou de la victime (Section II).

SECTION I- LES EXCEPTIONS RELATIVES AUX CIRCONSTANCES
EXCEPTIONNELLES D'ORDRE POLITIQUE ET JURIDIQUE

La logique finaliste qui guide la pratique de la Commission, conduit celle-ci à déclarer une communication recevable, dès lors qu'il est établi que des circonstances empêchent le recours aux juridictions internes. Ces circonstances, peuvent être politiques notamment en cas d'Etat d'urgence avec des violations graves et massives des droits humains (Paragraphe I). Elles sont d'ordre juridique lorsqu'elles ont trait à une mauvaise configuration de l'ordre juridique ou des procédures judiciaires. (Paragraphe II)

232Com. 260/02 Bakweri Land Claims Committee / Cameroun §55. 233 Communication 275/2003 Article 19/Etat d'Erythrée.

Paragraphe I - L'État d'urgence et les violations graves et générales

Dans la jurisprudence de la Commission, il est clairement admis qu'en situation d'État d'urgence où des violations graves et générales des droits de l'homme sont perpétrées, les plaignants sont exemptés du préalable d'épuiser les voies de recours internes. Cette exemption n'est néanmoins admise que sous certaines conditions (A). Elle traduit la caducité au niveau international des solutions politiques prises au niveau interne dans ce genre de circonstances (B).

A- Les préalables à l'exception

Pour que cette exception joue, le requérant doit prouver qu'une situation exceptionnelle d'ordre politique avait cours dans le pays, au moment de la commission des faits. Dans une description aux détails près, il doit relever le caractère exceptionnel de cette situation. La charge de la preuve qui pèse ainsi sur le plaignant, peut être substituée à la simple constatation de la Commission elle-même dès lors que cette circonstance est largement connue de la Communauté internationale.234 Il doit être prouvé ou constaté, qu'au moment de la commission des faits, prévalait une situation de trouble politique (1), qui a entraîné des violations graves et massives des droits de l'homme (2).

1 - Une situation de trouble politique...

Trois clichés contribuent à caractériser une situation de trouble politique, soit l'existence d'un climat de tension politique ouvert. C'est la contestation de la légitimité des gouvernants ou leur gestion du pouvoir qui ouvre très souvent les hostilités. Il peut aussi s'agir de campagne xénophobe ou de nettoyage ethnique. Ces contestations et revendications ouvertes, transforment partiellement ou totalement le pays en zones rouges, où s'installent la violence et le non droit. Soit encore, un état d'exception où les pouvoirs des forces de sécurité (armée et police) sont accrus et où la règle de droit souffre de violation. La légalité dite d'exception qui caractérise de telles circonstances, n'est souvent qu'une façade qui cache des réalités horribles. Soit enfin, une guerre internationale qui compromet profondément l'exercice quotidien de la fonction juridictionnelle dans un cadre où le droit est bafoué et la violence est de règle. Le génocide rwandais est la preuve parfaite d'une situation de trouble politique.

234Voir les communications contre le régime militaire au Nigeria et celles contre la Mauritanie.

La situation de trouble politique ne suffit pas à elle seule pour constituer une exception à la règle. Il faut encore qu'elle donne lieu à des violations graves et massives des droits contenus dans la Charte.

2 - ... Entraînant des violations graves et massives des droits de l'homme

Les violations des droits de l'homme observées en cas de troubles politiques, doivent répondre aux qualificatifs de « graves et massives ».

Les violations sont dites graves lorsqu'elles sont multiformes, répétées, impunies et touchent les droits de l'homme les plus élémentaires. Ce sont très souvent des traitements cruels et inhumains tels, la torture, les viols d'enfant et de femmes, les mutineries diverses.

Quant au caractère massif des violations, il renvoie à leur généralité. C'est dire que les violations doivent être de celles qui touchent un grand nombre de personnes, de sorte qu'il soit difficile de dire qu'elles concernent quelques personnes isolées. Les communications 27/89, 46/90, 49/91,99/93 Organisation Mondiale contre la Torture et l'Association Internationale de Juriste Démocrates, Union Interafricaine des Droits de l'Homme c. Rwanda, faisaient état d'arrestations arbitraires, d'exécutions sommaires, de détentions sur des considérations ethniques et politiques, de milliers de personnes dans différentes parties du Rwanda par les forces de sécurité rwandaises. Elles alléguaient des violations graves et massives en Octobre 1990 et Janvier 1992. En détails, les plaignants indiquent comment les violations se sont généralisées sous formes de massacres et d'exécution extra judiciaire des membres de l'ethnie Tutsi. La position de la Commission africaine fut sans ambages : ces communications « révèlent l'existence de violations graves et massives des dispositions de la Charte ». Dans ce cas, et conformément à ces décisions antérieures sur les cas de violations graves et massives des droits de l'homme, il a été observé qu'étant donné « l'ampleur et la diversité des violations alléguées, et le grand nombre de personnes impliquées, la Commission considèrent que les voies de recours ne doivent pas être épuisées ». Les communications ont été déclarées recevables.

La Commission examine conjointement les communications, qui portent sur des faits
similaires déplorant des violations graves et massives dans un pays au cours d'une même période.
Dans l'affaire Malawi Africain Association et autres c. Mauritanie, la Commission
justifie sa position en affirmant que « dans une situation de violations graves et massives des

droits de l'homme, il peut être impossible de donner la liste nominative de toutes les victimes ». Elle fait valoir que la règle d'épuisement des recours locaux ne s'applique pas « lorsqu'il y a de nombreuses victimes. La gravité de la situation des droits de l'homme en Mauritanie et le grand nombre de victimes concernées, rendent les recours indisponibles en termes pratiques ». Il se dégage le contre principe selon lequel, chaque fois qu'il est prouvé des violations graves et massives dans un État, la jurisprudence de la Commission autorise à écarter la règle de l'épuisement des recours internes. Une telle exception a un certain nombre de conséquences dont la plus notoire est la caducité ou l'effet limité des solutions nationales.

B- La portée de l'exception : la limitation des effets des solutions
nationales

La solution interne à la suite de violations graves et massives en l'occurrence en cas d'état d'urgence, est généralement la loi d'amnistie et/ou la grâce (1). Pour la Commission ces solutions, n'exonèrent pas l'État qui a violé la Charte de sa responsabilité internationale (2).

1 - L'amnistie et la grâce

La loi d'amnistie et la grâce sont les solutions auxquelles les États recours après des répressions massives à caractère politique. Pour des raisons de politique extérieure, les gouvernements adoptent ces remèdes et rendent ainsi caduques les procédures judiciaires nationales. A la vérité, les effets de la grâce et de l'amnistie sont les même selon qu'il a été remarqué à propos du cas Mauritanien précité, que « la loi d'amnistie adoptée par le législateur mauritanien a abouit à effacer le caractère pénal des faits et violations dont se plaignent précisément les requérants, que ladite loi a également eu pour effet de conduire à la forclusion des actions judiciaires éventuellement intentées devant les juridictions locales par les victimes des violations alléguées » . Devant une telle situation, la Commission dans ses premières espèces jurisprudentielles n'en prenait qu'acte235. Par la suite, elle a reviré pour retenir la responsabilité de l'Etat mis en cause.

235Com. 138/9, International Penn (pour le compte de Senn) et autres c. Côte d'Ivoire.

2 - La survivance de la responsabilité internationale de l'État

La commission a toujours traité les communications en statuant sur les faits allégués au moment de la présentation de la communication236 : « Par conséquent, même si la situation s'est améliorée, de manière à permettre la libération des détenus, l'abrogation des lois offensantes et la lutte contre l'impunité, la position reste inchangée en ce qui concerne la responsabilité du gouvernement actuel du Nigeria pour les actes de violation des droits de l'homme perpétrés par ses prédécesseurs »237. En rappelant que son rôle consiste à se prononcer sur les allégations des droits de l'homme et violation des peuples protégés par la Charte, la Commission a fait valoir qu' « une loi d'amnistie prise dans le but de rendre caduque les poursuites et autres actions en réparation introduites par les victimes et leurs ayant-droits, bien qu'ayant des effets sur le territoire national [Mauritanien] ne peut soustraire ce pays de ses obligations internationales découlant de la Charte ».238La responsabilité internationale de l'État mis en cause, reste intacte malgré les mesures de loi d'amnistie et de grâce prises dans les cas de violations massives des droits de l'homme.

Une position originale à l'image de la Charte qui « contrairement aux autres instruments des droits de l'homme (...) ne permet pas de dérogation aux obligations du traité, en raison des situations d'urgence. Ainsi, même une situation de guerre civile ne peut être invoquée pour justifier la violation par l'État, ou son autorisation de violation de la Charte africaine »239. A côté de cette exception d'ordre purement politique, la Commission a admis des exceptions relatives aux circonstances d'ordre juridique.

Paragraphe II - Une mauvaise configuration de l'ordre juridique ou des
procédures judiciaires

L'idée selon laquelle, une mauvaise configuration de l'ordre juridique ou de la procédure judiciaire exonère du préalable d'épuisement des voies de recours internes peut être affirmée au regard de la jurisprudence de la Commission. Il s'agit en effet, de circonstances liées à des

236Com 27/89, 46/91 et 99/93 Organisation mondiale contre la torture& al / Rwanda.

237Com 224/98, Media Rights Agenda c/ Nigeria 225/98, Huri-Laws c/ Nigeria § 37 et com. 222/98 et 229/99 Law Office of Ghazi Suleiman / Soudan §40.

238Com 54/91. Malawi African Association et autres c. Mauritanie

239Com 54/91. Malawi c. Mauritanie ; com. 74/92, Commission Nationale des Droits de L'homme et des libertés c. Tchad, §36.

clauses dérogatoires qui hypothèquent l'administration de la justice (A). Il s'agit également, des cas où il est prouvé que la procédure des recours se prolonge de façon anormale (B).

A - Les exemptions du fait de dispositions légales

Dans cette catégorie, il est possible de ranger quatre exceptions à la règle. Celles-ci ont été admises par une interprétation déductive des exceptions classiques à l'article 56(5). Ces exceptions sont admises dans les cas où les recours internes sont rendues inexistants, inefficaces et illégaux. Il s'agit de : l'existence des clauses dérogatoires (1), l'existence des recours discrétionnaires ou extraordinaires (2), la non justiciabilité de la plainte (3), l'accès inéquitable à la justice (4).

1 - L'existence de clauses dérogatoires

On entend par clauses dérogatoires des clauses qui écartent, dans des limites déterminées, la règle normalement applicable.

La Commission a retenu dans le cas de la communication International Penn et autres (pour le compte de Saro-Wiwa) c. Nigeria, que tous les décrets dont il est question dans les quatre décisions prises contre le Nigéria contiennent des clauses dérogatoires « dans le cas des Tribunaux spéciaux, ces clauses interdisent aux Tribunaux ordinaires d'examiner tout appel contre des décisions prises par des Tribunaux spéciaux »240. Dans le cas d'espèce, le décret relatif à la suspension et modification de la Constitution qui en interdit toute contestation devant les Tribunaux nigérians, le décret régissant les praticiens du droit qui ne peut être contesté devant aucun Tribunal, constituent pour la Commission, des clauses dérogatoires qui rendent les recours inexistants, inefficaces ou illégaux. Elle soutient que dans ces circonstances, le judiciaire ne peut exercer aucun contrôle sur la branche exécutive du gouvernement.

2 - Des recours discrétionnaires ou extraordinaires

Ayant rappelé à plusieurs occasions que les recours dont il s'agit au terme de l'article 56(5) sont des recours judiciaires, la Commission rejette les allégations des Etats parties qui

240Com. 60/91 et 87/98

invoquent le non épuisement des recours internes en se basant sur les recours d'une nature non judiciaire. La Commission africaine a systématiquement rejeté la preuve des modes non juridictionnels de règlement en matière des droits de l'homme au titre de l'article 56 (5). Ces modes non juridictionnels sont les recours discrétionnaires et les recours extraordinaires.

On entend par recours discrétionnaires, des moyens de reformation de l'acte querellé ou de redressement de la situation, soumis à l'appréciation arbitraire d'une autorité politique ou administrative. Il s'agit en effet, des voies et moyens que la victime peut emprunter, mais dont l'issue dépend entièrement de la bonne volonté, et de la clémence du titulaire de cette prérogative. Les recours politiques et hiérarchiques sont caractéristiques de cette typologie. Dans l'affaire Diakaté c. Gabon, la Commission a retenu que, le sieur Diakaté « bien que revenu dans son pays d'origine entreprit des démarches auprès des autorités politiques en vue de l'annulation de l'ordre d'expulsion ». Qu' « il ressort pour l'essentiel que le sieur Lamine Diakaté n'a jamais attaqué en justice, l'arrêté d'expulsion n°148/MATCLI-DGAT-DDF-SF prit contre lui ». Son retour sur le territoire gabonais résultant d'une décision politique. Cette communication a été déclarée irrecevable pour non épuisement des voies de recours internes. Dans Constitutional

Right Projet (pour le compte de Akamu) et autres c. Nigéria, la Commission a soutenu que la loicontestée par la communication 60/71 « le Roberry and Fireams act investit le gouverneur du

pouvoir de confirmer ou d'annuler la décision du Tribunal spécial ...ce pouvoir est à considérer comme une voie de recours discrétionnaire et extraordinaire d'une nature non judiciaire ». La Commission motive sa décision en soulignant que « l'objectif du recours est d'obtenir une faveur et non de réclamer un droit ». Or le recours au sens de l'article 56(5) est un véritable droit dont la victime est titulaire : le droit à un recours.

Le rejet des recours discrétionnaires est d'autant plus justifié qu'ils aboutissent à une réparation discrétionnaire et relative. Une réparation arbitraire et non satisfaisante. Pour la Commission, « il serait incorrect d'obliger les plaignants à user des voies de recours qui ne fonctionnent pas de façon impartiales et qui ne sont pas tenus de statuer conformément aux principes de droit ».241

S'agissant des recours extraordinaires, ils peuvent se distingués suivant deux critères.

Il s'agit d'une part de la nature des justiciables et d'autre part du droit applicable.

241Com 60/91, Constitutional Rights Project (pour le compte de Wahab Akanu, G adega et Autres) c. Nigeria, § 8.

Suivant la nature des justiciables, les recours extraordinaires sont ceux qui ne sont ouverts qu'à une certaine catégorie de personnes. Suivant le droit applicable, c'est le droit d'une catégorie spécifique de personnes qu'applique l'organe de recours. Les Tribunaux militaires caractérisent fort bien les types de recours extraordinaires. De jurisprudence constante, la Commission a radicalement rejeté l'invocation des recours spéciaux comme les Tribunaux militaires au titre de l'article 56(5). Elle a ainsi considéré dans Media Rights Agenda c. Nigéria, que la comparution d'un civil devant un Tribunal militaire spécial, utilisant des procédures spéciales, étaient non seulement en violation du paragraphe 5 des principes des Nations Unies sur l'indépendance de la magistrature, mais aussi l'article 7 de la Charte. Dans la communication 60/91 Constitutional Right Projet c. Nigéria, seul le gouverneur militaire pouvait confirmer ou infirmer la décision rendue par le Tribunal spécial. La Commission a fait valoir qu'« une voie de recours discrétionnaire et extraordinaire d'une nature non judiciaire », telle que le recours au gouverneur militaire, n'était pas pertinent aux fins de l'alinéa 5 de l'article 56.

3 - La non justiciabilité de l'objet de la plainte

La règle de l'épuisement des voies de recours internes ne s'applique pas lorsque « au vue de la plainte, il n'y a pas de justice où il n'y a aucun recours local à épuiser, par exemple, lorsque le pouvoir judiciaire est sous le contrôle de l'organe exécutif, responsable de l'action illégale »242. Il s'agit de considérer que lorsqu'un Etat n'a pas assuré l'effectivité des droits de la Charte dans son ordre interne il reste tenu en cas de violation desdits droits de redresser la violation. Le cadre national n'étant pas habilité à prendre en charge une telle situation la Commission exempte les victimes d'épuiser les recours internes et les autorisent à saisir directement l'organe conventionnel.

4 - Un accès inéquitable à la justice du fait de la loi

Dans l'affaire Purohit et Moore c. Gambie, la Commission relève que « les dispositions générales de la loi qui pourrait offrir un recours à toute personne lésée par la faute d'autrui, sont accessibles aux riches et à ceux qui peuvent se payer les services d'un avocat privé. L'on ne

242Com 275/2003, Art.19 c. Erythrée, voir aussi com. 241/2001, Purohit et Moore c. Gambie.

peut toutefois pas affirmer comme une vérité générale qu'il n'existe pas dans le pays des voies de recours internes, mais elles existent pour ceux qui ont les moyens de les utiliser »243.

L'exception est donc admise, non pas sur le fondement subjectif de la pauvreté du plaignant, mais celui plus objectif de la loi qui tend à écarter une catégorie sociale de personnes. Autrement dit, l'exception ne joue pas en considération de la condition sociale du plaignant, mais plutôt au vue de l'impartialité de la loi à l'égard des couches socialement pauvres. Ayant considéré dans le cas d'espèce qui portait sur les conditions de détention et de traitement des malades mentaux en Gambie, que « les voies de recours offertes (...) ne sont pas réalistes pour cette catégorie de personnes et partant, pas efficaces »244. Pour ces raisons, la Commission a déclaré la communication recevable.

B - L'exemption en cas de prolongement anormal des procédures

L'alinéa 5 de l'article 56 admet clairement l'inapplicabilité de la règle dès lors « qu'il est manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolongent d'une manière anormale ». Dans l'affaire Zimbabwe for Humans Rights et Institute for Humans Rights and Development c. Zimbabwe, la Commission reconnaît que « ce qui constitue la prorogation de façon anormale de la procédure, n'a pas été définie par la Commission africaine245 Plus loin, elle avoue qu'« il n'existe donc pas de critères standards employés par la Commission africaine pour déterminer si une procédure a été indûment prolongée ». Cette position lui permet de garder une certaine flexibilité pour considérer chaque situation dans ses spécificités246 . Ainsi la Commission recours à certaines alternatives dans une logique qui emprunte à la doctrine anglaise du « test de l'homme raisonnable » (1). Il est par contre possible de dégager à travers la jurisprudence de l'organe ce qui pourrait être considéré comme étant la durée moyenne de l'instance nationale (2).

243Com, 241/2001, Purohit et Moore c. Gambie §36. Voir aussi Guide pour comprendre et utiliser la Cour Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, op cit, p.55.

244Ibid,§38.

245Com292/2004, Zimbabwe for Humans Rights et Institute for Humans Rights and Development c. Zimbabwe §58. 246Guide, Ibid, p. 56.

1 - Les alternatives à l'absence de critères standards

N'ayant pas défini des critères à partir desquels l'ont apprécie la prorogation des recours, la Commission « a tendance à traiter chaque communication dans le fond [et] dans certains cas, la Commission tient compte de la situation politique prévalant dans le pays, de l'histoire judiciaire du pays, et dans d'autres la nature judiciaire de la plainte. »247.

La prise en compte de la situation politique du pays, consiste à considérer que le prolongement anormal des procédures n'est pas causé par la volonté manifeste du pouvoir en place. En fait, « Indûment » est le qualificatif que l'article 56(5) donne à la prolongation anormale des procédures. Ce terme a été défini comme signifiant « excessivement » ou « de façon injustifiable»248. La Commission a alors conclu que « s'il y a une raison justifiable pour prolonger l'affaire, elle ne peut être qualifiée d'indue »249. Elle cite l'exemple d'un pays qui est pris dans une agitation civile ou une guerre. Dans ce cas, les recours ne sont pas considérés comme indûment prolongés.

A contrario, lorsque le comportement de la victime est la cause du prolongement des procédures, l'exception ne peut être invoquée. Ceci est vrai, si le retard même en partie est causé par la victime elle-même, sa famille ou ses représentants, le prolongement des procédures étant par ces facteurs justifié.

Par ailleurs, la Commission a recours à la doctrine anglaise du « test de l'homme raisonnable». Cette doctrine de Common Law, révèle une certaine équité dans l'administration de la justice. Dans ce sens, la Commission cherche à « découvrir compte tenu de la nature et des circonstances entourant un cas particulier quelle serait la décision d'un homme raisonnable »250. (§60). Dans l'espèce considérée, ayant fait remarquer que « les résultats électoraux sont supposés être rendus le plus rapidement possible, de manière à permettre aux concurrents de connaître les résultats »251, que la plupart des juridictions mettent en place, des mécanismes pour assurer cette diligence dans le traitement. La Commission parvient à la conclusion qu'un homme raisonnable finira par croire que l'affaire a été prolongée de manière anormale. Cette conclusion tient du fait que, plus de quatre ans après l'introduction des requêtes en contestation d'élection, les Tribunaux

247Com292/2004, Zimbabwe for Humans Rights et Institute for Humans Rights and Development c. Zimbabwe.

248 Idem

249 Idem

250 Idem

251 Idem

de l'Etat défendeur ne sont pas parvenus à statuer et les fonctions que les victimes contestent sont toujours occupées alors que les mandats sont presque arrivés à terme». La communication fut déclarée recevable. Ce qui fait jouer l'exception, ce n'est pas nécessairement le prolongement des procédures, mais ce sont les anomalies directement imputables à l'Etat ou au plaignant, qui vicient ce prolongement. La Commission tient également compte de l'histoire judiciaire du pays.

2 - La durée moyenne de l'instance nationale

En prenant en compte l'histoire judiciaire du pays, la Commission analyse au regard du fonctionnement des juridictions nationales si l'on est à même de dire que la procédure se prolonge de façon anormale. Elle interroge ainsi la jurisprudence nationale pour voir quelle est la durée moyenne de l'instance dans l'ordre interne.

La célérité de la procédure est un principe dans la conduite du procès. Pradel disait dans ce sens que « le temps qui passe c'est la vérité qui s'enfuit ». Il poursuivait qu' « une justice tardive équivaut à l'injustice »252. La célérité de la procédure est de l'intérêt de la victime selon que la Charte parle d'être jugée dans un délai raisonnable253. Le droit d'être jugé dans un délai raisonnable, est le droit d'une application régulière de la loi. Le droit d'avoir sa cause entendue dans un délai raisonnable, intègre non seulement le moment auquel le procès devrait commencer, mais également le moment auquel il devrait prendre fin et le jugement rendu aussi bien en première instance qu'en appel.

Malheureusement, les législations nationales ne sont pas assez élaborées à ce sujet. Au Cameroun par exemple, aucune disposition légale ne fait obligation au juge de conduire les procès dans un délai bien déterminé. Certes, il faut nuancer qu'en matière de contentieux administratif, l'issue du recours contentieux doit être connue dans un délai de 60 jours après dépôt du recours gracieux préalable. La pratique révèle que les systèmes judiciaires africains sont caractérisés par une lenteur. Cette lenteur est due à la carence du personnel de justice, l'engorgement des tribunaux internes et parfois, l'ingérence du politique dans la pratique judiciaire. Dans Modise c. Botswana, la Commission a admis que le fait que le dernier recours

252Pradel (J), La procédure pénale, CUJAS, 11 édition, 2002-2003, P.307. 253Article 7 (5) Charte africaine des droits de l'homme et des Peuples.

du requérant soit toujours en instance 16 ans plus tard permet de conclure à la réalisation par le plaignant de la condition d'épuisement des recours internes254.

Dans la communication 204/97, Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Burkina Faso, la Commission estime que « 15 ans sans qu'aucun acte de procédure ne soit prit et sans aucune décision ne se prononçant sur le sort des personnes concernées, ni sur les réparations sollicitées, constitue un déni de justice et une violation de l'article 7(1) ». Dans la jurisprudence Art 19 c. Érythrée, la Commission a jugé qu' « En l'absence de mesures concrètes de la part de l'État pour faire comparaître les victimes devant un tribunal ou pour leur permettre d'avoir accès à leurs représentants légaux trois ans après leur arrestation et leur détention et plus d'un an après avoir été saisie de la question, la Commission africaine, en toute conviction, conclut que les voies de recours érythréennes, même si elles sont accessibles, ne sont ni effectives ni suffisantesi255

La Cour européenne dans son arrêt Kulda c. Pologne, rendu en Grande Chambre le 26 Octobre 2000, a innové en mettant les États parties face à leur responsabilité en les incitant à créer dans leurs systèmes juridiques nationaux un recours effectif permettant aux justiciables de se plaindre de la durée excessive d'une procédure.256 Aujourd'hui, « plusieurs des États parties à la Convention ont intégré dans leurs systèmes juridiques internes, un recours qui permet aux justiciables de se plaindre du caractère déraisonnable d'une procédure et que les requérants sont désormais tenus d'exercer avant de s'adresser à la Cour européenne des droits de l'homme. C'est notamment le cas des systèmes français et italien ».257Il s'agit d'un précédent dont la Commission africaine devrait s'inspirer pour assurer aux justiciables africains le droit à un procès rapide.

En marge de ces exceptions qui sont liées à des raisons objectives, il est facile de remarquer que la Commission a également admis des exceptions à la règle de l'épuisement des voies de recours internes, sur la base des considérations purement subjectives.

254Com. 97/93 John K. Modise c. Botswana§19.

255Com. 275/2003 Article 19/Etat d'Érythrée §82.

256Voir aussi les arrêts confirmant la jurisprudence Kulda, notamment Horvat c. Croatie, arrêt du 26 Juillet 2001, Selva c. Italie, arrêt 11 Décembre 2001, Nouhaud et autres c. France, arrêt du 09 Juillet 2002, Konti-Arvaniti c. Grèce, arrêt du 10 Avril 2003, Hartman c. République Tchèque arrêt du 10 Juillet 2003.

257Beernanert (M-A), « De l'épuisement des voies de recours internes en cas de dépassement du délai raisonnable », Revue trimestrielles des droits de l'homme, n°60, 2004, p. 906.

SECTION II- LES EXCEPTIONS RELATIVES AUX CIRCONSTANCES
PERSONNELLES DU REQUERANT

Les dérogations relatives aux circonstances personnelles du requérant traduisent l'option de la Commission d'examiner les requêtes in situ. Dans cette optique, la disponibilité des recours et même leur efficacité avérée est occultée par la situation particulière dans laquelle le requérant se trouve. Il en est ainsi lorsque celui-ci se trouve soit hors du territoire de l'État mis en cause (I), soit dans une situation extrême (II).

Paragraphe I- L'impossibiité pour le requérant de mettre en oeuvre les
recours internes

Il importe de dire que les exceptions relatives aux circonstances personnelles du requérant ou de la victime sont admises dans un contexte où les recours internes existent, et sont en règles générales efficaces. Toutefois, en raison des circonstances spécifiques à l'espèce, la Commission considère que ces recours n'existent pas pour le requérant ou lui sont manifestement impropres. Il en est ainsi dans les cas d'exil et de déportation. Pour cela, un certain nombre de conditions doivent être remplies (A), et l'exception traduit une protection contre les représailles politiques (B).

A - Les conditions d'admission de l'exception

C'est dans la communication, 307/2005 M. Obert Chinhame c. Zimbabwe, la Commission a exposé de manière détaillée les conditions dans lesquelles s'applique cette exception. Dans cette espèce, il est manifeste que la Commission a exigé un élément matériel en cas de déportation (1) et un élément psychologique en cas d'exil (2).

1 - Un élément matériel en cas de déportation : la détention et

l'expulsion consécutive

Dans Rights International c. Nigeria, la Commission a retenu que l'inaptitude d'un plaignant à poursuivre les recours internes, à la suite de sa fuite au Bénin, suffisait à établir une norme d'épuisement effectif des recours internes.

Dans Institute pour les Droits Humains et le Développement des Droits en Afrique c. République d'Angola, la Commission fait remarquer que la condition de l'article 256(5), « n'est pas une condition stricte à remplir toujours». Il en est ainsi lorsqu'il n'existe pas de recours interne disponible. Car « le fait que les expulsés aient été rassemblés détenus et expulsés de telle sorte qu'ils n'ont pas collecté leurs effets personnels, ou les confier à leurs parents ou les garder, sans parler de saisir les autorités compétentes pour contester la manière dont ils ont été et l'expulsion consécutive »258. De même, « des excursions massives, en particulier suites aux arrestations et détentions consécutives, dénient aux victimes l'occasion d'établir la légalité de ces actions au niveau des tribunaux »259. Dans de telles circonstances et suivant les jurisprudences Civils Liberties Organisations c. République Fédérale du Nigeria, Civils Liberties Organisations (pour le compte de la Nigerian Bar Association) c. République Fédérale du Nigeria, et Rights International c. République Fédérale du Nigeria,260 la Commission est d'avis que « le fait que les plaignants ne se trouvent plus dans le pays d'où provient la plainte et qu'ils le ne peuvent y retourner à des fins de réparation, constitue un épuisement implicite des recours internes ». Cette position se justifie par le fait qu' « il serait absurde de demander au plaignant de retourner dans le pays d'où provient la plainte [en Angola], pour chercher réparation auprès des tribunaux nationaux261.

L'arrestation, la détention et l'expulsion consécutive sont le fondement de l'exception à la règle en cas de déportation. C'est-à-dire des cas où les plaignants ont été involontairement expulsés par les agents de l'Etat mis en cause. Qu'en est-il des cas où le plaignant décide par luimême de s'exiler ?

2- Un élément psychologique en cas d'exil : La crainte pour sa vie

perpétrée par des institutions identifiée de l'Etat

A cette date, l'exposé le plus riche de la jurisprudence de la Commission concernant cette question, a été fais dans l'affaire M. Obert Chinhame c. Zimbabwe. Dans cette espèce, le

258Com. 292/2004, Institute pour les Droits Humains et le Développement des Droits en Afrique c. République d'Angola.

259Com. 71/92, Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme c. République de Zambie. 260Respectivement, com. 87/1993, com. 101/93 et com. 215/98

261Com. 159/96 Union Interafricaine des droits de l'homme, Rencontre Africaine des Droits de l'Homme, Organisation Nationale des Droits de l'Homme au Sénégal et Association Malienne des Droits de l'Homme c. République d'Angola

plaignant prétend avoir été arrêté, détenu et relâché sans être inculpé, ni informé des motifs de son arrestation. Il prétend également qu'à la suite des menaces de mort qui lui ont été faites à plusieurs reprises, il a fini par fuir son pays, par crainte pour sa vie, en abandonnant sa famille. Il estime que cet argument suffit à lui faire bénéficier de l'exception de non épuisement des voies de recours, conformément aux jurisprudences Jawara c. Gambie, Alhassam Abubakar c. Ghana et Rights International c. Nigeria. Il avait été décidé dans ces espèces « qu'on ne pouvait s'attendre à ce que les plaignants dans ces cas poursuivent les recours internes dans leurs pays en raison du fait qu'ils avaient fuit leurs pays par crainte pour leur vie ».

Après une étude comparative262, la Commission conclue que « les quatre cas ci-dessus ont une chose en commun, un établissement clair de l'élément de peur perpétré par les institutions identifiés de l'État». La peur comme élément déterminant dans l'exception relative à l'impossibilité du requérant de saisir les recours internes est justifiée. En effet, la Commission estime que dans de telles circonstances ce serait « inverser le cours de la justice en demandant que le plaignant tente les recours internes » ce qui « serait un affront au sens commun et à la logique que de demander au plaignant de retourner dans son pays pour y épuiser les recours internes».

L'élément important qui fait défaut à la communication Obert Chinhama, est que la peur doit être imputée à l'État, ce n'est qu'alors qu'elle rend indisponible les recours internes à l'égard du plaignant. Dans le cas contraire, la Commission estime que le plaignant n'a pas besoin d'être

262La Commission a procédé à une comparaison des arguments invoqués et est parvenue à une conclusion. Dans Jawara, le plaignant était un ancien chef d'État renversé par un coup d'État militaire. Le gouvernement militaire a instauré un régime où sévissait « une peur généralisée.» Cette peur ne faisait aucun doute, ce « sentiment suscité non seulement dans l`ésprit de l'auteur mais dans celui de toute personne sensée, était que retourner dans son pays à ce moment précis pour quelque raison que ce soit, mettrait sa vie en péril. » Dans Alhassam Abubakar c. Ghana, le plaignant un gouverneur, arrêté et détenu sans procès pendant 7ans pour cause de collaboration avec des dissidents politiques, s'était évadé vers la Côte d'Ivoire. Malgré la possibilité à lui offerte pour retourner au Ghana, le plaignant invoquait l'existence d'une loi ghanéenne, infligeant des peines de 2 à 6 ans de prison aux évadés de prison quelque soit la légitimité des causes de leur évasion. La Commission affirma que « considérant la nature de la plainte, il ne serait pas logique de demander au plaignant de retourner au Ghana pour chercher une solution auprès des autorités. Les recours internes n'étaient donc pas disponibles. » Dans Rights International c. Nigéria, l'étudiant Charle Baridom a fuit le Nigéria après avoir subi des tortures pendant sa détention dans un camp militaire. Il a également été menacé de mort par les agents du gouvernement. Dans ce cas, la Commission a déclaré la communication recevable « aux motifs qu'il n'existait pas de recours internes disponibles et efficaces pour les violations des droits de l'homme au Nigéria sous le régime militaire. » Elle a ainsi affirmé que « la norme d'épuisement des recours internes est satisfaite lorsqu'il n'existe pas de recours efficacse ou adéquats pour l'individu. » Dans le cas particulier, M. Wiwa « ne pouvait poursuivre aucun recours interne après sa fuite par crainte pour sa vie vers la République du Bénin ». Dans Gabriel Choumba c. Zimbabwe, le plaignant après avoir subi un harcèlement politique, arrêté, détenu, torturé sans procès et menacé de mort, s'est enfuit du Zimbabwe par crainte pour sa vie.

physiquement présent dans un pays pour avoir accès aux recours internes263. Ce fut le cas de l'affaire Chinhama, le requérant n'ayant pas pu établir qu'il a fuit le pays contre sa volonté en raison des agissements de l'État. Ainsi, « si le plaignant ne peut pas aller vers le tribunal de son pays, parce qu'il a peur pour sa vie ou pour celle des membres de sa famille, les voies de recours internes sont considérées comme inexistantes pour lui ».264 Cette exception, a une certaine portée dans le champ de la protection des droits de l'homme.

A - La portée de l'exception

L'exception relative à la délocalisation de la victime tend à assurer une double protection. Dans les cas d'exil, elle permet la protection en cas de représailles politiques (1). Elle vise par contre à garantir la légalité des expulsions dans le cas de déportation (2).

1 - La protection contre des représailles politiques

La règlementation des libertés politiques doit être conforme aux obligations à l'égard de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Ce principe fondamental qui ressort de la jurisprudence Jawara265s'impose à tous les États parties à la Charte.

Très souvent, les individus ayant un passif politique opposé au régime en place, font l'objet de représailles organisées par leurs adversaires politiques. Ces représailles, consistent souvent en des restrictions de libertés ; telles que la liberté de circulation (art 12) notamment, des restrictions de voyage imposées aux anciens membres du parlement ou du gouvernement; la liberté d'expression garantie par l'art 9 de la Charte, tel que les intimidations, arrestations et expulsions des journalistes pour des articles publiés ou des questions posées ; la liberté d'association (art.10al 1) à l'instar d'interdiction des partis politiques ; la liberté de participer à la direction des affaires publiques (art.13al 1) notamment lorsque les anciens chefs d'État et autres hommes politiques du régime déchu, sont interdits de prendre part à aucune activité politique.

263Com. 219/88, Legal Defense Center c. Gambie. 264Com 147/95 et 149/96 sir Dawda K. Jawara §35. 265Ibid, §43 et 68.

C'est en réponse à cette réalité que la Commission a adopté une approche qui tend à protéger les droits et libertés des personnes considérées, en assouplissant la règle par l'exception d'impossibilité de recourir aux recours internes en cas d'exil.

2 - La légalité des expulsions et l'interdiction des expulsions collectives

L'article 12(5) de la Charte, dispose : « l'expulsion collective d'étrangers est interdite. L'expulsion collective est celle qui vise globalement les groupes nationaux, raciaux ou religieux ». La Charte africaine n'est pas la seule à interdire les expulsions collectives. Les situations de crise politique et de crise économique que connaissent certains États africains, conduisent les autorités nationales à procéder à de vastes campagnes d'expulsion d'étrangers. La commission a admis que, «les États africains en général (...) sont confrontés à de nombreux défis essentiellement économiques, face à ces difficultés l'État a souvent recours à des mesures radicales destinées à protéger leurs ressortissants et leurs économies des étrangers. Quelques puissent être les circonstances ces mesures ne devraient pas être prises au détriment de la défense des droits de l'homme. L'expulsion collective de n'importe quelle catégorie de personne sur la base de la nationalité, de la religion, de l'ethnie, de la race ou d'autres considérations constituent une violation particulière de droits de l'homme ».266

Par cette interprétation extensive des exceptions, la Commission protège les groupes vulnérables à l'encontre desquels une action gouvernementale est dirigée. Ces actions ont un caractère purement discriminatoire, en ce sens qu'elles manquent de fondement juridique. L'expulsion doit rester compatible avec l'art12(4), selon lequel « l'étranger l également admis sur le territoire d'un État partie à la présente Charte, ne pourra en être expulsé qu'en vertu d'une décision conforme à la loi ». Les méthodes de contrainte à l'expulsion légale doivent ne pas affecter la vie et l'intégrité physique des personnes concernées.267

L'indisponibilité des recours internes justifie l'exception à la règle du fait de la délocalisation du plaignant, autre est le fondement de l'exception en cas de circonstance extrême tel que le décès des victimes et l'urgence.

266Com. 159/96, Union Interafricaine des Droits de l'Homme, Fédération Internationale des Droits de l'Homme, Rencontre Africaine des Droits de l'Homme, Organisation Africaine des Droits de l'Homme au Sénégal, Association Mondiale des Droits de l'Homme c. Angola.

267Voir aussi Comité des Droits de L'homme, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, Nations Unies, A/57/40, Vol. 1(2002) §76 al 13.

Paragraphe II- Le décès de la victime et l'urgence

Ces deux situations relatives à la personne du requérant, obligent par leur caractère extrême à écarter l'application de la règle de l'épuisement des voies de recours internes. Dans le cas du décès de la victime, c'est la forclusion des recours qui permet de déroger à la norme (A). Par contre en cas d'urgence, c'est l'imminence de l'irréparable qui conduit à la recevabilité de la requête (B).

A - Le décès de la victime : une dérogation péremptoire à la règle

La Commission a admis que le décès des victimes rendait le recours forclos (1). Cette admission a suscité un certain nombre de critiques qui mettent en relief les conséquences de l'exception. (2)

1 - La forclusion des recours existants

De manière laconique, la Commission fait remarques à propos de la communication Forum of Conscience c. Sierra Leone « que la plainte est introduite au nom des personnes déjà exécutées. A cet effet, la Commission convient qu'il n'existe pas de recours locaux que le plaignant peut formuler. Cependant, même si une telle possibilité existait, l'exécution des victimes a définitivement forclos un tel recours ».268 Le décès de la victime conduit à l'inadéquation des recours internes. En effet comment comprendre que des victimes décédées épuisent encore des recours. Ceux-ci certes existent, mais sont inutiles pour redresser la violation commise. Une telle exception soulève toute de même quelques interrogations.

2 - Les conséquences de l'exception

Le fait que l'action devant la Commission soit menée par une ONG, démontre la pérennité de la violation. Il s'agit d'admettre que le décès de la victime s'il rend les recours internes forclos, n'absout pas l'État responsable de la violation des droits de l'homme. Cette responsabilité continue de peser à l'encontre de l'État mis en cause. L'enjeu consiste à admettre que la responsabilité de l'État en matière des droits de l'homme ne s'éteint avec le décès des victimes. Le droit à la vie, étant à la base de tous les autres droits, il est selon la Commission : « la source d'où découle les autres droits ». Dans la communication

268Com. 223/98, Forum of Conscience c. Sierra Leone

précédemment évoquée, la Commission reconnaît évidement que « bien que la procédure ne puisse ramener les victimes à la vie, elle n'exempte pas le gouvernement Sierra léonais de ses obligations prises en vertu de la Charte ». Il y'a tout de même lieu de s'interroger si les ayants droit de la victime ne sont pas tenus d'épuiser les recours internes ? En effet, il apparaît logique que pour ces derniers, les recours locaux restent adéquats pour remédier au préjudice morale qu'ils subissent.

B - L'urgence : une dérogation provisoire à la règle

L'urgence peut s'entendre du « caractère d'une situation ou d'un état de faits ou de droit susceptible de causer ou de provoquer un préjudice irréparable ou difficilement réparable s'il n'est porté remède à bref délai ».269Habilitée par l'article 111 de son règlement intérieur, « la Commission africaine a en effet bâti et développé un régime juridique qui techniquement a tout le moins sacrifié pleinement au paradigme de la « culture d'urgence »270. Ce régime juridique conduit à écarter provisoirement l'épuisement des recours internes pour statuer sur la requête en mesure d'urgence. La procédure d'urgence est de manière indirecte une dérogation à la règle d'épuisement des recours internes. Elle n'est mise en oeuvre que dans des circonstances précises (1) et résulte sur l'édiction des mesures provisoires (2).

1 - Les conditions d'admission de l'urgence

Deux conditions nécessaires sont requises pour admettre la procédure d'urgence. D'une part, il faut qu'il y ait un cas d'extrême gravité, et d'autre part, que dans cette situation il existe un risque de préjudice irréparable. Ces conditions ont pour fondement commun la prise en compte du danger qui menace un intérêt ou un droit devant la longueur d'une procédure ordinaire271

La procédure d'urgence est donc fondamentalement préventive, même s'il est admis une urgence en réparation. Elle vise à prévenir l'irréparable dans une situation qui est actuelle.

269Guimdo Dongmo (B-R), le juge administratif Camerounais et l'urgence, recherche sur la place de l'urgence dans le contentieux administratif Camerounais, Thèse de Doctorat, Université de Yaoundé II - Soa, 2004, p. 18.

270Flauss (J.F), « Notule sur les mesures provisoires devant la Commission africaine des droits de l'homme et de peuples » Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, n°55, 2003, p. 923.

271 Cossa (A), « L'urgence en matière de référé », Gazelle du Palais, 1955, 2, Doc, p.46.

Cette procédure est typiquement dérogatoire à la procédure normale qui écarte ainsi les règles ordinaires gouvernant l'instance, notamment, le préalable d'épuiser les voies de recours internes. Le plaignant qui l'invoque attend de la Commission qu'elle prononce des mesures provisoires.

2 - La portée des mesures provisoires

La Commission a noté que « lorsqu'il est allégé qu'un préjudice peut être causé à la victime, elle agit très rapidement pour demander à l'État de s'abstenir de prendre une quelconque action susceptible de causer un préjudice irréparable jusqu'à ce qu'elle détermine l'examen de l'affaire en profondeur ».272 Les mesures prises sont essentielles pour assurer une protection provisoire liée à l'urgence. La Commission africaine a pris des mesures provisoires portant pour la plupart sur des situations dans lesquelles il y avait menace sur la vie ou/et sur l'intégrité physique des victimes273. Statutairement, les mesures provisoires adoptées par la Commission ne sont revêtues d'aucune force obligatoire. Tout au plus sont elles assimilables à des recommandations274.

Après avoir pris ses mesures, la Commission peut statuer par la suite sur la recevabilité de la communication au titre de l'article 56(5) pour voir si le plaignant a tenté de recourir aux juridictions internes. Si tel n'est pas le cas, rien n'empêche l'organe de déclarer la communication irrecevable. Toutefois, lorsque les mesures n'ont pas été respectées et c'est très souvent le cas, le décès des victimes rend les recours internes forclos, la procédure d'urgence est donc une dérogation provisoire à l'article 56(5).

272Voir note, com.239/2001, Interrights (pour le compte de José Domingno Sikunda) c. Namibie. 273Ibidem, note 9, p.926.

274Lire à ce propos, Jean François Flauss, op cit, p. 926-927.

CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE

Dans un souci de constance, de régularité et de légalité, la Commission a été amenée à apporter une définition substantielle à la règle de l'épuisement des voies de recours internes. Il s'agissait d'une part, de définir un certain nombre de critères fondamentaux à l'application du principe. Parmi ceux-ci, un critère formel consistant aux modalités du contrôle de l'épuisement des recours internes et trois critères matériels inhérents au principe et préalables à sa mise en oeuvre notamment la disponibilité, la satisfaction et l'effectivité des recours à épuiser. Il s'agissait d'autre part, à travers une application flexible de la règle, de formuler de manière indicative et non limitative les différentes exceptions au principe. Celles-ci ont trait aussi bien aux circonstances exceptionnelles d'ordre politique et juridique et qu'aux circonstances personnelles du requérant. Cette définition fonctionnelle tient compte de la spécificité du contexte africain en matière de protection des droits de l'homme. Si elle guide la pratique de la règle par la Commission, elle est néanmoins appelée à s'enrichir. Il s'agit donc d'une définition en perpétuelle constitution à travers laquelle la Commission travaille à garantir le meilleur de la protection des droits de la Charte tant à l'interne qu'à l'international.

CONCLUSION GENERALE

Il a été question dans cette étude de rendre compte et d'analyser la façon dont la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples appréhende et applique la règle de l'épuisement des voies de recours internes ? Au terme de cette recherche, il y'a lieu d'affirmer, sinon de confirmer, que la pratique de la règle se fait sous un double aspect.

D'une part, en se référant au droit international coutumier et aux autres instruments internationaux de protection des droits de la personne humaine, la Commission réaffirme les fonctions traditionnelles de la règle. Il s'agit d'une simple opération d'emprunt au cours de laquelle l'organe de Banjul se limite à présenter lesdites fonctions de manière générale sans en justifier les fondements. La référence que fait la Commission au droit international général et au droit international des droits de l'homme invite à revisiter ces disciplines. Il se dégage alors que la Commission admet et réaffirme le principe de la subsidiarité des organes internationaux de protection des droits de l'homme dont le corollaire est la primauté des juridictions nationales en matière de contentieux des droits humains. A travers ces principes reconnus dans la jurisprudence de la Commission, la règle vise à ménager la souveraineté des États, à garantir l'effectivité des droits de la Charte dans l'ordre interne, à préserver le rôle supplétif des juridictions internationales, ainsi qu'a permettre la célérité du règlement en évitant les contraintes auxquelles sont tenues de telles juridictions dans un contexte particulier comme celui de la protection des droits de l'homme.

D'autre part, bien qu'il existait également une définition matérielle pourvue par le droit international général et les autres mécanismes de protection des droits de l'homme la Commission, s'est limité à s'en inspirer pour élaborer par elle-même une définition substantielle de la règle. Cette option se justifie par les particularités du contexte africain, qui orientent à une interprétation adaptée aux réalités des États africains plutôt qu'une duplication artificielle d'un standard d'application emprunté à d'autres systèmes. Cette définition substantielle porte sur une édiction restrictive des conditions d'application du principe et une énonciation extensible des exemptions. Elle permet d'affirmer que la Commission procède de manière systématique au contrôle de l'épuisement des recours internes, lesquels doivent au préalable, être disponibles satisfaisants et effectifs, au risque de voir le principe écarté comme lorsqu'il est démontré des circonstances exceptionnelles d'ordre politique et juridique, ou relative à la situation personnelle du requérant.

Ainsi, au moyen d'une méthode de raisonnement dialectique la Commission à déterminer la définition de la règle de droit à la lumière du but poursuivi. Par cette définition la Commission a soupesé de manière concrète et détaillée les intérêts opposés afin de mesurer la conformité de leurs effets respectifs par rapport au but poursuivi. Une telle interprétation et application pro victima laisse tout de même certaine critique. On lui reproche « une acceptation assez généreuse des règlements à l'amiable y compris sous déclaration unilatérale de l'État défendeur ; alors que dans le contexte africain les victimes sont dans une situation particulièrement vulnérable ».275

Cette construction jurisprudentielle d'une définition fonctionnelle et matérielle de la règle a le mérite de satisfaire au double souci d'une jurisprudence constante et d'une absence de formalisme excessif dans l'application du principe. Elle constitue une véritable ligne directrice. La jurisprudence de Banjul rend compte de ce qu'« en interprétant et en appliquant la Charte africaine, la Commission se fonde sur les précédents juridiques de plus en plus nombreux créés par ses décisions prises sur presque quinze ans environ ; elle doit également se conformer à la

Charte africaine, aux normes internationales des droits de l'homme définies dans la Charte quicomprennent les décisions et commentaires généraux des organes des Nations Unies créés par

traités (article 60). Elle doit également tenir compte des principes de droit définis par les États parties à la Charte africaine et aux pratiques africaines, conformément aux normes et critères internationaux (article 61) »276.

A travers cette définition doublement dissuasive de la règle, tant pour les plaignants que pour les États, la Commission assure une protection préventive au seul seuil de la recevabilité des communications. S'il est vrai que cette définition s'harmonise avec l'ensemble de la pratique de la règle devant les autres mécanismes de protection des droits de l'homme, il reste tout autant vrai que ces mécanismes ont apporté des interprétations évolutives de la règle qui devraient inspirer la Commission. Rappelons par exemple à cette fin, que la Commission interaméricaine a choisi de présumer l'épuisement des recours internes, laissant aux États mis en cause le soin d'évoquer la question.277Il y' a là un exemple qui cadre bien avec le contexte africain où les systèmes judicaires ont des sérieuses difficultés à garantir le droit à un procès équitable.

Par ailleurs, bien qu'il semble que l'actuel attelage Cour/Commission, et la future Cour africaine de justice et des droits de l'homme et des peuples, ne devraient pas nécessairement

275Abdelgawad (E.L), « La Charte Africaine des droits de l'homme », op cit, p.122-123.

276Com218/98 Civil Liberties Organisation, Legal Defence Centre, Legal Defence and Assistance Projectc. Nigeria 277Guide pour comprendre et utiliser la Cour Africaine des Droits de l'Homme, p. 52.

conduire à des revirements de jurisprudence quant au contenu de l'épuisement des voies de recours internes tels précisé par la Commission. Il est nécessaire que le nouveau régionalisme africain de protection des droits de l'homme à travers la force obligatoire de ces jugements, amène les États à garantir la bonne administration de la justice. Ceci suppose, qu'il ne devrait pas se limiter à défendre à tout prix le statut quo. Mais plutôt, qu'il devra faire avancer la jurisprudence des droits de l'homme en Afrique à travers des interprétations évolutives de la règle. Autrement dit, il devra être plus sensible à la précarité de la situation des justiciables africains devant les violations de leurs droits par les gouvernements.

Ce faisant, la règle procédurale de l'épuisement des voies de recours internes, produira des effets matériels et normateurs, par la médiation du juge national et international, respectivement juge de droit commun et juge d'exception en matière de droits de l'homme.

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III- THESES ET MEMOIRES

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· BEAUCHOT (B), La protection diplomatique des individus en droit international, Mémoire de DEA, Université de Lille II, 2002.

IV - DICTIONNAIRES ET AUTRES DOCUMENTS

· ANDRIANTSINNBAZOVINA (J) et GAUDIN (H), Dictionnaire des droits de l'homme, 1er édition, Quadrige-Puf Octobre 2008.

· ARNAUD (A-J), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit. Paris : Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1988, 487p.

· ATANGANA AMOUGOU (J-L), Cours de droit international des droits de l'homme, DEA droit international public et Communautaire, Université de Yaoundé II 2007-2008, (inédit).


· BOUKONGOU (J.D), Cours de droit international des droits de l'homme Université Catholique d'Afrique Centrale,

· CHAPPEZ (J), La protection diplomatique, JCL droit international, vol 4, édition du Juris-classeur, 1999, fascicule 250.

· CORNU (G), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 4e Edition, PUF- Quadrige, mai 2002..

· GUIMDO (R-B), Cours de Théorie générale du droit, DEA droit public interne, Université de Yaoundé II, 2007-2008, (inédit).

· KAMTO (M), TCHEUWA (J-C) et MOUANGUE KOBILA (J) Manuel de méthodologie et d'exercices corrigés en droit international public, CEDIC, Yaoundé 2004.

· Guide pour comprendre et utiliser la Cour Africaine des Droits de l'Homme

· Le petit Larousse, sous la direction de Yves GARNIER et Mady VINCIGUERA, VUEF, Paris, Edition 2004.

· Rapport d'activités de la Commission Africaine des droits de l'homme et des peuples, n° 10-25.

· Recueil Africain des décisions des Droits Humains, Pretoria University, Law Press ((PULP), 2000.

V- TEXTES JURIDIQUES
A-Textes Universels

· Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948.

· Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966.

· Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1997.

B-Textes Régionaux

1-Textes africains

· La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples adoptée le 27 juin 1981 et entrée en vigueur le 21 octobre 1986.

· Le protocole relatif à la Charte africaine portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples adopté le 9 juin 1998 et entré en vigueur le 25 janvier 2004.

· Le Règlement intérieur de la Commission africaine des droits de l'homme et du peuple entré en vigueur le13 février 1988.

2-Textes européens

· Le Règlement intérieur de la Commission africaine des droits de l'homme et du peuple entré en vigueur le13 février 1988.

· La Convention européenne des droits de l'homme adoptée à Rome le 4 novembre 1950.

· Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales telle qu'amendée par le Protocole n°11

· Protocole n°11 à la Convention européenne des droits de l'homme adopté le 11 mai 1994 à Strasbourg et entré en vigueur le 1er novembre 1998.

3-Textes américains

· Protocole n°11 à la Convention européenne des droits de l'homme adopté le 11 mai 1994 à Strasbourg et entré en vigueur le 1er novembre 1998.

· Convention américaine relative aux droits de l'homme adoptée le 22 novembre 1969.

· Statut de la Cour interaméricaine des droits de l'homme adopté en octobre 1979.

· Règlement de la Commission interaméricaine des droits de l'homme adopté le 29 juin 1987.


· Statut de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, octobre 1979.

· Règlement intérieur de la Cour interaméricaine des droits de l'homme adopté le 18 janvier 1991.

VI. JURISPRUDENCE

A. JURISPRUDENCE AFRICAINE

1- Communication interétatique

· Com 227/99 - R. D. Congo / Burundi, Rwanda et Ouganda

2- Autres communications

· Com 104/93 Centre pour l'indépendance des magistrats et des avocats c Algérie.

· Com 16/88 Comité Culturel pour la Démocratie au Bénin et autres c. Bénin

· Com 97/93 John k. Modise c. Botswana

· Com 23/99, Avocat Sans Frontière (pour le compte de Gaétan Bwampamye) contre Burundi

· Com 260/02 - Bakweri Land Claims Committee / Cameroun.

· Com 59/91, Embga Mekongo c. Cameroun

· Com 39/90, Annette Pagnoulle ( pour le compte de Abdoulaye Mazou ) c. Cameroun

· Com. 138/9, International Penn (pour le compte de Senn) et autres c. Côte d'Ivoire.

· Com 253/2002 Antoine Bissangou c. République Démocratique du Congo.

· Com133/94, Association pour la Défense des Droits de l'Homme et des Libertés c. Djibouti.

· Com 40 :90, Bob Ngozi Njoku c. Egypte.

· Com 299/2005 Anuak Justice Council c. Ethiopie.

· Com 73/92 Mohammed Lamine Diakité c. Gabon.


· Com 90/93, Paul S Haye c. Gambie.

· com. 241/2001, Purohit et Moore c. Gambie

· Com 86/93, M S Ceesay c. Gambie..

· Com 147/95 et 149/96, Sir Dawda K. Jawara c. Gambie

· Com 263/02 - Section Kenyane de la Commission Internationale de Juristes, Law Society
of Kenya, Kituo Cha Sheria/Kenya Communication 127/94 - Sana Dumbuya c/Gambie.

· Com 221/98 Alfred B. Cudjoe c/ Ghana

· Com. 144/95 William A Courson c. Guinée Equatoriale

· Com 54/91 Malawi Afican Association c. Mauritanie

· Com. 140/90 141/94, 145/95 Civil Liberty Organisation and Media Rights Agenda c. Nigeria

· Com 218/98 - Civil Liberties Organisation, Legal Defence Centre, Legal Defence and Assistance Project / Nigeria

· Com 60/91, Constitutional Rights Project (pour le compte de Wahab Akanu, Gadega et Autres) c. Nigeria

· Com.87/93 Constitutional Rights Project (pour le compte de Zamani Lekwot et six Autres) c. Nigeria

· Com224/98, Media Rights Agenda c/ Nigeria

· 225/98, Huri-Laws c/ Nigeria

· Com 60/91 constitutional right project c. Nigeria

· Com 243/2001 Woman's Legal Aid Central

· Com 198/97 SOS-Esclaves c. Mauritanie

· Com 27/89, 46/90, 49/91,99/93 Organisation Mondiale contre la Torture et l'Association Internationale de Juriste Démocrates, Union Interafricaine des Droits de l'Homme c. Rwanda


· Com. 223/98, Forum of Conscience c. Sierra Leone

· Com 236/2000 - Curtis Francis Doebbler / Soudan

· Com. 222/98 et 229/99 - Law Office of Ghazi Suleiman / Soudan

· com. 74/92, Commission Nationale des Droits de L'homme et des libertés c. Tchad

· Com 48/90, 50/91, 52/91, 89/93, Amnesty International c. Zambie

· Com 25/89, 47/90, 56/91, 100/93, Free Legal Assistance Group et autres c. Zaïre.

B- AUTRE JURISPRUDENCE

1- CPIJ et CIJ et Sentences Arbitrale.

· Affaire, des Concessions Mavrommatis en Palestine (Grèce c. Grande-Bretagne) CPJI, 30 août 1924 Ser. A

· Affaire, Usine de Chorzow Pologne c. RFA 1927, CPIJ, série A n° 17

· Affaire de la compétence des tribunaux de Dantzig, CPJI, Avis du 3 mars 1928, Série B n°15 p17

· Interprétation des arrêts n°7 et 8, usine de Chorzów arrêt n° 11 du 16 décembre 1927, CPJI, Série A, n°13

· Affaire Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), CIJ, 19 mai 1953

· Affaire, Hinterland (Suisse. c. États-Unis), Exceptions préliminaires, CIJ, 27 Mars 1959

· Affaire de l'Hinterland, opinion dissidente du juge Cordova, Recuiel CIJ, 1959, p.45.

· Affaire Ziat, Ben Kiran, (Grande-Bretagne c. Espagne), S A Max Huber, 24 décembre 1924, Sentence arbitrale relative aux réclamations dans la zone espagnole du Maroc, RSA, vo II, pp.729-732

2- Comité des droits de l'homme

· Com. 868/1999Albert Wilson c. Philippines, doc. NU, CCPR/C/79/D/868/1999, 2003.


· Com n° 458/1991, Albert Womah Mukong c. Cameroun UN Doc, CCPR/C/51/D/458/1991, du 10 août 1994

· Com 674/1995 Emile Caabe c. Island, UN Doc, CCPR/C/58/D/674/1995/(1996)

· Com. 910/2000, ATI Antoine Randolph c. Togo UN Doc. CCPR/C/79/D/910/2000 (2003)

3- Cour européenne des droits de l'homme.

· Arrêt Selmouni c. France n° 25803/94 ; CEDH 1999-V

· Arrêt Vernillo c. France du 20/02/1991 série A n° 198, p. 11 -12.

· Arrêt Icyer c. Turquie, n° 18888/02 décision du 02 janvier 2006.

· Arrêt Broniwski c. Pologne (GC) 23 Juin 2004

· Arrêt Dalia c. France 19 Février 1998, Recueil 1998-I, PP 87-88.

4- Cour interaméricaine des droits de l'homme

· Affaire Viviana Gallardo et autres. Jugement sur les exceptions préliminaires (13 novembre 1981), série A n° G 101/81, p. 87-88, § 26.

· Affaire Godinez Cruz, Jugement sur les exceptions préliminaires, 26 juin 1987, supra, §88

· Affaire Fairen Garbi et Solis Corrales, Jugement sur les exceptions préliminaires, jugement du 26 juin 1987, Série C, n° 2, §87.

VII- REFERENCES INTERNET

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· www.revue-df.org, ou www.droitsfondamentaux.org: Site de la Revue de Droits fondamentaux

· www.achpr.org: Site de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples

· www.cidh.oas.org/: Site de la Commission interaméricaine des droits de l'homme


· www.corteidh.or.cr/: Site de la Cour interaméricaine des droits de l'homme

· www.droitshumains.org/Biblio/Txt Afr/HP Afr.htm/ Site des instruments africains de protection des droits de l'homme

· http://www.reliefweb.int /rw /dbc

· http://www.humanrightstz.org/ site de l'ONG Human Rights Organization

· www.un.org Site de l'Organisation des Nations unies.

· www.apdhac.org Site du centre interdisciplinaire de formation et de recherche en droits de l'homme pole d'excellence régionale en droits de l'homme

ANNEXES

ANNEXE 1 : EXTRAIT COMMUNICATION 227/99 - R. D. CONGO / BURUNDI, RWANDA ET OUGANDA

Le Droit

De la Recevabiité

51. La procédure visant à soumettre des communications étatiques à la Commission est régie par les articles 47 à 49 de la Charte. A ce stade, il est important de mentionner qu'il s'agit de la première communication interétatique introduite devant la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.

52. Il est à noter qu'il a été communiqué au Burundi2, Etat défendeur, tous les mémoires pertinents ayant trait à la présente communication, conformément à l'Article 57 de la Charte Africaine. Le Burundi n'a non seulement pas réagi à aucun d'entre eux mais il n'a fait aucune présentation orale devant la commission eu égard à la plainte.

53. La Commission Africaine souhaiterait insister sur le fait que l'absence de réaction de la part du Burundi n'absout pas cet Etat de la décision que la Commission pourrait rendre lors de l'examen de la communication. Le Burundi, de par sa ratification de la Charte Africaine, a indiqué son engagement à coopérer avec la Commission Africaine et à respecter toutes les décisions que cette dernière pourrait rendre.

54. Dans leurs observations orales faites devant la Commission, lors de sa 27ème session ordinaire tenue en Algérie (du 27 avril au 11 mai 2000), le Rwanda et l'Ouganda ont allégué que la décision de l'Etat plaignant de soumettre la communication directement au Président de la Commission sans les en avoir préalablement informés ni en avoir d'abord fait notification au Secrétaire général de l'OUA, n'est pas valable du point de vue procédural et que cela compromet la recevabilité du cas.

55. L'article 47 demande à l'Etat plaignant d'attirer, par communication écrite, l'attention de l'Etat en violation sur la question. Cette communication devra également être adressée au Secrétaire général de l'OUA et au Président de la Commission. Dans un délai de trois mois à compter de la date de réception de la communication, l'Etat destinataire fera tenir à l'Etat qui a adressé la communication des explications ou déclarations écrites élucidant la question.

56. Conformément aux dispositions de l'article 48 de la Charte, si, dans un délai de trois mois à compter de la date de réception de la communication originale par l'Etat destinataire, la question n'est pas réglée à la satisfaction des deux Etats intéressés, par voie de négociation bilatérale ou par toute autre procédure pacifique, l'un comme l'autre auront le droit de la soumettre à la Commission par une notification adressée à son Président et d'en notifier les autres Etats concernés.

57. Les dispositions des articles 47 et 48 couplées avec les dispositions des articles 88 à 92 du Règlement intérieur de la Commission sont orientées vers la réalisation de l'un des principaux objectifs et principes fondamentaux de la Charte : la conciliation.

58. La Commission considère la disposition de l'article 47 de la Charte souple et non obligatoire. L'utilisation du terme «peut» en atteste. Tout comme la première phrase de cette disposition :« Si un Etat partie à la présente Charte a de bonnes raisons de croire qu'un autre Etat également partie à cette Charte a violé les dispositions de celle-ci, il peut appeler, par communication écrite, l'attention de cet Etat sur la question. »

59. En outre, lorsque le différend n'est pas résolu à l'amiable, l'article 48 de la Charte demande à l'un ou à l'autre Etat de soumettre la question à la Commission par une notification adressée à son Président et d'en notifier les autres Etats concernés. Toutefois, elle ne prévoit pas sa soumission au Secrétaire général de l'OUA. Dans tous les cas, l'Etat plaignant avait entrepris des démarches visant à y remédier en se basant sur la décision de la Commission prise lors de sa 25ème session ordinaire, à savoir qu'elle fasse parvenir une copie de sa plainte au Secrétaire général de l'OUA(voir paragraphe 14 ci-dessus).

60. Par ailleurs, il apparaît que la principale raison pour laquelle la Charte a prévu une disposition stipulant que l'Etat défendeur soit informé de ces violations ou notifié de la soumission d'une telle communication à la Commission, est d'éviter des surprises aux Etats concernés. Cette disposition permet en conséquence aux Etats défendeurs de décider de régler la plainte à l'amiable ou pas. La Commission estime que, même si l'Etat plaignant ne s'était pas conformé à ladite disposition de la Charte, cette omission n'est pas fatale pour la communication dans la mesure où, après avoir été saisie de l'affaire, une copie de la communication est, comme il est d'usage pour la Commission, envoyée aux Etats défendeurs pour recueillir leurs observations (voir paragraphe 15 cidessus).

61. L'article 49, en revanche, offre la possibilité de saisir directement la Commission sans passer par l'étape de la conciliation. A cet égard, l'Etat plaignant peut porter la question directement à l'attention de la Commission en adressant une communication au Président, au Secrétaire général de l'OUA et à l'Etat intéressé. Une telle procédure permet à l'Etat demandeur d'éviter d'entrer en contact avec l'Etat défendeur dans le cas où un tel contact ne serait pas diplomatiquement efficace ni souhaitable. Du point de vue de la Commission, tel semble être le cas dans l'espèce sous examen. En effet, la situation de guerre non déclarée qui prévaut entre la République Démocratique du Congo et ses voisins à l'Est ne favorise pas le genre de contacts diplomatiques qui auraient permis l'application des dispositions des articles 47 et 48 de la Charte. C'est également pour cette raison que la Commission a considéré que l'Article 52 ne s'appliquait pas à la présente communication.

62. En outre, la Commission ne peut connaître d'une affaire qui lui est soumise qu'après s'être assuré que les dispositions de l'article 50 de la Charte et de l'article 97 (c) du Règlement intérieur ont été respectées. C'est à dire, si toutes les voies de recours interne, si elles existent, ont été épuisées, à moins que la procédure de ces recours ne se prolonge d'une façon anormale.

63. La Commission note que les violations ayant fait l'objet de la plainte sont paraît-il perpétrées par les Etats défendeurs sur le territoire de l'Etat plaignant. Dans ce cas, la Commission estime qu'il n'existe pas de voies de recours internes et que la question de leur épuisement ne se pose donc pas.

64. Les activités alléguées des rebelles et des forces armées des Etats défendeurs parties à la Charte, qui soutiennent également les rebelles, ne relèvent pas seulement du droit humanitaire mais également du mandat de la Commission. Les dispositions combinées des Articles 60 et 61 de la Charte imposent cette décision qui est également étayée par l'Article 23 de la Charte Africaine.

65. Au regard de l'autorité qui n'exclut par les violations perpétrées dans le cadre de conflits armés, de la compétence de la Commission. Dans la communication 74/92, Commission Nationale des Droits de l'Homme et des Libertés c/ Tchad, la Commission a considéré que la Charte Africaine «contrairement aux autres instruments des droits de l'homme, ne permet pas aux Etats parties de ne pas respecter leurs obligations au titre du traité en cas de situations d'urgence. En conséquence, même une situation de [...] guerre [...] ne peut être invoquée comme une justification par l'Etat violant ou autorisant des violations de la Charte Africaine pour justifier de la violation de la Charte Africaine ou du fait de permettre sa violation». (voir également la communication

159/96, UNDH & Autres c/ Angola).

A la lumière de ce qui précède, la Commission déclare la communication recevable.

ANNEXE 2 : EXTRAIT COMMUNICATIONS 147/95 ET 149/96, SIR DAWDA K JAWARA
C. GAMBIE

Le droit

La recevabilité

22. La recevabilité des communications par la Commission est régie par l'article 56 de la Charte africaine. Cet article prévoit sept conditions qui, dans les circonstances normales, doivent être remplies pour qu'une communication soit recevable. De ces sept conditions, le gouvernement prétend que deux ne sont réunies, à savoir, celles de l'article 56(4) et 56(5).

23. L'article 56(4) stipule que: « ... [les communications ne doivent pas se limiter à rassembler] exclusivement des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse ».

24. Le gouvernement soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu'elle est basée exclusivement sur des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse. Il fait spécifiquement référence à la lettre du Capitaine Ebou Jallow annexée à la communication. Tout en étant peu commode de se fier exclusivement aux nouvelles diffusées par les moyens de
communication de masse, il serait tout aussi préjudiciable que la Commission rejette une communication parce que certains des aspects qu'elle contient sont basés sur des informations ayant été relayées par les moyens de communication de masse. Cela provient du fait que la Charte utilise l'expression « exclusivement ».

25. Il ne fait point de doute que les moyens de communication de masse restent la plus importante, voire l'unique source d'information. Nul n'ignore que l'information sur les violations des droits de l'homme vient toujours des moyens de communication de masse. Le génocide au Rwanda, les violations des droits de l'homme au Burundi, au Zaïre et au Congo, pour n'en citer que quelques-uns, ont été révélés par les moyens de communication de masse.

26. La question ne devrait donc pas être de savoir si l'information provient des moyens de communication de masse, mais plutôt si cette information est correcte. Il s'agit de voir si le requérant a vérifié la véracité de ses allégations et s'il a pu le faire étant donné les circonstances dans lesquelles il se trouve.

27. L'on ne peut dire que la communication sous examen est exclusivement basée sur des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse dans la mesure où elle n'est pas uniquement basée sur la lettre du Capitaine Ebou Jallow. Le plaignant allègue des exécutions extra judiciaires et a joint à la communication une liste de certaines des victimes alléguées. La lettre du Capitaine Ebou Jallow ne fait pas état de cette information.

28. L'article 56 alinéa 5 prévoit que les communications doivent « être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d'une façon anormale ».

29. Le gouvernement soutient aussi que l'auteur n'a pas essayé d'épuiser les voies de recours internes. Il estime que le requérant aurait pu envoyer sa plainte à la police qui aurait mené des enquêtes et poursuivi les coupables devant le tribunal.

30. Cette règle est l'une des conditions les plus importantes de la recevabilité des communications et c'est pour cela que dans presque tous les cas, la première question que se pose aussi bien l'Etat visé que la Commission est relative à l'épuisement des recours internes.

31. La justification de la règle de l'épuisement des recours internes tant dans la Charte que dans les autres instruments internationaux des droits de l'homme est de s'assurer qu'avant que le cas ne soit examiné par un organe international, l'Etat visé a eu l'opportunité de remédier à la situation par son propre système national. Cela évite à la Commission de jouer le rôle d'un tribunal de première instance, mais plutôt celui d'un organe de dernier recours (Voir communications 25/89 [Free Legal Assistance Group et Autre c. Zaïre], 74/92 [Commission Nationale des Droits des l'Homme et des Libertés c. Tchad (ACHPR 1995)] et 83/92 [Degli et Autre c. Togo]). Dans l'application de cette règle, les trois critères fondamentaux suivants doivent être pris en compte: la disponibilité, l'efficacité et la satisfaction.

32. Une voie de recours est considérée comme existante lorsqu'elle peut être utilisée sans obstacle par le requérant, elle est efficace si elle offre des perspectives de réussite et elle est satisfaisante lorsqu'elle est à même de donner satisfaction au plaignant.

33. La thèse du gouvernement relative à l'épuisement des recours internes doit donc être examinée dans ce cadre. Comme déjà mentionné, une voie de recours n'est considérée disponible que lorsque le requérant peut l'utiliser dans sa situation. Dans ses décisions antérieures, la Commission a déclaré les communications

60/91 [Constitutional Rights Project (pour le compte de Akamu et Autres) c. Nigeria], 87/93 [Constitutional Rights Project (pour le compte de Lekwot et Autres) c. Nigeria], 101/93 [Civil Liberties Organisation (pour le compte de l'Association du Barreau) c. Nigeria] et 129/94 [Civil Liberties Organisation c. Nigeria] recevables parce que la compétence des juridictions nationales avait été révoquée soit par décrets, soit par la création de tribunaux spéciaux.

34. La Commission a souligné que des voies de recours dont l'existence n'est pas évidente ne peuvent pas être invoquées par l'Etat à l'encontre du plaignant. En conséquence, dans cette situation où la compétence des juridictions nationales a été révoquée par des décrets dont la validité ne peut pas être mise en cause par aucun tribunal, l'on considère que les voies de recours internes n'existent pas et toute tentative d'y recourir serait une perte de temps.

35. L'existence d'une voie de recours interne doit être suffisamment certaine, non seulement en théorie, mais aussi en pratique, faute de quoi elle ne serait ni disponible ni efficace. Par conséquent, si le plaignant ne peut pas aller vers le tribunal de son pays parce qu'il a peur pour sa vie ou pour celle des membres de sa famille, les voies de recours internes sont considérées comme inexistantes pour lui.

36. Dans le cas sous examen, le requérant a été renversé par les militaires, il a été jugé par contumace, les anciens parlementaires et les membres de son gouvernement ont été mis aux arrêts et la terreur règne. Ce serait un affront contre le bon sens et la logique de demander au plaignant de retourner dans son pays pour épuiser les voies de recours internes.

37. Il n'y a aucun doute que le régime dénoncé par le plaignant avait instauré le règne de la terreur. Ainsi, non seulement pour le plaignant, mais aussi pour toutes les personnes de bonne foi, retourner dans son pays, en ce moment précis, pour quelque raison que ce soit, aurait mis sa vie en danger. Dans ces conditions, on ne peut pas dire que les voies de recours existent pour le plaignant.

38. Dans la jurisprudence de la Commission, une voie de recours qui n'a aucune chance de réussir ne constitue pas un recours efficace. La perspective de saisir les juridictions nationales, dont la compétence est anéantie par les décrets, devient elle-même nulle. Ce fait est renforcé par la réponse du gouvernement du 8 mars 1996, dans sa note verbale no. PA 203/232/01/(97-ADJ) dans laquelle il affirme que « ... le gouvernement gambien présidé par AFPRC n'a pas l'intention de perdre beaucoup de temps à répondre à des allégations frivoles et non fondées d'un despote déchu ».

39. En ce qui concerne le caractère satisfaisant des voies de recours internes, on peut déduire de l'analyse qui précède qu'il n'y avait pas de voies de recours susceptibles de donner satisfaction au requérant.

40. Compte tenu du fait qu'à ce moment précis le régime contrôlait toutes les branches du gouvernement et avait peu d'égard pour la justice, tel qu'en témoigne son mépris pour la décision du tribunal dans l'affaire T. K. Motors et considérant en outre que la Cour d'Appel de la Gambie a constaté, dans l'affaire Pa Salla Jagne c. l'Etat, qu'il n'y avait plus de droits de l'homme ou de lois objectives dans le pays, il serait contraire au système de justice de demander au plaignant de tenter les voies de recours internes.

41. Il convient aussi de noter que le gouvernement prétend que la communication manque de « preuves à l'appui ». La position de la Commission a toujours été qu'une communication fournisse des preuves indiquant à première vue une violation des droits de l'homme. Elle précise les dispositions de la Charte prétendument violées. L'Etat prétend aussi que la Commission n'est habilitée à traiter, aux termes de la Charte, que des cas de violations graves et massives des droits de l'homme.

42. Cette proposition est erronée. Outre les articles 47 et 49 de la Charte qui habilitent la Commission à examiner des plaintes introduites par des Etats parties contre d'autres Etats également parties, l'article 55 de la Charte prévoit l'examen des « communi- cations autres que celles des Etats parties ». De même, l'article 56 de la Charte énonce les conditions d'examen de ces communications (voir aussi Section XVII du Règlement intérieur intitulée « Procédures d'examen des communications reçues conformément à l'article 55 de la Charte »). Dans tous les cas, la pratique de la Commission a toujours été d'examiner les communications même lorsqu'elles ne révèlent pas une série de violations graves et massives. C'est par cet exercice utile qu'au fil des années, la Commission a développé sa jurisprudence.

43. L'argument qui veut que le gouvernement a agi conformément aux règles prévues par la loi n'est pas fondé dans la mesure où la Commission a, dans sa communication 101/93 [Civil Liberties Organisation (pour le compte de l'Association du Barreau) c. Nigeria, paragraphe 15], décidé qu'en ce qui concerne la liberté d'association: Les autorités compétentes ne devraient pas édicter des lois qui limitent l'exercice de cette liberté. Les autorités compétentes ne devraient pas outrepasser les dispositions de la Constitution ou amoindrir les règles de droit international. Et plus important, par sa Résolution relative au droit d'association, la Commission avait précisé que la réglementation de l'exercice de ce droit à la liberté d'association devrait être conforme aux obligations des Etats à l'égard de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples. Il s'ensuit que toute loi visant à limiter la jouissance de tout droit reconnu par la Charte doit répondre à cette condition.

Par ces motifs, la Commission déclare les communications recevables.

ANNEXE 3 : EXTRAIT COMMUNICATION 275/2003 - ARTICLE 19/ETAT D'ERYTHREE

Du Droit Recevabilité

43. La présente communication est soumise en vertu de l'Article 55 de la Charte africaine qui autorise la Commission africaine à recevoir et à considérer des communications, autres que celles émanant d'Etats parties. L'Article 56 de la Charte africaine dispose que la recevabilité

d'une communication soumise en vertu de l'Article 55 est assujettie à sept conditions.4 La
Commission africaine a insisté sur le fait que les conditions énoncées à l'Article 56 sont
conjonctives, ce qui signifie que, en l'absence de l'une d'entre elles, la communication est

déclarée irrecevable.5

44. Les parties à la présente communication semblent convenir que six des conditions énoncées à l'Article 56 ont été réunies. Elles sont néanmoins en désaccord sur l'application de l'une de ces conditions : l'Article 56(5), qui dispose que les communications relatives aux droits de l'homme et des peuples auxquels il est fait référence à l'Article 55, reçues par la Commission africaine devraient être prises en considération si elles «sont envoyées après épuisement des voies de recours locales, s'il en existe, a moins qu'il ne soit manifeste que cette procédure est indûment prolongée ».

45. L'épuisement des voies de recours locales est un principe de droit international permettant aux Etats de résoudre leurs problèmes internes conformément à leurs propres procédures
constitutionnelles avant que ne soient invoqués les mécanismes internationaux reconnus. L'Etat concerné peut donc avoir une opportunité de réparer le tort causé dans le cadre de son propre ordre juridique. Il s'agit d'une règle bien établie de droit international qui veut, qu'avant l'instauration de procédures internationales, les diverses voies de recours offertes par l'Etat aient été épuisées.

46. Selon des communications de la Commission africaine, pour que les voies de recours locales soient épuisées, elles doivent être accessibles, effectives et suffisantes. Dans ses communications n° 147/95 et 149/96, la Commission africaine considérait qu'un recours est considéré comme accessible si le plaignant peut l'exercer sans entrave, qu'il est réputé

effectif s'il offre une perspective de succès et jugé suffisant s'il peut réparer le tort.6

47. Ainsi, aux termes de l'Article 56(5), la loi sur l'épuisement des voies de recours locales présuppose : (i) l'existence de procédures érythréenes ayant trait à la

plainte ; (ii) la justiciabilité ou autrement au niveau érythréen, de l'objet de la plainte ; (iii) l'existence aux termes de l'ordre juridique interne de dispositions relatives à la réparation du type de tort faisant l'objet de la plainte et (iv) des voies de recours locales accessibles et effectives, à savoir : des recours suffisants ou capables de réparer le tort faisant l'objet de la plainte.

48. La seconde partie de l'Article 56(5), objet de la contestation entre les parties, dispose qu'une communication sera prise en considération si elle est adressée après épuisement des voies de recours locales «...s'il en existe, à moins qu'il ne soit manifeste que cette procédure est indûment prolongée ». Il en découle donc que la règle des voies de recours locales n'est pas rigide. Elle ne s'applique pas si :

(i) Les voies de recours locales sont inexistantes ;

(ii) les voies de recours locales sont indûment et irraisonnable ment prolongées ;

(iii) le recours aux voies de recours locales est rendu impossible ;

(iv) au vu de la plainte, il n'y a pas de justice ou il n'y à aucun recours local à épuiser, par exemple, lorsque le pouvoir judiciaire est sous le contrôle de l'organe exécutif responsable de l'action illégale ;

(v) le tort est dû à un décret du gouvernement, à l'évidence non soumis, en tant que tel, à la juridiction des tribunaux nationaux.

Questions soumises à la Commission Africaine :

49. Comme nous l'avons vu ci-dessus, les parties au présent cas sont en conflit sur la question de l'épuisement des voies de recours en Erythrée et il incombe en conséquence à la Commission africaine de résoudre cette question.

50. D'une part, l'Etat soutient que la condition stipulée à l'Article 56(5) n'a pas été remplie par le plaignant et qu'aucune des exceptions ci-dessus mentionnées ne devrait dont s'appliquer. D'autre part, le plaignant allègue que la règle d'exception de l'Article 56(5) devrait être appliquée.

51. Chaque fois qu'un Etat allègue le non épuisement des voies de recours nationales par un
plaignant, il lui incombe la charge de prouver que les recours qui n'ont pas été épuisés sont
accessibles, effectifs et suffisants pour réparer la violation alléguée, à savoir : que ces recours dans le

système juridique national permettent de traiter de la transgression d'un droit et sont effectifs.7 Lorsque l'Etat y est parvenu, la charge de la responsabilité incombe alors au plaignant qui doit prouver que les recours en question sont épuisés ou que l'exception prévue à l'Article 56(5) ) de la Charte africaine est applicable.

Conclusions du plaignant :

52. Dans la présente communication, le plaignant soutient que les voies de recours érythréennes ne sont pas accessibles et fait remarquer que le fait que les victimes soient détenues depuis plus de trois ans (depuis septembre 2001) au secret «est une manifestation du fait que l'administration de la justice en Erythrée est extrêmement anormale ».

53. Le plaignant souligne en outre le fait que la Section 17 de la Constitution érythréenne prévoit des clauses de sauvegarde contre l'arrestation et la détention arbitraires des personnes et que le

Gouvernement de érythréen a failli au respect de ces sauvegardes.8 Le plaignant prétend que «le manquement délibéré du gouvernement à se conformer à sa propre obligation constitutionnelle démontre qu'il est sans espoir et impossible ou déraisonnable pour les détenus de saisir les tribunaux érythréens via l'habeas corpus.

54. Le plaignant soutient en outre qu'en Erythrée, le pouvoir exécutif du Gouvernement interfère dans les affaires du pouvoir judiciaire, rendant ainsi suspecte l'indépendance et l'efficacité de ce dernier. Il cite la destitution du Président de la Cour Suprême par le Président de la République lorsque celui-ci aurait demandé à l'Exécutif de ne pas interférer dans le Judiciaire. Le plaignant a fait remarquer que «si le Président de la Cour Suprême pouvait être révoqué pour avoir simplement demandé à l'exécutif gouvernemental de ne pas interférer sur l'indépendance du judiciaire, qu'arriverait-il à un juge qui oserait ordonner la libération de détenus désignés comme étant des `traîtres' et des `ennemis de l'Etat' par la plus haute autorité, le Président» ?

55. Le plaignant fait en outre remarquer que les violations des droits de l'homme invoquées sont graves et lourdes et qu'en termes de jurisprudence de la Commission africaine, ces violations ne nécessitent pas l'épuisement des voies de recours locales.

56. Le plaignant conclut en déclarant qu'en fait, il avait adressé un ordre d'habeas corpus au Ministre de la Justice réclamant que les victimes comparaissent devant le tribunal mais qu'il n'avait pas reçu de réponse du Ministre et qu'il avait demandé à rendre visite aux victimes mais que la permission ne lui avait pas été accordée par l'Etat défendeur.

Observations de l'Etat :

57. Dans ses observations, l'Etat Défendeur maintient qu'en Erythrée, le pouvoir judiciaire est indépendant et que le plaignant aurait dû épuiser les voies de recours locales, directement ou à travers des représentants légaux. L'Etat Défendeur soutient avoir informé le plaignant qu'il aurait dû prendre l'initiative de se rapprocher directement des tribunaux pour demander justice pour les détenus mais que le plaignant n'a pris aucune initiative à cet égard.

58. L'Etat Défendeur plaide en outre le fait que les réclamations du plaignant selon lesquelles il y aurait un «black-out d'informations» et le judiciaire érythréen manquerait d'indépendance sont infondées dans la mesure où elles ne sont pas étayées par des exemples concrets indiquant qu'il y ait eu interférence dans le travail effectif des juges dans la dispense de justice dans le pays. Eu égard au

congédiement du Président de la Cour Suprême, l'Etat Défendeur soutient qu'en Erythrée, c'est le Président qui nomme le Président de la Cour Suprême et qu'il a donc le pouvoir de le destituer.9

59. L'Article 52 de la Constitution érythréenne dispose de la destitution et de la suspension des juges. Le sous-article 1 prévoit qu'un juge ne peut être destitué avant l'expiration de la durée de ses fonctions que par le Président, agissant sur recommandation de la Commission des Services
judiciaires (Judicial Service Commission), en vertu des dispositions du sous-article 2 de cet Article pour incapacité physique ou mentale, violation de la loi ou du code judiciaire d'éthique Le sous-article 2 dispose que la Commission des services judiciaires vérifiera si un juge devrait être ou non destitué aux motifs de ceux énumérés au sous-Article

1 de cet Article. Dans le cas ou la Commission des services judiciaires décide qu'un juge devrait être destitué, elle en fera pla recommandation au Président. Et le sous-article 3 dispose que le Président pourra, sur recommandation de la Commission des services judiciaires, destituer un juge faisant l'objet d'une enquête. L'Etat n'a pas indiqué si ces sauvegardes de procédure avaient été suivies mais a simplement laissé entendre que le Président de la Cour Suprême est nommé par le Président et peut être destitué par lui.

60. Dans ses conclusions verbales, lors de la 35ème Session ordinaire, le Représentant de l'Etat défendeur a réitéré que les allégations du plaignant étaient fausses et non fondées dans la mesure où elles avaient été formulées sans tentatives sérieuses de la part du plaignant de vérifier les faits avant de porter l'affaire devant la Commission africaine. En outre, le plaignant ne s'était pas présenté lui-même devant les tribunaux érythréens et, à ce titre, il incombait au plaignant de trouver les voies et moyens d'utiliser les tribunaux érythréens avant de porter l'affaire devant la Commission africaine. Il a rappelé à la Commission africaine que toutes les conditions de l'Article 56 doivent être réunies pour qu'une affaire soit recevable et que si l'une quelconque de ces conditions n'est pas remplie, la communication doit être déclarée irrecevable.

61. Le Représentant de l'Etat défendeur a informé la Commission africaine que les journalistes incarcérés avaient été arrêtés par la police et qu'ils étaient détenus par l'Exécutif. Toutefois, à l'issue de l'enquête, une décision administrative avait été prise pour libérer deux des journalistes et que la décision concernant les autres journalistes incarcérés devait prochainement intervenir.

62. Il a concédé que les détenus au nom desquels la présente communication était introduite n'avaient pas comparu devant un tribunal en raison de la nature du système de justice pénale en Erythrée. Il a déclaré qu'en Erythrée, le système de justice pénale n'a pas la capacité institutionnelle de gérer promptement les cas et, à ce titre, il y avait une énorme accumulation de cas en attente dans tous les tribunaux du pays.

63. L'Etat défendeur a, en outre, déclaré que, contrairement aux réclamations du plaignant selon lesquelles il n'avait pas pu se rendre en Erythrée afin d'assister les victimes, toutes les personnes impliquées dans l'affaire relative aux journalistes détenus et aux détenus politiques étaient invitées à se rendre en Erythrée, y compris le plaignant qui a choisi de ne pas se rendre dans le pays.

Décision de la Commission Africaine sur la recevabilité :

64. Pour déterminer la question de la recevabilité de la présente communication, la Commission africaine devra répondre, entre autres, aux questions suivantes :

- Qui doit, aux termes de la Charte africaine, épuiser les voies de recours locales : l'auteur de la communication ou la victime des violations alléguées des droits de l'homme ?

- La destitution d'un Président de la Cour suprême rend-elle les recours érythréens

inaccessibles ou insuffisants ?

- Le fait qu'un Etat manque au respect de ses propres lois rend-il les voies de recours érythréennes «sans espoir, impossibles et irraisonnables?»

- La communication révèle-t-elle de lourdes et graves violations des droits de l'homme et des

peuples ?

- La poursuite de la détention au secret des victimes rend-elle les recours érythréens inaccessibles, ineffectifs et insuffisants ?

65. La Charte africaine est claire eu égard à la partie devant épuiser les voies de recours locales. Elle indique, en son Article 56(1) que les auteurs de la communication doivent indiquer leur
identité, même s'ils sollicitent l'anonymat. Cela présuppose que les voies de recours locales doivent être épuisés par les auteurs. Dans sa considération des communications, la Commission africaine a adopté une approche actio popularis par laquelle l'auteur d'une communication ne doit pas connaître la victime ni avoir de relation d'aucune sorte avec elle. Il s'agit de permettre aux victimes désavantagées de droits humains sur le continent de bénéficier de l'assistance d'ONG et de particuliers très éloignés de l'endroit où elles vivent. L'auteur doit simplement se conformer aux conditions de l'Article 56. La Commission africaine a ainsi autorisé de nombreuses communications émanant d'auteurs agissant au nom de victimes de violations de droits humains. Ainsi, ayant décidé d'agir pour le compte de ces victimes, il incombe à l'auteur d'une communication de prendre des mesures concrètes pour se conformer aux dispositions de Article 56 ou d'indiquer la raison pour laquelle il lui est impossible de le faire.

66. Eu égard à la destitution du Président de la Cour Suprême, le plaignant échoue à démontrer suffisamment dans quelle mesure cette destitution l'aurait empêché de pressentir les voies de recours en Erythrée ou de quelle manière elle aurait rendu ces recours érythréens «sans espoir, impossibles et irraisonnables ?» L'indépendance du Judiciaire est un élément crucial de la règle de droit. L'Article

1er des Principes des Nations Unies sur l'indépendance du judiciaire10 indique que "l'indépendance du judiciaire sera garantie par l'Etat et inscrite dans la Constitution ou la loi du pays. Toutes les institutions, gouvernementales et autres, ont le devoir de respecter et d'observer l'indépendance du judiciaire." Selon l'Article 11 des mêmes principes "la durée de fonction des juges, leur indépendance, leur sécurité ...doivent être suffisamment garanties par la loi." Et l'Article 18 de disposer que "les juges seront passibles de suspension ou de destitution en raison d'incapacité ou

de comportement les rendant inaptes à l'exercice de leurs fonctions." L'Article 30 des normes

minimales d'Indépendance judiciaire11 de l'International Bar Association (IBA) garantit également que "un juge ne sera passible de destitution que si, en raison d'une action criminelle ou d'une faute de nature délictuelle ou répétée ou d'une incapacité physique ou mentale, il a manifestement démontré son inaptitude à remplir la fonction de juge

" et l'Article 1(b) d'énoncer que "l'indépendance personnelle signifie que les termes et conditions du service judiciaire sont suffisamment assurés pour garantir que les juges, à titre individuel, ne soient pas soumis au contrôle de l'exécutif." L'Article 52 (1) de la constitution érythréenne comporte une disposition presque similaire.

67. La question, toutefois, est de savoir si la destitution du Président de la Cour Suprême, de manière non conforme aux normes internationales, rend inaccessible et ineffectif le pouvoir judiciaire d'un Etat ? Le plaignant émettait simplement des doutes sur l'effectivité des voies de recours en Erythrée. La Commission africaine estime qu'il incombe au plaignant de prendre toutes les mesures nécessaires pour épuiser ou, du moins, tenter d'épuiser ces voies de recours. Il ne suffit pas au plaignant de dénigrer l'aptitude des voies de recours de l'Etat en raison d'incidences isolées. A cet égard, la Commission africainesouhaiterait se référer à la décision du Comité des droits de

l'homme dans le cas A c. l'Australie12 dans laquelle le Comité a considéré que «de simples
doutes sur l'efficacité des voies de recours nationales ou sur la perspective des coûts financiers

impliqués n'absolvait pas l'auteur de rechercher ces voies de recours ».13 La Commission africaine peut donc ne pas déclarer la communication recevable sur la base de cet argument.

68. Au regard de l'argument du plaignant selon lequel le Gouvernement n'aurait pas respecté ses propres obligations constitutionnelles aux termes de l'Article 17 de la constitution érythréenne, la Commission africaine est d'avis que l'essence même de l'occurrence de violations de droits de l'homme est due au fait que les gouvernements ne respectent leurs obligations ni érythréenes ni internationales. Lorsque cela se produit, les personnes dont les droits ont été ou sont susceptibles d'être violés saisissent les tribunaux nationaux pour invoquer leurs droits pour convaincre les gouvernements à respecter ces obligations. La constitution érythréenne offre de nombreuses sauvegardes par rapport aux personnes arrêtées et détenues sans accusation ni procès. Outre les sous- articles 1, 3 et 4 de l'Article 17, le sous-article 5 du même article est très instructif. Il dispose que «toute personne aura le droit de réclamer au tribunal un ordre d'Habeas Corpus. Lorsque l'auteur de l'arrestation ne le fait pas comparaître devant le tribunal et ne fournit pas la raison de l'arrestation, le tribunal doit accepter la demande et ordonner la libération du prisonnier ».

69. Donc, dans le cas en instance, le plaignant aurait pu, à tout le moins, avoir saisi un tribunal érythréen par un ordre d'habeas corpus pour attirer l'attention du tribunal sur la disposition constitutionnelle qui aurait, selon lui, été violée par le gouvernement. Les avocats cherchent souvent la libération de détenus en introduisant une demande d'ordre d'habeas corpus. Un ordre d'habeas corpus est un mandat judiciaire à l'auteur d'une arrestation lui ordonnant de faire comparaître un détenu devant le tribunal pour déterminer si cette personne est légalement emprisonnée et si elle devrait ou non être libérée de sa détention. Une demande d'habeas corpus est une demande adressée au tribunal par une personne qui s'élève contre sa propre détention ou son propre emprisonnement ou ceux d'un tiers. L'ordre d'habeas corpus a été décrit comme étant "l'instrument fondamental de

sauvegarde de la liberté individuelle contre une action arbitraire ou illégale d'un Etat."14 Il sert à contrôler efficacement la manière dont les tribunaux respectent les droits constitutionnels.

70. Dans ses conclusions, le plaignant reconnaît avoir adressé un ordre d'habeas corpus au Ministre de la Justice. La Commission africaine est d'avis que, même si elle attendait du Ministre qu'il conseille le plaignant sur la procédure appropriéeà suivre, son manquement à le faire ne constitue pas une violation de la loi. Le Ministère de la Justice est la même entité du Gouvernement qui a failli à «se conformer à ses propres obligations constitutionnelles...» et seuls les tribunaux sont habilités à lui ordonner de le faire. En adressant l'ordre au Ministre de la Justice, le plaignant ne peut prétendre avoir tenté d'épuiser les voies de recours érythréennes dans la mesure où l'Article 56(5) exige l'épuisement des voies de recours légaux et non pas de recours administratifs.

71. Eu égard à l'argument selon lequel la communication révèle de graves et lourdes violations des droits de l'homme, la Commission africaine souhaiterait réitérer ses décisions antérieures des communications

n° 16/88,15 25/89, 47/90, 56/91, 100/93 16, 27/89, 46/91, 49/91, 99/9317 selon lesquelles [...] elle ne peut considérer que l'exigence d'épuisement des voies de recours nationales s'applique littéralement dans les cas où il est impossible ou non souhaitable que le plaignant saisisse les tribunaux locaux pour chaque plainte individuelle comme c'est le cas lorsqu'il s'agit d'un grand nombre de victimes. En raison de la gravité de la situation des droits de l'homme et du nombre important de personnes impliquées, ces recours, tels qu'ils pourraient théoriquement en exister auprès des tribunaux érythréens, sont dans les faits pratiquement inaccessibles ...»

72. Toutefois, eu égard à la poursuite de la détention au secret des détenus, la Commission africaine souhaiterait faire remarquer la reconnaissance par la partie Etat que les victimes sont toujours maintenues en détention à cause de la piètre situation du système de justice pénale dans le pays. Eu égard à cet argument de la partie Etat, la Commission africaine fait remarquer qu'à chaque fois qu'un crime peut faire l'objet d'investigations et de poursuites par l'Etat, sur sa propre initiative, l'Etat a l'obligation de faire avancer le processus pénal jusqu'à son ultime conclusion. Dans de tels cas, on ne peut exiger du plaignant, des victimes ou des membres de leur famille qu'ils assument la tâche d'épuiser les voies de recours nationales lorsqu'il incombe à l'Etat d'enquêter sur les faits et de faire comparaître les personnes accusées devant le tribunal, conformément aux normes de procès équitables tant érythréennes qu'internationales.

73. La Commission africaine souhaiterait également faire remarquer que la partie Etat a généralement réfuté les plaintes alléguées et a insisté sur le fait qu'il existe des voies de recours en Erythrée et que le plaignant ne s'est pas efforcé de les épuiser. La Commission africaine fait toutefois remarquer que la partie Etat s'est contentée d'énumérer in abstracto l'existence de voies de recours sans les lier aux circonstances du cas et sans démontrer de quelle manière elles pourraient permettre une réparation

effective des circonstances de ce cas.18

74. En conséquence, dans la communication en instance, le fait que le plaignant n'ait pas suffisamment démontré avoir épuisé les voies de recours érythréennes ne signifie pas que ces voies de recours soient accessibles, effectives et suffisantes. La Commission africaine peut arriver à des déductions à partir des circonstances entourant le cas et déterminer si ces recours sont en fait accessibles et s'ils le sont, s'ils sont effectifs et suffisants.

75. L'invocation de l'exception à la règle voulant que les voies recours, aux termes de la législation érythréenne, soient épuisées, comme prévu à l'Article 56(5), doit invariablement être liée à la
détermination de possibles violations de certains droits inscrits dans la Charte africaine, tel que le

droit à un procès équitable inscrit à l'article 7 de la Charte africaine.19 L'exception à la règle de l'épuisement des voies de recours érythréennes s'appliquerait donc lorsque la situation de l'Etat ne permet pas la sauvegarde de la liberté individuelle (due process of law) pour la protection du droit ou des droits qui auraient été prétendument violés. Cela semble être le cas dans la présente communication.

76. Le fait de garder des victimes au secret depuis plus de trois ans démontre une violation, de prime abord, fondée des clauses de sauvegarde de la liberté individuelle et, en particulier, de l'Article 7 de la Charte africaine. Le fait de n'avoir pris aucune mesure de réparation de cette situation plus de douze mois après la saisie de la communication par la Commission africaine démontre que l'Etat a également failli à démontrer l'accessibilité et l'effectivité des voies de recours érythréennes.

77. La Commission africaine est également d'avis que l'Etat a eu suffisamment de temps et a été
suffisamment informé pour, au moins, inculper les détenus et leur accorder l'accès à des représentants légaux. Autre raisonnement lié à la condition requise d'épuisement : celui selon lequel un gouvernement devrait être notifié d'une violation des droits humains pour avoir l'opportunité de remédier à cette violation avant d'être cité à comparaître pour rendre compte devant un tribunal international. Toutefois, s'il est démontré que l'Etat a été amplement informé et qu'il a eu suffisamment de temps pour remédier à la situation, même en dehors du contexte des recours locaux de l'Etat, comme c'est le cas pour la présente communication, l'Etat sera toujours réputé avoir été dûment informé et il aurait dû prendre les mesures appropriées pour remédier à la violation alléguée. Le fait que l'Etat érythréen n'ait pris aucune mesure signifie que les voies de recours en Erythrée sont soit inaccessibles,soit, si elles le sont, qu'elles ne sont ni effectives ni suffisantes pour réparer les violations alléguées.

78. A cet égard, la Commission africaine souhaiterait se référer à sa décision de la Communication

18/8820 portant sur la détention et la torture du plaignant pendant plus de sept ans sans inculpation ni procès, les privations alimentaires pendant de longues périodes, le blocage de son compte bancaire et l'utilisation de son argent sans sa permission. La Commission africaine a considéré que, dans de telles circonstances, il est clair que l'Etat a été amplement informé de ces violations et aurait dû prendre des mesures pour y remédier La Commission africaine souhaiterait également réitérer sa

position prise dans la communication 250/200221. Dans cette communication, la Commission africaine était d'avis que la situation, telle que présentée par l'Etat défendeur, ne permettait pas la sauvegarde ni la protection des droits présumés avoir été violés ; les détenus se sont vus interdire l'accès aux voies de recours aux termes de la législation nationale et ont donc été empêchés de les épuiser. En outre, on les a fait comparaître avec un retard injustifié.

79. La situation, telle que présentée par l'Etat défendeur, ne permettait pas la sauvegarde ni la
protection des droits présumés avoir été violés ; les détenus se sont vus interdire l'accès aux voies de recours aux termes de la législation nationale et ont donc été empêchés de les épuiser. En outre, on les a fait comparaître avec un retard injustifié.

80. Dans le cas Albert Mukong, le Comité des droits de l'homme a considéré que «un Etat partie à la
Convention, indépendamment de son niveau de développement, doit répondre à certaines normes

minimales concernant les conditions de détention».22 Ce raisonnement du Comité des droits de l'homme peut également inclure le fait qu'un Etat partie à la Charte africaine, indépendamment de son niveau de développement, doit répondre à certaines normes minimales concernant l'équité des procès ou les clauses de sauvegarde de la liberté individuelle ». Le Comité a conclu que "l'objectif légitime de sauvegarder et, en fait, de renforcer l'unité nationale dans des circonstances politiques difficiles ne peut être atteint en tentant de museler ... les principes démocratiques et les

droits de l'homme".23

81. La poursuite de la détention au secret des victimes sans inculpation les prive de toute
représentation légale et rend difficile pour le plaignant ou toute autre personne soucieuse de leur prêter assistance à partir de quelque voie de recours accessible que ce soit. Laisser les détenus languir indéfiniment en détention à cause de l'insuffisance du système de justice pénale de l'Etat ou parce que personne n'a accès aux tribunaux érythréens en leur nom serait d'une injustice voire d'un manque d'équité choquants.

82. En l'absence de mesures concrètes de la part de l'Etat pour faire comparaître les victimes devant
un tribunal ou pour leur permettre d'avoir accès à leurs représentants légaux trois ans après leur arrestation et leur détention et plus d'un an après avoir été saisie de la question, la Commission africaine, en toute conviction, conclut que les voies de recours érythréennes, même si elles sont accessibles, ne sont ni effectives ni suffisantes.

Pour cette raison, la Commission africaine déclare la communication recevable.

ANNEXE 4 : EXTRAIT COMMUNICATION 299/2005 - ANUAK JUSTICE COUNCIL /
ETHIOPIE

Présentation du plaignant sur la recevabilité :

Le plaignant avance que l'article 56 (5) de la Charte Africaine requiert que les plaignants épuisent tous les recours internes avant de soumettre leur cas à la Commission Africaine. Le plaignant fait en outre observer que, si les recours internes potentiels ne sont pas accessibles ou se prolongent d'une façon anormale, la Commission peut néanmoins examiner une communication, en ajoutant que cela est d'autant plus vrai lorsque le pays contre lequel la plainte est engage a perpétré une série vaste et diverse de violations et que la situation générale du pays que l'épuisement des recours internes serait vain.le plaignant soutient que, dans le cas Anuak Justice, il serait vain de poursuivre les recours locaux en raison de l'absence d'un appareil judiciaire indépendant et impartial, de l'absence de recours efficaces, de la probabilité considérable de prolongement anormal des recours internes et, plus important encore, de la violence potentielle contre Anuak ou ceux qui les soutiendraient au sein du système judiciaire.

Anuak Justice Council allègue qu'il ne peut chercher l'épuisement des recours internes en raison de son inaptitude à jouir d'audiences indépendantes et équitables découlant directement du fait que l'agresseur est le gouvernement éthiopien. Le plaignant fait observer qu'en dépit de la protection de l'Article 78 de la Constitution de l'Etat défendeur garantissant l'indépendance du Judiciaire, la perception tant dans le pays qu'à l'étranger est que l'exécutif a une influence considérable, voire indue sur le judiciaire.

Le plaignant cite un rapport de la Banque Mondiale intitulé «Ethiopie : évaluation du secteur juridique et judiciaire» (2004) ayant conclu que «... des trois branches du gouvernement, le judiciaire est celle qui a le moins d'histoire et d'expérience d'indépendance et qu'il requiert donc un renforcement considérable pour acquérir une authentique indépendance». Selon le plaignant, ce rapport fait observer que l'interférence dans le judiciaire est plus flagrante au niveau de l'Etat où des rapports de responsables administratifs interfèrent avec des décision de justice, la destitution de juges, des ordres de décisions aux juges, des réductions de salaires des juges et le refus délibéré d'exécuter certaines décisions des tribunaux.

Le plaignant allègue que l'introduction du cas devant les tribunaux éthiopiens entraînerait une prolongation sans anormale dans la mesure où le système judiciaire éthiopien souffre d'un système complexe de tribunaux multiples sans coordination ni ressources, dont de «sombres conditions de service, le manque de personnel, le manque de formation adéquate, des infrastructures fragilisantes et des problèmes logistiques ». Le plaignant prétend que les procédures devant les tribunaux prennent des années avant d'aboutir et en conclut que le système judiciaire de l'Etat défendeur est si dépourvu de ressources que des poursuites seraient pratiquement impossibles, en faisant remarquer qu'aucune mesure

n'a été prise pour poursuivre les membres de l'Ethiopien Defence Force ou les responsables du gouvernement pour les atrocités qu'ils ont commises contre les Anuak.

Le plaignant allègue également que les Anuak craignent pour leur sécurité en introduisant leur cas en Ethiopie en ajoutant qu'il n'existe aucun avocat anuak formé qui puisse introduire le cas devant les tribunaux éthiopiens. Le plaignant fait observer que le sentiment écrasant dans la Région Gambella et chez les Anuak ayant fui le pays est que des avocats non anuak en Ethiopie ne serait pas enclin à défendre ce cas à cause des persécutions potentielles dont ils pourraient faire l'objet ainsi que tous les obstacles insurmontables à l'obtention de justes réparations. Le plaignant ajoute que les Anuak qui restent dans la Région Gambella continuent d'être exposés à des exécutions extrajudiciaires, à la torture, au viol et aux détentions arbitraires du fait des autorités de l'Etat défendeur en ajoutant que plusieurs d'entre eux ont été menacés et spécifiquement prévenus de ne pas engager de poursuites contre l'Etat défendeur. Le plaignant fait observer qu'en janvier 2005, l'Etat défendeur a menace les dirigeants anuak, en déclarant que quiconque tenterait de ternir la réputation de l'Etat défendeur aurait à en répondre. Le plaignant conclut en déclarant que l'introduction du cas dans l'Etat défendeur ne ferait que mettre davantage en danger la vie des Anuak restés en Ethiopie.

Le plaignant ajoute que l'Etat défendeur a été prévenu et a joui d'un délai adéquat pour réparer les violations des droits de l'homme à l'encontre des Anuak mais qu'il a totalement échoué à le faire. Que l'Etat défendeur a été prévenu des violations mais qu'il a choisi de ne pas prendre de mesures pour mettre un terme aux atrocités ou demander des comptes à ses forces. Le plaignant ajoute que la réponse de l'Etat défendeur aux massacres de décembre 2003 dans la Région Gambella a été inadéquate et fourbe. Que, sous les pressions internationales, l'Etat défendeur a établi une Commission d'enquête pour faire la lumière sur les tueries. Toutefois, selon le plaignant, l'enquête était faussée et sans résultat et ne répondait pas aux normes internationales d'une investigation indépendante.

Présentation de l'Etat défendeur sur la recevabilité :

L'Etat défendeur allègue que le cas des personnes impliquées dans les violations alléguées ayant eu lieu dans la Région Gambella sont actuellement pendants devant le Federal Circuiting Court et le défendeur allègue donc que les recours internes n'ont pas été encore épuisés. L'Etat a fourni une liste d'environ 9 cas de ce type y compris leur numéro de dossier et leurs dates précédentes et futures de report.

L'Etat défendeur allègue que la règle d'épuisement des recours internes ne se limite pas aux individus mais qu'elle s'applique également aux organisations, y compris celles ne relevant aucunement de la compétence de l'Etat défendeur. Selon le défendeur, le plaignant aurait pu chercher réparation devant les tribunaux internes, le Judicial Administration Office, la Commission d'enquête ou la Commission des Droits de l'homme mais il ne l'a pas fait. Selon l'Etat, le plaignant n'a pas démontré l'existence d'obstacles à l'utilisation de ce processus de recours ou que celui-ci se serait prolongé de façon anormale.

Sans indiquer l'état de la procédure, l'Etat allègue que toutes les personnes alléguées de violations des droits de l'homme en relation avec l'incident de Gambella de décembre 2003 ont été attraites devant la Cour de circuit fédérale. L'Etat indique que trois recours internes étaient disponibles pour les plaignants : les tribunaux compétents, l'Administrateur judiciaire et la Commission des Droits de l'Homme mais que les plaignants ne se sont rapprochés d'aucun d'entre eux.

Mesures provisoires

La République d'Ethiopie allègue que le plaignant n'a cherché qu'à présenter ce qu'il prétend être une preuve fondée (prima facie) de violations et n'a pas démontré que si ces violations alléguées se poursuivent, il y aurait un «dommage irréparable », comme requis. Enfin, le défendeur avance que le gouvernement a suffisamment prouvé qu'il a pris des mesures adéquates pour rectifier la situation et que celle-ci s'est généralement stabilisée et ne nécessite aucune mesure provisoire émanant de la Commission. L'Etat défendeur présente ce qui suit :

En février 2004, le Bureau du Premier Ministre a donné instruction aux institutions fédérales d'assister l'Administration régionale à sauvegarder la sécurité des personnes et des institutions et de prévenir toute nouvelle violence, sollicitant le soutien des personnes âgées, des jeunes et des fonctionnaires aux efforts dans le sens d'une paix durable, de la démocratie et du développement ; en réhabilitant les victimes de violences et les personnes déplacées et en attrayant en justice les responsables des violences perpétrées et des destructions de biens.

Les Forces de défense, une fois déployées, ont protégé la population civile et permis l'assistance humanitaire et la réhabilitation.

Le Gouvernement fédéral, en coopération avec les agences internationales, a coordonné l'assistance humanitaire pour soulager les souffrances des victimes de violences et les personnes déplacées.

Une Commission d'enquête a été établie pour enquêter sur les circonstances entourant la crise et des accusations ont été introduites en conséquence contre plusieurs individus. Des détails sur les fonctions, les tâches entreprises et les résultats obtenus par la Commission sont inclus dans les informations fournies.

Le Gouvernement a organisé diverses consultations et ateliers avec la participation des populations locales qui ont propose des solutions concrètes destinées à résoudre les problèmes auxquels la région est confrontée et qui ont identifié les causes profondes de la crise.

La Police fédérale a récemment diplômé plus de trois cents officiers de police de la région de Gambella pour aider à faire respecter la loi et l'ordre dans la région une fois que la situation aura été stabilisée.

Le droit

La recevabilité

La présente communication est présentée en vertu de l'Article 55 de la Charte Africaine qui autorise la Commission Africaine à recevoir et à examiner des communications, autres que celles des Etats parties. L'Article 56 de la Charte Africaine dispose que la recevabilité d'une communication introduite en vertu de l'Article 55 soit soumise à sept conditions. La Commission Africaine a insisté sur le fait que les conditions énoncées à l'Article 56 sont conjonctives ; ce qui signifie que si l'une d'elles n'est pas remplie, la communication sera déclarée irrecevable.

Dans la présente communication, le plaignant allègue avoir satisfait aux conditions de recevabilité énoncées à l'Article 56 de la Charte et qu'à ce titre, la communication devrait être déclarée recevable. L'Etat défendeur, en revanche, soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable parce que, selon l'Etat, le plaignant n'est pas conforme à l'Article 56 (5) de la Charte Africaine. Comme il semble y

avoir accord entre les deux parties concernant le respect des autres exigences aux termes de l'Article 56, la Commission ne se prononcera pas à cet égard.

L'Article 56 (5) de la Charte Africaine dispose que les communications ayant trait aux droits de l'homme et des peuples seront examinées si elles : «sont postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifesté que la procédure de ce recours se prolonge d'une façon anormale ».

Les droits de la personne considèrent comme d'une importance suprême qu'une personne dont les droits ont été violés puisse s'adresser à des recours internes pour corriger le tort au lieu de porter la question devant un tribunal international. Cette règle est fondée sur le postulat selon lequel la mise en oeuvre pleine et efficace des obligations internationales dans le domaine des droits de l'homme est destinée à améliorer la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales au niveau national. Dans Free Legal Assistance Group c/. Zaïre et Rencontre Africaine pour la Défense de Droits de l'Homme [RADDHO] c/ Zambie, la Commission a considéré que «un gouvernement devrait être informé d'une violation des droits de l'homme pour avoir l'opportunité de réparer cette violation avant d'être attrait devant un organe international.»1 Cette opportunité permet à l'Etat accusé de sauver sa réputation qui sera inévitablement ternie s'il était attrait devant une juridiction internationale.

Cette règle renforce également la relation subsidiaire et complémentaire existant entre le système international et les systèmes de protection internes. Dans la mesure du possible, un tribunal international, y compris la présente Commission, ne devrait pas jouer le rôle d'une première instance, rôle qu'il ne saurait s'arroger en aucune circonstance. L'accès à un organe international devrait être disponible mais seulement en dernier ressort : après épuisement et échec des recours interne. En outre, les recours internes sont normalement plus rapides, moins onéreux et plus efficaces que les recours internationaux. Ils peuvent être plus efficaces au sens qu'un tribunal d'appel peut casser la décision d'un tribunal inférieur alors que la décision d'un organe international n'a pas cet effet, bien qu'elle engage la responsabilité internationale de l'Etat concerné.

La Charte Africaine déclare que la Commission Africaine examine une communication après l'épuisement des recours internes par le requérant, «s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifesté que la procédure de ces recours se prolonge d'une façon anormale.» La Charte reconnaît donc que, bien que l'exigence d'épuisement des recours internes soit une disposition conventionnelle, elle ne devrait pas constituer un empêchement injustifiable à l'accès à des recours internationaux. La présente Commission considère également que l'Article 56(5) «doit être appliqué concomitamment à l'Article 7 qui établit et protège le droit à un procès équitable.»2 Dans l'interprétation de cette règle, la Commission semble prendre en considération les circonstances entourant chaque cas, y compris le contexte général dans lequel fonctionnent les recours internes et les circonstances particulières du requérant. Son interprétation des critères de recours internes peut donc ne pas être comprise sans une certaine connaissance de ce contexte général.

Un recours interne a été défini comme étant «toute action juridique interne pouvant donner lieu à la résolution de la plainte au niveau local ou national.» 3 Le Règlement intérieur de la Commission Africaine dispose que «la Commission statue sur la question de recevabilité conformément à l'Article 56 de la Charte.» 4 Généralement, les règles exigent que les requérants citent dans leur requête les mesures prises pour épuiser les recours internes. Ils doivent fournir la preuve apparemment fondée

d'une tentative d'épuisement des recours internes. 5 Selon la procédure de soumission des communications, les requérants doivent indiquer, par exemple, les tribunaux auprès desquels ils ont cherché un recours interne. Les requérants doivent indiquer qu'ils se sont adressés à tous les recours internes en vain et doivent fournir des preuves à cet effet. S'ils n'ont pu utiliser ces recours, ils doivent expliquer pourquoi. Ils peuvent le faire en présentant des preuves découlant de situations analogues ou en témoignant d'une politique de l'Etat leur refusant ce recours.

Dans la jurisprudence de la Commission, trois critères majeurs président à la détermination de la règle
d'épuisement des recours internes, à savoir : le recours doit être disponible, efficace et suffisant.»1 Selon

la Commission, un recours est considéré disponible si le requérant peut le poursuivre sans empêchement2 ou s'il peut l'utiliser dans les circonstances entourant son cas.3 Le terme «disponible» signifie «immédiatement possible d'être obtenu; accessible»; ou

«réalisable, joignable; à la demande, à portée de main, prêt, présent; . . . opportun, à son service, à sa
volonté, à sa disposition, au doigt et à l'oeil.»4 En d'autres termes «les recours dont la disponibilité n'est

pas évidente ne peuvent être invoqués par l'Etat au détriment du plaignant.»5

Un recours sera réputé efficace s'iI offre une perspective d'aboutissement.6 Si son aboutissement n'est pas suffisamment certain, il ne répondra pas aux exigences de disponibilité et d'efficacité. Le terme «efficace» a été défini comme signifiant «adéquat pour accomplir un objectif; produisant le résultat recherché ou attendu» ou «opérant, utile, utilisable, exécutable, en ordre; pratique, courant, effectif, réel, valide.»7 Enfin, un recours est jugé suffisant s'il est capable de réparer la plainte.8 Il est réputé insuffisant si, par exemple, le requérant ne peut se tourner vers le judiciaire de son pays par peur généralisée pour sa vie« ou même pour celle des membres de sa famille.»9 La Commission a également déclaré qu'un recours était insuffisant parce que sa poursuite dépendait de considérations extrajudiciaires telle que la discrétion ou tout autre pouvoir extraordinaire dévolu aux responsables du pouvoir exécutif de l'Etat. Le terme «suffisant» signifie littéralement «adéquat pour

l'objectif; asez»; ou «ample, abondant; . . . satisfaisant.»10

Dans la présente communication, l'auteur est basé au Canada et allègue de violations des droits de l'homme dans l'Etat défendeur à la suite d'un incident survenu dans le pays. Le plaignant ne cache pas le fait que les recours locaux n'ont pas été tentés mais argue que les poursuivre serait vain «en raison du manque d'indépendance et d'impartialité du judiciaire, du manque de recours efficace, de la vraisemblance de prolongation anormale des recours internes et, plus important, du potentiel de violence à l'égard des Anuak ou de ceux qui les soutiennent au sein du système judiciaire ». Le plaignant allègue que les violations qui se sont produites dans la région de Gambella étaient massives et graves et impliquaient un grand nombre de personnes: il fait remarquer que «les forces gouvernementales et leurs collaborateurs, ayant préalablelement établi une liste de cibles, se sont rendus de porte en porte, massacrant tous les hommes Anuak éduqués qu'ils ont pu trouver, violant les femmes et les enfants et incendiant les foyers et les écoles ...».

Le plaignant fait en outre observer que l'appareil judiciaire dans l'Etat défendeur n'est pas indépendant en raison d'interférences au niveau de l'Etat, des rapports d'officiers d'administration interférant avec les décisions du tribunal, licenciant des juges et leur dictant leurs décisions, réduisant leurs salaires et refusant délibérément d'appliquer certaines décisions des

tribunaux, et que porter le cas devant les tribunaux éthiopiens équivaudrait à prolonger le processus d'une façon anormale puisque le système judiciaire souffre d'un

«système complexe de tribunaux multiples qui manquent de coordination et de ressources», y compris «de tristes conditions de service, de manque de personnel, de manque de formation adéquate, d'infrastructures débilitantes et de problèmes logistiques ». Le plaignant argue que les procédures judiciaires «mettent des années pour produire des résultats» et conclut que le système judiciaire de l'Etat défendeur est «si dépourvu de ressources que les poursuites seraient pratiquement impossibles ».

Le plaignant allègue également que la crainte des Anuak pour leur sûreté en introduisant l'affaire en Ethiopie et d'ajouter que les Anuak ne comptent aucun avocat de formation susceptible de porter l'affaire devant les tribunaux éthiopiens. Le plaignant conclut en déclarant que porter l'affaire dans l'Etat défendeur ne ferait que mettre davantage en péril la vie des Anuak restant en Ethiopie. Le plaignant ajoute que l'Etat défendeur a été informé et a eu le temps nécessaire pour remédier aux violations des droits de l'homme à l'encontre des Anuak mais qu'il a échoué à le faire de façon flagrante.

La Commission peut-elle conclure, sur la base des allégations du plaignant qui précèdent, que les recours internes de l'Etat défendeur ne sont pas disponibles ou qu'ils sont inefficaces ou insuffisants ?

Il doit être observé ici que les observations du plaignant semblent suggérer que les recours internes puissent être réellement disponibles mais il doute de leur efficacité concernant le cas présent. Il apparaît clairement, des observations du plaignant, que celui-ci s'est fondé sur des rapports, y compris un rapport de la Banque Mondiale qui concluait que «l'un des trois pouvoirs du gouvernement, le judiciaire, a un plus faible héritage et une moindre expérience de l'indépendance et, par conséquent, a besoin d'un renforcement significatif pour acquérir une véritable indépendance».

Les observations du plaignant démontrent également son appréhension quant à l'aboutissement des recours internes, par crainte pour la sûreté des avocats, par manque d'indépendance du judiciaire ou en raison des maigres ressources disponibles du judiciaire. Outre le fait de jeter le doute sur l'efficacité des recours internes, le plaignant n'a pas apporté de preuves concrètes ni démontré suffisamment que ces appréhensions étaient fondées et pourraient constituer un obstacle pour se tourner vers des recours internes. La Commission est d'avis que le plaignant jette simplement le doute sur l'efficacité des recours internes. Elle est d'avis qu'il incombe à chaque plaignant de prendre les mesures nécessaires pour épuiser ou, du moins, tenter d'épuiser les recours internes. Il ne suffit par pour le plaignant de jeter le doute sur l'aptitude des recours internes de l'Etat sur la base d'incidences passées isolées. A cet égard la Commission Africaine souhaiterait se référer à la décision du Comité des droits de l'homme dans A c/ Australie1 dans laquelle le Comité a considéré que «de simples doutes sur l'efficacité des recours internes

... n'absolvaient pas l'auteur de poursuivre ces recours ».1

La Commission Africaine peut donc ne pas déclarer la communication recevable sur la base de cet argument. Si un recours a la moindre probabilité d'être efficace, le requérant doit le poursuivre. Alléguer que les recours internes n'ont guère de probabilité d'aboutissement, sans essayer de s'en prévaloir, n'influencera absolument pas la Commission.

Le plaignant allègue également que les violations alléguées sont graves et qu'elles concernent un grand
nombre de personnes et que la communication devrait être déclarée recevable dans la mesure où la

Commission ne peut considérer que les exigences de recours internes s'appliquent littéralement dans des cas où il est impraticable ou non souhaitable que le plaignant saisisse les tribunaux internes pour chaque violation. Dans le cas Malawi African Association c/ Mauritanie2, par exemple, la Commission a observé que la gravité de la situation des droits de l'homme en Mauritanie et le grand nombre de victimes impliquées rendaient la voie des recours indisponible en termes pratiques et que, selon les termes de la Charte, leur processus «se prolongeait d'une façon anormale». De même, le cas Amnesty International c/ Soudan3 portait sur l'arrestation arbitraire, la détention et la torture de nombreux citoyens soudanais à la suite du coup d'Etat du 30 juillet 1989. Les actes de torture allégués étaient de contraindre les détenus dans des cellules de 1,8 mètres de largeur et d'un mètre de profondeur, inondées délibérément, frapper fréquemment aux portes pour empêcher les détenus de s'allonger, les forcer à affronter des simulacres d'exécutions et les empêcher de se baigner ou de se laver. Entre autres actes de torture, les détenus étaient brûlés avec des cigarettes, attachés avec des cordes pour couper la circulation sanguine, les battre avec des bâtons jusqu'à profondes lacérations de leur corps, aspergées ensuite d'acide. Après le coup d'Etat, le gouvernement soudanais a promulgué un décret suspendant la compétence des tribunaux réguliers en faveur de tribunaux spéciaux pour traiter des mesures prises dans l'application de ce décret. Il délégalisait également la prise de mesures légales à l'encontre du décret. Ces mesures, plus la «gravité de la situation des droits de l'homme au Soudan et le grand nombre de personnes impliquées, a conclu la Commission, «rendaient les recours indisponibles dans les faits.»4

Ainsi, dans les cas de violations massives, l'Etat est supposé être informé des violations se produisant sur son territoire et il est supposé agir en conséquence, quelles que soient les violations des droits de l'homme. L'omniprésence de ces violations dispense de l'exigence d'épuisement des recours internes, en particulier lorsque l'Etat ne prend aucune mesure pour les empêcher ou y mettre un terme.5

Ces cas doivent être néanmoins distingués du cas présent qui ne porte que sur un seul incident ayant eu lieu sur une brève période. L'Etat défendeur a indiqué les mesures qu'il a prises à l'égard de cette situation et les procédures judiciaires entreprises par les auteurs allégués de violations des droits de l'homme durant l'incident. En établissant la Commission d'enquête au Gambella et en inculpant les auteurs allégués de violations des droits de l'Homme, l'Etat, encore que sous la pression internationale, a démontré qu'il n'était pas indifférent aux violations alléguées de droits de l'homme qui avaient été perpétrées dans la région et, de l'avis de la Commission, peut être considéré comme ayant fait preuve d'une diligence raisonnable.

La Commission a également considéré, dans de nombreuses instances, que les recours internes n'ont pas été épuisés si un cas portant sur la question faisant l'objet de la requête qui lui est soumise est encore pendant devant les tribunaux nationaux. Dans Civil Liberties Organization c/ Nigeria,1 la Commission Africaine a décliné l'examen d'une communication eu égard de laquelle une plainte avait été introduite mais n'était pas encore réglée par les tribunaux de l'Etat défendeur. Dans la présente communication, l'Etat défendeur indique que l'affaire est toujours pendante devant ses tribunaux et a joint une liste de cas encore pendants devant la Cour de circuit fédérale en relation avec l'incident de Gambella. La liste indique les noms des suspects, les numéros de dossier de leur cas, les dates antérieures et futures d'ajournement. Le plaignant ne nie pas que ce processus soit en cours Pour la Commission, il n'importe pas que le fait que les cas soient toujours pendants devant les tribunaux ait été indiqué par le plaignant ou par l'Etat. La question sous-jacente est de savoir si le cas fait l'objet de la procédure devant la Commission et s'il cherche à accorder au plaignant les mêmes réparations que celles qu'il recherche auprès de la

Commission. Tant qu'un cas toujours pendant devant un tribunal interne fait l'objet d'une requête devant la Commission et tant que la Commission pense que les réparations recherchées peuvent être obtenues localement, elle déclinera de connaître de ce cas. La Commission est d'avis que la présente communication est toujours pendante devant les tribunaux de l'Etat défendeur et qu'elle ne satisfait donc pas aux exigences de l'Article 56 (5).

Pour les raisons qui précèdent, la Commission Africaine déclare la communication 299/2005 - Anuak Justice Council/Ethiopie - irrecevable pour non-épuisement des recours internes conformément à l'Article 56 (5) de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.

Fait à la 39e session ordinaire

Banjul, Gambie du 11 au 25 mai 200

ANNEXE 5 : EXTRAIT COMMUNICATION 307/2005 - M. OBERT CHINHAMO /ZIMBABWE Décision sur la recevabilité

Résumé des observations du Plaignant sur la recevabilité

23. Le plaignant a déclaré jouir du locus standi devant la Commission puisque la communication est introduite par lui-même, citoyen du Zimbabwe. Concernant la compatibilité, le plaignant a soutenu que la Communication soulève une violation prima facie de la Charte perpétrée par l'Etat défendeur.

24. Il a en outre déclaré que, conformément à l'Article 56(4), les preuves qu'il a avancées révèlent que la communication n'est pas exclusivement basée sur des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse, ajoutant qu'elle est basée sur des preuves originales produites par luimême, y compris des rapports d'organisations des droits de l'homme de bonne réputation.

25. Concernant l'exigence d'épuisement des recours internes conformément à l'Article 56(5), le plaignant a déclaré que les recours, dans cette circonstance particulière, ne sont pas disponibles car il ne peut pas les utiliser, qu'il a été contraint de fuir le Zimbabwe par crainte pour sa vie après avoir survécu à des expériences de torture perpétrées par l'Etat défendeur en raison de ses activités de défenseur des droits de l'homme. Le plaignant a argué qu'il incombe à l'Etat de démontrer que les

recours sont disponibles, citant les décisions de la Commission relatives aux communications 71/926 et 146/967.

26. Le plaignant a attiré l'attention de la Commission Africaine sur sa décision dans Rights International

c/ Nigeria8 où la Commission Africaine a considéré que l'inaptitude d'un plaignant à poursuivre les recours internes à la suite de sa fuite au Bénin par crainte pour sa vie où il lui a été accordé ultérieurement l'asile suffisait à établir une norme d'épuisement effectif des recours internes. En conclusion, il a fait remarquer que le fait qu'il ne se trouvait plus sur le territoire de l'Etat défendeur où des recours pouvaient être recherchés et le fait qu'il avait fui le pays contre sa volonté en raison des menaces contre sa vie empêchait toute poursuite de recours sans obstacles.

27. Le plaignant a également contesté l'efficacité des recours en faisant remarquer que les recours ne sont efficaces que lorsqu'ils comportent une perspective de succès. Il a soutenu que l'Etat défendeur

traite les décisions des tribunaux allant à son encontre avec indifférence et désapprobation et qu'il ne s'attend pas à ce que, dans son cas, la décision d'un tribunal soit respectée. Il a déclaré que l'Etat défendeur avait tendance à ignorer les décisions des tribunaux qui ne lui étaient pas favorables et il a ajouté que les Avocats défenseurs des droits de l'homme au Zimbabwe disposaient d'au moins 12 exemples dans lesquels l'Etat avait ignoré des décisions de justice depuis l'an 2000. Il a cité la décision de la Haute Cour dans le cas Commercial Farmers Union et le cas Mark Chavunduka et Ray Choto où les deux plaignants auraient été enlevés et torturés par l'armée. En conclusion et compte tenu de la situation prévalant dans l'Etat défendeur, de la nature de sa plainte et de la pratique bien connue de l'Etat défendeur de non- application des décisions des tribunaux, son cas n'avait aucune perspective de succès si les recours internes étaient poursuivis et, selon lui, ne valaient pas la peine de l'être.

28. Le plaignant a en outre allégué que la communication avait été présentée dans un délai raisonnable conformément à l'Article 56 (6) et qu'en conclusion, la communication n'avait fait l'objet d'aucune décision d'un autre organe international.

Observations de l'Etat défendeur sur la recevabilité

29. L'Etat défendeur a brièvement rappelé les faits relatifs à la communication et a indiqué que les faits, tels que présentés par le plaignant, `présentent un certain nombre de lacunes'. L'Etat a argué que le plaignant faisait des allégations générales sans fournir de preuves à l'appui, citant, par exemple, l'allégation du plaignant selon laquelle il avait été agressé, abusé et que l'accès aux toilettes lui avait été refusé lorsqu'il se trouvait en détention préventive. L'Etat se demande pourquoi le plaignant n'a pas porté ceci à l'attention du Magistrat lorsqu'il a comparu ultérieurement devant lui. L'Etat s'interroge également sur le fait que le plaignant ou son avocat n'ait pas fait état des menaces alléguées pour la vie du client devant le Magistrat lors des quatre comparutions devant ce dernier. L'Etat a conclu que le plaignant a échoué à fournir des preuves à l'appui de sa peur et des menaces alléguées contre sa vie et il est d'avis que le plaignant a quitté le pays de son propre gré.

30. Sur la question de la recevabilité, l'Etat a soutenu que la communication soit déclarée irrecevable car elle n'est pas conforme à l'Article 56 (2), (5) et (6) de la Charte.

31. L'Etat a soutenu que la communication n'est pas conforme car elle allègue de violations des droits de l'homme en général et ne fournit aucune preuve de ces violations et d'ajouter que les faits ne présentent pas de violation prima facie des dispositions de la Charte, en faisant observer que, fondamentalement, les faits et les points faisant l'objet de la communication n'entrent pas dans le rationae materiae et le rationae personae de la compétence de la Commission.

32. Sur l'épuisement des recours internes aux termes de l'Article 56 (5), l'Etat a soutenu que des recours internes étaient disponibles pour le plaignant, citant la Section 24 de la Constitution qui dispose des voies à suivre en cas de violation des droits de l'homme. L'Etat a ajouté qu'il n'y a aucune preuve que le plaignant a suivi les recours internes. L'Etat a en outre indiqué qu'aux termes de la loi zimbabwéenne, lorsqu'une personne perpètre des actes violant les droits d'une autre personne, cette autre personne peut obtenir du tribunal qu'il soit interdit à l'auteur de la violation de les perpétrer.

33. Sur l'efficacité des recours internes, l'Etat a soutenu que la Constitution dispose de l'indépendance du judiciaire dans l'exercice de son mandat, conformément aux Principes des Nations Unies relatifs à l'indépendance du judiciaire et aux lignes directrices de la Commission Africaine relatives au droit à un procès équitable.

34. L'Etat a écarté l'argument du plaignant selon lequel son cas est similaire à ceux introduits par Sir Dawda Jawara contre la Gambie et par Rights International (au nom de Charles Baridorn Wiza) contre le Nigeria, ajoutant que dans ces deux derniers cas, une réelle menace pour la vie avait été prouvée. L'Etat a poursuivi en indiquant des cas dans lesquels le gouvernement a appliqué des décisions de tribunaux prises à son encontre en ajoutant que, dans le cas présent du plaignant, le gouvernement avait respecté la décision du tribunal.

35. L'Etat a en outre indiqué qu'aux termes de la loi du Zimbabwe, il n'est pas juridiquement obligatoire qu'un plaignant soit physiquement présent dans le pays pour avoir accès aux recours internes en précisant que tant le High Court Act (loi sur la Haute Cour) (Chapitre 7:06) que le Supreme Court Act (loi sur la Cour suprême) (Chapitre 7:05) autorisent toute personne à s'adresser à un tribunal à travers son avocat. L'Etat a ajouté que, dans le cas Ray Choto et Mark Chavhunduka, les victimes avaient été torturées par des agents de l'Etat et qu'elles en avaient demandé réparation alors qu'elles se trouvaient toutes les deux au Royaume-Uni et que leur réclamation avait abouti. L'Etat en a conclu que le plaignant n'est pas empêché de poursuivre des recours de manière similaire.

36. L'Etat a également soutenu que la plainte n'est pas conforme à l'Article 56 (6) de la Charte en indiquant que la communication devrait être introduite dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes mais, lorsque le plaignant se rend compte que les recours internes se prolongent d'une façon anormale, il doit soumettre immédiatement la plainte à la Commission. Selon l'Etat, bien que la Charte ne spécifie pas ce qui constitue un délai raisonnable, la Commission devrait s'inspirer d'autres juridictions comme la Commission interaméricaine qui a fixé à six mois le délai raisonnable, ajoutant que même le protocole fusionnant la Cour africaine de justice et la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples dispose de six mois.

37. L'Etat a conclu ses observations en faisant remarquer que `aucune raison convaincante n'a été donnée à la non poursuite des recours internes ou recours à la Commission dans un délai raisonnable' et que, donc, la communication devrait être déclarée irrecevable.

De la recevabilité

Compétence de la Commission africaine

38. Dans la présente communication, l'Etat défendeur soulève une question sur la compétence de la Commission africaine à traiter de cette affaire. L'Etat affirme que « fondamentalement, les faits et les questions en litige n'entrent pas dans le rationae materiae et le rationae personae de la compétence de la Commission. » La Commission traitera donc de la question préliminaire de sa compétence soulevée par l'Etat défendeur.

39. Le «Black's law dictionary» définit la rationae materae comme suit : « en raison de l'affaire visée» ; en conséquence de, ou selon la nature de, la question visée » ; alors que la rationae personae est définie comme suit : « En raison de la personne concernée ; selon la nature de la personne. »

40. Compte tenu de la nature des allégations contenues dans la communication, telles que les allégations de violation d'intégrité ou de sécurité, d'intimidation et de torture de la personne, la Commission est d'avis que la communication soulève des éléments matériels susceptibles de constituer une violation des droits de l'homme et que, à ce titre, elle a une compétence ratione materiae car la communication dénonce des violations de droits de l'homme protégés par la Charte. Eu égard à la compétence rationae personae de la Commission, la communication indique le nom de l'auteur, un individu dont l'Etat défendeur est engagé à respecter et protéger les droits aux termes de la Charte Africaine. Eu égard à l'Etat, la Commission note que le Zimbabwe, Etat défendeur dans ce cas, est Etat partie à la Charte Africaine depuis 1986. En conséquence, le plaignant et l'Etat jouissent tous deux du locus standi devant la Commission et la Commission a donc compétence ratione personae pour examiner la communication.

41. Ayant décidé qu'elle a compétence rationae materiae et compétence rationae personae, la Commission va maintenant procéder à se prononcer sur les domaines litigieux entre les parties.

Décision de la Commission Africaine sur la recevabilité.

42. La recevabilité des communications par la Commission Africaine est régie par les exigences de l'Article 56 de la Charte Africaine. Cet Article dispose de sept exigences devant être toutes remplies avant que la Commission Africaine ne déclare une communication recevable. Si l'une des conditions/exigences n'est pas remplie, la Commission Africaine déclarera la communication irrecevable, à moins que le plaignant ne justifie pourquoi l'une des exigences n'a pas pu être remplie.

43. Dans la présente communication, le plaignant affirme que sa plainte satisfait aux exigences des paragraphes 1-4 et 7 de l'Article 56. Il déclare que son incapacité d'épuiser les recours internes a été due au fait qu'il a dû fuir en Afrique du Sud par crainte pour sa vie. Il indique qu'il n'a pas tenté de se conformer à cette exigence en raison de la nature de son cas et des circonstances dans lesquelles il a fui l'Etat défendeur et que, puisqu'il vivait en Afrique du Sud, l'exception à la règle devrait être invoquée.

44. En revanche, L'Etat soutient que le plaignant ne s'est pas conformé aux dispositions de l'Article 56 (2), (5) et (6) de la Charte et exhorte la Commission à déclarer la communication irrecevable pour non respect de ces exigences.

45. Les exigences de l'Article 56 de la Charte sont destinées à assurer qu'une communication est correctement introduite devant la Commission et à cribler les communications futiles et vexatoires avant d'en arriver au fond. Comme il a déjà été indiqué, pour qu'une communication soit déclarée recevable, elle doit satisfaire à toutes les exigences énoncées à l'Article 56. En conséquence, si une partie soutient qu'une autre partie n'a pas satisfait à l'une des exigences, la Commission doit se prononcer sur les questions litigieuses entre les parties. Cela ne signifie toutefois pas que les autres exigences de l'Article 56 qui n'est pas litigieux entre les deux parties ne seront pas examinées par la Commission.

46. L'Article 56(1) de la Charte africaine dispose que les communications seront admises si elles indiquent l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Commission de garder l'anonymat. Dans le cas présent, l'auteur de la communication est identifié comme M. Obert Chinhamo, il n'a également pas demandé à garder l'anonymat. L'Etat défendeur a également été clairement identifié comme étant la République du Zimbabwe. La disposition de l'Article 56(1) a par conséquent été totalement respectée.

47. L'Article 56(2) de la Charte africaine dispose qu'une communication doit être compatible avec la Charte de l'OUA ou avec la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Dans la présente communication, l'Etat défendeur soutient que la communication n'est pas conforme aux exigences de l'Article 56 (2) en ce qu'elle n'est pas compatible avec les dispositions de l'Acte Constitutif de l'Union Africaine ou la Charte Africaine elle-même. L'Etat affirme à cet égard que, pour qu'une plainte soit compatible avec la Charte ou l'Acte Constitutif, elle doit présenter une violation prima facie de la Charte.

48. Le terme compatibilité signifie `conformément à', `en conformité avec', `non contraire à' ou `contre'. Dans la présente communication, le plaignant allègue notamment de violations de son droit à l'intégrité de sa personne et être sujet à des intimidations, au harcèlement et à une torture psychologique, à la détention arbitraire, à la violation de la liberté de circulation et à une perte de ressources occasionnée par les actions de l'Etat défendeur. Ces allégations soulèvent à l'évidence une violation prima facie des droits de l'homme, en particulier du droit à la sécurité ou à l'intégrité de la personne et à la liberté de toute torture comme stipulé dans la Charte. Les plaignants soumettant des communications à la Commission ne sont pas tenus de spécifier quels articles de la Charte ont été violés ou même quel droit est invoqué tant qu'ils ont soulevé la substance de la violation en question. Sur cette base, la Commission Africaine est satisfaite que, dans la présente communication, l'exigence de l'Article 56(2) de la Charte Africaine ait été suffisamment respectée.

49. L'Article 56(3) de la Charte dispose que pour être examinée, une communication ne doit pas contenir des termes outrageants ou insultants à l'égard de l'Etat mis en cause, de ses institutions ou de l'Organisation de l'Unité Africaine (Union africaine). Dans le cas présent, la Communication envoyée par le plaignant ne contient pas, de l'avis de la Commission africaine, de termes outrageants ou insultants, d'où la satisfaction de l'exigence de l'exigence de l'Article 56(3).

50. L'Article 56(4) de la Charte dispose que la Communication ne doit pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse. La présente communication a été soumise par le plaignant lui-même et serait la propre expérience qu'elle aurait vécue auprès d'agents d'agent de police de l'Etat défendeur. Sa soumission est corroborée par le rapport médical ainsi que par une déclaration sous serment de son avocat. Pour cette raison, l'on peut déclarer qu'il a satisfait aux conditions de la disposition du présent paragraphe de la Charte africaine.

51. L'Article 56(5) prévoit que les communications à examiner pas la Commission africaine doivent être introduites après épuisement des recours internes. L'Etat défendeur soutient que la plainte n'est pas conforme à l'Article 56(5) de la Charte. Il soutient qu'il existe des recours internes suffisants et efficaces disponibles pour le plaignant dans l'Etat et que le plaignant n'a pas recherché ces recours avant d'introduire la présente communication devant la Commission. En revanche, le plaignant argue que, puisqu'il a dû fuir le pays par crainte pour sa vie, il n'a pu y revenir pour poursuivre ces recours internes.

52. La raison d'être de l'épuisement des recours internes est de s'assurer qu'avant que des procédures ne soient introduites devant un organe international, l'Etat concerné ait l'opportunité d'y remédier à travers son propre système interne. Ceci pour que le tribunal international agisse en tant que tribunal de

première instance au lieu d'être un organe de dernier recours.9

53. Trois critères majeurs peuvent ressortir de la pratique de la Commission dans la détermination du respect de cette exigence : le recours doit être disponible, efficace et suffisant.

54. Dans la communication Jawara c/ Gambie,10 la Commission a déclaré que «un recours est considéré disponible si le demandeur peut le poursuivre sans obstacle, il est réputé efficace s'il offre une perspective de succès et il est jugé suffisant s'il est capable de faire droit à la réclamation ». Dans la communication Jawara, que les deux parties ont citée, la Commission a considéré que«l'existence d'un recours doit être suffisamment certaine, pas seulement en théorie mais en pratique, sans quoi, il n'aura pas l'accessibilité et l'efficacité requises. ... En conséquence, si le demandeur ne peut se tourner vers le judiciaire de son pays par crainte pour sa vie (ou même pour celle des membres de sa famille), les recours internes devraient être considérés indisponibles pour lui .

55. Le plaignant, dans la présente communication, déclare avoir quitté son pays par crainte pour sa vie en raison d'intimidation, de harcèlement et de torture. En raison de la nature de son travail, les agents de l'Etat défendeur ont commencé à le suivre en vue de lui faire du mal et/ou de le tuer. Il a également indiqué comment il a été traité en détention, en faisant remarquer qu'on l'avait privé de nourriture, qu'il n'avait pas été soigné lorsqu'il il s'était plaint de maux de tête, qu'on ne l'avait pas autorisé à aller aux toilettes, que les conditions dans les cellules de détention provisoire étaient mauvaises - nauséabondes, exiguës, toilettes bouchées ou débordant d'urine et d'autres déchets humains, les cellules étaient infestées de parasites comme des moustiques qui avaient piqué le patient durant toute sa détention et lui avaient rendu tout sommeil impossible ; la cellule était nauséabonde et très froide, causant au plaignant des problèmes respiratoires et une toux qui avaient persisté pendant six mois ; le plaignant s'est vu refuser une couverture la nuit et la permission de prendre un bain. Selon le plaignant, tout cela constitue une torture et un traitement inhumain et dégradant.

56. Le plaignant a en outre allégué que l'Etat défendeur s'est servi de renvois du tribunal pour lui refuser un procès dans un délai raisonnable, le torturant ainsi psychologiquement et épuisant ses ressources. Selon le plaignant, l'affaire a été renvoyée au moins cinq fois - du 20 septembre 2004 au 21 février 2005 (sur une période de six mois) et ces renvois étaient destinés à le harceler et à le torturer psychologiquement. La plupart du temps la Central Intelligence Organization (organisation centrale de renseignements) venait prendre des photos de lui, l'intimidant ainsi.

57. Le plaignant a ajouté que, lorsqu'il a continué de publier les atteintes par le défendeur aux droits de l'homme à Porta Farm, l'Etat défendeur a envoyé ses agents de la sécurité pour le suivre en diverses occasions, tentatives destinées à lui faire du mal. Selon le plaignant, le 12 septembre 2004, `un homme conduisant une Mercedes blanche et soupçonné d'appartenir à la Central Intelligence Organization s'est rendu auprès de la famille du plaignant et a laissé des messages de menace de mort au frère du plaignant'. Ce message, selon le plaignant, était qu'il était un ennemi de l'Etat et qu'il serait tué. Le plaignant a été obligé de demander à son frère de rester avec lui pour des raisons de sécurité. Au cours

d'un autre incident, le même homme, cette fois-ci accompagné de trois autres, est revenu une seconde fois et a formulé des menaces similaires au plaignant.

58. Il a indiqué que, le 30 septembre 2004, il a été arrêté par des hommes conduisant une Mercedes Benz bleue qui l'ont à nouveau menacé. Le fait que ce dernier incident se soit produit à proximité de sa maison était pour lui une raison suffisante pour craindre pour sa vie. En août 2004, à plusieurs occasions, il a reçu de nombreux appels téléphoniques le menaçant de mort et l'un d'entre eux disant «Nous vous suivons. Nous vous aurons. Vous êtes un homme mort ». Il dit avoir informé le Conseil d'Amnesty International - Zimbabwe, Zimbabwe Lawyers for Human Rights et son avocat des appels de menace. Des véhicules transportant des personnes aux agissements étranges ont été observés, garés aux alentours de sa résidence et de son lieu de travail à des heures étranges jusqu'à ce qu'il décide de se cacher et, ultérieurement, de fuir en Afrique du Sud. Il suspecte l'Etat défendeur d'avoir voulu l'enlever et le tuer, en ajoutant qu'il existe de nombreux cas d'enlèvements de personnes qui n'ont jamais été revues.

9. D'autres incidents ayant donné au plaignant de bonnes raisons de croire que sa vie était menacée sont le fait qu'en janvier 2005, l'Etat défendeur a refusé de délivrer des passeports à sa famille, alors que la demande en avait été faite depuis novembre 2004. Il a donc dû abandonner sa famille qui réside toujours au Zimbabwe. Au moment de la présentation de la présente communication, la famille n'avait toujours pas de passeports. Il a également indiqué qu'il avait dû abandonner ses études à l'Institute of Personnel Management of Zimbabwe

(IPMZ) et à la Zimbabwe Open University. En octobre 2004, sa fille a dû quitter l'école lorsque toute la famille a dû se cacher. A la fin du mois de septembre

2004, il a été très choqué de constater que tous les fichiers de son ordinateur portable avaient été supprimés et il a suspecté que la disparition des fichiers était liée aux agents du défendeur.

60. Il a conclu que « du fait des arrestations et des détentions arbitraires, de la torture, des traitements inhumains et dégradants, des retards dans sa mise en accusation et son procès, de sa surveillance par les agents du défendeur et des incidents susmentionnés, le plaignant soutient que le défendeur a violé de façon flagrante ses droits et ses libertés et ceux de sa famille ... »

61. De ces déclarations, le plaignant cherche à démontrer que, du fait des agissements de l'Etat défendeur et de ses agents, un situation a été créée qui l'a amené à croire que le défendeur voulait lui faire du mal et/ou le tuer. Il est donc devenu préoccupé par sa sécurité et celle de sa famille. Par crainte pour sa vie, il dit s'être caché et, par la suite, avoir fui dans un pays voisin, l'Afrique du Sud, à artir duquel il a présenté la présente communication.

62. Dans une plainte de cette nature, la charge de la preuve de la torture et les raisons pour lesquelles les recours internes n'ont pu être épuisés incombe au plaignant. Ce dernier a la responsabilité de décrire la nature de la torture ou du traitement qu'il a subis et dans quelle mesure chaque acte de torture, d'intimidation ou de harcèlement allégués ont insufflé suffisamment de crainte au plaignant pour l'inciter à craindre pour sa vie et celle de ses proches au point de ne pas pouvoir tenter les recours internes et de préférer fuir le pays. Il ne suffit pas que le plaignant déclare avoir été torturé ou harcelé sans relater chaque acte particulier venu alimenter cette peur. Si le plaignant s'acquitte de cette charge,

alors la charge passera à l'Etat défendeur qui devra démontrer que les recours sont disponibles et, dans le cas particulier du plaignant, comment ces recours étaient suffisants et efficaces.

63. A l'appui de son cas, le plaignant a cité les décisions de la Commission Africaine dans le cas Jawara

et les cas Alhassan Abubakar c/Ghana11et Rights International c/ Nigeria12 dans lesquels, a-t-il

dit, la Commission a considéré qu'on ne pouvait s'attendre à ce que les plaignants, dans ces cas, poursuivent les recours internes dans leur pays en raison du fait qu'ils avaient fui leur pays par crainte pour leur vie.

64. Ayant étudié les observations du plaignant et l'ayant comparée aux cas précités en appui de sa réclamation, la Commission est d'avis que les cas ci-dessus ne sont pas similaires au cas présent. Dans le cas Jawara, par exemple, le plaignant était un ancien Chef d'Etat renversé par un coup d'Etat militaire. Le plaignant, dans ce cas, a allégué qu'à la suite du coup d'Etat «il y a eu abus de pouvoir manifeste par ... la junte militaire». Le gouvernement militaire était allégué avoir initié un règne de terreur, d'intimidation et de détention arbitraire. Le plaignant alléguait en outre l'abolition de la Déclaration des Droits, telle que contenue dans la Constitution gambienne de 1970, par le Décret militaire n°30/31, évinçant la compétence des tribunaux à examiner ou à remettre en cause la validité de ce Décret. La communication alléguait l'interdiction aux partis politiques et aux ministres de l'ancien gouvernement civil de prendre part à toute activité politique. La communication alléguait en outre de restrictions à la liberté d'expression, de circulation et de religion. Ces restrictions se manifestaient, selon le plaignant, par l'arrestation et la détention sans accusation, des enlèvements, de torture et l'incendie d'une mosquée.

65. Dans le cas Jawara, la Commission a conclu que « le plaignant, dans ce cas, a été renversé par les militaires, il a été jugé par contumace, les anciens ministres et membres du Parlement de son gouvernement ont été détenus et la terreur et la peur pour la vie sévissaient dans le pays. La peur généralisée perpétrée par le régime, telle qu'alléguée par le plaignant, ne fait aucun doute. Le sentiment suscité non seulement dans l'esprit de l'auteur mais dans celui de toute personne sensée était que retourner dans son pays, à ce moment précis, pour quelque raison que ce soit, mettrait sa vie en péril. Dans ces circonstances, les recours internes ne peuvent être considérés disponibles pour le plaignant. » La Commission a enfin fait remarquer « ce serait un affront au sens commun et à la logique que de demander au plaignant de retourner dans son pays pour y épuiser les recours internes. »

66. Dans le cas Alhassan Abubakar, il devrait être rappelé que M. Alhassan Abubakar était un citoyen ghanéen arrêté par les autorités ghanéennes dans les années 1980 au motif qu'il aurait collaboré avec des dissidents politiques. Il avait été détenu sans accusation ni procès pendant plus de 7 ans jusqu'à son évasion depuis l'hôpital d'une prison le 19 février 1992 pour la Côte d'Ivoire. Après son évasion, sa soeur et son épouse qui étaient venues le voir en Côte d'Ivoire ont été arrêtées et détenues pendant deux semaines dans le but d'obtenir des renseignements sur l'endroit où vivait le plaignant. Le frère du plaignant l'a informé que la police avait reçu de fausses informations sur son retour et avait, à plusieurs occasions, entouré sa maison, l'avait perquisitionnée et avait fini par le rechercher dans le village de sa mère.

67. Au début de l'année 1993, le HCR en Côte d'Ivoire a informé le plaignant qu'un rapport avait été reçu du Ghana, lui assurant qu'il pouvait rentrer librement, sans risque d'être poursuivi ni de fuir la prison. Le rapport indiquait également que tous les détenus politiques avaient été libérés. Le

plaignant, quant à lui, maintenait qu'il existe une loi au Ghana infligeant aux évadés des peines de 6 mois à 2 ans de prison, que les causes de la détention dont ils se sont évadés soit légitimes ou non. Sur ce postulat, la Commission a considéré que

« considérant la nature de la plainte, il ne serait pas logique de demander au plaignant de retourner au Ghana pour y chercher un recours auprès des autorités juridiques nationales. En conséquence ; la Commission ne considère pas que les recours internes soient disponibles pour le plaignant. »

68. Dans Rights International c/ Nigeria, la victime, un certain M. Charles Baridorn Wiwa, étudiant nigérian à Chicago a été arrêtée et torturée dans un camp de détention militaire nigérian situé à Gokana. Il a été allégué que M. Wiwa avait été arrêté le 3 janvier 1996 par des soldats armés inconnus en présence de sa mère et d'autres membres de sa famille et qu'il était resté dans ledit camp de détention militaire du 3 au 9 janvier 1996. En détention, M. Wiwa avait été fouetté et placé dans une cellule avec quarante cinq autres détenus. Lorsqu'il a été identifié comme étant un parent de M. Ken Saro - Wiwa, il a été soumis à diverses formes de torture. Un certificat médical prouvant la torture physique de M. Wiwa était joint à la communication. Après 5 jours dans le camp de détention de Gokana, M. Wiwa a été transféré au State Intelligence Bureau (SIB) (Bureau de renseignements de l'Etat) à Port Harcourt. M. Wiwa y a été détenu du 9 au 11 janvier 1996, sans voir d'avocat ni de parents, si ce n'est un entretien dequelques minutes avec son grand père. Le 11 janvier 1996, M. Wiwa et 21 autres Ogonis ont comparu devant la Magistrate Court 2 de Port Harcourt, sous l'accusation de réunion interdite en violation de la Section 70 des Criminal Code Laws de l'Eastern Nigeria 1963. M. Wiwa s'est vu accorder une liberté provisoire sous caution mais, à ce moment-là, des inconnus, estimés être des agents du gouvernement, l'ont enlevé et ont menacé sa vie en le faisant monter de force dans une voiture à Port Harcourt. Sur avis d'avocats des droits de l'homme, M. Wiwa a fui le Nigeria le 18 mars 1996 pour Cotonou, République du Bénin, où le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés l'a déclaré réfugié. Le 17 septembre 1996, le gouvernement des Etats-Unis lui a accordé le statut de réfugié et il réside dans ce pays depuis lors.

69. Dans ce cas, la Commission Africaine a déclaré la communication recevable au motif qu'il n'existait pas de recours internes disponibles et efficaces pour les violations des droits de l'homme au Nigeria sous le régime militaire. Elle a en outre affirmé que « la norme d'épuisement des recours internes est satisfaite lorsqu'il n'existe pas de recours adéquat ou efficace disponible pour l'individu. Dans ce cas particulier ... M. Wiwa ne pouvait poursuivre aucun recours interne après sa fuite par crainte pour sa vie vers la République du Bénin et l'octroi ultérieur du statut de réfugié par les Etats-Unis d'Amérique. »

70. La communication à l'étude doit également être différenciée de Gabriel Shumba c/ République du

Zimbabwe13. Dans le cas Shumba, le plaignant, M. Gabriel Shumba, alléguait qu'en présence de 3 autres : Bishop Shumba, Taurai Magayi et Charles Mutama il recevait des instructions de l'un de ses clients, un certain M. John Sikhala, dans une affaire ayant trait à une allégation de harcèlement politique par des membres de la Zimbabwe Republic Police (ZRP). M. John Sikhala est Membre du Parlement au sein du Movement for Democratic Change (MDC), parti d'opposition au Zimbabwe. Vers 23h00, des policiers anti-émeute, des policiers en tenue civile et des personnes identifiées comme appartenant à la Central Intelligence Organization ont pris la pièce d'assaut et arrêté toutes les personnes présentes. Au cours de l'arrestation, le certificat de pratique du droit du plaignant, l'agenda, les fichiers,

les documents et les téléphones cellulaires ont été confisqués et il a reçu plusieurs gifles et plusieurs coups de pied par, notamment, le responsable du Commissariat de Police Saint Mary.

71. Le plaignant et les autres ont été emmenés au Commissariat de police Saint Mary où il a été détenu sans accusation et s'est vu refuser l'accès à un représentant légal. On lui a également refusé de manger et de boire de l'eau. Le plaignant a déclaré que, le jour suivant son arrestation, il a été sorti de la cellule, une cagoule placée sur la tête, et conduit vers un endroit inconnu où on l'a fait descendre dans un endroit faisant penser à un tunnel ou une pièce en sous-sol. Da cagoule a été retirée, il a été entièrement dévêtu et ses mains et pieds ont été liés en position foetale avec une planche placée entre ses jambes et ses bras. Dans cette position, le plaignant a été interrogé et menacé de mort par environ15 interrogateurs. Le plaignant a en outre allégué qu'il avait aussi été électrocuté par intermittence pendant 8 heures et qu'une substance chimique avait été appliquée sur son corps. Il a perdu le contrôle de ses fonctions corporelles, il a vomi du sang et il a été forcé de boire son vomi. Le plaignant a présenté une copie certifiée d'un rapport médical décrivant les blessures trouvées sur son corps. Après son interrogation à environ 19h00 le même jour, le plaignant a été détaché et contraint d'écrire plusieurs déclarations l'impliquant lui-même et plusieurs membres supérieurs du MDC dans des activités subversives. A environ 19h3, il a été conduit au commissariat de Harare et mis en cellule. Le troisième jour de son arrestation, ses avocats qui avaient obtenu une injonction du tribunal ordonnant sa libération ont pu avoir accès à lui. Le plaignant a été par la suite accusé aux termes de la Section 5 du Public Order and Security Act (loi sur l'ordre public et la sécurité) ayant trait à l'organisation, la planification et la conspiration visant à renverser le gouvernement par des moyens inconstitutionnels. Il a ensuite fui le Zimbabwe par crainte pour sa vie.

72. Les quatre cas ci-dessus ont une chose en commun : un établissement clair de l'élément de peur perpétré par des institutions identifiées de l'Etat, peur que, dans le cas Jawara, la Commission avait considéré comme susceptible «d'inverser le cours de la justice en demandant que le plaignant tente des recours internes ». Dans le cas Shumba, l'Etat n'a jamais réfuté les allégations de torture ou l'authenticité des rapports médicaux mais a simplement argué que le plaignant aurait pu saisir les tribunaux locaux pour demander réparation.

73. Dans le cas en considération, le plaignant, M. Obert Chinhamo a présenté une représentation graphique des conditions de détention, dont le préjudice pour le fond de la communication peut être qualifié d'inhumain et dégradant. Il a également indiqué des cas d'allégations, d'intimidation et de harcèlement par des agents de l'Etat.

74. Toute personne raisonnable serait préoccupée et effrayée pour sa vie si des agents de la sécurité de l'Etat s'immisçaient dans ses activités quotidiennes. Le plaignant avait toutes les raisons d'être préoccupé pour sa sécurité et celle de sa famille. Il devrait être toutefois noté que le plaignant n'a identifié aucun des hommes le suivant comme étant des agents de l'Etat. Selon ses observations, les personnes qui le harcelaient étaient anonymes, inconnues ou des membres présumés de la Central Intelligence Organization (CIO) et, dans certains cas, il a simplement remarqué des hommes inconnus près de chez lui ou de son lieu de travail.

75. Il est ici particulièrement important de remarquer que, malgré toutes les menaces, le harcèlement, les appels téléphoniques et la surveillance alléguée d'agents de l'Etat défendeur, le plaignant choisisse de n'en rien rapporter à la police. Dans ses observations, il n'a pas indiqué

pourquoi il n'avait pas soumis l'affaire aux investigations de la police mais pourquoi il avait préféré en rendre compte à ses employeurs et à ses avocats. De l'avis de la Commission, le plaignant n'a pas étayé ses allégations de faits. Et même si, par exemple, la détention du plaignant équivalait à une torture psychologique, il ne pouvait s'agir de menaces de mort le poussant à fuir pour sauver sa vie. Hormis les allégations de conditions inhumaines dans lesquelles il a été détenu, il n'existe aucune indication d'abus physiques comme dans les cas Shumba et Rights International cases.

76. Le plaignant a porté des accusations générales et n'a pas corroboré ses allégations par des preuves documentaires, des déclarations sous serment ou des témoignages d'autres personnes. Il n'a pas démontré, comme dans les autres cas susmentionnés, que le danger dans lequel il se trouvait nécessitait sa fuite du pays. Sans preuve concrète à l'appui des allégations du plaignant, la Commission ne peut pas considérer l'Etat défendeur responsable du harcèlement, des intimidations et des menaces que le plaignant à subis et qui l'ont fait fuir le pays par peur pour sa vie. Cela d'autant plus que le plaignant ne s'est jamais soucié de rapporter ces incidents à la police ou de les soulever devant le magistrat lorsqu'il a comparu quatre fois devant le tribunal du défendeur.

77. La question est toutefois de savoir si, ayant quitté le pays, le plaignant avait épuisé les recours internes ou encore s'il devait encore épuiser ces recours internes.

78. La première condition d'acceptation d'un recours interne est qu'il soit disponible pour être épuisé.

Le mot «disponible» signifie «immédiatement susceptible d'être obtenu; accessible»;14 ou «atteignable,
joignable, à la demande, sous la main, prompt, présent; . . . pratique, à son service, à sa disposition,

au doigt et à l'oeil.»15

79. Selon la Commission Africaine, un recours est considéré disponible si le demandeur peut le

poursuivre sans obstacles ou s'il peut en user dans les circonstances de son cas.16 Existait-il des recours disponibles, même depuis l'extérieur de l'Etat défendeur ?

80. L'Etat indique qu'aux termes de ses lois, le plaignant n'a pas besoin d'être physiquement présent dans le pays pour avoir accès aux recours internes, en ajoutant que le High Court Act et le Supreme Court Act autorisent toute personne à introduire une demande à l'une ou l'autre Cour à travers son avocat. Pour étayer cela, l'Etat a cité le cas Ray Choto et Mark Chavhunduka où les victimes ont été torturées par des agents de l'Etat et où elles ont demandé une réparation alors qu'elles se trouvaient toutes les deux aux Royaume-Uni et que leur réclamation a abouti. L'Etat a conclu qu'il n'est pas interdit au plaignant de poursuivre des recours de façon similaire.

81. Le plaignant ne conteste pas la disponibilité de recours internes dans l'Etat défendeur mais il argue que, dans son cas particulier, ayant fui le pays par crainte pour sa vie et se trouvant aujourd'hui hors du pays, les recours internes ne lui sont pas disponibles.

82. La Commission Africaine est d'avis que n'ayant pas réussi à établir qu'il a fui le pays contre sa volonté en raison d'agissements de l'Etat défendeur et qu'au regard de la loi du Zimbabwe, il n'est pas nécessaire de se trouver physiquement dans le pays pour avoir accès aux recours internes, le plaignant ne peut pas prétendre que les recours internes ne lui étaient pas disponibles.

83. Le plaignant soutient que, même si les recours internes étaient disponibles, ils n'étaient pas efficace parce que l'Etat a tendance à ignorer les décisions des tribunaux rendues à son encontre, en citant notamment la décision de la Haute Cour dans les cas Commercial Farmers Union et Ray Choto et Mark Chavhunduka et il a ajouté que Zimbabwe Lawyers for Human Rights a identifié au moins 12 cas dans lesquels l'Etat a ignoré les décisions des tribunaux depuis 2000.

84. La Commission exige généralement que les plaignants énoncent, dans leurs observations, les mesures qu'ils ont prises pour épuiser les recours internes. Ils doivent fournir une preuve prima facie de tentative d'épuisement des recours internes. Le Comité des droits de l'homme a déclaré que le simple fait qu'un recours interne soit peu pratique ou peu attrayant ou qu'il ne produise pas un résultat favorable au demandeur ne démontre pas, en soi, l'absence d'épuisement de tous les recours

efficaces.17 Dans sa décision dans A c/ Australie,18 le Comité a considéré que « de simples doutes
sur l'efficacité des recours internes ou la perspective de coûts financier impliqués n'absolvaient pas

l'auteur de poursuivre ces recours. »19

85. La Cour européenne des droits de l'homme, pour sa part, a considéré que, même si les demandeurs ont des raisons de croire que les recours internes et les appels possibles disponibles seront inefficaces, ils devraient les rechercher dans la mesure où « il incombe généralement à un individu lésé de donner aux tribunaux internes l'opportunité d'élaborer à partir des droits existants en en

faisant une interprétation. »20 Dans l'Article 19 c/ Erythrée,21 la Commission a considéré que «il incombe au plaignant de prendre toutes les mesures nécessaires pour épuiser, ou au moins tenter d'épuiser, les recours internes. Il ne suffit pas que le plaignant dénigre l'aptitude des recours internes de l'Etat en se fondant sur des cas isolés ».

86. De l'analyse qui précède, la Commission est d'avis que le plaignant a ignoré d'utiliser les recours internes qui lui étaient disponibles dans l'Etat défendeur qui, s'ils les avaient tentés, auraient pu apporter une résolution satisfaisante à la plainte.

87. La troisième question litigieuse entre le plaignant et l'Etat défendeur est la disposition de l'Article 56(6) de la Charte qui dispose que « les communications reçues par la Commission seront examinées si elles sont introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Commission comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ... »

88. La présente communication a été reçue au Secrétariat de la Commission le 26 septembre 2005. Sa saisine a été examinée par la Commission en novembre 2005, soit dix mois après la fuite de son pays alléguée par le plaignant, le 12 janvier 2005.

89. La Commission prend note que le plaignant ne réside pas dans l'Etat défendeur et qu'il lui a fallu du temps pour s'installer dans la nouvelle destination avant d'introduire sa plainte devant la Commission. Même si la Commission devait adopter la pratique d'autres organes régionaux de considérer que six mois sont un délai raisonnable pour présenter des plaintes, compte tenu de la nature du cas du plaignant qui se trouve dans un autre pays, il serait important, dans un souci d'équité et de justice, de considérer qu'un délai de dix mois est raisonnable. La Commission ne considère donc pas que la communication a été présentée contrairement à la sous-section 6 de l'Article 56.

90. Enfin, l'Article 56(7) dispose que la communication ne doit pas concerner des cas sui ont été réglés conformément, soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de la Charte de l'OUA et soit des dispositions de la Charte africaine. Dans le cas présent, l'affaire n'a pas été réglée par l'une de ces organismes internationaux, d'où la satisfaction des exigences de l'Article 56(7) par le plaignant.

La Commission africaine trouve que dans la présente Communication 307/05- Obert Chinhamo c./ République du Zimbabwe, le plaignant n'a pas rempli les conditions de l'Article 56(5) de la Charte africaine, et par conséquence la déclare irrecevable.

Décision prise lors de la 42ème Session ordinaire de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples tenue le 28 novembre 2007 à Brazzaville, République du Congo

ANNEXE 6 : EXTRAIT COMMUNIOCATION 293/2004- ZIMBABWE LAWYERS FOR HUMAN RIGHTS & INSTITUTE FOR HUMAN RIGHTS AND DEVELOPMENT /REPUBLIQUE DU ZIMBABWE

Le Droit

La Recevabilité

Observations des parties sur la recevabilité

37. L'Etat défendeur demande que la communication soit déclarée irrecevable car elle ne répondait pas aux exigences des Articles 56 (2), (3), (4) et (5).

38. L'Article 56(2) stipule que la communication devrait être compatible avec la Charte de l'OUA et la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples. Selon l'Etat et citant la Fiche d'Information n° 3 de la Commission africaine : Procédure d'examen des communications, l'auteur d'une communication devrait faire des allégations précises des faits liés aux documents, si possible, et éviter de faire des allégations en termes vagues. L'Etat affirme que la plainte est écrite dans des termes généraux et ne fait aucune allégation précise. L'Etat fait en outre observer que les plaignants ont simplement allégué que l'Etat avait violé la Charte sans préciser quels droits avaient été violés, où ces violations avaient eu lieu et la date à laquelle elles avaient été perpétrées et que les plaignants n'ont pas donné les noms des victimes.

39. Les plaignants soutiennent que, quatre ans après les élections, la Cour suprême et la Haute Cour n'ont pas pu apporter une solution efficace et rapide. La Haute Cour avait initialement désigné trois juges pour traiter les affaires. L'un des juges a démissionné, faisant état de menaces dont il a fait l'objet après avoir rendu un jugement en faveur de l'opposition. Les trois juges ont été remplacés et les affaires n'ont pas été réglées. Les violations qui ont eu lieu durant la période des élections n'ont pas été abordées depuis plus de quatre ans.

40. Les plaignants affirment, en revanche, que la communication détaille les infractions aux dispositions de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et, selon eux, une violation apparemment fondée des droits de l'homme, et ils allèguent que la communication remplit la condition de l'Article 56 (2) de la Charte.

41. Eu égard à l'Article 56 (3), l'Etat allègue que la communication est écrite dans un langage injurieux et désobligeant à l'encontre de l'Etat du Zimbabwe et de son appareil judiciaire. Il indique que les plaignants allèguent de l'incapacité de l'Etat à garantir l'indépendance et le fonctionnement approprié du Judiciaire et que le gouvernement n'a pas pu observer le principe de la séparation des pouvoirs. L'Etat allègue en outre que la communication prétend qu'un juge aurait démissionné à cause des pressions qu'il aurait subies à la suite d'une décision qu'il aurait rendue en faveur du MDC. L'Etat ajoute qu'aucun des juges n'a subi de représailles ou démissionné à la suite d'un jugement rendu et il conclut que la plainte déforme les faits et comporte de fausses informations qui sont insultantes pour l'Etat et son appareil judiciaire - destinées à jeter le discrédit sur l'Etat et que la communication n'est donc pas conforme aux dispositions de l'Article 56 (3) de la Charte

Africaine. Les plaignants affirment quant à eux que la communication n'est pas rédigée dans un langage injurieux et désobligeant et qu'aucun terme outrageant ou insultant à l'égard du gouvernement de la République du Zimbabwe, de ses institutions ou de l'Organisation de l'Unité africaine n'a été utilisé et, à ce titre, que la communication est conforme aux dispositions de l'article 56 (3).

42. L'Etat allègue en outre que la communication est fondée sur des informations diffusées par les mass médias ou relevant de l'imagination de l'auteur et, à ce titre, ne peut être reçue aux termes de l'Article 56(4) qui stipule que les communications ne devraient pas être exclusivement fondées sur des nouvelles diffusées par les mass médias. L'Etat ajoute que la communication ne mentionne pas qui a fait l'objet de discriminations ou dans quel cas une partie aurait été discriminée, ni par quel juge. La plainte est donc illusoire et ne devrait pas être recevable. Les plaignants, pour leur part, allèguent que la communication comporte une compilation de déclarations sous serment et de demandes de la Haute Cour et de la Cour Suprême du Zimbabwe.

43. Par rapport à l'épuisement des voies de recours internes, l'Etat allègue que les plaignants n'ont pas épuisé les recours internes disponibles, en faisant observer que les requêtes en contestation d'élections sont traités rapidement et que toutes les requêtes des plaignants ont été traitées, certaines ayant été rejetées, d'autres retirées. L'Etat indique qu'il n'a rien fait pour en gêner le processus, comme allégué par les plaignants et fait observer, qu'en cas de non-exécution, les parties à la requête peuvent se rapprocher du Juge Président ou du Premier Juge et que le gouvernement n'a aucun rôle à jouer dans les requêtes en contestation d'élections. L'Etat fait remarquer que la plupart des requêtes introduites devant la Haute Cour ont été traitées en 2001 ; certaines ayant fait l'objet d'appels devant la Cour Suprême. Les plaignants soutiennent que l'exception à la règle doit s'appliquer à ce cas, dans la mesure où la procédure s'est prolongée de façon anormale. Ils prétendent que le retard apporté à la finalisation de la requête par la Cour Suprême et la Haute Cour était excessif et, selon les plaignants, ce retard justifie l'évocation de la règle d'exclusion de l'épuisement des voies de recours internes, vu qu'elles n'existent pas.

Décision de la Commission sur la recevabilité

44. Dans sa jurisprudence, la Commission Africaine des droits de l'homme et des peuples (la Commission) a articulé un cadre d'affectation de la charge de la preuve entre les plaignants/plaignants et les Etats défendeurs. Aux fins de saisine et de recevabilité, le plaignant ne doit présenter qu'un cas bien fondé (prima facie) et satisfaire aux conditions énoncées à l'Article 56 de la Charte pour ce qui concerne la recevabilité. Une fois cela fait, il incombe alors à l'Etat défendeur de présenter des réponses spécifiques et des preuves réfutant chacune des assertions contenues dans les observations du plaignant.

45. Dans la présente communication, les plaignants soutiennent que les conditions de recevabilité de l'Article 56 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples ont été remplies alors que l'Etat allègue que certaines ne l'ont as été, en particulier l'Article 56 (2), 3, 4 et 5. Concernant la conformité de la communication à l'Article 56(2), la Commission africaine fait observer que la communication établit une violation apparemment fondée des dispositions de la Charte Africaine et qu'elle est donc compatible à la fois à l'Acte constitutif et à la Charte Africaine. La communication allègue de retards excessifs dans le traitement des requêtes en

contestation d'élection et, en conséquence, d'une violation du droit à un procès équitable aux termes de l'Article 7(1) (d) et à la participation au gouvernement aux termes de l'Article 13 de la Charte. Il est difficile de prouver l'incompatibilité invoquée par l'Etat.

46. L'Article 56 (3) requiert que la communication ne contienne pas des termes insultants ou outrageants L'Etat allègue qu'en déclarant que l'Etat a manqué de garantir l'indépendance et le fonctionnement approprié du Judiciaire et que le gouvernement n'a pas observé le principe de la séparation des pouvoirs, les plaignants ont tenu un langage injurieux. L'Etat allègue en outre que la communication prétend qu'un juge aurait démissionné à cause des pressions qu'il aurait subies à la suite d'une décision qu'il aurait rendue en faveur du MDC. L'Etat conclut que la plainte donne une fausse représentation des faits et qu'elle comporte de fausses informations qui sont insultantes pour l'Etat et son appareil judiciaire - destinées à jeter le discrédit sur l'Etat et que la communication n'est donc pas compatible avec les dispositions de l'Article 56 (3).

47. La question fondamentale qui n'a pas été abordée dans la présente communication est de savoir dans quelles limites il est possible de critiquer l'appareil judiciaire ou les institutions de l'Etat en général au nom de la liberté d'expression, et si la déclaration faite par le plaignant constitue un langage outrageant ou insultant au sens de l'Article 56 (3) de la Charte Africaine. En réalité, la communication invite la Commission à préciser la relation entre la liberté d'expression et la protection de la réputation des institutions de l'Etat.

48. Les termes performatifs du sous paragraphe 3 de l'Article 56 sont outrageants et insultants et ils doivent être dirigés contre l'Etat partie concerné ou ses institutions ou l'Union Africaine. Selon le Oxford Advanced Dictionary, outrageant signifie parler avec mépris de... ou traiter à la légère.... et insultant signifie agresser avec mépris ou offenser l'estime de soi ou la pudeur de ...

49. L'appareil judiciaire est une institution très importante dans tous les pays et ne peut fonctionner convenablement sans le soutien et la confiance du public. En raison de l'importance de préserver la confiance du public dans le Judiciaire et de la réserve nécessaire pour qu'il puisse jouer son rôle d'arbitre, des mesures de protection spécifiques existent depuis de nombreux siècles pour protéger le Judiciaire de toute diffamation. L'un de ces dispositifs de protection est de décourager les remarques et les termes insultants ou outrageants visant à ridiculiser ou jeter le discrédit sur le processus judiciaire.

50. La liberté d'exprimer ses opinions et de débattre de la conduite des affaires publiques par le Judiciaire ne signifie pas que des attaques, calomnieuses ou non, puissent être autorisées à l'encontre du Judiciaire en tant qu'institution ou à l'encontre des officiers de la justice pris individuellement. Une distinction claire ne peut être établie entre les critiques acceptables du Judiciaire et les déclarations portant directement préjudice à l'administration de la justice. Les déclarations concernant les officiers de justice dans l'exécution de leurs charges judiciaires ont, ou peuvent avoir, un impact beaucoup plus important que le fait de simplement blesser leurs sentiments ou d'attaquer leur réputation. En raison des graves implications de la perte de confiance du public dans l'intégrité des juges, les commentaires publics visant à jeter le discrédit sur le Judiciaire ont toujours été jugés avec réprobation.

51. En déterminant si une remarque particulière est outrageante ou insultante et si elle a terni l'intégrité du Judiciaire ou une autre institution de l'Etat, la Commission doit vérifier si ladite remarque ou ledit langage visent à violer illégitimement ou intentionnellement la dignité, la réputation ou l'intégrité d'un officier ou d'un organe de justice et s'ils sont utilisés de manière calculée pour polluer l'esprit du public ou de toute personne raisonnable afin de jeter le discrédit et d'affaiblir la confiance du public dans cette institution. Le langage doit viser à saper l'intégrité et le statut de l'institution et à jeter le discrédit sur elle.

52. A cet égard, l'Article 56 (3) doit être interprété en gardant à l'esprit l'Article 9 (2) de la Charte Africaine qui dispose que « toute personne a le droit d'exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et des règlements. » Un équilibre doit être trouvé entre le droit de s'exprimer librement et le devoir de protéger les institutions de l'Etat pour veiller à ce que, tout en décourageant les abus de langage, la Commission africaine ne soit pas par ailleurs en train de violer ou de freiner la jouissance d'autres droits garantis par la Charte Africaine tels que, en l'espèce, le droit à la liberté d'expression.

53. L'importance du droit à la liberté d'expression a été pertinemment déclarée par la

Commission Africaine dans les communications 140/94, 141/94, 145/94 contre le Nigeria56 où elle a considéré que la liberté d'expression est : Un droit humain fondamental, vital pour le développement personnel et la conscience politique de l'individu et pour sa participation à la conduite des affaires publiques de son pays. Les individus ne peuvent participer pleinement et équitablement au fonctionnement de leur société s'ils doivent vivre dans la peur d'être persécutés par les autorités de l'Etat du fait d'exercer leur droit à la liberté d'expression. L'Etat doit faire observer, protéger et garantir ce droit s'il souhaite s'engager de manière honnête et sincère dans la démocratie et la bonne gouvernance.

54. Au fil des ans, la distinction devant être établie entre critiques authentiques du Judiciaire et langage insultant s'est amenuisée. Avec la progression de la politique des droits de l'homme, de la bonne gouvernance, de la démocratie et des sociétés libres et ouvertes, le public doit établir un équilibre entre la question de la libre expression et la protection de la réputation des institutions de l'Etat telles que le Judiciaire. Lord Atkin a défini la relation fondamentale entre ces deux valeurs dans Ambard c/ A-G de Trinidad et Tobago (1936) 1 All ER 704 at 709 dans les termes suivants :... mais lorsqu'il s'agit de l'autorité et de la position d'un juge particulier ou de la bonne administration de la justice, il n'y a aucun mal si un membre du public exerce le droit ordinaire de critiquer de bonne foi, en privé ou en public, l'action de la justice. Le chemin de la critique est une voie publique ... La justice n'est pas une vertu cloîtrée : elle doit pouvoir être soumise à un regard scrutateur et aux commentaires respectueux, voire même crus,
des gens ordinaires.

55. Dans la présente communication, l'Etat défendeur n'a pas établi comment, en déclarant que le gouvernement n'a pas observé le principe de la séparation des pouvoirs et qu'un juge avait démissionné sous les pressions consécutives à une décision qu'il aurait rendue en faveur du MDC, le plaignant avait porté le discrédit sur le Judiciaire et le gouvernement. L'Etat n'a pas démontré l'effet adverse de cette déclaration sur le Judiciaire en particulier et les institutions de l'Etat dans leur globalité. L'Etat n'apporte aucune preuve pour démontrer que ces déclarations

auraient été de mauvaise foi ou calculées pour empoisonner l'esprit du public à l'encontre du gouvernement et de ses institutions.

56. La Commission africaine ne considère donc pas qu'il y ait eu langage outrageant ou insultant à l'encontre du gouvernement de la République du Zimbabwe, de ses institutions ou de l'Union Africaine. La Commission africaine est également d'avis que la communication est conforme à l'Article 56(4) qui stipule que les communications ne devraient pas être exclusivement fondées sur des nouvelles diffusées par les médias. La présente communication comporte une compilation de déclarations sous serment et de demandes de la Haute Cour et de la Cour Suprême du Zimbabwe.

57. Concernant l'Article 56 (5) ayant trait à l'épuisement des recours internes, les plaignants invoquent que l'exception à la règle s'applique sur la base d'une prolongation anormale de la procédure. Ils allèguent que le retard dans la finalisation des requêtes par la Cour Suprême et la Haute Cour est irraisonnable et autorise, selon les plaignants, l'invocation de la règle d'exception à l'épuisement des recours internes comme non existants.

58. Ce qui constitue la prolongation de façon anormale de la procédure aux termes de l'Article 56 (5) n'a pas été défini par la Commission Africaine. Il n'existe donc pas de critères standards employés par la Commission Africaine pour déterminer si un processus a été indûment prolongé et la Commission a donc tendance à traiter chaque communication sur le fond. Dans certains cas, la Commission tient compte de situation politique prévalant dans le pays, de l'historique judiciaire du pays et dans d'autres, de la nature de la plainte.

59. L'objet de la présente communication est la validité des résultats électoraux. Les résultats électoraux sont supposés être rendus le plus rapidement possible de manière à permettre aux concurrents de connaître les résultats. Dans la plupart des juridictions, en raison de la nature même des élections, des mécanismes sont mis en place pour assurer que les résultats soient donnés le plus rapidement possible et que, quelles que soient les réclamations présentées par les concurrents évincés, ils soient traités avec diligence.

60. L'exception visée à l'Article 56 (5) exige que le processus doive non seulement se prolonger mais qu'il doive l'avoir été « indûment. » Indûment signifie « excessivement » ou « de façon injustifiable. » Donc, s'il y a une raison justifiable pour prolonger l'affaire, elle ne peut être qualifiée de « indue. » A titre d'exemple, lorsque le pays est pris dans une agitation civile ou une guerre ou lorsque le retard est en partie causé par la victime, sa famille ou ses représentants. Si la Commission n'a pas élaboré de norme déterminant ce que signifie « prolongé de façon anormale », elle peut être guidée par les circonstances entourant le cas et par la doctrine de la common law du « test de l'homme raisonnable. » A cet égard, le tribunal cherche à découvrir, compte tenu de la nature et des circonstances entourant un cas particulier, quelle serait la décision d'un homme raisonnable.

61. Ainsi, étant donné la nature de la présente communication, un homme raisonnable conclurait-il que l'affaire a été prolongée de façon anormale ? A tous égards, la réponse serait oui. Plus de quatre ans après l'introduction des requêtes en contestation d'élection, les tribunaux de l'Etat défendeur ne sont pas parvenus à statuer et les fonctions que les victimes contestent sont toujours occupées et leurs mandats sont presque arrivés à terme.

Pour les raisons qui précèdent, la Commission africaine considère que la communication est compatible avec l'exception à la règle de l'Article 56 (5) et les autres conditions requises de l'Article 56 et la déclare donc recevable.

TABLE DE MATIÈRES

DEDICACES i

REMERCIEMENTS ii

AVERTISSEMENT iii

LISTE DES ABREVIATIONS ET SIGLES iv

SOMMAIRE vi

RESUME vii

ABSTRACT viii

INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

A - CONTEXTE DE L'ÉTUDE 4

B - DÉLIMITATION DU SUJET 10

B - DÉFINITION DES TERMES OU CONCEPTS 11

D - INTÉRÊT DU SUJET 15

E- PROBLÉMATIQUE 16

F - HYPOTHÈSE DE RECHERCHE 17

G - DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE. 17

H - ARTICULATION ET JUSTIFICATION DU PLAN 19

PREMIÈRE PARTIE: LA RÉAFFIRMATION D'UNE DÉFINITION FONCTIONNELLE
DE LA RÈGLE. 21

CHAPITRE I : LA GARANTIE DU PRINCIPE DE LA PRIMAUTÉ DE LA PROTECTION NATIONALE DES DROITS DE L'HOMME. 23

SECTION I : UNE CONSÉCRATION TACITE DU PRINCIPE DE LA SOUVERAINETÉ DES ÉTATS 23

Paragraphe I : Le respect de la juridiction souveraine des États. 24

A - La référence aux fonctions de la règle en droit international général 24

1 - Le principe de souveraineté en droit international général 25

2 - Le rôle de la règle dans la pratique de l'arbitrage international et de la protection diplomatique. 26

B - La référence aux fonctions de la règle dans les autres instruments internationaux des droits

de l'homme 29

1 - La justification de la règle dans les textes à portée universel 29

2 - La justification de la règle dans les textes à portée régionale 30

Paragraphe II : Le souci de restreindre la mise en jeu de la responsabilité internationale des États. 32

A - Un préalable à la mise en jeu de la responsabilité internationale des États 32

1 - La règle d'épuisement des recours internes comme un moyen de défense. 33

2 - La règle d'épuisement des recours internes comme un corollaire de la fiction des « mains propres » 35

B - Un moyen de sauvegarder la réputation des États. 36

1 - La place des droits de l'homme dans les relations internationales. 36

2 - La recevabilité de la communication comme preuve d'un comportement étatique constituant une violation de la Charte 38

SECTION II- UNE PRESOMPTION ET UNE INCITATION INDIRECTE A L'EFFECTIVITÉ DES DROITS DE L'HOMME DANS L'ORDRE JURIDIQUE INTERNE. 39

Paragraphe I- L'obligation de conformer la législation interne à la Charte 40

A - Les rapports entre le droit international et la loi nationale 41

1 - L'approche moniste 41

2 - L'approche dualiste 42

B - L'incorporation de la Charte dans le droit interne 43

1 - La technique de la constitutionnalisation des droits de l'homme. 43

2 - La portée de la constitutionnalisation des droits de l'homme 44

Paragraphe II- L'obligation d'appliquer la Charte dans l'ordre interne 45

A - Le principe de l'applicabilité directe 45

1 - La signification du principe 46

2 - Les effets du principe 47

B - L'affirmation de l'indivisibilité et de l'interdépendance des droits de la Charte 48

1 - La distinction classique droits intangibles et droits conditionnels. 48

2 - L'originalité de la jurisprudence de la Commission 49

CHAPITRE II : LA SAUVEGARDE DU PRINCIPE DE LA SUBSIDIARITÉ DE LA PROTECTION INTERNATIONALE DES DROITS DE L'HOMME. 51

SECTION I- UNE PRISE EN COMPTE DE LA SUBSIDIAIRITÉ DES RECOURS INTERNATIONAUX. 51

Paragraphe I- La reconnaissance du caractère supplétif des recours internationaux. 51

A - La Commission : une instance consensuelle 52

1 - De la juridictionalité de la Commission. 52

2 - De l'expression du consentement 54

B - La Commission : une instance de coordination et d'harmonisation des jurisprudences nationales. 55

1 - La négation des interprétations restrictive de la doctrine de la marge d'appréciation et la prééminence du mandat de la Commission 56

2 - La règle de l'épuisement des voies de recours internes comme instrument de coordination
et d'harmonisation de la jurisprudence nationale et internationale des droits de l'homme. 58

Paragraphe II- L'acceptation du caractère ultime des recours internationaux. 60

A - La justice internationale : une justice extrême 60

1 - L'absence de soumission à une juridiction suprême. 60

2 - Les tempéraments au morcellement de la justice internationale 61

B - La Commission : Un recours suprême ? 62

1 - Selon la Charte africaine 62

2 - Selon le nouveau système africain de protection des droits de l'homme. 63

SECTION II- UNE PRISE EN COMPTE DES CONTRAINTES DU RÈGLEMENT INTERNATIONAL 64

Paragraphe I : Le souci du filtrage et de la diligence dans le traitement des communications 65

A - Le filtrage des communications 65

1 - La réalité des violations plurielles et multiformes 65

2 - Le risque d'engorgement de la Commission 66

B - La diligence dans le traitement des communications 66

1 - L'incommodité des méthodes de travail 67

2 - La durée de l'instance de recevabilité devant la Commission. 67

Paragraphe II- Les considérations relatives au coût et à l'effectivité du règlement international

69

A - Le coût élevé du règlement international 69

1 - Les frais de procédure et la représentation légale. 69

2- Les limites de l'actio popularis 70

B- La relative effectivité du règlement international 71

1 - La nature et la portée des règlements internationaux 72

2 - L'absence d'une juridiction d'appel 72

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE 74

SECONDE PARTIE : L'AFFIRMATION D'UNE DÉFINITION MATERIÉLLE DE LA RÈGLE. 75

CHAPITRE I : L'ÉDICTION RESTRICTIVE DES CRITÈRES D'APPLICATION DU PRINCIPE 77

SECTION I : LE CRITÈRE FORMEL: LE CONTRÔLE SYSTÉMATIQUE DE L'ÉPUISEMENT DES VOIES DE RECOURS INTERNES. 77

Paragraphe I : L'exercice du contrôle 78

A - La charge de la preuve 78

1 - De la responsabilité d'épuiser les recours internes 78

2 - La rotation de la charge de la preuve 79

B- Les modes de la preuve 80

1 - La preuve écrite 80

2 - La preuve verbale 82

Paragraphe II : Les effets du contrôle 82

A - La décision sur la recevabilité 82

1 - De la recevabilité de la communication 83

2 - De l'irrecevabilité de la communication 83

B - La possibilité d'une réexamination de la communication 84

1 - Les conditions de la réexamination 84

2 - La portée de la réexamination 84

SECTION II - LES CRITÈRES MATÉRIELS : LA DISPONIBILITÉ, LA SATISFACTION ET L'EFFECTIVITÉ DES RECOURS À ÉPUISER 85

Paragraphe I - Des recours internes effectifs : Le critère de disponibilité 86

A- La caractérisation de la disponibilité des recours internes 86

1 - Une disponibilité théorique : l'existence des recours internes 86

2 - Une disponibilité pratique : l'accessibilité des recours internes 88

B - Une garantie du droit à un recours 89

1 - Un droit d'accès à la justice 90

2 - Un droit à un procès équitable 91

Paragraphe II - Des recours internes efficaces : Les critères de satisfaction et d'effectivité.... 92

A- L'admission exclusive des modes juridictionnelles 92

1 - La signification de l'effectivité et de la satisfaction des recours internes 92

2 - La pertinence des recours juridictionnels 93

B - Une garantie du droit à la réparation 96

1 - La restitution et l'indemnisation 97

2 - La réadaptation et les garanties de non répétition 98

CHAPITRE II : L'ÉNONCIATION NON LIMITATIVE DES CIRCONSTANCES D'EXCEPTION.... 100

SECTION I- LES EXCEPTIONS RELATIVES AUX CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES D'ORDRE POLITIQUE ET JURIDIQUE 101

Paragraphe I - L'État d'urgence et les violations graves et générales 102

A- Les préalables à l'exception 102

1 - Une situation de trouble politique... 102

2 - ... Entraînant des violations graves et massives des droits de l'homme 103

B- La portée de l'exception : la limitation des effets des solutions nationales 104

1 - L'amnistie et la grâce 104

2 - La survivance de la responsabilité internationale de l'État 105

Paragraphe II - Une mauvaise configuration de l'ordre juridique ou des procédures judiciaires

105

A - Les exemptions du fait de dispositions légales 106

1 - L'existence de clauses dérogatoires 106

2 - Des recours discrétionnaires ou extraordinaires 106

3 - La non justiciabilité de l'objet de la plainte 108

4 - Un accès inéquitable à la justice du fait de la loi 108

B - L'exemption en cas de prolongement anormal des procédures 109

1 - Les alternatives à l'absence de critères standards 110

2 - La durée moyenne de l'instance nationale 111

SECTION II- LES EXCEPTIONS RELATIVES AUX CIRCONSTANCES PERSONNELLES DU
REQUERANT 113

Paragraphe I- L'impossibilité pour le requérant de mettre en oeuvre les recours internes 113

A - Les conditions d'admission de l'exception 113

1 - Un élément matériel en cas de déportation : la détention et l'expulsion consécutive 113

2- Un élément psychologique en cas d'exil : La crainte pour sa vie perpétrée par des institutions identifiée de l'Etat 114

A - La portée de l'exception 116

1 - La protection contre des représailles politiques 116

2 - La légalité des expulsions et l'interdiction des expulsions collectives 117

Paragraphe II- Le décès de la victime et l'urgence 118

A - Le décès de la victime : une dérogation péremptoire à la règle 118

1 - La forclusion des recours existants 118

2 - Les conséquences de l'exception 118

B - L'urgence : une dérogation provisoire à la règle 119

1 - Les conditions d'admission de l'urgence 119

2 - La portée des mesures provisoires 120

CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE 121

CONCLUSION GÉNÉRALE 122

BIBLIOGRAPHIE 126

ANNEXES 145

TABLE DE MATIÈRES 187






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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery