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Ethique et démocratie: les cas américain et français

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par Pathé DIOP
Faculté de Lille 2  - DEA de science politique 2003
  

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I/ Qu'est-ce que la démocratie ?

Vouloir définir la notion de démocratie est l'une des entreprises les plus périlleuses à laquelle on puisse se livrer. Cela tient sans doute à la polysémie de la notion qui désigne trois choses à la fois : un état social ( Alexis De Tocqueville), un régime ou une forme de gouvernement (Raymond Aron), une valeur et une idéologie se drapant sous le manteau du capitalisme.

Face à ces différentes innervations sous lesquelles nous pouvons considérer la démocratie, nous ne pouvons manquer d'être embarrassés si nous nous proposons la démocratie comme objet d'étude. L'embarras se traduit en une hésitation consistant à choisir ou une parmi les trois modes de déclinaison de la démocratie ou toutes ensemble à la fois.

A défaut de pouvoir considérer la démocratie dans sa tridimensionnalité (sociale, politique et idéologique), le moins que nous puissions faire consiste alors à en privilégier une dimension tout en ne perdant pas de vue les autres. Et ce, en nous aidant ou bien nous faisant guider par une méthode ayant en vue les différentes déclinaisons de la démocratie, afin que nous ne tombions pas dans un relativisme étroit.

Dans ce travail, nous n'allons pas nous contenter que d'une définition institutionnelle de la démocratie comme beaucoup sont portés à l'y réduire. L'existence d'institutions dites démocratiques n'est pas une condition nécessaire et suffisante pour qu'existe une démocratie, quand même bien elle

formes de communauté de valeurs autonomes.

demeure indispensable. Mais nous privilégions sa dimension subjective et substantielle qui en est le critère fondamental et à l'aune duquel nous pouvons juger d'une démocratie. En des termes aristotéliciens, elle est le « ce sans quoi » on ne peut dire d'une chose ce qu'elle est, autrement dit sa substance.

C'est ce fondamental qui constitue la charpente de toutes démocraties même si elles peuvent pendre des formes différentes les unes des autres, en raison des conjonctures historiques propres à chaque Etat qui l'informent et de l'idéologie qui la porte.

C'est ainsi que les démocraties américaine et française diffèrent l'une de l'autre bien qu'elles reposent sur les mêmes principes, au sens grec du terme à savoir : l'anthropologie et ce que nous appelons ses fondamentaux. Leur(s) différence(s) essentielle(s) est ou sont informée(s) par les principes, du moins par les objectifs de chacune des Révolutions, américaine et française, qui ont présidé à l'avènement de ces deux démocraties respectives. La Révolution américaine fut, comme le dit Hanna Arendt, politique tandis que celle de la France fut plutôt sociale. Ces deux Révolutions sont, pour la France et les Etats-Unis, le premier coup de chiquenaude qui, à la fois, impulse la démocratisation ou le processus démocratique et lui donne sa substance démocratique, y compris sa singularité.

1. Définition théorique de la démocratie

Par définition théorique nous n'entendons pas, comme Aristote, « la formule qui exprime l'essence d'une chose 4»,

4 Aristote, Les Seconds Analytiques, III , Paris, Vrin, 1966, 90b

car pour la démocratie il nous semble impossible de lui donner une définition dense qui ramassera en une formule ou en un concept son essence. Cela s'explique par sa polymorphie comme nous l'avons dit plus haut.

Toutefois nous pouvons trouver un topos, c'est-à-dire un champ commun dans lequel nous pouvons placer et considérer, sans les confondre, les trois dimensions de la démocratie. Nous proposons de privilégier la dimension culturelle dans la mesure où la démocratie, vue sous ses différentes facettes, se présente alors comme une interprétation du monde. Car s'il est vrai que toute politique est une weltanschauung comme disent les Allemands, c'est-à-dire une interprétation du monde, alors il y a nécessairement une coïncidence entre idéologie et politique, car toutes deux sont une compréhension du monde, d'où une tautologie entre ces deux notions parce que désignant la même chose.

S'il est vrai que toute politique dépend nécessairement d'un politique, c'est-à-dire de la forme d'un vivre-ensemble, la démocratie ou l'aristocratie par exemple, alors il n'en demeure pas moins vrai que la forme de l'être-ensemble doit forcément déterminer la politique qui doit aller avec.

Et enfin, s'il est vrai que toute forme de gouvernement ou de politique est une compréhension du monde, alors la « compréhension démocratique5 » du monde suppose nécessairement un « caractère de l'homme qui lui répond6 », d'où une « anthropologie démocratique7 ».

5 Robert Legros, L'avènement de la démocratie, Paris, Grasset et Fasquelle, 199, p. 15

6 Platon, La République, Paris, Garnier Flammarion, 1966, 555b

7 Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard, 2002, p.

xix

Dès lors, la définition de la démocratie doit

nécessairement s'opérer par le truchement d'une anthropologie et des valeurs fondamentales qu'elle exige et que, au demeurant, nous appelons ses fondamentaux.

C'est la perception phénoménologique de l'homo-

démocraticus par ces fondamentaux que nous appelons définition théorique.

1.1 L'anthropologie démocratique.

Toutes formes de société, celle dite primitive, sans Etat ainsi que celle qui s'incarne dans des formes de gouvernement dites démocratiques et aristocratiques par exemple présupposent une anthropologie, autrement dit un « type d'homme » qui leur correspond respectivement, car tout caractère d'homme n'est pas compatible avec toute forme de société.

Cette idée fait écho à une idée multiséculaire qui remonte à Platon (dans le livre VIII de la République) et plus récemment à Rousseau quand il dit que pour savoir la forme de gouvernement qui correspond le mieux à l'homme à l'Etat civil, il faut savoir ce qu'il a été à l'état de nature. Le type d'homme que Rousseau a en vue dans l'état civil est conçu de sorte que le vivre-ensemble puisse avoir lieu, par opposition à l'état de nature d'où il sort.

Le passage d'un état où la liberté naturelle fut la seule loi à un état fondé sur la volonté générale témoigne bien d'un changement anthropologique, d'une conception nouvelle de l'homme. Ce passage, comme le dit Rousseau, « produit dans

l'homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l'instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant.8 »

Le æwov itoAtttxov ( l'animal politique), selon le langage

des Grecs, est déterminé chez Rousseau par des principes moraux qui demeurent la condition de possibilité de la formation du corps politique, à savoir l'aliénation des libertés naturelles à la volonté générale et les valeurs afférentes à cette fiction socio-politique que sont la liberté et la propriété.

Cette idée de Platon gagne toutefois en universalisme en ce qu'elle n'a pas été ignorée et par les régimes dits totalitaires, libéraux, socialistes et communistes, y compris les penseurs politiques tels que Rawls et Habermas qui ont essayé tous les deux de proposer une théorie alternative de la démocratie pour répondre au défit que posent aujourd'hui les démocraties modernes à savoir le pluralisme moral, philosophique et religieux.

Les régimes totalitaires supposent un genre d'homme dépourvu de toutes libertés politiques susceptibles d'aller à l'encontre des idées de la classe dirigeante ; les régimes communistes, quant à eux, un genre d'homme dont les idées coïncident indéfectiblement avec celles du parti, tandis que l'homme qu'on rencontre dans les théories de la démocratie délibérative de Habermas et de la démocratie libérale de Rawls est celui qui dispose d'une raison pratique procédurale.

La démocratie libérale qui est jusqu'aujourd'hui la forme standard de toutes les démocraties existantes dans le monde

8 Jean Jacques Rousseau, Du contrat social, Livre I, chapitre 4, Paris, 10/18, 1973, p. 77

n'a pas manqué, elle aussi, à cette exigence anthropologique dès son avènement au XVIIIième siècle. Le type d'homme qu'elle propose est en opposition radicale avec celui qui était propre aux régimes monarchiques et hiérarchiques de l'Ancien Régime.

L'homme de l'Ancien régime ou pré-démocratique était caractérisé par ce que Robert Legros appelle « un principe hiérarchique, un principe d'hétéronomie et un principe de dépendance communautaire 9», lesquels principes s'opposent radicalement à ceux qui définissent l'homo democraticus. Celui-ci se trouve caractérisé par les principes d'égalité, de liberté et d'autonomie.

1.1.1 La liberté

La démocratie n'a pas attendu les temps modernes pour

exister même s'il est vrai que son contenu se modifie suivant les conjonctures historiques. C'est pourquoi la liberté qui en est un fondamental ne cesse d'évoluer, non pas dans le sens de progrès, mais de transformation, en raison des environnements sociaux et politiques.

La démocratie athénienne du Vième siècle av.J-C reposait sur le principe de liberté-participation qui a persisté jusque dans les démocraties modernes et contemporaines, mais, à cette forme de liberté originelle de la démocratie, s'ajoute d'autres tournures informées par les configurations sociétales et, au-delà, cosmologiques. La comparaison que fait Benjamin Constant entre la liberté des Anciens et la liberté des Modernes peut nous servir à saisir leurs différences respectives.

9 Robert Legros, op., cit, p. 34

La liberté des Anciens renvoyait à la participation politique et demeurait un privilège accordé exclusivement aux hommes libres ou plus précisément aux citoyens.

Dans La politique, Aristote, fidèle à sa théorie de la puissance et de l'acte à l'oeuvre dans sa Physique et sa Métaphysique, distingue, d'une part, le citoyen accompli et, d'autre part, le citoyen non encore réalisé et dégénéré. Cette dernière catégorie est composée, d'un côté, des enfants et, de l'autre, des vieux, lesquels « ne sont que des surnuméraires, les uns citoyens en espérance à cause de leur imperfection, les autres citoyens rebutés à cause de leur décrépitude.10 » « Ce qui constitue donc proprement le citoyen, selon Aristote, sa qualité vraiment caractéristique, c'est le droit de suffrage dans les Assemblées et de participation à l'exercice de la puissance publique dans sa patrie.11 »

Cette conception de la liberté participe d'une cosmologie propre à la Grèce antique. Pour les Anciens, le monde était un cosmos c'est-à-dire un tout fini (contenant l'ensemble des lieux possibles), hiérarchisé (différence de degré ontologique et non pas de nature entre un monde sublunaire imparfait et un monde supralunaire parfait) et géocentré (les planètes tournant autour de la terre. Ainsi les sociétés grecques se concevaient-elles, au plan politique, comme pleinement dépendant d'un ordre naturel dont elles devaient refléter et exprimer l'ordre. Ici, il y a une coïncidence entre politique et éthique, et l'homme accompli, au sens politique et non philosophique du terme, est celui qui, s'étant libéré d'un rapport utilitariste avec la nature, accédait à la dignité politique par le médium de la participation. La liberté

10 Aristote, La politique, Livre II, chapitre 4, Editions Gonthier, 1964, p.44

11 Ibid.,

équivalait alors à la participation, pour le citoyen, aux affaires de la Cité.

Or, dans le monde moderne, où s'instaure un nouveau

paradigme politique lié à un nouveau rapport au monde,

autrement dit une nouvelle cosmologie, s'élabore une

conception inédite de la liberté. La cosmologie des Modernes est marquée par une ouverture du monde, le passage « du monde clos à un univers infini » pour reprendre le titre de l'ouvrage d'Alexandre Koyré. La modernité politique ne peut, nous semble-t-il, nous être intelligible si nous ne faisons pas un détour à la modernité scientifique dont la conception mécanique du monde influence la perception de la liberté.

Dès le XVIIième siècle, Descartes affirmait dans le Du monde, que la Nature obéit à des lois que Dieu lui a imprimées, par décret, depuis le commencement et les changements qu'elle connaît ou connaîtrait se feront suivant les lois de la Nature garanties par Dieu lui-même. Dans le chapitre VII du même ouvrage intitulé « Des lois de la Nature de ce nouveau monde », il dit entendre par celle-ci « la Matière même en tant que je la considère avec toutes les qualités que je lui ai attribuées comprises toutes ensemble, et sous cette condition que Dieu continue de la conserver en la même façon qu'il l'a créée12. » La liberté, selon le XVII siècle, signifiait alors la soumission aux lois. Celles-ci étaient nécessaires pour organiser ou rendre intelligible l'infinitude de l'univers et en même temps soulager l'homme qui se sentait insignifiant (comme un atome dit Pascal) par rapport à l'infinitude du monde. C'est cette infinitude qui fait apercevoir à l'homme son insignifiance et sa fragilité.

12 René Descartes, Discours de la méthode, Paris, Garnier Flammarion, 1966, p. 228

N'était-ce pas par rapport à cela que Pascal disait : « le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie13. »

La liberté, avec la Réforme protestante et le mouvement janséniste, change de contenu grâce à une éthique qui promouvait le culte du moi. Avec ces derniers, l'homme est un sujet libre qui doit s'imposer soi-même à s'émanciper de toute autorité extérieure et doit être sa propre référence sur le plan moral. Ce moment correspond à celui de la promotion de l'individualisme et de l'éthique par rapport à la morale collective. Ici, la liberté correspond à l'autonomie et est une « libération des entraves », comme le dit Alain Renaut dans le Dictionnaire de philosophie politique dirigé par Philippe Raynaud et Stéphane Rials, d'où une libertéémancipation . Cette liberté n'est pas politique, mais c'est une introspection, de l'intérieur de la conscience, dont l'intimité du coeur reste l'espace dans lequel [et par lequel] les hommes échappent à la contrainte extérieure et se sentir libres. Cet espace intime du coeur échappe au pouvoir de régulation et de domination du pouvoir politique

La liberté en tant que fondamental de la démocratie peut renvoyer soit à la liberté-participation soit à la libertésoumission soit à la liberté-émancipation soit à toutes ensemble à la fois. Une parmi elles (ou bien toutes trois) peut se constituer comme le fondamental autour duquel est structurée une démocratie particulière, mais leur contenu se modifie suivant les contingences historiques qui président à sa construction.

13 Pascal, Pensées, Paris, Bordas, 1984, p. 82

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon