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La politique chinoise de l'administration Bush après la répression place Tiananmen : l'interdépendance peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-1993

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par Nicolas Le Guillou
Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 1 Science Politique - Relations Internationales spécialité Sécurité & Défense 2014
  

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UNIVERSITE JEAN MOULIN LYON III

MASTER 1 Mention Science Politique - Relations Internationales spécialité Sécurité et Défense, nicolas.le-guillou@univ-lyon3.fr, 9147230

La politique chinoise de l'administration Bush après la répression place
Tiananmen : l'interdépendance peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-

1993

Mémoire de recherche en Science Politique présenté par Nicolas Le Guillou

Sous la direction de Monsieur François David, Maître de conférences à Lyon III

2014-2015

UNIVERSITE JEAN MOULIN LYON III

MASTER 1 Mention Science Politique - Relations Internationales spécialité Sécurité et Défense, nicolas.le-guillou@univ-lyon3.fr, 9147230

La politique chinoise de l'administration Bush après la répression place
Tiananmen : l'interdépendance peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-

1993

Mémoire de recherche en Science Politique présenté par Nicolas Le Guillou

Sous la direction de Monsieur François David, Maître de conférences à Lyon III

2014-2015

Remerciements

Je tiens tout d'abord à adresser mes remerciements les plus chaleureux à Monsieur François David qui m'a permis de bénéficier de son encadrement. Les conseils, la patience et la liberté de confiance qu'il m'a témoignés ont été un facteur d'encouragement permanent tout au long de la réalisation de ce travail de recherche.

Je souhaite aussi étendre mes remerciements aux enseignants que j'ai côtoyés durant mon cycle universitaire. Plus particulièrement les professeurs d'histoire des relations internationales contemporaines qui m'ont transmis les connaissances et le goût pour l'étude des politiques étrangères américaine et chinoise.

Enfin, je remercie ma mère qui a contribué à la clarification de ce mémoire par ses corrections et ses relectures.

Liste des sigles et des acronymes

AIEA : Agence Internationale de l'Energie Atomique

APEC : Association de coopération économique de l'Asie-Pacifique

CSNU: Conseil de Sécurité de l'ONU

GATT: General Agreements on Tariffs and Trade

MFN : Most Favoured Nation, Clause de la Nation la plus favorisée

ONU : Organisation des Nations Unies

RPC : République Populaire de Chine

RTCM : Régime de Contrôle des Technologies de Missiles

TNP : Traité de Non-Prolifération

URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques

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INTRODUCTION

« Même des années plus tard, f...] Tiananmen demeure pour les Etats-Unis dans leur relation bilatérale avec la Chine, un objet de litige sanctionné de mesures économiques, de critiques sur le non-respect des droits de l'Homme et de commémorations régulières. Une analyse de l'impact de Tiananmen sur la politique chinoise américaine nécessite donc une étude sur plusieurs niveaux de prise de décision politique. »1

Alors que les relations sino-américaines avaient atteint un degré de stabilité inespéré depuis des décennies, les massacres du 4 Juin 1989 place Tiananmen firent basculer les rapports dans un climat de tension et de rupture inédit depuis le 1er Octobre 1949. La situation d'apaisement prometteur qui avait été gagnée au prix d'un travail diplomatique acharné commencé en 1972, et à laquelle ont succédé quinze ans d'échanges économiques2, furent balayés en seulement quelques semaines. Un nouveau cycle s'enclencha dans l'histoire sino-américaine : celui d'une lente et laborieuse guérison3. Et pour cause, Tiananmen a directement affecté la formulation de la politique chinoise américaine en la forçant brutalement à s'adapter et à développer sur un temps très court, une nouvelle ligne de conduite cohérente. Par conséquent, la difficulté fut double pour l'administration Bush encore fraîchement au pouvoir en Juin 1989 : répondre par des décisions viables et avec un temps de réaction alerte à une crise sino-américaine sans précédent.

C'est précisément cet intervalle de temps succinct, coïncidant avec le mandat de George Bush père (Janvier 1989 - Janvier 1993) dans lequel chaque prise de position impacta directement l'avenir des relations sino-américaines, qui intéressera notre recherche. Cet espace temporel constituera le support de nos interrogations auxquelles nous tenterons de répondre tout au long de notre analyse. Comment les décisions post-Tiananmen ont-elles été prises ? Quels domaines de la relation sino-américaine ont été privilégiés pour apaiser les tensions politiques? Comment ces décisions ont-elles déterminé les paramètres de la relation sino-américaine pour les premières décennies du XXIème siècle4 ?

Si la période post-Tiananmen soulève autant d'interrogations, (bien que l'histoire sino-américaine ait fait l'objet d'intenses études), c'est justement parce que la politique chinoise

1 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen : The Politics of US-China relations 1989-2000, Washington D.C., Brookings Institution Press, 2003, p. 85: « Even years later f...] the United States maintains Tiananmen as an ongoing issue in the bilateral relationship through economic sanctions, frequent criticism of human rights abuses that trace to 1989, and regular commemoration of the event. An evaluation of Tiananmen on American policy toward China needs to look at several different levels of political decision-making. »

2 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis 1989-1997, Thèse de doctorat en Etudes chinoises, Paris : Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, soutenue en 1998, p. 3.

3 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit., p. 88: « Chapter four: The Slow Road to Recovery 1989-92 ».

4 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis 1989-1997, op.cit., p. 1.

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américaine, au lendemain de ces événements, reste hélas trop souvent effleurée. A juste titre, il existe quelques ouvrages de référence dans la production scientifique anglo-saxonne, mais la documentation française demeure quant à elle partielle et relativement pauvre sur le sujet. Certaines thèses, articles traitent bien des relations sino-américaines dans les années 1990 mais se servent du mandat de G. Bush comme d'une introduction ou d'une étude préalable pour aborder plus en détail la politique chinoise des mandats de Bill Clinton. Ces recherches présentent l'avantage d'être plus riches sur le plan factuel (strictement sino-américain) et centrées sur des problématiques géostratégiques ou géopolitiques plus avenantes pour le lecteur : troisième crise du détroit de Taïwan (1995-1996)5, bombardement de l'ambassade chinoise à Belgrade le 30 Juin 19996. Une autre raison plus évidente est que la présidence de Georges H. Bush souffre d'une abondance d'événements internationaux tous plus déterminants les uns que les autres pour l'équilibre mondial, reléguant de ce fait Tiananmen à un fait secondaire. Son mandat concorde effectivement avec la fin de la Guerre froide, l'effondrement du mur de Berlin, la fin des démocraties populaires d'Europe de l'Est, la dissolution de l'URSS, la réunification de l'Allemagne mais aussi la première guerre du Golfe ou la première crise en Yougoslavie. Tiananmen finit donc par s'effacer derrière cette toile de fond pleine de bouleversements et se résume alors à un « printemps » vite essoufflé et sans suite. S'en tenir à se vague a priori serait toutefois éminemment réducteur surtout à l'heure où les analyses sur le « pivot » américain dans le Pacifique prolifèrent, et où de plus en plus d'observateurs tentent d'analyser les relations sino-américaines comme l'un des défis majeurs du XXIème siècle7. Notre recherche sur la politique chinoise américaine post-Tiananmen ambitionne justement de proposer une grille de lecture historique et théorique sur ce qui constitue à notre sens, un des fondements de la relation sino-américaine actuelle.

Dans cette perspective, à titre introductif et très brièvement, nous nous proposons de mettre en lumière l'histoire sino-américaine pour comprendre les forces qui animent ces liens séculaires et dégager les tendances lourdes de cette histoire commune. Cette étude préalable permettra d'aborder notre analyse dans les meilleures conditions puisque comme le remarque Juliette Bourdin dans la première partie de sa thèse : « la nature des premiers contacts sino-américains f...] ouvre des pistes de réflexion sur la politique chinoise de Washington au XXème siècle »8.

Ainsi, depuis le XIXème siècle, l'histoire américano-chinoise montre une alternance de cycles où se mêlent méfiance, pragmatisme, visions positives ou négatives de l'autre. Les contacts entre

5 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit., p. 200.

6 Ibid., p. 369. Evénement dont la relation sino-américaine aurait le plus souffert depuis Tiananmen selon le jugement avisé de Robert Suettinger.

7 BOURDIN Juliette, Les relations sino-américaines de Tiananmen à la présidence de George W. Bush (1989-2006) : une analyse des enjeux économiques et stratégiques à la lumière de l'Histoire, Thèse de doctorat en civilisation américaine, Paris : université Sorbonne-nouvelle, soutenue en 2007, p. 15.

8 Ibid., p. 36.

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les deux pays ont donc longtemps été tributaires de ces oscillations ce qui explique en grande partie les phases d'ouverture et de fermeture qui ont structuré chacune des deux politiques étrangères. Le XIXème siècle est ainsi parcouru de contradictions et d'ambivalence entre les deux diplomaties si bien que c'est l'incompréhension du côté américain et le sentiment de trahison du côté chinois qui ont caractérisé les relations de ces deux pays tout au long du siècle9.

Au XXème siècle, plusieurs événements vont installer la relation sino-américaine dans un climat de méfiance et de distance. D'abord, la Première Guerre mondiale, particulièrement marquante pour les Chinois parce que la protection des Américains se révéla inconsistante concernant les 21 demandes présentées par le Japon en 191510. Le traité de Versailles acheva ainsi de développer le nationalisme chinois, alimenté par la déception et la désillusion. De nouveau, au début de la guerre sino-japonaise en 1937, les Américains restèrent impassibles. Il fallut attendre l'année 1938 pour que l'administration américaine participât plus activement à la défense de la Chine contre son voisin japonais. Quant à la guerre civile chinoise entre les nationalistes de Chiang Kai-Shek et les communistes de Mao Zedong, là encore les Américains s'efforcèrent d'afficher une fausse neutralité car leurs intentions se portèrent davantage vers le généralissime plutôt que vers le leader communiste11.

L'après guerre fut compliqué pour la Chine et les Américains s'en rendirent assez rapidement compte. Washington décida de continuer à ne soutenir que Chiang Kai-shek, le Guomindang étant reconnu par la communauté internationale12. Malheureusement pour les Américains, la proclamation de la République Populaire de Chine par Mao le 1er Octobre 1949 amorça une longue et chaotique période de rupture diplomatique. Dans la foulée, la guerre de Corée éclata dès 1950. Sans que la RPC ne déclare officiellement son entrée dans le conflit, celle-ci, avec ses 800 000 volontaires, prouva au monde entier que même en temps de faiblesse, elle était capable de défendre ses intérêts face à la superpuissance nucléaire américaine. Une leçon pour les deux diplomaties qui éviteront par la suite, le choc frontal. Pour autant, l'hostilité demeura entre les deux pays, exemple pris des deux crises de Taïwan (1954 et 1958). Les années 1960, sans apaiser les

9 Ibid., p. 36. Les Américains, prétextant une attitude paternaliste et protectrice à l'égard de l'Empire du milieu ont finalement fait jouer leurs intérêts au détriment de ceux des Chinois qui parlent d'une période d'humiliation. C'est la politique de la « Porte ouverte » entreprise par les Américains à la fin du 19ème siècle qui a longtemps entretenu le mythe selon lequel les Américains se seraient érigés en protecteurs de la Chine.

10 MURACCIOLE J.-F, Cours magistral «Les relations internationales de la Première à la Seconde guerre mondiale», Université Paul-Valéry Montpellier III, Semestre 5, 2013. Revirement du Président Woodrow Wilson concernant les 21 demandes économiques du Japon à la Chine présentées dès le printemps 1915. Le Japon obtient ainsi les îles allemandes du Pacifique. Les Chinois quittent la conférence et ne signent pas le traité. Cette période est donc vécue par les Chinois comme une trahison des Américains qu'ils accusent d'avoir vendu leur pays au Japon.

11 En effet, le nationaliste chinois bénéfice d'un allié de choix en la personne d'Henry Luce, l'influent éditeur du Time, Life et Fortune qui contribue à faire passer Chiang comme l'homme fort, le seul capable de relever la Chine.

12 Pourtant, pendant la guerre, un certain nombre d'experts dépêchés en Chine pour étudier la situation avaient conclu que les communistes gagneraient la guerre civile. L'attitude américaine est donc jugée hasardeuse et dangereuse par certains diplomates qui désapprouvent le fait de ne soutenir qu'un seul camp en sachant que l'issue du conflit n'est pas jouée.

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relations sino-américaines, stoppèrent au moins la dynamique de conflit qui les avait animées jusque-là : l'Europe redevint le théâtre d'affrontement privilégié de la Guerre Froide, le schisme sino-soviétique s'accentua profondément, les Américains s'enfoncèrent dans le bourbier vietnamien et la RPC s'enferma dans la révolution culturelle rompant pratiquement tous liens diplomatiques avec le reste du monde. Mais alors que les relations sino-américaines semblaient loin d'être prioritaires pour les deux politiques étrangères encore antagonistes, un changement majeur se profila pourtant. Le 21 Février 1972, après les voyages diplomatiques secrets de Kissinger, Nixon se rendit officiellement en Chine, à Pékin, plaçant ainsi les rapports sino-américains sur la voie de la normalisation. Ici se dégage d'ailleurs une autre caractéristique majeure de la relation héritée du XXème siècle : la présence d'un tiers menaçant pour la Chine mène à un rapprochement entre les deux pays. Ce fut le Japon jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, puis l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques jusqu'à sa dissolution. En 1974 des bureaux de liaison ouvrirent à Pékin et à Washington. Le futur Président américain George Herbert Bush devint chef du bureau des représentations en Chine, d'Octobre 1974 à Août 1975. Au cours de ces mois passés à Pékin comme ambassadeur officieux, il développa des contacts étroits avec quelques dirigeants chinois.

Avec la fin des années 1970, les relations s'intensifièrent. Deng Xiaoping accéda au pouvoir en 1977 et procéda à l'ouverture forcée de l'économie chinoise vers une économie mixte qualifiée d'« économie de marché socialiste ». La normalisation des rapports sino-américains fut effective le 1er Janvier 197913. Dès lors, une timide interdépendance économique naquit à la faveur de la décision de l'administration Carter de céder le statut « Most-Favoured-Nation »14 (MFN) aux Chinois. Rapidement, les échanges économiques et commerciaux commencèrent à se développer. Adoptant une politique de « porte ouverte »15 dès 1978, Pékin bénéficia d'une quantité importante d'investissements directs de l'étranger dont les Américains prirent une part importante16. Simultanément, les liens culturels, scientifiques, académiques progressèrent. Ce mouvement en apparence mal engagé au moment de l'investiture de R. Reagan, aboutit finalement à l'accélération du processus de normalisation. Un communiqué commun fut signé le 17 Août 1982 dans lequel la Chine et les Etats-Unis réaffirmèrent les principes fondamentaux qui guidaient leurs relations. Signe que la confiance mutuelle prospérait, en 1983 l'administration Reagan prit l'initiative d'ouvrir la

13 Au moment de l'établissement des relations, Pékin et Washington signèrent un accord commercial garantissant au partenaire des tarifs commerciaux préférentiels : GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S. relations: analytical approaches and contemporary issues, Lanham, Lexington Books, 2010, p.102.

14 Statut de la Nation la plus favorisée. Sans ce statut, les exportations chinoises étaient soumises à d'importants tarifs douaniers conformément au Smoot-Hawley Act de 1930. Voir: HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, Washington, D.C., The Brookings Institution, 1992, p. 95.

15 « Open Door Policy », GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S. relations: analytical approaches and contemporary issues, op. cit. p. 103.

16 De 1979 à 2008 les Etats-Unis ont été les premiers investisseurs en Chine.

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Chine aux ventes d'armes et de technologies américaines17. Dans le prolongement, le deuxième mandat de R. Reagan inaugura « l'ère des bons sentiments » qui caractérisa les liens américano-chinois tout au long de la décennie 1980. Néanmoins, malgré cette apparente euphorie, des éléments de désaccord et de méfiance subsistaient. Il fallut ainsi quelques années à R. Reagan pour limiter son soutien à Taïwan18, et les modèles politiques sino-américains demeuraient profondément antagonistes. Le commerce bilatéral évoluait certes largement mais sur une souche instable. Quoiqu'il en soit, quand George Bush fut investi de la présidence des Etats-Unis, les échanges entre les deux pays avaient été amplement bénéfiques19. Ces années en or, qualifiées ainsi par James Mann,20 caractérisèrent donc les liens américano-chinois jusqu'à la répression brutale menée place Tiananmen le 4 Juin 1989.

Cet épisode central dans l'histoire sino-américaine constitua le point de rupture inattendu d'une crise profonde de la relation bilatérale, devenu fondateur pour la politique chinoise des Etats-Unis. Tiananmen a en effet cristallisé les antagonismes et dissout les affinités au point de ne laisser comme seul dénominateur commun, qu'un commerce sino-américain fébrile de son immaturité. C'est en cela que réside d'ailleurs toute l'importance de la politique américaine chinoise post-Tiananmen : il a fallu préserver cet ultime facteur de rapprochement tout en donnant de nouveaux fondements stratégiques à la relation, le tout, dans un contexte international bouleversé.

Ce mémoire a donc pour objet l'étude de la relation sino-américaine post-Tiananmen, sous l'angle de la politique étrangère américaine, et propose d'analyser les ressorts de cette politique à la lumière de la théorie de l'interdépendance complexe ; laquelle nous permettra d'identifier les paramètres nouveaux de cette relation. Nous ferons coïncider précisément notre analyse sur la période du mandat de George Bush père s'étalant de Janvier 1989 à Janvier 1993.

Compte tenu du choix de notre lentille conceptuelle21 nous nous appuierons donc prioritairement sur l'ouvrage de R. Keohane et J. Nye, Power and Interdependence : World Politics in Transition paru en 1977. Ces spécialistes des relations internationales sont connus pour avoir

17 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, New York, Vintage Books, 2000, p. 139.

18 Ibid., pp. 144-145.

19 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Market Access in China - May 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p. Une autre note dresse ainsi le bilan de la décennie 1980 : en mai 1989 les Etats-Unis étaient le troisième partenaire commercial de la RPC, réciproquement, Pékin était passé de la 15ème place en 1981 à la 12ème soit 2% du commerce global américain. Les tendances à cette période étaient en hausse : en 1988 les exportations américaines en direction de Chine avaient augmenté de près de 45% (soit 5 milliards de dollar), contre 30% d'augmentation pour les exportations chinoises : U.S. DEPARTMENT OF STATE, « US China Trade Trends - 10th of May 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p. Voir Annexe 3 : Etat du commerce sino-américain peu de temps après l'arrivée au pouvoir de G. H. Bush (Mai 1989), p. 96.

20 Chapitre 7: « Reagan and the Golden Years », MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. pp. 134-154.

21 Pour emprunter les termes anglais « conceptual lens » de Graham Allison et de Philipp Zelikow dans leur ouvrage « Essence of decision : explaining the cuban missile crisis », New York, Longman, 1999, 416 p.

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développé dans les années 197022 le courant théorique néolibéral qui se caractérise par une critique du stato-centrisme des relations internationales et une focale sur le phénomène d'interdépendance. Selon eux, la vue classique de la politique internationale a laissé la recherche en relations internationales insuffisamment attentive aux phénomènes transnationaux grandissants depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Proposant une alternative théorique à l'approche réaliste ou néoréaliste dominante, R. Keohane et J. Nye questionnent ainsi la compréhension classique des acteurs non-étatiques, le rôle des techniques étatiques non militaires, et celui des variables économiques au sein du système international23. L'interdépendance complexe qu'ils définissent comme un système dans lequel tout acteur est sensible et vulnérable aux comportements des autres acteurs, est ainsi la première théorie à postuler que les Etats ne sont pas seulement dépendants au niveau diplomatique ou stratégique, mais aussi dans les domaines relevant du commerce, des droits de l'homme, des questions sanitaires, environnementales24 etc.

Toutefois, avançons d'emblée quelques précisions. D'une part, si l'interdépendance et les conflits sont étroitement liés, et que les études prouvent qu'il y a effectivement moins de tensions lorsque le commerce grandit, des analyses poussées rappellent que ces considérations valent pour les conflits militaires et non politiques25. Tiananmen est justement une crise de politique étrangère26, elle n'est donc pas prise en compte dans ce type d'études statistiques. De plus, si l'effet pacificateur de l'interdépendance économique a été démenti par la Première Guerre mondiale, l'étude de son influence en période post-crise demeure non-évaluée. Cette absence nous laisse légitimement le champ libre pour étudier l'impact de l'interdépendance sur les tensions politiques sino-américaines post-Tiananmen. D'autre part, les théories de l'interdépendance ne se présentent pas comme une contestation radicale du réalisme. Au contraire, leur objet vise à adapter la doctrine réaliste à un mode plus complexe27. Le cadre d'analyse de R. Keohane et J. Nye nous ramène obligatoirement à l'Etat, c'est pourquoi dans notre étude nous nous plaçons à l'échelle de la politique étrangère américaine : les Etats demeurent donc les principaux acteurs de la vie internationale. L'angle théorique de l'interdépendance complexe viendra souligner simplement que leur pouvoir de

22 Robert Keohane et Joseph ont également publié le célèbre « Transnational Relations and World Politics » en 1972.

23 BALDWIN David A., « Review: «Power and Interdependence: World Politics in Transition» by Robert O. Keohane and Joseph S. Nye », The American Political Science Review, Vol. 72, No. 3 (Sep., 1978), p. 1165. URL: http://www.jstor.org/stable/1955253, consulté le 26/02/2015

24 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, Harvard University, Second Edition, Harper Collins Publishers, 1989, pp. 248-249.

25 ONEAL R. John, RUSSET Bruce, BERBAUM L. Michael, « Causes of Peace: Democracy, Interdependence, and International Organizations, 1885-1992 », International Studies Quarterly, Vol. 47, No. 3 (Sep., 2003), p. 375. URL: http://www.jstor.org/stable/3693591, consulté le 26/02/2015.

26 « A foreign policy crisis » selon les propos de Brecher et Wilkenfeld dans « A study of crises », Ann Arbor, University of Michigan Press, 2000, p. 11.

27 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit., p. 248: «but it was only in Power and Interdependence that we explicitly addressed the conditions under which the assumptions of realism were sufficient or needed to be supplemented by a more complex model of change.»

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contrainte est moindre ou s'exprime différemment que par le passé, que la menace d'un recours à la force n'occupe pas une place aussi centrale que chez les réalistes et qu'il faut prendre en considération d'autres acteurs. Cependant, la théorie demeure une vue de l'esprit et ne fait que rattacher des conséquences à des principes. Comme toute théorie digne de ce nom, elle doit donc être soumise à la fois au contrôle du raisonnement et de la critique expérimentale (l'aller-retour entre les idées et les faits)28. Nous évaluerons donc la valeur explicative de la théorie de l'interdépendance complexe appliquée à l'évolution de la relation sino-américaine post-Tiananmen, évolution observée sous le prisme de la prise de décision américaine. Notre étude soutiendra que la politique américaine chinoise post-Tiananmen s'est affairée à développer une relation d'interdépendance (qui avait timidement émergé entre 1979 et 1989), afin d'apaiser les tensions politiques générées par Tiananmen.

Muni de cet outil théorique, nous tenterons finalement de répondre à la question centrale qui guidera notre recherche: la politique chinoise de l'administration Bush, dont l'élaboration a été profondément affectée par la crise politique de Tiananmen, est-elle parvenue à développer une relation d'interdépendance étroite avec la Chine au point d'apaiser les tensions politiques ?

Ceci nous amènera à définir plus précisément notre grille de lecture théorique et le néolibéralisme de manière générale. Ce passage apparaît indispensable si l'on veut identifier et comprendre empiriquement les effets politiques (notamment) de l'interdépendance dans les rapports sino-américains post-Tiananmen. Ce cadre conceptuel directeur devrait nous aider à répondre à plusieurs questions subsidiaires qui participeront du cheminement de notre réponse à la problématique. Comment la nation américaine, qui a elle-même condamné les massacres de Tiananmen, est-elle parvenue à développer des liens très forts, de toutes natures avec une puissance émergente qui cherche pourtant à briser son leadership ? Le commerce a-t-il une réelle vertu pacificatrice en situation de désescalade (post-crise) ? Ces interrogations secondaires guideront par conséquent notre recherche et nous mèneront à circonscrire de la manière la plus exacte et précise possible, notre réponse à la problématique posée.

Quant à notre matériau de recherche, celui-ci sera composé de documents officiels, d'archives historiques déclassifiées sur la politique étrangère et militaire américaine provenant du site de la Digital National Security Archive (plus spécifiquement du dossier China and the US) et des sites de premières mains tels que celui du bureau du recensement des Etats-Unis (United States Census Bureau dépendant du département du Commerce) ou du National Security Strategy Archive. Parmi les sources secondaires, citons un certain nombre d'articles scientifiques provenant du site

28 DE MONTBRIAL Thierry, « Réflexions sur la théorie des relations internationales », Politique Etrangère, n°3, 1999, pp. 467-490. URL : /web/revues/home/prescript/article/polit_0032-342x_1999_num_64_3_4876, consulté le 11 mars 2015.

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Jstor ainsi que plusieurs ouvrages de références, pour la plupart américains et écrits par des groupes de pensée (« think tank ») et des spécialistes des affaires asiatiques ou d'anciens acteurs de la politique américaine chinoise : Michel Oksenberg, Harry Harding, Robert Suettinger, David Lampton, James Mann entre autres.

Ainsi, dans un premier développement nous procéderons à une véritable dissection de notre support théorique, Power and Interdependence de R. Keohane et J. Nye. Cette opération sera l'occasion de revenir aux fondements du libéralisme afin de replacer la théorie choisie dans la discipline des relations internationales. Après ce détour conceptuel, nous tenterons de définir aussi précisément que possible l'interdépendance complexe dans le but d'en identifier les caractéristiques principales et d'en dégager les outils théoriques les plus pertinents. Le tout devra mettre en lumière les concepts clés qui la structurent, essentiels à la lecture des rapports étatiques internationaux.

A cette première partie largement théorique succédera un développement nettement plus factuel, qui traitera des implications stratégiques immédiates de Tiananmen sur la relation sino-américaine. Il s'agira dans un premier temps de faire une analyse historique de la crise de Tiananmen : ses origines, son déroulement, son dénouement. Dans cette lecture à la lumière de l'histoire nous examinerons ensuite les premières prises de décision de l'administration Bush. Ceci nous permettra d'introduire quelques mots sur l'appareil décisionnel américain en exercice à cette époque, d'évaluer la réaction américaine ainsi que la position du Président. Ensuite, nous traiterons de l'après-Tiananmen et de la difficulté pour la relation sino-américaine de trouver un nouveau cadre stratégique. Nous évoquerons alors le challenge de la « renormalisation » des rapports et l'influence du contexte international afin de dégager les paramètres nouveaux de la relation sino-américaine.

Enfin, et selon la logique de notre raisonnement qui consiste à rapprocher les faits de la théorie, nous procéderons à une critique expérimentale de l'analyse de la relation sino-américaine post-Tiananmen à l'aune de l'interdépendance complexe. Dans cette ultime partie il s'agira d'appliquer les concepts clés, précédemment retenus, aux rapports interdépendants sino-américains. Par cette méthode nous apprécierons successivement les débuts discrets de l'interdépendance complexe sino-américaine puis les rapports de puissance qui s'y développent. A cette occasion nous analyserons la structure du commerce entre Washington et Pékin, les échanges secondaires qui en découlent et la manipulation politique dont ceux-ci peuvent faire l'objet. Alors, nous pourrons juger du degré d'asymétrie qui caractérise la relation sino-américaine et de la rivalité qui en résulte. L'ensemble facilitera l'élaboration de notre conclusion partielle dans un dernier chapitre.

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Partie 1 : L'interdépendance complexe comme cadre analytique

Tel que nous venons de l'introduire, Power and Interdependence de R. Keohane et de J. Nye constituera le corps théorique dominant de notre étude. A titre d'avant-propos nous débuterons notre recherche en situant l'école de l'interdépendance complexe dans la discipline des relations internationales. Cet exercice préliminaire nous permettra d'introduire cette école de pensée plurielle et multiforme finalement difficilement classable. A cette occasion, il s'agira de disséquer la théorie des deux universitaires américains afin de la définir, d'en faire une interprétation personnelle et d'en identifier les caractéristiques. Cette vaste réflexion conceptuelle s'achèvera par une appréciation plus empirique qui s'appliquera à déterminer les concepts clés de l'interdépendance complexe au regard de notre étude sino-américaine post-Tiananmen.

Titre 1 : Power and Interdependence dans la théorie des relations internationales

La manoeuvre peut sembler anodine mais elle répond pourtant à la logique de ce mémoire que nous avons préalablement définie : donner une clé de lecture théorique et historique sur l'évolution de la relation sino-américaine après Tiananmen. Par conséquent, replacer Power and Interdependence dans l'histoire des idées revient à livrer un avant-propos essentiel sur la dialectique générale de notre mémoire.

Chapitre 1 : Aux fondements du libéralisme

Le libéralisme classique puise ses racines dans toute une pensée philosophique de la paix dont le socle idéologique repose sur la croyance en la possibilité de moraliser les relations entre Etats.

Section 1 : Le libéralisme classique, fils de la philosophie libérale : Erasme, Locke, Montesquieu

De manière chronologique, Frédéric Charillon rappelle que le postulat selon lequel « la guerre ne paie pas » est le fruit de la pensée d'Erasme (1469-1536)29. Toutefois, lorsqu'Erasme écrit Complainte de la paix en 1517, son discours demeure fortement imprégné d'une idéologie

29 BLOM Amélie, CHARILLON Frédéric, Théories et concepts des relations internationales, Paris, Hachette Supérieur, 2001, p. 30.

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chrétienne. La guerre est avant tout décrite comme l'antithèse des préceptes des évangiles30. On est donc encore loin de la philosophie libérale. C'est avec John Locke, (1632-1704) que les premiers jalons du libéralisme sont posés. Celui-ci est effectivement considéré comme le père de l'idéologie libérale et de la doctrine des droits de l'homme31. Ses idées telles que le consentement du peuple comme assise du pouvoir ou le droit naturel des individus à la propriété posent les principes originels de la philosophie libérale et le spectre d'une toute autre pensée : l'économie politique32. Toutefois, dans la doctrine de John Locke, la sphère économique ne peut subsister sans institution politique laquelle trouve sa raison d'être dans la préservation de la propriété face aux dangers et désordres inévitables que génère l'état de nature. En ce sens, Locke conserve un point de vue clairement hobbesien33. Ce détail est fondamental puisqu'il signifie que même dans les profondeurs de la philosophie libérale, des interpénétrations avec l'approche réaliste existent déjà.

Montesquieu (1689-1755) à son tour développe une pensée riche sur le plan des relations internationales. Il s'intéresse ainsi au processus de pacification internationale, et souligne aussi le poids des échanges34, soutenant la thèse du « doux commerce » selon laquelle « l'effet naturel du commerce est de porter la paix »35. Bien que Montesquieu n'emploie pas directement l'expression de « doux commerce » (c'est Albert Hirschman qui l'a répandue), il reconnaît la capacité du commerce à réguler les passions violentes (passions politiques notamment) et établit ainsi une relation entre douceur et commerce: « c'est presque une règle générale, que partout où il y a des moeurs douces, il y a du commerce, et que partout où il y a du commerce, il y a des moeurs douces »36. Les effets pacificateurs du commerce décrits par Montesquieu s'appuient sur l'idée qu'en multipliant les échanges, les gens se rapprochent et multiplient les comparaisons, favorisant par conséquent la tolérance et l'adoucissement des moeurs permettant de « guérir des préjugés destructeurs »37. Très vite la thèse de Montesquieu est reprise par Jérémy Bentham (1748-1832) qui la popularise en Grande-Bretagne au XIXème siècle affirmant que « tout commerce est par essence avantageux et toute guerre par essence désavantageuse »38. Quelques temps plus tard, John Stuart Mill s'inscrira dans le prolongement de ces idées en soulignant que le commerce rend la guerre contre-productive.39

30 RAMEL Frédéric, Philosophie des relations internationales, Paris, SciencesPo Les Presses, 2011, p. 72.

31 Ibid., p. 176.

32 MANENT Pierre, Histoire intellectuelle du libéralisme, Paris, Fayard, 2012, p. 104.

33 Ibid., p. 107.

34 RAMEL Frédéric, Philosophie des relations internationales, op. cit. p. 244.

35 BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2006, p. 186.

36 LARRERE Catherine, « Montesquieu et le « doux commerce » : un paradigme du libéralisme », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, n°123, 2014, pp 21-38. URL : http://chrhc.revues.org/3463. Consulté le 18 mars 2015.

37 Ibid.

38 Jeremy Bentham cité par Dario Battistella dans Théories des relations internationales, op. cit. p. 186.

39 RAMEL Frédéric, Philosophie des relations internationales, op. cit. p. 309.

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Section 2 : La paix kantienne

Au demeurant, dans la tradition libérale et pour les internationalistes, le Projet de paix perpétuelle en Europe (1795) de Kant demeure l'oeuvre la plus connue. Ce projet qui a inspiré la Société des Nations et les théoriciens de la paix démocratique40 est devenu depuis en Occident une vision archétypale qui ne retient que la finalité du projet kantien sans s'interroger sur les restrictions que le philosophe allemand s'était fixées. Frédéric Ramel rappelle à juste titre que Kant n'ignorait aucunement la réalité, ses propositions n'ont d'ailleurs rien de radicales ni de révolutionnaires et ne préconisent nullement l'établissement d'un gouvernement mondial41. Assez paradoxalement Kant participe même aux théories de la guerre nécessaire, postulant que parce qu'elle suscite la peur entre les Etats, ceux-ci renoncent à la violence. Par conséquent, comme Hobbes et Rousseau, Kant relève que l'état de nature est « plutôt un état de guerre : même si les hostilités n'éclatent pas, elles constituent pourtant un danger permanent »42. Ainsi, Kant finit-il par limiter volontairement son propos en définissant trois conditions à la paix : dans tout Etat, la constitution doit être républicaine (démocratique dirait-on aujourd'hui), le droit cosmopolite incarné dans le libre-échange et l'interdépendance économique et le droit des gens fondé sur un fédéralisme d'Etats libres43.

Section 3 : Une thèse nuancée

Assez largement réfutée depuis, Kant émet l'hypothèse de la nature intrinsèquement pacifique des démocraties fondée sur l'idée que puisque les citoyens décident et subissent les coûts d'une guerre, ils n'ont aucun intérêt à voter en ce sens. Le décalage d'une telle thèse à la réalité a forcé les chercheurs à nuancer et étoffer leurs études pour s'émanciper de la naïveté de la tradition kantienne. Ainsi, intégrant des variables supplémentaires, des études tentent malgré tout de réactualiser le champ empirique de la paix kantienne. Dans l'article «Causes of Peace: Democracy, Interdependence, and International Organizations, 1885-1992» les auteurs évaluent les effets de la nature du régime interne, de l'interdépendance, de l'implication ou non dans des organisations internationales et dans les cadres de discussion multilatéraux, sur la probabilité que deux Etats soient impliqués dans un conflit militaire. Sur ces bases-là et une échelle de temps s'étalant de 1885 à 1992, la conclusion tirée par les auteurs est la suivante : la probabilité qu'un conflit éclate entre deux Etats diminue de 86% si ces derniers sont dotés d'instances démocratiques, ont développé une

40 Thème amplifié par les travaux de Michael Doyle en 1983 dans son article Kant, Liberal Legacy and Foreign Affairs, cité par ROCHE Jean-Jacques, Théories des relations internationales, Paris, Montchrestien, 2004, p. 95.

41 RAMEL Frédéric, Philosophie des relations internationales, op. cit. p. 285.

42 Emmanuel Kant cité par Dario Battistella dans Théories des relations internationales, op. cit. p. 563.

43 ONEAL R. John, RUSSET Bruce, BERBAUM L. Michael, « Causes of Peace: Democracy, Interdependence, and International Organizations, 1885-1992 », International Studies Quarterly, art. cit. p. 375.

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interdépendance étroite et sont impliqués dans des organisations internationales44. Notre étude quant à elle s'attachera à évaluer l'influence de l'interdépendance sino-américaine sur l'apaisement des tensions politiques.

Largement inscrit dans l'histoire de la philosophie politique des idées, le libéralisme constitue donc un concept théorique incontournable des relations internationales. Au sein de cette école libérale d'importants courants se sont développés mais tous restent liés à la même volonté d'appliquer aux relations internationales les principes hérités de la philosophie du même nom.

Chapitre 2 : Le libéralisme en relations internationales, une doctrine hétérogène

Alex Mcleod et Dan O'Meara tentent cependant d'identifier les dénominateurs communs des multiples théories libérales à commencer par les postulats ontologiques et épistémologiques qui les structurent.

Section 1 : Ontologie et épistémologie des libéraux

Le postulat ontologique de départ est finalement assez proche de celui des réalistes : la structure du système international est anarchique, composée d'Etats souverains agissant de manière égoïste ce qui conduit parfois à des conflits45. Initialement, l'absence de coopération demeure donc prédominante dans ce schéma. En revanche, celle-ci demeure possible et un but à atteindre afin de remplir les conditions de prospérité auxquelles les Etats aspirent. Au contraire, c'est parce que le système international est anarchique que la coopération est nécessaire. C'est parce que l'action d'un autre Etat dans la poursuite de ses intérêts propres entrave mon acheminement tendant vers le même but, qu'une association devient une option à envisager. A ce titre, le commerce constitue un facteur essentiel de réduction des risques de conflit puisqu'il renforce l'interdépendance entre ces acteurs. Leur comportement étant guidé par un calcul coûts-bénéfices, celui-ci apparaît effectivement comme un moyen rationnel de parvenir à l'objectif de prospérité. Deuxièmement, conformément aux idées maîtresses de la philosophie libérale classique qui place l'individu et ses aspirations élémentaires au premier plan, l'Etat est au centre des préoccupations des libéraux car il est le plus à même de représenter ces intérêts46. Mais contrairement aux réalistes ou aux néolibéraux, fermement stato-centrés, les libéraux admettent l'existence d'une pluralité d'acteurs47. Le libéralisme repose

44 Ibid.

4545 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des relations internationales, contestations et résistances, Paris, Athéna Editions, 2007, p. 93.

46 Ibid., p. 93.

47 Ibid.

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donc sur une conception philosophique optimiste de l'Histoire ce qui n'en fait pas pour autant une théorie purement idéaliste. Les libéraux contemporains s'appuient en effet sur une épistémologie empiriste48. Fondée sur l'observation et l'expérience, leur démarche demeure scientifique. Nous le verrons avec R. Keohane et J. Nye, il y a dans la description des phénomènes, une volonté de rechercher les relations de cause à effet et d'y trouver une explication à l'aide d'indicateurs observables et quantifiables49. Cette relation cohérente entre la raison, l'observation et l'interprétation, fait du courant théorique libéral une approche largement reconnue dans la discipline des relations internationales.

Section 2 : Le libéralisme, deuxième approche générale principale des relations internationales50

Le terme libéral est soumis à un usage régulier, que ce soit dans le domaine politique ou économique, pour désigner les demandes de liberté d'une société civile refusant toute tutelle publique abusive.51 Dans le champ des relations internationales sa signification est autre puisqu'il « remet en cause la centralité de l'Etat tout en offrant une représentation du monde où la force n'est plus omniprésente. »52. De ce fait, l'approche libérale, se présentant comme l'antithèse réaliste, a été la principale concurrente du réalisme, et, comme le souligne justement Dario Battistella, a même précédé le réalisme dans la naissance de la discipline. Au XXème siècle, les deux courants ont donc dominé l'étude des relations internationales. Dans son ouvrage, l'auteur se livre d'ailleurs à un brillant plaidoyer de la thèse libérale en réfutant un certains nombres d'idées reçues sur ce concept notant que le libéralisme en relations internationales souffre d'une « connotation normative, sinon d'une charge sémantique idéologique »53 très forte qui fragilise son image en tant que paradigme.

Section 3 : Les principaux courants libéraux

Malgré l'effort de synthèse des auteurs, il n'y a pas une seule véritable théorie libérale, ce qui explique la multitude de courants qui la composent. Nous suivrons ici les contours de la liste dressée par Alex Mcleod et Dan O'Meara mais avec un ordre différent : du plus au moins ancré dans la philosophie libérale classique. Au sommet de celle-ci figure le républicanisme qui s'appuie

48 Ibid., p. 94.

49 Ibid., p. 93.

50 BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, op. cit. p. 179.

51 ROCHE Jean-Jacques, Théories des relations internationales, op. cit. p. 94.

52 Ibid.

53 BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, op. cit. p. 180.

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sur le modèle de la Paix perpétuelle de Kant54. Au deuxième rang, se trouve le pacifisme commercial partagé par des économistes tels qu'Adam Smith (1804-1865), Richard Cobden (18041865) et d'autres qui, s'appuyant sur les idées de Montesquieu et de Kant, perçoivent le commerce comme un facteur de bien-être et de paix. Ensuite, l'institutionnalisme libéral de l'entre-deux-guerres ou internationalisme libéral dont l'origine remonte aux 14 points du Président Wilson. Ce courant qui s'opposera aux réalistes verra cependant leur victoire après la Seconde Guerre mondiale, à l'issue du premier débat inter-paradigmatique55. Parallèlement, le fonctionnalisme émergera à l'initiative de David Mitrany (1888-1975) qui s'intéressera aux processus d'intégration56. Successivement, Ernst Haas, principale figure du néofonctionnalisme sera d'ailleurs le professeur de J. Nye et R. Keohane57. Enfin, apparaissent le transnationalisme et l'interdépendance complexe dont J. Nye et R. Keohane sont les plus importants représentants et auquel succédera le courant théorique néolibéral58.

Cette longue parenthèse sur le libéralisme et ses variantes consiste, dans le cadre des préliminaires de notre étude, à situer Power and Interdependence dans la discipline des relations internationales. L'ouvrage de R. Keohane et de J. Nye pose en effet un certain nombre de difficulté et clive les chercheurs quand il s'agit de le ranger dans une catégorie théorique des relations internationales. Conclure sur cet aspect présentera l'avantage d'introduire notre grille de lecture théorique et d'en circonscrire le champ d'étude.

Chapitre 3: Conclusion

Par nos propos introductifs, nous venons de tracer les contours du cadre analytique dans lequel s'inscrit Power and Interdependence de R. Keohane et J. Nye. Néanmoins, par les hypothèses qu'il suggère, les conclusions qu'il tire, les postulats qu'il adopte (que nous mentionnerons plus tard), cet ouvrage scinde les avis des spécialistes des relations internationales. Concentrons-nous donc sur les analyses dont il fait l'objet afin de dégager notre propre réflexion.

54 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des relations internationales, contestations et résistances, op. cit. p. 97.

55 L'échec du système de sécurité collective avec la SDN a démenti la théorie libérale classique selon lequel le droit international serait capable de régler les rapports de force.

56 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des relations internationales, contestations et résistances, op. cit. p. 96.

57 Ibid., p. 97.

58 En effet, on reprochera aux deux concepts centraux des relations internationales de s'attacher aux systèmes plutôt qu'aux acteurs, aux mécanismes plutôt qu'aux valeurs. De nouvelles pistes de recherche voient le jour, libéralisme et réalisme apparaissent alors dans leurs versions néo revisitées.

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Section 1 : Les différents efforts de classification

Dario Battistella note que l'oeuvre de R. Keohane et J. Nye relève de deux approches, l'approche transnationale ou pluraliste. Nuançant son propos, l'auteur admet que la perspective transnationaliste se voit souvent nier le statut de paradigme à part entière des relations internationales à cause de ses affinités avec le libéralisme et pour cause reconnaît-il « les passerelles sont nombreuses entre libéraux et transnationalistes contemporains »59. Pour autant, d'après Dario Battistella ce qui caractérise la perspective transnationaliste c'est qu'elle s'émancipe de la tradition libérale tout en accentuant la remise en cause du réalisme en voyant dans les individus et la société de réels acteurs de la politique mondiale dont les liens d'interdépendance peuvent être étatiques ou non-étatiques60. Plutôt que de le considérer comme une variante du libéralisme Dario Battistella range donc Power and interdependence dans un courant qui a toute sa place au sein de la discipline des relations internationales. Jean-Jacques Roche de son côté inscrit les travaux de R. Keohane et J. Nye dans la succession des institutionnalistes libéraux de l'entre-deux-guerres, en qualifiant cette approche d'institutionnalisme néolibéral. Dans la même optique, Andrew Moravcsik et Helen V. Milner considèrent qu'une des trois caractéristiques de l'institutionnalisme néo-libéral est sa description du système international reposant sur l'idée d'anarchie et d'interdépendance61. Sans parler de courant théorique à part entière, Jean-Jacques Roche fait de l'interdépendance complexe une école des relations internationales. Le programme de recherche lancée par les deux auteurs américains en réaction au néo-réalisme de Kenneth Waltz se présente selon lui comme un perfectionnement de l'analyse stato-centrée par la prise en compte des besoins et des capacités d'action de la société civile62. On retrouve ici le même argument que Dario Battistella sous une étiquette théorique différente. Plus surprenante est la conception de Frédéric Charillon et Amélie Blom qui rangent Power and Interdependence dans le néo-réalisme. D'après eux en effet, R. Keohane et J. Nye rapprochent le réalisme de certaines libérales se synthétisant alors en une approche que les auteurs qualifient de pluraliste parce qu'elle tient compte d'une pluralité d'acteurs63. Mais dans l'ensemble jugent les théoriciens des relations internationales, le travail de R. Keohane et J. Nye reprend les lignes directrices du néo-réalisme : l'incapacité des institutions internationales à lutter contre l'anarchie de la scène mondiale, l'existence d'une compétition entre les Etats dans un jeu à somme nulle et l'importance des questions de sécurité, de

59 BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, op. cit. p. 218.

60 Ibid., p. 220.

61 MORAVSCIK Andrew, MILNER Helen V., Power, Interdependence, and Nonstate Actors in World Politics, Princeton, Princeton University Press, 2009, p. 15: «A third characteristic of neoliberal institutionalism is its description of the international system as one embodying both anarchy and interdependence.»

62 ROCHE Jean-Jacques, Théories des relations internationales, op. cit. p. 90.

63 BLOM Amélie, CHARILLON Frédéric, Théories et concepts des relations internationales, op. cit. p. 68.

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quête de puissance. Pour A. Mcleod et D. O'Meara, l'interdépendance complexe de R. Keohane et J. Nye est avant toute chose une évolution de l'approche transnationaliste dont ils sont eux-mêmes à l'origine64. Comme nous l'avons détaillé précédemment à partir du catalogue dressé par les deux auteurs canadiens, le transnationalisme et par voie de conséquence Power and Interdependence, sont une variante autonome du libéralisme.

Section 2 : L'avis nuancé de R. Keohane et J. Nye

Un trait commun se dégage de toutes ces classifications différentes : on peut avec certitude rapprocher Power and Interdependence de la philosophie libérale. Relevons que les premiers intéressés par la question affirment que leur théorie de l'interdépendance partage des hypothèses clés avec le libéralisme65 sans y être profondément ancrée non plus. Les deux auteurs américains précisent d'ailleurs que leur théorie prend pleinement en compte la distribution de la puissance militaire, économique et le rôle des Etats66. Mais en se focalisant sur les acteurs non-étatiques et les contacts transfrontaliers, Keohane et Nye s'éloignent du néo-réalisme et étoffent l'approche libérale. Finalement les deux professeurs d'Harvard concluent avoir voulu chercher à intégrer le réalisme et le libéralisme en s'appuyant sur une conception de l'interdépendance centrée sur la notion de négociation67. En fait concluent Charles-Philippe David et Afef Benessaieh, Keohane et Nye ont tellement sophistiqué leur concept qu'ils n'ont pas répondu réellement, comme tout libéral l'aurait fait, au questionnement du lien entre interdépendance et paix.

Section 3 : Interprétation

Nous conclurons donc de la sorte : Power and Interdependence est au carrefour de plusieurs courants de la théorie libérale ; le néofonctionnalisme (qui s'intéresse aux processus d'intégration et aux régimes internationaux), le transnationalisme qui intègrent d'autres acteurs aux côtés de l'Etat ; et aux frontières de certains postulats réalistes, l'Etat demeurant central dans les rapports, égoïste et à la recherche de son intérêt. C'est justement cette subtile association et ce caractère hybride qui font tout l'intérêt de cette théorie. Parce qu'il s'appuie sur des concepts réalistes, libéraux, transnationalistes, qu'il s'intéresse aux processus de pacification, de coopération et d'intégration au même titre que les rapports de force, Power and Interdependence propose des hypothèses et des

64 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des relations internationales, contestations et résistances, op. cit. p. 99.

65 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 248: «our analysis was clearly rooted in interdependence theory, which shared key assumptions with liberalism».

66 Ibid., p. 248.

67 Ibid., p.251: «In Power and Interdependence, we sought to integrate realism and liberalism by using a conception of interdependence that focused on bargaining.»

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concepts pluriels applicables à différentes échelles du système international. L'ensemble favorise ainsi la compréhension des enjeux globaux et facilite l'interprétation des rapports inter- et transnationaux.

A présent, il s'agit logiquement d'étudier cet ouvrage fondateur de l'école de l'interdépendance complexe qui constituera le support théorique principal de notre recherche. En effet, puisque nous avons précisé que l'épistémologie des libéraux à laquelle appartiennent en partie Keohane et Nye repose sur des instruments de mesures astucieux, vérifions-en la validité.

Titre 2 : La théorie de l'interdépendance complexe de Robert O. Kehoane et Joseph S. Nye

Signalons d'emblée que nous disposons de la deuxième édition de Power and Interdependence et qu'à ce titre, les propos de R. Keohane et J. Nye ont été parfois remaniés. La première édition date en effet de 1977, la seconde de 1989, l'invasion du Cambodge par le Vietnam, la guerre Iran-Iraq, l'invasion de l'Afghanistan par l'URSS sont entre-temps passés par là. Conséquemment, des nuances ont été ajoutées dans leur travail que nous allons maintenant analyser.

Chapitre 1: Définition de l'interdépendance complexe

Afin d'appréhender la globalité de la théorie de l'interdépendance complexe, il apparaît nécessaire dans un premier temps de la distinguer des concepts qui s'en rapprochent.

Section 1 : La nécessité de développer le concept d'interdépendance

R. Keohane et J. Nye débutent le premier chapitre de Power and Interdependence par une vague accroche : « We live in an era of interdependence »68. Mais ce constat émerge dès leurs premiers travaux avec Transnational Relations and World Politics qui, dès 1972 tente de démontrer les limites du paradigme réaliste. Les deux théoriciens observent effectivement que la mondialisation et l'intégration économique sont les traits dominants de la seconde partie du XXème siècle69. Les processus économiques transnationaux s'accélèrent à mesure que le commerce et les investissements internationaux augmentent. En découle une perméabilité des frontières, favorisant l'ouverture des sociétés sur l'extérieur et l'estompement de la frontière entre politique intérieure et

68 Ibid., p. 3.

69 DAVID Charles-Philippe David, BENESSAIEH Afef, « La paix par l'intégration? Théories sur l'interdépendance et les nouveaux problèmes de sécurité », Études internationales, vol. 28, n° 2, 1997, p. 227.

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extérieure. Dès lors, l'Etat ne peut plus se présenter comme l'acteur unique de la vie internationale. Le postulat de départ est donc le suivant pour les auteurs: le paradigme stato-centré est insuffisamment adapté pour étudier la politique mondiale en transformation et ne décrit pas les configurations complexes de coalitions entre acteurs de type différent70. Il faut donc décentrer l'étude des relations internationales par rapport à la figure de l'Etat et intégrer l'idée qu'il existe des acteurs transnationaux autonomes menant leur propre politique étrangère. Or si on veut accéder à une compréhension globale du monde contemporain, l'étude des effets réciproques entre relations transnationales et système interétatique est indispensable71. Sur ces bases, R. Keohane et J. Nye ont alors développé leur concept d'interdépendance complexe, qu'ils ont enrichi de leurs observations et de leurs réflexions depuis 1977 et sa première édition.

Section 2 : Définitions

Le terme interdépendance fait l'objet de nombreux usages notamment dans le domaine économique pour désigner une situation de sensibilité économique réciproque, symétrique ou non72. Plus généralement, la notion d'interdépendance est utilisée pour décrire une « simple caractéristique relationnelle de l'environnement international »73 caractérisant l'existence d'un monde transnational et recouvrant une situation de dépendance économique mutuelle avec un degré de réciprocité plus ou moins important. Pour les auteurs, plusieurs distinctions doivent être faites : il y a l'interdépendance qui fait référence à une situation de dépendance mutuelle, la dépendance qui désigne le fait d'être subordonné ou considérablement affecté par des forces extérieures et l'interdépendance qui, en politique mondiale, correspond à une situation caractérisée par des effets réciproques entre pays ou acteurs de pays différents74. Enfin, quand il y a interaction mais sans effet de réciprocité, on parlera simplement d'interconnexion75 : ainsi lorsque le bien partagé n'est pas nécessaire au bien-être économique d'une société (tel que les objets de luxe)76. L'interdépendance complexe correspond donc à une influence mutuelle entre deux Etats, résultant du grand nombre d'interactions qui se sont tissées entre eux. Logiquement, le degré d'interdépendance dépend de la qualité et de l'importance des transactions : « il y a interdépendance là où il y a des transactions

70 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Transnational Relations and World Politics, Harvard University Press, Cambridge, 1972, p. 386.

71 Ibid., p. 336.

72 DAVID Charles-Philippe David, BENESSAIEH Afef, « La paix par l'intégration? Théories sur l'interdépendance et les nouveaux problèmes de sécurité », art. cit. p. 231.

73 Ibid. p. 231.

74 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 8.

75 Ibid. p. 9.

76 LETOURNEAU Jean-François, « Les conséquences pacificatrices de l'interdépendance économique et la montée des tensions entre la Chine populaire et Taïwan au tournant du 21ème siècle », Mémoire de Master en science politique, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2009, p. 33.

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significatives et réciproques »77. Il s'agit donc d'une situation dans laquelle les décisions et les actions d'un Etat ont un impact sur les autres acteurs du système. Nous l'avons évoqué précédemment, la théorie de l'interdépendance complexe est plurielle et peut difficilement se limiter à une définition classique. Moravcsik et Milner relèvent d'ailleurs que l'interdépendance complexe recouvre plusieurs dimensions que l'unique aspect économique. Nous en détaillerons les caractéristiques dans les prochaines sections. La réflexion et l'interprétation doivent donc succéder à la simple explication lexicale du concept.

Section 3 : Interprétation

Pour prendre une image souvent utilisée, l'interdépendance peut être représentée comme une « toile d'araignée ». En ce sens, elle doit être comprise comme une mesure dans laquelle des événements survenant dans une partie du monde ou dans une composante du système mondiale affectent chacune des autres composantes du système. Ainsi deux conditions sont nécessaires pour qualifier une relation d'interdépendante : d'une part les deux économies doivent dépendre de l'une de l'autre et d'autre part, une partie des échanges doit être essentielle au bien-être économique ou à l'intérêt national78.

Pour aborder en avance une notion que nous développerons dans cette partie, dans la structure internationale décrite par R. Keohane et J. Nye, tout acteur est sensible et vulnérable aux comportements des autres acteurs du système. Cependant, R. Keohane et J. Nye s'éloignent de la vision des institutionnalistes libéraux de l'entre-deux-guerres et du pronostic selon lequel l'interdépendance créé un monde où la coopération est susceptible de supplanter les conflits internationaux79. En effet, leur théorie établit des relations entre de multiples intervenants qui sont fondamentalement inégaux. Cette inégalité des acteurs génère en conséquence de cause une relation fondée sur une réciprocité imparfaite. D'où la conclusion des auteurs : « rien ne garantit que les relations considérées comme interdépendantes soient caractérisées par un bénéfice mutuel »80. La coopération n'implique donc pas l'absence d'antagonisme dans le monde interdépendant dépeint par R. Keohane et J. Nye même si en situation d'interdépendance ceux-ci admettent que le recours à la force pour résoudre le conflit est peu probable81. L'interdépendance complexe recouvre des

77 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des relations internationales, contestations et résistances, op. cit. p. 99.

78 LETOURNEAU Jean-François, « Les conséquences pacificatrices de l'interdépendance économique et la montée des tensions entre la Chine populaire et Taïwan au tournant du 21ème siècle », op. cit. p. 33.

79 BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, op. cit. p. 229.

80 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 10: « Nothing guarantees that relationships that we designate as «interdependent» will be characterized by mutual benefit. »

81 Ibid., p. 25. Leur propos est toutefois nuancé puisqu'ils admettent dans le même ouvrage que l'asymétrie dans une relation entre deux acteurs étatiques peut générer des tensions : p. 11 : « asymmetries in dependence that are most likely

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dimensions sociales, politiques, économiques, environnementales, humanitaires, sanitaires etc., et s'appuie sur des notions variées ce qui favorise la compréhension des rapports internationaux. En fait, la théorie de l'interdépendance complexe permet avant tout d'étudier empiriquement les relations mutuelles des Etats, des rapports de puissance qui peuvent s'y développer et d'avoir une vision complète et globale des négociations qui peuvent s'exercer entre ces acteurs et ceux qui leur sont liés.

Chapitre 2: Les caractéristiques de l'interdépendance complexe

R. Keohane et J. Nye ont construit leur modèle d'interdépendance complexe en contradiction avec le réalisme afin de dégager les différences entre les deux courants et de prouver que l'interdépendance se rapproche davantage de la réalité. Les deux théoriciens défient donc les trois principales hypothèses de la théorie réaliste à savoir que les Etats sont les seuls acteurs importants du système international, que l'utilisation de la force demeure un outil efficace en politique internationale laquelle est caractérisée par une hiérarchisation des priorités, les questions militaires et de sécurité étant les deux dominantes82. Mais, comme nous l'avons évoqué précédemment, leur théorie ne se veut pas une contestation radicale du réalisme. Par conséquent, pour les auteurs, si dans certaines situations les hypothèses réalistes seront exactes, dans la plupart, l'interdépendance fournira une interprétation plus précise de la réalité. Gardons à l'esprit également que le réalisme et l'interdépendance ne reflètent pas la réalité de la politique mondiale et restent des idéaux83.

L'interdépendance complexe part de trois hypothèses dont les auteurs estiment qu'elles s'appliquent assez bien à certaines questions d'interdépendance économique mondiale et parviennent à appréhender de manière globale les relations entre certains pays. Ce sera l'objet de ce présent travail, évaluer la théorie de l'interdépendance complexe appliquée aux relations sino-américaines post-Tiananmen.

to provide sources of influence for actors in their dealings with one another. Less dependent actors can often use the interdependent relationship as a source of power in bargaining over an issue and perhaps to affect other issues ». Les auteurs rejoignent alors sur ce point l'interprétation réaliste de l'interdépendance selon laquelle elle produit plus de tensions que de stabilité car les entités étatiques seront soucieuses de préserver leur autonomie. Pour plus de précision sur l'interprétation réaliste de la théorie de l'interdépendance complexe voir DAVID Charles-Philippe David, BENESSAIEH Afef, « La paix par l'intégration? Théories sur l'interdépendance et les nouveaux problèmes de sécurité », op. cit. pp. 232-237.

82 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 24.

83 Ibid.

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Section 1 : Existence de relations interétatique, transgouvernementale et transnationale84

La première hypothèse défendue par R. Keohane et J. Nye postule que la politique mondiale contemporaine est désormais caractérisée par des réseaux multiples qui relient les sociétés entre elles. Ces réseaux incluent des acteurs de différentes sortes ? gouvernementaux, non-gouvernementaux (Dario Battistella parle d'acteur sub-étatique), et transnationaux ? ainsi que plusieurs types de relations, interétatique, transgouvernementale et transnationale. R. Keohane et J. Nye reprennent donc le postulat réaliste avec le niveau interétatique, le nuancent en admettant que l'Etat n'est pas la seule unité avec l'échelle transgouvernementale et transnationale85.

Pour les deux auteurs, l'existence de plusieurs acteurs et de niveaux de relations est directement observable notamment dans les pays industrialisés. Les bureaucrates sont en contact permanent via les télécommunications, les réunions internationales. Les élites non-gouvernementales quant à elles sont fréquemment en relation, par le biais des différents marchés, des organisations telles quel la Commission Trilatérale ou des conférences privées86. Enfin, au niveau transnational, les firmes multinationales et les banques affectent largement les relations interétatiques et les Etats. Ces acteurs pour R. Keohane et J. Nye, jouent le rôle de courroie de transmission87 rendant les politiques gouvernementales des pays plus sensibles à celles des autres.

La conséquence c'est que ces acteurs et ces différents niveaux de relation créent un tissu d'interaction qui fait que les politiques intérieures empiètent les unes sur les autres, les politiques économiques étrangères affectent davantage les activités économiques d'un pays qu'auparavant. Les politiques étrangères doivent donc élargir leur domaine d'action. Ce qui nous amène à la deuxième hypothèse.

Section 2 : Absence de hiérarchie dans la sphère de la politique mondiale88

Celle-ci s'inscrit dans la continuité de la conclusion de la première : l'agenda des politiques étrangères, devenu plus large, plus varié n'est désormais plus simplement subordonné aux questions militaires et sécuritaires. La force de cette idée est qu'elle reprend un constat de H. Kissinger, réaliste par excellence, sur les évolutions de l'agenda diplomatique89. Celui-ci considère dès 1975 que les problèmes liés à l'énergie, les ressources, l'environnement, la population, l'utilisation de l'espace et des mers ont rejoint les questions traditionnelles relevant de la high politics (militaire,

84 Ibid., pp. 24-25: les auteurs parlent de « Multiple channels » that « can be summarized as interstate, transgovernmental, and transnational relations ».

85 Ibid., p. 25.

86 Ibid., p. 26.

87 Ibid. « they act as transmission belts ».

88 Ibid., p. 25: « Absence of Hierarchy among Issues ».

89 Ibid.

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sécuritaire, idéologique, territoriale). La multitude de questions à traiter renforce la difficulté d'élaboration et d'adaptation d'une politique étrangère mais brouille les frontières de la low et de la high politique au point de ne plus avoir de hiérarchie entre les différents domaines de la politique mondiale. La priorité reste la défense de l'intérêt général et potentiellement, dorénavant celui-ci peut être atteint par tous les domaines. En 1975, c'était le secteur de l'énergie qui portait ainsi atteinte à l'intérêt général.

Section 3 : Diminution du rôle de la force militaire90

Enfin, et c'est là une hypothèse que R. Keohane et J. Nye relativisent en partie dans leur seconde édition, celle du rôle de la force militaire. Entre 1977 et 1989, les actions militaires se sont multipliées dans les enjeux régionaux et internationaux. Les théoriciens de l'interdépendance complexe prennent donc la précaution de signifier que la force reste prépondérante en tant que source de pouvoir dans biens des cas parce que la survie demeure l'objectif primitif d'un Etat, et la force sa nécessaire garantie dans les pires situations. Réserve faite, R. Keohane et J. Nye perçoivent cependant qu'entre les puissances industrialisées en particulier, le sentiment de sécurité, la perception de la menace ainsi que les stratégies de défense ont évolué. La force selon eux peut paralyser la réalisation d'autres objectifs devenus tout aussi importants (économique notamment) et dans la plupart des cas, l'utilisation de la force militaire engendre un coût dont les profits sont incertains et en conséquence, elle est devenue de moins en moins adéquate pour obtenir satisfaction. Toutefois, sur ce point R. Keohane et J.Nye tempèrent largement leur propos. La probabilité qu'une guerre interétatique éclate entre puissances industrialisées existe : en ce sens les deux auteurs se détachent d'un des fondements de la philosophie libérale à savoir, la paix kantienne. D'autre part, le pouvoir militaire domine le pouvoir économique dans le sens où les moyens économiques seuls sont probablement inefficaces contre l'utilisation sérieuse de la force militaire91. En revanche, quand l'interdépendance complexe entre deux Etats prévaut, les gouvernements ont moins de chance de recourir à la force.

A partir de ces hypothèses, Keohane et Nye s'intéressent aux conséquences de cette interdépendance et pour ce faire, élaborent deux instruments de mesure.

90 Ibid., p. 26: « Minor Role of Military Force ».

91 Ibid., p. 26.

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Chapitre 3: Les instruments de mesure de l'interdépendance : «Sensitivity and vulnerability»

Effectivement, pour comprendre l'interdépendance et notamment le rôle de la puissance, Keohane et Nye distinguent deux dimensions : la « sensitivity » et la « vulnerability »92 (sensibilité et vulnérabilité).

Section 1 : La sensibilité

Le premier aspect de l'interdépendance, pour reprendre les termes exacts des auteurs, « sensitivity » est définie comme suit : « la sensibilité correspond au degré de réactivité et à l'ampleur d'un changement induit par un premier Etat dans un second pays »93. La sensibilité dans une relation d'interdépendance se mesure par les effets et changements qu'elle génère au sein d'une société ou d'un gouvernement. Cette « sensitivity » en situation d'interdépendance peut être sociale, politique ou économique. R. Keohane et J. Nye prennent ainsi l'exemple de l'effet de contagion social qui a frappé certains pays à la fin des années 1960. La sensibilité renvoie à l'idée qu'un événement isolé survenant dans un lieu quelconque peut avoir des répercussions ailleurs94. Pour certains théoriciens, il conviendrait de faire une distinction que la sensibilité interdépendante décrite par R. Keohane et J. Nye n'évoque pas mais que Hirschman et K. Waltz ont relevée à travers le concept de dépendance. Pour David Baldwin il conviendrait donc de parler plutôt de sensibilité mutuelle95. Les deux auteurs américains admettent toutefois que le mot interdépendance, rattaché au concept de sensibilité, peut effectivement occulter certains aspects politiques de la dépendance mutuelle. Ainsi, en termes de coûts de dépendance la sensibilité correspond à subir des effets dommageables provenant de l'extérieur avant même de pouvoir modifier ses politiques internes pour faire évoluer la situation initiale. Pour synthétiser, la sensibilité correspond aux coûts immédiats encourus par l'effet d'une action extérieure. Comme il est difficile d'adapter sa politique rapidement, les conséquences directes d'un changement extérieur sont facilement observables. Les effets produits dépendant alors de la vulnérabilité du pays affecté.

92 Ibid., p. 12.

93 Ibid.

94 DAVID Charles-Philippe David, BENESSAIEH Afef, « La paix par l'intégration? Théories sur l'interdépendance et les nouveaux problèmes de sécurité », art. cit. p. 236.

95 BALDWIN David A., « Interdependence and Power: A Conceptual Analysis », International Organization, Vol. 34, n°4 (Autumn, 1980), p. 492. URL: http://www.jstor.org/stable/2706510, consulté le: 23/03/2015

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Section 2 : La vulnérabilité

La « vulnerability » correspond au deuxième instrument de mesure de l'interdépendance. Elle peut être définie comme la possibilité offerte à un acteur B de résister aux changements provoqués par un acteur A96. Elle indique finalement les coûts d'une suspension de la relation d'interdépendance97. La vulnérabilité peut donc seulement être mesurée grâce aux coûts qu'implique le réajustement de sa politique aux changements induits. En ce sens, elle est particulièrement importante pour étudier la structure politique d'une relation d'interdépendance98. La vulnérabilité considère que ce sont les acteurs qui fixent les règles du jeu et qu'en cela, ils sont les définisseurs de la clause ceteris paribus99. A ce titre, la vulnérabilité semble pour R. Keohane et J. Nye plus pertinente que la sensibilité dans l'analyse des échanges. La clé pour déterminer la vulnérabilité est d'évaluer comment une politique forcée au changement peut efficacement réagir et rétablir la situation et à quel prix. Elle s'applique aussi bien aux relations sociopolitiques qu'aux relations politico-économiques. En somme, la « vulnerability » de R. Keohane et J. Nye représente les coûts d'ajustement associés à un changement de politique afin d'abaisser le niveau de sensibilité. En pratique, un pays plus vulnérable que son partenaire sera plus facilement affecté structurellement par les changements intervenus chez son voisin que l'inverse.

Une relation d'interdépendance soulève donc de véritable stratégie d'équilibre de puissance, l'idée étant de maintenir son seuil de vulnérabilité et de sensibilité à un degré plus faible que son partenaire.

Section 3 : Conclusion

Ainsi, pour R. Keohane et J. Nye, les acteurs du système international, bien qu'indépendants, demeurent sensibles et vulnérables aux comportements de chacun. Dario Battistella note en effet que le comportement de tout acteur, dans le monde d'interdépendance décrit par les deux auteurs américains, « est affecté structurellement et réciproquement par le comportement de tout autre acteur »100. Joseph Nye prend ainsi l'exemple de la crise du pétrole de 1973 dont la rapide flambée des prix du pétrole sur le sol américain a révélé que les Etats-Unis étaient sensibles à l'embargo sur l'Arabie Saoudite. En revanche, le degré de vulnérabilité des Américains a été largement compensé par le fait que 85% de l'énergie consommée était produite sur

96 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 13.

97 DAVID Charles-Philippe David, BENESSAIEH Afef, « La paix par l'intégration? Théories sur l'interdépendance et les nouveaux problèmes de sécurité », art. cit. p. 236.

98 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 15.

99 Ibid.

100 BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, op. cit. p. 228.

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leur sol101. La vulnérabilité est donc déterminée par le fait d'avoir des alternatives ou non dans une situation de changement donnée.

Les deux termes ont donc pour point commun d'évoquer les conséquences coûteuses éventuelles en cas d'interruption des échanges entre des partenaires commerciaux. La distinction réside dans le raisonnement suivant102 : lorsqu'un Etat se retrouve confronté aux problèmes d'interruption des échanges et n'aura que pour seule solution l'adoption d'une politique nouvelle et différente (donc sur le long terme), celui-ci est alors en situation de vulnérabilité. A l'inverse, si ce même Etat a la capacité de substituer ce contact interrompu ou qu'il se contente d'en supporter les dommages alors c'est qu'il sera en situation de sensibilité.

C'est là l'un des points forts de la théorie de l'interdépendance complexe : la nécessaire prise en compte du changement. Ces deux instruments de l'interdépendance revêtent une dimension stratégique primordiale lorsqu'une asymétrie apparaît dans la relation: la connaissance de la sensibilité et de la vulnérabilité de son partenaire ou rival peut en effet amener à manipuler les déséquilibres pour prendre l'avantage dans la relation. Au coeur de la théorie de l'interdépendance complexe se trouvent donc un certains nombres de notions clés pour appréhender la logique des rapports de force mondiaux.

Titre 3 : Des concepts clés pour l'étude empirique des rapports sino-américains post-Tiananmen

Alex Mcleod et Dan O'Meara le rappellent, l'interdépendance complexe « représente un état du système international, plus idéal que réel »103. Néanmoins, la théorie de R. Keohane et J. Nye fournit des clés de lecture intéressantes pour notre étude de la relation sino-américaine post-Tiananmen.

Chapitre 1: L'interdépendance dans la politique mondiale

Au premier rang de ces concepts clés figure la pertinence d'une observation plus en adéquation avec la réalité du système international en constante évolution.

101 NYE Joseph S., « Independence and Interdependence », Foreign Policy, n°22 (Spring, 1976), pp. 133-134. URL: http://www.jstor.org/stable/1148075, Consulté le : 03/03/2015

102 LETOURNEAU Jean-François, « Les conséquences pacificatrices de l'interdépendance économique et la montée des tensions entre la Chine populaire et Taïwan au tournant du 21ème siècle », op. cit. p. 34.

103 MACLEOD Alex, O'MEARA Dan, Théorie des relations internationales, contestations et résistances, op. cit. p. 110.

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Section 1 : La prise en compte d'une pluralité d'acteurs et de dimensions relationnelles

Power and Interdependence est ouvertement né d'une réaction au réalisme en perte de vitesse à la fin des années 1970. Le rôle croissant des individus, des acteurs transnationaux, des organisations internationales, des questions économiques, la remise en question de l'efficacité du recours à la force (impact de la défaite américaine du Vietnam notamment) ont ainsi amené R. Keohane et J. Nye à développer leur théorie. Par conséquent, l'Etat bien qu'acteur principal du système international n'est plus tout seul, les rapports internationaux ne sont plus seulement intergouvernementaux, l'intérêt national et le comportement des Etats ne sont plus homogènes et unitaires104. Il faut désormais prendre en ligne de compte le rôle politique des mouvements révolutionnaires, des fondations privées, des sociétés multinationales, des acteurs gouvernementaux et non-étatiques. Dans notre étude nous nous intéresserons ainsi à l'influence de l'intégration de la Chine et des Etats-Unis dans les organisations internationales multilatérales, au poids du commerce sino-américain, les acteurs que celui-ci fait intervenir, aux processus économiques transnationaux entre les deux pays, le commerce des armes par exemple.

Section 2 : Organiser la politique extérieure dans un monde interdépendant

D'autre part, penser l'interdépendance complexe du monde c'est reconnaître que la traditionnelle distinction entre politique extérieure et intérieure s'estompe parfois. Il faut donc offrir un traitement particulier aux interconnections entre politique étrangère et politique interne. C'est ce qui justifie notre angle d'attaque du sujet : l'étude de la relation sino-américaine post-Tiananmen au travers de la prise de décision américaine. Nous nous situerons donc à deux échelles de politique décisionnelle. D'après les auteurs, la politique étrangère n'est en effet plus guidée (comme les réalistes le préconisent) par le seul sens de l'intérêt national, mais par une conception pluraliste de ce dernier impliquant un processus d'ajustement permanent entre pressions internes et contraintes externes105. Qui plus est, si la sécurité nationale doit continuer d'occuper une place de premier ordre dans la définition de la politique étrangère, celle-ci ne doit plus forcément être perçue seulement sous l'angle militaire. Dans un monde d'interdépendance complexe, l'agenda diplomatique n'est donc plus dominé uniquement par les questions de sécurité militaire, la hiérarchie des enjeux s'articule autour de problématiques plus variées. La distinction entre high et low politics se gomme progressivement, les échiquiers non politico-militaires tels que le commerce, la finance, l'énergie, la

104 Ibid. p. 99.

105 BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, op. cit. p. 230.

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recherche technologique et spatiale s'insérant aux côtés de l'échiquier militaro-stratégique106. Notre travail s'intéressera autant aux enjeux politico-stratégiques qu'économiques ou perceptuels de la relation sino-américaine.

Section 3 : Penser l'interdépendance complexe du monde : s'intéresser au processus de coopération

L'interdépendance complexe de R. Keohane et J. Nye dépeint les conflits dans un monde de coopération sans y voir cependant un facteur potentiel de dépassement de l'anarchie interétatique107. Dorénavant, le recours à la force est limité selon les auteurs par 4 conditions que sont : le risque d'escalade nucléaire, la résistance des petits Etats, les effets incertains ou négatifs que cela peut avoir sur les objectifs économiques et les oppositions de l'opinion publique aux coûts humains potentiels d'un conflit armé108. Ces propos sont toutefois largement nuancés par les auteurs dans la seconde édition et admettent que la guerre demeure une option pour un certain nombre d'acteurs. De plus, pour les deux théoriciens, dans un monde interdépendant, les Etats perdent de leur « contrôle sur les résultats »109 ce qui les incite à développer des actions collectives dans le cadre de la diplomatie multilatérale. Cette idée, nous le verrons, est tout à fait pertinente appliquée au cas de la dimension relationnelle sino-américaine à l'ONU au moment de la Guerre du Golfe.

Néanmoins, plus que l'interdépendance en tant que telle c'est l'évolution de la puissance en situation d'interdépendance qu'analysent R. Keohane et J. Nye110.

Chapitre 2: La notion de puissance et d'influence au coeur de l'interdépendance

Grâce aux deux instruments de mesure qu'ont développés les auteurs, les rapports de puissance sont au centre de l'analyse de l'interdépendance complexe.

Section 1 : L'interdépendance asymétrique

La notion de puissance, que R. Keohane et J. Nye définissent comme la capacité d'un acteur à obtenir des autres ce qu'il désire, peut être dégagée en situation d'interdépendance au moyen de

106 Ibid., pp. 226-227.

107 Ibid., pp. 230.

108 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 246.

109 « Power over outcomes », NYE Joseph S., « Independence and Interdependence », art. cit. p. 147.

110 BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, op. cit. p. 230.

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deux instruments de mesures précédemment définis : « sensitivity » et « vulnerability »111. Ces deux concepts permettent effectivement de comprendre le rôle de la puissance dans une situation d'interdépendance. L'idée s'inscrit dans la continuité des autres hypothèses développées par les auteurs: dès lors que le rôle militaire diminue, les acteurs s'appuient sur d'autres outils pour défendre leur position telle que la manipulation d'une situation d'interdépendance asymétrique. En effet, puisque les acteurs sont sensibles et vulnérables au comportement des autres, l'interdépendance est rarement symétrique. C'est précisément cette asymétrie qui est source d'influence entre les unités du système international112. Quelque soit la nature de l'interdépendance (interétatique, transnationale, intergouvernementale, sub-étatique...), celle-ci mène potentiellement à une relation d'influence dont la réciprocité est imparfaite. Si la sensibilité jette les bases de ce jeu d'influence, la vulnérabilité de l'acteur la rend effective. Pour les auteurs, un différentiel de sensibilité conférera donc moins de pouvoir qu'un différentiel de vulnérabilité.

Section 2 : L'exemple de Keohane et Nye

R. Keohane et J. Nye prennent l'exemple du commerce agricole américano-soviétique entre 1972 et 1975. Initialement les Etats-Unis ont été extrêmement sensibles aux achats de céréales par les Soviétiques : les prix ont alors grimpé. De même, en URSS l'absence de stock de céréale américain pouvait avoir des répercussions politiques ou économiques. En revanche, en termes de vulnérabilité, l'URSS était nettement plus exposée que les Américains : eux avaient plusieurs alternatives : stocker ces céréales, baisser les prix sur leur territoire pour en favoriser l'achat tandis que les Russes n'en avaient qu'une seule. Par conséquent, le commerce de céréales constituait un levier dans les négociations américano-soviétiques. La conséquence d'une asymétrie dans une relation d'interdépendance est donc de ne pas déboucher sur un partage équitable des bénéfices, lequel peut être manipulé pour parvenir à des fins de domination politique ou stratégique.

Section 3 : Une dimension stratégique éloquente dans le cas de la relation sino-américaine

L'interdépendance en ce sens, recouvre une dimension stratégique parce qu'elle peut faire l'objet d'une manipulation à des fins politiques. En ce qui concerne notre étude nous verrons notamment que la délivrance du statut de la nation la plus favorisée (MFN Status) par les Américains aux Chinois constituera à la fois un moyen de négociation efficace dans la relation mais aussi un facteur de dissension interne au sein de l'élite politique américaine. Cependant, manipuler

111 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 11.

112 Ibid., p. 18.

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les vulnérabilités économiques ou sociopolitiques d'un acteur n'est pas sans risque. Cela peut porter préjudice à la relation sur le long terme parce c'est source d'affront. Les auteurs nous rappellent d'ailleurs que cela peut générer des représailles militaires.

Une interdépendance asymétrique peut donc être source d'influence lorsque sur les deux Etats interdépendants, l'un manipule l'avantage comparatif qu'il possède dans un domaine précis sur son rival. La question, en ce qui nous concerne, sera de savoir si l'interdépendance sino-américaine post-Tiananmen a renforcé les intérêts communs et apaisé les tensions ou bien à l'inverse conduit à la permanence de celles-ci. Effectivement, l'interdépendance sino-américaine était imparfaite, des deux côtés. Une Chine en montée en puissance pour l'un, un leadership américain usant de sa suprématie pour l'autre. Notre analyse vérifiera si l'aspect vital et stratégique de l'interdépendance l'a emporté sur le sentiment de crainte et de méfiance.

Chapitre 3: Les régimes internationaux et leur importance dans le cas sino-américain

Le troisième concept majeur de Power and Interdependence concerne les régimes internationaux. Bien que l'ouvrage ne soit pas à l'origine de cette notion, il montre en revanche comment celle-ci peut être utilisée pour une analyse empirique des relations de toute nature113.

Section 1 : Un concept éclairant pour comprendre l'interdépendance

Pour R. Keohane et J. Nye, l'étude des régimes internationaux éclaire concrètement la compréhension du concept d'interdépendance. Ils empruntent la notion à John G. Riggie qui l'a développé en 1975 et qui y voit « un ensemble d'anticipations communes, de règles et de régulations, de plans, d'accords et d'engagements f...] qui sont acceptés par un groupe de pays. »114. Nos deux auteurs, eux, le définissent comme un ensemble de normes, d'ententes, d'arrangements et de règles qui gouvernent les relations d'interdépendance115. Ainsi, bien que la politique mondiale entre les Etats demeure assez largement anarchique (compte tenu de l'absence de normes juridiques telles qu'il peut y en avoir en politique interne), il existe quelques cadres institutionnels internationaux. Si les Etats sont égoïstes par essence, l'idée sous-jacente de R. Keohane et J. Nye c'est qu'ils peuvent être amenés à la coopération au sein de structure dont ils eux-mêmes établis les règles pour encadrer leur rapport. Pour les auteurs, même si l'intégration globale reste faible, que la plupart des organisations internationales ou normes fixées sont

113 Ibid. p. 257.

114 John G. Riggie cité par BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, op. cit. p. 450.

115 « We refer to the sets of governing arrangements that affect relationships of interdependence as international regimes », KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 257.

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insignifiantes, des régimes internationaux spécifiques peuvent avoir des effets importants dans des situations d'interdépendance invitant quelques pays à coopérer sur des domaines précis116 : « paix et sécurité internationales (ONU), échanges commerciaux (GATT, OMC), relations monétaires et financières (FMI et BIRD), course aux armements (TNP, ABM) »117. Les régimes internationaux sont donc perçus par R. Keohane et J. Nye comme des intermédiaires entre la structure du pouvoir dans le système international et les négociations politiques et économiques qui s'y exercent118. L'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) constitue le premier exemple de prototype de régime international. Derrière cette étude sur les régimes internationaux, R. Keohane et J. Nye questionnent avant tout les conditions auxquelles les Etats sont prêts à se soumettre à des normes, des procédures pour faciliter la coopération.

Section 2 : Les effets des régimes internationaux sur la coopération

Bien évidemment, le degré d'efficacité de ces régimes varie, si bien que ces derniers peuvent changer. A cet égard, les deux auteurs proposent quatre explications à l'origine de ces changements de régimes internationaux : la première relie les changements de régimes aux évolutions technologiques et économiques, les deux autres sont structurelles : l'une s'appuie sur la structure globale du pouvoir, l'autre se concentrant sur la répartition des pouvoirs au sein du système international. Enfin, la dernière repose sur un modèle d'organisation internationale qui postule qu'au sein des réseaux de relations, de normes, d'institutions, il existe des facteurs indépendants qui permettent d'expliquer ces changements de régime119. Il faudra donc porter un regard attentif sur les processus d'intégration des organisations internationales lesquelles constituent la porte d'entrée des régimes internationaux120. Tout bien considéré, le résultat de ces postulats est de tester la validité de la théorie de la stabilité hégémonique. Finalement, il s'agira, nous concernant, de s'intéresser aux effets des régimes internationaux sur le comportement de la Chine et des Etats-Unis. En 1986, la RPC entame son protocole d'accession au GATT et puis signe le Traité de Non-prolifération en 1992. Ces deux procédures sont loin d'être anodines dans le contexte sino-américain post-Tiananmen. Nous évaluerons donc la portée de ces actions sur la relation afin de déduire la valeur explicative de la théorie de l'interdépendance complexe.

116 Ibid., p. 21.

117 BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, op. cit. p. 450.

118 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 21.

119 Ibid. chapitre 3 : « Explaining international regime change » pp. 38-60.

120 KENT Ann, « China, International Organizations and Regimes: The ILO as a Case Study in Organizational Learning », Pacific Affairs, Vol. 70, n°4 (Winter, 1997-1998), p. 519. URL: http://www.jstor.org/stable/2761321 Consulté le 03/03/2015.

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La dissection théorique que nous venons d'opérer a permis de dégager les concepts forts de notre ouvrage de référence. Qu'il s'agisse des hypothèses spécifiques de R. Keohane et J. Nye (existence de plusieurs niveaux de relations interétatique, absence de hiérarchie des enjeux), des instruments de mesure à notre disposition (variables sensible et vulnérable), tous ces éléments permettront de mettre en évidence l'évolution de la relation sino-américaine après Tiananmen. Nous venons de voir qu'effectivement l'école de pensée développée par R. Keohane et J. Nye, de par son caractère hétéroclite, assure une compréhension globale des enjeux internationaux. L'étude factuelle, objet de notre deuxième partie, consistera par conséquent, à s'appuyer sur ces bases théoriques pour faire une lecture approfondie des rapports sino-américains post-Tiananmen. L'ensemble permettra dans un dernier temps de valider ou d'infirmer les suppositions de Power and Interdependence. D'abord, intéressons-nous concrètement à la crise de Tiananmen et ses répercussions immédiates sur la prise de décision américaine.

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Partie 2 : L'importance stratégique de l'après-Tiananmen dans les fondements de la relation sino-américaine

Après l'administration Nixon, chaque Président américain nouvellement élu s'efforça de modifier le style ou le contenu de la politique américaine chinoise. A l'inverse, lorsque George Herbert Bush fut élu et investi le 20 Janvier 1989, celui-ci avait bien l'intention de prolonger la politique de ses prédécesseurs121. Son discours d'investiture s'acheva ainsi : « Je vois l'histoire comme un livre fait de nombreuses pages que nous remplissons chaque jour d'actes, d'espoir et de raison. Une nouvelle brise souffle, une page se tourne et l'histoire suit son cours. »122. Paradoxalement, c'est le Président américain qui dut faire face aux changements les plus brutaux de l'ère contemporaine sino-américaine. Sans qu'il ne le sache encore, la relation sino-américaine allait tourner les pages de son histoire, plus rapidement que prévu.

Titre 1 : Tiananmen, point de rupture d'une crise politique sino-américaine

Le 4 Juin 1989, la répression chinoise place Tiananmen allait en effet précipiter une des plus graves crises politiques sino-américaines depuis 1949. Tel que l'énonce Robert Suettinger, une étude de l'impact de Tiananmen implique une analyse sur plusieurs niveaux de prises de décision. Dans ce premier titre il s'agira d'étudier les ressorts du soulèvement populaire chinois, son déroulement et ses conséquences immédiates.

Chapitre 1 : L'arrivée au pouvoir de George Bush et l'émergence de la crise de Tiananmen

Dès son arrivée à la Maison-Blanche, George Bush prêta une attention particulière à la politique à adopter à l'égard de la RPC. Ayant oeuvré directement au rapprochement sino-américain dans les années 1970, il comptait cultiver sa réputation d'« inveterate china lover ».

Section 1: G. Bush, «an inveterate China lover»123

Par son parcours et sa politique à l'égard de la Chine, on retient de George Bush un homme d'Etat qui a constamment cultivé des liens étroits avec l'Empire du milieu. Pourtant, ce ne fut pas

121 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 175.

122 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, Los Angeles, University of California Press, 2001, p. 17: « I see history as a book with many pages, and each day we fill a page with acts of hopefulness and meaning. The new breeze blows, a page turns, the story unfolds. »

123 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 175.

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toujours le cas. Cependant que Nixon et Kissinger tentaient de placer les Etats-Unis et la Chine sur la voie de la normalisation, Bush lui, avait oeuvré à conserver le siège de membre permanent de Taïwan au Conseil de Sécurité de l'ONU. De même, lorsque Jimmy Carter établit officiellement des relations avec Pékin, George Bush était devenu l'un des leaders républicains les plus critiques à l'égard des démocrates sur la politique chinoise adoptée124. En réalité, ce n'est qu'une fois que les liens diplomatiques furent solidement forgés que George Bush se fit l'ardent défenseur du caractère stratégique de la relation sino-américaine. Déjà, au cours de son expérience en tant que chef du bureau des représentations en Chine d'Octobre 1974 à Août 1975, George Bush entretint des rapports privilégiés avec certains des hauts dirigeants chinois. Ce vécu lui servit lors de sa campagne présidentielle au cours de laquelle il reçut le soutien de Deng Xiaoping qui rappela combien Bush avait travaillé à la normalisation de la relation en occupant ce poste125. Plus parlante encore fut la visite de G. Bush à l'ambassadeur Chinois Han Xu en Décembre 1988, qui révélait les intentions du futur Président américain dans sa politique à l'égard de Pékin126.

Section 2 : Une fragile interdépendance sino-américaine

Dès lors qu'il fut investi de la présidence, George Bush, sous les recommandations de son conseiller à la sécurité nationale Brent Scowcroft, envisagea donc très vite un voyage diplomatique en Chine. D'abord pour rencontrer les leaders chinois, évaluer et améliorer la relation mais aussi pour anticiper un potentiel rapprochement sino-soviétique127. Le prétexte fut vite trouvé : l'empereur japonais Hirohito décéda le 7 Janvier 1989, les funérailles nationales furent programmées pour le 24 Février. Le lendemain, le Président américain se rendit à Pékin128. Dans le même temps, le 26 Janvier 1989 paraissait un premier mémorandum sino-américain concernant le commerce international et les services de lancement spatiaux commerciaux129, signe que la relation sino-américaine s'installait sous les meilleurs auspices. Qui plus est, près de 15 ans après la normalisation, les économies chinoise et américaine commençaient à s'engager sur la voie de la mutualisation des intérêts économiques130. Pour les dirigeants des deux pays, ce mouvement était perçu comme une alternative fiable dans l'évolution de la relation. Une complémentarité émergeait

124 Ibid., p. 175.

125 Ibid., p. 176.

126 Ibid., p. 176.

127 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 17.

128 Ibid.

129 OFFICE OF THE US TRADE REPRESENTATIVE, « Memorandum of agreement between the

Government of the United States of America and the Government of the People's Republic of China regarding International Trade in Commercial Launch Services - 26th of January 1989 », Digital National

Security Archive, China and the U.S., 26p.

130 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 215.

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progressivement entre la puissance la plus développée de la planète et le plus puissant pays en développement. Chacun y trouvait son compte : les Etats-Unis, un marché étranger prometteur pour ses exportations, un marché de l'investissement en expansion, la Chine, un accès à la technologie et au vaste marché américain qui, friand de ses biens de consommation, constituait une source non négligeable de revenu131. Enfin, pour les Américains, cette économie de marché socialiste exponentielle nourrissait l'espoir de voir à terme leur modèle capitaliste et démocratique remplacer les institutions léninistes et maoïstes chinoises.

Section 3: Les premiers signes de crise

Cependant, la réalisation des espoirs américains dépendaient largement des réformes chinoises qui demeuraient encore bien loin des idéaux américains. G. Bush s'en aperçut dès la planification de son voyage à Pékin en Février à l'occasion duquel il constata également une nouvelle donne concernant l'opinion publique américaine. En effet, lors de son séjour, un banquet fut proposé, regroupant des businessmen, des cadres politiques ainsi que Fang Lizhi, astrophysicien, opposant connu du régime chinois et défenseur de la démocratie dans son pays. La liste des invités du banquet, proposée par l'ambassadeur américain en Chine Winston Lord, fut donc soumise aux dirigeants chinois qui décidèrent secrètement et unilatéralement de bloquer l'accès de Fang le jour du banquet132. Depuis Nixon et deux décennies de réunion au sommet, jamais un tel incident diplomatique n'avait eu lieu entre les délégations américaine et chinoise. L'ambassadeur américain fut blâmé pour cette déconvenue mais surtout, cet épisode alerta les Américains sur la situation interne en Chine. Un rapport de la CIA publié le même mois fait ainsi écho de l'état du régime chinois et étudie les possibilités d'un renversement du secrétaire général du parti de l'époque, Zhao Ziyang. La note des services secrets américains indique effectivement que si le leader du parti ne parvenait pas à réguler l'économie chinoise en surchauffe (importance de l'inflation), les risques de déstabilisation politique seraient nombreux133. A l'occasion de son voyage, G. Bush prit également conscience que l'opinion américaine attendait de sa diplomatie une conduite exemplaire sur le plan moral134. Or les excuses de l'administration G. Bush adressées au régime chinois après l'incident diplomatique firent défaut à cette exigence. La crise politique de Tiananmen allait à nouveau mettre l'administration américaine à l'épreuve.

131 Ibid.

132 Ibid., p. 19.

133 U.S. CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY, « China: Potential for Crisis - 9th of February 1989 », Digital National Security Archive, U.S. Intelligence and China: Collection, Analysis, and Covert Action, 10p.

134 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 18.

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Chapitre 2 : Le 4 Juin 1989, point de non retour

Après dix ans de réforme, Pékin montra d'importants signes de déstabilisation politique. La crise politique de Tiananmen qui pointait dangereusement allait porter un coup très dur au régime et au statut international de la RPC. Intéressons-nous donc aux faits qui ont mené à cette crise politique inouïe.

Section 1 : Les origines du soulèvement populaire chinois

Les dirigeants chinois allaient bientôt se heurter aux tensions inhérentes au programme de réformes présidé par Deng Xiaoping, Hu Yaobang et Zhao Ziyang135. Dès 1977, la voie empruntée par Deng fut effectivement celle d'un changement brutal qui porta très vite ses fruits sur le bien-être général de la population chinoise136. Un vent de libéralisation politique souffla même quelque temps avant d'être très vite stoppé. A la fin de la décennie 1980 en revanche, les effets indésirables des réformes devinrent plus prégnants : corruption, inégalité, inflation croissante137. L'insatisfaction du peuple chinois sur ces conséquences négatives se fit de plus en plus ressentir. A plusieurs reprises au cours de la décennie des mouvements sporadiques éclatèrent, révélant le malaise latent au sein de la société chinoise : en 1985, en réaction au « nouvel impérialisme économique japonais », en soutien à la politique réformiste de Hu Yaobang fin 1986, en faveur d'une libéralisation politique en 1987 et à la mi-1988138. Les choses s'accélèrent à la mort de Hu Yaobang le 15 avril 1989139, secrétaire général du parti, écarté du pouvoir en 1986 lorsque les conservateurs lui reprochèrent ses indécisions face aux mouvements étudiants140. Alors qu'une manifestation regroupant des étudiants et des intellectuels était déjà prévue à l'occasion du 70ème anniversaire du mouvement du 4 Mai, la contestation s'organisa dès le 16 avril, lorsque les admirateurs de Hu déposèrent des gerbes au pied du héros du peuple de la place Tiananmen141.

135 KISSINGER Henry, De la Chine, Paris, Fayard, 2012, p. 397.

136 Ibid. pp. 395-396.

137 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 217.

138 BERGERE Marie-Claire, « Tian'Anmen 1989 », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n°27, juillet-septembre 1990, p. 4. URL : /web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1990_num_27_1_2257, consulté le 1er avril 2015.

139 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 28.

140 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 398.

141 Ibid., p. 29.

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Section 2 : L'escalade de la crise

Parallèlement, alors que commençait à se planifier la rencontre des délégations soviétiques et chinoises prévue pour le 15 Mai 1989, les événements s'intensifièrent142. Après les premières commémorations de Hu en Avril, les étudiants à Pékin et dans d'autres villes exprimèrent leur mécontentement devant la corruption, l'inflation, et la restriction de la presse. Le 19 Avril, des confrontations violentes éclatèrent entre les manifestants et les représentants des forces de l'ordre143. Tandis que les commémorations à la mémoire de Hu devaient avoir lieu le 22 Avril à 10h, le gouvernement chinois prévit de fermer l'accès à la place Tiananmen deux heures avant le début de celles-ci. Anticipant les décisions des dirigeants, 100 000 étudiants se rendirent sur la place la veille au soir144. Les sujets d'indignation disparates mutèrent bientôt en révolte: l'occupation de la place initialement temporaire, devint permanente. Le soulèvement se propagea à d'autres grandes villes, les trains, les écoles et les principales voies de la capitale furent bloquées145. Dès le mois de Mai, un premier rapport des services secrets américains rendaient compte de l'état des protestations en Chine et de ses évolutions potentielles, révélant une étonnante connaissance de la situation de soulèvement en Chine et des inquiétudes américaines à cet égard146. La rencontre sino-soviétique qui devait avoir lieu au sommet147 dut se tenir loin de Tiananmen, hors de la présence du public, la place étant assiégée de manifestants. Le 19 Mai 1989, Zhao Ziyang fit une ultime visite de la place Tiananmen148. Le 20, Deng donna l'ordre de regrouper 150 à 200 000 soldats de l'Armée Populaire de Libération dans des camps en dehors de la ville149. Face aux fractures au sein du parti quant à la politique à adopter par rapport aux manifestants, le 22, Zhao Ziyang fut relevé de ses fonctions. Le 2 Juin, la décision finale des leaders communistes chinois étaient enterrées, après plusieurs semaines d'hésitations et de graves divisions, Tiananmen devait être dégagée de ses manifestants150.

142 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 223.

143 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 30.

144 Ibid., p. 31.

145 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 399.

146 U.S. CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY, « Perspectives on Growing Social Tension in China - May 1989 », Digital National Security Archive, U.S. Intelligence and China: Collection, Analysis, and Covert Action, 21p.

147 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « The USSR and China at the Summit: Common Goals, Enduring Differences - 14th of May 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 12p. : le rapport indique qu'il n'y avait pas eu de telle rencontre entre dirigeants soviétiques et chinois depuis 30ans. La note du département d'Etat livre un bilan particulièrement intéressant de Gorbatchev et Deng Xiaoping.

148 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 49.

149 Ibid., p. 54.

150 Ibid., p. 58.

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Section 3 : La répression place Tiananmen

Selon H. Kissinger, les manifestations réveillèrent chez Deng Xiaoping la peur historique du chaos et de la Révolution culturelle151. C'est donc la répression qui prévalut dans les options politiques des dirigeants chinois. Ainsi, dans la nuit du 3 au 4 Juin 1989, près de deux semaines après que la loi martiale fut appliquée, 10 à 15 000 soldats de l'APL intervinrent aux environs de la place Tiananmen pour lever les barricades (à 5 à 6 km selon le rapport du département d'Etat)152. Les premiers coups de feu furent tirés sur la foule à quelques kilomètres à l'ouest de la place Tiananmen aux alentours de 22 heures153. Vers une heure du matin, le 4 Juin, les premières unités de l'APL atteignirent la place Tiananmen. La foule, évaluée entre 3 000 et 5 000 personnes, défia l'armée chinoise qui engagea des tirs contre elle154. Vers 5h30, la sanglante répression place Tiananmen était terminée. Néanmoins, les trois jours qui suivirent cette opération installèrent un climat de guerre civile dans la capitale chinoise155 : la répression se poursuivit, les mouvements insurrectionnels aussi156. L'évacuation des Américains s'organisa rapidement157. Les journalistes étrangers, présents à l'origine pour la rencontre sino-soviétique les deux semaines précédentes, captèrent des images stupéfiantes pour l'occident de l'insurrection et de la répression brutale menée par le régime.

Le bilan en termes de victimes reste à l'heure actuelle toujours difficile à chiffrer : les autorités chinoises annoncèrent dans un premier temps un total de 300 tués et de 7 000 blessés158. Dès le 4 Juin, le département d'Etat estima le nombre de morts entre 180 et 500 et des milliers de blessés159. Le lendemain, un autre rapport du département d'Etat annonça que 2 600 civils auraient été tués160. La dernière estimation des leaders chinois fait état de 200 victimes civiles, 3 000 blessés,

151 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 400.

152 C'est la première estimation délivrée par le département d'Etat américain : U.S. DEPARTMENT OF STATE, « SITREP No. 28 Ten to Fifteen Thousand Armed Troops Stopped at City Perimeter by Human and Bus Barricades - 3rd of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

153 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 60.

154 Télégramme envoyé de Pékin par l'ambassadeur américain sur place, James Lilley U.S EMBASSY IN CHINA, « SITREP No. 32 The Morning of June 4 - 4th of June 1989 », Digital National Security Archive, Digital National Security Archive, China and the U.S.,9p.

155 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China Tense Standoff Continues; Asia Speaks Softly - 6th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 5p.

156 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01--SITREP No. 34 June 5, 1900 Hours - 5th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 25p.

157 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01--SITREP No. 35 June 6, 0500 Hours - 5th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 18p.

158 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 60.

159 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China Troops Open Fire - 4th of June 1989 », Digital National Security Archive, Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

160 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China After the Bloodbath; Worldwide Reaction to Massacre - 5th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 6p.

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6 000 soldats et policiers blessés dont dix d'entre eux seraient morts161. Vraisemblablement le chiffre varierait entre 700 et 2700 victimes selon James Mann162 et entre 4 500 et 10 000 arrestations selon Harry Harding163. Quoiqu'il en soit, la crise politique de Tiananmen eut des conséquences indéniables sur la relation sino-américaine à long et court terme.

Chapitre 3 : Les conséquences directes de la répression chinoise

La répression place Tiananmen eut des répercussions à plusieurs niveaux de la relation sino-américaine. Compte tenu de l'importante présence médiatique au moment des événements, la crise affecta en priorité l'opinion américaine, relayée par le Congrès. Sur le plan intérieur, Tiananmen généra des divisions au sein du parti communiste chinois.

Section 1 : L'impact émotionnel de Tiananmen aux Etats-Unis

Nous l'évoquions en introduction, Tiananmen cristallisa les antagonismes sino-américains et dissolut les affinités. Pour Robert Suettinger, la crise de Tiananmen suscita en effet des interprétations parfaitement contradictoires dans les deux camps. Tandis que les Etats-Unis virent dans le printemps de Pékin les prémices d'une révolution démocratique exprimée par la jeunesse chinoise contre un Etat autoritaire dominé par un Parti communiste cynique, les leaders politiques chinois l'interprétèrent comme une tentative de coup d'Etat et de désordre mené par un groupuscule politique alimenté par des forces politiques extérieures prêtes à subvertir la RPC164. Quoi qu'il en soit, les images d'étudiants chinois en sang secourus ou emmenés à l'hôpital de manière improvisée sur des véhicules de fortune, horrifièrent l'Amérique165. L'effondrement de la « Déesse de la Liberté et de la Démocratie » (Goddess of Freedom and Democracy), cette statue réalisée par des étudiants de l'école nationale des beaux-arts de Pékin le 29 Mai 1989, ou la vidéo éminemment célèbre de l'étudiant chinois bloquant le passage de plusieurs tanks de l'APL eurent un impact émotionnel considérable aux Etats-Unis166. Cependant note Robert Suettinger, parce que l'accès des reporters étrangers aux différents sites stratégiques de Pékin fut particulièrement limité pendant cette période chaotique (compte tenu de la loi martiale), l'information retransmise aux Etats-Unis

161 U.S. EMBASSY IN CHINA, « TFCH01 SITREP No. 69, July 1, 1700 Local - 1st of July 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 8p.

162 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 192.

163 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, Washington, D.C., op. cit. p. 222.

164 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 13.

165 Ibid., p. 86.

166 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 223.

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fut souvent inexacte ou fondée sur des rumeurs imprécises167. Aucune caméra de télévision n'eut d'ailleurs accès à l'ouest de la place Tiananmen où le gros des exécutions de l'APL pris place. Ce caractère imparfait de l'information des journaux américains, associé au refus des autorités chinoises de divulguer des estimations crédibles et fongibles, contribua ainsi à diffuser une vision d'horreur et de massacre auprès du public américain. Loin de nous l'idée de sous-estimer l'ampleur insurrectionnelle de la crise Tiananmen, mais simplement d'alerter sur l'influence qu'ont pu exercer les médias américains sur la représentation collective de la répression du régime communiste.

Section 2 : Changement de regard sur le régime communiste chinois

Le public américain fut donc abreuvé d'images de l'étouffement du soulèvement par les autorités chinoises. En quelques jours, la sympathie, l'enthousiasme, la complaisance qu'avait suscitée la RPC depuis ses réformes, se dissipèrent de manière quasi-irrévocable au sein de l'opinion publique américaine168. Le revirement de celle-ci fut aussi brutal que la répression chinoise : alors qu'avant le 4 Juin 1989, 65 à 72% des américains interrogés étaient jugés favorables à la RPC, ils n'étaient plus que 16 à 34% après Tiananmen169. Tout au long des années 1980, les Américains avaient observé la Chine avec un oeil attentif et bienveillant, la considérant bien différente des autres régimes communistes. Selon les propres mots du Président Reagan, la RPC était un pays prétendument communiste (« a so-called communist country »)170. La répression place Tiananmen révéla donc aux yeux des Américains que la Chine n'était pas moins léniniste que les autres républiques populaires d'Europe et certainement pas moins brutale. La RPC de Deng Xiaoping qui avait été applaudie pendant la décennie 1980, apparut alors comme un Etat autoritaire et arbitraire171.

167 Un télégramme de l'ambassadeur américain en Chine James Lilley, relève les restrictions que la loi martiale chinoise impose aux journalistes étrangers : pas de reportage vidéo ou photographique sur la place Tiananmen, au palais de l'assemblée du peuple (the Great Hall of the People), ni d'interview dans les bureaux, hôtels ou propriété privée. De manière générale, les journalistes étrangers sont contraints de respecter toutes les interdictions imposées en termes de communication par la loi martiale chinoise U.S. EMBASSY IN CHINA, « From James Lilley to the U.S. Department of State, Reiteration of Press Restrictions Under Martial Law - 1st of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.

168 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p.192.

169 http://www.americans-world.org/digest/regional_issues/china/china1.cfm, consulté le 1 Février 2015: « Is your overall opinion of...China...very favorable, mostly favorable, mostly unfavorable, or very unfavorable?" In March 1989, a strong majority of 72% had a "very favorable" or "mostly favorable" impression of China. [...]By August 1989, another Gallup survey revealed that favorable responses had bounced back some, but to less than half of the pre-Tiananmen level (31%). »

170 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 193.

171 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 401.

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Section 3 : Le Parti communiste chinois en proie aux divisions

Tiananmen eut aussi des répercussions aux plus hauts niveaux de l'Etat chinois. Une note de la section renseignement du département d'Etat rédigée le 9 Juin, rappelle ainsi qu'au coeur de la crise de Tiananmen résidait une lutte de succession entre réformateurs et conservateurs pour succéder à Deng Xiaoping172. Pour les conservateurs, Tiananmen constituaient l'accomplissement de leurs prédictions et le manque d'attention que les réformateurs prêtèrent à leurs avertissements173. La réforme selon eux était allée trop vite, il était donc urgent de rétablir le contrôle du gouvernement central sur les activités économiques174. Afin de mettre un terme aux rivalités factionnelles, le 24 Juin 1989 fut organisée la quatrième session du Comité centrale du parti, au cours de laquelle Zhao Ziyang et 3 de ses soutiens furent purgés sous le prétexte d'avoir commis des erreurs sérieuses et d'avoir soutenu le soulèvement populaire175. Jiang Zemin fut nommé secrétaire général du Parti, Li Peng, maintenu premier ministre176. Après une apparition publique le 9 Juin, Deng Xiaoping disparut pendant 3 mois, âge de 85 ans, fatigué des réunions, des décisions urgentes et des changements de pouvoir au sein du parti. Malgré tout, personne n'osa défier la position centrale de Deng dans le dispositif chinois. Celui-ci alerta aussi ses homologues sur la nécessité de ne pas se diviser en des temps aussi cruciaux pour l'avenir de la RPC. Deng mourut trois ans plus tard en 1992 après avoir continuer de dominer quelques débats politiques177.

Cependant que les conséquences de Tiananmen n'avaient pas produit encore tous leurs effets, l'administration américaine dut formuler dans le même temps ses premières réponses à la crise politique chinoise.

Titre 2 : Les premières prises de décision américaines dans l'immédiat après-Tiananmen

Avant d'aborder en détail les premières prises de position américaines, nous avons jugé nécessaire de dresser le portrait du cabinet G. Bush, son fonctionnement, ses personnalités les plus importantes (s'agissant des affaires asiatiques), sa gestion du processus décisionnel.

172 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Current Situation in China Background and Prospects- 9th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.

173 FEWSMITH Joseph, China since Tiananmen: from Deng Xiaoping to Hu Jintao, New York, Cambridge University Press, 2008, page 35.

174 BERGERE Marie-Claire, « Tian'Anmen 1989 », art. cit. p. 3.

175 U U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China The Central Committee Acts; Zhao's Out; Keeping the Door Open - 25th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.

176 Ibid.

177 FEWSMITH Joseph, China since Tiananmen: from Deng Xiaoping to Hu Jintao, op. cit. p. 36. Pour qui voudrait approfondir sur la politique interne chinoise post-Tiananmen, le chapitre 1 de l'ouvrage de Joseph Fewsmith offre une brillante synthèse : voir pp. 21-48.

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Chapitre 1 : L'appareil décisionnel sous George H. Bush

George Bush succéda à Ronald Reagan en Janvier 1989, perpétuant ainsi l'influence de l'idéologie républicaine au sommet de la Maison-Blanche. Pourtant, face aux brûlants changements internationaux qu'il dût affronter, ce Président, par son comportement et ses décisions, parvint à imposer sa singularité.

Section 1 : Le Président

Son profil note Charles-Philippe David, était comparable à celui d'un Kennedy, Johnson ou Nixon, qui ont passé la plus grande partie de leur carrière au service du Congrès ou du gouvernement178. Diplômé de l'université de Yale, aviateur de la marine pendant la Seconde Guerre mondiale, élu au Congrès pour la première fois en 1966 puis successivement ambassadeur des Nations Unies sous Nixon, chef du bureau des représentations en Chine, directeur des services de renseignements sous Ford, enfin vice-Président sous Reagan, George Bush était un professionnel de la politique. Maître stratège, formé à l'école de Kissinger, l'homme fort des années 1970 aux Etats-Unis, le style de sa présidence fut dominé par une diplomatie personnelle basée sur les relations humaines au plus haut niveau de l'Etat179. Pendant les 24 premiers mois de son mandat, il visitera ainsi près de 29 Etats, soit davantage que Reagan en 8ans180. Son action présidentielle fut donc conçue en fonction des rapports personnels afin de maintenir des communications étroites et permanentes avec ses homologues étrangers mais aussi les membres de son administration, les législateurs ou les électeurs181. A cet égard, le Président américain, dès le début de son mandat, exprima son désir d'établir de bonnes relations avec Deng Xiaoping, d'où son voyage diplomatique en Chine dès le mois de Février. La vision de G. Bush comme celle de son conseiller Scowcroft sur la relation sino-américaine restait néanmoins stratégique dans ses fondements parce que basée sur leurs préoccupations mutuelles au sujet des intentions et des capacités militaires de l'URSS. Mais G. Bush croyait aussi que la relation sino-américaine, en particulier l'interdépendance grandissante entre les deux pays, était importante et nécessaire pour le développement d'un système politique chinois plus démocratique et plus ouvert182.

178 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche, la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis, Québec, Presses de l'université Laval, 1994, p. 412.

179 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 63.

180 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche, la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis, op. cit. p. 413.

181 Ibid., p. 414.

182 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 63.

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Section 2 : Son entourage

L'équipe de politique étrangère de G. Bush fut l'une des plus expérimentées de l'histoire américaine : « elle constitua la plus collégiale et la plus rôdée des équipes de sécurité nationale de l'après-guerre »183. Son fils en sera d'ailleurs le premier bénéficiaire. George Bush s'entoura d'une équipe de conseillers (dont des amis personnels) professionnels et prudents, à son image, qu'il divisera en deux groupes : ceux responsables de la politique étrangère et des affaires intérieures. Ceci expliquera la tendance au statu quo, à l'uniformité et l'absence de frictions entre conseillers et bureaucrates184. Au final le cabinet Bush se composera de plusieurs membres de l'administration Ford et Carter. Ainsi Richard Cheney deviendra secrétaire à la Défense, James Baker, secrétaire d'Etat, Brent Scowcroft repris son poste de conseiller à la sécurité nationale, Robert Gates, adjoint à Scowcroft puis directeur des services de renseignement, Carla Hills, représentante en matière de commerce international pour ne citer que les grands postes de politique étrangère185. Plus spécifiquement, au département d'Etat, Lawrence Eagleburger fut nommé secrétaire adjoint, Richard Salomon, assistant-secrétaire pour les questions économiques, Richard Armitage, assistant-secrétaire pour l'Asie186. S'agissant de l'équipe dédiée à la politique chinoise, celle-ci fut remaniée après la déconvenue liée à l'invitation de Fang Lizhi au banquet. Par conséquent, en Avril 1989, un mois après cet incident, George Bush monta une équipe plus expérimentée : le sinologue Richard Salomon, initialement assistant-secrétaire pour les affaires économiques fut nommé assistant du secrétaire d'Etat pour les questions d'Asie de l'Est et du Pacifique187 ; James Lilley, né en Chine, responsable de la CIA à Pékin quand G. Bush était à la tête des bureaux de liaison dans les années 1970188 fut affecté ambassadeur américain à Pékin dès la mi-Mai 1989 ; Douglas Paal qui avait travaillé à la CIA et au département d'Etat pour les affaires asiatiques fut nommé directeur principal des affaires asiatiques pour le Conseil à la Sécurité Nationale189. Par conséquent, dès Mai 1989, son mandat à peine amorcé, le Président américain était doté d'un personnel particulièrement au fait des affaires chinoises. Avant même la crise de Tiananmen, George Bush avait donc développé une vision à long terme de la relation sino-américaine, une appréciation aiguisée du caractère stratégique de l'économie, de la position internationale et des questions militaires chinoises.

183 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche, la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis, op. cit. p. 417.

184 Ibid., p. 418.

185 Ibid., p. 417.

186 Ibid.

187 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 20.

188 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p.184.

189 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 20.

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Section 3 : La gestion des rapports et du processus décisionnel

La structure décisionnelle du cabinet Bush refléta la personnalité du Président ainsi que ses habitudes de travail190. Son approche fut un mélange de celle de Carter et de Reagan dont le résultat fut particulièrement productif191. Le Président cultiva un esprit de collégialité au sein de son équipe de laquelle il exigea une grande loyauté. Concernant la politique chinoise, chacun des membres du cabinet concerné savait parfaitement que le Président serait son propre chef dans le cadre de la ligne de conduite à mener à l'égard de la Chine192. George Bush préféra travailler avec de petits groupes de collaborateurs afin de renforcer le sentiment de confiance, d'effriter les rivalités et les personnalités et de minimiser les conflits, les divergences d'opinion ou autres sources de dissensus. Sur le plan décisionnel cela se traduisit par une approche étapiste, harmonieuse, sans querelle bureaucratique. George Bush parviendra à faire fonctionner ce système de gestion tout en imposant ses préférences et supervisant ses choix.

C'est donc avec cette équipe et cette méthode décisionnelle que le Président américain forgera chacune de ses décisions vis-à-vis de la RPC. C'est également autour des réflexions de cette administration que s'articuleront les premières prises de position publiques américaines.

Chapitre 2 : La réaction américaine

A mesure que la situation se détériorait à Pékin et dans les autres grandes villes chinoises aux mois d'Avril et de Mai, la nécessité de réagir aux tourments qui agitaient la RPC se fit de plus en plus sentir au sein de l'administration américaine193.

Section 1 : La mesure du soulèvement chinois par l'administration américaine

La position initiale des Etats-Unis fut de soutenir avec prudence le droit de parole, de manifestation, (à condition que celle-ci soit non violente) et d'inviter le gouvernement chinois à faire preuve de retenue envers les manifestants194. Dès le 31 mai 1989, le Sénat passa une résolution allant en ce sens afin de convaincre le gouvernement chinois que la reconnaissance des Droits de l'Homme n'aurait que des effets positifs pour le développement de la relation sino-américaine. Ce

190 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche, la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis,

op. cit. p. 415.

191 Ibid.

192 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 20.

193 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01 Draft Whitehouse [sic] Statement on Situation in China - 5th of June

1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

194 U.S. DEPARTMENT OF STATE, BUREAU OF EAST ASIA AND PACIFIC AFFAIRS, « Student Demonstrations - 10th of May 1989 », Digital National Security Archive, Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

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même texte du Sénat américain avertissait néanmoins qu'en cas de répression armée par les autorités, les Etats-Unis seraient dans l'obligation de réajuster leur politique à l'égard de la RPC195. De manière plus générale, jusqu'au point culminant de la répression le 4 Juin 1989, le département d'Etat, le Pentagone et les fonctionnaires de la Maison-Blanche ne virent pas dans les manifestations chinoises d'Avril et de Mai les racines d'un soulèvement plus grand. James Mann rapporte une conversation pertinente à cet égard entre le Président Bush et son ambassadeur dépêché sur place. Lorsque le Président américain lui demanda si le mouvement devait être pris au sérieux, James Lilley demeura hésitant, affirmant que bien que les manifestations avaient peu de chance de dégénérer, celles-ci pouvaient constituer une sérieuse menace pour le régime. Jusqu'à la répression place Tiananmen dans la nuit du 3 au 4 Juin 1989, la position américaine resta donc calquée sur ce constat frileux196 ce qui n'empêcha pas l'émergence d'un sentiment pessimiste sur l'issue des événements en Chine au sein de l'administration américaine197.

Section 2 : L'élaboration de la prise de décision

Au matin du 4 Juin 1989, les choses s'accélérèrent. En bon réaliste, le Président Bush était parfaitement conscient que sa réaction à la crise politique de Tiananmen aurait des implications complexes sur d'autres domaines de la politique mondiale. S'il répondait avec trop d'indulgence à la répression, il aurait encouragé les pays communistes d'Europe de l'Est de plus en plus faibles à en faire autant contre leurs opposants. Il aurait aussi donné du grain à moudre à ses détracteurs sur la scène intérieure. Par effet miroir, s'il réagissait trop durement à la crise, il aurait renforcé le nationalisme chinois, l'anti-américanisme et brisé les liens qu'il avait tissés lors de son premier voyage à Pékin en Février198. Qui plus est, Washington avait besoin de Pékin notamment pour ramener la paix au Cambodge et maintenir l'équilibre stratégique face à l'URSS. N'oublions pas que dans les premiers mois de son mandat, l'administration Bush continuait de percevoir le monde à partir des postulats de la Guerre froide199. En somme, le Président Bush devait trouver un équilibre subtil pour exprimer à la fois son indignation, sincère, tout en sauvegardant la relation, capitale à ses yeux. L'élaboration de la réponse du Président américain nécessita préalablement quelques tractations au sein de l'administration. Le samedi 5 Juin au matin, le vice-secrétaire d'Etat aux affaires asiatiques et pacifiques William Clark, présida un groupe de travail d'urgence du

195 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Senate Passes Resolution on China - 1st of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

196 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 186.

197 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 65.

198 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 21.

199 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 403.

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département d'Etat, regroupant plusieurs membres de la communauté du renseignement ainsi que quelques membres de l'exécutif200. Aux termes du travail, le groupe recommanda de prendre des décisions secondaires telles que la déprogrammation de réunions prévues plus tard dans l'année notamment la Commission commune du commerce, ou la commission commune des sciences et des technologies ainsi que la suspension du « Peace Corps Program » dont l'ouverture prévue en Juillet fut jugée inappropriée dans un pays à la situation interne chaotique201. Du côté du département de la défense, Dick Cheney, son sous-secrétaire Paul Wolfowitz et le vice-secrétaire aux affaires de sécurité internationale, Carl Ford, se mirent d'accord pour que leur département supporte la plus grande partie des sanctions appliquées à la RPC. Leur raisonnement était le suivant : puisque l'APL était la grande coordinatrice de la répression, il fallait logiquement suspendre tous les liens qui auraient pu la renforcer. Concentrer les efforts sur un seul département présentait aussi l'avantage de pouvoir maintenir la relation dans les autres domaines (économiques, commerciales...)202.

Section 3 : Les sanctions appliquées

Sur ces bases, le Président Bush élabora une déclaration prudente. Déplorant l'utilisation de la force par le gouvernement chinois et les victimes qui en résultèrent, le Président américain veilla toutefois à mettre en garde contre une réponse trop émotive qui irait à l'encontre de la raison et de la mesure qu'imposait l'urgence de la situation. La note du Président invitait donc à la fois les Américains à apprécier la relation sino-américaine au travers d'une vision à long terme tout en exhortant les leaders chinois à rétablir l'ordre par la non-violence203. Les premières sanctions annoncées furent les suivantes : la suspension de la vente et du commerce des armes, des échanges militaires, la prolongation des séjours des étudiants chinois sur le sol américain et une offre humanitaire et médicale à travers la Croix-Rouge pour les blessés de Tiananmen204. Dans le même temps, le secrétaire d'Etat James Baker décida que Fang Lizhi, l'astrophysicien dissident chinois, pourrait temporairement prendre refuge à l'ambassade américaine à Pékin. Pour l'administration Bush ces premières décisions visaient à tester la réaction des dirigeants communistes chinois en espérant que la situation politique progresse. Cependant, les jours qui succédèrent au 4 Juin effacèrent définitivement ces espoirs. Le 9 Juin, Deng Xiaoping fit une apparition publique au cours de laquelle il accusa les manifestants de vouloir remplacer le système socialiste par une République

200 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 65.

201 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « List of Bilateral Cooperative Agreements and Our Recommendations », Digital National Security Archive, 5 Juin 1989, 3p.

202 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.

203 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Statement by the President: June 5, 1989 - 6th of June 1989 »,

Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.

204 Ibid.

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bourgeoise occidentale205. Le 15 Juin, trois ouvriers furent condamnés à mort à Shanghai et trois jours plus tard 8 manifestants à Pékin subirent le même sort206 au motif d'avoir participé à ce que le régime se mit à baptiser une « émeute contre-révolutionnaire »207. Après la répression, Pékin renforça effectivement son autorité. Des images de détenus aux crânes rasés, aux corps blessés prises avant leur condamnation ou leurs exécutions, circulèrent aux Etats-Unis208. Ces retransmissions effacèrent les espoirs de l'administration de voir la réaction passionnée des Américains se dissiper. Face à la détérioration continuelle de la situation en Chine, l'administration Bush annonça une seconde vague de sanctions le 20 Juin. Deux recommandations avaient été proposées au Président par son secrétaire d'Etat Baker : geler les prêts américains accordés à la Chine via la Banque mondiale et suspendre tout échange sino-américain au plus haut niveau209. Les deux recommandations furent acceptées ce qui entraîna l'annulation de plusieurs visites diplomatiques prévues : celle du secrétaire du Commerce, Robert Mosbacher, et du secrétaire au Trésor Nicholas Brady, qui avaient été programmées plus tard dans l'année210. La deuxième proposition fut néanmoins remaniée par le Président qui la limita aux échanges cérémoniaux au niveau des secrétaires. A la fin du mois de Juin, les sanctions américaines s'harmonisèrent avec celles de la Communauté européenne, du Japon, de l'Australie et de la Nouvelle Zélande, lesquelles étaient soutenues par les condamnations exprimées par les gouvernements du monde entier211. Le tout contribua non seulement à mettre en péril, au moins temporairement, le développement économique chinois mais surtout à l'isoler sur la scène diplomatique mondiale.

Dans le même temps, on le remarque aisément, Tiananmen plaça le Président Bush dans une situation délicate où la nécessité de prendre des sanctions pour répondre à l'indignation du Congrès et des Américains devait être compensée par une diplomatie suffisamment astucieuse pour maintenir le cadre stratégique de la relation.

205 U.S. FOREIGN BROADCAST INFORMATION SERVICE, « Translation of Deng Xiaoping's 9 June Speech - 20th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.

206 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China Swift Justice; Deng's New Balancing Act - 21st of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 5p.

207 U.S. FOREIGN BROADCAST INFORMATION SERVICE, « Translation of Deng Xiaoping's 9 June Speech », Digital National Security Archive, 20 Juin 1989, 4p.

208 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op.cit. p. 205.

209 U.S. OFFICE OF THE WHITE HOUSE, OFFICE OF THE PRESS SECRETARY, « Statement by the Press Secretary - 20th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

210 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 226.

211 U.S. DEPARTMENT OF STATE, BUREAU OF INTELLIGENCE AND RESEARCH, « China Aftermath of the Crisis - 27th of July 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 13p.

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Chapitre 3 : Le dilemme de George H. Bush : condamner la répression chinoise et préserver la relation

Tel que le décrivent William Gates et David Skidmore dans leur article212, une lutte autour de la politique chinoise à adopter après Tiananmen se propagea entre le Congrès et l'exécutif. Isolé, le Président Bush dût subir d'intenses pressions.

Section 1 : Les pressions du Congrès et de l'opinion : préserver le contrôle sur la conduite de la politique américaine chinoise

Avant Tiananmen, les Américains s'étaient en effet familiarisés avec les questions de politique étrangère relatives au rôle de la diplomatie dans le progrès des Droits de l'Homme et de la démocratie213. S'agissant de la Chine, à une vaste majorité, l'opinion américaine préférait que les valeurs démocratiques l'emportent. La question était de savoir quelle politique opérationnelle déployer pour y parvenir. Chez les républicains comme chez les démocrates il y avait deux écoles : l'une consistait à s'opposer à toutes les attitudes contraires aux valeurs américaines (démocratie, violation des Droits de l'Homme) en refusant les avantages que l'Amérique pouvait dispenser au pays concerné214. A l'inverse, certains pensaient qu'il était du devoir des Etats-Unis de promouvoir des avancées en matière de Droit de l'Homme par une politique d'engagement. Une fois que l'interdépendance (en particulier) économique serait suffisamment grande, la préservation des intérêts communs pourrait alors servir de monnaie d'échange à la recommandation de changements dans le domaine des libertés publiques. Tiananmen eut précisément pour effet de jeter à nouveau ce débat sur la scène publique américaine. En réponse à la déclaration du 5 Juin du Président Bush, le Congrès, qui reflétait l'opinion publique, réagit donc en appelant l'exécutif à prendre des mesures plus drastiques telles que la suspension du commerce et des investissements ou l'interdiction de l'exportation de biens de hautes technologies215. Tel que l'a théorisé Robert Putnam dans sa théorie des jeux à deux niveaux (« two level games »), le Président américain devait donc à la fois satisfaire les exigences des pressions chinoises pour une amélioration de la relation tout en s'acquittant de ses

212 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration », Presidential Studies Quaterly, Vol. 27, n°3, Summer 1997, pp. 514-539.

213 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 402.

214 Ibid. p. 403.

215 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.

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obligations devant le Congrès216. Pour anticiper les effets du Sénat américain, Baker soumit donc une seconde vague de sanction le 20 Juin qui ne suffit pas à faire taire l'opposition démocrate. En effet, peu de membres du Congrès soutenait la politique du Président relativement isolé217. Sous l'impulsion du leader démocrate au Sénat, Mitchell, un amendement fut voté pour instauré en loi les sanctions déjà adoptées par le Président Bush. Ce même amendement ajouta à la liste des punitions la suspension des «Overseas Private Investment Corporation» (une assistance pour la promotion des investissements américains en Chine), l'annulation des activités du programme de développement pour le commerce en Chine («Trade Development Program»)218 ainsi que la suspension de la délivrance d'autorisation d'exportation pour des satellites américains qui devaient être lancés à partir de fusées de lancement chinoises et de la mise en place d'une coopération nucléaire programmée par un accord de 1985219.

Finalement, Tiananmen eut également des conséquences directes sur le processus d'élaboration de la politique américaine chinoise. Durant les deux décennies précédant le drame, elle relevait quasi exclusivement de l'exécutif américain. Les Présidents américains successifs et leurs conseillers à la Maison-Blanche, au Pentagone et au département d'Etat ayant en effet bénéficié de la part de l'opinion publique et du Congrès, d'une marge de manoeuvre assez large concernant la politique chinoise. Après la répression du 4 Juin 1989, les dynamiques changèrent. Dorénavant, le Congrès et l'opinion ne laisseraient plus la politique américaine chinoise être dictée par les seules volontés de l'administration en place.

Section 2 : Garder le contact avec les hauts dirigeants chinois

En entretenant des relations personnelles avec les hauts dirigeants chinois, le Président Bush remplissait deux de ses objectifs : tenter de conserver sa prééminence dans la formulation de la politique chinoise tout en essayant de sauvegarder les rapports sino-américains220. George Bush entendait surtout rester en contact avec Deng Xiaoping qui, selon un télégramme du département

216 PUTNAM, Robert D., 1988, « Diplomacy and Domestic Politics: The Logic of Two-Level Games », International Organization, 1988, pp. 427-60.

217 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration », Presidential Studies Quaterly, Vol. 27, n°3, Summer 1997, p. 519. D'après les auteurs une large partie des plus influentes personnalités de l'exécutif ont été formée à l'école Kissinger. Fortement imprégnés d'une pratique réaliste de la politique (realpolitik), Scowcroft, Eagleburger, G. Bush s'opposèrent aux leaders du Congrès pour lesquels cette culture politique apparaissait éloignée des valeurs démocratiques américaines. L'article offre de manière générale une excellente synthèse sur la lutte idéologique, institutionnelle, partisane entre le Congrès et l'exécutif.

218 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.

219 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 226.

220 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 22.

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d'Etat, n'aurait pas pris part à la décision d'intervenir dans la nuit du 3 au 4 Juin221, mais surtout demeurait le seul interlocuteur crédible du moment (compte tenu de la lutte de pouvoir au sein du parti) qu'il connaissait personnellement. Comme les dirigeants chinois rejetèrent les tentatives de dialogue du Président Bush notamment après que les Américains eurent accepté d'héberger le dissident Fang Lizhi dans leur ambassade, celui-ci, agissant en parfait homme d'Etat, prit l'initiative de rédiger une lettre à l'intention de Deng Xiaoping222. Cette dernière témoigna d'une amitié sincère et d'un profond respect pour la Chine de Deng. Le Président Bush y évoqua sa vision des choses ainsi que la situation interne dans laquelle il se trouvait. La pudeur des écrits du Président américain révélait avec éclat sa connaissance aigüe de l'exercice du pouvoir en Chine. Son expérience lui permettait de comprendre effectivement que des pressions de l'étranger apparaîtraient insignifiantes aux yeux d'un dirigeant « qui avait participé à la Longue Marche, survécu dans les grottes de Yan'an et affronté simultanément les Etats-Unis et l'Union soviétique dans les années 1960 »223. Cette lettre fut donc transmise à Deng le 20 Juin par le biais de Brent Scowcroft et de l'ambassadeur chinois Han Xu, guidés par les consignes du Président américain souhaitant que le tout se fasse sous le sceau de la plus haute confidentialité. George Bush et ses conseillers savaient pertinemment qu'autrement, de tels agissements auraient été condamnés par le Congrès et l'opinion. Le 24 Juin, l'administration américaine reçut une réponse personnelle de Deng Xiaoping qui acceptait l'idée d'envoyer un émissaire secrètement224.

Section 3 : Le voyage secret de l'administration Bush

Après cette réponse, la rencontre s'organisa. Scowcroft fut choisi par le Président pour le représenter, pour des raisons évidentes : sa proximité avec George Bush et sa familiarité avec les enjeux chinois225. James Baker insista pour que son secrétaire-adjoint Lawrence Eagleburger soit du voyage et que le département d'Etat bénéficie d'une place d'importance dans cette rencontre. Afin que le voyage se fasse dans la plus grande confidentialité, le cercle restreint de l'administration Bush prit des dispositions d'exception. L'ambassadeur James Lilley reçut l'ordre de ne pas envoyer de télégramme via le département d'Etat. Robert Kimmit, sous secrétaire d'Etat aux affaires politiques fut écarté de la confidence. La programmation ultime du voyage eut lieu dans le bureau

221 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01 Scenario for a Way Out - 6th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 12p.

222 Une grande partie de la lettre traduite en français est à lire page 114 à 116 dans l'ouvrage BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde, Paris, Odile Jacob, 1999, 618 p.

223 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 402.

224 BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde, op. cit. p. 117.

225 Ibid., p. 118 : Brent Scowcroft avait rencontré Deng à plusieurs reprises au cours de sa carrière : en 1975 lors de la visite en Chine du Président Ford, de nouveau en 1981 et enfin en Février 1989.

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ovale de la Maison-Blanche réunissant Baker, Eagleburger, Robert Gates (adjoint de Scowcroft) et Lilley. Tous se mirent d'accord sur le message à transmettre aux dirigeants chinois : l'Amérique souhaitait à tout prix s'engager à maintenir la relation sino-américaine tout en invitant la RPC à comprendre la situation interne américaine et les décisions qui suivirent. La finalité étant d'amener la RPC à comprendre qu'elle devait de son côté travailler à restaurer la relation226. Le 30 Juin 1989, dans le plus grand secret, à bord d'un avion cargo de l'US Air Force, Eagleburger et Scowcroft partirent à destination de Pékin. Arrivés le 1er juillet, ils furent reçus par Deng Xiaoping en personne227. Après la première entrevue, Scowcroft conclut que Tiananmen avait creusé un fossé entre les deux cultures américaine et chinoise. Les Chinois éprouvaient de la rancoeur contre ce qu'ils percevaient comme une ingérence dans leurs affaires intérieures. La sécurité et la stabilité leur importaient plus qu'autre chose tandis que les Américains s'attachaient à la défense de la liberté et aux Droits de l'Homme228. Toutefois, le message principal avait été entendu et accepté des deux côtés : les Etats-Unis et la Chine s'engageraient à sauvegarder leur relation. Un autre objectif de cette rencontre confidentielle était de vérifier l'état du pouvoir communiste chinois. Une des inquiétudes de George Bush était de savoir qui dirigeait précisément la RPC et en conséquence, avec qui communiquer. A cet égard, le voyage de Scowcroft et d'Eagleburger rassura le chef d'Etat américain : Deng apparaissait comme un interlocuteur crédible mais ce dernier précisa toutefois à Scowcroft que les Américains à l'avenir, devraient traiter avec Li Peng pour résoudre les problèmes de leur relation229. Ceux-ci n'étaient pas des moindres et toute la suite du mandat de Bush fut de s'efforcer à redéfinir le cadre de la relation sino-américaine.

Titre 3 : Redéfinir la relation sino-américaine : à la recherche d'un nouveau cadre stratégique

La crise déclenchée par Tiananmen eut pour conséquence première, comme toute crise d'ailleurs, de rompre l'ordre antérieur et ses facteurs d'équilibres caractéristiques, au profit d'un climat d'incertitude et d'instabilité. Toute la difficulté de l'administration américaine était donc de travailler à instaurer une nouvelle balance dans les rapports. Ce défi lancé à l'administration américaine était d'autant plus épineux qu'au même moment le système international subissait ses plus profondes modifications depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

226 Tout le paragraphe précédent p. 66.

227 Tous les détails et anecdotes du voyage et de la rencontre sont finement décrits et racontés dans BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde, op. cit. pp. 119-124.

228 Ibid., p. 124.

229 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 83.

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Chapitre 1 : Le challenge de la « renormalisation » des rapports

En 1979, les Etats-Unis sous Carter, et la RPC menée par Deng Xiaoping, normalisèrent officiellement leur relation sept ans après la visite historique de Nixon à Shanghai. Cette normalisation entraîna au passage l'interruption des relations américaines avec Taïwan et le retrait de leur force de l'île. Signe que Tiananmen causa une importante rupture, il fallut procéder à la « renormalisation ».

Section 1 : Le « problème » Fang Lizhi

Dans ce climat tendu avec le Congrès, toute la difficulté pour le Président Bush était de reconstruire une relation avec la Chine à laquelle n'était pas favorable son pays. Pour tenter d'apaiser l'hostilité grandissante du parlement américain, G. Bush en appela à la défense de l'intérêt national américain230. L'enjeu était double car simultanément, la tension entre les deux pays continuait de s'accentuer. Cette animosité s'aggrava autour de la polémique concernant Fang Lizhi, devenu le symbole de la division entre les deux pays à l'automne 1989231. A cet égard, bien qu'aucun des deux gouvernements ne souhaitaient la rupture, aucun n'était en mesure non plus de pouvoir l'éviter. Effectivement, immédiatement après le 4 Juin 1989, Fang et sa femme se réfugièrent à l'ambassade des Etats-Unis232. Quelques jours plus tard, celui-ci fut accusé par les autorités chinoises de propagande contre-révolutionnaire233. Dès lors, cette affaire constitua une source de tension entre les deux diplomaties : l'une réclamant son censeur le plus célèbre pour le condamner, l'autre, obligée de l'accueillir dans son ambassade. Après le voyage de H. Kissinger, un compromis fut trouver pour démêler ce noeud diplomatique : Fang serait autorisé à quitter l'ambassade pour gagner les Etats-Unis ou un pays tiers ; en échange, les Etats-Unis devraient lever les sanctions publiquement, conclure des projets de coopération économique et enfin, inviter Jiang Zemin en visite officielle dans le but de sortir la Chine de son isolement international234. Ce fut l'objet du second voyage de Scowcroft et d'Eagleburger. Cependant, face aux bouleversements en Europe de l'Est, aucun camp ne se trouvait en mesure de s'écarter de ses positions. Un accord ne fut trouvé qu'en Juin de l'année suivante (1990)235.

230 Ibid., p. 93.

231 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 414.

232 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Embassy Refuge [Excised] - 7th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.

233 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « [China: Fang Lizhi as Scapegoat] - 12th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.

234 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 419.

235 Ibid., p. 422.

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Section 2 : Le maintien des efforts de communication

Le Président Bush, privilégiant une approche réaliste des relations internationales au-delà des considérations idéologiques, humanitaires ou éthiques, préférait conserver les intérêts stratégiques et commerciaux des Etats-Unis dans une relation stable avec la Chine236, ce qu'il entreprit de faire dès l'été 1989. Après un séjour en Europe au mois de Juillet, George Bush écrivit une autre lettre à Deng pour le convaincre d'aller vers une forme d'ouverture237. Deng lui répondit le 11 Août affirmant à nouveau que la Chine demeurait souveraine et rappelant à son homologue américain que des sanctions contre son pays étaient encore en cours238. Parallèlement, George Bush saisissait toutes les occasions qui lui étaient offertes pour maintenir le contact avec les hauts dirigeants chinois. Ainsi James Baker rencontra Qian Qichen à la conférence de Paris sur le Cambodge en Juillet et de nouveau à l'Assemblée Générale des Nations Unies en Septembre239. George Bush envoya aussi des émissaires personnels (son frère Prescott Bush et l'ancien secrétaire d'Etat Alexander Haig) sans forcément délivrer des messages spécifiques mais davantage pour montrer ses intentions d'apaisement de la relation. A la fin du mois d'Octobre l'ancien Président Richard Nixon s'envola pour Pékin pour une réunion formelle avec les hauts dirigeants chinois prévue bien avant les événements de Tiananmen240. Néanmoins, cette visite revêtit un caractère stratégique en cette période tourmentée. A l'issu de cette semaine à Pékin, Nixon proposa d'ailleurs à l'administration Bush de faire le premier pas dans la reprise d'un contact officiel241. A peu près à cette époque, Kissinger, ancien secrétaire d'Etat et conseiller à la sécurité nationale de Nixon, accepta à son tour une invitation des dirigeants chinois en Novembre242. A l'issue de cette entrevue les conditions d'un retour à la normale furent transmises par Deng : la résolution du problème Fang Lizhi et ensuite viendrait une visite de Jiang Zemin aux Etats-Unis243. Dans cette perspective, G. Bush prit l'initiative d'envoyer Lawrence Eagleburger et Brent Scowcroft une seconde fois à Pékin pour un nouveau voyage secret244.

236 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 247.

237 BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde, op. cit. p. 173.

238 Ibid. page 174.

239 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 97.

240 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « President Nixon's Visit - 26th of October 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.

241 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 98.

242 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 409.

243 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 98.

244 U.S. EMBASSY IN CHINA, « Schedule for Chinese Visit of General Scowcroft and Deputy Secretary Eagleburger - 8th of December 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.

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Section 3 : L'hostilité vigoureuse du Congrès

L'hostilité du Congrès allait de pair avec l'animosité sino-américaine. Le Congrès et l'opinion, depuis le 4 Juin 1989, manifestaient leur empressement pour des sanctions plus lourdes. Tandis que G. Bush plaidait pour une vision réaliste des relations internationales le Congrès penchait davantage pour une perspective idéaliste, plus proche des valeurs américaines telles que la liberté, la démocratie et les Droits de l'Homme245. La formulation et la conduite de la politique chinoise faisait l'objet d'intenses rivalités au plus haut sommet de l'Etat américain. Derrière les résolutions et les déclarations sur la Chine et les réponses de l'administration Bush, le Congrès commença à considérer des mesures plus autoritaires pour supplanter l'exécutif dans la politique chinoise246. Le 21 Juin 1989, une représentante démocrate, Nancy Pelosi, proposa une loi pour faciliter le renouvellement des visas étudiants chinois : celle-ci prévoyait également de permettre aux étudiants chinois de travailler aux Etats-Unis deux ans sans avoir à retourner en Chine247. Initialement anodine, sa loi prit une ampleur inattendue et devint très vite une priorité du Congrès. Après être passée à la Chambre des Représentants le 31 Juillet, elle fut votée à l'unanimité au Sénat le 19 Novembre. Le lendemain elle fut présentée au Président248. Au même moment l'administration américaine et le département d'Etat, prenant conscience qu'une telle loi renforcerait l'animosité entre les deux pays, ruinerait les efforts de médiation du Président et annulerait définitivement les échanges étudiants sino-américains (si importants pour l'administration pour diffuser les valeurs américaines), tenta de pourfendre cette mesure249. Le 30 Novembre, le Président Américain posa son veto250 en sachant pertinemment que dorénavant, sa politique chinoise serait scrutée dans les moindres détails. Le voyage de Scowcroft et d'Eagleburger le 11 Décembre 1989 fut d'ailleurs vivement dénoncé par la presse et le Congrès et des représentants religieux251.

Malgré les efforts de l'exécutif pour maintenir les liens tout en les reconfigurant, les pressions sur la scène intérieure mirent en péril l'exercice de la politique chinoise de l'administration Bush. Pour ne pas améliorer la situation, le cadre géopolitique mondial allait bientôt s'écrouler, quelques mois après la répression place Tiananmen.

245 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 94.

246 Ibid., p. 95.

247 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 211.

248 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 96.

249 BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde, op. cit. p. 176.

250 THE WHITE HOUSE, OFFICE OF THE PRESS SECRETARY, « Statement by the President - 30th of November 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

251 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « [Protest of Scowcroft and Eagleburger Trip to Beijing] - 12th of December 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

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Chapitre 2 : George H. Bush et la Chine face à un contexte international bouleversé

Dans le cadre de ce chapitre, il sera question de l'influence des événements extérieurs sur la relation sino-américaine et son processus de redéfinition post-Tiananmen. Dans un premier temps, il apparaît nécessaire d'introduire quelques propositions concernant l'approche systémique.

Section 1: Définition de l'approche systémique

L'école systémique compte parmi ses soutiens, des réalistes tels que Robert Gilpin ou Kenneth Waltz. Pour autant, ce choix conceptuel n'est pas dépourvu de liens avec notre cadre théorique principal. En effet, l'approche systémique explique le phénomène d'interdépendance (notamment sur le plan économique) par l'analyse des liens de dépendance mutuelle et des politiques de coopération ou de protectionnisme qui peuvent en découler. Selon cette approche la « structure du système international, elle-même déterminée par une série d'éléments telle la nature de l'équilibre entre les puissances, détermine le champ d'action diplomatique des Etats. »252. Ce postulat émet donc l'idée que toute politique étrangère est soumise à des pressions politico-stratégiques et économiques. Dans le même temps, le processus décisionnel est lui, affecté par les modifications structurelles qui peuvent surgir dans le système international. Nous concernant, il s'agit ici d'évaluer l'impact des événements en Europe de l'Est et celui de la Guerre du Golfe sur le cadre stratégique de la relation sino-américaine.

Section 2 : Les événements en Europe de l'Est et leur impact sur la relation sino-américaine

Le socle de la relation qui avait été justifié en 1972 par la présence d'un ennemi commun, l'URSS, commença à s'écrouler avec les crises politiques en Europe de l'Est. La désintégration successive des Etats communistes au cours de l'année 1989 renforça l'antagonisme des perceptions sino-américaines. A Washington, les bouleversements marquants en République Démocratique Allemande (chute du mur de Berlin le 9 Novembre 1989), en Bulgarie et en Tchécoslovaquie annonçaient l'effondrement imminent de la RPC253. Du même coup, le caractère stratégique de la relation perdait de sa raison d'être à mesure que le bloc soviétique s'agitait. La nécessité de maintenir la RPC hors de portée de l'influence soviétique, apparaissait désormais de plus en plus

252 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche, la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis, op. cit. p. 14.

253 BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde, op. cit. p. 170.

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anachronique aux yeux de certains acteurs politiques américains254. Pour George Bush en revanche, rien ne changeait : l'empreinte stratégique de la relation sino-américaine à long terme lui paraissait toujours aussi pertinente. En bon réaliste cela créait même une situation d'interdépendance asymétrique en faveur des Américains qui triomphaient enfin. A Pékin le sentiment d'isolement devenait dangereusement effectif. La chute sanglante du dirigeant communiste de la Roumanie Ceausescu eut des effets encore plus importants sur le Parti communiste chinois255. D'un côté, les leaders se réjouirent de la disparition de l'adversaire soviétique et se confortèrent dans l'idée qu'ils ne devaient pas se compromettre avec des activistes pro-démocrates. La répression menée place Tiananmen leur apparaissait d'autant plus pertinente dorénavant. Dans un autre sens, la crainte était vive de voir se reproduire ces schémas dans leur pays. A cet égard, le débat entre les conservateurs et les réformateurs se réouvrit une nouvelle fois, auquel Deng mit fin assez vite : la Chine devait continuer sa construction économique, poursuivre ses réformes et sa politique de porte-ouverte256. Dans cette recherche d'un nouveau cadre stratégique, la Guerre du Golfe fit office de sursaut temporaire.

Section 3 : La guerre du Golfe : un partenariat stratégique ?

Effectivement, la Guerre du Golfe offrit aux Etats-Unis et à la Chine une occasion de coopérer stratégiquement sur une crise internationale d'envergure. Les deux pays avaient parfaitement conscience que leurs intérêts géopolitiques mutuels avaient, au cours de leur histoire, joué le rôle de facteur de rapprochement257. Par conséquent, aux mois d'Août et de Septembre 1990, la Chine vota toutes les résolutions du Conseil de Sécurité condamnant l'Iraq et appelant à son retrait immédiat du Koweït, la restauration du gouvernement koweïti et la mise en place de sanctions économiques contre Bagdad258. Mais en Novembre 1990, les USA, constatant l'inefficacité des sanctions économiques, cherchèrent à obtenir de l'ONU une autorisation pour recourir à la force armée. Dès lors, le droit de veto chinois au CSNU représenta un enjeu stratégique pour la diplomatie américaine259. Washington s'empressa d'envoyer son secrétaire d'Etat adjoint Richard Salomon à Pékin pour discuter de la crise260. Mais la dernière résolution adoptée en ce sens étant celle qui avait autorisée les Etats-Unis à intervenir pendant la Guerre de Corée, il était donc difficile pour Pékin de céder son vote. Ainsi, lors des rencontres avec le secrétaire d'Etat James

254 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 103.

255 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 422.

256 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 106.

257 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 269.

258 Ibid., p. 270.

259 Ibid.

260 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Question and Answer for A-S Solomon's Trip to Beijing - 4th of August 1990 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.

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Baker, d'abord au Caire, puis à New-York le 28 Novembre 1990261, le ministre des Affaires Etrangères chinois Qian Qichen laissa entendre qu'un vote affirmatif était possible en échange d'un abaissement des sanctions. Au Caire, Baker assura que les Américains n'oublieraient pas le soutien des Chinois, et pour être sûr que Pékin ne mette pas son veto, l'administration américaine proposa d'inviter Qian Qichen à Washington une fois la résolution votée. Finalement, la Chine s'abstint. L'accord n'était pas respecté mais malgré tout, le Président Bush accepta de recevoir Qichen262. Lors de cette rencontre, le ministre chinois demanda avec insistance aux Américains d'approfondir la relation et de renforcer le dialogue bilatéral. G. Bush accepta mais insista pour que la Chine s'engage dans deux domaines importants aux yeux des américains : les Droits de l'Homme et la non-prolifération des armes nucléaires et des armes conventionnelles263. Qian demanda à ce que les Américains adoptent une position plus souple au sein de la Banque mondiale, que G. Bush conditionna si les besoins humains fondamentaux étaient davantage respectés264. Au final, les Chinois remportèrent une grande partie des négociations : sans faire d'évidente concession ils s'étaient assurés d'un assouplissement des sanctions américaines. Baker lui-même questionna les résultats de la stratégie de l'administration américaine à ne faire que des concessions. Malgré tout, la fulgurante victoire américaine dans la guerre du Golfe fit craindre aux Chinois que la bipolarité céderait le pas à un monde unipolaire dominé par le leadership américain. Un sentiment anti-américain resurgit au sein de la classe dirigeante chinoise.

La crise du golfe eut donc des effets ambigus sur la relation sino-américaine. Retrouvant temporairement une dimension stratégique, très vite celle-ci fut rattrapée par ses antagonismes latents. Les premiers fondements de la relation sino-américaine se posèrent dans cette première période post-Tiananmen : la nécessité de traiter avec l'autre s'adjoignait d'une méfiance sous-jacente.

261 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « [Announcement of Intention of China's Minister of Foreign Affairs to Attend U.N. Security Council Meeting and to Pay Official Visit to U.S.] - 27th of September 1990 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.

262 Pourtant la note du département d'Etat : U.S. DEPARTMENT OF STATE, « PRC FM Qian's Trip to New York and Washington - 25th of November 1990 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 5p., conditionne clairement la programmation du voyage de Qian Qichen sur un vote de consensus autour de la résolution.

263 Toutes les notes du département d'Etat du mois de Novembre 1990 traitent effectivement de ses deux thématiques à plusieurs reprises.

264 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Meeting with Chinese Foreign Minister Qian, November 30, The Deputy Secretary's Conference Room, 11.00 a.m. - 29th of November 1990 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 26p: l'intégralité des pourparlers et des reclamations chinoises sont compiles dans ce rapport du department d'Etat (pp 11-26).

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Chapitre 3 : L'émergence d'enjeux hétéroclites au coeur de la relation

Au cours de ce premier cycle post-Tiananmen un certain nombre d'éléments de la relation sino-américaine contemporaine s'installèrent solidement. Evoluant vers des intérêts communs, les deux nations depuis Juin 1989, progressaient simultanément dans leurs contradictions. En somme, un subtil mélange de coopération et de méfiance commença à caractériser la relation.

Section 1 : Droits de l'Homme

Prioritairement, et bien que George Bush soit davantage un pragmatique qu'un idéaliste, la question des Droits de l'Homme prit une ampleur considérable après le séisme Tiananmen et les réactions de l'opinion publique. C'est précisément dans cette optique que le Président Bush s'engagea dans ce qu'il baptisa l'« engagement constructif »265 reflétant ses préoccupations en matière de Droits de l'Homme. Toutefois nuancent Clair Apodaca et Michael Stohl, la politique étrangère de George Bush en matière de Droits de l'Homme était teintée d'élans moraux tant que ceux-ci ne se révélaient pas nuisibles à des préoccupations plus fondamentales266. Ainsi, nous le verrons plus en détail par la suite, tandis que les démocrates voulaient conditionner le renouvellement de la clause de la nation la plus favorisée contre des avancées chinoises dans le domaine des droits humains, G. Bush mit à deux reprises son veto pour que les lois ne passent pas. Privilégiant une approche plus pragmatique des droits de l'homme, celui-ci préférait un engagement constructif afin de maintenir les contacts sino-américains, espérant que la future génération de leaders chinois serait plus encline à coopérer avec les Etats-Unis267. Cette approche fut donc adoptée jusqu'à la fin de sa présidence et la problématique demeura centrale dans la relation jusqu'à aujourd'hui268. H. Kissinger offre à cet égard une explication lucide : « La motivation fondamentale de la politique étrangère américaine sur les droits de l'homme repose profondément sur la tradition américaine. [...] L'expérience américaine imprègne sa politique étrangère d'une qualité missionnaire unique. [...] pour la plupart des Américains, l'intérêt national ne peut pas être séparé

265 «Constructive engagement», GELATT, Thomas A, ORENTLICHER Diane F, « Public Law, Private Actors: The Impact of Human Rights on Business Investors in China Symposium: Doing Business in China », Northwestern Journal of International Law & Business, Vol. 14, 1993, p. 73.

266 APODACA Clair, STOHL Michael, « United States Human Rights Policy and Foreign Assistance », International Studies Quarterly, Vol. 43, n° 1 (Mar., 1), p. 194. URL : http://www.jstor.org/stable/260070, Consulté le : 26/02/2015.

267 CARNEY Christopher P, « Human Rights, China, and U.S. Foreign Policy: Is a New Standard Needed? », Asian Affairs, Vol. 19, No. 3 (Fall, 1992), p. 131. URL: http://www.jstor.org.ezscd.univ-lyon3.fr/stable/30172157, consulté le 09/04/2015.

268 GELATT, Thomas A, ORENTLICHER Diane F, « Public Law, Private Actors: The Impact of Human Rights on Business Investors in China Symposium: Doing Business in China », art. cit. p.74.

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de la question des droits de l'homme »269. La question des dissidents et des prisonniers représentait à ce titre, les problématiques les plus brûlantes de l'après-Tiananmen, en témoigne l'affaire Fang Lizhi détaillée plus haut.

Ceci témoigne aussi d'un estompement dans la hiérarchie des enjeux de politique étrangère globaux, tel que l'ont hypothétiquement théorisé R. Keohane et J. Nye. Presque à égalité avec les problématiques économiques ou sécuritaires, la question des Droits de l'Homme faisait désormais partie intégrante des enjeux de la relation sino-américaine.

Section 2 : Une interdépendance complexe croissante, résultat de la politique engageante de George Bush

La deuxième caractéristique majeure héritée de la période post-Tiananmen est l'interdépendance complexe grandissante entre les deux pays, résultat de la politique chinoise engageante de George Bush. Celle-ci s'orienta prioritairement vers les intérêts économiques. Dans un premier temps l'administration tenta donc d'apaiser discrètement les mesures qu'elle avait elle-même passées. En Octobre 1989 l'administration chercha par exemple à atténuer l'impact des sanctions militaires270. Effectivement, la relation après les sanctions essuya d'importants revers dans son commerce bilatéral271. Alors que les Américains exportaient 637,7 millions de dollars de biens à la Chine en Juillet 1989, en Novembre, le chiffre était divisé par deux272. Mais très vite, le commerce bilatéral sino-américain subit une importante progression. De 13,5 milliards de dollar en 1988, le volume des échanges économiques atteignit 20 milliards en 1990. Dans le même temps, le surplus commercial de la Chine avec les Etats-Unis passa de 6 milliards de dollar en 1989 à 10 milliards en 1990 créant ainsi le plus important déficit américain par rapport à tous ses autres partenaires273. La Chine renforça son économie après Tiananmen et compte tenu du gel d'un certain nombre de prêts, le pays fut obligé de maîtriser son inflation tout en consolidant ses exportations274.

Si l'interaction économique sino-américaine généra dans l'ensemble une coopération gagnante-gagnante, celle-ci n'empêcha pas l'apparition d'une méfiance réciproque.

269 KISSINGER Henry, « A Constructive, Long-terme Chinese-U.S. Relationship », International Herald Tribune, 28 mars 1994, p. 7.

270 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 218.

271 « The second Bush strategy », HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. pp. 280-283.

272 Site du bureau du recensement des Etats-Unis : https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html, consulté le 09/04/2015. Voir Annexe 1: Evolution du déficit commercial américain avec la Chine pp. 93-94.

273 XINGHAO Ding, « Managing Sino-American Relations in a Changing World », Asian Survey, Vol. 31, n°12 (Dec., 1991), p. 1162. URL: http://www.jstor.org/stable/2645396, consulté le : 26/02/2015

274 CONABLE Barber B., LAMPTON David M., « China: The Coming Power », Foreign Affairs, Vol. 71, n° 5, 1992, p. 137. URLl: http://www.jstor.org/discover/10.2307/20045408?sid=21105942571611&uid=4&uid=2&uid=3738016, consulté le 09/04/2015.

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Section 3 : Les questions de sécurité

C'est un autre trait dominant de la relation actuelle fixé dans la période post-Tiananmen. Une chose frappe à la lecture des archives déclassifiées provenant du site DNSA, la prolifération des armes et son commerce par la Chine furent scrutés de près par les services de renseignement américains, d'autant plus après Tiananmen. A cet égard, un rapport des services de renseignement de l'armée américaine inspecte en détail la politique de défense chinoise (son organisation, ses organes de contrôle) et son complexe militaro-industriel afin d'analyser les évolutions à venir de l'APL275. Un des aspects les plus troublants de l'émergence de la Chine post-Tiananmen pour les Américains concernait sa politique exportatrice agressive de matériel et de technologie nucléaire vers les autres nations en voie de développement276. Ses relations avec les pays arabes étaient à cet égard, observées de près par les services secrets américains277 car beaucoup des destinataires des exportations chinoises étaient impliqués dans des conflits régionaux, la Syrie ou le Pakistan notamment. Le problème n'était pas la concurrence dans le domaine du commerce des armes pour les Américains mais celui de la sécurité mondiale. La vente de technologie nucléaire ou de système de missile balistique entrait effectivement en contradiction avec la stratégie américaine278. Le contrôle des armements revêtit donc un enjeu crucial sous G. Bush face aux exportations chinoises aux Etats qualifiés de « parias ». Concernant la vente de missiles à la Syrie et au Pakistan, en échange d'une levée des sanctions, Pékin fit de vagues promesses et sur la non-prolifération, la RPC déclara s'engager contre la prolifération dans la péninsule coréenne279. La Chine finit par signer le Traité de Non-prolifération le 9 mars 1992 mais la rivalité dans le domaine des missiles balistiques se poursuivit jusqu'à très récemment, encore en 2007280.

La fracture qu'a provoquée Tiananmen dans la relation sino-américaine demanda des prises de décision urgente de la part de l'administration Bush. Agissant en véritable homme d'Etat et

275 U.S. ARMY INTELLIGENCE AGENCY, « Chinese Force Planning for the Year 2000 The Strategic Rationale for Scientific and Technological Modernization - 20th of March 1990 », Digital National Security

Archive, China and the U.S., 21p.

276 RAND CORPORATION, « Chinese Arms Production and Sales to the Third World - 1991 », Digital

National Security Archive, China and the U.S., 60p.

277 Plus particulièrement ses relations avec le Maroc, l'Iran, les monarchies du Golfe (Koweït, Oman,

Bahreïn, l'Arabie Saoudite) ou encore la Jordanie et l'Algérie : cf. U.S. DEPARTMENT OF DEFENSE, « [Excised] China's Relationship with Arab Nations - 29th of March 1990 », Digital National Security Archive,

China and the U.S., 4p.

278 Un rapport du mois de Mai 1990 atteste de la vente de trois réacteurs nucléaires à la Syrie dans le domaine de la recherche et du développement : U.S. JOINT CHIEFS OF STAFF, « China-Syria Nuclear Cooperation - 16th of May 1990 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p. Une autre note témoigne de la vente de missile SRBM M-11 au Pakistan : U.S. CENTRAL INTELLIGENCE AGENCY, « Ballistic Missiles in [Excised] Pakistan [Excised] - July 1990 », Digital National Security Archive, Weapons of Mass destruction, 19p.

279 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 131.

280 ZAJEC Olivier, Cours Magistral «Politique et Stratégie Nucléaires», Université Jean Moulin Lyon 3, semestre 8, 2015.

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privilégiant une approche pragmatique des relations internationales, le Président Américain favorisa le maintien de la relation et le contact avec Deng Xiaoping. Face aux réactions de l'opinion catalysées par le Congrès, la nécessité de prendre des sanctions fut inévitable. Cependant, afin d'éviter toute rupture diplomatique, George Bush orienta très vite la politique chinoise des Etats-Unis dans un « engagement constructif » pour redéfinir la relation. A cet égard, cette politique contribua à poser les fondements et les problématiques de la relation sino-américaine contemporaine. Le cadre théorique de l'interdépendance complexe invite à prendre en compte les paramètres sécuritaire, humain, économique de cette relation. Cette section constitue donc en elle-même notre transition pour aborder le dernier chapitre de notre travail qui se consacrera à faire une lecture théorique globale des rapports sino-américains post-Tiananmen.

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Partie 3 : La théorisation de la relation sino-américaine post-Tiananmen par l'interdépendance complexe : étude critique expérimentale

Tel que le résume Juliette Bourdin dans sa thèse, « la répression des manifestations sur la place Tiananmen, en Juin 1989, marque un tournant radical dans la poursuite des relations sino-américaines et l'embellie progressive des années 1980 cède la place à une décennie marquée à la fois par de sérieuses crises diplomatiques et par une interdépendance économique grandissante entre les deux pays. »281. Maintenant que le cadre historique est défini et les bases théoriques sont jetées, concentrons-nous donc sur les modalités de l'interdépendance sino-américaine post-Tiananmen.

Titre 1 : Les débuts d'une interdépendance économique prometteuse

Comme nous venons de l'introduire dans la dernière partie, la configuration contemporaine de la relation sino-américaine commença après les événements place Tiananmen. De même, le défi chinois de Washington dans sa forme actuelle hérita de la politique chinoise de George Bush : malgré le maintien d'une relation étroite, l'absence d'unanimité demeure au sein des classes dirigeantes américaines. En dépit de ces divisions, la Chine est devenue aujourd'hui le principal partenaire économique et commercial des Etats-Unis. Cette situation découle justement des premières politiques menées après Tiananmen.

Chapitre 1 : Un commerce bilatéral sino-américain croissant

Au sein de la relation d'interdépendance sino-américaine qui se tissait progressivement (se désectorisant insensiblement à plusieurs niveaux de politique), l'économie et le commerce prirent une ampleur particulière.

Section 1: Un commerce nécessaire avec les Etats-Unis

Après les sanctions prises par les Occidentaux contre la Chine après Tiananmen, les dirigeants communistes se retrouvèrent isolés sur la scène internationale. Au cours de l'année 1990, la Chine fut le seul marché important dans lequel les exportations américaines déclinèrent par

281 BOURDIN Juliette, Les relations sino-américaines de Tiananmen à la présidence de George W. Bush (1989-2006) : une analyse des enjeux économiques et stratégiques à la lumière de l'Histoire, op. cit. p. 156.

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rapport au niveau de 1989282. A l'inverse, durant la même période, les importations chinoises augmentèrent de 27%283 ce qui contribua à accroître le déficit de la balance commerciale des Etats-Unis avec la Chine. Entre 1989 et 1992 le déficit tripla, passant de 6 milliards de dollar à 18284. Cependant, pour nourrir son économie croissante, l'expansion commerciale était devenue une condition critique pour la modernisation de l'économie chinoise285. Or pour maintenir un niveau d'exportations suffisamment haut, la Chine avait radicalement besoin des Etats-Unis, devenu déjà son plus grand marché d'exportation avec environ 25 à 30% de ses produits destinés au marché américain286. Une note d'information de Richard Salomon spécifie clairement que le commerce et les investissements sino-américains ont favorisé l'apaisement des relations287. A cette occasion l'assistant-secrétaire rappelle que des efforts doivent être fournis, d'autant plus du côté chinois compte tenu de sa situation économique (rappelant que la réduction de l'inflation a fait plonger la croissance industriel de 15-20% à 5% en 1990) et de l'engagement américain (premier marché pour les exportations chinoises, plus gros investisseurs en Chine, Japon inclus)288.

Section 2 : Le commerce au coeur de la coopération stratégique

Si la normalisation fut à l'origine le résultat de besoins stratégiques, très vite c'est donc le commerce qui devint dans un premier temps le moteur de cette coopération stratégique. Celui-ci servit effectivement de passerelle entre les deux pays pour compenser les fluctuations politiques. C'est ce qui se produisit après Tiananmen. Avec George Bush père, les Etats-Unis encouragèrent le développement des conditions d'une Chine plus stable, plus prospère, plus apaisée, au nom de la défense des intérêts économiques et sécuritaires américains. Il apparaît ici que les questions de sécurité, dès la période post-Tiananmen, ne dominèrent plus intégralement la relation, désormais centrée sur des problématiques touchant aux besoins de l'économie. Le commerce sino-américain jusqu'à aujourd'hui, connut deux périodes d'importantes croissances : les quelques années après

282 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis 1989-1997, op. cit.32.

283 Ibid.

284 Bureau du recensement des Etats-Unis: https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html, consulté le 07/05/2015.

285 XIAOXIONG Yi, « Chinas U.S. Policy Conundrum in the 1990s: Balancing Autonomy and Interdependence », Asian Survey, Vol. 34, n°8 (Aug., 1994), p. 676. URL: http://www.jstor.org/stable/2645257, Consulté le 26/02/2015.

286 Ibid.

287 Richard Salomon précise d'ailleurs l'ensemble des mesures que le Président Bush s'est efforcé de prendre depuis Tiananmen: maintien des prêts accordés par la banque d'Import-Export, vente de technologie avancée à Pékin, soutien américain à la Banque mondiale, soutien à son adhésion au GATT etc. cf U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Meeting with Chinese Foreign Minister Qian, November 30, The Deputy Secretary's Conference Room, 11.00 a.m. », Digital National Security Archive, 29 Novembre 1990, 26p.

288 Ibid.

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1979, et l'ère post-guerre froide289. Une raison principale est la complémentarité de ces deux pays dans le domaine commercial. Tandis que la RPC constitue une réserve considérable de biens de consommation et de produits bons marché pour les Américains, à l'inverse pour la Chine, les Etats-Unis représentent une source vitale en équipement290.

Section 3 : Les premières phases d'expansion du commerce sino-américain

Une interdépendance économique se tissa assez rapidement entre les Etats-Unis et la RPC, à la faveur du nouvel ordre mondial. En plus de maintenir un contact étroit au niveau gouvernemental (dont nous avons détaillé les modalités dans notre deuxième partie), l'administration américaine et les dirigeants communistes chinois s'orientèrent vers l'ouverture économique et commerciale. Le développement du commerce bilatéral sino-américain démarra donc sur des bases fiables et solides. Parallèlement à la croissance chinoise exponentielle, (9 à 10% de croissance par an pendant les années 1980)291, le commerce bilatéral sino-américain s'envola de 20 milliards de dollar en 1978 à 115 en 1990, soit 15% de croissance par an. En supplément de ce commerce prometteur, l'investissement américain en Chine augmenta considérablement et particulièrement dans les zones économiques spéciales et dans les villes côtières ouvertes292. En effet, après avoir ouvert son marché en 1979, la RPC attira l'attention de bien des investisseurs293. Le rêve d'un « marché du milliard » naquit à cette période294 et l'immense marché que représentait la Chine fit rêver nombre d'Américains. Par conséquent dès 1979, les Etats-Unis devinrent les plus importants investisseurs en Chine après Hong-Kong, et Tiananmen n'empêcha pas la dynamique de progresser : de 271 millions de dollars d'investissement en 1987, les Américains investirent plus de 2 000 millions de dollar en 1993 surpassant ainsi les Japonais (1 300 millions de dollar en 1993)295. De multiples canaux, tel que le définit la théorie de l'interdépendance complexe, commencèrent ainsi à se développer entre les deux pays. Les questions militaires et sécuritaires sans s'effacer complètement s'intégrèrent finalement aux enjeux commerciaux. Le total des investissements étrangers en Chine,

289 GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S. relations: analytical approaches and contemporary issues, Lanham, Lexington Books, 2010, op. cit. p. 103.

290 Ibid.

291 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 336.

292 TAN Rosalina, « Foreign Direct Investment Flows To and From China », Philippine Apec Study Center Network, n° 99-21, 1996, p. 18. Table I.6.

293 GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S. relations: analytical approaches and contemporary issues, op. cit. p. 103.

294 JIWEN Yu, CHAUDIERE Hélène, JIUSHI Niandai, « Le "marché du milliard" est ouvert », Perspectives chinoises,

n°3, 1992, pp. 26-29. URL : /web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013_1992_num_3_1_1476
Consulté le 03 Février 2015.

295 TAN Rosalina, « Foreign Direct Investment Flows To and From China », Philippine Apec Study Center Network, n° 99-21, 1996, p. 17.

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quasi-inexistant en 1978 s'élevait à 20 milliards de dollar en 1990296. La Chine seulement 20ème pays commerçant au monde en 1982, passa au 13ème rang en 1992297. Le solde du commerce extérieur devint positif de 1990 à 1992 et le montant de ses échanges extérieurs représenta environ 20% de son PNB298. Les surplus accumulés par la Chine avec les Etats-Unis furent multipliés par 7,2 entre 1987 et 1992299. En 1992, les statistiques économiques chinoises plaçaient Pékin juste derrière les nations industrialisées.

Ces contacts réguliers et étroits démontrèrent que le recours à la force serait davantage contre-productif que bénéfique. Un autre facteur de renforcement de cette interdépendance fit irruption dans la période post-Tiananmen : il s'agit de l'implication progressive de la Chine dans les organisations internationales.

Chapitre 2 : L'émergence progressive de la Chine dans un monde interdépendant

Il sera ici question de plusieurs cas de figures, exemples et cas concrets mettant en évidence cette émergence progressive de la Chine dans les sphères intergouvernementales les plus importantes de la politique mondiale. Effectivement, dès les années 1980 la Chine participa plus activement aux institutions internationales. L'intégration de la Chine dans ces organisations, dont certaines représentant symboliquement les valeurs classiques américaines, démontra que la politique extérieure chinoise devenait plus multilatérale, plus coopérative, et s'inscrivait dans un monde économique mondial libéral.

Section 1 : Le protocole d'accession au GATT et ses enjeux

Les préparatifs de Pékin pour devenir membre du GATT débutèrent assez tôt en 1982 lorsqu'elle devint observatrice300. En 1986, la Chine soumit sa candidature au Secrétariat du GATT ce qui impliqua de rendre son économie conforme aux règles du régime de l'organisation301. Cette arrivée potentielle au sein du GATT ne passait pas inaperçue et bien que la Chine ne fût pas encore

296 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 336.

297 JUDET Pierre (sous la direction de Claude Aubert, Jean-Pierre Cabestan et Françoise Lemoine), « La Chine après

Deng. La Chine monte en puissance », Tiers-Monde, 1996, tome 37 n°147, p. 483.
URL : /web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1996_num_37_147_5054, Consulté le 03 Février 2015. L'article offre d'ailleurs un état des lieux assez synthétique des évolutions de l'économie chinoise au début des années 1990 jusqu'en 1995.

298 FUNABASHI Yoichi, OKSENBERG Michel, WEISS Heinrich, An emerging China in a world of interdependence: a report to the Trilateral Commission, 1994, The Trilateral Commission, New York, p. 35.

299 JUDET Pierre (sous la direction de Claude Aubert, Jean-Pierre Cabestan et Françoise Lemoine), « La Chine après Deng. La Chine monte en puissance », art. cit. p. 484.

300 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis 1989-1997, op. cit. p. 157.

301 Ibid., p. 158.

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en 1986 l'économie la plus puissante, elle deviendrait le pays à économie dirigée le plus important302. Son accession fut cependant vivement discutée dès le début notamment par les Américains. L'enjeu était en fait de pousser la Chine sur la voie des réformes de son marché pour ouvrir complètement l'économie chinoise303. C'est exactement ce que le monde des affaires souhaitait. De plus, et nous le verrons dans la section suivante, une intégration de la Chine dans le GATT (devenu OMC en 1995) impliquait de lui promettre le statut de la nation la plus favorisée de manière inconditionnelle et permanente304. Or, depuis Tiananmen, ce statut était particulièrement contesté par le Congrès et fit l'objet d'intenses discussions. Le groupe de travail qui se réunit à Pékin en Décembre 1989, six mois après les massacres, tira ses premières conclusions en Février 1992. Les progrès avaient été faits mais la procédure ne reprit qu'en mars 1993305. Tiananmen avait produit ses effets mais tout n'était qu'une question de temps. La communauté internationale et particulièrement les dirigeants américains avaient conscience que l'adhésion de la Chine au GATT contribuerait à l'intégrer encore davantage dans l'économie mondiale et à poursuivre ses réformes structurelles dans le sens d'un marché plus libre. En adoptant les standards du GATT, les bénéfices économiques seraient mutuels. Après les discussions sur l'Uruguay Round en 1994, les discussions reprirent entre Américains et Chinois, mais il fallut attendre Novembre 2001 pour que son entrée à l'OMC soit effective.

Bien que l'entrée de la Chine au GATT fût encore loin d'être concrète pendant le mandat de G. Bush, les débuts de négociation en Décembre 1989 montrèrent néanmoins une volonté de la part des Chinois de se fondre dans le circuit économique libéral. D'autant que cette initiative n'était pas isolée.

Section 2 : Les institutions financières et commerciales internationales

Après avoir rejoint le système de Bretton Woods en intégrant la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International en 1980, Pékin devint en 1992 le plus important bénéficiaire des fonds de la Banque Mondiale306. De même, à la fin des années 1980 la RPC rejoignit la Banque

302 Ibid., p. 160.

303 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « PRC GATT Accession - 10th of May 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.

304 Un rapport du Congrès américain de Juin 1992 définit le statut MFN et spécifie les conditions de son application. A ce titre, l'article 1 du GATT est rappelé p. 5 : celui-ci oblige en effet à accorder d'importants privilèges commerciaux aux pays membres : cf : U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « Most-Favored-Nation Status of the People's Republic of China - 17th of June 1992 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 17p.

305 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis 1989-1997, op. cit. pp. 170-171.

306 BOTTELIER Pieter, « China and the World Bank: How a Partnership », Stanford Center For International Develoment, Working Paper n° 277, Avril 2006, p. 3.

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asiatique de Développement et l'Association de coopération économique de l'Asie-Pacifique (APEC) en 1991307. S'agissant de la Chine, adhérer à ces organisations présentaient deux avantages de taille : gagner la reconnaissance de la communauté internationale et maximiser l'apport de ressources internationales afin de moderniser sa propre économie308. Mais à bien des égards, ces développements eurent aussi des effets bénéfiques pour les Américains. Une Chine prospère, efficiente et active dans l'économie internationale était d'abord plus à même de satisfaire les besoins essentiels des Etats-Unis qu'une Chine dont l'économie était à la traîne et désorganisée. D'autre part, sur le plan des intérêts vitaux américains, une Chine dont la réussite se faisait par l'intégration économique paraissait moins dangereuse qu'une Chine dont les succès résultaient de son autarcie. De manière plus pragmatique, l'ouverture de la Chine à l'économie mondiale offrait des possibilités de commerce intéressantes et profitables pour les investisseurs américains pour les raisons évoquées plus haut (deux économies complémentaires). A ne pas négliger non plus, l'adhésion de la Chine à ces organisations cultivaient l'espoir chez les classes dirigeantes américaines qu'à termes, Pékin s'ouvrît à la libéralisation politique309.

Section 3 : Les accords et régimes de maîtrise des armements

Un autre aspect peut être moins évident mais tout aussi important pour les intérêts américains concerne les accords et régimes de contrôle des armements. N'oublions pas qu'une des raisons principales d'adhésion des Etats à ce type de régime répond à un besoin de préservation de leurs intérêts par anticipation des actions des autres acteurs, et jouer un rôle de contrainte sur les comportements des acteurs de la scène internationale310. Au cours des années 1980 et 1990, Pékin s'engagea donc progressivement dans les régimes internationaux de maîtrise des armements : l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA) en 1984, la convention sur les armes biologiques la même année, une autre convention sur les armes chimiques en 1993, et surtout le Traité de Non Prolifération en 1992311. Entre 1992 et 1994, Pékin déclara ses intentions de respecter les normes et directives du régime de contrôle de la technologie des missiles créé en Avril 1987 (RTCM)312. Les Chinois et les Américains comprirent en effet que ces ratifications pouvaient contribuer à réduire les tensions internationales tout en augmentant la stabilité du système,

307 FUNABASHI Yoichi, OKSENBERG Michel, WEISS Heinrich, An emerging China in a world of interdependence: a report to the Trilateral Commission, op. cit. pp. 42-45.

308 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 162.

309 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 336.

310 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 162.

311 U.S. EMBASSY IN CHINA, « Chinese Views on NPT Extension - 25th of November 1992 », Digital National Security Archive, Weapons of Mass Destruction, 5p.

312 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 83.

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favorable au développement du commerce. Dans chacune des deux politiques étrangères, bien que la hiérarchie des enjeux se dissipait, les questions de sécurité conservèrent de leur importance car directement liées à la prospérité de leur économie. Une nouvelle configuration dans les rapports s'organisa, retraçant les contours de la théorie de l'interdépendance complexe. Au-delà de ces enjeux mais répondant à la même complexification des rapports, les relations s'animèrent autour de domaines jusque-là inexistants.

Chapitre 3 : La complexification des échanges

Au-delà des problématiques habituelles autour desquelles les relations bilatérales s'articulent souvent, nous allons ici traiter des enjeux alternatifs que la Chine et les Etats-Unis ont peu à peu placés au coeur de leur rapport pendant la période post-Tiananmen. L'interdépendance complexe qui se développa dans cette période fit apparaître de nouvelles facettes de la relation.

Section 1 : Les échanges touristiques, académiques et culturels

Dans un premier temps, Tiananmen affecta un autre domaine économique de la relation sino-américaine : celui des échanges touristiques. En Octobre 1989, le nombre de touristes américains était 55% inférieur au même mois de l'année précédente313. Cependant, le secteur rebondit assez vite puisqu'en mai 1990 le nombre d'Américains en Chine était aux deux tiers le même que celui de l'année passée. A la fin de l'année 1990, environ 230 000 Américains s'étaient rendus en Chine pour visiter le pays, contre 300 000 en 1989314. Dans le domaine culturel, la relation sino-américaine récupéra de Tiananmen seulement à la fin de l'année 1991. Après un déclin en 1990, le nombre de chinois participant à des échanges culturels et académiques officiels avec les Etats-Unis fut restauré315. Bien que les Etats-Unis aient suspendu leurs échanges académiques via l'arrêt temporaire des activités de la National Academy of Science et de la National Science Foundation en 1989-1990, celles-ci réactivèrent leurs programmes avec la Chine dès la fin de l'année 1990. Quoique cet aspect puisse paraître largement secondaire au regard de tout ce qui a pu être explicité précédemment, les échanges académiques participent largement de la stabilité de la relation entre deux sociétés. La meilleure connaissance de l'autre contribue en effet à briser les « préjugés destructeurs » dénoncés par Montesquieu. Pour les Américains, c'était aussi un facteur de promotion de la modernisation et des réformes en Chine. Les deux gouvernements et plus

313 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 286.

314 Ibid.

315 Ibid., p. 287.

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particulièrement les leaders chinois prirent conscience de l'avance des Américains dans le domaine des technologies de pointe. Pour s'en approprier la connaissance, Deng Xiaoping réalisa dès 1978 que les échanges universitaires constitueraient le vecteur de cette transmission de connaissance. 100 000 étudiants et universitaires chinois étaient ainsi venus aux Etats-Unis depuis la normalisation316. Dans une proportion beaucoup moins importante, quelques milliers d'Américains participèrent à des programmes d'échanges dans le domaine scientifique pur ou celui des sciences sociales, enseignant parfois dans des institutions chinoises. Une relation durable sino-américaine passait donc aussi par une meilleure connaissance du pays à tous les niveaux de la société.

En plus des contacts maintenus dans les hautes sphères de la politique, la reprise des échanges à des niveaux sub-gouvernementaux contribua à développer une politique chinoise américaine dotée d'une meilleure compréhension du système politique et économique chinois.

Section 2 : L'émergence de questions transnationales dans l'agenda diplomatique

Dans l'agenda diplomatique des Etats américain et chinois s'ajouta au fil de la période post-Tiananmen et plus encore par la suite, des questions transnationales d'ordre environnemental notamment. Dès le début des années 1990, les leaders chinois, portés par la volonté de regagner la reconnaissance de la communauté internationale, inscrivirent leur pays dans la construction d'un régime international de contrôle de pollution de l'air. Dans deux discours à l'Assemblée Générale des Nations Unies en Septembre 1990 puis en Septembre 1991, le ministre chinois des Affaires Etrangères Qian Qichen, souligna les ambitions de Pékin de coopérer dans le domaine environnemental. En effet, à mesure que son développement s'accéléra, la Chine prit conscience de son impact sur la pollution. En Juin 1991, Pékin accueillit une conférence ministérielle des pays en voie de développement sur les liens entre environnement et développement. En 1991, la RPC ratifia le protocole de Montréal sur la diminution de l'ozone de 1987 (les Etats-Unis le signèrent en 1993)317, en 1992 elle fut l'une des premières nations à signer la convention pour la diversité biologique, créée dans le sillage du sommet de la Terre à Rio318. Toutefois, nuançons d'emblée les positions chinoises dans ce domaine, Pékin ne s'engagea dans les traités que lorsque le coût des mesures impliquées ne portait pas préjudice à ses ambitions économiques. Parmi les autres problématiques transnationales figurent la maîtrise des armements que nous avons détaillés précédemment.

316 Ibid., p. 350.

317 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 165.

318 Ibid.

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Section 3 : Les implications sur la relation sino-américaine

La diversification et la multiplication des chaînes de contact entre les Etats-Unis et la Chine apaisa la relation et renforça les intérêts mutuels. Alors qu'en 1977 la RPC était membre de 21 organisations internationales gouvernementales, et de 71 organisations internationales non-gouvernementales, en 1995 Pékin avait rejoint 49 OIG et 1013 ONG319. Si cette montée en puissance fulgurante pouvait susciter des inquiétudes légitimes dans le camp américain, dans le même temps, elle montrait que Pékin aspirait à jouer un rôle constructif dans le système international. Ce mouvement d'intégration chinois concourut à complexifier l'interdépendance croissante entre les deux pays : la relation sino-américaine impliquait désormais plusieurs niveaux de prises de décision sur de multiples enjeux globaux (armements, environnement, commerce, tourisme...), le tout faisant intervenir une palette d'acteurs de différente nature : touristes, étudiants, investisseurs privés américains et chinois, organisations internationales gouvernementales, non-gouvernementales, diplomates et ambassadeurs, haute sphère politique de l'Etat (contact entre le cercle restreint de l'administration Bush et les hauts dirigeants chinois), entreprises pour ne citer que les plus importants.

L'interdépendance semble donc instaurer un cadre en apparence stable et figé, favorable à l'apaisement des tensions politiques. Si cela peut être effectivement le cas dans certaines situations, l'interdépendance telle que la décrivent J. Nye et R. Keohane peut produire des configurations bilatérales asymétriques, ouvertes à la manipulation et vecteur de tensions politiques.

Titre 2 : L'apparition des premières asymétries dans la relation commerciale sino-américaine

Comme le soutient Dario Battistella, plus que l'interdépendance en elle-même, ce sont les rapports de puissance dans l'interdépendance qui intéressent J. Nye et R. Keohane. Tandis que Pékin et Washington renforçaient leurs liens d'interdépendance en s'engageant sur la voie de la coopération, simultanément, cette même interdépendance posait les jalons de la rivalité actuelle.

Chapitre 1 : La manipulation politique de l'interdépendance sino-américaine

En effet, avec la fin de la Guerre froide et le leadership américain s'installant, le Congrès, en réponse à la répression Place Tiananmen, résolut de profiter de cette suprématie pour sanctionner Pékin.

319 Ibid. p. 163.

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Section 1 : Le premier débat sur le Statut de la Nation la plus Favorisée

Lorsque le Statut de la Nation la Plus Favorisée320 est conféré à un pays, celui-ci n'est pas sujet à des discriminations d'ordre tarifaire à l'encontre de ses exportations aux Etats-Unis321. Chaque année de 1990 à 1992 le Congrès et le Président se déchirèrent sur les conditions d'application du statut MFN à la Chine322. En 1951, le Congrès vota le Trade Agreements Extension Act (les Accords sur l'extension du Commerce) qui stipulait qu'il revenait au Président de suspendre le statut MFN pour l'Union soviétique et tous les pays du bloc communiste, ce qui incluait autrefois la RPC323. En 1974, le Congrès émit un amendement à cette loi via le Trade Act qui conditionna la procédure de délivrance du statut MFN aux économies planifiées, si bien qu'en 1979 J. Carter décida d'attribuer le statut MFN à Pékin324. Après Juin 1989 et malgré l'impact émotionnel des images de la répression aux Etats-Unis, le retrait du statut MFN ne fut pas inclus dans le lot de sanctions. Mais en 1990, au moment de renouveler le statut à la RPC, Bush subit des pressions intenses du Congrès, des avocats des Droits de l'Homme, des éditorialistes et des représentants d'étudiants et d'universitaires chinois aux Etats-Unis325. On reprocha à sa politique chinoise trop de concessions sans finalement de réelles avancées sur la situation des droits humains en Chine326. La question du traitement des dissidents demeurait une pierre d'achoppement des associations de défense et les ventes d'armes chinoises à la Libye, au Moyen-Orient continuait d'alimenter l'idée d'un retrait du statut MFN. La classe politique se fractura donc sur l'éventuel retrait du statut MFN, certain le percevant comme un levier potentiel pour obtenir de la Chine plus de compromis, d'autre comme l'unique moyen d'envenimer la situation327. Face au débat qui s'ouvrit au Congrès, un compromis entre les pros et les antis MFN émergea prudemment : on conditionnerait l'extension du MFN c'est-à-dire qu'on renouvellerait le statut MFN en 1990 en imposant des normes plus strictes à Pékin pour l'année suivante. Là aussi, deux approches, une modérée, une autre plus radicale328. Les trois propositions, retrait, conditionnement avec les deux approches, furent soumises au vote à la chambre basse en Octobre 1990. L'administration Bush s'opposa à chacune d'entre elles, préférant maintenir le cap de son engagement constructif : depuis

320 Most Favoured Nation Status, désormais désignée sous le nom de Statut de Relations Commerciales Normales Permanentes, Permanent Normal Trade Relations Status.

321 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 107.

322 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration », art. cit., pp. 514-539.

323 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 107.

324 WANG Yangmin, « The Politics of U.S.-China Economic Relations: MFN, Constructive Engagement, and the Trade Issue Proper », Asian Survey, Vol. 33, n°5 (May, 1993), p. 442. URL : http://www.jstor.org/stable/2645312. Consulté le : 26/02/2015

325 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 265.

326 Ibid., p. 265.

327 Ibid., p. 267.

328 Ibid., p. 268.

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les années 1970 rappelle le sinologue Michel Oksenberg, la garantie MFN avait largement contribué à la normalisation des rapports329. Dès lors que le veto présidentiel était appliqué, le vote devait obtenir une majorité aux deux-tiers dans chacune des deux chambres du Congrès330. Le retrait fut votée à la Chambre basse (247 voix contre, 174 pour) mais la majorité ne fut pas suffisante pour l'emporter sur le veto Présidentiel331. Alors que la session parlementaire prit fin en Décembre, le vote concernant le renouvellement du statut MFN n'eut pas le temps d'être soumis au Sénat et par conséquent, le statut MFN fut maintenu, au moins temporairement.

Section 2 : Le deuxième débat sur le statut de la nation la plus favorisée

Dès la fin de l'année 1990 la majorité favorable à une révocation ou au moins à un conditionnement du statut MFN attribué à Pékin s'était dessiné. Bien que maintenu, l'administration savait son renouvellement l'année suivante en danger. Le débat reprit donc à la mi-1991 avec une intensité encore plus forte que l'année précédente compte tenu du renforcement des liens bilatéraux332. Les inquiétudes demeuraient à l'égard de la situation interne chinoise : l'ampleur des réformes n'était pas celle du début des années 1980, l'autorité de l'Etat se maintenait sur les universités, les médias, les institutions de recherche et les ventes d'armes, de missiles et de technologies continuaient d'inquiéter les Américains. Les missiles M-9 de moyenne portée prévoyaient d'être délivrés à la Syrie. Plus alarmant encore pour les Etats-Unis, la Chine aidait l'Algérie à construire un réacteur nucléaire333. Une infime partie des exportations de biens chinois étaient produits par des prisonniers ce qui constituait aux yeux des Américains une violation évidente des Droits de l'Homme334. Tous ces éléments amenèrent l'administration à envisager que le Congrès déciderait de monnayer le statut MFN pour contraindre Pékin à plus de souplesse. Le retrait n'était plus à l'ordre du jour mais on décida de le conditionner une fois de plus.

329 OKSENBERG Michel, « The China Problem », Foreign Affairs, Vol. 70, n°3 (Summer, 1991), p. 3, URL: http://www.jstor.org.ezscd.univ-lyon3.fr/stable/20044815, consulté le 07/05/2015. Une note du département d'Etat de Juin 1991 rappelle également qu'en cas d'interruption du statut MFN à la Chine, celle-ci aurait mis en place des tarifs douaniers plus contraignants. L'inquiétude des Américains dans ce cas-là mentionne le mémorandum, n'était pas l'arrêt des exportations américaines (seulement 4 milliards en 1990) mais le fait qu'un retrait américain donnerait l'avantage à l'Europe et au Japon pour reprendre des parts de marché en RPC : cf U.S. DEPARTMENT OF STATE, « President's Report on MFN Status for China - 17th of June 1991 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.

330 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 26.

331 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 268.

332 WANG Yangmin, « The Politics of U.S.-China Economic Relations: MFN, Constructive Engagement, and the Trade Issue Proper », art. cit. p. 443.URL : http://www.jstor.org/stable/2645312. Consulté le : 26/02/2015

333 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Algeria and China - Nuclear Reactor Cooperation - 10th of June 1992», Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.

334 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Chinese Prisons and Forced Labor - 25th of April 1991 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 6p.

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L'administration Bush s'y opposa vivement, le Président accusant ses opposants au Congrès d'adopter une position isolationniste et de réduire de fait, les chances de promouvoir la paix et la stabilité en Asie. Une fois de plus les votes ne suffirent pas à contrer le veto présidentiel. Les effets du lobbying pro-MFN de la part d'organisations et d'entreprises du secteur privé avaient produit ses effets. Sans surestimer le rôle du business pro-Pékin, celui-ci contribua, par son effet marginal à contrer une éventuelle compensation du veto présidentiel335.

Section 3 : Les concessions chinoises à l'engagement constructif du Président Bush

Si les volontés de l'administration Bush de maintenir le statut MFN eut des échos dans l'opinion de Deng Xiaoping, au sein de la classe politique chinoise, ces débats les obligèrent à faire des concessions. S'agissant de la Chine, cela rima de fait comme une ingérence étrangère intolérable. En effet, cependant que les débats animaient le Congrès américain, à Pékin, l'éventualité d'un retrait apparaissait comme une fatalité à éviter impérativement. La RPC chercha donc à donner des gages de bonne volonté au dépend de son autonomie politique. Le 10 Janvier 1990, la Chine annonça le retrait de la loi martiale à Pékin336. Le 18, les leaders annoncèrent la libération de 573 manifestants de Tiananmen337. En Mai 1990, de nouveau Pékin libéra 211 dissidents338, afin de témoigner d'un retour à la normal sur le plan politique interne. Début Juin, 97 dissidents furent à nouveau libérés. Dans la foulée, Pékin promis l'acquisition de Boeing 747 à hauteur de 2 milliards de dollar avec une option d'achat de même ampleur à court terme. A la fin du mois, Fang Lizhi quitta l'ambassade américaine à Pékin pour rejoindre la Grande-Bretagne339. A l'occasion du deuxième débat, Deng Xiaoping décida que la RPC devait à nouveau se préparer à conserver le statut MFN américain en faisant de nouvelles concessions340. Au printemps 1991, Pékin annonça l'arrêt de la production de biens chinois par les prisonniers ainsi que le transport illégal de produit textile aux Etats-Unis341. De même, la RPC s'engagea à placer la construction du réacteur nucléaire algérien sous contrôle de l'AIEA et à signer le TNP l'année d'après. En Juin

335 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush

Administration », art. cit. pp. 514-539.

336 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 101.

337 Ibid.

338 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 264.

339 Ibid., p. 265.

340 Ibid., p. 279.

341 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Measures Taken and To Be Taken by the Chinese Government to Prohibit Illegal Transshipment of Textiles - 4th of June 1992 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 8p.

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1991, le Premier ministre chinois Li Peng déclara que la Chine ne pouvait pas donner davantage de concessions342.

Ainsi, bien qu'en apparence les deux Etats semblassent s'orienter sur la voie de l'ouverture, de la « renormalisation » et de l'interdépendance harmonieuse, ces mouvements accentuaient simultanément le caractère de plus en plus asymétrique de la relation.

Chapitre 2 : Interdépendance et pouvoir : la dissymétrie nourrit les antagonismes

Comme nous l'avons expliqué en première partie, la théorie de R. Keohane et J. Nye présente la faculté de pouvoir étudier les rapports de puissance en situation d'interdépendance. L'étude critique expérimentale ayant pour objet l'aller-retour entre la théorie et les faits, intéressons-nous aux effets de l'orientation asymétrique de la relation d'interdépendance sino-américaine.

Section 1 : La prise de conscience de la vulnérabilité chinoise

Effectivement, à l'occasion de ces débats et des compromis forcés qui en découlèrent, Pékin prit conscience de sa vulnérabilité à l'égard de son partenaire commercial principal. Les potentiels changements aux Etats-Unis concernant le renouvellement du statut MFN pouvaient affecter structurellement la Chine. En conséquence de cause, Pékin dut réajuster sa politique étrangère pour éviter ces amendements. Typiquement cela correspond à une relation d'interdépendance où les changements intervenant chez l'acteur A affecte l'acteur B sensiblement vulnérable aux comportements de l'autre. A cet égard, les débats sur le statut MFN sont particulièrement éclairants. Certes, il était dans l'intérêt des Américains de maintenir ce statut sans quoi la relation commerciale aurait été probablement rompue et les deux pays auraient vu leurs exportations mutuelles s'interrompre. Mais la Chine était bien plus vulnérable : les Etats-Unis étaient un de leur principaux partenaires ce qui n'était pas le cas des Américains avec le Japon comme partenaire particulier. Le ministère chinois des relations économiques et commerciales extérieures évaluait le retrait du statut MFN à une perte de revenu en termes d'exportations de près de 10 milliards de dollar343. Le U.S.-China Business Council, lui, prévoyait une réduction des exportations chinoises aux Etats-Unis de près de 50% soit une perte de 6 milliards de dollar. Quoi qu'il en soit la société chinoise aurait souffert à plusieurs niveaux si ce statut lui avait été retiré. Les provinces, municipalités et entreprises qui recherchaient la technologie ou les investissements américains auraient été

342 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 279.

343 Ibid., p. 260.

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profondément affectées d'un tel changement. Le nombre d'étudiants chinois à séjourner aux Etats-Unis, nettement plus important que l'inverse aurait été grandement réduit.

Conscient de ce différentiel de vulnérabilité et des concessions faites sous le poids de celui-ci, l'antagonisme sino-américain pointait dangereusement. Une méfiance s'installa chez les dirigeants chinois.

Section 2 : Le poids des perceptions dans ces déséquilibres de puissance

Nous l'avions évoqué en introduction, l'histoire sino-américaine fut rythmée de perceptions différentes, parfois erronées, entre les deux pays. Tiananmen contribua à cristalliser à nouveau cette dialectique dans un format en revanche nouveau : l'interdépendance complexe. Cette théorie ne prenant pas en compte les facteurs cognitifs de la relation, nous allons ici très brièvement les effleurer car importants selon nous dans un contexte de tension politique et pour la relation contemporaine.

Avec Tiananmen les Chinois eurent très clairement le sentiment que les Américains étaient davantage préoccupés par des problématiques économiques et sécuritaires qu'humanitaires. Les protestations morales des dirigeants américains permettaient selon les Chinois, d'exercer des pressions plus à même de défendre leurs intérêts économiques et sécuritaires. David Lampton recense ainsi les suppositions faites par les observateurs chinois sur l'Amérique après 1989 : les Etats-Unis cherchent à maximiser leur intérêt national et à dominer le monde. Deuxièmement, il apparaissait plus aisé pour les Chinois de traiter avec les Etats-Unis et de coopérer avec eux quand leur pouvoir était en déclin. Enfin, parce que les Américains croient à « la loi de la jungle », sont de parfaits réalistes, ils ne voient pas les autres nations comme des partenaires mais comme puissances dont ils doivent enrayer la montée en puissance pour assurer leur suprématie. Cette analyse rejoint celle de J. Wang et Z. Lin qui relèvent trois perceptions chinoises sur les Etats-Unis après la Guerre froide. La première est idéologique : parce que pendant près d'un demi-siècle les Américains ont lutté contre le socialisme, leur politique à l'égard de la Chine, malgré la fin de l'affrontement Est-Ouest demeure hostile. Au niveau géopolitique, cette période était propice au développement de la stratégie américaine globale visant sa seule suprématie. D'où la stratégie chinoise contradictoire recherchant la multipolarité. Enfin, plus généralement la période post-Guerre froide appelait à changer la vision de l'ordre international davantage du point de vue des relations d'interdépendance que d'un jeu à somme nulle344.

344 LIN Zhimin, WANG Jianwei, « Chinese Perceptions in the Post-Cold War Era: Three Images of the United States », Asian Survey, Vol. 32, n°10 (Oct., 1992), pp. 904-915, URL: http://www.jstor.org/stable/2645048, consulté le 12/04/2015.

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Du côté américain, historiquement deux représentations de la Chine subsistent : l'une, chaleureuse et constructive, l'autre malveillante et menaçante. Aux Etats-Unis se mêlent donc l'espoir qu'en tant qu'ami, les efforts fournis avec la Chine contribueront à renforcer les bénéfices commerciaux et économiques mutuels et à libéraliser son régime et l'idée qu'en tant qu'ennemi, Pékin représente un facteur d'insécurité dont il ne faut rien attendre345. Ces conceptions durablement antagonistes caractérisèrent une large partie de la période post-Tiananmen, post-guerre froide jusqu'à aujourd'hui. Les masses médias dans le même temps ont favorisé la large diffusion de ces perceptions aux opinions publiques américaine et chinoise.

Section 3 : Les limites de la coopération sino-américaine

La prise de conscience du déséquilibre sino-américain post-Tiananmen associé au poids de ces perceptions pondéra largement la coopération avec les Etats-Unis. La collaboration nous l'avons évoqué, n'empêcha pas l'absence d'antagonisme. Au final la vulnérabilité face aux Etats-Unis eut pour effet de forcer Pékin à diversifier ses positionnements et muscler son économie. Les dirigeants chinois souhaitant désormais bénéficier d'une marge de manoeuvre plus large pour négocier avec les Etats-Unis entreprirent une politique qualifiée de « différentes nations, différentes relations »346. Entre Juin 1989 et Août 1992 la Chine restaura, normalisa ou établit des relations avec l'Arabie Saoudite, l'Inde, l'Indonésie, Singapour, le Vietnam, Israël, la Corée du Sud et la Russie347. De même, son implication dans les grands forums mondiaux s'accentua (détaillé plus haut) et plus particulièrement au niveau régional en intégrant l'APEC. Plus signifiant encore, Pékin parvint avec succès à détacher les nations du G7 de l'étau américain en restaurant ses relations avec les pays occidentaux et le Japon348. Logiquement, cette politique étrangère chinoise active dans la région ranima les vieilles craintes et méfiances américaines qui s'étaient endormies. Sur le plan intérieur, la croissance économique chinoise redoubla après Tiananmen de 7,1% en 1991 à 12,8% en 1992 jusqu'à 13,4% en 1993349. L'amélioration du bien-être général, la meilleure gestion de l'inflation, la hausse des salaires apaisa les tensions au point que Pékin parvint à supplanter les revendications politiques par un relèvement économique.

Dans cette relation d'interdépendance asymétrique la Chine chercha donc des garanties supplémentaires pour sa sécurité économique et politique ce qui raviva logiquement les craintes et

345 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 260.

346 « Different nations, different relations », XIAOXIONG Yi, « Chinas U.S. Policy Conundrum in the 1990s: Balancing Autonomy and Interdependence », Asian Survey, Vol. 34, n°8 (Aug., 1994), page 681. URL: http://www.jstor.org/stable/2645257, Consulté le 12/04/2015.

347 Ibid. pp. 681-682.

348 Ibid. p. 682.

349 DITTMER Lowell, « Chinese Human Rights and American Foreign Policy: A Realist Approach », The Review of Politics, Vol. 63, n°3 (Summer, 2001), p. 439. URL : http://www.jstor.org/stable/1408878, Consulté le 12/04/2015

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méfiances américaines apaisées depuis la normalisation. Tel un cercle vicieux renforcé par le poids d'une complexe interdépendance, chaque action de l'un affecta négativement le comportement et les perceptions de l'autre. Ce modèle d'interdépendance pervers contribua à poser les premiers éléments de la rivalité sino-américaine contemporaine.

Chapitre 3 : Les premiers éléments de la rivalité sino-américaine

Cette dernière section répond à un besoin de revenir aux sources historiques de la relation sino-contemporaine actuelle tant étudiée. A notre humble avis la période post-Tiananmen, riche de complexité, a posé les principaux jalons de la relation actuelle. La crise ayant généré un climat d'incertitude, il fallut instaurer un nouvel équilibre dans les rapports. Par conséquent, étudier les premières années post-guerre froide des rapports sino-américains c'est quasiment anticiper les futures pierres d'achoppement des décennies 1990 à 2010. Du même coup cela permet de mettre en lumière ce que théorise l'interdépendance complexe à savoir l'absence de hiérarchie des enjeux et leur diversification dans les politiques globales.

Section 1 : L'éternelle problématique des Droits de l'Homme

Bien que G. Bush n'y portât pas suffisamment attention aux yeux des représentants du Congrès américain, la problématique devint un écueil durable de la relation dès les premières années post-Tiananmen. En réalité la question était traitée par l'administration Bush mais de manière assez secondaire, une fois que l'objectif de préservation des intérêts vitaux était atteint350. Pour les Américains, deux considérations précèdent leur intérêt à défendre cette cause : morale et pragmatique. En défendant moralement les principes des Droits de l'Homme les Américains défendent et diffusent leurs valeurs. De façon plus réaliste, une Chine en proie à la répression n'est pas profitable aux investisseurs américains351. Conjoncturellement, avec la fin de la Guerre froide la défense des Droits de l'Homme s'est présentée aux Etats-Unis comme le successeur de l'anti-communisme dans l'arsenal idéologique américain352. Nous l'avons vu, cette problématique sera d'ailleurs reliée aux enjeux commerciaux avec les volontés du Congrès de conditionner le statut MFN à l'amélioration des droits humains en Chine353. La question se posera de nouveau sous le

350 Un certain nombre de rapports du département d'Etat témoignent de l'importance de la problématique des droits de l'Homme dans la politique chinoise de l'administration Bush. Cf U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Human Rights Issues - 23rd of April 1991 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 3p.

351 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 340.

352 DITTMER Lowell, « Chinese Human Rights and American Foreign Policy: A Realist Approach », art. cit., p. 422.

353 Une note du Congrès rappelle ainsi les conditions d'attribution du statut ainsi que ses bénéficiaires dans le camp des pays communistes. S'agissant de la RPC, le rapport indique des conditions plus précises (notamment plus de liberté et

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mandat de Clinton. Tout au long des années 1990 les Etats-Unis teinteront donc leur politique chinoise d'une dimension humanitaire via deux approches : une engagée (engagement constructif sous George Bush père), une autre plus punitive, procédant d'une manipulation du caractère asymétrique de l'interdépendance afin d'intimider Pékin354. La RPC elle-même se servira d'un assouplissement dans ce domaine pour donner du crédit à ses ambitions. Ainsi en 2000, fut libéré un dissident connu, Wei Jingshen juste avant que Pékin dépose sa candidature pour accueillir les futurs jeux olympiques355. Le spectre des Droits de l'homme s'élargira progressivement356, du niveau individuel avec la question des dissidents, très présente pendant les années 1990357, à un niveau plus large, celui des groupes (cas du problème des exportations chinoises produites à partir du travail forcé) jusqu'à plus récemment concernant une zone géographique entière avec le Tibet.

Section 2 : La structure du commerce sino-américain en question

Un autre facteur d'inquiétude devenu aujourd'hui un réel défi pour les Américains concerne la structure du commerce bilatéral sino-américain dont la balance commerciale est nettement déficitaire du côté américain. Cette situation émergea timidement dès le tournant des années 1990. En effet entre 1987 et 1991 le commerce bilatéral sino-américain progressa considérablement : les indications chiffrées chinoises affichant une augmentation de 7,8 milliards de dollar à 14,2 milliards et les chiffres américains une expansion de 10,4 milliards à 25,3 milliards soit un accroissement de 143%358. Parallèlement, les exportations de chacun des deux pays augmentèrent (réserve faite de l'année 1990 dû aux sanctions américaines). Alors que la balance commerciale était quasi nulle en 1985, entre 1989 et 1992 le déficit commerciale américain tripla passant de 6,2 milliards de dollar de déficit à 18 milliards en 1992. La Chine devenait le plus important marché américain à l'export dans le monde totalisant près de 200 000 emplois américains359. Washington souleva assez rapidement la question du déficit commercial avec la Chine très vite devenu le plus important après

de respect des droits de l'Homme) : U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « MFN Trade Status Who Has It and Why ? - June 1992 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p. Voir Annexe 4 : Les conditions d'attribution du statut de la Nation la plus favorisée par les Américains, p. 97.

354 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. pp. 135136.

355 DITTMER Lowell, « Chinese Human Rights and American Foreign Policy: A Realist Approach », art. cit. p. 439.

356 M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 140.

357 JACQUET Raphaël, « Trois ans après Tian'anmen ... La situation des dissidents en Chine et à l'étranger trois ans

après les événements de Juin 1989 », Perspectives chinoises, n°4, 1992, pp. 22-29.
URL: /web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013_1992_num_4_1_1498, consulté le 12 avril 2015.

358 WANG Yangmin, « The Politics of U.S.-China Economic Relations: MFN, Constructive Engagement, and the Trade Issue Proper », art. cit. p. 456.

359 DITTMER Lowell, « Chinese Human Rights and American Foreign Policy: A Realist Approach », art. cit. p. 439.

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le Japon dans la section 301 du U.S. Trade Act360 qui invitait la Chine à élargir son marché afin de le rendre plus libre tout en achetant plus de biens américains. Pékin répondit en envoyant des délégations et en baissant ses tarifs d'importation sur 225 produits, ainsi qu'en ouvrant son secteur industriel à l'investissement étranger, et de manière général le secteur des banques, assurances et des finances361. Pour autant, en 1992 quelques mois avant l'élection, l'administration Bush réclama davantage de garanties d'ouverture de la part des Chinois.

En dépit de ces négociations, le déficit de la balance commerciale américaine avec la RPC ne cessa de s'approfondir pour atteindre des montants records : 342 milliards de dollar en 2014362.

Section 3 : Le retour de l'enjeu taïwanais

A cela s'ajouta dans les derniers moments du mandat de George Bush le retour de l'enjeu taïwanais, préfigurant la future crise du détroit de Taïwan dans la seconde moitié des années 1990. Alors que Reagan avait limité le commerce des armes avec l'île par la signature du communiqué conjoint du 17 Août 1982 et que Taïwan avait été marginalisé par la suite, le Président Bush, renversa 10 ans de politique américaine taïwanaise. A l'été 1992, l'administration américaine annonça en effet la vente à Taïwan de 150 avions de combat F-16 pour un montant de 6 milliards de dollar363. Plus qu'une simple vente d'armes, cette opération eut de profondes implications sur la relation sino-américaine. Un rapport de Robert G. Sutter (spécialiste de politique internationale) et de Wayne Morrison (analyste financier) datant du 1er Septembre 1992 dresse ainsi la liste de pour et de contre la vente de ces chasseurs. Parmi les arguments avancés, les négociations de ventes françaises du Mirage 2000 avec Taïwan, l'importance du déficit commercial avec Pékin, la perte d'emploi dans l'industrie de défense364. Sur ces recommandations d'experts, la coopération sino-russe se renforçant, attaqué sur sa politique chinoise conciliante, accusé de coopérer avec des dictateurs communistes pendant la campagne présidentielle, George Bush prit la décision de vendre ces F-16. Cela renforça assez logiquement l'antagonisme sino-américain : cette vente montra à Pékin que les Américains ne leur accordaient plus l'importance stratégique qu'ils concédaient auparavant. Immédiatement le ministère chinois des affaires étrangères Qian Qichen réagit en

360 WANG Yangmin, « The Politics of U.S.-China Economic Relations: MFN, Constructive Engagement, and the Trade

Issue Proper », art. cit. p. 457.

361 Ibid.

362 https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html, consulté le 12/04/2015.

363 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 268.

364 Tous les arguments pour et contre la vente de F-16 à Taïwan sont analysés par les deux experts mentionnés : cf. U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « Taiwan U.S. Advanced Fighter Aircraft Sales--Pro and Con - 1st of September 1992 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 10p. Voir Annexe 5: Expertise sur la vente des chasseurs américains F-16 à Taïwan, p. 100.

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menaçant les Etats-Unis qu'il y aurait de sérieuses conséquences. Pour autant, il n'y eut pas de sanctions immédiates. D'abord parce que l'administration Bush s'assura de compenser cet incident en ravivant la commission commune du commerce suspendue en 1989. D'autre part, parce que les dirigeants chinois étaient trop surpris d'un tel échange pour savoir comment y répondre et surtout, ils ne souhaitaient pas l'arrivée des démocrates, bien plus critiques à l'égard des Droits de l'Homme, à la tête des Etats-Unis. Selon les services secrets, Pékin réagit très probablement discrètement en vendant des missiles M-11 au Pakistan365.

Ce revirement diplomatique replaça donc Taïwan au coeur de la relation sino-américaine annonçant à l'avance la prochaine crise du détroit de Taïwan de 1995-1996. Bien que la liste ne soit pas exhaustive, ces trois éléments, Droits de l'Homme, balance commerciale et Taïwan, constituèrent des composantes majeures de la relation sino-américaine à venir, dont certains vestiges demeurent encore aujourd'hui. Ceci nous rappelle aussi combien les enjeux sino-américains se sont diversifiés sur la période post-Tiananmen au point de recouvrir des domaines de la politique mondiale extrêmement hétéroclites. Evaluons justement maintenant quel rapport entretient notre théorie précédemment explicitée au regard des faits qui viennent d'être énoncés.

Titre 3 : Conclusion partielle : l'interdépendance complexe, un juste équilibre entre la théorie et l'empirique ?

Ce dernier titre a vocation à livrer une synthèse partielle sur l'applicabilité de notre théorie choisie au regard de l'ensemble des faits qui ont été détaillés. Au cours de ces trois derniers chapitres nous relèveront donc ce qui nous a semblé le plus pertinent dans la méthode de R. Keohane et J. Nye tout en dégageant ses limites les plus frappantes. Enfin, les ultimes sections donneront une vision réactualisée de leur théorie.

Chapitre 1 : La pertinence des questions d'asymétrie de puissance

Il s'agit, selon nous, d'un des paramètres les plus intéressants de la théorie de l'interdépendance complexe de J. Nye et R. Keohane car ancré dans la réalité des rapports internationaux et plutôt loin de l'idéalisme libérale.

365 Ibid. Tout ce qui précède dans ce paragraphe est issu de l'ouvrage de MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. pp. 268-271.

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Section 1 : Un modèle de théorie empirique

En effet, R. Keohane et J. Nye dresse le portrait d'un monde interdépendant où finalement la coopération est peu susceptible de supplanter les conflits internationaux. A la lumière de ce qui vient d'être dit sur la relation sino-américaine post-Tiananmen, la conclusion des auteurs prend du sens : « rien ne garantit que les relations considérées comme interdépendantes soit caractérisées par un bénéfice mutuel »366. De cette réciprocité imparfaite découle une asymétrie de puissance porteuse d'une rivalité quasi inévitable entre les deux Etats. Dès lors, l'interdépendance devient le cadre d'évolution d'une relation où l'acteur vulnérable est en quête de puissance sur son partenaire. Les frontières entre politique intérieure et extérieure s'obscurcissent sur plusieurs domaines de la politique mondiale, les questions de politique interne affectant les enjeux internationaux. A cet égard, les deux instruments de mesure de la puissance dans l'interdépendance, la vulnérabilité et la sensibilité, apparaissent à même d'évaluer l'intensité des rapports de force entre les deux acteurs. Par le réajustement permanent de leur politique extérieure et intérieure aux comportements des autres acteurs du système, les Etats fournissent des données tangibles de leur degré de vulnérabilité aux changements externes.

Section 2 : Eloquent dans le cas de la relation sino-américaine

L'exemple sino-américain constitue à ce titre un exemple parfaitement éloquent. De la crise politique de Tiananmen aux ventes des F-16 américains à Taïwan dans les derniers instants du mandat de Bush, la stabilité de l'interdépendance sino-américaine n'a cessé d'être remise en cause. Si dans un premier temps elle apporta de l'équilibre à leur rapport et constitua un moyen détourné d'apaiser les tensions politiques, dans le même temps elle posa des éléments cardinaux de la rivalité actuelle. Qui plus est, par son caractère asymétrique, elle souleva des antagonismes et réveilla des perceptions malveillantes. C'est toute l'ambigüité d'un rapport interdépendant : la proximité apporte à la fois un sentiment de sécurité - l'acteur est visible, ses actions à priori prédictibles, sa promiscuité dissipant les suspicions d'agissement secret - et de méfiance, la contigüité accentuant l'impact et l'imminence des décisions du partenaire rival ainsi que la nécessité d'en contrer les effets. Dans le cas sino-américain tout débuta avec Tiananmen : après que les Etats-Unis, alors en situation de leadership, prirent des sanctions contre la Chine, Pékin, devenu vulnérable, tenta de fournir des garanties pour obtenir un retour à la normale et recouvrir son commerce avec son associé principal. Du même coup les leaders chinois, conscients de leur vulnérabilité aux

366 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 10: « Nothing guarantees that relationships that we designate as «interdependent» will be characterized by mutual benefit. »

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changements sur la scène intérieure américaine avec les débats sur le statut MFN, tentèrent d'élargir la marge de manoeuvre de la RPC en renforçant ses positions à l'échelle internationale. Dès lors, le cercle vicieux fut enclenché, les démarches des Chinois alimentèrent un sentiment de vulnérabilité potentiel chez les Américains. Le tout posa les jalons de la rivalité sino-américaine actuelle.

Section 3 : La nécessité de distinguer toutefois plusieurs contextes d'interdépendance

Ici nous pointons donc une faiblesse conceptuelle de la théorie de J. Nye et de R. Keohane. Pour dénouer ce caractère ambigu de l'interdépendance où la coopération est étroitement mêlée à la rivalité, il conviendrait en effet de délimiter plusieurs catégories d'interdépendance et d'en dégager les processus politiques. Cette solution est proposée par Stanley Michalak367 qui en définit 5 types. Le premier est caractérisé par une interdépendance importante mais équilibrée, symétrique et largement bénéfique aux deux parties malgré l'impact que peuvent avoir les fluctuations de l'un sur l'autre. C'est notamment le cas des relations commerciales entre pays développés. Le second cas de figure détermine une situation où le degré d'interdépendance est élevé, raisonnablement asymétrique et où les conflits peuvent donc provenir d'un partage des bénéfices modérément inéquitable. Cas de certains pays du Tiers monde. Un autre type d'interdépendance caractériserait des situations problématiques résultant d'externalités négatives, fruit de la politique domestique de certains pays et imposant des coûts importants pour grand nombre de pays. L'auteur prend le cas du déversement des déchets toxiques dans les océans. Un quatrième contexte considère qu'au sein de l'interdépendance proviennent des problèmes de dépendance. Ainsi, le cas de certains Etats à ambitionner d'établir des relations avec les pays de l'OPEC pour réduire leur dépendance. Enfin, un dernier cas de figure qui relève moins de la situation d'interdépendance concerne des situations de dépendance internationale, telle que les questions de famine368.

S'agissant de la relation sino-américaine post-Tiananmen, celle-ci correspondait davantage au deuxième cas de figure ce qui n'enlève pas des perspectives d'évolutions. Ainsi aujourd'hui, celle-ci coïnciderait davantage au premier type d'interdépendance. Les questions d'asymétrie de puissance facilitent donc la compréhension des rapports globaux sino-américains post-Tiananmen mais caractériser et ordonnancer plus précisément la notion d'interdépendance comme Stanley Michalak le propose permettrait de chasser l'ambigüité et le flou qui l'entoure.

367 MICHALAK Stanley J., « Review: Theoretical Perspectives for Understanding International Interdependence », World Politics, Vol. 32, n°1 (Oct., 1979), pp. 141-143. URL: http://www.jstor.org/stable/2010085, consulté le: 13/04/2015.

368 Ibid.

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Chapitre 2 : Une conception adaptée aux évolutions des structures du système politique mondial

Néanmoins, la théorie de l'interdépendance complexe de Nye et Keohane demeure adaptée à la lecture des rapports de force mondiaux et à leur évolution dans le système international.

Section 1 : La validation d'une partie des hypothèses posées

Rappelons très brièvement les hypothèses posées par R. Keohane et J. Nye que nous avons détaillées précédemment. Les deux auteurs postulent trois caractères nouveaux des relations internationales : l'existence de relation interétatique, transgouvernementale et transnationale, l'absence de hiérarchie des enjeux dans la politique mondiale et la diminution du rôle de la force militaire. Sur ces trois critères répondons d'emblée qu'au terme de notre étude nous en avons vérifié deux. Effectivement, au sein de la relation sino-américaine entre 1989 et 1993, les domaines se sont diversifiés, d'une borne idéologique avec la question des Droits de l'Homme à une extrémité sécuritaire avec les enjeux du commerce et de la prolifération des technologies balistiques. Les objectifs de politique étrangère sont ainsi devenus à leurs tours interdépendants, la défense des droits humains permettant aux Américains d'obtenir de la Chine une ouverture plus grande de son marché aux investissements étrangers. Les questions sécuritaires, économiques, commerciales, environnementales ont fraternisé et la défense de l'un peut contribuer à la promotion de l'autre. Le tout répondant à la logique inébranlable de la défense de l'intérêt national. Conjointement, les réseaux de chaîne de communication et de contact se sont multipliés entre la RPC et les Etats-Unis validant la première hypothèse de J. Nye et R. Keohane. Du plus haut niveau de l'Etat entre Deng Xiaoping et Washington jusqu'à l'étudiant chinois séjournant aux Etats-Unis en passant par les investisseurs privés, les entreprises ou l'envoi de délégation ministérielle, les rapports se sont complexifiés à tout les niveaux au cours de la période post-Tiananmen. En revanche, cette étude ne nous aura pas permis de confirmer l'hypothèse d'une diminution du rôle de la force militaire. Certes, les deux Etats n'y eurent pas recours l'un contre l'autre mais aujourd'hui, le renforcement et le maintien d'un arsenal nucléaire et conventionnel ne préfigurent ni d'un abandon de la force militaire ni d'un renoncement à son éventuel usage. Qui plus est, la Guerre du Golfe contribua largement à nourrir l'effort de défense chinois conscient après la réussite de l'opération américaine, de son retard en la matière. Les auteurs eux-mêmes nuancent largement cet aspect dans leur seconde édition.

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Section 2 : Les effets des régimes internationaux

Dans la conception de l'interdépendance complexe, R. Keohane et J. Nye portent une attention méticuleuse aux effets des régimes et des institutions internationaux sur le comportement des Etats. Bien qu'admettant que le degré d'efficacité de ces régimes peut varier, les deux spécialistes concèdent que l'existence de cadres institutionnels internationaux amène les Etats à coopérer. Pour cela, il faut reconnaître que l'implication progressive de la RPC dans les régimes financiers commerciaux ou de l'armement internationaux a en effet contribué à la restauration de sa reconnaissance internationale après Tiananmen. Son protocole d'accession au GATT, sa ratification du TNP, son intégration au sein de l'APEC ont adouci son image et rassurer au moins sur la forme les Américains. Dans le même temps, et c'est tout le paradoxe de l'interdépendance déjà cité, cela alerta les Etats-Unis sur les réelles motivations chinoises. Son intégration au sein de l'APEC notamment suscita des interrogations : simple volonté de reconnaissance internationale ou renforcement de son dispositif de sécurité régionale ?

Section 3 : Nuancer l'aspect coopératif de la relation d'interdépendance : le comportement des Etats dominés par la peur du déséquilibre

Cela nous amène donc à relativiser l'aspect coopératif de la théorie de l'interdépendance complexe. L'ambigüité qui se dégage dans la relation conduit les Etats à prendre parfois des mesures contre les objectifs de coopération et pour leurs intérêts. Tel fut le cas lors de la vente des F-16 américains à Taïwan. D'autre part, même les démarches en apparence coopératives peuvent parfois relever d'une toute autre logique. Ainsi, lorsque Pékin entreprit de recouvrir son statut à l'international après Tiananmen par son insertion dans les forums et régimes régionaux ou internationaux, sa conduite était davantage dictée par la nécessité de renforcer sa vulnérabilité que par une réelle volonté de coopération. Et pour cause, Pékin siégea auprès de Taïwan au sein de l'APEC, signe qu'elle fut davantage guidée par le pragmatisme que par des aspirations solidaires. Finalement, d'après nous, Power and Interdependence revisite la conceptualisation réaliste selon laquelle le comportement des Etats est sans cesse dominé par la peur d'un conflit armé369. Appliqué au cas de la relation sino-américaine post-Tiananmen, Power and Interdependence conjecture en dernier ressort que les Etats sont en réalité dominés par la peur d'un déséquilibre dans leur relation d'interdépendance. Cette présupposition exige alors de maintenir perpétuellement dans les rapports

369 NYE Joseph S., KEOHANE Robert O., « Power and Interdependence Revisited », International Organization, Vol. 41, n°4 (Autumn, 1987), p. 727. URL: http://www.jstor.org/stable/2706764, consulté le 13/04/2015.

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un équilibre contradictoire : entretenir les liens de coopération tout en réajustant en permanence sa politique face aux avancées de l'autre afin de contrebalancer l'asymétrie latente. Tout en manifestant une volonté coopérative, l'acteur doit parfois conjointement agir à l'encontre des objectifs du rival. Cette délicate combinaison guiderait selon nous la politique extérieure et intérieure des Etats en situation d'interdépendance.

Chapitre 3 : La réactualisation de la théorie, signe d'un besoin d'adaptation

Nous venons de l'observer, la théorie de R. Keohane et J. Nye fonctionne à bien des égards dans le cas de la relation sino-américaine. Cela étant, il existe quelques limites dont nous avons commencé à tracer les premiers contours.

Section 1: «Power and Interdependence revisited»

Le trait peut-être le plus frappant qui met en lumière le mieux les limites de la théorie provient des auteurs eux-mêmes qui, au fil des années, ont réactualisé leur concept. Ainsi, dix ans après la parution de Power and Interdependence, R. Keohane et J. Nye revisitent leur théorie dans un article intitulé « Power and Interdependence revisited » édité en 1987. A l'occasion de ce travail, les auteurs se prêtent au jeu de l'explication et de l'autocritique. Ainsi, à demi-mot les théoriciens admettent nuancer leur hypothèse concernant la diminution du recours à la force armée370. Le contexte de l'époque remit effectivement en cause ce bien-fondé : invasion de l'Afghanistan par la Russie, guerre Iran-Iraq et même l'opération Tempête du Désert menée par les Américains. Les auteurs reconnaissent également la lacune de leur théorie sur les liens entre la politique intérieure et international371. A ce titre, le cas sino-américain représente un parfait contre-exemple avec les débats politiques américains sur le statut MFN qui avaient affecté directement la politique étrangère chinoise. Enfin, Nye et Keohane annoncent dans cet article de 1987 vouloir se concentrer davantage sur les contraintes et les possibilités du système international, sa structure, ses modalités et la perception des intérêts par les acteurs. Ayant lu l'article avant la rédaction de ce travail de recherche, ces perspectives nous ont orienté sur le caractère ambigüe et contradictoire de l'interdépendance et nous ont amené à inclure une sous-section sur le poids des perceptions et des facteurs cognitifs dans la méfiance de l'autre. Ces éléments supplémentaires éclairent en effet la

370 NYE Joseph S., KEOHANE Robert O., « Power and Interdependence Revisited », art. cit., p. 727-728.

371 Ibid., p.753.

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compréhension des rapports sino-américains sur des points précis et importants qui facilite leur appréhension globale.

Section 2: Un besoin nécessaire, des réadaptations pertinentes

Bien que cette mise à jour constante démontre les limites de cette théorie, chaque révision est finalement l'occasion de les repousser pour étendre son applicabilité. La seconde édition de Power and Interdependence de 1987, largement le fruit de l'autocritique de 1987 présente ainsi un affinement de certains des propos concernant le rôle de la force militaire. Notre étude de la relation sino-américaine post-Tiananmen à la lumière de l'interdépendance complexe aura participé de cet effort d'adaptation. De la même manière que les auteurs à plusieurs reprises nous en avons démontré la validité, les limites et proposé de modestes modifications. L'étude critique expérimentale de cette dernière section était tout autant nécessaire qu'inévitable pour évaluer le bien-fondé de cette théorie. Repenser leur théorie est donc à la fois révélateur de ses limites mais dénote une surprenante capacité de réactualisation pour toujours être en phase avec les réalités de l'évolution du système international.

Section 3: «Power and Interdependence in the Information Age»

En 1998, logiquement vingt ans après, R. Keohane et J. Nye se livrent de nouveau à l'exercice de la réactualisation de leur théorie. Ce travail est réellement surprenant par son caractère actuel et son exactitude. Déjà, les deux auteurs s'intéressent au cyberespace et à la mise en connexion des sociétés via le World Wide Web (toile d'araignée mondiale)372. R. Keohane et J. Nye dressent le constat que l'apparition des nouvelles technologies dans les sociétés bouleverse le concept d'interdépendance complexe en multipliant encore plus les réseaux de chaîne de contact et de communication entre les individus et les bureaucraties373. Cependant, en dépit de cette révolution de l'information et de la communication (comme ils la baptisent), celle-ci n'a pas affecté les deux autres caractéristiques de l'interdépendance à savoir la diminution du rôle de la force militaire et l'absence de hiérarchie des enjeux374. Néanmoins, en plein dans la RMA, J. Nye et R. Keohane reconnaissent une fois de plus que l'irruption des technologies peut faciliter le recours à la force

372 KEOHANE Robert O. NYE Joseph S. « Power and Interdependence in the Information Age », Foreign Affairs, Vol. 77, n°5 (Sep. - Oct., 1998), p. 83. URL: http://www.jstor.org/stable/20049052, consulté le 13/04/2015.

373 Ibid., p. 85.

374 Ibid., p. 84.

armée375. La structure du pouvoir dans cette situation d'interdépendance a muté pour prendre des formes évoluées distinguées entre le soft et le hard power, résultat des travaux de J. Nye quelques années plus tôt. Si ce travail de révision complexifie la théorie de l'interdépendance complexe et lui fait perdre de sa pureté par l'imbrication des travaux de J. Nye sur le soft power notamment, il n'en demeure pas moins intéressant.

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375 Ibid., p. 88.

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CONCLUSION

Au cours de notre travail de recherche nous avons donc interrogé les effets de l'interdépendance complexe sur la relation sino-américaine post-Tiananmen. A la faveur de ce questionnement essentiel, nous avons poursuivi deux réflexions auxiliaires sur l'applicabilité de notre théorie par rapport aux faits énoncés et sur les retombées de cette période post-Tiananmen quant aux paramètres de la relation sino-américaine contemporaine. Afin de circonscrire une réponse soignée, nous avons développé plusieurs axes d'études.

En premier lieu, il fut question de définir notre cadre théorique. L'interdépendance complexe développée par J. Nye et R. Keohane constitue, en effet, un objet d'étude épineux dont il convient de délimiter précisément les contours si l'on veut en dégager les ressorts principaux. Power and Interdependence émet plusieurs hypothèses : d'une part, l'existence de multiples chaînes de communication entre acteurs de différentes natures, impliquant plusieurs niveaux de relation : interétatique, intergouvernemental et transnational. D'autre part, l'agenda diplomatique des Etats ne serait plus subordonné uniquement aux enjeux sécuritaires et militaires mais bien à des logiques plus variées telles que le commerce, l'économie, l'humanitaire, l'écologie etc. Avec une extrême prudence, leur dernière hypothèse, nuancée à plusieurs reprises, avance quant à elle que le rôle de la force militaire diminuerait376. A partir de ces trois assomptions, R. Keohane et J. Nye définissent alors l'interdépendance complexe. Pour en saisir le sens général, nous avons pris l'image d'une toile d'araignée dans laquelle tout acteur se montre sensible et vulnérable aux événements survenant dans une partie du monde. Nous avons enfin déterminé les instruments de mesure de cette théorie au regard de notre domaine de recherche. A ce titre, les régimes internationaux et les questions d'asymétrie de puissance (« sensitivity » et « vulnerability ») nous étaient apparus particulièrement éloquents. En effet, bien qu'elle favorise la coopération, la relation d'interdépendance ne garantit pas que les bénéfices soient mutuels. En cela Dario Battistella a détecté une caractéristique essentielle de la théorie de R. Keohane et de J. Nye : plus que l'interdépendance en tant que telle c'est l'évolution de la puissance en situation d'interdépendance qui intéresse les auteurs377. Dans la pensée des deux universitaires, la puissance n'est donc pas simplement réduite à un simple usage hiérarchique de la force ou de l'influence mais elle est dotée d'une forte dimension relationnelle. Cette autre perspective apporte dès lors une compréhension originale et facilitée des rapports internationaux.

376 En effet, au cours de la lecture de la seconde édition de Power and Interdependence mais également dans les articles qui revisitent leur théorie, les auteurs nuancent largement cette dernière supposition que le contexte stratégique international de l'époque a passablement remise en cause.

377 BATTISTELLA Dario, Théories des relations internationales, op. cit. p. 230.

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En posant ces constatations théoriques nous avons délimité la première étape de notre réponse à la problématique. Incontestablement, pour apprécier le rôle de l'interdépendance sino-américaine sur l'apaisement des tensions politiques, nous devions fournir une idée claire de ce que signifiait notre grille théorique. Ces conditions fixées, nous avons abordé ensuite la description des faits, en deux temps : un premier pan chronologique, s'affairant à l'analyse de l'immédiat post-Tiananmen et un deuxième axe final plus thématique, mêlant critique expérimentale théorique et factuelle.

La profusion de documents sur la crise de Tiananmen a véritablement frustré notre recherche : nous avons dû faire preuve de concision afin de livrer une analyse synthétique. De l'arrivée au pouvoir du Président George Bush aux racines du soulèvement populaire chinois jusqu'aux conséquences directes de la répression menée par l'APL, les textes et documents officiels de « première main » sont abondants. Pour autant, le coeur de notre sujet n'était pas l'événement en lui-même mais ses répercussions sur la relation sino-américaine et les réponses de l'administration Bush qui en ont résulté.

Assurément, Tiananmen a rompu la dynamique relationnelle lancée en 1979. De surcroît, ce cataclysme diplomatique a placé l'administration américaine dans une situation critique confrontée à deux orientations nécessaires mais contradictoires : répondre par des sanctions tout en préservant la relation. A mesure que le Président Bush donna ses réponses, la configuration actuelle de la relation se dessina et une interdépendance délicate se tissa. Malmené sur la scène intérieure378, forcé de prendre des mesures contraignantes, le Président américain se livra à un exercice diplomatique périlleux et délicat en tentant de maintenir secrètement le contact avec les hauts dirigeants chinois et spécifiquement Deng Xiaoping. De Baker à Nixon, en passant par Kissinger, Eagleburger et Scowcroft, les voyages diplomatiques constituèrent à cet égard le moyen privilégié du Président pour maintenir un contact étroit au plus haut niveau.

Evitant la rupture complète, surmontant les obstacles du Congrès, le Président américain dut s'atteler très vite au challenge de la « renormalisation » des rapports. Le défi fut double pour l'administration américaine car au même moment le socle de la relation qui avait été justifié en 1972 par la présence d'un ennemi commun, l'URSS, commençait à s'effondrer. La guerre du Golfe expérimenta un nouveau rapprochement stratégique, en vain379. George Bush tenta de compenser ces éléments compromettants par une politique engageante qui contribua à poser les jalons de

378 L'opinion publique, catalysée par le Congrès américain, exigeait de sa diplomatie des efforts en matière de Droit de l'Homme. La lutte autour de la politique chinoise est assez bien synthétisée dans l'article GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration », Presidential Studies Quaterly, Vol. 27, n°3, Summer 1997, pp. 514-539.

379 Effectivement, après avoir voté toutes les résolutions du Conseil de Sécurité aux mois d'Août et de Septembre 1990 condamnant l'Iraq et appelant à son retrait immédiat du Koweït, la Chine s'abstint lors du vote qui devait autorisé le recours américain à la force armée.

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l'interdépendance sino-américaine380. Mais ce paravent ne faisait que laisser en suspend la question des Droits de l'Homme et les préoccupations américaines sur les agissements chinois en matière de prolifération des armes. Ainsi, au cours de cette première phase post-Tiananmen se dessinaient les éléments contemporains de la relation sino-américaine. Le défi chinois de Washington dans sa forme actuelle hérita donc directement de la politique chinoise du cabinet Bush et malgré le maintien d'une relation étroite, l'absence d'unanimité demeurait au sein des classes dirigeantes américaines.

Il fallut attendre la fin de l'année 1990, soit un an après Tiananmen, pour que l'interdépendance sino-américaine complexe telle que nous la connaissons aujourd'hui apparaisse. En effet, résultat de la politique engageante de George Bush et des efforts de la RPC pour rompre son isolement diplomatique, le commerce sino-américain s'accrut rapidement. Malgré un ralentissement des échanges en 1990, la Chine attira de nouveau les investisseurs américains : de 271 millions de dollars en 1987, ils investirent plus de 2 000 millions de dollar en 1993381. Initialement économique, cette interdépendance se désectorisa à la faveur du nouvel ordre mondial et de l'implication progressive de la RPC dans les sphères intergouvernementales les plus importantes de la politique et de la finance mondiale382. En effet, la RPC prépara son accession au GATT dès 1986 et devint en 1992 le plus important bénéficiaire des fonds de la Banque Mondiale. De même, à la fin des années 1980 la RPC rejoignit la Banque asiatique de Développement et l'Association de coopération économique de l'Asie-Pacifique (APEC) en 1991. Selon la stratégie de George Bush ces développements présentaient un double bénéfice : ils permettaient à la fois de satisfaire leurs intérêts réciproques tout en cultivant l'espoir qu'à termes, Pékin s'ouvrît à la libéralisation politique383. Qui plus est, ce mouvement d'engagement de la RPC s'accompagna d'une adhésion progressive aux régimes internationaux de désarmement : l'AIEA en 1984, une convention sur les armes chimiques en 1993, et surtout le Traité de Non Prolifération en 1992384. Ainsi, lentement mais sûrement les tensions héritées de Tiananmen commençaient à se dissiper. A mesure que l'apaisement gagnait en importance, la relation se complexifia progressivement. Les

380 Cette politique sera qualifiée d' « engagement constructif ».

381 TAN Rosalina, « Foreign Direct Investment Flows To and From China », Philippine Apec Study Center Network, n° 99-21, 1996, 55 p. Voir Annexe 2 : Evolution de la part de l'investissement direct américain en Chine, 1987-1996 p. 95. C'est à cette époque que le rêve d'un marché du milliard naquit, l'immense marché chinois faisant battre les ambitions des investisseurs américaines cf. JIWEN Yu, CHAUDIERE Hélène, JIUSHI Niandai, « Le "marché du milliard" est ouvert », art. cit. pp. 26-29.

382 Observateur au GATT dès 1982, la RPC rejoignit le système de Bretton Woods en intégrant la Banque mondiale et le Fonds Monétaire Internationale en 1980. S'agissant du GATT, six mois après la répression place Tiananmen, en Décembre 1989 un groupe de travail se réunit pour tirer les premières conclusions sur les efforts militaires. Malgré Tiananmen, le monde de la finance et du commerce savait que son intégration n'était qu'une question de temps.

383 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 336.

384 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 83. Ce mouvement d'adhésion permit de rassurer les Américains inquiets des agissements de Pékin en matière de prolifération des armes. Ainsi, en apaisant les craintes la RPC contribua à stabiliser la relation favorisant l'expansion du commerce avec les Etats-Unis, vital pour son économie.

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rapports sino-américains impliquaient désormais plusieurs niveaux de prises de décision sur de multiples enjeux globaux (armements, environnement, commerce, finance, tourisme...), le tout faisant intervenir une palette d'acteurs de différentes natures : touristes, étudiants, investisseurs privés américains et chinois, organisations internationales gouvernementales, non-gouvernementales, diplomates et ambassadeurs, haute sphère politique de l'Etat (contact entre le cercle restreint de l'administration Bush et les hauts dirigeants chinois) ou entreprises. En somme, l'interdépendance complexe décrite par R. Keohane et J. Nye commençait à structurer la relation sino-américaine.

En dépit de ces apparents signes d'équilibre, celle-ci présenta dès ses débuts, une réciprocité imparfaite. C'est à cet égard que la théorie de l'interdépendance complexe nous a semblé la plus intéressante. Elle offre effectivement une brillante grille de lecture pour lire les rapports de puissance entre Etats en situation d'interdépendance. Ainsi, dans le cas de Tiananmen le déséquilibre apparut dès les premiers débats sur le statut MFN385. Chaque année, de 1990 à 1992, le Congrès et le Président se déchirèrent sur les conditions d'application de ce statut. Bien que pour George Bush le maintien de cette clause répondait à sa politique d'engagement constructif386, vu de Chine, les débats qui opposèrent le Congrès et le Président américain lui apparurent comme un moyen d'obtenir de sa part des concessions. Ce qui fut effectivement le cas : Deng Xiaoping jugeant nécessaire de fournir des gages de bonne volonté pour maintenir cette préférence commerciale, capitale pour son économie387. Le tout contribua à une prise de conscience violente chez les dirigeants chinois : leur pays était extrêmement vulnérable aux changements de la scène intérieure américaine alors que l'inverse n'était pas vrai. Une méfiance s'installa. Ce déséquilibre était d'autant plus important que dans la culture stratégique chinoise, les négociations doivent toujours se faire sur un pied d'égalité. Si l'interdépendance était croissante, la coopération sino-américaine était donc largement pondérée par ce sentiment de vulnérabilité. La RPC en profita pour muscler et diversifier son économie, normaliser ses relations avec ses voisins ce qui par là même, raviva les craintes américaines d'une montée en puissance chinoise trop importante. A ce titre, le déficit progressif de la balance commerciale américaine constituait un premier élément d'inquiétude.

385 Most Favoured Nation Status, désormais désignée sous le nom de Statut de Relations Commerciales Normales Permanentes, Permanent Normal Trade Relations Status.

386 A chaque fois George Bush opposa son veto Présidentiel contre le retrait de ce statut.

387 La plupart des concessions chinoises portèrent sur la question des droits de l'Homme. Ainsi le 10 Janvier 1990, la Chine annonça le retrait de la loi martiale à Pékin puis s'ensuivit une série de remise en liberté de dissidents : le 18, les leaders annoncèrent la libération de 573 manifestants de Tiananmen. En Mai 1990, de nouveau Pékin libéra 211 dissidents, début Juin, 97 dissidents furent à nouveau libérés. A la fin du mois, Fang Lizhi quitta l'ambassade américaine à Pékin pour rejoindre la Grande-Bretagne. A l'occasion du deuxième débat, Deng décida que la RPC devait à nouveau se préparer à conserver le statut MFN américain : au printemps 1991, Pékin annonça l'arrêt de la production de biens chinois par les prisonniers ainsi que le transport illégal de produit textile aux Etats-Unis.

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Cette situation d'interdépendance asymétrique, telle que l'ont théorisé R. Keohane et J. Nye388, initialement favorable aux Américains, favorisa l'émergence d'une rivalité sino-américaine largement étudiée aujourd'hui. Ainsi, au cours de la période post-Tiananmen, plusieurs éléments de cette rivalité étaient déjà identifiables : le spectre des Droits de l'Homme, présent tout au long de la décennie 1990 jusqu'à encore récemment (Tibet au moment des jeux olympiques de Pékin), l'enjeu taïwanais389, et la structure du commerce sino-américain, plus que jamais d'actualité. Ceci témoigne aussi de l'élargissement des enjeux de politique étrangère longtemps formatés par les questions de sécurité pendant la Guerre froide.

Finalement, l'interdépendance sino-américaine dans sa configuration complexe actuelle aura eu deux conséquences principales après Tiananmen. D'une part, elle contribua à supplanter une rupture éventuelle par une coopération prometteuse. Le maintien des échanges à tous les niveaux, l'accroissement du commerce, le renforcement des investissements et les bénéfices qui en résultèrent encouragèrent donc les deux Etats à poursuivre sur la voie de la collaboration, plus fructueuse et profitable que l'incertitude et l'instabilité d'une rupture. D'autre part, et c'est là un premier élément de réponse quant au degré d'applicabilité de notre théorie au regard des faits énoncés, cette interdépendance sino-américaine dès ses débuts fut asymétrique. De cette réciprocité imparfaite se développa les prémices d'un antagonisme sino-américain alimenté par un sentiment de méfiance mutuel. La vulnérabilité du côté chinois, l'émergence d'un concurrent direct chez les Américains participèrent de cette appréciation réciproque. Par conséquent, si l'interdépendance a permis l'évitement de la montée des tensions, elle se caractérisa par la mise en place parallèle d'une défiance symétrique au sein de laquelle se développa un rapport de puissance pervers, chacun cherchant à obtenir des gages stratégiques pour soulager sa vulnérabilité à l'égard de l'autre. Assez paradoxalement, un équilibre instable s'est donc installé à la faveur de la période post-Tiananmen. Ces facteurs d'équilibre, nous les avons identifiés au cours de notre réflexion en postulant qu'ils constituaient l'essence contemporaine de la relation sino-américaine actuelle. Droits de l'homme, balance commerciale, enjeux taïwanais, question sécuritaire liée à l'influence grandissante de la RPC dans son complexe régional sont autant d'éléments vérificateurs de notre démonstration.

Pour tirer l'ensemble de ces conclusions, notre cadre théorique s'est montré à bien des égards essentiel. Par exemple, pour évaluer l'intensité des rapports de force entre les deux acteurs, les deux instruments de mesure de la puissance dans l'interdépendance (« sensibility », « vulnerability ») se sont révélés de parfaits indicateurs. Par le réajustement permanent de leur

388 « Rien ne garantit que les relations considérées comme interdépendantes soit caractérisées par un bénéfice mutuel ».

389 A l'été 1992, l'administration américaine annonça en effet la vente à Taïwan de 160 avions de combat F-16 pour un montant de 6 milliards de dollar. Ce revirement diplomatique replaça donc Taïwan au coeur de la relation sino-américaine préfigurant ainsi la prochaine crise du détroit de Taïwan de 1995-1996.

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politique extérieure et intérieure face aux comportements des autres acteurs du système, les Etats fournissent des données tangibles de leur degré de vulnérabilité aux changements externes. Les concessions chinoises au chantage du Congrès américain sur le statut MFN sont, à ce titre, évocateurs. D'autre part, la pertinence de notre outil théorique s'est vérifiée à plusieurs reprises. En effet au cours de notre étude, il s'est avéré que la plupart des hypothèses de R. Keohane et J. Nye étaient valides390. Qu'il s'agisse de l'existence de plusieurs niveaux de relations (interétatique, transgouvernementale, transnationale) ou de l'estompement d'une hiérarchie des enjeux en politique étrangère, celles-ci sont assez nettement attestables dans notre cas d'étude. Quant aux effets des régimes internationaux auxquels J. Nye et R. Keohane prêtent une attention particulière dans leur ouvrage, il faut reconnaître que l'implication progressive de la RPC dans les régimes financiers, commerciaux ou de l'armement, a en effet contribué à la restauration de la reconnaissance internationale de cette dernière après Tiananmen. Son protocole d'accession au GATT, sa ratification du TNP, son intégration au sein de l'APEC ont adouci son image et rassuré, au moins sur la forme, les Américains.

Nous avons cependant relevé plusieurs faiblesses conceptuelles dans la lecture des rapports mondiaux au travers de ce prisme théorique. D'abord, dans le cadre de notre conclusion partielle, nous avons constaté qu'il faudrait distinguer plusieurs contextes d'interdépendance. Cette solution est proposée par Stanley Michalak391 qui en définit cinq types. Précédemment cités, ceux-ci visent de manière générale à circonscrire plusieurs natures et degrés d'interdépendance (plus ou moins intense, plus ou moins asymétrique). Une typologie des interdépendances permettrait en effet d'envisager plus facilement et précisément des perspectives d'évolution dans la relation entre deux Etats.

D'autre part, s'agissant d'une hypothétique diminution du recours à la force militaire, il apparaît que l'effort croissant dans le domaine de la défense aux Etats-Unis et en Chine remettrait en cause ce postulat que les deux auteurs ont largement nuancé par ailleurs. Enfin, et comme nous l'avons conclu à l'instant, il faut relativiser l'aspect coopératif d'une relation d'interdépendance. Dans le cas sino-américain post-Tiananmen, l'adhésion chinoise aux institutions internationales et la multiplication des niveaux de contact n'ont pas empêché l'apparition d'une rivalité durable. Au regard de ces faiblesses théoriques notons l'effort des deux auteurs pour réactualiser leur thèse392,

390 Rappelons très brièvement ces hypothèses détaillées dans la première partie : selon les auteurs il y aurait trois caractères nouveaux des relations internationales : l'existence de relation interétatique, transgouvernementale et transnationale, l'absence de hiérarchie des enjeux dans la politique mondiale et la diminution du rôle de la force militaire.

391MICHALAK Stanley J., « Review: Theoretical Perspectives for Understanding International Interdependence », art.. cit. pp. 141-143.

392 A plusieurs reprises les auteurs se livrent à l'exercice délicat de la réactualisation de leur thèse, numéro d'équilibriste à double tranchant (besoin de pallier des lacunes ou capacité de s'adapter à l'évolution du système ?). Quoiqu'il en soit les différentes éditions de leur ouvrage et leurs articles successifs sont éclairants. Voir : NYE Joseph S., KEOHANE

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exercice osé mais éclairant à bien des égards car révélateur d'une faculté d'adaptation surprenante. Tout en démontrant les limites de leur théorie R. Keohane et J. Nye parviennent à en étendre l'applicabilité. Ainsi en 1998, dans ``Power and Interdependence in the Information age» les deux auteurs s'intéressent au cyberespace et à la mise en connexion des sociétés via le World Wide Web (toile d'araignée mondiale)393. R. Keohane et J. Nye dressent le constat que l'apparition des nouvelles technologies dans les sociétés bouleverse le concept d'interdépendance complexe en multipliant encore plus les réseaux de chaîne de contact et de communication entre les individus et les bureaucraties394. Si de manière générale ce travail de réflexion a tendance à complexifier davantage leur théorie déjà difficile d'accès, il n'en demeure pas moins intéressant et ouvre des pistes de recherche nouvelles.

Parmi les hypothèses développées par R. Keohane et J. Nye, celle concernant le rôle de la force militaire s'est révélée au fil du temps une supposition hasardeuse et souvent contredite. Sur cette question, il conviendrait donc de prolonger différemment la pensée des auteurs. Il pourrait par exemple être intéressant de s'intéresser à l'influence de l'interdépendance interétatique sur la pensée stratégique et le recours à la force armée ; comment finalement l'interdépendance peut agir sur le fonctionnement et l'organisation d'une politique de défense. L'amiral Mahan supputait déjà à la fin du XIXème siècle que la puissance navale consistait à contraindre l'adversaire en interrompant ses communications maritimes. L'histoire a montré qu'effectivement toucher aux intérêts économiques permettait d'affecter les intérêts vitaux de la population civile. En conséquence, compte tenu du degré d'interdépendance de plus en plus grand qui lie les Etats, ce sujet peut constituer une voie de réflexion sur la façon dont les politiques et les militaires envisagent la guerre : l'interdépendance les incite-t-elle à préparer une guerre totale visant des objectifs limités ou à l'inverse, les conduit-elle à envisager une guerre indirecte devant permettre une victoire totale ?

Robert O., « Power and Interdependence Revisited », International Organization, art. cit. pp. 727-728.. Ou encore KEOHANE Robert O. NYE Joseph S. « Power and Interdependence in the Information Age », art. cit. p. 83.

393 KEOHANE Robert O. NYE Joseph S. « Power and Interdependence in the Information Age », art. cit. p. 83.

394 Ibid., p. 85.

Table des Annexes

1. Evolution du déficit commercial américain avec la Chine : 1989-1993395

94

395 Site du bureau du recensement des Etats-Unis (consulté le 07/05/2015). https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html

95

2. Evolution de la part de l'investissement direct américain en Chine, 1987-1996396

96

396 TAN Rosalina, « Foreign Direct Investment Flows To and From China », Philippine Apec Study Center Network, n° 99-21, 1996, p. 17.

97

3. Etat du commerce sino-américain peu de temps après l'arrivée au pouvoir de G. H. Bush (Mai 1989)397

397 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « US China Trade Trends - 10th of May 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p

98

4. Les conditions d'attribution du statut de la Nation la plus favorisée par les Américains398

398 U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « MFN Trade Status Who Has It and Why? - June 1992 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.

99

MFN TRADE STATUS: WHO HAS IT AND Im

alleetax: An annual Jackson-vanik waiver was required from 1978, when a trade agreement entered into force, until 1990, when Hungary was found to comply fully with the Jackson-Vanik conditions. Title IV no longer applies to Hungary because of Public Law 102-182 of December 4, 1991.

Mongolia_: The President executed Jackson-Vanik waivers or: January 23 and June 3, 1991, and Mongolia received MFN status on November 27, 1991.

pr}1.end: Although not subject to Title IV, I4FN was

temporarily withdrawn in 1982 following the declaration of martial law and crackdown on the Solidarity movement. MFN was restored in 1987.

Yugoslav Republics: Each of the republics, $1ovenia, Croatia, Elos113a., and 5erlaia/Montenegro, has unconditional F
·IFN status. We currently have no trade with Sarnia/Monteneajo because of the U.N.-sponsored trade embargo imposed May 30, 1992.

wormer Soviet Republica: Eight of the 15 former republics of the Soviet Union have MFN. Estonia, Latvia, and 14.j.2:111Allia were extended MFN as a result of their removal from Title TV's Provisions. The 12 other former republics receive MFN on the same date as entry into force of the required Title IV trade agreement. All twelve were offered trade agreements modeled on the U.S.-Soviet trade agreement and advised that we will not accept substantive changes. To date, only ?rlTeUia, Kyroyast3n, Moidnva, Russia, and u kraine have ratified trade agreements and receive
·:FN.

Kazakhstan has accepted the trade agreement's text, but its parliament has not yet ratified the treaty. Taiik;stan and Uabebistar1 have accepted the model text in principle, but not yet signed agreements. Delar1 proposed unacceptable changes to the model text and has not yet responded to cur rejection of its proposals. iazerbai an, Geo.zaia, and Tlukatliatan have not yet indicated whether they wish to sign trade agreements extending MFN.

Who does not receive MFN?

AfghanistLe : Afghanistan is not subject to Title IV, bur its MFN status was suspended by Presidential proclamation effective February 14, 1986.

Albania: Albania does not yet have AFN; the U.S.-A?bania trade agreement was signed on May 14, 1992, and has been submitted to Conaress for approval.

100

101

5. Expertise sur la vente des chasseurs américains F-16 à Taïwan (1992)399

[...]

- 399 U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « Taiwan U.S. Advanced Fighter Aircraft Sales--Pro and Con - 1st of September 1992 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 10p.

102

ARGUMENTS IN FAVOR OF TEE SALE

U.S.-FRC relations--Beijing will be compelled to accept the sale without major disruption of U.S.-PRC relations. Retaliation in the form of military actions in the Taiwan Strait, boycott of U.S. aircraft, wheat or other purchases, and/or a more pronounced effort to proliferate weapons of mass destruction would probably damage PRO interests more than those of the U.S. The U.S. Government could soften the impact, of the sales to Taiwan on the PRO through such initiatives as stronger support for the PRO continuing to receive MFN tariff treatment in the United States, for PRO entry into GATT, more frequent U.S. official visits to Beijing or strong reaffirmation of the U.S. adherence to a "one China" principle supported by Beijing. U.S. officials could make' the case that U.S. sales of F-16 fighters are less provocative than a possible sale of Mirage-2000e, with their longer range; that Beijing provoked the U.S. response by acquiring the advanced Su-27 combat planes from Russia; and that the United States remains consistent with its interpretation of the 1982 communique as it is replacing no longer operable aircraft with the comparable planes now available.

U.S.-Taiwan--The sales would show support for a longstandingfriend and former ally, maintain the air defense balance in the Taiwan Strait, and encourage greater U.S. involvement in Taiwan's $303 billion eix-year infrastructure program. On the latter point, press reports disclosed that French wished to link its sale of Mirage-2000e to access to Taiwan's large development projects--projects on which U.S. contractors are also bidding. In addition, the sales could put a sizable dent in the U.S. trade deficit with Taiwan (which stood at $9.8 billion in 1991).

U.S. domestic--The sales would support U.S. jobs in the ailing defense industry and would also have a multiplier effect throughout the rest of the economy." Politically, the sales would presumably redound to the credit of the U.S. officials responsible for the economic benefit.

'Note, there are no independent estimates of the effects the F-16 sale would have on the U.S. economy.

The arguments were reviewed at the CRS seminar on this issue, August 13, 1992.

<< The production of aircraft in the United States affects a broad range of industrial sectors, directly and indirectly, throughout the U.S. economy. See

Library of Congress, Congressional Research Service, Airbus Industrie: An. Economic and Trade Perspective, by John W. Fisher, et al. February 20, 1992, p. 43,

103

CRS-6

ARGUMENTS AGAINST THE SALE

U.S.-PRC relations Beijing may not react "rationally,' from a U.S. perspective. Taiwan is a sensitive political issue in Chinese domestic politics and Chinese Ieaders are in the midst of a leadership struggle and are jockeying for power leading up to the Chinese Communist Party's 14th Congress in late 1992. Under these circumstances, Beijing might choose to resort to forceful measures in the Taiwan Strait, retaliate against U.S. imports, downgrade diplomatic relations with the U.S., or engage in human rights, proliferation'2 or other practices antithetical to U.S. interests. Such behavior would alarm U.S. allies and associates in Asia, who are more inclined to accommodate than confront their giant neighbor. In addition, China might attempt to reduce economic and trade ties with the United States, such as retaliating against U.S. exports and investment. For example, China could reduce purchases of U.S. commercial aircraft and turn to other foreign suppliers such as the European Airbus Industrie. Some analysts predict that China will be the fourth largest purchaser of commercial aircraft by the year 2010; hence, significant future U.S. aircraft sales could be lost. China could also choose to cancel its recently announced $1.2-billion joint production venture with McDonnell Douglas Corporation. This would be a big blow to that company, which has been financially strapped for cash. Over the longer term, the sale could be seen as an egregious example of American duplicity aver an issue of strong national interest among leaders of various political persuasions in China. As such, it could sour U.S.-China relations for some time to come.

U.S.-Taiwan relations--The United States can endeavor to keep the air defense balance in the Taiwan Straits by pressing Beijing and Moscow against further sales of advanced fighters, by strengthening U.S. support for Taiwan's troubled IDF program, and by upgrading U.S. missiles, radars, and other air defense transfers to Taiwan. U.S. officials can explain to Taipei that a possible arms race and heightened tension in the Taiwan Straits appear not in their best interests. U.S. access to Taiwan's large-scale infrastructure program can be assured through means other than righter sales such as more higher level U.S. official visits to Taiwan, increased resources for Government export promotion programs to assist U.S. firms in exporting to Taiwan, greater U.S. support for Taiwan's entry into GATT, and other means.

U.S. domestic--The short-term decline in the U.S. defense industry can be offset to some degree by the longer-term U.S. access to the emerging China market on both-sides of the Taiwan Straits. PRC purchases of U.S. aircraft, autos, commodities, and other products are likely to grow as Chinese businesses decide how to spend their foreign exchange--Beijing is now the fifth largest holder of foreign exchange. While decreases in defense spending in the United States are likely to continue to lead to layoffs in the near future, the

12 U.S. officials have devoted strong efforts recently to get China to sign agreements on missile, nuclear and other proliferation issues. If the U.S. seems to back away from its commitments regarding arms sales to Taiwan, according to the PRC perspective, Beijing may be more inclined to back away from its commitments an proliferation and other questions.

104

105

Documents, Bibliographie et sitographie

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Année 1992:

- U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « MFN Trade Status Who Has It and Why? - June 1992 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.

- U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Measures Taken and To Be Taken by the Chinese Government to Prohibit Illegal Transshipment of Textiles - 4th of June 1992 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 8p.

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- U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « Taiwan U.S. Advanced Fighter Aircraft Sales--Pro and Con - 1st of September 1992 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 10p.

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114

? Sitographie

- Site du bureau du recensement des Etats-Unis (consulté le 07/05/2015). https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html

- Site Americans & the World: American attitudes (consulté le 1 Février 2015). http://www.americans-world.org/digest/regional issues/china/china1.cfm

115

Table des matières

INTRODUCTION 1

Partie 1 : L'interdépendance complexe comme cadre analytique 9

Titre 1 : Power and Interdependence dans la théorie des relations internationales 9

Chapitre 1 : Aux fondements du libéralisme 9

Section 1 : Le libéralisme classique, fils de la philosophie libérale : Erasme, Locke,

Montesquieu 9

Section 2 : La paix kantienne 11

Section 3 : Une thèse nuancée 11

Chapitre 2 : Le libéralisme en relations internationales, une doctrine hétérogène 12

Section 1 : Ontologie et épistémologie des libéraux 12

Section 2 : Le libéralisme, deuxième approche générale principale des relations

internationales 13

Section 3 : Les principaux courants libéraux 13

Chapitre 3: Conclusion 14

Section 1 : Les différents efforts de classification 15

Section 2 : L'avis nuancé de R. Keohane et J. Nye 16

Section 3 : Interprétation 16

Titre 2 : La théorie de l'interdépendance complexe de R. O. Kehoane et J. S. Nye 17

Chapitre 1: Définition de l'interdépendance complexe 17

Section 1 : La nécessité de développer le concept d'interdépendance 17

Section 2 : Définitions 18

Section 3 : Interprétation 19

Chapitre 2: Les caractéristiques de l'interdépendance complexe 20

Section 1 : Existence de relations interétatique, transgouvernementale et transnationale 21

Section 2 : Absence de hiérarchie dans la sphère de la politique mondiale 21

116

Section 3 : Diminution du rôle de la force militaire 22

Chapitre 3: Les instruments de mesure de l'interdépendance : «Sensitivity and

vulnerability'' 23

Section 1 : La sensibilité 23

Section 2 : La vulnérabilité 24

Section 3 : Conclusion 24

Titre 3 : Des concepts clés pour l'étude empirique des rapports sino-américains post-

Tiananmen 25

Chapitre 1: L'interdépendance dans la politique mondiale 25

Section 1 : La prise en compte d'une pluralité d'acteurs et de dimensions relationnelles 26

Section 2 : Organiser la politique extérieure dans un monde interdépendant 26

Section 3 : Penser l'interdépendance complexe du monde : s'intéresser au processus de

coopération 27

Chapitre 2: La notion de puissance et d'influence au coeur de l'interdépendance 27

Section 1 : L'interdépendance asymétrique 27

Section 2 : L'exemple de Keohane et Nye 28

Section 3 : Une dimension stratégique éloquente dans le cas de la relation sino-américaine

28

Chapitre 3: Les régimes internationaux et leur importance dans le cas sino-américain 29

Section 1 : Un concept éclairant pour comprendre l'interdépendance 29

Section 2 : Les effets des régimes internationaux sur la coopération 30

Partie 2 : L'importance stratégique de l'après-Tiananmen dans les fondements

de la relation sino-américaine 32

Titre 1 : Tiananmen, point de rupture d'une crise politique sino-américaine 32

Chapitre 1 : L'arrivée au pouvoir de George Bush et l'émergence de la crise de

Tiananmen 32

Section 1: G. Bush, «an inveterate China lover» 32

Section 2 : Une fragile interdépendance sino-américaine 33

117

Section 3. Les premiers signes de crise 34

Chapitre 2 : Le 4 Juin 1989, point de non retour 35

Section 1 . Les origines du soulèvement populaire chinois 35

Section 2 : L'escalade de la crise 36

Section 3 . La répression place Tiananmen 37

Chapitre 3 : Les conséquences directes de la répression chinoise 38

Section 1 : L'impact émotionnel de Tiananmen aux Etats-Unis 38

Section 2 . Changement de regard sur le régime communiste chinois 39

Section 3 . Le Parti communiste chinois en proie aux divisions 40

Titre 2 : Les premières prises de décision américaines dans l'immédiat après-Tiananmen 40

Chapitre 1 : L'appareil décisionnel sous George H. Bush 41

Section 1 . Le Président 41

Section 2 . Son entourage 42

Section 3 . La gestion des rapports et du processus décisionnel 43

Chapitre 2 : La réaction américaine 43

Section 1 : La mesure du soulèvement chinois par l'administration américaine 43

Section 2 : L'élaboration de la prise de décision 44

Section 3 . Les sanctions appliquées 45

Chapitre 3 : Le dilemme de George H. Bush : condamner la répression chinoise et

préserver la relation 47

Section 1 . Les pressions du Congrès et de l'opinion . préserver le contrôle sur la conduite

de la politique américaine chinoise 47

Section 2 . Garder le contact avec les hauts dirigeants chinois 48

Section 3 : Le voyage secret de l'administration Bush 49

Titre 3 : Redéfinir la relation sino-américaine : à la recherche d'un nouveau cadre

stratégique 50

Chapitre 1 : Le challenge de la « renormalisation » des rapports 51

Section 1 . Le « problème » Fang Lizhi 51

Section 2 . Le maintien des efforts de communication 52

118

Section 3 : L'hostilité vigoureuse du Congrès 53

Chapitre 2 : George H. Bush et la Chine face à un contexte international bouleversé 54

Section 1: Définition de l'approche systémique 54

Section 2 : Les événements en Europe de l'Est et leur impact sur la relation sino-américaine

54

Section 3 . La guerre du Golfe . un partenariat stratégique ? 55

Chapitre 3 : L'émergence d'enjeux hétéroclites au coeur de la relation 57

Section 1 : Droits de l'Homme 57

Section 2 . Une interdépendance complexe croissante, résultat de la politique engageante de

George Bush 58

Section 3 . Les questions de sécurité 59

Partie 3 : La théorisation de la relation sino-américaine post-Tiananmen par

l'interdépendance complexe : étude critique expérimentale 61

Titre 1 : Les débuts d'une interdépendance économique prometteuse 61

Chapitre 1 : Un commerce bilatéral sino-américain croissant 61

Section 1. Un commerce nécessaire avec les Etats-Unis 61

Section 2 : Le commerce au coeur de la coopération stratégique 62

Section 3 : Les premières phases d'expansion du commerce sino-américain 63

Chapitre 2 : L'émergence progressive de la Chine dans un monde interdépendant 64

Section 1 : Le protocole d'accession au GATT et ses enjeux 64

Section 2 . Les institutions financières et commerciales internationales 65

Section 3 . Les accords et régimes de maîtrise des armements 66

Chapitre 3 : La complexification des échanges 67

Section 1 . Les échanges touristiques, académiques et culturels 67

Section 2 : L'émergence de questions transnationales dans l'agenda diplomatique 68

Section 3 . Les implications sur la relation sino-américaine 69

Titre 2 : L'apparition des premières asymétries dans la relation commerciale sino-

américaine 69

119

Chapitre 1 : La manipulation politique de l'interdépendance sino-américaine 69

Section 1 : Le premier débat sur le statut de la nation la plus favorisée 70

Section 2 : Le deuxième débat sur le statut de la nation la plus favorisée 71

Section 3 : Les concessions chinoises à l'engagement constructif du Président Bush 72

Chapitre 2 : Interdépendance et pouvoir : la dissymétrie nourrit les antagonismes 73

Section 1 : La prise de conscience de la vulnérabilité chinoise 73

Section 2 : Le poids des perceptions dans ces déséquilibres de puissance 74

Section 3 : Les limites de la coopération sino-américaine 75

Chapitre 3 : Les premiers éléments de la rivalité sino-américaine 76

Section 1 : L'éternelle problématique des Droits de l'Homme 76

Section 2 : La structure du commerce sino-américain en question 77

Section 3 : Le retour de l'enjeu taïwanais 78

Titre 3 : Conclusion partielle : l'interdépendance complexe, un juste équilibre entre la

théorie et l'empirique ? 79

Chapitre 1 : La pertinence des questions d'asymétrie de puissance 79

Section 1 : Un modèle de théorie empirique 80

Section 2 : Eloquent dans le cas de la relation sino-américaine 80

Section 3 : La nécessité de distinguer toutefois plusieurs contextes d'interdépendance 81

Chapitre 2 : Une conception adaptée aux évolutions des structures du système politique

mondial 82

Section 1 : La validation d'une partie des hypothèses posées 82

Section 2 : Les effets des régimes internationaux 83

Section 3 : Nuancer l'aspect coopératif de la relation d'interdépendance : le comportement

des Etats dominés par la peur du déséquilibre 83

Chapitre 3 : La réactualisation de la théorie, signe d'un besoin d'adaptation 84

Section 1: «Power and Interdependence revisited» 84

Section 2: Un besoin nécessaire, des réadaptations pertinentes 85

Section 3: «Power and Interdependence in the Information Age» 85

120

CONCLUSION 87

Table des Annexes 94

Documents, Bibliographie et sitographie 105

Table des matières 115






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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo