WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La francophonie et son expression dans la poésie de Léopard Sédar Senghor


par Adou Valery Didier Placide Bouatenin
Université Félix Houphouet-Boigny  - Doctorat  2019
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

UNIVERSITÉ FÉLIX HOUPHOUËT-BOIGNY
U.F.R LANGUES, LITTÉRATURES ET CIVILISATIONS

Département de Lettres Modernes

 

LA FRANCOPHONIE ET SON
EXPRESSION DANS LA POÉSIE DE
LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR

Thèse Unique en Lettres Modernes
Parcours : Langues et Civilisations Africaines
Option : Poésie francophone

Présentée par : Sous la direction de :

BOUATENIN Prof. GNALEGA

Adou Valery Didier Placide Makagnon René,

Professeur titulaire

Le jury

Président : Prof. BOKIBA André-Patient, Professeur titulaire en littérature africaine et française, Université Marien Ngouabi, Congo-Brazzaville

Directeur de thèse : Prof GNALEGA Makagnon René, Professeur Titulaire en littérature

orale africaine, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d'Ivoire-Abidjan Rapporteur : Prof. N'GUESSAN Assoa Pascal, Professeur titulaire en stylistique et

poétique, Université Alassane Ouattara, Côte d'Ivoire-Bouaké

Rapporteur : Dr. KOUADIO Kobenan N'guettia Martin, Maître de conférences en stylistique et poétique, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d'Ivoire-Abidjan

Examinateur : Dr. ADAMOU Kouakou Dongo David, Maître de conférences en poésie et poétique, Université Félix Houphouët-Boigny, Côte d'Ivoire-Abidjan.

Soutenue publiquement le 19 octobre 2019

Copyright, Bouatenin, 2019

UNIVERSITÉ FÉLIX HOUPHOUËT-BOIGNY
U.F.R LANGUES, LITTÉRATURES ET CIVILISATIONS

Département de Lettres Modernes

 

LA FRANCOPHONIE ET SON
EXPRESSION DANS LA POÉSIE DE
LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR

Thèse Unique en Lettres Modernes
Parcours : Langues et Civilisations Africaines
Option : Poésie francophone

Présentée par : Sous la direction de :

BOUATENIN Prof. GNALEGA

Adou Valery Didier Placide Makagnon René,

Professeur titulaire

Aux membres de ma famille, et à mes amitiés et amours, À tous ceux qui sont pour le dialogue des cultures, À mon ami et frère Karsten KASPER.

L'étude de la littérature ne saurait se passer aujourd'hui d'érudition : un certain nombre de connaissances exactes, positives, sont nécessaires pour asseoir et guider nos jugements [...]

En littérature, comme en art, on ne peut perdre de vue les oeuvres infiniment et indéfiniment réceptives et dont jamais personne ne peut affirmer avoir épuisé le contenu et fixé la formule. C'est dire que la littérature n'est pas objet de savoir : elle est un exercice, goût, plaisir.

Gustave LANSON, Avant-propos, De l'histoire de la littérature française, Paris, Hachette, 1894, pp. VII-VIII (1182 p.)

1 Nelson MANDELA, Discours d'investiture, le 10 mai 1994

Il nous était difficile de dire merci aux personnes qui nous rendaient des services sans que nous leur demandions de les faire jusqu'à ce qu'un jour une amie, Docteure Clémentine CHAIGNEAU, nous le fit remarquer. Aujourd'hui, nous comprenons le sens de ce mot de cinq lettres : M. E. R. C. I.

Il y a aussi des circonstances de la vie où des personnes nous aident, renseignent, expliquent, donnent...sans espérer quelque chose en retour de notre part, mais un merci qui leur donnerait un sourire, une joie, une félicité, une lueur de béatitude dans leurs yeux et dans leur coeur, parce qu'heureuses de vous rendre des services. Ces personnes-là, ce sont des anges, qui sans elles, nous ne pouvons atteindre le succès : « Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès. », nous dit Nelson MANDELA1. Merci à tous ceux qui, après avoir lu certaines parties de notre travail, nous ont fait d'utiles suggestions !

Nous souhaiterions commencer nos remerciements par notre directeur de thèse, le Professeur Makagnon René GNALÉGA, qui a décidé de nous accorder son temps et son soutien. Un infini merci pour l'intérêt accordé à notre thèse, traduit par un encadrement rigoureux, par des conseils et des orientations enrichissants. À sa suite, les Professeurs Kobenan N'guettia Martin KOUADIO, Emmanuel TOH BI TIÉ, et Kouakou Dongo David ADAMOU qui ont cru en nous, en notre sujet de thèse, et qui nous ont aidé à reformuler le thème de notre thèse et à définir de façon claire la problématique. Recevez le témoignage de notre gratitude.

Nous disons un merci aux personnels de DFI (Deustch-Französisches Institut) et Frankreich-Bibliothek (Allemagne) pour les livres et les documents mis à notre disposition, sans oublier les membres du projet WERTEWELTEN de l'Université Ebarhard Karls de Tübingen (Allemagne).

Merci également aux instructeurs et aux membres du jury pour l'attention et le temps accordés à notre travail.

Nos remerciements vont également à l'endroit de Ould Siby JAMIL, Armel ALLOU, Étienne SERY et Lamine DIABY pour avoir accepté de relire et de corriger notre travail, parfois de nous réorienter dans le traitement de certaines notions.

Merci à Rose-Marie Emmanuela ADAHOU pour son aide, sans oublier également Ahi Narcisse N'GADI, et Karsten KASPER et famille.

Notre infinie gratitude aux parents et amis pour le soutien tant moral que financier, et surtout pour la correction apportée à ce travail.

Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude à tous ceux qui ont contribué directement ou non à la réalisation de ce travail. Merci pour votre patience ! Merci pour vos conseils ! Merci pour votre confiance ! Merci pour votre soutien !

AVANT-PROPOS

La Francophonie est, pour nous, une longue histoire. Nous l'avons rencontrée durant notre séjour en Allemagne. C'est à la suite d'un travail présenté à l'Institut Franco-allemand que les responsables d'alors nous ont demandé de produire un autre travail sur un sujet quelconque. Voyant que notre séjour arrivait à terme, nous avons remis le travail pour une date ultérieure. À vrai dire, nous ne savons pas au juste ce que nous devons faire ; la politique n'était pas notre apanage. Lors d'un rendez-vous pour les papiers administratifs, nous avons fait la connaissance d'un Sénégalais travaillant à la mairie de Ludwigsburg. Nous avons échangé sur la littérature, en général, et sur Senghor et sa poésie, en particulier. Nos avis étaient opposés. Il défendait son compatriote Senghor, et nous, nous étions figé sur les cours reçus au lycée et à l'université. N'étant donc pas satisfait, nous avons entamé une recherche à la bibliothèque dudit Institut pour approfondir nos connaissances sur Léopold Sédar Senghor.

Et, au cours de ces recherches, l'idée d'associer Senghor à la Francophonie nous est venue en esprit. Pourquoi associer Senghor à la Francophonie ? Associer Senghor à la Francophonie, parce qu'il s'est fait le chantre de la Francophonie, après qu'Onésime Reclus l'eût inventée. Les livres, les documents, les articles, les mémoires et les thèses consultés à la bibliothèque s'inscrivaient tous dans le domaine des sciences politiques. Les universitaires, qui ont eu à associer la Francophonie à Senghor, se sont contentés de laisser les oeuvres de celui-ci de côté pour les interventions et les articles écrits ou prononcés. Ce qui nous a interpellé est le revirement de Senghor. Revirement ? Oui, nous pouvons le dire, car il passa de la Négritude à la Francophonie2.

De ce fait, nous nous sommes demandé s'il ne serait pas intéressant d'étudier la Francophonie, en tant que concept, dans les oeuvres poétiques de Senghor ou de trouver les motivations inconscientes de ce revirement. De retour en Côte d'Ivoire, avec la possibilité de nous inscrire à l'Université pour la recherche scientifique, nous nous présentâmes au bureau du Professeur Adamou Kouakou pour lui soumettre notre sujet de recherche, et lui demander d'être notre directeur de recherche. Ce fut ainsi que nous avons fait le master. Et lors de la soutenance, notre mémoire a eu la mention très bien, et a fait l'objet d'une publication sous le titre La poétique de la francophonie.

Il semblerait que le voeu cher de Senghor serait de voir la Négritude et la Francophonie se réaliser en un seul concept. En fait, les messages que véhicule le concept de Francophonie, présenté par Senghor, s'appréhendent aisément et facilement dans ses oeuvres poétiques, vues comme des oeuvres de la Négritude. Mamadou Bani Diallo a raison de dire que « l'oeuvre et la pensée de Léopold Sédar Senghor semblent marquées par le sceau de la Francophonie et de la Négritude [...] »3. Cette même idée est soutenue par Lavodrama Philippe : « [Senghor] ne l'a pas seulement défendue, mais également illustrée, par son oeuvre littéraire et poétique »4.

2 Aïssata Soumana KINDO, « Senghor : De la Négritude à la Francophonie », Éthiopiques, n° 69, 2002

3 Mamadou Bani DIALLO, « Défense et illustration de la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor », Recherches africaines [en ligne], numéro 06-2007, 12 novembre. Disponible sur Internet http://www.recherches-africaines.net/document.php?id=967.

4 Philippe LAVODRAMA, « Senghor et la réinvention du concept de francophonie » La contribution de Senghor, primus inter pares, Les Temps Modernes, 2007/4 n°645-646, p. 182. Article disponible en ligne à l'adresse : http://www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2007-4-page-178.htm

Peut-on oublier que « le mot `' Francophonie» lui-même pose problème5, et qu'il faut avoir les arguments pour convaincre afin qu'on ait une conception unanime de la Francophonie.

C'est une longue histoire, la Francophonie et Léopold Sédar Senghor. Il nous a permis de la découvrir. Cela fait environ dix ans que nous étudions la Francophonie et la poésie senghorienne...

Si l'on a longtemps vu la Négritude comme le point de départ de la poésie de Léopold Sédar Senghor, elle n'en est pourtant pas la finalité. La finalité est d'aboutir peut-être à la Francophonie, expression plausible de la Civilisation de l'Universel.

5 Robert CHAUDENSON, « Prolégomènes à une approche de la francophonie africaine », Repère DoRiF n°2 voix/voies excentriques : la langue française face à l'altérité-volet n.1-novembre 2012-LES FRANCOPHONIES ET FRANCOGRAPHES AFRICAINES FACE À LA RÉFÉRENCE CULTURELLE FRANÇAISE, November 2012. Disponible sur http://www.dorif.it/ezine/ezine_articles.php?id=35 p.2

SOMMAIRE

Introduction pp. 9-30

Partie I : La Francophonie, un concept sauvé de ses cendres pp. 31-140

Chapitre I : La Francophonie, d'Onésime Reclus à la revue Esprit pp. 38-66

Chapitre II : Léopold Sédar Senghor et la Francophonie pp. 67-99

Chapitre III : La Francophonie en débat pp. 100-140

Partie II : La Francophonie dans la poésie de Léopold Sédar Senghor pp. 141- 323

Chapitre I : Le projet de la Francophonie pp. 148-204

Chapitre II : Le choix définitif de Léopold Sédar Senghor pp. 205-261

Chapitre III : La renaissance des valeurs culturelles africaines et

l'ouverture culturelle pp. 262-323

Partie III : La Francophonie, une problématique identitaire chez

Léopold Sédar Senghor pp. 324-460

Chapitre I : Léopold Sédar Senghor et la quête d'une identité rhizomique pp. 333-355

Chapitre II : La problématique d'une identité constituée pp. 356- 379

Chapitre III : L'identité francophone chez Léopold Sédar Senghor pp. 380-408

Chapitre IV : La poésie francophone : essai de définition pp. 409-460

Conclusion pp. 461-470

Annexes pp. 471- 549

Index des thèmes pp. 550-559

Index des auteurs pp. 560-567

Bibliographie pp. 568-609

Table des matières pp. 610-611

9

INTRODUCTION

La francophonie est un mot qui cherche à s'imposer dans le vécu quotidien des hommes et à avoir une définition qui fera l'unanimité de tous6. Il nous est si familier à telle enseigne qu'on ignore son origine et ce qu'il est au juste : « francophonie, voilà un terme qui nous est si familier. Mais sait-on d'où ça vient ? [...] À quelle occasion, dans quel contexte historique Reclus a-t-il forgé ce terme ? »7 Pourquoi Senghor s'est-il autant donné pour la Francophonie ? À ces interrogations, Thi Hoai Trang Phan semble donner une réponse : « La francophonie a beaucoup évolué depuis que, il y a de cela plus d'un siècle, le géographe français Onésime Reclus l'a définie comme ? l'ensemble des populations parlant français? dans le monde »8. En effet, le terme francophonie apparaît en 1880, sous la plume du géographe Onésime Reclus9 pour désigner la communauté linguistique et culturelle que la France doit constituer avec ses ex-colonies pour garantir la suprématie de la langue française. Pour Onésime Reclus, la France fait oeuvre civilisatrice d'Outre-Mer en se servant de la langue qui est l'un des instruments de la mission colonisatrice.

Le terme disparaît pendant la moitié du XXe siècle, seul l'adjectif « francophone » est utilisé. Cet adjectif, figurant dans les dictionnaires, désignait les personnes dont le français n'est pas la langue maternelle. C'est après la seconde Guerre Mondiale, à partir d'un numéro spécial de la revue Esprit (1962), qu'une " conscience francophone " s'est développée, et le terme francophonie a refait surface, comme le souligne Béatrice Turpin :

Le terme de francophonie, employé par Reclus à une époque de colonialisme conquérant, restera latent jusqu'à ce qu'il ressurgisse à l'époque de la décolonisation. La revue Esprit, citée dans les dictionnaires, et son numéro spécial de 1962 intitulé ? Le Français dans le monde? est ici capitale, dans l'histoire de la notion. Dans ce numéro paraît l'article de Senghor qui introduit le concept de francophonie dans une

6 Comme nous le dit Paola Puccini : « Quarante-cinq ans se sont écoulés depuis la sortie du numéro d'Esprit et la recherche d'une définition du mot /francophonie/ continue, et cette quête, en réalité, ne s'est jamais arrêtée. » (Paola PUCCINI, « le fonctionnement du mot "francophonie " dans la revue Esprit, novembre 1962 : à la recherche d'une définition », Documents pour l'histoire du français langue étrangère ou seconde, 40/41|2008, p. 10, mise en ligne le 17 décembre 2010

7 Abdillahi AOULED, « Francophonie : un mot, une histoire... », La nation, 19/19/2014 disponible sur www.lanationdj.com/#article/9455

8 Thi Hoai Trang PHAN, « Des dynamiques de la Francophonie », Afri, volume XII, 2011. Disponible sur http://www.afi-ct.org/article/des-dynamiques-de-la-francophonie/

9 Onésime RECLUS, France, Algérie et colonies, 1886

10

vision humaniste de partage et d'échange culturels, partage et échange mutuels qui ne seraient plus conçus dans un rapport de dominant-dominé.10

Béatrice Turpin nous apprend que la francophonie fut récupérée par Léopold Sédar Senghor11. À partir de ce moment, la francophonie fut l'objet d'étude universitaire, car nombreuses sont les oeuvres qui l'ont traité comme terme afin de la légitimer. La francophonie d'Onésime Reclus à Léopold Sédar Senghor, c'est-à-dire de 1880 à 1962, était un concept, une idée et une manière de vivre12. C'est vers les années 1980 que la francophonie est devenue une organisation, représentée par l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) avec ses sommets de chefs d'États, et qui regroupe environ quatre-vingt-quatre (84) États et gouvernements qui n'ont pas forcément la langue française en partage et qui n'entretiennent souvent aucun rapport avec la langue13. De ce fait, des critiques littéraires et politiques vont essayer de redéfinir la francophonie. À ce jour, l'on a pu dénombrer cinq définitions de la francophonie. Elle a donc une définition institutionnelle (politique et économique), une définition linguistique et culturelle (géolinguistique), une définition poétique, une définition socio-littéraire, et enfin une définition socio-discursive14. La francophonie s'écrit aussi de deux manières selon l'appréhension du terme. Tantôt avec un « f » minuscule, tantôt avec un « f » majuscule15. À cet effet, Paul Dumont affirme que

Jamais une notion, élevée par certains au rang d'un véritable concept, n'aura fait couler autant d'encre que celle de francophonie. Tout le monde s'en est emparée : écrivains, poètes, hommes politiques, académiciens, philosophes, linguistes, sociolinguistes, et chacun donne l'impression de tirer la couverture à soi. Il est difficile à l'observateur, noyé sous une énorme masse bibliographique, à la mesure, il est vrai,

10 Béatrice TURPIN, « Le terme francophonie dans les dictionnaires de langue », Convergences francophones, Encrage, pp.111-122, 2006, 2-910687-20-1<hal-01159525>

11 Allusion à l'article de Lavodrama Philippe, op. cit. (Voir note 4 de l'avant-propos)

12 Bruno BOURG-BROC, « une Francophonie parlementaire », Après demain ; n° 480-481-482. Il dit : « la francophonie, c'est l''affirmation d'une façon d'être et d'agir dont les valeurs dépassent le sens commun et s'imposent aux hommes quelle que soit leur origine, leur race, leur nationalité », p. 28. Jacques BARRAT et Claudia MOISEI, dans « Géopolitique de la Francophonie » diront que « la Francophonie est à la fois un concept et un espace [...] Mais elle est aussi une manière d'appréhender, de comprendre, d'écouter, de communiquer, un humanisme », p. 129

13 Des pays dont le français n'est pas la langue maternelle sont membres de plein droit de la Francophonie (OIF). Voir l'annexe VIII (annexe 8).

14 François PROVENZANO, « Francophonie et études francophones : considérations historiques et métacritiques sur quelques concepts majeurs », Portal Journal of Multidisciplinary studies, Vol.3, n°2 July 2006. Disponible sur http://epress.lib.uts.ed.au/ojs/index.php/portal

15 John Kristian SANAKER, Karim HOLTER ET Ingse SKATTUM, La francophonie : Une introduction critique. Oslo : Uniplub vorlag/Olso Academic Press, 2006, 277 p.

« F » majuscule pour la Francophonie institutionnelle (OIF)

« f » minuscule pour la communauté linguistique et culturelle.

Pour cette étude, nous avons choisi d'écrire la francophonie avec « f » majuscule pour désigner le concept francophonie et non l'OIF. (Voir Tanella Boni, La Francophonie, espace et temps de partage, www.tanellaboni.net/?p=75)

11

de la vitalité universelle du fait francophone, de s'y retrouver et de remettre un peu d'ordre dans ce flot apparemment incoercible d'idées, de conceptions, d'idéologies,

de préoccupations, d'intérêts, voire même de stratégies politico-culturelles.16

Paul Dumont nous apprend que la Francophonie est un concept défini par des personnes en fonction de leur culture, de leur objectif et que ces différentes définitions de la Francophonie peuvent dérouter n'importe quel observateur avéré ou pas. Face à la complexité du mot, la Francophonie cherchera à se doter d'une forme d'historicité et, comme tout mouvement voulant imposer évidemment son idéologie, se trouvera des pionniers, des précurseurs et évidement des continuateurs. Pour se justifier, elle sera donc le nouvel objet d'étude universitaire, comme l'affirme Christophe Premat : « Il semble que la francophonie émerge comme nouvel objet d'étude au sein du champ intellectuel et universitaire [...] »17 Pourquoi tant d'engouements autour de la Francophonie ? La réponse est que les avis ou les conceptions sur la Francophonie sont partagé(e)s.

Pour Xavier Deniau18, la Francophonie actuelle se démarque de toute manifestation de colonialisme, de racisme, d'impérialisme. Elle prône une communauté où l'on partage les valeurs culturelles communes ; où l'ouverture au monde extérieur, le dialogue et l'accueil de la différence sont de mise. Son texte met, aussi, l'accent sur les aspects institutionnels de la Francophonie, et le pragmatisme qui a prévalu dans leur mise en place. Tels que nous pouvons l'appréhender d'après les travaux de Jacques Barrat, Claudia Moisei, Serge Arnaud, Michel Guillou et bien d'autres spécialistes de ce concept19. Quant à Marc Gontard20, dans l'ouvrage édité sous sa direction, il tente de répondre aux questions que l'on se pose sur la Francophonie. Des questions pour savoir si la Francophonie ne désigne pas ou ne dissimule pas un groupement d'intérêt économique ou un réseau de clientélisme. Farandjis Stélio, quant à lui, réunissant tous les textes de ses conférences et allocutions durant les années 1989 et 1990, fait l'éloge de la Francophonie et de la langue française en invitant les autres à parler français21. Eugène Travares montre que la Négritude, la Lusitanité et la Francophonie sont une manière pour Senghor de

16 Paul DUMONT, « Francophonie, francophonies », Langue française ; n°85, p. 35

17 Christophe PREMAT, « Les avantages de la méconnaissance de la francophonie : le cas de la Suède », Alternative Francophone, Vol, p. 46. Il sera contredit par Abdoul Diouf qui dira dans le journal le Monde du 19.03.2007 « La francophonie ne recueille d'ailleurs pas plus les faveurs du monde académique ou de la recherche universitaire puisqu'elle n'a fait l'objet que de vingt-cinq article de politique internationale en l'espace de trente-six ans, et de deux thèses de sciences politiques depuis 2001 ! Désintérêt évident et, par voie de conséquence, méconnaissance réelle »

18 Xavier DENIAU, « La Francophonie », Que sais-je ?, Puf, Paris, 1983

19 Jacques BARRAT, Geopolitique de la Francophonie, Puf, Paris, 1997, 192 p.

20 Marc GONTARD, « L'espace culturel francophone à l'épreuve du regard », Regards sur la Francophonie, Presse Universitaire de Rennes, 1996, p 14

21 Farandjis STÉLIO, Francophonie fraternelle et civilisation universelle, Édition de l'espace Européen, 1991, 285 p.

12

passer à un stade supérieur dans sa quête d'identité universelle, car elles se résument en un seul projet politique chez Senghor22. Aïssata Soumana Kindo affirme, à propos de Senghor et de la Francophonie, que Senghor partira des manifestations de la Négritude pour aboutir à la Francophonie qui, selon elle, est la réalisation d'une harmonieuse symbiose des contraires23. À l'instar d'Aïssata S. Kindo, René Gnaléga avance que Senghor est un acteur et un bénéficiaire de la Francophonie, sans véritablement aborder la question dans l'oeuvre poétique de Senghor. Il a plutôt cherché à dégager la pensée senghorienne de la Francophonie à travers les cinq tomes de Liberté24.

Cependant, les critiques et les points de vue sur la Francophonie ne sont pas tous de bons augures comme nous font croire les auteurs cités plus loin tels que Xavier Deniau, Marc Gontard, Aïssata Kindo, René Gnaléga, etc... En effet, la Francophonie est vue comme un moyen pris par la France pour exprimer son hégémonie. Alexandra Aizier ne dit pas le contraire : « Pour ces auteurs (Guy Ossito, Gisèle Hountondji, Odile Tabner), donc, la francophonie n'est rien d'autre que le moyen trouvé par la France au lendemain de la seconde guerre mondiale pour rester une puissance mondiale et pour préserver son influence et son prestige au niveau international25 Parmi les auteurs, qui voient la Francophonie, jugent la Francophonie négativement, nous pouvons citer Karim Traoré, Hassan Benddi, Ambroise Kom, Bégong-Bodoli Betina et Passou Lundula. Pour Karim Traoré, la Francophonie permet de « stopper » toute idée d'émancipation chez l'intellectuel africain26. Hassan Benddi27 est du même avis que Karim Traoré. Il asserte que la Francophonie est une stratégie néo-coloniale de la France, et une récompense pour les Africains à la solde de la France. Dans cette même optique, Ambroise Kom28 tient un langage sans merci à l'encontre de Senghor qui vante les mérites de la Francophonie. Quant à Bégong-Bodoli Betina29, la Francophonie « est née des

22 Eugène TAVARES, « Négritude, Lusitanité et Francophonie chez Léopold Sédar Senghor ou la recherche ineffable d'identité », SYNERGIES, n° spécial 2, Brésil, 2010, pp.101-106

23 Aïssata Soumana KINDO, « Senghor : De la Négritude à la Francophonie », Éthiopiques, n°69 2ème semestre 2002

24 René GNALÉGA, « Senghor et la Francophonie », Éthiopiques, n°69, 2ème semestre 2002

25 Alexandra AIZIER, « La francophonie entre ? Dialogue des cultures? et ambition politique au lendemain du sommet de Beyrouth », Mémoire de fin de cycle, IEP de Lyon, septembre 2003, pp. 21-22, [sous la direction de Caroline Brossat]

26 Karim TRAORÉ, propos extrait de Théâtres africains (Actes du colloque sur le théâtre africain, École Normale Supérieure Bamako, 14-18 novembre 1988), Paris, Éditions Silex, 1990

27 Propos de Hassan BENDDI selon Marc GONTARD, op. cit

28 Ambroise KOM, « les fondements identitaires d'une intelligentsia africaine d'après Amadou Hampâté Bâ », Francophonie et identités culturelles, sous la direction de Christian Albert, Paris, Karthala, 1999, pp. 206- 207

29 Bégong-Bodoli BETINA, De la Francophonie à la ?francofratrie? : un défi de la francophonie du XXIème siècle, disponible sur www.gellugb.over-blog.com/2014/07/de-la-fracophonie-a-la-francofratrie-un-defi-de-la-francophonie-du-xxieme-siècle-par-begong-betina-html

13

cendres de la Communauté française » donc elle « est néocoloniale ». Passou Lundula30 affirme simplement que Senghor s'est servi de l'artifice du langage pour suborner le peuple noir, car le triomphe de la Francophonie à ses yeux est très important que le panafricanisme.

Farandjis Stélio dit à nouveau, pour justifier l'existence de la Francophonie, que « Trois erreurs historiques sont souvent colportées au sujet du rapport entre la francophonie et l'ère coloniale. [...] Le mot ?francophonie? n'est pour ainsi dire pas employé pendant la période coloniale, d'autre part la francophonie n'a pas été un argument pour justifier la colonisation, enfin l'Empire ne `' francophonisait» qu'une très mince pellicule sociale destinée à devenir la domesticité supérieure. »31 Mieux, Claire Tréan affirme qu' « un autre contresens largement répandu est de penser que la francophonie est un instrument aux mains de la France, au service de sa propre stratégie d'influence. »32 Mais, elle reconnaît qu'on ne peut pas « contester que la France y a un poids prépondérant... »33. Et Senghor, pour répondre à tous ses détracteurs l'accusant d'être « pris dans le piège du concept que lui-même a fait renaître de ses cendres »34, donne une sorte de définition de la Francophonie qui semble proche de sa Négritude. Celle de l'unité dans la diversité. Cela est justifié par Stella Johnson, lorsqu'elle dit que « la symbiose qui caractérise l'unicité de la perception de Senghor quant à la Négritude (...) marque également la définition de la Francophonie par cet homme de Lettres. »35

Les conditions dans lesquelles voit le jour la Francophonie et son rapport à l'histoire sont confus et vagues que les concepteurs, en particulier Senghor, et les spécialistes n'ont pas donné une définition propre à ce concept36. Ils se perdent ou se mélangent dans les définitions qu'ils émettent ; parfois ces définitions sont si confuses et contradictoires qu'elles amènent à des prises de position ou à des interprétations à titre personnel ou à des contre arguments37. C'est dire que l'appréhension de la Francophonie n'est pas toujours aisée. Cependant, l'on est

30 Passou LUNDULA, Autopsie d'un cas, Léopold Sédar Senghor, Lubumbashi, Édition Passou, 2005 ; 296 p. 31Farandjis STÉLIO, « Repère dans l'histoire de la Francophonie », Hermes, la Revue 3/2004, (n°40), p. 50

32 Claire TRÉAN, Francophonie, idées reçues, Le Cavalier Bleu, Paris, 2006, p. 29

33 Idem, p. 30

34 Adou BOUATENIN, « La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : `'Que m'accompagnent Koras et Balafong», et `' Chaka» », Mémoire de Master 2, Université Félix Houphouët Boigny, 2004-2005, [sous la direction de N'guettia Martin Kouadio], p. 30

35 Stelle M.A. JOHNSON, « L'apport de Léopold Sédar Senghor à la Francophonie », Éthiopiques, n°70, 2003

36 J. Tshisunguwa TSHISUNGU dira, dans son article intitulé « La conception senghorienne de la

Francophonie », extrait d'Éthiopiques, numéro 50-51, qu' « En suivant une approche diachronique, on constate que Senghor donne plusieurs définitions du mot francophonie. Ce qui ne peut manquer de surprendre. En effet, un concept polysémique est très peu opératoire sur le plan scientifique car il ne peut être ni généralisable, ni susceptible de renvoyer à un signifié chez tous les chercheurs travaillant dans un domaine donné. » Cependant, notre objectif est de montrer que ce concept a une seule définition appréhendable dans les oeuvres poétiques de Senghor. Ceci est le fondement de notre étude.

37 Philippe LAVODRAMA, à ce propos, affirme que « le fait est que le flou de la définition a assuré le succès en Francophonie, où l'on affectionne le germe comme l'exercice, car il autorise les interprétations et les usages les plus divers. », op. cit., p. 229

14

unanime que la langue française est le socle de la Francophonie38. Néanmoins, l'on reste encore perplexe, lorsqu'on aborde une étude sur l'appréhension conceptuelle de la Francophonie, puisqu'elle a dépassé les définitions de Senghor et celle d'Onésime Reclus du fait de certaines réalités nouvelles. C'est pourquoi, Hervé Bourge exhorte à « décomplexer la Francophonie »39 et nous dit que « le rapport à l'histoire de la Francophonie n'a pas encore été tranché sereinement. »40. Hervé Bourge donne, en effet, des pistes de réflexions. Cependant, il nous a paru intéressant d'étudier les oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor pour mettre en lumière le concept de Francophonie. D'où la formulation de notre sujet : « La Francophonie et son expression dans la poésie de Léopold Sédar Senghor »41.

Dans ce sujet, deux mots sont à expliquer, à savoir « la Francophonie » et « expression ». La Francophonie est « un concept de la valorisation des cultures des pays ayant le français en partage [...] »42 ou un concept de métissage culturel. Ce point de vue est partagé par Ibrahim Diop. Pour lui, « [la] particularité entre autres de la réinterprétation du concept de francophonie initiée par Senghor et ses camarades repose de ce fait sur une redéfinition de la langue du colonisateur comme moyen de communication égalitaire, décentralisée et transnationale. »43 Jacques Barrat et Claudia Moisei soulignent que « la francophonie est à la fois un concept et un espace habité par ceux qui ont le français en partage »44. Bi Trazie Serge conclura en ces termes :« [...] bref la francophonie, c'est une idée. Une idée défendue et combattue à la fois, mais qui continue de résister notamment à travers l'organisation dont elle

38 « Pour revenir à la Francophonie, le seul principe incontestable sur lequel elle repose est l'usage de la langue française. », affirma Léopold Sédar Senghor dans « La Francophonie comme culture », Études littéraires, vol 1, n° 1, 1968, p. 131

Xavier DENIAU dira que « L'utilisation, la bonne utilisation de notre langue est le fondement même de la francophonie.» (Journal officiel de l'Assemblée Nationale française, 1ère séance du 4 mai 1994, p. 1446) ou comme l'affirme Bourg-Broc « Le Français est aussi le lien de toute une communauté que l'on nomme la francophonie. » (Journal officiel de l'Assemblée Nationale française, 3e séance du 3 mai 1994, p. 1578

39 Hervé BOURGES, « Pour une reconnaissance de la Francophonie », Rapport remis à Monsieur Alain Joyandet, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la Francophonie, juin 2008, p. 3

40 Idem

41 Léopold Sédar SENGHOR disait : « On s'étonnera, sans doute, que le militant de la Négritude, que j'ai été au Quartier latin, soit tombé, par la suite, dans la Francophonie. » (« De la Francophonie », éthiopiques, numéro 50-51, Nouvelle série-2ème et 3ème trimestre 1988, volume 5 n°3-4). En effet, nous sommes dit que les motivations de son choix se trouveraient, sans doute, dans ses oeuvres poétiques.

42 Adou BOUATENIN, « La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : `'Que m'accompagnent Koras et Balafong», et `' Chaka» », op. cit., p. 32

43 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et dialogue interculturel », Nouvelle Série, n° 18, 2014, p. 9

44 Jacques BARRAT et Claudia MOISEI, Géopolitique de la Francophonie, un nouveau souffle ?, 2004, p. 129

15

s'est dotée. »45 De ce fait, la Francophonie est étudiée en tant que concept46, voire en tant qu'idée, et s'écrira avec un « f » majuscule dans cette présente étude, non pas pour désigner la Francophonie institutionnelle47, mais la Francophonie dans son acceptation générale. Toutefois, nous tenons à rappeler et à préciser que la Francophonie est à la fois un mouvement (un concept ou une idée) militant, politique et culturel, et une organisation multilatérale, l'OIF.

Par « expression », il faut entendre qu'il est question de savoir comment est dit le concept de Francophonie dans la poésie de Senghor et d'étudier ses manifestations. En effet, la poésie constitue une manière spécifique de rendre compte du monde par la place qu'elle donne à l'imagination et au travail sur la signification et la matérialité sonore des mots. Elle est le genre où chaque poète, inventant une langue qui lui est propre, transmet le plus directement au lecteur sa vision du monde et son émotion, ou son aptitude à exprimer par divers moyens ses idées. Dans ce cas, la poésie serait le moyen pour Senghor d'exprimer le concept de Francophonie, car cela est sa vision du monde. Alors, pour comprendre ce concept, il faut chercher dans sa poésie les mots pour dire ou la manière d'exprimer la Francophonie. Cette manière d'exprimer ou d'écrire est, dans cette étude, l'expression. En fait, « écrire, dans son sens moins physique et plus poétique, c'est donner vie, avec des mots, à une idée dont le message informe par son contenu et émeut par sa beauté, c'est procéder à une élaboration de textes avec la préoccupation de faire du beau avec les mots dans le but de les conserver ou de les transmettre à un destinataire individuel ou collectif. »48 Mieux, « les mots ne sont pas seulement des sons et des graphies doués de sens, des instruments à signifier et à communiquer ; ils portent aussi des saveurs et des impressions, des émotions figées, des énigmes ou des symboles »49. Comme le souligne Joël Clerget : « Méfiez-vous des poètes, avec les mots, ils font naître des choses. Avec les mots, ils font apparaître les choses, là, sous vos yeux, à n'en pas croire vos oreilles. »50 Senghor dit, également, qu'avec les mots, le poète est

45 Bi Trazié Serge BLI, Francophonie et diversité : Autour des constructions verbales en Côte d'Ivoire à travers l'exemple de productions écrites et orales d'étudiants de l'Université Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan, Thèse de Doctorat, l'Université Paris Ouest Nanterre-La Défense, École doctorale CLM, 2014, 349 p. [Sous la direction de M. Jean-François JEANDILLOU], p. 23

46 J. Tshisunguwa TSHISUNGU affirme que « La francophonie n'est pas un concept scientifique au sens strict mais un mot permettant d'identifier une histoire et une géographie singulières. », op. cit.

Cependant, notre volonté est aussi de montrer que la Francophonie est avant tout un concept au sens strict du mot comme le dit Paola Puccini : « ce mot deviendra un mot témoin à travers lequel nous voulons observer la naissance d'un concept, d'une réalité qui, à l'époque, était en train d'émerger : la francophonie. », op. cit., p. 2

47 Voir note 9, p. 10

48 Ngalasso Mwatha MUSANJI, « Écrire en langue seconde. Le discours des écrivains africains francophones », Cahiers de l'Association internationale des études françaises, 2007, n°52, pp. 110-111 (pp. 109-126)

49 Loïc DEPECKER, Les mots de la Francophonie, Paris, Belin, 1988, p.4

50 Joël CLERGET, « Je est un autre », Poésie et psychanalyse, L'Amourier édition, 2007, p. 13

16

capable de « nommer les choses pour qu'apparaisse le sens sous le signe »51. De ce fait, nous pouvons dire que Senghor avait déjà exprimé le concept de Francophonie dans ses oeuvres poétiques avant de le proposer au monde. Cela suppose que la poésie senghorienne est aussi l'expression de la Francophonie.

La raison du choix de Léopold Sédar Senghor et sa poésie est tout simple52. En effet, la poésie senghorienne exprime l'état d'un sujet « je » qui prend conscience de son identité mutilée par la guerre, l'esclavage, la colonisation et le séjour en Europe ; qui prend conscience qu'il a une histoire, une culture ; qui prend conscience qu'il doit renoncer à ses convictions pour être le porte-parole de son peuple, de sa race devant les grandes nations. « Dire de quelqu'un qu'il est sans histoire est la pire des horreurs. S'il n'a pas d'histoire, sa subjectivité, c'est-à-dire la possibilité de dire je et de parler en son nom, est entravée. Elle est perturbée, voire abolie »53. Pour cela, le sujet « je » doit s'enraciner dans sa culture, se confirmer d'abord, puis s'ouvrir à l'autre en l'acceptant comme frère, « par-là, notre subjectivité est accueil d'autrui. »54 Cela traduit bien la conception senghorienne de la Francophonie. Selon Ibrahim Diop55, « les efforts de Senghor pour la mise en oeuvre du concept de Francophonie se justifient par sa volonté et sa quête d'un facteur de rapprochement entre les cultures et civilisations. [..] Il soutient que la Francophonie est une occasion, une possibilité pour le continent africain de participer ?à la renaissance du monde, de s'ouvrir aux autres, d'aller à la rencontre de l'humanité? » ou « la Francophonie aspire à la réalisation d'une symbiose culturelle fructueuse entre les nations, d'une conciliation des contraires ou de l'accord conciliant d'après les propres termes de Senghor ». Partant de ce fait, Nicolas Sarkozy exhorte à « revenir à une francophonie conforme à l'esprit de Senghor56

51 Léopold Sédar SENGHOR, Postface d'Éthiopiques, (Poèmes), p. 157

52 Adou BOUATENIN : « Pourquoi Senghor et non pas un autre poète africain ou un poète quelconque ? Senghor, certes, a été beaucoup critiqué et étudié. Cependant, si aujourd'hui il continue à être au centre des recherches, c'est parce qu'il reste dans son oeuvre des zones non encore explorées ou insuffisamment analysées par les critiques littéraires. Ses poèmes, sa Négritude, sa vision du monde, sa Francophonie font de lui un homme à multiples facettes. Grammairien, poète, politique, négritudien, francophoniste, il avait assez de cordes à sa kora, comme Orphée, pour charmer les critiques qui continuent à faire couler encore l'encre de leur plume. Tous veulent s'approprier l'héritage littéraire, à la fois compact et complexe, laissé par Senghor. [...] Senghor s'est fait le poète de la Négritude et le chantre de la Francophonie. Nous voyons deux faces du poète : Négritudien et Francophoniste. Deux termes divergents, chantés et conciliants. C'est donc cette ambiguïté chez le poète qui nous a amené à formuler le sujet... », La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : "Que m'accompagnent Koras et Balafong" et "Chaka" , « La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : `'Que m'accompagnent Koras et Balafong», et `' Chaka» », op. cit., p. 10

53 Joël CLERGET, op. cit., p. 19

54 Idem, p. 17

55 Ibrahim DIOP, Op. cit., p. 11 et p. 12

56 Nicolas SARKOZY, « Pour une francophonie vivante et populaire », le Figaro, 20 mars 2007, p. 14

17

La Francophonie conforme à l'esprit de Senghor, objectivement, est un concept, un fait : une culture. Elle est l'ensemble des valeurs économiques et politiques, intellectuelles et morales, artistiques et culturelles des peuples utilisant la langue française57. Subjectivement, la Francophonie conforme à l'esprit de Senghor est le fait d'assumer toutes ces valeurs susmentionnées, les actualiser et féconder, au besoin avec l'apport de tout un chacun, pour les suivre par soi-même, pour soi et pour les autres, apportant ainsi sa contribution à la Civilisation de l'Universelle58. Revenir donc à la Francophonie conforme à l'esprit de Senghor, c'est revenir à ses oeuvres poétiques tout simplement.

Nous savons qu'il est moins intéressant aujourd'hui de rédiger une thèse sur Léopold Sédar Senghor pour mettre en évidence son combat ou pour polémiquer sur tel ou tel problème de sa production poétique. Car, beaucoup de travaux ont été faits sur lui et sur sa poésie. Cependant, si, aujourd'hui, il continue à être au centre des recherches, c'est parce qu'il subsiste dans son oeuvre des zones non encore explorées ou insuffisamment analysées par les critiques littéraires. Telle que l'appréhension de la Francophonie dans sa création poétique. En effet, le terme Francophonie inventé par Onésime Reclus est donc affranchi de ses origines coloniales et valorisé par Senghor59 au profit de la Négritude, dont il est l'un des théoriciens. Il sera violemment critiqué et contesté car la Francophonie serait une autre forme de la colonisation française pour ses détracteurs. Or, tous sont unanimes que sa poésie s'enracine à la fois dans sa culture d'origine (culture africaine) et dans sa culture d'accueil (culture occidentale), car, dans ses poèmes, se mêlent, s'entremêlent et se démêlent deux cultures en apparence de nature inconciliable, conciliées par la magie des mots et de l'écriture.

Ce fait nous emmène à nous demander comment la poésie senghorienne exaltant les valeurs africaines peut exprimer les valeurs promues par la Francophonie. À cette question, Mamadou Bani Diallo répond en affirmant que « l'oeuvre et la pensée de Léopold Sédar Senghor semblent marquées par le sceau de la francophonie et de la Négritude [...] »60. Cette idée est soutenue par Lavodrama Philippe : « [Senghor] ne l'a pas seulement défendue, mais également illustrée, par son oeuvre littéraire et poétique. Ce zèle et cette fidélité sans faille ont fait de lui la figure emblématique de la francophonie [...]. »61 Ibrahim Diop, quant à lui, affirme

57 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », Esprit, 1962, p. 838 et p. 844

58 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, p. 190

59 Senghor disait : « Pour les quelques années qui me restent à vivre, mon plan est simple [...] : je me consacrerai entièrement à mon action culturelle, en me mettant triplement au service de la Négritude, de la Francophonie et de la Civilisation de l'Universel. », selon Janet G. Vaillant, Vie de Léopold Sédar Senghor : Noir, Français et Africain, p. 437

60 Mamadou Bani DIALLO, op. cit.

61 Phillipe LAVODRAMA, op. cit., pp. 182-183

18

que « Négritude, Francophonie et dialogue des cultures sont des concepts chers à Senghor et qui cristallisent la quintessence de son oeuvre littéraire et poétique. »62 En admettant que la poésie de Senghor, l'archétype de la Négritude, est l'espace artistique de la Francophonie, n'est pas reconnaître qu'elle est aussi un artifice du langage du concept de Négritude pour mettre au-devant de la scène la Francophonie. Si tel était le cas, alors l'écriture poétique senghorienne serait une écriture servant d'ornement à la Négritude et un manifeste de la Francophonie. Peut-on dire que la poésie senghorienne est dépassée par la Négritude si elle est le fondement de la Francophonie ? Si l'on a longtemps vu la Négritude comme le point de départ de la poésie de Senghor, elle n'en est pourtant pas la finalité. La finalité est d'aboutir à la Francophonie, puisque la Négritude n'a été que le soubassement du concept de Francophonie : « c'est en s'appuyant sur la Négritude que Senghor a jeté les bases ou les fondements de la Francophonie. »63

La Francophonie serait-elle alors la forme achevée de la Négritude ? À vrai dire, Senghor déplace et renouvelle sa Négritude en vue de forger la Francophonie, comprise comme un instrument au service du dialogue interculturel. Or, Lilyan Kesteloot pense qu'il n'y a ni dépassement, ni opposition entre Négritude et Francophonie, mais qu'il y a une sorte d'harmonie64. Ce qui sous-entend que la poésie de Senghor est l'empreinte de la Négritude et de la Francophonie, comme l'affirme Fernando Lambert : « C'est trois mots, ? négritude?, ? francité ou francophonie? et ?civilisation de l'universel?, constituent en quelque sorte les grands axes de sa poésie, de sa pensée philosophique et politique, de son action de chef d'État et de toute sa vie »65. Senghor avait-il réellement besoin de la poésie pour véhiculer la Francophonie ? Si oui, alors quelles en sont les motivations inconscientes ou conscientes ? Le caractère dualiste de la poésie senghorienne fait dire René Gnaléga66 et Celina Scheinowitz67 que Senghor est un poète francophone. Que faut-il comprendre par « poète francophone » ? À cet effet, nous disons que « le poète francophone est donc celui qui, par la poésie, exprime la conciliation des valeurs noires et des valeurs occidentales, et dont la création poétique manifeste cette symbiose peu importe sa nationalité ; du fait qu'il use de la langue française pour l'exprimer. »68 Ceci est-il valable pour les écrivains francophones ? N'y a-t-il pas d'autres

62 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 8

63 Adou BOUATENIN, « La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : `'Que m'accompagnent Koras et Balafong», et `' Chaka» », op. cit., p. 99

64 Lilyan KESTELOOT, « Senghor, la Négritude et la Francophonie », extrait de Césaire et Senghor. Un pont sur l'Atlantique, Éditions L'Harmattan, Paris, 2006

65 Fernando LAMBERT, « Centenaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor », Dossiers thématiques, p. 356

66 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation de l'universel, Paris, L'Harmattan, 2015, 174 p.

67 Celina SCHEINOWITZ, L. S. Senghor, Paris, L'Harmattan, 2009, 192 p.

68 Adou BOUATENIN, La poétique de la francophonie, Allemagne, EUE, 2015, p. 105.

19

paramètres à prendre en considération pour définir le poète francophone, voire la poésie francophone ? À bien voir, nous comprenons que le texte francophone est le lieu de tension entre deux cultures exprimées en français dont l'écriture serait le catalyseur conciliant. De ce fait, pouvons-nous dire que la poésie de Senghor confirme le concept de Francophonie ? Et si tel est le cas, comment est-il exprimé dans ses oeuvres poétiques ? De ce qui précède, nous constatons que notre volonté d'étudier la conformité entre la création poétique de Senghor et la concrétisation ou la conceptualisation de la Francophonie suscite beaucoup d'interrogations. Or, il s'agit de lire le concept de Francophonie dans la poésie de Senghor ou de voir comment la poésie de Senghor met en évidence le concept de Francophonie. Nous voulons, en tant qu'homme de lettres, interroger l'oeuvre poétique de Senghor pour comprendre ce que signifie réellement la Francophonie chez celui-ci. Mieux, il est question d'étudier son fonctionnement dans l'oeuvre poétique de celui qui l'a plus plébiscitée. Notre étude consiste également à déceler les raisons qui ont poussé Léopold Sédar Senghor à la Francophonie et à appréhender les caractéristiques de cette Francophonie dans ses oeuvres poétiques. Autrement dit, il faut interroger les motivations qui ont présidé à la réinvention du concept de Francophonie chez Senghor tout en relevant ses marques dans son oeuvre poétique.

Le travail scientifique requiert une démarche méthodologique en fonction des résultats ciblés. Aussi, l'étude d'une oeuvre poétique ou d'un poème peut être abordée de multiples façons, dont certaines semblent faites pour permettre d'en élucider la signification ; d'autres l'articulation du texte ou d'étudier les principes grammaticaux, sémantiques, pragmatiques, phoniques, prosodiques, morphologique du poème. Comme le dit Gérard Dessons, « analyser un poème ne consiste donc pas à employer aveuglement un ensemble de techniques, mais à mobiliser un savoir pour étudier comment une oeuvre signifie. »69 Il convient donc à l'exégète de choisir le plus souvent les outils en fonction de sa culture théorique qu'il adapte à son objet d'étude, au poème ou à l'oeuvre poétique qu'il veut étudier. Autrement dit, c'est l'exégète qui construit son objet par rapport à son objectif, car il sait d'avance que le poète est un artiste qui travaille avec les mots d'abord, mais aussi avec sa sensibilité, sa perception du monde, et la connaissance qu'il en a, tout en laissant transparaître sa personnalité. Étant donné que « la poésie, comme le rêve, constitue une voie de passage entre conscience et inconscient »70, et qu'elle (la poésie) est caractérisée par une double structuration71, la méthode appropriée pour

69 Gérard DESSONS, Introduction à l'analyse du poème, Armand Colin, Paris, 2005 (avant-propos)

70 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes au mythe personnel, introduction à la psychocritique, José Corti, Paris 1963, p.24

71 Arnaud BERNADET, Pour une « rhétorique profonde », Université de Franche-Conte Centre « Jacques Petit », 2004

20

notre étude est la psychocritique de Charles Mauron. La psychocritique, parce qu'elle « consiste à étudier une oeuvre ou un texte pour relever des faits et des relations issus de la personnalité inconsciente de l'écrivain ou du personnage. En d'autres termes, la psychocritique a pour but de découvrir les motivations psychologiques inconscientes de l'individu, à travers ses écrits ou ses propos.»72 En fait, la psychocritique est l'étude de l'inconscient dans le comportement humain, la critique a pour tâche d'expliquer, dans sa forme et son contenu un texte composé en vue d'un effet littéraire. Par ailleurs, qui parle de texte, parle d'un mouvement d'idées volontaires ou involontaires bien agencées et synchronisées afin de véhiculer un message.

La psychocritique se veut une méthode d'analyse littéraire et scientifique, car ses recherches sont fondées essentiellement sur les textes et aussi parce que sa méthode est issue de la psychanalyse de Freud et de ses disciples. Charles Mauron veut tenter d'objectiver les données des textes littéraires pour que les critiques ne travaillent plus seulement à l'intuition, mais qu'ils tiennent compte de l'apport des sciences contemporaines et essentiellement de la psychologie freudienne. En effet, la psychocritique accroît « notre intelligence des textes littéraires en y discernant d'abord, pour les étudier ensuite, les relations dont la source doit être raisonnablement recherchée dans la personnalité inconsciente de l'auteur, faute de la pouvoir trouver dans sa volonté ou dans le hasard73 En plus, le poète ou l'écrivain, en écrivant, n'est pas conscient des mots répétés ou des mots qui reviennent de façon récurrente sous sa plume dans son texte74. Aussi, selon Charles Mauron, un texte est l'expression de l'inconscient. Autrement dit, l'acte littéraire est considéré comme l'expression inconsciente d'un désir refoulé75, voire la pensée claire et consciente d'un auteur. L'oeuvre littéraire est également toute une pensée qui appartient à l'inconscient. Celui-ci est largement à l'oeuvre dans le texte tout en échappant à l'auteur. L'auteur est dans son texte bien plus qu'il ne le pense. Cet inconscient qui renvoie au vécu de l'auteur ne parle pas de façon claire. Sa méthode a pour but de faire réfléchir sur ce que signifie lire un texte littéraire ? Le texte littéraire est un texte qui dépasse énormément ce que l'auteur a voulu consciemment écrire. Car, c'est une projection de toute une partie qui échappe à l'auteur. La caractéristique de tout texte littéraire est l'expression d'un inconscient. Une des conséquences est que, pour lire correctement un texte littéraire, il

72 Léandre SAHIRI, À propos de « Deuxième épitre à Laurent Gbagbo » de Tiburce Koffi : les mots utilisés par Tiburce Koffi sont à la limite de l'injure proférée à l'égard de M. Laurent Gbagbo, le 19 novembre 2010, disponible sur www.ivoirebusiness.net/articles/propos-de-«-deuxième-épitre-à-laurent-gbagbo-»-tiburce-koffi-contradictions-et-dérive

73 Charles MAURON, Psychocritique du genre comique, José Corti, Paris, 1964, p. 141

74 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, op.cit., p. 80 : « L'écrivain n'a conscience que de leur adaptation à son sujet actuel. Il ignore l'origine profonde et personnelle de leur répétition ».

75 Allusion à Sigmund Freud.

21

faut le décoder, car l'inconscient ne s'exprime pas de façon claire, il parle par symbole, par image : tout un langage secret ; il faut une méthode adaptée, car on fait plus qu'une simple lecture. Et la méthode adaptée n'est pas sans lien avec celle utilisée par un psychanalyste pour tenter de décoder les rêves, d'où la proposition de la psychocritique, mise en vedette dans son livre phare Des métaphores obsédantes au mythe personnel (1963). Charles Mauron insiste sur le fait que cette méthode est, avant tout, une méthode de lecture littéraire pour mieux aimer et comprendre un texte, ce n'est donc pas l'occasion de psychanalyser un auteur76. La méthode psychocritique comporte quatre opérations successives : la superposition de plusieurs textes d'un auteur pour relever les éléments récurrents ; le réseau obsédant qui met en évidence le « mythe personnel » de l'auteur ; le mythe personnel qui se lit à travers les mots, les expressions, les images qui reviennent de manière consciente ou inconsciente sous la plume de l'auteur (les métaphores obsédantes) ; la biographie de l'auteur qui vient à point nommé dans un but de contrôle des résultats acquis...(facultatif). Au fait, « l'interprétation et le contrôle biographique s'appliquent à des analyses déjà poussées fort avant. »77

C'est-à-dire on cherche, à travers l'oeuvre du même écrivain, comment se répètent et se modifient les réseaux, groupements d'un mot en général, les structures révélées par la première opération [...] ; la deuxième opération combine ainsi l'analyse des thèmes variés avec celle des rêves et de leurs métamorphoses. Elle aboutit normalement à l'image d'un mythe personnel ; la troisième opération est la phase de l'interprétation du réseau obsédant pour mettre en évidence le mythe personnel de l'auteur ; la dernière opération vient justifier les résultats acquis par l'étude de l'oeuvre, c'est une sorte de comparaison avec la vie de l'écrivain.78 Soyons plus explicite. Pour ce faire, il faut superposer des textes, d'un même auteur, [très différents tant par l'époque de rédaction que par le style (roman, théâtre, poésie...)]. Si on les superpose on voit apparaître un réseau que l'on ne doit, a priori, pas attendre ; un réseau qui a une forme obsédante, qui revient inconsciemment dans toute l'oeuvre. Il s'agit donc de faire apparaître des éléments qu'on ne voit pas à la première lecture. Pour Charles Mauron, il ne faut pas se contenter des réseaux mais les regrouper entre eux afin de former des associations complexes pour dessiner une figure, appelée métaphore obsédante. On les voit donc apparaître. Elles expriment des situations dramatiques (elles jouent une histoire) à qui on donne le nom « mythe ». Un mythe est une structure poétique, une histoire poétique qui dit de manière

76 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, op. cit, p. 25

77 Idem., p. 32

78.Charles MAURON, Psychocritique du genre du comique, José Corti, Paris, 1964, p. 142. Il résume les différentes opérations qui composent la méthode de la psychocritique.

22

symbolique une vérité profonde, et il est personnel, propre à chaque écrivain. Chez Charles Mauron, ce mythe est appelé Mythe Personnel. Nous disons de ce mythe qu'il « est l'image que l'écrivain se construit de façon inconsciente dans son oeuvre ou dans son texte, et qui permet de saisir sa personnalité (qui laisse transparaître la nature de sa personne) »79. C'est l'histoire que raconte la structure de son inconscient, mieux « le phantasme le plus fréquent chez un écrivain ou mieux encore l'image qui résiste à la superposition de ses oeuvres »80. Mais, cette histoire est racontée de manière imagée. Repérer le mythe personnel, revient à repérer quelle histoire jouent les figures et ce qu'elles signifient. Grâce à elles, on pourrait suivre les étapes d'un mythe et d'un drame personnel. Les figures sont révélatrices du drame originel de l'écrivain et de la manière dont il a vécu ce drame au cours de sa vie. Ce mythe évolue dans le temps et raconte comment l'écrivain a été peu à peu débordé par son drame. La méthode de Charles Mauron ne commence pas par l'étude de la biographie mais se termine par son étude. La vie de l'écrivain n'est là que pour vérifier ce qui a été traduit par l'analyse des textes. Il s'agit de confronter le texte à la biographie après son étude. La psychocritique se veut donc une critique littéraire, scientifique, partielle et non réductrice. Littéraire, car ses recherches sont fondées essentiellement sur les textes ; scientifique, de par son point de départ (les théories de Freud et de ses disciples) et de par sa méthode empirique (Mauron se sert de la méthode expérimentale de Claude Bernard) ; partielle, puisqu'elle se limite à chercher la structure du phantasme inconscient. L'écrivain parle, raconte les évènements de sa vie et ses impressions présents, se plaint, confesse ses désirs et ses émotions. Le psychocritique s'applique à diriger la marche des idées de l'écrivain en leur donnant des explications81. En d'autres termes, la psychocritique a pour but de découvrir les motivations psychologiques inconscientes d'un individu, à travers ses écrits ou ses propos.

Notons, à cet effet, que l'oeuvre n'est ni un énoncé exclusivement conscient ni une réflexion entièrement inconsciente. Elle se situe entre ces deux aspects. Sa dimension inconsciente vaut autant que le texte consciencieusement élaboré, même s'il faut admettre, cependant, que l'inconscient de l'oeuvre littéraire n'est pas le socle d'une oeuvre littéraire. Celui-ci (l'inconscient) s'interprète comme étant le feu intérieur qui trahit la pensée de l'écrivain. C'est ce feu intérieur - dont les traces sont perceptibles dans la poésie de Léopold Sédar Senghor - qui nous intéresse afin de mettre au jour les éléments de réponse ou les motivations qui ont

79 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : `' Que m'accompagnent Koras et Balafong» et `'Chaka», op. cit., p. 78

80 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes au Mythes personnel, op. cit, pp. 211-212

81 Référence à Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse, Paris, Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits », 28 novembre, 2003, p. 14

23

préludé au concept de Francophonie. Charles Mauron n'affirme-t-il pas que la psychocritique offre l'avantage d'« explorer une certaine profondeur de l'hinterland inconscient»82 ? Car, la découverte de réseaux d'« associations d'idées obsédantes »83 dans notre corpus traduit la présence d'une pensée consciente qui véhicule une réalité intérieure. Cette réalité intérieure semble, chez Senghor, le concept de Francophonie. Et le psychocritique, pour sa part, ne perd pas les textes de vue, car « il s'est promis d'en accroître l'intelligence et ne réussira que si son effort y rencontre celui des autres disciplines critiques »84, telle que la théorie de la subjectivité de Catherine Kerbrat-Orecchioni85. Pour y parvenir, nous convoquerons, par moment, cette théorie86.

La psychocritique, parce que l'étude du mythe personnel permet de comprendre l'oeuvre et l'écrivain. Au fait, la connaissance essentielle de l'oeuvre littéraire échappe à l'enquête scientifique87, car elle relève de la psyché de l'écrivain, comme une manifestation à la fois consciente et inconsciente de la personnalité de celui-ci. En écrivant, une grande partie de ce que l'écrivain exprime lui échappe ; elle est souterraine et voilée. Pour l'appréhender, il faut comprendre la psyché de l'écrivain. Or cette psyché est mise à découvert dans son oeuvre. Ainsi, pour lire la Francophonie chez Senghor revient à appréhender sa psyché dans son oeuvre afin de mettre en lumière sa conception de la Francophonie ; puisque « la création d'une oeuvre est un acte psychique. »88 Une méthode comme la psychocritique est nécessaire dans notre étude pour comprendre Senghor sur la question de la Francophonie au travers de sa poésie.

La poésie de Léopold Sédar Senghor se résume à ses oeuvres poétiques, pour ainsi dire, à ses huit (08) recueils de poèmes, à savoir Chants d'ombre (1945), Hosties noires (1948), Éthiopiques (1956), Nocturnes (1961), Lettres d'hivernage (1972), Élégies majeurs (1979) Poèmes divers (1990), et Poèmes perdus (1990). Nous avons choisi de travailler sur Chants d'ombre, Hosties noires, Éthiopiques, Nocturnes et Lettres d'hivernage publiés en un seul

82 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes au Mythes personnel, op. cit, p. 30.

83 Idem, pp. 10-11.

84 Ibidem, p. 25

85 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, L'énonciation : de la subjectivité dans le langage, Paris, Armand-Colin, 1997 (Nous allons expliquer cette théorie dans l'introduction de la deuxième partie du travail.)

86 C'est dire qu'il existe une complémentarité entre la théorie de l'énonciation et la psychocritique. En effet, il faut un relevé de mots d'abord, une analyse ensuite de ces termes et une interprétation enfin ; telle est la démarche des deux théories mises en évidence dans notre étude. Cependant à propos de la psychocritique, la phase de l'interprétation fait appel à la biographie de l'auteur, en guise de vérification. Cette complémentarité réside dans le fait que dans tout énoncé, le sujet-parlant ou le sujet-écrivant qui assume la communication laisse dans ses énoncés des marques susceptibles de montrer sa subjectivité et sa personnalité, de façon volontaire ou involontaire. (Adou BOUATENIN, L'introduction de son mémoire, in La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : « Que m'accompagnent Koras et Balafong » et « Chaka », op.cit.)

87 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes au Mythes personnel, op. cit., p. 12

88 Idem., p. 270

24

volume aux éditions Seuils (1964 et 1973) sous le titre Poèmes. Cela ne signifie pas que les trois autres recueils ne seront pas étudiés. C'est toute la poésie de Senghor qui fera l'objet de notre analyse. Senghor considère Élégies majeures, Poèmes perdus et Poèmes divers89 comme « un souffle de jeunesse »90. Si nous avons choisi tous ces recueils, c'est parce que nous estimons que peu de critiques ont véritablement entrepris d'étudier le concept de Francophonie à travers eux. Il faut donc aller chercher le sens, l'expression du concept de Francophonie dans ses poèmes.

Chants d'ombre est un recueil constitué de vingt-cinq (25) poèmes. « [Qu'ils] soient autobiographiques ou non, [...] »91, ils traduisent les états d'âme d'un être écartelé entre l'Afrique et l'Europe qui cherche à trouver l'attitude la plus appropriée à adopter dans son royaume d'enfance. La structure de Chants d'ombre est : Souillure (perte de sa valeur africaine/Guerre/Mort) -- Exaltation du royaume d'enfance (Retour aux sources) -- Purification (initiation aux rites africaines)--Ambassadeur du peuple noir -- L'avènement d'un nouveau monde (Ouverture/Civilisation de l'Universel). C'est la raison pour laquelle, Papa Samba Diop dira « ce qui prévaut dans Chants d'ombre, c'est l'indécision de l'homme de Lettres doublé d'un homme politique. Entre l'Afrique et l'Europe, son coeur balance. Il appartient aux deux continents, aux deux types de cultures92. Nous pouvons dire qu'à travers Chants d'ombre le poète s'enracine pour être l'ambassadeur de son peuple. Pour cela, il doit évacuer la guerre, la colonisation, l'esclavage et la haine pour pouvoir mieux dialoguer avec l'autre. Quant à Hosties noires, ce sont vingt (20) poèmes dont la majorité retrace l'expérience douloureuse du poète de la guerre. À travers ces poèmes, le poète montre que les « Noirs [sont] utilisés comme des chairs à canon »93 dont « l'immolation s'est faite sur l'autel des intérêts de l'Europe »94. Sa structure est la suivante : Sacrifice (Guerre/Traite négrière/ colonisation)--L'Europe blâmée -- Éloge de l'Afrique--L'Europe pardonnée -- Invitation à la fraternité (fraterniser avec ses bourreaux, ses ennemis d'hier) -- L'avènement d'un nouveau monde (la Civilisation de l'Universel). À propos de cette oeuvre, Adama Ndao affirme que « le poète y dénonce le spectacle écoeurant des Noirs utilisés comme des chairs à canon. [...] Il va quand même essayer de concilier deux extrêmes : l'Afrique et l'Europe. [...] Et on comprend pourquoi Senghor fait une appropriation en donnant

89 Ces trois recueils seront ceux de OEuvre poétique de Senghor, Éditions du Seuil, 1990

90 Léopold Sédar SENGHOR, Introduction, OEuvre poétique, Éditions du Seuil, 1990

91 Papa Samba DIOP, Léopold Sédar Senghor : Poésie, étude critique, Paris, Éditions Champion, 2015, p. 35

92 Idem., p. 35

93 Adama NDAO, Étude de Hosties noires, disponible sur www.lireunlivreplaisir.blogspot.com/2008/04/etude-de-hosties-noires-1948.html?m=1

94 Papa Samba DIOP, op. cit., p. 36

25

à l'hostie une couleur noire, surtout pour signifier le sacrifice des Noirs durant la guerre pour le salut de l'Europe. »95 Avec Hosties noires, Léopold Sédar Senghor chante les tirailleurs morts pour la France en invitant l'Afrique à pardonner à l'Europe pour s'ouvrir au dialogue des cultures. S'agissant d'Éthiopiques, ce recueil de vingt-deux (22) poèmes, met en évidence la restauration de la culture négro-africaine ouverte à d'autres cultures. Senghor cherche, à travers ce recueil, « à montrer que l'identité noire qu'il revendique se situe à la jointure de différentes civilisations : européenne, hébraïque et arabe, et incarne cette manière les prémisses d'une civilisation universelle. »96 Ce recueil peut se structurer de la façon suivante : Lutte (un choix à faire) - Éloge de la France (la langue française) - Amour de l'Afrique (la culture africaine) - L'harmonie/L'unification (la langue française au service de la culture africaine) - L'avènement d'un nouveau monde (la Civilisation de l'Universel). À travers ce recueil, Senghor se fait annonciateur et ambassadeur du peuple noir, et d'une renaissance prochaine de la culture africaine qui va à la rencontre d'un monde nouveau. Nocturnes est un recueil de sept (7) poèmes qui parle de l'amour et qui dénonce parfois la guerre. Le poète a l'insomnie, alors pour s'occuper dans son état d'éveil, il se met à écrire ses chants d'amour tout en se rappelant son royaume d'enfance, et parfois la guerre ou la lutte d'émancipation pour la liberté et l'égalité. La structure de Nocturnes se présente ainsi : Insomnie (fatigué des éloges) - Rappel des réalités africaines et de l'univers - Souvenir du royaume d'enfance (ses amours d'adolescent) - Critique de l'Occident (monotonie/ routine en Europe/ guerre) - Éloge de l'Afrique (culture diversifiée) - Invitation à la lutte (pour la liberté des Noirs et l'égalité entre les hommes). Au sujet de ce recueil, Adama Ndao affirme qu' « à travers Nocturnes, Senghor revit et fait revivre les réalités africaines et parfois mêmes les réalités de l'univers, en insistant sur la culture et l'histoire. Mais ce qui domine dans ce recueil, c'est l'éloge de la beauté, et la beauté de la fille noire, ?la signare?, le sopè. »97 Le dernier recueil à présenter est Lettres d'hivernage. « Ce sont trente (30) poèmes où le poète, au Sénégal, fait part à la femme aimée, et dont il est momentanément séparé, de ses angoisses et de sa peine à vivre. »98 Pour le poète, ce sont des mauvais jours passés loin de sa bien-aimée. Et les poèmes, bien qu'exprimant l'angoisse, proclament la foi en amour, ce sentiment qui transcende les haines entre races et cultures pour illuminer les jours sombres vécus par le poète. La structure de Lettres d'hivernage est la

95 Adama NDAO, op. cit.

96 Anne-Lisse GALLAY, Le style de Senghor : le cas d'Éthiopiques, disponible sur www.academia.edu/961910/Le_style_de_Senghor_le_Cas_dEthiopiques

97 Adama NDAO, Étude de Nocturnes (1961) de Léopold Sédar Senghor, disponible sur www.lireunlivreplaisir.blogspot.com/2008/04/étude-de-nocturnes-1961-de-lopold-sdar.html?m=1

98 Papa Samba DIOP, Léopold Sédar Senghor : Poésie, op. cit. p. 68

26

suivante : Angoisse (absence de la bien-aimée) -- Rappel des jours heureux -- Chante l'Afrique -- Chante l'amour--Espoir. Papa Samba Diop affirme que « le recueil des Lettres d'hivernage se ferme sur une note d'espoir. Le poète, au bout de l'épreuve de l'attente, et comme arrivé à la fin de la mauvaise saison, ressent comme une présence sensuelle les retrouvailles avec la femme aimée, moments d'exaltations qu'il appelle de tous ses voeux. »99

Nous constatons qu'à travers les recueils de notre corpus, la « ?Civilisation de l'Universel? est l'Absolu recherché dans [l'] oeuvre poétique »100 de Léopold Sédar Senghor. La Civilisation de l'Universel est de gérer nos différences, de connaître nous-mêmes, de nous enraciner pour aller vers les autres. Si Senghor oriente son oeuvre poétique vers l'Afrique, il propose également des ouvertures dans lesquelles la question de la culture est posée, du dépassement des différences pour atteindre une symbiose est de mise. D'où l'intérêt de faire une relecture de ses oeuvres poétiques afin de saisir la Francophonie, l'expression de cette symbiose, car, « comme il [Senghor] l'a souvent déclaré, l'essentiel, ce sont ses poèmes. [...] Ils sont portés par l'espoir de créer une Civilisation de l'Universel, fédérant les traditions par-delà leurs différences. »101 Nous estimons qu'il existe bel et bien « une théorie d'éléments [définitionnels] de l'idéologie »102 de la Francophonie exposée dans les oeuvres de notre corpus, c'est-à-dire les oeuvres de Léopold Sédar Senghor.

Une telle démarche n'est point aisée sachant bien que Léopold Sédar Senghor et ses oeuvres poétiques ont été étudiés, et surtout celui de la Francophonie. À propos de la Francophonie, Patrick Sultan donne cet avertissement : « Cette attitude suppose un rigoureux travail d'analyse conceptuelle car la notion de la francophonie a été à ce point exploitée à des fins politiques/idéologiques et se trouve si chargée de significations ambivalentes que l'on pourrait céder à la tentation, à moins que ce ne soit à la faiblesse, de renoncer à en user comme outil d'analyse littéraire »103. La pléthore d'études sur Léopold Sédar Senghor, ses oeuvres poétiques et sur la Francophonie nous ont mis dans l'embarras du choix du sujet104. Embarras qui se justifie par la peur de n'avoir rien à dire sur Léopold Sédar Senghor, sur ses oeuvres

99 Idem, pp. 68-69

100 Anne-Lisse GALLAY, Le style de Senghor : cas d'Éthiopiques, op. cit.

101 Encyclopédie Larousse, article sur Senghor

102 Sana CAMARA, « Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor face à l'historicité nègre », Éthiopiques, numéro spécial, hommage à Aimé Césaire, 2ème semestre 2009, p. 179

103 Patrick SULTAN, « La Francophonie littéraire à l'épreuve de la théorie », compte-rendu de l'oeuvre Jean-Marc Moura, Littératures francophones et théories postcoloniales.

104 À ce propos, Abdoulaye DIAWARA dit qu' « entreprendre l'étude d'une oeuvre de Senghor, c'est s'engager sur un terrain glissant. », extrait de son mémoire de Maitrise, Le thème de l'unité dans l'oeuvre poétique de L. S. Senghor, Université de Côte d'Ivoire, Faculté des lettres et Sciences Humaines, juin 1981, [sous la direction de Bernard Zadi Zaourou], p. 32

27

poétiques et sur la Francophonie, voire d'être pris au piège du pâle imitateur qui ne cherche pas à innover. Cette peur se justifie, aussi, du fait que « la réalité de la Francophonie n'est pas si simple. En effet, les discours sur la Francophonie nous disent une chose, mais du mot à l'idée en passant par le vécu désigné par le mot, le chemin est bien long, périlleux et fracturé »105 au risque de dire des contresens. Il y'a, également, le fait qu'en poésie, les thèmes spécifiques, tels que la métrique, la prosodie, les rythmes, les rimes, la sonorité, ont été épuisés par les études antérieures, à telle enseigne que nous ne pouvons pas nous y aventurer sans faire une réécriture. Il fallait nous focaliser sur un sujet innovant. Vu qu'aucune étude n'a été faite, véritablement, sur la Francophonie dans les oeuvres poétique de Léopold Sédar Senghor106, nous avons jugé nécessaire de nous y aventurer, bien que le chemin soit périlleux et que la Francophonie apparaisse « comme un sujet extrêmement piégeux »107.

L'étude s'articule autour de trois parties. Dans la première partie, intitulée « La Francophonie sauvée de ses cendres », nous essayons de comprendre la Francophonie d'Onésime Reclus, de Léopold Sédar Senghor sans oublier celle de la revue Esprit. C'est à partir de la genèse de la Francophonie et des pères fondateurs que nous devons mieux expliciter les caractéristiques de la Francophonie. Trois chapitres pour cerner la Francophonie dans sa globalité. En effet, le premier chapitre ébauche la Francophonie d'Onésime Reclus et celle de la revue Esprit. Il est question de mettre en évidence la conception reclusienne de la Francophonie et de voir dans quel contexte elle a été engendrée pour mieux comprendre la définition qu'il a eu à donner. Après celle d'Onésime Reclus, vient celle de la revue Esprit. Avec la revue, une définition de la Francophonie à partir des auteurs qui ont participé à son élaboration, à l'exception de Léopold Sédar Senghor, est retenue. Notre volonté d'appréhender la définition que les auteurs de la revue ont donnée à la Francophonie nous permet de mettre à nu les raisons qui les ont amenés à proposer la Francophonie. Le deuxième chapitre met en relief « Léopold Sédar Senghor et la Francophonie ». Dans ce chapitre, nous étudions la conception senghorienne de la Francophonie, l'exaltation de la Négritude par la Francophonie. Ce chapitre nous permet de comprendre que la Francophonie senghorienne est influencée par la Francité, les idéaux de la Communauté française et la Négritude. Mieux, ce chapitre révèle que la langue française est susceptible d'exprimer les valeurs négro-africaines sans pour autant les altérer ni leur faire perdre leur identité culturelle. Quant au troisième chapitre, nous l'avons

105 Tanella BONI, « La Francophonie, espace et temps de partage ? », 16 février 2010, disponible sur www.tanellaboni.net/?p=75

106 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p.11

107 Alice GOHENEIX, « Les élites africaines et la langue française : une approche controversée », Documents pour l'histoire du français langue étrangère ou seconde, disponible sur www.dhfles.revues.org/117

28

intitulé « La Francophonie en débat ». Dans ce dernier chapitre, nous voyons que la Francophonie est un concept d'enracinement et d'ouverture, et une notion de dialogue des cultures. Nous interrogeons à nouveau la Francophonie reclusienne et senghorienne afin d'avoir des éléments de réponse de cette problématique. Avant d'entamer la trame même de ce chapitre, nous allons dire ce à quoi la culture renvoie. Cette première partie, nous instruit que la Francophonie est le fait de personnes nostalgiques du passé glorieux de la langue française, et résignées à accepter ce que l'histoire a fait d'elles tout en y intégrant le peu de ce qui leur reste comme culture d'origine. À la suite de la première partie, qui est une analyse diachronique et synchronique, nous consacrons la deuxième partie à l'étude de la Francophonie dans les oeuvres de celui qui l'a le plus plébiscitée.

Dans la deuxième partie, intitulée « La Francophonie dans la poésie de Léopold Sédar Senghor », il est question de chercher les raisons latentes de l'élaboration de la Francophonie dans la poésie senghorienne. Mieux, il s'agit de déceler les motivations inconscientes qui ont amené Senghor à la Francophonie. Trois chapitres, également, pour étudier de façon minutieuse la Francophonie senghorienne à la lumière de la psychocritique de Charles Mauron. Le premier chapitre permet de montrer que la Francophonie, un projet conçu par Léopold Sédar Senghor, est due à une filiation historique avec la France par le biais de la colonisation et de l'instruction occidentale. Il y a, aussi, la participation de l'Afrique aux guerres mondiales, considérée par le poète Senghor comme le sacrifice de l'Afrique pour l'Europe. Cette participation africaine a influencé Senghor dans la conception de la Francophonie. Pour lui, la guerre a permis de comprendre que tous les hommes sont égaux ; pour cela, il est indispensable d'unir les forces et les valeurs pour une communauté plus fraternelle. Pour y arriver, l'Afrique doit pardonner à ses bourreaux, ses ennemis d'hier et faire d'eux des complices. Le deuxième chapitre de cette partie aborde la question de choix opéré par Léopold Sédar Senghor. Il débute par le choix de la langue française. Selon Senghor, le français est une langue flexible et subtile par sa grammaire et son riche vocabulaire. Cependant, il estime que cette langue doit se greffer aux langues africaines : d'où le français africanisé. Le français africanisé n'est rien d'autre que, peut-être, une diglossie linguistique, voire une sorte de langue métissée. Malgré tout, Senghor demeure un Africain, et aucun doute que son choix final soit porté sur le peuple africain. En fait, il choisit d'être l'ambassadeur du peuple noir et de le défendre au sein de la communauté qu'il envisage de créer avec la France et tout autre pays désirant y faire partie. Dans le troisième chapitre, la renaissance des valeurs culturelles africaines et l'ouverture culturelle sont les points qui à étudier. Pour Senghor, la communauté envisagée a pour mission de valoriser la culture africaine, une culture caractérisée par la danse, les chants, la poésie enseignée par les poétesses

29

et les griots de son royaume d'enfance. Cela aboutit à l'ouverture culturelle et à la Civilisation de l'Universel, car c'est la culture que l'Afrique peut apporter au monde technique occidental. Dans ce chapitre, nous voyons que Senghor invite les hommes à vivre l'unité dans la diversité, en mettant au-devant de la scène la Francophonie qui est son projet latent et obsessionnel. Ce projet intériorisé est à extérioriser. De ce fait, il faut, auparavant, affirmer que les motivations de la conceptualisation de la Francophonie se trouvent dans la poésie senghorienne, c'est-à-dire la poésie senghorienne est le manifeste de la Francophonie. Par ailleurs, le faisant nous mettons à nu les raisons qui ont amené Senghor à la Francophonie. Ces raisons sont de trois ordres : les faits historiques, les raisons personnelles et les raisons culturelles. Les trois raisons révèlent, cependant, que la Francophonie est une problématique identitaire chez lui.

Dans la troisième partie, nous partons d'une réflexion sur la problématique de l'identité chez Senghor en vue de proposer une poétique de la Francophonie. Quatre chapitres charpentent cette partie. Les trois premiers abordent la question identitaire de Léopold Sédar Senghor, et le dernier chapitre, quant à lui, permet de définir la poésie francophone. En effet, dans le premier chapitre, nous parlons de la quête d'une identité rhizomique chez Senghor. Pour lui, il n'y a aucun doute, il est un métis parce qu'il a un ancêtre portugais et qu'en lui coulent des sangs mêlés. La quête rhizomique le conduit donc à se constituer une identité. Cependant, l'on observe chez lui une identité de l'entre-deux et une identité acculturée. Le chapitre deux met cette identité constituée de Léopold Sédar Senghor en évidence. Nous voyons dans ce chapitre que Senghor est, à la fois, Africain et Français. Pour cette raison, il doit s'acculturer, c'est-à-dire adopter une nouvelle identité et une nouvelle culture. La nouvelle identité est mise en évidence dans le chapitre trois. Dans ce chapitre, nous élucidons l'identité francophone de Léopold Sédar Senghor. Une identité qui se saisit à partir de l'amour qu'il éprouve pour son prochain et de son combat pour la valorisation des cultures. Le chapitre trois révèle ce qui fait ou constitue l'identité francophone. L'identité francophone de Léopold Sédar Senghor s'appréhende au travers de son humanisme et sa double culture, exprimés dans un français africanisé. Ce chapitre met, également, en évidence les caractéristiques de l'identité francophone, mieux présente les critères qui définissent l'identité francophone de chaque parlant français. Dans cette partie, nous cherchons aussi à cerner les contours de la poésie francophone, voire construire une poétique de la poésie francophone à partir de Senghor. Le quatrième chapitre aborde donc la question de la définition de la poésie francophone en donnant les contours et les caractéristiques de cette poésie. Nous voulons savoir ce qui fonde réellement la poésie francophone selon Senghor. Nous savons que des critiques littéraires ont tenté d'appréhender la littérature francophone. Ce chapitre vient corroborer ces études en y donnant

30

quelques éléments de réponses à travers la poésie senghorienne. Le dernier chapitre permet aux chercheurs ou aux critiques littéraires d'avoir les outils théoriques pour étudier la poésie francophone. Dans la définition de la poésie francophone, il faut, peut-être, tenir compte des caractéristiques de métissage, de culture et de la fraternité universelle au niveau du thème, de l'écriture, de la langue et de l'image de soi. Nous retenons que la Francophonie est un concept répondant à la problématique identitaire des parlants français, et décelable dans les oeuvres littéraires, en général, et dans la poésie, en particulier. Ce qui amène à dire que la Francophonie est chez Senghor l'expression de son identité.

À la conclusion de l'étude (de la thèse), le mythe personnel de Léopold Sédar Senghor est présenté afin d'avoir une idée claire de l'identité francophone, et de la poésie francophone. Il faut noter d'ailleurs que cette présente étude offre des pistes de recherche pour (re)penser la Francophonie.

PARTIE I :

LA FRANCOPHONIE, UN CONCEPT SAUVÉ DE SES

CENDRES

32

Deux noms sont à retenir dans l'histoire de la Francophonie, celui d'Onésime Reclus et celui de Léopold Sédar Senghor. Le premier est un géographe français, et le second un homme de lettre et un homme politique africain. Le premier à avoir employé le terme de Francophonie est, bien sûr, Onésime Reclus, dans son oeuvre France, Algérie et colonies. Avec Onésime Reclus, nous sommes dans un contexte colonial comme l'affirme Luc Pinhas : « Le premier auteur à les employer (Francophone/Francophonie) semble être le géographe Onésime Reclus (1837-1916), frère méconnu d'Élisée Reclus, dans une oeuvre largement consacrée à une réflexion sur le développement du Second Empire colonial français et sur les moyens pour la France de retrouver une grandeur menacée après la défaite de Sedan et la perte de l'Alsace-Lorraine »108. C'est pourquoi, ajoute-t-il, « La Francophonie est fille de la doctrine coloniale »109. À en croire Jean-Jacques Konadjé, « Onésime Reclus a toujours prôné l'expansion coloniale française tournée vers l'Afrique »110. En effet, il est « [...j un fervent défenseur de l'expansion coloniale française. Le destin de la France le préoccupe, son déclin l'inquiète »111. La solution qu'il propose est un projet d'expansion coloniale à visée impérialiste de la France vers l'Afrique, car « l'Afrique, elle, a ces avantages : elle est proche, immense, riche en hommes et en matières premières et ?elle ouvre à la France un champ sans limite? »112. L'idée de l'expansion coloniale est indissociable de la Francophonie d'Onésime Reclus. Le titre de son autre livre est révélateur et justificatif : Lâchons l'Asie, prenons l'Afrique.113

La troisième République française est fragilisée : capture de Napoléon, capitulation de Paris, perte de l'Alsace-Lorraine en 1871, Waterloo et Sédan un mauvais souvenir, une défaite face à la Chine en Indochine, la chute du gouvernement de Jules Ferry le 30 mars 1885 ; la France a du mal à se retrouver. Ce n'est plus la prestigieuse France, elle perd également son rayonnement, et sa langue recule dans le monde laissant la place à l'Anglais114. Face à ce déclin, que pouvait faire la France ? Sur quoi devrait-elle miser pour préserver son image et son rayonnement ? Et dans le souci d'une taxinomie des populations par les langues les plus parlées dans le monde, Onésime Reclus constate que, par le biais de la langue, les pays peuvent se

108 Luc PINHAS, « Aux origines du discours francophone », Communication et langage, p. 69, disponible sur http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500è2004_num_140_1_3270

109 Idem, p. 72

110 Jean-Jacques KONADJÉ, « La Francophonie : un néologisme inventée par Onésime Reclus », disponible sur http://afriessence.canalblog.com/archives/2006/12/07/3368831.html

111 Abdillahi AOULED, « Francophonie : un mot, une histoire... », La Nation, 1er Quotidien Djibboutien, op. cit.

112 Idem

113 Onésime RECLUS, Lâchons l'Asie, prenons l'Afrique, Paris, Librairie Universelle, 1904, 304 p.

114 Nous y reviendrons au chapitre I de cette partie, à la p. 46

33

maintenir et survivre115. Ainsi, il propose à la France d'user de sa langue pour retrouver son rang, son rayonnement dans le monde116, parce que le français « est une langue policée »117. La vraie raison est donnée par Luc Pinhas. Selon lui,

la persistance du rayonnement de la langue française, lyrique de la raison et langue de l'?universel?, en dépend car les idiomes trop peu parlés céderont demain le terrain aux langues ?utiles?, estime-t-il, tant il est persuadé de l'importance du facteur démographique dans le devenir des équilibres géopolitiques et linguistiques. C'est dans ce contexte et dans ce dessein que Reclus forge le terme de ?francophonie? et se lance durant près de quarante ans dans une comptabilisation infatigable des ?francophones?, et non avec une véritable volonté d'établir grâce au français un dialogue des cultures, comme certains le laissent aujourd'hui à penser.118

L'expansion coloniale a, sans doute, donné naissance à la première Francophonie, celle d'Onésime Reclus. N'était-il pas dans le souci de pérenniser la langue française qu'Onésime Reclus forgea le terme de Francophonie ?119

« Apparu en 1880 sous la plume du géographe Onésime Reclus pour décrire la communauté linguistique et culturelle que la France constituait avec ses colonies, la Francophonie s'est aujourd'hui affranchie de cette connotation coloniale [...] »120 grâce à Léopold Sédar Senghor. La Francophonie d'Onésime Reclus s'est plongée dans l'oubli avant d'être ressuscitée dans les années 1960, marquée par la décolonisation et l'émancipation de plusieurs nations africaines. Et, dans ce contexte qu'une autre Francophonie voit le jour. En effet, « si le terme lui-même de francophonie (avec une initiale minuscule) a été inventé en 1880 par le géographe français Onésime Reclus et fut plus tard oublié (il n'est réapparu [...] qu'en 1962) [...] Il appartient à Léopold Sédar Senghor, poète et homme d'État [...] »121 d'être le réinventeur d'une nouvelle Francophonie (à la fois avec une initiale minuscule et majuscule, selon le sens ou le contexte que l'on l'emploie). Ce fut, surtout, dans la revue Esprit à laquelle ont participé Camille Bourniquel, Jean-Marie Domenach, Jean-Marc Léger et Léopold Sédar

115 « C'est à travers notre langue que nous existons dans le monde autrement qu'un pays parmi d'autres », Georges Pompidou, cité par Xavier DENIAU, op. cit. p. 22

116 À ce propos, Xavier DENIAU affirme que « La langue française, [...], est le bien commun de tous ceux qui la parlent et nous aurions tort d'enfermer sa défense et son illustration dans les limites de la France. », (Il a repris les propos de Valéry Giscard d'Estaing.), Idem., p.22

117 Onésime RECLUS, France, Algérie et colonies, p. 422

118 Luc PINHAS, op. cit. pp. 81-82

119 Virginie MARIE affirme : « La Francophonie nait donc de l'idée d'une classification des habitants de la planète en tenant compte d'une variable déterminante, celle de la langue parlée au sein de la famille ou dans un cercle plus élargi aux relations sociales », « De la Francophonie ?centripète? à une francophonie périphérique », Alternative francophone, vol. 1, p. 58

120 Béatrice MAJZA, « La Francophonie, acteur des relations internationales », Afri, volume VI, 2005, p. 539

121 Vihelmina VITKAUSKIENÈ, « La Francophonie à la portée de tous : Méthode de Francophonie », Vilnus, 2011, p. 20

34

Senghor que le terme de Francophonie a refait surface122. « Le terme de francophonie, employé par Onésime Reclus à une époque de colonialisme, restera latent jusqu'à ce qu'il ressurgisse à l'époque de la décolonisation. La revue Esprit (...) et son numéro spécial de 1962 intitulé ?Le français dans le monde? est ici capitale, dans l'histoire de la notion. Dans ce numéro paraît l'article de Senghor qui introduit le concept de Francophonie [...] »123. En effet, « [...] nous ne pouvons pas non plus séparer le nom de Senghor de la Francophonie tant il avait fait corps avec l'idée de Francophonie en le défendant avec ferveur et avec foi »124. Cependant, l'on nous fait croire que la Francophonie actuelle serait l'apanage des chefs d'État originaires d'ex-colonies françaises125 : « Cette notion qui a été initiée par le général De Gaulle doit son existence actuelle à cinq grandes personnalités que sont : le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Tunisien Habib Bourguiba, le Nigérien Hamani Diori, le Cambodgien Norodom Sihanouk et le Libanais Charles Hélou, tous originaires d'ex-colonies françaises »126. À vrai dire, cette Francophonie dont il s'agit est la Francophonie institutionnelle appelée autrement Organisation Internationale de la Francophonie (OIF)127. Néanmoins, nous constatons que la Francophonie actuelle, qu'elle soit institutionnelle ou concept (celle de la revue Esprit) est indissociable de Léopold Sédar Senghor128, et « [f]orce est de constater [aussi] que le terme ?francophonie? est souvent associé, à tort, à ces réalités institutionnelles et politiques »129. Il faut replacer la

122 « Ce sont quelques intellectuels tels que Jean Pellerin, Marc Léger, Norodom Sihanouk et L. S. Senghor qui le remettent au goût du jour en 1962 dans un numéro spécial de la revue Esprit d'octobre-novembre 1962 consacré au français dans le monde », selon J. Tschinisunguwa TSHISUNGU dans « la conception

senghorienne de la Francophonie », Éthiopiques, volume 5 n° 3-4, 1988

123 Béatrice TURPIN, op. cit.

124 René GNALÉGA, « Senghor et la Francophonie », Éthiopiques, n°69 (Voir aussi son oeuvre Senghor et la Civilisation de l'Universel, L'Harmattan, 2013, p. 113).

125 Claire TRÉAN, selon elle, « ce n'est pas, en effet, par la France qu'a été conçu le projet de structurer l'ensemble des pays francophones, mais par un groupe de personnalités dont beaucoup avaient en commun d'avoir été, justement de grandes figures du mouvement des indépendances dans les années cinquante et soixante. Ils s'appelaient Léopold Sédar, Habib Bourguiba, Hamani Diori, Norodom Sihanouk, notamment. », La Francophonie, Le Cavalier Bleu, 2006, pp. 19-20

126 J. Tshusunguwa TSHISUNGU, op.cit. (voir note 14)

127 Véronique Le MARCHAND confirme notre propos en disant que « Le terme ? francophonie?, imaginé par un géographe français au XIX e siècle, s'est enrichi au fil du temps de significations nouvelles. Sa naissance institutionnelle, la franophonie la doit à des hommes d'États africains comme Léopold Sédar Senghor, Habib Bourguiba ou Hamani Diori. », La Francophonie, Les essentiels de Milan, Toulouse, 1999, p. 3

128 Selon Philippe LAVODRAMA : « À l'étranger, on tient Senghor pour le véritable père de la Francophonie moderne », op. cit., p. 210 (Voir note 4 de l'introduction générale) ou selon Ibrahim DIOP : « En effet, le nom de Senghor est quasi indissociable de celui de la Francophonie à cause de son engagement pour ce concept, qui sous-tendu par son amour pour la langue française », op. cit. , ou encore, comme le dit Cécile B.

VIGOUROUX : « Whereas Reclus has been credited with coining the term, the very idea of la Francophonie has been attributed to Léopold Sédar Senghor » (Bien que Reclus ait inventé le mot, l'idée de la Francophonie est attribuée à Léopold Sédar Senghor), Review in Advance, 2003 :42, p. 381.

129 La Maison de la Francité, « la Francité ». Disponible sur http://www.maisondelafrancite.be/fr/?ID=9, consulté le 6 mai 2016

35

Francophonie dans son contexte130. Elle est née dans un contexte colonial sous la plume d'Onésime Reclus, et sauvée de ses cendres, comme l'oiseau mythique, le phoenix, par la revue Esprit, et mise en exergue par Léopold Sédar Senghor après les indépendances des ex-colonies françaises. N'est-ce pas pour cette raison que Cécile B. Vigouroux dira « La Francophonie is not a new excuse for perpetuating French political influence on its formers exploitation colonies of Africa, especially »131. Cependant, nombreux sont ceux, comme Bégong-Bodoli Betina, qui ne sont pas convaincus de cela. Pour eux, la Francophonie actuelle est néocoloniale : « [a]u regard de tout ce que nous venons de soulever comme questionnement, il est évident que la Francophonie telle que celle que nous pratiquons aujourd'hui est une francophonie néocoloniale »132.

Pour y voir clair, il faut interroger l'oeuvre d'Onésime Reclus, la revue Esprit et Léopold Sédar Senghor : Pourquoi Onésime Reclus a-t-il proposé la Francophonie ? Pour quel intérêt Onésime Reclus, a-t-il forgé le terme ? Pourquoi la revue Esprit l'a-t-elle fait resurgir de ses cendres ? Pourquoi Léopold Sédar Senghor, a-t-il défendu cette Francophonie avec tant de ferveurs ? Quelle est la particularité de la Francophonie d'Onésime Reclus et celle de Léopold Sédar Senghor ? De la Francophonie d'Onésime Reclus à la Francophonie de Léopold Sédar Senghor en passant par la revue Esprit, quelles en sont les divergences et les convergences ? Que recouvre donc le concept de Francophonie ? Nous répondons à ces questions en étudiant, en premier lieu, la Francophonie d'Onésime Reclus à la revue Esprit. Nous estimons que la Francophonie d'Onésime est une solution au déclin de la langue française. Quant à la revue Esprit, la Francophonie est présentée comme une communauté naissante. En deuxième lieu, nous mettons en exergue Léopold Sédar Senghor et la Francophonie. Ce qui permet de voir la conception senghorienne de la Francophonie, et surtout de savoir que la Francophonie senghorienne est le renouvèlement de sa Négritude. En dernier lieu, il s'agit du débat que suscite

130 Nous présentons ici les grandes dates ou périodes dans l'histoire de la Francophonie. Selon nous, il y a quatre périodes marquant l'histoire de la Francophonie. Ce sont :

- 1880-1889 : La Francophonie reclusienne (d'Onésime Reclus),

- 1958-1962 : La Francophonie de la revue Esprit,

- 1962-2000 : La Francophonie senghorienne (de Léopold Sédar Senghor),

- 1970 à nos jours : La Francophonie institutionnelle (20 mars 1970 : ACCT ; 1995 : le poste de

secrétaire général ; 1999 : AIF ; le 23 novembre 2005 : OIF).

131 Cécile B. VIGOUROUX, « Francophonie », op. cit., p. 380 (La Francophonie n'est pas une nouvelle excuse pour perpétuer l'influence politique française dans l'exploitation de ses anciennes colonies, spécialement de l'Afrique). Il s'agit de notre propre traduction.

132 Bégong-Bodoli BETINA, « De la Francophonie à la ?francofratrie? : un défi de la Francophonie du XXIème siècle », en ligne], Disponible sur http://gellugb.over-blog.com/2014/07/de-la-francophonie-a-la-francofratrie-un-defi-de-la-francophonie-du-xxieme-siele-par-begong-bodoli-betina.html; Consulté le 06 mai 2016, op. cit.

36

le concept de Francophonie. Il est question de savoir si la Francophonie est, réellement, un concept d'enracinement et d'ouverture ou simplement une notion de dialogue des cultures.

Nous sommes conscient que « [la] Francophonie n'a pas toujours bonne presse dans l'hexagone où quelques idées reçues empêchent d'en percevoir la réalité moderne et dynamique »133. Les avis sont partagés autour du concept de Francophonie, lorsqu'il s'agit d'un contexte politique, surtout au niveau des intellectuels africains, comme le souligne Bégong-Bodoli Betina : « Bon nombre d'intellectuels africains francophones pensent que la Francophonie n'est rien d'autre que le projet de la Communauté française, sous l'angle de la langue. D'autres, par contre, estiment que la Francophonie représente bien un outil de promotion et d'intégration des peuples francophones »134. Cependant, il y a aussi les Français qui ne s'enorgueillissent pas de la Francophonie. En d'autres mots, beaucoup d'Africains, en général et de Français, en particulier, ignorent la vraie nature de la Francophonie. « En effet, pour les Français, la Francophonie représente les autres parlant français »135 ou « [...] la Francophonie appartient aux autres »136. Mieux, « Les Français donnent souvent l'impression d'ignorer qu'ils sont francophones ou, pis, de mépriser la Francophonie »137. Autrement dit, « In France, the term Francophonie refers in fact to everybody who speaks french except the French people themselves138 Nous voyons bel et bien que « La Francophonie est parfois contestée car, pour plusieurs, elle représente encore un vestige du colonialisme »139. « Il demeure que la francophonie est vue aujourd'hui comme la continuation de la politique étrangère de la France par un moyen détourné. »140, et qu'elle « a une histoire complexe et équivoque. Dans ses nouveaux atouts à la fois officiels et militants, elle apparaît aujourd'hui à beaucoup comme difficilement saisissable. Comme un kaléidoscope déroutant, comme une aspiration lyrique pour ne pas dire fumeuse, comme une utopie, rien qu'une utopie. »141 C'est tout à fait normal qu'elle suscite des débats si elle reste encore un sujet vaste et complexe, et un champ d'interprétations diverses comme le dit Jean-Marc Léger : « Le mot francophonie

133 Bernard WALLON, Après demain, n°480-481-482, Janvier-Février-Mars 2006 (éditorial) ; p. 3

134 Idem, p. 3

135 Jean-Nicolas DE SURMONT, « Pour une généalogie de la Francophonie institutionnelle : Quelques éclaircissements », Lenguas Modernas, p. 61

136 Tanella BONI, La francophonie :espace et temps de partage ?. Disponible sur http://www.tanellaboni.net/?p=75; op. cit.

137 Jean-Pierre HOSS, « Les Français aussi doivent y croire », Après Demain, p. 25

138 Cécile B. VIGOUROUX, op. cit., p. 380 (En France, le terme de Francophonie se réfère, en effet, aux personnes qui parlent français, excepté les Français eux-mêmes.)

139 Jean-Nicolas DE SURMONT, op. cit., p. 112

140 Alain MABANCKOU dans une interview que lui ont accordée Laure GRACIA et Claire JULLIARD le 14 juillet 2007, « La « littérature-monde» en français : un bien commun en danger », Figaro, 14 juillet 2007 (interview accordée à Alain Mabanckou et Daniel Picouly)

141 Jean-Marie BORZEIX, « Notre nouvelle frontière », Après Demain, p. 15

37

évoque aujourd'hui des notions fort diverses et parfois contradictoires, aussi bien que des images variées, souvent confuses ou contrastées. Selon les uns, entreprise utile mais mineure au regard des problèmes et des mutations de l'époque, efforts parfaitement vains et dérisoires pour certains qui veulent y voir un combat d'arrière-garde, utopie somptueuse, enfin, pour d'autres qui y trouvent prétexte à considérations nobles et mélancoliques. [...]. Bref, la diversité des motivations, des interprétations, des objectifs témoigne de l'ampleur de la confusion à son endroit. »142 Nous ne nous invitons pas dans ce débat de savoir si elle est néocoloniale ou pas, car d'autres l'ont déjà fait, en particulier Bégong-Bodoli Betina et Patrick Sultan143. Ce que nous savons, c'est que « la résurgence foudroyante du mot ?Francophonie? dans les années 1960 obéit en fait à une convergence de trois grands phénomènes historiques : les progrès des moyens de transport et de transmission, la décolonisation qui donne naissance à une vingtaine de pays africains indépendants choisissant le français comme langue officielle, l'affirmation politique des identités culturelles »144. Depuis cette revitalisation des années 1960 jusqu'à nos jours, le mot « Francophonie » a été marqué par une polysémie qui fait de ce mot un incompris de tous.

Notre analyse consiste, tout simplement, à montrer que la Francophonie est un concept qui a été repris et débarrassé de ses objectifs premiers. Faisant fi de sa connotation coloniale ou néocoloniale, nous essayons de définir la Francophonie d'Onésime Reclus, bien qu'il eût donné une définition, et celle de Léopold Sédar Senghor, au-delà de ses nombreuses définitions qu'il a eu à donner. Nous partons de la définition d'Onésime Reclus pour arriver au débat que suscite ce concept.

142 Jean-Marc LÉGER, La Francophonie : grand dessein, grand ambiguïté, op.cit., Paris, Nathan, 1978, p. 27

143 Patrick SULTAN : « La Francophonie, relayée par un réseau d'organisations gouvernementales ou associatives, est un instrument économico-politique au service de la politique de la France à l'étranger, et l'on peut la concevoir comme un auxiliaire précieux ou contestable (selon le point de vue) dans la guerre que se livrent les États au moyen des langues », op. cit.

144 Stélio FARANDJIS, « Repères dans l'histoire de la Francophonie », op. cit., p. 50

38

CHAPITRE I : LA FRANCOPHONIE, D'ONÉSIME RECLUS À LA REVUE ESPRIT

On ne cessera de dire que la Francophonie a vu le jour sous la plume d'Onésime Reclus en 1880 dans son oeuvre France, Algérie et Colonies. À vrai dire, Onésime Reclus est le véritable père de la Francophonie. Les raisons et le contexte qui marquent la naissance du terme « Francophonie » restent encore flous. Onésime Reclus, à propos de la Francophonie, affirme que « nous acceptons comme ?francophones? tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir participant de notre langue [...] Toutefois nous n'englobons pas tous les Belges dans la ?francophonie?, bien que l'avenir des Flamingants soit vraisemblablement d'être un jour des Franquillons. »145 Selon la définition d'Onésime Reclus, la Francophonie est l'ensemble de toutes les personnes qui parlent français à l'exception des Français et quelques Belges : « La Francophonie désigne donc à l'origine tous les pays francophones à l'exception de la France. »146 Dans un autre ouvrage Onésime Reclus ajoute que « cette oeuvre consiste à assimiler nos Africains, de quelque race qu'ils soient, en un peuple ayant notre langue pour langue commune. Car l'unité du langage entraine peu à peu l'union des volontés. »147 Onésime Reclus sait aussi que la langue française est une langue métissée, qu'elle est « née d'une mère romaine (latine) et d'un père grec, [qu'] elle est fortement structurée, précise, exacte. Qu'elle participe de la rigueur latine et subtilité athénienne. Qu'elle possède une variété syntaxique qui permet de traduire toutes les nuances de la pensée. [Qu'] elle ne devient floue ou indécise que si elle a été mal enseignée à celui qui l'emploie car même l'incertitude en français se traduit avec netteté »148 et qu'elle a fait des emprunts à l'arabe, à l'espagnol, à l'italien, à l'anglais, à l'allemand...

Nous voici situé sur la Francophonie d'Onésime Reclus. Pour lui, la France fait oeuvre civilisatrice de sa langue, c'est-à-dire elle donne gratuitement sa langue aux autres ; ce sont ceux-ci qui forment la Francophonie. Une lecture minutieuse de ses oeuvres montre que cet

145 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, pp. 405-406 (selon la pagination du fichier PDF).

146 La Maison de la Francité, « la francité », op. cit.

147 Onésime RECLUS, Un grand destin commence, Paris, La renaissance du livre, 1917, p. 95

148 Maurice DRUON, « La Francophonie, ce nouveau nom de l'espérance », Éthiopiques, numéro 50-51, Nouvelle série, 2ème et 3ème trimestre 1988, volume 5, n°3-4

39

auteur-géographe use des pays ou anciennes colonies pour redorer le blason de la langue française en péril.

Cependant, le concept de Francophonie d'Onésime Reclus passe inaperçu et méconnu. Il disparaît avec son concept, comme le souligne Abdillahi Aouled, « après la mort de son inventeur, le terme tombe en désuétude. C'est seulement en 1930 que l'adjectif ?francophone? apparaît dans les dictionnaires »149. Il faut attendre jusqu'en 1962 pour voir réapparaître le terme Francophonie dans la revue Esprit avec son numéro spécial intitulé Le français dans le monde. 1962, « cette date, celle de la publication du numéro intitulé le français, langue vivante de la revue Esprit, est en effet, présentée comme la véritable naissance de la véritable francophonie »150.

Les titres des articles de la revue Esprit de 1962 ou de son numéro spécial sont révélateurs. En effet, la Francophonie de la revue Esprit est formulée pour l'éloge de la langue française. Dans cette revue, on note que « le français peut être l'expression de cultures autres que françaises »151, autrement dit « la nation française perd l'exclusivité de la maîtrise et de l'attachement à sa langue, tandis que la langue française devient susceptible d'exprimer d'autres expériences nationales »152. Mieux, « [le] français appartient à tous ceux qui le parlent, en ont hérité, l'ont choisi ou plus simplement l'aiment sans pour autant le maîtriser. Il est le bien commun de tous ceux qui l'enrichissent de leurs apports sur les cinq continents. »153 Tout ceci signifie que la langue française n'est plus la propriété exclusive de la France ; et pour sa pérennisation et pour sa richesse, elle doit accepter les apports des pays autres que la France. Ce qui implique aussi l'idée d'une communauté naissante qui, avec la France, partagerait les mêmes réalités de la langue française154. À bien voir, il n'y a pas de différence entre la Francophonie d'Onésime Reclus et celle de la revue Esprit, car toutes deux prônent une communauté qui aura en commun avec la France la langue française. Cependant, la Francophonie d'Onésime Reclus exclut la France, tandis que celle de la revue Esprit implique

149 Abdillahi AOULED, op. cit.

150 Alice GOHENEIX, « Les élites africaines et la langue française : une appropriation controversée », Documents pour l'histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 40/41 | 2008, mis en ligne le 17 décembre 2010,consulté le 24 avril 2016. URL : http://dhfles.revues.org/117; op. cit.

151 Paul DUMONT, « Francophonie, francophonies », Langue française, n°85, 1990, pp.35-47 http://www.perse.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1990_num_85_1_6176, p. 46

152 Alice GOHENEIX, op. cit.

153 Bernard WALLON, Après demain, op. cit., p. 3

154 C'est en ce sens que nous comprenons Emmanuel Macron lorsqu'il dit que la francophonie ne doit plus être une annexe de la France mais une «une sphère dont la France n'est qu'une partie, agissante mais consciente de ne pas porter seule le destin du français ». (son discours du 20 mars 2018 à l'occasion de la journée Internationale de la Francophonie).

40

la France155 et l'étend au-delà de sa culture et de sa politique, car « [...] la Francophonie sans la France n'avait pas de sens. »156 C'est pourquoi Luc Pinhas dira que « le fait francophone, dans son discours originel, comme dans son histoire proprement dite, a donc partie liée, quoi qu'on en ait, non seulement avec le fait colonial, mais aussi avec ses conséquences politiques, linguistiques et surtout culturelles qui n'en finissent pas d'être actives d'une manière ou d'une autre au jour d'aujourd'hui. »157

Dans la revue Esprit, l'article de Léopold Sédar Senghor, « Le Français, langue de culture », considéré comme le manifeste de la Francophonie, est une véritable défense de la langue française158. Avec cet article, senghor donne une définition, pour la première fois, de la Francophonie en ces termes : « La Francophonie, c'est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des ?énergies dormantes? de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire »159 . À la suite de cette définition, il donne les raisons du choix de la Francophonie. En effet, pour lui le choix de la francophonie est d'ordre culturel : « cependant, la principale raison [...] de la naissance d'une Francophonie est d'ordre culturel »160 et aussi « il est question d'exprimer notre authenticité de métis culturels, d'hommes du XXe siècle. »161 Au-delà de la revue Esprit, Léopold Sédar Senghor se fera le défenseur acharné de la Francophonie. Il multipliera les définitions, pour ainsi dire, de la Francophonie, sans oublier de se justifier de son acharnement :

Qu'est-ce que la Francophonie ? Ce n'est pas, comme d'aucuns le croient, une machine de guerre montée par l'impérialisme français. [...] c'est un mode de pensée et d'action : une certaine manière de poser les problèmes et d'en chercher les solutions. Encore une fois, c'est une communauté spirituelle : une noosphère autour de la terre. Bref, la Francophonie, c'est, par-delà la langue, la civilisation française, plus précisément l'esprit de cette civilisation, c'est-à-dire la culture française. Que j'appellerai la francité.162

Léopold Sédar Senghor refuse l'idée selon laquelle « la Francophonie a longtemps été prise pour une idéologie de domination, comme cheval de Troie de l'ancien empire français afin de

155 Maurice DRUON dit : « Senghor, qui n'avait aucun complexe d'ancien colonisé, estima que la francophonie sans la France n'avait pas de sens, et il renonça avec tristesse mais sans découragement. Il savait que l'avenir, par la force des choses, lui donnerait raison. », op. cit.

156 Idem.

157 Luc PINHAS, op. cit., pp. 69-70

158 « L'ancien président sénégalais [...] avait défendu cette thèse dans un numéro de la revue Esprit de novembre 1962, qui date dans l'histoire de la Francophonie parce qu'il est une sorte de manifeste spontané en sa faveur. », affirme Claire TRÉAN, op. cit., p. 20

159 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit, n°311, op. cit., p. 844

160 Idem., p. 838

161 Ibidem., pp. 843-844

162 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », Études littéraires, vol. 1, n° 1, 1968, p. 131 (p. 131-140.) URI: http://id.erudit.org/iderudit/500008ar

41

perpétuer le colonialisme »163, mais défend « l'idée selon laquelle, la langue française est un appel, une invitation à la Civilisation de l'Universel, à une communication interculturelle et transnationale, au rendez-vous du donner et du recevoir »164. Si nous parlons de Léopold Sédar Senghor dans ce chapitre, c'est que nous ne pouvons pas parler de la Francophonie de la revue Esprit et ignorer le nom de Léopold Sédar Senghor. Cependant, pour être plus objectif, nous pouvons dire qu'il y a quatre types de Francophonie165 : la Francophonie d'Onésime Reclus, la Francophonie de la revue Esprit incluant l'article de Léopold Sédar Senghor, la Francophonie de Léopold Sédar Senghor166 et la Francophonie institutionnelle (OIF) développée à partir des nombreuses définitions de Léopold Sédar Senghor et ses amis167. C'est pourquoi, « s'appuyant sur le fait que la Francophonie est en définitive très peu usitée en 1880 et 1960, les défenseurs de la francophonie considèrent 1962 comme la naissance de la véritable francophonie. Cette renaissance, qui est effectivement à l'origine d'une francophonie institutionnelle multilatérale, conforte donc les observateurs de la Francophonie dans l'idée que l'accusation d'impérialisme ou de néocolonialisme est une vue de l'esprit, une idée reçue, pour reprendre le titre de l'ouvrage de Claire Tréan. »168 Les autres co-auteurs de la revue ont donc employé des synonymes et des paraphrases pour parler de la Francophonie et la définir.169

Nous mettons en relief, dans cette partie, donc, la Francophonie d'Onésime Reclus et celle de la revue Esprit. Nous allons voir qu'Onésime Reclus est soucieux de l'avenir de la langue française, et que ce souci est dû au culte qu'il voue à cette langue qu'il dit être une langue de grâce, de clarté, d'éloquence et d'harmonie170 ; qui selon lui, est l'une des raisons pour la pérenniser. Quant à la revue Esprit, il s'agit, en fait, d'une exhortation des pays parlant français à former une communauté ou à se mettre ensemble pour la défense de cette langue qu'ils ont en commun ou en partage sans oublier de se partager les valeurs et les possibilités qu'offre la langue française.

163 Ébénézer NJOH-MOUELLE, Léopold Sédar Senghor et le thème du métissage culturel, Disponible sur http://www.njohmouelle.org

164 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 11

165 Nous estimons que la Francophonie reclusienne est une communauté linguistique ; celle de la revue Esprit, une communauté linguistique, culturelle et politique (ce n'était qu'un projet). Quant à la Francophonie senghorienne, elle est un concept et une communauté culturels. S'agissant de l'OIF, ce n'est pas seulement une communauté politique, mais elle est aussi économique.

166 La Francophonie de Léopold Sédar Senghor fera l'objet d'étude du chapitre suivant.

167 Allusion à Hamani Diori, Habib Bourguiba, Norodom Sihanouk et Charles Hélou.

168 Alice GOHENEIX, op. cit.

169 Paola PUCCINI, « Le seul locuteur qui manifeste l'?auctoritas? de nommer dont parle Bourdieu est le Président Senghor. Il n'y a que sa définition dans le discours. Jean Marc Léger et les autres préfèrent se servir de synonymes et de paraphrases [...j. », op. cit., p. 10

170 Cela sera plus détaillé ou approfondi dans ce chapitre.

42

1. LA FRANCOPHONIE D'ONÉSIME RECLUS, UNE SOLUTION AU DÉCLIN DE LA LANGUE FRANÇAISE

Nous écartons de notre réflexion l'idée de colonialisme171 de la Francophonie d'Onésime Reclus, car cette idée n'est plus d'actualité. En plus, à force de rattacher cette idée à la Francophonie d'Onésime Reclus, on s'éloigne du sens réel qu'Onésime Reclus lui a accordé, ou on se refuse de comprendre qu'est-ce que la Francophonie selon Onésime Reclus. Longtemps, le contexte historique de la naissance de la Francophonie a éconduit de nombreux chercheurs dans leurs études. Certains, plus bornés et subjectifs, cherchant à ternir l'image de la Francophonie, l'ont criblée de colonialisme ou de néo-colonialisme. Peut-être avaient-ils raison ? D'autres, par contre, plus objectifs et sérieux, ont essayé de voir le bon côté de la Francophonie en rejetant la thèse de la colonisation. Ils avaient, eux-aussi, leur raison. Nous ne pouvons pas ignorer que la Francophonie reclusienne est née dans un contexte colonial. Cependant, notre lecture de France, Algérie et Colonies nous apprend que la Francophonie reclusienne est une solution au déclin de la langue française, et comme le dit Luc Pinhas, un moyen d'assimilation.

La seule solution qui, à la fin du siècle dernier, semble désormais s'offrir, aux yeux notamment d'Onésime Reclus, est celle de l'assimilation des peuples conquis et de la diffusion de la langue française, bien mieux de l'assimilation par la diffusion de la langue française172.

Dans les propos de Luc Pinhas, les idées que nous partageons, nous retenons deux choses : la diffusion de la langue française et l'assimilation des peuples conquis173.

Assimiler une personne, c'est faire de cette personne son semblable. Une personne assimilée prend alors les caractères sociaux de celui qui fait l'assimilation. Lorsqu'Onésime

171 Selon Alice GOHENEIX, le Colonialisme est un présupposé : « Quant au racisme, il faut lire les écrits de Reclus pour se convaincre que la hiérarchisation des peuples et de leur(s) langue(s) constituait bien un des présupposés de la ?nécessaire? expansion française », op. cit.

172 Luc PINHAS, op. cit., p. 74

173 Selon Alice GOHENEIX, « L'argumentation de Reclus est en réalité triple. D'une part elle s'appuie sur une obsession de la décadence française (essentiellement pour des raisons démographiques) ; ensuite sur la guerre coloniale que se livrent les puissances européennes ; enfin sur l'idée que certains peuples seront plus perméables à la pensée française. Dans l'esprit de Reclus, il s'agit bien de convertir les peuples colonisés à l'esprit français. De créer de l'identique, du ?même? pour assurer la pérennité de la nation et du génie français. », op. cit.

43

Reclus songe à l'assimilation des peuples conquis, dans son entendement, c'est rendre ces peuples semblables aux Français. Pour lui, les peuples conquis sont des Français au même titre que les Français, pour ainsi dire, les Français de France. Car, les Français sont

Nés de mélanges infinis, dix fois plus croisés qu'ils ne l'imaginent, ayant des

ancêtres blancs, des ancêtres jaunes et même des ancêtres noirs, les Français ne se ressemblent pas tous174.

Et aussi, parce qu' « [...] il n'y a ni taille française, ni crâne français, ni cheveux français, ni yeux français ni types français. [...] Il n'y a pas de race française... »175, mais la langue française ; et cette langue doit être diffusée afin d'être pérennisée. Et toutes les personnes ou tous les pays qui parlent français ou qui participent à son rayonnement, où qu'elles soient, sont dans la Francophonie. Ce sont des francophones :

Nous acceptons comme « francophones » tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir participant de notre langue. [...] Toutefois nous n'englobons pas tous les Belges dans la « francophonie », bien que l'avenir des Flamingants soit vraisemblablement d'être un jour des Franquillons176.

Chez Onésime Reclus, les Francophones désignent les peuples conquis et assimilés par la France en leur imposant sa langue. En effet, la diffusion de la langue française a pour effet immédiat l'assimilation des peuples conquis177, ou dans un autre sens, en assimilant les peuples conquis, l'on aurait plus de chance à diffuser la langue française. Ce que l'on n'arrive pas à comprendre, chez Onésime Reclus, est cette obsession de bien vouloir pérenniser la langue française hors de la France. Il est obstiné du fait que la langue française ne doit pas perdre la place qu'elle avait auparavant :

Le français jouit encore de la prépondérance que lui firent, il y a deux cents ans, la splendeur de la cour du Grand Roi, il y a cent ans, l'esprit de ses écrivains, mais cette royauté touche visiblement à sa fin : l'anglais passe au premier rang, et derrière l'anglais s'avancent le russe, l'espagnol, et même le portugais grâce au Brésil178.

174 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 406

175 Idem, p. 406

176 Ibidem, p. 422

177 À ce propos, Luc PINHAS affirme que « Pour Onésime Reclus, la langue est bel et bien le fer de lance de l'assimilation recherchée, le ciment d'une communauté de pensée, le creuset qui ?amalgame à la langue en une vaste nation francisante, les peuples inféodés? règle les pensées et les activités, fusionne les éléments divers en une civilisation commune. », op. cit., p. 79

178 Onésime Reclus, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 419

44

Il est très soucieux de l'avenir de la langue française. Cette langue a longtemps été défendue par les écrivains en général, et par les poètes de la pléiade en particulier ; et ce, depuis le Moyen-Âge, pour être plus juste, dirons-nous, depuis le XVIè siècle.179 Ceci est attesté par l'ordonnance de Villers-Cotterêts 188 du Roi de France François I d'août 1539. D'ailleurs, ses articles 110 et 111 concernant la langue française n'ont jamais été abrogés180. La seule question que l'on peut vouloir se poser est de savoir pourquoi tant d'engouement de la part des Français pour la langue française. Onésime Reclus semble donner la réponse à la question. Pour lui,

Le français rachète son indigence, présente par sa grâce et par sa clarté. Il se plie à la poésie, et nomme avec orgueil des poètes que nul ne surpasse, mais là n'est pas son meilleur domaine : il est fait pour la prose, le récit limpide, l'histoire, la science, le discours ; l'éloquence est aussi son fait, surtout celle qui a son principe dans l'esprit, la netteté, la bonne grâce : en tout cela c'est bien l'idiome supérieur, digne de sa réputation de langage le plus vif et le plus civilisé de l'Europe181.

À en croire Onésime Reclus, le français est une langue supérieure, civilisée, éloquente, claire, gracieuse et nette, parce que

Dans le français l'harmonie abonde, harmonie discrète. Pas de rythme accentué, nulle clarisonance, mais aussi pas de gutturales, de blaisements, de lettres zézayantes, point de consonnes amoncelées et heurtées, pas d'excès de sifflantes, rien de la cantilène méridionale, de la redondance espagnole ou des gloussements de l'anglais182.

La langue française est fine, selon Onésime Reclus, et pour cette raison il faut la défendre et l'illustrer comme jadis l'ont fait les poètes de la Pléiade, surtout Joachim Du Bellay. D'ailleurs, à propos de Joachim Du Bellay, Robert Sabatier dit

Joachim Du Bellay doit faire l'apologie de la langue française contre ceux qui s'en

servent mais la servent mal ce qui les conduit à la juger inférieure aux langues anciennes qu'ils vénèrent et croient plus dignes de leurs arts183.

179 Nous vous citons quelques auteurs qui ont défendu la langue française. Ce sont François Rabelais, Robert Estienne (Humanisme), Alain Chartier, Jean Lemaire de Belges, Mellin de Saint-Gelais, Giles du Wes, Etienne Dolet, Théodore de Bèze, Louis Meigret, Guillaume Des Autels, Geoffroy Tory, Joachim Du Bellay, Pierre de Ronsard (16ème siècle/la Pléiade), Voltaire (17ème siècle), Malherbe, Victor Hugo (19ème siècle), etc.

180 Elle est surtout connue pour être l'acte fondateur de la primauté et de l'exclusivité du français dans les documents relatifs à la vie publique du royaume de France. Le Français devient ainsi la langue officielle de la France.

181 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 418

182 Idem., p. 418

183 Robert SABATIER, Histoire de la poésie française : la poésie du seizième siècle, Alain Michel, Paris, 1975, p. 133

45

Comme Joachim Du Bellay, Onésime Reclus refuse l'idée selon laquelle la langue française est une langue inférieure. Et, tous ceux qui défendent la langue français refusent qu'elle soit reléguée en second plan, car pour eux « [l]e français est capable de porter des pensées fortes. En ne le sacrifiant plus, en le fortifiant, en le perfectionnant, on le mettra en mesure d'assumer l'avenir »184. Or pour Onésime Reclus, certes le français est capable de porter des pensées fortes, mais il faut penser à sa survie. Cela dépend de sa diffusion hors de la France. Elle se fera au Canada, et surtout, en Afrique, parce qu' « [e]n Afrique, au contraire, il a des racines puissantes qui, chaque jour s'enfoncent et s'étendent. »185

Bien avant Onésime Reclus, en 1549, les poètes186 de la Pléiade ont été plus soucieux du sort du français et de son illustration, et ce, depuis que François 1er ait signé l'ordonnance à Villers-Cotterêts exigeant que tous les Français parlent la langue française qui est la langue d'État187, l'identité française. C'est à la suite de cette ordonnance, sans doute, pouvons-nous le dire, que les poètes de la Pléiade ont conseillé d'inventer des mots nouveaux pour enrichir la langue française soit par emprunt, soit par construction de mots composés, soit par ajout de suffixes ou de préfixes, soit par nominalisation des verbes à l'infinitif. Jean Pruvost dira que le souci de ces poètes de la Pléiade était seulement d'enrichir la langue française : « [l]'attitude des écrivains de la Pléiade vis-à-vis de la langue française témoigne du sentiment général de tous ceux qui écrivent alors : il faut enrichir la langue française. »188

Nous pouvons dire qu'Onésime Reclus est de ceux qui estiment qu'il faut enrichir la langue française. Cependant, pour Onésime Reclus, il s'agissait aussi de la sauver, car elle n'est plus la langue, qui, au XIIIè siècle, jouissait « d'un grand prestige en Europe »189. Elle n'est plus utilisée par les lettrés anglais, italiens, allemands ou néerlandais. Face à cela, Onésime Reclus dira : « [...] La France crut périr, et sa langue fut profondément blessée. »190 Qu'est-ce qui provoque ou a provoqué le recul de la langue française en Europe ? Et qu'est-ce qui explique le fait qu'en France le français est peu parlé ?

Ce qui provoque le recul ou le déclin de la langue française, ce sont les guerres, les défaites et surtout le nombre insignifiant des locuteurs. Cependant, avant Onésime Reclus, les

184 Idem, p. 133

185 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op.cit., p. 424

186 Onésime RECLUS dira : « Quand on pose la première pierre de notre Dame de Paris, en 1163, le français est tout à fait lui-même, les poètes l'embelliront ; les grammairiens l'appauvriront ; l'Orient, l'Italie ; l'Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre lui donneront des mots, beaucoup, moins qu'il ne leur en fournira, mais il a déjà en véritable trésor ses noms et ces verbes vitaux, son espoir, son allure et son caractère. », Idem. p. 416

187 Jean PRUVOST, « La langue française : une longue histoire riche d'emprunts », Disponible sur http://www.canalacademie.com/IMG/pdf/Microsoift_Word

188 Idem

189 Ibidem

190 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 417

46

auteurs de la Pléiade ont exalté la langue française dans le même contexte de guerre ou de crise, comme le souligne Robert Sabatier :

Tandis que les guerres, les impôts, les persécutions ruinent la vie paysannes, que le calvinisme s'organise, que se fait la lente montée vers la crise de 1560 et la tragédie religieuse de 1584, une génération de jeunes nobles d'avant-garde, venus d'autres milieux qu'un Marot ou même qu'un Scève, aura le temps de faire entendre sa voix, une voix soucieuse d'exalter le caractère national et monarchique en exaltant la langue française191.

Pour ainsi dire que les défenseurs de la langue française se soucient du sort de cette langue au moment des troubles ; la France, en 1880, est fragilisée. Elle perd l'Alsace-Lorraine. Dans cette contrée, comme dans le petit archipel anglo-normand, le français n'est plus la langue officielle ni la langue nationale. C'est plutôt l'allemand qui est parlé en Alsace-Lorraine, et l'anglais dans le petit archipel anglo-normand. Le français recule au profit des autres langues, voire des dialectes : « Dans le petit archipel anglo-normand, [...] C'est le français qui recule [...] où beaucoup de personnes parlent anglais192 À ce fait s'ajoute la bataille de Waterloo.

11 ans, c'est l'âge de la 3è République en 1886. Même si celle-ci se consolide, la France reste traumatisée par ce terrible coup de massue : capture de Napoléon, capitulation de Paris, perte de l'Alsace-Lorraine en 1871. Waterloo était une caresse, Sedan, voilà la gifle193.

Et en Asie, le français n'a pas l'espoir de survivre et de se répandre, à cause de la défaite de la France face à la Chine.

La France s'en souviendra. Autre défaite en Indochine face à la Chine : ? le

désastre de Lang Son? met les Parisiens en émoi. Sur les murs de la ville, on placarde des affiches ?Vive la France, à bas Ferry, le lâche !?194

Et Onésime Reclus de dire « [...], le français n'a point de racine dans la plus vaste des cinq parties du monde. »195 La défaite de la France face à la Chine provoqua donc la chute de Jules Ferry et son gouvernement.

La crise provoque la chute du gouvernement de Jules Ferry, le 30 mars 1885.

Défaites militaires, déclin démographique, une industrie assez lente à décoller : la

191 Robert SABATIER, op. cit., pp. 132-133

192 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 415

193 Abdillahi AOULED, op. cit.

194 Idem

195 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 424

47

France se trouve dans un mauvais pas. Conséquence : sa langue recule dans le monde.196

Tous ces événements ont participé au recul de la langue française, voire à son déclin en Europe au profit de l'anglais, et ce, « [d]epuis le 19ème siècle [que] le français recule en Europe, l'anglais avance en France »197, comme le fait remarquer Abdillahi Aouled. Pour laver cet affront, « Reclus [...], héritier de Jules Duval, Prévost Paradol ou Chasseloup-Laubat, les pères de la mission civilisatrice ferryste »198 , propose l'Afrique ou l'assimilation de l'Afrique comme solution idoine au recul ou au déclin du français.

Comme la France est inféconde, que la Belgique et la Suisse n'ont plus de place pour les nouveaux venus, nous ne pouvons attendre un rang d'accroissement meilleur que de deux pays plus jeunes que le nôtre, l'Afrique du nord, âgée de cinquante ans, et le Canada, qui n'a pas encore trois siècles199.

Mieux, car, « [en] Afrique, au contraire, il (le français) a des racines puissantes qui, chaque jour s'enfoncent et s'étendent. »200 Ou encore, comme le dit Abdillahi Aouled,

À ce déclin, Reclus propose un remède : la conquête de l'Afrique, [parce que]

l'Afrique, elle, a ces avantages : elle est proche, immense, riche en hommes et en matières premières et « elle ouvre à la France un champ sans limite201.

Tout est clair : l'Afrique du nord, voire toute l'Afrique, le Canada, et les colonies de la France et tous ceux qui accepteront la langue française comme langue nationale ou langue officielle, mieux qui participeront à son rayonnement dans le monde forment la Francophonie reclusienne. Cette Francophonie, pouvons-nous dire, est une sorte de communauté sans la France qui, selon Onésime Reclus, permettra à la France de pérenniser sa langue. Dans cette Francophonie, « il n'y a pas de race française »202 puisque « les soi-disant races [continuent et] continueront à se mêler en tout lieu »203 et parce que les Français ont « des ancêtres blancs, des ancêtres jaunes et même des ancêtres noirs »204 et qu'ils « ne se ressemblent pas tous »205, il serait bon de ne pas parler de nationalité mais de la langue qui les unit aux autres peuples.

196 Abdillahi AOULED, op. cit.

197 Idem.

198 Alice GOHENEIX, op. cit.

199 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., pp. 428-129

200 Idem, p. 419

201 Abdillahi AOULED, op. cit.

202 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 406

203 Idem., p. 407

204 Ibidem., p. 406

205 Ibid., p. 406

48

Par ce projet206, la France doit être alors « [...] prête à modeler l'Afrique »207 en son image par sa langue208. C'est la raison pour laquelle, Luc Pinhas affirmera

Pour Onésime Reclus, la langue est bel et bien le fer de lance de l'assimilation recherchée, le ciment d'une communauté de pensées, le creuset qui « amalgame à la langue, en une vaste nation francisante, les peuples inféodés », règle les pensées et les activités, fusionne les éléments divers en une civilisation commune209.

Ou comme le fait remarquer Alice Goheneix,

Dans l'esprit de Reclus, il s'agit bien de convertir les peuples colonisés à l'esprit

français. De créer de l'identique, du ?même? pour assurer la pérennité de la nation et du génie français210.

Avec la Francophonie reclusienne, la France doit s'investir dans tous les domaines d'activité humaine afin de vulgariser sa langue pour qu'elle soit la langue la plus parlée au monde.

Au français revint donc la formidable puissance qu'à la parole officielle quand elle n'est pas seulement l'organe de la force par les décrets, les lois, les jugements, les actes ; lorsqu'elle est aussi la voix de la persuasion par les livres, les théâtres, les chansons, les salons, la science, le commerce et les arts211.

Parce que l'on accordera de l'importance aux langues les plus parlées au monde, alors,

Il serait bon que la Francophonie doublât ou triplât pendant que décupleront certaines hétéroglotties : car l'humanité qui vient se souciera peu des beaux idiomes, des littératures superbes, des droits historiques ; elle n'aura d'attention que pour les langues très parlées, et pour cela même très utiles212.

Le voeu d'Onésime Reclus avec son projet de Francophonie est de redorer le blason de la langue française à travers un grand nombre de locuteurs. Dans ce projet, la langue française cesse d'appartenir à la France mais à « tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir

206 Onésime Reclus pense que les multiples contacts humains, religieux ou commerciaux, etc., au cours de l'histoire, ont favorisé un métissage en France, donc les Français ne doivent point s'enorgueillir d'être purs Français ou de la nationalité française. Ils sont tous des métis, pour cela, la France doit accepter que sa langue soit parlée par d'autres peuples appelés à être un jour Français.

207 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, ib, p. 443

208 Luc PINHAS, à ce propos, dira « Or, c'est au nom de ces valeurs universelles et du progrès qu'elle justifiera à ses yeux, et à ceux du monde, la colonisation et l'imposition de sa langue, elle-même ?universelle? », Communication et Langages, n°140, 2ème trimestre 2004, p. 75

209 Luc PINHAS, op. cit. (loc.cit.), p. 79

210 Alice GOHENEIX, op. cit. (loc.cit.)

211 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 418

212 Idem., p. 429

49

participants de »213 la langue française, et bien entendu, y compris la France elle-même. C'est pourquoi, Jacques Chevrier dira

Mais il est également intéressant de remarquer qu'Onésime Reclus était féru d'idée républicaine et que, dans son esprit, la France se devait d'être, par le biais de sa langue, le porte-drapeau des idéaux de liberté et de fraternité issus de la Révolution de 1789. On voit donc que, dès l'origine, le concept de francophonie s'est chargé d'une double connotation, linguistique et géographique d'abord, mais également idéologique214.

L'idéologie qui se dégage de la Francophonie reclusienne est de fraterniser avec les peuples colonisés en vue d'avoir un grand nombre de locuteurs français. Sa Francophonie semble traduire les idéaux de la troisième république française : liberté, égalité et fraternité. Cependant, elle invite les locuteurs français à apprendre aussi d'autres langues pour être universels. « Par conséquent, n'est francophone que celui qui parle le français à côté d'au moins une autre langue. »215

Dans quelques siècles on ne parlera sans doute que l'anglais, le russe, l'espagnol, le portugais, le français, l'hindoustani, le chinois, peut-être l'arabe216. [Cependant], [t]ous les hommes instruits de la Terre savent au moins deux idiomes, le leur et le nôtre ; nous, dans notre petit coin, nous ne lisons que nos livres et ce qu'on veut bien nous traduire. C'est pourquoi nous sommes en dehors du monde et de plus en plus dédaignés par lui217.

Chez Onésime Reclus, la France fait oeuvre civilisatrice de sa langue afin de sauver cette langue raffinée, la langue des dieux selon Onésime Reclus. Aussi, doit-elle apprendre d'autres langues au lieu de s'enfermer ou d'être autarcie d'une langue qui risque de s'éteindre. La Francophonie reclusienne invite la France et les Français à l'ouverture sur le monde extérieur par le biais de sa langue sans oublier d'apprendre les autres langues qui pourraient être un jour des langues universelles. Ainsi, « en un mot, la France retrouvera son rang dans le monde grâce au rayonnement de sa langue et au raffinement de sa culture »218avec le concours des autres.

Quand le français aura cessé d'être le lien social, la langue politique, la voix

générale, nous apprendrons les idiomes devenus à leur tour « universels », car sans

213 Ibidem (loc. cit), p. 422

214 Jacques CHEVRIER « Senghor militant de la francophonie », Les actes du colloques 2002 du cercle Richelieu-Senghor, Disponible sur http://www.cercle-richelieu-senghor.org/component/content/article.html?id=52, consulté le 06 mai 2016

215 Katia HADDAH, « Désespérante francophonie », Pourquoi la Francophonie, Louise Beaudoin et Stéphane Paquin (dir), p. 186

216 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 484

217 Idem, pp. 429-130

218 Abdillahi AOULED, op. cit.

50

doute il y en aura plusieurs, et nous y gagnerons de la science, de l'étendue d'esprit et plus d'amour pour notre français.

Comme nous espérons que l'idiome élégant dont nous avons hérité vivra longtemps un peu grâce à nous, beaucoup grâce à l'Afrique et grâce au Canada, devant les grandes langues qui se partagent le monde, nos arrière-petits-fils auront pour devise : « Aimer les autres, adorer la sienne ! »219.

La Francophonie reclusienne est un concept d'enracinement et d'ouverture dans la mesure où les Français doivent être eux-mêmes (demeurer eux-mêmes) pour être universels. C'est ce que, sans doute, nous comprenons ou retenons de la devise « Aimer les autres, adorer la sienne ! », c'est-à-dire pour avoir en face de soi un autre que soi, il faut avoir un soi. En effet, Onésime Reclus exhorte à ne pas rejeter la langue française brutalement, au profit des autres langues, en particulier de l'anglais, mais à la faire cohabiter avec les autres langues en mettant l'accent sur la promotion de la langue française, « l'idiome élégant dont nous avons hérité ». Ainsi, le français ne déclinera pas. Mieux, la Francophonie est l'enracinement dans les valeurs républicaines que lui présente l'ouverture (l'assimilation) comme une oeuvre civilisatrice et comme un projet assurant la puissance et l'universalité de la langue française.

Nostalgique du passé glorieux de la langue française, soucieux de son avenir, Onésime Reclus forge un terme « la Francophonie » qui renferme l'idée d'une communauté. Ce mot forgé traduit son projet de sauvetage de la langue française en péril, qui se fait du côté de l'Afrique et du Canada, parce que ces deux continents ont un bon nombre de locuteurs fertiles à la langue française. Aux yeux d'Onésime Reclus, la Francophonie apparaît comme l'unité retrouvée entre les peuples ayant la langue française en commun. En d'autres mots, la Francophonie d'Onésime Reclus est la communauté des francophones (nous acceptons comme francophones tous ceux qui sont ou semblent destinés à rester ou à devenir participants de notre langue) sur qui la France fonde ou devrait fonder son espoir pour pérenniser sa prestigieuse langue. Elle signifie aussi diffusion de la langue française, dans le monde, afin d'avoir un grand nombre de locuteurs francophones, car demain la langue qui intéressera les hommes est celle qui sera la plus parlée et la plus utile. La Francophonie d'Onésime Reclus est également l'exhortation à apprendre au moins une seconde langue afin que les francophones et les Français puissent se sentir ou puissent s'ouvrir au monde extérieur, qu'ils ne se sentent pas isolés du monde extérieur. En d'autres mots, elle est enracinement dans la culture française, appropriation de la langue française, et ouverture aux autres en apprenant la leur (leur langue).

219 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 429

51

Peut-être, est-ce là le péché mignon d'Onésime Reclus qui lui a valu le lourd tribut de l'accusation colonialiste ? En effet, la Francophonie reclusienne est le fait d'assimiler (dans le sens de coloniser) les peuples fertiles à la langue française pour sauver la langue française. En faisant cela, la langue française a la chance de se maintenir et d'être parmi les langues, dites universelles, et de s'enrichir peut-être des mots des langues minoritaires qui risquent de s'éteindre.

La Francophonie d'Onésime Reclus est passée inaperçue, peut-être, parce qu'elle n'a pas été politisée ou n'a pas été assez médiatisée. Il fallut donc attendre quatre-vingt-deux ans pour la voir surgir « des décombres de la colonisation »220 par le biais de la revue Esprit. C'est-à-dire depuis 1880, c'est en 1962 dans la revue Esprit que l'on voit réapparaître les mots « francophone » et « francophonie » dont les auteurs ont encore du mal à définir sauf Léopold Sédar Senghor. Quelles sont les raisons de cette résurgence ? Quel sens donne-t-on à cette nouvelle Francophonie ? N'est-ce pas sur les cendres de la Francophonie reclusienne que la Francophonie de la revue Esprit voit le jour ? Si tel est le cas, alors les auteurs de la revue Esprit auraient-ils les mêmes ambitions ou intentions qu'Onésime Reclus ? Dans tous les cas, la revue Esprit de 1962 est considérée comme le véritable acte de naissance de la Francophonie. C'est la raison pour laquelle nous nous intéressons à cette revue. Nous osons croire que les auteurs de la revue Esprit de 1962 ont tous lu Onésime Reclus, et savaient bien ce que ce dernier voulait bien exprimer avec son concept ou le mot Francophonie. Pour ainsi dire qu'il n'y a point de doute que l'on retrouve quelques traces de la Francophonie reclusienne dans la Francophonie de la revue Esprit. Nous l'avons effleurée dans l'introduction de ce chapitre. Il nous convient donc de l'approfondir et de la justifier. Cependant, il faut avouer un fait, celui du caractère colonial qui sous-tend la Francophonie reclusienne, ce caractère que nous avons écarté de notre réflexion. Ce qui lui a fallu des éclairs et des foudres, et éconduit de nombreuses personnes dans l'appréhension de cette première Francophonie. Pourtant, Onésime Reclus avec la Francophonie voulait simplement, qu'au-delà des races noires, blanches et jaunes, qu'il y ait un peuple francisé pour le rayonnement et le sauvetage du français, pour l'intérêt de la langue française. Qu'en est-il donc de la revue Esprit ?

220 L'expression est de Léopold Sédar Senghor

52

2. LA FRANCOPHONIE DE LA REVUE ESPRIT, UNE COMMUNAUTÉ NAISSANTE

Dans l'histoire de la Francophonie, la revue Esprit est la pierre angulaire de toutes les argumentations en sa faveur. Tous les défenseurs ne jurent que par elle et l'attestent comme l'acte véritable de sa naissance221. Paola Puccini nous dit que

Le numéro de la revue de novembre 1962 intitulé le français langue vivante est rentré dans l'histoire de la francophonie et, comme l'on sait, il a fait date. Jean-Marie Domenach et Camille Bourniquel signent ce numéro où le mot /francophonie/ fait son apparition222.

Mieux, selon Alice Goheneix,

Cette date, celle de la publication du numéro intitulé « le français, langue vivante »

de la revue Esprit, est en effet présentée comme la véritable naissance de la véritable francophonie223.

Puis, elle ajoute qu'en

S'appuyant sur le fait que la francophonie est en définitive très peu usité en 1880

et 1960, les défenseurs de la francophonie considèrent 1962 comme la naissance de la véritable francophonie224.

Selon ces auteurs, on ne peut pas ignorer la date 1962 et la revue Esprit intitulé le français, langue vivante dans l'histoire et dans l'étude de la Francophonie. Les personnes qui s'appuient sur la revue Esprit n°311 de 1962 veulent légitimer la Francophonie, comme le dit Alice Goheneix : « l'histoire consensuelle de la francophonie constitue donc clairement une entreprise de légitimation. »225 Pourtant, comme le souligne Paola Puccini226, la Francophonie

221 L'Organisation Internationale de la Francophonie doit son existence à la revue Esprit.

222 Paola PUCCINI, « Le fonctionnement du mot ?francophonie? dans la revue Esprit, novembre 1962 : à la recherche d'une définition », Document pour l'histoire du français langue étrangère ou seconde, pp. 2-3[En ligne], 40/41|2008, mis en ligne le 17 décembre 2010, consulté le 17 mai 2016. URL : http://dhfles.revues.org/99

223 Alice GOHENEIX, op. cit.

224 Idem

225 Ibidem

226 Paola PUCCINI, op. cit. (Allusion au titre de son article.)

53

de la revue Esprit de 1962 est en quête d'une définition, car, selon lui, Léopold Sédar Senghor est le seul à en avoir donné une :

Le président est le seul locuteur du corpus à accorder au mot la majuscule, le seul

à en donner une vraie définition. Chez les autres auteurs du numéro, on assiste plutôt à une quête de définition227.

Comment peut-on légitimer une notion ou un concept qui a du mal à se définir ? Même aujourd'hui, si elle (la Francophonie) est au centre des débats politiques, culturels, universitaires et intellectuels, c'est qu'elle est toujours en quête de définition, comme l'asserte une fois de plus Paola Puccini :

Quarante-cinq ans se sont écoulés depuis la sortie du numéro Esprit et la recherche

d'une définition du mot / francophonie/ continue, et cette quête, en réalité, ne s'est jamais arrêtée228.

Dans quel contexte, le mot Francophonie fut employé dans la revue Esprit ? Pourquoi, doit-on faire l'apologie de la langue française ? Quel objectif visaient les auteurs de la revue Esprit de 1962 ?

Le numéro de la revue Esprit est publié sous la direction de Jean-Marie Domenach et Camille Bourniquel.229 Et parmi les auteurs, à côté des intellectuels français qui ont imaginé et préparé le numéro, nous pouvons citer le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Canadien Jean-Marc Léger230. Le premier fait l'éloge de la langue française et propose une définition de la Francophonie ; le second soutient que la défense et l'illustration de cette langue est la responsabilité commune de tous les francophones du monde. Après les indépendances des colonies (ex-colonies) françaises, il fallait soit renoncer à la langue française ou la conserver. L'avenir et le sort de la langue française préoccupait, comme jadis, les intellectuels français,

227Paola PUCCINI ; loc. cit., pp. 5-6

228 Idem., p. 10

229 Le numéro de la revue est divisé en cinq parties : l'introduction, la première partie intitulée « Institutions, instruments et méthodes », la deuxième, « Persistances et renaissance », la troisième, « Le débat avec l'autre », la quatrième, « Recherche d'un langage », pour terminer sur les rubriques : « Des livres », « Notices biographiques », « Journal à plusieurs voix », « Librairie du mois ».

230 Voici les noms des auteurs de la revue Esprit de 1962, n°311 :

Camille Bourniquel, Trouillard Jean, Casamayor Louis, Audejean Christian, Goriély Benjamin, Tuñon de Lara Manuel, Puget Robert, Simon Alfred, Laude André, Thibaud Paul, Bellour Raymond, Casamayor Louis, Pascal René, Domenach Jean-Marie, Simon Pierre-Henri, Léopold Sédar Senghor, Goguel Anne-Marie, Monteil Vincent, André Yves, Blondel Anne-Marie, Decorsière Francis, Sugier Clémence, Lacouture Jean, Yacine Kateb, Abou Selim, Rader Cécile, Angles Auguste, Sihanouk Norodom, Clergerie Bernard, Manigley Georges, Pierre Henri, Pompilus Pradel, Pellerin Jean , Faletti Joseph, Mayer Jean, Secrétan Philibert, Lavenir Hervé du Buffon, Martinet André, Dupouey Michel, Delattre Pierre, Gougenheim G., Charpentrat Pierre, Léger Jean-Marc.

54

les leaders indépendantistes des colonies françaises. Le français dans le monde se voyait menacé par la montée de l'anglais grâce à la puissance économique des États-Unis d'Amérique. Il fallait suborner les pays africains, fraîchement indépendants à conserver la langue française. C'est pourquoi, Senghor sera considéré comme un serviteur zélé du néo-colonialisme231, car il est le seul africain, à peau noire, en réalité, à défendre et à illustrer la langue française. La raison de la naissance de la Francophonie, pouvons-nous le dire ainsi, est que la langue française est « une responsabilité commune », pour reprendre le titre de l'article de Jean-Marc Léger232, de toutes les personnes qui la parlent, parce que,

Pendant longtemps, en fait jusqu'à la dernière guerre mondiale, le rayonnement de

la langue et de la culture française dans le monde était assuré pour l'essentiel par la France seule233.

Pour cela, les francophones (rappelons-nous de la définition d'Onésime Reclus) doivent s'imprégner de la situation de la langue française dans le monde, car, comme le dit Léopold Sédar Senghor, elle est un outil précieux trouvé dans les décombres du colonialisme pour les pays africains. Elle est également la langue d'héritage pour le Canada (le Canada était jadis un territoire français).

Il y a encore deux autres raisons qui justifient l'emploi du mot Francophonie dans la revue Esprit. Selon Léopold Sédar Senghor : « [...] la principale raison de l'expansion du français hors de l'hexagone, de la naissance d'une francophonie est d'ordre culturel »234. À travers cette raison avancée par Senghor, nous voyons très bien que le fait de conserver la langue française est un processus de long terme ancré dans l'esprit, dans la mentalité des ex-colonisés et des Canadiens. Cependant, cela semble être réfuté par le récit officiel de la Francophonie, nous affirme Alice Goheneix :

Le maintien de la langue française dans les anciennes colonies ne résulte pas d'une volonté politique `'ex nihilo», mais, bien de processus de longs termes ancrés dans la sociologie des élites africaines et dans les impératifs politico-économiques de leurs jeunes États. Or, dans le récit officiel de la francophonie, l'appropriation de la langue par les élites africaines repose sur une conception essentialiste de la langue française qui tend à la sacraliser235.

231 Senghor et la Francophonie sera l'objet de notre réflexion dans le chapitre deux de cette partie d'étude.

232 Jean-Marc LÉGER, « Une responsabilité commune », Esprit, 1962

233 Idem

234 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », Esprit, 1962, p. 838

235 Alice GOHENEIX, op. cit.

55

Et dans un autre article, « La Francophonie comme culture », Senghor corroborera la thèse du récit officiel de la Francophonie en disant « si nous avons pris l'initiative de la Francophonie, ce n'était pas non plus pour des motifs économiques ou financiers. »236 Néanmoins, nous pouvons dès lors affirmer que « le français est [...] le lien de toute une communauté que l'on nomme la Francophonie. »237 La particularité de cette communauté, c'est qu'elle y implique la France. La dernière raison avancée, d'après Jean-Marc Léger, est que le français a failli ne pas être accepté à l'Organisation des Nations Unis (ONU) comme l'une de ses langues officielles :

Le choc brutal de la deuxième guerre, bien illustré dans le fait que le français ne fut accepté que de justesse comme l'une des langues officielles de l'ONU, a fait prendre conscience aux Français du besoin d'une liaison plus étroite avec les pays et les peuples qui partagent leur langue et leur culture ainsi que du besoin, dans cette ère nouvelle, d'une action organisée, systématique, de défense et de ?promotion? des valeurs culturelles françaises238.

La résurgence de la Francophonie dans la revue Esprit est justifiée, pouvons-nous l'affirmer, par trois raisons prolixes et perplexes, pour ainsi dire. Ce sont :

? Le français n'est plus pour les Français seuls mais pour toutes les personnes qui la parlent ;

? Le français est langue de culture ;

? L'acceptation accidentelle du français à l'ONU (la situation préoccupante et alarmante du français dans le monde).

Ces raisons sont valables aujourd'hui qu'hier. Selon Michaëlle Jean, ces raisons sont

d'actualité :

Les pays ayant le français en partage doivent s'unir toujours plus fermement pour continuer à être représentés au niveau international et à faire partie des pôles incontournables, pour plus de démocratie internationale, pour le plein respect de l'intégrité linguistique des peuples et celui de leur pleine participation aux processus décisionnels. La Francophonie dans sa défense du multilinguisme et avec son dynamisme, son apport, sa force de proposition et d'action, est un accélérateur d'insertion dans les circuits qui permettent de se faire entendre à l'international, que ce soit pour les États ou pour les populations que nous représentons , tout particulièrement pour des millions de jeunes et de femmes[...] Deuxième langue [...] de travail utilisée dans les organisations internationales, la langue française est l'un des instruments essentiels d'ouverture sur le monde239.

La Francophonie est employée plus ou moins trente-huit fois dans la revue Esprit avec quelques variances orthographiques : tantôt avec une initiale en majuscule, tantôt avec une

236 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », Études littéraires, vol.1, n°1, 1968, p. 131

237 Bruno BOURG-BROC in Journal officiel de l'Assemblée nationale française, 3è séance du 3 mai 1994 238Jean-Marc LÉGER, « Une responsabilité commune », op. cit.

239 Michaëlle JEAN, La Francophonie des solutions, Rapport de la Secrétaire de la Francophonie, 2016, p. 59

56

initiale minuscule, tantôt entre guillemets, tantôt suivie d'un point d'interrogation, comme le confirme Paola Puccini :

En ce qui concerne la forme linguistique sous laquelle apparaît le mot /francophonie/ on remarque qu'elle peut se subdiviser en quatre variantes : le mot apparaît 25 fois sous sa forme de base, entre guillemets 9 fois, il est suivi 2 fois par le point d'interrogation et il se présente 2 fois avec la majuscule240.

Il y a une importance accordée au mot Francophonie par la revue Esprit. Que représente-t-elle ? Michel Dupouey donne une tentative de réponse en disant qu' « il y'a mille critères pour déterminer l'étendue de la Francophonie, ou si l'on préfère la diffusion de la langue française dans le monde. »241 Du point de vue de Michel Dupouey, la Francophonie est la diffusion de la langue française dans le monde. Cela est-il partagé par les autres auteurs ou participants de la revue Esprit ? Léopold Sédar Senghor, ne dit-il pas que « la Francophonie, c'est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des ?énergies dormantes? de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire »242 ? Pour éviter toute ambiguïté, il convient de faire un relevé non exhaustif des locutions par lesquelles les auteurs de la revue Esprit ont désigné la Francophonie. Nous avons à cet effet :

- Communauté culturelle française (p. 565)

- Liaison plus étroite avec les pays et les peuples qui partagent leur langue et leur

culture (p. 567)

- Action organisée systématique de défense et de « promotion »des valeurs culturelles

françaises (p. 567)

- Communauté des parlant français (p. 568)

- Cause commune (p. 568)

- Association (p. 569)

- Institutions placées sous le signe de la coopération entre « parlants français » (p. 569)

- Association internationale d'ingénieurs, de techniciens, d'architectes, etc., de la

fonction publique, de la langue française (p. 571)

- Confédération, à la fois instrument de coordination et expression souveraine de

l'immense communauté de parlants français (p. 571)

- OEuvre commune des peuples d'expression française (p. 649)

- Patrie culturelle où le français ne serait plus la langue de l'exil (p. 809)

- Périphérie (p. 835)

- Espace commun où le français est parlé (p. 836)

- Commonwealth linguistique français (p. 849)

- Espace qui a cessé d'être celui d'une nation, même d'un empire (p. 866)

240 Paola PUCCINI, op. cit., p. 3

241 Michel DUPOUEY, Esprit, n°311, 1962, p. 604

242 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit, n°311, 1962, p. 844 (loc. cit.)

57

- Communauté de verbe et d'esprit (p. 866).

Dans ce relevé, ce qui est frappant, c'est la communauté. Elle revient pas moins de cinq fois.

C'est aussi le sème qui se lit à partir de ce relevé. Ce relevé permet également de mettre en évidence ou de voir se dessiner trois sortes de Francophonie. Nous pouvons, en nous appuyant sur le présent relevé, dire que la revue Esprit met en relief trois sortes de Francophonie, à savoir243 :

1. La Francophonie : communauté des francophones (communauté linguistique)

- Liaison plus étroite avec les pays et les peuples qui partagent leur langue et leur

culture (p. 567)

- Communauté des parlants français (p. 568)

- Institutions placées sous le signe de la coopération entre « parlants-français » (p.

569)

- Association internationale d'ingénieurs, de techniciens, d'architectes, etc., de la

fonction publique, de la langue française (p. 571)

- Confédération, à la fois, instrument de coordination et expression souveraine de

l'immense communauté de parlants français (p. 571)

- OEuvre commune des peuples d'expression française (p. 649)

- Espace commun où le français est parlé (p. 836)

- Commonwealth linguistique français (p. 849)

- Communauté de verbe et d'esprit (p. 866).

2. La Francophonie : communauté culturelle

- Communauté culturelle française (p. 565)

- Liaison plus étroite avec les pays et les peuples qui partagent leur langue et leur

culture (p. 567)

- Action organisée systématique de la défense et de « promotion » des valeurs

culturelles françaises (p. 567)

- Patrie culturelle où le français ne serait plus la langue de l'exil (p. 809).

3. La Francophonie : communauté politique

- Liaison plus étroite avec les pays et les peuples qui partagent leur langue et leur

culture (p. 567)

- Action organisée systématique de défense et de « promotion » des valeurs culturelles

françaises (p. 567)

- Cause commune (p. 568)

- Association (p. 569)

- Institutions internationales d'ingénieurs, de techniciens, d'architectes, etc., de la

fonction publique, et de la langue française (p. 571)

- Confédération, à la fois instrument de coordination et expression souveraine de

l'immense communauté de parlants français (p. 571)

243 « Notre intention était seulement de prendre la mesure de la francophonie, sans l'enfermer dans une visée nationale, en faire quelque habile revanche d'impérialisme frustré, mais au contraire en la situant d'emblée dans son contexte mondial, aux frontières des religions, des cultures et des politiques. », affirment Jean-Marie DOMENACH et Camille BOURNIQUEL, Esprit, n°311, 1962

58

- Périphérie (p. 835)

- Espace qui a cessé d'être celui d'une nation, même d'un empire (p. 866).

Les trois types de Francophonie qui s'appréhendent à travers la revue Esprit ont pour objectif

principal de rassembler tous ceux qui parlent français autour d'un projet commun, d'un concept, d'un fait réel, d'une réalité : La Francophonie, synonyme de défense et d'illustration de la langue française. C'est ce que nous dit Xavier Deniau :

Le français est ?pour nous un moyen précieux de communication? avec l'extérieur et de connaissance des autres comme de nous-mêmes. La francophonie est une volonté humaine sans cesse tendue vers une synthèse et toujours en dépassement d'elle-même pour mieux s'adapter à la situation d'un monde en perpétuel devenir244.

Ce propos est corroboré avec ce qui suit :

Rétrospectivement, l'importance de ce numéro (la revue Esprit) est plus manifeste peut-être qu'elle ne le fut au moment de la publication. 1962 ! En Afrique c'était l'époque des indépendances, au Québec celle de la révolution tranquille, en France celle des lendemains de l'empire. Il fallait que tous ceux qui, dans le monde, restaient attachés à la langue française, même si elle n'était pas la seule langue de leur pays, ni toujours une de ses langues officielles, puissent se soutenir mutuellement245.

Dans le souci de se soutenir mutuellement, culturellement et politiquement, les auteurs de la revue Esprit ont pensé que la résurgence de la Francophonie d'Onésime Reclus, de ses cendres, était la solution, sans doute, idoine. C'est une hypothèse. Peut-être, ne savaient-ils pas quel nom ou quelle dénomination fallait-il donner à la communauté qu'ils songeaient à créer ? Néanmoins, il fallait que tous ceux qui ont le français en partage dans le monde puissent se regrouper pour promotionner la langue qui était leur chose commune. Il fallait aussi donner un nom à cette communauté naissante. Et le nom trouvé pour désigner leur communauté à la fois linguistique, culturelle et politique est la Francophonie. Dans cette communauté, de part et d'autre, c'est-à-dire colonisé et colonisateur, chacun misait sur la langue française. C'est pourquoi Jean-Marie Domenach et Camille Bourniquel disent que la langue française est une « arme du colonisateur, puis arme des colonisés, [elle] est revendiqué[e] par la plupart d'entre eux comme un instrument de promotion. »246 Et Léopold Sédar Senghor de le confirmer en disant « l'ennemi d'hier est un complice, qui nous a enrichi en s'enrichissant à notre contact. »247 Mieux, selon Dominique Wolton,

244 Xavier DENIAU, La Francophonie, Que sais-je ?, Paris, PUF, 1983

245 Encyclopédie de le Francophonie sur http://www.agora-2.org/francophonie.nsf/Dossier/Esprit_revue

246 Jean-Marie DOMENACH, Camille BOURNIQUEL, « Liminaire », Esprit, 1962

247 Léopold Sédar Senghor, Esprit, 1962, op. cit.

59

La francophonie est une somme de liens tissés entre différents peuples, librement

acceptés par tous, même si pour certains à l'origine, la langue qui les réunit désormais découle d'une colonisation ou de la mise en place d'un protectorat248.

Cependant, dans cette communauté, il existe aussi une sorte de dichotomie, de différence entre ceux qui la constituent. Il y a d'abord le colonisateur qui suppose que le colonisé est une sorte d'embryon de l'homme européen, à un stade primaire de développement, et que lorsqu'il pourra jouir des avantages de progrès et de la culture, il deviendra semblable à l'Européen. Alors, la France est dans l'obligation d'assimiler le colonisé à ce qu'il devienne Français pour le rayonnement de la langue française et pour le prestige de la France. Jean-Marie Domenach et Camille Bourniquel assertent que

C'est encore, grâce à la langue, la chance de participer dans les meilleures conditions à la confrontation mondiale. Le risque est à la mesure, et c'est assez dire qu'il nous lie. De tous ceux qui parlent notre langue dans le monde monte une exigence qui nous commande et qui, elle aussi, nous pousse vers l'avenir.249

Mieux, ajoutent-ils,

[...] dans la compétition des puissances, son originalité ne survivra que si les Français eux-mêmes y mettent leur foi, s'ils sont capables d'inventer encore de nouvelles formes et de donner des réponses humaines aux besoins du monde contemporain.250

Nous voici situé, la Francophonie est l'invention nouvelle des Français pour la défense et l'illustration de leur langue car « [elle] est [...] un problème qui, sans doute, intéresse la France »251. En effet, comme le disent Jean-Marie Domenach et Camille Bourniquel,

Le français a été d'abord, il est encore la langue des Français. Son importance au-

delà du foyer d'origine dépendra pour une bonne partie de ce que les Français auront à dire et de ce qu'ils voudront faire252.

C'est ainsi que les Français ont décidé de définir un nouvel espace linguistique pour regrouper des communautés différentes par la race, le climat, le niveau social et le régime politique, et

248 Dominique WOLTON, « L'identité francophone dans la mondialisation », Cellule de réflexion stratégique de la Francophonie, Décembre 2008, p. 22

249 Jean-Marie DOMENACH, Camille BOURNIQUEL, op. cit.

250 Idem

251 Esprit, n°311, p. 713

252 Jean-Marie DOMENACH, Camille BOURNIQUEL, op. cit.

60

sous-prétexte d'un sentiment d'une solidarité et d'une responsabilité commune, ils font don de leur langue, parce que le français,

Langue de culture, chère aux élites traditionnelles, il doit être d'abord pour des peuples qui s'émancipent, langue d'expression populaire et d'apprentissage technique, langue vivante. [...] Véhicule par excellence de l'Europe classique, il est promu de nouveau au rôle de langue mondiale [...]253

Promouvoir le français au rôle de langue mondiale ou la troisième langue du monde est le souhait du Français, et c'est ce qui ressort du discours d'Emmanuel Macron le 20 mars 2018, lors de la journée internationale de la Francophonie. L'intention du colonisateur est de modeler le colonisé à son image linguistiquement, culturellement, politiquement et techniquement, parce qu'

Une langue correspond toujours et nécessairement à une vision du monde et à une

forme de vie sociale qui finissent par imposer une certaine structure mentale à ceux qui la parlent.254

En voulant que le français soit la langue d'expression et d'apprentissage technique pour le colonisé, c'est vouloir lui imposer une vision du monde, une forme de vie, en d'autres mots, c'est l'assimiler.

Pour le colonisé, le français permet d'assimiler le savoir qui n'est ni européen ni africain ni blanc ni noir ni jaune, mais universel, parce qu' « [il] n'est pas question de renier les langues africaines »255. Le colonisé se sert donc de la langue du colonisateur pour la revendication de sa culture, de sa personnalité, et pour réfuter l'accusation de peuple sans histoire, sans art, hors de l'histoire ou de la civilisation. Nous savons tous qu' « [u]n peuple sans histoire est un peuple sans âme, [sans identité] »256 ou bien qu' « [u]n peuple ne se développe pas, à notre avis, s'il n'a pas une certaine connaissance de son identité et de sa valeur transmises par la culture et l'histoire. »257 Pour le colonisé, il faut se servir de la langue française pour exprimer les valeurs socio-culturelles de l'Afrique car « [elle] ne peut et ne doit pas rester perpétuellement sous la dépendance des pensées et des formes d'expression de la France [...] »258. C'est à juste titre que Senghor dit,

253 Idem

254 Ahmed Sékou TOURÉ, L'Afrique et la révolution, Présence Africaine, Paris, p. 251

255 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit., p. 843

256 Générique de l'émission « Archive d'Afrique » de la Radio France Internationale (RFI).

257 Théâtres africains (Actes du colloque sur le théâtre africain, École Normale Supérieure, Bamako, 14-18 novembre 1988), « Théâtre, Développements et culture coloniale », (En commission), Paris, Éditions Silex, 1990

258 Ahmed Sékou TOURÉ, L'Afrique et la révolution, op. cit., p. 255

61

Au moment que, par totalisation et socialisation, se construit la Civilisation de l'Universel, il est, d'un mot, question de nous servir de ce merveilleux outil, trouvé dans les décombres du Régime colonial. De cet outil qui est la langue française. [...] Nos valeurs font battre, maintenant les livres que vous lisez, la langue que vous parlez : le français, Soleil qui brille hors de l'Hexagone259.

Ce dont il s'agit dans les propos de Léopold Sédar Senghor peut se comprendre d'une autre manière, lorsque nous disons que :

La langue du colonisateur fut une arme de combat pour dénoncer les méfaits de la colonisation, pour revendiquer et affirmer l'identité Négro-africaine. Et aujourd'hui, il faut se servir de cette langue pour exprimer les aspirations des Africains à l'intention de l'opinion française et internationale ; les aspirations qui sont liberté, égalité et fraternité tant au niveau culturel qu'au niveau politique et économique260.

La Francophonie est aussi une manière pour le colonisé d'apporter sa modeste contribution au rayonnement de la langue française. En effet, le français n'est plus l'affaire seule de la France. C'est ce que nous pouvons retenir des propos de Jean-Marc Léger :

Les vieux pays francophones, si je puis employer cette expression [...] se considèrent désormais responsables, non pas certes dans la même mesure, mais au même titre que la France, de la préservation, et de la diffusion de la langue française, également ?propriétaires? de l'héritage spirituel commun et, d'autre part, ont, avec raison, conscience d'apporter désormais une contribution, modeste peut-être mais authentique, au trésor commun261.

Nous pouvons renforcer les propos de Jean-Marc Léger avec ceux de Félix Houphouët Boigny lors de la proclamation de l'indépendance de la Côte d'Ivoire :

Alors mes chers frères, il n'y a pas de honte à avoir été colonisés. Nous n'avons plus à nous attarder dans des complaintes inutiles. Nous devons aller de l'avant, car nous nous aussi, nous devons apporter de plus à ce monde notre contribution décisive.262

L'autre partie constituante de cette communauté dit « [...] à l'Europe que les Nègres n'étaient pas un ?peuple enfant? et qu'ils avaient une culture »263, qu'il faut adapter à la civilisation européenne. Une analyse de la dichotomie existante dans cette communauté révèle

259 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit., p. 844

260 Adou BOUATENIN, op.cit., p. 31

261 Jean-Marc LÉGER, « Une responsabilité commune », op. cit.

262 Félix Houphouët BOIGNY, discours prononcé lors de la proclamation de l'indépendance de la Côte d'Ivoire, in Fraternité Matin, hors-série, n°6, août 2010, p.7

263 Amadou KONÉ, Les Frasques d'Ébinto, CEDA/HATIER, 1980, pp. 38-39

62

qu'il s'agit pour chaque partie de s'ouvrir à l'autre avec des arrières pensées pour lui apporter ce qu'on possède et lui emprunter ce qu'on n'a pas264. La France apporte sa langue au colonisé, et le colonisé se sert de la langue du colonisateur pour exprimer ses attentes. Nous comprenons dès lors Jean-Marc Léger lorsqu'il dit « apporter désormais une contribution », car il s'agit évidemment d'une contribution de part et d'autre, d'une « chaleur complémentaire » comme le souligne Léopold Sédar Senghor, mieux avec Jean Lacouture qui dit

[...] d'abord instrument de conquête, le français sera tour à tour ou simultanément instrument d'échange et d'unité, d'amitié, enfin de développement technique et création esthétique265.

Quant à la revue Esprit, en la lisant minutieusement, l'on se rend compte rapidement qu'on peut déceler le sème de l'espace et du temps. Ils sont, en fait, indissociables à la notion de Francophonie (de la communauté). En effet, les auteurs de la revue, dans leur tentative définitionnelle, ont employé des substantifs où apparaissent les sèmes de l'espace et du temps. Le sème de l'espace apparaît donc dans les substantifs mesure, étendue, frange, jalon, planétarisation, hors de France, d'une bonne partie du monde, la situer aux frontières, dans une visée nationale, de tous les continents. Ce sème montre non seulement que la Francophonie est un espace dont les auteurs de la revue cherchent géographiquement une délimitation mais qu'elle est une notion vaste et insaisissable. Comme nous parlons de communauté, nous pouvons dire que la Francophonie est une communauté vaste, géographiquement illimitable. Elle « est une communauté spirituelle »266 ou une « communauté d'esprit »267. Ce qui peut nous amener à dire que la Francophonie est un concept. Quant au sème temps, il apparaît dans les mots avenir, chance(s), dépendre, semble, tend à devenir. Ce sème fait allusion au futur, pour dire que la Francophonie n'est qu'un simple projet dans la revue Esprit. Les auteurs n'exprimaient pas le voeu de voir la Francophonie se réaliser ici et maintenant (hic et nunc), mais que cela se réalise dans le futur. C'est pourquoi Jean-Marie Domenach et Camille Bourniquel disent que la réalisation de la Francophonie dépend de la future génération268 ou peut-être des francophones.269 À ce stade de notre réflexion, nous pouvons dire, sans faux-fuyant, que la Francophonie est une communauté naissante ou une communauté en devenir.

264 L'idée est de Clément MBOM (« Léopold Sédar Senghor, une trajectoire à l'épreuve du temps », Présence Africaine, n°154, Dossier I : spécial Senghor, 2ème semestre 1996)

265 Jean LACOUTURE, « Ce défaut français », Esprit, n°311, 1962

266 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie comme culture », Études Littéraires, op. cit., p.131

267 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », Éthiopiques, numéro 50-51, 1988

268 Ils disent : « L'avenir détient seul les réponses et il ne nous appartient pas de décider à la place de ceux qui ont désormais en mains les commandes de leur destin. »Esprit, n° 311, 1962

269 Paola PUCCINI dit : « L'avenir de la francophonie dépend directement des francophones », op. cit., p.7

63

Cependant, il faut admettre aussi le fait qu'elle est un concept assembleur, c'est-à-dire un terme pour désigner l'assemblée de tous ceux qui parlent la langue française.

« Le français, langue vivante » est le thème du numéro de novembre 1962 de la revue Esprit qui a amené des personnalités politiques, littéraires, culturelles et des diplomates à orienter leur réflexion autour d'un concept, d'une notion engendrée en 1880 par le géographe Onésime Reclus : la Francophonie. Dans le souci de montrer que la langue française a le mérite d'être défendue et illustrée, les auteurs de la revue Esprit de novembre 1962 ont ressuscité la Francophonie d'Onésime Reclus avec une grande méfiance et de doute. En effet, 1962, c'était l'époque des indépendances en Afrique, la révolution au Canada (Québec) et la fin de l'empire en France. Pour l'Afrique, accepter la langue de l'autre n'était-il pas se trahir, trahir la Négritude, le Consciencisme, l'Authenticité, etc. ? Pour le Canada, le choix fut difficile. Les Canadiens devraient-ils laisser le français pour l'anglais ou devraient-ils accepter les deux comme langues officielles ? Pour la France, elle avait peur d'être taxée de néo-colonialiste. Il fallait, avec précaution, présenter la Francophonie, et regrouper tous ceux qui, dans le monde, restaient attacher à la langue française comme l'ont fait tous ceux qui parlent l'anglais au sein du Commonwealth, surtout en mettant l'accent sur la culture que sur l'économie. La communauté des francophones qui, au départ, excluait la France, va l'impliquer dans la gestion de l'avenir de sa langue. Ces méfiances, ces doutes et ces hésitations feront de la Francophonie de la revue Esprit un simple projet difficilement définissable. Les auteurs ont bien du mal à donner une définition exacte au mot Francophonie qu'ils ont employé sauf Léopold Sédar Senghor. C'est à travers les synonymes et d'autres expressions que nous avons pu dire que la Francophonie est une communauté naissante.

Cependant, dans cette communauté, les visions sont opposées ; il y a une dichotomie d'idées qui induit à l'erreur et qui empêche de discerner ou de déceler l'objectif des auteurs de la revue Esprit de 1962. L'objectif de ces auteurs était de rassembler tous ceux qui parlent français dans le monde afin de se soutenir mutuellement pour affronter les grandes questions du moment et à venir. C'est aussi de prendre la responsabilité d'assumer la réalité des faits socio-culturels que l'histoire a engendrés : la langue française appartient à tous ceux qui la parlent ou qui l'utilisent comme langue officielle ou nationale. L'histoire a fait que la langue française soit la langue d'une communauté qu'on nomme ou qu'on appelle Francophonie. « La langue française n'appartient pas aux seuls Français, elle appartient à toutes celles et à tous ceux qui ont choisi de l'apprendre, de l'utiliser, de la féconder aux accents de leurs cultures,

64

de leurs imaginaires, de leurs talents. »270 Mieux, « ce qui fait aujourd'hui la force de français, je dirais même son génie propre, c'est ce qu'il est une langue partagée par des nations différentes dont chacune l'a enrichie de son histoire, de ses mots, de ses oeuvres, de ses idées. »271 Qu'on le veuille ou pas, l'usage de la langue française est le seul principe incontestable sur lequel la Francophonie repose272. C'est autour de cette langue que les auteurs de la revue Esprit de 1962 ont bâti leurs argumentations et leurs réflexions. Le français est « le trésor commun », pour reprendre Jean-Marc Léger, de la communauté des francophones. Il est

appréhendable à la fois comme outil d'assimilation et outil de revendication. Néanmoins,
chaque partie ou chaque membre de la communauté est appelé(e) à défendre et à illustrer ce « trésor commun »273, ce « Soleil qui brille hors de l'Hexagone »274. Le français est donc, pour dire comme Jean-Marc Léger, une responsabilité commune de tous ceux qui la parlent ; pour cela, ils doivent s'unir, se soutenir pour le défendre et le promotionner (le valoriser). Nous comprenons dès lors les raisons qui ont amené les défenseurs de la Francophonie à considérer la revue Esprit de novembre 1962 comme l'acte de naissance de la Francophonie actuelle275.

Entre la Francophonie d'Onésime Reclus et celle de la revue Esprit de novembre 1962, il a eu quatre-vingt-deux années d'intervalle, or l'on constate que la Francophonie de la revue Esprit est influencée par celle d'Onésime Reclus. En effet, Onésime Reclus a voulu qu'une communauté de parlants français dispersés à travers les quatre coins du monde, en particulier en Afrique et au Canada, soit le porte-étendard du rayonnement et la suprématie de la langue française. Il exhortait la France à ne pas conserver sa langue mais plutôt à la dispenser aux autres, mieux à assimiler Africains et Canadiens par la langue, ainsi le français est certain d'être une langue universelle. Selon lui, un grand nombre de locuteurs est synonyme d'une langue vivante, donc universelle. Aussi, par la langue, c'est une culture qui est véhiculée et inculquée, ainsi les locuteurs de la langue française, appelés francophones, seront des Français, parce qu'il (pour la simple raison qu'il) n'y a pas de Français authentiques. La communauté qu'a voulue

270 Abdoul DIOUF, « La francophonie, une réalité oubliée », Le Monde 19.03.2007

271 Alain JUPPÉ, « Agir pour la francophonie », Pourquoi la Francophonie, Louise BEAUDOIN et Stéphane PAQUIN (dir), p. 166

272 « La langue française est la base, le lien, autour duquel s'est construite l'idée francophone. C'est la langue française qui a réuni aussi bien les fondateurs de la Francophonie que les populations des pays francophones. », nous dit Hervé BOUGES, « Pour une reconnaissance de la Francophonie », Rapport, Juin 2008, p. 13

273 Jean-Marc LÉGER, Esprit, op. cit.

274 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit, op. cit., p. 844

275Allusion à l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).

65

Onésime Reclus sera la voix des Français hors de France. Comme nous le savons tous, cette Francophonie disparaît avec son père géniteur. Tous deux sont restés dans le silence sépulcral.

Il faut attendre quatre-vingt-deux ans pour voir réapparaître la Francophonie dans la revue Esprit de novembre 1962. Dans cette revue, les auteurs ont du mal à définir la Francophonie. Pour certains, c'est le français hors de la France. Pour d'autres, c'est l'assemblée des potentiels locuteurs de la langue française dans le monde, y compris les Français eux-mêmes. Pour d'autres encore, le français est une propriété commune. Les auteurs ont entretenu une dichotomie d'idées, de sens, de sorte qu'il est difficile d'avoir une idée claire de ce qu'ils proposaient. Néanmoins, de cette dichotomie, une chose était évidente : les auteurs souhaitaient la création d'une communauté au sein de laquelle chaque francophone se sentirait responsable du devenir et du sort de la langue française, cette langue qui est prise comme outil d'assimilation pour certains et outil de revendication pour d'autres. La communauté voulue par les auteurs de la revue Esprit de novembre 1962 était donc une communauté, à la fois linguistique, culturelle et politique.

Léopold Sédar Senghor reprend ce terme à son propre compte sans lui attribuer toutefois le sens qu'ont essayé de donner Onésime Reclus et les autres auteurs de la revue Esprit. Il se démarque des auteurs de la revue ; et de façon téméraire, il donna une définition à la Francophonie. À la suite de son article, considéré comme le manifeste de la Francophonie, Senghor s'engagea, corps et âme, pour faire accepter le concept d'une communauté de francophones en vue d'une réalisation concrète. Pour faire accepter le concept, il va multiplier les définitions, souvent opposables ou complémentaires, de la Francophonie. Ces faits amènent les spécialistes à le considérer comme le véritable père de la Francophonie institutionnelle. Pour ces mêmes raisons, nous aussi, nous essayons également d'appréhender la Francophonie que Léopold Sédar Senghor a présentée au-delà de la définition donnée dans la revue Esprit. Nous voulons aussi, à travers les nombreuses définitions qu'il a eues à donner, saisir le véritable sens de la Francophonie et voir ce que cela implique au juste. Mieux, il est question, à partir des définitions de Léopold Sédar Senghor, d'avoir une idée claire de sa perception de la Francophonie ou de sa conception de la Francophonie.

66

CHAPITRE II : LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR ET LA
FRANCOPHONIE

Séparer le nom de Léopold Sédar Senghor de la Francophonie comme de la Négritude est une insulte à l'humanité, à l'histoire littéraire et à la politique. C'est ce que nous dit René Gnaléga : « Senghor est l'un des pionniers de la Négritude. Mais nous ne pouvons pas non plus séparer le nom de Senghor de la Francophonie tant il avait fait corps avec l'idée de francophonie en la défendant avec ferveur et avec foi. »276 Toute sa vie, Léopold Sédar Senghor était au service de la Francophonie voire de la Négritude et de la Civilisation de l'Universel : « [Pour] les quelques années qui me restent à vivre, mon plan est simple [...] : je me consacrerai entièrement à mon action culturelle, en me mettant triplement au service de la Négritude, de la Francophonie et de la Civilisation de l'Universel. »277 C'est à partir de 1962 avec la revue Esprit que Léopold Sédar Senghor a viré de la Négritude à la Francophonie : « On s'étonnera, sans doute, que le militant de la Négritude, que j'ai été au Quartier latin, soit tombé, par la suite, dans la Francophonie »278, et se faisant ainsi l'apôtre des nations de la Francophonie. Alors certains critiques littéraires ont estimé que ses oeuvres sont marquées du sceau de la Francophonie279. Mamadou Bani Diallo affirme que « l'oeuvre et la pensée de Léopold Sédar Senghor semblent marquées par le sceau de la francophonie et de la Négritude [...] »280. Soutenu par Lavodrama Philippe qui dit qu'il « ne l'a pas seulement défendue, mais également illustrée, par son oeuvre littéraire et poétique [...]. »281 Ceci est corroboré par Ibrahim Diop : « Négritude, Francophonie [...] cristallisent la quintessence de son oeuvre littéraire et poétique. »282 Mieux, « la volonté de Senghor de s'approprier les valeurs et vertus d'autres peuples et cultures est nettement perceptible dans son oeuvre poétique et dans la série

276 René GNALÉGA, « Senghor et la Francophonie », op. cit., p. 113

277 Janet G. VAILLANT, Vie de Léopold Sédar Senghor. Noir, Français et Africain, Paris, Karthala, 2006, p. 437

278 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », loc. cit.

279 De ces critiques, nous en faisons partie. La suite de notre travail permettra de confirmer que ses oeuvres poétiques sont l'expression de la Francophonie (Le manifeste réel de la Francophonie).

280 Mamadou Bani DIALLO, loc. cit.

281 Philippe LAVODRAMA, loc. cit., p. 182

282 Ibrahim DIOP, loc. cit., p. 8

67

de Liberté. »283 Il n'est pas question pour nous, ici, d'étudier la Francophonie dans ses oeuvres.284

Les articles, les conférences animées, les interviews en faveur de la Francophonie font « de lui la figure emblématique de la Francophonie [...] »285à telle enseigne que la Francophonie chez Senghor n'est plus la Francophonie définie dans la revue Esprit de novembre 1962. « Le terme de francophonie a des connotations tout à fait différentes depuis son emploi par Senghor qui est considéré comme le père de la francophonie, au point que beaucoup attribuent la création réelle de ce terme à ce dernier », nous dit Anna Judge286 ou comme l'affirme Bernard Pöll « Sous la plume du président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, le concept s'enrichit sémantiquement- francophonie dépasse le cadre du simple terme linguistique, il sert à désigner une communauté de valeurs et de cultures. »287 Mieux, « sous sa plume, le terme "francophonie" va progressivement acquérir un caractère linguistique, géographique, culturel et économique auquel s'ajoute une dimension politique. »288 « Quoique qu'il (Senghor) décline l'honneur en déclarant : " je n'ai pas inventé la Francophonie, elle existait déjà", Senghor en est indiscutablement la figure de proue, le refondateur et pour ainsi dire le ré-inventeur. »289 Avec Léopold Sédar Senghor, la Francophonie revêtira une dimension poétique, parce qu'il est avant tout un poète. Dans une vision poétique, il élèvera la notion de Francophonie, parce que, tout simplement, la poésie est universelle. Pour dire que la Francophonie chez Senghor se veut universelle « [...] car la Francophonie a commencé par une fraternité de poètes [...] »290 En effet, « [Senghor] tente enfin de concrétiser dans sa politique les idées du poète qui veut conduire les hommes, noirs et blancs, vers de nouvelles relations fraternelles. »291 Nous estimons que, dans son combat pour redéfinir l'image de l'Afrique et les rapports de l'Africain avec l'autre, le poète du royaume d'enfance, Léopold Sédar Senghor, opte pour la Francophonie. Nous pensons aussi que « selon Senghor, la

283Idem, (op. cit.), p. 16

284 Nous étudierons la Francophonie dans les oeuvres poétiques de Senghor dans la seconde partie de notre travail.

285 Philippe LAVODRAMA, op. cit., p. 232

286Anna JUDGE, « La Francophonie : mythes, masques et réalités », Bridget Jone, Arnauld Miguet, Patrick Corcoran (dir), Francophonie : mythes, masques et réalités. Enjeux politiques et culturels, Paris, Publisud, 1996, p. 25

287 Bernard PÖLL, Francophonies périphériques, Histoire, statut et profit des principales variétés du français hors de France, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 19

288 Virginie MARIE, « De la Francophonie centripète à une Francophonie périphérique », Alternative francophone, p. 59

289 Philippe LAVODRAMA, op. cit., p. 202

290Daniel MAXIMIN, « L'originelle poésie francopolyphonique », Synergies Monde, n° 5, 2008, p. 151 (pp. 151-154)

291 Michel TÉTU, « les grandes figures de la Francophonie », les trois « Pères fondateurs », Dossier Thématique : La Francophonie, 35 ans après, AFI, 2006, p. 328

68

Francophonie est la reconnaissance des autres cultures ; c'est intégrer ou faire coexister les valeurs culturelles et linguistiques africaines et celles de l'Europe ; une sorte de symbiose culturelle »292, mieux « chez lui, la Francophonie se veut une fraternité dans le respect mutuel et le dialogue des cultures. »293 Nous croyons également que la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor est un concept englobant, un idéal à cultiver et à réaliser. Cependant, d'autres critiques littéraires estiment « que Senghor est pris dans le piège du concept que lui-même a fait renaître de ses cendres. »294 Dans cette optique, Ambroise Kom dit qu' « il en va pareillement de Senghor qui aura passé le plus clair de sa vie à défendre en tout temps et en tout lieu la Francophonie oubliant qu'il s'agit essentiellement d'instituer et de perpétuer la conquête sous couvert de partage linguistique. [...] Il a passé sa vie à parler de dialogue, de convergence, de symbiose, de Civilisation de l'Universel, oubliant la surdité du colonisateur face au discours du colonisé et à toute initiative émanant de ce dernier. »295 Pour cette raison, Ibrahim Diop affirme que « le concept de Francophonie traduit également l'intérêt et l'amour de Senghor pour la langue française pour laquelle il fut sévèrement critiqué. »296. Pour lui, Léopold Sédar Senghor fut critiqué pour l'intérêt et l'amour qu'il accordait à la langue française.

Il faut reconnaître que celui-ci n'a jamais rien inventé. Néanmoins, le terme Francité est son invention : « Plus généralement, les Québécois eux-mêmes reconnaissent en Senghor le parrain de la Francophonie et le père de la Francité »297 ou « c'est à Léopold Sédar Senghor qu'on attribue la paternité du néologisme "Francité" vers 1965. »298 Là encore, on reste perplexe, comme on le voit, à attribuer ce terme à Senghor.299 Dans tous les cas, c'est avec lui que les concepts, surtout le concept Francophonie, ont eu l'égard des critiques et des

292 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit. p. 62

293 Idem p. 107

294 Adou BOUATENIN, loc. cit. (Ibidem), p. 30

295Ambroise KOM, Les fondements identitaires d'une intelligentsia africaine d'après Amadou Hampâté Bâ, pp. 206-207

296 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 11

297 Philippe LAVODRAMA, op. cit., p. 193

298 La Maison de La Francité, « la Francité » [en ligne],

Disponible sur http://www.maisondelafrancite.be/fr/?ID=9, consulté le 6 mai 2016

299José FONTAINE affirme qu' « on sait que le terme de Francité désigne depuis quelques années la spécificité de tout ce qui est français. La paternité du mot doit sans doute être attribuée au président Senghor. Mais, quelques années auparavant, francité apparaissait dans une étude de Roland Barthes. » (La frite et la Francité in Le Monde, 22 juillet 1980, p.2) ou comme le dit aussi G. André VACHON « "Francité" est un néologisme. Il apparaît vers 1963, presque simultanément, sous la plume de Jacques Berque, Paris, et de Jean-Marc Léger, à Montréal. Léopold Senghor l'a employé, à divers reprises, et on le retrouve aujourd'hui dans bon nombres de publications consacrées aux problèmes politiques, sociaux et culturels des anciennes colonies françaises. » (La "Francité" p. 117). Et Léopold Sédar Senghor de confirmer en disant que « Ce n'est pas hasard, si nous avons été les deux premiers, un Canadien et le Sénégalais que je suis, à lancer le néologisme de `' francité». » (De la Francophonie, op. cit.)

69

observateurs ou ont acquis de l'importance et leurs lettres de noblesse dans la critique littéraire et politique. Sans méprendre, nous pouvons dire que la Francophonie, chez lui, est aussi la Francité, car il lui arrive de ne pas faire une différence entre ces deux termes. Chez lui, la Francophonie et la Francité ont la même connotation : « Bref, la Francophonie, c'est par-delà la langue, la civilisation ; plus précisément, l'esprit de cette civilisation, c'est-à-dire la culture française. Que j'appellerai la Francité. »300 Ou bien « Or donc, comme je le disais en commençant, la Francophonie, plus précisément la Francité - c'est une façon rationnelle de poser les problèmes et d'en rechercher les solutions, mais toujours, par référence à l'homme. »301 Nous voyons que la Francophonie et la Francité sont, certes, deux mots différents orthographiquement, mais sont des synonymes renvoyant chez Léopold Sédar Senghor à une seule réalité : la culture française. Se sentant critiqué de toute part, et incompris de ses compatriotes africains, il va, bien sûr, atténuer son discours sur la Francophonie et recadrer son projet. Alors, il y intégrera des valeurs que véhicule la Négritude. Désormais, la Francophonie serait une Francophonie teintée de la Francité et de la Négritude. C'est une Francophonie qui exalte la culture française et la culture négro-africaine pour aboutir à la Civilisation de l'Universel, semble-t-il. Peut-être, est-ce la raison pour laquelle il considère « la Francophonie comme culture » ?302 En effet, la Francité est la culture française, et la Négritude, l'exaltation de la culture négro-africaine. La rencontre de ces deux concepts, chez Senghor, a donné la Francophonie, qui se veut une culture, dite universelle. D'ailleurs, Léopold Sédar Senghor avoue son rêve de concilier Négritude et Francophonie : « J'ai toujours rêvé de concilier Francophonie et Négritude. Ce rêve est maintenant une réalité. »303

Dans la Francophonie senghorienne, admettons-le, il y a une part de Francité et, une autre part de Négritude. Cependant, dans ses tentatives de donner définitivement une définition à la Francophonie, Senghor nous apprend que la Francophonie serait née des cendres de la communauté française voulue par le Général De Gaulle : « C'est donc en janvier 1944, et par la volonté de Charles de Gaulle que naquit non seulement l'idée et la volonté, mais surtout la possibilité de la Francophonie [...] »304. Les propos de Senghor sont confirmés par Bégong-Bodoli Betina : « La Francophonie actuelle est née des cendres de la communauté française. L'une des raisons de la création de la Francophonie est la mort prématurée de la Communauté

300 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit. p. 131

301 Idem, p. 136

302 Allusion au titre de Léopold Sédar Senghor.

303Léopold Sédar SENGHOR, message envoyé à l'UNESCO qui lui rendait hommage pour son 90ème anniversaire

304 Léopold Sédar SENGHOR, Ce que je crois, Paris, Grasset et Fasquelle, 1988, p. 158

française. »305Qu'est-ce que la Francité ? Qu'est-ce que cela implique ? Qu'est-ce que la Négritude ? Qu'est-ce que la Communauté française ? Pourquoi Senghor a-t-il choisi la

Francophonie au profit de la Francité ? Qu'implique la Francophonie ? Pour mieux
appréhender la conception senghorienne de la Francophonie, il nous faut examiner au peigne fin les nombreuses définitions données par Léopold Sédar Senghor au mot Francophonie. De cet examen, nous allons voir que la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor n'est rien d'autre qu'une combinaison de Francité et de Négritude et de la défunte Communauté française. C'est-à-dire la Francophonie chez lui se veut exaltation de la Négritude par la Francité. Nous pouvons dire également que la Francophonie senghorienne est un concept de résignation. Léopold Sédar Senghor se résigne en acceptant sa condition de colonisé, et invite les autres, c'est-à-dire ses frères africains, à le suivre dans cette résignation.306

70

305 Betina BÉGONG-BODOLI, op. cit.

306 Cela sera plus explicité et mis en évidence dans la deuxième partie de notre thèse.

71

1. LA CONCEPTION SENGHORIENNE DE LA FRANCOPHONIE

Pour saisir la Francophonie chez ou de Léopold Sédar Senghor, il faut remonter à la revue Esprit de novembre 1962 où il en a donné une définition. Depuis cette date, Senghor n'a fait que donner plusieurs définitions au mot Francophonie qui sont parfois confuses et contradictoires et qui empêchent les chercheurs travaillant sur ce thème d'être unanimes sur une définition exacte de Senghor de la Francophonie. L'appréhension de la Francophonie senghorienne n'est, à proprement parler, pas du tout aisée, semble dire J. Tshisunguwa Tshisungu :

En suivant une approche diachronique, on constate que Senghor donne plusieurs définitions du mot francophonie. Ce qui ne manque de surprendre. En effet, un concept polysémique est très peu opératoire sur le plan scientifique car il ne peut être généralisé, ni susceptible de renvoyer à un même signifié chez tous les chercheurs travaillant dans un domaine donné.307

C'est en cherchant à se justifier, du fait qu'il « soit tombé, par la suite, dans la Francophonie »308, qu'il définit la Francophonie. En 1962 dans la revue Esprit, il donna les raisons qui l'ont amené à la Francophonie. Selon lui, la principale raison est que la Francophonie est d'ordre culturel : « Cependant, la principale raison de l'expansion du français hors de l'hexagone, de la naissance d'une Francophonie est d'ordre culturel. »309 Comme d'habitude, Léopold Sédar Senghor, après avoir donné la raison de la naissance de la Francophonie, va se justifier en disant qu' « il est question d'exprimer notre authenticité de métis culturels, d'hommes du XXème siècle. »310 Cela n'est pas étonnant. Cette justification rejoint celle d'Onésime Reclus qui affirmait qu'il n'y avait pas de Français authentiques, mais des Français métis, et que ce qui compte c'est l'avenir de la langue française. Néanmoins, ce qui retient notre attention dans cette justification, c'est la syntaxe nominale « métis culturels »311.

307 J. Tshinuguwa TSHISUNGU, loc. cit.

308 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », loc. cit.

309 Léopold Sédar SENGHOR, « Le Français, langue de cultures », loc. cit., p. 838

310 Léopold Sédar SENGHOR, « Le Français, langue de cultures », p. 843

311 Nous y reviendrons dans la troisième partie de notre travail.

72

Pour Senghor, cette justification doit venir corroborer la raison déjà avancée. Et en 1988, il confirme la raison donnée en 1962 en disant « f...] la culture reste le problème essentiel de la Francophonie. »312 Nous voilà situé. La Francophonie chez Senghor relève de la culture, c'est-à-dire la Francophonie est un fait culturel. Mieux, elle se préoccupe de la culture, comme le justifie Senghor :

Qu'est-ce que la Francophonie ? Ce n'est pas comme d'aucuns le croient, une « machine de guerre montée par l'impérialisme Français ». Si nous avons pris l'initiative de la Francophonie, c'était pas non plus pour des motifs économiques ou financiers. Si nous étions à acheter, il y aurait, sans doute, plus offrant que la France. Et si nous avons besoin de plus d'assistants techniques francophones de hautes qualifications, c'est qu'avant tout, pour nous, la Francophonie est culture.313

L'autre raison avancée et qui semble la plus importante chez lui, c'est l'amour inconditionné porté à la langue française. Cette langue qu'il découvrit à l'âge de sept ans.

Je me rappelle, quand je découvris le français, à sept ans, c'était, pour moi, musique et charme. La beauté du français, sa poésie, ne vient pas du pouvoir imaginant des mots, qui se sont dépouillés du concret de leur racine, elle vient de la musique des mots et des phrases, des vers et des versets : de leur rythme et de leur mélodie314.

Dans un entretien avec Armand Guibert, parlant de son apprentissage de la langue française, il revient encore sur l'âge de sept ans :

Le français n'est pas ma langue maternelle. J'ai commencé de l'apprendre à sept ans par des mots « confiture » et « chocolat ». Aujourd'hui, je pense naturellement en français et je comprends le français mieux qu'aucune autre langue. C'est que le français n'est plus pour moi un véhicule étranger, mais la forme d'expression naturelle de ma pensée315.

Dans la revue Esprit de novembre 1962, il énumère cinq éléments majeurs qui l'ont amené à aimer la langue française316. Son attachement au français s'appréhende en cinq points. Ce sont :

V' Les Africains parlent mieux le français que leur langue maternelle

V' La richesse du vocabulaire français

V' La syntaxe de la langue française

V' La stylistique française

312 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », Éthiopiques, n°50-51, 1988

313 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », loc. cit., p. 135

314 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », Idem, 1968, p. 135

315 Entretien rapporté par J. Tshisunguwa TSHISUNGU

316 Cf. article dans la revue Esprit de la page 839 à la page 840

73

? L'humanisme français.

Il le reconfirme en 1968 avec un autre article intitulé « La Francophonie comme culture » :

C'est, tout d'abord pour deux raisons historiques : de fait. La première est que, ne voulant pas nous renier, nous ne voulons rien renier de notre histoire, fut-elle « coloniale », qui est devenue un élément de notre personnalité nationale. [...] Et puis, il y'a le français, qui est une langue internationale de communication. C'est notre deuxième raison de fait. Il y a d'autres raisons, plus profondes, qui tiennent aux qualités mêmes de la langue. Qu'il s'agisse de morphologie ou de syntaxe, le français nous offre, à la fois, clarté et richesse, précision et nuance317. [...] Pour dire que la langue française est culture, c'est-à-dire esprit de civilisation, fondement d'un humanisme qui ne fut jamais plus actuel qu'aujourd'hui318.

Après avoir longuement justifié son choix de la Francophonie, il peut alors conclure en disant « [...] le seul principe incontestable sur lequel elle (la Francophonie) repose est l'usage de la langue française. »319

Léopold Sédar Senghor est conscient que la France, c'est d'abord et avant tout la langue française, et que cette langue est aussi le symbole de la culture française. C'est la raison pour laquelle, François Provenzano affirme qu'

Autrement dit, la conception clé qui supporte cette définition de la francophonie

est bien l'universalité linguistico-culturelle française, telle que l'a exposée Rivarol dans son célèbre discours, dès la fin du XVIII siècle320.

Chez Senghor, cette culture française est appelée la Francité. Il l'a définie en ces termes : « Quant à la `'francité'Ç on peut la définir comme l'ensemble des valeurs de la langue et de la culture, partant de la civilisation française »321. Jacques Chevrier dit :

[Senghor] explique que ses motifs d'adhésion au concept (de Francophonie) ne

sont ni économiques ni financiers, mais essentiellement liés à l'esprit de la civilisation française, c'est-à-dire sa francité322.

Nous comprenons dès lors pourquoi Léopold Sédar Senghor n'arrive pas à différencier la Francophonie de la Francité. Pour parler de la Francophonie, il utilise souvent le terme de

317 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., p. 132

318 Idem., p. 135

319 Ibidem (loc. cit.), p. 131

320 François PROVENZANO, « La `'Francophonie» : définitions et usages », In : Quaderni, n°62, Hiver 20062007. Le thanatopouvoir : politiques de la mort, p.96. Disponible sur http://www.persee.fr/doc/quad_0987-1381_2006_num_62_1_1707

321 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », op. cit.

322 Jacques CHEVRIER, « Senghor militant de la Francophonie », op. cit.

74

Francité323 : « Or donc, je vais vous entretenir de la Francophonie, mais surtout de la Francité [...] la Francophonie, mais sous son aspect culturel de Francité »324. Pour comprendre quel sens Senghor donne à la Francophonie, il faut d'abord chercher à appréhender la Francité. Chez lui, la Francité est « une façon rationnelle de poser les problèmes, et d'en rechercher les solutions, mais toujours, par référence à l'homme. »325 Et quant à la Francophonie, il dit qu' « il s'agit toujours de l'homme : à sauver et à perfectionner, intellectuellement avec Descartes, moralement avec Pascal, intégralement avec Teillhard. »326 Comme on le voit, la Francité et la Francophonie renvoient à une seule réalité : l'homme. Cependant, la Francité est la valorisation de la culture française portée sur l'éducation, la tolérance, la liberté, l'égalité et la fraternité entre les hommes. Dans son entendement, il n'y a pas de différence entre les deux termes, (si,) du moment où, ils disent la même chose327.

La Francité comme la Francophonie est un humanisme. C'est cet humanisme qui l'amène à adhérer au concept de Francophonie. À partir de ce fait, nous pouvons enfin voir les définitions du mot Francophonie données par Senghor afin de saisir comment il la conçoit. En 1962, dans la revue Esprit de novembre, voici ce qu'il disait :

La francophonie, c'est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre :

cette symbiose des « énergies dormantes » de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire328.

Et, selon Paola Puccini, cette définition révèle que la Francophonie est appréhendée comme un concept qui englobe, du fait que « les formes lexicales suivantes : Humanisme intégral, symbiose, chaleur complémentaire, nous parlent de Francophonie englobant »329 tous les hommes de la terre parlant français. Vraiment le principal objectif de la Francophonie, selon Léopold Sédar Senghor, est le devenir de l'homme. En 1968, il donna une autre définition de la Francophonie :

C'est un mode de pensée et d'action : une certaine manière de poser les problèmes

et d'en chercher les solutions. Encore une fois, c'est une communauté spirituelle : une

323 Selon la Maison de la Francité, « au fil du temps, la notion de ? francité ? évolue, en particulier avec l'apparition du concept de ?francophonie?, c'est deux termes ayant souvent été amalgamés. » C'est ce que fait Senghor.

324 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », loc. cit.

325 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », loc. cit., p. 136

326 Idem., p. 139

327 Aurélien YANNIC dira que « la francophonie n'est pas le calque de la francité [...] », in « La Francophonie et alliance des aires culturelles romanes », Pourquoi la Francophonie ?, sous la Direction de Louise BEAUDOIN et Stéphane PAQUIN, VLB Éditeur, Canada, 2008, p. 156

328 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », loc. cit., p. 844

329 Paola PUCCINI, loc. cit., p. 5

75

noosphère autour de la terre. Bref, la Francophonie, c'est, par-delà la langue, la civilisation française, plus précisément l'esprit de cette civilisation, c'est-à-dire la culture française. Que j'appellerai la francité330.

Entre ces deux définitions, nous remarquons la répétition de la syntaxe nominale « autour de la terre », ce qui semble une obsession chez Senghor. Il a la ferme volonté d'englober tous les hommes dans une communauté pleinement humaine. la Francophonie est un concept poétiquement formulé qui tend à regrouper dans un même espace des consciences humaines et des pensées qu'elles ont pour former une communauté à la culture française, une sorte de noosphère. L'homme est l'un des piliers de cette communauté à culture française. C'est ce qui fait de la Francophonie chez Senghor un humanisme. En effet, comme le dit Yao Assogba,

L'humanisme senghorien admet que tous les peuples se sont influencés dans le passé et continuent de le faire. Il érige en philosophie le métissage de toutes les cultures qui débouchent sur une « Civilisation de l'Universel ». Et celle-ci n'aura de sens que si elle intègre la « francophonie, fille de la liberté, rassemblant autour de la langue française, les anciennes colonies française »331.

Dans le même sillon que Yao Assogba, nous pouvons affirmer que la Francophonie senghoriennne est un concept poétique qui invite les hommes de la terre autour de la langue française. L'on peut parler de l'humanisme dans la Francophonie senghorienne, si l'on tient compte de la place que Senghor accorde à l'homme dans son projet de rassembler les peuples autour de la langue française. C'est un humanisme français idéalisé, saisi spirituellement, défini poétiquement et bâti autour de la langue française.

En 1988 avec son article, « De la Francophonie », il donne une série de définitions, estimant, qu'un lecteur aujourd'hui peut se faire pour appréhender la notion de la Francophonie :

D'où il résulte qu'aujourd'hui, et pour les lecteurs francophones, la Francophonie peut signifier :

1- L'ensemble des États, des pays et des régions qui emploient le français comme langue nationale, langue de communication internationale, langue de travail ou langue de culture,

2- L'ensemble des personnes qui emploient le français dans les différentes fonctions que voilà,

3- La communauté d'esprit qui résulte de ces différents emplois.332

330 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., p. 131

331 Yao ASSOGBA, « Une brève histoire de la Francophonie », Le Droit, publié le 02 décembre 2014 à 9 h 30 | Mis à jour le 04 février 2015 à 12 h 45 sur www.laaaapresse.ca

332 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », op. cit.

76

Dans cette série de définitions, la troisième corrobore les autres définitions de Senghor données à la Francophonie. Durant son parcours politique ou au cours de sa vie de poète, Senghor a voulu une assemblée de tous les peuples de la terre où la langue française serait la propriété commune de tous, qui connecterait les uns et les autres ou les uns aux autres spirituellement. Dans ce même sens, J. Tshisunguwa Tshisungu aborde la Francophonie de Senghor en disant que « [la Francophonie] est un humanisme de symbiose de toutes les énergies spirituelles à la fois unies et diverses répandues sur toute la terre. »333 Mieux, « la Francophonie, c'est l'usage de la langue française comme instrument de symbiose, par-delà nos propres langues nationales pour le renforcement de notre coopération culturelle et technique, malgré nos différentes civilisations. »334 Senghor est sûr que son souhait de voir une assemblée de parlants français, c'est-à-dire la Francophonie, se réalisera dans une Civilisation de l'Universel : « Je crois, pour l'avenir, à la Francophonie, plus exactement à la Francité, intégrée dans un grand ensemble, et par-delà, dans une Civilisation de l'Universel »335.

Après avoir défini la Francophonie sans dire exactement ce qu'elle est, Léopold Sédar Senghor montre à nouveau ce que la Francophonie n'est pas au juste. Cela peut nous aider à mieux saisir la Francophonie et appréhender sa vision. En effet, la Francophonie, chez Senghor, n'est pas une machine impérialiste, « ce n'est pas comme d'aucuns le croient, une `'machine de guerre» montée par l'impérialisme français. »336Mieux,

La Francophonie n'est ni une soumission à un quelconque impérialisme français, ni une arme contre les autres mondes culturels. [...] La Francophonie n'est pas une idéologie, mais un idéal qui anime les peuples en marche vers une solidarité de l'esprit337.

Senghor refuse l'idée selon laquelle la Francophonie soit acceptée comme un moyen pris par la France pour avoir une mainmise sur les biens du colonisé ou pour contrôler toutes les possibilités d'émancipation qui existeraient dans la tête du colonisé. Il refuse aussi l'idée selon laquelle la Francophonie soit considérée comme un moyen de lutte pour s'opposer à la montée des autres cultures et langues, en occurrence l'anglais et la culture anglaise. C'est la raison pour laquelle, il affirme que « [...] la Francophonie ne suppose pas ; elle se pose, pour coopérer. »338 Alors, que veut Senghor avec la notion ou le concept de Francophonie ? Ce que veut Senghor,

333 J. Tshisunguwa TSHISUNGU, op. cit.

334 Léopold Sédar SENGHOR, (Discours prononcé lors de sa visite au siège de l'OIF).

335 Léopold Sédar SENGHOR, « Ce que je crois », op. cit., p. 158

336 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », loc. cit., p. 131

337 Propos de Léopold Sédar SENGHOR rapporté par Jacques CHEVRIER (Senghor militant de la Francophonie), op. cit.

338 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie comme culture », op. cit., p. 131

77

c'est que la langue française soit le lien de toutes les personnes qui la parlent, mieux, que les personnes qui parlent français se reconnaissent en cette langue. La langue française est donc un élément identitaire ou un facteur commun de toutes les personnes qui parlent français dans le monde.

Cependant, le fait d'accepter la langue française est une résignation, une chose qu'il faut faire avec, un fait qu'il faut assumer, parce que l'histoire en a voulu ainsi. L'histoire a voulu que la langue française soit aussi la chose culturelle des colonisés et des Français. Pour Senghor, la langue française est un apport positif chez les deux, car elle a permis un contact enrichissant :

Je ne veux retenir, ici que l'apport positif de la colonisation, qui apparaît à l'aube

de l'indépendance. L'ennemi d'hier est un complice, qui nous a enrichis en s'enrichissant à notre contact.339

En plus, parce que les Noirs s'expriment mieux en français que dans leurs langues maternelles. C'est ce que nous dit Begong-Bodoli Betina : « Les Africains francophones ont épousé la langue française à telle enseigne qu'ils s'y identifient comme si c'était la langue de leurs vrais ancêtres »340. Léopold Sédar Senghor ne cache pas cette réalité. Il l'avoue et l'expose : « En répondant, je répondrai l'argument de fait. Je pense en français ; je m'exprime mieux en français que dans ma langue maternelle »341. De ce fait, Senghor pense qu'il est souhaitable de se rassembler, de s'unir pour mieux exprimer les attentes du monde en devenir et de s'adapter à la situation actuelle d'un monde en perpétuel devenir :

La Francophonie est une volonté humaine sans cesse tendue vers une synthèse et

toujours en dépassement d'elle-même pour mieux s'adapter à la situation d'un monde en perpétuel devenir.342

Ce qui permettra de s'unir, de se rassembler est, bien sûr, la Francophonie, car il s'agit de

faire de la Francophonie le modèle et le moteur de la Civilisation de l'Universel,

de favoriser les échanges d'idées en respectant la personnalité originaire et originale de chaque nation343.

Pour cette raison,

339 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », Esprit, p. 841

340 Bégong-Bodoli BETINA, op. cit.

341 Léopold Sédar SENGHOR, « Le Français, langue de culture », op. cit., p. 841

342 Propos de Léopold Sédar SENGHOR, cité par J. Tshisunguwa TSHISUNGU, op. cit.

343 Léopold Sédar SENGHOR, « Ce que je crois », op. cit., p. 158

78

La Francophonie ne sera pas, ne sera plus enfermée dans les limites de l'Hexagone. Car nous ne sommes plus des « colonisés » : des filles mineures qui réclament une part de l'Héritage. Nous sommes devenus des États indépendants, des personnes majeures qui exigent leur part de responsabilités : pour fortifier la Communauté en l'agrandissant.344

Léopold Sédar Senghor est convaincu que la Francophonie est le moyen idéal pour exprimer les valeurs humanistes dont le monde a besoin au travers de la langue française.

Ainsi Senghor, en concluant son argumentation par l'association « naturelle » de la langue et de l'humanisme français, participe d'une glorification de la langue française, en laissant penser que ne peuvent se transmettre et se dire dans cette langue que les seules valeurs humanistes345.

La Francophonie est un fait de la colonisation, et un choix délibérément personnel, proposé à un ensemble de personnes, victimes elles-aussi de la réalité coloniale. En effet, la langue française, pour le Noir, est une réalité coloniale. Qu'on veuille ou pas, la langue française s'impose au Noir, et il doit faire avec cela. Léopold Sédar Senghor, s'exprimant mieux en français que dans sa langue maternelle, ne peut que se résigner à l'acceptation de la langue française. Pensant ne pas être le seul dans ce cas, il propose aux autres la Francophonie, car elle reflète mieux leur situation ou leur identité culturelle et linguistique. La Francophonie apparaît alors comme l'unité retrouvée entre les peuples ayant la langue française en commun ou en partage. Et chez Léopold Sédar Senghor, elle est un concept rassembleur, englobant dont la langue française est l'élément qui rassemble.

Cependant, Bégong-Bodoli Betina estime que la Francophonie a été réanimée par Léopold Sédar Senghor suite à l'échec de la mise en place de la Communauté française.

La Francophonie actuelle est née des cendres de la Communauté française. L'une

des raisons de la création de la Francophonie est la mort prématurée de la Communauté française346.

Les dires de Bégong-Bodoli Betina seront corroborés par Toba Misuzu qui, quant à lui, affirme que

Senghor cherche quelque chose qui succèderait à l'Union française (fondée en 1946) et à la Communauté française (fondée en 1958) qui perdaient leur substantialité. C'est lorsque, dans le gouvernement d'Edgar Faure, il était chargé de la révision de l'article VIII de la constitution, relatif aux départements, aux territoires d'outre-mer et aux protectorats, comme secrétaire d'État, que certaines idées de la francophonie

344 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., p. 140

345 Alice GOHENEIX, op. cit.

346Bégong-Bodoli BETINA, op. cit.

79

lui sont venues. Il a eu alors de s'en entretenir avec Habib Bourguiba, et il s'est lié d'amitié avec lui afin de travailler ensemble à l'élaboration d'un « Commonwealth à la française ».347

Cela suppose donc que la Communauté française a influencé Léopold Sédar Senghor dans l'élaboration du concept de Francophonie. Qu'est-ce que la Communauté française ? Comment de la Communauté française l'on est-il arrivé à la Francophonie ? Y'a-t-il les stigmates de la Communauté française dans la Francophonie senghorienne ?

La Communauté française est l'association politique voulue par le général De Gaulle entre la France et les États de son empire colonial, alors en voie de décolonisation, présidée par le président de la République française, dirigée par un conseil exécutif rassemblant les chefs des États membres et disposant d'un Senat composé de délégués des parlements nationaux. De Gaulle, un officier hanté par la grandeur de la France, voulut à travers cette Communauté avoir le contrôle total sur les colonies françaises qui manifestaient déjà le désir de l'émancipation, et préserver la grandeur de la France jadis. Toba Misuzu ne dit pas le contraire :

Après la deuxième guerre mondiale, conscient de la pensée indépendantiste qui secoue le monde, le général de Gaulle, qui, inéluctablement l'entrée des pays africains dans la danse, pour ne pas tout perdre, leur propose la Communauté, en gardant la haute main non seulement sur la monnaie, ainsi que les biens et services rentables348.

Pour maintenir sa souveraineté totale sur ses colonies et ne pas leur octroyer l'indépendance immédiate, la France devrait alors repenser sa politique d'assimilation dans les colonies. C'est dans ce sens que s'inscrit la conférence de Brazzaville du 30 janvier au 8 février 1944.349 Et Frédéric Turpin de dire qu'

Ils (De Gaulle et son groupe) comprennent que si la métropole veut maintenir sa souveraineté sur ses colonies, elle doit présenter un nouveau visage des rapports entre colonisés et colonisateurs. C'est donc toute la politique coloniale de la France qui doit être repensée de manière à être plus respectueuse des nouveaux équilibres qui se mettent en place [...]350.

347Toba MISUZU, « La pensée culturelle de Senghor : la symbiose des langues et des cultures », Revue japonaise de didactique du français, vol. 4, n°2, Études françaises et francophones, octobre 2009, p. 110

348 Idem.

349 Selon Laurent GBAGBO, le but de la conférence de Brazzaville ne fut point de décoloniser l'Afrique mais de souscrire à une tradition hexagonale qui veut qu'à chaque crise grave dont la France est victime corresponde un effort particulier de ses colonies pour son redressement. (Réflexions sur la Conférence de Brazzaville, Yaoundé, Édition Cle, 1978, 79 p./ réédition Sénégal, Édition Cle/NENA, 2015, 139 p.)

350 Frédéric TURPIN, « 1958, la Communauté franco-africaine : un projet de puissance entre héritage de la IV e République et conception gaulliennes », Outre-mers, tome 95, n°358-359, 1er semestre 2008. 1958 et l'outre-mer français, p. 46, Disponible sur http://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438-2008_num_95_358_4316

80

La France ne savait pas ce qu'elle devrait proposer à ses colonies pour les maintenir toujours sous sa tutelle : l'assimilation ou l'association. La vision du général De Gaulle était autre que l'assimilation et l'association, mais la suprématie et la grandeur de la France à tout prix, estime Frédéric Turpin :

L'assimilation et l'association posent certes des questions philosophiques et morales sur les meilleurs moyens d'assurer le progrès et l'égalité entre tous les hommes. Elles posent surtout le problème crucial de la meilleure méthode à appliquer pour sauvegarder la souveraineté de la France sur les territoires d'outre-mer et leurs populations. [...] La peur de créer un ou plusieurs précédents l'emporte car il ne faut pas offrir à tous les peuples d'outre-mer, jugé très diversement « évolués » par la métropole, une possibilité d'évolution statutaire - même théorique - qui, à terme, pourrait aboutir à l'indépendance pure et simple [des colonies]. [...] Tout au long de la IVe République, le général de Gaulle et ses compagnons [exprimaient] une vision de la puissance française qui se [fondait] encore sur l'empire351.

Le général De Gaulle avait donc trouvé la solution en proposant l'Union française. En dehors de cette Union, point de réelle indépendance pour les colonies, c'est-à-dire en dehors de l'Union, les colonies ne seront jamais indépendantes, comme l'atteste également Frédéric Turpin :

Point donc de réelle indépendance pour les territoires coloniaux sans appartenir à un vaste ensemble qui en assurait la protection et le développement. Aux yeux du Général et ses compagnons, l'Union française constitue non seulement une nécessité pour la France, mais aussi une « chance » pour les populations qui sont associées352.

Avec une tentative de l'Union française qui a échoué, il fallut donc proposer une autre chose. Ainsi, en 1958, avec la modification de la Constitution française, l'on formula l'idée de la Communauté. Léopold Sédar Senghor, en ce temps-là, préconisait une communauté « française confédérée », dit René de Lacharrière :

Dans une interview à l'hebdomadaire Gavroche, il avait préconisé, toujours fidèle

à la Négritude, l'accession à l'indépendance dans le cadre d'une communauté « française confédérale »353.

La Communauté voulue par Senghor ne sera pas celle envisagée par le général De Gaulle, car il y a une contradiction réelle ou apparente entre les deux idées ou principes de base de la Communauté, comme le souligne aussi René Lacharrière :

351 Idem., p. 48

352 Ibidem., p. 49

353 Christian VALANTIN, « Léopold Sédar Senghor : le poète, l'écrivain et le politique, ou Senghor l'Africain », Disponible sur http://www.cercle-richelieu-senghor.org/26-les-colloques-954890/senghor-et-la-francophonie/141-leopold-sedar-senghor-le-poete-lecrivain-et-le-politique-ou-senghor-lafricain-91825623.html

81

L'édifice ancien n'est pas détruit mais il est abandonné et la nouvelle construction qui la remplace fait appel à un principe antinomique, avec des chances de succès liées d'ailleurs à un changement aussi complet dans les habitudes d'esprit, les tendances et les procédés de la politique métropolitaine354.

La Communauté du général De Gaulle, en remplacement de l'Union française, voit ainsi le jour avec la Ve République française.

Au moment de la proclamation de la Ve République, l'Union française (succédant à l'Empire colonial français en 1946) se transforme en Communauté française. C'est une fédération présidée par la France (le Président de la République) groupant les anciennes colonies et les protectorats355.

La Communauté française, fille de l'Union française, a hérité d'elle les conceptions du général De Gaulle. En effet,

[...] La France demeure bien évidemment le chef d'orchestre incontesté et unique

de cet ensemble qui a à sa tête le général de Gaulle dont aucun chef d'État ou de Gouvernement africain membre ne viendra contester l'autorité356.

Ceci n'était pas accepté de ou par tous. Il y avait des dissidences au niveau des chefs d'état africains, en particulier entre Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët Boigny dans la manière d'appréhender la Communauté. L'un était pour la confédération, et l'autre pour la fédération. L'un était pour des indépendances lentes et progressives, et l'autre pour des indépendances immédiates. Et avec le non de la Guinée au referendum de 1958 qui accède à l'indépendance, la Communauté prend un coup de massue et se fragilise. Il fallait sauver cette Communauté en péril : « Une troisième sorte de Communauté, sans la dénomination, garderait encore sa chance après l'échec des deux tentatives politiques ci-dessus décrites »357.

La troisième sorte de Communauté à laquelle l'on faisait à l'illusion était celle proposée par Léopold Sédar Senghor en 1962 à Bangui, c'est-à-dire un Commonwealth à la française358. Mais cette Communauté se diffère des autres de par son approche et de par ses idéaux, surtout du Commonwealth (anglais). En effet, le Commonwealth (anglais) est une communauté de

354 René de LACHARRIÈRE, « L'évolution de la communauté franco-africaine », Annuaire Français de droit international, volume 6, 1960, pp. 11-12. Disponible sur http://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1960_num_6_1_894

355 « De la communauté française à la Francophonie », sur www.malraux.org

356 Frédéric TURPIN , « 1958, la Communauté franco-africaine : un projet de puissance entre héritage de la IV e République et conception gaulliennes », op. cit., p. 57

357 René de LACHARRIÈRE, « L'évolution de la communauté franco-africaine », op. cit., p. 40

358 René GNALÉGA, « Senghor et la Francophonie », op. cit., p. 1&5

82

richesses regroupant les pays de langue anglaise. En plus, tous les pays du Commonwealth reconnaissent la reine Élisabeth II comme chef du Commonwealth, même si seulement une partie d'entre eux l'ont comme souveraine. Elle est représentée sur place par un gouverneur au pouvoir purement symbolique. La reine est présente à tous les sommets du Commonwealth, mais ne participe pas aux réunions. Les pays membres du Commonwealth sont unis par des intérêts communs, mais sont autonomes, car le Commonwealth n'est pas une union politique mais économique. Ils ne sont liés par aucun traité et peuvent rester neutres lorsqu'un conflit engage l'un ou plusieurs d'entre eux. La communauté voulue par Senghor se veut non seulement culturelle, mais aussi politique et économique, basée sur l'entraide et l'égalité de partage des ressources culturelles et économiques.

Sous cet angle, la Communauté va au-delà des solutions purement pragmatiques

du Commonwealth mais sans rejoindre tout à fait les règles qui caractérisent les pactes de défense359.

Avec les risques et les confusions que cela pouvait entrainer, il fallait être bien situé sur la question avant de s'engager. Et l'on pense que le projet de Senghor de remplacer la Communauté française par le Commonwealth à la française a pris par la suite des événements la dénomination de Francophonie (Aujourd'hui un protocole d'accord est signé entre la Francophonie et le Commonwealth du fait que les deux organismes ont des centres d'intérêt commun dans le domaine culturel, social et économique, et que plusieurs pays sont membres des deux organisations.)360 :

Il y a tout lieu de penser que les premières institutions de ce qui sera appelé plus tard la Francophonie succèdent spontanément à la Communauté (du moins du côté africain) malgré les fortes réticences du général de Gaulle et de la France. En effet, l'idée et les projets étaient dus à l'initiative de chefs d'État du sud, tel Léopold Sédar Senghor [...] Il ne s'agit plus alors d'entretenir des liens politiques commandés par la France, mais de participer à une communauté culturelle, voire spirituelle dont l'élément fédérateur est la pratique du français361.

Le Commonwealth à la française voulu par Senghor entre 1962 et 1980 en était la préfiguration de la Francophonie. Cependant, Senghor faisait une nette distinction entre le Commonwealth à la française (la Francophonie) et le Commonwealth à l'anglaise. Paul Sabourin dit que

359 René de LACHARRIÈRE, op. cit., p. 25

360 Voir Annexe V, VI, VII (annexe 5, 6, 7), pp. 480-484

361 « De la communauté française à la Francophonie », op. cit.

83

La francophonie selon Senghor, c'est à la fois une organisation, une population, mais surtout une culture. C'est ainsi que Senghor oppose la francophonie, fondée sur la langue, au Commonwealth, sur la richesse. [...] La francophonie qu'il décrit dans le plus grand détail, c'est l'ensemble des valeurs exprimées par la langue française, par la civilisation française au premier rang, mais aussi des autres civilisations de langue française. C'est grâce à la francophonie que la négritude devient un humanisme négro-africain.362

Aussi, Léopold Sédar Senghor reconnaît avoir été inspiré par les idéaux du général De Gaulle, en ces termes :

C'est donc en janvier 1944, et par la volonté de Charles de Gaulle que naquit non

seulement l'idée et la volonté, mais surtout la possibilité de la Francophonie [...] C'est ainsi du moins que l'avions compris Habib Bourguiba, Hamani Diori et moi.363

À la suite de cet aveu, il va récapituler les étapes qui, depuis le discours de Brazzaville364, marquent la marche de la France avec les anciens peuples colonisés vers la Francophonie :

Ce fut, d'abord, l'Union française, en 1946, à laquelle succéda la Communauté, en 1958. Puis, au début de la décennie des indépendances, en 1961, fut créée, entre États africains, l'Union africaine et malgache (UAM), à laquelle succéda l'Organisation commune africaine et malgache (OCAM). C'est ici que, parmi d'autres étapes vers la Francophonie,...365

La Francophonie senghorienne est devenue une réalité suite à l'échec de plusieurs Communautés voulues entre la France et ses ex-colonies. Cependant, le général De Gaulle affichait une réticence à l'endroit de la Francophonie. Notons que ses réticences à l'endroit de la Francophonie proposée par Léopold Sédar Senghor et ses amis étaient dues en fait que les idéologies contrevenaient clairement à son dessein. C'est ce qui ressort des propos de Claude Morin :

Sous de Gaulle comme par la suite, la France a d'ailleurs longtemps nourri des

réticences sérieuses envers le projet francophone, précisément parce qu'elle

362 Paul SABOURIN, « Senghor, parlementaire français », Senghor et la francophonie, Cercle Richelieu Senghor de Paris, Disponible sur http://www.cercle-richelieu-senghor.org/26-les-colloques-954890/senghor-et-la-francophonie/77-senghor-parlementaire-francais.html

363 Léopold Sédar SENGHOR, « Ce que je crois », op. cit., p. 158

364 Ici, Léopold Sédar Senghor fait allusion à la Conférence de Brazzaville. Cependant, Laurent Gbagbo estime que cette conférence avait « pour buts non seulement de résoudre les problèmes immédiats du ravitaillement de la Métropole, mais aussi le devoir de préparer la restauration économique française de l'après-guerre », in Réflexions sur la conférence de Brazzaville, Édition CLE/NENA, Sénégal, 2015,139 p. (réédition) ; Édition CLE, 1978, 79 p.

365 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », op. cit.

84

pressentait fort bien que d'aucuns y verraient poindre Dieu sait quelle tentative d'impérialisme culturel.366

Ainsi, la France et lui pouvaient se targuer de ne pas être les initiateurs de la nouvelle Communauté, et se défendre contre les accusations de néocolonialisme et d'impérialisme français culturel et linguistique367. Ce que l'on oublie est que la Francophonie senghorienne n'est rien d'autre que l'avatar de la Communauté française, chère au général De Gaulle, reprise et réchauffée sous l'angle de la langue française, alimentée par les valeurs culturelles de la Négritude, et qui prétend faire la promotion de l'intégration des cultures africaines368 tout en se référant aux idéaux culturels et humanistes de la Francité. Autrement dit, elle est une synthèse de la Francité et de la Négritude, expression de deux humanismes.

Léopold Sédar Senghor, à propos de la Francophonie, dit que son existence est un fait culturel. Cependant, l'analyse des définitions données ou de ses nombreux discours en faveur de la Francophonie ont révélé qu'il n'arrivait pas à dissocier la Francité de la Francophonie. D'un fait culturel, certes, mais, la Francophonie chez Senghor est aussi l'amour inconditionné pour la langue française. Ce qui a poussé Senghor à la Francophonie, bien qu'il ait dit la culture, est la langue française. L'on ne saurait parler de culture et ignorer la langue, car la langue fait partie de la culture. La langue est un élément incontestable de la culture. En disant que l'on est arrivé à la Francophonie du fait de la culture, cela suppose qu'on est arrivé à la Francophonie du fait de la langue, or Senghor fait une nette distinction entre ces deux. Il est arrivé à la Francophonie du fait, en premier lieu, de la culture, et en deuxième lieu, de la langue française. Nous estimons que Senghor a été charmé par la culture française ; une culture qui se préoccupe de l'homme. Une relecture de ses discours et de ses définitions révèlerait que la Francophonie est aussi une affaire personnelle. Parce qu'amoureux de la langue française et charmé par l'humanisme français, Léopold Sédar Senghor se voit donc dans l'obligation de tisser des liens culturels avec la France en invitant les peuples des ex-colonies de la France à se joindre à cette nouvelle relation baptisée Commonwealth à la française qui prendra plus tard la dénomination de Francophonie. Sans le vouloir, peut-être, Léopold Sédar Senghor venait de réveiller les idéaux du général de Gaulle enfouis dans la tombe de la Communauté française. Cette Francophonie qui naît des cendres de la Communauté française se débarrasse des scléroses

366 Claude MORIN, « Jean-Marc Léger, la francophonie : grand dessein, grande ambiguïté », Recherches sociographies, vol.29, n°2-3, 1988, pp.473-475 (compte rendu)

367 Ce n'est qu'en 1990 que la France y est logiquement intégrée.

368 Cela sera l'objet d'étude dans le second point de ce chapitre.

impériales pour revêtir les vêtements de fraternité et d'égalité au service d'une langue commune : le français.

La Francophonie, chez Senghor, comme l'on veut nous faire croire, n'est pas une affaire de bons colonisés nostalgiques du passé ni un projet revanchard hégémonique d'une ancienne puissance colonisatrice, mais elle est un concept qui veut rassembler les peuples parlants français et désireux de travailler ensemble pour une vie meilleure. Elle est aussi l'expression de ce que sont les Africains et de ce qu'ils voudront être afin de participer aux échanges internationaux. C'est ce que nous pouvons retenir de la Francophonie senghorienne. Mieux, la Francophonie, chez Léopold Sédar Senghor, est l'expression du modèle culturel que l'Afrique veut tisser avec les autres cultures en se servant de la langue française comme l'outil de cette expression. Il est importe de savoir que la Francophonie n'est pas le fruit d'un hasard. Elle est le fruit de la Francité et de la Communauté française, et comme voulant que l'Afrique s'exprime culturellement, Léopold Sédar Senghor va s'appuyer sur la conception de sa Négritude pour redéfinir la Francophonie. Désormais, « pour Senghor, les composantes culturelles de la Francophonie seraient la francité, l'africanité (« symbiose complémentaire des valeurs de la négritude et des valeurs de l'arabité »), [...J »369 La Francophonie senghorienne est également l'exaltation de la Négritude.

85

369 Yao ASSOGBA, « Une brève histoire de la Francophonie », op. cit.

86

2. LA FRANCOPHONIE SENGHORIENNE, L'EXALTATION DE LA NÉGRITUDE

Avant d'entamer notre analyse, il est important de rappeler qu'il ne s'agit pas de faire une étude sur la Négritude. Nous l'avons étudié antérieurement370 et d'autres personnes, avant nous, l'ont fait aussi. Il est question, ici, de montrer l'existence de la Négritude dans la conception senghorienne de la Francophonie. En effet, la Négritude est un mot forgé par Aimé Césaire en 1935. C'est dans son article « Conscience raciale et révolution sociale », publié dans L'Étudiant noir, du numéro trois, de mai-juin 1935 qu'Aimé Césaire a employé, pour la première fois, le mot « Négritude ». Cet article est considéré comme le manifeste de la Négritude. Cependant, l'oeuvre poétique inaugurale de ce concept est Pigments de Léon-Gontran Damas, en 1937. Léopold Sédar Senghor a toujours reconnu la paternité de la Négritude à Aimé Césaire.

Il faut rendre à Césaire ce qui est à Césaire. Car c'est lui qui a inventé le mot dans

les années 1932-1934. [...] Césaire s'est contenté d'ajouter le suffixe-itude à la racine negr-[...]371.

Ou

Au lieu de Négritude, on pourrait dire, aussi bien de Négrité [...] mais Césaire a bien fait de choisir Négritude, car le suffixe -itude introduit une nuance de concret, qui convient bien à ce peuple concret qu'est le peuple noir [...]372

Aimé Césaire employa de nouveau dans son oeuvre Cahier d'un retour au pays natal en 1939. Avec lui, la Négritude est, certes un mot, mais aussi un concept de revendication culturelle et identitaire face à une Francité perçue comme oppressante, et instrument colonial français. Pour lui, la Négritude est l'expression de rejet de l'assimilation culturelle, et d'une certaine image du Noir paisible et incapable de se construire une civilisation. Selon lui, le culturel doit l'emporter sur le politique.

370 Cf. Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : « Que m'accompagnent Koras et Balafong » et « Chaka », op. cit.

371 Léopold Sédar Senghor selon Jean-René BOURREL. (La négritude ou « le soleil de l'âme », disponible sur http://www.fafich.ufmg.br/~luarnaut/Burrel-La negritude.pdf ).

372 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, Paris, Seuil, 1977, p. 97

87

Le mot « Négritude » sera utilisé plus tard par Léopold Sédar Senghor dans son recueil poétique Chants d'ombre en 1945, puis dans Hosties noires en 1948 et enfin Éthiopiques en 1956 sans oublier Nocturnes en 1961 et Lettres d'hivernage en 1972. Nous constatons que la notion de Négritude traverse presque toute l'oeuvre de Léopold Sédar Senghor. Il ne s'arrête pas à ses oeuvres seulement. Il consacra toute sa vie à défendre et à illustrer la notion forgée par Aimé Césaire en écrivant des articles et en animant des conférences à travers le monde, et devenant ainsi la figure emblématique de la Négritude. Pour lui, la Négritude est un fait culturel, car elle est l'ensemble des valeurs culturelles de l'Afrique. En d'autres mots, pour Senghor, la Négritude est une culture permettant à la communauté noire de se créer une identité, d'affirmer sa personnalité et d'exprimer l'authenticité de sa civilisation. Et le voici, lui, Senghor, grand défenseur de la Négritude, faire l'éloge de la Francophonie, de la langue française avec sa voix de Dyâli. Que se passe-t-il ? On n'a pas fini de cerner tous les contours de la Négritude qu'il nous propose un autre concept. Que veut-il encore nous prouver ? Et des questions et des critiques, la conception senghorienne de la Francophonie est passée inaperçue.

Il faut noter que la Négritude a favorisé la réinvention de la Francophonie chez Senghor. En fait, « c'est en s'appuyant sur la Négritude que Senghor a jeté les bases ou les fondements de la Francophonie. »373 Jean-Nicolas de Surmont, quant à lui, soutient que « [...] la Négritude fait pour ainsi dire émerger un mouvement institutionnel et culturel d'abord, celui de la Francophonie. »374 Ces différents propos peut être justifiés du fait que, dans la poésie senghorienne, se mêlent, s'entremêlent et se démêlent deux cultures en apparence de natures inconciliables, conciliées par la magie des mots et de l'écriture dans la langue française. N'est-ce pas aussi ce constat qui fait dire Michel Hausser que « loin d'éprouver de la haine pour le français, la négritude lui manifeste, au plus, un attachement passionnel, au moins, une acceptation résignée » 375 ( ?) Cependant, Jacques Chevrier pense qu'au contraire c'est « l'humanisme français qui, par son caractère d'universalité, rencontre l'un des postulats de la Négritude »376. Dans la conclusion de notre mémoire, nous avons dit que la Francophonie est l'autre face cachée de la Négritude senghorienne, car elle en est l'exaltation véridique des valeurs culturelles chantées par la Négritude. Léopold Sédar Senghor confirme notre affirmation, lorsqu'il affirme :

373 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit. (loc. cit.), p. 99

374 Jean-Nicolas SURMONT, « Pour une généalogie de la Francophonie institutionnelle : Quelques éclaircissements », Languas Modernas, op. cit., p. 96

375 Michel HAUSSER, Pour une poétique de la négritude, tome 2, Édition Nouvelles du sud, 1991, p. 412

376 Jacques CHEVRIER, op.cit.

88

C'est que nous étions déjà, pour le métissage culturel, l'essentiel étant qu'il fallait d'abord s'enraciner dans les valeurs de la Négritude avant de s'ouvrir aux apports fécondants des autres civilisations, singulièrement de la civilisation française[...] Précisément, parce qu'il en avait été ainsi et je gardais intacte, au fond de mon âme, ma passion pour la Négritude, j'apportai une nouvelle ardeur, avec de nouveaux arguments, à l'autre combat, pour la Francophonie377.

Pour Léopold Sédar Senghor, il n'était pas question d'abandonner la Négritude, mais de la parfaire dans un accord harmonieux avec la Francité au sein de la Francophonie.

La Francophonie senghorienne se veut une symbiose des cultures, car il est question pour chaque peuple, chaque nation, chaque locuteur du français d'apporter sa culture, sa contribution à l'édifice. Les langues africaines, au lieu d'être reniées, se verront revaloriser parce qu' « il n'est pas question de renier les langues africaines. »378Senghor insiste sur le fait que la Francophonie est un instrument de symbiose culturelle. Mieux, la Francophonie est la somme des cultures et des civilisations. Selon J. Tshisunguwa Tshisungu,

La Francophonie est l'usage de la langue française comme instrument de

symbiose, par-delà nos propres langues nationales pour le renforcement de notre coopération culturelle et technique, malgré nos différences civilisations379.

Autrement dit,

Il s'agit pour chaque continent, pour chaque peuple de s'enraciner profondément dans les valeurs de sa civilisation propre pour s'ouvrir aux valeurs fécondantes de la civilisation française, mais aussi des autres civilisations, complémentaires, de la Francophonie380.

Il est question de complémentarité des cultures dans la Francophonie, puisque « L. S. Senghor parlait même de symbiose, expression la plus synthétique du dialogue des cultures »381. En effet, dans un autre sens, la Francophonie de Senghor se présente comme un effort de récupérer dans l'univers africain des expressions culturelles pour l'enrichissement de la culture française afin de construire la Civilisation de l'Universel, car « [...] le monde aura toujours besoin des valeurs de la Négritude [...] »382. D'ailleurs, dans la Francophonie senghorienne, la Négritude profitera de la richesse de la Francité, et la Francité bénéficiera à son tour des apports nombreux de la Négritude.

377 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », op. cit.

378 Léopold Sédar SENGHOR, « le français, langue de culture », op. cit. p. 843

379 J.Tshisunguwa TSHISUNGU, op. cit.

380 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », op. cit.

381 Paul DUMONT, « Francophonie, francophonies », Langue française, op. cit., p. 43

382 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, p. 549

89

La Francophonie est la somme de deux humanismes. L'humanisme nègre qui va à la rencontre de l'humanisme français. Elle est le fait d'exprimer l'âme noire, la culture africaine, voire l'humanisme de la Négritude dans la langue française, comme le souligne Jean-Nicolas de Surmont :

Il ne faudrait rappeler que ce sens humaniste de la Francophonie provient avant

d'africanistes et constitue pour ainsi dire un prolongement du mouvement de la négritude383.

Senghor affirme que la langue française a permis à la Négritude de s'exprimer et de s'affirmer, d'après les dires de Jean-Nicolas de Surmont :

Mais je suis francophone et je reviens à mes baobabs. C'est une vérité que la langue française devrait d'abord aider à l'éclosion de la négritude en français, [...] nous avons voulu répondre à l'appel de l'homme pour une exigence de dignité et de justice. D'autant que la culture française a enseigné aux peuples du monde les idéaux de liberté, qu'elle incarne depuis la révolution de 1789.384

Dans cette Francophonie, estime Jean-René Bourrel,

La Négritude s'identifie à un corpus de valeurs repères auquel l'homme noir doit

toujours se référer pour construire son identité propre et sa relation avec les autres et le monde385.

Ainsi, aux dires d'Aïssata S. Kindo,

[...] la Négritude de demain fera la synthèse de cette civilisation ancestrale et des

apports étrangers, particulièrement scientifiques et techniques, qui permettront à l'Afrique de s'adapter au monde moderne386.

La Francophonie, envisagée par Senghor, doit favoriser et permettre une cohabitation fructueuse et enrichissante entre la langue française et celle des autochtones387, « car pour demeurer nous-mêmes, nous devons conserver les vertus de l'humanisme nègre dont nos langues sont dépositaires ».388

383 Jean-Nicolas de SURMONT, op. cit., p. 95

384 Idem, p. 183-194

385 Jean-René BOURREL, « la négritude ou ?le soleil de l'âme? » ; disponible sur www.fafich.Ufmg.br/~luarnaut/Burrel-La negritude.pdf

386 Aïssata S. KINDO, Éthiopique, op. cit., p. 4

387 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et dialogue interculturel », p. 11, Disponible sur http://www.grelif.fr/?p=893

388 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, p. 183

90

La Négritude était proposée au moment où l'on niait une culture, une civilisation et une identité au Noir, et la Francophonie, au moment où l'on a pris conscience que le Noir est un être métissé culturellement et linguistiquement. Pour sauver cette nouvelle identité culturelle du Noir, il fallait trouver un moyen efficace, car la Négritude, dit debout, se cadavérisait aux assauts interminables des critiques hostiles. Léopold Sédar Senghor propose ainsi la Francophonie, qui, selon lui, exalte mieux les valeurs culturelles africaines chantées par la Négritude dans un échange fructueux entre les cultures. Ibrahim Diop dit qu'

Après le combat pour l'affirmation et la glorification des valeurs de la négritude,

Senghor sentit la nécessité de réaliser un dialogue, un échange fructueux entre les peuples et les cultures389.

Alors, selon Jean-René Bourrel,

[...] dès la fin des années 1960, en effet, Senghor pense et projette la négritude en

étroite relation avec « la Civilisation de l'Universel390 [réalisable dans la Francophonie].

De tout ce qui précède, nous ne pouvons dire, comme Alioune Sène, qu'« en conclusion, on doit retenir que c'est la Négritude qui l'aura conduit à être l'un des penseurs et fondateurs f...] de la Francophonie. »391 Sabourin Paul s'oppose à Alioune Sène en disant que « c'est grâce à la francophonie que la négritude devient un humanisme négro-africain. »392 Quelles que soient les spéculations, on aboutira au même résultat : la Négritude est inhérente à la Francophonie senghorienne. Avec le concept de Francophonie, Senghor ne voulait pas perdre de vue les valeurs, la richesse des langues et cultures négro-africaines. La Francophonie n'exclut nullement les valeurs linguistiques et culturelles, bien que la langue soit le fait d'assumer une culture. La langue française, qui exprime la culture française, la Francité, doit être capable de cohabiter avec les langues africaines, la Négritude, estime Mangoné Seck :

[Senghor] a constamment préconisé une francophonie qui se définisse comme dialogue du français avec les langues d'Afrique Noire. [Car] la défense de la francophonie n'est pas forcément en contradiction avec l'idée de Négritude et d'enracinement dans les sources de la culture négro-africaine393.

389 Ibrahim DIOP, op. cit.

390 Jean-René BOURREL, op. cit. (Complété par nous).

391 Alioune SÈNE, « Au rythme de l'histoire », Présence Africaine, n°154, 2e semestre 1996, Dossier I : spécial Senghor, p. 55

392 Paul SABOURIN, « Senghor, parlementaire français », Senghor et la francophonie, Cercle Richelieu Senghor de Paris, op. cit.

393 Mangoné SECK, « Léopold Sédar Senghor, Dyali immortel de la Francophonie ou éloge d'une certaine idée de la langue française », Éthiopique, n° 83, 2ème semestre 2009

91

Léopold Sédar Senghor défend la langue française ainsi que l'idée d'intégrer la Négritude à la Francophonie à tel point que l'on se demande les raisons d'un tel acharnement. Mangoné Seck nous donne les raisons en quatre points :

- Un sentiment d'amour qui s'est transmuté en connaissance approfondie de l'Autre et de sa langue,

- La volonté et l'incoercible désir de faire connaître et de faire entendre l'Afrique dans le monde entier en refusant l'idée inventée par les savants racistes et les idéologues de l'européocentrisme triomphant depuis de longs siècles,

- La quête de l'ouverture et du métissage culturel,

- Combattre le colonialisme sur son propre terrain, celui de la langue du colonisateur/ défendre et illustrer les valeurs de la Négritude en français (utiliser la langue coloniale d'une autre façon que le colonialisme.)

Ce que nous retenons des raisons avancées par Mangoné Seck, c'est que la Francophonie

senghorienne est le résultant des rapports entre le français et les langues négro-africaines, qui permettra donc d'exalter les valeurs de la Négritude. Dans ce même sens, Jacques Chevrier dit :

Il lui (Senghor) faut à la fois conserver les vertus de l'humanisme nègre et s'ouvrir

à la modernité par le biais de la langue [française] considérée comme une arme précieuse et efficace394.

C'est-à-dire

Senghor a choisi de vivre l'occident en Africain et d'interroger l'Afrique à la

lumière de l'Occident. Cette complémentarité culturelle le conduit vers la formulation d'une exigence fondamentale : celle du métissage395 [celle de la Francophonie].

Si nous tenons compte des deux extraits ci-dessus, nous pouvons affirmer que Léopold Sédar Senghor pense ou est convaincu que la langue française est l'outil idéal pour exprimer l'âme noire, la culture africaine, la Négritude, car « la langue française, loin de tuer l'identité africaine du Nègre, peut (...) l'exprimer (...). Elle permet de révéler l'âme nègre au monde, aidant ainsi au dialogue nécessaire des cultures »396 ou bien « la défense de la Francophonie n'est pas forcément en contradiction avec l'idée de Négritude et d'enracinement dans les sources de la culture négro-africaine »397. Chez Senghor, la Négritude et la Francophonie ne sont pas opposées mais utiles l'une et ou à l'autre ; l'une doit se réaliser dans l'autre ; l'une doit

394Jacques CHEVRIER, op. cit.

395 Note sur Senghor sur http://www.image.68.xooimage.com/file/3/0/a/exposeslss-2ffa3cl.pdf

396 Léon NADJO, « La langue française et l'identité culturelle », Actes IV, Moncton, 1977, p. 189

397 Mangoné SECK, loc. cit.

92

confirmer l'autre, et vice-versa. En fait, « la Francophonie, telle que la conçoit L. S. Senghor, c'est cette vraie coopération dans le domaine linguistique. »398 Cela dit que des mots africains doivent se greffer sur la langue française, mieux la langue française doit s'accommoder à être disposée, suivant des arrangements syntaxiques inhabituels, avec des mots africains : « Pour nous, la langue française n'est rien de moins qu'une langue d'emprunt. C'est à elle de se soumettre aux exigences du génie négro-africain »399. En d'autres termes,

Les Africains, ayant adopté le français, doivent l'adapter et le changer pour s'y

trouver à l'aise, ils y introduiront des mots, des expressions, une syntaxe, un rythme nouveau, [un rythme nègre]400.

En ce sens, la Francophonie est une invitation à une communication interculturelle et linguistique riche des apports de la Francité et de la Négritude dont la langue française est le vecteur d'une culture de l'universel. Pour Senghor, la Négritude est « la symbiose culturelle », la Francophonie, « le métissage culturel ». Un simple jeu de mots pour dire que la Négritude égale à la Francophonie. Au fait, selon Aïssata S. Kindo,

À travers le projet de la Francophonie, Senghor va chercher à réaliser l'unité de l'Afrique en regroupant ses frères de race autour d'un programme culturel, politique et économique qui, tout en définissant la personnalité africaine nouvelle, entend maintenir des liens vivants avec la vieille civilisation occidentale.401

Et avec, ajoute Thérèse Diob,

La Négritude, cet ensemble de valeurs, une fois assemblé et structuré, [elle] a constitué pour ce poète Sérère [Senghor] une référence culturelle qu'il a proposée comme modèle d'humanisme susceptible d'être accepté par tous.402[à travers la Francophonie].

Ce qui fait la Négritude est aussi l'émotion nègre, longtemps argumentée par Léopold Sédar Senghor. Il a fait, malgré les critiques acerbes, de l'émotion l'un des traits ou des critères de la Négritude. Et cette émotion se saisit dans les danses, dans la poésie, dans la sculpture, etc.,

398 Idem. (La coopération dans le domaine linguistique dont parle Seck Mangoné, nous l'avons baptisée le français africanisé. Cela fera l'objet de notre étude dans la deuxième partie de notre travail.)

399 Makhily GASSAMA, Kuma : Interrogation sur la littérature nègre de langue française, Dakar, NEA, 1978, p. 238

400 Entretien entre Michèle Zalessky et Kourouma Ahmadou (Ahmadou KOUROUMA, « La langue : un habit cousu pour qu'il moule bien », Diagonales, n°7, pp. 4-6

401 Aïssata S. KINDO, « Senghor : De la Négritude à la Francophonie », op. cit., p. 4

402 Thérèse DIOB, L'expression de l'amour dans « Chant d'Ombre » de Léopold Sédar Senghor, Mémoire de Maîtrise, Sénégal, Université Gaston Berger de Saint-Louis, UFR Lettres et Sciences Humaines, 2005/2006, p. 45. [sous la direction du Professeur Mwamba Cabakulu]

93

mieux dans la vie de tous les jours du Nègre. L'émotion est donc l'âme du Noir, son vécu quotidien, son être et son existence, car « la raison est hellène et l'émotion est nègre. »403 La Francophonie doit battre au rythme de l'émotivité de la Négritude, c'est-à-dire apporter la sensibilité et la simplicité des peuples noirs à la civilisation européenne artificielle. Que dit Léopold Sédar Senghor de la Francophonie et de la Négritude ?

Pour Léopold Sédar Senghor, la Négritude est la valorisation de l'identité culturelle négro-africaine, et cette Négritude a sa place dans la Francophonie, l'expression des vertus de la Francité, dit-il :

Mais qu'est-ce donc que cette Négritude, me demandera-t-on, qui, aujourd'hui tient sa place dans la Francophonie [...] ? Pour ma part, je la définis, encore une fois, comme « l'ensemble des valeurs de la civilisation noire »[...] En nous d'abord, mais aussi les États-Unis d'Amérique nous ont fait découvrir les vertus de la Francité : l'esprit de méthode et d'organisation et bien d'autres valeurs encore404.

Avec la Francophonie, Senghor n'abandonne pas la Négritude, bien au contraire, il l'intègre ingénieusement dans la Francophonie afin qu'elle soit admise au banquet de l'Universel, comme l'avoue-t-il :

Malgré la pression des débuts, il n'a pas été question, chez nous de s'isoler des autres civilisations, de les ignorer, de les haïr ou mépriser, mais plutôt, en symbiose avec elles, d'aider à la construction d'un humanisme qui fut authentiquement parce que totalement humain [...] Devant les préjugés des uns, les lâchetés des autres, les railleries, il fallait frapper fort pour faire admettre notre culture au banquet de l'Universel405.

Autrement dit, soutient-il :

Je crois, d'abord et par-dessus tout, à la culture négro-africaine, c'est-à-dire à la Négritude, à son expression dans la poésie et dans les arts. Je crois également, pour l'avenir, à la Francophonie, plus exactement à la Francité, mais intégrée dans la Latinité et, par-delà, dans une Civilisation de l'Universel, où la Négritude a déjà commencé de jouer son rôle primordial406.

La Francophonie et la Négritude sont des moyens qui l'aideront à la construction d'un humanisme universel. Il fallait concilier la Francophonie et la Négritude dans un seul ensemble

403 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, p. 24

404 Senghor selon Celina SCHEINOWITZ, « La poésie de Senghor et l'Afrique », Éthiopique, 2ème semestre 2004, n°73

405 Léopold Sédar SENGHOR, « Qu'est-ce que la Négritude ? », Disponible sur http://id.erudit.org/iderudit/036251ar

406 Léopold Sédar SENGHOR, Ce que je crois, Paris, Grasset et Fasquelle, Paris, 1988, 234 p.

94

pour réaliser le rêve de construire un monde plus humain, plus fraternel, respectueux des valeurs culturelles :

Notre volonté est de faire, de cette terre, un haut-lieu d'échanges entre la Francophonie et la Négritude [...]407. J'ai toujours rêvé de concilier Francophonie et Négritude. Ce rêve est maintenant une réalité408. [Car tous deux fondent] l'espoir d'une fraternité dans le respect mutuel et le dialogue des cultures409.

La Négritude ne peut pas se passer de la Francophonie, et de même pour la Francophonie. La Francophonie est l'apogée harmonieux et parfait de la Négritude. La Négritude sent le nègre, mais s'exprime en français. La Francophonie s'exprime en français, sent le nègre, le blanc, le jaune, en d'autres mots, sent la culture de ces différentes personnes parlant français éparses dans le monde. La Francophonie senghorienne sent la Négritude et s'exprime en français, comme le souligne Mamadou Bani Diallo :

L'exaltation de la négritude constitue précisément la première étape de sa démarche, celle qui consiste à revendiquer la culture négro-africaine. Cette revendication n'entraîne pas pour autant le rejet de la culture française, fruit de l'héritage colonial410.

C'est la raison pour laquelle, Senghor déclare : « Je voulais parler non seulement en Nègre mais encore en Francophone »411. La Francophonie est cette culture qui permet à la Négritude de participer à la Civilisation de l'Universel, estime Senghor :

La Francophonie est une culture qui, dépassant la langue seule, se conçoit comme

le moyen de faire participer les peuples qui en font partie à la Civilisation de l'Universel, seule détentrice d'un nombre de valeurs.412

Senghor dit aussi que la Francophonie est une symbiose culturelle, parce qu'elle unit les valeurs les plus opposées413. Pour que cette Francophonie soit possible, il faut, au lieu d'une dichotomie, un accord des différences, une sorte de symbiose des cultures ; que la Francité et la Négritude s'accordent pour renaître ensemble à l'universel, affirme Senghor :

407 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3 p. 182

408 Léopold Sédar SENGHOR, Message envoyé à l'Unesco qui lui rendait hommage pour son 90ème anniversaire.

409 Léopold Sédar SENGHOR, Message envoyé à Présence Africaine à l'occasion du cinquantième anniversaire de la revue Présence Africaine, novembre 1997

410 Mamadou Bani DIALLO, op. cit.

411 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à trois poètes de l'Hexagone », OEuvre poétique, Paris, Seuil, 1990

412 Léopold Sédar SENGHOR, in « Le Français en partage », les 50 plus belles histoires, Timée Édition, novembre 2004

413 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme de la Francophonie », Liberté 3, p. 280

95

Pour que la Francophonie réussisse, il n'est que d'accorder nos différences pour en faire une symbiose. C'est ainsi que la langue française sera acceptée comme notre langue de communication aussi d'épanouissement international au sein de laquelle chacune de nos cultures se reconnaîtra en naissant à l'universel414.

Avec la Francophonie, « Senghor a réussi l'harmonie entre les valeurs noires qu'il chantait (la Négritude) et les valeurs occidentales qu'il a conquises (la Francité), contrairement à ce qu'on pourrait croire »415 faisant de la Francophonie l'ensemble des valeurs (la Négritude et la Francité) exprimées par la langue française. Pour Léopold Sédar Senghor, la Francophonie est l'ensemble des valeurs culturelles de la Négritude et de la Francité qu'exalte la langue française. C'est en ce sens que s'inscrit Petr Vurm :

Mais il (Senghor) a toujours cherché à concilier les apports de la civilisation gréco-romaine et les apports de la civilisation négro-africaine, la culture animiste et religion chrétienne, la négritude et la francité et rêvait d'une Civilisation de l'Universel. La création de la Francophonie, qu'il a longtemps appelée de ses voeux, en sera l'aboutissement416.

Et Blaidy Dioum de renforcer :

[Senghor] passera ainsi de la Négritude d'affrontement contre l'ancienne

puissance coloniale à la Francophonie intégrant dans un même réceptacle culturel des valeurs françaises et africaines.417

Nous sommes convaincu que la Francophonie senghorienne est un concept de réhabilitation et d'exaltation du continent africain de ses valeurs visitées par les valeurs occidentales. Mieux, la Francophonie senghorienne exalte la Négritude, la réalise et la revalorise. Elle est également une Négritude bis, une Négritude déguisée et résignée englobant, une Négritude renouvelée. Elle apparaît pour Senghor comme l'une des solutions pour préserver l'identité de l'homme noir, des valeurs de la Négritude.

414 Léopold Sédar SENGHOR, Message adressé à l'occasion de la semaine de la Francophonie à l'Unesco en février 1977

415 Jacques RABEMANANJARA, Entretien avec Présence Africaine, Présence Africaine, spécial Senghor, n°154, 2ème semestre, 1996, p. 38

416Petr VURM, Anthologie de la littérature francophone, Masarykova Univerzita Brno, 2014, p. 57 417 Blaidy DIOUM, La trajectoire de Léopold Sédar Senghor : Du terroir à l'universel, Paris/Dakar, L'Harmattan, 2010

96

Loin d'abandonner la Négritude pour la Francophonie, Léopold Sédar Senghor lui "coud de nouveaux habits" à sa mesure et à sa taille. Les nouveaux habits de la Négritude sont appelés Francophonie. Désormais, il n'est plus ou ne sera plus question de parler de Négritude senghorienne, car cela est dépassée. En effet, la Négritude s'est muée en Francophonie. Cette Francophonie n'est pas celle définie en 1962 dans la revue Esprit. En 1962, la Francophonie présentée par Léopold Sédar Senghor était simplement un embryon conceptuel. Celle dont il s'agit actuellement, c'est-à-dire après 1962, est une Francophonie mature intégrée au concept de la Négritude. Elle est l'expression la plus claire, la plus nette, la plus avivante de la Négritude senghorienne qui va à la rencontre d'autres cultures afin de les faire participer à la Civilisation de l'Universel ou ensemble d'y participer. Avec la Négritude, Léopold Sédar Senghor invitait les Africains à l'enracinement dans leurs cultures. Quant à la Francophonie, elle est une opportunité qui s'offre aux Africains afin qu'ils puissent s'ouvrir au monde. La Francophonie est appelée à exalter la Négritude, puisque c'est d'elle, de ces principes, que la Francophonie senghorienne puise sa sève, sa conception d'humanisme, son sens de dialogue des cultures, sa substance d'enracinement et d'ouverture.

En fait, la Francophonie englobe non seulement la race noire, le peuple négro-africain, mais aussi la race blanche et plusieurs peuples de contrées diverses unis par la langue française. Elle est universelle. La Négritude senghorienne s'affirme et se réalise dans cette universalité. Comme Senghor l'a si bien affirmé, la Négritude est aussi les Français de l'Hexagone ; nous pouvons asserter que la Francophonie est autant les Noirs de l'Afrique que les Français de l'Hexagone. C'est un ensemble de cultures dans lequel les valeurs de la Négritude sont en pole position, en bonne position. La Francophonie senghorienne est l'exaltation de la Négritude. Quant à la Négritude, elle a eu, en effet, son temps ou a fait son chemin de 1935 à 1960. Pendant cette période, la Négritude est dite militante car elle était un instrument de lutte pour la libération culturelle, mais aussi politique pour les Négro-Africains. Mais, après 1960, avec l'indépendance des pays africains, il fallait repenser la Négritude et l'insérer dans le mouvement solidaire du monde contemporain. Il fallait réorienter ses perceptions vers une idéologie et faire d'elle un instrument plus efficace en fonction du moment et de l'histoire. Avec une certaine assurance, nous pouvons affirmer qu'après 1960, la Négritude est devenue naturellement et de façon officieuse la Francophonie. La Francophonie, en effet, n'est pas la remplaçante idéologique de la Négritude, mais un prolongement, car, selon Senghor, la Francophonie n'est pas là pour renier les langues africaines, mais de se servir du français pour affirmer

97

l'authenticité des cultures africaines. Pour ainsi dire, la Francophonie senghorienne est l'expression authentique de la Négritude.

Aujourd'hui, l'on ne peut séparer le nom de Léopold Sédar Senghor de la Francophonie. Il est considéré comme le père fondateur du mot et aussi de la Francophonie institutionnelle. Cependant, se pose une question, celle de savoir si l'on connaît réellement la conception senghorienne de la Francophonie. La Francophonie senghorienne reste inappréhendable bien que J. Tshisunguwa Tshisungu ait écrit un article sur la conception senghorienne de la Francophonie. Considérant les critiques, l'on a vu en la Francophonie un instrument de la France pour contrôler l'Afrique après les indépendances sans véritablement chercher à comprendre Léopold Sédar Senghor. À partir de la revue Esprit 1962, Senghor donne une nouvelle orientation à la Francophonie ressuscitée. C'est avec lui qu'il fallait aller chercher la vraie définition ou le vrai sens de la Francophonie. Depuis 1962, après sa fameuse définition de la Francophonie donnée dans la revue Esprit, Léopold Sédar Senghor n'a cessé de renforcer sa définition, de l'ajuster et de l'adapter à la situation du monde. Selon lui, la Francophonie se définit comme une communauté mystique et spirituelle, et également comme une solidarité entre les peuples parlants français.

Pour appréhender cette Francophonie, il faut d'abord savoir ce que sont la Communauté française, la Francité et la Négritude. Sur les cendres de la Communauté française, la Francophonie senghorienne a pris appui en s'imprégnant de la Francité, et, alimentée par les valeurs de la Négritude. Les caractéristiques donc de cette Francophonie sont :

- La Communauté (se mettre ensemble ou l'unité des parlants français)

- La langue française (emploi commun du français)

- L'expression des valeurs humanistes, celles de la Francité et de la Négritude

- Enracinement en ses propres valeurs culturelles et ouverture à d'autres horizons

culturels

- La symbiose culturelle (dialogue des cultures)

- Participation à la Civilisation de l'Universel.

Nous pouvons simplifier ces caractéristiques en disant que la Francophonie senghorienne est

l'association ou la symbiose de la Francité et de la Négritude, née sur les cendres de la Communauté française. Bien qu'elle repose sur la langue française, la Francophonie senghorienne ne renie pas les autres langues en général, et les langues africaines en particulier, car dans son combat pour redéfinir l'image de l'Afrique et les apports de l'Africain avec l'autre,

98

le poète du royaume d'enfance, Senghor, opte pour la Francophonie, qui semble l'arme idéale. Cette Francophonie ne tient plus compte d'un espace géographiquement limité.

Cependant, ce qui est important dans la Francophonie senghorienne, c'est l'Humanisme universel. Cet Humanisme universel est la synthèse de l'humanisme de la Francité et de la Négritude. Cela signifie que le devenir de l'homme est au centre des préoccupations de la Francophonie senghorienne. De ce fait, nous pouvons affirmer que la Francophonie senghorienne est l'ensemble des valeurs humanistes (de la Francité et de la Négritude) exprimées par la langue française, et appelée à participer à la construction de la Civilisation de l'Universel. Nous sommes conscient que la question de la Francophonie demeure toujours, car elle est définie en fonction des humeurs, des tempéraments sans oublier du contexte. Elle est le sujet des débats intellectuels, politiques, universitaires, économiques, culturels, etc. Sans la comprendre réellement, elle est présentée comme un instrument de néo-colonialisme.

Peut-être le malheur de la Francophonie est qu'elle soit, avant tout, un mot prononcé pendant la période coloniale et repris juste après les indépendances des pays africains, dans un bouillonnement d'idées, de passions et d'aspirations, et manié ultérieurement à leur guise par des tempéraments très différents dans des situations tout aussi différentes. Des définitions poliférantes en général de Senghor, et des soi-disant spécialistes en particulier, parfois complémentaires, parfois incompatibles, font d'elle une notion confuse, une notion si difficile à définir et à délimiter encore. Faire un débat sur la Francophonie, revient, peut-être, à savoir si elle est un concept d'enracinement et d'ouverture ou simplement une notion de dialogue des cultures, comme le prétendent ces fondateurs, c'est-à-dire Onésime Reclus et Léopold Sédar Senghor, au lieu de chercher à voir si elle est une nouvelle arme de la France pour contrôler ses anciennes colonies ou pas. La Francophonie ne demande-t-elle de gérer nos différences pour aller vers les autres ? Le débat étant ouvert, à nous d'apporter notre contribution.

99

CHAPITRE III : LA FRANCOPHONIE EN DÉBAT

Longtemps le concept de Francophonie est appréhendé comme un organe politique au service d'une nation pour la valorisation de sa langue ; et il continue de l'être aujourd'hui. À l'heure de la mondialisation, de la globalisation, il devrait cesser d'être politique418 et d'être plus regardant sur le volet culturel. En cessant de l'être, il épouserait l'idéologie de ses fondateurs qui pensent que l'avenir est au métissage culturel tout en se référant aux idéaux culturels et humanistes de ses fondateurs. « Nous ne voulons pas d'un monde uniforme. Nous voulons un monde solidaire mais riche de ses différences. Un monde où le dialogue des cultures soit possible, comme le prônait inlassablement et avec tant de justesse le Poète Président Léopold Sédar Senghor, l'un des pères de la Francophonie », nous dit Abdoul Diouø19. Il s'agit, en réalité, d'un souhait, d'une volonté. Et, cela suppose que la Francophonie a dévié l'objectif des pères fondateurs. En effet, « la Francophonie est vue aujourd'hui comme la continuation de la politique étrangère de la France par un moyen détourné. »420 À cet effet, Edema Atibakwa-Boboya affirme que « la francophonie a longtemps été prise pour une idéologie de domination, comme un cheval de Troie de l'ancien empire français afin de perpétuer le colonialisme. »421

La Francophonie est aussi sujette de discussion, parce qu'elle ne s'appréhende pas aujourd'hui comme un simple partage de langue ni comme une communauté culturelle, mais comme une communauté économique et politique422 : « Ainsi, si la Francophonie est considérée seulement sous l'angle de la diffusion du français, est négligé le fait que la Francophonie

418 Actuellement, le monde fait face à trois enjeux principaux, à savoir, l'énergie, la défense stratégique et la mondialisation. Le dernier enjeu est, selon nous, un système dans lequel les pays occidentaux, derrière le faux combat de la rendre plus humaine, recolonisent l'Afrique pour leur survie et font une mainmise sur ses différentes ressources naturelles. Et le concept de Francophonie en déviant l'idéologique senghorienne devient alors une arme de recolonisation, donc politique. Il devrait afficher moins son volet politique pour mettre l'accent sur le volet culturel.

419 Abdoul DIOUF, « La Francophonie aujourd'hui », Après Demain, p. 11

420 Alain MABANCKOU, dans une interview réalisée par Laure Garcia et Claire Julliard, Figaro, 14 juillet 2007

421 Edema ATIBAKWA-BOBOYA, « La francophonie de Reclus Senghor : pour un multilinguisme actif et normé », CELIA/LLACAN-CNRS, p. 11

422. Alain MABANCKOU dit, dans une interview réalisée par Laure Garcia et Claire Julliard, que « La Francophonie telle qu'elle se présente actuellement est une institution éminemment politique. », Figaro, 14 juillet 2007, op. cit.

100

soutient ?une symbiose de langues et cultures? »423. D'ailleurs, c'est dans ce contexte qu'elle est étudiée oubliant qu'au départ, de sa genèse senghorienne, elle était culture. Mieux, la Francophonie, qu'elle soit d'Onésime Reclus ou de Léopold Sédar Senghor, est une langue et des valeurs culturelles à partager. Les pères concepteurs avaient pour objectif de s'élancer ainsi dans la promotion et la recherche de concrétisation des valeurs, telles que le respect de la diversité, de l'ouverture vers l'autre, dans le respect et l'esprit du concept du rendez-vous du donner et du recevoir, parce que « la Francophonie, au-delà de la langue, symbolise la diversité »424, comme le reconnait également Michaëlle Jean. C'est « la langue française qui constitue tout à la fois notre trait d'union, vecteur de transmission de nos principes, de nos valeurs et de nos idéaux. »425 Autrement dit,

[la] langue française est pour nous, dans la Francophonie, notre bien commun, un lien inestimable, le ciment de notre identité et de nos actions, notre medium privilégié pour mettre en dialogue la diversité de nos cultures et de nos expériences. La langue française est assurément notre levier pour consolider notre espace fort de tant d'expertises, de tant de réalisations et d'infinies possibilités, pour nous mobiliser solidairement, entreprendre et prospérer ensemble dans une éthique de partage. C'est dans cette langue que nous défendons de mille et une façons, et de tous nos efforts, cet humanisme intégral qui scelle notre union dans la Francophonie. 426

Chez Léopold Sédar Senghor, en particulier, la Francophonie devrait préserver la diversité culturelle et promouvoir le français comme langue de communication entre peuples et cultures. Or chez Onésime Reclus, elle devrait préserver la culture française et promouvoir le français comme langue d'assimilation des peuples colonisés. Aujourd'hui, la Francophonie se targue « qu'il est possible de préserver les identités des cultures à travers une langue qui s'enrichit au contact des autres langues dans un processus de promotion réciproque »427. « Or, les langues reflètent l'identité d'un peuple. Elles sont parties intégrantes des cultures. La diversité linguistique est consubstantielle à la diversité culturelle »428. Cela sous-entend que la langue et la culture sont conjointes. La langue implique alors la culture et réciproquement. Ce qui signifie que la langue française véhicule la culture française. Comment la langue française peut-elle préserver l'identité des peuples parlants français au sein de la Francophonie ? Et, on

423 Toba MISUZU, « La pensée culturelle de Senghor : la symbiose des langues et cultures » revue japonaise de didactique, p. 104

424 Dominique WOLTON, « Francophonie et mondialisation », Après Demain, p. 6

425 Michaëlle JEAN, La Francophonie des solutions, Rapport de la Secrétaire de la Francophonie, op. cit., p. 5

426 Idem., p. 58

427 Rebecca Ursula Brønnum SCAVENIUS, « la francophonie face à l'hégémonie culturelle américaine : une analyse de l'américanophone français et du rôle de la Francophonie face à l'uniformisation culturelle », Vinter, 2005

428 Thi Hoai Trang PHAN, « Les défis de la diversité culturelle et linguistique en francophonie », Géoéconomie, 2010/4 (n° 55), p. 57-70.

101

nous dit qu' « elle est l'exemple par excellence de la diversité linguistique [et de] la diversité culturelle [...] »429 Ici, la langue et la culture sont, cette fois-ci, disjointes. Ce qui veut dire qu'il y a plusieurs langues parlées et plusieurs cultures au sein de la Francophonie. Peut-on dire qu'à part la langue française, le wolof, le malinké, l'éwando, le bété, l'haoussa, le moré, le sérère, le peulh, le baoulé, l'abron,.. sont parlés au sein de la Francophonie ? Si non, où se trouve alors la diversité linguistique ? Comme Léopold Sédar Senghor, « on ne pourra plus faire parler les Nègres comme des Blancs [...] Il ne s'agira plus de leur faire parler ?petit nègre? mais wolof, malinké, éwondo en français. »430 Senghor ne parle pas de diversité linguistique, mais plutôt une greffe des langues africaines sur la langue française : « Des mots africains se greffent sur une langue française inspirée des hellénistes. »431 Mieux, « Pourquoi ne pas unir nos clartés pour supprimer toute ombre ? Ou pour employer une image familière, pourquoi, cultivant notre jardin, ne pas greffer le scion européen sur notre sauvageon ? »432 Le fait de diversifier les langues à la Francophonie est « aussi un véritable combat que [la Francophonie mène] au quotidien, au nom du droit légitime des peuples de s'exprimer, d'être entendus, d'être informés, de négocier dans le respect de l'intégrité de leurs langues. »433 Onésime Reclus ne parlait non plus de diversité linguistique avec la Francophonie. Avec la Francophonie, Léopold Sédar Senghor comme Onésime Reclus voulaient faire de la langue française une langue universelle. Et cette langue, selon Senghor, survivra, si elle accepte d'être fécondée par les apports linguistiques des autres peuples. La langue française n'est-elle pas née d'une mère romaine et d'un père grec ? N'est-elle pas fortement structurée, précise, exacte ? Ne participe-t-elle pas de la rigueur latine et de la subtilité athénienne ? Pour ainsi dire que le français est une langue fécondée. C'est le tour de l'Afrique de lui insuffler ses mots pour son enrichissement. N'est-ce pas cela le dialogue des cultures ?

Parler de diversité linguistique avec la Francophonie serait un leurre, car ce qui est essentiel, c'est la langue française. Michaëlle Jean l'avoue implicitement lorsqu'elle dit « Soyons conséquents, nous ne pouvons pas d'un côté appeler au respect des peuples, au respect des droits et des libertés, au respect de la diversité culturelle et linguistique, réclamer l'équité et l'égalité de traitement, tout ce que sous-tend le respect du multilinguisme, et

429 Idem., p. 57

430 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté I, p. 470

431 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et créolité » ; Francophonie et identités culturelles, sous la direction de Christiane Albert, Karthala, 1999/ Voir aussi Saïda BELOUALI, « Senghor, habiter l'interparole » Collection « Annales Littéraires de l'Université de Franche-Comté », Franche-Comté, Presses Universitaire de Franche-Comté, 2004

432 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté I, p. 91

433 Idem., p. 91

102

contribuer sans scrupules à l'uniformisation linguistique et culturelle. »434 Si, par contre, l'on fait une disjonction entre langue et culture, nous serons à mesure de dire qu'il y a effectivement une diversité de cultures en Francophonie. Cependant, il nous semble difficile de dissocier la langue de la culture, parce qu' « avec une langue, ce n'est pas qu'un outil de communication qui disparaît. C'est toute une culture et une représentation du monde (une vision du monde) qui sont englouties »435. En fait, « chaque langue est intimement liée à l'identité du peuple qui la parle [..] »436 Or, il s'agit de la langue française avec la Francophonie437, donc de la culture française.

Parler de diversité linguistique, l'une des composantes inhérentes de la diversité culturelle, revient à décrire une situation dans laquelle plusieurs langues ou plusieurs groupes linguistiques sont nécessairement en interaction ou plusieurs langues sont parlées. À bien voir, seule la langue française est parlée, et c'est elle aussi qui réunit les parlants français.438 Ce qui semble dire que la langue française est toujours considérée comme l'apanage du politique et, non seulement du culturel, mais institutionnalisée et instrumentalisée. Tous se reconnaissent en elle ou à travers elle. Ce sont des Francophones. Elle est leur identité collective439 ou leur identité refuge.440 Cependant, Dominique Combe affirme que « le problème central de la francophonie n'est donc pas seulement celui de l'identité, ainsi que le répètent inlassablement écrivains et commentateurs, mais de l'unité d'un sujet divisé »441. Comment peut-on être soi-

434 Michaëlle JEAN, op. cit., p. 5

435 Thi Hoai Trang PHAN, « Les défis de la diversité culturelle et linguistique en Francophonie », op. cit., p. 65

436 Idem, p. 65

437 « La Francophonie doit assurer la place, et le rayonnement du français sur le nouvel échiquier linguistique mondial [..] », (XIVe sommet de la Francophonie de Kinshasa 2012), Rapport de la Secrétaire de la Francophonie, 2016, p.60

438 Aujourd'hui, cela n'est pas une vérité car il y a des pays qui ne parlent pas français qui font partie de la Francophonie actuelle, c'est-à-dire l'OIF. À ce propos, Jean-Jacques Konadje dira que « [..] les critères d'appartenance à l'OIF ne sont pas conditionnés par une histoire coloniale. Ils n'imposent pas non plus que le français soit la langue officielle dans tous les pays qui en sont membres. » (La Francophonie : un néologisme inventé par Onésime Reclus. Disponible sur http://afriessence.canalblog.com/archives/2006/12/07/3368831.html). Et confirmer par Cecile B. Vigouroux qui, à son tour, dit « The extension of membership to contries not traditionally, or historically Francophonie, such as Bulgaria, Cape Verde, guinea Bissau, Macedonia, to cite just a few, prove that the French language is no longer `' one of the most important criteria, indeed the only one that defines la Francophonie beyond question'', contrary to the initial stipulation in nations Nouvelles. » (Francophonie, op. cit., p. 384) Accentuer par François Povenzano en ces termes : « Comme le notent Daniel Baggioni et Roland Breton à propos des dernières annexions en date : `' [..] les arguments manquent pour justifier intellectuellement l'adhésion de la Bulgarie ou de l'Angola. Seuls les critères politico-diplomatiques peuvent expliquer ces curieuses extensions de la francophonie. », p.97 (« La `'Francophonie» : définitions et usages », In : Quaderni,n°62, Hiver 2006-2007. Le thanatopouvoir : politique de la mort, pp.93-102). (Voir annexe II, p. 476/478) Cela nous permet donc d'affirmer que la Francophonie est un concept.

439 Thi Hoai Trang PHAN, , « Les défis de la diversité culturelle et linguistique en Francophonie », op. cit., p. 65 : « La langue y est alors un symbole d'identité collective [..] ».

440 Thi Hoai Trang PHAN, « Des dynamiques de la francophonie », op. cit.

441 Dominique COMBE, Poétiques Francophonies, Paris, Hachette, 1997, p. 134

103

même, s'assumer une identité quand on doit parler ou écrire une langue qui n'est pas la langue maternelle ? En Afrique, n'est-ce pas la diversité des langues locales qui a conduit les Africains à recourir à la langue du colonisateur ? Quelles que soient les questions ou les réponses, parler la langue de l'autre, signifie se reconnaître en lui, s'identifier en lui et épouser sa culture. Avec la Francophonie, l'on se reconnaît en la France et l'on épouse sa culture, parce que l'on parle la langue française. Léopold Sédar Senghor ne peut dire le contraire. Il sait très bien que les « [...] langues sont les meilleurs véhicules des cultures »442, mieux, que « la langue est, en même temps, le véhicule et l'instrument majeur de toute culture »443. Toba Misuzu pense, au contraire, « que la Francophonie ne vise pas pour Senghor la diffusion de la culture française. Elle est plutôt considérée comme quelque chose qui dirige notre attention vers une culture extérieure, surtout la culture africaine, qui avait été humiliée même dans le domaine de la recherche. »444 Selon Toba Misuzu, la Francophonie est pour Senghor l'instrument pour réhabiliter ou pour positionner les cultures africaines longtemps méconnues ou ignorées.445 Peut-on parler d'une culture africaine si, parfois, les langues africaines sont biaisées au profit des langues des colonisateurs ? Ne s'agit-il pas de faire la promotion des langues et cultures africaines dans un concert sans orchestres ? C'est dire les Africains ne se sentent même pas concernés dans cette promotion de leur langue et de leur culture. Rares sont ceux qui connaissent leur culture, les pas de danses traditionnelles, les paroliers traditionnels, les contes ou qui parlent correctement leur langue sans employer un mot français. C'est le Blanc qui leur apprend ce qui se passe chez eux, et ce, depuis longtemps446.

Il est question, peut-être, de mettre en évidence ou d'éveiller la conscience endormie des Africains à s'enraciner en leur culture, en leur langue pour les proposer aux autres. Ce retour aux sources n'est-il pas le fondement de la Francophonie senghorienne ? On ne peut pas être universel si on n'est pas soi-même. Il faut être soi-même pour prétendre être universel. Toba Misuzu affirme, encore, que « pour lui (Senghor), la véritable culture est faite d'enracinement et de déracinement. L'enracinement au plus profond de la terre natale : dans son héritage

442 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté V, p. 138

443 Idem., p. 138

444 Toba MISUZU, op.cit. p. 111

445 Nous aborderons la culture africaine dans la deuxième partie de ce travail.

446 La prise de conscience de l'existence d'une culture africaine est due aux travaux de Leo Frobenius, Histoire de la civilisation africaine, et de Placide Tempels, La philosophie bantoue. C'est à partir de ces études que les auteurs de la Négritude vont décider de prendre les choses en main. Nous constatons malheureusement que la lutte des négritudiens a été vaine, car la nouvelle génération ne se soucie point de la culture africaine. C'est une lutte obsolète. La promotion de la culture africaine est biaisée par les gouvernements des pays africains au profit de la culture occidentale. Aucun programme scolaire incluant un enseignement des langues locales, oubliant que l'école joue un rôle essentiel d'intégration culturel.

104

spirituel. Le déracinement signifie l'ouverture à la pluie et au soleil, aux apports fécondants des civilisations étrangères. »447 Cela suppose que la culture est enracinement et ouverture.

Partant du fait que la Francophonie est culture, comme Senghor s'évertue à le dire, pouvons-nous parler d'ouverture en Francophonie si les Francophones ne sont pas traités de la même manière ou logés dans ou à la même enseigne ? Si les francophones ne sont pas libres de circuler dans les pays dits francophones ? Si au sein de la Francophonie, certains Francophones sont victimes du racisme ou indésirables ? Si pour rentrer en France, en Belgique, au Canada, en Suisse, etc. l'on exige un visa ou un certificat d'aptitude de langue française ? Si certaines frontières sont hermétiquement fermées à certains Francophones ? Pouvons-nous parler d'enracinement en Francophonie, si la langue française est la seule langue à être parlée en son sein ? Ces interrogations sont partagées avec Laurent Gbagbo qui affirme : « Si nous considérons la francophonie comme étant un espace culturel commun, cela veut dire que les populations des pays membres de la francophonie peuvent se déplacer dans cet espace sans problème. Mais que constatons-nous ? Nous constatons que les pays qui ne parlent pas la langue française viennent en France sans visa. Exemple le Brésil, le Honduras etc. Et que nous-mêmes africains francophones éprouvions toutes les difficultés à obtenir un visa pour la France. Donc je ne trouve pas cela juste. Il nous faudrait réformer la francophonie et j'en ai parlé avec son secrétaire général. »448 Avec tout cela, pouvons-nous dire aussi, comme Gilles Vigneault, que « la Francophonie, c'est un vaste pays, sans frontières, c'est celui de la langue française, c'est le pays de l'intérieur, c'est le pays invisible, spirituel, mental, moral qui est en chacun de nous » ?449 Ou comme Henri Lopès, que la Francophonie est une « famille où s'expriment mille cultures et mille civilisations » ?450

Les défenseurs de la diversité linguistique vont nous miroiter avec le créole, le nouchi, le lingala comme si le créole, le nouchi et le lingala sont parlés dans tous les pays francophones ou par tous les parlants français. Ces langues sont dues à une recherche ineffable d'une identité. Les autres (excepté les Français, les Canadiens, les Belges, les Suisses) ne se sentent vraiment pas à l'aise dans la langue française, car elle ne peut pas exprimer leur âme. La Francophonie, si elle veut demeurer toujours un concept rassembleur et englobant, doit définir correctement la notion d'ouverture. Parlant de l'ouverture, Toba Misuzu nous dit que « pour Senghor, l'ouverture à la Francophonie n'est jamais contradictoire avec un enracinement dans la

447 Toba MISUZU, op.cit. pp. 107-108

448 Propos de Laurent Gbagbo recueilli sur un site internet.

449 Gilles VIGNEAULT, compositeur, chanteur Canadien (Québec) d'expression française

450 Cf. Henri LOPES (1989).

105

Négritude, parce qu'il pense qu'elle est un ?complément nécessaire.? »451 Koutchoukalo Tchassim corrobore les propos de Toba Misuzu en disant que « Senghor, pour sa part, conçoit l'Africain comme un ?métis culturel? qui se sert de la langue étrangère pour se faire comprendre des autres avec qui il est lié par cette langue. »452 Se servir de la langue de l'autre pour se faire comprendre n'est-il pas synonyme d'un déracinement, l'état de celui ou de celle qui est coupé(e) de ses racines culturellement ?

Avec la Francophonie, l'identité culturelle demeure une question de survie qu'il faut chercher à défendre. Léopold Sédar Senghor et Onésime Reclus sont tous deux conscients qu' « un peuple ne se développe pas, à notre avis, s'il n'a pas une certaine connaissance de son identité et de sa valeur transmises par la culture et l'histoire. »453 Pensez-vous que la langue française est-elle capable de restituer l'identité culturelle des parlants français ou de les aider à avoir une certaine connaissance de leur culture ? « Il est néanmoins vrai que les caractères propres d'une langue influencent la pensée et les valeurs culturelles qu'elle véhicule », nous dit Xavier Deniau454. De ce fait, n'oublions pas que la langue française chez Senghor signifie culture française : « [...] Vous le devinez, cependant notre attachement à la langue française ne serait pas si tenace s'il ne signifiait pas attachement à la culture française. »455 Il est sûr et certain que la langue française ne peut pas aider les francophones à avoir une certaine connaissance de leur culture et de leur identité, et qu'elle ne peut que véhiculer la culture française. Peut-être, conscient de ce fait, Senghor réajuste sa thèse en disant que « [...] nous ne voulons rien renier de notre histoire, fut-elle ?coloniale?, qui est devenue un élément de notre personnalité [...] »456, et qu' « il n'est pas question de renier les langues africaines. »457 Mais, il s'agit d'un retour à nos sources pour un enracinement en nos valeurs qui ne sont pas totalement corrompues par la culture occidentale afin de les sauver, parce que « [...] la question de l'identité culturelle [...] implique le rapport à l'autre »458. Senghor estime qu'avec la Francophonie, « l'Afrique doit oeuvrer à la revalorisation de ses langues de cultures propres »459 car « une langue qui n'exprime que son génie traditionnel risque de s'étioler et de

451 Toba MISUZU, op. cit., p. 111

452 Koutchoukalo TCHASSIM, « La quête de la civilisation de l'universel chez les écrivains africains : Léopold Sédar Senghor et Félix Couchoro », Revue du CAMES, vol. 009, n° 2, 2007, p. 44

453 Théâtres africaines (Actes du colloque sur le théâtre africain, École Normale Supérieure, Bamako, 14-18 novembre 1988), « Théâtre, Développement et culture coloniale », (En commission), Paris, Édition Silex, 1990

454 Xavier DENIAU, La Francophonie, Que sais-je ?, Paris, PUF, 1983, pp. 21-22

455 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., p. 131

456 Idem, p. 132

457 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit, n°311, p. 843

458 Paulin HOUNSOUNON-TOLIN, « Orphée et la négritude comme oubli de la loi du cannibalisme culturel, et ignorance de l'identité culturelle comme rapport à l'autre », Éthiopique, 2ème semestre 2009, p. 134

459 Sékou Ahmed TOURÉ, l'Afrique et la révolution, Paris Présence Africaine, p. 254

106

disparaître, mais une langue qui prend appui sur ce génie et s'ouvre en même temps aux réalités nouvelles est nécessairement amenée à évoluer, donc à s'améliorer et à se parfaire. »460 En ce sens, Seck Mangoné dit que « c'est aux Négro-Africains de définir leur propre francophonie ! Ce sont eux qui doivent choisir, élaborer, construire leur propre conception des relations entre leurs langues et le français. »461

Enracinement, ouverture et dialogue des cultures sont des notions qui font partie du concept de Francophonie, et pourtant la réalité du moment fait douter de ces notions de bons augures. Des cultures peuvent-elles dialoguer sans se corrompre, sans qu'il y ait une influence mutuelle ? Si, oui, alors le dialogue des cultures est utopique, car l'une des cultures empiétera ou emportera l'autre ; mieux, « toute culture se nourrit de celles qui l'ont précédée ou avec lesquelles elle a quelque commerce »462, ou peut-être ces cultures en commerce donneront une sorte de culture hybride. N'est-ce pas cette culture hybride que l'on appelle culture francophone ? Nous savons aussi que « [...] toute culture est héritière de celle ou celles qui l'a ou l'ont précédée »463. Cela suppose qu'avec le dialogue des cultures nous aurons une culture qui héritera des valeurs des cultures en dialogue en Francophonie, une culture dite universelle. Peut-être, le dialogue des cultures est un échange de ce que chaque culture a de particulier, un échange dans lequel chaque culture ne s'influencera pas ou il n'aura pas de métissage. Cela est-il possible ? Pour nous faire mieux comprendre, il nous convient d'appréhender la culture. Qu'est-ce que la culture ?

La culture se réfère d'abord à l'ensemble des travaux qui servent à rendre la terre plus fertile et à améliorer ses productions. Dans ce sens, elle est en rapport avec l'agriculture. Puis, par extension, elle renvoie à l'activité artistique, intellectuelle de l'homme. Elle est employée pour parler du « processus de développement de certaines facultés de l'esprit par des exercices intellectuels »464. Selon Samuel von Pufendord, la culture est « l'ensemble des oeuvres humaines dans leur contexte social »465 ; ce qui est asserté par Emmanuel Kant. Quant à lui, il affirme qu'elle est « l'ensemble des fins que l'homme peut réaliser librement du fait de sa nature raisonnable. »466 Mieux, la culture serait « l'ensemble des usages, des coutumes, des manifestations artistiques, religieuses, intellectuelles qui définissent et distinguent un groupe,

460 Idem., p. 254

461 Mangoné SECK, op. cit.

462 Paulin HOUNSOUNON-TOLIN, op.cit., p. 130

463 Idem, p. 130

464 Le Petit Larousse Illustré, Paris, 2002

465 Cité par Le Grand Dictionnaire des Lettres, Larousse, Paris, 1987 ; p. 404

466 Idem, p. 404

107

une société. »467 Cependant, « les phénomènes de culture sont intransmissibles, uniques, liés à leur rapport vivant ; ils comprennent les valeurs d'expression et de création et leurs réalisations, ils ne sont pas soumis à des lois décelables, mais à des rythmes d'émergence, de disparition et de résurgence. »468 Cela sous-entend que la culture est quelque chose d'inné, qui existe ou qui est sans que l'on sache pourquoi cela doit être comme cela. Par contre, certaines personnes estiment qu'elle est « transmissible dans et par une collectivité quelle qu'elle soit, les sociétés primitives y compris. »469 Mieux, « une culture n'est jamais innée, mais toujours acquise. »470 Dans ce sens, le mot civilisation convient d'être employé, car « les phénomènes de civilisation sont universels et transmissibles, ils comprennent la connaissance positive et la réalisation de ce savoir dans la technique ; ils correspondent à la rationalisation de l'existence humaine. »471 Cela est corroboré par Alexis Kagamé, paraphrasé par Alpha Ibrahim Sow : « [la civilisation], c'est l'adaptation d'un groupe humain se servant de la nature humaine totale (intelligence, volonté, sensibilité et activités corporelles) pour domestiquer et embellir le milieu physique où il doit vivre (climat et saisons, minéraux, hydrographie, faune et flore), se garder des causes intérieures de désagrégation, se défendre contre les groupes similaires qui tenteraient de l'absorber et pour transmettre à sa descendance l'expérience globale reçue de ses initiateurs. »472

Pour être plus explicite, nous disons que la civilisation est un acquis, mieux elle est « l'ensemble des rapports conscients existant entre l'homme et la société, l'homme et la nature. »473 Il faut le reconnaître, les définitions de la culture sont diverses et problématiques, car culture et civilisation sont, presque, prises comme des synonymes. Néanmoins, « la culture possède (...) une identité spécifique liée aux caractères les plus intimes d'un peuple, à la nature de sa pensée et de son patrimoine, à sa perception des choses et sa façon de les considérer. C'est la culture qui distingue les peuples les uns des autres ; toutefois cette distinction [...] n'exclut pas les contacts avec les autres peuples : bien au contraire, elle encourage ces contacts et ces rencontres, elle les impose même. C'est cela qui donne naissance aux grandes questions culturelles comme l'authenticité et le renouvellement ou l'unité et la diversité »474. Elle possède aussi deux aspects : un aspect statique et un aspect dynamique. L'aspect statique « désigne

467 Le Petit Larousse Illustré, Paris, 2002

468 Le Grand Dictionnaire des Lettres, op. cit., p. 404

469 Le Dictionnaire du littéraire, p. 169

470 Paulin HOUNSOUNON-TOLIN, op. cit., p. 135

471 Le Grand Dictionnaire des Lettres, op. cit., p. 404

472 Alpha Ibrahim SOW, « Prolégomènes », Introduction à la culture africaine, Unesco 10/18, Paris, 1977, p. 30

473 Sékou Ahmed TOURÉ, L'Afrique et la révolution, op. cit., p. 183

474 Propos d'Abdel Aziz El Sayed, repris par Alpha Ibrahim SOW, op. cit., pp. 22-23

108

l'ensemble des trésors, des institutions, des croyances, tandis que [l'aspect dynamique] caractérise l'aptitude créatrice, le fait qu'un peuple ne peut se contenter de statut de simple consommateur mais se veut producteur de biens culturels. »475 Chaque peuple, chaque société ou groupe a donc sa propre culture, et que les cultures, lorsqu'elles sont différentes, ont des différences à échanger. Or « on ne peut pas développer harmonieusement [ni échanger] des cultures et des valeurs que l'on ignore, que l'on néglige ou que l'on méconnait. »476 N'est-ce pas une raison pour s'enraciner en sa culture d'origine pour mieux la connaître afin de la présenter à l'extérieur, aux autres ?

La question demeure toujours, celle de savoir si la langue n'est pas le moyen efficace ou le véhicule idéal de la culture. Si tel est le cas, alors soyons à mesure de dire qu'il y a une seule culture à la Francophonie, celle de la France. Dans le cas contraire, essayons de voir dans quelle mesure les autres cultures peuvent interagir avec celle de la France par le biais du français. La culture, chez Senghor, est une certaine façon propre à chaque peuple de sentir et de penser, de s'exprimer et d'agir. Cela confirme la thèse que chaque peuple a sa propre culture, ses habitudes et sa langue, et que la culture est l'identité d'un peuple. De ce fait, peut-on parler de culture en Francophonie ? La Francophonie ne contribue-t-elle pas à l'assimilation de la langue française ? Semble-t-il que Francophonie et assimilation revêtent un autre sens chez Léopold Sédar Senghor ? Ne donne-t-elle (la Francophonie) pas des modèles de représentation et d'interprétation du monde ? Tout est flou avec la Francophonie, et elle nous entraîne dans un flou de notions, de définitions, de conceptions et d'objectifs.

Dans ce flou d'idées, le concept d'enracinement et d'ouverture, et la notion de dialogue des cultures semblent prendre le dessus sur les autres notions dans le discours de la Francophonie senghorienne. Quel sens donne Senghor au concept d'enracinement et d'ouverture ? Peut-être, invite-t-il les Français à s'enraciner dans la Francité et à s'ouvrir à la Négritude, et les Africains à s'enraciner eux-aussi dans la Négritude et à s'ouvrir à la Francité ? Francité et Négritude ne disent-elles pas culture chez Senghor ? Le dialogue des cultures ne signifie-t-il pas dialogue entre Francité et Négritude ? Peut-être, avec la Francophonie, Senghor prône-t-il un retour aux sources qui aboutirait sans doute à une culture métissée ou à une Civilisation de l'Universel ? Alors, que signifie la Civilisation de l'Universel chez Senghor ? La Civilisation de l'Universel n'est-elle pas chez Senghor la Francophonie ? Doit-on rappeler que la Francophonie se repose essentiellement sur la langue française ? Ne pensez-vous pas

475 Alassane NDWA, «Itinéraire d'une pensée : Léopold Sédar Senghor : du refus de l'assimilation à la recherche d'un métissage bien compris », Éthiopique, n° 37-38, 2ème et 3ème trimestre, 1984, volume II, n° 2-3

476 Alpha Ibrahim SOW, op. cit., p. 37

109

qu'avec la langue française, c'est la culture française qui est inculquée ? Si telle est le cas, la Francophonie n'est-elle pas la culture française ? Ne pensez-vous pas que la culture est partout la même et que ce sont les outils et les moyens pour l'exprimer qui diffèrent ? À ce niveau, ne pouvons-nous pas dire que la Francophonie est l'expression de toutes les cultures en dialogue. Le débat477 étant ouvert, c'est à nous d'apporter notre contribution à la compréhension de la Francophonie, et de voir si elle est un concept d'enracinement et d'ouverture ou un concept de dialogue des cultures, sachant bien que « la langue française est l'un des instruments essentiels d'ouverture sur le monde »478. (Ce sont ces concepts qui définissent-ils aujourd'hui la Francophonie ?)

477 Christian PHILIP affirme que « La Francophonie a besoin de redevenir un sujet de débat. » (« La Francophonie : l'une des réponses à la mondialisation culturelle », Disponible sur http://www.planetagora.org/yaounde/philip.pdf.&ued=0ahUKEwisw ). Du débat peut, nous l'espérons, naître une nouvelle politique et donc l'action pour une Francophonie ouverte.

478 Michaëlle JEAN, op.cit, p. 59

110

1. UN CONCEPT D'ENRACINEMENT ET D'OUVERTURE

La Francophonie est à la fois une communauté de parlants français et un concept humaniste invitant à s'ancrer en sa culture pour aller vers d'autres cultures. Mieux, la Francophonie est ce lien culturel tissé à partir de la langue française qui se fait « dans la reconnaissance des autres cultures, car toute langue est tissage culturel, jamais figée, mais toujours en devenir »479, et parce qu' « aucun peuple ne peut légitimant tirer vanité de sa langue car aucune n'est la création d'un seul peuple »480. Dans cette logique, Paul Dumont affirme que « le français peut être l'expression de cultures autres que françaises »481. Ce qui peut signifier que la culture française est en contact avec d'autres cultures. C'est la raison, peut-être, pour laquelle Léopold Sédar Senghor asserte que

Le problème est pour chaque homme ou femme de chaque civilisation, pour

chaque personne de s'enraciner au plus profond de sa propre civilisation pour mieux s'ouvrir aux pollens fécondants venus des quatre horizons.482

Car, ajoute-t-il,

Il s'agit pour chaque continent, pour chaque peuple de s'enraciner profondément dans les valeurs de sa civilisation propre pour s'ouvrir aux valeurs fécondantes de la civilisation française, mais aussi des autres civilisations, complémentaires, de la Francophonie.483

Des propos de Senghor, il ressort qu'avec la Francophonie, il s'agit de s'enraciner dans sa propre culture et de s'ouvrir à d'autres cultures différentes de la sienne, mais complémentaires. Autrement dit, la Francophonie est un concept d'enracinement et d'ouverture culturel.

L'enracinement est l'action d'enraciner ou le fait de s'enraciner. Cela fait allusion aux plantes. Cependant, dans un sens plus large et approprié pour cette présente étude, nous disons que l'enracinement est l'action d'implanter profondément dans l'esprit les moeurs de sa culture, de revenir à sa culture d'origine et de la connaitre et de se l'approprier. Quant à l'ouverture,

479 Béatrice TURPIN, op. cit.

480 Alexis VASSILIS, Le premier mot, Paris, Stock, 2010, p. 13

481 Paul DUMONT, « Francophonie, francophonies », op. cit., p. 46

482 Propos de Senghor repris par Penda MBOW, consultable sur http:// www.cercle-richilieu-senghor.org/index.php?option=com_content&vie=article&id=74 483Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », loc. cit.

111

elle est un espace vide, libre faisant communiquer l'intérieur et l'extérieur, du dehors et du dedans. Au figuré, elle est cette aptitude à comprendre et à admettre ce qui est nouveau, inhabituel. En ce qui concerne notre étude, nous affirmons que l'ouverture consiste à l'acceptation de la culture de l'Autre. De ce fait, nous avançons que l'enracinement et l'ouverture signifient avoir la maitrise de sa propre culture et aller à la rencontre d'autres cultures, « car pour parler de soi aux autres, il faut se connaître, connaître les valeurs culturelles de sa race. C'est en se connaissant mieux que l'on peut prétendre s'ouvrir aux autres. »484Comment l'enracinement et l'ouverture sont-ils possibles à la Francophonie ?

L'idée d'enracinement et d'ouverture est contenue dans la notion même de la Francophonie dès son invention par Onésime Reclus. En effet, Onésime Reclus, avec la Francophonie, voulut que la France, tout en laissant les personnes voulant parler le français de le parler, apprenne la leur (la langue de ces personnes désirant parler le français). De ce fait, sans le formuler exactement ou réellement, la Francophonie d'Onésime Reclus prônait déjà l'enracinement et l'ouverture. À cet effet, il dit :

Tous les hommes instruits de la terre savent au moins deux idiomes, le leur et le nôtre, nous, dans notre petit coin, nous ne lisons que nos livres et ce qu'on veut bien nous traduire. C'est pourquoi nous sommes en dehors du monde et de plus en plus dédaignés par lui.485

Claire Riffard dit, en ce sens, que « la notion de francophonie elle-même sous-entend la présence souterraine d'autres langues. »486 La mise en garde d'Onésime Reclus se manifeste comme une invitation à l'ouverture pour la France à l'extérieur. Il est bien de s'enraciner dans sa culture, mais il est mille fois meilleur de s'ouvrir à d'autres cultures, semble dire Onésime Reclus avec la notion de Francophonie. Selon Onésime, les Français sont totalement enracinés en leur culture et ne lisent que tout ce qui est écrit en français. En d'autres mots, ils consommaient français. Pour ceux-ci, la France et sa culture d'abord, et le reste on s'en fout. Onésime Reclus se rend-compte que ce comportement risque de faire périr la France et sa langue ainsi que sa culture. La France devrait, dans la logique reclusienne, faire du Négro-Africain une copie du Français, c'est-à-dire assimiler le Négro-Africain par le biais de la langue française, car pour Onésime Reclus, « l'humanité qui vient, f...] n'aura d'attention que pour les langues très parlées, et par cela même très utiles. »487 De l'enracinement aveugle des

484 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 65

485 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., pp. 429-430

486 Claire RIFFARD, « Francophonie littéraire : quelques réflexions autour des discours critiques », Disponible sur http://www.item.ens.fr/index.php?id=207602

487 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 429

112

Français en leur culture, Onésime Reclus les invite à aller vers d'autres continents, en particulier, en Afrique, vers d'autres cultures, pour faire des Africains des francophones afin que vivent longtemps la langue et la culture françaises. Il se justifie en ces termes :

Comme nous espérons que l'idiome élégant dont nous avons hérité vivra longtemps un peu grâce à nous, beaucoup grâce à l'Afrique et grâce au Canada, devant les grandes langues qui se partageront le monde, nos arrière-petits-fils auront pour devise « Aimer les autres, adorer la sienne ».

La Francophonie d'Onésime Reclus se veut d'abord enracinement, ensuite ouverture.

L'ouverture, chez lui, ne s'arrête pas seulement à la diffusion de la langue française, mais elle consiste aussi à apprendre d'autres langues, car « tous les hommes instruits de la terre savent au moins deux idiomes, le leur et le nôtre »488. La Francophonie reclusienne est implicitement un concept d'enracinement et d'ouverture, et cela concerne uniquement les Français. Ce sont eux qui doivent aller vers les autres pour leur inculquer le français et apprendre la langue des autres. Cependant, le concept d'enracinement et d'ouverture sont rétablis dans leur sens premier par Léopold Sédar Senghor.

Lorsque Senghor parle d'enracinement et d'ouverture en Francophonie, il faisait allusion, sans doute, au Négro-Africains. En effet, la rencontre des peuples de civilisations différentes au cours de l'histoire africaine sans oublier l'esclavage, la traite négrière et la colonisation ont donné lieu à des mutations profondes dans la manière de faire, d'agir, de parler et de s'habiller faisant de l'Africain un déraciné, dépouillé de son histoire et de son identité culturelle. On peut dire qu'il est étranger à lui-même. L'Africain, conscient de ces mutations d'ordre social et culturel, est appelée à réviser sa façon de faire et d'être, c'est dire de sa culture. D'où le concept d'enracinement chez Senghor. Car « l'Africain pour trouver son équilibre doit s'enraciner, se réconcilier avec lui-même, avec ses réalités. »489 En effet, comme le stipule Koutchoukalo Tchassim,

L'esclavage et la colonisation ont favorisé l'ouverture de l'Africain à d'autres races, à d'autres cultures. Cette ouverture, surtout au temps colonial, a occasionné chez lui l'assimilation de la culture du colonisateur. Mais conscient du malaise provoqué par cette assimilation à savoir le mépris et la destruction des valeurs africaines, de la nécessité de réhabiliter ces valeurs, [...] Senghor [...] adopte un ton plus conciliant [...]490

488 Idem., p. 429

489 Pathé DIAGNE, « Renaissance et problèmes culturels en Afrique », Introduction à la culture africaine, Unesco 10/18, Paris, 1977, p. 246

490 Koutchoukalo TCHASSIM, « La quête de la civilisation de l'universel chez les écrivains africains : Léopold Sédar Senghor et Félix Couchoro », op. cit., p. 42

113

L'ouverture de l'Africain est brusque et humiliante, Senghor ne peut la nier. Mais, il use d'un ton plus conciliant pour l'exprimer et pour pardonner491 le bourreau afin de redéfinir l'ouverture, car « l'ennemi d'hier est un complice, qui nous a enrichis en s'enrichissant à notre contact »492.

Il fallait, pour acquérir les connaissances et les valeurs culturelles du colonisateur,

l'accepter et s'ouvrir à lui493 [car la volonté de Senghor] de pardonner après avoir récriminé contre la France l'amène à la réconciliation, à l'acceptation de l'Autre494.

Accepter l'Autre, le colonisateur, et s'ouvrir à lui est aussi chez Senghor de retourner à ses propres racines et de les exprimer de manière authentique. Mieux, la Francophonie consiste, à la fois, à s'enraciner dans ses propres valeurs culturelles et s'ouvrir aux apports féconds des autres civilisations et cultures, comme le justifie Ibrahim Diop :

Avec le concept de Francophonie, Senghor ne voulait en aucun cas occulter ou perdre de vue les valeurs, la richesse des langues et cultures négro-africaines. L'ouverture aux peuples et cultures qu'il prône n'exclut nullement la sauvegarde précieuse des valeurs linguistiques et culturelles [...]495

C'est pourquoi, Senghor asserte que

La Francophonie doit être ce que nous appelons au Haut Conseil une communauté plurielle. C'est très important. Chacun doit d'abord s'enraciner dans son continent, dans sa nation, dans sa culture de sorte que partout, si j'étais Corse, je m'enracinerais d'abord dans la « corsitude », si j'étais Basque, ce serait dans la « basquitude », mais pour le moment, je m'enracine dans la négritude. Et je crois que nous avons tous beaucoup à apporter car le français comme langue représente, au demeurant, une culture de synthèse, de symbiose. [...] Il s'agit donc de nous enraciner mais de nous ouvrir en même temps à cette civilisation de l'universel qui est la Francophonie496.

Dans ce propos ci-dessus, Senghor dit que la Francophonie est, d'abord, un enracinement, puis une ouverture à la Francité. Cela dit s'enraciner dans la Négritude et s'ouvrir à la Francité, parce que, si nous « renversons la proposition pour être complets : la Négritude, l'Arabisme, c'est aussi vous, Français de l'Hexagone. Nos valeurs font battre, maintenant, les livres que vous

491 Nous aborderons le pardon dans la partie deux de ce présent travail.

492 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit, op. cit. (loc. cit.), p. 841

493 Koutchoukalo TCHASSIM, op. cit., p. 43

494 Note sur Senghor, op. cit.

495 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 11

496 Léopold Sédar SENGHOR, « Colloque des Cent, 15 février 1986, l'Arbre à palabre des francophones », Dossier Thématique, AFI, op. cit., p. 329

114

lisez, la langue que vous parlez : le français, Soleil qui brille hors de l'Hexagone. »497 De ce fait, on peut alors parler de communauté plurielle avec la Francophonie. Elle est aussi la Civilisation de l'Universel.498 Senghor dit également que la langue française est la langue d'une culture de synthèse, de symbiose. Nous comprenons dès lors que la Francophonie est une culture de synthèse et de symbiose. Mieux, elle est une culture hybride nécessitant la participation de la Négritude et de la Francité avec une langue française enrichie des apports des langues africaines.

Cependant, il faut que les langues africaines soient revalorisées afin que la synthèse soit effective pour la culture francophone. Cette culture est la Civilisation de l'Universel selon Léopold Sédar Senghor. Sophie Croisset et Anne-Rosine Delbart disent que

[...] pour Senghor [...] la langue et la culture françaises doivent aider à développer les langues et les cultures africaines qui viendront, en retour, enrichir la langue et la culture françaises pour faire du français « la langue de culture de la Civilisation de l'Universel »499.

Ce que Senghor semble ignorer est que la langue fait les peuples, et contribue à transformer leurs modes de pensée et leurs valeurs. En d'autres mots, Senghor feint d'ignorer le fait que la langue est un élément d'assimilation. Parler la langue de l'autre, c'est être assimilé culturellement. Cette ignorance le conduit à nier toute forme d'assimilation de l'homme noir par la langue française et à inviter à assimiler et à refuser le fait d'être assimilé, car, selon lui, la culture consiste à assimiler non à être assimilé. Et cela est au centre même de sa conception de la Francophonie, comme le justifie Mongoné Seck :

Au fait, au centre de sa conception de la francophonie se trouve cette idée que

l'Afrique Noire doit aussi, tout en assimilant l'essentiel des qualités fécondes du français, préserver, sauvegarder ses langues.500

Pour Senghor, la langue française ne doit en aucun cas poser un problème : « L'usage du français en Afrique ne doit pas, selon L. S. Senghor, devenir cause de la régression et de la disparition des langues africaines »501. Nous devrons au contraire dépasser le problème de la langue française pour aller de l'avant. Cependant, ce mouvement vers l'avant nécessite bel et

497 Léopold Sédar SENGHOR, Esprit, op. cit. (loc. cit.), p. 844

498 Nous le verrons dans la deuxième partie de notre travail.

499 Sophie CROISET et Anne Rosine DELBART, « Marginalité, identité et diversité des ?littératures francophones? : présentation du dossier », Le langage et l'Homme, vol. XXXXVI, n°1 juin 2011, p. 3

500 Mangoné SECK, op. cit. 501Idem.

115

bien un retour aux sources. Conscient de cette réalité, il organise en avril 1966 le premier Festival des Arts Nègres à Dakar pour affirmer, d'abord, que l'Afrique a une culture, puis inviter les Négro-Africains à s'intéresser à leur culture qui définit leur identité, et enfin permettre à l'Afrique de s'ouvrir à nouveau au monde occidental par le biais de sa culture.502 Car, avance Olga Balogun,

Il n'est pas douteux que l'art, tel qu'il se manifeste dans un groupe social par le chant, la danse, la musique, la décoration, la sculpture, la peinture, les mythes, etc., permet d'en définir la culture et contribue en même temps à lui donner le sentiment de son identité et de sa capacité d'agir en tant que groupe.503

Senghor est convaincu que les arts sont un fait de civilisation, le reflet de valeurs idéologiques, un mode d'expression et de pensée permettant de mieux comprendre le monde, la vision de l'univers, de Dieu, de l'homme, des êtres et des choses, de mieux apprécier sa culture et de rester soi ; car, selon lui, la civilisation se définit comme l'ensemble des valeurs morales et techniques d'un peuple donné à tel moment de son histoire, et leur expression en oeuvres concrètes504. Cette conception de Senghor des arts lui permet de dire que la culture est la civilisation en action, voire l'esprit de la civilisation. Pour participer à la Civilisation de l'Universel, il serait bon que chacun s'enracine dans sa culture, que chacun demeure tel qu'il est pour s'ouvrir à d'autres cultures. Senghor est aussi convaincu que les Arts se ressemblent tous, qu'il y a des affinités entre l'Art nègre et l'Art gaulois :

J'ai été frappé, l'autre année, en visant l'Exposition d'Art gaulois, des affinités de cet art et de l'Art nègre. Comment expliquer cette ressemblance si ce n'est par le substrat passionnel de la raison intuitive ! J'ai fait ce jour-là deux découvertes. La première est que, si les Gaulois ne sont pas nos « ancêtres », à nous, les Nègres, ils sont nos cousins. La deuxième est que, comme eux, nous pouvons, au « rendez-vous du donner et du recevoir » que constitue la Francophonie, rendre, au génie méditerranéen, une partie au moins de ce qu'il nous a donné505.

Parce qu'enraciné dans sa culture, Léopold Sédar Senghor a pu constater qu'il n'y a pas de différence dans les Arts. Ils sont universels. Cependant, ce sont les moyens pour l'exprimer qui sont différents. De ce fait, si les Arts permettent de définir la culture, alors la culture est la même partout, sauf les moyens expressifs de cette culture qui diffèrent. Pour cela, Senghor

502 « C'est l'objectif majeur du Festival Mondial des Arts Nègres de 1966 : Faire voir au monde entier en quoi consiste l'esthétique négro-africaine dont le sens et les subtilités ne doivent pas échapper au répertoire universel de l'Art », nous dit Mangoné SECK, op. cit.

503 Olga BALOGUN, « Formes et Expression dans les arts africains », Introduction à la culture africaine, UNESCO 10/18, Paris, p. 50

504Cf. Liberté I, p. 101/ Koutchoukalo TCHASSIM, op. cit., p. 43

505 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., pp. 88-89

116

préconise une Francophonie acculturée506, c'est-à-dire une Francophonie qui permet d'intégrer sa culture à la culture de l'Autre. Pour arriver à cette Francophonie acculturée, il faut s'enraciner dans sa culture, comme Senghor l'a fait dans la sérénité (la sénégalité), pour s'ouvrir ou pour assimiler l'autre culture sans détériorer sa propre culture. Cela est possible par une maîtrise de la langue « [...] car chaque langue est à la fois la manifestation immédiate et formelle de la culture d'un peuple, d'une civilisation. »507 Et, parce qu'« il n'est pas question de renier les langues africaines »508 à la Francophonie. Cet enracinement en sa culture et cette ouverture en la culture de l'Autre ont permis de voir en Léopold Sédar Senghor trop Africain pour les Occidentaux et trop Occidental pour les Africains. Aujourd'hui il est question de savoir si la voix de Léopold Sédar Senghor a été entendue par les parlants français concernant son appel à l'enracinement et à l'ouverture.

Nous savons qu'aucune culture ne se développe et ne s'épanouit de manière autarcique, et qu'il y a un conflit culturel né de l'occupation coloniale du continent africain par les puissances d'Europe occidentale. Mieux, sous l'influence de la culture de l'Europe occidentale, à la suite de la colonisation, la culture africaine a été modifiée. Pour dire, les mythes, les contes, les devinettes, les proverbes, la poésie, le chant, la danse, la musique, la sculpture, la peinture, la décoration, etc. , en un mot la culture africaine est encore mal étudiée et mal connue d'abord par les Africains eux-mêmes et enfin par les Occidentaux. C'est pourquoi Alpha Ibrahim Sow affirme qu'

Une longue période de recherche et d'étude de la réalité culturelle africaine

s'ouvre en effet devant nous, tant il est vrai que, pour l'essentiel, nos grandes valeurs de civilisation restent encore à découvrir, à analyser, à conceptualiser [...]509

Il est vrai lorsqu'il affirme que « nos grandes valeurs de civilisation restent encore à découvrir, à analyser, à conceptualiser », mais il ne dit pas ce qu'il faut faire pour les découvrir, les analyser et les conceptualiser. Ce qu'il faut faire, c'est avec Senghor que l'on le saura, lorsqu'il propose la Francophonie comme concept d'enracinement et d'ouverture. Que faisons-nous aujourd'hui avec la Francophonie de ce concept d'enracinement et d'ouverture, clamé par Senghor ? Ne pouvons-nous pas dire qu'aujourd'hui en Afrique il y a une méconnaissance de soi et une connaissance de l'Autre ? Dans les universités occidentales, enseigne-t-on réellement la culture négro-africaine ? Que font les Africains pour leur culture ? L'Afrique n'est-elle pas

506 Nous y reviendrons.

507 Mangoné SECK, op. cit.

508 Léopold Sédar SENGHOR, «Le français, langue de culture », loc. cit., p. 843

509 Alpha Ibrahim SOW, op. cit., p. 36

117

grande consommatrice de la culture de l'Autre, de l'Occident ? Si tel n'est point le cas, consomme-t-elle sa propre culture ?

Le déracinement en Afrique est à tous les niveaux, peut-on insinuer. Il n'y a pas de véritable enracinement en Afrique. En effet, l'Africain, au contraire, a adopté la culture occidentale à telle enseigne qu'il s'y identifie comme si c'était la culture de ses vrais ancêtres. D'abord, dans le domaine socio-culturel, il y a non seulement l'adoption des modes de pensée occidentale, mais aussi l'adoption des us et coutumes de l'Occident. Cela est mis en évidence par les religions révélées, les tenues vestimentaires, les mets culinaires, l'architecture des villes africaines, voire des villages,... Ensuite, dans le domaine économique, l'Afrique s'est appropriée le mode occidental de production de richesses avec des notions incompréhensibles, pour l'Africain lambda, telles que le capitalisme, le socialisme, le libéralisme... Ce calque du système économique occidental biaise donc le système économique négro africain. Les deux systèmes sont incompatibles. Enfin, dans le domaine politique, il faut reconnaitre que l'Afrique a abandonné le système de gouvernance traditionnelle pour adopter les systèmes politiques occidentaux faisant perdre la place de commandement aux dignitaires coutumiers, chefs et rois traditionnels. Ces garants des us et coutumes africains deviennent des pantins dans ces systèmes politiques occidentaux. Le mode de vie et culturel de l'Afrique et de la plupart des pays parlants français de la Francophonie est un mimétisme permanent ou normatif du mode de vie et culturel de l'ancien maître, l'Occident. Albert Tevoedjré partage cette idée en affirmant que

Cet intellectuel africain ne peut oublier que 1960 a mis un terme définitif à l'omnipotence du mépris racial et culturel qui fonde l'esclavage et la colonisation. [...] Hier, pas d'universités, peu d'ingénieurs, peu d'infrastructures. Tout cela a bien changé. Mais ce qui n'a pas changé et qui paraît grave, c'est la prise en charge par les Africains d'un système économique qui les maintient dans la dépendance. Ce qui n'a pas changé, c'est le style de commandement, de gestion des affaires publiques, c'est le mimétisme permanent du mode de vie de l'ancien maître.510

Il y a donc un délaissement total, voire une négligence totale des valeurs culturelles négro-africaines. Les cultures africaines sont méconnues à telle enseigne que les artistes musiciens, plasticiens, écrivains, etc. (rares sont ceux qui valorisent leur culture) préfèrent la culture occidentale que la leur. C'est donc ce constat qui fait dire que

La conception senghorienne de la Francophonie s'impose impérativement à l'Africain d'aujourd'hui qui s'efforce à raisonner comme Descartes, Verlaine, Hugo, ou à s'habiller comme les stars de cinéma ; et non comme Zadi Zaourou, Camara Laye, Jean-Marie Adiaffi, ... Parce que la poétique de la Francophonie, c'est du

510 Albert TEVOEDJRÉ, « Cinquantenaire...d'indépendances ? », Afrique-Asie, mai 2010, pp. 60-61

118

Verlaine, de Hugo, de Claudel, de Senghor, des griots, des poétesses sénégalaises, de la tradition africaine...511

Avec la Francophonie senghorienne, on est invité à apprendre à se connaître d'abord, et apprendre à connaître l'Autre ensuite. On remarque qu'en Afrique, on a une méconnaissance totale de soi, mais une connaissance de l'Autre ; qu'on a une méconnaissance de sa littérature, de son Art, de sa culture. La preuve est que les Littératures et Civilisations Africaines sont introduites dans l'enseignement supérieur récemment, pour être plus juste, nous dirons à partir de 1980. Même en Europe, l'engouement d'autrefois n'est plus. C'est de façon occasionnelle que la littérature africaine est étudiée dans les universités européennes, en particulier françaises. Si elle est étudiée, c'est Léopold Sédar Senghor qui est au programme ou parfois Aimé Césaire dans le but d'appréhender la Négritude. Encore une fois, la Francophonie en tant que concept d'enracinement et d'ouverture est loin d'être une réalité pour les Africains.

Cependant, du mimétisme permanent ou normatif du mode de vie et culturel occidental, l'on est passé au besoin pressant d'exprimer son identité culturelle. Cela se manifeste à travers une volonté d'avoir sa propre culture et de parler de façon conventionnelle sa propre langue, mieux à travers une volonté de revalorisation de sa culture et des langues locales. Dans ce sens, certains pays africains ont, à côté du français, une langue locale comme une langue nationale. Par exemple, le Sénégal avec le wolof, le Mali avec le bambara. D'autres, par contre, ont une autre option pour revaloriser les langues et les cultures. C'est le cas de la Côte d'Ivoire avec le Marché des Arts et du Spectacle Africains (Masa), le Festival du Zanzan, l'Abissa ou l'introduction dans l'enseignement primaire l'étude des langues locales.512 Peut-être, avec la Francophonie, on pourra alors dire à chacun sa culture, à chacun sa langue sans exclure la langue française, car elle demeurera la langue en partage. Tous les pays francophones ont ce ressentiment, celui d'être soi culturellement et de s'ouvrir à l'Autre, et c'est ce que propose Léopold Sédar Senghor avec la Francophonie qui consiste à s'enraciner dans la Négritude et à

511 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 108

512 Enseigner les langues locales à l'école est un projet. Et ce projet est encore à la traine en Côte d'Ivoire, peut-être il ne sera jamais réalisé car « [les langues locales] ne jouissent d'aucun statut juridique véritable et de ce fait elles sont en réalité privées de toute possibilité d'action légale. Bien qu'elles aient un rôle identitaire fort et dominent dans les usages linguistiques quotidiens, ces langues restent confinées dans la marginalité par rapport à la vie des institutions de l'État. Leur emploi se limite aux milieux familiaux et ruraux » (Issa Sangaré YERESSO, « Medias et langues nationales en Côte d'Ivoire »), bien qu'elles « possèdent tous les moyens lexicaux et syntaxiques qui leur permettent de s'adapter à l'évolution de leur environnement » (J. et M. J. DERIVE, « Francophonie et pratique linguistique en Côte d'Ivoire »). Cependant, il faut le reconnaître qu'avec l'Institut de Linguistique Appliquée (ILA) la Côte d'Ivoire a aujourd'hui des moyens pédagogiques sérieux pour assurer une meilleure promotion des langues locales ivoiriennes dans la vie publique et culturelle de la nation et pour les introduire dans l'enseignement officiel du pays.

119

s'ouvrir à la Francité pour les Négro-Africains, et pour les Français à s'enraciner dans la Francité et à s'ouvrir à la Négritude, tout en préservant l'identité culturelle individuelle.

Léopold Sédar Senghor souhaite que le concept de Francophonie soit un concept d'enracinement et d'ouverture, un concept qui préconise à la fois la connaissance de soi et la connaissance de l'Autre, animé d'un esprit de solidarité pour la sauvegarde des langues locales. Car, c'est à travers les langues que se perpétue la culture. Il faut s'approprier cette Francophonie pour la promotion des langues locales africaines. Il n'est pas question de les renier. Léopold Sédar Senghor l'avait déjà dit. Il faut que les langues locales jouissent d'un statut juridique véritable et qu'elles aient toute possibilité d'action légale en rapport avec la vie des institutions de l'État. Que leur emploi ne se limite plus aux milieux familiaux et ruraux, mais qu'il s'étende à tous les niveaux afin de définir l'identité culturelle. C'est ce combat que doit mener la Francophonie, au lieu de se targuer d'avoir remporté la bataille pour la diversité linguistique et culturelle à l'Unesco.513 Et, si elle gagne ce pari ou ce combat, nous serons dans l'obligation de reconnaître qu'elle est un concept d'enracinement et d'ouverture comme scandait poétiquement Léopold Sédar Senghor.514 Certes, les artistes, les écrivains, les musiciens, etc. négro-africains trouvent la notoriété en Europe qu'en Afrique, et les Occidentaux investissent en Afrique. Cependant, il faut reconnaître que beaucoup restent à faire pour que la Francophonie soit ce qu'elle prétend être, malgré le programme Élan-Afrique, lancé en 2012 dans le but d'améliorer la qualité de l'enseignement du français, mais aussi des langues d'Afrique subsaharienne : le Benin, le Congo, le Burkina- Faso, le Burundi, le Cameroun, le Mali, le Niger, la RDC et le Sénégal.515

L'enracinement des Négro-Africains en leurs langues et cultures ne signifie pas un abandon de la langue française. C'est plutôt une invitation à valoriser sa langue, sa culture, une invitation à rester soi-même d'une part et d'aller vers l'Autre d'autre part. Par cet enracinement, le Négro-Africain retrouvera son équilibre, son être. Parler la langue de l'Autre pour l'Afrique est un fait irréversible car elle a été une langue d'ouverture pour l'Afrique, et parce que physiquement, moralement, mentalement, intellectuellement et religieusement l'Africain est

513 L'OIF se réjouit d'avoir contribué à l'adoption de la convention sur la protection de la diversité culturelle et des expressions artistiques le 20 octobre 2005 par l'Unesco.

514 La Francophonie est consciente qu'il faut valoriser les langues africaines comme nous pouvons le voir avec la Déclaration de Moncton, article 9 : « La pluralité des langues et la diversité des cultures constituent des réalités qu'il faut valoriser. Dans cet esprit, nous devons continuer à soutenir la promotion et la diffusion de la langue française qui nous rassemble comme celles des cultures et des langues partenaires qui font nos identités et la richesse de notre communauté f...] », VIIIème Sommet de la Francophonie, septembre 1999, Moncton, Canada. Disponible sur le site : [ http://www.francophonie.org/oif/actions/pdf/Declaratio-de-Moncton.pdf]

515 Beaucoup restent à faire surtout au niveau de la littérature négro-africaine, nous pensons qu'il est temps que les écrivains négro-africains écrivent des oeuvres en leur langue locale. C'est ainsi que nous pouvons parler effectivement d'enracinement et d'ouverture en Francophonie du côté africain.

120

occidentalisé, de la tête à l'orteil. Rien n'est épargné chez lui, peut-être, sauf la couleur de sa peau. L'Africain est une copie de l'Européen. Et comme toute copie se différencie de l'original, l'Africain ne sera jamais un Européen, et un Européen ne sera jamais un Africain, même s'il a beau épousé la Négritude. L'âme nègre, selon Léopold Sédar Senghor, n'a jamais été affectée ni assimilée. Il faut la préserver par un retour aux sources à travers les langues locales, véhicules de la culture. Et quant à la France, de son côté, elle doit accepter de se « décoloniser culturellement » et laisser sa langue s'enrichir des apports des Francophones aux niveaux de la chanson, le théâtre, la poésie, le roman, etc. Par le mariage avec les langues déjà parlées dans les pays francophones, telles que le créole, l'arabe, le berbère, le lingala, les langues africaines..., le français trouvera sa place et sa justification. C'est pourquoi, la Francophonie devrait encourager les pays africains à l'enracinement pour la revalorisation de leur langue, et la France, le Canada, la Belgique, la Suisse, etc. à l'ouverture pour le rayonnement de la langue française. C'est le voeu d'Ibrahim Sow :

Nous attachons la plus grande importance aux langues négro-africaines dans l'appréciation des possibilités de développement du français. Cela signifie en aucune façon que la progression de l'un suppose le dépérissement des autres (...) En fait, c'est dans un rapport de complémentarité que le français trouve sa place et sa justification. Son rôle et son avenir dépendent donc, au premier chef, du rôle qui sera reconnu aux langues africaines.516

Par la Francophonie, les peuples et les races sont appelés à s'enraciner en leur culture d'origine et à s'ouvrir à d'autres cultures afin que chaque peuple ou race puisse préserver son identité culturelle, sa langue, sa culture et participer au rayonnement de la langue française, enrichie des apports linguistiques de ces parlants français. Cela est l'enracinement et l'ouverture en Francophonie selon Senghor, car « on ne peut pas développer harmonieusement des cultures et des valeurs que l'on ignore, que l'on néglige ou que l'on méconnaît ».517

La Francophonie est une notion qui sous-entend enracinement et ouverture à la fois linguistique et culturelle. Cela est valable tant chez Onésime Reclus que chez Léopold Sédar Senghor. Pour Onésime Reclus, le fait que la France accepte tous ceux qui parlent le français est une ouverture qu'elle fait aussi bien du côté des parlants français que de la France elle-même. En effet, avec la langue française, la France s'ouvre non seulement sur les pays où le

516 L. DUPONCHEL, « Le français en Côte d'Ivoire au Dahomey et au Togo », ILA, Abidjan, 1974

517 Alpha Ibrahim SOW, op. cit. (loc. Cit.), p. 37

121

français est susceptible de progresser et de se maintenir dans le rang des langues qui ont de nombreux locuteurs, mais ce sont aussi les pays des locuteurs de la langue française qui s'ouvrent à la France, parce que fertiles à l'implantation du français. L'ouverture, chez Onésime Reclus, est également le refus de l'autarcie linguistique. Il trouve aberrant que les Français se contentent uniquement du français sans vouloir chercher à apprendre d'autres langues, tandis que les autres parlent la leur sans oublier leur propre langue. Cette autarcie (la langue française se suffit à elle-même) peut lui faire perdre sa notoriété universelle. Raison pour laquelle, il invite les Français à s'acquérir d'autres langues pour se sentir dans le monde ou pour être plus regardant de l'extérieur. Ce fait d'apprendre d'autres langues, pour Onésime Reclus, est une ouverture de la France vers l'extérieur. Chez lui, la Francophonie est aussi un concept d'ouverture culturelle, car la langue française véhicule la culture française. C'est également pareil avec les autres langues que la France décidera d'apprendre, c'est-à-dire en ces langues, elle s'ouvre à d'autres cultures, différentes de la culture française.

La récupération senghorienne de la Francophonie ne lui ôte pas le caractère d'ouverture, bien au contraire, elle acquiert l'autre caractère, celui de l'enracinement. Senghor estime que la langue française a permis aux pays africains, ex-colonies françaises, d'être ouverts sur l'extérieur, d'être vus et compris. Mais, ce qui importe, ce n'est pas de se renier ni renier les langues et cultures africaines, c'est ce retour que l'Africain doit faire en sa culture et à sa langue maternelle pour demeurer soi-même sans être une copie conforme de l'Occident. Ce retour dont parle Senghor est l'enracinement. Par cet enracinement, il entend par là connaître sa propre culture afin de pouvoir la développer, la préserver et la présenter à l'Autre, à l'extérieur. En connaissant mieux sa culture, on peut s'adapter facilement à l'évolution rapide du monde. Il voulut que la Francophonie soit le catalyseur de l'enracinement et de l'ouverture des Francophones. Autrement dit, la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor se veut d'abord enracinement en soi, et confirmation de soi avant de s'ouvrir aux autres aires culturelles, et de jeter des ponts vers toutes les cultures du monde en établissant les différences et les similitudes, les divergences et les complémentarités, en engageant un dialogue fécond fondé sur le respect mutuel. Ce voeu de Léopold Sédar Senghor ne semble pas être une réalité car la libre circulation des Francophones dans les pays francophones demeure un problème irrésolu. Il y a le fait aussi que certains pays africains francophones n'aménagent aucunes conditions pour valoriser leur culture et leurs langues locales, mais ils sont prêts à encaisser les subventions de l'OIF (cela est un autre problème à élucider). Il y a également le fait qu'une langue et une culture sont privilégiées, celles de la France, au sein de la Francophonie. Ce sont ces quelques problèmes parmi tant d'autres qui font de l'enracinement et l'ouverture une notion utopique. En remédiant

122

à tous les problèmes obstruant l'enracinement et l'ouverture en Francophonie, le voeu de Léopold Sédar Senghor sera une réalité.

Onésime Reclus et Léopold Sédar Senghor, en préconisant l'ouverture, savent que les langues et les cultures interagiront. Au lieu d'un choc linguistique et culturel, il y aura peut-être une diglossie ou une culture métissée. N'est-ce pas cela que Senghor appelle la Civilisation de l'Universel ? N'est-ce pas aussi cela la culture francophone ? Nous savons que l'enracinement et l'ouverture impliquent aussi la notion de dialogue des cultures. Cela semble vouloir dire que la Francophonie est aussi une notion de dialogue des cultures. Mieux, la Francophonie, en tant que concept d'enracinement et d'ouverture, permet d'aborder sous un autre angle la façon dont les enjeux ethniques, raciaux, identitaires, idéologiques et culturels s'entremêlent, interagissent ou dialoguent. Pour être plus juste, demandons-nous, si la Francophonie est-elle une notion de dialogue des cultures. Si tel est le cas, ce dialogue est-il possible ? Quels sont les enjeux que cela implique ? Sur quoi aboutira ce dialogue des cultures ?

123

2. UNE NOTION DE DIALOGUE DES CULTURES

Nous avons tenté de montrer que la culture d'un peuple est indissociable de sa langue. Ce qui sous-entend que la Francophonie, dont le fondement est la langue française, ne peut que véhiculer la culture française. C'est une vérité indéniable : « la culture d'un peuple est indissociable de sa langue et toute uniformisation des langues entraînerait, par conséquent, celle des cultures »518. La Francophonie peut prétendre être une notion de dialogue des cultures, par la valorisation des langues locales africaines afin qu'elles soient parlées comme le français. Cependant, on ne peut pas parler la langue de l'Autre, le français, et ignorer sa propre langue en se targuant de refuser l'uniformisation linguistique et culturelle. Refuser l'uniformisation linguistique et culturelle, c'est accepter la diversité linguistique et culturelle. Car, « f...] il n'y a pas de diversité culturelle pérenne possible sans diversité linguistique ».519 Cette diversité linguistique et culturelle, en Francophonie, implique aussi le dialogue des cultures, voire le dialogue des langues. En effet, comme le dit François Burgat,

Le « dialogue des cultures » ou « des civilisations » est un instrument des relations internationales dont la création est plus ancienne que la fortune médiatique, beaucoup plus récente. La centralité qu'il a acquise depuis le 11 septembre 2001 incite à se pencher sur les conditions de son fonctionnement au regard des objectifs qui lui sont assignés. Né dans les registres de la sociologie coloniale [...], il semble être longtemps demeuré dans le giron du discours savant. Inventé avant la Seconde Guerre mondiale, ce n'est que très récemment qu'il est devenu cette référence omniprésente du dispositif de communication et de « socialisation » entre le Nord et le Sud [...].520

Alors que, selon Michaëlle Jean,

[...] les risques d'uniformisation culturelle et d'exacerbation identitaire s'accroissent, la Francophonie continue d'accentuer le plaidoyer pour promouvoir le dialogue des cultures et des religions, ainsi que la vision d'un monde riche, mais aussi plus sûr, par sa diversité culturelle pleinement assumée.521

518 « Diversité culturelle », Rapport du secrétaire général de la Francophonie, 2002-2004, p. 72

519 Michel GUILLOU, « La Francophonie dans la mondialisation », `' Les dix-huitième entretiens `' du centre Jacques Cartier, Lyon, 2005

520 François BURGAT, le ?dialogue des cultures? : une vraie-fausse réponse à l'autoritarisme : Portée et limites du traitement culturaliste de la violence politique. Olivier, Vincent Geisser, Gilles Massardier, Michel Camau (dir.). Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires-Convergences Nord-Sud, La Découverte, pp.233-248, Recherches. <halshs-00366627>

521 Michaëlle JEAN, op. cit., p. 67

124

Il faut noter également que, par ce dialogue, la langue française phagocyte les autres langues en contact avec elle. Pour adoucir le ton, nous disons que « la langue française a pu enfin redonner la place à sa dimension humaniste [en s'enrichissant] au contact de peuples qu'elle a rencontrés »522 C'est ainsi que nous avons le français de la Côte d'Ivoire, de Mali, du Canada, de France avec leurs propres particularismes. Disons, à cet effet, que la Francophonie, en elle-même, suppose dialogue, car le français parlé diffère d'un Francophone à un autre : « [...] la francophonie n'est pas que du passé, elle est dialogue et elle se vit au jour le jour par des millions de personnes »523. Nous savons aussi que « derrière la langue, il y a des valeurs et des cultures en perspective, en opposition, en méfiance et en complicité ».524 Ce qui implique un choc de cultures, de civilisations. Cela est nié car, selon Babacar Ndiaye, « la Francophonie contredit toute idée de choc des civilisations. »525 Ce qui veut dire qu'il n'y a pas de choc de civilisations en Francophonie, mais des valeurs qui se contaminent mutuellement et s'intègrent dans une tension commune où « la langue française est une passerelle entre civilisations, cultures et peuples »526 ; mieux, le véhicule de valeurs et le facilitateur de dialogue entre les cultures. La langue française peut-elle faciliter le dialogue des cultures en Francophonie ? Le dialogue des cultures n'est-elle pas l'uniformisation des cultures ? Le dialogue des cultures n'est-elle pas utopique ? Ce dialogue n'aboutit-il pas à la Civilisation de l'Universel ? La Civilisation de l'Universel ne signifie-t-elle pas uniformisation des cultures ? Si tel est le cas, la Francophonie serait prise dans son propre jeu ou piège.

Rappelons qu'en Francophonie, la diversité culturelle et linguistique se traduisent à la fois par la promotion du français et de la diversité, et le respect des autres langues pratiquées dans l'espace francophone. François Hollande affirme que

La francophonie n'est pas un cadeau simplement de ceux qui parlent français. La francophonie c'est un combat, un combat pour des valeurs, un combat pour la culture, un combat pour la diversité. Nous voulons donc ici, à l'occasion de cette visite d'État, promouvoir la francophonie.527

Dans un monde guetté par l'uniformisation, l'instauration d'un dialogue avec les autres aires linguistiques est un gage de diversité. Et, comme la Francophonie qui « est l'exemple par

522 Driss KHROUZ, « La diversité culturelle est dialogue », Revue internationale et Stratégique, 2008/3 (n° 71), p. 70 (p. 69-72)

523 Idem., p. 72

524 Ibidem., p. 71

525 Babacar NDIAYE, « Interculturalité et paix : la carte civilisationnelle huntingtonienne face au modèle senghorien de la Francophonie », Éthiopiques, n° 71, 2ème semestre, 2002

526 Driss KHROUZ, op. cit., p. 70

527 François HOLLANDE, déclaration au musée copte du Caire, 18 avril 2016, Disponible sur http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-au-musee-copte-du-caire

125

excellence de la diversité linguistique »528, parce que rassemblant des peuples sur les cinq continents, sait l'enrichissement qu'apportent la diversité et le dialogue des cultures et des langues. Raison pour laquelle, de la défense du français comme langue universelle, on est passé à la promotion de la diversité culturelle au dialogue des cultures. À cet effet, Alexandra Aizier affirme

Alors qu'elle paraissait désuète aux yeux de l'opinion publique, la francophonie refait surface et bénéficie aujourd'hui d'une nouvelle visibilité dans les médias. Alors qu'elle n'était associée qu'à la simple défense de la langue française, mission qui pouvait sembler déplacée dans un monde où toutes les barrières, toutes les frontières tendent peu à peu à s'effacer, elle s'attache désormais à la protection de la diversité culturelle et à la promotion d'un « dialogue des cultures »529.

Car, à « la Francophonie, c'est croire que la diversité est indispensable à l'équilibre du monde ».530 Nous devons donc revisiter la Francophonie d'Onésime Reclus et celle de Léopold Sédar Senghor pour nous rassurer que la Francophonie est une notion de dialogue des cultures.

L'approche d'Onésime Reclus de la Francophonie est marquée par son temps, où le dialogue des cultures tant prôné aujourd'hui est quasi inexistant, voire passé au second rang derrière une approche finalement assez nationaliste et colonialiste, pouvons-nous en déduire des propos de Luc Pinhas ci-dessous :

La persistance du rayonnement de la langue française, langue de la raison et langue de l' « universel », en dépend car les idiomes trop peu parlés céderont demain le terrain aux langues « utiles », estime-t-il, tant il est persuadé de l'importance du facteur démographique dans le devenir des équilibres géopolitiques et linguistiques. C'est dans ce contexte et dans ce dessein que Reclus forge le terme de « francophonie » et se lance durant près de quarante dans une comptabilisation infatigable des « francophones », et non avec une véritable volonté d'établir grâce au français un dialogue des cultures, comme certaines le laissent aujourd'hui à penser.531

Pour lui, il n'est pas question de dialogue des cultures ou des langues, car, dans son entendement, la langue des puissants doit phagocyter la langue des faibles ainsi que leurs cultures. Il est convaincu que « [...] les langues des peuples colonisants finiront en tout pays par étouffer les autres »532 langues. Dans les colonies françaises, il fallait imposer le français

528 Thi Hoai Trang PHAN, « les défis de la diversité culturelle et linguistique en francophonie », op. cit., p. 57 Elle dit que « la diversité est inhérente à la francophonie. Il suffit pour s'en convaincre de regarder de près l'extraordinaire mosaïque des pays francophones sur les cinq continents », p. 57

529 Alexandra AIZIER, « La Francophonie, entre `' dialogue des cultures» et ambition politique au lendemain du sommet de Beyrouth », Mémoire de fin d'étude, op.cit. p. 3

530 Christian PHILIP, « Une Francophonie solidaire », Pourquoi la francophonie ?, op. cit., p. 64

531 Luc PINHAS, « Aux origines du discours francophones », op. cit., pp. 81-82

532 Onésime RECLUS, France, Algérie et Colonies, op. cit., p. 439

126

pour que ces colonisés aient le français comme langue commune afin de mieux les contrôler, estime Onésime Reclus :

Cette oeuvre consiste à assimiler nos Africains, de quelque race qu'ils soient, en

un peuple ayant notre langue pour langue commune. Car l'unité du langage entraîne peu à peu l'union des volontés.533

À cet effet, François Provenzano affirme

La Francophonie (d'Onésime Reclus), dans cette acception initiale, n'est donc pas un espace de partage, mais bien un projet d'expansion. Autrement dit, le projet « francophone » de Reclus se définit bien plutôt a) par sa perspective franco-centré, b) par sa conception démographique et territoriale, c) par sa visée impérialiste534.

La Francophonie d'Onésime Reclus est aussi une lutte contre les autres grandes puissances linguistiques et économiques du monde comme l'anglais, l'espagnol. Cela est souligné par François Provenzano : « Le projet francophone [de Reclus] s'inscrit donc dans une lutte de concurrence avec les autres grandes puissances linguistiques et économiques du monde ».535 L'idée de partage ou de dialogue des cultures, dans la Francophonie d'Onésime Reclus, est un leurre que certaines personnes masquent aujourd'hui pour en faire une réalité, c'est-à-dire on veut nous faire croire que la Francophonie reclusienne est une notion de dialogue des cultures et de partage linguistique tout en refusant d'admettre qu'elle est une soumission à un impérialisme français, une arme contre les autres mondes culturels et linguistiques. Comment, peut-on parler de dialogue des cultures si Onésime Reclus estime que les langues des peuples colonisants étoufferont les autres langues sachant qu' « avec une langue, ce n'est pas qu'un outil de communication qui disparaît. C'est toute culture et une représentation du monde qui sont englouties »536 ? La Francophonie reclusienne est un facteur de domination avec les risques inhérents de frustration et de rejet engendrés par la colonisation. Elle est fille de la doctrine coloniale, projet d'expansion coloniale au service de la France :

Tout pour l'Afrique ! La France doit faire en Afrique ce que Rome fit dans le

monde ancien. Unification du langage ; routes & voies ferrées ; hygiène des villes,

533 Onésime RECLUS, Un grand destin commence, op. cit., p. 95

534 François PROVENZANO, « La `' Francophonie» : définitions et usages », Quaderni, n° 62, op. cit., p. 96

535 François PROVENZANO, « Francophonie et études francophones : Considérations historiques et

métacritiques sur quelques concepts majeurs », PORTAL Journal of Multidisciplinary Studies, Vol. 3, n° 2, July 2006

536 Thi Hoai Trang PHAN, « Les défis de la diversité culturelle et linguistique en francophonie », op. cit. (loc. cit.), p. 65

127

fertilisation des déserts ; tolérance & patience-grandeur future de l'empire africain-français.537

Seule une lecture rapide et dépourvue d'objectivité peut faire de la Francophonie reclusienne une notion de dialogue des cultures, comme le souligne Luc Pinhas :

Seule une lecture rapide et orientée peut donc faire de cet auteur l'apôtre d'un « dialogue des cultures » tel que prétend le promouvoir la Francophonie politique contemporaine et qui apparaît au demeurant quelque peu anachronique à la fin du XIXème siècle.538

Et Virginie Marie de dire que

L'étude approfondie de son ouvrage France, Algérie et Colonies, consacré à la théorisation de la colonisation républicaine à la fin du XIVème siècle, met en avant l'idée d'un nationalisme convaincu, assuré de préserver la langue française et la France d'un éventuel déclin539.

Le français était, depuis l'antiquité, la langue la plus parlée en Europe. C'était la langue universelle, et voici, qu'à l'époque d'Onésime Reclus, le XIXème, son règne touche visiblement à sa fin, c'est-à-dire perd sa notoriété en Europe, voire dans le monde. Onésime Reclus dit à ce sujet que

Le français jouit encore de la prépondérance que lui firent, il y a deux cents ans, la splendeur de la cour du Grand Roi, il y a cent ans l'esprit de ses écrivains, mais cette royauté touche visiblement à sa fin : l'anglais passe au premier rang, et derrière l'anglais s'avancent le russe, l'espagnol, et même le portugais grâce au Brésil.540

Pour cela, semble-t-il, il faut imposer le français dans ses colonies, dans le cas contraire, le déclin de l'idiome supérieur, du langage le plus vif et le plus civilisé de l'Europe, est inévitable.541 Et, Luc Pinhas de corroborer cette idée :

Or, c'est au nom de ces valeurs universelles et du progrès qu'elle (la France)

justifiera à ses propres yeux et à ceux du monde, la colonisation et l'imposition de sa langue, elle-même « universelle »542.

537 Onésime RECLUS, Un grand destin commence, op. cit., (incipit)

538 Luc PINHAS, loc. cit., p. 70

539 Virginie Marie, op. cit., p. 58

540 Onésime Reclus, France, Algérie et Colonies, op. cit. (loc. cit.), p. 419

541 Idem. p. 418

542 Luc PINHAS, op. cit., p. 75

128

Imposer, par extension, signifie forcer quelqu'un pour qu'il accueille une personne ou pour qu'il accepte une chose. Et, cela exclut toute sorte de dialogue possible. C'est cela le vrai visage de la Francophonie d'Onésime Reclus : engloutir les langues indigènes, les autres langues de l'Europe non civilisées pour l'hégémonie de la langue et culture françaises. En dehors de la France, toutes ces personnes, forcées à devenir ou à rester participants de la langue française font partie de la Francophonie, et sont appelées Francophones, selon Onésime Reclus. Au risque de nous répéter, nous dirons que la Francophonie reclusienne est une réflexion sur le destin colonial français, par conséquent, il n'y a pas de dialogue de cultures, mais une coercition linguistique et culturelle dans laquelle la langue française sera la langue des vainqueurs, donc universelle. C'est un projet d'expansion coloniale et d'assimilation.

L'approche de Léopold Sédar Senghor de la Francophonie est marquée par un humanisme intégral. Il a réussi à relier les valeurs du monde noir et du monde occidental dans une symbiose harmonieuse, semble dit Koutchoukalo Tchassim :

Parallèlement à la mission de valorisation et d'enracinement des moeurs africaines que s'étaient assignée la négritude et les premiers écrivains, précurseurs de la négritude se réalisait une autre, celle de la symbiose harmonieuse des différences qui séparent le monde noir du monde occidental543.

Mieux, estime Jean-Nicolas de Surmont,

D'un mouvement idéologique de décolonisation qui touchera tout autant les pays

de l'Afrique centrale que le Québec, la Négritude fait pour ainsi dire émerger un mouvement institutionnel et culturel d'abord, celui de la Francophonie.544

À partir de la Négritude, et de l'union entre la Négritude et la Francité, naîtra la Francophonie senghorienne. Autrement dit, il s'inspire de la Négritude où le dialogue des cultures est de mise pour définir la Francophonie, confirme Stella M. A. Johnson :

La symbiose qui caractérise l'unicité de la perception de Senghor quant à la Négritude (...) marque également la définition de la Francophonie par cet homme de Lettres. La Francophonie est pour lui un dialogue de cultures, un mariage voulu des pays pauvres avec les pays riches, une collaboration des pays du Nord avec les pays du Sud.545

En effet, la Négritude s'efforce à mettre en évidence les valeurs africaines et leurs caractéristiques, profondément importantes, permettant un apport pour la culture occidentale,

543 Koutchoukalo TCHASSIM, op. cit., p. 44

544 Jean-Nicolas de SURMONT, op. cit., p. 96

545 Stella M. A. JOHNSON, « L'apport de Léopold Sédar Senghor à la Francophonie », op. cit.

129

par leurs oppositions fondamentales, dans un but didactique.546 La Négritude, chez Senghor est dialogue avec l'Autre, constituée par l'ensemble des richesses culturelles du monde noir qui doit être une source tout aussi première et vitale pour la culture occidentale. C'est pourquoi, dira Petr Vurm que

La Négritude n'a pas pour objectif le combat mais la coopération, la lutte mais la

communication, socle d'une « véritable union » qui ne confond pas, mais enrichit en prenant en compte les différences.547

La volonté de Léopold Sédar Senghor est de faire communiquer, dialoguer toutes les cultures, en particulier celles de l'Afrique et de l'Europe, parce que « la culture est toujours porteuse du respect et de l'ouverture à l'autre, elle est écoute et dialogue, non exclusion ou mépris »548. Chaque culture possède ses savoirs, ses arts, ses arts de vivre, ses sagesses, ses superstitions, ses tabous et ses illusions qu'il faut conserver et les faire connaître. Senghor pense qu'en conservant sa culture, il faut aussi songer à s'ouvrir, et ce, par le biais de la langue française. En ce sens, Jacques Chevrier soutient qu'

Il lui faut à la fois conserver les vertus de l'humanisme nègre et s'ouvrir à la

modernité par le biais de la langue française considérée comme une arme précieuse et efficace.549

Convaincu que les cultures donnent et reçoivent, et dialoguent,550 Senghor propose la Francophonie qui résume sa conception de dialogue des cultures :

La Francophonie est une culture qui dépasse la langue seule, se conçoit comme le

moyen de faire participer les peuples qui font partie à la civilisation de l'Universel, seule détentrice d'un certain nombre de valeurs.551

Le monde noir, en participant au dialogue des cultures, doit y apporter quelque chose d'essentiel à la Civilisation de l'Universel552, à en croire Tanella Boni :

Il a ferme conviction que le monde noir apporte quelque chose d'essentiel à la

« Civilisation de l'Universel », là où chaque culture donne aux autres ce qu'elle a de

546 Confère Aude BÉLIVEAU, « La Négritude : une affirmation de soi pour le peuple noir », Disponible sur http://www.urban-culture.fr/documentation/la-negritude-.pdf

547 Petr VURM, op. cit., p. 55

548 Hervé BOURGES, « Pour une reconnaissance de la francophonies », p. 5

549 Jacques CHEVRIER, « Senghor militant de la Francophonie », op. cit.

550 Cf. Liberté I à V

551 Léopold Sédar SENGHOR, « Le Français en partage », Les 50 plus belle histoires, Timée Édition, novembre 2004

552 Confère Ce que l'homme noir apporte de Léopold Sédar SENGHOR, in Liberté I.

130

meilleur. La culture noire apporte le rythme, la vie, l'énergie, là où la culture occidentale est clarté, raisonnement, distinction cartésienne553.

La conception de Senghor du dialogue des cultures va de pair avec la Civilisation de l'Universel. Héritée de Teilhard de Chardin, la Civilisation de l'Universel n'est pas une fusion de toutes les civilisations en une seule ; ce n'est non plus l'unicité ou l'uniformité des cultures et civilisations, mais l'acceptation de ce que la culture de l'Autre a de positifs et de profitables pour enrichir sa propre culture. C'est en ce sens que Koutchoukalo Tchassim dit que

[...] la civilisation de l'universel serait donc une interpénétration des civilisations qui donne des civilisations hybrides acceptées par toute la race humaine. C'est une civilisation planétaire qui s'enrichit du « métissage » des cultures, chacune apportant aux autres son génie particulier et qui, ainsi, accomplit et parachève l'unité de l'aventure humaine554.

Chez Léopold Sédar Senghor, « la civilisation universelle est une civilisation qui inclut la civilisation et la culture africaine éliminée jusqu'ici »555 dont la Francophonie en est l'expression. Mieux, « la civilisation universelle doit donc nécessairement s'inspirer de la civilisation négro-africaine »556. La Francophonie est, en ce sens, l'expression du modèle culturel que l'Afrique veut tisser avec les autres cultures. La culture africaine se veut la soeur des autres cultures du monde, elle se veut être au même titre d'appréciation que les autres cultures. Et cela est possible à travers la Francophonie qui est un concept rassembleur de cultures diverses, l'expression la plus synthétique du dialogue des cultures, du rendez-vous du donner et du recevoir. C'est ce qu'amène Senghor à affirmer :

[...] comme eux, nous pouvons, au « rendez-vous du donner et du recevoir » que

constitue la Francophonie, rendre, au génie méditerranéen une partie au moins de ce qu'il nous a donné557.

Et d'ajouter,

Ce que la France nous a apporté d'essentiel, d'irremplaçable, plus qu'aucun pays d'Europe, c'est « l'esprit de méthode et d'organisation » comme j'aime à le dire, ou pour parler comme le rapport de Jeanneney, « un mode d'expression et une méthode de pensée ». Pour m'en tenir à l'Afrique, celle-ci a, depuis le début du siècle, beaucoup

553 Tanella BONI, « La Francophonie : espace et temps de partage ? », op. cit.

554 Koutchoukalo TCHASSIM, op. cit., p. 42

555 Toba MISUZU, op. cit., p. 110

556 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation de l'universel, L'Harmattan, 2013, p. 157

557 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie comme culture », op. cit., p. 140

131

apporté, singulièrement dans les domaines des Arts plastiques, de la Musiques et de la Poésie, sans oublier la Danse [...]558

Cet échange culturel des peuples, des nations, est la Civilisation de l'Universel559, dans laquelle la langue française n'est pas seulement la langue des Français, mais le vecteur d'une culture de l'Universel, parce que le français peut être l'expression de cultures autres que françaises. C'est le souhait de Senghor, pense Ibrahim Diop :

Senghor présente la Civilisation de l'Universel comme l'expression de la diversité dans l'unité, c'est-à-dire que tous les peuples, toutes les nations prennent part à un échange transnational, universel et interculturel avec leurs idées et valeurs linguistiques et culturelles560.

L'échange culturel ou le dialogue des cultures serait pour Senghor un tremplin pour faire dialoguer la culture africaine, la Négritude, avec la culture française, la Francité. C'est la raison pour laquelle, Gabriel de Broglie dit que la Francophonie senghorienne est « l'ensemble des valeurs exprimées par la langue, par la civilisation française au premier rang, mais aussi les autres civilisations de langue française. »561 De ce fait, nous comprenons maintenant la raison latente de l'affirmation de Stanislas Adotevi, à propos de la Négritude senghorienne : « c'est la manière noire d'être blanc »562, parce que la Francophonie que propose Senghor est un réceptacle où dialoguent Négritude et Francité. En d'autres mots, elle est une notion de dialogue des cultures dans laquelle la Négritude affirme l'aptitude de la Francité à exprimer le génie noir, la culture et la civilisation africaines, et des autres cultures et civilisations, d'où l'assertion de Senghor ci-dessous :

La Francophonie est l'usage de la langue française comme instrument de

symbiose, par-delà nos propres langues nationales pour le renforcement de notre coopération culturelle et technique, malgré nos différentes civilisations563.

Le fait de promotionner le français puis d'encourager le dialogue des cultures et le plurilinguisme ne représente pas un paradoxe en soi chez Léopold Sédar Senghor, car il n'avait aucun complexe d'ancien colonisé, et le français était aussi sa propriété. En réalité, il s'agit

558 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », op. cit.

559 C'est la raison pour laquelle René GNALÉGA dira que « cette civilisation de l'universel ne se fait pas par l'absorption des valeurs d'autres civilisations. » (Senghor et la civilisation de l'universel, p. 157)

560 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et dialogue interculturel » ; op. cit., p. 11

561 Gabriel de BROGLIE, « Senghor ou la nécessité de la langue française », discours prononcé le mardi 5 mars en hommage à L. S. Senghor à l'Académie des Sciences Sociales et Politiques, p. 95

562 Stanislas ADOTEVI, Négritude et négrologues, Paris, Union générale d'édition, 1972, collection 10/18, p. 207

563 Selon J. TShisunguwa TSHISUNGU, op. cit.

132

pour lui de proclamer à travers la langue française son attachement aux valeurs de la Négritude et de la Francité. La Négritude senghorienne n'est point une fiction. Elle est le fil secret qui s'y brode, parachève, au-delà de l'histoire coloniale, l'union des contraires, le métissage culturel par le biais de la langue française. Ainsi, la Francophonie senghorienne doit sentir nègre et s'exprimer tout simplement en français. De ce fait, le dialogue des cultures chez Senghor est le fait de sentir et de vivre sa Négritude, son Arabité, sa Canadanéité, sa Québécité, sa Sénégalité, son Ivoirité, sa Corsitude, sa Basquitude,... et de s'exprimer tout simplement en français, une langue riche des apports linguistico-culturels des Francophones. En fait, Senghor prône une culture francophone, dite la Civilisation de l'Universel. Avec sa conception de Francophonie, on sait ce qui implique davantage la notion de dialogue des cultures, qui, auparavant, était l'essence même de sa Négritude. Senghor se convainc et convainc les autres de la nécessité de faire de la Francophonie un humanisme de synthèse de toutes les cultures à la fois unies et diverses, répandues sur toute la terre. Dans une vision humaniste564 de dialogue culturel, Senghor oriente la Francophonie, héritée d'Onésime Reclus.

C'est à partir de la conception senghorienne de la Francophonie que le dialogue des cultures est prônée, parce que conscient, aujourd'hui, que la rencontre des peuples de civilisations différentes au cours de l'histoire a donné des mutations profondes, et que la langue unique est impossible. La Francophonie senghorienne devient ainsi un modèle par excellence d'échange d'idées qui prend en considération la particularité et l'individualité de chaque personne ou nation dont le médium est la langue française qui sera enrichie des apports linguistico-culturels des autres peuples ou nations. On voit bien comment une initiative culturelle, une décision de solidarité, de dialogue des cultures et de partage d'une même langue étaient aux sources mêmes de la Francophonie senghorienne. Cette conception est-elle comprise en ce vingt-et-unième siècle où l'on parle de mondialisation ou de globalisation ?

Dans ce vingt-et-unième siècle, la Francophonie (OIF) relève les défis de la mondialisation. Elle accueille en son sein des membres qui n'ont jamais été des colonies françaises ou belges afin de justifier la diversité culturelle et linguistique. Pour y arriver, elle devrait effacer toutes les traces de la Francophonie d'Onésime Reclus, de la Communauté Française et du pacte colonial qui en découlent, comme le souhaite Bégong-Bodoli Betina565 ; elle ne devrait pas être un instrument pour véhiculer les idéaux en cas de besoin de certains

564 « Il ne faudrait rappeler que ce sens humaniste de la Francophonie provient avant [tout] d'africaniste et constitue pour ainsi dire un prolongement du mouvement de la négritude », nous dit Jean-Nicolas de SURMONT, op. cit., p. 95

565 Bégong-Bodoli BETINA, op. cit.

133

États et gouvernements566, mais soucieuse du devenir de la culture, c'est-à-dire ce qui concerne les langues, les religions, les valeurs et les patrimoines culturels. Un pas a déjà été effectué avec l'adoption de la convention de la diversité linguistique et culturelle par Unesco dans laquelle « la Francophonie a refusé que les biens et services culturels soient assimilés à des marchandises comme les autres. »567La Francophonie du vingt-et-unième siècle doit accepter les « idéaux francophones aujourd'hui reconnus, tels que le dialogue des cultures, la conception européenne des libertés et de la démocratie, l'universalité des droits de l'homme, la diversité culturelle et linguistique, la primauté de l'éducation... »568 Elle ne devrait pas être également « aux antipodes du projet francophoniste senghorien. »569 Au contraire, elle devrait être, dans ce siècle de mondialisation, un état d'esprit, un réceptacle où viennent germer les différentes cultures. Elle devrait cesser d'être une politique trop souvent au service des intérêts des États et d'être un instrument de la France comme l'affirme Jean-Marie Borzeix570, pour être « véritablement un état d'esprit »571. La conception senghorienne de la Francophonie est le fait de permettre le dialogue des cultures dans une langue enrichie des apports de divers horizons, ou de faire la promotion de la diversité culturelle et le partage d'une même langue ; or aujourd'hui la conception contemporaine de la Francophonie prétend promouvoir la diversité linguistique et culturelle, et lutter contre la langue unique. C'est ce que dit Thi Hoai Trang Phan :

La Francophonie mène combat, au local comme à l'international, pour la diversité

linguistique et contre la langue unique, voulue par ceux qui, au nom de l'efficacité, choisissent l'uniformité pour accéder à l'universel.572

Selon les dires de Thi Hoai Trang Phan, la Francophonie est contre une langue unique, mais pour une diversité de langues. Que pourrons-nous dire de Senghor qui parle de partage d'une même langue ? Partager une même langue n'est-il pas avoir une langue unique ? Cela nous laisse perplexe si nous passons au peigne fin la conception senghorienne de la Francophonie.

566 Florent PARMENTIER relève un paradoxe dans l'attitude de la France vis-à-vis de la Francophonie : « Il y a d'ailleurs un paradoxe dans le fait que la France a pu utiliser la Francophonie comme levier pour faire reconnaître le principe de la diversité culturelle, alors même qu'elle ne le reconnaît pas suffisamment chez elle, et dans l'espace francophone. » (« À quoi sert la Francophonie à l'heure de la mondialisation ? » Terre Nova-la note, p. 5)

567 Thi Hoai Trang PHAN, « des dynamiques de la Francophonie », op. cit.

568 Idem.

569Aurélien YANNIC, « la francophonie et le dialogue des cultures : De l'exception culturelle à la convention de l'UNESCO », p. 8

570 Jean-Marie BORZEIX, « Notre nouvelle frontière », Après Demain, op. cit., p. 15 (Cette idée est partagée par Florent Parmentier, déjà cité).

571 Bruno BOURG-BROC, « Une Francophonie parlementaire », Après Demain, op. cit., p. 28

572 Thi Hoai Trang PHAN, « Les défis de la diversité culturelle et linguistique en Francophonie », op. cit., p. 66

134

Senghor convie le monde au dialogue culturel et au partage d'une même langue, ce qui sous-entend exprimer nos diversités culturelles à travers la langue française qui s'accommode à ou de la réalité de ce monde. Nous ne devons pas nous laisser éconduire par cette dichotomie d'idées et de conceptions. La Francophonie senghorienne s'adresse au monde francophone. En ce vingt-et-unième siècle, la Francophonie contemporaine -OIF- devrait être un exemple pour les autres aires linguistiques et culturelles, et symboliser, au-delà de la langue, la diversité afin de permettre effectivement le dialogue des cultures, concept cher à Léopold Sédar Senghor. Il faut qu'elle offre une garantie de diversité culturelle et linguistique en son propre sein573. L'essentiel en la Francophonie senghorienne est que la culture et la langue françaises doivent se greffer aux langues et cultures autochtones. Elle est également un modèle de dialogue proposé à la communauté des parlants français d'abord, et puis aux autres, en ce vingt-et-unième siècle, tout en refusant toute idée d'assimilation imposée574 comme modèle à imiter, et du néocolonialisme de certains ferrystes, voire gaullistes, nostalgiques du passé glorieux de la langue française et de la fougue aveuglante de conquête de la France.575

À l'origine de la Francophonie, il n'était pas question de dialogue des cultures. Au contraire, il s'agissait de phagocyter les autres cultures et langues pour la langue et culture françaises. Par la Francophonie, Onésime Reclus préconisait à la France de soumettre sa langue et sa culture à ses colonies. L'approche du dialogue des cultures, voire linguistique chez Onésime Reclus, est souterraine, marquée par la réflexion sur le destin colonial français. La Francophonie devrait, ainsi, être l'outil culturel et linguistique de la France impérialiste pour faire adopter sa langue et sa culture par ses colonies afin de barrer la route à l'avancement de l'anglais, de l'espagnol... Elle devrait engloutir les langues indigènes, les autres langues de l'Europe, considérées comme non civilisées pour faire émerger le français. C'est l'idée qui sous-tend la Francophonie reclusienne et non le dialogue des cultures.

Parler de dialogue des cultures en Francophonie revient à Léopold Sédar Senghor. En effet, Senghor replace la notion de dialogue dans un contexte universel, parce que dans son entendement, la Francophonie dépasse le critère racial et englobe toutes les races du monde par

573 Michel GUILLOU, « la Francophonie dans la mondialisation », op. cit., p. 5

574 Nicolas SARKOZY dans son livre Tout pour la France, à propos des immigrants, dit : « Je crois utile de leur imposer l'assimilation et non pas seulement l'intégration. » (Le Journal de France 24, du mardi 23 août 2016). Nous estimons que c'est ce genre d'idée que la Francophonie du XXIème siècle doit combattre.

575 Ici, nous faisons une interprétation de ce qu'a dit Emmanuel Macron, lors de son investiture le 14 mai 2017 : « Les français ont choisi l'espoir et l'esprit de conquête. », France 24, émission en direct le 14 mai 2017

135

rapport à la Négritude. En fait, le dialogue des cultures était l'essence même de sa Négritude. Soucieux du fait que toutes les cultures se sont enrichies par leur contact mutuel, que la race noire peut apporter sa contribution aux autres races, Senghor va donc universaliser les notions développées en sa Négritude. Ainsi, avec la Francophone, la notion de dialogue des cultures retrouve sa résonance la plus forte. Ce dialogue des cultures aboutira à la Civilisation de l'Universel. Cette civilisation consiste à gérer les différences pour aller vers les autres, à préserver les identités des cultures à travers la langue française qui s'enrichira au contact des autres langues, en particulier les langues africaines, dans un processus de promotion réciproque. Dans la continuité de la Francophonie senghorienne, la Francophonie contemporaine ou du XXIème siècle devrait relever les défis de la mondialisation.576

Cette Francophonie prétend s'opposer à l'établissement d'un mode de vie uniformisée oubliant qu'elle joue un rôle incontesté dans la promotion de la langue française. Du discours à l'acte, une suite de dichotomies, si l'on s'en tient aux discours. De ce fait, peut-on dire que la Francophonie est un concept qui se cherche une définition, et qui cherche également à faire du discours une réalité concrète et sociale, joignant l'acte à la parole, une sorte de praxis. Comment peut-on prétendre être contre l'uniformisation, contre le fait d'avoir une langue unique, et faire la promotion d'une seule langue qui sera enrichie des apports linguistico-culturels des autres peuples ? Cela explique son ambiguïté. En fait, il n'existe pas de véritables confusions de sens, elle s'efforce à être conforme et fidèle à la conception senghorienne. Pour relever les défis de la mondialisation de ce vingt-et-unième siècle, nous proposons que la Francophonie soit un état d'esprit qui, au-delà de la langue française, symbolisera la diversité linguistique et culturelle afin de permettre effectivement le dialogue des cultures. C'est-à-dire un concept de diversité linguistique dont l'idéologie serait le dialogue entre les cultures ainsi qu'entre les langues. Elle devrait s'efforcer également à ne pas être trop française, à ne pas être trop politique, à ne pas être au service d'un quelconque État.

Chez Onésime Reclus, le dialogue des cultures n'a jamais existée, mais chez Léopold Sédar Senghor surtout. Celui-ci a voulu faire de la Francophonie une notion de dialogue des cultures, parce que convaincu que la Négritude et la Francité pouvaient dialoguer. On est sans savoir que les langues et les cultures, lorsqu'elles dialoguent, il y a toujours un choc, et la plus forte phagocyte les plus faibles, les engloutit. C'est la raison pour laquelle nous estimons que la notion de dialogue des cultures en Francophonie est un imaginaire.

576 Michel GUILLOU, Francophonie : Demain il sera trop tard, p. 8

136

Par conséquent, pour qu'elle soit une réalité, pour qu'elle soit l'outil d'une mondialisation respectable des identités culturelles de chacun, elle devrait estomper toute tentative de promotion de la langue française et permettre les autres langues d'évoluer, surtout les langues africaines, afin qu'elles soient sur le même pied que l'anglais, le français,... Elle devrait permettre la libre circulation des peuples, sans leur imposer un quelconque visa, dans les pays membres de l'OIF. Lorsqu'il y a effectivement la libre circulation, la diversité linguistique est possible. Et, quand il y a une diversité linguistique, on peut alors parler de diversité culturelle. S'il y a une diversité culturelle, le dialogue des cultures est certain. Ce sont ces défis que la Francophonie contemporaine devrait relever en ce vingt-et-unième siècle afin de prévenir les risques de dérive que peut engendrer la mondialisation.

137

Nous avons voulu comprendre les raisons de la conceptualisation de la Francophonie chez Onésime Reclus et Léopold Sédar Senghor, considérés comme les pères fondateurs de la Francophonie. Pour y arriver, trois chapitres ont meublé cette partie du travail.

Dans le premier chapitre, il a été question de la Francophonie d'Onésime Reclus et de la Revue Esprit. Parlant de la Francophonie reclusienne, nous retenons qu'elle est, à la fois, un projet d'expansion coloniale et une solution proposés pour préserver le français d'un honteux déclin. Selon Onésime Reclus, un grand nombre de locuteurs peut sauver une langue en péril. Pour cette raison, la France doit compter sur les locuteurs de sa langue pour son rayonnement. Ce sont ces locuteurs potentiels, hormis les Français et les Belges, qui sont appelés Francophones. L'ensemble de ces Francophones forme la Francophonie. Quant à la revue Esprit, elle ressuscite la Francophonie de ses cendres, car depuis Onésime Reclus, l'on ne parlait plus de Francophonie. Avec la revue, les auteurs n'ont pas véritablement définir la Francophonie. Seul Léopold Sédar Senghor, l'un des auteurs, a pu en donner une définition. Cependant, ces auteurs ont voulu que les autres pays aident la France à défendre le français, car, selon eux, cette langue n'est plus la propriété exclusive de la France. C'est l'histoire qui en a voulu ainsi. Pour eux, la France et les autres pays qui utilisent le français doivent être réunis au sein d'une communauté à la fois culturelle, linguistique et politique. Cette communauté est nommée Francophonie par les auteurs de la revue. La volonté de ceux-ci, de créer une communauté des Francophones, est due à la situation du français, après la décolonisation des pays africains, sur l'échiquier politique international. De ce fait, nous estimons que la Francophonie de la revue Esprit était une communauté naissante.

Le deuxième chapitre a permis de mettre en évidence la conception senghorienne de la francophonie et de voir dans quelle mesure elle est une exaltation de la Négritude. Pour Senghor, le choix de la Francophonie est d'ordre culturel et linguistique. Cependant, nous avons montré que la Francophonie senghorienne est influencée par les idéaux de la Communauté française et de la Francité. Dans le souci de remplacer la Communauté française qui a échoué, Senghor propose la Francophonie. Cette Francophonie est alimentée par son amour de la langue et de la culture française. Ce n'est pas une raison pour lui de renier les langues et cultures africaines. Selon lui, la langue française peut exprimer les valeurs culturelles négro-africaines sans leur faire perdre leurs identités culturelles. Senghor entend par la Francophonie, l'exaltation de la Négritude, c'est-à-dire la Francophonie doit honorer les valeurs culturelles négro-africaines prônées par la Négritude. La Francophonie senghorienne est alors le

138

prolongement de sa Négritude. Elle est le résultat de l'addition des idéaux de la Communauté française, de la Francité et de la Négritude.

Quant au troisième chapitre, il était question de savoir si la Francophonie était vraiment un concept d'enracinement et d'ouverture, et une notion de dialogue des cultures. Pour répondre à nos préoccupations, nous avons à nouveau interrogé la Francophonie reclusienne et senghorienne. La Francophonie qu'elle soit d'Onésime Reclus ou de Léopold Sédar Senghor, est un concept d'enracinement et d'ouverture. Chacun a sa manière d'appréhender le concept ou le mot. Chez Onésime Reclus, la Francophonie signifie que la France, en autarcie linguistique et culturelle (enracinement), doit accepter de s'ouvrir afin d'apprendre d'autres langues, et d'imposer la sienne dans ses colonies (ouverture). C'est en quelque sorte l'enracinement et l'ouverture chez lui. On peut aussi parler de dialogue des cultures chez lui, si on tient compte du fait qu'il invite la France à apprendre d'autres langues. Cela est insuffisant et ne couvre point toute sa Francophonie. De ce fait, nous avons estimé qu'il n'y a pas, à proprement parler, de dialogue des cultures chez Onésime Reclus. Chez Léopold Sédar Senghor, l'enracinement et l'ouverture sont l'épine dorsale de sa Francophonie. Il convie chaque peuple à s'enraciner dans sa culture, dans sa langue pour s'ouvrir aux autres. Avec le français, l'Afrique a pu s'ouvrir sur l'extérieur oubliant parfois sa propre culture. C'est pour cette raison qu'elle doit revenir à ses sources pour mieux connaître sa culture, sa langue qui définit son identité. L'Afrique doit se redécouvrir par un retour à ses sources. L'enracinement et l'ouverture, c'est d'être soi pour s'acculturer de l'autre. Quant au dialogue des cultures, il pense que les cultures peuvent dialoguer, et ce dialogue devra aboutir à la Civilisation de l'Universel. En fait, le dialogue des cultures chez Senghor se veut universel.

Il n'est pas facile de donner la définition exacte de la Francophonie, étant donné que ses visions et ses objectifs sont multiples ; que les discours et les actions sont contradictoires. Cependant, retenons que la Francophonie reclusienne est un concept pour la survie de la langue française ; celle de la revue Esprit un projet de civilisation humaine d'une communauté, qui se définir vaguement comme telle. La Francophonie senghorienne, quant à elle, est un concept d'humanisme issu de la Francité et de la Négritude. La Francophonie est le fait de personnes nostalgiques du glorieux passé de la langue française, et résignées à accepter ce que l'histoire a fait d'elles tout en y intégrant le peu de ce qui leur reste comme culture d'origine. Ce point de vue est fort discutable, car il y a encore des personnes, pour ainsi dire, qui refusent d'admettre l'évidence. Au moins, qu'elles reconnaissent que la crise de la langue française, le devenir de cette langue, est la raison pour laquelle, d'Onésime Reclus à Léopold Sédar Senghor, en passant par la revue Esprit, les pays où elle est parlée et utilisée se sont engagés à mener un combat

139

définitif en faveur de la langue française à l'encontre du laisser-faire linguistique qui surfe sur la vague d'une mondialisation uniformisante et dérégulée. Est-ce vraiment la lecture que ferait un observateur ou un critique de la Francophonie aux siècles à venir ? Pour avoir une lecture nette de la Francophonie en ce siècle, il faut revenir à la Francophonie de Léopold Sédar Senghor. En fait, il est celui qui a le plus théorisé l'idée de Francophonie.

À une Francophonie assimilatrice et colonialiste d'Onésime Reclus, celle de Léopold Sédar Senghor est soucieuse d'intégrer les mots, les valeurs culturelles et les images venus de divers horizons. Mieux, celle de Senghor est une culture ouverte, enrichie des valeurs linguistico-culturelles dans la reconnaissance des autres cultures et langues. Ce n'est pas dans ses cinq tomes de Liberté ni dans ses autres articles et discours qu'il faut aller chercher le sens de la Francophonie. C'est à travers une lecture de ses oeuvres poétiques qu'il fallait donc se tourner pour mieux appréhender la signification de la Francophonie. Pourquoi une lecture de ses oeuvres poétiques, sachant qu'elles ont été attestées comme étant des oeuvres illustratives de la Négritude ? C'est une question pertinente. Si nous estimons qu'il faut revenir aux oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor, c'est que la Négritude n'est pas la finalité de sa poésie. La finalité est d'aboutir, peut-être, à la Francophonie, expression plausible de la Civilisation de l'Universel. Autrement dit, la poésie senghorienne, marquée par le sceau de la Négritude, ne s'est pas limitée à l'exaltation des valeurs culturelles négro-africaines, mais elle a fait une ouverture sur les autres valeurs culturelles, autres que celles de l'Afrique. La poésie senghorienne en magnifiant l'Afrique reste ouverte aux apports culturels des autres cultures. Cette poésie avait pour finalité l'ouverture culturelle, c'est-à-dire la Francophonie. Alors, comment cette Francophonie, se déploie-t-elle dans la poésie senghorienne ? Nous procédons à la lecture de la Francophonie, et voir comment elle se déploie, de façon souterraine, dans la poésie de Senghor.

PARTIE II :

LA FRANCOPHONIE DANS LA POÉSIE DE LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR

141

La poésie de Léopold Sédar Senghor exprime la Négritude, la symbiose culturelle, la Civilisation de l'Universel, le rendez-vous du donner et du recevoir, le métissage racial, le brassage, le dialogue des cultures, l'unité des éléments cosmiques, l'amour et le pardon... Tous ces concepts étudiés dans l'oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor par d'autres renvoient à une seule réalité : la Francophonie.577 Autrement dit, en ouvrant la Négritude aux autres cultures, aux autres races, aux frères, aux autres hommes, et en nous invitant à la convergence panhumaine, à la Civilisation de l'Universel, Senghor fait de la Négritude de ghetto une Négritude ouverte578. Cette Négritude ouverte est chez lui la Francophonie. La Francophonie : mythe ou réalité, mystification ou démystification, politique ou culturelle... ? Questions légitimes, hésitations fondées. Pour y voir clair, il faut rappeler qu'elle est d'abord un mot, un nom issu de la langue française, formé de la racine « franco » (France) et du suffixe « phonie » (voix), signifiant la voix de la France, inventé pour illustrer l'hégémonie de la France sur ses colonies par le biais de sa langue. Elle sera étudiée dans cette partie, et ce, à travers les textes poétiques de Léopold Sédar Senghor.

Aujourd'hui, tout le monde est unanime, même si l'on n'a pas véritablement entrepris une étude dans ce sens, que les oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor sont aussi marquées par le sceau de la Francophonie, comme l'affirme Mamadou Bani Diallo. Il dit à ce propos que « l'oeuvre et la pensée de Léopold Sédar Senghor semblent marquées par le sceau de la Francophonie et de la Négritude [...] »579. La même idée est reprise par Lavodrama Philippe qui affirme qu' « [il] ne l'a pas seulement défendue, mais également illustrée par son oeuvre littéraire et poétique. Ce zèle et cette fidélité sans faille ont fait de lui la figure emblématique de la francophonie [...] »580. Cette idée est également soutenue par Ibrahim Diop. Celui-ci stipule que « Négritude, Francophonie et dialogue des cultures sont des concepts chers à Senghor et qui cristallisent la quintessence de son oeuvre littéraire et poétique »581. Il l'accentue en disant que « Senghor s'est approprié ces valeurs et efforcé dans son oeuvre littéraire et poétique de promouvoir aussi bien la diversité culturelle, le multiculturalisme que l'altérité. »582 Petr Vurm corrobore cette idée en l'enchérissant : « [...] il a toujours cherché à

577 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 107

578 Léopold Sédar SENGHOR, Poésie de l'action, op. cit., p. 107 (Voir également Nadia Yala Kisudiki, « Négritude et philosophie », Rue Descartes 2014/4 (n°83), p. 4)

579 Mamadou Bani DIALLO, loc. cit.

580 Philippe LAVODRAMA, loc. cit., pp. 182-183

581 Ibrahim DIOP, loc. cit., p. 8

582 Idem. p. 15

142

concilier les apports de la civilisation gréco-romaine et les apports de la civilisation négro-africaine, la culture animiste et la religion chrétienne, la négritude et la francité et rêvait d'une civilisation de l'universel. La création de la Francophonie, qu'il a longtemps appelée de ses voeux en sera l'aboutissement. »583. C'est avec Fernando Lambert que nous allons conclure lorsqu'il dit que « ces trois mots ?négritude?, ?francité ou francophonie? et ?civilisation de l'Universel? constituent en quelque sorte les grandes axes de sa poésie, de sa pensée philosophique et politique, de son action de chef d'État et de toute sa vie. »584 Ces discours sont convaincants, mais le problème est que ces auteurs n'ont pas abordé les oeuvres de Senghor pour justifier l'idée selon laquelle la poésie senghorienne est aussi l'expression de la Francophonie585.

La seule question que l'on peut se poser et qui semble pertinente est de savoir les caractéristiques de cette Francophonie. Mieux, comment peut-on appréhender la Francophonie dans la poésie de Léopold Sédar Senghor ? À cette question peuvent en découler d'autres questions aussi pertinentes les unes des autres. Cependant, nous estimons nécessaire de retenir une seule : Pourquoi la poésie de Senghor ? La poésie de Léopold Sédar Senghor, parce que nous pensons trouver les antécédents ou les motivations qui ont participé à l'élaboration de la Francophonie. Ces antécédents ou ces motivations trouvé(e)s nous permettent d'appréhender le vrai sens de la Francophonie.

L'une des raisons est que les oeuvres poétiques sont antérieures à la manifestation, pour ainsi dire, de la Francophonie. Elles sont les mieux placées pour nous révéler que Senghor a élaboré la Francophonie de façon inconsciente dans ses poèmes. À partir des oeuvres poétiques de celui-ci, nous allons rechercher « les associations d'idées involontaires sous les structures voulues du texte »586, voire « certaines régularités probablement non voulues par l'auteur »587 pour déceler la manifestation de la Francophonie afin de mettre en lumière sa signification. Pour que ces idées aient « une origine probablement inconsciente, il faudrait démontrer [leur] caractère obsessif. »588 Pour y parvenir, nous recourons à la psychocritique de Charles Mauron589.

La psychocritique repose, en effet, au moins sur quatre principes. Ce sont :

583 Petr VURM, op. cit. p. 57

584 Fernando LAMBERT, « Centenaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor », Dossiers Thématiques,op. cit., p. 356 (pp. 354-356)

585 Cela a été la problématique de notre mémoire de master et l'est également pour notre thèse. Nous tenterons de le justifier à travers les oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor.

586 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes au mythe personnel, op. cit., p. 23

587 Idem, p. 26

588 Ibidem, p. 39

589 Cette théorie a été expliquée dans l'introduction générale.

1.

143

Le principe de constance : la répétition590.

2. Le principe d'anomalie : le caractère inattendu des mots employés.

3. Le principe de cohérence : la structure bâtie autour d'un thème.

4. Le principe de correspondance : le rapport entre le mythe personnel et la biographie.
Le respect de ces principes permet de mieux appliquer la théorie de Charles Mauron. « En usant

[donc] de la psychocritique qui par la superposition des textes vise à trouver l'invariant qui structure la pensée de l'auteur »591, nous allons voir apparaître des réseaux d'associations d'images obsédantes, et probablement involontaires, qui se répètent. Ces réseaux sont appelés des métaphores obsédantes. Or « les métaphores récurrentes d'un poète finissent par dessiner des lignes de force qui déterminent les idéaux profonds qui le hantent, les modèles qu'il se rêve. Rassemblées en faisceaux, ces tendances constituent ce que Charles Mauron, l'inventeur de la psychocritique, appelait le mythe personnel du poète. »592 Avec la psychocritique, nous pouvons dire que le modèle que Senghor rêve est la Francophonie. Cependant, cette théorie « requiert donc en principe une double analyse : linguistique (ou mieux rhétorique) et psychologique »593. Charles Mauron ne dénie pas cette réalité. En fait, il dit que « le psychocritique, pour sa part, ne perd pas les textes de vue. Il s'est promis d'en accroître l'intelligence et ne réussira que si son effort y rencontre celui des autres disciplines critiques. Sa fonction propre est de relier une science à un art, il échoue s'il perd le contact avec l'un ou avec l'autre. »594 Pour ne pas déroger à cette règle, nous allons faire appel à la linguistique, en général, et à l'énonciation de Catherine Kerbrat-Orecchioni, en particulier595.

« Toute expérience en effet laisse une trace, une inscription modulée. Le manque s'inscrit, lui aussi, comme élément faisant partie de notre vie de désir. Des pertes symboliques promues par la parole et portées dans le langage, s'écrivent et s'inscrivent au fur et à mesure de notre vie. »596 Le poète n'est pas en marge de cette règle, il laisse des traces dans sa poésie. Ce sont les traces laissées dans son produit, l'énoncé, dans sa poésie, qui constituent le socle de l'énonciation de Catherine Kerbrat-Orecchioni : « Telle sera aussi notre problématique : faute

590 Charles MAURON dit à ce propos que « Toutes les répétitions thématiques que l'on peut constater dans une oeuvre ne sont pas inconscientes, mais nous avons choisi d'étudier celles qui ont chance de l'être. », op. cit., p. 211

591 David Adamou DONGO, « Territorialisation et déterritorialisation chez Édouard Glissant : vers un autre lieu ou la quête de la liberté », Revue du centre de recherche et d'études en littérature, p. 77

592 Didier LAMAISON, Éthiopiques, Paris, Bréal, 1997, p. 103

593 François PIRE, « Psychanalyse et psychocritique », Méthodes de texte : Introduction aux études littéraires, Paris-Grembloux, Édition Duculot, 1987, sous la direction de Maurice DELCROIX et Ferdinand HALLYN, p. 272

594 Charles MAURON, op. cit. (loc. cit.), p. 25 (À ce propos François Pire affirme que « le critique ne doit jamais perdre de vue que si le texte est manifestation du désir, il en est aussi le destin », op. cit., p. 271)

595 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, L'énonciation: de la subjectivité dans le langage, Armand-Colin, Paris, 1997, 280 p.

596 Joël CLERGET, « Je est un autre », Poésie et psychanalyse, op. cit., p. 4

144

de pouvoir étudier directement l'acte de production, nous chercherons à identifier et décrire les traces de l'acte dans le produit, c'est-à-dire les lieux d'inscription dans la trame énoncive des différents constituants du cadre énonciatif. »597 C'est la raison pour laquelle Carmen S. Stoean dit que « l'énonciation ne peut jamais être étudiée en elle-même, au moment de sa production, mais seulement à travers son produit qui en porte les traces, l'énoncé. »598 Il faut noter aussi que l'étude de l'énonciation dépasse le cadre de la linguistique car la diversité des faits à prendre en considération engagent la psychologie, la psychanalyse, la sociologie, les théories de la littérature599. C'est à juste titre que Catherine Kerbrat-Orecchioni affirme que « la seule entreprise rentable, c'est d'essayer d'en identifier, différencier et graduer les divers modes de manifestation »600 de l'énoncé afin de déceler l'image de soi du locuteur et ce qu'il semble ne pas dire ou vouloir dire. En d'autres mots, toute énonciation implique une certaine attitude de l'énonciateur par rapport à son propre énoncé. On appelle donc marques de la subjectivité toutes les traces que laisse celui qui parle dans son énoncé et qui permettent d'appréhender son image de soi. Cela suppose qu'il existe une complémentarité entre la théorie de l'énonciation et la psychocritique, et cela réside dans le fait que dans tout énoncé, le sujet-parlant ou le sujet-écrivant qui assume la communication laisse dans ses énoncés des marques susceptibles de montrer sa subjectivité et sa personnalité, voire ses non-dits, de façon volontaire ou involontaire. Cette complémentarité se justifie également du fait que « chaque théorie de la poésie porte en elle, au moins implicitement une théorie du langage et de la société »601. En effet, la théorie de l'énonciation est une théorie du langage car elle s'applique au matériau qui est la langue, et la psychocritique est une théorie de la société car son matériau d'application est l'auteur dans son oeuvre. Voilà présenter de façon succincte les théories auxquelles nous allons recourir dans cette partie pour l'étude de la Francophonie dans la poésie de Léopold Sédar Senghor.

597 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, op. cit., p. 30. Plus loin elle dit : « Au terme de cette double distorsion du concept, la problématique de l'énonciation (la nôtre) peut être ainsi définie : c'est la recherche des procédés linguistiques (shifters, modalisateurs, termes évaluatifs, etc.) par lesquels le locuteur imprime sa marque à l'énoncé, s'inscrit dans le message (implicitement ou explicitement) et se situe par rapport à lui (problème de la « distance énonciative »). C'est une tentative de repérage et de description des unités, de quelque nature et de quelque niveau qu'elles soient, qui fonctionnent comme indices de l'inscription dans l'énoncé du sujet d'énonciation. », p. 32

598 Carmen S. STOEAN, « Les théories de l'énonciation comme fondement de l'approche communicative », Première assise théorique, Dialogos 8/2003, p. 51

599 Idem.

600 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, op. cit., p. 157

601 Snauwaert MAÏTE, « Le rythme critique d'HENRI Meschonnic », Acta Fabula, [En Ligne], disponible sur http://www.fabula.org./revues/document7129php

145

Rappelons que, dans la première partie de notre travail, la Francophonie senghorienne se caractérise par la langue française (emploi commun du français), l'expression des valeurs humanistes (celles de la Francité et de la Négritude), l'enracinement en ses propres valeurs culturelles et ouverture à d'autres horizons culturels, la symbiose culturelle (dialogue des cultures), et la participation à la Civilisation de l'Universel. Par conséquent, la question que l'on peut se poser est celle de savoir si ces caractéristiques sont identifiables dans sa poésie. « De notre point de vue, chaque poème reflète un équilibre entre structures inconscientes et conscientes. Notre tâche propre est ici de définir les premières »602 pour appréhender ou découvrir les caractéristiques de la Francophonie dans sa poésie, car « la psychocritique est d'abord une méthode de découverte. »603 Nous partirons également du fait que le voeu de Léopold Sédar Senghor est de voir la Négritude et la Francophonie devenir un seul concept pour voir à notre tour si ses oeuvres poétiques le confirment. Nous travaillerons sur toute sa production poétique.604. La présentation de quelques recueils (Chants d'ombre, Hosties noires, Éthiopiques, Nocturnes et Lettres d'hivernage) a été déjà faite dans l'introduction générale, il n'est plus question de la faire ici. Néanmoins, parmi ces recueils, certains sont antérieurs et d'autres postérieurs à la Francophonie de la revue Esprit. En tout état de cause, nous allons étudier les poèmes susceptibles de relever le sens, la signification et l'expression du concept de Francophonie.

Pour mener à bien notre réflexion, trois chapitres vont charpenter cette partie. Le premier chapitre permet de justifier le fait que la Francophonie est un projet conçu et nourri par Léopold Sédar Senghor depuis longtemps, peut-être pendant qu'il écrivit Chants d'ombre (1945). Nous allons voir que ce projet est dû d'abord à une filiation historique avec la France, puis au sacrifice de l'Afrique pour la France, et enfin au pardon des Noirs pour une renaissance du monde. Quant au deuxième chapitre, nous appréhendons le choix définitif de Senghor. Un choix à faire entre trois réalités. La première réalité est celle de la langue française, la deuxième est le français africanisé, et la dernière réalité est celle du peuple noir. Le troisième chapitre aborde la question de la renaissance des valeurs culturelles africaines et de l'ouverture

602 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes, op. cit., p. 57

603 Idem, p. 335 (Voir les pages 25 et 339)

604 Il faut noter que notre analyse portera sur quelques poèmes de ces recueils de notre corpus. C'est dire que nous travaillerons sur les poèmes susceptibles de nous fournir les informations qui nous faut. Autrement dit, il s'agit de superposer les poèmes comme le recommande la psychocritique, mais seulement ceux qui sont superposables et qui mettent davantage en évidence le concept de Francophonie dans la poésie senghorienne. Vous verrez que nous avons fait des choix de textes pour la superposition. Il est question tout simplement de respecter les principes de constance, d'anomalie et de cohérence de la psychocritique (Voir p. 144). Les invariants inconscients qui se dégageront de notre superposition se saisissent également dans les autres poèmes de notre corpus.

146

culturelle. En fait, il s'agit de voir dans quelle mesure l'ouverture culturelle est appréhendable dans les oeuvres poétiques de Senghor. Nous terminons l'analyse de ce chapitre par l'éloge de la Civilisation de l'Universel. Telle est notre démarche pour étudier la Francophonie dans la poésie de Léopold Sédar Senghor. En montrant comment la poésie de Senghor rend compte, et ce, de façon intelligible, le concept de Francophonie, nous mettons également à nu les raisons latentes de l'élaboration de ce concept, les raisons qui sont d'ordre historique, personnel et culturel.

147

CHAPITRE I : LE PROJET DE LA FRANCOPHONIE

Les oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor ont précédé le projet de la Francophonie tant chez lui que chez les autres auteurs de la revue Esprit. En fait, l'idée de la Francophonie a été élaborée par Léopold Sédar Senghor avant celle de la revue Esprit dans sa poésie, « car la francophonie a commencé par une fraternité de poètes, c'est-à-dire l'essentiel avant le nécessaire. »605 Ce qui veut dire que ce sont les poètes qui ont fait de la Francophonie une réalité culturelle (c'est-à-dire culture). Mieux, la nature même de la Francophonie, son essence, est donc la poésie. Autrement dit, on ne peut séparer la poésie de la Francophonie, car toutes deux renvoient à une et une seule réalité : la culture. C'est cette essence poétique de la Francophonie qui fait d'elle une culture, car la poésie, avant tout, est culture. À travers « une authentique poésie nègre qui ne renonce pas, pour autant, à être française »606, Léopold Sédar Senghor réalise la nécessité d'une poésie francophone en général607, et d'une communauté francophone en particulier. Chez Senghor, la poésie devrait être le catalyseur, le lieu où Africains et Français devraient se rencontrer. L'écriture poétique devrait, par conséquent, exprimer les valeurs propres des Nègres dans une langue qui n'est pas la leur. La poésie nègre est d'abord nègre, parce qu'elle exprime les valeurs culturelles, les héros et la culture nègres. Elle est enfin française, parce qu'elle est écrite en langue française. Ainsi, la poésie nègre devient une poésie universelle, parce qu'elle unit deux cultures : la culture nègre et la culture française. C'est cette conception de la poésie que Senghor veut de la Francophonie. Elle ne sera pas totalement nègre ni totalement française, mais les deux à la fois. Telle fut la mission qu'il s'est assignée en tant que poète pour la Francophonie. Les prémices de cette Francophonie sont-elles décelables dans ses oeuvres poétiques ?

La Francophonie, chez Léopold Sédar Senghor, est d'abord un terme générique désignant la cohabitation parfaite et harmonieuse entre le Nègre et le Français tant au niveau culturel, linguistique que biologique, et dépassant les clivages haineux et raciaux des peuples. La question que l'on pourrait alors se poser est celle de savoir si la présence d'une culture exprimée et projetée, autre que française, en français est facilement repérable dans la poésie

605 Daniel MAXIMIN, « L'originelle poésie francopolyphonique », Synergies Mondes, n°5-2008, p. 151 (pp. 151-154)

606 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », Éthiopiques, Postface, p. 163

607 La question de la poésie francophone sera traitée dans la partie trois au chapitre quatre.

148

senghorienne. Ce qui est sûr, c'est que « l'ensemble culturel de langue française que Senghor a mentionné dans les année 1970 est devenu la Francophonie plus tard [...] »608. Dès lors, la vraie question que l'on pourrait se poser est celle de savoir si le concept de Francophonie est facilement repérable dans la poésie senghorienne.

La poésie senghorienne se veut une poésie de réconciliation raciale, de pardon, de fraternité. Si cette poésie rappelle les atrocités de la guerre, du colonialisme, de l'impérialisme, de son déchirement entre l'appel de ses ancêtres et l'appel de l'Europe ; c'est pour pouvoir dépasser la haine et le ressentiment afin de prôner un monde meilleur où les races et les nations vivront en harmonie. Léopold Sédar Senghor est aussi conscient qu' « [...] il ne suffit pas d'être ensemble, d'éprouver des sentiments collectifs, de partager la même condition, [mais il suffit] de vouloir être et faire ensemble, d'assumer consciemment une même tâche et un même projet. »609 Ses oeuvres s'inscrivent dans ce même sens, c'est-à-dire elles (les oeuvres poétiques de Senghor) invitent à vouloir être et faire ensemble, à assumer consciemment une même tâche et un même projet, celui d'un monde plus fraternel acceptant les différences. C'est la raison pour laquelle « on peut dire que toute l'oeuvre de Senghor ainsi d'ailleurs que toute sa vie auront été l'expression du métissage, de la négritude et de la francophonie. »610

La Francophonie est, aussi, un concept de pensée, d'émotion, de métissage, de fraternité, tels qu'exposés dans les oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor.611 Tout ceci amène à dire que la Francophonie peut être repérée aisément dans sa poésie, si nous tenons compte de la Francophonie senghorienne en tant que la résultante de la Francité et de la Négritude. En fait, « dès la fin des années 1960, en effet, Senghor pense et projette la négritude en étroite relation avec `' la Civilisation de l'Universel» »612, qui deviendra, sans doute, la Francophonie. La Francophonie, telle que la conçoit et la vit Senghor, s'identifie à un corpus de valeurs repères auquel l'on doit toujours se référer pour construire son identité propre, et sa relation avec les autres et le monde. Senghor fait de la Francophonie l'objet d'une quête fervente, où l'exaltation se mêle à la raison et le rêve à la passion. Très vite, le mot-concept devient l'idée-force qui va donner sens et orientation à sa vie. Avec une sorte d'inlassable acharnement, il ne finira jamais d'élucider le concept de Francophonie, d'autant plus qu'avec le temps son approche évolue en

608 Thi Hoai Trang PHAN, « Des dynamiques de la Francophonie », op. cit.

609 Jean MAISONNEUVE, La psychologie sociale, Presses Universitaire de France, Coll. Que sais-je ?, Paris ; p. 30

610 Ébénézer. NJOH-MOUELLE, Léopold Sédar Senghor et le thème du métissage culturel, disponible sur http://www.njohmouelle.org

611 Idem. Le métissage culturel est mélange, c'est certain, mais le métissage envisagé par Senghor a davantage été préoccupé par la francophonie et la négritude. »)

612 Jean-René BOURREL, « La négritude ou le soleil de l'âme », op. cit.

149

fonction de l'audience conquise par le mouvement et de la reconnaissance institutionnelle dont lui-même fait l'objet. La Francophonie senghorienne est, également, existentielle et ontologie, car elle considère l'homme dans sa nature humaine, en union avec les éléments de l'univers en Dieu. Parce ce que c'est Dieu qui insuffle l'élan vital à l'univers, et c'est par lui que se réalise l'unité des éléments de l'univers.

Au lieu de saisir la signification en vrac de la Francophonie, il serait raisonnable d'entrer dans l'univers intérieur de Senghor, par le biais de la psychanalyse pour ainsi dire, afin de découvrir les motivations conscientes et inconscientes qui nous aideront à définir la Francophonie. Malheureusement, ceci n'est véritablement pas possible. Cependant, comme l'évoque Joël Clerget, « le poète s'origine lui-même à l'oeuvre et dans l'être de laquelle il y va de son être même »613. Faute de psychanalyser l'homme, nous le ferons à travers ses oeuvres par la psychocritique. C'est-à-dire nous étudierons de façon psychologique les éléments textuels, mieux les indices poétiques, qui mettent en relief le fait que la poésie de Senghor est le projet de la Francophonie. Nous allons voir comment le projet de la Francophonie s'appréhende dans la poésie senghorienne. Nous comprenons les raisons de Léopold Sédar Senghor de vouloir proposer à l'Afrique la Francophonie.

Les raisons que nous pouvons émettre sont, d'abord, des raisons historiques614 : « c'est, tout d'abord pour deux raisons historiques : de fait. La première est que, ne voulant pas nous renier, nous ne voulons rien renier de notre histoire, fut-elle `'coloniale», qui est devenue un élément de notre personnalité nationale [...] Et puis, il y a le français, qui est une langue internationale de communication. C'est notre deuxième raison de fait. »615 En effet, la colonisation de l'Afrique a un rôle prépondérant dans le projet de la Francophonie. En fait, la colonisation a déculturé les Africains au point que ces derniers ont épousé la langue et les habitudes des colons. En plus, l'école va aussi jouer un rôle déterminé dans la déculturation des Africains, car il s'agissait de franciser le Nègre afin d'établir un relai-intermédiaire entre les indigènes et le colon, puis de former des élites pour assurer la continuité de l'administration coloniale. À vrai dire, l'école, l'instruction coloniale, a fait des Africains des déracinés culturels. Et vient enfin la participation des Africains à la deuxième guerre mondiale. Cette participation a permis de briser le mythe de « messagers des dieux »616 que les Africains font du colon, et de leur faire comprendre que le Blanc est humain et mortel comme eux. Pour

613 Joël CLERGET, op. cit., pp. 10-11

614 Le deuxième et le troisième chapitre exposeront respectivement les autres raisons.

615 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., p. 132

616 Cf. « Chaka » de Léopold Sédar Senghor in Éthiopiques, p. 123

150

Senghor, la participation des Africains aux différentes guerres mondiales est un sacrifice fait par l'Afrique pour que naisse un nouveau monde dans lequel l'Africain et l'Européen vivront ensemble et en parfaite harmonie brisant ainsi le clivage racial. Pour cela, les Noirs devront pardonner les fautes de l'Europe. C'est en pardonnant que l'on pourra construire ce monde rêvé par Léopold Sédar Senghor. Il est donc convaincu que le premier pas doit être fait par les Africains. Ainsi, exhorte-t-il le peuple noir à pardonner le fait que les Européens l'aient pris comme des hosties pour la renaissance du monde. Ces faits historiques sont donc l'une des raisons qui ont préludé au projet de la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor.

Pour mettre en évidence ce projet, nous abordons successivement dans ce chapitre la question de filiation historique avec la France, du sacrifice de l'Afrique pour l'Europe, et enfin le pardon des Noirs pour une renaissance du monde. Nous allons voir dans le premier point que le contact de l'Afrique et de l'Europe, à travers l'expansion exploratoire de l'Europe, la traite négrière et la colonisation, a favorisé, certes des frustrations, mais a également été favorable pour l'un et pour l'autre car chacun a bénéficié de l'un et de l'autre de ce qui lui manque. En effet, « l'ennemi d'hier est un complice, qui nous a enrichis en s'enrichissant à notre contact », comme l'affirme Léopold Sédar Senghor617. Le deuxième point montre que les Africains, en particulier, morts aux champs de bataille pendant les guerres mondiales sont une semence, car ils ne sont pas « morts gratuits ô Morts ! Ce sang n'est pas de l'eau tépide. Il arrose épais notre espoir, qui fleurira au crépuscule »618 de la cité de demain, « du monde nouveau qui sera demain »619. C'est aux Africains d'aller vers les autres pour leur apporter leur pardon. C'est en ce sens qu'intervient le troisième point. Quant à ce point, il s'agit de mettre en évidence le pardon des Noirs. Senghor est persuadé qu'en pardonnant à ses bourreaux d'hier, en acceptant de vivre avec eux, le « monde nouveau » surgira.620

Notre analyse dans ce chapitre devrait, sans doute, confirmer que le projet de la Francophonie fut formulé par des faits historiques, décelables dans la poésie senghorienne. Autrement dit, ce sont les faits historiques qui ont d'abord influencé Léopold Sédar Senghor dans l'élaboration du projet de la Francophonie. Nous élucidons le chapitre en identifiant dans le corpus (les oeuvres sur lesquelles nous travaillons) les indices historiques qui prouvent bel et bien la présence latente du concept de Francophonie.

617 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit. (loc. cit.)

618 Cf. « Tyaroye », Hosties noires, p. 88

619 Idem.

620 Cf. « Chaka », Éthiopiques, p. 130

151

Notre méthode d'analyse est la psychocritique de Charles Mauron. Cette méthode est utile pour appréhender les images historiques qui reviennent de manière consciente et inconsciente sous la plume de Léopold Sédar Senghor, et qui mettent en évidence comment les faits historiques l'ont influencé dans la conception de la Francophonie. Dans le cas contraire, si cette méthode s'avèrerait insuffisante dans l'appréhension des images historiques, nous recourons alors à l'énonciation de Catherine Kerbrat-Orecchioni. Il se pourrait aussi que ces deux méthodes soient conjointement utilisées dans l'analyse et l'interprétation des indices dans ce chapitre. Abordons dès à présent les différents points susmentionnés.

152

1. UNE FILIATION HISTORIQUE AVEC LA FRANCE

Le passé ne peut pas se modifier, s'oublier, ou s'effacer. Nous n'avons qu'à l'accepter, le surmonter et aller de l'avant. C'est-à-dire les pays africains ne peuvent pas changer l'histoire du continent. Leur histoire doit s'écrire avec le passé. Leur passé, c'est qu'ils sont liés aux pays occidentaux du fait de la traite négrière, de la colonisation et de l'instruction occidentale. Et Moustapha Tambadou de le justifier :

Au commencement, il y eut la traite négrière et la colonisation. Deux tragédies qui ont servi de fondement malsain à la rencontre Afrique-Occident. Les vainqueurs, si l'on peut les nommer ainsi, ont dans les deux cas tiré de leur triste succès un sentiment de supériorité à l'égard des peuples et races assujettis. C'est donc tout naturellement que l'Occident s'est évertué à imposer à l'Afrique un destin de vaincue, un temps immobile avec comme seule et unique perspective l'acquiescement éternel aux objectifs et valeurs des dominateurs. Des peuples entiers voyaient ainsi compromises, sinon tournées en dérision, toute possibilité et toute tentative de marquer de leur empreinte singulière leur propre histoire ou l'histoire de l'humanité. Quand Léopold Sédar Senghor décida de lutter de toutes ses forces contre cette situation, son intuition fut que tout se jouerait au niveau de la culture, [...]621

Cette filiation historique avec les anciens pays colonisateurs permet d'entretenir une relation, non plus de colonisateur et colonisé, mais une relation égalitaire, selon Léopold Sédar Senghor, estime Claire Tréan :

Senghor rêvait de fraternité entre peuples blancs et noirs et pensait que le français pouvait en constituer le socle. Il croyait en un continent africain sur lequel le français fonderait une solidarité entre les nouveaux États et une relation privilégiée avec l'ancien pays colonisateur622.

Mieux, ajoute Anne Judge,

Il a parlé en effet du merveilleux outil trouvé dans les décombres du régime

colonial : la langue française et de la possibilité de s'en servir pour créer une coopération exemplaire entre ceux qui la parlent623.

621 Moustapha TAMBADOU , « Politique et stratégie culturelles de Léopold Sédar Senghor », Éthiopiques, n°59, 2ème semestre 1997, Disponible sur http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article367

622 Claire TRÉAN, La Francophonie, idées reçues, Le Cavalier Bleu, Paris, 2006, p. 21

623 Anne JUDGE, « La Francophonie : mythes, masques et réalités », Francophonie : Mythes, Masques et Réalités, Enjeux politiques et culturels, Publisud, Paris, 1996, p. 25

153

Ou encore, « Fervent promoteur de la Francophonie, Senghor entretient constamment d'excellentes relations avec la France ».624Or la relation avec la France ne date pas d'aujourd'hui, elle l'a été depuis l'arrivée des colons en Afrique. Selon Catherine Coquery-Vidrovitch, les premiers contacts entre l'Europe et l'Afrique datent du XVème siècle : « Du XVe au XVIIIe siècle le trafic s'organisa progressivement entre les Européens et les Noirs de la zone guinéennes [...] »625. Ce furent, d'abord, les Portugais : « Mais nul ne toucha la côte de Guinée avant les Portugais au XVe siècle [...] »626. Les Français se sont établis sur la côte occidentale de l'Afrique au XVIIème siècle. Avec la traite négrière, la colonisation et la décolonisation, la relation avec la France s'est accentuée. Senghor compte maintenir, par le biais du projet de la Francophonie, le lien historique entre la France et l'Afrique. Mieux, il s'appuiera sur les faits historiques pour élaborer sa Francophonie, même si Michel Beniamino et Lise Gauvin affirment le contraire en disant que « le lien entre francophonie et décolonisation est [...] intenable. »627 Pour prouver que cela est tenable, intéressons-nous à présent aux oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor.

Les oeuvres de Senghor mettent en évidence le lien historique que l'Afrique et l'Europe en général, et la France en particulier, entretiennent. En fait, la lecture de ses oeuvres permet de relever la traite négrière, la colonisation, l'instruction occidentale comme des faits historiques, participant du projet francophone chez lui. Dans Chants d'ombre, la colonisation et la traiter négrière sont mises à nu. Avec le texte « In memoriam » nous avons :

Et maintenant, de cet observatoire comme de banlieue

Je contemple mes rêves distraits le long des rues, couchés

au pied des collines

Comme les conducteurs de ma race sur les rives de la Gambie

et du saloum. (Poèmes, p. 7)628

Le texte « In memoriam » est superposable à « Que m'accompagnent Koras et Balafong » :

Mais toutes les ruines pendant la traite européenne des nègres

Mais toutes les larmes par les trois continents, toutes les sueurs noires qui engraissèrent les champs de canne et de coton (Po :33)

624 Encyclopédie Larousse, article sur Senghor.

625 Catherine COQUERY-VIDROVITCH, La découverte de l'Afrique, Paris, L'Harmattan, 2003, p. 15

626 Idem., p. 14

627 Michel BENIAMINO et Lise GAUVIN (Dir.), Vocabulaire des études francophones. Les concepts de base, Limoges, PULIM, coll. « Francophonie », 2005, p. 84

628 Nous avons travaillé avec deux versions : Poèmes et OEuvre poétique. Pour les textes (les extraits) superposés, nous écrirons Po pour Poèmes, et O. Po pour OEuvre poétique suivi du numéro de la page. (Po : numéro/ O. Po : numéro).

154

La superposition de ces deux extraits révèle qu'il y a eu contact entre les Nègres et les Occidentaux. Nous voyons s'accuser le réseau suivant :

- Contact : les conducteurs de ma race, européenne, nègres, les trois continents, les rives de la Gambie et du Saloum

- Traite négrière : Les conducteurs de ma race sur les rives de la Gambie et du Saloum, la traite européenne des nègres, toutes les sueurs noires qui engraissèrent les champs de canne et de coton.

Ce réseau d'images se manifeste aussi dans « Neige sur Paris » :

Les mains blanches qui tirèrent les coups de fusils qui

croulèrent les empires

Les mains qui flagellèrent les esclaves, qui vous flagellèrent

Les blanches poudreuses qui vous giflèrent, les mains

peintes poudrées qui m'ont giflé

Les mains sûres qui m'ont livré à la solitude à la haine

Les mains blanches qui abattirent la forêt de rôniers qui

dominait l'Afrique, au centre de l'Afrique

Droits et durs, les Saras beaux comme les premiers hommes

qui sortirent de vos mains brunes

Elles abattirent la forêt noire pour en faire des traverses de

chemin de fer

Elles abattirent les forêts d'Afrique pour sauver la Civil-

sation, parce qu'on manquait de matière première humaine. (Po : 20)

La superposition de cet extrait avec les extraits précédents accuse un réseau sombre : la ruine ou la destruction. Cette image sombre de la traite négrière et de la colonisation est soulignée également dans « Prière aux masques » :

Voici que meurt l'Afrique des empires- c'est l'agonie

d'une princesse pitoyable

Et aussi l'Europe à qui nous sommes liés par le nombril. (Po : 21)

Dans l'extrait de « Prière aux masques », Senghor montre que l'Afrique et l'Europe sont liées à jamais : « nous sommes liés par le nombril ». « Tout se passe comme si Léopold Sédar Senghor n'avait jamais pu - ou voulu - couper le cordon ombilical qui le relie à l'Occident. »629 La superposition de tous les extraits de Chants d'ombre révèle que chez Senghor, la traite négrière et la colonisation, qu'elles soient brutales et mauvaises, ont favorisé le contact entre l'Afrique et l'Europe. Il faut priviligier ce contact. Qu'en est-il d'Hosties noires ?

Dans Hosties noires, le texte « Prière de paix » peut être superposé avec « Neige sur Paris » et « Que m'accompagnent Koras et Balafong » de Chants d'ombre :

629 Jacques CHEVRIER, Littérature Nègre, Armand Colin/Nouvelle Éditions Africaines, Paris, 1984, p. 101

155

Car il faut bien que Tu oublies ceux qui ont exporté dix millions de mes fils dans les maladreries de leurs navires Qui en ont supprimé deux cents millions.

[...]

Oh ! je sais bien qu'elle aussi est l'Europe, qu'elle m'a ravi mes enfants comme un brigand du Nord des boeufs, pour engraisser ses terres à cannes et coton, car la sueur nègre est fumier.

Qu'elle aussi a porté la mort et le canon dans mes villages bleus, qu'elle a dressé les miens les uns contre les autres comme des chiens se disputant un os

Qu'elle a traité les résistants de bandits, et craché sur les têtes-aux-vastes-desseins. (Po : 91-92)

Nous voyons se former, dans cet extrait, les groupes d'image tels que la Traite négrière (ont exporté dix millions de mes frères, les maladreries de leurs navires, ont supprimé deux cents millions, ravi mes enfants, engraisser terres à cannes et coton, la sueur nègre est fumier, ...), la Colonisation (porté la mort et le canon dans mes village, dressé les miens les uns contre les autres, les résistants de bandit, craché sur les têtes-aux-vastes-desseins...) et le Contact (mes fils, leurs navires, l'Europe, mes enfants, ses terres à cannes et coton, mes villages...). Nous constatons, également, que les images ne varient pas d'un poème à un poème ou d'une oeuvre à une autre. Par ailleurs, elles sont l'invariant qui structure la pensée de Léopold Sédar Senghor. Cet invariant se saisit, aussi, dans « Chaka » d'Éthiopiques :

CHAKA

Des courriers m'avaient dit :

« Ils débarquent avec des règles, des équerres des compas des sextants

«L'épiderme blanc les yeux clairs, la parole nue et la bouche mince

« Le tonnerre sur leurs navires. » (Po : 120)

Le réseau qui s'accuse dans cet extrait est le Contact (débarquent, l'épiderme blanc, leurs navires) et la Colonisation (des règles, des équerres, des compas, des sextants, la parole nue). Ce réseau est renforcé par un autre extrait de « Chaka » que l'on pourrait superposer à ceux de Chants d'ombre, surtout à « Neige sur Paris » :

CHAKA

Mon calvaire.

Je voyais dans un songe tous les pays aux quatre coins de

l'horizon soumis à la règle, à l'équerre et au compas Les forêts fauchées les collines anéanties, vallons et fleuves

dans les fers.

Je voyais les pays aux quatre coins de l'horizon sous la grille tracée par les doubles routes de fer

156

Je voyais les peuples du Sud comme une fourmilière de

silence

Au travail. Le travail est saint, mais le travail n'est plus

le geste

Le tam-tam ni la voix ne rythment plus les gestes des saisons.

Peuples du Sud dans les chantiers, les ports les mines les

manufactures

Et le soir ségrégés dans les kraals de la misère.

Et les peuples entassent des montagnes d'or noir d'or rouge

? et ils crèvent de faim

Et je vis un matin, sortant de la brume de l'aube, la forêt

des têtes laineuses

Les bras fanés le ventre cave, des yeux et des lèvres immenses

appelant un dieu impossible

Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances bafouées ? (Po : 121-122)

Cet extrait réunit toutes les images déjà vues, c'est-à-dire le contact, la colonisation, la traite négrière, la destruction. Cependant, Léopold Sédar Senghor répond à la question posée dans l'extrait « Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances bafouées ? », et à son ami-frère Césaire qui dit :

Cela réglé, j'admets que mettre les civilisations différentes en contact les unes avec les autres est bien; que marier des mondes différents est excellent; qu'une civilisation, quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même, s'étiole ; que l'échange est ici l'oxygène, et que la grande chance de l'Europe est d'avoir été un carrefour, et que, d'avoir été le lieu géométrique de toutes les idées, le réceptacles de toutes les philosophies, le lieu d'accueil de tous les sentiments en a fait le meilleur redistributeur d'énergie. Mais alors, je pose la question suivante : la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact ? Ou, si l'on préfère, de toutes les manières d'établir contact, était-elle la meilleure ?630

La réponse de Senghor est de retenir l'apport positif de cette souffrance : les doubles routes de fer, les chantiers, les ports, les mines, les manufactures... :

Je ne veux retenir, ici, que l'apport positif de la colonisation, qui apparaît à l'aube

de l'indépendance. L'ennemi d'hier est un complice, qui nous a enrichis en s'enrichissant à notre contact631.

De cet aveu, nous voyons que Senghor sublime la traite négrière, la colonisation et leurs corollaires pour retenir le caractère positif de ce contact brusque et humiliant pour l'Afrique. Par le biais de l'esclavage et de la colonisation, l'Afrique et l'Europe en général, et la France en particulier, ont pu tisser des liens, comme il le souligne dans « Prière aux masques » : « Et aussi l'Europe à qui nous sommes liés par le nombril » ; des liens qu'il faut conserver. C'est pourquoi, Papa Samba Diop dit que

630 Aimé CÉSAIRE, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 2004, p. 10

631 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit., p. 841

157

[...] Senghor ne condamne jamais la France sans éprouver quelques remords. Il

aime ce pays et sa langue d'un amour sans tache. Voilà pourquoi, chaque fois que, ab irato, il en a dénoncé les excès, il en a aussitôt après loué la grandeur632.

Les extraits de « Chaka » peuvent être superposés également à « Élégie des circoncis » de Nocturnes et à « Sur la plage bercé » de Lettres d'hivernage. Avec « Élégie des circoncis », nous avons :

Voilà, les os sont abstraits, ils ne se prêtent qu'aux calculs de la règle du compas du sextant. (Po : 200)

Quant au poème « Sur la plage bercé », nous pouvons dire qu'il est une réécriture de « Chaka ». Ils ont le même réseau d'images et, à peu près, les mêmes mots :

Ainsi, ils débarquèrent. Nous les reçûmes comme des masques peints, à deux genoux

Ils débarquèrent sous les ailes bleues, voiles blanches des Alizés

Sur le sable et le soleil puis, sous le soleil et le sable fervents Ivres de sperme et de fureur, ils débarquèrent, ivres de foi tel un vin fort

Sur l'arène ils ont bâti des forts comme des fleurons, sur sept cents kilomètres

Et des créneaux. Et la force a croulé

Et il n'en reste plus que les rêves bleus des touristes, et c'est très beau

Mais les visions du poète, nous les bâtirons dans la pierre de Rufisque.

Ils ont creusé sur la colline de grés rose, jusqu'au basalte noir de l'âme

Dans le basalte ils ont scellé leur coeur, la Vénus rythmique de Grimaldi.

Elle fait tomber les pluies de miséricorde dans les hivernages cycliques

Lorsque la faim fane les joies et fait sonner les os comme des olifants

Ou que la misère humilie les ventres mous. (Po : 228-229)

Dans l'extrait ci-dessus, nous voyons s'accuser le réseau de Contact (débarquèrent, nous les reçûmes, les ailes bleues, voiles blanches), de Colonisation (ils ont creusé sur la colline de grés rose, ils ont bâti des forts, et la force a croulé), de Religion (ivres de foi, pluie de miséricorde), et de Destruction : (la faim fane les joies, sonner les os, la misère humilie les ventres mous).

632 Papa Samba DIOP, « Léopold Sédar Senghor : un repère essentiel », Francofonia, 15, 2006, p. 97

158

Ce réseau vient corroborer les autres réseaux vus. L'association de tous les réseaux montre que la métaphore obsédante qui en résulte est celle d'une rencontre douloureuse : Contact-Traite négrière-Colonisation-Ruine/Destruction-Religion (réseau révélé par « Sur la plage bercé »). Cette métaphore obsédante connote d'une rencontre hostile, d'une rencontre brutale. On note, de cette rencontre, que l'Europe est la première à venir en l'Afrique en lui imposant la traite négrière, la colonisation et la religion bouleversant et détruisant ainsi les moeurs et coutumes africaines. Léopold Sédar Senghor, conscient de la douloureuse rencontre entre l'Afrique et l'Europe, veut que l'on retienne l'aspect positif de cette rencontre. Car, pour lui, cette rencontre a été bénéfique tant pour l'Afrique que pour l'Europe en général, et pour la France en particulier. Il demande aux Africains de ne pas oublier les apports bénéfiques et positifs de cette filiation faite par le biais de la traite négrière et la colonisation même si la rencontre fut brutale et humiliante. Sur cette logique d'idées, il s'appuie pour élucider son projet de la Francophonie, car il s'agissait avec ce projet de « sceller l'union sacrée entre l'ancien dominateur et l'ancien dominé, dans un monde de parfaite égalité »633 et de parachever, au-delà de l'histoire, le lien tissé par la rencontre historique. En effet, la Francophonie doit être le trait d'union, c'est-à-dire l'élément unificateur, entre l'Afrique et l'Europe, parce que « [nous] sommes une génération dont les destins [sont] mêlés, qu'on le veuille ou non, parce que nous avons cette Histoire commune [...] »634. Senghor, à propos du lien entre l'Europe et l'Afrique, dit que ce lien date depuis trois cents ans :

Trait d'union, nous le sommes également entre l'Europe et l'Afrique. Car, si nous

avons acclimaté ici, depuis trois cents ans avec la culture, l'humanisme de l'occident, et d'abord de la France [...]635.

C'est pourquoi, Luc Pinhas affirme que « le fait francophone [...] a donc partie lié, quoi qu'on en ait [...] avec le fait colonial [...] »636.

Le lien entre l'Afrique et l'Europe ou la France s'est renforcé par l'école des Blancs (par l'instruction occidentale). L'instruction occidentale a permis aux Noirs de prendre conscience de leur appartenance à une civilisation différente, mais non inférieure. De cette différence, Senghor en a fait une richesse, et à partir de la notion de la Négritude, il a fait

633 Idem., p. 97

634 « Le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadougou », 28 novembre 2017 à 20h27 -- Mis à jour le 28 novembre 2017 à 20h37. Disponible sur http://www.jeuneafrique.com/497596/politique/document-le-discours-demmanuel-macron-a-ougadougou

635 Message de Léopold Sédar Senghor au peuple sénégalais, Dakar, le 06 septembre 1960

636 Luc PINHAS, op. cit., pp. 69-70

159

l'apologie du métissage qui aboutira au projet de la Francophonie.637 Par le biais de l'école, la France a tout simplement appliqué dans son empire colonial certains principes qui lui étaient chers, tels que sa culture, sa langue.638 Et, les Noirs formés dans les écoles occidentales, ou qui ont reçu l'instruction occidentale, ont été dépossédés de leur identité.639 Senghor, rejetant cet aspect négatif, estime que l'école des Blancs a établi un lien filial entre l'Afrique et l'Europe permettant à l'Afrique d'être vue et entendue dans et par le monde. Cette conception de l'instruction occidentale a, sans doute, influencé Senghor dans l'élaboration du projet de la Francophonie. Quels réseaux d'images pouvons-nous voir se former dans les oeuvres de Senghor pour justifier ce qu'il vient d'être affirmé ? Les poèmes « Le message », « Que m'accompagnent Koras et Balafong » de Chants d'ombre nous sont utiles. Ils sont ainsi superposés à « Ndessé » d'Hosties noires et à « Chants pour signare » » de Nocturnes. Passons à la superposition des extraits de ces poèmes :

(Le message)

« Vous êtes docteurs en Sorbonne, bedonnants de diplômes. « Vous amassez des feuilles de papier-- si seulement des louis d'or à compter sous la lampe, comme feu ton père aux doigts tenaces ! (Po : 17)

(Que m'accompagnent Koras et Balafong)

Je ne fus pas toujours pasteur de têtes blondes sur les plaines

arides de vos livres

pas toujours bon fonctionnaire, déférent envers ses supé-

rieurs

Bon collègue poli élégant-- et les gants ?-- souriant riant

rarement

Vieille France vieille Université, et tout le chapelet déroulé. (Po : 29)

(Ndessé)

Ah !me pèse le fardeau pieux de mon mensonge

Je ne suis plus le fonctionnaire qui a autorité, le marabout aux disciples charmés. (Po : 79)

(Chants pour signare)

Depuis longtemps civilisé, je n'ai pas encore apaisé le Dieu

blanc du sommeil.

Je parle bien sa langue, mais si barbare mon accent ! (Po : 171)

Nous voyons s'agglomérer un groupe d'idées et d'images qui se manifestent dans nos extraits par les réseaux associatifs de l'Instruction/civilisé (docteurs, Sorbonne, bedonnants de

637 Claire TRÉAN, op. cit., p. 20

638 Anne JUDGE, « La francophonie : mythes, masques et réalités », Francophonie : Mythes, Masques et Réalités, Enjeux politiques et culturels, Publisud, p. 25

639 Marc GONTARD, « L'espace culturel francophonie à l'épreuve du regard », Regard dur la Francophonie, PUR, 1996, p. 17

160

diplômes, pasteur, bon fonctionnaire, ses supérieurs, bon collègue, les gants, vieille Université, le chapelet déroulé, le fonctionnaire, disciples charmés, civilisé) et de la Négation : (je ne fus pas, pas toujours, je ne suis plus, je ne suis plus, je n'ai pas). Par ces réseaux associatifs, nous voyons que l'école coloniale a permis aux Noirs d'être instruits et civilisés. Cependant, Senghor refuse le fait d'être un assimilé. En effet, à l'école coloniale, le Noir apprend la langue du colonisateur et s'initie à sa culture tout en oubliant ou méconnaissant sa propre culture. D'ailleurs, pour Senghor, "l'école des Blancs" est une sorte de punition que son père lui a infligée pour ses vagabondages :

Mon père me battait, souvent, le soir, me reprochait mes vagabondages ; et il finit,

pour me punir et « me dresser », par m'envoyer à l'École des Blancs, au grand désespoir de ma mère, qui vitupérait qu'à sept ans, c'était trop tôt640.

Nous voyons que Senghor a connu très tôt l'école des Blancs comme bon nombre d'Africains, arrachés à leurs mères, de leurs royaumes d'enfance, et sont devenus des Blancs à la peau noire, c'est-à-dire des acculturés. À ce fait, nous pouvons dire que l'école coloniale fut un instrument de la propagation de la culture occidentale, surtout française. Cette réalité est récusée par Senghor. En fait, il refuse l'idée selon laquelle le Noir soit transformé radicalement ; les coutumes et cultures nègres soient aussi corrompues. Il sait aussi que le Nègre, au sortir de l'école coloniale, est une copie de l'Occident. Pour justifier ce que les Noirs sont devenus, il dit : « Et puisqu'on lui a confisqué ses instruments, que les remplacent tabac, café et papier blanc quadrillé »641, le Noirs est obligé d'être comme le Blanc. De ce prétexte-excuse, nous comprenons que le Nègre est obligé d'imiter le colonisateur dans sa manière d'être et de faire, puisque l'école coloniale l'a voulu ainsi. Bien qu'elle soit un instrument de propagande culturelle occidentale, elle a su montrer que les hommes naissent égaux. Elle a été l'arme de l'émancipation des colonies, et elle a permis aux Africains de s'affirmer en tant qu'homme égal de l'homme Blanc.

Accepter le Nègre façonné par l'école coloniale en est la préoccupation de Léopold Sédar Senghor, parce que lui-même en est victime. Nous pouvons voir cette idée avec la superposition des extraits de « Que m'accompagnent Koras et Balafong », « Le retour de l'enfant prodigue » de Chants d'ombre et de « Ndessé » de Hosties noires.

(Que m'accompagnent Koras et Balafong)

Reçois l'enfant toujours enfant, qui douze ans d'errances

640 Léopold Sédar SENGHOR, Postface, Éthiopiques, Poèmes, op. cit., p. 158

641 Idem., p. 155

161

n'ont pas vieilli.

Je n'amène d'Europe que cette enfant amie, la clarté de ses yeux parmi les brumes bretonnes. (Po : 35)

(Le retour de l'enfant prodigue)

Sur ma faim, la poussière de seize années d'errance, et

l'inquiétude de toutes les routes d'Europe

Et la rumeur des villes vastes ; et les cités battues de vagues

de mille passions dans ma tête.

Mon coeur est resté pur comme Vent d'Est au mois de Mars. (Po : 45)

(Ndessé)

Reçois-moi dans la nuit qu'éclaire l'assurance de ton regard Redis-moi les vieux contes des veillées noires, que je me perde par les routes sans mémoire. (Po : 80)

De la superposition de ces extraits nous voyons s'accuser les réseaux associatifs suivants :

- Retour/Acceptation : Reçois l'enfant, douze ans d'errances, amène d'Europe, seize

années d'errance, les routes d'Europe, reçois-moi, redis-moi, les routes sans mémoire. - Innocence : toujours enfant, n'ont pas vieilli, cette enfant amie, la clarté de ses yeux,

sur ma faim, mon coeur est resté pur, la nuit, éclaire, l'assurance.

Nous comprenons, par ces réseaux, que Senghor demande de l'accepter comme il est, car ce

n'est pas sa faute s'il est devenu une copie de l'Occident. Pour diluer la dose européenne, il est nécessaire pour lui de se retourner aux sources africaines afin de fortifier ce qui lui reste comme africain. Il sait que l'école des Blancs ne l'a pas transformé radicalement. Au contraire, elle lui a permis de comprendre la réalité africaine et d'avoir les armes qu'il faut pour combattre le Blanc sur son propre terrain. Cela se lit dans « Élégie pour Aynina Fall » (Nocturnes) :

LE CORYPHÉE

Oui nous prendrons aux Conquérants leurs armes comme

nous l'avons toujours fait

Nous les tiendrons solidement en main, nous en ferons des signes fastes :

« Une étoile d'or vert sur la roue d'acier. » (Po : 211)

Et dans « Prière de paix » (Hosties noires) :

Bénis ce peuple qui m'a apporté Ta Bonne Nouvelle, Seigneur, et ouvert mes paupières lourdes à la lumière de la foi.

Il a ouvert mon coeur à la connaissance du monde, me montrant l'arc-en-ciel des visages neufs de mes frères. (Po : 93)

Cette idée est corroborée par Jacques Rabemananjara :

Il (l'Occident) a cru nous enfermer dans des systèmes clos, dans les ghettos des frontières érigées à son avantage, mais la vertu de sa langue et la force de ses idées sont en train d'en miner les fondements, d'en faire crouler les murailles. [...] Dérober à nos maitres leur trésor d'identité, le moteur de leur pensée, la clef d'or de leur âme, le sésame magique qui nous ouvre toute grande la porte de leurs mystères, de la

162

caverne interdite où ils ont entassé les butins volés à nos pères et dont nous avons à leur demander des comptes !642

Mieux, Senghor ne veut même pas qu'on dise qu'il est une copie de l'Occident. Il veut se débarrasser de ses vêtements d'emprunt, ceux de l'assimilation. Cette idée s'appréhende dans « Que m'accompagnent Koras et Balafong », lorsqu'il dit « Lave-moi, de toutes mes contagions de civilisé ». En fait, à l'école coloniale, on matait l'esprit des Noirs, on le lavait, on l'aseptisait pour qu'ils deviennent Français à la peau noire. On comprend donc l'épigraphe de la section III de « Que m'accompagnent Koras et Balafong » :

Entendez tambour qui bat ! Maman qui m'appelle. Elle m'a dit Toubab ! D'embrasser la plus belle. (Po : 28)

Dans cette épigraphe, le mot Toubab, signifiant Blanc, montre que Senghor est considéré comme une Européen, malgré son refus. En fait, Senghor refuse la manière de faire à l'occidental, et non l'idée selon laquelle l'école coloniale a permis d'établir un lien entre l'Afrique et l'Europe. Le système éducatif colonial s'est poursuivi après la décolonisation liant toujours l'Afrique à l'Europe. En effet, l'école occidentale s'est alignée sur la politique d'assimilation de l'époque ; elle consistait à faire adopter par tous les Noirs la culture et le modèle de société française. Les propos d'Alioune Sall viennent renforcer les nôtres :

L'école sénégalaise, elle, est fille de l'école coloniale. Celle-ci était au service de la colonisation, de la politique coloniale : (une conquête morale [...]). Or la politique coloniale de la France était l'assimilation : « Arrimer le colonisé au char colonial ». L'école coloniale avait donc pour tout but de faire aimer la France, sa langue, sa culture : sa musique, sa peinture, sa danse, etc.643

L'école française était une assimilation, elle inculquait les valeurs françaises permettant aux colonisés africains de devenir des citoyens français, bouleversant ainsi l'éducation traditionnelle. D'ailleurs, la Marseillaise était l'hymne que chantaient les colonisés jusqu'en 1960. Léopold Sédar Senghor en a été une victime du charme de la France à telle enseigne d'être Français par naturalisation. Cette éducation traditionnelle était une forme d'éducation collective où l'apprentissage se faisait par voie orale et par observation. En s'imprégnant du

642 Jacques RABEMANANJARA, « Les fondements de notre unité tirés de l'époque coloniale », Présence Africaine, numéro spécial, n°24-25, Fév.-Mai, 1959, pp. 69-70

643 Alioune SALL, Brève histoire de l'enseignement du français au Sénégal. Disponible sur http://xalimasn.com/brève-histoire-de-l-enseignement-du-français-au-senegal/

163

milieu dans lequel on vit, on devient un être accompli. C'est ce que Senghor recherche en préconisant le retour aux sources : « Redis-moi les vieux contes des veilles noires, que je me perde par les routes sans mémoire » (Ndessé /Hosties noires). Cette éducation traditionnelle a été modifiée par la colonisation avec l'école au Sénégal644 et, par la suite, dans toute l'Afrique.

L'école coloniale a vidé le Nègre de ses vertus, de sa substance pour faire de lui un assimilé645, un déculturé. Pour Senghor, l'impact de l'école coloniale sur le Nègre doit être accepté positivement, car elle a permis aux Nègres d'avoir les armes (les connaissances et les valeurs culturelles du colonisateur) qu'il fallait pour combattre l'ennemi Blanc sur son propre champ de bataille, sur son terrain. En effet, « c'est en transmettant des valeurs communes, une histoire commune, que les citoyens se reconnaissent comme appartenant à une même société. »646 C'est cet apport positif que Senghor veut retenir de l'école coloniale pour un partenariat équitable avec la France, car il n'y a pas « [de] fraternité sans égalité. »647 Or, l'école coloniale a permis d'établir cette égalité. L'école coloniale a fait du Noir un être ouvert aux pollens fécondants des grandes civilisations. Grâce à l'école coloniale, les Nègres ont pris conscience que le Blanc et le Noir sont égaux et qu'il fallait lutter pour faire accepter le Noir par le Blanc en tant que homme. Conscient du malaise provoqué par l'école coloniale, à savoir le mépris et la destruction des valeurs africaines, et de la nécessité de réhabiliter ces valeurs, Senghor pense qu'il faut utiliser les valeurs humanistes et positives que l'école coloniale a véhiculées pour maintenir le lien ombilical avec la France. Au lieu d'être une assimilation chez Léopold Sédar Senghor, l'école coloniale a été plutôt une aubaine à la fois pour l'Afrique et pour l'Europe, car elle a permis que les deux continents soient en contact, car la culture française a enseigné aux peuples du monde les idéaux de liberté, qu'elle incarne depuis la révolution. L'école occidentale a rendu les hommes libres, égaux et frères (fraternels). C'est-à-dire qu'avec l'école coloniale, la France a fait don, non seulement de sa langue, mais également de ses principes universels laissés, comme offrandes aux peuples qu'elle a occupés. Ces principes ont été des catalyseurs d'éveil de conscience pour les Nègres, que ceux-ci s'en sont servis pour revendiquer leur liberté, leur identité et l'égalité. En plus, l'école a établi un lien entre les Nègres eux-mêmes en premier lieu, puis les Nègres et le colonisateur en second lieu.

644 La première école coloniale fut construite à Saint Louis, au Sénégal, le 7 mars 1817. En effet, le système d'enseignement du Sénégal, tel qu'il se présente aujourd'hui, est l'héritier du passé colonial avec lequel il n'a pas rompu les liens.

645 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté I (Négritude et humanisme), p. 41

646 Cecile THOMAS, « L'éducation en Afrique francophone : De l'héritage colonial à l'autonomie intellectuelle : vers un partenariat équitable avec la France », Mémoire de recherche, Institut d'Études Politiques de Toulouse, 2007/2008 [sous la direction de Danielle Cabanis]

647 Cf. « Chaka », Éthiopiques, op. cit., p. 123

164

Ce sont ces liens établis par l'école coloniale que Léopold Sédar Senghor veut conserver à travers la Francophonie, car elle « est une somme de liens tissés entre différents peuples ».648

Lorsque nous superposons tous les réseaux associatifs vus dans cette partie, nous voyons que la métaphore obsédante qu'une telle opération souligne est la Sublimation : Traite négrière-Colonisation-Religion-Destruction-Négation-Contact-Instruction-Innocence-

Acceptation. La sublimation consiste en une déviation de but de la pulsion agressive. Cette déviation est une sorte de refus que la conscience s'impose pour se purifier. Mieux, la sublimation est le fait de masquer une réalité, considérée comme anormale, par une réalité acceptée, considérée comme normale du point de vue de la généralité.649 Léopold Sédar Senghor sublime donc la traite négrière et ses corollaires, à savoir la colonisation, la religion, l'instruction (l'école des Blancs) pour admettre ce qui est positif, c'est-à-dire le contact, l'instruction (le savoir) et l'acceptation (de l'Occident et du Noir déculturé). La sublimation, chez lui, est une manière de soulager, de purifier sa conscience. En effet, avec cette métaphore obsédante, il ressort que la colonisation sublimée est bénéfique. Pour cela, il faut que les Noirs l'acceptent, car la colonisation est devenue un élément de leur personnalité, comme le souligne bien Léopold Sédar Senghor :

C'est tout d'abord pour deux raisons historiques : [...]. La première est que, ne

voulant pas nous renier, nous ne voulons rien renier de notre histoire, fut-elle « coloniale », qui est devenue un élément de notre personnalité nationale. [...]650

Autrement dit, l'histoire coloniale de l'Afrique ne peut pas se changer, s'oublier. Les Noirs n'ont qu'à l'accepter, faire avec, la surmonter et aller de l'avant même si l'esclavage et la colonisation ont vidé le Nègre de ses vertus et de sa substance pour faire de lui un négatif du Blanc, « un larbin de l'ordre et un hanneton de l'espérance ».651 Le Nègre doit sortir de son histoire faite d'aliénation culturelle pour construire la cité nouvelle dans un rapport nouveau avec son bourreau, estime Léopold Sédar Senghor :

Sur le double plan du présent et du passé, de la colonisation et de la civilisation traditionnelle, en un mot sur le plan de l'histoire vécue, notre tâche est claire : Il faut sortir de notre aliénation pour construire la cité nouvelle. Désaliénation politique, désaliénation économique, désaliénation sociale, encore une fois, tout se résume dans le préalable de la désaliénation culturelle. Contrairement à ce que pensent un bon nombre d'hommes politiques la Culture n'est pas un appendice de la politique, que l'on

648 Dominique WOLTON, « L'identité francophone dans la mondialisation », op. cit., p. 25

649 C'est-à-dire de tous les hommes ou du point de vue du commun des mortels.

650 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie comme culture », op. cit. (loc. cit.), p. 132

651 Aimé CÉSAIRE, Cahier d'un retour au pays natal, Présence Africaine, Paris, 1983, p. 7

165

peut couper sans dommage. Ce n'est même pas un simple moyen de la politique. La culture est le préalable et la fin de toute politique digne de ce nom652.

Mieux, la sublimation que fait Léopold Sédar Senghor est une sorte d'invitation à assumer le fait historique pour pouvoir construire un avenir ou un monde fraternel dans lequel Noirs et Blancs seront des partenaires égaux. Pour lui, l'histoire coloniale était une manière, même si brutale fut-elle653, d'entrer en contact avec les autres654. Par le biais de la colonisation, l'Afrique et l'Europe ont tissé un lien historique que Senghor convie à conserver et à entretenir à travers le projet de la Francophonie.

Nous pouvons ainsi émettre que la sublimation est une résignation chez Léopold Sédar Senghor comme chez tout le peuple noir à l'époque coloniale. Cela est perceptible dans un passage de L'aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, passage dans lequel la Grande Royale demande au peuple Diallobé d'accepter d'envoyer leurs enfants à l'école des Blancs pas parce qu'elle est bonne, mais parce que le peuple Diallobé ne peut rien faire face à la machine coloniale qui est l'école :

- L'école où je pousse nos enfants tuera en eux ce qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soin, à juste titre. Peut-être notre souvenir lui-même mourra-t-il en eux. Quand ils nous reviendrons de l'école, il en est qui ne nous reconnaitrons pas. Ce que je propose c'est que nous acceptions de mourir en nos enfants et que les étrangers qui nous ont défaits prennent en eux toute la place que nous aurons laissée libre655.

Senghor accepte sa condition de colonisé, et invite ses pairs ou confrères à y faire pareillement comme l'a proposé la Grande Royale. Marcien Towa a vu juste lorsqu'il dit :

Mais Senghor voudrait que le colonisé considère l'occupation de son pays, la colonisation en elle-même, non comme une catastrophe, mais comme un « Avènement » : [...] La colonisation n'exporte pas seulement, des marchandises et des soldats, mais aussi « des professeurs, des médecins, des ingénieurs, des administrateurs et des missionnaires... Elle ne tue pas seulement, elle guérit et éduque », des écoles, des routes, des hôpitaux... [...] L'Europe nous a apporté, avec le développement des sciences, des techniques plus efficaces que celles dont nous disposions...656

L'histoire africaine est marquée pour toujours par la traite négrière et la colonisation. Ce que l'on peut faire est de la sublimer et de la dépasser pour aller de l'avant. Et, c'est ce que

652 Léopold Sédar SENGHOR, Nation et voie africaine du socialisme, Présence Africaine, Paris, 1961, p. 82

653 Emmanuel MACRON, lors d'une visite à Alger, affirme que « la colonisation est un crime contre l'humanité ». Chronique de HAMIDOU Anne, Monde, 17.02.2017

654 François FILLON considère « la colonisation comme partage de culture à d'autres peuples ». Idem.

655 Cheikh Hamidou KANE, L'aventure ambiguë, Paris, Julliard, coll.10/18, 1961, pp. 57-58

656 Marcien TOWA, Léopold Sédar Senghor : Négritude ou Servitude ?, Yaoundé, Édition CLE, 1980, p. 96

166

fait Senghor avec le projet de la Francophonie. Quoi qu'on dise, le projet de la Francophonie a partie liée avec le fait colonial et ses conséquences politiques, linguistiques, culturelles, religieuses et identitaires. Avec le projet de la Francophonie, il s'agissait pour les Africains non seulement de ne pas avoir honte d'avoir été colonisés, mais d'apporter leur contribution décisive au monde de demain qui est en train de se construire (la mondialisation). Prêtons les propos de Félix Houphouët Boigny à Léopold Sédar Senghor pour mieux mettre en évidence l'idée qui sous-tend le projet de la Francophonie :

Alors mes chers frères, il n'y a pas de honte à avoir été colonisés. Nous n'avons

plus à nous attarder dans des complaintes inutiles. Nous devons apporter de plus à ce monde notre contribution décisive.657

Les propos de Félix Houphouët Boigny corroborent bien la conception senghorienne de la Francophonie. Il ne s'agit pas de s'enorgueillir du fait d'être colonisé, mais d'accepter le fait d'être colonisé. En effet, Léopold Sédar Senghor n'avait aucun complexe d'ancien colonisé.658 La colonisation fait partie de l'histoire des Noirs autant que la traite négrière. De tous les humains, le Nègre est le seul dont la chair fut faite marchandise659 et hostie.660 Cela est marqué dans l'histoire collective des Noirs. Tout au long de son histoire et de sa marche, le continent africain n'a cessé de se frotter à d'autres civilisations : la conquête des arabes, la conquête occidentale, la traite négrière, la colonisation, la néo-colonisation, la mondialisation. Refuser cette évidence, c'est refuser d'exister et d'avoir une identité. L'Afrique ne peut rien y faire que se résigner et l'accepter.

La sublimation de l'histoire tragique de l'Afrique est d'abord pour Senghor une manière de se libérer, et enfin de « libérer l'homme noir de la domination et de tous ses complexes, et de l'amener à recouvrer sa dignité afin de participer pleinement à l'avènement de la `' Civilisation de l'universel'', projet de société et concept chers à Senghor ».661 Elle est également une source de réapprovisionnement psychologique afin de puiser la sève somptueuse dont le monde a besoin pour vivre ensemble.

657 Félix Houphouët BOIGNY, discours prononcé lors de la proclamation de l'indépendance de la Côte d'Ivoire, Fraternité Matin, hors-série, n°6, août 2010, p. 7

658 Maurice DRUON, op. cit.

659 Achile MBEMBA, Critique de la raison nègre, La découverte, 2013, 267 p.

660 Cf. Léopold Sédar SENGHOR, Hosties noires.

661 Eugène TAVARES, « Négritude, Lusitanie et Francophonie chez Léopold Sédar Senghor ou la recherche ineffable d'identité », Synergies, n° spécial 2, Brésil, 2010, p. 102 (op. cit.)

167

L'histoire montre qu'il y a une filiation entre l'Afrique et l'Europe, pourquoi ne pas s'en servir alors pour redéfinir de nouveaux liens ? Senghor semble donner la réponse avec le projet de la Francophonie.

Le contact de l'Afrique avec l'Europe ne s'est pas fait de façon paisible et pacifique, mais brutal laissant des stigmates dans la conscience de la collectivité. Ce malaise a occasionné la haine, la colère contre le colonisateur oubliant l'apport positif de ce contact. La traite négrière et la colonisation sont, certes, négatives dans l'ensemble, et personne ne veut les revivre, mais elles ont favorisé l'ouverture de l'Afrique à d'autres races, à d'autres cultures et civilisations. Elles ont permis, également, à des peuples de se rencontrer et de se tisser des liens fraternels.

Léopold Sédar Senghor, réalisant les bienfaits de cette rencontre, de ce contact, se démarque de ses pairs et adopte un ton plus conciliant dans ses poèmes. Ce ton adopté n'est rien d'autre que la sublimation662 de l'aspect négatif de cette rencontre qui pourrait détériorer les relations fraternelles et amicales entre l'Afrique et l'Europe. Pour lui, il fallait acquérir les connaissances et les valeurs culturelles du colonisateur pour pouvoir prétendre être égaux. Il conçoit la traite négrière et la colonisation comme une aubaine pour l'Afrique, car elles ont permis le contact avec l'Europe à travers l'école.

Quant à l'école des Blancs, elle a permis d'acquérir les connaissances et les valeurs culturelles requises du colonisateur et qui fait de l'homme noir un partenaire égal de l'homme blanc. L'impact positif de l'école est que l'Africain se serve de la langue du colonisateur pour se faire comprendre des autres en général, et du colonisateur en particulier avec qui il est lié définitivement. L'école a été, aussi, un instrument de la colonisation, ainsi qu'un apport positif. Léopold Sédar Senghor veut retenir de la colonisation cet apport positif, du fait qu'elle a ouvert les africains vers au monde extérieur.

La filiation historique avec la France est indéniable. Par la sublimation, Léopold Sédar Senghor prend ce qu'il y a de positif pour faire de cette filiation historique un outil unificateur entre deux races : la race noire et la race blanche. En fait, au centre de sa conception de la Francophonie se trouve l'idée que l'Afrique est liée à l'Europe, à la France par le biais de l'histoire coloniale. Cette histoire a permis une rencontre enrichissante de part et d'autre en

662 La sublimation, dans ce contexte, est une dérivation de but de la négativité. Mieux, c'est rendre plus attrayant dans sa création ce qui est mauvais dans la réalité. Senghor, au travers de sa poésie, appréhende la colonisation de façon positive.

168

donnant naissance à une nouvelle carte du monde : la communauté des francophones et la communauté des non francophones répondant ainsi à ceux qui pensent que le malheur de l'Afrique, c'est avoir rencontré la France663, et à ceux qui estiment qu'il faut couper le cordon ombilical avec l'ancienne puissance coloniale qui est la France664. La sublimation lui offre l'opportunité de dire qu'il n'y a pas de choc, mais une rencontre fructueuse. Cette rencontre a engendré l'idée du concept de Francophonie, pour ainsi dire. En fait, la filiation établie entre l'Afrique et l'Europe par la traite négrière et la colonisation est l'une des raisons latentes du projet de la Francophonie.

Au colonialisme avec son cortège habituel de violences, d'humiliations, de guerres et d'exploitations intensives, s'associaient des formes d'empathie et des doses de fraternité qui ont longtemps lié Français et Africains dans une possible communauté de destins historiques, que Léopold Sédar Senghor appellera plus tard la Francophonie. Pétri de contradictions, oscillant, constamment, entre les logiques antagonistes de l'assimilation et l'association, et traitant tout à la fois ses colonisés en frères et en sujets, l'impérialisme français a constitué un cadre complexe au sein duquel les Africains pouvaient paradoxalement imaginer et forger aussi de nouvelles identités, voire de nouvelles définitions de la nationalité, de la souveraineté et de la République. Ce cadre est propice à Senghor pour définir le concept de Francophonie.

Cependant, la filiation historique ne semble pas la seule raison latente du projet de la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor. L'autre raison qui pourrait influencer Senghor dans l'élaboration du projet de la Francophonie est la participation des Noirs à la seconde guerre mondiale. C'est ce dont il s'agit dans notre second point d'analyse. Nous savons qu'à chaque fois qu'il y a un choix à faire, à chaque fois où Senghor est confronté à un choix cornélien, il choisit de sacrifier l'une de ses passions où l'un de ses amours. Il est question, cette fois-ci, du sacrifice des soldats noirs. Nous montrons que Senghor sublime ce sacrifice pour annoncer l'avènement d'un monde meilleur et plus fraternel. Pour Léopold Sédar Senghor, les soldats africains morts au champ de bataille sont une semence afin qu'advienne un monde meilleur où les races et les nations vivront en harmonie. Et, ce monde n'est que, dans son entendement, la Francophonie. Il reste à interroger ses oeuvres pour dégager les réseaux associatifs qui mettent en évidence ce sacrifice. Mieux, il s'agit d'expliquer comment le sacrifice de l'Afrique pour

663 C'est la pensée d'Aimé Césaire de la colonisation. Nous estimons qu'il y a une opposition entre cette pensée et celle de Senghor. Selon Aimé Césaire, « Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission f...] » et « que notre malchance a voulu que ce soit l'Europe-là que nous ayons rencontrée sur notre route f...] ». Cf. Discours sur le colonialisme, pp. 12-14.

664 Ici, référence à Alpha CONDÉ, lors de la cérémonie Africa Emergence en Côte d'Ivoire, le mercredi 28 mars 2017, disponible sur http://www.afrique-sur7.fr/47967/africa-emergence-guinee-alpha-conde-demande-a-couper-cordon-france/

169

l'Europe peut être un fait historique influençant Senghor dans l'élaboration du projet de la Francophonie.

170

2. LE SACRIFICE DE L'AFRIQUE POUR L'EUROPE

Le sang versé pour une tierce personne ou pour soi est un sacrifice ultime dont on a recours dans les cas extrêmes, c'est-à-dire le sang est le symbole du grand sacrifice. Dans l'ensemble des poèmes de Léopold Sédar Senghor, l'on dénombre au moins cent trente-deux (132) occurrences du mot « sang », pour dire qu'il considère cela comme un sacrifice. Ce qui est, pour lui, une obsession : « Avant de nous intéresser aux différentes représentations du sang dans l'oeuvre, il faut dire que ce liquide visqueux, de couleur rouge, fonctionne comme une obsession chez le poète. »665 C'est la raison pour laquelle Sana Camara affirme qu' « il serait [bon] de voir en Senghor seulement le poète du sacrifice [...] »666. Le thème du sacrifice est mis en évidence dans l'ensemble des poèmes de son recueil Hosties noires. Dans ce recueil, « le poète y dénonce le spectacle écoeurant des Noirs utilisés comme des chairs à canons. »667, et selon Papa Samba Diop, « l'adjectif `'noires» caractérise ces offrandes à Dieu, et désigne les corps des soldats africains morts pendant la seconde Guerre mondiale. Le poète les assimile à des victimes, dont l'immolation s'est faite sur l'autel des intérêts de l'Europe. »668 Bien que Hosties noires soit l'oeuvre phare mettant en relief le thème du sacrifice, ce thème traverse, également, presque toute la production poétique de Senghor. Le sacrifice, qu'il soit animalier ou pas, qu'il soit expiatoire ou pas, qu'il soit échappatoire ou pas, est un acte que l'on pose en réparation d'une faute, d'une offense ou que l'on pose pour avoir ce qu'on désire ardemment. Pour dire que le sacrifice n'a jamais été vain, il a une dimension profondément positive, comme nous le saisissons dans les extraits ci-dessous :

J'offre un poulet sans tache, debout près de l'Ainé, bien que tard venu, afin qu'avant l'eau crémeuse et la bière de mil

Gicle jusqu'à moi et sur mes lèvres charnelles le sang chaud salé du taureau dans la force de l'âge, dans la plénitude de sa graisse. (Po :57)

665 René GNALÉGA, « Le symbole du sang dans la poésie de Senghor », Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 40

666 Sana CAMARA, « Aimé Césaire et Léopold face à l'historicité nègre », Éthiopiques, numéro spécial, hommage à Aimé Césaire, p. 188

667 Adama NDAO, « Étude de Hosties noires », op. cit.

668 Papa Samba DIOP ; « Léopold Sédar Senghor : Poésie », op. cit., p. 36.

171

Ou

Et quelle offrande apaisera le masque blanc de la déesse ? Sera-ce le sang des poulets ou des cabris ou le sang gratuit de mes veines ?

Seront-ce les prémices de mon chant dans l'ablution de mon orgueil ?

[...]

Le poulet blanc est tombé sur le flanc, le lait d'innocence s'est troublé sur les tombes

Le berger albinos a dansé par le tann, au tam-tam solennel des défunts de l'année. (Po : 145-146)

À travers les extraits ci-dessus, il ressort, chez Senghor, que le sacrifice, dans ses poèmes, n'est pas seulement humain, mais aussi animalier. Ce sacrifice a un sens double dans les poèmes senghoriens, comme le dit Babacar M'Baye :

D'une part, Senghor se sert de ces poèmes comme moyen d'exprimer le cosmopolitisme avec lequel il adopte la France et son idéal de liberté, qui a incité d'autres soldats sénégalais et lui-même à se battre pour libérer la métropole de l'envahisseur allemand. D'autre part, il se sert aussi de ces poèmes comme d'un outil pour révéler la déception et la colère qu'il ressent en découvrant une société française qui refuse de percevoir les tirailleurs comme égaux, malgré l'énorme sacrifice accompli par ces soldats au nom du développement de la France et de sa lutte pour la liberté669.

Par le sacrifice des tirailleurs sénégalais, Senghor invite la France à daigner reconnaître ces tirailleurs africains qui l'avaient libérée comme des cousins cosmopolites. Cette idée sous-tend son projet de la Francophonie. Il a la ferme conviction que ce sont la guerre et le sacrifice des tirailleurs qui lui ont permis de prendre conscience d'une théorie du métissage culturel, comme l'idéal de civilisation, défendu avec le concept de Francophonie :

Après deux ans de captivité [...], deux ans de méditation, je suis sorti guéri. Guéri de la négritude-ghetto, parce que du racisme [...]. Pendant deux ans, j'avais donc médité sur l'essence du « miracle grec ». [...] Et, j'avais découvert, au bout de ma réflexion, que c'était le miracle du métissage, biologique, mais surtout culturel, qui avait créé la civilisation grecque. [...] Cette découverte, refaite en face du nazisme, m'a aidé à transformer ma vie, à m'orienter, peu à peu vers la théorie du métissage culturel, comme l'idéal de civilisation670.

Les années de guerre marquent une importante rupture de Senghor d'avec la Négritude militante. Il acquiert la conviction que tous les hommes sont égaux et que, pour sauver l'homme,

669 Babacar M'BAYE, « Cosmopolitisme et anticolonialisme dans quelques poèmes de Léopold Sédar Senghor pendant la Seconde Guerre mondiale », Migrance, 39, pp. 79-91

670 Léopold Sédar SENGHOR, La poésie en action, Stock, Paris, 1980, pp. 184-185

172

il faut le métissage des civilisations. Or, « en Francophonie, il s'agit toujours de l'homme : à sauver et à perfectionner [...J »671. C'est dire que la Francophonie est la nouvelle orientation de la Négritude, expression de sa foi en l'avènement d'un monde de fraternité et de paix. Intéressons-nous à présent aux oeuvres poétiques de Senghor pour dégager les réseaux associatifs afin d'exprimer comment le sacrifice de l'Afrique pour l'Europe l'a-t-il influencé dans l'élaboration de la Francophonie.

Léopold Sédar Senghor a été marqué par la guerre. L'on pourrait s'appuyer uniquement sur ses oeuvres poétiques pour dire qu'il a été un soldat, voire un tirailleur sénégalais, car ses oeuvres en sont le témoignage. En effet, par ses oeuvres, l'on apprend de lui qu'il a été fait prisonnier en Allemagne puis relâché. À travers les poèmes « Libération » (Chants d'ombre), « Femme de France », « Ndessé », « Lettre à un prisonnier » (Hosties noires », « Kaya-Magan » (Éthiopiques), qui sont superposables, Léopold Sédar Senghor exprime ses souvenirs de prisonnier. Superposons-les pour en savoir plus.

(Libération)

Les torrents de mon sang sifflaient le long des berges de ma

cellule. [...1

Et libéré de ma prison, je regrettais déjà le pain bis et le

bas-flanc des insomnies. (Po : 24-25)

(Femme de France)

Comme le lait et le pain bis de paysan, purs dans ses mains si gauches et calleuses ! (Po : 76)

(Ndessé)

Voici que je suis devant toi Mère, soldat aux manches nues

[...1

Mère, je suis un soldat humilié qu'on nourrit de gros mil.( Po :79-80)

(Lettre à un prisonnier)

Vous ignorez le bon pain blanc et le lait et le sel et les mets

substantiels qui ne nourrissent pas, qui divisent les civils. (Po :81)

De ces extraits se forme le réseau du Prisonnier : ma cellule, libéré de ma prison, le pain bis, le lait et le pain bis, un soldat aux manches nues, un soldat humilié, gros mil, le bon pain et le lait et le sel et les mets substantiels. Ce réseau justifie que Léopold Sédar Senghor a été bel et bien un prisonnier pendant la seconde guerre mondiale, et traduit, également, le souvenir d'un prisonnier de guerre. Senghor a un souvenir douloureux de la guerre. À travers lui, ce sont tous les prisonniers de guerre, particulièrement les tirailleurs sénégalais, maltraités, mal nourris, qui sont convoqués par ce réseau. Ils ont pour nourriture le lait et le pain bis, ce pain nazi donné

671 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie, comme culture », op. cit. (loc. cit.), p. 139

173

aux prisonniers, ces « mets substantiels qui ne nourrissent pas, qui divisent... ». Cette idée est mise en évidence dans « Élégie pour Georges Pompidou » (Élégies Majeurs) :

Donc bénissez mon peuple noir, tous les peuples à peau

brune à peau jaune

Souffrant de par le monde, tous ceux que tu relevas fraternel,

ceux que tu honoras

Qui étaient à genoux, qui avaient trop longtemps mangé le

pain amer, le mil le riz de la honte les haricots : (O. Po :319)

La superposition de cet extrait avec nos extraits précédents accuse un réseau singulièrement sombre : les prisonniers ne sont pas considérés comme des humains. Les indices textuels, tels que « les torrents de mon sang », « regrettais », « insomnies », « ses mains gauches et calleuses », « un soldat humilié », « qui divisent les civils », « pain amer », « le riz de la honte » traduisent l'écoeurement, la répugnance de Léopold Sédar Senghor à l'encontre de la guerre. En effet, la guerre fut atroce, et les Noirs étaient animalisés, bestialisés et méprisés par les Allemands. Les tirailleurs sénégalais étaient appelés « Die Schwarze schande»672, ce qui signifie la honte noire, par les Allemands pour parler de la France qui compte sur ses colonies pour combattre. Senghor se souvient de la maltraitance et de l'humiliation subies par les prisonniers africains, parce qu'il a été, à la fois, témoin oculaire de ces souffrances déshumanisantes et victime. En effet,

La guerre fut pour Senghor une expérience pénible, humiliante et dégoutante. Armé de ses diplômes et de sa « doctrine » pacifiste, il pouvait caresser l'espoir d'une carrière brillante et sereine. Brusquement, la guerre fait de lui un soldat de deuxième classe au 23è, puis au 3è Régiment d'Infanterie Coloniale : un tirailleur sénégalais comme un autre. Il touche du doigt le sort qui est fait aux seins. Mais cette fois il n'est plus simple témoin, il est parmi eux ; il ne les regarde pas se débattre, il se débat avec eux. Il s'émeut profondément, l'indignation et la colère montent673.

Cependant, en étant prisonnier, soldat, Senghor prend conscience de ce qu'est l'être humain, c'est-à-dire l'existentialisme qui place la liberté humaine au-dessus de tout, qui défend la valeur de la personne humaine et qui cherche à réaliser son épanouissement, qui invite à la mort de soi pour renaitre à l'autre.674 Mieux, c'est son horreur du nazisme, de la guerre, qui changea sa vision de la Négritude, et qui le rendit humaniste. Cette prise de conscience l'amène à la sublimation des atrocités de la guerre pour en faire une offrande sacrificielle que l'Afrique a donné à l'Europe en général, et à la France en particulier pour la renaissance du monde. Le

672 Cf. « Aux tirailleurs sénégalais morts pour la France », Hosties noires, op. cit., p. 62.

673 Marcien TOWA, op. cit., p. 47.

674 Jean Paul SARTRE, « L'existentialisme est un humanisme », discours prononcé en 1946 à la Sorbonne

174

titre d'un de ses poèmes de Hosties noires est révélateur : « Aux tirailleurs sénégalais morts pour la France ». Ce titre nous situe sur le sens expressif des poèmes de Senghor. En effet, on comprend par ce titre que les tirailleurs sénégalais ont fait don de leur corps et de leur vie pour sauver la France, d'où aussi la haine des Allemands pour les Noirs : « Die Schwarze schande ». La sublimation de ce sacrifice, de ces tirailleurs morts oubliés par la France, est l'expression de la moisson future qui sera renaissance pour une communauté fraternelle et humaine. C'est ce sens que Senghor donne au sacrifice des tirailleurs sénégalais. Leurs sangs deviennent alors don, libation, sacrifice ou expiatoire duquel renaissent l'espoir et la vie d'une communauté aspirant à la fraternité universelle.

Avant de parler de la deuxième guerre mondiale à laquelle les tirailleurs sénégalais ont donné leurs corps comme des « hosties noires » pour la France, intéressons-nous à la guerre de Fouta-Djallong contre Gâbou pour savoir les raisons d'un tel rappel dans les poèmes senghoriens. Cette guerre est mise en évidence dans « Que m'accompagnent Koras et Balafong » de Chants d'ombre dans l'extrait suivant:

J'étais moi-même le grand-père de mon grand-père J'étais son âme et son ascendance le chef-de la maison d'Élissa de Gâbou

Droit dressé ; en face, le Fouta-Djallong et l'Almamy de Fouta

« On nous tue, Almamy ! on ne nous déshonore pas. »

Ni ses montagnes ne purent nous dominer ni ses cavaliers

nous encercler ni sa peau claire nous séduire Ni nous abâtardir ses prophètes.

Ma sève païenne est un vin vieux qui ne s'aigrit, pas le vin de palme d'un jour.

Et seize ans de guerre ! seize ans le battement des tabalas de guerre des tabalas des balles !

Seize ans les nuages de poudre ! seize ans de tornade sans un beau jour un seul

? Et chante vers les fontaines la théorie des jeunes filles

aux seins triomphants comme tours dans le soleil Seize ans le crépuscule ! et les femmes autour des sources

étendent des pagnes rouges

Seize ans autour du marigot d'élissa, que fleurissent-les lances bruissantes. (Po : 30-31)

Dans cet extrait, il s'agit de la longue guerre contre Fouta-Djallong et le Gâbou. En effet,

Chez les sérères, une tradition fait venir la dynastie princière des Guellowar du Kaabu. [...]. On pense que cette migration a eu lieu au plus tôt au XIVe siècle, [...]. Dans tous les cas, l'origine mandingue de certains clans sérères est indiscutable. Senghor s'est inspiré de ces traditions orales de son poème, « Que m'accompagnent koras et balafong ». Ce poète reprend le récit des luttes entre le Fouta-Djallon et les Kaabunke [...]. La guerre dont parle Senghor n'est pas le kansala kelo ou guerre de

175

Kansala ; il s'agit cependant d'un épisode de la longue guerre du Fouta-Djallon contre Gabu.675

En fait, cette guerre entre le Fouta-Djallong et le Gâbou est due à la volonté du Fouta-Djallong d'islamiser le Gâbou qui refuse de l'être : « Ma sève païenne est un vin vieux qui ne s'aigrit, pas le vin de palme d'un jour ». Ce refus engendrera la guerre. Ce poème est une manière pour Senghor de dire son refus d'être assimilé, et de chanter la bravoure de ses ancêtres qui ont transmis cet orgueil, cette fierté d'être soi à leurs descendants :

Mon père m'a dit que ses ancêtres venaient du Gabou qui est une région de la haute

Guinée portugaise. Les Senghor se trouvent surtout en Casamance, à la frontière de l'ancienne Guinée portugaise [...].676

C'est pourquoi, Marcien Towa dira que

Dans le plus grand poème Que m'accompagnent Koras et Balafong, Senghor

exalte la bravoure que déploya le peuple sérère au cours d'une longue année de guerre de seize ans contre l'Almamy (chef religieux) du Fouta677.

Le récit de la guerre entre Fouta-Djallong et le Gâbou est aussi mis en évidence dans « Épitres à la princesse » d'Éthiopiques :

Grâces à la Princesse qui se faisait loisirs de mes récits, pleurant aux malheurs de ma race :

Les guerres contre l'Almamy, la ruine d'Élissa et l'exil à Dyilor du Saloum

La fondation du Sine. Et le désastre

Quand les Guelwârs furent couchés sous les canons comme

des gerbes lourdes. Les cavaliers désarçonnés

Tombèrent debout les yeux grands ouverts au chant des

griots.

Et de nouveau la ruine de Dyilôr, le manoir investi par cactées et Khakhams. (Po : 136)

La superposition de cet extrait avec celui de Chants d'ombre accuse un réseau à la fois sombre et heureux. Les réseaux formés et qui y correspondent sont :

- Massacre : droit dressé, tué, seize ans de guerre, seize ans de guerre, seize ans le battement des tabalas, de guerre des tabalas, des balles, seize ans de tornade, rouge, les

675 Djibril Tamsir NIANE, « Les sources orales de l'histoire du Gabu », Éthiopiques, n°28, numéro spécial, octobre 1981

676 Léopold Sédar SENGHOR, La poésie de l'action, p. 32 (C'est également pour lui une occasion de justifier ses origines).

677 Marcien TOWA, op. cit., p.31

176

guerres contre l'Almamy, la ruine d'Elissa, l'exil à Dyilôr du Saloum, le désastre, couché sur les canons, désarçonnés, tombèrent, la ruine de Dyilôr, le manoir investi.

- Honneur/Intégrité : on ne nous déshonore pas, ni ses montagnes ne purent nous

dominer, ni ses cavaliers nous encercler, ni sa peau claire nous séduire, ni nous abâtardir, debout, au chant des griots.

- Renaissance : triomphants, le soleil, crépuscule, fleurissent, nouveau.

De ces réseaux, est mis en évidence le massacre fait par le Fouta-Djallong. Durant ce massacre,

les ancêtres de Léopold Sédar Senghor sont restés intègres. Le Fouta-Djallong n'a pas pu flétrir la culture des Guelwârs : « L'honneur et l'héroïsme constituent les vertus nobles par excellence. La noblesse sérère (les Guelwârs) les posséda au plus haut point [...] ».678 Senghor considère la guerre de seize ans comme la preuve indélébile de l'honneur de tous les tirailleurs sénégalais aux fronts en général, et de tous les Noirs en particulier. L'homme noir est intègre à telle enseigne qu'il peut se sacrifier pour préserver sa dignité et son honneur :

Guêlowar !

Ta voix nous dit l'honneur l'espoir et le combat, et ses ailes s'agitent dans notre poitrine

Ta voix nous dit la République, que nous dresserons la Cité dans le jour bleu

Dans l'égalité des peuples fraternels. Et nous nous repon-dons : « Présents, ô Guelowâr ! » (Po : 71)

car l'intégrité est une qualité intrinsèque de la condition sociétale traditionnelle de l'homme noir. De tous les cas, la guerre de seize ans a permis aux Sérères de rebâtir leur royaume par le sacrifice et par la fierté, par « l'orgueil de [leurs] pères »679 :

Seize ans durant, les ancêtres opposèrent à l'agression de l'Almamy, chef du Fouta, une farouche résistance, sacrifiant tout : trésors, captifs, masques, épouses, « et ma vieille peau », ajoute le poète. Du massacre général purent échapper deux princesses, escortées de paysans, « leurs seigneurs et leurs sujets », « et parmi elles la mère Sira-Badral, fondatrice de royaumes, qui sera le sel des Sérères, qui seront le sel des peuples salés »680

C'est cette idée de bâtir après la guerre que Senghor veut retenir lorsqu'il rappelle la guerre de seize ans qui opposait ses ancêtres à l'Almamy de Fouta-Djallong ; cette même idée se lit dans « CAMP 1940/Au Guélowar », de Hosties noires : « la Cité dans le jour bleu »681.

Chez Senghor, la mort n'est pas gratuite, elle est source de renaissance, de naissance d'un nouveau monde. Ses ancêtres n'ont pas pris la guerre de seize ans comme une fatalité, au

678 Marcien TOWA, Idem., p. 35

679 Cf. « Ndessé », Hosties noires, p. 80

680 Marcien TOWA, op. cit., p. 35

681 Cf. « Camp 1940/ Au Guélowar », Hosties noires, op. cit., p. 71

177

contraire, cette guerre leur aura appris à tenir ferme dans leur conviction, et donné le courage de rebâtir les murs de leur royaume. On comprend, dès lors, qu'il faut se sacrifier, mourir pour que renaisse la Cité de demain où

« [...] l'enfant blanc et l'enfant noir-- c'est l'ordre alpha-

bétique--, [...] les enfants de la France Confédérée

aillent main dans la main

« Tels que les prévoit le Poète, tel le couple Demba-Dupont

sur les monuments aux Morts

« Que l'ivraie de la haine n'embarrasse pas leurs pas dépé-

trifiés

« Qu'ils progressent et grandissent souriants, mais terribles

à leurs ennemis comme l'éclair et la foudre ensemble. (Po : 69)

Tant de sacrifices ne doivent demeurer vains, pense Léopold Sédar Senghor, ils devront être « cendre pour les semailles d'hivernage »682 « de la France Confédérée »683. Cette France Confédérée n'est autre que la Francophonie, car elle regroupait au temps de la seconde guerre la France et ses colonies. Senghor avait à l'esprit, comme l'on peut l'appréhender dans l'extrait de « Prière des Tirailleurs sénégalais », une France rénovée qui épouserait les idéaux d'entraide et d'assistance mutuelle, où l'enfant blanc et l'enfant noir vivront ensemble, une France unie avec ses colonies. Ce fut un rêve qui ne saura tarder car la réalité en est que ce rêve a donné naissance à la Francophonie, un concept qui semblerait signifier « apprenons à vivre différents et ensemble ».

À présent, superposons d'autres poèmes afin de mieux cerner l'idée qui sous-entend la naissance de la Francophonie : le sacrifice des Noirs pour la France. Nous allons d'abord superposer cinq poèmes, à savoir « À l'appel de la race de Saba », « Aux tirailleurs sénégalais », « Assassinat », « Prière de paix » (Hosties noires), et « Élégie pour Aymina Fall » (Nocturnes).

(À l'appel de la race de Saba)

Mère, sois bénie !

Reconnais ton fils à l'authenticité de son regard, qui est

celle de son coeur et de son lignage

Reconnais ses camarades reconnais les combattants, et

salue dans le soir rouge de ta vieillesse

L'AUBE TRANSPARENTE D'UN JOUR NOUVEAU. (Po : 59-60)

(Aux tirailleurs sénégalais morts pour la France)

Ah ! puissé-je un jour d'une voix couleur de braise, puissé-je chanter

L'amitié des camarades fervente comme des entrailles et délicate, forte comme des tendons

Écoutez-nous, Morts étendus dans l'eau au profond des

682 Cf. « Chaka», Éthiopiques, op. cit., p. 118

683 Cf. « Prière des Tirailleurs sénégalais », Hosties noires, op. cit., p. 69

178

plaines du Nord et de l'Est

Recevez ce sol rouge, sous le soleil d'été ce sol rougi du sang des blanches hosties

Recevez le salut de vos camarades noirs, Tirailleurs sénégalais

MORTS POUR LA RÉPUBLIQUE ! (Po : 63)

(Assassinat)

Les prisonniers sénégalais ténébreusement allongés sur la

terre de France

En vain ont-ils coupé ton rire, en vain la fleur plus noire

de ta chair

Fleur noire et son sourire grave, diamant d'un temps immé-

morial

Vous êtes le limon et le plasma du printemps viride du

monde. (Po : 75)

(Prière de paix)

? Mais je sais bien que le sang de mes frères rougira de nouveau l'Orient jaune, sur les bords de l'Océan Pacifique que violent tempêtes et haine

Je sais bien que ce sang est la libation printanière dont les Grands-Publicains depuis septante années engraissent les terres d'Empire. (Po : 90)

(Élégie pour Aymina Fall)

Voyez le laurier rose qui grandit sur les cendres. L'herbe repousse, tendre, pour les antilopes après l'incendies de Novembre. Il a versé son sang, qui féconde la terre d'Afrique ; il a racheté nos fautes, il a donné sa vie sans rupture pour l'UNITÉ DES PEUPLES NOIRS. (Po : 210)

Par la superposition de ces différents extraits, s'accusent les réseaux d'association de Guerre (combat), de Sacrifice, de Renaissance et de Fraternité (amitié). Pour le réseau de Guerre/Combat, nous avons les combattants, tirailleurs sénégalais, les prisonniers sénégalais. Concernant le Sacrifice, il s'agit de le soir rouge, ce sol rouge, ce sol rougi du sang des blanches hosties, morts étendus, Morts pour la République, allongés sur la terre de France, le sang de mes frères rougira de nouveau l'Orient jaune sur les bords de l'Océan Pacifique, ce sang est la libation printanière, engraissent les terres d'Empire, il a versé son sang, il a racheté nos fautes, il a donné sa vie. Quant au réseau de Renaissance, il est constitué de L'aube transparente d'un jour nouveau, vous êtes le limon et le plasma du printemps viride du monde, de nouveau, ce sang est la libation printanière, voyez le laurier rose qui grandit sur les cendres, l'herbe repousse, qui féconde la terre d'Afrique, pour l'unité des peuples noirs. Le réseau de Fraternité/Amitié se constitue de Ses camarades, l'amitié des camarades, le salut de vos camarades noirs, mes frères, l'unité des peuples noirs. L'association de ces réseaux nous révèle que la guerre chez Senghor n'a jamais été une fatalité. Au contraire, cette association traduit la conception senghorienne de la vie. Il n'y a pas de vie sans mort. De la mort provient la vie, il y

179

a vie parce qu'il y a mort. C'est ce que l'on retient de la première interprétation de cette association de réseaux. Au-delà de cette lecture interprétative, nous pouvons dire que dans la mort tous les hommes, qu'ils soient noirs ou blancs, sont égaux.

Les tirailleurs sénégalais, sans arrière-pensée, ont accepté d'être des « hosties noires », parce qu'ils se considéraient frères des soldats français qui luttaient pour la République, parce que la France était aussi leur République. Après la guerre, ils ont été victimes du racisme français, et ils ont compris, dès lors, qu'ils n'ont jamais été français. Cependant, Léopold Sédar Senghor, dans un souci d'égalité et de fraternité, estime que la construction de la République fraternelle, dans laquelle l'enfant noir et l'enfant blanc seront frères et amis, est possible. Et cela est mis en évidence dans « À l'appel de la race de Saba », et repris dans « Élégie pour Martin Luther King » : « Les Blancs et les Noirs, tous les fils de la même Terre-Mère »684. Parce que les Noirs et les Blancs sont frères, Senghor envisage alors l'unité ou le rassemblement des deux races, non plus pour la guerre, mais pour la culture de paix, dans une communauté plus fraternelle et plus humaine. Et « c'est en honneur des hommes rassemblés »685 qu'il préconise la communauté des parlants français, appelée Commonwealth à la française, qui, plus tard, devient la Francophonie.

Superposons d'autres poèmes pour mieux expliciter nos propos. Cette fois-ci, il s'agit de « In memoriam », « Prière aux masques » (Chants d'ombre), « Poème liminaire », « Luxembourg 1939 » « Prière des tirailleurs sénégalais », « Au gouverneur Éboué », « Chant de printemps », « Tyaroye » (Hostie) et « Chaka » (Éthiopiques). Ces poèmes mettent, davantage, en lumière de ce dont nous venons de parler.

(In memoriam)

O Morts, qui avez toujours refusé de mourir, qui avez su résister à la Mort

Jusqu'en Sine jusqu'en Seine, et dans mes veines fragiles, mon sang irréductible

Protégez mes rêves comme vous avez fait vos fils, les migrateurs aux jambes minces.

O Morts ! défendez les toits de Paris dans la brune dominicale

Les toits qui protègent mes morts. (Po : 7-8)

(Prière aux masques)

Voici que meurt l'Afrique des empires? c'est l'agonie

d'une princesse pitoyable

Et aussi l'Europe à qui nous sommes liés par le nombril

Fixez vos yeux immuables sur vos enfants que l'on commande

Qui donnent leur vie comme le pauvre son dernier vêtement. (Po : 21)

684 Cf. « Élégie pour Martin Luther King », Élégies majeures, OEuvre poétique, Paris Seuil, 1990, p. 302

685 Cf. « Élégie des Alizés », Idem, p. 263

180

(Poème liminaire)

Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort

Qui pourra vous chanter si ce n'est votre frère d'armes, votre frère de sang ?

[...1

Qui pourra vous chanter si ce n'est pas votre frère d'armes, votre frère de sang

Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude, couchés sous la glace et la mort ? (Po : 53-54)

(Luxembourg 1939)

Je vois tomber les feuilles dans les faux abris, dans les fosses dans les tranchées

Où ruisselle le sang d'une génération

L'Europe qui enterre le levain des nations et l'espoir des races nouvelles. (Po : 64)

(Prière des tirailleurs sénégalais)

Tu le sais-- et la plaine docile se fait jusqu'au non abrupt

des volontaires libres

Qui offraient leurs corps de dieux, gloire des stades, pour

l'honneur catholique de l'homme.

[...1

« Seigneur, écoute l'offrande de notre foi militante

« Reçois l'offrande de nos corps, l'élection de tous ces corps

ténébreusement parfaits

« Les victimes noires paratonnerres

« Nous T'offrons nos corps avec ceux des paysans de

France, nos camarades (Po : 66-68)

(Au gouverneur Éboué)

L'Afrique s'est faite acier blanc, l'Afrique s'est faite hostie noire

Pour que vive l'espoir de l'homme. (Po : 72)

(Chant de printemps)

Et le sang de mes frères blancs bouillonne par les rues,

plus rouge que le Nil-- sous quelle colère de Dieu ?

Et le sang de mes frères noirs les Tirailleurs sénégalais, dont

chaque goutte répandue est une pointe de feu à mon flanc. Printemps tragique ! Printemps de sang ! Est-ce là ton

message, Afrique ?... (Po : 84)

(Tyaroye)

Non, vous n'êtes pas morts gratuits ô Morts ! Ce sang

n'est pas de l'eau tépide.

Il arrose épais notre espoir, qui fleurira au crépuscule.

Il est notre soif notre faim d'honneur, ces grandes reines

absolues

Non, vous n'est pas morts gratuits. Vous êtes les témoins

de l'Afrique immortelle

Vous êtes les témoins du monde nouveau qui sera demain. (Po : 89)

(Chaka)

CHAKA

Une basse-cour cacardante, une sourde volière de mange-mils oui !

Oui des cents régiments bien astiqués, velours peluché aigrettes de soie, luisants de graisse comme cuivre rouge.

181

J'ai porté la cognée dans ce bois mort, allumé l'incendie

dans la brousse stérile

En propriétaire prudent. C'étaient cendres pour les semailles

d'hivernage.

[...1

UNE VOIX (comme de Chaka, lointaine)

Il faut mourir enfin, tout accepter...

Demain mon sang arrosera ta médecine, comme le lait la

sécheresse du couscous.

Devin disparais de ma face ! On accorde à tout condamné

quelques heures d'oubli.

[...1

CHAKA

Pour l'amour de ma Nolivé. Pourquoi le répéter ?

Chaque mort fut ma mort. Il fallait préparer les moissons

à venir

Et la meule à broyer la farine si blanche des tendresses noires. (Po : 118-124)

Nous allons d'abord procéder à l'identification des réseaux de chaque poème (ou extrait) avant de faire apparaître les réseaux d'association communs aux poèmes. C'est-à-dire présenter d'abord les images qui se saisissent dans chaque poème avant de procéder à la superposition pour mettre à nu la métaphore obsédante ou l'invariant qui structure la pensée de Léopold Sédar Senghor. À cet effet, nous avons les réseaux suivants :

(In memoriam)

- Mort : O Morts, mourir, la Mort, mon sang irréductible, O mort, mes morts.

- Protection : résister à la mort, protégez mes rêves, défendez les toits de Paris, les toits qui protègent mes morts.

(Prière aux masques)

- Mort : meurt l'Afrique des empires, l'agonie d'une princesse. - Lien : liés, le nombril, fixez.

(Poème liminaire)

- Mort : La mort, frère de sang, sous la glace et la mort, couchés sous la glace - Fraternité : mes frères noirs, frères d'armes, votre frère de sang.

(Luxembourg 1939)

- Mort : tomber les feuilles, dans les fosses, dans les tranchées, ruisselle le sang d'une génération, enterre

- Renaissance : une génération, le levain des nations, l'espoir des races nouvelles. (Prière des tirailleurs sénégalais)

- Sacrifice : des volontaires libres, offraient leurs corps, l'offrande de notre foi militante, l'offrande de nos corps, l'élection de tous ces corps, les victimes noires paratonnerres, offrons nos corps.

- Fraternité : ceux des paysans de France, nos camarades.

- Religion : Seigneur, notre foi militante, l'honneur catholique de l'homme. (Au gouverneur Éboué)

- Sacrifice : acier blanc, hostie noire.

182

- Renaissance : l'espoir de l'homme. - Religion : hostie.

(Chant de printemps)

- Mort : le sang de mes frères blancs, rouge, le sang de mes frères noirs, chaque goutte

répandue, une pointe de feu à mon flanc, printemps tragique, printemps de sang.

- Fraternité : mes frères blancs, mes frères noirs

- Renaissance : Printemps.

(Tyaroye)

- Mort : morts, ô Morts, ce sang.

- Renaissance : arrose, notre espoir, fleurira, monde nouveau, demain, l'Afrique immortelle.

(Chaka)

- Mort : j'ai porté la cognée, ce bois mort, allumé l'incendie, il faut mourir, mon sang, condamné, chaque mort fut ma mort.

- Renaissance : c'étaient cendres pour les semailles d'hivernage, demain, arrosera, il fallait préparer les moissons à venir.

À partir de ces réseaux nous voyons se dégager deux invariants qui sont Mort et Renaissance.

Ce qui suppose que la superposition de ces différents réseaux nous accuse une métaphore obsédante de la mort et de la renaissance, impliquant ainsi une corrélation entre la mort et la vie. Il ne faut pas négliger aussi l'invariante fraternité. L'idée, qui sous-entend la superposition de ces différents réseaux, est l'unité dans la mort, l'unité dans la vie. Il ressort de cette idée que nous devons nous unir quelles que soient les circonstances : malheureuses ou heureuses. En effet, les différents réseaux mettent en évidence une nouvelle alliance contractée par le sang versé au champ de bataille, ainsi le Blanc et le Noir sont devenus des frères de sang. C'est pourquoi, Senghor estime qu'ils devront mourir ensemble pour renaître ensemble pour un nouveau monde.686 Du chaos doit surgir un nouveau monde dans lequel Blanc et Noir seront frères de sang, car il n'y a pas de différence entre le sang du Blanc et celui du Noir. C'est le même sang rouge qui coule dans les veines et artères de chacun : de la colonisation ou de la guerre, l'on doit prendre conscience afin de rebâtir ensemble la cité de demain qui sera celle de la fraternité entre Blanc et Noir. Cette métaphore obsédante montre, également, que la guerre a été le lieu où le lien unissant la France à ses colonies a été renforcé, même si la France fut ingrate envers les tirailleurs sénégalais (confère le poème Tyaroye). Après la guerre, Léopold Sédar Senghor croit alors avoir trouvé le moyen de renouveler les liens déjà scellés entre la

686 « Voilà donc le Négro-Africain qui sympathise et s'identifie, qui meurt à soi pour renaître à L'autre. Il n'assimile pas, il s'assimile. Il vit avec l'Autre en symbiose [...] » (les fondements de l'africanité, Paris, Présence Africaine, 1967, pp. 254-255). C'est ce modèle de vie que Léopold Sédar Senghor veut réaliser avec le Blanc, l'Occident.

183

France et ses anciennes colonies, nouvellement indépendantes, afin de les réconcilier, et ce, à l'ensemble des pays parlant français, car il éprouvait « le besoin de se débarrasser de sa carapace coloniale et de se métamorphoser ».687

Une analyse minutieuse de ces réseaux ou de la métaphore obsédante révèle, d'une part, que l'Afrique, depuis cinq siècles, comme le Christ, est crucifiée par la Traite des Nègres, la Colonisation et les Guerres mondiales pour les pays occidentaux en général, et pour la France en particulier, afin d'une civilisation nouvelle :

Nous avons tout oublié, comme nous savons le faire : les deux cent millions de morts de la Traite des Nègres, les violences de la Conquête, les humiliations de l'indigénat. Nous n'en avons retenu que les apports positifs. Nous avons été le grain foulé au pied, le grain qui meurt, pour que naisse la Civilisation nouvelle. À l'échelle de l'Homme, intégrale688.

et d'autre part, que Léopold Sédar Senghor sacrifie sa Négritude pour construire une communauté plus fraternelle et plus universelle en vue d'une nouvelle race humaine. Autrement dit, par la mort des Noirs au champ de bataille, Senghor faisait allusion à la mort de la Négritude :

J'ai laissé sept ans la négritude sans eau pour que naisse la vision

Et fleurisse la race humaine. (O. Po : 266)

On peut dire que Senghor, par ces réseaux associatifs, sacrifie tout ce qui fait sa Négritude pour prôner la fraternité des peuples ayant le français en partage ou en commun, pour forger une nouvelle race humaine, comme le stipule l'extrait de Élégie des alizés ci-dessus.

En effet, le poète Senghor s'égare « dans l'unité première de [sa] Négritude »

(Que m'accompagnent Koras et Balafong) pour finalement se trouver « dans les abîmes de [sa] Négritude » (Chaka). En d'autres mots, il sait que la Négritude se cadavérise. Cette mort de la Négritude a été annoncée par Aimé Césaire dans Le cahier d'un retour au pays natal :

La vielle négritude

progressivement se cadavérise

l'horizon se défait recule et s'élargit

et voici parmi des déchirements de nuages la

fulgurante d'un signe.

Et Claude Wauthier d'ajouter :

[La Négritude], « fille, souvent rebelle, parfois soumise,

de la colonisation, est morte avec elle, du moins, a perdu

avec elle sa justification sur le plan littéraire ».689

687 Gloria SARAVAYA, Langage et poésie chez Senghor, L'Harmattan, Paris, 1989, p. 9

688 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, « Introduction à Négritude et Humanisme », p. 9.

689 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., pp. 87-88

184

Stanislas Adotevi demande donc [à Léopold Sédar Senghor] d' « avoir à l'esprit la loi de l'action présente qui est que la vieille négritude faite de tétanos et de soumission se cadavérise »690. Senghor, ayant compris, a choisi de tuer cette Négritude, ce vieux nègre au profit du Nègre nouveau691 qui se réalise dans une culture universelle et dans une communauté plus fraternelle, plus humaine et universelle. C'est en ce sens que Jean-Paul Sartre dit que la Négritude « [...] est passage et non aboutissement, moyen et non fin dernière. [...] Un pas de plus et la Négritude va disparaître tout à fait »692 pour préparer la synthèse ou la réalisation de l'humain dans une société sans races, c'est-à-dire dans la Francophonie. Elle apparaît alors comme étant cette communauté qui réunira les peuples ayant la langue française en commun ou en partage. Elle est née sur les cendres de la vieille Négritude. Les morts au champ de bataille pendant la seconde guerre étaient cendres pour les semailles d'hivernage, parce qu'il fallait préparer les moissons à venir, celles d'une nouvelle race humaine, consciente que tous les hommes sont égaux et qu'ils ont besoin d'une solidarité qui exclura tout complexe de frustration, toute forme de surenchère, toute politique de bascule, d'humeur ou de mendicité. Pour nous résumer, nous disons que la Négritude, ayant été vue comme un concept raciste et vilipendée parfois, a été renouvelée par Senghor, qui a jugé bon de trouver un autre concept, non raciste, rassemblant ainsi Noirs et Blancs ; d'où le choix de la Francophonie.

Les Noirs ont donné leur chair en hostie pour une France confédérée, et Léopold Sédar Senghor sacrifie sa Négritude pour l'union entre les différents États parlant français, car il s'agissait pour lui d'édifier, entre nations majeures (indépendantes), une véritable communauté culturelle. Et, en 1962, par le biais de la revue Esprit, il définit cette communauté culturelle voulue, et la nomma « Francophonie ». Le sacrifice de l'Afrique pour l'Europe est chez Léopold Sédar Senghor le sacrifice de la Négritude pour la Francophonie.

Le sacrifice de l'Afrique pour l'Europe est ce que l'on déduit de la lecture des poèmes de Léopold Sédar Senghor. Nous avons failli être pris par ce piège de lecture que pourrait faire un lecteur quelconque. Cependant, la lecture minutieuse, assurée par la psychocritique, nous a

690 Stanislas ADOTEVI, Négritude et négrologues, Union générale d'édition, Paris, 1972, collection 10/18, p. 149

691 Léopold Sédar SENGHOR : « Que meure le vieux nègre et vive le Nègre nouveau I », Élégie des alizés, op. cit., p. 270

692 Jean-Paul SARTRE, « Orphée noir », Préface de Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, op. cit., p. XLI

185

permis d'éviter ce piège. Par cette lecture, nous avons relevé qu'en fait le sacrifice dont parlent les poèmes senghoriens n'est rien d'autre que le sacrifice de sa Négritude. Il a sacrifié sa Négritude au champ de bataille durant la seconde guerre et pendant sa captivité pour une communauté réunissant, à la fois, le Noir et le Blanc. Cette communauté serait la Francophonie. En sacrifiant sa Négritude, il songeait en l'avènement d'un monde de fraternité et de paix, comme le dit-il dans Chaka693, où le métissage des civilisations permettra de réaliser le seul humanisme acceptable par tous et de tous. Il prémédite la mort de la Négritude en 1939 et la sacrifie en 1956 pour la faire surgir en 1962 sous la forme de Francophonie, pour dire qu'il n'a de cesse d'inventorier les spécificités et les richesses de la Négritude, mais surtout de conformer cette Négritude à ses convictions et ses rêves de poète. Sans être toujours compris, il les reprend, les précise, les nuance, dans ses discours, conférences et allocutions en s'attachant à l'idée que la culture l'emporte sur les choix politiques ou idéologiques. Finalement, il propose la Francophonie, fille de la liberté et soeur de l'indépendance, qui, à ses yeux, constitue un humanisme intégral pour notre temps, planétaire et respectueux de la diversité des cultures.

La Francophonie est l'idéal de civilisation qui s'enrichit du métissage des cultures. La guerre, sa captivité pendant deux ans, et le sang des Tirailleurs sénégalais et des soldats blancs versé, lui ont permis de comprendre que l'homme est un être sacré qui mérite respect et dignité quelles que soient son origine raciale et sociale, sa langue, sa culture et sa religion. Cette découverte transforma sa conception de la Négritude. Désormais, sa Négritude n'est plus seulement l'ensemble des valeurs de civilisation du monde noir, mais elle est aussi française, un humanisme moderne apte à résoudre les problèmes auxquels l'humanité est confrontée. Elle est l'expression de la nouvelle race humaine, voulue par Léopold Sédar Senghor en 1962 dans la revue Esprit 694

La guerre est une raison latente qui a préludé à la conception de la Francophonie, c'est-à-dire au projet de la Francophonie, chez Léopold Sédar Senghor. Le projet de la Francophonie est dû au trauma de la guerre. Voyant les cadavres des Tirailleurs sénégalais, des Français, des Arabes, des Juifs, des Russes, des Allemands, des Anglais, et hanté par ces morts, Senghor a jugé utile de célébrer la vie, la renaissance, la fraternité, car il n'y avait pas de différences entre ces Tirailleurs sénégalais morts et ces Français, Arabes, Juifs, Russes, Allemands couchés dans

693 Léopold Sédar SENGHOR : « CHAKA

Ce n'est pas haïr que d'aimer son peuple.

Je dis qu'il n'est pas de paix armée, de paix sous l'oppression

De fraternité sans égalité. J'ai voulu tous les hommes frères. », Éthiopiques,

op. cit., p. 123

694 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit. (loc. cit.), p. 844

186

les fosses communes. Au sortir de ce calvaire, Senghor estima que sa lutte serait de sauver l'homme et de le perfectionner intellectuellement avec Descartes, moralement avec Pascal et intégralement avec Teillhard.

Cependant, pour la réalisation de ce projet humaniste, il faut bannir la « haine qui brûle le coeur. »695 Senghor demande aux Noirs de pardonner pour une renaissance du monde, car c'est au tour des Noirs d'apporter la pierre à l'édifice de la Civilisation de l'Universel. « Malgré la soumission `' à la règle, à l'équerre et au compas» (Chaka) imposée à l'Afrique »696, Senghor pardonne l'Europe de ses actes, barbares et humiliants, faits au continent africain, car il songeait « à créer de nouvelles dimensions et de nouvelles lois à la culture humaine ».697 L'Afrique est le grain qui meurt pour que naisse la civilisation nouvelle, à l'échelle de l'homme, intégrale. Il invite le continent africain à trouver dans son passé humilié la source non de sa révolte, mais de sa fierté d'homme afin d'exprimer son humanité et de racheter le monde en apportant sa contribution, comme jadis, à la germination d'une civilisation panhumaine.698 L'Afrique doit accorder le pardon à l'Europe. Le pardon des Noirs tient une place importante dans le projet de la Francophonie à telle enseigne que l'on se demande si ce pardon n'est pas un pardon de résignation. En fait, le pardon des Noirs est le substrat du projet de la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor.

695 Cf. « Chaka », op. cit., p. 122

696 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 59

697 Jacques RABEMANANJARA, « Les fondements de notre unité... », Présence Africaine, n° 24-25, Fév.-Mai 1950, p. 78

698 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à trois poètes de l'hexagone », OEuvre poétique, op. cit., p. 378

187

3. LE PARDON DES NOIRS POUR UNE RENAISSANCE DU

MONDE

Le pardon est non seulement un motif très important dans l'oeuvre de Senghor, mais il est au coeur même de l'oeuvre. Le pardon peut être perçu comme une sorte de substance et une cohérence, qui serait à la base du projet de vie intellectuelle voire politique de Léopold Sédar Senghor. En effet, Senghor dépasse la haine et le ressentiment pour prôner le pardon et annoncer un monde de paix et de fraternité, c'est-à-dire il accorde le pardon à l'Europe par amour de la culture de celle-ci, pour la création d'une Civilisation de l'Universel. Sa volonté de pardonner l'amène à la réconciliation, à l'acceptation de l'Autre afin qu'advienne un monde où les races et les nations vivront en harmonie. Joseph Roger de Benoist dit, à cet effet, que

Ce refus de la dichotomie associé à sa formation chrétienne a donné naissance à une attitude proprement senghorienne : le pardon. « Il ne viendrait jamais à Césaire ni à Damas l'idée du pardon. Léopold Sédar Senghor reste profondément marqué par son éducation chrétienne, ce qui le porte plus facilement à trouver dans le dialogue un instrument idéal de rédemption : il est le poète non seulement de l'indulgence, mais-- ce qui est particulièrement exemplaire et courageux-- de l'offrande de soi sur l'autel de la réconciliation humaine. »699

Le pardon chez Senghor serait, aussi, une sorte de prière conviant le peuple noir à se joindre à tous les peuples du monde pour la paix et la fraternité, car il rêvait de fraternité entre peuples blancs et noirs. La Francophonie est l'expression de ce pardon senghorien. En effet, « [la] Francophonie se trouve aujourd'hui à l'avant-garde d'un combat pour la tolérance entre les peuples et les cultures. »700 C'est la raison pour laquelle, Virginie Marie affirme qu'

il (Senghor) n'a pas conçu la Francophonie et oeuvré pour elle pour des fins

personnelles. Il l'a fait pour les peuples parlant français, et désireux de travailler ensemble pour une vie meilleure701.

Que disent ses poèmes du pardon ? Et, comment le pardon peut en être le substrat du projet de la Francophonie ?

699 Joseph Roger DE BENOIST, Léopold Sédar Senghor, Beauchesne, Paris, 1998, p. 35

700 Bruno BOURG-BROC, « Une Francophonie parlementaire », Après demain, n°480-481-482, Janvier-Février-Mars 2006, p. 28

701 Virginie MARIE, « De la Francophonie `'centripète» à une Francophonie périphérique », op. cit., p. 65

188

La logique veut que ce soit l'offenseur qui demande pardon et non l'offensé. Or chez Léopold Sédar Senghor, par sa voix, c'est la race offensée qui pardonne la race offenseuse de ses avanies, comme nous l'appréhendons dans les poèmes que nous superposerons. En fait, Senghor souhaite qu'aucune haine n'habite le coeur des Noirs, car ils sont un peuple qui pardonne. Nous superposons deux poèmes de Chants d'ombre (« Neige sur Paris » et « Que m'accompagnent Koras et Balafong »), deux de Hosties noires (« Assassinats » et « Chants de printemps »), et un de Éthiopiques (« Chaka). Voilà les extraits :

(Neige sur Paris)

Seigneur, je ne sortirai pas ma réserve de haine, je le sais, pour les diplomates qui montrent leurs canines longues Et qui demain troqueront la chaire noire.

Mon coeur, Seigneur, s'est fondu comme neige sur les toits de Paris

Au soleil de votre douceur.

Il est doux à nos ennemis, à mes frères aux mains blanches sans neige (Po : 20)

(Que m'accompagnent Koras et Balafong)

Nuit qui me délivres des raisons des sophismes,

des pirouettes des prétextes, des haines calculées des carnages humanisés

Nuit qui fonds toutes mes contradictions, toutes contradictions dans l'unité première de ta négritude (Po : 35)

(Assassinats)

Le chant vaste de votre sang vaincra machines et canons

Votre parole palpitante les sophismes et mensonges

Aucune haine votre âme sans haine, aucune ruse votre

âme sans ruse.

O Martyrs noirs race immortelle, laissez-moi dire les paroles

qui pardonnent. (Po : 75)

(Chant de printemps)

Je t'ai dit :

? Écoute le silence sous les colères flamboyantes

La voix de l'Afrique planant au-dessus de la rage des canons

longs

[...]

Elle dit ton baiser plus fort que la haine et la mort. (Po : 85)

(Chaka)

LA VOIX BLANCHE

Ta voix est rouge de haine, Chaka...

CHAKA

Je n'ai haï que l'oppression...

LA VOIX BLANCHE

De cette haine qui brûle le coeur.

La faiblesse du coeur est sainte, pas cette tornade de feu.

CHAKA

Ce n'est pas haïr que d'aimer son peuple.

Je dis qu'il n'est pas de paix armée, de paix sous l'oppression

De fraternité sans égalité. J'ai voulu tous les hommes frères. (Po : 122-123)

189

À partir de la superposition effectuée, les groupes d'association, qui se lisent, sont : le Désamour (ma réserve de haine, leurs canines longues, troqueront la chaire noire, des haines calculées, des carnages humanisés, machines et canons, haine, ruse, les colères flamboyantes, des canons longs, la haine et la mort, rouge de haine, haï, cette haine, cette tornade de feu, oppression, haïr, armée), le Mensonge (les diplomates, des raisons des salons, des salons des sophismes, des pirouettes, des prétextes, contradictions, les sophismes et mensonges, ruse), l'Amour (au soleil de votre douceur, il est doux à nos ennemis, votre parole palpitante, aucune haine, votre âme sans haine, aucune ruse, votre âme sans ruse, ton baiser, la faiblesse du coeur, ce n'est pas haïr, aimer son peuple), le Pardon (je ne sortirai pas ma réserve de haine, s'est fondu comme neige, qui me délivres des salons des sophismes, qui fonds toutes mes contradictions, le chant vaste de votre sang vaincra machines et canons, aucune haine, aucune ruse, les paroles qui pardonnent, la voix de l'Afrique planant au-dessus de la rage des canons longs, ton baiser plus fort, paix, aimer), la Fraternité (à mes frères aux mains blanches, humanisés, ta négritude, votre âme, O Martyrs noirs, laissez-moi, ton baiser, ta voix, son peuple, fraternité, égalité, tous les hommes frères) et la Religion (Seigneur, sainte).

De ces associations, nous pouvons dire que devant le désamour et le mensonge de la France, l'Afrique manifeste un amour, et décide de pardonner à la France et de fraterniser avec elle au nom de la religion. Loin d'éprouver de la haine pour la France, Senghor lui manifeste un attachement passionnel, un amour et une acceptation résignés, « car le poète veut pardonner et oublier [...j »702 pour prôner « la fraternité avec l'ancien colonisateur »703 dans un monde de parfaite égalité. Le pardon sera l'expression de l'incapacité du Noir face à la férocité du Blanc qui use des canons et des machines pour s'exprimer et se faire accepter. Le Noir sait que la lutte contre le Blanc est une lutte perdue d'avance ; pour gagner cette lutte, il aura fallu que le Noir se résigne à sa condition de dominé en accordant son pardon à son bourreau, et fait ainsi de l'ennemi un frère. En effet, le recours au pardon et à la fraternité est l'arme idéale que l'homme noir, qui « éprouve le besoin de débarrasser de sa carapace coloniale et de se métamorphoser »704, a pour cette lutte qu'il sait perdue d'avance, parce que l'homme blanc a des machines et des canons. Le pardon est ce silence sous les colères flamboyantes des machines et des canons que le peuple noir adresse à la France. Nous comprenons dès lors que le pardon est cette sainte faiblesse du coeur du peuple noir, autrement dit l'expression d'un peuple résigné

702 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation de l'universel, L'Harmattan, Paris, 2013, p. 20

703 Papa Samba DIOP, « Léopold Sédar Senghor : un repère essentiel », Francofonia, 15, 2006, p. 104

704 Gloria SARAVAYA, Langage et poésie chez Senghor, op. cit. (loc. cit.), p. 9

190

et ayant à l'idée que la France comprendra son attitude résignée et de non-violence. L'association de ces réseaux relevés montre l'image d'un pacifiste.

Superposons d'autres textes pour confirmer ou infirmer les idées avancées afin d'appréhender l'image qui se perçoit derrière la métaphore obsédante du pardon. Ce sont « L'ouragan », « Le message », « Neige sur Paris », « Libération » (Chants d'ombre), « Poème liminaire », « Aux soldats négro-américains », « Prière de paix » (Hosties noires), « Congo », « Chaka » (Éthiopiques), « Chants pour signare », « Chant de l'initié », « Élégies/Élégie de minuit », « Élégie des eaux » (Nocturnes), « Élégie pour George Pompidou » (Élégies majeures). Voici les différents extraits :

(L'ouragan)

L'ouragan arrache tout autour de moi

Et l'ouragan arrache en moi feuilles et paroles futiles.

Des tourbillons de passion sifflent en silence

Mais paix sur la tornade sèche, sur la fuite de l'hivernage ! (Po : 9)

(Le message)

Pour viatique, des paroles de paix, blanches à m'ouvrir

toute route.

J'ai traversé, moi aussi, des fleuves et des forêts d'embûches

vierges

D'où pendaient des lianes plus perfides que serpents

J'ai traversé des peuples qui vous décochaient un salut

empoisonné.

Mais je ne perdais pas le signe de reconnaissance

Et veillaient les Esprits sur la vie de mes narines.(Po : 16-17)

(Neige sur Paris)

Arborant des draps blancs

-- « Paix aux Hommes de bonne volonté ! »

Seigneur, vous avez proposé la neige de votre Paix au

monde divisé à l'Europe divisé

À l'Espagne déchirée

Et le Rebelle juif et catholique a tiré ses mille quatre cents

canons contre les montagnes de votre Paix

Seigneur, j'ai accepté votre froid blanc qui brûle plus que

le sel,

Voici que mon coeur fond comme neige sous le soleil.

J'oublie (Po : 19-20)

(Libération)

J'ai dit paix à mon âme sur un signe de l'Ange mon guide

Mais quelle lutte sans masseur, dont j'ai tout le corps moulu !

[...]

Levant mon regard au-delà du soleil, à l'Est

Je vis poindre les étoiles et entendis le cantique de paix. (Po : 25)

(Poème liminaire)

Ah ! ne dites pas que je n'aime pas la France-- je ne suis pas la France, je le sais--

Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu'il a libéré ses mains

191

A écrit la fraternité sur la première page de ses monuments Qu'il a distribué la faim de l'esprit comme de la liberté À tous les peuples de la terre conviés solennellement au

festin catholique

Ah ! je ne suis-je pas assez divisé ? Et pourquoi cette bombe Dans le jardin si patiemment gagné sur les épines de la brousse ?

Pourquoi cette bombe sur la maison édifiée pierre à pierre ? Pardonne-moi, Sîra-Badral, pardonne étoile du Sud de mon sang

Pardonne à ton petit-neveu s'il a lancé sa lance pour les seize sons du sorong. (Po :54)

(Aux soldats négro-américains)

Vous apportez le printemps de la Paix et l'espoir au bout de

l'attente.

[...1

Vous leur apportez le soleil. L'air palpite de murmures

liquides et de pépiements cristallins et de battements

soyeuses d'ailes

[...1

Frères noirs, guerriers dont la bouche est fleur qui chante

? Oh ! délice de vivre après l'Hiver? je vous salue comme

des messagers de paix. (Po : 87-88)

(Prière de paix)

« ...Sicut et nos dimittimus debitoribus nostris »

[...1

Au pied de mon Afrique crucifiée depuis quatre cents ans

et pourtant respirante

Laisse-moi Te dire Seigneur, sa prière de paix et de pardon.

[...1

II

Seigneur Dieu, pardonne à l'Europe blanche !

[...1

Car il faut bien que Tu oublies ceux qui ont exporté dix

millions de mes fils dans les maladreries de leurs navires

Qui en ont supprimé deux cents millions.

[...1

Seigneur la glace de mes yeux s'embue

Et voilà le serpent de la haine lève la tête dans mon

Coeur, ce serpent que j'avais cru mort...

III

Tue-le Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin,

et je veux prier singulièrement pour la France.

Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la

droite du Père.

[...1

Oui Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite

et chemine par les sentiers obliques

[...1

Oui Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants

et m'impose l'occupation si gravement

[...1

IV

Ah ! Seigneur, éloigne de ma mémoire la France qui n'est pas la France, ce masque de petitesse et de haine sur le visage de la France

Ce masque de petitesse et de haine pour qui je n'ai que haine ? mais je ne peux bien haïr le Mal

192

Car j'ai une grande faiblesse pour la France

[...1

Bénis ce peuple qui m'a apporté Ta Bonne Nouvelle, Sei-

gneur, et ouvert mes paupières lourdes à la lumière de la

foi.

Il a ouvert mon coeur à la connaissance du monde, me mon-

trant l'arc-en-ciel des visages neufs de mes frères.

[...1

Je vous salue tous d'un coeur catholique.

[...1

V

[...1

Et donne à leurs mains chaudes qu'elles enlacent la terre d'une ceinture de mains fraternelles

DESSOUS L'ARC-EN-CIEL DE TA PAIX. (Po : 90-94)

(Congo)

Toi calme Déesse au sourire étale sur l'élan vertigineux de ton sang

O toi l'Impaludée de ton lignage, délivre-moi de la surrection de mon sang. (Po : 100)

(Chaka)

LA VOIX BLANCHE

La faiblesse du coeur est pardonnée...

CHAKA

La faiblesse du coeur est sainte...

[...1

LA VOIX BLANCHE

Ta voix est rouge de haine Chaka...

CHAKA

Je n'ai haï que l'oppression...

LA VOIX BLANCHE

De cette haine qui brûle le coeur.

La faiblesse du coeur est sainte, pas cette tornade de feu.

CHAKA

Ce n'est pas haïr que d'aimer son peuple.

Je dis qu'il n'est pas de paix armée, de paix sous l'oppression

De fraternité sans égalité. J'ai voulu tous les hommes frères.

LA VOIX BLANCHE

Tu as mobilisé le Sud contre les Blancs...

CHAKA

Ah ! te voilà Voix blanche, voix partiale voix endormeuse.

Tu es la voix des forts contre les faibles, la conscience des

possédants de l'Outre-mer.

Je n'ai pas haï les Roses-d'oreilles. Nous les avons reçus

comme les messagers des dieux

Avec des paroles plaisantes et des boissons exquises. (Po : 119-123)

(Chants pour signare)

[...1

J'emprunte la flûte qui rythme la paix des troupeaux

Et tout le jour assis à l'ombre de tes cils, près de la Fontaine

Filma

[...1

Depuis longtemps civilisé, je n'ai pas encore apaisé le Dieu

blanc du Sommeil.

[...1

Et je reposerai longtemps sous une paix bleu-noir

Longtemps je dormirai dans la paix joalienne

193

Jusqu'à ce que l'Ange de l'Aube me rende à ta lumière

À ta réalité brutale et si cruelle, ô Civilisation !

[...]

Des coussins d'ombre et de loisirs, le bruit d'une source

de paix

[...]

La paix des fromagers planait sur son espoir et les sourcils

de son Champion.

[...]

Que je dorme sur la paix de ton sein, dans l'odeur des

pommes-cannelles.

[...]

Te rappelles-tu cette rumeur de paix ? De la ville basse

vague par vague

[...] (Po : 169-184)

(Chant de l'initié)

Je m'assis sous la paix d'un caïcédrat, dans l'odeur des troupeaux et du miel fauve. (Po : 190)

(Élégies/Élégie de minuit)

Viendra la paix viendra l'Ange de l'aube, viendra le chant des oiseaux inouïs

Viendra la lumière de l'aube. (Po : 198)

(Élégie des eaux)

Seigneur, entendez bien ma voix. PLEUVE ! il pleut

Et vous avez ouvert de votre bras de foudre les cataractes du pardon. (Po : 206)

(Élégie pour Georges Pompidou)

Donc bénissez mon peuple noir, tous les peuples à peau brune à peau jaune

Souffrant de par le monde, tous ceux que tu relevas fraternels, ceux que tu honoras

Qui étaient à genoux, qui avaient trop longtemps mangé le pain amer, le mil le riz de la honte les haricots : Les Nègres pour sûr les Arabes, les Juifs avec les Indo-Chinois les chinois que tu as que j'ai visités

? Pour les Grand Blancs aussi pendant que nous y sommes, priez, avec leurs super-bombes et leur vide, ils ont besoin d'amour. (O. Po : 319)

Lorsque nous parcourons les extraits ci-dessus sans les superposer, nous pouvons, dès lors, affirmer que la poésie de Senghor est une quête perpétuelle de paix, de tranquillité et d'harmonie. Ce qui sous-entend qu'il est un homme de paix, un pacifiste, et que sa poésie est une « poésie de réconciliation raciale. »705 Qu'en disent les réseaux d'association de ces extraits superposés ? La superposition de ces extraits accuse les associations suivantes :

- Souffrance ou Division : L'ouragan arrache, des tourbillons de passion, la tornade sèche, des fleuves et des forêts d'embûches, un salut empoisonné, des lianes plus perfides que serpents, brûle, au monde divisé à l'Europe divisé, à l'Espagne déchirée,

705 Jean-Georges PROSPER, « Léopold Sédar Senghor : Un humaniste de génie », Éthiopiques, n°59, 2ème Semestre 1997

194

ses mille quatre cents canons, le soleil, lutte sans masseur, le corps moulu, du soleil, la faim de l'esprit, divisé, cette bombe, les épines de la brousse, mon sang, cette bombe sur la maison, lance sa lance, mon Afrique crucifiée, exporte dix millions de mes frères, les maladreries, leurs navires, supprimé deux cent millions, les occupants, m'impose l'occupation si gravement, mes paupières lourdes, cette tornade de feu, armée, l'oppression, ta réalité brutale, cruelle, votre bras de foudre, souffrant, à genoux, le riz de la honte, leurs super-bombes, ah !

- Haine/Révolte : La tornade sèche, embûches, perfides, un salut empoisonné, le serpent de la haine, hait les occupants, ce masque de petitesse et de haine, je n'ai que haine, haïr le Mal, la surrection, ta voix est rouge de haine, je n'ai haï que

l'oppression, de cette haine qui brûle le coeur, mobilisé le Sud, contre, haï les Roses-d'oreilles, Rebelle, foudre.

- Religion : Seigneur, Seigneur Dieu, sa prière, prier, la droite du Père, catholique, au festin catholique, la voix droite, bénis ce peuple, Ta Bonne Nouvelle, la lumière de la foi, un coeur catholique, sainte, l'Ange de l'Aube, me rendre à ta lumière, viendra l'ange de l'aube, les messagers des dieux, le Dieu blanc, une grande faiblesse, bénissez, priez.

- Mort/Volonté : Hommes de bonne volonté, mort, tue-le, brûle, ouvert mes paupières, ouvert mon coeur, me montrant, éloigne de ma mémoire, délivre, ont besoin d'amour.

- Pardon : J'oublie, pardonne-moi, pardonne étoile du Sud, pardonne à ton petit-neveu, sicut et nos dimittimus debitoribus nostris, de pardon, pardonne à l'Europe blanche, pardonne à la France, pardonnée, apaisé, les cataractes du pardon, tu oublies, le signe de reconnaissance, mon coeur fond comme neige, la glace de mes yeux s'embue, j'ai une grande faiblesse pour la France, je vous salue tous d'un coeur catholique.

- Fraternité : des peuples, l'Espagne, ce peuple, a écrit la fraternité sur la première page de ses monuments, la maison, ton petit-neveu, mes Frères noirs, mes fils, nations blanches, l'arc-en-ciel des visages neufs de mes frères, enlacent la terre, une ceinture de mains fraternelles, L'ARC-EN-CIEL, j'ai voulu tous les hommes frères, égalité, les Roses-d'oreilles, ô Civilisation, ton sein, mon peuple noir, tous les peuples à peau brune à peau jaune, fraternels, les Nègres, les Arabes, les Juifs, les Indo-Chinois, les chinois, les Grand Blancs, juif, Hommes.

- Paix : paix sur la tornade sèche, des paroles de paix, paix aux Hommes de bonne volonté, la neige de votre paix, les montagnes de votre Paix, paix à mon âme, le cantique de paix, libéré ses mains, la liberté, le printemps de la paix et l'espoir au bout de l'attente, le soleil, des messagers de paix, prière de paix, sa prière de paix, salue, délivre-moi, de paix, la paix des troupeaux, L'ARC-EN-CIEL DE TA PAIX, une paix bleu-noir, la paix joalienne, le bruit d'une source de paix, la paix de ton sein, la paix des fromagers, son espoir, cette rumeur de paix, la paix d'un caïcédrat, viendra la paix, besoin d'amour.

Ces réseaux associatifs mettent en évidence un Senghor en tant qu'une personne éprise de

révolte, nourrie de haine, qui s'évertue à pardonner la France de ses crimes commis contre l'humanité en général, et l'Afrique en particulier ; et ce, au nom de la religion, parce qu'il veut contenter sa conscience religieuse et être conforme à la morale chrétienne, et vivre dans un

195

monde de paix, car une éventuelle lutte conduirait au chaos total de l'homme noir. Autrement dit, Senghor veut bien se venger, mais il est contraint de pardonner, au nom de sa foi catholique. Son pardon devient une sorte de résignation, et non un signe de lâcheté comme le veulent ses adversaires. Il se résigne à pardonner, et cela l'engage à fraterniser avec l'ennemi et à vivre avec celui-ci.

L'idée qui sous-tend la conception senghorienne de la Francophonie est le fait qu'il n'y a plus d'ennemi. En effet, « l'ennemi d'hier est un complice [...J »706 qu'il faut accepter comme tel pour un monde de paix et plus fraternel. En se résignant au pardon, Senghor se sent obligé de prier pour l'ennemi afin que celui-ci comprenne son attitude, et qu'en retour il ait l'amour des autres. L'attitude de Senghor est ce que recommande le Christ à ses disciples :

Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi.

Et moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin
d'être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur

les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes.707

C'est à juste titre que beaucoup de critiques ont estimé que le pardon chez Senghor est dû à sa foi chrétienne. En fait, Senghor n'envisage pas une lutte victorieuse contre la France, parce que l'Afrique n'a pas les armes adéquates pour une telle lutte. Il a préféré plutôt la voie du pardon, comme le souligne Marcien Towa :

La poésie de Senghor n'envisage pas l'éventualité d'une lutte victorieuse contre

la domination étrangère. Sa perspective n'est pas la lutte, mais la négociation, voire le chantage, la prédication morale, et la prière708.

Attendre le pardon de la France est un rêve, et Léopold Sédar Senghor en a conscient, alors il se résigne à l'idée que le pardon de la France est une chose impossible. Pour vivre ensemble, il faut qu'il ait le pardon. La race offensée décide, ainsi, par la plume poétique de Senghor, de pardonner la race offenseuse qui, néanmoins, reconnait ses crimes coloniaux709 : le massacre de Thiaroye en 1944 au Sénégal ; la répression dans la Sanaga maritime en pays bamiléké au Cameroun de 1948-1971 ; les tueries à Madagascar en 1947 ; le massacre de Dimbokro en Côte d'Ivoire le 30 janvier 1950 ; la chasse à l'homme contre les indépendantistes algériens le 17

706 Léopold Sédar SENGHOR, « le français, langue de culture », op. cit.(loc. cit.), p. 841

707 Matthieu 5, 43-45, la Bible TOB, Alliance-Biblique Universelle-le CERF, p. 1402

708 Marcien TOWA, Léopold sédar Senghor : Négritude ou servitude ?, op. cit., p. 14

709 Emmanuel Macron a avoué, selon le journal Le Monde, que la colonisation est un crime contre l'humanité. Le Monde, le 17.02.2017. Disponible sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/02/17/oui-la-colonisation-est-un-crime-contre-l-humanite_5081481_3212.html#cfMRATP9XeZFxEKw.99

196

octobre 1961 à Paris ou la répression aux émeutes de Sétif en Algérie dans le département de Constantine en mai 1945, la discrimination envers les Chibanis (le 31 janvier 2018, la cour d'appel de Paris a condamné la SNCF pour discrimination envers ceux-ci). On voit, bien, que la France a massacré des dizaines de milliers d'hommes et de femmes dont le seul tort était de revendiquer plus de libertés ou l'indépendance.710 Cependant, elle ne s'est jamais repentie et n'a jamais demandé pardon, parce qu'orgueilleuse et fière d'apporter la lumière de sa civilisation à des peuples barbares et sauvages. À cet effet, Senghor pourra dit :

Je n'attends pas de la France une repentance, ni une réparation financière, mais

une reconnaissance de faits têtus et un exercice de dignité en faisant face à un pan peu glorieux de son histoire.711

À force d'attendre la repentance de la France qui n'aura jamais lieu, l'Afrique doit se résigner sous le couvert de la religion et des bienfaits de la colonisation en pardonnant à la France tous les crimes odieux de la colonisation pour ne « retenir, ici, que l'apport positif de la colonisation, qui apparaît à l'aube de l'indépendance. »712 Il ne s'agit pas d'expliquer tous les maux de l'Afrique par le seul fait de la colonisation, mais de reconnaître qu'elle a été une cause importante de son retard. Malgré tout, selon Senghor, il faut pardonner pour aller de l'avant.

Le pardon chez Léopold Sédar Senghor revêt un autre sens, celui de la renaissance du monde, car, il s'agit pour le Noir de répondre à la renaissance du monde, comme l'expose-t-il dans « Prière aux masques » de Chants d'ombre :

Que nous répondions présents à la renaissance du Monde Ainsi le levain qui est nécessaire à la farine blanche.

Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines

et canons ?

Qui pousserait le cri de joie pour réveiller morts et orphelins à l'aurore ?

Dites, qui rendrait la mémoire de vie à l'homme aux espoirs éventrés ? (Po : 21-22)

La réponse, à la question posée dans l'extrait ci-dessus, est bien sûr le Noir. Celui-ci est appelé à pardonner aux Européens, malgré tout ce qu'ils ont fait subir au peuple noir, car la renaissance du monde ne se fera pas dans une situation conflictuelle, teintée de mépris, de brimades, de dénigrements, de négation et de haine. Pour cela, il faut faire tomber les murs de l'indifférence,

710 Yves BENOT, Massacres coloniaux, Paris, La Découverte, 1994, pp. 148-149

711 Anne HAMIDOU, « Oui, la colonisation est un crime contre l'humanité », Chronique, Monde, 17.02.2017. Nous pouvons prêter ce propos à Léopold Sédar Senghor.

712 Léopold Sédar SENGHOR, « le français, langue de culture », op. cit.(loc. cit.), p. 841

197

de l'insensibilité, de l'intolérance et de la haine. Il ne s'agit non plus d'une lutte hégémonique, « mais de contribuer à bâtir avec les autres cultures le premier chapitre dans la création de la nation humaine universelle qui est l'objectif du nouvel humanisme et dont l'avènement »713 est, selon Léopold Sédar Senghor, amorcé par la Francophonie. Il s'agit, aussi, d'abattre « les forêts d'Afrique pour sauver la Civilisation, parce qu'on manquait de matière première humaine »714. Dans cette civilisation sauvée, « la voix de l'Afrique planant au-dessus de la rage des canons longs [proclamera] l'attente amoureuse du renouveau dans la fièvre de ce printemps [et dira le] baiser plus fort que la haine et la mort. »715

L'idée d'une nouvelle race humaine traverse la quasi-totalité de l'oeuvre poétique de Senghor, et on l'appréhende également dans « Élégie des alizés » d'Élégies majeures :

J'ai laissé sept ans la négritude sans eaux pour que naisse la vision

Et fleurisse la race humaine. (O. Po : 266/ loc. cit.)

Pour cette race humaine, Senghor a dû sacrifier sa Négritude, or ce sacrifice n'est rien d'autre que se résigner au pardon. De ce fait, la renaissance senghorienne a pour objectif une réconciliation et un dialogue dirigés vers le devenir de l'être humain impliquant les cultures et civilisations par le biais du pardon donné et du pardon accepté avec un caractère d'humanisme. Car,

L'humanisme permet d'avoir en partage une identité indéniable, première et fondamentale, celle du genre humain, [or] c'est dans la relation aux autres que l'être humain trouve son humanité. Une personne est une personne à travers les autres personnes.716

Cet humanisme chez Léopold Sédar Senghor se veut marquer du sceau original et du génie des peuples noirs, mais influencer aussi par les peuples et les cultures avec lesquels ils sont entrés en contact, car « l'humanisme est une construction, une résultante de traits et de facteurs cumulés provenant de plusieurs cultures. »717 Cette construction sera possible si l'Afrique accepte de pardonner et de s'ouvrir à l'extérieur. Ainsi, Senghor estime que l'Afrique pourrait fournir le terreau d'un nouvel humanisme et conduire à la Civilisation de l'Universel.718

713 Adama OUANE, « Vers un nouvel humanisme : La perspective africaine », Int. Rev. Edu (2014)60 :379-389 ; p. 385

714 Cf. « Neige sur Paris », Chants d'ombre, op. cit., p. 20

715 Cf. « Chant de printemps », Hosties noires, op. cit., p. 85

716 Adama OUANE, « Vers un nouvel humanisme : La perspective africaine », op. cit., pp. 380-381

717 Idem., p. 380

718 Nous y reviendrons.

198

Cependant, chez Senghor, il s'agissait de trouver les moyens pour que le Noir s'affirme comme créateur de cette civilisation, et pas comme spectateur ou simple consommateur. Et, le moyen trouvé est le concept de Francophonie, car il est un humanisme de synthèse de toutes les énergies spirituelles, à la fois unies et diverses, répandues sur toute la terre. Dans cet humanisme, Senghor souhaite « [que] meure le vieux nègre et [que] vive le Nègre nouveau »719. Ce Nègre nouveau est celui qui saura pardonner le colonisateur, qui aura un coeur riche de sucs pour les combats conscients du futur, qui saura accepter l'autre (le Blanc) comme « fils de la même Terre-Mère »720. Nous comprenons, dès lors, les raisons qui ont amené Léopold Sédar Senghor à pardonner la France de ses crimes coloniaux. C'était pour la création d'une Civilisation de l'Universel qui n'est que la Francophonie. Ce n'est pas seulement l'amour chrétien des ennemis qui amène Senghor à pardonner, mais, c'est surtout le devoir de fraternité universelle. Il se persuade que l'accord conciliant ou la complémentarité du monde noir et du monde blanc peut permettre la réalisation de toute la condition humaine. D'où la renaissance du monde, et qui est le prélude de la Francophonie.

Pour parler de la communauté où Blancs et Noirs deviendront Frères, Senghor use, aussi, du futur simple de l'indicatif (ce temps est fréquent, il l'emploie pour parler de la renaissance dans ces poèmes) et des éléments de son univers africains. À ce propos, dit-il :

Il m'a donc suffit de nommer les choses, les éléments de mon univers [africain]

pour prophétiser la Cité de demain, qui renaîtra des cendres de l'ancienne, ce qui est la mission du Poète721.

Les efforts de Senghor pour la mise en oeuvre de la Cité de demain se justifient par sa volonté de faire participer l'Africain à la renaissance du monde, de s'ouvrir aux autres, d'aller à la rencontre de l'humanité. Cela se justifie également par la quête d'un facteur de rapprochement entre les cultures et civilisations. En effet, « [le] poids du rythme suffit, pas besoin de mots-ciment pour bâtir sur le roc la cité de demain »722 où « le chant de l'Afrique future ( !) »723 se fera entendre et « le soleil au zénith [éclairera] tous les peuples de la terre »724 car « c'est l'heure de la re-naissance »725. Et, le peuple noir doit pardonner pour aller de l'avant, car le plus fort n'est pas celui qui sait dominer et vaincre les autres à travers machines et canons, mais

719 Cf. « Élégie des alizés », Élégies majeures, op. cit., p. 270

720 Cf. « Élégie pour Martin Luther King », Élégies majeures, op. cit., p. 302

721 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », Postface, Éthiopiques, op. cit., p. 158

722 Cf. « Élégie des circoncis », Nocturnes, op. cit., p. 199

723 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong », Chants d'ombre, op. cit., p. 32

724 Cf. « Chaka », Éthiopiques, op. cit., p. 131

725 Idem., p. 125

199

celui qui sait vaincre la haine en soi et sait pardonner pour s'ouvrir aux autres. C'est ce type de Noir que Senghor appelle Nègre nouveau. Ce Nègre nouveau est invité à participer à la renaissance du monde, « à la civilisation de l'universel qui est la francophonie »726, par le biais du pardon. Léopold Sédar Senghor en a rêvé :

Que j'ai rêvé d'un monde de soleil dans la fraternité de mes frères aux yeux bleus. (Po : 48)

Ce rêve deviendra une réalité si l'Afrique accepte de pardonner les crimes odieux de la France, aveuglée par son orgueil et sa fierté d'avoir colonisé une race qu'elle a considérée barbare et sauvage.

Senghor nous engage à le suivre dans le processus de redéfinition de la race humaine. Ce processus doit commencer en Afrique ; parce que, berceau de l'humanité, elle doit l'être, également, pour la nouvelle race humaine. La nouvelle race humaine est ce type d'hommes qui accepte de fraterniser avec les autres, et de s'ouvrir à eux. Léopold Sédar Senghor demande à l'Afrique de pardonner à l'Europe ses crimes contre l'humanité et de s'ouvrir à elle. Ce pardon qui se lit dans ses poèmes, selon certains critiques, est dû à l'amour chrétien des ennemis. Or, notre étude révèle que ce pardon est l'attitude résignée de Senghor face à la puissance de la France.

L'Afrique n'étant pas armée ne peut prétendre une lutte armée teintée de mépris, de haine, d'indifférence et d'intolérance. Engager une telle lutte, l'Afrique sortirait perdante. Le seul moyen de vaincre la France est de lui pardonner ses crimes et de s'ouvrir à elle, afin que le Noir et le Blanc puissent donner une chance à la race humaine et à la renaissance du monde. Autrement dit, le Noir a propension particulière à l'ouverture à l'autre, au pardon, même devant les plus grandes offenses et humiliations. C'est à ce prix que l'on peut aboutir à la reconnaissance de l'homme et à la Civilisation de l'Universel.

Léopold Sédar Senghor cherchait à travers la Francophonie à développer l'esprit humain en renouant avec la culture française et la culture africaine. De ce fait, la Francophonie serait une doctrine qui entend oeuvrer à l'épanouissement de la personne humaine. Mieux, la Francophonie est l'expression du respect pour la culture et l'identité des peuples, et le

726 Léopold Sédar SENGHOR, Colloque des cent, 15 février 1986, l'Arbre à palabre des Francophones, Dossier thématique, La francophonie, 35 ans après, p. 329

200

dépassement de l'idée selon laquelle une partie serait moralement supérieure à l'autre. Elle se veut, aussi, préserver l'identité de l'homme noir dans un monde, sujet de nombreuses mutations. Dans son oeuvre poétique, Senghor manifeste bel et bien contre l'oppression politique et culturelle, et la surdité de la France. Cependant, cette manifestation est voilée par le pardon, brandi ostentatoirement sous l'étendard de la religion. Chez Léopold Sédar Senghor, le refus d'une certaine forme de néo-colonialisme culturel au nom duquel on imposerait à l'Afrique certains modèles occidentaux n'est pas synonyme d'une sévère réprimande. Au contraire, il se met au service de la culture, c'est-à-dire du développement intégral de l'homme727.

Nous comprenons, dès lors, que Léopold Sédar Senghor pardonne la France par amour de l'homme. Cet amour de l'homme le conduit ainsi à la Francophonie, parce qu'il s'agit de l'homme à sauver et à perfectionner intellectuellement, moralement et intégralement avec la culture occidentale et la culture africaine. Pour y arriver, il faut que « l'ennemi d'hier [soit] un complice [...] »728, voire un frère, et qu'on dépasse l'humiliation que l'un a imposée à la chair et à l'esprit de l'autre. Il faut également admettre que la religion a influé sur l'attitude de Senghor, cependant, cela n'altère point ce que nous avons dit ou n'excuse point Léopold Sédar Senghor. Il s'est fait une raison que la Civilisation de l'Universel, qu'il a appelée de tous ses voeux, ne peut se réaliser qu'avec le concours « de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire »729. L'Afrique n'avait pas d'autre choix, si elle veut faire partir de cette civilisation universelle qui avait déjà commencé avec les pays du continent américain, elle devrait se résigner et accepter le fait d'être colonisée. La résignation, en fait, chez Senghor, est d'accorder le pardon à l'ennemi et faire de lui un frère parce qu'il a besoin, lui-aussi, d'amour730.

Le pardon a également une autre connotation. Senghor aime la France : « car j'ai une grande faiblesse pour la France. »731Cet amour l'amène à pardonner à la France ses crimes coloniaux. Ce que nous devons retenir, c'est que Léopold Sédar Senghor aime l'homme qu'il soit Blanc ou Noir : « J'admire dans chaque homme, ce qu'il y a de positif et de vrai, de bien et de beau en lui. »732Le Blanc et le Noir sont semblables car ce sont des hommes, des fils de la Terre-Mère, ils possèdent les mêmes sentiments humains. Cet amour de l'homme l'amène, bien qu'influencé par la religion et la culture française, à penser à un nouveau type de race

727 Daniel GARROT, Léopold Sédar Senghor : critique littéraire, Dakar, NEA, 1978, p. 29

728 Léopold Sédar SENGHOR, « le français, langue de culture », op. cit. (loc. cit.), p. 841

729 Idem., p. 844

730 Cf. « Élégie pour Georges Pompidou », Élégies majeurs, op. cit., p. 319

731 Cf. « Prière de paix », Hosties noire, op. cit., p. 93

732 Léopold Sédar SENGHOR, Poésie de l'action,,Paris, Stock, 1980

201

humaine : une race humaine métissée, car « l'avenir est au métissage. »733En pardonnant donc à la France ses crimes, Senghor cherche à unifier ce qui est divisé comme le suggère Hervé Bourges dans son oeuvre Pardon my French : la langue française, un enjeu du XXIe.734 En d'autres mots, c'est en vue de la création de la Francophonie, que Léopold Sédar Senghor opte l'attitude du bon chrétien, celui qui pardonne les fautes de ses ennemis et prie pour eux.

Dans ce premier chapitre, il s'agissait de montrer que, pour Léopold Sédar Senghor, il était question de conserver de façon vivace les liens qu'une histoire et des références communes avaient créés avec la France. C'est cette volonté de conserver ces liens qui l'amène à l'élaboration du projet de la Francophonie. Cette élaboration est le résultat de deux faits historiques. Le premier fait est la colonisation et le deuxième en est la participation de l'Afrique à la deuxième guerre mondiale.

Parlant de la colonisation, Léopold Sédar Senghor la conçoit comme une aubaine pour l'Afrique, car elle lui a permis d'être en contact avec l'Europe. Pour lui, la colonisation a permis à l'Afrique d'être liée à l'Europe, à la France, et surtout une rencontre enrichissante de part et d'autre en donnant naissance à une nouvelle carte du monde. Il sublime donc la colonisation avec ses aspects négatifs pour en faire un outil unificateur, liant l'Afrique et l'Europe, voire la France.

Le deuxième fait qui a préludé au projet de la Francophonie est la participation de l'Afrique à la seconde guerre mondiale. La seconde guerre mondiale à laquelle Léopold Sédar Senghor a participé, et a été fait prisonnier, modifia sa conception de l'homme et du monde, voire de sa Négritude. En effet, au cours de cette guerre, il comprit que le Blanc et le Noir sont semblables et qu'ils possèdent les mêmes sentiments humains. Cette découverte durant sa captivité, et l'impact de la participation de l'Afrique à la guerre ont transformé sa conception de la Négritude. Sa Négritude se veut désormais un humanisme apte à résoudre les problèmes auxquels l'humanité est confrontée, et l'expression d'une nouvelle race humaine. La nouvelle race humaine que veut Léopold Sédar Senghor est le substrat du projet de la Francophonie, parce qu'en Francophonie, ce qui est recherché le devenir de l'homme e.

Dans le souci de redéfinir la race humaine, Senghor convie l'Afrique au pardon. Le pardon brandi ostentatoirement sous l'étendard de la religion est le substrat du projet de la

733 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à trois poètes de l'hexagone », op. cit., p. 370

734 Hervé BOURGES : « f...J Cultiver ce qui nous unit. Savourer ce qui nous distingue. Combattre ce qui nous divise. », Pardon, my french : la langue française, un enjeu du XXIe siècle, Paris, Karthala, 2014, 278 p.

202

Francophonie chez Léopold Sédar Senghor. Il décide de pardonner, parce qu'il est convaincu que le seul moyen de vaincre la France est de lui pardonner ses crimes et de s'ouvrir à elle. En fait, en pardonnant, Senghor cherchait à unifier ce qui est divisé au nom de la Civilisation de l'Universel, qui est, chez lui, la Francophonie. La Francophonie permet de développer l'esprit humain en renouant avec la culture française et la culture africaine. C'est de cela qu'il s'agit dans les oeuvres poétique de Léopold Sédar Senghor et qui fait de la Francophonie une doctrine, un concept, qui entend oeuvrer à l'épanouissement de la personne humaine. Nous aurons compris, Léopold Sédar Senghor passe à la Francophonie par l'amour de l'homme qu'il porte, car désormais il ne s'agit plus du Noir seulement, mais du Noir et du Blanc. Ce sont des hommes, des fils de la même Terre-Mère. Et, tous deux ont autant besoin de l'amour et de la participation intégrale de l'un et de l'autre à la réalisation de la nouvelle race humaine pour une renaissance du monde dans lequel l'ennemi d'hier sera un complice, un ami et un frère.

Le pardon chez Léopold Sédar Senghor implique, également, acceptation de l'autre quel que soit ce qu'il a fait. On peut comprendre aussi qu'à travers le pardon, l'Afrique tend une main à l'ancien pays colonisateur afin de conserver les liens que l'histoire a créés. La Francophonie est née dans les douleurs des conquêtes, des massacres et des déportations de la colonisation et de la guerre, et par une volonté de pardon, afin de donner une chance à la race humaine pour construire la Civilisation de l'Universel. Le projet de la Francophonie s'inscrit dans une logique d'organiser le monde de façon rationnelle et humaine où chaque homme pourrait en se développant s'épanouir en tant que personne sans rejeter l'autre, parce que différent. Mieux, la Francophonie invite à assumer les faits historiques pour pouvoir construire un avenir dans lequel Noirs et Blancs seront des partenaires égaux.

Il faut, cependant, admettre que d'autres raisons ont amené Léopold Sédar Senghor à la Francophonie. Il parle de la langue française qu'il considère comme la deuxième raison historique de fait. Nous estimons que la deuxième raison avancée par Senghor est plutôt une raison personnelle qu'historique. C'est pourquoi, nous allons chercher, dans ses oeuvres, ses raisons personnelles ou ses motivations personnelles qui ont préludé à l'élaboration de la Francophonie. Nous pensons que le projet de la Francophonie chez lui tient compte également du choix de la langue française et des langues africains. Senghor les assume, et crois que ce sont des choix idéals, premièrement, pour l'Afrique, ex-colonie française, et deuxièmement pour tous les pays qui font usage de la langue française.

Pour l'Afrique, il s'agit de féconder la langue française avec les langues africaines. En plus, il est préoccupé par le devenir de l'homme noir, puisque l'esclavage, la colonisation et la ségrégation les (les Noirs) avaient enfermés dans un ghetto mental d'infériorité et d'hommes

203

sans histoire. Il voulait que l'homme noir s'affirme en tant que tel (la fierté d'être noir) et aspire aux principes universels. Chez Léopold Sédar Senghor, la revendication d'une identité noire ne doit en aucun cas obstruer l'ouverture à l'universel. Il voulait que l'homme noir assume à la fois son origine africaine et ses liens avec la modernité en se libérant du carcan de l'assimilation culturelle coloniale pour s'ouvrir à la fraternité universelle. Cependant, il a choisi la langue française pour défendre l'homme noir et ses valeurs. Le faisant, ne s'enferme-t-il pas dans la Négritude ? Non, puisque « [le] choix linguistique reste un des marqueurs identitaires par excellence, pour l'écrivain ; écrire dans la langue de l'Autre peut être considérée comme une forme d'aliénation et de trahison qu'elle soit d'ordre idéologique ou symbolique pour les siens. Certes l'écriture dans la langue de l'Autre est un moyen d'expression et d'ouverture, mais écrire dans une langue étrangère peut être révélateur de tensions et de maux intérieurs propre à l'auteur. »735 Nous estimons que ce choix linguistique l'a amené réellement à la Francophonie.

735 Samira BOUBAKOUR et Amina MEZIANI, « Des rives et des langues : Identités et appartenances chez des auteurs francophones » Synergies Algérie, n° 17 - 2012, p. 134

204

CHAPITRE II : LE CHOIX DÉFINITIF DE LÉOPOLD
SÉDAR SENGHOR

Léopold Sédar Senghor sait que « [...] le seul principe incontestable sur lequel [la Francophonie] repose est l'usage de la langue française. »736 Cette langue, il la découvrit à l'âge de sept ans. Elle était, pour lui, à cet âge, musique et charme737. Et depuis lors, il fut un fol amoureux de cette langue « de gentillesse et d'honnêteté »738 à telle enseigne de devenir le porte-flambeau ou le porte-étendard de « l'expression du français hors de l'hexagone. »739 Et comme récompense pour son attachement si tenace à la langue française, il fut élu à l'Académie française, l'instance qui veille au bon emploi de la langue française. Il n'a jamais caché son amour pour le français, il a une grande faiblesse pour elle, et il la maîtrise mieux que sa langue maternelle : « Je pense en français. Je m'exprime mieux en français que dans ma langue maternelle »740, disait-il, parce que « le français est une langue concise (....), une langue précise et nuancée, donc claire. Il est, partant, une langue discursive qui place chaque fait, chaque argument à sa place sans oublier un [...] »741. La langue française a servi de pont de ralliement, d'instrument de communication et d'arme de combat. Léopold Sédar Senghor souhaite, à cet effet, que l'on se serve de cet « outil précieux trouvé dans les décombres de la colonisation »742 pour revendiquer l'identité africaine. Dans la même logique Jacques Rabemananjara avance que « [nous] nous sommes emparés d'elle, nous nous la sommes appropriées, au point de la revendiquer nôtre au même titre que ses détenteurs le droit divin et il nous arrive à ce propos, de nous sentir aussi français [...] que l'autochtone de la Seine [....]. »743 C'est en ce sens que Bernard Zadi Zaourou soutient également que « Tels des voleurs de feu, ils ont su domestiquer la langue du colonisateur d'hier pour exprimer [...] leur identité, avec un talent hors du

736 Léopold Sédar SENGHOR, « La francophonie, comme culture », loc. cit. (op. cit.), p. 131

737 Idem., p. 135

738 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 164

739 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », loc. cit. (op. cit.), p. 838. L'expression du français hors de l'hexagone, entendons par là qu'il s'agit de la Francophonie.

740 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté I, Paris, Seuil, 1944, p. 361

741 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit., pp. 839-840

742 Idem., p. 844

743 Jacques RABEMANANJARA, « Les fondements de notre unité tirés de l'époque coloniale », Présence Africaine, numéro spécial, n°24-25, p. 70, op. cit.

205

commun. »744 Nous aurons compris, la langue du colonisateur est devenue aux colonisés aussi familière que celle de leurs mères745, comme nous le dit Bégong-Bodoli Betina : « Les Africains francophones ont épousé la langue à telle enseigne qu'ils s'y identifient comme si c'était la langue de leurs vrais ancêtres746

Léopold Sédar Senghor savait que le français ne serait plus tout à fait une langue étrangère pour les Africains. Il a choisi la langue du colonisateur, « car le français, c'est aussi sa chose. Dans cette langue, il peut tailler la matière fluide de ses poèmes, la forme souple de ses pensées, les mille nuances de ses sensations. Il en fait son instrument docile, mots de France apprivoisés par le poète et non plus apprivoisant son coeur [...] et cette langue obéissante à son vouloir est désormais son trophée pris sur l'adversaire le colonisateur. »747 « Et comme les mots sont des idées, quand le nègre déclare en français qu'il rejette la culture française, il prend d'une main ce qu'il repousse de l'autre, il installe en lui, comme une broyeuse, l'appareil-à-penser de l'ennemi »748 et rédige en français son évangile. Cette attitude de nègre relève d'un paradoxe.

Cependant, contraint de parler et de rédiger en français, le nègre fait une compromise. Et, cette compromise, chez Senghor, est de pas exclure les langues africaines : « Il n'est pas question de renier les langues africaines »749, mais que ces langues cohabitent avec le français, que l'on greffe « le scion européen sur notre sauvageon »750. Avec la langue française se greffant aux langues africaines, Senghor réinvente la langue française. Nous avons appelé cette langue le « français négrifié »751. Pabé Mongo la nomme « francophonien, cette langue littéraire que les écrivains vont extraire du croisement du français d'origine avec les limons locaux »752. Elle est le parler quotidien des usagers francophones. Cette langue négrifiée est le fait que les langues maternelles subvertissent la langue du colonisateur. La langue du colonisateur est une source d'enrichissement pour les langues maternelles africaines. Autrement dit, la langue française doit s'accommoder d'être disposée suivant des arrangements syntaxiques inhabituels avec des mots africains. C'est de cela qu'il s'agit avec le projet de la Francophonie, parce qu' « [avec] le concept de Francophonie, Senghor ne voulait en aucun cas

744 Bernard Zadi ZAOUROU, Préface, in René Gnaléga, La cohérence de l'oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor, Abidjan, NEI, 2001, p. 8

745 Jacques RABEMANANJARA, « Les fondements de notre unité tirés de l'époque coloniale », op. cit., p. 70

746 Bégong-Bodoli BETINA, op. cit.

747 Aïssata S. KINDO, op. cit.

748 Jean-Paul SARTRE, « Orphée noir », op. cit., p. XVII

749 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op.cit. (loc. cit.), p. 843

750 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté I, op. cit., p. 91

751 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 56

752 Pabé MONGO, La Nolica. Du Maquis à la Cité, Yaoundé, Presse Universitaire de Yaoundé, 2005, p. 124

206

occulter ou perdre de vue les valeurs, la richesse des langues et cultures négro-africaines. »753 Mieux, à travers la Francophonie, il voulait exprimer l'âme noire, la pensée noire en français.

La Francophonie doit sentir le nègre et s'exprimer en français, telle est la conception de la Francophonie de Léopold Sédar Senghor. Bien qu'il soit pour la langue française, Senghor encourage l'apprentissage des langues maternelles, car toute langue véhicule une civilisation donnée. Et, nous pensons également qu'aussi longtemps que nous continuerons à apprendre ou à parler une langue étrangère, qu'elle soit, sans enseigner les nôtres, nous resterons aliénés. Pour cela, il faut que nos langues soient enseignées. Cet apprentissage ne doit en aucun cas, aussi, exclure la langue française, puisqu'elle est notre héritage colonial. Chaque langue doit, alors, accepter d'être teintée, colorée par l'une comme par l'autre. C'est cela la complémentarité dont parle Senghor dans la définition de la Francophonie. Du fait de sa coexistence rapprochée avec les langues africaines, le français influe sur les langues locales et évolue au contact de celles-ci. Ces mélanges et influences mutuelles sont manifestes dans le français parlé ou écrit avec ses spécificités dénommées africanismes.754 Ce fut dans l'écriture poétique qu'il eût l'introduction des vocables indigènes en général755, et dans la poésie de Senghor en particulier où « [des] mots africains se greffent sur une langue française inspirée des hellénistes. »756 Les textes sont dits francophones, lorsque, dans ces textes, le français s'accouple à d'autres langues, particulièrement les langues africaines, et se différencie, affronte d'autres langues et finalement se métisse.757.

Avec le projet de la Francophonie, Senghor cherche, également, à donner une place de choix au peuple noir. En effet, le choix du peuple noir par Léopold Sédar Senghor est une mission sacerdotale. Cependant, il ne sait pas si cette mission doit être politique ou culturelle. Finalement, à la lecture de ses oeuvres, nous constatons que cette mission s'est fait culturellement. Sans perdre le temps, il décide d'être l' « Ambassadeur du Peuple noir, [le] voici dans la Métropole »758 pour manifester « l'Afrique comme le sculpteur de masques au regard intense »759, car « l'heure de nous-mêmes a sonné »760 pour la justice, la culture, la dignité et la liberté, et pour « des organisations capables en un mot, d'aider [les Noirs] dans

753 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 11

754 Mamadou CISSE, « Langue, État et société au Sénégal », Sudlangues, n°5, p. 105

755 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et créolité », Francophobie et identités culturelles, sous la direction de Christian Albert, Paris, Karthala, 1999

756 Saïda BELOUALI, Senghor : Habiter l'interparole, », Semen[en ligne], 18|2004, mise en ligne le 29 avril 2007, consulté le 10 avril 2016. Disponible sur URL : http://semen.revues.org/2243

757 Nous y reviendrons.( Voir page 224)

758 Cf. « Épitres à la princesse », Éthiopiques, op. cit., p. 133

759 Cf. « À la mort », Chants d'ombre, op. cit., p. 24

760 Aimé CÉSAIRE, Lettre à Maurice Thorez, du 24 octobre 1956, disponible sur http://lmsi.net/Lettre-a-Maurice-Thorez

207

tous les domaines à assumer de manière autonome les lourdes responsabilités que l'histoire en ce moment fait peser si lourdement sur leurs épaules »761 musicales.762 Le choix du peuple noir est à dessein chez Léopold Sédar Senghor, car il considère l'homme noir non seulement comme un être à éduquer afin qu'il possède la maîtrise de soi, indispensable à une vie sociale dans une Cité ou un État idéal qui n'impose pas de contraintes, mais également comme un être à sauver intellectuellement, moralement et spirituellement763.

Entre la langue française, les langues africaines, le français négrifié (le francophonien) et le peuple noir à sauver, Léopold Sédar Senghor est confronté à un choix cornélien, car toute sa vie « a été [...] divisée entre l'appel des ancêtres et l'appel de l'Europe, entre les exigences de la culture négro-africaine et les exigences de la vie moderne. »764 Parmi tant d'options, il faut qu'il choisisse une, et personne ne peut vraiment affirmer avec certitude que le choix définitif de Senghor est tel ou tel, car à chaque fois que l'occasion permettait qu'il soit interrogé, il a été toujours question de savoir son choix, comme l'avoue-t-il : « Pour moi, l'on m'a quelquefois posé la question : `' S'il fallait choisir, que voudriez-vous sauver [...] ?» J'ai toujours répondu : `'Mes poèmes. C'est là, l'essentiel. »765 La réponse de Léopold Sédar Senghor nous renvoie à ses poèmes, car ils sont le seul endroit où nous pouvons avoir la vraie réponse et connaître son choix définitif, parce que « tout écrit possède un sens, même si ce sens est fort bien loin de celui que l'auteur avait rêvé d'y mettre. »766 Si Léopold Sédar Senghor a choisi ses poèmes, cela ne suppose pas qu'il n'a pas fait de choix. Son choix est ses poèmes, parce qu'ils traduisent mieux ses pensées. En fait, la poésie est culture, et la culture est humanisme767. Tout laisse croire que le choix de Senghor est la culture768, mais la culture qu'il envisage est une culture qui empruntera à toutes les races, à tous les continents, à toutes les civilisations pour définir le nouvel Homo sapiens. En effet, Léopold Sédar Senghor a choisi la culture, parce qu'elle est poésie et qu'elle peut façonner l'homme afin qu'il devienne plus humain. Ce choix a donc préludé à la naissance de la Francophonie : « [...] la principale raison [...] de la naissance d'une francophonie est d'ordre culturel ».769

761 Idem.

762 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong », Chants d'ombre, op. cit., p. 33

763 Léopold Sédar SENGHOR, La poésie de l'action, op. cit., p. 50

764 Armand GUIBERT, Léopold Sédar Senghor : L'homme et l'oeuvre, Présence Africaine, Paris, 1962, pp. 143144

765 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à trois poètes de l'hexagone », op. cit., p. 378

766 Jean-Paul SARTRE, Situation II, Gallimard, Paris, 1948

767 L'humanisme provient du mot latin « humanitas » qui désigne culture.

768 Nous l'aborderons dans le prochain chapitre.

769 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit. (loc. cit.), p. 838

208

Il faut revenir aux poèmes de Senghor, les analyser méthodiquement avant d'avancer telle ou telle idée qui sera susceptible de confirmer ou d'infirmer ses idées et nos hypothèses. Certes, nous allons étudier ses poèmes par la superposition comme le recommande la psychocritique, mais nous userons, également, (ou parfois) de la théorie de l'énonciation de Catherine Kerbrat-Orecchioni. Par cette théorie, à travers les indices textuels par lesquels Léopold Sédar Senghor s'affirme dans ses poèmes, nous allons chercher la présence du concept de Francophonie. En effet, le poème étant fait de mots, la démarche appropriée pour l'analyse est celle qui explore les procédés linguistiques par lesquels le locuteur (le poète) imprime sa marque à l'énoncé, s'inscrit dans le message et se situe par rapport à lui770. Bien qu'elle prenne en considération les composantes linguistiques, elle n'ignore pas les compétences linguistiques : les déterminations psychologiques et psychanalytiques, les compétences culturelles et idéologiques. Notre démarche est celle de Catherine Kerbrat-Orecchioni : la subjectivité dans le langage (poétique de Léopold Sédar Senghor). Faute de pouvoir étudier directement cette subjectivité, nous cherchons dans le langage poétique de Senghor à identifier et décrire les faits énonciatifs susceptibles de nous révéler ses choix opérés et qui ont permis à élaborer le projet de la Francophonie.

Nous allons voir dans quelle mesure la langue française a influencé Léopold Sédar Senghor, et ce, toute sa vie, au point de vouloir qu'elle devienne la langue commune d'une multitude de personnes. Nous mettons en évidence la place que Senghor accorde aux langues africaines et le devenir de ces langues au sein de la Francophonie. Nous montrons comment ces langues se sont enrichies au fil des siècles en se métissant avec le français. En effet, la plupart des mots français ont tendance à changer de sens pour acquérir d'autres significations, et cela est dû à l'influence des langues africaines et des autres langues. La langue française se voit par la composition et la dérivation de nouveaux mots formés s'enrichir, et sans oublier par l'apport linguistique des différentes aires linguistiques qu'elle a eu en contact. En d'autres mots, la langue française s'est colorée de la teinture langagière africaine biaisant ainsi les langues africaines. Notre étude permet d'appréhender le procédé ingénieux utilisé par Léopold Sédar Senghor pour sauver les langues africaines en faisant leur promotion. Notre cheminement conduit sur un autre point qui est le choix du peuple noir. Nous avons vu que la guerre a permis de comprendre que le Noir n'est point différent du Blanc, car ils ont tous une âme et un même sang rouge dans leurs artères et veines. De ce fait, le peuple noir doit être capable de penser par lui-même, pour ses proches et pour lui-même, et de dissiper tous les préjugés nés de l'esclavage

770 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, L'énonciation : De la subjectivité dans le langage, op. cit., p. 32

209

et de la colonisation faisant de lui un peuple inférieur. En choisissant le peuple noir, Senghor s'engage à être son ambassadeur afin de l'inviter à l'ouverture d'esprit, à avoir un sens critique et à porter un intérêt aussi bien pour ses propres moeurs que pour les autres peuples. En d'autres mots, il invite le peuple noir à se réaliser, à s'unir, et surtout à la coexistence, car la coexistence entre peuples a toujours été et sera un rapport de force à ne pas négliger. Tout cela constitue les axes de notre réflexion dans ce chapitre.

210

1. LE CHOIX DE LA LANGUE FRANÇAISE

Basile Diogoye Senghor, en voulant punir son fils pour ses vagabondages, l'envoya à l'École des Blancs, au grand désespoir et désarroi de Gnilane Bakhoum771. C'est ainsi que le petit Léopold Sédar Senghor découvrit le français à l'âge de sept ans772. Et, depuis lors un amour inconditionné est né entre lui et la langue française, car cette langue est une beauté à l'ouïe, c'est-à-dire agréable à entendre. Il dit d'ailleurs que

La beauté du français, sa poésie, ne vient pas du pouvoir imaginant des mots, qui ne se sont dépouillés du concret de leurs racines, elle vient de la musique des mots et des phrases, des vers et des versets : de leur rythme et de leur mélodie. Pour dire que la langue française est culture, c'est-à-dire esprit de civilisation, fondement d'un humanisme qui ne fut jamais plus actuel qu'aujourd'hui773.

Il s'est beaucoup exprimé, de bien des manières, improvisées ou préparées à propos du français. Gabriel de Broglie avance que

La langue française est au coeur de l'esprit de la carrière, de l'oeuvre et même de Léopold Sédar Senghor. [...] La langue française et Senghor, n'est-ce pas tout Senghor ? Je veux dire n'absorbe-t-elle pas l'essentiel de son message qui est de démontrer la nécessité de la langue française.774

Curieusement, ce n'est pas dans ses discours qu'il faut appréhender son attachement si tenace à la langue française, mais dans ses poèmes qu'il faut relire afin de relever les images, les expressions, les néologismes. Sa poésie est un hymne à la langue française, et l'expression de cette langue hors de l'Hexagone. C'est la raison pour laquelle, on dit que la Francophonie est fille de la poésie, car c'est à travers l'écriture poétique que la langue française a été valorisée davantage.

771 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », Éthiopiques, Postface, loc. cit., p. 158

772 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », loc. cit., p. 135

773 Idem., pp. 35-136

774 Gabriel De BROGLIE, « Senghor ou la nécessité de la langue française », discours prononcé en hommage à Léopold Sédar Senghor, de la séance publique du mardi 5 mars 2002 à l'Académie des Sciences Morales et Politiques. Disponible sur http://www.academie-francaise.fr/senghor-ou-la-necessite-de-la-langue-francaise-seance-publique-dhommage-leopold-sedar-senghor

211

On avait voulu leur imposé le français, et voilà que « [...] depuis les indépendances, la langue française a cessé d'appartenir exclusivement à la France »775 pour « [...] appartenir à tous ceux qui le parlent, en ont hérité, l'ont choisi ou plus simplement l'aiment sans pour autant le maîtriser. »776 Pour Léopold Sédar Senghor, le français fut une langue imposée, choisie et aimée. D'ailleurs, il le confirme en ces propos :

Mais, je répète, nous n'avons pas choisi. C'est notre situation de colonisé qui nous imposait la langue du colonisateur, plus précisément la politique de l'assimilation. Tout n'était pas mauvais dans cette politique, [...]. Comme le dit Jean-Paul Sartre, nous avons choisi les armes du colonisateur pour les retourner contre lui. C'est un fait, le français nous a permis d'adresser, au monde et aux autres hommes nos frères, le message inouï que nous étions seuls à pouvoir lui adresser.777

Et ce sont les raisons mises en évidence dans ses poèmes que nous tentons de découvrir. Il faut savoir que le choix de la langue française ne résulte pas d'une volonté politique chez Léopold Sédar Senghor, mais d'une conception essentialiste, car « selon lui, la langue française incarnerait la clarté, l'intelligibilité et la rationalité. »778 Par ailleurs, il affirme qu'

Il y a d'autres raisons, plus profondes, qui tiennent aux qualités même de la langue.

Qu'il s'agisse de morphologie ou de syntaxe, le français nous offre, à la fois, clarté et richesse, précision et nuance.779

Le choix du français est la seule raison, pour ainsi dire, incontestable qui justifie le virement du militant de la Négritude à la Francophonie, parce que le seul principe qui fonde l'existence de la Francophonie est l'usage de la langue française. Jacques Chevrier le justifie en ces termes :

[...] l'auteur des Chants d'ombre va s'employer méthodiquement à justifier son élection en faveur de la francophonie au nom de cinq raisons majeures :

1- Les africains parlent mieux le français que leur langue maternelle

2- La richesse du vocabulaire de la langue française

3- La syntaxe de la langue française

4- La stylistique du français

5- L'humanisme français.780

775 Jacques CHEVRIER, « Senghor militant de la francophonie », op. cit.

776 Bernard WALLON, Éditorial, Après Demain, op. cit., p. 3

777 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, p. 19

778 Alice GOHENEIX, « Les élites africaines et la langue française : une appropriation controversée », Documents pour l'histoire du français langue étrangère ou seconde, disponible sur http://dhfles.revues.org/117

779 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., p. 132.

780 Jacques CHEVRIER, « Senghor, militant de la Francophonie », op. cit.

212

Nous comprenons, dès lors, que le choix de Léopold Sédar Senghor en faveur du français est dû simplement au charme et à la musique que cette langue a influés sur sa vie depuis l'âge de sept ans ; l'âge auquel il fut contraint par son père d'aller à l'École des Blancs. Il choisit le français comme une langue idéale pour sa clarté, son vocabulaire dont la majeure partie vient du grec et du latin, l'ordre des mots dans la phrase qui est un ordre logique, la précision du vocabulaire et de son rythme. Alice Goheneix estime que

[...] Le français s'impose à Senghor comme la langue cartésienne par excellence, en même temps qu'elle offre, par le truchement du surréalisme, des potentialités poétiques et sensibles, inespérées. Le français se trouve sacralisé à la fois comme langue de la raison et comme langue de la sensibilité.781

Le terreau, pour mieux appréhender les raisons justificatives du choix de Léopold Sédar Senghor, est bien sûr sa poésie. De ce fait, nous allons nous intéresser à présent aux poèmes de Senghor pour mettre à nu tout ce qui vient d'être dit sur son choix du français. Notre démarche est tout simple : il s'agit de faire la superposition de ses textes pour mettre en relief des réseaux associatifs qui seront analysés par la théorie de l'énonciation de Catherine Kerbrat-Orecchioni. Nous allons d'abord superposer « Ndessé » (Hosties noires), « Épitres à la princesse » (Éthiopiques) et « Chants pour signare » (Nocturnes) :

(Ndessé)

Voici que je suis devant toi Mère, soldat aux manches nues

Et je suis vêtu de mots étrangers, où tes yeux ne voient

qu'un assemblage de bâtons et de haillons

Si je te pouvais parler Mère ! Mais tu n'entendrais qu'un

gazouillis précieux et tu n'entendrais pas

Comme lorsque, bonnes femmes de sérères, vous déridiez

le dieu aux troupeaux de nuage

Pétaradant des coups de fusil par-dessus le cliquetis des mots

paragnessés

Mère, parle-moi. Ma langue glisse sur nos mots sonores

et durs

Tu les sais faire doux et moelleux comme à ton fils chéri

autrefois. (Po : 79)

(Épitres à la princesse)

Et cet autre exil plus dur à mon coeur, l'arrachement de soi à soi

À la langue de ma mère, au crâne de l'Ancêtre, au tam-tam de mon âme... (Po : 136)

(Chants pour signare)

Depuis longtemps civilisé, je n'ai pas encore apaisé le Dieu blanc du sommeil.

Je parle bien sa langue, mais barbare mon accent ! (Po : 171)

781 Alice GOHENEIX, op. cit.

213

La superposition accuse les réseaux associatifs suivants :

- L'étrangeté de la langue : mots étrangers, un assemblage de bâtons et de haillons,

coups de fusil, cliquetis des mots, mots sonores et durs, barbare mon accent.

- L'agréabilité de la langue : gazouillis précieux, doux et moelleux, bien sa langue. - Déculturation/acculturation : je suis vêtu de mots étrangers, si je pouvais parler

Mère, ma langue glisse sur nos mots sonores et durs, l'arrachement [...] à la langue de

ma mère, je parle bien sa langue.

Léopold Sédar Senghor est transformé culturellement, pour ne pas dire

linguistiquement ; sa mère ne le reconnaît plus, car il est « vêtu de mots étrangers ». La langue qu'il parle maintenant est pour sa mère des mots étrangers, un assemblage de bâtons et de haillons, mieux, une langue étrange à tel point qu'elle a du mal à comprendre son fils : « Mais tu n'entendrais [...] pas ». Pourtant, chez Senghor, cette langue étrange aux yeux de sa mère est un gazouillis précieux, un cliquetis des mots qui sonne doux et moelleux à ses oreilles. C'est la langue des dieux. Prêtons les propos de Samba Diallo de L'aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane à Senghor afin de saisir la fascination de Senghor à l'égard de la langue française :

Je ne sais pas trop. C'est peut-être avec leur alphabet. [...] longtemps, je suis demeuré sous la fascination de ces signes et de ces sons qui constituent la structure et la musique de leur langue. Lorsque j'appris à leur agencer pour former des mots, à agencer les mots pour donner naissance à la parole, mon bonheur ne connut plus de limite.782

Senghor voue un véritable culte à la langue française. En fait, il ne peut non plus parler la langue de sa mère (la langue maternelle), car il titube sur les mots : « Ma langue glisse sur nos mots sonores et durs ». La langue maternelle est pour lui des pétards de coups de fusil, des mots sonores et durs, tandis que sa mère les sait faire doux et moelleux. Il n'arrive pas à parler la langue maternelle, parce qu'il fut très tôt arraché à cette langue : « l'arrachement [...] à la langue de ma mère », pour une autre langue qu'il maîtrise bien, mais dans un accent barbare : « Je parle bien sa langue, mais si barbare mon accent » : « En répondant, je reprendrai l'argument de fait. Je pense en français ; je m'exprime mieux en français que dans ma langue maternelle ».783 Cet aveu de Senghor justifie non seulement ce que nous avons dit ci-dessus, mais également sa déculturation et son acculturation linguistique. En effet, il est contraint d'abandonner la langue maternelle pour apprendre la langue des Blancs. N'est-ce pas son père

782 Cheikh Hamidou KANE, op. cit., p. 172

783 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit., p 841.

214

qui le contraignit d'aller à l'école au Sénégal ? Ensuite, les études vont l'amener en France, considéré par le poète comme un exil douloureux : « Et cet autre exil plus dur à mon coeur, l'arrachement de soi à soi ». En fait, le Père Léon Dubois est celui qui l'introduisit au christianisme, à la France et plus particulièrement à la Normandie en l'amenant à aimer ainsi la langue française. Avec le Père Léon Dubois, il découvrit une forme de discipline, caractéristique d'un autre mode de vie qu'il considère comme un long exil784. Ce long exil lui permit d'oublier les mots de chez lui, c'est-à-dire sa langue maternelle. Enfin, il trouve que « les mots [de sa langue maternelle] sont naturellement nimbés d'un halo de sève et de sang »785 et qu'ils manquent de mots abstraits786. Par contre, les mots de la langue des Blancs, c'est-à-dire le français, se plient

[...] à toutes les exigences de la pensée et au sentiment, voire de la sensation, passant de la rigueur du diamant aux troubles fulgurances de la tornade, du mouvement large et lent de la mer à la brièveté soudaine du coup de poignard.787

Mieux,

[...] le français offre une variété de timbres dont on peut tirer tous les effets : de la douceur des Alizés, la nuit, sur les hautes palmes, à la violence fulgurante de la foudre sur les têtes des baobabs.788

Se sachant déraciner, il ne peut que se consoler avec l'idée que la langue française est « ce merveilleux outil trouvé dans les décombres du Régime colonial »789 ou ce « Soleil qui brille hors de l'Hexagone »790. Et estimant ne pas être le seul victimaire, il propose aux différents États où le français est proclamé langue officielle ou introduit dans l'enseignement du second degré de s'organiser pour la promotion de la langue française, car elle est devenue également la leur au même titre que la France. D'où le projet de la Francophonie.

Ce projet francophone devrait réunir tous les États, toutes les personnes autour du français afin d'approfondir leur fraternité et de conjuguer leur foi dans l'avenir d'un nouvel humanisme. Le français, dans la Francophonie, serait alors l'instrument de communication, une arme de combat, et servirait de pont de ralliement car, il « est une langue d'une audience

784 Janet G. VAILLANT, Vie de Léopold Sédar Senghor, Paris, Karthala, 2006, p. 43

785 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 165

786 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit., p. 839

787 Léopold Sédar SENGHOR, « la Francophonie comme culture », op. cit., p. 134

788 Léopold Sédar SENGHOR, « le français, langue de culture », op. cit., p. 843

789 Idem. (loc. cit.), p. 844

790 Ibidem (loc. cit.), p. 844

215

internationale »791 et il « peut exprimer toute âme humaine »792. Avoir un même langage signifie avoir une même âme, c'est-à-dire le français est le fondement de l'unité de tous les parlants français à travers le monde.

Et c'est le moment de renoncer à jamais à ces petits complexes de colonisés car le français, en tant que langue, n'appartient plus en exclusivité aux populations de l'Hexagone, mais est devenu l'affaire des [quatre-vingt-quatre] pays et plus qui l'utilisent comme langue nationale, officielle ou de travail dans les instances internationales.793

Quant à Senghor, n'ayant aucun complexe d'ancien colonisé, il ne peut que se porter volontaire pour la promotion du français, qui est devenu pour les colonisés aussi familier que la langue de leurs mères. Notre seconde superposition consiste à mettre en évidence les motivations explicatives de cette ferveur de Senghor en faveur de la langue française. Elle vient corroborer la première superposition.

Ce sont « Épitres à la princesse », « Comme les lamantins vont boire à la source » (Éthiopiques) et « Élégie des circoncis » (Nocturnes) qui vont être superposés. Voici les extraits :

(Épitres à la princesse)

Je m'enchantais aux jeux de cette langue labile avec des glissements sur l'aile

Langue qui chante sur trois tons, si tissée d'homéotéleutes et d'allitérations, de douces implosives coupées de coups de glotte comme de navette

Musclée et maigre, je dis parcimonieuse, où les mots sans ciment sont liés par leur poids. (Po : 139)

(Comme les lamantins vont boire à la source)

Car je sais ses ressources pour l'avoir goûté, mâché, enseigné, et qu'il est la langue des dieux. Écoutez donc Corneille, Lautréamont, Rimbaud, Péguy et Claudel. Écoutez le grand Hugo. Le français, ce sont les grandes orgues qui se prêtent à tous les timbres, à tous les effets, des douceurs les plus suaves aux fulgurances de l'orage. Il est, tour à tour ou en même temps, flûte, hautbois, trompette, tam-tam et même canon. Et puis le français nous a fait don de ses mots abstraits - si rares dans nos langues maternelles - , où les larmes se font pierres précieuses. Chez nous, les mots sont naturellement nimbés d'un halo de sève et de sang ; les mots de français rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit. (Po : 165)

(Élégie des circoncis)

Ah ! mourir à l'enfance, que meure le poème se désintègre la syntaxe, que s'abîment tous les mots qui ne sont pas essentiels

Le poids du rythme suffit, pas besoin de mots-ciment pour bâtir sur le roc la cité de demain. (Po : 199)

791 Ibid., p. 842

792 Ib., p. 842

793 Babacar Sédikh DIOUF, « Léopold Sédar Senghor et l'éducation », Éthiopiques, n°19, 1979

216

Nul besoin de faire l'association des images pour comprendre qu'il s'agit d'un véritable éloge de la langue française. On voit très bien que « le français se trouve ici valorisé et finalement préféré aux langues africaines, au nom de la puissance de la création qu'il est supposé fournir. »794 En ce qui concerne la langue française, Léopold Sédar Senghor sait de quoi dire et parler. Le français est son affaire, sa prédilection, car il sait les ressources pour l'avoir goûté, mâché et enseigné. Il reconnaît avoir faire un éloge de la langue française :

Je sais combien cet éloge est au-dessous de son objectif. Mon excuse est que notre

attachement à la langue française et à la culture française est au-dessus de tout éloge.795

Cet éloge de la langue s'explique du fait que Senghor la divinise, voire la sacralise. Nous allons faire, néanmoins, la superposition des extraits. Nous voyons s'accuser les réseaux associatifs suivants :

- Musique : Je m'enchantais, langue qui chante sur trois tons, les grandes orgues, les timbres, tous les effets, des douceurs les plus suaves, fulgurances de l'orage, flûte, hautbois, trompette, tam-tam, canon.

- Clarté : les mots de français rayonnent de mille feux comme des diamants, des fusées qui éclairent notre nuit.

- Stylistique : cette langue labile, des glissements sur l'aile, si tissée d'homéotéleutes et d'allitérations, de douces implosives coupées de coups de glotte comme de navette, musclée et maigre, je dis parcimonieuse, les mots sans ciment sont liés par leur poids, ses mots abstraits, pierres précieuses, se désintègre la syntaxe, que s'abîment tous les mots qui ne sont pas essentiels, le poids du rythme suffit, pas besoin de mots-ciment.

Le choix du français, d'après ces différents réseaux, est fondé sur la musique, la clarté et la

stylistique, comme on peut le saisir dans un passage de « Femme de France » d'Hosties noires :

Vos lettres ont bercé leurs nuits de prisonniers de mots diaphanes et soyeux comme des ailes

De mots doux comme un sein de femme, chantants comme un ruisseau d'avril. (Po : 76)

Ne dit-il pas qu'à l'âge de sept ans, il découvrit la langue française qui, à ses oreilles, était musique et charme ? Parce que les mots français sont clairs et précis, que la structure et le rythme de ses phrases sont une « originalité merveilleuse de l'ouïe »796, le poète ne peut en

794 Pierre SOUBIAS, « Entre langue de l'autre et langue de soi », Francophonie et identité culturelles, op. cit., p. 126

795 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit. , p. 140

796 Idem., p. 135

217

démordre. Il s'est laissé séduire par la clarté, la richesse, la précision, la nuance, la morphologie, la syntaxe et la stylistique797, voire la musique de la langue française. Il ne dit pas le contraire. Il les a même résumées en cinq points.

Au premier point, se trouve la clarté et la richesse du vocabulaire : la multiplicité des synonymes et la profusion des mots abstraits qui tiennent des procédés de dérivation et de composition avec l'apport linguistique des différentes aires linguistiques auxquelles le français a été en contact. Le deuxième point met en relief la syntaxe du français : le français a une syntaxe de subordination, de logique, et il place chaque fait, chaque argument à sa place sans oublier un. Il est une langue de synthèse et d'analyse, car « la phrase française présente un ensemble synthétique, où nul élément n'est isolé, mais où les conjonctions de coordination et de subordination, qui sont signes de relation entre les idées, facilitent l'analyse ».798 Au troisième point, il y a la stylistique française : le style français est une symbiose de la subtilité grecque et de la rigueur latine, animé par la passion celtique. La culture est le quatrième point : « la langue française est culture, c'est-à-dire esprit de civilisation, fondement d'un humanisme qui ne fut jamais plus actuel qu'aujourd'hui. »799 En effet, la langue française « a l'homme comme objet de son activité. Qu'il s'agisse du droit, de la littérature, de l'art, voire de la science, le sceau du génie français demeure ce souci de l'Homme ».800 Le cinquième point aborde la question de la déculturation et l'acculturation du Noir : Léopold Sédar Senghor pense que « beaucoup, parmi les élites [africaines], pensent en français, parlent mieux le français que leur langue maternelle [...] »801. Pour cela, il faut utiliser cette langue pour exprimer leur authenticité de métis culturel.

Ce phénomène est la déculturation et l'acculturation. La colonisation va déculturer l'Africain, mais elle leur permettra d'acculturer la culture du colonisateur. Selon les dires de Senghor, ce sont ces cinq points, ci-dessus résumés, qui expliquent son attachement si tenace à la langue française « qui, par viol et retournement, [peut] allumer la flamme de la métaphore, [et offrir] une variété de timbres dont on peut tirer tous les effets : de la douceur des Alizés, la nuit, sur les hautes palmes, à la violence fulgurante de la foudre sur les têtes des baobabs. »802

Cependant, le choix de Senghor s'explique, également, du fait que la langue française est une langue internationale de communication803, et en tant que telle, elle peut leur permettre

797 Ibidem. (loc. cit.), pp. 132-133

798 Ibid., p. 133

799 Ib., p. 136

800 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit., p. 840

801 Idem., p. 839/ p. 841

802 Ibidem., p. 843

803 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., p. 132

218

d'adresser leur message de métis culturels aussi bien aux Français de France qu'au reste des hommes. À cet effet, Senghor nous dit :

Mais on me posera la question : « Pourquoi, dès lors, écrivez-vous en français ? » Parce que nous sommes des métis culturels, parce que, si nous sentons en nègres, nous nous exprimons en français, parce que le français est une langue à vocation universelle, que notre message s'adresse aussi aux Français de France et autres hommes, parce que le français est langue « de gentillesse et d'honnêteté »804

Étant lui-même un métis culturel, il s'engagera, avec amour et passion, en faveur de la langue du colonisateur plus que le colonisateur lui-même, à telle enseigne, qu'au prix et au mépris de certaines protestations, de s'investir dans la défense et la promotion d'une langue étrangère, et de surcroît, celle d'une ancienne puissance coloniale en Afrique. Il est l'un des défenseurs le plus convaincu et le plus convaincant, le plus déterminé et le plus éloquent que l'histoire de la langue français n'ait connu, faisant de lui un serviteur zélé du néo-colonialisme, selon ses opposants.

Lorsque Léopold Sédar Senghor était président de la République du Sénégal, il avait pris des décrets relatifs à la langue française, tel est le cas du décret n°75-1027 du 10 octobre 1975 relatif à l'emploi des majuscules dans les textes administratifs, modifié par le décret n°80770 du 24 juillet 1980. Il a même refusé de remplacer le français par une quelconque langue comme langue officielle et comme langue d'enseignement. Pendant le conseil de gouvernement, il arrivait que Senghor se mue en professeur de Lettres pour donner des leçons de français (de grammaires) soit à ses ministres soit aux rédacteurs du journal Le Soleil, comme nous pouvons l'appréhendé dans la citation ci-dessous :

Tous les mois, Senghor réunissait la rédaction entière du Soleil dans la salle des Ministres. Devant le tableau noir et la craie du professeur de français qu'il n'a jamais cessé d'être à la main, ce n'était pas des cours de propagandes socialistes qu'il donnait aux journalistes mais des leçons de syntaxe et de grammaire.805

Il était rigoureux et strict dans l'emploi du français. La moindre petite faute grammaticale l'irritait pour ainsi dire. Cela se comprend, car il est théoricien de la langue (agrégé de grammaire), créateur de langages et d'images (poète), spécialiste du grec et du latin et amoureux de la langue française. La question à laquelle nous n'avons pas encore répondue est celle de savoir comment le choix du français a permis à Senghor de concevoir la Francophonie. La réponse sera donnée par Ibrahim Diop :

804 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op.cit., p. 164

805 Bara DIOUF, Le Soleil, 14-17 juin 2001, p. 24

219

Après avoir souligné la richesse de la langue française, Senghor la présente au monde entier pour prôner et réaliser une synthèse de culture, une symbiose entre les peuples et cultures. Il défend l'idée selon laquelle la langue française est un appel, une invitation à la Civilisation de l'Universel, à une communication interculturelle et transnationale, au rendez-vous du donner et du recevoir.806

Ayant trouvé dans les décombres du régime colonial la langue française, cet instrument merveilleux, qui pouvait exprimer d'autres expériences nationales et se plier à toutes les exigences de la pensée et au sentiment, était un moyen efficace et fiable, aux yeux de Senghor, d'établir un dialogue fécond et prometteur pour la réalisation de la Civilisation de l'Universel. En fait, Senghor veut que la logique et l'humanisme de la langue française soient un modèle pour tous les peuples de la terre. Il rêvait, ainsi, de fraternité entre les peuples, Blancs et Noirs ; d'une communauté dont le français sera le socle, une communauté constituée de peuples divers, et venus de partout, comme nous pouvons le lire dans l'extrait ci-dessous :

Car nous sommes là tous réunis, divers de teint - il en

a qui sont de couleur de café grillé, d'autres bananes d'or

et d'autres terre des rizières

Divers de traits de costumes de coutumes de langues ; mais

au fond des yeux la même mélopée de souffrances à

l'ombre des longs cils fiévreux

Le cafre le Kabyle le Somali le Maure, le Fan le Fon le

Bambara le Bobo le Mandiago

Le nomade le mineur le prestataire, le paysan et l'artisan

le boursier et le tirailleur

Et tous les travailleurs blancs dans la lutte fraternelle.

Voici le mineur des Asturies le docker de Liverpool le

Juif chassé d'Allemagne, et Dupont et Dupuis et tous les

gars de Saint-Denis. (Po : 59)

Cette communauté à laquelle rêve Senghor et décrite dans l'extrait ci-dessus est celle projetée dans la conception de la Francophonie qui se veut une communauté spirituelle : une noosphère autour de la terre. Et, c'est la langue française qui peut établir le lien solidaire et fraternel entre les peuples réunis dans cette communauté dont la dénomination est la Francophonie. Les propos de Senghor ci-dessous accréditent nos idées :

Pour en revenir à la Francophonie, le seul principe incontestable sur lequel elle repose est l'usage de la langue française [...]. La Francophonie ne sera pas, ne sera plus enfermée dans les limites de l'Hexagone. Car nous ne sommes plus des « colonies » : des filles mineures qui réclament une part de l'Héritage. Nous sommes majeures, qui exigent leur part de responsabilité : pour fortifier la Communauté en l'agrandissant.807

806 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et le dialogue interculturel », op. cit., p. 11

807 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., p. 131/p. 140

220

C'est à travers la langue française que les hommes et les femmes, des quatre coins de la terre, se reconnaissent vraiment dans l'ordre de l'esprit, des citoyens à part entière dans le vaste univers de la mondialisation. Pour récapituler, Senghor a choisi la langue française, parce qu'elle est une langue analytique qui structure la pensée et développe l'esprit critique. Son choix s'explique du fait qu'elle est aussi la langue des idéaux universalistes et humanistes. Pour Senghor, elle est douce, mélodieuse, romantique et poétique. Il était fier de parler la langue française et de l'enseigner aux Français de France, comme le souligne Abdoul Diouf :

Le Sénégal était indépendant depuis avril 1960, avec, pour président noir, l'homme de lettres, le poète Léopold Sédar Senghor, premier Africain noir agrégé de grammaire comme il aimait souvent le répéter dans ses discours. Il était fier d'avoir enseigné le français à des Français, en France.808

Il fallait que les Africains se l'approprient, cette langue, pour exprimer leur message à tout le monde sans exception ; parce qu'ils sont des métis culturels.

Ce sont toutes ces raisons, mises en évidence ci-dessus, qui, pour parler comme Rivarol, la distinguent des autres langues :

Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le français nomme d'abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l'action, et enfin l'objet de cette action : [...]. La syntaxe française est incorruptible. C'est de là que résulte cette admirable clarté, hase éternelle de notre langue. Ce qui n'est pas clair n'est pas français ; ce qui n'est pas clair est encore anglais, italien, grec et latin.809

En se convaincant de la logique et la clarté de la langue française, la capacité qu'elle a à exprimer toutes les pensées, Senghor présente cette langue au monde entier, et invite les Blancs et les Noirs à s'unir afin de s'organiser pour sa valorisation, car elle charrie les idéaux humanistes.

Sa relation avec la langue française est comme l'attitude d'un enfant qui découvre une friandise ou un jouet pour la première fois. Séduit par cette friandise ou ce jouet, il ne veut plus s'en passer, même à l'âge adulte. Charmé à sept ans par la langue française, Senghor ne peut plus s'en démordre, il en fait son affaire. Il voulut parler la langue française plus que les Français natifs, et faire aimer cette langue par tous et de tous, voire l'enseigner. C'est son rêve d'enfance.

808 Abdoul DIOUF, Patchwork : des fragments de vie, Paris, Publibook, 2010, p. 16

809 Antoine RIVAROL, De l'universalité de la langue française, pp. 11-12, disponible sur http://www.bribes.org/trismegiste/rivarol.htm.

221

Et, ce rêve l'a poursuivi jusqu'à l'âge adulte. La volonté de réaliser ce rêve le conduisit à la Francophonie où le français constitue à la fois le moyen et la fin de toutes les actions de ceux qui veulent y adhérer. Il reconnaît qu'il a fait sienne cette langue et oeuvré, non seulement, pour son universalité et son rayonnement, mais aussi pour la Francophonie. Voici son aveu :

Oui, j'ai fait mienne la langue française et j'ai contribué à lui donner son

universalité ; oui j'ai oeuvré pour la francophonie, cette communauté spirituelle, cette solidarité de l'esprit, [...].810

Ce que Senghor ressent pour la langue française est un amour d'enfance, un amour contracté depuis l'enfance. Suborné par la musique et le charme, il s'est promis de faire sienne cette langue et de la façonner à sa guise. En voulant donc réaliser ce rêve d'enfance, il eut l'idée de la Francophonie, la communauté qui doit oeuvrer pour la langue française, et regrouper en son sein tous les locuteurs de cette langue.

Le choix du français par Léopold Sédar Senghor n'est pas d'ordre politique. Arraché à l'âge de sept ans à la langue de sa mère, il découvrit la musique et le charme de la langue française. En plus, il l'a étudiée et enseignée. Il connaît les ressources, les qualités de cette langue qui lui a été imposée par la colonisation, mais choisie par amour. Tout au long de ses pérégrinations dans la langue française, il découvre que le français est capable de structurer la pensée et développer l'esprit critique, parce qu'il est une langue analytique. En plus, il remarque que cette langue est, non seulement, une langue humaniste et universaliste, mais une langue douce, mélodieuse, romantique et poétique. Et, à force de la pratiquer, il s'est ancré dans cette langue au point de ne plus parler sa langue maternelle. Voulant universaliser cette langue, il reprit le concept de Francophonie d'Onésime Reclus pour désigner son idée de communauté de locuteurs du français qui aura la charge de faire la promotion du français à travers le monde.

Cependant, au centre de ses préoccupations se trouvent les langues africaines qu'il veut valoriser sans pour autant donner l'impression d'un désintéressement de la langue française. Il est conscient que les Africains sont déculturés et qu'ils ne parlent même pas leurs propres langues. La question était comment faire pour donner le goût aux Africains de revenir à leur langue maternelle. La solution trouvée était de féconder le français avec des mots africains : « Nous sommes pour une langue française avec des variantes, plus exactement des

810 David GAKUNZI, « Le poète et la cité : Léopold Sédar Senghor », France fraternité, (Propos de Senghor) disponible sur http://www.france-fraternité.org/2016/12/20/poete-cite-leopold-sedar-senghor/

222

enrichissements régionaux »811, dit-il, et d'ajouter qu'il voudrait « parler non seulement en Nègre mais encore en Francophone »812. Senghor parle d'enrichir la langue française et de parler francophone. Comment doit-on enrichir la langue française ? Qu'est-ce que le parler francophone ? Est-ce la langue commune de la communauté voulue par Senghor ?

En fait, un nouveau type de français se crée. La langue française se voit greffer de mots africains, « des souffles viennent d'ailleurs s'infléchir sur cette langue française ».813 Dans le cas de Senghor, ce sont des mots sérères et wolofs qui cohabitent parfaitement avec le français, des néologismes créés à partir du radical de mots africains. Nous avons appelé ce français le français africanisé, que d'autres nomment le francophonien814 ou le francophonais815 ou encore le parler francophone. Selon Senghor, « ce furent, d'abord, des apports européens - méditerranéens, germaniques et slaves- , puis des apports asiatiques -arabes, iraniens et indiens, chinois et japonais- , maintenant, des apports négro-africains »816. Si on comprend bien, après les mots empruntés à l'arabe, à l'anglais, au persan817, c'est au tour de l'Afrique d'apporter ses mots à la langue française.

Le français africanisé serait une sorte d'alliance qui se fait sous l'effet d'un apprivoisement du verbe français (ou de la langue française) par le verbe nègre qui est capable d'exprimer des réalités que la langue française ne peut pas exprimer. Il est aussi le fait de battre les valeurs africaines dans la langue française818. Léopold Sédar Senghor voit ainsi dans la langue du colonisateur une source d'enrichissement pour les langues maternelles abandonnées par les Africains. Il s'agit pour nous de montrer comment le français africanisé s'appréhende dans la poésie senghorienne, et qu'il a une place dans la conception de la Francophonie. Nous allons voir que le français africanisé est le résultat de la cohabitation des langues africaines et la langue française, voire un apport enrichissant pour la langue française. Nous pouvons définir le français africanisé comme « cette langue enrichie de tant d'apports, de tant d'images, venus de toutes parts, qui a fait l'unité française, sans altérer sa diversité »819, sa structure, sa logique et sa clarté.

811 Léopold Sédar SENGHOR, Préface au lexique du français du Sénégal, Dakar, NEA, 1979

812 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à trois poètes de l'Hexagone », OEuvre poétique, op. cit., p. 374

813 Saïda BELOUALI, « Senghor : habiter l'interparole », op. cit.

814 Pabé MONGO, La Nolica (La Nouvelle Littérature Camerounaise). Du maquis à la cité, Yaoundé, Presses Universitaires de Yaoundé, 2005, 534 p.

815 Jean FOUCAULT, « Parler francophonais », Après Demain, op. cit., pp. 20-22

816 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à trois poètes de l'Hexagone », op. cit., p. 377

817 Jean FOUCAULT, « Parler le francophonais », Après Demain, op. cit., p. 22

818 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit., p. 844

819 Louis MARTIN-CHAUFFER, « La langue française » in Civilisation contemporaine, Paris, Hatier, 1976, p.137, Textes choisis, classés et présentés par M. A. Baudouy et R. Moussay. (Louis Martin-Chauffer, La patrie se fait tous les jours, Paris, Éditions de Minuit, 1947).

223

2. LE CHOIX DU FRANÇAIS AFRICANISÉ OU NÉGRIFIÉ

Les Africains savent bien que la langue française est incapable de dire réellement ce qu'ils ressentent ainsi que leur identité. Pour s'y trouver à l'aise, il leur fallait introduire des mots, des expressions, une syntaxe et un rythme nouveau à la langue française820, voire « déconstruire le français pour le reconstruire sous une forme africaine »821 car « [...] l'emploi d'un africanisme peut (...) être conçu comme un signe identitaire lorsque l'auteur entreprend de `' négrifier» le français »822. Ce grand besoin de renouveler la langue française s'est investi avec une attention particulière accordée à l'écriture, à ses transformations linguistiques « pour aboutir à ce que J. C Blachère appelle `' négrilure» et qui n'est autre que le `' français négrifié» (qui n'a rien à voir avec le `' petit nègre'') et n'a donc rien de péjoratif. »823, parce que le français se révèle inapte à formuler de manière adéquate le contenu de leur pensée, ils la jugent donc en porte-à-faux par rapport à la réalité perçue ou conçue. En effet,

La langue d'un peuple, c'est ce peuple lui-même, sa réalité, ce qu'il a de plus

intime, de plus spécifique, ce qui le différencie précisément de tout autre peuple, sa pensée.824

Or, il se trouve que les Africains ont du mal à se définir une langue pouvant exprimer leur réalité. En plus, ils ne veulent plus subir la langue française, mais la recréer pour la rendre accessible à leur mode de vie et à leur manière de penser. Jean-Pierre Makouta-Mboukou dit qu'

Il ne faut pas que les Négro-africains subissent simplement une langue qui leur est totalement étrangère, il faut qu'ils ne soient plus de simples et mauvais consommateurs de la langue française, mais qu'ils la recréent pour la rendre accessible à leur mode de vie et à leur manière de penser.825

820 Claude CAITUCOLI, « L'écrivain africain francophone, agent glottopolitique : l'exemple d'Ahmadou Kourouma », Glottopol, n°3, janvier 2004, p. 6

821 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et créolité », Francophonie et identité culturelles, sous la direction de Christiane Albert, Paris, Karthala, 1999, p. 42

822 Michel BENIAMINO, « Langue, Littérature, Francographie », Repère DoRif, n°2 voix/voies, 2012

823 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et créolité », op. cit., p. 39

824 Société Africaine de Culture, « Le critique africain et son peuple comme producteur de civilisation », Colloque de Yaoundé, Paris, Présence Africaine, 1977, p.449

825 Jean-Pierre MAKOUTA-MBOUKOU, Le français en Afrique noire, Paris, Bordas, 1973, 240 p.

224

Prisonnier de ce dilemme, Léopold Sédar Senghor opte pour la défense de l'harmonieux bilinguisme africano-français dont il fut l'un des plus fervents à prôner, car pour lui, « s'approprier la langue française, c'est y introduire des termes nouveaux, [...] des rythmes nouveaux, des images jamais vues, de nouvelles manières de penser et de sentir. »826 Il s'agit pour lui de proclamer à travers la langue française sa culture et ses traditions africaines827. Mieux, il entend intégrer ses valeurs, ses mots, sa manière d'être dans la langue française828. Il a été l'un des auteurs africains à avoir l'intuition d'introduire des mots de son terroir dans la langue française.

L'introduction des mots de chez lui dans ses poèmes est un choix délibéré et une manifestation de son engagement pour la langue française et les langues africaines, choix qui lui a permis d'élaborer le projet de la Francophonie. Dans tous les cas, qu'on le souhaite ou qu'on le déplore, un nouveau français est en gestation, le francophonien ou le francophonais ou encore le français africanisé, dont les prémices ont été décelées dans la poésie senghorienne. En effet, « [...] ce fut dans l'écriture poétique qu'il y eut les premiers soubresauts, les premières licences, l'introduction des vocables indigènes »829, particulièrement dans les sept recueils de poèmes de Léopold Sédar Senghor où les particularités lexicales830 sont présentes. Alioune Mbaye dit, à cet effet, que

Senghor a publié sept recueils de poèmes : [...] Les particularités lexicales sont présentes dès ses premières publications. Celles qui datent d'avant les indépendances, et surtout de la période de lutte du mouvement de la Négritude sont plus fécondes en la matière. [...] Certaines lexies reviennent souvent dans différents recueils. Elles expriment des réalités locales inconnues des Français, et donc absentes de leur langue. Ces lexies appartiennent à plusieurs domaines :

- la monnaire : guinée,

- le chant et la musique : kora, balafong, dyoung-dyoung, khalam, tabala, talmbatt, mbalakh, tama, dyali, sorong, gorong, tam-tam,

- les animaux : léopard, antilope, kôba, crocodile, hippopotame, lamantin, iguane, panthère, mamba, caïman,

- la végétation et les arbres : mil, kaïcédrat, baobab, rônier, vin de palme, souna, sanio, paletuvier, tamarin, khakham, calebasse, poto-poto, bolong, tann, séco,

-les hommes, les peuples et la réalité sociale : signare, sara, griot, tokor, gwelwar, tyédo, gris-gris, taga, sérère, cauri, grand-Dyaraf, Bour-sine, couscous, Almamy, lèlè, yèba, talbè, sopè, dang,

- les saisons : hivernage, harmattan.831

826 Paul DUMONT, « Francophonie, francophonies », Langue française, n°85, 1990, p. 41

827 Idem. p. 41

828 René GNALÉGA, « Senghor et la Francophonie », Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 122

829 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et créolité », op. cit., p. 40

830 « Ces apports sont de type lexical, comme on en trouve beaucoup dans ses poèmes, mais aussi de type formel, stylistique [...] », nous dit Liano PETRONI, « Senghor, sensuel et plurivalent poète civil : identité, émotion universalité », disponible sur http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page-imprimer-

831 Alioune MBAYE, « Des particularités lexicales dans la poésie de Senghor », Sudlangues, n°1, 2002, pp. 11, disponible sur http://www.refer.sn/sudlangues

225

On ne peut lire les poèmes de Léopold Sédar Senghor sans être frappé par la particularité du lexique négro-africain qui cohabite parfaitement avec le lexique français. Il ne s'agit pas d'étudier le lexique senghorien, car beaucoup d'études ont été faites sur la question - nous pouvons citer, entre autres, les études d'Adopo Achi Aimé832, de Mbaye Alioune833, de Moussa Fall834 -. Cependant, il nous semble d'un intérêt certain d'analyser de plus près comment l'introduction des africanismes dans sa création poétique a donné naissance à une nouvelle langue : le français africanisé, et à participer à l'élaboration du projet de la Francophonie.

Écrire dans une langue qui n'est pas la sienne, c'est accepter de se soumettre aux exigences syntaxiques et stylistiques de cette langue, et voici que Senghor rompt avec ces exigences, puisqu'elles ne parviennent pas à rendre pleinement l'expressivité africaine. Il utilise la langue française et la met au service de ses idées et de la sémantique de sa langue maternelle en y faisant glisser des expressions et des mots africains. Cette cohabitation permet de réaliser un dialogue qui n'existait pas véritablement et sincèrement à l'époque coloniale835, voire après les indépendances des pays africains. Senghor donne les raisons de son choix du français africanisé :

J'ajouterai que j'écris d'abord pour mon peuple. Et celui-ci sait qu'une korâ n'est pas une harpe non plus qu'un balafong un piano. Au reste, c'est en touchant les Africains de langue française que nous toucherons mieux les Français et, par-delà mers et frontières, les autres hommes836.

Notre objectif principal est de montrer comment ce dialogue scriptural a permis (ou est l'une des raisons de) l'élaboration du projet de la Francophonie. Pour y arriver, nous utilisons la théorie de l'énonciation de Catherine Kerbrat-Orecchionni. En fait, nous devons nous attendre à voir apparaître les raisons du choix du français africanisé, et comment ce français a participé au concept de Francophonie.

Le français africanisé est une manifestation culturelle cruciale chez Léopold Sédar Senghor. Il se sent incomplet ; pour être totalement complet, il lui manquait sa langue maternelle (sa culture africaine). Il décide alors d'apprendre la langue maternelle en lui donnant un souffle nouveau. En effet, l'éducation donnée aux enfants africains sous la colonisation ne

832 Aimé Adopo ACHI, « Le lexique dans l'oeuvre poétique de Senghor : Ancrage culturel et ouverture sur le monde », disponible sur http://www.ltml.ci/file/article/ADOPO%20Achi.pdf

833 Alioune MBAYE, op. cit., pp. 4-20

834 Moussa FALL, « Les créations verbales de Léopold Sédar Senghor dans Chants d'ombre, Éthiopiques et Élégies majeures », Éthiopiques, n°72, 1er semestre 2004

835 Aimé Adopo ACHI, op. cit.

836 Léopold Sédar SENGHOR, « Lexique », Poèmes, op. cit., p. 249

226

permettait pas à ceux-ci d'apprendre à écrire dans leur langue maternelle ou la parler. Il est l'une des victimes de ce système éducatif colonial. Conscient de son état de déculturé et de déraciné, il revient en Afrique, à ses vieux baobabs, aux sources comme les lamantins vont boire à la source, comme le retour de l'enfant prodigue, pour apprendre la langue de sa mère et la culture africaine.

Ce retour est rempli d'amertumes. Il se rend-compte qu'il est totalement déraciné. Il ne connaît pas la langue maternelle. Il ne sait même pas un seul mot. Ce qu'il sait, c'est ce gazouillis précieux de mots étrangers :

Si je pouvais parler Mère ! Mais tu n'entendrais qu'un gazouillis précieux et tu n'entendrais pas. (Po : 79)

Il trouve que la langue maternelle est ni douce ; ni mélodieuse ; ni poétique, ni charmante, car « chez nous, les mots sont naturellement nimbés d'un halo de sève et de sang » (Comme les lamantins vont boire à la source). Cela n'est pas une raison valable et dissuasive pour lui de renoncer à sa détermination d'apprendre la langue maternelle.

Mère, parle moi : Ma langue glisse sur nos mots sonores et durs

Tu les sais faire doux et moelleux comme à ton fils chéri autrefois. (Po : 79)

ou

Que les vieux mots sérères de bouche en bouche passent

comme une pipe amicale

[...1

Toi, sers-nous tes bons mots, énormes comme le nombril

de l'Afrique prodigieuse

[...1

Tes mots si naïvement assemblés ; et les doctes en rient, et

ils me restituent le surréel

Et le lait m'en rejaillit au visage. (Po : 82)

Ayant appris la langue maternelle, il décide de lui insuffler un souffle nouveau et de la revaloriser.

Fais de moi ton Maître de langue ; mais non, nomme-moi son ambassadeur. (Po : 49)

Car il n'est pas question de renier les langues africaines, mais de les rendre ou de les faire douces et moelleuses afin qu'elles puissent être parlées dans les hautes assemblées.

227

Et les discours exacts rythmés dans les hautes assemblées

circulaires ; et ce fut parmi les guelwârs de la parole. Je leur ai imprimé le rythme, je les ai nourris de la moelle

du Maître-de-sciences-et-de-langue. (Po : 105)

Il est question de montrer que toutes les variétés de langue sont dignes de la même attention, sans aucune discrimination, qu'elles soient acceptées ou non par la norme. Les langues se fraternisent ou se dialoguent :

Ta main et ma main qui s'attarde ; et nos pensées se cherchèrent dans la mi-nuit de nos deux langues soeurs. (Po : 60)

Étant l'ambassadeur de sa langue maternelle et maître-de-langue, il peut éveiller son peuple aux futurs flamboyants en lui créant des images rythmées de la parole :

Moi le Maître-de-langue, j'ai en exécration ; ce sang chaud monotone et ce pullulement fétide

[...]

Ma tâche est d'éveiller mon peuple aux futurs flamboyants Ma joie de créer des images pour le nourrir, ô lumières rythmées de la parole ! (O. Po : 262-265)

Il voulait faire renaître les idiotismes, les rendre pleinement vivants à travers la richesse des expressions de son royaume d'enfance et contribuer à sa manière à l'enrichissement du français. Autrement dit, il voulait apporter aux lettres françaises sa touche africaine. En s'exprimant en français, il voulait sentir nègre837. Cela peut être la réponse à la question que se pose Gloria Saravaya : « N'est-ce pas dans les langues négro-africaines que Senghor puisse la manière de dire sa différence dans les mots de la langue française ? »838 En fait,

[...] pour Senghor [...] la langue et la culture françaises doivent aider à développer les langues et les cultures africaines qui viendront, en retour, enrichir la langue et la culture françaises pour faire du français « la langue de la culture de la Civilisation de l'Universel »839.

Or, chez lui, la Civilisation de l'Universel n'est rien d'autre que la Francophonie840. La Francophonie est un humanisme intégral, c'est-à-dire « la symbiose des énergies dormantes de

837 Saïda BELOUALI, op. cit.

838 Gloria SARAVAYA, Langue et poésie chez Senghor, op. cit., p. 9

839 Sophie CROISET et Anne-Rosine DELBART, « Marginalité, identité et diversité des `' littératures francophones» : présentation du dossier », Le langage et l'homme, vol. XXXXVI, n°1, juin 2011, p. 3

840 Léopold Sédar SENGHOR, lors du colloque des Cent, tenu le 15 février 1986.

228

tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire »841. Autrement dit, la Francophonie est la participation de tout un chacun au rayonnement de la langue et culture françaises. Quant à la Civilisation de l'Universel, concept emprunté à Teilhard de Chardin, est le fait de puiser en sa culture les ressources nécessaires pour enrichir l'humanité, et ce à travers la langue française fécondée des autres langues. De ce fait, le français africanisé est la langue de la Francophonie, c'est-à-dire de la Civilisation de l'Universel, puisqu'il est l'expression de l'apport africain à la langue française. C'est dans cette même optique qu'Emmanuel Macron affirme

Je veux une francophonie forte, rayonnante, qui illumine, qui conquiert parce que ce sera la vôtre, portez-la avec fierté cette francophonie, défendez-la, mettez-y vos mots, mettez-y vos expériences, transformez-la, changez-la à votre tour ! [...] C'était un travail important mais avant ce français classique de l'Académie il y avait un français irrigué de tant et tant de patois et de langues vernaculaires, lisez le français de Rabelais, vous vous rendrez compte ! Mais le français d'Afrique, des Caraïbes, de Pacifique, ce français au pluriel que vous avez fait vivre, c'est celui-là que je veux voir rayonner, portez-le avec fierté [...].842

Ce français pluriel n'est que le français africanisé chez Senghor. Il s'agit d'une africanisation de la syntaxe et du lexique de la langue française.

Les raisons de cette africanisation peuvent être résumées en cinq points. D'abord, il y a le fait d'être déraciné linguistiquement : il parle mieux le français que sa langue maternelle. Puis, la volonté d'apprentissage des langues africaines : c'est une nécessité d'apprendre les langues africaines pour préserver son identité culturelle. Ensuite, le besoin de valoriser les langues africaines : les langues africaines doivent être parlées comme le français et l'anglais. En outre, il y a le choix d'enrichissement de la langue française : c'est le tour de l'Afrique, selon Senghor, d'enrichir la langue française avec ses mots, et d'africaniser la phrase française sans altérer sa syntaxe et sa logique. Et enfin, faire du français africanisé la langue de la Civilisation de l'Universel, c'est-à-dire de la Francophonie. Avec Senghor, il s'agit en Francophonie de la langue française avec des mots de chacun qui sera la langue de tous843. Cependant, le français africanisé est un problème essentiel dans la Francophonie ; il n'est pas reconnu en tant que tel. On préfère plutôt parler de coexistence du français et des langues nationales ou de langues partenaires, comme l'atteste Slimane Benaïsa :

841 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », Esprit, n° 311, 1962, p. 844

842 « Le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadougou », op. cit.

843 Nous faisons référence à l'ouvrage, Le français : des mots de chacun, une langue pour tous : des français parlés à la langue des poètes, édité sous la direction de Françoise ARGOD-DUTARD, Rennes, PUR, 2007

229

La coexistence du français et des langues nationales est un problème essentiel dans la Francophonie, tout simplement parce que, la France exceptée, le français n'est langue unique dans aucun pays francophone ; il est concurrencé ou il est au contact avec d'autres langues. [...] Nous sommes les uns et les autres tout à fait attachés à ce que la langue française soit respectée, mais également les autres langues, sinon nous manquerions gravement à ce qui fait la force de notre réflexion qui est notre attachement à la diversité des langues et des cultures. Sauf à être hypocrite, on ne peut pas être attaché à la défense du français et ne pas comprendre que c'est un devoir de respecter les langues maternelles et les langues nationales qui cohabitent avec le français dans l'espace francophone.844

De l'extrait ci-dessus, il ressort qu'en Francophonie le français cohabite avec d'autres langues, qu'il faut les respecter, et accepte leur existence. Cependant, on n'accepte pas le fait qu'un nouveau français est en gestation. En plus, on va même qualifier ces autres langues de langues partenaires, estime à nouveau Slimane Benaïsa :

La politique linguistique francophone, fondée sur le « partenariat », a fait prévaloir la notion de langues partenaires, entendues comme langues qui coexistent avec la langue française, comme elles le font éventuellement entre elles, avec laquelle sont aménagées les relations de complémentarité et de coopération fonctionnelles, dans le respect des politiques linguistiques existantes.845

Peut-on alors parler de langue partenaire chez Léopold Sédar Senghor dans sa poésie ? Avec lui, n'est-ce pas un nouveau français qui est en gestation ? Comment se présente le français africanisé chez lui ? Quelle que soit la dénomination, le français africanisé est un phénomène auquel la Francophonie doit faire face.

Le français africanisé peut être considéré comme un refus de la norme parisienne et une revendication identitaire. En effet, le refus de la norme parisienne s'explique par le fait que Senghor a choisi la voie de la poésie pour s'exprimer. Quant à la revendication identitaire, elle s'élucide par le fait que Senghor a choisi de sentir nègre en s'exprimant en français. Pour cela, il lui fallait un mode d'expression pour se faire entendre et faire comprendre ce sentir nègre en français. Ce mode d'expression trouvé par Senghor est celui de métisser la langue française, de la bousculer, de la déranger sans la dénaturer846, de l'apprivoiser, car le français, « cette langue étrangère ne parvient pas à rendre pleinement l'expressivité africaine »847. C'est ce que dit Fétigué Coulibaly :

844 Slimane BENAÏSA et al., « Coexistence du français et des langues nationales dans les pays francophones », Le français : des mots de chacun, une langue pour tous : des français parlés à la langue des poètes, [en ligne], Rennes, PUR, 2007, pp. 195-226

845 Idem., pp. 195-226

846 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à trois poètes de l'Hexagone », op. cit., p. 372 /p. 393

847 Fétigué COULIBALY, « La négrification du français dans les nouvelles dramaturges négro-africaines : l'exemple de la tignasse », Synergie, Royaume-Uni et Irlande, n°6, 2013, p. 114

230

La manifestation de sa liberté linguistique, qui est aussi une expression identitaire négro-africaine, contribue à l'épanouissement, l'évolution et l'enrichissement de la langue française. Ainsi, écrire en français sans être Français ne fait aucunement perdre son identité mais plutôt la renforcer davantage848.

Le français africanisé est une sorte de français métissé chez Léopold Sédar Senghor. Et ce nouveau français tire sa substance (lexicale, grammaticale, syntaxique) tant du français que des langues africaines. Il utilise la langue française et y glisse des expressions et des mots africains sur le même axe/plan syntagmatique et sémantique. Illustrons nos propos :

Et parmi tous, ce Mbogou couleur de désert ; et les Guel-

wars avaient versé des libations de larmes à son départ Pluie pure de rosée quand saigne la mort du Soleil sur la

plaine marine et les vagues des guerriers morts. (Po : 47)

ou

« Oui tu es Guelwar de l'esprit, il est Beleup de Kaymôr. « Politesse du Prince ! Et des présents sont pour t'attendre « Politesse du Prince ! Et sa récade est d'or. » (Po : 104)

ou bien

J'ai en exécration : le poto-poto où s'enfoncent lentement toutes patiences

Ces pourritures spongieuses du coeur, qui vous aspirent,

énergie ! de leurs ventouses insondables. (O. Po : 263)

Des extraits ci-dessus, nous avons des mots africains comme Mbogou, Guelwars, Guelwar, Beleup de Kaymôr, poto-poto qui s'insèrent ingénieusement dans la syntaxe de la langue française. Cette manière d'écrire est très fréquente dans la production poétique de Senghor. Dans sa production, l'on a donc relevé, selon Alioune Mbaye, cinquante-neuf (59) africanismes, parmi lesquels trente-un (31) emprunts aux langues africaines, autres que le sérère ou le wolof849. Nous ne voulons pas alourdir notre texte par l'étude de tous les africanismes de la poésie de Senghor.850 Le faire, c'est mettre en cause toutes les études antérieures faites dans ce sens. Néanmoins, nous tenterons d'étudier les procédés utilisés par Senghor pour mettre en évidence le français africanisé dans sa production poétique. En effet, le lexique de Senghor nous

848 Idem., p. 114

849 Alioune MBAYE, op. cit., p. 10

850 Vous y trouverez en annexe les africanismes employés par Senghor (la liste n'est pas exhaustive). Annexe XI (annexe 11), pp. 542-544

231

révèle qu'il ressentait un besoin de créer de nouveaux vocables (mots) pour exprimer les réalités nouvelles inconnues dans le français tels que dibiterie, essencerie, Belborg, primature, primatorial, koriste, kora, Lamarque, gouvernance, khalamiste, tama, balafongiste, éthiopiques, prétemps, pullulance, paragnessés,... Pour cela, il lui fallait puiser certains vocables de chez lui et d'ailleurs pour enrichir son lexique. C'est d'ailleurs un enrichissement de la langue française, soutient-il :

[...] nous avons même créé des mots comme « gouvernance » qui reprend un vieux mot français du XIIIe siècle ; nous avons créé des mots nouveaux comme « primature » avec son adjectif « primatorial », etc... Il y a également un apport de nouveaux mots à partir du vocabulaire africain : par exemple, le « tama », la « kora », le « koriste » etc. Et j'ai même inventé, parmi d'autres, le mot « lamarque » pour traduire le « maître de terre »...

Tout ceci constitue un enrichissement de la langue [française], grâce à notre pouvoir de création, à notre pouvoir d'imagination851.

Et d'ajouter qu'

À l'intérieur des limites ainsi tracées, notre liberté doit être réelle, car nos besoins réels de forger, quand la nécessité s'en fait sentir, des mots nouveaux, voire des expressions nouvelles, pour exprimer des faits et des réalités nouvelles. C'est ainsi au Sénégal, nous avons, pour les besoins de notre administration, créé des mots comme primature, primatorial, gouvernance, suivi, et qu'à côté des harpistes, guitaristes et pianistes de France, nous avons nos koristes, khalamistes et balafongistes.852

Il a emprunté

- Au wolof (langue dominante du Sénégal) : ndeundeus, tamas, sakars, ndéissane, taga,

woï, tann, toubab, ndeïssane, ndeïsane,...

- Au sérère (langue maternelle du poète) : tokor, nanio, paragnessés,...

- Au mandingue : tata, dyali, kora, balafong,...

- Au malinké : guelwâr, dyoung-dyoung,...

- Au poular : kôba, poullo,...

- Au peulh : mâbo, sorong, pulel bokku soko baraani, lêlé, Mbarodi,...

- Au baoulé (à l'agni) : ébou-é,...

- À l'arabe : tabala, talbé, Almamy, couscous, chéchias, Simoun,...

- Au portugais : secco, signare, saudades,...

- À l'allemand : Die Schwarze schande,...

- À l'anglais : Black is beautiful, Steal away, steal away to Jesus,...

- Au malaise: gong,...

- Au zoulou : Bayété, Baba, Zoulou,...

- Au congolais : poto-poto,...

851 Léopold Sédar SENGHOR, « Poète et francophone », La Littérature sénégalaise, Notre Librairie, n°81, octobre-décembre 1985, p.103 (Propos de Senghor recueillis par Serges Bourjea)

852 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, p. 549

232

- Au latin : Verdun, tantum, ergo, lætare, Ave Maria, Sicut et nos dimittimus debitoribus nostri, cyclamen, Halcyon senegalensis, Tramiæ basilares, ...

En plus de l'emprunt, Senghor procède à l'agglutination. Ce procédé consiste à former de nouveaux mots en leur adjoignant des éléments qui avaient une existence indépendante, voire de réunir des mots pour former de nouveaux mots. 853 Voici quelques agglutinations faites par Senghor : vallon-de-la Mort, toi plus-que-peste, Doué-d'un-large-dos, mon plus-que-frère, celui-qui-accompagne, la Maître-de-science, Bonne-et-belle, Maître-de-science-et-de-langue, Bombe-atomique-à-l'orgueil-de-l'Europe, le Diseur-des-choses-très-cachées, Isabelle-labelle, Soukeina-de-soie-noir... À cela, il faut ajouter aussi le procédé de l'hybridation qui s'appuie sur la dérivation et la composition pour former de nouveaux mots qui deviennent des créations lexicales personnelles du poète. L'hybridation consiste à ajouter des suffixes ou des préfixes français à une base (racine) d'une langue autre que le français. Avec ce procédé, nous avons grand-Dyarâf, Bour-sine, Viguelwâr, lamarque, kôriste... Le dernier procédé utilisé par Senghor est celui du calque. En effet, Léopold Sédar Senghor, à partir du schéma sémantique propre à la langue française, crée de nouveaux mots pour exprimer des réalités propres à l'Afrique qui ne peuvent être exprimées ni par les langues maternelles ni par le français. À cet effet, nous avons diamantine, viguelwâr de Kolnodick, prétemps, agonistique, pullulance, hivernage, Beleup de Kaymôr... Senghor utilise également des substantifs auxquels il fait précéder de déterminants français. À titre d'exemple, nous pouvons citer des tabalas, des dyoung-dyoungs, des hautes koras, les Guélowars, ce Mbogou couleur de désert... En guise d'exemple pour illustrer nos différents propos, prenons un extrait du poème « Messages » d'Éthiopiques :

« Oui tu es Guelwâr de l'esprit, il est Beleup de Kaymôr.

« Politesse du Prince ! Et des présents sont pour t'attendre. « Politesse du Prince ! Et sa récade est d'or. »

Dyôb !lui ai-je dit, Beleup de Kaymôr ! Je te respire parfum

de gommier, et proclame ton nom

[...1

Grâce pour la jeune fille nubile au ventre de douceur

n'deissane ! à la croupe de colline à la poitrine de fruits

de rônier.

[...1

Ma Dame est dame de haut rang et fière. Donc compliments

à la fille du Grand-Dyarâf !

[...1

Et les discours exacts rythmés dans les hautes assemblées

circulaires ; et ce fut parmi les guelwârs de la parole.

Je leur ai imprimé le rythme, je les ai nourris de la moelle

853 Atsain François N'CHO, « Senghor : Quand la parole de tous les jours se fait poème », Éthiopiques, n°91, 2ème semestre, 2013, pp. 43-60

233

du Maître-de-sciences-et-de-langue. (Po : 104-105)

Il n'y a pas de verbes, de conjonctions, de prépositions ni d'adjectifs dans le langage senghorien, mais uniquement des substantifs et des interjections (woï, ndeissane). De ce fait, nous pouvons affirmer que Senghor, par ces procédés succinctement présentés, ne voulait en aucun cas oblitérer la structure syntaxique française, c'est-à-dire il respecte la logique architecturale de la phrase française : sujet-verbe-complément (attribut). Illustrons nos propos avec un autre exemple :

Elle dort et repose sur la candeur du sable.

Koumba Tam dort. Une palme verte voile la fièvre des

cheveux, cuivre le front courbe

Les paupières closes, coupe double et sources scellées. (Po : 15)

Nous avons comme sujet (elle, Koumba Tam, une palme verte), comme verbe (dort, repose, voile...), comme complément (sur la candeur du sable...). On constate aussi chez Senghor la postposition du sujet au verbe, et également l'antéposition du complément au verbe, ainsi que le déplacement anténominal de l'adjectif épithète :

Quels mois alors ? Quelle année ? Je me rappelle sa douceur fuyante au crépuscule

Que mouraient au loin les hommes comme aujourd'hui, que fraîche était, comme un limon, l'ombre des tamariniers. (Po : 26)

Dans ce passage ci-dessus, nous avons à la fois une postposition du sujet et une antéposition du complément (ici de l'attribut du sujet). Le sujet du verbe mouraient et du verbe était sont postposés tandis que l'adjectif attribut fraîche est antéposé. La phrase poétique senghorienne, c'est aussi verbe-sujet-complément ou complément (attribut)-verbe-sujet. Cette structure phrastique se saisit souvent dans les subjonctives commençant par la particule que.854 Le sujet, en effet, se place régulièrement après le verbe lorsque la phrase est débutée par cette particule, comme on peut le voir dans l'extrait ci-dessous :

Que descendent les Anges peuls, de son trône d'ivoire la Vierge et ses mains de paix noire

Que dans ses bras le berce Marie Sarr, comme les berceuses lors à Diakhâw des nourrices royales. (O. Po : 278)

854 Goly Mathias IRIÉ BI, « La phrase poétique chez Senghor », in Langues et Littératures, n°11, 2007, Saint-Louis, Sénégal, pp.77-94

234

Le français africanisé chez Senghor, quelle que soit la fantaisie faite, respecte l'ordonnance phrastique de la langue française. Il est celui qui apprivoise la syntaxe de la phrase française pour l'adapter à ses sentiments, à ses ressentiments et à ses désirs. Il est également celui qui rend pleinement l'expressivité africaine et française. Autrement dit, Senghor écrit en français tout en s'exprimant avec le langage de ses frères africains. Il semble avouer, à cet effet :

[...] quand je ne trouve pas dans le dictionnaire le mot qui convient, je l'emprunte au lexique français du Sénégal...ou je l'invente [...]. Mais [...] je tâche de l'ajuster [...] tout en respectant le génie du français qui est, par excellence, « langue de gentillesse et d'honnêteté ».855

De cet aveu, Senghor affirme que le français africanisé respecte la structure syntaxique du français standard ; cependant, la langue française doit s'accommoder des arrangements linguistiques et lexicaux de « tous ceux qui l'enrichissent de leurs apports sur les cinq continents. »856 Sans les apports des autres, le français n'existerait pas, nous dit Jean Foucault857, et pour Senghor, c'est le tour de l'Afrique d'y contribuer. Le repli de la Francophonie sur la seule langue française ayant des langues partenaires signifie son échec, car, aujourd'hui, l'on doit être à mesure de reconnaître que le français, certes, a des langues partenaires, mais qu'il est hybridé par des mots de ces langues considérées partenaires. Cette hybridation du français est appelé le français africanisé, dans le cas de Senghor. Et l'on doit reconnaître également l'existence de ce français africanisé. Ayant dit que la Francophonie repose sur la langue française, Senghor revoit sa conception et réaffirme qu'il faut à cette langue des variantes régionales. Ce français avec des variantes régionales est une réalité dans l'espace francophone. La reconnaissance de ce français avec des variantes régionales imposera elle-même sa dénomination. En attendant que cela arrive, il faut appeler ce français avec des variantes régionales, le français africanisé (le parler francophone), puisqu'être Francophone ne signifie pas nécessairement parler exactement la même langue française, mais un français prêt à s'accommoder des apports linguistiques de ses locuteurs.. Par le français africanisé, Senghor a voulu exprimer un état d'âme et une culture autres que ceux de la France, qui sont des réalités culturelles spécifiques au contexte africain. C'est probablement dans la revue Esprit de 1962 que Senghor a, non seulement, défini la Francophonie, mais également annoncé l'africanisation

855 Léopold Sédar SENGHOR, « Poète et francophone », La Littérature sénégalaise, Notre Librairie, n°81, octobre-décembre 1985, op. cit., p. 100

856 Bernard WALLON, op. cit. (loc. cit.), p. 3

857 Jean FOUCAULT, op. cit., p. 22

235

de la langue française : « Nos valeurs font battre, maintenant les livres que vous lisez, la langue que vous parlez : le français, Soleil qui brille hors de l'Hexagone. »858

Bien avant cette annonce dans la revue, sa production poétique en témoignait, car elle fut le lieu où il théorisa le français africanisé en faisant enjamber la seule langue française par des langues africaines. Lilyan Kesteloot justifie nos propos en disant qu'

On a beaucoup spéculé ces quinze dernières années sur une nouvelle écriture des écrivains africains et les transformations qu'ils s'opèrent sur la langue française dans le but de la plier, de l'adapter à leurs besoins propres d'expression. Ce grand besoin de renouvellement s'est en effet investi dans une attention toujours plus intense accordée à l'écriture, à ses transformations linguistiques, en fonction des lectures aussi bien que des structures de l'oralité, pour aboutir à ce que J -C Blachère appelle « négrilure » et qui n'est autre que le « français négrifié » (qui n'a rien à voir avec « le petit nègre » et n'a donc rien de péjoratif). [...] Ce mouvement d'émancipation de l'écrivain et de l'écriture se fera donc essentiellement à l'encontre du français [...] si bien que ce fut dans l'écriture poétique qu'il eut les premiers soubresauts, les premières licences, l'introduction des vocables indigènes chez Senghor et Césaire entre autres.859

La stratégie adoptée par Senghor n'est pas de déconstruire le français pour le reconstruire sous une forme africaine mais de le submerger avec les mots africains tout en gardant la structure du français, comme l'illustre l'extrait ci-dessous :

Il n'y aurait pas de chant si tar et darbouka n'accomplissaient l'orchestre, prêtant leur

Rythme syncopé aux kamenjahs et aux rebabs, au naï suave oud lyrique, au quanoun. (O. Po : 312)

Cependant, il sait que ce submergement peut être un danger pour la langue française :

Disons qu'il y a un danger d'enrichissement désordonné et c'est la raison pour laquelle il y a, n'est-ce pas, une Académie française et les « séances du jeudi ». (...) Du point de vue de la syntaxe, il faut combattre les modifications quand ces modifications ne s'harmonisent pas avec les caractères fondamentaux du français. Les négro-africains, par exemple, ont tendance à créer des expressions imagées : mais il faut garder le sens de l'économie et de la mesure du français860.

Lilyan Kesteloot a vu juste lorsqu'il dit que Senghor s'est montré prudent face aux transformations qui s'opèrent dans la langue française :

Le travail du héraut noir est de s'attaquer à l'oppresseur ; « de défranciser la

langue, de la concasser » annonce Blachère ; de « subvertir le français » propose plus

858 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », Esprit, op. cit., p. 384

859 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et créolité », op. cit., pp. 39-40

860 Léopold Sédar SENGHOR, Notre librairie, n°81, op. cit., p. 103

236

calmement Maryse Condé ; de « faire des bâtards à la langue française » répétera à l'envie Massa Magan Diabaté ; de « décrasser les mots, les brouiller, les prendre à rebrousse-poil » avait déjà écrit Senghor en 1952 mais [...] aujourd'hui l'académicien se montre plus prudent : « nous sommes pour une langue française, mais des variantes, plus exactement des enrichissements régionaux ».861

Nous comprenons dès lors qu'avec Senghor le concept de Francophonie ne concerne pas simplement le fait pour tel individu de parler français ou d'écrire en français, mais renvoie en fait de le maîtriser et de l'enrichir avec des variantes régionales sans altérer la logique et la clarté du français. L'utilisation de la langue française avec les variantes régionales est le fondement même de la Francophonie. C'est pourquoi, il a souhaité l'entrée d'un plus grand nombre de mots africains dans le dictionnaire français, comme l'asserte-t-il :

Et je pense justement que mon rôle à l'Académie est de faire entrer dans le

dictionnaire le plus grand nombre de mots possible des divers français de la francophonie : du français canadien, du français sénégalais, ivoirien, etc.862

Le français avec des variantes régionales donnera forcément un nouveau français. Ce nouveau français fait la force du français standard aujourd'hui, estime Alain Juppé :

Ce qui fait aujourd'hui la force du français, je dirai même son génie propre, c'est

qu'il est une langue partagée par des nations différentes dont chacune l'a enrichie de son histoire, de ses mots, de ses oeuvres, de ses idées.863

Et René Gnaléga de soutenir que

[n]ous devons intégrer nos valeurs, nos mots, notre manière d'être dans la langue [française]. [...] Par conséquent, il n'est pas utile de condamner le nouchi, le français de Moussa et les autres créations qui participent du dynamisme de la langue [française].864

Le français africanisé adopté par Senghor montre qu'il est attaché à la fois à la culture en général, à la culture africaine principalement et à la culture française. À cet effet, nous pouvons avancer que le français africanisé est également l'écriture de la double culture :

L'écriture de Senghor est si particulière à telle enseigne que l'on pourra dire qu'elle est métissée ou une écriture de la double culture [...] En effet, l'écriture de Senghor est l'alliage de la langue de Malherbe, de Molière, de Voltaire ou de Victor Hugo à celui des vocables indigènes des Négro-africains. Cet alliage du français et

861 Lilyan KESTELOOT, « Négritude et créolité », op. cit., pp. 39-40

862 Léopold Sédar SENGHOR, Notre librairie, n°81, op. cit., p. 103

863 Alain JUPPÉ, « Agir pour la francophonie », Pourquoi la Francophonie, op. cit., p. 166

864 René GNALÉGA, « Senghor et la Civilisation de l'Universel », op. cit., pp. 122-123

237

des vocables africains dit que Senghor pratique une écriture de la double culture [...].865

Car, ajoutons-nous à nouveau,

Il (Senghor) a une parfaite maîtrise de la langue de ses soeurs « Téning-Ndyaré et Tyagoum-Ndyaré », de « Soukeïna », de son père « Tokor », de son oncle « Toko'Waly » et de la culture zoulou (Bayété Baba...) ainsi que celle d' « Isabelle », de la « Voix blanche de l'Outre-mer » et de « l'épiderme blanc ». Il n'est donc pas, comme le dit Jean-Paul Sartre, écartelé entre sa langue maternelle et le français pour colorer la langue d'emprunt de vocables indigènes ou africains. Au contraire, Senghor invente une écriture métissée ou une écriture de la double culture (écrire en français négrifié) parce que les Africains sont des métis culturels [...]. Car, par les modes d'expression orale ou écrite, les mots africains employés par Senghor se greffent sur la langue française. Ces deux modes d'expression cohabitent et donnent une texture non orale non écrite, les deux à la fois : c'est l'écriture de la double culture ou le français négrifié.866

N'est-ce pas ce constat qui fait dire Emmanuel Macron que la langue française « [...] est autant, voire davantage, africaine que française »867 ? Dans le cadre de la Francophonie, ce n'est pas seulement le fait d'utiliser la langue française avec des variantes régionales, mais d'appartenir à une double culture et d'avoir une autre langue que le français, estime Léopold Sédar Senghor :

Dans le cadre plus général de la Francophonie, je crois également qu'il faut que, à

côté du français académique, classique, on ait soit une langue natale, soit une ou des langues régionales.868

Dans le sillage de Senghor, Katia Haddah dira que « Par conséquent n'est francophone que celui qui parle le français à côté d'au moins une autre langue. »869 L'essentiel en Francophonie est la langue française enrichie par des langues régionales. Donc, le fait de parler le français à côté d'au moins une langue est du bluff. En effet, deux langues qui cohabitent s'influencent mutuellement, se prêtent des mots et engendrent une langue métissée ; cela dit, dans les pays où la langue française cohabite avec d'autres langues, nous aurons un nouveau français en gestation. C'est ce dont il s'agit dans la poésie senghorienne. Par conséquent, n'est francophone que celui qui parle le français africanisé. Dans l'entendement de Senghor, le français africanisé a pour rôle d'enrichir le français sans l'altérer. Il est d'un intérêt capital d'accorder du crédit à ce nouveau français qui est issu de la cohabitation du français classique et des langues

865 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 34

866 Idem., p. 36

867 « Le discours d'Emmanuel Macron à Ouagadougou », op. cit.

868 Léopold Sédar SENGHOR, Notre Librairie, op. cit., p. 104

869 Katia HADDAH, « Désespérante francophonie », Pourquoi la Francophonie ?, op.cit., p. 186

238

régionales. Ce français africanisé se parle et s'écrit dans l'espace francophone. Les prémices de ce français furent visibles dans la poésie senghorienne.

Dans la poésie senghorienne, à côté du français, dit standard, se développe un nouveau français que nous avons, parmi tant de dénominations qui s'offrent à nous, préféré le nommer le français africanisé. Ce français africanisé chez Léopold Sédar Senghor a sa propre particularité. En effet, il reflète le métissage culturel de ses locuteurs dans la mesure où il se nourrit de l'apport et de l'influence des langues africaines en particulier et des autres langues en général auxquelles il emprunte, calque les figures, les images, les expressions. Cette langue doit également respecter la syntaxe phrastique française, comme le souhaite Louis De Broglie :

Mais l'enrichissement du français, s'il est à la fois souhaitable et inévitable, doit se faire d'une façon rationnelle préservant l'autonomie de la langue et restant conforme à ses origines et à son génie. Le français doit, certes, se transformer et s'accroître, mais il doit le faire sans perdre les qualités essentielles de précision et de cohérence qui ont assuré dans le passé le succès de son emploi dans le monde et la diffusion des idées dont il était l'interprète. [...] Mais il faut que le langage scientifique français, tout en se complétant et en s'enrichissant continuellement, garde cependant les qualités de précision et de clarté qui ont toujours assuré la valeur et l'élégance de notre langue et ne se transforme pas en jargon incorrect prétentieux et lourd, tout chargé de mots étrangers et de sigles obscurs.870

Chez Léopold Sédar Senghor, le français africanisé n'appauvrit pas le français standard, au contraire l'enrichit et laisse entrevoir l'énorme potentialité de créativité de ses locuteurs, et ce sens créatif qui réinvente la langue française est bien la preuve que ses auteurs maîtrisent parfaitement le français standard. Une langue qui n'évolue pas meurt, le français africanisé assure la survie du français de France par cette capacité de créativité immense, riche, intense qu'il possède. Il est né du fait que le français standard n'est pas toujours adapté aux réalités de vie africaine. Le français africanisé, en empruntant aux langues africaines des mots, assure son adoption par tous et sa popularité auprès de tous. Il constitue un apport important à la diversité linguistique et culturelle en Francophonie, et mérite que de plus en plus de spécialistes s'y intéressent car ce n'est pas un simple phénomène de mode appelé à disparaître.

En littérature, Senghor a été l'initiateur du français africanisé, et c'est ce qui l'a amené, sans doute, à théoriser un idéal de Francophonie universelle qui serait respectueuse des identités

870 Louis De BROGLIE, « Plaidoyer en faveur de la langue française », Civilisation contemporaine, Paris, Hatier, 1976, pp.139-140, Textes choisis, classés et présentés par M. A. Baudouy et R. Moussay (Louis de Broglie, Sur les sentiers de la science, Paris, Albin Michel, 1960).

239

culturelles. Cela est, peut-être, la raison qui l'a amené à imaginer une langue française teintée de vocables africains qui collabore et cohabite avec les autres langues latines et les langues africaines, dites langues partenaires. Le choix de Senghor est évident, il a choisi de parler en francophone, or ce parler francophone est une langue conforme à sa situation de métis culturel, imprégné de plusieurs cultures. Ce parler francophone est ce que Jean Bernard Kouadio appelle le langage francophone, qui, selon lui, « est une alliance entre le langage français et le langage africain »871. En tant que Maître-de-langue, Senghor se doit inventer un langage capable d'exprimer sa situation de métis culturel sans trahir son amour premier de la langue française. Il a décidé de greffer la langue française avec des mots africains, d'insérer des néologismes, des images folles et des rythmes syncopés dans le génie de la langue française. Mieux, il a décidé d'inventer un langage accessible un jour ou l'autre, à tous les sens et par tous. Qu'on soit Français ou Africain, le langage senghorien est accessible, car il est un langage qui reflète la double culture du sujet parlant ou du sujet écrivant, et de ses locuteurs, voire de Léopold Sédar Senghor lui-même. Il a voulu ainsi proclamer délibérément sa culture et ses traditions africaines à travers la langue française. Il s'approprie la langue française en y introduisant des termes nouveaux, des images nouvelles, de nouvelles manières de penser et de sentir, du rythme africain, car la langue est à ceux qui la parlent en toute propriété, sans réserve ni hypothèque, et ils n'ont plus de compte à rendre de l'usage qu'ils en font à qui que ce soit. Le français africanisé est une manifestation de son engagement pour la langue française et pour les langues africaines, et l'une des raisons personnelles de l'élaboration du projet de la Francophonie, estime Michaëlle Jean :

Ainsi naîtra la Francophonie. Dans le génie de la langue française réinvestie de

tous les traits de civilisation, les mots et les imaginaires, de toutes les forces, les volontés et les aspirations des peuples qui l'ont en partage.872

Ce qui fait la force de la Francophonie aujourd'hui, c'est la langue française, parce qu'elle est une langue partagée par des personnes de nationalités différentes qui l'ont enrichie de leurs mots. L'un des phénomènes majeurs du XXIe siècle est l'irruption des valeurs nègres dans la culture occidentale, l'irruption des vocables négro-africains dans la langue française : c'est une manière pour les Noirs de contribuer à la construction de la Civilisation de l'Universel

871 Jean Bernard KOUADIO, Poétisation de la révolution dans Aurore d'Afrique à Sanoudja de Toh Bi, Mémoire de Master 2, Lettres Modernes, Université Félix Houphouët Boigny/ Côte d'Ivoire [sous la direction du Professeur Martin N'Guettia], p. 51

872 Michaëlle JEAN, Le nouvel humanisme se dit en français, disponible sur http://www.huffingtonpost.fr/michaelle-jean/le-nouvel-humanisme-se-dit-en-francais_a_21903173/

240

prônée par Léopold Sédar Senghor, et d'apporter ainsi aux lettres françaises leurs touches africaines. Le français africanisé est le fait de s'exprimer en français de France sans pour autant nier ses langues maternelles. Il est aussi la langue de la culture de la Civilisation de l'Universel, c'est-à-dire de la Francophonie. À travers le français africanisé, Senghor envisage, pour la Francophonie, que les locuteurs du français enrichissent la langue française de leurs particularismes linguistiques ou de leurs créativités sans modifier la logique du français. Le français africanisé ou « négrifié » est un métissage linguistique qui fait du français un usage relevant de la révolte et de l'affirmation de soi face au colonisateur. Il dit aussi une identité autre que française et africaine, mais une identité francophone.873

Au centre de la conception senghorienne de la Francophonie se trouve, également, l'homme en général et l'homme noir en particulier. Pour Senghor, il faut façonner, c'est-à-dire éduquer, l'homme noir moralement, intellectuellement et spirituellement. Mieux il faut inculquer aux Africains l'humanisme francophone. Dans sa poésie, le peuple noir est la matière de modelage que Senghor cherche à donner forme en l'inculquant les valeurs de la Négritude et de la Francité. Il oriente sa réflexion sur le devenir du peuple noir. Par amour de ce peuple, de tous les peuples noirs opprimés, il décide d'être « Ambassadeur du peuple noir »874 à « l'assemblée des peuples »875 pour « les élections des Hautes-sièges »876. Cette ébauche permet d'aborder le troisième point de ce chapitre. Il s'agit de montrer que le peuple noir occupe une place de choix dans la conception senghorienne de la Francophonie. Il est question de voir les missions que s'assigne Senghor auprès du peuple noir qu'il a choisi de défendre, ainsi que les images qui reflètent ces missions. Nous allons voir comment « il soutient que la Francophonie est une occasion, une possibilité pour le continent africain de participer à la renaissance du monde, de s'ouvrir aux autres, d'aller à la rencontre de l'humanité »877. En fait, il est question de montrer que Senghor n'exclut point le peuple noir dans la conception de la Francophonie, au contraire la reconnaissance de ce peuple donne sens, et justifie l'existence de la Francophonie senghorienne.

873 La problématique identitaire sera l'objet d'étude de notre troisième partie du travail. La question d'identité francophone, quant à elle, sera abordée dans le chapitre trois de la troisième partie.

874 Cf. « Épitres à la princesse », Éthiopiques, op. cit., p. 133

875 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong », Chants d'ombre, op. cit., p. 32

876 Cf. « Épitres à la princesse », Éthiopiques, op. cit., p. 134

877 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et dialogue interculturel », op. cit., p. 10

241

3. LE CHOIX DU PEUPLE NOIR

Le peuple noir est le seul peuple à qui l'on a dénié l'humanité et la civilisation. Il est le seul peuple à qui l'on dit qu'il n'a rien inventé, rien créé, rien écrit, rien sculpté, rien peint, rien chanté, rien donné à l'humanité, rien produit.878 Il a été réduit à l'esclavage universel (qui a connu la traite négrière). Il est aussi le seul peuple dont la chair fut hostie de guerre, et qui continue à croire en une superstition de damnation éternelle en vouant un culte imaginaire à la supériorité et à la technique de l'Occident. En plus, ce peuple s'est résigné à rester de simple observateur de l'évolution du monde et de simple consommateur, parce qu'on lui a fait croire qu'il était un peuple vaurien, dénué de toutes valeurs morales et de bon sens. Léopold Sédar Senghor récuse toutes ces idées reçues et non fondées. Le peuple noir et lui ne sont pas des « hommes du coton du café de l'huile [ni des] hommes de la mort »879 mais « le levain qui est nécessaire à la farine blanche »880 et qui répondent « présents à la renaissance du Monde »881. Il décide de rompre « les remparts décrétés »882 par les Occidentaux dont l'objectif est de mettre le peuple noir hors compétition afin de toujours le biaiser. Il se présente alors comme « l'ambassadeur du peuple noir »883 à « l'assemblée des peuples »884, ici, la Francophonie, pour défendre les valeurs intrinsèques de ce peuple.

La Francophonie est là pour transcender les divisions, les clivages entre les Arabes, les Négro-africains et les Occidentaux en les conduisant à la Civilisation de l'Universel. L'incapacité et la passibilité du peuple noir de se situer dans une civilisation qui se métisse et de se prendre en charge soi-même amène Senghor à se porter volontairement comme l'éveilleur de conscience, parce qu'il est sûr que le peuple noir n'est pas seulement consommateur, mais producteur de civilisation. En Francophonie, ce qui importe est le devenir de l'homme peu importe la couleur de sa peau, sa race, mais qu'il soit homme, c'est-à-dire humain. Cependant, le constat est clair, le devenir de l'homme noir préoccupe plus Senghor que tout :

878 Cf. Aimé CÉSAIRE, Cahier d'un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine, 1983, pp. 44-46

879 Cf. « Prière aux masques », op. cit., p. 22

880 Idem., p. 21

881 Ibidem., p. 21

882 Cf. « Pour Emma Payelleville l'infirmière », op. cit., p. 18 883Cf. « Épitres à la princesse », op. cit. (loc. cit.), p. 133

884 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong », op. cit., p. 32

242

J'ai choisi mon peuple noir peinant, mon peuple paysan toute la race paysanne par le monde. (Po : 28)

Car « [sa] tâche est d'éveiller [son] peuple [...] »885 et de porter « [sa] récade à l'assemblée des peuples »886. Cela est un honneur pour lui, un honneur de servir le peuple noir : « Pour l'amour de mon Peuple noir »887 ou « Me voici rendu à mon Peuple à mon honneur. »888 Et, le peuple a entièrement confiance en lui : « J'ai la confiance de mon Peuple [...] »889. En plus, il se veut la bouche et la trompette du peuple : « Non d'être la tête du peuple, mais sa bouche et sa trompette »890. Il ne veut pas être seulement le chef du peuple mais également son porte-parole afin de dire le message inouï de ce peuple. Il décide, ainsi, de mettre son art à la disposition du peuple, c'est-à-dire sa poésie, qui « se fait chant, parole et musique en même temps »891 : « Qui pourra vous chanter si ce n'est votre frère [...] de sang ? »892. Ce frère de sang se nomme Léopold Sédar Senghor. Il dit :

Je chante dans mon chant tous les travailleurs, et tous

les paysans pêcheurs pasteurs

Qui déchantent au chant de la moisson

[...]

O tous mes frères, que je chante votre sang rouge, vos

labeurs blancs mais vos joies noires

Que je chante pour qui je chante

Je chante l'oriflamme de l'Afrique aux forces essentielles. (O. Po : 268)

Il ne veut non plus laisser la parole à des soi-disant représentants du peuple pour qu'ils truquent l'histoire et dénaturent le message que le peuple noir veut adresser au monde : « Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux/ je ne laisserai pas - non ! - les louanges de mépris vous enterrer furtivement. »893

Nous voyons à quel point le peuple noir est au centre même de la poésie senghorienne. Il en est la quintessence. Cependant, le choix fait par Senghor se présente comme une quête entreprise pour hisser l'homme noir dans l'évolution du monde qui tend vers la Civilisation de l'Universel. Autrement dit, Senghor revient en Afrique pour exhorter ses frères à l'action, leur dire de ne pas subir l'histoire mais de la faire, comme l'a su bien dit Amadou Koné :

885 Cf. « Élégie des alizés », op. cit. (loc. cit.), p. 265

886 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong », op. cit., p. 32

887 Cf. « Chaka », Éthiopiques, op. cit., p. 124

888 Cf. « Épitres à la princesse », op. cit., p. 139

889 Idem., p. 133

890 Cf. « Poème liminaire », Hosties noires, op. cit., p. 54

891 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 166

892 Cf. « Poème liminaire », op. cit., p. 53/ p. 54

893 Cf. « Poème liminaire », op. cit., p. 53

243

Cela est une mission de la jeunesse noire ; car sans notre histoire, l'Afrique ne sera pas l'Afrique, l'homme noir ne sera plus qu'un bâtard aux nombreux tendances culturelles et civilisatrices, un métis qui fatalement aura oublié sa première manière d'être.894

Leur contribution est aussi nécessaire que vitale à la réalisation de la Civilisation de l'Universel. Mieux, la Francophonie se présente comme l'expression de ses efforts pour rendre au peuple noir sa dignité perdue, et demander leur apport à la construction de la Civilisation de l'Universel.

En choisissant le peuple noir, il brise les barrières et les remparts de discrimination décrétés par les Occidentaux pour établir l'égalité des races et des cultures. Il se donne le devoir de chanter les vertus de son peuple et de lui montrer la vision d'un meilleur avenir. Le temps est arrivé pour que les « énergies dormantes »895 se réveillent afin d'être la « pierre d'angle dans l'édification de la Civilisation de l'Universel »896. En effet, la Francophonie est devenue le symbole de l'aspiration à la liberté des peuples opprimés ainsi que l'incarnation de leurs rêves, de leurs valeurs et de leurs idéaux. Les peuples opprimés ont su que la langue française, héritage culturel, pouvait leur permettre de s'affirmer et d'établir de nouveaux rapports avec les colonisateurs et le reste du monde. Ils ont décidé ainsi de s'organiser autour de la langue française pour exprimer leur attente. Cela veut dire que la Francophonie est bien un concept africain né sur le sol africain pour les Africains.897 Par la Francophonie, Senghor choisit de lutter pour redonner aux peuples noirs la fierté de leurs racines africaines. Il s'agit d'une éthique à sauver, et d'une communauté à fonder.

La souffrance infligée aux peuples ségrégés dans les kraals de la misère par ceux qui ont débarqué sur les côtes africaines avec des règles, des équerres, des compas et des sextants suscite chez Senghor la compassion.898 En effet, l'enfant prodigue retourne au pays, après seize années d'errance sur les routes de l'Europe, et découvre la misère de son peuple.899 Par amour et par compassion, il choisit de s'engager auprès de son peuple qui manquait d'un véritable chef de file.900 Cela se lit dans l'extrait ci-dessous :

894 Amadou KONÉ, Les Frasques d'Ébinto, op. cit., pp. 38-39

895 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, langue de culture », op. cit., p. 844

896 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit.

897 L'OIF (Organisation Internationale de la Francophonie) est née en 2005 sur les cendres de l'ACCT (Agence de Coopération Culturelle et Technique) qui a vu le jour en 1970 à Niamey (Niger) en remplacement de l'OCAM (Organisation Culturelle d'Afrique et Malgache), 1962.

898 Cf. « Chaka », op. cit., p. 122

899 Cf. « Le retour de l'enfant prodigue», op. cit., p. 48

900 Cf. « Épitres à la princesse », op. cit., p. 133

244

Donne-moi de mourir pour la querelle de mon peuple, et

s'il le faut dans l'odeur de la poudre et du canon. Conserve et enracine dans mon coeur libéré l'amour premier

de ce même peuple.

Fais de moi ton Maître de Langue, mais non, nomme-moi son ambassadeur. (Po : 49)

Senghor, non seulement de choisir le peuple noir, décide également de mourir pour ce peuple au cas où cet ultime sacrifice s'avère nécessaire. Dans le cas contraire, il souhaite être l'ambassadeur de ce peuple. Mieux, il mesure l'ampleur de son engagement, et le prix à payer est de mourir « dans l'odeur de la poudre et du canon » des oppresseurs de son peuple, si ce besoin est pressant et vital pour celui-ci.

À présent, intéressons-nous aux différentes fonctions ou images que revêt Senghor auprès de son peuple dans son oeuvre poétique. Nous recourons à la psychocritique pour relever les différentes fonctions, et à la théorie de l'énonciation pour les interpréter. Sur ce, nous superposons, d'abord, des extraits de « Chaka » et d'« Épitres à la princesse » (Éthiopiques) :

(Chaka)

CHAKA

La faiblesse du coeur est sainte...

[...1

À mon amour à Nolivé

Pour l'amour de mon Peuple noir.

[...1

CHAKA

Pour l'amour de mon peuple noir. (Po : 119/124)

(Épitres à la princesse)

Car ta seule rivale, la passion de mon Peuple

Je dis mon honneur. M'appelaient au loin les affaires de

l'État

[...1

Me voici rendu à mon Peuple à mon honneur

Et je regrette déjà tes éclats, la prison de ton charme (Po : 138-139)

La superposition de ces deux extraits d'Éthiopiques accuse l'image d'une personne qui aime passionnément son peuple à telle enseigne de tout sacrifier pour le suivre. L'emploi récurrent de « mon peuple » révèle que l'objectif principal de Senghor est le peuple noir ; quel que soit ce qu'il fera, il le fait pour le peuple noir, par exemple, sacrifier son amour pour sa femme afin d'être avec son peuple : ta seule rivale, la passion de mon peuple. En d'autres termes, la raison de son existence, c'est le peuple noir. C'est un honneur pour lui de servir son peuple : à mon honneur. Le réseau associatif qui se lit donc à partir de cette superposition est L'amour-passion : la faiblesse du coeur, à mon amour, pour l'amour de mon peuple noir, la

245

passion de mon peuple, à mon peuple, à mon honneur. Cet amour-passion peut être considéré comme un acte sacrificiel qu'il pose en faveur du peuple : je regrette, la prison, les affaires de l'État... Il a un pincement de coeur, mais qu'est-ce qu'il peut faire ? Rien, c'est le peuple noir, c'est pour lui qu'il doit sacrifier les éclats et les charmes de sa femme, car son amour pour son peuple est plus ultime que l'amour qu'il a pour sa femme. Il sacrifie cet amour pour choisir son peuple. Superposons d'autres extraits pour voir comme s'opère ce choix définitif de Senghor. Il s'agit, à cet effet, de « ÉTHIOPIE (À l'appel de la race de Saba) » (Hosties noires) et de « Chaka » (Éthiopiques).

(ÉTHIOPIE/ À l'appel de la race de Saba)

- Je ne pouvais rester sourd à l'innocence des conques

des fontaines et des mirages sur les tanns

Et tremblait ton menton sous tes lèvres gonflées et tordues. (Po : 55)

(Chaka)

CHAKA

Mon calvaire.

Je voyais dans un songe tous les yeux aux quatre coins de

l'horizon soumis à la règle, à l'équerre et au compas

[...]

Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances bafouées ? (Po :121-122)

Nous constatons, des deux extraits ci-dessus, que le poète Senghor refuse d'être témoin passif de ce que subit son peuple. Il ne veut pas être un acteur inactif et passif, un simple témoin auriculaire et oculaire qui se contente de dire ce qu'il a entendu et vu. Non, il veut agir, il veut être actif, il veut prendre part aux souffrances de son peuple. De la superposition, deux réseaux associatifs s'accusent. Ce sont :

- La souffrance : à l'innocence des conques des fontaines et des mirages sur les tanns,

calvaire, soumis à la règle, à l'équerre et au compas, de souffrances bafouées... - L'engagement : je ne pouvais rester sourd, pouvais-je rester sourd à tant de

souffrances bafouées ( ?)...

Le poète ne pouvait rester silencieux et indifférent face à la souffrance de son peuple. La volonté

d'agir est mise en évidence par l'emploi des verbes modaux « pouvais » et « rester », et de l'adjectif qualificatif « sourd ». Cet emploi est accentué par l'interrogation : « Pouvais-je rester sourd à tant de souffrances bafouées ? ». L'interrogation, en fait, justifie ses actes posés : le sacrifice de l'amour de sa femme. C'est une sorte de purgatoire. Ces réseaux associatifs révèlent que la souffrance du peuple noir a incité Senghor à l'engagement, et non l'amour du peuple noir. On peut dire que l'amour du peuple vient au second plan. Il est sensible aux souffrances de son peuple, et il se rend-compte aussi que le peuple a été trompé par les Occidentaux. En effet, ils débarquent sur les côtes africaines et soumettent le peuple à la règle, à l'équerre, au

246

compas, à la servitude en lui faisant croire qu'ils ouvraient ses « paupières lourdes à la lumière de la foi [et son] coeur à la connaissance du monde »901 alors qu'ils pillaient ses ressources végétales et minières. Et le peuple noir crevait de faim dans les kraals de la misère902.

Senghor décide ainsi de rester auprès de son peuple en laissant sa bien-aimée en France pour s'engager. Il doit trouver une excuse pour convaincre sa femme : ta seule rivale, la passion de mon peuple ; pour l'amour de mon peuple noir ; m'appelaient au loin les affaires de l'État. Quel type d'engagement s'agit-il ? Pour répondre à cette question, nous superposons d'autres poèmes, en occurrence « Épitres à la princesse » (Éthiopiques), « Élégie des saudades » (Nocturnes) et « Élégie des alizés » (Élégies majeures).

(Épitres à la princesse)

Mon espoir est de revenir à la fin de l'Été. Ma mission sera

brève.

[...1

Ambassadeur du Peuple noir, me voici dans la Métropole.

[...1

Ma mission n'est pas d'une lune.

Le peuple noir m'attend pour les élections des hautes-Sièges,

l'ouverture des Jeux et des fêtes de la Moisson

Et je dois régler le ballet des circoncis. Ce sont là choses

graves.

[...1

Hâte-toi donc Belborg, ma mission n'est pas d'une lune

[...1

Mon séjour n'est pas d'un quartier, et déjà me poignent le

flanc les cent regrets du Pays noir.

[...1

Je te recevrai sur la rive adverse, monté sur un quadrige

de pirogues et coiffé de la mitre double, ambassadeur de

la Nuit et Lion-levant. (Po : 133-141)

(Élégie des saudades)

Ma mission est de paître les troupeaux

D'accomplir la revanche et de soumettre le désert au Dieu de la fécondité. (Po : 202)

(Élégie des alizés)

Ma tâche est d'éveiller mon peuple aux futurs flamboyants Ma joie de créer des images pour le nourrir, ô lumières rythmées de la Parole ! (O. Po : 265)

Il s'agit dans ces extraits d'une mission que le poète Senghor s'assigne auprès du peuple noir. Cette mission lui est devenue une obsession à tel point d'écourter son séjour en France pour le pays noir. Il nous donne l'impression que le peuple noir a besoin d'un leader, d'un chef pour le guider. Mieux, il se proclame l'ambassadeur du peuple noir. Les réseaux associatifs qu'accuse

901 Cf. « Prière de paix », Hosties noires, op. cit., p. 93

902 Cf. « Chaka », Éthiopiques, op. cit., p. 122

247

la superposition sont la mission (ma mission sera brève, ma mission n'est pas d'une lune, mon séjour, ma mission est de paître les troupeaux, ma tâche est d'éveiller mon peuple), la brièveté de la mission (brève, n'est pas d'une lune, n'est pas d'un quartier), l'ambassadeur du peuple (ambassadeur du Peuple noir, les élections des Hautes-sièges, je dois régler les ballets des circoncis, choses graves, ambassadeur de la Nuit et Lion-levant, ma mission de paître les troupeaux, ma tâche d'éveiller mon peuple).

La superposition de ces réseaux nous renvoie à l'image d'une mission ambassadoriale. En effet, il se donne une mission auprès de la Métropole : Ambassadeur du Peuple noir, me voici dans la Métropole, afin de le représenter aux élections des Hautes-Sièges pour régler le ballet des circoncis et l'apprêter aux défis à venir : ma mission de paître les troupeaux, ma tâche est d'éveiller mon peuple aux futurs flamboyants. Senghor accepte d'être le porte-parole, c'est-à-dire le dyali du peuple noir : ma joie est de créer des images pour le nourrir, ô lumières rythmées de la Parole. Il se veut être le guide et l'éveilleur du peuple afin de le conduire à la communauté des « peuples fraternels »903 où sont réunis tous les peuples de « divers teints [...] de divers de traits de costumes de coutumes de langues. »904 Il refuse que d'autres personnes viennent prendre faits et causes du peuple noir, parce qu'elles ne sont pas dignes et aptes à dire les réalités africaines, et à présenter fidèlement les souffrances du peuple noir. Au contraire, elles diront ce qui leur plaît ou ce qui les arrange en tronquant l'histoire. Sa mission est, en fait, de dire à la France, à l'Occident et au reste du monde, que le peuple noir mérite le respect et l'honneur, parce qu'il les a servis.

Il y a encore d'autres fonctions que Senghor s'assigne pour défendre le peuple, telles que la fonction du poète et celle du politique. Quelle fonction préférera Senghor pour la défense de son peuple ? Nous répondons à cette question à partir d'une nouvelle superposition. Il s'agit de « L'absente », « Chaka » (Éthiopiques) et « élégie des alizés » (Élégies majeures).

(L'absente)

Mais je ne suis pas votre honneur, pas le Lion téméraire, le Lion vert qui rugit l'honneur du Sénégal

Ma tête n'est pas d'or, elle ne vêt pas de hauts desseins Sans bracelets pesant sont des bras que voilà, mes mains si nues !

Je ne suis pas le Conducteur. Jamais tracé sillon ni dogme comme le Fondateur

La ville aux quatre portes, jamais proféré mot à graver sur la pierre.

Je dis bien : je suis le Dyâli. (Po : 108)

903 Cf. « CAMP 1949/Au Guélowar », Hosties noires, op. cit., p. 71

904 Cf. « ÉTHIOPIE/À l'appel de la race de Saba », idem., p. 59

248

(Chaka)

CHAKA

Mais je ne suis pas le poème, mais je ne suis pas le tam-tam Je ne suis pas le rythme. Il me tient immobile, il sculpte tout mon corps comme une statue du Baoulé.

Non je ne suis pas le poème qui jaillit de la matrice sonore Non je ne fais pas le poème, je suis celui-qui-accompagne Je ne suis pas la mère, mais le père qui le tient dans ses bras

et caresse et tendrement lui parle.

[...]

CHAKA

[...]

Et moi je suis celui-qui-accompagne, je suis le genou au flanc du tam-tam, je suis la baguette sculptée

La pirogue qui fend le fleuve, la main qui sème dans le ciel le pied dans le ventre de la terre

Le pilon qui épouse la courbe mélodieuse. Je suis la baguette qui bat laboure le tam-tam. (Po : 126/130)

(Élégie des alizés)

Or me voilà tout brillant d'huile comme l'or rouge, comme

le champion du Sine au début de la saison

Miel dans la voix des jeunes filles - pour les noces du

Printemps on se disputera ses aigrettes.

Je dis noces avec mon peuple, et que je m'y prépare par la

veille et le jeûne.

Non, je ne suis pas prince au bandeau pourpre, pagne clas-

sique, poitrine crucifiée de cauris blancs

Je ne suis pas le guêpier de Nubie le gonolek de Barbarie

Mais combassou du Sénégal, j'ai revêtu ma livrée bise. (O. Po : 265-266)

De ces extraits, nous voyons qu'il y a une opposition entre deux réalités. Le poète nie l'une d'elles et accepte l'autre enfin. La réalité déniée est mise en évidence par un emploi négatif : mais, je ne suis pas, non ; tandis que la réalité acceptée est saisie par l'affirmation : je dis, je suis. Ces indices d'énonciation montrent que le poète Senghor est dans un dilemme, puisqu'il se dédit : je suis/je ne suis pas. Il est écartelé entre la Parole (le poème) et l'Action (Celui-qui-accompagne). En fait, ces deux réalités sont la culture et la politique. Croyant que la politique était l'excellent moyen pour défendre le peuple noir, il dénie la culture. Très vite, il se rend-compte qu'en fait ce qu'il faut à son peuple est la culture. Pour cela, il doit être dûment ancré dans sa culture. Il renonce à la politique pour se consacrer davantage à la culture : Bien mort le politique, et vive le Poète905, puisqu'il se retire définitivement et de façon volontaire de la scène politique en 1980. Ce retrait s'explique du fait que le poète est un visionnaire, certes, qu'il est parfois loin du peuple, voire plus loin que le sont les politiques, mais il voit venir les choses et il les prévient à temps.

905 Cf. « Chaka », Éthiopiques, op. cit., p. 128

249

Il avait également confondu la culture et la politique longtemps, car ils sont nécessaires à l'épanouissement de l'homme et se valent. En fait, ils ont à peu près les mêmes méthodes d'emploi et d'opération. En effet, Senghor a porté les deux casquettes : homme politique et homme de culture. Il fut Député à l'Assemblée nationale française entre 1945 et 1959, période où les colonies françaises avaient le droit d'être représentées. Puis, Président de la République du Sénégal entre 1960 et 1980. Sa carrière politique et littéraire a conjointement débuté. Sa vie politique débute par son élection à la députation avec la publication de Chants d'ombre et s'achève par son retrait de l'arène politique avec la parution des Élégies majeures.906 Il s'est retiré de la politique pour se consacrer entièrement à son action culturelle, c'est-à-dire au service de la Négritude, de la Francophonie et de la Civilisation de l'Universel907. Cependant, il dit, ce n'est pas parce qu'il est député ou Président de la République (roi), qu'il a accepté de parler au nom de son peuple. Cette idée est mise en évidence dans l'extrait ci-dessous :

Seigneur !si je Te parle, Toi qui es l'Obscure Présence Ce n'est pas que la République m'ait nommé bon roi de mon peuple ou député des Quatre Communes. (Po : 66)

Que nous disent alors les réseaux associatifs de la superposition ? Les réseaux associatifs qu'accuse la superposition nous révèlent les images suivantes :

- Poète (Dyâli) : proféré mot à graver sur la pierre, je suis le Dyâli, le poème, le tam-tam, le rythme, la matrice sonore, le flanc du tam-tam, la courbe mélodieuse, miel dans les voix des jeunes filles, combassou du Sénégal

- Politique (Porte-porale) : le lion téméraire, le Lion vert, le Conducteur, le Fondateur, celui-qui-accompagne, le père qui tient dans ses bras, le genou au flanc du tam-tam, la baguette sculptée, la pirogue qui fend le fleuve, la main qui sème, le pied dans le ventre, le pilon qui épouse, la baguette qui bat laboure le tam-tam, le champion du Sine, prince au bandeau pourpre, le guêpier de Nubie, le gonolek de Barbarie

Ces réseaux mettent en évidence l'image d'une personne qui se veut utile, qui veut être au

service de son peuple. Mais, le problème est que cette personne ne sait quelle posture adoptée pour servir le peuple. Il veut à la fois chanter les valeurs de son peuple et les défendre et dire les aspirations de ce peuple à l'assemblée « des hommes rassemblés »908 venus des « quatre

906 Oumar SANKHARE, Poétique et Politique chez Senghor, disponible sur http://www.cercle-richelieu-senghor.org/26-les-colloques-954890/senghor-et-la-francophonie/75-poetique-et-politique-chez-senghor

907 Janet G. VAILLANT, Vie de Léopold Sédar Senghor : Noir, Français et Africain, Paris, Karthala, 2006, p. 437

908 Cf. « Élégie des alizés », op. cit., p. 263

250

coins de l'horizon »909, et aux « enfants de la France Confédérée »910. Pour éviter ce dilemme, Senghor se résout à endosser les deux fonctions.

Notons également que Senghor ne se limite pas seulement à ces deux fonctions, il en revêt d'autres encore que nous mettons à nu avec « À la mort » (Chants d'ombre) et « Élégie pour Aynima Fall » (Nocturnes).

(À la mort)

Que je bondirai comme l'Annonciateur, que je manifesterai

l'Afrique comme le sculpteur de masques au regard intense Que reviendra sur l'herbe, mêlant sa voix grave au choeur

de l'aube (Po : 24)

(Élégie pour Aynima Fall)

LE CORYPHÉE

Maintenant au galop de ta locomotive, tu arrives premier

des combattants

Annonciateur de la Bonne Nouvelle... (Po : 212)

Le réseau associatif que la superposition des deux extraits ci-dessus souligne est le messager : l'Annonciateur, je manifesterai l'Afrique, mêlant sa voix grave au choeur de l'aube, Annonciateur de la Bonne Nouvelle... Ce réseau permet de dire que le poète se charge d'annoncer le message de l'Afrique : « Ah ! me soutient l'espoir qu'un jour je coure devant toi, Princesse, porteur de ta récade à l'assemblée des peuples »911. Il se considère alors comme un annonciateur, et on peut comprendre qu'il dit : je suis l'Annonciateur de la Bonne Nouvelle et j'ai pour mission de manifester l'Afrique afin que « nous nous répondions présents à la renaissance du Monde »912, « que les enfants de la France Confédérée aillent main dans la main »913, et qu'ils progressent et grandissent ensemble. Senghor se donne pour mission de valoriser et de manifester l'Afrique, et de l'unir aux autres peuples à l'évolution du monde. Ceci est soutenu par Abdoul Diouf :

La Francophonie est née en Afrique, et l'Afrique constitue, depuis lors, pour une

grande part, la raison d'être et d'agir de la Francophonie. En d'autres termes, une Francophonie sans l'Afrique, serait une Francophonie sans avenir.914

909 Cf. « Chaka », op. cit., p. 121

910 Cf. « Prière des tirailleurs sénégalais », op. cit., p. 69

911 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong », op. cit., p. 32

912 Cf. « Prière aux masques », op. cit., p. 21

913 Cf. « Prière des tirailleurs sénégalais », op. cit., p. 69

914 Abdoul DIOUF, La Francophonie en Afrique : quel avenir ?, Discours prononcé au colloque organisé à l'Assemblée nationale en partenariat avec l'Institut français des relations internationales (Ifri), Paris, le 24 juin 2010, p. 2

251

Nous comprenons des propos d'Abdoul Diouf que l'Afrique, autrement dit le peuple noir, est l'avenir de la Francophonie. Senghor n'affirme pas le contraire :

Je voudrais rappeler, simplement, que nous avons été trois Africains, Habib

Bourguiba, Hamani Diori et moi, à lancer, plus que le mot, l'idée de la Francophonie.915

La naissance de la Francophonie en Afrique est mise en évidence par un passage de « Que m'accompagnent Koras et Balafong » dans Chants d'ombre : « Entouré de mes compagnons lisses et nus et parés des fleurs de la brousse ! f...] je coure f...] porteur de ta récade à l'assemblée des peuples. »916

L'Afrique représente pour la Francophonie à la fois son passé, son présent et son avenir. En effet, c'est dans les années 1960, il lança l'idée de la Francophonie avec le Tunisien Habib Bourguiba et le Nigérien Hamani Diori afin que le Noir puisse irriguer des eaux de sa sensibilité le rationalisme mécaniste de la vieille Europe. Senghor se donne la mission de susciter le peuple noir à l'action, parce que l'Afrique est le continent de demain :

L'avenir de l'humanité est dans cette Afrique qui se réveille peu à peu de son

sommeil millénaire, qui prend conscience d'elle-même et qui est le continent de demain.917

Mieux, « L'orchestre de la convergence pan-humaine ne serait pas complet, ne serait pas humain s'il y manquait la section rythmique de la Négritude. »918

La Francophonie est due par la sublimation de la souffrance du peuple noir et par la volonté de ce peuple à vouloir participer à l'évolution du monde. Senghor se voit également confier d'autres missions. Il endosse une grande responsabilité dans la défense du peuple noir. Pour appréhender cette responsabilité endossée par Senghor, il nous faut superposer d'autres textes. Ce sont « Chaka » (Éthiopiques) et « Élégie des circoncis » (Nocturnes).

(Chaka)

LE CORYPHÉE

Tu es Zoulou par qui nous croissons dru, les narines par quoi nous buvons la vie forte

Et tu es le Doué-d'un-large-dos, tu portes tous les peuples à peau noire. (Po : 127)

(Élégie des circoncis)

915 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », op. cit.

916 Cf. « Que m'accompagnent Koras et Balafong », op. cit., pp. 26-32

917 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 2, op. cit., p. 142

918 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 91

252

Maître des Initiés, j'ai besoin je le sais de ton savoir pour percer le chiffre des choses

Prends connaissance de mes fonctions de père et de lamarque Mesurer exactement le champ de mes charges, répartir la moisson sans oublier un ouvrier ni orphelin. (Po : 200)

Nous voyons se former, dans cette nouvelle superposition, le réseau de la responsabilité paternelle : Tu es Zoulou, tu es Doué-d'un-large-dos, tu portes tous les peuples à peau noire, mes fonctions de père et de lamarque, mesurer exactement le champ de mes charges, répartir la moisson sans oublier un ouvrier et un orphelin. Ce réseau associatif présente à la fois l'image d'un père protecteur et d'un arbitre. Léopold Sédar Senghor se considère comme le père du peuple noir, le chef dont la fonction est essentiellement d'arbitrer équitablement afin que personne ne manque de rien. La tâche est immense. Pour assurer cette tâche, il faut une préparation intense et du courage. Ceci explique les différentes fonctions de Senghor auprès de son peuple, comme nous l'avons mis à nu, avant d'arriver à cette ultime fonction : la responsabilité paternelle. Il décide de protéger et de conduire le peuple noir peinant, le peuple noir paysan, toute la race noire par le monde vers une convergence panhumaine, vers l'universel des cultures qui aboutira, bien sûr, à la Francophonie. Il veut permettre aux Noirs de vivre avec leur temps et de comprendre qu'une tradition existe certes, mais qu'un monde moderne se construit, que leur contribution est nécessaire. La Francophonie est pour lui un moyen d'y parvenir. Elle consiste, pour Senghor, à libérer le peuple noir de la complexité en revendiquant sa liberté politique et culturelle, faire connaitre à l'Occident les aspirations des peuples asservis.

La Francophonie chez Senghor a un double objectif : réhabiliter le peuple noir en valorisant sa culture, et lui permettre de participer à la construction de la Civilisation de l'Universel.919 Abdoul Diouf s'inscrit dans cette logique de pensée en disant que l'avenir de la Francophonie est « étroitement confondu avec celui d'une Afrique, destinée à prendre toute sa part dans l'universel senghorien, dans le grand rendez-vous du donner et du recevoir. »920 Ce qui sous-entend que l'Afrique et le peuple noir incarnent, pour la Francophonie, son avenir. Le devenir de la Francophonie est le devenir du peuple noir. En d'autres termes, le peuple noir est l'épicentre la Francophonie, car dans l'universel senghorien, le peuple noir a un rôle primordial à jouer, celui d'apporter sa chaleur, son émotion, son humanisme à une Europe, jadis, divisée :

Que nous répondions présents à la renaissance du monde Ainsi le levain qui est nécessaire à la farine blanche.

Car qui apprendrait le rythme au monde défunt des machines et des canons ? (Po : 21)

919 Cela sera l'objet d'étude dans le chapitre trois du point trois de cette deuxième partie.

920 Abdoul DIOUF, La Francophonie en Afrique, quel avenir ?, op. cit.

253

Il fallait une personne volontaire pour défendre le peuple noir culturellement et politiquement. Découvrant la misère du peuple noir, du monde rural, et face à l'aliénation culturelle exubérante, Senghor décide d'être cette personne. Et tous les réseaux associatifs vus accusent une seule image, celle de la mission politique et culturelle. Senghor a évidemment assuré la mission politique et culturelle pour le bien-être du peuple noir, et dans le monde. Il s'agit, dans tous les cas, de transformer le monde et de policer l'humanité : c'est-à-dire l'Homme. Finalement, il opte pour la fonction culturelle pour la libération de son peuple ; d'ailleurs c'est le peuple qui le veut : « Bien mort le politique, et vive le poète ».921 Alors, à travers la culture, Senghor décide de défendre le peuple noir : c'est là l'essentiel.922 Il est persuadé qu'avec la culture il est question de l'homme dans l'univers à sauver, mieux d'une certaine vision ontologique de l'univers. Il faut aux Noirs la culture pour les rendre à leur vérité du XXe siècle : à la Civilisation de l'Universel.

Senghor se fait, à la fois, Ambassadeur et Dyâli (poète) de la culture africaine, car il estime que les peuples africains doivent assimiler la culture et les techniques occidentales tout en approfondissant leur propre culture afin de s'associer au peuple français, voire aux peuples d'Europe.923 Comme l'illustre l'extrait ci-dessous :

Demain, je reprendrai le chemin de l'Europe, chemin de l'ambassade

Dans le regret du Pays noir. (Po : 59)

La poésie est son arme de lutte ; la culture, son champ de bataille ; la Négritude, les munitions ; et la Francophonie, sa stratégie géopolitique qui permettra au peuple noir de se libérer de l'étau colonial afin de réhabiliter sa culture minée par plusieurs siècles de clichés. Senghor se donne pour mission de restituer à la culture négro-africaine, partant au peuple noir, sa place et son rôle essentiels dans l'histoire et dans la Civilisation de l'Universel. Ce fut son combat jusqu'à sa mort. Dans ce combat, le moyen essentiel qu'il s'est doté est l'idéologie de la Négritude924 qui devrait finalement aboutir à la Francophonie. Avec la Francophonie, l'accent de sa mission est mis sur l'affirmation, la réhabilitation, la valorisation de l'homme noir et de son identité culturelle.

921 Cf. « Chaka », loc. cit., p. 128

922 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 378

923 Elimane FALL, Sarah MATELLUS, « Sénégal : Senghor 1906-2001, une vie un siècle », JA/L'intelligent, n°2137-2138, du 25 décembre 2001 au 7 janvier 2002

924 Moustapha TAMBADOU, « Politique et stratégie culturelle de Léopold Sédar Senghor », Éthiopiques, n°59, 1977 ; disponible sur http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article367

254

C'est une véritable construction idéologique fondée sur l'égalité et la complémentarité, tant morale qu'intellectuelle sur laquelle Léopold Sédar Senghor s'appuie pour élire le peuple noir au nom des valeurs humanistes afin de légitimer la culture négro-africaine et de dénier la politique d'assimilation française. En effet, « [...] il s'agit, en définitive, de faire l'homme noir dans une humanité en marche vers la réalisation totale, dans le temps et l'espace. »925 Dans ses préoccupations, la Francophonie est un outil idéologique visant la libération totale de tous les Noirs. Revaloriser le Noir, sa culture et sa civilisation ; revendiquer son droit à l'existence et à la liberté ; réécrire son histoire déformée et volée ; défendre les valeurs partagées par tous les Noirs quelle que soit leur origine et les unir aux autres peuples : tels en sont les jalons de la Francophonie senghorienne. À cet effet, Kahiudi C. Mabana affirme que

L'Afrique et l'Europe étant reliées par un même cordon ombilical, il revient au Noir d'assurer le rythme et la sensibilité pour contrebalancer le monde géométrique du Blanc. Fermant les yeux sur tous les méfaits de la colonisation, sur l'exploitation et l'esclavage perpétrés par le Blanc à l'encontre du Noir, Senghor déclare, avec une assurance qui ne manque pas de surprendre, que les Blancs et les Noirs sont destinés à vivre en harmonie dans un monde sans races ni classes sociales926.

Léopold Sédar Senghor fait du peuple noir l'élément de base, la part essentielle de la nouvelle société universelle. Pour lui, le Noir est le fer de lance du dialogue des cultures, de la symbiose des civilisations, et de la rencontre du donner et du recevoir : telle est la raison principale sur laquelle Senghor bâtit sa théorie de la Francophonie, l'expression la plus plausible de sa théorie de la Civilisation de l'Universel. Il part de l'hypothèse de renouveler la Négritude pour forger la Francophonie, comprise comme un instrument au service du dialogue interculturel.

Senghor suit une démarche dialectique dans le choix du peuple noir. En effet, il se présente d'abord comme Ambassadeur du peuple noir. En tant qu'Ambassadeur, il a la charge de mettre en oeuvre la politique extérieure, et de représenter son peuple et de le protéger. Ensuite, il se définit comme Éveilleur du peuple noir, et il se donne pour tâche de sensibiliser son peuple à l'acceptation de leur condition de colonisé mais, surtout à s'ouvrir à d'autres horizons culturels, et à participer à la Civilisation de l'Universel. Puis, vient l'image du Porte-parole. Par cette fonction, il se charge de défendre, d'expliquer et de promouvoir la culture de son peuple auprès des autres nations. Enfin, l'image du Père et du Lamarque. Avec cette fonction, il s'assigne la responsabilité de protéger, d'éduquer et d'initier le peuple noir aux valeurs humanistes dans l'évolution du monde qui se veut métis. Pour toutes ces raisons,

925 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 286,

926 Kahiudi C. MABANA, « Léopold Sédar Senghor et la Civilisation de l'Universel », Diogène, 2011/3 (n°235236), pp. 3-13

255

Senghor ne pouvait que choisir la Francophonie, cet humanisme de différence, file de la liberté et soeur de l'indépendance, pour permettre au peuple noir d'être présent à l'avènement de la Civilisation de l'Universel.

Dans l'élaboration du projet de la Francophonie par Senghor, le peuple noir occupe une place importante. En fait, la souffrance et la misère du peuple noir ont été les éléments déclencheurs de son choix. Il ne pouvait rester indifférent face à la souffrance morale et culturelle du peuple noir. Il s'est assigné, ainsi, plusieurs fonctions ou missions pour revendiquer les valeurs culturelles propres au peuple noir et dissiper les préjugés sur l'Afrique. D'ailleurs, il invite le peuple noir à prendre son destin en main pour s'affirmer sans s'apitoyer désormais sur l'esclavage et la colonisation. Senghor lance un appel à l'éveil et à la responsabilité du peuple noir. À travers ce peuple, Senghor adresse un message inouï à l'occident : Nous sommes Noirs, frères des Blancs, car tous deux sont créés à l'image et à la ressemblance de Dieu, pour cela l'Europe doit nous accepter et accepter que nous lui apportons nos cultures. Pour un tel message, il faut une personne qui a du verbe et des arguments pour le transmettre. Et, cette personne habilitée à porter ce message à la France confédérée927, c'est-à-dire la Francophonie, est Senghor. En fait, par sa formation et par sa culture, il est la personne idoine pour accomplir les missions du peuple noir. En acceptant ces missions, il veut lutter plus efficacement pour que celui-ci obtienne réparation de l'injustice engendrée par le pacte colonial. Il est l'un de ceux qui veillent avec attention à ce que le peuple noir soit respecté et que les vertus de l'humanisme africain soient conservés et reconnus tout en les défendant contre la théorie de la table rase. Il réclame pour le continent africain le droit de participation à la Civilisation de l'Universel qui permet au peuple noir de s'adapter au nouveau monde à la mesure de ses aspirations et de son bien-être.

Senghor veut construire un nouvel humanisme qui soit en même temps à sa propre mesure et à celle du cosmos. À travers la Francophonie, il veut construire ce nouvel humanisme qui inclurait le peuple noir dépossédé de sa langue, de son histoire et de sa culture. Il se fait alors ambassadeur d'un esprit nouveau défendant un univers aux valeurs métissées. Cet esprit nouveau, qui s'appréhende dans sa poésie, prend en compte la culture négro-africaine et celle de l'Europe pour tendre vers l'avènement d'une Civilisation de l'Universel, expression des valeurs métisses, autrement dit expression de la Francophonie.

927 C'est en avril 1940 que Senghor a imaginé une association confédérée du peuple de France avec les peuples d'Outre-Mer. Aujourd'hui, cette association voulue par Senghor est devenue une réalité : la Francophonie.

256

La première et la seule explication qu'on peut donner au choix de Senghor est la réalisation de l'homme noir dans une humanité en marche vers une Civilisation de l'Universel. Il s'agit de restituer également à la culture négro-africaine sa place et son rôle essentiel dans l'histoire de l'humanité qui s'écrit. La Francophonie, qui est un concept fondé à la fois sur le devenir de l'homme et sur la culture, sera le lieu privilégié pour le peuple noir qui se réveille de se réaliser. Le peuple noir ne sera plus piétiné par une quelconque puissance coloniale, car il aura trouvé sa dignité et sa place au sein d'une communauté de solidarité, partageant les mêmes réalités socio-culturelles. Le destin de l'humanité dépend de ce que le peuple noir sera, pour cela, il faut l'éduquer. Senghor présente donc la Francophonie « comme un monolithe autour duquel se rassemble le Peuple [noir] quand [surgira] l'événement »928, c'est-à-dire la Civilisation de l'Universel.

Le second chapitre nous a permis de mettre en évidence les raisons personnelles de Léopold Sédar Senghor dans le choix de la Francophonie. D'abord, nous avons vu qu'il a été influencé par la langue française. Cette langue lui a été imposée, mais il l'a choisie également, pour adresser au monde et aux autres hommes son message inouï. En fait, il a choisi la langue française, parce qu'elle est une langue analytique, une langue des idéaux universalistes et humanistes, une langue romantique et poétique, une langue structurée. En réalité, l'amour inconditionné de la langue française explique son choix. Senghor, estimant que cette langue exprime des valeurs humanistes, veut qu'elle soit la langue d'une communauté. Cette communauté est la Francophonie.

Cependant, il souhaite que cette langue soit empreinte d'apports linguistiques de chaque membre de la communauté ; d'où le choix du français africanisé. Ainsi, se lance-t-il dans une promotion de l'africanisation du français, c'est-à-dire il envisage de greffer les mots africains sur la langue française, voire d'insérer des néologismes, des images et des rythmes africains dans le génie de la langue français. Il a voulu s'exprimer en africain dans la langue française. Ce français africanisé, chez Senghor, est appelé le parler francophone. Il est la langue de la Francophonie, et traduit une identité autre que française et africaine : l'identité francophone. Le français africanisé mérite d'être valorisé, car il est la preuve de la richesse de la langue française et de la maîtrise de ses locuteurs. Il est le fruit d'une volonté de rendre le français apte à exprimer les réalités de la vie africaine.

928 Cf. « Élégie pour Aynina Fall », Nocturnes, op. cit., p. 208

257

Il se trouve que le peuple noir est la raison personnelle de Senghor dans la conception de la Francophonie. En fait, il choisit le peuple noir, parce qu'il veut que les vertus de l'humanisme africain soit reconnues. Par le choix du peuple noir, Senghor réclame la participation des Africains à la construction de la Civilisation de l'Universel, et la restitution à la culture africaine sa place et son rôle dans l'histoire de l'humanité.

Les raisons personnelles de la conception de la Francophonie chez Senghor sont la langue française, le français africanisé et le peuple noir. Avec sa conception de la Francophonie, le français se voit métisser pour ne plus exprimer une identité culturelle française, mais une identité culturelle colorée d'apports linguistiques de ces différents locuteurs, faisant de celui-ci la langue de la Francophonie. Senghor estime que la Francophonie est capable de libérer le peuple noir du carcan de l'assimilation culturelle et de l'aider à s'ouvrir à la fraternité universelle. Nous retenons de ce chapitre que la Francophonie est la réalisation du rêve personnel de Senghor, celui de réunir tous les locuteurs de la langue française pour la valorisation d'une langue et d'une culture francophone.

Au-delà de ces raisons personnelles, nous pensons qu'il y a aussi des raisons culturelles qui expliquent la conception de la Francophonie chez senghor. En fait, Senghor appréhende la Francophonie comme une culture. Cela signifie que la Francophonie peut se définir également sur l'angle de la culture, car, comme le dit-il, la principale raison de la naissance de la Francophonie est d'ordre culturel. La Francophonie est, parce que la culture existe. Alors, il est question de savoir ce qu'implique(nt) la ou les culture(s) dans la Francophonie selon Senghor. Nous estimons qu'il a été influencé par la culture africaine. En effet, cette culture a été détruite, désintégrée par la domination coloniale des Occidentaux. Il faut réhabiliter cette culture décimée et niée par la colonisation. Lors de l'occupation coloniale, on assistait à la suppression des statues, à l'interdiction des rites sacrés, à la désagrégation de l'ordre social, et les chefs traditionnels étaient remplacés par des fonctionnaires, nommés par les colons. Ce qui veut dire, sous l'influence de la culture de l'Europe occidentale, durant la colonisation, la culture africaine a été modifiée. Le peuple noir était contraint d'abandonner sa danse, ses masques, sa religion, ses langues pour la culture et la langue du colonisateur. Senghor estime qu'il est nécessaire pour l'Africain de revenir à ses vieux baobabs, à ses cultures pour les réhabiliter afin de mieux les présenter au monde, car « ce n'est pas en se reniant qu'on vaincra le colonialisme, mais en se retrouvant, en s'affirmant. »929 Dans le dialogue des cultures, en effet, la renaissance des cultures africaines peut se faire, et la Civilisation de l'Universel se réaliser.

929 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 2, op. cit., p. 194

La solution au problème culturel est la condition sine qua non du développement et de toute croissance. Étant donné qu'il n'existe pas de civilisation universelle en soi, la Francophonie serait l'expression d'un refus d'une certaine forme de néocolonialisme au nom duquel on imposerait à l'Afrique certains modèles occidentaux930. À juste titre, il invite tout un chacun à s'enraciner en sa propre culture, au plus profond de sa propre civilisation afin de mieux s'ouvrir aux pollens fécondants venus des quatre horizons. Cela sous-entend que nous devons nous enrichir de nos divergences pour converger vers l'universel. Sa conception de la Francophonie réside obligatoirement dans l'idée d'ouverture aux autres espaces, aux autres cultures, au dialogue des cultures. Pour mieux saisir la portée de la culture dans la Francophonie et ce que cela implique, il importe de nous intéresser à ses oeuvres poétiques. C'est l'objet d'étude du prochain chapitre.

258

930 Daniel GARROT, Léopold Sédar Senghor, NEA, 1978, p. 29

259

CHAPITRE III : LA RENAISSANCE DES VALEURS CULTURELLES AFRICAINES ET L'OUVERTURE CULTURELLE

Au coeur de la conception senghorienne de la Francophonie se trouve, également, la culture. C'est sur elle que repose la Francophonie. Pour elle, de milliers de personnes se sont unies et continuent à s'unir pour que le projet de Senghor demeure une réalité. La culture est, en effet, un concept vaste, car elle n'est pas définissable par quelques mots931. Edward Taylor pense que

Culture, pris dans son sens ethnographique large est ce complexe qui inclut la

connaissance, la croyance, l'art, les choses morales, la loi, la coutume et toutes les autres aptitudes acquises par l'homme en tant que membre de la société932.

Cependant, elle se veut une manifestation de soi, affirmation de la différence ontologique (l'avenir de l'homme) et reconnaissance de la puissance de soi à l'étranger. Elle désigne aussi un ensemble de productions artificielles par lesquelles l'homme s'écarte de la nature, de sa nature ou l'ensemble des manières de vivre qui sont propres à une époque et à un lieu. À ce propos, Marie-Claire Gousseau laisse entendre que

la culture est faite de savoir, somme des connaissances humaines, transmise par l'enseignement, assimilée par l'Éducation ; elle anime les communautés naturelles, en particulier les métiers par le canal des techniques ; elle suscite l'harmonie sociale, nécessite un véritable humanisme, ne vit qu'ordonnée aux notions d'Être, de Vrai, de Bien, de Beau ; elle s'incarne dans les peuples, les nations, les patries et y crée un art de vivre en société aux visages multiples qui forment cependant par son unité

profonde le patrimoine universel qui est la civilisation.933

Faisant la nôtre la définition de Marie-Claire Gousseau, nous pouvons dire que la culture est la réponse à une préoccupation d'un peuple donné et qu'elle s'acquiert par l'Éducation. Ce qui sous-entend que les cultures se valent. Chez Senghor, « la culture, c'est une certaine façon,

931 Ibrahim Baba KAKE affirme qu' « aborder le problème de la culture est une opération délicate dans la mesure où ce mot a des résonances extrêmement différentes. », « Culture africaine, identité culturelle, développement, dialogue des cultures », Éthiopiques, n°40-41, 1985

932 Edward TYLOR, Dictionnaire de sociologie, Paris Armand Colin, 1991, p. 132.

933 Marie-Claire GOUSSEAU, Qu'est-ce que la cultue ?, Paris, Publisher, 1969, 102 p.

260

propre à chaque peuple, de sentir et de penser, de s'exprimer et d'agir. C'est un langage commun, qui s'approche et unit les hommes, une prise de conscience et une expression de la complexité du réel : elle est style, une manière d'éclaircir les choses et les évènements. »934Puis, d'ajouter qu'elle « est, en un mot, l'âme de la société »935. Elle fait, selon la perception senghorienne, les sociétés humaines. Dès lors, une question se pose, celle de savoir pourquoi la culture est l'élément principal par lequel la Francophonie se définit.

La colonisation avait pour mission d'imposer la civilisation hellénistique à la barbarie nègre, elle avait réussi à détruire, désintégrer les cultures africaines qui semblent aujourd'hui sclérosées, marginalisées, dénudées et « ses valeurs essentielles sont à priori escamotées, taxées d'impureté, du mysticisme, d'obscurantisme et traitées de toutes maladies ».936 L'Africain, fasciné, ébahi, attiré et divisé en lui-même par la culture occidentale, embrasse sans scrupule tout ce qui se présente à lui en abandonnant sa propre culture pour s'approprier celle des autres, devenant ainsi un nouveau type d'Africain, incapable de se définir et de se fixer, puisqu'il est coupé de sa racine culturelle. En d'autres termes, la politique coloniale était de combattre les cultures des peuples noirs conquis en leur déniant toute histoire, or un peuple sans histoire est un peuple sans identité, sans âme et sans existence.937 Conscient du fait que l'identité culturelle d'un peuple est le droit que ce peuple a de rester lui-même envers et contre toutes formes d'assimilation et de cultures, Senghor préconise le retour de l'Africain à sa source culturelle. Le retour de l'homme noir à ses sources n'est par un repli sur soi qui engendrera l'ethnocentrisme et le conservatisme, mais une attitude pour puiser avec raison et intelligence les ressources indispensables à son accomplissement, car l'homme ne peut se réaliser véritablement que par et dans sa culture, et ne peut prétendre se réaliser dans celle des autres s'il maîtrise mieux sa propre culture.

Le retour aux origines a permis à Senghor de constater que l'Afrique regorge de quelque chose de précieux à exploiter pour la réalisation de l'Homme, qu'il soit Noir ou Blanc, peu importe. La perception senghorienne du retour aux sources vient démentir ceux qui pensent qu'il est illusoire de se référer à la culture africaine.938 Il estima que la Francophonie est là pour

934 Léopold Sédar SENGHOR, Allocution lors de l'inauguration de l'Espace culturel qui porte son nom, Verson, 18 mars 1995

935 Idem.

936 Deli ZRA, L'impérialisme culturel occidental et devenir de la culture africaine : Défis et perspectives, Mémoire de fin de cycle de Philosophie,Licence, Grand Séminaire Saint Augustin de Maroua, Cameroun, 20042005

937 Référence faite au générique de l'émission « Archive d'Afrique » de la Radio France Internationale.

938 Bénézet BUJO dit qu' « il n'est pas rare d'entendre, même de la part de certaines Africains fascinés par la culture occidentale, que l'Afrique d'aujourd'hui a perdu son identité traditionnelle et qu'il est illusoire de se référer à la culture africaine. », « Culture africaine et développement : un dialogue nécessaire », Finance&Bien commun 2007/3 (N° 28-29), p. 43

261

réhabiliter ces cultures africaines en les intégrant dans la Civilisation de l'Universel. Dans la même ligne de réflexion, André Malraux affirme que « seule la culture francophone ne propose pas à l'Afrique de se soumettre à l'Occident en y perdant son âme, pour elle seule, la vieille Afrique de la sculpture et de la danse n'est pas une préhistoire ; elle seule lui propose d'entrer dans le monde moderne en lui intégrant les plus hautes valeurs africaines. »939 Pourquoi Senghor choisit la culture africaine pour l'intégrer dans une Civilisation de l'Universel. Que représente pour lui la culture africaine ?

La culture africaine se caractérise par la vie qu'elle renferme, la joie qu'elle procure, le sens de l'humanisme sans précédent qu'elle offre. Ces caractéristiques s'incarnent dans l'art, la musique, la danse, l'intelligentsia. C'est la raison pour laquelle Ibrahim Baba Kake dit que « le rôle primordial de la culture africaine, faut-il le rappeler, a toujours été d'enseigner une certaine idée de l'homme et de la nature et de contribuer à l'harmonie de leurs relations. »940Parce que la culture africaine est humanisme, Senghor invite la civilisation occidentale détruite par ses propres inventions scientifiques et techniques à venir en Afrique, le continent de la vie, car la culture africaine est plus efficace pour combattre les maux de la civilisation scientifique et technique. La culture africaine pour Senghor est un formidable ciment d'union qui valorise les différences de la condition humaine. Diongue Mariétou confirme nos propos en disant que « la culture est le produit de la société en ce sens qu'elle est la synthèse dynamique que la conscience sociale élabore et fixe et constitue la solution des problèmes et conflits que la société rencontre à chaque étape de son évolution. »941 Parce que la culture est « une certaine façon propre à chaque peuple de sentir et de penser, de s'exprimer et d'agir [, voire une] symbiose des influences de la géographie et de l'histoire, de la race et de l'ethnie »942, et que la Francophonie symbolise le peuple, le mode de vie et leurs moeurs et coutumes quotidiennes au fil des époques, anciennes ou contemporaines, Senghor a estimé qu'il fallait insister pour faire admettre la culture africaine au banquet de l'Universel.943 Mieux, il fallait réhabiliter le Noir en valorisant sa culture et l'aider à participer à la construction de la Civilisation de l'Universel.

En s'appuyant sur une conception africaine de la culture, celle de considérer l'autre homme et l'autre culture comme une partie de soi, Senghor voulut réaliser une harmonieuse

939 André MALRAUX, Discours prononcé à la conférence des pays francophones, Niamey, 17 février 1969 (extrait).

940 Ibrahim Baba KAKE, op. cit.

941 Mariétou DIONGUE, « La francophonie et les langues africaines : le cas du Sénégal », Mémoire, Villeurbanne [ sous la direction de Jean Roger Fontvieille », 1980, p. 3

942 Léopold Sédar SENGHOR, Paroles, Dakar, NEA, 1975

943 Léopold Sédar SENGHOR, « Qu'est-ce que la Négritude ? », op. cit.

262

symbiose des cultures en intégrant les valeurs culturelles intrinsèques de l'Afrique à celles des autres pays ayant en commun la langue française. Nous comprenons la raison pour laquelle il a mis la culture avant la politique dans sa conception de la Francophonie944, car elle est une culture qui se conçoit comme le moyen de faire participer les peuples qui en font partie à la Civilisation de l'Universel.945

Ce chapitre permet de mettre en évidence les raisons culturelles de Senghor dans l'élaboration de la Francophonie. En fait, trois raisons culturelles plausibles et susceptibles sont à élucider pour comprendre la conception senghorienne de la Francophonie. Nous verrons d'abord l'éloge de la culture africaine. Il s'agit de montrer que Senghor, à travers la culture africaine, veut révéler l'âme nègre au monde. Il est aussi question de mettre à nu les caractéristiques de la culture africaine et de voir dans quelle mesure elle peut contribuer à la Civilisation de l'Universel. Nous étudions ensuite l'ouverture culturelle. Ce qui nous amène à voir comment Senghor invite toutes les cultures, surtout la culture africaine, à s'ouvrir à tous les apports complémentaires pour converger ensemble vers l'Universel. Nous montrons également les différentes implications de l'ouverture culturelle dans cette convergence vers l'Universel sans oublier de voir comment Senghor entend faire participer le peuple noir à l'évolution du monde vers la Civilisation de l'Universel. Nous abordons aussi la question de la Civilisation de l'Universel. Nous allons étudier la manière que Senghor, en s'inspirant de la civilisation négro-africaine, définit la Civilisation de l'Universel. En outre, nous essayons également de mettre à nu les caractéristiques de cette Civilisation et démontrer qu'elle est l'expression de la conjugaison des cultures de divers horizons. Nous terminons l'analyse, dans ce chapitre, en montrant que la Civilisation de l'Universel n'est rien d'autre que la culture francophone. Pour mener à bien notre réflexion, nous recourons à la psychocritique et, si possible, à la théorie de l'énonciation.

944 Léopold Sédar SENGHOR, Message adressé à l'occasion de la semaine de la Francophonie à l'UNESCO en février 1977

945 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français en partage », Les 50 plus belles histoires, Timée Édition, novembre 2004

263

1. L'ÉLOGE DE LA CULTURE AFRICAINE

Aborder la question de la culture africaine, c'est vouloir appréhender la vie même de l'homme africain dans sa relation avec le cosmos. Bujo Bénézet affirme, à cet effet, que « [...] dans la philosophie africaine, l'homme et la nature sont profondément liés »946 et d'ajouter que « cette relation, même si elle se rapporte en premier lieu aux êtres humains entre eux, se veut cosmique. »947 Tout ce que l'Africain fait ou pose comme acte est symbolique ; il cherche toujours à communier avec l'Être Suprême, Dieu. Par les chants, les danses, les sculptures, il veut être un avec la nature, communiquer avec elle. À ce propos, Jacques Chevrier dit que « le Nègre, au contraire, s'identifie au monde dans un mouvement de sympathie qui lui permet de mourir à soi pour renaître à l'autre : il n'assimile pas, il assimile. Ainsi au fameux `' je pense, donc je suis» cartésien faudrait-il opposer un `' je sens l'autre, je danse l'autre, donc je suis» ! »948 La culture africaine, peut-on asserter, est une somme de tous les éléments qui environnent l'Africain dans son existence et qui lui permettent d'avoir une idée de l'homme et de la nature afin de contribuer à l'harmonie de leurs relations. Senghor, en parlant des cultures en général, stipule qu' « [une] culture qui ne veut modifier ni le monde, ni les rapports extérieurs de l'homme, ni ses conditions de vie, est une culture de musée, qui craint l'air frais et l'action concrète parce qu'elle aime sa poussière et sa moisissure. »949

La culture africaine, quant à elle, a connu des mutations profondes au cours de ses rencontres avec des peuples de civilisations différentes, et cette culture a également été niée par l'idéologie civilisatrice de l'Europe, comme le souligne Magloire Somé :

L'idéologie civilisatrice a même nié l'existence de cultures en Afrique et a établi une hiérarchie des valeurs dans laquelle celles de l'Afrique occupent le bas de l'échelle. Ces considérations négatives ont conduit au sortir de la seconde guerre mondiale à une réaction des élites africaines, décidées à réhabiliter les cultures et la personnalité négro-africaines.950

946 Bénézet BUJO, op. cit., p. 40

947 Idem.

948 Jacques CHEVRIER, Littérature Nègre, Paris, Armand-Colin/ Nouvelles Éditions Africaines, 1984, p. 144

949 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 45

950 Magloire SOMÉ, « Les cultures africaines à l'épreuve de la colonisation », Africa Zamani, n°9810, 20012002, p. 42

264

Conscient de ce fait, Léopold Sédar Senghor estime, pour faire progresser l'Afrique, qu'il faut tenir compte de sa culture. Puisque l'avenir des cultures est le socle de sa conception de la Francophonie, il a, ainsi, décidé de faire l'éloge des cultures africaines. Qu'implique l'éloge de la culture africaine dans la poésie senghorienne ? La réponse à cette question permet de voir dans quelle mesure les cultures africaines ont influé sur la conception senghorienne de la Francophonie. Nous cherchons aussi à découvrir et à définir les valeurs culturelles de l'Afrique. Mieux, nous essayons de répondre à la question de savoir comme l'Afrique compte participer à l'édification de la Civilisation de l'Universel.

La culture a été définie longtemps, par Senghor, comme la civilisation en action ou l'esprit de la civilisation. Avec le temps, il la redéfinit. Désormais, la culture, chez lui, n'est pas ce dynamisme de la civilisation, mais plutôt l'ensemble des valeurs de création d'une civilisation :

Mais qu'est-ce que la culture ? J'avais pris l'habitude, quand j'enseignais, de la définir comme « l'esprit d'une civilisation ». C'était là une définition trop intellectualiste. À l'expérience et dans le contexte actuel du dialogue des civilisations, je dirai que la culture est l'ensemble des valeurs de création d'une civilisation.951

Nous comprenons que la culture, comme l'appréhende Senghor, est l'ensemble de tout ce qui oriente les actions de l'homme, et contribue à la réalisation de celui-ci, dans une société, tout en lui donnant les moyens de juger son acte, et de se construire une éthique afin de modifier sa condition de vie. La culture est, aussi, selon Georges Balandier,

La somme des expériences d'une communauté humaine dans l'ordre intellectuel, technique, moral et spirituel enregistrée sous la forme d'un dépôt mental devenu comportement. C'est un ensemble de conduites concrètes à la fois théoriques et pratiques par quoi un certain nombre d'hommes se ressemblent entre eux parce qu'ils ont part au même héritage social952.

De ce fait, et à propos de la culture africaine, Senghor dit qu'« il s'agit de transformer la vie humaine en transformant, à la fois, l'homme et le monde dans lequel il vit en interdépendance »953. Nous retenons, dès lors, que la culture africaine est l'ensemble des valeurs morales, religieuses et techniques, qui participent de l'éducation de l'Africain afin qu'il se sente plus humain. La culture africaine, certes, n'est pas la meilleure, mais elle est un modèle

951 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture africaine », Revue des Sciences Morales et Politiques, 26 septembre 1983, p. 1

952 Georges BALANDIER et Jacques MAQUET, Dictionnaire des civilisations, Paris, 1968, p. 133

953 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture africaine », op. cit., p. 3

265

à valoriser, car elle est un humanisme, un humanisme nécessaire à l'humanisme occidental. N'est-ce pas ce qui pousse Senghor à faire l'éloge de cette culture ?

Parler de la culture africaine dans la poésie senghorienne revient à appréhender les caractérisations de cette culture, c'est-à-dire ce qui caractérise la culture africaine. Sans nous déroger à la logique des poèmes senghoriens, nous allons procéder à l'identification des caractéristiques de cette culture avant de voir dans quelle mesure la culture africaine occupe une place importante dans la conception senghorienne de la Francophonie. Ce qui fait la culture africaine est, d'abord, le rapport de l'homme avec Dieu, les ancêtres et la nature. À cet effet, nous superposons six poèmes, à savoir « Lettre à un poète », « Nuit de Sine », « Prière aux masques », « Que m'accompagnent Koras et Balafong », « Le retour de l'enfant prodigue » (Chants d'ombre) et « Élégie des alizés » (Élégies majeures) :

(Lettre à un poète)

Aurais-tu oublié ta noblesse, qui est de chanter

Les ancêtres les Princes et les Dieux, qui ne sont fleurs

ni gouttes de rosées ?

Tu devais offrir aux Esprits les fruits blancs de ton jardin

[...1

Tu chantais les Ancêtres et les princesses légitimes. (Po : 10)

(Nuit de Sine)

Femme, allume la lampe au beurre claire, que causent autour

les Ancêtres comme les parents, les enfants au lit. Écoutons la voix des Anciens d'Elissa. Comme nous exilés Ils n'ont pas voulu mourir, que se perdît par les sables

leur torrent séminal.

Que j'écoute, dans la case enfumée que visite un reflet d'âmes propices

Ma tête sur ton sein chaud comme un dang au sortir du feu et fumant

Que je respire l'odeur de nos Morts, que je recueille et redise leur voix vivante, que j'apprenne à

Vivre avant de descendre, au-delà du plongeur, dans les hautes profondeurs du sommeil. (Po :12-13)

(Prière aux masques)

Et pas toi le dernier, Ancêtre à tête de lion.

Vous gardez ce lieu forclos à tout rire de femme, à tout sourire qui se fane

Vous distillez cet air d'éternité où je respire l'air de mes Pères. (Po : 21)

(Que m'accompagnent Koras et Balafong)

Je me refugiais vers toi, Fontaine-des-Éléphants à la bonne eau balbutiante

Vers vous, mes Anciens, aux yeux grave qui approfon-disent toutes choses.

[...1

En sautant comme le Psalmiste devant l'Arche de Dieu, comme l'Ancêtre à la tête bien jointe. (Po : 27)

266

(Le retour de l'enfant prodigue)

À vos pieds, Ancêtres présents, qui dominez fiers la grand-salle de tous vos masques qui défient le Temps. [...1

Paix paix paix, mes Pères, sur le front de l'Enfant prodigue [...1

Éléphant de Mbissel, par tes oreilles absentes aux yeux, entendent mes Ancêtres ma prière pieuse. (Po : 46-47)

(Élégie des alizés)

Et l'esprit est descendu parmi nous dans la pourpre des

flamboyants

Gratuitement, Seigneur, tu es descendu en nous ah ! nous

habitant, toi qui es plus-que-vie

Toi, l'extérieur qui es le rouge des corps des coeurs.

Je te salue, Esprit, qui t'incarnes dans les coeurs dans les

corps.

[...1

Ma gloire bien plus gloire aux splendeurs de l'Esprit dans

son exaltation

[...1 (O. Po : 270)

La superposition de ces six poèmes met en évidence les réseaux associatifs suivants :

- La cosmologie (la présence des Ancêtres) : les Ancêtres, les princes, les Dieux, aux Esprits, les Ancêtres et les princes légitimes, causent les Ancêtres, la voix des Anciens d'Elissa, un reflet d'âmes propices, l'odeur de nos Morts, leur voix vivante, l'Ancêtre à la tête de lion, l'air de mes Pères, mes Anciens aux yeux graves, l'Arche de Dieu, l'Ancêtre à la tête bien jointe, à vos pieds Ancêtre présents, vos masques, Mes Pères, l'esprit, Seigneur, Esprit, l'Esprit.

- L'honorabilité (la considération des Ancêtres) : ta noblesse, chanter les Ancêtres les princes et les Dieux, offrir aux Esprits les fruits blancs de ton jardin, tu chantais les Anciens et les princes légitimes, écoutons la voix des Anciens d'Elissa, dans la case enfumée que visite un reflet d'âmes propices, que je respire l'odeur de nos Morts, que je recueille et redise leur voix vivante, je respire l'air de mes Pères, entendent mes ancêtres ma prière pieuse, aux splendeurs de l'Esprit dans son exaltation.

- La protection (des Ancêtres) : vous gardez ce lieu forclos à tout rire de femme à tout sourire qui se fane, vous distillez cet air d'éternité, je me refugiais vers toi, qui dominez fiers le grand-salle de vos masques qui défient le Temps, toi qui es plus-que vie.

- L'incarnation (des ancêtres) : les Ancêtres comme les parents, Ancêtre à tête de lion, qui approfondissent toutes choses, comme l'Ancêtre à la tête bien jointe, vos masques, l'esprit est descendu parmi nous, tu es descendu en nous, qui t'incarnes dans les coeurs dans les corps.

Ces réseaux associatifs révèlent que Senghor s'inscrit dans la pure tradition africaine

qui stipule que les ancêtres continuent toujours d'entretenir un commerce avec les vivants, avec leurs parents ; qu'ils (les ancêtres) continuent de protéger les autres membres de la famille et parfois de les punir, s'il arrivait qu'un membre de la famille faillit à ses obligations envers l'ancêtre en question. Les Ancêtres, en Afrique, sont ceux dont la vie fut conforme aux règles

267

du peuple auquel on appartient, et la relation avec eux est comme un prolongement de la famille dans le monde invisible. En plus, ils sont considérés comme des intermédiaires entre Dieu et les vivants. Pour le Négro-africain, les Ancêtres sont des divinités à qui l'on doit vouer un culte, les honorer afin d'avoir leur protection et leur bénédiction. C'est pourquoi, à tous les événements importants, à tous les moments capitaux de la vie, à tous les actes de la vie quotidienne, l'Africain a une tendance à se relier à ses ancêtres par invocation ou évocation. Car, en Afrique, les Ancêtres ne sont jamais partis, pour parler comme Birago Diop954, ou comme Senghor, ils n'ont pas voulu mourir.955 Ils sont dans les éléments de la vie quotidienne de l'homme et vivent en parfaite harmonie, une sorte de symbiose avec les éléments du cosmos qui l'environnent. Le Négro-africain s'identifie en tout-être, et croit à la réincarnation. Dans cette conception rationnelle avec les Ancêtres, l'Homme en est l'élément primordial.

La culture africaine se conçoit comme un monde clos de Vivants et de Morts, de Vivants et d'Ancêtres, d'Ancêtres et de Dieu, dans lequel le Négro-africain s'identifie dans toute chose en considérant l'Homme comme un être sacré ou la vie, quelque chose de sacrée à protéger, à respecter, à aimer et à entretenir. Ainsi, pour le Négro-africain, l'Homme n'appartient pas seulement à sa famille biologique, mais à tout le monde. Ahmadou Kourouma s'inscrit dans cette logique, lorsqu'il dit

On n'appartient jamais dans la vie à une ethnie, à une race ou à une communauté

par la naissance ou par le sang. On en devient par la culture et le respect de certaines traditions.956

Le Négro-africain existe, parce qu'il est en tout ; se conçoit tel, parce qu'il appartient à une culture qui n'exclut personne, à une culture ouverte. La culture fait la personnalité individuelle et collective de l'Homme ; elle devient ainsi un facteur de l'identité de l'Homme. Il est l'homme de tous les jours, qui vit en parfaite harmonie, une sorte de symbiose, avec les éléments du cosmos qui l'environnent, car « il n'y avait pas de frontière entre les Morts et les Vivants, entre la réalité et la fiction, entre le présent, le passé et l'avenir. »957 Ce qui peut se résumer en quelques termes : « Je suis en tout, donc je suis moi-même. »958 La conception négro-africaine de la culture a trait à un humanisme et à un panthéisme, comme le souligne Cécile Dolisane-Ebosse :

954 Birago DIOP, Leurres et Lueurs, Paris, Présence Africaine, 1967, 88 p. (Nous faisons allusion à son poème Souffles, pp. 64-65).

955 Cf. « Nuit de Sine », Chants d'ombre, op. cit., p. 13

956 Ahmadou KOUROUMA, Yacouba chasseur africain, Paris, Gallimard, 1998, 112 p. (Un extrait)

957 Léopold Sédar SENGHOR, La poésie de l'action, Paris, Stock, coll. `' Les Grands leaders», 1980, pp. 37-38

958 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 102

268

Cette symbiose avec la nature environnante, cette parfaite harmonie avec les

forces cosmogonique accordent la valeur totalisante à cette vision du monde, laquelle valeur se révèle comme une sorte de panthéisme universel.959

Les Ancêtres, l'Homme et l'Univers sont inextricablement liés et symbiotiquement appréhendés. Dans cette parfaite symbiose, l'homme en est le centre. Cela justifie le caractère humaniste de la culture africaine. En effet, la culture africaine est

Un humanisme aux dimensions du cosmos : de l'espace et du temps, de l'espace-

temps. L'homme est le centre, le microcosme du macrocosme qu'est le cosmos, mieux, son agent actif.960

C'est-à-dire que l'Africain est enraciné dans son lignage, de l'Ancêtre à Dieu, et lié à la société des hommes ; il est le centre actif de l'univers.

La culture africaine est aussi communion entre le présent et le passé, entre les dimensions matérielles et spirituelles de l'existence de l'Africain. Selon Senghor, c'est

Ce qui explique son art de vivre dans une société où l'individu s'intègre dans la communauté, l'art dans la religion, la religion dans l'appréhension d'un Dieu saisi aux dimensions de l'univers, c'est-à-dire dans l'intégration de l'homme à Dieu. Et réciproquement, car, pour prendre ce dernier exemple, Dieu dépend aussi de nous, qui le faisons plus Dieu en l'humanisant. D'où une société où la vérité est dans le dialogue, la prospérité dans le travail communautaire, la beauté dans les formes accordées.961

Cette communion dont parle Senghor est si parfaite que les Africains « ne distinguent par leur gauche de leur droite, [qu'] ils ont neuf noms pour nommer le palmier mais le palmier n'est pas nommé »962. Nos différents réseaux montrent que Senghor est enraciné dans la culture africaine, car il cherche à s'unir avec ses Ancêtres.

Senghor, enraciné culturellement, sait qu'il faut invoquer d'abord les Ancêtres, les honorer ensuite, puis leur demander soit la protection soit la bénédiction, et enfin les remercier d'être présents parmi les vivants, sous diverses formes. Ses poèmes s'inscrivent dans cette logique. Dans ses textes poétiques, l'invocation des Ancêtres se fait par libation ou par sacrifice animalier : « Mânes ô Mânes de mes Pères »963, « J'offre un poulet sans tache [...] »964. Ces

959 Cecile DOLISANE-EBOSSE, « Unicité et Cosmopolitisme : Pour une approche socio-esthétique de `'migrance» dans la migration des coeurs de Maryse Condé et Sartorius d'Edouard Glissant », Éthiopiques, n° 78, 1e semestre 2007, disponible sur http://www.ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1541

960 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture africaine », op. cit., p. 3

961 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme de la francophonie », Liberté 3, op. cit., p. 280

962 Cf. « Épitres à la princesse », Éthiopiques, op. cit., p. 141

963 Cf. « Chant d'ombre », Chants d'ombre, op. cit., p. 39

964 Cf. « À l'appel de la race de Saba », Hosties noires, op. cit., p. 57

invocations impliquent aussi les honneurs envers les Ancêtres. Ce rituel s'explique du fait que l'Africain a une certaine conception de la relation entre les Ancêtres et les Vivants. Pour l'Africain, les Morts se réincarnent sous divers aspects et diverses formes. Les Ancêtres se manifestent à travers différents éléments de la nature, surtout à travers les masques, car ce ne sont pas de simples ornements. Les masques sont beaucoup représentatifs et significatifs dans l'existence du Négro-africain et dans sa conception de la culture :

Masques ! O Masques !

Masque noir masque rouge, vous masques blanc-et-noir Masque aux quatre points d'où souffle l'Esprit

Je vous salue dans le silence. (Po : 21)

En plus des masques, les Ancêtres peuvent s'incarner également dans l'un de leurs descendants, pour dire que l'individu, dans la conception traditionnelle africaine, est une réincarnation d'un de ses Ancêtres :

J'étais moi-même le grand-père de mon grand-père J'étais son âme et son ascendance, le chef de la maison d'Elissa du Gâbou. (Po : 30)

On comprend dans l'extrait ci-dessus que la poète se considère comme la réincarnation de l'Ancêtre de la maison d'Elissa du Gâbou. Parce que l'individu peut être la réincarnation d'un de ses Ancêtres, il est honoré, respecté et accepté. Il mérite la vie, et nul ne peut arracher cette vie, sauf l'Être Suprême. Chez le Négro-africain, la vie est sacrée et préservée, puisque la mort naturelle n'est que l'expression d'une vie nouvelle. Dans la perception négro-africaine, on est entièrement Homme dans la mesure où on protège et développe la vie. La vocation de l'humanité se trouve dans cette manière de voir la vie. C'est-à-dire que l'humanité a pour tâche de libérer la vie en nous et autour de nous, puisqu'on rencontre la vie dans l'autre. Le Négro-africain se réalise, parce qu'il accepte l'autre comme étant lui-même, comme une manifestation concrète d'un de ses Ancêtres. Il se confond en l'autre, et meurt ensemble pour renaitre ensemble :

Car comment vivre sinon dans l'Autre au fil de l'Autre comme l'arbre déraciné par la tornade et les rêves des îles flottantes ?

Et pourquoi vivre si l'on ne danse l'Autre ? (Po : 142)

269

Aux questions formulées dans ce passage ci-dessus, Senghor répond en disant :

270

Voilà donc le Négro-africain pour qui le monde est par l'acte réflexif sur soi. Il ne

se constate pas qu'il pense ; il sent qu'il sent, il sent son existence, il se sent. Parce qu'il se sent, il sent l'autre, il va vers l'autre pour con-naître à lui et au monde.965

La réalisation du Négro-africain dépend de l'autre, de son semblable, du regard que porte l'autre ; c'est pourquoi, Senghor soutient que « l'enfer c'est l'absence du regard »966 de l'autre. Mieux, le Négro-africain naît dans la main des autres, grandit avec eux et repart dans leurs mains.967 Senghor considère l'autre comme une manifestation de soi, un enrichissement de soi.968

Ce qui explique le choix et l'éloge de la culture africaine chez Senghor est le caractère humaniste de cette culture. C'est la raison pour laquelle, il décide d'intégrer cette culture dans le mouvement de la Civilisation de l'Universel. Il n'est pas, comme le pense Pougala Jean-Paul969, l'un des intellectuels africains qui ont mis tous leurs talents à aider à pérenniser la mise sous tutelle culturelle de la culture africaine. Au contraire, il est de ceux qui ont promu la culture africaine et montré qu'elle est un humanisme panthéiste considérant chaque individu comme une médiation de l'autre, voire des Ancêtres dans la vie quotidienne, car

Il s'agit [...] de faire communier l'homme avec des hommes, tous les hommes

avec toutes les forces de la nature, de renforcer les liens, qui, soutenant et sustentant l'homme, le font plus libre en lui permettant de se réaliser.970

L'Homme est au coeur de la culture africaine, il est même le coeur de cette culture. Or, cette culture est, essentiellement, alimentée par les manifestations d'art : musique, danse, chant, sculpture, peinture..., et elle permet, ainsi, à la personne de se réaliser par et dans la société en communiant avec les autres, pour s'intégrer, par-delà la société, dans l'univers.

En plus, lorsque le Négro-africain danse, chante, il s'exprime mieux et se réalise davantage. C'est ce qu'on peut comprendre des dires de Toader Saulea :

La vie de l'Africain est initiation à son passé vivant et essentialisation de cette vie

dans le présent par la parole, le geste, la danse, le chant, le poème. La saisie intellectuelle des symboles et la saisie intuitive du sens lui ouvrent l'accès individuel,

immédiat et total à la symbiose ontologique de l'homme et du Cosmos.971

965 Léopold Sédar SENGHOR, « L'esthétique négro-africaine », Liberté 1, op. cit., p. 216

966 Cf. « Élégie pour Georges Pompidou », Élégies majeures, op. cit., p. 318

967 Seydou BADIAN, Sous l'orage, suivi de la mort de Chaka, Paris, Présence Africaine, 1976

968 À ce propos Saint Exupéry dira « si tu diffères de moi loin de me léser, tu m'enrichis... »

969 Jean-Paul POUGALA, Pourquoi les Africains ont-ils honte du culte de leurs ancêtres ?, disponible sur http://poungala.org/pourquoi-les-africains-ont-ils-honte-du-culte-de-leurs-ancetres/

970 Léopold Sédar SENGHOR, « Socialisme et culture », Liberté 2, op. cit., p. 184

971 Toader SAULEA, « Pour une identité de rencontre : Senghor, l'Afro-Européen », Identité et multiculturalisme, Revue Roumaine d'Études Francophones, n° 1, 2009, p. 37

271

Or, la musique, la danse, le chant sont des vecteurs de l'émotion ; pour dire que l'émotion est l'une des caractéristiques de la culture africaine. L'extrait ci-dessous exemplifie nos propos :

La flûte du pâtre modulait la lenteur des troupeaux

Et quand sur son ombre elle se taisait, résonnait le tam-tam des tanns obsédés

Qui rythmait la théorie en fête des Morts.

Des tirailleurs jetaient leurs chéchias dans le cercle avec des cris aphones, et dansaient en flammes hautes mes soeurs

Téning-Ndyaré et Tyagoum-Ndyaré, plus claires maintenant Que le cuivre d'outre-mer. (Po : 27)

Dans l'extrait ci-dessus, nous voyons que les tirailleurs, sans êtes invités, se sont mis à danser et à crier ; tout simplement, parce qu'ils étaient émus et hypnotisés par la voix plus claires que le cuivre d'outre-mer des soeurs Téning-Ndyaré et Tyagoum-Ndyaré. Cet extrait illustre bien nos propos disant que l'émotion est une caractéristique de la culture africaine. Elle est également un humanisme.972

Pour saisir cette caractéristique de la culture africaine, nous devons revenir aux poèmes de Senghor. Avant de décrypter les poèmes, et sans nous hasarder sur les définitions de l'émotion, nous disons qu'elle est l'expression des sentiments et des sensations sur tous les plans. Le Négro-africain est d'un monde où l'émotion permet à l'individu d'être en fusion avec les êtres, les phénomènes et les choses pour en découvrir l'essence, c'est-à-dire sa personnalité ou sa réalisation en tant qu'être complet. Pour expliciter davantage ce qui vient d'être dit, onze poèmes vont servir de substrat à notre analyse. Ce sont « Lettre à un poète », « Nuit de Sine », « Joal », « Femme noire », « Prière aux masques », « Que m'accompagnent Koras et Balafong » (Chants d'ombre), « Le Kaya-Magan », « Chaka », « Épitres à la princesse » (Éthiopiques), « Chants pour signare » (Nocturnes) et « Le salut du jeune soleil » (Lettres d'hivernage).

(Lettre à un poète)

Les tamtams, dans les plaines noyées, rythment ton chant

et ton vers est la respiration de la nuit et de la mer lointaine.

Tu chantais les Ancêtres et les princes légitimes

Tu cueillais une étoile au firmament pour la rime

Rythmique à contretemps ; et les pauvres à tes pieds nus

jetaient les nattes de leur gain d'une année

Et les femmes à tes pieds nus leur coeur d'ambre et la danse

de leur âme arrachée. (Po : 10-11)

(Nuit de Sine)

972 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 99

272

À peine. Pas même la chanson de nourrice.

Qu'il nous berce, le silence rythmé

Écoutons son chant, écoutons battre notre sang sombre écoutons

Battre le pouls profond de l'Afrique dans la brune des villages perdus

Voici que décline la lune lasse vers son lit de mer étale Voici que s'assoupissent les éclats de rire, que les conteurs eux-mêmes

Dodelinent de la tête comme l'enfant sur le dos de sa mère Voici que les pieds des danseurs s'alourdissent, que s'alour-dit la langue des choeurs alternés. (Po : 12)

(Joal)

Je me rappelle les voix païennes rythmant le Tantum-Ego

Et les processions et les palmes et les arc de Triomphe.

Je me rappelle la danse des filles nubiles

Les choeurs de lutte - oh ! la danse finale des jeunes hommes,

buste

Penché élancé, et le pur cri d'amour des femmes - Kor Siga I (Po :14)

(Femme noire)

Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts

du vainqueur

Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée. (Po : 15)

(Prière aux masques)

Ils nous disent les hommes du coton du café de l'huile Ils nous disent les hommes de la mort.

Nous sommes les hommes de la danse, dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur. (Po : 22)

(Que m'accompagnent Koras et Balafong)

J'ai choisi le verset des fleuves, des vents et des forêts L'assonance des plaines et des rivières, choisi le rythme de sang de mon corps dépouillé

Choisi la trémulsion des balafongs et l'accord des cordes et des cuivres qui semble faux, choisi le

Swing le swing oui le swing ! (Po : 28)

(Le Kaya-Magan)

Car je suis les deux battants de la porte, rythme binaire de l'espace, et le troisième temps

Car je suis le mouvement du tam-tam, force de l'Afrique future. (Po : 103)

(Chaka)

LE CORYPHÉE

Tu es le danseur élancé qui crée le rythme du tam-tam, l'équi libré de ton buste et des bras. (Po : 128)

(Épitres à la princesse)

Et Lilanga ma soeur. Elle danse elle vit.

Car comment vivre sinon l'Autre au fil de l'Autre,

comme l'arbre déraciné par la tornade et les rêves des îles

flottantes ?

Et pourquoi vivre si l'on ne danse l'Autre ?

Lilanga, ses pieds sont deux reptiles, des mains qui massent

des pilons qui battent des mâles qui labourent.

273

Et de la terre sourd le rythme, sève et sueur, une onde odeur de sol mouillé

Qui trémule les jambes de statue, les cuisses ouvertes au secret

Déferle sur la croupe, creuse les reins tend ventre gorges et collines

Proues de tam-tams. Les tam-tams se réveillent, Princesse, les tam-tams nous réveillent. Les tam-tams nous ouvrent l'aorte.

Les tam-tams roulent, les tam-tams roulent, au gré du coeur. Mais les tam-tams galopent hô ! les tam-tams galopent. (Po : 142)

(Chants pour signare)

Ah ! le balafong de ses pieds et le gazouillis des oiseaux de lait !

Les cordes hautes des kôras, la musique subtiles de ses hanches !

C'est la mélodie du blanc Méhari, la démarche royale de l'Autruche. (Po : 175)

(Le salut du jeune soleil)

Je dis la danse des princesses du Mali. (Po : 248)

En parcourant ces onze extraits, l'on pourrait affirmer d'ores-et-déjà que la culture africaine est caractérisée par les chants, les danses, les tam-tams, les kôras et les balafongs. Cette caractéristique particulière de la culture africaine vient renforcer les propos de Senghor :

Regardez autour de vous, consultez votre propre expérience. Le Négro-africain ne

peut travailler avec entrain - je ne dis même pas fêter l'événement sans chant, danse ni tam-tam.973

Le chant, la danse, le tam-tam... la musique sont des vecteurs de l'émotion. Pour Senghor, « l'émotion se décline en intuition, sensibilité, subjectivité, imagination, indéterminisme, art, foi, etc. »974, mieux en raison intuitive. Elle est une connaissance relevant du simple sentiment, pour dire que le Négro-africain apprend mieux par la raison intuitive. Et, Senghor de le confirmer en ces termes :

L'Homme devant la Nature, c'est le sujet en face de l'objet. [...] C'est [...] dans

sa subjectivité que le Nègre, « poreux à tous les souffles du monde », découvre l'objet dans sa réalité : le rythme975.

973 Léopold Sédar SENGHOR, « Nation et voie africaine du socialisme », Liberté 2, op. cit., p. 191

974 Nsame MBONGO, « Émotion ou raison ? Une controverse philosophique majeure dans la pensée africaine contemporaine », Disponible sur

http://www.africavenir.org/fileadmin/_migrated/content_uploads/Mbongo_EmotionRaison_03.pdf

975 Léopold Sédar SENGHOR, « Négritude et humanisme », Liberté 1, op. cit., p. 141

274

Comme on l'appréhende et on le lit très aisément chez Léopold Sédar Senghor, il n'y a pas de différence entre l'émotion et le rythme. L'émotion est également le rythme.976 Il naît de l'émotion, et engendre à son tour l'émotion.977 Cela est, d'après Senghor,

La nature même de l'émotion, de la sensibilité nègre, [qui] explique l'attitude de celui-ci devant l'objet, perçu avec une telle violence essentielle. C'est un abandon qui devient besoin, attitude active de communion, voire d'identification, pour peu que soit forte l'action, j'allais dire la personnalité de l'objet. Attitude rythmique. Que l'on retienne le mot978.

Par le biais du rythme, à bien comprendre Senghor, le Négro-africain participe à la vie du monde, voire du cosmos, comme le dit René Gnaléga :

L'émotion est (...) une attitude généreuse où l'individu sait se donner entièrement. L'objet n'est pas perçu à la surface mais dans son essence, c'est-à-dire ce qui fait sa vie ; nous disons son rythme. [...] L'émotion est donc un humanisme nègre qui est fusion avec les êtres, les phénomènes et les choses pour en découvrir l'essence, c'est-à-dire le rythme.979

Daniel Garrot confirme les propos de René Gnaléga en disant que « f...] le rythme n'est pas le propre de l'homme, il s'étend au cosmos tout entier. C'est par le rythme que l'homme participe à la vie du cosmos f...] »980. C'est également par le rythme que la contribution du Nègre à la Civilisation de l'Universel - à la Francophonie - a été la plus importante, nous dit Senghor : « C'est dans le domaine du rythme que la contribution nègre a été la plus importante, la plus incontestée f...] le Nègre est un être rythmique »981. Comme nous l'avons exposé, l'émotion est présente dans les textes poétiques senghoriens. Que dit la superposition des onze extraits ?

Les associations correspondantes issues de la superposition seraient :

- Chant/danse : ton chant, tu chantais, tes pieds nus, son chant, battre, battre le pouls, la chanson des nourrices, berce, les pieds des danseurs, les choeurs, la danse des filles nubiles, buste penché élancé, grondes, ta voix de contralto, le chant spirituel, les hommes de la danse, les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur, le danseur élancé, ton buste et des bras, elle danse, si l'on ne danse l'Autre, ses pieds, des mains, battait, qui trémule les jambes de statue, les cuisses ouvertes, déferle sur la coupe, des

976 Il n'est pas question d'étudier l'apport du rythme dans la création senghorienne, mais montrer qu'il est un des éléments de la culture africaine participant ainsi à la conception de la Francophonie senghorienne. La question du rythme sera abordé de façon explicative dans le dernier chapitre de la troisième partie de notre travail.

977 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit. (« Nombril même du poème, le rythme, qui naît de l'émotion, engendre à son tour l'émotion. »), p. 162

978 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 24

979 René GNALÉGA, « Senghor, poète de l'émotion nègre », Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 97 et p. 99

980 Daniel GARROT, Léopld Sédar Senghor critique littéraire, op. cit., p. 134

981 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 37

275

pieds, le gazouillis des oiseaux, la musique, ses hanches, c'est la mélodie, la démarche, la danse des princesses du Mali.

- Instruments de musique : les tamtams, tamtam sculpté, tamtam tendu, la trémulsion des balafongs, l'accord des cordes et des cuivres, le mouvement du tam-tam, le rythme du tam-tam, proues de tam-tam, les tam-tams se réveillent, les tam-tams nous ouvrent l'aorte, les tam-tams roulent, les tam-tams galopent, le balafong, les cordes hautes des kôras.

- Rythme : contretemps, rythment, rythmique, le silence rythmé, le verset, l'assonance, le rythme, les deux battants, rythme binaire, le mouvement du tam-tam.

- Fusion fraternelle : les Ancêtres, les princes légitimes, les femmes à tes pieds, l'Afrique, des filles nubiles, des jeunes hommes, l'amour des femmes, Kor-Siga, les hommes, force de l'Afrique, vivre sinon dans l'Autre, au fil de l'Autre, danse l'Autre, Lilanga ma soeur, Princesse, nous réveillent, nous ouvrent, Princesse du Mali.

Ces réseaux associatifs viennent confirmer ce que nous avons déjà dit : l'émotion dans l'oeuvre

poétique senghorienne est caractérisée par le chant, la danse, les tam-tams en général, et le rythme en particulier, car « le Nègre [...] est d'un monde où la parole se fait spontanément rythme dès que l'homme est ému. »982

L'émotion telle que mise en évidence par les réseaux associatifs est musique dans la mesure où elle est accompagnée par des instruments de musique. Et, Senghor ne dit pas le contraire, il l'acquiesce :

Or toute parole sociale, toute parole solennelle est rythmée en Afrique Noire, et

toute parole rythmée devient musique, s'accompagne souvent d'instruments de musique983.

Au-delà du chant et de la danse, ce qui se lit est la symbiose symphonique qui existe entre le musicien et son public. Il y a une parfaite complicité entre eux à telle enseigne que le public reprend en unanimité les paroles du musicien. C'est cette complicité que l'émotion négro-africaine crée entre les forces de l'univers. Dans cette logique d'idée, René Gnaléga dit qu' « au-delà du chant et de la danse, l'émotion nègre permet une réelle fraternité entre tous les hommes »984, puis d'ajouter qu'elle « est fusion avec les êtres, les phénomènes et les choses »985. L'émotion nègre est une fusion fraternelle ; elle crée une communion entre tous les hommes. Senghor affirme, alors, qu'

982 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 218

983 Idem., p.239

984 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 101

985 René GNALÉGA, Idem. (loc. cit.), p. 99

276

Il s'agit de faire communier les hommes, tous les hommes, avec les forces vitales

des autres hommes et, à travers celles-ci, avec les forces cosmiques de l'univers, dont la réalité se manifeste aujourd'hui aux savants de l'Occident.986

L'émotion ou la raison intuitive est nécessaire au monde du moment que la raison technicienne, la raison rationnelle de l'Orient et de l'Occident transforment les hommes en objets, en marchandises, et anéantissent l'humanité.987 En fait, Senghor dénonce la raison rationnelle et technicienne qui amène l'humanité au suicide :

« Ce fut l'an de la Découverte. De leurs yeux ils crachèrent un feu jaune. Et les eaux des fleuves roulèrent de l'or et des sueurs. Les métropoles en furent gorgées. Les hommes nus furent réduit en esclavage, et les parents vendirent leurs enfants pour une pièce de guinée.

« Et ce fut l'an de la Raison. De leurs yeux ils crachèrent un feu rouge. Et la haine poussa au cou des hommes en ganglions noueux, et dans la boue du sang les soldats se baignèrent. On décora les bourreaux et savants ; ils avaient inventé de tuer deux fois l'homme.

« Ce sera l'an de la Technique. De leurs yeux ils cracheront un feu blanc. Les éléments se sépareront et s'agrégeront selon de mystérieuses attirances et répulsions. Le sang des animaux et la sève des plantes seront de petit lait. Les blancs seront jaunes, les jaunes seront blancs, tous seront stériles. (Po :140)

Le monde actuel a besoin de l'humanisme nègre, de la culture africaine, car elle participe à la vie. Elle est plus efficace pour combattre les crimes de la civilisation scientifique et technique. En effet, hier dominée mais non conquise, l'Afrique est déterminée à délivrer au monde son message particulier et à apporter à l'Europe le fruit de ses expériences, la totalité de ses ressources intellectuelles et les enseignements de sa culture propre, qui chez Senghor, se résume à l'émotion. Cette idée se dégage, aussi, des propos de René Gnaléga :

Face à un monde occidental qui fait entendre des slaves d'armes à feu, le poète dit que l'humanité nous offre d'autres valeurs comme l'émotion, c'est-à-dire cette sensibilité émotive, nous disons cet altruisme qui ne détruit pas mais apporte un supplément d'âme aux hommes.

Et le poète reconnaît que c'est le Nègre qui est le plus apte à faire partager cette émotion au monde. Mais derrière l'émotion, il faut comprendre la capacité de décrypter l'univers par l'intuition et de sublimer par le rythme nos miasmes morbides et délétères.988

986 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 2, op. cit., pp. 190-191

987 Idem., p. 196

988 René GNALÉGA, La cohérence de l'oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor, op. cit., p. 13

277

La civilisation universelle, c'est-à-dire la civilisation scientifique et technique, croit honorer l'homme en cherchant en lui la solution à tous les problèmes humains, alors qu'elle le dissèque et l'inventorie jusqu'aux plus profondes cachettes du subconscient.989 Cela sous-entend que l'émotion nègre est supérieure à la science, et complémentaire à la raison rationnelle. L'humanisme nègre peut redonner un visage humain à ce monde dans lequel la considération de l'homme pour l'homme disparaît au profit de la raison rationnelle et technicienne, de l'utilité des choses. Notre propos est renforcé par les dires de Papa Gueye N'Diaye :

Dans l'esprit du poète, cette civilisation française, européenne, risque d'être détruite par ses inventions scientifiques et techniques, et je l'invite à venir en Afrique, qui est le continent de la vie, car les vertus de la Négritude sont les plus efficaces pour combattre les maux de la civilisation scientifique et technique.990

Et Senghor d'ajouter que

C'est ainsi que les hommes de couleur, singulièrement les Nègres, ont pu [...] apporter leur contribution à l'humanisme français d'aujourd'hui, qui se fait véritablement universel parce que fécondé par les sucs de toutes les races de la terre.991

Lorsque Senghor dit que « L'émotion est nègre, comme la raison hellène »992, ce n'est pas pour insinuer que l'émotion est une caractéristique biologique inhérente du Nègre, mais, plutôt une caractéristique intrinsèque de la culture africaine. Senghor est conscient que tout homme est doué d'une raison intuitive et d'une raison rationnelle, cependant ce qui domine chez le Négro-africain est la raison intuitive :

Il reste que le Blanc européen est d'abord discursif ; le Négro-Africain, d'abord,

intuitif. Il reste que tous les deux sont des hommes de raison, des Homines sapientes, mais pas de la même manière993.

Il répond à ses adversaires l'accusant de dénier la raison rationnelle aux Négro-africains en ces termes :

Les adversaires de la négritude [...] me reprochent d'avoir écrit, disent-ils,

« L'émotion est nègre comme la raison hellène ». Et d'en conclure que je dénie toute puissance de raisonnement, toute raison aux Nègres. Mais comment savoir ce que j'ai

989 Jean-Luc CHALUMEAU, Introduction aux idées contemporaines, Paris, Fermand Nathan, 1969, p. 8

990 Papa Gueye N'DIAYE, Éthiopiques, Poème de Léopold Sédar Senghor : édition critique et commentée, NEA, Dakar-Abidjan, p. 97

991 Léopold Sédar SENGHOR, Introduction à Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, op. cit., p. 1

992 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op.cit., p. 24

993 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, Paris, Seuil, 1977, p. 92

278

voulu dire en isolant une phrase de son contexte ? Car c'est l'évidence qu'ici, « l'émotion » signifie « raison intuitive », comme le mot soul chez les Négro-Américain, et « raison » la raison européenne « discursive ». Que celle-ci ne soit pas supérieure à celle-là, je n'en veux pour preuve que le triomphe de la nouvelle épistémologie994.

René Gnaléga corrobore ce propos, en disant que

Certains universitaires africains ne retiennent de Senghor que ces mots :

« L'émotion est nègre, comme la raison hellène. »

Bien qu'il ait essayé d'expliquer les fondements de cette affirmation, la négritude senghorienne souffre encore de préjugés défavorables de la part de nombreux intellectuels du continent noir. Peut-être, faudrait-il, à l'avenir, situer davantage cette phrase dans son contexte pour mieux comprendre le poète ?

En tout cas, notre objectif n'est pas ici d'entrer dans ce débat. Nous constatons seulement que bien des critiques s'en sont tellement pris à l'homme et à ses idées qu'ils ont jeté par-dessus bord sa production poétique, voyant en elle la manifestation ou la concrétisation d'une certaine servitude. Or cette oeuvre est, pensons-nous, l'une des plus représentatives de la littérature africaine d'expression française de ce siècle. Et elle ne peut être indéfiniment frappée d'ostracisme.995

En lisant posément Senghor, nous comprenons que « la raison intuitive et la raison discursive sont toutes deux de l'ordre du rationnel »996. En effet,

Nous savons, aujourd'hui, qu'il n'y a pas de catégories antinomiques, que la connaissance intuitive est complémentaire de la connaissance rationnelle, même dans les sciences, qu'imagination et raison font bon ménage, que le rêve est partie du réel, qu'en tout cas il est la condition majeure de la transformation du réel.997

Cependant, il veut ériger l'émotion en mode de connaissance participant pleinement de la rationalité, voire d'une rationalité plus complète et plus pénétrante que celle de la raison analytique, discursive, qui décompose, divise et chosifie l'humanité. L'émotion doit être la panacée de l'humanité, et nécessaire à la réinvention d'un humanisme moderne, « c'est-à-dire qu'il s'agit de sauver, avec l'homme concret, le monde concret toujours exposé à la folie des dictateurs et des bombes atomiques. »998 Cette particularité de la culture africaine amène Senghor a intégré cette culture dans une institution internationale : la Francophonie, comme l'illustre l'extrait ci-dessous :

J'ai promu l'énigme au rang d'une institution, et seule la haute kôra fut à la hauteur de notre dessein. (O. Po : 266)

994 Idem., p. 283

995 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation de l'universel, op. cit., p. 13

996 Nsame MBONGO, op. cit.

997 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 2, op. cit., p. 188

998 Idem., p.29

279

C'est à juste titre qu'il dit qu'

Il s'agit, dans la nouvelle entreprise de la francophonie, d'allier le goût à la force,

la sensibilité à l'émotion, l'intelligence à l'intuition. Pour être, encore une fois, un homme ultra-humain parce qu'intégralement humain.999

Senghor est également conscient que si l'on veut que la culture africaine joue son rôle de transformer l'humanité ou de rendre l'humanité plus humaine, il faut que les Négro-africains connaissent davantage leur culture. C'est la raison pour laquelle, il préconise un retour aux sources culturelles. Qu'implique ce retour aux sources culturelles chez Senghor ? Comment l'appréhende-t-on dans ses oeuvres poétiques ?

Le retour aux sources n'est pas se renier, mais se retrouver et s'affirmer ; autrement dit, il est un enracinement dans sa culture afin de demeurer soi. Le Négro-africain n'a pas vocation de devenir de pure copie de l'homme européen1000, mais il doit affirmer sa culture et s'affirmer en tant que tel ; car sa culture est ce qui lui permettra de s'ouvrir à l'extérieur. L'enracinement dont il est question est de revenir à ses sources pour appréhender un pan de l'histoire de son peuple ou de sa race :

Donne-moi la volonté de Soni Ali, le fils de la bave du

Lion - c'est un raz de marée à la conquête d'un continent. Souffle sur moi la sagesse des Keïta.

Donne-moi le courage du Guelwâr et ceins mes reins de Force comme d'un tyédo.

Donne-moi de mourir pour la querelle de mon peuple, et

S'il le faut dans l'odeur de la poudre et du canon. Conserve et enracine dans mon coeur libéré l'amour premier

de ce peuple. (Po : 49)

On voit dans l'extrait ci-dessus que Senghor a la volonté de connaître l'histoire de son peuple, pour cela, il faut qu'il revienne au pays pour apprendre et s'imprégner de la culture ancestrale :

Pèlerinage par les routes migratrices, voyage aux sources ancestrales. (Po : 190)

À cet effet, nous analysons deux textes d'Éthiopiques, à savoir « D'autres chants » et « Comme les lamantins vont boire à la source » :

999 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme de la francophonie », op. cit., p. 284 1000 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 2, op. cit., p. 53

280

(D'autres chants...)

Or je revenais de Fa'oye, m'étant abreuvé à la tombe solen-

nelle

Comme les lamantins s'abreuvent à la fontaine de Simal

Or je revenais de Fa'oye, et l'horreur était au zénith

Et c'était où l'on voit les Esprits, quand la lumière

est transparente

Et il fallait s'écarter des sentiers, pour éviter leur main

fraternelle et mortelle. (Po : 146-147)

(Comme les lamantins vont boire à la source)

En vérité, nous sommes des lamantins, qui selon le mythe africain, vont boire à la source, comme jadis, lorsqu'ils étaient quadrupèdes - ou hommes. [...] Si l'on veut nous trouver des maîtres, il serait plus sage de chercher du côté de l'Afrique. Comme les lamantins vont boire à la source de Simal. (Po : 153-156)

Les deux textes sont peut-être une réécriture, car ils développent le même thème : celui de « boire à la source de Simal ». Ce n'est point un hasard, et cela nécessite une interprétation. Nous voyons s'accuser les réseaux suivants :

- Retour à la source : je revenais de Fa'oye, vont boire à la source, à la tombe solennelle, à la fontaine de Simal, à la source de Simal, comme les lamantins, nous sommes des lamantins.

- Enracinement : m'étant abreuvé à la tombe solennelle, comme les lamantins s'abreuvent à la fontaine de Simal, comme les lamantins vont boire à la source de Simal, les Esprits, des maîtres, chercher du côté de l'Afrique.

Ces différents réseaux montrent qu'il s'agit bel et bien d'une connaissance de soi. Il faut faire

un retour sur soi pour mieux se connaître, c'est-à-dire s'enraciner. Senghor, « comme les lamantins », fait ce retour en Afrique pour s'abreuver et s'imprégner de la culture africaine, pour être oint des huiles viriles par les ancêtres, les Esprits, et être durement initié par des maîtres. Ce retour en Afrique pour apprendre auprès des ancêtres est une sorte d'enracinement.

Pour parler de soi ou de sa culture aux autres, il faut se découvrir, se connaître et connaître davantage sa culture ; s'enraciner et s'approprier les valeurs intrinsèques de sa culture. Senghor fait ce retour, et veut que tout homme le fasse aussi, car le problème majeur aujourd'hui est pour chaque individu de s'enraciner au plus profond de sa culture pour s'ouvrir aux autres. L'enracinement est nécessaire pour le Négro-africain dont la culture a connu de profondes mutations durant ses différentes rencontres avec des peuples de cultures différentes. Senghor, cependant, ne rejette pas les valeurs des autres cultures qui ont intégré la culture africaine faisant d'elle une culture métisse, mais propose de faire un tri pour ne garder que les éléments culturels qui peuvent faire progresser l'Afrique vers la Civilisation de l'Universel, ce nouvel humanisme. La vraie culture est celle qui s'enracine. Et Senghor de confirmer nos propos :

281

Au demeurant, la vraie culture est toujours déracinement, assimilation active des

valeurs étrangères. Mais elle est, d'abord, enracinement dans le sol natal, culture des valeurs autochtones1001.

L'enracinement est un thème développé par Senghor avec la Négritude. Cependant, il décide de faire de ce thème l'élément clé de la Francophonie, car nul ne peut prétendre parler de sa culture sans la connaître davantage. Il faut connaître sa culture et la présenter aux autres, faire son éloge. Pour cela, le retour aux sources comme des lamantins est impératif pour tout un chacun, plus précisément pour le Négro-africain. Celui-ci doit continuellement s'abreuver à ses sources culturelles, auprès des Anciens, les détenteurs de la connaissance et de la sagesse africaines, pour aspirer à l'humanité1002, et préserver ainsi son identité culturelle sans que cela nuise aux échanges avec d'autres cultures.1003 Cela sous-entend que l'enracinement culturel que veut Léopold Sédar Senghor doit correspondre à l'ouverture culturelle. Cette ouverture culturelle doit permettre à l'homme d'accepter les valeurs culturelles qui lui rappellent à chaque instant de son existence qu'il est homme.

L'ouverture devra élever l'homme, le pousser à agir plus efficacement et lui permettre de contribuer à modeler le monde au lieu de le subir. Par l'enracinement, l'individu devient responsable de sa propre histoire et participe même à l'Histoire collective par l'ouverture culturelle qu'il fera. Ce qui aboutira à la Civilisation de l'Universel. La Civilisation de l'Universel serait un moyen censé ouvrir sur soi, sur les profondeurs de son identité, à travers le rapport à l'autre, refaire l'unité entre enracinement et déracinement par un véritable retour aux valeurs de nos traditions que la Francophonie pourrait bien faire passer aux générations suivantes et en égale mesure à d'autres espaces géoculturels. Ce qu'on retient est de s'enraciner pour pouvoir accéder à l'universel.

La domination coloniale en Afrique Noire a détruit, désintégré les cultures africaines, mais avec la Francophonie, Léopold Sédar Senghor estime que l'on peut réhabiliter ces cultures en les intégrant dans la Civilisation de l'Universel, car elles ont du potentiel à offrir au monde

1001 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 2, op. cit., pp. 195-196

1002 À ce propos Amadou Hampâté BÂ a dit qu' « en Afrique quand un vieillard meurt, c'est toute une bibliothèque qui brûle. », un extrait de son discours, prononcé en 1960 à l'UNESCO

1003 Sylvie COLY, « Littérature, vers une Civilisation de l'Universel », Éthiopiques, numéro spécial : Senghor, d'hier à demain, n°81, mai 2012 (Elle dit que « Senghor reconnaît le fait que l'identité culturelle africaine peut et doit être préservée sans que cela nuise aux échanges avec les autres cultures, car c'est dans ces relations que le monde s'enrichit. »)

282

de la raison discursive. C'est pourquoi, il se donne pour tâche de présenter les caractéristiques de la culture africaine.

Cette culture se préoccupe de la personne humaine en tant que multiplicité intérieure (âme, corps, pensée, esprit), inachevée, appelée à s'ordonner et à s'unifier au sein des unités plus vaste que sont la communauté humaine et l'ensemble du cosmos.1004 Mieux, la culture africaine honore et respecte l'homme considéré comme synthèse de l'univers et carrefour des forces de vie, réceptacle de tous les éléments qui l'environnent, et communion d'âmes. Autrement dit, la culture africaine cherche à restaurer l'homme, car il est la clef de cette culture.1005 En tant que tel, l'homme est appelé à devenir le point d'équilibre où pourront se conjoindre, à travers lui, les diverses dimensions dont il est porteur ; mieux à être le carrefour des cultures. La particularité de la culture africaine est son humanisme.

Cet humanisme s'appréhende également par l'émotion, qui, pour Senghor, est une raison intuitive. Cette raison intuitive permet au Négro-africain d'être uni aux êtres, aux phénomènes et aux choses de son environnement et du cosmos, c'est-à-dire faire corps avec ces éléments, « ainsi toute la nature [sera] animée d'une présence humaine »1006. À travers ces éléments, le Négro-africain a une conception de l'univers, de l'homme, mieux de lui-même. En fusionnant ces éléments, il découvre l'essence même de ce qu'il est. La raison intuitive permet au Négro-africain de se réaliser en tant qu'homme et de participer à l'édification de l'autre et de soi. Elle consiste à sauver le monde et à restituer l'homme à son humanité totale. Elle est au coeur de la renaissance du monde. Dans ce sens, « l'émotion n'est en définitive qu'une façon de participer au dialogue des cultures et à la Civilisation de l'Universel. »1007 Cette participation nécessite une redécouverte de la culture africaine, et une connaissance de sa propre culture. Senghor préconise, alors, le retour aux sources, l'enracinement en sa propre culture. Et Sylvie Coly de le confirmer en disant « Sans l'enracinement dans ses valeurs de culture, l'Afrique ne pourra pas construire un développement socio-économique viable. Elle sera de même incapable d'apporter une contribution valable à l'édification de la Civilisation de l'Universel, ce qui ferait d'elle un réceptacle d'idées et de valeurs, le problème de l'aliénation risque, de ce fait, de se poser de nouveau. »1008 Cependant, Amilcar Cabral pense que « le `'retour aux sources» n'est donc pas une démarche volontaire, mais la seule réponse viable à la

1004 Amadou Hampâté BÂ, Aspect de la Civilisation africaine, Paris, Présence Africaine, 1972, p. 17

1005 Antoine de SAINT-EXUPÉRY, « Il faut restaurer l'homme », Civilisation contemporaine, Paris, Hatier,

1976, p. 265 ; Textes choisis, classés et présentés par M. A. Baudouy et R. Moussay. (Antoine de Saint-Exupéry,

Pilote de guerre, Paris, Gallimard, 1943)

1006 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p.24

1007 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 104

1008 Sylvie COLY, op. cit.

283

contradiction irréductible qui oppose la société colonisée à la puissance coloniale, les masses populaires exploitées à la classe étrangère exploitante. »1009

Tout peuple qui ne fait rien pour la survie de sa culture entretient les germes de sa propre destruction. Le temps de la promotion de la culture africaine a sonné. Si les Africains veulent que leur continent soit culturellement émancipé et respecté des autres peuples, ils doivent prendre leur destin en main, c'est-à-dire leur culture. Pour cela, ils ont « un devoir urgent de revenir en [eux], de prendre conscience de [leur] situation pour s'élever aux valeurs universelles les plus humanistes de [leur] culture et en puiser la source de [leur] être. »1010 Cela porte à croire que ceux dont la voix a une résonnance significative doivent cesser d'être complices de l'aliénation culturelle de leurs peuples. Senghor a fait sa part en invitant les Négro-africains à l'enracinement en leur culture afin qu'au rendez-vous du donner et du recevoir ils ne viennent pas les mains vides pour recevoir uniquement des autres, mais qu'ils aient de quoi donner. Pour Senghor, il s'agit de montrer que l'homme est un, que l'humanité ne doit pas être l'apanage de l'Occident, mais de tous les hommes, parce qu'ils ont des droits égaux et sont faits pour s'entendre1011 et s'entraider.

L'essence de la culture africaine est son humanisme panthéiste, (l'homme est au coeur de la nature, du cosmos et participe de la nature et du cosmos, et tous forment un). L'humanisme africain implique un moi qui est obligatoirement sujet à un besoin permanent de se rapporter à l'autre, de se faire connaître à l'autre et d'accepter l'idée généreuse de l'échange comme manière de vivre et de s'enrichir spirituellement.

Senghor a la ferme conviction que cette culture peut également façonner l'homme et participer à l'établissement du nouvel humanisme. Cela est possible si nous accordons une importance à l'ouverture culturelle. Celle-ci est au centre également de sa poésie, et a été le fer de lance dans la promotion de la Francophonie. L'enracinement ne saurait correspondre, pour Léopold Sédar Senghor, au repli sur soi ; il se conjugue, à contrario, avec l'ouverture, comme le stipule Sylvie Coly : « L'enracinement rend aussi possible l'affirmation de l'identité tout en préparant l'Africain à une meilleure ouverture au monde. Il doit être fier de ce qu'il est avant de s'ouvrir aux autres. »1012Qu'en est-il de l'ouverture culturelle dans la poésie senghorienne ? Comment ses textes poétiques expriment-ils l'ouverture culturelle ? Quel rapport existe-t-il

1009 Amilcar CABRAL, « La culture et le combat pour l'indépendance », Civilisation contemporaine, op. cit., p.

263 (Amilcar Cabral, Courrier de l'UNESCO, novembre 1975).

1010 Deli ZRA, op. cit

1011 Samba DIAKITÉ, Philosophie et contestation en Afrique, Bouaké, IRDA, 2014, p. 289

1012 Sylvie COLY, op. cit.

284

entre l'ouverture culturelle et la Francophonie ? Nous répondons à ces questions au point suivant.

285

2. L'OUVERTURE CULTURELLE

« Il n'existe pas de culture ni de civilisation universelle en soi »1013, car toute culture ou civilisation est l'aboutissement de cultures multiples, parfois contradictoires.1014 En plus, aucune culture ne se développe et ne s'épanouit de manière autarcique, car elle risquerait de disparaître. Autrement dit, toute culture est métissée, partage avec les cultures voisines des caractéristiques communes (la langue, la religion, des modes de vie, une partie de son histoire)1015. Également, l'affirmation de sa culture n'est pas un but en soi, mais un moyen de s'ouvrir à l'autre. Pour cette raison, Léopold Sédar Senghor propose l'ouverture culturelle comme la seconde étape pour aboutir à la Civilisation de l'Universel, estime Sylvie Coly :

L'ouverture est, dans la perspective senghorienne, l'étape seconde qui doit mener

à la Civilisation de l'Universel qui serait le résultat de la symbiose entre les races et cultures de la fécondation mutuelle qui enrichit l'humanité1016.

L'ouverture culturelle est le fait d'établir la communication avec d'autres cultures, d'aller vers les autres cultures pour y puiser la sève fécondante, comme le dirait Senghor, utile à la construction d'un nouvel humanisme, d'une Civilisation de l'Universel. Cette ouverture culturelle s'apparente au dialogue des cultures. Dans cette optique, la Francophonie est un humanisme qui puise sa sève nourricière culturelle à tous les coins du monde1017, et un instrument de dialogue mutuel entre les peuples et cultures. On peut appréhender, ici, la culture comme étant l'ensemble des solutions qu'une communauté humaine hérite, adopte et invente pour trouver des solutions aux crises de son époque ; c'est pourquoi, Senghor asserte que la Francophonie est une façon rationnelle de poser les problèmes et d'en rechercher les solutions par référence à l'homme.1018 Ce qui laisse entrevoir que le projet senghorien de la Francophonie est de refaire, pour ainsi dire, l'humanisme contre une conception abstraite de l'homme.1019

1013 Pathé DIAGNE, « Renaissance et problèmes culturels en Afrique », Introduction à la culture africaine, op.

cit., p. 285

1014 Olga BALOGUN, « Formes et Expressions dans les arts africains », idem., p. 54

1015 Jean-François DORTIER, Identité. Des conflits identitaires à la recherche de soi, Disponible sur

https://www.scienceshumaines.com/identite-des-conflits-identitaires-a-la-recherche-de-soi_fr_12390.html

1016 Sylive COLY, op. cit. (voir p. 283)

1017 Ibrahim DIOP, Senghor entre Francophonie et dialogue interculturel, op. cit., p. 12

1018 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., p. 136

1019 Nadia Yala KISUDIKI, « L'influence vivante du personnalisme de Mounier sur la philosophie esthétique et

la poésie de Léopold Sédar Senghor », disponible sur http://contextes.revues.org/5592

286

Cette volonté de redéfinition de l'humanisme amène Senghor à l'option de l'ouverture culturelle : « Son idéal humaniste, son amour du prochain et sa conception universaliste l'ont poussé, sans doute, à s'ouvrir aux autres peuples et cultures. »1020En fait, Senghor prône l'ouverture en vue d'un dialogue fécond des civilisations, pour dire la Civilisation de l'Universel, qu'il appelle de tous ses voeux. Cette civilisation doit émerger du dialogue des cultures : « La voie est donc ouverte au dialogue pour construire ce que Teilhard de Chardin annonçait : cette Civilisation de l'Universel qui serait celle du 21e siècle. »1021 Parce que les cultures peuvent dialoguer1022, Senghor invite les cultures à s'ouvrir les unes aux autres pour un enrichissement mutuel. Il s'agit, pour les cultures, de donner et de recevoir. Ceci est l'ouverture culturelle. Elle est au centre de la poésie senghorienne, voire l'essence de cette poésie. La Francophonie est l'expression du modèle d'ouverture culturelle que l'Afrique veut tisser avec les autres cultures, puisqu'il s'agit de dialogue des cultures avec le concept de Francophonie. Et, Senghor a passé toute sa vie à prôner ce dialogue culturel. Sa production littéraire en témoigne. Sa Négritude l'a illustré. Sa Francophonie le confirme. La poésie senghorienne n'envisage pas un repli sur soi culturellement mais, plutôt une ouverture culturelle. Elle est l'absolue recherchée dans son oeuvre poétique, dans sa vie de l'homme ordinaire et de l'homme politique.

Senghor se présente comme un extraverti, une personne tournée vers le monde extérieur, ouverte à toutes les cultures :

Mon âme aspire à la conquête du monde innombrable et déploie ses ailes, noir et rouge

Noir et rouge, couleurs de vos étendards !

Ma tâche est de reconquérir le lointain des terres qui bornaient l'Empire du Sang

Où jamais la nuit ne recouvrait la vie de ses cendres, de son chant de silence

Ma tâche, de reconquérir les perles extrêmes de votre sang jusqu'au fond des océans glacés

Et des âmes. Entendez le chant de son âme sous son toit de paupières sarrasines. (Po : 43)

Ou encore,

Je vivrai ouvert à la mer, mère nourricière de l'esprit.

[...]

L'esprit ouvert comme une voile, mobile comme une palme. (O. Po : 271-272)

1020 Ibrahim DIOP, op. cit., p. 15

1021 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, op. cit., p. 10

1022 Selon Senghor, « [deux] cultures peuvent dialoguer, deux idéologies ne peuvent pas dialoguer. », Entretien accordé par Senghor à Guy Allix pour Normandie-Magazine, septembre 1983.

287

Il a même voulu faire du Sénégal le centre et le modèle de l'ouverture culturelle. Et cela s'appréhende au travers du troisième et quatrième couplet de l'hymne national sénégalais :1023

(3ème couplet)

Sénégal, nous faisons nôtre ton grand dessein : Rassembler les poussins à l'abri des milans Pour en faire de l'est à l'ouest, du nord au sud Dressé, un même peuple, un peuple sans couture Mais un peuple tourné vers tous les vents du monde.

(4ème couplet)

Sénégal, comme toi, comme tous, nos héros, Nous serons durs sans haine et des deux bras ouverts L'épée, nous la mettrons dans la paix du fourreau Car le travail sera notre arme et parole Le Bantou est un frère, et l'Arabe et le Blanc.

L'idée de l'ouverture s'appréhende aisément dans ces deux couplets. Senghor invite le Sénégal à s'ouvrir à tous les vents du monde, c'est-à-dire à toutes les cultures du monde, et à accepter le Bantou, l'Arabe et le Blanc comme un frère. Dans tous les cas, ces deux couplets nous disent ce que l'ouverture culturelle, chez Léopold Sédar Senghor, implique, et ce que celui-ci veut du Sénégal. Néanmoins, nous retenons que l'ouverture dont il est question dans ces deux couplets va de pair, également, avec la fraternité. Au-delà du Sénégal, Senghor convie le monde, l'humanité à l'ouverture culturelle et à la fraternité pour sauver la nature et la personnalité humaine. Il se présente aussi comme un homme ouvert à toutes les cultures. Cette volonté d'ouverture est mise en exergue dans L'aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, par le biais du papa de Samba Diallo.

Je souhaite cette ouverture, de toute mon âme. Dans la cité naissante, telle doit être

notre oeuvre, à nous tous, Hindous, Chinois, Sud-Américains, Nègres, Arabes ; nous tous, [...]1024

De tels propos, peut-on les attribuer à Léopold Sédar Senghor. Comment se présente-t-il ainsi que l'ouverture culturelle au travers de ses poèmes ?

Pour répondre à la question ci-dessus, il est de notre intérêt de scruter les poèmes de Senghor, et voir si ce qu'ils disent confirme ou infirme ce que nous avons avancé comme arguments. Pour ce faire, quinze poèmes nous serviront de substrat à l'analyse, à savoir « New York », « Chaka », « Épitres à la princesse » (Éthiopiques), « Chants pour signare », « Élégie

1023 L'hymne sénégalais est écrit par Léopold Sédar Senghor. Voir annexe IX, pp. 486-487. 1024 Cheikh Hamidou KANE, op. cit, p. 93

288

de minuit », « Élégie des saudades », « Élégie des eaux », « Élégie pour Aynina Fall » (Nocturnes), « Retour de Popenguine », « Ta lettre ma lettre », « Vertige », « Car je suis fatigué », « Toujours `'miroirs» » (Lettres d'hivernages), « Élégie de Carthage » (Élégies majeures) et « Intérieur » (Poèmes perdus) :

(New York)

Harlem Harlem ! voici ce que j'ai vu Harlem Harlem ! Une brise verte de blés sourdre des pavés labourés par les pieds nus de danseurs Dans. (Po : 114)

(Chaka)

CHAKA

Mais je ne suis pas le poème, mais je ne suis pas le tam-tam

Je ne suis pas le rythme. Il me tient immobile, il sculpte

tout mon corps comme une statue du Baoulé [...] (Po : 126)

(Épitres à la princesse)

Belborg Belborg ! Belborg Belborg ! Ainsi murmurait ma

mémoire, et dans le paquebot

Qui m'emportait, les machines rythment ton nom Princesse,

et l'Afrique nocturne.

[...]

Bien plus loin que Gambie, plus loin que Sénégal.

[...]

Et mon pays de sel et ton pays de neige chantent à l'unisson.(Po : 132-136)

(Chants pour signare)

Et ton sourire s'est levé sur les brouillards qui flottaient

monotones sur mon Congo

[...]

Et nous baignerons mon amie dans une présence africaine.

Des meubles de Guinée et du Congo, graves et polis sombres

et sereins

[...]

Des paroles classiques ; loin, des chants alternés comme les

pagnes du Soudan

[...]

J'ai consulté les blancs vieillards tout fleuris de sagesse

J'ai consulté Kotye Barma et les Maîtres-de-science

J'ai consulté les devins du Benin, au retour du voyage où

leur chair est subtile

J'ai consulté les Grands-Prêtres du Poèré aux États du

Mogho-Naba

J'ai consulté les Initiés de Mamangètye au Sanctuaire des

serpents

[...]

Et il me faut tout l'art des Peuples-de-la Mer, il me faut la

puissance des canons.

[...]

Depuis, comme un qui cherche la fumée d'un songe, j'ai

promené ma quête inquiète

Aux sables du Levant à la Pointe-du-Sud, chez les Peuples-

de-la-Mer-verte

Et chez les Peuples d'Outre-mer. Et la conque au loin dans

Tes rêves, c'était moi.

[...]

289

Qui le dirait ? Irons-nous à Belborg où les hommes

nourrisent de glace ?

Ou bien à Moussoro tu te rappelles ! où les paons fleurissent sauvage ?

Et les femmes y ont quatre coudées ; leurs seins mûrissent au soleil

Leurs jambes lentes paraissent et disparaissent sous les nuages comme des Crétoises. (Po : 169-188)

(Élégie de minuit)

Dans mes yeux le phare portugais qui tourne, oui vingt-

quatre heures sur vingt-quatre

Une mécanique précise et sans répit, jusqu'à la fin des temps.

[...1

Je suis debout, lucide étrangement lucide

Et je suis beau, comme le coureur de cent mètres, comme

l'étalon noir en rut de Mauritanie

Je charrie dans mon sang un fleuve de semence à féconder

toutes les plaines de Byzance.

Et les collines, les collines austères. (Po : 196-197)

(Élégie des saudades)

J'ai bu - murs blancs collines d'oliviers - un monde

d'exploits d'aventures d'amours violents et de cyclones. Ah ! boire tous les fleuves : le Niger le Congo et le Zambèze,

l'Amazone et le Gange

Boire toutes les mers d'un seul trait nègre sans césure non sans accents

Et tous les rêves, boire tous les livres les ors, tous les prodiges de Coïmbres.

[...1

Je ne dirai exploits ni royaumes conquis sur les Indiens des deux horizons. (Po : 201-204)

(Élégie des eaux)

Feu ! Feu ! murs ardents de Chicago, Feu ! Feu ! murs

ardents de Gomorrhe

Feu sur Moscou. Dieu est égal pour les peuples sans dieu,

qui ne mâchent pas la Parole

? O neige manne aux Esquimaux, vous tornades mains

fraîches au front des forêts vierges.

L'Occident l'Orient les peuples extrêmes sont couchés sur

le sable, proues de pierres terrassées par l'Athlète.

C'est Pharaon d'Égypte par la barbe et le bâton de

Moïse.

Seigneur, pitié pour les dix justes, mais pitié pour la Chine

pour qui l'enfant j'ai tant prié

Pitié pour toi qui fais fleurir le Verbe, qui ornes de guirlandes

l'avènement de Mai comme une gorge noble.

[...1

Il pleut sur New York sur Ndyongolôr sur Ndyalakhâr

Il pleut sur Moscou et sur Pompidou, sur Paris et banlieue,

sur Melbourne sur Messine sur Morzine

Il pleut sur l'Inde et sur la Chine - quatre cent mille Chinois

sont noyés, douze millions de Chinois sont sauvés, les

bons et les méchants

Pleut sur le Sahara et sur le Middle West, sur le désert sur

les terres à blé sur les terres à riz

Sur les têtes de chaume sur les têtes de laine.

Et renaît la Vie couleur de présence. (Po : 205-206)

290

(Élégie pour Aynina Fall)

LE CORYPHÉE

Elle unit Saint-Louis à Bamko, Abidjan à Ouagadougou Niamey à Cotonou, Fort-Lamy à Douala, Dakar à Bazza-ville.(Po : 211)

(Retour de Popenguine)

Et là-bas le Cap-Vert constellé d'îles, frangé d'écume et

d'anses

[...1

Mais demain le Cap-Vert dressera, il dresse ses buildings

blancs bourdonnant de puissance

[...1

Sur la mer d'or vermeil, quand au soleil s'allument les

maisons de Gorée

Pareilles à tes yeux les soirs de réception. (Po : 226)

(Ta lettre ma lettre)

Ta lettre ma lettre, et si c'était impossible

Si Hitler si Mussolini, si Rhodésie l'Afrique du Sud, le cousin portugais (Po : 231)

(Vertige)

Dix-huit mille pieds à la verticale de Marrakech

L'Afrique me salue, je dis adieu à l'Europe.

D'abord j'ai salué l'Afrique dessus le parallèle de Bordeaux,

et bien auparavant

Quand montaient à ma mémoire à mes narines vibrantes,

Les peaux brunes odeur couleur de musc.

[...1

Laissant à tribord Las Palmas, à l'ombre de ses collines

neigeuses

Nous avons foncé droit sur Bir Mougrein, le fort où je liai

amitié

Avec un jeune palmier du Trarza, d'ambre sous ses boucles

polies. (Po : 232)

(Car je suis fatigué)

Et je suis triste, vers Nagasaki la triste vers Valparaiso la belle Oui vers Rio de Janeiro, où les mulâtresses sont orchidées odorantes. (Po : 238)

(Toujours `' miroirs»)

Prêtresse de Tanit, nourricière de Carthage l'opulente la

stérile

Grand prêtre d'Amon-Râ, à Thèbes aux cent portes, qui

donne sève et soleil aux vivants.

[...1

- Il te faut brûler la Sorbonne, mon Athlète de nuit. (Po : 243-244)

(Élégie de Carthage)

Les Gétules et les Libyens, les Numides et Nasamons, les Massyles et Massaesyles, les Maures

Les Garamantes à la peau de daim noir et de soleil, à l'ex-

trême Occident les Éthiopiques, compagnons fidèles d'atlas Tu les as tous reconnus de ta race. Et les Ibères avec les

Berbères. Que ne t'eût imité Carthage ? (O. Po : 309)

(Intérieur)

291

Nous baignerons dans une présence africaine

Des tapis étincelants et doux de Tombouctou

Des coussins maures,

Des parfums fauves,

Des meubles de Guinée et du Congo,

Sombres et lourds

Des nattes bien épaisses de silence

Des masques primitifs et purs aux murs. (O. Po : 348)

En parcourant de façon minutieuse les extraits proposés ci-dessus, nous voyons que la plume de Léopold Sédar Senghor explore tous les continents et pays du globe terrestre : de l'Afrique à l'Europe en passant de l'Asie et l'Océanie pour l'Amérique ; de Dakar à Moscou ; du Nord au Sud ; de l'Est à l'Ouest. Les réseaux associatifs, qui peuvent se lire à travers ces quinze extraits proposés, sont :

- Afrique : les pieds nus de danseurs Dans, une statue du Baoulé, l'Afrique nocturne, mon pays de sel, Gambie, Sénégal, mon Congo, des meubles de Guinée et du Congo, les pagnes du Soudan, les devins du Benin, États du Mogho-Naba, Kotye Barma, les Grands-Prêtres du Poère, les Initiés de Mamagètye, l'étalon noir en rut de Mauritanie, le Niger le Congo et le Zambèze, Pharaon d'Égypte, Ndyongolâr, Sahara, Ndyalaklôr, Saint-Louis, Bamako, Abidjan, Ouagadougou, Niamey, Dakar, Daoula, Brazzaville, Fort-Lamy, Cotonou, Cap-Vert, Gorée, Rhodésie, l'Afrique du Sud, Marrakech, l'Afrique, Trarza, Bir Mougrein, Nagaski, Valparaiso, Carthage, Amon-Râ, Gétules et les Libyens, les Numides et Nasamons, les Massyles et Massaesyles, les Maures, les Garamantes, les Éthiopiens, Berbères, des tapis étincelants et doux de tombouctou, des coussins maures, la terre d'Afrique.

- Europe : les blancs vieillards, des Peuples-de-la-Mer, la puissance des canons, chez les Peuples-de-la-Mer-vert, chez les Peuples d'Outre-mer, Belborg, Crétoises, la phare portugais, les plaines de Byzance, Messine, Moscou, Paris, Pompidou, l'Occident, Hilter, Mussolini, le cousin portugais, Europe, Bordeaux, Sorbonne, Thèbes, Ibères, l'extrême occident, les prodiges de Coïmbre.

- Amérique : New York, Harlem Harlem ! Amazone, murs ardents de Chicago, le Middle West, Esquimaux, Las Palmas, Rio de Janeiro, les mulâtresses.

- Asie : Gange, les Indiens, Gomorrhe, Moïse, Moraine, l'Orient, Chine, Chinois. - Océanie : Melbourne.

Nous pouvons simplifier ces réseaux. Ce qui nous donne à nouveau Afrique : Côte d'Ivoire

(les pieds nus des danseurs de Dans, une statue du Baoulé, Abidjan), Guinée (des meubles de Guinée), Congo (Meubles [...] du Congo, mon Congo, Brazzaville), Soudan (les pagnes de Soudan), Benin (les devins du Benin), Burkina Faso (États du Mogho-Naba, Ouagadougou), Mauritanie (l'étalon noir en rut de Mauritanie, Maures), Égypte (Pharaon d'Égypte), Mali (Bamako, des tapis étincelants et doux de Tombouctou), Niger (Niamey), Cameroun (Douala), Maroc (Marrakech), Zimbabwé/Zambie (Rhodésie), Tchad (Fort-Lamy), Tunisie (Carthage), Éthiopie (éthiopien), Libye (Libyen), Sénégal (Dakar, Saint-Louis, Gorée), Gambie, Cap-Vert,

292

Afrique du Sud ; Europe : France (Paris, Pompidou, Sorbonne, Bordeaux), Crète (Crétoises), Russie/URSS (Moscou), Italie (Mussolini), Grèce (Thèbes, Ibères), Portugal (Phare portugais, le cousin portugais), Allemagne (Hitler). Amérique : USA (Chicago, New York, Harlem, Las Palmas), Canada (Esquimaux), Brésil (Rio de Janeiro, les mulâtresses) ; Asie : Inde (Indiens), Chine (Chinois), Israël/Palestine (Moïse, Gomorrhe) ; et Océanie : Australie (Melbourne).

L'évocation des continents ou des pays et des villes est très significative dans l'oeuvre poétique de Senghor. On peut parler d'une poétique de l'espace dans la poésie senghorienne. Chaque espace évoqué ou référent convoque une histoire, un trait particulier, une caractéristique, voire un événement significatif et marquant chez le poète Senghor. Autrement dit, les espaces évoqués couvrent l'univers de son vécu.1025 En effet, Senghor est un voyageur culturel qui cherche à comprendre les autres cultures, à entrer en dialogue avec les autres. Après la connaissance de sa propre culture par un enracinement, il cherche à connaître la puissance des canons et boire tous les livres des autres cultures par l'ouverture. Ainsi, il entreprend un voyage poétique, pour ne pas dire une quête de connaissance culturelle, invitant à découvrir avec lui les cultures des autres contrées. Il a soif de découvrir afin d'enrichir sa propre culture. Chaque continent évoqué a une particularité qui lui est propre, mais qui l'unit aux autres continents : l'histoire, une histoire faite de rencontres de différents peuples. De façon involontaire, par ces espaces évoqués, Senghor étale au grand jour l'histoire de l'humanité, faite de chocs et de rencontres, donnant naissance à des peuples, des races et des civilisations métissés. C'est une manière pour lui de mieux avoir une certaine connaissance de l'identité et de la culture des peuples afin de faire siennes cette identité et cette culture. Chez lui, il n'est pas question de conquérir l'identité culturelle de ces pays mais d'accepter les nouvelles valeurs culturelles que peuvent apporter les autres sans se nier dans le but d'un dialogue culturel. L'ouverture culturelle signifie chez Senghor, d'abord, voyage. En voyageant, en allant vers les autres, il y a effectivement ouverture et on s'universalise.1026 On y va avec sa culture et on communique avec l'autre culture, car

La culture n'est pas une fin en soi, c'est un capital qu'il s'agit de mettre en circulation, une expérience de la qualité qui n'a de valeur que si elle vous rend plus libre, plus assuré de vos incertitudes, plus grand pour triompher des erreurs. La culture doit seulement vous préparer vers tous les « peut-être ».1027

1025 Gaston BACHELARD, La poétique de l'espace, PUF, Paris, 1967, p. 39

1026 Toader SAULEA, « Pour une identité de rencontre : Senghor, l'Afro-Européen », op. cit., p. 23

1027 Gaston BERGER, « La culture de demain », Civilisation contemporaine, op. cit., p. 228 (Gaston BERGER, « Le monde en devenir », Encyclopédie française, T. XX, 1959)

293

Nous comprenons à présent les raisons de l'évocation des continents.

Les textes senghoriens sont alors colorés d'apports culturels des autres contrées1028, car ils voyagent à travers le monde à la recherche des valeurs culturelles pour édifier le poète et ses lecteurs dans une Civilisation de l'Universel. L'idée d'ouverture culturelle est l'essence même de la poésie senghorienne. En fait, rares sont les poèmes qui ne mentionnent pas le nom d'un espace habité ou non habité. La poétique de l'espace participe de l'ouverture culturelle. Sa poésie est une sorte d'invitation à l'ouverture, au voyage pour s'enrichir des apports fécondants de tous les peuples, d'abord ceux de l'Afrique, puis des peuples méditerranéens et enfin des peuples de l'atlantique sans oublier ceux de l'océan indien, voire des contrées lointaines et inconnues. Du simple fait que sa poésie dépasse le cadre africain pour aborder d'autres cadres, que sa plume enjambe la culture négro-africaine pour d'autres cultures, suffit pour dire qu'il y a une poétique de l'espace impliquant le sème de voyage. L'apport des autres cultures, loin de tuer l'identité culturelle des pays, peut l'exprimer, le révéler au monde afin de permettre le dialogue nécessaire des cultures de se réaliser et de s'universaliser.

L'ouverture culturelle se veut également chez Senghor un rendez-vous du donner et du recevoir :

Il appelait mon père « Tokor » ; ils échangeaient des énigmes que portaient des lévriers à grelots d'or

Pacifiques cousins, ils échangeaient des cadeaux sur les bords du Saloum

Des peaux précieuses des barres de sel, de l'or du Bouré de l'or du Boundou

Et de hauts conseils comme des chevaux du Fleuve. (Po : 30)

Dans l'entendement de Senghor, ce rendez-vous est simplement la Francophonie. À ce rendezvous, les Africains doivent rendre au génie méditerranéen une partie au moins de ce que ce génie leur a donné1029 :

Je n'ai pas haï les Roses-d'oreilles. Nous les avons reçus

comme les messagers des dieux

Avec des paroles plaisantes et des boissons exquises.

Ils ont voulu des marchandises, nous avons tout donné :

des ivoires de miel et des peaux d'arc-en-ciel

Des épices de l'or, pierres précieuses perroquets et singes

que sais-je ?

Dirai-je leurs présents rouillés, leurs poudreuses verroteries ? (Po : 123)

1028 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 85 1029 Jacques CHEVRIER, « Senghor, militant de la Francophonie », op. cit.

294

La Francophonie est un outil d'ouverture culturelle sur autres aires culturelles. Pouvons retenir des propos de Thérèse Djilane Diob :

[...] La longue « marche » de l'armée de « l'Empereur Congo-Moussa » vers « l'Orient » est comparée à la procession que les peuples doivent effectuer, pour aller les uns vers les autres, afin que ce rêve du poète sérère se réalise. C'est d'ailleurs dans ce souci d'accomplir ce dialogue des cultures qu'il crée avec d'autres compagnons, la Francophonie1030.

La Francophonie semble être l'expression de l'intégration des valeurs culturelles dans une culture, dite universelle, qui demeure par ailleurs ouverte à tous les courants de pensée du monde contemporain. L'ensemble des valeurs culturelles de chaque individu, voire de chaque continent, constitue la contribution que l'on doit apporter à la Civilisation de l'Universel, par le biais de l'ouverture culturelle ou du dialogue des cultures afin que chaque personne ou chaque continent puisse se réaliser et s'épanouir, comme le souhaite Léopold Sédar Senghor :

Ce qui s'impose donc, en ce dernier quart du vingtième siècle, c'est le Dialogue des Cultures [...]. Ce mouvement de révolution culturelle, né dans les douleurs des conquêtes, des massacres et des déportations ; grandi par le hasard des voyages, des partages, des traités, il s'agit maintenant de l'organiser de façon rationnelle, et humaine en même temps : dans un dialogue où chaque race, chaque nation, chaque civilisation recevant et donnant en même temps, chaque homme pourra, en se développant, s'épanouir en personne.1031

L'extrait ci-dessus vient à point nommé confirmer notre argumentation. L'évocation des espaces implique l'idée de voyage ; le voyage engendre le partage et le dialogue. Et tout cela se résume à l'ouverture culturelle. De cet extrait, nous pouvons également suggérer que la Francophonie est l'organisation rationnelle et humaine du dialogue des cultures et de l'ouverture culturelle.

En plus, par les réseaux associatifs, nous voyons se tracer non seulement le profil d'une Civilisation de l'Universel, mais aussi l'image d'un homme de culture ouvert à tous les apports fécondants des autres peuples, et désireux de rapprocher les peuples par leur connaissance mutuelle.1032 Sans connaissance de sa propre culture, comment peut-on connaître la culture des autres ? L'ouverture culturelle est aussi, chez Senghor, la connaissance de sa propre culture, puis la connaissance de celle des autres. Il s'agit, en quelque sorte, de connaître la culture, en

1030 Thérèse Djilane DIOB, L'expression de l'amour dans « Chants d'ombre » de Léopold Sédar Senghor, Mémoire de Maîtrise, Sénégal, Université Gaston Berger de Saint-Louis, UFR Lettres et Sciences Humaines, 2005/2006, p. 68 [sous la direction du Professeur Mwamba Cabakulu]

1031 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, op. cit., p. 10

1032 Charte de la Francophonie (OIF), Titre I : Des objectifs, Article 1 : objectifs

295

général, et sa propre culture, en particulier, car les cultures sont toutes reliées les unes aux autres. Conscient de cette dimension, Senghor convie les cultures à s'ouvrir afin d'apporter ce qu'on possède, et emprunter ce qu'on n'a pas. Autrement dit, la poésie senghorienne invite à accepter les apports étrangers tout en restant soi-même sans oublier de donner ce qu'on a aux autres.

La Francophonie serait le lieu privilégié de cette ouverture. Senghor fait d'elle un espace unifié1033 de dialogue et d'ouverture en montrant comment une culture peut apporter à une autre ce que celle-ci n'a pas ou n'attendait pas. En effet, la Francophonie est l'expression de la contribution de tous à la Civilisation de l'Universel.1034 Pour réaliser cette civilisation, il ne s'agit pas de jeter par-dessus bord le vieux passé culturel qui a été la raison d'être d'un peuple, mais de laisser ce vieux passé culturel se rajeunir par les apports des autres cultures. Ainsi, l'Afrique des chants et des danses aura besoin de la rationalité scientifique, technique et politique occidentale et orientale ; tandis que l'Europe et l'Asie auront besoin, à leur tour, de la rationalité émotive ou intuitive de l'Afrique. C'est ce que Senghor appelle le rendez-vous du donner et du recevoir. On comprend, dès lors, que la Francophonie est à la fois ouverture culturelle et un rendez-vous du donner et du recevoir :

Et, à ce « rendez-vous du donner et du recevoir », pour parler comme Aimé

Césaire, les Africains ne viendront pas les mains vides. Ils apportent, ils ont déjà commencé d'apporter leur culture.1035

Autrement dit, d'après Senghor,

La francophonie s'incarne donc dans l'ensemble des pays qui ont la langue française comme instrument de communication et d'échanges non seulement économiques, mais surtout socio-culturels. Et c'est un fait que, dans ces échanges, les cultures du tiers monde ne viennent pas les mains vides.1036

Mieux, au rendez-vous du donner et du recevoir, l'Afrique a commencé d'apporter ses chants, ses danses1037 et ses masques. En d'autres termes, l'Afrique apporte l'émotion nègre, c'est-à-dire son humanisme. De ce fait, il convient de dire que la Francophonie permet également de sortir de son univers culturel, par le contact avec d'autres cultures qui ont des aspects autres

1033 Nous faisons allusion aux continents et pays évoqués dans sa poésie. C'est la réunion de ces espaces qui

donnera l'espace unifié, qui est la Francophonie.

1034 Nous faisons référence à Liberté 3.

1035 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture africaine », op. cit., p. 1

1036 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme de la francophonie », Liberté 3, op. cit., p. 280

1037 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 97

296

que sa propre culture, pour assimiler (et non être assimilé) tout l'apport qu'elles peuvent donner, comme le souligne à nouveau Léopold Sédar Senghor :

Il s'agit, en somme, qu'en assimilant les vertus de l'Occident, en s'engageant, avec lui, dans la mondialisation des sciences, des sciences exactes, des sciences humaines et des techniques comme des Arts, les Nègres donnent, à la civilisation du XXe siècle, son universalité mais surtout son caractère générique d'humanisme.1038

Une telle ouverture culturelle peut engendrer des chocs. Conscients du fait que toute culture ne peut supporter et absorber le choc des cultures, Senghor préconise le métissage des cultures, car, « en cette fin du XXe siècle, tous les continents, toutes les nations, voire toutes les races, à quelques exceptions près, sont métissés. »1039

Le métissage, dont parle Senghor, est le fait d'aller vers les autres cultures et leur offrir des services, leur donner ce qu'on a de meilleurs chez soi et de recevoir en retour ce qu'il y a de meilleurs chez l'autre et les intégrer à sa culture. À cet effet, René Gnaléga dit que la Francophonie se présente comme une auberge espagnole où chacun apporte ce qui lui est propre.1040 Autrement dit, la Francophonie scelle définitivement l'intégration des cultures dans une communauté de culture qui exclut tout complexe de frustration, toute forme de surenchère, toute politique de bascule ou de mendicité, et qui favorise les échanges d'idées en respectant la personnalité originaire de chaque culture et nation. Car, estime Senghor,

Il s'agit, dans la nouvelle entreprise de la francophonie, d'allier le goût à la force,

la sensibilité à l'émotion, l'intelligence à l'intuition. Pour être, encore une fois, un homme ultra-humain parce qu'intégralement humain.1041

La Francophonie est la conception d'un poète, « d'un penseur qui croit à la rencontre des cultures, à leur symbiose, bref au métissage »1042 des cultures. C'est un projet de rencontre, de communication des cultures, capable de construire et de façonner l'homme. En effet, selon Moustapha Samb,

Senghor est convaincu que l'homme intégral ne se réalisera que lorsqu'il

parviendra à faire la synthèse des cultures de toutes les races [...]. Chez Senghor, loin

1038 Léopold Sédar SENGHOR, « L'humanisme d'Alioune Diop », Ethiopiques, n°24, octobre 1980. Disponible

sur www.ethiopiques.refer.sn/spip.php ?article762

1039 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture africaine », op. cit., pp. 1-2

1040 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 122

1041 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme de la Francophonie », Liberté 3, op. cit., p. 284

1042 Toba MISUZU, op. cit., p. 111

297

d'être un drame, l'adoption de cultures différentes est une source d'équilibre, facteur de rapprochement des peuples1043.

L'idée de rapprochement des peuples semble être au centre de la poésie senghorienne. En effet, la poésie de Senghor se veut unificatrice des peuples, des races et des cultures. Elle est une poésie qui rassemble, parce qu'elle est ouverte à tous les apports culturels des nations et des peuples. Nous pouvons, dès lors, affirmer que la poésie senghorienne, loin d'être l'expression de la Négritude, est l'expression vivace de la Francophonie « en tant qu'idéal de dialogue et de solidarité, et pour chanter cette grande fraternité qui annonce la civilisation universelle à venir »1044. Dans ce cas précis, la Francophonie proposée par Léopold Sédar Senghor est censée consolider les racines culturelles et l'histoire des nations, et établir une relation plus riche et plus puissante avec les autres aires culturelles.

Pour un besoin de solidarité et de diversité, une nécessité du dialogue entre les cultures, la plume poétique de Senghor brise les frontières entre les nations, car la culture n'a pas besoin de passeport ni de visa : « Que je rompe le barrage des scandales »1045. Sa poésie est celle du voyage, et elle transgresse les frontières ; elle nous mène en Afrique, en Amérique, en France, en Asie et en Océanie ; elle permet un va-et-vient entre tous les continents. C'est cela la culture. Elle est voyage vers toutes les races et nations. Telle devrait être également la Francophonie voulue par Senghor ; elle devrait briser les frontières entre les cultures et les nations, et permettre le libre-échange, la libre circulation des personnes, le dialogue entre les Francophones. L'ouverture culturelle est le libre-échange que les cultures doivent contracter afin de s'enrichir mutuellement.

Quant à la Francophonie, expression de cette ouverture culturelle, est une manière d'entrer en contact avec les autres (sans visa) et de montrer ce que l'on ressent ou ce que l'on a, en vue d'un échange fructueux entre les cultures, surtout sur le plan humain. Ainsi, la Francophonie telle que conçoit Senghor est un idéal qui doit animer les peuples en marche vers une solidarité d'esprit et qui ont le sentiment d'appartenir à une communauté des nations libres pour qui les valeurs de la Francité, de l'Africanité (la Négritude), de l'Arabité, de la Canadiénité, de la Québécité, de la Belgité... sont partagées. Et qu'au « rendez-vous du donner et du recevoir » que constitue la Francophonie, chaque nation puisse apporter sa pierre à l'édifice de la Civilisation de l'Universel tout en préservant son identité culturelle sans nuire au

1043 Moustapha SAMB, « Le métissage multidimensionnel de Senghor : Une stratégie de communication universaliste », Les deux Senghor : l'homme de lettres et l'homme de pouvoir, Cahier Senghor, n°2, 2011, p. 47, (sous la direction de Ndiaga Loum).

1044 Stélio FARANDJIS, « Repères dans l'histoire de la Francophonie », Hermes la Revue3/2004 (n°40), p. 52 1045 Cf. « Totem », Chants d'ombre, op. cit., p. 22

298

dialogue des cultures. Aucune culture n'est en retard à ce rendez-vous, chacune y va à son rythme. L'ouverture culturelle devrait engendrer un nouveau type d'homme : L'homme culturel. Cet homme culturel marquerait de la sorte l'avènement d'une nouvelle humanité, celle de la Civilisation de l'Universel.

Une culture qui se replie sur elle-même, s'étiole, voire meurt. Pour la survie des cultures, Léopold Sédar Senghor préconise l'ouverture culturelle. Cette ouverture est d'abord une sorte de dialogue entre les cultures, car Senghor a la certitude qu'au lieu d'un choc culturel, les cultures peuvent dialoguer. Par conséquent, il faut un outil permettant de rendre ce dialogue possible. La Francophonie serait cet outil, le lieu de rencontre des cultures, des nations et peuples. Ainsi, à travers la Francophonie, les nations et les peuples auront plus de chance de faire connaître leurs cultures. La connaissance des cultures autres que les siennes est un enrichissement pour soi. En plus, la culture est un facteur déterminant pour le développement des peuples1046 et pour la réalisation de l'individu en tant qu'être humain. La valorisation de sa culture hors de son pays est une fierté pour soi.

Cependant, aucune culture ne peut se vanter le mérite d'être la meilleure ou la supérieure des cultures. La meilleure culture, selon Senghor, est celle qui est ouverte aux cultures et qui accepte de dialoguer avec les autres. Cette culture n'est rien d'autre que la Francophonie. Elle est culture par essence. Elle est un idéal, un concept de dialogue entre les cultures, de solidarité entre les nations. Elle est également l'instrument des échanges des différentes cultures et de leur fécondation. Cette Francophonie implique aussi le rendez-vous du donner et du recevoir des cultures. À ce rendez-vous, la raison intuitive (la culture intuitive), c'est-à-dire l'émotion, est autant nécessaire que la culture rationnelle et technicienne. Il n'y aura pas de choc culturel à ce rendez-vous, puisque les cultures accepteront d'être métisses. Le métissage est d'ordre culturel, une sorte d'assimilation des valeurs culturelles reçues au rendez-vous du donner et du recevoir. En fait, le métissage culturel chez Senghor sera la Civilisation de l'Universel.

La Francophonie est le point d'intersection entre l'ouverture culturelle et le métissage culturel (la Civilisation de l'Universel). Dès lors, nous comprenons que la Civilisation de l'Universel est « une civilisation qui serait composée des apports complémentaires, de tous les continents et toutes les races, sinon de toutes les nations. »1047 Ce qui signifie que la civilisation n'a pas de coloration raciale et culturelle. Dans son organisation et sa structure fondamentales,

1046 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 120 1047 Cf. Léopold Sédar SENGHOR, « La culture africaine », op. cit.

elle est partout et toujours civilisation, c'est-à-dire le résultat des apports des cultures de chaque race. Cette Civilisation de l'Universel n'est pas une donnée, mais elle est à construire. « Il ne s'agit pas d'abstraire la Civilisation de l'Universel mais de la construire et ce, en oubliant aucun particularisme. »1048 C'est pourquoi, Léopold Sédar Senghor la définit comme étant un enracinement et une ouverture afin de construire l'universel, ce qu'il a de plus commun dans tous les êtres, ce qui se vérifie dans chacun d'eux sans aucune exception. Elle est « [l'oeuvre] commune de tous les continents, de toutes les races, de toutes les nations. [Elle] ne saurait être d'abord que la compréhension de tous les apports de chaque continent, de chaque race, voire chaque nation. »1049 La Civilisation de l'Universel à construire est sans faux-fuyant la culture francophone. Elle est une culture de l'affranchissement de l'être humain et de l'affirmation identitaire défendant des valeurs humanistes. Cette culture doit être bâtie par toutes les ethnies, dans le cas contraire elles périront ensemble.1050 Elle est une culture essentialiste, c'est-à-dire qu'elle modèle une personnalité individuelle typique, un comportement, des idées et une mentalité. À cet effet, Bruno Bourg-Broc avance que « la Francophonie, c'est l'affirmation d'une façon d'être et d'agir dont les valeurs dépassent le sens commun et s'imposent aux hommes quelle que soit leur origine, leur race, leur nationalité. »1051 Pour mieux appréhender cette culture, il convient de nous replonger dans la poésie senghorienne, puisque « la vie en commun avec un esprit de dialogue ou de métissage, cet idéal symbiotique, [cette Civilisation de l'Universel est] une réalité vivante »1052 dans les oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor.

299

1048 Guy ALLIX, op. cit.

1049 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, op. cit., p. 153

1050 Idem., p. 563

1051 Bruno BOURG-BROC, « Une Francophonie parlementaire », loc. cit., p. 28

1052 Stélio FARANDJIS, « Repère dans l'histoire de la Francophonie », op. cit., p. 50 (Propos complété par

nous).

300

3. L'ÉLOGE DE LA CIVILISATION DE L'UNIVERSEL

Pour parler de la Civilisation de l'Universel, il importe de savoir d'abord ce qu'impliquent la civilisation et l'universel. Le mot « civilisation » fait son apparition au milieu du XVIIIe siècle au moment où paraît l'Encyclopédie, exactement en 1756 dans le traité, « L'Ami des hommes » du Marquis Mirabeau1053. Ce mot ne désignait pas seulement un état, mais un acte, et exprimait à sa façon l'idée du progrès humain, voire la progression de l'humanité toute entière. Aujourd'hui, le mot « civilisation » semble difficilement définissable, car il est un mot défini en fonction du domaine de compétence de celui qui veut le définir. Autrement dit, il est un mot qui se définit en fonction des disciplines. Il n'a pas la même définition en histoire et en philosophie. Sa définition diffère, également, en sociologie, en anthropologie et en ethnologie.

En dehors de toute préoccupation d'analyse et d'approfondissement, lorsque nous parlons de civilisation, nous entendons par ce mot un certain nombre d'acquisitions qui a influencé la vie culturelle d'un peuple donné dans un contexte socio-économique et politique dans lequel se déploie celui-ci. Mieux, la civilisation porte la marque d'une présence ou d'une intervention humaine. C'est à cette intervention humaine au sens large, nous dit Georges Bastide, que nous pensons, aujourd'hui, lorsque nous prononçons le mot de civilisation.1054 Puis d'ajouter que

La civilisation nous apparaît donc comme une sorte de monde où tout est à l'échelle humaine en ce sens que tout y porte la marque de cette intentionnalité fondamentale par laquelle l'homme s'affranchit des servitudes naturelles par le jeu d'un accroissement quantitatif et qualitatif de ses désirs ainsi que les moyens de les satisfaire.1055

André Maurois, quant à lui, affirme que « la civilisation est une somme de connaissances et de souvenir accumulés par les générations qui nous ont précédés. »1056 Ce qui sera confirmé par Georges Balandier et Jacques Maquet qui assertent que « la civilisation est constituée d'objets

1053 Grand Larousse Encyclopédique, Tome III, 1960

1054 Georges BASTIDE, « Idée de civilisation », Civilisation contemporaine, op. cit., p. 30 (Georges BASTIDE, Mirages et certitudes de la civilisation, Paris, Privat, 1953)

1055 Idem., p. 31

1056 André MAUROIS, « Des livres et des bibliothèques », Civilisation contemporaine, op. cit., p. 180 (André MAUROIS, Le courrier de l'UNESCO, mai 1961).

301

faits par l'homme, de comportements institutionnalisés, de représentations collectives alors qu'une culture est l'héritage d'une société globale déterminée. »1057 De ce fait, chaque nation aurait sa propre civilisation. Ce qui suppose qu'il n'y a donc pas de civilisation universelle.

Quant au mot « universel », en tant qu'adjectif, désigne tout ce qui a une portée générale, qui s'étend à tout, à tous et qui est partout. Peut-on parler de civilisation universelle ? Si oui, comment caractériser cette civilisation universelle ?

Il existe bel et bien une civilisation universelle. En effet, aujourd'hui, nous assistons à une uniformisation inéluctable du logement, du vêtement, de transport, de loisir, de bien-être et d'information. En plus, dès qu'une invention est apparue en quelque point du monde ou une découverte en un endroit quelconque du monde, elle est promise à la diffusion universelle. Aussi, on peut rester chez soi et savoir ce qui se passe de l'autre côté du monde. Enfin, se développe un genre de vie de caractère universel qu'on peut appeler mondialisation, et qui consiste à imposer un modèle de vie à tous. Selon Paul Ricoeur, cette civilisation universelle se caractérise par le caractère technique (l'esprit scientifique), le développement des techniques (la technologie), l'existence d'une politique rationnelle (la démocratie comme modèle de gouvernance), l'existence d'une économie rationnelle universelle (le capitalisme comme modèle de gestion financière et économique), et l'uniformisation d'une culture de consommation et de vie.1058 Il faut comprendre par-là que la civilisation universelle, selon Paul Ricoeur, crée une morale très éloignée de la fraternité des hommes, et nous invite à une seule conception de vie, celle de l'Europe ou des États-Unis d'Amérique, parce que la plus civilisée, en présentant les autres conceptions de vie comme mauvaises et inhumaines, voire barbares.

Le danger de cette civilisation universelle est le fait que la culture ou la civilisation de chaque nation risque de disparaître, car elle n'a de projet que pour les choses et non pour les hommes. En fait, cette civilisation chosifie les hommes et personnifie les choses. Elle ne respecte pas les particularités des autres cultures et civilisations. Elle ne crée pas un monde d'aménité, de fraternité et d'équité1059, mais un monde attrait de violences, de crimes, d'inimitié et d'iniquité misant sur les machines. Elle met, également, l'accent sur les moyens que sur son objectif ultime qui est la réalisation de l'humanité. Elle ne se soucie pas de rendre le monde plus humain ni du devenir de l'homme, mais elle le transforme en un simple objet androïde ou objet-marchand. Et dans cette civilisation, l'homme place toute son ambition dans

1057 Georges BALANDIER et Jacques MAQUET, Dictionnaire des civilisations, op. cit., p. 27

1058 Paul RICOEUR, « Caractères de la civilisation universelle », Civilisation contemporaine, op. cit., pp. 51-53 (Paul RICOEUR, Esprit, octobre 1961)

1059 François DE CLOSETS, « La civilisation technicienne n'est encore qu'un pseudo-civilisation », Civilisation contemporaine, op. cit., pp. 186-187 (Fançois DE CLOSETS, Le bonheur en plus, Paris, Denoël, 1974)

302

l'accumulation des richesses et matériels au profit des solutions qui puissent humaniser le monde.

Le mot « universel », employé comme nom, renvoie à ce qu'il y a de commun dans les individus, dans tous les êtres ; ce qui se vérifie dans chacun d'eux sans aucune exception. Dans ce cas, ce qui est universel chez les humains est le sang. Il est rouge tant chez les Blancs que chez les Noirs et les Jaunes. Tous les hommes, voire tous les êtres, ont la même couleur de sang dans leurs veines et artères. Et cela est vérifiable. Nous trouvons également sur les quatre coins du globe les mêmes groupes sanguins et les mêmes rhésus.

Parler d'une Civilisation de l'Universel revient à parler d'une civilisation faite par tous les hommes de la terre ; d'une sorte de monde où tout serait à l'échelle humaine. En ce sens, tous les hommes seront frères, et « tous les fils de la même Terre-Mère »1060. Elle est l'unité finale vers quoi tout converge, et qui prend en compte toutes les singularités et particularités de l'individu et des cultures. Cette civilisation diffère de la civilisation universelle, car elle est à construire.

La Civilisation de l'Universel, doit-on le rappeler, est une notion de Teilhard de Chardin.1061 Elle est une sorte de cosmogénèse dans laquelle s'intègre la biogénèse, puis l'humain, l'hominisation et la noosphère pour atteindre à l'arrangement social. Pour être plus explicite, nous dirons qu'elle est l'évolution de l'homme vers un monde plus humanisé. Elle est, également, l'union de tous les hommes en une collectivité où les consciences s'illumineraient par leur convergence. Mieux, elle est une sorte de totalisation sans dépersonnaliser, d'union dans la diversité, d'acceptation des différences et des identités propres inhérentes aux différentes composantes de l'humanité tout en s'ouvrant aux autres sans se dissoudre dans l'universel. Cette Civilisation de l'Universel est une sorte de panthéiste et de complémentarité des civilisations pour une unité dans la diversité afin d'humaniser ou d'hominiser le monde terrestre.

Léopold Sédar Senghor emprunte la notion de Civilisation de l'Universel à Teilhard de Chardin pour en faire le fer de lance de la Francophonie. C'est à travers une trilogie qu'il développa sa pensée sur la Civilisation de l'Universel : Liberté 3, Ce que je crois, et Liberté 5. Cependant, on retrouve la même idée (sa pensée sur la Civilisation de l'Universel) dans son oeuvre poétique. Abdoulaye Diawara ne dit pas le contraire. Selon lui,

1060 Cf. « Élégie pour Martin Luther King », Élégies majeures, op. cit., p. 302 (loc. cit.)

1061 Léopold Sédar SENGHOR, Pierre Teilhard de Chardin et la politique africaine, Paris, éd. du Seuil, 1962, 102 p.

303

Senghor a beaucoup parlé de la Civilisation de l'Universel. Nous l'avons dit, à travers ses `' Liberté», on ne trouve pas moins de 50 fois le terme. Dans l'oeuvre poétique, la même idée revient plusieurs fois sous des noms différents : `'la conquête du monde innombrable», `'l'assemblée des peuples», `'l'égalité des peuples fraternels», `'la plaine ouverte à mille ruts» ; c'est de cela encore qu'il parle quand il dit : `'bénis...tous les peuples d'Europe, tous les peuples d'Asie, tous les peuples d'Afrique et tous les peuples d'Amérique.1062

Chez Léopold Sédar Senghor, la Civilisation de l'universel se veut métissage culturel fécond, qui assurerait une intégration pacifique et parfaite des différents peuples, et qui se situerait exactement au carrefour des valeurs complémentaires de toutes les civilisations particulières.1063 Ce qui signifie que la Civilisation de l'Universel devrait être la somme des apports complémentaires de l'Afrique, de l'Europe, de l'Asie et de l'Amérique.1064 En d'autres termes, la Civilisation de l'Universel est la somme de la civilisation de la rationalité, de la technicité, de la sensibilité et de l'émotivité. Elle est une civilisation métisse, nous renseigne Marcien Towa :

La civilisation idéale, la Civilisation de l'Universel dont il rêve « ne saurait être que métisse », synthèse « des beautés réconciliées de toutes les races ». Le métissage culturel repose sur le métissage biologique, puisque, selon notre auteur, les races produisent les civilisations tout comme les arbres produisent des fruits : le manguier les mangues, le pommier, les pommes.1065

Cette civilisation, selon Senghor, doit fonder un nouvel humanisme : « Senghor a rêvé d'une Civilisation de l'Universel qui passerait par un métissage biologique et culturel et qui fonderait un nouvel humanisme. »1066 Ce nouvel humanisme n'est rien d'autre que la Francophonie. Elle est définit par Senghor comme étant « un Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre », « une communauté spirituelle, une noosphère autour de la terre ».

Fraternité universelle, métissage culturel et biologique, enracinement dans ses propres valeurs culturelles et ouverture aux autres cultures, dialogue des cultures, donner et recevoir, complémentarité, union... tant de termes pour désigner à la fois la Civilisation de l'Universel et la Francophonie. Il s'agit de bâtir « le nouvel humanisme [qui ne] peut croître que cette union »1067, c'est-à-dire l'union de toutes les cultures. En fait, toute culture doit être

1062 Abdoulaye DIAWARA, « Le thème de l'unité dans l'oeuvre poétique de L. S. Senghor », Mémoire de Maîtrise, Université de Côte d'Ivoire, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, [sous la direction de Bernard Zadi Zaourou], juin 1981, p. 34

1063 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 318

1064 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, op. cit.

1065 Marcien TOWA, Léopold Sédar Senghor : Négritude ou Servitude ?, op. cit., p. 109

1066 Hamidou DIA, « Senghor et le sénégal : un destin paradoxal », Dossiers thématiques, AFI, 2006, p. 357 1067 Gaston BERGER, « La culture de demain », Civilisation contemporaine, op. cit., p. 227 (Gaston BERGER, « Le monde en devenir », Encyclopédie Française, T. XX, 1959).

304

simultanément fécondée par les autres et fécondante pour les autres. Senghor dit le nouvel humanisme naîtra de l'apport de l'Africanité (la Négritude) et de la Francité sans oublier les autres nations.

Intéressons-nous à présent aux textes poétiques pour voir dans quelle mesure la Civilisation de l'Universel se déploie dans la poésie senghorienne, et ce qu'elle implique. Quel sens la poésie senghorienne donne alors à la Civilisation de l'Universel ? Pour l'analyse, nous avons choisi quinze textes-extraits. Ce sont « Pour Emma Payelleville l'infirmière », « Le retour de l'enfant prodigue » (Chants d'ombre), « Poème luminaire », « ÉTHIOPIE/À l'appel de la race de Saba », « Prière des tirailleurs sénégalais », « CAMP 1940/ Au Guélowar », « Prière de paix » (Hosties noires), « Messages », « Chaka » (Éthiopiques), « Chants pour signare » (Nocturnes), « Élégie des alizés », « Élégie pour Jean-Marie », « Élégie pour Philippe-Maguilen Senghor », « Élégie pour Martin Luther King », « Élégie pour Georges Pompidou » (Élégies majeures).

Nous commençons l'analyse avec la superposition de deux textes-extraits, à savoir « Le retour de l'enfant prodigue » et « Chants pour signare ».

(Le retour de l'enfant prodigue)

Servante fidèle de mon enfance, voici mes pieds où colle la boue de la Civilisation. (Po : 46)

(Chants pour signare)

Et je reposerai longtemps sous une paix bleu-noir Longtemps je dormirai dans la paix joalienne

Jusqu'à ce que l'Ange de l'Aube me rende à ta lumière

À ta réalité brutale et si cruelle, ô Civilisation ! (Po : 172)

À travers ces deux textes-extraits superposés, nous voyons s'accuser un réseau singulièrement sombre, celui d'une civilisation méprisée (ou rejetée) : la boue de la Civilisation, à ta réalité brutale et si cruelle, ô Civilisation !. Ce réseau associatif nous révèle qu'il y a une abjection, un avilissement de la civilisation. Elle cherche à dominer ou anéantir l'homme. Dans ce cas de figure, elle est brutale et cruelle. En plus, elle établit des frontières entre les peuples et les races :

Vous ignorez les restaurants et les piscines, et la noblesse au sang noir interdite

Et la Science et l'Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la négritude. (Po : 81)

Cette civilisation est rejetée par Senghor, car elle est hostile à l'homme. Le rejet de cette civilisation s'explique du fait que Senghor cherche à fonder une autre civilisation qui conduira

305

les hommes, noirs et blancs, vers de nouvelles relations fraternelles ; une nouvelle civilisation qui permettra la réalisation de toute la condition humaine, puisqu'un certain homme se profile et qui s'oppose à cet homme écartelé entre les cultures, et de surcroît est le résidu (la boue) de la brutale et cruelle civilisation. Ce nouvel homme qui se profile doit être capable d'assimiler les différentes cultures, mieux de les synthétiser. Pour cela, Senghor doit saper la vieille civilisation, qui est, à ses yeux, brutale et cruelle.

Il rejette cette civilisation considérée comme abjecte, avilissante pour une Civilisation de l'Universel. Pour nous en rassurer, nous superposerons le reste des textes-extraits.

(Pour Emma Payelleville l'infirmière)

Tu rompis les remparts décrétés entre toi et nous, les faubourgs indigènes.

Ignorante de la technique des bureaux, sans livre sans dictionnaire

Sans interprète aigu, tes yeux surent percer l'épaisseur des remparts

Tes yeux le mystère lourd des corps noirs

Tes yeux pour leurs seuls yeux transparents de pure eau Tes mains, sous la douceur charnelle des corps noirs Fraternelle douceur pour toi seule

Tes mains découvrir, tes mains extirper les noeuds de leurs misères

Que des génies hostiles séculairement n'avaient pu faire si durs. (Po : 18-19)

(Poème liminaire)

Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu'il a libéré ses mains

A écrit la fraternité sur la première page de ses monuments Qu'il a distribué la faim de l'esprit comme de la liberté À tous les peuples de la terre conviés solennellement au festin catholique (Po : 54)

(ÉTHIOPIE/ À l'appel de la race de Saba)

La Marseillaise catholique.

Car nous sommes là tous réunis, divers de teint - il y en

a qui sont couleur de café grillé, d'autres bananes d'or

et d'autres terre des rizières

Divers de trait de costumes de coutumes de langue, mais

au fond des yeux la même mélopée de souffrances à

l'ombre des longs cils fiévreux

Le Cafre le Kabyle le Somali le Maure, le Fân le Fon le

Bambara le Bobo le Mandiago

Le nomade le mineur le prestataire, le paysan et l'artisan

le boursier et le tirailleur

Et tous les travailleurs blancs dans la lutte fraternelle.

Voici le mineur des Asturies le docker de Liverpool le

Juif chassé d'Allemagne, et Dupont et Dupuis et tous les

gars de Saint-Denis. (Po : 59)

(Prière des tirailleurs sénégalais)

Que l'enfant blanc et l'enfant noir - c'est l'ordre alphabétique -, que les enfants de la France confédérée

306

aillent main dans la main

« Tel que les prévoit le Poète, tel le couple Bemba-Dupont

sur les monuments aux Morts

« Que l'ivraie de la haine n'embrasse pas leurs as dépé-

trifiés

« Qu'ils progressent et grandissent souriants, mais terribles

à leurs ennemis comme l'éclair et la foudre ensemble. (Po : 69)

(CAMP 1940/Au Guélowor)

« Il s'agit bien du nègre ! il s'agit bien de l'homme ! non !

quand il s'agit de l'Europe. »

Guélowâr !

Ta voix nous dit l'honneur l'espoir et le combat, et ses

ailes s'agitent dans notre poitrine

Ta voix nous la République, que nous dresserons la

Cité dans le jour bleu

Dans l'égalité des peuples fraternels. Et nous nous répon-

dons : « Présents, ô Guélowâr ! » (Po : 71)

(Prière de Paix)

O bénis ce peuple qui rompt ses liens, bénis ce peuple aux abois qui fait front à la meute boulimique des puissants et des tortionnaires

Et avec lui tous les peuples d'Europe, tous les peuples d'Asie, tous les peuples d'Afrique et tous les peuples d'Amérique

Qui suent sang et souffrances. Et au milieu de ces millions

de vagues, vois les têtes houleuses de mon peuple.

Et donne à leurs mains chaudes qu'elles enlacent la terre

d'une ceinture de mains fraternelles

DESSOUS L'ARC-EN-CIEL DE TA PAIX. (Po : 94)

(Messages)

Et les discours exacts rythmés dans les hautes assemblées circulaires ; et ce fut parmi les guelwârs de la paroles. (Po : 105)

(Chaka)

LE CORYPHÉE

Là-bas le soleil au zénith sur tous les peuples de la terre. (Po : 131)

(Élégie des alizés)

C'est en l'honneur des hommes rassemblés. (O. Po : 263)

(Élégie pour Jean-Marie)

Durant les douze et une lunes, nous l'avons tous pleuré

Seize si longues nuits, nous l'avons tous veillé, les Blancs

Les Noirs

Dans la cire et l'encens, dans l'alcool et la graine de kola.

[...1

Tu as fait l'homme unique à l'image du Dieu unique

Tu t'es fait Nègre Jean-Marie parmi les Nègres.

[...1

Dans la communion des hommes des âmes, des nations et

des confessions

Et il n'y a plus, sur toute la surface de la terre, une seule

terre ignorée. (O. Po : 275-279)

(Élégie pour Philippe-Maguilen Senghor)

Et tout comme des frères, le maitre-de-terre et l'aveugle aux mains d'antennes, le mendiant chassieux

307

Le Noir et le Toubab tout blanc, les hommes du Soleil

levant

L'Arabe et le Berbère, le Maure, mon petit-Maure

Mon Bengali, comme nous t'appelions, le Tousti, le Houttou. (O. Po : 290)

(Élégie pour Martin Luther King)

Alors je reconnus, autour de sa Justice sa Bonté, confondus

les élus, et les Noirs et les Blancs

Tous ceux pour qui Martin Luther avait prié.

Confonds-les donc, Seigneur, sous tes yeux sous ta barbe

blanche :

Les bourgeois et les paysans paisibles, coupeurs de canne

cueilleurs de coton

Et les ouvriers aux mains fiévreuses, et ils font rugir les

usines, et le soir ils sont soûlés d'amertume amère.

Les Blancs et les Noirs, tous les fils de la même Terre-Mère. (O. Po : 302)

(Élégie pour Georges Pompidou)

Ainsi qu'à ceux qui aimèrent leur terre : leur peuple

Et tous les peuples, toutes les terres de la terre dans un

amour oecuménique

Et qui tinrent fidélité à leurs amis. Ami, quand tu seras au

Paradis

Avec saint Georges, je te prie de prier pour moi

Qui suis un pécheur d'avoir tant aimé : amabam amare. (O. Po : 319)

Les groupes qui peuvent se former à partir de ces extraits nous renvoient à une seule réalité, celle d'être ensemble ou de vivre ensemble avec nos différences. Cette réalité est le sème qui se lire à travers les groupes d'idées et d'images qui se manifestent dans les extraits superposés. Ce qui n'a pas été une aisance pour nous d'établir les réseaux associatifs que la superposition des extraits souligne. En dépit de tout ceci, nous essayons de mettre en relief les réseaux associatifs qu'accuse la superposition.1068 Nous avons, à cet effet :

- Le rapprochement : rompis les remparts décrétés, percer l'épaisseur des remparts, extirper les noeuds, l'enfant blanc et l'enfant noir, aillent main dans la main, progressent et grandissent, rompt, enlacent la terre d'une ceinture, conviés solennellement

- Le rassemblement (communauté) : tous réunis, le Cafre, le Kalyle le Somali le Maure, le Fân, le Fon, le Bambara, le Bobo, le Mandiago, le nomade, le mineur, le prestataire, le paysan et l'artisan, le boursier et le tirailleur, tous les travailleurs, le mineur des Asturies, le docker de Liverpool, le Juif chassé d'Allemagne, Dupont et Dupuis et tous les gars de Saint-Denis, les enfants de la France confédérée, ensemble, la République, la Cité, tous les peuples d'Europe, tous les peuples d'Asie, tous les peuples d'Afrique et tous les peuples d'Amérique, les hautes assemblées circulaires, tous les peuples de la terre, des hommes rassemblés, les Blancs, les Noirs, la communion des hommes des âmes, des nations et des confessions, sur toute la surface de la terre, une seule terre ignorée, le maître-de-terre, l'aveugle, le mendiant

1068 Vous verrez qu'il y a une répétition de la même idée sous une autre forme. Vous nous permettez, cependant, de faire avec, car c'est ce qui fait la psychocritique.

308

chassieux, le Noir, le Toubab, les hommes du soleil levant, l'Arabe, le Berbère, le Maure, mon petit Maure, le tousti, le houttou, les élus, les Noirs et les Blancs, tous ceux, les bourgeois et les paysans paisibles, coupeurs de canne, cueilleurs de coton, les ouvriers aux mains fiévreuses, les Blancs et les Noirs, tous fils de la même Terre-Mère, tous les peuples, toutes les terres de la terre.

- La fraternité : fraternelle douceur, la fraternité, la lutte fraternelle, égalité des peuples fraternels, des mains fraternelles, comme des frères.

- L'unité : tous réunis, main dans la main, L'ARC-EN-CIEL DE TA PAIX, confondus, confonds-les donc, leurs amis, ami.

- La connaissance (naturelle) de l'autre : ignorante de la technique des bureaux, sans livre, sans interprète aigu, des génies hostiles [...] n'avaient pu faire si durs

- L'altruisme : que l'ivraie de la haine n'embrasse pas leurs pas, un amour oecuménique, un pécheur d'avoir tant aimé

- L'universalité : au festin catholique, la Marseillaise catholique, oecuménique.

Par ces différents réseaux, nous pouvons dire que la Civilisation de l'Universel chez

Senghor se caractérise par le rapprochement, le rassemblement, la fraternité, l'unité, la connaissance de l'autre, l'amour et l'universalisation. D'après la lecture de ces réseaux associatifs, pour s'universaliser, il faut que les individus, les peuples et les nations se rapprochent, se rassemblent, fraternisent, s'unissent et se connaissent mutuellement et s'aiment davantage. C'est le sens même de la Civilisation de l'Universel chez Léopold Sédar Senghor. Elle entrevoit de nouveaux rapports entre les peuples et les nations, appuyés sur la volonté de vivre ensemble sans heurts, et sur la participation sans faille de tout un chacun, dans le but de se développer ensemble, comme le souligne-t-il :

Pour se développer, les civilisations doivent se respecter, s'enrichir de leurs

différences pour converger vers l'Universel que Teilhard de Chardin annonçait à l'aube du troisième millénaire.1069

Nous voyons, également, que Senghor prône une communauté où toutes les races seront égales en dignité, où les frontières seront brisées entre les nations, où les barrières raciales seront détruites. Une communauté imaginaire et idéale est bâtie. Et Michel Guillou de dire que cette communauté est la Francophonie :

[...] bâtir la francophonie, c'est donner vie à une communauté imaginaire, inventée par le Président Léopold Sédar Senghor, voulue par les mouvements associatifs. [...] Dès 1955, Léopold Sédar Senghor, alors Secrétaire d'État dans le gouvernement Edgar Faure, proposait, en concertation avec Habib Bourguiba en résidence surveillée en France, d'établir un `' Commonwealth à la française» qui

1069 Léopold Sédar SENGHOR, Allocution lors de l'inauguration de l'Espace culturel qui porte son nom, Verson, 18 mars 1995, op. cit.

309

regrouperait les nations employant le français comme langue nationale, langue officielle ou langue de culture.1070

La communauté idéale voulue par Senghor doit converger vers la Civilisation de l'Universel. En effet,

La Civilisation de l'Universel est, selon lui, d'une grande importance et nécessité, car elle surmonte les barrières et frontières nationales et enclenche une communication, un dialogue productif entre les peuples et cultures. Par ce concept, Senghor appelle à franchir les barrières culturelles et linguistiques et à mettre en oeuvre un échange mutuel et fécond entre les peuples à travers leurs particularités et valeurs culturelles1071.

Cela sous-entend que la Civilisation de l'Universel doit permettre aux peuples de tous les pays du monde de pouvoir regarder au-delà des frontières et exprimer leur désir de vivre ensemble, de conforter leurs valeurs, de valoriser leur langue, leurs coutumes et leurs cultures, en considérant que désormais leur pays est la communauté des hommes unis dans toute leur diversité. Ce qui signifie qu'aucune civilisation ne peut s'ériger en civilisation universelle du fait que toutes les civilisations, selon Senghor, doivent construire la Civilisation de l'Universel. En d'autres termes, la Civilisation de l'Universel est la symbiose de toutes les civilisations différentes, puisque ce sont toutes les nations, tous les peuples qui doivent y prendre part. Et Ibrahim Diop d'asserter que

La Civilisation de l'Universel est à proprement parler l'expression d'une humanité nouvelle qui résulte du métissage culturel et du triomphe des différences ethniques et culturelles. Senghor présente la Civilisation de l'Universel comme l'expression de la diversité dans l'unité, c'est-à-dire que tous les peuples, toutes les nations prennent part à un échange transnational, universel1072.

La définition donnée à la Francophonie dans la revue Esprit par Senghor s'apparente à celle de la Civilisation de l'Universel mise en évidence par ses oeuvres poétiques. En effet, ses efforts pour la mise en oeuvre du concept de Francophonie se justifient par sa volonté et sa quête d'un facteur de rapprochement entre les peuples et les civilisations.1073 Avec la Francophonie, il envisageait d'édifier une communauté culturelle à laquelle vont prendre part tous les pays, tous les peuples et toutes les races pour articuler des valeurs linguistiques et culturelles communes. Dans cette communauté, aucune nation ne dominera et ne donnera le ton ; il

1070 Michel GUILLOU, Francophonie-Puissance, l'équilibre multipolaire, Paris, Éditions Ellipses, Collection

« Mondes-réels », 2005, p. 7 et p. 18.

1071 Ibrahim DIOP, « Senghor entre Francophonie et dialogue interculturel », op. cit., p. 15

1072 Idem., p. 16

1073 Ibidem., p. 12

310

n'existera pas de frontières entre les nations ni de barrière raciale entre les peuples. Cette communauté sera francophone, et « leur véritable pays c'est la langue française dans toute sa diversité. »1074 La Francophonie est, au sens senghorien, cette Civilisation de l'Universel qui n'est qu'un projet d'humanisation du monde face aux répercussions de la mondialisation de la civilisation universelle. Elle a une fonction unificatrice, et oeuvre pour un dialogue fructueux, un échange enrichissant d'idées, de valeurs linguistiques et culturelles entre les peuples et les nations. Dans cette logique, Senghor affirme que « la Francophonie est un merveilleux instrument de plein épanouissement, liberté, participation à la civilisation humaine »1075, c'est-à-dire la Civilisation de l'Universel. Il s'agit pour le poète d'organiser le monde à partir d'un dialogue interculturel dans le sens d'un échange égalitaire et d'une appropriation libre et volontaire des valeurs d'autrui. Pour Senghor, il est question de s'enrichir de nos différences pour converger vers l'universel, de contribuer au dialogue des cultures, facteur de relations pacifiques entre les communautés et les composantes de la société. De ce fait, la Francophonie est, chez lui, un projet de rencontre, de communication des cultures, capable de construire l'homme, autrement dit la civilisation humaine. Cette civilisation est le fait que chaque individu apporte un peu de ce qu'il a, et qui diffère de l'autre pour l'équilibre, l'harmonie de l'humanité.

Léopold Sédar Senghor a voulu que son oeuvre poétique soit l'expression de la Civilisation de l'Universel, mieux de la Francophonie. À ce fait, il a accordé une grande valeur au dialogue enrichissant, fécond, libre et égalitaire entre les peuples et cultures sans pour autant occulter ou ignorer les particularités culturelles, les différences identitaires de certains peuples, dans sa poésie. La culture est d'une grande importance dans son oeuvre poétique, parce que conscient du fait « qu'il n'y a pas de civilisation sans culture car l'effort culturel est lui-même la principale valeur de la civilisation ».1076 Nous pouvons dès lors affirmer que la Civilisation de l'Universel est la culture francophone.1077 Nous comprenons à présent pourquoi la Civilisation de l'Universel doit être faite des valeurs complémentaires de tous les continents, de tous les peuples et de toutes les cultures.

1074 Jean-Pierre ASSELIN DE BEAUVILLE et al., « Les identités francophones », Rue Descartes 2009/4 (n°66), p. 85

1075 Léopold Sédar SENGHOR, Allocution lors de l'inauguration de l'Espace culturel qui porte son nom, Verson, 18 mars 1995, op. cit.

1076 Idem.

1077 Jean-Pierre ASSELIN DE BEAUVILLE et al. estiment qu'il n'y a pas de culture francophone : « Un minimum de réalisme s'impose si l'on veut prendre au sérieux la Francophonie comme pôle identitaire significatif et crédible puisque l'on ne saurait parler au sens propre d'une culture francophone qui pourrait constituer une matrice commune. Dès lors, le seul fondement possible de la Francophonie comme projet culturel et donc identitaire, c'est le pluralisme culturel comme choix délibéré de valoriser le fait de la diversité culturelle de ce regroupement volontaire ». (Jean-Pierre ASSELIN DE BEAUVILLE et al., « Les identités francophones », op. cit., p. 70)

311

L'universalisation est, chez Senghor, ce que présentent les cultures de chaque nation avec toutes leurs différences et particularités. Elle doit converger vers une même perception du monde et de l'homme sans affrontement, sans barrières et sans frontières. Avec la poésie, Senghor a voulu conduire les hommes, Noirs et Blancs, vers de nouvelles relations fraternelles dans une vision humaniste de partage et d'échange mutuels. Son but était le rapprochement et la réconciliation sur les fondements d'une civilisation intégrée, et l'attention mutuelle de la dignité de la personne humaine. En fait, l'éloge de la Civilisation de l'Universel fait par Senghor, à travers sa poésie, était dans le but de nous préparer à accepter ce qui devrait être le seul fer de lance de ses actions poétiques et politiques : la Francophonie, car elle est un humanisme de synthèse de toutes les énergies spirituelles et culturelles, à la fois, unies et diverses, répandues sur toute la terre ; une sorte de noosphère à construire.

La Civilisation de l'Universel est un concept emprunté par Léopold Sédar Senghor à Teilhard de Chardin pour désigner la civilisation humaine et culturelle qui sera faite par la conjugaison de tous les peuples et toutes les cultures d'horizon divers. Cette civilisation ne réduit pas l'homme à un simple objet-marchand ou une simple machine. Au contraire, elle a pour rôle de rendre le monde et les hommes plus humains. En fait, il ne faut pas confondre cette civilisation avec la civilisation universelle qui s'apparente à la mondialisation. En effet, la civilisation universelle piétine les cultures et l'identité de chaque peuple. Elle consiste à imposer une seule culture, une seule manière de vivre et de voir les choses. Mieux, elle est la culture d'un seul peuple ou d'une seule nation qui s'érige en une civilisation universelle en imposant aux autres peuples et nations ses valeurs culturelles et techniques dans le but de demeurer la civilisation dominante. Elle dicte aux autres ce qu'ils doivent faire.

Pour que la civilisation demeure universelle, elle doit phagocyter les autres civilisations et cultures, et ignorer les valeurs humanistes qu'elle inhume. Cette civilisation est rejetée par Senghor, car elle cherche à dominer, à anéantir et corrompre l'homme. Pour Senghor, cette civilisation est avilissante, abjecte, car elle détourne l'homme de ce qui devrait être son but principal, c'est-à-dire de l'homme lui-même. Le rejet de cette civilisation par Senghor s'explique du fait qu'il veut restaurer l'Homme, car il est l'essence de toute culture.1078 Pour cela, il faut un autre type de civilisation qui conduirait tous les hommes vers de nouvelles relations fraternelles, plus humaines afin de réaliser toute la condition humaine. Au lieu d'une

1078 Antoine de SAINT-EXUPÉRY, « Il faut restaurer l'homme », Civilisation contemporaine, op. cit., p. 265 (Antoine de SAINT-EXUPÉRY, Pilote de guerre, Paris, Gallimard, 1943)

312

aliénation culturelle, il faut plutôt une symbiose culturelle, une parfaite cohabitation culturelle, qui ne néglige aucune particularité culturelle de chaque peuple, de chaque nation, de chaque race et culture. Senghor propose à la place de la civilisation universelle la Civilisation de l'Universel.

La question fondamentale en cette moitié du 21ème siècle est celle de montrer comment et en quel sens un peuple peut s'ouvrir sur l'extérieur sans perdre son âme, son identité et sa culture. Il n'est plus question de réfléchir ou de spéculer, mais d'agir, car la réponse à toutes les préoccupations est sous nos yeux : il s'agit, selon Senghor, de construire la Civilisation de l'Universel, qui est une civilisation humaine, au lieu de faire la propagande de la civilisation universelle. La participation sans faille de chaque peuple, de chaque race et nation est requise, et nécessaire. Cette participation implique le rapprochement des cultures et des peuples. Ce rapprochement va à son tour engendrer une communauté, une communauté fraternelle et humaine dans laquelle chaque individu apprend à se connaître et à connaître l'autre, à s'aimer et à aimer l'autre, à s'unir et à vivre ensemble avec les différences. D'où la Civilisation de l'Universel. Toutes les cultures doivent converger vers cette communauté idéale, qui se définit comme une communauté métisse, une noosphère, un Humanisme intégral où dans une vibrante unanimité, toutes les races mêlées, Noirs, Arabes, Berbères, Européens, Américains, Asiatique, clament leur appartenance à une communauté capable de valoriser leur différente culture. Cette communauté n'est rien d'autre que la Francophonie. Elle est la communauté de ces peuples « si dissemblables et si semblables f...] ces peuples rassemblés pour le même combat »1079, celui de la culture et de la langue francophones.

Les termes pour désigner la Civilisation de l'Universel ou les valeurs véhiculées par la Civilisation de l'Universel sont celles que la Francophonie défend et promeut. La Francophonie est l'expression de la Civilisation de l'Universel. Elle invite les nations à briser les frontières et les barrières de méfiances et raciales afin de permettre aux hommes de vivre ensemble et d'être des partenaires égaux. La Civilisation de l'Universel qui se lit dans la poésie senghorienne est plutôt la culture francophone. Cette culture, fidèle à ses origines et en état de créativité sur le plan de l'art, de la littérature, de la philosophie, de la spiritualité, est capable de supporter la rencontre des autres cultures, non seulement de la supporter, mais de donner un sens à cette rencontre1080, à la participation de toutes les cultures.

1079 Léopold Sédar SENGHOR, « Prière des tirailleurs sénégalais », Hosties noires, op. cit., p. 69

1080 Paul RICOEUR, « Comment est possible une rencontre des cultures diverses », Civilisation contemporaines, op. cit., p. 248 (Paul RICOEUR, Revue Esprit, octobre 1961)

313

La culture francophone peut se définir comme étant l'unité culturelle dans la diversité culturelle. Elle est une culture métisse que partage un groupe de personne de cultures ou de civilisations différentes. Elle est aussi une culture qui emprunte à toutes les races, à toutes les cultures, à toutes les civilisations et à tous les continents. Cette culture se veut préserver l'identité culturelle de chaque peuple et de chaque nation dans un monde, sujet d'uniformisation, où l'on cherche à imposer une seule culture, une seule conscience à tous les hommes comme modèle. Ce qui explique les crises, les guerres aujourd'hui est l'universalisation d'une seule culture, d'une seule religion, d'une seule doctrine, d'une seule opinion. La culture francophone, au contraire, se veut l'apport de cultures, de religions, de doctrines et d'opinions diverses, dans le respect des particularités et de l'identité de chaque composante. La Civilisation de l'Universel, chez Senghor, est tout simplement la Francophonie, mieux la culture francophone.

Notre troisième chapitre a mis en évidence les raisons culturelles de Léopold Sédar Senghor dans le choix de la Francophonie. Ce sont la culture africaine, l'ouverture culturelle et l'éloge de la Civilisation de l'Universel. Parlant de la culture africaine, nous avons vu qu'elle a été désintégrée par la colonisation. Conscient de ce fait, Senghor estime la nécessité de réhabiliter les cultures propres aux Négro-africains en les intégrant dans un mouvement de la révolution culturelle, car elles ont le droit d'y participer. Ayant découvert les potentialités des cultures africaines et les richesses dont elles regorgent, il s'est convaincu qu'elles peuvent façonner l'homme et participer à l'établissement du nouvel humanisme. En fait, elles sont caractérisées par une sorte d'humanisme panthéiste où la primauté est accordée à la raison intuitive, qui selon Senghor, doit être la panacée de l'humanité, et doit réinventer un humanisme moderne. Il a voulu ériger la raison intuitive en mode de connaissance participant pleinement de la rationalité discursive. Pour cela, il nous faut nous dépayser dans notre propre origine, c'est-à-dire revenir à nos sources culturelles d'origine, nous enraciner pour être un interlocuteur valable dans le grand débat des cultures, comme le dit Paul Ricoeur1081, et qui est chez Senghor, l'ouverture culturelle.

Quant à l'ouverture culturelle, elle est une sorte de dialogue des cultures dans lequel chaque culture en interaction donne sa particularité et reçoit de l'autre sa particularité. Senghor a appelé cette interaction le rendez-vous du donner et du recevoir. À ce rendez-vous, l'Afrique

1081 Idem., p. 248

314

viendra avec sa culture, autrement dit avec la raison intuitive ou émotive qui est autant nécessaire que la raison technicienne et la raison discursive (rationnelle). Au lieu d'un choc culturel comme l'envisage Samuel Huntington1082, l'ouverture culturelle permettra l'assimilation des valeurs culturelles reçues sans faire perdre l'âme et l'identité des cultures, des pays et nations. Elle facilitera le libre-échange et la libre circulation des personnes et des cultures. En fait, par l'ouverture culturelle, Senghor voulut faire l'éloge d'une culture francophone, d'une culture qui doit être construite par l'apport complémentaire de toutes les cultures. En réalité, il faisait allusion à la Civilisation de l'Universel.

La Civilisation de l'Universel est un concept emprunté à Teilhard de Chardin par Léopold Sédar Senghor pour mettre en évidence sa vision d'un monde plus humain. Elle ne doit pas être confondue avec la civilisation universelle, qui existe bel et bien. Elles ne disent pas la même chose. La civilisation universelle est une sorte de mondialisation qui consiste à anéantir les cultures pour ériger une seule culture comme modèle de la civilisation idéale sans se soucier du sort de l'humanité qui décline. Quant à la Civilisation de l'Universel, nous disons qu'elle est une union dans la diversité et elle consiste à rassembler toutes les cultures en vue d'un échange mutuel dans lequel aucune culture ne prétend être la supérieure, mais partenaire égale. Cette civilisation met l'accent sur le rapprochement des cultures et la participation de chaque peuple et chaque nation. Elle est une civilisation métisse, présentée par Senghor comme la civilisation idéale, car elle n'anéantit pas les cultures et n'altère pas l'identité culturelle des peuples et des nations. En plus, l'homme est au centre de ses préoccupations ; il est l'essence de cette civilisation. La Civilisation de l'Universel est, également, une civilisation où les cultures convergent vers une communauté idéale et humaine, de valeurs culturelles et humanistes, vers un Humanisme intégral. Cette communauté idéale et humaine est la Francophonie.

Léopold Sédar Senghor rejette la civilisation universelle pour prôner la Civilisation de l'Universel qui favorise le rapprochement, le rassemblement, la fraternité, l'unité, la connaissance de soi et de l'autre, et l'amour de soi et de l'autre. Avec la Civilisation de l'Universel, il ne devrait plus exister de frontières entre les nations, plus de barrières entre les cultures et les peuples. Avec la Francophonie, les francophones devraient regarder au-delà des frontières et exprimer leur désir de vivre ensemble. La Civilisation de l'Universel et la Francophonie sont l'expression de l'unité culturelle dans la diversité. En fait, pour parler de la Civilisation de l'Universel, il a fallu que Senghor découvre d'abord la civilisation africaine, et

1082 Samuel HUNTINGTON, Le choc des civilisations, O. Jacob, Paris, 1997, 545 p.

315

puis la civilisation occidentale.1083 La Civilisation de l'Universel résulte de la conjugaison de ces deux civilisations puisqu'elles doivent converger ensemble vers une civilisation intégrale et participer ensemble à la construction d'un nouvel humanisme. Pour parler de civilisation, il faut qu'il y ait une culture, c'est la raison pour laquelle la Civilisation de l'Universel n'exclut aucune culture, et que l'on parle de culture francophone.

La culture francophone qui sous-tend la Civilisation de l'Universel est la symbiose des valeurs culturelles données et reçues au rendez-vous du donner et du recevoir. Cette culture se veut préserver l'identité culturelle de chaque peuple et de chaque nation tout en brisant les frontières entre les nations, et les barrières entre les cultures et les peuples pour prévenir les dérives que peut engendrer la civilisation universelle. Elle est la manifestation concrète de deux humanismes : l'humanisme nègre et l'humanisme occidental pour un Humanisme intégral qui nous invite, par nos différents apports et sans complexe, à participer à la communauté culturelle qui est la Francophonie.1084 À vrai dire, la Civilisation de l'Universel est une de ces nombreuses métaphores pour désigner la Francophonie qui est l'aboutissement d'un long processus, qui se veut apport d'émotion et supplément d'âme, et d'intuition à la rationalité et à la technicité occidentale, et asiatique. La Civilisation de l'Universel et la Francophonie sont donc les deux faces d'une même pièce d'argent chez Léopold Sédar Senghor. La rencontre des cultures, des civilisations, des peuples, des nations et des races doit aboutir à la Francophonie. Désormais, il n'est plus question de parler de Civilisation de l'Universel chez Senghor, mais de la Francophonie, car elle est cet Humanisme intégral de demain qui se tisse autour de la terre. Elle est aussi cette Civilisation de l'Universel à laquelle aspirait Senghor.

Les raisons qui ont précédé la résurgence de la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor sont de trois ordres : d'abord des faits historiques, mis en évidence au chapitre un ; puis des raisons personnelles, vues au chapitre deux ; et enfin les raisons culturelles, mises en relief au chapitre trois.

Le chapitre un a permis d'appréhender les faits historiques. À travers ce chapitre, nous avons su qu'il existe une filiation historique entre l'Afrique et l'Europe, voire la France. Cette filiation est qualifiée d'historique, parce qu'elle a été tissée depuis la traite négrière en passant par la colonisation et son instrument l'école (la politique d'assimilation). L'étude de ces faits

1083 Abdoulaye DIAWARA, op.cit., p. 34

1084 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 123

316

historiques montre qu'ils n'ont pas été de véritables oeuvres civilisatrices, mais des crimes contre l'humanité, car ils sont marqués par des massacres et la vente des peuples noirs. Cependant, Senghor voit en ces oeuvres des canaux de contact entre deux civilisations permettant à deux races de se rapprocher et de se connaître. En fait, bien qu'il en dénonce, Senghor sublime la brutalité, l'hostilité de cette rencontre historique entre l'Afrique et l'Europe pour retenir le caractère positif de cette rencontre, qui, pour lui, est une rencontre enrichissante de part et d'autre. Cette rencontre brutale et hostile, aussi qu'elle soit, a eu des doses de fraternité qui lient les Africains et les Européens dans une possible communauté de destins historiques. Cette communauté de destins historiques est appelée la France confédérée par Senghor, car il s'agit des colonies françaises liées à la France. Plus tard, cette communauté a pris l'appellation de la Francophonie.

Les faits historiques sont, aussi, mis en évidence par la participation des Africains aux différentes guerres mondiales, surtout à la deuxième guerre mondiale à laquelle Senghor a pris part. Pendant la guerre, les Noirs et les Blancs étaient des frères d'armes, et se sont unis pour défendre la République, c'est-à-dire la France. Senghor recherche ou veut valoriser cette unité et cette fraternité, lorsqu'il rappelle cette participation sanglante. La participation des Noirs aux différentes guerres est un sacrifice dans le seul but de sauver l'humanité comme le Christ. En fait, ce sacrifice dont parle Senghor à partir de la participation des Noirs aux différentes guerres est le sacrifice de la Négritude. Il sacrifie la Négritude pour annoncer l'avènement d'un monde de fraternité et de paix. Ce monde de fraternité et de paix sera traduit par la volonté de vivre ensemble sans haine comme des enfants de la France confédérée, des enfants de la communauté des francophones.

Pour vivre ensemble sans haine, il faut qu'il y ait le pardon. La volonté de pardonner l'amène à la réconciliation et à l'acceptation de l'autre. Pour cela, les Africains doivent pardonner pour donner une chance à l'avènement du monde de fraternité et de paix où les races et les nations vivront en harmonie. Le pardon auquel Senghor invite les Africains est celui de leur humanisme. Cet humanisme se veut redéfinir la race humaine. Il est plus humain et sait vaincre la haine, et sait pardonner pour s'ouvrir aux autres. Nous retenons, du chapitre un, que Senghor voulait à tout prix conserver de façon vivace les liens qu'une histoire et des références historiques communes avaient créés avec la France.

Le chapitre deux nous a permis de mettre en relief les raisons personnelles de Léopold Sédar Senghor. À cet effet, nous avons relevé trois raisons : la dilection de la langue française, la volonté d'africaniser le français et le choix du peuple noir.

317

Ce sont la clarté et la logique du français qui ont influé sur Senghor à tel point qu'il qualifie la langue du colonisateur de gentillesse et d'honnêteté, voire la langue des dieux. Il désigne, également, cette langue de langue humaniste et universaliste qui structure la pensée et développe l'esprit critique. Bien qu'imposée par la colonisation à travers la politique de l'assimilation dont l'instrument fut l'école, Senghor l'a choisie pour exprimer sa pensée et transmettre son message au monde. Et à force de la pratiquer, il s'est ancré dans la langue française au point de la faire sienne. Remarquant qu'elle n'est plus la propriété exclusive de la France, Senghor invite ses locuteurs à s'unir et à s'organiser pour la valoriser. L'idée de fonder une communauté et celle de la Francophonie est ainsi née. Cependant, cette langue n'est pas apte à exprimer les réalités africaines. Pour qu'elle soit apte à le faire, il faut qu'elle soit insufflée de vocables africains, voire d'autres contrées. Cette volonté d'africaniser le français a engendré un type de français appelé français africanisé.

Le français africanisé est l'expression de la diversité linguistique et de la double culture de ses locuteurs dans la mesure où cette langue est fécondée par l'apport des langues africaines et par l'influence des autres langues auxquelles elle a emprunté et calqué des formes, des images et des expressions. Cette langue n'oblitère pas la logique et la clarté de la langue française. Au contraire, elle l'enrichit et la valorise. En fait, elle assure la survie du français et donne la preuve que ses locuteurs maîtrisent à la fois le français et la leur. Le français étant une langue essentielle (abstraite) et les langues négro-africaines des langues existentielles (concrètes), la rencontre ou le contact de ces langues a engendré une langue hybride, métisse. Il s'agit d'un français métissé avec le français africanisé. Cette langue mérite que des spécialistes s'y intéressent, car elle est la langue de la Francophonie.

Dans la marche vers la Civilisation de l'Universel, Senghor refuse que le peuple noir reste à la traine. Pour cette raison, il a endossé plusieurs fonctions ou missions pour restituer à l'homme noir et sa culture la place et le rôle essentiels qu'il a dans l'histoire et dans cette marche. Il voulut réaliser l'homme noir, valoriser l'homme noir et sa culture et sa civilisation, revendiquer son droit à l'existence et à la liberté, réécrire son histoire déformée, défendre les valeurs humanistes de sa culture et l'unir aux autres hommes. Il est convaincu que la Francophonie est capable de libérer le peuple noir et de l'aider à l'ouverture et à entrer dans une civilisation qui favorise la fraternité universelle.

Le dernier chapitre a abordé les raisons culturelles de Léopold Sédar Senghor. La véritable raison de la renaissance de la Francophonie, selon lui, est d'ordre culturel. En effet, la Francophonie est culture par essence. Pour parler d'une culture francophone, il faut parler des autres cultures ou de sa propre culture. Senghor ne se dérobe pas. Il commence par l'éloge de

318

la culture africaine, puis de l'ouverture culturelle pour aboutir enfin à la Civilisation de l'Universel.

Il présente la culture africaine comme un humanisme qui ne dissèque pas l'homme, mais considère chaque individu comme une médiation de l'autre. La culture africaine appréhende l'homme dans son entièreté, dans son intégralité. Elle est un humanisme intégral et intuitif (émotif). Il invite l'humanité à s'approprier cette culture, surtout les Africains, par un enracinement. Ayant la ferme conviction que cette culture peut façonner l'humanité et participer à la réalisation d'un nouvel humanisme, Senghor opte pour l'ouverture culturelle. La culture ne doit pas être un but à soi mais un moyen d'ouverture à l'autre.

L'ouverture culturelle implique le dialogue des cultures et le rendez-vous du donner et du recevoir. En effet, à travers le dialogue et les échanges d'idées et de cultures, chacun trouve une place, se sent écouté, accepté et valorisé. L'ouverture culturelle doit permettre à tout un chacun d'être un interlocuteur valable dans le grand débat des cultures, d'avoir des connaissances des cultures autres que les siennes. Ce qui constitue une richesse ; car elle permettra l'assimilation des valeurs culturelles sans oblitérer l'identité culturelle de tout un chacun. En fait, il s'agit d'apporter et de donner ce qu'on a, et de recevoir de l'autre ce qu'on n'a pas. Ce qui fait dire que l'ouverture culturelle est une communication et un échange entre les cultures ; mieux, c'est une symbiose de cultures. Cette symbiose dans les poèmes de Senghor se veut universel, ce qui signifie que l'ouverture culturelle présentée par Senghor a pour finalité la Civilisation de l'Universel.

Cette civilisation résulte de l'apport de toutes les cultures en dialogue, autrement dit, la symbiose des différentes civilisations, puisque ce sont toutes les nations, tous les peuples et toutes les races qui doivent la construire. En fait, la marche vers une Civilisation de l'Universel suppose au préalable, non seulement, un retour vers soi, sans quoi aucune participation à l'universel n'est possible, mais également une ouverture à l'autre, inscrivant ainsi les cultures dans la diversité. De ce fait, la Civilisation de l'Universel serait une sorte d'unité dans la diversité qui, pour Senghor, mettra en évidence sa vision d'un monde plus humain. Cette civilisation s'oppose carrément à la civilisation universelle. La civilisation universelle valorise une langue, une culture, une religion et une pensée uniques. La Civilisation de l'Universel, quant à elle, est l'expression d'un Humanisme intégral, puisqu'elle valorise les langues, les cultures, les religions et les pensées diverses. Avec cette civilisation, il ne devrait plus avoir de frontières et de barrières entre les peuples et les nations, les races et les cultures. La Civilisation de l'Universel peut être réduite à la culture. Dans ce cas, il s'agit de la culture francophone. Cette culture est l'ensemble des valeurs culturelles que se partagent les locuteurs de la langue

319

française. C'est en ce sens que nous avons dit que l'aboutissement de la Civilisation de l'Universel est la Francophonie. La Civilisation de l'Universel et la Francophonie sont deux faces d'une même médaille chez Léopold Sédar Senghor. La Civilisation de l'Universel n'est rien d'autre que la Francophonie.

La Francophonie est aujourd'hui un des concepts de la diversité culturelle, un des outils de ce dialogue des civilisations à construire, un des espaces de cohabitation indispensables pour éviter la prophétie du choc des civilisations. Cette Francophonie dans la poésie de Léopold Sédar Senghor est d'abord Apports complémentaires de toutes les civilisations ; puis Enracinement culturel et Ouverture culturelle ; ensuite Dialogue des cultures ; et enfin Unité et Fraternité. Elle se veut aussi Rapprochement et Rassemblement des peuples, Communauté fraternelle (la communauté des francophones), Connaissance de soi et de l'autre, et Amour et Respect de soi et de l'autre. Elle est également Humanisme intégral (considération de l'homme dans son intégralité). Cette Francophonie fait la promotion d'une langue commune (le français africanisé) et d'une culture commune (la culture francophone). Elle est à construire et à rechercher selon Senghor. C'est pourquoi, nous estimons que l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) qui n'est qu'une représentation concrète du concept de Francophonie doit poursuivre l'oeuvre de Senghor, celle de la réalisation de la Francophonie (la Civilisation de l'Universel), telle que présentée dans sa poésie. En fait, l'OIF s'est lentement éloignée de la Francophonie senghorienne. Aussi, sommes-nous en mesure d'affirmer que la poésie de Senghor est le manifeste de la Francophonie, cette Francophonie définie et présentée, par lui, dans la revue Esprit de 1962, et mise en évidence dans la première partie de notre travail. Il n'y a point de différences entre la Francophonie de la revue et celle de sa poésie. Elle est une somme de liens tissés entre différents peuples, librement acceptés par tous, et décidés de converger tous ensemble vers un même idéal. Et la poésie senghorienne est portée par l'espoir de créer une civilisation, fédérant les cultures par-delà leurs différences, et cela a été conceptualisé par la Francophonie. Autrement dit, la Francophonie, selon lui et au travers de sa poésie, est de s'enraciner dans sa culture pour s'ouvrir à la culture française qui est méthode et rationalité. Mieux, la Francophonie, chez Senghor, est le fait de puiser en sa culture les ressources nécessaires pour enrichir l'humanité, et ce, à travers la langue française fécondée des autres langues, en particulier celles de l'Afrique.

À l'issue de cette deuxième partie, nous retenons que Senghor défend l'idée d'une Francophonie qui conduirait à la Civilisation de l'Universel. Cependant, les réseaux associatifs étudiés dans cette partie révèlent l'image d'une personne résignée à l'idée d'une mission civilisatrice universelle de la langue et de la culture françaises capables de féconder les langues

320

et les cultures africaines. Et l'expression de cette résignation est la Francophonie. Par la Francophonie, il entend concilier à la fois l'homme noir et l'homme blanc dans une parfaite harmonie. Pour cette raison, il la définie comme un Humanisme Intégral. Mieux, il la conçoit comme enracinement en soi, confirmation de soi et ouverture à l'autre, comme un instrument de contribution à l'humanisme. Cependant, l'enjeu du débat en cette moitié du 21ème siècle est de montrer comment et en quel sens un peuple peut s'ouvrir sur l'extérieur sans perdre son identité, sachant que l'identité se construit et se transforme tout au long de l'existence ; sachant également que la revendication identitaire a été pour chaque peuple la délivrance de leur condition humiliée et aliénée. Dans le cas de la Francophonie, pour que vive le français africanisé, il faut qu'il soit pour celui qui le parle l'expression possible de son identité, quelle que soit son origine. Cela veut dire qu'il s'agit à travers la Francophonie d'exprimer ou de trouver son identité. De ce fait, nous pensons que la Francophonie est une problématique identitaire chez Léopold Sédar Senghor. Pour s'en assurer, il faut à nouveau interroger ses oeuvres poétiques pour voir s'il existe une identité francophone.

PARTIE III :

LA FRANCOPHONIE, UNE PROBLÉMATIQUE
IDENTITAIRE CHEZ LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR

322

La question identitaire est plus que jamais d'actualité. Parler de l'identité peut être sujet à caution, voire controverse, car cette notion, loin d'être aussi simple, est complexe, contradictoire et paradoxale. En effet, l'identité d'une personne ne se limite pas à ses caractéristiques biologiques, elle s'acquiert à travers un processus d'ordre symbolique dans lequel une personne se construit comme être social en devenir, comme sujet et non comme un simple atome1085, comme le disent également Jean Tardif et Joëlle Farchy :

Contrairement à une acceptation courante l'identité n'est jamais donnée, elle n'est pas réductible aux caractéristiques biologiques ou physiques d'un individu, à ce qui en lui est stable ou invariant, pas plus qu'aux indications consignées sur une carte d'identité administrative délivrée par l'État. L'identité s'acquiert à travers un processus subjectif, dynamique et ouvert, par lequel une personne se construit dans un contexte historique et social complexe et changeant. L'identité est le mode interaction propre à chaque individu et par lequel il se définit comme être social en devenir, comme sujet et non comme atome social1086.

Comme on le voit, il y a une identité biologique, physique et une identité qui s'acquiert. Ce qui signifie que la notion d'identité se rapporte à plusieurs paramètres allant de la manière dont l'individu se perçoit et s'inscrit dans le temps jusqu'aux multiples modalités permettant la reconnaissance de celle-ci.1087 L'identité est de plus floue, fugace, multiple, mobile et dé-corporalisée. Autrement dit, elle est un processus évolutif, adaptatif, régulateur, pluriel, qui n'est jamais stable et acquis une bonne fois pour toute.1088 Elle n'est pas une donnée stable et définitivement acquise, mais le produit d'histoire dans laquelle elle s'inscrit.1089 Cependant, chaque individu possède quelque chose d'unique qui lui permet de se définir et de s'identifier par rapport aux autres. Elle est unique. Chacun possède sa propre identité : « Mon identité, c'est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre personne »1090, mais elle se construit par rapport aux autres. Elle ne peut également se séparer de l'altérité : « L'identité se construit, se

1085 Jean-Pierre Asselin de BEAUVILLE et al., « Les identités francophones », Rue Descartes 2009/4 (n°66), p.68

1086 Jean TARDIF et Joëlle FARCHY, Les enjeux de la mondialisation culturelle, édition Hors Commerce, Paris, 2006, p. 50

1087 Assa Syntyche ASSA, Migration et Quête de l'identité chez quatre romanciers francophones : Malika MOKEDDEM, Fawzia ZOUARI, Gisèle PINEAU et Maryse CONDE, Thèse, Montpellier, Université Paul Valery - Montpellier III, 2014, 415 p. [Sous la direction du Professeur Guy DUGAS], p.10

1088 Samira BOUBAKOUR et Amina MEZIANI, « Des rives et des langues : Identités et appartenances chez des auteurs francophones » Synergies Algérie, n° 17 - 2012, p. 133

1089 Albert CHRISTIANE, « Introduction », in Francophobie et identité culturelles, Karthala, Paris, 1999, p. 8 1090 Amin MAALOUF, Les identités meurtrières, Grasset, Paris, 1998, p. 18

323

définit, s'étudie dans le rapport à l'autre ; elle est indissociable du lien social et de la relation à l'environnement. »1091 Elle oscille entre l'altérité et la similarité, nous le dit Marc Edmond :

L'identité se propose ainsi, au niveau même de sa définition, dans le paradoxe

d'être à la fois ce qui rend semblable et différent, unique et pareil aux autres. Elle oscille entre l'altérité radicale et la similarité totale.1092

Toutefois, l'identité, chez Paul Ricoeur, est définie à la fois comme étant la mêmeté et l'ipséité, et impliquant l'unicité, l'identique, la continuité, la permanence, la pluralité, la différence, la discontinuité et la diversité.1093 Salman Rushidie, dans son ouvrage Les Patries imaginaire, affirme à la conclusion que l'identité est une donnée à la fois plurielle et individuelle.1094 Quant à Édouard Glissant, il parle de multiplicité, d'hétérogénéité et de pluralité avec sa théorie du rhizome.1095

En plus, étymologiquement dans le mot identité, il y a l'idée d'unicité et d'unité. Dans tous les cas, l'identité implique des notions telles que l'évolution, la pluralité, l'expérience personnelle. Elle n'est ni figée ni unilatérale ; elle est, par nature, un chantier jamais achevé, processus par essence composite. L'identité peut être aussi collective et culturelle. Dans ce cas, l'individu est identifié par des traits culturels et par rapport à un groupe qu'il soit familial, ethnique, national, sexuel, linguistique, religieux ou artistique.

De tout ce qui précède, nous voyons qu'il y a une quasi impossibilité de dire avec certitude ce que l'identité est exactement. Néanmoins, il ressort qu'elle est à la fois unique et plurielle. Unique, par les traits physiques et physionomiques (c'est ce qui fait qu'on n'est identique à aucune autre personne). Plurielle, du fait qu'elle relève du sentiment, du moral, du mental, de la psychologie, du social, du statut professionnel, de l'état civil. Cependant, ce que nous remarquons est que l'identité n'est pas permanente, car les éléments qui peuvent constituer la permanence sont changeants, variables. Cela veut dire qu'à côté de la langue, du nom, de la filiation, de la région, du pays, de la nation, de l'appartenance à une communauté sociale et religieuse, de l'opinion, il y a d'autres facteurs à prendre en considération dans la définition de l'identité. À cet effet, Myriam Louviot laisse entendre que « [...] l'identité est désormais conçue

1091 Lucy BAUGRET, L'identité sociale, Dunod, Paris, 1998, p. 17

1092 Marc EDMOND, Psychologie de l'identité : soi et le groupe, Dunod, Paris, 2005, p. 26

1093 Cf. Paul RICOEUR, « L'identité narrative », Esprit, n°7-8, 1998, pp. 295-314

1094 Cf. Salman RUSHIDIE, Patries imaginaires, Christian Bourgeois, Paris, 1993

1095 Cf. Édouard GLISSANT, Traité du Tout-Monde, Poétique IV, Gallimard, Paris, 1997

324

comme un récit complexe, en perpétuelle évolution, et, non plus comme une donnée de base. »1096

Parler de l'identité chez Léopold Sédar Senghor revient à montrer la façon dont il se construit l'image qu'il a de lui-même en fonction des contextes sociaux dans lesquels il a fréquentés et des apprentissages sociaux dans lesquels il est impliqué. Senghor fait de l'identité une préoccupation fondamentale et un thème majeur dans son oeuvre poétique : « L'identité est, en effet, un thème majeur et revêt des formes diverses dans l'oeuvre poétique de Senghor »1097. L'identité est intimement liée à l'idée de quête dans le discours poétique. C'est la raison pour laquelle, Hamidou Dia dit que « tout poème d'une certaine manière est une quête »1098. Chez Senghor, la quête identitaire est une aventure ambiguë, car « cette quête part de la prise de conscience d'un vide existentiel à la volonté de le combler par le processus du retour »1099 sans vraiment la réaliser. La quête identitaire chez Senghor s'opère alors comme une métaphore obsédante. Il refuse de renier son être, son origine tout en assimilant la langue et les valeurs de l'Occident. Il ne peut également pas se réclamer une identité unique et précise, car son existence est marquée du sceau du métissage, qu'il soit biologique, culturel ou linguistique. Il oscille entre deux cultures ; il se construit une identité qui se vit, se pense et s'écrit dans l'entre-deux.

Obsédé par la recherche d'une identité, « la quête identitaire dans [son] oeuvre poétique [...] s'impose comme un parcours fondamental qui [le] conduit vers des horizons toujours nouveaux »1100. En effet, dans l'oeuvre poétique de Senghor, il s'agit d'une identité dynamique, car on assiste à une véritable quête identitaire. Cette quête identitaire s'accompagne d'un retour aux essences, aux sources, et d'une ouverture à d'autres essences et à d'autres sources. Il se donne le devoir de se créer, de s'inventer, de se forger une identité, dite identité francophone. Qu'est-ce que l'identité francophone ? Quelles sont les origines de la quête identitaire chez Léopold Sédar Senghor ? Comment se conçoit l'identité francophone dans sa poésie ?

La question identitaire en Francophonie est également d'actualité, et cela s'explique du fait de la modernité, de la mondialisation, des déplacements, des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Elle est une problématique, et les points de vue sont partagés.

1096 Myriam LOUVIOT, Poétique de l'hybridité dans les littératures postcoloniales, Thèse de doctorat,

Strasbourg, Université de Strasbourg, UFR de Lettres Modernes, Littérature comparée, 17 septembre 2010, 948

p. [Sous la direction de François-Xavier Cuche], p.7

1097 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 92

1098 Préface de À mi-chemin de Véronique TADJO, L'Harmattan, Paris, 2000, p. 7

1099 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 85

1100 Idem., p.83

325

Henri Lopès et Daniel Maximin estiment qu'il n'y a pas d'identité francophone.1101 Pour Henri Lopès, « la langue serait l'un des éléments caractéristiques de l'identité », or il n'y a pas de langue francophone, donc, pour lui, il ne peut pas exister une identité francophone. Autrement dit, personne ne parle le francophone, ni écrit en francophone. La Francophonie, dans ce sens, est de la lumière d'étoile morte, elle n'a plus le droit à la parole et à l'existence.1102 Quant à Daniel Maximin, les Francophones « sont différents, ils sont distincts ; il n'y a donc pas une identité francophone, et on ne peut être qu'un dictateur si on essaie de la fabriquer dans un but politique. » Jean Tardif pense qu'il existe une identité francophone, mais elle « ne se confère pas, elle se construit et peut même être délaissée. Ce qui importe donc réellement, ce sont ceux qui se considèrent comme parlants-français et qui se comportent comme tels autrement que de façon purement occasionnelle ou marginale ».1103 Ken Bugul affirme que tout le monde est Francophone, et que personne ne se situe à la périphérie :

J'entends par Francophonie l'usage et le vécu d'une langue commune à des pays

qui ont en partage la langue française. Il n'y a donc pas d'auteurs `'français». Tout le monde est francophone et personne ne se situe à la périphérie.1104

Michel Guillou définit le Francophone comme étant celui qui parle la langue de l'autre et qui refuse l'uniformisation linguistique et culturelle ; c'est celui qui est ouvert en conservant sa spécificité.1105 Quant à Alain Mabanckou, être Francophone, c'est être dépositaire de culture, d'un tourbillon d'univers, bénéficier certes de l'héritage des lettres françaises, mais apporter surtout sa touche dans un grand ensemble, et cette touche brise les frontières, efface les races, amoindrit la distance des continents pour ne plus établir que la fraternité par la langue et l'univers.1106 Tahar Ben Jelloun affirme qu' « est considéré comme francophone l'écrivain métèque, celui qui vient d'ailleurs et qui est prié de s'en tenir à son statut légèrement décalé par rapport aux écrivains français de souche. »1107 Le Tchadien Nimrod nous invite à bannir l'épithète « francophone » de notre vocabulaire, car il n'y a pas d'écrivains francophones.1108

1101 Jean-Pierre Asselin de BEAUVILLE et al., « Les identités francophones », op. cit., p.74 et p.79

1102 C'est dans cette logique que s'inscrit le manifeste « Pour une littérature-monde en français », paru dans Le

Monde des livres du 16 mars 2007 ou Pour une littérature-monde, publié chez Gallimard sous la direction de

Michel Le Bris et Jean Rouaud, en mai 2007. Ils se veulent l'acte du décès de la Francophonie.

1103 Jean-Pierre Asselin de BEAUVILLE et al., « Les identités francophones », op. cit., p.70

1104 Ken BUGUL, Magazine littéraire de mars 2006 (cité également par Jean Foucault, « Parler le

francophonais », op. cit., p. 20)

1105 Michel GUILLOU, Francophonie : Demain, il sera trop tard, p.3

1106 Alain MABANCKOU, « La Francophonie, oui, le ghetto, non ! » Le Monde|18.03.2006 à 13h57. Mise à jour

le 18.03.2006 à 13h57

1107 Tahar Ben JELLOUN in Pour une littérature-monde, Paris, Gallimard, 2007, p. 117

1108 Bena Djangrang NIMROD, in Pour une littérature-monde, idem., p. 234

326

Comme le dit Josefiana Bueno Alonso, « l'identité francophone se présente comme une configuration d'éléments multiples »1109 qui « émerge à partir de la déconstruction d'une littérature dominante et d'une langue dominante et elle est marquée par l'hétérogène ».1110 Elle est l'affirmation d'une façon d'être et d'agir dont les valeurs dépassent le sens commun et s'imposent aux hommes quelle que soit leur origine, leur race et leur nationalité. C'est-à-dire qu'être Francophone, c'est reconnaître et valoriser une langue et une culture fécondées et fécondantes. Selon Dominique Wolton, « cinq caractéristiques permettent de cerner l'identité francophone : linguistique, géographie et spatiale, civilisationnelle, politique.[...] Par conséquent l'identité repose sur le fait d'appartenir à une communauté de langue ou bien, de s'y rattacher en parlant français »1111. Il poursuit ses propos en disant que

L'identité est une réalité dont chaque francophone est dépositaire, qu'il ressent et

vit de façon particulière, mais dont chacun n'est propriétaire et qui ne répond pas à une conception unique.1112

Si nous comprenons très bien, le fait d'appartenir à une communauté de langue, de surcroît la langue française, fait de l'individu un Francophone. Et, à juste titre, il ajoute en affirmant que « toute identité est d'abord un patrimoine en commun, que l'on accepte, que l'on subit, auquel on adhère ou non, mais qui existe ».1113 Cela suppose que dans l'appréhension de l'identité francophone, la langue y joue un rôle central, et que la question identitaire se pose partout où le français est parlé ou (et) enseigné. Dans tous les cas, tous les critiques s'accordent pour dire que l'identité francophone est dynamique et plurielle et qu'elle est à construire avec les autres.

En ce qui nous concerne, nous avançons que l'identité francophone est, à la fois, une identité-refuge et une identité culturelle relationnelle. En effet, c'est la langue française qui a établi un lien de solidarité entre les peuples. Cette langue reflète l'identité de tous ces peuples unis. Elle est le symbole d'identité des Francophones. Cette identité ne va-t-elle pas faire perdre (ou renoncer à) l'identité spécifique de chaque parlant-français ? Senghor estima que

La francophonie ainsi présentée dans ses dimensions géographiques et humaines, nous devons évoquer le lien unit ces quarante-deux pays : la langue française. Mais il est moins question de cette langue que de la civilisation dont elle est le véhicule, plus exactement de son esprit : de la culture française. Cependant, s'il n'était question que

1109 Josefina Bueno ALONSO, Francophonie plurielle : L'expression d'une nouvelle identité Culturelle, p. 689. Disponible sur http :// www.dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/1011658.pdf

1110 Idem., p. 687

1111 Dominique WOLTON, « L'identité francophone dans la mondialisation », Cellule de réflexion stratégique de la Francophonie (CRSF), Décembre 2008 (collaboration avec Cathérine Mandigon et Aurélien Yannic), p. 17

1112 Idem., p. 33 1113 Ibidem., p. 33

327

de cela, comment pourrions-nous l'accepter sans renoncer à notre identité, nous Négro-Africains, nous Arabo-Berbères, Indochinois, Papous et Polynésiens, voire nous Belges, Suisses, Canadiens ? Si nous acceptons comme objectif majeur de la francophonie la défense et réalisation de la francité, c'est qu'elle est liée, dans notre esprit, comme dans la réalité historique, à la défense et réalisation de nos cultures respectives.1114

Selon lui également, l'identité francophone ne permettra pas le renoncement de l'identité propre de chaque parlant-français. Alors comment Léopold Sédar Senghor conçoit-il l'identité francophone sachant que sa Francophonie présente une langue et une culture qui ne sont pas tout à fait françaises ? Si chaque langue est intimement liée à l'identité du peuple qui la parle, alors chez Senghor l'identité francophone ne serait plus conditionnée par le critère de la géo-spatiale, car il n'a jamais été question chez lui de définir un espace, mais une communauté, une culture et une langue. Le Francophone serait celui qui appartient à la communauté, qui accepte la culture et la langue que Senghor a définies avec sa conception de la Francophonie.

Chez Senghor, l'identité francophone serait métissage et ouverture, car elle se construit à partir des apports de tout un chacun, peut-on en déduire des propos de René Gnaléga.

Il faudrait voir ici l'idée selon laquelle le point culminant de l'identité

senghorienne dépasse des clivages pour s'ouvrir au métissage qui est le nom d'un nouvel humanisme1115.

Nous retenons que l'identité francophone est une identité métisse, unique et plurielle, c'est-à-dire une identité définie comme une unité dans la diversité ou dans la pluralité. Mieux, elle est une configuration d'éléments multiples.1116

Il est question de voir comment Léopold Sédar Senghor définit l'identité francophone dans sa poésie. Il s'agit, également, de procéder à une approche nouvelle d'analyse pour élucider la problématique de l'identité dans la Francophonie.1117 Quatre chapitres permettent d'emprunter le chemin périlleux de la quête identitaire dans la poésie senghorienne afin de montrer que la Francophonie est l'expression de l'identité-refuge de toutes les personnes se considérant métisses linguistiquement, biologiquement et culturellement. Le premier chapitre met en évidence l'identité rhizomique de Léopold Sédar Senghor. Dans ce chapitre, nous montrons que Senghor cherche des origines ataviques pour justifier son identité métisse

1114 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme de la francophonie », Liberté 3, op. cit., p. 277 1115 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p. 92

1116 Albert CHRISTIANE, « Introduction », in Francophobie et identité culturelles, op. cit., p. 9 1117 Plusieurs critiques ont utilisé des approches structuralistes, sémiologiques ou sémiotiques, voire linguistiques, diachroniques ou synchroniques pour appréhender les identités. Quant à nous, nous voulons procéder autrement en nous servant de la psychocritique.

328

(identité multiple). « Il faut ajouter que la quête identitaire touche aux racines de l'être puisqu'elle va donner une place particulière aux liens de sang. »1118 Pour cela, il fait appel à la thèse de l'ancêtre portugais et des sangs mêlés. Le deuxième chapitre donne les explications de la démarche entreprise par Senghor pour se constituer une identité. Car, selon Toader Saulea,

[la] triple filiation identitaire : portugais, sérère (Sédar, « qu'on ne peut humilier »), chrétienne-impériale (Léopold), fait de lui le métis exemplaire. Au carrefour des cultures et carrefour lui-même, Senghor confirme, par son sang, sa parole et sa plume, aussi bien le mot de Charles de Gaulle- « l'avenir est au métissage »- que celui du sociologue Edgar Morin : « le métis doit être l'homme de demain. C'est l'homme qui peut fonder son identité directement sur la notion d'humanité »1119.

Nous voyons dans ce chapitre l'identité de l'entre-deux et l'identité acculturée de Senghor. Le troisième chapitre, quant à lui, vient corroborer l'identité francophone de Léopold Sédar Senghor, qui pour, celui-ci, découle de l'appréhension de l'homme dans l'univers.

Il reste que, pour les poètes francophones d'aujourd'hui, ce qui compte d'abord,

c'est l'objet du poème, qui est une vision ontologique de l'univers : de l'homme dans l'univers.1120

Cette identité francophone est une identité, à la fois, humaniste et culturelle qui se fonde sur la notion d'humanité. Dès lors et déjà, nous pouvons avancer comme hypothèse, à partir de ces trois chapitres, que l'identité francophone est une identité métisse, fondée sur des valeurs humanistes et culturelles. Le quatrième chapitre est le lieu où nous exposons une plausibilité de définition de la poésie francophone. Il s'agit de donner les contours et les caractéristiques de cette poésie, et si possible ceux de la littérature francophone. Mieux, nous allons essayer de construire une poétique de la poésie francophone au regard de Léopold Sédar Senghor.

Avec la psychocritique de Charles Mauron, et peut-être avec l'énonciation de Catherine Kerbrat-Orecchioni, nous allons décrypter les différentes articulations ci-mentionnées. En plus, cette partie se veut la synthèse des deux premières parties. Nous nous efforçons, dans cette partie, de déceler le mythe personnel de Léopold Sédar Senghor.

1118 René GNALÉGA, Senghor et la Civilisation de l'Universel, op. cit., p.91 1119 Toader SAULEA, « Pour une identité de rencontre : Senghor, l'Afro-Européen », Identité et multiculturalisme, Revue Roumaine d'Études Francophones, n°.1/2009, p.37 1120 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à trois poètes de l'Hexagone », Dialogue sur la poésie francophone, op. cit. (loc. cit.), p. 379

329

CHAPITRE I : LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR ET LA QUÊTE
D'UNE IDENTITÉ RHIZOMIQUE

La poésie est une expression de la quête identitaire. En effet, les poèmes permettent de se réfugier dans ses rêves, de se créer un monde imaginaire, de transfigurer le réel dans la perspective d'une vision du monde dans lequel le poète se conçoit, se définit. Les poèmes deviennent alors le lieu de réflexion et de questionnement identitaire pour le poète, évidemment de son affirmation identitaire dans la dialectique de l'altérité. La poésie,

l'expression de la quête identitaire, s'édifie sur une perpétuelle hésitation (qui est à la fois tension) entre l'extérieur et l'intérieur, le parcours et le repli, l'absence et la présence, le réel et l'illusion, le départ et le retour, le lieu d'origine et le lieu d'exil, le fermé et l'ouvert, l'immobilité et le mouvement, le proche et le lointain, la parole et le silence, le moi et l'autre, moi qui souvent se superpose à un nous1121.

Autrement dit, le poète se met à découvert dans sa poésie, et son écriture est porteuse d'une identité multiple. Chaque individu, ayant en lui un vide existentialiste, doit combler ce vide à sa manière.1122 Tel est le cas du poète avec sa poésie. La poésie devient ainsi une construction inconsciente de l'identité, traduisant "un moi" qui sans cesse cherche à se définir, à mettre en évidence « des contenus de représentations de ce que l'on est, de ce que l'on devrait être et de ce que l'on voudrait être, dans la durée, l'espace et les diverses circonstances de la vie sociale »1123 afin de combler le néant qu'il porte en lui.

L'oeuvre poétique se conçoit comme un journal intime dans lequel le poète décrit sa propre identité et évoque souvent ses souvenirs. Affirmer alors son identité n'est point constant ni fixe, cela semble vouloir dire rechercher une légitimité dans et par ses racines, dans et par sa généalogie ou sa filiation.1124 La poésie devient alors l'instrument de légitimation de l'identité plurielle.

1121 Liliane FOALU, Identité et altérité dans la poésie francophone contemporaine. Hypastases belges, [en ligne], p. 276. Disponible sur www.diacronia.ro/indexing/details/A5771/pdf

1122 d'Arcy HAYMAN, « L'art dans la vie de l'homme », L'art dans la vie de l'homme, la science dans la vie de l'homme, Unesco, Le Courrier, XIVe Année, numéro 7-8, Juillet-Aout 1961, p. 13

1123 Geneviève VINSONNEAU, « Le développement des notions de culture et d'identité : un itinéraire ambigu », Carrefours de l'éducation 2002/2 (n°14), p.4.

1124 Muriel PLACET-KOUASSI, « Identité, Légitimité et Rhizome dans Les deux fins d'Orimita Karabegovic de Janine Matillon », Chimères, p.2

330

La poésie et la quête identitaire sont intimement liées, à telle enseigne que la poésie est pour le poète le terreau d'affirmer son moi comme il le conçoit ou le vit. René Gnaléga laisse entendre, à ce propos, que « [l]e vrai poète est sans cesse en quête de lui-même, de ses origines ».1125 Léopold Sédar Senghor ne déroge pas à cette logique. La notion d'identité est une problématique dans sa poésie, et elle l'est tout autant pour la communauté Francophone envisagée par lui. Ne se demandait-il pas ?

Ne suis-je pas fils de Dyogoye ? Je dis bien le Lion affamé. (Po : 194)

Cet extrait de « Chant de l'initié » révèle que la quête identitaire (la recherche de ce qu'il est) est au centre même des préoccupations de Léopold Sédar Senghor et de sa poésie. Il en a fait un thème majeur de sa poésie. Cette quête est une obsession qui se lit à travers l'emploi récursif des formules existentialistes et identitaires (des formules permettant de parler de soi ou de son existence) : Je suis, Je ne suis pas, ne suis-je pas...ainsi que des formules de possession : J'ai,... renforcés par des adjectifs possessifs : mon, ma, nos, mes... De sa quête, il découvre que son père est, à la fois, Sérère et Malinké, que sa mère est Sérère et Peule, et qu'il avait « probablement une goutte de sang portugais ». À cet effet, il dit :

Pour moi, c'est tout aussi complexe. Encore que je sois, culturellement enraciné dans la sérénité, mon père, sérère, était de lointaine origine malinké avec un nom et probablement une goutte de sang portugais, tandis que ma mère, sérère, était d'origine peule.1126

Cette découverte montre bien qu'il a une identité sérère, malinké, peule et portugaise. De ce fait, Senghor se trouve « au croisement de trois ethnies africaines »1127 et d'une européenne. Il s'agit bien d'une identité rhizomique (d'une identité-rhizome), dans le cas de Léopold Sédar Senghor. Qu'est-ce qu'une identité rhizomique ?

Au lieu d'une racine principale donnant naissance à des racines secondaires, le rhizome, quant à lui, est un ensemble de petites racines sans racine principale qui se créent juste sous la surface de la terre. Appliqué au concept de l'identité, l'on admet une identité multiple, révélée par Deleuze et Guattari, à travers leur ouvrage Mille plateaux. Capitalisme et schizophrénie

1125 René GNALÉGA, Regard kaléidoscopique sur la poésie ivoirienne écrite, Paris/Abidjan, Doxa/PUMCI, 2018, p. 137

1126 Léopold Sédar SENGHOR, « Lettre à trois poètes de l'Hexagone », op. cit., p. 370

1127 Idem., pp. 369-370

331

21128, que Glissant explicite mieux en l'opposant à l'identité-racine dans Introduction à une Poétique du Divers.1129 Pour Deleuze et Guattari, « un rhizome comme tige souterraine se distingue absolument des racines et radicelles. [...] Le rhizome en lui-même a des formes très diverses, depuis son extension superficielle ramifiée en tous sens jusqu'à ses concrétions en bulbes et tubercules »1130, et fonctionne en principe de connexion et d'hétérogénéité, de multiplicité, de rupture asignifiante, et de cartographie et de décalcomanie. Le rhizome est une extension biologique d'une plante vivace. Ce n'est pas une racine ; il ne cherche pas à descendre profondément dans la terre, il n'y a pas de verticalité. Il est composé de lignes qui s'étendent horizontalement, et chaque ligne a sa propre vue et sa propre indépendance, mais reliées les unes aux autres. Les lignes se propagent par multiplication et par déterritorialisation. En d'autres mots, le rhizome possède des formes multiples qu'on ne peut pas réduire à la racine principale et à l'arbre. Il a plusieurs racines indépendantes qui s'étendent dans toutes les directions. Ainsi, le rhizome est hétérogène, parce que composé d'éléments autonomes et différenciés les uns des autres.

Édouard Glissant va alors appliquer ce concept à l'identité. En fait, il emprunte le concept de rhizome à Gilles Deleuze et Félix Guattari pour qualifier sa conception d'une identité plurielle1131 qui s'oppose à l'identité unique. À ce propos, il affirme :

Quand j'ai abordé la question [de l'identité], je suis parti de la distinction opérée par Deleuze et Guattari entre la notion de racine unique et la notion de rhizome. Deleuze et Guattari, dans un des chapitres de Mille Plateaux (qui a été publié d'abord en petit volume sous le titre le Rhizome), soulignant cette différence. Ils établissent du point de vue du fonctionnement de la pensée, la pensée de la racine et la pensée du rhizome. La racine unique est celle qui s'étend à la rencontre d'autres racines. J'ai appliqué cette image au principe d'identité.1132

Par opposition au modèle des cultures ataviques, la figure du rhizome, chez Glissant, place l'identité en capacité d'élaboration des cultures composites, par la mise en réseau des apports extérieurs. L'identité rhizomique, chez Glissant, échappe à toutes les catégorisations, et prend différentes formes, elle est mobile, hétérogène, multiplicité. Elle est un modèle de circulation, d'interaction et de fusion. Elle n'est pas contraire à l'enracinement ni au refus de la racine-lieu-origine, mais opposition à l'exclusivité de cette racine. Parler d'une quête identitaire

1128 Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Mille plateaux. Capitalisme et Schizophrénie 2, Éditions de Minuit,

Paris, 1980, pp. 13-20

1129 Édouard GLISSANT, Introduction à une Poétique du Divers, Gallimard, Paris, 1996, p. 60

1130 Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Mille plateaux. Capitalisme et Schizophrénie 2, op. cit., p. 13

1131 Chez DESPESTRE, c'est plutôt une identité-banian, faisant allusion à l'arbre sacré du bouddhisme. (René

DESPESTRE, Le métier à métisser, Paris, Stock, 1998, pp. 196-210).

1132 Édouard GLISSANT, op. cit., p. 60

332

rhizomique, chez Senghor, revient à montrer qu'il va à la recherche de ses multiples racines identitaires pour justifier son identité métisse.

La poésie senghorienne exprime l'état d'un sujet « je » qui prend conscience de son identité mutilée par la guerre, l'esclavage, la colonisation et le séjour en Europe, et qu'en lui se mêlent, s'entremêlent et se démêlent plusieurs cultures. Il est issu d'un peuple dont le passé est stigmatisé par la colonisation. Ce sujet sait qu'il y a une distance entre son peuple et lui ; qu'il est écartelé entre l'appel de l'Afrique et l'appel de l'Europe. Il reconnaît qu'il est lui-même carrefour de plusieurs cultures et identités. Le problème qui se pose est celui de la justification de ce que ce « je » est au juste. Autrement dit, le problème est de dire comment Senghor conçoit sa propre identité ou explique son identité rhizomique.

Pour justifier son identité rhizomique, nous voyons qu'il va s'octroyer des origines ataviques diverses, surtout une origine européenne avec la thèse de l'ancêtre portugais. Il est resté convaincu toute sa vie qu'il a une origine portugaise. Ce n'est pas seulement par la thèse de l'ancêtre portugais qu'il se définit comme métis ou ayant une identité plurielle, mais aussi par la thèse des sangs mêlés. De ce fait, il prouve que son inclinaison au métissage trouve des explications non seulement dans sa propre famille, mais également ailleurs, c'est-à-dire chez l'autre. Par ces théories, Senghor peut affirmer que le métis est « un homme poreux, ouvert à toutes les civilisations du monde »1133, qui se constitue une identité avec les apports extérieurs, dite identité rhizomique. Cette identité reflète l'image d'une personne qui reconnaît avoir plusieurs identités et qui les exprime de façon disparate, car estime-t-elle que ces identités sont autonomes, indépendantes. Ce chapitre un permet de mieux appréhender la thèse de l'ancêtre portugais et celle des sangs mêlés. Pour mener à bien notre réflexion, nous recourons à la psychocritique.

1133 Hans Jürgen LÜSEBRINK, « "Metissage", contours et enjeux d'un concept carrefour », Études littéeaires, vol.25, n°3, 1993, pp. 93-106

333

1. LA THÈSE DE L'ANCÊTRE PORTUGAIS

L'ancêtre est celui ou celle de qui l'on descend par son père ou par sa mère. Lorsque Senghor parle de l'ancêtre portugais, il insinue qu'il est descendant d'un portugais de par son père. Ce qui signifie qu'il a une origine portugaise, voire occidentale. Comment cela est-il possible ? N'est-il pas le fils d'un traitant ? Son père n'est-il pas Dyogoye ? Avant d'interroger ses textes poétiques, nous nous permettons de citer longuement Bernard Magnier qui nous donne une tentative de réponses à nos différentes questions susmentionnées.

LÉOPOLD, prénom chrétien qui fut aussi celui du roi des Belges, alors « propriétaire » du Congo, et qui trouva sa racine avec le mot « lion », tout comme Diogoye, le nom porté par son père ; SÉDAR, prénom sérère qui marque l'ancrage dans l'univers culturel de ses parents eux-mêmes métis (« Culturellement enraciné dans la sérénité, mon père, sérère, était de lointaine origine malinké, tandis que ma mère, sérère était d'origine peule ») ; et enfin SENGHOR, « un nom et probablement, une goutte de sang portugais », une déformation du mot « senhor », « maître » ou « monsieur », comme l'on voudra... Ainsi déjà, par son nom, Léopold Sédar Senghor est métis, Senghor est multiple. Il ne convient donc pas de réduire à une seule image celui qui n'a cessé d'être perçu comme trop africain pour le continent européen, trop occidental pour ses compatriotes1134.

Selon Bernard Magnier, Léopold Sédar Senghor, par son nom, se révèle avoir plusieurs identités ou plusieurs origines. Par son nom, Senghor se présente, également, comme métis. Cependant, si Senghor est convaincu qu'il a un ancêtre portugais, c'est qu'il est d'une assurance qu'il a des ancêtres qui viennent de la Haute Guinée Portugaise (actuelle Guinée Bissau). Son nom « Senghor » qu'il tient de son père, dérivé d'un mot portugais, aurait une origine en Haute Guinée Portugaise, porté soit par un aïeul, soit par un pur Portugais. Si cela s'avérerait, ce qui signifie qu'il a évidemment un ancêtre, soit Africain qui a pris un nom portugais, soit Portugais de souche.

Pour confirmer ces hypothèses, passons à la superposition de ses poèmes, tels que « Le message », « Le totem », « Que m'accompagnent koras et balafong » (Chants d'ombre) et « Prière des Tirailleurs sénégalais » (Hosties noires).

(Le message)

Le Prince a répondu. Voici l'empreinte exacte de son discours

1134 Bernard MAGNIER, « Léopold, Sédar, Senghor », Mémoire Senghor, 50 écrit en hommage aux 100 ans du poète-président, Édition UNESCO, 2006, p. 105

334

« Enfants à tête courte, que vous ont chanté les koras ?

« Vous déclinez la rose, m'a-t-on dit, et vos Ancêtres les Gaulois. (Po : 17)

(Le totem)

Il me faut le cacher au plus intime de mes veines

L'Ancêtre à la peau d'orage sillonnée d'éclairs et de foudre Mon animal gardien, il me faut le cacher

Que je ne rompe le barrage des scandales. (Po : 22)

(Que m'accompagnent koras et balafong)

Mais je vous laisse Pharaon qui m'assis à sa droit et mon arrière-grand-père aux oreilles rouges. (Po : 33)

(Prière aux Tirailleurs sénégalais)

« Sur la terre que chantèrent en l'étape perdue de mémoire nos ancêtres océaniens

La béatitude bleue méditerranéenne. » (Po : 69)

La superposition de ces extraits nous donne le réseau associatif suivant :

- Ancêtre occidental (Blanc) : vos Ancêtres les Gaulois, l'Ancêtre à la peau d'orage sillonnée d'éclairs et de foudre, mon animal gardien, mon arrière-grand-père aux oreilles rouges, nos ancêtres océaniens.

Par ce réseau, nous voyons que la quête identitaire conduit Senghor en d'autres lieux. Il cherche

ses origines dans d'autres continents. Il se rend ainsi en France (Ancêtre Gaulois...), en Océanie (Ancêtres océaniens...). Dans tous les cas, ce n'est pas en Afrique qu'il cherche d'abord ses origines, et cela suppose que ses origines sont soit européennes soit océaniennes. Ce qui laisse croire que les ancêtres en question ne sont pas de la race noire, mais, plutôt de la race blanche ou métisse. Senghor estime que son ancêtre a des oreilles rouges et une peau d'orage sillonnée d'éclairs et de foudre. Il y a une dose d'incertitude à telle enseigne qu'il refuse de propager la bonne nouvelle : « Il me faut le cacher au plus intime de mes veines ». Il décide de poursuivre sa quête identitaire afin de mieux appréhender celui dont il prétend être descendant. En effet, l'identité est ce qui caractérise l'homme, le distingue des autres, sa spécificité, ce qui le particularise. En perdant son identité, l'Africain a perdu son monde tel qu'il devrait être. Il a besoin de se retrouver, se définir, se rencontrer, se réapproprier son monde et ses représentations. Il a besoin de récupérer sa culture, ses dieux, son être, sa spiritualité, en un mot son identité. Cela passe par un retour aux sources, ce que fit Senghor.

Cette quête identitaire l'emmène en Afrique primitif. En Afrique, il fit une découverte, qui bouleversa toute sa vie : l'origine de son nom « Senghor », et en même temps de son « identité primordiale ».1135 Notre seconde superposition permet de mieux expliciter la découverte de Senghor. Il s'agit de « Élégie/Élégie de minuit », « Élégie des Saudades »

1135 Léopold Sédar SENGHOR, « Je lis `'miroirs» », Lettres d'hivernages, op. cit., p. 242

335

(Nocturnes), « Sur la plage bercé », « À quoi comment » et « Ta lettre ma lettre » (Lettres d'hivernage).

(Élégie/Élégie de minuit)

Dans mes yeux le phare portugais qui tourne, oui vingt

quatre heures sur vingt-quatre

Une mécanique précise et sans reprit, jusqu'à la fin des temps. (Po : 196)

(Élégie des Saudades)

J'écoute au fond de moi le chant à voix d'ombre des sau-

dades.

Est-ce la voix ancienne, la goutte de sang portugais qui

Remonte du fond des âges ?

Mon nom qui remonte à sa source ?

Goutte de sang ou bien Senhor, le sobriquet qu'un capitaine

donna autrefois à un brave laptot ?

J'ai retrouvé mon sang, j'ai découvert mon nom l'autre

année à Coïmbre, sous la brousse des livres

[...]

Mon sang portugais s'est perdu dans la mer de ma Négri-

tude. (Po : 201-204)

(Sur la plage bercé)

Or je songe à la foi furieuse, à la tendresse portugaise.

Saudades des temps anciens, et la brise était fraîche et l'hiver-

nage humide

Saudades de mes nostalgies, je pense à l'Africaine, à la Peule

d'or sombre

À toi. Ta goutte de sang ibérique, douceur et ferveur comme

une fourrure.

Comme un plain-chant, non ! comme une berceuse malinké. (Po : 229)

(À quoi comment)

Je vis la vague vis le bleu, et la blondeur du sable blanc

Et la rougueur rose du cap de Nase comme le nez du cousin

portugais

Tout gravelé de blockhaus désuets. (Po : 231)

(Ta lettre ma lettre)

Ta lettre ma lettre, et si c'était impossible

Si Hitler si Mussolini, si la Rhodésie l'Afrique du sud, le cousin portugais (Po : 231)

De cette superposition, plusieurs réseaux associatifs se dégagent. Ce sont entre autre :

- Le lien de sang : la goutte de sang portugais, goutte de sang, mon sang, mon sang portugais, ta goutte de sang ibérique...

- Le lien avec le Portugal : le phare portugais, tendresse portugaise, le nez du cousin portugais, le cousin portugais, la goutte de sang portugais, mon sang portugais, ton sang ibérique...

- Le lien patronyme : mon nom, senhor, le sobriquet...

- Le lien avec l'Afrique : un brave laptot, ma Négritude, l'Africaine, la Peule d'or sombre, une berceuse malinké,...

336

- La source primordiale : la fin des temps, la voix ancienne, fond des âges, sa source, un capitaine, autrefois, un brave laptot, l'autre année, sous la brousse des livres, des temps anciens, désuets...

Les réseaux associatifs issus de cette seconde superposition montrent clairement le choix

identitaire de Léopold Sédar Senghor. Il a un sang portugais, ce qui signifie que son ancêtre est originaire du Portugal. Et ce, depuis l'Afrique primitif. Cependant, la couleur de la peau pose problème. Il n'est pas blanc ni brun, il est noir. Alors, le doute s'installe : « Goutte de sang ou bien senhor, le sobriquet qu'un capitaine donna autrefois à un brave laptot ? » Non, il refuse cette hypothèse, car le nom « Senghor » doit avoir probablement une origine portugaise. Ainsi, pour s'en assurer, il affirme que son « sang portugais s'est perdu dans la mer de [sa] Négritude ».

En fait, Senghor ne nie pas ses origines africaines. Il sait que ses origines africaines sont visibles et indéniables, voire une évidence. Par contre, ses soi-disant origines portugaises, quant à elles, ne sont pas visibles. Après les avoir découvertes « sous la brousse des livres », Senghor décide de ne pas « cacher au plus intime de [ses] veines, l'Ancêtre à la peau d'orage sillonnée d'éclairs et de foudre, [son] animal gardien », qui est, ici, l'ancêtre portugais. Par ce fait, il affirme être un descendant biologique de l'ancêtre portugais. Ce qui signifie que Senghor est également Portugais ; d'où le lien patronyme dans les réseaux associatifs. Le nom n'est que la conséquence immédiate. Cette découverte faite « sous la brousse des livres » est hilarante ; cependant, il avait autrefois honte de le dire, et d'affirmer son hybridité biologique auprès de ses amis : « Je vous avoue que ce métissage biologique qui nous caractérise au départ, ne me déplaît pas, encore que j'aie commencé par le cacher lorsque j'étais jeune »1136. Au départ, c'était avec une certaine prudence qu'il se prononçait sur la question du sang qui l'identifie et le rattache à l'ancêtre portugais : « J'ai probablement une goutte de sang portugais, car je suis du groupe sanguin `'A», qui est fréquent en Europe, mais rare en Afrique » 1137. Il ressort également que l'arrière-grand-père aux oreilles rouges était un capitaine, et le grand-père un brave laptot, c'est-à-dire un matelot ou tirailleur. Nous optons pour matelot. En effet, Laptot est le nom donné au Sénégal dès le XVIIème siècle aux piroguiers, matelots et débardeurs. Aussi, parce que les ancêtres africains de Senghor venaient de Gâbou, une région du Nord-Est de la Guinée portugaise (Guinée-Bissau) d'où les Mandingues partirent pour créer, au cours des XIVème et XVIème siècles, les royaumes du Sine et du Saloum au Sénégal, comme le confirme Léopold Sédar Senghor :

1136 Léopold Sédar SENGHOR, Dialogue sur la poésie francophone, op. cit., p. 370 1137 Léopold Sédar SENGHOR, La Poésie de l'Action, Paris, Stock, 1980, p. 32

337

Mon père m'a dit que ses ancêtres venant du Gâbou qui est une région de la haute

Guinée portugaise. Les Senghor se trouvent surtout en Casamance, à la frontière de l'ancienne Guinée portugaise (...)1138.

Au cours des explorations portugaises sur les côtes africaines, précisément en Guinée Bissau un des explorateurs a, peut-être, contracté une relation sexuelle avec une Signare. Ainsi est né le grand-père de Senghor. C'est ce grand-père qui est, en réalité, le lien de sang entre l'ancêtre portugais et Senghor.1139 Les Signares sont, en effet, des Africaines qui vivaient maritalement avec les Occidentaux, et leurs enfants étaient des métis. En découvrant la source primordiale de ses origines, Senghor ne découvre non pas seulement qu'il a un lien de sang avec un Portugais, mais que son père est également métis. De ce fait, il peut alors brandir la preuve tangible et concrète d'une ascendante lusitanienne.

La thèse de l'ancêtre portugaise ne devrait pas être objectée par ses critiques qui l'accusent de renier ses origines africaines. En effet, les relations sexuelles entre les colons et les négresses n'étaient pas rares sur les côtières africaines pendant l'exploration et la colonisation. À cet effet, Laurier Turjeon dit

« Le métissage » était une réalité coloniale biologique en Amérique latine comme dans les colonies française des Caraïbes et de l'Afrique de l'Ouest, surtout dans les villes comme Saint-Louis du Sénégal où les métisses et les « mulâtres » formaient une classe moyenne africaine qui obtenaient facilement la citoyenneté française depuis le 19ème siècle.1140

Cela est aussi valable dans le cas de Senghor avec l'ancêtre portugais, car les premiers explorateurs en Afrique étaient les Portugais. Aussi, le patronyme « Senghor » participe, à la fois, de la culture africaine et de la culture européenne. Dans « Senghor », nous avons « ngor » qui en ouolof signifie « honneur », et s'emploie comme titre honorifique ; et puis ce nom, comme explicité, pourrait être d'origine portugaise. En plus, Joal, la ville au sud de Dakar, où Senghor passa son enfance avait été en contact avec les Portugais au milieu du XVème, car elle est située sur les bords de l'Atlantique. Tout porte à croire qu'il y a eu réellement une fusion entre la race noire et la race blanche qui a donné une nouvelle race hybride, métisse. Cela

1138 Idem., p. 32

1139 On peut considérer ces propos comme des hypothèses, cependant ce qui est certain, c'est qu'il y a eu des rapports sexuels entre les colons et les indigènes.

1140 Laurier TURJEON (dir.), Regards croisés sur le métissage, Les Presses de l'Université Laval, Québec, 2002, p. 28

338

corrobore la thèse de l'ancêtre avancée par Léopold Sédar Senghor. Où veut en venir Senghor avec cette thèse ?

L'aventure humaine est par essence rythmée par des rencontres avec l'autre. Ces rencontres participent de la construction et de l'enrichissement de l'identité sans cesse en mouvant. Et, de la rencontre avec l'autre, différent de soi, est né le métis. Pour ainsi dire qu'aujourd'hui, nous naissons tous métis.1141 La découverte de sa propre identité ne signifie pas une élaboration dans l'isolement, mais négociation par le dialogue, partiellement extérieur, partiellement intérieur, avec d'autres.1142 Senghor, à la recherche de ses origines ataviques, trouve la réponse en l'autre, l'ancêtre portugais. Et, il conclut qu'il est le résultat, le produit d'une prodigieuse suite de métissages ethniques et raciaux dont nous ne saurons jamais ni mesurer l'ampleur ni doser exactement les éléments, faute d'un test ADN.

Le métis est un autre ; il est multiple et pluriel. En effet, génétiquement parlant, il possède la moitié des gènes de son père et la moitié des gènes de sa mère ; culturellement, il est aussi moitié-moitié, par conséquent il est distinct des cultures d'origine de ses parents. Antionette Liechti affirme que

Le métis est donc autre, nouveau, et sa nouveauté constitue à la fois sa force et sa faiblesse car c'est une condition nouvelle parfois difficile à assumer. Sans entrer dans les détails de l'histoire de l'humanité et en particulier des différentes conquêtes qui l'ont ponctuée depuis toujours, puisque c'est à ces occasions que les métissages de populations apparaissent, rappelons seulement combien des individus issus de ces croisements culturels ont payé un lourd tribut. Ils représentent l'incarnation, au sens propre du mot, d'une réalité souvent rejetée, [...].1143

Cela peut justifier l'attitude de Senghor dans sa jeunesse : la honte de dévoiler son identité rhizomique. En fait, il s'agissait d'une peur d'être la risée de son entourage. Parler de son identité, c'est dire ses origines, or les origines de Senghor sont multiples. Il est vraiment inadéquat de définir une identité sans payer un lourd tribut. Avec le temps, Senghor comprend qu'être métis est une richesse pour soi et pour les autres. Être métis signifie être dans une situation dynamique, une condition où l'on est à la fois de là-bas et d'ici. Ne pas l'assumer veut dire renier certains éléments de ses origines. Avec Senghor, on comprend que l'identité rhizomique n'a pas un socle immuable, mais une construction dynamique se devant d'intégrer la somme des appartenances et de s'enrichir au fur et à mesure des expériences. Le métis a la

1141 Antionette LIECHTI, « Aujourd'hui, on naît tous métis », Itinéraire, notes et Travaux, n°60, pp. 11-16 1142 Charles TAYLOR, Multiculturalisme, différence et démocratie, Aubier, Paris, 1994, p. 97

1143 Antionette LIECHTI, op. cit., p. 13

339

possibilité de se détacher de ses appartenances originaires, territoriales ou culturelles, et de s'en créer de nouvelles. Pouvons retenir des propos de Virgilio Elizondo lorsqu'il dit que

Le métis ne peut pas être adéquatement défini dans les catégories de l'un ou de

l'autre de ses groupes d'origines. Son identité ne rentre pas dans une seule histoire ou un seul type de normes [...].1144

Cependant, Senghor, mûr d'esprit, n'avait plus peur, plus honte de s'affirmer, de parler de son identité multiple. Et, c'est avec sans gêne, il dit qu'il est métis ; il cherche des preuves pour arguer ses dires. L'une des preuves tendues est la thèse de l'ancêtre portugais. Cette filiation avec l'ancêtre portugais est, à la fois, biologique et patronyme. Dans sa prise décisionnelle, il fut influencé par le général de Gaulle, par les historiens et les biologistes. En effet, ces derniers pensent que l'avenir est au métissage.1145 Convaincu, il décide d'assumer son identité métisse et de parler de son ancêtre portugais. Puisqu'il a pu apprécier ce qui est bon et ce qui est mauvais dans ses racines multiples, le métis peut se donner pour mission de construire quelque chose de nouveau. Senghor conclut que le métissage est un enrichissement. Pour cette raison, après avoir découvert le secret de son être, l'essence de son identité et de ses origines, il s'engage à prôner le métissage racial comme « un antidote vital de l'ethnocide et du repli de soi »1146, laissant ainsi entrevoir les premières palpitations d'une Civilisation de l'Universel. Il manifeste également la volonté d'assumer, au plan théorique et conceptuel, sa thèse sur le métissage biologique et patronyme, car estime-t-il que le métissage est l'avenir des hommes. Pour mieux justifier sa théorie de métissage, Senghor, par la thèse de l'ancêtre portugais, marque son désir de dépassement des antinomies raciales. Et, René Gnaléga de dire que

L'identité senghorienne n'est pas restreinte. Car, au moment où il évoque son sang noir, va surgir son sang ibérique. [...] Il faudrait plutôt voir ici l'idée selon laquelle le point culminant de l'identité senghorienne dépasse des clivages pour s'ouvrir au métissage qui est le nom d'un nouvel humanisme.1147

La Civilisation de l'Universel, un nouvel humanisme, renvoie à un seul concept chez Senghor : la Francophonie.

Avec la thèse de l'ancêtre portugais, Senghor pose le problème du métissage à la Francophonie. Il a tenté d'élucider cette problématique avec sa poésie et le concept de

1144 Virgilio ELIZONDO, L'avenir est au métissage, Mame-Éditions Universitaires, Paris, 1987, p. 156 1145 Léopold Sédar SENGHOR, Dialogue sur la poésie francophone, op. cit., p.370

1146 Abib SENE, « Enracinement et ouverture : une vision ithyphallique d'un métissage civilisationnel dans OEuvre poétique de Senghor », op. cit., p.174

1147 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation de l'universel, op. cit., p. 92

340

Francophonie. Dès lors, nous pouvons émettre l'hypothèse que le métissage est l'expression de l'identité francophone.1148 Senghor souhaite que ce métissage soit réel au sein de la communauté francophone. Dans sa poésie, le métissage est naturelle, voire génétique, avec les liens de sang, puisqu'il fait constamment référence au sang, aux gènes, pour dire que les liens de sang occupent une place particulière dans l'appréhension de son identité plurielle, dans la compréhension de son concept de métissage. Il est évident que Senghor mise sur le métissage biologique à la Francophonie, car, selon lui, le monde idéal est celui du métis. En affirmant avoir un ancêtre occidental, il insinue être un Francophone. Il se sent très à l'aise d'affirmer sa double identité : Africain et Européen. Il fait du métissage biologique le fondement de l'identité francophone. Il montre ainsi qu'être Francophone, ce n'est plus seulement communiquer en français (même si cela était la condition nécessaire, elle paraît insuffisante), mais être métis. À l'instar de tous ses contemporains qui ont eu à en souffrir dans leur âme de leur exclusion et du racisme, Léopold Sédar Senghor a été confronté à la nécessité impérieuse d'affirmer son soi en tant que métis, et de faire de cela le fondement même de sa quête identitaire, et de son concept de Civilisation de l'Universel. Autrement dit, Senghor a choisi de vivre son métissage sans se soucier du regard critique de ses contemporains. Et cela l'a conduit vers la formulation d'une exigence fondamentale : celle de la Francophonie. Nous pouvons affirmer que la thèse de l'ancêtre portugais était une manière pour lui d'expliquer son concept de métissage.

Une étude superficielle peut confirmer que Senghor a le complexe, comme la plupart des Noirs d'être noirs.1149 En effet, dans sa poésie, on peut saisir aisément les attributs appellatifs du Blanc (Toubab, seigneur). Attribuer à un Noir ces appellatifs est de lui signifier qu'il n'agit plus comme le ferait un Noir (pas par la peau, mais par sa manière d'être), mais agit comme le ferait un Blanc. Ces images de « blanchitude », dans la poésie de Senghor, révèlent que celui-ci se considère ou l'on le considère comme un Européen. Et le comble, il affirme avoir un ancêtre portugais par le lien de sang. Sans le lire posément, on peut conclure en disant qu'il délire et qu'il ne sait plus quoi dire. Cependant, le lire tranquillement avec les yeux d'une personne qui cherche à découvrir, comme le recommande la psychocritique, on voit que

1148 Nous allons expliquer l'identité francophone au chapitre trois de cette partie. Cependant, retenons que le métissage est l'un des critères définitionnels de l'identité francophone.

1149 Emmanuel MOUNIER, Les oeuvres, Tome 3, Seuil, Paris, 1944-1950, 268 p (Il dit que la plupart des Noirs ont honte d'être noirs, une honte qu'ils ne font pas la leur, mais qui hante jusqu'à leur fierté.)

341

Senghor a voulu insinuer qu'il est universel, ouvert à toutes les cultures du monde. C'est un rêve traduit en poésie, et aussi son phantasme. Il rêve d'un monde métissé.

Quand on se sait avoir plusieurs origines et ne pas les affirmer, c'est rejeter certains éléments, voire nier une partie de soi. On appelle cela de l'irresponsabilité. Il faut affirmer sans gêne ses identités. Tel est le cas de Léopold Sédar Senghor. Il assume ses dires, et affirme avec fierté ses origines. Il n'est ni Africain, ni Européen. Il est les deux à la fois. Il est métis. Pour faire accepter ce fait, il faut qu'il ait des preuves tangibles et concrètes. Pour avoir ces preuves, il entreprit des recherches et des études. À la suite de ses recherches, il découvrit que son nom patronyme a une origine portugaise, et qu'il a probablement une goutte de sang ibérique dans ses veines, car il est du groupe sanguin `'A». Ce groupe sanguin est très répandu en Europe qu'en Afrique. Rassuré par le général de Gaulle, et confirmé par les biologistes, il peut désormais faire de cette découverte une conviction et la base fondamentale de sa théorie du concept de métissage.

L'un des postulats de sa théorie est le métissage biologique. Il est pour le métissage biologique, car convaincu que cela est le fondement de la Civilisation de l'Universel, c'est-à-dire de la Francophonie. Il pense que l'identité francophone est une identité rhizomique (métisse, plurielle). En fait, avec la thèse de l'ancêtre portugais, il voulait en venir à l'identité universelle du Francophone. Il affirme, également, par cette thèse, que tous les hommes ont une identité rhizomique, parce que l'identité est par essence une notion en constante mobilité dans le temps et l'espace, et qui se construit dans le brassage des races et des sangs. Ce brassage permet de penser l'identité comme une multitude d'appartenance dont les unes sont plus mouvantes (visibles), changeantes que les autres (cachées ou souterraines), adaptables en fonction des défis et des opportunités du moment. L'identité est une catégorie en constante construction dans un processus d'interaction enrichissante et féconde.1150

Parlant du brassage des races et des sangs, Senghor parle constamment de sangs mêlés. Ce qui est le second postulat de sa théorie sur le métissage biologique pour appréhender l'identité francophone, et confirmer ainsi son identité rhizomique. Si le premier postulat, c'est-à-dire la thèse de l'ancêtre portugais, est objecté ou fort discutable ; le second, quant à lui, doit conférer une légitimité à sa théorie. Le sang permet d'identifier l'individu et la race. Il est consubstantiellement une donnée commune à l'humanité sans considération raciale.1151 La théorie des liens du sang ou des sangs mêlés est indiscutable, et permet aussi de dévoiler

1150 Fulgence MANIRAMBONA, « De l'identité `'rhizome» comme perspective de la mondialisation de la littérature africaine diasporique », Synergies Afrique des Grands Lacs, n° 6 - 2017 p. 29

1151 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation de l'universel, op. cit., p. 44

342

l'origine cachée de l'individu. On parle de sang mêlé des personnes issues de l'union différente, en particulier des races blanche et noire, autrement dit dont le père et la mère sont, de couleur de peau, différents. L'idée de sang mêlé dans la poésie de Senghor peut se lire à travers ces expressions « Négresse-blonde », « vous masques blanc-et-noir », « des peaux d'arc-en-ciel », « le double de mon double »,... Cependant, notre tâche consiste à mettre en évidence comment se manifeste le sang dans la poésie senghorienne pour déterminer l'identité rhizomique. Il s'agit, également, de saisir ce qu'implique la thèse des sangs mêlés dans la quête identitaire de Senghor. Il n'est pas question d'étudier la représentation ou le symbole du sang dans la poésie senghorienne, mais de montrer que Senghor fait appel à la thèse des sangs mêlés pour définir son identité rhizomique et défendre sa théorie du métissage.

343

2. LA THÈSE DES SANGS MÊLÉS

« Nous sommes des sang-mêlés »1152, affirmaient François Crouzet et Lucien Febvre pour dire qu'il n'y a pas de Français pure en France, comme l'avait déjà souligné Onésime Reclus auparavant.1153 À vrai dire, nous sommes tous des sangs mêlés depuis la création du monde. Les hommes sont partis d'une même racine, et par multiplication, ils sont devenus nombreux et divers, répandus sur toute la terre. Et cette racine mère est Adam et Ève, comme nous pouvons l'appréhender dans la Bible de Jérusalem.

Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. [...] Alors l'Éternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l'homme, qui s'endormit, il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place. L'Éternel Dieu forma une femme de la côte qu'il avait prise de l'homme, et il l'amena vers l'homme. [...] Voici le livre de la postérité d'Adam. Lorsque Dieu créa l'homme, il le fit à la ressemblance de Dieu. Il créa l'homme et la femme, il les bénit, et il les appela du nom d'homme, lorsqu'ils furent créés. [...] Car Adam a été formé le premier, Ève ensuite.1154

Tous les hommes ont une seule origine, selon la chrétienté, et de cette origine sont parties les races, les ethnies et les peuples de couleurs de peau différente.1155 Senghor dit ainsi que tous les hommes sont tous fils de la même terre-mère. Ce qui sous-entend que les hommes ont le sang mêlé à ceux d'Adam et Ève dans leurs veines. De ce fait, on peut insinuer que les hommes ont une identité rhizomique, car la conception de leur identité ne dépend plus de celle d'Adam et Ève. Nous sommes des sangs mêlés, car nous sommes issus d'un père et d'une mère qui n'ont rien en commun tant au niveau du groupe sanguin que de la culture, de l'ethnie, voire de la race. Nous sommes des sangs mêlés, car l'histoire de l'humanité est marquée par le nomadisme, et lors de ces déplacements des peuples, il y a eu des rencontres à la fois culturelles et sexuelles.

1152 François CROUZET et Lucien FEBVRE, Nous sommes des sang-mêlés : Manuel d'histoire de civilisation français, Albin Michel, Paris, 2012, 400 p.

1153 Cf. page 43 de cette présente étude, note 67

1154 Genèse 1, verset 27-28/ Genèse 2, verset 21-22/ Genèse 5, verset 1-2/ 1 timothée 2, verset 13, la Bible de Jérusalem.

1155 Michael HAMMER, à ce propos dira « L'étude des gènes montre que nos ancêtres se sont métissés avec les espèces humaines archaïques qu'ils ont rencontrées. Cette hybridation a sans doute contribué à l'expansion d'homo sapiens. » Disponible sur http://www.pourlasciences.fr/web_pages/a/article-le-metissage-des-especes-humaines-31751.php

344

Nous sommes des sangs mêlés, car un individu de groupe sanguin de type quelconque peut donner et recevoir d'un individu de même type de groupe sanguin ou parfois différent. Ce n'est pas par hasard si Senghor s'appuie sur la thèse des sangs mêlés pour justifier son identité rhizomique et argumenter sa conception du métissage biologique. Que disent alors ses textes poétiques sur la question des sangs mêlés ?

Pour y répondre, passons au peigne fin sa poésie par une étude psychocritique. De ce fait, nous superposons d'abord « Éthiopie/À l'appel de la race de Saba », « Chant de printemps » (Hosties noires), « Épitre à la princesse » (Éthiopique) et « Chants pour signare » (Nocturnes).

(Éthiopie/À l'appel de la race de Saba)

Qu'ils m'accordent, les génies protecteurs, que mon sang

ne s'affadisse pas comme un assimilé comme un civilisé. (Po : 57)

(Chant de printemps)

Et mon sang complice malgré moi chuchote dans mes veines. (Po : 83)

(Épitres à la princesse)

Je séjournais chez les hôtes héréditaires, la moitié de mon sang et la plus claire certes. (Po : 139)

(Chants pour signare)

Me poursuit mon sang noir à travers foule, jusqu'à la clairière où dort la nuit blanche.

[...1

Me poursuit mon sang noir, jusqu'au coeur solidaire de la nuit. [...1

Je romprai tous les liens du Sang, je dressai une garde d'amour (Po : 186-191)

De cette superposition, nous voyons s'accuser un réseau simple. Celui de Sang pur (authentique) : mon sang ne s'affadisse pas comme un assimilé comme un civilisé, mon sang complice malgré moi, la moitié de mon sang et la plus claire certes, me poursuit mon sang noir, je romprai tous les liens du sang,... Par ce réseau associatif, nous remarquons que Senghor refuse d'avoir du sang impur. Nous voyons la volonté tenace de celui-ci de demeurer un Africain pur, authentique. Il ne veut pas, également, être un assimilé, un civilisé. En fait, Senghor refuse et dément la condition du colonisé. Il n'est pas « Peau noire masque blanc ».1156 Il veut être et demeurer Africain par son être et par sa manière d'être ou d'agir, car le sang noir coule dans ses veines. Il se définit comme un Africain non corrompu.1157 À ce stade, on peut affirmer que la thèse de l'ancêtre portugais est fausse, parce que ce réseau montre bel et bien

1156 Allusion au titre de l'oeuvre de Frantz FANON, Peau noire, masque blanc, Paris, Seuil, 1952, 240 p 1157 Il est considéré surtout par Houphouët Boigny comme « un Français peint en Noir », d'après Djian Jean Michel, in Léopold Sédar Senghor, genèse d'un imaginaire francophone, Gallimard, Paris, 2005, p. 146. (Peut-être c'est cette idée qu'il récuse.)

345

un Senghor qui refuse d'être métis en réclamant l'authenticité de son identité au travers de son sang noir. Cependant, même si le sang noir le poursuit, la moitié de son sang n'est que claire et pure. Qu'en est-il de l'autre moitié de son sang ?

Il aura beau crié sur tous les toits de Paris qu'il est un Africain authentique, il ne saura se mentir, car il est un sang mêlé. Il s'agit, dans la seconde superposition, de déterminer que l'autre moitié de son sang fait de lui un sang mêlé. À cet effet, nous avons à superposer « In memoriam », « Que m'accompagnent koras et balafong » (Chants d'ombre), « Poème liminaire », « Tyaroye » (Hosties noires), « À New York » (Éthiopiques), « Élégie des saudades » (Nocturnes), « Je lis `'miroirs» » (Lettres d'hivernage), « Je viendrai » (Poèmes perdus) et « Élégie pour Philippe-Maguilen Senghor » (Élégies majeurs).

(In memoriam)

Tous mes rêves, le sang gratuit répandu le long des rues, mêlé au sang des boucheries. (Po : 7)

(Que m'accompagnent koras et balafong)

J'étais moi-même le grand-père de mon grand-père J'étais son âme et son ascendance, le chef de la maison d' Elissa du Gâbou

[...]

Tu es son épouse, tu as reçu le sang sérère et le tribut de sang peul.

O sangs mêlés dans mes veines, seulement le battement nu des mains !

Que j'entende le choeur des voix vermeilles des sangs mêlé ! (Po : 30-32)

(Poème liminaire)

Qui pourra vous chanter si ce n'est pas votre frère d'armes, votre frère de sang ? (Po :53/54)

(Tyaroye)

Et votre sang n'a-t-il pas ablué la nation oublieuse de sa mission d'hier

Dites votre sang ne s'est-il mêlé au sang lustral de ses martyrs ? (Po :88)

(À New York)

New York ! je dis New York, laisse affluer le sang noir dans ton sang

Qu'il dérouille tes articulations d'acier, comme une huile de vie Qu'il donne à tes ponts la courbe des croupes et la souplesse des lianes. (Po : 115)

(Élégie des saudades)

Mon sang portugais s'est perdu dans la mer de ma Negri-

tude. (Po : 204)

(Je lis `'miroirs»)

Je dis bien cette terre partagée qui me déchire, et cette ville

Comme un parfum subtil : tous les mélanges de sang

Tous les quartiers de la ville, qui chantent à plusieurs voix. (Po : 242)

346

(Je viendrai)

Ton amour m'est chose si intime, si dense,

Que je le sens en moi net comme couteau de jet

Mais mêlé à mon moi

Mais confondu désormais avec le sang de mes veines. (O. Po : 242)

(Élégie pour Philippe-Maguilen Senghor)

Voici donc notre enfant, souffle mêlé de nos narines, qui s'étend, ha ! (O. Po : 286)

Les réseaux qu'une telle superposition souligne sont les suivants :

- Sang mêlé : mêlé au sang des boucheries, tu as reçu le sang sérère et le tribut de sang peul, o sang mêlé dans mes veines, des sang-mêlé, et votre sang n'a-t-il pas ablué la nation, dites votre sang ne s'est-il mêlé au sang lustral de ses martyrs ?, laisse affluer le sang noir dans ton sang, mon sang portugais s'est perdu dans la mer de ma Négritude, tous les mélanges de ton sang, mêlé à mon moi, mais confondus désormais avec le sang de mes veines, souffle mêlé de nos narines,...

- Consubstantielle : J'étais moi-même le grand-père de mon grand-père, j'étais son âme et son ascendant, votre frère de sang,...

Ces différents réseaux montrent que Senghor ne peut pas nier le fait d'avoir le sang noir mêlé

à d'autres sangs. Il approuve le fait que du sang mêlé coule dans ses veines. En effet, de la princesse, le poète reçoit le sang sérère et le tribut de sang peul. Ces deux sangs, en lui, confirment la thèse du sang mêlé. Ce qui signifie qu'il a hérité de la princesse l'identité, à la fois, sérère et peule. Africainement, Senghor est un sang mêlé. En plus, il y a le sang portugais qu'il n'oublie pas, mais qui se confond dans sa Négritude, l'expression de son être africain, de son sang noir. Du coup, il se rend bien compte qu'il est le résultat de trois types de sang mêlé : sang sérère, sang peul et sang portugais. Mieux, il reflète l'unité et l'identité de trois personnes comme la sainte trinité dans la théologie chrétienne : Dieu le père, Dieu le fils, Dieu l'esprit saint. Ces trois réalités de Dieu expriment une et une seule nature de Dieu : Dieu trois en un. C'est la même conception chez Senghor qui se conçoit trois en un : il est petit-fils, grand-père et arrière-grand-père de son grand-père. On appelle ce fait la consubstantialité. Cette consubstantiation implique une relation d'interdépendance exprimant une sorte de symbiose en ces trois réalités. Voilà sa découverte : il est un pur-sang-mêlé. Il est « débout dans [sa] triple fierté de sang-mêlé », comme l'a su bien dire Léon-Gontran Damas.1158 Mieux, Senghor pouvait dire comme son ami Damas

Au pied de ton pardon Je dis ni sang ni eau mais sang et eau mêlées

1158 Léon-Gontran DAMAS, Pigments - Névralgies, Présence Africaine, Paris, 1972, 2003 et 2005, p. 122

347

Car tous deux confondus nous ne sommes

qu'une même somme

qu'un seul et même sang.1159

Se croyant être un Africain authentique, il découvre qu'il est métis biologiquement par le mélange de trois sangs, qu'il est la racine qui s'étend à la recherche d'autres racines comme le dit Édouard Glissant, le parfait trait d'union entre la race noire et la race blanche, « le café au lait » comme on le dit en Côte d'Ivoire. Il peut alors s'autoproclamer le « frère de sang » de l'Africain et de l'Européen :

Et le sang de mes frères blancs bouillonne par les rues,

plus rouge que le Nil - sous quelle colère de Dieu ?

Et le sang de mes frères noirs les Tirailleurs sénégalais, dont

chaque goutte répandu est une pointe de feu à mon flanc. (Po : 84)

Marcien Towa corrobore notre argumentation en ces termes :

Revenons un moment aux « deux mondes antagonistes », le monde blanc et le monde noir. On voit maintenant qu'aux yeux du poète, cet antagonisme doit être tenu pour largement fictif, puisque bon nombre de soi-disant nègres étant en fait métissés de sémito-kamites, de blanc donc, le monde noir s'avérerait finalement bien moins noir qu'on ne le pense communément. L'importance de ce point découle surtout la thèse de Senghor selon laquelle la race humaine détermine la culture. Il insiste d'autant plus sur le métissage qu'il pense lui-même posséder non seulement du sang peulh, mais même du sang portugais1160.

Genevière Vinsonneau affirme, à juste titre, que « l'identité se réalise donc comme un processus dialectique, au sens d'intégrateur des contraires. »1161 Comme nous le voyons, l'identité senghorienne est une intégration parfaite et harmonieuse de sangs irréductibles de plusieurs personnes : son père, sa mère, l'ancêtre portugais. Ce qui signifie qu'il est Africain, Européen et Métis à part entière, car il est le fruit d'une union entre trois sangs africains (mandingue, peul et sérère) et d'un sang portugais. De facto, Senghor, par son identité portugaise qui se perd dans son identité sérère et peule, voire malinké, est le frère noir de langue et cultures françaises. Il est également le frère blanc de langue et de cultures africaines.

Avec lui, le sang prend (souvent) la signification des origines : le sang qui « chuchote » dans ses veines est celui de ses ancêtres africains, de l'Afrique ; et le sang qui coule dans ses veines est celui de l'Europe, de l'ancêtre portugais. La thèse des sangs mêlés est pour Senghor

1159 Idem., p. 150

1160 Marcien TOWA, Léopold Sédar Senghor : Négritude ou Servitude ?, op. cit., p. 37

1161 Geneviève VINSONNEAU, « Le développement des notions de culture et d'identité : un itinéraire ambigu », op. cit., p. 15.

348

la justification incontestable de son identité rhizomique. Cette justification confirme également qu'il est biologiquement métis. Il dépasse son identité, comme le dit Henri Lopès, originelle1162 pour s'octroyer une identité, à la fois, complexe et homogène. Cela ne veut pas dire qu'il nie carrément son identité africaine, même si, on a l'impression que Senghor se dédit. En effet, selon Liliane fo°alãu,

La quête de soi, de son identité, se constitue en un cheminement « en marge d'un

chemin qui n'existe pas », un chemin sans destination précise mais qui traverse l'être comme une obsession, qui est aussi principe structurant/déstructurant.1163

Affirmer son identité comme le cas senghorien relève sans conteste du courage et de la responsabilité, mais aussi de l'intériorisation et de l'extériorisation. Réfléchir sur son identité, surtout quand elle est plurielle, c'est apprendre à se connaître soi-même et se donner les outils nécessaires pour pouvoir ensuite se tourner vers les autres pour l'affirmer et l'assumer. Rien d'étonnant ce va-et-vient de Léopold Sédar Senghor pour définir son identité rhizomique. L'identité rhizomique n'est pas statique, mais mobile, insaisissable. Senghor part du principe qu'il est pur Africain comme l'Africain de souche, et qu'il est également un Européen au même titre que l'Européen de souche, pour affirmer sa vraie identité, issue du sang mêlé. Il est ni Africain ni Européen, il est les deux à la fois. Il est multiple, pluriel, voire universel. Nous pouvons affirmer d'ores et déjà que l'identité francophone caractérise les sangs mêlés.

Senghor est conscient que la thèse de l'ancêtre portugais est sceptique, et qu'elle ne peut convaincre. Pour cela, il fait appel à la thèse des sangs mêlés pour justifier sa théorie du métissage biologique ou de l'identité rhizomique, parce que « le sang est la meilleure carte d'identité ».1164 D'abord, il admet qu'il est Africain authentique et pur. Cependant, il se rend-compte que ce n'est qu'une moitié de son sang noir qui chuchote dans ses veines, qui le relie encore à l'Afrique. L'autre moitié de son sang est celle de la goutte de sang portugais. Admettant avec une sérénité et une certitude cartésienne qu'il est Africain authentique, Senghor se dédit aussitôt pour ainsi dire, parce qu'il est le fruit de deux parents issus de sangs mêlés. Ce qui fait de lui un sang mêlé pur, authentique. Le père est sérère et mandingue ; la mère est sérère

1162 Henri LOPÈS : « Il faut dépasser l'identité originelle », in « Les identités francophones », op. cit., p. 74 1163 Liliane FOALU, Identité et altérité dans la poésie francophone contemporaine. Hypastases belges, op. cit., p. 278

1164 Selon le Parisien, ce propos est de Jean-Marie ADIAFFI. Disponible sur http://www.citation-celebre.leparisien.fr/citation/etre-humain

349

et peule ; l'ancêtre est portugais. Le fils est alors sérère, mandingue, peul et portugais. Ce qui signifie que Senghor est la somme de trois ethnies africaines et d'une européenne. Peut-on encore douter de sa théorie du métissage biologique ? Non. Le métissage tel que le conçoit Senghor doit être effectivement biologique. Il est également favorable pour le métissage racial. Le métissage, à la fois, biologique et racial, doit caractériser l'assemblée de tous les peuples de la terre, unis par la Francophonie. Avec la thèse des sangs mêlés, nous voyons Senghor dépasser tous les antagonismes pour nous offrir une nouvelle identité : celle du métissage. Chez lui, ce métissage se veut biologique, génétique, et unité dans la diversité raciale et ethnique. On peut en déduire que toute personne métisse possède une identité rhizomique.

Dans le cas de la Francophonie, toute personne ayant une identité rhizomique et s'exprimant dans la langue française africanisée, comme le cas senghorien, est Francophone. L'identité francophone peut être comprise comme un patrimoine en commun que l'on accepte, auquel on adhère, du fait que tous les hommes sont des sangs mêlés. Cependant, « ni OIF, ni personne, n'a le monopole ou le dernier mot d'une réflexion sur l'identité francophone »1165, car, comme toute identité, elle est dynamique et évolutive. À cet effet, Léopold Sédar Senghor propose des pistes de réflexions, et l'une d'entre elles est celle du métissage biologique. En effet, être Francophone est loin d'être toujours, chez un individu, l'identité dominante autour de laquelle les autres s'organisent.1166 En plus, il est difficile de fonder l'identité francophone sur la langue dans la mesure où son imaginaire varie selon les époques. Aussi, l'identité francophone se présente comme une configuration d'éléments multiples. Dans tous les cas, la thèse des sangs mêlés confirme l'identité rhizomique de Léopold Sédar Senghor, et justifie par-là qu'il est un métis, donc ouvert à toutes les cultures et qu'il n'a pas une origine unique, mais plurielle. Il est universel.

L'homme ne peut pas avancer sans s'interroger sur ses origines et sur soi. Il prend davantage conscience du chemin parcouru, il en mesure la portée pour mieux se projeter vers l'avenir1167 et se situer par rapport à l'autre. Toute sa réflexion sur soi se ramène à la seule question : Qui suis-je ? La question identitaire, voire existentialiste, est plus que jamais d'actualité en Francophonie, puisque l'on parle de plus en plus de multiculturalité, d'ouverture

1165 Dominique WOLTON, « L'identité francophone dans la mondialisation », Cellule de réflexion stratégique de la Francophonie (CRSF), Décembre 2008, p. 15

1166 Josefina Bueno ALONSO, Francophonie plurielle : L'expression d'une nouvelle identité culturelle, op. cit., p 687

1167 René GNALÉGA, Senghor et la civilisation de l'universel, op. cit., pp. 146-147

350

vers d'autres espaces d'expérience et de connaissance. Interroger l'identité dans cette pluralité constitue un fait incontestable de nos jours. En plus, l'identité de chaque personne est constituée d'une foule d'éléments qu'il est difficile de l'appréhender et la définir. La Francophonie sera pour Senghor le lieu de questionnement sur sa propre identité. Ce qui signifie qu' « il y a donc à l'origine de la francophonie [...] une identité ».1168

Dans sa quête identitaire, il découvre une identité rhizomique. Il va alors tenter d'appréhender cette identité. Il évoque, ainsi, la thèse de l'ancêtre portugais et celle des sangs mêlés pour élucider cette identité. Il s'agit, avec cette identité, de la défense d'une identité mixte, c'est-à-dire une identité métisse, difficile à accepter dans ou à son époque. Il se présente comme le fruit d'un métissage au premier degré, en d'autres termes, d'un métissage biologique, car il est né de parents qui appartiennent à des ethnies différentes : ils sont eux-aussi métis. Il est également convaincu d'avoir un ancêtre portugais. Il corrobore ses dires avec la théorie sanguinolente : une goutte de sang portugais dans mes veines, o sangs mêlés dans mes veines. Le sang serait le lien consubstantiel d'identification de l'individu chez Senghor. Le sang permet d'identifier ou de définir l'identité de l'individu.

Avec sa théorie sanguinolente, Senghor veut en venir au métissage. Pour lui, « le métissage comme proposition souligne qu'il est désormais inopérante de glorifier une origine `'univoque» dont la race serait gardienne et continuatrice. »1169 En d'autres termes, avec le métissage, il n'y a plus une identité unique, mais une identité plurielle, une identité rhizomique. Par identité rhizomique, on entend avec Senghor le processus biologique correspondant à la naissance d'une nouvelle identité mixte. Mieux, cet agrégat sanguinolent est une richesse pour la Francophonie. Il s'agit maintenant d'accepter cette identité rhizomique qui caractérise le Francophone.

Chez Léopold Sédar Senghor, l'une des données principales de la Francophonie est le métissage. Il se décline dans sa poésie en deux temps : biologique et culturel. Nous venons de voir le métissage biologique avec la thèse de l'ancêtre portugais et celle des sangs mêlés. Nous allons voir le métissage culturel dans les autres chapitres. Si Senghor est à la croisée de trois ethnies africaines et d'une européenne, cela signifie également qu'il est à la croisée de quatre cultures. De ce fait, nous pouvons affirmer qu'il est écartelé entre plusieurs cultures, et qu'il n'appartient véritablement à aucune d'entre elles. En effet, Senghor se révèle être lui-même un mélange de différentes influences culturelles. Pour cela, il doit se constituer une identité propre

1168 Dominique WOLTON, « L'identité francophone dans la mondialisation », op. cit., p. 15 1169 Édouard GLISSANT, Le discours antillais, Seuil, Paris, 1981, p. 250

351

à lui. On voit que Senghor est condamné à une quête incessante d'une identité. Il y a chez lui une véritable problématique identitaire. Étant donné que l'identité d'une personne ne se limite pas à ses caractéristiques biologiques, nous essayons d'appréhender comment Senghor tente de se constituer sa propre identité, ici culturelle, dans le chapitre suivant.

352

CHAPITRE II : LA PROBLÉMATIQUE D'UNE IDENTITÉ
CONSTITUÉE

La quête identitaire est déclenchée chez Senghor par la confrontation de plusieurs cultures. Il a beau cherché à cacher les traces de son passé, ses racines demeurent, son être devient le théâtre de confrontation de plusieurs visions du monde. En effet, la Francophonie porte l'empreinte d'une quête identitaire, parce que le Francophone est cette personne qui est toujours déchirée entre deux ou plusieurs cultures, et qui cherche à se réconcilier avec son moi écartelé, divisé. C'est aussi le cas de Léopold Sédar Senghor. Il reconnaît qu'il est écartelé entre la culture négro-africaine et la culture occidentale1170 : « Ah ne suis-je pas assez divisé ? »1171 Il a connu l'errance :

Perdu dans l'Océan Pacifique, j'aborde l'île Heureuse mon coeur est toujours en errance, la mer illimitée. (Po : 203°

Sur ma faim, la poussière de seize année d'errance, et

l'inquiétude de toutes les routes d'Europe.

Et la rumeur des villes vastes ; et les cités battues de vagues de mille passions dans ma tête. (Po : 45)

Reçois l'enfant toujours enfant, que douze ans d'errance n'ont pas vieilli. (Po : 35)

Il a été en l'exil :

Et cet autre exil plus dur à mon coeur, l'arrachement de soi à soi

À la langue de ma mère, au crâne de l'Ancêtre, au tam-tam de mon âme [...] (Po : 136)

Il a même effectué des voyages sans retour :

Je suis parti

Pour d'étranges voyages, [...]

1170 Armand GUIBERT, Léopold Sédar Senghor : L'homme et l'oeuvre, op. cit., pp. 143-144 1171 Cf. « Poème liminaire », Hosties noires, op. cit., p. 54

353

Je suis parti

Vers des pays bleus

Vers des pays larges

Vers des pays de passions tourmentés de tornades

Vers des pays gras et juteux

Je suis parti pour toujours

Sans pensée de retour. (O. Po : 341-342)

Il a fait aussi l'expérience de la solitude :

Et la foule des boulevards, les somnambules qui ont renié leur identité d'homme

Caméléon sourds de la métamorphoses, et leur honte vous fixe dans votre cage de solitude (Po : 81)

Et finalement, il s'est senti fatigué d'aller nulle part :

Et je suis fatigué d'aller nulle part :

De n'aller nulle part quand me déchire le désir de partir. (Po : 238)

Tout cela prouve l'instabilité dans la quête identitaire de Senghor. René Gnaléga affirme à juste titre que « cette quête part de la prise de conscience d'un vide existentiel à la volonté de le combler par le processus du retour. »1172 Au fond, toutes ces pérégrinations montrent la volonté de Senghor de se constituer une identité homogène. En dépit de ses nombreux voyages à la recherche d'une identité propre à lui, il est dans l'incapacité et l'impossibilité de se définir une identité. Eugène Tavares ne dit pas le contraire :

Toute au long de sa vie, Senghor a cherché son identité dans différentes aires culturelles du monde. Il a expérimenté tour à tour la négritude, la lusitanité et la francophonie pour finir par réunir tout cela dans son concept fétiche : la Civilisation de l'Universel. Ces pérégrinations culturelles, qui cachent une recherche ineffable d'identité, expriment aussi un déchirement de l'homme, déchirement qui remonte à son enfance.1173

Le déchirement, qu'a connu Senghor durant son enfance et qui a encore des répercussions sur sa vie adulte dont parlent sans cesse Armand Guibert, Eugène Tavares (et Senghor lui-même), est le fait qu'il soit pris dans le piège de l'entre-deux culturel. Ce piège traduit son déracinement, la cause même de sa quête identitaire.

1172 René GNALÉGA, « La quête identitaire dans l'oeuvre poétique de Senghor », op. cit., pp. 84-85

1173 Eugène TAVARES, « Négritude, Lusitanie et Francophonie chez Léopold Sédar Senghor ou la recherche ineffable d'identité », op. cit., p. 103

354

Depuis la colonisation, les Africains sont nourris de la sève riche et sédimentée de la culture européenne, faisant d'eux des déracinés culturels, car ils ont perdu leur identité culturelle d'origine. Ils ignorent totalement leurs différentes cultures et ont une parfaite connaissance de la culture européenne. Sachant que l'origine des maux de l'humanité réside dans la perte de l'identité culturelle, Senghor va essayer de dépasser ce déchirement pour acculturer une nouvelle identité. Cette nouvelle identité sera le fruit de ces différentes cultures qui l'écartèlent. En effet, pense Jean-Pierre Biondi,

La démarche de Senghor consiste précisément à dépasser le « déchirement » pour

atteindre la « symbiose » mais une symbiose perçue comme le fruit savoureux des contradictions.1174

La quête identitaire chez Senghor est une aventure identitaire ambigüe, et cette aventure caractérise le Francophone dans la recherche de sa propre identité. Il procède par une déculturation pour aboutir à une acculturation. Il y a un phénomène d'une perte de l'identité et une appropriation d'une nouvelle identité, soit par négociation, soit par coercition, soit par assimilation ou par intégration, soit par séparation, soit par acculturation. Cependant, John Berry nous informe qu'il y a quatre types d'acculturation : l'Assimilation, la Séparation, l'Intégration et la Marginalisation. À cet effet, il dit

From the point of view of non-dominant group. When individuals do not wish to maintain their cultural identity and seek daily interaction with other cultures, the Assimilation strategy is defined. In contrast, when individuals place a value on holding on to their original culture, and the same time wish to avoid interaction with others, then the Separation alternative is defined. When there is an interest in both maintaining one's original culture, while in daily interaction with other groups, Integration is the option ; here, there is some degree of culture integrity maintained, while at the same time seeking to participate as an integral part of the larger social network. Finally, when is little possibility or interest in cultural maintenance (often for reasons of enforced cultural loss), and little interest in having relations with others (often for reasons of exclusion or discrimination) then Marginalisation is defined.1175

1174 Jean-Pierre BIONDI, Senghor ou la tentation de l'universel ; Denoël, Paris, 1993, 218 p. (À la quatrième page de couverture)

1175 John W. BERRY, « Immigration, acculturation, and adaptation », Applied Psychology : An International Review, 46 (1), 1997, p. 9 (Nous n'allons pas le traduire, cependant ce qui faut retenir est que la classification de Berry met à nu quatre types d'acculturation définis comme suit :

- L'Assimilation : c'est l'abandon de la culture d'origine au profit de l'adoption d'une nouvelle culture. - La Séparation : L'individu évite les interactions avec la culture d'accueil ; il valorise sa culture identitaire, celle de son origine.

- L'Intégration : elle inclut le maintien de l'héritage culturel tout en adoptant les valeurs de la société d'accueil.

- La Marginalisation : l'individu acculturé se sent rejeté par la culture d'accueil et il n'a aucun désir à maintenir sa culture d'origine.)

355

Senghor a toujours rejeté l'assimilation de l'individu, mais pas l'assimilation de la culture : « Assimiler non être assimilés. » L'assimilation senghorienne est l'intégration chez John Berry. En effet, l'assimilation implique le melting-pot, une sorte de brassage des peuples à la vinaigrette ou de cultures qui n'a rien à voir avec le métissage. Pour John Berry, ce type d'acculturation est mauvais. Pareil avec la séparation et la marginalisation. Selon lui, ce type de brassage peut occasionner la ségrégation. Il soutient, à ce propos, que

Most clearly, people may sometimes choose the Separation option ; but when it is required of then by the dominant society, the situation is one of Segregation. Similarly, when people choose to Assimilate, the nation of the Melting Pot may be appropriate, but when forced to do so, it becomes more like a Pressure Cooker. In the case of Marginalisation, people rarely choose such an option ; rather they usually become marginalised as a result of attempts at forced assimilation (Pressure Cooker) combined with forced exclusion (Segregation) ; thus no other term seems to be required beyond the single notion of Marginalisation.

Integration can only be `'freely» chosen and successfully pursued by non-dominant groups when the dominant society is open and inclusive in its orientation towards cultural diversity. Thus, a multual accommadation is required for integration to be attained, involving the acceptance by both groups of the right of all groups to live as culturally différent peoples.1176

Dans le cas de Léopold Sédar Senghor, l'acculturation se réfère à l'identité d'une personne qui veut à la fois maintenir sa culture et son identité d'origine, et avoir des contacts avec la société d'accueil. Elle participe ainsi à la vie sociale dans la société d'accueil tout en conservant sa culture. Senghor, étant le dépositaire d'un héritage culturel inestimable grâce à la rencontre de deux cultures, a un grand besoin de les acculturer.

Pour élucider nos propos, nous allons mettre à nu l'identité de l'entre-deux, et l'identité acculturée de Léopold Sédar Senghor. Nous allons voir, au cours de l'analyse, que Senghor se constitue une identité qui se veut métisse. Nous voulons aussi en venir sur la question du métissage dans l'appréhension de l'identité francophone, et sur l'image que Senghor bâtit de lui-même, puisque l'identité participe de l'image que l'individu construit de lui-même1177, c'est-à-dire son image de soi.1178

1176 Idem., p. 10 (En donnant les dérives des différents types d'acculturation, John Berry nous fait comprendre que la bonne acculturation est l'intégration, car elle permet la bonne attente entre les peuples et d'expérimenter la différence des cultures sans rejeter l'une d'entre elles. Avec l'intégration, il y a une ouverture et une inclusion des valeurs culturelles de chaque individu. Chaque personne exprime sa culture et vit la culture de l'autre. On ne se sent pas exclu par la société d'accueil. C'est donc ce type d'acculturation que recherchent les individus lorsque la société d'accueil est ouverte à la diversité culturelle.)

1177 Méo Guy DI, « L'identité : une médiation essentielle du rapport espace / société », Géocarrefour, vol. 77, n°2, 2002, p. 176

1178 Cathérine KERBRAT-ORECHIONNI, L'énonciation : de la subjectivité dans le langage, Armand-Colin, Paris, 1997, p. 20

356

1. UNE IDENTITÉ DE L'ENTRE-DEUX

L'identité de l'entre-deux est l'identité que l'on se constitue ou se construit lorsqu'on est sujet de la rencontre de deux cultures. Elle est également « l'identité intermédiaire » de l'individu se trouvant être le fruit de deux cultures. Autrement dit, elle est « l'identité adaptation », car elle permet à l'individu de s'adapter aux réalités identitaires et culturelles de ses deux cultures. L'appartenance de l'entre-deux permet à l'individu de ne pas exclure les éléments de sa double origine et de se situer entre l'identité d'origine et l'identité d'adoption. En d'autres mots, l'individu n'est ni l'un ni l'autre, son identité est à cheval entre les deux. Cette identité de l'entre-deux est un prodigieux potentiel de créativité, estime Virgilio Elizondo :

[...] Nous sommes ceux de `'l'entre-deux» (the in-between-people) car notre existence inclut des éléments de notre double origine sans que nous ne soyons pleinement ni l'un ni l'autre. Cet entre-deux offre aussi un prodigieux potentiel de créativité1179.

En fait, l'identité de l'entre-deux est la double appartenance culturelle de l'individu. Cette identité implique un caractère rhizomique et un caractère d'hybridité, c'est-à-dire l'individu est conscient qu'il a plusieurs identités, et qu'il est la somme de ses identités réunies. Cependant, il décide de les assumer concomitamment. Faisant cela, il ne sait plus où se placer pour définir son identité, il est au milieu. C'est pourquoi, cette identité se construit à travers des rapports d'opposition et de complémentarité. Mais, Kameni Alain Cyr Pangop affirme que la notion de l'entre-deux n'a pas une définition univoque :

La notion de l'entre-deux résiste aux définitions univoques, sans doute parce

qu'elle caractérise, de par sa nature, l'insaisissable, l'indicible, ce qui est présent et voilé à la fois. Au fond, l'entre-deux identitaire échappe à toute systématisation1180.

À bien comprendre Kameni Alain, l'identité de l'entre-deux serait insaisissable du fait de sa complexité, autrement dit, du fait qu'elle soit constituée de plusieurs éléments. À ce propos,

1179 Virgilio ELIZONDO, op.cit., p.156

1180 Alain Cyr Pangop KAMENI, « Utopies et angoisses de l'entre-deux identitaire chez les exilés/migrants africains : La Traversée nocturne d'Isaac Bazié », Alternative Francophone, vol.1, 2, 2009, p. 3

357

Mariana Ionescu affirme qu'elle échappe à toute définition, construite sur des oppositions binaires.

Associé à l'instabilité et à l'insaisissable, mais aux liens et contacts multiples, le

concept de l'entre-deux semble donc échapper à toute définition construite sur des oppositions binaires1181.

Nous pouvons dès lors avancer comme hypothèse que l'identité de l'entre-deux est une métaphore pour penser l'identité d'une personne écartelée entre plusieurs identités culturelles. Alors, pour pouvoir saisir cette identité de l'entre-deux, il faut d'abord appréhender les différentes identités qui écartèlent cette personne, et si possible les étudier une par une.

Concernant Léopold Sédar Senghor, il est question de voir comment se présente son identité de l'entre-deux, et d'appréhender les différents éléments culturels constituant cette identité de l'entre-deux, et de mettre en relief son implication dans la définition de l'identité francophone. À cet effet, nous allons superposer six poèmes, à savoir, « In memoriam », « Tout le long du jour », « Joal », « le retour de l'enfant prodigue » (Chants d'ombre), « Élégie des alizés » (Élégies majeurs), et « Le portrait » (Poèmes divers).

(In memoriam)

Jusqu'en Sine jusqu'en Seine, et dans mes veines fragiles mon sang irréductible (Po : 8)

(Tout le long du jour...)

Tout le long du jour, durement secoué sur les bancs du train de ferraille et poussif et poussiéreux

Me voici cherchant l'oubli de l'Europe au coeur pastoral du Sine (Po : 11)

(Joal)

Je me rappelle, je me rappelle...

Ma tête rythmant

Quelle marche lasse le long des jours d'Europe où parfois

Apparaît un jazz orphelin qui sanglote sanglote sanglote. (Po : 14)

(Le retour de l'enfant prodigue)

Demain je reprendrai le chemin de l'Europe, chemin de l'ambassade

Dans le regret du Pays noir. (Po : 50)

(Élégie des alizés)

Nuit alizéenne élyséenne Nuit joalienne, Nuit qui me rends à la candeur de mon enfance (O. Po : 267)

(Le portrait)

Voici que le Printemps d'Europe

1181 Mariana IONESCU, « L'Entre-deux dans les littératures d'expression française », Les Cahiers du GRELCEF, n° 1, mai 2010, pp. 12

358

Me fait des avances

M'offre l'odeur vierge des terres,

Le sourire des façades au soleil

Et la douceur grise des toits

En douce Touraine.

Il ne sait pas encore

L'entendement de ma rancoeur aiguisé par l'Hiver

Ni l'exigence de ma négritude impérieuse... (O. Po : 219-220)

Lorsqu'on lit les six extraits ci-dessus, on se rend bien compte que Senghor est entre le marteau et l'enclume. L'Europe lui fait des avances d'un côté en lui proposant la vie féérique dans un cadre doux et paisible, et l'Afrique le séduit également de l'autre côté avec sa négritude impérieuse. Il y a aussi sa mémoire qui lui joue des tours entre Sine et Seine du fait de la similitude homophonique. Il vit donc une situation paradoxe. En Europe, il se rappelle de Joal ou de Sine, et veut oublier la vie paisible européenne au coeur pastoral de Sine. Et, lorsqu'il est en Afrique, il veut vite reprendre le chemin de l'ambassade d'Europe dans le regret du Peuple noir. Sans une lecture psychocritique, on peut conclure que Senghor est indécis et reflète l'image d'une personne de l'entre-deux. Il ne sait où se situer. Entre l'Europe et l'Afrique, Senghor est nulle part, mais appartient aux deux continents. De ce constat, nous pouvons en déduire que l'identité de l'entre-deux est l'identité de l'écartèlement, d'une personne divisée, écartelée par des identités fort opposées. Nous voyons se former à l'issue de la superposition les groupes d'idée suivants :

- Afrique (Sénégal) : Sine, coeur pastoral de Sine, le regret du Peuple noir, Nuit joalienne, ma négritude impérieuse...

- Europe (France) : Seine, l'oubli de l'Europe, le long des jours d'Europe, Nuit alizéenne élyséenne, le printemps d'Europe...

Par ces réseaux associatifs, nous constatons que Senghor accorde le même intérêt ou le même

degré d'appartenance à l'Afrique et à l'Europe. Mieux, il est écartelé entre l'identité sénégalaise et l'identité française. En lui, se foisonnent les caractéristiques identitaires du Sénégal (de l'Afrique) et de la France (de l'Europe). Aucun continent n'est au-dessus de l'autre. Ils occupent les mêmes places et les mêmes considérations chez Senghor. Ces réseaux correspondent également aux états d'âme de Senghor, d'un être divisé et de l'entre-deux, qui a du mal à se situer tout en cherchant à trouver l'attitude la plus appropriée à sa situation.1182 En effet, il est lié à l'Afrique par des souvenirs (je me rappelle...), parce qu'étant loin de ce continent. À vrai dire, il a passé plus de temps en Europe (France) qu'en Afrique (Sénégal). Il a vécu au Sénégal, précisément à Joal jusqu'à quatorze ans. À partir de cet âge, il fut venu en France pour

1182 Papa Samba DIOP, Léopold Sédar Senghor, Poésie, op. cit., p. 35

359

poursuivre ses études grâce à l'obtention d'une demi-bourse d'études littéraires.1183 Il a même pris la nationalité française pour pouvoir passer l'agrégation de grammaire.1184 Par ce rappel, nous voulons justifier que Senghor est autant plus proche de la France que du Sénégal. Son corps et son être sont à l'Europe tandis que son esprit et son âme sont à l'Afrique. C'est un Senghor partagé entre l'Europe et l'Afrique. L'Afrique est le continent de ses parents, et l'Europe, le continent où il a longtemps vécu. Du coup, il se présente comme un Européen (Français) et un Africain (Sénégalais). Trop Européen pour le continent africain, trop Africain pour le continent européen.1185 Finalement, il n'est ni l'un ni l'autre. « Qui suis-je ? », « Suis-je Africain ? », « Suis-je Européen ? », se demandait-il peut-être. Il est de l'entre-deux, c'est-à-dire un être écartelé. Peut-être, est-il simplement un Francophone ?1186

Pour avoir la certitude, nous recourons à d'autres poèmes. Il s'agit de « Que m'accompagnent koras et balafong », « Par dela Éros/C'est le temps de partir » (Chants d'ombre), « Chaka » (Éthiopiques), « Chants pour Signare » (Nocturnes) et « Et le sursaut soudain » (Lettres d'hivernage).

(Que m'accompagnent koras et balafong)

Choisir ! et délicieusement écartelée entre ces deux mains amies (Po : 28)

(Par dela Éros/ C'est le temps de partir)

Et ne m'écartent pas les chambres d'hôtel ni la solitude retentissante des grandes cités. (Po : 36)

(Chaka)

CHAKA

[...]

Mais ces longues années, cet écartèlement sur la roue des années, ce carcan qui étranglait toute action (Po : 119)

(Chants pour Signare)

Ce doux déchirement des coeurs, ce long sifflement au départ des gares (Po : 188)

(Et le sursaut soudain)

Et me voici déchiré calciné, entre la peur de la mort et l'éprouvante de vivre. (Po : 226)

1183 En 1914, il fut élève à l'école secondaire des Pères du Saint Esprit (Liberté 1). 1928, il arriva à Paris pour les études supérieures. Après ses études supérieures et universitaires, il prit fonction en France comme enseignant, et ce, à partir de 1935

1184 Il obtint la nationalité française en 1933, et cette année-là son père mourut, il fut donc obligé de rentrer au Sénégal pour les obsèques. Après les obsèques, il dut rentrer en France jusqu'à 1960, l'année de l'indépendance du Sénégal. Il devint le président dudit pays. Ayant mis fin à sa carrière politique, il se retira en France et il y resta jusqu'à 2001 (date de sa mort).

1185 Bernard MAGNIER, op. cit., p. 105

1186 Nous allons approfondir la question de l'identité francophone dans le chapitre trois de cette partie.

360

Les réseaux associatifs que la seconde superposition affiche sont Un homme écartelé (écartelé, m'écartent, cet écartèlement, ce doux déchirement, me voici déchiré...), Un homme souffrant (carcan, étranglait, calciné...), et Un homme heureux (délicieusement, doux...).

Ces différents réseaux soulignent l'instabilité identitaire de Senghor. En effet, il vit l'expérience de l'entre-deux à l'intérieur de lui-même à cause du conflit identitaire dont il est le sujet et l'objet. Il se sait un homme écartelé, et veut assumer cette situation. Cependant le regard de l'extérieur, tant du côté de l'Afrique que de l'Europe, le déstabilisait. Convaincu du prodigieux potentiel de créativité, il veut faire l'expérience des deux identités, c'est-à-dire être à la fois Africain et Européen. Il y a une véritable crise identitaire chez Senghor due au conflit entre l'acceptation de ce qu'on est et le refus de ce qu'on est. L'incapacité de prendre une décision le taraude également ; et du coup, nous voyons un Senghor étranglé, souffrant de la situation de l'entre-deux, qui auparavant s'enorgueillissait. Il se trouve pris entre l'appel de l'Afrique et l'appel de l'Europe, entre les exigences de la culture négro-africaine et les exigences de la vie moderne, entre la famille de son père et la famille de sa mère, entre l'éducation familiale et les disciplines scolaires importées d'Europe, entre la culture et la politique. Ce qui signifie que toute sa vie, il a été un sujet écartelé, divisé, et instable. En d'autres mots, il est de l'entre-deux. C'est le cas du Francophone.

Il y a là un affrontement qui empêche celui-ci d'exprimer son identité. En effet, le Francophone n'est ni Français, ni Africain, ni Canadien, ni Arabe..., il est à la lisière. Il est de l'entre-deux. En fait, il n'est personne, il doit se façonner une identité en opérant un choix cornélien et intelligible afin d'exprimer son identité multiple, mieux une identité stable, pouvons-nous dire. La troisième superposition permet de saisir le choix opéré par Senghor. Les poèmes choisis pour cette énième superposition sont « Porte dorée », « Que m'accompagnent koras et balafong », « Vacances » (Chants d'ombre), « Chant de printemps » (Hosties noires), « Je repasse », et « Toujours `'miroirs» » (Lettres d'hivernage).

(Porte dorée)

Je l'ai choisie entre la Ville et la plaine, là où

S'ouvre la Ville à la fraicheur première des bois et des rivières. (Po : 8)

(Que m'accompagnent koras et balafong)

Choisir ! et délicieusement écartelé entre ces deux mains amies

- Un baiser de toi Soukeïna ! - ces deux mondes antagonistes

Quand douloureusement - ah ! je ne sais plus qui est ma soeur et qui ma soeur de lait

De celles qui bercèrent mes nuits de leur tendresse rêvée, de leurs mains mêlées

361

Quand douloureusement - un baiser de toi Isabelle ! - entre ces deux mains

Que je voudrais unir dans ma main chaude de nouveau. Mais s'il faut choisir à l'heure de l'épreuve

[...]

J'ai choisi mon peuple noir peinant, mon peuple paysan, toute la race paysanne par le monde. (Po : 28)

(Chant de printemps)

Et le sang de mes frères blancs bouillonne par les rues

plus rouge que le Nil - sous quelle colère de Dieu ?

Et le sang de mes frères noirs les Tirailleurs sénégalais, dont

chaque goutte répandue est une pointe de glaive de feu à mon flanc. (Po : 84)

(Je repasse)

Où est donc la fille de mon espoir défunt, Isabelle aux yeux clairs ou Soukeïna de soie noire ? (Po : 224)

(Toujours `' miroirs»)

Ah ! j'ai choisi. Elle m'a distingué pour être son prince-servant, ou son faux eunuque qu'importe ? (Po : 243)

Nous voyons se former, dans la nouvelle superposition, les groupes suivants :

- Afrique : un baiser de toi Soukeïna, mon peuple noir, mes frères noirs les Tirailleurs

sénégalais, Soukeïna de soie noire...

- Europe : un baiser de toi Isabelle, mes frères blancs, Isabelle aux yeux clairs...

- Opposition : ces deux mondes antagonistes, ma soeur et qui ma soeur de lait, Isabelle

aux yeux clairs ou Soukeïna de soie noire...

- Choix : Je l'ai choisie, choisir, s'il faut choisir, J'ai choisi, j'ai choisi...

- Unité : leurs mains mêlées, ces deux mains, je voudrais unir, mes frères blancs, mes

frères noirs...

- Douleur : douloureusement, ah !, Ah !...

Ces groupes d'image présentent un Senghor hésitant. On saisit par là une hésitation de sa part,

car il donne l'impression de choisir, et pourtant il ne choisit pas. Entre la volonté d'unir ces deux identités, ces deux mondes antagonistes, et celle de choisir une parmi les deux, Senghor est tenaillé. Une tension cruciale, un conflit identitaire, un dilemme cornélien se vit sous nos yeux, et Senghor voit cela comme un déchirement, une dilacération de tout son être, de tout son moi. L'adverbe « douloureusement » et les interjections « ah ! Ah ! » traduisent bel et bien ce conflit, cet écartèlement et la douleur de Senghor. Soumis à l'heure de l'épreuve du choix entre son identité africaine et son identité européenne, entre Isabelle et Soukeïna, entre ces deux mondes antagonistes, Senghor choisit, en plus du peuple noir et de toute la race paysanne, de ne pas choisir, mais de proposer une nouvelle option : celle d'unir ses deux mondes

362

antagonistes, ses deux identités, parce qu'il est le frère des frères d'Isabelle et le frère des frères de Soukeïna les Tirailleurs sénégalais.1187 En fait, il se donne un quatrième choix :

Je n'avais que trois choix : le travail la débauche ou le suicide

J'ai choisi quatrième, de boire tes yeux souvenir

Soleil d'or sur la rosée blanche, mon gazon tendre. (Po : 234)

De ce fait, il dit que l'identité d'une personne est un choix individuel. L'individu est le seul qui choisit d'être ce qu'il veut être, et de l'assumer. Son identité ne doit pas être octroyée. Lorsque Senghor décide de proposer une nouvelle option, il asserte le fait que l'identité est une affaire personnelle. Il choisit de vivre ce qu'il est, c'est-à-dire son identité de l'entre-deux, et de l'assumer. Il ne se présente pas comme un Africain ni Européen, mais comme celui qui unit les deux mondes antagonistes. Il affirme son appartenance aux deux continents : l'Afrique et l'Europe. Il enrichit les deux continents en ouvrant l'un aux possibilités de l'autre. À cet effet, prêtons les propos d'Amin Maalouf à Senghor :

Je réponds invariablement : « L'un et l'autre ! » Non par quelque souci d'équilibre ou d'équité, mais parce qu'en répondant différemment, je mentirais. Ce qui fait que je suis moi-même et pas un autre, c'est que je suis à la lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles. C'est précisément cela qui définit mon identité. Serai-je plus authentique si je m'amputais d'une partie de moi-même ?1188

L'identité de l'entre-deux se manifeste chez Senghor dans les rapports entre l'Afrique et l'Europe. De ce fait, l'entre-deux n'est pas seulement identitaire, mais également culturel et spatial (espace). Il n'est pas question de nier les cultures et l'identité de chaque peuple, de chaque continent ou de chaque pays, mais de les vivre en soi en parfaite harmonie et symbiose.

Le choix de Senghor est cette identité qui ne devrait en aucun cas nier l'existence d'une quelconque identité, mais qui devrait exprimer l'unification des deux. Le refus de choisir de Senghor signifie qu'il n'a pas plusieurs identités, mais une seule identité faite de tous les éléments de ses différents milieux de son existence. C'est son identité constituée.

1187 Celina SCHEINOWITZ, « La poésie de Senghor et l'Afrique », Éthiopique, Littérature, philosophie et art, 2ème semestre 2004, n°73 ( Elle dit que Soukeïna symbolise l'Afrique et Isabelle l'Europe).

1188 Amin MAALOUF, Les identités meurtrières, op. cit., p. 9

363

La question identitaire est ambigüe chez Léopold Sédar Senghor. En effet, il ne sait où se situer pour définir sa propre identité. En fait, il n'a pas plusieurs identités ou une multiple identité, mais une seule. Cette identité est l'identité de l'entre-deux. Les critères définitionnels de cette identité sont équivoques. Chez Senghor, elle est à la fois africaine et européenne. Lorsqu'il décide d'être africain, il se rend bien compte qu'il lui manque quelque chose d'autre, c'est-à-dire qu'il n'est pas totalement lui-même. Il est conscient qu'il existe une partie de lui-même ou une autre de lui-même qui n'est pas africaine. Dans le cas contraire, où il se considère comme Européen, il remarque également qu'il existe une partie de lui-même qui n'est pas européenne. Au bout du compte, il constate qu'il n'est ni totalement Africain ni tout à fait Européen. Il reflète les deux. Il est de l'entre-deux.

Pour saisir l'identité de l'entre-deux chez Senghor, nous avons procédé au discernement des éléments constitutifs de cette identité. À cet effet, nous avons vu qu'elle est constituée d'un ensemble de traits et de caractéristiques culturels africains et européens, voire de la culture sérère, peule, malinké et française. En fait, pour saisir cette identité, nous avons, également, dû montrer que Senghor est un individu écartelé. Cela a permis de comprendre le fonctionnement de cette identité dans la poésie senghorienne. L'entre-deux identitaire est l'identité d'une personne prise entre deux cultures, deux langues, deux continents. Cette personne est confrontée à un dilemme identitaire, voire à une crise identitaire. Elle va essayer chaque identité qui est à sa disposition sans vraiment choisir une qui reflèterait sa personnalité, parce que chaque identité est inhérente et nécessaire à la construction de sa propre identité. Elle est le résultat de ces deux identités. Tel est le cas de Léopold Sédar Senghor.

Voulant se définir comme un Africain et se reconnaître comme un Européen, il constate que ce qui fait son identité est qu'elle résulte de l'identité africaine et de l'identité européenne. Ces deux identités sont intrinsèquement liées à sa personnalité, à son être et à sa nature, pour ainsi dire. L'ensemble des traits et des caractéristiques de ces deux identités définit identité senghorienne, et fait de celui-ci un individu à part entière, parce qu'il est de l'entre-deux. Senghor choisit de vivre et d'exprimer sa situation identitaire de l'entre-deux. Cette identité est une identité qui unit deux mondes antagonistes dans un seul individu. Ce qui signifie que l'individu de l'entre-deux est un conciliateur, un trait d'union, un passeur, un médiateur entre deux cultures. C'est sa mission, puisqu'il a pu apprécier ce qui est bon et ce qui est mauvais dans ses deux cultures.

L'identité de l'entre-deux est appelée à se façonner, à se moduler afin de définir une nouvelle identité acceptée et acceptable de tous qui n'élimine pas l'identité et la culture originelles ni l'identité et la culture artificielles, mais qui les enrichit en ouvrant les unes aux possibilités des autres.1189 Mieux, elle devrait être une expérience enrichissante et féconde, si l'individu se sent encouragé à assumer toute sa diversité, à l'inverse, son parcours peut s'avérer traumatisant si chaque fois qu'il s'affirme Européen, certains le regardent comme un traite, voire comme un renégat, et si chaque fois qu'il met en avant ses attaches avec l'Afrique (avec son pays d'origine), son histoire, sa culture, sa religion, il est en butte à l'incompréhension, à la méfiance ou l'hostilité.1190 Tel fut le cas de Senghor, à telle enseigne de faire un choix bouleversant et déchirant. Cependant, il abdiqua son projet, et décide de vivre sa nouvelle identité, parce qu'il a voulu qu'elle soit trait d'union, passerelle, médiatrice entre les diverses communautés et cultures.

Chez Senghor, l'identité de l'entre-deux dépasse le cadre même de l'entre-deux pour revêtir d'autres caractéristiques. Elle se meut en une identité acculturée. Comment se présente alors cette identité dans la poésie de Léopold Sédar Senghor, sachant que « l'identité ne se compartimente pas, elle ne se répartit ni par moitiés, ni par tiers, ni par plages cloisonnées » ?1191

364

1189 Virgilio ELIZONDO, L'avenir est au métissage, op. cit., p. 156 1190 Amin MAALOUF, Les identités meurtrières, op. cit., pp. 11-12 1191 Idem., p. 10

365

2. UNE IDENTITÉ ACCULTURÉE

L'acculturation est un processus culturel impliquant quatre facteurs, selon John Berry, l'Assimilation, la Séparation, l'Intégration et la Marginalisation. Deux parmi ces facteurs peuvent être appréhendés pour expliquer l'identité acculturée chez Léopold Sédar Senghor : l'Assimilation et l'Intégration. Le processus d'acculturation découle également du contact avec un autre peuple. Cependant, nous ne pouvons vraiment pas parler d'assimilation chez Senghor dans le sens de John Berry.

La conception de l'assimilation de John Berry implique la renonciation totale de sa culture d'origine, tandis que chez Senghor, elle est d'une sorte de négociation. La seule possibilité d'appréhender l'identité acculturée de Senghor réside dans la conception de l'intégration. Il semblerait qu'en débusquant le grand nombre d'éléments de son identité sans renier aucun, et en les assemblant et les alignant, l'individu se fait une identité acculturée. C'est, peut-être, en cherchant la réponse à la question comment assimiler la culture de l'autre sans renier ma propre culture que celui-ci a eu l'idée de l'identité acculturée. De ce fait, l'acculturation chez tel individu serait le fait de s'imprégner de la culture de l'autre pour pouvoir s'imprégner de sa propre culture. Autrement dit, il ne s'agirait pas d'ingurgiter sans discernement les cultures des autres et d'abandonner radicalement sa propre culture. Cela semble justifier l'identité acculturée chez Senghor. Ce sont encore des hypothèses. Cependant, il ne faut pas écarter l'hypothèse que l'acculturation en Afrique est due à la colonisation.

L'identité acculturée est une identité perçue comme la somme des différents éléments et traits culturels issus de la rencontre de deux cultures diamétralement opposées. En fait, elle ne peut être qu'une identité de relation se construisant sans cesse à partir des liens qu'elle entretient avec d'autres identités.1192 Selon René Makounkolo et Daniel Pasquier, « la première théorie de l'acculturation a été proposée en 1918 par Thomas et Znaniecki »1193. À la suite des deux, Redfield Robert, Linton Ralph et Herskovits J. Melville ont défini l'acculturation en ces termes :

1192 Myriam LOUVIOT : Poétique de l'hybridité dans les littératures postcoloniales, op. cit., p. 80

1193 René MOKOUNKOLO, Daniel PASQUIER, « Stratégies d'acculturation : cause ou effet des caractéristiques psychosociales ? L'exemple de migrants d'origine algérienne », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale 2008/3 (Numéro 79), p. 57

366

Acculturation comprehends those phenomena which result when groups of

individuals having different cultures come into continous first-hand contact, with subsequent changes in the original cultural parterns of either or both groups.1194

Hormis les deux théories susmentionnées, celle de John Berry est la plus référencée.

L'acculturation chez Léopold Sédar Senghor consiste à maintenir les éléments de sa culture d'origine tout empruntant ceux de la culture de l'autre. John Berry a appelé cela l'intégration. Dans le sens senghorien, l'intégration est plutôt l'assimilation culturelle et non l'assimilation individuelle. Il faut assimiler la culture de l'autre sans se laisser assimiler, telle est la devise de Senghor. Avec lui, il faut comprendre que l'acculturation est une modification de sa propre culture, due au contact avec une autre culture. L'identité acculturée serait ainsi une identité comprise entre deux identités culturelles en contact, mieux une identité de relation, d'arrangement, surtout de concession.

Cependant, l'étude de l'acculturation est en grande partie liée au phénomène de l'immigration, ce qui signifie que l'identité acculturée est étudiée chez les sujets de l'immigration ou chez les auteurs de l'exil ou immigrants. Peut-on parler d'immigration chez Senghor ? Sans toutefois écarter l'hypothèse de l'immigration ou de l'exil, nous allons chercher à comprendre la manifestation de l'identité acculturée dans sa poésie. Pour ce faire, nous procédons à la superposition de quelques poèmes, à savoir « Porte dorée », « Tout le long du jour », « Le message », « Prière aux masques », « Que m'accompagnent koras et balafong » (Chants d'ombre), « Prière des Tirailleurs sénégalais », « Ndessé » (Hosties noires), et « Chants pour Signare » (Nocturnes).

(Porte dorée)

Mes regrets, ce sont les toits qui saignent au bord des eaux, bercés par l'intimité des bosquets

Moi dont le plus modeste taxi roule et chavire le coeur sur les hautes vagues de l'Atlantique

Qu'une seule cigarette fait tituber comme le marin à l'escale sur le chemin du port

Qui dis toujours aussi mal que le lointain écolier de brousse « Bonjour, Mademoiselle...Comment allez-vous ? (Po : 8)

(Tout le long du jour...)

Tout le long du jour, tout le long de la ligne

Par les petites gares uniformes, jacassantes petites négresses à la sortie de l'École et de la volière (Po : 11)

(Le message)

1194 Robert REDFIELD, Ralph LINTON et Melville J. HERSKOWITS, « Memorandum for the study of Acculturation », American Anthropologist, 38, 1936, p. 149 (L'acculturation est un ensemble de phénomènes qui résultent d'un contact permanent avec des groupes d'individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles culturels originaux de l'un ou de l'autre groupes (ou des deux groupes).)

367

« Vous êtes docteurs en Sorbonne, bedonnants de diplômes « Vous amassez des feuilles de papier - si seulement des louis d'or à compter sous la lampe, comme feu ton père aux doigts tenaces ! (Po : 17)

(Prière aux masques)

Masques aux visages sans masque, dépouillés de toute fossette

comme de toute ride

Qui avez composé ce portrait, ce visage mien penché sur

l'autel de papier blanc

A votre image, écoutez-moi ! (Po : 21)

(Que m'accompagnent koras et balafong)

Je ne fus pas toujours pasteur de têtes blondes sur les plaines

arides

Pas toujours bon fonctionnaire, déférent envers ses supé-

rieurs

Bon collègue poli élégant - et les gants ? - souriant riant

rarement

Vieille France vieille Université, et tout le chapelet déroulé.

[...1

Lave-moi, de toutes mes contagions de civilisé.

[...1

Je n'amène d'Europe que cette enfant amie, la clarté de ses

yeux parmi les brumes bretonnes. (Po : 29-35)

(Prière des Tirailleurs sénégalais)

« Que nous goûtions la douceur de la terre la France « Terre heureuse ! où l'âpreté libre du travail devient lumineuse douceur. (Po : 68)

(Ndessé)

Ah ! me pèse le fardeau pieux de mon mensonge

Je ne suis plus le fonctionnaire qui a autorité, le marabout

aux disciples charmes.

L'Europe m'a broyé comme le plat guerrier sous les pattes

pachydermes des tanks

Mon coeur est plus meurtri que mon corps jadis, au retour

des lointaines escapades aux bords enchantés des Esprits. (Po : 79-80)

(Chants pour Signare)

Depuis longtemps civilisé, je n'ai pas encore apaisé le Dieu

blanc du Sommeil.

Je parle bien sa langue, mais si barbare mon accent !

[...1

Mon amour campagne rasée et quadrillée, pays blanc dont

je ne suis qu'un usager

[...1

Hier à l'église à l'Angélus, ont brillé ses yeux cierges mor-

dorant

Sa peau de bronze. Mon Dieu ! mon Dieu ! mais pourquoi

m'arracher mes sens païens qui crient ? (Po : 171-187)

Les huit textes ci-dessus ne laissent aucune trace de doute, car ils sont empreintes affectives du poète. Mieux, ils sont bien chargés d'affects.

Prenons pour point de départ des réseaux associatifs issus de la superposition, l'instruction occidentale, qui a été mise en évidence au chapitre un de la deuxième partie de ce

368

travail, pour mieux expliciter l'identité acculturée chez Léopold Sédar Senghor. En effet, l'école occidentale n'avait qu'un seul but, celui de l'assimilation totale du Noir, celui d'assimiler totalement les Africains par la diffusion de la langue française et de faire d'eux les consommateurs de la culture française. L'instruction occidentale est, comme les missions chrétiennes et médecines, au nombre des moyens d'action essentiels de la politique assimilatrice de la colonisation et de la domination française ; et l'un des objectifs de cette instruction était, comme déjà dit, l'assimilation totale des peuples colonisés, car « assimiler une culture, c'est d'abord assimiler sa langue ».1195 À l'époque coloniale, on a instauré le symbole pour punir celui qui était pris en train de parler une autre langue à part le français, laisse entendre Mamadou Cissé :

En 1928, était promulgué un arrêté qui stipulait que le français est la seule langue en usage dans les écoles. Il est interdit aux maîtres d'utiliser des « idiomes » du pays entre eux ou avec les élèves, en classe ou en récréation. On instaura le « symbole » ou « signal » afin d'humilier les contrevenants.1196

Nous avons choisi les huit textes ci-dessus, du fait qu'ils ont une chance de laisser affleurer les processus inconscients qui permettent de mieux comprendre l'ambiguïté chez Senghor. En négligeant les liens syntaxiques et considérant les mots s'agréger d'eux-mêmes, selon leurs nuances affectives, nous obtiendrons des huit textes ce qui suit :

- L'instruction occidentale : le lointain écolier de brousse, à la sortie de l'École et de la volière, docteurs en Sorbonne, bedonnant de diplômes, des feuilles de papier, l'autel de papier blanc, arides de vos livres, bon fonctionnaire, bon collègue poli élégant, vieille Université, disciples charmés...

- L'assimilation (le civilisé) : une seule cigarette, qui dis toujours aussi mal que le lointain écolier, vieille France, les gants, mes contagions de civilisé, je n'amène d'Europe que cette enfant amie, la douceur de la terre de France, l'Europe m'a broyé, longtemps civilisé, je ne suis qu'un usager, je parle bien sa langue, pays blanc, à l'église, l'Angélus, sa peau de bronze...

- Le refus de l'assimilation : mes regrets, pas toujours pasteur, pas toujours bon fonctionnaire, lave-moi de toutes contagions de civilisé, Ah ! me pèse le fardeau pieux de mon mensonge, je ne suis plus le fonctionnaire, mon coeur est meurtri, mais pourquoi m'arracher ses sens païens qui crient ?

Ces réseaux associatifs groupant les idées suivantes : l'instruction occidentale, l'assimilation et

le refus de l'assimilation, montrent que Senghor a bel et bien vécu et expérimenté à la fois

1195 Jean-Paul WARNIER, La mondialisation de la culture, La Découverte, Paris, 2008, p. 8

1196 Mamadou CISSÉ, « De l'assimilation a l'appropriation : essai de glottopolitique senghorienne », Sudlangues, n°7, pp. 131-132

369

l'assimilation linguistique et culturelle françaises. Mamadou Cissé s'inscrit dans cette logique, lorsqu'il dit :

Mais loin des lieux communs et cette image d'Épinal qui lui colle à la peau comme un cliché, la trajectoire du personnage vers « la défense et illustration de la langue française » est concomitante à une quête identitaire et à une recherche effrénée de repères. Il en est ainsi d'ailleurs de toutes les personnes de sa génération ayant vécu et expérimenté l'assimilation linguistique et culturelle1197.

Cette assimilation linguistique et culturelle est due à l'instruction occidentale. En effet, arraché trop tôt à son terroir natal, Senghor n'a pas eu d'éducation traditionnelle complète et notamment pas connu l'initiation traditionnelle ancestrale.1198 Il fut nourri à la sève nourricière de l'éducation et de l'initiation modernes européennes. Cependant, conscient de ce déracinement, selon nos réseaux associatifs, il refuse l'assimilation afin de préserver sa culture d'origine. Ce qui ne corrobore pas ses propos. En tant qu'homme ordinaire, il semble être favorable à l'assimilation à travers l'école occidentale. Pour lui, l'école occidentale ou coloniale avait pour rôle

[...] de former non des « Français moyens », mais des Négro-français, des hommes

modernes. Il est question d'assimilation active, de partir de l'Afrique noire pour y revenir enrichis de technique et de l'expérience de France1199.

Du point de vue senghorienne, l'assimilation dont il est question est de former des Négro-français, c'est-à-dire des hommes qui ne sont ni Africains ni Français, mais des Francophones. Ce type d'assimilation prête une confusion totale, raison pour laquelle, Daniel Kemajou, représentant du Cameroun à l'Assemblée de l'Union Française avait dit que

Le projet de M. Senghor prend hardiment parti, si j'ose dire, pour l'assimilation, quoi qu'il écrive le contraire. La moindre logique nous autorise à affirmer que cette assimilation est inévitable car celle des programmes d'enseignement et des méthodes entraîne fatalement une assimilation intégrale de l'individu.1200

Senghor lui répond indirectement en disant qu'« On pose, implicitement que l'enseignement public n'a d'autre que de former d'actif producteurs et de bons petits fonctionnaires soumis à leurs maîtres. »1201 En fait, Senghor y dénonce l'assimilation excessive, et prône une

1197 Idem., p. 131

1198 Étienne SMITH, « Senghor voulait qu'on soit tous des Senghor ». Parcours nostalgiques d'une génération de

lettrés, Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2013/2 (N° 118), p. 95

1199 Rapport de M. Senghor, grand conseiller de l'AOF, député du Sénégal, 3 juin 1949, CAC 550641/8

1200 Journal officiel de l'Assemblée de l'Union Française, session du juillet 1948.

1201 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 10

370

assimilation partielle. L'assimilation senghorienne veut que l'on soit, à la fois, plus assimilé à la culture française et plus enraciné dans sa culture d'origine. Il s'agit d'assimiler et non de se laisser assimiler : « trop assimilés et pas assez assimilés ? Tel est exactement notre destin de métis culturels ».1202

Pour exprimer concomitamment l'assimilation et l'enracinement, il faut adopter une nouvelle stratégie. Cette nouvelle stratégie consiste à une construction et une déconstruction du discours colonial fondé sur l'assimilation totale et intégrale. Il ne s'agit pas de se distinguer du reste de l'humanité au nom d'une illusoire authenticité nègre, au nom d'une identité figée, intangible et absolue, mais d'approprier les valeurs culturelles françaises et les intégrer aux valeurs culturelles africaines, car l'identité est par nature un chantier jamais achevé, un processus par essence composite, riche de plusieurs affluents et confluents.1203 Léopold Sédar Senghor asserte qu'elle est la greffe de celles-ci sur celles-là.1204

L'identité senghorienne est toujours question d'appropriation, d'adaptation, d'intégration et d'ouverture. Cette identité reflète ce que John Berry appelle intégration. En quête de cohérence et de l'affirmation de soi, Senghor y recherche les repères utiles dans sa culture d'origine et celle de l'autre (ici de la France) : « J'ai `'assimilé'' ceux-ci à ceux-là, `' acculturé'', comme vous le dites, ceux-là à ceux-ci. »1205 Pour lui, le Français doit se faire Nègre parmi les Nègres ; et le Nègre doit également se faire Français parmi les Français : « Tu t'es fait Nègre Jean-Marie parmi les Nègres »1206. En fait, il nous invite à nous construire une identité acculturée qui reflètera notre situation de métis culturel, pour dire juste, notre situation de Francophone (notre identité francophone/ identité négro-française). L'identité acculturée senghorienne est le fait d'assimiler sans être assimilé, le fait d'acculturer sans perdre notre spécificité. Dans l'entendement de Senghor, nous pouvons assimiler et demeurer nous-mêmes, authentiques, sans être forcément une copie de l'Occident. Nous devons être capables de nous accommoder des réalités culturelles, différentes des nôtres. Tel est le sens de l'identité acculturée chez Léopold Sédar Senghor : assimilation et adaptation d'une culture autre que la sienne tout en maintenant sa culture et son identité d'origine. Avec l'identité acculturée, Senghor veut en venir au métissage culturel. Ce qui semblerait une ambiguïté au départ n'est en réalité qu'une stratégie dialectique identitaire chez Léopold Sédar Senghor.

1202 Idem., p. 103

1203 David GAKUNZI, « le poète et la cité : Léopold Sédar Senghor », France-Fraternités, op. cit.

1204 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 103

1205 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 388

1206 Cf. « Élégie pour Jean-Marie », Élégies majeurs, op. cit., p. 279

371

L'individu, dans une situation d'acculturation, utilise plusieurs stratégies pour s'adapter à la nouvelle culture tout en maintenant sa culture d'origine. Parmi ces nombreuses stratégies, Senghor a opté pour une stratégie dialectique identitaire. La stratégie dialectique identitaire est un processus de réciprocité et d'échange des cultures en contact permettant à l'individu de conserver son identité et sa culture d'origine et de s'accommoder de la culture et de l'identité de l'autre. Mieux, elle est un processus aboutissant à l'expression de ses multiples identités en une seule identité. En fait, comme le souligne Edmond-Marc Lipiansky,

L'identité se construit dans une dialectique entre l'autre et le même, la similitude

et la différence. Cette dialectique se retrouve au plan de l'interaction entre les tendances à l'assimilation et les tendances à la différenciation.1207

De ce fait, l'identité acculturée chez Senghor relève d'un caractère dialectique, car il n'y a pas de rupture entre l'identité africaine et l'identité européenne, entre l'identité sérère et l'identité française. Ce sont plutôt deux pôles identitaires de la même personne. Cette identité acculturée, pour dire vrai, est l'identité francophone. En effet, cette identité francophone est la seule identité capable de traduire et d'exprimer, à la fois, l'identité africaine et l'identité européenne avec une tendance à l'assimilation et à la différenciation.

La stratégie dialectique identitaire consiste à faire un tri pour ne choisir que les valeurs occidentales que l'Afrique assimilera et en tirera profit, comme nous pouvons l'appréhender dans les propos de Senghor, ci-dessous :

En vérité, loin de rejeter brutalement, stupidement les valeurs de l'Occident européen, il fallait faire un tri par elles pour ne choisir que celles que nous pouvons assimiler, dont nous pourrions tirer profit. D'où ma formule : « Assimiler, non être assimilé »1208.

La stratégie dialectique identitaire, à cet effet, conduit à une identité acculturée, qui n'est rien d'autre qu'une assimilation dite partielle, et pour être juste une intégration, comme l'expose John Berry. Pour Senghor, cette identité doit justifier sa thèse de métissage. Ce qui caractérise l'identité acculturée et l'identité francophone, selon Senghor, est, bien sûr, le métissage :

L'idée est la même : au-delà d'un possible métissage biologique - qui était réel à

Gorée et Saint-Louis du Sénégal, mais là n'est pas l'important - il est question,

1207 Edmond-Marc LIPIANKSY, «Identité subjective et interaction», Stratégies identitaires. Paris, PUF, 1990, p. 188.

1208 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français et les langues africaines », Liberté 5, Paris, Seuil, 1993, p. 243

372

essentiellement, d'un métissage culturel. C'est ce sentiment communautaire qui prévaut dans toutes les rencontres francophones1209.

Et d'ajouter que la Francophonie réalise cette valeur du métissage culturel1210, que permet l'identité acculturée. Par l'identité acculturée, Senghor affirme être un métis culturel, car il s'est abreuvé à la fois à la culture africaine et à la culture française, autrement dit, un Négro-français. Pour être plus juste, nous disons que Senghor affirme, par l'identité acculturée, qu'il est Francophone. Il s'est acculturé les différentes cultures qui l'écartèlent, par une stratégie dialectique identitaire, pour se construire une nouvelle identité culturelle, ici, une identité francophone.

Deux facteurs ont permis d'expliquer l'identité acculturée chez Léopold Sédar Senghor : l'école coloniale et l'immigration (son séjour d'étude en France). En fait, l'élucidation de cette identité a mis l'accent sur l'instruction occidentale. Qu'elle soit en Afrique ou en France, l'instruction occidentale est en corrélation avec le séjour d'étude chez Senghor. Ce qui signifie qu'il s'agit en réalité d'un seul facteur dans l'appréhension de l'identité acculturée chez Senghor : l'instruction occidentale. Cette instruction a entraîné des changements dans la vie et dans la culture des colonisés à telle enseigne qu'ils ont pratiquement abandonné leurs valeurs culturelles, voire renié leur propre identité, estime Senghor :

Et la foule des boulevards, les somnambules qui ont renié leur identité d'homme

Caméléons sourds de la métamorphose, et leur honte vous fixe dans votre cage de solitude. (Po : 81)

Emmanuel Mounier confirme les propos de Senghor en disant que « la plupart des Noirs ont une honte d'être noirs, une honte secrète qu'ils ne font pas la leur, mais qui hante jusqu'à leur fierté. »1211 Cette honte d'être noir, Senghor l'a ressentie à un moment de sa vie, et cela s'explique, par le fait, que les Noirs ne savent plus ce qu'ils sont au juste. En effet, l'Afrique ne sait ce qu'elle est devenue depuis sa rencontre avec des peuples de civilisations différentes, surtout sa rencontre avec l'Europe. Elle n'a plus de cultures propres à elle, car la civilisation européenne a tout chamboulé plongeant l'Africain dans une déculturation totale.

1209 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme de la francophonie », Liberté 3, Paris, Seuil, 1977, p. 547 1210 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », op. cit.

1211 Emmanuel MOUNIER, Les oeuvres, Tome 3, Seuil, Paris, 1944-1950, p. 268

Les Africains ne savent plus s'ils doivent se considérer tantôt comme des Européens, tantôt comme des Africains. Ils ont une identité ambiguë. Ils cherchent, à cet effet, des stratégies identitaires pour exprimer leur situation de déculturation. Senghor, ayant compris, décide de revenir en Afrique, puiser les valeurs culturelles africaines et les intégrer aux valeurs culturelles occidentales. Il use de la stratégie dialectique identitaire pour se construire une identité acculturée. Avec l'identité acculturée, il n'était pas question d'un abandon, d'un rejet total des normes culturelles africaines et occidentales, mais d'une assimilation parfaite et partielle. Il s'agit d'incorporer la culture de l'autre dans sa culture. En fait, l'assimilation chez Senghor s'apparente à l'intégration chez John Berry. Il consiste à maintenir les valeurs culturelles de soi tout en empruntant celles de l'autre susceptibles d'être assimilées sans être assimilé.

Avec l'identité acculturée, Senghor justifie ainsi sa thèse de métissage, et asserte être non seulement biologiquement métis, mais de l'être culturellement. Cette identité acculturée va également corroborer sa thèse sur l'identité francophone. En effet, ce qui fonde l'identité francophone est le métissage, et Senghor veut qu'il soit biologique et culturel. Au-delà de ces considérations ou de ces assertions, Senghor affirme être un Francophone.

L'identité francophone est ce qui permet, selon Senghor, d'exprimer « notre authenticité de métis culturel »1212, ou de manifester notre identité culturelle et notre singularité pour communier avec l'universel sans jamais nous renier. Il n'est plus question pour un peuple quelconque, au sein de la Francophonie, d'exprimer son identité par le concept d'authenticité, mais par le concept d'acculturation, comme le veut Léopold Sédar Senghor : le dépassement de ses complexes pour s'approprier les valeurs culturelles de l'autre sans renier ses propres valeurs culturelles. L'identité acculturée, chez Senghor, est le fait d'exprimer son identité sérère, voire sénégalaise dans une identité française. Il est Négro-français, c'est-à-dire Francophone.

373

1212 Léopold Sédar SENGHOR, « Le français, la langue de culture », op. cit. (loc. cit.), p. 843

374

Après avoir découvert qu'il est un métis par les liens sanguinolents (liens sanguins) à travers la thèse de l'ancêtre portugais et des sangs mêlés, Senghor se veut une identité propre à lui. Pour cette raison, il se constitue une identité. Il adopte ainsi une stratégie dialectique identitaire pour se construire cette identité. En effet, il se rend-compte qu'il est au carrefour de deux cultures : la culture africaine et la culture européenne. Il se découvre être, à la fois, Africain et Européen. Il a également une parfaite connaissance des deux cultures. Il voulait vivre ces deux cultures et demeurer lui-même. Ce qui renvoie à l'identité de l'entre-deux.

L'identité de l'entre-deux est l'identité qui reflète la situation conflictuelle d'une personne à multiples identités, qui revendique son appartenance à toutes ses identités. Une personne de l'entre-deux est un métis culturel. Pour cette évidence, elle devient une conciliatrice, un trait d'union, une médiatrice entre deux cultures, entre plusieurs identités. Cependant, l'identité de l'entre-deux dépasse le cadre même de l'entre-deux culturel pour revêtir d'autres caractéristiques. Elle se meut en une identité acculturée.

L'identité acculturée, loin d'être un processus de déculturation ou l'identité d'une personne déculturée, est l'identité d'une personne décomplexée qui assume sa situation de l'entre-deux culturelle et qui l'exprime sans renier ni l'une ni l'autre. Avec l'identité acculturée, Senghor ne peut plus prétendre être un Africain ni un Européen dans un sens univoque. Senghor, c'est l'Afrique et l'Europe, et aussi la culture africaine et la culture européenne. Son identité reflète sa situation, celle de métis culturel. Cette identité lui permet d'exprimer son identité multiple, surtout de manifester son identité culturelle et sa singularité pour communier avec l'universel. Il ne s'agit pas d'exprimer de façon disparate ses multiples identités, mais de les focaliser, les concrétiser et les concentrer en un point pour que la diversité ne soit pas choquante. Il est question d'un accord, d'une diversité dans un accord harmonieux, d'une identité issue de plusieurs éléments identitaires de différentes cultures en contact. En se constituant une identité, Senghor exprime l'unité d'un sujet divisé1213, écartelé. Ce qui signifie que Senghor se retrouve non plus écartelé entre deux cultures ou deux identités aussi différentes que complémentaires. Son identité est l'unification de ce qui était divisé en lui ou de ce qui l'écartelait. D'où l'identité constituée.

L'identité constituée est le résultat complexe de la combinaison entre des cultures hostiles, dont l'une se veut supérieure à l'autre, et qui brise les barrières de la supériorité

1213 Dominique COMBE, Poétiques francophones, Paris, Hachette, 1997, pp. 134-135

375

culturelle. Aucune culture n'est supérieure, toutes se valent et sont nécessaires à l'affirmation de soi. Senghor se présente alors comme un individu de l'entre-deux qui a une identité acculturée, poreux à toutes les cultures susceptibles d'être assimilées sans qu'il soit assimilé.

L'identité constituée chez Léopold Sédar Senghor est la face visible de l'identité francophone. Cette identité francophone est multiple, car elle est le résultat d'une rencontre culturelle, d'un facteur historique, linguistique et psychologique. En effet, l'identité francophone permet d'unir les éléments identitaires disparates de l'individu pour en faire un tout, par le biais d'un sentiment de continuité historique vécue. La langue dont parle l'individu n'aura rien à voir avec le français standard ; elle est une langue enrichie et fécondée. Cette langue est du français métissé, et le dénominateur commun, le trait culturel du Francophone. De façon psychologique, le Francophone n'est ni Français ni Africain, il est, à la fois, soi et l'autre. Il manifeste sa singularité et sa pluralité.

En s'appuyant sur l'identité acculturée de Senghor, nous pouvons affirmer que le Francophone est celui qui exprime la conciliation entre les valeurs culturelles africaines et les valeurs culturelles occidentales, et qui le manifeste peu importe sa nationalité ou d'où il vient. Mieux, le Francophone est ce métis biologique ou culturel qui parle français enrichi de particularismes linguistiques, et qui assimile la culture de l'autre sans jamais renier sa culture d'origine. Cette ébauche de notre part permet d'aborder la question véritable de l'identité francophone chez Léopold Sédar Senghor dans le chapitre suivant.

376

CHAPITRE III : L'IDENTITÉ FRANCOPHONE CHEZ
LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR

La plupart des personnes qui se disent Francophones sont celles qui pensent que le fait de parler français leur octroie le droit de posséder l'identité francophone, nous disent Laurence Arrighi et Annette Boudreau : « La plupart des francophones du monde ont été et sont encore aux prises avec l'idéologie du français unique »1214. Ces personnes oublient que l'identité francophone ne se limite pas seulement à la langue française. Le sentiment de parler la langue française sans particularismes fait qu'on a du mal à cerner l'identité francophone. À cet effet, elles affirment que

Le terme francophone peine encore plus à recouvrir une certaine acceptation de la diversité quand on en vient à traiter des particularismes linguistiques effectives des locuteurs. Face à celles-ci, la question de la pluralité achoppe. En effet, la conception de la langue unique est très forte dans la conscience des gens si bien que les différentes pratiques linguistiques des francophones ont tendance à être occultées au profit d'un discours visant à promouvoir une « saine », homogénéité, souvent subsumée à travers le vocable français international, versant incarné et contemporain de l'idéologie du standard.1215

En fait, elles oublient qu'il n'est plus question du français standard en Francophonie, mais d'un français fécondé et fécondant, et métissé. Dans le cas de cette étude, il s'agit du français africanisé.

Le problème de l'identité francophone se pose également à chaque fois que l'on demande : Pourquoi écrivez-vous en français ? Pourquoi parlez-vous français ? Vous n'êtes pas Français et puis vous vous exprimez bien en français ? Selon Laurence Arrighi et Annette Boudreau, ce sont des questions symptomatiques du fossé entre les locuteurs du français hors de France et les Français. Ces questions ont tendance à mettre d'un côté les Français, c'est-à-dire les authentiques, et de l'autre côté les voleurs de langue1216, les métèques, les non-Français. C'est pourquoi, l'identité francophone est autant questionnée, voire rejetée, puisqu'elle est

1214 Laurence ARRIGHI et Annette BOUDREAU, « La construction discursive de l'identité francophone en Acadie ou comment être francophone à partir des marges ? », Minorités linguistiques et société 3 (2013) : 80-92, p. 89

1215 Idem., p. 85

1216 Cf. Jean-Louis JOUBERT. Allusion au titre de son ouvrage Les voleurs de langue. Traversée de la Francophonie littéraire, Éditions Philippe Rey, Paris, 2006, 190 p.

377

toujours suspectée de mettre d'un côté les Français, locuteurs légitimes, et de l'autre côté les autres qui le sont moins1217.

Le Francophone est l'autre qui n'est pas Français et qui parle français ; le Francophone est également l'autre et le Français qui font usage commun de la langue française. Confusion totale. Et, l'identité francophone devient source de discrimination. Léopold Sédar Senghor n'a pas échappé aux questions symptomatiques. Avoue-t-il en ces termes :

Mais on me posera la question : « Pourquoi, dès lors, écrivez-vous en français ? » Parce que nous sommes des métis culturels, parce que si nous sentons en nègres, nous nous exprimons en français, parce que le français est une langue à vocation universelle, que notre message s'adresse aussi aux Français de France et aux autres hommes, parce que le français est une langue « de gentillesse et d'honnêteté. »1218

D'après les dires de Senghor, le Francophone serait un métis culturel. Le métissage est le fondement même de l'identité francophone. Métissage qui, pour Senghor, doit être, à la fois, biologique, culturel, voire linguistique. N'y a-t-il pas d'autres paramètres à prendre en compte dans l'appréhension de l'identité francophone chez Senghor ? Si oui, quels sont alors ces nouveaux paramètres ?

L'identité francophone est une valeur à garder contre le danger menaçant de l'uniformisation, puisqu'elle est unité dans la pluralité. Elle est, également, une force organisatrice de l'être, une chance vers la connaissance de l'autre et aux autres, parce que le moi devient inséparable de l'autre. Elle est aussi ontologique, car elle concerne le sens de l'être. Elle est instrumentale, dans la mesure où elle fournit au Francophone les moyens de s'adapter au monde. Elle n'a rien de figé dans sa manière. Mieux, l'identité francophone ne se fige jamais autour de caractères et de valeurs échappant complètement aux enjeux sociaux du moment. Elle est une conscience de soi en tant que parlant français. Nous pouvons dire que l'on acquiert l'identité francophone lorsque l'on prend conscience que cette identité est la volonté de faire concilier l'ipséité et l'altérité chez soi.

Cependant, nous sommes également conscient qu'il y a une diversité de français. En fait, les Francophones parlent tous la même langue qui est le français, mais avec des particularismes propres à chaque Francophone. Cette langue est en constante reproduction, car en se renouvelant, elle se réinvente et se transforme. Comme elle, l'identité francophone se renouvelle en se construisant à travers l'action, elle n'est pas statique. Elle est l'identité-refuge.

1217 Laurence ARRIGHI et Annette BOUDREAU, « La construction discursive de l'identité francophone en Acadie ou comment être francophone à partir des marges ? », op. cit., p. 85

1218 Léopold Sédar SENGHOR, Postface d'éthiopiques, op. cit. (loc.cit.), p. 164

378

En effet, l'identité francophone semble être l'identité de ces nombreuses personnes qui ne savent pas ce qu'elles sont au juste. Prises entre deux cultures qu'elles ne veulent point abandonner ni nier, qu'elles veulent valoriser, ces personnes sont obligées de se résigner en se réfugiant à travers une identité capable de traduire sans complexe cet entre-deux identitaire. Senghor le confirme en disant que

Déjà, le 15 avril 1789, dans les Très-humbles Doléances et Remontrances des habitans (sic) du Sénégal aux citoyens français tenant les états généraux, des Négro-Africains se proclamaient, sans complexe, « Nègres » et « Français ». Nous disons aujourd'hui francophones.1219

Selon Senghor, le Francophone est celui qui proclame à la fois être Nègre et Français. Cette appréhension de l'identité francophone de notre part peut être sujet à caution, cependant elle reflète la situation identitaire de Léopold Sédar Senghor. D'ailleurs, il nous dit avec certitude qu'il est francophone : « [...] je suis francophone [...] ».1220 L'identité-refuge est l'identité qui permet d'unifier les différents traits et caractéristiques identitaires chez un individu écartelé et divisé.

L'identité francophone, c'est plus que la langue française fécondée et fécondante. Ce sont des valeurs qui fondent cette identité. Senghor a donné ces valeurs à travers les définitions de la Francophonie. Lorsqu'il dit que la Francophonie est un Humanisme intégral, il insinue par-là que le Francophone est un humaniste. Et, quand il affirme également que la Francophonie est culture, il acquiesce le fait que le Francophone est un homme de culture. Ce sont des valeurs certes, mais qui participent grandement de l'identité Francophone. Nous tentons de les mettre en évidence, dans ce chapitre, pour apporter notre modeste contribution au débat déjà entamé sur l'identité francophone. Cela signifie qu'au travers de la poésie senghorienne, nous allons aborder la question identitaire humaniste d'une part, et culturelle d'autre part.

La lecture des poèmes de Senghor montre que le poète ne se dissocie pas de l'homme, et qu'il développe les notions telles que la solidarité, la tolérance (le pardon), le respect de la personne humaine, l'attachement à la diversité des cultures. En plus, il a tendance à se définir poète. Aussi, semblerait-il que l'identité culturelle est, sans doute, le leitmotiv de Senghor, comme le souligne Adou Bouatenin :

De ce fait, nous pouvons affirmer que la question de l'identité culturelle a été le

leitmotiv de la poésie senghorienne [...] L'identité culturelle francophone a toujours

1219 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme de la francophonie », op. cit., p. 280 1220 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 3, op. cit. (loc. cit.), p. 183

été le leitmotiv de Senghor, et ses poèmes ne sont que le support adéquat et manifeste pour matérialiser son concept aussi cher.1221

Comme toute identité, l'identité francophone se conçoit à partir de l'autre, du regard de l'autre. On est Francophone, parce que l'autre nous préoccupe, parce que l'autre est un homme comme nous, parce que l'autre n'est pas Francophone, parce qu'on veut s'identifier à l'autre. L'homme est le centripète de la Francophonie, selon Léopold Sédar Senghor :

En Francophonie, il s'agit toujours de l'Homme : à sauver et à perfectionner,

intellectuellement avec Descartes, moralement avec Pascal, intégralement avec Teilhard.1222

Mieux, dit-il, pour connaître l'autre, il faut s'identifier à lui. Il dit à cet effet que

Vouloir la justice pour les autres, c'est auparavant, penser dans les pensées des

autres pour s'identifier aux autres. Ce qui est un moyen efficace de connaissance réciproque.1223

Chez lui, l'homme équivaut à la culture. En fait, il dit : « J'ai l'habitude de dire que, comme chef d'État, j'ai toujours pensé que l'Homme, c'est-à-dire la Culture, était au commencement et à la fin du Développement. »1224

Dans l'imaginaire francophone chez Senghor, l'homme et la culture en sont des préoccupations. Ils en sont la raison même de la conception senghorienne de la Francophonie. Pour mettre à nu l'identité francophone chez Senghor, le plan de notre réflexion se dessine de lui-même, de tout ce qui est dit ci-dessus ; ainsi nous allons nous pencher successivement sur l'identité humaniste et sur l'identité culturelle. Pour cette présente analyse, nous recourons à la psychocritique.

379

1221 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 12 et p. 14

1222 Léopold Sédar SENGHOR, « La francophonie comme culture », loc. cit., p. 139

1223 Léopold Sédar SENGHOR, « Pour un humanisme de la francophonie », Liberté 3, op. cit., p. 284 1224 Léopold Sédar SENGHOR, Notre librairie, n°81, op. cit., p. 106

380

1. UNE IDENTITÉ HUMANISTE

Qu'est-ce qu'une identité humaniste ? Qu'est-ce qu'un humaniste ? Pour répondre à ces questions, nous devons prendre le temps de regarder si nous nous accordons sur la définition de l'humain ou sur la conception de l'homme, car dans le mot humaniste on y voit homme, humain. La question serait alors qu'est-ce que l'homme ? À cette question, Odile Hardy répond en disant qu'

En effet, la définition de l'homme n'a jamais été uniforme : cette définition n'appartient pas à une catégorie de penseurs ou à un champ exclusif de la recherche - même si certains en revendiquent parfois l'exclusivité. Aucune discipline ne fait le tour de la question de l'homme, mais avec l'hyperspécialisation des domaines aujourd'hui, certains prétendent à une vérité sur l'homme - au risque de réduire ce dernier à certaines caractéristiques.1225

En fait, chaque personne a une conception de l'homme et entretient une relation spécifique avec lui. Notre rapport avec l'être humain (l'homme) nous confère l'identité humaniste. À cet effet, un humaniste est une personne préoccupée par tout ce qui concerne l'homme. Il lutte pour que l'homme puisse s'épanouir dans toutes ses dimensions : physiques, affectives, intellectuelles et spirituelles. Dans le même ordre d'idée, Irina Bokava dit qu'

Être humaniste aujourd'hui, c'est adapter la force d'un message ancestral aux exigences du monde moderne. Repenser les conditions de compréhension mutuelle et de l'édification, de la paix. Repenser la protection de la dignité humaine, et les moyens de réaliser pleinement le potentiel de chaque individu.1226

Autrement dit, être humaniste, c'est se soucier de l'avenir de l'homme peu importe la couleur de sa peau, sa race et sa religion. De ces appréhensions, que pouvons-nous dire de l'identité humaniste en Francophonie ? Que représente l'homme chez Senghor ? Quelle relation Senghor entretient avec l'autre ?

1225 Odile HARDY, « Comment penser l'humain pour refonder un humanisme ? Regard sur la crise anthropologique contemporaine », Quel humanisme pour demain ? l'avenir de l'homme dans nos sociétés, Colloque 2015-2016, p. 3 .Disponible sur http://www.grep-mp.com/wp-content/uploads/2016/12/2015-Hardy-Colloque-Humanisme.pdf

1226 Irina BOKAVA, « Repenser l'humanisme au 21ème siècle », International Review of Education, volume 60, issue 3, 2014, p. 307

381

Senghor a défini la Francophonie comme étant un Humanisme intégral. Cela sous-entend que la Francophonie se veut la solution des problèmes de l'humanité ou se soucie du devenir de l'homme. Ce qui signifie qu'il s'agit toujours de l'homme en Francophonie, et qu'elle mène ses actions et ses activités en faveur de l'homme, et toujours par référence à l'homme.1227 De ce fait, l'humaniste en Francophonie est celui qui pose de façon rationnelle les problèmes et recherche les solutions par référence à l'homme, et qui tend ou tente à le rendre plus vraiment humain. Selon Jacques Dufresne,

En utilisant l'expression humanisme intégral, Senghor rattache la francophonie à un humanisme chrétien aux contours bien dessinés, celui de Jacques Maritain, le philosophe catholique qui, au cours de la première moitié du XXème siècle, a réhabilité la tradition aristotélicienne et thomiste et contribué à la conversion de nouveaux intellectuels au catholicisme. Il a publié en 1936 un ouvrage, l'humanisme intégral. [...] Senghor fait toutefois figure de penseur solitaire. Le courant dominant va dans l'autre sens. Le mot humanisme, tel qu'il est généralement utilisé pour caractériser la francophonie, désigne un humanisme neutre dont les tenants sont avant tout soucieux d'éviter de marquer leur appartenance l'humanisme théocentrique ou l'humanisme anthrocentrique. L'humaniste est en ce sens celui qui tend à rendre l'homme plus vraiment humain1228.

Dire à une personne d'être humain signifierait que cette personne ait de l'amour, de la dilection et de la commisération à l'égard de l'autre. Les humanistes veulent que l'on ait un sentiment souciant de la condition humaine de l'autre. Être humaniste, avoir une identité humaniste, c'est éprouver, apprécier en chaque individu la valeur de l'humain, la rareté sans prix de ce qui existe d'unique en chacun et qui, à ce titre, est digne d'un infini respect.1229 Être humaniste est une manière d'être qui associe la dignité, la sociabilité et l'empathie. Dans cette logique, Jean-Jacques Rousseau nous exhorte à demeurer humains :

Hommes, soyez humains, c'est votre premier devoir ; soyez-le pour tous les états,

pour tous les âges, pour tout ce qui n'est pas étranger à l'homme. Quelle sagesse y a-t-il pour vous hors de l'humanité ?1230

Nous voulons également faire remarquer qu'il y a un abus de langage, lorsque nous disons à une personne d'être, en fait, humain, car, avant tout, cette personne est déjà humaine. Cependant, l'expression être humain est utilisée pour désigner l'attitude de l'homme à l'égard de l'autre. Il faut comprendre l'identité humaniste en ce sens, puisqu'elle reflète un individu

1227 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., p. 136 et p. 139 1228 Jacques DUFRESNE, « Un humanisme à définir ». Disponible sur http://www.agora-2.org/francophonie.nsf/Documents/Humanisme--Un_humanisme_a_definir_par_Jacques_Dufresne 1229 Odile HARDY, « Comment penser l'humain pour refonder un humanisme ? Regard sur la crise anthropologique contemporaine », op. cit., p. 39

1230 Jean-Jacques ROUSSEAU, Émile ou De l'éducation, Paris, Garnier, 1762, p. 429

382

épris d'une dilection pour son prochain. À présent, abordons les poèmes senghoriens pour appréhender l'attitude de Senghor à l'égard de l'autre afin de déterminer l'identité humaniste.

Pour la première superposition, nous allons faire appel à huit poèmes. Ce sont « In memoriam », « Neige sur Paris », « Le retour de l'enfant prodigue » (Chants d'ombre), « Camp 1940/Au Guélowar », « Lettre à un prisonnier » (Hosties noires), « Chaka », « Épitres à la princesse » (Éthiopiques) et « Élégie des alizés » (Élégies majeurs)

(In memoriam)

J'ai peur de la foule de mes semblables au visage de pierre. [...1

Que de ma tour dangereusement sûre, je descende dans la rue Avec mes frères aux yeux bleus

Aux mains dures. (Po : 7-8)

(Neige sur Paris)

Il est doux à mes ennemis, à mes frères aux mains blanches

sans neige

À cause aussi des mains de rosée, le soir, le long de mes

joues brûlantes. (Po : 20-21)

(Le retour de l'enfant prodigue)

Que j'ai rêvé d'un monde de soleil dans la fraternité de mes

frères aux yeux bleus. (Po : 48)

(Camp 1948/Au Guélowar)

Dans l'égalité des peuples fraternels. Et nous nous répondons : « Présents, ô Guélowar ! » (Po : 71)

(Lettre à un prisonnier)

Je ne reconnais plus les hommes blancs, mes frères Comme ce soir au cinéma, perdus qu'ils étaient au-delà du vide fait autour de ma peau. (Po : 81)

(Chaka)

CHAKA

[...1

Je dis qu'il n'est pas de paix armée, de paix sous l'oppression

De fraternité sans égalité. J'ai voulu tous les hommes frères. (Po : 123)

(Épitres à la princesse)

Tu m'ouvres le visage de mes frères les hommes blancs

Car ton visage est un chef-d'oeuvre, ton corps un paysage. (Po : 137)

(Élégie des alizés)

O mes frères dans la jubilation de la joie

O que vous chantiez avec moi, ô que nous dansions la gloire des athlètes des amants. (O. Po : 270)

Lorsque nous observons les extraits ci-dessus, nous constatons que le thème abordé par Senghor est la fraternité. Ce qui signifie qu'il est conscient de la présence de ce thème. Admettons que « toutes les répétitions thématiques que l'on peut constater dans une oeuvre ne sont pas

383

inconscientes. »1231 Ce qui semble vouloir dire que Senghor, de façon consciente, s'inscrit dans son énoncé pour se définir. Par des faits énonciatifs, il présente une image de lui-même.1232 Il ne dit pas ce qu'il est au juste, car cela doit découler de l'interprétation du thème abordé par lui. Cependant, la remarque faite est que Senghor, en abordant le thème de fraternité, ne songeait pas à une parenté utérine ou consanguine, ou bien à l'image d'un humaniste. En effet, de façon inconsciente, il se révèle comme un humaniste ou comme le frère utérin ou consanguin de tous les hommes. Il considère chaque homme comme membre d'une même famille biologique. On comprend, dès lors, sa thèse de sangs mêlés, élucidée dans le premier chapitre de cette troisième partie.

Pour Senghor, l'homme, qu'importe sa race ou sa religion, est un frère : « J'ai voulu tous les hommes frères »1233, nous dit-il dans Chaka. Autrement dit, « Que vous soyez musulman, chrétien, juif n'a pas d'importance. Si vous croyez en Dieu, vous devriez penser que chaque être humain fait partie d'une seule et même famille. »1234 Un tel propos peut corroborer la conception senghorienne de l'homme. Il suffit de jeter un regard sur le réseau associatif, issu de la superposition des extraits, ci-dessous, pour saisir la portée :

- La fraternité : mes semblables au visage de pierre, mes frères aux yeux bleus, à mes frères aux mains blanches, la fraternité de mes frères aux yeux bleus, l'égalité des peuples fraternels, les hommes blancs mes frères, de fraternité sans égalité, tous les hommes frères, le visage de mes frères les hommes blancs, mes frères...

Ce réseau offre des termes de parenté, qui, selon Catherine Kerbrat-Orecchioni, sont des termes

relationnels.1235 Lorsqu'on dit frère, cela suppose un lien consanguin ou utérin avec celui qui est appelé frère, car le terme frère signifie nécessairement mon frère. C'est-à-dire quand il est employé sans prédétermination, frère renvoie toujours au frère d'une tierce personne. C'est de façon inconsciente, selon Catherine Kerbrat-Orecchioni, que l'on dit mon frère ou mes frères. Cela relève d'un abus de langage, fait inconsciemment. Ce processus d'inconscient implique le degré de parenté ou le degré relationnel que l'on veut avoir avec celui qu'on appelle frère, et ce degré sera accentué par une prédétermination de possession, comme l'illustre le réseau associatif.

1231 Charles MAURON, Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, op. cit., p. 211

1232 Les faits énonciatifs, selon Catherine Kerbrat-Orecchioni, sont les traces linguistiques de la présence du locuteur au sein de son discours, les lieux d'inscription et les modalités d'existence. (L'énonciation : De la subjectivité dans le langage, p. 31)

1233 Léopold Sédar SENGHOR, Éthiopiques, loc. cit., p. 123

1234 Ce propos est de Mohammed Ali, un boxeur Afro-Américain, selon le Parisien. Disponible sur http://www.citation-celebre.leparisien.fr/citation/etre-humain

1235 Catherine KERBRAT-ORECCHIONI, L'énonciation : De la subjectivité dans le langage, p. 54

384

Senghor considère tous les hommes comme des frères d'une même maison, d'une même famille, qui est, selon Henri Lopès, la Francophonie.1236 Cette idée sous-entend, chez Senghor, qu'

Il s'agit [...] de faire communier l'homme avec des hommes, tous les hommes

avec toutes les forces de la nature, de renforcer les liens, qui, soutenant et sustentant l'homme, le font plus libre en lui permettant de se réaliser.1237

Cette idée est également le postulat de sa pensée poétique ainsi que de sa conception de la Francophonie, comme nous le disent Adama Samaké et Kouamé Kouamé, « le postulat de la pensée de Senghor est la fraternité ».1238 Senghor rêve d'un monde où tous les hommes se sentiront des frères, où « les Blancs et les Noirs [se considéreront] tous les fils de la même Terre-Mère »1239, comme le souhaite Voltaire : « Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères »1240. À ce stade, il faut reconnaître que l'humanisme senghorien est influencé par la philosophie des Lumières.

Le philosophe de Lumières est un homme de Lettres avec une fonction sociale qui exerce sa raison dans tous les domaines pour guider les hommes, prôner des valeurs et militer dans les problèmes d'actualité. Il est un humaniste qui ne se dissocie pas de l'homme ; il vit l'autre, il se l'approprie, car il aime l'homme. Nous sommes loin de portraiturer Senghor ; il suffit de faire un saut dans sa vie pour se rendre compte qu'il a été poète (homme de Lettres), enseignant et politicien (une fonction sociale), et que toute sa vie, il a lutté pour la réalisation de l'homme.

La seconde superposition des textes de Senghor permet de mettre à nu l'amour qu'il a pour l'autre. Pour ce faire, nous avons à superposer sept poèmes, à savoir « Que m'accompagnent koras et balafong » (Chants d'ombre), « Poème liminaire », Aux Tirailleurs sénégalais morts pour la France », « Luxembourg 1939 » (Hosties noires), « Élégie pour Aymina Fall » (Nocturnes), « Élégie pour Jean-Marie » et « Élégie pour Georges Pompidou » (Élégies majeurs).

(Que m'accompagnent koras et balafong)

Mes agneaux, vous ma dilection avec ces yeux qui ne verrons pas ma vieillesse (Po : 29)

1236 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 91

1237 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 2, op. cit., p. 185

1238 Adama SAMAKÉ et Kouamé KOUAMÉ, « Léopold Sédar Senghor, théoricien du roman : l'exemple du

roman africain », Éthiopiques, n°91, 2è semestre, 2013, p. 65

1239 Léopold Sédar SENGHOR, Élégies Majeurs, loc. cit., p. 302

1240 VOLTAIRE, Traité sur la tolérance, Bibebook, Paris, 1763, p. 117

385

(Poème liminaire)

Ah ! ne dites pas que je n'aime pas la France - je ne suis pas la France, je le sais - (Po : 54)

(Aux Tirailleurs sénégalais morts pour la France)

Ah ! puissé-je un jour d'une voix couleur de brousse, puissé-je

chanter

L'amitié des camarades fervente comme des entrailles et

délicate, forte comme des tendons. (Po : 63)

(Luxembourg 1939)

Vaincus mes rêves désespérément mes camarades, se peut-il ? (Po :63)

(Élégie pour Aymina Fall)

TOUS ENSEMBLE

Nous voici tous unis, comme les dix doigts de la main. (Po : 213)

(Élégie pour Jean-Marie)

Voilà Paul voilà Léopold, deux compagnons deux frères deux vases communiants dans la communion de la même foi

Du même appel de la même réponse - mais si petite ma part dans la Communion des saints ! (O. Po : 281)

(Élégie pour Georges Pompidou)

Si je te chante ami, c'est pour bercer mon enfant blanc dans

son savoir et sa puissance

Sa solitude élyséenne. Il a besoin d'un camarade, qui lui

tienne compagnie

[...1

J'ai rêvé d'un ciel d'amour, où l'on vit deux fois en une seule,

éternelle

Où l'on vit d'aimer pour aimer. N'est-ce pas qu'ils iront au

Paradis

[...1

Ainsi qu'à ceux qui aimèrent leur terre : leur peuple

Et tous les peuples, toutes les terres de la terre dans un

amour oecuménique

[...1

Qui suis un pécheur d'avoir tant aimé : amabam amare. (O. Po : 316-319)

Senghor est reconnu pour être un humaniste. On a même consacré des études sur l'humanisme senghorien. Ainsi la première étape du travail de la psychocritique telle que la conçoit Charles Mauron - la superposition des textes et la recherche des éléments obsédants - a déjà été franchie en ce qui concerne Senghor par des critiques. Pour plus de crédibilité, nous allons répéter le processus de la psychocritique mot à mot afin qu'on puisse saisir aisément ce qui caractérise l'identité humaniste chez Senghor. Avec la nouvelle superposition, nous avons l'altruiste (ma dilection, Ah ! ne dites pas que je n'aime pas la France, un ciel d'amour, où l'on vit d'aimer pour aimer, aimèrent leur terre : leur peuple, un amour oecuménique, avoir tant aimé, amabam amare...), et l'unité/la solidarité (l'amitié des camarades, fervente comme des entrailles, délicates, fortes comme des tendons, mes camarades, nous voici tous unis, comme les dix doigts

386

de la main, deux compagnons, deux frères, deux vases communiants, la communion de la même foi, du même appel de la même réponse, la Communion des saints, ami, il a besoin d'un camarade, qui lui tienne compagnie, tous les peuples, toutes les terres de la terre...) comme réseaux associatifs.

De ces différents réseaux associatifs, nous pouvons dire que, ce qui caractérise l'identité humaniste, chez Senghor, est l'amour, l'unité et la solidarité. Ces réseaux mettent à nu l'image d'un altruiste solidaire, soucieux du devenir et du bien-être de l'autre : « Il a besoin d'un camarade, qui lui tienne compagnie ». En effet, Senghor se définit comme une personne qui aime tant son peuple, tous les peuples et toutes les terres de la Terre d'un amour oecuménique, et comme une personne qui rêve d'un monde où l'on vit d'aimer pour aimer sous un ciel d'amour. En d'autres mots, il se définit comme un humaniste intégral et universel, car son amour pour l'homme n'a pas de borne. Là où est l'homme, le coeur de Senghor palpite pour le bien-être de celui, car « l'homme reste [son] dernier souci ; il constitue [sa] mesure. »1241 Il a une foi aveugle en l'homme. L'homme, quelle que soit son origine, est un frère à qui on offre l'hospitalité, à qui on vient en aide lorsqu'il est dans le besoin. Ce n'est pas un hasard s'il fut surnommé l'humaniste africain par le roi Hassan II du Maroc. Plus on lit Senghor, plus on découvre qu'il existe plusieurs aspects de sa personnalité. C'est la raison pour laquelle Abdoul Diouf affirme que « Senghor était un être ambigu, un humaniste, un universaliste. »1242 Cependant, l'aspect de sa personnalité le plus appréhendé dans sa poésie est ce Senghor humaniste. Certes, certains de ses poèmes présentent un Senghor rempli de haine, de rancoeur et de révolte, accusant la race blanche de tyrannie et d'inhumaine. Mais, il a aussitôt refoulé cette haine qui brûle le coeur : « Seigneur, je ne sortirai pas ma réserve de haine »1243, pour emprunter la voie de l'entente, de la paix, du pardon, de l'amour, de la solidarité et de la fraternité de tous les peuples : « Il est doux à mes ennemis, à mes frères aux mains blanches sans neige »1244. L'identité humaniste est l'un des postulats de l'identité francophone.

La Francophonie doit, dans ce sens, réaliser l'homme en se fondant sur l'homme.1245 Il s'agit pour Senghor d'une Francophonie dont la fin est l'homme intégral, communiant avec ses frères, les autres, dont les valeurs, partout, seront les valeurs de la Négritude intégrées dans les apports fécondants des autres continents, et d'abord, les sciences et les techniques de

1241 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 4, Paris, Seuil, 1983, p. 270 1242 Abdoul DIOUF, Patchwork : des fragments de vie, op. cit., p. 16 1243 Cf. « Neige sur Paris », Chants d'ombre, op. cit., p. 20

1244 Idem., p. 20

1245 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 4, op. cit., p. 17

387

l'Europe1246, et tendent essentiellement à rendre plus vraiment l'homme humain.1247 Cela sous-entend qu'il faudra prendre en considération les études littéraires, l'art, la technique et la science dans la conception de la Francophonie comme humanisme, car ils sont dignes de rendre l'homme plus humain. Le Francophone, selon Senghor, est l'homme intégral et universel qui prône l'unité, la solidarité et l'amour du prochain. En d'autres mots, le Francophone prône un humanisme teinté de social, d'altruisme et de fraternité. De ce fait, l'humanisme intégral dont il est question en Francophonie est pour Senghor une condition spirituelle d'un monde nouveau qui se veut la solution idoine à l'humanité de l'homme, à l'unité de l'humanité, à la place et à la finitude de l'homme, c'est-à-dire à la réalisation de l'être humain. Être Francophone, chez Senghor, signifie être un humaniste intégral et universel, car « la Francophonie, c'est cet Humanisme intégral qui se tisse autour de la terre »1248, écrivit-il poétiquement. Autrement dit, un humaniste, selon lui, est cette personne qui met une graine de l'humanité dans le coeur des hommes afin de compenser ce que la société a enlevé en eux comme humain et dignité.

L'étude des poèmes senghoriens révèle que Senghor se définit comme un humaniste intégral et universel. Avec lui, la fraternité, l'amour, l'unité, la solidarité, le don de soi à l'autre et l'acceptation de l'autre sont à valoir pour un devenir de l'homme pleinement humain. « En définitive, il s'agit de retrouver le goût de l'autre »1249 pour vivre l'autre et avec l'autre. En réalité, l'identité humaniste est une forteresse avec une brèche derrière laquelle s'abrite un moi, un je qui accepte l'autre et les autres comme frères, des frères. Elle est une réponse à la difficulté à accueillir l'autre, au déni de l'altérité, à la peur de l'autre ou à la peur de vivre avec l'autre. En d'autres termes, elle est une réponse à « l'allophobie ».1250 L'identité humaniste est une sorte d'allocentrisme.

L'homme est au centre de toutes les préoccupations, mais celles-ci relèvent plutôt de l'inquiétude, parce que nous sommes dans un temps de crise, dont la cause est le refus d'accepter la diversité, accrue par le sentiment de dominer l'autre. On n'a pas besoin de violence pour que l'homme soit révélé à lui-même comme être capable de compassion et d'humanité.

1246 Idem., p. 90

1247 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 2, op. cit., pp. 29-30

1248 Léopold Sédar SENGHOR, « Lz français, langue de culture », loc.cit., p. 844

1249 Odile HARDY, « Comment penser l'humain pour refonder un humanisme ? Regard sur la crise anthropologique contemporaine », op. cit.

1250 Nous désignons par allophobie, toutes les tendances qui conduisent à la peur de l'autre ou à la peur de vivre avec l'autre. Mieux, c'est une aversion envers l'altérité ou un comportement hostile à l'égard des personnes appartenant à une autre culture ou une religion. À ne pas confondre avec la phobie sociale qui est une pathologie psychologique.

388

Être humaniste, c'est vouloir rendre plus humain l'homme en commençant par accepter sa différence au niveau de la religion, de la race, de l'ethnie, de la politique et du sexe. L'humaniste admet la différence dans une coexistence pacifique, parfois hostile, et l'enrichir dans la fraternité, la solidarité, l'amour, la tolérance et la patience. Il accepte également, comme l'affirme le Pape François, de « regarder l'étranger, le migrant, celui qui appartient à une autre culture comme un sujet à écouter, considérer et apprécier »1251, comme un frère. La Francophonie doit aider à découvrir que l'autre est un frère. Elle demeure un programme à réaliser, exigeant, difficile et complexe.

La Francophonie est née d'un désir irrépressible d'une urgente nécessité de repenser et de refonder la condition humaine de l'homme et du monde.1252 Il ne s'agit pas de limiter la Francophonie au partage d'une langue, mais de rappeler que, ce qui en fait le ciment de la Francophonie, est les droits de l'Homme, la liberté, l'égalité, la solidarité, la fraternité, et le souci d'affirmer l'unité dans la diversité. En d'autres termes, ce qui fait le socle de la Francophonie est son humanisme. Il incombe, dorénavant, au Francophone de refuser la haine et la violence afin de maintenir son humanisme universel au service de l'acceptation de l'autre, de la paix et du vivre ensemble dans le respect des différences. La Francophonie est un projet permettant de façonner l'homme, car elle doit accorder la première place, dans ses actions, au devenir de l'homme. Elle est, pour ce 21ème siècle, l'une des solutions de préservation de la dignité humaine, puisque son humanisme intégral renvoie à l'amour général de l'humanité, et l'un des défis à relever pour définir l'Humanisme intégral et universel.

La poésie senghorienne est « la manifestation de l'amour pour l'humanité ».1253 Ce qui signifie que la poésie senghorienne est l'expression de l'humanisme et de l'identité francophones. En fait, sa poésie exprime les valeurs intrinsèques de l'humanisme, qui, à partir de 1765, désignait déjà l'amour général pour l'humanité. Elle est la manifestation de l'humanisme intégral et universel, car elle met en évidence deux humanismes qui résultent des valeurs de la Négritude et de la Francité. Les valeurs de la Négritude sont l'hospitalité, la solidarité, la sociabilité, la communauté, l'entraide et la fraternité. Quant aux valeurs de la Francité, elles sont la liberté, l'égalité et la fraternité.

Senghor, au travers de sa poésie, s'est livré en tant qu'un humaniste intégral et universel qui veut que la France vit en parfaite fraternité avec ses ex-colonies. Sa poésie est un livre

1251 Pape François, « Je rêve d'un nouvel humanisme européen ». Disponible sur

http://www.lacroix.com/Religion/Pape/Pape-Francois-Je-reve-nouvel-humanisme-europeen-2016-05-06-1200758310

1252 Michaëlle JEAN, Le nouvel humanisme se dit en français, op. cit.

1253 Sana CAMARA, « Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor face à l'historicité nègre », op. cit., p. 186

389

ouvert sur sa propre personnalité afin de mieux appréhender l'autre. Jacqueline Sorel argue, à cet effet, que

Dans un entretien datant de 1976, année de ses soixante-dix ans, Léopold Sédar Senghor confiait à un autre poète, Édouard Maunick, les secrets de son inspiration : « dans mes poèmes, j'ai chanté ma vie ». On y découvre ainsi la toile de fond de sa poésie. [...] la poésie est et demeure son jardin secret1254.

Des propos de Jacqueline Sorel, nous comprenons que la toile de fond de la poésie senghorienne est Senghor lui-même : « rien n'est plus vrai. Senghor s'est habillé de poésie, il en a fait sa raison d'être. Il a écrit toute sa vie sans jamais remettre en question son emprise sur sa vie »1255, affirme Véronique Tadjo. En parlant de lui-même, Senghor se fait proche de chacun, et à travers lui, on peut atteindre l'autre. Son lyrisme renvoie l'autre à ses propres expériences. Son je est un autre, comme la théorie rimbaldienne. Ce je est la conscience de soi en tant qu'une personne qui vit les valeurs de la Négritude et de la Francité pour soi, pour les autres et pour les faire vivre par les autres tout en les actualisant et les fécondant au besoin avec l'apport de tout un chacun. Senghor est habité, à proprement parler, de culture.

Cependant, il y a une caractéristique identitaire non négligeable à prendre en compte dans l'appréhension de l'identité francophone. Selon Senghor, la véritable raison de la naissance de la Francophonie est d'ordre culturel. Ce qui signifie qu'il existe une identité culturelle en Francophonie. Dès lors, nous pouvons nous demander comment Senghor appréhende ou se définit son identité culturelle. La réponse à cette question partielle est l'objet de réflexion au point suivant.

1254 Jacqueline SOREL, « Esquisse d'un portrait du poète », Mémoire Senghor : 50 écrits en hommage aux 100 ans du poète-président, Paris, Éditions UNESCO, 2006, pp. 165-167

1255 Véronique TADJO, « Senghor ou la force de croire », Mémoire Senghor : 50 écrits en hommage aux 100 ans du poète-président, Paris, Éditions UNESCO, 2006, p. 170

390

2. UNE IDENTITÉ CULTURELLE

Ce que nous sommes dépend de la culture dans laquelle nous naissons et évoluons, pour dire tout simplement que la culture permet à l'homme de se réaliser. Notre identité culturelle dépend de ce que nous sommes culturellement. Cependant, l'identité culturelle est le grand malentendu. « Pourquoi y a-t-il malentendu sur cette question de l'identité culturelle ? Parce qu'on entend deux choses à son propos, deux discours f...] ».1256 François Jullien s'inscrit dans ce malentendu, lorsqu'il dit qu'il n'y a pas d'identité culturelle :

Quand je dis « il n'y a pas d'identité culturelle, ce n'est pas une provocation. Une culture n'a pas d'identité pour une raison élémentaire : c'est qu'elle ne cesse de se transformer. Comme c'est le cas pour les langues : quand une culture, une langue, ne se transforme plus, elle est morte.1257

En fait, François Jullien fait une grande confusion entre identité culturelle et identité de la culture.

L'identité de la culture suppose que la culture a une identité, c'est-à-dire qu'elle a quelque chose qui fait qu'elle soit dite culture. Autrement dit, ce qui permet de définir l'essence même de la culture est ce qui est appelé son identité. Dans ce sens, nous pouvons dire que la culture n'a pas d'identité pour la simple raison qu'elle est un des facteurs qui détermine l'identité et l'altérité. Elle contribue ainsi à la découverte de l'identité, mais elle donne également une manière de voir le monde, de penser l'autre, celui qui est différent, et de se situer par rapport à eux. En d'autres mots, la culture n'a pas d'identité, parce qu'elle est le substrat permettant d'acquérir une identité. Cette identité, qui s'acquiert par la culture, est l'identité culturelle. En effet, elle est ce sentiment d'appartenir à un environnement naturel, culturel et à un groupe social qu'on reconnaît comme seins, et dans lesquels on se reconnaît et on se sent reconnu.1258 Toute culture est également récit, construction et transmission de systèmes sémiotiques permettant à chaque personne de pouvoir se repérer dans la trame sociopolitique et

1256 Patrick CHARAUDEAU, « L'identité culturelle : le grand malentendu », Actes du colloque du Congrès des SEDIFRALE, Rio, 2004., 2004, consulté le 20 août 2017 sur le site de Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications. URL: http://www.patrick-charaudeau.com/L-identite-culturelle-le-grand.html

1257 François JULLIEN, « La culture n'a pas d'identité », interviewé par Anastasia Vécrin pour le compte du journal Libération, 30 septembre 2016, Disponible sur http://www.liberation.fr/debats/2016/09/30/francois-jullien-une-culture-n-a-pas-d-identite-car-elle-ne-de-se-transformer_1516218

1258 Assane SECK, « De l'identité culturelle », Éthiopiques, n°27, juillet 1981

391

communiquer avec l'autre. De ce fait, l'identité culturelle est ce qui nous permet de nous repérer, de nous identifier culturellement dans une société donnée.

L'identité de la culture est, également, ce qui permet de spécifier la culture propre, naturelle d'un peuple, d'une nation. En ce sens, nous pouvons parler de la culture française (la Francité), la culture ivoirienne (l'Ivoirité), la culture Abron ou la culture Akan. Le faisant ainsi, la culture ne devient plus un facteur d'acculturation, mais de ségrégation, donc dangereuse pour la cohésion sociale. En plus, il n'existe plus de culture naturelle, propre et spécifique à un peuple ou à une nation du fait du phénomène de la migration. Ces migrations, ces rencontres des peuples de civilisations et de cultures différentes ont donné lieu à des mutations profondes dans la manière de faire, d'agir, de parler, de s'habiller, de vivre et de croire. Dans une telle situation, il convient de dire que la culture n'a pas une identité, car elle est hétérogène.

La définition de l'identité de la culture est complexe. Par contre l'identité culturelle est ce qui permet de définir un individu au plan culturel dans ses aspects intellectuels et artistiques. C'est en ce sens que nous pouvons dire que nous sommes poètes, musiciens, médecins, avocats, peintres, sculpteurs, danseurs... De ce fait, peut-on parler de l'identité culturelle en Francophonie ?

La Francophonie n'est pas seulement définie comme un Humanisme intégral, mais aussi comme culture, par Léopold Sédar Senghor : « f...] c'est qu'avant tout, pour nous, la Francophonie est culture »1259 ou « [...] la culture reste le problème essentiel de la Francophonie »1260. En définissant la Francophonie comme culture, qu'est-ce qu'il veut insinuer ? En définissant la Francophonie comme culture, Senghor affirme certes que la Francophonie a des valeurs culturelles que partagent des personnes et des peuples unis par une langue enrichie de différents particularismes, mais qu'elle prend en compte les domaines d'activités humaines tels que les Arts, la Technique et la Sciences. Le Francophone qui s'identifie à ces valeurs et à ces activités humaines se constitue une identité culturelle. Ces valeurs et ces activités ne sont pas spécifiques à une seule nation et à un seul peuple. Ce qui signifie qu'il n'y a pas une identité de la culture en Francophonie.

Donner une identité à la culture, c'est spécifier que ces valeurs et ces activités sont propres à une nation et à un peuple. L'identité de la culture n'existe pas, selon nous, pour la simple raison que la culture n'est pas l'apanage d'une seule nation et d'un seul peuple. La culture est l'affaire de tous. Chacun a une identité culturelle propre à lui en tenant compte du contexte sociopolitique, car cette identité s'opère du choix culturel que l'on fait. Cette identité

1259 Léopold Sédar SENGHOR, « La Francophonie comme culture », op. cit., p. 131 1260 Léopold Sédar SENGHOR, « De la Francophonie », op. cit.

392

culturelle n'est pas statique, elle évolue, se construit, et se laisse influencer par des modèles. « L'identité culturelle, par contre, porte sur les ressemblances, avec les autres membres du groupe et l'intégration harmonieuse dans la société », nous dit Assane Seck.1261 La culture est, par ailleurs, et en ce sens, un ensemble de savoirs et de valeurs qui s'acquièrent permettant de se construire son identité culturelle. Intéressons-nous à l'identité culturelle de Léopold Sédar Senghor pour pouvoir définir celle du Francophone.

L'identité culturelle de Senghor est singulière. Il suffit de lire ses poèmes pour s'en apercevoir. En effet, il est obsédé par sa carrière poétique et culturelle, à telle enseigne qu'il renonça à la carrière politique le 31 décembre 1980 pour se consacrer entièrement à ses poèmes et à la culture (Négritude, Civilisation de l'Universel et Francophonie). Il vit ses poèmes. Il fait corps et âme avec eux. Il fait la poésie, et la poésie le fait, pour parler ainsi. L'essentiel de sa vie est ses poèmes : « Mes poèmes. C'est, là, l'essentiel. »1262 Pour être plus explicite dans nos propos, nous disons que Senghor est, à la fois, le sujet et l'objet de la poésie. La poésie est sa passion1263 :

C'est pourquoi je vis mes poèmes un jour, des jours, des semaines, des mois, parfois des années, comme l'élégie pour la reine de Saba - en attendant que me rende visite `'la pure grâce du dire», pour employer l'expression de Pierre Emmanuel.1264

Nous voyons que Senghor est habité par la poésie. Avec une certaine assurance, nous pouvons avancer comme argument que Senghor se définit comme un poète. C'est à cette identité culturelle qu'il s'identifie.

Pour appréhender l'identité culturelle de Senghor, nous allons procéder à la superposition de vingt-deux poèmes.1265 Ce sont « L'ouragan », « Que m'accompagnent koras et balafong », « Chant d'ombre », « Par dela Éros », « Le retour de l'enfant prodigue » (Chants d'ombre), « Lettre à un prisonnier » (Hosties noires), « Teddungal », « L'absente », « Chaka », « D'autres chants... » (Éthiopiques), « Chants pour signare », « Élégies/Élégie de minuit », « Élégie des circoncis », « Élégie des eaux », « Élégie pour Aymina Fall » (Nocturnes), « Je repasse », « Sur plage bercé » (Lettres d'hivernage), « Élégie des alizés », « Élégie pour Martin Luther King », « Élégie de Carthage », « Élégie pour la reine de Saba » (Élégies majeurs) et « Perceur de tam-tam » (Poèmes divers).

1261 Assane SECK, « De l'identité culturelle », op. cit.

1262 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 378

1263 Cf. « Je repasse », Lettres d'hivernage, op. cit., p. 225

1264 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p.388

1265 Nous avons choisi ces poèmes, parce qu'ils mettent davantage l'identité culturelle de Senghor. Néanmoins, il

faut avouer que cette identité traverse toute la production poétique de Senghor.

393

(L'ouragan)

Embrasse mes lèvres de sang, Esprit, souffle sur les cordes de ma koras

Que s'élève mon chant, aussi pur que l'or du Galam. (Po : 9)

(Que m'accompagnent koras et balafong)

Elé-yâye ! De nouveau je chante un noble sujet ; que

m'accompagnent kôras et balafong !

Princesse, pour toi ce chant d'or, plus haut que les abois

des pédants ! (Po : 31)

(Chant d'ombre)

Écoute ma voix singulière qui te chante dans l'ombre

Ce chant constellé de l'éclatement des comètes chantantes

Je te chante ce chant d'ombre d'une voix nouvelle

Avec la vieille voix de la jeunesse des mondes. (Po : 40)

(Par dela Éros)

Je saisis l'écho du nombril qui rythme leur chant (Po : 42)

(Le retour de l'enfant prodigue)

Il n'a pas besoin de papier ; seulement la feuille sonore du dyâli et le stylet d'or rouge de sa langue. (Po : 46)

(Lettre à un prisonnier)

À Samba Dyouma le poète, et sa voix est couleur de flamme et son front porte les marques du destin (Po : 81)

(Teddungal)

Et leur tête était d'or, la lune éclairait le poème à contre-jour [...1

Ah ! ce coeur de poète, ah ! ce coeur de femme et de lion, quelle douleur à le dompter. (Po : 106-107)

(L'absente)

Je dis bien : je suis Dyâli.

[...1

Ma gloire est de chanter le charme de l'Absente

Ma gloire de chanter le charme de l'Absente, ma gloire

Est de chanter la mousse et l'élyme des sables

[...1

Ma gloire est de chanter la beauté de l'Absente

[...1

Je dis chantez le diamant qui naît des cendres de la Mort

O chantez la Présente qui nourrit le Poète du lait noir de

l'amour.

[...1

Mais le poème est lourd de lait et le coeur du Poète brûle

un feu sans poussière. (Po : 108-113)

(Chaka)

LA VOIX BLANCHE

[...1

Toi le grand pourvoyeur des vautours et des hyènes, le

Poète du Vallon-de-la Mort.

[...1

LA VOIX BLANCHE

Ma parole Chaka, tu es poète... ou beau parleur... un poli

ticien !

394

CHAKA

[...1

Un politicien tu l'as dit - je tuai le poète - un homme

d'action seul

[...1

LE CORYPHÉE

Je dis le fort je dis bien le généreux de ton sexe

L'amant de la Nuit aux cheveux d'étoiles filantes, le créateur

des paroles de vie

Le poète du Royaume d'enfance.

LE CHOEUR

Bien mort le politique, et vive le Poète ! (Po : 118-128)

(D'autres chants...)

[...1

Seront-ce les prémices de mon chant dans l'ablution de mon orgueil ?

Dis seulement les paroles propices.

[...1

« Puisse mon poème de paix être l'eau calme sur tes pieds et ton visage (Po : 145-147)

(Chants pour signare)

[...1

Ah ! peut-être demain à jamais se taira la voix pourpre de

ton dyâli.

Voilà pourquoi mon rythme se fait si pressant, que mes

doigts saignent sur mon khalam.

[...1

Ton rempart si mobile ne saurait résister à l'assaut subulé

de mon coeur de dyâli.

[...1

Des maîtres de Dyong, j'ai appris l'art de tisser des paroles

plaisantes

Paroles de pourpre à te parer, Princesse noire d'Elissa

[...1

Je ne puis chanter ton plain-chant sans swing aucun ni le

danser

[...1

Je romprai tous les liens d'Europe pour filer le poème sur

cuisses de sable.

Que m'importe ce nom qui chante sur la porte du tabernacle ? (Po : 172-189)

(Élégies/Élégie de minuit)

[...1

Plus ne peut m'apaiser la musique d'amour, le rythme sacré

du poème

[...1

Et si c'était cela l'Enfer, l'absence de sommeil ce désert du

Poète

[...1

Je dormirai à l'aube, ma poupée rose dans les bras

Ma poupée aux yeux vert et or, à la langue si merveilleuse

La langue même du poème. (Po :197-198)

(Élégie des circoncis)

Le poème se fane au soleil de midi, il se nourrit de la rosée

395

du soir

Et rythme le tam-tam le battement de la sève sous le parfum des fruits mûrs.

[...1

Le chant n'est pas que charme, il nourrit les têtes laineuses de mon troupeau.

Le poème est oiseau-serpent, les noces de l'ombre et de la lumière à l'aube

Il monte Phénix ! il chante les ailes déployés, sur les carnages des paroles. (Po : 200)

(Élégie des eaux)

[...1

? Le poème fait transparente toutes choses rythmées.

[...1

Seigneur, vous m'avez fait Maître-de-langue

Moi le fils du traitant, qui suis né gris et chétif

Et ma mère m'a nommé l'Impudent, tant j'offensais la

beauté du jour

Vous m'avez accordé puissance de parole en votre justice

Inégale (Po : 206)

(Élégie pour Aynima Fall)

CHOEUR DES JEUNES FILLES

Quel champion quel athlète, quel cavalier chanterons-nous ? Mais pour qui nos poèmes ? Quelle voix désormais rythmeront les tam-tams ?

Pour qui l'éloge et l'épopée ? (Po : 210)

(Je repasse)

Car elle existe, la fille Poésie. Sa quête est ma passion (Po : 225)

(Sur la plage bercé)

[...1

Mais les visions du poète, nous les bâtirons dans la pierre de

Rufisque.

[...1

Comme un plain-chant, non ! comme une berceuse malinké. (Po : 229)

(Élégie des alizés)

[...1

Moi le Maitre-de-langue, j'ai en exécration : ce sang chaud

monotone et ce pullulement fétide

[...1

J'ai besoin de vos palmes pour continuer mon chant, refroi-

dir ma poitrine la gorge.

Je chante dans mon chant tous les travailleurs noirs, et tous

les paysans pêcheurs pasteurs

Qui déchantent au chant de la moisson.

[...1

Je chante la jeunesse qui ne se suffit pas de cueillir pagnes et

poèmes aux arènes sonores.

Que je te chante de mon mètre d'argent, mesure ton flanc

indigo

[...1

Que je chante pour qui je chante.

Je chante l'oriflamme de l'Afrique aux forces essentielles.

[...1

Par la voix du tam-tam, louange à l'accord trinitaire :

le poème s'est fait trois langues. (O. Po : 262-270)

396

(Élégie pour Martin Luther King)

[...1

Je chante Malcolm X, l'ange rouge de notre nuit

Par les yeux d'Angela chante George Jackson, fulgurant

comme l'Amour sans ailes ni flèches

Non sans tourment. Je chante avec mon frère

La Négritude débout, une main blanche dans sa main vivante

Je chante l'Amérique transparente, où la lumière est poly-

phonie de couleurs

Je chante un paradis de paix. (O. Po : 303-304)

(Élégie de Carthage)

[...1

N'empêche. Que baveuses débouchent de ma bouche les

paroles, comme l'écume semence de Cumes

Qu'importe ? Je dis je suis rythmé par la loi du tam-tam.

Je me rappelle, Didon, le chant de ta douleur qui charmait

mon enfance

[...1

Je ne chante pas ton courage : en lettre d'or et sur le marbre

Noir Hannibal, je rythme ta passion aux yeux de lynx. (O. Po : 308-310)

(Élégie pour la reine de Saba)

[...1

Moi je te chante, comme le roi blond Salomon, faisant danser

dansant les cordes légères de ma kôra.

[...1

Mouvement musique harmonie, que je vous chante de la voix

d'or vert du dyâli !

[...1

« Que tu es beau lorsque tu danses ! Tu virevoltes comme le

papillon

[...1

« O mon Poète, ô qui danses penché sur les cordes hautes

de ta kôra !

[...1

« O mon Sage ô mon Poète, ô ! faisant danser tes doigts

sur les cordes de ta kôra. »

[...1

Chantant le chant qui m'ébranle à la racine de l'être :

« Dis-moi mon Sage mon Poète, ô dis-moi les paroles

d'or

« Qui font poids et miracle dans mon sein.

« Que ton rythme et la mélodie en disposent les sphères

dans le charme du nombre d'or ! »

[...1

Lors je crée le poème : le monde nouveau dans la joie pascale. (O. Po : 326-332)

(Perceur de tam-tam)

[...1

Mes paroles de silex, dures et tranchantes

Te frapperont ;

Ma danse et mon rire, dynamite délirante,

Éclateront

Comme des bombes

[...1

Perceur de tam-tam (O. Po : 224)

397

Les réseaux associatifs qu'une telle opération accuse sont les suivants :

- Le chanteur : que s'élève mon chant, de nouveau je chante un sujet noble, pour toi ce chant d'or, écoute ma voix singulière qui te chante, chant constellé, je te chante ce chant d'ombre, leur chant, ma gloire est de chanter le charme, de chanter la mousse et l'élyme des sables, ma gloire est de chanter la beauté, je dis chantez le diamant, o chantez la Présente, les prémices de mon chant, je puis chanter ton plain-chant, la musique d'amour, ce nom qui chante, le chant n'est que charme, il chante les ailes déployées, quel cavalier chanterons-nous ?, comme un plain-chant ! comme une berceuse malinké, mon chant, je chante dans mon chant, au chant de la moisson, je chante la jeunesse, que je te chante, que je chante, pour qui je chante, je chante l'oriflamme de l'Afrique, je chante Malcolm X, chante Georges Jackson, je chante avec mon frère, je chante l'Amérique transparente, je chante un paradis de paix, le chant de ta douleur, je ne chante pas ton courage, Moi je te chante, musique harmonie, que je vous chante, chantant le chant, ton rythme et la mélodie...

- Le danseur : danser, faisant danser, tu danses, tu virevoltes comme un papillon, ô qui danses penché, faisant danser les doigts, ma danse...

- L'instrumentiste : les cordes de ma kôra, que m'accompagnent kôra et balafong, que mes doigts saignent sur mon khalam, et rythme le tam-tam, les tam-tams, par la voix du tam-tam, par la loi du tam-tam, les cordes hautes de ta kôra, les cordes de ta kôra, les cordes légères de ma kôra, peurceur de tam-tam...

- Le parolier : le stylet d'or et rouge de sa langue, beau parleur, le créateur des paroles de vie, les paroles propices, la voix pourpre, j'ai appris l'art de tisser des paroles plaisantes, paroles pourpres, les carnages des paroles, Maître-de-langue, puissance de parole, Moi le Maître-de-langue, dis-moi les paroles d'or, mes paroles de silex...

- Le poète : la feuille sonore du dyâli, Samba Dyouma le poète, la lune éclairait le poème, ce coeur de poète, je dis bien : je suis le dyâli, le Poète, le poème est lourd, le coeur du Poète, le poète du Vallon-de-la-Mort, tu es poète, je tuai le poète, le poète du Royaume d'enfance, et vive le Poète, mon poème de paix, la voix pourpre du dyâli, mon rythme se fait si pressant, mon coeur de dyâli, le poème, le rythme sacré du poème, ce désert du Poète, la langue même du poème, le poème se fane au soleil de midi, le poème est oiseau-serpent, le poème fait transparente toutes choses rythmées, pour qui l'éloge et l'épopée ?, la fille poésie, les visions du poète, poèmes aux arènes sonores, le poème s'est fait trois langues, la voix d'or vert du dyâli, o mon Poète, ô mon Poète, mon Poète, je crée le poème...

Léopold Sédar Senghor est d'un monde où la parole se fait poème plaisant au coeur et à

l'oreille1266, dès que l'homme est ému ; et comme on lui a confisqué ses instruments en les remplaçant par du papier blanc quadrillé, il ne lui reste que la parole pour dire la poésie qui n'est pas, tout à fait, d'Europe sur ce papier blanc quadrillé.1267 Il s'est approprié les objets culturels qu'on lui a proposés pour définir sa poésie, se définir et se faire une identité culturelle.

1266 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 389/397

1267 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 155

398

En fait, l'identité culturelle est l'ensemble des éléments de culture par lesquels une personne ou un groupe se définit, se manifeste et souhaite être reconnu(e). En fait, Senghor se reconnaît comme poète authentique, voire naturel. C'est-à-dire qu'il se définit comme un poète Négro-Africain. Cependant, cette revendication de poète Négro-Africain, authentique, naturel va être altérée par les influences occidentales.1268 Peut-il se définir comme un poète occidental ? Non ! Car il se trouve qu'il est les deux, c'est-à-dire poète Négro-Africain et poète Occidental. Il devient alors un poète accompli, intégral et universel. Pour ce faire, il va revêtir les images du chanteur, du danseur, de l'instrumentiste, du parolier, du dyâli et du poète, car il veut définir sa propre poésie. On comprend dès lors ce qu'il veut dire par ceci : « Je persiste à penser que le poème n'est accompli que s'il se fait chant, parole et musique en même temps »1269. En le paraphrasant, nous disons que le poète n'est accompli que s'il se fait chanteur, danseur, instrumentiste, parolier, musicien en même temps. Il doit être le dyâli, c'est-à-dire celui qui transmet une parole, qui vient du passé et qui demeure puissance de vie pour les auditeurs ou lecteurs présents. Il ne s'agit pas seulement pour le poète de maîtriser le pouvoir de la parole, mais aussi et surtout de porter aux oreilles du monde la parole retrouvée, propice de son peuple.

Senghor s'inspire du chant incantatoire dont les mots et rythmes se lient à la pensée et au corps. Mieux, il emprunte ses rythmes et ses intonations à la poésie orale africaine et à la musique qui l'accompagnent tout en s'inscrivant dans la tradition poétique occidentale. Ayant appris à tisser des paroles plaisantes auprès des maîtres dyongs, puis ayant été enraciné dans la terre sérère et bercé par ses trois Grâces, Senghor peut alors, avec la maîtrise de la langue française, se faire appeler « Maître-de-langue », c'est-à-dire le griot, le dyâli, le troubadour, le poète. Il se définit comme un griot qui a lu Saint-John Perse, Paul Claudel... Il se présente également comme un poète africain et français possédant ainsi la double culture. Son art poétique s'enracine dans la forêt africaine en y puisant sa sève nourricière sous le badigeon d'une culture européenne étonnamment assimilée. Il rompt tous les liens d'Europe pour filer le poème comme il le conçoit.1270 Son poème est proche de l'incantation, de la litanie, de l'oraison religieuse, de l'imagination voire du symbolisme.

Sa conception du poème est un poème ouvert aux éléments culturels de tous les peuples de la terre, un poème qui se fait trois langues, et qu'il définit comme une poésie francophone.

1268 Idem., p. 155

1269 Ibidem., p. 166

1270 Cela signifie que la France n'est plus le centre de la littérature, qu'il n'y a plus une relation de centre et de périphéries..., et qu'il n'y a plus de modèles occidentaux. Paris n'influence plus les auteurs ou les poètes. La littérature est universelle et elle n'est pas l'apanage d'un peuple.

Sa poésie, en ce sens, n'est ni africaine ni française, mais les deux à la fois. Saïda Belouali atteste que

La poésie senghorienne [...] s'ancre dans un dire processionnal proche de la production orale africaine et se réalise en même temps dans une langue étrangère. [...] Une alliance qui se fait sous l'effet d'un apprivoisement du verbe français à cette forme « dyaliique » qui se situe aux alentours de procession du chant.1271

Ce qui veut dire que Senghor pratique une poésie, dite poésie francophone.1272 Mieux, il s'identifie comme un poète francophone. Cela est son identité culturelle. Ce ne sont pas nos attitudes culturelles qui déterminent ce que nous sommes, ce sont plutôt nos différents choix culturels qui déterminent notre identité culturelle. Les choix culturels de Senghor (l'image du poète africain traditionnel et oraliste, et du poète français) font de lui un poète francophone. Pour lui, le poète francophone est un poète accompli, intégral et universel possédant une double culture. Cette identité est également la métaphore obsédante qui se dégage des réseaux associatifs. Nous pouvons asserter que l'identité culturelle est son mythe personnel. Autrement dit, au travers de ses écrits, Senghor se bâtit l'image d'un poète francophone.

Le mythe personnel est « l'expression de la personnalité inconsciente [de l'écrivain] et de son évolution »1273 dans son texte. En d'autres termes, le mythe personnel est l'image que l'écrivain se construit de façon inconsciente dans son oeuvre ou dans son texte, et qui permet de saisir sa personnalité (qui laisse transparaître la nature de sa personne)1274. À ce stade, nous pouvons dire que l'écriture poétique est le manifeste inconscient de l'identité du sujet écrivant, ici, de Léopold Sédar Senghor. À travers sa poésie, Senghor ne cherchait que la bonne attitude pour dire son identité. Et l'identité francophone est l'invariant qui se dégage au travers de sa poésie.

399

1271 Saïda BELOUALI, « Senghor : Habiter l'interparole », op.cit.

1272 Nous donnons les caractéristiques de la poésie francophone dans le chapitre suivant. 1273 Charles MAURON, Psychocritique du genre comique, José Corti, Paris, 1964, p. 141 1274 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 80

400

Léopold Sédar Senghor a voulu ainsi choisir l'art poétique pour s'exprimer et affirmer son identité culturelle. En effet, la poésie senghorienne est un art complet, car elle se fait chant, danse, voire musique en s'accompagnant d'un instrument de musique. À cet effet, il soutient que

[...] la poésie est chant sinon musique [...]. Le poème est comme une partition de jazz, dont l'exécution est aussi importante que le texte [...] Tout d'abord, on peut réciter le poème selon la tradition française, en soulignant l'accent majeur de chaque groupe de mots. [...] On peut encore réciter le poème en s'accompagnant d'un instrument de musique [...]. On peut psalmodier le poème sur un fond musical : avec les mêmes instruments ou, de préférence, des flûtes, des orgues ou un orchestre de jazz. [...] On peut, enfin, chanter vraiment le poème sur une partition musicale. [...] Je persiste à penser que le poème n'est accompli que s'il se fait chant, parole et musique en même temps. [...] Il faut restituer celle-ci à ses origines, au temps qu'elle était chantée - et dansée.1275

De ce fait, le poète devient à son tour un artiste complet. Cependant, la particularité de la poésie senghorienne est qu'elle est empreinte de la poésie orale africaine et de la poésie française : « Notre ambition est modeste : elle est d'être des précurseurs, d'ouvrir la voie à une authentique poésie nègre, qui ne renonce pas, pour autant, à être française. »1276, nous dit Senghor. Cette poésie, qui veut être une authentique poésie nègre sans renoncer pour autant à être française, est appelée par Senghor poésie francophone.1277 De ce fait, Senghor se présente, comme un poète francophone.

La véritable raison du choix de Senghor en tant que poète francophone réside dans le fait que la poésie, dite francophone, a une vision ontologique, c'est-à-dire l'homme dans l'univers. C'est ce qui sous-entend de ses propos, lorsqu'il dit :

Il reste que, pour les poètes francophones d'aujourd'hui, ce qui compte d'abord,

c'est l'objet du poème, qui est une vision ontologique de l'univers : de l'homme dans l'univers.1278

Cela suppose que la véritable raison du choix de Senghor est le fait que la poésie francophone est une poésie humaine, c'est-à-dire elle a pour sujet et objet l'homme, la réalisation pleinement de l'homme. Quant au poète francophone, il est le nouvel Orphée - musicien et poète - qui doit

1275 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit. (loc. cit.), p. 165 1276 Idem., p. 163

1277 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 357/377

1278 Idem., p. 379

401

soumettre à sa volonté minéraux, végétaux, animaux et hommes par son art poétique. La parole du poète, dit Senghor, a une vertu démiurgique : elle est verbe, elle est création, elle est poïésis. Il lui suffit de nommer les choses pour les faire surgir du chaos primordial. Le poète francophone doit être un créateur ; il doit créer une nouvelle poésie.

L'autre raison peut plausible est que la poésie est la forme suprême de tous les arts, de la littérature, et l'apanage des vrais artistes, des maîtres-de-langue, des créateurs de formes poétiques. En se définissant comme poète francophone, Senghor se dit être un vrai artiste, un chantre, un maître-de-langue, voire un créateur. Il est également le chantre et le précurseur de la poésie francophone. Une poésie qui se veut lieu d'une rencontre des cultures.

Le poète francophone est, par ailleurs et ainsi, celui qui exprime la conciliation ou la rencontre des valeurs africaines et des valeurs occidentales, des cultures d'ici et d'ailleurs1279, et dont sa création poétique manifeste cette symbiose, peu importe sa nationalité, du fait qu'il soit maître de sa parole poétique.1280 Est Francophone toute personne appartenant ou se considérant appartenir au moins à deux cultures d'au moins de deux peuples dont la langue française enrichie par de particularismes de ses cultures est la langue nationale ou la langue de communication. Toute personne s'identifiant en cette identité francophone fait également de cette identité son identité culturelle. Cette identité devient alors un patrimoine que l'on accepte, que l'on subit, auquel on adhère ou non, mais qu'il existe, comme le souligne Dominique Wolton.1281

L'identité francophone est ce que l'on ressent et vit culturellement de façon particulière, et ne répondant pas à une conception culturelle unique. Elle est une réalité dont chaque personne, chaque Francophone est dépositaire. Être Francophone, c'est acquérir les instruments de la culture occidentale (ici française) tout en puisant dans sa culture d'origine les fondements théoriques pour la réalisation de sa propre identité. Ce qui signifie qu'il existe une culture francophone impliquant une identité francophone dans laquelle un sujet se reconnaît et s'identifie, parce que la culture est ce qui détermine notre identité et notre personnalité.

1279 Adou BOUATENIN, La poétique de la Francophonie, op. cit., p. 108

1280 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 407 1281 Dominique WOLTON, loc. cit., p. 33

402

Senghor, par sa poésie, infirme toutes les approches définitionnelles de l'identité francophone qui ont tendance à rattacher cette identité à l'usage de la langue française. Pour lui, l'identité francophone se doit être définie à partir de ce qui fonde réellement la Francophonie : l'Humanisme intégral et la culture. Ce qui signifie que l'identité francophone est intrinsèquement liée à l'identité humaniste et à l'identité culturelle. Pour l'appréhender, dans sa poésie, nous avons procédé à mettre au jour ce que sont celles-ci.

En partant du postulat que la Francophonie est un Humanisme intégral, nous avons argué que Senghor se définit comme un humaniste intégral et universel, parce qu'il place l'être humain comme valeur et préoccupation centrales dans son projet francophone et dans sa poésie. Il affirme l'égalité de tous les êtres humains, et reconnaît la diversité personnelle et culturelle. Il développe la connaissance au-delà de ce qui est accepté comme vérité absolue. Il approuve, également, la liberté d'opinion et de croyance tout en rejetant la violence, et prône l'amour fraternel envers tous les êtres humains.1282 Par l'identité humaniste, Senghor se présente comme une personne soucieuse du devenir et de l'être de la personne humaine. Il montre que l'homme est un, et que l'humanité ne doit pas être seulement l'apanage des Occidentaux, mais des hommes qui ont des droits égaux et qui sont faits pour s'entendre, s'entraider et s'aimer. Il invite les êtres humains à s'accepter comme des frères d'une même famille. Cela signifie que le Francophone doit être au service des hommes, s'efforcer à rendre les hommes plus humains. L'identité francophone ne se limite pas seulement au caractère humaniste, mais aussi au caractère culturel.

Nous sommes également parti du fait que la Francophonie est culture pour déterminer l'identité culturelle chez Léopold Sédar Senghor. L'identité culturelle d'une personne est le fait de se reconnaître ou de s'identifier en une culture - en ses valeurs - dans laquelle elle veut que les autres la reconnaissent. De ce fait, l'identité culturelle de Senghor est l'identité dans laquelle il souhaite être reconnu, identifié ; et cette identité est liée à une culture. Dans son cas, il veut se reconnaître, s'identifier, se manifester et être reconnu dans la culture francophone. Cette culture n'est ni africaine ni française, elle est les deux à la fois. Par conséquent, Senghor est un Francophone. Ce qui signifie qu'il existe bel et bien une culture francophone, faite de différents apports de ceux qui se considèrent Francophones en tant que tels.

1282 Adama OUANE, « Vers un nouvel humanisme : la perspective africaine », International Review of Education, volume 60, issue 3, 2014, p. 386

403

L'identité culturelle comme la culture francophone se construit à partir des éléments culturels français et des éléments culturels africains, voire d'autres continents et peuples. Celle de Senghor se construit à partir des éléments culturels sénégalais et des éléments culturels français. Par cette identité, Senghor confirme qu'il est Francophone, car il puise les éléments culturels de l'Afrique et ceux de l'Europe pour faire sa poésie, qui a une vision ontologique, et qui se fait chant, parole et musique en même temps. Pour arriver à cette identité francophone, il a dû prendre des cours de poésie auprès de Marône, la poétesse de son village ; de l'art à tisser les paroles plaisantes auprès des Maîtres-de-langue, les Dyong ; et imiter les poètes occidentaux, des troubadours à Paul Claudel, les poètes de la rigueur dans la forme, de la liberté, voire du délire dans l'imaginaire1283. Cela suppose que l'identité francophone est en perpétuelle construction. Quant à la culture francophone, elle est de Verlaine, d'Hugo, de Claudel, de Senghor, de Césaire, des griots, des poétesses, du troubadour, de dyâli, les us et coutumes d'ici et d'ailleurs. C'est ce mélange de cultures qui fait la culture francophone.

L'identité francophone est un lien qui se tisse entre des personnes qui peuvent communiquer en français métissé, même si elles viennent de contrées du monde les plus éloignées ou bien se trouvent loin d'une région quelconque. Elle est également le sentiment de se savoir proche de l'autre, de se faire comprendre, entendre et échanger des idées en matière de sciences, techniques, littératures, arts et musiques. Cela signifie qu'en Francophonie, il s'agit de retrouver le goût de l'autre pour vivre l'autre avec l'autre.

La Francophonie occupe ainsi une place importante dans l'oeuvre senghorienne. Elle est intimement liée à la réflexion sur la culture française et négro-africaine dont il s'est abreuvé. De ce fait, nous avons affirmé que Léopold Sédar Senghor est le précurseur de la poésie francophone. Si tel est le cas, alors il se pourrait qu'il ait eu à donner les préceptes ou les caractéristiques de cette poésie. Par conséquent, les préceptes et les caractéristiques de cette poésie seraient perceptibles dans ses oeuvres poétiques. Cependant, J. Tshisunguwa Tshisungu affirme que Senghor n'a pas eu le temps de théoriser la Francophonie, car

une opinion courante attribue à L. S. Senghor un effort théorique de thématisation du concept de la francophonie. L'examen des faits ruine cette opinion malheureusement répandue. Affirmer que Senghor n'a jamais élaboré de manière systématique une théorie de la francophonie n'est pas une hypothèse d'école, mais un constat empirique.1284

1283 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 370

1284 J. Tshisunguwa TSHISUNGU, « la conception senghorienne de la francophonie », op. cit.

404

L'absence d'une théorie ne signifie pas qu'il faut renoncer à la proposition d'une théorie. Il est bien vrai qu'il y a eu des propositions de théorie de la Francophonie, mais ces propositions n'ont pas pris en compte les dires de Léopold Sédar Senghor, à part J. Tshisunguwa Tshisungu, qui a analysé de façon diachronique et synchronique les cinq tomes de Liberté pour déceler une soi-disant théorie de la Francophonie.1285

Dans un entretien en date de 1985, publié dans Notre Librairie, Senghor promettait de consacrer un essai théorique à la Francophonie.1286 Malheureusement, il ne l'a pas fait. Il est temps de penser à théoriser le concept de Francophonie, voire dans la mesure du possible, à donner les contours et les caractéristiques de la poésie francophone, à partir même des oeuvres poétiques de Senghor, si possible de ses allocutions, de ses entretiens et de ses préfaces, afin de mettre fin, pour ainsi dire, à une polémique entre les différents écrivains francophones (Français et non-Français).

Les oeuvres des poètes francophones tracent les contours d'un français pluriel qui fait le lien entre l'Europe et l'Afrique, la France et leur pays d'origine. Ils n'appartiennent pas forcément à la France, mais sont les artisans d'une Francophonie qui transcende les frontières des pays. L'écriture poétique francophone se repère par sa réappropriation subversive d'une langue, de représentations, de codes génériques dans lesquels elle marronne pour élaborer par dérivation une nouvelle identité culturelle (identité francophone) ainsi qu'une nouvelle littérature (littérature francophone)1287, voire une nouvelle poésie (poésie francophone). Nous allons donc emboiter les pas aux devanciers (F. Provenzano, M. Beniamino, C. Riffard, J.T. Tshisungu, J. M. Moura, D. Combe, R. Jouanny) pour appréhender la poésie francophone : Qu'est-ce que la poésie francophone ?

1285 Idem. (Son article date de 1988)

1286 Léopold Sédar SENGHOR, « Poète et francophone », La littérature sénégalaise, Notre librairie, n°81, op. cit.

1287 Cyrille FRANÇOIS, « Le débat francophone », Recherches & Travaux [En ligne], 76 | 2010, mis en ligne le 30 janvier 2012, consulté le 30 septembre 2016, p. 137. URL : http://recherchestravaux.revues.org/413

405

CHAPITRE IV : LA POÉSIE FRANCOPHONE : ESSAI DE
DÉFINITION

Au départ, nous avons intitulé ce chapitre « Vers une théorisation de la Francophonie ». Les conclusions des chapitres précédents nous ont permis de faire un rebours de chemin afin d'ajuster notre argumentaire. Pour rester dans la logique des autres chapitres, nous avons préféré intituler celui-ci « La poésie francophone : essai de définition ». En fait, nous avons étudié un poète : Léopold Sédar Senghor ; un genre littéraire : la poésie ; et un thème : la Francophonie. Le bon sens et la logique réflexive nous contraignent d'aborder la poésie francophone. La poésie francophone fait partie d'un ensemble de littérature(s) qu'on appelle littérature (s) francophone(s), qui sont un objet problématique.1288 Pourquoi la littérature francophone est-elle un objet problématique ? Avant d'y répondre, rappelons de façon succincte la genèse de cette littérature sans oublier de dire ce qu'elle implique ou signifie au juste.

La littérature francophone a manifesté son existence et sa vitalité en même temps que s'affirmait la Francophonie dans les années 1960. Au moment où l'on a pris conscience du fait que la langue française n'était plus la propriété exclusive des seuls Français et qu'elle pouvait dire les valeurs et les rêves des peuples les plus divers, l'on a commencé à nommer la littérature d'expression française - faite par des auteurs non Français - littérature francophone1289. Pour être plus juste, disons qu'à partir de 1962 avec la revue Esprit, l'appellation de la littérature d'expression française fut substituée par littérature francophone.

En réalité, l'on a commencé à s'intéresser à la littérature d'expression française à partir de 1958 sous l'initiative de Raymond Queneau.1290 En effet, c'est à son initiative que le troisième volume de l'Histoire des littératures publiée en 1958 s'intéresse aux Littératures françaises, connexes et marginales, avec la contribution d'Auguste Viatte, sur « Littérature d'expression française dans la France d'Outre-mer et à l'étranger ». Cependant, Claire Riffard estime que le terme francophonie littéraire est apparu en 1973 dans l'ouvrage de Gérard Tougas, Les écrivains d'expression française et la France, et depuis lors il est réutilisé avec succès que

1288 Charles BONN et Xavier GARNIER : « Les littératures francophones : un objet problématique » (introduction générale de Littérature francophone, tome 1, le roman, Paris, Hatier/AUPELF-UREF,1997), Disponible sur http://www.limag.refer.org/Cours/Francoph/IntroManHatRevue.htm

1289 Encyclopédie Universelle. http://www.universalis.fr/encyclopedie/litteratures-francophones/

1290 Sophie CROISET et Anne-Rosine DELBART, « Marginalité, identité et diversité des `'littératures francophonies» : présentation du dossier », Le langage et l'Homme, vol XXXXVI, n°1 juin 2011, p. 3

406

l'on sait, notamment par Michel Beniamino avec son essai de 1999, La Francophonie littéraire. Essai pour une théorie1291. Selon Michel Beniamino, la littérature francophone existait bien avant les décolonisations, car le premier roman francophone en Afrique occidentale est de Félix Couchoro en 1920 ; en Haïti, elle date de 1904 ; pour la Belgique, dès les débuts des années 20 ; pour ce qui est de la littérature antillaise, elle est étudiée dès 1913.1292 Il y a, en effet, une littérature francophone de la Belgique et de la Suisse, et une autre du Québec. D'une part, ces littératures sont plus anciennes que la littérature africaine d'expression française, d'autre part leurs caractéristiques ne s'expliquent pas par la colonisation et la décolonisation, sauf peut-être le Québec qui appartenait à la France jusqu'en 1763. La Suisse n'a jamais dépendu de la France. La Belgique n'a été française que de 1795 à 1815 ; et sa littérature a commencé bien avant 1920 avec le mouvement jeune Belgique (1880-1920).

À vrai dire, avant toutes ces littératures, l'appellation de la littérature francophone n'existait pas. En fait, ces différentes littératures étaient désignées par littérature d'expression française. À partir de 1935, selon nous, on a pris effectivement conscience de l'existence d'une littérature francophone avec la naissance du mouvement de la Négritude, car ses auteurs se réclamaient être, à la fois, poète nègre et français1293 jusqu'à ce qu'un colloque fut organisé le 3 octobre 1975 à Hautvillers sur la thématique « Rencontre des poètes francophones ».1294 Ce fut ainsi que l'on a commencé à désigner les écrivains de langue française, autre que Français, d'écrivains francophones, puisqu'il existait déjà le concept de Francophonie, et ce depuis 1962. À cette date-là (1962), la littérature francophone était définie comme une littérature « faite hors de la France, le plus souvent par des auteurs originaires d'anciennes colonies françaises »1295. Paul Drezet nous apporte plus de précision en disant que

La littérature francophone, qui avait, dès 1926, pris conscience de sa vitalité et de sa richesse en créant l'Association des écrivains de langue française, s'écrit sur tous les continents : elle est riche et multiple [...]. Cette littérature francophone s'est développée sur le continent africain et la langue française s'y enrichit d'un phrasé, d'un rythme et de sources d'inspiration typiquement africaines, traduisant par là une

1291 Claire RIFFARD, « Francophonie Littéraire : quelques réflexions autour des discours critiques », Item[En ligne], Mis en ligne le : 05 février 2008. Disponible sur http://www.item.ens.fr/index.php?id=207602 1292 Michel BENIAMINO, L'histoire de la Francophonie et son intérêt pour l'enseignement de littérature (et de l'histoire ?), Disponible sur http:// www.ph.ludwigsburg.de/html/2b-fmz-s-01/overmann/baf4/Francophonie/BesoindeFrancophonieHistoirelitteratureEnseignementM.Beniamino%5B1%5 D.pdf

1293 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 163

1294 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 369

1295 Niels PLANEL, « Que la décolonisation littéraire commence ! Essai sur Pour une littérature-monde paru chez Gallimard en 2007 », Sens-public, Article publié en ligne : 2007/11, Disponible sur http://www.sens-public.org/article.php3?id_article=493

407

revendication culturelle : cela avait débuté, notamment, avec une revue prémonitoire, « Présence Africaine », créée en 1947 par M. DIOP.1296

À l'origine de la littérature francophone étaient des écrivains non Français qui utilisaient la langue française pour écrire. À cet effet, Mihaela-Alexandra Acartrinei affirme que

La dénomination « Littérature francophone » désigne l'ensemble des créations littéraires en français, autres que celles de la région hexagonale, et réunit les manifestations littéraires du Québec, de l'Afrique, et de l'Europe-belge francophone, Luxembourgeoise ou romande.1297

Ces propos sont renforcés par Charles Bonn et Xavier Garnier en ces termes :

Si nous partons d'une définition en extension de cette littérature nous rencontrerons deux critères. Un critère linguistique (usage de la langue française) et un critère territorial (auteurs non français) [...]. La définition la plus courante de la littérature spécifie en effet « littérature de langue française écrite par des écrivains non français »1298.

On peut aussi comprendre par littérature francophone l'ensemble des oeuvres écrites en français, dans ce cas, elle s'écrirait au singulier. Au pluriel, elle renverrait aux oeuvres écrites en français par des auteurs non Français.

Il y a, dans tous les cas, en fait, une hésitation pour désigner la littérature francophone regroupant toutes les oeuvres en français sans exception, nous disent également Charles Bonn et Xavier Garnier :

Hésitation compréhensible devant l'objet dont les contours ne sont pas encore nettement définis, à supposer qu'ils puissent l'être un jour. Hésitation qui nous mène en tout cas à commencer par nous interroger sur les limites d'une définition de l'objet : littérature, ou littératures francophone(s).1299

Il y a aussi hésitation à nommer cette littérature. On l'a d'abord nommée littérature régionale, littérature périphérique, littérature d'Outre-mer, littérature d'expression française, littérature de langue française, puis littérature francophone pour aboutir finalement à d'autres nominations, comme le souligne Claire Riffard :

1296 Paul DREZET, Les enjeux de la Francophonie : D'une communauté de langue à une communauté de destin, p. 36

1297 Mihaela-Alexandra ACATRINEI, « Le discours onirique chez Anne Hébert comme quête identitaire », Dire / Écrire / Enseigner La / Les francophonie(s), Revue Roumaine d'Études Francophones n°. 5, 2013, p. 15 1298 Charles BONN et Xavier GARNIER : « Les littératures francophones : un objet problématique », op. cit. 1299 Idem.

408

Le discours critique sur la francophonie littéraire éprouve quelque embarras à définir son objet. Tout comme le cadre académique de l'université à le nommer, puisqu'on change régulièrement d'appellation : « littérature d'expression française », « littératures francophones », actuellement « littératures du sud, émergentes, nouveaux espaces littéraires1300.

Sophie Croiset et Anne-Rosine Delbart sont plus explicites dans leur propos :

La marginalisation de la francophonie littéraire s'accroît encore du fait de son indéfinition même. L'univers des littératures francophones, on l'a dit, est assurément disparate. Dans son acceptation originelle, il comprend les littératures d'expression française sur des territoires où la langue française a été importée par la colonisation, auquel on intègre avec mille précautions les écrivains des départements d'Outre-Mer.1301

Le problème ne réside pas seulement au niveau de la définition ou de l'appellation, mais également au niveau de la théorie (un ensemble de règles ou de canons, voire de propriétés permettant de définir de façon exacte la littérature francophone une fois pour tout), de la politique et du centre-périphérie. Parce que la Francophonie manque d'une théorie, d'une véritable théorie, les débats sont récurrents, qui, sans doute, sont liés aux origines politiques de la Francophonie d'après les indépendances des ex-colonies françaises. Et cela incombe Léopold Sédar Senghor qui avait promis de consacrer un essai théorique à la Francophonie face à la Négritude :

Pourquoi Francophonie ? C'est l'une des raisons pour lesquelles j'ai donné ma démission de Président de la république. Je veux écrire deux livres avant de mourir et je veux m'occuper en particulier de la Civilisation de l'Universel en commençant par la Francophonie.1302

Le manque de théorie, selon nous, ne devrait en aucun cas être sujet à caution dans l'appréhension de la littérature francophone, si elle est en corrélation avec le concept de Francophonie, qui englobe tous les parlants français du monde. Le débat de savoir ce qu'est la littérature francophone est un non-lieu. Cependant, « [...] l'enjeu de ce débat [sur la littérature francophone] est tout autant, sinon plus, politique que culturel »1303. Ce débat politique autour

1300 Claire RIFFARD, « Francophonie Littéraire : quelques réflexions autour des discours critiques », op. cit., p. 2

1301 Sophie CROISET et Anne-Rosine DELBART, « Marginalité, identité et diversité des `'littératures francophonies» : présentation du dossier », op. cit., p. 2

1302 Léopold Sédar SENGHOR, « Poète et francophone », La littérature sénégalaise, Notre librairie, n°81, op. cit., p. 106

1303 Véronique PORRA, « Malaise dans la littérature-monde (en français) : de la reprise des discours aux paradoxes de l'énonciation », Recherches & Travaux [En ligne], 76 | 2010, mis en ligne le 30 janvier 2012, consulté le 30 septembre 2016, p. 124. URL : http://recherchestravaux.revues.org/411

409

de la littérature francophone a pour corollaire l'identité nationale de la France. La France qui veut préserver sa langue et son identité nationale, et sa littérature authentiques, perpétue l'approche coloniale reclusienne de la Francophonie et s'exclut de la communauté dont parlait Senghor avec son concept de Francophonie.

Pour la France, « la francophonie littéraire représente un ensemble flou à l'intérieur de la République mondiale des Lettres »1304. Ce qui signifie que pour les Français, la littérature francophone est une littérature mineure, et elle est la littérature des autres qui utilisent leur langue pour écrire. Cette présomption de la France implique alors le problème de centre et de périphérie. La France et sa capitale Paris sont le centre (littérature française, dite littérature majeure) et les autres pays qui utilisent le français en sont les périphéries (littérature francophone, dite littérature mineure). Face à cette attitude, des écrivains de nationalités diverses vont s'inviter dans le débat pour dire que la littérature française est avant tout une littérature francophone, semble bien dire Alain Mabanckou :

Lorsqu'on parle de littérature francophone, il nous vient naturellement à l'esprit l'idée d'une littérature faite hors de la France le plus souvent par des auteurs originaires d'anciennes colonies françaises [...] La littérature francophone est un grand ensemble dont les tentacules enlacent plusieurs continents. [...] La littérature française est une littérature nationale. C'est à elle d'entrer dans ce grand ensemble francophone. Ce n'est qu'à ce prix que nous bâtirons une tour de contrôle afin de mieux préserver notre langue, lui redonner son prestige et sa place d'antan1305.

Cependant, François Cyrille affirme que le problème réside dans l'emploi de l'épithète « francophone » :

L'épithète « francophone » est comme un tissu malmené que l'on déchire, distend,

rétrécit. Ce n'est pas une querelle d'érudits pointilleux : les écrivains s'y mêlent régulièrement avec un ton plus assuré et à grand renfort de propos généraux1306.

Pour Christian Vandendorpe, « l'étiquette `' francophone» serait acceptable si elle désignait effectivement l'ensemble des littératures d'expression française, comme ce devrait être le cas en théorie »1307, pour cela « Paris doit modifier son appareil éditorial et critique »1308 et

1304 Lise GAUVIN, « L'écrivain francophone et ses publics. Vers une nouvelle poétique romanesque », Le Bulletin de l'Académie Royale de langue et littérature françaises Belgique, Tome LXXXVII-N°1-2-3-4-Année 2009 ; p. 69 (La France se présente comme la République Mondiale des Lettres).

1305 Alain MABANCKOU, « La Francophonie, oui, le ghetto, non ! » Le Monde|18.9.2006, op. cit.

1306 Cyrille FRANÇOIS, « Le débat francophone », Recherches & Travaux [En ligne], 76 | 2010, mis en ligne le 30 janvier 2012, consulté le 30 septembre 2016, p. 131. URL : http://recherchestravaux.revues.org/413 1307 Christian VANDENDORPE, « De la francophonie à la littérature-monde »,@nalyses[En ligne], Comptes rendus, Francophonie, mis à jour le 01/09/2009. Disponible sur http:// www.revue-analyses.org/index.php?id=858

1308 Jacques GODBOU, in Pour une Littérature-monde, op. cit., p. 107

410

accepter d'entrer dans ce grand ensemble francophone, dont parle Alain Mabanckou, et qui est la littérature francophone. Même si, on réservait les vocables « francophonie » et « francophone » à la sphère diplomatique et géopolitique en prenant l'habitude de dire « écrivains de langue française », en évitant de fouiller leurs papiers, leurs bagages, leurs prénoms ou leur peau, comme le recommande Amin Maalouf1309, il y aura toujours cette distinction entre écrivain de langue française et écrivain français. D'ailleurs, nous avons encore une périphrase avec « écrivains de langue française ».

Pour éviter toute confusion et abolir les frontières entre la littérature française et les autres littératures d'expression française, des écrivains se sont rassemblés autour de Michel Le Bris et Jean Rouaud pour annoncer la mort de la littérature francophone par la littérature-monde en français. À y voir de près, la littérature-monde n'est qu'une périphrase de la littérature francophone car « cette dernière a elle-aussi pour dénominateur commun, pour élément de cohésion, le français. »1310 Il est un fait bien connu, la littérature francophone est difficile à définir et à délimiter. Néanmoins, il n'en demeure pas moins que la langue française est en soi un facteur commun et un élément essentiel dans la définition de la littérature francophone : Protection et affirmation d'une culture de langue française forte et rayonnante. La particularité de ce français est qu'il est évidé de ses connotations hexagonales et chargé de connotations nouvelles et propres au milieu d'implantation, nous disent Charles Bonn et Xavier Garnier1311. Les fondements idéologiques et les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir divergent fondamentalement, comme l'affirme également Véronique Porra.1312 En effet, la littérature francophone est une expression qui divise énormément.

Aujourd'hui, nous pouvons dire que les contours de la littérature francophone sont les véritables problèmes que l'on rencontre dans l'appréhension de cette littérature. Elle n'a pas de contours. Elle ne peut pas être délimitée. En effet, elle est une littérature de carrefour où des langues et des cultures se rencontrent en une symbiose harmonieuse entre le français et les autres langues pour les réalités sociopolitiques et le vécu quotidien de l'écrivain et de ses lecteurs. Cette littérature brise les frontières, efface les races, se moque des nationalités des écrivains, amoindrit la distance des continents pour ne plus établir que la fraternité par la langue qui nécessite, pour être comprise, un lecteur capable de s'ouvrir sur la culture de l'autre et de

1309 Amin MAALOUF, « ...et les égarements de la Francophonie ». Disponible sur http://www.aminmaalouf.net/fr/2009/07/et-les-egarements-de-la-francophonie/

1310 Véronique PORRA, « Malaise dans la littérature-monde (en français) : de la reprise des discours aux paradoxes de l'énonciation », op. cit., p. 121

1311 Charles BONN et Xavier GARNIER : « Les littératures francophones : un objet problématique », op. cit 1312 Véronique PORRA, « Malaise dans la littérature-monde (en français) : de la reprise des discours aux paradoxes de l'énonciation », op. cit., p. 125

411

se voir lui-même avec les yeux de l'autre. Elle est l'expression de la Civilisation de l'Universel qui prend en compte la tradition littéraire française qui viendra enrichir les autres traditions littéraires, et vice-versa. Elle prend, également, en compte les nouveaux changements perpétuels de la vie des langues et des humains, de la vie des valeurs et des patrimoines où la place de la culture et le devenir de l'homme demeurent la seule préoccupation des écrivains.

Comme tous les outils, un concept doit être manié à bon escient, sinon il endommage plus qu'il ne répare, et peut se révéler dangereux.1313 Pour cette raison, puisque la Francophonie d'aujourd'hui n'est plus celle d'Onésime Reclus, ni de l'époque coloniale, ni celle de la revue Esprit, ni celle des fondateurs de la Francophonie moderne, nous devons nous accorder pour cheminer ensemble vers le même but, celui de la culture, de la langue française, jalonnée d'histoires rayonnantes pour les uns, douloureuses pour les autres.

Nous croyons, pour mieux cerner la littérature francophone, qu'il serait intéressant et souhaitable d'étudier séparément les composants de cette littérature, c'est-à-dire les différents genres littéraires qui la constituent : la poésie, le roman et le théâtre francophones.1314 Chaque genre littéraire a ses propres particularités, ses propres spécifiques et caractéristiques. Notre étude s'inscrit dans cette logique. Nous voudrons appréhender la poésie francophone à partir de Léopold Sédar Senghor, c'est-à-dire construire une poétique de cette poésie au regard de celui-ci.

Nous savons que la poésie s'est constamment renouvelée au cours des siècles avec des orientations différentes selon les époques, les civilisations et les individus. Les sempiternelles réponses rattachent la poésie à la rime, à la versification, voire au rythme. Ce qui semble obsolète de nos jours, puisque d'autres éléments rentrent en compte dans la définition de la poésie. En fait, la poésie ne se définit pas seulement par des thèmes, mais aussi par le soin majeur apporté au signifiant pour qu'il démultiplie le signifié. Autrement dit, la poésie dit les sentiments, les choses de tous les jours avec des mots imagés, eux-mêmes déroutés de leurs sens. Ce qui signifie que la poésie réinvente la langue quotidienne : « Les mots que j'emploie, ce sont les mots de tous les jours, et ce ne sont point les mêmes ! ».1315 Elle est en ce sens un artisanat du langage, dont la réalisation nécessite des techniques précises, concrètes,

1313 Amin MAALOUF, « ...et les égarements de la Francophonie », op. cit.

1314 Claire Riffard, Charles Bonn et Xavier Garnier estiment qu'il faut une étude comparative pour appréhender la littérature francophone, alors que Claude Caitucoli affirme « qu'il faut donc renoncer à définir la francophonie littéraire sur des critères formels objectifs : il n'y a dans les textes aucune propriété concrète simple qui unisse l'ensemble des oeuvres qualifiées de francophones ». (Claude CAITUCOLI, « L'écrivain africain francophone, agent glottopolitique : l'exemple d'Ahmadou Kourouma », Glottopol, n°3-Janvier 2004, p.10)

1315 Cf. Paul CLAUDEL, Cinq grandes odes, NRF/Gallimard, Paris, 1948, 184 p.

412

descriptibles et une maîtrise parfaite des ressources langagières. En réalité, ce n'est pas le langage qui fait la poésie, c'est plutôt la poésie qui fait le langage, la langue. Mieux, « la poésie met le langage en état d'émergence. »1316 Définir la poésie n'est pas une entreprise aisée. Chaque auteur, chaque poète a sa propre conception de la poésie.1317

Pour définir la poésie, il faut partir du regard d'un poète-cible, car la poésie est régie par les valeurs esthétiques d'une personne, d'une tradition poétique et d'une culture.1318 Notre poète-cible est Léopold Sédar Senghor. La poésie, pour lui, est une relation du sujet à l'objet :

Qu'est-ce que la poésie ? C'est un sujet de dissertation que j'avais donné autrefois à mes élèves du lycée. La plupart y répondaient par une définition subjective, qui ne pouvait s'appliquer qu'au lyrisme. La poésie, répondaient-ils en substance, est l'expression d'un sentiment personnel. Je rétorquais que la définition n'était pas complète, que la poésie était sujet et objet à la fois, objet plus que sujet, qu'elle était la relation du sujet à l'objet.1319

Cette conception de la poésie est-elle applicable à la poésie francophone ? Qu'est-ce que la poésie francophone ? Qu'en sont ses contours et ses caractéristiques ? Comment Senghor appréhende-t-il cette poésie ?

S'interroger sur la poésie francophone, c'est chercher à savoir ce qu'elle signifie et implique, à comprendre son fonctionnement et à déceler ses caractéristiques. D'où pour nous de réunir les éléments d'une définition possible de la poésie francophone. Après avoir réuni les éléments définitionnels de cette poésie, nous passons en revue ses composantes sans occulter ses origines pour aboutir enfin à la caractérisation (les contours et les caractéristiques) de la poésie francophone. Tel est notre démarche pour comprendre et appréhender la ou les spécificité(s) de la poésie francophone. Mieux, nous essayons de saisir la conception senghorienne de cette poésie dont il se réclame être un des précurseurs.

1316 Gaston BACHELARD, La poétique de l'espace, Les Presses universitaires de France, 3ème édition, 1961, p. 17

1317 « Les définitions de tous genres et de tous styles ont alors proliféré, souvent sous la plume de poètes, eux-mêmes engagés dans une démarche littéraire personnelle ; il s'agissait donc de manifestes ou de programmes, dont le caractère ouvertement polémique conduisait à exagérer les oppositions et les ruptures, au détriment des permanences profondes qui cachent, bien souvent, le changement de vocabulaire et l'ombre envahissante des enjeux idéologiques du moment. », nous dit Alain Vaillant. (Alain VAILLANT, La poésie, Armand Colin, Paris, 2005, p. 10)

1318 Paul FRIEDRICH, « Mythes, poésie et musique (dans les grands mythes-poèmes) », Anthropologie et Sociétés 292 (2005), p.100

1319 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 30

413

1. QU'EST-CE QUE LA POÉSIE FRANCOPHONE ?

La poésie francophone comme la littérature francophone est parfois contestée, voire méconnue. Elle représente, en effet, pour les Français les autres parlants français, c'est-à-dire les oeuvres poétiques écrites par les non Français. Elle est la poésie faite hors de l'Hexagone. La situation de cette poésie est paradoxale, puisque, premièrement, la définition de la poésie ne fait pas l'unanimité de tous, et deuxièmement, l'adjectif « francophone » semble vouloir dire que le français n'est pas la langue première ou maternelle du poète, et cela établit une nette distinction entre poète Français et poète non Français.

Pour mieux dire ce que la poésie francophone signifie ou ce qu'elle est, voire ce qu'elle implique, il faut que nous nous accordons sur ce à quoi renvoie l'épithète « francophone ». Nous sommes d'accord que l'épithète « francophone » implique la langue française. Ce qui signifie que la poésie francophone est une poésie de langue française. Autrement dit, toute poésie faite ou écrite en français est ou relève de la poésie francophone. Cependant, « cette poésie n'est pas tout à fait d'Europe [...J »1320 ni française, c'est-à-dire elle n'obéit pas, souvent, à la prosodie et à la métrique françaises. Elle ne s'adresse pas seulement aux Français de France, mais également aux Français d'Afrique et aux autres Français du monde. « La poésie dont il est question, ici, est née dans les années 1930 »1321 et elle a pour précurseurs Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor. Nous justifions nos propos avec celle de Senghor :

Notre ambition est modeste : elle est d'être des précurseurs, d'ouvrir la voie à une authentique poésie nègre, qui ne renonce pas, pour autant, à être française. [...] Il est question, je le répète, dans cette étude, de montrer les différences de situation, et que, si l'essence de la poésie est partout la même, les tempéraments et les moyens des poètes sont divers. Reprocher à Césaire et aux autres, leurs rythmes, leur « monotonie », en un mot leur style, c'est leur reprocher d'être nés « nègres » antillais ou africains [...]1322.

À en croire Léopold Sédar Senghor, la poésie francophone n'est pas seulement tributaire des traditions littéraires françaises, mais aussi des traditions négro-africaines. Il s'agit, en quelque sorte, d'une poésie fortement métissée, née de deux grands modes de pensée : la Négritude et

1320 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 155

1321 Makhily GASSAMA, « Des sources négro-africaines de la poésie africaine de langue française », Éthiopiques, numéro 26, avril 1981

1322 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p.163

414

la Francité. Elle a hérité de deux traditions de poésie : la poésie française et la poésie traditionnelle africaine. En fait, la poésie francophone est une poésie qui a pour leitmotiv l'utilisation de la langue française et les références positives de la culture française mêlées aux sujets historiques et éléments culturels africains, dans le cas de Senghor ; martiniquais pour Césaire ; et antillais ou guyanais pour Damas.

La poésie francophone est le nouvel habit de la poésie française. En effet, elle a acquis ses lettres de noblesse quand naquit la poésie de langue française.1323 Cette poésie francophone « rompt avec la tradition de la poésie française, héritée de la Renaissance. Elle remonte au-delà, pour s'enraciner dans la vieille tradition grecque, plus exactement méditerranéenne, ou elle rencontre l'Afrique. »1324 Cette rencontre avec l'Afrique engendre l'irruption des mots africains dans la poésie française. Peut-on retenir des propos de Senghor, ci-dessous :

J'ai montré, à Hautevillers, pour illustrer la proposition et prenant l'exemple des Nègres, que si ceux-ci avaient « bouscule » cette vieille dame de langue française, ils ne l'avaient pas maltraitée. Ils ont inséré leurs néologismes, pas toujours exotiques, leurs images folles et leurs rythmes syncopés dans le génie de la langue française, qui est, en poésie, moins dans la logique, la précision, la clarté que dans l'économie des moyens.1325

Cette idée est partagée par Jean-Paul Sartre, lorsqu'il dit

Le poète européen d'aujourd'hui tente de déshumaniser les mots pour les rendre à la nature ; le héraut noir, lui, va les défranciser ; il les concassera, rompra leurs associations coutumières, les accouplera [...]. C'est seulement lorsqu'ils ont dégorgé leur blancheur qu'il les adopte, faisant de cette langue en ruine un super langage solennel et sacré, la Poésie.1326

Des dires de Senghor et de Sartre, on comprend que la poésie francophone fait intervenir d'autres langues dans la poésie française, et Senghor d'ajouter qu'

En effet, depuis leur Re-naissance, aux XVIè et XVIIè siècles, les lettres et arts français, et singulièrement la poésie, ont reçu et digéré, non seulement les « matériaux », comme le souligne Maulnier, mais encore les valeurs des autres civilisations. Ce furent, d'abord, des apports européens - méditerranéens, germaniques et slaves -, puis des apports asiatiques - arabes, iraniens et indiens, chinois et japonais -, maintenant des apports négro-africains.1327

1323 Makhily GASSAMA, « Des sources négro-africaines de la poésie africaine de langue française », op. cit.

1324 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 379

1325 Idem. (op. cit.), p. 372

1326 Jean-Paul SARTRE, « Orphée noir », op. cit., p. XX

1327 Ibidem., p. 371- 372

415

La poésie francophone est très marquée par la situation de dualité culturelle. Elle est la résultante d'une assimilation poétique faite par la poésie française. Et Léopold Sédar Senghor de le justifier en ces termes :

C'est sur les valeurs nègres, oubliées par Thierry Maulnier, comme sur celles des autres civilisations, que je voudrais m'arrêter pour montrer comment elles ont été assimilées par la poésie française moderne : sur le rythme, mais d'abord, sur le sens des « correspondances » et « symboles » dont parlait Baudelaire.1328

Elle est une poésie en langue française, greffée des autres langues ; une poésie qui veut être française tout en exprimant les différentes situations qui sont pour la plupart africaines, antillaises, martiniquaises. Ce qui sous-entend que la poésie francophone a été beaucoup influencée ; et les poètes francophones en sont également, nous dit à nouveau Senghor :

Pourquoi le nierai-je ? Les poètes de l'Anthologie ont subi des influences, beaucoup d'influences : ils s'en font gloire. Je confesserai même, - Aragon m'en donne l'exemple - que j'ai beaucoup lu, des troubadours à Paul Claudel. Et beaucoup imité1329.

Mieux, poursuit-il,

Quant aux autres convergences, culturelles celles-ci, ce qui m'a d'abord frappé, ce sont nos lectures communes sinon les principales influences que nous avions subies quand nous avons commencé d'écrire. Bien sûr, il y a les poétesses populaires de mes villages d'enfance, Djilôr (pour employer la nouvelle orthographe officielle) et Joal, mes trois Grâces. Il reste que, si celles-ci ont été mes premières audiences, avant l'âge de dix ans, elles n'ont pas été mes premières lectures. Mes premiers auteurs, je les ai partagés - c'est une manière de dire - avec vous trois. En me référant à vos biographes, ce furent, entre autres Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Valéry, Claudel, Saint-John Perse. Des poètes de la rigueur dans la forme, de la liberté, voire du délire dans l'imaginaire1330.

C'est, ajoute-il,

Pour quoi, dans les années 1930, nous les militants de la Négritude, appelions Claudel et Péguy : « Nos poètes nègres ». Ils nous ont, avec les surréalistes, influencés - moins au demeurant qu'on ne l'a dit - parce qu'ils écrivaient en français et qu'ils ressemblaient, par leur style, à nos poètes populaires.1331

Puis, de conclure en disant :

1328 Ibid., p. 372

1329 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 155 1330 Léopold Sédar SENGHOR, « Discours sur la poésie francophone », op. cit., p. 370

1331 Idem, p. 377

416

Dans mes premiers recueils de poèmes, Chants d'ombre et Hosties noires, je me suis laissé presque uniquement guider par l'inspiration, formant les versets selon une espèce d'inspiration ou d'impulsion naturelle. À partir d'Éthiopiques, je commençai à organiser ce qui est était naturel. Je cherchai à fonder ma poésie sur la prosodie française, en respectant ses principes naturels, c'est-à-dire l'esprit de la langue française.1332

En particulier, Léopold Sédar Senghor a été plus influencé, hormis Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Valéry, Claudel, Saint-John Perse, Ismäyl Urbain, par Maurice Barrès. Il affirme à ce propos :

Maurice a eu une très profonde influence sur moi. Je crois que c'est la première fois que j'ai eu la sensation d'une oeuvre complète, et que toutes mes facultés ont été éveillées et comblées, car il y'avait le style, le style qui était un enchantement. Et il y'avait cette passion. [...] dans ma conception de la Nation et de la Négritude, je crois que je la dois à Maurice Barrès.1333

Nous pouvons dire que Maurice Barrès est le vrai précurseur de la poésie francophone. Cependant, au dire de Césaire, c'est à Rimbaud et à Lautréamont, bien davantage qu'à Breton ou à Éluard que doit la naissance de cette poésie :

Je n'ai pas voulu être disciple. J'ai seulement apprécié Breton et Éluard. Ma grande découverte a été Lautréamont et Rimbaud. Autrement dit les surréalistes n'ont pas été mes pères, j'étais plutôt leur compagnon attardé mais nous avons les mêmes pères, à savoir Lautréamont et Rimbaud.1334

À vrai dire, la poésie française a été influencée par la Révolution nègre, c'est-à-dire la Négritude, selon Senghor :

Emmanuel Berl, pensant à l'influence de l'art nègre sur l'École de Paris, a parlé de « Révolution nègre ». J'ai toujours pensé qu'elle avait été plus profonde qu'on ne l'a dit. [...]. Paradoxalement et à long terme, c'est, peut-être, en poésie plus que dans les arts plastiques que la révolution nègre aura eu l'influence la plus profonde.1335

Autrement dit,

1332 Sylvia Washington BÂ, The concept of Negritude in the Poetry of Léopold Sédar Senghor, Princeton University Press, 1973, p. 131 (Lettre personnelle de Senghor à l'auteure.)

1333 Extrait de l'émission « En toute lettres », INA ; 15 avril 1969

1334 Georges NGAL, Aimé Césaire, un homme à la recherche d'une patrie, Abidjan-Dakar, NEA, 1975, p. 200 1335 Léopold Sédar SENGHOR, « Discours sur la poésie francophone », op. cit., p. 371

417

C'est donc sous la révolution culturelle de 1889 que ce qu'on appelle l'Art nègre,

qui est, plus véritablement, l'art africain, a commencé d'influencer l'art français, mais aussi l'art américain, et, par ces deux voies, l'art mondial.1336

La Révolution nègre, dans la poésie française, a été introduite, bien sûr, par des poètes français, surtout par Arthur Rimbaud, voire Charles Baudelaire, à en croire Léopold Sédar Senghor. Ce sont eux les vrais précurseurs de la poésie francophone :

Avant d'aller plus loin, pour aborder le problème de ce dernier quart du XXe siècle, je voudrais parler de la révolution introduite dans la poésie française par Arthur Rimbaud, bien sûr, mais, auparavant, on ne l'a pas dit assez, par Charles Baudelaire. Il ne reste, cependant, que cette révolution fut surtout préparée par le grand Hugo. [...] Or donc, après le Parnasse, qui reprenait la tradition du discours français en poésie, vint Charles Baudelaire. Le premier à chanter la « Venus noire », il fit entrer la poésie française dans la forêt noire des « correspondances », des « symboles », où Arthur Rimbaud fit exploser la bombe de son délire lucide.1337

Il faut comprendre, dans les propos de Léopold Sédar Senghor, que la poésie francophone est le résultat des opérations syntaxiques et sémantiques intervenues dans la poésie française.

Les modifications opérées, dans cette poésie, ont été l'oeuvre de quelques poètes français célèbres, appréciés tels que Victor Hugo, Charles Baudelaire et Arthur Rimbaud. Ce sont eux les vrais précurseurs de la poésie francophone. Écoutons Arthur Rimbaud qui dit avoir inventé un verbe poétique nouveau accessible à tous les sens, voire par tous les peuples de la terre.

J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens.1338

La poésie française, en assimilant l'art nègre, et les valeurs culturelles des autres civilisations et des autres peuples, est devenue poésie francophone, un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens et par tous les peuples d'expression française. Et cette poésie s'est laissé bercer par l'intuition et l'imaginaire, nous dit Senghor :

La vérité est que les précurseurs, les révolutionnaires eux-mêmes, en tournant le

dos au « stupide XIXe siècle », au scientisme, au réalisme, voire à l'exotisme, ont rencontré les Nègres aux sources de l'intuition, de l'imaginaire1339,

1336 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture africaine », op. cit., p. 8

1337 « Dialogue sur la poésie francophone », Idem., pp. 370-371

1338 Arthur RIMBAUD, « Délires II. Alchimie du verbe », Une saison à l'enfer, Bruxelles, Alliance

Typographique (M. - J. Poot et compagnie), 1873, p. 30

1339 Cf. Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », p. 376

418

et ont donc écrit une poésie pas tout à fait française, mais une poésie capable de dire autres réalités.

Cette poésie affichait un mépris précoce et définitif pour les formes régulières et traditionnelles, comme le vers et l'alexandrin ou le sonnet, pour s'orienter résolument vers des formes inédites dans un élan de liberté, dans lequel elle serait une langue absolument neuve avec un pouvoir d'incantation, où l'objet nommé disparait au profit du mot qui le nomme.1340 Et Senghor de dire que le sceau de cette poésie est l'incantation qui fait accéder à la vérité des choses essentielles.1341 Mieux, la poésie francophone est la suppression fréquente des mots-outils, le refus de l'explication, le refus des normes traditionnelles de la poésie française. Elle est également la recherche de l'obscurité par des associations (correspondances) des images hétéroclites. Illustrons nos propos avec un extrait d'« Élégie des circoncis » de Léopold Sédar Senghor :

Ah ! mourir à l'enfance, que meure le poème se désintègre la syntaxe, que s'abîment tous les mots qui ne sont pas essentiels.

Le poids du rythme suffit, pas besoin de mots-ciment pour bâtir sur le roc la cité de demain. (Po : 199)

Nous pouvons considérer cette poésie francophone comme un rejeton de la poésie française à laquelle Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé, voire Charles Baudelaire et Victor Hugo, ont donné naissance. En effet, par les libertés qu'ils ont prises et la créativité qu'ils ont manifestée, ils ont donné une certaine image de la poésie qui convenait aux poètes de langue française. Elle est une poésie qui se manifeste par la liberté du langage, le génie de la suggestion et le sens du rythme et des sonorités (de la musicalité), et l'incantation en accordant une grande place à l'imagination et au symbole. En fait, cette poésie est née après la Révolution de 1889, affirme Senghor :

L'année 1889 est [...] une date importante dans l'histoire de la philosophie, des lettres, mais aussi des arts. C'est celle de deux oeuvres majeurs : L'Essai sur les données immédiates de la conscience d'Henri Bergson et Tête d'or de Paul Claudel, auxquelles j'ajouterai l'oeuvre d'Arthur Rimbaud, intitulée Une saison en enfer, qui les annonçait, pour ainsi dire, dès 18731342.

1340 Cf. Stéphane MALLARMÉ.

1341 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 164

1342 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 5, op. cit., pp. 192-198 (Voir également Dialogue sur la poésie Francophone, op. cit., p. 381)

419

Cette poésie peut également se réclamer d'André Breton avec le surréalisme, car elle cherche à libérer l'Homme du réalisme, de la culture française, jugée étouffante et obsolète. Comme le surréalisme, la poésie francophone est une poésie révolutionnaire, qui devait se tenir à l'écart de toute règle et de tout contrôle de la raison. À ce propos, Senghor affirme que Césaire a failli perdre la raison en écrivant cahier d'un retour au pays natal.1343

Il fallait également révolutionner la poésie française, parce qu'elle est incapable de chanter tous les héros et martyrs morts pour la République française ; parce que

[...] les poètes chantaient les fleurs artificielles des nuits de Montparnasse

Ils chantaient la nonchalance des chalands sur les canaux de moire et de simarre

Ils chantaient le désespoir distingué des poètes tuberculeux Car les poètes chantaient les rêves des clochards sous l'élé-gance des ponts blancs

Car les poètes chantaient les héros, et votre rire n'était pas sérieux, votre peau noire pas classique. (Po : 53)

Il fallait du sang nouveau dans la poésie française, de nouveaux matériaux qui puissent la transmuter afin qu'elle devienne une poétique intégrale et universelle, accessibles à tous les sens et par tous les peuples, sans distinction de races et de couleurs de peau, de langue française. Si de part et d'autre, il y a eu des influences, cela sous-entend que la poésie francophone est une poésie métissée et plurilingue, voire d'influences.

Nous voulons en venir, avec cet argumentaire, sur le fait que la poésie francophone est avant tout une poésie française reflétant l'influence poétique de tout bord, et surtout des anciennes colonies, des Outre-mers de la France, ainsi que de ceux qui ont choisi le français comme langue de leurs créations littéraires. Ces influences ont infléchi, « bousculé » les canons esthétiques et les objectifs fixés par la poésie française, et avaient pour précurseurs Mallarmé, Rimbaud, Lautréamont, Claudel, Baudelaire, Hugo, Breton, Senghor, Césaire et Damas.

La poésie francophone est aussi un humanisme, car, elle veut libérer les Hommes de la servitude politique et culturelle, et se joindre à toutes les poésies, à toutes les civilisations pour participer à l'édification de la Civilisation de l'Universel. À ce propos, Senghor laisse entendre que

C'est là que nous nous rencontrons, vous et moi, vous et nous, poètes noirs de langue française. Nous avons, bien sûr, usé du « stupéfiant image », nous l'avons dépassé pour informer le « bien dire » : l'accord harmonieux du rythme et de la mélodie.

1343 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la sources », op. cit., p. 154

420

Pour quoi le problème majeur de cette fin de siècle n'est pas le « nouvel ordre économique international » comme on le clame depuis quelques années, qui ne sera pas réalisé si l'on ne rend, auparavant, leur parole à tous les hommes de tous les continents, de toutes les races, de toutes les civilisations. Je parle d'une parole poétique, qui crée un nouvel ordre économique - il faut bien manger, bien sûr - parce qu'un nouvel ordre culturel mondial. Je parle d'une parole comme vision neuve de l'univers et création panhumaine en même temps : de la Parole féconde, une dernière fois, parce que fruit de civilisations différentes, créée par toutes les nations ensemble sur toute la surface de la planète Terre.1344

La poésie francophone a un rôle social et politique à jouer. Elle veut donner la parole à tous les hommes, car elle prône la liberté politique et culturelle, la liberté pour l'Homme, la justice pour l'Homme et la dignité pour l'Homme. Elle assume une fonction révolutionnaire et libératrice pour l'être humain ainsi que pour son épanouissement. Cette poésie est également un outil esthétique, car l'accent est mis sur le rythme, l'image et la mélodie.1345 Cette poésie est une poésie révolutionnaire et humaine (humaniste) à l'encontre de la poésie française dont elle tire en grande partie sa substance poétique et sa sève nourricière. Elle est une poésie française transmuée par des poètes de divers horizons utilisant la langue française évidée de ses accents hexagonaux.

« La poésie ne doit pas périr. Car alors, où serait l'espoir du monde ? »1346 Cette question de Léopold Sédar Senghor est adressée à toutes les personnes qui cherchent à dissocier la poésie française de la poésie francophone ou à ces personnes qui estiment que la poésie francophone est la poésie faite par des auteurs non Français qui utilisent le français en introduisant des mots, des expressions, une syntaxe et un rythme nouveaux infléchissant ainsi les canons esthétiques de la poésie française.

La poésie francophone, bien qu'elle reflète cela, est une poésie française transmutée. Certes, qu'il y a eu des mots, des expressions, une syntaxe et un rythme nouveaux, la poésie française n'a pas été dénaturée. Son prestige n'a pas été également oblitéré. Au contraire, l'irruption de ces mots et expressions l'ont portée au rang de poésie intégrale et universelle. Elle est la poésie française accomplie et établie dans toute sa grandeur. Pour Senghor, il faut renoncer aux débats oiseux qui n'apportent rien et qui n'édifient point, car la poésie francophone, en fait, continue l'oeuvre qu'ont entreprise Victor Hugo, Charles Baudelaire,

1344 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 407- 408

1345 Nous reviendrons lorsque nous aborderons la question de contours et caractéristiques de la poésie francophone.

1346 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 166

421

Stéphane Mallarmé, Lautréamont, Arthur Rimbaud, Paul Claudel, Charles Péguy, André Breton. Il n'est plus question d'une poésie française à part, et d'une poésie francophone de l'autre, voire d'une poésie africaine, antillaise, belge, martiniquaise, etc. de langue française. La poésie francophone est tout cela. Elle est une poésie de langue française faite par des poètes dont les tempéraments et les moyens utilisés sont divers. Elle est une poésie poreuse à tous les apports civilisationnels et culturels de toutes les civilisations et de toutes les cultures, parce qu'elle se veut métisse. Elle est également une symbiose, un métissage entre le vers français, la prosodie française structurée par la succession syllabique et exposée à la faiblesse de la densité émotionnelle, et, surtout, la métrique africaine, antillaise ou martiniquaise, tramée par l'alternance et la succession des accents, attentive à la musicalité interne de la syllabe sonore et exposée à l'ambiguïté du message.1347 Cette poésie s'élabore au fil du temps, s'informe, s'enrichit et s'épanouit aux dimensions des cinq continents et des civilisations différentes : aux dimensions de l'Universel.1348 Mieux, elle est une poésie universelle ouverte aux pollens culturels de toutes les civilisations du monde au service du rayonnement de la langue française.

Il ne faut pas se cacher la face. La poésie francophone est la résultante de diverses idéologies poétiques, voire d'origines différentes ; c'est-à-dire elle a plusieurs origines, comme le reconnaît Senghor :

Je voudrais, maintenant, essayer de montrer comment, à partir d'origines

différentes, nous avons, à peu près à la même époque, conçu, sinon élaboré, la même poétique, mais surtout fait la même - et pourtant diverse - poésie francophone.1349

Elle doit son existence à partir d'origines et d'idéologies différentes. Elle est une poésie hétéroclite, hétérogène, composée d'éléments de nature différente. Elle revêt plusieurs réalités, plusieurs natures. Ce sont, peut-être, ces différentes natures qui complexifient son appréhension. Nous savons qu'elle est une poésie française transmutée par sa rencontre avec d'autres cultures, surtout la culture africaine. Ce qui signifie que l'une des composantes de cette poésie est non seulement la poésie française, la culture française, mais également la culture africaine. Cependant, il n'en demeure pas qu'on puisse exclure la possibilité de rechercher avec exactitude l'origine diverse, voire les différentes composantes de la poésie francophone.

1347 Edgar FAURE, « Réponse au discours de réception de Léopold Sédar Senghor », le 29 mars 1984. Disponible sur http://www.academie-francaise.fr/reponse-au-discours-de-leopold-sedar-senghor 1348 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 408

1349 Idem., p. 377

422

2. LA POÉSIE FRANCOPHONE : DE LA DIVERSITÉ À L'UNITÉ

Les différentes poésies d'expression française qu'englobe la poésie francophone fait dire qu'elle est, à la fois diverse et unique. En observant de près, et de façon synchronique et diachronique, on voit qu'elle n'est pas seulement composée de la poésie française et de la poésie traditionnelle africaine, mais également d'autres poésies. De façon synchronique, elle est composée de la poésie française (Hugo, Baudelaire, Mallarmé, Lautréamont, Rimbaud, Claudel, Péguy et Breton) et de la poésie négritudienne (la poésie africaine d'expression française avec Léopold Sédar Senghor, la poésie antillaise et martiniquaise d'expression française avec Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas). De façon diachronique, on peut citer entre autre la poésie française (Pierre Emmanuel), la poésie africaine (Léopold Sédar Senghor) et la poésie mauricienne (Édouard Maunick). Senghor écrit, à cet effet, ceci :

Chers Poètes, chers Amis,

En répondant à vos messages, je ne fais, au fond, que continuer le dialogue des poètes francophones, relancé, à Hautvillers, le 3 octobre 1975, par Pierre Emmanuel et Édouard Maunick : un Français et un Mauricien. Ils avaient intitulé leur colloque modestement, Rencontre des poètes francophones. [...] J'essayerai de dire la symbiose que nous avons voulu réaliser ensemble, à partir de nos différences1350.

Aux dires de Senghor, la poésie francophone est une symbiose réalisée à partir des différences poétiques. Elle est une diversité poétique en une seule poétique. Autrement dit, elle est l'unité dans la diversité, la symbiose dans la différence. En fait, chaque poésie représente ou illustre une culture. De façon synchronique, nous avons, avec la poésie française, la culture française, autrement la Francité, et avec la poésie africaine, martiniquaise ou antillaise, la Négritude. Il fallait que chaque poète s'enracine dans sa culture avant de s'ouvrir à l'autre culture. Ce processus d'enracinement et d'ouverture caractérise la poésie francophone. Cette poésie est issue synchroniquement de la rencontre de deux grands modes de pensée, à savoir la Francité et la Négritude. Pour en saisir la portée, voyons ce que dit Senghor à propos de son ami Alain Bosquet, qu'il qualifie d'écrivain francophone :

Né, métis, en Russie, « grandi », en Belgique, et ayant vécu aux États-Unis

d'Amérique, Bosquet est, pour moi, comme certains écrivains antillais, le type

1350 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 369

423

exemplaire de l'écrivain « francophone ». Ce qui ne l'empêche pas d'être intégralement « français », tout au contraire.1351

Il ajoute ensuite que

Ce qui caractérise les images du poète et marque sa francité, comme chez Bosquet au demeurant, c'est la symbiose des mots concrets et les mots abstraits, qui provoque, autant que l'éloignement des deux termes, le court-circuit poétique. [...] D'autant que j'y vois, chez Bosquet, l'effet, à distance, de la slavitude et, chez Emmanuel, de la Méditerranée, pour ne pas dire de l'occitanité. [...] Ce n'est pas hasard, en effet, mes Amis, si enracinés dans nos ethnies et cultures différentes, nous chantons, pourtant les mêmes substances et de manière, je ne dis pas identique, mais convergente1352.

L'idée qui ressort est que la poésie francophone se caractérise par un processus d'enracinement et d'ouverture. Enracinement dans la Francité et ouverture à la Négritude pour certains, et enracinement dans la Négritude et ouverture à la Francité pour d'autres. À la Francité et à la Négritude, composantes de la poésie francophone, et de façon diachronique, s'ajoutent la Créolisation, la Créolité, voire la Littérature-monde.1353 En effet,

Elle se caractérise par des stratégies propres à chacune de ses composantes qui

vont de la créolisation de la langue [française] à l'abandon pur et simple du français dans des zones géographiques où il était naguère florissant.1354

Nous estimons, pour mieux appréhender cette poésie francophone, qu'il faut passer en revue ses différentes composantes : la Francité, la Négritude, la Créolisation, la Créolité et la Littérature-monde.

Notre objectif n'est pas une étude exhaustive de celles-là, mais de montrer comment elles font partie inhérente de la poésie francophone. Il s'agit de montrer comment elles participent de cette poésie. Mieux, il est question d'appréhender de façon succincte ce qui fait la spécificité de chacune des composantes de la poésie francophone, sans oublier les objectifs que vise chacune d'elles (chacune des composantes).

1351 Idem., p. 399

1352 Ibidem., pp. 405-406

1353 À cette énumération, il faut ajouter la Belgité (Belgitude), la Canadanéïté (Québétude)... Nous avons préféré appréhender les plus manifestes selon notre propre vision des choses. Ce qu'il faut retenir est que la poésie francophone est une diversité. Cependant, sachons que la Belgité est un sentiment positif et décomplexé de l'appartenant à la Belgique. Elle s'oppose au néologisme belgitude forgé par le sociologue belge Claude Javeau sur le modèle de la négritude en 1976. La Canadanéïté ou la Québétude serait l'expression de Léopold Sédar Senghor pour parler de la culture canadienne et québécoise. Néanmoins, on emploie aujourd'hui Canadianité ou Québécité pour parler de la littérature canadienne. L'histoire de cette littérature démontre en fait qu'elle a d'abord été française, puis s'est voulue canadienne pour finalement se prétendre québécoise, et ce depuis 1960. Dans tous les cas, ces courants littéraires ont un point commun : la langue française enrichie par des apports et créations personnels de ceux qui en font usage pour exprimer la réalité de leur peuple.

1354 Albert CHRISTIANE, « Introduction », in Francophobie et identité culturelles, op. cit., p. 5

424

La poésie francophone est une manière autre que française d'exprimer la Francité. En effet, la Francité est la qualité de ce qui est français ou reconnu comme étant français. Mieux, elle est l'éloge de la culture française et de la langue française. Si son apparition date vers ou de 1963, elle était bel et bien manifeste au XVIe siècle avec le règne de la Pléiade.

Le XVIe siècle est le siècle de la révolution littéraire, « car il s'agit de laver les textes originaux de leurs mal-façons et de leurs gloses. Cette découverte est inséparable de la poésie »1355. Il fallait exposer des idées neuves, révolutionner la poésie et faire l'apologie de la langue française contre ceux qui s'en servent, mais la servent mal, ce qui les conduit à la juger inférieure aux langues anciennes qu'ils vénèrent et croient plus dignes de leur art. Le groupe de la Pléiade a estimé ainsi que leurs prédécesseurs n'ont pas été capables de faire croître et embellir la langue française. Pour cette raison, il se doit de renouveler et d'enrichir cette langue. Il envisage de composer des mots en imitant la syntaxe latine et grecque, pourvu qu'ils soient beaux et significatifs.

La poésie était le terreau consacré à la formation de la nouvelle langue. À la suite de ce siècle révolutionnaire, les poètes français ne cesseront de réformer la langue française et la poésie, sans oublier la culture française, pour ainsi dire. La réforme poétique a commencé bien avant François Malherbe, voire Arthur Rimbaud. Les auteurs de la Pléiade s'étaient souciés du rayonnement de la langue et de la culture française. À cette époque (le XVIe siècle), la Francité renvoyait à la symbiose culturelle des Celtes, Germains et Latins. En fait, cette symbiose donna naissance aux Francs (Peuple germanique qui donna son nom à la France). Les siècles suivants seront la continuité du XVIe siècle. Le XVIIe siècle avec le Classicisme. Le XVIIIe siècle, celui des Lumières. Le XIXe siècle est le siècle où la France s'est dotée d'une idéologie de l'assimilation, une justification morale pour préserver le rayonnement de sa culture et de sa langue. C'était la troisième République, Onésime Reclus propose la francisation des colonies. La politique culturelle s'amplifie à la Ve République avec la création d'un ministère des Affaires culturelles confié à l'écrivain André Malraux. Nous sommes au XXe siècle. L'esprit français, c'est-à-dire la Francité, est à son paroxysme, et à cette époque, on l'employa comme concept. Et ce, en 1963 par Senghor, qui, dans son entendement, devrait désigner l'ensemble des cultures, aussi différentes soient-elles, dont le point commun est la langue française, de même que l'expression d'une langue et d'une pensée dans toutes leurs variantes et leur diversité. En ce sens, il utilisa, le plus souvent, Francité au lieu de Francophonie pour parler de l'éloge du

1355 Robert SABATIER, Histoire de la poésie française : La poésie du seizième siècle, Éditions Albin Michel, Paris, 1975, p. 10

425

français comme langue universelle. Cependant, il joint la Négritude à la Francité pour exprimer la Francophonie.

Des étudiants Négro-Africains vont user de la poésie pour affirmer la culture négro-africaine à travers un mouvement à la fois culturel, politique et littéraire : la Négritude. Elle vit le jour en 1935 par le biais d'une rencontre entre un Africain, un Martiniquais et un Guyanais. Ce sont Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas.

L'oeuvre inaugurale de la Négritude est Pigments de Léon-Gontran Damas, en 1937 ; et l'article d'Aimé Césaire, « Conscience raciale et révolution sociale », publié en 1935 dans L'Étudiant noir, en est le manifeste. La Négritude est avant tout un mouvement poétique illustrant la culture de tous les peuples bafoués, colonisés. Césaire dit « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. »1356 Et Senghor de dire « J'ai choisi mon peuple noir peinant, mon peuple paysan, toute la race paysanne par le monde »1357. Ils ont été influencés par la culture française, et leur Négritude est fortement marquée par la poésie française. À cet effet, Michel Hausser en a à dire :

Partageant la culture et les lectures de leurs homologues français, les poètes de la

négritude utilisent, dans leur majorité, les mêmes interprétants que la poésie française « de la période correspondante »1358.

Il va plus loin en disant « Loin d'éprouver de la haine pour le français, la négritude lui manifeste, au plus, un attachement, au moins, une acceptation résignée. »1359 À en croire Michel Hausser, la Négritude s'exprime en accord avec la langue et la tradition littéraire française. La Négritude présente une image et un modèle du poète et de sa poésie admettant que le français soit greffé aux langues indigènes tels que les langues africaines, le créole et bien d'autres langues.

Nous avons une Négritude africaine avec Léopold Sédar Senghor qui, dans ses oeuvres, évoque le royaume d'enfance, Joal, l'enracinement aux valeurs culturelles de l'Afrique, la dénonciation de l'aliénation culturelle et politique ; et une Négritude antillaise avec Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas. Leur contact avec Senghor permit de découvrir la composante africaine de leur identité. En évoquant la Martinique et la Guyane, ils manifestent leur colère et leur indignation. Leurs oeuvres étaient des cris de révolte contre les Puissances et l'assimilation.

1356 Aimé CÉSAIRE, Cahier d'un retour au pays natal, op. cit., p. 22

1357 Léopold Sédar SENGHOR, « Que m'accompagnent Koras et Balafong », Chants d'ombre, op. cit., p. 28 1358 Michel HAUSSER, Pour une poétique de la négritude, Tome II, Éditions Nouvelles du sud, 1991, p. 409 1359 Idem., p 412

426

Pour eux, les Antillais sont originaires de l'Afrique. Leur Négritude consistait à aller à la découverte de leurs origines et à rejeter les modèles politiques et culturels français ainsi que le capitalisme, le colonialisme et l'assimilation. Ils se découvrent étrangers sur une terre qui leur est largement hostile ou du moins indifférente. Des siècles d'esclavage, l'aliénation de l'Afrique, la souffrance des contradictions du métissage... En réaction à l'oppression culturelle du système colonial français, Césaire et ses amis vont proclamer haut et fort les valeurs de civilisation du monde noir à travers la Négritude. Elle est un mouvement d'écrivains issus en grande majorité des colonies françaises d'Afrique subsaharienne, des Antilles et de Guyane, qui émerge au milieu de brassage d'idées que provoquent en Europe les séquelles de la deuxième guerre mondiale, le mouvement surréaliste influencé par l'oeuvre de Rimbaud, la naissance de l'idéologie marxiste et les revendications des pays colonisés. Ces écrivains (la plupart des poètes) se découvrent alors une cause commune : le refus du dénigrement dont la race noire fait l'objet depuis les premiers contacts de l'Europe avec l'Afrique.1360 Cause à laquelle adhèrent Jean-Paul Sartre, André Breton, Robert Desnos, et quelques écrivains français et d'autres nationalités, légitimant ainsi la poésie négritudienne comme une poésie française faites par des Nègres.

La présence de ces écrivains va réorienter la Négritude, elle sera désormais la poésie de tous les hommes opprimés vivant aux quatre horizons de la terre. À partir de cette poésie qu'apparue la notion de poésie nègre d'expression française, et ce jusqu'en 1962, date à laquelle fut remployé le terme Francophonie par Léopold Sédar Senghor. Et à cette date déjà, les poètes de la Négritude clamaient leur appartenance à la double culture, c'est-à-dire ils affirmaient également leur Francité (des poètes qui sont à la fois Africains, Martiniquais ou Guyanais et Français), comme jadis Arthur Rimbaud qui proclamait sa Négritité (il se disait être poète nègre bien qu'il ait des ancêtres gaulois)1361. Ils se disaient être poètes francophones tout simplement. Commençaient ainsi à se dessiner les contours de la poésie francophone ; et cette poésie, dont l'embryon était une Négritude fortement marquée par la Francité, regroupait non seulement les Africains, les Antillais, les Martiniquais, mais également les Français. Et l'accent fut mis sur le renouvèlement de la langue française et l'accord conciliant des cultures diamétralement opposées.

1360 Frano VRANÈIÆ, « La négritude dans cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire », Études Romanes de Brno, 36/2015/1, p. 196

1361 Arthur RIMBAUD, « Mauvais sang », Une saison à l'enfer, op. cit., pp. 5-12

427

À la suite de la Négritude, précisément celle d'Aimé Césaire, Édouard Glissant va créer l'Antillanité, voire la Créolisation.1362 Elle s'impose comme appropriation réciproque, et création culturelle et sociale entre des segments de populations, opposés sur le plan civil et social. Elle se veut ouverte et plurielle.

À l'instar de la Négritude césarienne, la Créolisation admet, certes, la part africaine dans l'histoire et la culture antillaises, mais non pas à la prôner comme exclusive, car cette histoire et cette culture se sont construites à partir de plusieurs apports divers et hétérogènes. Ce qui signifie que l'Antillais n'a pas une identité stable, immobile ; elle se définit à chaque moment par de nouveaux apports. Qu'est-ce que la Créolisation ? Édouard Glissant y répond en disant que

La Créolisation, c'est un métissage d'art ou de langage qui produit l'inattendu. C'est une façon de se transformer de façon continue sans se perdre. C'est un espace où la dispersion permet de se rassembler, où les chocs de culture, la disharmonie, le désordre, l'interférence deviennent créateurs. C'est la création d'une culture ouverte et inextricable, qui bouscule l'uniformisation par les grandes centrales médiatiques et artistiques. Elle se fait dans tous les domaines, musiques, arts plastiques, littératures, cinéma, cuisine, à une allure vertigineuse...1363

Autrement dit, « J'appelle Créolisation la rencontre, l'interférence, le choc, les harmonies et les disharmonies entre les cultures, dans la totalité réalisée du monde-terre. »1364

Comme le définit son concepteur, elle désigne bien l'imprévisible, née de l'élaboration d'entités culturelles inédites, à partir d'apports divers. Elle se différencie du métissage, prôné par la Négritude qui est prévisible, et nécessite certaines conditions d'épanouissement. Selon Alain Ménil, nous devons ce terme à l'historien Jamaïquain E. K. Brathwaite.1365 Cependant, avec Édouard Glissant, il sera connu comme une poétique. Il s'agit d'intégrer le français et le créole à une poétique de relation afin de prôner la création d'un « langage à partager par-delà les langues employées, en relation avec la réalité d'une antillaise plurilingue ».1366

Le terme de Créolisation est l'expression de la rencontre, du mouvement du monde qui se fait dans une société qui se métisse au gré des circonstances de l'histoire de l'humanité. La Créolisation est la façon de comprendre l'évolution du monde qui est en perpétuel changement.

1362 Cf. Édouard GLISSANT, Le discours antillais, Paris, Seuil, 1981, 503 p.

1363 Le Monde, « Pour l'écrivain Édouard Glissant, la créolisation du monde est irréversible », propos recueillis par Frédéric Joignot. Disponible sur http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2011/02/04/pour-l-ecrivain-edouard-glissant-la-creolisation-du-monde-était-irreversible_1474923_3382.html

1364 Édouard GLISSANT, Traité du Tout-Monde, Gallimard, Paris, 1997, p. 194

1365 Alain MÉNIL, « La créolisation, un nouveau paradigme pour penser l'identité ? », Rue Descartes 2009/4 (n°66), p. 10

1366 Édouard GLISSANT, Le discours antillais, op. cit., p. 282

428

De gré ou de force, nous devons accepter, comme l'exige Édouard Glissant, la créolisation du monde1367, car les rencontres des peuples, des cultures, des langues se font chaque jour, et pas toujours de manière pacifique, parfois de façon brutale. Pour cette raison, il invite également la littérature française à se créoliser, c'est-à-dire à accepter les apports aussi divers des autres parlants français, au lieu de se renfermer sur elle-même. L'acceptation des apports divers n'altérera pas la spécificité de chacun. D'ailleurs, selon Senghor, Saint-John Perse aurait emprunté son style poétique au parler antillais.1368 La Créolisation vient renforcer les contours de la poésie francophone, définis par la Francité et la Négritude.

Le 22 mai 1988, en Seine Saint Denis (France), une conférence est prononcée sur l'Éloge de la créolité donnant ainsi naissance à la Créolité. Trois personnes furent à la base. Ce sont Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Jean Bernabé. Ils revendiquent leur concept comme un projet littéraire et culturel susceptible de s'adresser à tout le monde.

La Créolité prétend étendre et amplifier la Créolisation (l'Antillanité) d'Édouard Glissant. En fait, elle est un syncrétisme original de tous les éléments venus des quatre coins du monde ; un processus culturel correspondant à la naissance d'une civilisation mêlant les apports européens, africains, amérindiens et asiatiques. Les concepteurs affirment, à ce propos, que

La Créolité est l'agrégat interactionnel, ou transactionnel, des éléments culturels

caraïbes, européens, africains, asiatiques et levantins, que le joug de l'histoire a réunis sur le même sol1369.

À en croire Jean Bernabé, l'un des auteurs d'Éloge de la Créolité, elle accomplit les promesses de la Négritude et de la Créolisation que ne l'ont fait celles-ci :

La Créolité, qui est apparue après l'antillanité comme une critique de la négritude, remplit en fait les promesses et le programme de la négritude mieux que ne l'a fait la négritude elle-même, tant sur le plan de la construction du langage poétique que sur celui de l'exploration de l'imaginaire.1370

Ce qui signifie que la Créolité s'inscrit dans la filiation de la Négritude et de la Créolisation1371, et procède à une fécondation du français par le créole en intégrant le vécu et la culture créole

1367 Le Monde, « Pour l'écrivain Édouard Glissant, la créolisation du monde est irréversible », op. cit.

1368 Léopold Sédar SENGHOR, Dialogue sur la poésie francophone, op. cit., p. 377

1369 Patrick CHAMOISEAU, Raphaël CONFIANT et Jean BERNABÉ, Éloge de la créolité, Paris, Gallimard,

1993, p. 26

1370 Jean BERNABÉ, « De la négritude à la créolité : éléments pour une approche comparée », Études

françaises, 282-3 (1992), p. 23

1371 Idem., p. 35

429

dans la culture française, c'est-à-dire dans la Francité. Jean Bernabé estime que la langue française est redevable à la rhétorique antillaise :

Une langue française redevable à la rhétorique antillaise profonde plus qu'au champ des interférences syntaxiques ou lexicales fait de prose de Glissant un outil de recherche original en constante subversion par rapport au français et en perpétuelle méfiance vis-à-vis des séductions faciles du créole. Nul doute que l'antillanité ne soit, à cet égard une transition vers la créolité, qui, comme concept et comme mouvement, entend non seulement formuler le vécu antillais sur le mode la désaliénation et de réappropriation, mais encore intégrer à sa dynamique. La logique profonde qui a présidé à la créolisation, phénomène universel, singulièrement concrétisé dans la configuration spécifique dont se réclame l'antillanité1372.

En réalité, à bien comprendre, la Créolité est un éloge du métissage culturel. Elle est une façon d'interroger et de comprendre l'univers qui se métisse, c'est-à-dire le monde qui nous entoure : la nature, les gens, les animaux, les végétaux, les événements. Elle est aussi la façon dont ces événements s'influencent pour former une nouvelle race qui n'appartient ni à l'Afrique, ni à l'Europe, ni à l'Amérique, ni aux pays orientaux.

Alain Ménil, dans Les voies de la créolisation : essai sur Édouard Glissant, affirme que la Créolité nie la Francité et la Négritude, et qu'il y a une totale contradiction entre la Créolisation et la Créolité.1373 Nous constatons qu'il y a une grande antinomie entre les dires de Jean Bernabé et ceux d'Alain Ménil.1374 Dans tous les cas, la Créolité, pour s'affirmer, devrait prendre ses distances vis-à-vis de la Négritude et de la Créolisation dont elle se réclame, comme l'a fait la Négritude de la Francité. Cependant, ce qu'il faut retenir est qu'elle annonce ce que devrait être la poésie francophone, c'est-à-dire une poésie métisse.

Abordons la dernière composante de la poésie francophone, qui pense donner un coup de massue à cette poésie, or, pourtant, elle la rehausse. Il s'agit de la Littérature-monde. En effet, elle est, dans sa forme idéologique, un contre-courant à la littérature francophone, voire à la poésie francophone. Elle regroupe tous les écrivains qui refusent d'être étiquetés d'écrivains francophones pour se réclamer comme des écrivains du monde de langue française.

L'initiative est partie de Michel Le Bris et Jean Rouaud en 2007 avec le manifeste Pour une littérature-monde en français, paru à Le Monde du 16 mars 2007, apposé de quarante-quatre signatures. Dans la même année apparaît un ouvrage collectif Pour une littérature-monde sous la direction de Michel Le Bris, Jean Rouaud et Eva Almassy. En fait, le terme est

1372 Ibidem., p. 29

1373 Alain MÉNIL, Les voies de la créolisation : essai sur Édouard Glissant, Paris, Murmure, 2011, p. 352

1374 Nous nous refusons d'accéder au débat, car l'objectif de cette étude n'est pas d'appréhender minutieusement la Créolité, mais de montrer qu'elle est l'une des composantes de la poésie francophone.

430

apparu plutôt en 1992 dans un autre ouvrage collectif Pour une littérature voyageuse aux dires de Michel Le Bris. Ce terme désigne les oeuvres écrites en français par des écrivains dont la langue maternelle n'est pas française ou dont la nationalité n'est pas française.

Avec la Littérature-monde, il n'est pas question de transiger ou de tergiverser sur l'intégration de la littérature française dans la littérature francophone ; au contraire, elle est la littérature des auteurs qui écrivent en français et qui ne dépendent pas de la France. Les auteurs réclament la fin de la relation centre-périphérie, et revendiquent l'universalité d'un art qui ne sera plus seulement l'apanage de la France, mais du monde. Ce qui semble rejoindre le concept d'Édouard Glissant : Traité du Tout-Monde. Ils veulent récréer la langue française, car elle n'est plus une propriété privée française. Selon Isabelle Constan,

On comprend la volonté des écrivains de la littérature-monde de se constituer comme mouvement d'émancipation et de décolonisation de la langue française. Puisque les mots conditionnent, déterminent la pensée, ces écrivains d'ailleurs veulent s'émanciper de la pensée française. Ils suggèrent qu'il existe de nouvelles manières de penser en français.1375

La littérature francophone qui semble désigner la littérature des auteurs d'ailleurs n'est pas loin de la conception de la Littérature-monde qui renvoie également à la littérature des auteurs d'ailleurs qui utilisent le français pour écrire. Cette similitude rend ambigüe la notion même de la Littérature-monde. Elle n'est qu'une périphrase parmi tant de la littérature francophone. Cette ambigüité confirme la méconnaissance de la Francophonie senghorienne.

En voulant mettre fin au débat de centre-périphérie, elle n'a fait que le déplacer vers d'autres domaines relevant de la politique. Au fond, la question y demeure toujours : Qui est et qui n'est pas auteur francophone ? Ou qui est et qui n'est pas auteur du monde ? Toujours est-il que la Littérature-monde « a elle aussi pour dénominateur commun, pour élément de cohésion, le français ».1376 Elle se veut aussi ouverte et plurielle abordant des thèmes aussi divers que les régions, les expériences et la création littéraire de ses auteurs. Raison pour laquelle, Niels Planel affirme qu'elle est un lieu refuge pour tous les auteurs qui refusent la dominance culturelle :

En clair, la littérature-monde en français est un lieu de refuge pour ceux qui fuient

toute forme d'impérialisme culturelle. La littérature-monde, c'est pouvoir

1375 Isabelle CONSTAN, « Littérature-monde : paradoxes et ambiguïtés », Les littératures francophones : pour une littérature-monde ?, 7, 2011, p. 72

1376 Véronique PORRA, « Malaise dans la littérature-monde (en français) : de la reprise des discours aux paradoxes de l'énonciation », op. cit., p. 121

431

s'approprier une réalité ou une conception qui n'est pas la mienne, sans intermédiation1377.

En observant de façon minutieuse, méticuleuse la Littérature-monde, nous ne pouvons que dire qu'elle est une copie conforme de la Littérature francophone, et voire de la poésie francophone. En fait, cette littérature, se voulant un contre-courant, a plutôt mis en exergue les objectifs que s'est fixés la poésie francophone.

Plusieurs démarches pour aboutir à un même résultat, à une même poésie, tel en est de la poésie francophone. Cette poésie se veut diversité dans l'unité, symbiose par complémentarité. Elle est la diversité des expériences, d'univers culturels dont le dénominateur commun est la recherche inlassable d'une poétique universelle dans une langue française qui ne cesse de se transformer, de se métisser, voire d'être fécondée par la création personnelle des poètes.

La poésie est un genre universel, elle n'est pas l'apanage d'un peuple ou d'une race ; et l'écriture poétique ne tient pas compte de la langue, de la nation, de la race, de la culture, car le poète est le seul maître de sa langue et de son univers. L'écriture poétique est l'univers où le poète se démarque des autres pour exprimer ce qu'il ressent, voire ce qu'il sent et voit ; il peut même s'inventer une langue. Dans le cas de la poésie francophone, la langue française subira l'alchimie du verbe de la part des poètes. Le poète francophone est celui qui doit créer sa propre langue d'écriture, et ce dans un contexte culturel multilingue et métis. Raison pour laquelle, la poésie francophone est un mélange exquis de poésies en français africanisé, créolisé, voire en français métissé. Cela sous-entend que la poésie francophone est une poésie métisse qui témoigne d'une influence culturelle à la fois française, africaine, antillaise, belge, québécoise..., qui implique une langue française évidée des connotations hexagonales et qui contribue à l'avènement d'une nouvelle civilisation, celle de la symbiose et de la complémentarité, celle de l'unité dans la diversité, et qui est, chez Senghor, la Civilisation de l'Universel. Elle est le point de jonction entre la Francité, la Négritude, la Créolisation, la Créolité et la Littérature-monde, la Belgité, la Québécité...

Cependant, les fondements idéologiques et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir divergent fondamentalement. Autrement dit, la poésie francophone est un ensemble de

1377 Niels PLANEL, « Que la décolonisation littéraire commence ! Essai sur Pour une littérature-monde paru chez Gallimard en 2007 », op. cit., p. 9

432

différentes littératures appartenant à des espaces géographiques très variés, mais avec un dénominateur commun, la langue française enrichie par des particularismes linguistiques de chaque espace comme moyen d'expression. Ce qui fait la particularité de la poésie francophone est la diversité de poésie en langue française et des influences culturelles. Une oeuvre poétique qui ne témoigne d'aucune influence culturelle et qui n'implique pas une langue française modelée n'est pas digne de faire partie de la poésie francophone.

Depuis le XVIe siècle jusqu'au temps contemporain (de nos jours), les poètes n'ont point cessé de modeler à leur guise la langue française, se démarquant parfois des prédécesseurs, et qui ne sont pas forcément de nationalité française.1378 Ce long cheminement de façonner la langue française par les poètes afin qu'elle soit une langue universelle a abouti, aujourd'hui, à la poésie francophone. Ce qui veut dire que les poètes francophones poursuivent l'oeuvre des poètes jadis en faveur de la langue française. Défendre et illustrer la langue française est la préoccupation de tous les poètes écrivant en français.

Avec la poésie francophone, c'est l'évolution, l'invention permanente de la langue française accordant la primauté à la relation du sujet à l'objet, où chaque poète se rencontre tout en exprimant sa propre authenticité. Autrement dit, en lisant Senghor, nous devons avoir l'impression de lire Paul Claudel, John Perse, Rimbaud ou un quelconque poète d'expression française. Il n'est plus question d'imitation, mais de se nourrir des autres et de les restituer dans une nouvelle tradition grâce au génie du poète et à celui de la langue. Cela veut dire que les poètes doivent imiter en créant, procéder à la transmutation. La poésie francophone devient ainsi une poésie de l'intersection de toutes les poésies de langue française où les poètes s'expriment d'un accord conciliant sur le même sujet et le même objet, car l'essentiel est d'élaborer une même poésie francophone et pourtant diverse.

À chaque siècle, une conception particulière de la poésie, car « [il] n'existe pas plusieurs espèces de poésie [...] mais seule existe la poésie, dont les aspects et les formes varient à l'infini selon les époques de l'histoire. »1379 Le XXIe siècle est celui de la poésie francophone. La conception de cette poésie fut la réflexion de Léopold Sédar Senghor. Elle ne parle pas par concepts ni par préceptes. Elle se veut unité dans la diversité, car « `'Toute maison divisée contre elle-même'Ç tout art ne peut que périr. La poésie ne doit pas périr, car alors, où serait l'espoir du monde ? »1380

1378 Robert SABATIER, Histoire de la poésie française : La poésie du seizième siècle, op. cit., p. 133 (Référence à l'Éclaircissent de la langue française de l'anglais John Palsgrave, 1530). Voir également Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, Paris, Robert Laffont, 2013, 955 p. [Sous la direction de Pascal ORY] 1379 Jean-Louis BÉDOUIN, La poésie surréaliste, Paris, Édition Segher, 1964, p. 11

1380 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit. (loc. cit.), p. 166

433

Avec la poésie francophone, il ne doit point exister de relation entre littérature et nation, c'est-à-dire on ne doit plus parler de poésie nationale. Cette poésie reflète les expériences concrètes d'une double culture. Il y a une implication avec d'autres univers culturels. En fait, Senghor a commencé d'écrire les poèmes en imitant les poètes français. Avec la Négritude, il a préconisé la défense et l'illustration des valeurs civilisatrices du monde noir avec le pèlerinage aux sources. Le retour aux sources lui permit de découvrir les poésies orales ouolof et sérère, ainsi que la poésie négro-africaine.

La découverte de la poésie négro-africaine et de sa vocation de poète est due aux poétesses populaires de ses villages, Djilôr et Joal, ainsi que ses trois Grâces, comme il les appelle Koumba Ndiaye, Marône Ndiaye et Siga Diouf. Ce sont elles qui, par leurs poèmes-chants et leurs commentaires, l'ont révélé les caractères essentiels de la poésie sérère, ouolof, et partant de la poésie négro-africaine. Cette découverte lui permit, également, de cerner les différences entre la poétique française et la poétique négro-africaine. Il eut ainsi l'idée et l'ambition de créer ce qu'il appelle « une authentique poésie nègre qui ne renonce pas, pourtant, à être française », autrement dit une poésie nègre de langue française.1381 Il va alors substituer la dénomination de cette poésie par la poésie francophone, qui, pour lui, est une poésie à la fois intuitive et rationnelle, une poésie à la fois nègre et française, afin d'être en conformité avec sa conception de la Francophonie. Dès lors une question se pose, à savoir, quels sont les contours et les caractéristiques de cette poésie francophone.

1381 À ce propos, Senghor dira « C'est à mon arrivée à Tours que j'ai brûlé tous mes poèmes écrits jusque là et suis repartis à zéro. Dans mes premiers poèmes, j'avais trop subi l'influence de la poésie française. Je me suis donc mis à l'école de celles que j'appelle `' MES TROIS GRÂCES», poétesses de mon bourg natal. »

434

3. LES CONTOURS ET LES CARACTÉRISTIQUES DE LA POÉSIE FRANCOPHONE

La poésie francophone est un champ poétique vaste, divers, aux contours difficilement cernables. Elle se constitue de la Francité, de la Négritude, de la Créolisation, de la Créolité, de la Belgité, de la Canadaneïté, de la Québécité et de la Littérature-monde... Cette diversité ne permet pas de la définir correctement. Il faut auparavant appréhender les contours des différentes composantes de cette poésie afin de définir ses propres contours. Or, il ressort que la poésie francophone est d'une unité dans la diversité qui permet à chacun de préserver son caractère individuel.

Cependant, pour chaque individu, civilisation, époque, la poésie prendra une signification différente suivant les nécessités de chacun et le courant de son histoire. Il est également exact qu'une oeuvre poétique qui, à une époque donnée, répond à un certain besoin humain, peut agir tout autrement dans une civilisation différente.1382 La poésie, comme tout art ou toute identité, ne cesse de changer ; elle est en constante évolution et en perpétuel devenir, toujours nouvelle. Tel est le cas de la poésie francophone. Elle est un ensemble de contours, d'expériences, de vécus et de visions difficiles à définir. La comprendre et la délimiter pose toujours un nouveau problème : il faut nous placer dans une perspective qui nous permettra de saisir plutôt ses caractéristiques.

Pour dire simplement que les contours de la poésie francophone sont difficiles à appréhender, parce qu'elle exige de nouveaux critères d'estimation et de jugements. Définir les contours reviendrait à établir une sorte de canevas dans lequel s'inscrira la poésie francophone, or elle annihile tout critère géolinguistique, et elle n'est ni figée ni limitée, puisqu'elle se veut ouverte, plurielle et unique. Il est, certes, difficile d'établir les contours de cette poésie, mais beaucoup plus facile de définir ses caractéristiques, car Léopold Sédar Senghor l'a déjà fait. En fait, il existe bien une théorie d'éléments de la conception de la poésie francophone qui est exposée dans ses oeuvres poétiques, et qui permet de cerner les caractéristiques de cette poésie. Il s'agit de faire une synthèse. Les caractéristiques de cette poésie données par Senghor se résument en quatre points : une poésie ontologique (une poésie humaine), une poésie

1382 d'Arcy HAYMAN, « L'art dans la vie de l'homme », L'art dans la vie de l'homme, la science dans la vie de l'homme, Unesco, op. cit., p. 9

435

symbolique (de symboles), une parole poétique (rythme, musique, mélodie) et une poésie mythopoétique (de mythes). Par ces caractéristiques, où veut en venir Senghor ?

Le poète est un homme qui prend son inspiration dans le monde qui l'entoure, il exprime la réalité du monde sensible (terrestre). Il fait de la poésie une « arme chargée de future »1383, « une arme miraculeuse »1384, une insurrection (Pablo Neruda) et s'engage pour que les lendemains soient meilleurs. Pour cette raison, il se fait voyant (Arthur Rimbaud), un prophète (Pierre de Ronsard/Victor Hugo), un porte-parole du peuple1385 pour montrer la réalité profonde et faire devenir le monde insoupçonné qui se cache derrière le mur de la rationalité, pour guider les hommes vers des idées ou un engagement. Il n'est point indifférent de la situation humaine, il prend parti, et son parti est le devenir de l'homme, parce que l'art est l'essence même de ce qui est humain, comme le souligne Hayman d'Arcy :

Tout enfant, tout homme, toute civilisation donne forme à ses sentiments et à ses idées par l'intermédiaire de l'art. L'art est l'essence même de ce qui est humain, il incarne l'expérience de l'homme et ses aspirations. Depuis que l'homme s'est affirmé en tant qu'homme, l'art a été son signe distinctif, et il n'a cessé d'être un créateur d'art. L'acte artistique et son objet sont l'expression et le témoignage constants de l'acte et des objectifs humains1386.

La poésie étant un art ne peut qu'être l'essence même de ce qui est humain. Quant à Léopold Sédar Senghor, il veut que la poésie francophone soit une oeuvre humaine qui exige de l'homme son adhésion totale à une action constructive : « Bien sûr, il s'agit toujours de l'homme - comment pourrait-il en être autrement ? - mais surtout, peut-être, de l'au-delà de l'homme. »1387 Mieux, elle doit être l'essence de vie de l'homme1388, parce qu'elle est une vision ontologique de l'univers, de l'homme dans l'univers1389. Cette poésie traduit non seulement l'expérience personnelle du poète, mais aussi celle de l'humanité toute entière. Elle devient l'instrument à la fois universel et personnel par lequel les hommes se protègent et se libèrent. Elle est un sentiment global, capable d'unir les hommes tout en préservant à chacun son

1383 Gabriel CALAYA, « La poesia es un arma de cargada de futuro », De `' Cantos iberos», Turner, Madrid,

1976, (96 p.), pp. 57-58

1384 Aimé CÉSAIRE, Les armes miraculeuses, Gallimard, Paris, 1946, 161 p.

1385 C'est à juste titre qu'Aimé Césaire dit « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche,

ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. », Cahier d'un retour au pays natal, op. cit.,

p. 22

1386 d'Arcy HAYMAN, « L'art dans la vie de l'homme », L'art dans la vie de l'homme, la science dans la vie de

l'homme, Unesco, op. cit., p. 6

1387 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 378

1388 Idem., p. 378

1389 Ibidem., p. 379

436

caractère d'individu. Elle est une source dynamique qui satisfait le besoin d'expression de l'homme et manifeste ses possibilités.

Senghor revendique pour la poésie francophone la capacité de permettre à chaque humain de prendre connaissance de la particularité esthétique de ce qui l'entoure, de puiser l'inépuisable ressource des formes et des couleurs, de la splendeur d'une matière, de la puissance du rythme, du son, de toute création qui unit la poésie de la nature et celle de l'homme. Elle doit être, également, médiatrice entre le monde humain et le monde objectif et spirituel afin que les objets se fassent connaître à ou de l'homme.1390 Autrement dit, elle est « un cosmos dynamique, fait de relations entre les forces vitales : entre la terre, les astres et l'univers, les plantes, les animaux, les hommes et Dieu. »1391 Telle est la mission de la poésie francophone, n'est-ce pas celle de tout art ? Hayman d'Arcy de nous répondre en ces termes :

La mission de l'art est d'enflammer et d'intensifier, de provoquer un puissant élan

affectif et intellectuel, que vient rejoindre celui qui anime l'être humain dans ses relations avec la nature et avec ses semblables1392.

De ce fait, la poésie francophone est liée au sacré, ici, dans le sens de voir le monde de façon spirituelle, car cette poésie doit être capable de parler au coeur et aux sens de l'homme, de lui apporter un enrichissement émotionnel et spirituel.

Dans l'expérience humaine, la poésie est l'activité expressive ; elle est l'expression de la propre personnalité de l'homme. Elle caractérise un individu aussi bien qu'une civilisation. En fait, le sujet et l'objet de la poésie francophone demeurent l'homme, car elle lui permet de se connaître et de communiquer avec lui-même et avec son semblable. C'est dire qu'elle établit une sorte de communication, comme l'illustre l'extrait ci-dessous :

Et je redis ton nom : Dyallo !

Ta main et ma main qui s'attarde ; et nos pensées se cher-

chèrent dans la mi-nuit de nos deux langues soeurs

[...]

Et je redis ton nom : Dyallo !

Et tu redis mon nom : Senghor ! (Po : 60-61)

Par son lyrisme, le poète francophone, en exprimant les sentiments et les émotions qui l'étreignent, doit se fait plus proche de l'homme. Sa poésie est un lyrisme qui renvoie

1390 A. Kibédi VARGA, « L'objet en poésie », <i>WORD</i>, 23:1-3, 1967, p. 559

1391 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 381

1392 d'Arcy HAYMAN, « L'art dans la vie de l'homme », L'art dans la vie de l'homme, la science dans la vie de l'homme, Unesco, op. cit., p. 12

437

l'« Hypocrite lecteur - [son] semblable, - [son] frère ! »1393 à ses propres expériences et sensations. La poésie devient alors la voix de la personnalité intime de l'homme. Elle est un engagement, le témoignage et le symbole de l'énergie humaine. Elle éclaire et vivifie, également, l'expérience humaine.

Le sceau de cette poésie est le devenir de l'homme. En effet, elle chante les substances essentielles, les êtres qui sous-tendent les apparences sensibles et qui ont cette vertu majeure de se transmuter en transcendant leur être pour parvenir au plus-être, en devenant intégralement humain.1394 Pour Senghor, cette poésie est une vision neuve de l'univers et une création panhumaine en même temps.1395 Le poète francophone prend les visions et les valeurs ordinaires des hommes, et les re-forme, nous dit également Senghor :

Le poète, pour prendre cet exemple, se « convertissant » en Dieu par la force de sa

parole, fait plus que reproduire le cosmos par la force du verbe divin, mais aussi par sa maîtrise de la langue, il le re-crée1396.

Le poète francophone fait appel à la totalité de l'homme, son corps, sa sensibilité, son intelligence ; il les intègre en un seul acte, en un moment donné de l'homme. Au-delà de toute spéculation, il faut comprendre Senghor. Chez lui, la poésie francophone se veut un humanisme, puisque l'essence même de cette poésie est l'homme. Il en est le sujet et l'objet d'un monde nouveau et plus panhumain. C'est pour l'homme et autour de l'homme que s'orchestre la poésie francophone. Le poète francophone, par ses textes, doit donner vie à un nouveau monde à l'aide d'images, de symboles qui créent des visions ontologiques de l'univers. Il doit chercher à appréhender l'Homme à partir du langage poétique. Autrement dit, pour parler de la réalité profonde du monde, pour rapprocher des réalités, pour en créer une autre, le poète dispose d'autres outils tels que les symboles.

L'une des caractéristiques de la poésie francophone définie par Senghor est l'utilisation des symboles. C'est, en effet, pour mieux communiquer que les hommes ont inventé des symboles, et le plus beau de tous est sans doute les lettres. Hayman d'Arcy renforce nos propos en ces termes :

[...] c'est pour communiquer que les hommes ont inventé des symboles, et la création des symboles est l'une de leurs activités premières. En fait, c'est l'acte fondamental de l'esprit humain et il l'accomplit constamment. Il oriente les efforts de l'homme et stimule son imagination, il lui donne le sens des valeurs, aiguise ses

1393 Charles BAUDELAIRE, Les fleurs du mal, Librairie Générale Française, Paris, 1972, p. 7 1394 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 407

1395 Idem., p. 408 1396 Ibidem., p. 380

438

perceptions et nourrit son enthousiasme. [...] Il faut que l'homme exprime par symboles ce qu'il a vécu et ressenti pour pouvoir le communiquer à d'autres hommes1397.

En ce qui concerne l'utilisation des symboles, nous pouvons dire que la poésie ne lésine pas sur les symboles. Le mot y est plus qu'image analogique sans même le secours de la métaphore ou de la comparaison dans cette poésie. Tout y est signe et sens en même temps, comme l'illustre l'extrait ci-dessous :

Tu es Zoulou par qui nous croissons dru, les narines par quoi nous buvons la vie forte

Et tu es le doué-d'un-large dos, tu portes tous les peuples à peau noire. (Po : 127)

Pour Senghor, la forme et la couleur constituent également un langage suffisant pour exprimer une émotion et la communiquer. Dans la poésie senghorienne, nous pouvons citer « Négresse blonde », « Aube blanche », « le Poète du lait noir de l'amour », « le regard noir du mamba », « au parfum d'oranger », « la verte lumière », « Hosties noires », « Le Lion noir », « sang noir », etc. pour exemplifier nos propos. À cet effet, Senghor asserte que

Le mot y est plus qu'image, il est image analogique sans le secours de la métaphore ou de la comparaison. Il suffit de nommer la chose pour qu'apparaisse le sens sous le signe. Car tout est signe et sens en même temps [...] : chaque être, chaque chose, mais aussi la matière, la forme, la couleur, l'odeur et le geste et le rythme et le ton et le timbre, la couleur du pagne, la forme de la kôra, le dessin des sandales de la mariée, les pas et les gestes du danseur, et le masque, que sais-je ?1398

Il envisage la poésie francophone comme la forme la plus élevée de l'expérience symbolique qui ne s'appuie pas sur la raison discursive, mais sur l'instinct, c'est-à-dire l'intuition, la puissance d'imagination symbolique où tous les sens - les sons, les odeurs, les saveurs, les touchers, les formes, les couleurs, les mouvements - entretiennent de mystérieuses correspondances et donnent naissance aux images analogiques complexes, ambivalentes, multivalentes.1399 Nous devons entrer en contact avec le sens caché de l'univers par l'intermédiaire du symbole avec tout notre être,

Parce que les paroles, [estime Senghor,] pour charmer au sens étymologique du

mot, pour « incanter » doivent être exprimées en images analogiques, qui cachent et

1397 d'Arcy HAYMAN, « L'art dans la vie de l'homme », L'art dans la vie de l'homme, la science dans la vie de l'homme, Unesco, op. cit., p. 14

1398 Léopold Sédar SENGHOR, « Comment les lamantins vont boire à la source », op. cit., pp. 156-157 1399 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 375

439

dévoilent en même temps, non des idées pures ou des sentiments, mais des idées-sentiments, qui cachent, en dévoilant, le signifié sous le signifiant.1400

La vraie poésie serait aux dires de Senghor celle qui met l'accent sur l'utilisation des symboles, comme nous pouvons le voir dans l'extrait ci-dessous :

La sève d'Avril en mes veines chante,

Des pirogues de passion sur leurs rapides dansent, Les sveltes Négresses décochent leur fougue, Flammes dansantes de clairs boubous,

Cavales du Fleuve au plein galop. (O. Po : 339-340)

Dans l'extrait, nous avons des symboles tels que « La sève d'Avril », « Des pirogues de passion », « Flammes dansantes », « Cavales du Fleuve »... Ces symboles donnent sens au texte et l'enrichissent. Nous avons également des images : « La sève d'Avril en mes veines chante », « Des pirogues de passion sur leurs rapides dansent »... C'est une suite d'images analogiques. Ces images intensifient la valeur des symboles dans le texte poétique, nous voulons dire, leurs sens.

Les symboles sont un caractère essentiel de la poésie. Jean-Marie Guyau ne dit point le contraire :

Le symbolisme est un caractère essentiel de la vraie poésie : ce qui ne signifie et ne représente pas autre chose que soi-même n'est pas vraiment poétique. S'il y a une sorte d'égoïsme des formes qui fait qu'elles vous disent seulement moi, sans vous faire rien penser au-delà d'elles-mêmes, il y a aussi une sorte de désintéressement et de libéralité des formes qui fait qu'elles vous parlent d'autre chose qu'elles-mêmes et, par-delà leurs contours, vous ouvrent des horizons sans limites. C'est alors seulement qu'elles sont poétiques. Alors aussi elles ne sont plus purement matérielles : elles prennent un sens intellectuel, moral et même social, en un mot, elles deviennent des symboles. Pour leur donner ce caractère, il n'est pas besoin d'introduire dans le style l'allégorie précise des anciens, ni le vague de certains modernes qui croient qu'il suffit de tout obscurcir pour tout poétiser, ou de supprimer les idées pour avoir des symboles. C'est par la profondeur de la pensée même et de l'émotion qu'on donne au style l'expression symbolique, c'est-à-dire qu'on lui fait suggérer plus qu'il ne dit et qu'il ne peut dire, plus que vous ne pouvez dire vous-même1401.

Ce que nous retenons de Jean-Marie Guyau est que le symbole exprime la profondeur de la pensée et de l'émotion, et suggère plus qu'il ne dit. Le symbole imprime sa marque de suggestion à la poésie. Senghor, en s'inscrivant dans la logique de Jean-Marie Guyau, dit que le symbole n'est pas seulement objet de connaissance, mais objet de pratique. Pas besoin de

1400 Idem., p. 389

1401 Jean-Marie GUYAU, L'art au point de vue sociologique, Paris, Alcan, 1889, p. 300

440

métaphore, un seul mot, « à travers des forêts de symboles »1402, pour nommer les choses afin de prophétiser la Cité de demain, qui renaîtra des cendres de l'ancienne1403, participant, ainsi, à l'expression d'une vision intuitive, voire ontologique.1404 Cependant, le pouvoir de l'image analogique - du symbole - est libéré sous l'effet du rythme. Et Senghor de le confirmer en ces termes :

Mais le pouvoir de l'image analogique ne se libère que sous l'effet du rythme. Seul le rythme provoque le court-circuit poétique et transmue le cuivre en or, la parole en verbe. [...] Nombril même du poème, le rythme, qui naît de l'émotion, engendre à son tour l'émotion.1405

Aux dires de Senghor, l'émotion naît de la vibration sonore - c'est-à-dire le rythme - et non de l'image poétique. De ce fait, la poésie francophone doit être capable d'émotionner l'homme par le biais du rythme. En conséquence, le rythme serait aussi une des caractéristiques de la poésie francophone.

Le rythme est bel et bien l'une des caractéristiques de cette poésie. En effet, il est un phénomène universel, puisqu'on le retrouve dans toutes les activités humaines. En plus, il est la clef de toute poésie, car, c'est lui qui crée la mélodie, la musique, l'émotion, voire le langage poétique. Mieux, il n'y a pas de rythme sans mélodie, et l'accord harmonieux, entre ces deux, donne naissance à la parole poétique. Autrement dit, le rythme préside à la naissance du poème, à en croire Léopold Sédar Senghor :

Nous sommes d'accord que si, dans la poésie, l'élan créateur ou la puissance mythique doit avoir la primauté, la priorité revient à la maîtrise du langage, mais aussi de la langue. Sans quoi, il ne peut y avoir de parole poétique. Surtout lorsqu'il s'agit de la langue française1406.

La parole poétique tient une place importante dans l'élaboration du poème, et est liée essentiellement au rythme et à la mélodie. Il faut partir du rythme pour appréhender la parole poétique, qui engendre non seulement la mélodie, mais aussi l'image par son élan itératif et, partant, suggestif et créatif.1407

1402 Charles BAUDELAIRE, « Correspondances », Les fleurs du mal, Paris, Librairie générale française, 1972, p.

16

1403 Léopold Sédar SENGHOR, « Comment les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 158

1404 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 390

1405 Léopold Sédar SENGHOR, « Comment les lamantins vont boire à la source », op. cit., pp. 158-162

1406 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 388

1407 Idem., p. 394

441

Le rythme est sur quoi repose la poésie francophone. Cette poésie se veut parole poétique neuve. Dans cette poésie, le rythme n'est pas seulement dans les accents du français, mais également dans les répétitions des mots, voire dans les timbres, les intensités et les durées, estime Senghor :

Je dis que le rythme demeure le problème. Il n'est pas seulement dans les accents du français moderne, mais aussi dans la répétition des mêmes mots et des mêmes catégories grammaticales voire dans l'emploi - instinctif - de certaines figures de langue : allitérations - assonances, homéotéleutes, etc...1408

Le rythme n'est pas une répétition en tant que tel, mais il se saisit dans des contrastes complémentaires, des allitérations et des assonances, plus subtilement, dans le jeu des sémantèmes et des morphèmes, qui renforce celui des signes et des sens : des images analogiques.1409 À cet effet, il affirme qu'

Il reste que le rythme du poème [...] n'est pas seulement dans la succession, ordonnée, des syllabes accentuées et atones, il est aussi dans la répétition qui ne se répète pas de certaines expressions, de certains mots, voire de certains syllabes ou voyelles.1410

Nous pouvons appréhender cette définition du rythme dans les poèmes de Senghor, en occurrence dans « Poème liminaire » d'Hosties noires :

Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort

Qui pourra vous chanter si ce n'est votre frère d'armes, votre frère de sang ?

[...]

Qui pourra vous chanter si ce n'est votre frère d'armes, votre frère de sang

Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude, couchés sous la glace et la mort ? (Po : 53-54)

Le rythme, dit Léopold Sédar Senghor,

Ce n'est pas une « répétition monotone » d'un vers, d'une expression, d'un mot,

d'un son. C'est la reprise d'une idée-sentiment pour intensifier l'expression par effet de surprise - qu'on attendait et n'attendait pas1411.

1408 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 161

1409 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 396

1410 Léopold Sédar SENGHOR, « La culture africaine », op. cit., p. 6

1411 Léopold Sédar SENGHOR, « La Négritude métisse », Postface à Poème d'Édouard Maunick, Présence

Africaine, Paris, 2001, p. 323

442

Il est l'élément vital du langage quotidien, et la condition première de la parole poétique. C'est un révélateur de la langue.

Le rythme, selon toujours Senghor, est construit par la présence de trois accents à intervalles réguliers ou non sur des syllabes, des mots ou des phonèmes d'un énoncé (rythme ternaire). Cette idée est mise en évidence dans l'un de ses poèmes intitulé « LE KAYA-MAGAN » :

Car je suis les deux battants de la porte, rythme binaire de l'espace, et le troisième temps

Car je suis le mouvement du tam-tam, force de l'Afrique future. (Po : 103)

Cependant, il préconise le rythme asymétrique. Ce rythme n'est ni binaire ni ternaire, mais les deux à la fois. Il est un élément de caractérisation de la poésie francophone. Dans cette poésie, les mots doivent danser ensemble au rythme du tam-tam, du hautbois ; ils doivent faire l'amour, reins contre reins, pour devenir parole poétique, voire musique, estime Senghor1412 :

[La parole poétique] possède une vertu magique, mais aussi dans la seule mesure où elle est rythmée, devient poème. Or, toute parole sociale, toute parole solennelle est rythmée [...] et toute parole rythmée devient musique, s'accompagnant souvent d'instrument de musique [...]. La musique ne peut être dissociée de la parole. Elle n'en est pas qu'un aspect complémentaire, elle lui est consubstantielle [...]. La musique ne peut non plus se concevoir sans le geste, sans danse [...]. Ni la danse sans la peinture et la sculpture.1413

Nous comprenons ici que le rythme doit être le « fruit de l'intuition et de l'expérience plus que la raison discursive »1414, puisqu'il engendre la musique, et la musique à son tour la poésie. Par conséquent, la poésie francophone doit être chantée. Elle devient ainsi chant, sinon musique1415. Et Senghor avance également que

Le rythme, pour y revenir, est l'élément le plus vital du langage : il en est la condition première, et le signe [...]. Le rythme explique que la plupart des poèmes soient faits pour être déclamés ou chantés [...]. Sa seule loi est d'être un accompagnement à l'émotion comme la batterie d'un jazz [...]1416.

La poésie francophone, soutient Senghor, doit être de la vraie musique engendrée par l'emploi escient du rythme. En cela, il rejoint Eustache Deschamp (L'Art de dictier, XVIe siècle), Pierre

1412 Léopold Sédar SENGHOR, « La Négritude métisse », op. cit., p. 305

1413 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté I, op. cit., p. 241

1414 Idem., p. 165

1415 Léopold Sédar SENGHOR, « Comme les lamantins vont boire à la source », op. cit., p. 165

1416 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté I, op. cit., pp. 111-112

443

de Ronsard (L'abrégé de l'art poétique, XVIe siècle), Victor Hugo (Préface de Cromwell, 1827, XIXe siècle), Paul Verlaine (« Art poétique », Jadis et Naguère, 1884, XIXe siècle), Stéphane Mallarmé (Quart au livre, 1895, XIXe siècle), Henri Bremond (La poésie pure, 1925, XXe siècle) et Paul Claudel (Réflexions et propositions sur le vers, 1925, XXe siècle).

La poésie, sans les voix, n'est nullement agréable, non plus que les instruments sans être animés de la mélodie d'une plaisante voix (Pierre de Ronsard). À en croire Senghor, la poésie francophone est « de la musique avant toute chose »1417, et la grande règle veut qu'elle soit agréable avec des paroles plaisantes au coeur et à l'oreille. La poésie - et surtout la poésie francophone - est liée à la musique ; elle doit être chantée, car elle est une clameur. À cet effet, Léo Ferré dit que

La poésie est une clameur, elle doit être entendue comme la musique. Toute poésie destinée à n'être que lue et enfermée dans sa typographie n'est pas finie ; elle ne prend son sexe qu'avec la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l'archet qui le touche1418.

C'est cela la poésie du XXIe siècle, et Senghor n'affirme pas le contraire, car chez lui le poème n'est accompli que s'il se fait chant, parole et musique en même temps. De ce fait, nous pouvons dire que le poète francophone est héritier d'une longue tradition poétique qui privilégie la musicalité et le rythme. Il accorde de l'importance au rythme qui donne la mélodie à son poème où l'allitération, l'assonance, la répétition jouent un rôle majeur, comme dans les anciennes poésies celtiques, germaniques et négro-africaines, dans la parole poétique qu'il crée, afin que son poème soit parole plaisante au coeur et à l'oreille. Autrement dit, le rythme est au centre de la poésie francophone. Et ce rythme est issu des traditions orales africaines, de la transe des tams-tams, et de la métrique française.

Le rythme est métissé et se caractérise par la nomination, des procédés sonores (assonances, allitérations), la répétition et des images analogiques (personnification, allégorie, rejet...). La nomination sera illustrée par un extrait de « L'homme et la bête » :

Je te nomme Soir ô Soir ambigu, feuille mobile je te nomme Et c'est l'heure des pleurs primaires, surgies des entrailles d'ancêtres. (Po : 97)

Pour les procédés sonores, le rythme est assuré par l'emploi de l'assonance et de l'allitération. Nous avons pour l'assonance cet extrait de « Que m'accompagnent koras et balafong » :

1417 Paul VERLAINE, « Art poétique », Jadis et Naguère, 1884, p. 16

1418 Léo FERRÉ, « À l'école de la poésie », Poète...vos papiers, 1956 (Préface, oeuvre musicale)

444

Mais toutes les hymnes chantés, toutes les mélopées déchirées par la trompette bouchée

Toutes les joies dansées oh !toute l'exultation criée. (Po : 33)

L'allitération, quant à elle, sera mise en évidence par cet extrait de « L'absente » :

Les mots s'envolent et se froissent au souffle du Vent d'Est comme les monuments des hommes sous les bombes soufflantes

Mais le poème est lourd de lait et le coeur du Poète brûle un feu sans poussière. (Po : 113)

La répétition, dans la poésie francophone, en particulier chez Senghor, crée une sorte de parallélisme asymétrique, voire d'oppositions binaires ; elle est également une sorte d'anaphore, de palillogie, d'antépiphore et de polysyndète. Nous avons, par exemple, pour : - Le parallélisme/oppositions binaires (un extrait de « LE KAYA MAGAN ») :

Je dis KAYA MAGAN je suis ! Roi de lune, j'unis la nuit et le jour

Je suis Prince du Nord du Sud, du Soleil-levant Prince du Soleil-couchant (Po : 102)

- La construction symétrique (un extrait de « Au gouverneur Éboué ») :

Ébou-é !tu es le Lion au cri bref, le Lion qui est debout et qui dit non !

Le Lion noir aux yeux de voyance, le Lion noir à la crinière d'honneur (Po : 72)

- L'anaphore : répétition des mêmes mots en tête de vers ou de verset (un extrait de « Chant de printemps ») :

Écoute le bruissement blanc et noir des cigognes à l'extrême de leurs voiles déployées

Écoute le message du printemps d'un autre âge d'un autre continent

Écoute le message de l'Afrique lointain et le chant de ton sang ! (Po : 83)

- La palillogie : répétition des mots sans conjonction de coordination (un extrait de « Luxembourg 1939 ») :

Sans flâneurs sans eaux, sans bateaux sur les eaux, sans enfants sans fleurs. (Po : 63)

445

- L'antépiphore : répétition de la même formule ou du même vers dans les positions variées, par exemple, au début du poème et à la fin du poème ou d'une période ou d'une strophe. (un extrait de « Poème liminaire ») :

Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort

[...]

Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude, couchés sous la glace et la mort ? (Po : 53-54)

- La polysyndète (un extrait de « Lettre à un prisonnier ») :

Vous ignorez les restaurants et les piscines, et la noblesse au sang noir interdite

Et la science et l'Humanité, dressant leurs cordons de police aux frontières de la négritude. (Po : 81)

Quant aux images analogiques, nous verrons seulement la personnification. Celle-ci est mise en évidence dans l'extrait ci-dessous :

New York ! je dis New York, laisse affluer le sang noir dans ton sang

Qu'il dérouille tes articulations d'acier, comme une huile de vie Qu'il donne à tes ponts la courbe des croupes et la souplesse des lianes. (Po : 115)

Dans cet extrait, nous y trouvons, également, la comparaison, le rejet, et l'allégorie. C'est un ensemble, une symbiose d'images analogiques.1419 Cette symbiose d'images montre que « toute parole [chez Senghor] est enceinte d'images analogiques »1420, et ceci donne du rythme au poème élaboré, c'est-à-dire son sens et sa signification. Sans vouloir être exhaustif, nous nous permettons de nous arrêter sur ces quelques caractéristiques du rythme chez Senghor. L'art subtil avec lequel il introduit les éléments rythmiques de la poésie négro-africaine dans son écriture, l'habilité avec laquelle il les mêle aux éléments rythmiques de la poésie française, montre que le rythme participe de fort manière à l'élaboration du poème, et il est celui également qui fait du poème musique. Il est une organisation du sens dans le discours poétique.

La poésie francophone est, par conséquent, une poésie authentique, parce que « la poésie, dans son essence même, n'est pas seulement liée à la musique, mais fait corps avec elle. »1421 Elle renvoie aux catégories du son, des structures grammaticales, syntaxe y compris.

1419 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 390

1420 Idem., p. 392

1421 Paul FRIEDRICH, « Mythes, poésie et musique (dans les grands mythes-poèmes) », op. cit., p. 106

446

Elle devient la musique de la langue, un artéfact rendant la langue poétique, autrement dit un langage rythmé qui nous ramène aux mythes - parce que le mythe est un ensemble, une symbiose d'images analogiques1422 -, soit en créant de nouveaux, soit en reprenant les anciens ; mais toujours est-il qu'elle les charge de nouvelles images et, partant, de nouvelles significations. Le rythme produit l'image poétique, « [...] fait la parole verbe et image, je veux dire symboles, les phénomènes prosaïques de notre vie quotidienne »1423 des mythes.

La poésie francophone, c'est aussi son aspect mythique. Les mythes sont également l'une des caractéristiques de cette poésie-vision, comme la désigne Léopold Sédar Senghor. Elle est l'expression d'un mythe ancien ou actuel :

De nouveau, ce qui me frappe, chers Amis, dans nos vies, dans nos consciences, dans nos âmes parallèles, c'est, avec l'inspiration, dont je vais parler maintenant, notre commune fidélité à nos idées-sentiments, à ces images archétypes surgies de l'expérience personnelle comme de la conscience ancestrale, que l'on nomme « mythe ».1424

En réalité, Senghor ne conçoit pas la poésie comme un mythe. Il ne dit pas que la poésie est un mythe, au contraire, il dit comment le poète a recours au mythe pour dire sa poésie. Voyons à présent sa définition du mythe :

Mais qu'est-ce qu'un mythe ? Pour les dictionnaires, c'est d'abord, un « récit fabuleux d'origine populaire », faisant vivre des êtres - dieux, hommes, animaux, plante, phénomènes - qui symbolisent des forces de la nature ou des aspects de la condition humaine. Mais n'oublions pas de noter qu'il y a des mythes modernes, voire contemporains, qui ont pour objets un homme vivant, un fait actuel : la Deuxième guerre mondiale, de Gaulle, Churchill, la Bombe atomique, Carter, Brejnev, etc.1425

De cette définition, nous voyons que Senghor affirme qu'il existe des mythes contemporains qui diffèrent par leur conception définitionnelle des mythes définis par les dictionnaires. Pour lui,

[...] si l'on prend le mot au sens étymologique du mot, au sens grec, et non pas au sens du XXe siècle [...], le mythe était une histoire symbolique traduisant une réalité essentielle, tandis que, pour les modernes, le mythe, c'est seulement une apparence et, pour dire, une illusion.1426

1422 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 390

1423 Léopold Sédar SENGHOR, Liberté 1, op. cit., p. 176

1424 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 385

1425 Idem., p. 382

1426 Daniel GARROT, Léopold Sédar Senghor critique littéraire, NEA, Dakar, 1978, p. 148 (Réponse de son

excellence monsieur le président Léopold Sédar Senghor au questionnaire que lui avait adressé l'auteur).

447

Ce qui signifie qu'il y'a une différence entre mythe en tant que récit fabuleux, histoire symbolique et mythe en tant que moderne. À l'en croire, le poète doit être capable de rendre les événements ou les phénomènes, voire les êtres vivants en mythe, c'est-à-dire en histoire symbolique traduisant une réalité essentielle. En d'autres mots, il préconise que le poète se doit de fabriquer des mythes, parce que, selon lui, un poète authentique est celui qui chante les mythes.1427 La poésie devient ainsi le lieu privilégié pour l'expression et l'utilisation du mythe. C'est pourquoi, chez lui, les mythes s'orchestrent autour des figures de la Reine de Saba, de Chaka, de Kaya-Magan, de Taga de Mbaye Dyob, des Tirailleurs sénégalais, d'Aynina Fall, de Martin Luther King, de Georges Pompidou, de la princesse de Belborg...

Cependant, il existe une opposition entre les deux, c'est-à-dire entre la poésie et le mythe, comme l'affirme Irène Gayraud :

À première vue, mythe et poésie s'opposent sur des points déjà maintes fois analysés par les structuralistes, anthropologues ou sémioticiens de tous pays. Tout d'abord, le mythe est avant tout un récit, une narration, alors que la poésie s'affranchit souvent du narratif au profit d'une dimension beaucoup plus verticale. Ensuite, le poème est immuable, un objet parfait dans sa forme, et difficilement traduisible dans une autre forme, alors que le mythe n'a pas de forme (il n'a que des structures), il change sans cesse, n'est pas fixé dans un seul texte primordial. La poésie est dépendante du langage, alors que le mythe est sens pur, symbole, qui se détache d'un texte figé.1428

Bien qu'elle montre la différence qui existe entre la poésie et le mythe, elle affirme que le mythe est symbole, or chez Senghor, la poésie se veut aussi symbole. Ce qui suppose qu'il y a, en fait, une relation de complémentarité, de correspondance entre la poésie et le mythe, car tous deux sont un discours symbolique, codé, qui doit être déchiffré pour être entendu. Si en théorie, le mythe et la poésie diffèrent radicalement l'un de l'autre, c'est sur un seul aspect, celui de la musicalité.1429 En fait, la poésie est musique, et le mythe ne l'est pas. En pratique, le mythe comme la poésie aborde, explicitement ou implicitement, et rend plus intelligibles, les ramifications de la vie sociale et psychologique, engage des problèmes sociaux profonds et souvent irrémédiables, l'inconnu, l'étrange et la métaphysique, ainsi que des protagonistes surhumains. De ce fait, le mythe a un lien avec la poésie, car des héros mythiques ont été utilisés par les poètes dans leur création poétique. Jean-Louis Joubert ne dit pas le contraire :

1427 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 383

1428 Irène GAYRAUD, « Pourquoi des mythes en poésie ? », Pupilles d'encre, 28 juin 2010. Disponible sur https://irenegayraud.wordpress.com/2010/06/28/pourquoi-des-mythes-en-poesie/ (Consulté le 03/08/2018)

1429 Paul FRIEDRICH, « Mythes, poésie et musique (dans les grands mythes-poèmes) », op. cit., p. 100 et p. 106

448

Mythe et poésie semblent présenter des affinités plus constantes. Toutes les collectivités humaines recourent à des mythes, c'est-à-dire, au sens propre, à des récits fabuleux, histoires de dieux ou de héros légendaires, qui sont tenus pour vrais par les sociétés qui racontent bien que leur caractère de fiction éclate aux yeux de tous.1430

Partons d'une autre définition du mythe pour mieux mettre en évidence le rapport de correspondance entre la poésie et le mythe. C'est celle de Sandra Glatigny :

Suivant les travaux de Mircéa Eliade et du formaliste André Jolles, on peut définir le mythe comme un récit, à l'origine oral et anonyme, universel et atemporel qui répond aux interrogations humaines de telle sorte qu'il admet plusieurs niveaux de lecture, du plus concret et littéral au plus abstrait et symbolique1431.

».1433

Qu'en est-il de la poésie, dans ce cas présent ? La poésie comme la prose poétique se distingue par la densité et l'intensité des figures et des images, par son grand pouvoir figuratif. Elle s'interroge sur la condition humaine et admet également plusieurs niveaux de lectures. Pour nous convaincre, prenons comme exemple l'épopée. L'épopée est, à la fois, un poème et un récit fabuleux où le merveilleux se mêle au vrai, la légende à l'histoire et dont le but est de célébrer un héros ou un grand fait afin d'éduquer l'homme. Raison pour laquelle, Sandra Glatigny laisse entendre que « l'épopée est un vecteur du mythe qui s'en nourrit et prolonge les archétypes »1432, puisque l'épopée peut être appréhendée comme un poème (épique). En d'autres mots, cela sous-entend que la poésie est un porteur de mythes. Paul Friedrich affirme, à juste titre, que « [...] tous les grands poèmes sont informés et régis par les mythes [...]

On comprend que le mythe donne une forme, une structure, une signification à la poésie, détermine la grandeur de la poésie ou ce que devrait dire la poésie. Pierre Renauld corrobore nos propos en ces termes :

Pour les romantiques allemands, la poésie est mythologique en son essence, et

Frédéric Schlegel réclamait la formation d'une nouvelle mythologie comme condition préalable au renouvellement de la poésie1434.

Léopold Sédar Senghor s'inscrit dans la même logique que Frédéric Schlegel en disant que la mission du poète est de refaire et de parfaire la création poétique avec des images symboliques, archétypes ou actuelles, c'est-à-dire avec des mythes.1435 En fait, Senghor affirme que la poésie

1430 Jean-Louis JOUBERT, La Poésie, Paris, Armand Colin, 2006, p. 16

1431 Sandra GLATIGNY, « Le mythe comme forme du poétique persien », Questions de style, n° 4, 2007, p. 14

1432 Idem., p. 14

1433 Paul FRIEDRICH, « Mythes, poésie et musique (dans les grands mythes-poèmes) », op. cit., p. 113

1434 Pierre RENAULD, « Mallarmé et le mythe », Revue d'Histoire Littéraire de la France, 73e Année, No. 1

(Jan. - Feb. 1973), p. 48

1435 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 386

449

francophone est mythopoétique1436, autrement dit une fabrique de mythes, qui n'est autre que le caractère sacré de la parole poétique. Cette poésie doit être comprise ici comme un mécanisme de transposition (réécriture, mention, allusion) intégrant, à la fois, des formes discursives et des formes de pensée tout en incorporant dans le texte des mythes archétypes ou actuels qui serviront à façonner l'être humain moralement, spirituellement et intellectuellement. Senghor argue que le mythe participe à une vision ontologique :

Le mythe, lui, est un ensemble, une symbiose d'images analogiques - de comparaisons, encore plus, de métaphores -, liées par leurs qualités, je veux dire leurs sens, parce que participent toutes à l'expression d'une vision intuitive : ontologique1437.

L'apport des mythes dans la poésie est d'arriver à l'expression, non pas la plus expressive, mais la plus parfaite, parce que la plus humaine, qui plaise, à la fois, au coeur et à l'oreille, afin de dire l'indicible d'une vision neuve de l'univers et d'une création panhumaine. C'est la raison pour laquelle, il exige la présence des mythes dans la poésie francophone ou que cette poésie soit une fabrique de mythes. Autrement dit, il n'y a pas de poésie francophone s'il n'y a pas d'absolue création de mythes.

Léopold Sédar Senghor n'a pas présenté les contours de la poésie francophone, parce que cette poésie se nourrit de tous les apports poétiques venant de tous les horizons du monde. Cependant, il nous en a fourni ses caractéristiques, qui se résument en quatre : Une poésie ontologique (poésie humaine), Une poésie rythmique (la parole poétique), Une poésie symbolique (l'utilisation de symboles et d'images analogiques), Une poésie mythopoétique (dans le sens de fabrique de mythes). De ce fait, nous disons que la poésie francophone est essentiellement symbolique, et fondée sur le chant de la parole incantatoire, et construite sur l'espoir de créer une Civilisation de l'Universel, fédérant les traditions poétiques et culturelles par-delà leurs différences. Elle est parole imagée, parole sensible, voire sensuelle et concrète, parole musicale et rythmique dans une harmonie, dans l'accord établi entre le symbole, la musique et le mythe pour l'éducation et le bien-être de l'espèce humaine. Ces quatre caractéristiques sont inhérentes à la poésie francophone. Elles s'imbriquent les unes des autres,

1436 Véronique GÉLY, Pour une mythopoétique : quelques propositions sur les rapports entre mythe et fiction. Disponible sur http://www.vox-poetica.org/sflgc/biblio/gely.html (Consulté le 03/08/2018)

1437 Léopold Sédar SENGHOR, « Dialogue sur la poésie francophone », op. cit., p. 390

450

et forment un tout indissociable créant ainsi un langage si nouveau et agréable à l'ouïe. Elles en sont l'empreinte indélébile. Cependant, elles sont laissées à la portée du poète.

C'est le poète qui choisit ou qui détermine ce qui doit être rythme, symbole, mythe dans sa poésie, et il ne doit pas oublier que son objectif est l'homme. Ce qui est rythme, symbole ou mythe dans la poésie senghorienne n'est pas le même chez Césaire ou chez Alain Bosquet. Néanmoins, tous les poètes se rencontrent, parce qu'ils font la même poésie qui se veut ontologique, rythmique, symbolique et mythopoétique. En fait, la poésie francophone use de la stupéfiante image dans un accord harmonieux du rythme et de la mélodie tout en s'imprégnant du mythe. La verve poétique francophone doit revêtir une fonction unificatrice, créatrice, et de synthèse des traditions africaine et européenne. Elle est identifiée à une vaste dynamique d'éléments significatifs.

Le poète francophone, parce qu'il fait partie de la société et héritier de plusieurs traditions poétiques, est appelé, par son oeuvre, à parler au coeur et aux sens (sensoriels et sensuels) de l'homme en lui apportant un enrichissement émotionnel et spirituel tout en prenant en charge l'Histoire du peuple. Il est celui qui doit faire danser également les mots entre eux, faire chanter la phrase (vers ou verset) selon un rythme, les redonner leurs sonorités et leur beauté en créant ou en actualisant des mythes dans un langage poétique, qui doit aller vers l'inconnu, rechercher l'inédit afin d'élargir la pensée et la faire naître. Par son art, il doit être proche des dieux et des hommes afin d'ouvrir les yeux de ses compatriotes sur le monde qui les entoure pour qu'ils agissent. C'est le rôle du poète francophone, et la caractéristique première de son art (la poésie francophone). Ainsi, la poésie francophone, selon Senghor, est hautement humaine.

Appréhender la poésie francophone reste encore un sujet à caution et complexe. Nous avons, à travers la poésie senghorienne, essayé de mettre à nu quelques éléments définitionnels de cette poésie. Pour Senghor, la poésie francophone est tributaire de plusieurs traditions poétiques (littéraires) des pays qui font un usage habituel du français sans être forcément de culture ou de nationalité françaises, sans même les accepter. Elle est élaborée par des individus qui veulent apporter leur expertise au service d'une langue qui leur est en partage. Elle s'enracine également dans la tradition poétique française du XVIe siècle avec la Pléiade pour s'ouvrir aux autres traditions poétiques, telles que la poésie traditionnelle négro-africaine, antillaise. Elle est une poésie métisse, et elle a pour précurseurs Mallarmé, Rimbaud,

451

Lautréamont, Claudel, Péguy, Baudelaire, Hugo, Breton, Perse, et viennent Césaire, Damas et Senghor avec ses amis Bosquet, Renard, Pierre Emmanuel et Édouard Maunick. Cette poésie est la forme achevée et accomplie de la poésie française. Elle est aussi une poésie universelle et humaniste, ouverte aux pollens culturels de toutes les civilisations du monde au service du rayonnement de la langue française, et soucieuse du sort de l'humanité. Elle doit son existence à des origines et idéologies différentes. Elle est également une poésie hétérogène, composée d'éléments de natures différentes.

Pour répondre à la question qui nous est posée, à savoir qu'est-ce que la poésie francophone, nous disons qu'elle est tout simplement une poésie française transmutée par sa rencontre avec d'autres cultures différentes de la culture française. Ce qui implique l'idée de la diversité dans l'unité. Cela veut dire que la poésie francophone est la symbiose, voire la rencontre d'un ensemble d'expériences, de concepts, d'univers culturels disparates et divers : la Francité, la Négritude, la Créolisation, la Créolité, la Littérature-monde, etc. Elle est le reflet de l'unité poétique dans la diversité poétique. Le dénominateur commun de ces différents concepts est la quête inlassable d'une poétique universelle dans une langue française qui ne cesse d'être fécondée par la création personnelle des poètes, influencés eux-aussi par divers cultures. Ce qui signifie que la poésie francophone est une poétique universelle à la réalité diversifiée (contours diversifiés) qui se veut un creuset poétique dans lequel on y trouve des apports culturels de tous les horizons.

En parlant de la diversité, nous faisons allusion à la capacité qu'a cette poésie de se nourrir des grandes poétiques des siècles et des générations passées tout en les restituant dans une nouvelle tradition poétique qui se veut universelle, grâce au génie du poète et à celui de la langue française qui ne cesse d'être façonnée à la guise des poètes. La poésie francophone devient ainsi le lieu de rencontre de tous les poètes de langue française de tous les pays qui font usage du français. Elle est un espace, espace d'expression de soi, d'accueil du monde et de l'autre ; mieux, elle est dialogue interculturel. Elle se veut également jeu de renvoi à d'autres textes en refusant tout plagiat. La spécificité de cette poésie est d'être un tout en un. En fait, elle est due à l'ambition des négritudiens qui voulaient une poésie authentiquement nègre sans qu'elle ne renonce pas, pour autant, à être française. Elle est une poésie, à la fois, nègre et française dont les bases furent jetées par Arthur Rimbaud au travers de son oeuvre poétique Une saison à l'enfer. Elle est également une poésie humaine, musicale, symbolique et mythique.

L'élaboration de cette poésie doit mettre l'accent sur le devenir de l'homme, le rythme, la mélodie, le symbole et le mythe. Le poète francophone doit être un artisan de la parole poétique, une parole enrichie de symboles et de mythes, et plaisante au coeur et à l'oreille. Bien

452

que la poésie francophone soit une poésie éducative et révolutionnaire, elle est aussi une combinaison de sonorités, de rythmes, de mots dans le but d'évoquer des images, d'exprimer des sensations, des émotions, des réflexions, des visions, de créer une expérience sensorielle, sensuelle et ontologique. Elle est une poésie didactique, lyrique, mythologique, symbolique et ontologique. Elle est apte à produire quelque chose de fondamentale, émouvante, et par conséquent, à métamorphoser tout ce qu'elle atteint. Elle se veut parole, signe de reconnaissance entre les êtres et les choses, qui ne sépare pas la pensée de l'action, l'esprit de l'âme, ni celle-ci du corps. Le but de cette poésie est de posséder la vérité dans une âme et un corps. Elle est cette symbiose de l'âme et du corps, cette greffe du verbe dans la chair et le sang.1438 Elle est une poésie mystique. La poésie francophone est dite mystique, car elle est susceptible d'établir un lien entre l'invisible et le visible. Elle a donc une fonction de cacher en révélant. En effet, « [c]acher n'est pas une fin en soi et contient, implique le fait de révéler. La parole fonde ainsi l'initiation dans la nécessité. »1439

En définissant la poésie, en montrant qu'elle est unité dans la diversité, et en présentant ses caractéristiques, nous sommes arrivé à la conclusion qu'elle est une poésie hautement symbolique, parce qu'elle est tout simplement une vision du monde. Elle ne se conçoit que dans la saisie d'une vision ontologique, car elle engage tout l'homme et tout l'univers. Elle exprime toute forme de vie intérieure à l'homme et toute forme de vie extérieure à l'homme. En exploitant toutes les ressources de la langue française, le poète francophone invente sans cesse et chaque jour un nouveau langage accessible à tous les sens, où les mots ont plus de sens et densité que dans leur usage habituel ; où les mots sont des symboles, des images analogiques qui surgissent sous l'effet du rythme de l'incantation, afin d'établir la communication avec autrui, mais aussi de se libérer.

La poésie francophone serait une vraie poésie, car elle fait référence à la création poétique qui prend en compte les mythes ; au langage poétique où parole, chant, musique s'identifient et se rencontrent ; à l'homme, parce que le poète a une connaissance aiguë du monde et des hommes pour créer un nouvel univers et pour forcer ses compatriotes à réagir. Elle est une poésie métisse et pleinement ontologique. Mieux, elle est une poésie « [...] qui se veut une poésie en action, verbe agissant, libérateur ».1440

1438 Gaston BACHELARD, La poétique de l'espace, op. cit., p. 13 (La poésie est une âme inaugurant une forme).

1439 Cf. Dialogue sur la poésie francophone (op. cit.), p. 389

1440 Bekir TAHAR, « Le poème digne et fraternel », Cultures Sud. Poésie, grandes voix du sud, n° 164, Paris, Janvier-Mars 2007, p. 9

453

La Francophonie dans son acceptation ne peut être qu'une conception répondant à la problématique identitaire chez Léopold Sédar Senghor. Il a toujours été question d'identité chez lui avec le concept de Francophonie, car il fallait exprimer et affirmer ce qu'il était réellement : métis culturel. Pour mettre cela à nu, nous avons d'abord montré l'existence d'une quête identitaire rhizomique, puis révélé la volonté de se constituer une identité, et pour finir, nous avons abordé la question même de l'identité francophone. Une telle démarche nous a forcément amené à nous interroger sur la poésie francophone. Tels sont les points abordés dans cette dernière partie du travail.

Pour élucider l'identité rhizomique chez Senghor, nous avons fait appel à la thèse de l'ancêtre portugais et des sangs mêlés. Il est ressorti que Senghor se révèle être lui-même un mélange de différentes influences sanguines, du fait qu'il soit un métis biologique. En fait, il argue qu'il a, à la fois, des ancêtres originaires d'Europe et d'Afrique. Son argumentaire est basé sur les liens sanguinolents. Chez lui, le sang est l'élément palpable et consubstantiel à l'identification de l'individu. Autrement, le sang est la meilleure carte d'identité de l'individu. Il permet de déterminer la filiation génétique et biologique de l'individu, d'établir des relations parentales et des liens affectifs entre des personnes de la même famille, et de produire un mélange de race. L'identité rhizomique chez Senghor est un processus biologique correspondant à la naissance d'une nouvelle identité mixte, métisse. Cette identité mixte est basée sur une relation consanguine. Au travers de l'identité rhizomique, Senghor justifie par-là que l'identité d'une personne n'est pas unique, mais plurielle, composée d'éléments divers parmi lesquels le sang serait un composant indubitable.

Ayant découvert ses origines rhizomiques (des ancêtres à la fois en Europe et en Afrique), il se voit être au carrefour de deux cultures : la culture africaine et la culture européenne. Il est de l'entre-deux. Pour exprimer sa propre identité, il s'en constitue une, en procédant à l'acculturation. Il se révèle également être un mélange de différentes influences culturelles. Ce qui signifie qu'il se dit être un métis culturel, car l'identité de l'entre-deux est l'identité d'une personne métisse. Elle est moitié-moitié. Autrement dit, Senghor se considère comme le trait d'union entre la race blanche et la race noire. Avec l'identité de l'entre-deux, il se présente comme celui qui unit deux mondes antagonistes, et par ailleurs, affirme son appartenance à l'Afrique et à l'Europe. Il enrichit les deux continents en ouvrant l'un aux possibilités de l'autre. En fait, l'identité de l'entre-deux est aussi l'identité d'une personne écartelée entre deux cultures, deux langues, deux continents. Elle est également l'identité

454

résignée ou refuge. Cependant, chez Senghor, cette identité dépasse le cadre même de l'entre-deux, puisqu'il s'agit pour lui de s'acculturer, de se construire une identité. C'est cette identité que nous avons appelée identité acculturée. Cette identité reflète la situation d'une personne décomplexée qui assume sa situation de l'entre-deux culturel en l'exprimant sans renier l'une ni l'autre. Il s'agit d'exprimer une identité dans un accord harmonieux de plusieurs éléments identitaires de différentes cultures en contact. Dans le cas de Senghor, il est question d'exprimer sa situation de l'entre-deux culturel, mieux de métis culturel. En d'autres termes, Senghor accepte d'assumer son identité francophone. Cette identité francophone ne se conçoit que dans la saisie des valeurs humanistes et culturelles de la Francophonie.

Pour expliciter l'identité francophone, nous avons mis en évidence l'identité humaniste et culturelle de Léopold Sédar Senghor. L'humanisme en Francophonie est une conscience de soi en tant qu'une personne qui vit les valeurs de la Négritude et de la Francité pour soi, pour les autres et pour les faire vivre par les autres tout en les actualisant au besoin avec l'apport de tout un chacun. Ce qui signifie que la Francophonie est un projet permettant de façonner l'homme. Autrement dit, être Francophone, c'est se soucier de l'homme, être un humaniste.

L'identité humaniste du Francophone est une sorte d'allocentrisme, une sorte de réponse à l'allophobie. Il s'agit de vouloir rendre plus humain l'homme en commençant par l'acceptation des différences tant au niveau de la religion, de la race, de l'ethnie, de la politique que du sexe. C'est-à-dire, accepter l'autre dans sa différence et dans sa diversité pour converger vers la Civilisation de l'Universel, vers une société panhumaine. Le Francophone doit manifester son amour pour l'humanité sur tous les plans. Il doit se préoccuper du bien-être de l'homme dans tout ce qu'il fait, mieux de sa communauté.

Le Francophone n'est pas seulement un humaniste, il est aussi un homme de culture. Il a une identité culturelle, acquise par l'essence de la conception senghorienne de la Francophonie. Cette identité n'est pas à confondre avec l'identité de la culture, car la culture n'a pas d'identité. En effet, elle est le substrat d'une identité culturel. Cette identité culturelle est d'ailleurs le mythe personnel de Senghor. D'ailleurs, il se définit comme un homme de culture, voire un poète francophone. Le Francophone est toute personne appartenant ou se considérant appartenir au moins à deux cultures d'au moins de deux peuples dont la langue française enrichie par des particularismes de ces cultures en dialogue est la langue nationale ou la langue de communication. Mieux, le Francophone est ce métis biologique ou culturel qui parle français fécondé par des apports linguistiques d'autres aires culturelles et linguistiques, et qui assimile la culture de l'autre sans pour autant renier sa propre culture.

455

L'identité francophone est une identité de compromise. Elle est également le sentiment de se savoir proche de l'autre, de se faire comprendre, entendre et échanger des idées, se savoir accepter comme humain sans être taxer d'étranger. C'est ce sentiment d'être uni en soi comme un être complet et d'affirmer l'unité de son moi divisé auparavant, et de fraterniser avec de milliers de personnes répandues à travers le monde par le biais de la culture et de la langue.

Avec notre dernier chapitre, nous avions abordé la poésie francophone. Il s'agissait de définir cette poésie et de donner ses contours et ses caractéristiques voire de construire une poétique de la poésie francophone au regard de Senghor. Il est ressorti qu'il est difficile de délimiter cette poésie dans la mesure où ses composantes sont multiples et diverses. Cependant, il est à noter que cette poésie est élaborée par des poètes de nationalités différentes qui veulent apporter leur contribution à la poésie et à la langue françaises. Raison pour laquelle, Senghor a dit que cette poésie s'enracine dans la tradition poétique française pour s'ouvrir aux autres traditions poétiques. Mieux, elle est avant tout une poésie faite par des poètes de tempéraments différents, et de diverses nationalités.

La poésie française, vers d'autres traditions poétiques, va alors rencontrer la poésie traditionnelle négro-africaine. Ce n'est pas seulement la poésie africaine qu'elle rencontre, mais aussi la poésie antillaise, martiniquaise, et bien d'autres poésies. Autrement dit, elle rencontre la Négritude, la Créolisation, la Créolité, la Littérature-monde. Cette poésie se conçoit dès lors comme l'assemblage de différentes aires poétiques et culturelles, chacune porteuse de ses spécificités, et participant à l'édification d'un modèle francophone, voire d'un exotisme francophone, dans le but d'une création d'une société panhumaine. Cette poésie est conforme à la poésie française. Elle se veut également une poésie universelle qui ne soit pas organisée seulement à la française, mais aussi, selon les tempéraments de chacun. Chaque poète francophone doit être enraciné dans sa culture, et chanter les mêmes substances et de manière identique, voire convergente. Ce que nous retenons de la poésie francophone est le fait qu'elle soit une poésie métisse et pleinement ontologique.

Au terme de notre argumentaire, nous pouvons dire que l'identité francophone est complexe et ambivalente, voire plurielle. Elle reflète la situation des personnes qui sont à la croisée de plusieurs cultures : des personnes de l'entre-deux, des personnes métisses, à la fois, biologiques et culturelles ; des personnes qui font une comprise entre l'identité culturelle d'origine et celle de leur pays d'accueil ; des personnes qui ont choisi d'écrire en français ; des personnes solidaires qui ont choisi de partager les mêmes passions avec d'autres personnes par le biais de la culture et de la langue. N'oublions pas également que l'identité francophone repose sur des valeurs d'ordre humaniste et culturel. Quant à la poésie francophone, elle est

456

ontologique, rythmique, symbolique et mythopoétique ; et elle porte l'empreinte d'une quête identitaire, parce qu'elle est faite par des poètes qui sont à la croisée de deux ou plusieurs cultures. En d'autres mots, elle hautement humaine.

457

CONCLUSION

Les différentes définitions et le manque de théorie réelle en Francophonie autorisent les interprétations diverses, et les usages les plus multiples, permettant, ainsi, une méconnaissance de ce que devrait être exactement la Francophonie. De nombreuses études ont tenté de la légitimer, voire de la rendre plus explicite, sans vraiment convaincre. Elle cherche à se doter d'un véritable fondement théorique qui fera l'unanimité de tous ; et pourtant il continue d'exister un désaccord chez les personnes censées être Francophones. Les avis et les conceptions sont partagés. Il fallait de nouvelles pistes de réflexions ou actualiser celles déjà faites pour mieux la cerner. C'est dans cette logique que s'est inscrite notre étude dont le thème est « La Francophonie et son expression dans la poésie de Léopold Sédar Senghor ». Comme le mentionne le thème de notre étude, il était question d'observer comment la poésie de Senghor met en évidence le concept de Francophonie. Mieux, il s'agissait d'étudier son fonctionnement dans l'oeuvre de celui qui l'a plus plébiscitée. Par ailleurs, il s'agissait, également, de savoir qui peut être appelé Francophone, et, aussi, de définir les caractéristiques de la poésie francophone.

Pour cela, il fallait avoir une définition exacte de la Francophonie ou dire ce qu'elle représente vraiment depuis son emploi premier par Onésime Reclus, en passant par la revue Esprit de 1962 et par Senghor pour arriver aux oeuvres poétiques de celui-ci. Nous nous sommes dit qu'elles (les oeuvres poétiques) sont les mieux placées pour mettre en lumière le concept de Francophonie. De ce fait, nous sommes parti du constat, selon lequel le concept de Francophonie, créé par Onésime Reclus fut réinventé par Léopold Sédar Senghor pour en faire une vision humaniste, et un concept de partage et d'échange culturel. Partant également de l'hypothèse que Senghor renouvelle la Négritude en vue de forger la Francophonie, comprise comme un instrument au service du dialogue interculturel, nous avons décidé de mener la réflexion autour de trois grands points, à savoir La Francophonie, un concept sauvé de ses cendres ; La Francophonie dans la poésie de Léopold Sédar Senghor ; et La francophonie, une problématique identitaire chez Léopold Sédar Senghor.

Dans la première partie, nous avons tenté de comprendre le fonctionnement de la Francophonie chez Onésime Reclus, dans la revue Esprit et sans oublier chez Léopold Sédar Senghor. Nous avons montré qu'elle est un concept d'enracinement et d'ouverture. Trois chapitres ont donc meublé cette partie.

Il est ressorti que la Francophonie, chez Onésime Reclus, était la solution idoine au déclin de la langue française dans le monde, et une communauté de colonies françaises sur laquelle la France devrait compter pour le rayonnement et l'universalité de sa langue, par le biais de l'assimilation des colonies. Avec Onésime Reclus, la Francophonie était l'expression de l'expansion française, c'est-à-dire de sa culture et de sa langue.

458

Dans la revue Esprit, les auteurs manifestaient leur volonté de construire une communauté culturelle, linguistique et politique, incluant la France, le Canada et la Belgique ainsi que les anciennes colonies françaises et belges, pour la défense et l'illustration de la langue française, car cette langue n'était plus la propriété exclusive de la France, mais de tous les pays, voire de tous les peuples, qui en font usage quotidien.

Chez Senghor, elle n'était qu'un concept résultant de la symbiose entre la Francité et la Négritude, né sur les cendres de la Communauté française, dont le but était de valoriser la fécondation du français par les langues africaines ainsi que l'échange fraternel entre les cultures. Ce qui signifie que la Francophonie chez lui est la valorisation de la langue française, dans la diversité de ses expériences et cultures qu'elle porte. Senghor va sauver la Francophonie d'Onésime Reclus de ses cendres et la recarder selon sa vision de la Civilisation de l'Universel. Par ce concept, Senghor appelle toutes les nations qui font usage du français à réaliser la communauté voulue par la revue Esprit.

De cette partie, nous retenons que la Francophonie, depuis son origine reclusienne, était une invitation à l'enracinement et à l'ouverture. Elle nous invite à avoir une base culturelle solide chez soi pour mieux s'ouvrir à l'autre. Qu'elle soit d'Onésime Reclus ou de la revue Esprit ou bien de Senghor, la Francophonie était donc, à la fois, un concept et une communauté de défense et d'illustration de la langue française, voire un concept de métissage et de symbiose, et complémentarité.

La deuxième partie a été le lieu de déterminer les raisons plausibles qui ont fait basculer Senghor de la Négritude à la Francophonie, mais surtout de cerner les caractéristiques de la Francophonie dans la poésie senghorienne afin de confirmer que celle-ci était le manifeste ou l'expression de la Francophonie. Il a été, également, question de montrer que la Francophonie est l'expression de la Civilisation de l'Universel. Trois chapitres ont permis d'appréhender la Francophonie senghorienne.

Le choix senghorien de la Francophonie était non seulement d'ordre historique, mais aussi personnel et culturel. Parce que la France (l'Europe) et les autres pays où le français est parlé (l'Afrique) ont une histoire commune, des impositions culturelles propres, des modalités d'expression de leurs identités cousines, ceux-ci ont décidé de se mettre ensemble. Mieux, parce qu'ils ont eu le même type d'affirmation de ce qu'était la réalité de leur identité, c'est-à-dire le métissage, ils ont envisagé de former une communauté culturelle de parlants français. La Francophonie est ainsi née. Elle est une somme de liens tissés entre différents peuples, librement acceptés par tous, au cours d'une rencontre historique, et qui ont décidé de converger tous, ensemble, vers un même idéal. Par la Francophonie, Senghor entendait concilier l'homme noir et l'homme blanc dans une parfaite harmonie, parce que l'histoire l'a voulu ainsi.

L'autre raison avancée par Senghor était d'ordre personnel, et cela concernait la langue française. Bien que la langue française soit une langue de clarté et de précision, Senghor a voulu en faire une langue rationnelle et intuitive. Pour cela, il a fallu qu'il introduisît des vocables de son terroir dans la langue française. Nous avons appelé ce nouveau type de langue le français africanisé, et il devrait être la langue des francophones, puisqu'il est une langue non française non africaine,

459

mais les deux à la fois. Sur le plan culturel, la Francophonie, voulue par Senghor, était cette Négritude conciliable avec une hybridité culturelle qui fait des valeurs spécifiques dont était porteur le peuple noir une alliance avec les valeurs occidentales pour une donnée positive. Elle était une version de la Négritude senghorienne qui s'était élargie avec le temps au métissage des cultures par sa rencontre avec la Francité, pour aboutir à la Civilisation de l'Universel. Cette Civilisation de l'Universel est le fruit de l'union des civilisations africaine et occidentale qui ont donné toutes leurs contributions afin que cette civilisation se transmute en Francophonie. Pour cela, elle doit briser les remparts de la différence, de la supériorité, les frontières entre Nations, États et peuples pour n'établir que l'égalité, la complémentarité, le rapprochement et l'unité dans la diversité.

La Francophonie est le fait d'accepter la civilisation des Blancs tout en l'adaptant aux réalités africaines. De ce fait, nous pouvons dire que le choix de la Francophonie est dû au constat que les Noirs (les Africains) peuvent apporter leur contribution à la Civilisation de l'Universel. Cette contribution serait l'apport de leur rythme, de leur chaleur émotionnelle, de leur culture et de leur intuition. Pour construire la Civilisation de l'Universel, c'est-à-dire la Francophonie, il faut à la raison discursive (la Francité) la contribution de la raison intuitive (la Négritude). Le mélange de la Francité et de la Négritude était souhaitable pour faire advenir une humanité renouvelée, une civilisation panhumaine.

Nous notons aussi que Senghor a ressenti le besoin, au plus profond de lui-même, de fonder une assemblée de tous les peuples de la terre, voire de toutes les races ; une communauté à la fois composite et homogène ; une communauté où tous les hommes seront frères ; une communauté organisée et structurée, en vue de défendre et d'illustrer une langue française fécondée par les apports linguistiques divers afin de la rendre plus universelle. Elle était le résultat d'une histoire, celle de la France et ses colonies et protectorats ; de l'idéal d'un homme, celui de Léopold Sédar Senghor ; d'une symbiose culturelle et d'une langue métisse. En d'autres mots, la Francophonie senghorienne désignait tous les locuteurs de la langue française, qui en ont hérité par l'histoire, qui l'ont choisi ou plus simplement l'aiment sans pour autant le maîtriser, et qui l'enrichissent chaque jour de leurs apports linguistiques et culturels sur les cinq continents, et qui ont décidé, également, de partager ensemble des valeurs humanistes héritées de la Francité et de la Négritude. La Francophonie senghorienne consiste à s'enraciner dans les valeurs de la Négritude et de la Francité et à s'ouvrir à d'autres valeurs par complémentarité.

La dernière partie de la réflexion est portée sur la question identitaire chez Léopold Sédar Senghor et sur la poésie francophone. Pour répondre à nos préoccupations dans cette partie, nous avons reparti l'analyse en quatre chapitres.

Abordant la question identitaire chez Senghor, nous avons mis en évidence son identité rhizomique, son identité constituée et son identité francophone. Parlant de l'identité rhizomique, nous avons mis au jour que le sang était pour lui la meilleure preuve justificative de son identité. Par le sang, il se trouvait être le descendant d'un ancêtre portugais. Cependant, il reconnaissait avoir aussi du sang nègre dans ses veines. Ce qui sous-entend qu'il était un sang-mêlé, autrement dit un métis biologique. Par l'identité rhizomique, Senghor avouait avoir une multiple identité. Pour cette raison,

460

il se devrait se constituer sa propre identité. C'est ainsi, il fit l'expérience de l'identité de l'entre-deux, et découvrit qu'il était à la fois écartelé entre plusieurs cultures (sérère, peule, mandingue, sénégalaise, africaine, portugaise, française, européenne), entre la race blanche et la race noire. Il décida d'assimiler les cultures qui l'écartelèrent, sans être lui-même assimilé. Ce processus d'acculturation reflète la situation d'une personne décomplexée et résignée à accepter ce qu'elle est, et de vivre en elle ces cultures dans un accord harmonieux. Ce processus convoque l'identité acculturée.

Chez Senghor, l'identité acculturée ne pouvait qu'être l'identité francophone, parce que le Francophone est ce métis culturel qui exprime une identité dans un accord harmonieux de plusieurs éléments identitaires de différentes cultures en contact. Par contre, il estimait que l'identité francophone doit se fonder sur deux valeurs, à savoir une valeur humaniste et une valeur culturelle. En épinglant l'humanisme et la culture à l'identité francophone, Senghor invitait les Francophones à accepter l'autre et sa culture dans sa différence et dans sa diversité pour converger tous, ensemble, vers la Civilisation de l'Universel, vers une société panhumaine, faite des apports de chaque locuteurs du français. Pour lui, l'identité francophone est caractérisée par l'amour des hommes et par la culture. L'on acquiert donc l'identité francophone lorsque l'on prend conscience que cette identité est la volonté de faire concilier l'ipséité et l'altérité chez soi dans la langue française enrichie des apports linguistiques autres que français. Mieux, le Francophone est aussi celui qui s'abreuve dans sa culture d'origine et s'ouvre à la culture de l'autre. Il est celui qui est au service de l'autre, de l'homme en vue de le rendre plus humain. N'oublions pas, cependant, qu'il est également de l'entre-deux culturel. Chez Senghor, le Francophone est à la fois celui qui enrichit la langue française avec ses apports linguistiques, et qui parle une autre langue à côté du français.

Léopold Sédar Senghor affirme sans complexe son identité francophone, et qualifie sa poésie de poésie francophone. D'où notre intérêt de mettre au jour les caractéristiques de cette poésie. Cette poésie est élaborée par des poètes qui veulent apporter leur contribution à la langue et à la poésie françaises. Elle est, selon Senghor, une poésie française accomplie et intégrale, universelle, ouverte aux pollens culturels de toutes les civilisations et aux différentes idéologies. Mieux, elle est une poésie française enrichie par des apports divers de chaque usager de la langue française. Elle a pour leitmotiv l'utilisation de la langue et les références culturelles françaises mêlées aux sujets historiques et éléments culturels, autres que français. C'est pourquoi, Senghor affirme qu'elle est une poésie nègre qui ne renonce pas d'être française. Autrement dit, la poésie francophone est à la fois une poésie nègre et une poésie française. Cette conception de la poésie francophone a eu des précurseurs, et a pris ses racines au 16ème siècle pour trouver écho favorable chez Arthur Rimbaud, Charles Baudelaire avant d'avoir ses lettres de noblesse chez les poètes négro-africains. Elle est également une poésie métisse. Cette poésie aux contours difficiles à déterminer, puisqu'elle est traversée par des courants poétiques divers, se veut une poésie hautement humaine, parce qu'elle concourt à rendre l'homme intégralement humain.

Nous disons que la poésie francophone, selon la vision senghorienne, est une poésie ontologique, symbolique, rythmique et mythopoétique, et qu'elle porte le sceau d'une quête

461

identitaire, car elle est écrite par des personnes qui sont à la croisée de deux cultures ou par des personnes influencées culturellement. De ce fait, toutes les oeuvres poétiques qui revendiquent un double héritage culturel, (dans le cas de Senghor, la Négritude et la Francité), doivent se comprendre comme relevant de la poésie francophone.

Pour mener à bien notre réflexion, nous avons recouru à la psychocritique de Charles Mauron. Il s'agissait de relever les faits et les relations issus de la personnalité inconsciente de Léopold Sédar Senghor afin de mettre au jour les éléments de réponse ou les motivations qui ont préludé au concept de Francophonie. Nous avons utilisé, par moment -tel n'a toujours pas été le cas dans cette étude-, la théorie de la subjectivité de Catherine Kerbrat-Orecchioni afin d'apporter des explications à notre analyse. Ces deux méthodes sont en fait complémentaires. Elles ont permis de rechercher les mécanismes scripturaux qui ont mis en évidence le concept de Francophonie dans la poésie senghorienne, et de déduire que Senghor a bel et bien tracé les grandes lignes de son projet panhumain dans sa poésie.

Ce projet n'est rien d'autre que la Francophonie, l'expression de deux grands humanismes, à savoir la Francité et la Négritude. Nous avons, aussi, retenu que sa poésie est non seulement une poésie de la Négritude, mais également de la Francophonie. Elle est, chez lui, la réponse au problème identitaire des locuteurs en situation de l'entre-deux culturel. Cette Francophonie annihile toute frontière géolinguistique pour devenir un élément unificateur des peuples et des nations de diverses cultures et civilisations au service de la langue française.

Par ailleurs, la poésie francophone, loin d'être une poésie faite par des auteurs non Français, est une poésie française transmutée, une poésie intuitive, rationnelle, métisse et hautement humaine. Ce qui fait cette poésie et la Francophonie est la langue française fécondée des particularismes linguistiques divers. Elle (la langue française) appartient à tous ceux qui en font usage et qui l'enrichissent de leurs apports et créations personnels sans altérer sa logique et sa clarté. Cette langue partagée est une langue intuitive et rationnelle (émotion et raison).La psychocritique veut que l'on termine l'étude par la comparaison des résultats obtenus à la biographie de l'auteur. Ce qui est facultatif, puisque la vie de l'écrivain n'est relatée qu'à titre de contrôle. Cependant, elle mérite d'être abordée dans une telle étude. Nous avons dit que Senghor se présente comme un Francophone (poète francophone). Cette image est son mythe personnel. Elle est l'invariant qui structure toute sa création poétique. En fait, le poète francophone est ce métis culturel et linguistique, et dont sa poésie revendique ce double héritage. En nous référant à la biographie de Senghor, on constate qu'il est considère comme un poète, écrivain et homme politique franco-sénégalais. D'ailleurs, il obtint la nationalité française en 1933 afin de passer l'agrégation de grammaire. Il est, également, élu, le 5 septembre 1960, Président de la République du Sénégal. Par ailleurs, il est né au Sénégal (Joal), le 9 octobre 1906, et est mort en France (Verson) le 20 décembre 2001. Devons-nous rappeler les fonctions occupées dans les différents gouvernements français de 1955 à 1959. Il se présente comme un poète africain et français. Il est aussi un métis culturel et linguistique. Tout ceci permet d'affirmer que Senghor est le parfait poète francophone, et par ailleurs confirme nos résultats.

462

La Francophonie senghorienne, appelée la seconde Francophonie, est née après la deuxième guerre mondiale dans le contexte de la décolonisation et des jeunes nations indépendantes. Elle se voulait le lien entre ces jeunes nations indépendantes et la France dans une relation égalitaire et fraternelle. Elle a mis cinquante ans, c'est-à-dire la moitié du 20ème siècle, à se construire et à devenir une véritable communauté à la fois culturelle et politique, et à se doter d'une organisation bien structurée. Cependant, elle reste encore incomprise, surtout dans le contexte de la mondialisation qui se confond à celui de la Civilisation de l'Universel. Raison pour laquelle, nous avons interrogé ses oeuvres poétiques pour mieux appréhender sa conception de la Francophonie afin de faire lumière sur les apories de la poésie francophone. À partir des résultats obtenus, nous affirmons de façon exacte que trois idées-forces définissent la Francophonie senghorienne. Ce sont la culture francophone (l'unité dans la diversité culturelle), l'identité francophone (identité métisse) et la Civilisation de l'Universel (la participation de toutes les races, de tous les peuples et de toutes les civilisations à la réalisation de l'être humain). En plus, nous disons que l'écriture poétique senghorienne relève de la poésie francophone. Ce qui sous-entend que la poésie senghorienne confirme le concept de Francophonie, parce qu'elle est une poésie métisse. Par ailleurs, il faut noter également qu'il y a eu trois grands moments dans l'histoire de la Francophonie :

- 1880 (19ème siècle), ce fut la Francophonie reclusienne. Elle était un concept géolinguistique, - 1962 (20ème siècle), la Francophonie senghorienne. Elle est définie à la fois comme une

communauté partageant des valeurs de liberté, de solidarité, d'égalité, de diversité et de

dialogue ; et un concept (un idéal) humaniste et de métissage,

- 2005 (21ème siècle/de nos jours), cette Francophonie est dite la troisième francophonie. Elle est une évolution progressive de la Francophonie senghorienne dans un contexte de la mondialisation. Elle est aussi géolinguistique, institutionnelle, militante et ouverte.

Un seul concept est dit, présenté, développé et exfolié dans toute la production poétique de Léopold Sédar Senghor. Un seul intérêt domine son écriture : la Francophonie, son projet panhumain ou la Civilisation de l'Universel. Ce projet hante sa plume, malgré les formes variées de son expression. Il en est sans doute son mythe personnel. Son projet était de voir tous les hommes des frères égaux à l'aube du monde nouveau. Il nourrissait depuis longtemps l'idée de rassembler tous les hommes de la terre, de faire tous les hommes des frères. Et, sa poésie fut un artifice du langage du concept de Négritude pour mettre au-devant de la scène la Francophonie, son projet panhumain. La Francophonie est, ainsi, un choix partagé, une histoire partagée et assumée, un imaginaire et une passion communs. L'objectif de ce projet est de créer une Civilisation de l'Universel en métissant les cultures française et africaine. Autrement dit, il s'agissait pour lui de mettre en avant la Civilisation de l'Universel en intégrant les deux grandes cultures que sont la Négritude (symbiose, complémentarité des valeurs de l'africanité et des valeurs de l'arabité) et la Francité (complémentarité des valeurs de la francité, de la belgité et de la québécité). Il envisageait donc le métissage culturel, voire le métissage de ces deux grandes cultures.

Le phénomène de métissage chez lui revêt plusieurs aspects : biologique, culturel et linguistique. Il en est centrifuge et centripète de ses oeuvres poétiques. Que l'on s'éloigne de ses

463

oeuvres ou que l'on s'y rapproche, est-il toujours question de métissage chez Senghor. Faute du métissage biologique au sein de la Francophonie, il recommande à la communauté francophone le métissage culturel et linguistique. L'idéal serait le métissage biologique ; ceci n'est possible que si les peuples et les races se rencontrent effectivement sans être obstrués par le racisme et la xénophobie ou l'allophobie. La Francophonie doit participer à la construction d'une nouvelle race et d'une nouvelle civilisation (celles du métissage) faites de tous les apports de chaque locuteur du français aussi divers que soient-ils.

Parler une même langue est un atout pour la Francophonie, puisque la langue rassemble. Ce qui n'est pas le cas avec la Francophonie (OIF). En fait, il n'y a pas de rassemblement véritable : l'imposition des visas à tous les Francophones, surtout par la France, et pourtant elle (la Francophonie - concept senghorien -) prétend rompre les frontières entre les peuples et les nations. Pour la libre circulation des biens et des Francophones ; pour le libre échange culturel, artistique et intellectuel ; pour voyager librement dans l'espace francophone sans visas ; pour prôner l'égalité, la solidarité, l'unité, l'entente et la fraternité ; pour former une véritable communauté d'esprit...; il faut, tout simplement, revenir à la Francophonie conforme à l'esprit de Senghor en l'actualisant dans le contexte de mondialisation afin de permettre la réalisation effective du métissage biologique, culturel et linguistique pour l'avènement du nouvel ordre panhumain : la Civilisation de l'Universel. La Francophonie senghorienne brise et élimine les frontières et « les murs racistes » de nos coeurs, de nos esprits, de nos pays, nations et États. Elle est une maison commune dans la diversité des peuples ayant en commun et en partage la langue française enrichie par les apports linguistiques de chaque Francophone.

Notre tâche n'a pas été facile. En effet, la documentation a été le plus grand défi à relever. Nous savons que Senghor est, du reste, le poète africain auquel fut consacré le plus grand nombre d'articles, d'essais littéraires et de thèses portant, à la fois, sur la Négritude, la symbiose des cultures, le rythme, la musique, la Civilisation de l'Universel, sa vie dans ses oeuvres poétiques et ses divers écrits. Cependant, la Francophonie n'a véritablement pas fait l'objet d'étude ou de recherche en tant que tel dans ses oeuvres poétiques. Il nous était difficile d'avoir une documentation littéraire et suffisante pour appréhender le concept de Francophonie dans sa poésie, et de mener à bien la recherche. Aussi, les informations sur Senghor rendaient notre tâche difficile. En fait, il est arrivé que le travail psychocritique s'est laissé guider par les informations disponibles sur Senghor, au lieu de faire un tri pour travailler sur celle qui convenaient au cadre d'étude. Cela s'explique du fait de vouloir tout dire sur la Francophonie et sur Senghor. Cependant, nos attentes dans cette étude furent comblées, puisque la psychocritique nous a permis de comprendre l'homme et sa conception de la Francophonie.

Au cours de cette étude, nous avons remarqué que la poésie senghorienne prône une relation entre l'Afrique et la France. Nous avons étudié la Francophonie, ne pouvons-nous pas le faire, également, pour la Françafrique ? Cela est simplement une hypothèse. En fait, la Francophonie et la Françafrique sont deux concepts différents ayant un dénominateur commun : la France, à telle enseigne qu'elles sont souvent confondues dans leur manière de fonctionner.

464

La Françafrique peut être définie comme l'ensemble des relations, des mécanismes politiques, économiques, militaires et culturels de la France avec l'Afrique. L'économiste Français François-Xavier Verschave, avec son livre La Françafrique. Le plus long scandale de la République, est celui qui a forgé le mot en parodiant l'expression France-Afrique de Félix Houphouët Boigny, en 1955, alors ministre de gouvernement français. L'expression France-Afrique fut employée pour qualifier la mission civilisatrice de la France et le souhait des pays africains de conserver des relations étroites et privilégiées avec la France. Elle a été créée en réponse au terme soit Eurafrique, soit Francophonie de Léopold Sédar Senghor. La Françafrique de François-Xavier Verschave possède comme la Francophonie un volet économique, un volet politique et un volet culturel. Le volet militaire le différencie d'avec la Francophonie. Au travers de la Francophonie et de la Françafrique, la France compte sur l'Afrique et ses ex-colonies pour bien véhiculer sa culture, sa langue ainsi que sa civilisation, mais surtout préserver ses intérêts économiques.

Cependant, la Francophonie, qui devrait rassembler, sert avant tout les intérêts de la France. En effet, elle est pour la France une stratégie politique pour éviter l'uniformisation et l'hégémonie de l'anglais dans le monde, et pour demeurer une puissance culturelle. N'est-ce pas ce qui explique, peut-être, la présence des pays dont la langue française n'est point la langue officielle ou co-officielle à l'Organisation International de la Francophonie (OIF) ?

Il s'avère nécessaire d'entreprendre une étude approfondie, voire une étude comparatiste afin de mettre au jour les réalités stratégiques de la Francophonie et de la Françafrique pour savoir si la Francophonie est une rhétorique de la Françafrique. On pourra étudier la Françafrique, en tant que concept, dans les oeuvres poétiques de Léopold Sédar Senghor afin de comprendre son fonctionnement ou sa dénonciation. On peut aussi chercher à savoir ce qu'implique chez Senghor l'Eurafrique, mieux s'il ne s'agit pas d'un avatar de la Francophonie. Dans tous les cas, il est temps de faire une nette distinction entre la Francophonie et la Françafrique afin de mettre fin au débat sur la Francophonie. La Francophonie, quant à elle, a sa carte de jeu à jouer.

Pour représenter un avenir commun, et une communauté d'esprit, la Francophonie devrait plutôt contribuer à démanteler le système mis en place par la politique française, au lieu d'être l'instrument qui sert à paupériser les anciennes colonies ou à diviser. Il va de l'intérêt de la France à y jouer un franc jeu au sein de la Francophonie (OIF) en collaborant franchement et sincèrement, car nous sommes à l'ère des changements sur tous les plans : mentalité, intellectuel, social, politique, technologique, scientifique, climatique...

Il est aussi intéressant d'appréhender le panafricanisme dans la poésie senghorienne. Le panafricanisme est l'expression de la solidarité entre les peuples africains et d'origine africaine, et la volonté d'assumer la liberté du continent africain et son développement à l'égal des autres parties du monde. De cette définition du panafricanisme, peut-on dire que la poésie de Senghor s'inscrit dans la logique panafricaine ? Autrement dit, comment Senghor, en disant choisir le peuple noir et toute la race paysanne par le monde, s'inscrit dans le dynamisme du panafricanisme ? Quel rapport existe-il entre la négritude et le panafricanisme ?

465

On ne peut pas prétendre avoir épuisé tout le contenu des oeuvres poétiques de Senghor, puisqu'elles suscitent encore beaucoup de questions. Les différentes propositions faites ou les différentes questions posées dans cette conclusion ne sont que des pistes de réflexions pour une éventuelle étude sur la poésie de Léopold Sédar Senghor. Comme, on le voit, le travail mené dans cette thèse porte pour une bonne part sur la Francophonie senghorienne, et il consistait à comprendre comment Senghor a orienté le concept qu'il a récupéré chez Onésime Reclus dans sa poésie afin de mieux définir la poésie francophone et d'avoir une idée claire de ce qu'implique réellement le concept de Francophonie. De ces nombreuses questions que l'on peut se posées, notre étude n'a fait que répondre à la question, relative à la Francophonie senghorienne, avec des méthodes qui nous ont semblé adéquats pour les perspectives vers lesquelles nous avons souhaité orienter notre réflexion. Cependant, nous sommes conscient qu'il y a des questions qui n'ont pas été vraiment abordées dans le cadre d'une étude scientifique et universitaire, et qui attendent des réponses.

466

ANNEXES

I- Annexe 1

Charte de la Francophonie

adoptée par la Conférence ministérielle de la Francophonie (Tananarive, le 23 novembre 2005)

Préambule

La Francophonie doit tenir compte des mutations historiques et des grandes évolutions politiques, économiques, technologiques et culturelles qui marquent le XXIe siècle pour affirmer sa présence et son utilité dans un monde respectueux de la diversité culturelle et linguistique, dans lequel la langue française et les valeurs universelles se développent et contribuent à une action multilatérale originale et à la formation d'une communauté internationale solidaire.

La langue française constitue aujourd'hui un précieux héritage commun qui fonde le socle de la Francophonie, ensemble pluriel et divers. Elle est aussi un moyen d'accès à la modernité, un

outil de communication, de réflexion et de création qui favorise l'échange d'expériences.

Cette histoire, grâce à laquelle le monde qui partage la langue française existe et se développe, est portée par la vision des chefs d'État et de gouvernement et par les nombreux militants de la cause francophone et les multiples organisations privées et publiques qui, depuis longtemps, oeuvrent pour le rayonnement de la langue française, le dialogue des cultures et la culture du dialogue.

Elle a aussi été portée par l'Agence de coopération culturelle et technique, seule organisation intergouvernementale de la Francophonie issue de la Convention de Niamey en 1970, devenue l'Agence de la Francophonie après la révision de sa charte à Hanoi, en 1997.

Afin de donner à la Francophonie sa pleine dimension politique, les chefs d'État et de gouvernement, comme ils en avaient décidé à Cotonou en 1995, ont élu un Secrétaire général, clé de voûte du système institutionnel francophone, de même que la Conférence ministérielle, en 1998 à Bucarest, a pris acte de la décision du Conseil permanent d'adopter l'appellation « Organisation internationale de la Francophonie ».

À Ouagadougou, en 2004, réunis en Xe Sommet, les chefs d'État et de gouvernement ont approuvé les nouvelles missions stratégiques de la Francophonie et ont pris la décision de parachever la réforme institutionnelle afin de mieux fonder la personnalité juridique de l'Organisation internationale de la Francophonie et de préciser le cadre d'exercice des attributions du Secrétaire général.

Tel est l'objet de la présente Charte, qui donne à l'ACCT devenue Agence de la Francophonie, l'appellation d'Organisation internationale de la Francophonie.

Titre I : Des objectifs

Article 1 : Objectifs

La Francophonie, consciente des liens que crée entre ses membres le partage de la langue française et des valeurs universelles, et souhaitant les utiliser au service de la paix, de la

467

coopération, de la solidarité et du développement durable, a pour objectifs d'aider : à l'instauration et au développement de la démocratie, à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits, et au soutien à l'État de droit et aux droits de l'Homme ; à l'intensification du dialogue des cultures et des civilisations ; au rapprochement des peuples par leur connaissance mutuelle ; au renforcement de leur solidarité par des actions de coopération multilatérale en vue de favoriser l'essor de leurs économies ; à la promotion de l'éducation et de la formation. Le Sommet peut assigner d'autres objectifs à la Francophonie.

La Francophonie respecte la souveraineté des États, leurs langues et leurs cultures. Elle observe la plus stricte neutralité dans les questions de politique intérieure.

Les institutions de la présente Charte concourent, pour ce qui les concerne, à la réalisation de ces objectifs et au respect de ces principes.

Titre II : De l'organisation institutionnelle

Article 2 : Institutions et opérateurs Les institutions de la Francophonie sont :

1. Les instances de la Francophonie :

- La Conférence des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, ci-après appelée le « Sommet » ;

- La Conférence ministérielle de la Francophonie, ci-après appelée «Conférence ministérielle» ; - Le Conseil permanent de la Francophonie, ci-après appelé « Conseil permanent ».

2. Le Secrétaire général de la Francophonie.

3. L'Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

4. L'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), qui est l'Assemblée consultative de la Francophonie.

5. Les opérateurs directs et reconnus du Sommet, qui concourent, dans les domaines de
leurs compétences, aux objectifs de la Francophonie tels que définis dans la présente Charte :

- l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) ;

- TV5, la télévision internationale francophone ;

- l'Université Senghor d'Alexandrie ;

- l'Association internationale des maires et responsables des capitales et des métropoles

partiellement ou entièrement francophones (AIMF).

5. Les Conférences ministérielles permanentes : la Conférence des ministres de l'Éducation des pays ayant le français en partage (Confémen) et la Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports des pays ayant le français en partage

(Conféjes).

Article 3 : Sommet

Le Sommet, instance suprême de la Francophonie, se compose des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage. Il se réunit tous les deux ans.

Il est présidé par le chef d'État ou de gouvernement du pays hôte du Sommet jusqu'au Sommet suivant.

Il statue sur l'admission de nouveaux membres de plein droit, de membres associés et de membres observateurs à l'OIF.

468

Il définit les orientations de la Francophonie de manière à assurer son rayonnement dans le monde.

Il adopte toute résolution qu'il juge nécessaire au bon fonctionnement de la Francophonie et à la réalisation de ses objectifs.

Il élit le Secrétaire général, conformément aux dispositions de l'article 6 de la présente Charte. Article 4 : Conférence ministérielle

La Conférence ministérielle se compose de tous les membres du Sommet. Chaque membre est représenté par le ministre des Affaires étrangères ou le ministre chargé de la Francophonie, ou son délégué. Le Secrétaire général de la Francophonie siège de droit à la Conférence ministérielle, sans prendre part au vote.

La Conférence ministérielle est présidée par le ministre des Affaires étrangères ou le ministre chargé de la Francophonie du pays hôte du Sommet, un an avant et un an après celui-ci.

La Conférence ministérielle se prononce sur les grands axes de l'action multilatérale francophone (FMU).

La Conférence ministérielle prépare le Sommet. Elle veille à l'exécution des décisions arrêtées par le Sommet et prend toutes initiatives à cet effet. Elle adopte le budget et les rapports financiers de l'OIF ainsi que la répartition du Fonds multilatéral unique.

La Conférence ministérielle nomme le Commissaire aux comptes de l'OIF et du FMU. Sur saisine d'un État membre ou d'un gouvernement participant, la Conférence ministérielle demande au Secrétaire général de fournir toute information concernant l'utilisation du Fonds. La Conférence ministérielle définit les conditions dans lesquelles les commissaires aux comptes des opérateurs sont appelés à coopérer avec le Commissaire aux comptes de l'OIF et du FMU.

La Conférence ministérielle recommande au Sommet l'admission de nouveaux membres et de nouveaux membres associés ou observateurs, ainsi que la nature de leurs droits et obligations.

La Conférence ministérielle fixe les barèmes des contributions statutaires à l'OIF. La Conférence ministérielle peut décider de déplacer le siège de l'OIF.

La Conférence ministérielle nomme les liquidateurs.

La Conférence ministérielle crée tout organe subsidiaire nécessaire au bon fonctionnement de l'OIF.

Les modalités de fonctionnement de la Conférence ministérielle sont précisées dans son Règlement intérieur.

Article 5 : Conseil permanent de la Francophonie

Le Conseil permanent est l'instance chargée de la préparation et du suivi du Sommet, sous l'autorité de la Conférence ministérielle.

Le Conseil permanent est composé des représentants personnels dûment accrédités par les chefs d'États ou de gouvernements membres du Sommet.

Le Conseil permanent est présidé par le Secrétaire général de la Francophonie. Il se prononce sur ses propositions et le soutient dans l'exercice de ses fonctions.

469

Le Conseil permanent de la Francophonie a pour missions :

- de veiller à l'exécution des décisions prises par la Conférence ministérielle ;

- d'examiner les propositions de répartition du FMU ainsi que l'exécution des décisions

d'affectation ;

- d'examiner les rapports financiers et les prévisions budgétaires de l'OIF ;

- d'examiner et d'adopter l'ordre du jour provisoire des réunions de la Conférence

ministérielle ;

- de faire rapport à la Conférence ministérielle sur l'instruction des demandes d'adhésion
ou de modification de statut ;

- d'exercer son rôle d'animateur, de coordonnateur et d'arbitre. Il dispose à cet effet des
commissions suivantes : la commission politique, la commission économique, la commission de coopération et de programmation, et la commission administrative et financière. Ces commissions sont présidées par un représentant d'un État ou d'un gouvernement membre, qu'il désigne sur proposition de la commission concernée ;

- d'adopter le statut du personnel et le règlement financier ;

- d'examiner et d'approuver les projets de programmation ;

- de procéder aux évaluations des programmes des opérateurs ;

- de nommer le Contrôleur financier ;

- de remplir toute autre mission que lui confie la Conférence ministérielle.

En tant que de besoin, le Secrétaire général réunit le Conseil permanent.

Les modalités de fonctionnement du Conseil permanent sont fixées par son Règlement intérieur.

Article 6 : Secrétaire général

Le Secrétaire général de la Francophonie préside le Conseil de coopération. Il est représenté dans les instances des opérateurs. Il dirige l'Organisation internationale de la Francophonie.

Le Secrétaire général est élu pour quatre ans par les chefs d'État et de gouvernement. Son mandat peut être renouvelé. Il est placé sous l'autorité des instances.

Le statut du Secrétaire général a un caractère international. Le Secrétaire général ne demande ni ne reçoit d'instructions ou d'émoluments d'aucun gouvernement ni d'aucune autorité extérieure.

Il est responsable du Secrétariat de toutes les instances de la Francophonie, aux sessions desquelles il assiste.

Il préside le Conseil permanent, dont il prépare l'ordre du jour. Il ne prend pas part au vote. Il veille à la mise en oeuvre des mesures adoptées, dont il rend compte.

Le Secrétaire général est le représentant légal de l'OIF. À ce titre, il engage l'Organisation et signe les accords internationaux. Il peut déléguer ses pouvoirs.

Le Secrétaire général rend compte au Sommet de l'exécution de son mandat.

Le Secrétaire général nomme le personnel et ordonne les dépenses. Il est responsable de l'administration et du budget de l'OIF dont il peut déléguer la gestion.

Le Secrétaire général est chargé de l'organisation et du suivi des conférences ministérielles sectorielles décidées par le Sommet.

Article 7 : Fonctions politiques

Le Secrétaire général conduit l'action politique de la Francophonie, dont il est le porteparole et le représentant officiel au niveau international.

470

Il exerce ses prérogatives dans le respect de celles du président en exercice du Sommet et du président de la Conférence ministérielle.

Le Secrétaire général se tient informé en permanence de l'état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l'espace francophone.

En cas d'urgence, le Secrétaire général saisit le Conseil permanent et, compte tenu de la gravité des événements, le président de la Conférence ministérielle, des situations de crise ou de conflit dans lesquelles des membres peuvent être ou sont impliqués. Il propose les mesures spécifiques pour leur prévention, leur gestion et leur règlement, éventuellement en collaboration avec d'autres organisations internationales.

Article 8 : Fonctions en matière de coopération

Le Secrétaire général propose aux instances, conformément aux orientations du Sommet, les axes prioritaires de l'action francophone multilatérale. Il le fait en concertation avec les opérateurs.

Il propose la répartition du FMU et il ordonne les décisions budgétaires et financières qui y sont relatives.

Le Secrétaire général est responsable de l'animation de la coopération multilatérale francophone financée par le FMU.

Dans l'accomplissement de ces fonctions, il nomme, après consultation du CPF, un Administrateur chargé d'exécuter, d'animer et de gérer la coopération intergouvernementale multilatérale, ainsi que d'assurer, sous son autorité, la gestion des affaires administratives et financières. L'Administrateur propose au Secrétaire général les programmes de coopération de l'OIF qui sont définis dans le cadre des décisions du Sommet. Il est chargé de leur mise en oeuvre. Il participe aux travaux des instances. Il contribue à la préparation de la Conférence des organisations internationales non gouvernementales, ainsi qu'à l'organisation et au suivi des conférences ministérielles sectorielles décidées par le Sommet et confiées à l'OIF. L'Administrateur est nommé pour quatre ans et sa mission peut être renouvelée. Il exerce ses fonctions par délégation du Secrétaire général.

Le Secrétaire général évalue l'action de coopération intergouvernementale francophone, telle que décidée. Il veille à l'harmonisation des programmes et des actions de l'ensemble des opérateurs directs reconnus.

À cette fin, il préside un Conseil de coopération, qui réunit l'Administrateur de l'OIF, les responsables des opérateurs ainsi que de l'APF. Il exerce ces fonctions avec impartialité, objectivité et équité. Le Conseil de coopération assure, de manière permanente, la cohérence, la complémentarité et la synergie des programmes de coopération des opérateurs.

Article 9 : Organisation internationale de la Francophonie

L'Agence de coopération culturelle et technique créée par la Convention de Niamey du

20 mars 1970 et devenue l'Agence de la Francophonie, prend l'appellation « Organisation internationale de la Francophonie ».

L'Organisation internationale de la Francophonie est une personne morale de droit international public et possède la personnalité juridique.

L'OIF peut contracter, acquérir, aliéner tous biens mobiliers et immobiliers, ester en justice ainsi que recevoir des dons, legs et subventions des gouvernements, des institutions publiques ou privées, ou des particuliers.

471

Elle est le siège juridique et administratif des attributions du Secrétaire général.

L'OIF remplit toutes tâches d'étude, d'information, de coordination et d'action. Elle est habilitée à faire tout acte nécessaire à la poursuite de ses objectifs.

L'OIF collabore avec les diverses organisations internationales et régionales sur la base des principes et des formes de coopération multilatérale reconnus.

L'ensemble du personnel de l'OIF est régi par son propre statut et règlement du personnel, dans le respect du règlement financier. Le statut du personnel a un caractère international.

Le siège de l'Organisation internationale de la Francophonie est fixé à Paris.

Article 10 : États et gouvernements membres, membres associés et observateurs

Les États parties à la Convention de Niamey sont membres de l'OIF. En outre, la présente Charte ne porte pas préjudice aux situations existantes en ce qui concerne la participation d'États et de gouvernements tant aux instances de l'Organisation internationale de la Francophonie qu'aux instances de l'Agence de la Francophonie.

Tout État qui n'est pas devenu partie à la Convention dans les conditions prévues aux articles 4 et 5 de celle-ci, devient membre de l'OIF s'il a été admis à participer au Sommet.

Dans le plein respect de la souveraineté et de la compétence internationale des États membres, tout gouvernement peut être admis comme gouvernement participant aux institutions, aux activités et aux programmes de l'OIF, sous réserve de l'approbation de l'État membre dont relève le territoire sur lequel le gouvernement participant concerné exerce son autorité, et selon les modalités convenues entre ce gouvernement et celui de l'État membre.

La nature et l'étendue des droits et obligations des membres, des membres associés et des observateurs sont déterminées par le texte portant statut et modalités d'adhésion.

Tout membre peut se retirer de l'OIF en avisant le gouvernement du pays qui exerce la présidence du Sommet ou le gouvernement du pays où est fixé le siège de l'OIF, au moins six mois avant la plus proche réunion du Sommet. Le retrait prend effet à l'expiration du délai de six mois suivant cette notification.

Toutefois, le membre concerné demeure tenu d'acquitter le montant total des contributions dont il est redevable.

Article 11 : Représentations permanentes de l'OIF

Sur proposition du Secrétaire général, la Conférence ministérielle peut établir des représentations dans les diverses régions géographiques de l'espace francophone et auprès d'institutions internationales, et décider de manière équilibrée du lieu, de la composition, ainsi que des fonctions et du mode de financement de ces représentations.

Titre III : Des dispositions diverses

Article 12 : De la Conférence des organisations internationales non gouvernementales et des organisations de la société civile

Tous les deux ans, le Secrétaire général de la Francophonie convoque une conférence des organisations internationales non gouvernementales, conformément aux directives adoptées par la Conférence ministérielle.

472

Article 13 : Langue

La langue officielle et de travail des institutions et opérateurs de la Francophonie est le français. Article 14 : Interprétation de la Charte

Toute décision relative à l'interprétation de la présente Charte est prise par la Conférence ministérielle de la Francophonie.

Article 15 : Révision de la Charte

La Conférence ministérielle a compétence pour amender la présente Charte.

Le gouvernement de l'État sur le territoire duquel est fixé le siège de l'OIF notifie à tous les membres ainsi qu'au Secrétaire général toute révision apportée à la présente Charte.

Article 16 : Dissolution

L'OIF est dissoute :

- soit si toutes les parties à la Convention, éventuellement sauf une, ont dénoncé celle-ci
;

- soit si la Conférence ministérielle de la Francophonie en décide la dissolution.

En cas de dissolution, l'OIF n'a d'existence qu'aux fins de sa liquidation et ses affaires sont liquidées par des liquidateurs, nommés conformément à l'article 4, qui procéderont à la réalisation de l'actif de l'OIF et à l'extinction de son passif. Le solde actif ou passif sera réparti au prorata des contributions respectives.

Article 17 : Entrée en vigueur

La présente Charte prend effet à partir de son adoption par la Conférence ministérielle de la Francophonie.

II- Annexe 2

473

XVIe Conférence des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le
français en partage

Antananarivo (Madagascar), les 26 et 27 novembre 2016

Liste des 84 États et gouvernements membres de plein droit, membres
associés et observateurs de l'Organisation internationale de la Francophonie

54 membres de plein droit


·

Albanie


·

Côte d'Ivoire


·

Maurice


·

Andorre


·

Djibouti


·

Mauritanie


·

Arménie


·

Dominique


·

Moldavie


·

Belgique


·

Égypte


·

Monaco


·

Bénin


·

ERY de Macédoine


·

Niger


·

Bulgarie


·

France


·

Roumanie


·

Burkina Faso


·

Gabon


·

Rwanda


·

Burundi


·

Grèce


·

Sainte-Lucie


·

Cabo Verde


·

Guinée


·

Sao Tomé-et-Principe


·

Cambodge


·

Guinée-Bissau


·

Sénégal


·

Cameroun


·

Guinée équatoriale


·

Seychelles


·

Canada


·

Haïti


·

Suisse


·

Canada/Nouveau-Brunswick


·

Laos


·

Tchad


·

Canada/Québec


·

Liban


·

Togo


·

Centrafrique


·

Luxembourg


·

Tunisie


·

Comores


·

Madagascar


·

Vanuatu


·

Congo


·

Mali


·

Vietnam


·

Congo (RD)


·

Maroc


·

Fédération Wallonie-

Bruxelles

4 membres associés

Chypre Ghana Qatar Nouvelle-Calédonie

26 observateurs

Argentine Estonie Pologne

Autriche Géorgie Serbie

Bosnie-Herzégovine Hongrie Slovaquie

Canada-Ontario Kosovo Slovénie

Corée du Sud Lettonie République tchèque

Costa Rica Lituanie Thaïlande

Croatie Mexique Ukraine

République dominicaine Monténégro Uruguay

Émirats arabes unis Mozambique

Direction de la communication et des instances de la Francophonie http://www.francophonie.org

NB : Au XVIIe sommet à Erevan (Arménie), l'OIF compte 88 États membres.

474

III- Annexe 3

STATUTS ET MODALITÉS D'ADHÉSION

À LA CONFÉRENCE DES CHEFS D'ÉTAT ET DE GOUVERNEMENT DES PAYS

AYANT LE FRANÇAIS EN PARTAGE

adoptés par le IXe Sommet de la Francophonie (Beyrouth, 18-20 octobre 2002) amendés

par le XIe Sommet de la Francophonie (Bucarest, 28-29 septembre 2006)

Le présent document portant « statuts et modalités d'adhésion à la Conférence des chefs d'État et de gouvernement des pays ayant le français en partage », adopté par le Sommet de Beyrouth le 20 octobre 2002, se substitue au document issu des travaux du Sommet de Cotonou et amendé au Sommet de Hanoi. Il intègre les modifications adoptées par le XIe Sommet de la Francophonie, tenu à Bucarest les 28 et 29 septembre 2006.

Chapitre I : STATUTS

A. Statut de Membre de plein droit

Les membres de plein droit participent pleinement à l'ensemble des instances de la Francophonie, soit :

- Sommet de la Francophonie ;

- Conférence ministérielle de la Francophonie ; - Conseil permanent de la Francophonie. Ils participent également aux :

- Conférences ministérielles sectorielles de la Francophonie ;

- Commissions du Conseil permanent de la Francophonie (Commission politique, Commission économique, Commission de coopération et de programmation, Commission administrative et financière).

Les membres de plein droit sont seuls admis :

- à présenter des candidatures aux postes à pourvoir dans les institutions de la Francophonie ;

- à se porter candidats pour accueillir les réunions des instances (Sommet, Conférence ministérielle

de la Francophonie et Conseil permanent de la Francophonie) ; - à prendre part à un vote au sein des instances mentionnées ci-dessus.

Les membres de plein droit s'acquittent obligatoirement d'une contribution statutaire dont le montant est fixé par la Conférence ministérielle. Ils contribuent volontairement au financement de la coopération francophone dans le cadre du Fonds multilatéral unique (FMU).

B. Statut de Membre associé

Les membres associés assistent aux instances suivantes :

- au Sommet sans intervenir dans les débats ; toutefois, après accord de la présidence, ils peuvent

présenter une communication ;

- à la Conférence ministérielle de la Francophonie, dans les mêmes conditions.

Ils siègent à la table de façon distincte.

Ils n`assistent pas aux séances à huis clos de ces instances.

Les membres associés participent :

- au Conseil permanent de la Francophonie et à ses commissions avec voix délibérative.

Ils ne participent ni n`assistent aux séances à huis clos du CPF.

Les membres associés peuvent être invités à participer aux autres manifestations de la

Francophonie : conférences ministérielles sectorielles, colloques, réunions d`experts, etc.

Les membres associés reçoivent l`information et la documentation non confidentielles diffusées par

le Secrétariat.

Les membres associés s'acquittent obligatoirement d'une contribution statutaire dont le montant est

fixé par la Conférence ministérielle. Ils sont appelés à contribuer volontairement au financement du

Fonds multilatéral unique (FMU).

Ils ne peuvent pas se porter candidats pour accueillir les réunions des instances de la Francophonie

(Sommet, Conférence ministérielle de la Francophonie et Conseil permanent de la Francophonie).

475

L`accès au statut de membre associé répond à des conditions strictes. Il est réservé à des États et des gouvernements pour lesquels le français est d`ores et déjà l`une des langues officielles ou d`un usage habituel et courant, et qui partagent les valeurs de la Francophonie.

C. Statut d'Observateur

Les observateurs assistent aux instances suivantes :

- au Sommet, sans intervenir dans les débats ;

- à la Conférence ministérielle, dans les mêmes conditions. Ils peuvent toutefois, après accord de la présidence, présenter une communication ;

- aux sessions du Conseil permanent de la Francophonie, sans prise de parole et sans prise en charge. Les observateurs n`assistent pas :

- aux réunions des Commissions du CPF.

Ils n`assistent pas non plus aux huis clos de l`une quelconque des instances de la Francophonie. Les observateurs siègent dans la salle de façon distincte.

Les observateurs peuvent être invités à assister aux autres manifestations de la Francophonie : conférences ministérielles sectorielles, colloques, réunions d'experts, etc.

Les observateurs peuvent contribuer volontairement au financement de la coopération multilatérale francophone dans le cadre du Fonds multilatéral unique (FMU). Ils sont tenus de s'acquitter de frais de secrétariat en contrepartie de la documentation à laquelle ils ont accès. Le montant des frais est fixé par le CPF.

Ils ne peuvent pas se porter candidats pour accueillir les réunions des instances de la Francophonie (Sommet, Conférence ministérielle de la Francophonie et Conseil permanent de la Francophonie). Les observateurs reçoivent l`information et la documentation non confidentielles diffusées par le Secrétariat.

Le statut d`observateur peut être accordé à un État ou à un gouvernement.

Dans le souci de privilégier l`objectif d`approfondissement de la communauté francophone, le statut d'observateur est accordé à titre pérenne.

D. Statut d'Invité spécial

Le statut d`invité spécial vise les entités ou collectivités territoriales non souveraines -- ressortissantes d'États non membres de la Francophonie -- qui en font la demande, dès lors que ces entités ou collectivités manifestent leur volonté d`engagement dans la Francophonie et que l`usage de la langue française est attesté sur leur territoire.

Ces dispositions sont applicables sous réserve de l`accord de l'État dont relèvent ces entités ou collectivités.

Le statut d`invité spécial ne concerne que le Sommet. Il est accordé à l`occasion de chaque Sommet et n`est donc pas reconductible automatiquement.

Les demandes formulées par les entités ou les collectivités territoriales précitées sont appréciées selon la procédure prévue dans le présent document.

Les invités spéciaux assistent à la séance inaugurale du Sommet ainsi qu'aux séances consacrées au volet coopération. Ils n`ont pas voix délibérative et siègent dans la salle de façon distincte. Ils sont également invités à participer aux manifestations sociales et culturelles.

Ils reçoivent les documents du Sommet.

L`OIF pourra développer avec leurs autorités des contacts occasionnels et privilégiés, afin de contribuer à mettre en oeuvre des programmes particuliers de soutien à la langue française ainsi que pour favoriser leur participation, sur une base volontaire, à certains programmes de coopération.

Chapitre II : PROCÉDURES D`ADHÉSION

Toute nouvelle demande d'adhésion en qualité d'observateur ou de membre associé doit être introduite par une lettre du chef de l'État ou du gouvernement intéressé, adressée par les voies diplomatiques habituelles au Président en exercice de la Conférence des chefs d'État ou de gouvernement, c`est-à-dire au chef de l'État ou du gouvernement du dernier pays ayant accueilli la Conférence. Cette demande, accompagnée d'un dossier circonstancié de candidature, doit être déposée au moins six mois avant la tenue du Sommet. Elle est aussitôt communiquée au Secrétaire général de la Francophonie pour instruction.

L`accession à un statut supérieur n`est pas de droit.

476

Le passage du statut d`observateur au statut de membre associé tout comme celui de membre associé à celui de membre de plein droit nécessite une demande formelle adressée directement au Secrétaire général de la Francophonie, en sa qualité de Président du Conseil permanent de la Francophonie. La demande, accompagnée d`un dossier circonstancié, doit être déposée dans un délai de six mois avant la tenue du prochain Sommet pour qu`elle puisse être instruite. La procédure suivie est alors identique à celle des nouvelles adhésions.

Le Secrétaire général de l`OIF, en sa qualité de Président du Conseil permanent de la Francophonie, soumet la demande et le dossier à l`examen du Conseil. Celui-ci constitue en son sein un comité ad hoc (dit « Comité sur les demandes d'adhésion ou de modification de statut »), ouvert aux seuls membres de plein droit et chargé de l'instruction des dossiers.

Ce comité établit un rapport détaillé qu`il soumet au Conseil permanent de la Francophonie. Celui-ci, après examen, adopte un avis destiné à la Conférence ministérielle.

Le Comité ad hoc peut, en tant que de besoin, compter sur le rapport d`une mission d`enquête nommée par le Secrétaire général de la Francophonie, dans le but d`évaluer sur le terrain le respect des critères d`adhésion.

La Conférence ministérielle formule une recommandation destinée au Sommet, qui est déposée par son Président.

À l'ouverture de ses travaux, le Sommet, sur la base des recommandations de la Conférence ministérielle, délibérant à huis clos et à l'unanimité, décide d'accueillir ou non le nouveau requérant. Aucun État ou gouvernement ne peut accéder au statut de membre de plein droit sans avoir été au préalable membre associé.

Chapitre III : CONSTITUTION DES DOSSIERS

A. Pour l`obtention du statut d`Invité spécial

Une demande motivée, adressée au Secrétaire général de la Francophonie dans les conditions prévues par les procédures d`adhésion du Chapitre II ci-dessus, suffit.

B. Pour l`obtention du statut d`Observateur

La demande de candidature doit être impérativement accompagnée d`un dossier comportant un exposé des motifs.

Toute demande de participation en qualité d`observateur doit se fonder sur une volonté de favoriser le développement de l`usage du français, quel que soit son usage effectif au moment de la demande. Cette demande doit aussi traduire un intérêt réel pour les valeurs défendues par la Francophonie, pour ses programmes dans le cadre de la coopération multilatérale francophone, ainsi que pour les efforts développés en faveur de la concertation francophone dans les organisations intergouvernementales et les grandes manifestations internationales.

C. Pour l`obtention du statut de Membre associé

La demande doit être impérativement accompagnée d`un dossier comportant un exposé des motifs et tous les éléments d`information qui permettront d`en apprécier la pertinence.

Toute demande d`accession au statut de membre associé doit se fonder sur une démonstration détaillée d`une situation satisfaisante au regard de l`usage du français dans le pays concerné et traduire une réelle volonté d`engagement dans la Francophonie, tant au plan national qu'international, en souscrivant à ses valeurs, telles qu`affirmées par sa Charte et par les Déclarations de ses Sommets et Conférences ministérielles (reprise de l'acquis francophone). Par ailleurs, il sera tenu compte de la présence d'établissements adhérents à l'AUF, ainsi que de l'adhésion d'une section du Parlement à l'APF ou de certaines villes à l'AIMF, ou encore de la participation des candidats à la Confémen ou à la Conféjes.

Parmi les éléments d`information requis pour l`instruction de la demande, il y a lieu de distinguer :

· dans l`espace linguistique

- le statut du français (langue nationale, officielle, d`enseignement, seconde, étrangère la plus favorisée) ;

- les mesures éventuelles, législatives ou réglementaires, concernant le français ;

- l`évolution concernant la place du français dans le pays par rapport aux autres langues ; - le nombre et le pourcentage de francophones estimés ;

- l`existence d`une structure spécifique chargée de l`action en faveur du français ; - la présence d`associations oeuvrant en faveur de la langue française ;

· dans l`espace pédagogique

-

477

la scolarisation en français (quand celui-ci n`est pas langue première) ;

- le nombre total d`élèves et d`heures d`enseignement du et en français aux niveaux primaire, secondaire et supérieur ;

- la scolarisation dans d`autres langues internationales ;

- la présence de filières francophones dans l`enseignement supérieur ;

- la présence de départements de langue française ;

- l`estimation du nombre d`étudiants nationaux poursuivant leurs études dans les pays francophones ;

- l`estimation du nombre d`enseignants et d`assistants de français en provenance de pays francophones ;

- l`utilisation d`un enseignement francophone à distance ;

- l`indication de réformes éducatives concernant l`enseignement du français mises en application ou en passe de l`être ;

- la situation de l`édition scolaire en français ;

- l`existence de partenariats entre établissements d`enseignement du pays et des établissements d`enseignement de pays francophones ;

- le volume de bourses à destination d'établissements francophones à l'étranger ou de bourses de stages pour des formations courtes ;

· dans l`espace culturel

- les manifestations francophones les plus marquantes (littérature, théâtre, musique, arts de la rue, cinéma, multimédias, arts plastiques, rencontres d`auteurs et de créateurs) ;

- l`existence de centres ou d`instituts culturels francophones ;

- la circulation des spectacles et expositions francophones ;

- les programmes et projets de développement culturel menés en bilatéral ou multilatéral francophone ;

- la collaboration avec des centres culturels francophones étrangers ;

- l`existence d`un public consommateur d`activités culturelles francophone ;

- la présence de réseaux d`éditeurs, d`imprimeurs et de distributeurs dans le livre et la presse écrite en français ;

- l`existence d`un statut des minorités linguistiques et culturelles francophones (reconnaissance et promotion de la langue française) ;

- l`expression et la présence de la langue française dans l`espace public (médias, événements culturels, débats de société) ;

- l`émergence d`auteurs écrivant directement en français ;

· dans l`espace de communication

- les principaux titres de la presse écrite en langue française importés dans le pays ;

- les principaux titres de la presse écrite édités dans le pays ;

- l`indication des principaux points de vente (hôtels, aéroports, librairies, kiosques) ;

- la vitalité de la presse francophone ;

- la captation de chaînes de radio en langue française ;

- les programmes des chaînes n`émettant que partiellement en français (contenu) ;

- l`évolution du paysage radiophonique francophone ;

- la réception de chaînes de télévision en langue française ;

- le contenu des chaînes n`émettant que partiellement en français ;

- les hôtels équipés pour la réception de chaînes francophones (câble et satellite) ;

- les modifications majeures intervenues dans le paysage audiovisuel (dans un sens favorable ou défavorable au développement de la langue française et de la francophonie, création ou suppression de programmes en langue française, accès à de nouvelles chaînes) ;

- l`existence d`accords de coopération (formation du personnel, aide technique et en matériel) et de coproduction avec des pays francophones ;

- l`état de la législation du pays concernant la liberté de la presse et de l`audiovisuel ;

· dans l`espace économique

- les investissements directs en provenance de pays francophones ;

- les grands contrats signés récemment avec des pays francophones ;

478

- les accords commerciaux et de protection des investissements avec des pays francophones ; - les importations de pays francophones et exportations vers des pays francophones ;

- l`organisation de la concertation dans le cadre de l`OMC avec d`autres pays francophones ; - l`évolution de la pratique des langues dans les entreprises ;

- la solidarité envers les pays en développement ;

· dans l`espace politique et juridique

- l`évolution de la démocratie et de l'État de droit ;

- l`existence de services officiels chargés du suivi des questions de droits de l`Homme ; - la signature ou ratification de traités ayant le droit comme champ d`application ;

- les programmes importants de coopération juridique avec des pays francophones ;

· pour le rayonnement de la Francophonie

- l`initiative la plus réussie en matière de promotion de la Francophonie ; - l'attachement à la promotion de la diversité culturelle ;

- les manifestations centrées sur la Francophonie ;

· dans l`espace associatif

- la présence d`associations locales qui se référent explicitement à la langue française ou à la Francophonie (regroupements professionnels, associations de femmes et de jeunes) ;

- l`affiliation de ces associations à des associations internationales francophones ;

- les principales évolutions concernant la vie associative francophone ;

- la présence du français dans les loisirs et sur les lieux publics ;

· au plan international et multilatéral

- la reprise de l`acquis francophone ;

- la participation effective et régulière à la concertation francophone dans les organisations internationales ou dans les grandes conférences ou sommets mondiaux et régionaux ;

- la participation à des groupes d`ambassadeurs francophones auprès des organisations internationales ;

- l`engagement de principe d`utiliser la langue française dans les enceintes internationales, lorsque la langue nationale de l'État membre n`est pas reconnue comme langue de travail.

D. Pour l`obtention du statut de Membre de plein droit

Le membre associé fera rapport annuellement au Conseil permanent de la Francophonie en fonction des éléments d`appréciation figurant sous la lettre C qui précède.

L`accès du membre associé au statut de membre à part entière n`est pas de droit. La demande formelle de changement de statut devra faire apparaître les progrès et les avancées substantielles accomplis par rapport à la situation présentée au moment de l`obtention du statut de membre associé. Ces progrès et ces avancées devront refléter un engagement accru du membre associé dans la concertation et la coopération francophones, ainsi qu`un usage en progrès de la langue française.

479

IV- Annexe 4

L'organigramme de l'OIF

V- Annexe 5

480

481

2.2 Chaque partie invitera l'autre à se faire

représenter, conformément à ses procédures et pratiques en vigueur, aux conférences et réunions qu'elle organise sur des questions d'intérêt commun.

2.3 Les parties procéderont, chaque fois que cela

sera souhaitable et utile, à des consultations portant sur des questions d'intérêt commun ou des sujets relatifs à leur coopération.

3. Mode de coopération

3.1 Les parties coopéreront dans le cadre de ce

mémorandum en conformité avec leurs actes consultatifs et leurs politiques et critères respectifs en vigueur.

3.2 Chaque partie pourra soumettre à l'autre toute

question pour laquelle l'assistance de celle-ci est susceptible de renforcer les objectifs communs des deux Organisations.

3.3 Chacune des parties accepte de coopérer avec

l'autre, chaque fois que cela est utile et dans toute la mesure du possible, sous forme d'échange de personnels ou de prestation de services. Les charges financières afférentes à ces échanges et prestations feront l'objet d'ententes, cas par cas, entre les deux organisations.

3.4 Dans l'intérêt de leurs Etats membres communs,

les deux organisations acceptent, chaque fois que cela est possible, de coordonner et d'harmoniser leurs programmes dans les domaines analogues relevant de leurs activités.

3.5 Afin d'obtenir une meilleure efficacité dans la

réalisation de leurs tâches respectives, les deux parties acceptent de mettre l'accent, chaque fois que cela est possible, sur la recherche et la mise en place de programmes ou de projets conjoints, dont la conception et la réalisation bénéficieraient de l'expérience et des ressources des deux organisations.

4. Questions diverses

4.1 Le présent mémorandum entrera en vigueur à la

date de sa signature.

4.2 Les parties pourront réviser ou amender le

présent mémorandum et adopter tout arrangement complémentaire approprié conforme à l'esprit de ce mémorandum. Les amendements éventuels entreront en vigueur après que chaque partie aura accompli les j;ormalités de procédure requises.

Jean Louis Le Secrétaire

482

a ANY
·OKU

Le Secrétair- générai

4.3 Chacune des deux parties pourra dénoncer le

présent mémorandum par notification écrite à l'autre partie avec un préavis de six mois.

En foi de quoi, les deux parties ont signé, le 26 juin 1992, à Londres, le présent mémorandum en deux exemplaires, en français et en anglais, les deux textes faisant également foi.

LE SECRETARIAT L'AGENCE DE COOPERATION

DU COMMONWEALTH CULTURELLE ET TECHNIQUE

VI- Annexe 6

ORGANISATION

ktimo) INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE Avenant Au Memoire D'entente

Signé entre
Commonwealth Secretariat
et
L'Agence de Coopération Culturelle et Technique

PREAMBULE

Le Secrétaire général du Commonwealth et le Secrétaire général de l'Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT) ont signé un Mémoire d'entente le 26 juin 1992.

Le Secrétaire général du Commonwealth a été informé que l'Organisation Internationale de la Francophonie se substitue, dans ses droits et obligations, â l'Agence de Coopération Culturelle et Technique qui devient "l'opérateur principal" de l'Organisation.

Le Commonwealth et l'Organisation Internationale de la Francophonie désirant que le texte du Mémoire d'entente originel reflète ce changement.

En conséquence, aux ternies de l'article 4.2 dudit Mémoire d'entente, il est agréé ce qui suit :

1. Toutes les références au terme "L'Agence de Coopération Culturelle et

Technique" doivent être remplacées par le terme "Organisation Internationale de la Francophonie".

Toutes les autres clauses dudit Mémoire d'entente "demeurent inchangées".

En foi de quoi les parties ont signé cet avenant au Mémoire d'entente, ce 15 juillet 1999, en français et en anglais, les deux textes faisant foi.

Organisation Internationale de la Francophonie

Commonwealth Secretariat

Boutros Boutros-Ghali

 

483

CABINET DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL

28, RUE DE BOURGOGNE - 75007 PARIS - TEL 33 (0}1 44 1 1 12 50 - FAX 33 (0,)1 44 11 12 76

VII- Annexe 7

ORGANISATION

Lia)

INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE

Supplement to the Memorandum of Understanding between:

Commonwealth Secretariat

and

L'Agence de Cooperation Culturelle et Technique

PREAMBLE

The Secretary-General of the Commonwealth and the Secretary-General of L'Agence de Cooperation Culturelle et Technique (ACCT) entered into a Memorandum of Understanding on the twenty-sixth day of June 1992.

The Secretary-General of the Commonwealth has been advised that l'Organisation Internationale de la Francophonie has assumed the rights and obligations of L'Agence de Cooperation Cuiturelle et Technicque which has become its "principal operating agency".

Both the Commonwealth and l'Organisation Internationale de la Francophonie are desirous of the original Memorandum of Understanding reflecting this change.

Accordingly, in terms of paragraph 4.2 of the said Memorandum of Understanding, it is agreed as follows:

1. All references to the name, "L'Agence de Cooperation Culturelle et

Technique" shall be replaced by the name, "l'Organisation Internationale de la Francophonie".

All other clauses of the said Memorandum of Understanding remain unchanged.

In witness whereof the parties hereto have signed this Supplement to the Memorandum of Understanding on this 15th day of July 1999 in the English and French languages, both equally authentic.

Emeka A aoku

Commonwealth Secretariat

L'Organisation Internationale de la Francophonie

A4 C, JA AL CIr )mos i
·-!
Boutros B uf GhaIi

484

CABINET DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL

28, RUE DE (BOURGOGNE - 75007 PARIS -TL 33 10)1 44 11 12 50 - FAX 33 (0)1 44 11 12 76

485

VIII- Annexe 8

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

1986

 
 
 
 
 
 
 

1987

 
 
 
 
 
 
 

1989

 
 
 
 
 
 
 

1991

 
 
 
 
 
 
 
 
 

1993

 
 
 
 
 
 
 

1995

 
 
 
 
 
 
 

1997

 
 
 
 
 
 
 

1999

 
 
 
 
 
 
 

2002

 
 
 
 
 
 
 
 

2004

 
 
 
 
 
 
 

2006

 
 
 
 
 
 
 

2008

 
 
 
 
 
 
 

2010

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

LES SOMMETS DE LA FRANCOPHONIE

Ier Sommet Versailles (France)

 
 
 
 
 
 

IIe Sommet Québec (Canada-Québec)

 
 

Déclaration de Québec

 
 
 

Déclaration de Dakar

Déclaration de Chaillot

IIIe Sommet Dakar (Sénégal)

IVe Sommet Paris (France)

Ve Sommet

Grand-Baie (Maurice)

VIe Sommet Cotonou (Bénin)

VIIe Sommet Hanoï (Viet Nam)

Déclaration de Maurice

Déclaration de Cotonou

Déclaration de Hanoï

VIIIe Sommet Moncton (Canada-Nouveau-Brunswick)

 

Déclaration de Moncton

 
 

IXe Sommet Beyrouth (Liban)

Xe Sommet Ouagadougou (Burkina Faso)

Déclaration de Beyrouth

Déclaration de
Ouagadougou

XIe Sommet

Bucarest (Roumanie)

XIIe Sommet Québec (Canada-Québec)

XIIIe Sommet Montreux (Suisse)

Déclaration de Bucarest

Déclaration de Québec

Déclaration de Montreux

2012

 

XIVe Sommet

Déclaration de

 

Kinshasa (RDC)

Kinshasa

2014

XVe Sommet

Déclaration de

 

Dakar (Sénégal)

Dakar

2016

XVIe Sommet

Déclaration

 

Antananarivo

 
 

(Madagascar)

 

486

Nota Bene : Du 11 et 12 octobre 2018, la capitale de l'Arménie, Erevan, a organisé le XVIIe Sommet de la Francophonie. Ce Sommet avait pour thème « Vivre ensemble dans la solidarité, le partage des valeurs humanistes et le respect de la diversité : source de paix et de prospérité. » Quant au XVIIIe Sommet, il sera organisé par la Tunisie en 2020, et l'OIF profitera de ce Sommet pour fêter ses 50 ans et rendre hommage à Habib Bourguiba, l'un des pères fondateurs de la Francophonie institution.

IX- Annexe 9

L'hymne national du Sénégal

Paroles officielles/ texte écrit par Léopold Sédar SENGHOR

1er couplet :

Pincez tous vos koras, frappez les balafons.

Le lion rouge a rugi.

Le dompteur de la brousse

D'un bond s'est élancé,

Dissipant les ténèbres.

Soleil sur nos terreurs, soleil sur notre espoir.

Debout, frères, voici l'Afrique rassemblée

Refrain :

Fibres de mon coeur vert.

Épaule contre épaule, mes plus que frères,

O Sénégalais, debout !

Unissons la mer et les sources, unissons la steppe et la forêt !

Salut Afrique mère.

2e couplet :

Sénégal toi le fils de l'écume du lion,

Toi surgi de la nuit au galop des chevaux,

Rend-nous, oh ! rends-nous l'honneur de nos ancêtres, Splendides comme ébène et forts comme le muscle

487

Nous disons droits - l'épée n'a pas une bavure. (Refrain)

3e couplet :

Sénégal, nous faisons nôtre ton grand dessein : Rassembler les poussins à l'abri des milans Pour en faire, de l'est à l'ouest, du nord au sud, Dressé, un même peuple, un peuple sans couture Mais un peuple tourné vers tous les vents du monde.

(Refrain)

4e couplet :

Sénégal, comme toi, comme tous nos héros, Nous serons durs sans haine et des deux bras ouverts. L'épée, nous la mettrons dans la paix du fourreau, Car le travail sera notre arme et la parole. Le Bantou est un frère, et l'Arabe et le Blanc.

(Refrain)

5e couplet :

Mais que si l'ennemi incendie nos frontières

Nous serons tous dressés et les armes au poing :

Un peuple dans sa foi défiant tous les malheurs,

Les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes.

La mort, oui ! Nous disons la mort, mais pas la honte.

(Refrain)

488

X- Annexe 10

QUELQUES ARTICLES DE SENGHOR SUR LA FRANCOPHONIE ET SUR LA CULTURE AFRICAINE

489

LEOPOLD SEDAR SENGHOR

toires » sous « tutelle ». C'est tout juste si l'on n'appellera pas les futurs -- anciens -- colonisés à légiférer à sa place sur ses propres affaires. En un mot, les Négro-Africains continueront à être sous la « domination » des Métropolitains et des non-Africains.

Ce mépris non déguisé à l'endroit de notre pays et de notre race perce dans les discours officiels et dans les déclarations officieuses. II est encore plus perceptible à certa'ns silences particulièrement éloquents. Nous le retrouvonsjusque dans certains journaux de gauche et chez de courageux anticolonialistes comme le colonel Bernard, qui écrit, dans Combat du 22 avril 1945, qu'en A. O. F. la France n'a « à résoudre que des problèmes élémentaires ». Et il poursuit : « Il s'agit simplement de faire vivre les indigènes et de leur permettre de se multiplier. » Comme des vaches laitières, n'est-ce pas ?

Les faits sont encore plus significatifs que, les déclarations et les silences.

Pour toutes les colonies ou protectorats, des réformes importantes ont été amorcées depuis la Libération. Madagascar a été dotée d'un « Conseil représentatif » qui a voix délibérative ; les habitants de I'Océanie obtiennent la citoyenneté française. Et je ne parle ni de l'Afrique du Nord ni de l'Indochine.

Tout cela n'est que justice, et nous, Négro-Africains, ne pouvons que nous en réjouir. On ne fera jamais assez pour les peuples d'outre-mer : nous ne sommes pas pour le nivellement par le bas.-Mais, si nous demandons la justice pour les autres, nous la demandons également pour nous. Or qu'a-r-on fait pour l'Afrique noire depu's 1942 -- pour certaines colonies, je devrais dire : depuis 1940 ?

Certes, le gouverneur général Eboué, dont on ne saurait ne pas faire l'éloge, a réalisé des réformes politiques et sociales en A. E. F. Mais, nous devons le dire, nous sommes encore bien loin du compte si l'on songe à l'état de déchéance oii les grandes compagnies concessionnaires avaient réduit l'A. E. F. ; nous sommes loin du compte si l'on songe que ces colonies ont été, avec le Cameroun, les premières à se rallier au général de Gaulle et qu'elles n'ont, pour ainsi dire, jamais cessé k combat.

En A. O. F., par contre, et au Togo -- ,le Cameroun s'est quelque peu inspiré de l'A. E. F. -- aucune réforme sérieuse. On n'y parle même plais d'épuration et l'esprit de Vichy semble y régner toujours ; un esprit paternaliste, pour ne pas dire raciste. Encore une fo's, les faits sont significatifs. Je n'en signalerai que quelques-uns.

Et d'abord, le traitement infligé aux prisonniers sénégalais. Tous ceux qui ont vécu dans des camps de prisonniers coloniaux

238

490

DEFENSE DE L'AFRIQUE NOIRE

vous diront que les Noirs -- Antillais et Sénégalais --- furent Ies plus imperméables à la propagande nazie. J'entends encore un membre de la Gestapo me d.sant, au Frontstalag 230: « Avouez que vous, Ies Noirs, vous êtes tous gaullistes et communistes. » C'est de ce Frontstalag que les fils du gouverneur général Eboué furent déportés dans le Nord en raison de leur attitude and-allemande. Après le débarquement allié, nombreux furent les Séné-galais qui prirent le maquis et se battirent dans les rangs F. F. I. Cependant, dès la Libération, par une inconcevable discr.mination raciale, on rétablissait l'inégalité dans les soldes des coloniaux -- et les Négro-Africains étaient parmi les moins favorisés. ils se pla'gnirent de cela et de bien d'autres choses encore- En réponse, on employa contre eux la force -- c'est un euphémisme -- et on les traita comme de vulgaires collaborateurs. On alla jusqu'à les accuser d'être « gangrenés par la propagande nazie » ! Il y a des noms qui, depuis lors, sonnent le glas dans les consciences négro-africaines : Morlaix ! Mont-de-Marsan ! Versailles ! Tiaroye !...

. L'Enseignement en Afrique noire. On nous apprend triom-phalement que, pour cette année, le budget de l'Enseignement en A. E. F. a augmenté de 40 %. Bravo ! Mais on ne nous dit pas quel pourcentage il représente sur le budget global de la Fédéra-tion. Pour FA. O. F., c'est 8.000 nouveaux élèves qu'on nous annonce. Mais on ne précise pas qu'il n'y a pas plus-de 75.000 gar-çons et filles -- Enseignement libre compris -- à fréquenter l'école ; et cela pour une population scolaire d'environ 1.500.000 enfants. C'est-à-dire qu'il y a moins d'élèves à l'école que de sol-dats dans l'armée. Cette simple proposition exprime tout le drame de l'Afrique noire française. Et ce n'est pas tout. Pratiquement, il n'y a toujours pas de bourses pour l'Enseignement secondaire -- la Libération n'y a rien changé et les autor'tés locales continuent à considérer le baccalauréat non comme un passeport pour '.'Ensei-gnement supérieur, mais comme une fin en soi, plut& comme un moyen de recruter des commis à bon marché. Quant aux bôurses d'Enseignement supérieur pour la métropole, il a fallu toute l'éner-gie du ministère des Colonies pour que le gouvernement général consentît à en accorder... quatre. On comprend dés lors qu'a Braz-zaville les gouverneurs réunis aient demandé plus d'indépendance pour eux-mêmes.

En quittant Brazzaville, Ies gouverneurs avaient reçu des ins-tructions leur recommandant de ne pas attendre le vote de la nou-velle Constitution française pour procéder à des réformes -dans l'esprit de la conférence. Nous avons vu comment le gouverneur général de Madagascar avait compris ces instructions ; nous avons dit que Félix Eboué avait fait de son mieux en A. E. F. En A.O.F.,

239

491

LEOPOLD SEDAR SENGHOR

par contre, et au Togo, à part quelques réformes d'ordre économique et social -- qui n'ont pas toujours été du goût des indigènes -- rien n'a été fait du point de vue politique : aucune assemblée délibérative à l'échelle de la colonie ou de la fédération, autune assemblée consultative nouvelle. Hier encore, un décret refusait aux seules Sénégalaises, parmi les citoyennes françaises, le droit de vote. I1 a fallu l'énergique protestation de tout un peuple pour que l'on se décidât à rapporter ce décret.

Non seulement aucune réforme politique de quelque importance n'a été réalisée en Afrique noire, mais toute une série de mesures décrétées par Vichy y ont été maintenues, mais l'esprit raciste n'y a pas été éliminé. Ainsi la « ségrégation » s'y pratique encore : il y a encore, dans les queues, une file pour Blancs et une autre pour Noirs ; dans les banques, un guichet pour gens à peau claire, et un autre pour gens à peau sombre. Car ce n'est plus du racisme : c'est de l'« épidermisme ». Plus grave : les fonctionnaires indigènes ne touchent d'indemnités que pour les quatre premiers enfants ; les enfants supplémentaires n'intéressent pas le gouvernement ; et, quand un Européen ou un « non-Africain » touche 100 francs, le Négro-Africain ne touche que 4 francs. Plus grave encore : les fonctionnaires indigènes révoqués comme « gaullistes.» n'ont pas encore reçu réparation, alors que les autres ont été réintégrés avec rappel et avancement.

J'entends les malins qui iront disant que les populations de l'Afrique noire ne sont pas assez « évoluées ». Nous reviendrons sur cette idée d'évolution, qui est une idée fausse. Nous pouvons dire, dès maintenant, que c'est leur qualité d'humains qui confère des droits aux hommes, non leur qualité d'« évolués », de « civi-li,és ». C'est l'absence de ce fondement qui fait la fragilité de l'édifice de Brazzaville. Mais, même pour celui qui accepte l'esprit de Brazzaville, les réformes préconisées par les recommandations se fondent moins sur l'évolution des colonies que sur les « services qu'ils ont rendus à la nation au cours de Cette guerre ». Qui niera que les services rendus par l'Afrique noire aient été de tout premier ordre ?

En effet, c'est le Tchad qui, sous la direction du gouverneur noir Eboué -- un Guyanais de sang africain -- fut la première colonie â se rallier au général de Gaulle, le 26 août 1940. Bientôt après, le Cameroun et les autres colonies de l'A. E. F. suivaient l'exemple du Tchad. Et, pendant deux ans -- jusqu'en novembre 1942 -- l'A. E. F. et le Cameroun devaient constituer la force

240

492

DEFENSE DE L'AFRIQUE NOIRE

principale de la France Combattante, Brazzaville étant la capitale de la France Libre. Nous avons vu quelle avait été l'attitude des prisonniers sénégalais dans les Frontstalags. Hors d'Europe, pendant deux ans, les troupes noires formèrent une bonne partie des troupes françaises, la grosse majorité des troupes indigènes. Et elles s'illustrèrent au Fezzan, en Erythrée, en Sytie, à Bir-Hakeim. Depuis, elles n'ont cessé le combat.

Mais l'A. O. F. ne restait pas inactive sous la dictature du vichyssois Boisson. En octobre 1942, Lamine Ceciaye, avocat à Dakar, me disait que Boisson avait fait l'unanimité contre sa politique et que tous les noirs d'A. O. F. regardaient vers le Sud, vers l'A. E. F. Des groupes d'indigènes s'étaient organisés pour renseigner les Alliés sur les mouvements des navires, et en particulier sur les cargaisons chargées. En fait, seuls des Noirs furent condamnés â mort comme « gaullistes », après débats contradictoires -- les Européens ne le furent que par contumace --, seuls des noirs furent exécutés.

Mais on nous répond invariablement que nous ne sommes pas assez « évolués » et on nous offre, en attendant, une « tutelle » généreuse. Un pécheur de la banlieue de Dakar comparait le colonisateur paternaliste à un homme puissant qui s'est emparé de l'héritage d'un adolescent, fils de famille, et qui lui dit : « Quand tu seras instruit, expérimenté, pondéré, je te déclarerai majeur et te rendrai ton héritage. » Et notre bonhomme de pêcheur de conclure : « Croyez-vous que l'homme puissant s'empressera de proclamer la majorité de l'adolescent ? » Car on peut s'étonner d'entendre justifier de flagrantes injustices par cette idée d'évolution quand les autorités locales mettent tout en oeuvre pour freiner cette évolution, singulièrement pour empêcher la formation d'une élite capable de diriger la colon'e. Pour prendre un exemple caractéristique, chaque fois qu'est créé un nouvel établissement d'enseignement secondaire, l'administrat'on locale déclare officieusement, sinon officiellement, qu'il est réservé aux Européens et aux.« Non-Africans ». Bien mieux, depuis ta Libération, au lycée Faidherbe de Saint-Louis-du-Sénégal, créé officiellement pour récompenser les Sénégalais -des services rendus à la France pendant la guerre de 1924-1918, les proviseurs successifs se sont acharnés à décourager les élèves. Quand ils n'y parvenaient pas, ils les renvoyaient sous un prétexte ou un autre. On trouve toujours des « raisons » : l'âge, l'indiscipline, étc. A tel point que la population émue a dû adresser une protestation au gouverneur pour lui rappeler les promesses de la métropote.

s

C'est à l'idée même d'évolution qu'il faut s'attaquer. C'est une idée « bourgeoise », donc intéressée, comme le démontrent les faits

241

493

LEOPOLD SEDAR SENGHOR

que nous venons de signaler. C'est de plus une idée faussement scientifique. Elle suppose, en effet, que l'essence de la civilisation est d'évoluer, d'être dynamique. Nous savons que la civilisation européenne occidentale, en l'espace de deux mille cinq cents ans -- ce qui est bien peu dans l'histoire de l'humanité -- n'a pas traversé moins de quatre crises dont chacune a profondément transformé l'échelle des valeurs humaines en Occident. Mais nous savons qu'il y a eu de grandes civilisations qui sont restées statiques pendant des millénaires, telles les civilisations égyptienne et chinoise. La fièvre de l'Occident n'est donc pas` par elle-même un critérium de civilisation. Cette idée d'évolution suppose également que la marche de chaque civilisation doive se faire suivant le processus européen : Grèce, Rome, moyen âge, temps modernes. Autrement dit : humanisme, chrétienté, économisme. On pourrait cl ailleurs ajouter d'autres séries selon d'autres points de vue. C'est là la conception « linéraire » de l'évolution. Ce qui est vrai, c'est que toute civilisation naît, se développe, décline et renaît -- parfois plusieurs fois -- avant de s'épuiser et de mourir, mais, dans chaque cas, su'vant son rythme propre et ses traits singuliers. Même si nous nous en tenons à la seule Europe, qui niera que k processus d'évolution de l'Italie ait été différent de celui de la Norvège ? Au fond, c'est le concept même de « civilisation » qui est en jeu. L'Europe croit que seule la civilisation occidentale moderne mérite ce nom; une civilisation fondée sur le progrès technique et l'accroissement des richesses matérielles. Or la civilisation est « un ensemble de relations morales fondées sur le sentiment des devoirs récipr 'ques qu'ont les hommes les uns envers les autres, et un ensc.oblc d'institutions et de ménanismes qui de L'extérieur dirigent et gouvernent Ies hommes ». (1) Ce qui fait objectivement la valeur d'une civilisation, c'est donc : 1°, l'équ'Iibre, l'harmonie entre Ies valeurs morales et les valeurs techniques ; 2° si nous considérons séparément les deux aspects de l'ensemble, le degré de sociabilité d'une part, le degré de perfection des mécanismes d'autre part. Mais qui ne voit que c'est le moral plus que la technique qui fait notre supériorité sur les animaux ?

On nous rétorque que, même en partant de cette déftn'tion, l'Afrique noire ne peut prétendre â être civilisée, Car qu'est-elle pour le Français moyen ? C'est, pour les uns, une forêt impénétrable et inhumaine oui des bêtes féroces et des serpents venimeux

(1) A. LtiBnzoLA, Le Crépuscule de l'Occident,

242

494

DEFENSE DE L'AFRIQUE NOIRE

terrorisent Ies pauvres indigènes, qui vivent dans une peur devenue congénitale. C'est, pour les autres, un pays facile dont les habitants vivent dans 1 indolence. Quoi d'étonnant ? Des bananes et d'autres fruits merveilleux leur tombent dans la bouche, tout mûrs, tout pelés. Pour l'intellectuel, c'est un pays aux moeurs barbares, un pays d'ignorance où les sens vivent trop intensément pour qu'y vive l'esprit. Que l'on ne croie pas à une charge. M. Pleven, l'ancien ministre des Colones du gouvernement provisoire, préfaçant le numéro de Renaissance consacré au problème colonial, parlait des « grands fléaux qui ravagent les sociétés primitives, qu'ils s'appellent la maladie, la superstition, l'ignorance, la tyrannie, la corruption, l'exploitation, la cruauté ». Le malheur est que ce n'est même pas de la propagande officielle, car M. Pleven est un homme de bonne volonté et un ministre de grande classe. Et il n'était pas non plus un imbécile -- loin de là ! -- cet agrégé de l'Un versité qui me disait en toute candeur « humaniste » « Comment pouvez-vous parler de civilisation en Afrique, chez des peuples sans villes ni monuments, sans écriture ni littérature, sans organisation politique ni sociale, sans rel'gion, sans art ? » La phrase est bien cicéron;enne ; je crains qu'elle ne soit que cela.

Les Négro-Africains sans villes ni monuments ? Mais les Européens ne trouvèrent-ils pas, à la fin du moyen âge européen, des villes de 100.000 à 200,000 habitants en plein coeur de la Nigritie ? C'est Marcel Griaule qui écrivait l'autre année, sous l'occupation : « Les Noirs n'ont attendu aucun colonial de génie pour v'vre en collectivité : lorsque les Portugais sont arrivés au Bénin, ils y trouvèrent à peu de chose près ce que nous y voyons aujourd'hui. Dès la plus haute antiquité. der cités énormes se sont élevées là et ailleurs ; les ruines de la Rhodésie nous édifient à 'ce point de vue. Il faut se rendre à l'évidence : à une époque où les villes de 100.000 habitants se comptaient avec les doigts sur le pourtour de la Méditerranée, la Nigéria avait déjà des municipalités monstres. » (Les Sao légendaires.) C'est toujours moi qui souligne. Il semble difficile, bien qu'on ait essayé de le faire, d'attribuer la construction de ces villes à des « Aryens » qui auraient disparu comme par enchantement. Les tradit'ons des indigènes s'y opposent comme les récits des anciens voyageurs arabes, qui ignoraient le racisme. Encore une fois, ces vestiges archéologiques se rencontrent "lans toute l'Afrique noire, aussi bien à l'ouest qu'à l'est. El Bekri, qui voyagea au soudan vers 1050, nous parle de « monuments funéraires gigantesques », qui rappelaient les pyramides égyptiennes; et, peu avant la guerre de 1939, on découvrait au Gold Coast des sculptures d'une imposante beauté que l'on ne pouvait non plus s'empêcher de comparer à l'art égyptien. Mais cela n'est pas

243

495

LEOPOLD SEDAR SENGHOR

pour étonner ceux qui, avec Léo Frobenius, croient à l'unité de style de toute l'Afrique.

Les Négro-Africains sans écriture ni littérature ? Je ne veux pas dénoncer ici le « préjugé de l'écriture ». Ce serait pourtant une tâche utile; cal il y eut de grandes civilisations sans écriture, comme celle des Incas. En Afrique même, ces civilisations ne furent pas les moins harmonieuses, les moins humaines -- elles n'étaient pas d'ailleurs sans moyens mnémotechniques. Je ne parlerai pas non plus de la littérature orale dont les ethnographes ont signalé la richesse et la variété, et dont toute une partie, celle des griots ou troubadours, peut être dite savante. Enfin, je ne parlerai pas des vieillies civilisations négroïdes de l'Est, quis épanouirent en Nubie et en Ethiopie. M. Griaule affirme que les Ethiopiens firent oeuvre de Bénédictins aux vite et viir siècles de l'ère chrétienne. je ne parlerai que de l'Afrique occidentale, de celle qu'Elfe Faure appelle « la Grèce Noire ». Il me faudrait d'abord évoquer les empires soudanais du moyen âge --- Ghana, Mali, Songhoï -- qui furent parmi les plus grands empires du monde d'alors. Et cela, non seulement par l'étendue, les richesses et la puissance militaire, mais encore par la vie de l'esprit. C'est qu'aussi bien, entre le x° et le xvie siècle, le « Soudan » fut un des phis brûlants foyers intellectuels et religieux de l'Islam. Les Universités de Tombouctou et de Djenné se distinguaient alors et par la qualité de leur enseignement, et par les oeuvres des maîtres. Ici encore les témoignages des écrivains arabes sont formels et rejoignent ceux des écriva'ns'soudanais. M. J. Béraud-Villars écrit : « ... Les écrivains du Maghreb et du Levant constataient eux-mêmes que les auteurs soudanais étaient d'éminents théologiens et que leurs travaux ajoutaient à la somme des sciences isla-rniques. » (L'Empire de Gad.) Les Nègres ne se contentèrent pas d'avoir des Universités et dés écrivains de langue arabe : en adaptant les caractères arabes à leurs idiomes, ils créèrent une littérature écrite en langue indigène. Jusqu'à nos jours, des foyers de culture se sont conservés au Fouta Sénégalais, au Fouta Djallon, dans les pays Haoussas. Bien mieux, des peuples noirs -- au moins deux -- ont inventé un système original d'écrture.

Les Négro-Africains sans organisation politique ni sociale? C'est là le thème fasciste et nazi de « l'anarch'e nègre », repris par André Dema'son depuis la guerre d'Ethiopie et développé sous l'occupation. Laissons un Italien, Arturo Labriola, lui répondre : « Pendant- cette énorme période (424 ans), l'Etat (du Bénin) avait montré une étonnante stabilité. Il n'avait eu que quatorze rois, avec une durée moyenne de règne de trente années, cependant que le règne moyen d'un roi anglais est de dix-huit ans. Voilà

244

496

DEFENSE DE L'AFRIQUE NOIRE

qui suffit à montrer la prétendue instabilité de la vie africaine (1) . » Le même auteur voit dans le « const-tutionnalisme », qui est en somme la forme la plus caractéristique de la démocratie, « un arrangement social spontané des races africaines ». En effet, à tous-les échelons du pouvoir, en Nigritie, depuis le Conseil du Trône, jusqu'au Conseil de famille, en passant par le Conseil du village, aucune décision ne peut être prise sans l'avis favorable d'une assemblée-délibérative, palabrante. Et, à tous les échelons, les chefs sont en général élus par un système qui tient en même temps de l'électorat et de l'héréd té. En tout cas, ils peuvent toujours être déposés par Ieurs subordonnés pour faute grave ou incapacité. Quant au système social, il est fondé sur la subordination de l'individu à la communauté et sur le travail considéré comme unique source de richesse, les moyens de production étant la propriété collective de la communauté.

Les Negro-Africains sans religion ? il suffit d'avoir entendu une fois le Révérend Père Aupiais parler du « fond religieux de l'âme africaine » pour découvrir dans l'Animisme un dogme, des cadres et un cérémonial, enfin une morale. Le fondement du dogme est celui de l'unité du monde : il n'y a pas d'opposition entre l'homme, la nature et Dieu. De l'herbe à Dieu, en passant par l'homme, les ancêtres et les génies, il n'y a pas de solution de continuité, tous les objets, tous les êtres n'étant que les mani-festat'ons de l'Etre. Les cadres sont formés par des collèges de prêtres, préparés dans de véritables séminaires et, d'autre part, par des lieux sacrés ou temples. Le cérémonial, riche d'instruments liturgiques, riche de symbolisme, de sens, consiste en prières, sacrifices et actions de grâces, comme dans toute religion digne de ce nom. Quant à la morale, elle est fondée sur l'ob -er-vation des « lois positives », Le R. P. Aupiais constate qu'elles « exercent la volonté pour l'affermir, en lui faisant accomplir les actes difficiles dans un but spirituel, sous le seul contrôle de la conscience individuelle ». En un mot, la morale consiste à accomplir des actes qui nous rapprochent, chaque jour davantage des ancêtres et de Dieu, qui nous identifient à eux dans un élan d'abandon et d'amour. Je dis « amour ». « Ma's c'est que j'aimais mon Dieu », répondait un noir converti, à un - missionnaire qui lui demandait pourquoi il avait adoré les « idoles ».

Je n'insisterai pas sur l'art négro-africain. Aussi bien les dons artistiques sont ce qu'on accorde le plus volont'ers aux Nègres. Et Gobineau le premier. On sait quelle a été l'influence de leur art sur le cubisme, sur un Picasso en particulier. Et il ne

(I) Le Crépuscule de l'Occident.

245

497

LEOPOLD SEDAR SENGHOR

faudrait pas seulement parler de peinture et de décoration, mais encore de mus que -- influence par le détour de l'Amérique. C'est la sensibilité même de l'Occident qui en a peut-étre été modifiée. 1] y a là-dessus des pages très' suggestives, sinon justes, dans le Diagnostic de l'Amérique et de l'Américanisme du comte de Keyserling.

Nous voilà bien loin des jugements sommaires et méprisants de notre agrégé de l'Université. Il est vrai cependant qu à la fin du xtxe siècle, au moment où s'achevait le partage du continent entre les nations européennes, l'Afrique offrait, trop souvint, un état lamentable de dé:;olation et d'anarchie. Mais la vraie raison en est que, pendant plus de trois siècles, l'Afrique Noire avait été, au dire du français Dard, « un théâtre de pillage, de fraude, d'oppression et de sang ». Pendant plus de trois siècles, les négriers avaient exporté chaque année 60.000 à 80.000 esclaves pour les plantations du Nouveau Monde. Si l'on veut bien faire un petit calcul, cela fait environ 20 millions d'hommes. Et, comme il faut compter dix hommes tués pour un esclave exporté, c'est de plus de 200 millions d'individus que la traite priva l'Afrique. On comprend,'maintenant, que pour justifier la traite comme les conquêtes coloniales, l'Europe ait inventé « l'idée du Nègre barbare ». Et ce n'est pas tout : « l'occupation » européenne a été, dans ses débuts du moins et en certaines régions, une terrible mangeuse d'hommes. M. Arturo Labriola, s'appuyant sur des documents officiels, parle du « dépeuplement systématique » pratiqué au Congo Belge à la fin du 'axe 'siècle et qui a coûté à la malheureuse région une perte sèche calculable à son minimum... de vingt millions d'êtres humains en vingt-trois années (1). On sait la féroce politique que les blancs sud-africains ont toujours pratiqué à l'égard de leurs noirs qui sont aujourd'hui les plus malheureux du monde. On sait que, pendant des années (cf. Maran, André Gide, Albert Londres, Marcel Sauvage. etc), I'A.E.i~., livrée aux puissances d'argent, a été une terre de souffrances et de mort.

Cependant, malgré la traite, malgré Ies dures années qui suivirent la conquête, l'Afrique Noire, si elle a perdu dans la plupart des cas ses institutions, a du mons conservé son « canon moral ». C'est dire la vigueur de sa civilisation passée. Le R. P. Aupiais, parlant des Négro-Africains écrit dans Les Noirs (Editions Univers) : « De sorte que nous les connaissons pauvres. sans convoitises, intéressés sans avarice, -malléables sans versatilité, dignes sans morgue, souples sans hypocrisie, joyeux sans dissi-

(1) op. cit., p. 286. 246

498

DEFENSE DE L'AFRIQUE NOIRE

pation . » Frobénius avait déjà dit : « Ce n'est pas une chose étonnante que-précisément ici, dans cette Afrique tellement méprisée, se soient con.,erves des germes de civilisation si imposants, et que, même aujourd'hui, ils continuent à agir... Est-ce une chose si difficile de fa:re de ces hommes si actifs et diligents, les collaborateurs d'une ouvre consciente de civilisation I » (Und Afrika Sprach.)

Oui, est-ce une chose si difficile? Toute la question est là. On nous demande notre coopération pour refaire une France qui soit à la mesure de l'Homme et de l'universel. Nous acceptons, mais il ne faut pas que la métropole se leurre ou essaye de ruser. Le « Bon Nègre » est mort; les paternalistes doivent en faire leur deuil. C'est la poule aux veufs d'or qu'ils ont tuée. Trois siècles de traite, un siècle d'occupation n'ont pu nous avilir, tous les catéch'smes enseignés --- et les rationalistes ne sont pas les moins impérialistes -- n'ont pu nous faire croire à notre infériorité. Nous voulons une coopération dans la dignité et l'honneur, sans quoi ce ne serait que « kollaboration », à la vichyssoise. Nous sommes rassasiés de bonnes paroles -- jusqu'à la nausée -- de sympathie méprisante ; ce qu'il nous faut ce sont des actes de justice. Comme le disait un journal sénégalais : Nous ne sommes pas des séparatistes, mais nous voulons l'égalité dans la cité. Nous disons bien : l'égalité.

Pratiquement, nous voulons, entre autres choses :

1° Que la Constituante complète la déclaration des « Droits de l'Homme », en ajoutant à la liberté et à l'égalité des individus celle des peuples et des races;

2° Que la métropole, au lieu de s'appuyer, sans consulter les intéressés, sur des coutumes dont on a brisé les cadres et parfois vidé l'esprit, laisse les autochtones eux-mêmes modifier leurs institutions. Car se sont eux-mêmes qui doivent assimiler les éléments solubles de la civilisation française;

3° Qu'à l'échelle de la Colonie et de la Fédération, il y ait des assemblées délibératives --- et non consultatives -- qui soient obligatoirement consultées pour toutes les questions intéressant la Colonie ou la Fédération;

4° Qu'un sérieux effort d'instruction et d'éducat'on soit entrepris. Nous voulons, en particulier : A) Qu'un lycée avec internat soit créé dans chaque colonie, lycée largement ouvert aux autochtones par l'octroi de. bourses; B) Qu'il soit créé 3 Dakar une Université avec Faculté de médecine, Faculté de pharmacie, Faculté de droit, et Ecole vétérinaire, dont les élèves sortiraient

247

499

LEOPOLD SEDAR SENGHOR

des lycées; C) Que des bourses d'Enseignement supérieur pour la métropole soient accordées généreusement pour les autres tacultés et les grandes écoles;

5° Que les autochtones puissent, à titres égaux, accéder à toutes les fonctions administratives, et qu'à fonctions égales correspondent des traitements égaux;

6° Que la justice soit la même pour les autochtones comme pour les Européens et les « non-Africains ». Qu'en particulier des magistrats de carrière soient à la tête de tous les tribunaux et que les droits de la defense soient sauvegardés pour tous -- ce qui implique la suppression du « code de l'indigénat »;

Que le travail forcé, sous quelque nom qu'on le déguise, soit supprimé, étant entendu que l'Etat ne pourra obliger personne 3, travailler pour un quelconque particulier.

Nous ne le dissimulons pas, c'est là un . programme révolutionnaire. Mais la IVe République sera l'héritière des Ire et IIe Républiques, et elle sera révolutionnaire en libérant tous les « colonisés » quels qu'ils soient; ou bien, elle sera comme la III°, capitaliste, impérialiste, « occupante », et la révolution risque de se

faire contre elle. -

Cette guerre n'a aucun sens si elle n'est anti-nazie, L'Al-

· lemagne a été vaincue, le nazisme ne l'a été ni en France, ni surtout en Afrique. Ç'est ce que me disait tristement un congénère en ce soir du 8 mai, en ce soir de Victoire, et nous ne par-

venions pas à rire, car notre joie était inquiète nos morts
n'étaient pas apaisés.

Un dernier mot. Les représentants des trusts ne manqueront pas de nous traiter d'antifrançais, car la France, pour eux, c'est la forteresse de leurs privilèges. Les mots ne nous font pas peur. Nous connaissons la chanson, et aussi le proverbe : « Qui veut noyer son chien... » Certes, nous sommes irréductiblement fidèles à la terre de nos ancêtres. Mais nous n'avons garde de confondre le peuple de France qui, aux élections mun'cipales, vient de signifier au monde son horreur du nazisme raciste, avec un capitalisme borné, haineux, tremblant clans l'enceinte de ses privilèges -- et au demeurant ancien collaborationniste. Nous croyons à la nécessité d'une coopération entre l'A.O.F.-A.E.F. et la France, entre l'Afrique et l'Europe. Il ne s'agit pas, cependant, de la « Icollaboration » du pot de terre et du pot de fer, de l'Eur-Afrique des Déat et Demaison. Il ne peut être question que d'une coopération dans la dignité et l'honneur. C'est-à-dire dans l'égalité. Le peuple de France a tout à y gagner -- non les puissances d'argent, bien sûr.

Paris, te' mai 1945. Léopold SfDAR-SENGHOR.

248

500

501

Sénégalaises, Sénégalais,

La République indépendante du Sénégal achève la mise en place de ses institutions. M. Mamadou Dia m'a remis la démission de son gouvernement. je l'ai pressenti pour former le premier Gouvernement du Sénégal indépendant, Son devoir était d'accepter. Il a accepté, et je l'ai désigné. je l'ai fait, sûr que j'étais de répondre à la volonté de l'Assemblée nationale, du Parti dominant, du Peuple sénégalais.

C'est un redoutable honneur, pour moi, d'avoir été placé, hier, par la confiance unanime des représentants de la Nation, à la tête de l'Etat sénégalais. Les Sénégalais ont prouvé, au monde étonné. qu'ils savaient. à l'heure du péril national, communier dans un commun vouloir de vie commune, en oubliant les querelles SOUS le baobab. Cette vibrante unanimité, je l'ai sentie, hier, dans les rues de notre capitale, où le Peuple, toutes races mêlées -- noirs, arabes, berbères, européens --, clamait sa foi dans le Sénégal indépendant, le suis sensible -- pourquoi le cacher ? -- à cette affectueuse confiance. Précisément à cause de cela, je suis profondément conscient des graves devoirs de ma charge.

Jamais notre pays n'a été investi de périls aussi réels ; jamais il n'a été tant calomnié ; jamais il n'a été si nécessaire de l'organiser et de le défendre.

Aux termes de notre Constitution, il appartient au Président du Conseil désigné de définir la politique de la Nation, et à l'Assemblée nationale de l'approuver. Le Président du Conseil le fera, j'en suis convaincu, avec lucidité et courage. Il m'appartient de garantir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire de la République. Je n'y faillirai pas. C'est de cela que je veux parler ce soir ; de l'indépendance du Sénégal et de son rôle dans l'édification de l'unité africaine.

Sénégalaises, Sénégalais. depuis quinze ans, je vous ai souvent mis en garde contre une certaine maladie, inoculée par le Colonialisme et que j'appelais la sénégalite. C'était un complexe de supériorité. Votre rôle n'était pas, n'est pas de conduire, mais d'éclairer. Il n'est pas d'entrer dans la course au leadership ; il est d'unir dans l'égalité, qui est la condition sine qua non de la coopération. C'est pourquoi l'affirmation de la personnalité, que dis-je ? l'indépendance sénégalaise est une nécessité africaine.

3

502

Mais elle est, d'abord, un fait. On ne peut traiter notre peuple comme un quelconque clan de troglodytes : on ne peut l'effacer de l'Histoire ni, d'un trait de plume. le rayer de la carte de l'Afrique. Le Sénégal, vous le savez bien, est un vieux ps ils a été le premier, dans l'Afrique noire moderne, a posséder identité: un nom, un visage, une économie, des cadres techniques et une vie politique. Cela compte. Je le verse au dossier,

Mais, surtout, un Sénégal indépendant est nécessaire à l'unité africaine ; car cette unité doit être un facteur de développement, non de stagnation. je le sais, une autonomie sénégalaise eût suffi. C'est du moins ce que nous pensions. Si nous avons trar ns enfléeffor les es querelles de races et de castes, si nous avons su, p

quinze ans sur nous-mêmes, nous débarrasser du territorialisme, le drame de l'ex-Fédération du Mali prouve que d'autres n'avaient pas fait le même effort. Nous en avons tiré la leçon, qui est l'indépendance sénégalaise, comme préalable à la coopération africaine.

En effet, les faits étant, aujourd'hui, ce qu'ils sont. seule l'indépendance nationale peut permettre, au Sénégal, de jouer son rôle naturel de trait d'union et de levain, de répondre à sa vocation africaine et mondiale.

Trait d'union entre le monde noir et le monde arabo-berbère, entre le Maghreb et l'Afrique Occidentale, le Sénégal l'est depuis des siècles, pour ne pas dire des millénaires. Vous savez quelles sont les relations religieuses, culturelles, commerciales, qui l'unissent au Maroc. Celles-ci doivent être renforcées et étendues à l'Algérie, singulièrement à la Tunise, dont l'idéal et la méthode politique sont si prés des nôtres.

Trait d'union, nous le sommes également entre l'Europe et l'Afrique. Car, si nous avons acclimaté, ici, depuis trois cents ans, avec la culture, l'humanisme de l'Occident, et d'abord de la France. nous avons aussi, depuis quinze ans, greffé le socialisme européen sur le vieux sujet du communialisme negro-africain, je dis : sur la Négritude.

Par ses réformateurs religieux et politiques, comme par ses écrivains et ses artistes, véritablement le Sénégal a été, reste un des levains de l'Afrique. De Biaise Diagne à Mamadou Dia, de Malick Sy et Cheikh Amadou Bamba à Amadou Dème et joseph Faye, de Bakary Diallo à David Diop -- je ne cite pas tous les noms --, toute une pléiade de Sénégalais éminents ont jalonné la voie africaine de la Libération. Pour ne m'en tenir au'à la politique et à la culture, qu'il s'agisse des luttes, désormais historiques, contre l'indigénat, contre l'assimilation ou contre la balkanisation, pour la Négritude, pour l'autonomie, pour l'indépendance, pour les Etats-Unis d'Afrique ou pour la Voie Africaine du Socialisme. on a toujours trouvé des Sénégalais parmi les précurseurs et francs-tireurs.

rancs-

tireurs.

4

503

ti

 

Satelliser le Sénégal sous prétexte d'unité, comme on a tenté de le faire l'autre nuit, étouffer la personnalité sénégalaise en cette année de l'affirmation de l'Afrique noire, je le dis, c'est perpétrer un crime contre l'Afrique. Nous n'avons pas le droit, personne n'a le droit, par le monde, de s'associer à un tel crime,

Bien sûr, en défendant, aujourd'hui, le Sénégal, nous nous défendons d'abord nous-mêmes : notre terre et nos morts, qui dorment dessous, nos foyers et nos enfants, notre honneur et notre dignité. Nous faisons plus, car nous défendons, en même temps, la cause de la Liberté comme de la Coopération en Afrique.

Que l'on ne s'y trompe pas, les Sénégalais sont, certes, un peuple policé, qui répugne à la haine et à la violence gratuite. Nous venons de le prouver, nous étant libérés sans verser une seule goutte de sang ni contre la France ni contre le Soudan. Jamais, nous ne nous livrerons à une agression. Mais, puisqu'on menace d'envahir nos frontières ou de provoquer une subversion intérieure, c'est bon qu'on le sache en Afrique et hors d'Afrique : on ne prendra pas le Sénégal sans en avoir fait, auparavant, un vaste cimetière sous le soleil, Au premier signe de l'agression, tout le pays sera debout et sous les armes. On peut. peut-être, supprimer le Sénégal de la carte politique de l'Afrique ; on ne supprimera pas l'honneur de notre nom.

On parle, maintenant, de médiation, de conciliation, d'association entre le Sénégal et le Soudan. l'en ai parlé deux jours seulement après le coup d'Etat manqué contre le Sénégal. Vous le savez, nul plus que moi n'a souligné les liens qui nous unissent au peuple frère de l'autre côté de la Falémé : la race, la langue, la culture, le voisinage. Et nous avons un port, un chemin de fer, une université, qui devraient nous être communs. Avec le concours du Président de la Communauté ou d'un frère aîné, un Chef d'Etat africain par exemple, nous sommes prêts à causer pour élaborer eine association souple. A une seule condition ; c'est que l'Indépendance du Sénégal soit d'abord constatée et garantie.

Il faut profiter de l'occasion et aller plus loin. Tout le monde, à commencer par nos frères soudanais, a reconnu les difficultés d'un groupement à deux. Il faut profiter de l'occasion et préparer un plus vaste regroupement, où entreront tous les Etats de l'ancienne A.O.F., y compris la Guinée, mais toujours sur la base de l'indépendance de chaque Etat. Encore une fois, il est réaliste de tirer la leçon de l'éclatement du Mali. L'idée de la Fédération n'est pas encore mûre dans l'ancienne A.O.F. ; les micro-nationalismes ne sont pas encore transcendés. Ce regroupement des Etats de l'ancienne A.O.F. ne serait que le premier pas vers un regroupement plus large, qui aboutirait, un jour -- nous l'espérons du moins --, aux Etats-Unis d'Afrique. Il est entendu que ces Etats-Unis n'empêcheraient l'appartenance ni à la Communauté ni au Commonwealth.

 

5

504

505

La culture africaine

Léopold SÉDAR SENGHOR

Les biologistes actuels, s'appuyant sur la caractérologie et les tableaux numériques des groupes sanguins, concluent à l'unité culturelle du continent dit « noir ». Ce que confirme l'étude comparée des arts traditionnels africains et de la philosophie africaine.

Pour les Grecs, créateurs de la philosophie européenne, la philosophie consiste en la recherche de la Sophia ou sagesse, « connaissance des premières causes et des principes des êtres », étant entendu que Dieu est, au-delà de la matière, « cause première et fin ultime ». Les Africains ne posent pas autrement le problème, si ce n'est que Dieu est, plus encore que l'Intelligence, la « Force des forces » qui anime la vie de l'univers.

C'est en imitant Dieu, en animant la vie cachée sous les signes sensibles du monde, que l'art africain remplit son rôle. En témoignent la poésie, la musique et la sculpture qui répondent à la définition de l'art africain : « une image ou un ensemble d'images symboliques, mélodieuses et rythmées ».

Depuis Bergson et la réhabilitation de la raison intuitive, le dialogue des cultures s'est engagé, et la civilisation de l'Universel a commencé de s'édifier, où l'Afrique joue un rôle essentiel et déterminant.

*

* *

Si j'ai choisi de parler de la Culture africaine, c'est qu'en ce dernier quart du XXe siècle, nous achevons de bâtir, nolentes, volentes, cette « Civilisation de l'Universel » que Pierre Teilhard de Chardin nous annonçait pour l'aube du deuxième millénaire. Une civilisation qui serait composée des apports, complémentaires, de tous les continents et de toutes les races, sinon de toutes les nations. Et, à ce « rendez-vous du donner et du recevoir », pour parler comme Aimé Césaire, les Africains ne viendront pas les mains vides. Ils apportent, ils ont déjà commencé d'apporter leur culture.

Mais qu'est-ce que la Culture ? J'avais pris l'habitude, quand j'enseignais, de la définir comme « l'esprit d'une civilisation ». C'était là une définition trop intellectualiste. À l'expérience et dans le contexte actuel du dialogue des civilisations, je dirai que la culture est l'ensemble des valeurs de création d'une civilisation.

Les grands biologistes du XXe siècle, à commencer par mon ancien maître, le professeur Paul Rivet, ne séparent pas la culture de la biologie. Au demeurant, Jacques Ruffié, que vous avez entendu l'autre mois, a intitulé l'un de ses ouvrages De la Biologie à la Culture. Nous commencerons par montrer comment se pose ce problème en Afrique.

*

* *

I. DE LA BIOLOGIE À LA CULTURE AFRICAINE

Aujourd'hui, on divise le continent africain en « Afrique blanche » et « Afrique noire ». Cette division est plus politique que scientifique. Il reste que la plupart des ethnologues la maintiennent, bien qu'affaiblie. On distingue, généralement, les « Arabo-Berbères », les Chamites et les Noirs. La vérité est qu'en cette fin du XXe siècle, tous les continents, toutes les nations, voire toutes les races, à quelques exceptions près, sont métissés. Il n'est que de consulter leurs tableaux numériques des groupes sanguins. S'agissant de l'Afrique, nous pouvons y voir un peu plus clair en remontant, brièvement, de la Préhistoire à l'Histoire.

Remontons jusqu'au Néolithique, avant le dessèchement du Sahara. On y trouvait deux races. Au Nord, vivait une grande race, depuis la Méditerranée jusqu'à la forêt tropicale dense. Plus on descendait vers le Sud, plus l'homme était grand et noir. Au Sud donc, vivait, dans la forêt, un petit homme jaune à la tête ronde. Ses descendants, plus ou moins métissés, sont les Pygmées, Bochimans et autres Hottentots, qui portent le nom général de Khoïsans.

Cette situation a duré jusqu'à la désertification du Sahara, qui a poussé les populations qui habitaient cette région à émigrer, les unes vers le nord du continent, les autres dans ns la forêt tropicale et sur les plateaux de l'Afrique orientale, jusqu'en Afrique australe. C'est cette dernière migration qui a favorisé le métissage entre Grands Nègres et Khoïsans. La situation d'aujourd'hui résulte donc de la Géographie et de la Préhistoire, mais aussi de l'Histoire, c'est-à-dire des migrations asiatiques et européennes, très exactement, sémitiques et indo-européennes.

Si l'on veut simplifier, les peuples d'Afrique se divisent, aujourd'hui, en deux groupes : en Arabo-Berbères et en Négro-Africains. Les premiers, qui habitent l'Afrique du Nord, sont des métis de Noirs d'Afrique et de Blancs, Sémites et IndoEuropéens ; les seconds le sont de Noirs, Africains, voire Asiatiques, et de Khoïsans. En vérité, la réalité, comme le prouvent les tableaux numériques des groupes sanguins, est bien plus complexe. Ces tableaux des différents peuples de notre continent, pour ne pas encore parler de « nations », prouvent l'unité biologique de l'Afrique, bien plus affirmée que celle de l'Europe. En effet, dans tous les tableaux que j'ai eus sous les yeux, le groupe O vient en tête, et de loin, comme en Europe, sauf quelques exceptions, le groupe A. Mais, en Afrique du Nord, il y a un « mais », représenté par l'Égypte. Son tableau est bien plus semblable à ceux des pays soudano-sahéliens qu'à ceux du Maghreb. Voici, par exemple, les tableaux comparés de la Tunisie, de l'Égypte et du Sénégal.

506

Groupes

 

Tunisie Égypte Sénégal

 

O.

49,8

43,97

46,8

A

22,9

33,01

23

B .

23,4

18,17

24

AB

3,9

4,85

6,2

À la réflexion, la différence entre le Maghreb, d'une part, l'Égypte et l'Afrique noire, d'autre part, s'explique par les faits que voici. Au Maghreb les invasions indoeuropéennes, singulièrement celle des Vandales et autres Germains blonds, ont été plus fortes que celles des Sémites.

De la Biologie, nous passerons à la Culture, dont la langue est, très souvent mais pas toujours, le meilleur témoignage, en tout cas, l'expression la plus fidèle. Si l'on exclut les langues importées par les invasions que voilà et par la colonisation ainsi que les « langues à clics » des khoïsans, toutes les langues parlées en Afrique étaient ou sont encore des langues agglutinantes, y compris l'ancien égyptien et le berbère. Déjà, Lilias Homburger, qui, dans les années 1930, enseignait les langues négroafricaines à l'École pratique des Hautes Études, soutenait cette thèse. Depuis lors, le professeur congolais Théophile Obenga a démontré la parenté de l'égyptien ancien et de certaines langues négro-africaines dans deux articles intitulés, respectivement, Origines linguistiques de l'Afrique noire (1441) et Égyptien ancien et Négro-Africain (1442).

II. LA SAGESSE AFRICAINE

Selon la définition donnée du mot « culture » au début de cet exposé, il s'agit de découvrir et définir les valeurs actives qui, non seulement ont créé la civilisation africaine, mais encore lui ont permis, depuis la Révolution de 1889 -- j'y reviendrai --, de participer à l'édification de la Civilisation de l'Universel. Ces valeurs on les trouve, d'abord, dans sa philosophie. Je sais qu'on a nié qu'il y eût une philosophie africaine, du moins « négro-africaine », sinon une pensée. Je vous renvoie, pour vous confirmer cette philosophie, à quatre ouvrages majeurs : Dieu d'Eau, par Marcel Griaule, le grand ethnologue français, La philosophie bantoue par le Belge Placide Tempels, La Philosophie bantu (sic) comparée par le Rwandais Alexis Kagamé et La Pensée africaine par le Sénégalais Alassane Ndaw.

La Philosophie, c'était, pour les anciens Grecs, créateurs de la civilisation européenne, la recherche de la sophia, de la sagesse. La sophia, c'est, d'abord, la connaissance des principes premiers, qui, étant derrière les phénomènes de la nature ou de l'univers, les produisent ou les expliquent. Comme l'écrit Aristote dans La Métaphysique, « la science nommée philosophie est généralement connue comme ayant pour objet les premières causes et les principes des êtres ». Telle est, cependant, la nature humaine que l'épistêmê, la connaissance -- que l'on traduit, aujourd'hui, par « science » --, ne se suffit pas à elle-même. Pour être sophia, sagesse, elle doit passer à son application. C'est ainsi que la philosophie se transforme en morale.

Allons plus avant. Qui dit morale dit but, objet de l'activité humaine. Il s'agit de transformer la vie humaine en transformant, à la fois, l'homme et le monde dans lequel il vit en interdépendance.

« Tout art, écrit Aristote dans l'Éthique à Nicomaque, et toute investigation et pareillement toute action et tout choix tendent vers quelque chose à ce qu'il semble. Aussi a-t-on déclaré avec raison que le bien est ce à quoi toutes les choses tendent ». C'est, précisons-le, le « Souverain Bien », que le philosophe identifiait avec le « bonheur » et, plus précisément, l'immortalité. Retenons l'expression « tout art » ainsi que la notion d'« immortalité ». Deux idées que nous retrouverons dans la philosophie africaine.

Cependant, avant de l'aborder, nous reviendrons sur le but de l'activité de l'homme, qui est, nous l'avons dit, de se transformer en transformant le monde. Ce qui lui permettent, précise Aristote dans le même ouvrage, trois facultés : « Or, il y a, dans l'âme, trois facteurs prédominants qui déterminent l'action et la vérité : sensation, esprit et volonté ». Je ne suis pas, ici, la traduction de Tricot faite pour la Librairie Vrin. Si « sensation » rend bien le mot grec aïsthésis, il faut traduire noûs par « raison » et orexis par « volonté ». Le noûs, ce n'est pas l'« intellect », comme l'a traduit Tricot, mais la symbiose de la raison discursive, dianoïa, et de la raison intuitive, thumos. Quant à crexis, traduit généralement par « désir », c'est, étymologiquement, une « tension vers », que je renforce en « volonté ».

Si j'insiste sur la fameuse phrase, reprise, au demeurant, par Descartes, c'est que je la considère comme la base solide de la caractérisation ethnique. Il est donc entendu que les hommes de tous les continents, races et nations possèdent, chacun, non pas les trois, mais les quatre facultés que voilà. Il y a seulement que chaque race ou nation a développé, le plus souvent, une, deux, trois facultés au détriment des autres ou de l'autre. C'est ainsi que les Africains ont développé surtout la sensation et la raison intuitive. C'est de ce fait que je partirai pour exposer leur culture, en mettant l'accent sur leur philosophie et sur les caractéristiques de leur art. De leur part parce que c'est, avec la pensée, ce qui distingue l'homme de l'animal.

1441 Mélanges Henri Frei.

1442 Université de Brazzaville.

507

La philosophie africaine, comme l'a démontré Alassane Ndaw, répond parfaitement à la définition que lui ont donnée les fondateurs grecs de la discipline. Elle se fonde sur les grandes intuitions d'où l'homme a tiré « les premières causes et les principes des êtres », qui lui ont permis de connaître le monde et de le transformer. Comme la grecque, la philosophie africaine est une connaissance ou un savoir : une épistêmê. Au demeurant, pour parler comme les Wolofs du Sénégal, le philosophe, dans la tradition africaine, était appelé borom xamxam, c'est-à-dire « maître-du-savoir ».

Or donc, comme les Grecs, nos sages ont fondé leur philosophie sur les premiers éléments de la matière : la terre, l'eau et l'air. Allant plus loin que les présocratiques, qui, à ces éléments, avaient ajouté le feu et l'éther, Aristote trouvera une substance immatérielle, spirituelle, qui serait cause première et fin ultime : Dieu, « l'Intelligence qui se pense elle-même en saisissant l'Intelligible ». C'est ici que la philosophie africaine, fondée, au départ, sur des éléments similaires, se sépare de la philosophie grecque, européenne, pour s'affirmer dans une identité sur laquelle sera fondée, avec l'art, une esthétique authentique.

Le premier trait de cette philosophie est qu'elle privilégie la raison intuitive comme mode de connaissance. Que l'intuition soit au début et à la fin du connaître, voire de la science, c'est ce qu'affirment nombre de philosophes depuis Aristote jusqu'à Bergson et Teilhard de Chardin, voire des mathématiciens contemporains. Comme dit Bergson, par l'intuition, l'homme « s'installe dans le mouvant et adopte la vie même des choses »(1443). Les africanistes le savent bien, qui parlent de la « connaissance par participation » des Négro-Africains.

Le deuxième trait est la dialectique. Qu'on ne croie surtout pas que les langues africaines ignorent le concept, et qu'elles n'ont pas de mots abstraits. Il reste que, le plus souvent, l'Africain préfère désigner une chose, un être, un sentiment, une idée par une image. C'est que, doué de sens éminemment sensibles, il aime à leur faire parcourir les aspects divers de la nature, qu'interprètera sa raison, qui se fera, tour à tour, intuitive et discursive, sentiment, pensée, puis symbiose des deux.

Le troisième trait de la philosophie africaine est qu'elle est pratique. Alassane Ndaw l'a bien montré dans le chapitre où il va de la « pensée mythique » à la « vie mystique ». Le mythe est le fondement et comme l'aliment de la vie mystique : de la religion. Il s'agit, en définitive, non seulement de connaître la vie de l'au-delà, mais encore, mais surtout de la vivre pratiquement. Après les cours d'initiation, où le maître-du-savoir donne à ses élèves un enseignement qui a souvent recours au raisonnement et aux mots abstraits, il faut vivre, dans la religion, dans la pratique, la vie mystique ainsi enseignée, très précisément, dans les cérémonies du rituel. C'est ici qu'intervient l'art africain avec ses caractéristiques originales et ses différents genres : poésie, musique, danse, peinture, sculpture, voire architecture.

Le quatrième trait qui caractérise la philosophie africaine est l'humanisme. Un humanisme aux dimensions du cosmos : de l'espace et du temps, de l'espace-temps. L'homme est le centre, le microcosme du macrocosme qu'est le cosmos, mieux, son agent actif. C'est sur son modèle que s'organise la société : la maison avec son autel, le village, le royaume.

Qu'est-ce à dire encore ? C'est que l'homme est, non pas un individu inséré, mais une personne intégrée dans son groupe : sa famille, son clan, son ethnie. À la persona, concept latin, enrichi par le christianisme, l'Africain oppose une notion, c'est-à-dire une connaissance intuitive, plus complexe : plus sociale qu'individuelle. Verticalement, l'homme est enraciné dans son lignage, jusqu'à l'Ancêtre primordial, jusqu'à Dieu. Horizontalement, il est lié à la société des hommes : à son groupe, comme nous venons de le voir.

Quel est donc ce Dieu que nous rencontrons ? Contrairement à ce que les explorateurs européens, voire les ethnologues, ont dit pendant longtemps, il n'y a qu'un Dieu dans la philosophie et la religion africaines, dont les ancêtres et les génies ne sont que des émanations ou expressions. Aristote nous a dit, en son temps, que Dieu était l'Être en soi, et l'Être, la « substance », c'est-à-dire ce qui est permanent quand tout change. Dans la philosophie africaine, cet être, cette substance, qui se trouve sous la matière, sous les apparences du monde sensible, c'est la force. Une force qui émane de Dieu et s'accomplit en Dieu. C'est pourquoi Dieu est défini comme « la Force des forces ».

III. L'ART AFRICAIN

Revenons à l'Homme, centre actif de l'univers. Sa fonction essentielle est de capter toutes les forces éparses qui sous-tendent la matière, plus exactement, tous les aspects, les formes et couleurs, odeurs et mouvements, sons et bruits de l'univers. Il lui appartient de les animer au sens étymologique du mot, de renforcer leur vie en renforçant leur force. Voilà lâché le mot, Vie, qui, en dernière analyse, explique la philosophie africaine, mais aussi la religion. C'est donc dans le cadre de sa religion, l'Animisme, que l'Africain exerce sa fonction d'animateur, de créateur de vie, car son art n'a pas d'autre fonction. C'est dans le rituel des cérémonies religieuses, depuis la simple prière jusqu'à l'initiation, que l'art africain s'accomplit en accomplissant sa mission, en renforçant la force de Dieu, en recréant Dieu. D'où l'adage selon lequel « Dieu a besoin des hommes ».

Nous ne retiendrons, ici, pour ne pas être trop long, que les principaux arts de l'Afrique : la poésie, la musique et la sculpture, qui, souvent, vivent en symbiose pour former un art intégral. Il est vrai que tous les arts sur notre continent, du poème au théâtre, participent peu ou prou à cette intégralité, sans oublier la sculpture. Ils expriment

1443 La Pensée et le Mouvant, P.U.F., p. 216.

508

la même esthétique, qui procède de la philosophie que voilà et que j'ai définie : « une image ou un ensemble d'images analogiques, mélodieuses et rythmées ».

Nous commencerons par la poésie, qui, dans presque toutes les civilisations, est l'art majeur. Majeur surtout en Afrique parce qu'elle capte les forces de l'univers et les exprime sous leur forme la plus active, la plus créatrice, qui est la parole humide, comme l'a montré Madame Calame-Griaule. Les Peuls du Sénégal définissent le poème : « Des paroles plaisantes au coeur et à l'oreille ». Et, de fait, nul art n'exprime mieux l'esthétique que voilà. C'est ici que la distinction entre Afrique du Nord et Afrique subsaharienne est le moins justifiée, si, du moins, on remonte à l'Ur-Afrika, pour parler comme Leo Frobenius. Je l'ai montré dans un texte sur la poésie africaine, intitulé « Négritude et Berbéritude ».

Il y a, d'abord, que, dans le poème africain, l'idée-sentiment se présente toujours sous la forme d'une image, d'images analogiques, symboliques, comme dans les deux kim njom ou chants gymniques -- mot à mot, « chants de lutte » -- de mon village natal, que je vais vous dire. Il s'agit de courts poèmes de deux à quatre vers, à la manière des haïkus japonais.

Voici le premier, où une jeune fille chante l'athlète son fiancé, Lang Saar, qui, « noir élancé », exprime l'idéal de la beauté sénégalaise :

Lang Saar a lipwa pay'baal

O fes o genox nan fo soorom,

« Lang Saar s'est drapé dans un pagne noir : Un jeune homme s'est levé, tel un filao ».

Le filao est un conifère au feuillage sombre.

Dans le deuxième poème, une autre jeune fille, qui a vu triompher son « champion » aux luttes, qui ont lieu le soir, après le dîner, dit sa joie dans une belle métaphore :

`Daankim, ngel m'feeka ;

Lam la mi caala a yuube,

« Je ne dormirai point, sur la place je veillerai ; « Le tam-tam de moi est paré d'un collier blanc ».

Après les images analogiques, car tout est analogie dans l'univers, voici l'harmonie, plus précisément, la mélodie. Je précise qu'un gim njom -- c'est le singulier -- peut être récité, psalmodié. Le poète emploie l'assonance et, plus encore, l'allitération pour faire ses vers « plaisants à l'oreille ». Plus subtilement, la poétesse, dans le premier vers du premier poème et dans le second du dernier, joue sur les voyelles des syllabes qui portent l'accent d'intensité, et que j'ai soulignées en ne les soulignant pas. Je signalerai, pour en terminer avec la mélodie, que la même voyelle a exprime, là, la peau noire et, ici, la blancheur du collier.

Le troisième élément de la beauté poétique est le rythme. Je parle d'un rythme vivant, qui rompt l'équilibre, la monotonie apparente du poème africain. Si le rythme, qui techniquement définit la poésie, est indiqué par le nombre des mètres comme dans les anciennes poésies grecque et latine, il ne l'est pas, comme dans la poésie classique française, par le nombre des syllabes, mais par celui des accents d'intensité, c'est-à-dire des syllabes accentuées, qui, ici, sont trois dans chaque vers. Je les ai notés, encore une fois, en ne les soulignant pas. Mais le poème africain est souvent plus complexe, avec des contretemps et des syncopes, que nous retrouverons dans le chant : dans la musique.

Il reste que le rythme du poème en Afrique n'est pas seulement dans la succession, ordonnée, des syllabes accentuées et atones ; il est aussi dans la répétition qui ne se répète pas de certaines expressions, de certains mots, voire de certaines syllabes ou voyelles. C'est le cas d'un poème-défi, composé par un champion wolof, Pahté Diop, pour provoquer à la lutte ses adversaires. J'en extrais ce vers, qui est un tétramètre :

Kuluxum lu jigeen aukë jur 1 -- Dëgë lë

« Béni soit ce que femme à genoux met au monde ! -- C'est vrai. »

Les trois premières syllabes accentuées de ce vers ont une voyelle u, qui revient dans d'autres syllabes.

Du poème psalmodié, nous passons au chant : à la musique. En effet, si les poèmes peuvent être récités, ils sont, le plus souvent, chantés. En sérère, c'est le même mot, gim, « chant », qui désigne le chant et le poème. Comme l'a écrit André Gide, le chant en Afrique est traditionnellement polyphonique. Je précise : avec accompagnement à la tierce, à la quinte ou à l'octave.

Autrefois, ce chant polyphonique couvrait, non seulement le « continent noir », mais encore tout le Bassin méditerranéen. Un ami sarde et un ami corse m'ont signalé cette polyphonie dans l'une et l'autre de leurs îles. Et le dernier le fait venir d'Afrique : du Maghreb berbère, où les poèmes sont chantés comme en Afrique noire (1444). Et j'ai entendu, pendant ces vacances, des chants berbères polyphoniques, dont une sorte de plain-chant, également polyphonique. Avant d'aller plus loin, je souligne que cette musique est, comme la poésie, plus complexe qu'on ne le croyait. Au lieu de la gamme européenne à sept tons ou demi-tons, il y a, en Afrique, des modes plus subtils avec des tons, demi-tons et quarts de ton.

Mais, plongeons au-dessous du chant, dans la musique instrumentale, avant de revenir au gim. Écoutez, au Maroc, en Algérie ou en Tunisie, ce qu'on appelle « de la musique andalouse ». Écoutez le rythme de base donné par une sorte de tam-tam : 1234, 1234, 1234. Au-dessus de ce rythme monotone, despotique, vous entendrez, s'appuyant sur lui, un autre plus léger, marqué par un autre instrument à percussion et se livrant, comme librement, à des contretemps et syncopes. C'est cette polyrythme, singulièrement ces contretemps et syncopes qui constituent la seconde caractéristique de la musique africaine. Il reste qu'il y a encore, au-dessus de ces instruments à

1444 Cf. Jean Amrouche : Chants berbères de Kabylie, Éditions Charlot, Paris, 1974.

509

percussion, des instruments à cordes ou à vent. Sans parler des voix humaines qui chantent, et qui, elles aussi, soutenues par le rythme profond de l'Afrique-Mère, peuvent se livrer, plus librement encore, à leurs fantaisies créatrices : aux vibratos et autres glissements expressifs.

On me demandera : « Où sont, dans tout cela, les images analogiques ? » Je répondrai qu'elles sont dans les éléments caractéristiques de cette musique : dans la mélodie et le rythme ; plus précisément, dans la polyphonie, les contretemps et syncopes. Elles sont surtout, outre le mode employé, dans les altérations aussi bien des voix que des instruments, qui expriment, qui suggèrent les images-sentiments inspirent les oreilles, et le coeur avec : l'âme.

Si, maintenant, nous retournons à la poésie psalmodiée, nous découvrirons qu'elle est, elle aussi, comme le chant et la musique instrumentale, animée par des contretemps et syncopes. Surtout quand elle est à plusieurs voix ou entrecoupée de silences.

Nous finirons par les arts plastiques en nous arrêtant sur la sculpture. Je prendrai, ici, comme exemples, deux sculptures en bois qui ornent mon bureau.

Ce sont, au premier abord, des images analogiques. L'une représente la tête d'un bovidé avec ses cornes ; l'autre, un oiseau, une sorte de calao. Mais c'est moins simple. Nous voyons, d'une part, alignés au milieu du front et des naseaux du bovidé, un léopard, un oiseau et un petit ruminant ; d'autre part, sur les ailes déployées du calao, deux tortues. Il y a là, exprimée par une imagerie complexe, toute une philosophie, une théologie. Traditionnellement, en effet, le calao et le bovidé sont des images-symboles de la fécondité et de la force ; de la Vie. Et celle-ci est, une fois de plus, animée aussi bien par la mélodie des formes et des couleurs que par les mouvements du rythme.

La tête du bovidé est un masque dont la mélodie des couleurs tient au fait que celles-ci sont complémentaires : du jaune et de l'orange sur fond noir. Quant au calao, dressé sur ses pattes et les ailes ouvertes, il est peint d'une couleur d'ébène claire, uniforme en apparence, mais que le temps a patinée, non sans nuances.

Le plus expressif, c'est, de nouveau, comme toujours en Afrique, le rythme. Sur la tête du bovidé, il y a deux plans qui se coupent. À l'horizontale se présentent des courbes allongées : une corne, une joue, puis une corne, une joue. À la verticale, ce sont successivement, de haut en bas : une pointe noire, triangulaire, un léopard jaune, tacheté de noir, un oiseau noir, jaune et orange, enfin, un ruminant jaune. Bref, des répétitions qui ne répètent pas, et que nous allons retrouver sur la sculpture du calao, mais sous les apparences, premières, de la monotonie. Ici aussi, nous avons, d'abord, le plan horizontal des ailes, déployées en carrés, que coupe un plan vertical, formé de courbes, qui sont : l'excroissance cornée de la tête, le bec, présenté comme en double, et le ventre. Il y a mieux : sur chaque aile est sculptée une tortue, surmontée d'un oiseau de paradis, les ailes également déployées et ayant, pour ainsi dire, la même tête que la tortue. Qu'on y regarde plus attentivement, et l'on verra, bientôt, qu'il s'agit d'une fausse monotonie parce que d'une fausse symétrie. Le calao, de grande taille, de plus d'un mètre, se présente avec un léger déhanchement. C'est le coup de reins du contretemps, que l'on trouve, ici, sur toutes les parties du corps : sur la tête, le bec, les pattes, comme aux ailes, sur les deux tortues et les deux oiseaux de paradis.

Il est temps que je m'achemine vers ma conclusion.

*

* *

LA RÉVOLUTION DE 1889

C'est Pierre Teilhard de Chardin, qui, au milieu de ce siècle, fut l'un des premiers paléontologues, après Darwin, à conseiller de rechercher les origines de l'Homme en Afrique. Il fut surtout, je le rappelle, le premier à annoncer, pour l'aube du deuxième millénaire, « la Civilisation de l'Universel ». C'est que, comme il avait pu le constater lui-même, depuis ce que j'appelle « la Révolution de 1889 », les emprunts des cultures les unes aux autres et, partant, leur fécondation réciproque avaient commencé.

1889, c'est une grande date, et double. C'est, en effet, cette année-là qu'Henri Bergson a publié l'Essai sur les Données immédiates de la Conscience. C'est cette même année que Paul Claudel a écrit sa première pièce de théâtre, Tête d'Or. Cette révolution, que je vais définir, avait été préparée, sinon annoncée, par La Saison en Enfer d'Arthur Rimbaud. Mais revenons à Bergson et à Claudel, que nous expliquerons par Rimbaud.

La philosophie d'Henri Bergson se présente, essentiellement, comme « un retour conscient et réfléchi aux données de l'intuition », dont nous avons fait la vertu majeure de la philosophie négro-africaine. Quant à Paul Claudel, il avait noté, pour la représentation de Tête d'Or sur scène : « avec accompagnement de tambours ou de tam-tams ». Mais c'est Arthur Rimbaud qui, pour ainsi dire, annoncera la couleur. En effet, dans Une saison en Enfer, il n'hésite pas à se présenter comme « un nègre ». Il fait mieux en présentant une esthétique, que nous avons découverte quand nous avons lancé le mouvement, comme l'esthétique même de la Négritude. En effet, il préconise l'usage d'un « verbe poétique accessible... à tous les sens ». Et cela, grâce à un « dérèglement de tous les sens », c'est-à-dire toutes barrières renversées, à leur communication analogique, symbolique.

C'est donc sous l'influence de la révolution culturelle de 1889 que ce qu'on appelle l'Art nègre, qui est, plus véritablement, l'art africain, a commencé d'influencer l'art français, mais aussi l'art américain, et, par ces deux voies, l'art mondial.

Je partirai des arts plastiques, qui ont le plus fait parler d'eux grâce à l'École de Paris. Quand, jeune professeur, je fréquentais les peintres, Picasso m'a dit, un jour, en me reconduisant à la porte de son atelier : « Il nous fait rester des sauvages ». Ce n'était pas hasard. D'autre part et s'agissant de littérature, singulièrement du Surréalisme,

510

je vous signale la thèse de doctorat de Jean-Claude Blachère, un enseignant français de Dakar, sur le Surréalisme, intitulée « Le Modèle nègre » (1445). Enfin, last but not least, il y a l'influence de la musique négro-américaine, héritée de l'Afrique et qui s'étend de plus en plus sur le monde, comme en témoigne la place qu'occupe le jazz dans les festivals organisés en Europe pendant l'été.

Depuis la civilisation aurignacienne, la première du Paléolithique supérieur, l'Afrique n'a cessé de jouer un grand rôle dans la civilisation humaine. L'interruption, pendant deux mille ans, de son influence -- depuis l'épanouissement de la civilisation grecque, au Ve siècle avant J.-C., jusqu'à la Renaissance -- ne l'a pas fait disparaître pour autant. C'est pourquoi je conclurai par la réflexion que m'a faite Pierre Soulages, le grand peintre français, après avoir lu mon article intitulé « L'Esthétique négro-africaine »(6) : « C'est l'esthétique même du XXe siècle ».

OBSERVATIONS présentées à la suite de la communication de M. le président Léopold Sédar Senghor

M. Jean CAZENEUVE dit d'abord son adhésion à la communication de M. Léopold Sédar Senghor, notamment sur les rapports de la philosophie africaine avec la philosophie grecque. Il rappelle ensuite l'importance des ouvrages de Placide Tempels, tel que La Philosophie bantoue, et de ceux de Pierre-Maxime Schuhl sur la pensée grecque. Cependant c'est surtout chez Platon, que l'on peut observer des analogies avec les traditions originaires de l'Afrique Noire dont les conceptions philosophiques ont cheminé par l'Égypte et la Crète, gagnant la Grèce naissante. N'y aurait-il donc pas lieu de mettre la philosophie africaine en relation avec la philosophie platonicienne plutôt qu'avec la philosophie aristotélicienne ?

*

* *

M. Jean STOETZEL, après s'être félicité de l'audience recueillie par l'ouvrage d'Alassane Ndaw qu'il a encouragé dans ses travaux, aimerait que le président Senghor, de confession catholique et qui fut le président d'un pays essentiellement musulman, lui explique pour quelles raisons le christianisme a, semble-t-il, moins d'emprise que l'Islam dans les pays d'Afrique Noire. C'est un problème qui lui paraît essentiel pour mieux appréhender la nature profonde de la culture africaine.

*

* *

M. Pierre CHAUNU constate avec les préhistoriens sondant les lointains obscurs de l'hominisation que de -- 2 millions d'années à -- 10 000 ans la moitié des objets, des traces relevées, des signes perçus... viennent du continent africain, berceau de l'humanité.

Le premier biface lointain archétype d'un outil et d'une arme, ancêtre donc du micro-ordinateur et de la fusée thermonucléaire à têtes multiples, vient de la vallée de l'Omo, de la Rift Valley en Afrique orientale (peut-être hasard heureux, cadeau de la tectonique -- je l'accorde).

D'autre part, depuis quinze ans, alors que la fécondité des autres Tiers Mondes a reflué massivement (d'un tiers en moyenne, de près de moitié en Chine), la fécondité africaine s'est maintenue. Il s'en suit qu'après une parenthèse de 10 millénaires à peine la part de l'Afrique, sa part biologique, sera beaucoup plus considérable au début du 3e millénaire, c'est une absolue certitude, le coup est parti.

Un bien modeste verre d'eau à ce puissant fleuve en simple témoignage de grande et respectueuse admiration. *

* *

M. Maurice LE LANNOU demande, au cas où l'on devrait comparer négritude et celticité, s'il ne serait pas préférable de choisir le terme de celtitude. Une analyse affinée montre qu'il faut prêter à la désinence udo une valeur exprimant l'intuition plus que l'analyse, tandis que le suffixe itas serait plutôt abstrait. Dire celticité, c'est donc attribuer au groupe celte des qualités rationalistes, discursives, analytiques, opposées à l'intelligence africaine, alors qu'on pouvait penser le contraire. Qu'en est-il de l'interposition de l'humanisme rationaliste gréco-latin avec la berbéritude et la négritude d'une part, et l'ensemble celte d'autre part ? Cette celticité apparaît-elle très différente des structures mentales africaines et des approches du réel qui les caractérisent ?

*

* *

M. Jean FOURASTIÉ demande à M. le président Senghor s'il estime que la poésie occitane populaire présente une similitude avec la poésie sénégalaise dans le domaine de la prosodie ? celle-ci est-elle par ailleurs spécifique au Sénégal ou répandue dans toute l'Afrique ? M. Fourastié serait également heureux si le président Senghor donnait quelques indications sur la genèse des langues africaines.

*

* *

1445 Les Nouvelles Éditions africaines, Dakar, 1981. 6 Revue Diogène, octobre 1956.

511

Le général Fernand GAMBIEZ tient à faire part à M. le président Senghor de l'admiration qu'il avait éprouvée lors d'un séjour au Sénégal, en 1963, organisé par le général de Gaulle, à l'égard des structures sociales et économiques de ce pays. L'image de la France y était toujours vivante et le Sénégal était un modèle africain envié de ses voisins. Mais quel contraste avec les autres pays d'expression française ! Les chefs d'État vivaient dans l'insécurité, dans l'angoisse d'un changement politique imminent, favorisé par la prolifération des ethnies. La philosophie leur a-t-elle apporté la sagesse ou le Sénégal demeure-t-il un cas isolé ?

*

* *

M. François LHERMITTE tient à présenter une remarque, à poser une question et à exprimer une conviction. La remarque est la suivante : biologie et culture font ensemble l'individu, la communauté, le peuple, le continent, l'humanité. Elles sont tout à fait inséparables et l'on ne pourra jamais isoler le facteur culturel du facteur biologique, aussi bien chez l'homme que chez les animaux. Limiter les phénomènes biologiques à quelques pourcentages de groupe sanguin est trop simple. Nous avons en nous-mêmes des centaines de milliers de gènes différents les uns des autres : au regard de cette diversité, celle des groupes sanguins est une mince affaire. La question : les analogies mythiques et esthétiques que l'on constate entre différentes cultures s'expliquent-elles seulement par des migrations ou n'ont-elles pas plutôt pour origine l'évolution normale de tout homme et de toute collectivité de la naissance à la maturité ? L'analogie est, en effet, un concept très dangereux si l'on oublie de prendre en compte la réalité indiscutable des différents stades de maturation et de structures psychologiques dans l'évolution des groupes. Le président Senghor peut-il donner quelques indications sur le poids respectif de ces deux facteurs : les migrations d'une part, l'évolution de la collectivité africaine d'autre part ? M. Lhermitte exprime enfin sa conviction qu'à l'idéalisme du président Senghor, il convient malheureusement d'opposer le poids des idéologies qui commandent les comportements humains et qui relèguent loin derrière elles les comportements de raison.

*

* *

Réponse de M. le président Senghor

M. le président Léopold Sédar Senghor admet avec M. Jean Cazeneuve que la philosophie platonicienne est plus proche de la philosophie africaine que celle d'Aristote. En effet, même si Aristote accorde la primauté à l'intuition, il symbolise l'esprit européen d'organisation et de méthode, opposé à l'esprit africain, intuitif et créatif, que l'on découvre chez Platon. Les Européens font preuve de rationalité alors que les Africains privilégient la sensibilité. Mais le plus important n'est-il pas ce fond commun qui existe dans toute civilisation possédant les quatre facultés primordiales, à savoir la sensation, la raison discursive, la raison intuitive et la volonté ?

En réponse à la question de M. Jean Stoetzel, M. le président Senghor précise que les musulmans et les chrétiens sont en nombre sensiblement égal en Afrique, les musulmans étant plus nombreux en Afrique du Nord et soudan-sahélienne, alors que les chrétiens sont majoritaires en Afrique tropicale et équatoriale. Toutefois il est évident que le Christianisme et l'Islam africains sont également inspirés par l'Animisme. Aussi, dans cette perspective, ne s'agit-il pas d'interpréter le dogme chrétien mais de le vivre en Africain. C'est ainsi qu'aujourd'hui, au Sénégal, des chants polyphoniques et grégoriens s'élèvent pendant la messe.

M. le président Senghor s'accorde avec MM. Pierre Chaunu et François Lhermitte, pour constater que le facteur culturel l'emporte sur le facteur biologique. Le message de l'Afrique est, en effet, fondé sur le sens de la vie et l'art, donnant naissance à une esthétique de la vie, réconciliant religion, philosophie et même politique. Il est évident que l'influence de la civilisation française a été déterminante pour concilier religion et culture.

Répondant à M. Maurice Le Lannou, M. le président Senghor fait observer que l'existence d'un fond irrationnel chez les Celtes ne crée pas d'opposition entre celtitude et celticité : il y a une celtitude au sein même de la celticité. C'est une erreur de croire que la langue anglo-saxonne est vouée à la rationalité et à la scientificité. On pourrait en trouver une preuve dans la sensibilité des poètes celtes, le métissage faisant la richesse de la celticité. Si l'on considère les tableaux numériques des groupes sanguins, le groupe A est le plus représenté en Europe occidentale. Cependant deux exceptions apparaissent : en Grèce et en Angleterre. Chez les Grecs le métissage fut méthodique avec le Proche-Orient et l'Égypte, et les Celtes se sont métissés avec des négroïdes méditerranéens refoulés dans les îles britanniques. Ce métissage biologique et culturel fait la richesse des Celtes.

M. le président Senghor, répondant à M. Jean Fourastié, rappelle l'importance de Paul Rivet, fondateur de l'anthropologie française, qui a mis en évidence la Méditerranée comme terre privilégiée de métissage. En effet, les populations méditerranéennes sont parmi les plus métissées, et, à ces latitudes, de grands foyers de civilisations se sont développés. Les ethnocaractérologues mettent dans l'ethnotype du Fluctuant les Méditerranéens, les Africains et les Japonais. Aussi bien faudra-t-il distinguer plusieurs types de langues : d'une part, les langues à flexions indo-européennes et sémitiques, d'autre part, les langues agglutinantes de l'Afrique et du Sud de l'Asie, enfin, les langues à tons des Chinois et les langues à clics des Khoïsans. Les écritures des grandes civilisations noires sont l'égyptien ancien, le sumérien et le dravidien de la vallée de l'Indus (déchiffré récemment par Asko Parpola).

512

L'Afrique est le berceau des grandes civilisations depuis deux millions sept-centmille ans jusqu'à l'Homo Sapiens. Après la découverte de l'écriture par les Égyptiens, les langues agglutinantes se sont répandues en Afrique. Mais qu'est-ce qu'une langue agglutinante ? Le français est une langue analytique, de logicien, présentant une syntaxe de subordination, alors que le sénégalais est une langue fondée sur l'intuition, la juxtaposition ou la coordination.

En français, nous dirions : « Comme j'allais puiser à la fontaine, un jeune homme, m'ayant atteinte, me dit « je t'aime ».

En sénégalais, on dira : « J'allais à la fontaine, un jeune homme me suivit, il m'atteignit, il me dit « je t'aime ».

Voilà un exemple de syntaxe de juxtaposition.

M. le président Senghor tient à rappeler que le Sénégal a été la plus ancienne colonie française et qu'elle s'est imprégnée, alors, des apports de la métropole. C'est pourquoi l'enseignement, la justice, la politique, avec le pluripartisme, n'ont pas échappé aux vertus du métissage. Si la récente réforme scolaire a privilégié les mathématiques et les langues classiques, elle a, cependant, introduit l'enseignement de six langues nationales sénégalaises, mais la civilisation sénégalaise n'est pas figée dans le passé. Depuis l'indépendance, elle s'est tournée résolument vers l'avenir, créant une nouvelle littérature métisse de langue française, un nouvel art plastique, une chorégraphie et une architecture basée en particulier sur les parallélismes asymétriques. Le pouvoir créateur du métissage serait-il encore à démontrer ?

En réponse à M. François Lhermitte, M. le président Senghor cite l'exemple des Bantous, qui sont allés jusqu'en Afrique du Sud au moment de la désertification. Au cours de cette migration, ils se sont mêlés aux Pygmées et aux Khoïsans. À cela s'ajoute le phénomène culturel : le milieu de la forêt tropicale a produit d'autres mythes et d'autres habitudes, alors que pourtant les Bantous conservaient leur langue, venue du Nord, la migration facilite le métissage. Qu'on se rappelle la formule de Paul Rivet « Quand deux peuples se rencontrent, ils se combattent souvent, ils se métissent toujours ». Reste qu'à la longue, c'est le métissage culturel qui est déterminant.

Séance du lundi 26 septembre 1983.

M. Léopold Sédar Senghor, premier agrégé africain de l'Université, fut de 1939 à 1945 professeur de lettres à Tours puis à Paris. Après la Libération, il est professeur à l'École nationale de la France d'Outre-mer. Député du Sénégal en 1945, Secrétaire d'État à la présidence du Conseil en 1955, plusieurs fois délégué de la France à l'UNESCO et à l'O.N.U., député à l'Assemblée législative du Sénégal, puis ministre et enfin de 1960 à 1980 premier président de la République du Sénégal. Léopold Sédar Senghor est docteur honoris causa des Universités de Paris, Strasbourg, Ibadan, Louvain, Fordham, Howard, Laval, Beyrouth, Le Caire, Alger, Bordeaux, membre associé étranger de l'Académie des Sciences morales et politiques (1969) et membre titulaire de l'Académie française (1983). Il est l'auteur de nombreux poèmes, d'une Anthologie de la Nouvelle poésie nègre et malgache (P.U.F., 1948, préface de J.-P. Sartre) et d'essais (Libertés I, Négritude et humanisme, Seuil, 1961 ; Libertés II : Nation et voie africaine au socialisme, Seuil, 1971).

513

Léopold Sédar SENGHOR

Allocution de Monsieur le Président Léopold Sédar Senghor lors de
l'inauguration de l'Espace culturel qui porte son nom

"Chers Amis,

Il y a 18 mois, lors de la pose de la première pierre de ce magnifique ensemble, je vous disais combien ma femme et moi-même ressentions, avec fierté, l'honneur qui m'était fait en dénommant ce lieu : ESPACE LEOPOLD SEDAR SENGHOR.

En ce 18 mars 1995, c'est un Versonnais qui partage, avec vous, cet événement qui fera date dans la vie de notre cité.

En effet, dans ma retraite normande, le poète sérère, qui chantait jadis son sine natal aux verts bolongs, vit pleinement sa "normandité" aux verts pâturages.

Je serai bref. Je voudrais non pas faire un discours, mais simplement délivrer deux messages à l'attention des jeunes qui vont fréquenter cet Espace.

Le premier est celui de la Culture que votre Municipalité a voulu matérialiser ici même. "La Culture, c'est une certaine façon, propre à chaque peuple, de sentir et de penser, de s'exprimer et d'agir. C'est un langage commun, qui rapproche et unit les hommes, une prise de conscience et une expression de la complexité du réel : elle est un style, une manière d'éclaircir les choses et les évènements".

A travers ces définitions, vous percevrez, je n'en doute pas, toute l'importance de la Culture, tout son poids, pour véhiculer les idées, révéler les talents, unir les hommes les uns aux autres.

La Culture est, en un mot, l'âme même de la société. Et vous comprendrez peut-être mieux si je vous explique qu'elle s'étend d'un auteur classique qui m'est familier, Hérodote, jusqu'à un artiste que les jeunes connaîtront mieux : M.C. Solar.

Pour ma part, j'ai essayé d'être le porte-parole de la culture négro-africaine, que j'ai appelé la Négritude, et de son expression dans la Poésie et dans les Arts.

Je me veux également le chantre de la Langue et de la Culture française. Je crois, pour l'avenir, à la Francophonie, plus exactement à la Francité, intégrée dans un grand ensemble, et par-delà, dans une civilisation de l'Universel.

La civilisation de l'Universel, voilà le second message que je vous livre.

Aujourd'hui, les hommes se communiquent leurs idées, leurs sentiments, leurs techniques, d'un bout à l'autre du monde, par des moyens qui ignorent les distances.

Pour se développer, les civilisations doivent se respecter, s'enrichir de leurs différences pour converger vers l'Universel que Teilhard de Chardin annonçait à l'aube du troisième millénaire.

Cependant, nous devons reconnaître qu'actuellement, pour une grande partie de l'humanité, l'échelle des valeurs a perdu toute signification. Il vous appartient, à vous les jeunes, d'élaborer cette Civilisation de l'Universel, qui sera faite des valeurs complémentaires de tous les continents et de tous les peuples. Gardez à l'esprit qu'il n'y a pas de civilisation sans culture car l'effort culturel est lui-même la principale valeur de la civilisation.

Je souhaite que cet Espace Léopold Sédar Senghor (puisque c'est ainsi qu'il faut l'appeler à présent) soit un lieu de rencontres, d'échanges, qui vous permette de trouver le bonheur culturel et de vous ouvrir aux autres civilisations.

Je voudrais, en terminant, vous remercier sincèrement, Monsieur le Maire, ainsi que tout votre Conseil Municipal du plaisir que vous m'avez apporté aujourd'hui."

Léopold Sédar Senghor, 18 mars 1995.

514

LA FRANCOPHONIE COMME CULTURE
Léopold Sédar Senghor

Qu'est-ce que la Francophonie ? Ce n'est pas, comme d'aucuns le croient, une «machine de guerre montée par l'Impérialisme français». Nous n'y aurions pas souscrit, nous Sénégalais, qui avons été parmi les premières nations africaines à proclamer et pratiquer, nous ne disons pas le «neutralisme positif», mais le non-alignement coopératif. Voilà exactement 20 ans, qu'en 1946, je proclamais, en France, notre volonté d'indépendance, au besoin «par la force», mais, en même temps, notre volonté d'entrer dans une communauté de langue française. Si nous avons pris l'initiative de la Francophonie, ce n'était pas non plus pour des motifs économiques ou financiers. Si nous étions à acheter, il y aurait, sans doute, plus d'un plus offrant que la France. Et si nous avons besoin de plus d'assistants techniques francophones de haute qualification, c'est qu'avant tout, pour nous, la Francophonie est culture. C'est un mode de pensée et d'action : une certaine manière de poser les problèmes et d'en chercher les solutions. Encore une fois, c'est une communauté spirituelle: une noosphère autour de la terre. Bref, la Francophonie, c'est, par-delà la langue, la civilisation française; plus précisément, l'esprit de cette civilisation, c'est-à-dire la Culture française. Que j'appellerai la francité. Je le rappelle avant d'aller plus avant, la Francophonie ne s'oppose pas; elle se pose, pour coopérer. Nous avons été, parmi les nations francophones d'Afrique noire, la première république unitaire à rendre /'anglais obligatoire, dans l'enseignement du second degré et dans les écoles techniques. Comme langue et civilisation de complémentarité -- et pour ne pas parler franglais. Pour en revenir à la Francophonie, le seul principe incontestable sur lequel elle repose est l'usage de la langue française. Vous le devinez, cependant, notre attachement à la langue ne serait pas si tenace s'il ne signifiait pas attachement à la culture française. Voilà les deux points que je me propose de traiter.

Attachement à la Langue française, pourquoi?

C'est, tout d'abord, pour deux raisons historiques : de fait. La première est que, ne voulant pas nous renier, nous ne voulons rien I renier de notre histoire, fût-elle «coloniale)), qui est devenue un I élément de notre personnalité nationale. Si je prends l'exemple de I mon pays, la présence française y date de plus de 300 ans. Pour I notre malheur, mais encore plus, en définitive, pour notre bonheur I parce que pour notre efficacité dans l'action. Les épreuves nous I ont trempés. Et puis, il y a le français, qui est une langue inter- S nationale de communication. C'est notre deuxième raison de fait. Il y a d'autres raisons, plus profondes, qui tiennent aux qualités même de la langue. Qu'il s'agisse de morphologie ou de syntaxe, le français nous offre, à la fois, clarté et richesse, précision et nuance. Clarté du vocabulaire, qui tient à la clarté des procédés de dérivation et de composition, des procédés de dérivation en particulier, à partir des mots grecs et latins. Ce qui n'empêche pas des procédés plus populaires et, partant, plus spontanés et vivants. Ce qui provoque, surtout, une prodigieuse richesse de mots. Pour prendre un S exemple, on a discuté sur le point de savoir si nous étions des I francophones ou des franco-lingues. On s'est même disputé. Le peuple aurait pu nous mettre d'accord en faisant, de nous, des parlant-français. On eût crié au franglais. Mais le Dictionnaire Robert avait déjà consacré l'usage en optant pour « francophone ». Parfois deux mots synonymes nous restent, voire trois. Ce qui fait la richesse de la langue. D'où vient sa précision et ses nuances. On a donc discuté, gravement, sur la propriété du mot « francophone)); on ne risquait pas de se blesser grièvement. Car les francophones --je ne dis pas les « français » --, qui ont l'habitude de ces discussions grammaticales, les poussent rarement jusqu'à la dispute, et jamais jusqu'aux coups.

Les mots français sont clairs et précis. C'est qu'ils ont tendance à /'abstraction, qui en fait un merveilleux outil du raisonnement. Et il n'est pas vrai que l'abstraction ignore le réel; elle le réduit à son squelette, à son réseau de relations, qui est son essence. Du moins pour l'homme d'action. Il est temps de revenir à Descartes. Car le concret et les détails dans lesquels on nous noie, maintenant, trop souvent, s'ils nous font sentir la vie, nous empêchent de la penser ; de seulement voir la forêt. À cause des feuilles et des branches ...

Des formes du français, de la morphologie proprement dite, je ne retiendrai que les formes verbales. M. Robert Le Bidois écrit, dans le journal le Monde du 24 octobre 1962: «/.a gamme des temps français est d'une étonnante richesse. Quand il s'agit d'exprimer le passé, notre langue dispose, pour le seul mode indicatif, de cinq temps principaux : imparfait, passé simple, passé composé, passé antérieur et plus-que-parfait; à quoi if faut ajouter trois < temps surcomposés > ». Nous retrouvons, ici, associée à la richesse des formes, la même tendance à l'abstraction : à la clarté plus qu'à la précision. Il y a, en wolof -- une des langues du Sénégal--, une vingtaine de formes correspondant à l'indicatif imparfait du français. C'est dire que cette langue ne manque pas de précision. Mais c'est une précision vécue. Le wolof insiste, en le précisant, sur /'aspect ; la manière concrète dont se fait l'action. D'où, parmi d'autres singularités, l'existence de cinq sous-modes de l'indicatif. Tandis que le français, lui, insiste sur fa notion abstraite de temps. // s'intéresse moins à la manière dont se fait l'acte qu'au moment exact où il s'accomplit, en s'insérant dans le déroulement de /'action.

515

La syntaxe du français est, comme celle de la plupart, mais plus que celle de la plupart des langues européennes, une syntaxe de subordination; de logique. Grâce à ses nombreux mots-outils, comme

disait mon maître Ferdinand Brunot, aux mots-gonds que sont les conjonctions, le français lie les

propositions entre elles ou les subordonne l'une à l'autre. Les propositions et, partant, les idées. C'est ainsi que la phrase française présente un ensemble synthétique, où nul élément n'est isolé, mais où les

conjonctions de coordination et de subordination, qui sont signes de relation entre les idées, facilitent /'analyse. C'est ainsi que, se faisant analyse et synthèse à la fois, elle se présente comme l'instrument efficace du raisonnement. « On ne raisonne justement qu'avec une syntaxe rigoureuse et un vocabulaire exact », affirme Anatole France dans le Génie latin. «Je crois que le premier peuple du monde est celui qui a la meilleure syntaxe. »

J'ai parlé de la phrase classique : de la période. Depuis Descartes, la langue française s'est enrichie par les procédés indiqués plus haut. Et elle s'est assouplie jusqu'à faire jaillir la subordination d'une

simple juxtaposition. À la syntaxe de la subordination et du continu, tend à se substituer une syntaxe de la coordination et de la juxtaposition du discontinu, dont ont usé et abusé les surréalistes. Cette évolution s'est réalisée grâce au large clavier, à la souplesse que nous offre, à côté des relatives circonstancielles, les phrases nominales, surtout le jeu subtil des participes et des appositions ou celui des modes et des temps. En voici un exemple, qui n'embrasse pas, j'en conviens, tous les tours :

«En toi mouvante, nous mouvant, nous te disons Mer Innommable: muable et meuble dans ses mues, immuable et même dans sa masse; diversité dans le principe et parité de l'Être, véracité dans le mensonge et trahison dans le message; toute présence et toute absence, toute patience et tout refus -- absence, présence; ordre et démence -- licence ! ...»

C'est un poète, me direz-vous. Mais voici le texte d'un philosophe : «De notre libre choix? Qu'allons-nous donc choisir? Il y a quatre attitudes possibles, nous dit le Père. La première, c'est celle du

pessimisme. Tout est mauvais, l'être même est mauvais, if faut résistera la vie, il faut résister à

l'évolution, maintenant précisément que nous en comprenons la duperie. Comment le Père va-t-il juger les tenants de cette opinion, ces traîtres à la vie? Laissons-les, dit-il. Ceci est caractéristique -- et j'y

reviendrai tout à l'heure -- de l'attitude du Père Teilhard. Ce n'est pas un discoureur, il ne va pas essayer

de démontrer, il veut faire prendre des attitudes, il veut nous inviter à voir les choses dans une certaine perspective, et je le redirai quand je montrerai la place que tient l'attitude phénoménologique dans la

pensée de Teilhard de Chardin. Ces traîtres à l'existence, ces hommes fatigués, qui sont infidèles à la

vie et qui se détournent d'elle avec lassitude, il n'y a qu'à les laisser, à prendre les autres et à continuer». C'est entre ces extrêmes que se meut, actuellement, la phrase française avec une extrême liberté. La

langue se plie à toutes les exigences de la pensée et au sentiment, voire de la sensation, passant de la rigueur du diamant aux troubles fulgurances de la tornade, du mouvement large et lent de la mer à la brièveté soudaine du coup de poignard.

Je vous ai cité, tout à l'heure, le verset d'un poète : il s'agit de Saint-John Perse. Et le paragraphe d'un philosophe : il s'agit de Gaston Berger. Ce n'est pas hasard. Saint-John Perse est le plus grand des

poètes français vivants, et Gaston Berger, mort il y a quatre ans, a été Directeur de l'Enseignement supérieur en France. Ce n'est pas hasard puisqu'ils sont tous les deux d'outremer: le créole guadeloupéen et le métis franco-sénégalais.

C'est dire que nous voilà au-delà de la grammaire: dans la stylistique de la langue française. Née du développement de la linguistique, la stylistique étudie, comme vous le savez, d'une part, les rapports

de la pensée avec sa traduction, ceux de l'individu avec son expression d'autre part. C'est un problème

de stylistique que pose Rivarol, à propos de la clarté, dans son fameux Discours de l'universalité de la langue française. Cette clarté de la langue, selon lui, servirait le philosophe et le diplomate, mais

gênerait le poète et le musicien. Je ne le crois pas, et je l'ai dit ailleurs. Relisez donc les poètes du XVIe siècle : de la langue française encore dans la jeunesse de sa maturation avant quelle n'eût atteint sa maturité. Les grands poètes d'alors, ils sont tous musiciens: Maurice Scève et Louise Labé, Joachim du Bellay et Pierre de Ronsard, Agrippa d'Aubigné comme François de Malherbe. Est-il rien de plus musical que les vers que voici:

Toute ma Muse, ma Charité Ma toute où mon penser habite,

Toute mon coeur, toute mon rien,

Toute ma maistresse Marie, Toute ma douce tromperie,

Toute mon mal, toute mon bien.

On dirait d'Aragon à moins que d'Éluard; ces vers sont de Ronsard. Comment expliquer la beauté de la prose, singulièrement de la poésie française quand nous n'avons découvert, dans la langue, malgré sa richesse, que rigueur et abstraction, clarté et précision. Certes sa beauté est dans ses qualités

516

intellectuelles; je dis : encore plus dans ses qualités sensibles, voire sensuel/es. Je me le rappelle, quand je découvris le français, à sept ans, c'était, pour moi, musique et charme. La beauté du français, sa poésie, ne vient pas du pouvoir imaginant des mots, qui se sont dépouillés du concret de leurs racines; elle vient de la musique des mots et des phrases, des vers et des versets : de leur rythme et de leur mélodie.

Je le sais, la netteté des consonnes françaises, si elle donne, aux mots, une mélodie plastique, provoquerait vite une impression de pauvreté. Mais il y a le rythme des mots. Et le jeu harmonieux des voyelles, nombreuses et nuancées: voyelles longues ou brèves, orales ou nasales, ouvertes ou fermées ou moyennes, sans parler des semi-voyelles, des diphtongues ni des triphtongues. Mais je parlerai du jeu des e muets, qui achève de donner, au mot, à la phrase, au vers, avec ses nuances, fa palpitation même de la vie.

Puissance d'expression de la musique parce que puissance de suggestion. Originalité merveilleuse de l'ouïe. C'est le plus abstrait des sens après la vue. Mais elle plonge encore dans le sensible, bien qu'émergée du sensuel. Ce qui fait que la musique n'exprime pas une pensée, comme certains l'ont affirmé à tort, mais traduit des sentiments en évoquant des images. On a parlé du «stupéfiant image » aux beaux temps du Surréalisme. C'est le charme musique qui fait la beauté de la langue, en tout cas de la poésie française. L'apport des poètes ultramarins, dans ce domaine, a été remarquable: d'Évariste-Désiré de Parny à Saint-John Perse. Plus près des forces cosmiques, c'est par la puissance musicale de leurs vers qu'ils font lever les images. Comme des colombes, comme des sauterelles, comme d'ardentes laves. C'est la voix d'Aimé Césaire :

à même le fleuve de sang de terre à même le sang de soleil brisé à même le sang d'un cent de clous de soleil à même le sang du suicide des bêtes à feu à même le sang de cendre le sang de sol le sang des sangs d'amour, à même le sang d'incendie d'oiseau feu ...

Ce long arrêt à la Poésie. Pour dire que la langue française est culture, c'est-à-dire esprit de civilisation, fondement d'un humanisme qui ne fut jamais plus actuel qu'aujourd'hui. Ce sera la seconde partie de mon propos.

Or donc, comme je le disais en commençant, la Francophonie -- plus précisément, la francité --, c'est une façon rationnelle de poser les problèmes et d'en rechercher les solutions, mais toujours, par référence à l'Homme. Comme j'aime à le dire à mes compatriotes, tout ce que j'ai appris en France, au Quartier latin, c'est la méthode.

« Toujours votre rationalisme français, si abstrait », m'a lancé un ami africain. «Nous, nous nous en tenons au pragmatisme, qui est une méthode d'action ». Charmant ami I... Comme si ce n'était pas le fondateur du rationalisme moderne qui avait écrit le Discours de la Méthode.

Abstrait, le rationalisme cartésien ? Sans doute et nous le soulignerons bientôt. Mais s'il n'est pas essentiellement, il est, d'abord, enracinement dans le réel, du moins dans la vie. On oublie, trop souvent, qu'avant de faire métier de la philosophie, Des cartes s'était engagé dans l'armée et à l'étranger. Au demeurant, le Discours commence par une autobiographie.

Pas pratique, le rationalisme cartésien ? Mais Descartes fait, de la physique, le fondement de sa métaphysique, qui, retournant à ses origines, est bien l'au-delà de la physique, non sa négation. Et puis les mathématiques ne sont-elfes pas, dans le monde technocrate et pratique d'aujourd'hui, la base de la science et, partant, de la puissance matérielle ? Or Descartes se signala, pour la première fois, en découvrant les lois de la mathématique universelle.

Ce souci de la pratique s'exprime dans l'objectif que Descartes assigne à ses recherches philosophiques : « procurer, de la sorte, le bien de ses semblables». Et voilà que transparaît, en même temps, le souci éthique: le souci de l'Homme.

Mais tout cela, j'en conviens, ne fait pas l'essence du Cartésianisme. Celle-ci est, comme le dit Gaston Berger, dans la recherche d'une «science absolue», fondée sur une «certitude inébranlable ». Elle est dans la rigueur d'une méthode de recherche, qui commence par douter de tout, qui n'accepte que l'évidence et qui, d'évidence en évidence, aboutit à la seule évidence incontestable: celle du cogito, qui voit, «dans la subjectivité transcendantale, l'origine de l'objectivité elle-même'* ». Il est donc vrai que Descartes ne fonde la réalité ou, plus exactement, la vérité que dans la raison discursive. Dans la logique, c'est-à-dire la cohérence qui relie les évidences l'une à l'autre, comme une chaîne de relations, mieux: les unes aux autres, comme un réseau, une toile d'araignée, dont le centre est le cogito.

Démodé, le rationalisme cartésien ? Je le crois plus actuel que jamais. C'est Gaston Berger, le philosophe de l'action, l'inventeur de la Prospective, qui préconisait le retour à Descartes. C'est Edmund Husserl, le créateur de la Phénoménologie, qui disait, à celui-là, tout ce qu'il devait à Descartes, comme en témoignent les Méditations cartésiennes du philosophe allemand. Le Rationalisme nous paraîtra encore plus actuel si nous l'étudions en relation avec /'empirisme des uns et /'intuitionnisme des autres.

517

Empirisme ou pragmatisme, les tenants de cette philosophie se sont toujours basés sur /'expérience. Mais, c'est l'évidence, pour que l'action y soit possible, il faut que le monde de l'expérience soit rationnel : il faut que la raison discursive y découvre les structures des objets d'expérience, c'est-à-dire leurs relations réelles. Il n'y a pas d'action sans méthode: sans logique. Dans un article intéressant, intitulé Idéologie et Expérience, Arthur Schlesinger écrit: «Les abstractions ne sont pas nécessairement à écarter. En fait, nous ne pourrions pas raisonner sans elles. » Et comment agir d'une façon efficace sans raisonner ?

Quant aux relations du rationalisme et de /'intuitionnisme, ce sera l'occasion, pour moi, d'essayer de montrer comment le rationalisme cartésien s'est enrichi de la pensée de Pascal, qui est, en réalité, une double symbiose de la théorie et de l'expérience, de la raison discursive et de la raison intuitive. Et cette symbiose est éminemment française, qui s'exprime, aujourd'hui, dans l'oeuvre de Pierre Teilhard de Chardin.

Pascal est, incontestablement, un rationaliste. Qu'il s'agisse des Provinciales ou des Pensées, ce qui frappe d'abord, c'est la force parce que la rigueur du raisonnement. S'agissant des Provinciales, leur originalité est, précisément, que, pour la première fois en Europe, dans une oeuvre destinée à un large public, on ne fasse appel qu'à la raison la plus commune: le bon sens. Quant à l'Apologie de la Religion chrétienne, elle est d'une logique serrée qui tend à démontrer que non seulement la religion n'est pas contraire, mais qu'elle est conforme à la raison : qu'elle est vraie.

Pourtant, l'originalité de Pascal n'est pas là. Elle est dans ceci, qu'il ne se contente pas de la théorie et de l'argument; il étaye son raisonnement par des faits. // ne se contente pas de l'expérience ; expérimente. Comme Descartes il commence par une oeuvre scientifique: non par la mathématique, qui fait comprendre l'univers, mais par la physique, qui le démontre par les faits. Dans les Pensées, les faits d'expérience, ce sont les faits historiques: les faits sociaux, comme nous disons aujourd'hui. Cependant Pascal est, également, /'homme de foi qui a, le plus vigoureusement au siècle de Descartes, assigné des limites à la raison discursive et fait appel à la foi, c'est-à-dire au coeur, à /'intuition ; « c'est le coeur qui sent Dieu, non la raison ». Je souligne le mot. Sentir, c'est le mot clef de l'épistémologie des peuples noirs : des peuples de raison intuitive. Sautons trois siècles d'histoire de France, trois siècles pendant lesquels les Français restent, malgré bien des brassages, métissages et influences, des rationalistes impénitents, qui défendront romantisme, symbolisme, surréalisme, en définitive /'intuition, à coups de raisonnement. Comme en témoignent les Manifestes d'André Breton, tout de passion, mais de passion lucide. Partant donc de Pascal, sautons trois siècles pour nous arrêter à Pierre Teilhard de Chardin. La comparaison n'est pas hasardeuse, elle est nécessaire. Ce sont même race celtique, même esprit scientifique, même foi ardente, même style. Mais de Pascal à Teilhard, le rationalisme français s'est élargi et approfondi grâce au progrès de la science, au développement subséquent de la technique et de l'industrie, à la multiplication des relations interraciales et inter-continentales. La synthèse s'est faite symbiose entre théorie et pratique, argumentation et expérimentation, raison discursive et raison intuitive ; bref, la logique analytique est devenue logique dialectique.

L'oeuvre de Pierre Teilhard de Chardin, qui marquera, de son sceau, le XXe siècle, est le signe le plus manifeste de cette révolution si nous partons de Descartes. Je préfère parler d'évolution en partant de Pascal. La juxtaposition de l'argument et de l'expérience, de la raison et du coeur chez Pascal est devenu, chez Teilhard, pour résumer, conjonction de la raison discursive et de la raison intuitive par-delà la dialectique marxiste. Mais distinguons le dialogue de la raison discursive avec elle-même de cet autre dialogue où elle s'est engagée avec la raison intuitive depuis la fin du XIXe siècle.

Au niveau de la seule rationalité, l'oeuvre de Teilhard repose sur les deux seuls critères irrécusables de la vérité: la cohérence théorique et la fécondité pratique. C'est une dialectique véritable parce que non trahie par le dogmatisme qui n'est qu'un retour à la linéarité de la logique classique. Toujours à ce niveau, cette logique dialectique s'appuie sur une science totale, en quoi elle achève d'être dialectique. Teilhard s'appuie non seulement sur les mathématiques comme Descartes, sur la physique comme Pascal, mais aussi sur les sciences naturelles et sociales comme Marx et Engels. Il fait encore mieux, qui intègre, dans sa recherche, la chimie et la biologie, voire la paléontologie et la préhistoire, qui sont, précisément, ses spécialités. Car Teilhard, comme Descartes et Pascal, est un savant avant que d'être un philosophe. Il le précise dans son ouvrage le plus important, le Phénomène humain, qu'il présente comme «un mémoire scientifique». «Rien que le Phénomène. Mais aussi tout le Phénomène », précise-t-il.

C'est ici que le rationalisme français se fait, à la fois, intégral et universel. Teilhard part, en effet, de «tout le phénomène»: d'une manière matérielle, et non métaphysique, d'une «manière totale», dont toutes les propriétés sensibles -- physiques et chimiques, mécaniques et biologiques -- sont examinées et mesurées avec les derniers instruments d'analyse scientifique. Eh bien, c'est au cours de cette analyse que le savant perçoit les traces de /'esprit. C'est alors que, dans une intuition géniale,

518

Teilhard, faisant un retournement dialectique audacieux, introduit l'esprit comme hypothèse, non plus au bout, mais au début, au centre même de la matière, animant la matière d'une vie en expansion -- éternellement. L'intuition avait permis la synthèse scientifique, qui est d'une fécondité incommensurable puisqu'elle nous donne, au XXe siècle, la seule vision du monde qui nous permette de tout comprendre. Mais surtout de tout oser pour agir.

Découvrir l'esprit, c'est découvrir /'Homme sinon Dieu. Le titre du Phénomène humain est significatif. En Francophonie, il s'agit toujours de l'Homme : à sauver et à perfectionner, intellectuellement avec Descartes, moralement avec Pascal, intégralement avec Teilhard.

On m'objectera, à propos de ce dernier: il s'agit toujours d'un théoricien. Je réponds: il s'agit d'un savant. Doublé d'un philosophe, qui a révolutionné jusqu'à l'économie. On ne se moque plus de l'économie française; on parle du miracle du Plan français. Pourtant la planification française répugne à /'économétrie pour intégrer I'humanisme. Économie et Humanisme, c'est le mouvement économique français du regretté Père Lebret, qui a pour ambition de réaliser, non seulement par la «croissance économique», mais par le développement intégral, le plus-être que Pierre Teilhard de Chardin assigne à l'Homme comme fin.

Je vais conclure. Encore une fois, si comme complément et accomplissement de Descartes, j'ai choisi Pascal et Teilhard de Chardin, I ce n'est pas hasard. J'ai choisi deux Auvergnats, qui ont gardé, Il sinon le sang, du moins le tempérament des Celtes. J'ai défini, il j y a quelques années, la culture française comme la greffe du génie I latin sur le génie celtique; de la clarté méditerranéenne sur la I passion alpine. J'ai été frappé, l'autre année, en visitant /'Exposition d'Art gaulois, des affinités de cet art et de l'Art nègre. Comment expliquer S cette ressemblance si ce n'est par le substrat passionnel de la raison intuitive ? J'ai fait ce jour-là deux découvertes. La première S est que, si les Gaulois ne sont pas nos « ancêtres », à nous, les S Nègres, ils sont nos cousins. La deuxième est que, comme eux, I nous pouvons, au «rendez-vous du donner et du recevoir» que I constitue la Francophonie, rendre, au génie méditerranéen, une partie au moins de ce qu'il nous a donné.

La Francophonie ne sera pas, ne sera plus enfermée dans les limites de l'Hexagone. Car nous ne sommes plus des « colonies » ; des filles mineures qui réclament une part de l'Héritage. Nous sommes devenus des États indépendants, des personnes majeures, qui exigent leur part de responsabilités : pour fortifier la Communauté en l'agrandissant.

Je n'entrerai pas dans les détails de l'organisation de la Francophonie. Les États membres en décideront dans une libre confrontation. L'essentiel est que la France accepte de décoloniser culturellement et qu'ensemble nous travaillions à la Défense et expansion de la langue française comme nous avons travaillé à son illustration. Et elle l'accepte si elle n'en a pas pris l'initiative. Je sais combien cet éloge est au-dessous de son objet. Mon excuse est que notre attachement à la langue et à la culture française est au-dessus de tout éloge.

LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR
Pour un humanisme de la francophonie

Les difficultés avec lesquelles sont confrontés les gouvernements et leurs peuples -- je l'ai souvent dit, ces dernières années, en sentant

venir la crise actuelle -- sont moins d'ordre économique que politique, et moins d'ordre politique que culturel. Il s'agit d'une crise de civilisation. Et ce n'est pas hasard si, le 15 novembre dernier, l'éditorialiste du Monde, parlant du succès de M. Yasser Arafat à l'ONU, commençait ainsi : « L'événement montre à quel point les différends tenant à la race, aux nationalités et aux religions transcendent, en quelque sorte, les querelles politiques. » J'aurais entièrement souscrit à ces lignes si l'on avait terminé l'énumération par la culture, en y mettant l'accent.

Qu'est-ce donc que la francophonie ?

Nombre d'esprits distingués ont trouvé le mot laid. S'il s'est maintenu, c'est qu'il s'était imposé par sa nécessité.

Il a été, d'abord, très régulièrement formé, avec le suffixe -ie, pour désigner une collection : l'ensemble des pays où l'on parle français, c'est-à-dire une des grandes réalités du monde contemporain, à côté des mondes anglophone, russophone, sinophone, lusophone, hispanophone.

Examinons de plus près cette réalité, en partant de l'extérieur. À l'ONU, par exemple, cette année, c'est quelque trente délégations, sur cent trente-huit, qui s'expriment en français. Et l'accession à l'indépendance des anciennes colonies portugaises, comme des Comores et des îles Seychelles, va en

519

augmenter le nombre. L'ambassadeur d'une démocratie populaire m'en faisait la remarque, le phénomène n'a pas été sans aider au maintien, voire à la diffusion du français dans le monde.

Mais que représentent, réellement, ces chiffres si l'on descend des gouvernements et des élites aux peuples qui sont concernés ? Je parle des pays qui composent la francophonie. En Europe ils sont quatre, vingt-six en Afrique, cinq en Amérique, sept en Asie. Si l'on y comprend les peuples de la péninsule indochinoise, le français est, aujourd'hui, la langue d'avenir de quelque 231 millions de francophones en puissance, répandus sur les cinq continents.

Mais que signifient « francophones en puissance » et « langue d'avenir » ? Cela signifie qu'actuellement seuls quelque 75 millions d'hommes ont le français, ou un patois français, comme langue maternelle. Cela signifie surtout que, pour la majorité des autres, le français est une langue officielle, une langue d'usage ou une langue de communication internationale, je veux dire une langue de travail. L'enjeu est de faire de cette dernière langue, de scientifique qu'elle est, une langue d'expression : une

langue du coeur, mais aussi une langue littéraire, qui exprime l'âme intégralement. Du moins, pour les 231 millions de francophones en puissance.

La francophonie ainsi présentée dans ses dimensions géographiques et humaines, nous devons évoquer le lien qui unit ces quarante-deux pays : la langue française. Mais il est moins question de cette langue que de la civilisation dont elle est le véhicule, plus exactement de son

esprit : de la culture française. Cependant, s'il n'était question que de cela, comment pourrions-nous l'accepter sans renoncer à notre identité, nous Négro-Africains, nous Arabo-Berbères, Indochinois, Papous et Polynésiens, voire nous Belges, Suisses, Canadiens ? Si nous acceptons comme objectif majeur de la francophonie la défense et réalisation de la francité, c'est qu'elle est liée, dans notre esprit, comme dans la réalité historique, à la défense et réalisation de nos cultures respectives.

Il nous faut nous arrêter à ces cultures diverses, mais complémentaires, avant d'examiner par quels moyens nous devrons les défendre et les réaliser. Et d'abord la francité. Je m'étonne que le mot soit, aujourd'hui, moins employé que celui de francophonie. En effet, comme l'a dit Maurice Piron dans une communication de 1970 intitulée Francophonie et francité, le dernier mot daterait de 1943 tandis que le premier serait de 1962. C'est encore très régulièrement que le mot francité a été forgé avec le suffixe - ité, qui provient du latin -itas. Comme le note une étude de l'université de Strasbourg que m'a envoyée, en son temps, le professeur Robert Schilling, le suffixe, qui est très productif, « sert à former des substantifs exprimant une qualité désignée par l'adjectif de base ». Je préciserai : « une qualité » ou « des qualités ». La francité, c'est donc l'ensemble des qualités exprimées par la langue et, d'une façon plus générale, par la culture française. On aurait pu tout aussi bien dire « francitude », comme nous disons négritude ; mais, précisait Robert Schilling, le suffixe -itude introduit une nuance moins abstraite. Et cela justifie le choix d'Aimé Césaire, qui, en forgeant le mot, préféra « négritude» à « négrité ».

Dans une conférence intitulée Anglophonie et Francophonie, que j'ai prononcée, le 26 octobre 1973 à l'université d'Oxford, j'ai essayé de définir, face à l'anglais, les vertus de la langue et de la culture françaises. Je me contenterai de résumer mes propos d'alors. Si tous -- Français, francophones, étrangers -- sont d'accord pour reconnaître dans la clarté la principale vertu de la langue française, ils divergent sur les causes de cette clarté. D'aucuns, à commencer par Rivarol, invoquent le style direct », d'autres la « précision » du vocabulaire, d'autres encore la « ponctuation ». Souvent les mêmes personnes avancent les mêmes arguments. Et ils n'ont pas tort. À Oxford, j'ai développé cette idée que la clarté du français, langue intelligente s'il en fut, lui venait, essentiellement, de son abstraction. Rappelons, avant d'aller plus avant, la définition que le Robert donne du mot : « Fait de considérer à part un élément (qualité ou relation) d'une représentation ou d'une notion, en portant spécialement l'attention sur lui et en négligeant les autres. » On ne saurait mieux dire, sauf qu'on peut abstraire non pas une seule qualité, mais quelques qualités, en nombre toujours limité. La première preuve de l'abstraction du français est non pas précisément la pauvreté, mais la richesse tempérée de son vocabulaire, qui est d'environ 93 000 mots en face des 347 720 mots de l'anglais. C'est ainsi que le français est l'une des plus pauvres des langues romanes : parce qu'issu du latin, qui était pauvre, il a reçu moins d'apports exotiques que ses voisines ibériques.

Il est, cependant, l'une des langues les plus précises qui soient. C'est d'abord que l'abstrait, étant plus pauvre en qualités, est plus intelligible que le concret. C'est aussi que le français, grâce à l'abondance de ces gonds de la pensée que sont les conjonctions de subordination, insiste sur les relations des êtres et des choses plus que sur leurs qualités sensibles. C'est encore que le français est pourvu d'une grande variété de préfixes et de suffixes, qui lui permet de former des familles de mots parfois très étendues, mais surtout que ces affixes, parce que venus, pour la plupart, du latin ou du grec, sont, par là, plus intelligibles, même aux non-francophones pourvu qu'ils aient une culture générale. C'est, enfin, que le français, peu sensible aux aspects de l'action verbale qui soulignent ses

520

modalités concrètes, a préféré multiplier les temps, qui marquent les relations temporelles, donc de causalité et, partant, d'intelligibilité.

Je pourrais continuer l'énumération. Je m'en tiendrai là pour en tirer une première conclusion. Langue d'intelligence grâce à sa clarté et à l'équilibre de sa phrase qui met toute chose à sa place, le français est une langue tonique. C'est ce que je disais, à Oxford, en ces termes : « Et pourtant, au risque de paraître paradoxal, j'avancerai que ce qui me frappe, dans le français, c'est moins la clarté que l'équilibre de la langue. Je ne l'ai jamais autant senti que pendant ma captivité. Fait prisonnier de guerre le 20 juin 1940, je vous laisse à deviner quel devait être mon moral pendant ce sinistre été. Eh bien, mon plus grand réconfort, je l'ai trouvé dans la lecture des prosateurs français -- pas des poètes. Je parle de Bossuet et Pascal, Stendhal et Flaubert, Gide et Colette. Cela me remettait dans mon assiette.

»

Le français est aussi, quoi qu'on en ait dit, une langue poétique. Bien sûr, il n'a pas les ressources phonologiques de l'allemand ni surtout de l'anglais, mais l'absence des laryngales, la richesse moyenne du vocalisme, la présence dans celui-ci de Vu, de Ye muet et des nasales, en font une langue harmonieuse. C'est cela surtout qui me frappait, à sept ans, quand j'ai commencé de l'apprendre, et le mangeais, délicieusement, comme une confiture.

En combinant toutes ces ressources dans une symbiose du concret et de l'abstrait, du populaire et du précieux, en mêlant l'inversion et la rupture de construction, la simple nomination et l'image, l'assonance et l'allitération, les grands poètes français du xx° siècle -- un Claudel, un Péguy, un Saint-John Perse -- ont porté la poésie française au niveau des plus grandes poésies du monde et des temps, sans lui faire perdre son équilibre.

C'est cet équilibre qui résume les vertus de la francité : entre la chair et l'intelligence, le coeur et l'esprit. Descartes le disait déjà, notre raison, qui est la marque propre de l'homme, se compose du « penser », du « vouloir » et du « sentir ». Au moment que les passions, mais surtout les appétits collectifs, se déchaînent, que les sciences et les techniques se mettent à leur service au lieu de les freiner, risquant, par là même, de nous conduire à la catastrophe finale, jamais ces vertus que voilà de la francité n'ont été si nécessaires au monde.

Mais aussi les vertus des autres civilisations différentes : pour réaliser, au niveau de l'universel, un équilibre supérieur. D'autres pourraient parler avec pertinence des apports arabes, indiens, indochinois à la civilisation de l'universel. Je pourrais moi-même décrire longuement les apports de la civilisation négro-africaine, puisque je suis négro-africain et que l'Afrique noire francophone comprend quelque 80 millions d'âmes. Je me résumerai, ici encore, en renvoyant aux travaux des africanistes, des « négrologues » comme disent nos jeunes gens, que furent, en France, Maurice Delafosse, Marcel Griaule et Lilias Homburger, que sont, aujourd'hui, des professeurs comme Georges Balandier, Louis-Vincent Thomas, Dominique Zahan et une cohorte de chercheurs, pour ne pas les citer tous. Que, depuis cent ans, les Négro-Africains aient beaucoup apporté à la civilisation humaine, c'est l'évidence, comme l'ont montré, outre les négrologues, les écrivains, mais surtout les artistes et critiques de l'Ecole de Paris. Parmi les apports culturels, ceux de l'art nègre sont les plus connus. La « révolution nègre », pour parler comme Emmanuel Berl, n'a pas exercé son influence seulement sur les arts plastiques, mais encore sur la musique, le chant et la danse, voire sur les moeurs. Hermann von Keyserling le faisait remarquer, les Américains chantent et dansent, marchent et rient maintenant comme les Nègres. Et le monde est en train de s'américaniser. Pour son mal et son bien en même temps.

En attendant, les apports nègres à l'art universel se sont révélés fécondants, en développant chez l'artiste et l'écrivain le sens de l'image analogique et d'un rythme dynamique parce que vital, fondé qu'il est sur des parallélismes asymétriques. Cependant, si la contribution négro-africaine est telle -- souvent, au demeurant, par le détour des Amériques -- c'est que, derrière ces apports artistiques et littéraires, il y a avec une philosophie tout un art de vivre. C'est cette philosophie et cet art de vivre que nos jeunes chercheurs sont en train de définir en coopération avec les négrologues français. On peut dès maintenant en tracer les valeurs, qui se résument dans l'unité des contraires. C'est l'opposition et en même temps la complémentarité par symbiose du monde visible et du monde invisible, de l'un et du multiple, de la matière et de l'esprit, de la vie et de la mort, comme du mâle et de la femelle. D'un mot, la pensée négro-africaine est dialectique comme la réalité avec laquelle elle se confronte.

Ce qui explique son art de vivre dans une société où l'individu s'intègre dans la communauté, l'art dans la religion, la religion dans l'appréhension d'un Dieu saisi aux dimensions de l'univers, c'est-à-dire dans l'intégration de l'homme à Dieu. Et réciproquement, car, pour prendre ce dernier exemple, Dieu dépend aussi de nous, qui le faisons plus Dieu en l'humanisant. D'où une société où la vérité est dans le dialogue, la prospérité dans le travail communautaire, la beauté dans les formes accordées.

J'évoque une négritude, comme je l'ai fait de la francité, ramenée à ses valeurs essentielles. Bien sûr, je n'ai pas la naïveté de croire que ces deux cultures sont parfaites : l'une et l'autre ont leurs défauts et leurs lacunes. Il en serait ainsi si, restant dans la francophonie, l'on avait parlé de l'arabité ou de

521

Yindo-sinité. À la réflexion, toute culture contient l'ensemble des valeurs humaines, mais chacune n'a mis l'accent que sur telles valeurs, en négligeant les autres. D'où, à la longue, une distorsion du visage humain sur chaque faciès de la civilisation humaine. D'où encore la nécessité, pour chaque culture, de se ré-humaniser en empruntant tel trait, presque effacé chez elle, du visage humain. D'où, enfin, la nécessité d'élaborer, s'étendant sur les cinq continents, une symbiose culturelle comme celle de la francophonie, qui est d'autant plus humaine, parce que d'autant plus riche, qu'elle unit les valeurs les plus opposées.

La francophonie s'incarne donc dans l'ensemble des pays qui ont la langue française comme instrument de communication et d'échanges non seulement économiques, mais surtout socio-culturels. Et c'est un fait que, dans ces échanges, les cultures du tiers monde ne viennent pas les mains vides. Il reste que cette francophonie ne serait pas réelle si elle n'était pas subjectivement sentie comme telle. Or elle l'est, et plus longtemps et plus vigoureusement qu'on ne le croit. Déjà, le 15 avril 1789, dans les Très humbles Doléances et Remontrances des habitons (sic) du Sénégal aux citoyens français tenant les états généraux, des Négro-Africains se proclamaient, sans complexe, « Nègres » et « Français ». Nous disons aujourd'hui francophones. L'idée est la même : au-delà d'un possible métissage biologique -- qui était réel à Gorée et Saint-Louis du Sénégal, mais là n'est pas l'important --, il est question essentiellement d'un métissage culturel. C'est ce sentiment communautaire qui prévaut dans toutes les rencontres francophones -- congrès, conférences, colloques, séminaires, biennales --, et qui a tout simplement explosé cette année à la « Superfrancofête » des jeunes à Québec.

Il y a aujourd'hui toute une littérature sur la francophonie, dont je ne citerai ici que trois ouvrages parmi ceux qui m'ont paru les plus importants-: la Francophonie par M. Auguste Viatte, la Francophonie en marche par M. H. de Montera et la Francophonie en péril par M. Gérard Tougas. Il y a surtout de nombreuses associations, dont l'objet est de réunir, sur les cinq continents, les francophones d'une même profession -- parlementaires, médecins, juristes, etc. --, mais le but réel de défendre, avec la langue, la culture française. Les plus actives et les plus significatives de ces associations sont la Fédération du français universel, qui groupe une quinzaine d'organismes, et le Conseil international de la langue française. Je voudrais m'arrêter à celui-ci, non parce que j'en suis membre, mais qu'il me permettra de poser, par-delà la défense de la langue française, le problème de l'humanisme contemporain. Le Conseil international de la langue française, fondé en 1967 à l'initiative du président Georges Pompidou, alors premier ministre, « a pour but la sauvegarde et l'unité de la langue française dans le monde. Il rassemble, à cet effet! des linguistes, des grammairiens, des chroniqueurs de langage et, d'une manière générale, les défenseurs du français, à l'oeuvre dans les divers Etats où le français est langue nationale, officielle, de culture, de travail ou d'usage ». Ainsi parle l'article premier des statuts du C.I.L.F. C'est dire ses ambitions, mais aussi ses limites, car il ne s'agit, ici, que de la seule langue française. Ces limites, le Conseil les a senties, qui envisage d'organiser, en 1976, un colloque sur les « Relations entre la langue française et les langues africaines ». Anticipons donc sur ce futur colloque pour poser le problème globalement.

On a mis l'accent sur le renouvellement et l'enrichissement de la langue. A juste titre. C'est une singularité de ce temps, si fertile en paradoxes, que la langue la plus claire et la plus précise, la plus scientifique, ait pu sembler incapable de traduire la science moderne. Faute d'un vocabulaire approprié. Un chef d'État africain me disait, l'autre année, la consternation de chercheurs de son pays découvrant, dans un laboratoire du C.N.R.S., que la liste des mots scientifiques appropriés était dressée en anglais. Je donne l'information pour ce qu'elle vaut, avec cette précision qu'en Afrique les mots ont un pouvoir.

C'est encore dans le domaine du vocabulaire que la Fédération, le Conseil, et l'Académie, avec qui il nous faut compter, ont fait le travail le plus efficace. Je voudrais seulement insister sur cette idée, chère au regretté Robert Le Bidois, que les pires ennemis du français ne sont pas forcément les mots venus de l'anglais, mais ceux-là, quelle que soit leur origine, dont la forme ne permet pas de créer, au moyen d'affixes, une famille de mots aux sonorités françaises parce que familières. Cette dernière exigence ne doit pas s'appliquer seulement aux mots scientifiques et techniques, notamment à ceux traduits de l'anglais. Nous, les francophones d'au-delà l'Hexagone, nous devons être tout aussi sévères pour les néologismes que nous sommes amenés à inventer. À l'intérieur des limites ainsi tracées, notre liberté doit être réelle, car nos besoins sont réels, de forger, quand la nécessité s'en fait sentir, des mots nouveaux, voire des expressions nouvelles, pour exprimer des faits et des réalités nouvelles. C'est ainsi qu'au Sénégal nous avons, pour les besoins de notre administration, créé des mots comme primature, primatorial, gouvernance, et qu'à côté des harpistes, guitaristes et pianistes de France, nous avons nos koristes, khalamistes et balafongistes. Cependant toute la grammaire ne se réduit pas à la lexicologie, loin de là, surtout dans l'enseignement des premier et second degrés, qui doivent en priorité retenir notre attention si nous voulons édifier, sur des bases solides, un humanisme de la francophonie. Dans le laxisme général qui sévit actuellement, les enseignants ont tendance à sacrifier l'étude raisonnée de la grammaire à la méthode audio-visuelle, qui favorise intuition et spontanéité. Le mal s'est répandu en

522

larges flots au delà de l'Hexagone, où les commissions de réforme nous ont proposé 1'« essai littéraire » de préférence à l'analyse de texte et à la dissertation d'autrefois. Et il a inondé jusqu'aux ministères et aux palais présidentiels. Il m'arrive souvent de relire une page d'un rapport pour en comprendre le sens.

Le grave n'est pas, en effet, dans les fautes de syntaxe, surtout si elles n'obscurcissent pas le sens de la phrase ; il est dans cette fausse élégance où l'on abuse des clichés à la mode, souvent formés de manière irrationnelle. Les Anglais eux-mêmes la dénoncent sous le nom de genteelism. Comme le français n'est pas notre langue maternelle et que, partant, nous n'en avons pas l'intuition, l'on en arrive parfois, en Afrique et en Asie, à dire le contraire de ce qu'on voudrait.

Que l'Europe, après deux mille ans de corset rationaliste, s'ouvre à la spontanéité, sinon au spontanéisme, rien de plus naturel, voire de plus nécessaire. Mais nous, qui vivons sur la terre de l'intuition, de l'émotion, si nous voulons éduquer nos enfants au sens étymologique du mot, il nous faut chercher une autre voie. Il nous faut, après les moiteurs et torpeurs de l'hivernage, les ouvrir à la fraîcheur des alizés : à la règle et au compas, à l'esprit d'organisation et de méthode. Je suis d'autant plus libre de l'écrire qu'avec les philosophes grecs, qui ont fondé le rationalisme européen, je crois la raison intuitive supérieure à la raison discursive. Or donc au Sénégal -- ce n'est qu'un exemple parmi d'autres --, nous avons réagi : des instructions ont été données et une commission ministérielle travaille, en ce moment même, à amender, avec les manuels, les programmes du français pour l'enseignement du second degré. La très grande majorité de nos enfants étant destinés à exercer non pas des carrières littéraires ou artistiques, mats des activités de recherche ou de production, on commencera par favoriser l'étude de la grammaire. Dans cette perspective, on mettra l'accent dans le premier cycle sur la lexicologie, la morphologie et la syntaxe, tandis que dans le second on le fera sur la syntaxe de nouveau et sur la stylistique. Encore une fois, dans ce monde livré aux appétits collectifs, et qui vacille sur la faiblesse de ses jambes, ce dont ont besoin les générations futures, c'est de savoir penser réellement, en intégrant la logique dans la dialectique de la vie ; c'est aussi de savoir s'exprimer clairement, en mettant tout fait et toute idée à sa place : en équilibre. Alors elles pourront vouloir refaire le monde. Pour l'homme. Mais elles ne le pourront pas dans les limites étroites de l'Europe.

Pour élaborer un « humanisme intégral », tel que le voulait Jacques Maritain, il faut comprendre toute notre planète, avec ses cinq continents, ses ethnies et ses civilisations différentes. C'est une chance qu'après les soldats, les colons, les missionnaires, l'Université française ait, à son tour, exploré les continents et les civilisations pour en extraire les « substantifiques moelles ». C'est avec toutes celles-ci, rassemblées et harmonieusement mêlées, que nous pourrons élaborer un humanisme intégral. À quoi doit tendre le grand dessein de la francophonie. Notre chance, c'est que l'Université, du moins la pensée française, ait commencé l'entreprise depuis le XVII e siècle : depuis Montesquieu et l'abbé Grégoire. Et l'on compte, au XX e siècle, nombre de Français parmi les plus grands spécialistes des civilisations non européennes. J'ai cité quelques négrologues. Pour continuer d'employer le même vocabulaire, je citerai maintenant, parmi les arabologues, Massignon, Blachère, Pérès, Laoust, Berque et Monteil ; parmi les sinologues et indianologues, Maspero et Granet, Grousset, Renou et Lévi. Naturellement, j'en passe, et d'éminents. Ce sont ces humanistes, puisqu'il faut les appeler par leur nom, qui nous ont aidés à mieux connaître nos langues et civilisations différentes. Je ne dirai jamais assez, par exemple, ce que je dois à Lilias Homburger, qui enseignait à l'Ecole pratique des hautes études. C'est grâce à elle que nous nous sommes, aujourd'hui, engagés dans l'étude comparée des langues négro-africaines et dravidiennes, qui se révèle particulièrement féconde. Cependant, il ne faut pas se le cacher, l'ethnologie et, plus généralement, la science française des civilisations sont menacées. Après les indépendances africaines de 1960, l'opinion publique française s'est, peu ou prou, désintéressée des autres, et surtout de l'Afrique. On s'est replié sur l'Europe ou, au mieux, sur l'Euramérique, tandis que l'Amérique, elle, s'intéressait de plus en plus à l'Afrique. Presque toutes les grandes universités américaines ont chacune son African Studies Center, où l'on enseigne la négritude dans ses versions française et anglaise aussi bien qu'africaine. J'ai interrogé le conservateur en chef des Archives nationales du Sénégal. Il m'a répondu que la moitié des chercheurs qui venaient y travailler étaient américains. Et de fait, chaque année, les ouvrages sur l'Afrique publiés par les universités américaines sont de plus en plus nombreux et meilleurs.

Évidemment, nous nous en réjouissons tout en regrettant la baisse des études africaines, asiatiques, amérindiennes et océaniennes en France. J'ai, en son temps, saisi les autorités françaises du problème, qui m'ont écouté, je le reconnais, avec intérêt. Il s'agit essentiellement dans le cadre de la francophonie de développer, en France même, les études que voilà. Ce n'est pas seulement une question budgétaire, encore que celle-ci soit primordiale ; c'est aussi une question d'organisation et de coordination de toutes ces études. Pourquoi n'organiserait-on pas, par exemple, des séminaires et colloques sur les langues et civilisations ultramarines, comme en a organisé le Centre d'études francophones de l'université de

523

Paris-Nord sur les littératures nègres d'expression française ? C'est une question de volonté politique. Pas au sens de la politique politicienne, bien sûr, mais de la politique culturelle.

Nous sommes en pleine crise mondiale. Je l'ai souvent dit depuis un an, et même avant, derrière la crise économique il y a une crise morale. En effet, dans la crise économique qui menace de nous entraîner, tous ensemble, vers une troisième guerre mondiale, ce qui est en question, ce ne sont pas des techniques, ni même des théories économiques, mais un problème de justice sociale, c'est-à-dire un problème de civilisation et, partant, de culture. Il s'ensuit qu'en définitive les solutions ne peuvent être que culturelles.

Vouloir la justice pour les autres, c'est, auparavant, penser dans les pensées des autres pour s'identifier aux autres. Ce qui est un moyen efficace de connaissance réciproque. Ce sont les guerres de culture qui provoquent les guerres économiques, qui, à leur tour, provoquent les guerres d'autodestruction humaine.

Un humanisme comme celui de la francophonie est encore le meilleur moyen de combattre celles-ci en s'enrichissant mutuellement. Dans notre cas, il s'agit d'enrichir un humanisme déjà riche et qui provient lui-même d'une «greffe», comme l'écrivait Paul Valéry dans Images de la France.

Il n'y a rien de moins aristocratique que cet idéal d'homme complet, puisque au fond il est celui de toutes les civilisations des hautes époques, parvenues à la conscience de leur rôle. Et d'abord de la Grèce ancienne, à laquelle il faut toujours revenir. Comme on le sait, beaucoup des héros mythiques qui fondèrent ses cités venaient, significativement, d'Afrique ou d'Asie, comme Danaos et Cadmos. C'est Herbert Morrison, alors ministre des Affaires étrangères, qui proclamait, à l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe, que la civilisation britannique était une civilisation de métissage. Et encore plus, ajouterai-je, celle du Commonwealth. C'est pourquoi je ne vois pas une ennemie dans l'anglophonie, mais une culture complémentaire de la francophonie. Il s'agit, ici et là, dans une même émulation, comme je l'ai dit à Oxford, de proposer un idéal d'homme à la civilisation de l'universel. Nous pensons, simplement, que le nôtre est plus complet.

Dans le dernier chapitre de son livre, chapitre intitulé They know how to live, Gérard Tougas parle de « cette alliance du goût, de la sensibilité et de l'intelligence qui résume les manifestations les plus hautes de l'art français ». Il s'agit, dans la nouvelle entreprise de la francophonie, d'allier le goût à la force, la sensibilité à l'émotion, l'intelligence à l'intuition. Pour être, encore une fois, un homme ultra-humain parce qu'intégralement humain.

LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR

de l'Institut

Contributions de Léopold Sédar Senghor à la revue
DE LA FRANCOPHONIE
Léopold Sédar Senghor
Éthiopiques. Spécial centenaire.
Contributions de Léopold Sédar Senghor à la revue 1er semestre 2006

DE LA FRANCOPHONIE [1]

Je suis heureux de me retrouver, une fois de plus, au Québec. Et j'ai la chance d'avoir été invité, de nouveau, par l'Université Laval et pour vous parler de la Francophonie. J'en suis, d'autant plus heureux que, Vice-président du Haut Conseil de la Francophonie, c'est également l'occasion, pour moi, de participer, comme conseiller, au Second Sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement. Last but not least, comme disent vos compatriotes anglophones, j'arrive de Normandie, où j'ai laissé ma femme, une Normande de vieille souche. Et à vous entendre, avec vos noms et votre accent normands, j'ai un peu l'impression d'être chez moi.

Or donc, je vais vous entretenir de la Francophonie, mais surtout, de la Francité. Et pourtant, c'était l'objet de mon discours quand, le 22 septembre 1966, vous m'avez fait Docteur honoris causa de votre Université. C'est qu'avec le Second Sommet, nous sommes non seulement au coeur du problème, mais encore à la dernière étape, majeure, où il faut réussir ou renoncer. Et vous savez bien que renoncer en succombant n'est pas français, non plus que québécois. Et vous l'avez prouvé. C'est l'occasion, pour moi, de rendre l'hommage qu'ils méritent aux premiers québécois, singulièrement à René Levesque et Pierre Eliott Trudeau, avec lesquels j'ai discuté, en son temps, du problème. Je n'oublierai pas Jean Lesage ni Jean-Marc Léger, non plus que Jean Drapeau, qui fut maire de Montréal, sans oublier le

524

Premier Ministre actuel Brian Mulroney. C'est que nous avons reçu celui-ci à l'Académie française. En sa présence, nous avons introduit, dans le Dictionnaire, le mot canadien « foresterie », que j'ai défini. Et le Premier Ministre canadien, qui est d'origine celtique, vous le savez, comme « nos Ancêtres les Gaulois », a créé le « Grand Prix de la Francophonie ».

Cela dit en manière d'introduction j'aborderai le problème de la Francophonie en faisant, pas trop longuement, son historique ou, plus précisément, sa préhistoire.

Ce n'est pas hasard, si nous avons été les deux premiers, un Canadien et le Sénégalais que je suis, à lancer le néologisme de francité. Il est vrai que, depuis quelque 100 ans, Onésime Reclus, un géographe français, avait inventé les deux mots de « francophone » et « francophonie ».

* *

*

On a souvent contesté, et la formation, et la signification des deux derniers mots. A tort. En effet, comme le disait mon maître Ferdinand Brunot, l'un des fondateurs de la Grammaire moderne, la loi fondamentale de la Grammaire n'est pas la rationalité cartésienne, mais l'analogie. D'où il résulte qu'aujourd'hui, et pour les lecteurs francophones, la Francophonie peut signifier :

- l'ensemble des Etats, des pays et des régions qui emploient le français comme langue nationale, langue de communication internationale, langue de travail ou langue de culture ;

- l'ensemble des personnes qui emploient le français dans les différentes fonctions que voilà ;

- la communauté d'esprit qui résulte de ces différents emplois.

Quant à la francité, on peut la définir comme l'ensemble des valeurs de la langue et de la culture, partant, de la civilisation française. Nous y reviendrons quand nous la comparerons à la négritude. Mais pourquoi, me demandera-t-on, dire « francité », comme « latinité », « germanité », « arabité » et non pas « francitude » comme « négritude », « berbéritude », « slavitude », « sinitude ». Qu'on se rassure. Ce n'est pas une question de supériorité ni d'infériorité, mais de civilisation différente. Ce n'est surtout pas un auto-mépris culturel chez les militants de la Négritude que nous étions dans les années 1930, que nous sommes toujours, Aimé Césaire et moi. C'est simplement que les mots en-itude ont un sens plus concret ou, ad libitum, moins abstrait que les mots en -ité, comme l'a prouvé un mémoire de diplôme d'études supérieures soutenu à l'Université de Strasbourg.

Je ne voudrais pas faire, ici, encore une fois, tout l'historique de la Francophonie. Vous le trouverez dans l'ouvrage, remarquable, du professeur Michel Tétu, intitulé « La Francophonie » et que je viens précisément de préfacer. Je voudrais rappeler, simplement, que nous avons été trois Africains, Habib Bourguiba, Hamani Diori et moi, à lancer, plus que le mot, l'idée de Francophonie. On oublie, trop souvent, le rôle, majeur, que joua le Général de Gaulle dans la naissance et l'organisation de la Francophonie. Il est vrai qu'homme de culture et de courtoisie, homme de pudeur par excellence, Charles de Gaulle voulut, toujours, laisser les Africains prendre les initiatives, après Brazzaville.

Or donc, après l'échec de Dakar, où le Gouverneur général Boisson avait refusé de le suivre dans la Résistance, en septembre 1940, le Général de Gaulle fut plus heureux, quatre ans après, à la Conférence de Brazzaville, en janvier 1944, où il prononça son fameux discours, dont voici l'essentiel :

« Mais en Afrique française comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès si les hommes, sur leur terre natale, n'en profitaient pas moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s'élever, peu à peu, jusqu'au niveau où ils seront capables de participer, chez eux, à la gestion de leurs propres affaires. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi ».

C'est clair. C'est donc en janvier 1944, et par la volonté de Charles de Gaulle, que survint non seulement l'idée, mais surtout la volonté, de la Francophonie. Qu'on relise seulement la fameuse phrase. De Gaulle aurait pu dire : « Où ils seraient capables ». Il a préféré employer le futur de l'indicatif pour bien marquer la possibilité, mieux, la certitude de la Francophonie. C'est ainsi du moins que nous l'avions compris, Bourguiba, Diori et moi. Et nous avons agi dans ce sens.

Après de Gaulle, j'arriverai à Hamani Diori, l'ancien Président de la République du Niger, dont on ne parle pas assez dans l'historique de la Francophonie, comme je l'ai dit au professeur Tétu. Pour mieux faire comprendre son rôle, récapitulons les étapes qui, depuis le Discours de Brazzaville, marquent la marche, avec la France, des anciens peuples colonisés vers la Francophonie. Ce fut, d'abord, l'Union française, en 1946, à laquelle succède la Communauté, en 1958. Puis, au début de la décennie des indépendances, en 1961, fut créée, entre États africains, l'Union africaine et malgache (UAM), à laquelle succéda l'Organisation commune africaine et malgache (OCAM).

525

C'est ici que, parmi d'autres étapes, vers la Francophonie, se distingua tout particulièrement Hamani Diori. C'était en mars 1968. C'est alors que l'OCAM, sous la Présidence d'Hamani Diori, conçut le projet d'une Agence de Coopération culturelle et technique, qui réunirait « les États utilisant la langue française ». Il s'agissait, grâce à cette agence, de « compléter et diversifier la coopération existante et non pas de la remettre en cause ». C'est pourquoi Hamani Diori adressa, entre autres, au Premier Ministre du Québec, Jean Jacques Bertrand, une invitation, qui suggérait l'envoi, à Niamey, du Ministre de l'Éducation nationale du Québec. L'initiative d'Hamani Diori est d'autant plus importante que la culture reste le problème essentiel de la Francophonie, comme nous allons le voir.

Quant au Président Habib Bourguiba, homme de culture à la tête du pays maghrébin le plus moderne, le plus francophone, il était tout désigné pour jouer un rôle de premier plan dans la naissance de la Francophonie, comme auparavant, dans le mouvement des indépendances. Il restera, avec le Roi Hassan II, le chef d'État arabe qui a le mieux compris la valeur du métissage culturel que la Francophonie nous permettrait de réaliser. C'est ainsi que, pèlerin de la Francophonie, il déclarait, en 1968, à Montréal : « Nous avons conscience, non seulement d'avoir enrichi notre culture nationale, mais de l'avoir orientée, de lui avoir conféré une marque spécifique que rien ne pourra plus effacer. Nous avons conscience d'avoir pu forger une mentalité moderne ».

On s'étonnera, sans doute, que le militant de la Négritude, que j'ai été au Quartier latin, soit tombé, par la suite, dans la Francophonie. Pourtant, j'ai souvent signalé le fait. En même temps que certains militants, comme Césaire et moi, suivaient des cours de français, latin et grec à la Sorbonne, Léon Damas et encore moi nous intéressions à ce que nous appelions « les Humanités négro-africaines ». C'est que nous étions, déjà, pour le métissage culturel, l'essentiel étant qu'il fallait, d'abord, s'enraciner dans les vertus de la Négritude avant de s'ouvrir aux apports fécondants des autres civilisations, singulièrement de la civilisation française. Lecteurs assidus des écrivains et théoriciens négro-américains, sans oublier les Antillais, nous rappelions, souvent, cette phrase du poète Claude Mac Kay : « Plonger jusqu'aux racines de notre race et bâtir sur notre propre fonds, ce n'est pas retourner à l'état sauvage. C'est la culture même ».

C'est cette fidélité à la Négritude qui explique la double action que j'ai menée, pendant les 35 ans - de 1945 à 1980 - où j'ai été, en même temps ou successivement, professeur de Négritude à l'École nationale de la France d'Outre-Mer et député du Sénégal au Parlement français. Par « Négritude », j'entends, ici, les langues et civilisations négro-africaines. Je n'y reviendrai pas, mais sur la Francophonie.

Or donc, si, en 1945, « je suis tombé dans la politique », comme j'aime à le dire, ce fut malgré moi. En effet, le Parti socialiste du Sénégal cherchait un second candidat, à côté du doyen Lamine Guèye, pour sa liste aux élections à la Première Assemblée nationale constituante. Et il porta son choix sur moi, alors que je ne briguais aucune fonction politique. Je finis par accepter à la condition qu'on me laissât poursuivre, en même temps, ma double oeuvre de professeur et de poète. C'est ainsi que, pendant les quinze années de mon mandat, renouvelé, j'ai continué à me battre, et pour la Négritude, et pour la Francophonie.

Comme député du Sénégal, j'ai appartenu aux deux commissions qui, en 1946 et en 1958, ont préparé des constitutions pour la France. C'est ainsi, entre autres, que mon amendement au texte qui allait devenir la Constitution de 1958 fut rejeté. Il proposait, pour les peuples colonisés, « le droit à l'autodétermination », c'est-à-dire à l'indépendance. Et c'est le Général de Gaulle qui, passant outre à l'avis de la Commission de la Constitution, reprit l'amendement dans le texte qui fut approuvé par référendum. Après que le projet de Constitution eut été approuvé par le Peuple de France et les peuples des Départements et Territoires d'Outre-Mer, je fus le premier à demander, au Général de Gaulle, l'indépendance de mon pays, le Sénégal. Fait remarquable, l'entretien n'avait pas duré une demi-heure quand le Président de la République, qui m'avait écouté sans m'interrompre - c'était son habitude -, me donna son accord.

Précisément, parce qu'il en avait été ainsi et que je gardais intacte, au fond de mon âme, ma passion pour la Négritude, j'apportai une nouvelle ardeur, avec de nouveaux arguments, à l'autre combat, pour la Francophonie. C'est le moment de rappeler que, depuis la Constitution de 1946, qui avait créé « l'Union française », on avait beaucoup avancé, et rapidement. Entre autres États, le Vietnam était devenu indépendant en 1949, le Maroc et la Tunisie en 1956. Enfin, la « Communauté », « rénovée », était créée en 1960. Et pendant toute cette décennie, les différents peuples d'outremer, sauf les Antillais et les Océaniens du Pacifique, avaient, à tour de rôle, obtenu, chacun, son indépendance. C'est dans ce contexte d'espoir et, partant, de coopération, que mourut Charles de Gaulle.

Quand Pompidou fut élu Président de la République, le 15 juin 1969, un nouvel espoir, mêlé, c'est-à-dire plus riche, se leva en moi. C'est que, depuis les bancs de la « Première supérieure » du Lycée Louis-le-Grand, dans les années 1920, jusqu'à sa mort, en 1974, Pompidou fut toujours mon meilleur

526

ami en France, et le plus fidèle. Je lui dois l'essentiel, non pas de mon éducation, mais de ma culture française. Le jeudi ou le Dimanche, il m'emmenait souvent avec lui, non pas à Montmartre, mais au théâtre ou aux expositions d'art, plus rarement au cinéma. Surtout, nous lisions beaucoup, nous discutions beaucoup, et sur tous les problèmes : depuis la poésie grecque jusqu'à « l'Art nègre ».

Dès lors, on ne s'étonnera pas que, disciple politique du « Grand Charles » et homme de culture, Pompidou se soit intéressé à la Francophonie et, pour ainsi dire, de l'intérieur, sous tous ses aspects. C'est ainsi qu'il créa une nouvelle institution, si je puis m'exprimer ainsi : les « Conférences franco-africaines ». Dans le cadre d'une Francophonie de fait, celles-ci furent, en réalité, les premiers « Sommets ». En effet, ces conférences réunissaient les chefs d'État francophones ou leurs représentants. À la mort de Pompidou, Monsieur Valéry Giscard d'Estaing, le nouveau Président de la République française, eut le mérite de continuer la Francophonie de fait que Pompidou avait créée.

Plus exactement, avec le Président Giscard d'Estaing, on essaya, conférence après conférence, de cerner le problème. C'est ainsi qu'en deux sessions, en 1979, puis 1980, je parvins, comme rapporteur, à faire adopter un projet de Francophonie. Il ne restait plus qu'à réunir un sommet de tous les chefs d'État avec, si possible, chacun en personne. C'est alors que je fus chargé de recevoir, à Dakar, en novembre 1980, une Conférence des Ministres des Affaires étrangères, qui préparerait le Premier sommet des Chefs d'État, par lequel serait créée, officiellement, la Francophonie. Il était entendu que le Président de la République française réglerait, avec les gouvernements d'Ottawa et du Québec, l'affaire dite « du Québec ». Mais voilà qu'en octobre, je lus un communiqué du ministère français des Affaires étrangères annonçant que la France ne serait pas représentée à la Conférence de Dakar. Aux journalistes qui se précipitèrent pour m'interroger, je répondis simplement : « C'est une querelle entre Grands Blancs. _ Quand ils se seront mis d'accord, on tiendra le Sommet ».

Enfin, les « Grands Blancs » se sont mis d'accord, après six ans de pourparlers, non seulement entre Paris et le Québec, sans oublier Ottawa, mais aussi entre Paris et les anciens territoires ou protectorats d'Outre-Mer, devenus États indépendants. C'est dans ces conditions que fut réuni à Paris, en février 1986, le Premier Sommet francophone des Chefs d'État ou de Gouvernement. Ce Premier Sommet, ce n'est pas étonnant, n'a pas beaucoup fait avancer le problème, les problèmes. On s'est perdu dans les détails en parlant surtout Économie, Finances et Techniques, sans oublier les ordinateurs ni les minitels, alors qu'il fallait traiter des problèmes politiques, mais, d'abord discuter le problème culturel majeur : la Francophonie, mais sous son aspect culturel de francité. J'entends par là l'enseignement et l'usage de la langue française dans tous les pays - plus de 40 - qui feraient partie de la Francophonie.

Ne nous le cachons pas, le problème de fond, ce sont les valeurs culturelles de la langue française, y compris leurs aspects scientifiques et techniques. Il faut commencer par rappeler certains faits et, pour cela, remonter au Moyen Age. Or donc, c'est au début du Moyen Age, à la chute de l'Empire romain, mais surtout, avec Charlemagne, à la création de l'Empire d'Occident, au début du IXe siècle de notre ère. C'est alors que le français commence d'être parlé dans toute l'Europe, hors des frontières françaises. Ce fut, plus exactement, dans les cours et parmi la bourgeoisie. Arrêtons-nous un moment sur ce fait pour en dire les raisons, qui tiennent essentiellement à la francité.

Il y a, d'abord, que le français parlé, à côté du latin, dans les universités, était une langue savante, au vocabulaire riche et précis en même temps : technique. C'est ainsi qu'au XIIIe siècle, sur 3.000 mots du français élémentaire, 25 %, c'est-à-dire le quart, étaient des mots savants, tirés du latin ou, mieux, du grec. Si le français, depuis l'Empire d'Occident, mais surtout les XIIIe-XIVe siècles est devenu, en Europe, la langue des cours, de la bourgeoisie et de la diplomatie, c'est, bien sûr, pour les raisons politiques que voilà. Elle l'est devenue surtout pour ses qualités propres, qui tiennent au latin, mais surtout au grec. C'est la raison pour laquelle il a fallu huit siècles ainsi que la puissance économique et spatiale, financière et technique des États-Unis d'Amérique pour que l'anglais remplaçât le français comme langue de communication internationale, après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Last but not least, ce sont les mêmes États-Unis d'Amérique, qui, après avoir redécouvert le latin, mais surtout le grec, après la Deuxième Guerre mondiale, l'ont fait du français depuis quelques années, depuis, précisément qu'on parle de la Francophonie.

Il n'est que temps d'arriver aux valeurs de la Francité, et d'abord de la langue française. Comme j'ai l'habitude de le dire, le français est « le grec des temps modernes ». J'ai développé cette idée ici même, lorsque, encore une fois, le 22 septembre 1966, j'ai été fait Docteur honoris causa de l'Université Laval. Je la résumerai aujourd'hui.

Bien sûr, la langue française est née de la langue latine : du latin vulgaire ou, plus précisément, de celui de la vulgate. Il reste que, depuis la Renaissance et l'enseignement des Humanités gréco-latines en France, la langue de Descartes s'est enrichie de nouveaux mots : de mots savants, empruntés au latin, mais surtout au grec. Je vous renvoie à un document significatif du « Ministère français de la Recherche et de l'Enseignement supérieur », qui est intitulé : « Listes terminologiques, relatives au vocabulaire de la télédétection aérospatiale ». Ce qui frappe d'abord, c'est que presque tous ces mots, scientifiques ou

527

techniques, sont formés sur des racines ou des mots latins, mais, le plus souvent, grecs. Il est vrai que le latin avait, lui-même, beaucoup emprunté à la langue d'Aristote.

Le premier avantage de ces nouveaux mots, outre leur précision, est que l'homme de culture, qui a fait ses humanités gréco-latines, les comprend sans peine. Il y a surtout qu'une fois qu'on les lui a traduits, il n'en oublie plus les diverses significations. Quand j'ai lu pour la première fois, dans un journal, le mot « Mirapolis », j'ai compris : « Cité des merveilles ». En effet, la racine mir signifie, en grec, « ville, cité ». De même, quand l'autre mois, on m'a présenté une « orthophoniste », j'ai, tout de suite distingué les trois éléments grecs du mot : orthos, qui signifie « droit », phonè, « langue », et - istos, qui est un suffixe indiquant le caractère ou la fonction. Ce sont ces emprunts du français scientifique ou technique qui expliquent, en partie, le retour en force des humanités gréco-latines, non seulement en France, mais encore dans les autres pays de la Francophonie, singulièrement en Afrique noire.

Il reste que le phénomène culturel va beaucoup plus loin. Il dépasse le simple emprunt ou fabrication de mots savants : scientifiques ou techniques. Au demeurant, comme on le sait, les deux tiers au moins des mots de l'anglais, y compris l'anglo-américain des U.S.A., viennent du français, du latin ou du grec. Si paradoxal que cela puisse être, l'apport majeur de la civilisation latine, mais surtout grecque à la francité, on le trouve, non pas dans le vocabulaire, mais dans la syntaxe et, par-delà, dans la stylistique de la prose française. D'un mot, dans la littérature gréco-latine, prose et poésie. Pourquoi je n'ai pas été étonné en lisant, dans le Figaro du 14 août 1987, un article intitulé « Le latin revient en force ». Et, de joie, j'ai chanté l'introït du 15 août : « Gaudeamus, omnes in Domino ». Je m'en suis d'autant plus réjoui que le phénomène s'étend aux deux langues, car le sous-titre de l'article précise : « Les effectifs des latinistes et des hellénistes progressent chaque année ».

Mais pourquoi ce retour en France ? C'est, d'un mot, que les vertus du latin, mais surtout du grec, dépassent le vocabulaire pour s'étendre à la phrase et, par-delà, au paragraphe, au poème, à toute l'oeuvre écrite. Ce qui mérite explication. Quand, pour parler de ce que j'ai étudié et enseigné, je compare les langues agglutinantes d'Afrique aux langues à flexion d'Europe, ce qui me frappe le plus, c'est moins leurs vocabulaires, voire leurs morphologies, que leurs syntaxes. A la syntaxe de coordination ou de juxtaposition des langues africaines, si propre à la poésie, s'oppose la syntaxe de la subordination des langues européennes. C'est dire que celles-ci sont essentiellement des langues scientifiques parce que de raisonnement - je ne dis pas de philosophie.

* *

*

Données ces précisions et à partir de mes rapports faits aux conférences franco-africaines de 1979 et 1980, je voudrais vous dire ce que pourraient être les structures politiques et la vie de la Communauté organique de la Francophonie. Il est entendu que ce dernier titre, que j'avais proposé en 1980, peut être modifié sans inconvénient, et surtout les structures, mais pas l'esprit de la Francophonie, c'est-à-dire la francité, pour les raisons que je viens d'exposer. C'est dire que nous allons, maintenant, entrer en politique, mais au sens le plus élevé.

La Francophonie couvrira donc les cinq continents. Mais pourquoi faire exactement ? Je répondrai : « Pour réaliser l'oeuvre que font les communautés culturelles que l'on désigne, aujourd'hui, sous les noms d'Hispanophonie et de Lusophonie. Précisément, il n'est pas indifférent qu'on n'ait pas pris l'habitude d'appeler le « Commonwealth » « Anglophonie». À cause des États-Unis d'Amérique, bien sûr, mais surtout parce que le wealth, l'économie, caractérisé le Commonwealth. Cela ne signifie pas que, dans la Communauté organique de la Francophonie, les problèmes économiques ou financiers seront négligés. Que non pas ! Cela veut dire qu'ils seront, non même pas subordonnés à, mais conditionnés par la solution humaniste des problèmes culturels. Cependant, ce ne sera pas dans le sens de l'impérialisme, encore moins du colonialisme culturel.

En effet, depuis le professeur Paul Rivet, qui était à la fois un biologiste et un linguiste, c'est-à-dire un homme de haute culture, l'option de la symbiose biologique et culturelle, pour ne pas parler de « métissage », s'est confirmée en France et dans les pays francophones. C'est ce que prouve, entre autres et sous le Général de Gaulle, le fameux Rapport Jeanneney du 19 juillet 1963 sur « La Politique de Coopération avec les pays en Voie de Développement ». Je n'en citerai que ces lignes :

« La France peut aussi attendre de sa coopération des avantages économiques indirects et un enrichissement culturel... Que la France imprègne d'autres pays de ses modes de pensées, elle tisse des liens dont l'intimité les incitera à lui apporter, à leur tour, le meilleur d'eux-mêmes. La culture française s'est épanouie, au cours des siècles, grâce à des apports étrangers constamment renouvelés. Si les pays qui auront reçu d'elle une initiation à l'esprit scientifique lui font connaître des modes

528

nouveaux d'expression artistiques ou des conceptions philosophiques, sociales ou politiques originales, notre civilisation s'en trouvera enrichie ».

Ce texte est essentiel. Il est d'autant plus important que, même parmi les pays latins, il est rare d'entendre, non pas des professeurs ou des écrivains, mais des hommes politiques ou officiels tenir de tels propos. Sauf au Portugal, où j'ai présidé précisément, en 1980, un « Colloque sur le Métissage » à l'Université d'Evora.

Vous aurez noté : « Notre civilisation s'en trouvera enrichie ». A la page précédente, le Rapport Jeanneney avait présenté la culture française comme « prétendant à l'universalité ». C'est là une idée empruntée à Pierre Teilhard de Chardin, qui, dans une vision globale et prophétique du monde, nous présentait les différentes civilisations humaines multipliant leurs échanges dans un dialogue réciproquement fécondant, pour aboutir à « la Civilisation de l'Universel ». C'est dire qu'au « rendezvous du donner et du recevoir » que constitue la Francophonie, pour parler comme Aimé Césaire, les peuples des quatre autres continents, non européens, ne viendront pas les mains vides. Ceux qui, avec Césaire, ont, dans les années 1930, lancé le mouvement de la Négritude ont beaucoup insisté sur ce dernier point : il s'agit, pour chaque continent, pour chaque peuple, de s'enraciner profondément dans les valeurs de sa civilisation propre pour s'ouvrir aux valeurs fécondantes de la civilisation française, mais aussi des autres civilisations, complémentaires, de la Francophonie. Ce que la France nous a apporté d'essentiel, d'irremplaçable, plus qu'aucun autre pays d'Europe, c'est « l'esprit de méthode et d'organisation », comme j'aime à le dire, ou, pour parler comme le Rapport Jeanneney, « un mode d'expression et une méthode de pensée ». Pour m'en tenir à l'Afrique, celle-ci a, depuis le début du siècle, beaucoup apporté, singulièrement dans les domaines des Arts plastiques, de la Musique et de la Poésie, sans oublier la Danse, qu'a renouvelée Maurice Béjart, dont le père, Gaston Berger, créateur de la Prospective, était un métis franco-sénégalais.

C'est dire que, comme les pays du Maghreb, qui, dans ce domaine, sont exemplaires, les pays d'Afrique noire, d'Asie et d'Océanie commenceront par choisir, chacun, une ou plusieurs langues « originaires » ou continentales pour en faire des « langues nationales ». Il n'est pas question d'écarter le français, pas même d'en faire une « langue étrangère », mais bien une « langue officielle » ou de « communication internationale ». C'est le cas au Sénégal. C'est dire qu'ici, les langues d'origine authentiquement africaine y sont étudiées selon les méthodes scientifiques les plus modernes, soit à l'Institut Fondamental d'Afrique noire, qui est un vieil Institut de recherche, soit au Centre de Linguistique appliquée de Dakar.

Ainsi justifiée la Francophonie, comme « un projet de civilisation humaine » -, dixit le Rapport Jeanneney -, il est temps d'en venir à sa réalisation au plein sens du mot, mais d'abord à son organisation structurelle, politique.

Il nous faut partir de la « Conférence franco africaine » tenue à Nice, du 8 au 10 mai 1980. Un projet cohérent en était sorti, qui était une synthèse des propositions du rapporteur que j'avais été, des apports des experts et des amendements des chefs d'État ou de gouvernement. Il s'agissait de créer une « Communauté organique de la Francophonie ». Il reste que le titre importe peu. Ce qui compte, c'est le nom, mais surtout la notion de Francophonie.

Tout en nous inspirant, parmi d'autres communautés, des structures et du fonctionnement du Commonwealth nous entendions faire oeuvre neuve, à la française. Il s'agissait, il s'agit toujours, en ce dernier quart du XXe siècle, de préparer, pour notre ensemble francophone, voire latinophone, nous allons le voir, une communauté de peuples différents, mais solidairement complémentaires. Et partant, une communauté solide pour la réalisation de la Civilisation de l'Universel, qui sera celle du troisième millénaire. Bref, une communauté créatrice parce que de droit écrit, rationnellement organisée, à la française, je le répète.

Voici ce que pourraient être les organismes de la Francophonie :

- la Conférence des Chefs d'État ou de Gouvernement,

- le Secrétariat général,

- les Conférences ministérielles,

- la Fondation internationale pour les Échanges culturels.

Que tous ces organismes doivent avoir, chacun, leur siège à Paris, cela va de soi. Parce que le modèle de la langue française est celle parlée à Paris par les hommes de culture, et non plus « par la bourgeoisie », comme on nous l'enseignait en Sorbonne. Mais surtout pour cette raison majeure, que l'Europe est devenue le centre de la civilisation humaine depuis 2.500 ans que l'Afrique lui a passé le flambeau. Depuis lors, elle continue de s'enrichir des apports de l'Asie et de l'Océanie à l'Est, des deux

529

Amériques à l'Ouest. Et voici, de nouveau, que l'Afrique, en ce XXe siècle, est rentrée dans le jeu, et souvent par le détour des deux Amériques.

La Conférence des Chefs d'Etat ou de Gouvernement sera la plus haute instance. Elle se réunira à intervalles réguliers, tous les deux ans par exemple, étant entendu qu'il y aura, à l'occasion, des réunions extraordinaires. Il est entendu également que ce sera, autant que possible, soit à Paris, soit, à tour de rôle, dans une autre capitale. Ces réunions au sommet seront toujours précédées, préparées par une conférence des ministres des Affaires étrangères. Il reste que la plus grande liberté les caractérisera, qu'en particulier, au début de la Conférence, tout chef d'Etat ou de gouvernement pourra la saisir de tout problème qu'il lui paraîtra opportun de soulever. Il s'agira, en effet, pour faire de la Francophonie le modèle et le moteur de la Civilisation de l'Universel, de favoriser les échanges d'idées en respectant la personnalité originaire, mais surtout originale de chaque nation.

Le Secrétariat général, comme l'indique son nom, assurera des fonctions d'étude, de préparation d'exécution, mais aussi de coordination. Encore que situé à Paris, comme les autres organismes, son titulaire pourra ne pas être français. Enfin, le Secrétariat général sera chargé d'animer les divers organismes de la Francophonie.

Les Conférences ministérielles seront générales, techniques ou régionales. Les ministres des Affaires étrangères, qui auront un rôle prépondérant, se réuniront au moins une fois par an. Ils commenceront par un tour d'horizon des problèmes mondiaux, puis ils examineront les rapports qui leur auront été soumis par les ministres spécialisés, pour en retenir ce qui devra être présenté aux chefs d'État ou de gouvernement.

Quant aux conférences des ministres spécialisés, et d'abord des ministres de l'Éducation, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, elles seraient ouvertes à tous les États membres. Cependant, en dehors des ministres chargés de l'Éducation ou de la Culture, la participation ne serait pas obligatoire. Ainsi serait laissé plus de souplesse et, partant, d'efficacité au système.

S'agissant, enfin, de la Fondation internationale pour les Échanges culturels, elle commencera par absorber l'actuelle Agence de Coopération culturelle et technique. C'est dire que les problèmes scientifiques et techniques ne seront pas négligés, tout au contraire. Ni les problèmes artistiques. La Fondation aura pour objectif majeur de réaliser l'oeuvre culturelle de compréhension et d'enrichissement réciproques qui est le but ultime de la Francophonie. C'est ainsi que la Fondation aurait trois départements :

_- un Conseil des Langues et Cultures,

- une Agence de Coopération culturelle et technique, - un Centre d'Information.

Le Conseil des Langues et Cultures aura pour tâche essentielle l'identification, la protection, le développement et la diffusion des différentes expressions culturelles de nos nations respectives, voire des régions au sein d'une nation. Il serait utile d'y créer diverses sections, dont :

- un section des Langues de Communication internationale (je songe au français et à l'arabe entre

autres),

- une section du latin et du grec,

- une section des Langues africaines,

- une section des Langues asiatiques.

L'Agence de Coopération culturelle et technique existe déjà. Elle serait élargie aux dimensions de la Francophonie. Elle aura surtout, non pas un rôle d'études, comme le Conseil scientifique, dont je propose la création, mais un rôle concret d'exécution pour les initiatives et projets de coopération culturelle.

Quant au Centre d'Information, sa fonction sera de favoriser, voire, auparavant, d'organiser les communications entre les nations de la Francophonie. C'est dire qu'il aura d'abord, un rôle d'information sur la vie de la Francophonie. Il aura aussi à faire connaître les travaux des différents organismes de la Communauté organique, sans oublier les nombreuses associations francophones qui existent depuis plusieurs années. Le centre, en outre, aidera à réaliser, entre les pays intéressés :

_- la libre circulation des oeuvres des créateurs : écrivains, artistes, professeurs, savants et techniciens

;

- les traductions ou reproductions d'oeuvres littéraires ou artistiques, scientifiques ou techniques ;

- les échanges des expériences les plus significatives en matière culturelle, scientifique et technique ;

530

- la participation francophone, enfin, à la vaste et profonde révolution culturelle qui, en ce dernier quart du XXe siècle, prépare la Civilisation de l'Universel.

Où en est-on aujourd'hui, me demanderez-vous, dans l'édification de la Francophonie ? Comme je vous l'ai dit, un incident juridique entre « Grands Blancs », entre les gouvernements canadien, québécois et français, a fait renvoyer sine die la conférence des ministres des Affaires étrangères que je devais réunir à Dakar, en novembre 1980, pour préparer la « Conférence des Chefs d'État ou de Gouvernement », qui, elle, aurait définitivement arrêté la charte de la Francophonie. _Ce retard n'aura pas été inutile. Outre que, depuis lors, le nombre des membres de l'A.C.C.T. s'est accru, le Président François Mitterrand a prouvé, mieux réalisé le mouvement en marchant. Il a, en effet, créé, l'autre année, un Haut Conseil de la Francophonie, qui est composé de 27 membres, « représentatifs des grandes composantes de la Francophonie ». Il s'y est ajouté un Commissariat général de la Langue française auprès du Premier Ministre et un Comité consultatif de la Langue française, qui remplace l'ancien « Haut Comité de la Langue française ». _Il y a surtout que le Président de la République française a réuni, l'an dernier, du 17 au 19 février, le Premier Sommet francophone des chefs d'État et de gouvernement francophones. Pour une fois et par souci d'efficacité, on a procédé à l'anglaise. Ce furent, en effet, des discussions ouvertes où tous les problèmes ont été abordés, mais surtout des problèmes économique et financiers. Dès lors, n'est-il pas temps, aujourd'hui, d'aborder les problèmes essentiels de la Francophonie, les problèmes culturels ? C'est d'autant plus nécessaire, et naturel, que, nommé Premier Ministre après les élections du 16 mars 1986, Monsieur Jacques Chirac a nommé, non seulement un Ministre de la Coopération en la personne de Monsieur Michel Aurillac, un spécialiste des problèmes africains, mais encore un Secrétaire d'État à la Francophonie, Madame Lucette Michaux-Chevry, originaire des Antilles.

Nous avons profité de ce sommet, Monsieur Stélio Farandjis, le Secrétaire Général du Haut Conseil de la Francophonie, et moi, le Vice-président, pour tenir une conférence de presse au Grand Palais, dans le cadre d'Expolangue. C'était, pour moi, l'occasion de proposer, pour la Francophonie, des langues classiques à enseigner dans les collèges, lycées ou facultés. Je proposai donc cinq langues : le latin, le grec, l'arabe classique, l'égyptien ancien et le chinois. Le latin et le grec, langues indo-européennes, pour le rôle qu'ils jouent encore dans l'enseignement du français, comme nous l'avons vu tout à l'heure ; l'arabe classique parce que plus de la moitié des Arabes vont entrer dans la Francophonie, l'égyptien ancien parce que c'est une langue agglutinante et que, près de la moitié des langues africaines sont construites sur son modèle : le chinois, enfin, parce qu'à son tour, c'est le modèle des langues à tons d'Asie, comme le vietnamien. _C'est l'occasion de vous parler de la Latinophonie. Il s'agirait d'insérer la Francophonie dans un ensemble plus vaste, qui comprendrait toutes les nations qui ont vocation à se servir d'une langue néo-latine ou du grec comme langue nationale, langue classique ou langue de communication internationale. Toutes ces nations réunies représenteraient près d'un milliard d'hommes.

Il s'agirait donc, une fois réalisée la Francophonie, de l'insérer, à son tour, dans une association des pays ou groupes de pays de langue néo-latine. Je songe à l'Espagne, à l'Italie, au Portugal et aux 22 pays d'Amérique latine, sans oublier, naturellement, la Belgique, ni le Luxembourg, la Suisse gardant... son isolement. Ce n'est pas hasard si, au « Premier Congrès des Orthopédistes de Langue française », que j'ai ouvert, à Monaco, le 26 mars 1986, on compta des orthopédistes espagnols, italiens, voire latino-américains.

En vous exposant le projet de Francophonie version 1987, j'ai presque toujours employé l'indicatif. J'aurais dû toujours employer le présent du conditionnel, car le projet de 1980 sera amélioré. Ce que je souhaite du moins.

*

* * _

Il reste qu'avant de conclure, il me faut répondre à une question majeure, qu'on nous pose souvent. « C'est une belle idée, et grandiose, votre projet de Francophonie, entendons-nous souvent dire à l'étranger, parfois même en France. Mais pourquoi ne pas adopter, simplement, l'anglais comme langue de communication internationale, puisqu'il est, aujourd'hui, la langue la plus répandue à travers tous les continents et dans tous les domaines ? Et puis, c'est tellement plus facile à apprendre ! » Ce sont là, en effet, deux faits que l'on ne peut nier. Cependant le problème est mal posé. Celui-ci, en effet, est de savoir si, aujourd'hui que nous sommes, nolentes volentes, poussés vers la Civilisation de l'Universel, l'intérêt de l'humanité se trouve dans le choix du français ou de l'anglais. Pour être plus précis, si, en 1986, deux ans après l'année où nous avons fêté le bicentenaire du Discours sur l'Universalité de la Langue française, les arguments de Rivarol, mais aussi du Professeur Schwab, l'Allemand, sont toujours valables.

531

Le premier argument contre l'anglais est que, si, au début du XXe siècle, après la Première Guerre mondiale, il est devenu la première langue de communication internationale, il ne le doit ni à l'étendue, ni au rôle du Commonwealth sur notre planète, mais bien à la superpuissance économique, militaire et politique des États-Unis d'Amérique. C'est d'autant plus vrai qu'à côté de la morphologie et de la syntaxe, qui sont simples, trop simples, la langue de Shakespeare nous présente une orthographe et une prononciation qui ne le sont pas. Je dis « trop simples », car le problème est de choisir moins une langue de facilité que de ressources. Je parle d'une langue qui soit la plus belle, tout en nous permettant de mieux exprimer toutes les richesses, et de l'univers, et de la sensibilité comme de l'esprit humain. C'était là le sens du concours organisé par l'Académie de Berlin sous la forme des trois questions que voici :

- qu'est-ce qui a rendu la langue française universelle ? _- pourquoi mérite-t-elle cette prérogative ? - est-il à présumer qu'elle la conserve ?

Ainsi partait-on d'un jugement de fait pour aboutir à un jugement de valeur, étant entendu que c'est ce dernier qui est le fond du problème. C'est lui que nous allons examiner brièvement avant de dire comment se présente, aujourd'hui, à nous Francophones, le problème, non plus précisément de l'universalité de la langue française, mais de la Francophonie. Le professeur Schwab, dans son discours, nous a fait remarquer que, de toutes les langues vivantes, la langue française était la plus répandue, au Moyen Age, parmi les nations de l'Europe. Elle le fut, comme je l'ai dit, dès le XIIIe siècle, et elle le resta jusqu'à la Deuxième Guerre mondiale. Il s'y ajoute, argument majeur, que les qualités qui l'imposèrent à l'Europe subsistent encore aujourd'hui.

Je ne reprendrai pas, ici, tous les arguments de Rivarol contre les plus grandes langues européennes qu'étaient, que sont encore, l'allemand, l'espagnol et l'italien. Tout en reconnaissant, à chacun, ses mérites et il fait, en passant, l'éloge du métissage biologique et culturel -ce que Rivarol leur reproche, c'est, à l'allemand, sa « prononciation gutturale », à l'espagnol, « l'enflure » du style et, à l'italien, « la préciosité ». Naturellement, il a laissé l'anglais pour la fin.

Pour l'anglais, plus qu'il ne l'a fait précédemment, il note, avec les invasions, les emprunts culturels faits aux Français et, par eux, aux Latins et aux Grecs. Encore que la langue anglaise ait été ainsi adoucie et enrichie, précise Rivarol, elle a gardé, dans sa prononciation, les rudesses de l'allemand et, dans sa littérature, le désordre du génie germanique. Il ne lui restait plus, il ne nous reste plus qu'à rappeler les vertus de la langue et de la littérature : du « génie » français. Je l'ai fait ici et je n'y reviendrai pas.

*

* * _

C'est pourquoi je voudrais m'acheminer vers ma conclusion en vous disant quels me paraissent être nos devoirs pour la défense et illustration de la langue française parce que de la francité et, partant, de la Francophonie. Je vous renvoie, à ce propos, au volume 2, numéro 1 de Perspectives universitaires, la nouvelle revue de l'Association des Universités partiellement ou entièrement de Langue française. Ce numéro est significativement intitulé Le français, langue internationale de la Communication scientifique et technique. _Il s'agit de savoir comment, tout ensemble, les États de la Francophonie, bien sûr, mais aussi les universitaires en général, singulièrement les savants et chercheurs, ingénieurs et techniciens, écrivains et artistes, nous enrichirons la langue française. Ce qui est encore le meilleur moyen de la défendre et de l'étendre sur toute notre planète Terre. Aux suggestions que j'ai faites tout au long de cet exposé, singulièrement pour le maintien ou la création d'une section des langues classiques dans l'enseignement du second degré, j'ajouterai des propositions pratiques.

Tout d'abord, dans les conférences internationales, en commençant par l'ONU et ses organismes spécialisés, il nous faut parler en français. Pour le moment, ce sont surtout les francophones d'Outre-Mer qui respectent cette règle. Comme le souligne l'incident que m'a raconté, l'autre année, le président de l'Association des Professeurs africains de Mathématiques. Il rentrait d'un congrès mondial de mathématiciens tenu à New York. Présidant une séance, il s'était exprimé, naturellement, en français. Et voilà que des Américains, furieux, se répandaient dans les couloirs en vitupérant : « Il a du culot, ce Nègre ! Présider en français quand les Français eux-mêmes interviennent en anglais ! ».

La deuxième règle sera toujours dans les conférences internationales, d'exiger, et la traduction simultanée, et les documents, ronéotypés ou imprimés, dans les langues officielles, dont le français. Ce que font, au demeurant, les délégations francophones d'Afrique. La troisième règle sera, au niveau des organisations internationales francophones, dont l'AUPELF et l'ACCT, mais aussi au niveau de chaque État ou région francophone, de faire porter notre effort sur la publication en français d'ouvrages fondamentaux dans les domaines des sciences et des techniques.

La quatrième, enfin, sera, dans la rédaction des articles comme des ouvrages scientifiques et techniques en français, de faire un autre effort. Celui-ci consistera à cultiver les vertus majeures du

532

génie français, qui sont l'ordre logique dans la clarté et la précision dans la nuance. C'est la raison pour laquelle, dans la réforme de l'enseignement en Afrique francophone, nous avons mis l'accent sur les deux disciplines traditionnelles de l'École française : l'explication de texte et la dissertation.

Un mot d'espoir pour finir, car rien n'est perdu. L'Agence de Coopération culturelle et technique de la Francophonie réunit, aujourd'hui, quelque 40 États, et l'Association internationale des Parlementaires de Langue française, autant de délégations. Sans oublier qu'à l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations-Unies, 33 délégations soit plus de 20 %, s'expriment en français. Sans oublier surtout le nombre d'États qui, aujourd'hui, participent dans la ville de Québec au Second Sommet de la Francophonie. Non, rien n'est perdu. Tout dépend de notre courage, mieux de notre esprit de méthode et d'organisation : de notre Francité.

[1] Ethiopiques. Revue de culture négro-africaine, n°50-51. Conférence prononcée à l'Université Laval de Québec, le 2 septembre 1987.

533

534

L. S. SENGHOR

Comment expliquer cette faveur, cette ferveur, singulièrement cette dissociation de la politique et de la culture françaises ? C'est l'objet de mon propos.

Je ferai une première remarque. Cette dissociation est plus apparente que réelle. La décolonisation, poursuivie avec constance par le Général de Gaulle, achevée avec éclat en Algérie, n'a pas été pour rien dans cette faveur. En Afrique, l'esprit ne succombe pas à la dichotomie. On n'y sépare pas, comme en Europe, la culture de la politique. Le conflit de Bizerte a failli chasser le français des écoles tunisiennes.

Donc, si on introduit ou maintient l'enseignement du français en Afrique, si on l'y renforce, c'est, d'abord, pour des raisons politiques. En Afrique anglophone plus qu'ailleurs. A la raison que voilà, s'ajoute celle que voici : la majorité des Etats africains sont francophones et, à l'O.N.U., le tiers des délégations s'exprime en français. En 1960, après l'entrée massive de nouveaux Etats africains dans l'Organisation internationale, Habib Bourguiba en tira la conclusion Iogique : il faut renforcer l'enseignement du français en Tunisie. Dans les faits, Hassan II n'a pas appliqué une autre politique. Le Maroc, à lui seul, compte huit mille enseignants français : plus de la moitié de ceux qui servent à l'étranger.

04111.0

Cependant, la principale raison de l'expansion du français hors de l'hexagone, de la naissance d'une Francophonie est d'ordre culturel. C'est le lieu de répondre à la question que m'a posée, personnellement, Esprit : a Que représente, pour un écrivain noir, l'usage du français ? ». Bien sûr, je ne manquerai pas d'y répondre plus loin. On me permettra seulement d'élargir le débat : de répondre au nom de toutes les élites noires, des politiques comme des écrivains. Ce faisant, je suis convaincu qu'une partie de nos

838

535

LANGUE DE CULTURE

raisons vaudra, également, pour les Maghrébins -- je songe, en particulier, au regretté Jean Amrouche -- encore que ceux-ci soient mieux qualifiés que moi pour parler en leur nom propre.

Il y a, d'abord, une raison de fait. Beaucoup, parmi les élites, pensant en français, parlent mieux le français que leur langue maternelle, farcie, au demeurant, de francismes, du moins dans les villes. Pour choisir un exemple national, â Radio-Dakar, les émissions en français sont d'une langue plus pure que les émissions en langue vernaculaire. Il y a mieux : il n'est pas toujours facile, pour le non initié, d'y distinguer les voix des Sénégalais de celles des Français.

Deuxième raison : la richesse du vocabulaire français. On y trouve, avec l'a série des doublets -- d'origine populaire ou savante --, la multiplicité des synonymes. Je le sais bien, contrairement à ce que croit le Français moyen, les langues négro-africaines sont d'une richesse et d'une plasticité remarquables. Là oit le Français emploie un mot latin pour désigner un arbre, une périphrase pour désigner une action, le Négro-africain emploie un seul nom ou un seul verbe populaire. Comme l'écrit André Davesne, dans Croquis de Brousse, on compte en wolof sept mots pour désigner la femme de mauvaise vie quand e chercher se traduit par onze mots et chanter par vingt D. Ainsi la version wolof de l'Imitation de Jésus-Christ est plus nuancée, plus belle, parce que plus rythmée, que la version française. Mais ce qui, à première approximation, fait la force des langues négro-africaines fait, en même temps, leur faiblesse. Ce sont des langues poétiques. Les mots, presque toujours concrets, sont enceints d'images, l'ordonnance des mots dans la proposition, des propositions dans la phrase y obéit à la sensibilité plus qu'a l'intelligibilité : aux raisons du coeur plus qu'aux raisons de la raison. Ce qui, en définitive, fait la supériorité du français dans le domaine considéré, c'est de nous présenter, en outre, un vocabulaire technique et scientifique d'une richesse non dépassée. Enfin, une profusion de ces mots abstraits, dont nos langues manquent.

Troisième raison : la syntaxe. Parce que pourvu d'un vocabulaire abondant, grâce, en partie, aux réserves du latin et du grec, le français est une langue concise. Par le même fait, c'est une langue précise et nuancée, donc

839

536

L. S. SENGHOR

claire. Il est, partant, une langue discursive, qui place chaque fait, chaque argument à sa place, sans en oublier un. Langue d'analyse, le français n'est pas moins langue de synthèse. On n'analyse pas sans synthétiser, on ne dénombre pas sans rassembler, on ne fait pas éclater la contradiction sans la dépasser. Si, du latin, le français n'a pas conservé toute la rigueur technique, il a hérité toute une série de mots-pierre d'angle, de mots-ciment, de mots-gonds. Mots-outils, les conjonctions et locutions conjonctives lient une proposition à l'autre, une idée à l'autre, les subordonnant l'une à l'autre. Elles indiquent les étapes nécessaires de la pensée active : du raisonnement. A preuve que les intellectuels noirs ont dû emprunter ces outils au français pour vertébrer les langues vernaculaires. A la syntaxe de juxtaposition des langues négro-africaines, s'oppose la syntaxe de subordination du français ; à la syntaxe du concret vécu, celle de l'abstrait pensé : pour tout dire, la syntaxe de la raison à celle de l'émotion.

Quatrième raison : la stylistique française. Le style français pourrait être défini comme une symbiose de la subtilité grecque et de la rigueur latine, symbiose animée par la passion celtique. Il est, plus qu'ordonnance, ordination. Son génie est de puiser dans le vaste dictionnaire de l'univers pour, des matériaux ainsi rassemblés .--- faits, émotions, idées --, construire un monde nouveau : celui de l'Homme. Un monde idéal et réel en même temps, parce que de l'Homme, où toutes les choses, placées, chacune, à son rang, convergent vers le même but, qu'elles manifestent solidairement.

C'est ainsi que la prose française -- et le poème jusqu'aux Surréalistes -- nous a appris à nous appuyer sur des faits et des idées pour élucider l'univers ; mieux, pour exprimer le monde intérieur par dé-structuration cohérente de l'univers.

Cinquième raison : l'humanisme français. C'est, précisément, dans cette élucidation, dans cette re-création, que consiste l'humanisme français. Car il a l'homme comme objet de son activité. Qu'il s'agisse du droit, de la littérature, de l'art, voire de la science, le sceau du génie français demeure ce souci de l'Homme. Il exprime toujours une

840

537

LANGUE DE CULTURE

morale. D'où son caractère d'universalité, qui corrige son goût de l'individualisme.

Je sais le reproche que l'on fait à cet humanisme de l' honnête homme : c'est un système fermé et statique, qui se fonde sur l'équilibre. Il y a quelques années, j'ai donné une conférence intitulée L'Humanisme de l'Union française. Mon propos était de montrer comment, au contact des réalités « coloniales », c'est-à-dire des civilisations ultra-marines, l'humanisme français s'était enrichi, s'approfondissant en s'élargissant, pour intégrer les valeurs de ces civilisations. Comment il était passé de l'assimilation à la coopération : à la symbiose. De la morale statistique à la morale de mouvement, chère à Pierre Teilhard de Chardin. Comme le notait Jean Daniel, à propos de l'Algérie, dans l'Express du 28 juin 1962, colonisateurs et colonisés se sont, en réalité, colonisés réciproquement : « Il (le pays de France) s'est imprégné si fort des civilisations qu'il a entendu dominer, que les colonisés lui font, aujourd'hui, un sort à part, voyant, dans ce bourreau, une victime en puissance, dans cet aliénateur, un aliéné, dans cet ennemi, un complice D. Je ne veux retenir, ici, que l'apport positif de la colonisation, qui apparaît à l'aube de l'indépendance. L'ennemi d'hier est un complice, qui nous a enrichis en s'enrichissant à notre contact.

gilbro

Mais il me faut, avant de finir, répondre à la question qui m'a été, personnellement, posée. Car les raisons que voilà sont, tout aussi bien, celles des politiques, qui veulent mener de front le développement économique et le développement culturel de leurs peuples respectifs pour, au-delà du bien-être, leur assurer le plus-être.

Que représente pour moi, écrivain noir, l'usage du français? La question mérite d'autant plus réponse qu'on s'adresse, ici, au Poète et que j'ai défini les langues négro-africaines « des langues poétiques ».

En répondant, je reprendrai l'argument de fait. Je pense en français ; je m'exprime mieux en français que dans ma langue maternelle.

841

538

L. S. SENGHOR

Il y a aussi le fait que n'importe quel enfant, placé assez jeune dans un pays étranger, en apprend aussi facilement la langue que les autochtones. C'est dire la placidité de l'esprit humain et que chaque langue peut exprimer toute l'âme humaine. Elle met seulement l'accent sur tel ou tel aspect de cette âme en la traduisant, de surcroît, à sa manière.

Or il se trouve que le français est, contrairement à ce qu'on a dit, une langue éminemment poétique. Non par sa clarté, mais par sa richesse. Certes, il fut, jusqu'au XIXe siècle, une langue de moralistes, de juristes et de diplomates : a une langue de gentillesse et d'honnêteté ». Mais c'est alors que Victor Hugo vint, qui, bouleversant la noble et austère ordonnance de Malherbe, mit « ...un bonnet rouge au vieux dictionnaire ». Il libéra, du même coup, une foule de mots-tabous : pêle-mêle, mots concrets et mots abstraits, mots savants et mots techniques, mots populaires et mots exotiques. Et puis vinrent, un siècle plus tard, les Surréalistes, qui ne se contentèrent pas de mettre à sac le jardin à la française du poème-discours. Ils firent sauter tous les mots-gonds, pour nous livrer des poèmes nus, haletant du rythme même de l'âme. Ils avaient retrouvé la syntaxe nègre de la juxtaposition, où les mots, télescopés, jaillissent en flammes de métaphores : de symboles. Le terrain, comme on le voit, était préparé pour une poésie nègre de langue f rançaise.

Bien sûr, me dira-t-on, mais quel était l'avantage du français pour ceux qui avaient la maîtrise d'une langue négro-africaine. L'avantage, c'était, essentiellement, la richesse du vocabulaire et le fait que le français est une langue d'une audience internationale. Nous laisserons de côté ce dernier fait, qui est assez patent pour ne pas mériter explication. L'avantage du français était, est de nous offrir un choix : « Le Noir, écrit André Davesne dans Croquis de Brousse, est ainsi préparé, par ses traditions verbales, à distinguer, dans les mots que lui présente la langue française, deux valeurs : l'une abstraite et intellectuelle, la signification ; l'autre concrète et sensuelle, la musicalité. Si donc il aborde, sans précaution, l'apprentissage de notre langue, il y puisera une double collection de mots : les uns, qui désignent quelque chose de tangible, un objet, par exemple, et qui ne peuvent être détournés de leur sens ;

842

539

LANGUE DE CULTURE

les autres d'un usage moins constant, dont la signification est trop mystérieuse ou trop a intellectuelle » pour devenir déterminante dans l'emploi qu'on en doit faire, mais qui méritent d'être utilisés à cause de leur tonalité et de leur résonance ».

De ce qui est instinctif chez les illettrés, nous avons pu faire une polesis, une méthode délibérée de création. Le problème, au demeurant, est plus complexe que ne le dit Davesne, Ce sont tous les mots français qui, par viol et retournement, peuvent allumer la flamme de la métaphore. Les mots les plus a intellectuels », il suffit de les déraciner, en creusant leur étymologie, pour les livrer au soleil du symbole.

Comme nous l'avons vu, le vocabulaire n'épuise pas les vertus du français. La stylistique, en particulier, est occasion de pêches miraculeuses. Pour en revenir à la musique des mots, le français offre une variété de timbres dont on peut tirer tous les effets : de la douceur des Alizés, la nuit, sur les hautes palmes, à la violence fulgurante de la foudre sur les têtes des baobabs. Il n'y a pas jusqu'aux rythmes du français qui n'offrent des ressources insoupçonnées. Au demeurant, le rythme binaire du vers classique peut rendre le halètement despotique du tamtam. Il suffit de le bousculer légèrement pour faire surgir, au-dessus du ryhme de base, contre-temps et syncopes.

.a.

Que conclure, de tout cela, sinon que nous, politiques noirs, nous, écrivains noirs, nous sentons, pour le moins, aussi libres à l'intérieur du français que de nos langues maternelles. Plus libres, en vérité, puisque la liberté se mesure à la puissance de l'outil : à la force de création.

Il n'est pas question de renier les langues africaines. Pendant des siècles, peut-être des millénaires, elles seront encore parlées, exprimant les immensités abyssales de la Négritude. Nous continuerons d'y pêcher les images-archétypes : les poissons des grandes profondeurs. Il est question d'exprimer notre authenticité de métis culturels, d'hommes

843

540

L. S. SENGHOR

du XXe siècle. Au moment que, par totalisation et socialisation, se constriut la Civilisation de l'Universel, il est, d'un mot, question de nous servir de ce merveilleux outil, trouvé dans les décombres du Régime colonial. De cet outil qu'est la langue française.

La Francophonie, c'est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des « énergies dormantes » de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire. « La France, me disait un délégué du F.L.N., c'est vous, c'est moi : c'est la Culture française D. Renversons la proposition pour être complets : la Négritude, l'Arabisme, c'est aussi vous, Français de l'Hexagone. Nos valeurs font battre, maintenant, les Iivres que vous lisez, la langue que vous parlez : le français, Soleil qui brille hors de l'Hexagone.

Léopold Sédar SENGHOR.

XI- Annexe 11

LES AFRICANISMES DANS LA POÉSIE DE SENGHOR

Pour le lexique (la signification des mots), nous vous prions de vous référer au « Lexique de Senghor » donné à la fin de son oeuvre poétique. À l'instar de ce lexique, vous pouvez également consulter l'article de Jean-René Bourrel (Lexique de L.S. Senghor : Chants d'ombre, Hosties noires, Éthiopiques, Nocturnes, in : L'information Grammaticale, N.33, 1987, pp. 27-34) ou le glossaire proposé par Sylvia Washington Bâ dans son travail sur The concept of Negritude in the poetry of Léopold Sédar Senghor.

Albiziazygia

Almadie

Almamy

Arfang de Siga

Askias (du Songhoï)

Atar

Bakel

Balangar

Balafong(s)

Bambara

Banakh

Bandafassy

Baobab(s)

Baol

Baoulé

Belborg

Beleup de Kaymôr

Bengali

Berre

Biram-Dénegn-ô

Biram Déguen

Bir Mougrein

Bobo

Bolong

Boundou

Bouré

Bour-Sine Salmonn

Cactées

Cafre

Caïcedrat (kaïcedrat)

Canas

Cassia(s)

Cauris

Cayor

Chaka

Chéchias

541

Combassou

Congo

Couscous

Dan(s)

Dang

Darbouka

Dargui

Demba-Dupont

Dêti

Diakhâw (Djakhâw)

Diombeutt Mbodj

Diogoye (Dyogoye)

Dior

Djenné

Dyâli

Dyallo

Dyêri

Dyilôr

Dyôbène

Dyônewâr

Dyong

Dyouf-le-Tutoyé

Dyoung-dyoung

Draa

Élé-yâye

Eléyâi bisimlâi

Eléyâye bisimlâye

Elissa

Fadyoutt

Fall

Fân

Fa'oye

Ferlo

Fimla

Fôn

Fongolimbi

Fouta

Fouta-Danga

Fouta-Djallong

Gâbou

Galam

Gandyol

Glasgow

Gongo

Gongo-Moussa

Gonolek

Gorong

Grand-Dyarâf

Gretas

Grimaldi

Griot(s)

Guélowâr

Guelwars (Guelwârs)

Guimm

Harmattan

Hivernage

Issanoussi

Joal

Kabyle

Kaïcedrat (Caïcedrat)

Kam-Dyamé

Kâna Mâyâi féla-x-am

Kaolack

Kaso faé nyapógma dyèganum

Katamague

Kaya-Magan

Kaymôr

Keïta

Khakhams

Khalams

Khasonkee

Kilimandjaro

Kintar

Kôba

Kola

Koli Ngom

Komenjahs

Kôra(s)

Kori

Kôriste

Kor Sanou

Kor Siga

Kotye-Barma

Koufountine

Koumba

Koumba-Betty

Koumba N'Dofène

542

Koumba Ndofène Diouf

Koumba Tam

Kouss

Koyaté

Kraals

Ksour

Lamarque

Lêlés

Lilanga

Mâbo

Mahé-kor

Malinké

Mamanguedj

Mamelles

Mandiago

Mângi

Maska

Maure

Mayâï

Mbalakhs

Mbaye Dyôb

Mbarodi

Mbissel

Mbogou

Méhari

Ming

Mithkals

Mogador

Mogho-Naba

Moundé

Moussoro

Mûsê-mbûban

Naï

Nânio

Ndeïsane

N'deissane

N'deïssane

Ndeundeus

Ndedâ'k tamâ'k sabar-ê

Ndessé

Ndialakhar

Ndiongolor

Ndyaga-bâss

Ndyaga-rîtî

Ndyâye

Ndyûlê mômé

Ngâ

Ngâbou

Ngal

Ngalam

Ngas-o-bil

Ngasobil

Ngom

Niombato

Niger

Nolivé

Nyaoutt Mbodye

Nydyulê mômé

Nyominka

Oud

Ouzougou

Paragnessés

Peul

Pobéguin

Poèré

Pongwé

Poto-poto (potopoto)

Poullo

Pulel hokku soko haraani

Quanoun

Rebabs

Rip

Rîti

Rokhaya

Saba

Sabars

Saïte

Sall

Saloum

Samba Dyouma

Saras

Satang

Saudades

Séco

Sérères

Sèvre-Babylone

Siga Diouf Guignane

Signares

Simal

Simoun

Sine

Siny

Sîra-Badral

Sitôr

Shiva

Somali

Soni Ali

543

Sopè

Sorong

Soyan

Tabalas

Taga

Tagant

Tâgu-gûtut

Taj Mahal

Talbé

Talmbatts

Tama(s)

Tamsir

Tamtam (tam-tam)s

Tanns

Tata(s)

Tar

Teddungal

Tening-Ndyaré

Tokor

Tokô'Waly

Tondibi

Toubab

Toubab-Djalaw

Toutankhamon

Trarza

Tyagoum-Ndyaré

Tyâné

Tyaroye

Tyédo

Viguelwar de Kolnodick

Waï

Wâlo

Wa-wa-wâ

Warf

Woi

Woï

Wôi

Wolof

Woy

Yâram bi

Yêlas

Yokohama

Zambèze

Zoulou

544

INDEX DES THÈMES

 
 
 

322, 337, 338, 342, 349, 362, 383, 384,

385,

A

 
 

386, 459

 

Accueil · 11, 16, 17, 157, 356,

456

 
 
 

C

 
 
 
 

Acculturation · 215, 219, 355,

356,

366,

 
 

367, 372, 374, 392, 454, 460

 
 

Civilisation 16, 17, 18, 24, 25, 26, 29,

40,

Acculturée · 29, 116, 330, 356, 365, 366,

367, 368, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 455, 460

Africanité · 86, 184, 299, 306, 463 Assimilation 42, 43, 47, 48, 50, 64, 65, 80,

41, 48, 61, 62, 67, 69, 70, 74, 76, 77, 78, 84, 87, 88, 89, 90, 91, 93, 94, 95, 96, 97, 98, 99, 104, 105, 108, 109, 111, 113, 114, 115, 116, 117, 122, 125, 130, 131, 132, 133, 136, 139, 140, 142, 143, 146, 147,

81, 87, 101, 109, 113, 1185, 129,

135,

163,

149,

157,

160,

164,

166,

167,

168,

172,

164, 169,

205,

213,

256,

259, 262,

283,

300,

173,

184,

186,

188,

189,

198,

199,

200,

316, 318,

319,

320,

355,

356, 366,

367,

369,

201,

202,

204,

208,

209,

212,

219,

221,

370, 371,

372,

374,

415,

425, 426,

427,

458

229,

230,

241

243,

244,

251,

254,

255,

Assimilé 43,

115,

120,

134, 161,

164,

176,

256,

257,

258,

259,

260,

261,

262,

263,

261, 297,

346,

356,

371,

372, 374,

375,

400,

264,

265,

266,

272,

277,

279,

283,

284,

416, 460

 
 
 
 
 
 

285,

287,

288,

294,

295,

296,

297,

299,

 
 
 
 
 
 
 

300,

301,

302,

303,

304,

305,

306,

310,

B

 
 
 
 
 
 

311,

312,

313,

314,

315,

316,

317,

318,

 
 
 
 
 
 
 

319,

320,

321,

322,

334,

341,

342,

343,

Barrière 126,

245,

311,

312, 313,

317,

321,

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

354,

373,

392,

393,

409,

412,

415,

418,

375

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

420,

421,

422,

427,

429,

432,

435,

436,

Blanc 43, 47, 60,

68,

95, 102,

104,

132,

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

437,

450,

451,

455,

458,

459,

460,

461,

150, 153,

156,

160,

161,

162, 163,

164,

165,

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

462,

463,

464,

465

 
 
 
 

166, 168,

172,

173,

178,

180, 181,

183,

185,

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Civilisation de l'Universel ·

17, 18, 24,

186, 189,

191,

192,

200,

201, 203,

204,

210,

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

25, 26, 26, 29,

41,

61, 67, 69,

70, 76, 77,

212, 214,

215,

216,

221,

222, 244,

257,

262,

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

78, 89, 91, 94,

95,

96, 97, 98,

99,

109, 114,

280, 289,

304,

306,

308,

309, 310,

313,

318,

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

115, 116, 122,

125, 130, 131,

132, 136,

139, 140, 142, 143, 146, 147, 149, 168, 188, 189,200, 201, 202, 204, 221, 229, 230, 241, 243, 244, 245, 251, 254, 256, 257, 258, 259, 260, 263, 264, 266, 272, 277, 283, 284, 285, 287, 288, 295, 297, 300, 301, 302, 304, 305, 306, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 319, 320, 321, 322, 341, 342, 343, 354, 393, 409, 412, 420 432, 450, 455, 458, 459, 460, 462, 463, 464

Civilisation universelle · 24, 131, 279, 287,

296, 299, 303, 312, 313, 314, 316, 317, 320

Civilisé · 44, 128, 135, 161, 163, 303, 346, 368, 369

Colonisation · 13, 16, 17, 24, 28, 42, 51, 59, 61, 78, 79, 113, 117, 118, 127, 150, 151, 153, 154, 155, 156, 157, 158, 159, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 184, 198, 203, 205, 206, 210, 214, 223, 227, 245, 256, 257, 259, 262, 315, 318, 319, 333, 339, 354, 366, 369, 407, 409

Colonisé · 48, 49, 54, 59, 60, 61, 62, 69, 71, 77, 78, 79, 80, 84, 86, 101, 127, 132, 153, 163, 164, 285, 346, 369, 373, 426, 427

Communauté · 11, 12, 14, 27, 28, 33, 35, 36, 39, 40, 41, 47, 48, 50, 52, 55, 56, 57, 58, 60, 62, 63, 64, 65, 66, 68, 70, 71, 76, 79, 80, 82, 83, 84, 85, 86, 88, 98, 98, 100, 111, 114, 133, 135, 138, 139, 148, 169, 175, 180, 184, 185, 186, 200, 203, 210, 221, 224, 225, 249, 258, 261, 266, 269, 270, 284, 287, 298, 299, 305, 309, 310,

545

311, 312, 314, 316, 317, 318, 319, 321, 325, 328, 329, 332, 342, 365, 390, 410, 455, 458, 459, 462, 463, 465 Complémentaire · 89, 92, 121, 122, 145, 200, 208, 231, 256, 304, 305, 357, 432, 448, 458, 459, 460, 463

Complémentarité · 40, 56, 62, 66, 75, 86, 89, 99, 111, 188, 202, 264, 279, 281, 300, 305, 313, 316, 321, 375, 442, 443, 457, 461

Concept · 9, 10, 11, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 22, 23, 27, 30, 31, 34, 35, 36, 37, 39, 40, 50, 51, 58, 63, 66, 68, 69, 70, 72, 74, 75, 76, 78, 80, 101,107, 110, 113, 114, 117, 119, 120, 122, 123, 131, 135, 136, 139, 142, 146, 149, 150, 151, 168, 169, 172, 178, 185, 188, 200, 204, 207, 223, 227, 237, 245, 255, 261, 285, 300, 311, 313, 316, 321, 332, 333, 342, 343, 354, 358, 374, 379, 404, 407, 409, 410, 412, 425, 429, 439, 433, 452, 454, 457, 458, 462, 463, 464, 465

Conception · 10,11, 16, 19, 26, 27, 28, 35, 54, 66, 71, 72, 74, 84, 86, 87, 88, 90, 97, 98, 107, 109, 115, 116, 118, 127, 130, 131, 133, 134, 135, 136, 138, 148, 152, 167, 169, 180, 187, 188, 197, 204, 207, 213, 221, 222, 236, 242, 259, 260, 261, 263, 264, 266, 267, 269, 270, 271, 285, 287, 288, 303, 328, 329, 333, 345, 410, 413, 417, 431, 433, 434, 435, 447, 454, 455, 457, 461, 462

Culture · 11, 14, 16, 17, 18, 19, 24, 25, 26,

27, 28, 29, 33, 35, 39, 49, 54, 55, 56, 57,

546

58, 59, 60, 61,

72, 73, 74, 75,

90, 91, 92, 95,

62, 64, 65, 67,

76, 77, 84, 85,

96, 97, 98, 99,

68, 69, 70,

86, 88, 89,

100, 101,

Culture d'origine · 17, 28, 109,

139, 366, 367, 368, 371, 372,
Culture française · 51, 54, 55,

112, 121, 376, 402

56, 70, 76,

102,

103,

104,

105,

106,

107,

108,

109,

101, 104, 106,

109, 113, 115,

122, 124,

110,

111,

112,

113,

114,

115,

116,

117,

125, 138, 148,

164, 202, 203,

238, 322,

118,

119,

120,

121,

122,

123,

124,

125,

328, 369, 371,

373, 392, 404,

415, 419,

126,

127,

128,

129,

130,

131,

132,

133,

422, 423, 425,

426, 429, 452

 

134,

135,

136,

137,

138,

139,

140,

142,

Culturelle · 9,

10, 11, 16, 27,

29, 37, 40,

 

143,

146,

147,

148,

149,

153,

159,

160,

53, 56, 57, 58,

59, 61, 63, 64,

65, 67, 68,

161,

163,

164,

166,

168,

177,

180,

185,

69, 72, 73, 75,

77, 78, 79, 83,

84, 85, 86,

186,

187,

189,

199,

200,

202,

203,

204,

87, 88, 89, 90,

91, 92, 93, 94,

95, 96, 97,

207,

208,

209,

212,

218,

219,

221,

226,

98, 99, 100, 101, 102, 103, 105, 106, 108,

227,

228,

229,

230,

236,

238,

239,

240,

111, 112, 113,

114, 117, 118,

119, 120,

241,

245,

250,

251,

254,

255,

256,

257,

121, 122, 124,

125, 126, 127,

129, 132,

258,

259,

260,

261,

262,

263,

264,

265,

133, 134, 135,

136, 137, 138,

139, 140,

266,

267,

269,

270,

271,

272,

273,

275,

142, 143, 146,

147, 148, 149,

150, 164,

276,

279,

280,

281,

282,

283,

284,

285,

166, 167, 168,

172, 185, 186,

202, 205,

286,

287,

288,

289,

294,

295,

296,

297,

208, 209, 210,

220, 221, 222,

227, 230,

298,

299,

300,

301,

303,

304,

305,

307,

236, 240, 241,

245, 251, 254,

255, 256,

311,

312,

313,

314,

315,

316,

317,

319,

257, 258, 259,

262, 264, 266,

272, 281,

320,

321,

322,

325,

328,

329,

339,

353,

283 284, 286,

287, 288, 289,

294, 295,

355,

356,

361,

364,

366,

367,

369,

370,

296, 297, 298,

299, 300, 302,

305, 311,

371,

372,

373,

374,

375,

376,

380,

389,

312, 313, 314,

315, 316, 317,

318, 320,

391,

392,

393,

399,

402,

403,

404,

411,

321, 325, 327,

328, 330, 341,

345, 355,

412,

415,

419,

422,

423,

425,

426,

428,

354, 355, 356,

357, 358, 363,

367, 370,

429,

451,

452,

454,

455,

456,

458,

459,

371, 373, 374,

375, 376, 379,

380, 390,

460,

461,

462,

463,

464,

465

 
 

391, 392, 393,

399, 400, 402,

403, 405,

Culture africaine · 17, 24, 25, 29, 85, 1047,

406, 408, 415,

416, 418, 420,

425, 426,

115,

117,

118,

122,

131,

132,

138,

138,

427, 428, 431,

450, 454, 455,

458, 459,

147,

202,

227,

228,

238,

259,

260,

262,

460, 461, 462,

465

 

263,

264,

265,

266,

267,

269,

270,

272,

 
 
 

273,

275,

276,

279,

280,

281,

282,

285,

 
 
 

315,

320,

322,

339,

373,

374,

375,

422,

 
 
 

454

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

D

Décolonisation · 9,33, 34, 37, 80, 129, 138,

154, 163, 245, 407, 131, 462

Déculturation · 150, 215, 219, 355, 373, 375

Déculturé · 150, 164, 165, 223, 228, 375 Déraciné 113, 150, 228, 230, 272, 275, 355

E

Énonciation · 28, 144, 145, 152, 209, 214,

227, 246, 250 264, 330

Enraciné · 112, 116, 270, 271, 332, 335, 371, 399, 424, 456

Enracinement · 26,

98, 104, 105, 106, 107,

27, 35, 50, 91, 92, 97,

109, 110, 111, 112,

113,

114,

117,

119,

120,

121,

122,

123,

129,

139,

146,

281,

282,

283,

284,

285,

286,

294,

301,

305,

320,

321,

322,

333,

371,

423,

424,

426,

457,

458

 
 

Ethnie · 263, 269, 301,

332,

345,

350,

352,

389, 424, 455

 
 
 
 

Exil · 57, 58, 176, 177,

214,

215,

267,

331,

353, 367

 
 
 
 

F

 
 
 
 

Françafrique 467, 468

 
 
 
 

Français africanisé · 28,

29,

147,

224,

225,

226,

227,

230,

231,

232,

235,

236,

238,

239,

240,

241,

258,

259,

319,

321,

322,

377,

432

 
 
 
 
 
 

Francité · 18, 27, 34, 40, 69, 70, 74, 75, 77,

85, 86, 87, 89, 91, 93, 94, 95, 96, 98, 99,

109,

114,

115,

119,

129,

132,

136,

138,

139,

143,

146,

149,

299,

306,

328,

390,

392,

415,

423,

424,

425,

426,

427,

429,

430,

432,

435,

452,

455,

458,

459,

460,

461,

463

 
 
 
 
 
 

Francophone · 9, 10, 18, 29, 30, 32, 33, 36,

38, 39, 40, 43, 49, 50, 51, 53, 54, 57, 59,

61, 63, 64, 65, 66, 68, 73, 76, 78, 85, 90,

95, 105, 106, 107, 113, 115, 119, 121, 122,

123,

125,

126,

127,

129,

133,

134,

135,

136,

138,

148,

160,

169,

207,

208,

224,

230,

236,

239,

240,

242,

259,

263,

264,

299,

301,

312,

313,

314,

315,

316,

317,

318,

319,

320,

321,

322,

324,

326,

327,

328,

329,

330,

331,

342,

343,

350,

351,

352,

353,

355,

356,

358,

360,

361,

370,

371,

372,

373,

374,

375,

376,

377,

378,

379,

380,

387,

388,

389,

390,

392,

393,

400,

401,

402,

403,

404,

405,

406,

407,

408,

409,

410,

411,

412,

413,

414,

415,

416,

417,

418,

419,

420,

421,

422,

423,

424,

425,

427,

429,

430,

431,

432,

433

434,

435,

436,

437,

438,

439,

441,

442,

443,

444,

446,

447,

449,

450,

451,

452,

453,

454,

455,

456,

457,

459,

460,

461,

462,

463

 
 
 
 
 
 
 

Francophonie · 9,

10,

11,

12,

13,

14,

15,

16,

17,

18,

19,

22,

23,

26,

27,

28,

29,

30,

31,

32,

33,

34,

35,

36,

37,

38,

39,

40,

41,

42,

43,

47,

48,

49,

50,

51,

52,

53,

54,

55,

56,

57,

58,

59,

60,

61,

62,

63,

64,

65,

66,

67,

68,

69,

70,

71,

72,

73,

74,

75,

76,

77,

78,

79,

80,

82,

83,

84,

85,

86,

87,

88,

89,

90,

91,

92,

93,

94,

95,

96,

97,

98,

99,

100,

547

101,

102,

103,

104,

105,

106,

107,

108,

109,

110,

111,

112,

113,

114,

115,

116,

117,

118,

119,

120,

121,

122,

123,

124,

125,

126,

127,

128,

129,

130,

131,

132,

133,

134,

135,

136,

137,

138,

139,

140,

141,

142,

143,

144,

146,

147,

148,

149,

150,

151,

152,

153,

154,

155,

156,

157,

158,

159,

160,

161,

162,

163,

164,

165,

166,

167,

168,

169,

170,

171,

172,

173,

174,

175,

176,

177,

178,

179,

180,

181,

182,

183,

184,

185,

186,

187,

188,

196,

198,

199,

200,

201,

202,

203,

204,

205,

206,

207,

208,

209,

211,

212,

215,

216,

217,

218,

219,

220,

221,

222,

223,

224,

225,

226,

228,

229,

230,

235,

236,

237,

238,

239,

240,

241,

242,

244,

250,

252,

253,

254,

255,

256,

257,

258,

259,

260,

261,

262,

263,

265,

266,

276,

280,

282,

283,

285,

286,

287,

294,

295,

296,

297,

298,

299,

300,

303,

304,

310,

311,

312,

313,

314,

315,

316,

317,

318,

319,

320,

321,

322,

325,

326,

327,

328,

331,

340,

341,

342,

349,

350,

351,

352,

353,

372,

373,

376,

378,

379,

380,

381,

384,

386,

387,

388,

389,

391,

392,

401,

402,

403,

405,

406,

407,

408,

409,

410,

411,

424,

425,

426,

430,

433,

453,

454,

456,

457,

458,

459,

460,

461,

463,

464,

465

 

Fraternel · 68,

94, 149, 165, 166, 168,

170,

174,

177,

194,

195,

196,

220,

248,

304,

307,

309,

382,

402,

457

 
 
 

Fraternelle · 11, 28, 68,

168,

175,

180,

184,

185,

193,

195,

220,

276,

277,

281,

305,

306,

309,

312,

313,

320,

461

 

Fraternité · 24, 30,

95, 148, 149, 153, 164,

49, 61, 68, 69,

169, 173,

75, 86,

175, 179,

180,

182,

183,

184,

185,

186,

187,

189,

190,

191,

192,

194,

196,

200,

201,

203,

205,

216,

221,

260,

278,

289,

299,

303,

305,

307,

310,

316,

318,

320,

321,

327,

383,

384,

385,

387,

388,

389,

390,

411,

463

 
 
 
 
 
 
 

Frontière · 62, 105,

126,

299,

306

310,

312,

313,

314,

317,

321,

327,

403,

411,

459,

461,

463,

464

 
 
 
 

H

 
 
 
 
 
 
 

Humanisme · 29, 40, 56, 73, 74, 75, 76,

77, 78, 79, 84,

86, 88, 89, 90,

91, 92, 93,

94, 95, 97, 99,

101,

129,

130,

133,

139,

159,

186,

187,

199,

200,

204,

209,

212,

213,

216,

219,

221,

255,

257,

258,

259,

261,

263,

267,

270,

273,

276,

279,

281,

283,

284,

286,

287,

297,

298,

305,

306,

313,

314,

315,

316,

317,

319,

320,

321,

322,

329,

241,

342,

379,

382,

385,

386,

388,

389,

390,

392,

402,

420,

438,

455,

460,

461

 
 
 
 
 
 

Humaniste · 9, 79,

85, 90, 98,

99,

100,

111,

125,

133,

146,

164,

174,

222,

223,

256,

257,

258,

272,

285,

288,

301,

313,

316,

319,

320,

330,

379,

380,

381,

382,

383,

384,

385,

386,

387,

388,

389,

390,

402,

403,

421,

451,

455,

456,

459,

460,

462

 
 
 
 
 
 
 

548

I

Identité · 12, 16, 24, 29,

88, 90, 92, 94, 96, 101, 102,

30, 45, 59, 61, 79,

103, 105, 106,

108,

109,

113,

115,

116,

119,

120,

121,

136,

138,

139,

149,

160,

163,

165,

167,

168,

199,

202,

205,

206,

207,

225,

230,

231,

240,

242,

256,

259,

262,

283,

284,

286,

294,

295,

299,

304,

313,

314,

315,

316,

317,

320,

322,

324,

325,

326,

327,

328,

329,

330,

331,

332,

333,

334,

335,

336,

340,

341,

342,

343,

344,

345,

346,

347,

348,

349,

350,

351,

352,

353,

354,

355,

356,

357,

358,

359,

360,

361,

362,

363,

364,

365,

366,

367,

368,

371,

372,

373,

374,

375,

376,

377,

378,

379,

380,

381,

382,

383,

386,

387,

388,

389,

390,

391,

392,

393,

399,

400,

402,

403,

404,

405,

406,

409,

428,

454,

455,

456,

458,

460,

462

 
 
 
 
 
 

Identité acculturée · 29, 330, 356, 365,

366, 367, 368, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 455, 460

Identité constituée · 29, 353, 363, 375, 460 Identité culturelle · 27, 79, 90, 94, 106, 113, 119, 120, 121, 230, 240, 256, 262, 283, 294, 295, 299, 316, 317, 320, 328, 355, 356, 373, 374, 375, 379, 380, 390, 391, 392, 393, 399, 400, 402, 403, 405,

406, 455, 456

Identité francophone · 29, 30, 242, 259, 322, 326, 327, 328, 329, 330, 342, 343, 350, 351, 356, 358, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 377, 378, 379, 380, 387, 390,

400, 402, 403, 404, 405,

454,

455,

456,

460, 462

 
 
 

Identité humaniste · 380,

381,

382,

383,

386, 387, 388, 389, 402,

403,

455

 

Identité rhizomique · 29, 329,

331,

332,

333, 334, 340, 341, 343,

344,

345,

346,

349, 350, 351, 352, 454,

460

 
 

L

 
 
 

Langue · 9,

10,

111, 14, 15, 16, 18, 24, 27,

28,

30,

32,

33,

35,

36,

37,

38,

39,

40,

41,

42,

43,

44,

45,

46,

47,

48,

49,

50,

51,

52,

53,

54,

56,

57,

58,

59,

60,

61,

63,

64,

65,

69,

72,

73,

74,

76,

77,

78,

79,

83,

84,

85,

86,

89,

90,

91,

92,

93,

95,

96,

97,

98,

99,

100,

101,

102,

103,

104,

105,

106,

107,

109,

110,

111,

112,

113,

114,

115,

117,

 

119,

120,

121,

122,

124,

125,

126,

127,

128,

129,

130,

132,

133,

134,

135,

136,

138,

140,

142,

145,

146,

147,

148,

149,

150,

153,

158,

160,

161,

163,

165,

168,

185,

203,

205,

206,

207,

208,

209,

210,

212,

213,

214,

215,

216,

217,

218,

219,

220,

221,

222,

223,

224,

225,

226,

227,

228,

229,

230,

231,

232,

233,

234,

235,

236,

237,

238,

239,

240,

241,

245,

246,

249,

258,

259,

260,

264,

274,

287,

297,

307,

311,

312,

314,

319,

321,

322,

326,

327,

328,

329,

349,

351,

353,

369,

370,

375,

377,

378,

379,

392,

395,

398,

399,

400,

402,

406,

407,

408,

409,

410,

411,

412,

414,

415,

416,

418,

419,

420,

421,

422,

424,

425,

426,

427,

429,

430,

431,

549

432, 433, 434, 453, 455, 456, 464, 465

441, 442, 446,

458, 459, 461,

451,

462,

452,

463,

Langue française · 10,

14,

16,

18,

24,

27,

28,

33,

35,

38,

39,

40,

41,

42,

43,

44,

45,

46,

47,

48,

49,

50,

51,

53,

54,

56,

57,

58,

59,

60,

61,

63,

64,

65,

69,

72,

73,

74,

76,

77,

78,

79,

84,

85,

86,

88,

89,

90,

91,

92,

93,

96,

97,

98,

99,

101, 102, 103,

104, 105,

106,

110,

112,

113,

115,

119,

120,

121,

122,

124,

125,

126,

128,

129,

130,

132,

133,

134,

135,

136,

138,

142,

146,

147,

148,

149,

153,

185,

203,

205,

206,

207,

208,

209,

210,

212,

213,

215,

217,

218,

219,

220,

221,

222,

223,

224,

225,

236,

237,

239,

241,

245,

246,

258,

264,

312,

319,

321,

327,

328,

351,

369,

370,

377,

378,

379,

399,

402,

406,

407,

408,

409,

411,

412,

414,

415,

416,

419,

420,

421,

422,

424,

425,

427,

429,

430,

431,

432,

433,

434,

441,

451,

452,

453,

455,

456,

 

458,

459,

461,

462,

464,

465

 
 

Langue maternelle · 9, 73, 78,

79,

103,

122,

207,

208,

215,

216,

219,

223,

224,

227,

228,

230,

430

 
 
 
 

Langues africaines · 28, 61, 89, 91, 98, 99,

102,

104,

106,

115,

117,

121,

136,

205,

207,

208,

209,

210,

217,

226,

228,

229,

230,

231,

232,

236,

240,

241,

319,

426

M

 
 
 
 
 
 
 

Métis · 29, 40, 72, 105, 219, 220, 222, 239,

240, 241, 245, 257, 330, 334, 335, 339,

340,

341,

342,

343,

347,

348,

349,

351,

352,

371,

373,

374,

375,

376,

378,

423,

454,

455,

460

 
 
 
 
 

Métissage · 14, 30,

76, 88, 92, 93,

100,

107,

131,

133,

142,

149,

160,

172,

173,

186,

203,

241,

298,

300,

301,

305,

311,

326,

329,

330,

334,

338,

339,

341,

342,

343,

344,

346,

349,

350,

351,

352,

356,

372,

373,

374,

378,

421,

427,

428,

430,

458,

459,

463,

464

 
 
 
 

Musique · 73,

116,

117,

131,

163,

206,

212,

214,

218,

219,

223,

226,

244,

263,

273,

275,

276,

277,

278,

395,

397,

398,

399,

401,

403,

404,

428,

436,

441,

443,

444,

446,

448,

450,

453,

464

 
 

Mythe · 21, 22, 30, 116,

117,

142,

144,

150,

282,

330,

400,

436,

446,

447,

448,

449,

450,

451

452,

453,

455,

463,

464

Mythe personnel · 21,

22,

30,

144,

330,

400, 455, 463, 464

 
 
 
 
 

N

 
 
 
 

Négritude · 11, 12, 13,

17,

18,

27,

35, 63,

67, 70, 71, 72,

92, 93, 94, 95,

84, 85, 86, 87,

96, 97, 98, 99,

88, 90, 91,

102, 104,

105,

106,

109,

114,

115,

119,

120,

129,

130,

132,

133,

135,

136,

138,

139,140,

142,

143,

146,

149,

160,

172,

173,

174,

184,

186,

190,

191,

199,

204,

213,

226,

251,

254,

255,

256,

279,

280,

284,

288,

299,

306,

318,

338,

348,

354,

359,

387,

390,

393,

397,

407,

409,

415,

416,

417,

423,

424,

426,

427,

428,

429,

430,

432,

550

551

433,

459, Noir

435,

460,

13,

446, 452, 453,456, 457, 458,

461, 462, 463, 464

24, 25, 43, 47, 60, 68, 78, 79, 87,

90, 93, 94, 96,

115,

129,

130,

132,

146,

147,

151,

153,

154,

160,

163,

164,

165,

166,

167,

168,

169,

171,

174,

175,

177,

178,

179,

180,

181,

182,

183,

184,

185,

186,

187,

189,

190,

191,

193,

195,

196,

197,

198,

199,

200,

201,

202,

203,

204,

205,

208,

209,

210,

211,

219,

221,

222,

237,

241,

242,

243,

244,

245,

246,

247,

248,

249,

250,

253,

254,

255,

256,

258,

259,

262,

263,

264,

304,

306,

308,

309,

310,

313,

314,

318,

319,

320,

322,

338,

342,

349,

359,

362,

369,

373,

385,

396,

420,

426,

442,

459,

466

 
 
 

Noosphère · 40, 76,

221,

304,

305,

313,

 

314

O

Ontologique · 255, 261, 273, 330, 378,

401, 403, 433, 436, 438, 441, 450, 451, 452, 453, 456, 461

Ouverture · 11, 24, 26, 27, 29, 35, 40, 49,

50, 55, 92, 97, 98, 99, 101, 104, 105, 107, P

109,

110,

112,

113,

114,

117,

119,

120,

121,

122,

123,

130,

139,

140,

146,

147,

168,

201,

205,

210,

248,

260,

261,

264,

283,

284,

286,

287,

288,

289,

294,

295,

296,

297,

298,

299,

300,

301,

305,

315,

316,

320,

321,

322,

326,

329,

341,

351,

356,

371,

423,

424,

458

 
 
 
 

Paix · 173, 180, 186, 189, 191, 192, 193,

194,

195,

196,

197,

235,

268,

289,

306,

308,

310,

318,

381,

383,

387,

389,

395,

397,

398

 
 
 
 
 
 
 

Panafricanisme 468

Pardon 142, 146, 149, 151, 187,

191, 192, 195, 196, 197, 198, 201,

204, 318, 379, 387

Poésie · 14, 15, 16, 17, 18, 19, 22,

189, 190,

202, 203,

23, 26,

28, 29, 30, 44,

68, 88, 93, 94,

117,

121,

140,

141,

142,

143,

145,

146,

148,

149,

150,

151,

189,

195,

197,

208,

209,

212,

 

214,

224,

226,

231,

232,

239,

242,

244,

246,

258,

266,

267,

286,

288,

294,

295,

296,

299,

301,

306,

312,

313,

315,

321,

322,

326,

329,

330,

331,

332,

334,

342,

343,

346,

352,

364,

365,

367,

379,

380,

387,

390,

393,

396,

398,

399,

400,

401,

402,

403,

404,

405,

406,

412,

413,

414,

415,

416,

417,

418,

419,

420,

421,

422,

423,

424,

425,

426,

427,

429,

430,

431,

432,

433,

435,

436,

437,

438,

439,

440,

441,

442,

443,

444,

446,

447,

448,

449,

450,

451,

452,

453,

454,

456,

457,

458,

460,

461,

462,

463,

464,

466

 
 
 

Poésie africaine 421, 423, 456

Poésie française · 415, 416, 417, 418, 419,

420, 421, 422, 423, 426, 446, 452, 456,

461, 462

Poésie francophone · 18, 29, 30, 148, 330,

400,

402,

403,

404,

405,

406,

412,

413,

414,

415,

416,

417,

418,

419,

420,

421,

552

422,

 

423,

424,

425,

429,

430,

431,

432,

433,

434,

435,

436,

437,

438,

439,

442,

443,

444,

446,

447,

450,

451,

452,

453,

454,

456,

457,

460,

461,

462,

463

 

Poésie humaine · 435, 450

Poésie mystique 453

Poésie mythopoétique 436, 450

Poésie négro-africaine · 433, 446

Poésie rythmique...450

Poésie senghorienne · 16, 17, 18, 19, 28,

29, 88, 140, 143, 149, 150, 151, 224, 226,

239,

266,

267,

286,

294,

296

(297), 299,

301,

306,

315,

333,

344,

346,

379, 390,

400,

401,

439,

450,

457,

458,

461, 463,

466

 
 
 
 
 
 
 

Poésie symbolique · 435,

450

 
 

Poète · 10, 15, 18, 19, 20,

24,

25,

28, 33,

43, 44, 45, 68, 77, 82, 93,

95,

99,

100, 142,

144,

145,

148,

150,

158,

168,

169,

171,

176,

177,

178,

185,

186,

189,

191,

200,

207,

210,

215,

218,

220,

222,

233,

234,

247,

249,

250,

251,

252,

255,

271,

279,

280,

294,

295,

296,

298,

307,

312,

330,

331,

348,

349,

368,

379,

385,

390,

392,

393,

394,

395,

396,

397,

398,

399,

400,

401,

402,

403,

404,

406,

407,

413,

414,

 

416,

417,

418,

419,

420,

421,

423,

424,

425,

426,

427,

432,

433,

436,

437,

438,

444,

447,

448,

449,

450,

451,

452,

453,

455,

456,

461,

464

 
 
 
 

Psychocritique · 19, 20,

21, 22, 23,

28,

144,

145,

146,

150,

151,

186,

209,

246,

264,

330,

334,

346,

358,

359,

380,

386,

461,

464

 
 
 
 
 
 

R

Rythme · 26, 44, 73, 91,

93, 94, 107, 130,

194,

198,

200,

212,

214,

217,

218,

225,

226,

229,

234,

237,

241,

250,

251,

255,

256,

259,

275,

276,

277,

278,

279,

290,

299,

394,

395,

397,

398,

399,

408,

412,

414,

415,

416,

418,

419,

420,

421,

436,

437,

439,

441,

442,

443,

444,

446,

450,

451,

452,

453,

459,

464

 
 
 

Rythmique · 158, 253, 274, 276, 277, 446,

450,

451, 456, 461

S

 
 
 

Sang · 29, 151,

171, 172, 173, 174, 175,

179,

180,

181,

182, 183, 184, 186, 190,

191,

193,

194,

196, 210, 216, 217, 228,

229,

244,

269,

274, 275, 279, 288, 291,

304,

306,

308,

330, 332, 334, 335, 337,

338,

339,

341,

342, 343, 344, 345, 346,

347,

348,

349,

350, 351, 352, 358, 362,

374,

384,

393,

396, 420, 439, 442, 445,

446,

453,

454,

460

Stratégie · 11,

12, 13, 237,

255, 371, 372,

373, 374, 424,

465

 
 
 
 
 

Symbiose · 12,

13, 16,

18,

26,

40,

56,

69,

75, 77, 86, 89,

93, 94,

95,

98,

99,

114,

115,

129,

132,

142,

146,

187,

219,

221,

256,

263,

269,

270,

273,

278,

287,

298,

311,

314,

317,

320,

348,

355,

363,

402,

411,

421,

423,

424,

425,

432,

446,

450,

452,

458,

459,

463,

464

 
 
 
 

Symbiose culturelle · 69, 89, 93, 98, 142, 146, 314, 425, 459

Symbole · 16, 30, 74, 103, 245, 273, 328, 344, 369, 416, 418, 419, 436, 438, 439, 440, 441, 446, 448, 450, 452, 453 Symbolique · 21, 83, 145, 205, 265, 324, 435, 439, 447, 448, 449, 450, 451, 452, 453, 456, 461

Unité · 26, 29, 38, 50, 62, 79, 93, 98, 103,

108, 127, 131, 132, 142, 150, 179, 180,

185,

190,

216,

224,

261,

284,

304,

310,

311,

315,

316,

317,

318,

320,

321,

325,

329,

348,

351,

362,

375,

378,

386,

387,

388,

389,

423,

434,

433,

435,

452,

453,

456,

459,

462,

463

 
 
 
 

V

 
 
 
 
 
 
 

Voyage · 282,

290,

294,

295,

296,

299,

353, 354, 463

U

553

INDEX DES AUTEURS

A

A. Kibédi Varga 439

Abdillahi Aouled 9, 32, 39, 46, 47, 49

Abdoul Diouf -- 11, 64, 100, 222, 252, 253, 254, 389, 436

Abdoulaye Diawara 26, 304, 305, 317

Abib Sene 342

Adama Ndao 24, 25, 171

Adama Ouane 199, 405

Adama Samaké 387

Adou Bouatenin - 13, 14, 16, 18, 22, 27, 61,

69, 88, 118, 142, 185, 187, 207, 239, 270,

295, 381, 387, 402, 404

Ahmadou Kourouma 93, 225, 269

Ahmed Sékou Touré 60, 61

Aimé Adopo Achi 227

Aimé Césaire -- 87, 88, 119, 157, 165, 169, 171, 185, 208, 243, 297, 390, 406, 417, 419, 422, 425, 428, 429, 430, 438, 453, 454

Aïssata Soumana Kindo - 6, 12, 90, 93, 207

Alain Juppé 64, 240
Alain Mabanckou --- 36, 100, 329, 412, 413

Alain Ménil 430, 432

Alain Vaillant 415

Alassane Ndwa 108

554

Albert Christiane 326 Albert Tevoedjré 118

Alexandra Aizier 12, 126

Alexis Kagamé 108

Alexis Vassilis 111

Alice Goheneix -- 27, 39, 41, 42, 47, 48, 52, 54, 79, 213, 214

Alioune Mbaye 226, 227, 232

Alioune Sall 163

Alioune Sène 91

Alpha Condé 169

Alpha Ibrahim Sow 108, 109, 117, 121

Amadou Hampâté Bâ 283, 284

Amadou Koné 62, 244, 245

Ambroise Kom 12, 69

Amilcar Cabral 285

Amin Maalouf 324, 363, 365, 411, 412

Amina Meziani 205, 324

André Malraux 263, 425

André Maurois 301

Anne Hamidou 198

Anne Judge 68, 160

Anne-Rosine Delbart ---- 53, 115, 229, 406, 409

Anne-Lisse Gallay 24, 25

Annette Boudreau 377, 378

Antionette Liechti 340

Antoine Rivarol 222

Antoine Saint-Exupéry 284, 314

Armand Guibert 209, 355, 356

Arnaud Bernadet 19

Arthur Rimbaud -- 417, 418, 419, 421, 425, 427, 436, 452, 461

Assa Syntyche Assa 324

Assane Seck 391, 393

Atsain François N'cho 233

Aude Béliveau 129

Aurélien Yannic 75, 134, 328

B

Babacar M'baye 172

Babacar Ndiaye 125

Babacar Sédikh Diouf 217

Bara Diouf 220

Béatrice Majza 33

Béatrice Turpin 9, 10, 34

Bégong-Bodoli Betina -- 12, 35, 36, 37, 70, 71, 78, 79, 133, 207

Bena Djangrang Nimrod 327

Bénézet Bujo 262, 265

Bernard Magnier 335, 360

Bernard Pöll 68

Bernard Wallon 36,39, 212, 236

Bernard Zadi Zaourou 206, 207

Bi Trazié Serge Bli 15

Birago Diop 269

Blaidy Dioum 96

Bruno Bourg-Broc --- 10, 55, 134, 189, 301

C

Camille Bourniquel - 34, 52, 53, 57, 59, 60, 63

Carmen S. Stoean 145

Catherine Coquery-Vidrovitch 154

Catherine Kerbrat-Orecchioni - 23, 28, 144,

145, 207, 210, 214, 227, 330, 384, 461

Cécile B. Vigouroux 35, 36

Cecile Dolisane-Ebosse

 

270

Cecile Thomas

 
 

164

Celina Scheinowitz

 

18,

263

Charles Baudelaire ----

-417, 418,

419,

421,

437, 441, 461

 
 
 

Charles Bonn

406, 408,

411,

412

Charles Mauron ---- 19,

20, 21, 22,

28,

143,

144, 146, 152, 330, 386, 400, 461

 
 

Charles Taylor

 
 

340

Cheikh Hamidou Kane

166,

215,

290

Christian Philip

 

110,

126

Christian Vandendorpe

 
 

410

Christophe Premat

 
 

11

Claire Riffard 112,

405, 406,

407,

408,

409, 412

 
 
 

Claire Tréan 13,

34, 40, 41,

153,

160

Claude Caitucoli

 

225,

412

Claude Morin

 
 

85

Claudia Moisei

 

10, 11, 14

Clément Mbom

 
 

62

D

 
 
 

Daniel Garrot

202, 260,

277,

447

Daniel Maximin

68, 148,

326,

327

Daniel Pasquier

 
 

366

D'Arcy Hayman -- 331,

435, 436,

437,

438,

439

 
 
 

David Adamou Dongo

 
 

144

 
 
 

555

David Gakunzi 223, 285, 371

Deli Zra 262, 285

Didier Lamaison 144

Djian Jean Michel 346

Djibril Tamsir Niane 176

Dominique Combe 103, 375, 405

Dominique Wolton 59, 101, 165, 328,

351, 402

Driss Khrouz 125

E

Ébénézer Njoh-Mouelle 41, 149

Edema Atibakwa-Boboya 100

Edgar Faure 80, 311, 421

Edmond-Marc Lipiansky 325, 372

Édouard Glissant 325, 332, 333, 349,

352, 427, 428, 429, 430, 431

Edward Tylor 261
Emmanuel Macron ---- --39, 135, 159, 166, 198, 229, 230,

Emmanuel Mounier 342, 373

Étienne Smith 370

Eugène Tavares 11, 12, 354

F

Félix Guattari 332, 333

Félix Houphouët Boigny - 62, 82, 167, 464

Fernando Lambert 18, 143

Fétigué Coulibaly 231

Florent Parmentier 133, 134

François Crouzet 345

François de Closets 303

556

François Hollande 125 François Fillon 166

François Pire 144

François Provenzano 10, 74, 127, 405

François-Xavier Verschave 464

Françoise Argod-Dutard 230

Fulgence Manirambona 342

G

Gabriel Calaya 436

Gabriel de Broglie 132, 212

Gaston Bachelard 294, 413, 453

Gaston Berger 266, 294, 305

Genevière Vinsonneau 331, 349

Georges Balandier 266, 302, 303

Georges Bastide 302

Gérard Dessons 19

Gilles Vigneault 105

Goly Mathias Irié Bi 235

Gustave Lanson 4

Guy Allix 288, 301

H

Hamidou Dia 304, 330

Henri Lopès 26, 105, 326, 349, 385

I

Ibrahim Baba Kake 261, 263

Ibrahim Diop-- --14, 16, 17, 34, 41, 67, 69,

90, 114, 132, 142, 207, 220, 221, 242, 287, 288, 311

Ingse Skattum 10

Irène Gayraud 448

Irina Bokava 381

Isabelle Constan 431

Issa Sangaré Yeresso 119

J

J. et M. J. Derive 119

J. Tshisunguwa Tshisungu -- 13, 15, 34, 72,

73, 77, 78, 89, 98, 132, 404, 405

Jacqueline Sorel 390

Jacques Barrat 10, 11, 14

Jacques Chevrier --- 49, 74, 77, 88, 92, 130, 155, 213, 265, 295

Jacques Dufresne 382

Jacques Godbou 410

Jacques Maquet 266, 302, 303

Jacques Rabemananjara - 96, 163, 187, 206, 207

Janet G. Vaillant 17, 67, 215, 251

Jean Bernabé 429, 430

Jean Bernard Kouadio 240, 241

Jean Foucault 224, 236, 327

Jean Lacouture 62

Jean Maisonneuve 149

Jean Michaëlle ---- -55, 101, 102, 103, 110, 124, 241

Jean Pruvost 45

Jean Tardif 324, 327

Jean-François Dortier 287

Jean-Georges Prosper 195

Jean-Jacques Konadjé 32, 103

Jean-Jacques Rousseau 382

Jean-Louis Joubert 377, 448

557

Jean-Louis Bédouin 433 Jean-Marc Léger-- -- 34, 36, 37, 53, 54, 55, 61, 62, 64, 69, 85

Jean-Marie Adiaffi 350

Jean-Marie Borzeix 36, 134

Jean-Marie Domenach -- 34, 52, 53, 57, 59, 60, 63

Jean-Marie Guyau 442
Jean-Nicolas de Surmont -- 36, 89, 90, 129, 133, 164, 379

Jean-Paul Pougala 272
Jean-Paul Sartre -- 185, 207, 209, 211, 414, 428

Jean-Paul Warnier 369
Jean-Pierre Asselin de Beauville 312, 313, 324, 326

Jean-Pierre Biondi 355

Jean-Pierre Hoss 36

Jean-Pierre Makouta-Mboukou 225

Jean-René Bourrel 87, 90, 91, 149

Joël Clerget 15, 16, 145, 150

Joëlle Farchy 324

John Kristian Sanaker 10

John W. Berry ---- 355, 356, 366, 367, 371, 372, 374

José Fontaine 69

Josefina Bueno Alonso 327, 351

Joseph Roger de Benoist 189

K

Kahiudi C. Mabana 256

Kameni Alain Cyr Pangop 357

Karim Holter 10

Karim Traoré 12

Katia Haddah

Ken Bugul

Kouamé Kouamé

Koutchoukalo Tchassim

114, 116, 129, 131

 

105,

49, 239 327 385 106, 113,

L

 
 
 

L. Duponchel

 
 

121

Laurence Arrighi

 
 

377, 378

Laurent Gbagbo

 

80, 84, 105

Laurier Turjeon

 

339

Léandre Sahiri

 

20

Léo Férré

 

444

Léon Nadjo

 

92

Léon-Gontran Damas

87,

348, 423, 426

Léopold Sédar Senghor ---

9,

10,

12, 13, 14,

15, 16, 17, 18, 19, 22, 23,

24,

25,

26, 27,

28, 29, 30, 32, 33, 34, 35,

37,

40,

41, 51,

53, 54, 55, 56, 59, 61, 62,

63,

64,

65, 66,

67, 68, 69, 70, 71, 72, 73,

74,

75,

76, 77,

78, 79, 80, 81, 82, 83, 84,

85,

86,

87, 88,

89, 90, 91, 92, 93, 94, 95,

96,

97,

98, 99,

100,

101,

102,

104,

106,

108,

109,

111,

113,

114,

115,

116,

117,

119,

119,

120,

121,

122,

126,

129,

130,

131,

132,

135,

136,

138,

139,

140,

141,

142,

143,

146,

147,

148,

149,

150,

151,

152,

153,

154,

155,

156,

157,

158,

159,

161,

164,

165,

166,

167,

168,

169,

170,

171,

172,

173,

174,

176,

177,

178,

180,

182,

184,

185,

186,

187,

189,

190,

191,

195,

197,

198,

199,

200,

201,

202,

203,

204,

205,

206,

207,

208,

209,

210,

212,

213,

214,

215,

558

216, 217, 218, 219, 220, 221, 222, 223, 224, 226, 227, 231, 233, 234, 236, 237, 238, 239, 240, 241, 243, 244, 245, 251, 253, 254, 255, 256, 258, 260, 262, 263, 264, 265, 267, 270, 272, 273, 276, 277, 278, 279, 280, 281, 283, 284, 286, 287, 289, 293, 297, 298, 299, 300, 301, 304, 305, 310, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 326, 329, 330, 331, 333, 335, 336, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 347, 349, 350, 351, 352, 353, 354, 356, 358, 359, 363, 364, 365, 366, 367, 368, 370, 371, 372, 373, 374, 375, 376, 377, 378, 379, 380, 382, 384, 385, 387, 388, 390, 392, 393, 399, 400, 401, 402, 403, 404, 405, 406, 407, 409, 412, 413, 414, 415, 416, 417, 418, 419, 420, 421, 422, 423, 424, 426, 427, 429, 433, 435, 436, 437, 438, 439, 441, 442, 443, 446, 447, 449, 450, 451, 454, 455, 457, 459, 460, 461, 463, 464, 466, 468, 469

Liano Petroni 226

Liliane Fo°alãu 331, 349, 350

Lilyan Kesteloot ---- 18, 102, 208, 225, 226, 236, 237

Linton Ralph 366, 367

Lise Gauvin 154, 410

Loïc Depecker 16

Louis de Broglie 240

Louis Martin-Chauffer 224

Luc pinhas ---- -32, 33, 40, 42, 43, 48, 126, 128, 160

Lucien Febvre 345

Lucy Baugret

 

325

M

 
 

Magloire Somé

 

265

Makhily Gassama

93, 414,

415

Mamadou Bani Diallo 7,

17, 37, 67,

95,

142

Mamadou Cisse

 

208

Mamadou Cissé

369,

370

Mangoné Seck --- 91, 92, 93,

106, 107,

115,

116, 117

 
 

Marc Edmond

 

325

Marc Gontard

11, 12,

160

Marcien Towa ---- 167, 174,

176, 177,

197,

305, 349

 
 

Mariana Ionescu

 

358

Marie-Claire Gousseau

 

261

Mariétou Diongue

 

263

Maurice Druon

Méo Guy Di

38, 39,

167

356

Michael Hammer

 

345

Michel Beniamino 154,

225, 405,

407

Michel Dupouey

 

56

Michel Guillou 11,

124, 135,

136

Michel Hausser

88,

426

Michel Tétu

 

68

Mihaela-Alexandra Acatrinei

 

408

Moussa Fall

 

227

Moustapha Samb

 

298

Moustapha Tambadou

153,

256

Muriel Placet-Kouassi

 

330

Myriam Louviot

325,

366

N

 
 
 

Nadia Yala Kisudiki

 

142,

288

Nelson Mandela

 
 

5

Ngalasso Mwatha Musanji

 
 

15

Nicolas Sarkozy

 

16,

135

Niels Planels

 

407,

431

Nsame Mbongo

 

276,

280

O

 
 
 

Odile Hardy

381,

382,

388

Olga Balogun

 

116,

287

Onésime Reclus -- 9, 10, 14,

17, 27, 32,

33,

34, 35, 37, 38, 39, 41, 42, 43,

44,

45, 46,

47, 48, 49, 50, 51, 54, 58, 63,

65,

72, 99,

100, 101, 103, 106, 112, 113,

121,

122,

 

126, 127, 128, 129, 133, 135,

136,

138,

 

139, 140, 223, 245, 345, 410,

412,

425,

 

457, 458, 463

 
 
 

Oumar sankhare

 
 

251

P

 
 
 

Pabé Mongo

 

207,

224

Paola Puccini - 9, 15, 41, 52,

53, 56, 63, 75

Papa Gueye N'diaye

 
 

279

Papa Samba Diop --- 24, 25,

158,

171,

191,

359

 
 
 

Pape François

 
 

389

Passou Lundula

 
 

12

Pathé Diagne

 

113,

287

Patrick Chamoiseau

 
 

429

Patrick Charaudeau

 
 

391

Patrick Sultan

 

26, 37

 
 

559

Paul Claudel - 399, 404, 412, 421, 433, 443

Paul Drezet 407, 408

Paul Dumont 10, 11, 39, 89, 111, 226

Paul Friedrich 413, 446, 448, 449

Paul Ricoeur 303, 315, 316, 325

Paul Sabourin 84, 91

Paul Verlaine 443

Paulin Hounsounon-Tolin --- 106, 107, 108

Petr Vurm 36, 130, 143, 226
Philipe Lavodrama --- 7, 17, 34, 67, 68, 69, 142

Pierre Renauld 449

Pierre Soubias 217

R

Raphaël Confiant 429

Rebecca Ursula Brønnum Scavenius 101

Redfield Robert 366, 367

René de Lacharrière 81, 82, 83

René Despestre

 
 
 

333

René Gnaléga

-12,

18, 34, 67,

83,

131,

132, 171, 191, 207,

226,

238, 273,

276,

 

277, 278, 279, 280,

285,

298, 300,

317,

 

326, 329, 330, 332,

341,

344, 351,

354

 

René Makounkolo

 
 
 

366

Robert Chaudenson

 
 
 

7

Robert Sabatier

 

44, 46,

425,

433

S

 
 
 
 

Saïda Belouali

102,

208, 224,

229,

400

Salman Rushidie

 
 
 

325

Samba Diakité

 
 
 

286

Samira Boubakour

Samuel Huntington

205,

326

316

Sana Camara 26,

171,

390

Sandra Glatigny

448,

449

Serge Arnaud

 

11

Seydou Badian

 

272

Sigmund Freud

 

20

Slimane Benaïsa

230,

231

Snauwaert Maïte

 

145

Sophie Croiset 53, 115, 229,

406,

409

Stanislas Adotevi

132,

185

Stella M. A. Johnson

Stélio Farandjis 11, 13, 37,

13,

299,

129

301

Stéphane Mallarmé

418,

419

Sylvia Washington Bâ

 

416

Sylvie Coly 283, 285,

286,

287

T

 
 

Tahar Ben Jelloun

327,

453

Tanella Boni 10, 26, 36,

130

Thérèse Djilane Diob 93,

Thi Hoai Trang Phan 9, 101, 103,

295,

126,

296

127,

134, 149

 
 

Toader Saulea 273,

Toba Misuzu --- 79, 80, 101, 104,

294,

105,

330

131,

298

 
 

V

 
 

Véronique Gély

 

449

Véronique le Marchand

 

34

Véronique Porra 409,

411,

431

Véronique Tadjo

326,

390

Vihelmina Vitkauskienè

 

33

 
 

560

561

Victor Hugo

 

418,

419, 421, 436,

443

Virgilio Elizondo

 

341, 357,

364

Virginie Marie

 

33, 68, 128,

189

Voltaire

 

44,

385

X

 
 
 

Xavier Deniau

11,

12, 14, 33, 58,

106

Xavier Garnier 406, 408, 411, 412

Y

Yao Assogba 76, 86

Yves Benot 197

562

BIBLIOGRAPHIE

I- OEUVRE ÉTUDIÉE

SENGHOR Léopold Sédar : Poèmes, recueil de poèmes contenant Chants d'ombre (1945), Hosties noires (1948), Éthiopiques (1956), Nocturnes (1961),

Lettres d'hivernage (1972), Éditions du Seuil, Collection Points,

Littérature, Paris, 1964 et 1973, 254 p.

OEuvre poétique, recueil de poèmes contenant toutes les oeuvres poétiques, Éditions du Seuil, Collection Points/Essai, Paris, 1964, 1973, 1979, 1984 et 1990, 430 p.

II- AUTRES OEUVRES ET ARTICLES DE L'AUTEUR (L. S. Senghor)

SENGHOR Léopold Sédar : Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de

langue française, Presses Universitaires de France, Paris, 1948, 227 p.

(9ème édition « Quadrige », 2015, 227 p.)

Préface à « la langue du français du Sénégal » de Blondé, Dumont

et Gonthier, NEA, 1975

Pierre Teilhard de Chardin et la politique africaine, Paris, éd. du Seuil, 1962,

102 p.

« Ce que je crois », Négritude, francité et civilisation, Paris, Grasset

et Fasquelle, Paris, 1988, 234 p.

La poésie de l'action, Stock, Paris, 1980

La rose de la paix, L'Harmattan, Paris, 2001

« Le français, langue de culture », Le français, langue vivante, Esprit, n°311,

Novembre 1962, pp 837-844

« Négritude et humanisme », Liberté 1, Seuil, Paris, 1964

« Qu'est-ce que la Négritude ? », Liberté 1, Seuil, Paris, 1964

« Nation et Voie Africaine du socialisme», Liberté 2, Seuil, Paris, 1971

« Négritude et civilisation de l'universel », Liberté 3, Seuil, Paris, 1977

« Socialisme et planification », Liberté 4, Seuil, Paris, 1983

« Le dialogue des cultures », Liberté 5, Seuil, Paris, 1993

La parole chez Paul Claudel et chez les Négro-africains, NEA, Dakar, 1973,

55 p.

La belle histoire de Leuk-le-lièvre, Hachette, Paris, 1953

« La négritude métisse », Postface de Poèmes d'Édouard J. Maunick,

NEA, Paris, 2001

« La poésie parlée de Sourang », Préface de l'oeuvre d'Ibrahim SOURANG,

Aubade, Monte Carlo, coll « Poètes de notre temps », n°318, 1964, pp. 11-13

« Bolamba », préface de Esanzo : chants pour mon Pays d'Antoine-Roger

Bolamba, Présence africaine, Paris, 1955

« De la poésie bantoue à la poésie négro-africaine », préface de l'oeuvre

Épitomé de Tchikaya U'TAMSI, P. J. Oswald, 1962

« Le Langage intégral des Négro-Africains », Préface de l'Anthologie de la vie

563

africaine, Herbert Pepper, Paris, 1958

Préface de l'oeuvre de J. K. SYAD, Khamsime, Présence Africaine, Paris, 1959

« Dialogue sur la poésie francophone », OEuvre poétique, Édition du Seuil,

1964, 1973, 1979,1984 et 1990

« Esthétique négro-africaine », Diogène, n°16, octobre 1956, pp.43-63

« L'esthétique négro-africaine », Revue d'esthétique, t. IX, fasc. I, jan-mars

1950, pp. 71-75

Les fondements de l'africanité, Présence Africaine, Paris, 1967

Préface de l'oeuvre de Mario Corcuera Ibáñez, Tradition et littérature orale en

Afrique noire, L'Harmattan, Paris, 2009, traduction d'Alicia Bermolen, 148 p.

Préface de l'oeuvre de A. R. BOLAMBA, Esanzo, chant pour mon pays,

Présence Africaine, Paris, 1955

« Malick Fall ou poésie à hauteur d'homme », Préface de l'oeuvre de Malick

Fall, Relief, Présence Africaine, Paris, 1967

« De la francophonie », Éthiopiques, numéro 50-51, Nouvelle série-2ème et

3ème trimestre 1988 - volume 5 n°3-4

« De la négritude », Anthologie des écrivains congolais, Delroisse, Boulogne,

1969

« La Francophonie comme culture », Études littéraires, vol. 1, n° 1, 1968,

p. 131-140. URI: http://id.erudit.org/iderudit/500008ar

« Pour un humanisme de la Francophonie », pp. 276-284

« Pour un nouvel équilibre mondial », Éthiopique, n°7, 1976

« Culture et développement », Éthiopiques, Revue socialiste de culture

négro-africaine, n° spécial, 1976

« Vers un nouvel ordre économique mondial », Éthiopiques, n°9, 1977

« Les Noirs dans l'Antiquité méditerranéenne », Éthiopiques, n°11, 1977

« Pour une philosophie négro-africaine et moderne », Éthiopiques, n°23, 1980

The Collected Poetry, Editions Melvin Dixon, University of virgina, 1991

« L'esprit de la civilisation ou les lois de la culture négro-africaine », Présence

Africaine, 1er congrès international des écrivains et artistes noirs, Présence

Africaine, n°8-9-10, juin-novembre 1956, pp. 51-65

« Défense de l'Afrique noire », Esprit, 1945, pp. 237-248

« Un Humanisme de l'union française », Esprit, 1949, pp. 1019-1035

« Poète et francophone », La littérature sénégalaise, Notre librairie, n°81,

[propos recueillis par Serges Bourjea], octobre-décembre 1985, pp. 99-108

Paroles, Dakar, NEA, 1975

« La Culture africaine », Communication à l'Académie des Sciences morales et

politiques, Revue des Sciences morales et politiques, le 26 septembre 1983

Le dialogue des cultures, Seuil, Paris, 1993

Africanité-Universalité, L'harmattan, Paris, vol.31, 2000

Allocution lors de l'inauguration de l'Espace culturel portant son nom,

Verson, 18 mars 1995 ( www.ville-verson.fr/test/telechargerpdf.php5?id=40)

L'Exotisme chez Baudelaire, mémoire pour le Diplôme d'Études Supérieures,

Sorbonne, 1932.

« L'humanisme d'Alioune Diop », Éthiopiques, n°24, octobre 1980

( www.ethiopiques.refer.sn/spip.php?article762)

« Discours d'ouverture », in Actes du colloque sur la littérature africaine

d'expression française, Dakar, 26-29 mars 1963, Dakar, Université de Dakar,

1965, pp. 19-24

Une lecture négro-africaine de Mallarmé, Pierre Fanlac À Perigueux, Paris,

564

1981, 30 p.

Pour une relecture africaine de Marx et d'Engels, NEA, Dakar, 1976, 67 p. (Réédition NEA, Dakar, 1990, 72 p.)

« La révolution de 1889 et Leo Frobenius », Éthiopiques, Spécial centenaire, 1er semestre 2010

III- OUVRAGES ET ÉTUDES SUR LA POÉSIE SENGHORIENNE OU SUR SENGHOR

Actes du colloque : Colloque sur la Négritude, Dakar, avril 1971, Présence Africaine, Paris, 1972

ALIOU Fati : «Le triomphe de la "négritude debout"», Éthiopiques, 1984, 2(2-3), pp.47-50 BÂ Sylvia Washington: The concept of Negritude in the Poetry of Léopold Sédar Senghor, Princeton University Press, 1973, 305 p.

BELOUALI Saïda : « Senghor et la légitimation de la poésie », Éthiopique, 2004, n°73 BENOIST Joseph Roger de : Léopold Sédar Senghor, Beauchesne, Paris, 1998, 304 p. BIONDI Jean-Pierre : Senghor ou la tentation de l'universel ; Denoël, Paris, 1993, 218 p. BOKIBA André-Patient (dir.) : Le siècle de Senghor, L'Harmattan, Paris, 2001, 260 p. BOSQUET Alain : « Les engagements de Léopold Sédar Senghor », La nouvelle revue

Française, XII, 143, novembre 1964, pp. 879-884

BOURGES Hervé : Léopold Sédar Senghor. Lumière noire, Mengés, Paris, 2006, 183 p. BRUNEL Pierre : « Grâce(s) noire(s). Au sujet de Baudelaire et Senghor », Littératures classiques 2006/2 (N° 60), p. 61-72.

BUATA B. Malela : « Mythe et poésie dans le discours senghorien », Francofonía, 17 (2008) 287-302

DE BROGLIE Gabriel : « Senghor, ou la nécessité de la langue française », discours Prononcé en hommage à Léopold Sédar Senghor de la séance publique du Mardi 05 mars 2002 à l'Académie des Sciences Morales et Politiques

DIAGNE Souleymane Bachir : Léopold Sédar Senghor, l'art africain comme philosophie, Riveneuve, Paris, 2007, 166 p.

« Senghor et la Révolution de 1889 », The Romanic Review, volume 100,

Numbers 1 - 2, The trustees of Columbia University, pp 103-111

CAMARA Sana : « Léopold Sédar Senghor ou l'art poétique Négro-africain », Éthiopiques, Centième anniversaire de L.S. Senghor. Cent ans de littérature et poésie africaine et de réflexion sur les arts africaines, 1er semestre 2006, n° 76 « Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor face à l'historicité nègre », Éthiopiques, numéro spécial, hommage à Aimé Césaire, 2ème semestre 2009, pp.179-197

CISSÉ Idrissa : Le rêve de Senghor, Paris, L'Harmattan, 2013, 250 p.

COLY Sylvie : « Littérature vers une civilisation de l'universel ? », Éthiopiques, numéro Spécial, Senghor, d'hier à demain, n°81, mai 2012, 233 p.

DELAS Daniel : « Poésie, rythme et musique dans l'oeuvre de Senghor », Senghor et la musique, Clé international, 2006, 104 p.

DERIVE Jean : « Les stratégies du métissage culturel dans la poésie de Senghor », Littératures et sociétés africaines (P.S. Diop et H. J. Lusebrik éds) , Tübingen, Gunter Nair verlag, 2001, pp.467-475

DIAKHATÉ Lamine : «La négritude sous la coupole », Éthiopiques, 1984, 2(2-3), pp.43-46 DIAKITÉ Samba : De la négritude au socialisme : Léopold Sédar Senghor et les enjeux de

la renaissance africaine, Québec (Canada), Les éditions de la différence

perenne, 2016, 75 p.

565

Philosophie et contestation en Afrique : Quand la différence devient un différend, Bouaké, Éditions IRDA, 2014, 534 p.

DIAW Alioune « Du fusil à la plume, la valorisation de l'amitié et de l'amour dans hosties

noires de Léopold Sédar Senghor », Éthiopiques, n°84, 1er semestre 2010 DIÉNE Ibra : «Senghor, Poéticien narcissique ou poète universaliste», Conferência proferida

no Instituto de Letras da UFRGS, 5 février 2002

DIOUF Babacar Sédikh : « Léopold Sédar Senghor et l'éducation », Éthiopiques, n°19, 1979

DIOUM Blaidy : La trajectoire de Léopold Sédar Senghor: Du terroir à l'universel, Paris/Dakar, L'Harmattan, 2010, p. 310

DIOP Papa Samba : « Léopold Sédar Senghor : un repère essentiel », Francofonia 15, 2006, pp. 93-106

Léopold Sédar Senghor, Poésie, Étude critique, Éditions champion, Paris, 2015 144 p.

DJIAN Jean-Michel : Léopold Sédar Senghor, genèse d'un imaginaire francophone, Gallimard, Paris, 2005, 256 p.

DUMOND Pierre et all. : « Senghoria : éloge à l'un des pères de la négritude », Archipélies, n°2, Publibook, Paris, 2011

FALL Elimane, MATELLUS Sarah : « Sénégal : Senghor 1906-2001, une vie un siècle », JA/L'intelligent, n°2137-2138, du 25 décembre 2001 au 7 janvier 2002

FALL Moussa : « Les créations verbales de Léopold Sédar Senghor dans Chants d'ombre, Éthiopiques et Élégies majeures », Éthiopiques, n°72, 1er semestre 2004

FONKOUA Romuald Blaise : « L'Afrique en khâgne, contribution à une étude des stratégies senghoriennes du discours dans le champ littéraire francophone », Présence Africaine, Dossier I, article sur Senghor, p.130

« Revisiter Senghor aujourd'hui : Négritude et poétique », Le français à l'université, 11ème Année, numéro 03, Troisième trimestre 2006, pp. 3-5

GARNIER Xavier : « La notion de raison intuitive », Léopold Sédar Senghor : Africanité-Universalité, Paris, L'Harmattan, coll. « Itinéraires et contacts de cultures, 2002, vol. 31 », pp. 115-120.

GARROT Daniel : Léopold Sédar Senghor critique littéraire, NEA, Dakar, 1978, 156 p. GAULME François : « Senghor. politique et penseur entre deux mondes », Études 2002/7 (Tome 397), p. 11-20.

GNALÉGA René : La cohérence de l'oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor, NEI, Abidjan, 2001, 112 p.

« La quête identitaire dans l'oeuvre poétique de L.S. Senghor », Le Korè (Revue ivoirienne de Philosophie), n°30, PUCI, Abidjan, 2000, pp. 43-54 Senghor et la civilisation de l'universel, L'Harmattan, Côte d'Ivoire, 2013, 176 p.

GUIBERT Armand : Léopold Sédar Senghor : L'homme et l'oeuvre, Présence Africaine, Collection « Approches », Paris, 1962, 175 p.

HAUSSER Michel : Pour une poétique de la négritude, Tome I, Éditions Silex, 1991, 410 p. Pour une poétique de la négritude, Tome II, Éditions Nouvelles du sud, 1991, 510 p.

HOUNSOUNOU-TOLIN Paulin : « Orphée noir et la négritude comme oubli de la loi du cannibalisme culturel, et l'ignorance de l'identité culturelle comme rapport à l'autre », Éthiopiques, numéro spécial, hommage à Aimé Césaire, 2ème semestre 2009, pp.124-139

IRIÉ BI Goly Mathias : « La phrase poétique chez Senghor », in Langues et Littératures, n°11, 2007, pp. 77-94

566

JOACHIM Paulin : « Senghor, le doux grammairien, conducteur de peuple », Présence

Africaine, n°154, 2e semestre 1996, Dossier I : spécial Senghor, 338 p. JOHNSON Stella M. A. : « L'apport de Léopold Sédar Senghor à la francophonie»,

Éthiopiques, n°70, 2003

KESTELOOT Lilyan : Césaire et Senghor. Un pont sur l'Atlantique, Éditions

L'Harmattan, Paris, 2006, 200 p.

Comprendre les poèmes de Senghor, L'Harmattan, Paris, 1986, 144 p.

« Pourquoi étudier Senghor ? Histoire d'un malentendu », Éthiopiques, numéro spécial, Senghor 90, octobre 1996

« Senghor, negritude and francophonie on the threshold of the twenty-first Century », Research in Africa Literatures, vol 21, n°3, 1990, pp.51-57

KOTCHY Barthélemy : La correspondance des arts dans la poésie de Senghor, NEI, Abidjan, 2001, 64 p.

KWAHULE Koffi : « Senghor ou le sacerdoce du pardon », Mémoire Senghor : 50 écrits en hommage aux 100 ans du poète-président, Paris, Éditions UNESCO, 2006, pp. 89-92

LAMAISON Didier : Léopold Sédar Senghor-Éthiopiques, Paris, Bréal, 1997, 126 p. LAMBERT Fernando : « Léopold Sédar Senghor, le poète des `'Élégies Majeures» », Éthiopiques, n°59, 2e semestre 1997, pp.97-110

LE MONDE DIPLOMATE : Senghor, l'humaniste africain (Actes d'un colloque tenu en 1990), Paris, Edifra, 1993, 249 p.

LOUM Ndiaga (dir.) : « Les deux Senghor : l'homme de lettres et l'homme de pouvoir » Série : Cahier Senghor, numéro 2 [Publication de la Chaire Senghor de la Francophonie, sous la direction de Jean-François Simard, titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie], Mai 2011, 55 p.

LUNDULA Passou : Autopsie d'un cas, Léopold Sédar Senghor, Lubumbashi, Édition Passou, 2005, 296 p.

LY Amadou : « L'humanisme senghorien », Éthiopiques, numéro spécial, Senghor, d'hier à demain, n°81, 2012, 233 p.

MAGNIER Bernard : « Léopold, Sédar, Senghor », Mémoire Senghor, 50 écrit en hommage

aux 100 ans du poète-président, Édition UNESCO, 2006, p. 105

MALONGA Alpha-Noël : « Dans sa tour de verre. La femme et le politique dans la poésie de Senghor », Francofonia 15, 2006, pp. 135-147

MARQUET M.M. : Le métissage culturel dans la poésie de Léopold Sédar Senghor,

NEA, Abidjan/Dakar, 1983

MAUBRUN Benoît : Léopold Sédar Senghor, Beauchesne, Paris, 1998

M'BAYE Babacar : « Cosmopolitisme et anticolonialisme dans quelques poèmes de

Léopold Sédar Senghor pendant la seconde Guerre mondiale », Migrance 39, pp. 79-91

MBOM Clément : « Léopold Sédar Senghor, une trajectoire à l'épreuve du temps », n°154, 2e semestre 1996, Dossier I : spécial Senghor, p.124

MELONE (Thomas), « De la typologie à la typologie : y a-t-il une théorie critique chez Léopold Sédar Senghor ? », Le critique africain et son peuple comme producteur de civilisation, Yaoundé, Présence Africaine, 1973

Mémoire Senghor, 50 écrits en hommage aux 100 ans du poète-président, collection Profils, Paris, Éditions UNESCO, 2006, 193 p.

MERCIER Roger : «Poétique française et poétique africaine chez Léopold Sédar Senghor », Éthiopiques, n° 34 et 35, 1983, 1(3-4), pp.101-110

MEZU S. Okechukwu : Léopold Sédar Senghor et la défense et illustration de la civilisation africaine, Librairie Didier, Paris, 1968, 229 p.

567

MISUZU Toba : « La pensée culturelle de Senghor : la symbiose des langues et des

cultures », Revue japonaise de didactique du français, vol 4, n°2, Études françaises et francophones, octobre 2009, pp. 103-112

N'CHO Atsain François : « Senghor: Quand la parole de tous les jours se fait poème », Éthiopiques, n°91, 2ème semestre, 2013, pp.43-60

N'DIAYE Issa : « Poétique de l'accord conciliant chez Léopold Sédar Senghor : les lieux et la formule », Francofonía, número 015, Universidad de Cádiz, España, 2006, pp. 149-162

N'DIAYE Papa Gueye : « Une nouvelle lecture de la poésie négro-africaine : Daniel Delas lit "L'absence" de Léopold Sédar Senghor », Éthiopiques, n°33, nouvelle série, volume 1 et 2, 2ème trimestre, 1983

Éthiopiques, Poème de Léopold Sédar Senghor : édition critique et commentée, NEA, Dakar-Abidjan, 1974, 116 p.

NDIAYE Aloyse-Raymond : « Senghor : De la raison discursive, de la raison intuitive, `'j'ai attaqué Descartes au coupe-coupe» », Éthiopiques, n°89, 2ème semestre, 2012

NDWA Alassane : «Itinéraire d'une pensée : Léopold Sédar Senghor : Du refus de l'assimilation à la recherche d'un métissage bien compris », Éthiopiques, 1984, 18, pp.44-60

La pensée africaine : recherches sur les fondements de la pensée négro-africaine, NEA, Dakar, 1983, 284 p.

NESPOULOUS-NEUVILLE Josiane A.: Léopold Sédar Senghor: de la tradition à l'universalité, Seuil, Paris, 1988, 815 p.

NIEKERK Van Barend V. D.: The africain image in the poetry of Léopold Sédar Senghor, A. A. Balkemam, Cape Town, 1970, 140 p.

NJAMI Simon : C'était Léopold Sédar Senghor, Fayard, Paris, 2006, 334 p.

NKASHAMA Pius Ngandu : Négritude et Poétique, Une lecture critique de l'oeuvre

critique de Léopold Sédar Senghor, L'Harmattan, Paris, 1992, 159 p. NOUMSSI Gérard Marie et MUFOPIN Nde : « La poétique de la prière dans les prières de Léopold Sédar Senghor », Aleph, 3|2015, p. 61-86

OSMAN Gusine Gawdat : L'Afrique dans l'oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor, NEA, Abidjan, 1978, 274 p.

OUATTARA Bourahima : « Senghor, lecteur de Barrès », Études de lettres, 2|2017, 111-132 PHEULPIN Michel : « La parole de Léopold Sédar Senghor », Éthiopiques, n°18, avril 1979 (republié, Éthiopiques, n°64-65, 1er et 2e semestre 2000)

PRÉSENCE AFRICAINE, Léopold Sédar Senghor et la revue « Présence Africaine », Présence Africaine, Paris, 1996, 260 p.

Présence Senghor : 90 écrits en hommage aux 90 ans du poète-président, Paris, Éditions UNESCO, 1997, 287 p.

PROSPER Jean-Georges : « Léopold Sédar Senghor : Un humaniste de génie », Éthiopiques, n°59, 2ème semestre 1997

ROCHE Christian : L'Europe de Léopold Sédar Senghor, Privat, Paris, 2001, 126 p.

Léopold Sédar Senghor : le président humaniste, Privat, Paris, 2006, 239 p. SAADIA Rahadi, L'identité féminine dans Éthiopiques de Senghor, Edilivre, Paris, 2015, 116 p

SAMAKÉ Adama et KOUAMÉ Kouamé : « Léopold Sédar Senghor, théoricien du roman : l'exemple du roman africain », Éthiopiques, n°91, 2è semestre, 2013, pp.61-74

SAMB Moustapha : « Le métissage multidimensionnel de Senghor : Une stratégie de communication universaliste », Les deux Senghor : L'homme de lettres et l'homme de pouvoir, Série Cahier Senghor, numéro 2, mai 2011, p. 55, sous la direction de NDIAGA Loum, pp.40-47

568

SAMBA Moussa : « La poésie au service de la polis. L'oeuvre littéraire de Léopold Sédar

Senghor comme arme politique », Legs et littérature, 2018| n°12, pp. 117-136 SARAVAYA Gloria : Langage et poésie chez Senghor, L'Harmattan, Paris, 1989, 224 p. SCHEINOWITZ Celina : « La poésie de Senghor et l'Afrique », Éthiopique, Littérature,

philosophie et art, 2ème semestre 2004, n°73

SÈNE Alioune : « Au rythme de l'histoire », Présence Africaine, n°154, 2e semestre 1996, Dossier I : spécial Senghor, 338 p.

SINDA Thierry : L'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de Léopold Sédar Senghor, un manifeste de la négritude

SISSAO Alain Joseph : « L'esthétique de la poésie senghorienne, les fondements d'une esthétique négro-africaine », Francofonía, número 015, Universidad de Cádiz,

SMITH Étienne: « Senghor voulait qu'on soit tous des Senghor ». Parcours nostalgiques d'une génération de lettrés, Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2013/2 (N° 118), p. 87-100.

SOREL Jacqueline : « Esquisse d'un portrait du poète », Mémoire Senghor : 50 écrits en hommage aux 100 ans du poète-président, Paris, Éditions UNESCO, 2006, pp. 165-168

TADJO Véronique : « Senghor ou la force de croire », Mémoire Senghor : 50 écrits en hommage aux 100 ans du poète-président, Paris, Éditions UNESCO, 2006, pp. 169-172

TANOH Jean Gobert : Lecture heideggérienne de Senghor, Rubrique philosophie, Juillet 2012

TAVARES Eugène : « Négritude, Lusitanie et Francophonie chez Léopold Sédar Senghor ou la recherche ineffable d'identité », Synergies, n° spécial 2, Brésil, 2010, pp.101-106

TCHASSIM Koutchoukalo épouse Samboe : « La quête de la civilisation de l'universel chez les écrivains africains : Léopold Sédar Senghor et Félix Couchoro », Revue du CAMES, Nouvelle Série B, Vol.009, N°2-2007 (2ème Semestre), pp.41-53

THÉLIOL Mylène : Le poète président : De la négritude à la francophonie, Grandes Personnalités|50 minutes, numéro 21, 2 septembre 2015, 36 p.

THIAM Habib : « Léopol Sédar Senghor : La poésie de l'action », Éthiopiques, n°22, 1980 TILLIETTE S. J. Xavier : « Senghor, poète du soleil noir », Étude 2002/7 (Tome397), pp.5-10

TILLOT Renée : Le rythme, dans la poésie de Léopold Sédar Senghor, NEA, Dakar, 1979, 168 p.

TOWA Marcien : Léopold Sédar Senghor : Négritude ou Servitude ?, Édition CLE, Yaounde, 1971, 120 p.

España, 2006, pp 175-184

VAILLANT Janet G. : Vie de Léopold Sédar Senghor : noir, français et africain, Karthala, Paris, 2006, 448 p.

VOGEL Jakob : « Senghor et l'ouverture culturelle de la RFA en 68. Pour une histoire transnationale Allemagne-France-Afrique », Vingtième Siècle. Revue d'histoire 2007/2 (n°94), pp. 135-148

VRANÈIÆ Frano : « L'universalisme de la négritude et de la catholicité dans Hosties noires de Léopold Sédar Senghor », Ejournals, Studia Litteraria Universitatis lagellonicoe Gracoviensis, 2015, volume 10

IV- OUVRAGES SUR LA LITTÉRATURE, ÉTUDES THÉORIQUES ET MÉTHODIQUES

569

ANGENOT Marc : Glossaire poétique de la critique contemporaine, Ville la salle, Hurtubise, 1979, 155 p.

ARISTOTE : La Poétique, Ladrange, Paris, 1838, traduit de grec par Jules Barthélemy-Saint-

Hilaire, oeuvre numérisée par J. P. MURCIA http://remacle.org/

BACHELARD Gaston : La formation de l'esprit scientifique, France, Librairie

Philosophique J. VRIN, 1993, 258 p.

La poétique de l'espace, Paris, Les Presses universitaires de France, 3è édition,

1961, 125 p.

BALOGUN Olga, AGUESSY Honorat, DIAGNE Pathé : Introduction à la culture Africaine,

UNESCO 10/18, Paris, 318 p.

BARTHES Roland : Éléments de sémiotique, Denoël/Gonthier, Paris, 1965, Mythologies,

Seuil, (coll. « Points »), Paris, 1970, p. 79

BEAUD Michel : L'art de la thèse : comment préparer et rédiger un mémoire de master, une

thèse de doctorat, ou tout autre travail universitaire à l'ère du net, La

Découverte, Paris, 2006

BÉDOUIN Jean-Louis, La poésie surréaliste, Édition Seghers, Paris, 1964, 358 p.

BELLAY Joachim du : Défense et illustration de la langue française, Bordas, 1972

BELLEMIN Jean-Noël : Psychanalyse et littérature, Paris, PUF, 1993, 127 p.

Vers l'inconscient du texte, Paris, PUF, 1970, 288 p.

La psychocritique du texte littéraire, Paris, Nathan, 1996, 128 p.

BENVENISTE Émile : Problème de Linguistique générale, 1, Paris, Éditions Gallimard,

1966, 358 p.

BENIAMINO Michel : La francophonie littéraire, Essai pour une théorie, Paris,

L'Harmattan, 1999

BERNADET Arnaud : Pour une « rhétorique profonde », Université de Franche-Conte

Centre « Jacques Petit », 2004

BOILEAU Nicolas : La Poétique, Denys Thierry, Paris, 1674

CHESNEAU Albert : Essai de psychocritique de Louis Ferdinand Celine, Paris, Minard,

1971

CHEVRIER Jacques : Littérature Nègre, Paris, Armand Colin/Nouvelle Éditions Africaines,

1984, 272 p.

CLERGET Joël : « Je est un autre », Poésie et psychanalyse, L'Amourier éditions,

2007, 27 p.

DELCROIX Maurice et HALLYN Fernand : Méthodes du texte : Introduction aux études

littéraires, Éditions DUCULOT, Paris-Gembloux, 1987, 392 p.

DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix : Anti-oedipe. Capitalisme et Schizophrénie 1,

Paris, Éditions de Minuit, 1973, 492 p.

Mille plateaux. Capitalisme et Schizophrénie 2, Paris, Éditions de Minuit,

1980, 645 p.

Rhizome, Paris, Éditions de Minuit, 1976, 74 p.

DESSONS Gérard : Introduction à l'analyse du poème, Paris, Armand Colin, 2005, 158 p.

DIOP Cheikh Anta : Antériorité des civilisations nègres, Paris, Présence Africaine, 2001,

p. 428

Nations Nègres et cultures, Paris, Présence Africaine, 1955

ECO Umberto : L'oeuvre ouverte, Paris, Seuil, 1965, 570 p.

EDMOND Marc : Psychologie de l'identité :soi et le groupe, Paris, Dunod, 2005, 266 p. GALLOIT Jean Le : Psychanalyse et langage, Paris, Nathan, 1977, 256 p.

GLISSANT Édouard : Introduction à une Poétique du Divers, Paris, Gallimard, 1996, 160 p.

Le discours antillais, Paris, Seuil, 1981, 503 p.

Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, 268 p.

570

GOUVARD Jean Michel : L'analyse de la poésie, Paris, Presses Universitaires de France,

2001, 128 p.

HÉBERT Louis : L'Analyse des textes littéraires - Une méthodologie complète, Paris,

Classiques Garnier, Collection Dictionnaires et synthèses, 2015 346 p.

HORACE : Épître aux Pisons, publiée par Jacques Peletier du Mans

JARRETY Michel : La Poétique, Puf, Coll. « Que sais-je ? », Paris, 2003, 127 p.

JOUBERT Jean-Louis : La poésie, Armand-Colin, Paris, 2006, 208 p.

Genres et formes de la poésie, Armand-Colin/VUEF, Paris, 2003, 256 p.

KERBRAT-ORECHIONNI Catherine : L'énonciation : de la subjectivité dans le langage,

Armand-Colin, Paris, 1997, 280 p.

KESTELOOT Lilyan : Histoire de la littérature négro-africaine, Karthala, Paris, 2001,

386 p.

KLINKENBERG Jean-Marie : Le sens rhétorique, Essais de sémantiques littéraire, Éditions

du GREF, Toronto, Collection Theoria 1, Éditions les Éperonniers,

Bruxelles, 1990

KOVÁCS Ilona (dir.) : Introduction aux méthodes des études littéraires, Bölcsész

Konzorcium. Minden jog fenntartva !, 2006, 146 p.

LASON Gustave: De l'histoire de la littérature française, Hachette, Paris, 1894, 1182 p.

MACHADO Ida Lucia : « Marqueurs d'énonciation : définitions et approches pratiques »,

Synergies, Brésil, n° spécial 1, 2010, pp. 167-175

MAISONNEUVE Jean : La psychologie sociale, Presses Universitaire de France, Paris, 1950,

128 p. Coll. Que sais-je ?

MAKOUTA-MBOUKOU Jean-Pierre : Les grands traits de la poésie Négro-Africaine :

Histoire-Poétiques-Significations, NEA, Abidjan, 1985

MAURON Charles : Des métaphores obsédantes aux mythes personnels, Paris, José Corti,

1963, 382 p.

Psychocritique du genre comique, Paris, José Corti, 1964, 190 p.

MESCHONNIC Henri : Pour la poétique, N.R.F., Gallimard, coll. « Le chemin », Paris,

1970

MOUNIER Emmanuel : Les oeuvres, Tome 3, Seuil, Paris, 1944-1950, 268 p.

N'DA Pierre : Méthodologie et guide pratique du mémoire de recherche et de la thèse de

doctorat, L'Harmattan, Paris, 2007, 240 p.

OLOGOUDOU Émile : Éloge d'un royaume éphémère, Art poétique sauvage, 1983

POLLICINO Simona : « La notion de rythme entre poésie et musique », Synergies, Espagne,

n° 4, 2011, pp.35-41

ROMAN Jakobson : Essai de linguistique général, Paris, Éditions de Minuit, tome 1 (1963),

260 p. / tome 2 (1970), 256 p.

ROUSSET Jean : Forme et signification, essai sur les structures littéraires de Corneille à

Claudel, Paris, José Corti, 1966, pp. 2-3

SABATIER Robert : Histoire de la poésie française : La poésie du seizième siècle, Éditions

Albin Michel, Paris, 1975, 302 p.

SARFATI Georges Élia : Précis de pragmatique, sous la direction d'Henri Mitterrand,

Armand Colin, Paris, collection 128, numéro 270, juin 2005

SIGMUND Freud : Introduction à la psychanalyse, Tome I et II, oeuvre Pdf téléchargeable

sur http : //www. ebooksgratuits.com/

Sur le rêve, Gallimard, Paris, 1988, 160 p. (Traduit de l'allemand par Cornélius

Heim)

TATI-LOUTARD Jean-Baptiste : La Vie Poétique, P.J. Oswald, 1966

VAILLANT Alain : La poésie, Armand Colin, Paris, 2005, 128 p.

VERHOEFF Han : Adolphe et Constant, une étude psychocritique, Klincksieck, 1977

571

ZIMA Pierre V. : « Manuel de sociocritique », Collection Connaissance des Langues, Henri HIERCHE (dir), Paris, Picard Éditeur, 1985

V- OUVRAGES ET ÉTUDES SUR LE SUJET DE RECHERCHE

ABDELKÉBIR Khatibi : « Comment je rêve le siècle qui vient », Regard sur la

francophonie, sous la direction de Marc GONTARD et Maryse BRAY, Presse Universitaire de Rennes, 1996, 323 p.

ABIOLA F. Irele : « Réflexion sur la Négritude », Éthiopiques, Hommage à L.S. Senghor, 2ème semestre 2002 (mai 2002), n°69

Agence Universitaire de la Francophonie, Diversité culturelle et linguistique : quelles normes pour le français ?, Université Saint-Esprit de Kaslik, Colloque, 26 septembre 2001, 148 p.

AIF (Agnece Intergouvementale de la Francophonie) : Quelle Francophonie pour le XXIè Siècle, Karthala, Paris, 1997, 290 p.

AJAH Richard Oko : « Mode de transgression : l'écriture francophone africaine et les tendances de la théorie postcoloniale », Recherche en langue et Littérature

Française, Revue de la Faculté des Lettres, Année 8, n°13, 24 p.

AKINWANDE Pierre : Négritude et francophonie: Paradoxes culturels et politiques, préface de Henri Senghor, éd. L'Harmattan, Paris, 2011, 325 p.

ANNANDALE Éric : « La Francophonie et l'ouverture à l'Autre : Roger Leveillé, romancier, poète, essayiste » Cahier Franco-Canadiens de l'Ouest, Vol 13, n°2, 2001 pp.99-108

ANONYME : Charte de la Francophonie, adoptée par la Conférence ministérielle de la Francophonie, Antananarivo, le 23 novembre 2005

AOULED (Abdillahi), « Francophonie : un mot, une histoire... », La Nation, 1er Quotidien Djibboutien, 19 novembre 2014

APRÈS DEMAIN : Journal Trimestriel de documentation politique, n°480-481-482, Janvier-Février-Mars 2006, 48 p.

ARNAUD Serges, GUILLOU Michel, SALON Albert : Les défis de la francophonie

pour une mondialisation humaniste, Alpharès, Paris, 2005, 260 p.

ASSELIN DE BEAUVILLE Jean-Pierre et al. : « Les identités francophones », Rue Descartes 2009/4 (n° 66), p. 68-85.

ATIBAKWA-BABOYA Edema : « La francophonie de Reclus Senghor : pour un multilinguisme actif et normé », CELIA/LLACAN-CNRS, 15 p

BAADE Annabel : Léopold Sédar Senghor. Entre négritude et francophonie, Dossier/ Travail de Séminaire, Johannes Gutemberg University Mainz-Romanisches seminar, 2013, 16 p.

BARRAT Jacques : Géopolitique de la Francophonie, Puf, Paris, 1997, 192 p.

Géopolitique de la Francophonie. Un nouveau souffle ?, La Documentation française (coll. « les études de la Documentation française »), Paris, 2004, 271 p. (en collaboration avec Maisei Claudia)

BELHABIB Assia : Une poétique de l'interculturel, entre littératures francophones d'ici et d'ailleurs, p.15

BEAUDOIN Louise et PAQUIN Stéphane (dir) : Pourquoi la Francophonie, VLB Éditeur, Canada, 2008, 240 p.

BAUDOT Alain : « Les études francophones, émergence d'une nouvelle discipline », Le

Renouveau des études française, AUPELF, Montréal, 1978, pp. 143-146 BILLAT Astrid A. et BOISSERON Bénédicte M. : « La culture francophone : Le monde à

l'écoute », Focus Publishing, USA, 2016, 325 p.

572

BOUATENIN Adou : La poétique de la Francophonie, EUE, Saarbrücken/Allemagne, 2015, 129 p.

La poésie francophone selon Senghor : une poésie hautement humaine, EUE, Allemagne, 2019, 68 p.

« La poésie francophone : une poésie hautement humaine selon Léopold Sédar Senghor », Legs et littérature, 2018| n°12, pp. 33-50

« Léopold Sédar Senghor et le français africanisé », Revue Roumaine d'Études Francophones, n° 9-10/2017-2018, pp. 58-74

BOUBAKOUR Samira et MEZIANI Amina : « Des rives et des langues : Identités et appartenances chez des auteurs francophones » Synergies Algérie, n° 17 - 2012, pp. 133-143

BOURGES Hervé : « Pour une reconnaissance de la Francophonie), Rapport remis à Monsieur Alain JOVANDET, secrétaire d'État chargé de la coopération et de la Francophonie, juin 2008, 70 p.

BOUTROS-GHALI Boutros : Émanciper la Francophonie, Paris, l'Harmattan, 2002, 292 p. BORZEIX Jean-Marie : Les Carnets d'un francophone, Saint-Pourçain-sur-Sioule, édition Bleu autour, 2006, 120 p.

BROND Serges : La francophonie, Paris, Centre national de documentation pédagogique, 1987, 30 p.

BRÜNE Stefan: Die Frankophonie oder Warum Gott in Afrika Franzosisch spricht, Afrika Jahrbuch, 1995, pp. 51-61

CAITUCOLI Claude : « L'écrivain africain francophone, agent glottopolitique : l'exemple

d'Ahmadou Kourouma », Glottopol, n°3-Janvier 2004, pp. 6-10

CAVAILLE Jean-Pierre : Francophones, l'écriture est polyglotte, 30 mars 2007 CHAUDENSON Robert : « La politique francophone : Y a-t-il un pilote dans l'avion ? »,

Regard sur la francophonie, sous la direction de Marc GONTARD et Maryse

BRAY, Presse Universitaire de Rennes, 1996, 323 p.

CHRISTIANE Albert (dir.) : Francophobie et identité culturelles, Karthala, Paris, 1999, 342 p.

COMBE Dominique : Poétiques francophones, Paris, Hachette, 1997, 175 p.

COULON Virgine : Bibliographie francophone de littérature africaine, Paris, Edicef, 146 p. CROISET Sophie et DELBART Anne-Rosine : « Marginalité, identité et diversité des

`'littératures francophonies» : présentation du dossier », Le langage et

l'Homme, vol XXXXVI, n°1 juin 2011, p. 8

DE SURMONT Jean-Nicolas : « Pour une généalogie de la Francophonie institutionnelle :

Quelques éclaircissements », Lenguas Modernas 35(semestre 2010) 89-117 DENIAU Xavier : La francophonie, Puf, Paris, Coll. « Que sais-je ? », 1983, 128 p. DEPECKER Loïc : Les mots de la Francophonie, Paris, Belin, 1988

DERIVE Jean : « Stratégies identitaires dans les romans francophones », Annales de

l'Université de Savoie, Université de Savoie, 1998, pp.135-154

DI MÉO Nicolas : « Enjeux et diversité de la littérature francophone d'Afrique

subsaharienne », Afrique contemporaine 2012/1 (n° 241), p. 111-113. DIOP Ibrahim : « Senghor entre Francophonie et dialogue interculturelle », Les Nouvelles Séries, n°18 Décembre 2014

DIOUF Abdoul : « La francophonie, une réalité oubliée », Le Monde, 19.03.2007 Mise à jour le 01.07.2012 à 18h53

« Comment la Francophonie construit son avenir ? », Hermès, 40, 2004 « Mon combat pour la Francophonie », La Revue, n°6, Octobre 2010, pp. 96-107, propos recueilli par Dominique Mataillet

La Francophonie en Afrique : quel avenir?, Discours prononcé au colloque

573

organisé à l'Assemblée nationale en partenariat avec l'Institut français des relations internationales (Ifri), Paris, le 24 juin 2010

Mémoires, Paris, Seuil, 2014, 379 p.

Passion francophone : Discours et interventions 2003-2010, Paris, Bruylant,

312 p.

Diversité Culturelle : Rapport du secrétaire général de la Francophonie, 2002-2004

DOTOLI Giovanni : « `'La Francophonie et le respect des cultures préservant leur originalité dans le dialogue», la langue français et la Francophonie à l'aube du troisième millénaire », Frasano : linguistica, 2005, 22 p.

DOSSIER THÉMATIQUE : La francophonie, 35 ans après

DREZET Paul : Les enjeux de la Francophonie : D'une communauté de langue à une communauté de destin, 67 p.

DRUON Maurice : « La francophonie, ce nouveau nom de l'espérance », Éthiopiques, numéro 50-51, Nouvelle série-2ème et 3ème trimestres 1988- volume 5 n°3-4 DUMOND Pierre : La Francophonie par les textes, Paris, Edicef, 1992, 191 p.

FARANDJIS Stélio : Francophonie fraternelle et civilisation universelle, Édition de l'espace Européen, 1991, 285 p.

Philosophie de la Francophonie, L'Harmattan, Paris, 2000

Francophonie et Humanisme, Tougui, Paris, 1989

GARCIA Laure et JULLIARD Claire : « La « literature-monde» en français : un bien commun en danger », Figaro, 14 juillet 2007 (interview accordé à Alain Mabanckou et Daniel Picouly)

GARNIER Xavier : « Les littératures francophones sont-elles mineures, déterritorialisées ou rhizomatiques ? », Frontières de la francophonie, francophonie sans frontières, Paris, L'Harmattan, coll. « Itinéraires et contacts de cultures, vol 30 », 2002 p. 97-102.

GAUVIN Lise : « L'écrivain francophone et ses publics. Vers une nouvelle poétique romanesque », Le Bulletin de l'Académie Royale de langue et littérature françaises Belgique, Tome LXXXVII-N°1-2-3-4-Année 2009 ; pp. 69-89 L'écrivain francophone à la croisée des langues, Karthala, Paris, 1997, 184 p.

GÉRARD Albert : « Francophonie africaine, latinité gauloise : Destins parallèles ?, Revue canadienne de littérature comparée, juin 1984 (exposé présenté au Premier Congrès Mondial des Littératures Francophones qui s'est tenu à Padoue du 22 au 27 avril 1983)

GNALÉGA René : « Senghor et la Francophonie », Éthiopiques, Hommage à L.S. Senghor, 2ème semestre 2002, n°69

GONTARD Marc : « l'espace culturel francophonie à l'épreuve du regard », Regard sur la francophonie, sous la direction de Marc GONTARD et Maryse BRAY, Presse Universitaire de Rennes, 1996, 323 p.

GUILLOU Michel : Francophonie : Demain il sera trop tard

« La Francophonie dans la mondialisation », Les «Dix-huitièmes Entretiens» du Centre Jacques Cartier, Lyon, 5 décembre 2005

Francophonie - Puissance. L'équilibre multipolaire, Paris, Éditions Ellipses, Collection « Mondes réels », 2005, 156 p.

HADDAH Katia : « Désespérante francophonie », Pourquoi la Francophonie ?, sous la direction de Louise Beaudoin et Stéphane Paquin, VLB Éditeur, Canada, 2008, pp. 183-190

HALEN Pierre : « Constructions identitaires et stratégies d'émergence : notes pour une analyse institutionnelle du système littéraire francophone », Études françaises, vol. 37, n°2, 2001, p. 13-31

574

JOLY Hubert : « Une politique mondiale de la langue française », LA REVUE GÉNÉRALE,

Langue française et francophonie, n°11, 134è année, novembre 1995, 138 p. JONES Bridget (dir.) : Francophonie : Mythes, Masques et Réalités, Enjeux politiques et

Culturels, Publisud, 1996

JOUBERT Jean-Louis : « Francophonie », Encyclopedia Universalis, Corpus, 9, pp. 944-945

JUDGE Anne : « La francophonie ; Mythes, Masque et Réalité », La francophonie : Mythes, Masque et Réalité, Enjeux politiques et culturels, sous la direction de JONES Bridget, MIGUET Arnauld, CORCORAN Patrick, Publisud, 1996

JUPPÉ Alain : « Agir pour la Francophonie », Pourquoi la Francophonie ?, sous la direction de Louise Beaudoin et Stéphane Paquin, VLB Éditeur, Canada, 2008, pp. 165-171

KACIMI Mohamed : « Pourquoi il faut enterrer la Francophonie », Slate Afrique, 7/12/2012 KAZADI Ntole : L'Afro-francophone, Didier Erudition « langues et développement », Paris, 1991, 179 p.

KESTELOOT Lilyan : « Négriture et créolité », Francophobie et identité culturelle, Albert CHRISTIANE (dir), Karthala, Paris, 1995, 342 p.

KINDO Aïssata Soumana : « Senghor : De la négritude à la francophonie », Éthiopiques, Hommage à L.S. Senghor, 2ème semestre 2002, n°69

KOM Ambroise : « les fondements identitaires d'une intelligentsia africaine d'après

Amadou Hampâté Bâ », Francophonie et identités culturelles, sous la direction de Christian Albert, Paris, Karthala, 1999,

La malédiction francophone : défis culturels et condition postcoloniale en Afrique, Hamburg [etc.] : Lit/Yaoundé ; 2000, 183 p.

KUBE Sabine : La Francophonie vécue en Côte d'Ivoire, L'Harmattan, Paris, 2005 La Francophonie des solutions, Rapport de la Secrétaire générale de la Francophonie,

Direction de la communication et des instances de la Francophonie, Paris,

2016, 82 p.

LAKHDAR Maougal Mohamed : « Quel devenir pour quelle culture française dans l'Algérie du XXIe siècle ? », Regard sur la francophonie, sous la direction de Marc GONTARD et Maryse BRAY, Presse Universitaire de Rennes, 1996, 323 p.

LAMAISON Didier : « Discours sur l'universalité de la Francophonie : la langue française et le monde moderne », Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité, n°46, décembre 1987. pp. 372-394

LEGENDRE Jacques : « La francophonie vue de la France », La francophonie : Mythes, Masque et Réalité, Enjeux politiques et culturels, sous la direction de JONES Bridget, MIGUET Arnauld, CORCORAN Patrick, Publisud, 1996, pp.45-46

LÉGER Jean-Marc : La francophonie : Grand dessein, grande ambiguïté, Hurtubise, Montréal, 1987, 242 p.

« Une responsabilité commune », Esprit, n°311, 1962

Le MARCHAND Véronique : La francophonie, Les essentiels Milan (Milan), Toulouse, 1999, p.64

L'identité culturelle, Anthropos, Paris, 1991, rééd. Beyrouth, Presse Universitaire Saint Joseph, 2005

MABANCKOU Alain : « La Francophonie, oui, le ghetto, non ! » Le Monde|18.03.2006 à 13h57 Mise à jour le 18.03.2006 à 13h57

MAJZA Béatrice : « La Francophonie, acteur des relations internationales », AFRI, volume VI, 2005, pp. 539-553

MALRAUX André : Discours prononcé à la conférence des pays francophones, Niamey, 14 février 1969 (extrait)

MANSOUR Dramé : Poésie de la négritude, une revendication identitaire,

575

L'Harmattan, coll. Approche Littéraire, Paris, 2012, 108 p.

MAXIMIN Daniel : « L'originelle poésie francopolyphonique , Synergies Monde, n°5-2008 pp. 151-154

MBAYE Alioune : « Des particularités lexicales dans la poésie de Senghor », Sudlangues,

n°1, 2002, CLAD/UCAD, Disponible sur http://www.refer.sn/sudlangue Mémoire Senghor, 50 écrits en hommage aux 100 ans du poète-président, coll. Profils,

Édition UNESCO, 2006, 193 p.

MENDO ZE Gervais : Le français langue africaine : Enjeux et atouts pour la francophonie, Publisud, Paris, 1999, 383 p.

MERCIER Louis : « Le français une langue qui varie selon les contextes », Le français : une langue à apprivoiser, Québec, les Presses Universitaires de Laval, 2002, pp.41-60

MOÏ Anna : Espéranto, désesperanto, la Francophonie sans les Français, Gallimard, Paris, 2006

MONGO Béti : «Afrique francophone : La langue fraçaise survivra-t-elle à Senghor?», Peuples noirs-Peuples africains, 10, 1979, pp.134-144

MONGO Pabé : La Nolica : ma Nouvelle Littérature Camerounaise, Du maquis à la cité, Presse Universitaire de Yaoundé, Yaoundé, 2005, 534 p.

MOUDILENO Lydie : « Littératures africaines francophones des années 1980 et 1990 », Documents de travail, n°2, 2003, 94 p.

MOURA Jean-Marc, Littératures francophones et théorie postcoloniale, PUF, Paris (coll. Écritures francophones), 1999

MUJILA Fiston Mwanza : Écritures romanesques francophones : entre langues, recherches formelles et re-quêtes identitaire

MUSITELLI Jean : « Les valeurs de la Francophonie au service de la diversité culturelle », Revue Internationale et stratégique, Paris, Armand Colin, 2008/3 (n°71), pp.73-78

MUSWASWA Makalo : « La Francophonie : une chance pour l'Afrique ? », Zaïre-Afrique, année 32, n°262 ; 1992, pp. 97-117

N'DAO Papa Alioune : La Francophonie des Pères fondateurs, Karthala, Paris, 2008 N'DIAGA Loum (dir.) : Les deux Senghor : L'homme de lettres et l'homme de pouvoir, Série, Cahier senghor, numéro 2, mai 2011, 55 p.

N'DIAYE Babacar : « Interculturalité et paix : La carte civilisationnelle huntingtonienne Face au modèle senghorienne de la Francophonie », Ethiopiques, n°71, Littérature, philosophie, art et conflits, 2ème semestre 2003

NZIKOU Jean-Michel : Les écrits littéraires francophones africains : Laboratoire de la créativité littéraire

OLIVIERI Claude : «Senghor : Négritude et francophonie», Français dans le monde, janvier 1998, 103-104, pp. 124-136

PARMENTIER Florent : « À quoi sert la Francophonie à l'heure de la mondialisation ? Bilan du sommet de Montreux », Terra Nova-la note

PECRIAUX Bernard : « Le sixième sommet de la Francophonie (Cotonou, décembre 1995), Afrique contemporaine, n°177, 1996, pp.64-69

PHAN Thi Hoai Trang : « Les défis de la diversité culturelle et linguistique en

francophonie », Géoéconomie, 2010/4 (n° 55), p. 57-70.

PHILIP Christian : « Une Francophonie solidaire », Pourquoi la francophonie ?, sous la direction de Louise BEAUDOIN et Stéphane PAQUIN, VLB Éditeur, Canada, 2008, pp. 63-71

PÖLL Bernhard : Francophonies périphériques. Histoire, Statut et profil des principales variétés du français hors de France, Préface de Francis Gardel, L'Harmattan,

576

2011

PORRA Véronique : Pour une littérature-monde en français : les limites d'un discours Utopique, pp.33-54

PREMAT Christophe : « Les avantages de la méconnaissance de la francophonie : le cas de la Suède », Alternative francophonie, vol 1,4 (2011) : 42-51

PROVENZANO François : Vies et mort de la francophonie `' Une politique française de la langue et de la littérature», Les Impressions Nouvelles, 2011, 288 p. « Pour une nouvelle politique des études littéraires francophones », Carnets, Cultures littéraire : nouvelles performances et développement, spécial, automme/hiver 2009, pp.365-378

RABEMANANJARA Jacques : « Francophonie », Internationale Afrikaforum, vol.5, n°5, 1969, pp.425-428

REDOUANE Najib (dir.) : Francophonie littéraire du Sud. Un divers singulier Afrique, Maghreb, Antilles, Paris, L'Harmattan, 2006, 286 p.

ROUXEL Annie : « L'appropriation singulière de la culture littéraire comme fondement d'une identité francophone vivante », Faire vivre les identités : un parcours en francophonie, pp. 52-60, sous la direction de Jean-Pierre Cuq et Patrick Chardenet, Éditions des archives contemporaines, Paris, 2010, 209 p.

ROY Jean-Louis : La francophonie, émergence d'une alliance, Éditions Huitubise, Éditions Hatier, Québec-Paris, 1989, 131 p.

Francophonie et « Concurrences culturelles », Canada, Éditions Hurtubise Inc., 2008

SANAKER John Kristian, HOLTER Karim et SKATTUM Ingse : La Francophonie : une

introduction critique, Unipub forlag et Olso Academic Press, 2006, 277 p. SARKOZY Nicolas : « Pour une francophonie vivante et populaire », Le Figaro, 22 mars

2004, p.14

SAULEA Toader : « Pour une identité de rencontre : Senghor, l'Afro-Européen »,

Identité et multiculturalisme, Revue Roumaine d'Études Francophones, n°.1, 2009, pp.23-37, sous la direction de Marina MURESANU IONESCU, Éditions JUNIMEA Iasi 2009, 228 p.

SECK Mangone : « Léopold Sédar Senghor, Dyali immortel de la Francophonie ou éloge d'une certaine idée de la langue française », Éthiopiques, n°83, 2ème semestre 2009

SIMARD Jean-François et OUEDRAOGO Abdoul Echraf (dir) : Une Francophonie en quête de sens. Retour sur le premier Forum mondial de la Langue français, avec la collaboration de Michel Doucet et Gérard Lemoine, Préface de Michaëlle Jean, Presses de l'Université Laval, Québec, Chaire Senghor de la Francophonie, Université du Québec en Outaouais (UQO), 430 p

SOUBIAS Pierre : « Entre langue de l'autre et langue de soi », Francophobie et identité culturelle, sous la direction d'Albert CHRISTIAN, Karthala, Paris, 1995, 342 p.

SULTAN Patrick : « La Francophonie littéraire à l'épreuve de la théorie » (résumé sur l'oeuvre de Jean-Marc Moura, Littératures francophones et théories

postcoloniales, Paris, PUF, coll. (écritures francophones, 1999)

TAHAR Bekri : « Littérature et francophonie », n° spécial, De l'Écrire de l'école à l'université, CROP de Nice, 1989

« Le poème digne et fraternel », Cultures Sud. Poésie, grandes voix du sud, n° 164, Paris, Janvier-Mars 2007, p. 9

Texte de l'acte de nomination, Börsenblatt für den deutscben Buchhandel-Frankfurter Ausgabe, 79, 1er octobre 1968, p.2603

577

Théâtres africains, (Actes du colloque sur le théâtre africain, École Normale Supérieure, Bamako, 14-18 novembre 1988), « Théâtre, Développements et culture coloniale », (En commission), Éditions Silex, Paris, 1990

TÉTU Michel : Qu'est-ce que la francophonie ?, éd. Hachette Edicef, Vanves, 1997, 317 p. « francophonie et interculturalité ou le regard de l'autre français », Éthiopiques, numéro 50-51, Nouvelle série-2ème et 3ème trimestres 1988-volume 5 n°3-4

TRAISNEL Christophe : Le français en partage, les 50 plus belles histoires, Timée Édition, Paris, novembre 2004, 144 p.

TRÉAN Claire : La Francophonie, idées reçues, le Cavalier Bleu, Paris, 2006, 128 p. TSHISUNGU J. Tshisunguwa : « la conception senghorienne de la francophonie »,

Éthiopiques, numéro 50-51, Nouvelle série-2ème et 3ème trimestres 1988-

volume 5 n°3-4

VALANTIN Christian : Une histoire de la francophonie (1970-2010), de l'agence de coopération culturelle et technique à l'organisation internationale de la Francophonie, Paris, édition Belin, 260 p.

VIGOUROUX Cecile B.: « Francophonie », Review in Advance, The annual Review of Anthropology? 2013.42 :379-97. pp.379-397

VITKAUSKIENÈ Vilhelmina : La Francophonie à la portée de tous : Méthode de francophonie, Vilnius, 2011, 248 p.

VURM Petr : « Anthologie de la littérature francophone », Masarykova univerzita Brna, 2014, 144 p.

WOLTON Dominique : « L'identité francophone dans la mondialisation », Cellule de réflexion stratégique de la Francophonie (CRSF), Décembre 2008 (collaboration avec Cathérine Mandigon et Aurélien Yannic), 94 p. Demain la Francophonie, Flammarion, Paris, 2006, 195 p.

YANNIC Aurélien : Les lettres de Paris adressées par Joseph-Charles Taché à l'Institut Littéraire de Rimouski en 1855

La francophonie et le dialogue des cultures : De l'exception culturelle à la française à la Convention de l'UNESCO

« La Francophonie et alliance des aires culturelles romanes », Pourquoi la Francophonie ?, sous la Direction de Louise BEAUDOIN et Stéphane PAQUIN, VLB Éditeur, Canada, 2008, pp. 155-164

ZEINA El Tibi : La Francophonie et le dialogue des cultures, Édition l'Age d'homme, Paris/Lausanne, 2002, 192 p.

VI- MÉMOIRES ET THÈSES SUR LA LITTÉRATURE

ACHER Fatima : Une lecture psychocritique de « Une vie » de Guy de Maupassant selon la conception de Charles Mauron. Mémoire de Master Académique, Université Kasdi Merbah Ouargla, Faculté des Lettres et des Langues, Département de Lettres et Langue Française, 2016, 42 p. [Sous la direction de ABADI Dalila]

AIZIER Alexandra : La francophonie, entre dialogue des cultures et ambition politique au lendemain du sommet de Beyrouth, Mémoire de fin d'études, section politique et communication, IEP de Lyon, 109 p. [Sous la direction de Caroline BROSSAT]

AKINWANDE Pierre : Du concept de négritude à celui de francophonie, Thèse de doctorat en Lettres, Creteil, Université-Paris Est, école doctorale Lettres, Sciences Humaines, sociales, 2009 [Sous la direction de Papa Samba Diop]

ASSA Syntyche Assa : Migrations et quête de l'identité chez quatre romancières

578

francophones : Malika MOKEDDEM, Fawzia ZOUARI, Gisèle PINEAU et Maryse CONDE, Thèse, Montpellier, Université Paul Valery - Montpellier III, 2014, 415 p. [Sous la direction du Professeur Guy DUGAS]

BLI Bi Trazié Serge : Francophonie et diversité : Autour des constructions verbales en Côte d'Ivoire à travers l'exemple de productions écrites et orales d'étudiants de l'Université Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan, Thèse de Doctorat, l'Université Paris Ouest Nanterre-La Défense, École doctorale CLM, 2014, 349 p. [Sous la direction de M. Jean-François JEANDILLOU],

BOUATENIN Adou V. D. Placide : La poétique de la Francophonie dans deux poèmes de Senghor : « Que m'accompagnent Koras et Balafong » et « Chaka », Mémoire de Master 2, Abidjan/Côte d'Ivoire, Université Félix Houphouët Boigny, UFR Langues, Littératures et Civilisations, 2013-2014, 120 p. [Sous la direction de N'Guettia Kouadio Martin]

BOUGDAL Lahsen : Le protocole poétique de l'écriture à l'oeuvre dans les textes de Abdelkébir Khatibi : La mémoire tatouée, Le livre du sang et Amour bilingue, Thèse de doctorat nouveau régime, Paris (France), Université Paris-Nord, U.F.R. des Lettres, 1998, 372 p. [Sous la direction de Claude FILTEAU]

CHATELET Lauralie : « La négation comme moteur de l'écriture chez Cioran », Mémoire de Recherche Master 2, Université Stendhal, UFR de Lettres et Arts, Département de Lettres Modernes, [Sous la direction de Bertrand VIBERT]

DIAWARA Abdoulaye : Le thème de l'unité dans l'oeuvre poétique de L. S. Senghor, Mémoire de Maîtrise, Côte d'Ivoire, Université de Côte d'Ivoire, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Département de Lettres Modernes, Juin 1981 [Sous la direction de Bernard Zadi ZAOUROU]

DIOB Thérèse Djilane : L'expression de l'amour dans « Chant d'ombre » de Léopold Sédar Senghor, Mémoire de Maîtrise, Sénégal, Université Gaston Berger de Saint-Louis, UFR Lettres et Sciences Humaines, 2005/2006, 106 p. [sous la direction du Professeur Mwamba Cabakulu]

DIONGUE Mariétou : La Francophonie et les langues africaines : le cas du Sénégal, Mémoire, Villeurbanne, École-nationale supérieure de bibliothécaires, 1980, 57-VIII p. [sous la direction de Jean Roger Fontvieille]

FELLAH Samir : Identité francophone ? Une littérature entre Transculturalité et Interculturalité dans les romans de Ali BECHEUR, Réjean DUCHARME et Jacques POULIN, Thèse de doctorat, Université PARIS VIII - Vincennes - Saint Denis, Département de Littérature Française et Francophone, 10 Mai 2016, 385 p. [Sous la direction de Zineb ALI-BENALI]

FERROUDJA Allouache : Littératures francophones et Institution scolaire, Master 2, Paris (France), Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis, Département de Littérature Française, Juin 2010, 117 p. [Sous la direction de Zineb

Ali-benali et Nicole Blondeau]

GNOLE Gnoko Maruis : Le rythme et son fonctionnement dans Fer de lance (Livre III) de Bernard Zadi Zaourou, Mémoire de Maîtrise, Cocody-Abidjan, Université de Cocody (Côte d'Ivoire) UFR LLC, Lettres Modernes, 2010, p.74 [sous la direction de Kobenan N'guettia Kouadio]

KAMALAN Adja Bintou Bakayoko : Les africanismes dans la littérature d'Afrique noire francophone : d'un concept colonial a une esthétique littéraire, Thèse de doctorat, Suisse, Faculté des Lettres de l'Université de Lausanne, Mai 2014 389 p. [sous la direction du Dr. Christine Le Quellec Cottier]

KÉÏTA Mohamed : Approche psychocritique de l'oeuvre romanesque de Tierno

Monénembo, Thèse de doctorat, Paris (France), Université Paris-Est Créteil

579

Val de Marne, U.F.R de Lettres et des Sciences Humaines, 27 juin 2011 ; 337 p. [Sous la direction de Papa Samba Diop]

KOUADIO Jean Bernard : Poétisation de la révolution dans Aurore d'Afrique à Sanoudja de Toh Bi, Mémoire de Master 2, Abidjan/Côte d'Ivoire, Université Félix Houphouët Boigny, UFR Langues, Littératures et Civilisations, 2013-2014, 86 p. [Sous la direction de N'Guettia Kouadio Martin]

LOUMBANGOYE Ornella Pacelly Ndombi : Écriture du corps et mythe personnel de

l'écrivain : Approche psychocritique de Place des fêtes, Hermina et la fête des masques de Sami Tchak, Thèse de doctorat, Littératures. Université de Limoges, École doctorale Lettres, Pensée, Art et Histoire (LPAH), Laboratoire FRED, 2016, 318 p [Sous la direction de Dominique GAY-SYLVESTRE]

LOUVIOT Myriam : Poétique de l'hybridité dans les littératures postcoloniales, Thèse de doctorat, Strasbourg, Université de Strasbourg, UFR de Lettres Modernes, Littérature comparée, 17 septembre 2010, 948 p. [Sous la direction de François-Xavier Cuche]

MATSALA Yangota Emery Arnold : La Phénoménologie de la Phantasia dans la poésie

senghorienne. Thèse de doctorat, Montpellier, Université Paul Valéry-Montpellier III, Langues, Littératures, Cultures, Civilisations, Littératures françaises comparées, 2 décembre 2015, 334 p. [Sous la direction de Jean-François Durand]

MAYER Amaëlle : Identité littéraire et culturelle : L'interculturalité en littérature dans L'Âge blessé et Le Jour du séisme de Nina Bouraoui, Mémoire de Maitrise de Lettres Modernes, Lyon, Université Lumière Lyon II, 1999-2000, 138 p. [Sous la direction de Monsieur Charles BONN]

MOUSSAVOU Emeric : La quête de l'identité dans le roman francophone postcolonial :

approche comparée des littératures africaine, insulaire, maghrébine et caribéenne. Le cas de Verre cassé d'Alain Mabanckou, Soupir d'Ananda Dévi, L'Autre qui danse de Suzanne Dracius et La nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun, Thèse, Limoge, Université de Limoges, École doctorale EDT 2015, 322 p. [Sous la direction du Professeur Michel BENIAMINO]

MOZAFARIAN Leïla Fotouh : Les réseaux d'associations et le mythe personnel dans les poèmes de Paul Valéry, Mémoire de Maîtrise, Université de Mashhad,

Faculté des Langues Étrangères, février 1995, [sous la direction de Partovi] N'GORAN David Koffi : Littérature et « champ symbolique », Essai pour une théorie de

l'écriture actuelle en Afrique francophone, Thèse de doctorat de 3ème cycle, Cergy-Pontoise (France), Université Cergy-Pontoise, et Abidjan, Université de Cocody, UFR des Lettres et Sciences humaines, 20 avril 2005, 535 p. [sous La codirection des Professeurs Barthélémy KOTCHI et de Bernard MOURALIS]

OPALUWAH Atâyi Ezéchiel : La Glorification de la culture africaine dans la poésie de Léopold Sédar Senghor (Une étude thématique de Chants d'ombre), Mémoire de Licence, Nigeria, University of Jos, Département de langue et linguistique, 2004 [sous la direction Assoc. Prof. Ambrose UMEH]

PHAN Thia Hoai Trang : La Francophonie au Vietnam, du fait colonial à la mondialisation : un enjeu identitaire, Thèse de doctorat, Lyon (France), Université Lyon 3,

Sciences politiques, 2005, [sous la direction de Jean-Paul Joubert]

SAURA Claudia Prieto : Surréalisme et Négritude : De Breton à Senghor et Lorca, Mémoire de Master Hispano -français en Langue Française Appliquée, Session :juin / juillet 2016, Paris Sorborne (Paris IV)/ Universidad complutense Madrid, 76 p. [sous la direction de Lourdes Carriedo López]

580

SINGARE Issiaka Ahmadou : L'oeuvre poétique de Léopold Sédar Senghor : Esthétique de réception, procès de création, Thèse de doctorat, Université de Gergy-Pontoise, école doctorale de Droit et Sciences Humaines, 15 décembre 2012, 764 p. [sous la direction du Pr. Daniel Delas]

THOMAS Cecile : L'éducation en Afrique Francophone : De l'héritage colonial à l'autonomie intellectuelle : vers un partenariat équitable avec la France, Mémoire de recherche, Institut d'Études Politiques de Toulouse, 2007/2008 [sous la direction de Danielle Cabanis]

TROH-GUEYES Léontine : Approche psychocritique de l'oeuvre littéraire d'Henri Lopès, Thèse de doctorat, option littérature comparée, Universités Paris XII Val-de-Marne et Cocody Abidjan, UFR de Lettres et Sciences Humaines, Centre d'Étude Francophone, 2004-2005, 379 p. [sous la codirection des Professeurs Papa S. DIOP et de LEZOU D. Gérard]

YANSANE Abdoulaye : La problématique de l'engagement politique de Léopold Sédar Senghor dans " Chants d'ombre" (1945) et " Hosties noires" (1948) : critique d'une certaine critique contemporaine, PhD diss, University of Tennessee, 2013, Disponible sur http://trace.tennessee.ed/utk_graddiss/1799 (244 p.)

ZIMBRIS Sandrine : La poésie et l'intimité ou L'identité et l'être au monde, Thèse de doctorat de 3ème cycle, Limoges (France), Université de Limoges, Faculté des Lettres et Sciences Humaines, 13/12/2010, 505 p. [sous la direction du Professeur Michel BENIAMINO]

ZRA DELI Bernard : L'impérialisme culturelle occidentale et devenir de la culture africaine: Défis et perspectives, Mémoire de fin de cycle de Philosophie, Licence, Grand Séminaire Saint Augustin de Maroua, Cameroun, 2004-2005

ZRAN Diwe Pulchérie Élodie : La problématique de l'identité culturelle dans Monnè, Outrages et Défis d'Ahmadou Kourouma, Mémoire de Maîtrise, Abidjan, Université de Cocody, UFR de Langues, Littératures et Civilisations, Département de Lettres Modernes, 2000-2001, 121 p. [sous la direction de BÉDÉ Damien]

VII- AUTRES OEUVRES ET ARTICLES CONSULTÉS

ABOA Alain Laurent Abia : « Langue française et identité culturelle ivoirienne », Éthiopiques, n°93, 2ème Semestre, 2014

ABOSSOLO Pierre Martial : « la rencontre de l'occidental et de l'africain dans le roman d'Afrique francophone. Conflit d'étrangers et conflit d'étrangetés », Inter-francophonies, n° 3, figures de l'étranger dans les littératures francophones

ACATRINEI Mihaela-Alexandra : « Le discours onirique chez Anne Hébert comme quête identitaire », Dire / Écrire / Enseigner La / Les francophonie(s), Revue Roumaine d'Études Francophones n°. 5, 2013, pp. 15-24, sous la direction de Marina MURESANU IONESCU, Éditions JUNIMEA Iasi 2013, 226 p

ADAMOU Kouakou D. David : « Territorialisation de déterriorisation chez Édouard Glissant : vers un autre lieu ou la quête de la liberté », Revue CRELIS, p.77

ADIAFFI Jean Marie : La carte d'identité, CEDA, Abidjan, 1980

ADOM Marie Clémence : « le syndrome d'ANDRE LECLERC dans la poésie ivoirienne : de la quête identitaire dans la nouvelle poésie en Côte d'Ivoire », EN-QUÊTE, N°7, PUCI, Abidjan, 2000, pp. 47-56 (138 p.)

ADOTEVI Stanislas : Négritude et négrologues, Paris, Union générale d'édition, 1972, collection 10/18, 320 p.

581

AMADO Jorge : « Nous, peuple de métis... », Unesco, Le Courrier, Août-septembre 1977, pp. 18-20.

AMOUZOU Essé : L'impact de la culture occidentale sur les cultures africaines, Paris, L'Harmattan, 2009, 190 p.

ARENDT Hannah : La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1972, 384 p. (traduit de l'anglais sous la direction de Patrick Lévy)

ARRIGHI Laurence et BOUDREAU Annette : « La construction discursive de l'identité francophone en Acadie ou comment être francophone à partir des marges ? », Minorités linguistiques et société 3 (2013) : 80-92.

AUDINET Jacques : Le temps du métissage, Les Éditions de l'Atelier/Les Éditions Ouvrières, Paris, 1999, 156 p.

AUTREPART : Afrique : les identités contre la démocratie ?, Cahiers des sciences

humaines, Nouvelle série, numéro 10, France, Éditions de l'Aube, IRD, 1999, 200 p.

AVENNE Cécile Van Den : « Petit-nègre et bambara. La langue de l'indigène dans quelques oeuvres d'écrivains coloniaux en Afrique occidentale française », Queffélec, C., Perrot, D. Mots étrangers dans le roman : de Proust à W.G. Sebald, P.U.L, 2007, pp.77-95

AVIRAM Amittai F : « Le rythme, pratique du ravissement ; la poésie, pontifex », Études littéraires 291 (1996): 83-93

AZZAM Amin : « Stratégies identitaires et stratégies d'acculturation : deux modèles complémentaires », Alterstice, 2 (2), 2012, pp. 103-116.

BÂ Amadou Hampaté : Aspect de la civilisation africaine, Paris, Édition Présence Africaine, 1972, 142 p.

BADIAN Seydou : Sous l'orage, suivi de la mort de Chaka, Paris, Présence Africaine, 1976 BARBARA Augustin : « Le mariage avec l'autre », Nouvelle Revue d'ethnopsychiatrie, Métissages, n° 17, La Pensée Sauvage, Grenoble, 1991, 280 p.

BARBE Nadia : « Échos du métissage », Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, Métissages, Métissages, n° 17, La Pensée Sauvage, Grenoble, 1991, 280 p. BARTOLI-ANGLARD Véronique : Le surréalisme, Paris, Nathan, 1989, 159 p.

BASTO Maria-Benedita : « Une poétique africaine est-elle nécessaire ? », Cahier d'étude africaines, 2006/1 n°181, pp. 179-198

BAUDELAIRE Charles, Les fleurs du mal, Paris, Librairie Générale Française, Paris, 1972, 402 p.

BAUDOUY M. A. et MOUSSAY R. : Civilisation contemporaine, Paris, Hatier, 1976, 352 p. (Textes choisis, classés et présentés)

BAUGNET Lucy : L'identité sociale, Paris, Dunod, 1998, 128 p.

BECK Philippe : « L'époque de la poésie », Littérature, n°120, 2000. Poésie et philosophie. pp. 33-44

BELPASSI Paolo : « Le conte africain : l'univers de l'oralité dans le système d'enseignement », Revue internationale de l'éducation, Institut de l'UNESCO pour l'éducation, volume 40, n°3-5, Hambourg, 1994

BENIAMINO Michel et GAUVIN Lise (dir.) : Vocabulaire des études francophones. Les concepts de base, Limoges, PULIM, coll. « Francophonie », 2005

BENOIT Claude : « Quand `'je est un autre». À propos d'une belle matinée de Marguerite Yourcenar », RELIEF 2 (2), 2008, pp.145-160

BENOT Yves : Massacres coloniaux, Paris, La Découverte, 1994, 199 p.

BERNABÉ Jean : « De la négritude à la créolité : éléments pour une approche comparée », Études françaises, 282-3 (1992) : 23-38.

BERND Zila : « La quête d'identité : une aventure ambiguë », Voix et Images 121 (1986) :

582

21-26.

BERRY John W. : « Immigration, acculturation, and adaptation », Applied Psychology : An International Review, 46 (1), 1997, pp 5-34

BERRY John W., KIM Uichol, al. : « Acculturation attitudes in plural societies », Applied

Psychology : An International Review, 32 (2), 1989, pp 185-206

BERTRAND Jean-Pierre : « `'La poésie ne s'enseigne pas `' : pistes méthodologiques contre une idée reçue », Études françaises 413 (2005): 31-39.

BIDAR Abdennour : Histoire de l'humanisme en Occident, Paris, Armand Colin, 2014, 288p. BOKAVA Irina : « Repenser l'humanisme au 21ème siècle », International Review of Education, volume 60, issue 3, 2014, pp.307-310

BONIFACE Pascal : Lexique des relations internationales, Paris, édition Marketing, 1995 BONHOMME Julien : « Les morts ne sont pas morts », Postface, Paru in M. Cros & J.

Bonhomme (éds.), Déjouer la mort en Afrique. Or, orphelins, fantômes,

trophées et fétiches, Paris, L'Harmattan, 2008, pp.159-168.

BOUATENIN Adou : « La Négritude dervainienne : L'écriture de la négation de soi et

L'écriture de l'autre », Romanica Olomucensia 29/2 (2017) :177-186 BOURGES Hervé : Pardon my French : la langue française, un enjeu du XXIe siècle,

Karthala, Paris, 2014, 278 p.

BOURG-BROC Bruno : « Journal officiel », Assemblée Nationale Française, 3e séance, 3 mai 1994, 1378 p.

CALAYA Gabriel : De `' Cantos iberos», Turner, Madrid, 1976, 96 p.

CAMBON Fernand : « Poésie et silence », Littérature, n°64, 1986. Propositions critiques pour Jean Levaillant. pp. 116-128

CÉCILIA Allard et DE BALSI Sara (dir.) : Le choix d'écrire en français, Encrage,

collection Agora, 2016, 122 p.

CÉSAIRE Aimé : Cahier d'un retour au pays natal, Présence Africaine, Paris, 1971, 155 p. Discours sur le colonialisme, Présence Africaine, Paris, 2004

Les armes miraculeuses, Gallimard, Paris, 1946, 161 p.

CHALUMEAU Jean-Luc : Introduction aux idées contemporaines, Édition Fernand Nathan, Paris, 1969, 192 p.

CHAMOISEAU Patrick, CONFIANT Raphaël et BERNABÉ Jean : Éloge de la créolité, Paris, Gallimard, 1993, 127 p.

CHAMPION Jacques : Les langues africaines et la francophonie : essai d'une pédagogie du français en Afrique noir, une analyse typologique de fautes », La Haye, Monton, 1974, 344 p.

CHAUMIER Serge : « L'identité, un concept embarrassant, constitutif de l'idée de musée », Culture & Musées, n°6, 2005. pp. 21-42

CHEVRIER Jacques : « Quarante ans de littérature africaine de William-Ponty à Barbès », Notre librairie, n°150, avril-juin 2015, pp. 10-15 (160 p.)

CIPRUT Marie-Andrée : « De l'entre-deux À l'interculturalité : Richesses et embûches de la migration », ITINÉRAIRES, Notes et Travaux n° 60, 81 p. [avec la collaboration de Antoinette LIECHTI, Alfredo CAMELO, Maryelle BUDRY]

CISSÉ Mamadou : « Langue, État et société au Sénégal », Sudlangues, n°5, 2005, pp. 99-133 : « De l'assimilation à l'appropriation : essai de glottopolitique senghorienne », Sudlangues, n°7, pp. 130-142

CLAIRET-BOUCHER Hélène : « Regards croisés sur le métissage. Par Laurier Turgeon, dir. (Québec, Les Presses de l'université Laval, Collection Intercultures, 2002. 233p., ISBN 2-7637-7862-3). » Ethnologies 262 (2004): 306-314.

CLAUDEL Paul : Cinq grandes odes, Paris, NRF/Gallimard, 1948, 184 p.

CONDEI Cecili : Métissage culturel : Interculturels et effets de la mondialisation chez les

583

écrivains francophones, Vol. 1, Craiova, Editura Universitaria, 2009, 210 p

CONSTAN Isabelle : « Littérature-monde : paradoxes et ambiguïtés », Les littératures francophones : pour une littérature-monde ?, 7, 2011, 69-82

COQUERY-VIDROVITCH Catherine : La découverte de l'Afrique, Paris, L'Harmattan, 2003, 252 p.

CORNEVIN Marianne : Histoire de l'afrique contemporaine, Paris, Petite Bibliothèque-Payot, 1978, 447 p.

COULIBALY Fétigué : « La négrification du français dans les nouvelles dramaturges négro-africaines : l'exemple de la Tignasse », Synergies, Royaume-Uni et Irlande, n°6, 2013, pp. 113-124

COURSIL Jacques : « La catégorie de la relation dans les essais d'Édouard Glissant. Philosophie d'une poétique », Poétique, pp. 85-112

COUTURIER Fernand : « Poésie et pensée », Études littéraires 93(1976): 579-594.

CROUZET François et FEBVRE Lucien : Nous sommes des sang-mêlés : Manuel d'histoire de civilisation français, Albin Michel, Paris, 2012, 400 p.

DALLAIRE Christine et ROMA Josianne : « Entre la langue et la culture, l'identité francophone des jeunes en milieu minoritaire au Canada. Bilan des recherches », Dans R. Allard (dir.) Actes du colloque pancanadien sur la recherche en éducation en milieu francophone minoritaire : Bilan et prospectives. Moncton, NB : Association canadienne d'éducation de langue française (ACELF) et Centre de recherche et de développement en éducation (CRDE), Université de Moncton, 2003, pp. 30-46.

DAMAS Léon-Gontran : Pigments - Névralgies, Paris, Présence Africaine, 1972, 2003 et 2005, 162 p.

DE ALMEIDA Jose Domingue : De la belgitude à la belgité : un débat qui fit date, Bruxelles, P. I. E Peter Lang, 2013, 122 p.

DEBRÉ Michel : Mémoires, Volume III (1958-1962), Albin Michel, Paris, 1988, 318 p. DE CASSAGNAC M. Adolphe : Histoire des origines de la langue française, F. Didot, Paris, 1872, 554 p.

DECAUX Alain : « Un nouvel enjeu pour le monde », Revue des Deux Mondes, novembre 1991, pp. 169-187

DEPESTRE René : Le métier à métisser, Stock, Paris, 1998, 259 p.

DESCARTES René : Le discours de la méthode, Garnier-Flammarion, Paris, 1637, 2000 p. DI Méo Guy : « L'identité : une médiation essentielle du rapport espace / société », Géocarrefour, vol. 77, n°2, 2002. pp. 175-184

DIAKITÉ Samba : Philosophie et contestation en Afrique : Quand la différence devient un différend, Bouaké, Éditions IRDA, 2014, 534 p.

DIARRA Pierre : « Les religions des ancêtres en Afrique. Orientations anthropologiques et réflexions théologiques », Documents-Épiscopat, n° 11 (2013), p. 18. DIOP Birago : Leurres et Lueurs, Paris, Présence Africaine, 1967, 88 p.

DIOUF Abdoul : Patchwork : des fragments de vie, Paris, Publibook, 2010, 358 p. DIOUF Bara : Le soleil, 14-17 juin 2001, p. 24

DOMINICY Marc : « Y a-t-il une rhétorique de la poésie ? », Langue française, n°79, 1988, Rhétorique et littérature. pp. 51-63

DUMOND Pierre : L'Afrique noire peut-elle encore parler français ?, Harmattan, Paris, 1986

Le français et les langues africaines au Sénégal, Karthala et ACCT, Paris, 1983

DUPONCHEL L. : « Le français en Côte d'Ivoire au Dahomey et au Togo », ILA, Abidjan, multigr., 1974, 62 p.

584

DUVENOIS Louis : Rapport d'information fait au nom de la commission des Affaires culturelles sur la `' stratégie d'action culturelle de la France à l'étranger», n°91, Senat, session ordinaire 2004-2005, annexe au procès-verbal de la séance du 1re décembre 2004

EDWARDS Michael : « Poésie et vérité », XVII-XVIII. Revue de la société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles. N°68, 2011. Vérité(s) Colloque tenu en Sorbonne - 21-22 janvier 2011. pp. 173-185

ELIAS Norbert : La dynamique de l'Occident, Paris, Calmann-Lévy, 1975, 328p. ELIZONDO Virgilio : L'avenir est au métissage, Mame-Éditions Universitaires, Paris, 1987,

175 p (Préface de Léopold Sédar Senghor, traduit par Joseph Pierron). ENCAISSE Helène Carrère d' : « Le français dans tous ses états », Défense de la langue

française, n°218, 4e trimestre 2005

FANON Frantz : Peau noire, masque blanc, Paris, Seuil, 1952, 240 p

FERRÉ Léo : « À l'école de la poésie », Poète...vos papiers, 1956 (Préface, oeuvre musicale) FERREIRA Júlia : « Intimisme et psychocritique : une étude de l'oeuvre Moderato

Cantabile de Marguerite Duras », Synergies Brésil, n° spécial 1, 2010,

pp. 125-131

FONKOUA Romuald : « Pour une histoire littéraire de la francophonie », Le Magazine littéraire, n°451, mars 2006, pp.30-33

FONTAINE José : La frite et la francité, in Le Monde, 22 juillet 1980, p.2, (republié dans La Revue Toudi, 6 mars 2011).

FOALU Liliana : « Quête identitaire / ouverture culturelle dans la francophonie

contemporaine : Patrick Chamoiseau », Identité et multiculturalisme, Revue Roumaine d'Études Francophones, n°.1, 2009, pp.47-57, sous la direction de Marina MURESANU IONESCU, Éditions JUNIMEA Iasi 2009, 228 p FOUILLÉE Alfred : La morale, l'art et la religion d'après Guyau, Paris, F. Alcan, 1901, 249 p.

Fraternité Matin, hors-série, n°6, août 2010

14-15 septembre 1977

FRIEDRICH Paul : « Mythes, poésie et musique (dans les grands mythes-poèmes) », Anthropologie et Sociétés 292 (2005): 95-118.

GAGNON Isabelle : « Québécité et écriture migrante : Le pavillon des miroirs de Sergio

Kobis », Communication, Lettres et Sciences du langue, Vol.1, n°1-Avril 2007, pp. 15-26

GASSAMA Makhily : Kuma : Interrogation sur la littérature nègre de langue française, NEA, Dakar, 1978

La langue d'Ahmadou Kourouma ou le français sous le soleil d'Afrique, Karthala, Paris, 1995

: « Des sources négro-africaines de la poésie africaine de langue française », Éthiopiques, numéro 26, avril 1981

GAUVIN Lise : « Situations des littératures francophones : à propos de quelques

dénominations », La Francophonie aujourd'hui, L'Harmattan, Paris, 2008, 200 p.

GBAGBO Laurent : Réflexion sur la conférence de Brazzaville, Édition CLE/NENA, Sénégal, 2015,139 p. (réédition) ; Édition CLE, 1978, 79 p.

GBAGBO Michel : Réintégration sociale des personnes ayant souffert de maladie mentale à Abidjan, Considérations théoriques, Tome I, NEI/CEDA, Abidjan, 2009, 200 p.

GERQUIGLINI Bernard : « Une langue en partage », Le Magazine Littéraire, n°451, mars 2006

585

et al. (dir.), Le français dans tous ses états, Flammarion, Paris, 2000, p. 86.

GLATIGNY Sandra : « Le mythe comme forme du poétique persien », Questions de style,

n° 4, 2007, pp. 13-27

GLISSANT Édouard : Le discours antillais, Paris, Seuil, 1981, 503 p.

GNALÉGA René : Vocabulaire de la poésie francophone, NEI-CEDA, Abidjan, 2014, 160 p

Regard kaléidoscopique sur la poésie ivoirienne écrite, Paris/Abidjan,

Doxa/PUMCI, 2018, 168 p.

GOUSSEAU Marie-Claire : Qu'est-ce que la culture ?, Publisher, Paris, 1969, 102 p.

GRASSET Bernard : « Poésie, philosophie et mystique », Laval théologique et philosophique

613 (2005): 553-581

GRÉGOIRE Antoine : « La poésie future », Revue belge de philologie et d'histoire, tome 5,

fasc. 1, 1926. pp. 15-36

GRENOUILLEAU Olivier : Quand les Européens découvraient l'Afrique intérieure, Paris,

Tallandier, 352 p.

GRUZINSKI Serge : La pensée métisse, Fayard, Paris, 1999, 345 p.

GUARNACCIA Peter J. et HAUSMANN-STABILE Carolina, « Acculturation and Its

discontents: A Case for Bringing Anthropology Back into the Conversation »,

Sociol Anthropol (Alhambra). 2016 February ; 4(2): 114-124.

GUÉGUINOU Jean : « Diversité culturelle et dialogue des cultures », Repères, n° 57,

Janvier 2004

GUILBERT Louis : la créativité lexicale, Larousse, Paris, 1975, 287 p.

GUYAU Jean-Marie : L'art au point de vue sociologique, Paris, Alcan, 1889, 387 p.

(Réédition, Paris, Presses Électronique de France, 2013, 480 p.)

HAGÈGE Claude : Halte à la mort des langues, édition Odile Jacob, collection

« poche », Paris, 2002, 384 p.

HAÏDARA Mamadou Lamine : « Introduction des langues nationales dans l'enseignement :

attitude des maîtres de Bamako », Nordic Journal of African studie 9 (3) :

49-65 (2000)

HAYMAN d'Arcy : « L'art dans la vie de l'homme », L'art dans la vie de l'homme, la science

dans la vie de l'homme, Unesco, Le Courrier, XIVe Année, numéro 7-8,

Juillet-Aout 1961, pp. 6-23

HELLER-GOLDENBERG Lucette : « La littérature francophone au Maroc. L'acculturation ».

In: Cahiers de la Méditerranée, n°38, 1, 1989. Le Maroc, culture d'hier et

d'aujourd'hui, pp. 59-68

HUGO Victor : Préface de Cromwell, Larousse, Paris, 2009, 173 p.

HUNTINGTON Samuel : Le choc des civilisations, O. Jacob, Paris, 1997, 545 p.

JATOE-KALEO Baba Abraham : « La différence conceptuelle entre la négritude, l'antillanité

et la créolité », European Scientific Journal, vol.9, n°.5, February 2013,

pp. 244-257

JELLOUN Tahar Ben : « Chaque visage est un miracle », Mots et Merveilles, 3è Éditions

Magnard, 1984, 367 p

JOUBERT Jean-Louis : Les voleurs de langue. Traversée de la Francophonie littéraire,

Éditions Philippe Rey, Paris, 2006, 190 p.

Journal officiel de l'Assemblée Nationale française, 1ère séance du 4 mai 1994, p. 1446

3e séance du 3 mai 1994, p. 1578

KANE Cheikh Hamidou : L'aventure ambiguë, Julliard, coll.10/18, Paris, 1961, 160 p. KANE Mohamadou : « Le thème de l'identité culturelle et ses variations dans le roman

africain », Éthiopiques, n°42, 3ème trimestre, 1985, Volume III, n°3 KESTELOOT Lilyan : Anthologie négro-africaine, Verviers : Gerard et Cie, coll.

« Marabout », 1967

586

KHROUZ Driss : « La diversité culturelle est un dialogue», Revue internationale et Stratégique, 2008/3 (n° 71), p. 69-72

KISUDIKI Nadia Yala : « Négritude et philosophie », Rue Descartes 2014/4 (n° 83), p. 1-10.

KIYLIOÐLU Levent, WIMMER Heinz : « The Relationship between Immigration, Acculturation and Psychological Well-being : The Case of Turkish Youth in Austria », Nesne, 3 (5), 2015, pp.1-19.

KONÉ Amadou : Les frasques d'Ébinto, CEDA/HATIER, 1980

KOUROUMA Ahmadou : Les Soleils des Indépendances, Seuil, Paris, 1970, 124 p. Yacouba chasseur africain, Paris, Gallimard, 1998, 112 p.

La Bible TOB, Alliance Biblique Universelle-CERF, 1824 p.

La Bible de Jérusalem, Les Éditions du Cerf, 2001, 1920 p.

La diversité culturelle, Rapport du Secrétaire général de la Francophonie, 2002-2004 LAPLANTINE François et NOUSS Alexis : Le métissage, coll. Dominos, Flammarion, Paris, 1997, 127 p.

LATIN Danièle : Corpus littéraire et corpus linguistique : une solidarité nécessaire à la description de l'«africanité » du français, Synergies Afrique Centrale et de l'Ouest, n°2 - 2007 pp. 41-52

LE BRIS Michel et ROUAUD Jean (sous la dir. de) : Pour une littérature-monde, Gallimard, Paris, 2007, 342 p.

Je est un autre. Pour une identité-monde, Gallimard, Paris, 2010, 224 p. LECLERC Gérard : La mondialisation culturelle, Presses universitaires de France, Paris, 1999, 496 p.

LEGRAND Georges : « Qu'est-ce que la poésie ? », Revue néo-scolastique de philosophie, 30? année, Deuxième série, n°18, 1928. pp. 228-240

LEGROS Robert, L'idée d'humanisme. Introduction à la phénoménologie, Paris, Grasset, 1990, 278p.

LIECHTI Antionette : « Aujourd'hui, on naît tous métis », ITINÉRAIRES, Notes et Travaux n° 60, pp.11-16

LIMBRICK Élaine : « L'oeil du poète : vision et perspective dans la poésie française de Renaissance », Études littéraires 202 (1987): 13-26.

LEMESLE Raymond-Marin : « La Conférence de Brazzaville de 1944 contexte et repères : cinquantenaire des prémices de la décolonisation », Centre Des Hautes Études sur l'Afrique et l'Asie Moderne, 1994, 132 p.

Le Monde, « Ce petit peuple de super-Français dont la température est plus proche de celle de Paris ou de Marseille que de celle de Lyon ou de Lille... », 10 mai 1945 « Senghor le père fondateur », Supplément spécial, 27 avril 2006

LIPIANKSY Edmond-Marc : «Identité subjective et interaction». C. Camilleri, J. Kastersztein, E.M. Lipianklsy, H. Malewska-Peyre, 1. Taboada-Leonetti et A. Vasquez (Sous la dir. de). Stratégies identitaires. Paris, PUF, 1990, pp. 173-211.

Identité et Communication, Paris, PUF, 1992, 262 p.

MAALOUF Amin : Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, 210 p. MAKOUTA-MBOUKOU Jean-Pierre : Le français en Afrique noire. Histoire et méthodes

de l'enseignement du français en Afrique, Paris, Bordas, 1973, 240 p. MALEVAL Jean-Claude : Logique du délire, Presses Universitaire de Renne, 2011 MANIRAMBONA Fulgence : « De l'identité `'rhizome» comme perspective de la

mondialisation de la littérature africaine diasporique », Synergies Afrique des

Grands Lacs, n° 6 - 2017 p. 27-39

MARCOTTE Gilles : « Professeur de poésie ? », Études françaises 413(2005): 21-30.

587

MARITAIN Jacques : L'humanisme intégral, Paris, Fernand Aubier, 1936, 334 p.

MATTELART Armand : Diversité culturelle et mondialisation, Éd. La Découverte, Paris, 2005, 128 p.

MAUNICK J. Édouard : Poèmes, Dakar, NEA, 2001, 332 p.

MAURER Bruno et DUMONT Pierre : Sociolinguistique du français en Afrique, Vanver, EDICEF, 1995, 224 p.

MBEMBE Achile : Critique de la raison nègre, Paris, La découverte, 2003, 267 p. MBOLI Jean-Claude : Origine des langues africaines : essai d'application de la méthode

comparative aux langues africaines anciennes et modernes, Paris,

L'Harmattan, 2011, 628 p.

MÉNIL Alain : « La créolisation, un nouveau paradigme pour penser l'identité ? », Rue Descartes 2009/4 (n°66), pp. 8-19

Les voies de la créolisation : essai sur Édouard Glissant, Paris, Murmure, 2011, 681 p.

MOGHADDAM Sedigheh Sherkat et ZIAR Mohammad : « Étude psychocritique de l'oeuvre de Djalâl Al-e Ahmad », Recherches en Langue et Littérature Françaises, Revue de la Faculté des Lettres Année 10, n°18, 2017, pp. 179-194

MOKOUNKOLO René, PASQUIER Daniel : « Stratégies d'acculturation : cause ou effet des caractéristiques psychosociales ? L'exemple de migrants d'origine algérienne », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale 2008/3 (Numéro 79), pp. 57-67.

MONGO-MBOUSSA Boniface : « De la francophonie à la littérature-monde », Africultures, vol. 83, n°1, 2011, pp. 37-41

MORIN Edgar : Introduction à une politique de l'homme, Paris, Seuil, 1980, (introduction) La méthode 5. L'humanité de l'humanité, l'identité humaine, Paris Point, 2014, 384 p.

MORO Marie-Rose : « Métissages des pensées, métissages des hommes », Nouvelle Revue d'ethnopsychiatrie, Métissages, n° 17, La Pensée Sauvage, Grenoble, 1991, 280 p.

MURAT Michel : « Pratiquer la poésie/enseigner la littérature », Études françaises 413 (2005): 9-19.

NADJO Léon : « La langue française et identité culturelle », Actes IV, Mouchon, 1977, 189 p. NDIAYE Mamadou : « Reflexion sur la politique linguistiques du Sénégal : les obstacles

historico-culturels et les solutions à mettre en oeuvre », Le pouvoir de la

langue : sur la position actuelle des langues nationales au Sénégal, 8 p. N'DIAYE Tidiane : L'Éclipse des Dieux, Edition Du Rocher, Paris,

NGAL Georges : Aimé Césaire, un homme à la recherche d'une patrie, Abidjan-Dakar, NEA, 1975, 328 p.

N'GUESSAN Kouadio Jérémie : « Le français : Langue coloniale ou langue ivoirienne ? », Herodote, 3/2007 (n°126), pp. 69-85

N'GUETTIA Kouadio K. M. : « Aspects théoriques et pratiques de la poétique de Zadi Zaourou : singularité et universalité d'un projet », Revue de littératures et d'esthétiques Négro-africaines, n° 13, 2011

NIANE Djibril Tamsir : « Les sources orales de l'histoire du Gabou », Éthiopiques, n°28, numéro spécial, Octobre 1981

NIMROD Bena Djangrang : « La nouvelle chose française. Pour une littérature

décolonisée », Pour une littérature-monde, p. 232

OUANE Adama : « Vers un nouvel humanisme : la perspective africaine », International Review of Education, volume 60, issue 3, 2014, pp. 379-389

PARADIS Suzanne : « La Poésie », Études littéraires 22 (1969): 214-220

588

PLACET-KOUASSI Muriel : « Identité, Légitimité et Rhizome dans Les deux fins d'Orimita Karabegovic de Janine Matillon », Chimères,

Présence Africaine, Nouvelle série bilingue, n°154, 2e semestre, 1996, 338 p.

1er congrès international des écrivains et artistes noirs, Présence Africaine, n°89-10, juin-novembre 1956, 412 p.

Deuxième congres des écrivains et artistes noirs, L'unité des cultures Négro-africaines, Nouvelle série, Bimestrielle, n°24-25, Fev-Mai 1959, 438 p.

PRIGNITZ Gisèle : « Métissage culturel et appropriation du français dans la littérature contemporaine du Burkina Faso » Synergies Afrique Centrale et de l'Ouest, n°2 - 2007, pp. 127-146

RABEMANANJARA Jacques : Les fondements de notre unité, Deuxième congres des écrivains et artistes noirs, L'unité des cultures Négro-africaines, Nouvelle série, Bimestrielle, n°24-25, Fev-Mai 1959, pp.68-69

Rapport de la mission d'informations et de contacts de la Francophonie (OIF) : Élection

présidentielle des 31 octobre et 28 novembre 2010 en Côte d'Ivoire, 70 p. RECLUS Onésime : France, Algérie et Colonies, 1880 ; 808 p, téléchargeable sur le site de

la Bibliothèque nationale de France.

Un grand destin commence, Paris, La renaissance du livre, 1917, 165 p. Lâchons l'Asie, prenons l'Afrique, Paris, Librairie Universelle, 1904, 304 p.

REDFIELD Robert, LINTON Ralph et HERSKOWITS Melville J. : « Memorandum for the study of Acculturation », American Anthropologist, 38, 1936, pp. 149-152

RENAULD Pierre : « Mallarmé et le mythe », Revue d'Histoire Littéraire de la France, 73e Année, No. 1 (Jan. - Feb. 1973), pp. 48-68

RICOEUR Paul : Soi-même comme un autre, Seuil, Paris, 1990, 448 p.

« L'identité narrative », Esprit, n°7-8, juillet-août 1998, pp. 295-314. RIMBAUD Arthur : Une saison à l'enfer, Bruxelles, Alliance Typographique (M.- J. Poot et Compagnie), 1873, 53 p.

RIVIER André : « Mythe et Poésie : Leurs rapports et leur fonction dans trois épinicies de Pindare », Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité, n°9, mars 1950. pp. 60-96

ROLLE Viviane : « L'élève de Man Polin. Essai de construction d'un cadre de référence métissé », Nouvelle Revue d'ethnopsychiatrie, Métissages, n° 17, La Pensée Sauvage, Grenoble, 1991, pp. 101-110. (280 p.)

ROUSSEAU Jean-Jacques : Émile ou De l'éducation, Paris, Garnier, 1762, 664 p.

RUFFIE Jacques : De la biologie à la culture, Flammarion, Paris, 1976, 597 p.

SARKOZY Nicolas : Tout pour la France, Plon, Paris, 2016, 231 p.

SARTRE Jean-Paul : « Orphée noir », Préface de Anthologie de la nouvelle poésie nègre et

malgache de langue française, PUF, Paris, 1948, pp. IX-XLIV (232 p.) Situation II, Gallimard, Paris, 1948

SECK Assane : « De l'identité culturelle », Éthiopiques, n°27, juillet 1981

SELAO Ching : « D'une francophonie utopique aux archipels littéraires / Demain la francophonie, de Dominique Wolton. Flammarion, 195 p. / Les voleurs de langue. Traversée de la francophonie littéraire, de Jean-Louis Joubert. Philippe Rey, 132 p.. », Spirale 213 (2007): 42-43.

SIBONY Daniel : Entre-deux, l'origine en partage, Éd. Seuil, Paris, 1991, 398 p.

Le « racisme » ou La haine identitaire, coll. Points - Essais, Christian Bourgois, Paris, 1997, 408 p.

SOCIÉTÉ AFRICAINE DE CULTURE, « Le critique africain et son peuple comme

producteur de civilisation », Colloque de Yaoundé, Présence Africaine, Paris, 1977

589

SOMÉ Magloire : « Les cultures africaines à l'épreuve de la colonisation », Afrika Zamani, n°. 9&10, 2001-2002, pp. 41-59.

TALAHITE-MOODLEY Anissa : Problèmes identitaires et discours de l'exil dans les littératures francophones, Presses de l'Université d'Ottawa, Canada, 2007 TADJO Véronique : À mi-chemin, L'Harmattan, Paris, 2000, 102 p.

TAGUIEFF Pierre-André : « Doctrines de la race et hantise du métissage. Fragments d'une histoire de la mixophobie ambiante », Nouvelle Revue d'ethnopsychiatrie, Métissages, n° 17, La Pensée Sauvage, Grenoble, 1991, 280 p.

TAHAR Bekri : «Exils», in: Tahar Bekri, Littératures de Tunisie et du Maghreb, suivi de Réflexions et propos sur la poésie et la littérature, Paris, L'Harmattan, 1994, 179 p.

TARDIF Jean, FARCHY Joëlle : Les enjeux de la mondialisation culturelle. Éditions Hors Commerce, Paris, 2006, p.365

TAYLOR Charles : Multiculturalisme, différence et démocratie, Aubier, Paris, 1994, 142 p. TOBIE Nathan : « Le métissage culturel : un mythe à la peau dure », Hommes et Migrations, n°1161, janvier 199, Métissages, pp. 12-15

TOURÉ Sékou Ahmed : L'Afrique et la révolution, Présence Africaine, Paris, 398 p. TRAORÉ Karim : Théâtres africains (propos extrait de "Actes du colloque sur le théâtre

africain, École Normale Supérieure Bamako, 14-18 novembre 1988"),

Éditions Silex, Paris, 1990

TSMI Éric Essono : « Aimé et Senghor, Frères éternels de la négritude », Slate Afrique,

23 mai 2012

TURJEON Laurier (dir.) : Regards croisés sur le métissage, Les Presses de l'Université Laval, Québec, 2002, 233 p.

VACHON G.-André : La "Francité", in Études françaises, vol. 4, n°2 (1968), pp.117-118 VARGA A. Kibédi : « L'Objet en poésie », <i>WORD</i>, 23:1-3, 1967, pp. 557-572 VASSILIS Alexakis : Le premier mot, Stock, Paris, 2010, 460 p.

VERLAINE Paul : Jadis et Naguere, 1884 (Paris, Bibebook, 2016, 109 p.)

VINSONNEAU Geneviève : « Le développement des notions de culture et d'identité : un itinéraire ambigu », Carrefours de l'éducation 2002/2 (n°14), p. 2-20. L'identité culturelle, Armand Colin, Paris, 2002, 227 p.

VOLTAIRE : Traité sur la tolérance, Bibebook, Paris, 1763, 134 p.

VRANÈIÆ Frano : « La négritude dans cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire », Études Romanes de Brno, 36/2015/1, pp. 193-206

WARNIER Jean-Paul : La mondialisation de la culture, La Découverte, Paris, 2008, 128 p. ZEA Leopoldo : « Amérique latine, immense mosaïque de cultures », Unesco,

Le Courrier, Août septembre, 1977, pp. 4-7

VIII- WEBOGRAPHIE

ABOA Alain Laurent Abia : « La Francophonie ivoirienne », Document pour l'histoire du français étranger ou second [en ligne]41/41/2008, mis en ligne le 17 décembre 2010, consulté le 01 octobre 2016. Url : http://dhfles.revues.org/123

ADAMOU Kouakou D. David : « Édouard Glissant, les indes et le sel noir : l'histoire dans la vallée de la mémoire », Éthiopiques, N° spécial 2ème semestre 2009 Disponible sur [En ligne] http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1655. Consulté le 28 février 2013

ADOPO Achi Aimé : Le lexique dans l'oeuvre poétique de Senghor : Ancrage culturel et ouverture sur le monde, Disponible sur http://www.ltml.ci/files/article/

590

ADOPO%20Achi.pdf.

ALEM Kangni : « La langue littéraire, le Français et l'expérience de l'écriture », Repère

DoRiF n°2/voies excentriques : la langue française face à l'altérité-volet n.1-novembre 2012-LES FRANCOPHONIES ET FRANCOGRAPHES AFRICAINES FACE À LA RÉFÉRENCE CULTURELLE FRANÇAISE, November 2012

Dispoonible sur http://www.dorif.it/ezine/ezine_articles.php?id=38

ALLIX Guy : Léopold Sédar Senghor : du singulier à l'universel, disponible sur

http://guyallixpoesie.canalblog.com/pages/conference-sur-l-s--senghor/27510174.html

ALONSO Josefina Bueno : Francophonie plurielle : L'expression d'une nouvelle identité culturelle,

Disponible sur http :// www.dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/1011658.pdf

ANDLER Daniel : Qu'est-ce que l'humanisme ?, 17/03/2009, disponible sur http://www.rationalites-contemporaines.paris-sorbonne.fr/spip.php?article562

ANGENOT Marc : « Présupposé, topos, idéologème », Études française, vol. 13, n° 1-2, 1977, p.11-34. Érudit, disponible sur http://id.erudit.org/iderudit/03664ar. Consulté le 14 juin 2010 à 4 h 50

ARGOD-DUTARD Françoise (dir.) : Le français : des mots de chacun, une langue pur tous : Des français parlés à la langue des poètes, Nouvelle édition [en ligne], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007 (généré le 02 février 2017) Disponible sur Internet : < http://books.openedition.org/pur/34848>

ASSOGBA Yao : « Une brève histoire de la Francophonie », Le Droit, publié le 02

décembre 2014 à 9 h 30 | Mis à jour le 04 février 2015 à 12 h 45 sur www.laaaapresse.ca

BA Amadou Bal : Léopold Sédar Senghor (1906-2001) : un exceptionnel homme de culture, [en ligne], disponible sur http://www.ferloo.com/2015/08/15/leopold-sedar-Senghor-1906-2001-un-exceptionnel-homme-de-culture-par-amadou-bal-ba-a06923.html

BA Amadou Oury : « `' L'émotion est nègre, comme la raison est hellène» : d'une philosophie organologique allemande vers sa récupération en affriquée occidentale », Éthiopiques, n°81, 2ème semestre 2008, Disponible sur http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1613

BA Cheikh Moctar : « Identité et diversité : à la rencontre des cultures chez Léopold Sédar

Senghor et Marcien Towa », La francophonie, Revue d'Études Africaines, 1er semestre 2014. Disponible sur http://www.etudes-africaines.org/tous-le-numeros/la-francophonie-9/philosophie-sociologie/article/identite-et-diversite-a-la

BABATY Bocar : Le mouvement de la négritude, Disponible sur http://www.babaty-litterature.blogspot.com/2011/03/le-mouvement-de-la-negritude.html

BAUDOT Alain : « Ré-écouter "à New York" de L.S. Senghor », Études littéraires, vol. 7, n° 3, 1974, p. 369-379. Disponible sur URI : http://id.erudit.org/ iderudit/500342ar

BÉLIVEAU Aude : La Négritude : une affirmation de soi pour le peuple noir ; Disponible

Sur http://www.urban-culture.fr/documentation/la-negritude-.pdf

BELOUALI Saïda : « Senghor : habiter l'interparole », Semen[en ligne], 18|2004, mise en

ligne le 29 avril 2007, consulté le 10 avril 2016. Disponible sur

URL : http://semen.revues.org/2243

BENAÏSA Slimane et al. : « Coexistence du français et des langues nationales dans les pays francophones », Le français : des mots de chacun, une langue pur tous :

591

Des français parlés à la langue des poètes, Nouvelle édition [en ligne], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007 (généré le 02 février 2017) Disponible sur Internet : < http://books.openedition.org/pur/34911>

BENIAMINO Michel : « Glissant, la Créolisation et les sciences humaines, les Caraïbes : convergences et affinités », Publifarum, n°10, publicato il 2009, consultato il

28/09/2017, url : http://publifarum.farum.it/ezine_pdf.php?id=87

L'histoire de la Francophonie et son intérêt pour l'enseignement de littérature (et de l'histoire ?), Disponible sur http:// www.ph.ludwigsburg.de/html/2b-fmz-s-01/overmann/baf4/Francophonie/BesoindeFrancophonieHistoire litteratureEnseignementM.Beniamino%5B1%5D.pdf

« Langue, Littérature, Francographie », Repère DoRiF n°2 voix/voies excentriques : la langue française face à l'altérité-volet n.1-novembre 2012-LES FRANCOPHONIES ET FRANCOGRAPHES AFRICAINES FACE À LA RÉFÉRENCE CULTURELLE FRANÇAISE, November 2012

Disponible sur http://www.dorif.it/ezine/ezine_articles.php?Id=45

BENOIT Claude : « Quand `'je est un autre». À propos d'une belle matinée de Marguerite

Yourcenar », RELIEF 2 (2), 2008 - ISSN : 1873-5045. p.145-160

BENSMAÏA Réda : « La langue de l'étranger ou la francophonie barrée », Rue Descartes 2002/3 -n°37), p.65-73. Disponible sur http://www.cairn.info/revue-rue-descrates-2002-3-page-65.htm

BETINA Bégong-Bodoli : De la francophonie à la « francofratrie » : un défi de la francophonie du XXème siècle, [en ligne], Disponible sur http://gellugb.over-blog.com/2014/07/de-la-francophonie-a-la-francofratrie-un-defi-de-la-francophonie-du-xxieme-siele-par-begong-bodoli-betina.html Consulté le 06 mai 2016

Langues et Littératures, n°17, janvier 2013, pp. 137-150

BIERMO Javier del Prado : « Deux procédés de la poéticité moderne ». In : Bulletin Hispanique, Tome 107, N°1, 2005, pp 155-167, Persée. Disponible sur : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hispan_0007-4640_ 2005_num_107_4_5225. Consulté le 06 mars 2013

BISSIRI Amadou : « Le « français populaire » dans le champ artistique francophone », Cahier d'études africaines [En ligne] ,163-1642001, mis en ligne le 31 mai 2005, disponible sur : http://etudesafricaines.revues.org/120

BONI Tanella : La francophonie :espace et temps de partage ?. Disponible sur http://www.tanellaboni.net/?p=75

BONN Charles et GARNIER Xavier : « Les littératures francophones : un objet problématique » (introduction générale de Littérature francophone, tome 1, le roman, Paris, Hatier/AUPELF-UREF,1997), Disponible sur http://www.limag. Refer.org/Cours/Francoph/IntroManHatRevue.htm

BONNIOL Jean-Luc : « Au prisme de la créolisation », L'Homme [En ligne], 207-208 | 2013, mis en ligne le 05 novembre 2015, consulté le 06 janvier 2017.

URL : http://lhomme.revues.org/24694

BORDAS Éric : « Le rythme de la prose », Semen [En ligne], 162003, mis en ligne le

01 mai 2007. Disponible sur http : // www.semen.revues.org/2260.

Consulté le 27 février 2013

BOUATENIN Adou : « La psychocritique de Charles Mauron : une méthode à découvrir », Langues et Usages, 2017, pp. 174-183 [En ligne]. Disponible sur http:// www.univ-bejaia.dz/leu/numéro-1.html

BOULAFRAD Fatiha : Nègre je suis et Nègre je resterai : la dernière confession d'un homme constaté et contesté. Disponible sur : http :// www.ressources-cla.

592

Univ-fcomte.fr/gerflint/Algerie5/boulafrad.pdf

BOURREL Jean-René : « Lexique de L. S. Senghor : Chants d'ombre, Hosties noires, Éthiopiques, Nocturnes », In : L'Information Grammaticale, N.33, 1987. pp.27-34. Disponible sur http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/ article/igram_02222-9838_1987_num_33_1_3305 la négritude ou « le soleil de l'âme », disponible sur http: // www.fafich.ufmg.br/~luarnaut/Burrel-La negritude.pdf

BOUZIANE Nadia : « Chants d'ombre-L. Sédar Senghor : La préhabilitation du village Africain », e-littérature.net, mardi 20 mai 2008. Disponible sur http://www.e-littérature.net/publier2/spip/spip.php?page=article5&id_ article=613

BRICAUD Hubert : Négritude et « pensée noire » : identité/universalité, Disponible sur http://www.sophia-cholet.oiver-blog.com/article-negritude-et-pensee-noire-identite-universalite-116895103.html

BRISSET Anne : la poésie pense : une modalité assomptive de la connaissance

Disponible sur http://www.erudit.org/revue/TFR/1999/v12/n1/037350ar.pdf

BUJO Bénézet : « Culture africaine et développement : un dialogue nécessaire », Finance & Bien Commun 2007/3 (N° 28-29), p. 40-45 [En ligne]. Disponible sur http://www.cairn.info/revue-finance-et-bien-commun-2007-3-page-40.htm

BURGAT François : Le ?dialogue des cultures? : une vraie-fausse réponse à l'autoritarisme : Portée et limites du traitement culturaliste de la violence politique. Olivier, Vincent Geisser, Gilles Massardier, Michel Camau (dir.). Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires-Convergences Nord-Sud, La Découverte, pp.233-248, Recherches. <halshs-00366627>

CATHELINEAU Pierre-Christophe : L'autre et l'identité (hommage et questions à Édouard Glissant), consulté le 28/06/2017, Disponible sur http://www.freud-lacan.com/index.php/fr/l-a-l-i/44-categories-fr/site/1211-L_Autre_et_l_identite_Hommage_et_questions_a_Edouard_Glissant

CÉRY Loïc : Le flamboyant et l'exilé : l'horizon persien de Léopold Sédar Senghor ; Disponible sur https://documentationerlande.wordpress.com/2016/05/24/le-flamboyant-et-lexile-lhorizon-persien-de-leopold-sedar-senghor-par-loic-cery-2/

CÉSAIRE Aimé : V a-t-il une civilisation africaine ? Disponible sur http://www.users.unimi.it/caribana/essays/caribana_4/cesaire_a.pdf « Culture et colonisation », Liberté, vol. 5, n° 1, (25) 1963, p. 15-35. Disponible sur http://id.erudit.org/iderudit/30187ac

« Discours sur l'art africain (1966) », Études littéraires, vol. 6, n° 1, 1973, p. 99-109. Disponible sur URI: http://id.erudit.org/iderudit/500270ar Lettre à Maurice Thorez, du 24 octobre 1956.

Disponible sur http://lmsi.net/lettre-a-Maurice-Thorez

CHARAUDEAU Patrick : « L'identité culturelle entre soi et l'autre », Actes du colloque de Louvain-la-Neuve en 2005 (Références à compléter), 2009, consulté le 11 août 2017 sur le site de Patrick Charaudeau-Livres, articles, publications. URL : http://www.patrick-charaudeau.com/L-identite-culturelle-entre-soi-et.html « L'identité culturelle : le grand malentendu », Actes du colloque du Congrès des SEDIFRALE, Rio, 2004., 2004, consulté le 20 août 2017 sur le site de Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications.

URL: http://www.patrick-charaudeau.com/L-identite-culturelle-le-grand.html CHAUDENSON Robert : « Prolégomènes à une approche de la Francophonie africaine », Repère DoRiF n°2 voix/voies excentriques : la langue française face à

593

l'altérité-volet n.1-novembre 2012-LES FRANCOPHONIES ET FRANCOGRAPHES AFRICAINES FACE À LA RÉFÉRENCE CULTURELLE FRANÇAISE, November 2012

Disponible sur http://www.dorif.it/ezine/ezine_articles.php?id=35

CHEVALIER Jean-Claude : « H. Meschonnic : Pour la poétique », In Langue française N°7, 1970, pp.127-128, Persée, disponible sur http : // www.persee.fr/web/ revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1970_num_7_1_5523. Consulté le 28/02/2013 à 15h30

CHEVRIER Jacques : « Senghor militant de la francophonie », Les actes du Colloque 2002 du Cercle Richelieu-Senghor, [en ligne], Disponible sur http://www.cercle-richelieu-senghor.org/component/content/article.html?id=52 Consulté le 06 mai 2016

CHISS Jean-Louis : « Charles Bally : qu'est-ce qu'une « théorie de l'énonciation » ? » In Histoire Épistémologie Langage. Tome 8, fascicule 2, 1986. pp. 165-176. Persée, [En ligne]. Disponible sur http://www.persee.fr/web/revues/home/ prescript/article/hel_0750-8069_1986_num_8_2_2230. Consulté le 28 février 2013

CISSOKO Pape : « Identité et universalité dans la pensée philosophique de Senghor, Alpha Amadou Sy », colloque Senghor l'Universel, UCAD 23-26/11/2014, disponoble sur http://www.ichrono.info/index.php/blog/item/527-identite-et-universalite-dans-la-pensee-philosophique-de-senghor-alpha-amadou-sy-colloque-senghor-l-universel-ucad-23-26-11-2014

Citation Célèbre. Disponible sur http://www.citation-celebre.leparisien.fr/citation/etre-humain

COLY Yaya : « Poétique subversive et affirmation identitaire dans les littératures Francophones mineures », DIRE [En ligne].2014, n°5. Disponible sur http://epublication.unilim.fr/revues/dire/469 (consulté le 28/07/2017)

CONDÉ Alpha : Lors de la cérémonie Africa Emergence en Côte d'Ivoire, le mercredi 28 mars 2017, disponible sur http://www.afrique-sur7.fr/47967/africa-emergence-guinee-alpha-conde-demande-a-couper-cordon-France/

Contexte historique de la naissance de la littérature francophone. Disponible sur : http://www.toutelapoesie.com/dossiers/dossiers/contextehist.htm. Consulté le 28/01/2013

CORTÈS Jacques : « La Francophonie à l'aube des indépendances », Disponible sur hptt:// www.gerflint.fr/Base/Chine2/cortes.pdf

COTTIAS Myriam : « Édouard Glissant, de la créolisation au Tout-Monde », Images, mémoires et sons, Nuevo Mundo Mundos Nuevos, 2011. Disponible sur http:// nuevomundo.revues.org/61823

COULON Christian : Penser les questions identitaires en ce début de XXIème siècle, http://www.eke.eus/fr/institut-culturel-basque/activites-culturelles-et-projets/action-patrimoniale/gogoetak/questions_identitaires

DAFF Moussa : « Vers une Francophonie africaine de la copropriété et de la cogestion linguistique et littéraire », Glottopol (Revue de sociolinguistique en ligne), n°3, janvier 2004, disponible sur http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol « L'aménagement linguistique et didactique de la coexistence du français et des langues nationales au Sénégal », DiversCité langues, En ligne. Vol. III. Disponible à http://www.uquebec.ca/diverscite

DE BROGLIE Gabriel : Senghor, ou la nécessité de la langue française, Discours prononcé en hommage à Léopold Sedar Senghor, Académie des sciences morales et politiques, mardi 5 mars 2002, [En ligne], Disponible sur http://www. academie-francaise.fr/senghor-ou-la-necessite-de-la-langue-francaise-seance-

594

publique-dhommage-leopold-sedar-senghor

Decret n°75-1027 du 10 octobre 1975 relatif à l'emploi des majuscules dans les textes administratifs, modifié par le decret n80-770 du 24 juillet 1980. Disponible sur http://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/Senegal.htm.

DE LACHARRIÈRE René : « L'évolution de la Communauté franco-africaine », Annuaire Français de droit international, volume 6, 1960, pp. 9-40, Disponible sur

http://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1960_num_6_1_894

De la Communauté française à la Francophonie. Brève histoire de la Communauté franco-africaine, Disponible sur http:// www.malraux.org/commnaute

DELAS Daniel : « Négritude, métissage et poésie dans l'oeuvre de Senghor », Le français : des mots de chacun, une langue pur tous : Des français parlés à la langue des poètes, Nouvelle édition [en ligne], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007 (généré le 02 février 2017) Disponible sur Internet : < http://books.openedition.org/pur/34930>

DERIVE Jean : « La littérature orale de l'oeuvre poétique de Senghor », Disponible sur https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00344027/file/Litterature_orale_dans

_l_oeuvre_poetique_de_senghor.pdf

DERROITTE Elise : « Le poète et le mythe », Anthropology & Materialism [En ligne], 2 |

2014, mis en ligne le 15 avril 2014, consulté le 01 octobre 2016.

URL : http://am.revues.org/415

DIALLO Mamadou Bani : « Défense et illustration de la Francophonie chez Léopold Sédar Senghor », Recherches africaines[en ligne], numéro 06-2007. Disponible sur Internet : http://www.recherches-africaines.net/ document.php?id=96 =967.ISSN1817-423X. Consulté le 13/11/2013

DIOP Ibrahim : Senghor entre Francophonie et dialogue interculturel. Disponible sur http://www.grelif.fr/?p=893

Le discours d'Emmanuel macron à Ouagadougou, 28 novembre 2017 à 20h27 -- Mis à jour le 28 novembre 2017 à 20h37. Disponible sur http://www.jeuneafrique.com/497596/politique/document-le-discours-demmanuel-macron-a-ougadougou

DOLISANE-EBOSSE Cécile : « Unicité et cosmopolitisme : pour une approche socio-esthétique de la `'migrance» dans La migration des coeurs de Maryse Conde et Sartorius d'Édouard Glissant », Ethiopiques, n°78, 1er semestre 2007, http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article1541

DORTIER Jean-François : Identité. Des conflits identitaires à la recherche de soi, Disponible sur https://www.scienceshumaines.com/identite-des-conflits-identitaires-a-la-recherche-de-soi_fr_12390.html

DUFRESNE Jacques : « Un humanisme à définir ». Disponible sur http://www.agora-2.org/ francophonie.nsf/Documents/Humanisme--Un_humanisme_a_definir_par_ Jacques_Dufresne

DUMOND Pierre : « Du métissage à l'interculturel, itinéraire de la rencontre impossible », Glottopol (Revue de sociolinguistique en ligne), n°3-janvier 2004, disponible sur http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol

DUMONT Paul : « Francophonie, francophonies », Langue Française, n°85, 1990, pp. 35-47 http://www.perse.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1990_ num_85_1_6176

Encyclopédie de la francophonie, disponible sur http://www.agora_2.org/francophonie.nsf/ Dossier/Esprit_revue

FALL Elimane et METELLUS Sarah : « Sénégal : Senghor 1906-2001, une vie un siècle », JA/L'intelligent, n°2137-2138 du 25 décembre 2001 au 7 janvier 2002.

595

Disponible sur http://www.jeuneafrique.com/206942/politique/s-n-gal-senghor-1906-206-une-vie-un-si-cle/

FARANDJIS Stélio : « Repère dans l'histoire de la Francophonie », Hermes, La Revue 3/2004 (n°40), p.49-52 Disponible sur URL : www.cairn.info/revue-hermes-la-Revue-2004-3-page.htm

FAURE Edgar : « Réponse au discours de réception de Léopold Sédar Senghor », le 29 mars 1984. Disponible sur http://www.academie-francaise.fr/reponse-au-discours-de-leopold-sedar-senghor

FOALU Liliane : Identité et altérité dans la poésie francophone contemporaine. Hypastases belges, [en ligne], disponible sur www.diacronia.ro/indexing/ details/A5771/pdf

FRANÇOIS Cyrille : « Le débat francophone », Recherches & Travaux [En ligne], 76 | 2010, mis en ligne le 30 janvier 2012, consulté le 30 septembre 2016, pp. 131147. URL : http://recherchestravaux.revues.org/413

GAKUNZI David : « le poète et la cité : Léopold Sédar Senghor », France-Fraternités, [en ligne], disponible sur http://www.parisglobalforum.org/leopold-sedar-senghor.html

GALLAY Anne-Lise : Le style de Senghor : le cas d'Éthiopiques. Disponible sur http://www.academia.edu/9619109/le_style_de_Senghor_le_cas_dEthiopiques GAMBLE Harry : « La crise de l'enseignement en Afrique occidentale française

(1944-1950) », Histoire de l'éducation [En ligne], 128 | 2010, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 30 septembre 2016.

URL : http://histoire-education.revues.org/2278

GARNIER Xavier : L'émotion est nègre, la raison est hellène. Histoire d'une formule. Disponible sur http://www.academia.edu/11789912/_Lémotion_est_nègre_ la_raison_est_hellène_ _Histoire_dune_formule

GAYRAUD Irène : « Pourquoi des mythes en poésie ? », Pupilles d'encre, 28 juin 2010. Disponible sur https://irenegayraud.wordpress.com/2010/06/28/pourquoi-des-mythes-en-poesie/

GBETO Kossi Souley : La sémantique de la psychocritique dans l'écriture tansienne, Paroles de Vérité. Disponible sur : http://www.blogveritok.ratcom.blogvie. com/2010/06/07/la-semantique-de-la psychocritique-dans-l'ecriture-tansienne

GÉLY Véronique : Pour une mythopoétique : quelques propositions sur les rapports entre mythe et fiction.

Disponible sur http://www.vox-poetica.org/sflgc/biblio/gely.html

GLISSANT Édouard : Rhizome, Disponible sur http://www.edouardglissant.fr/rhizome.html GNALÉGA René : « Les relations entre la poésie de L.S. Senghor et la sculpture », Mots

Pluriels, n°12, Décembre 1999, Disponible sur http://www.arts.uwa.edu.au/

MotsPluriels/MP.1299rg.html

GOHENEIX Alice : « Les élites africaines et la langue française : une appropriation controversée », Documents pour l'histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 40/41 | 2008, mis en ligne le 17 décembre 2010,

consulté le 24 avril 2016. URL : http://dhfles.revues.org/117

HAMMER Michael : Le métissage des espèces humaines. Disponible sur http://www.pourlasciences.fr/web_pages/a/article-le-metissage-des-especes-humaines-31751.php

HAMIDOU Anne : « Oui, la colonisation est un crime contre l'humanité », Chronique, Monde, 17.02.2017. Disponible sur http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/02/17/oui-la-colonisation-est-un-crime-contre-l-humanite_5081481_3212.html

596

HARDY Alain : « Théorie et méthode de M. Riffaterre », Langue française, N°3, 1963, pp.90-96, Persée, disponible sur http : www.persee.fr/web/revues/home/ perscript/article/lfr_0023-8368_1969_num_3_1_5438. Consulté le 2 mars 2013

HARDY Odile : « Comment penser l'humain pour refonder un humanisme ? Regard sur la crise anthropologique contemporaine », Quel humanisme pour demain ? l'avenir de l'homme dans nos sociétés, Colloque 2015-2016, pp.33-39. Disponible sur http://www.grep-mp.com/wp-content/uploads/2016/12/2015-Hardy-Colloque-Humanisme.pdf

HOLLANDE François : Déclaration au musée copte du Caire, 18 avril 2016, Disponible sur http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-au-musee-copte-du-caire

Hosties noires, Disponible sur http://crdp.ac-paris.fr/parcours/index.php/category/senghor

HOUPHOUËT Boigny Félix : « Afrique et communauté franco-africaine », Le Monde Diplomatique, novembre 1958, Disponible sur http://www.monde-diplomatique.fr/1958/11/HOUPHOUET_BOIGNY/22803

IONESCU Mariana : « L'Entre-deux dans les littératures d'expression française », Les

Cahiers du GRELCEF, n° 1, mai 2010, pp.11-15, Disponible sur http : // www.uwo.ca/french/grelcef/cahiers_intro.htm

J. et DERIVE M. J. : Francophonie et pratique linguistique en Côte d'Ivoire. Disponible sur http://www.politique-africaine.com/numeros/pdf/023042.pdf

JEAN Michaëlle : Le nouvel humanisme se dit en français, disponible sur http://www.huffingtonpost.fr/michaelle-jean/le-nouvel-humanisme-se-dit-en-francais_a_21903173/

JUIGNET Patrick : Humanité ou sagesse ? L'humanisme comme ontologie et comme

éthique. Philosophie, science et société [en ligne]. 2015. https://philosciences.com/Pss/philosophie-et-humanite/homme-humain-et-humanite/30-humanite-sagesse

JULLIEN François : « La culture n'a pas d'identité », interviewé par Anastasia Vécrin pour le compte du journal Libération, 30 septembre 2016, Disponible sur http://www.liberation.fr/debats/2016/09/30/francois-jullien-une-culture-n-a-pas -d-identite-car-elle-ne-de-se-transformer_1516218

KAKE Ibrahima Baba : « Culture africaine, identité culturelle, développement, dialogue des cultures », Éthiopiques, numéros 40-41, Revue trimestrielle de culture négro-africaine nouvelle série - 1er trimestre 1985 - volume III n°1-2, Disponible sur http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article990

KAMENI Alain Cyr Pangop : « Utopies et angoisses de l'entre-deux identitaire chez les exilés/migrants africains : La Traversée nocturne d'Isaac Bazié », Alternative Francophone, vol.1, 2, 2009, pp. 1-18, Disponible sur http://ejournals.library.ualberta.ca/index.php/af

KANGA Konan Arsène : « Le roman transculturel francophone, un roman des convergences d'écriture », Rhesis, Littérature, 2.2 :5-19, 2011, p.19. Disponible sur

http:// www.diplist.it/rhesis/index.php

KAVWAHIREHI Kasereka : « Antilles : du discours sur le métissage au métissage des écritures », @nalyses [En ligne], Compte rendus, Francophonie, mis à jour le 01/09/2009. Disponible sur : http://www.revue-analyse.org/index.php?id=225

KAYRA Erol : « Le langage, la poésie et la traduction poétique ou une approche scientifique de la traduction poétique», Meta: Jouranal des traducteurs/Meta: Tanslators' Journal, vol.43, n°2, 1998, pp.254-261, Disponible sur http://id.erudit.org/ iderudit/003295ar

KESTELOOT Lilyan : « Senghor, Léopold Sédar, 2007, Poésie complète, édition critique, coordination Pierre Brunel », Journal des africaniste [En ligne], 79-1|2009, mis

597

en ligne le 21 juillet 2011, pp. 325-328, consulté le 29 juillet 2016, Disponible sur URL : http://africaniste.revues.org/2973

KISUDIKI Nadia Yala : « L'influence vivante du personnalisme de Mounier sur la philosophie esthétique et la poésie de Léopold Sédar Senghor », COnTEXTES, [Online], 122012, Online since 26 Septembre 2012, connection on 05 May 2017. URL : http://contextes.revues.org/5592;DOI:10.4000/contextes.5592

KONADJE Jean-Jacques : La francophonie : un néologisme inventé par Onésime Reclus, Disponible sur http://afriessence.canalblog.com/archives/2006/12/07/ 3368831.html

La culture africaine, défis et perspectives (part 2) sur http://www.africa-

libre.com/fr/culture/684-autres-page/2006-la-culture-afric-defis-et-perspectives-part 2

LAMAISON Didier : « Discours sur l'universalité de la Francophonie : la langue française et le monde moderne », In : Bulletin de L'Association Guillaume Budé : Lettres d'humanité, n°46, Décembre 1987, pp.372-394.

Disponible sur http://www.persee.fr/revues/home/prescript/article/bude_1247-6862_1987_num_45_4_1723

LA MAISON DE LA FRANCITÉ, Francité, [en ligne], Disponible sur http://www.maisondelafrancite.be/fr/?ID=9, consulté le 6 mai 2016

L'histoire du français, Disponible sur http://www.thaloe.fr/francais/historic1.html

Langue française : son origine et son évolution depuis le temps des Gaulois, (D'après la « Revue encyclopédique », paru en 1899), Publié/Mis à jour le samedi

5 décembre 2015 sur http://www.france-pittoresque.com/spip.php?article5097

LANGUI Konan Roger : « La femme senghorienne entre symbolisme et représentation de l'idéal nègre», Éthiopiques, numéro spécial, Littérature, philosophie et art, 10è anniversaire, Senghor, hier à demain. Disponible sur http://ethiopiques.refer.spiq-php?page=imprimer-article&id_article=1802

LARIN Robert : « De la psychocritique ou confession d'un enfant du siècle », Voix et images du pays, vol. 8, n° 1, 1974, p. 209-215.

URI: http://id.erudit.org/iderudit/600291ar

« Psychocritique d'Agaguk », Voix et images du pays, vol. 7, n°1, 1973, pp. 13-49, URI: http://id.erudit.org/iderudit/600267ar

La France fait massacrer des Africains, Disponible sur htpps://rebellyon.info/ La-France-fait-massacrer-des-Africain

LAVODRAMA Philippe : « Senghor et la réinvention du concept de la francophonie », La contribution personnelle de Senghor, primus inter pares, Les Temps Modernes, 2007/4 n°645-646, p. 178-236, Disponible sur

http:// www.cairn.info/revue-les-temps-modernes-2004-4-pages-178.htm Le Français, Une langue éternelle, page sur facebook.com

Le Monde : « Pour l'écrivain Édouard Glissant, la créolisation du monde est irréversible », propos recueillis par Frédéric Joignot. Disponible sur http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2011/02/04/pour-l-ecrivain-edouard-glissant-la-creolisation-du-monde-était-irreversible_1474923_3382.html

Léopold Sédar Senghor, mis en ligne le mercredi 22 août 2007. Disponible sur http://www.au-senegal.com/leopold-sedar-senghor.006.html. Consulté le 06 mars 2013

LUSCHER Jean-Marc : « Écrire en français ou en francophone, quelle différence? » RTSdécouverte, Diponible sur http://www.rts.ch/decouverte/monde-et-societe/culture-et-sport/les-langues/5772686-ecrire-en-francais-ou-en-francophone-quelle-difference.html

LÜSEBRINK Hans-Jürgen : «"Métissage", contours net enjeux d'un concept carrefour»,

598

Études littéraires, vol.25, n°3, 1993, pp.93-106, disponible sur http://id.erudit. org/iderudit/501017ar, consulté le 27 juillet 2013 à 02:00

MAALOUF Amin : « ...et les égarements de la Francophonie ». Disponible sur http://www.aminmaalouf.net/fr/2009/07/et-les-egarements-de-la-francophonie/

MABANA Kahiudi C. : « Léopold Sédar Senghor et la civilisation de l'universel », Diogène, 2011/3 (n° 235-236), p. 3-13. [En ligne] Disponible sur http://www.cairn.info/revue-diogene-2011-3-page-3.htm

MADELÉNAT Daniel : « SENGHOR LÉOPOLD SÉDAR - (1906-2001) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 23 juin 2017.

URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/leopold-sedar-senghor/ MAÏTE Snauwaert : « Le rythme critique d'Henri Meschonnic », Acte Fabula, [En ligne],

disponible sur http://www.fabula.org/revues/document7129.php

Consulté le 27 février 2013

MARIE Virginie : « De la Francophonie `'centripète» à une Francophonie périphérique »,

Alternative. Francophonie, vol 1, 2 (2009), 58-68 Disponible sur http://ejournals.liberary.ualberta.ca/index.php/af

MBONGO Nsame : Émotion ou raison ? Une controverse philosophique majeure dans la pensée africaine contemporaine, Disponible sur http://www.africavenir.org/fileadmin/_migrated/content_uploads/Mbongo_ EmotionRaison_03.pdf

MÉNISSIER Thierry : « Culture et identité », Le Portique [En ligne], 5-2007Recherches, Mis en ligne le 07 décembre 2007, consulté le 31 août 2017. URL : http://leportique.revues.org/1387

MOATAMRI Ines : « `'Poétique de la Relation» Amina Saïd et Édouard Glissant », TRANS- [En ligne], 3 | 2007, mis en ligne le 04 février 2007, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://trans.revues.org/180

MOÏ Anna : La Francophonie : réalité ou mythe encombrant ? Disponible sur http://www.afiavimagazine.com/la-francophonie-réalité-ou-mythe-encombrant/

MOLINIÉ George : « Poéticité de Senghor : les `'parallélisme asymétriques» », Persée, [En ligne], pp. 26-28 Disponible sur http://www.persee.fr/web/revues/home/perscript/article/igram_0222-9838_ 1987_num_1_2099. Consulté le 31/01/2013 à 14 h30

MONTE Michèle : « Essai de définition d'une énonciation lyrique » L'exemple de Philippe Jaccottet, Cairn, [En ligne], Disponible sur http://www.cairn.info/revue-poetique-2003-2-page-159.htm. Consulté le 28 février 2013

MORIN Claude : « Jean-Marc Léger, la francophonie : grand dessein, grande ambiguïté », Recherches sociographies, vol.29, n°2-3, 1988, pp. 473-475

URI : http://id.erudit.org/iderudit/05638ar

MUSANJI Ngalasso Mwatha : « Écrire en langue seconde. Le discours des écrivains africains francophones » In : Cahiers de l'Association internationale des études française, 2007, N°59. pp.1 09-126. Disponible sur http://www.persee.fr/web/ revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_2007_numè59_1_1642

NAJJAR Alexandre : « La Francophonie, un mouvement culturel ou politique ? », Géoéconomie 2010/4 (n° 55), p. 131-134. [En ligne], Disponible sur

http://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2010-4-page-131.htm

NDAO Adama : Étude de Hosties noires (1948) de Léopold Sédar Senghor

Disponible sur http://lireunlivreplaisir.blogspot.com/2008/04/ etude-de-hosties-noires-1948.html

Étude de Nocturnes (1961) de Léopold Sédar Senghor Disponible sur

http://lireunlivreplaisir.blogspot.com/2008/04/etude-de-nocturnes-

599

1961-de-lopold-sdar.html

NJOH-MOUELLE Ébénézer : Léopold Sédar Senghor et le thème du métissage culturel, p.9, Disponible sur http://www.njohmouelle.org

NZE-NGUEMA Fidèle : «La Francophonie comme discours et pratique totalisants en Afrique Noire », Anthropologie et Société, vol.6, n°2, 1986, pp 27-236 Disponible sur http://id.erudit.org/iderudit/006079ar

Consulté le 27 juillet 2013 à 02:06

OLLIVIER Bertrand : « Plaidoyer pour une francophonie des mots », L'orient le jour. Disponible sur http://www.lorientlejour.com/article/1100943/plaidoyer-pour-une-francophonie-des-mots.html

Consulté le 30 avril 2018

Origine et évolution de la langue française de la préhistoire à la fin du Moyen-Âge, Disponible sur http://www.excalibur-dauphine.org/IMG/pdf/medfr.2pdf

OUEDRAOGO Bassole Angele : Le français et le français populaire africain : partenariat, cohabitation ou défiance ? FPA, appartenance sociale, diversité linguistique, [en ligne], disponible sur http://www.mediaterre.org/redirect/1401,1.html

OUEFÉLLEC Ambroise : « Variétés et variation : du français monocentré à la francophonie pluricentrique », Le français .
· des mots de chacun, une langue pur tous .
· Des français parlés à la langue des poètes
, Nouvelle édition [en ligne], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007 (généré le 02 février 2017) Disponible sur Internet : < http://books.openedition.org/pur/34863>

PANNIER Léopold : « Histoire des origines de la langue française, par A. Granier de Cassagnac », Bibliothèque de l'école des chartes, 1873, tome 34, pp.283-291, Disponible sur http://www.persee.fr/doc/bec_0373_6237_1897_num_34_1_ 446530

PANZERI Priscilla : La musica nella poesia di Léopold Sédar Senghor. Disponible sur http:// www.academia.edu/7445969/La_musica_nella_poesia_di_Léopold_Sedar _Senghor

Pape François : « Je rêve d'un nouvel humanisme européen ». Disponible sur http://www.la-croix.com/Religion/Pape/Pape-Francois-Je-reve-nouvel-humanisme-europeen-2016-05-06-1200758310

PARÉ Daouda : Rythme et musique dans les poèmes de Senghor, disponible sur http://www.africanafrican.com/arna%20bontemps /arna%20bontemps%20(7).doc, Consulté le 09 octobre 2014 à 20 h 30 mns.

PARENTEAU Danic : «Diversité culturelle et mondialisation », Politique et Société, vol.26, n°1, 2007, p 1333-145, Disponible sur http://id.erudit.org/iderudit/01644ar Consulté le 27 juillet 2013 à 02:22

PINHAS Luc : « Aux origines du discours francophone », Communication et Langages,

n°140, 2ème trimestre 2004, pp.69-82. Disponible sur http://www.persee.fr/

web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500è2004_num_140_1_3270 PETRONI Liano : Senghor, sensuel et plurivalent poète civil .
· identité, émotion,

universalité », Disponible sur http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?page= imprimer-article&id_article=133

PHAN Thi Hoai Trang : Des dynamiques de la francophonie, », Afri, volume XII, 2011. Disponible sur http://www.afri-ct.org/article/des-dynamiques-de-la-francophonie/

PHILIP Christian : « La Francophonie : l'une des réponses à la mondialisation culturelle ? »,

Disponible sur

http://www.planetagora.org/yaounde/philip.pdf.&ued=0ahUKEwisw

PLANEL Niels : « Que la décolonisation littéraire commence ! Essai sur Pour une littérature-

600

monde paru chez Gallimard en 2007 », Sens-public, Article publié en ligne : 2007/11, Disponible sur http://www.sens-public.org/article.php3?id_ article=493

PORRA Véronique : « Malaise dans la littérature-monde (en français) : de la reprise des discours aux paradoxes de l'énonciation », Recherches & Travaux [En ligne], 76 | 2010, mis en ligne le 30 janvier 2012, consulté le 30 septembre 2016, pp. 109-129. URL : http://recherchestravaux.revues.org/411

POUGALA Jean-Paul : Pourquoi les Africains ont-ils honte du culte de leurs ancêtres ?, Disponible sur http://pougala.org/pourquoi-les-africains-ont-ils-honte-du-culte-de-leurs-ancetres/

PRICE Richard et GIAFFERI Natacha : « Créolisation et historicité », L'Homme [En ligne], 207-208 | 2013, mis en ligne le 05 novembre 2015, consulté le 06 janvier 2017. URL : http://lhomme.revues.org/24696

PROVENZANO François : « La Francophonie : définitions et usages », Quaderni, n°62, Hiver 2006-2007. Le thanato pouvoir :politiques de la mort.pp.93-102. Disponible sur http://www.persee.fr/web/revues/home/perscript/article/quad_ 0987-1381_2006_num_62_1_1707

« Francophonie et études francophones : considérations historiques et métacritiques sur quelques concepts majeurs », PORTA Journal of Multidisciplinary Studies, Vol.3, n°2 July 2006, ISSN 1449-2490. Disponible Sur http://epress.lib.uts.ed.au/ojs/index.php/portal

PRUVOST Jean : La langue française : une longue histoire riche d'emprunts, Disponible sur http://www.canalacademie.com/IMG/pdf/Microsoift_Word _-_Jean_20Pruvost__20La_20Langue_20francaise_20Une_20longue_ 20histoire_1_.pdf

PUCCINI Paola : « Le fonctionnement du mot « francophonie » dans la revue Esprit, Novembre 1962 : à la recherche d'une définition », Document pour l'histoire Du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 40/41|2008, mis en ligne Le 17 décembre 2010, consulté le 17 mai 2016. URL : http://dhfles.revues.org/99

PURNELLE Gérald : « Jacques Dürrenmatt -- Stylistique de la poésie. Paris : Belin

(« Atouts Lettres »), 2005, 256 pages, 19 euros », Corpus [En ligne], 5 | 2006, mis en ligne le 27 août 2007. Disponible sur http://corpus.revues.org/591 Consulté le 17 février 2013

RIFFARD Claire : « Francophonie Littéraire : quelques réflexions autour des discours critiques », Item[ En ligne], Mis en ligne le :05 février 2008. Disponible sur http://www.item.ens.fr/index.php?id=207602

RIVAROL Antoine : De l'universalité de la langue français, [En ligne]. Disponible sur http://www.bribes.org/trismegiste/rivarol.htm, Consulté le 22/03/2017

SABOURIN Paul : « Senghor, parlementaire français », Senghor et la francophonie, Cercle Richelieu Senghor de Paris, Disponible sur http://www.cercle-richelieu-senghor.org/26-les-colloques-954890/senghor-et-la-francophonie/77-senghor-parlementaire-francais.html

SAHIRI Léandre : À propos de "Deuxième épitre à Laurent Gbagbo" de Tiburce Koffi : les mots utilisés par Tiburce Koffi sont à la limite de l'injure proférée à l'égard de M Laurent Gbagbo.Disponible sur http://www.ivoirebusiness.net/?q=articles/ propos-de-%%AB-deuxi%C3%A8me-%C3%A9iptre-%C3AO-laurent-gbagbo-%%BB-de-tiburce6koffi-les-mots- utilis%C3%A9s-par

SALL Alioune : Brève histoire de l'enseignement du français au Sénégal, Disponible sur www.xalimasn.com/brève-histoire-de-l-engagement-du-français-au-senegal

601

SANKHARE Oumar : Poétique et Politique chez Senghor, Disponible sur http://www.cercle-richelieu-senghor.org/26-les-colloques-954890/senghor-et-la-francophonie/75-poetique-et-politique-chez-senghor

SCHIAVONE Christina : « Les francophonies et francographes africaines face à la référence française », Repère DoRiF n°2 voix/voies excentriques : la langue française face à l'altérité-volet n.1-novembre 2012-LES FRANCOPHONIES ET FRANCOGRAPHES AFRICAINES FACE À LA RÉFÉRENCE CULTURELLE FRANÇAISE, November 2012 Disponible sur http://www.dorif.it/ezine/ezine_articles.php?id=51

SEARA Ana Rodríguez : « l'écrivain francophone entre deux cultures », Revista de Humanidades" cuadernos del marques de San Adrian", disponible sur http://www.unedtudela.es/archivos_publicos/qwela_paginas/2276/revista7 articulo5.pdf

SENE Abib : « Enracinement et ouverture : une vision ithyphallique d'un métissage civilisationnel dans OEuvre poétique de Senghor », Les Cahiers du GRELCEF, « Le temps et l'espace dans la littérature et le cinéma francophones contemporains ». N°7. Mai 2015,

Disponible sur http:// www.uwo.ca/french/grelcef/cahiers_intro.htm

Senghor : Aimé par la France et traitre pour l'Afrique ? Disponible sur http://www.negronews.fr/2014/11/27/culture-senghor-aime-par-la-france -traitre-pour-lafrique/

Senghor et la francophonie à Dourdan (France), mis en ligne le samedi 1 avril 2006. Disponible sur http://www.au-senegal.com/Senghor-et-la-francophonie-a.html. Consulté le 06 mars 2013

SINGARÉ Titia : « Léopold Sédar Senghor : Quête et découverte de la poétique négro-africaine ». Recherches Africaines[En ligne], Numéro 01-2002, 30 décembre 2002. Disponible sur : http://www.recherches-africaines.net/ document.php ?id=108.ISSN 1817-423X.

SISSAO Alain Joseph : « La question du métissage dans l'écriture du roman burkinabè contemporain », Cahiers d'études africaines [En ligne], 163-164 | 2001, mis en ligne le 31 mai 2005, URL : http://etudesafricaines.revues.org/121 consulté le 25 janvier 2017.

STOEAN Carmen Stefania : « Les théories de l'énonciation comme fondement de l'approche communicative », Première assise théorique, Dialogos8/2003 Disponible sur http://www.romanice.ase.ro/dialogos/08/07_Stoean-Les-theories pdf.

SUNGDO Kim : « Benveniste et le paradigme de l'énonciation », Linx [En ligne], 9 | 1997, mis en ligne le 06 juillet 2012. Disponible sur http://linx.revues.org/1051 Consulté le 15 octobre 2012

SZILAGYI Ildikó : « le verset : entre le vers et le paragraphe », Études littéraires, vol. 39, n°1, 2007, p. 93-107.

Disponible sur URI : http://id.erudit.org/iderudit/018105ar

TAMBADOU Moustapha : « Politique et stratégie culturelles de Léopold Sédar Senghor », Éthiopiques, n°59, 2ème semestre 1997, Disponible sur http://ethiopiques.refer.sn/spip.php?article367

TALON-HUGON Carole : « L'émotion poétique », Noesis [En ligne], 72004, mis en ligne le 15 mai 2005. Disponible sur http : // noesis.revues.org/index30.html Consulté le 01 février 2013

THÉRIEN Michel : « Ouverture à la francophonie», Québec français, n°75, 1989, p.8 Disponible sur http://id.erudit.org/iderudit/45421ac

602

Consulté le 27 juillet 2013 à 02:10

Tirailleurs sénégalais face au nazisme, Disponible sur http://www.marianne.net/ tirailleurs-senegalais-face-au-nazisme-100236925.html.

TOH Bi Emmanuel : « Les ingrédients du lyrisme dans la poésie négritudienne », Le Pan Poétique des muses|Revue féministe internationales&multilingue de poésie Autres théories&pratiques : Lettres n°9 (publication partielle de nos derniers numéros imprimés de 2016)[En ligne], mis en ligne le 2 décembre 2016. Url : http://www.pandesmuses.fr/negritudienne.html

TURPIN Béatrice : « Le terme francophonie dans les dictionnaires de langue »,

Convergences francophones, Encrage, p. 111-122, 2006, 2-910687-20-1.<hal-011595525>, Disponible sur https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01159525

TURPIN Frédéric : « La Communauté franco-africaine : un projet de puissance entre héritage de la IVe République et conceptions gaulliennes », Outre-mers, tome 95, n°358-359, 1er semestre 2008. 1958 et l'outre-mer français, pp. 45-58,

Disponible sur http://www.persee.fr/doc/outre_1631-0438-2008_num_95_358_ 4316

VALANTIN Christian : Culture et Politique Chez Senghor, Disponible sur http://fr.slideshare.net/Nomadaid/culture-et-politique-chez-senghor Léopold Sédar Senghor : le poète, l'écrivain et le politique, ou Senghor l'Africain, Disponible sur http://www.cercle-richelieu-senghor.org/26-les-colloques-954890/senghor-et-la-francophonie/141-leopold-sedar-senghor-le-poete-lecrivain-et-le-politique-ou-senghor-lafricain-91825623.html

VANDENDORPE Christian : « De la francophonie à la littérature-monde »,@nalyses [En ligne], Comptes rendus, Francophonie, mis à jour le 01/09/2009.

Disponible sur http:// www.revue-analyses.org/index.php?id=858

VERDELHAN-BOURGADE Michèle : « Figure de l'émergence de la Francophonie dans les manuels scolaires pour l'Afrique et Madagascar (1960-1970) », Documents pour l'histoire du français langue étrangère ou second [En ligne], 40/41|2008, mise en ligne le 14 décembre 2010, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://dhfles.revues.org/461

YAMANI El Myriame : « Quête d'identité, encore et toujours », 24 images, n°56-57, 1991, p.82-83, disponible sur http://id.erudit.org/iderudit/22971ac, consulté le 27 juillet 2013 à 02:07

YANSANE Abdoulaye : La problématique de l'engagement politique de Léopold Sédar Senghor dans "Chants d'ombre" (1945) et "Hosties noires" (1948) : critique d'une certaine critique contemporaine. " PhD diss., University of Tennessee, 2013, p.244. Disponible sur http://trace.tennessee.edu/utk_graddiss/1799

YARON Iris : « Poéticité et image du poème », cyc, Volume 11 n°1, mis en ligne le 17 juin 2008, Revel Unice. Disponible sur http://www.revel.unice.fr/cycnos/index.html ?id=1366. Consulté le 06 mars 2013

YASSIN Sahira : La critique et la critique psychanalyse, Disponible sur

http://docplayer.fr/2010817-La-critique-et-la-critique-psychanalyse.html YERESSO Issa Sangaré : Medias et langues nationales en Côte d'Ivoire. Disponible sur

http://www.ltml.ci/files/articles9/Issa_Sangare_YERESSO.pdf

IX- FILMS-DOCUMENTAIRES SUR LÉOPOLD SÉDAR SENGHOR

Documentaire sur la vie et l'oeuvre de Léopold Sédar Senghor, Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=s-qL2Wg4GU

603

Léopold Senghor dans sa chère Normandie (1982), Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=T4PHF5AcPX0&t=1674s

Léopold Sédar Senghor-Un siècle d'écrivain : 1906-2001 (Documentaire, 1996), Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=imCdU7OQ5rc

Léopold Sédar Senghor : De la Négritude à l'universel 1 ÈRE Partie, Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=ZvzpwYycLI

Léopold Sédar Senghor : De la Négritude à l'universel 2 ÈRE Partie, Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=TgP8u233CKU

Léopold Sédar Senghor : De la Négritude à l'universel 3 ÈRE Partie, Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=E0mbh5H201g

Léopold Sédar Senghor : De la Négritude à l'universel 4 ÈRE Partie, Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=XvhSwHMq6qo

X- DICTIONNAIRES CONSULTÉS

Dictionnaire de la littérature française et francophone, Larousse, collection In Extenso, Paris,

2012, 592 p. [sous la direction de Pascal Mougin].

Dictionnaire de linguistique, Larousse, 1973, 516 p.

Dictionnaires des civilisations, Paris, 1968

Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, Paris, Robert Laffont, 2013, 955 p.

[Sous la direction de Pascal Ory]

Dictionnaire des oeuvres littéraires négro-africaines de langue française, Edition Naamand,

ACCT, 1983, 671 p. [sous la direction de Ambroise Kom].

Dictionnaire de sociologie, Armand Colin, Paris, 1991

Dictionnaire Encyclopédique des sciences du langage, Paris, 1995

Dictionnaire Historique de Langue française

Dictionnaire Larousse Encyclopédique, Tome III, 1960

Dictionnaire le Petit Robert, Paris, 1972

Dictionnaire Pratique du Français, Hachette, Paris, 1987

Dictionnaire Universelle de Poche, Hachette, Paris, 1993

Encyclopédie Larousse

Grand Dictionnaire des lettres, Larousse, Paris, 1987 [sous la direction de Jacques

DEMOUGIN], 892 p.

Lexique de termes juridiques, 9ème édition, Dalloz, 1993

Le dictionnaire du littéraire, Quadrige/Presses Universitaires de France, Paris, 2014, 816 p.

(Troisième édition), [sous la direction de Paul Aron, Denis Saint-Jacques,

Alain Viala].

Le Nouveau petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française,

éd. Société, DICTIONNAIRES LE ROBERT, Paris, 2010, 2837 p. [sous la

direction de REY-DEBOVE Josette et REY Alain]

604

TABLE DES MATIÈRES

Remerciement p. 5

Avant-propos pp. 6-7

Sommaire p. 8

Introduction pp. 9-30

Partie I : La Francophonie, un concept sauvé de ses cendres pp. 31-140

Chapitre I : La Francophonie, d'Onésime Reclus à la revue Esprit pp. 38-66

1- La Francophonie d'Onésime Reclus, une solution au déclin

de la langue française pp. 42-51

2- La Francophonie de la revue Esprit, une communauté naissante pp. 52-66

Chapitre II : Léopold Sédar Senghor et la Francophonie pp. 67-99

1- La conception senghorienne de la Francophonie pp. 72-86

2- La Francophonie senghorienne, l'exaltation de la Négritude pp. 87-99

Chapitre III : La Francophonie en débat pp. 100-140

1- Un concept d'enracinement et d'ouverture pp. 111-123

2- Une notion de dialogue des cultures pp. 124-140

Partie II : La Francophonie dans la poésie de Léopold Sédar Senghor pp. 141-323

Chapitre I : Le projet de la Francophonie pp. 148-204

1- Une filiation historique avec la France pp. 153-170

2- Le sacrifice de l'Afrique pour l'Europe pp. 171-188

3- Le pardon des Noirs pour une renaissance du monde pp. 189-205

Chapitre II : Le choix définitif de Léopold Sédar Senghor pp. 206-261

1- Le choix de la langue française pp. 212-225

2- Le choix du français africanisé ou « négrifié » pp. 226-243

3- Le choix du peuple noir pp. 244-261
Chapitre III : La renaissance des valeurs culturelles africaines et l'ouverture

culturelle pp. 261-322

1- L'éloge de la culture africaine pp. 265-286

2- L'ouverture culturelle pp. 287-301

3- L'éloge de la Civilisation de l'Universel pp. 302-323
Partie III : La Francophonie, une problématique identitaire chez Léopold

Sédar Senghor pp. 324-460

Chapitre I : Léopold Sédar Senghor et la quête d'une identité rhizomique pp. 333-355

605

La thèse de l'ancêtre portugais

pp. 337-346

2- La thèse des sangs mêlés

pp. 347-355

 

Chapitre II : La problématique d'une identité constituée

pp. 356-379

1- Une identité de l'entre-deux

pp. 360-368

2- Une identité acculturée

pp. 369-379

 

Chapitre III : L'identité francophone chez Léopold Sédar Senghor

pp. 380-408

1- Une identité humaniste

pp. 384-393

2- Une identité culturelle

pp. 394-408

 

Chapitre IV : La poésie francophone : essai de définition

pp. 409-460

1- Qu'est-ce que la poésie francophone ?

pp. 417-425

2- La poésie francophone : de la diversité à l'unité

pp. 426-437

3- Les contours et les caractéristiques de la poésie francophone

pp. 438-460

 

Conclusion

pp. 461-470

Annexes

pp. 471-549

I. Charte de la Francophonie (OIF)

pp. 471-477

II. Liste des 84 États et gouvernements de l'OIF

p. 478

III. Statut d'adhésion à l'OIF

pp. 479-483

IV. L'organigramme de l'OIF

p. 484

V. Protocole d'accord entre OIF et Commonwealth

pp. 485-487

VI. Supplément à l'accord entre OIF et Commonwealth (en français)

p. 488

VII. Supplément à l'accord entre OIF et Commonwealth (en anglais)

p. 489

VIII. Les sommets de l'OIF

pp. 490-491

IX. L'hymne du Sénégal

pp.491-492

X. Quelques articles de Senghor sur la Francophonie et la culture

pp. 493-546

XI. Les africanismes dans la poésie de Senghor

pp. 547-549

Index des thèmes

pp. 550-559

Index des auteurs

pp. 560-567

Bibliographie

pp. 568-609






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry