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L'histoire universelle, conscience de la liberté. Une lecture de la raison dans l'histoire de G. W. F. Hegel

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par Vincent Ferrier KISHALI Masumbuko
Faculté de philosophie St Pierre Canisius de Kimwenza Kinshasa - Bachelier en philosophie 2008
  

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INTRODUCTION GENERALE

Patibulaire. Voilà le vocable qui semble convenir pour qualifier la philosophie de l'histoire de Hegel1(*). Nous avons bien dit « semble » parce que telle n'est pas l'intention de l'auteur. Le jugement qu'on peut porter sur son oeuvre, La Raison dans l'histoire, résulte de ce qu'on est. Pessimiste athée ou croyant enthousiaste, tout le monde y trouve sa place. Avec le regard du pessimiste athée, la philosophie de l'histoire de Hegel nous apparaît comme un moment de l'éternité où l'homme est abandonné à son triste sort : « L'histoire n'est pas le lieu de la félicité. Les périodes de bonheur y sont des pages blanches2(*) ». L'homme vit dans le monde comme dans une vallée des ossements, dominée par les intérêts et les passions humaines, où son bonheur se trouve sacrifié au profit de l'Esprit qui, lui, se réalise en toute impassibilité. L'histoire n'est plus l'histoire de l'homme mais plutôt l'histoire d'un Esprit impassible qui se réalise en utilisant l'homme comme un moyen lui permettant d'atteindre sa propre finalité. Par contre le thème de l'Esprit, tel qu'évoqué dans cette oeuvre, donne à un fervent croyant l'assurance d'être gouverné par un Esprit transcendant qui n'ayant pas voulu abandonner l'homme dans l'ombre de l'existence, s'incarne dans l'histoire. Permettant ainsi à tous ceux qui s'intéresseront à son projet (la finalité de l'histoire) de participer à sa réalisation. L'histoire devient donc histoire de Dieu qui appelle l'homme à collaborer en tant que moyen qui ne peut trouver son bonheur que dans la mesure où son intérêt coïncide avec son projet.

Toutefois, sans l'ombre d'un doute, il peut nous être permis d'affirmer que l'évolution historique, telle que la perçoit Hegel, est amorale. Mieux, la Raison n'est pas raisonnable. Le bonheur ou le malheur de l'homme n'est pas l'objet de l'Esprit, ni la finalité de l'histoire. Ce qui arrive dans l'histoire est nécessairement oeuvre de l'Esprit et non en dehors de celui-ci. Ainsi, la philosophie de l'histoire de Hegel se présente non seulement comme une épiphanie de l'Esprit mais aussi comme une théodicée, c'est-à-dire, comme une justification de Dieu. Il s'agit de « rendre intelligible la présence du mal face à la puissance absolue de la Raison...La Raison ne peut pas s'éterniser aux près des blessures infligées aux individus car les buts particuliers se perdent dans le but universel 3(*)». L'exercice de la pensée a donc pour tâche de rendre rationnelles les contradictions que nous offrent les expériences de l'histoire. Si nous arrivons à poser, avec Hegel, que tout ce qui est irrationnel dans le monde est nécessaire pour que se dégage la rationalité, alors nous modifions notre vision du monde : « au lieu d'être un monde imparfait, il devient soudain un monde impeccablement parfait et rationnel4(*) ». L'Esprit est libre. Il est dans son propre élément. Et ce qui est visé dans l'histoire c'est la manifestation de l'Esprit en tant que liberté.

La cime de notre exercice philosophique est donc de présenter l'évolution de l'histoire universelle comme une prise de conscience de la liberté, cette liberté qui dans l'histoire a été souvent obtenue au prix des combats et de la négation. La Raison, qui chez Hegel se présente comme moteur de la liberté, a souvent usé de la déraison pour devenir ce qu'elle est, c'est-à-dire, libre.

Dans le premier chapitre de notre travail, qui nous servira plus ou moins de fondement, nous tenterons de présenter brièvement ce que Hegel entend par manifestation de l'Esprit dans son oeuvre La Raison dans l'histoire, et nous ferons succinctement une plaidoirie pour l'individu humain qui semble être écrasé par l'omnipotence ou du moins l'absoluité de l'Esprit.

Le second chapitre, quant à lui, nous permettra de démontrer la prise de conscience de la liberté dans le cours de l'histoire universelle, en présentant quelques grands évènements dont la Révolution française et l'avènement de l'Organisation des Nations Unies (O.N.U.) et des Droits de l'Homme comme des moments par excellence de la prise de conscience de la liberté dans l'histoire de l'humanité.

Et enfin, dans le troisième chapitre, il s'agira d'une confrontation entre les idées que Hegel avait sur l'Afrique à son époque et cette Afrique dont nous sommes contemporains. Il ne s'agira pas de donner tort ou raison à Hegel, vu les polémiques qui ont souvent été soulevées par cette question, mais plutôt de réfléchir sur certains préalables hégéliens qui manquent à l'Afrique pour accéder dans l'histoire universelle telle que conçue par l'auteur.

Mais avant de pénétrer dans le vif de notre sujet qui est L'histoire universelle, conscience de la liberté, il nous semble convenir de préciser ce que nous entendons par Histoire universelle et ce que nous entendons par Conscience de la liberté. Signalons d'avance que dans la perspective hégélienne ces deux concepts ne peuvent se définir que par rapport à l'Esprit qui, lui, se présente comme le garant de l'histoire.

CLARIFICATION CONCEPTUELLE

Ø L'histoire universelle

Il peut paraître, à plus d'un, prétentieux de parler de l'histoire universelle. Or, s'il nous arrive de reconnaître quelque rationalité dans certains évènements particuliers, alors il peut nous être permis de concevoir un certain ordre beaucoup plus grand où une rationalité encore plus grande ordonne tous les évènements. C'est une foi philosophique que nous posons comme postulat nécessaire nous permettant ainsi de voir l'histoire sous un angle rationnel et pas forcément raisonnable. Hegel dira qu'il faut apporter à l'histoire la foi et l'idée que le monde de la volonté n'est pas livré à un jeu de hasard, « la Raison est présente dans l'histoire universelle, non la raison subjective, particulière, mais la Raison divine, absolue...5(*) ».

Ceci dit, nous pouvons alors affirmer avec Hegel que l'histoire universelle est l'image de la Raison conçue non point comme ensemble de règles humaines, mais comme principe divin immanent aux choses, usant de la passion des hommes pour parvenir à ses fins. L'histoire universelle est un mouvement spirituel total par lequel se réalise l'Esprit, mouvement pleinement rationnel puisque la Raison gouverne le monde ; c'est « la manifestation de cette Raison unique, une des formes dans lesquelles elle se révèle ; une copie du modèle originel qui s'exprime dans un élément particulier, les Peuples 6(*)».

L'histoire universelle est donc l'histoire du monde. Cette histoire du monde n'est pas à comprendre comme une sommation des histoires des individus, des peuples et des nations particulières ; mais plutôt comme histoire universelle telle que rationnelle dans sa globalité. C'est l'histoire du monde en tant que manifestation du Weltgeist7(*).

En tant qu'incarnation de l'Esprit sous la forme de l'évènement, de la réalité dans son immédiateté, l'histoire universelle est aussi l'histoire des Etats, des peuples et des individus en tant que ceux-ci participent de cette marche universelle de l'Esprit, qui est une marche rationnelle vers la pleine réalisation de la liberté ; c'est l'histoire « d'après le seul concept de sa liberté, le développement nécessaire des moments de la raison, de la conscience de soi et de la liberté de l'Esprit, l'interprétation et la rationalisation de l'Esprit universel8(*) ».

Ø La conscience de liberté

Nous entendons par conscience, la connaissance de soi, la capacité que possède l'individu humain de se connaître lui-même, l'acte par lequel le sujet se connaît en tant que tel et donc différent de l'objet de sa connaissance ; c'est la capacité de dire « je » et donc nécessairement « tu ». Il ne s'agit pas ici de la conscience telle comprise en psychologie ou en moral, mais simplement de la conscience comprise comme ce premier moment de la connaissance spontanée de soi.

Comme nous nous sommes inscrits dans l'histoire, la conscience n'est plus simplement conscience de l'individu particulier. Elle devient plutôt une conscience universelle se trouvant en chaque individu, en tant que celui-ci participe de la rationalité de l'universel qui se réalise dans l'histoire du monde sous la forme de conscience d'un peuple. Et cette histoire du monde tend vers la conscience universelle de la liberté, celle-ci comprise par Hegel comme la capacité d'être dans son propre élément. La conscience de la liberté, voilà le telos de l'activité de la Raison qui se trouve dans l'individu humain comme rationalité et donc opposition à la nature brute et immédiate des choses.

Pour Hegel, la liberté suppose nécessairement la conscience de soi ; en quoi l'animal ne peut être dit libre puisqu'il n'a pas conscience de la liberté. De plus, la liberté n'est pas donnée, mais elle se conquiert. Le point de départ de cette quête de la liberté, c'est le pouvoir de négation, le pouvoir de dire « non », que possède l'homme. L'homme acquiert les prémisses de son indépendance en s'opposant à son environnement, en aménageant le monde dans lequel il évolue. Autrement dit, en ne se contentant plus que de consommer les fruits de la nature, mais en s'opposant à celle-ci. Et c'est ainsi qu'il dépasse les passions et les désirs animaliers. La liberté ne se réalise cependant pleinement que par l'opposition à une autre conscience de soi car la liberté n'existe véritablement qu'en tant qu'elle est reconnue comme telle par cette autre conscience. C'est ainsi que s'engage une lutte à mort pour la reconnaissance. C'est là l'origine des relations de maîtrise et de servitude. Il faut ajouter que, pour Hegel, la liberté n'est rien d'autre que la manifestation dans l'histoire de l'essence rationnelle de la réalité : « L'histoire universelle est le progrès de la conscience de la liberté : c'est ce progrès et sa nécessité interne que nous avons à reconnaître ici.9(*) »

CHAPITRE I:

L'EPIPHANIE DE L'ESPRIT DANS L'HISTOIRE UNIVERSELLE

Introduction

Avant d'aborder cette partie de notre travail, nous avons jugé nécessaire de poser cette idée comme fondement de la philosophie de l'histoire de Hegel : « La Raison gouverne le monde et que, par conséquent, l'histoire universelle s'est elle aussi déroulée rationnellement 10(*)». Il s'agira donc pour nous de présenter la manière dont l'auteur conçoit le déploiement de l'Esprit dans l'histoire universelle.

En effet, pour Hegel, l'Esprit n'est pas une construction abstraite, c'est-à-dire sans réalité. Il n'est pas non plus une abstraction de la nature humaine. Il est un être individuel, parce qu'il est en soi. Il est actif, parce que l'activité est son être même. Il est conscience de soi et objet de sa propre conscience. Son activité consiste à un retour à soi, à une prise de conscience de lui-même comme objet de sa propre finalité : « L'Esprit se fait donc une idée déterminée de lui-même, de son essence, de sa nature11(*) ».

Dans l'écoulement du temps, le monde se présente comme ayant une double nature : une nature physique et une nature spirituelle, « mais la substance de l'histoire est l'Esprit et le cours de son évolution12(*) ». L'histoire universelle a donc pour finalité l'accomplissement de la Raison. Ayant sa finalité en elle-même, la Raison se confond avec la finalité du monde dans le rapport qu'elle entretient avec celui-ci. Cette finalité du monde qui est aussi celle de l'histoire universelle n'est rien d'autre que l'accomplissement de la Raison en tant qu'Esprit actif, exerçant son activité dans le monde: « c'est sur le théâtre de l'histoire universelle que la Raison atteint sa réalité la plus concrète13(*) ».

