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La reformulation Rawlsienne des principes de la justice

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par Pénéloppe Natacha MAVOUNGOU
Institut catholique de Toulouse - Master 2 de philosophie 2011
  

Disponible en mode multipage

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INSTITUT CATHOLIQUE DE TOULOUSE

FACULTE DE PHILOSOPHIE

Mémoire

Master de Philosophie

Spécialité Ethique, Culture et Humanité

Thème :

La reformulation Rawlsienne des principes de la justice

Présenté et soutenu par

MAVOUNGOU-PEMBA Pénéloppe Natacha

Sous la direction de :

Émeric Travers

Année académique 2010-2011

Remerciements

Je remercie tous ceux qui m'ont aidé, inspiré et soutenu dans mes recherches pour la rédaction de ce mémoire.

Je remercie tout d'abord Monseigneur Jean Claude Makaya-Loemba, grâce à qui j'ai pu comprendre et commencer à réaliser mon désir de travailler en faveur de la justice sociale en vue de la restauration de l'être humain.

Je remercie ensuite Ernest-Marie MBonda qui m'a fait découvrir John Rawls et sa théorie de la justice comme équité.

Je remercie aussi, le père Miguel Olaverri, administrateur apostolique du diocèse de Pointe-Noire. Je remercie Mgr Robert Le Gall, Archevêque de Toulouse, ainsi que les soeurs Thérésiennes de Pointe-Noire. Je n'oublie pas les pères Marcellin Pongui et Paulin POUCOUTA pour leurs encouragements.

Un merci particulier à monsieur Travers Émeric, mon directeur de mémoire avec qui j'ai eu la joie de travailler, et que je remercie pour sa disponibilité et sa patience dans la direction de ce mémoire.

Un grand merci à la commission Justice et Paix de Pointe-Noire, à Antoine Gazeau, Constant Ayouka, Alexis NDINGA, la famille Clemh-Mavoungou, Karl-Trésor, Aymard Badinga, Stève Bobongaud, Christian Mounzéo, Brice Makosso, Césarine Massiala et Anny Kaseka ; ainsi qu' à tous mes camarades du Master et nos professeurs de la faculté de Philosophie, pour leur sollicitude et leur soutien.

Votre précieuse aide et vos précieux encouragements m'ont aidé à accomplir ce travail.

Introduction

Lorsque paraît Théorie de la justice en 1971, John Rawls a été le premier à s'étonner du succès qui s'en est suivi, car en écrivant ce livre, il le destinait à la lecture de quelques amis et collègues qui s'y intéresseraient et qui, éventuellement pourraient en discuter avec lui. Cet étonnement de John Rawls traduit déjà l'ouverture d'esprit qui le caractérisera tout au long de son parcours philosophique, notamment par l'accueil des critiques qui lui seront adressées. Car si Théorie de la justice connaît de grands succès, elle sera aussi vivement critiquée. C'est dans cet esprit de critiques et de reformulation que s'inscrit ce travail de recherche. Ce mémoire qui s'intitule La reformulation Rawlsienne des principes de la justice a pour objectif d'étudier les principes de la justice reformulés par John Rawls. Or étudier la théorie d'un auteur implique que l'on commence par situer historiquement et philosophiquement sa pensée. C'est pourquoi, dans l'interrogation du contexte à la faveur duquel Théorie de la Justice a pu voir l'extraordinaire intérêt qu'elle suscite aujourd'hui, nous prendrons en compte les lignes principales de La justice comme équité1(*).

D'origine anglo-américaine, John Rawls est né en 1921 et mort en 2002. Sa vie est marquée par plusieurs expériences. Sur le plan historique, la vie de Rawls est marquée par sa participation à la guerre dans les combats en Nouvelle Guinée, par le désastre de la guerre du Viêt-Nam et par l'effervescence des mouvements pour la lutte en faveur des droits civiques des noirs, vers la fin des années soixante. A cela, il sied d'ajouter la promulgation des lois sur l'égalité des chances, la réduction des impôts, le problème de la sécurité sociale, la liberté de l'information, de même que l'aide à l'éducation. Au niveau philosophique, il est important de souligner que depuis la découverte des Amériques, la liberté a toujours été au centre de la pensée philosophique américaine, de même que le rapport de l'individu à la communauté. Cette vision américaine de la philosophie, installe peu à peu l'interventionnisme de l'Etat dans les affaires sociales et économiques. Ce qui, contre toute attente finira par susciter l'opposition entre le libéralisme et l'Interventionnisme. C'est dans cette atmosphère que sera publiée la Théorie de la Justice qui, tout en étant de tendance libérale, s'attachera à se situer au centre de ce débat politique.

En plus de ces aspects philosophiques et historiques, John Rawls est considéré, référence faite à ses écrits, comme un philosophe libéral. Il fait donc partie du courant de pensée libéral, encore appelé Libéralisme. Ce dernier est considéré comme la doctrine qui a dominé la philosophie politique américaine de l'après guerre et qui affirme la primauté de la liberté, des droits individuels et de la responsabilité personnelle. Pour le libéralisme, chaque être possède des droits individuels inaliénables.

Toutefois, si la philosophie politique anglo-américaine de l'après-guerre est libérale, il ne faut pas omettre que la défense des droits des individus et des libertés qui la caractérise est diversifiée. Aussi plusieurs auteurs s'accordent à dire qu'il existe des philosophies politiques libérales américaines, les différences se situant par rapport à la place accordée à l'individu. Il y a tout d'abord le courant libéral classique qui confère à la personne la maîtrise de sa personne et de ses biens. Ensuite il y a l'individualisme radical ou encore le libertarianisme (libertarisme pour d'autres), soutenant une position très individualiste de la liberté. Enfin l'individualisme plus modéré encore appelé libéralisme social démocrate qui préconise la coopération sociale et la collaboration, en s'appuyant sur un principe de justice comme équité, visant à donner à chaque individu des moyens minimaux lui permettant d'organiser son existence autour de l'essentiel. Cette classification nous conduirait réellement et compte tenu de sa théorie de la justice comme équité, à classer Rawls dans cette dernière catégorie, car il souligne sans cesse qu'une société sans un minimum de coopération sociale n'est pas possible. Bien que philosophique, la théorie de Rawls s'intéresse à des questions économiques, sociales et éthiques. Ce qui lui vaudra l'intérêt de plusieurs domaines de pensée, notamment les sciences humaines et sociales.

D'ailleurs, sans imposer la présence de l'Etat, Rawls pense qu'une coopération sociale pour établir des choix est toute aussi importante que la liberté individuelle de chaque citoyen. Il intègre dans le libéralisme les notions de justice sociale, de coopération et de collaboration, essentielles à l'édification d'une société juste et équitable. Dans une telle hypothèse, l'indépendance de la liberté est tempérée par l'égalité équitable des chances. Mais Rawls juge, tout de même, utile d'insister sur la priorité du principe de liberté sur celui de l'égalité équitable des chances.

En ce qui a trait à ses expériences liées à l'influence historique, Rawls déduira que l'être humain est prompt à la destruction massive de ses semblables pour un plus grand intérêt. Ce qui révèle en substance la maxime utilitariste2(*), qui est, avec le libéralisme, un courant de pensée en vogue à cette époque. Pour John Rawls, cette doctrine justifie le sacrifice des minorités au bénéfice des grandes majorités, c'est pourquoi il lui faut une alternative, d'où le projet de la théorie de la justice comme équité, considérée comme une réponse. Outre le rejet de cette doctrine utilitariste, le projet rawlsien de la justice n'est pas à séparer de son intérêt pour la défense des valeurs libérales.

L'essentiel de l'oeuvre de Rawls peut être comprise comme étant, et Rawls n'a cessé de l'articuler, une théorie de la justice comme équité. Rawls estime qu'il faut comprendre Théorie de la justice comme étant une théorie de la justice comme équité, car la notion d'équité est une base importante pour que la justice soit juste. Elle est en quelque sorte une obligation d'impartialité pour les citoyens. C'est pourquoi il la conçoit comme antérieure aux choix des principes de justice. Une des dimensions incontournables de la théorie de la justice comme équité, est la considération de la justice comme une conception politique sur laquelle Rawls insistera à partir de 1987. Pour John Rawls, la Théorie de la justice est destinée pour une démocratie constitutionnelle, c'est pourquoi elle est politique. Aussi, se propose t-il de donner une théorie qui prenne en compte les questions sociales des plus défavorisés, d'où la définition de la justice comme étant la première vertu des institutions sociales. Ainsi, après avoir expliqué que sa théorie de la justice est une justice sociale, John Rawls trace les lignes de son projet :

Je voulais élaborer une conception de la justice assez systématique pour pouvoir se substituer à l'utilitarisme dont une forme ou une autre n'a cessé de dominer la tradition de la pensée politique anglo-saxonne. La raison principale en était la faiblesse, selon moi, de l'utilitarisme comme base des institutions d'une démocratie constitutionnelle [...]. Je ne pense pas que l'utilitarisme puisse fournir une analyse satisfaisante des droits et des libertés de base des citoyens en tant que personnes libres et égales, ce qui est pourtant une exigence absolument prioritaire d'une analyse des institutions démocratiques. C'est alors que l'idée du contrat social, mais rendue plus générale et plus abstraite au moyen de l'idée de position originelle, m'apparut comme la solution. Le premier objectif de la théorie de la justice comme équité était donc de fournir une analyse convaincante des droits et des libertés de base ainsi que de leur priorité. Le second objectif était de compléter cette analyse par une conception de l'égalité démocratique, ce qui m'a conduit au principe de la juste égalité des chances et au principe de différence. 3(*)

S'inscrivant dans la tradition moderne, Rawls n'imagine pas une justice sans lien avec la répartition des droits aux individus, c'est pourquoi selon lui, la justice doit consister à assigner des droits aux individus, de manière totalement impartiale. D'où il se fixe comme objectif de présenter une théorie de la justice dont le choix des principes s'inspire du contrat social des philosophes modernes, parce que l'objet de cette procédure ce sont les principes de la justice. La théorie de la justice de John Rawls considère l'individu comme un être libre capable de se prendre en charge, et ne pouvant se réaliser qu'en rapport avec les autres membres de la société. Il parle à cet effet de la coopération sociale qu'il considère comme indispensable à l'organisation de la structure de base de la société. Un homme ne peut se réaliser sans penser à l'intérêt collectif. Rawls veut à cet effet rendre compatible le respect des libertés avec l'égalité équitable des chances. Il considère donc la justice sociale comme le principe fondamental pour le politique.

Tel que présenté par Rawls, le contrat social est pensé sous un aspect hypothétique, c'est-à-dire qu'à partir d'une position originelle, les contractants, placés sous le voile de l'ignorance, choisissent des principes de justice : le principe d'égale liberté et le principe de différence. Ces principes sont soumis à une double contrainte de priorité lexicale. Toutefois, la théorie de la justice n'a pas pour objectif simplement de réinterroger le contrat social. Elle vise aussi à refonder la tradition contractualiste pour en dégager les éléments qui permettent de répondre efficacement à l'utilitarisme dominant. Ce recours à la tradition du contrat social, ne prend pas seulement en compte le projet normatif de liberté, d'égalité et de justice dont cette tradition est porteuse, mais aussi la dimension philosophique de la démocratie qu'elle véhicule. C'est pour cela que, dans son propos, Rawls précise qu'il n'entend pas examiner la justice des institutions en général ni la justice du droit international et des relations entre Etats. Il souligne clairement qu'il entend examiner la justice pouvant servir dans l'organisation d'une société démocratique bien ordonnée.

Le succès de l'oeuvre de Rawls correspond aux critiques que suscitent la publication de Théorie de la justice, car, les interprétations philosophiques de la pensée de John Rawls, ont, depuis plus de trois décennies, alimentés les débats du domaine de la philosophie politique en particulier, et des sciences humaines, en général. Que ce soit sur le plan de l'économie, de la sociologie, des sciences politiques, il paraît difficile, désormais de ne pas faire référence à Théorie de la justice de John Rawls, lorsqu'il s'agit des questions de justice sociale. Ouvert aux critiques et reconnaissant à quelques endroits les limites de son projet, John Rawls, entreprendra l'oeuvre de reformulation de son oeuvre. Entreprise qui ne s'achèvera qu'avec sa mort, car la dernière publication de Rawls, La justice comme équité, Reformulation, est considérée comme son « chant de cygne »4(*). L'intitulé même de cet ouvrage signale qu'il s'agit d'une reformulation des textes déjà écrits par lui, depuis 1957, singulièrement une reformulation de Théorie de la justice, son oeuvre capitale publiée en 1971. Les critiques adressées à Rawls lui ont non seulement permis de rectifier ses erreurs, mais aussi de réviser et d'améliorer, voire reformuler les principes de la justice comme équité. En lisant cette reformulation, on y devine que l'idée de justice qui a taraudé l'esprit de Rawls depuis 1971 ne cessera d'être sa préoccupation qu'à sa mort. En effet, comme le souligne Alain Renaut, « Rawls est l'homme d'un seul livre »5(*), parce que tous ses écrits publiés après Théorie de la justice, ont simplement tourné autour de la question de la justice sociale et politique et que l'essentiel de ses publications ont consisté à reformuler Théorie de la justice, son seul livre.

Considéré comme un événement intellectuel « hors du commun »6(*), la parution de Théorie de la justice, apporte non seulement des éclaircissements sur le concept de justice, mais aussi, parce qu'elle renoue avec la modernité, notamment avec la théorie du contrat social, elle se place au carrefour de la philosophie politique. L'abondante littérature secondaire qu'elle suscite en est la preuve. En trente ans (2001) ou quarante ans (2011), l'oeuvre de John Rawls a été traduite en plusieurs langues et a été commenté par plusieurs auteurs. En témoignent les reformulations continuelles qu'il n'a cessé de réaliser à l'intérieur de cet ouvrage. La chronologie de ses oeuvres, à partir de Théorie de la justice, pourrait être établie de la manière suivante :

1971 : Publication de Théorie de la justice

1975 : Première reformulation à l'occasion de la traduction allemande

1986 : Justice et démocratie

1993 : Libéralisme politique

2001 : La justice comme équité, Reformulation.

Après Théorie de la justice en 1971, Rawls remaniera plusieurs fois le texte original de cette oeuvre (la première fois en 1975 en vue de la traduction allemande). C'est sur cette traduction allemande que se feront désormais toutes les autres traductions, de même que la traduction française. Déjà dans la préface de Théorie de la justice en langue Française, il précisera que cette traduction contient déjà des reformulations. Ce qui souligne une légère différence entre Théorie de la justice de 1971 en Anglais et Théorie de la justice traduite de 1987 ; Justice et Démocratie (qui est un condensé d'articles écrits par Rawls entre 1981 et 1988) mais qui reprend en général les idées de Théorie de la justice ; Libéralisme politique, qui est une autre formulation de Théorie de la justice, puis en dernier lieu La justice comme équité, Reformulation qui est considéré comme le testament philosophique de John Rawls. C'est le dernier livre qu'il écrit de son vivant. C'est finalement sur ce dernier livre que porte ce mémoire. Il sera fait de temps à autre référence à Théorie de la justice, pour signaler le passage qu'il opère et aussi la fidélité qui caractérise cette théorie de Rawls, malgré les nombreuses critiques. C'est pour cela que nous avons tenu à préciser que ce travail n'est pas un travail de comparaison.

Comme l'indique cette Chronologie, La justice comme équité est donc la dernière reformulation de Théorie de la justice où l'auteur y reprend notamment l'essentiel de sa théorie, en y répondant aux critiques qui lui ont été adressées par d'autres auteurs et des limites qu'il a pu relever lui-même. Cette oeuvre, dans son ensemble est consacrée à la reformulation des principes de justice, comme l'indique Rawls au début de la préface de La justice comme équité. Il faut dire que le remaniement opéré dans la reformulation arrive à point, car en tant qu'il est considéré comme un testament philosophique, La justice comme équité réévalue l'importance de Théorie de la justice, au moment où plusieurs études philosophiques, politiques et sociales, et économiques se questionnent quant à sa pertinence.

A l'origine de notre travail, il y a une volonté de souligner l'impact des corrections sur la reformulation rawlsiennes des principes de la justice opérées dans La justice comme équité, Reformulation. On a l'impression que le retentissement de Théorie de la justice, son premier livre, a occulté celui du dernier, dans la mesure où il s'agit d'une reformulation. Pourtant bien comprendre la théorie Rawlsienne, c'est plonger dans son univers de reformulation pour voir comment il reste fidèle à ses intuitions, puis comment intégrant les critiques d'autres auteurs, il reformule son projet, sans perdre de son originalité. Dans la préface de la traduction française de 1987 Rawls souligne :

C'est avec beaucoup de plaisir que j'entreprends cette préface destinée à la traduction française par Catherine Audard de mon livre, Théorie de la justice. En dépit des nombreuses réactions critiques qu'il a suscitées, j'en soutiens toujours les grandes lignes et la doctrine centrale. Bien entendu, comme on pourrait s'y attendre, j'aurais aimé avoir exprimé certaines choses différemment et j'y apporterais maintenant un certain nombre de modifications non négligeables. Mais si je devais réécrire entièrement Théorie de la justice, cela ne donnerait pas, comme les auteurs ont tendance à le dire, un livre complètement différent 7(*)»

L'objectif que nous nous sommes fixés dans ce mémoire, c'est d'analyser l'évolution, des principes de la justice depuis la publication de Théorie de la justice. Néanmoins, l'oeuvre de Rawls, étant immense et dense, nous avons choisi de nous limiter, dans le cadre de ce master, à un aspect de sa théorie, précisément la reformulation des principes de la justice, contenue dans La justice comme équité. Il est bien sûr impossible de parler de La justice comme équité, sans faire allusion à Théorie de la justice. Ce qui prouve la présence, à plusieurs endroits des citations tirées de Théorie de la justice, pour souligner l'évolution des principes.

La reformulation de la justice comme équité est une synthèse de la conception politique de la justice de John Rawls. Il y montre l'intime « cohérence de vues entre sa théorie de la justice sociale développée dans sa Théorie de la justice, et les développements plus récents de sa pensée, pour l'essentiel consacrés à la pratique politique dans un contexte pluraliste »8(*). L'un des traits importants dans cette évolution de la théorie de Rawls, c'est que dans La justice comme équité, il se désolidarise des questions des libertés naturelles et de celle de l'égalité formelle des chances. En outre, sa théorie est moins procédurale dans Libéralisme politique ainsi que dans La justice comme équité, contrairement à Théorie de la justice.

En suivant de manière systématique l'intuition de John Rawls dans La justice comme équité, nous nous proposons dans cette étude d'examiner d'abord le cadre global de la reformulation rawlsienne des principes de la justice, en scrutant d'une part les critiques des principes de la justice faites par Rawls à l'égard de lui-même et que nous avons nommées critiques internes. D'autre part, nous analyserons les critiques des principes de la justice faites par d'autres auteurs9(*), et que nous avons intitulées critiques externes, en nous appuyant sur le courant « libertarien »10(*), précisément avec la critique de Robert Nozick. Ensuite, considérant avec l'auteur de Théorie de la justice, l'importance de la reformulation des principes de la justice et la révision du contenu, notre analyse est principalement consacrée aux idées fondamentales de structure de base et de position originelle qui sont comme la porte d'entrée pour la compréhension des principes de la justice et de la compréhension de la règle de la priorité lexicale. Pour rester fidèle à la structure de Rawls, nous nous sommes basés sur les sections 16 jusqu' à 22, puis la section 32 de La justice comme équité. En conclusion, tentant de resituer la théorie des principes de Rawls dans la philosophie contemporaine, nous ferons une relecture de la justice comme équité, en soulignant l'originalité de l'oeuvre de Rawls. Ensuite, actualisant cette théorie, nous soulignerons l'impact actuel de l'égalité équitable des chances et de l'idée d'inviolabilité de la personne.

Notre travail s'articule ainsi autour de deux parties composées chacune de deux à trois chapitres, eux-mêmes divisés en sections. Cette structure convient à la structure de notre travail, puisque dans la conclusion, nous essayerons de faire une ouverture de la pensée de John Rawls, sur la nature de ses enjeux dans le monde actuel, dix ans après la parution de La justice comme équité. Ces deux parties de même que la conclusion forment l'idée générale de cette étude.

Première partie :

Cadre global de la reformulation des principes de la justice.

Introduction

Dans la préface de La Justice comme équité, John Rawls précise sa volonté de réviser les positions de Théorie de la justice :

Dans ce travail, je poursuis deux objectifs. L'un consiste à rectifier les erreurs les plus graves de Théorie de la justice qui ont obscurci les idées principales de la justice comme équité, ainsi que j'ai nommé la conception de la justice présentée dans ce livre. Comme j'ai toujours confiance en ces idées, et que j'estime que les difficultés les plus importantes peuvent être résolues, j'ai entrepris cette reformulation. J'essaie d'améliorer l'exposition, de corriger un certain nombre d'erreurs, d'inclure quelques révisions utiles, et d'esquisser des réponses à certaines des objections communes. Je remanie également l'argumentation à de nombreux stades [...] l'autre objectif est de mettre en relation, dans le cadre d'une présentation unifiée, la conception de la justice présentée dans Théorie de la justice avec les principales idées qui figurent dans mes essais publiés à partir de197411(*).

Rawls a lui-même identifié les erreurs et les limites de sa théorie de la justice, mais il est aussi resté ouvert aux critiques qui lui ont été adressées par d'autres philosophes. De la forme au contenu, l'auteur de Théorie de la justice a senti l'urgente nécessité de réviser ses prises de position. Pourtant, si toute son oeuvre reste marquée par des reformulations ou des révisions continuelles, c'est dans les sections 13, 14 et 15 de La justice comme équité, Reformulation, que nous avons ciblé son autocritique sur les principes de la justice ainsi que les critiques adressées par d'autres auteurs.

Si l'on considère tous les textes que John Rawls consacre à la question de la justice, on constate que la grande majorité, sinon du moins tous ses écrits, reste marquée par cette idée ou cette empreinte de justice sociale. La distinction n'est pas difficile à faire, parce que le texte de base demeure Théorie de la justice qu'il tente simplement de remanier à plusieurs reprises, et dont La justice comme équité constitue le dernier texte qu'il a eu à remanier et que l'on pourrait considérer comme son testament. Ainsi dans la section 13, John Rawls commence par présenter une formulation révisée des deux principes de la justice :

1- Chaque personne a une même prétention indéfectible à un système pleinement adéquat des libertés de base égales, qui soit compatible avec le même système de libertés pour tous ; et

2- (a)Les inégalités économiques et sociales doivent remplir deux conditions : elles doivent d'abord être attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous dans des conditions d'égalité équitable des chances ; ensuite, (b) elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société (principe de différence)12(*).

Dans cette formulation révisée, Rawls mentionne l'idée de priorité du premier principe sur le second, de même que la priorité de l'égalité des chances sur le principe de différence. La priorité lexicale signifie que pour être mise en pratique, le principe qui a priorité doit d'abord avoir été pleinement satisfait. Il apparaît donc que la structure de révision des principes de la justice présente quatre points distincts qui correspondront aux quatre moments de réflexion qui vont conduire la critique interne de cette première partie.

Tel qu'annoncé par Rawls lui-même, cette oeuvre constitue en elle-même tout d'abord des critiques, ensuite des réponses à ces critiques. Dans ce travail, il ne sera pas question de répertorier toutes les erreurs constatées par Rawls. Il sera question des critiques liées directement aux principes de la justice, l'idéal étant de rester fidèle à la logique empruntée par Rawls.

Nous suggérons de restituer dans la première partie de ce chapitre cette critique que Rawls a lui-même faite de sa théorie, à partir des nouvelles idées qu'il apporte dans La justice comme équité. Cette critique est composée de quatre sections principales. La première souligne les limites du principe d'égalité, tandis que la deuxième redéfinit ce que Rawls nomme la séquence des quatre étapes et des questions constitutionnelles importantes. Cette deuxième section débouchera sur la critique de l'égalité des chances formelles que Rawls établit en proposant la notion d'égalité équitable de chances ; ce sera la troisième section. Enfin, dans la quatrième section, nous verrons comment l'auteur de Théorie de la justice pose le problème de la justice distributive qu'il oppose à celui de la justice attributive, en montrant les failles et les limites de celle-ci, de même que son incompatibilité avec l'idée de justice comme équité. Rester fidèle à l'ordre suivi par Rawls nous semble être la solution la mieux adaptée pour démontrer le sens de la reformulation de son oeuvre.

La critique rawlsienne de Rawls ainsi analysée, le deuxième chapitre, intitulé critiques externes, s'attachera à souligner les points de vue d'autres auteurs sur la pensée de Rawls. Ce chapitre examinera donc, de façon précise, le point de vue de Robert Nozick, à travers sa critique des principes rawlsiens de la justice, en soulignant leur incompatibilité et leur incohérence, ainsi que les limites de la justice distributive et de la méthode procédurale.

Chapitre I : Critiques internes des principes de la justice.

Section 1- Limites du premier principe de la justice : Raisons pour réviser le premier principe de la justice.

L'une des raisons qui conduisent Rawls à réviser le premier principe de Justice est celle de l'emploi du mot « liberté » au singulier13(*) dans Théorie de la justice. Cette idée, selon Rawls, obscurcit la compréhension des libertés. Car en faisant appel à une « liberté » au singulier, Théorie de la justice place une liberté au-dessus des autres libertés. Employer le mot « liberté » au singulier serait comme considérer que ce mot contient une supériorité qui le placerait comme seul objectif de la justice politique et sociale.

Au sein du premier principe, en effet, il n'y a pas de priorité lexicale, car toutes les libertés de bases égales liées à ce principe ont des spécificités, au sens où la liste des libertés inclut toutes les autres libertés (pensée, association...). Selon Rawls, la révision du premier principe de justice « explicite le fait qu'aucune priorité n'est assignée à la liberté en tant que telle, comme si l'exercice de quelque chose nommée ``liberté'' possédait une valeur prééminente et constituait le principal, sinon le seul objectif de la justice politique et sociale »14(*). Cette affirmation de Rawls exclut l'idée d'une liberté prioritaire sur toutes les autres. La justice comme équité n'a pas la prétention de s'écarter des voies classiques en matière de liberté, puisqu' il y a, pour Rawls, toujours eu équilibre entre les libertés.

L'expression « liberté » possède certes une valeur indestructible et irremplaçable, mais elle n'est pas à penser en terme singulier comme si elle avait priorité sur tout. C'est pourquoi, dans La justice comme équité, John Rawls préfère préciser que les libertés sont mises au plurielles, parce qu'il existe plusieurs libertés formant un système unique et qu'elles se valent. Cette conception de la liberté prolonge la conception usuelle qui prend en compte les libertés, non la liberté. Rawls ne prétend pas proposer une liberté hors du contexte traditionnel de l'histoire de la pensée démocratique, c'est pourquoi, préférant suivre la voie de ses prédécesseurs, il choisit de suivre la voie traditionnelle qui prend en compte non une liberté mais les libertés15(*).Tout en apportant de nouvelles idées, La justice comme équité tient compte des déclarations des droits humains pour fonder les principes de la justice politique.

En outre, Rawls fait observer que le premier principe de la justice s'applique essentiellement à la constitution d'une société, qui en est le garant. Il paraît impossible de déterminer certains droits de base sans qu'ils soient passés par une institution, dans la mesure où ce principe s'applique aussi à la structure de base de la société. C'est pourquoi les questions des libertés de base sont très importantes, parce qu'elles font parties, selon Rawls, des problèmes qu'on désigne comme « les questions constitutionnelles  essentielles »16(*). Par conséquent, le caractère fondamental des droits et des libertés de base constitue en lui-même une forme de supériorité, dans la mesure où ils sont essentiels à l'organisation d'une société. C'est ce qui leur vaut le titre de premier principe ayant priorité sur le second.

Le sens que Rawls donne à cette priorité est le suivant : « Le second principe doit toujours être appliqué dans le cadre d'un contexte institutionnel qui satisfait aux exigences du premier principe. »17(*). En d'autres termes, pour appliquer le second principe de justice, il faut être sûr que les libertés et droits fondamentaux sont pris en compte et que, ces libertés sont exercées dans un cadre institutionnel. Ce qui nous rappelle que les principes de la justice sont des principes inhérents à la structure de base qui est leur premier lieu de mise en pratique. Le plus important dans le principe d'égale liberté, c'est son caractère transcendant, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un attribut de tous les êtres humains, par-delà toutes les contingences sociales. Par exemple, celui qui est issu de l'aristocratie n'est pas plus libre que celui qui est issu de la classe ouvrière. Tous les hommes sont égaux en droits et en liberté, au niveau du premier principe de la justice comme équité. En matière de gouvernement, par exemple, tous les humains sont des potentiels gouvernants, parce que la valeur équitable des libertés politiques garantit que les citoyens qui sont doués et motivés à un degré équivalent ont à peu près une chance égale d'influencer la politique du gouvernement et d'occuper des positions d'autorité18(*).

Il faut aussi souligner que ces libertés ne peuvent pas faire l'objet de substitution ou de marchandage ou encore de troc. On ne peut, par exemple, demander à un être humain d'échanger sa liberté politique contre de l'argent ou d'y renoncer dans le cadre d'un marché. De ce point de vue, Rawls demeure fidèle à la vision rousseauiste, selon laquelle « renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs »19(*).

Dans cette révision du premier principe, Rawls reconsidère le concept de « liberté politique » sur lequel il insiste pour pouvoir montrer que la conception de la justice est une conception politique et non une conception métaphysique20(*), car pour lui, la théorie de la justice comme équité a été conçue pour des démocraties constitutionnelles, et il n'est pas possible dans le cadre d'une démocratie constitutionnelle, que la conception de la justice dépende des doctrines englobantes21(*). C'est pourquoi il pense que « la conception publique de la justice doit être politique et non pas métaphysique »22(*). La théorie rawlsienne de la justice est une théorie politique. Rawls juge cette précision importante, parce qu'il estime ne pas l'avoir souligné ou pas assez dans Théorie de la justice. Cela est d'autant plus important parce qu'une conception de la justice telle que comprise par Rawls a pour objet la structure de base de la société, qui lui confère son titre de « conception publique ». C'est donc dans ce contexte qu'il faut comprendre l'expression « liberté politique ».

Dans la réserve qu'il émet à l'égard du premier principe de la justice, Rawls ajoute une précision quant à la priorité du principe d'égale liberté sur les autres principes. En effet pour parler des conditions favorables de réalisation de ce premier principe, une exigence s'impose : faire appel à des conditions historiques, économiques ou sociales. Ces dernières sont nécessaires parce qu'elles permettent au gouvernement d'avoir un regard équitable face aux difficultés qu'il est susceptible de rencontrer. Car ces difficultés peuvent avoir plusieurs origines, même si, de manière générale, elles viennent de la mentalité ou des habitudes politiques d'une société ou de son organisation.

Voilà pourquoi l'idée qui consiste à penser que les difficultés sont dues à la défaillance du système économique ou éducatif est à proscrire, dans la mesure où ce n'est pas cela qui peut empêcher la marche d'une société démocratique. C'est la coopération de base qui ne fonctionne pas. Il y a un vice initial qui peut affecter à la base une structure de coopération. Aussi le grand problème à régler, selon Rawls, vient des contingences sociales et économiques existantes dans la société. La priorité du principe d'égale liberté doit bénéficier à tous et non uniquement aux plus favorisés. Nul n'a besoin d'être riche pour jouir de ce principe : agir au sein de la coopération sociale suffit.

L'auteur de Théorie de la justice définit les« questions constitutionnelles essentielles »23(*) comme étant « des questions cruciales au sujet desquelles, compte tenu du fait du pluralisme, l'urgence de l'élaboration d'un accord politique est la plus grande »24(*). Parmi ces questions, on peut noter les principes fondamentaux qui servent à organiser la société et les questions des droits fondamentaux ainsi que celle des libertés égales. En outre Rawls considère que les questions constitutionnelles permettent la sauvegarde de la coopération sociale.

Par ailleurs il faut garder à l'esprit que Rawls considère les questions constitutionnelles en rapport avec l'idée « d'opposition loyale ». En fait, dans tout régime constitutionnel, on ne peut faire abstraction de l'idée d'opposition, dans la mesure où elle lui est essentielle. L'adjectif « loyale » dit ce qu'est cette opposition ou bien ce que devrait être une opposition dans un régime constitutionnel. Le mot « loyal » a pour synonyme la fidélité, l'honnêteté, la franchise et le dévouement. En anglais, il se dit « devoted, loyal, true...». Ce qui donne donc à comprendre que l'opposition dont il est question ici n'est pas une opposition malsaine ni malhonnête qui mettrait en avant ses propres intérêts. Au contraire, tout régime constitutionnel doit voir sa majorité et son opposition s'accorder sur les questions essentielles ou fondamentales comme la liberté et l'égalité. Ces règles fixées ensemble doivent être respectées. Ainsi l'idée des questions constitutionnelles essentielles couvre l'ensemble du premier principe de la justice qui se résume au respect des libertés de base égales : la liberté de pensée, la liberté de conscience, les libertés politiques (le droit de voter et de participer à la vie politique), la liberté d'association, de même que les droits et libertés qui correspondent à l'intégrité physique et psychologique de la personne.

Après avoir souligné le rapport qui existe entre les questions constitutionnelles essentielles et le premier principe de la justice, Rawls distingue celui-ci du second principe, parce qu'il estime ne pas l'avoir suffisamment fait dans Théorie de la justice. En ce qui concerne le principe d'égale liberté, Rawls le fait coïncider avec les questions constitutionnelles essentielles, alors que le deuxième principe, lui, concerne davantage des questions de justice distributive et soutient que l'égalité équitable des chances doit être garantie, de même que « les inégalités sociales et économiques doivent être régies par le principe de différence »25(*).

Pour Rawls, « si l'existence d'un principe d'égalité des chances relève d'une question constitutionnelle essentielle, l'égalité équitable des chances requiert plus que cela et n'est pas comptée parmi les questions constitutionnelles essentielles. De la même manière, si un minimum social qui couvre les besoins de base des citoyens relève également d'une question constitutionnelle essentielle, le principe de différence exige davantage et n'est pas considéré de cette façon »26(*).

En tant qu'il est principe de justice politique, le deuxième principe élaboré par John Rawls exprime aussi des valeurs politiques comme le principe de la liberté. Mais la distinction des deux principes est à comprendre dans les rôles coordonnés joués par la structure de base. Dans sa première fonction, « la structure de base spécifie et protège les libertés de base égale des citoyens [...] et établit un régime constitutionnel juste »27(*), tandis que dans la deuxième, elle « procure le contexte institutionnel de justice sociale et économique sous la forme qui convient le mieux aux citoyens vus comme libres et égaux »28(*). Cette distinction permet de comprendre que le premier principe concerne la question de l'« équitabilité » des libertés égales, et le deuxième principe concerne des questions économique est sociales.

Cette différence établie entre les deux principes, John Rawls juge nécessaire de préciser le cadre dans lequel sont appliqués les principes de justice. L'on peut se demander de quel cadre il s'agit, d'autant plus que la grande représentation reconnue dans la théorie de Rawls est la position originelle. N'oublions donc pas que la position originelle, telle qu'elle sera développée plus loin, permet aux partenaires de choisir les principes de la justice. Il s'agit donc ici du schéma de la séquence des quatre étapes qui comme démarche d'application des principes de justice s'impose à notre étude.

Section 2-. La séquence des quatre étapes et les principes de la justice.

Rawls utilise une méthode négative en commençant par dire ce que n'est pas la séquence des quatre étapes :

La séquence des quatre étapes n'est ni un processus politique effectif ni un processus purement théorique. C'est plutôt une partie de la théorie de la justice comme équité qui s'inscrit dans un cadre intellectuel que nous, en tant que citoyens dans la société civile qui acceptons la théorie de la justice comme équité, devons utiliser lorsque nous en appliquons les concepts et les principes29(*).

Il est expédient d'expliquer ici ce que signifie les trois niveaux utilisés par Rawls pour dire ce qu'est la séquence des quatre étapes et ce qu'elle n'est pas. Premièrement l'auteur souligne que la séquence des quatre étapes n'est pas un processus politique effectif. Dans ce texte le processus politique est entendu comme étant l'action du gouvernement. Le deuxième niveau quant à lui, se définit dans l'expression processus théorique qui est le propre de celui qui analyse, celui qui critique, ou encore celui qui produit. Ces deux niveaux, dans le sens rawlsien, ne définissent pas la séquence des quatre étapes. C'est donc le troisième niveau qui donne une compréhension de ce qu'est cette séquence. Il s'agit du cadre intellectuel, qui est l'ensemble des représentations qui permettent l'application civique des principes de la théorie de la justice comme équité

Le rôle de cette séquence c'est de donner une première approche de la nature des normes et informations pouvant orienter les partenaires dans leur choix en matière de justice politique, selon le cadre dans lequel ils se trouveraient à un moment ou à un autre. Ces remarques relatives à cette séquence des quatre étapes n'en modifie pas l'idée, mais elle apporte des éclaircissements : « Dans ce chapitre, je commence par présenter une séquence de quatre étapes qui clarifie la manière dont il faut appliquer les principes aux institutions »30(*). C'est donc la suite de cette phrase que Rawls tentera d'élucider et de clarifier. Dans Théorie de la Justice, cette idée de la séquence des quatre étapes est considérée comme un schéma servant à appliquer les principes de la justice aux institutions. La démarche de Rawls est un processus théorique en ce qu'elle reconsidère une partie de l'idée de justice comme équité.

La séquence des quatre étapes est la manière dont se déroule l'adoption des principes de la justice. Chaque étape représente un point de vue adéquat pour traiter certains types de questions. La première étape ou l'étape de l'assemblée constituante se déroule sous le voile d'ignorance, en partie levée, où l'homme agit indépendamment de toute contingence sociale, politique ou morale. Cette étape correspond à l'élaboration des principes et des règles d'une constitution à la lumière des principes de justice déjà existants, de la justice des formes politiques. La deuxième étape dite « étape de la législation »31(*) ou « étape de l'assemblée législative », ouvre à la perspective de l'évaluation de la justice des lois et des programmes politiques. Ici les projets des lois proposés sont jugés du point de vue d'un législateur représentatif, qui comme les autres ignorent les faits le concernant. Pourtant, au fil des étapes, la neutralité caractérisée par le voile d'ignorance est peu à peu dépassée, au sens où les partenaires ont accès, à ce niveau, à l'information. Rawls souligne qu'il y a un va et vient entre la première et la deuxième étape. La troisième étape concerne également les questions constitutionnelles, mais touche particulièrement la phase législative qui permet la promulgation des lois en conformité non seulement avec la constitution, mais aussi avec les exigences des principes de la justice. La quatrième étape, pour finir, consiste en la mise en pratique des lois par tous les citoyens. Elle est le lieu de « l'application des règles aux cas particuliers par des juges et des administrateurs et du respect des règles d'une manière générale par les citoyens »32(*). À ce stade, tout le monde a accès à l'information, car le système des règles ayant été adopté, il va falloir l'appliquer aux situations des personnes, selon le contexte et les caractéristiques.

Il faut donc retenir que c'est au niveau de la première étape, c'est-à-dire à partir du moment où les décisions sont prises, que le premier principe se voit adopté. Alors que, à l'inverse, le deuxième principe s'appliquerait à la deuxième étape qui est l'étape législative et « concerne toutes sortes de législations économique et sociale »33(*). À ce niveau, rien ne prouve que les objectifs du deuxième principe aient été réalisés ou atteints, parce que les questions liées au second principe sont des questions de justice distributive et qui demeurent toujours attachées à une pluralité de points de vues, et qu'elles sont fluctuantes. En fin de compte Rawls appuie la distinction entre les questions constitutionnelles essentielles (premier principe) et les institutions de justice distributive (deuxième principe) à partir de la diversité de ces étapes.

En fin de compte, la séquence des quatre étapes est l'orientation donnée par Rawls pour expliciter les conditions dans lesquelles pourraient être mis en application les principes de la justice. Car, la correspondance de chaque étape à une information permet l'application des principes de justice selon les cas et cela, de manière rationnelle, sans se borner à la satisfaction des intérêts personnels ou encore des intérêts fondés sur des jugements religieux ou moraux. On pourrait donc dire que cette séquence des quatre étapes est un « cadre qui étend l'idée de position originelle en l'adaptant à différents contextes, comme le requiert d'ailleurs toute application des principes »34(*).

Bref, de Théorie de la justice à La justice comme équité, la précision de la séquence des quatre étapes, tout en restant la même, s'est assurément affinée, mais les idées constitutives sont restées inchangées. Cette considération nous oriente dès lors vers une autre dimension de la critique rawlsienne des principes de justice : celle de l'égalité formelle des chances. C'est cette critique de Rawls qu'il nous faut donc à présent étudier.

Section 3-Critique rawlsienne de l'égalité formelle des chances

L'égalité des chances est un critère de la société démocratique qui vise la coïncidence entre les aspirations des personnes avec les positions existantes dans la société, c'est-à-dire que son effort « porte sur le développement du potentiel de chacun sur les possibilités égales offertes à des talents égaux, sans que l'origine sociale ait un impact »35(*). Ce critère pourrait donc être simplifié de la manière suivante : que tous aient la chance d'accéder à tous les postes, sans distinction, de classe, de religion, d'origine. Rawls qui considère cette idée d'égalité des chances comme étant le deuxième principe de sa théorie de la justice, décide d'en critiquer le caractère formel en lui adjoignant une dimension équitable.

D'une façon très générale et comme le souligne Rawls lui-même, l'égalité équitable des chances est « introduite pour corriger les défauts de l'égalité formelle des chances »36(*). C'est donc à ce titre que la critique rawlsienne de l'égalité formelle des chances est capitale, parce qu'elle représente l'un des points fondamentaux de la reformulation de la théorie de la justice comme équité. Pour mieux comprendre cette reformulation, il nous reste à en analyser le ressort. C'est pourquoi il est important de revenir sur le sens de l'égalité formelle des chances, telle qu'exposée par Rawls dans Théorie de la justice. Ce n'est qu'après avoir compris le sens de cette forme d'égalité que nous nous attacherons à analyser l'expression corrigée, à savoir l'égalité équitable des chances.

L'idée principale qui caractérise l'égalité formelle des chances est énoncée pour la première fois par Rawls dans Théorie de la justice37(*). Cette idée fait partie du système de la liberté naturelle (the system of natural liberty) où les carrières sont ouvertes aux talents. Ce système de liberté naturelle prend en compte les capacités et la volonté qu'ont les individus de réussir, de même qu'il prône que les individus ont une chance égale et équitable d'atteindre les mêmes positions sociales. Il l'affirme en ces termes : « Le système de la liberté naturelle affirme qu'une structure de base [...] dans laquelle les positions sont ouvertes à ceux qui sont capables et désireux de faire des efforts pour les obtenir, conduira à une juste répartition »38(*). Ce qui veut dire, en d'autres termes, que l'égalité formelle des chances qui découle du système naturel des libertés implique que chaque personne ait « au moins les mêmes droits (légaux) d'accès à toutes les positions sociales pourvues d'avantages »39(*). Cette conception, selon Rawls, n'exclut pas que, dans l'égalité formelle des chances, les contingences naturelles et sociales peuvent influencer la structure de base. C'est pourquoi le système naturel des libertés, à un certain moment, peut paraître injuste, parce que logiquement, il s'arrête à la forme d'une règle ou d'une loi, sans tenir compte de la réalité. Il finit par engendrer des inégalités. Ce qui nous ferait dire que l'égalité formelle des chances, bien qu'elle vise l'égalité, fait abstraction du cadre de sa réalisation.

L'un des moyens pour éviter l'influence du système de la liberté naturelle pouvant être affecté par les contingences sociales, serait d'empêcher l'accumulation excessive de richesses par certains membres de la société et de garantir des possibilités d'éducation pour tous, parce que tant qu'existeront les classes, les familles aisées et moins aisées dans la société, l'égalité des chances sera toujours formelle ; elle penchera en, effet, toujours du côté des mieux dotées, qui possèdent le pouvoir et la direction des institutions.

En dehors de cet aspect formel, Rawls conteste aussi l'idée de mérite dans l'égalité des chances. Contestation qui fera prendre à la question de l'égalité formelle des chances, déjà en suspens dans Théorie de la justice, une autre direction : l'égalité équitable des chances. Dans la correction de l'égalité formelle des chances, Rawls intègre l'idée d'égalité équitable des chances, parce que l'égalité des chances encourage la méritocratie, et que, même s'il y a égalité des chances, elle n'est que formelle, puisque les plus doués obtiennent une plus grande part que les moins doués. John Rawls considère que le problème ne se limite pas à la classe d'origine, car de la même manière que les classes d'origines sont arbitraires, c'est de cette même manière aussi que sont réparties les talents et les chances pour accéder à une position sociale. C'est pourquoi une répartition qui tient toujours compte de la contribution faite par chacun encourage les inégalités et les injustices et ne donne à aucun membre de la structure de base la chance d'accéder à une position autre que celle de son origine. Contestant une telle façon de voir les choses, Rawls rouvre le débat sur l'égalité grâce au concept d'égalité équitable :

Personne ne mérite ses capacités naturelles supérieures ni un point de départ plus favorable dans la société [...]. La répartition naturelle n'est ni injuste ni juste ; il n'est pas non plus injuste que certains naissent dans des positions sociales particulières. Il s'agit seulement des faits naturels. Ce qui est juste ou injuste par contre, c'est la façon dont les institutions traitent ces faits40(*).

Cette idée de l'égalité équitable des chances permet de montrer comment Rawls considère les avantages que possède chaque individu. Pour lui, ils n'ont de valeur que lorsqu'ils sont mis à la disposition des moins favorisés. C'est cette idée qui fondera le principe de différence41(*). Ainsi pour Rawls, écarter l'idée de mérite est essentielle pour une société juste car une fois mise de côté, les plus avantagés pourront accepter de coopérer avec les moins avantageux, au nom de l'équité. En outre, une juste redistribution, devrait s'appuyer sur la dimension collective de la réussite personnelle de chaque membre de la société. C'est donc à la société de déterminer les règles pouvant régir l'organisation de la structure de base de la société, puisque tel est son rôle et parce qu'elle est le lieu d'application des principes et des règles de justice.

Dans cette détermination des règles organisatrices de la justice sociale, Rawls introduit dans La justice comme équité, l'idée de coopération sociale42(*) faisant partie du système équitable de la société. Cette idée centrale et organisatrice de la coopération sociale comporte trois traits essentiels. La première caractéristique souligne que la coopération sociale ne correspond pas à une activité coordonnée par une autorité absolue. Contrairement à cela, elle est guidée par des règles publiquement reconnues et par des procédures que ceux qui coopèrent acceptent et considèrent comme régissant leur conduite à juste titre. Concernant la deuxième caractéristique, Rawls précise que les termes équitables de la société impliquent une idée de la réciprocité ou de mutualité. Tous ceux qui sont engagés dans la coopération et qui remplissent leur rôle, en tenant compte des procédures et des règles, doivent tirer avantage, d'une manière appropriée, en s'appuyant sur un critère reconnu par tous. En dernier lieu, Rawls estime que l'idée de coopération sociale exige que chaque participant ait une idée de l'avantage rationnel des uns et des autres, c'est-à-dire son bien. Cette idée du bien précise ce que ceux qui sont engagés dans la coopération cherchent à obtenir du point de vue de leur propre bien. En outre l'idée de coopération sociale nous aide à comprendre la distinction faite par Rawls, entre la méritocratie brute et l'égalité équitable des chances43(*).

Ce postulat de l'égalité des chances ayant été posé, de même que l'idée de coopération sociale, l'égalité équitable des chances (equality of fair opportunity) est définie comme « posant l'exigence non d'une simple ouverture, au sens formel, des postes publics et des positions sociales, mais d'une chance équitable pour tous de les obtenir »44(*). C'est pourquoi, une société bien ordonnée qui respecte le principe d'égale liberté se doit d'être réellement équitable et non pas de manière simplement formelle.

L'égalité équitable des chances joue un rôle central, en tant qu'elle conteste l'égalité formelle. Génitrice des inégalités où des individus issus des classes sociales différentes se verront offrir des options différentes, elle (égalité équitable) ouvre la voie à la répartition juste et équitable. L'égalité équitable des chances préconise donc, au sein de la société, de donner des chances de réussite et d'éducation de la même manière à tous, sans se fonder sur les contingences ou bien sur les classes d'origine. Il faut donner à tout le monde la chance de réussir et de réaliser ce à quoi il aspire. Les inégalités ne sont pas seulement le fait d'une injustice sociale, fondées dans les seules origines sociales, mais elles sont présentes tout au long de la vie qu'un humain devra passer dans une société donnée, et Rawls pense qu'il est important de dissiper l'idée qui consiste à croire que c'est l'égalité formelle des chances qui fonde l'égalité.

Garantir l'égalité équitable des chances, c'est garantir leur possibilité réelle, non pas simplement formelle, ce qui justifie le passage du formel à l'équitable. De plus, c'est aussi ce que Rawls entend par « le principe de la juste égalité des chances », c'est-à-dire que tout le monde doit avoir une chance équitable d'accéder à un bien, et non pas seulement qu'une position soit ouverte à tous, de manière formelle. Pour Rawls chaque humain doit avoir la chance de parvenir à une position, car « si les talents sont considérés comme une source commune, les handicaps aussi doivent être considérés comme une responsabilité collective »45(*).

En somme l'égalité équitable des chances dans ce contexte, prend le sens de « l'égalité libérale »46(*), d'autant plus que l'égalité formelle demeure insuffisante dans l'organisation de la structure de base de la société. Il convient de noter ici que le terme libéral est à prendre dans son acception anglo-saxonne et non pas continental. Libéral en anglais ne veut pas dire libéralisme, mais libéralité, dans le sens de prodigalité (Providence, celui qui donne). C'est le sens de l'Etat libéral au sens rawlsien.

Par conséquent, il faut donc certaines conditions au niveau de la structure de base pour que cette égalité soit équitable. Rawls propose à cet effet, des conditions économiques et sociales. D'abord au niveau économique, la durée entre en jeu, de manière à prévenir toute forme de monopole et de suprématie, compte tenu de la concentration excessive des richesses en faveur d'une catégorie de personnes. Ensuite, sur le plan social, il insiste sur les chances égales d'éducation ouvertes à tous, nonobstant les conditions familiales d'origine. La durée doit être comprise comme un usage continu du principe d'égalité équitable des chances, car ce n'est qu'à l'intérieur de la structure de base que peut être mise en pratique ce principe si l'on veut éviter le déséquilibre dans la répartition. On pourrait donc dire que l'idée d'égalité équitable des chances comporte une supériorité sur l'idée d'égalité formelle des chances, au sens où, elle la prolonge, la dépasse, de sa dimension simplement formelle.

La critique rawlsienne de l'égalité formelle des chances que nous venons d'analyser ouvre à la section suivante, consacrée au problème de la justice distributive qui est une des idées essentielles de la justice comme équité. La question se pose dès lors de savoir ce qu'il en est de la justice distributive que Rawls oppose à la justice attributive.

Section 4- Le problème de la justice distributive.

La justice distributive est une justice qu'on ne peut séparer des idées d'égalité et d'inégalité, parce qu'elle concerne particulièrement la proportionnalité dans la distribution non seulement des biens, mais aussi des honneurs ou des récompenses, en respectant chaque personne selon ce qu'elle est ou ce qu'elle possède comme valeur. Cette notion de justice distributive est une notion que l'on retrouve chez Aristote. Il la considère comme étant la détermination des critères de la distribution des biens, pensée en lien avec l'égalité.

C'est dans le chapitre 4 du livre V de l'Ethique à Nicomaque47(*) qu'Aristote aborde cette question de la justice distributive qui a trait à la distribution des honneurs, des richesses et autres avantages. C'est une justice qui a pour objectif la poursuite de l'égalité dans la distribution des biens. Elle repose sur une égalité de type proportionnel  et permet de tenir compte du mérite de chaque personne. C'est ce qu'on appelle la proportion géométrique aristotélicienne de la justice distributive. Celle-ci fait référence aux normes définissant la part de ressources rares ou de gratifications que doivent recevoir les membres d'un groupe en retour de leur participation à l'action commune. Par justice distributive, Aristote entend la proportion géométrique à distribuer des honneurs, de la fortune et d'autres avantages qui peuvent être partagés en fonction du mérite de la personne. Ce mérite est apprécié en fonction de la participation de chaque citoyen à la mise en oeuvre mais aussi à la réalisation du bien commun.

John Rawls rejoint le Stagirite dans cette conception de la justice distributive, mais ne reprend pas l'idée de mérite. Au contraire il introduit le principe de différence qui déborde le cadre du mérite et considère que les inégalités sont bonnes à conditions qu'elles soient à l'avantage des plus défavorisés.

En quoi la justice distributive constitue-t-elle un problème dans la théorie rawlsienne de la justice ? En réalité Rawls, ici, ne déconsidère pas la question de la justice distributive. Il la reconsidère simplement en apportant des éclaircissements, notamment en soulignant la différence d'avec la justice attributive qui est loin d'être un idéal de justice tel que l'envisage la justice comme équité. C'est pourquoi il souligne que la question de la justice distributive dans La Justice comme équité est la même que celle soulevée dans Théorie de la justice. Il s'agit de la manière dont les institutions sont gérées en vue du maintien de la coopération sociale, dans le temps48(*). Rawls oppose donc cette question de la justice distributive à la question de la justice attributive.

La question de la justice distributive est la suivante : comment doivent-être réparties les ressources ? À quel moment ou à quelles conditions est-il possible de parler de répartition juste ?

En ce qui concerne la justice attributive, comme l'indique l'adjectif attributive, cette forme de justice s'intéresse à l'attribution des biens aux personnes, autrement dit, comment un ensemble de biens doit t-il être distribué chez des individus différents à tous les niveaux, qui non seulement n'ont pas participé à la production des biens, mais dont les besoins et désirs sont reconnus et qui reçoivent leur bien par rapport à leurs besoins ? Pour comprendre le sens de « attributive », il paraît important de revenir à l'expression anglaise. Dans ses deux livres, Rawls parle de « allocative justice », que les traducteurs traduisent par « justice attributive ». Cette précision nous permet de comprendre que le vocable « attributive », chez Rawls se comprend par rapport à l'idée d'allocation. Il s'agit donc, dans ce type de justice, d'allocation ou d'assistance faite aux citoyens.

John Rawls estime que le premier problème de la justice distributive n'est pas d'allouer des biens, car la justice attributive s'applique lorsqu'il s'agit de répartir une quantité donnée des biens entre des individus définis, dont on connaît les désirs et les besoins. Avec la justice attributive, répartir les biens, selon les désirs et les besoins est naturel, parce qu'il n'existe pas au préalable des revendications sur les biens à distribuer. C'est pourquoi, en tant qu'elle attribue des biens selon les désirs et les besoins, la justice attributive tend vers l'efficacité. Partant de ce fait, Rawls pense que la conception attributive de la justice rejoint l'idée fondamentale de l'utilitarisme qui assimile la justice à l'altruisme et promeut la plus grande solde des satisfactions. Il apparaît clairement que cette vision utilitariste montre qu'il existe un critère indépendant pour juger toutes les répartitions, à savoir si elles produisent le plus grand bien pour le plus grand nombre. Les individus bénéficiaires de ces biens n'ont pas participé à leur production et ils ne font pas partie de la coopération sociale.

Telle qu'elle se présente, la justice attributive va à l'encontre de l'idéal rawlsien de la justice qui conçoit la société comme système équitable de coopération au cours du temps. Dans la mesure où, dans sa fonction, la justice attributive consiste à obtenir la satisfaction du plus grand nombre, en additionnant les satisfactions présentes et futures, elle se limite à la recherche du bien être pour les personnes dont les besoins et les désirs sont connus. Ce qui compte, c'est le bonheur du plus grand nombre, même s'il faille sacrifier les individualités. Or cette vision de la justice attributive adhère au principe d'utilité, tel qu'on le trouve chez certains théoriciens de la doctrine utilitariste, notamment Bentham et Sidgwick. En outre, comme le souligne Rawls dans l'introduction de Théorie de la justice, la théorie de la justice comme équité est une réponse à l'utilitarisme dominant. Plus précisément la critique de Rawls porte sur la conception utilitariste de la justice qui selon, lui, souffre d'une déficience majeure, parce que cette façon de considérer la justice, même si elle vise l'égalité d'un côté, sacrifie l'individu d'une part, puisqu'elle le considère, non plus comme une personne séparée dont les droits seraient inviolables, mais comme une personne dont la liberté et les droits peuvent être aliénés, pour le bien du plus grand nombre. Cette idée permet à Rawls de s'opposer à l'idée d'une justice attributive, car, s'appuyant sur le principe kantien49(*) selon lequel autrui ne peut être utilisé comme simple moyen pour arriver à nos fins, il écrit :

Chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui, même au nom du bien être de l'ensemble de la société, ne peut être transgressée. Pour cette raison, la justice interdit que la perte de liberté de certains puisse être justifiée par l'obtention par d'autres, d'un plus grand bien. Elle n'admet pas que les sacrifices imposés à un petit nombre puissent être compensés par l'augmentation dont jouit le plus grand nombre50(*).

Ainsi, selon John Rawls, la société ne peut se reposer sur une justice attributive, car cela irait contre l'esprit d'équité qui doit réglementer toute justice sociale, parce que les individus doivent tirer des avantages réciproques de leur coopération dans la structure de base. C'est pourquoi la justice distributive, en tant qu'elle s'accorde avec le principe fondamental de la liberté et parce qu'elle permet aux individus de vivre dans l'équité semble être la plus appropriée.

Ce refus de Rawls de mettre ensemble justice attributive et justice distributive s'explique aussi par le fait que, pour lui, « dans une société bien ordonnée, dans laquelle les libertés de base égales et l'égalité équitable des chances sont garanties, la distribution du revenu et de la richesse illustre ce que nous pouvons nommer la justice procédurale pure du contexte social »51(*). Ce qui signifie que, dans la distribution des biens, tous les citoyens sont ou doivent rester soumis aux règles de coopération qui ont été reconnues et acceptées par tous. C'est ce caractère publique des règles qui valide la distribution des biens en la reconnaissant comme étant juste et acceptable. Rien ne peut en effet être décidé en dehors des règles issues de la procédure, en dehors du contexte institutionnel, car il n'y a pas possibilité de parler de justice distributive, d'autant plus que tous les principes de la justice, dont la justice distributive, relève d'une justice procédurale pure. Pour aider à comprendre cette idée, Rawls la compare à deux formes de justice.

Premièrement, il parle de la justice procédurale parfaite qui s'illustre par un cas de partage équitable. Prenant l'exemple d'un gâteau qui doit être partagé entre des personnes dont celui qui est destiné à faire le partage est le dernier à se servir, Rawls souligne que ce dernier, en tant qu'il doit se servir en dernier est obligé de faire un partage équitable, espérant lui aussi obtenir une part égale à celle des autres. De cet exemple, Rawls tire la conclusion selon laquelle on retrouve dans la justice procédurale parfaite la présence d'un critère indépendant défini et existant avant la procédure ; de même il souligne dans ce cas d'espèce que la procédure donne le résultat attendu. Toutefois cela présuppose que celui qui est destiné à procéder au partage a une tendance à l'égalité, et qu'il désire la bonne part au point de la vouloir aussi pour les autres.

Deuxièmement, il s'agit de la justice procédurale imparfaite que John Rawls fait coïncider avec l'exemple d'un procès criminel. Selon Rawls, dans ce genre de cas, même lorsque la loi est prise comme référence, l'erreur n'est pas à écarter, parce qu'il est souvent plus facile pour un innocent d'être déclaré coupable que pour un meurtrier d'être déclaré coupable, surtout lorsque tous les faits sont à l'avantage de ce dernier. Cette erreur n'est pas toujours du ressort de l'humain, mais parfois elle est circonstancielle. C'est pourquoi, souligne Rawls, «  la caractéristique d'une justice procédurale imparfaite est que, alors qu'il y a un critère indépendant pour déterminer le résultat correct, il n'y a aucune procédure utilisable pour y parvenir en toute sûreté »52(*).

Après avoir ainsi distingué les deux types de justice procédurale, Rawls marque donc l'opposition qui existe entre eux et la justice procédurale pure qui est illustrée par la justice distributive.

Dans sa définition de la justice procédurale pure, Rawls écarte la dimension des critères indépendants présents dans les premières formes de justice procédurale. Les critères indépendants ne sont pas importants pour l'action publique, parce qu'ils glissent facilement dans le relativisme. À travers l'idée de justice procédurale pure, il montre la possibilité de trouver des critères objectifs pour guider la justice distributive. C'est ce qu'il souligne en ces termes : «  la justice procédurale pure s'exerce quand il n'y a pas de critère indépendant pour déterminer le résultat correct ; au lieu de cela, c'est une procédure correcte ou équitable qui détermine si un résultat est également correct ou équitable, quel qu'en soit le contenu, pourvu que la procédure ait été correctement appliquée »53(*).

Ainsi la justice procédurale pure qui ne fait pas appel à des critères indépendants, introduit l'idée de justice comme équité, parce qu'elle a, à son actif, l'assentiment des membres d'une société démocratique. Elle concerne les institutions de la structure de base, non pas les situations particulières de chaque membre, c'est pourquoi les distributions qui émanent d'elle sont considérées comme justes. Cette référence aux institutions signifie, pour John Rawls, qu'« il n'existe pas de critère de distribution en dehors du contexte institutionnel et des titres qui naissent du fonctionnement effectif de la procédure »54(*), car c'est le contexte institutionnel qui forme le « cadre de la coopération équitable », celui-ci étant issu lui-même d'un contrat équitable et, compatible avec l'idée de liberté, d'égalité, et de justification publique et qu'« elle s'adresse à la raison de chacun en garantissant les intérêts supérieurs de chacun aussi longtemps qu'ils sont compatible avec un respect égal pour autrui »55(*). Ce qui voudrait dire que la distribution ou répartition ne peut pas être pensé dans les institutions particulières où ce sont des situations singulières qui sont mise en avant. Ceci est l'apanage des institutions sociales qui assignent des droits et des devoirs fondamentaux en structurant la répartition des avantages et des charges qui découlent de la coopération sociale. D'où l'importance de tenir compte des trois piliers formant la procédure équitable : l'impartialité, la réciprocité et l'avantage mutuel. L'équité caractérise, donc, la procédure qui est appelée à conduire aux choix des principes, de façon unanime.

Rawls fait remarquer que l'expression « contexte institutionnel »56(*)  est introduit pour la première fois dans La justice comme équité. On ne le trouve nulle part dans Théorie de la justice. Cette expression, souligne Rawls, a pour fonction « d'indiquer que certaines règles doivent être intégrées dans la structure de base conçue comme un système de coopération sociale de manière à ce qu'il reste équitable au cours du temps, d'une génération à la suivante »57(*). Insistant sur la dimension du temps, Rawls y revient très souvent lorsqu'il avance que les principes de la justice ne sont pas choisis pour une période déterminée, mais pour toute la vie, car l'homme entre dans la société, par la naissance et n'y sort que par la mort; c'est pourquoi ces principes sont valables « d'une génération à la suivante »58(*). Le contexte institutionnel doit tenir compte de cette idée de l'avenir, parce que dans sa manière de fonctionner, il doit faire en sorte que les biens soient toujours à la disposition de tous les citoyens, et même des générations futures. Ce qui n'est possible que « grâce à des lois qui régissent le legs et l'héritage de propriété, et par d'autres procédés comme les impôts, de manière à empêcher les concentrations excessives de pouvoir privé »59(*). Cette idée souligne l'importance de décentraliser le pouvoir et de favoriser la coopération, parce que la concentration du pouvoir dans les mains d'une seule personne favorise la tyrannie.

Cette critique de la théorie de Rawls par lui-même, demeurant ouvert aux citriques qui lui ont été adressés, n'est-elle pas toutefois porteur, d'une évolution dans sa philosophie ? Question délicate, sur laquelle nous reviendrons dans la deuxième partie de ce mémoire, mais dont une prise de considération rigoureuse requiert qu'ait déjà pu être souligné quelques critiques externes venant d'autres auteurs.

Chapitre 2 : Critique externe des principes rawlsiens de la justice, par Robert Nozick.

« Les philosophes de la philosophie politique doivent désormais ou bien travailler à l'intérieur de la théorie de Rawls, ou bien expliquer pourquoi ils ne le font pas »60(*). La critique de Nozick qui suit de manière logique cette affirmation dans Anarchie, Etat et utopie61(*), ne vise pas moins quelques aspects de la théorie de la justice de John Rawls que l'ensemble de la théorie elle-même. Contemporain et collègue de Rawls à Harvard, Robert Nozick est un philosophe d'origine américaine. Philosophe du courant « libertarien » qui considère que la liberté est la seule valeur qui importe, Nozick pense que l'État n'a pas à intervenir pour assurer l'égalité des chances ni pour améliorer le sort des plus défavorisés. Il s'est intéressé aux questions de philosophie morale, notamment de coercition et de liberté et, on le considère comme un partisan de l'État minimal. L'un des points de désaccord qu'il a avec Rawls se situe donc au niveau du rôle de l'État, parce qu'il estime que l'auteur de Théorie de la Justice accorde trop de place à l'État. Mais, en même temps, il reste proche de celui-ci dans la conception de la liberté qu'il considère comme une valeur absolue.

La critique de l'égalité des chances et de l'amélioration du sort des plus défavorisés par Nozick est la preuve, que, au niveau des implications politiques, il y a une grande distance entre les deux auteurs. Ce dernier, en effet, gonfle le domaine auquel s'applique le premier principe de John Rawls (attribuant à chacun des libertés fondamentales maximales) au point de ne laisser subsister aucun espace libre auquel puisse s'appliquer un second principe (exigeant la juste égalité des chances et l'optimisation du sort des plus défavorisés) ou tout autre principe de justice distributive. Cette critique de Nozick n'est pas pour déconstruire toute la pensée de Rawls, car, au début de sa critique, il prend le soin de préciser que, de la théorie de Rawls, il ne critiquera que les points qu'il juge discutables.

Les raisons de notre choix pour la critique de Rawls par Nozick résident dans le fait que, dans La justice comme équité, John Rawls cite nommément Nozick62(*) comme celui à qui il répond, parmi d'autres auteurs et puis, parce que dans sa critique de Rawls, Nozick ne se limite pas à un aspect de cette théorie, il tient compte de certaines idées qui nous semblent fondamentales. En outre, la critique de Nozick rejoint un certain nombre de thèmes qui ont été soulevés dans le premier chapitre de cette première partie critique. C'est donc aussi par souci de cohérence que ce travail se penchera de manière particulière sur l'analyse des critiques nozickéennes liées directement à notre travail, à savoir la critique de la démarche procédurale de John Rawls ainsi que celle de sa conception de la justice distributive.

La formulation des principes de justice, leur incompatibilité, de même que le caractère irréaliste de la démarche procédurale sont assez suffisants pour que Nozick qualifie d'incohérents les principes rawlsiens de la justice. Rawls présuppose une égalité de chances et une possibilité de privilégier les inégalités lorsqu'elles sont à l'avantage du plus défavorisé. Ce choix pose d'emblée, dans l'esprit de Nozick, la distance entre les principes de justice et la valeur prioritaire de la liberté. Ce sera donc à partir de sa haute considération de la liberté qu'il trouvera que le principe de la justice distributive n'a rien à voir avec la liberté.

Dans cette critique externe, notre ouvrage de référence sera Anarchie, Etat et utopie dont la deuxième section consiste pour l'essentiel en une critique de la théorie de la justice de John Rawls. L'oeuvre de Nozick dépasse largement le domaine de la justice distributive ; mais son oeuvre entière n'étant pas l'objet de notre étude, nous nous limiterons simplement à sa critique de la démarche procédurale de Rawls, ensuite nous verrons comment il réfute l'idée de justice distributive, puis celle de l'égalité des chances.

Section 1-Limites de la démarche procédurale de John Rawls

John Rawls préconise l'universalité des principes de justice. La question qu'il se pose est celle de savoir comment, ou dans quelle mesure, il est possible d'envisager des principes universels et applicables par tous et à tous. La réponse est certainement la démarche procédurale qu'il va proposer. Cette démarche procédurale est inspirée par la fiction du contrat social de Jean Jacques Rousseau, ainsi que ceux de Locke et Kant63(*). Pour Rawls, le choix des principes pour l'organisation d'une société doit découler de l'accord de tous les membres de la société. Pour cela, il faut passer par l'idée de contrat. Ce sera donc à la suite de cette idée qu'il va élaborer l'idée de position originelle qui s'applique avec une autre idée, celle du voile d'ignorance, ainsi qu'il le souligne tout au début de Théorie de la justice :

J'ai tenté de généraliser et de porter à un plus haut degré d'abstraction la théorie traditionnelle du contrat social telle qu'elle se trouve chez Locke, Rousseau et Kant [...] L'idée qui nous guidera est plutôt que les principes de la justice valable pour la structure de base de la société sont l'objet d'un accord originel. Ce sont les principes mêmes que des personnes libres et rationnelles, désireuses de favoriser leurs propres intérêts, et placées dans une position initiale d'égalité, accepteraient et qui, selon elles, définiraient les termes fondamentaux de leur association64(*).

Recourir à cette idée de position originelle voudrait spécifier, chez Rawls, une procédure équitable susceptible de garantir le caractère « équitable » des principes qui seraient choisis dans cette démarche. Cette position originelle n'est effective qu'accompagnée du voile d'ignorance, grâce auquel les partenaires ignorent toutes leurs conditions ou circonstances particulières pouvant influencer le choix des principes. Nozick critique donc cette procédure et les déductions que fait John Rawls à la suite de cette idée. Le premier volet de cette critique procédurale est lancé contre l'idée de « rationnels » qu'expose Rawls, lorsqu'il pense que seules les personnes rationnelles sont en droit d'entrer dans la position originelle. Rawls propose, en effet, de ramener le choix des principes à un choix rationnel ainsi qu'il est écrit dans Théorie de la justice:

L'hypothèse particulière que je formule est qu'un être rationnel ne souffre pas d'envie. Il ne considère pas qu'une perte n'est acceptable pour lui-même qu'à la condition que les autres perdent aussi. Il n'est pas découragé à l'idée que les autres ont un plus large indice de biens sociaux premiers65(*).

Nozick critique les modes du choix des participants de Rawls, notamment par rapport à cette dimension de « choix rationnel ».

Selon John Rawls, « les principes de la justice sont des principes que des personnes libres et rationnelles, désireuses de favoriser leurs propres intérêts et placées dans une position initiale d'égalité, accepteraient et, qui selon elles, définiraient les termes fondamentaux de leur association »66(*). De cette position originelle découleront nécessairement deux principes de justice, notamment le principe d'égale liberté et le principe des inégalités.

Cette critique de la démarche procédurale apparaît de manière implicite dans Anarchie, Etat et utopie quand Nozick affirme que les principes rawlsiens sont ceux pensés par des personnes normales. Il ne comprend pas non plus pourquoi Rawls ne fait pas mention des « groupes des gens dépressifs, d'alcooliques, ou encore des représentants des paraplégiques ? »67(*). La lecture nozickéenne du concept « rationnel » qui pense qu'il est anormal de ne pas tenir compte des irrationalités dans l'élaboration des principes de justice, reproche à la théorie de Rawls de ne pas prendre en compte les réalités irrationnelles. De ce point de vue, elle ne peut donc pas prétendre à l'universalité.

Si la première réfutation de la méthode procédurale de Rawls s'attaque à l'idée de « personnes rationnelles », la deuxième pointe du doigt le caractère arbitraire de sa démarche. Pour Nozick, la fiction du voile d'ignorance énoncée par Rawls rend sa démarche arbitraire. Une philosophie idéaliste ou abstraite verse souvent dans l'arbitraire, contrairement à une philosophie pragmatique. Il justifie cet arbitraire en faisant une relecture des conclusions rawlsiennes de la démarche procédurale qui, en fin de compte, prend en compte le sort des plus défavorisés.

Au sujet de cette dimension qu'il juge arbitraire, Nozick présente deux objections. Premièrement, il se demande« pourquoi les individus placés dans la position originelle choisiraient un principe qui s'intéresserait plus particulièrement à des groupes plutôt qu'à des individus ?»68(*). Cette première objection interroge la conception rawlsienne de l'individu. Il n'est pas possible, selon Nozick, de comprendre, comment dans une situation abstraite, des individus pourraient favoriser l'amélioration de la situation du déshérité. La deuxième objection pose la question de savoir si: «l'application du principe de différence ne mènera pas chaque personne dans la position originelle à favoriser l'amélioration de la position de l'individu le plus déshérité »69(*). Cette objection suggère de choisir un principe égal plutôt qu'un principe inégal comme le suggère Rawls, car des personnes en recherche de justice d'égalité, choisirait un principe d'égalité, plutôt que d'inégalité, selon Nozick. Ainsi, il se demande pourquoi John Rawls développe en grande partie la justification du choix des principes de la justice ; et aussi pourquoi les moins favorisés ne doivent pas se plaindre de leur pauvreté, ou de ne pas recevoir autant que les plus favorisés. Son explication repose sur le fait que, parce que « l'inégalité travaille à son avantage, quelqu'un de moins favorisé ne devrait pas s'en plaindre ; il reçoit plus dans le système inégal qu'il ne recevrait dans le système égal »70(*).

En somme Nozick pense qu'il n'est pas possible que, dans un état aussi irréaliste que la position originelle, les gens soient à même de choisir des principes qui doivent régir la société. Aussi, estime t-il que la construction de Rawls, pour être praticable doit être capable d'habiliter ou de produire une conception historique de la justice distributive, d'où la critique de la vision Rawlsienne de la justice distributive.

Section 2 : La critique de la justice distributive

Au chapitre septième d'Anarchie, Etat et utopie, Robert Nozick, considère le terme « justice distributive » comme dépourvu de neutralité dans la mesure où, comme critère ou principe, il fait appel à une forme de partage dans plusieurs domaines. Cette explication de Nozick qui reste encore ambiguë, ne nous éloigne pas tout à fait de la compréhension générale de la justice distributive, parce qu'elle tient compte du mot « partage ». En effet comme nous l'avons souligné avec Rawls, et partant, depuis Aristote, la justice distributive concerne essentiellement les questions de justice sociale et de partage équitable. Cependant, si Nozick soutient que cette forme de justice n'est pas neutre, c'est parce que, « dans ce processus de distribution de parts, il se peut que certaines erreurs se soient glissées »71(*).

En récusant la neutralité de la justice distributive, Nozick, la juge incompatible avec une société libre. Position qui se comprend par rapport à son attitude envers l'État ou encore par rapport à son rejet d'un État qui se mêle de la vie des citoyens. Si dans le cas d'une justice distributive, il fallait qu'il y ait un groupe se chargeant de faire la distribution, cela reviendrait à dire que, finalement, l'État devrait exister, puisque en réalité, c'est lui qui se chargerait de la distribution. Il affirme donc en ces termes : « il n'existe pas de distribution centrale, il n'existe personne ni aucun groupe habilité à contrôler toutes les ressources et décidant de façon conjointe de la façon dont ces ressources doivent êtres distribués »72(*). La distribution, ou mieux le partage, doit être un acte volontaire, c'est-à-dire qu'il doit être le résultat d'un échange ou encore l'expression d'un cadeau. Mais en aucun cas elle ne doit relever d'une obligation ou d'un devoir. Pour éclairer sa conception de la justice distributive, Nozick se propose d'analyser la théorie de Rawls : « Nous pouvons éclairer notre discussion sur la justice distributive d'une façon plus intense, en analysant en détail la contribution que John Rawls a apporté au sujet »73(*).

Afin de cerner sa critique de la justice distributive chez John Rawls, Nozick fait une analyse critique de sa conception de la coopération sociale qui, selon lui, n'a pas de raison d'être dans la mesure où elle se présente sous forme d'organe dirigeant, car le problème de la justice distributive pour Rawls, « réside dans la façon dont ces bénéfices de coopération devront être distribués ou alloués »74(*), et c'est ce qu'il affirme dans Théorie de la justice : « Les principes de la justice sociale fournissent un moyen de fixer les droits et les devoirs dans les institutions de base de la société et ils définissent la répartition adéquate des bénéfices et des charges de la coopération sociale »75(*).

Pour Nozick, s'il n'y avait pas de coopération sociale, le problème de la justice distributive ne se poserait pas, et on n'aurait même pas besoin d'une théorie de la justice justifiée par des principes, puisque chacun devrait avoir le fruit de son travail. Pour illustrer cela, il prend un exemple qui montre comment la coopération crée la dépendance et des obligations envers les autres, même lorsque certains ont travaillé et obtenu plus que d'autres.

S'il y avait dix Robinson Crusoé, chacun travaillant seul pendant deux ans sur des îles séparées, qui découvraient l'existence des autres et de leurs différentes acquisitions grâce à des communications par radio transmises vingt ans après, ne pourraient-ils pas revendiquer les uns envers les autres, à supposer qu'il soit possible de transférer des biens d'une île à l'autre76(*)?

Cet exemple, comme les autres, dans la théorie de Nozick est introduit pour signifier qu'on n'a pas besoin de coopération sociale pour appliquer un principe de la justice sociale. Redistribuer les biens serait un acte injuste.

Nozick estime en outre que, corriger les inégalités est liberticide. Il invite le lecteur d'Anarchie Etat et utopie à définir ce qui lui paraît être la situation initiale la plus légitime du point de vue de la répartition des biens. Sur cette base, il entend montrer, qu'intuitivement, nous préférons toujours le principe libertarien de circulation des biens et services, plutôt que l'idée libérale d'une redistribution même minime des richesses. D'où il est absurde, d'un côté d'exiger que chacun ait une juste part des richesses disponibles et d'empêcher, d'un autre côté, que chacun dispose pleinement des richesses qui lui reviennent.

Alors que, la logique rawlsienne, dans une coopération sociale, serait de faire une juste distribution de tous les biens pour que personne ne manque de rien, Nozick pense que, dans une situation de non coopération, la distribution ou la revendication des biens des autres ne peut pas avoir d'objet, parce que « chaque individu mérite ce qu'il obtient sans aide, par ses propres efforts, ou plutôt personne d'autre ne peut, dans cette situation, déterminer qui a droit à quoi, et de voir qu'aucune théorie de la justice n'est requise »77(*). C'est pourquoi, la coopération sociale, n'a pas de raison d'être selon Nozick, car ce serait une violation des droits des individus et une collectivisation des talents, que d'obliger des individus à transférer leur bien à d'autres. En d'autres termes, si les biens partagés n'appartenaient à personne, aucun problème ne se poserait pour Nozick qui récuse simplement l'idée de prendre sur la part d'autrui pour donner à celui qui n'a rien, alors qu'en principe celui qu'on « dépouille » devrait donner selon son bon vouloir et non pas parce qu'il doit le faire. Or ce qui est à distribuer appartient déjà aux individus dont il faudra, selon Nozick, violer les droits fondamentaux pour réaliser la distribution parfaite. Nozick considère cet acte comme illégitime.

De l'avis de Nozick, Rawls ne répond pas à la question de savoir d'« où viennent les actions à allouer et les choses à distribuer », même s'il en parle constamment dans ses écrits. Nozick pense simplement que cela justifie son refus d'affirmer que ces biens à partager appartiennent déjà à des personnes, et que ce sont des personnes qui ont des droits sur  la direction de leurs propres actions. C'est pourquoi Nozick souligne que « la coopération sociale crée des problèmes spéciaux de justice distributive qui, autrement, n'apparaissent pas ou restent vagues, sinon mystérieux »78(*). Ainsi, selon lui, Rawls formule le principe de juste distribution sans regarder l'origine des biens. Or seule la connaissance de cette origine pourrait permettre de se prononcer sur ce genre de sujet. Il est important de ne pas se contenter des informations présentes, car l'adoption d'une perspective historique serait l'idéal pour savoir comment les gens en sont venus à posséder des biens.

Du point de vue de cette critique nozickéenne de la justice distributive, l'on peut dire que Nozick s'est d'abord attachée à récuser l'idée de coopération sociale, qui, pour lui accorde trop de place à l'Etat. Ensuite il a tenté de montrer que la justice distributive n'est pas une manne tombée du ciel, moins encore des ressources dont il va falloir priver quelques uns-souvent propriétaires légitimes- pour le donner aux autres. Une troisième critique adressée à Rawls concerne sa vision de l'égalité des chances.

Section 3. Critique nozickéenne de la conception rawlsienne de l'égalité des chances.

La critique de Nozick procède par objection. On remarquera que lorsqu'il veut critiquer une idée de Rawls, il reprend la notion ou l'idée rawlsienne en s'efforçant de donner un sens cohérent à son contenu, avant de présenter une réplique et puis de faire une proposition. Il s'étonne aussi quelques fois, lorsqu'il constate que Rawls n'a pas fait attention à telle ou telle autre limite contenue dans sa théorie. Concernant donc sa critique de l'égalité des chances, notamment de l'individu et de ses talents, Nozick commence par souligner que pour John Rawls,

la répartition actuelle des revenus et de la richesse est l'effet cumulatif de répartitions antérieures des atouts naturels - c'est-à-dire des talents et des dons naturels - en tant que ceux-ci ont été développés ou au contraire non réalisés, ainsi que leur utilisation, favorisée ou non dans le passé par des circonstances sociales ou des contingences bonnes ou mauvaises79(*).

Il démontre comment, en suivant l'idée contenue dans cette affirmation, Rawls écarte simplement du principe de l'égalité des chances l'idée de mérite, et, explique l'importance pour John Rawls de faire en sorte que les plus favorisés, par le biais de l'État, donnent aux pauvres une part de leur bien. Nozick est choqué par cette phrase de John Rawls: « le principe de différence représente, en réalité, un accord pour considérer la répartition des talents naturels comme une dotation commune et pour partager les bénéfices de cette répartition, quelque forme qu'elle prenne »80(*). Ici Rawls voudrait simplement démontrer que personne ne mérite les talents innés ni un point de départ dans la société. Position qui confirme son rejet du système des libertés naturelles, car cette façon de faire favorise l'arbitraire et donc les inégalités.

Reprenant cette idée, Nozick accorde que personne ne mérite ses talents, mais chacun en demeure propriétaire. Demander de les mettre à la disposition des autres constitue une violation de sa liberté et de son intégrité morale. Ce serait là, selon Nozick, considérer l'humain comme un instrument. Il en vient ainsi à considérer que Rawls justifierait là une injustice d'autant plus que, cette théorie, qui est contraire aux objectifs poursuivis, est essentiellement arbitraire. D'après Nozick, Rawls n'indique pas du tout comment les personnes ont choisi de développer leurs propres actifs naturels. À cette objection, il répond que Rawls n'en fait pas mention, probablement parce que « ces choix sont aussi considérés comme les produits de facteurs qui échappent au contrôle de la personne et qu'ils sont arbitraires d'un point de vue moral »81(*).

Cette idée de la manière dont les individus doivent s'organiser dans la société en utilisant leur actif naturel n'est pas explicitée dans les écrits de Rawls, car à voir de plus près, l'auteur de Théorie de la justice n'explique pas comment l'on peut mettre les qualités morales au service de la structure de base. Son argumentation fait offense à la dignité humaine, parce qu'en excluant l'idée de mérite et de respect des talents et dons innés, la théorie rawlsienne de la justice va à l'encontre de la conception de la dignité humaine laquelle est censée incarner le respect des droits, des devoirs et des libertés. Rawls considère qu'

Il y a dans le sens commun, une tendance à croire que le revenu et la richesse et les bonnes choses dans la vie, d'une manière générale, devraient êtres répartis en fonction du mérite moral. La justice, c'est le bonheur selon la vertu. Bien que l'on reconnaisse que cet idéal ne peut jamais être complètement réalisé, il passe pour être la conception correcte de la justice distributive, du moins comme première approximation, et la société devrait essayer de la réaliser, dans la mesure où les circonstances le permettent. Or la théorie de la justice comme équité rejette ce point de vue. Un tel principe ne serait pas choisi dans la position originelle82(*).

Nozick qui juge que la théorie de Rawls viole la liberté individuelle affirme à cet effet : « Ainsi dénigrer l'autonomie d'une personne et lui nier la responsabilité première de ses actions, c'est une voie douteuse pour une théorie qui souhaite par ailleurs conforter la dignité et le respect de soi des êtres humains; en particulier, pour une théorie qui se fonde à ce point sur le choix des personnes »83(*). Pour Nozick, Rawls remet ici en cause sa référence à Kant qui consiste à considérer la personne non pas comme moyen, mais comme une fin:

Chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice, qui, même au nom du bien-être de l'ensemble de la société, ne peut être transgressé. Pour cette raison, la justice interdit que la perte de liberté de certains puisse être justifiée par l'obtention par d'autres d'un plus grand bien. Elle n'admet pas que les sacrifices imposés à un petit nombre puissent être compensés par l'augmentation des avantages dont jouit le plus grand nombre84(*).

On ne saurait, même pour des motifs moraux, justifier le sacrifice de certaines personnes au profit d'autres personnes. Selon lui, faire travailler les plus favorisés au bénéfice des moins favorisés conduit à considérer les premiers comme des instruments. C'est ce que nous pourrons ici nommer, l'utilitarisme de John Rawls, puisqu'en fin de compte, il reproche aux théories utilitaristes leur dimension sacrificielle, qui se permet de sacrifier quelques personnes pour le plaisir du plus grand nombre.

Suite à cette critique, Nozick pose la question suivante à Rawls: « Comment pouvez-vous à la fois adopter cette stratégie d'argumentation en faveur de vos principes de justice distributive et présenter votre théorie comme donnant la priorité au respect de la personne et de la liberté individuelle ? »85(*)? Le système rawlsien des principes de la justice affaiblit les dimensions d'autonomie et de responsabilité à l'égard des actes des êtres humains. De ce point de vue, il apparaît donc, selon Nozick, que les deux principes de justice de Rawls sont incohérents, car : « aucun acte de compensation morale ne peut avoir lieu entre nous ; une de nos vies ne peut peser d'un poids moindre que d'autres de manière à conduire à un bien social plus grand. Il n'y a pas de sacrifice justifié de certains d'entre nous au profit d'autres »86(*). Ainsi, Rawls, dans sa proposition, reprend plusieurs idées qu'il reproche aux utilitaristes : utilisation des talents individuels pour le bien des plus défavorisés, aliénation de leur liberté, considération des talents comme dotation collective.

Si, partant de l'objection de Nozick, il n'y a aucune réponse trouvée dans les écrits de Rawls, Nozick en déduit que le fondement même de la théorie de Rawls, sa justification première pose problème et confirme que pour lui, le seul système acceptable reste celui qui consiste à accepter le fait que les individus méritent leurs atouts naturels.

L'autre versant de la critique de l'égalité des chances que Nozick adresse à Rawls est celui des deux conséquences qui, selon lui, découlent directement du système rawlsien. La première conséquence consiste à obliger des individus d'un groupe à donner leur temps à un autre groupe. Nozick reproche à Rawls cette façon de faire, qui revient à ne pas tenir compte de l'avis de ceux qui donneront de leur temps. La deuxième conséquence demande à ceux qui travaillent de se priver des dépenses prévues pour leur détente afin de le donner aux nécessiteux.

Nozick estime que ces deux conséquences sont de nature injuste, parce que prendre les gains d'une personne donnée pour les transférer à une autre personne, est une forme d'injustice. Par exemple, pour Nozick, prendre le salaire des heures d'une personne équivaut à prendre les heures de cette personne. Il n'y a pas, selon lui, d'autres comparaisons de ce genre de travail où l'on travaille pour les autres, que la comparaison des « travaux forcés »87(*). C'est pourquoi il considère qu'il est injuste de prendre sur les heures des personnes qui donnent de leur temps pour travailler et de donner cela à ceux qui sont dans le besoin. Il y a des personnes qui, bien que leur quota d'heures soit établi, travaillent pendant des heures supplémentaires pour pouvoir financer des bonnes vacances ou un bon souvenir. Nozick se demande si une inégalité qui naîtrait de ce type de situation serait une offense.

Comme à son habitude, Nozick pose une question au sujet de la deuxième conséquence : « Pourquoi l'homme qui préfère voir un film (et qui doit gagner de l'argent pour se payer le billet d'entrée) devrait-il être ouvert à cet appel requis pour aider les nécessiteux, alors que la personne qui préfère regarder le coucher du soleil (et donc n'a pas besoin de gagner de l'argent supplémentaire) ne l'est pas ? »88(*). Selon Nozick, le deuxième principe de John Rawls pénalise des personnes pouvant satisfaire leur plaisir, de même qu'il les oblige à prendre en compte la misère des personnes les moins favorisées.

Suite à cette critique, il faut noter que Nozick propose des principes de la justice qu'il juge utiles et nécessaires pour l'organisation d'une société. Le premier, c'est le principe d'appropriation originelle qui stipule qu'« une personne qui acquiert une possession en accord avec le principe de justice concernant l'acquisition est habilitée à cette possession »89(*). Ce principe signifie que chacun peut s'approprier des choses qui n'appartenaient à personne à l'origine. C'est un principe qui est soumis à la condition selon laquelle il reste assez aux autres personnes pour leur propre usage. Ce qui veut dire que lorsqu'il y a une seule chose pour tout le monde, je ne peux me l'approprier. Par contre s'il y en a plusieurs et que cela n'appartient à personne, je peux m'en approprier. Mais par exemple « je ne peux m'approprier le seul puits creusé dans le désert. Cela étant, si les puits des autres personnes s'assèchent par manque de soins et que seul reste le mien, alors, j'en suis légitimement propriétaire ». Pour Nozick, cela signifie que « chacun peut se servir pourvu que le bien-être d'autrui ne s'en trouve pas détérioré »90(*).

Le second principe c'est le principe de transfert qui souligne qu' « une personne qui acquiert une possession en accord avec le principe de justice gouvernant les transferts, de la part de quelqu'un d'autre habilité à cette possession, est habilitée à cette possession »91(*). Ce qui signifie qu'on peut devenir propriétaire légitime d'une chose ou d'une action par entente volontaire avec l'ancien propriétaire légitime. Pourtant Nozick est conscient que ces deux principes soulèvent une objection qui ne fait pas correspondre la distribution réelle du monde avec la mise en pratique des principes. C'est de cette objection que découlera le troisième principe qui stipule que « nul n'est habilité à une possession si ce n'est par application (répétée) des deux premières propositions »92(*). C'est le principe de rectification des violations des deux premiers principes. Par exemple: Un homme possède un terrain. Le principe 1 (d'acquisition originelle) explique comment le bien en question est entré en la possession de l'homme. Le principe 2 (de transfert) lui signifie qu'il est libre de procéder à toute transaction qui l'agrée concernant ce terrain. Le principe 3 (rectification des violations) lui dit ce qu'il faut faire en cas de violation des principes 1 et 293(*).

Ainsi, considérés ensemble, les trois principes « impliquent que si les avoirs des individus sont justement acquis, alors la formule d'une juste distribution est la suivante : From each as they choose, to each as they are choosen ; formule qu'on pourrait traduire par : De chacun selon ses préférences, à chacun selon ses dotations initiales »94(*). Cette logique, parce qu'elle concerne les transactions et les transferts, permet de produire un tissu social raisonnable. Ce n'est qu'en laissant un espace de liberté à l'individu qu'il peut, selon la logique de l'intérêt individuel, constituer un tissu social. Chacun donne selon son bon vouloir.

Conclusion.

Au terme de cette étude sur l'analyse du cadre global de la reformulation des principes de la justice qui s'est focalisée d'abord sur la critique interne des principes de la justice, puis sur la critique externe des principes de la justice, nous voulons rappeler ce qui en a été l'ossature. L'un des traits les plus caractéristiques des principes de la justice de Rawls repose sur l'idée de liberté et de justice distributive. C'est justement la notion de liberté qui rapproche Rawls de Nozick. Pourtant, partant même de la défense de ce droit fondamental qu'est la liberté, Nozick récuse le principe de justice distributive, sous prétexte qu'il aliène et viole les droits de l'homme en lui imposant une attitude envers les moins défavorisés. Pour l'auteur d'Anarchie, Etat et utopie, il est impossible, sous prétexte de respecter les principes de justice ou d'organiser une société, de prendre le bien d'une personne pour le transférer à une autre personne. Cette idée, en réalité démontre ou bien résume toute l'analyse critique que Nozick déploie en face de la théorie des principes de John Rawls.

Il ressort donc de cette analyse que, John Rawls, conscient des limites que peut avoir un travail scientifique, accepte de revoir ses écrits. Mais en même temps, il fait une critique remarquable de sa théorie. C'est ce que nous avons essayé de montrer dans le premier chapitre de la première partie. L'oeuvre de Rawls étant immense, nous avons choisi de nous concentrer sur les critiques relatives à certains sujets précis. C'est ainsi que dans, un premier temps, nous avons analysé les limites soulevées par Rawls sur le premier principe de la justice, suivie de la critique de l'égalité formelle des chances, enfin de la distinction entre la justice distributive et la justice attributive.

En montrant les limites du premier principe de la justice, Rawls estime utile de revoir l'emploi du mot « liberty » au singulier dans A Theory of Justice (1971). Selon lui, employer ce mot au singulier serait comme placer une liberté au-dessus des autres libertés. Or il n'y a pas, au sein du premier principe, une liberté qui ait la priorité sur les autres libertés. Il vaut mieux donc, pour la cohérence de ce premier principe, parler désormais de « liberties ». L'insistance se manifeste aussi au niveau de la place à accorder aux institutions. Le premier principe, selon Rawls, est une question constitutionnelle, et n'est valorisé qu'à l'intérieur de celle-ci, ce qui suppose qu'il y a un rapport entre le principe d'égale liberté et les questions constitutionnelles essentielles. L'autre aspect de cette limite est que Rawls insiste davantage sur l'importance de la séquence des quatre étapes comme processus du choix des principes. Cette séquence a pour rôle primordial de donner une idée des règles susceptibles d'orienter les partenaires dans leur choix.

La deuxième critique de Rawls envers sa propre théorie, et qui a été prise en compte est celle de l'égalité formelle des chances. Cette idée d'égalité formelle des chances qu'il a remplacée par l'égalité équitable des chances, parce que, pour lui, il est important d'écarter l'idée de mérite et des talents, étant donné que cela met toujours certaines personnes en avant, tandis que les autres courent le risque de rester toujours dans leur situation initiale. C'est de cette manière qu'il justifie l'égalité équitable des chances, qui a une valeur non pas seulement formelle, mais aussi réelle. L'idée forte de cette égalité équitable est que les positions ne doivent pas seulement être ouvertes à tous en un sens formel, mais tous devraient avoir une chance équitable d'y parvenir.

La troisième critique concerne le problème de la justice distributive que Rawls distingue, en l'opposant, à la justice attributive. Cette justice distributive, découle de la justice procédurale pure qui transcende les particularités au profit de tous, parce qu'elle concerne les institutions. L'un des points importants de cette justice procédurale pure est qu'elle écarte de son horizon de pensée les critères indépendants considérés comme un risque de tomber dans le relativisme. En fin de compte, les trois piliers de la justice procédurale sont l'impartialité, la réciprocité et l'avantage mutuel.

Si Rawls a reconnu ses limites, c'est d'abord parce qu'il a fait une relecture de sa Théorie de la justice, et aussi parce qu'il est resté ouvert aux critiques, extérieures à son oeuvre, qui lui ont été adressées. De toutes les critiques adressées à Rawls, ce sont celles de Robert Nozick que nous avons analysées, pour des raisons signalées plus haut. En substance que reproche Nozick à Rawls ? De la panoplie de ses reproches, nous nous sommes limités à trois aspects. Premièrement, pour Nozick, John Rawls, qui propose une démarche procédurale en s'appuyant sur des êtres rationnels, manque de délicatesse, parce qu'affirmer que les principes de la justice sont des principes universels et ne pas tenir compte des irrationalités est insensé. Nozick propose donc à Rawls de prendre en compte, dans la démarche procédurale, la représentation des personnes « anormales ». Deuxièmement, Nozick accuse le deuxième principe rawlsien de violer les droits fondamentaux de la personne humaine. Car, pour lui, le principe de différence, s'il oblige les plus favorisés à transférer leurs biens aux moins défavorisés, porte atteinte à la liberté des individus. Il récuse l'intervention de la coopération sociale dans la distribution des biens. Cela relève, selon lui, d'une ingérence de l'État dans la vie des citoyens. L'auteur d'Anarchie, État et utopie, étant un partisan de l'État minimal, il n'est pas difficile de comprendre son rejet d'un État qui se mêle de la vie des citoyens, et de surcroit de la coopération sociale. Troisièmement, Nozick pense que le principe de différence rawlsien permet de retourner à Rawls lui-même l'accusation qu'il fait à l'utilitarisme. En adoptant à la fois la stratégie d'argumentation en faveur des principes de justice distributive et en présentant sa théorie comme donnant priorité au respect de la personne et à la liberté individuelle, Rawls affaiblit l'importance des choix autonomes des personnes et leur responsabilité à l'égard de leurs actes. Il renverse donc le principe kantien qui considère la personne humaine comme une fin, en la considérant comme un moyen, puisque sa liberté va être sacrifiée pour le bien de la collectivité. De ce point de vue, Nozick estime que les deux principes rawlsiens de la justice sont irréconciliables.

Deuxième partie :

Changement de contenu et reformulation des principes de la justice

Introduction

Se proposant comme une alternative à l'utilitarisme dominant de son époque, la théorie rawlsienne de la justice apporte un nouveau souffle dans l'histoire des idées politiques. Elle propose des principes de justice qui sont issus d'un contrat social que Rawls appelle « position originelle ». Dans la première partie de cette étude, l'essentiel de l'analyse a été de démontrer les limites de cette théorie à travers, à la fois, les critiques de Rawls à son propre égard, et les critiques externes, notamment celles de son contemporain Robert Nozick. Ces critiques ont ouvert la voie au changement de formulation et aux rectifications des principes de la justice, fondement de la théorie de la justice comme équité. Elles ont en outre permis, à l'auteur de Théorie de la justice de revoir son argumentation et de la remanier. Pourtant John Rawls ne modifie pas entièrement ses idées, car il reste fidèle à ses premières intuitions : il révise, précise et change, là où il le juge nécessaire, ce qui de l'essentiel de sa théorie le méritait. Les déterminations de John Rawls quant aux choix des principes de la justice montrent à juste titre que, pour cet ami de la justice sociale, la coopération sociale est la condition essentielle pour organiser la structure de base de la société. Pour arriver à cerner ce tournant de la pensée de Rawls, il est important de faire appel à certaines notions qu'il juge incontournables, comme la structure de base de la société, la position originelle et le voile d'ignorance, dans la mesure où, sans celles-ci, il est impossible de parler des principes de la justice. Car dans la logique qui est la sienne, il n'est pas possible de parler des principes de la justice sans faire allusion au cadre de leur choix, et même à leur lieu d'application. Cette assertion annonce ce qui, dans cette deuxième partie, sera l'essentiel de notre analyse. Pour cela, dans un premier temps, il sera question de la structure de base considérée comme l'objet de la justice. Parler de la structure de base, c'est aussi, avant de parler directement des principes, définir le cadre des principes, donc la position originelle et le voile d'ignorance. Ensuite, il sera question du premier principe de la justice ou principe d'égale liberté. Les troisième et quatrième moments seront consacrés à l'analyse du deuxième principe de la justice dans sa double dimension, à savoir le principe d'égalité équitable des chances et le principe de différence.

Comme on l'a souligné au début de ce travail, il ne s'agira ni d'une critique de la pensée de Rawls, ni d'une comparaison entre le premier et le dernier ouvrage de Rawls, mais d'une analyse de l'évolution de sa pensée contenue dans La justice comme équité de 2001. Ainsi l'essentiel de cette analyse concernant les rectifications et remaniements des principes de la justice s'appuie sur les sections 15 à 22 du dit ouvrage, mais aussi la section 32 où Rawls fait une relecture de sa conception de la liberté de base. La tonalité de ce changement de formulation des principes de la justice est donnée par Rawls lui-même lorsqu'il affirme au début de la deuxième partie de La justice comme équité : « Nous examinons le contenu des deux principes de justice qui s'appliquent à la structure de base, de même que certaines raisons qui les soutiennent, et les réponses à un certain nombre d'objections »95(*). Ce qui prouve à juste titre que, dans sa lecture critique de ses propres thèses et de certaines critiques externes, Rawls juge nécessaire d'apporter une approche de solution. Il tend à faire comprendre que sa théorie, qui est une théorie politique, doit trouver son point d'ancrage dans une société organisée, en s'appuyant non pas sur des doctrines englobantes (morale, religion...), mais plutôt en s'appuyant sur la dimension sociale de la structure de base. Partant de ce fait, Rawls estime donc qu' :

Une certaine organisation de la structure de base, certaines formes institutionnelles sont mieux faites pour réaliser les valeurs de la liberté et de l'égalité quand les citoyens sont considérés comme des personnes libres et égales, c'est-à-dire douées d'une personnalité morale qui leur permet de participer à une société envisagée comme un système de coopération équitable en vue de l'avantage mutuel96(*).

C'est bien le souci d'une société juste et équitable, qui prenne en compte les libertés des personnes dans une dimension sociale et politique, qui définit le projet rawlsien de la justice. Bien que ce projet ait été l'objet de plusieurs critiques, comme on peut le constater, Rawls a choisi de rester fidèle à ses premières intuitions. En tant que composante politique, le rôle des principes de justice « est de spécifier les termes équitables de la coopération sociale »97(*), ce qui veut simplement dire que dans une société démocratique, les principes de la justice définissent les devoirs et les droits des individus au sein de la structure de base. Ils règlent en outre l'organisation économique et distribuent les charges aux citoyens. L'objectif que se fixe Rawls ici est purement politique. Aussi estime t-il nécessaire de le préciser : « Il y a une chose que je n'ai pas réussi à dire ou, en tout cas, à mettre assez en évidence dans Théorie de la justice, c'est que la théorie de la justice est conçue comme une conception politique de la justice [...]. La théorie de la justice comme équité est conçue comme une conception politique de la justice, valable pour une démocratie »98(*). Ceci est important, parce que c'est toujours dans un contexte politique qu'il faut chercher à comprendre John Rawls.

Chapitre I : La structure de base comme objet de la justice.

Rien ne nous paraît plus utile que de préciser l'idée fondamentale de la structure de base de la société conçue par John Rawls dans l'élaboration de sa théorie de la justice comme équité. Ceci nous permettra de mieux comprendre le fil conducteur de toute sa réflexion. Dans la première partie de La justice comme équité, John Rawls analyse six idées principales qu'il appelle « idées fondamentales »99(*). Parmi ces six idées, il y a l'idée de la structure de base qui est aussi importante que les cinq autres. Dans cette deuxième partie, nous nous limiterons à l'analyse de la structure de base dans son lien avec les principes de la justice. Mais, comme dans tout travail scientifique, il nous est impossible de parler d'un concept, sans en connaître les contours, voilà pourquoi notre première tâche sera de donner une définition de ce que l'auteur de Théorie de la justice entend par « structure de base ». Il la définit déjà dans Théorie de la justice, comme étant : «  la façon dont les institutions sociales les plus importantes répartissent les droits et les devoirs fondamentaux et déterminent la répartition des avantages tirés de la coopération sociale »100(*).

Dès lors, Rawls précise qu'on ne peut séparer la structure de base de l'idée de société bien ordonnée, cette dernière étant entendue comme une société se basant sur l'idée publique de la justice et organisée sur des bases équitables. Rawls considère, en outre, que l'idée de société bien ordonnée doit se comprendre à travers l'idée de conception publique de la justice qui est le résultat d'une entente commune et publique. Il affirme donc que « l'idée d'une société bien ordonnée aide à formuler ce critère et à préciser l'idée centrale organisatrice de la coopération sociale »101(*). En introduisant l'idée de structure de base, Rawls a voulu « formuler et présenter la justice comme équité avec un degré approprié d'unité »102(*), ce qui signifie que le rôle de la structure de base de la société sert à compléter les autres idées pour former un ensemble assez compréhensible et compréhensif pour les principes de la justice. Dans le contexte rawlsien, les institutions fondamentales seront considérées comme système unique en vertu du fait qu'elles définissent les droits et les devoirs des individus, et ont une influence sur leur perspective de vie. Il est important de constater que dans La justice comme équité, Rawls élargit l'idée de structure de base et la redéfinit de la manière suivante :

La structure de base de la société est la manière dont les principales institutions politiques et sociales de la société s'agencent en un système unique de coopération sociale, dont elles assignent les droits et devoirs fondamentaux et structurent la répartition des avantages qui résultent de la coopération sociale au cours du temps103(*).

En quelques mots, on pourrait dire que tout ce qui existe dans une société comme organisation fait partie de la structure de base, même la famille. Elle est le lieu de la réalisation des activités des individus, comme de celle des associations. Rawls se sert de cette représentation pour désigner les institutions fondamentales et la manière dont elles répartissent les droits et devoirs fondamentaux et déterminent les avantages des individus. Il tient à préciser que « système empreint d'unité » voudrait signifier que «  ce qui est particulier à la structure de base, c'est qu'elle procure le cadre d'un système autosuffisant de coopération au sein duquel une variété d'associations et de groupes aide à la réalisation des fins essentielles de la vie humaine »104(*). En résumé, les principes de la justice doivent être respectés par l'ensemble des institutions de la structure de base, mais pas séparément.

La considération de la structure de base comme objet de la justice comme équité est l'un des traits caractéristiques de la théorie rawlsienne de la justice. C'est pourquoi il juge nécessaire de souligner l'importance des idées de droits, de devoirs et du temps (la coexistence d'individus sur un même territoire au même moment), dans la compréhension de la structure de base ; idées qu'il introduit pour présenter la justice comme équité comme un système empreint d'unité. Aussi pour comprendre le lien de la structure de base avec la justice comme équité, John Rawls donne deux types de raisons correspondant aux deux mouvements qui conduiront ce chapitre : « le premier insiste sur la manière dont les institutions sociales fonctionnent et sur la nature des principes requis pour gouverner ces institutions au cours du temps de manière à préserver la justice du contexte social »105(*) et la seconde raison est que « la conception découle de son influence profonde et pénétrante sur les personnes qui vivent au sein de ses institutions »106(*).

Il est important de comprendre que la théorie rawlsienne de la justice est une théorie idéale, c'est pourquoi il part, pour expliquer la considération de la structure de base comme objet, d'une hypothèse selon laquelle les humains seraient en face d'une société juste, où tout ce que les gens possèdent a été obtenue de manière juste. Pour Rawls, ce genre de société ne pourrait pas connaître de corruption ni de dégradation. Qui plus est, lorsque les droits et devoirs des personnes de même que leur droit de propriété sont respectés, il y a la justice et cette justice, tant qu'il y a le respect à la base, résistera au temps. C'est ce que John Rawls appelle « processus historique idéal »107(*), et que nous retrouvons dans le premier principe de justice de Robert Nozick : le principe de la possession initiale108(*).

Pour Rawls, les individus qui vivent dans la structure de base y naissent et y meurent, ce qui revient à dire que c'est dès le début de leur vie que les individus vivent dans cette structure dont les effets influent nécessairement sur leur vie. C'est pourquoi, en tant qu'elle est le lieu de la réalisation spatio-temporelle des individus, la structure de base constitue la première réalité à laquelle sont destinés les principes de la justice. C'est donc en cela qu'elle est l'objet premier de la justice sociale. Cette analyse de la structure de base est commandée par le souci de comprendre son lien avec les principes de la justice. Elle prépare à mieux y entrer. Ainsi, « structure de base », « position originelle » et « voile d'ignorance » sont des termes indispensables, si l'on veut entrer dans la théorie de la justice comme équité.

Section.1. La structure de base de la société comme objet de la justice : Première justification.

Dans cette première justification de la structure de base comme objet de la justice, Rawls commence par montrer le caractère fragile du processus historique idéal qu'il assimile au principe d'appropriation initiale développée par Nozick109(*). Selon Rawls, si au cours du temps une catégorie de personnes concentre les richesses autour d'elle, le principe de répartition initiale n'a pas de sens ni de raison d'être, parce que les concentrations de richesses autour des mêmes personnes favorisent l'ébranlement de l'égalité équitable des chances et de la valeur équitable des libertés politiques. C'est pourquoi les principes de la justice comme équité demeurent importants dans la mesure où ils constituent le tremplin pour l'équilibre social et pour la garantie de l'égalité équitable des chances, de même que pour le respect de l'égale liberté. En somme, la structure de base de la société, en tant qu'elle est la matrice des institutions fondamentales, doit être régie, dans le temps, afin que toute forme de répartition au cours du temps demeure équitable. Chaque activité existant dans la société, quel que soit le lieu ou le temps, est soumise aux contingences et aux intempéries, pouvant entraîner un changement radical. C'est pourquoi,

Il est nécessaire, parmi de nombreuses autres dispositions, de réglementer, au moyen de lois qui régissent l'héritage et le legs, la manière dont les gens acquièrent la propriété, de façon à rendre sa distribution plus égale et d'assumer l'égalité équitable des chances en matière d'éducation110(*).

Ce qu'il faut comprendre ici, c'est que, pour notre auteur, la prise en compte des principes de la justice du point de vue social est une chance pour les partenaires, parce qu'elle rend possible leur réalisation au sein de la structure de base. Rawls souligne en outre que le droit, à lui seul, ne suffit pas pour garantir la justice sociale, d'où l'importance des principes de la justice sociale qui auraient pour tâche d'examiner les qualités distributives de la structure de base, précisément en ce qui concerne la répartition des biens essentiels. Sa tâche serait de faire en sorte que chaque personne, peu importe sa classe ou son origine, ne manque de rien, car il n'est pas juste que les inégalités soient dues au fait que ces personnes sont issues des milieux défavorables.

Par conséquent, John Rawls estime que la structure de base, en tant qu'elle concerne les institutions fondamentales de la société, englobe les transactions et toutes les autres formes d'accord au niveau social et économique. Cet aspect cité en dernier fait dire à Rawls, que « nous sommes en présence d'un processus social idéal »111(*). Ce qui correspond à l'idéal de la justice comme équité.

Pour expliquer ce qu'il entend par « processus social idéal », Rawls l'oppose au « processus historique idéal » de Locke, repris par Robert Nozick dans l'énonciation de ses principes de justice. Rawls reconnaît que, comme le processus historique idéal, le processus social idéal fait recours au concept de justice procédurale pure. Mais les définitions et les résultats sont différents. Tandis que « la conception d'un processus historique idéal se concentre sur les transactions des individus et des associations, encadrés par les principes et les clauses qui s'appliquent directement à ces transactions particulières »112(*), la conception d'un processus social idéal, quant à elle, « se concentre d'abord sur la structure de base et sur les réglementations nécessaires pour préserver la justice du contexte social au cours du temps, de manière égale pour toutes les personnes, quelles que soient leur génération ou leur position sociale »113(*).

Cette nuance que fait John Rawls permet de constater de quelle manière le processus social idéal se démarque du processus historique idéal, en élargissant les choix de la procédure à toute la structure de base de la société. En fin de compte, la structure de base de la société est l'élément fondamental qui oppose les deux formes de processus. Rawls l'introduit dans sa vision de la justice comme équité, pour souligner la dimension sociale de celle-ci, au sens où elle s'applique à des institutions, des programmes ou des décisions politiques. Elle touche donc des questions de distribution. Il faut en outre souligner que cette dimension sociale, importante pour la théorie de la justice comme équité, insiste sur la nécessité d'établir, par le fait même, la nécessité d'établir deux genres de principes, qui prennent en compte le travail humain. C'est pourquoi, il parle de la division du travail conformément aux deux principes. Cette division devrait dans un contexte être valable pour les principes régissant la charge temporelle de la structure de base de la société et qui ont le devoir de justice sociale, aussi longtemps qu'ils sont considérés comme principes directeurs. L'autre contexte où s'appliqueraient les principes serait celui qui concernerait les échanges et les opérations entre les individus et les associations.

Rawls est très précis dans ses écrits car il montre que du fait même de sa dimension sociale, la structure de base de la société conduit à l'idée d'une conception publique de la justice. La justice chez Rawls suppose une idée publique, qui n'est autre qu'une conscience sociale ayant pour corollaires la réciprocité, la capacité de se mettre à la place des autres, une conscience des conséquences des décisions de tous les partenaires, des préférences de tout le monde et une conscience pour la société en tant qu'elle est pensée comme cadre des institutions fondamentales. Analysant les écrits de Rawls, Catherine Audard explique cette idée d'esprit public : 

La justice oblige à quitter le point de vue de la « première personne », à s'unir et à développer l'esprit public, alors que la poursuite du bien-être sépare. La justice publique concerne l'effet que les individus ont les uns sur les autres, pas seulement leurs actions sur les choses dont ils ont besoin, et cherche à les réguler, à empêcher le pire et à améliorer la vie de chacun114(*).

Il est donc impérieux, selon Rawls, pour une justice équitable, de procéder à la division institutionnelle du travail, par exemple, au sein de la structure de base, pour mettre en pratique l'idée de justice publique qui va bien au-delà de tout individualisme ou collectivisme. Cette justice publique met en avant non seulement l'organisation des rapports sociaux et de la citoyenneté, mais aussi l'exercice des droits fondamentaux. Par conséquent, la division du travail doit se faire dans la ligne des principes de la justice « requis pour préserver la justice du contexte social »115(*). Il est impossible que cela se fasse en dehors de la structure de la société et sans recours aux principes de la justice ; c'est pour cette raison que Rawls parle de division institutionnelle, comme pour montrer la force et l'importance de l'institution dans toute décision. Il importe aussi de noter que, dans le cadre de la justice comme équité, l'institution c'est la somme des individus. Tout bien pesé, cette division est nécessaire parce qu'elle assure aux humains que, la justice dans le contexte social, existe et que ce n'est pas une utopie. Dans ces conditions, Rawls pense que ce n'est qu'après avoir compris que la justice est une justice du contexte social « qu'on laisse les humains libres de chercher à réaliser leurs fins (acceptables) au sein du cadre de la structure de base »116(*).

Nous voyons clairement que l'idée de justice distributive revient dans la question de la division du travail, parce que diviser le travail renvoie à l'idée qu'on donnerait à certains individus l'occasion de travailler ; c'est pourquoi il est important que les règles de la coopération sociale soient à la portée de tous les membres de la structure de base. C'est cette acceptation du caractère publique des lois qui caractérise la justice comme équité, car ce n'est pas un groupe de personnes qui décide des lois sociales ; mais les représentants de chaque partenaire délégués, recouverts du voile d'ignorance lors des choix des principes de la justice. Partant de ce fait, Rawls affirme que «  le fait de considérer la structure de base comme l'objet premier de la théorie nous permet d'envisager la justice distributive comme un cas de justice procédurale pure du contexte social »117(*).

Rawls place l'idée de justice dans le temps et considère que la société n'est pas historique, c'est-à-dire qu'elle a existé à une période et a cessé de l'être à une autre période. Il la considère comme un idéal certes, mais comme quelque chose d'inhérent à l'existence humaine. C'est un idéal présent, pourrait-on dire. Le plus important, c'est que la dimension sociale de la structure de base doit toujours être considérée de sorte que les principes de la justice énoncée par Rawls soient valables pour la structure de base. Aussi importe-t-il de comprendre ici pourquoi Rawls fait de la justice la première vertu des institutions sociales :

La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée [...]. Si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des lois, elles doivent être reformées ou abolies si elles sont injustes118(*).

En somme l'essentiel de la première justification de la structure de base comme objet de la justice concerne tout d'abord le dépassement que fait Rawls, par rapport à la théorie de l'appropriation originelle de Nozick. John Rawls en effet, récuse dans ce principe, son caractère purement individualiste et suggère une dimension plus ouverte, fondée sur la coopération sociale. C'est en effet au sein de la structure de base que doit être prise en compte l'idée de justice distributive. Nous allons examiner maintenant la deuxième justification de la structure de base comme objet de la justice.

Section 2- La structure de base de la société comme objet de la justice : Deuxième justification

Si le premier type de raison s'est attaché à montrer le caractère purement social de la théorie de la justice en insistant sur la justice distributive, dans cette deuxième partie il reconsidère cette idée, mais en insistant davantage sur l'égalité équitable des chances. Pour y parvenir, il commence par pointer le genre d'inégalités qu'une société juste se doit d'éviter. Il le souligne, lorsqu'il introduit le second type de raison : « nous cherchons à savoir quelles sont les inégalités qu'une société bien ordonnée autoriserait ou celles qu'elle chercherait particulièrement à éviter »119(*). La justice comme équité, telle que conçue par John Rawls accorde une place prépondérante aux inégalités, parce qu'elles existent dans la société ; il faut en tenir compte, le plus important étant de savoir comment. En ce qui concerne les lieux de l'implication des inégalités, Rawls pense que ces dernières sont importantes, lorsque les perspectives de vie des personnes sont affectées par des contingences. Il énumère donc trois lieux où l'on constate facilement l'existence des injustices : la classe d'origine, les dons innés ainsi que la bonne ou la mauvaise fortune.

Ce qui intéresse le plus Rawls, c'est de ne pas exclure qu'il peut arriver que même la structure de base ne tienne pas compte de ces trois contingences. C'est pourquoi il affirme que « le simple fait de souligner l'existence de ces trois sortes de contingences ne suffit pas bien entendu, à montrer de manière concluante que la structure de base de la société est l'objet approprié de la justice politique »120(*). Ce qui veut dire que pointer du doigt les contingences est bien trop insuffisant pour pouvoir prétendre à la connaissance de toutes les inégalités existant dans la société. Ainsi, il faut aller plus loin en reconnaissant ces inégalités qui existent entre les perspectives de vie des personnes. Reconnaître ces inégalités impliquerait la recherche d'une solution vivable pour tout le monde.

Pour l'auteur de Théorie de la justice, il n'est pas logique de regarder sans réagir, les inégalités. Il faut, dit-il, « instituer les réglementations nécessaires pour préserver la justice du contexte social »121(*). Tant qu'il y a des inégalités sociales, il n'est pas possible de parler de justice équitable, et l'expression utilisée par Rawls-lui-même souligne que négliger de considérer les inégalités, c'est créer le chaos, se décrédibiliser: « [...] Si nous ignorions les inégalités [...], nous ne prendrions pas au sérieux l'idée de société conçue comme un système équitable de coopération entre citoyens libres et égaux »122(*). Cette prise de position nous renvoie au contenu des principes de justice que nous verrons plus loin123(*). Du reste, ces principes s'attacheront davantage à examiner les aspects distributifs de la structure de base. Personne, en effet, ne peut être privé d'un bien quelconque, du seul fait de sa place défavorable dans la structure de base, car Rawls considère que la justice est la première vertu des institutions sociales. Ce qui montre, qu'il ne considère pas, bien sûr, l'existence d'autres vertus dans la structure de base, bien que la justice en soit la première. Par conséquent, c'est « seulement la répartition adéquate des droits, devoirs, avantages et charges qui est déterminée par les principes de la justice »124(*). À la suite de cette idée de défense des inégalités, Rawls souligne l'importance du rôle d'une conception politique. Il estime en effet que le rôle de celle-ci n'étant pas limité à des questions de répartition, son élargissement ne doit pas être relégué au second plan. C'est ainsi que l'éducation à la reconnaissance mutuelle du fait de la liberté des individus, de l'égalité entre eux doit être considérée comme une tâche prioritaire de la justice politique. Dans sa fonction d'éducateur, la conception politique de la justice « fait partie de la culture politique publique »125(*). John Rawls reprend cette notion de la justice publique pour signifier le lien étroit qui existe entre les principes de la justice et la structure de base de la société. Ce n'est qu'en prenant en compte la dimension publique de la structure de base que les citoyens peuvent se prétendre libres et égaux.

Reconsidérant la question des trois contingences, Rawls montre leur conséquence sur les objectifs des personnes. Selon lui, les humains évaluent leurs perspectives de vie par rapport à la place qu'ils occupent dans la structure de base. De même chaque objectif que l'on peut se fixer doit absolument tenir compte de ce qui existe déjà, et même de la position qu'on occupe. On ne peut espérer au-delà de ce qui est déjà à notre portée ou bien au-delà de ce que nous sommes. Ce qui lui fait dire que « le fait d'être rempli d'espoir et optimiste pour le futur plutôt que résigné et indifférent dépend donc à la fois des inégalités associées à notre position sociale et des principes publics de justice que la société, en plus de professer, met en oeuvre plus ou moins efficacement pour régir les institutions de la justice du contexte social »126(*).

Cette affirmation de Rawls ouvre la justice à ce qu'il convient d'appeler ici « l'avenir », parce qu'elle ne se limite pas au contexte actuel, mais elle est aussi tournée vers l'avenir, c'est-à-dire « un arrangement qui produit d'autres désirs et aspirations dans le futur »127(*). Pour Rawls, ce futur se caractérise dans le présent où ce qui se réalise aujourd'hui est une continuité au sens où il a des effets sur toute l'existence de l'individu et s'étend à toutes les générations. Rawls souligne ici l'importance du caractère social de la structure de base qui transcende le temps. Prenant l'exemple des dons innés, l'auteur de Théorie de la justice affirme que, en dépit de leur caractère inné, ils ne sont pas figés. Ils sont dynamiques. Il estime, en outre que ces dons n'existent pas que « potentiellement et ne peuvent pas arriver à une maturation indépendamment des conditions sociales »128(*). Ce qui voudrait dire que ce sont les conditions sociales qui donnent un sens aux dons innés et à leur réalisation, ils prennent la forme des conditions sociales elles-mêmes. De la sorte, tout ce qui peut être réalisé par des personnes, porte une empreinte personnelle, certes, mais qui ne peut en fin de compte se réaliser que dans un contexte social.

Comme nous l'annoncions dans notre introduction de cette deuxième partie, la structure de base de la société est le cadre de l'application des deux principes de la justice. Son importance peut s'expliquer par le fait qu'elle est un préalable à l'analyse des principes de la justice qui va constituer les chapitres suivants de ce mémoire. Considérée comme un complexe d'institutions unique au sein duquel les deux principes de justice doivent s'appliquer, la structure de base constitue, sans conteste, l'un des sujets majeurs de la position originelle. C'est dans la position originelle et derrière le voile d'ignorance que sont choisis les principes qui s'appliqueront non pas de manière personnelle à des individus ou à des associations en particulier, mais à la structure de base de la société prise comme un tout. Ce qui signifie, en fin de compte, que les principes de la justice ne s'appliquent pas de façon séparée à chaque institution de la structure de base. Ils s'appliquent à toutes les institutions de manière commune: « ce qui est particulier à la structure de base de la société, c'est qu'elle procure le cadre d'un système autosuffisant de coopération au sein duquel une variété d'associations et de groupes aide à la réalisation des fins essentielles de la vie humaine »129(*). Ce qui signifie que la structure de base est organisée en un seul système des institutions majeures.

Relativement à la thématique de la position originelle, Rawls souligne l'importance qu'il lui accorde en tant qu'expérience de pensée. De fait les individus vivent dans une société régie par les principes qu'ils ont eux-mêmes choisis. Le dépouillement (sens de la neutralité) moral qui caractérise les partenaires fait de ces principes, des principes pouvant s'appliquer à toutes les personnes au sein de la structure de base. C'est une société où les « membres y entrent seulement à la naissance et la quittent à leur mort »130(*). Bien que cela relève de l'abstraction, Rawls pense que c'est une abstraction qui éloigne les partenaires de toutes les autres idées non essentielles, pour se focaliser sur le choix des principes. Il est donc clair que chez l'auteur de Théorie de la justice, les principes de la justice sociale sont ceux choisis non pas pour une période donnée, mais pour toute la vie, quelles que soient les générations, parce que la société à laquelle ils s'appliquent est « un système continu de coopération équitable à travers le temps, sans commencement défini ni terme qui soient pertinents du point de vue de la justice politique »131(*). Cependant, pourquoi John Rawls introduit-il l'idée d'une position originelle dans la théorie de la justice comme équité ?

L'argument dont découlent les deux types de raison pour considérer la structure de base comme objet de la justice obéit au souci de Rawls de penser les principes de justice à l'intérieur d'un système institutionnel. Par ailleurs, cette idée de la structure de base se comprend mieux avec l'idée de position originelle qui constitue le cadre du choix des principes de justice. C'est ce qui fera l'objet de la prochaine section.

Section 3-L'idée de position originelle et son implication dans la compréhension de l'idée de structure de base

Dans La justice comme équité, la position originelle est définie comme un moment où l'individu, renonçant à lui-même et à ses atouts et même à ses limites, se pose, ensemble avec les autres individus, pour décider de l'avenir de la vie sociale et politique au sein de la structure de base. Le rôle des individus est ici de trouver et d'établir des choix objectifs qui prennent en compte les besoins de tous. Pour introduire cette idée de position originelle, Rawls met en exergue les acquis de la tradition « contractualiste » de réflexion sur la justice au service de la délibération sur les principes démocratiques dans les sociétés de son temps. Plaçant le consentement au centre de cette idée, il s'interroge pour cela sur la situation initiale qui serait la meilleure et qui pourrait avoir l'assentiment de tous et requérir l'obéissance aux principes qui seront adoptés. Il forge ainsi un instrument heuristique équivalent à l'état de nature dans les théories du contrat social, à savoir la position originelle. Celle-ci renouvelle, après plusieurs siècles, la pensée de l'état de nature qui imagine une société sans Etat, mais avec pour objectif de penser une forme d'Etat qui prenne en compte les intérêts de tous. Pourtant, ce qui distingue Rawls de ses prédécesseurs132(*), c'est qu'il insiste sur les dimensions imaginaire et hypothétique de sa théorie, dans la mesure où il ne considère pas la position originelle comme un premier stade de développement. Pour sa part, « La position originelle généralise l'idée familière du contrat social [...]. La position originelle est également plus abstraite : l'accord doit être considéré comme hypothétique et non historique »133(*). Il fait appel à la clause de l'ignorance qui va définir les partenaires, afin qu'ils ne sachent pas quelle sera leur place, ou bien quels seront leurs attributs dans la future société, d'où l'insertion de l'hypothèse du voile d'ignorance qui cache à chacun sa situation et derrière lequel sont choisis les principes de la société. Le voile de l'ignorance « répond donc à la nécessité de débarrasser le contrat de toutes les partialités qui l'empêcheraient de produire l'effet que l'on attend de lui, à savoir fonder l'obligation morale des citoyens de se plier aux règles communes »134(*).

La question qui peut être envisagée ici est la suivante : pourquoi John Rawls introduit-il l'idée de position originelle, alors qu'il aurait été plus naturel ou plus simple pour lui de proposer sa théorie de la justice sans avoir recours à cette fiction comme l'ont fait bien d'autres avant lui ? Pour répondre à cette question, il nous semble important de revenir à la conception de la justice comme équité, car là se situe la raison d'être de l'idée de position originelle. Rawls conçoit la société comme un système de coopération équitable entre des personnes libres et égales. Cependant penser ou concevoir la société comme telle semble insuffisant. Il faut, selon Rawls, pouvoir en délimiter les contours, pouvant mener la société à son organisation et aux choix des principes susceptibles de régir la structure de base. Face à cette demande, Rawls s'interroge sur le type de personne habilitée à déterminer les termes équitables de la société :

Doivent-ils être fixés par une autorité distincte des personnes qui coopèrent, par exemple par la loi divine ? Ces termes sont-ils reconnus par tous comme équitables en référence à un ordre moral de valeurs, au moyen de l'intuition rationnelle, ou en rapport avec ce que certains ont qualifié de « droit naturel »? Sont-ils fixés par un accord auquel parviennent les citoyens libres et égaux engagés dans la coopération, qu'ils passent en référence à ce qu'ils considèrent comme leur avantage ou leur bien réciproque135(*) ?

Après s'être interrogé sur la personne habilitée à déterminer les termes équitables de la coopération sociale, Rawls choisit la dernière proposition de sa triple interrogation. Il pense que ces termes doivent être fixés par tous les citoyens en tant qu'ils sont des personnes rationnelles et qui doivent choisir des principes pour le bien et à l'avantage de tous et avec l'accord de tous. Il faut par ailleurs comprendre par personne rationnelle ici, une personne qui place ses intérêts en premier. Pour ne pas virer à l'égoïsme, Rawls se rattrape en imposant, à cette idée de rationnel, une condition : le désintérêt mutuel. Celui-ci est la clause qui fera que chaque personne, dans la position originelle, voulant favoriser ses propres intérêts en bien, cherchera à les maximiser, d'autant plus qu'elle doit se mettre elle-même à l'abri du besoin. Ce choix rationnel conduira à un choix objectif, puisque recouvert du voile d'ignorance, les partenaires choisissent chacun ce qui sert leur intérêt. Mais il est important de noter que, grâce au sens du bien dont ils sont dotés, les partenaires sont à même de prendre une décision valable pour tous. C'est pourquoi l'idée de rationnel explique le fait que ce choix qui découlera de la position originelle ne sera influencé par aucune doctrine morale, ni aucune vision du bien.

Cette idée posée, Rawls passe à la phase du cadre dans lequel les principes doivent être choisis. Il tient à ce que les principes équitables choisis soient libres de toute influence issue des doctrines englobantes, comme la religion, la morale ou quelque autre doctrine qu'il appelle « pluralisme raisonnable »136(*). Néanmoins, Rawls tient à préciser, dans ses écrits ultérieurs que les citoyens sont des êtres rationnels et raisonnables. Il clarifie par là les rapports entre le rationnel et le raisonnable.

Dans un premier temps, estimant qu'un problème de justice se présente toujours lorsqu'il s'agit de faire une répartition, Rawls intègre l'idée de rationnel car, de son avis, ce sont des personnes libres et rationnelles qui doivent participer au choix des principes. Cette dimension rationnelle intègre la connaissance de la psychologie de l'humanité quant à ses besoins et motivations fondamentaux. Dans la logique du choix rationnel, il n'y a pas intervention d'un critère indépendant, c'est pourquoi les principes choisis ne sont pas considérés comme une imposition extérieure, mais bien plutôt comme un choix émanant de la rationalité des partenaires. Aussi, en tant qu'ils sont rationnels, les partenaires cherchent ce qui est le meilleur pour eux d'abord, et c'est ce qu'ils choisissent : « ils sont rationnels , c'est-à-dire qu'ils cherchent les meilleurs moyens pour atteindre les fins posées par les individus qu'ils représentent, sans porter des jugements sur elles, ce qui exclut les passions irrationnelles, et en particulier l'envie »137(*).

Dans un second temps, Rawls estime que les partenaires ne doivent pas ignorer que, toute personne raisonnable souhaiterait être mise en possession des biens premiers sociaux qui intègrent l'exercice de la liberté. Par conséquent, les personnes raisonnables sont celles qui sont « prêtes à proposer, ou à accepter lorsque la proposition émane des autres ». En un certain sens, les personnes raisonnables ont une attitude d'ouverture non seulement aux propositions d'autrui, mais elles ont aussi le sens de ce qu'elles doivent choisir pour elles et pour la postérité. Ces propositions doivent tenir compte du bien d'autrui et elles doivent être choisies en fonction des autres individus qui doivent être eux aussi capables de les honorer.

Dans ces conditions, le seul moyen pour les principes de la justice d'être purs, c'est d'être fondé sur un accord où toutes les parties représentées sont couvertes d'un voile d'ignorance qui les mette à égalité les uns les autres de manière à choisir librement les principes. Aussi en précisant l'idée de position originelle, Rawls affirme que :

Dans la position originelle, les partenaires ne sont pas autorisés à connaître les positions sociales ou les doctrines englobantes particulières des personnes qu'ils représentent. Ils ne connaissent pas non plus la race, le groupe ethnique, le sexe, ou les dons innés variés [...]. On exprime toutes ces limites sur l'information disponible de manière figurée, en disant que les partenaires sont placés derrière un voile d'ignorance138(*).

Rawls ajoute à l'idée de position originelle, la clause de l'« ignorance », dépouillant ainsi tout partenaire de tout ce qui pourrait l'influencer dans le choix des principes. Devenus semblables aux autres, grâce à ce voile d'ignorance dont ils sont recouverts, les partenaires pourront aboutir à un accord unanime. Le voile d'ignorance est une condition prioritaire, parce qu'il a pour objectif de situer équitablement les personnes qui doivent décider du choix des principes.

Dans La justice comme équité, en réponse à certaines critiques, John Rawls insiste sur le fait que la position originelle est un procédé de représentation. Il affirme à cet effet que « l'importance de la position originelle tient en ce qu'elle est un procédé de représentation ou encore une expérience de pensée menée dans un but de clarification personnelle et publique »139(*). Cette représentation, il la conçoit selon deux aspects. Premièrement, la position originelle représente les conditions du choix des principes susceptibles de régir la structure de base de la société. Deuxièmement, elle représente ce qu'il est possible de choisir ou de ne pas choisir pour le bien de la société. Ainsi, c'est grâce à la position originelle que l'on peut trouver des bases sociales pour la direction d'une société. On pourrait ainsi dire que l'idée de position originelle ouvre la voie à la justice comme équité, comme étant une conception non pas métaphysique, mais politique, parce qu'elle transcende tout ce qui est de la sphère du religieux ou du moral pour aboutir à des termes équitables n'ayant connu aucune influence extérieure. Car, souligne Rawls, « comme le contenu de l'accord porte sur les principes de justice de la structure de base, l'accord dans la position originelle spécifie les termes équitables de la coopération sociale entre les citoyens. D'où l'expression : la justice comme équité »140(*).

Dans l'ensemble, il apparaît clairement que c'est la position originelle qui donne à la justice comme équité son nom, puisque le mot anglais fairness qui signifie « impartialité » en français, a un sens beaucoup plus développé en anglais en ce qu'elle comporte des notions centrales comme honnêteté, impartialité, justice et équité141(*). Autant de nuances que le français « équité » ne comprend pas. Or c'est précisément l'impartialité et l'unanimité qui caractérisent la position originelle, à travers le voile d'ignorance où les personnes sont toutes semblables et ont une idée des besoins que peuvent avoir les autres, du fait même de leur similitude. Dans la première partie de Théorie de la justice (section 3), John Rawls, parlant de l'idée conductrice de la théorie de la justice, au sujet des principes de la justice affirme :

Ces principes doivent servir de règle pour tous les accords ultérieurs ; ils spécifient les formes de la coopération sociale dans lesquelles on peut s'engager et les formes de gouvernement qui peuvent être établies. C'est cette façon de considérer les principes que j'appellerai la théorie de la justice comme équité142(*).

Cette idée, à laquelle l'auteur restera fidèle jusque dans sa reformulation, voudrait simplement souligner que l'affaire de la justice sociale est l'affaire de tous, des favorisés comme des défavorisés, non pas dans un sens où l'égalité doit être formelle, mais dans un sens où il est possible dans la distribution, et selon les principes de la justice, de tenir compte des inégalités, pour le bien des défavorisés. L'idée de position originelle que nous venons d'étudier concerne directement le processus du choix des principes rawlsiens de la justice. En suivant l'ordre annoncé dès le début, nous passons directement à l'analyse des principes de la justice.

Chapitre 2 : Les principes rawlsiens de la Justice.

Section 1. Le principe d'égale liberté : présentation et signification.

Le premier principe de justice est considéré comme un principe d'égale liberté. Il nous faut, avant de considérer la valeur de la liberté, donner une idée de ce que Rawls entend par égalité lorsqu'il l'inclut dans le premier principe de justice, alors qu'elle semble liée à des questions d'ordre économique. Répondant à la question de savoir en quoi les citoyens peuvent êtres considérés comme égaux, Rawls affirme :

On peut les concevoir comme égaux dans la mesure où ils sont tous considérés comme possédant, au degré minimum essentiel, les facultés morales nécessaires pour s'engager dans la coopération sociale pendant toute leur vie, et pour prendre part à la société en tant que citoyens égaux. Nous tenons la possession de ce degré de facultés pour la base de l'égalité entre les citoyens conçus comme des personnes143(*).

Pour cerner l'idée sous jacente de cette affirmation de Rawls, il est important de ne pas oublier que la théorie de la justice comme équité est une théorie conçue pour une société démocratique. Ce qu'il précise à partir de 1987. Son souhait est en outre de fonder une base morale pour ce type de société car, il estime que la base de l'égalité constitue un minimum de capacité morale pouvant permettre aux citoyens de participer à la vie de la société. C'est pourquoi, dans la situation de départ, tous les partenaires devant participer au choix des principes ont pour base l'égalité des droits. Cette idée d'égalité, au sein du premier principe se comprend davantage en lien avec la liberté.

La liberté est un concept complexe à définir. Mais son caractère incontournable en philosophie politique mérite que l'on y jette un coup d'oeil rapide. Il est certes difficile de déterminer à quel moment un être est libre ou à quel moment il ne l'est plus. Pourtant, la liberté est, en général, considérée comme l'état d'une personne qui n'est pas soumise à une quelconque servitude. Elle donne à chaque être humain la possibilité d'agir selon ses propres choix. Rawls ne déroge pas à cette vision de la liberté qui, tout en étant inhérente à la nature humaine, est une faculté qui commande à l'homme de ne pas faire ce qui va à l'encontre de la loi. La liberté doit toujours tenir compte d'autrui. Aussi Rawls, donne-t-il quelques lignes de la condition de l'exercice de cette liberté :

J'étudierai la liberté en rapport avec les restrictions constitutionnelles et légales [...] Dans ce contexte, des personnes ont la liberté de faire quelque chose si elles sont libres vis-à-vis de certaines contraintes soit de le faire, soit de ne pas le faire et quand leur action (ou leur abstention) est protégée de l'ingérence d'autres personnes144(*).

Dans la position originelle, les individus, recouverts du voile d'ignorance, n'ont aucune idée des positions sociales les uns des autres, puisqu'ils ignorent jusqu'à leur propre situation. La seule chose, c'est la liste des biens premiers qu'ils possèdent et que Rawls définit comme « des conditions sociales et des instruments polyvalents variés qui sont généralement nécessaires pour permettre aux citoyens de développer et d'exercer pleinement leurs deux facultés morales145(*) de façon adéquate, et de chercher à réaliser leur conception déterminée du bien »146(*). Ce qui veut dire que chaque personne a besoin des biens premiers en ce sens qu'ils sont nécessaires dans la structure de base de la société. Ces biens sont à penser dans le contexte d'une conception politique de la justice qui considère les personnes comme des « citoyens et des membres pleinement coopérants de la société, et non pas simplement vus indépendamment de toute conception normative »147(*).

Théorie de la justice donne trois formulations de ce principe148(*). Mais ce qui intéresse ce chapitre, c'est précisément la reformulation présente dans La justice comme équité qui stipule que « chaque personne a une même prétention indéfectible à un système pleinement adéquat de libertés de base égales, qui soit compatible avec le même système de libertés pour tous »149(*). Le contenu est certes le même, mais la présence de nouveaux concepts et expressions montre que l'auteur voudrait préciser et montrer la nature incontournable de ce principe. Il est important de constater que dans cette reformulation Rawls introduit tout d'abord « prétention » et « indéfectible » qui disent l'importance qu'il accorde à ce principe de liberté, de même que son caractère irrévocable. Chaque humain a le droit de revendiquer la liberté qui est un privilège pour chacun et qui ne se flétrit pas. La version anglaise du premier principe affirme : « Each person has the same indefeasible claim to a fully adequate scheme of equal basic liberties wich scheme is compatible with the same scheme of liberties»150(*). Le terme anglais « indefeasible » exprime l'important rôle de ce principe puisqu'il signifie en français « irrévocable ». Par conséquent on pourrait dire que pour John Rawls, chaque être humain a le plein droit, et ce de manière irrévocable, de revendiquer l'égalité des libertés de bases, au sein de n'importe quel système. Il y a, en outre, la présence de l'expression « système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous », qui marque un tournant considérable, par rapport à Théorie de la justice qui parle de « système le plus étendu  de libertés de base ». La nouvelle expression signifie que la solution proposée par Rawls, à travers l'idée de position originelle, constitue une distribution satisfaisante et montre que les libertés de base peuvent être garanties de manière cohérente. Alors que la première expression (celle de Théorie de la justice) est très limitée et pas assez claire pour prétendre à une combinaison des libertés.

Le premier principe reformulé donne une idée de ce en quoi consiste la liberté. D'abord il faut noter que cette liberté, dans le contexte de Rawls, ne consiste pas à nuire à autrui, mais plutôt à le considérer comme un autre soi-même. Ensuite, cette idée de liberté rejoint ce que dit l'adage : « Ma liberté s'arrête là où commence celle des autres ». Ce qui voudrait dire que, dans l'exercice de sa liberté, l'individu doit savoir que tous les autres membres qui partagent la vie sociale avec lui doivent jouir des mêmes droits que lui, c'est pourquoi, en présence des autres, c'est-à-dire dans la société, il doit toujours avoir des limites.

Un autre aspect de cette reformulation, c'est l'insistance de Rawls sur le fait que les libertés forment un système, un ensemble de droits compatibles entre eux. Ceci voulant dire que les libertés et les droits forment un système uni et qu'aucun droit ni aucune liberté ne peut prétendre être au-dessus des autres libertés ou droits, et aussi que chaque humain doit disposer de la même liberté que les autres. C'est pourquoi, introduisant l'idée des libertés de base, il les définit comme des libertés fondamentales que possède tout être humain et qui en aucun cas ne peuvent dépendre d'une réalité autre que la liberté, car elles ne peuvent être limitées qu'au nom de celle-ci. Dans Libéralisme politique, Rawls pose la question fondamentale qui détermine ce qu'il entend par libertés de base : « Quelles sont les libertés qui constituent des conditions sociales essentielles permettant le développement adéquat et le plein exercice des deux facultés de la personnalité morale au cours d'une vie complète ? »151(*). On pourrait dire à la suite de cette interrogation que les libertés de base ce sont des libertés liées à des individus au point qu'elles ne peuvent être violées ni par les autres, ni par l'État. Ce sont donc des libertés qui concernent ce qui est essentiel pour l'épanouissement de la personne humaine. Pour les raisons qui viennent d'être énumérées, Rawls s'emploie, au début de la deuxième partie de La Justice comme équité, à dresser la liste des libertés de base en s'appuyant sur les dimensions historique et analytique.

Une liste des libertés de base peut être établie de deux manières. L'une est historique et consiste à passer en revue des régimes démocratiques variés pour mettre au point une liste de droits et de libertés qui semblent fondamentaux et qui sont efficacement protégés dans ce qui apparaît historiquement comme les meilleurs régimes [...]Une seconde manière de procéder est analytique : nous cherchons quelles libertés fournissent les conditions politiques et sociales qui sont essentielles pour le développement adéquat et le plein exercice des deux capacités morales caractérisant les personnes libres et égales152(*).

Rawls s'appuie sur ces deux aspects d'abord pour montrer qu'aucune conception de la liberté n'a été inventée par lui et qu'il se fonde sur la tradition historique (philosophes et politique, constitutions et déclarations universelles des droits humains) pour préciser sa conception de la liberté. Ensuite il voudrait montrer que toute société dans son organisation devrait prendre en compte la notion de liberté en tant qu'elle constitue un ensemble de libertés susceptibles de participer à l'organisation de la structure de base de la société. Puis de faire comprendre que les libertés doivent aboutir au « respect de soi », car les deux capacités morales dont il est question ici sont le sens de la justice et la conception du bien153(*). Finalement un individu ayant ces deux capacités ne peut en aucun cas sacrifier le respect de soi pour un intérêt économique ou social quelconque, car il est prédisposé, grâce à ses facultés, à s'engager dans la coopération sociale bénéfique pour lui et pour les autres membres de la structure de base de la société.

Le principe d'égale liberté est celui qui concerne les aspects du système social chargé de définir les libertés fondamentales telles qu'elles doivent se donner libre cours dans la structure de base. Dans la position originelle, les personnes ignorent leur situation personnelle et sociale dans la société. « Nous partons d'une situation de non-information, et nous n'introduisons que des informations nécessaires pour que l'accord soit rationnel, mais suffisamment indépendant des circonstances historiques, naturelles et sociales »154(*). Néanmoins, bien au-delà de leur particularité, les personnes ont une idée de ce qui est utile et nécessaire pour l'accomplissement de leur vie en société. La position de non-information dont il est question est l'équivalent de ce que Rawls appelle « le voile d'ignorance». Le moins qu'on puisse dire est que, d'après lui, les personnes, au moment de choisir des normes qui vont régir la structure de base, commencent par énoncer un premier principe susceptible de garantir leurs libertés civiles.

Rawls explique son choix des libertés de base en soulignant que leur statut spécial de libertés de base leur confère une priorité, et c'est ce qui fait que, parmi les libertés de base, on ne retrouve que les libertés fondamentales. Les autres libertés non contenues dans les libertés de base sont prises en compte, une fois les principes de la justice satisfaits. Rawls estime que, au sujet de ces libertés, Théorie de la Justice reste très limitée. Il critique l'idée d'une étendue de liberté de base qui selon lui n'est utile que dans les cas moins importants. Rawls estime en outre que les intérêts rationnels n'y sont pas clairs non plus :

Un grave défaut de Théorie de la justice est que sa description des libertés de base propose deux critères différents et incompatibles, et qu'aucun n'est satisfaisant. L'un consiste à spécifier ces libertés de manière à réaliser le système le plus étendu des libertés. L'autre nous demande d'adopter le point de vue du citoyen égal représentatif rationnel, puis de spécifier le système de libertés à la lumière des intérêts rationnels de ce citoyen tels qu'ils sont connus au stade pertinent de la séquence des quatre étapes155(*).

Pour corriger ce grave défaut, Rawls propose un critère qui indique que le premier principe de justice doit garantir aux citoyens l'exercice du sens de la justice et du bien, en tant qu'elles sont toutes deux des facultés utiles pour les partenaires devant choisir les principes de justice. À ces libertés de base, il faut ajouter le droit à détenir « une propriété individuelle et d'en avoir un usage exclusif »156(*). Posséder ce droit et l'exercer constitue selon Rawls, « l'une des bases sociales du respect de soi-même »157(*). En réalité, Rawls voudrait montrer que la liberté constitue une réalité incontournable si l'on veut prendre en compte tous les autres biens premiers. Sans liberté, les autres biens n'auraient aucune valeur. Une fois dans la position originelle, la première préoccupation des partenaires serait de choisir un principe qui garantirait les libertés de base, nécessaires pour le bien de la personne dans la structure de base. Ensuite ces partenaires s'intéresseraient à la manière dont on pourrait faire usage de ces libertés pour pouvoir assurer la survie de tous les citoyens. C'est pourquoi la liberté serait l'idéal. Ainsi, le rôle des institutions est de garantir les libertés de base aux citoyens comme il le souligne, lorsqu'il parle de système de liberté les plus étendues (ceci voudrait dire que les libertés doivent être compatibles avec la possession de ce même système par tous).

Cette privation qui définit les partenaires lorsqu'ils doivent choisir les principes permet donc de garantir les libertés fondamentales puisqu'elle ne donne de privilège à personne, sinon à tout le monde. C'est pourquoi, la liberté étant supérieure aux autres valeurs, c'est elle que les partenaires commenceront par choisir en d'abord comme premier principe de la justice.

Parmi les libertés de base, il y a donc « la liberté de pensée et la liberté de conscience, les libertés politiques (par exemple le droit de voter et de participer à la vie politique) et la liberté d'association, de même que les droits qui correspondent à la liberté et l'intégrité (physique et psychologique) de la personne »158(*). En, substance de quoi s'agit-il dans ces libertés ? Chez Rawls, la liberté de conscience a une fonction paradigmatique, au sens où elle « fournit le modèle de raisonnement qui permet de déterminer toutes les autres libertés de base »159(*). Rawls rattache la liberté de conscience à l'idée de rationnel. C'est la capacité à former, à promouvoir et à réviser une conception du bien à l'abri de toute contrainte extérieure de la conscience. Chaque partenaire porte en lui une certaine référence ou bien des références du point de vue moral, religieux et culturel, des convictions qu'il n'accepterait pas de voir absorbée par une autre doctrine que la sienne. C'est pourquoi, conscient que sa référence à l'État peut constituer une menace pour la réalisation de la liberté de conscience, Rawls fait appel à la notion de « publicité » dans la justice. C'est en effet à partir de l'esprit « public » que les principes de la justice sont admis par tous les partenaires. L'État ne peut pas intervenir dans la vie privée des personnes, comme leur religion, leur morale, etc.

Quant aux libertés politiques, elles consistent, pour le citoyen, à agir selon sa propre volonté, tout en respectant le droit et sans être entravé par autrui. C'est une forme de liberté liée à l'autodétermination, au sens où le citoyen porte en lui le souci, non seulement pour lui-même, mais pour l'avenir de son pays. C'est ce qui explique la considération du vote comme liberté politique. En la plaçant parmi les libertés de base, Rawls signifie que ces libertés, quoique politiques, sont importantes parce qu'elles prennent en compte le caractère social et publique de l'individu.

Les libertés politiques peuvent encore être comptées comme fondamentales même si elles ne sont que des moyens institutionnels essentiels pour protéger et préserver d'autres libertés fondamentales. Lorsque l'on refuse à des groupes politiquement faibles et à des minorités, le droit de vote, et qu'on les exclut du service politique et du jeu politique, ils sont susceptibles de voir leurs droits et leurs libertés restreints sinon niés. Cela suffit à inclure les libertés politiques dans n'importe quel système exhaustif des libertés fondamentales160(*).

En dernier lieu, Rawls parle de la liberté de la personne et de son intégrité. Il insiste sur les dimensions physiques et psychologiques de la personne. La liberté de la personne ici est entendue non pas comme une action, mais comme une protection de l'intégrité physique et psychologique de la personne. Dans la mesure où elle tient compte du physique et du psychologique, la liberté de la personne implique sa vulnérabilité et une sensibilité qui peut porter atteinte à son intégrité. Cette liberté implique le respect physique, moral et psychologique de la personne. Considérer la personne toujours comme un être humain, jamais comme une chose ou un quelconque objet de satisfaction. On peut ajouter plusieurs aspects comme l'interdiction de toute forme de violence verbale ou physique. Il est à remarquer que Rawls sort toujours la personne de son contexte moral ou dépendant de quelque doctrine englobante, pour mettre en avant la dimension sociale et politique de sa théorie qui est élaborée indépendamment d'une doctrine morale, religieuse ou philosophique. Cela est dû à l'importance qu'il accorde à l'idée de coopération sociale. De tradition libérale, Rawls place la liberté au coeur de sa pensée. Il donne à ce mot une grande valeur, mais ne sépare pas son exercice des conditions adéquates à son exercice. Sans certaines ressources la liberté est littéralement sans valeur. C'est pourquoi en parlant de la liberté, deux idées principales doivent être prises en compte. Premièrement, parler de personnes libres suppose que celles-ci ont conscience qu'elles possèdent de même que les autres citoyens la capacité d'avoir une conception du bien. Thèse qui ne signifie pas que ces personnes font passer l'idée du bien avant celle du juste, mais plutôt qu' « elles sont considérées, en tant que citoyens, comme capables de réviser et de changer cette conception sur des bases raisonnables et rationnelles, et qu'elles peuvent le faire si elles le désirent »161(*). Autrement dit les personnes libres, dans le cadre de l'organisation de la société, peuvent agir, indépendamment de leur conception du bien, pour éviter que celle-ci n'influence la structure de base et que, au cas où elles changeraient de conception du bien, la société n'en pâtisse pas.162(*)C'est à partir de cette idée que Rawls juge nécessaire l'idée d'un consensus par recoupement163(*).

Deuxièmement, Rawls pense que l'idée de personnes libres tient à ce que les citoyens « s'envisagent eux-mêmes comme des sources auto-validantes de revendications valides »164(*). Ce qui veut dire que les citoyens, en tant qu'ils sont membres de la coopération sociale, ont le droit de faire des revendications à l'endroit des institutions pour la prise en compte de leur conception du bien, sans pourtant porter atteinte à la conception politique de la justice. Le plus important, c'est que les conceptions du bien des individus, de même que leurs doctrines morales soient compatibles avec la conception politique de la justice. De cette manière, il y a auto validation.

Il est à constater que l'auteur de Théorie de la Justice lie intimement le deuxième principe au premier qui est la condition même de sa réalisation. Le second principe ne découle pas de la violation de la liberté humaine. Il est un droit fondamental qui oblige à la structure de base de la société de répartir équitablement les ressources. Ce qu'il faut retenir ici, c'est que « dans l'analyse qui dissocie la garantie des droits auxquels la liberté donne lieu et la valeur de la liberté, ma liberté est bien la même que pour les autres membres de la société (elle m'est garantie comme aux autres) »165(*).

Pour Rawls, l'État a des obligations envers chaque individu. Mais c'est la coopération sociale qui est responsable de l'application des principes de la structure de base, principes résultant du choix et de la participation de tous. C'est la structure de base qui donne à la liberté son sens réel, la démarquant ainsi d'une liberté formelle se trouvant dans des textes. La structure de base est le lieu de l'exercice de la liberté. Aucune liberté n'est au-dessus des libertés fondamentales, elles sont toutes égales. Aucun individu n'a plus de liberté que d'autres. La liberté ne peut être sacrifiée à un avantage en revenus, richesse ou autorité. Il est en outre important de ne pas perdre de vue que les libertés fondamentales font partie des biens premiers. Dans cet ordre d'idées, ce principe voudrait simplement signifier que la liberté de chaque individu est fondamentale dans le choix de son avenir et des valeurs qui lui conviennent, tout en sachant qu'il y a une valeur universelle de l'intégrité des personnes qui existe et dont il faut toujours tenir compte. Ceci implique que, dans l'idée des libertés fondamentales de base, il n'est pas possible d'exclure l'idée de respect de soi qui fait également partie des biens premiers, car le respect de soi

comporte le sens qu'un individu a de sa propre valeur, la conviction profonde qu'il a que sa conception du bien, son projet de vie valent la peine d'être réalisés. Ensuite, le respect de soi-même implique la confiance en sa propre capacité à réaliser ses intentions, dans la limite de ses moyens. Quand nous avons le sentiment que nos projets ont peu de valeur, nous ne pouvons plus les continuer avec plaisir ni être satisfaits de leur exécution. Tourmentés par le sentiment de l'échec et traversés de doutes à l'égard de nous-mêmes, nous abandonnons nos entreprises166(*).

Cette idée de respect de soi (self respect, self esteem) a été introduite ici pour souligner le caractère incontournable de la liberté qui est comme le levier de la mise en pratique du respect de soi, parce qu'elle transcende les classes d'origines et toute autre forme de discrimination. Mais Rawls précise dans La justice comme équité que ce bien n'est pas une attitude, mais fait partie des biens premiers sociaux qui aident les citoyens, membres de la structure de base, à prendre en compte leur dimension de personne, pouvant réaliser ses fins en société et d'y développer ses dons naturels. Mais tout cela n'est réalisable que lorsque, en amont, chaque citoyen possède une liberté suffisante pour être maître de lui-même et de ses projets, car c'est quand ses projets sont reconnus, valorisés et acceptés par autrui, et que la structure de base la rend réalisable, que le respect de soi est possible. De plus il est important de ne pas oublier qu'une liberté solitaire n'est pas valable, c'est pourquoi Rawls parle de libertés de base au sens où elles forment un ensemble de droits et libertés les plus importantes à respecter ou même à répartir.

Pour Rawls, lorsque les partenaires sont en position originelle pour le choix des principes, ils sont amenés à choisir en premier le principe d'égale liberté. C'est pourquoi, en fonction de ce premier choix, la priorité lexicale ici voudrait aussi dire que le deuxième principe de la justice ne peut être pris en compte que lorsque le premier est complètement satisfait. C'est ce que voudrait dire, « cette priorité accordée à la liberté garantit donc qu'elle ne doit jamais être mise en balance avec les autres biens premiers »167(*).

Après avoir analysé le premier principe de justice qui est celui d'égale liberté, John Rawls passe au second principe qui est un principe bidimensionnel, au sens où son premier volet concerne l'égalité équitable des chances, tandis que le second, appelé principe de différence s'intéresse à la question des inégalités.

Section 2. Le deuxième principe de la justice et sa dimension double.

Le deuxième principe reformulé de la justice par Rawls stipule :

Les inégalités économiques et sociales doivent remplir deux conditions : elles doivent d'abord être attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous dans des conditions d'égalité équitable des chances ; ensuite, elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société (principe de différence)168(*).

Ces principes qui regardent particulièrement le problème de la justice distributive ont été revisités et ont connu un changement tant au niveau de la forme que du contenu. Fidèle à ses idées de priorité lexicale, Rawls précise que, dans le second principe de justice-qui contient deux principes en réalité- le premier volet a priorité sur le second volet. En un mot le principe de l'égalité équitable des chances a priorité sur le principe de différence qui ne peut être réalisé sans que le premier ne l'ait été. Contrairement à Théorie de la justice, La Justice comme équité ne présente qu'une formulation (révision) des principes de la justice. C'est pourquoi on lui donne déjà le nom de reformulation, parce qu'elle contient, en substance, toute la reformulation de la théorie rawlsienne de la justice. Pour comprendre l'idée générale de ces principes, ce chapitre s'attachera à étudier tour à tour le principe de l'égalité équitable des chances et le principe de différence.

Section 2.1.- Le principe d'égalité équitable des chances

Dans la première partie, notamment dans le premier chapitre consacré à l'autocritique de Rawls, la question de l'égalité équitable a été soulevée. Il a été essentiellement question de montrer les limites de l'égalité des chances dans sa dimension formelle. Afin d'éviter la répétition, ce chapitre se limitera à donner une idée générale de ce que Rawls entend par égalité équitable des chances, ensuite il s'attachera à expliquer l'idée de mérite interprétée par Rawls, dans la mesure où elle constitue une idée fondamentale dans la compréhension de l'égalité équitable des chances.

Quand Rawls écrit, il se situe toujours dans un contexte donné, c'est pourquoi il est important, même dans l'analyse des concepts, d'avoir recours, quoique de manière lapidaire, à la compréhension générale de cette idée, au moment où Rawls l'écrit. Ceci nous permettra de mieux comprendre pourquoi il le fait et de mieux cerner la nouveauté qu'il apporte, notamment dans La justice comme équité. Cette assertion nous conduit donc à interroger le sens de l'égalité des chances.

L'égalité des chances est une exigence qui veut que le statut social de chaque individu d'une génération actuelle ne dépende en rien du statut des générations précédentes ; en un mot, elle exclut le fait des contingences sociales, économiques, religieuses et même ethniques dans la société. Elle est aussi une notion de politique publique qui s'applique à plusieurs domaines dans la société, en ce qu'elle prône les chances d'accès pour tous, à toutes les positions sociales. Cette notion vaste implique également la lutte contre toute forme de discrimination, à l'échelle de la société. Comme la loterie où l'on ne sait pas d'avance quel billet gagne ou perd, l'égalité des chances favorise les chances pour chacun d'atteindre n'importe quelle situation sociale au cours de sa vie.

En effet, depuis toujours, la notion d'égalité des chances, apparaît aux yeux des populations, des politiques ou bien des penseurs en philosophie, comme l'option la plus juste pour supprimer les inégalités dans la société. Cette considération vient simplement du fait que, en apparence, l'égalité des chances semble garantir « que le sort des individus est déterminé par leurs choix plutôt que par leurs circonstances »169(*). L'idée générale de l'égalité des chances tient au fait qu'on ne peut la séparer du mérite, car l'échec ou la réussite de celui qui vit dans une société prônant l'égalité des chances, dépendra davantage de ses compétences que des contingences le caractérisant, comme la race, le milieu d'origine et le sexe. La réussite y est considérée comme un gain, non pas comme quelque chose qui est donné au départ, si bien que les grandes inégalités sont très remarquables, parce que finalement le mérite est mis en avant.

Pourtant, aussi alléchante qu'elle puisse paraître, cette notion d'égalité des chances nourrit une polémique qui lui vaut beaucoup d'interprétations. Si, pour certains, l'égalité des chances est une question à régler au niveau de l'accès à l'éducation et au travail pour tous, pour d'autres, il est nécessaire de mettre en place des programmes de discrimination positive170(*) (affirmative action), au niveau économique et social, et ce, à la faveur, des groupes culturels les plus désavantagés, afin de leur permettre d'atteindre le niveau d'autres groupes avantagés. Pourtant, même dans ces conditions, l'idée de mérite n'a aucun mérite, car elle continue à poser un problème réel quant à la question des inégalités, dans son lien avec le système le la liberté naturelle. Aussi, la sortant de la conception des systèmes des libertés naturelles, Rawls pense l'égalité des chances en terme d'égalité équitable des chances, dans un contexte de coopération sociale, car les principes de la justice ne peuvent pas êtres conçus en dehors des dispositifs institutionnels. En effet «il n'existe pas de critère d'une attente légitime ou d'un titre en dehors des règles publiques qui spécifient le système de coopération »171(*). C'est donc la dimension publique qui confère aux principes de justice leur validité en tant que principes de la justice comme équité. Par conséquent « toutes revendications naissent au sein du contexte d'un système de coopération équitable »172(*), c'est pourquoi, en dehors de la structure de base, il n'est pas possible de parler de mérite, des attentes légitimes ou des titres.

Critiqué à gauche comme à droite, Rawls juge nécessaire de repréciser qu'il n'est pas contre l'idée de mérite car, en tant qu'il est déterminé par une vision englobante, chaque citoyen porte en lui une idée de mérite moral, qui dépend non pas de la structure de base, mais des doctrines englobantes. Rawls affirme donc : « affirmer que la justice comme équité rejette le concept de mérite moral est inexact »173(*), car elle intègre certains de ses aspects. Ce sera donc dans cette ébullition d'idées que John Rawls tentera de proposer une égalité équitable des chances, mais en récusant, dès le départ, certaines idées, notamment celle du mérite, car même si cette idée d'égalité des chances « séduit », il y a toujours des risques qu'elle demeure formelle. En réalité l'égalité des chances se contente de parler d'égalité, sans pourtant se poser la question qu'il existe dans les sociétés, des sources d'égalités, non méritées. Personne, selon Rawls ne mérite une inégalité, c'est pourquoi, ce serait injuste que de marquer l'existence d'une personne de cette inégalité. En terme d'inégalité, Rawls prend en compte toute forme d'inégalité, que ce soient les inégalités que l'on pourrait qualifier de naturelles, c'est-à-dire les handicaps (physique ou mental) ou encore les inégalités culturelles ou raciales.

Considérée sous un angle capital, l'idée d'égalité équitable des chances est mieux comprise chez Rawls avec l'étude faite de la méritocratie. Aussi afin de mieux apprécier la portée de cette analyse de Rawls que nous venons d'esquisser, il nous faudra nous resituer dans la compréhension de l'idée de mérite.

L'idée de mérite

Le mot mérite a plusieurs sens dont le plus courant est peut-être « ce qui rend quelqu'un digne de quelque chose ». Mais cette idée peut aussi être signifiée par des mots comme avantage, estime, talent, valeur, vertu, honneur. En d'autres termes, l' «'idée d'égalité des chances comme méritocratie repose sur une idée intuitivement attirante, à savoir celle que certains biens tels que le prestige, le pouvoir ou la richesse devraient être le résultat d'une compétition équitable »174(*). Tous ces sens rejoignent bien le principe traditionnel de la méritocratie175(*) qui considère le mérite comme étant ce concept qui permet l'égal accès à tous les postes pour tous les citoyens.

Rawls déplore le fait que « le sens commun a toujours tendance à croire que le revenu ou la richesse et les bonnes choses dans la vie, d'une manière générale, devraient être répartis en fonction du mérite moral »176(*). Il pense que cela relève d'une erreur, car du point de vue de la justice distributive, cela n'est pas de l'ordre des choses possibles. C'est pourquoi sa théorie de la justice comme équité, conçue pour la structure de base de la société, rejette cette idée de mérite moral. Pour l'auteur de la Théorie de la justice, le mérite moral et la justice distributive sont deux situations différentes qu'il ne faut pas mélanger. D'où, il pense que le mérite peut être compris de plusieurs manières, l'une d'entre elles pouvant même favoriser les personnes ayant des aptitudes pour occuper certaines positions en société. C'est pourquoi, dans le contexte de la théorie de la justice comme équité, il juge nécessaire de repenser l'idée de mérite. Ainsi, pour mieux expliquer ce qu'il entend par mérite, il analyse le concept. Le concevant de trois manières, Rawls parle d'abord du mérite moral (moral desert), suivi de l'idée d'attentes légitimes (legitimate expectation), puis du mérite institutionnel (deservingness).

-Le mérite moral est considéré par Rawls, comme étant « la valeur morale du caractère de la personne considérée comme un tout tel qu'il est décrit par une doctrine morale englobante, de même que la valeur morale d'actions particulières »177(*). Contrairement à ce que pensent ses contradicteurs, John Rawls ne rejette pas l'idée de mérite. Il précise dans La justice comme équité que dans le contexte de la justice politique publique, le mérite moral, par exemple, n'a pas sa place, parce qu'il fait partie des doctrines englobantes. Rawls purifie les principes et même le cadre de leurs choix de tout ce qui est doctrines englobantes, et donc indépendantes des institutions publiques. Les citoyens qui doivent définir les critères de l'organisation de la structure de base ont des conceptions du bien opposées ; ils ne peuvent donc pas s'entendre sur un bien, parce que chacun voudra que sa doctrine soit mise en avant. Or, en matière de justice sociale, cela n'est pas possible, parce qu'il faut parvenir à un consensus. D'où Rawls pense qu'il est important de trouver un substitut à l'idée de mérite moral, un substitut qui tienne compte des dimensions politique et raisonnable de la société. Ce substitut est proposé par Rawls lui-même : il s'agit de l'idée d'attentes légitimes qui fonde la deuxième phase de l'idée du mérite.

-Pour ce qui est de la deuxième manière de concevoir le mérite, Rawls pense que ce qui est important pour les humains, c'est de satisfaire leurs attentes légitimes, qui ont pour garantie les institutions sociales. Il insiste sur le fait « qu'il n'existe pas de critère d'une attente légitime, ou d'un titre, en dehors des règles publiques qui spécifient le système de coopération », car les attentes légitimes et les titres doivent toujours être fondés sur ces règles. Ces règles selon Rawls sont compatibles avec les principes de la justice. Cette idée sert de substitut au mérite moral, parce qu'elle transcende les doctrines englobantes et s'incarne dans une conception politique de la justice à laquelle elle est destinée. Ceci est d'autant plus important que John Rawls tient à souligner qu'en tant que conception politique, l'idée d'attentes légitimes ne peut s'appliquer directement aux relations familiales178(*), ou aux relations personnelles entre les individus.

-Enfin, la dernière phase concerne le mérite institutionnel que Rawls explique à partir de la situation exemplaire que représente le jeu179(*). Rawls prend cet exemple pour montrer que, lorsqu'on dit d'une une équipe qu'elle méritait de gagner au lieu de perdre, il est vrai qu'on s'oppose de manière indirecte à la victoire des gagnants, mais le principal est de faire comprendre que les perdants, au regard de leur jeu, de leur façon de se conduire sur le terrain, auraient pu être gagnants. Ce qui pourrait signifier que, eu égard à leurs performances, les deux équipes auraient pu gagner tout comme elles auraient pu perdre. Mais ce jour-là, la chance ou la fortune ont choisi de sourire à l'une plutôt qu'à l'autre. Cette forme de mérite trouve son accomplissement dans les institutions et s'applique aux règles publiques, qui ont un lien direct avec le social. Pour Rawls donc, « il existe de nombreuses manières de spécifier le mérite institutionnel, qui varient en fonction des règles publiques concernées et des fins et objectifs qu'elles ont pour fonction de servir. Aucune de ces manières ne spécifie pourtant une idée du mérite moral au sens propre »180(*). Dans le cadre de cet exemple du jeu, les gagnants sont à féliciter, mais les perdants aussi. On pourrait certes dire que vue les performances de ces derniers, ils méritaient de gagner, pourtant compte tenu de la chance, ils n'ont pas pu obtenir ce qu'ils méritaient. Ceci voudraient dire que, dans la société, ce ne sont pas toujours les méritants qui gagnent. Donc quand on a par exemple le mérite d'être issu de tel ou tel autre milieu, rien ne nous prédestine, selon Rawls, à obtenir des gains ou à occuper une position dans la société. Cette idée de Rawls permet de comprendre que des citoyens, qui mettent en pratique les règles publiques de la structure de base de la société peuvent devenir méritants, non en vertu de leurs valeurs morales ou de leurs origines sociales, mais par le biais des instances publiques.

Dans la compréhension de la justice distributive, John Rawls apporte à la conception de l'égalité formelle des chances, qui consiste à n'interroger qu'une seule face de l'accès aux ressources, la dimension de l'égalité équitable qui transcende le formel pour s'intéresser à son aspect réel. Aussi, considérant que la répartition ne doit en aucun cas dépendre de la distribution originelle, il pense le principe de différence en introduisant une nouveauté : l'idée de d'iniquité originaire. Cette préoccupation de Rawls quant à l'iniquité originaire rejoint celle de Kant qui s'interroge et se demande si on peut établir un droit d'hérédité : « Or comme la naissance n'est pas un acte de celui qui est mis au monde et qu'il ne lui vient par là aucune inégalité dans la condition juridique ni aucune soumission à des lois de contrainte si ce n'est à celles qui lui sont communes, [...] il ne peut y avoir aucun privilège inné sur autrui. »181(*). Pour Kant, un avantage n'a pas pour origine le privilège originaire ou social, car il est toujours le fait d'une rétribution.

De cette façon, l'interprétation « dé-formalisée »182(*) de l'égalité des chances donne place à l'égalité équitable des chances qui offre l'option d'atténuer les inégalités pour pouvoir donner à tous la chance d'accéder à certaines positions dans la société, en particulier à l'éducation. En somme, pour Rawls, les inégalités ne peuvent pas se justifier par le mérite, car personne ne mérite son mérite. C'est pourquoi nul ne doit s'arroger le droit d'occuper telle ou telle autre position dans la société, en vertu de ses qualités propres. Par conséquent, Rawls pense qu'au sein de la structure de bases, les citoyens doivent avoir des les mêmes chances d'accès et les mêmes chances de succès égales, peu importe leur situation de départ dans la société. Par exemple, les enfants des favorisés, comme les enfants des moins favorisés devraient tous avoir les mêmes chances dans la société. Les classes sociales ne devraient, en principe, avoir aucune influence dans l'organisation de la société. En parlant de ce qui peut réduire l'influence des origines, Rawls mentionne « la prévention d'une accumulation excessive de la propriété et de la richesse chez certains, et la garantie de chances d'éducation égales pour tous »183(*).

En fin de compte, « la justice comme équité ne fait usage que de la troisième et de la deuxième idée du mérite »184(*) car, dès le début, Rawls essaie de faire comprendre à son lecteur que sa théorie est une théorie politique valable pour les sociétés telles qu'elles existent. Elle n'est pas une théorie métaphysique ; il n'est pas possible de fonder les principes sur une idée de doctrines englobantes. Par conséquent, il est inutile de parler de mérite moral. Même si dans Théorie de la justice, Rawls ne parle pas explicitement de mérite institutionnel, il y fait tout de même allusion de manière directe ou indirecte185(*). En effet, quelques fois certains talents ne sont pas valorisés parce que les personnes qui les possèdent n'ont personne pour leur parler de certains avantages qu'ils pourraient avoir, ou encore, personne pour les aider à valoriser leur talents. Dans certaines sociétés, les mieux lotis ne s'intéressent souvent pas aux mal lotis, parce qu'ils pensent qu'ils ne viennent pas du même milieu. Cette attitude même est une inégalité vis-à-vis du mal lotis. Alors Rawls estime que lorsque les personnes nanties ne prennent pas en compte la situation des autres citoyens, ils font montre d'une injustice sociale. C'est pourquoi, dans la distribution des rôles ou des positions dans la société, il est important de faire abstraction des contingences, comme la classe sociale ou l'origine ethnique. Ainsi récuser l'idée du mérite, dans le contexte de la justice sociale signifie, pour Rawls, « non seulement cesser de considérer comme justifiés les avantages supérieurs de ceux qui sont plus talentueux, mais également considérer la position du plus défavorisé, non pas comme une égalité résultant de ses seules décisions, mais comme une responsabilité collective »186(*). Rawls engage donc la responsabilité collective pour le bien des plus défavorisés et repousse l'idée qui veut que depuis des générations, ce soit toujours les mêmes qui aient accès aux avantages sociaux. Personne ne choisit de venir au monde dans telle classe sociale ou dans telle autre. Aussi, il est important de tenir compte de la dimension sociale de la justice pour que tous aient la chance équitable d'accéder aux mêmes positions dans la société.

Après celle de l'examen de la première partie du deuxième principe de justice, l'étape suivante, dans la reformulation des principes rawlsiens de la justice, retenue dans cette étude, est celle qui accorde de la valeur aux inégalités, dans la justice distributive. Selon Rawls, « les inégalités existantes doivent contribuer à améliorer le sort des gens les plus défavorisés de la société »187(*). C'est ce qui va fonder la deuxième partie de cette section.

Section 2.2-le principe de différence et sa signification.

Le principe de différence s'énonce de la manière suivante : « Les inégalités économiques et sociales [...] doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société (le principe de différence) »188(*). Ce principe a pour rôle fondamental de répartir les biens entre les membres de la société, de façon à ne laisser personne de côté, et cela de manière juste et équitable. C'est pourquoi admettre les inégalités n'est pas une mauvaise chose en soi, à condition que cela permette de maximiser le bien des plus défavorisés.

Même si au début de La justice comme équité, Rawls note une distinction entre les deux principes de justice en ce qui concerne leurs domaines d'application, il faut quand même reconnaître que le principe de différence, comme celui d'égale liberté, n'échappe pas au cadre constitutionnel, bien qu'il concerne directement les questions économiques et sociales. C'est pourquoi il est impossible, selon Rawls, de penser le principe de différence en dehors de la coopération sociale sans laquelle rien ne serait produit, et donc il n'y aurait rien à distribuer. Mais ce second pan du deuxième principe de la justice est lié aux systèmes de production, puisqu'il traite des questions d'efficacité économique et des inégalités socio-économiques. Notre analyse du principe de différence se déroulera à partir de deux idées principales, à savoir : la prise en compte des inégalités et l'idée de réciprocité.

En ce qui touche la question des inégalités, il est important de souligner le système de production qui est l'organe même de la prise en compte des inégalités. Les deux ne peuvent pas être séparés car, dans un système de production, régi par des règles publiques, on retrouve les favorisés et les défavorisés. Ce système étant défini par des règles publiques, tous ceux qui y participent ont, en quelque sorte, l'obligation de les observer, dans la mesure où ces règles elles-mêmes sont issues de la coopération sociale. Leur première fonction est d'organiser la vie économique et sociale au sein du groupe en assignant à chaque membre de la société un rôle dans la distribution des tâches. Cette organisation des systèmes de production tient, en outre, compte du traitement des personnes, précisément à travers les salaires qui leur sont attribués. C'est pourquoi il n'est pas possible de parler de salaire sans tenir compte de la production. Rawls définit le système de production comme « la manière dont ses règles publiques organisent l'activité productive, spécifient la division du travail, assignent des rôles variés à ceux qui y sont engagés et, ainsi de suite »189(*). Tout traitement de salaire dépend de la qualité de la production. C'est pourquoi si l'on veut avoir des augmentations au niveau du traitement, il est important de produire plus. Même dans les salaires, les inégalités sont acceptables selon le principe de différence. Ce qui est plus important c'est que les personnes qui ont des salaires élevés permettent à toutes les couches de la société de bénéficier des services de tous et même des personnes nantis. Certaines inégalités salariales devraient permettre à ceux qui perçoivent des gros salaires d'être capables de rendre la vie plus humaine. Par exemple en créant des structures qui tiennent compte des personnes défavorisées, l'idée de justice équitable dans un système d'inégalités économiques et sociales qui soient à l'avantage de tous, pourra être réalisée.

Il existe certes des différences dans le traitement, mais Rawls estime que ce qui compte, c'est que les besoins des personnes défavorisées soient réellement pris en compte. Cela n'est en fait plus une inégalité, ou plutôt c'est une inégalité juste. Un système peut être qualifié d'efficace seulement à cette condition.

Pour John Rawls, il est vrai que certains individus, dans la structure de base de la société, ont dès le départ des meilleures perspectives par rapport à ceux qui viennent des classes moins favorisées. Toutefois, conscient que cette injustice est difficile à supprimer, il pense que la seule attitude justifiable, est celle où, malgré la différence, les inégalités procurent un avantage aux personnes les plus défavorisées. Cela voudrait dire, que « si les attentes des plus favorisés diminuaient, les perspectives des plus défavorisés diminueraient aussi. Des attentes encore plus élevées augmenteraient les attentes des plus désavantagés »190(*). Ce qui pourrait permettre à chaque citoyen de maximiser ses attentes, du plus au moins aisé, car même s'il existe des différences salariales, la croissance dans une économie de marché améliore le niveau de vie de chacun.

Rawls souligne en outre qu'il faut aussi éviter de créer le grand fossé entre les pauvres et les riches, car l'accentuation des différences entre les classes sociales « transgresse le principe de l'avantage mutuel aussi bien que celui de l'égalité démocratique »191(*). Rawls voudrait ici montrer que, même s'il existe des différences dans la possession des biens, elles doivent être moindres. Sa thèse ne consiste donc pas à soutenir l'idée que tous les citoyens doivent avoir les mêmes richesses, car le principe de différence ne se rapporte pas à l'accession aux avantages sociaux-économiques, de façon égalitaire, mais plutôt à la possibilité, pour les citoyens d'obtenir, au cours de leur vie, des biens. Et ce, grâce à la diversité sociale existante. Ce principe suggère la prise en compte des inégalités dans la distribution d'avantages sociaux. C'est pourquoi il est nécessaire que les plus favorisés et les plus défavorisés travaillent pour arriver à instaurer ce système dans la répartition. De ce point de vue, la justice est compatible avec l'efficacité, parce que l'amélioration de la situation des uns engendre nécessairement l'amélioration de celle des autres. Mais, il est important, pour Rawls, de noter qu'en dépit de cette adéquation, la justice demeure supérieure et prioritaire à l'efficacité, d'autant plus que le principe de différence en lui-même n'exige pas une croissance économique continuelle sur plusieurs générations dans le but de maximiser à l'infini les attentes des plus défavorisés.

Chacun doit bénéficier des avantages de la société, peu importe sa place dans la structure de base de celle-ci. À travers ce principe de différence, Rawls tolère un régime qui prenne en compte les inégalités, à condition que cela soit à l'avantage des pauvres, par rapport à un régime qui viole les libertés de base et qui garantit la misère pour tous. Cette considération des inégalités dans la redistribution est donc l'une des conséquences de la réciprocité :

Ce que requiert le principe de différence est donc, que quel que soit le niveau général de richesse, qu'il soit élevé ou faible, les inégalités existantes remplissent la condition de bénéficier aux autres comme à nous-mêmes. Cette condition met en lumière le fait que même s'il utilise l'idée de maximisation des attentes des plus défavorisés, le principe de différence est essentiellement un principe de réciprocité192(*) 

La théorie de Rawls recourt à des termes qui en rendent l'accès plus aisé. C'est la raison pour laquelle, il insère l'idée de réciprocité dans le principe de différence, comme pour expliciter qu'elle fait partie des options fondamentales et utiles pour arriver à une solution juste et équitable, conformément au sens de la réciprocité qui lui confère un caractère équitable ainsi que la garantie des relations égalitaires entre individus ou groupes. Cette idée de réciprocité exclut la recherche d'intérêts personnels, en défaveur des autres, c'est pourquoi elle ne peut pas composer avec l'utilitarisme, puisque ce qui guide la pensée utilitariste (supra, p.3) c'est d'abord l'intérêt du plus grand nombre au détriment de l'individu.

Que l'on concède au principe de différence la prise en compte des inégalités, Rawls le conçoit bien. Mais il pense que seul, ce principe ne peut pas tenir. C'est pourquoi, il fait appel à l'idéal de la réciprocité qui doit caractériser ce principe.

L'idée de réciprocité équitable

Implicite dans Théorie de la justice, l'idée de réciprocité est développée clairement dans La justice comme équité. La réciprocité est en contradiction avec l'utilitarisme qui privilégie les individualités au profit des plus grands groupes. Cette notion est introduite par Rawls pour contrer le principe utilitariste du plus grand bonheur pour le plus grand nombre : « le fait que le principe de différence comprenne une idée de réciprocité le distingue du principe d'utilité restreinte »193(*).

John Rawls considère la réciprocité comme un idéal social. Il en parle tout le long de sa théorie, de manière explicite comme de manière implicite. Une autre manière de comprendre cette idée, est celle qui consiste à replonger dans l'idéal de la société démocratique qui constitue la trame essentielle de la théorie de la justice comme équité. Rawls souligne, en effet, que sa théorie est une théorie pour les sociétés démocratiques. Ainsi donc, tant qu'ils sont concepteurs de la société, les citoyens doivent avoir comme idéal social de base la réciprocité, d'autant plus que les principes de la justice ne doivent pas être considérés comme des normes imposées de l'extérieur, ou venant d'une autorité quelconque. Les principes de la justice sont le fruit de la coopération sociale entre les individus. 

Il est certes important que les citoyens coopèrent entre eux en vue de l'organisation de la structure de base de la société, mais John Rawls juge qu'il faut adjoindre à cet idéal de coopération l'idée de réciprocité. Car en tant qu'elle reconsidère les hommes dans une dimension totalement « non arbitraire » et symétrique (mutuelle), la réciprocité s'impose. C'est pourquoi l'idée de réciprocité aboutit nécessairement à la justice comme équité. On pourrait même dire que « l'idée de réciprocité se situe entre celle d'impartialité (qui est altruiste et qui est motivée par le bien général) et celle d'avantage mutuel. La réciprocité, dans le cadre de la théorie de la justice comme équité, est une relation entre citoyens exprimé par les principes de la justice qui gouvernent le monde social »194(*).

Dans la position originelle, les partenaires sont dans une position réciproque et sont conscients des retombées des choix qu'ils devront faire. Par exemple, ils savent que les principes qui seront adoptés prendront en compte les réalités de la vie de tous les citoyens. C'est pourquoi le fait qu'ils soient dans une situation symétrique les conduira à faire des choix qui prendront en compte les dimensions sociales et économiques de la société. La division égale est prise comme point de départ ; dès lors maximiser le travail, c'est travailler pour tout le monde tout en étant conscient que le plus important, est de promouvoir l'amélioration des conditions de vie des plus défavorisés. C'est pourquoi Rawls affirme que, la division égale étant comme le fondement de cette distribution, « ceux qui ont acquis davantage doivent le faire en des termes acceptables pour ceux qui ont acquis moins, et en particulier pour ceux qui ont acquis le moins »195(*). Rawls ne sépare pas la division égale de l'idée de réciprocité parce que, pour lui, elles sont complémentaires, car comme idées de base, elles permettent que les plus favorisés tiennent toujours compte des défavorisés, au sens où leur pleine richesse ne peut être effective que lorsqu'ils sont conscients que le moins favorisé possède un minimum pour sa survie. Et l'idée même de réciprocité vient du fait que, comme les deux principes étudiés plus haut, elle s'applique à la structure de base de la société. C'est donc ce lien avec la structure de base qui donne à l'idée de réciprocité son vrai sens et sa consistance, car les contingences ne doivent pas affecter les structures sociales, que ce soit à l'avantage ou au détriment des défavorisés comme des favorisés. L'idéal, c'est de partir de la réciprocité, puisque les principes sont ceux de la justice comme équité. L'équité repose fondamentalement sur la réciprocité : il y a équité entre citoyens lorsque tous prennent conscience qu'ils partagent les mêmes droits et les mêmes libertés. Ces droits et libertés vont de pair avec les devoirs à accomplir. Cette idée de réciprocité nécessaire pour le choix des principes est une des idées essentielles du principe de différence de la théorie de la justice.

Les partenaires dans la position originelle, selon Rawls, sont dans une attitude de réciprocité. Ils cherchent à défendre les intérêts fondamentaux des individus dont ils sont les représentants, en sachant que ce sont des citoyens libres et égaux engagés dans la coopération sociale. Selon Rawls, ces partenaires, conscient que le meilleur système est celui qui leur permet de réaliser leur liberté, ils choisiront en premier le principe d'égale liberté. Ce choix voudrait signifier, que chez John Rawls le principe de la liberté est prioritaire aux deux autres principes. Mais cette priorité ne se limite pas seulement au premier, car il concerne tous les principes rawlsiens de la justice. C'est cette idée de priorité que nous allons clarifier dans le troisième chapitre de cette deuxième partie.

Chapitre 3 : Les principes la justice et la priorité lexicale.

Conscient que la mise en application des principes de justice peut aboutir à des choix contradictoires, Rawls met au centre des principes de justice, l'idée de priorité lexicale :  « cette priorité signifie qu'en appliquant un principe (ou en vérifiant son application par des tests ponctuels), nous supposons que les principes qui ont priorité sur lui sont pleinement satisfaits »196(*). Il utilise cette image du lexique, comme un moyen pour éclairer l'idée de priorité qu'il accorde aux deux principes de justice. Le mot « lexicale » qui qualifie « priorité » est d'origine linguistique et a pour fonction d'établir des liens ou de donner un sens à quelque chose. Qualifiant le terme « priorité », il prend ici le sens de ce qui vient en premier, puisque :

Dans un dictionnaire, la première lettre est lexicalement première en ce sens qu'aucune compensation au niveau des lettres ultérieures ne pourra effacer l'effet négatif qui résulterait de la substitution de toute autre lettre à cette première lettre ; cette impossible substitution donne à la première lettre un poids infini. Néanmoins l'ordre suivant n'est pas dénué de poids, puisque les lettres ultérieures font la différence entre deux mots ayant même commencement. L'ordre lexical donne à tous les constituants un poids spécifique sans les rendre mutuellement substituables197(*).

Section 1-La priorité du premier principe de la justice

La section 32 de La justice comme équité est consacrée à la réinterprétation de la priorité du principe de liberté. Rawls y reprécise avec beaucoup de vigueur ce qu'il entend par « priorité lexicale », en insistant sur le fait que les libertés de base, en fin de compte, doivent être sauvegardées, même s'il faut pour cela sacrifier les avantages économiques et sociaux. Et puis aucune des libertés ne peut être sacrifiées pour réaliser une autre liberté, car les libertés de base se valent et n'ont de sens que lorsqu'elles sont considérées comme un système cohérent. Rawls expose l'essentiel des conditions de l'idée de priorité du principe d'égale liberté:

En affirmant la priorité des droits et libertés de base, nous supposons que des conditions raisonnablement satisfaisantes sont remplies. Autrement dit, nous supposons que les conditions historiques, économiques et sociales sont telles que, dans la mesure où une volonté politique existe, des institutions politiques efficaces peuvent être établies de manière à procurer un espace adéquat pour exercer ces libertés198(*).

L'exercice de la liberté étant un élément prioritaire dans la structure de base de la société, il est important de comprendre l'ordre d'idées dans lequel Rawls définit cette notion, puisque l'unité des principes se conclut de la place qui est accordée au principe de l'égale liberté. Par souci de cohérence, il est nécessaire de faire appel à John Rawls lui-même qui, dans La justice comme équité, affirme : « Cette priorité signifie [...] que le second principe [...] doit toujours être appliqué dans le cadre d'un contexte institutionnel qui satisfait aux exigences du premier principe [...], comme ce sera par définition le cas dans une société bien ordonnée »199(*).

Par rapport au principe de l'égale liberté, cette priorité voudrait simplement dire, que rien ne peut remplacer la perte de liberté, même pas l'égalité ou la justice distributive, et donc le deuxième principe ne peut être honoré que lorsque le premier, la liberté, l'a déjà été. La liberté ne peut être sacrifiée au profit du bien-être. La liberté selon Rawls ne peut être soumise au calcul des intérêts. C'est pour cela qu'il la place en premier et lui attribue une priorité, car les partenaires ne peuvent pas sacrifier la liberté au profit d'autre chose.

Ce qui, en fin de compte signifie que le premier principe de la justice est, du fait même de son emplacement, première, à tous les niveaux, par rapport au second. La liberté ne peut en aucun cas être troquée contre l'égalité. Cette idée de priorité se trouve également au sein du deuxième principe de la justice.

Section 2- La priorité au sein du deuxième principe de la justice.

Rawls affirme qu' « au sein du second principe de la justice, l'égalité équitable des chances a priorité sur le principe de différence »200(*). Ce dernier est« subordonné à la fois au premier principe de justice (le principe d'égale liberté) et au principe d'égalité équitable des chances. Il fonctionne en tandem avec ces deux principes prioritaires, et il doit toujours être appliqué dans le cadre d'un contexte constitutionnel dans lequel ces principes sont satisfaits »201(*).

Ainsi, conformément à la définition qui a été donnée de la priorité lexicale, la démarche à suivre ici est de satisfaire d'abord l'égalité des chances avant de passer à la pratique du principe de différence. Et il est aussi important de constater que, pour John Rawls, cette priorité n'admet pas d'exception, ce qui signifie que même la plus grande satisfaction du principe de différence ne peut pas compenser la violation du principe d'égalité équitable des chances.

Conclusion.

Au terme de cette étude portant sur la reformulation et l'argumentation des principes de la justice comme équité, il nous paraît utile de rappeler l'idée essentielle de la deuxième partie de notre analyse, intitulée : Reformulation des principes de la justice comme équité. Alors que plusieurs lecteurs de Rawls lui adressent une critique vive, Rawls lui-même, de son côté, entreprend de reformuler ses principes en demeurant fidèle certes, à ses intuitions premières, mais aussi en s'ouvrant aux nouvelles intuitions de même qu'aux critiques. Ainsi, pour rendre cette idée de reformulation, il nous a paru nécessaire de partir de l'objet même de la justice qui est la structure de base, et de la méthode utilisée pour parvenir à un choix libre et équitable. D'où l'analyse de l'idée de position originelle liée avec le voile d'ignorance.

Le deuxième grand apport a été celui de l'étude de la reformulation des principes de la justice, notamment le principe de l'égalité équitable des chances et le principe de différence.

Par l'exposé du premier principe de justice, autrement appelé le principe d'égale liberté, nous avons saisi comment John Rawls comprend l'idée de liberté, notamment à travers ses points focaux, comme la liberté de pensée, la liberté de conscience et les libertés politiques. À cela, nous avons jugé nécessaire de joindre les autres questions des biens premiers sociaux, comme le respect de soi. En outre, au niveau du contenu, il a été démontré que de Théorie de la justice à La justice comme équité, certaines variations sémantiques sont intervenues. Ainsi donc par exemple, de « système le plus étendu de libertés de base », John Rawls est passé à «  système pleinement adéquat des libertés de base égales pour tous », voulant ainsi signifier que les libertés de base et leurs priorités doivent s'organiser autour d'une institution qui prenne en compte les deux facultés propres aux individus, à savoir le sens de la justice et la conception du bien. Il montre ainsi qu'aucune liberté de base n'est absolue, alors qu'avec le « système le plus étendu de libertés », on avait l'impression qu'une liberté avait de la préséance sur les autres libertés. Aucune liberté n'étant absolue, les libertés doivent pouvoir s'ordonner au sein d'un même système.

En ce qui concerne le deuxième principe de justice et, compte tenu de sa dimension double, il a été question, en premier lieu, de l'égalité équitable des chances en insistant sur la dimension équitable ajoutée par Rawls pour lui enlever son caractère formel. Néanmoins, l'essentiel de notre regard a été posé sur l'idée de mérite moral en montrant que Rawls ne rejette pas en bloc cette idée, mais insiste sur les attentes légitimes et le mérite institutionnel, ce dernier se réalisant dans les institutions publiques. En finir avec la méritocratie morale constitue l'un des marqueurs à l'aide desquels Rawls incite les plus avantagés que à la coopération sociale et à l'acceptation de la distribution. Il considère que les inégalités justifiées par le mérite sont des injustices. Chacun a droit à un avantage, peu importe son statut.

Ainsi, en deuxième lieu, il nous a fallu aborder le principe de différence. L'essentiel de ce principe se résumant dans la maximisation des biens des plus désavantagés, nous avons souligné l'idée de réciprocité qui consiste à signifier l'importance de l'équité dans la théorie de la justice, principalement dans le principe de différence.

Enfin, la priorité lexicale à l'intérieur des principes a été le point culminant de notre analyse : sans le respect de cette priorité, les principes de la justice ne peuvent être réalisés, parce que le respect de la liberté de l'individu est primordial, de même que, au sein du second principe, la réalisation du principe de différence est conditionnée par la satisfaction du principe de l'égalité équitable des chances.

Conclusion Générale :

Comme il a été souligné dans l'introduction, l'essentiel des deux parties développées dans le corps de ce mémoire a porté sur la reformulation des principes de la justice chez John Rawls, dans La Justice comme équité. La première partie a consisté à restituer le cadre global dans lequel John Rawls a entrepris la reformulation des principes de justice, à travers les critiques de Rawls et de Robert Nozick. Quant à la deuxième partie elle s'est attachée à examiner le changement de formulation et de contenu des principes de la justice. Parmi les critiques rawlsiennes, nous regrouperons : les limites du premier principe de la justice, la séquence des quatre étapes, la critique de l'égalité des chances et le problème de la justice distributive. Aussi, cette reconnaissance de ses propres limites a permis à Rawls de donner les raisons qui l'ont conduit à reformuler les principes et à relire l'idée qu'il a donnée de la justice distributive en opposition à la justice attributive. Il a en outre rappelé le contexte procédural du choix des principes, sans oublier, l'importance accordée à l'égalité des chances, en y adjoignant l'adjectif équitable pour montrer la dimension réelle qui doit caractériser ce principe.

Quant à Nozick, il a notamment critiqué la justice distributive de John Rawls, de même que l'idée de personnes rationnelles qu'il trouve infondée et qui, d'après lui, ne prend pas en compte toutes les catégories des personnes vivant dans la société. En critiquant le principe de différence, il juge la justice distributive incompatible avec le principe d'égale liberté, puisque pour lui, le principe de différence ne mérite pas d'être considéré comme un principe, parce qu'il viole les droits de la personne humaine.

La deuxième partie, a tenté de repérer les amendements apportés par Rawls à sa propre théorie. Cette question de la reformulation a fait référence à certaines idées fondamentales introduites par Rawls, sans lesquelles il est impossible de comprendre l'organisation des principes de la justice. Deux idées principales ont été soulignées : la structure de base de la société considérée comme objet premier des principes de la justice et l'idée de position originelle. Par ailleurs, une précision a été introduite pour montrer que, finalement, John Rawls n'exclut pas la dimension morale et ne récuse pas entièrement l'idée de mérite. Pour Rawls, tous les hommes qui entrent dans la coopération sociale sont doués de deux facultés : le sens de la justice et la capacité du bien.

Parmi les critiques qui lui ont été adressées, on lui reproche notamment d'accorder la priorité au juste par rapport au bien, c'est-à-dire de privilégier la justice au détriment de la morale. Pourtant, eu égard à ses nombreux écrits, notamment leçons sur l'histoire de la philosophie morale publiée en 2000, on peut se rendre compte que l'auteur de Théorie de la justice n'a jamais voulu s'écarter de la dimension morale de l'homme. Il voulait simplement, comme il l'a souligné, trouver une alternative à l'utilitarisme et trouver des principes pouvant organiser la vie sociale et économique de la structure de base de la société. En effet Rawls a remarqué que dans la société aucune morale ne faisait l'unanimité. D'où, partir de la vision bonne d'un groupe pour choisir les principes de la justice devrait nécessairement aboutir à une impasse. Dans le cadre de la justice comme équité, sa préoccupation première est d'examiner les conditions de possibilité d'un accord entre les personnes appelées à vivre ensemble dans la société, tout en ayant des visons différentes du bien. L'idée de Rawls n'est pas d'écarter la morale, mais d'éviter que cette dernière n'influe sur le choix des principes, car « une conception publique de la justice doit demeurer axiologiquement neutre par rapport aux convictions morales ou religieuses des citoyens si elle veut jouer son rôle de médiation entre coopération interindividuelle et consensus démocratique stable »202(*).

Considérant les questions morales comme faisant parties des doctrines englobantes, notre auteur suggère qu'elles soient, au moment du choix des principes de justice politique, classées dans la sphère privée. C'est pourquoi il juge important de préciser que sa théorie de la justice est une théorie politique, et non pas métaphysique. La théorie de la justice est politique parce qu'elle s'applique à un domaine politique qui n'a pas besoin que les partenaires dans la coopération sociale, aient recours à leurs différentes conceptions du bien.

Toutefois, il est impossible dans les limites de notre travail de rendre tout l'effort de reformulation fourni par John Rawls, ainsi que la majeure partie des critiques qui lui ont été adressées. Ce qu'il faut retenir, c'est que Rawls, à travers la théorie de la justice comme équité a suscité des réactions qui lui ont valu la traduction en plusieurs langues de cet ouvrage et même la réédition de Théorie de la justice, son oeuvre capitale. Mais notre travail resterait incomplet s'il ne montrait pas l'apport original Rawls, à travers sa théorie de la justice.

La tentation est grande dans cette partie conclusive de tenter un regard global sur toute l'oeuvre de John Rawls, nous préférons rester modestement à notre idée de départ, c'est-à-dire la reformulation rawlsienne des principes de la justice. Nous allons, tout en montrant l'originalité de l'oeuvre de Rawls, tenter de poser un double regard sur la pertinence actuelle des principes de justice, en soulignant leur impact dans le monde d'aujourd'hui. Pour cela, nous avons choisi trois axes principaux: l'apport philosophique de la justice comme équité, les enjeux actuels des principes de justice, à travers les idées d'égalité des chances et d'inviolabilité de la personne et le regard critique sur les principes reformulés de la justice.

1 - L'apport philosophique de la théorie de la justice comme équité.

Quand on parle de l'originalité de l'oeuvre de Rawls, il n'est pas rare qu'on fasse allusion, à son immense contribution à l'oeuvre de la philosophie politique. Ainsi l'une des originalités reconnue à Théorie de la justice est sa relation à la modernité, notamment les philosophes du contrat social. Rawls a recours à la tradition du contrat social parce que les principes de la justice sont valables pour une société démocratique et que celle-ci, à l'image de l'idéal contractualiste met en place une codélibération fondée sur la liberté et la réciprocité. Fidèle à son intuition première, Rawls estime utile, pour fonder sa théorie, de faire appel à la tradition du contractualisme. Pourtant renouer avec le passé, pour cet auteur, ne signifie pas s'y cantonner.

En plus de cette référence au contrat social, il faut noter le retour à la question de la justice conçue comme voie d'accès à la question morale et politique. En insistant sur l'idée de justice sociale, Rawls renoue avec Aristote, définissant ainsi la justice comme étant l'acte de donner à chacun selon ce qui lui revient. Néanmoins, il s'écarte du stagirite, car il considère que ce qui est à répartir ne se limite pas aux biens ou bien aux honneurs, mais aussi aux biens premiers, aux libertés de base et aux droits fondamentaux. Une égalité des chances purement formelle n'est pas possible dans une société bien ordonnée. Aussi pour qu'elle bénéficie à tous, la justice doit être équitable. Au fond, Rawls place la justice à la première place des questions philosophiques, notamment la philosophie sociale et politique et fait reposer la société sur deux principes : le principe d'égale liberté et le principe de différence. Avec lui, la question de la justice sociale prend une autre direction et propose de fonder le droit sur les principes de justice, en matière de pratiques économiques et sociales. C'est pourquoi, il considère la justice comme « la première vertu des institutions sociales  comme la vérité est celle des systèmes de pensée »203(*).

Le deuxième Rawls, comme on le rappelle si souvent, pense que tout être humain doit toujours être considéré, du point de vue de la justice sociale et politique, comme étant inséré dans un réseau de circonstances sociales et culturelles qui donnent de la force à son individualité. C'est pourquoi la coopération sociale, de même que l'idée de justification publique font partie intégrante de la théorie de la justice comme équité.

Par ailleurs, Rawls réconcilie deux aspirations en mettant les notions d'équité et d'égalité dans un rapport de complémentarité. Ne les opposant pas, il ne les rapproche pas non plus. Il restitue à chacune son rôle, en signifiant, à la suite d'Aristote, que la justice formelle est un aspect de l'organisation de la société, mais qui a besoin d'être complétée par une justice réelle, c'est-à-dire équitable qui prenne en compte les situations réelles des citoyens, c'est pourquoi dans le principe de différence, il introduit l'idée d'acceptation des inégalités qui n'est pas contraire au principe d'équité sociale. De fait, on peut dire de Rawls qu'il est à la fois égalitariste et libéral. Egalitariste, parce qu'il estime que la correction des inégalités doit partir de la justification de ces inégalités auprès des personnes concernées. Il est libéral parce qu'il pense que la liberté même devant des situations de correction d'inégalités doit demeurer prioritaire. Il pense donc que ce qu'il faut corriger ce sont les conséquences politiques, sociales, économiques et morales des inégalités injustifiées. Pourtant il n'est ni libéral, ni égalitariste, car il met un bémol entre la liberté et l'égalité, bien que cela ne soit pas chose aisée. On pourrait dire qu'il propose une sorte de libéralisme social.

2 - Les enjeux actuels des principes de la justice

En ce qui a trait aux enjeux des principes de la justice de John Rawls, nous analyserons les impacts de l'égalité des chances et de l'inviolabilité de la personne. Quand on parcourt la déclaration universelle des droits de l'homme204(*) du premier au dernier article, on constate que tous les articles de cette déclaration sont résumés dans les deux principes de Rawls. De même que quand on lit ou écoute pour la première fois la devise de la France205(*), on pourrait y lire toute l'idée de Rawls. Ceci nous rappelle que les principes de John Rawls, quoique théoriques et très critiqués rejoignent les grandes idées de la politique sociale mondiale. Son texte sert aujourd'hui de texte de base à plusieurs défenseurs des droits humains, de la justice distributive et de la discrimination positive.

En outre, il est vrai que l'égalité des chances n'est pas un concept nouveau dans l'univers de la philosophie politique, mais Rawls a fait un saut remarquable quand il a adjoint au mot « formelle » le mot « équitable », montrant ainsi qu'il ne suffit pas que cette pratique soit écrite, mais qu'il est important qu'elle s'enracine véritablement dans le vécu des citoyens. Aujourd'hui encore, plusieurs débats, à travers le monde, lorsqu'il s'agit de penser la justice sociale ne peuvent pas faire abstraction à l'idée d'égalité des chances. En tant qu'elle est une exigence de la justice sociale, la question de l'égalité des chances répond à la question du comment vivre en société.

A vrai dire, aussi banale qu'elle puisse paraître, cette question est celle qui, aujourd'hui, rejoint les questionnements de tous les systèmes politiques et de tous les citoyens qui estiment que tous, sans différence de sexe, de religion, de classe doivent avoir accès, comme l'a si bien souligné Rawls, aux mêmes positions dans la société, de manière réelle et équitable, avec leurs semblables. Car l'origine sociale ou la fortune ne peut pas déterminer l'accès à un poste pour telle ou telle autre personne. C'est pourquoi, l'accès à l'éducation pour tous apparaît primordial. C'est cela l'expression d'une société bien ordonnée, sa caractéristique première étant d'être juste sur le plan social. Avec le principe d'égalité équitable des chances et de différence, il apparait clairement que Rawls fait référence à des questions de justice sociale ; questions qui ne sont pas en marge de la situation socio-économique actuelle du monde. Les questions d'identité, de diversité culturelle et de répartition qui peuplent les affiches des médias en sont la preuve éloquente. Ce qui est assez intéressant, c'est que John Rawls ne limite pas le principe d'égalité des chances pour un période donnée. Il estime que cela devrait s'inscrire dans la temporalité. Il l'ouvre à l'avenir. Aussi il nous semble que la direction donnée par Rawls, au sujet de l'égalité équitable des chances semble s'adapter à la situation actuelle et aussi aux attentes légitimes actuelles des populations.

Dans le contexte actuel de la politique mondiale, la question de l'égalité des chances se repose avec acuité et vivacité, car si les richesses demeurent concentrés envers une frange de personnes de la société et que de l'autre, il y a des citoyens qui ne jouissent de rien, ce principe n'a pas de raison d'être. La justice sociale n'a pas d'existence en dehors de l'égalité des chances qui constituent l'un de ses dynamismes fondamentaux. Et John Rawls en opposant l'égalité des chances à l'égalité équitable des chances, a introduit le terme équitable, pour justement, montrer que l'univers politique et social doit avoir une capacité d'adaptabilité réelle qui l'insère dans les réalités sociales telles que vécues par les citoyens.

En ce qui concerne l'inviolabilité de la personne, elle peut être vue, dans la théorie rawlsienne, comme axiome des principes de justice. Les deux principes énoncés par John Rawls, comme nous l'avons vu prennent en compte la personne dans toute sa dimension politique et sociale sans pourtant écarter la dimension morale. Le premier principe concerne les libertés de base et les droits fondamentaux ; le second principe, quant à lui s'intéresse aux questions d'efficacité économique, notamment dans la répartition et dans la prise en compte des inégalités. Pourtant à y voir plus clair, ces principes partent du postulat que sous aucun prétexte, la personne humaine ne doit être mise en deuxième place. Dès le début de Théorie de la justice, on voit apparaître sous la plume de Rawls cette prise de position catégorique :

Chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui, même au nom du bien-être de l'ensemble de la société, ne peut être transgressée. Pour cette raison, la justice interdit que la perte de liberté de certains puisse être justifiée par l'obtention, par d'autres, d'un plus grand bien. Elle n'admet pas que les sacrifices imposés à un petit nombre puissent être compensés par l'augmentation des avantages dont jouit le plus grand nombre. C'est pourquoi, dans une société juste, l'égalité des droits civiques et des libertés pour tous est considérée comme définitive ; les droits garantis par la justice ne sont pas sujets à un marchandage politique ni aux calculs des intérêts sociaux206(*)

Une société n'est donc juste selon John Rawls, que lorsqu'elle prend en compte cette dimension de l'inviolabilité de l'être humain. L'aspect formel de cet énoncé de Rawls, montre que le principe de l'égale liberté est un principe anti sacrificiel et que sous aucun prétexte, même pour la réalisation du deuxième principe, il ne peut être sacrifié. En même temps Rawls insiste sur le caractère égalitaire des droits civiques et des libertés. C'est aussi le sens qu'il donne à la priorité lexicale entre les principes de justice. Mais, étant donné que cette inviolabilité de la personne humaine n'est qu'un postulat, ou encore pour reprendre les mots de Rawls, « une prémisse ». Ce sont donc les principes de la justice qui lui donnent un sens.

3 - Regard critique sur la reformulation rawlsienne des principes de justice

Après avoir remanié son oeuvre, nous avons l'impression qu'il n'y a plus une critique à adresser à Rawls, car la majorité de ses ouvrages ultérieurs sont considérés comme des réponses à ses détracteurs. Pourtant il reste que, demeurant fidèle à ses intuitions premières, Rawls redit avec d'autres mots ou encore modifie légèrement ce qui de sa théorie peut continuer à étonner encore aujourd'hui. C'est pourquoi, nous inscrivant dans la lignée de ceux qui considèrent, qu'aujourd'hui, certains aspects de la théorie de Rawls sont défectueux, nous voulons à travers cette critique soulever certaines objections que nous avons jugées personnellement inquiétantes pour la postérité.

Premièrement, nous tenons à souligner que la méthode de Rawls, son style d'écriture représente en lui-même une ambigüité, quant à la compréhension de sa théorie. Le style qu'il emprunte peut paraître, à certains endroits, déroutant pour une personne qui le lit pour la première fois. Théorie de la Justice est un livre long, fourmillant et répétitif, ce qui est peut-être dû au fait que ce livre est une compilation d'articles divers. On ne se serait pas attendu dans La justice comme équité à retrouver les mêmes difficultés, pourtant à certains endroits, on retrouve quand même des ambigüités et des répétitions. Par exemple dans la première, partie où il parle des idées fondamentales, il reprend dans la troisième partie plusieurs idées déjà dites dans la première partie.

Quant à notre deuxième critique, elle s'attaque à la priorité lexicale accordée au premier principe de Justice. Tout porte à croire, en lisant Rawls, que la liberté devrait passer avant la vie. Il est vrai qu'au fondement des principes de justice, Rawls place l'idée d'inviolabilité de la personne, mais, à un certain moment, le caractère excessif de la priorité du premier principe peut se révéler suicidaire, car ce sont finalement les principes qui donnent sens à l'idée d'inviolabilité. Dans certaines situations, la misère, le manque de soin et autre forme de difficultés sociales, ne peuvent trouver leur solution qu'après avoir satisfait pleinement le principe de liberté considéré comme étant un système unique, c'est-à-dire que toutes les libertés de base doivent être satisfaits. Ce qui semble tout de même très irréaliste. Une liberté flexible serait plutôt la bienvenue, de même que sa priorité, mais une priorité totale et sans réserve peut tout aussi paraître excessive. Il serait intéressant d'inclure l'idée de pondération dans cette priorité à accorder à la liberté. La question de la priorité absolue de la liberté qui met en danger le principe même de justice qui consiste à prendre en compte l'avantage d'autrui nous semble, de ce point de vue irraisonnable. Pourquoi tous les problèmes sociaux doivent-ils venir après la liberté ou que la violation de n'importe quelle liberté personnelle ?

En troisième lieu, nous nous insurgeons contre le principe de différence qui, en soi n'est pas une mauvaise chose, parce qu'elle restaure une certaine forme d'équité, mais qui en intégrant les inégalités est susceptible de présenter des difficultés dans la pratique. Nous ne nous risquons pas ici sur un terrain nozickéen qui considère que ce principe viole la liberté, mais nous nous interrogeons sur la nature d'une justice inégale, le propre de la justice étant d'être juste. Avec l'insertion des inégalités dans les distributions, ne court-on pas le risque d'engendrer d'autres inégalités dans la société et qu'on n'arriverait même pas à éradiquer une seule inégalité. En dépit de ses bonnes intentions, le principe de différence de John Rawls pose des problèmes d'équité, notamment envers les plus favorisés. Car accorder l'essentiel du deuxième principe au bénéfice des plus défavorisés peut paraître injuste. L'effort d'impartialité qui anime ce principe pose problème.

Ce qui peut aussi paraître fort étonnant, c'est que Rawls prend les deux extrêmes et ne fait pas mention de la classe moyenne qui existe pourtant dans toute société. Il parle des plus favorisés et des plus défavorisés.

En ce qui concerne le choix des principes et des biens premiers, la question qui s'impose à nous est celle de savoir pourquoi les partenaires dans la position originelle choisissent t-ils ces biens et pas d'autres ? Eh bien Rawls répond : parce que c'est bien pour eux et parce qu'ils les préfèrent. Cette procédure semble contradictoire, car ces principes ont l'air d'être imposés et qu'ils ne sont pas soumis à la critique des partenaires qui sont pourtant des citoyens libres et égaux. Rawls n'envisage même pas que ces citoyens pourraient commencer par choisir l'égalité des chances, dans la mesure où la théorie elle-même est une théorie de justice sociale. Il semble que Rawls ne tient pas compte ou bien le schéma proposé semble trop uniforme et statique et ne laisse pas beaucoup de choix aux partenaires. Ce qui ne s'avère pas très logique pour une société qui prenne en compte les inégalités.

Pourtant au terme de cette étude, notre conviction demeure que Théorie de la justice est très proche de La justice comme équité, car même si John Rawls reformule les principes de la justice, il reste fidèle à l'essentiel de ce qui les constitue, entre autres autre l'idéal démocratique de la coopération équitable entre les citoyens libres et égaux, représenté par l'idée de position originelle, qui conduit les partenaires au choix des principes. De ce point de vue, il est donc possible de dire qu' « il n'y a pas de rupture entre un premier Rawls soucieux de justice sociale et un second Rawls plus traditionnellement libéral. Les deux versants de la théorie, indissociables l'un de l'autre, se rapportent à une même vision philosophique de la démocratie »207(*).

Malgré les révisions apportées par Rawls et toutes les critiques qui lui ont été adressés, à travers, la publication de Justice comme équité. Une reformulation de Théorie de la justice, bien de questions demeurent encore sans réponses, des questions qui débordent le cadre de ce mémoire de Master : les êtres imaginaires dans la position originelle et sous le voile de l'ignorance sont-ils réellement en mesure de choisir des principes politiques ? Comment est-il possible de choisir des principes en étant détaché, pour un temps, des valeurs morales, sociales et historiques et d'autres conceptions du bien ? Une société qui se fonde sur les principes de la justice et qui place le juste avant le bien est-elle envisageable ? La pratique des deux principes de justice est-elle possible sans un certain sens de responsabilité ?

On répondra surtout que dans le cas présent et malgré quelques critiques non contestables à l'égard de cette théorie, c'est sans doute à tous ceux qui s'intéressent à la théorie de Rawls et même à la philosophie politique que revient désormais la charge de continuer, avec un regard critique ce qu'il a commencé.

Bibliographie

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Kymlicka, Will, Les théories de la justice : une introduction. Libéraux, utilitaristes, libertariens, marxistes, communautariens, féministes, Marc Saint-Upéry (trad.), Paris, Ed. La découverte, 2003.

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Ricoeur, Paul Le juste I, Paris, édition du Seuil, 1995.

Revues

Bulletin de Littérature Ecclésiastique, n°1, janvier-mars, 2003.

Etudes, tome 414, n°4141, janvier 2001.

Table des matières

Remerciements 2

Introduction 3

Première partie : 11

Cadre global de la reformulation des principes de la justice. 11

Introduction 11

Chapitre I : Critiques internes des principes de la justice. 14

Section 1- Limites du premier principe de la justice : Raisons pour réviser le premier principe de la justice. 14

Section 2-. La séquence des quatre étapes et les principes de la justice. 19

Section 3-Critique rawlsienne de l'égalité formelle des chances 21

Section 4- Le problème de la justice distributive. 25

Chapitre 2 : Critique externe des principes rawlsiens de la justice, par Robert Nozick. 32

Section 1-Limites de la démarche procédurale de John Rawls 33

Section 2 : La critique de la justice distributive 36

Section 3. Critique nozickéenne de la conception rawlsienne de l'égalité des chances. 39

Conclusion. 44

Deuxième partie : 47

Changement de contenu et reformulation des principes de la justice 47

Introduction 47

Chapitre I : La structure de base comme objet de la justice. 50

Section.1. La structure de base de la société comme objet de la justice : Première justification. 52

Section 2- La structure de base de la société comme objet de la justice : Deuxième justification 57

Section 3-L'idée de position originelle et son implication dans la compréhension de l'idée de structure de base 60

Chapitre 2 : Les principes rawlsiens de la Justice. 66

Section 1. Le principe d'égale liberté : présentation et signification. 66

Section 2. Le deuxième principe de la justice et sa dimension double. 75

Section 2.1.- Le principe d'égalité équitable des chances 76

L'idée de mérite 78

Section 2.2-le principe de différence et sa signification. 83

L'idée de réciprocité équitable 86

Chapitre 3 : Les principes la justice et la priorité lexicale 89

Section 1-La priorité du premier principe de la justice 89

Section 2- La priorité au sein du deuxième principe de la justice. 90

Conclusion. 91

Conclusion Générale : 93

1 - L'apport philosophique de la théorie de la justice comme équité. 95

2 - Les enjeux actuels des principes de la justice 96

3 - Regard critique sur la reformulation rawlsienne des principes de justice 98

Bibliographie 102

* 1 Nous ferons souvent référence à la justice comme équité, en tant que théorie, et à La justice comme équité, comme titre d'un ouvrage. La différence est à situer au niveau du caractère italique qui caractérisera le titre du livre.

* 2 Utilitarisme : L'utilitarisme : doctrine qui évalue ses actions par rapport aux conséquences (plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Au sein même de l'utilitarisme, il ya plusieurs tendances, mais celle qui intéresse particulièrement Rawls, c'est celle de Sidgwick en priorité. Ce dernier met en avant un principe d'utilité qui consiste à définir la justice par le bonheur du plus grand nombre. C'est donc l'intérêt de la communauté qui prime par rapport à celui de l'individu (l'efficacité d'abord). L'utilitarisme demande de maximiser le bien être général. A cet égard, on dirait que l'utilitarisme a pour objectif le sacrifice ce certains au profit du plus grand nombre.

* 3 John Rawls, Théorie de la justice, (A theory of justice), trad. Catherine Audard, Paris, Éd. du Seuil, 1987, « préface de John Rawls » p. 10.

* 4 Soumaya Mestiri, Rawls, Justice et équité, Paris, PUF, Coll. « philosophie », 2009, p 5.

* 5, Ernest-Marie Mbonda : John Rawls, Droits de l'homme et Justice politique, (présentation de Alain Renaut), Québec, Presses de l'université de Laval, Coll. « Mercure du nord », 2008, p. 7.

* 6 Bertrand Guillarme, «  Rawls, Philosophe de l'égalité démocratique », dans Alain Renaut (dir), Les philosophies politiques contemporaines (tome 5), coll. Histoire de la philosophie politique, Paris, Ed. Calmann-Lévy, 1999, p. 307.

* 7 John Rawls, Théorie de la justice, Op. cit., p.9.

* 8 John Rawls, La Justice comme équité, Reformulation (Justice as fairness A restatement), Bertrand Guillarme (trad.) Paris, La Découverte, 2008, p. 5.

* 9 Théorie de la justice de John Rawls a été critiquée par plusieurs auteurs. On reconnaît plus souvent trois courants principaux : les libertariens, les communautariens et les égalitariens. Il y a entre autres des auteurs qui ont critiqué Rawls : Ricoeur, Habermas. Mais ici nous nous limitons à un libertarien : Robert Nozick

* 10 Libertarien vient du mot libertarianisme qui est une doctrine de philosophie politique née à la fin des années 1960, à la suite d'une rupture avec les conservateurs et d'une alliance avec la gauche radicale. S'appuyant sur une attitude d'indépendance radicale, ce courant a pour principe fondamental l'inviolabilité absolue des droits individuels. Les libertariens défendent une doctrine libérale, anarcho-capitaliste et considèrent la liberté comme une valeur absolue.

* 11 Ibidem, p. 11.

* 12 Ibid., p. 26.

* 13 Ibid., P. 72.

* 14 Ibid.,.

* 15 Rawls se réfère ici à ce que Benjamin Constant appelle la liberté des anciens et la liberté des modernes. La liberté des anciens est celle qui s'incarne dans la sphère politique, tandis que la liberté des modernes, elle, privilégie la liberté de l'individu et la place au-dessus de tout. Mais, pour Rawls, les deux types libertés sont conciliables. C'est la référence à cette tradition qu'il appelle « voie traditionnelle ».

* 16 Les lois fondamentales de la société (souligné par nous).

* 17 Ibid., p. 74.

* 18 Ibid.

* 19 Jean Jacques Rousseau, Du contrat social, Paris, Livre de poche, coll. « Les Classiques de la Philosophie », 1996, Livre I, Chapitre IV, p. 49.

* 20 Le terme métaphysique revient très souvent chez Rawls, pourtant il n'est pas à comprendre ici, dans le sens de la science de l'être en tant qu'être. Rawls ne définit pas ce terme de façon explicite, mais à travers les occurrences que nous retrouvons dans son texte, métaphysique ici voudrait dire tout ce qui ne fait pas partie de la sphère politique. Cette idée rejoint celle des doctrines englobantes, de laquelle la conception publique de la justice doit se distinguer.

* 21 Les doctrines englobantes sont des doctrines qui tentent de prendre en charge toutes les dimensions de l'existence humaine. Elles s'intéressent aux conceptions de la vie bonne, à la religion, aux valeurs.

* 22 John Rawls, « La Théorie de la justice comme équité : une théorie politique et non pas métaphysique », dans Catherine Audard (dir.), Individu et justice sociale, Paris, Éd. du Seuil, coll. points-politique, 1988, p. 279.

* 23 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 51.

* 24 Id., La justice comme équité, op. cit., p. 74.

* 25 Id., op. cit., p. 75.

* 26 Idem, 75-76.

* 27 Ibidem 76.

* 28 Ibid.

* 29 John Rawls et Jürgen Habermas, Débat sur la justice politique, Catherine Audard (trad.) Paris, Éd. du Cerf, 1997, p 86.

* 30 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 231.

* 31 Ibid., p. 234.

* 32 Ibid., p. 235.

* 33 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 77.

* 34 John Rawls et Jürgen Habermas, Débat sur la justice politique, op. cit., p. 87.

* 35 Catherine Audard, Qu'est ce que le libéralisme, Paris, Gallimard, 2009, p. 444.

* 36 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 70.

* 37 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 103.

* 38 Ibid., p. 97.

* 39 Ibid., p. 103.

* 40 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 132-133.

* 41Cf. Deuxième partie du mémoire (analyse des principes de la justice).

* 42 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., pp. 22-26.

* 43 La notion de méritocratie est analysée dans la deuxième partie du mémoire.

* 44 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 71.

* 45 Catherine Audard, Qu'est-ce que le Libéralisme, op. cit., p. 448.

* 46 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 71.

* 47 Aristote, Ethique à Nicomaque, Richard Bodeüs (trad.), Paris, Editions Flammarion, 1994, Chapitre 4, Livre V.

* 48 Souligné par nous.

* 49 « Agis donc de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen », Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, Paris, Gallimard, Pléiade, « OEuvres philosophiques », tome 1, 1985, p. 295.

* 50 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., pp. 29-30.

* 51 Ibid., p. 79.

* 52 Ibid., pp. 117-118.

* 53 Ibid., p. 118.

* 54 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 79.

* 55 Catherine Audard, Qu'est-ce que le Libéralisme, op. cit., p. 434.

* 56 L'expression authentique est background qui signifie, en français, « milieu, contexte ou origine ».

* 57 John Rawls, La justice comme équité, op .cit., p. 80.

* 58 Ibid., p. 80.

* 59John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., pp. 317-318.

* 60 Robert Nozick, Anarchia, State and utopia, Evelyne d'Auzac de Lamartine (trad.), Paris, Puf, 1988, p. 228.

* 61 Le titre original de cet ouvrage est Anarchia, State and utopia. C'est l'ouvrage principal de Robert Nozick, dans lequel il consacre une grande partie de la critique sur la pensée de John Rawls.

* 62 « Les remarques de ce paragraphe répondent au genre d'objection au principe de différence soulevé par Robert Nozick dans Anarchie, Etat et utopie», John Rawls, La justice comme équité, op. cit., note 18. Voir aussi la note 19 du même ouvrage, p. 81.

* 63 La théorie du contrat social se propose de trouver dans l'individu, les fondements de la société, de l'Etat ou tout simplement de l'autorité politique. Pour John Locke, L'état de nature est supportable, c'est pourquoi le rôle du contrat n'est pas de rompre avec cet état, mais de garantir les droits naturels (liberté individuelle et propriété privée qui caractérisent cet état. (Second Traité du gouvernement civil).

Chez Jean Jacques Rousseau, le contrat social a pour objectif principal de rendre le peuple souverain. Celui-ci étant appelé à se démarquer de son intérêt personnel pour l'intérêt général. L'existence de l'Etat se justifie par la rupture de l'homme avec la nature et aussi parce qu'il permet au peuple d'organiser son bien être. Chez Rousseau, c'est le peuple qui a la charge de la vie dans la cité, à travers le principe de volonté générale. Le peuple reste donc le seul souverain, toujours libre et bon, source de ses propres lois, et guidés seulement par le législateur. (Du Contrat social).

Chez Kant le contrat suppose l'Etat civil. Selon lui, si l'on veut organiser une société sur le droit, il faut sortir de l'état de nature, qu'il considère comme un état où chacun fait ce qu'il veut et où l'individualisme égoïste a posé ses marques. C'est donc par le contrat que les individus s'unissent aux autres pour, ensemble, se soumettre aux lois extérieures et publiques. On pourrait aussi dire que par le contrat, les individus passent de l'état de nature à l'Etat de droit. (Doctrine du droit).

* 64 John Rawls, Théorie de la justice op. cit., p. 20.

* 65 Ibid., p. 175.

* 66 Ibid., p. 37.

* 67 Robert Nozick, op. cit., p. 237.

* 68 Ibid., p. 237.

* 69 Ibid., p. 237.

* 70 Ibid., p. 243.

* 71 Ibid., p. 187.

* 72 Ibid., p. 188.

* 73 Ibid., p. 228.

* 74 Ibid., p. 230.

* 75 John Rawls, Théorie de la Justice, op. cit., pp. 30-31.

* 76 Robert Nozick, op. cit., p. 231.

* 77 Ibid., p. 231.

* 78 Ibid., p. 235.

* 79 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 103.

* 80 Ibid., p. 132.

* 81 Robert Nozick, op. cit., p. 265.

* 82 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 348.

* 83 Robert Nozick, op. cit., p. 265.

* 84 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., pp. 3-4.

* 85 Véronique Munoz Darde, La Justice sociale, Le libéralisme égalitaire de John Rawls, Paris, Fernand Nathan, coll. philosophie, 2000, p. 103.

* 86 Robert Nozick, op. cit., p. 33.

* 87 Ibid., p. 211.

* 88 Ibid., p. 212.

* 89 Ibid., p. 189.

* 90 Philippe Van Parijs, « Rawls face aux libertariens », dans Catherine Audard (dir.), Individu et justice sociale, Paris, Éd. du Seuil, coll. Points-politique, 1988, p. 207.

* 91 Robert Nozick, op. cit., p. 189.

* 92 Ibid., p.189.

* 93 Will Kymlicka, Les Théories de la justice, (Contemporary Political Philosophy), Marc Saint-Upéry (trad.), Paris, La Découverte, 2001, p. 111.

* 94 Ibid.

* 95 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 65.

* 96 John Rawls, «La Théorie de la justice : une théorie politique et non pas métaphysique » dans Catherine Audard,  Individu et justice sociale, op. cit., p. 284.

* 97 Idem, La justice comme équité, op. cit., p. 25.

* 98 Idem, «La théorie de la justice comme équité : une théorie politique et non pas métaphysique », Catherine Audard (dir), « Individu et justice sociale », op. cit., pp 280-280.

* 99 Rawls définit les idées fondamentales comme « celles que nous utilisons pour organiser et donner une structure d'ensemble à la justice comme équité ». Ces idées fondamentales sont : l'idée d'une société bien ordonnée, l'idée de structure de base, l'idée des personnes libres et égales, l'idée de position originelle, l'idée de justification publique, l'idée d'équilibre réfléchi et l'idée d'un consensus par recoupement, La justice comme équité, op. cit., pp. 17-63.

* 100 Idem, Théorie de la justice, op.cit., p.33. L'expression anglaise est « the basic structure of society », définie en anglais: « [...] the way in which the major social institutions distribute fundamental rights and duties and determine the division of advantages from social cooperation», John Rawls, Theory of justice, Harvard University Press, 1971 p. 7.

* 101 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 27.

* 102 Ibid., p. 28.

* 103 Ibid., p. 28, (cette définition est la même que celle contenue dans Théorie de la justice, p. 33, paragraphe 2).

* 104 John Rawls, Libéralisme politique, Catherine Audard (trad.), Paris, Puf, 1995, p. 351-358.

* 105 Ibid., p. 82.

* 106 Ibid., p. 85.

* 107 Ibid., p. 82.

* 108 Ce principe a déjà été souligné dans la première partie du mémoire : «Une personne qui acquiert une possession en accord avec le principe de justice concernant l'acquisition est habilitée à cette possession », Robert Nozick, Anarchia State and Utopia, op.cit., p. 189. Cette appropriation initiale est, selon Locke, basée sur le « droit du premier occupant et la possession continue ». John Locke, Le second traité du gouvernement, Paris, PUF, 1994, p. 390.

* 109 Nozick s'inspire de la théorie de John Locke pour soutenir que la justice sociale doit être comprise comme un processus historique, et non pas comme une réponse venant de l'extérieur.  Ce qui se décide dans la situation originelle a des conséquences sur les personnes qui participent aux transactions, non pas sur celles qui sont en dehors de la décision. C'est à partir de là qu'il est possible de comprendre le rejet de la justice distributive par Nozick, parce qu'il estime que ceux qui n'ont pas participé aux transactions n'ont droit à rien. Mais l'idée est surtout de comprendre qu'on devient propriétaire d'un bien, par rapport à une situation initiale qui nous en a rendu propriétaire. Ce n'est pas par une répartition, c'est pourquoi, posséder légitimement un bien s'inscrit dans l'histoire d'un citoyen.

* 110 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 83.

* 111 Ibid. p.84.

* 112 Ibid., p. 84.

* 113 Ibid., p. 84.

* 114 Catherine Audard, Qu'est-ce que le Libéralisme, op.cit., p. 419.

* 115 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 84.

* 116 Ibid., p. 84.

* 117 Ibid., p. 84.

* 118 Id., Théorie de la justice, op. cit., p. 29.

* 119 Idem, La justice comme équité, op .cit., p. 85.

* 120 Ibid., p. 86.

* 121 Ibid.

* 122 Ibid., p. 86.

* 123 Rawls annonce déjà ici la couleur que prendront les principes de justice, notamment une couleur de justice distributive.

* 124 Véronique Munoz-Dardé, La justice sociale, op. cit., p. 80.

* 125 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., pp. 86-87.

* 126 Ibid., p. 87.

* 127 Ibid., p. 87.

* 128 Ibid., p. 87.

* 129 John Rawls, Libéralisme politique, op. cit., p. 358.

* 130 Ibid., p. 36.

* 131 Id., La justice comme équité, op. cit., p. 85.

* 132 Nous précision ici que contrairement à Hobbes ou Locke, Rawls et Rousseau considèrent l'état de nature comme un état social sans loi.

* 133 Ce caractère hypothétique de la position originelle peut s'expliquer par cette affirmation de Rawls : « il nous faut imaginer que ceux qui s'engagent dans la coopération sociale choisissent ensemble dans un acte commun les principes destinés à assigner les droits et les devoirs de base et à déterminer la répartition des bénéfices sociaux », John Rawls, La justice comme équité, op. cit., pp. 36-37. Le mot « imaginer » signifie que la position originelle n'existe pas réellement et n'a jamais existé dans l'histoire. Elle peut être assimilée à l'état de nature des philosophies du contrat (Rousseau), puisqu'elle signifie égalité et donne le sens direct de l'équité des principes de la justice, à travers sa dimension hypothétique.

* 134 Jean Fabien Spitz, « John Rawls et la question de la justice sociale », dans Études, tome 414 n° 4141, janvier 2011, p. 57.

* 135 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 34.

* 136 « Le fait du pluralisme raisonnable implique qu'il n'existe pas de doctrine, qu'elle soit complètement ou partiellement englobante, sur laquelle tous les citoyens s'accordent ou peuvent s'accorder pour organiser les questions fondamentales de la justice politique », La justice comme équité, op. cit., p. 56.

* 137Catherine Audard, «  Principes de justice et principes du libéralisme : la neutralité de la théorie de Rawls », « Individu et Justice sociale » Catherine Audard (dir), op. cit., p. 170.

* 138 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 35.

* 139 Ibid., p. 37.

* 140 Ibid., p. 36.

* 141 Collectif, Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles, Barbara Cassin (dir.), Paris, Le Seuil, 2004, P. 439.

* 142 John Rawls., Théorie de la Justice, op. cit., p. 37.

* 143 Ibid., p. 41 (Cette idée de citoyens conçus comme personnes est déjà présente dans Théorie de la Justice, Paragraphe 77).

* 144 Id., Théorie de la justice, op. cit., pp. 238.

* 145 Rawls fait allusion aux deux facultés morales signalées plus haut : le sens de la justice et la capacité du bien.

* 146 Id., La justice comme équité, op. cit., p. 88.

* 147 Ibid., 89.

* 148 Nous ne reprenons pas ici les trois reformulations en intégralité. Nous en donnons seulement les références. La première formulation se trouve dans la section 11, p. 91 ; de Théorie de justice. La deuxième dans la section 13, p.115 ; la troisième dans la section 39, p 287, et la quatrième dans la section 46, p 341.

* 149 Ibid., p. 69.

* 150 John Rawls, Justice as fairness, Cambridge, Harvard University Press, 2001, p. 42.

* 151 Id., Libéralisme politique, op. cit., p. 349.

* 152 Id., La justice comme équité, op. cit., p. 74.

* 153 Dans La justice comme équité, John Rawls souligne que les personnes libres et égales sont les personnes engagées dans la coopération sociale tout au long de leur existence. Ces personnes possèdent les « deux facultés morales » qu'il décrit de la manière suivante : la capacité d'un sens de la justice : comprendre, appliquer, et agir selon (et non seulement en conformité avec) les principes de la justice politiques qui spécifient les termes équitables de la coopération sociale » ; la capacité d'une conception du bien : avoir, réviser et chercher à réaliser rationnellement une conception du bien. », La justice comme équité, op. cit., p. 39.

* 154 Id., Justice et démocratie, op. cit., p. 54.

* 155 Ibid., p. 158.

* 156Ibid., p. 160.

* 157 Ibid., p. 160.

* 158 Ibid., p. 72.

* 159 Ernest-Marie Mbonda, John Rawls, Droits de l'homme et Justice politique, op. cit,. p. 34.

* 160 « The political liberties can still be counted as basic even if they are only essential institutional means to protect and preserve other basic liberties. When politically weaker groups and minorities are denied the franchise and excluded from political office and party politics, they are likely to have their basic rights and liberties restricted if not denied. This suffices to include the political liberties in any fully adequate scheme of basic liberties» John Rawls, Justice as fairness, op. cit., p. 42.

* 161 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 43.

* 162 Par exemple, dans le cas des religions. Aujourd'hui, on peut appartenir à un tel groupe religieux qui a des principes valorisant le droit des femmes, et demain on peut se convertir dans un tel autre groupe religieux qui appelle la femme à la soumission totale à l'homme. À supposer que les décisions d'un citoyen vivant ce genre de situation ait influencé sa participation à la construction d'une conception de la justice, quelle pourrait être la suite ?

* 163 Le consensus par recoupement est un concept que Rawls introduit notamment dans Libéralisme politique, en le considérant comme un moyen servant à favoriser les ententes entre les citoyens des sociétés pluralistes : « l'idée de consensus par recoupement est introduite afin de rendre l'idée d'une société bien ordonnée plus réaliste et de l'ajuster aux circonstances historiques et sociales des sociétés démocratiques, qui incluent le fait du pluralisme raisonnable », La Justice comme équité, op. cit., 56.

* 164 Ibid., p. 45.

* 165 Véronique Munoz Darde, La justice sociale, op. cit., p. 26.

* 166 John Rawls, Théorie de la justice, op.cit., pp. 479-480.

* 167 Véronique Munoz Darde, La justice sociale, op. cit., p. 86.

* 168 John Rawls, La justice comme équité op. cit., pp. 69-70.

* 169 Will Kymlicka, Les théories de la justice, Op .cit., p. 67.

* 170 Discrimination positive: principe qui consiste à instituer les inégalités pour promouvoir l'égalité. Principe américain à comprendre dans deux sens : d'abord comme instrument de lutte contre les pratiques sexistes et racistes ; ensuite comme correction des inégalités sociaux-économiques. C'est ce deuxième aspect qui concerne notre étude.

* 171 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 107.

* 172 Ibid., p. 107.

* 173 Ibid., p. 107.

* 174 Véronique Munoz Darde, La justice sociale, op. cit., p. 33.

* 175 La méritocratie est un système politique, social et économique où les privilèges et le pouvoir sont obtenus par le mérite.

* 176 John Rawls, Théorie de la justice, op .cit., p. 348.

* 177 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 108 ;

* 178 Rawls précise que la conception politique de la justice n'exige pas des parents qu'il traite leurs enfants selon le principe de différence, pas plus qu'elle n'exige des amis de se traiter mutuellement ainsi, La justice comme équité, op. cit., p. 108.

* 179 « Après un match, on dit souvent que l'équipe a perdu méritait de gagner. On ne veut pas dire, plutôt, que l'équipe perdante a manifesté à un plus haut degré l'adresse et les qualités exigées par le jeu et dont l'exercice donne au sport son attrait. C'est pourquoi vraiment les perdants méritaient de gagner et ont perdu à cause de la malchance, ou pour d `autres contingences. Ainsi même la meilleure organisation économique ne conduira pas toujours aux résultats désirés », Théorie de la justice, op. cit., 351-352.

* 180 John Rawls, La justice comme équité, op. cit,. pp. 109-110.

* 181 Emmanuel Kant, Théorie et pratique, AK VIII, 293, Luc Ferry (trad.), OEuvres philosophiques, Paris, Gallimard, 1986, tome III, p. 274.

* 182 Par dé-formalisé, nous voulons signifier la volonté de Rawls, de faire incarner concrètement l'idée de justice. Dé-formaliser ici, voudrait donc dire « faire perdre son caractère formel ».

* 183 Emmanuel Picavet, Théorie de la justice, première partie. John Rawls, coll. philo-textes, Paris, Ellipses, 2001, p. 53.

* 184 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 109.

* 185 Idem, Théorie de la Justice, op. cit., p. 351.

* 186 Catherine Audard, Qu'est-ce que le libéralisme, op .cit., pp. 448-449.

* 187 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 97.

* 188 Ibid., p. 70.

* 189 Ibid., p. 95.

* 190 Id., Théorie de la justice, op. cit., p. 210.

* 191 Ibid.

* 192 Ibid., p. 97.

* 193 Ibid., p. 171.

* 194 Marie Bruno Borde, « Justice et Démocratie. La philosophie politique de John Rawls », dans Bulletin de Littérature Ecclésiastique, n°1, (janvier-mars 2003), 43-60.

* 195 John Rawls, La justice comme équité op. cit., p. 172.

* 196 Ibid., p. 70.

* 197 Ricoeur, le juste I, Paris, Esprit, 1995, p. 85.

* 198 Ibid., p. 74.

* 199 Ibid., p. 75.

* 200 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 70.

* 201 Ibid, p. 93.

* 202 Catherine Audard, Qu'est-ce que le libéralisme, op. cit., p. 468.

* 203 Ibidem, p. 29.

* 204 Déclaration universelle des droits humains, 1948

* 205 Devise de la République française : Liberté fraternité égalité

* 206 Rawls, Théorie de la justice, op. cit, pp. 29-30.

* 207 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 6.






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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault