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Le rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médiums et matières d’enseignement, dans l’éducation bilingue au Burkina Faso.


par Bouinemwende Wenceslas ZOUNGRANA
Université sciences humaines et sociales /Lille 3 - Master 2 Recherche 2014
  

Disponible en mode multipage

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ANNEE ACADEMIQUE 2013-2014

UFR DEVELOPPEMENT SOCIAL, EDUCATION, CULTURE,
COMMUNICATION, INFORMATION, DOCUMENTATION (DECCID)

DEPARTEMENT DES SCIENCES ET METIERS DE L'EDUCATION, DE L'ENSEIGNEMENT ET DE LA FORMATION (SMEEF)

SPECIALITE

DIDACTIQUES, ENSEIGNEMENT ET FORMATION DE FORMATEUR (DEFF)

PARCOURS

DIDACTIQUES, ENSEIGNEMENT ET APPRENTISSAGES (DEA)

MEMOIRE DE MASTER 2 RECHERCHE

THEME :
Le rapport des enseignants aux langues nationales,
en tant que médiums et matières d'enseignement,
dans l'éducation bilingue au Burkina Faso

Présenté par : Sous la direction de :

ZOUNGRANA Monsieur Yves Reuter

Bouinzemwende Wenceslas

Septembre 2014

II

REMERCIEMENTS

La rédaction de ce travail de recherche
n'aurait certainement pas été possible sans le concours
de certaines personnes
que je tiens à nommer et à remercier personnellement ici.
Mon merci va à l'endroit de mon directeur de recherche, Monsieur
Yves Reuter professeur des universités, qui m'a guidé, conseillé et
encouragé dans la réalisation de ce travail.

Je remercie Monseigneur Justin KIENTGA, grâce à qui j'ai pu réaliser les études en sciences de l'éducation et qui par l'intérêt dont il témoigne pour l'éducation a su me motiver à donner le meilleur de moi-même.

Je tiens à remercier également tous les enseignants qui ont pris de leur temps pour répondre avec soin à mon questionnaire ou qui se sont rendus disponibles pour les entretiens. Je vous suis très reconnaissant car sans vous ce travail n'aurait pas abouti.

Je remercie enfin tous mes confrères, frères et amis qui m'ont

prêté un coup de main dans la collecte des données ou dans la recherche de la documentation.

« Nôog sâ n kùm bi y reeg beogo ! »

(Je vous suis très reconnaissant !)

III

S0MMAIRE

REMERCIEMENTS II

S0MMAIRE III

INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1: CONTEXTE DE L'ETUDE 4

1.1 Présentation du Burkina Faso 4

1.2 Présentation du système éducatif burkinabè 8

CHAPITRE 2 : LA PROBLEMATIQUE DE L'INTRODUCTION DES LANGUES NATIONALES

DANS L'EDUCATION 17

2.1 Les obstacles à l'introduction des langues nationales dans l'éducation 18

2.2 L'éducation bilingue comme alternative à la problématique de l'introduction

des langues nationales dans l'éducation 21

CHAPITRE 3 : DES RAISONS DE S'INTERROGER 35

3.1 L'école bilingue, la fabrication d'un succès 35

3.2 La situation de diglossie au Burkina Faso 37

3.3 Hypothèses de recherche 40

3.4 Justifications 41

CHAPITRE 4 : 44

LE CADRE DE REFERENCE 44

4.1 Le « rapport à » comme fondement du rapport au savoir 44

4.2 Ancrage disciplinaire 45

4. 3 Autres concepts principaux 50

4.3 Opérationnalisation de la problématique et du cadre théorique 52

CHAPITRE 5 : NOS CHEMINS D'INVESTIGATIONS 55

5.1 La démarche de recueil des données 55

IV

5.2 Le traitement des données 60

CHAPITRE 6 : ANALYSE DESCRIPTIVE DES DONNEES 63

6.1 Quelques éléments portant sur le profil des enseignants 63

6.2 L'intérêt pour les langues nationales 66

6.3 Intérêt disciplinaire des langues nationales 71

6.4 Intérêt et conviction des enseignants pour l'éducation bilingue 79

CHAPITRE 7 : INTERPRETATION DES DONNEES ET PROSPECTIVES 90

7.1 Synthèse des résultats 90

7.2 Interprétation des résultats au regard de notre problématique et de nos

hypothèses 92

7.3 Interprétation au regard du cadre théorique 105

7.4 La portée des résultats 107

7.5 Prospectives 109

CONCLUSION 112

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 116

ANNEXES (voir tome 2) 124

RESUME 128

1

INTRODUCTION

« Les progrès des sciences assurent les progrès de l'art d'instruire, qui eux-mêmes accélèrent ensuite ceux des sciences ; et cette influence réciproque, dont l'action se renouvelle sans cesse, doit être placée au nombre des causes les plus actives, les plus puissantes du perfectionnement de l'espèce humaine. » (Condorcet, 1793-1794 : 215). Cette réflexion de Condorcet qui fait de l'éducation de base la pierre d'angle de tout l'édifice éducatif et du progrès traduit à quel point l'éducation joue un rôle incontournable dans le développement humain, et combien la recherche de solutions nouvelles pour la rendre meilleure est toujours au centre des préoccupations des chercheurs. Cette influence de l'éducation sur le développement est si prégnante que partout, ceux qui sont en charge de sa gestion n'ont de cesse de chercher les voies et moyens pour la rendre plus accessible et plus efficace dans la transmission des savoirs. Au Burkina Faso, c'est une telle préoccupation qui a conduit les gouvernants à expérimenter et à mettre en place le système éducatif bilingue.

Le système éducatif bilingue actuellement en pratique au Burkina Faso est une innovation pédagogique qui a vu le jour suite aux états généraux de l'éducation tenus en 1994. Ces états généraux avaient fait le constat des limites, voire même de l'échec de l'éducation classique utilisant le Français comme langue unique de scolarisation. Les raisons de cet échec se rapportent entre autres au fait que l'utilisation du Français, langue non maternelle des élèves et parlée couramment par une minorité (10 à 15% de la population à l'époque), comme médium des enseignements, constituait un sérieux handicap à l'appropriation des contenus disciplinaires par les apprenants.

Suite à ce constat et à la recommandation faite par les états généraux de l'éducation d'utiliser les langues nationales comme médiums d'enseignement et aussi en tenant compte des nombreuses expériences déjà entreprises dans ce domaine par les acteurs de l'éducation non formelle, l'Etat, par le biais du ministère de l'Enseignement de Base, va prendre à coeur cette préoccupation en soutenant une expérience d'éducation bilingue initiée par une ONG suisse, l'oeuvre suisse d'entraide ouvrière. Lorsqu'en 2002, l'évaluation de cette expérimentation est jugée positive, le Ministère de l'enseignement de Base publie une circulaire qui autorise les parents et les écoles qui le souhaitent à demander la transformation des écoles classiques de leurs localités en écoles bilingues. A la suite de cette opération et selon les statistiques du ministère de l'enseignement de base de l'année scolaire 2010-2011, le Burkina comptait 114 écoles bilingues sur un total de 10 796 écoles. Parmi ses 114 écoles,

2

95 étaient des écoles publiques et les 19 autres des écoles privées relevant pour la majorité de l'enseignement catholique qui a fortement soutenu le projet.

La principale innovation dans ce modèle pédagogique qui dure 5 ans au lieu de 6 ans (pour le classique), c'est l'utilisation de la langue maternelle ou langue première de l'enfant comme médium et matières d'enseignement.

Si aujourd'hui l'efficacité du système d'éducation bilingue semble admise sur le plan didactique, il n'en demeure pas moins vrai qu'il subsiste, malgré tout, des lenteurs ou des réticences du côté des parents à transformer leurs écoles classiques en écoles bilingues ; de telles attitudes témoignent, à notre sens, des nombreuses appréhensions avec lesquelles ils envisagent l'avenir de cette innovation pédagogique. En effet, outre le fait que ce système éducatif voit le jour au milieu d'une soixantaine de langues nationales, on ne peut ignorer le fait qu'il est appelé à se développer dans un contexte dit diglossique où les langues nationales ne jouissent pas nécessairement de préjugés favorables à leur utilisation comme médium et matières d'enseignement. A tout cela s'ajoutent les nombreuses critiques formulées à l'encontre de la manière dont a été conduite l'expérimentation, notamment son instrumentalisation par les partenaires du projet.

Ayant fait quelque peu l'expérience des difficultés inhérentes à la mise en oeuvre de cette innovation pédagogique et étant nous-même habité par le souci de l'amélioration du système éducatif burkinabè, nous nous interrogeons particulièrement sur la posture des enseignants dans un tel contexte. L'objet de notre étude n'est pas d'engager une polémique sur la qualité didactique, pédagogique ou socio-anthropologique de l'éducation bilingue au Burkina Faso. La préoccupation qui nous guide, c'est de comprendre le rapport des enseignants aux langues nationales qui sont utilisées comme médium et matières d'enseignement dans l'éducation bilingue, c'est-à-dire la manière dont ils appréhendent ces objets d'enseignement en tant que premiers acteurs du système éducatif.

Une telle recherche présente à notre sens un triple intérêt : d'une part elle permettra à la communauté scientifique de mieux investir un domaine non encore bien exploré ; en effet, si l'éducation bilingue a fait l'objet de nombreux travaux au Burkina Faso, la question proprement dite du rapport aux langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement reste à investiguer. D'autre part, étudier le rapport des enseignants aux langues nationales nous permettra sans doute de mieux les situer par rapport au reste de la

3

population dans le contexte de la diglossie. Enfin, nous estimons que comprendre le rapport des enseignants à l'éducation bilingue permettra non seulement aux enseignants eux-mêmes de mieux réfléchir à leurs pratiques mais aussi aux formateurs de mieux les prendre en compte dans les modules de formation.

Pour mener à bien notre recherche, nous nous adossons au cadre de la théorie anthropologique du rapport au savoir d'Yves Chevallard qui met en jeu les interactions entre les institutions ainsi que les sujets et les objets qu'elles contiennent dans le processus de construction du savoir. Par ailleurs la méthodologie de recherche de type mixte, quantitative et qualitative que nous adoptons nous permettra de procéder à une analyse descriptive de la situation du rapport aux langues nationales des enseignants par les données quantitatives d'une part et de mieux cerner leurs représentations sur ces langues nationales par le biais des données qualitatives d'autre part.

Dans un souci de cohésion, notre réflexion sera articulée selon la démarche suivante : après avoir présenté le contexte de l'étude, nous déroulerons la problématique relative à l'utilisation des langues nationales dans l'éducation et à la mise en place de l'éducation bilingue. Cette base contextuelle et théorique nous permettra de définir les cadres théoriques et méthodologiques qui baliseront notre étude et sous l'angle desquels seront exposés les principaux résultats et l'interprétation dont ils feront l'objet.

CHAPITRE 1 :

CONTEXTE DE L'ETUDE

4

1.1 Présentation du Burkina Faso

1.1.1 Situation physique, historique et économique

Situé en plein coeur de l'Afrique de l'ouest et doté d'une superficie de 274 200 km2, le Burkina Faso compte une population de près de 14 millions d'habitants selon le dernier recensement général de la population de 2006. Il est limité au Nord et à l'Ouest par le Mali, au Sud par la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin et à l'Est par le Niger. Sur le plan administratif, le pays compte 13 régions, 45 provinces, 351 départements, 49 communes urbaines, 302 communes rurales et plus de 8500 villages.

Carte n°1 : divisions administratives du territoire burkinabè

C'est en 1888 que commence l'exploration du territoire du Burkina Faso avec l'arrivée de l'expédition menée par le capitaine Binger1. Huit années plus tard, l'entrée des

1Le capitaine Louis-Gustave Binger (1856-1936) est un officier français et un explorateur de l'Afrique de l'ouest

5

troupes de la colonne Voulet-Chanoine2 à Ouagadougou, suivie de l'exil du Moogho-Naaba Wobgo3, marque le début de l'ère colonial dans ce territoire. Toutefois, ce n'est qu'en 1919 que la Haute-Volta est constituée officiellement colonie française et ce jusqu'en 1932 où elle est démembrée et rattachée au Mali, au Niger et à la Côte d'Ivoire en raison de son enclavement et pour servir de main d'oeuvre dans ces pays. Cependant, après la seconde guerre mondiale et sur insistance du Moogho Naaba Koom, le pays sera rétabli dans ces frontières initiales en 1947 puis accèdera à l'indépendance en 1960.

Depuis son accession à l'indépendance en 1960, le Burkina Faso a connu une histoire politique tourmentée en raison de l'instauration d'une succession de régimes d'exceptions. Le plus marquant de ces régimes est sans doute l'avènement du Conseil National de la Révolution (CNR) du capitaine Thomas Sankara, de 1983 à 1987. C'est d'ailleurs sous ce régime que, de sa désignation coloniale de Haute Volta, le pays sera rebaptisé du nom de Burkina Faso ou pays des hommes intègres. En 1991, le Burkina Faso va toutefois renouer avec la culture de la démocratie. Ce vent de renouveau démocratique a été bénéfique car il a favorisé l'éclosion de la liberté d'expression, de l'initiative privée dans divers secteurs de la vie nationale notamment celui de l'éducation (Sources : Madiega Y. G., Nao O., 2006)

Pays sahélien enclavé et pratiquement dépourvu de matières premières, le Burkina Faso dont l'économie est essentiellement basée sur l'agriculture et l'élevage est confronté aux aléas climatiques et fortement dépendant des institutions financières internationales.

Malgré les nombreux efforts déployés pour garantir l'éducation à tous, le pays connaît aujourd'hui encore de grandes difficultés pour garantir l'éducation à tous ses fils et filles, avec notamment une grande disparité dans la scolarisation entre le milieu rural et le milieu urbain.

1.1.2 Le contexte démographique

Le dernier recensement général de la population et de l'habitation de 2006 (RGPH) a permis d'estimer la population du Burkina Faso à 14 017 262 habitants dont 51,7% de femmes et 48,3% d'hommes. La majorité de la population (77,3%) vit en milieu rural.

Le taux de croissance annuelle moyen de la population est de 3,1% entre 1996 et 2006 contre 2,38% entre 1985 et 1996 et 3,5%. Cette forte croissance de la population est due à la

2 La colonne Voulet-Chanoine est une expédition française de conquête coloniale menée par le capitaine Paul Voulet et le lieutenant Julien Chanoine de 1896 à 1899.

3 Le Moogho Naaba est le chef suprême des « moosse », l'ethnie majoritaire au Burkina Faso.

baisse du taux de mortalité et à une fécondité toujours élevée (le nombre moyen d'enfants par femme étant de 6,2).

1.1.3 Un pays multiethniques

Le dictionnaire Larousse définit l'ethnie comme étant un : « groupement humain qui possède une structure familiale, économique et sociale homogène, et dont l'unité repose sur une communauté de langue, de culture et de conscience de groupe ». cette définition qui laisse entendre que les ethnies se déterminent par des critères familiaux, linguistiques et socio-économiques est bien caractéristique de la situation de la population du Burkina Faso qui est composée d'une soixantaine d'ethnies. Les Mossis constituent l'ethnie majoritaire (environ 53 %) et vivent dans le centre du pays. Les autres groupes importants sont : à l'est, les Gourmantchés (7 % de la population) ; au nord, les Peuls (7,8 %) ; au sud, les Bissas (3%) et les Gourounsis (6 %) ; au sud-ouest les Samos (2 %), les Markas (1,7 %), les Bobos (1,6 %), les Sénoufos (2,2 %) et les Lobis (2,5 %).

Carte n°2 : Répartition traditionnelle des principales communautés du Burkina Faso

Cette répartition de la population n'est cependant pas figée. On assiste à un fort brassage entre ethnies ; en outre, toutes ces ethnies, malgré leur diversité vivent en symbiose,

6

7

partagent un fond culturel commun et sont généralement réparties en quatre grands groupes que sont :

· les communautés les plus anciennement installées composées des bobos, des bwas, des kurumbas, des gourounsis, des pougoulis, des sénoufos, des turkas, des gouins, des lobis, des gans, des doroyes et des vigués;

· les populations néo soudaniennes composées des mossis, des gourmantchés, des sonraïs et des yarsés ;

· les populations Mandé regroupant les markas, les samos, les bissas ;

· les populations du Sahel qui comptent les peulhs, les touaregs ; (Sources : Office National du Tourisme Burkinabè : ONTB)

En rapport avec cette caractéristique de la population burkinabè, un certain nombre d'études ont montré qu'il existait un lien assez étroit entre origine ethnique et comportement vis-à-vis de l'école. Ainsi, dans son étude sur la déscolarisation des filles au Burkina Faso, les recherches de Guison (2004) avaient révélé que les filles issues des familles senoufo, gourounsi, bobo ou samo avaient moins de risque d'abandonner l'école que celles issues des familles mossi. De même, elle avait trouvé que les filles peules et dioulas étaient beaucoup plus sujettes à l'abandon que les fillettes Gourmantchés.

De son côté, les études de Jean-François Kobiane et Marc Pilon (2008) sur les facteurs socioculturels ont très clairement montré qu'au Burkina trois ethnies étaient faiblement scolarisées par rapport aux autres ; il s'agit des Peuls, des Lobis et des Gourmantchés. Les auteurs expliquent cet état de fait par des paramètres historiques, politiques, économiques et religieux. Allant dans le même sens, Sanou (1995), pour sa part, en appelle, pour une meilleure compréhension des déterminants ethniques, à un examen plus approfondi afin de se rendre compte des interactions socioculturelles, car dit-il : « on a l'impression d'avoir affaire à un « trou noir » par lequel les populations passent pour adopter des comportements « bizarres », en tout cas non cartésiens » Sanou (1995), cité par Kobiane et Pilon (2008 :1002).

8

1.2 Présentation du système éducatif burkinabè

1.2.1 La structuration de l'éducation au Burkina

La Loi d'orientation de l'éducation, promulguée en 2007, distingue quatre composantes du système éducatif : l'éducation formelle, l'éducation non formelle, l'éducation informelle et l'éducation spécialisée. Toutefois, dans la pratique, cette structuration encore marquée par l'héritage colonial est fortement calquée sur celle de l'ancienne métropole française. On distingue, de ce fait, l'éducation de base, l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur.

- l'éducation de base : elle est constituée de l'éducation préscolaire, primaire et post-primaire. Il est à noter que le préscolaire concerne les enfants de 3 à 6 ans et comporte un cycle unique de 3 ans. L'enseignement primaire quant à lui comprend trois cours de deux ans chacun : les cours préparatoires (CP1 et CP2), les cours élémentaires (CE1 et CE2) et les cours moyens (CM1 et CM2) et concerne les enfants de 7 à 13 ans. La fin du cycle primaire est sanctionnée par le Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires (CEPE), diplôme obtenu à l'issue d'un examen national. A la fin de ce deuxième niveau de l'éducation de base, l'élève devra, sur la base d'une orientation scolaire ou professionnelle, opter entre l'enseignement général et l'enseignement technique et professionnel.

L'enseignement post-primaire fait suite à l'enseignement primaire et doit conduire l'élève à atteindre les finalités attendues de l'éducation de base, à savoir la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans. Il a une durée de 4 ans et est sanctionné par le Brevet d'Etudes du Premier Cycle (BEPC) pour l'enseignement général, et par le Certificat d'Aptitude Professionnelle (CAP) pour l'enseignement technique et la formation professionnelle. Au terme du post-primaire, l'élève pourra, sur la base d'une orientation scolaire ou professionnelle, opter entre la formation professionnelle proprement dite et la poursuite des études dans l'enseignement général.

Toujours dans le registre de l'éducation de base, on compte aussi l'éducation non formelle ; selon la loi d'orientation de 2007, elle désignerait, toutes les activités d'alphabétisation, de formation et d'encadrement non formelles organisées dans une structure publique ou privée reconnue par l'Etat. (Loi d'orientation N°013-2007/AN du 31 juillet 2007, art. 34)

9

- L'enseignement secondaire : L'enseignement secondaire comprend deux types d'enseignement : l'enseignement général, l'enseignement technique et professionnel ; il se situe entre l'enseignement post-primaire et l'enseignement supérieur ; il est en outre couronné par le Baccalauréat et ouvre la voie, aux enfants qui le veulent et le peuvent, à l'enseignement supérieur ou à l'enseignement professionnel spécialisé.

- L'enseignement supérieur, avec les niveaux Licence, Master et Doctorat comprend les universités et les écoles supérieures publiques et privées. Il est dispensé par des universités aussi bien publiques que privées.

Quatre ministères ont en charge la gestion de l'éducation :

· le Ministère de l'Action Sociale et de la Solidarité Nationale (MASSN) pour ce qui concerne l'enseignement préscolaire ;

· Le Ministère de l'Education Nationale (MENA) pour l'enseignement primaire, post primaire et l'éducation non formelle ;

· Le Ministère des enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESSRS) pour tout ce qui a trait à l'enseignement secondaire et supérieur ou spécialisé ;

· Le Ministère de la promotion de l'emploi pour tout ce qui se rapporte à l'enseignement professionnel.

1.2.2 Les performances de l'éducation au Burkina

- Situation d'ensemble

Le Burkina Faso a réalisé d'énormes progrès depuis les engagements pris en faveur de l'Education Pour Tous (EPT)4 et dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement5. Néanmoins, malgré ces progrès, de grands défis restent encore à relever, tant au niveau du formel que du non formel. Dans l'interview qu'elle a accordé à l'attaché de

4 Le programme Education Pour Tous (EPT) a été inauguré à la Conférence Mondiale sur l'éducation de Jomtien (Thaïlande) en 1990 sous l'égide de l'UNESCO ; il se donnait pour objectif principal et prioritaire d'offrir à tous les enfants, garçons et filles, la possibilité d'accéder à un cycle complet d'enseignement primaire en l'an 2000.

5 Les objectifs du millénaire pour le développement constituent un plan de huit engagements approuvés par tous les pays du monde et les institutions de développement parmi lesquels figure l'engagement pour rendre l'éducation accessible à tous.

10

presse de l'ambassade du Burkina aux Etats-Unis, lors de sa visite de travail à Washington, la ministre en charge de l'enseignement de base a énuméré un certain nombre de défis :

« faible qualité de l'enseignement et des apprentissages, insuffisance du nombre de maîtres et de maîtresses, surcharge de classes dans certaines régions et sous-utilisation des infrastructures dans d'autres, inégalités filles/garçons, taux de redoublement et d'abandon en cours de cycle élevés, faible taux de transition entre enseignement primaire et enseignement post-primaire, faible niveau de scolarisation en milieu rural, insuffisance de passerelles entre éducation non formelle et éducation formelle, coûts unitaires d'éducation élevés, faible adéquation entre les acquis des apprentissages et les besoins du marché de travail, faible capacité des acteurs et actrices, taux de déperdition élevé des jeunes dans les centres, inadéquation des curricula, etc. » (Burkina 24, lundi 10 février 2014).

Face à ces défis, l'objectif poursuivi par les responsables en charge de l'éducation est

de faire en sorte qu'en 2015, au plus tard, 75% des enfants de 12 ans achèvent l'école primaire et qu'en 2020 ils puissent tous achever ce niveau d'éducation (Sources : MENA, Programme de Développement Stratégique de l'Education de Base (PDSEB) 2010-2020, mars 2010). Mais en attentant, que peut-on dire des performances l'éducation au Burkina ?

- Analyse de l'efficacité interne

« L'efficacité interne de l'éducation s'intéresse aux relations entre les inputs éducatifs et les résultats scolaires ou académiques, soit à l'intérieur du système éducatif dans son ensemble, soit au sein d'une institution scolaire déterminé. » (Psacharopoulos, Woodhall, 1988, cités par Sall (1996 : 100). En d'autres termes, c'est la capacité du système éducatif à conduire les élèves, les étudiants et les divers apprenants qui y entrent à terminer leur cursus avec succès dans la limite de la période prescrite. Elle s'exprime entre autre par l'analyse des taux de rendements scolaires, des taux de passage en classe supérieure, de réussite aux examens, de redoublement ou d'abandon.

Au regard de cette définition, il ressort, d'après les statistiques, que le système éducatif burkinabè souffre d'un problème d'efficacité à tous les niveaux. Plus encore, cette question des mauvaises performances de l'éducation ne semble pas dater d'aujourd'hui. Déjà Les Etats Généraux de l'Education en 1994 faisaient remarquer ceci au sujet du système éducatif burkinabè : « le rendement interne du système est très faible, quel que soit l'indicateur utilisé, car on note un faible taux de promotion et de forts taux de redoublements, d'abandons,

11

d'exclusions aux différents niveaux du cycle » (Etats généraux de l'éducation nationale, 1994,

p. 25).

- Le premier indice qui révèle la contre performance du système éducatif au Burkina concerne les évaluations nationales. Le MENA réalise des évaluations scolaires visant à comparer l'évolution des résultats des élèves burkinabé dans le temps. La première vague d'évaluations a eu lieu entre 2005 et 2007 et a concerné toutes les classes de l'enseignement primaire. L'extrait des résultats présentés dans le tableau ci-dessous permet de se rendre compte de la réalité.

Tableau n°1 : Résultats aux tests nationaux d'évaluation

Année

Niveau

Disciplines (score sur 100)

 

Mathématiques

Sciences

2005

CP1

41,9

37,1

 
 

40,1

38,2

 

2006

CP2

50,5

46,4

 
 

45,3

43,9

49,9

2007

CE1

46,1

46,8

 
 

53,7

49,8

60,1

 

Sources : MENA (2008), Rapport sur l'évaluation des acquis scolaires 2005-2007, DEP/MENA.

A l'observation de ce tableau, on remarque que les résultats des trois premières évaluations présentés ci-dessus indiquent qu'à l'exception des classes de CP2 en 2006 et de CM2 en 2007 qui obtiennent des résultats légèrement au-dessus de la moyenne en français et en sciences, toutes les autres classes sont en-dessous de la moyenne.

12

- Ces résultats que l'on peut qualifier de « catastrophiques » expliquent à leur tour le taux d'achèvement moyen du cycle primaire ainsi que le faible taux de promotion et le fort taux de redoublement et d'abandon dans l'enseignement secondaire ci-dessous mentionnés.

Tableau n°2 : Evolution du taux d'achèvement au primaire en %.

Elèves

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

garçons

27

25,7

27,3

28,4

28,4

29,5

31

32,7

34,1

36,9

filles

18,7

18,4

19,3

19,4

20

21,6

23,1

24,7

26,6

28,7

Total

23,0

22,1

23,4

24,3

24,0

25,6

27,1

28,7

30,4

32,8

 

Sources : DEP/ MENA /synthèse 2005-2006

Le tableau représentatif du taux d'achèvement du cycle primaire montre que sur 100 écoliers entrés au CP1, seulement 22 ont la chance de parvenir au CM2 en 1999 contre 33 en 2007. Les déperditions sont provoquées essentiellement par les redoublements, les exclusions pour insuffisances de résultats et les abandons pour divers motifs.

- L'examen du tableau du flux moyen de l'enseignement secondaire général de 2004/2005 à 2007/2008 pour sa part, montre que les taux de promotion varient entre 58,5 et 72%, avec une baisse considérable dans les classes d'examens (troisième : 38,3% ; terminale : 32,4%) ; pour ce qui concerne les taux de redoublement, ils vont de 19 à 27% tandis que les taux d'abandon s'élèvent de 2 à 15%.

Cette étude menée par le Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique révèle que sur un nombre total de 1000 élèves entrés au post-primaire, seuls 126 parviendront en classe de Terminale avec ou sans redoublement au nombre desquels 52 seulement auront une forte probabilité de réussir au Bac.

13

Tableau n°3 : Taux de flux moyens de l'Enseignement secondaire général de 2004/2005 à 2007/2008

Années d'études

Taux de promotion

Taux de redoublement

Taux d'abandons

Sixième

58,5

26,0

15,5

Cinquième

65,4

24,5

10,1

Quatrième

70,4

26,9

2,6

Troisième

38,3

45,6

16,1

Seconde

64,3

20,9

14,8

Première

72,7

19,9

7,4

Terminale

32,4

39,7

28,0

 

Source : Politique sous-sectorielle des ESSRS: Document de diagnostic, 2009

Comme le montrent les tableaux ci-dessus, l'examen attentif des résultats scolaires, indiquant le taux d'achèvement du cycle primaire ainsi que les taux de promotion, de redoublement et d'abandon dans l'enseignement secondaire nous donnent de constater que le rendement interne du système d'éducation de base formelle classique est très faible, quel que soit l'indicateur utilisé. Mais qu'est-ce qui explique cela ? Plusieurs hypothèses sont avancées pour justifier les mauvaises performances du système éducatif burkinabè.

1.2.3 Quelques causes explicatives des contreperformances du système éducatif burkinabè

De nombreuses causes sont souvent évoquées pour justifier les mauvaises performances du système éducatif burkinabè ; au nombre de celles-ci on peut citer les questions d'ordre culturel, l'offre scolaire et la situation socioprofessionnelle des enseignants.

- Le souci de la sauvegarde des valeurs culturelles

Dans l'étude qu'ils ont menée sur les obstacles à la scolarisation des peuples nomades, Ali, Souley et Tiné (1998 :13) ont montré que l'influence et le souci de sauvegarde des valeurs traditionnelles pouvaient être un frein à la scolarisation des enfants. De l'avis de

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ces auteurs, « Il n'est pas rare d'entendre des parents dire que l'école détourne les enfants de leur propre culture(...) transforme l'enfant au point de lui faire détester sa propre langue, ses traditions, sa société (...) L'école est ainsi perçue comme une innovation étrangère, "l'affaire des Blancs", dont le but est d'accélérer l'extraversion des jeunes et la décadence des valeurs liées à la culture traditionnelle ». Cela se justifierait par le fait que les parents sont le plus souvent choqués par le comportement de leurs enfants qui ont fréquenté l'école ; ceux-ci, de leur point de vue, se détourneraient des pratiques ancestrales comme « paître les vaches ou cultiver les champs » pour adopter les manières occidentales. C'est ainsi que « Les écoliers sont généralement jugés comme irrespectueux et turbulents, à l'opposé de l'enfant élevé traditionnellement qui, lui, sait rester sage et obéissant. Selon les parents, l'écolier méprise la vie des villageois en refusant de se conformer aux règles de vie traditionnelle. » (1998 :13).

Le rapport présenté par le député burkinabè Bayo Célestin Koussoube (2012) sur les systèmes éducatifs et les transformations socio-économiques au Burkina, lors de l'assemblée parlementaire de la francophonie en mars 2012 à Québec, est très éclairant à ce sujet. Dans son rapport, le député montre que deux systèmes éducatifs coexistent au Burkina après les indépendances : le système d'éducation traditionnelle et le système d'éducation postcoloniale. Selon lui, dans le système éducatif traditionnel, c'est à toute la société qu'incombe la responsabilité de l'éducation et non pas seulement à la famille génitrice ; c'est une éducation qui tend essentiellement vers le maintien d'un équilibre communautaire au détriment, s'il le faut, de l'initiative personnelle. « Elle tend à valoriser la cohésion, la solidarité, la primauté du groupe » (Koussoube, 2012 : 3) ; à l'inverse, l'éducation postcoloniale tend entre autres « à favoriser le développement personnel à travers un épanouissement physique, intellectuel et moral » et « stimuler l'esprit d'initiative et d'entreprise » (Koussoube, 2012 : 3). On voit bien que d'un côté, dans l'éducation traditionnelle, c'est l'intérêt communautaire qui est mis en avant tandis que de l'autre, dans l'éducation post coloniale, c'est plutôt l'épanouissement personnel de l'individu qui est visé.

Par ailleurs, certaines recherches ont montré que sur le plan culturel, cette hostilité aux changements induits par l'école est souvent due à de douloureuses situations historiques liées notamment aux effets de la colonisation ; ainsi, pour les Lobis du sud-ouest du Burkina connus pour n'avoir jamais été soumis à un autre groupe ethnique et pour s'être farouchement opposés à l'envahisseur blanc, leur résignation à la présence française s'est traduite par une sorte de serment collectif interdisant à tout Lobi de suivre la voie des blancs sous peine de malédiction et de mort (Kobiane et Pilon, 2008). Cette attitude de rejet de l'école par les

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Lobis laisse percevoir à priori qu'au-delà des considérations d'ordre traditionnel, une ethnie peut rejeter l'école en raison de son histoire.