Ainsi, l'homme, parce que doté d'une conscience, s'élève dans un univers second et devient par ce fait même le suppôt de la Raison : « Le royaume de l'Esprit comprend tout ce qui est produit par l'homme14(*) ». Dans tout ce que l'homme produit dans l'histoire, il le produit parce que l'Esprit agit en lui. Le domaine de l'Esprit se déploie dans tout ce qui se produit dans l'histoire, tout ce qui a suscité et suscite encore l'intérêt humain. La nature de cet intérêt que l'Esprit suscite en l'homme « est substantielle et déterminée : c'est une religion, une science, un art déterminé15(*). » Et c'est dans l'histoire universelle que se réalisent ses intérêts portés par l'homme.

Hegel, dans sa philosophie de l'histoire, nous parle d'une finalité de l'histoire, des moyens de son actualisation et de la matière de sa réalisation. En conséquence, sa philosophie de l'histoire, parce que caractérisée par la recherche d'une finalité de l'histoire, est téléologique. Quelle place donc l'individu humain occupe-t-il dans cette réalisation de l'Esprit dans l'histoire ? Car, de prime abord, celui-ci n'apparaît que comme un simple instrument abandonné à la merci de l'Esprit qui lui, et lui seul, se réalise à travers l'histoire universelle.

I. 1. La finalité de l'histoire universelle

En tant que celui qui demeure dans son propre élément, l'Esprit est libre. La liberté est sa substance même : « La nature de l'esprit se connaît par son opposé exact. Nous opposons l'Esprit à la matière. De même que la substance de la matière est la pesanteur, de même la substance de l'Esprit est la liberté16(*) ». La liberté n'est pas pour l'Esprit une propriété à côté d'autres propriétés. Mais, elle est plutôt celle à partir de laquelle toutes les autres propriétés trouvent leurs sens. La matière, en tant que juxtaposition d'éléments, n'a pas son unité en elle-même. Celle-ci est plutôt pour elle un idéal à atteindre. Mais l'Esprit, quant à lui, est lui-même l'idéal vers lequel il tend, il a son centre en lui-même, il est l'Unité même. La liberté de l'Esprit n'est pas une existence immobile, mais plutôt une activité constante qui consiste à prendre conscience de soi-même et à devenir ainsi libre : « Se produire, se faire objet de soi-même : voilà l'activité de l'Esprit17(*) ».

Cependant, l'Esprit tel qu'apparaissant sous la forme de l'individu humain n'est pas encore libre, parce que ce dernier est un être vivant, c'est-à-dire, un être sentant, ayant des désirs. Mais, l'homme se distingue de l'animal par le fait qu'il est un être pensant, un être pouvant prendre conscience de lui-même. Contrairement à l'homme, chez qui le désir existe indépendamment de sa satisfaction, l'animal, qui est privé de la pensée, ne peut séparer le désir de sa satisfaction. Ainsi, l'homme « cesse d'être un simple être naturel, livré à ses perceptions et désirs immédiats, à leur satisfaction et leur création. Il en est conscient c'est pourquoi il refoule ses désirs et met la pensée, l'idéel, entre la poussée du désir et sa satisfaction18(*) ». Dès lors, Il devient capable d'agir selon les fins et de se déterminer selon l'universel, capable de freiner le mouvement de ses désirs et de briser son immédiateté et sa naturalité.

En outre, la conscience que l'Esprit a de lui-même doit se donner une forme concrète dans le monde. Partant du principe selon lequel l'universel vaut plus que le particulier, cette forme concrète de l'Esprit ne s'est réalisée dans l'histoire qu'à travers Volksgeist19(*) et non à travers des individus dans leur singularité.

La différence entre les esprits des peuples dépend de « la représentation qu'ils se font d'eux-mêmes, selon la superficialité ou la profondeur avec laquelle ils ont saisi l'Esprit20(*) ». La conscience que le peuple a de l'Esprit, c'est elle qui oriente tous ses buts et intérêts, « et même si les individus n'en sont pas conscients, elle demeure comme leur présupposition21(*) ». Un individu, aussi intelligent qu'il pense l'être, ne peut surpasser l'Esprit d'un peuple et empêcher qu'arrive ce qui doit arriver. D'ailleurs ne sont intelligents que ceux qui ont pris conscience de l'esprit de leur peuple et s'y conforment.

Les esprits des peuples sont particuliers à l'égard de l'Esprit du monde, qui est l'Esprit de l'univers tout entier tel que manifesté dans la conscience humaine. Ainsi, ils peuvent décliner, disparaître, parce qu'ils ne constituent qu'une étape dans l'accomplissement général de l'Esprit du monde. Mais ils sont aussi uniques parce qu'ils ont une conscience spécifique de l'Esprit. C'est ainsi que nous pouvons dire que tel peuple a telles moeurs, telle religion, tel art, telle culture, etc. Dans l'accomplissement de l'histoire, le peuple qui caractérise une époque est celui qui a saisi le plus haut concept de l'Esprit. D'autres peuples, qui n'ont pas ainsi saisi l'Esprit, subsistent mais sont mis à l'écart de l'histoire.

Chaque peuple a un but et un objectif à atteindre dans l'histoire. Une fois ceux-ci atteints, il n'a plus un rôle à jouer et est donc appelé à disparaître, laissant ainsi la place à un autre peuple en qui l'Esprit continue l'exercice de son activité. L'Esprit devient et se réalise chaque fois qu'un peuple disparaît, car « c'est lui qui se manifeste dans toutes les actions et les aspirations du peuple. C'est lui qui se réalise, jouit de lui-même et se connaît lui-même22(*) ». Ainsi, le rôle de l'histoire philosophique est de monter comment se réalise ce mouvement de grandeur et de décadence des peuples. La question qui se pose actuellement est celle de savoir comment s'effectue donc ce mouvement.

Comme Hegel part toujours de sa dialectique, il distingue trois moments : le moment de la culture (Bildung), de l'excès de culture (Uberbildung) et de la perversion de la culture (Verbildung).

Pour ce qui est du premier moment, celui de la culture, il s'agit de l'étape où il n'y a pas encore de réflexion dans l'individu : l'Esprit du peuple est là et lui n'a qu'à s'en inspirer et s'y conformer. Alors « nous disons qu'il est moral, vertueux, vigoureux parce qu'il fait ce qu'exige la volonté intérieure de son esprit et aussi parce que, dans le travail de son objectivation, il défend son oeuvre contre la violence externe. A ce stade, l'individu n'est pas encore séparé de l'ensemble23(*) ».

Ensuite vient le deuxième moment, celui de l'excès de culture. C'est l'étape de la réflexion où l'essence du peuple, ce qu'il est en soi, est confondue avec ce qu'il est dans la réalité, où l'idéel devient réel. L'abîme qui existe entre ce qu'il est en soi, c'est-à-dire son essence, et ce qu'il est dans la réalité est supprimé. L'Esprit s'épanouit et se satisfait dans un pareil univers où il s'identifie à l'esprit du peuple.

Le troisième moment est celui de la perversion de la culture, celui de la décadence. Ici, il est question du moment où l'Esprit a exaucé ses désirs ; où le peuple a réalisé son destin ; où il s'est pleinement formé. Il n'a plus de but, plus d'intérêt. Alors, il disparaît, il libère l'Esprit satisfait pour réaliser ses plus hauts intérêts. Ce moment au courant duquel l'Esprit du peuple se corrompt est caractérisé par l'habitude qui « est une activité qui ne rencontre pas d'opposition, une activité qui se déploie dans une durée formelle et où la plénitude et la profondeur du but ne sont plus senties24(*) ». Le peuple s'étant satisfait du but accompli tombe dans la routine et éteint en lui toute vitalité, et ainsi se conduit progressivement vers sa ruine. La mort d'un peuple n'est pas causée par l'emprise sur lui d'une force étrangère : « aucune puissance étrangère ne peut détruire l'Esprit d'un peuple soit du dehors soit du dedans, s'il n'est déjà en lui-même sans vie, s'il n'a déjà dépéri25(*) ». Elle provient généralement du dedans et est caractérisé par le particularisme. Les individus qui poursuivaient l'intérêt commun se retournent désormais vers leurs propres fins. Ainsi, l'Esprit étant un principe n'opérant que sur l'universel devient inactif et tombe en ruine.

La fin ultime de l'Esprit dans l'histoire n'est que son propre accomplissement parce qu'il est son propre objet. Et, dit Hegel, c'est dans l'objectivité qu'il prend conscience de sa félicité. Là où l'objectivité conduit les actions des hommes, c'est-à-dire là où il devient une exigence intérieure, là aussi réside la liberté. Le but de l'Esprit est de rendre le monde adéquat à lui-même. Et comme il se produit sous certaines formes déterminées que sont les peuples, cette adéquation dépend de la capacité d'un peuple à prendre conscience de sa liberté.

En outre, si nous nous permettons de poser la fin ultime comme un idéal, alors celui-ci doit être nécessairement un idéal universel, car l'Esprit, pour se réaliser véritablement, ne se sert que de ce qui est universel (peuple, Etat, nation...) et non de ce qui est particulier (individus singuliers).Cette fin ultime qui est universelle n'est pas à confondre avec des idéaux individuels qui sont particuliers : « Car ce que l'individu s'imagine dans son individualité ne peut faire loi pour l'universelle réalité, de même que la loi universelle ne s'adresse pas exclusivement aux simples individus lesquels pourraient fort bien ne pas trop y trouver leur compte26(*) ».

En outre, si nous affirmons que l'Esprit se réalise dans l'histoire, nous devons considérer celle-ci dans son universalité et non dans ses faits particuliers. Car, « lorsqu'on voit des faits particuliers, on peut se dire qu'il y a bien des choses injustes dans le monde27(*) ». Ainsi, tout l'effort de la philosophie est d'arriver à réaliser que le monde est ce qu'il doit être, que l'histoire universelle n'est rien d'autre que le plan de la Providence. Elle doit nous permettre, en outre, de connaître la réalité de l'Idée divine et de justifier la réalité historique tant méprisée.

Bref, avec Hegel, la finalité de l'histoire c'est la prise de conscience de l'Esprit en tant que liberté, et par là même la reconnaissance de la liberté du sujet humain :

C'est la liberté du sujet, afin que celui-ci acquière une conscience morale, afin qu'il se donne des fins universelles, qu'il les mette en valeur ; c'est la liberté du sujet, afin que celui-ci acquière une valeur infinie et parvienne au point extrême de lui-même. C'est là la substance du but que poursuit l'Esprit du monde et elle est atteinte par la liberté de chacun28(*).

I. 2. Les moyens de la réalisation de l'Esprit dans l'histoire

Les individus sont libres. La Raison est souveraine et doit nécessairement se réaliser. Comment relier cette idée de la souveraineté de la Raison avec la liberté humaine ? Comment alors concevoir l'action déterminante de la Raison, de l'Universel, dans l'histoire ? La ruse de la Raison, de quoi s'agit-il ?

Dès le premier moment de son être, l'Esprit en tant qu'il est lui-même, spirituel, n'est encore qu'une possibilité, un pouvoir-être qui n'est pas encore parvenu à l'existence. En soi, il n'est que l'Idée potentielle qui manque encore d'actualité. Pour qu'il vienne à l'existence, il lui faut un second moment qui est celui de son actualisation, de sa réalisation. Et ce second moment nécessite la volonté et l'activité générale de l'homme dans le monde : « C'est seulement par cette activité que ces concepts et ces déterminations existant en soi s'accomplissent et se réalisent29(*) ».

Or, comme le dit Hegel, la passion caractérise l'entreprise humaine et « la force naturelle de la passion est plus apparentée à la nature humaine que l'apprentissage long et artificiel du sens de l'ordre et de la modération, du droit et de la moralité 30(*)». Ainsi, pour réaliser son entreprise, l'Esprit a donc besoin de l'intérêt et de la passion humaine. Le droit infini des sujets est de trouver la satisfaction dans leur activité et leur travail : « il faut qu'ils s'y retrouvent leur propre intérêt et qu'ils satisfassent leur amour- propre 31(*)». Les passions et les intérêts des hommes ne sont finalement en quelque sorte que des appels de l'Esprit.

Rien de grand, dit Hegel, ne s'est accompli dans le monde sans passion. Et la raison se sert, comme nous l'avons dit ci haut, de la passion et de l'intérêt de l'homme pour se réaliser dans l'histoire. La ruse de la Raison réside dans le fait que l'homme qui, dans son activité et son travail, exerce ses passions et intérêts s'y retrouve. En plus, il a comme l'impression de se réaliser lui-même, d'accomplir son amour-propre, d'être libre dans ses choix : « L'intérêt peut être tout à fait particulier mais il ne s'ensuit pas qu'il soit opposé à l'Universel. L'Universel doit se réaliser par le particulier32(*) ». Et Hegel ajoute : « c'est leur bien propre (das ihrige) que peuples et individus cherchent et obtiennent dans leur agissante vitalité, mais en même temps ils sont les moyens et les instruments d'une chose plus élevée, plus vaste qu'ils ignorent et accomplissent inconsciemment33(*) ».

Les grands hommes historiques sont ceux dont les passions et intérêts ont coïncidé avec la volonté du Weltgeist ; ce sont ceux qui, après avoir saisi l'Universel supérieur, en ont fait leur fin :

Les véritables buts ne peuvent surgir que du contenu que l'Esprit intérieur a lui-même élaboré en vertu de sa puissance absolue. Et les individus historiques sont ceux qui ont voulu et accompli non une chose imaginée et présumée, mais une chose juste et nécessaire et qu'ils l'ont compris parce qu'ils ont reçu intérieurement la révélation de ce qui est nécessaire et appartient réellement aux possibilités du temps34(*).

I. 3. La matière de la réalisation de l'histoire

L'Esprit qui gouverne l'histoire selon sa finalité a, non seulement, besoin de moyens pour réaliser cette fin, mais aussi besoin des matériaux qui concourent à cette réalisation. Si l'individu humain a été jusqu'alors utilisé par l'Esprit comme moyen de la réalisation de l'histoire « la matière où la Raison parvient à l'existence est donc le savoir et le vouloir humains 35(*)».

Cependant, Hegel constate que dans la mesure où la volonté humaine est caractérisée par la subjectivité et mue par des passions bornées, il n'y a pas encore de liberté, ni d'objectivité, car la volonté se trouve encore aliénée dans l'arbitraire et la brutalité. Il faut donc un lieu où la volonté subjective et la volonté l'Universel coïncident. Et ce lieu c'est l'Etat : « Dans la mesure où l'individu porte en soi la connaissance, la foi et la volonté de l'Universel, l'Etat est la réalité où il trouve sa liberté et la jouissance de sa liberté 36(*)». Ainsi, c'est uniquement dans l'Etat que l'individu devient libre et vit son existence dans la conformité avec la Raison.

Il en résulte donc que l'homme ne peut atteindre son bonheur que dans l'Etat. Tout ce qu'il est il le doit à l'Etat. Et celui-ci a pour essence « la vitalité éthique et celle-ci consiste dans l'union de la volonté universelle et de la volonté subjective 37(*)». L'existence de l'Etat résulte de la capacité des individus à agir selon la volonté générale et de s'assigner comme finalité le bien universel. Il peut donc en découler que les individus n'ont pas de volonté. Ce qui n'est pas le cas pour Hegel qui pense que cela signifie tout simplement que les volontés particulières des individus sont sans valeur dans la mesure où elles ne s'accordent pas à l'Universel. Cet Universel c'est bien l'Esprit du peuple qui « est l'élément sacré qui relie les hommes, les esprits, entre eux ; il est ce qui fait l'unité de la vie, la grandeur du but et du contenu dont dépend tout bonheur privé et toute liberté privée 38(*)».

Le lieu par excellence où la volonté universelle trouve son effectivité, c'est dans les lois étatiques et dans toutes les déterminations rationnelles et universelles : les moeurs et la vie éthique telles que voulus par l'ensemble. L'individu n'est rationnel que dans la mesure où il fait siennes les lois qui régissent la marche de l'Etat tout entier et il y est donc appelé au sacrifice et la subordination de son individualité.

Aurions-nous le droit de dire que Hegel, dans son modèle téléologique, n'en finit toujours pas avec l'instrumentalisation de l'homme lorsqu'il affirme que l'Etat n'existe pas pour le citoyen ? Celui-ci ne serait qu'un moyen au service de la finalité qu'est l'Etat. Cependant, pense Hegel, dans le rapport entre l'Etat et l'individu, le couple fin-moyen n'a pas sa place, car l'individu participe activement à la réalité de l'Etat qui n'est qu'une unité organique. L'Etat, dit-il, « n'est pas une abstraction qui se dresse face aux citoyens, mais ceux-ci sont ses moments, comme dans la vie organique où aucun membre n'est la fin ou le moyen d'un autre. Ce qu'il y a de divin dans l'Etat c'est l'Idée telle qu'elle existe sur terre39(*) ». Toutefois, le problème n'est toujours pas résolu. Car la réalité de l'Etat, étant universelle, est primordiale par rapport à celle de l'individu qui n'a qu'une réalité particulière, et donc sans valeur. L'individu, que vaut-il dans cette vision plus ou moins totalitaire de l'Etat ?

I. 4. La place de l'individu dans la réalisation de l'Esprit

La question que nous traitons ici est une sorte de plaidoyer pour l'individu humain. «Dans la mesure où l'histoire nous apparaît comme l'autel où ont été sacrifiés le bonheur des peuples, la sagesse des Etats et la vertu des individus 40(*)», quelle place l'homme occupe-t-il dans cette réalisation absolue de l'Esprit? N'est-il plus qu'un simple instrument dans les mains d'une Raison absolue ? Dans le théâtre de l'histoire, l'Esprit vise l'universel en négligeant le particulier. Car, ce dernier a le plus souvent moins d'importance en comparaison de l'universel. Ainsi, les individus sont sacrifiés et abandonnés à leur destin. Comment donc l'individu, dans cet assujettissement au principe universel, peut-il se réaliser soi-même ?

Le modèle téléologique de l'histoire (finalité, moyens, matière) nous impose nécessairement de poser l'individu humain, dans la réalisation de l'Esprit, comme un instrument dont celui-ci se sert. Cependant, d'après Hegel, poser l'individu comme moyen au service de la réalisation de la Raison ne l'empêche de se réaliser lui-même. En d'autres termes, la réalisation de la Raison coïncide nécessairement avec la réalisation de l'individu dans la mesure où celui-ci agit rationnellement:

Quant il est question de moyens on s'imagine tout d'abord que le moyen est extérieur et étranger à la fin qu'il doit réaliser. Mais déjà les objets naturels en général, voire la chose inanimée la plus vulgaire, ne peuvent être employés comme moyens s'ils ne répondent pas à la fin, s'ils n'ont pas un point commun avec elle. En ce sens tout à fait extérieur, les hommes ne se comportent guère comme des simples moyens au service de la fin de la Raison ; s'ils remplissent ses exigences, ils satisfont en même temps et par la même occasion leurs propres fins particulières qui ont un contenu différent41(*).

L'homme comme moyen au service de l'Esprit n'est plus à considérer comme un simple instrument dont celui-ci se sert astucieusement, mais plutôt celui qui participe à la fin de l'Esprit et est donc lui-même une fin en soi selon le contenu même de la fin : « l'homme n'est fin en soi que par le divin qu'il porte en lui 42(*)». De même que la finalité de l'Esprit est de prendre conscience de lui-même en tant que liberté, de même l'homme, en tant que celui qui participe à la finalité de l'Esprit, est appelé à prendre conscience de sa liberté en se mettant au service de ce dernier.

En outre, l'Esprit pris en lui-même n'a pas de réalité effective ; il a besoin d'une énergie et d'une activité capables de le mettre en oeuvre et de l'amener à l'existence. L'individu humain est le seul répondant à ce besoin de l'Esprit, mais seulement dans la mesure où « les principes l'intéressent et allument sa passion 43(*)». D'où l'usage de la ruse de la Raison pour susciter en l'individu la passion nécessaire pour l'engagement au service, apparemment, de lui-même, mais qui, en définitive, est pour la fin de la Raison et donc universelle. L'individu est toujours utilisé comme moyen, mais un moyen qui collabore. L'homme n'est plus que collaborateur à l'oeuvre de l'Esprit dans la mesure où ce n'est que grâce à ses passions que l'Esprit reçoit une effectivité concrète.

Les grands hommes, voilà-là ceux qui semblent amener la nouveauté dans l'histoire, « et la nouvelle situation du monde qu'ils créent et les actes qu'ils accomplissent sont en apparence un simple produit de leurs intérêts et de leur oeuvre 44(*)». Mais en réalité, c'est l'Esprit qu'ils satisfont. Car l'Esprit qui gouverne le monde est porté par tous les individus, il est leur intériorité inconsciente que les grands hommes portent à la conscience de l'humanité : « Ce qu'il y a de plus admirable en eux c'est qu'ils sont devenus les organes de l'Esprit substantiel : c'est en cela que réside le véritable rapport de l'individu à la substance universelle45(*)».

Dans la vision de Hegel, la liberté n'est pas une qualité de l'homme naturel, c'est-à-dire de l'homme qui ne vit que sous la modalité de l'immédiat, de l'homme qui ne s'occupe que de la satisfaction de ses instincts naturels. L'homme libre c'est celui qui se situe au niveau de la raison. Et celle-ci conduit nécessairement à l'objectivité. Ainsi, l'homme libre se détermine par le respect de l'universalité.

Doté de raison, l'homme a la possibilité et la capacité de se conduire dans l'harmonie avec l'Universel au point que son rapport à celui-ci soit moins une subordination plutôt qu'un univers de liberté, de vraie liberté. La responsabilité de l'homme pour la réalisation de son propre bonheur n'est donc pas pour rien. Car, d'après Hegel, l'homme est son action, il est la série de ses actes, il est ce qu'il s'est fait lui-même. Il doit donc être responsable à la fois du bien tout comme du mal qui découle de ses actes :

Le signe de la haute destination absolue de l'homme c'est de savoir ce qui est bien et ce qui est mal et de vouloir soit le bien soit le mal, en un mot, d'être responsable, responsable non seulement du mal, mais aussi du bien, non seulement de ceci, de cela, de tout ce qu'il est et de tout qu'il fait, mais aussi du bien et du mal qui incombent à son libre arbitre. L'animal seul est irresponsable46(*).

Conclusion

Nous nous rendons compte, aux termes de ce chapitre, que la philosophie de l'histoire de Hegel est une phénoménologie de l'Esprit. C'est l'Esprit qui, se déployant dans l'histoire, parvient à la connaissance de lui en tant liberté. N'étant en soi qu'une pure Idée, il a besoin de matière et de moyens concrets pour atteindre sa finalité dans l'histoire. Les moyens qu'il utilise sont donc l'esprit des peuples, leurs intérêts et passions qu'il manipule en usant de la ruse. Le bonheur des individus est ainsi sacrifié au profit de celui de l'Esprit. L'Etat devient, non seulement, la matière dans laquelle il s'incarne pour prendre conscience de lui-même en tant que objectivité et liberté, mais aussi le lieu de l'épanouissement de la liberté de l'individu. La finalité de l'histoire est comprise finalement comme prise de conscience, par l'Esprit, de sa liberté et, par conséquent, celle de l'homme qui participe de l'Esprit.

CHAPITRE II :

LA CONSCIENCE DE LA LIBERTE DANS L'EVOLUTION HISTORIQUE

Introduction

La conscience de l'histoire universelle évolue vers la reconnaissance de la liberté. Plus un peuple prend conscience de son esprit plus il devient libre. La liberté, comme nous l'avons déjà dit, est la substance de l'Esprit qui se réalise dans l'histoire. Cette dernière ne nous paraît pas toujours rationnelle. Et c'est peut-être parce que nous la regardons dans ces évènements particuliers qui ne nous donnent pas toujours une vision positive de l'universel. Et pourtant, si nous nous mettons face à l'histoire dans toute sa globalité, nous n'y retrouvons que des traces de la rationalité, bien que contingente, de l'homme.

La liberté, en tant que propriété de la Raison, ne s'obtient que dans l'opposition à la nature ; c'est uniquement l'homme qui s'oppose à sa naturalité brute qui devient vraiment libre. Par là, la liberté devient un combat et ne peut s'obtenir que par la négation. Elle est l'effort fourni par la Raison, dans son déploiement dans le monde, de s'affirmer en tant que dépassement de la nature, en tant que plus-que-nature. L'histoire universelle, qui est la prise de conscience de la liberté, passe par la négation en vue du triomphe de la Raison sur la nature.

Le combat pour l'avènement de la Raison, et donc de la liberté, s'est avéré rude à travers l'histoire. Les évènements, vus dans leur immédiateté, ont paru irrationnels aux yeux de l'humanité. Les contemporains des grands évènements historiques n'étaient sûrement pas conscients de l'impact que leurs actions pourraient avoir sur l'avenir de l'humanité.

L'irrationnel, c'est ce qui n'a pas de sens. Or, avec Hegel le rationnel est réel et le réel est rationnel. Le non sens de l'histoire a donc un sens ; un sens qui se fait graduellement au moyen des contradictions vécues dramatiquement par les hommes ; un sens qui ne se laisse pas toujours percevoir immédiatement mais qui a besoin du temps pour se révéler. Seul l'homme est capable de saisir le sens de l'histoire, parce qu'il est le seul en qui la Raison a trouvé sa demeure.

Notre effort dans cette partie de notre travail est de lire, avec Hegel, quelques grands évènements historiques qui ont conduits l'humanité à la conscience de la liberté. Ces évènements historiques sont donc la Révolution française -vécue par Hegel lui-même, ainsi que l'avènement de l'Organisation des Nations Unies et des droits de l'homme.

II. 1. La Révolution française et la conscience de la liberté

La dialectique de Hegel est toute portée par l'idée de révolution. Elle apparaît dans son premier mouvement comme suppression de ce qui est, comme négation du déjà là et finalement comme dépassement et de ce qui est et de la négation de ce qui est. Findlay dit :

Une manière partiale, à moitié vraie de regarder les choses révèle soudainement son caractère partial et oblige à basculer dans une partialité opposée, jusqu'à ce que, par le résultat de ce mouvement de bascule, on arrive à une nouvelle position d'équilibre entre les deux conceptions partiales, mais pour reprendre le mouvement de bascule de la même façon et s'élever ainsi à des positions d'équilibre plus élevées, jusqu'à ce qu'on atteigne une position si élevée qu'on puisse apercevoir tout le domaine dans lequel on se basculait auparavant47(*).

Ce mouvement de bascule, voilà ce que la raison accomplit dans une révolution : s'arracher du tranquille contentement que nous offre la réalité concrète, supprimer ce qui est parce que monotone, et produire une nouveauté grâce au dépassement. Mais parce que l'homme est caractérisé par son époque, nier son époque implique nécessairement se nier soi-même, se suicider48(*), s'auto-dépasser en vue d'aboutir à un soi supérieur au soi-déjà-là, à un soi qui répond aux exigences de l'Esprit qui est en mouvement vers l'accomplissement de ce qu'il est.

Ainsi, la Révolution française nous paraît, à juste titre, comme ce moment de l'histoire où l'homme prend conscience de sa liberté en passant par l'opposition à ce qui, jusque là, le réduisait au rang d'un aliéné :

Je vois qu'aucun signe du temps n'est meilleur que celui-ci : c'est que l'humanité est représentée comme si digne d'estime en elle-même ; c'est une preuve que le nimbe qui entourait les têtes des oppresseurs et des dieux de la terre disparaît. Les philosophes démontrent cette dignité, les peuples apprendront à la sentir ; et ils ne se contenteront pas d'exiger leurs droits abaissés dans la poussière, mais les reprendront, ils se les approprieront49(*).

La liberté, l'égalité et la fraternité, voilà les chants de la Révolution française mais qui, à notre avis, ne peuvent se résumer qu'en un seul : la liberté. Car, l'égalité et la fraternité ne sont recherchées qu'en vue de promouvoir la liberté de l'individu en tant que tel, ce qui implique la liberté de l'autre en tant qu'individu : « Sois une personne et respecte les autres en tant que personnes 50(*)».

II. 1. 1. Bref aperçu historique51(*)

Parlant de la Révolution française, Hegel disait qu'il fallait la considérer comme un événement du monde entier. Pour lui, ce fut un merveilleux lever du soleil que tous les êtres pensants devaient célébrer avec le peuple français. Il appelle donc à « considérer la Révolution française du point de vue de l'histoire universelle, car, selon le contenu, cet évènement a une portée historique universelle, et il faut en bien distinguer le combat du formalisme 52(*)». Que s'est-il donc passé ? Pourquoi donc tant d'émerveillement de la part de Hegel ?

En effet, cet évènement crucial qui a créé la France moderne, a été inspiré par la Révolution américaine de 1776 et n'a eu d'équivalence qu'en Russie en 1917. En 1789, la France n'était pas aussi malheureuse sur le plan économique. Ce n'est pas dans un état anéanti, mais plutôt dans un Etat prospère qu'éclata la Révolution. Celle-ci s'est d'abord passée dans les esprits avant de se concrétiser dans les choses. Les problèmes de l'abolition des vestiges de la féodalité, de la répartition des impôts et de la réforme financière auraient pu trouver des solutions, mais le pays souffrait d'une crise morale et d'une crise d'autorité. La Révolution a duré dix ans, de 1789 à 1799. Dix ans de controverse, c'est long. Mais ce fut très court pour permettre un changement des mentalités.

Peu de temps avant que n'éclata la Révolution, la France a été le seul pays à aider Washington lors de la Révolution américaine, ce qui coûta très cher et ruina la monarchie française. Ainsi, en 1789, le Roi Louis XVI n'avait plus d'argent. En partie parce que la noblesse recevait beaucoup d'argent et ne payait pas d'impôt. Ni les nobles ni l'Eglise ne payaient d'impôt. Or, ceux-ci constituaient les classes les plus riches. Ainsi, le roi convoqua à Versailles les Etats Généraux , c'est-à-dire l'assemblée des députés de la noblesse, du clergé et du Tiers-Etat. Cela mit en marche le processus de la Révolution, car les députés des Etats Généraux firent serment de réformer la France. Ils profitèrent donc de la réunion pour faire une Constitution. Immédiatement, la France s'agita. Il eut des troubles dans le pays tout entier qui aboutirent, le 14 juillet 1789, à la prise de la Bastille. Celle-ci était une vieille prison où l'on détenait des prisonniers politiques, mais elle était devenue le symbole de la monarchie. Les Etat Généraux prirent le nom d 'Assemblée Constituante. Ils furent nommés ainsi parce qu'ils rédigèrent la Constitution.

La première réforme entreprise par les Etats Généraux fut l'abolition de la noblesse. Avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, tous les hommes furent dorénavant considérés comme égaux ; les privilèges furent abolis. Il y avait donc en France toujours des nobles, mais la classe de la noblesse avait été abolie. Pour la première fois dans l'histoire européenne, un peuple s'affranchissait de la tutelle de sa noblesse et de son roi.

Les français partisans de la République, épris par le goût de la liberté, ressentirent un nécessaire besoin de libérer le monde entier des monarques absolus. La philosophie du droit naturel avait, dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, une connotation universelle. Immédiatement après les événements de 1789, les français entrèrent en guerre contre presque tous leurs voisins. Bien que les batailles de la Première République fussent consumées par de nombreux échecs, celles qui suivirent au début du XIXième siècle diffusèrent massivement les idées révolutionnaires à travers toute l'Europe. L'occupation française, la circulation des ouvrages philosophiques et les transactions commerciales internationales allumèrent le phénomène révolutionnaire sur tout le continent européen.

Avec la Révolution, tout un monde bascule. L'Ancien Régime, bâti par cinquante générations en plus de 1500 ans, s'effondre ; une société nouvelle naît dont les prolongements s'étendent jusqu'à nous, sur toute la surface du globe. Dix ans ont suffi pour repousser le passé et préparer l'avenir.

II. 1. 2. Le paradoxe de la liberté

Peut-il nous être permis de dire avec Hegel que l'activité de la Raison est une activité révolutionnaire parce qu'elle consiste à amener dans la réalité ce qui appartient au domaine de la rationalité : tout ce qui est rationnel est réel. Du tréfonds de partisans de la Révolution, bouillonnait un grand désir de liberté. Cette conscience de liberté qui éprit tout le peuple français ne pouvait donc craindre aucun obstacle. L'exigence de la raison les obligeait de rendre effective cette liberté qui, en eux, était devenue conscience. La France qui entre dans une aventure généreuse ne soupçonne point la suite patibulaire dans laquelle elle s'entraîne ; elle ne sait pas encore que le bon va se mêler au pire ; que les stupidités, les crimes s'accumuleront mais aussi les actions d'éclat ; à côté de réformes heureuses et d'actes héroïques, le sang coulera. Or, l'irrationnel devint rationnel, car cette acquisition de la liberté n'alla point sans quelque atrocité. Au point que, pour obtenir cette liberté, Maximilien Robespierre supprime les libertés, instaure la terreur et la guillotine pour ses ennemis.

En effet, Robespierre n'a pas été choisi par le peuple; il s'est imposé par la Convention. La Révolution a été guidée par l'idée de la liberté ; paradoxalement la Terreur voit l'établissement de la dictature. L'instrument de prédilection de la Terreur fut la guillotine53(*), constituée par un tranchoir qui s'abat sur la tête du condamné, laquelle est recueillie dans un panier. Plus de 10000 personnes en périrent y compris le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette. De 1795 à 1799, on tenta en vain d'instaurer une République modérée. La guerre continuait et les divisions intérieures devenaient encore trop grandes. Ceci permit à Napoléon Bonaparte, général de l'armée en 1799, par un coup d'Etat militaire, de s'emparer du pouvoir.

Cependant, quelque paradoxale que peut paraître la Révolution française, elle a fait naître dans le peuple de toute l'Europe la conscience la liberté. Elle a était une période troublée pour toute l'Europe, mais elle a aussi permis la naissance de l'Etat de droit moderne que nous avons encore aujourd'hui. Soudainement, tous les pays européens se dotèrent d'une Constitution qui contenait, d'une part, des dispositions se rapportant à l'organisation institutionnelle de l'Etat, et d'autre part, des droits fondamentaux garantis que le citoyen pouvait faire valoir à l'encontre de l'Etat. Ceci ne sera possible que grâce à la rédaction de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

II. 1. 3. Le legs pour la conscience universelle de la liberté

Toutefois, l'idée de liberté, telle qu'exprimée dans La Raison dans l'histoire de Hegel, ne se trouve pas moins manifestée dans la Révolution française. Bien que celle-ci apparaît furtivement sous le mode de l'irrationnel. Ainsi, il paraît injuste, avec les yeux de la raison, de ne trouver dans la Révolution qu'une simple manifestation de la naturalité brute de l'homme. Avec Hegel, il y a bien plus : la Raison y a agi rationnellement. Bien que le résultat ne fût immédiat, la postérité que nous sommes n'en jouit pas moins.

Sans doute, la Révolution a apporté moult éléments positifs dans la conscience universelle de la liberté dont : la liberté d'expression et de religion, l'abolition des privilèges dus au rang social : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune54(*) », l'instauration d'un régime démocratique de gouvernement du peuple élu par le peuple, la création d'une assemblée législative, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui avait comme but final le bonheur de tous et qui proclamait les droits naturels inaliénables et sacrés de tout homme, etc.

La portée universelle des idées de la Révolution française fut reconnue pratiquement dès le début par ses contemporains : adversaires comme partisans. Son impact fut considérablement renforcé par les Guerres de la Révolution française et de l' Empire, qui ont touché une large partie de l' Europe continentale, avec la création de «  Républiques soeurs » et la transformation des frontières et des États d'Europe. La Révolution est restée un objet de débats et une référence positive ou négative tout au long des deux siècles qui l'ont suivie, en France comme dans le monde.

II. 2. Les Nations Unies et la conscience universelle de la liberté

La liberté, qui est une propriété fondamentale de la Raison et de tout être rationnel, continue son actualisation dans l'histoire. Après le Révolution française dont Hegel était contemporain, l'humanité a vécu un moment encore plus manifeste où la liberté portée par l'individu humain, en tant que présupposition, s'est vue se concrétiser à travers la création de l'Organisation des Nations Unies. Il est évident que Hegel n'a pas vécu la création de l'Organisation des Nations Unies. Et d'ailleurs, il a critiqué l'idée kantienne d'une Société des Nations dans Principes de la philosophie du droit. Mais rien ne nous empêche de lire ce grand évènement que l'humanité n'avait presque jamais connu, en matière de la reconnaissance des droits de l'homme, avec le regard philosophico-historique de Hegel.

En effet, la création des Nations Unies n'est pas l'évènement d'un Etat particulier, mais c'est toute l'humanité qui, après avoir fait l'expérience de sa propre négation, après avoir vécu l'irrationnel à travers les atrocités de la seconde Guerre mondiale, a considéré « que la méconnaissance et le mépris des droits de l'homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l'humanité55(*) ». Dirait-on avec Hegel que c'est grâce à cette activité de la négation que la conscience historique de la liberté s'aiguise davantage dans l'histoire universelle :

Paradoxalement, le mal serait ce qui permet à l'histoire, et bien entendu à l'humanité qui en est à la fois source et victime, d'atteindre par étapes successives et rigoureuses une croissante actualisation de l'Idée profonde qu'elle est supposée expliciter. Bref, le mal est acceptable car nécessaire56(*).

Force nous est de réaliser que la conscience de la liberté, qui est la finalité de l'histoire, ne s'obtient que par le travail de la négation. Celle-ci lève la contradiction en la rendant créatrice du développement historique. Le bonheur que procure la liberté est le fruit d'un cycle paradoxal : nier la liberté en vue d'obtenir la liberté. Mais cette liberté obtenue après le travail de la négation est une liberté beaucoup plus élevée que la première, car le concept de liberté s'éclaire davantage dans la conscience du monde et dans celle de l'individu humain qui constitue cette conscience.

Cependant, malgré l'irrationalité vécue par l'humanité à travers les guerres mondiales, la raison ne nous pardonnera pas si, de quelque manière, nous nions cette prise de conscience de la liberté du sujet humain que les Nations Unies ont proclamée à travers la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Cette dernière est proposée comme un principe inspirateur universel dans lequel toutes les Constitutions des Etats reconnaissant la liberté du sujet humain pouvaient trouver leur source. Ainsi, il pourrait nous être permis de poser l'Organisation des Nations Unies comme l'universel à travers lequel les Etats, compris dans leurs particularités comme subjectifs, pourraient atteindre le niveau le plus élevé d'objectivité.

II. 2. 1. L'avènement des droits de l'homme

La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies, le 10 décembre 1948, vient, près de deux siècles après, comme pour confirmer le principe de la liberté de l'individu humain, déjà proclamé en 1789 dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en disant : « Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité 57(*)». Après la déclaration de la Révolution française qui déjà avait tant bouleversé le monde et sa conception de la liberté, qu'avions-nous encore besoin d'une seconde déclaration ?

En effet, si déjà à travers la Révolution française l'individu se posait lui-même comme pouvant révolutionner les choses, comme pouvant changer le cours de l'histoire en affirmant sa liberté en tant qu'acteur de la réalisation historique, l'histoire dans son irrationalité rationnelle n'avait toujours pas accordé assez de crédit à cette revendication du sujet humain. Les évènements post-révolutionnaires ont prouvé comment l'histoire, dans son déroulement rationnel, pouvait être si imprévisible. La première et la seconde guerre mondiale n'ont pas été de prime abord des lieux d'expressivité de cette liberté de l'homme déjà présente dans la conscience historique. Et pourtant, ces évènements dans leur atrocité effective, portaient une vérité plus grande qui devait aiguiser cette conscience de la liberté. Il ne s'agit pas pour nous d'accepter, ni d'approuver, moins encore de justifier le mal que cela a causé dans la conscience de l'humanité. Notre entreprise n'est qu'une quelconque quête de sens, une recherche du sens profond que pouvait porter ces évènements si macabres que la raison humaine ne peut accepter que si elle se nie elle-même.

Sans doute, les Nations Unies n'ont pas supprimé l'irrationnel dans l'histoire ; l'application effective du respect des droits de l'homme, tel que exposés dans la Déclaration de 1948, présente quelques difficultés pour certains Etats. Mais cela ne peut nous épargner de reconnaître le grand rôle que leur reconnaissance universelle a joué dans la considération du sujet humain. Ils ont permis, entre autre, le respect, bien que relatif, de l'indigène. Et, dix années après leur édiction, plusieurs Etats colonisés sont devenus relativement autonomes à travers les luttes des indépendances.

En regardant l'histoire dans ses évènements particuliers, dirait Hegel, il nous sera difficile d'y percevoir un quelconque sens rationnel. Pouvons-nous donc dire que dans son ensemble l'histoire se porte bien ? Ce serait peut-être prétentieux de notre part. Mais ce qui est évident et que la conscience universelle peut accepter, dans la mesure où elle est honnête, est que la situation des droits de l'homme va nettement mieux qu'il y a quelques siècles.

Le respect de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme dépend du degré de rationalité de chaque Etat. Dans la mesure où ils sont souverains et autonomes, les Etats membres des Nations Unies sont donc appelés à user de cette déclaration comme principe inspirateur de leurs constitutions, comme le fondement qui oriente la relation entre les libertés individuelles au sein de l'Etat qui est le garant des toutes ces libertés. Au fait, bien que tous les Etats aient pu intégrer les exigences de la Déclaration dans leurs Constitutions, il en reste que son application effective encore pose problème.

Toutefois, nous ne pouvons nous empêcher de présenter l'Organisation des Nations Unies comme cette conscience universelle dans laquelle les consciences des peuples particuliers s'accordent en vue de la promotion de la raison en tant que ce qui est voulu par l'humanité toute entière.

II. 2. 2. Penser les Nations Unies dans la perspective du Weltgeist

Il n'y a de vraie liberté que dans l'Etat, pense Hegel, car celui-ci est « la forme historique spécifique dans laquelle la liberté acquiert une existence objective et jouit de son objectivité58(*) ». Pourquoi nous permettons-nous donc de cerner cette liberté de l'individu humain en-dehors de l'Etat ? Pour Hegel, l'Etat est cet être qui ne connaît rien au-dessus de lui. Comment donc rendre possible les Nations Unies, si nous considérons cette pensée de Hegel :

...les relations des Etats ont pour principe leur souveraineté, ils se trouvent ainsi les uns par rapport aux autres dans l'état de nature et leurs droits ont leur effectivité, non dans une volonté générale constituant une puissance au-dessus d'eux, mais dans leur volonté particulière59(*).

En effet, dans sa philosophie du droit, Hegel affirme que l'Etat est la liberté réalisée, mais il est aussi source de violence lorsqu'il entre en collision avec un autre Etat : « Le conflit entre Etats devient donc rationnellement nécessaire, dès lors qu'il n'existe ni préteur ni tribunal suprême qui puisse trancher les différends 60(*)». Bien qu'ayant été soutenue par Hans Morgenthau, le père de la théorie réaliste des relations internationales, pareille conception peut être pardonnée à Hegel si nous tenons compte du contexte des guerres entre les Etats dans lequel il a vécu.

Cependant, les Nations Unies pourraient relativement contredire cette conception des relations internationales qu'expose la pensée hégélienne. Nous disons relativement parce qu'en considérant l'histoire jusqu'à nos jours, nous pouvons constater que les Nations Unies n'ont sans doute pas éliminé le conflit entre Etats. La réalité empirique de l'histoire conduit d'aucuns à penser que l'ONU n'a plus de raison d'exister parce qu'ayant échoué à sa mission. Or, une vision globale et positive de l'histoire nous permet d'affirmer que le droit international engendré par l'ONU a contribué au progrès de la conscience de liberté, entre autre en assurant l'autodétermination de plusieurs peuples qui vivaient sous la colonisation ou sous une quelconque occupation illégitime. Ce qui est évident pour nous est que sa présence dans le monde réduit le taux de prévalence de l'irrationalité dans l'histoire. Comme qui dirait :

Affaiblissez-la (ONU), démolissez-la -comme l'ont suggéré quelques intellectuels pantouflards et cabotins- et tout le reste littéralement s'écroule, toutes les autres structures partielles, sectorielles, toutes les couches transversales qui s'enchevêtre à l'échelle régionale ou mondiale s'effriteraient, à cours ou à moyen terme61(*).

L'ONU serait-elle donc un Etat-englobant ? Non, tel n'est pas notre avis et Hegel ne nous pardonnerait pas une telle conception. Mais le concept de Weltgeist, ici compris non plus comme Esprit du monde mais plutôt comme Conscience du monde, peut rendre possible une cohabitation rationnelle entre les Etats dans une structure telle que les Nations Unies :

L'Etat moderne doit se moderniser sans cesse. Il doit en fait survivre à une tension entre une dualité de pôles en apparence mutuellement exclusifs qui, d'une part, l'aspire vers des forces infra-étatiques potentiellement fragmentaires et, d'autre part, l'attire vers des structures d'organisation supranationale qui en sont l'épanouissement logique62(*).

L'ONU peut donc être comprise comme ce lieu de la manifestation d'une rationalité universelle où peut être possible la germination d'une éthique mondiale dans la conscience de toute l'humanité, c'est-à-dire dans la conscience de tous les Etat et de tous les individus qui en sont les constituants.

De nos jours, tous parlent de Mondialisation, de Globalisation et encore mieux de Globalocalisation. Tous ces termes enferment en eux l'idée, d'une manière peut-être pas universelle mais globale, de donner une direction rationnelle à l'histoire. De telles entreprises ne peuvent être possibles que dans la mesure où émerge -dans la conscience de tous les Etats, de toutes les institutions et de tous les individus qui militent pour leur réalisation- le désir de rationaliser leurs rationalités particulières, d'accorder leurs petites rationalités à une rationalité beaucoup plus grande et donc plus objective en qui tous pourraient se retrouver.

L'ONU peut donc jouer le rôle de rationalité universelle qui accorde les rationalités particulières, et donc subjectives, de tous les Etats pris dans leur pluralité : « ...elle aura toujours un rôle référentiel car elle est l'archétype de la société internationale, à l'intérieur duquel peuvent prendre forme des dialectiques positives particulières.63(*) ». Ainsi, l'irrationalité de l'histoire et les actes de déraison qu'a connus l'humanité pourraient perdre leur récurrence et laisser la place à l'émergence de la raison dans une éthique mondiale qui viserait alors le bonheur de tout individu qui se sait et se veut humain. A travers l'ONU, le monde est donc appelé à prendre conscience de lui-même et de son histoire afin d'éviter que de multiples tragédies vécues dans les instants ombrageux de l'histoire ne se répètent dans l'avenir

Conclusion

Après avoir considéré quelques grands moments de la prise de conscience de la liberté dans l'histoire universelle, nous constatons que cette liberté qui est la marque de la rationalité et de l'histoire et de l'homme, ne se réalise point sans le truchement de la négativité. Cette négativité qui nie la raison, laissant transparaître au regard des hommes les marques de l'irrationalité de l'histoire. Mais, avec Hegel, cette irrationalité de l'histoire devient rationnelle parce que nécessaire pour le progrès de la conscience. Dans les deux grands évènements que nous avons soulignés, à savoir la Révolution française et l'avènement des Nations Unies, l'irrationnel s'est bien vu se manifester dans l'histoire à travers quelques atrocités et quelques actes de déraison de l'individu humain. Mais cela n'était que pour aboutir à une conscience plus élevée de la liberté, à un plus haut respect de ce même individu à travers les déclarations des droits de l'homme. La conscience de la liberté a donc été concrète dans l'histoire universelle.

CHAPITRE III :

L'AFRIQUE ET LA CONSCIENCE DE LA LIBERTE

Introduction

Les propos tenus par Hegel sur le continent africain ont suscité moult réactions dans le chef des africains et des africanistes. Des historiens, des hommes de lettres, des hommes politiques, des sociologues et quelquefois, même des philosophes africains se sont précipités de traiter Hegel de raciste à la suite de leur seule  lecture des Leçons de la philosophie de l'histoire qui est une oeuvre posthume publiée sur la base des notes de ses étudiants. Cela va de soi, car ces propos n'avaient toujours pas été enchanteurs ni humanisants, dans la mesure où ils portent les traces d'un racisme pernicieux. L'africain y est presque ramené au rang de l'animal parce qu'il n'a pas la conscience de soi ; il est un être purement naturel, un être dont l'esprit est jusqu'alors englouti dans la matière et qui ne se préoccupe que de l'immédiat. Il n'est donc pas un homme, parce que l'homme en tant qu'homme s'oppose à la nature pour devenir ce qu'il est : homme. En effet, dit-il, l'Afrique64(*) « est le pays de l'or, replié sur lui-même, le pays de l'enfance qui, au-delà du jour de l'histoire consciente, est enveloppé dans la couleur noire de la nuit 65(*)». L'Afrique se situe encore dans la nuit de l'histoire, mieux, dans l'inconscience de l'histoire, c'est-à-dire de la civilisation. Il ne peut donc y avoir d'histoire proprement dite. Il ne s'y produit qu'une suite d'accidents et de faits surprenants. L'homme n'y vit qu'à l'improviste. Il n'y a pas d'Etat, parce qu'il y manque un objectif :

Ce qui caractérise en effet les nègres, c'est précisément que leur conscience n'est pas parvenue à la contemplation d'une quelconque objectivité solide, comme par exemple Dieu, la loi, à laquelle puisse adhérer la volonté de l'homme, et par laquelle il puisse parvenir à l'intuition de sa propre essence66(*).

L'homme africain est un homme à l'état brut, qui vit dans la sauvagerie et la barbarie. Il est encore au stade de l'immédiateté et ne peut avoir en lui un caractère qui s'accorde à l'humain. Ainsi, dit Hegel, « pour le comprendre nous devons abandonner toutes nos façons de voir européennes. Nous ne devons penser ni à un Dieu spirituel ni à une loi morale ; nous devons faire abstraction de tout esprit de respect et de moralité...67(*) »

Toutes ces considérations que Hegel fait sur l'africain sont dégradantes et déshumanisantes. Mais, si nous considérons l'époque pendant laquelle il tient ses propos, nous nous rendrons bien compte qu'il n'a pas été le seul à avoir une vision si négative sur l'Afrique et l'africain. C'était la vision plus ou moins normale que les européens de l'époque avaient sur les nègres.

Néanmoins, l'Afrique dont nous sommes témoins est loin d'être réduite à ces propos acerbes de Hegel. Un regard honnête et objectif nous permet d'affirmer que l'Afrique est nettement mieux que ce qu'elle était à l'époque où Hegel tenait ses propos. Ainsi, peut-elle encore être traitée d'un continent anhistorique ? Sans doute, elle a bel et bien une l'histoire. Mais, fait-elle vraiment partie de l'histoire universelle en tant que actrice ? Il nous semble qu'elle porte encore en elle quelques tares d'irrationalité qui méritent d'être débusquées. C'est en cela que se focalise notre propos dans ce chapitre.

En effet, si, avec Hegel, nous affirmons que l'histoire universelle évolue vers la prise de conscience de la liberté, pourrait-il nous être possible d'affirmer que l'Afrique fait partie de cette conscience universelle de liberté ? Mieux, les Etats africains sont-ils déjà arrivés à cette conscience de la liberté ? Bref, l'Afrique est-elle vraiment libre ? Nous tenterons de répondre, directement ou indirectement, à ces quelques questions, en proposant ce que nous considérons comme conditions sine qua non pour une vraie Afrique libre. Nous ne sommes pas hégélianophile, mais nous jugeons que la pensée et toutes les critiques de Hegel à l'égard de l'Afrique peuvent nous être utiles.

III. 1. La conscience de la liberté comme prise de conscience de soi

La liberté commence par une prise de conscience de soi. Cette prise de conscience de soi, de ce qu'on est, se déclenche au moment où l'on ne se sent plus être dans son propre élément. Alors, on entre dans un mouvement de recherche de soi pour devenir soi. Cette activité de recherche de soi présuppose qu'on ne se sent pas être ce que l'on doit être, que l'on se retrouve dans un état d'aliénation, de dépendance, que l'on n'occupe pas son lieu naturel.

L'histoire de l'Afrique est, elle aussi, passée par ce moment de recherche de soi. L'époque des indépendances en est le moment le plus expressif. L'idée de la liberté, que les peuples africains portaient en eux, devait devenir réalité concrète. Ceci ne pouvait se réaliser sans la participation de quelques grandes âmes africaines qui, dans quelques circonstances, ont du en payer de leur vie.

La liberté ne s'obtient qu'au prix du combat et du négatif. Elle se nourrit de la chair et s'abreuve du sang du vaillant combattant. Elle présuppose donc une reconnaissance de ce qu'on est intérieurement, c'est-à-dire idéellement, et que l'on veut amener dans le monde de l'extériorité. D'où la nécessité d'une révolution, car, il faut supprimer cette autre extériorité qui fait obstacle à la manifestation extérieure de notre intériorité.

L'état actuel de l'Afrique ne nous permet pas d'y cerner quelques traces d'épanouissement de la liberté, moins des individus que des Etats. Le soleil des indépendances s'y est laissé couvrir par des nuages avant d'atteindre le couchant. Ainsi, l'Afrique se trouve dans une période de clair-obscur où le soleil se dévoile en se cachant face aux consciences des Etats et des citoyens africains. Les premières intuitions des indépendances se sont laissées envelopper par une série de passions et d'intérêts égoïstes de quelques charognards à la recherche des cadavres en putréfaction de leurs mères, pères, soeurs, frères et enfants. L'avenir du continent, quant à lui, parce qu'hypothéqué, se présente sous une forme ombrageuse et provoque dans le chef des ses fils un désir insatiable de se tourner vers les pays du Grand Soleil68(*), bien qu'il y fasse excessivement froid. Avec cette triste réalité que nous présentent les Etats africains, ne serait-il pas temps de donner raison à Hegel lorsqu'il affirme que l'Afrique est « le pays de l'enfance qui, au-delà du jour de l'histoire consciente, est enveloppé dans la couleur noire de la nuit69(*) » ?

En effet, en faisant notre la méthode dialectique de Hegel, nous avons tenté de distinguer trois moments essentiels de prise de conscience de soi dans l'histoire du peuple africain dont le troisième, qui est la synthèse, est à réaliser.

III.1. 1. L'exclusion a priori de l'autre

C'est le premier moment de la prise de conscience de soi. C'est encore un moment primaire où l'être prend conscience de ce qu'il est, se distinguant ainsi de l'autre. C'est le moment de l'être qui dit « je » en excluant « tu », de son auto-affirmation comme le soi excluant l'altérité. La liberté n'est pas encore libre parce qu'elle se définit par l'exclusion de l'altérité et conduit à l'enfermement sur soi. Elle est encore réactionnaire. Elle n'est encore que la liberté dans sa première intuition par la conscience. C'est encore l'enfance de la liberté.

En effet, l'Afrique est passée par ce moment primitif de la liberté. Ce moment caractérise les premières intuitions des indépendances où la flamme de la liberté s'allumait dans la conscience de tous les africains. Il fallait rompre avec la métropole afin de devenir autonome. Cette rupture soudaine mue par un désir non-réfléchi de liberté a conduit à des actes de vandalisme et d'autodestruction inconsciente. Le rejet soudain et absolu de l'autre mène à la destruction de soi. La montée du nationalisme a fait naître, dans le chef de nombre d'africains, des pensées xénophobes et racistes : « il faut rejeter ce qui appartient à l'homme blanc, parce que mauvais ».

Il s'en est suivi un désir effréné de l'affirmation de l'identité culturelle africaine qui semblait avoir été supprimée par la civilisation occidentale durant toute l'époque de la colonisation. Il naît alors toute une philosophie, mieux, toute une idéologie afrocentrique qui prône le retour à l'authenticité, c'est-à-dire le retour à la vérité de ce que l'on est. Nul n'ignore le pétrin dans lequel plus d'un pays africain s'est retrouvé à cause de ce concept vide de sens.

En outre, ce premier moment de saisissement de soi, parce qu'encore ambigu, s'est suivi de multiples querelles et dislocations internes, provoquant ainsi des innombrables schismes. L'Afrique s'est vue ainsi entraînée dans un cycle infernal des mouvements sécessionnistes. Ceci parce que le soi africain qu'on avait tant voulu affirmer manquait de consistance et de définition.

Sans doute, la cause défendue par les africains était juste. Mais les moyens qu'ils ont utilisés ne leur ont pas permis d'atteindre leur finalité : la liberté. Le désarroi dans lequel l'Afrique s'est plongée devait donc être dépassé. D'où le second moment de son histoire dialectique : celui de la totale inclusion dans l'autre.

III.1. 2. L'inclusion dans l'autre

Le second moment de la prise de conscience de soi, dans la tension vers la liberté, est celui qui, après s'être détruit par un repli absolu sur soi, impose l'ouverture à l'autre pour combler le néant qui se découvre dans un face à face à soi-même. La crainte de se mettre face à soi-même conduit à un appel de l'autre auparavant rejeté. C'est le moment de la totale dissolution de soi dans l'autre et du retour à l'aliénation. L'on ne trouve sa sécurité que dans l'autre, l'on ne se définit que par rapport à l'autre, l'on est plus soi-même. L'on devient ce que l'autre veut que l'on soit. Ici, le mouvement qui s'effectue va de l'auto-détermination exclusive vers l'inclusion absolue dans l'autre. La fuite totale de soi-même vers l'autre est fruit d'une crise d'identité individuelle, d'une perte de savoir sur soi. Cette crise est tragique pour l'Afrique qui recherche ce qu'elle est dans l'autre.

En effet, le continent africain est entré dans cette seconde phase de son histoire dialectique après l'échec des indépendances et, malheureusement, elle y est restée jusqu'à nos jours. L'édifice de l'identité africaine qui s'élevait s'est très vite écroulé parce que ne s'étant pas bâti sur une conscience solide de la liberté. C'est le moment de la résignation où l'Afrique se rend compte que l'esclavage vaut mieux qu'une liberté mal comprise ; elle réalise « la perte de sa capacité à maîtriser les conditions mêmes de l'existence humaine et à fonctionner comme puissance de créativité spirituelle et culturelle70(*) ».

Le travail qui est le signe distinctif de l'homme dans l'histoire -de l'homme qui voulant dompter la nature s'y pose comme un être plus-que-naturel, ne bénéficie plus de cadres capables de donner à l'africain la possibilité de vivre et non de survivre :

Telle est la crise africaine. Elle n'est pas une crise spécifique à tel ou tel domaine ni réductible à tel ou tel aspect de l'existence. C'est une crise des conditions mêmes de l'existence humaine, de la vie active en tant qu'elle est la manière d'être propre à l'homme71(*).

Ainsi, l'autre devient le modèle, le lieu d'épanouissement du soi ; il devient l'élément déterminant à partir duquel on trouve son positionnement dans le monde. L'histoire n'est plus vécue ; elle est subie. Considérant la crise profonde et totale dans laquelle vit l'africain, il y a assez de raisons pour céder à la lassitude et tomber dans le pessimisme. Beaucoup l'ont déjà fait et nombreux sont ceux qui continuent à le faire : aller ailleurs à la recherche d'une quelconque félicité. L'émigration est le singe de non liberté, de l'incapacité de rester dans son propre élément.

Cette crise devient encore plus profonde et plus inquiétante lorsque l'on perd la capacité de penser par soi-même, lorsque l'on perd la capacité d'exercer sa raison pour appréhender la signification et le sens de son histoire, lorsque l'on perd sa culture : « ...la raison africaine ne dispose aujourd'hui d'aucune possibilité de se déployer sur la base de ses propres traditions et de celles-ci seules72(*) ». L'Afrique, le vieux contient comme d'aucuns la nomme, donne l'impression d'avoir achevé son histoire avant de la vivre. Le contexte dans lequel elle tente de survivre ne lui permet même pas de se donner une place dans les décisions sur le sens de son histoire, parce que sa grande capacité d'improductivité ne propose rien sur la scène internationale. Ainsi, il lui faudra opérer un dépassement de son état actuel d'inclusion dans l'autre pour aboutir à un état beaucoup plus mature et équilibré de la reconnaissance de soi qui implique l'ouverture à l'autre.

III.1. 3. Reconnaissance de soi et ouverture à l'autre

Les deux moments susmentionnés sont ceux de la négativité : le premier affirme le soi en niant l'altérité, le second nie le soi en affirmant l'altérité. C'est la phase pendant laquelle l'être et le non-être sont en contradiction. Il faut donc un troisième moment, supérieur aux deux premiers, qui soit la synthèse de ceux-ci et qui permette la réconciliation entre l'être et le non-être. Dans un tel moment, advient un être absolu qui inclut en lui l'être et le non-être, et en qui le soi et l'altérité se trouvent dépassés. C'est la phase positive. Dans sa tension vers la liberté, l'Afrique devra donc accéder à ce troisième moment de la dialectique de son histoire à travers la reconnaissance de soi et l'ouverture à l'autre, car la liberté ne peut se réaliser par un individu isolé, elle n'est possible que dans la relation avec une altérité. Le soi à lui seul ne peut être libre.

La reconnaissance de soi signifie d'abord qu'on acquiert une seconde connaissance de ce que l'on est. Elle est donc une connaissance réfléchie et implique une auto-détermination non-exclusive. Tout homme est libre en soi. Mais il ne devient réellement libre que lorsqu'il sait ce qu'il est, lorsqu'il parvient à la conscience de ce qu'il est en soi. Se reconnaître soi-même, c'est aussi connaître l'autre en tant que différent et non en tant qu'opposé à soi. En outre, cette reconnaissance de soi conduit au saisissement de son esprit, de ce qu'on est profondément ; elle conduit à un sens de respect pour soi-même. On ne peut être fier de ce que l'on est que si l'on se reconnaît soi-même. Un peuple sans fierté est un peuple sans esprit.

Un peuple, en effet, ne peut être considéré ainsi que dans la mesure où il sait l'universel qui organise tous les aspects de son existence et qu'il est en mesure de transformer cet universel en réalité concrète sous forme des lois et des institutions étatiques. C'est seulement dans la mesure où on arrive à cette consolidation du Volksgeist que l'ouverture à l'autre peut être possible. Ainsi, pour saisir leur esprit, les peuples africains doivent relire rationnellement leur histoire, la reconsidérer philosophiquement pour en saisir quelque sens possible. Ce n'est qu'à travers l'histoire qu'il sera possible d'arriver à la connaissance d'un geist africain, qu'il sera possible de définir ce que c'est qu'un africain. Car, il ne suffit pas d'appartenir à la race noire pour être appelé africain : la race est de l'ordre de la matérialité brute. Mais il faut posséder l'esprit africain, en saisir le sens et avoir la volonté et la passion de l'amener à la réalité concrète.

L'ouverture à l'autre n'exclut point l'affirmation de soi-même. Bien au contraire, elle n'est équilibrée et vraie que dans la mesure où les individus qui s'ouvrent l'un à l'autre sont capables d'une certaine autonomie. Les Etats africains doivent donc s'affirmer en tant que des libertés absolues et témoigner d'une certaine autonomie avant de tenter une quelconque ouverture entre eux et avec le monde. C'est seulement dans ces conditions qu'ils pourront proposer quelque chose à l'histoire.

III. 2. La promotion d'une organisation d'intégration régionale

En considérant la complexité de l'histoire universelle dans son actualité, il s'impose aux africains de prendre conscience de leur universel et de l'actualiser dans une structure interétatique qui serait capable de répondre aux exigences du Weltgeist. Ceci présuppose que les Etats africains se reconnaissent comme souverains et vivent dans l'objectivité et le respect du droit, qu'ils promeuvent le respect et la protection des droits et des libertés individuels.

L'avènement de l'Union Africaine, qui est le dépassement de l'Organisation de l'Unité Africaine, peut être considéré comme un événement majeur dans l'évolution institutionnelle du continent. En effet, le 09 septembre1999, les Chefs d'Etats et des gouvernements de l'Organisation de l'Unité Africaine ont adopté une déclaration -la Déclaration de Syrte, demandant la création de l'Union Africaine dans le but d'accélérer le processus d'intégration sur le continent pour permettre à l'Afrique de jouer le rôle qui lui revient dans l'économie mondiale, tout en déployant des efforts pour résoudre les problèmes sociaux, économiques et politiques multiformes auxquels elle est confrontée, problèmes accentués par certains effets négatifs de la mondialisation. Les principaux objectifs de l'Union Africaine sont, entre autres, le renforcement de l'unité et de la solidarité entre les Etats africains ; la coordination et l'intensification de la coopération en faveur du développement ; la défense de la souveraineté et de l'intégrité territoriale des Etats membres ; et la promotion de la coopération internationale dans le cadre des Nations Unies.

Cependant, penser l'Union Africaine comme point de départ du développement, serait encore bien aléatoire. Si la volonté de cette organisation est évidente, comme en témoigne l'adoption de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, la réalité est bien plus sombre. Comment peut-il être possible de promouvoir la liberté et le respect des droits fondamentaux quand les pays constitutifs sont, en grande majorité, récalcitrants quant à leur mise en application ?

L'une des méthodes efficaces en matière de respect de la liberté et des droits fondamentaux est la détermination de la procédure d'adhésion. L'Union Africaine devrait donc se doter d'un instrument lui permettant de rendre conditionnelle l'adhésion de tout Etat désireux d'en faire partie. Car, jusqu'à nos jours, elle ne dispose pas de cet outil qui a permis à l'Union Européenne de pacifier l'Europe, les pays africains étant tous déjà membres de l'Union Africaine.

Il est presque qu'évident qu'un Etat isolé ne pourrait pas parvenir à relever seul ces défis. Car, les pandémies ne connaissent pas de frontières. Les guerres civiles qui obscurcissent l'Afrique trouvent leurs fondements dans les situations régionales. Aussi, le développement économique nécessite une réponse coordonnée entre les pays africains. L'idée d'une Union Africaine incontournable est nécessaire à la survie de l'Afrique : la démocratie et le respect des droits de l'homme ne s'imposent pas d'eux-mêmes.

Conclusion

Ne faudrait-il pas, aux intellectuels africains, lire d'abord Hegel avant de plonger dans des réactions épidermiques et sans fondements concrets. Car, la triste réalité de la situation de l'Afrique semble être en phase avec les propos acerbes de Hegel. Ils sont bien âcres ces propos. Une meilleure manière de les contredire serait de passer à l'action au lieu de demeurer dans un état continuel et perpétuel de réactions infondées : « la crise en Afrique est aussi une crise de la volonté africaine, c'est-à-dire de la capacité de commencer quelque chose de nouveau73(*) ». Et comme Nicolas Sarkozy, nous pensons qu'il serait irresponsable de la part des africains de considérer la colonisation comme la principale source de tous leurs malheurs. La colonisation « n'est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n'est pas responsable des génocides...Elle n'est pas responsable de la corruption, de la prévarication74(*) ». Ainsi, c'est aux africains eux-mêmes, par l'action de leur travail et leur capacité de créativité, de faire en sorte que Hegel n'ait pas totalement raison.

CONCLUSION GENERALE

Aux termes de notre investigation sur la philosophie de l'histoire de Hegel, nous voudrions relever quelques critiques qui peuvent être portées contre cette philosophie : 1° La pensée de Hegel sur l'histoire a souvent été qualifiée d'historiciste. L'historicisme a été défini comme « une théorie, touchant toutes les sciences sociales, qui fait de la prédiction historique leur principal but, et qui enseigne que ce but peut être atteint si l'on découvre les rythmes ou les patterns, les lois ou les tendances générales qui sous-tendent le développement historique 75(*)». En effet, l'historicisme de Hegel nous le trouvons dans le fait qu'il attribue à l'histoire une certaine finalité nécessaire. Cette nécessité de la réalisation de la finalité de l'histoire est posée par le fait que l'histoire n'est que produit d'un Esprit transcendant qui, conscient de lui-même, doit se réaliser nécessairement. Une telle conception nous conduit logiquement à une sorte de déterminisme et de fatalisme dans lesquels l'individu humain se retrouve finalement incapable d'agir en toute autonomie. Aussi, elle nie à l'histoire tout son caractère imprévisible et irrationnel parce que tout a une raison et voulu par la Raison. 2° En outre, l'omnipotence de l'Esprit comme condition de possibilité de l'histoire soustrait à l'homme toute sa capacité d'agir sur l'histoire. Celle-ci est voulue par une Raison qui est parfois portée à user de la ruse pour parvenir à sa propre réalisation. Ainsi, le bonheur de l'homme, dans l'histoire, se trouve donc sacrifié au profit d'un Esprit égocentrique. Le pessimisme de l'homme peut donc être justifié. 3° Aussi, la toute puissance de l'Esprit aboutit logiquement à une pensée totalitariste. Et d'ailleurs, l'Etat de Hegel a toujours été accusé d'être totalitaire : ce n'est plus l'Etat pour les individus, mais plutôt les individus pour l'Etat. Car, ce dernier est la matière de l'Esprit en tant que prenant conscience de sa liberté à travers un peuple. Finalement, l'Etat devient ce Léviathan qui garantit les libertés individuelles. Il ne poursuit que la réalisation de l'universel, les minorités sont abandonnées à leur triste sort. 4° Et enfin, l'identité que Hegel fait entre la Raison et Dieu -« mais l'Esprit, ce que nous appelons Dieu, est la Vérité vraiment essentielle...76(*) », nous amène à ne considérer sa philosophie de l'histoire que comme une théologie laïque, parce qu'il ne s'agit que de la justification de la Raison divine dans l'histoire.

Après avoir ainsi relevé ces limites de la pensée de Hegel, pourrait-il encore nous être possible de parler de l'histoire universelle comme évoluant vers la conscience de liberté de l'individu humain ?

En effet, l'histoire ne donne pas toujours raison à Hegel. La rigidité de son système s'est laissé contredire par certains faits historiques auxquels il n'avait jamais pensé et qu'il croyait presque impossibles. Lui qui pensait que les relations entre les Etats ne s'effectuent que sous le mode du conflit, pourrait-il s'attendre à la possibilité non-conflictuelle que l'histoire nous a donné avec les Nations Unies ? Lui qui ne voyait dans le continent africain qu'une masse de terre enfermée sur elle-même et dans laquelle la sauvagerie et la barbarie se manifestent dans toute leur brutalité, pouvait-il imaginer l'Afrique dans son état actuel d'ouverture, bien que tâtonnante, au monde ? Tant d'autres éléments peuvent être évoqués pour montrer les limites de la pensée hégélienne sur l'histoire universelle.

Néanmoins, l'idée que la finalité de l'histoire universelle est l'évolution vers la conscience de la liberté est difficilement rejetable. Aussi, l'idée d'une certaine rationalité de histoire demeure encore permissible par la raison. Car, l'histoire a bel et bien un sens. Mais seulement, le mot sens doit être compris plutôt comme signification que comme direction. La recherche d'un sens, à travers la connaissance historique, est inévitable parce qu'une histoire dépourvue de sens n'en est plus une. Cependant, une telle recherche est d'office voué à l'échec parce que si on découvrait le sens de l'histoire, ce qu'elle aurait pris fin. Restons donc rationnels et ouverts à l'imprévisibilité de l'histoire qui pourrait toujours nous surprendre dans son irrationalité que seule l'activité de la pensée, et donc de la raison, peut rendre rationnelle.

BIBLIOGRAPHIE

I. OUVRAGES DE HEGEL

HEGEL, G. W. F., La Raison dans l'histoire, trad. de l'allemand par PAPAIOANNOU, K, Paris,

Plon, 1965.

, Principes de la philosophie du droit, trad. de l'allemand par HYPPOLITE, J.,

Paris, Gallimard, 1940.

, La phénoménologie de l'Esprit, trad. de l'allemand par HYPPOLITE, J., I,

Paris, Aubier, Montaigne, 1941.

, Lettre à Schelling du 16 avril 1975, Correspondance, trad. Carrère, I,

Paris, Gallimard, 1962.

II. OUVRAGES SUR HEGEL

HYPPOLITE, J., Introduction à la philosophie de l'histoire de Hegel, Paris, Marcel Rivière

et Cie, 1948.

RITTER, J., Hegel et la Révolution française, Paris, Bauchesne, 1970.

PLANTY-BONJOUR, G., « Droit, violence et liberté selon Hegel », in Droits et liberté selon

Hegel, dirigé par PLANTY-BONJOUR, G., Paris, P.U.F, Juin 1986,

pp. 205-237.

BOURGEOIS, B., « Hegel et les droits de l'homme », in Droits et liberté selon Hegel, dirigé par

PLANTY-BONJOUR, G., Paris, P.U.F, Juin 1986, pp. 5-45.

III. AUTRES OUVRAGES

KÄ MANA, L'Afrique va-t-elle mourir ?, Paris, Les éditions du CERF, 1991.

POPPER, K. R., Misère de l'historicisme, trad. de l'anglais par ROUSSEAU, H., Paris, Plon, 1956.

IV. LES ARTICLES

FINDLAY, J.-N., « L'actualité de Hegel », in Archives de la philosophie, XXIV, 1961,

pp. 480-496.

CHIEREGHIN, F., « Histoire, Etat et Gennus dans la philosophie de l'histoire de Hegel » in

Archives de la philosophie, n°3, Juillet-septembre 2003, pp. 407-422.

VIEIRA DE MELLO, S., « La conscience du monde : L'ONU face à l'irrationnel dans l'histoire »

in Congo-Afrique, n° 377, septembre 2003, pp. 420-438.

V. TEXTS OFFICIELS

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 1789.

Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, 1948.

Allocution de M. Nicolas SARKOZY, Président de la République française, prononcée à l'Université de Dakar, Sénégal, le 26 juillet 2007.

VI. ENCYCLOPEDIE

BERTAUD, J.-P.-PIERRARD, P., « Révolution française », in La grande encyclopédie, 17, Paris,

Librairie Larousse, 1976, pp. 10373-10386.

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION GENERALE 1

CHAPITRE I: L'EPIPHANIE DE L'ESPRIT DANS L'HISTOIRE 6

INTRODUCTION 6

I. 1. LA FINALITÉ DE L'HISTOIRE UNIVERSELLE 7

I. 2. LES MOYENS DE LA RÉALISATION DE L'ESPRIT DANS L'HISTOIRE 11

I. 3. LA MATIÈRE DE LA RÉALISATION DE L'HISTOIRE 12

I. 4. LA PLACE DE L'INDIVIDU DANS LA RÉALISATION DE L'ESPRIT 13

CONCLUSION 16

CHAPITRE II : LA CONSCIENCE DE LA LIBERTE DANS L'EVOLUTION HISTORIQUE 17

INTRODUCTION 17

II. 1. LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET LA CONSCIENCE DE LA LIBERTÉ 18

II. 1. 1. Bref aperçu historique 19

II. 1. 2. Le paradoxe de la liberté 20

II. 1. 3. Le legs pour la conscience universelle de la liberté 21

II. 2. LES NATIONS UNIES ET LA CONSCIENCE UNIVERSELLE DE LA LIBERTÉ 22

II. 2. 1. L'avènement des droits de l'homme 23

II. 2. 2. Penser les Nations Unies dans la perspective du Weltgeist 25

CONCLUSION 27

CHAPITRE III : L'AFRIQUE ET LA CONSCIENCE DE LA LIBERTE 27

INTRODUCTION 28

III. 1. LA CONSCIENCE DE LA LIBERTÉ COMME PRISE DE CONSCIENCE DE SOI 29

III.1. 1. L'exclusion a priori de l'autre 30

III.1. 2. L'inclusion dans l'autre 31

III.1. 3. Reconnaissance de soi et ouverture à l'autre 33

III. 2. LA PROMOTION D'UNE ORGANISATION D'INTÉGRATION REGIONALE 34

CONCLUSION 36

CONCLUSION GENERALE 37

BIBLIOGRAPHIE 39

TABLE DES MATIERES 40

* 1 Hegel est né en 1770, en Allemagne, dans une famille de moyenne bourgeoisie. Entré à dix huit ans comme boursier dans le séminaire de théologie protestante de Tübingen (Württemberg), Hegel renonce cependant, à sa sortie du "Stift " en 1793, à la carrière de pasteur pour devenir précepteur à Berne, puis à Francfort. Il médite alors sur le christianisme et rédige une Vie de Jésus (1795-1796), ainsi qu'un ouvrage sur L'Esprit du christianisme et son destin (1798-1799); En 1801, il devient " privat-dozent " (enseignant libre) à l'université d'Iéna. Hegel, qui compose les Cours d'Iéna (1803-1806), s'enthousiasme alors pour Napoléon, l' « âme du monde » (Weltgeist).La Phénoménologie de l'Esprit (1807), qui exprime cette passion pour l'histoire et l'actualité, deviendra le véritable évangile des temps modernes. En 1808, il est nommé professeur, puis directeur du Gymnase (lycée) de Nuremberg. Il clarifie sa pensée pour l'enseignement secondaire : ses notes de cours de ce temps constituent la Propédeutique philosophique (1809-1816). C'est également durant cette époque que Hegel rédige la Science de la logique (1812-1816). En 1816, enfin nommé professeur titulaire à la chaire de philosophie de l'Université de Heidelberg, il écrit le Précis de l'Encyclopédie des sciences philosophiques (1817), exposé systématique de sa doctrine. Appelé, en 1818, à la chaire de Berlin, Hegel va apparaître désormais comme un philosophe au prestige immense, entouré d'auditeurs et de disciples. Véritable philosophe d'Etat, il incarne pouvoir et puissance, mais ne tarde pas à devenir suspect. Il voyage beaucoup, en France, par exemple, où il rencontre le philosophe Victor Cousin. C'est durant l'époque de Berlin qu'il rédige ses cours sur le Droit (Principes de la philosophie du Droit, 1821) et professe un enseignement qui, publié par des disciples, touchera à des sujets très variés : les Leçons sur l'histoire de la philosophie, l'Esthétique, les Leçons sur la philosophie de la religion et les Leçons sur la philosophie de l'histoire sont des oeuvres posthumes.

Hegel est mort, en 1831, du choléra.

* 2 G. W. F. HEGEL, La Raison dans l'histoire, p. 116.

* 3 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 68.

* 4 J.-N., FINDLAY, «L'actualité de Hegel», in Archives de philosophie, XXIV, 1961, p. 495.

* 5 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 49.

* 6 Ibid.

* 7 A comprendre comme Esprit du monde.

* 8 G. W. F. HEGEL, Principes de la philosophie du droit, § 342.

* 9 G. W. F. HEGEL, La Raison dans l'histoire, p. 84.

* 10 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 47.

* 11 Ibid., p. 75.

* 12 Ibid., p. 70.

* 13 Ibid., p. 74.

* 14 Ibid., p. 71.

* 15 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 73.

* 16 Ibid.

* 17 Ibid., p.76.

* 18 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 77.

* 19 A comprendre comme Esprit d'un peuple.

* 20 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 80.

* 21 Ibid., p. 81.

* 22 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 86.

* 23 Ibid., p. 89.

* 24 Ibid., p. 91.

* 25 Ibid., p. 92.

* 26 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 98.

* 27 Ibid., p. 99.

* 28 Ibid., p. 85.

* 29 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 104.

* 30 Ibid., p. 102.

* 31 Ibid., p. 105.

* 32 Ibid., pp. 107-108.

* 33 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 110.

* 34 Ibid., p. 121.

* 35 Ibid., p. 135.

* 36 Ibid.

* 37 Ibid., p. 137.

* 38 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 140.

* 39 Ibid., p. 137.

* 40 Ibid., p. 103.

* 41 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 130.

* 42 Ibid., p. 131.

* 43 F. CHIEREGHIN, « Histoire, Etat et Genuss dans la philosophie de l'histoire de Hegel », in Archives de philosophie, n°3, Juillet-septembre 2003, p. 411.

* 44 G. W. F. HEGEL, op. cit., p. 122.

* 45 Ibid.

* 46 Ibid, p. 131.

* 47 J.-N., FINDLAY, «L'actualité de Hegel», in Archives de philosophie, XXIV, 1961, p. 482.

* 48 Ici compris dans le sens de tuer en-soi ce qui est de son époque et qui ne répond plus aux exigences de la rationalité.

* 49 G. W. F. HEGEL, Lettre à Schelling du 16 avril 1795, Correspondance, pp. 28-29.

* 50 G. W. F. HEGEL, Principes de la philosophie du droit, § 36.

* 51 Nous nous sommes inspirés de BERTAUD, J.-P.-PIERRARD, P., « Révolution française », in La grande encyclopédie, 17, pp. 10373-10386.

* 52 G. W. F. HEGEL, Philosophie de l'histoire, XI, 63 in J. RITTER, Hegel et la Révolution française, p. 27.

* 53 Notons ici que la guillotine est restée l'instrument de la peine de mort en France jusqu'en 1975.

* 54 Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, art. 1.

* 55 Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, Préambule, §2.

* 56 S. VIEIRA DE MELLO, « La conscience du monde : L'ONU face à l'irrationnel dans l'histoire », in Congo-Afrique, n°377, Septembre 2003, p. 421.

* 57 Déclarations Universelle des Droits de l'Homme, art. 1.

* 58 G. W. F. HEGEL, La Raison dans l'histoire, p. 140.

* 59 Id, Principes de la philosophie du droit, § 333.

* 60 G. PLANTY-BONJOUR, « Droit, violence et liberté selon Hegel », in Droit et liberté selon Hegel, dirigé par G. PLANTY-BONJOUR, p. 214.

* 61 S. VIEIRA DE MELLO, « La conscience du monde : L'ONU face à l'irrationnel dans l'histoire », in Congo-Afrique, n°377, Septembre 2003, p. 436.

* 62 Ibid, p. 424.

* 63 S. VIEIRA DE MELLO, Op. cit., p. 428.

* 64 Il convient de signaler qu'il s'agit ici de l'Afrique subsaharienne que Hegel lui-même nomme l'Afrique proprement dite.

* 65 G. W. F. HEGEL, La Raison dans l'histoire, p. 247.

* 66 Ibid, p. 251.

* 67 G. W. F. HEGEL, Op. cit., p. 251.

* 68 Il s'agit ici de l'Occident.

* 69 G. W. F. HEGEL, La Raison dans l'histoire, p. 247.

* 70 KÄ MANA, L'Afrique va-t-elle mourir ?, p. 18.

* 71 Ibid., p. 23.

* 72 KÄ MANA, Op. cit., p. 26.

* 73 KÄ MANA, Op. cit., p. 28.

* 74 Allocution de M. Nicolas SARKOZY, Président de la République française, prononcée à l'Université de Dakar, Sénégal, le 26 juillet 2007.

* 75 K. POPPER, Misère de l'historicisme, (Introduction), p. XV.

* 76 G. W. F. HEGEL, La Raison dans l'histoire, p. 64.






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