- La qualité de l'offre scolaire

Dans son mémoire de langue étrangère appliquée, Julie Rérolle (2007 : 25) montre que dans le domaine de l'éducation, le Burkina Faso poursuit actuellement deux objectifs contradictoires : « offrir un enseignement de masse » et « de qualité ». Malheureusement, cette politique éducative est inadaptée car elle ne répond ni à la demande de la population ni au contexte du pays encore majoritairement analphabète. Se référant aux critères de définition de l'effectivité de l'éducation des Nations Unies, elle relève « qu'un système éducatif est effectif quand l'offre est acceptable (les populations en acceptent les objectifs) ; adaptable (le système est adapté aux différents besoins et contextes des élèves) ; avec une dotation adéquate (en personnes et en équipements, conformément aux besoins réels) et accessible (ouvert à tous) » (2007 : 25). Parmi ces critères trois seraient encore loin d'être atteints par le Burkina, à savoir l'« adaptabilité, accessibilité et dotation adéquate » ; elle en arrive donc à la conclusion que « Les politiques d'éducation doivent donc chercher à définir ce qui pourrait pousser les enfants à aller à l'école (en termes de scolarisation et de participation) et les parents à les y inscrire (offrir des incitations à la demande), et comment améliorer l'effectivité et l'équité du système actuel, pour fournir un enseignement de qualité » (2007 : 25).

Contrairement à Rérolle (2007), Kobiane et Pilon (2008) invitent à nuancer le rôle de l'offre scolaire dans l'explication à donner à la sous-scolarisation. A partir de données statistiques recueillies pendant l'année scolaire 1997-1998, ces chercheurs ont mis en relation le nombre d'enfants âgés de 7 à 12 ans regroupés dans des classes multigrades6 et le nombre d'enfants par classe normales dans plusieurs autres localités du pays. Les résultats de ce recoupage ont montré que les localités traditionnellement hostiles à la scolarisation comme la région du nord, habitée par les Peuls, sont celles où l'on retrouve le plus grand nombre d'enfants de 7 à 12 ans regroupés dans une même classe (ce qui signifie qu'il n'y a pas suffisamment de classes pour départager les différents niveaux). Mais en même temps, ces localités sont celles qui comprennent le plus faible nombre d'élèves par classe, soit moins de 40 élèves pour plusieurs niveaux d'enseignement contre plus de 70 élèves pour un même niveau dans d'autres localités ; il ressort donc de cette analyse que malgré le manque de

6 L'enseignement multigrade est un programme d'éducation regroupant des élèves de différents niveaux

au sein d'une même classe avec des enseignements différents adaptés à chaque niveau.

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classes, celles existantes ne sont pas surchargées, ce qui amène les auteurs à conclure que l'offre scolaire ne peut pas être invoquée comme seul motif d'explication du faible taux de scolarisation (Kobiane et Pilon, 2008) . En outre, soutenir de nos jours que l'offre scolaire constitue un handicap à la scolarisation au Burkina c'est ignorer, affirment ces auteurs, tout le travail de la mise en place des infrastructures scolaires initié par le PDDEB ces deux dernières décennies.

- La situation des enseignants

Si certains auteurs invitent à voir les causes des difficultés du système éducatif burkinabè dans l'offre scolaire, d'autres insistent plutôt sur les conditions de vie des enseignants. Ainsi, pour certains chercheurs comme Cheron (2008 :11), une des principales causes qui explique les difficultés du système éducatif burkinabè est liée à la condition des maîtres. Pour elle, l'enseignant burkinabè manque de motivation dans son travail car il constitue « le maillon faible à l'intérieur du système étatique hiérarchisé » et est de ce fait même déconsidéré par ses homologues fonctionnaires. Mal payés, mal logés et reconnus comme de simples exécutants, « l'investissement dont ils font preuve pour remplir leurs devoirs professionnels n'est jamais reconnu ni récompensé » (2008 : 11). A cela s'ajoute le fait qu'ils exercent leur métier dans des conditions souvent difficiles, avec des effectifs pléthoriques et la double injonction de réduire les taux de redoublements et d'accroître les taux de réussite. Face à toutes ces difficultés, les enseignants sont plutôt préoccupés de se former pour sortir du système en passant les concours professionnels. Pour Cheron (2008), toutes ces épreuves ont nécessairement des conséquences néfastes sur la qualité du rendement des enseignants.

C'est donc dans ce contexte de l'affirmation de l'inadéquation du système éducatif burkinabè aux réalités du terrain et au regard de ses mauvaises performances tant du point de vue qualitatif que quantitatif qu'est née, au Burkina, l'idée de l'introduction des langues nationales dans le système éducatif en vue de prendre en considération les réalités et les besoins du terrain ; mais cela n'est pas sans susciter des débats.

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CHAPITRE 2 :

LA PROBLEMATIQUE DE L'INTRODUCTION DES LANGUES
NATIONALES DANS L'EDUCATION

La problématique de l'introduction des langues nationales dans l'éducation en Afrique pose la question du rapport même des acteurs politiques et des populations à ces langues. Pour un certain nombre de chercheurs et d'intellectuels tels Diop (1979), Chatry-Komarek (2005), Lezouret et Chatry-Komarek (2007) ou Nikiema (2000, 2011), l'amélioration des performances de l'éducation en Afrique ne peut se faire sans une prise de conscience de l'utilité des langues nationales et leur prise en compte dans l'éducation. Déjà, en 1979, Diop (1979 : 415) écrivait ceci : « un enseignement qui serait donné dans une langue maternelle permettrait d'éviter des années de retard dans l'acquisition de la connaissance ; très souvent, l'expression étrangère est comme un revêtement étanche qui empêche notre esprit d'accéder au contenu des mots qui est la réalité ». Pour Cheikh Anta Diop (1979), s'il est parfois nécessaire d'attendre 4 à 6 ans pour inculquer au jeune africain certaines connaissances, c'est en raison du fait que cela lui est enseigné dans une langue étrangère ; si cela lui était enseigné dans sa langue maternelle, il aurait été capable de l'assimiler dès le jour même de son entrée à l'école. Pour sa part, Nikiema (2011 : 17) estime que « si l'éducation désigne une communication organisée et suivie, visant à susciter l'apprentissage, on comprend alors que la langue d'éducation assume les mêmes fonctions que la langue maternelle et que le système éducatif qui a le plus de chances d'être efficace est celui où s'observe l'équation langue d'enseignement = langue maternelle. Il y a donc forcément des problèmes chaque fois que les deux doivent être différents dès le premier jour d'école ».

Si ces auteurs s'accordent à reconnaître la nécessité de placer les langues nationales au coeur des plans d'amélioration des performances de l'éducation en Afrique, ils déplorent toutefois le fait que les autorités ne semblent pas avoir conscience de cette urgence ; c'est le constat que fait Chatry-Komarek (2005 : 53) : « De nombreux pays africains ne voient ni le besoin ni la possibilité de former des individus bilingues, qui seraient compétents à la fois dans leur langue maternelle et dans la langue officielle européenne. Ceux-ci favorisent la maîtrise exclusive de la langue européenne, et ceci pour des raisons politiques et aussi à cause de préférences culturelles et linguistiques particulières ».

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Comme le suggère cette citation de Chatry-Komarek, trois arguments sont invoqués pour justifier la méfiance des pays africains à l'endroit de l'usage de leurs langues nationales dans l'éducation : les enjeux politiques, les intérêts des anciennes colonies et les préjugés.

2.1 Les obstacles à l'introduction des langues nationales dans l'éducation

2.1.1 Les enjeux politiques

Le premier obstacle à l'utilisation des langues nationales dans l'éducation en Afrique aurait trait aux enjeux politiques ; en effet, d'après Chatry-Komarek (2005), ceux qui se montrent méfiants vis-à-vis des langues nationales avanceraient comme argument la nécessité de défendre l'unité nationale ou de prémunir leur nation de l'isolement au plan international en raison de l'impact très limité de ces langues en dehors du continent.

Répondant à l'argument de l'unité nationale, Chatry-Komarek (2005 : 66) estime que « choisir de placer une seule langue et une seule culture au-dessus des autres, au lieu de promouvoir la diversité linguistique et culturelle, peut facilement provoquer des sentiments de frustration et d'humiliation, au lieu de mener vers l'unité nationale ». Quant à Nikiema (2011), citant l'exemple des deux Corée ou du Rwanda, il fait remarquer que le problème de l'unité nationale n'est pas le propre des pays multilingues. Il demeure posé même en contexte monolingue. Pour lui, « les meilleurs garants de l'unité nationale c'est le rejet des politiques d'exclusion, la lutte contre les injustices, etc. » (2011 : 17). Quant à la question de l'isolement dans lequel pourraient se trouver les pays africains en raison du champ limité des langues nationales, Chatry-Komarek (2005 : 65) la récuse en argumentant que « dans la vie quotidienne, de nombreux africains recourent à des langues véhiculaires telles que le fulfuldé, le haussa ou le kiswahili, de préférence à l'anglais ou à toute langue européenne, pour communiquer au niveau de la région. Ceux qui voyagent en dehors du continent et ont besoin de parler une langue européenne restent une minorité, tout comme dans les pays industrialisés où la maîtrise d'une langue étrangère n'est un besoin vital que pour une minorité ».

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2.1.2 Les intérêts des anciennes colonies

Le second obstacle à l'utilisation des langues nationales dans l'éducation serait lié aux pressions exercées par les anciennes métropoles sur leurs ex-colonies. Nikiema (2011) soutient que dans toutes les anciennes colonies, la langue de la métropole est restée la langue officielle des Etats ; plus encore, ces anciennes métropoles seraient plus soucieuses de faire rayonner leurs langues, à travers des organisations telles que la Francophonie pour ce qui concerne la France ou le Commonwealth dans le cas de la Grande Bretagne, que de développer les langues nationales africaines. La réalité c'est que ces anciennes puissances coloniales voient d'un mauvais oeil toute promotion des langues nationales en ce sens qu'elles pourraient constituer une menace pour le monopole de la langue officielle. Face à ce jeu d'intérêts des puissances coloniales dans la problématique de l'usage des langues, Erny (1977 :140) invite les pays africains à faire preuve de méfiance et de discernement dans l'acceptation des aides extérieures qui leur sont proposées car : « quand les grandes puissances cherchent à placer leur langue, leur culture, leur idéologie ou leur technologie, les bénéficiaires apparaissent comme de simples moyens au service de projets d'expansion qui les dépassent, et on se soucie finalement fort peu de leurs besoins ». Et cela aurait pour effet direct de contraindre les pays africains à promouvoir une éducation qui se trouve être en inadéquation avec les réalités et les besoins du terrain. Dans son livre « Eduquer ou périr » (1990 : 99), le professeur Joseph Ki-Zerbo abonde dans le même sens que Erny (1977) quand il s'interroge sur l'adéquation du système scolaire importé d'Europe à la culture et à la réalité sociale des populations africaines : « Veut-on d'une éducation, pâle photocopie du modèle « gaulois » ou de cette éducation qui met l'homme debout et lui donne sa vraie stature ? » s'insurge-t-il. Selon Ki-Zerbo (1977), le système scolaire africain dans sa situation actuelle est loin des réalités socioculturelles et économiques dans lesquelles vivent les populations africaines ; et cette inadéquation est liée au fait qu'on ne fait que ressasser les programmes scolaires reçus de l'époque coloniale. Pour lui, cette inadéquation serait, en outre, à la base des nombreux échecs à la scolarisation car, dit-il, « le système éducatif des sociétés africaines n'est pas seulement en retard sur celui des pays industrialisés ; il est surtout en contradiction avec les besoins vitaux alimentaires et élémentaires des dites sociétés » (1990 : 17). Si le système éducatif africain ne tient pas compte de ces impératifs, il pourra bien implanter des écoles en Afrique mais « ce serait l'école en Afrique et non l'école africaine » (1990 : 92).

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L'inadéquation du système scolaire classique, c'est aussi la thèse défendue par Paul Taryam ILBOUDO (2009), l'un des promoteurs de l'école bilingue au Burkina. Selon lui, l'école classique est inadaptée et déracinante car elle ne s'est jamais intégrée à la société et de ce fait, coupe l'élève de son environnement. Une des conséquences de cette inadéquation se vérifie dans le constat que les diplômés ou non diplômés qui sortent de ce système éducatif n'arrivent pas à s'intégrer dans leur milieu et à utiliser les acquis de leur scolarisation.

2.1.3 Les représentations et attitudes sur les langues

Un troisième obstacle à l'utilisation des langues nationales dans l'éducation tel que décrit par Nikiema (2011) et Chatry- Komarek (2005) trouverait sa justification dans les différents préjugés et représentations inculqués aux populations africaines depuis la colonisation et qui remettraient en cause l'efficacité de ces langues à servir de médiums et de matières d'enseignement. Au nombre des arguments défendus par les détracteurs de l'utilisation des langues nationales dans l'éducation, l'on peut retenir l'idée selon laquelle « les langues maternelles ne peuvent ni se moderniser, ni se développer, ni être développées et sont, de toute façon, inférieures aux langues coloniales. Elles ne seraient, clairement, pas outillées pour l'enseignement de matières telles que les mathématiques et les sciences » (Nikiema, 2011 : 19).

C'est, entre autres, l'idée défendue par Ilboudo (1984), cité par Nikiema (2000 : 116117) qui, se réjouissant de l'arrêt de la première expérimentation de l'éducation bilingue par le Conseil national de la Révolution en 1984 qualifiait cette innovation de "réforme - assassinat (...) dont la déraison et la méchanceté n'avaient d'égale que la perdition de milliers d'enfants innocents ... " Ilboudo (1984) préconise, pour sa part, une réforme où les langues nationales seraient introduites non pas au primaire mais au secondaire, de sorte à gêner moins l'apprentissage du Français.

En réponse à de tels arguments, et pour montrer que les langues nationales africaines ont la capacité, au même titre que les langues coloniales, de servir de véhicule d'enseignement des sciences, Cheikh Anta Diop (1979) s'est évertué à montrer que la prestigieuse civilisation égyptienne était d'origine négro-africaine et que des textes scientifiques portant sur les mathématiques, la physique ou la chimie ainsi que la théorie de la relativité pouvaient être entièrement traduits en Wolof, langue nationale au Sénégal. De l'avis

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de cet auteur, « les langues africaines sont loin d'être frappées d'une pauvreté naturelle et (...) il suffit de leur appliquer un effort comparable à celui qui a été appliqué aux langues occidentales, pour qu'elles soient au niveau des exigences de la vie moderne » (Diop, 1979 : 422). Cette idée défendue par Diop (1979) est aussi partagée par Chatry-Komarek (2005 : 64) pour qui « aucune langue n'est supérieure ou inférieure aux autres dès lors qu'il s'agit de décrire la réalité ». Son argumentation tend particulièrement à montrer qu'aucune langue ne se suffit à elle-même. Toutes subissent des transformations et des emprunts pour arriver au point de pouvoir exprimer des idées scientifiques, techniques ou économiques : c'est le cas de l'anglais ou du Français qui ont beaucoup emprunté au latin et au grec. Ainsi, les langues africaines doivent-elles certainement passer par ce processus mais cela ne signifie en rien qu'elles sont inaptes à porter des idées scientifiques.

L'objectif poursuivi par ces défenseurs des langues nationales africaines est d'arriver à convaincre les intellectuels et les décideurs politiques africains de se départir des attitudes et préjugés défavorables portant sur les langues nationales et à prendre des options politiques courageuses pour permettre le développement et la prise en compte de ces langues dans l'éducation.

Comme en réponse à cet appel, au Burkina Faso, bien que le Français demeure la langue officielle et la langue de l'administration, de la justice et de l'enseignement, une politique de valorisation des langues nationales a été initiée. Elle est centrée prioritairement sur les langues nationales les plus parlées et repose sur leur utilisation de plus en plus importante dans l'enseignement (écoles satellites et bilingues), dans les médias (radio et télévision) ainsi que dans l'alphabétisation des populations. Dans les pages qui suivront, nous tenterons de décrire le mode de prise en compte de ces langues dans le système éducatif, leur fonctionnement et leur impact sur l'environnement socio-éducatif.

2.2 L'éducation bilingue comme alternative à la problématique de l'introduction des langues nationales dans l'éducation

2.2.1 Typologie de l'éducation bilingue

Selon Hamers et Blanc (1998), cités par Yameogo (2004 : 28), l'éducation bilingue se définit comme une « intervention pédagogique dans laquelle, dans des proportions variables, simultanément ou consécutivement, l'instruction est donnée dans au moins deux langues dont

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l'une est généralement la première langue de l'élève ». Comme on peut le deviner, l'intérêt dans une telle approche pédagogique pour Hamers et Blanc est la prise en compte de la langue première de l'enfant dont le rôle dans les apprentissages est défini ici par Mitrofanova et Decherieva (1987) cités par Ilboudo (2009 : 47) :« La langue maternelle d'un individu étant celle qu'il maîtrise le mieux, dans laquelle il est le plus à l'aise pour exprimer avec précision ses pensées et comprendre ses interlocuteurs, l'enseignement le plus efficace sera précisément celui qui est dispensé dans cette langue .»

Pour sa part, Skutnabb-Kangas (1981 : 121) propose une définition qui insiste plutôt sur la nature des moyens que sur le but. Ainsi, pour lui, «le terme éducation bilingue renvoie donc au langage d'instruction et requiert qu'au moins deux langues soient utilisées comme moyens d'instruction dans des matières autres que les langues elles-mêmes. Ce terme n'est pas destiné à être appliqué au but de l'éducation mais aux moyens »7. Il est rejoint dans ce sens par Baetens Beardsmore (2000) qui invite à la prudence quant à l'utilisation de la terminologie d'éducation bilingue ou multilingue. Selon lui, l'un des critères sur lesquels s'accordent les spécialistes pour caractériser l'éducation bilingue c'est sa capacité à « employer une seconde langue comme véhicule de matières non linguistiques » ; partant de ce constat, il en déduit que « les programmes scolaires où ne figurent que des cours de langue, aussi intensifs soient-ils, n'entrent pas en ligne de compte puisqu'il s'agit d'un programme unilingue qui ne permet que rarement d'atteindre un niveau de compétence élevée en langue seconde » (2000 : 1)

Fort de ces définitions, de nombreuses typologies ont été proposées à nos jours pour caractériser l'éducation bilingue :

- Ainsi, Mackey (1979), l'un des pionniers dans les recherches sur l'éducation bilingue a proposé une catégorisation qui prend en compte les domaines d'usages de la langue (le pays, la région, l'école ou le foyer), l'orientation des politiques linguistiques (bilinguisme national, communautaire ou individuel) et les critères d'organisation des programmes ; tous ces éléments coordonnés le conduisent à identifier plus de 90 types de pratiques dites d'éducation bilingue.

- D'autres auteurs également, tels Skutnabb-kansas (1981) ou Baetens Beardsmore (2000) élaborent des catégorisations qui varient en fonction des milieux et des politiques linguistiques.

7 C'est nous qui traduisons de l'anglais au français.

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Compte tenu de l'importance du nombre des modèles d'éducation bilingue, nous ne retiendrons ici que les formes les plus représentatives et les plus significatives pour nous, à savoir les programmes de submersion, le bilinguisme transitionnel et de maintien linguistique.

-Les programmes de submersion

Les programmes d'éducation bilingues dits de submersion constituent un type de scolarisation plutôt monolingue. De l'avis de Hamers & Blanc (1983) cités par Nikiema (2004 : 7), il s'agit de la « scolarisation d'un élève par une intervention pédagogique utilisant une langue autre que sa langue maternelle ; cette scolarisation est généralement organisée pour les locuteurs natifs de cette autre langue et de ce fait ne tient pas compte de la langue maternelle de l'élève ». L'idée sous-jacente à cette pratique pédagogique est que le contact permanent avec la langue d'accueil permet son apprentissage et qu'à l'inverse l'usage de la langue maternelle, même minime constitue un frein à l'acquisition de la langue majoritaire. C'est un modèle pratiqué dans les pays de grande immigration comme le Canada mais c'est surtout le type d'éducation pratiqué dans l'enseignement classique des anciennes colonies en Afrique et particulièrement dans l'éducation classique au Burkina Faso.

- Les programmes transitionnels

A la différence du modèle de submersion, « un programme de transition est un programme dans lequel les enfants de langue minoritaire dont la langue nationale n'est pas de statut élevé sont instruits initialement dans leur langue maternelle pendant quelques années et dans lequel la langue maternelle est enseignée comme si elle n'avait pas de valeur intrinsèque, mais uniquement de valeur instrumentale » Skutnabb-Kangas (2000), cité par Lezouret et Chatry-Komarek (2007 : 59). Ce modèle vise principalement l'acquisition et la maîtrise de la langue seconde ; de ce fait, l'instruction dans la langue première de l'élève s'arrête dès lors qu'on estime qu'il a les compétences nécessaires pour poursuivre ses études dans la langue d'accueil. Selon Nikiema (2004 :7), « L'objectif et le résultat du recours à ce modèle d'instruction restent cependant les mêmes que ceux du modèle de submersion, à savoir : l'assimilation à la culture et le monolinguisme dans la langue d'instruction ». Il n'est donc pas ce qu'il y a de plus recommandable en matière d'éducation bilingue.

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- Les programmes de maintien linguistiques

Le modèle d'éducation bilingue dit de maintien « utilise à la fois une langue minoritaire et une langue majoritaire pendant toute la durée de l'éducation de la minorité linguistique » (Garcia, 1997, cité par Ilboudo, 2009 : 50). Ce type de programme accorde une large plage aussi bien à l'apprentissage de la langue seconde que de la langue première de l'apprenant durant tout le cursus scolaire de l'élève.

Malgré la diversité des options, les spécialistes s'accordent aujourd'hui à reconnaître que toutes les formes d'éducation bilingues peuvent se regrouper en deux tendances : le bilinguisme soustractif et le bilinguisme additif : « le bilinguisme additif est un état de bilingualité dans lequel l'enfant a développé ses deux langues de façon équilibrée et a pu, à partir de son expérience bilingue, bénéficier d'avantages sur le plan de son développement cognitif ; cet état se retrouve surtout lorsque les deux langues sont valorisées dans l'entourage socio culturel de l'enfant ». Ce modèle s'apparente, en référence à notre description ci-dessus mentionnée, au modèle de maintien. A l'opposé, le bilinguisme soustractif est un « état de bilingualité dans lequel l'enfant a développé sa seconde langue au détriment de son acquis en langue maternelle » Hamers et Blanc (1987) cités par Ilboudo (2009 : 48) ; on reconnaît naturellement en ce modèle le bilinguisme de submersion ou celui de type transitionnel. Nikiema et Kabore-Paré (2010 : 35) en concluent que « les modèles d'enseignements additifs sont ceux dits vraiment bilingues en ce sens que la LM (langue maternelle), comme moyen d'enseignement, n'est jamais supprimée ; On vise un très bon niveau dans la langue maternelle et également un bon niveau dans la langue officielle ».

Compte tenu de la multiplicité des approches de l'éducation bilingue, on peut se demander quelles sont les choix de modèles qui ont été opérés dans l'expérience d'éducation bilingue au Burkina Faso.

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L'éducation bilingue au Burkina Faso

2.2.2.1 La genèse de l'éducation bilingue

Faisant l'historique de la naissance de l'éducation bilingue au Burkina Faso, Ilboudo (2009) identifie deux étapes clés qui ont milité en faveur du développement de l'école bilingue ; il s'agit de la reforme de l'éducation de 1979 et de l'expérimentation de la méthode d'Apprentissage de la Langue Française à partir des Acquis de l'Alphabétisation initiée en 1992 et connue sous le nom de méthode ALFAA.

- La réforme de 1979

Suite à une analyse critique de la situation de l'éducation en 1979 qui a révélé de nombreux dysfonctionnements, le gouvernement voltaïque (à l'époque) a engagé une réforme du système éducatif visant notamment l'introduction des trois principales langues nationales (mooré, dioula, fulfuldé) comme médium d'enseignement au même titre que le Français. Malheureusement, cette expérimentation sera de courte durée car elle sera interrompue en 1984, une année après l'avènement de la révolution burkinabè, sans justification et alors même que les évaluations intermédiaires avaient prouvé que les écoles bilingues avaient de meilleures performances que les écoles classiques dans des disciplines clés telles que le français, les mathématiques, les sciences d'observation et l'histoire géographie. Selon Ilboudo (2009), l'interruption brutale de cette expérimentation a contribué à créer une méfiance vis-à-vis de l'école bilingue chez les parents d'élèves qui ont eu le sentiment que leurs enfants ont été traités comme des « cobayes ». Exclus du système classique mais convaincus de la performance de leur innovation, il était nécessaire que les initiateurs du projet trouvent un cadre plus favorable pour poursuivre leur expérimentation et prouver son intérêt. Ce terreau favorable, ils le trouveront dans l'éducation non formelle.

- La méthode d'apprentissage de la langue française à partir des acquis de l'alphabétisation (méthode ALFAA)

La méthode ALFAA est née en 1990 de l'initiative d'une association d'alphabétisation dénommée Manegbzanga (développement pour tous) ; désireux d'aider ses membres à accéder au français, elle aurait soumis le projet à son partenaire principal, l'OSEO, qui en collaboration avec des enseignants et des chercheurs en linguistiques ont mis au point, en

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1993, la méthode ALFAA. L'objectif de cette méthode est d'aider des adultes déjà alphabétisés dans leur langue nationale à acquérir un niveau de français équivalent à celui d'un élève du cours moyen en 150 jours. Au regard du succès de cette expérimentation qui a été étendue à tout le pays, l'association a souhaité qu'elle soit adaptée aux enfants âgés de 9 à 14 ans qui ont dépassé l'âge d'être recrutés dans le système classique tout en n'étant pas assez grands pour rejoindre le groupe des adultes. D'après Ilboudo (2009), c'est à partir de là que serait venue l'idée de créer des écoles d'éducation bilingue adressée à cette frange de la population. La mise en pratique de cette initiative connaîtra trois phases de développement :

Il y a d'abord la phase pilote qui va de 1994 à 1998 : au cours de cette période, l'OSEO, en partenariat avec l'association Manegbzanga, va non seulement mettre en oeuvre son plan d'apprentissage du français aux jeunes de 9 à 14 ans mais profitera aussi de l'occasion pour reprendre l'expérimentation qui avait été arrêtée en proposant un programme de scolarisation complète bilingue langue nationale-Français. Cette expérimentation sera confortée par les résultats jugés satisfaisants de la première promotion présentée au Certificat d'Etudes Primaires ; en effet, alors que le taux de la moyenne nationale de succès au Certificat en cette année 1998 était de 48,60%, l'école bilingue a obtenu un taux de succès de 52,83% (Ilboudo, 2009). Ce résultat va conduire l'expérimentation de l'école bilingue à sa seconde phase.

La seconde phase va de 1998 à 2002 : devant le succès inattendu de l'école bilingue, le Ministère de l'Enseignement de Base va s'impliquer plus profondément dans cette innovation ; cette seconde phase voit l'alignement de l'âge de recrutement dans les écoles bilingues à celui des écoles classiques, c'est-à-dire (7-8 ans), l'extension géographique et linguistique de l'expérimentation pour prendre en compte les principales langues nationales. L'un des signes majeurs de l'implication du Ministère de l'Enseignement de Base dans le projet d'éducation bilingue à cette période est la publication de la lettre circulaire (N°2002-098/MEBA/SG du 18 juin) de l'année 2002 autorisant les parents et les écoles qui le souhaitent à demander la transformation des écoles classiques de leurs localités en écoles bilingues (cf. annexe n°1).

La dernière phase qui va de 2003 à nos jours voit la poursuite de l'extension géographique et linguistique de cette innovation pédagogique ; en plus de l'Etat, d'autres partenaires s'engagent aux côtés de l'OSEO : c'est le cas de l'enseignement catholique mais aussi d'autres organismes financiers tels que la Coopération Suisse au Développement (Ilboudo, 2009). Au cours de cette dernière phase de son développement, l'éducation bilingue

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a réussi également à compléter son dispositif de continuum éducatif en créant les espaces d'éveil éducatif (3E) pour les plus petits (3 à 6 ans) et les collèges multilingues spécifiques (CMS) pour le post-primaire (13 à 16 ans).

Il faut noter que si la formule d'éducation bilingue soutenue par l'OSEO a réussi à s'imposer et à créer un partenariat avec le MENA, d'autres formules d'éducation bilingue sont restées dans le secteur non formel et poursuivent leurs activités : ce sont entre autres les centres Banmanuara, les CEBNF (Centre d'Education de Base Non Formelle, etc.. Nous utiliserons de ce fait le concept d'éducation bilingue pour désigner la formule d'éducation bilingue OSEO-MENA.

2.2.2.2 Le bilinguisme pratiqué au Burkina

Les objectifs poursuivis par les concepteurs de l'éducation bilingue au Burkina et définis par Ilboudo (2009) sont principalement les suivants :

· Améliorer l'efficacité interne et externe de l'éducation de base ;

· Relever la qualité et la pertinence de l'éducation de base ;

· Établir une synergie et des passerelles entre l'éducation de base formelle et l'éducation de base non formelle ;

· Améliorer le rapport coût/efficacité de l'éducation de base ;

· Renforcer l'intégration de l'école au milieu, l'appropriation de l'école par les communautés de base et leur participation active à la préparation, la planification et la mise en oeuvre des activités.

En tenant compte de ces objectifs et des différentes pratiques de bilinguismes expérimentées de par le monde, les initiateurs de l'éducation bilingue au Burkina ont opté pour le bilinguisme additif complet où la langue première de l'enfant serait utilisée comme véhicule et objet d'enseignement et durerait tout le long de la scolarisation ; au regard de cet objectif, il est apparu que c'est le modèle de maintien qui convenait le mieux.

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La mise en oeuvre de ce modèle se traduit dans l'organisation des temps d'enseignements entre les langues nationales et le Français comme indiquée dans le tableau ci-dessous :

Tableau n°4 : Répartition des temps d'enseignements en langues nationales et en Français dans les écoles bilingues

Niveau

Langue nationale

Français

 

Emploi

% horaire

Emploi

% horaire

1e année

Médium & matière

90%

Matière (français oral)

10%

2e année

Médium & matière

80%

Matière (oral, écrit)

20%

3e année

Médium & matière

50%

Médium et matière

50%

4e année

Matière (expression écrite)

20%

Médium et matière

80%

5e année

Matière (rédaction)

10%

Médium et matière

90%

Comme on peut le constater, ce modèle d'éducation bilingue procède à une utilisation massive de la langue maternelle de l'enfant, surtout dans les deux premières années de scolarisation, comme médium et matière d'enseignement (90% et 80%). Durant ces deux premières années, l'accent est mis sur le développement des compétences communicatives des élèves en français oral (1e année) puis en français oral et écrit (2e année) ; en deuxième année la langue nationale est utilisée également pour l'enseignement de l'histoire, de la géographie et de la grammaire de la langue dans la langue. En troisième année, on procède à l'utilisation alternée de la langue nationale et du Français comme médium et comme matière d'enseignement ; cependant, à ce niveau, la grammaire de la langue dans la langue est remplacée par la grammaire du français. C'est seulement à partir de la 4e année que les proportions d'utilisation du Français s'inversent pour atteindre 80% en 4° année et 90% en 5e année (Voir, en annexe n° 2, tout le programme d'enseignement bilingue).

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2.2.2.3 La mise en place des écoles bilingues

- Procédure d'ouverture des écoles bilingues

L'ouverture d'une école bilingue est toujours précédée d'une phase de sensibilisation au cours de laquelle l'OSEO, avec ses partenaires techniques s'efforcent d'expliquer aux populations les bien-fondés de l'éducation bilingue (Nikiema, Kaboré-Paré, 2010). Cette phase de sensibilisation est souvent accompagnée d'études de faisabilité effectuées généralement par des linguistes ou socio-linguistes ; dans les régions où se croisent plusieurs dialectes, la mission de ces derniers consiste essentiellement à servir de conseil à l'OSEO pour le choix des dialectes en tenant compte des effets de tolérance ou de rejet qui peuvent se poser à l'une ou l'autre des communautés linguistiques.

Après cette phase d'exploration, s'en suit une longue procédure administrative (Cheron, 2008). Conformément à la lettre circulaire (N° 2002/098/MEBA/SG du 18 juin 2002) autorisant les parents et les écoles qui le souhaitent à demander la transformation des écoles classiques de leurs localités en écoles bilingues, les parents sont amenés à exprimer leur requête auprès de l`Inspecteur de la Circonscription de l'Enseignement de Base dont ils relèvent. Cette demande remonte par voie hiérarchique jusqu'au Ministère de l'Enseignement de Base qui a la possibilité de donner l'accord d'ouverture. L'autorisation accordée par le Ministère de l'Enseignement de Base peut concerner deux modes d'implantations : il y a d'abord l'ouverture d'une nouvelle école qui commence par la première année ou la transformation d'une école classique déjà existante ; dans ce cas précis, la rétrocession se fait année après année jusqu'à épuisement des classes classiques.

De l'avis de l'OSEO, rapporté par Cheron (2008), des demandes d'ouvertures et de transformations d'écoles classiques en bilingues d'environ 500 ont été formulées à cette date mais n'avaient pu être satisfaites en raison des moyens limités du Ministère de l'Enseignement de Base.

- Recrutement des enseignants de l'éducation bilingue

Au Burkina Faso, les enseignants sont recrutés sur la base du Brevet d'Etudes du Premier Cycle (BEPC). Ceux qui réussissent au concours sont intégrés dans les Ecoles Nationales de formation des Enseignants du Primaire (ENEP) pour la formation

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pédagogique ; cette formation dont la durée initiale était de deux ans a été réduite à une année sous la pression des partenaires financiers, pour être finalement reconduite à deux ans au regard des nombreuses insuffisances constatées auprès des enseignants formés en une année. L'enseignement catholique dispose aussi de son Centre de Formation Pastorale et Pédagogique des enseignants catholiques (CFPP) ; mais, à ce niveau, la durée de la formation a toujours été de deux ans.

Les maîtres des écoles bilingues sont donc recrutés parmi les enseignants des écoles classiques formés dans les ENEP ou au CFPP sur la base du volontariat. Dans les premières années de l'éducation bilingue, ceux qui se portaient volontaires recevaient une formation complémentaire dispensée par l'OSEO durant les périodes des vacances scolaires ; et pour motiver les enseignants, des per diem leur étaient offerts. Toutefois, depuis 2004, par l'arrêté N°14/MEBA/SG/ENEP du 10 mars 2004, la formation à l'éducation bilingue a été intégrée à la formation initiale des enseignants dans les ENEP ou au CFPP de sorte que tous les enseignants sont en mesure de tenir une classe bilingue dans une langue donnée. Il est à noter que les enseignants qui optent d'intégrer l'éducation bilingue reçoivent en plus de leur salaire, une indemnité de 15 000F CFA8 Cette indemnité initialement versée par l'OSEO a été confiée à la responsabilité de l'Etat qui, dans le cadre de la politique d'appui aux initiatives éducatives du PDDEB, a prévu de verser une indemnité à tous les enseignants intervenants dans le cadre d'une innovation pédagogique.

- Le contenu de la formation des enseignants

Bien que la formation initiale des enseignants de l'éducation bilingue ait été intégrée aux curricula des ENEP, l'OSEO a maintenu des formations continues qui sont programmées pendant les périodes des vacances. Les enseignants qui y sont convoqués reçoivent une formation spécifique destinée à la classe qu'ils sont appelés à encadrer l'année scolaire suivante. Les enseignements portent essentiellement sur :

- La maîtrise de la transcription de la langue nationale ;

- Les démarches méthodologiques d'enseignement en langue nationale dans les disciplines suivantes : causerie-débat, lecture, écriture, calcul oral et écrit, production et culture, histoire-géographie, sciences etc. ;

8 Il faut noter que la situation était différente dans l'enseignement catholique ; en effet, l'OSEO n'avait pas prévu de versement d'indemnités aux enseignants des écoles privées si bien qu'il était difficile de trouver des volontaires pour l'enseignement bilingue ou de motiver ceux qui y étaient déjà à y rester.

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- La maîtrise de la grammaire de la langue dans la langue ;

- La maîtrise des néologismes créés pour l'enseignement en langue nationale (Ilboudo, 2009 ; Nikiema, Kaboré-Paré, 2010).

En plus de la formation initiale et de la formation continue, Cheron (2008) relève le fait que les enseignants des écoles bilingues, contrairement à leurs collègues du public reçoivent régulièrement les visites des inspecteurs qui relèvent avec eux les difficultés et les aident à corriger les imperfections. Toutefois, note Cheron (2008), si de multiples visites sont possibles dans l'éducation bilingue et non dans les écoles classiques, c'est avant tout en raison des moyens déployés par l'OSEO pour soutenir les encadreurs.

2.2.2.4 L'éducation bilingue, une alternative à l'éducation classique

Si l'objectif poursuivi par les initiateurs de l'éducation bilingue au Burkina Faso visait à combler les insuffisances de l'éducation classique tant du point de vue de l'efficacité interne qu'externe, les protagonistes de cette innovation se réjouissent aujourd'hui d'avoir réussi leur pari.

D'abord, du point de vue de l'efficacité interne, il faut reconnaître que les statistiques semblent leur donner raison. En effet, dans une étude menée par Toé-Sidibé (2002) portant sur l'évolution comparée des taux de flux de 1998 à 2001 des écoles bilingues et classiques de deux provinces du Burkina, les résultats obtenus ont donné le contenu suivant :

Tableau n°5 : Evolution comparée des taux de flux de 1998 à 2001 des écoles bilingues et classiques dans deux provinces

 

1998/1999

1999/2000

2000/2001

Indicateurs

Ecole bilingue

Ecole classique

Ecole bilingue

Ecole classique

Ecole Bilingue

Ecole classique

Taux de

promotion9

88,10

71,90

88,58

69,45

86,87

74,22

Taux

redoublement

15,95

19,40

10,31

20,14

10,50

17,19

Taux d'abandon

1,95

8,70

1,11

10,41

2,52

8,59

Source : Suzanne,Toé/Sidibé, 2002

9 Il s'agit du taux de passage en classe supérieure.

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Au regard de ce tableau et en considération des taux de promotion, de redoublement et d'abandon, on observe que les écoles bilingues obtiennent des performances largement au-dessus des écoles classiques.

Cette ascendance des écoles bilingues est confirmée par ailleurs par les résultats des examens officiels au certificat d'études primaires des sessions de 2002 à 2008 :

Tableau n°6 : Résultats au Certificat d'Etudes Primaires des écoles bilingues comparativement à la moyenne nationale de 2002 à 2008.

 

Ecoles bilingues

Moyenne nationale

année

Nombre
écoles

Nombre langues nationales

Nombre
candidats

Taux
succès

Scolarité en général

2002

4

2

92

85,02

61,81

2003

3

1

88

68,21

70,01

2004

10

4

259

94,59

73,73

2005

21

6

508

91,14

69,01

2006

40

7

960

77,19

69,91

2007

47

7

1182

73,97

66,83

2008

75

7

1828

61,43

58,34

Source : Direction des examens et concours du MENA

Comme on peut le constater, les résultats des écoles bilingues au Certificat d'Etudes Primaires sont presque toujours supérieurs à la moyenne nationale sur plusieurs années. A ne prendre en considération que ces résultats, on pourrait tout de suite conclure que l'éducation bilingue est performante et meilleure. Mais face à cette tentation, Nikiema et Kaboré/Paré (2010) invitent à la prudence car on compare ici des éléments divers, précisent-ils. A l'opposé, on pourrait être tenté de relativiser ces performances en mettant en avant les conditions favorables dont bénéficie l'éducation bilingue (encadrement plus resserré, nombre d'écoles plus réduit etc.). Mais à ce niveau encore, affirment Nikiema et Kaboré/Paré (2010 : 62), ce serait ignorer « les difficultés réelles auxquelles sont confrontées les écoles expérimentales, dont les maîtres, généralement plus jeunes et inexpérimentés, se plaignent souvent de leur niveau de formation, doivent constamment assimiler de nouvelles approches

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non encore stabilisées ». Quoiqu'il en soit, ces résultats montrent, d'après eux, que l'éducation bilingue a un fort potentiel à exploiter dans l'amélioration du système éducatif burkinabè.

Pour ce qui concerne l'efficacité externe du système d'éducation bilingue, de nombreuses études tendent à affirmer l'existence d'un consensus autour de la question ; la plupart de ces recherches sont des thèses ou des mémoires d'étudiants ou d'élèves inspecteurs en fin de formation ; ainsi, Yaro (2004 : 299), dans sa thèse portant sur l'échec scolaire est parvenu à cette conclusion : « Que ce soit en milieu urbain, semi-urbain ou rural, la plupart des maîtres estiment qu'il serait bénéfique d'utiliser les langues nationales comme médium de communication pour expliquer certaines notions ... » ; quant à Yameogo (2004 : 80), dans son mémoire de fin de formation des élèves-inspecteurs, il affirme que « 96% des encadreurs pédagogiques se sont dits prêts à susciter l'adhésion des enseignants et des parents d'élèves au processus de l'éducation bilingue s'ils sont outillés pour s'engager en toute responsabilité et en connaissance de cause, grâce à une formation conséquente ». Le même auteur laisse entendre que la tendance au niveau des parents d'élèves est à l'acceptation de l'école bilingue car bien que ne comprenant pas tout le fonctionnement du système, ils y voient un moyen qui permet « d'apprendre vite ».

Des auteurs tels que Jacques Sibalo, Désirée Tapsoba, Constance Lavoie (2007) et Cyr Payim Ouedraogo (2003) soutiennent particulièrement l'idée que l'école bilingue tire sa suprématie du fait qu'elle formerait des hommes et des femmes utiles à eux-mêmes et à leurs communautés. A l'opposé de l'école classique qui, selon eux, conduit au déracinement des élèves en raison des programmes qui sont inadaptés aux réalités et aux possibilités du terrain, l'école bilingue possèderait une plus grande efficacité externe en ce sens qu'elle est ancrée dans le contexte du développement local. D'autre part, et contrairement à l'école classique, elle ne préparerait pas l'élève seulement à un travail de bureaucrate mais plutôt à gagner sa vie et cela, dès son jeune âge. C'est dans ce sens qu'elle enseigne les contes et proverbes, les chants et danses, la musique du milieu et les instruments traditionnels de musique ainsi que des activités manuelles comme l'élevage ou l'agriculture.

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Le tableau ci-dessous présenté compare l'école classique et bilingue, laissant percevoir qu'en tout point de vue, l'éducation bilingue est préférable à l'éducation classique :

Tableau n°7 : Ressemblances et divergences des écoles bilingues et des écoles classiques

Ecoles bilingues

Ecoles classiques

Plus de motivation de la part des élèves

Plus d'incompréhension

Les élèves sont plus actifs en classe

Meilleure prononciation du Français surtout au CE1 (3e année)

Niveau beaucoup plus élevé en 1e année

Les enfants ont plus confiance en eux pour s'exprimer en Français

En 5 ans, les élèves du bilingue ont le même niveau que ceux du classique en 6 ans

Scolarité primaire de 6 ans

Apprentissage de métiers : menuiserie,

agriculture, élevage, teinture, couture, etc.

Peu ou pas d'activités culturelles ou de production

Participation des parents d'élèves aux

activités de production

Moins de participation des parents, moins de suivi

Meilleure compréhension des concepts

enseignés

Incompréhension et peur chez les enfants durant les premières années

L'école est en lien avec la culture et le milieu de l'enfant

Reconnaissance des écoles classiques par les intellectuels et des fonctionnaires burkinabés

Source : Constance Lavoie (2008)

En considération de tous ces atouts, les protagonistes de l'éducation bilingue de même que certains chercheurs, didacticiens et linguistes, affirment que ce modèle d'éducation serait le plus recommandable pour le Burkina en tant qu'il répond le plus adéquatement aux besoins et aux réalités du contexte. A ne s'en tenir toutefois qu'à ses observations, on en vient à se demander pourquoi cette éducation bilingue, si recommandable, peine-t-elle à s'imposer à tout le pays ? Existe-t-il des obstacles qui entravent l'expansion de ce système éducatif ? Comment les enseignants qui sont les premiers protagonistes de l'éducation bilingue et les acteurs principaux de son développement se positionnent-t-il dans cette innovation ?

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CHAPITRE 3 :

DES RAISONS DE S'INTERROGER

Notre travail de recherche porte sur le rapport des enseignants aux langues nationales dans l'éducation bilingue au Burkina Faso. Si nous avons été amené à nous intéresser à un tel sujet, c'est parce qu'en dépit de tout le bien qu'on peut dire de cette innovation pédagogique, il subsiste des craintes, des réserves et même des problèmes qui nous amènent à nous interroger sur la posture des enseignants dans ce projet d'éducation. En effet, interroger la posture réelle des enseignants dans l'éducation bilingue au travers de leur rapport aux langues nationales nous semble un passage obligé pour donner des assises solides et pérennes à ce projet d'éducation. Au nombre de ces questions problématiques qui nous poussent à nous interroger sur la posture des enseignants dans l'éducation bilingue, deux nous semblent d'une importance capitale ; il s'agit d'une part de la remise en cause de la solidité des fondements du système éducatif bilingue et d'autre part de la situation de la diglossie que connaît le Burkina Faso.

3.1 L'école bilingue, la fabrication d'un succès

Dans une étude qu'il a effectuée dans deux provinces du Burkina sur l'état des écoles bilingues initiées par l'OSEO, Cheron (2008) a montré que les discours élogieux tenus à l'endroit de l'éducation bilingue relevaient plus de l'effet de la fabrication d'un succès par l'OSEO et ses partenaires que de la description d'une réalité. Parmi les domaines sur lesquels a porté l'action de l'OSEO, Cheron (2008) cite entre autres, l'enrôlement des cadres du Ministère de l'Enseignement de Base, l'implication des parents et l'amélioration des conditions de vie des enseignants.

Selon Cheron (2008), l'enrôlement des cadres du Ministère de l'Enseignement de Base par l'OSEO a pris force avec la création en 2003 au sein de ce ministère de la Direction Générale de l'Enseignement Bilingue (DGEB). Cheron (2008 : 26) fait remarquer que « ce service public entièrement voué au suivi-évaluation de la pédagogie bilingue a été pensé, conçu et instauré par l'OSEO elle-même et est dirigé et animé par des inspecteurs proches de l'OSEO ». Entièrement financée par l'OSEO, elle organise plusieurs visites dans les écoles bilingues en collaboration avec les différentes inspections ; pour se rendre compte de l'importance de l'action de la DGEB, Cheron (2008) cite en exemple le constat selon lequel

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les écoles bilingues peuvent recevoir entre trois à quatre visites dans l'année pendant que les écoles publiques voisines n'en bénéficient même pas d'une seule. Cette immixtion dans la sphère décisionnelle aurait par ailleurs permis à l'OSEO de court-circuiter certaines réticences émanant du milieu des intellectuels.

Le second axe d'influence dans la fabrication du succès de l'école bilingue que révèle l'étude de Cheron (2008) porte sur l'implication des parents. Si l'OSEO a su organiser son projet et lui donner l'ancrage qu'il connaît actuellement, c'est parce qu'il a tenu à s'assurer « une meilleure intégration de l'école à la communauté villageoise et une participation effective des parents au processus éducatif » (Cheron, 2008 : 37) en associant les parents au processus d'implantation et à l'animation des écoles ; critiquant par ailleurs l'insistance des initiateurs du projet sur la forte demande d'ouverture d'écoles bilingues (d'environ 500 comme nous l'avions souligné antérieurement) l'étude menée par Cheron (2008 : 37) montre que « même si les parents adhèrent à l'école - notamment parce qu'ils cherchent à réaliser à travers elle une certaine justice intergénérationnelle -, ils ne semblent pas adhérer au bilinguisme en tant que tel et ne réclament des écoles bilingues que lorsqu'ils se rendent compte que c'est le seul moyen d'obtenir une école pour leur village ».

Enfin, les travaux de Cheron (2008) ont surtout mis à jour le constat selon lequel si l'éducation bilingue est aujourd'hui exaltée, décrit comme étant un succès pédagogique c'est avant tout parce que l'OSEO et les différents partenaires ont pris le soin d'améliorer les conditions de vie et de travail des enseignants qui sont les acteurs clés dans ce système éducatif. Une étude de terrain entreprise par Nanema (2009), sur les profils et les conditions de travail des enseignants des écoles bilingues et classiques a permis de confirmer les propos de Cheron (2008) ; de ces deux études, il ressort que les enseignants des écoles bilingues, contrairement à leurs collègues des écoles classiques bénéficient de nombreux avantages : tout d'abord, les enseignants des écoles bilingues disposent d'infrastructures neuves (écoles et logements neufs et bien équipés, matériels didactiques et pédagogiques neufs et en nombre suffisant, effectifs des élèves contrôlés) ; en outre, ils bénéficient de nombreuses séances de formations qui sont le plus souvent rémunérées et sont régulièrement suivis par les encadreurs pédagogiques. Sur le plan financier, ils jouissent d'une indemnité spécifique mensuelle de 15000F CFA qui vient grossir leur salaire de fin du mois. A en croire donc ces auteurs, la motivation des enseignants dans l'éducation bilingue serait entretenue par ces nombreux avantages dont ils bénéficient et par les soins dont ils sont l'objet. Cela pose à notre niveau de grandes questions : si la motivation des enseignants est nourrie non pas par la conviction

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qu'ils ont de l'efficacité du système éducatif bilingue mais par les avantages qu'il procure, quel savoir vont-ils transmettre ? Cette éducation bilingue a-t-elle un avenir ?

Mais si la remise en cause des fondements de l'éducation bilingue peut être une source d'inquiétude pour l'avenir de ce système éducatif, elle n'est cependant pas la seule ; la situation socio-linguistique du Burkina nous amène aussi à nous interroger sur l'engagement des enseignants.

3.2 La situation de diglossie au Burkina Faso

Selon Wolff (2004), cité par Nikiema et Kabore-Paré (2010 : 21), « le terme de

« diglossie » est... utilisé pour décrire toute situation dans laquelle deux langues différentes ou deux variétés d'une même langue sont utilisées et parlées dans la vie quotidienne d'une communauté linguistique pour des fonctions différentes, souvent complémentaires, l'une de ses fonctions étant généralement associée à des fonctions sociolinguistiques supérieures, et l'autre à des fonctions inférieures, c'est-à-dire que la première est considérée comme plus prestigieuse que la seconde ».

Si aujourd'hui, les linguistes s'accordent à reconnaître à Jean Psichari (1854- 1929) la paternité du concept, on peut admettre que c'est avec Charles Fergusson, dans son article célèbre, « Diglossia » (1959) que le concept va connaître une véritable théorisation. En partant de différentes situations sociolinguistiques comme celles des pays arabes, la Suisse alémanique, Haïti, ou la Grèce, Ferguson (1959) considère qu'il y a diglossie lorsque deux variétés de la même langue sont en usage dans une société avec des fonctions socioculturelles différentes. Cette différence s'explique du fait que l'une de ces variétés est considérée comme « haute » donc valorisée, investie de prestige par la communauté : on la retrouve essentiellement à l'écrit et dans la littérature en particulier ou dans des situations d'oralité formelle, et elle est enseignée. A l'opposé, l'autre, considérée comme « basse », est utilisée dans les communications ordinaires de la vie quotidienne, et est réservée à l'oral.

De l'avis des sociolinguistes et didacticiens (Ilboudo, 2009 ; Nikiema, Kaboré/Paré, 2010), la situation de diglossie se serait construite au Burkina Faso à la faveur de la mise en place de deux systèmes éducatifs parallèles : l'éducation formelle avec comme support de langue le Français et l'éducation non formelle utilisant comme support les langues nationales. Dans le contexte burkinabè, les politiques éducatives et linguistiques auraient oeuvré à associer les fonctions supérieures au Français, langue officielle, langue de scolarisation et

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langue administrative et les fonctions inférieures aux langues nationales, utilisées seulement dans le cadre de l'alphabétisation.

Ces deux systèmes éducatifs diffèrent non seulement par leur langue d'enseignement (le Français pour l'éducation formelle et les langues nationales pour l'éducation non formelle), mais aussi par leur public cible, le traitement réservé aux sortants et la classe sociale de ces derniers.

En s'inspirant des catégories définies par Charles Fergusson (1959), Nikiema et Kabore/Paré (2010) représentent succinctement les fonctions attribuées à l'une et l'autre de ces formes d'éducation comme suit :

Tableau n°8 : Représentation de la situation de la diglossie au Burkina Faso d'après Nikiema et Pare-Kabore/Paré (2010)

 

Education formelle

Education non formelle

Langue

Français

Langues nationales

Public cible

Jeunes en âge de scolarisation (7-12 ans)

Adultes analphabètes « Rebuts » de l'école

Certification

Diplômes officiels

Attestations non reconnues

Traitement des

sortants

Accès à la fonction publique, au travail rémunéré par des salaires réguliers

Pas de débouchés particuliers

Classe sociale

des sortants

Elite, classe dirigeante, privilégiés

Classe des dominés et laissés-pour-compte

A partir de ce tableau, on peut comprendre aisément que du point de vue des représentations, « le Français jouira des préjugés les plus favorables, tandis que les langues nationales seront accablées de toutes sortes de préjugés défavorable » Nikiema et Pare-Kabore/Paré (2010 : 21).

Selon ces auteurs, cette situation de diglossie a pour conséquence d'entretenir un certain nombre de préjugés néfastes sur les langues nationales, allant du doute sur leur efficacité pédagogique à l'affirmation de leur incapacité à véhiculer le progrès ; comme le signifie bien Nikiema (1995 : 219), « on établit allègrement une synonymie entre « langue nationale », « culture ancestrale », « arriération », « ignorance », « retro... », « arrière-garde », cependant qu'on fait rimer « progrès » et « modernité » avec « Français » »

Partant de ce constat, nous nous interrogeons sur les effets que pourrait produire cette situation de diglossie sur les rapports des enseignants à ces langues nationales et partant à l'éducation bilingue. En effet, comme nous le souligne Daunay (2010 : 189), dans le

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Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques, « dans toute situation d'apprentissage (...) le sujet apprenant est confronté à des contenus d'enseignement qu'il doit maîtriser progressivement. Cette confrontation l'amène à donner du sens, à accorder une valeur aux contenus, autrement dit à supposer notamment leur utilité sociale, leur légitimité dans la situation d'apprentissage, leur pertinence dans la discipline. » Dans ce cas précis, nous faisons l'hypothèse que la valeur, la pertinence et la légitimité que ces enseignants, qui ont grandi dans le même contexte social, accordent à ces langues nationales ne peuvent être dénuées de toute influence de la diglossie.

La question que nous nous posons dans cette étude est de comprendre les rapports qu'entretiennent les enseignants avec les langues nationales utilisées comme médiums et objets d'enseignement dans les écoles bilingues au Burkina Faso ; Malgré certaines opinions favorables qui vantent l'efficacité du système d'éducation bilingue, la motivation des enseignants et les taux de succès satisfaisants qui confirment cette efficacité, d'autres études tendent à prouver que la réussite tant proclamée de l'éducation bilingue n'est en réalité qu'un château de carte car elle a été savamment fabriquée par ses protagonistes. D'autre part, on remarque que malgré le dynamisme de ses acteurs, l'éducation bilingue, qui est appelée à remplacer le système classique, a de la peine à s'imposer. Certains chercheurs (linguistes et didacticiens) expliquent cette difficulté par la situation de diglossie qui prévaut au Burkina et qui dessert l'éducation bilingue fondée essentiellement sur l'usage des langues nationales comme médiums et matières d'enseignement. Face à ce constat, nous nous sommes dit qu'il était important d'interroger le rapport des enseignants aux langues nationales car un rapport aux langues de ces enseignants conforme ou non à celui de l'institution scolaire pourrait favoriser ou freiner le développement de l'éducation bilingue. Tout cela nous conduit donc à formuler notre question de recherche comme suit : quel est le rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médiums et matières d'enseignement dans l'éducation bilingue au Burkina Faso?

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3.3 Hypothèses de recherche

En rapport à notre question de recherche et à la suite de notre problématique, nous pouvons énoncer comme réponses provisoires à notre questionnement les hypothèses suivantes :

Hypothèse principale

Le rapport des enseignants aux langues nationales en tant que médiums et matières d'enseignement révèle des réticences au sujet de la pertinence et de l'efficacité de l'éducation bilingue au Burkina Faso.

Hypothèses secondaires

De cette hypothèse principale, nous allons vérifier les hypothèses spécifiques suivantes :

Hypothèse 1 : les enseignants manifestent peu d'intérêt pour les langues nationales ainsi que pour le langage scolaire bilingue.

Nous voulons vérifier ici l'intérêt que manifestent les enseignants pour les langues nationales et pour le langage scolaire bilingue, ainsi que les initiatives prises pour améliorer la connaissance de ces langues.

Hypothèse 2 : Les enseignants sont réticents par rapport à la capacité des langues nationales à servir de médium et de matières d'enseignement.

Cette hypothèse nous permettra de mesurer l'appréciation que font les enseignants du rôle disciplinaire des langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement.

Hypothèse 3 : Les enseignants sont réticents par rapport à l'efficacité et à l'avenir de l'éducation bilingue.

Dans cette hypothèse, nous analyserons le point de vue des enseignants sur l'intérêt scolaire et socioculturel ainsi que sur l'avenir de l'éducation bilingue.

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3.4 Justifications

Deux raisons principales justifient le choix de notre étude sur le rapport des enseignants aux langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement dans l'éducation bilingue : la première est une raison d'ordre expérientiel et la seconde une motivation d'ordre académique.

En effet, pour avoir travaillé pendant quelques années en tant que responsable de l'enseignement catholique de notre diocèse, nous avons pu constater qu'en dépit de tout le bien que l'on disait de l'éducation bilingue, celle-ci éprouvait des difficultés à s'imposer sur le terrain. Même si, a priori, ces obstacles semblaient liés aux réticences des parents vis-à -vis de cette innovation pédagogique, nous avons voulu en savoir davantage d'autant plus que l'enseignement catholique au Burkina Faso était un des partenaires privilégiés de l'OSEO dans la mise en oeuvre de ce projet.

La seconde raison, d'ordre académique, tient au fait qu'après avoir parcouru la documentation pour comprendre les causes du mal-être de l'éducation bilingue, nous avons pu réaliser que beaucoup de recherches avaient été faites sur l'éducation bilingue au Burkina Faso mais qu'aucune ne s'intéressait aux objets d'enseignement proprement dits ou aux premiers acteurs de ce système éducatif que sont les élèves et les enseignants. Au nombre de ces recherches on peut citer entre autres :

Ø des études comparatives portant sur la nature ou l'efficacité des approches pédagogiques et didactiques des écoles bilingues et classiques :

- Ouédraogo Bibata Sotisi (2004) : Etude comparative de l'enseignement bilingue et de l'enseignement classique au Burkina Faso. Cas des provinces de l'Oubritenga et du Sanmatenga de 1998 à 2003, Mémoire de fin de cycle pour l'obtention du diplôme de l'ENAM, option : administration scolaire et universitaire, Ecole Normale d'Administration et de Magistrature (ENAM).

- Nikiema Norbert, Kabore-Paré Afsata. (2010): Les langues de scolarisation dans l'enseignement fondamental en Afrique subsaharienne francophone: cas du Burkina Faso.

Ø

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Des études portant sur les difficultés liées aux conditions de fonctionnement de l'éducation bilingue :

- Chéron Hélène (2008) : Le projet « école bilingue » de l'Oseo à Koudougou et Réo. La fabrication d'un succès, programme Etat local, Ouagadougou, Laboratoire Citoyennetés.

- Nanema Ouindpanga Geoffroy (2009) : Profils et conditions de travail des enseignants des écoles bilingues et classiques. Une analyse comparative dans la ville de Koudougou (province du Boulkiemdé), Burkina Faso, Ouagadougou, Laboratoire Citoyennetés.

- Kinda-Remain Patarbtallé Emma Clarisse (2003) : L'impact d'une généralisation de l'éducation bilingue sur le plan décennal de développement de l'éducation de base : cas des écoles bilingues, mémoire de fin de formation à la fonction d'Inspecteur de l'Enseignement du Premier Degré, Ecole Normale Supérieure de Koudougou (ENSK).

- Yaméogo Victor (2004) : Quelles stratégies pour une pérennisation de l'éducation bilingue dans le système éducatif formel burkinabè ? Le cas de l'éducation de base au Boulkiemdé, mémoire de fin de formation d'Inspecteur de l'Enseignement du Premier Degré (IEPD), Ecole Normale Supérieure de Koudougou (ENSK).

Ø d'autres enfin se sont intéressés aux représentations des acteurs de l'éducation ou des parents ; c'est le cas notamment de :

- Napon Abou (2007) : Les obstacles sociolinguistiques à l'introduction des langues nationales dans l'enseignement primaire au Burkina Faso. Dans Compaoré, Félix, Compaoré, Maxime, Lange, Marie-France, Pilon, Marc dir., La question éducative au Burkina Faso. Regards pluriels. Ouagadougou : Imprimerie de l'Avenir du Burkina

- Nikièma Norbert. (2000) : Propos et prises de positions de nationaux sur l'utilisation des langues nationales dans le système éducatif au Burkina Faso, In Mélanges en l'honneur du Professeur Coulibaly Bakary à l'occasion du 25e anniversaire de la création du département de linguistique, Cahiers du CERLESHS, Numéro spécial 2000.

Si toutes ces recherches sont d'un intérêt certain pour la communauté scientifique et pour les praticiens, force est de reconnaître qu'aucune d'entre elles, à notre connaissance, n'a tenté une approche de l'éducation bilingue par une entrée au moyen des objets d'enseignement et du rapport des enseignants à ces objets d'enseignement. Une telle observation ne constitue en aucune manière une prétention de notre part à vouloir affirmer

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que notre approche est la meilleure ou que notre étude est la plus pertinente. Ce que nous voulons signifier ici, c'est que notre entrée dans l'approche de l'éducation bilingue par les enseignants et par les contenus d'enseignement comprend une portée nouvelle dans le champ des recherches et dans le domaine plus particulier de l'éducation bilingue, du fait de la dimension didactique qui la caractérise. Outre le fait qu'elle met en exergue, à la suite des recherches précédentes, les obstacles qui freinent le développement du système éducatif bilingue, nous osons espérer que notre étude sera d'un grand intérêt pour la communauté scientifique et pour les praticiens à plusieurs titres : d'abord, nous pensons qu'en investissant un terrain de recherche assez nouveau, celui du rapport aux langues nationales utilisées comme matières au Burkina Faso, nous ouvrons de nouvelles perspectives pour les chercheurs. Ensuite, nous estimons que l'investissement de cette question de recherche revêtira un intérêt particulier pour les enseignants dans la mesure où il leur permettra de réfléchir aux motivations de leur engagement dans l'éducation bilingue. Et enfin, nous espérons que notre étude permettra aux formateurs des enseignants de mieux connaître le public auquel ils s'adressent et de mieux adapter les contenus de la formation aux réalités du terrain.

Dans ce chapitre, nous avons essayé de présenter le questionnement qui sous-tend notre travail de recherche ; ce questionnement prend appui sur un certain nombre de difficultés qui sont liées aux conditions de mise en place et de fonctionnement de l'éducation bilingue au Burkina Faso. Conscient du fait qu'un tel questionnement peut être abordé sous plusieurs angles et dans le but de mieux cerner notre perspective de recherche, nous entendons, dans le chapitre suivant définir la posture théorique dans laquelle nous nous inscrivons.

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CHAPITRE 4 :

LE CADRE DE REFERENCE

4.1 Le « rapport à » comme fondement du rapport au savoir

Selon le dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques (2010 : 189), « le concept de « rapport à » en didactique désigne la relation (cognitive mais aussi socio-psycho-affective) qu'entretient l'apprenant aux contenus et qui conditionne en partie l'apprentissage de ces derniers ».

Beillerot (1989) a fait remarquer que c'est une notion qui fonctionne par sous-entendus comme si elle ne voulait pas désigner de quoi ou de qui elle veut exactement parler ; allant dans ce sens, il a pu identifier trois possibilités de compréhension du concept de « rapport à » ; ainsi, il invite à distinguer « le rapport de l'élève au savoir » qui n'est pas la même chose que « le rapport au savoir de l'élève » ni que « le rapport à son savoir de l'élève ». Si l'emploi de la notion dans le premier cas désigne « le rapport d'une personne dans son statut avec le savoir scolaire », la seconde expression quant à elle « mentionne plutôt la disposition de l'élève indépendante de lui et antérieure même à l'école », tandis que la dernière formule insiste sur « la manière dont l'élève utilise son propre savoir ». Même si pour De Leonardis et al. (2002 : 42) , « le rapport à » se présente « comme un concept médiateur et intégrateur indiquant la façon dont un sujet est affecté par le savoir qui lui est transmis et la façon dont ce sujet le signifie et s'y rapporte », nous choisissons d'employer le concept de « rapport à » en référence à sa première acception, c'est-à-dire pour désigner le rapport des sujets dans leurs statuts d'enseignants des écoles bilingues avec les langues nationales employées comme médiums et matières d'enseignement. A ce propos, Jacky Verrier et Xavier Burrial (2007 : 7 ) expliquent que le rapport au savoir des enseignants, dans le cas plus précis du rapport à la langue comme médium et matière d'enseignement, est à envisager, non pas sous une dimension bi-directionnelle (enseignant-savoir) mais multidirectionnelle (enseignant-savoir-instrument-métalangue). Cela s'explique, selon lui par le fait que contrairement à l'enseignement des autres disciplines où la langue sert uniquement de véhicule pour les enseignements et apprentissages, dans le cas de l'enseignement de la langue, les rapports se complexifient en raison du fait que : « d'un côté, la langue est savoir

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d'enseignement, ce qui l'assimile aux autres enseignements, mais de l'autre, elle est l'instrument de l'enseignement de son propre savoir, ce qui la différencie des autres disciplines d'enseignement et, enfin, elle contient la métalangue qui permet de décrire et d'expliquer la langue, autrement dit, le savoir à enseigner » Verrier et Burrial (2007 : 7). Ce constat conduit ces auteurs à distinguer trois catégories dans la définition du rapport de l'enseignant à la langue : d'abord, ils distinguent l'enseignant dans son rapport à la langue comme sujet parlant ordinaire, qui de ce fait entretient avec la langue les mêmes rapports que tout sujet natif de cette langue ; ensuite, ils considèrent l'enseignant dans sa fonction et son rôle pédagogique qui utilise la langue comme instrument de transmission du savoir ; et enfin, ils invitent à prendre en compte l'enseignant dans son rôle de linguiste et grammairien, « spécialiste de la métalangue didactique qui sert à décrire la langue ».

Ce concept de « rapport à », dans sa relation au savoir, a fait l'objet de nombreuses théorisations dans plusieurs disciplines ; nous présenterons ces différentes approches théoriques tout en précisant celle qui nous servira de cadre de référence pour notre étude.

4.2 Ancrage disciplinaire

Citant Develay (1996), Charlot nous apprend que deux auteurs ont contribué à ce jour à éclairer la notion de rapport au savoir : il s'agit de Bernard Charlot dans la sociologie de l'éducation et Jacky Beillerot dans le domaine de la psychanalyse. Ces deux auteurs auxquels sont rattachées deux équipes de chercheurs, l'équipe ESCOL (Education scolarisation) pour la sociologie de l'éducation et l'équipe du CREF (Centre de Recherche Education et Formation) pour l'approche psychanalytique, ont contribué à développer deux approches théoriques du rapport au savoir qui font référence aujourd'hui. A ces deux approches théoriques du rapport au savoir, on ne manquer cependant d'associer l'approche anthropologique d'Yves Chevallard.

4.1.1 L'approche socio-anthropologique

La théorisation du rapport au savoir sous l'angle socio-anthropologique a été l'oeuvre de l'équipe ESCOL, sous la direction de Bernard Charlot, sociologue de l'éducation. L'approche psychosociale se donne pour objectif d'appréhender le rapport au savoir du sujet

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dans sa singularité mais aussi en tant qu'il est en relation avec le monde. Aux sources de la naissance de cette théorie s'inscrit la préoccupation des chercheurs de l'équipe ESCOL d'appréhender autrement la question de l'échec scolaire en se désolidarisant des théories des sociologues français comme Bourdieu et Passeron ; il faut noter que ces derniers tentaient une explication de l'échec scolaire par l'origine sociale des apprenants, à l'aide notamment des théories de la reproduction sociale, de l'habitus et du handicap social (Charlot, 1997). Face à ces théories sociologiques, les membres de l'équipe ESCOL s'efforcent de montrer que s'il est évident, d'une part, que la dimension sociale a un impact certain dans le rapport au savoir du sujet, on ne peut ignorer, d'autre part, le rôle singulier que joue chaque sujet dans le rapport au savoir et au sens qu'il accorde à ce savoir ; c'est la sociologie du sujet. Pour l'équipe ESCOL, poser la question du sens, c'est s'obliger à une "lecture en positif" de la réalité sociale et scolaire, en se refusant à interpréter immédiatement cette réalité en termes de manques, de lacunes, de "handicaps" : « Se demander quels sont les mobiles de l'enfant qui travaille à l'école, c'est s'interroger sur le sens que l'école et le savoir présentent pour lui. Quel sens cela a-t-il pour un enfant d'aller à l'école, d'y travailler, d'y apprendre des choses ? Telle est notre question centrale » (Charlot, Bautier et Rochex, 1992 : 21) ; cette approche psychosociale du rapport au savoir conduit alors Charlot (1997 : 91) à conclure qu'« analyser le rapport au savoir, c'est étudier le sujet confronté à l'obligation d'apprendre dans un monde qu'il partage avec d'autres (...) cette analyse porte sur le rapport au savoir d'un sujet singulier inscrit dans un espace social ».

Pour étayer sa théorie, l'équipe ESCOL identifie trois pôles du rapport au savoir que sont le rapport épistémique, identitaire et social.

- Selon Charlot (1997), le rapport épistémique au savoir renvoie à la nature même de l'acte d'apprendre et au fait de savoir ; il répond de ce fait à la question « apprendre, c'est avoir quel type d'activité ? ».

- Le second pôle du rapport au savoir que Charlot (1997) identifie, c'est le rapport identitaire. Ici, il n'est plus question de s'interroger sur la nature du savoir en jeu mais plutôt sur le sens que nous donnons à ce savoir en référence à notre histoire, à nos attentes, à nos repères, à notre conception de la vie etc. La question qui est en jeu ici est de savoir « qui suis-je pour les autres et pour moi-même, moi qui suis capable d'apprendre cela ou moi qui n'y parviens pas ? » (Charlot, 1997 : 79).

- Enfin, le troisième pôle du rapport au savoir décrit par Charlot (1997) est le rapport social. Cette dimension du rapport au savoir s'explique par le fait que le rapport au savoir est

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toujours le rapport d'un sujet, lequel est inséré dans un monde et dans une relation à l'autre, constitués sous des formes qui préexistent au sujet ; dans ces conditions, le rapport du sujet au savoir est aussi un rapport social car le sujet ne peut s'affranchir du monde constitué dans lequel il évolue.

Charlot (1997) précise toutefois que le rapport social du sujet n'a pas une dimension propre et indépendante des autres pôles que sont le rapport épistémique et identitaire ; « elle contribue à leur donner forme particulière » (1997 : 87) ; il met également en garde contre toute tentative d'associer le rapport social à la seule position sociale du sujet comme l'envisage la théorie sociologique ; si la position sociale peut-être prise en considération, elle ne suffit pas à rendre compte de la réalité car la société est aussi histoire (Charlot, 1997).

A cette approche socio-anthropologique centrée essentiellement sur la responsabilité du sujet dans la construction du rapport au savoir, la théorie psychanalytique va apporter une dimension nouvelle, celle du désir comme condition de détermination du rapport au savoir.

4.1.2 L'approche psychanalytique

L'approche psychanalytique a été développée avec l'équipe du CREF sous la direction de Jacky Beillerot, psychanalyste et professeur de sciences de l'éducation à l'université de Paris X. Au centre de cette théorie du rapport au savoir se trouve la valorisation, à travers son histoire, du désir du sujet comme constitutif de son rapport au savoir.

Le désir est défini comme étant avant tout « un processus créateur de savoir, par lequel un sujet intègre tous les savoirs disponibles et possibles du temps » (Beillerot, 1989 : 189). Cette antériorité accordée au désir dans la construction du savoir induit par le fait même une primauté du psychique sur le social sans pour autant l'exclure comme l'exprime si bien Beillerot (1996 : 73) :

« Toute étude qui prendra le rapport au savoir comme notion centrale ne pourra pas s'affranchir du soubassement psychanalytique ; non que cela interdise d'autres approches, mais c'est à partir de la théorisation de la relation d'objet, du désir et du désir de savoir, puis de l'inscription sociale de ceux-ci dans des rapports (qui lient le psychologique au social) qu'il sera possible de prendre le risque de faire évoluer la notion ; une évolution qui n'oubliera pas une chose essentielle, sous peine de lui faire perdre son sens : il n'y a de sens que de désir »

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Une des caractéristiques essentielles de l'approche psychanalytique du rapport au savoir c'est qu'elle étudie le sujet, non pas en contexte expérimental mais en situation, dans les conditions sociales ordinaires de leur évolution (Beillerot et al. 1996). Il faut cependant préciser que pour Beillerot et son équipe, la question principale reste de savoir comment le désir conduit au savoir ; en effet, si le désir est un processus créateur de savoir, il reste que ce que vise tout désir en premier c'est la jouissance, à travers l'objet, et n'ont pas l'objet en lui-même. Ainsi, dans le cas du rapport de l'individu au savoir, on peut penser que ce qui est visé en premier par l'apprenant ce n'est pas le savoir mais la jouissance ; en conséquence, Beillerot (1996 :71) parvient à la conclusion que « le désir de savoir peut être considéré comme un donné, mais que l'objet du désir devienne le savoir ne va pas de soi » ; pour que l'objet du désir devienne le savoir, il est impératif que le désir de savoir élise tel ou tel objet en savoir. Pour le chercheur qui s'engage dans la voie de l'approche psychanalytique, sa tâche consistera donc « à comprendre comment on passe du désir de savoir (comme recherche de jouissance) à la volonté de savoir, au désir d'apprendre, et qui plus est au désir d'apprendre et savoir telle ou telle chose » (Charlot, 2003 :37).

Charlot (2006 : 40) a reconnu que pour une large part il n'avait pas de reproche à faire à l'approche psychanalytique en ce sens que les deux théories s'accordent pour affirmer « le refus de considérer le rapport au savoir comme une caractéristique de l'individu, ou, pire encore, comme l'absence d'une caractéristique attendue (un « handicap ») et le principe selon lequel le rapport au savoir est un « processus » (Beillerot), un ensemble de relations et de processus (moi-même) ». Son différend avec la théorie psychanalytique porte principalement, comme il l'affirme lui-même, sur le référent psychanalytique tel qu'il est utilisé par Mosconi (1996 ; 2000) dans ses recherches : « si l'on développe une théorie des pulsions à partir d'une base organique, alors le social, l'autre n'arrivent qu'après, à un moment donné. Par contre quand J. Beillerot aborde la question par le désir, je le suis tout à fait, parce que quand on se donne le désir, on se donne d'emblée « l'autre » et le monde » Charlot (1998 :12).

A ces deux approches théoriques du rapport au savoir, nous adjoignons l'approche anthropologique d'Yves Chevallard (2003). Même si nous faisons nôtre la réflexion de Charlot (2000) qui estime qu'il n'y a pas à choisir entre ces versions (Beillerot, Charlot, Chevallard) en raison du fait que sur le fond, les questionnements, les modes d'entrée, les concepts et les méthodes se croisent plus qu'ils ne se heurtent, nous nous adossons principalement à l'approche anthropologique. La raison de ce choix s'explique par le fait que son entrée par la place du sujet, commune aux deux autres approches théoriques, mais surtout

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la place et le rôle qu'elle accorde au sujet dans l'institution semble répondre le mieux à notre problématique.

4.1.3 L'approche anthropologique de Chevallard

L'approche anthropologique doit sa théorisation à Yves Chevallard, professeur des universités et didacticien des mathématiques. Sa théorie est bâtie sur trois éléments clés : les individus, les institutions, et les objets qu'elles contiennent. Le postulat qu'il établit à partir de ces éléments porte l'affirmation selon laquelle un individu concret a besoin d'entrer en relation avec une ou des institutions pour pouvoir entrer en rapport avec un savoir. Dès son enfance, l'individu est assujetti par de multiples institutions qui le constituent personne, c'est-à-dire l'ensemble formé par l'individu et les rapports qu'il entretient avec les différents objets ; de là, si l'on considère une institution donnée comprenant des individus (famille, école) un objet de savoir devrait exister nécessairement pour cette institution si au moins un des individus entretient un rapport personnel avec cet objet. Dans ces conditions, Enseigner

c'est agir sur le rapport de l'apprenant à l'objet enseigné pour que celui-ci soit le plus conforme possible au rapport institutionnel car un bon sujet institutionnel est un individu de l'institution dont le rapport personnel est proche du rapport institutionnel (Chevallard, 2003). En substance, parler de rapport au savoir selon la théorie anthropologique nous amène à mettre en évidence la relation qu'entretient l'individu avec l'ensemble des savoirs institutionnels et même non institutionnels auxquels il est appelé à faire face ; cela nous conduit également à mettre en exergue les tensions et les contradictions que peuvent vivre les individus lorsqu'ils sont amenés à entretenir des relations entre différentes institutions aux injonctions parfois contradictoires ; pour échapper à ces conflits intérieurs, l'individu peut être conduit, lorsqu'il est sollicité à s'exprimer dans telle ou telle institution, à présenter une composante publique qui soit conforme aux exigences de l'institution tout en gardant une dimension privée qui soit contraire aux mêmes exigences. Cela pose bien évidemment le problème de l'efficacité du rendement car si, comme le dit Daunay (2010 : 189), « un rapport aux contenus qui ne correspond pas à celui que l'institution envisage peut rendre difficile les apprentissages », il est aussi certain qu'un rapport à l'institution qui est contraire aux convictions personnelles du sujet peut aussi rendre difficile les apprentissages.

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Cette approche théorique nous est donc utile pour creuser le rapport au savoir des enseignants dans l'institution « éducation bilingue » en lien avec leur rapport aux autres institutions que sont la famille, le milieu social etc.

En plus du concept de « rapport à », deux concepts fondamentaux nous aideront à mieux entrer dans ce cadre théorique. Ce sont les concepts de « représentations » et de « conscience disciplinaire ».

4. 3 Autres concepts principaux

4.3.2 La notion de « représentations »

Si le rapport au savoir est un rapport au monde, un rapport à l'institution, on ne peut comprendre ce rapport au savoir sans prendre en compte les représentations que le sujet a de ce monde ou de cette institution.

La notion de « représentations » a été initiée dans le domaine des sciences sociales par Emile Durkheim (1898), mais c'est avec des chercheurs tels Serge Moscovici ou Denise Jodelet qu'elle connaîtra son développement et son affinement.

Selon Jodelet (1989 : 53), « la représentation sociale est une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social ».

A la suite de Jodelet (1989), le lexique de sociologie d'Yves Alpe et al. (2010 : 280) apporte plus de précision à la définition de ce concept en affirmant que « les représentations sont d'abord constituées d'idées, de croyances, de jugements, de visions du monde, d'opinions ou encore d'attitudes. ». Et Seca (2001 :17) d'ajouter qu'elles naissent et se développent dans « les conversations quotidiennes et par rapport à des circonstances culturelles et historiques ».

Abric (1994), pour sa part, identifie une double structuration des représentations sociales ; il distingue :

- d'une part le noyau central, constitué d'éléments non négociables, stables et cohérents entre eux et résistants au changement ;

- et d'autre part les éléments périphériques qui jouent un rôle de décryptage de la réalité et de tampon, permettant aux individus de mieux maîtriser les événements qui

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surviennent en leur assignant une signification et un rôle. Cette seconde structuration constitue selon Abric (1994 : 25) « l'interface entre le noyau central et la situation concrète dans laquelle s'élabore ou fonctionne la représentation ». Par ailleurs, pour cet auteur « c'est l'existence de ce double système qui permet de comprendre une des caractéristiques essentielles des représentations sociales qui pourrait apparaître comme contradictoire : elles sont à la fois stables et mouvantes, rigides et souples » Abric (1994 : 29).

De ce point de vue, l'intérêt de l'étude des représentations pour les didactiques se situe précisément dans la prise en compte de cette double structuration car c'est sur elle que peut s'appuyer le didacticien pour mieux comprendre certaines difficultés relatives à l'apprentissage et procéder à la mise en place d'actions didactiques appropriées.

Notre recherche ayant pour objectif de comprendre les fonctionnements des enseignants vis-à-vis de l'éducation bilingue, le concept de « représentations » qui se situe aux carrefours du psychologique et du social (Barré-de Miniac, 2000) nous paraît pertinent pour cerner les enjeux de la question. S'il est vrai qu'aucune situation d'apprentissage ne peut se passer du rapport du sujet aux contenus, on ne peut ignorer que ce rapport se nourrit des représentations du sujet, c'est-à-dire des connaissances qu'il mobilise autour de ces contenus.

En se référant à la définition proposée par Jodelet (1989), et en rapport à notre domaine de recherche, on peut reconnaître en l'ensemble social en question les groupes ethniques et linguistiques de la population burkinabè d'où sont issus les enseignants qui font l'objet de notre étude ; la réalité commune en construction quant à elle fait référence aux jugements, aux opinions et aux attitudes portant sur les langues nationales ainsi que sur le Français en usage dans le milieu scolaire.

L'examen des jugements, opinions et attitudes des enseignants portant sur les langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement au Burkina Faso nous permettra donc de caractériser leur rapport à l'éducation bilingue.

4.3.3 La conscience disciplinaire

Comme la notion de « représentations », celle de « conscience disciplinaire » nous paraît utile pour caractériser le rapport aux langues nationales des enseignants, dans la mesure où ces langues nationales sont utilisées comme disciplines d'enseignement dans l'éducation bilingue au Burkina.

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La conscience disciplinaire désigne « la manière dont les acteurs sociaux et, en premier lieu, les sujets didactiques - élèves mais aussi enseignants - reconstruisent telle ou telle discipline » Reuter (2010 : 41).

Cette notion s'inscrit certes dans le champ d'autres concepts proches tels que le contrat didactique, les « représentations » ou encore le « rapport à », mais elle s'en distingue par la dimension spécifique qu'elle accorde aux disciplines et à la manière dont celles-ci s'actualisent dans l'esprit des apprenants et des enseignants (Reuter, 2010).

Verrier et Burrial (2007) ont fait observer que la définition du rapport des enseignants aux langues utilisées comme matières d'enseignement était d'autant plus difficile à établir que ces dernières pouvaient être apprises en dehors du cadre institutionnel et scolaire ; cette situation fait, selon eux, que « la langue a du mal à être reconnue comme discipline d'enseignement » Verrier et Burrial (2007 : 9). De ce fait, pour arriver à convaincre que la langue est vraiment une discipline au même titre que les autres, l'enseignant a besoin de recourir à des éléments pédagogiques et didactiques autres que la langue elle-même et qui garantissent l'identité disciplinaire de ces langues comme les connaissances en syntaxe, en phonétique ou en grammaire (Verrier et Burrial : 2007).

En rapport avec notre étude, si l'on considère qu'avant d'être utilisées comme médiums et matières d'enseignement dans l'éducation bilingue, les langues nationales étaient employées dans l'éducation non formelle, avec des fonctions et des objectifs différents, il est important de se demander quelle configuration les enseignants donnent à ces disciplines dans le cadre scolaire ; Nous estimons que la notion de conscience disciplinaire qui s'attache à définir la manière dont les individus reconstruisent les disciplines pourra nous aider à déterminer les fonctions et les finalités que les enseignants rattachent aux langues nationales appelées désormais à servir de médiums et de matières d'enseignement dans le système scolaire burkinabè.

4.3 Opérationnalisation de la problématique et du cadre théorique

Le concept de rapport au savoir est l'outil principal dont nous nous servirons pour procéder à l'opérationnalisation de notre problématique et du cadre théorique. De l'avis de BEAUCHER (2010), en dépit des efforts déjà réalisés par les chercheurs, l'opérationnalisation du concept de rapport au savoir a encore besoin d'être clarifiée ; cette

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situation est due, selon De Léonardis et al. (2002 : 27), au fait que c'est un concept qui est étroitement lié au contexte et aux objectifs de la recherche et qui, de ce fait, varie selon que le chercheur privilégie l'aspect subjectif du rapport au savoir ou « son ancrage dans des situations socio-culturelles multiples renvoyant à des objets de savoir eux-mêmes pluriels ».

Dans notre effort pour cerner les rapports des enseignants à l'école bilingue et aux savoirs qu'elle véhicule, nous nous référons aux dimensions du rapport des enseignants à l'écriture établies par Barré-de Miniac (2000). Partant des catégories qu'elle a élaborées pour l'étude du rapport à l'écriture des élèves, Barré-de Miniac (2000) en déduit trois dimensions qu'elle juge pertinentes pour une approche du rapport à l'écriture des enseignants. Ces trois dimensions se rapportent à l'investissement de l'écriture, aux opinions et attitudes et aux conceptions de l'écriture et de son apprentissage ; toutefois, elle attire l'attention sur deux écueils à éviter dans l'usage de ces dimensions : le premier danger consisterait, selon elle, à considérer chacune de ces dimensions de façon isolée ; ce n'est qu'articulées les unes aux autres qu'elles peuvent caractériser le rapport au savoir de l'individu. L'autre danger, selon elle, serait de comprendre ces dimensions comme étant immuables ; elles sont ouvertes et doivent être contextualisées à l'état des recherches didactiques concernées. Pour notre part, nous avons fait l'option de nous inspirer de cette catégorisation pour l'adapter à la conceptualisation de notre cadre théorique ; trois raisons ont principalement motivé notre choix : la première raison tient au fait que nos recherches sont étayées par un même concept didactique clé, à savoir le « rapport à », même si elles s'en distinguent par leurs objets ; la deuxième raison se rapporte au caractère disciplinaire de l'objet de nos recherches : l'écriture comme discipline d'un côté et les langues nationales comme médiums et matières d'enseignement de l'autre ; ce qui fait que nous restons néanmoins dans le même champ d'étude, c'est-à-dire le milieu scolaire ; enfin, la troisième raison qui a motivé notre choix tient à la part importante et commune accordée aux représentations et à leur prise en compte dans la définition du rapport au savoir des enseignants. Fort de cela et au regard de notre problématique ainsi que de notre cadre théorique, nous avons élaboré les trois dimensions suivantes pour servir de guide à notre travail de recherche :

- la maîtrise et l'investissement des langues nationales : Pour Barré-de-Miniac (2000), l'investissement renvoie à l'intérêt affectif que l'on a pour quelque chose et à la quantité d'énergie qu'on y consacre ; nous lui avons associé le terme de maîtrise pour pouvoir évaluer le niveau de connaissances que les enseignants ont des langues nationales qu'ils enseignent ainsi que l'intérêt qu'ils leur accordent.

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- les opinions et attitudes sur les langues nationales : Barré-de Miniac (2000) fait la distinction entre opinion et attitude ; se référant à la psychologie sociale, elle note que les opinions se rapportent aux déclarations, aux dires tandis que les attitudes renvoient aux comportements, l'un et l'autre pouvant être par ailleurs et dans certaines circonstances en concordance ou en contradiction. La prise en compte de cette dimension nous sera utile pour déceler le regard que portent ces derniers sur l'éducation bilingue comme institution porteuse de savoir ; ainsi, nous nous intéresserons aux opinions (pertinence, utilité), à l'adhésion, aux résistances des enseignants mais aussi aux leviers de changement pour l'amélioration de ce système.

- Les conceptions sur les fonctions disciplinaires des langues nationales : Barré-de Miniac (2000 : 122) définit les conceptions comme étant « des représentations relevant du sens commun, au sens où elles sont généralement énoncées comme relevant de l évidence ». L'approche de cette dimension du savoir enseignant nous conduira d'une part, à porter un regard attentif sur la connaissance que les enseignants ont des disciplines qu'ils enseignent et de leurs limites et forces, et d'autre part, de mettre en évidence la valeur et l'utilité qu'ils accordent à ces disciplines.

A travers l'investigation de ces trois dimensions du rapport des enseignants aux langues nationales, il s'agit pour nous de chercher à mettre en exergue le regard que les enseignants portent sur l'éducation bilingue dans toutes ses dimensions : linguistique, sociologique et didactique, mais aussi d'interroger leur posture dans ce système éducatif en rapport avec les institutions en jeu.

Dans l'objectif d'étudier la question relative au rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médiums et matières d'enseignement, dans l'éducation bilingue au Burkina Faso, un cadre théorique a été défini et un certain nombre d'hypothèses ont été posées à la suite de l'élaboration de notre question de recherche. Leur test devra permettre d'obtenir des réponses à nos questionnements. Pour cela, il est nécessaire de déployer une méthodologie de travail qui puisse nous aider à recueillir les données nécessaires à notre étude. C'est la démarche que nous avons opté de suivre que nous préciserons dans les pages qui suivent.

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CHAPITRE 5 :

NOS CHEMINS D'INVESTIGATIONS

5.1 La démarche de recueil des données

5.1.1 La démarche méthodologique adoptée

Notre travail de recherche s'appuie sur la démarche hypothético-déductive. Selon Depelteau (2010 : 62), « la démarche hypothético déductive est la démarche classique de la science moderne. Elle découle de la méthode expérimentale et est applicable en sciences humaines dans toutes les disciplines et avec plusieurs méthodes de recherche ».

La démarche hypothético-déductive a été prônée par Popper, en réaction à l'approche inductive des positivistes. Pour lui, une démarche se dit scientifique, non pas dans la mesure où elle conduit à la vérification des hypothèses et des théories comme l'entendent les positivistes mais seulement si elle permet leur falsification ou leur réfutation. Selon Popper, la science ne mène pas à la vérité, elle ne peut faire que s'en rapprocher par la corroboration ou la réfutation des hypothèses que l'on formule ; aussi, la bonne démarche, celle qui répond le mieux à cette exigence est-elle la démarche hypothético-déductive. Citant Popper (2007), Depelteau (2010 : 76) définit ainsi la méthode hypothético-déductive inspirée du falsificationnisme : « c'est la démarche propre à une science qui ne poursuit jamais l'illusoire de rendre ses réponses définitives ou mêmes probables. Elle s'achemine plutôt vers le but infini encore qu'accessible de toujours découvrir des problèmes nouveaux, plus profonds et plus généraux et de soumettre ses réponses, toujours provisoires, à des tests toujours renouvelés et toujours affinés ».

Les étapes de la recherche selon la démarche hypothético-déductive sont organisées comme suit :

- Enonciation de la question de départ ou question de recherche - Construction d'une ou plusieurs hypothèses de recherche - Tests empiriques pour vérifier ou infirmer la ou les hypothèses - Corroboration ou réfutation des hypothèses

- Poursuite ou reprise des recherches

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En dépit des critiques qui sont faites au falsificationnisme et qui portent notamment sur la trop grande importance qu'il accorde à la réfutation des énoncés généraux au détriment de leur corroboration, Depelteau (2010) a montré que son apport dans le domaine de la recherche est indéniable. En effet, « il suggère une mise en garde essentielle et fort pertinente pour le néophyte qui fait ses premiers pas en sciences humaines : il est plus sage de se contenter de corroborations provisoires et même d'une falsification des hypothèses de recherche que d'espérer, ou pire encore, de croire en leur vérification grâce à l'expérience ».

En tant que néophyte dans la recherche et fort de ce conseil, nous optons pour cette démarche car nous estimons qu'elle est la mieux adaptée pour nous aider à mieux répondre à notre question de recherche.

5.1.2 Les techniques de recueil de données

Afin de procéder aux tests empiriques de nos hypothèses de recherches, nous avons adopté une méthode de recherche mixte, c'est-à-dire quantitative et qualitative.

Legendre (2005 : 1155) définit la recherche quantitative, comme étant une « recherche qui préconise l'utilisation d'instruments de mesure pour préciser les observations ainsi que l'utilisation de méthodes statistiques pour objectiver l'analyse et l'interprétation de résultats ». Afin de recueillir des données quantitatives relatives à notre champ de recherche, nous avons donc fait le choix d'adopter la technique du questionnaire (voir questionnaire en annexe n°3). Ce choix est motivé par deux raisons principales : la première est liée au fait que notre étude aborde une dimension descriptive de la situation du rapport des enseignants aux langues nationales dans l'éducation bilingue au Burkina Faso. Les données quantitatives qui seront recueillies nous permettront sans doute de dégager des constantes, des régularités, des oppositions ou des singularités statistiquement observables qui nous aideront dans notre tâche descriptive ; la seconde raison qui a guidé notre choix de la technique de recueil de données par questionnaire comme méthode d'investigation se rapporte au fait que c'est le moyen qui nous permettait de prendre en compte toutes les langues impliquées dans l'éducation bilingue et d'atteindre le plus grand nombre possible d'enseignants.

En plus de la recherche quantitative, nous avons aussi adopté une technique de recueil de données de type qualitatif. D'après Mongeau (2008 : 31), les méthodes qualitatives d'analyse des données « s'appuient essentiellement sur l'induction ; les propositions relatives aux relations porteuses de signification sont tirées, induites, des observations. Elles sont dites

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qualitatives parce que l'analyse des données et leur interprétation procèdent par analogies, métaphores, représentations, de même que par des moyens qui tiennent du discours plutôt que du calcul. Il s'agit ici de comprendre une situation particulière propre à un contexte donné ».

Etant donné que notre travail de recherche porte sur le rapport des enseignants au savoir, cela nous amène à nous intéresser aux représentations, aux valeurs, au sens que ces acteurs accordent à leurs pratiques en tenant compte de leurs expériences et de leurs trajectoires socioculturelles. Aussi, ce domaine de la connaissance ne pouvant être efficacement appréhendé que dans le discours des intéressés, nous avons jugé utile de procéder à des entretiens semi-directifs en complément de l'enquête par questionnaire (voir grille d'entretien en annexe n°4).

5.1.3 L'échantillonnage

Selon Depelteau (2010 : 213), « un échantillon est une partie ou un sous-ensemble d'une population mère », la population mère étant l'ensemble de tous les individus qui ont des caractéristiques précises qui se trouvent être en lien avec les objectifs de l'étude. Depelteau (2010) fait remarquer que si idéalement le souhait de tout chercheur est d'établir un échantillon représentatif de la population mère, il est concrètement difficile d'y arriver ; on se borne de ce fait, et le plus souvent, à établir des échantillons exemplaires plutôt que représentatifs de la population mère.

Dans le cadre de notre étude, nous avons établi deux types d'échantillons en référence au questionnaire et à l'entretien semi directif que nous avons élaborés. Notre population mère est constituée des enseignants des écoles bilingues du Burkina Faso ; selon les statistiques du Ministère de l'Enseignement de Base, le Burkina Faso comptait, en 2012, 150 écoles bilingues, soit un minimum de 750 enseignants à raison de 5 enseignants par école, sans compter les suppléants (voir la situation complète de l'éducation bilingue en annexe n°5).

En ce qui concerne l'enquête par questionnaire, nous avons établi un échantillon de 131 enseignants représentatif des 9 langues en usage dans l'éducation bilingue et proportionnel au nombre d'enseignants exerçant au compte de chaque langue nationale ; d'autre part nous avons pris pour consigne de ne pas retenir moins de 5 individus par langue nationale quel que soit le nombre d'enseignants représentés dans la langue ; enfin, pour permettre la prise en compte d'un regard extérieur à l'éducation bilingue, nous avons pris en

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considération, dans l'échantillon, 33 enseignants issus des écoles classiques, soit le quart du nombre d'enseignants retenus dans notre échantillon.

Quant à l'entretien semi-directif, nous l'avons mené avec un échantillon de 6 individus dont cinq enseignants issus des écoles bilingues et un seul provenant de l'éducation classique. Ce choix des 5 enseignants bilingues contre un seul des écoles classiques s'explique, avant tout, par le fait que notre étude porte prioritairement sur l'éducation bilingue mais aussi parce que 3 des 5 enseignants bilingues que nous avons interviewés ont déjà une longue expérience de l'enseignement classique. Nous aurions voulu prendre en compte toutes les langues nationales mais cela s'est avéré difficile en raison des contraintes en termes de temps et de distance. Nous nous consolons néanmoins en pensant à cette réflexion de Mongeau (2008 : 93-94) : « L'échantillon d'une recherche poursuivant des objectifs de nature plus qualitative peut être relativement petit, car l'objectif n'est pas de rendre compte d'une population, mais de recueillir de l'information pertinente pour mieux comprendre un phénomène ». Pour la désignation des 5 individus issus des écoles bilingues, nous avons regroupé les langues en fonction du nombre d'écoles qui les représentent et par palier de 1 à 5 écoles. Un ou deux représentants ont ensuite été choisis dans chaque catégorie pour être interviewés. Ce choix a tenu compte aussi des situations géographiques.

5.1.4 Conditions de recueil des données

L'enquête qui nous a permis de recueillir les données de la présente étude s'est déroulée du 13 au 31 janvier 2014 au Burkina Faso. Etant donné que l'objet de notre étude porte essentiellement sur une dimension de l'éducation de ce pays et animé par le souci d'être plus proche de la réalité du terrain, nous avons effectué spécialement un voyage à cette fin. L'enquête s'est déroulée dans 18 villes et villages différents ; ces villes et villages correspondent à la localisation des 131 enseignants que nous avons interviewés et couvrent la totalité des huit langues nationales en usage dans l'éducation bilingue au Burkina Faso. Si, pour les entretiens nous avons tenu à les mener nous-même pour nous assurer de l'orientation, du contenu et de la qualité à donner aux échanges, il n'en a pas été de même pour le questionnaire. En effet, en raison du nombre des villes ciblées et compte tenu des distances à parcourir, nous avons sollicité l'aide de quelques amis prêtres et enseignants pour nous accompagner dans cette tâche. Ainsi, nous n'avons pu être physiquement présent que dans 7 villes (Koupela, Kaya, Kongoussi, Thyou, Ouahigouya, Ouagadougou et Tenado). Toutefois,

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nous nous réjouissons de la motivation de ces acolytes qui nous ont épaulé et dont l'implication personnelle nous a permis de récupérer toutes les fiches qui ont été transmises aux enquêtés.

En ce qui concerne la collecte des données qualitatives par entretien, nous l'avons, comme souligné précédemment, effectué nous-même. Etant donné que nos entretiens ont un rôle complémentaire à l'enquête par questionnaire, nous avons dû attendre de recueillir quelques fiches d'enquêtes afin de mieux ajuster nos questions en fonction des données déjà recueillies. Dans l'ensemble, nous avons été agréablement surpris par la disponibilité des enseignants qui semblaient ravis de pouvoir partager leurs préoccupations sur l'éducation bilingue.

5.1.5 Difficultés

A l'image de ce que peut représenter toute entreprise humaine, notre travail de recherche a été marqué par quelques obstacles.

La première difficulté à laquelle nous avons été confronté se rapporte à la distance qui nous sépare de notre champ de recherche. Si nous avons pu rassembler sans grande épreuve la documentation liée à notre thème d'étude, le problème restait entier quand à la possibilité d'être sur le terrain et d'y mener surtout les enquêtes. Pour lever cette entrave, nous avons décidé, avec l'autorisation de notre directeur de mémoire d'effectuer un voyage d'une durée de trois semaines au Burkina afin de mieux nous imprégner de la réalité de l'éducation bilingue et de pouvoir y mener nos enquêtes ; ce voyage a eu lieu au mois de janvier 2014.

La seconde difficulté concerne la problématique du rapport au savoir des enseignants ; si de nombreuses recherches ont été menées en didactiques ou en sciences de l'éducation de façon générale sur le rapport au savoir des élèves, il n'en est pas de même pour les enseignants ; et l'on peut considérer que cette difficulté prend encore plus d'ampleur quand il s'agit de parler de rapport aux langues ou aux langues nationales dans notre contexte ; toutefois, avec les conseils de notre directeur de mémoire, nous avons pu avancer avec prudence et assurance, conscient que nous pouvons, par la petite pierre que nous apporterons, contribuer à combler un tant soit peu ce manque.

Le dernier obstacle auquel nous avons dû faire face concerne les modalités de recueil des données et plus précisément le remplissage des fiches d'enquêtes par questionnaire. Dans les localités où nous ne sommes pas passé nous-même, certains enseignants ont eu du mal à

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remplir les valuateurs de représentations ; là où c'était possible, le problème a été résolu par téléphone ; dans les autres cas, nous avons dû récupérer des fiches avec des cases incomplètes.

5.2 Le traitement des données

5.2.1 Traitement des données quantitatives

Le traitement des données quantitatives que nous avons recueillies par le biais du questionnaire a été effectué au moyen du logiciel Hector. Hector est un logiciel de traitement de données quantitatives qui a été élaboré par Alain DUBUS, professeur émérite des sciences de l'éducation. Il permet, comme la plupart des logiciels de ce type, l'organisation et la saisie des données recueillies autour de cinq types de variables (logique, numérique, calendaire, ordinal et nominal) et leur présentation sous forme de tableaux ou de graphiques. Trois des cinq catégories de variables établies par Hector ont été nécessaires à la constitution de nos données en corpus ; il s'agit des variables de type logique, nominal et numérique. Les données recueillies ont été codées suivant ces trois registres de variables et sont consultables dans le plan de codage situé en annexe (voir le plan de codage en annexe n°6, un exemplaire des réponses au questionnaire en annexe 7 et la présentation de l'intégralité des données en tableaux ou graphique, selon les variables, en annexe 8).

5.2.2 Traitement des données qualitatives

Le traitement des données recueillies par l'entremise des entretiens a commencé, pour nous, par le travail de retranscription. Tous les entretiens enregistrés ont été intégralement retranscrits (voir l'intégralité de la retranscription des entretiens en Annexe 9). Au terme de cette première étape, nous avons procédé à la catégorisation des discours selon les dimensions que nous avons élaborées pour la construction du questionnaire et des entretiens ; à noter que pour Albarello (2007 : 83), la catégorie est «une rubrique significative ou une classe qui rassemble les éléments du discours de même nature, du même ordre, ou du même registre. On peut visualiser la technique comme autant de petites boîtes ou de tiroirs dans lesquels le chercheur, après découpage systématique et exhaustif des discours retranscrits (c'est-à-dire le matériau), regroupe tous les éléments qu'il estime être de même nature sur base de critères préalablement définis ». Les critères préalablement définis en question ici

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sont prioritairement ceux qui ont présidé à la construction de notre questionnaire et de notre guide d'entretien mais aussi ceux qui sont nés de la prise en compte de l'inattendu des entretiens comme nous l'exprime bien Albarello, (2007 : 83) : « il arrive que des informations nouvelles, inattendues, non prévues surgissent ; elles permettent de constituer d'autres catégories a posteriori. Quoi qu'il en soit, les catégories obéissent à des règles d'exclusion mutuelle, de pertinence, d'homogénéité et d'efficacité »

5.2.3 Méthodes d'analyse des données

Après avoir procédé au traitement des données à l'aide du logiciel Hector et catégorisé les discours contenus dans les entretiens, nous nous sommes alors livré au travail d'analyse. De l'avis de Tremblay et Perrier (2006 : 2), « l'analyse des résultats consiste à rendre compte des données par rapport à l'objet de recherche ».

Pour mener à bien ce travail d'analyse, nous avons adopté deux méthodes d'approche : une approche descriptive et une approche interprétative. Tremblay et Perrier (2006 : 2) enseignent que « Faire une analyse descriptive c'est dresser un portrait de la situation telle qu'elle nous apparaît suite à la compilation et au classement des données qualitatives ou quantitatives obtenues ». En revanche, « leur interprétation consiste : à en livrer le sens dans le contexte théorique de la recherche ; à en livrer le sens en rapport avec la problématique de recherche et à faire ressortir les pistes de recherches sur lesquelles les résultats nous amènent » (2006 : 2).

L'approche descriptive a été utilisée pour procéder à une description détaillée du rapport des enseignants à l'éducation bilingue sous trois angles que sont la dimension linguistique, la dimension disciplinaire et la dimension des représentations. Pour y parvenir, nous nous sommes muni d'une grille d'analyse élaborée à partir des hypothèses et des dimensions que nous avons construites pour notre recherche. Cette grille se présente comme suit :

Ø Intérêt pour les langues nationales

- Connaissance des langues nationales et du langage scolaire bilingue - Investissement des langues nationales

Ø Intérêt disciplinaire des langues nationales

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- Utilité des langues nationales employées comme matières d'enseignement - Utilité des connaissances prodiguées par l'utilisation des langues nationales

- Les effets des langues nationales, utilisées comme matières d'enseignement, sur les autres matières

Ø Intérêt et conviction des enseignants pour l'éducation bilingue

- Intérêt scolaire et socioculturel de l'éducation bilingue

- Conviction des enseignants pour l'éducation bilingue

- Sentiments des enseignants vis-à-vis de l'éducation bilingue

Pour cette approche descriptive, nous avons utilisé conjointement les données quantitatives et qualitatives dans un mouvement de complémentarité, les unes éclairant les autres et vice versa.

Quant à l'approche interprétative, elle nous a permis de réfléchir et de discuter les résultats de notre recherche, en lien avec notre problématique et notre cadre théorique.

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CHAPITRE 6 :

ANALYSE DESCRIPTIVE DES DONNEES

Dans ce chapitre, nous nous donnons pour objectif de saisir le rapport des enseignants aux langues nationales au travers des données recueillies dans nos enquêtes. Après avoir procédé à une brève présentation du profil des enseignants qui constituent notre échantillon, nous exposerons les résultats suivant les trois axes de notre recherche : l'intérêt des enseignants pour langues nationales, l'intérêt disciplinaire des langues nationales et la conviction qu'on les enseignants de l'intérêt et de l'efficacité du système éducatif bilingue

6.1 Quelques éléments portant sur le profil des enseignants

Les enseignants qui composent notre échantillon d'étude appartiennent à différents statuts professionnels : ils sont instituteurs adjoints, instituteurs adjoints certifiés, instituteurs certifiés et instituteurs principaux :

L'Instituteur Principal (IP) est un encadreur de proximité. Il a le grade le plus élevé du corps des enseignants exerçant sur le terrain. Généralement, il est directeur d'école déchargé de cours et assure l'encadrement pédagogique des autres enseignants.

L'Instituteur Certifié (IC) est un instituteur titulaire d'un Certificat d'Aptitude Pédagogique (CAP). Ce certificat est obtenu après un examen par les enseignants qui sont sur le terrain.

L'Instituteur Adjoint Certifié (IAC) est un instituteur qui est sorti de l'école de formation des enseignants ; il est titulaire d'un Certificat Elémentaire d'Aptitude Pédagogique (CEAP) ou d'un diplôme de fin d'études dans des ENEP (DFE/ENEP).

L'Instituteur Adjoint (IA) n'a aucun titre de capacité ou diplôme professionnel. Il est recruté et envoyé directement en classe. On ne rencontre plus ce type d'enseignant dans les

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écoles publiques parce que l'Etat a arrêté cette pratique depuis quelques années déjà ; les seuls que l'on trouve encore dans l'enseignement sont recrutés dans certaines écoles privées.

Tableau n°9 : Statut professionnel des enseignants selon le type d'enseignement

en %.

Type d'école

IA

IAC

IC

IP

nr

Total en %

EB

12

16

60

9

2

100%

(98)

EC

12

15

67

6

 

100%

(33)

Total en %

12% (16)

16% (21)

62% (81)

8% (11)

2% (2)

100%

(131)

 

Au regard de ces statistiques, on remarque qu'une nette majorité se dégage en faveur des Instituteurs Certifiés (IC) qui représentent 62% de l'ensemble des enseignants interrogés, soit 67% des enseignants de l'éducation classique et seulement 60% de ceux de l'éducation bilingue.

D'autre part, avec un écart d'âge qui va de 25 ans à 56 ans (soit une moyenne de 36 ans), l'ancienneté moyenne des enseignants de notre échantillon est de 10 ans dans l'éducation classique et de 4 ans seulement dans l'éducation bilingue.

Quant à la répartition selon le sexe, il donne un large avantage aux hommes qui comptent pour 60% de l'échantillon contre 40% de femmes.

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Du point de vue de l'origine sociolinguistique des enseignants, on observe que ces derniers sont issus de 17 groupes ethniques parlant 17 langues nationales.

Tableau n°10 : Origines ethniques et langues maternelles des enseignants de notre échantillon

Langues maternelles

Effectifs

%Total

Mooré

62

47%

Fulfuldé

11

8%

Bissa

5

4%

Nûni

5

4%

Kassena

5

4%

Dagara

11

8%

Lyèlé

6

5%

Gourmantch

10

8%

Bwamu

2

2%

San

5

4%

Dafing

1

1%

Bobo

3

2%

1

1%

Toussian

1

1%

Sciamou

1

1%

Haoussa

1

1%

Lobiri

1

1%

Total

131

100.00%

 

A l'examen de cette liste représentative des langues maternelles des enseignants de notre échantillon, on note d'emblée l'absence d'une des huit langues en usage dans l'enseignement bilingue qui, selon les statistiques, ne se trouve être la langue maternelle de personne : il s'agit du Dioula ; en effet, les enseignants qui dispensent des cours d'éducation bilingue à partir du Dioula se répartissent dans d'autres groupes ethniques comme le , le bobo, le san, le toussian, le dafing, le bwa, le sciamou. Cela s'explique par le fait que le dioula est une langue véhiculaire qui sert de moyen de communication et d'échanges à plusieurs ethnies de l'Ouest du Burkina et même de la sous-région.

Par ailleurs, dans le registre linguistique, les résultats de notre questionnaire nous donnent d'observer que 73% des enseignants interrogés ne maîtrisent qu'une langue nationale, 21% d'entre eux en parlent deux, tandis que seulement 6% en connaissent trois.

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6.2 L'intérêt pour les langues nationales

Pour mesurer l'intérêt des enseignants pour les langues nationales, nous avons pris en compte deux critères : leur niveau de connaissance des langues nationales et du langage scolaire utilisé dans l'éducation bilingue ainsi que leur degré d'investissement de ces langues.

6.2.1 La connaissance des langues nationales et du langage scolaire

Le tableau ci-dessous représenté indique le niveau de connaissance des langues nationales utilisées dans l'éducation bilingue par les enseignants. Il faut préciser que ces langues nationales constituent aussi les langues maternelles de nombre d'entre eux.

Le premier constat que l'on peut faire au vu de ces résultats, c'est que les enseignants, dans leur grande majorité, estiment avoir une maîtrise satisfaisante de la langue nationale qu'ils parlent et qui est utilisée dans l'enseignement bilingue. On peut ainsi observer que presque 8 enseignants sur 10, soit 87%, affirment avoir un niveau de maîtrise de la langue nationale comprise entre une estimation assez bonne ou très bonne, quand seulement 13% d'entre eux reconnaissent en avoir une maîtrise simplement passable ou médiocre. Il faut noter que ceux qui affirment avoir une connaissance médiocre de leur langue nationale sont tous des enseignants issus des écoles classiques. A ce niveau, et en-dehors de la remarque que nous venons de faire, il ne nous est pas donné de constater une nette variation entre enseignants bilingues et enseignants classiques.

Graphique n° 1 : Niveau de connaissance des langues nationales, en usage dans l'éducation bilingue, par les enseignants.

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Par contre, une variation remarquable apparaît au niveau des groupes linguistiques :

en effet, il ressort d'emblée que les peuls, les gourmantchés, les kassena et les Bissa sont les seuls à déclarer avoir, dans l'unanimité, une bonne ou très bonne maîtrise de leur langue nationale d'enseignement tandis que le mooré et le nûni sont les seuls groupes linguistiques où l'on observe la présence d'enseignants bilingues dont la maîtrise de la langue nationale utilisée dans l'enseignement est de niveau passable.

Graphique n° 2 : Niveau de maîtrise des langues nationales selon les groupes linguistiques.

En revanche, pour ce qui a trait à la connaissance du langage scolaire propre au bilingue, la variation est beaucoup plus marquée entre les enseignants du bilingue et ceux du classique. Si les enseignants affirment toujours, dans leur ensemble et majoritairement (60%) avoir une bonne ou très bonne maîtrise du langage scolaire des écoles bilingues, cette

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proportion acquiert une autre configuration si l'on prend en compte la spécificité des deux groupes d'enseignants :

Graphique n° 3 : Niveau de connaissance du langage scolaire bilingue selon le type d'enseignement.

Le graphique ci-dessus présenté nous donne ainsi de voir que si dans l'éducation bilingue ils sont 75% à déclarer avoir une bonne ou très bonne maîtrise du langage scolaire bilingue, dans l'éducation classique, ce taux chute à 12%. A l'opposé, pendant que dans l'éducation classique le taux de ceux qui estiment avoir une maîtrise du langage scolaire bilingue à un niveau passable ou médiocre s'élève à 38%, il n'est que de 2% dans l'éducation bilingue. On pourrait toutefois s'étonner que des enseignants exerçant dans des écoles bilingues, si peu nombreux soient-ils, disent ne pas maîtriser leur outil de travail, c'est-à-dire le langage scolaire bilingue pendant que des enseignants des écoles classiques affirment en avoir une bonne, voire très bonne maîtrise. Ce problème de la non-maîtrise du langage scolaire bilingue a été évoqué par Inno, qui pointe du doigt la formation :

« Le mooré tel qu'il est enseigné ...de sorte que le maître puisse lui-même apprendre là, ils ne maîtrisent pas ça ! Quand vous regardez le cursus de formation, un enseignant qui sort de l'ENEP, il n'a jamais eu affaire au mooré et on le prend, on l'amène pour douze jours de formation et on veut qu'il conduise des cours d'un an. Donc ya pas ce murissement là ! Le temps n'a pas été suffisant; donc ça veut dire que les documents que lui-même va utiliser qui sont également écrit en langue, il lit mal ! Il lit mal ! »

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6.2.2 Investissement des langues nationales

Pour rendre compte de l'investissement des enseignants dans les langues nationales, deux facteurs ont été pris en compte : les dispositions prises pour améliorer le niveau de connaissance de la langue et du langage scolaire bilingue et le rôle de la langue dans la communication.

Ø Dispositions prises pour améliorer la connaissance de la langue nationale et du langage scolaire bilingue

A la question de savoir s'ils avaient pris des dispositions pour améliorer leur connaissances des langues nationales utilisées dans l'enseignement, 66% des enseignants des écoles bilingues et seulement 34 % des enseignants des écoles classiques ont répondu par l'affirmative. Les moyens mis en oeuvre sont entre autres :

- les formations : pour 51% des enseignants du bilingue contre 6% des enseignants du classique ;

- les lectures de magazines et bulletins en langues nationales : soit 21% des enseignants du bilingue contre 6% des enseignants du classique ;

- la communication en langues nationales pour 6% des enseignants du bilingue et 0% pour ceux du classique ;

- la rédaction d'articles et de lettres pour les parents d'élèves : soit 3% de chacun des groupes d'enseignants ;

Mais ce qui marque le plus au constat de ces résultats, c'est le manque d'investissement des enseignants du classique pour améliorer leur niveau de connaissances en langues nationales ; en effet, on remarque que 84% d'entre eux n'ont pris aucune disposition à cet effet.

En ce qui concerne les dispositions prises pour améliorer la maîtrise du langage scolaire bilingue, les résultats sont proches de la variable précédente avec néanmoins un léger regain d'intérêt du côté des enseignants du bilingue. Alors que le taux de ceux qui déclaraient avoir pris des dispositions pour améliorer leur connaissance des langues nationales dans ce groupe n'était que de 65%, il passe à 80 % pour l'intérêt accordé à la maîtrise du langage scolaire bilingue ; les enseignants des écoles classiques restent pour leur part à la traîne avec seulement 34% de réponses positives. Là aussi, les moyens mis en oeuvre sont les formations

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(pour 31% des enseignants qui ont répondu), les lectures (18%), les aides sollicitées aux collègues (5%), les recyclages (4%) et les conversations en langues nationales (2%).

Ø L'importance de la langue dans la communication

Un coup d'oeil sur les résultats du tableau ci-dessous nous donne de percevoir d'emblée que le Français reste la langue de communication préférée des enseignants, qu'ils soient du bilingue ou du classique. La variation réside toutefois dans la dimension de l''écart qui existe entre les taux d'adhésion au Français et aux langues nationales selon les types d'enseignement ; alors que l'écart est insignifiant du côté des enseignants du bilingue (seulement 1%), il est visiblement plus important dans l'éducation classique, passant de 61 % de préférence pour le Français à 39% pour les langues nationales, soit un écart de 22%.

Graphique n° 4 : Choix de la langue de communication préférée selon le type d'enseignement

Ces résultats ne reflètent toutefois pas l'avis des enseignants vus du point de vue de leurs groupes linguistiques respectifs ; en effet, si pour les bissas, les gourmantchés et les nûnis, le français demeure la langue de communication préférée avec respectivement 80%, 70% et 60% d'adhésion, la tendance est à l'égalité parfaite pour le fulfuldé mais s'inverse en

71

faveur des langues nationales quand on se réfère aux groupes kassena (80%), lyèlé (75%) et dagara (62%).

Graphique n° 5 : Choix de la langue de communication préférée selon les groupes linguistiques

6.3 Intérêt disciplinaire des langues nationales

6.3.1 Utilité des langues nationales employées comme matières d'enseignement

Dans l'objectif de recueillir l'opinion des enseignants bilingues sur la valeur qu'ils accordent aux langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement, il leur a été demandé de se prononcer par rapport à la thèse selon laquelle « il y aurait des matières inutiles ou inadaptées dans l'éducation bilingue ». A l'examen des résultats, il apparaît que les enseignants sont nombreux, soit 72% contre 28%, à réfuter une telle affirmation. Cependant, lorsque l'on rapporte ces résultats aux deux catégories d'enseignants, il nous est donné de constater que la part des enseignants bilingues qui admettent l'existence de matières inutiles (31%) est largement plus importante que celle des enseignants des écoles

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classiques qui est seulement de 6%. Ceux qui soutiennent cette thèse citent en exemple plusieurs matières :

- Le langage en première année : il est cité par 58% des enseignants bilingues ; le reproche qui est fait à cette matière a trait à son caractère inadapté :

· Daniel, enseignant bilingue gourmantchema : « les répliques sont longues et difficiles à retenir pour les élèves »

· Bamogo, enseignant bilingue mooré : « les structures sont difficiles et confuses pour les élèves »

Sayoré, enseignant bilingue et directeur d'école nous explique en quoi consiste cette matière et les difficultés qui l'affectent :

« depuis qu'on a commencé, on a toujours demandé à ce qu'on allège le langage de la première année parce que, comme la première année est considérée comme trois classes réunies (CP1, CP2, CE1 et même le CE2), donc dans leur système, ils ont voulu prendre en compte deux disciplines dans le classique, le langage et les exercices sensoriels, qu'ils ont mélangés pour faire des dialogues qu'on appelle le langage en première année au niveau du bilingue ; au niveau du classique y a ce qu'on appelle les exercices sensoriels : c'est là-bas où on voit par exemple "c'est gros, c'est long ", c'est un peu les exercices d'observation des sciences qu'on apprend à l'enfant du CP1 mais c'est oral. Et au niveau du langage au CP1 classique c'est peut-être :"je montre un crayon, j'écris au tableau» ; donc c'est un peu ça ; mais dans le bilingue, comment on a fait, on a réunit par exemple ces deux-là et on a formé des dialogues et c'est très long ; les textes là sont très longs ».10

- Les APPC (Activités Pratiques, Productives et Culturelles) dans les écoles bilingues sont indexées comme constituant une matière problématique par 13% des enseignants ; si ces derniers la trouvent inutile, c'est parce qu'elle n'est pas effectivement pratiquée ; le matériel qui devait servir à faire fonctionner les ateliers des activités pratiques n'est pas toujours disponible, comme nous le signifie Mouboé, enseignant bilingue lyèlé : « les ateliers sont

10 Ce que Say dénonce ici, c'est la longueur des séances de cours de langage ; ces longues séances ne seraient pas adaptées au niveau des élèves de première année ; il explique qu'ils ont attiré l'attention des initiateurs de l'éducation bilingue sur ce problème mais il n'y a eu aucune réaction. La longueur des séances de cours de langage serait due au fait qu'on y a regroupé deux matières pratiquées séparément dans l'éducation classique : il s'agit du langage et des exercices sensoriels.

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quasi vides, il n'y a pas de matériel ,
· or, l'élève de l'école bilingue ne devrait pas sortir bredouille même s'il échouait intellectuellement».

Les chants et récitations en langues : Cette matière est citée spécifiquement comme étant inadaptée par le groupe bilingue fulfuldé pour des raisons culturelles que nous explique Alioud, directeur d'école : « je me dis que y a pas de matières qui puissent en tout cas fatiguer les enfants , sauf quelque peu aussi des leçons comme récitation et chant, mais ça c'est dû au milieu culturel de l'enfant , par exemple nous les Peuls, on n'aime pas chanter , parce que dans la structure ethnique il y a des personnes qui sont indiquées pour ça , donc un Peul comme ça en principe ne doit pas chanter ,
· et on dit aux enfants de chanter... »

- La grammaire de la langue dans la langue : 4% certains enseignants trouvent que cette matière est inutile parce qu'elle ne mobilise pas les notions grammaticales françaises ; c'est l'avis de Aïssa, enseignante bilingue mooré : « la grammaire de la langue est inutile parce que certaines notions n'apparaissent pas (COD, COI, CCM, CCT, féminin, masculin) »

- La dictée en langue nationale : cette matière est citée par 11% des enseignants ; elle est déclarée inutile soit parce qu'elle n'est pas réinvestie dans les classes supérieures, soit parce qu'elle n'est pas évaluée à l'examen.

6.3.2 Utilité des connaissances prodiguées par l'utilisation des langues nationales

Toujours dans le registre de l'intérêt disciplinaire des langues nationales, et pour rendre compte de la valeur que les enseignants accordent aux connaissances produites par suite de l'utilisation des langues nationales comme médiums et matières, il leur a été demandé de se positionner entre trois propositions : les langues nationales utilisées comme matières d'enseignement apportent-elles des connaissances « plus utiles », « moins utiles » ou « aussi utiles » que dans l'éducation classique ? Dans leur ensemble, les enseignants ont plutôt une bonne appréciation des langues nationales : 58% de l'échantillon soutient qu'elles apportent des connaissances aussi utiles que dans l'éducation classique, 34% d'entre eux pensent que ces connaissances sont même plus utiles et seulement 5% estiment qu'elles sont moins utiles.

Ce résultat ne doit toutefois pas cacher les fortes variations d'appréciations qui

74

existent entre les enseignants du bilingue et ceux du classique ; en effet, rapporté à ces deux groupes d'enseignants, on remarque que les enseignants du classique sont plus nombreux à penser que les connaissances qu'apportent les langues nationales en tant que matières d'enseignement sont aussi utiles que dans le classique, soit 3 enseignants sur 4 contre 2 sur 4 dans le bilingue. Quant à la part de ceux qui pensent que ces connaissances sont moins utiles, elle est plus élevée chez les enseignants du classique que chez leurs collègues du bilingue, soit 9% contre 3% ; en revanche, et comme on aurait pu s'y attendre, les enseignants du bilingue se trouvent être proportionnellement plus nombreux à soutenir que les connaissances qu'ils dispensent sont plus utiles que celles enseignées par leurs confrères des écoles classiques, soit 41% contre 12%.

Graphique n° 6 : Appréciation des connaissances dispensées dans les écoles bilingues par rapport à celles des écoles classiques selon le type d'enseignement

6.3.3 Les effets des langues nationales, utilisées comme

matières d'enseignement, sur les autres matières

Ø Les effets néfastes

Si les enseignants des écoles bilingues sont plutôt minoritaires à soutenir qu'il y a des matières inutiles ou inadaptées dans l'éducation bilingue, ils sont, à l'opposé, beaucoup plus nombreux à reconnaître que les langues nationales utilisées comme matières d'enseignement ont des effets négatifs sur les autres matières, soit près de 7 enseignants sur 10. Là aussi, plusieurs effets sont évoqués selon les matières indexées :

75

- L'expression orale française : Les difficultés d'expression en langue française figurent en tête des effets néfastes des langues nationales cités par les enseignants pour ce qui concerne la discipline « expression orale française ». Ces difficultés d'expressions qui sont communes à toutes les langues nationales seraient dues au fort ancrage des élèves dans la langue nationale et à la faiblesse du temps d'études et de pratiques accordé à la langue française durant les premières années de la scolarisation. La conséquence directe en est que les élèves éprouvent de fortes carences en vocabulaire :

C'est ce que nous explicite cet enseignant en langue nationale dagara : « le fait de rester longtemps dans la langue maternelle pour aboutir aussi brusquement en Français en 2° année par le biais de la phonétique appauvrit le vocabulaire des élèves qui manquent à s'exprimer aisément ».

Ou encore Martin, un enseignant en gourmantchema : « manque d'effort de la part des élèves (utilisation de mots gulmancema pour combler les mots inconnus du Français ».

Mais pour Honorine, une enseignante en langue Bissa, cette carence en vocabulaire n'apparait que lorsque le transfert de la langue nationale vers le Français est mal fait : « lorsque le transfert est mal fait, cela peut entraîner une insuffisance de bagages en vocabulaire à l'oral ».

A cette carence en vocabulaire s'ajoutent les interférences avec les langues nationales : certaines lettres de l'alphabet français n'existent pas toujours dans les langues nationales (c, j, q) et inversement comme le [kp], [?], [?m], [ny] en dagara ; ou quand elles existent, elles ne se prononcent pas de la même manière ; c'est le cas des lettres homographes non homophones. Et lorsque l'élève n'a pas été entraîné très tôt et intensément à les prononcer, il éprouve des difficultés par la suite ou les prononce avec l'accent de la langue ; c'est l'avis d'Alioud qui cite l'interférence linguistique comme effet néfaste de l'utilisation des langues nationales dans le bilingue : « interférence linguistique : les élèves ne peuvent pas faire la différence entre e, é, è, ê » ou encore Zacharie, enseignant dans une école bilingue mooré : « les interférences linguistiques : l'accent des langues nationales domine ».

Tous ces effets auraient pour conséquence, de l'avis des enseignants, de créer un sentiment de honte chez les élèves comme nous l'exprime Babilenwé, directeur d'école bilingue lyèlé : « ils ne peuvent pas bien prononcer les mots en français. Ils ont honte de s'exprimer ». C'est aussi le point de vue de cet enseignant dioula : « à ce niveau, certains élèves restent collés à la langue nationale parce qu'ils ont des difficultés ou honte de s'exprimer ».

76

- La lecture et l'expression écrite française : les difficultés de lecture et d'écriture

des élèves des écoles bilingues telles que décrites par les enseignants s'inscrivent toujours dans le registre des interférences linguistiques. Elles sont évoquées par des enseignants issus d'écoles bilingues mooré, fulfuldé, bissa, lyèlé, gourmantchéma et dagara. Deux causes sont invoquées pour justifier ces difficultés ; il y a d'abord le problème des interférences : les élèves auraient tendance à écrire selon le code orthographique des langues nationales plutôt que selon le code orthographique français. Sayoré nous l'explique en ces termes :

« sinon y a quand même des inconvénients aussi ; par exemple y a la confusion des sons

de la langue nationale et du Français ; un exemple : en première année on va peut-être dire à l'enfant que le "U" là se dit" OU"[u]; et quand il va arriver au Français on dit mais écoute, ce n'est pas OU mais U, [y] ; en plus, généralement en mooré, un "S" entre deux voyelles se dit "SE" [s] mais en Français ça devient "ZE" [z]; ça fait que lors de nos dictées, l'enfant peut écrire un mot et pour quelqu'un qui sait lire le mooré le mot est bien écrit avec des sons en mooré ; par exemple on dit "toute la famille" ; l'enfant peut écrire le "TOUTE" là en "TUT" avec "T" à la fin. "TUT en mooré, ça se lit TOUTE ; ça fait que l'enfant a tendance à utiliser ses acquis du mooré là pour mélanger avec le Français ».

La même difficulté apparaît en lyèlé : « quand on prend l'alphabet français et l'alphabet lyèlé, il y a des lettres qui se prononcent de la même manière par contre il y'en a qui diffèrent ; quand on prend le C il se lit "kié" en lyèlé ; quand on prend le G il se lit "gyé", le ZH se lit "g"..., le U se lit "OU"[y]; ça fait que quand on finit la phonétique lyèlé et on entame la phonétique française y a une interférence linguistique qui est là ; mais ça se corrige dans les autres classes ». (Babil)

A tout cela s'ajoute le fait des conventions orthographiques françaises qui n'existent

pas dans les langues nationales, telles que gn, ch , un, oie, in, ph ou des terminaisons muettes du genre « ent ». Ces difficultés orthographiques, les élèves des écoles bilingues auraient tendance à les surmonter en lisant ou écrivant selon le code orthographique appris dans la langue nationale, d'où les confusions.

- Le calcul : sur l'ensemble des 68 enseignants qui soutiennent que les langues nationales ont des effets néfastes sur les autres matières, seulement 7 d'entre eux mentionnent le calcul. Ces enseignants sont issus de quatre groupes linguistiques : le mooré, le dioula, le fulfuldé et le gourmantchema. C'est donc la matière la moins citée en termes d'obstacles. Ici,

77

les enseignants évoquent surtout des difficultés de conversion des grands nombres appris dès la première année dans les langues nationales en Français comme nous le signifie Martin : « difficulté de la lecture des nombres connus du gulmancema au Français » ; il est aussi question de problèmes de compréhension des énoncés ; c'est l'avis partagé par Alioud : « les grandes difficultés, c'est au niveau des problèmes car ils ne comprennent pas bien le Français».

- Grammaire française : Cette difficulté est évoquée par les enseignants des écoles bilingues mooré, fulfuldé, kassena, lyèlé, gourmantché et dagara. Sur les 68 enseignants qui ont reconnu l'existence d'effets néfastes des langues nationales, 13 en parlent. Le souci rencontré par les élèves mais aussi par les enseignants au niveau de la grammaire française se rapporte au fait que les structures grammaticales de certaines langues nationales diffèrent du Français ; c'est ce que nous explique Alioud : « certaines formes syntaxiques changent de la langue nationale en Français. Ex .
· Oumarou de Sadou est riche se dit .
· jom (est) jawdi (riche) yo (de) Umaru (Oumarou) Saadu (Sadou ») ;
de ce fait, les élèves qui ont bien assimilé les constructions grammaticales auraient du mal à comprendre ces variations et à s'en détacher comme le souligne Saïdou, enseignant dans une école bilingue mooré : « apprentissage difficile dû au problème de détachement du mécanisme de fonctionnement du mooré pour le français. »

Ø Les effets positifs

Les enseignants des écoles bilingues reconnaissent, à une majorité écrasante, soit 93%, que l'utilisation des langues nationales a des effets positifs sur l'enseignement des autres matières.

Toutefois, à la différence des avis portant sur les effets négatifs où une diversité de raisons était convoquée, les avantages induits par l'usage des langues nationales tels qu'ils sont cités ici mettent en avant la maîtrise des techniques d'apprentissage par les élèves des écoles bilingues. L'usage des langues nationales comme médiums et matières serait un atout dans la mesure où il permet aux élèves de mieux comprendre et de s'approprier les contenus d'enseignement. Ce phénomène est présent dans toutes les disciplines évoquées telles que nous pouvons le percevoir à travers les propos des enseignants contenus dans le tableau ci-dessous :

78

Tableau n°11 : Récapitulatif des effets positifs de l'utilisation des langues nationales comme médiums et matières sur les autres matières selon les enseignants

Matières

Déclarations des enseignants

Nombre de citations

Expression orale

française

Martin : « les enfants s'expriment aisément grâce à

l'exploitation des leçons de langage en première année»

Alioud : « En montrant la voie à suivre en langue nationale, l'enfant n'a plus de difficultés, il applique seulement »

17/92

Lecture

Ousseini : « L'enfant lit correctement car il a déjà les rudiments nécessaires dans sa langue »

Eloi, enseignant bilingue mooré : « L'enfant appréhende les sons, les associations dès la première année à l'issue de laquelle il lit toute oeuvre même sans comprendre »

41/92

Expression écrite française

David, enseignant bilingue mooré : « En grammaire de la langue, l'enfant apprend à découper une phrase en sujet, verbe et complément et cela l'aide à bien structurer le Français aussi à l'écrit comme à l'oral »

14/92

Calcul

Martin : « maîtrise des techniques opératoires et avancée significative du programme par rapport au classique »

Irenée, enseignant bilingue lyèlé : « en calcul, c'est encore plus pertinent parce qu'ils découvrent déjà la centaine et les grandes opérations en 1° année, ce qui leur permet de manipuler les chiffres et de comprendre les quatre opérations sauf en problème où le Français intervient pour faire comprendre les énoncés »

73/92

Grammaire française

SAYORÉ : « quelques notions grammaticales vues en langues nationales restent un acquis en Français »

Ali : « les notions sont d'abord étudiées en langue nationale avant d'être transférées en Français, ce qui aide les élèves à mieux comprendre ».

20/92

 

79

Au vu des déclarations des enseignants, il ressort clairement qu'un accord unanime se

dégage en faveur de la reconnaissance de l'apport des langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement dans la facilitation des enseignements et apprentissages des autres matières. La matière qui recueille le plus d'unanimité reste néanmoins le calcul. Sur cette matière précise, 73 des 92 enseignants qui ont reconnu l'impact positif des langues nationales ont tenu à marquer leur avis ; Babil nous explique l'intérêt de cette matière :

« Ici, quand nous avons fait nos premiers pas dans le bilingue, avec les résultats que nous avons eu, nous avons compris tout de suite que la maîtrise des connaissances dans la langue maternelle permet facilement à l'enfant d'acquérir des connaissances dans d'autres langues ; par exemple, quand on prend le calcul, lorsque l'enfant acquiert une connaissance en calcul dans sa langue, tout ce qu'on peut faire c'est de lui donner la notion en Français mais la technique est déjà acquise en langue ; si tu montres à un enfant comment il faut faire une conversion des unités de mesure des longueurs, c'est la même technique en langue ; tu ne peux pas lui dire 18 et il va écrire 8 là dans la colonne des décamètres! Quand tu lui donnes la technique en langue c'est la même chose en Français ; c'est l'appellation du terme qui change ».

L'effet positif des langues nationales sur la lecture, pour sa part est moyennement cité, soit 41 enseignants sur 92, tandis que l'expression écrite et orale qui comptent chacune 17 et 14 citations d'exemples restent faiblement marquées.

6.4 Intérêt et conviction des enseignants pour l'éducation bilingue

6.4.1 Intérêt scolaire et socioculturel de l'éducation bilingue

Parmi les thèses qui ont présidé à la mise en place de l'éducation bilingue au Burkina Faso figure l'assertion selon laquelle l'éducation bilingue favoriserait les enseignements et les apprentissages et contribuerait à la sauvegarde des valeurs culturelles. Le tableau ci-dessous présente les appréciations que les enseignants font de l'éducation bilingue sur la base de cinq

80

énoncés ; au regard des résultats, on s'aperçoit que les enseignants de notre échantillon ne se distancient pas de cette thèse initiale.

Tableau n°12 : Récapitulatif de la position des enseignants par rapport aux opinions relatives aux avantages et aux inconvénients de l'éducation bilingue en %.

Enoncés

Pas du
tout

Un peu

Moye
nment

Tout à
fait

nr

Total

Elle améliore la compréhension des enseignements et facilite les apprentissages

2

18

8

70

 

100%

(131)

Elle aide l'élève à mieux connaître son milieu culturel

1

15

3

77

4

100%

(131)

Elle crée un complexe d'infériorité chez les élèves

62

18

10

5

5

100%

(131)

Elle est un handicap dans l'apprentissage du Français

39

30

13

15

3

100%

(131)

Elle réduit les chances de réussite future des élèves

67

15

5

9

4

100%

(130)

 

En effet, si 70% des enseignants partagent tout à fait l'opinion qui soutient que l'éducation bilingue « améliore la compréhension des enseignements et facilite les apprentissages », ils sont encore plus nombreux, 77% de l'échantillon à reconnaître qu'« elle aide l'élève à mieux connaître son milieu ». A l'opposé, il nous est donné de constater que les énoncés qui tendent à remettre en cause la qualité de l'éducation bilingue recueillent des opinions plutôt défavorables : c'est ainsi qu'ils sont respectivement 39%, 62% et 67% de l'échantillon à ne pas être du tout d'accord avec les avis qui laissent entendre que l'éducation bilingue « constitue un handicap dans l'apprentissage du Français », « crée un complexe d'infériorité chez les élèves », ou « réduit les chances de réussite future des élèves ».

Dans la plupart des énoncés, on remarque que la proportion des enseignants bilingues qui se disent « tout à fait d'accord » ou à l'inverse « pas du tout d'accord » est plus élevée que celle des enseignants du classique à l'exception du quatrième énoncé, celui stipulant que l'éducation bilingue constitue un handicap à l'apprentissage du Français ; sur cette opinion précise et contrairement à ce qu'on aurait pensé, ce sont les enseignants des écoles classiques

81

qui sont proportionnellement les plus nombreux à n'être pas d'accord, soit 45% contre 37% pour les enseignants bilingues comme nous l'indique le graphique ci-dessous représenté.

Graphique n° 7 : Position des enseignants par rapport à l'énoncé : « l'utilisation des langues nationales comme médium et matière d'enseignement est un handicap pour l'apprentissage du Français »

Ce regard positif que portent les enseignants sur l'intérêt scolaire et socio-culturel de l'éducation bilingue se trouve par ailleurs confirmé par les avis qu'ils émettent sur les chances de réussite des élèves des écoles bilingues. A la question de savoir quelles étaient pour eux les chances de réussite des élèves des écoles bilingues par rapport à ceux du classique, les résultats issus des réponses nous permettent de constater que seulement une infime minorité, soit 13% des enseignants constituant notre échantillon déclarent qu'ils ont moins de chances de réussite que ceux du classique. Tous les autres enseignants estiment qu'ils ont, soit les mêmes chances, à raison 47% de l'échantillon, ou plus de chances de réussite, soit 40%. Ces résultats se situent, par ailleurs, à des proportions plus ou moins égales chez les enseignants bilingues que chez leurs collègues du classique.

Tableau n°13 : Opinions des enseignants par rapport aux chances de réussite des élèves des écoles bilingues en comparaison avec ceux des écoles classiques en %.

Type d'école

mê ch q EC

- ch q EC

+ ch q EC

Total en %

EB

46

11

43

100% (98)

EC

48

18

33

100% (33)

Total

47

13

40

100% (131)

 

82

Les raisons évoquées par les enseignants pour justifier leurs opinions sont multiples :

- Ceux qui soutiennent que les élèves des EB ont moins de chances de réussite avancent comme argument la délicatesse de l'année de transfert ; c'est l'avis de Jean-Noël : « l'évaluation à l'école primaire est à 100% française. Si l'année de transfert échappe à l'enfant, il aura un sérieux problème après ». D'autres évoquent les difficultés qu'ils éprouvent dans la maîtrise de l'expression française, comme Lassina, enseignant bilingue mooré : « les élèves du bilingue ont des difficultés en Français et même la compréhension des mots » ; d'autres enfin estiment que les langues nationales ne répondent pas aux exigences de la mondialisation ; c'est le constat fait par Aline, enseignante classique : « le monde évolue et les choses changent. Même ceux qui parlent Français ne s'en sortent presque plus, donc pourquoi parler la langue nationale qui ne nous amène nulle part ? »

- A l'opposé, les enseignants qui défendent l'idée selon laquelle les élèves des écoles bilingues auraient plus de chances de réussite développent trois principaux arguments : d'abord, il y a ceux qui se réfèrent aux statistiques, comme Daniel : « dans ma circonscription d'éducation de base, nos résultats au CEP sont meilleurs à ceux du classique si on fait la moyenne » ; ensuite, il y a ceux qui évoquent la facilitation de la compréhension et des apprentissages induite par l'utilisation de la langue maternelle de l'enfant ; c'est l'avis de Mouboué, enseignant bilingue lyèlé : « l'utilisation de la langue de l'enfant pour la transmission des connaissances facilite l'acquisition de celles-ci » mais aussi de Wéléme, enseignant bilingue kassena « l'utilisation de la langue vise la compréhension alors que connaître c'est comprendre ». Le troisième argument mis en avant par les enseignants pour justifier l'avantage dont bénéficient les élèves des écoles bilingues sur leurs camarades du classique, sur le plan de la réussite scolaire, a trait au caractère multidimensionnel et pratique des connaissances enseignées ainsi qu'à leur enracinement socioculturel, comme nous l'explique Céline, enseignante bilingue kassena :

« En plus des connaissances bilingues que les enfants apprennent, les élèves du bilingue reçoivent d'autres connaissances que les enfants du classique n'ont pas : par exemple l'introduction des valeurs culturelles positives de l'Afrique, des contes et des proverbes, des chants et danses du milieu ainsi que les activités de production permettent aux enfants de se préparer à devenir plus tard des acteurs conscients et motivés pour le développement local, régional et national ».

83

- Enfin, ceux qui estiment que les élèves des écoles bilingues ont les mêmes chances de réussites que ceux des écoles classiques avancent comme argument le fait qu'ils suivent les mêmes programmes à partir de la quatrième année : « ils ont les mêmes chances parce qu' à partir du CE, c'est à peu près le même programme » (Lucie, enseignante bilingue mooré), qu'ils passent le même examen en fin de cycle primaire et sont capables de réussir au même titre que leurs camarades du classique : « ils prennent part au même CEPE ; donc, s'ils réussissent à passer, ces élèves sont à égalité » (Kadidiatou, enseignante bilingue mooré) .

6.4.2 Conviction des enseignants pour l'éducation bilingue

Pour rendre compte de la conviction qu'ont les enseignants sur l'efficacité de l'éducation bilingue, il leur a été demandé de donner leur avis par rapport à l'opinion qui sous-tend que « la pédagogie bilingue serait le meilleur système éducatif pour le Burkina Faso ». La réponse à donner devait être partagée entre « très convaincu », « convaincu », « peu convaincu » et « pas du tout convaincu ». Au regard des résultats, on peut affirmer que la majeure partie des enseignants a une opinion favorable à l'éducation bilingue car 64% de l'échantillon se dit « convaincu » ou « très convaincu » contre 36% se déclarant « peu convaincu » ou « pas du tout convaincu ». Les discours tenus par les enseignants que nous avons interviewés confirment cette tendance. C'est l'avis de Manu, directeur d'école classique : « Par essence je crois que l'éducation bilingue c'est quelque chose de bien ; parce que partir de ce que l'enfant connaît le mieux pour l'aider à apprendre ce qu'il ne sait pas, partir des réalités propres à lui, sa langue maternelle pour lui apprendre une langue étrangère, y a rien de tel » ; ou encore Inno : « moi je suis un partisan du bilingue en ce sens que l'enfant utilise sa langue ; l'enfant se retrouve dans son milieu ; en famille il parle le mooré, arrivé à l'école il parle encore le mooré ; je trouve que y a pas meilleur moyen d'apprentissage que d'amener les enfants à parler leur propre langue en les initiant à une autre langue ».

84

Toutefois, comme le montre le graphique suivant, les résultats varient lorsqu'on distingue les enseignants du bilingue de ceux du classique.

Graphique n° 8 : Niveau de conviction des enseignants par rapport à l'éducation bilingue selon le type d'enseignement.

Ce graphique montre clairement que les enseignants de l'éducation bilingue ont un accueil beaucoup plus favorable de ce système éducatif que ceux des écoles classiques. Alors que le pourcentage des enseignants se disant « convaincus » ou « très convaincus » culmine à 69% dans le bilingue, il n'est que de 44% au classique. En partant de l'avis de Babil, on pourrait expliquer cet écart par la méconnaissance qu'ont certains enseignants de la réalité de l'éducation bilingue : « Lorsqu'on n'est pas dans le système on peut de l'extérieur apprécier sans pour autant connaître le contenu de la chose, il faut être dans une école bilingue pour comprendre ; tel que conçue par les concepteurs, je peux dire que c'est le meilleur des systèmes ; mais le système présente des contraintes ».

Du point de vue des groupes linguistiques, on observe aussi quelques variations : ainsi, le premier constat que l'on peut faire, c'est que le dagara et le dioula sont les groupes linguistiques où le pourcentage de ceux qui se déclarent « convaincus » ou « très convaincus » est le plus élevé, soit 100% pour le premier et 91% pour le second. A l'opposé le bissa et le gourmantchema sont les seules langues nationales d'enseignement où la part de

85

ceux qui affirment n'être « pas du tout convaincus » ou « peu convaincus » est la plus élevée, avec notamment 6 enseignants sur 10 de part et d'autre.

Tableau n°14 : Niveau de conviction des enseignants par rapport à l'éducation bilingue selon les groupes linguistiques en %.

Langues nat

pas conv

peu conv

convaincu

très conv

nr

Total %

Mooré

8

21

54

15

3

100% (39)

Dioula

 

9

36

55

 

100% (11)

Fulfuldé

 

25

67

8

 

100% (12)

Bissa

 

60

40

 
 

100% (5)

Nûni

 

40

60

 
 

100% (5)

Kassena

 

20

40

40

 

100% (5)

Lyèlé

 

25

75

 
 

100% (4)

Gourmanchema

10

50

30

10

 

100% (10)

Dagara

 
 

100

 
 

100% (8)

Total en%

4% (4)

24% (24)

55% (4)

16% (16)

1% (1)

100% (99)

 

Mais pour mieux apprécier la part de conviction des enseignants du bilingue, intéressons-nous à ce qui a motivé leur entrée dans ce système éducatif :

Tableau n° 15 : Récapitulatif de la position des enseignants par rapport aux opinions explicatives de leurs motivations à entrer dans l'éducation bilingue en %.

Opinions

Pas du
tout

Un
peu

Moye
nnemt

tout à
fait

nr

Total
en %

J'ai choisi l'éducation bilingue parce que je suis convaincu de sa pertinence.

23

12

22

28

15

100%

(98)

Je suis venu par hasard.

54

6

5

27

7

100 %

(98)

J'ai choisi l'éducation bilingue parce

que cela m'a été imposé.

55

6

9

12

 

100%

(98)

J'ai choisi l'éducation bilingue parce que je cherchais un métier.

73

2

2

5

18

100%

(98)

J'ai choisi l'éducation bilingue à cause de l'intérêt accordé à la langue nationale.

20

11

13

41

14

100%

(98)

 

86

La compilation des réponses des enseignants à l'énoncé des différentes opinions relatives à leur engagement comme éducateurs bilingues nous donne d'observer l'existence d'un courant défavorable pour les énoncés de la deuxième, troisième et quatrième opinion ; le cinquième énoncé, celui portant sur l'intérêt de la langue a pour sa part une opinion plus favorable ; quant au premier énoncé, il a deux courants opposés avec néanmoins une légère tendance vers l'accord. Nous pouvons donc en déduire que ce qui motive principalement la conviction des enseignants c'est leur intérêt pour les langues nationales, suivi de près par la pertinence du système éducatif bilingue, ce qui tend, à première vue, à confirmer la conviction qu'ils ont de l'efficacité du système éducatif bilingue.

Toutefois, les entretiens que nous avons effectués avec les enseignants nous invitent à la prudence ; en effet, les propos recueillis montrent que le plus souvent les enseignants sont intégrés dans l'éducation bilingue, non pas sur initiative personnelle mais sur incitation des autorités compétentes :

Babil : « je fais partie de ceux qui ont été de la première promotion à faire le test d'intégration après leur formation pour pouvoir être engagé dans la fonction publique ; et on a eu à faire le test et à l'issue du test on a été reçu ; maintenant, à la proclamation des résultats on a écrit devant nos noms enseignants bilingues11 ; ce qui veut dire qu'on devait n'importe comment se retrouver dans une école bilingue »

Inno : «En 2000 quand l'enseignement catholique avait des problèmes il s'est trouvé que moi aussi j'étais en chômage ; alors, lors d'un pèlerinage l'Evêque a demandé à tous ceux qui pouvaient aider de se manifester ; moi j'ai déposé mon dossier et on m'a affecté dans une école bilingue»

Alioud : « Bon, ce qui m'a amené, premièrement c'était par manque d'enseignants parce que ici, si un enseignant prend une classe, c'est lui-même qui doit terminer la classe jusqu'en cinquième année ; maintenant y a eu deux postes vacants et l'inspecteur nous a sollicités ; premièrement c'était pour ça mais avant de venir même on avait entendu parler de l'école bilingue et on était intéressés ; et comme il nous a appelés on n'a même pas refusé».

Il nous est donc donné de penser, comme le laisse entendre Alioud, que même si les enseignants sont intéressés au départ par le système éducatif bilingue, leur choix de devenir éducateur bilingue est assez souvent impulsé par leurs autorités hiérarchiques.

6.4.3 Sentiments des enseignants vis-à-vis de l'éducation

11 C'est nous qui soulignons.

87

bilingue

Si, comme nous venons de le voir, les enseignants se montrent a priori convaincus de l'efficacité de l'éducation bilingue, il nous semble que pour mieux apprécier la situation, nous devons interroger le regard qu'ils portent sur leur situation d'enseignants bilingues ainsi que sur l'avenir même de l'éducation bilingue ?

Ø Sentiments en rapport à leur situation présente

Le tableau ci-dessous nous présente les opinions des enseignants bilingues sur leurs conditions présentes :

Tableau n°16 : Récapitulatif de l'expression des sentiments des enseignants par rapport à la situation présente de l'éducation bilingue en %.

Opinions

Pas du
tout

Un
peu

Moyen
nement

Tout à fait

nr

Total
en %

Je suis satisfait

 
 
 
 
 

100%

(ça correspond à mes attentes)

6

16

27

45

6

(96)

Je suis indifférent (j'ai eu un

 
 
 
 
 

100%

poste et cela me suffit).

70

1

5

5

19

(96)

Je regrette mon choix.

70

7

2

2

19

100%

 
 
 
 
 
 

(96)

Je cherche une porte de sortie.

63

10

5

5

16

100%

(96)

 

A l'examen des résultats statistiques contenus dans ce tableau, on observe que le nombre des enseignants bilingues qui se disent « moyennement » ou « tout à fait satisfait » de leur situation est bien au dessus de la moyenne, soit 72% de l'échantillon. Même s'il convient d'admettre que ce n'est pas l'enthousiasme chez tous, on ne peut manquer de souligner que malgré tout, moins d'1 enseignant sur 10, soit 4% de l'échantillon regrette « moyennement » ou « tout à fait » son choix et que seulement 1 enseignant sur 10 se déclare « moyennement » ou « tout à fait » indifférent à la situation ou se dit décidé à quitter le système éducatif bilingue.

Ø 88

Sentiments en rapport à l'avenir de l'éducation bilingue Concernant l'avenir de l'éducation bilingue, les avis restent partagés :

Tableau n°17 : Récapitulatif de l'expression des sentiments des enseignants par rapport à l'avenir de l'éducation bilingue en %.

Opinions

Pas du
tout

Un
peu

Moyen
nement

tout à
fait

nr

Total
en %

Elle est dans l'impasse (elle n'a pas d'avenir).

65

9

7

5

15

100%

(131)

Elle va continuer de s'étendre et de s'imposer.

9

17

28

32

14

100%

(131)

Elle connaît beaucoup de difficultés mais est promise à un grand avenir

4

13

21

54

8

100%

(131)

Nul ne peut le deviner.

33

6

10

23

27

100%

(131)

 

Même si le tableau ci-dessus montre que les enseignants, aussi bien bilingues que classiques, reconnaissent, presqu'unanimement, que le système éducatif n'est « pas du tout » dans l'impasse, à raison de 65% de l'échantillon, ils sont beaucoup moins nombreux à se prononcer fermement pour un avenir radieux de l'éducation bilingue : on peut ainsi remarquer que seulement 3 enseignants sur 10 partagent « tout à fait » l'opinion selon laquelle l'éducation bilingue va continuer de s'imposer et que seule la moitié de l'échantillon estime qu'elle éprouve actuellement des difficultés mais va finir par connaître un avenir meilleur. Ce sentiment mitigé partagé par les enseignants transparaît dans la dernière opinion portant sur l'incertitude quand à l'avenir de l'éducation bilingue où l'on voit apparaître deux courants opposés plus ou moins équilibrés entre ceux qui se disent « pas du tout » ou « peu d'accord » et les autres qui s'affirment « moyennement » ou « tout à fait d'accord », soit 39% contre 33%. En cherchant à comprendre ce regard mitigé porté par les enseignants sur l'avenir de l'éducation bilingue dans les entretiens que nous avons réalisés, ces derniers nous ont surtout fait savoir que l'avenir de l'éducation bilingue reposait avant tout sur l'engagement des autorités politiques et des responsables en charge de l'éducation ; c'est le point de vue de Manu :

« l'avenir de l'école bilingue au Burkina pour l'instant je ne vois pas d'issue heureuse,
parce que ça se décide dans les salons feutrés sans tenir compte des acteurs sur le

89

terrain ; alors que ce n'est pas celui-là qui est assis dans le salon feutré qui va faire le travail sur le terrain ; donc je crois qu'il faut vraiment d'abord essayer de faire un travail à la base pour amener tout le monde à adhérer avant d'enclencher le système à l'échelle nationale ».

Cette opinion est aussi celle d'Alioud : « il faut que les autorités soient elles-mêmes convaincues ; c'est des choses théoriques, on s'assoit dans les bureaux et on ne passe pas soi-même voir ; là c'est difficile (...) le système est bon mais y a pas de suivi, y a pas de motivation. C'est pas facile mais bon on fait ce qu'on peut ».

Mais ce qui nous paraît le plus frappant, au-delà des sentiments exprimés, c'est le taux du pourcentage de non réponses qui culmine jusqu'à 19 % dans les questions portant sur les sentiments éprouvés en tant qu'enseignants bilingues et 27% dans celles portant sur l'avenir de l'éducation bilingue. Plus encore, et contrairement à notre attente, on remarque que dans cette dernière série de questions, ce sont les enseignants des écoles bilingues qui se sont le plus abstenus de se prononcer : alors que, selon les énoncés, les taux d'abstentions vont de 1% à 5% chez les enseignants classiques, soit une moyenne de 3,25%, il est compris entre 9 et 30 % chez ceux du bilingue, avec une moyenne de 17,25%.

L'analyse des résultats de notre enquête nous a permis de décrire le rapport des enseignants à l'éducation bilingue du point de vue de la connaissance et de l'investissement des langues nationales, de l'usage disciplinaire de ces langues nationales et de l'intérêt scolaire et social de cette innovation pédagogique. Nous allons maintenant tenter de faire une lecture interprétative de ces résultats.

90

CHAPITRE 7 :

INTERPRETATION DES DONNEES ET PROSPECTIVES

Comme nous le rappelaient Tremblay et Perrier (2006), l'interprétation des résultats d'une recherche consiste à en livrer le sens, en lien avec la problématique de recherche, et à dégager les pistes de recherches sur lesquelles les résultats nous engagent. C'est ce à quoi nous nous attèlerons dans ce chapitre. Après avoir fait une synthèse des résultats obtenus, nous livrerons notre lecture interprétative de ces résultats avant de proposer quelques pistes d'investigations complémentaires.

7.1 Synthèse des résultats

7.1.1 Connaissance et investissement des langues

Au niveau de la connaissance et de l'investissement des langues nationales, il ressort que les enseignants affirment, dans une large majorité, avoir une bonne maîtrise des langues nationales qu'ils utilisent comme médium et matières d'enseignement. La difficulté apparaît au niveau de la maîtrise du langage scolaire propre au bilingue où les enseignants du classique sont plus nombreux à se déclarer incompétents en la matière.

Pour ce qui concerne l'investissement des langues par les enseignants, on observe d'emblée que la langue la plus utilisée est le Français et non pas les langues nationales ; en outre, les données recueillies font apparaître une forte variation : alors que les enseignants des écoles bilingues se montrent plus soucieux d'accroître leur niveau de connaissance des langues nationales et surtout du langage scolaire bilingue, ceux du classique sont plus minoritaires à avoir entrepris quelque initiative dans ce sens.

7.1.2 Intérêt disciplinaire des langues nationales

Trois facteurs nous ont été utiles pour jauger l'intérêt disciplinaire dont témoignent les enseignants pour les langues nationales : il s'agit de l'utilité des langues nationales en tant que matières, l'utilité des connaissances qu'elles apportent et les effets qu'elles produisent sur les autres matières.

91

Les résultats nous ont permis d'observer que près des 3/4 des enseignants rejettent l'idée de l'existence de matières inutiles ou inadaptées dans l'éducation bilingue ; d'autre part, les enseignants qui soutiennent cette opinion sont majoritairement issus des écoles bilingues.

Pour ce qui a trait aux connaissances produites par l'utilisation des langues nationales dans l'enseignement, les enseignants, presqu'à l'unanimité reconnaissent qu'elles sont soit aussi utiles sinon plus utiles que dans l'éducation classique ; une légère variation réside entre les deux groupes d'enseignants dans le degré de qualification de ces connaissances : alors que les enseignants des écoles classiques sont plus portés à penser que les connaissances produites dans le bilingue sont aussi utiles que celles du classique, ceux des écoles bilingues penchent plus pour des connaissances plus utiles.

Enfin, même si, pour la plupart des enseignants, l'idée de l'existence de matières inutiles ou inadaptées dans l'éducation bilingue n'est pas partagée, les enseignants admettent, à l'opposé et dans une large proportion, que les langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement ont des effets certes néfastes mais davantage positifs sur les autres matières.

7.1.3 Intérêt et conviction des enseignants pour l'éducation bilingue

Les données de notre enquête nous ont révélé que les enseignants avaient une très bonne opinion de l'éducation bilingue. Le pourcentage de ceux qui se disent convaincus de son efficacité est bien au-dessus de la moyenne (64%). On ne peut manquer toutefois de souligner que le groupe des enseignants bilingues, avec 69 % d'avis favorables, se montrent encore plus convaincus que celui des enseignants classiques qui ne recueillent que 44% d'individus se disant « convaincus » ou « très convaincus » ; par ailleurs, il ressort que les enseignants partagent, dans une large majorité, la conviction que ce système éducatif a des avantages scolaires et socioculturels certains pour les élèves et réfutent l'idée qu'il pourrait constituer un handicap pour les apprentissages ; sur ce point précis, ils sont unanimes à soutenir que les élèves des écoles bilingues ont les mêmes chances ou plus de chances de réussite que leurs camarades du classique.

Enfin, concernant l'appréciation qu'ils font de leur situation présente, les enseignants bilingues se disent assez satisfaits, mais entrevoient, dans le même sens que leurs collègues

92

des écoles classiques, l'avenir avec des sentiments mitigés, conditionnant le devenir de l'école bilingue à la volonté des autorités politiques et ceux en charge de l'éducation.

7.2 Interprétation des résultats au regard de notre problématique et de nos hypothèses

Notre démarche problématique nous avait conduit à formuler la question de recherche suivante : « quel est le rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médiums et matières d'enseignement, dans l'éducation bilingue au Burkina Faso? »

Au regard de cette question nous avions émis comme hypothèse principale l'opinion selon laquelle : Le rapport des enseignants aux langues nationales en tant que matières et médiums d'enseignement révèle des réticences au sujet de la pertinence et de l'efficacité de l'éducation bilingue au Burkina Faso.

Pour vérifier cette hypothèse principale, nous avions formulé trois hypothèses spécifiques dont l'objectif était de déterminer :

- L'intérêt que manifestent les enseignants pour les langues nationales et leur implication dans la promotion de ces langues.

- L'appréciation que font les enseignants du rôle disciplinaire des langues nationales utilisées comme médiums et de matières d'enseignement.

- Le point de vue des enseignants sur l'intérêt scolaire et socioculturel ainsi que sur l'avenir de l'éducation bilingue.

Nous allons maintenant examiner ces hypothèses à la lumière des résultats que nous a livré l'analyse des données.

7.2.1 Interprétation des résultats selon la première hypothèse spécifique

« Les enseignants manifestent peu d'intérêt pour les langues nationales ainsi que pour le langage scolaire bilingue ».

La première hypothèse spécifique de notre étude présumait que les enseignants manifestaient peu d'intérêt pour les langues nationales dans l'éducation bilingue au Burkina Faso.

93

En considérant les données recueillies dans nos enquêtes, il pourrait sembler, à première vue, que les résultats obtenus réfutent une telle hypothèse ; en effet, les résultats de l'analyse nous ont montré que les enseignants maîtrisent bien leurs langues nationales ainsi que le langage scolaire bilingue, qu'ils prennent des initiatives ou participent à des activités en vue d'améliorer les connaissances qu'ils ont des langues nationales ; cependant, cela suffit-il à témoigner de leur intérêt pour les langues nationales ? Pour rendre compte de toute la mesure de la question, il nous semble important de prendre ici en considération le fait que les langues nationales en question sont avant tout les langues maternelles de presque tous les enseignants ; ce qui laisse entendre que c'est plutôt la non-maîtrise que la maîtrise de ces langues qui relèverait de l'extraordinaire ; d'autre part, quand on scrute en profondeur le mode d'investissement des langues nationales par les enseignants, on remarque qu'en plus du taux assez élevé d'individus (35%) de notre échantillon qui affirment n'avoir entrepris aucune activité pour accroître leur niveau de maîtrise des langues nationales, les initiatives prises à titre personnel, telles que les lectures (13%), la communication (5%), la rédaction d'articles (53%) restent proportionnellement très infimes par rapport aux activités programmées par l'institution que sont les formations ou les recyclages (45%). On retrouve ici un des éléments, qui, de l'avis de Dabène (1994), participe à la détermination de l'attitude de l'individu par rapport à une langue, à savoir son utilité réelle ou présumée. En effet, pour Dabène (1994 : 82), « la maîtrise d'une langue dotée d'un certain prestige représentera, pour l'individu, un bien appréciable, dans la mesure où il la considérera comme un atout pour son image et sa position sociale, et où il en attendra des bénéfices pour une éventuelle progression ». Dans le cas de notre étude, on peut penser que l'utilité de l'investissement des langues nationales se résume, pour les enseignants, à la nécessité de se doter d'outils adéquats pour accomplir au mieux leur fonction, d'où le fort taux d'implication des enseignants bilingues dans les formations et le faible engagement de ceux du classique qui, en raison du fait qu'ils ne tiennent pas de classes bilingues, n'en éprouvent aucun besoin. Quand bien même ils ne nient pas l'intérêt didactique des langues, il nous parait évident que les enseignants ne semblent pas voir dans l'investissement des langues nationales un moyen de promotion sociale ou professionnelle tel que l'envisage Dabène (1994).

Bien plus, certaines variables, comme la langue de communication préférée, nous permettent d'observer que les enseignants ont une préférence pour le français plutôt que pour les langues nationales à l'exception de certains groupes linguistiques tels que le kassena, le

94

lyèlé et le dagara où la part de ceux qui disent préférer la langue nationale est visiblement plus élevée.

Mais même là, il nous semble difficile d'en déduire que les groupes linguistiques kassena, lyèlé et dagara manifestent plus d'intérêt pour les langues nationales ? En effet, un croisement de la variable des langues nationales en usage dans l'éducation bilingue avec celle de l'intérêt pour les langues nationales comme motivation des enseignants à entrer dans l'éducation bilingue nous montre qu'il en va autrement.

Tableau n°18 : Niveau d'appréciation de la langue nationale comme motivation à entrer dans l'éducation bilingue selon les groupes linguistiques en %.

Langues nat.

pas du tt

un peu

moynmt

tt à fait

nr

Total en %

Mooré

21

10

13

44

13

100 (39)

Dioula

33

 

11

11

44

100 (9)

Fulfuldé

8

 

17

58

17

100 (12)

Bissa

40

20

 

40

 

100 (5)

Nûni

 
 
 

100

 

100 (5)

Kassena

40

 

40

 

20

100 (5)

Lyèlé

25

50

25

 
 

100 (4)

Gourmantch

10

20

10

40

20

100 (10)

Dagara

14

14

14

57

 

100 (7)

Total %

20% (19)

10% (10)

14% (13)

42% (40)

15% (14)

100 (96)

 

Ces résultats nous permettent de réaliser qu'à l'exception du dagara où 57% des enseignants estiment que l'intérêt pour les langues nationales correspond tout à fait à ce qui a motivé leur entrée dans l'éducation bilingue, aucun des enseignants des deux autres groupes linguistiques, c'est-à-dire le kassena et le lyèlé, n'a retenu l'intérêt pour les langues nationales comme ayant motivé « tout à fait » son choix de devenir éducateur bilingue. A l'inverse, le groupe nûni où une majorité des enseignants avait retenu le Français comme langue de communication préférée justifie à l'unanimité son entrée dans l'éducation bilingue par l'intérêt qu'il éprouve pour les langues nationales. Cette absence de corrélation entre le choix de la langue de communication préférée et l'intérêt pour les langues nationales comme motivation à l'entrée dans l'éducation bilingue rend donc difficile l'affirmation d'une marque

95

particulière d'intérêt de l'un ou l'autre groupe linguistique pour les langues nationales. Cet avis nous semble par ailleurs soutenu par la nature des raisons évoquées par les enseignants pour justifier le choix de leur langue de communication préférée. En effet, pour ceux qui ont choisi la langue nationale comme langue de communication préférée, plus que le souci de promotion de la langue qui compte pour seulement 12% des motifs invoqués, c'est surtout, pour 57% d'entre eux, le fait que la majorité de leurs interlocuteurs ne connaissent que cette langue qui justifie leur préférence pour les langues nationales.

En considération de ces résultats, nous estimons que si l'on ne peut nier l'intérêt des enseignants pour les langues nationales, cet intérêt reste beaucoup plus guidé par des motivations d'ordre professionnel que personnel ; en conséquence de quoi nous estimons que les résultats de notre enquête corroborent partiellement l'hypothèse spécifique qui soutient que les enseignants manifestent peu d'intérêt pour les langues nationales.

7.2.2 Interprétation des résultats selon la seconde hypothèse spécifique

« Les enseignants sont réticents par rapport à la capacité des langues nationales à servir de médium et de matières d'enseignement »

Ø Sur l'utilité disciplinaire des langues nationales

L'analyse du rapport des enseignants aux disciplines scolaires bilingues a montré que si les enseignants sont nombreux à déclarer qu'il n'y a pas de matières inutiles ou inadaptées dans l'éducation bilingue, tous ne partagent cependant pas cet avis ; en effet, près d'un tiers d'entre eux affirment le contraire. Et lorsque nous scrutons de près les exemples évoqués par ces derniers pour justifier leur point de vue, il apparaît que ce qu'ils pointent du doigt ce n'est pas tant l'utilité didactique des disciplines que leur inadaptation aux exigences de l'école, implicitement ou explicitement exprimées. Ces exigences se rapportent notamment à la nécessité de la réussite aux différentes évaluations et examens dont les conditions sont fixées selon les normes des écoles classiques mais aussi aux préoccupations liées à la suite à donner à la scolarité des élèves qui, en l'absence du continuum bilingue, doivent intégrer les collèges classiques. C'est ainsi qu'une matière comme l'APPC12 peut paraître, aux yeux des

12 APPC (Activités Pratiques Productives et culturelles)

96

enseignants, utile pour l'équilibre humain de l'élève comme le reconnaît David : « l'école bilingue intègre les activités pratiques productives et culturelles en se basant sur les possibilités du milieu ; de même les langues maternelles suscitent l'intérêt de l'enfant qui favorise sa compréhension des notions enseignées ; l'école bilingue recherche ainsi la formation intégrale de l'enfant » mais en même temps problématique parce qu'elle n'est pas prise en compte dans l'évaluation, comme nous le rappelle Honorine : « l'enfant n'est pas évalué à l'examen dans cette matière ». Il nous semble donc évident que ce n'est pas l'intérêt didactique des contenus d'enseignement en jeu qui sont remis en cause mais plutôt leur concordance aux exigences qui conditionnent la progression de l'élève.

Ø L'expression de la construction d'une conscience disciplinaire bilingue ?

Le regard que portent les enseignants sur l'intérêt des langues nationales utilisées comme matières d'enseignement nous amène par ailleurs à nous interroger sur la manière dont ils conçoivent les disciplines scolaires, la valeur qu'ils leur accordent. Dans les raisons qui sont évoquées pour justifier l'existence des matières inutiles ou inadaptées dans le système éducatif bilingue, les avis exprimés réfèrent entre autres aux lieux de transmission du savoir : « ils n'ont pas besoin d'aller à l'école pour apprendre ces choses », aux enjeux culturels comme dans le cas des élèves peuls qui rechignent à faire des récitations ou des chants au seul motif qu'ils ne sont pas des griots, ou encore au manque de référence aux notions de la grammaire française.

Derrière toutes ces difficultés exprimées par les enseignants sur l'intérêt des langues nationales utilisées comme médiums et matières, il nous semble possible de percevoir un souci de définition de ce que pourrait être une discipline pour eux. Cet effort de cadrage de la discipline qu'on pourrait désigner comme étant une conscience disciplinaire bilingue en construction se tisserait sur la base d'une certaine tension portant sur les finalités mêmes des disciplines. Reuter (2010) a expliqué que toute discipline pouvait s'organiser autour de visées propres à l'école et à l'ensemble des disciplines ou excédant le cadre scolaire ; dans le cas présent, il nous semble que la tension part de la conception de la discipline scolaire ; elle porte, à notre avis, sur une divergence d'approche entre une conception traditionnelle, classique et scolaire de ce que devrait être une discipline scolaire, centrée notamment sur l'évaluation et la validation par les examens d'un côté et la nécessité d'intégrer de nouveaux référents scolaires non évaluables à l'examen (apprentissage des langues nationales) ou extra-scolaires (APPC) induites par le système éducatif bilingue et centré plutôt sur le souci de la

97

formation humaine intégrale de l'homme de l'autre. Sur cette question, Reuter (2010 : 41) a aussi montré que la notion de conscience disciplinaire est née entre autres du constat que « les représentations d'élèves du collège ou du lycée pouvaient parfois être éloignées du projet d'enseignement disciplinaire et, par voie de conséquence, source d'obstacles ou de conflits... ». Si l'on considère que l'objectif poursuivi par l'éducation bilingue est d'oeuvrer à l'éducation intégrale de l'homme, on peut estimer que les enseignants qui jugent que les matières du système éducatif bilingue sont utiles et adaptées, donc « enseignables » selon la visée fondamentale de toute discipline définie par Chervel (1998) ont intégré parfaitement le projet et les objectifs de l'éducation bilingue en étant parvenus à une conception plus large et ouverte de la notion de discipline scolaire. En référence à notre cadre théorique, on pourrait aussi considérer ces enseignants comme étant les bons sujets de l'institution « école bilingue ». En revanche, ceux pour qui certaines matières de l'éducation bilingue paraissent problématiques nous semblent restés dans une conception des disciplines scolaires liée à la sphère scolaire avec en toile de fond le souci de préparer les enfants aux évaluations et aux examens ; ce groupe d'enseignants dont le rapport au savoir ne correspond pas à celui de l'institution pourraient être désignés, selon la théorie anthropologique du rapport au savoir, comme de mauvais sujets de l'institution ici en question. Dans tous les cas, il nous semble que ce qui justifie le plus l'inquiétude des enseignants c'est surtout la question du rapport des disciplines et de l'évaluation. Cheron (2008) avait déjà montré que cette hantise des résultats, entretenue par ailleurs par les protagonistes de l'éducation bilingue était au centre des préoccupations des enseignants ; ce discours qu'elle rapporte d'un entretien qu'elle a réalisé avec un directeur d'école en est illustratif : « C'est les résultats qui nous intéressent ! Au-delà des résultats il n'y a rien d'autre qui nous intéresse, maintenant le chemin par lequel on va passer pour atteindre les résultats bon... » (Cheron, 2008 : 22)

Sur cette question du rapport des disciplines à l'évaluation, Delcamdre (2006 : 132) a par ailleurs montré que l'évaluation était un outil de légitimation externe de la discipline scolaire. Traitant de la question de l'évaluation de l'oral, elle déclarait ceci : « Pour les élèves comme pour les parents, l'évaluation justifie l'effort d'apprentissage, donne légitimité aux contenus de savoirs visés (...) Cet aspect de légitimation externe renvoie au rôle des examens et des concours dans la définition des contenus d'une discipline scolaire (savoirs et savoirs faire) ». A la suite de cette réflexion de Delcambre (2006), il est possible de penser que pour les enseignants bilingues, cette question de légitimation de matières qui ne sont pas prises en

98

compte à l'examen ou aux concours n'est pas sans effet dans la manière dont ils conçoivent les disciplines de ce système éducatif.

Ø Sur les effets néfastes de l'utilisation des langues nationales comme matières sur les autres disciplines

Dans l'analyse des données de notre enquête, il est ressorti que sur 10 enseignants bilingues, 7 avaient reconnu que les langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement pouvaient avoir des effets néfastes sur les autres matières. Si cette proportion est sans doute considérable, faudrait-il pour autant en conclure que les enseignants reconnaissent d'une certaine manière l'inutilité ou l'inadaptation de ces matières ? En considérant les situations décrites par les enseignants, nous remarquons que ce qui revient dans les discours ce sont les questions relatives aux interférences, qu'elles soient d'ordre grammatical, lexical ou phonologique. Nous osons donc penser raisonnablement que ce que dénoncent les enseignants c'est la répartition des temps d'enseignement entre les langues nationales et le Français. La réponse des enseignants à la question portant sur la réorganisation de la répartition de ces temps d'enseignement semble d'ailleurs confirmer notre opinion ; en effet, comme nous l'avons souligné antérieurement, le système éducatif bilingue consacre 90% des temps d'enseignement aux langues nationales en première année, 80% en deuxième année, 50% en 3° année, 20% en quatrième année et 10% en 5° année. En partant de cette organisation et en considération de leur expérience, nous avons demandé aux enseignants de nous proposer une répartition qui leur semblerait plus adéquate. Les résultats à cette question que nous publions en annexe montrent que la moyenne de temps d'enseignement des langues nationales proposée par les enseignants est de 68,36% en première année contre 90% selon les instructions officielles et de 58,81% en deuxième année contre 80%. En première année, seuls 23% des enseignants s'alignent sur le temps officiel édicté par les curricula ; en deuxième année, c'est encore moins, soit 21%. Tous les autres enseignants proposent de réduire le temps d'enseignement consacré aux langues nationales en première année. Cet enjeu de la répartition des temps d'enseignement nous est amplement expliqué ici par Alioud :

« Moi, en ce qui me concerne, je dirai que ce qui a été fait là...il faudra quand même revoir parce que si nous prenons ce qui est écrit sur papier, on dit : première année 90% en langue nationale et 10% de Français alors que la scolarité dure cinq ans, donc si dès la première année il ne voit pas très bien quelques notions en Français, en deuxième

99

année encore 80%, vous voyez que l'enfant en cinquième année il écrit bien, il peut même lire des textes mais il ne comprend pas parce qu'on n'a pas pris du temps pour leur apprendre beaucoup de choses en Français ; donc selon moi je me dis que dès la première année s'ils pouvaient aller à 20% et deuxième année 40 % je crois que là ç'allait permettre aux enfants de voir beaucoup de notions en Français ».

Au regard de ce qui précède, nous pouvons affirmer que notre seconde hypothèse spécifique est seulement partiellement corroborée par les résultats obtenus, en ce sens que nous estimons que les enseignants ne doutent pas de l'efficacité des langues nationales à servir de médiums et de matières d'enseignement mais reconnaissent la nécessité de faire un certain nombre d'aménagements du point de vue didactique et organisationnel pour les rendre plus crédibles et plus efficaces.

7.2.3 Interprétation des résultats selon la troisième hypothèse spécifique

« Les enseignants sont réticents par rapport à l'efficacité et à l'avenir de l'éducation bilingue ».

L'analyse de la variable portant sur le degré de conviction qu'ont les enseignants de l'efficacité de l'éducation bilingue a montré que près des 3/4 des individus de notre échantillon se disent convaincus ou très convaincus de ce système éducatif. Si l'on ne s'en tenait qu'à ces données, on pourrait penser peut-être que ceux qui se disent peu ou pas convaincus sont des enseignants des écoles classiques qui ne comprennent pas grand-chose au système éducatif bilingue et conclure sans tarder que ces résultats réfutent notre hypothèse spécifique.

Toutefois, lorsqu'on met en relation la variable relative au choix du système éducatif préféré pour la scolarisation des enfants avec les deux catégories d'enseignants, on se rend vite compte que ces résultats ne sont pas sans poser question ; en effet, on remarque que si les enseignants classiques sont évidemment plus nombreux proportionnellement, soit 61 %, à préférer inscrire leurs enfants dans les écoles classiques, chez les enseignants bilingues, la part de ceux qui font le même choix s'élève à 34%, ce qui n'est pas négligeable pour des gens qui sont des acteurs de premier plan de ce système éducatif. Bien plus, en croisant la part de ceux qui se disent convaincus ou très convaincus avec la variable portant sur le choix de

100

scolarisation préférée des enfants, il nous est donné de constater que 19% des enseignants qui se déclarent convaincus et 11% de ceux qui s'affirment très convaincus préfèrent scolariser leurs enfants dans des écoles classiques ; alors, comment comprendre que des enseignants qui oeuvrent dans l'éducation bilingue d'une part, et d'autres qui disent en être convaincus d'autre part, optent malgré tout de scolariser leurs enfants dans des écoles classiques ?

Dans les entretiens que nous avons pu réaliser avec les enseignants, nous avons pu comprendre que ces réticences étaient la conjonction de plusieurs raisons qui ne sont pas liées en tant que tel à la nature du système éducatif bilingue mais à sa gestion ; cette situation est bien résumée par Babil : « ce n'est pas l'innovation qui n'est pas bonne mais c'est parfois les conditions de mise en oeuvre ; ça peut être au niveau des élèves, ça peut être au niveau des enseignants ; si les conditions d'accompagnement ne sont pas suivis, on ne peut pas aboutir à de bons résultats »

D'abord, les enseignants reprochent aux autorités politiques de n'être pas eux-mêmes convaincus et de manquer de donner le bon exemple aux populations en n'inscrivant pas leurs enfants dans les écoles bilingues ; c'est l'avis de Manu :

« en regardant les autorités de ce pays se comporter vis-à-vis du bilingue, on a l'impression que l'éducation bilingue c'est pour l'enfant du pauvre ; jusqu'à présent nous n'avons vu aucune autorité de ce pays envoyer son enfant dans une école bilingue, ce qui

fait que les uns et les autres aussi se disent que c'est parce que c'est une école au rabais qu'on leur dit d'envoyer leurs enfants dans ces écoles ; je crois que l'exemple devrait venir de là haut ».

Ils craignent aussi que l'éducation bilingue ne disparaisse un jour, comme les innovations pédagogiques qui l'ont précédée, lorsque les bailleurs de fonds cesseront de financer son exécution. Sur cette question, Sayoré est formel, lorsqu'on lui demande son avis sur l'avenir des écoles bilingues :

« Mais là, il faudra peut-être que les autorités elles-mêmes soient convaincues ; dans l'éducation y a trop de réformes, maintenant on ne sait pas ; généralement c'est des projets, ça vient et une fois qu'il n'y a plus de financement ça disparaît ; donc ça fait que quand ça rentre dans les questions politiques, là ça devient compliqué ; sinon y a plusieurs réformes au niveau de l'éducation ; y a les écoles satellites, les CBNEF où on

fait les langues nationales ; mais c'est des projets ; quelqu'un vient avec ça, ça finit et on cherche d'autres trucs encore ».

101

Ensuite ils dénoncent une gestion chaotique des écoles bilingues qui contribue à

démobiliser les enseignants ; de l'avis des uns et des autres, les enseignants bilingues seraient amenés à effectuer un travail plus exigeant que leurs collègues du classique mais ne sont pas rémunérés à la hauteur de leurs peines ; en plus, lorsqu'ils veulent passer d'une école bilingue à une école classique ils sont retenus tant qu'ils n'ont pas bouclé le cycle des cinq ans. Manu nous explique la situation en ces termes :

« Premièrement, les enseignants qui sont affectés dans ce système, si tu n'as pas fini un cycle complet tu ne peux pas partir ,
· ça pose problème ,
· si tu vas et tu ne t'y sens pas tu vas vouloir partir, mais on te retient pour boucler le cycle des cinq ans ,
· alors, si tu restes là à contre coeur, le travail aussi va prendre un coup ! Ça c'est d'un, ensuite les moyens ne suivent pas ,
· ceux qui font l'éducation bilingue trouvent, que c'est un travail supplémentaire, un travail beaucoup plus compliqué qu'ils sont en train d'accomplir ,
· par conséquent ils voudraient une juste rémunération des efforts qu'ils sont en train d'effectuer mais leurs attentes ne sont pas comblées et ça aussi ça cause des blocages ».

Pour ce qui concerne plus précisément les aspects financiers, les enseignants nous ont expliqué que cette année, ils ont dû faire des sit-in dans les Directions Régionales de l'Enseignement de Base pour enfin bénéficier des 15000 F CFA d'indemnités qui leur sont allouées :

Babil : « cette année on a attendu nos indemnités d'octobre, c'est à dire juillet, août septembre, ce n'est pas venu ,
· au mois de décembre ce n'est pas venu et il a fallu qu'on fasse un sit-in à la DREBA13 pour qu'ils nous payent le 15 janvier ; ça fait que l'engouement prend un sérieux coup. »

Ou encore Alioud « même cette année on a eu à faire des sit-in à la DREBA avant qu'on nous paye ,
· voilà pourquoi tous ceux qui viennent au bilingue veulent partir ,
· mais si le suivi était régulier et si la prise en charge était conséquente, ça allait mobiliser les gens un peu ,
· mais on a remarqué que quand quelqu'un vient, après ses trois années de formation il veut partir ».

Une autre difficulté qui suscite la crainte chez les enseignants et nourrit leur réticence vis-à-vis de l'éducation bilingue a trait à la raréfaction des visites pédagogiques. Depuis quelques années, l'OSEO s'est déchargée de sa responsabilité dans la gestion des écoles

13 Direction Régionale de l'Enseignement de Base (DREBA)

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bilingues et les a confiées à l'Etat ; depuis lors, les visites pédagogiques et le suivi des écoles ne sont plus réguliers, comme nous l'explique Alioud : « on sent que y a un relâchement même de l'Etat ; avant que je ne vienne ici, les suivis c'était chaque mois mais depuis que l'OSEO s'est retiré c'est parfois une fois par an, parfois tous les deux ans. Mais dans ces trois dernières années c'est une fois l'année scolaire » ; il faut remarquer qu'on est déjà très loin des nombreuses visites pédagogiques effectuées par la DGEB et les IEPD dont faisait état Cheron (2008) en 2007 lorsque l'OSEO était encore aux commandes de l'enseignement bilingue. Mais bien plus que le suivi des écoles, ce sont les structures mêmes qui ont été mises en place pour les APPC et pour l'accueil des élèves qui sont en train de péricliter ; dans une des écoles bilingue en zone sahélienne nomade, l'OSEO avait construit un centre d'accueil pour permettre la sédentarisation des enfants Peuls et favoriser ainsi les apprentissages ; l'école était de ce fait subventionnée par l'OSEO en vivres et les résultats étaient excellents. Mais malheureusement, avec le retrait de l'OSEO et la suppression de la dotation en vivres, les parents ont retiré leurs enfants et les locaux construits à couts de millions de francs CFA sont laissés à l'abandon :

Alioud : « vous voyez le bâtiment qui est là, les enfants logeaient ici ; ils étaient nourris, ils mangeaient ici ; mais depuis que l'OSEO s'est retiré on a fermé les salles, même d'hébergement, alors que nos enfants viennent de loin ; donc ce qui fait que le niveau là a baissé (...) ; comme y a pas de vivres les gens préfèrent garder leurs enfants ; et puis nous les peuls tant qu'on ne voit pas exactement la chose, on ne peut pas croire ; il préfère qu'il reste derrière le troupeau ; on dit l'école et il ne voit rien... C'est ce qui fait qu'ils n'amènent pas les enfants ».

Cette situation que vit l'éducation bilingue de nos jours se trouve être, à nos yeux, la concrétisation d'une conclusion à laquelle était parvenue Hélène Cheron (2008) dans son travail de recherche sur le projet école bilingue de l'OSEO à Koudougou et Réo ; dans notre problématique, nous avions d'ailleurs évoqué cette crainte comme ayant motivé notre intérêt pour cette présente recherche. Dans son étude, Hélène Cheron (2008) était parvenue à la conclusion que l'éducation bilingue telle qu'elle était organisée ressemblait à une bâtisse portée en tout point par l'OSEO et qui risquait de tanguer très fort si celle-ci venait un jour à se retirer. On peut penser, à juste titre que c'est ce qui commence à se produire avec les indemnités qui ont du mal à être payées, les visites qui se raréfient, les activités pratiques et culturelles qui ont de la peine à se tenir, etc.

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La dernière épreuve qui participe à entretenir les réticences chez les enseignants a trait à l'âge de recrutement des écoliers. Le système de l'éducation bilingue a été conçu pour accueillir des enfants d'âge mûr, compris entre 7 et 8 ans, qui parlent bien leur langue maternelle. Or il se trouve qu'avec la création des écoles maternelles, notamment dans les villes, les enfants arrivent très jeunes au primaire, autour de 5 ou 6 ans ; cela constitue une véritable entorse dans la conception du système éducatif bilingue et est malheureusement source d'échecs pour certains enfants comme l'atteste Inno :

« La deuxième difficulté c'est que les enfants que nous recrutons en fonction du cycle ne répondent pas en ville ,
· ça veut dire quoi ? On a des enfants de cinq ans ,
· dans notre Koupela, on a des enfants de cinq ans ,
· or le bilingue demande des enfants de 8 à 9 ans ,
· dans nos villes on ne peut pas avoir des enfants de six ans même qui ne sont pas à l'école ,
· donc on se retrouve avec des enfants qui ont à peine quitté leurs mamans et on veut leur apprendre ,
· donc finalement, comme c'est leur langue, en première année y a pas de problème ,
· ils lisent, ils calculent ,
· la deuxième année on commence à sentir une baisse du rendement et en troisième année où l'enfant n'avait acquis que seulement 20% du Français, on veut que tout se passe maintenant en Français et à un niveau CE2, ça ne peut pas marcher ».

Dans cette ville où l'éducation bilingue avait été fortement soutenue par l'enseignement catholique, l'apparition de cette difficulté qui a servi de justificatif aux nombreux échecs qui s'en sont suivi à l'examen du CEPE a conduit les autorités du diocèse à reconvertir les écoles bilingues en écoles classiques, et ce, conformément aux souhaits des parents.

Cette troisième hypothèse spécifique posait que les enseignants font preuve de réticence à l'égard de l'efficacité et de l'avenir de l'éducation bilingue. Les résultats montrent toutefois une situation plus nuancée. On remarque que si les enseignants sont réticents, ce n'est pas avant tout à cause de l'inefficacité du système éducatif mais en raison des questions qu'ils se posent sur son avenir et ce, en référence à la manière dont il est géré présentement. Nous pouvons donc dire que les résultats ne supportent que partiellement l'hypothèse.

En résumé, notre hypothèse principale stipulait que « le rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médium matières et d'enseignement, révèle des réticences au sujet de la pertinence et de l'efficacité même de l'éducation bilingue au Burkina Faso ».

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En conséquence de l'interprétation qui vient d'être faite de nos résultats, laquelle interprétation révèle que ces résultats ne supportent que partiellement les trois hypothèses spécifiques, nous pouvons en déduire que notre hypothèse principale est aussi partiellement corroborée. En effet, s'il est possible d'affirmer de façon raisonnable, au vu des résultats, que les enseignants sont effectivement réticents, on ne peut manquer de noter que cette réticence est beaucoup plus liée à la question de la pertinence ou de l'efficacité du système éducatif, comme nous le supposions, qu'à sa mise en oeuvre par ceux qui en ont la responsabilité.

Une telle analyse du rapport des enseignants aux langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement nous amène par ailleurs à nous interroger sur leur rapport à la diglossie. Comment faut-il analyser l'état d'esprit des enseignants dans la situation de diglossie qui marque le Burkina Faso et dont nous avions fait l'écho précédemment ?

7.2.4 Les enseignants face à la diglossie

Dans la présentation des causes qui ont suscité notre intérêt pour cette recherche, nous avions vu, avec Nikiema et Kabore/Paré (2010), que la diglossie a principalement pour conséquence d'entretenir un certain nombre de préjugés néfastes sur les langues nationales, allant du doute de leur efficacité pédagogique à l'affirmation de leur incapacité à véhiculer le progrès. En référence à cet effet de la diglossie, notre étude nous a révélé que les enseignants de notre échantillon n'étaient pas, à première vue, dans cet état d'esprit ; en effet, au regard des résultats de notre analyse et de l'interprétation que nous avons pu en faire, il ressort que non seulement les enseignants ne doutent pas de la pertinence et de l'efficacité pédagogique de l'éducation bilingue mais plus encore, ils soutiennent, à une large proportion, que les connaissances dispensées par ce système éducatif sont aussi utiles, sinon plus utiles que dans l'éducation classique. Toutefois, cela suffit-il à en déduire que les enseignants sont à l'abri de la situation de diglossie au Burkina Faso ? Les nombreuses insistances des enseignants bilingues sur les difficultés liées aux interférences qu'ils rencontrent lors du transfert des enseignements et apprentissages, des langues nationales au français, nous invitent à nuancer notre appréciation de la situation. Il nous semble, en tenant compte de cette insistance sur les interférences, que si les enseignants reconnaissent l'efficacité pédagogiques des langues nationales c'est avant tout en tant qu'elles servent de tremplin pour conduire à l'apprentissage

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du français et non parce qu'elles constituent une voie de réussite sociale ou professionnelle. Si les langues nationales étaient appelées à remplacer entièrement le français, nous nous demandons si les enseignants auraient la même appréciation de leur rôle et de leur efficacité. Bien plus, même s'ils reconnaissent l'intérêt didactique et pédagogique de l'éducation bilingue, le fait que certains enseignants bilingues comme classiques préfèrent scolariser leurs enfants dans des écoles classiques montre, à notre sens, que pour eux, le français reste la première et la meilleure voie de succès. Tout cela nous amène à conclure que même si les enseignants semblent se dégager de l'emprise de la diglossie, cela est à circonscrire dans le cadre strictement pédagogique et didactique de l'enseignement bilingue au Burkina Faso dont l'objectif, aux yeux de beaucoup d'entre eux, est seulement d'aboutir à l'apprentissage du français ; il ne nous semble donc pas, au vu des données de notre enquête que les enseignants soient dégagés des enjeux sociaux, culturels et économiques de la diglossie .

7.3 Interprétation au regard du cadre théorique

Nous avons déjà vu que dans sa théorisation du rapport au savoir, Chevallard distingue l'institution, l'individu et l'objet de savoir. Si l'objet de savoir n'a d'existence que dans le cadre d'une institution telle que l'école ou la famille, l'individu qui entre dans une institution se trouve quant à lui assujetti à cette institution par le rapport qu'il établit avec l'objet de savoir. Chevallard appelle, dès lors, « apprentissage » l'évolution du rapport personnel qu'établit le sujet avec l'objet de savoir, en précisant qu'un bon sujet est celui dont le rapport personnel à l'objet est conforme au rapport institutionnel dudit objet.

Avant tout propos et au regard de la construction de son approche du rapport au savoir par Chevallard, nous nous interrogeons sur le rôle qu'il assigne à l'institution en rapport à sa dimension statique ; si la possibilité d'évolution dans le rapport à la connaissance n'est reconnue qu'à l'individu pendant que l'institution reste figée dans ses positions, comment le savoir peut-il progresser dans ces conditions ? Le conflit n'est-il pas inévitable ? Bien plus, si l'on considère que les savoirs se forgent dans un système de constructions et de déconstructions, comment peut-on qualifier de « bon sujet » un sujet dont le rapport au savoir n'est l'objet d'aucune remise en cause ? Il nous semble, pour notre part, que dans le cadre de cette approche théorique, il serait plus judicieux de considérer comme étant un bon sujet d'une institution le « sujet qui sait agir dans l'intérêt de cette institution ».

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Les résultats de notre étude nous semblent très illustratifs à ce sujet ; en effet, les

enquêtes que nous avons menées nous ont révélé que les enseignants, sans se considérer comme de mauvais sujets des institutions auxquelles ils sont assujettis, savent prendre du recul, critiquant au besoin le fonctionnement de ces institutions pour les rendre meilleurs ; d'abord, au niveau de l'institution sociale, nous avons pu remarquer que les enseignants se sont démarqués, dans leur ensemble, de l'influence de la diglossie en faisant preuve d'une reconnaissance de la capacité des langues nationales à servir de médiums et de matières d'enseignement ; mais cela ne les a pourtant pas empêchés de souligner les effets néfastes induits par l'usage de ces langues nationales au contact des autres disciplines. De même, en ce qui concerne l'institution « éducation bilingue » en elle-même, les résultats de nos enquêtes montrent que les enseignants ne manquent pas de critiquer ou même de modifier les directives établies par cette institution comme nous le signifie Bamogo :

« par rapport aux contenus, ce que je trouve un peu difficile pour les élèves, c'est le langage au CP1 ; parce que en première année on a 10% de Français et 90% de langue nationale ; les 10% là c'est le langage là ; les phrases qu'on utilise dans le langage là sont longues ; elles ne sont pas adaptées aux enfants ; l'élève doit mémoriser la phrase là et puis reprendre ; avec les longues phrases comme ça c'est compliqué ; souvent nous-mêmes on est obligé de couper les phrases pour pouvoir enseigner ; on fait les critiques mais chaque fois ça ne change rien » ; mais ce n'est pas pour autant qu'ils se considèrent comme étant de mauvais sujets ou qu'ils cèdent au découragement ; quand on leur demande s'ils veulent poursuivre leur carrière d'enseignant dans le système éducatif bilingue, la réponse ne souffre pas d'ambiguïté : « y a pas de problème, tant que je ne gagne pas un concours professionnel moi je suis là-dedans, je ne vois pas de mal ; moi je ne trouve pas d'inconvénient dans le fait de quitter le classique pour le bilingue ; c'est toujours l'enseignement ; quel que soit là où tu es » ( Sayoré).

En substance, si l'on considère que l'apprentissage a lieu, comme le spécifie Chevallard, dans l'évolution du rapport personnel de l'individu au savoir au sein de l'institution, il nous semble que pour permettre à ce savoir de se développer, il est important que l'individu ne supporte pas à lui tout seul les tensions qui seraient nées de ses rapports contradictoires avec l'institution au sujet du savoir à apprendre ou à enseigner ou qu'il se plie naïvement aux injonctions de l'institution ; il nous paraît, à l'inverse, plus judicieux de prendre en compte l'expérience de l'individu et d'accepter qu'il peut éclairer l'institution dans

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la construction et l'amélioration du savoir ; dans le cas qui nous préoccupe, celui de l'éducation bilingue, il nous paraît évident que les enseignants ont beaucoup à apporter pour l'amélioration du système éducatif bilingue, encore faudrait-il que l'institution éducation bilingue soit à leur écoute ; ce qui ne semble pas le cas pour l'instant.

7.4 La portée des résultats

Pour bien mesurer la portée de nos résultats, il aurait été préférable de les comparer à des travaux similaires déjà réalisés au Burkina Faso ; malheureusement, cela nous semble difficile dans la réalité, du moins en intégralité, car si les problématiques sont souvent proches comme nous l'avons montré précédemment, les perspectives diffèrent. Nous allons donc nous contenter de présenter quelques domaines de recherches qui se recoupent et essayer d'en dégager la portée.

7.4.1 Le profil des enseignants

Pour ce qui concerne le profil des enseignants bilingues, Cheron (2008 : 25), dans son étude portant sur la situation du « projet école bilingue à Koudougou et Réo », avait noté comme caractéristique principale de ses résultats la jeunesse des enseignants des écoles bilingue dont l'âge moyen était de 29 ans contre 42 au classique. Elle expliquait notamment que la propension des enseignants bilingues à s'investir dans le travail était due à cette jeunesse : « La jeunesse de ces enseignants leur donne plus de capacité à faire face aux nombreux efforts que demande le métier d'enseignant : le remplissage des cahiers de préparation, la préparation des cahiers des élèves (dans les classes de CP pour l'écriture, le calcul etc.), la correction des cahiers de devoirs (à partir du CE), recopier les leçons et les exercices au tableau, etc. » Six années plus tard, notre étude révèle un âge moyen de 36 ans au bilingue contre 37 ans au classique ; même si l'on peut considérer qu'en six ans les enseignants ont pris de l'âge ou que notre étude concerne un domaine plus vaste, il reste que la réduction de l'écart entre les âges moyens au bilingue et au classique pose question.

Sans en avoir la certitude, nous pensons que ce phénomène pourrait s'expliquer par la possibilité qu'ont de plus en plus les enseignants de passer d'un système éducatif à l'autre en raison de l'introduction des modules de formation à l'éducation bilingue dans les ENEP (Ecoles Nationales des Enseignants du Primaire). Cette passerelle a sans doute permis

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l'arrivée dans l'éducation bilingue d'enseignants expérimentés et le départ vers les écoles classiques d'éducateurs plus jeunes, ce qui pourrait justifier la tendance à l'équilibre que l'on peut observer entre les âges moyens des deux catégories d'enseignants.

7.4.2 Conviction des enseignants par rapport à l'éducation bilingue

D'autre part, par rapport à l'intérêt et à la conviction des enseignants pour l'éducation bilingue, les recherches menées par Yameogo (2004) dans le cadre de son mémoire portant sur les stratégies pour une pérennisation de l'éducation bilingue ont révélé que 74% des enseignants de son échantillon s'étaient montrés favorables à l'éducation bilingue tandis que 21% d'entre eux étaient contre. Si l'on met ces résultats en parallèle avec notre variable relative à la conviction des enseignants pour l'éducation bilingue, on remarque qu'il y a là aussi une légère disproportion ; en effet, interrogés sur l'appréciation qu'ils faisaient de l'efficacité de l'éducation bilingue, 64% des enseignants de notre échantillon ont déclaré en être convaincus ou très convaincus pendant que 36% d'entre eux se disent peu convaincus ou pas du tout convaincus. A première vue, cette situation pourrait s'expliquer par le mode de composition des échantillons : alors que notre échantillon est composé en majorité d'enseignants bilingues, soit 75% contre 25% d'enseignants classiques, celui de Yameogo (2004) fait l'inverse, avec 66% d'enseignants classiques contre 26% d'enseignants bilingues ; mais à la réflexion, il semble qu'une telle explication ne soit pas satisfaisante ; en effet, on aurait pu penser que la forte présence des enseignants classiques, peu informés du fonctionnement de l'éducation bilingue, entraînerait une plus grande réticence vis-à-vis de ce système éducatif - c'est d'ailleurs la tendance exprimée par Yaméogo (2004 : 72 ) lui-même lorsqu'il déclare qu'« à l'examen, il ressort que ceux qui ont répondu par la négative ou qui se sont abstenus sont tous issus des écoles classiques » - mais les résultats nous montrent le contraire.

Bien plus, le constat fait par Yaméogo (2004), selon lequel les enseignants les plus réticents à l'éducation bilingue seraient tous issus des écoles classiques n'apparaît pas dans nos résultats qui révèlent, pour leur part, que certes 54% des enseignants classiques mais aussi 30% des enseignants bilingues se disent peu convaincus ou pas du tout convaincus de l'éducation bilingue. Alors comment comprendre ces fortes variations entre nos données et celles de Yaméogo (2008) dans l'intervalle de quelques années ? Les enseignants bilingues

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seraient-ils déjà sous le coup du désenchantement prédit par Cheron (2008) et Nanema (2009) du fait du changement des conditions de gestion des écoles bilingues ?

S'il nous est difficile de donner, ici même, des réponses satisfaisantes à toutes ces interrogations portant sur la mise en oeuvre et le fonctionnement se l'éducation bilingue, nous pouvons néanmoins partager quelques propositions faites par les enseignants pour aider à l'amélioration de ce système éducatif.

7.5 Prospectives

Au nombre des propositions faites par les enseignants pour aider à l'amélioration de l'éducation bilingue, celles qui reviennent le plus se rapportent à l'extension du système éducatif à tout le pays, à l'intensification des formations et à l'accompagnement des enseignants ainsi qu'à la mise en place effective du continuum éducatif.

7.5.1 L'extension du système éducatif bilingue

Si les enseignants proposent que l'on étende le système éducatif bilingue, ils sont

toutefois conscients des difficultés que cela entraînerait en raison de la multiplicité des langues nationales et de la mobilité des populations. Mais ils conditionnent surtout un tel projet à la volonté politique des autorités en charge de l'éducation, comme le signifie bien Manu :

« Si les autorités veulent que l'éducation bilingue soit étendue à tout le pays, eh bien ce sera fait et il faut trouver les moyens conséquents pour accompagner cette innovation! Cela nécessite qu'on revoie la formation du personnel enseignant parce que ne va pas enseigner dans une école bilingue qui veut ! Y a un préalable, il faut former les enseignants, il faut bien entendu le matériel nécessaire, les manuels scolaires...ça un coût, si l'Etat est prêt à mettre les moyens je crois que y a pas de problème! »

La difficulté c'est que l'Etat lui-même semble pris au piège de son jeu ; en effet selon Cheron (2008), le projet d'éducation bilingue serait inscrit dans un programme plus vaste de massification de l'éducation au Burkina financé par les bailleurs de fonds internationaux ; c'est dans ce cadre notamment que s'inscrit le PDDEB. Dans ces conditions, généraliser l'éducation bilingue reviendrait à tourner le dos aux autres partenaires ou à leur dire de

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s'aligner sur le projet de l'OSEO, ce qui apparemment n'est pas envisageable pour l'Etat burkinabè et contraint par le fait même l'éducation bilingue à évoluer timidement.

7.5.2 L'intensification des formations

En vue de l'amélioration du système éducatif bilingue, les enseignants insistent sur la nécessité de mettre en place des formations et un accompagnement des enseignants à tous les niveaux :

Mouboé : « il faut absolument la formation continue des enseignants, les recyclages. Une formation pour 3°,4°,5° année est très insuffisante. Revoir les indemnités à la hausse pour encourager les acteurs du terrain car ce n'est pas vraiment aisé »

Mais il faut noter surtout que ce que réclame les enseignants du point de vue des formations et du suivi des enseignants, c'est un retour au rythme qu'ils connaissaient du temps de l'OSEO, car avec le retrait de cet ONG, les choses semblent tourner au ralenti :

Apollinaire : « Bien former les enseignants (certaines formations sont bâclées) ; accompagner l'éducation bilingue comme au départ : de nos jours elle est de plus en plus abandonnée ».

Ou encore Alioud : « l'Etat propose des choses et c'est sans suivi ; je suis convaincu que si les maîtres étaient motivés par des formations conséquentes, les écoles bilingues feraient plus de fureur (donneront plus de chance aux élèves) ...depuis que l'OSEO s'est retiré, l'Etat n'arrive plus à s'occuper des élèves ».

7.5.3 La mise en place effective du continuum bilingue

D'une manière générale, les enseignants que nous avons interviewés reconnaissent que leurs élèves qui quittent le CM2 arrivent à s'adapter au collège. C'est l'avis de Sayoré : « chez nous y a un problème qui est là, c'est les sites d'or ; sinon nous on a même eu des élèves qui sont allés jusqu'en quatrième, qui ont quitté la quatrième après mais chacun avait au moins 13/20 de moyenne ; y a d'autres aussi qui n'ont pas pu tenir et qui sont revenus ; c'est vraiment une question de volonté ; mais ceux qui sont toujours là tiennent bien ».

Quant à Babil, il est encore plus élogieux à leur endroit :

« Moi j'ai tenu ma première promotion en 2008 ici ; (...) sur 45 élèves que j'ai présentés
il y avait 41 admis soit 97% et à l'entrée en sixième nous avons enregistré 36 admis ; et

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sur les 36 admis j'ai les statistiques cette année et il y a une bonne vingtaine qui se retrouvent en classe de quatrième au CEG de Doudou et je peux dire que mes élèves font partie des meilleurs ; voici des preuves qui montrent que si le travail est bien fait y a pas de problème ; y a des enfants mêmes qui sont venus me dire que leur professeur de Français leur a demandé qui était leur maître ; ils ont donné mon nom et elle a dit qu'elle ne me connaissait pas. C'est pour dire que non, en Français ils sont bons ».

Cependant, malgré ces témoignages qui attestent de la capacité des élèves des écoles bilingues à s'adapter au système éducatif classique, les enseignants insistent pour la mise en place effective du continuum éducatif car il constituerait aux yeux des parents et de l'ensemble de la population une reconnaissance de la qualité et de l'intérêt de l'éducation bilingue. Cette préoccupation des enseignants est résumée en ces termes par Saïdou : « Que les langues nationales soient intégrées au secondaire pour convaincre (...). Des facteurs exogènes ont besoin de jouer à l'encouragement du système. Tant qu'aucune langue ne sera enseignée au secondaire, le bilingue à l'école primaire restera aux yeux des parents un tâtonnement local ».

D'autres propositions moins récurrentes ont trait à la prise en compte des langues nationales dans les évaluations et la formation de tous les enseignants à la pédagogie de l'éducation bilingue.

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CONCLUSION

Le choix que nous avons fait de nous pencher sur le rapport des enseignants aux langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement a été motivé par le constat des difficultés qu'éprouvent le système éducatif bilingue à s'étendre selon le rythme et les espaces tels qu'envisagés par ces concepteurs et les autorités en charge de l'éducation au Burkina Faso.

Face aux nombreuses hypothèses qui sont aujourd'hui mises en avant pour expliquer cet état de fait, à savoir la situation de diglossie que connait le Burkina Faso ou la surévaluation du succès et de l'adhésion à l'éducation bilingue par l'OSEO, nous avons voulu savoir comment les enseignants, au-delà de toutes ces conjectures, se situaient par rapport à ce système éducatif ? Sont-ils influencés par les effets de la diglossie, sont-ils réticents ou convaincus de l'efficacité des langues nationales à servir de médium et de matières d'enseignement ?

Pour répondre à ces questionnements, nous sommes partis de l'hypothèse que les enseignants étaient plutôt réticents sur la pertinence et l'efficacité du système éducatif bilingue ; nous avons ensuite cherché à vérifier cette hypothèse à travers trois axes de recherches : leur rapport aux langues nationales, leur rapport au rôle disciplinaire des langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement et enfin leur rapport à l'éducation bilingue de façon générale, dans sa situation présente et à venir.

Les données que nous avons recueillies à travers les enquêtes quantitatives et qualitatives réalisées sur le terrain, auprès des 131 individus de notre échantillon, nous ont ensuite permis de procéder à une analyse descriptive et explicative du rapport des enseignants à l'éducation bilingue. Au regard de nos hypothèses, les résultats obtenus peuvent paraître surprenants :

- sur le plan de leur rapport aux langues nationales, il ressort que les enseignants témoignent d'un intérêt certain pour les langues nationales en raison de la maîtrise et de l'investissement dont elles sont l'objet ; toutefois, on ne peut manquer de souligner que c'est un intérêt qui est beaucoup plus guidé par les besoins du métier d'enseignant bilingue plutôt que par une conviction personnelle.

- En ce qui concerne le rapport aux langues nationales utilisées comme médium et matières d'enseignement, les résultats ne permettent pas d'affirmer que les enseignants sont sous le coup de la diglossie comme nous l'avions supposé ; même s'ils admettent que

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l'utilisation des langues nationales comme disciplines d'enseignement entraine des effets néfastes sur les apprentissages, ou qu'elle a besoin d'être perfectionnée sur certains plans, ils reconnaissent malgré tout leur efficacité et leurs performances sur le plan didactique.

- Enfin, par rapport à l'intérêt scolaire et social de l'éducation bilingue en elle-même, les enseignants se montrent convaincus mais inquiets de la manière dont est gérée cette innovation pédagogique et plus précisément de son avenir.

En conclusion de tous ces constats, nous osons affirmer que notre hypothèse de recherche qui stipulait que les enseignants sont réticents vis-à-vis de l'enseignement bilingue est partiellement confirmée ; elle est confirmée dans la mesure où les enseignants sont effectivement réticents, mais partiellement car cette réticence ne porte pas sur la capacité des langues nationales à servir de médiums et de matières d'enseignement mais sur les aspects structurels et organisationnels.

Au-delà et en conséquence de ces résultats, notre recherche nous motive à approfondir deux questions essentielles : le positionnement des autorités à qui les enseignants reprochent leur manque d'engagement et leur indécision vis-à-vis de l'éducation bilingue et la question des interférences qui revient de façon récurrentes dans les difficultés d'ordre didactique liées à l'éducation bilingue :

-La position des autorités

A l'examen des propositions faites par les enseignants pour permettre un meilleur essor de l'éducation bilingue, il apparait que ce qui préoccupe les enseignants c'est moins la question des objets d'enseignement liés à l'utilisation des langues nationales comme médium et matières d'enseignement que la gestion de l'innovation pédagogique elle-même ; cela rejoint largement la conclusion à laquelle nous étions parvenus dans nos résultats, à savoir que si les enseignants sont réticents vis-à-vis de l'éducation bilingue, ce n'est pas en raison de l'inefficacité des contenus d'enseignement mais bien plus à cause de son mode de fonctionnement. Tout fonctionne comme si les autorités en charge de l'éducation étaient encore indécises sur le sort de l'éducation bilingue, comme s'il subsistait des non-dits qui les empêchent d'avoir les coudées franches pour agir. Bamogo résume en quelque sorte ce malaise :

« Depuis le début de l'implantation de l'école bilingue jusqu'à maintenant, tous les ministres qui sont passés étaient d'accord, réellement convaincus de la nécessité de faire

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le bilingue ,
· mais pourquoi jusqu'à présent ils ne font rien, pourquoi ça ne fait que régresser? Ça régresse mais ça ne progresse pas ,
· s'il y a des écoles qui renoncent et qui repartent dans le classique là, c'est que ça régresse ,
· mais ils ne vont jamais le dire officiellement ».

Cette indécision est-elle liée au fait que les autorités ne croient pas réellement à l'efficacité de l'éducation bilingue, à la question de la diversité des partenariats et enjeux financiers évoqués par Cheron (2008) ou est-ce simplement parce qu'ils auraient senti que ce système éducatif ne correspond pas aux besoins de la population ?

Sur cette dernière question, Nanema (2009) avait déjà montré que contrairement aux affirmations de l'OSEO, certaines communautés ne choisissaient pas l'école bilingue par conviction mais parce qu'elles avaient besoin d'une école ; dans le même ordre d'idées, nous avons parfois senti, à travers les discours des enseignants, que les préoccupations des parents pour l'éducation de leurs enfants pouvaient être en décalage avec les contenus de l'éducation bilingue. Dans le contexte de la mondialisation, certains parents semblent plus portés à offrir à leurs enfants des chances de maîtriser les langues parlées à l'échelle internationale que locale. Cette situation qui renvoie d'une certaine manière à la diglossie est bien décrite par Sayoré ; parlant des hésitations de l'Etat et des parents, il disait :

« Chacun veut que son enfant parle correctement le Français ,
· dès le CP1 même avant le CP2, on veut que quand le tonton va venir qu'il puisse quand même dire : "tonton ça va ?". "D nâ n mâana wana ?"14, on n'a pas le choix ! Voilà pourquoi on ne parle pas mooré avec les enfants à la maison ,
· quelqu'un qui ne veut pas qu'on parle mooré à son enfant, est-ce que ce « gars » là va aller inscrire son enfant dans une école bilingue ? Ce n'est pas possible ! »

Ce décalage de certains bilinguismes avec la réalité avait déjà été dénoncé par Castellotti, Coste et Moore (2001 : 102) en ces termes :

« La réflexion en didactique des langues qui raisonne encore essentiellement sur l'apprentissage d'une langue étrangère en relation avec une autre considérée comme maternelle s'inscrit en décalage à la fois des situations de plurilinguisme de plus en plus complexes que marque l'expression des circulations économiques, culturelles et

14 Expression en langue nationale mooré qui signifie : « Comment allons-nous faire ? »

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professionnelles et des nouveaux besoins d'apprentissages, dès l'école de non plus une mais plusieurs langues étrangères plus ou moins proches ».

L'idée émise par la Ministre de l'Education Nationale d'introduire l'enseignement de l'anglais au primaire, alors même que la question des langues nationales n'est pas encore résolue, n'est-elle pas d'une certaine manière une prise de conscience de ce décalage ? (cf Burkina 24, quotidien en ligne du 10/02/2014).

Tout bien considéré, il nous semble que pour lever les réticences des enseignants sur l'avenir de l'éducation bilingue et motiver leur engagement, cette posture des décideurs politiques et plus particulièrement, ceux en charge de l'éducation au Burkina constitue une piste de recherche à entreprendre.

- La question des interférences

Dans un domaine plus strictement didactique, il est apparu, au regard de nos résultats, que les interférences constituaient le handicap principal lorsqu'il s'agit de procéder au transfert des apprentissages des langues nationales au Français. Mackey (1982 : 48) définit l'interférence comme suit : « par interférence nous entendons l'utilisation des éléments d'une langue dans le discours d'une autre langue ; cela comprendra, dans notre contexte, la manifestation des caractères de la langue première sur le parler et les écrits des apprenants de la langue seconde ». Dans le contexte de l'éducation bilingue au Burkina Faso, les interférences portent notamment sur l'influence des effets des langues nationales sur le Français, au point que cela constitue parfois une source de complexe pour les élèves bilingues qui hésitent à parler en présence de leurs camarades des écoles classiques. A ce niveau, et pour rassurer les enseignants et les parents d'élèves, nous estimons également qu'un travail didactico-linguistique portant notamment sur les contenus d'enseignement dans les écoles bilingues pourrait être envisagé afin d'anticiper et d'atténuer les effets de ces interférences sur les enseignements et les apprentissages.

116

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ISTE DES SIGLES

Liste des sigles

Significations

ALFA

Apprentissage de la Langue Française par les acquis de l'Alphabétisation

APPC

Activités Pratiques productives et Culturelles

BEPC

Brevet d'Etudes du Premier Cycle

CAP

Certificat d'Aptitude Professionnel

CE

Cours Elémentaire

CEB

Circonscription d'Education de Base

CEBNF

Centre d'Education de Base Non Formelle

CEG

Collège d'Enseignement Général

CEPE

Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires

CFPP

Centre de Formation Pédagogique et Pastorale

CM

Cours Moyen

CMS

Collèges Multilingues Spécifiques

CP

Cours Préparatoire

DEP/MENA

Direction des Etudes et de la Planification du MENA

DGEB

Direction Générale de l'Enseignement de Base

DGESG

Direction Générale de l'Enseignement Secondaire Général

DPEBA

Direction Provinciale de l'Enseignement de Base et de l'Alphabétisation

DREBA

Direction Régionale de l'Enseignement de Base et de l'Alphabétisation

3E (EEE)

Espace d'Eveil Educatif

ENEP

École Nationale des Enseignants du Primaire

ENSK

École Normale Supérieure de Koudougou

EPT

Éducation Pour Tous

ES

Écoles Satellites

ESSRS

Enseignements Secondaires Supérieurs et de la recherche scientifique

IEPD

Inspecteur de l'Enseignement du Premier Degré

MASSN

Ministère de l'Action Sociale et de la Solidarité Nationale

MENA

Ministère de l'Education Nationale

MESSRS

Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique

OCDE

Organisation de Coopération et de Développement Economique

OMD

Objectifs du Millénaire pour le Développement

ONG

Organisation Non Gouvernementale

ONTB

Office National du Tourisme Burkinabè

OSEO

OEuvre Suisse d'Entraide Ouvrière

PDDEB

Plan Décennal de Développement de l'Education de Base

PDSEB

Programme de Développement Stratégique de l'Education de Base

RGPH

Recensement Général de la Population Humaine

UNESCO

Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture

124

ANNEXES (voir tome 2)

Sommaire des annexes

ANNEXE N° 1 : LETTRE CIRCULAIRE Error! Bookmark not defined.

ANNEXE N° 2 : CURRICULA DES ECOLES BILINGUES Error! Bookmark not defined.

ANNEXE N°3 : QUESTIONNAIRE Error! Bookmark not defined.

ANNEXE N°4 : GRILLE D'ENTRETIEN Error! Bookmark not defined.

ANNEXE N°5 : La SITUATION DES ECOLES BILINGUES SELON LES LANGUES NATIONALES

EN USAGE Error! Bookmark not defined.

ANNEXE N°6 : PLAN DE CODAGE Error! Bookmark not defined.

ANNEXE N°7 : EXEMPLAIRE DES REPONSES AU QUESTIONNAIRE Error! Bookmark not

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ANNEXE N° 8 : PRESENTATION DE L'INTEGRALITE DES DONNEES SOUS FORME DE

TABLEAUX OU GRAPHIQUES Error! Bookmark not defined.

ANNEXE N° 9 : RETRANSCRIPTION DES ENTRETIENS Error! Bookmark not defined.

125

TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS II

126

S0MMAIRE III

INTRODUCTION 1

CHAPITRE 1 : CONTEXTE DE L'ETUDE 4

1.1 Présentation du Burkina Faso 4

1.1.1 Situation physique, historique et économique 4

1.1.2 Le contexte démographique 5

1.1.3 Un pays multiethniques 6

1.2 Présentation du système éducatif burkinabè 8

1.2.1 La structuration de l'éducation au Burkina 8

1.2.2 Les performances de l'éducation au Burkina 9

1.2.3 Quelques causes explicatives des contreperformances du système éducatif burkinabè 13

CHAPITRE 2 : LA PROBLEMATIQUE DE L'INTRODUCTION DES LANGUES NATIONALES

DANS L'EDUCATION 17

2.1 Les obstacles à l'introduction des langues nationales dans l'éducation 18

2.1.1 Les enjeux politiques 18

2.1.2 Les intérêts des anciennes colonies 19

2.1.3 Les représentations et attitudes sur les langues 20

2.2 L'éducation bilingue comme alternative à la problématique de l'introduction des

langues nationales dans l'éducation 21

2.2.1 Typologie de l'éducation bilingue 21

2.3 L'éducation bilingue au Burkina Faso 25

2.3.1 La genèse de l'éducation bilingue Error! Bookmark not defined.

2.3.2 Le bilinguisme pratiqué au Burkina 27

2.3.3 La mise en place des écoles bilingues 29

2.4 L'éducation bilingue, une alternative à l'éducation classique Error! Bookmark

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CHAPITRE 3 : DES RAISONS DE S'INTERROGER 35

3.1 L'école bilingue, la fabrication d'un succès 35

3.2 La situation de diglossie au Burkina Faso 37

3.3 Hypothèses de recherche 40

127

3.4 Justifications 41

CHAPITRE 4 : LE CADRE DE REFERENCE 44

4.1 Le « rapport à » comme fondement du rapport au savoir 44

4.2 Ancrage disciplinaire 45

4.1.1 L'approche socio-anthropologique 45

4.1.2 L'approche psychanalytique 47

4.1.3 L'approche anthropologique de Chevallard 49

4. 3 Autres concepts principaux 50

4.3.2 La notion de « représentations » 50

4.3.3 La conscience disciplinaire 51

4.3 Opérationnalisation de la problématique et du cadre théorique 52

CHAPITRE 5 : NOS CHEMINS D'INVESTIGATIONS 55

5.1 La démarche de recueil des données 55

5.1.1 La démarche méthodologique adoptée 55

5.1.2 Les techniques de recueil de données 56

5.1.3 L'échantillonnage 57

5.1.4 Conditions de recueil des données 58

5.1.5 Difficultés 59

5.2 Le traitement des données 60

5.2.1 Traitement des données quantitatives 60

5.2.2 Traitement des données qualitatives 60

5.2.3 Méthodes d'analyse des données 61

CHAPITRE 6 : ANALYSE DESCRIPTIVE DES DONNEES 63

6.1 Quelques éléments portant sur le profil des enseignants 63

6.2 L'intérêt pour les langues nationales 66

6.2.1 La connaissance des langues nationales et du langage scolaire 66

6.2.2 Investissement des langues nationales 69

6.3 Intérêt disciplinaire des langues nationales 71

6.3.1 Utilité des langues nationales employées comme matières d'enseignement 71

6.3.2 Utilité des connaissances prodiguées par l'utilisation des langues nationales 73

128

6.3.3 Les effets des langues nationales, utilisées comme matières d'enseignement, sur les autres

matières 74

6.4 Intérêt et conviction des enseignants pour l'éducation bilingue 79

6.4.1 Intérêt scolaire et socioculturel de l'éducation bilingue 79

6.4.2 Conviction des enseignants pour l'éducation bilingue 83

6.4.3 Sentiments des enseignants vis-à-vis de l'éducation bilingue 86

CHAPITRE 7 : INTERPRETATION DES DONNEES 90

7.1 Synthèse des résultats 90

7.1.1 Connaissance et investissement des langues 90

7.1.2 Intérêt disciplinaire des langues nationales 90

7.1.3 Intérêt et conviction des enseignants pour l'éducation bilingue 91

7.2 Interprétation des résultats au regard de notre problématique et de nos

hypothèses 92

7.2.1 Interprétation des résultats selon la première hypothèse spécifique 92

7.2.2 Interprétation des résultats selon la seconde hypothèse spécifique 95

7.2.3 Interprétation des résultats selon la troisième hypothèse spécifique 99

7.2.4 Les enseignants face à la diglossie 104

7.3 Interprétation au regard du cadre théorique 105

7.4 La portée des résultats 107

7.4.1 Le profil des enseignants 107

7.4.2 Conviction des enseignants par rapport à l'éducation bilingue 108

7.5 Prospectives 109

7.5.1 L'extension du système éducatif bilingue 109

7.5.2 L'intensification des formations 110

7.5.3 La mise en place effective du continuum bilingue 110

CONCLUSION 112

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 116

ANNEXES (voir tome 2) 124

129

RESUME

L'objet de cette étude porte sur le rapport des enseignants aux langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement dans l'éducation bilingue au Burkina Faso. L'enjeu de cette question tient au fait que l'éducation bilingue, comme innovation pédagogique au Burkina Faso, est appelée à se développer dans un contexte fortement marqué par la diglossie où les langues nationales ne jouissent pas toujours des préjugés les plus favorables à leur usage comme matières dans l'enseignement. Faisant l'hypothèse que les enseignants qui sont issus de ce contexte pourraient être eux aussi gagnés par la réticence et conscient de leur rôle incontournable dans la mise en oeuvre de cette innovation pédagogique, nous avons voulu comprendre quel était leur posture dans ce système éducatif. Pour y parvenir, nous avons mis en oeuvre une démarche méthodologique de type mixte comprenant un questionnaire et des entretiens complémentaires. Les résultats montrent que les enseignants sont effectivement réticents mais l'objet de la réticence ne porte pas primordialement sur les objets d'enseignement comme nous l'avions envisagé ; si les enseignants sont réticents c'est avant tout en raison des hésitations et des incertitudes qui jalonnent la conduite du projet. Cette étude nous donne de comprendre que si des choses restent à améliorer au plan didactique dans l'éducation bilingue, les obstacles à son extension sont à chercher ailleurs.

Mots clés : Burkina Faso, Education bilingue, Ecole bilingue, Enseignement bilingue, Education classique, Ecole classique, langue nationale, langue maternelle, diglossie, système éducatif, Enseignant, rapport au savoir.






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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle