ANNEE ACADEMIQUE 2013-2014
UFR DEVELOPPEMENT SOCIAL, EDUCATION, CULTURE, COMMUNICATION,
INFORMATION, DOCUMENTATION (DECCID)
DEPARTEMENT DES SCIENCES ET METIERS DE L'EDUCATION, DE
L'ENSEIGNEMENT ET DE LA FORMATION (SMEEF)
SPECIALITE
DIDACTIQUES, ENSEIGNEMENT ET FORMATION DE FORMATEUR (DEFF)
PARCOURS
DIDACTIQUES, ENSEIGNEMENT ET APPRENTISSAGES (DEA)
MEMOIRE DE MASTER 2 RECHERCHE
THEME : Le rapport des enseignants aux langues
nationales, en tant que médiums et matières
d'enseignement, dans l'éducation bilingue au Burkina Faso
Présenté par : Sous la direction de :
ZOUNGRANA Monsieur Yves Reuter
Bouinzemwende Wenceslas
Septembre 2014
II
REMERCIEMENTS
La rédaction de ce travail de recherche n'aurait
certainement pas été possible sans le concours de certaines
personnes que je tiens à nommer et à remercier personnellement
ici. Mon merci va à l'endroit de mon directeur de recherche,
Monsieur Yves Reuter professeur des universités, qui m'a
guidé, conseillé et encouragé dans la
réalisation de ce travail.
Je remercie Monseigneur Justin KIENTGA, grâce à qui
j'ai pu réaliser les études en sciences de l'éducation et
qui par l'intérêt dont il témoigne pour l'éducation
a su me motiver à donner le meilleur de moi-même.
Je tiens à remercier également tous les enseignants
qui ont pris de leur temps pour répondre avec soin à mon
questionnaire ou qui se sont rendus disponibles pour les entretiens. Je vous
suis très reconnaissant car sans vous ce travail n'aurait pas abouti.
Je remercie enfin tous mes confrères, frères et
amis qui m'ont
prêté un coup de main dans la collecte des
données ou dans la recherche de la documentation.
« Nôog sâ n kùm bi y reeg beogo !
»
(Je vous suis très reconnaissant !)
III
S0MMAIRE
REMERCIEMENTS II
S0MMAIRE III
INTRODUCTION 1
CHAPITRE 1: CONTEXTE DE L'ETUDE 4
1.1 Présentation du Burkina Faso 4
1.2 Présentation du système éducatif
burkinabè 8
CHAPITRE 2 : LA PROBLEMATIQUE DE L'INTRODUCTION DES
LANGUES NATIONALES
DANS L'EDUCATION 17
2.1 Les obstacles à l'introduction des langues nationales
dans l'éducation 18
2.2 L'éducation bilingue comme alternative à la
problématique de l'introduction
des langues nationales dans l'éducation 21
CHAPITRE 3 : DES RAISONS DE S'INTERROGER
35
3.1 L'école bilingue, la fabrication d'un succès
35
3.2 La situation de diglossie au Burkina Faso 37
3.3 Hypothèses de recherche 40
3.4 Justifications 41
CHAPITRE 4 : 44
LE CADRE DE REFERENCE 44
4.1 Le « rapport à » comme fondement du rapport
au savoir 44
4.2 Ancrage disciplinaire 45
4. 3 Autres concepts principaux 50
4.3 Opérationnalisation de la problématique et du
cadre théorique 52
CHAPITRE 5 : NOS CHEMINS D'INVESTIGATIONS
55
5.1 La démarche de recueil des données 55
IV
5.2 Le traitement des données 60
CHAPITRE 6 : ANALYSE DESCRIPTIVE DES DONNEES
63
6.1 Quelques éléments portant sur le profil des
enseignants 63
6.2 L'intérêt pour les langues nationales 66
6.3 Intérêt disciplinaire des langues nationales
71
6.4 Intérêt et conviction des enseignants pour
l'éducation bilingue 79
CHAPITRE 7 : INTERPRETATION DES DONNEES ET
PROSPECTIVES 90
7.1 Synthèse des résultats 90
7.2 Interprétation des résultats au regard de notre
problématique et de nos
hypothèses 92
7.3 Interprétation au regard du cadre théorique
105
7.4 La portée des résultats 107
7.5 Prospectives 109
CONCLUSION 112
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 116
ANNEXES (voir tome 2) 124
RESUME 128
1
INTRODUCTION
« Les progrès des sciences assurent les
progrès de l'art d'instruire, qui eux-mêmes
accélèrent ensuite ceux des sciences ; et cette influence
réciproque, dont l'action se renouvelle sans cesse, doit être
placée au nombre des causes les plus actives, les plus puissantes du
perfectionnement de l'espèce humaine. » (Condorcet, 1793-1794
: 215). Cette réflexion de Condorcet qui fait de
l'éducation de base la pierre d'angle de tout l'édifice
éducatif et du progrès traduit à quel point
l'éducation joue un rôle incontournable dans le
développement humain, et combien la recherche de solutions nouvelles
pour la rendre meilleure est toujours au centre des préoccupations des
chercheurs. Cette influence de l'éducation sur le développement
est si prégnante que partout, ceux qui sont en charge de sa gestion
n'ont de cesse de chercher les voies et moyens pour la rendre plus accessible
et plus efficace dans la transmission des savoirs. Au Burkina Faso, c'est une
telle préoccupation qui a conduit les gouvernants à
expérimenter et à mettre en place le système
éducatif bilingue.
Le système éducatif bilingue actuellement en
pratique au Burkina Faso est une innovation pédagogique qui a vu le jour
suite aux états généraux de l'éducation tenus en
1994. Ces états généraux avaient fait le constat des
limites, voire même de l'échec de l'éducation classique
utilisant le Français comme langue unique de scolarisation. Les raisons
de cet échec se rapportent entre autres au fait que l'utilisation du
Français, langue non maternelle des élèves et
parlée couramment par une minorité (10 à 15% de la
population à l'époque), comme médium des enseignements,
constituait un sérieux handicap à l'appropriation des contenus
disciplinaires par les apprenants.
Suite à ce constat et à la recommandation faite
par les états généraux de l'éducation d'utiliser
les langues nationales comme médiums d'enseignement et aussi en tenant
compte des nombreuses expériences déjà entreprises dans ce
domaine par les acteurs de l'éducation non formelle, l'Etat, par le
biais du ministère de l'Enseignement de Base, va prendre à coeur
cette préoccupation en soutenant une expérience
d'éducation bilingue initiée par une ONG suisse, l'oeuvre suisse
d'entraide ouvrière. Lorsqu'en 2002, l'évaluation de cette
expérimentation est jugée positive, le Ministère de
l'enseignement de Base publie une circulaire qui autorise les parents et les
écoles qui le souhaitent à demander la transformation des
écoles classiques de leurs localités en écoles bilingues.
A la suite de cette opération et selon les statistiques du
ministère de l'enseignement de base de l'année scolaire
2010-2011, le Burkina comptait 114 écoles bilingues sur un total de 10
796 écoles. Parmi ses 114 écoles,
2
95 étaient des écoles publiques et les 19 autres
des écoles privées relevant pour la majorité de
l'enseignement catholique qui a fortement soutenu le projet.
La principale innovation dans ce modèle
pédagogique qui dure 5 ans au lieu de 6 ans (pour le classique), c'est
l'utilisation de la langue maternelle ou langue première de l'enfant
comme médium et matières d'enseignement.
Si aujourd'hui l'efficacité du système
d'éducation bilingue semble admise sur le plan didactique, il n'en
demeure pas moins vrai qu'il subsiste, malgré tout, des lenteurs ou des
réticences du côté des parents à transformer leurs
écoles classiques en écoles bilingues ; de telles attitudes
témoignent, à notre sens, des nombreuses appréhensions
avec lesquelles ils envisagent l'avenir de cette innovation pédagogique.
En effet, outre le fait que ce système éducatif voit le jour au
milieu d'une soixantaine de langues nationales, on ne peut ignorer le fait
qu'il est appelé à se développer dans un contexte dit
diglossique où les langues nationales ne jouissent pas
nécessairement de préjugés favorables à leur
utilisation comme médium et matières d'enseignement. A tout cela
s'ajoutent les nombreuses critiques formulées à l'encontre de la
manière dont a été conduite l'expérimentation,
notamment son instrumentalisation par les partenaires du projet.
Ayant fait quelque peu l'expérience des
difficultés inhérentes à la mise en oeuvre de cette
innovation pédagogique et étant nous-même habité par
le souci de l'amélioration du système éducatif
burkinabè, nous nous interrogeons particulièrement sur la posture
des enseignants dans un tel contexte. L'objet de notre étude n'est pas
d'engager une polémique sur la qualité didactique,
pédagogique ou socio-anthropologique de l'éducation bilingue au
Burkina Faso. La préoccupation qui nous guide, c'est de comprendre le
rapport des enseignants aux langues nationales qui sont utilisées comme
médium et matières d'enseignement dans l'éducation
bilingue, c'est-à-dire la manière dont ils appréhendent
ces objets d'enseignement en tant que premiers acteurs du système
éducatif.
Une telle recherche présente à notre sens un
triple intérêt : d'une part elle permettra à la
communauté scientifique de mieux investir un domaine non encore bien
exploré ; en effet, si l'éducation bilingue a fait l'objet de
nombreux travaux au Burkina Faso, la question proprement dite du rapport aux
langues nationales utilisées comme médiums et matières
d'enseignement reste à investiguer. D'autre part, étudier le
rapport des enseignants aux langues nationales nous permettra sans doute de
mieux les situer par rapport au reste de la
3
population dans le contexte de la diglossie. Enfin, nous
estimons que comprendre le rapport des enseignants à l'éducation
bilingue permettra non seulement aux enseignants eux-mêmes de mieux
réfléchir à leurs pratiques mais aussi aux formateurs de
mieux les prendre en compte dans les modules de formation.
Pour mener à bien notre recherche, nous nous adossons
au cadre de la théorie anthropologique du rapport au savoir d'Yves
Chevallard qui met en jeu les interactions entre les institutions ainsi que les
sujets et les objets qu'elles contiennent dans le processus de construction du
savoir. Par ailleurs la méthodologie de recherche de type mixte,
quantitative et qualitative que nous adoptons nous permettra de procéder
à une analyse descriptive de la situation du rapport aux langues
nationales des enseignants par les données quantitatives d'une part et
de mieux cerner leurs représentations sur ces langues nationales par le
biais des données qualitatives d'autre part.
Dans un souci de cohésion, notre réflexion sera
articulée selon la démarche suivante : après avoir
présenté le contexte de l'étude, nous déroulerons
la problématique relative à l'utilisation des langues nationales
dans l'éducation et à la mise en place de l'éducation
bilingue. Cette base contextuelle et théorique nous permettra de
définir les cadres théoriques et méthodologiques qui
baliseront notre étude et sous l'angle desquels seront exposés
les principaux résultats et l'interprétation dont ils feront
l'objet.
CHAPITRE 1 :
CONTEXTE DE L'ETUDE
4
1.1 Présentation du Burkina Faso
1.1.1 Situation physique, historique et
économique
Situé en plein coeur de l'Afrique de l'ouest et
doté d'une superficie de 274 200 km2, le Burkina Faso compte
une population de près de 14 millions d'habitants selon le dernier
recensement général de la population de 2006. Il est
limité au Nord et à l'Ouest par le Mali, au Sud par la Côte
d'Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin et à l'Est par le Niger.
Sur le plan administratif, le pays compte 13 régions, 45 provinces, 351
départements, 49 communes urbaines, 302 communes rurales et plus de 8500
villages.
Carte n°1 : divisions administratives du territoire
burkinabè
C'est en 1888 que commence l'exploration du territoire du
Burkina Faso avec l'arrivée de l'expédition menée par le
capitaine Binger1. Huit années plus tard, l'entrée
des
1Le capitaine Louis-Gustave Binger (1856-1936) est un
officier français et un explorateur de l'Afrique de l'ouest
5
troupes de la colonne Voulet-Chanoine2 à
Ouagadougou, suivie de l'exil du Moogho-Naaba Wobgo3, marque le
début de l'ère colonial dans ce territoire. Toutefois, ce n'est
qu'en 1919 que la Haute-Volta est constituée officiellement colonie
française et ce jusqu'en 1932 où elle est démembrée
et rattachée au Mali, au Niger et à la Côte d'Ivoire en
raison de son enclavement et pour servir de main d'oeuvre dans ces pays.
Cependant, après la seconde guerre mondiale et sur insistance du Moogho
Naaba Koom, le pays sera rétabli dans ces frontières initiales en
1947 puis accèdera à l'indépendance en 1960.
Depuis son accession à l'indépendance en 1960,
le Burkina Faso a connu une histoire politique tourmentée en raison de
l'instauration d'une succession de régimes d'exceptions. Le plus
marquant de ces régimes est sans doute l'avènement du Conseil
National de la Révolution (CNR) du capitaine Thomas Sankara, de 1983
à 1987. C'est d'ailleurs sous ce régime que, de sa
désignation coloniale de Haute Volta, le pays sera rebaptisé du
nom de Burkina Faso ou pays des hommes intègres. En 1991, le Burkina
Faso va toutefois renouer avec la culture de la démocratie. Ce vent de
renouveau démocratique a été bénéfique car
il a favorisé l'éclosion de la liberté d'expression, de
l'initiative privée dans divers secteurs de la vie nationale notamment
celui de l'éducation (Sources : Madiega Y. G., Nao O., 2006)
Pays sahélien enclavé et pratiquement
dépourvu de matières premières, le Burkina Faso dont
l'économie est essentiellement basée sur l'agriculture et
l'élevage est confronté aux aléas climatiques et fortement
dépendant des institutions financières internationales.
Malgré les nombreux efforts déployés pour
garantir l'éducation à tous, le pays connaît aujourd'hui
encore de grandes difficultés pour garantir l'éducation à
tous ses fils et filles, avec notamment une grande disparité dans la
scolarisation entre le milieu rural et le milieu urbain.
1.1.2 Le contexte démographique
Le dernier recensement général de la population
et de l'habitation de 2006 (RGPH) a permis d'estimer la population du Burkina
Faso à 14 017 262 habitants dont 51,7% de femmes et 48,3% d'hommes. La
majorité de la population (77,3%) vit en milieu rural.
Le taux de croissance annuelle moyen de la population est de
3,1% entre 1996 et 2006 contre 2,38% entre 1985 et 1996 et 3,5%. Cette forte
croissance de la population est due à la
2 La colonne Voulet-Chanoine est une
expédition française de conquête coloniale menée par
le capitaine Paul Voulet et le lieutenant Julien Chanoine de 1896 à
1899.
3 Le Moogho Naaba est le chef suprême des «
moosse », l'ethnie majoritaire au Burkina Faso.
baisse du taux de mortalité et à une
fécondité toujours élevée (le nombre moyen
d'enfants par femme étant de 6,2).
1.1.3 Un pays multiethniques
Le dictionnaire Larousse définit l'ethnie comme
étant un : « groupement humain qui possède une structure
familiale, économique et sociale homogène, et dont l'unité
repose sur une communauté de langue, de culture et de conscience de
groupe ». cette définition qui laisse entendre que les ethnies
se déterminent par des critères familiaux, linguistiques et
socio-économiques est bien caractéristique de la situation de la
population du Burkina Faso qui est composée d'une soixantaine d'ethnies.
Les Mossis constituent l'ethnie majoritaire (environ 53 %) et vivent dans le
centre du pays. Les autres groupes importants sont : à l'est, les
Gourmantchés (7 % de la population) ; au nord, les Peuls
(7,8 %) ; au sud, les Bissas (3%) et les Gourounsis (6
%) ; au sud-ouest les Samos (2 %), les Markas (1,7 %), les
Bobos (1,6 %), les Sénoufos (2,2 %) et les Lobis
(2,5 %).
Carte n°2 : Répartition traditionnelle des
principales communautés du Burkina Faso
Cette répartition de la population n'est cependant pas
figée. On assiste à un fort brassage entre ethnies ; en outre,
toutes ces ethnies, malgré leur diversité vivent en symbiose,
6
7
partagent un fond culturel commun et sont
généralement réparties en quatre grands groupes que sont
:
· les communautés les plus anciennement
installées composées des bobos, des bwas, des
kurumbas, des gourounsis, des pougoulis, des
sénoufos, des turkas, des gouins, des
lobis, des gans, des doroyes et des
vigués;
· les populations néo soudaniennes
composées des mossis, des gourmantchés, des
sonraïs et des yarsés ;
· les populations Mandé regroupant les
markas, les samos, les bissas ;
· les populations du Sahel qui comptent les
peulhs, les touaregs ; (Sources : Office National du Tourisme
Burkinabè : ONTB)
En rapport avec cette caractéristique de la population
burkinabè, un certain nombre d'études ont montré qu'il
existait un lien assez étroit entre origine ethnique et comportement
vis-à-vis de l'école. Ainsi, dans son étude sur la
déscolarisation des filles au Burkina Faso, les recherches de Guison
(2004) avaient révélé que les filles issues des familles
senoufo, gourounsi, bobo ou samo avaient
moins de risque d'abandonner l'école que celles issues des familles
mossi. De même, elle avait trouvé que les filles
peules et dioulas étaient beaucoup plus sujettes
à l'abandon que les fillettes Gourmantchés.
De son côté, les études de
Jean-François Kobiane et Marc Pilon (2008) sur les facteurs
socioculturels ont très clairement montré qu'au Burkina trois
ethnies étaient faiblement scolarisées par rapport aux autres ;
il s'agit des Peuls, des Lobis et des Gourmantchés. Les auteurs
expliquent cet état de fait par des paramètres historiques,
politiques, économiques et religieux. Allant dans le même sens,
Sanou (1995), pour sa part, en appelle, pour une meilleure compréhension
des déterminants ethniques, à un examen plus approfondi afin de
se rendre compte des interactions socioculturelles, car dit-il : « on
a l'impression d'avoir affaire à un « trou noir » par lequel
les populations passent pour adopter des comportements « bizarres »,
en tout cas non cartésiens » Sanou (1995), cité par
Kobiane et Pilon (2008 :1002).
8
1.2 Présentation du système
éducatif burkinabè
1.2.1 La structuration de l'éducation au
Burkina
La Loi d'orientation de l'éducation, promulguée
en 2007, distingue quatre composantes du système éducatif :
l'éducation formelle, l'éducation non formelle,
l'éducation informelle et l'éducation spécialisée.
Toutefois, dans la pratique, cette structuration encore marquée par
l'héritage colonial est fortement calquée sur celle de l'ancienne
métropole française. On distingue, de ce fait, l'éducation
de base, l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur.
- l'éducation de base : elle est
constituée de l'éducation préscolaire, primaire et
post-primaire. Il est à noter que le préscolaire concerne les
enfants de 3 à 6 ans et comporte un cycle unique de 3 ans.
L'enseignement primaire quant à lui comprend trois cours de deux ans
chacun : les cours préparatoires (CP1 et CP2), les cours
élémentaires (CE1 et CE2) et les cours moyens (CM1 et CM2) et
concerne les enfants de 7 à 13 ans. La fin du cycle primaire est
sanctionnée par le Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires
(CEPE), diplôme obtenu à l'issue d'un examen national. A la fin de
ce deuxième niveau de l'éducation de base, l'élève
devra, sur la base d'une orientation scolaire ou professionnelle, opter entre
l'enseignement général et l'enseignement technique et
professionnel.
L'enseignement post-primaire fait suite à
l'enseignement primaire et doit conduire l'élève à
atteindre les finalités attendues de l'éducation de base,
à savoir la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans. Il a une
durée de 4 ans et est sanctionné par le Brevet d'Etudes du
Premier Cycle (BEPC) pour l'enseignement général, et par le
Certificat d'Aptitude Professionnelle (CAP) pour l'enseignement technique et la
formation professionnelle. Au terme du post-primaire, l'élève
pourra, sur la base d'une orientation scolaire ou professionnelle, opter entre
la formation professionnelle proprement dite et la poursuite des études
dans l'enseignement général.
Toujours dans le registre de l'éducation de base, on
compte aussi l'éducation non formelle ; selon la loi d'orientation de
2007, elle désignerait, toutes les activités
d'alphabétisation, de formation et d'encadrement non formelles
organisées dans une structure publique ou privée reconnue par
l'Etat. (Loi d'orientation N°013-2007/AN du 31 juillet 2007, art. 34)
9
- L'enseignement secondaire : L'enseignement
secondaire comprend deux types d'enseignement : l'enseignement
général, l'enseignement technique et professionnel ; il se situe
entre l'enseignement post-primaire et l'enseignement supérieur ; il est
en outre couronné par le Baccalauréat et ouvre la voie, aux
enfants qui le veulent et le peuvent, à l'enseignement supérieur
ou à l'enseignement professionnel spécialisé.
- L'enseignement supérieur, avec les
niveaux Licence, Master et Doctorat comprend les universités et les
écoles supérieures publiques et privées. Il est
dispensé par des universités aussi bien publiques que
privées.
Quatre ministères ont en charge la gestion de
l'éducation :
· le Ministère de l'Action Sociale et de la
Solidarité Nationale (MASSN) pour ce qui concerne l'enseignement
préscolaire ;
· Le Ministère de l'Education Nationale (MENA)
pour l'enseignement primaire, post primaire et l'éducation non formelle
;
· Le Ministère des enseignements Secondaire,
Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESSRS) pour tout ce qui a
trait à l'enseignement secondaire et supérieur ou
spécialisé ;
· Le Ministère de la promotion de l'emploi pour
tout ce qui se rapporte à l'enseignement professionnel.
1.2.2 Les performances de l'éducation au
Burkina
- Situation d'ensemble
Le Burkina Faso a réalisé d'énormes
progrès depuis les engagements pris en faveur de l'Education Pour Tous
(EPT)4 et dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le
Développement5. Néanmoins, malgré ces
progrès, de grands défis restent encore à relever, tant au
niveau du formel que du non formel. Dans l'interview qu'elle a accordé
à l'attaché de
4 Le programme Education Pour Tous (EPT) a
été inauguré à la Conférence Mondiale sur
l'éducation de Jomtien (Thaïlande) en 1990 sous l'égide de
l'UNESCO ; il se donnait pour objectif principal et prioritaire d'offrir
à tous les enfants, garçons et filles, la possibilité
d'accéder à un cycle complet d'enseignement primaire en l'an
2000.
5 Les objectifs du millénaire pour le
développement constituent un plan de huit engagements approuvés
par tous les pays du monde et les institutions de développement parmi
lesquels figure l'engagement pour rendre l'éducation accessible à
tous.
10
presse de l'ambassade du Burkina aux Etats-Unis, lors de sa
visite de travail à Washington, la ministre en charge de l'enseignement
de base a énuméré un certain nombre de défis :
« faible qualité de l'enseignement et des
apprentissages, insuffisance du nombre de maîtres et de maîtresses,
surcharge de classes dans certaines régions et sous-utilisation des
infrastructures dans d'autres, inégalités filles/garçons,
taux de redoublement et d'abandon en cours de cycle élevés,
faible taux de transition entre enseignement primaire et enseignement
post-primaire, faible niveau de scolarisation en milieu rural, insuffisance de
passerelles entre éducation non formelle et éducation formelle,
coûts unitaires d'éducation élevés, faible
adéquation entre les acquis des apprentissages et les besoins du
marché de travail, faible capacité des acteurs et actrices, taux
de déperdition élevé des jeunes dans les centres,
inadéquation des curricula, etc. » (Burkina 24, lundi 10
février 2014).
Face à ces défis, l'objectif poursuivi par les
responsables en charge de l'éducation est
de faire en sorte qu'en 2015, au plus tard, 75% des enfants
de 12 ans achèvent l'école primaire et qu'en 2020 ils puissent
tous achever ce niveau d'éducation (Sources : MENA, Programme de
Développement Stratégique de l'Education de Base (PDSEB)
2010-2020, mars 2010). Mais en attentant, que peut-on dire des performances
l'éducation au Burkina ?
- Analyse de l'efficacité interne
« L'efficacité interne de l'éducation
s'intéresse aux relations entre les inputs éducatifs et les
résultats scolaires ou académiques, soit à
l'intérieur du système éducatif dans son ensemble, soit au
sein d'une institution scolaire déterminé. »
(Psacharopoulos, Woodhall, 1988, cités par Sall (1996 : 100). En
d'autres termes, c'est la capacité du système éducatif
à conduire les élèves, les étudiants et les divers
apprenants qui y entrent à terminer leur cursus avec succès dans
la limite de la période prescrite. Elle s'exprime entre autre par
l'analyse des taux de rendements scolaires, des taux de passage en classe
supérieure, de réussite aux examens, de redoublement ou
d'abandon.
Au regard de cette définition, il ressort,
d'après les statistiques, que le système éducatif
burkinabè souffre d'un problème d'efficacité à tous
les niveaux. Plus encore, cette question des mauvaises performances de
l'éducation ne semble pas dater d'aujourd'hui. Déjà Les
Etats Généraux de l'Education en 1994 faisaient remarquer ceci au
sujet du système éducatif burkinabè : « le
rendement interne du système est très faible, quel que soit
l'indicateur utilisé, car on note un faible taux de promotion et de
forts taux de redoublements, d'abandons,
11
d'exclusions aux différents niveaux du cycle »
(Etats généraux de l'éducation nationale, 1994,
p. 25).
- Le premier indice qui révèle la contre
performance du système éducatif au Burkina concerne les
évaluations nationales. Le MENA réalise des évaluations
scolaires visant à comparer l'évolution des résultats des
élèves burkinabé dans le temps. La première vague
d'évaluations a eu lieu entre 2005 et 2007 et a concerné toutes
les classes de l'enseignement primaire. L'extrait des résultats
présentés dans le tableau ci-dessous permet de se rendre compte
de la réalité.
Tableau n°1 : Résultats aux tests nationaux
d'évaluation
Année
|
Niveau
|
Disciplines (score sur 100)
|
|
Mathématiques
|
Sciences
|
2005
|
CP1
|
41,9
|
37,1
|
|
|
40,1
|
38,2
|
|
2006
|
CP2
|
50,5
|
46,4
|
|
|
45,3
|
43,9
|
49,9
|
2007
|
CE1
|
46,1
|
46,8
|
|
|
53,7
|
49,8
|
60,1
|
|
Sources : MENA (2008), Rapport sur
l'évaluation des acquis scolaires 2005-2007, DEP/MENA.
A l'observation de ce tableau, on remarque que les
résultats des trois premières évaluations
présentés ci-dessus indiquent qu'à l'exception des classes
de CP2 en 2006 et de CM2 en 2007 qui obtiennent des résultats
légèrement au-dessus de la moyenne en français et en
sciences, toutes les autres classes sont en-dessous de la moyenne.
12
- Ces résultats que l'on peut qualifier de «
catastrophiques » expliquent à leur tour le taux
d'achèvement moyen du cycle primaire ainsi que le faible taux de
promotion et le fort taux de redoublement et d'abandon dans l'enseignement
secondaire ci-dessous mentionnés.
Tableau n°2 : Evolution du taux d'achèvement
au primaire en %.
Elèves
|
1998
|
1999
|
2000
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
2006
|
2007
|
garçons
|
27
|
25,7
|
27,3
|
28,4
|
28,4
|
29,5
|
31
|
32,7
|
34,1
|
36,9
|
filles
|
18,7
|
18,4
|
19,3
|
19,4
|
20
|
21,6
|
23,1
|
24,7
|
26,6
|
28,7
|
Total
|
23,0
|
22,1
|
23,4
|
24,3
|
24,0
|
25,6
|
27,1
|
28,7
|
30,4
|
32,8
|
|
Sources : DEP/ MENA /synthèse
2005-2006
Le tableau représentatif du taux d'achèvement
du cycle primaire montre que sur 100 écoliers entrés au CP1,
seulement 22 ont la chance de parvenir au CM2 en 1999 contre 33 en 2007. Les
déperditions sont provoquées essentiellement par les
redoublements, les exclusions pour insuffisances de résultats et les
abandons pour divers motifs.
- L'examen du tableau du flux moyen de l'enseignement
secondaire général de 2004/2005 à 2007/2008 pour sa part,
montre que les taux de promotion varient entre 58,5 et 72%, avec une baisse
considérable dans les classes d'examens (troisième : 38,3% ;
terminale : 32,4%) ; pour ce qui concerne les taux de redoublement, ils vont de
19 à 27% tandis que les taux d'abandon s'élèvent de 2
à 15%.
Cette étude menée par le Ministère des
Enseignements Secondaire, Supérieur et de la Recherche Scientifique
révèle que sur un nombre total de 1000 élèves
entrés au post-primaire, seuls 126 parviendront en classe de Terminale
avec ou sans redoublement au nombre desquels 52 seulement auront une forte
probabilité de réussir au Bac.
13
Tableau n°3 : Taux de flux moyens de l'Enseignement
secondaire général de 2004/2005 à 2007/2008
Années d'études
|
Taux de promotion
|
Taux de redoublement
|
Taux d'abandons
|
Sixième
|
58,5
|
26,0
|
15,5
|
Cinquième
|
65,4
|
24,5
|
10,1
|
Quatrième
|
70,4
|
26,9
|
2,6
|
Troisième
|
38,3
|
45,6
|
16,1
|
Seconde
|
64,3
|
20,9
|
14,8
|
Première
|
72,7
|
19,9
|
7,4
|
Terminale
|
32,4
|
39,7
|
28,0
|
|
Source : Politique sous-sectorielle des ESSRS:
Document de diagnostic, 2009
Comme le montrent les tableaux ci-dessus, l'examen attentif
des résultats scolaires, indiquant le taux d'achèvement du cycle
primaire ainsi que les taux de promotion, de redoublement et d'abandon dans
l'enseignement secondaire nous donnent de constater que le rendement interne du
système d'éducation de base formelle classique est très
faible, quel que soit l'indicateur utilisé. Mais qu'est-ce qui explique
cela ? Plusieurs hypothèses sont avancées pour justifier les
mauvaises performances du système éducatif burkinabè.
1.2.3 Quelques causes explicatives des contreperformances
du système éducatif burkinabè
De nombreuses causes sont souvent évoquées pour
justifier les mauvaises performances du système éducatif
burkinabè ; au nombre de celles-ci on peut citer les questions d'ordre
culturel, l'offre scolaire et la situation socioprofessionnelle des
enseignants.
- Le souci de la sauvegarde des valeurs
culturelles
Dans l'étude qu'ils ont menée sur les obstacles
à la scolarisation des peuples nomades, Ali, Souley et Tiné (1998
:13) ont montré que l'influence et le souci de sauvegarde des valeurs
traditionnelles pouvaient être un frein à la scolarisation des
enfants. De l'avis de
14
ces auteurs, « Il n'est pas rare d'entendre des
parents dire que l'école détourne les enfants de leur propre
culture(...) transforme l'enfant au point de lui faire détester sa
propre langue, ses traditions, sa société (...) L'école
est ainsi perçue comme une innovation étrangère,
"l'affaire des Blancs", dont le but est d'accélérer
l'extraversion des jeunes et la décadence des valeurs liées
à la culture traditionnelle ». Cela se justifierait par le
fait que les parents sont le plus souvent choqués par le comportement de
leurs enfants qui ont fréquenté l'école ; ceux-ci, de leur
point de vue, se détourneraient des pratiques ancestrales comme
« paître les vaches ou cultiver les champs » pour
adopter les manières occidentales. C'est ainsi que «
Les écoliers sont généralement jugés comme
irrespectueux et turbulents, à l'opposé de l'enfant
élevé traditionnellement qui, lui, sait rester sage et
obéissant. Selon les parents, l'écolier méprise la vie des
villageois en refusant de se conformer aux règles de vie traditionnelle.
» (1998 :13).
Le rapport présenté par le député
burkinabè Bayo Célestin Koussoube (2012) sur les systèmes
éducatifs et les transformations socio-économiques au Burkina,
lors de l'assemblée parlementaire de la francophonie en mars 2012
à Québec, est très éclairant à ce sujet.
Dans son rapport, le député montre que deux systèmes
éducatifs coexistent au Burkina après les indépendances :
le système d'éducation traditionnelle et le système
d'éducation postcoloniale. Selon lui, dans le système
éducatif traditionnel, c'est à toute la société
qu'incombe la responsabilité de l'éducation et non pas seulement
à la famille génitrice ; c'est une éducation qui tend
essentiellement vers le maintien d'un équilibre communautaire au
détriment, s'il le faut, de l'initiative personnelle. « Elle
tend à valoriser la cohésion, la solidarité, la
primauté du groupe » (Koussoube, 2012 : 3) ; à
l'inverse, l'éducation postcoloniale tend entre autres «
à favoriser le développement personnel à travers un
épanouissement physique, intellectuel et moral » et «
stimuler l'esprit d'initiative et d'entreprise » (Koussoube, 2012 :
3). On voit bien que d'un côté, dans l'éducation
traditionnelle, c'est l'intérêt communautaire qui est mis en avant
tandis que de l'autre, dans l'éducation post coloniale, c'est
plutôt l'épanouissement personnel de l'individu qui est
visé.
Par ailleurs, certaines recherches ont montré que sur
le plan culturel, cette hostilité aux changements induits par
l'école est souvent due à de douloureuses situations historiques
liées notamment aux effets de la colonisation ; ainsi, pour les Lobis du
sud-ouest du Burkina connus pour n'avoir jamais été soumis
à un autre groupe ethnique et pour s'être farouchement
opposés à l'envahisseur blanc, leur résignation à
la présence française s'est traduite par une sorte de serment
collectif interdisant à tout Lobi de suivre la voie des blancs sous
peine de malédiction et de mort (Kobiane et Pilon, 2008). Cette attitude
de rejet de l'école par les
15
Lobis laisse percevoir à priori qu'au-delà des
considérations d'ordre traditionnel, une ethnie peut rejeter
l'école en raison de son histoire.
- La qualité de l'offre scolaire
Dans son mémoire de langue étrangère
appliquée, Julie Rérolle (2007 : 25) montre que dans le domaine
de l'éducation, le Burkina Faso poursuit actuellement deux objectifs
contradictoires : « offrir un enseignement de masse » et
« de qualité ». Malheureusement, cette politique
éducative est inadaptée car elle ne répond ni à la
demande de la population ni au contexte du pays encore majoritairement
analphabète. Se référant aux critères de
définition de l'effectivité de l'éducation des Nations
Unies, elle relève « qu'un système éducatif est
effectif quand l'offre est acceptable (les populations en acceptent les
objectifs) ; adaptable (le système est adapté aux
différents besoins et contextes des élèves) ; avec une
dotation adéquate (en personnes et en équipements,
conformément aux besoins réels) et accessible (ouvert à
tous) » (2007 : 25). Parmi ces critères trois seraient encore
loin d'être atteints par le Burkina, à savoir l'«
adaptabilité, accessibilité et dotation adéquate
» ; elle en arrive donc à la conclusion que « Les
politiques d'éducation doivent donc chercher à définir ce
qui pourrait pousser les enfants à aller à l'école (en
termes de scolarisation et de participation) et les parents à les y
inscrire (offrir des incitations à la demande), et comment
améliorer l'effectivité et l'équité du
système actuel, pour fournir un enseignement de qualité »
(2007 : 25).
Contrairement à Rérolle (2007), Kobiane et
Pilon (2008) invitent à nuancer le rôle de l'offre scolaire dans
l'explication à donner à la sous-scolarisation. A partir de
données statistiques recueillies pendant l'année scolaire
1997-1998, ces chercheurs ont mis en relation le nombre d'enfants
âgés de 7 à 12 ans regroupés dans des classes
multigrades6 et le nombre d'enfants par classe normales dans
plusieurs autres localités du pays. Les résultats de ce recoupage
ont montré que les localités traditionnellement hostiles à
la scolarisation comme la région du nord, habitée par les Peuls,
sont celles où l'on retrouve le plus grand nombre d'enfants de 7
à 12 ans regroupés dans une même classe (ce qui signifie
qu'il n'y a pas suffisamment de classes pour départager les
différents niveaux). Mais en même temps, ces localités sont
celles qui comprennent le plus faible nombre d'élèves par classe,
soit moins de 40 élèves pour plusieurs niveaux d'enseignement
contre plus de 70 élèves pour un même niveau dans d'autres
localités ; il ressort donc de cette analyse que malgré le manque
de
6 L'enseignement multigrade est un programme
d'éducation regroupant des élèves de différents
niveaux
au sein d'une même classe avec des enseignements
différents adaptés à chaque niveau.
16
classes, celles existantes ne sont pas surchargées, ce
qui amène les auteurs à conclure que l'offre scolaire ne peut pas
être invoquée comme seul motif d'explication du faible taux de
scolarisation (Kobiane et Pilon, 2008) . En outre, soutenir de nos jours que
l'offre scolaire constitue un handicap à la scolarisation au Burkina
c'est ignorer, affirment ces auteurs, tout le travail de la mise en place des
infrastructures scolaires initié par le PDDEB ces deux dernières
décennies.
- La situation des enseignants
Si certains auteurs invitent à voir les causes des
difficultés du système éducatif burkinabè dans
l'offre scolaire, d'autres insistent plutôt sur les conditions de vie des
enseignants. Ainsi, pour certains chercheurs comme Cheron (2008 :11), une des
principales causes qui explique les difficultés du système
éducatif burkinabè est liée à la condition des
maîtres. Pour elle, l'enseignant burkinabè manque de motivation
dans son travail car il constitue « le maillon faible à
l'intérieur du système étatique hiérarchisé
» et est de ce fait même déconsidéré par
ses homologues fonctionnaires. Mal payés, mal logés et reconnus
comme de simples exécutants, « l'investissement dont ils font
preuve pour remplir leurs devoirs professionnels n'est jamais reconnu ni
récompensé » (2008 : 11). A cela s'ajoute le fait
qu'ils exercent leur métier dans des conditions souvent difficiles, avec
des effectifs pléthoriques et la double injonction de réduire les
taux de redoublements et d'accroître les taux de réussite. Face
à toutes ces difficultés, les enseignants sont plutôt
préoccupés de se former pour sortir du système en passant
les concours professionnels. Pour Cheron (2008), toutes ces épreuves ont
nécessairement des conséquences néfastes sur la
qualité du rendement des enseignants.
C'est donc dans ce contexte de l'affirmation de
l'inadéquation du système éducatif burkinabè aux
réalités du terrain et au regard de ses mauvaises performances
tant du point de vue qualitatif que quantitatif qu'est née, au Burkina,
l'idée de l'introduction des langues nationales dans le système
éducatif en vue de prendre en considération les
réalités et les besoins du terrain ; mais cela n'est pas sans
susciter des débats.
17
CHAPITRE 2 :
LA PROBLEMATIQUE DE L'INTRODUCTION DES
LANGUES NATIONALES DANS L'EDUCATION
La problématique de l'introduction des langues
nationales dans l'éducation en Afrique pose la question du rapport
même des acteurs politiques et des populations à ces langues. Pour
un certain nombre de chercheurs et d'intellectuels tels Diop (1979),
Chatry-Komarek (2005), Lezouret et Chatry-Komarek (2007) ou Nikiema (2000,
2011), l'amélioration des performances de l'éducation en Afrique
ne peut se faire sans une prise de conscience de l'utilité des langues
nationales et leur prise en compte dans l'éducation. Déjà,
en 1979, Diop (1979 : 415) écrivait ceci : « un enseignement
qui serait donné dans une langue maternelle permettrait d'éviter
des années de retard dans l'acquisition de la connaissance ; très
souvent, l'expression étrangère est comme un revêtement
étanche qui empêche notre esprit d'accéder au contenu des
mots qui est la réalité ». Pour Cheikh Anta Diop
(1979), s'il est parfois nécessaire d'attendre 4 à 6 ans pour
inculquer au jeune africain certaines connaissances, c'est en raison du fait
que cela lui est enseigné dans une langue étrangère ; si
cela lui était enseigné dans sa langue maternelle, il aurait
été capable de l'assimiler dès le jour même de son
entrée à l'école. Pour sa part, Nikiema (2011 : 17) estime
que « si l'éducation désigne une communication
organisée et suivie, visant à susciter l'apprentissage, on
comprend alors que la langue d'éducation assume les mêmes
fonctions que la langue maternelle et que le système éducatif qui
a le plus de chances d'être efficace est celui où s'observe
l'équation langue d'enseignement = langue maternelle. Il y a donc
forcément des problèmes chaque fois que les deux doivent
être différents dès le premier jour d'école
».
Si ces auteurs s'accordent à reconnaître la
nécessité de placer les langues nationales au coeur des plans
d'amélioration des performances de l'éducation en Afrique, ils
déplorent toutefois le fait que les autorités ne semblent pas
avoir conscience de cette urgence ; c'est le constat que fait Chatry-Komarek
(2005 : 53) : « De nombreux pays africains ne voient ni le besoin ni
la possibilité de former des individus bilingues, qui seraient
compétents à la fois dans leur langue maternelle et dans la
langue officielle européenne. Ceux-ci favorisent la maîtrise
exclusive de la langue européenne, et ceci pour des raisons politiques
et aussi à cause de préférences culturelles et
linguistiques particulières ».
18
Comme le suggère cette citation de Chatry-Komarek,
trois arguments sont invoqués pour justifier la méfiance des pays
africains à l'endroit de l'usage de leurs langues nationales dans
l'éducation : les enjeux politiques, les intérêts des
anciennes colonies et les préjugés.
2.1 Les obstacles à l'introduction des langues
nationales dans l'éducation
2.1.1 Les enjeux politiques
Le premier obstacle à l'utilisation des langues
nationales dans l'éducation en Afrique aurait trait aux enjeux
politiques ; en effet, d'après Chatry-Komarek (2005), ceux qui se
montrent méfiants vis-à-vis des langues nationales avanceraient
comme argument la nécessité de défendre l'unité
nationale ou de prémunir leur nation de l'isolement au plan
international en raison de l'impact très limité de ces langues en
dehors du continent.
Répondant à l'argument de l'unité
nationale, Chatry-Komarek (2005 : 66) estime que « choisir de placer
une seule langue et une seule culture au-dessus des autres, au lieu de
promouvoir la diversité linguistique et culturelle, peut facilement
provoquer des sentiments de frustration et d'humiliation, au lieu de mener vers
l'unité nationale ». Quant à Nikiema (2011), citant
l'exemple des deux Corée ou du Rwanda, il fait remarquer que le
problème de l'unité nationale n'est pas le propre des pays
multilingues. Il demeure posé même en contexte monolingue. Pour
lui, « les meilleurs garants de l'unité nationale c'est le
rejet des politiques d'exclusion, la lutte contre les injustices, etc. »
(2011 : 17). Quant à la question de l'isolement dans
lequel pourraient se trouver les pays africains en raison du champ
limité des langues nationales, Chatry-Komarek (2005 : 65) la
récuse en argumentant que « dans la vie quotidienne, de
nombreux africains recourent à des langues véhiculaires telles
que le fulfuldé, le haussa ou le kiswahili, de préférence
à l'anglais ou à toute langue européenne, pour communiquer
au niveau de la région. Ceux qui voyagent en dehors du continent et ont
besoin de parler une langue européenne restent une minorité, tout
comme dans les pays industrialisés où la maîtrise d'une
langue étrangère n'est un besoin vital que pour une
minorité ».
19
2.1.2 Les intérêts des anciennes colonies
Le second obstacle à l'utilisation des langues
nationales dans l'éducation serait lié aux pressions
exercées par les anciennes métropoles sur leurs ex-colonies.
Nikiema (2011) soutient que dans toutes les anciennes colonies, la langue de la
métropole est restée la langue officielle des Etats ; plus
encore, ces anciennes métropoles seraient plus soucieuses de faire
rayonner leurs langues, à travers des organisations telles que la
Francophonie pour ce qui concerne la France ou le Commonwealth dans le cas de
la Grande Bretagne, que de développer les langues nationales africaines.
La réalité c'est que ces anciennes puissances coloniales voient
d'un mauvais oeil toute promotion des langues nationales en ce sens qu'elles
pourraient constituer une menace pour le monopole de la langue officielle. Face
à ce jeu d'intérêts des puissances coloniales dans la
problématique de l'usage des langues, Erny (1977 :140) invite les pays
africains à faire preuve de méfiance et de discernement dans
l'acceptation des aides extérieures qui leur sont proposées car :
« quand les grandes puissances cherchent à placer leur langue,
leur culture, leur idéologie ou leur technologie, les
bénéficiaires apparaissent comme de simples moyens au service de
projets d'expansion qui les dépassent, et on se soucie finalement fort
peu de leurs besoins ». Et cela aurait pour effet direct de
contraindre les pays africains à promouvoir une éducation qui se
trouve être en inadéquation avec les réalités et les
besoins du terrain. Dans son livre « Eduquer ou périr » (1990
: 99), le professeur Joseph Ki-Zerbo abonde dans le même sens que Erny
(1977) quand il s'interroge sur l'adéquation du système scolaire
importé d'Europe à la culture et à la
réalité sociale des populations africaines : « Veut-on
d'une éducation, pâle photocopie du modèle « gaulois
» ou de cette éducation qui met l'homme debout et lui donne sa
vraie stature ? » s'insurge-t-il. Selon Ki-Zerbo (1977), le
système scolaire africain dans sa situation actuelle est loin des
réalités socioculturelles et économiques dans lesquelles
vivent les populations africaines ; et cette inadéquation est
liée au fait qu'on ne fait que ressasser les programmes scolaires
reçus de l'époque coloniale. Pour lui, cette inadéquation
serait, en outre, à la base des nombreux échecs à la
scolarisation car, dit-il, « le système éducatif des
sociétés africaines n'est pas seulement en retard sur celui des
pays industrialisés ; il est surtout en contradiction avec les besoins
vitaux alimentaires et élémentaires des dites
sociétés » (1990 : 17). Si le système
éducatif africain ne tient pas compte de ces impératifs, il
pourra bien implanter des écoles en Afrique mais « ce serait
l'école en Afrique et non l'école africaine » (1990 :
92).
20
L'inadéquation du système scolaire classique,
c'est aussi la thèse défendue par Paul Taryam ILBOUDO (2009),
l'un des promoteurs de l'école bilingue au Burkina. Selon lui,
l'école classique est inadaptée et déracinante car elle ne
s'est jamais intégrée à la société et de ce
fait, coupe l'élève de son environnement. Une des
conséquences de cette inadéquation se vérifie dans le
constat que les diplômés ou non diplômés qui sortent
de ce système éducatif n'arrivent pas à s'intégrer
dans leur milieu et à utiliser les acquis de leur scolarisation.
2.1.3 Les représentations et attitudes sur les
langues
Un troisième obstacle à l'utilisation des
langues nationales dans l'éducation tel que décrit par Nikiema
(2011) et Chatry- Komarek (2005) trouverait sa justification dans les
différents préjugés et représentations
inculqués aux populations africaines depuis la colonisation et qui
remettraient en cause l'efficacité de ces langues à servir de
médiums et de matières d'enseignement. Au nombre des arguments
défendus par les détracteurs de l'utilisation des langues
nationales dans l'éducation, l'on peut retenir l'idée selon
laquelle « les langues maternelles ne peuvent ni se moderniser, ni se
développer, ni être développées et sont, de toute
façon, inférieures aux langues coloniales. Elles ne seraient,
clairement, pas outillées pour l'enseignement de matières telles
que les mathématiques et les sciences » (Nikiema, 2011 :
19).
C'est, entre autres, l'idée défendue par
Ilboudo (1984), cité par Nikiema (2000 : 116117) qui, se
réjouissant de l'arrêt de la première
expérimentation de l'éducation bilingue par le Conseil national
de la Révolution en 1984 qualifiait cette innovation de
"réforme - assassinat (...) dont la déraison et la
méchanceté n'avaient d'égale que la perdition de milliers
d'enfants innocents ... " Ilboudo (1984) préconise, pour sa part,
une réforme où les langues nationales seraient introduites non
pas au primaire mais au secondaire, de sorte à gêner moins
l'apprentissage du Français.
En réponse à de tels arguments, et pour montrer
que les langues nationales africaines ont la capacité, au même
titre que les langues coloniales, de servir de véhicule d'enseignement
des sciences, Cheikh Anta Diop (1979) s'est évertué à
montrer que la prestigieuse civilisation égyptienne était
d'origine négro-africaine et que des textes scientifiques portant sur
les mathématiques, la physique ou la chimie ainsi que la théorie
de la relativité pouvaient être entièrement traduits en
Wolof, langue nationale au Sénégal. De l'avis
21
de cet auteur, « les langues africaines sont loin
d'être frappées d'une pauvreté naturelle et (...) il suffit
de leur appliquer un effort comparable à celui qui a été
appliqué aux langues occidentales, pour qu'elles soient au niveau des
exigences de la vie moderne » (Diop, 1979 : 422). Cette
idée défendue par Diop (1979) est aussi partagée par
Chatry-Komarek (2005 : 64) pour qui « aucune langue n'est
supérieure ou inférieure aux autres dès lors qu'il s'agit
de décrire la réalité ». Son argumentation tend
particulièrement à montrer qu'aucune langue ne se suffit à
elle-même. Toutes subissent des transformations et des emprunts pour
arriver au point de pouvoir exprimer des idées scientifiques, techniques
ou économiques : c'est le cas de l'anglais ou du Français qui ont
beaucoup emprunté au latin et au grec. Ainsi, les langues africaines
doivent-elles certainement passer par ce processus mais cela ne signifie en
rien qu'elles sont inaptes à porter des idées scientifiques.
L'objectif poursuivi par ces défenseurs des langues
nationales africaines est d'arriver à convaincre les intellectuels et
les décideurs politiques africains de se départir des attitudes
et préjugés défavorables portant sur les langues
nationales et à prendre des options politiques courageuses pour
permettre le développement et la prise en compte de ces langues dans
l'éducation.
Comme en réponse à cet appel, au Burkina Faso,
bien que le Français demeure la langue officielle et la langue de
l'administration, de la justice et de l'enseignement, une politique de
valorisation des langues nationales a été initiée. Elle
est centrée prioritairement sur les langues nationales les plus
parlées et repose sur leur utilisation de plus en plus importante dans
l'enseignement (écoles satellites et bilingues), dans les médias
(radio et télévision) ainsi que dans l'alphabétisation des
populations. Dans les pages qui suivront, nous tenterons de décrire le
mode de prise en compte de ces langues dans le système éducatif,
leur fonctionnement et leur impact sur l'environnement
socio-éducatif.
2.2 L'éducation bilingue comme alternative
à la problématique de l'introduction des langues nationales dans
l'éducation
2.2.1 Typologie de l'éducation bilingue
Selon Hamers et Blanc (1998), cités par Yameogo (2004
: 28), l'éducation bilingue se définit comme une «
intervention pédagogique dans laquelle, dans des proportions variables,
simultanément ou consécutivement, l'instruction est donnée
dans au moins deux langues dont
22
l'une est généralement la première
langue de l'élève ». Comme on peut le deviner,
l'intérêt dans une telle approche pédagogique pour Hamers
et Blanc est la prise en compte de la langue première de l'enfant dont
le rôle dans les apprentissages est défini ici par Mitrofanova et
Decherieva (1987) cités par Ilboudo (2009 : 47) :« La langue
maternelle d'un individu étant celle qu'il maîtrise le mieux, dans
laquelle il est le plus à l'aise pour exprimer avec précision ses
pensées et comprendre ses interlocuteurs, l'enseignement le plus
efficace sera précisément celui qui est dispensé dans
cette langue .»
Pour sa part, Skutnabb-Kangas (1981 : 121) propose une
définition qui insiste plutôt sur la nature des moyens que sur le
but. Ainsi, pour lui, «le terme éducation bilingue renvoie donc
au langage d'instruction et requiert qu'au moins deux langues soient
utilisées comme moyens d'instruction dans des matières autres que
les langues elles-mêmes. Ce terme n'est pas destiné à
être appliqué au but de l'éducation mais aux moyens
»7. Il est rejoint dans ce sens par Baetens Beardsmore
(2000) qui invite à la prudence quant à l'utilisation de la
terminologie d'éducation bilingue ou multilingue. Selon lui, l'un des
critères sur lesquels s'accordent les spécialistes pour
caractériser l'éducation bilingue c'est sa capacité
à « employer une seconde langue comme véhicule de
matières non linguistiques » ; partant de ce constat, il en
déduit que « les programmes scolaires où ne figurent que
des cours de langue, aussi intensifs soient-ils, n'entrent pas en ligne de
compte puisqu'il s'agit d'un programme unilingue qui ne permet que rarement
d'atteindre un niveau de compétence élevée en langue
seconde » (2000 : 1)
Fort de ces définitions, de nombreuses typologies ont
été proposées à nos jours pour caractériser
l'éducation bilingue :
- Ainsi, Mackey (1979), l'un des pionniers dans les
recherches sur l'éducation bilingue a proposé une
catégorisation qui prend en compte les domaines d'usages de la langue
(le pays, la région, l'école ou le foyer), l'orientation des
politiques linguistiques (bilinguisme national, communautaire ou individuel) et
les critères d'organisation des programmes ; tous ces
éléments coordonnés le conduisent à identifier plus
de 90 types de pratiques dites d'éducation bilingue.
- D'autres auteurs également, tels Skutnabb-kansas
(1981) ou Baetens Beardsmore (2000) élaborent des catégorisations
qui varient en fonction des milieux et des politiques linguistiques.
7 C'est nous qui traduisons de l'anglais au
français.
23
Compte tenu de l'importance du nombre des modèles
d'éducation bilingue, nous ne retiendrons ici que les formes les plus
représentatives et les plus significatives pour nous, à savoir
les programmes de submersion, le bilinguisme transitionnel et de maintien
linguistique.
-Les programmes de submersion
Les programmes d'éducation bilingues dits de
submersion constituent un type de scolarisation plutôt monolingue. De
l'avis de Hamers & Blanc (1983) cités par Nikiema (2004 : 7), il
s'agit de la « scolarisation d'un élève par une
intervention pédagogique utilisant une langue autre que sa langue
maternelle ; cette scolarisation est généralement
organisée pour les locuteurs natifs de cette autre langue et de ce fait
ne tient pas compte de la langue maternelle de l'élève
». L'idée sous-jacente à cette pratique
pédagogique est que le contact permanent avec la langue d'accueil permet
son apprentissage et qu'à l'inverse l'usage de la langue maternelle,
même minime constitue un frein à l'acquisition de la langue
majoritaire. C'est un modèle pratiqué dans les pays de grande
immigration comme le Canada mais c'est surtout le type d'éducation
pratiqué dans l'enseignement classique des anciennes colonies en Afrique
et particulièrement dans l'éducation classique au Burkina
Faso.
- Les programmes transitionnels
A la différence du modèle de submersion,
« un programme de transition est un programme dans lequel les enfants
de langue minoritaire dont la langue nationale n'est pas de statut
élevé sont instruits initialement dans leur langue maternelle
pendant quelques années et dans lequel la langue maternelle est
enseignée comme si elle n'avait pas de valeur intrinsèque, mais
uniquement de valeur instrumentale » Skutnabb-Kangas (2000),
cité par Lezouret et Chatry-Komarek (2007 : 59). Ce modèle vise
principalement l'acquisition et la maîtrise de la langue seconde ; de ce
fait, l'instruction dans la langue première de l'élève
s'arrête dès lors qu'on estime qu'il a les compétences
nécessaires pour poursuivre ses études dans la langue d'accueil.
Selon Nikiema (2004 :7), « L'objectif et le résultat du recours
à ce modèle d'instruction restent cependant les mêmes que
ceux du modèle de submersion, à savoir : l'assimilation à
la culture et le monolinguisme dans la langue d'instruction ». Il
n'est donc pas ce qu'il y a de plus recommandable en matière
d'éducation bilingue.
24
- Les programmes de maintien linguistiques
Le modèle d'éducation bilingue dit de maintien
« utilise à la fois une langue minoritaire et une langue
majoritaire pendant toute la durée de l'éducation de la
minorité linguistique » (Garcia, 1997, cité par
Ilboudo, 2009 : 50). Ce type de programme accorde une large plage aussi bien
à l'apprentissage de la langue seconde que de la langue première
de l'apprenant durant tout le cursus scolaire de l'élève.
Malgré la diversité des options, les
spécialistes s'accordent aujourd'hui à reconnaître que
toutes les formes d'éducation bilingues peuvent se regrouper en deux
tendances : le bilinguisme soustractif et le bilinguisme additif : «
le bilinguisme additif est un état de bilingualité dans lequel
l'enfant a développé ses deux langues de façon
équilibrée et a pu, à partir de son expérience
bilingue, bénéficier d'avantages sur le plan de son
développement cognitif ; cet état se retrouve surtout lorsque les
deux langues sont valorisées dans l'entourage socio culturel de l'enfant
». Ce modèle s'apparente, en référence à
notre description ci-dessus mentionnée, au modèle de maintien. A
l'opposé, le bilinguisme soustractif est un « état de
bilingualité dans lequel l'enfant a développé sa seconde
langue au détriment de son acquis en langue maternelle »
Hamers et Blanc (1987) cités par Ilboudo (2009 : 48) ; on
reconnaît naturellement en ce modèle le bilinguisme de submersion
ou celui de type transitionnel. Nikiema et Kabore-Paré (2010 : 35) en
concluent que « les modèles d'enseignements additifs sont ceux
dits vraiment bilingues en ce sens que la LM (langue maternelle), comme moyen
d'enseignement, n'est jamais supprimée ; On vise un très bon
niveau dans la langue maternelle et également un bon niveau dans la
langue officielle ».
Compte tenu de la multiplicité des approches de
l'éducation bilingue, on peut se demander quelles sont les choix de
modèles qui ont été opérés dans
l'expérience d'éducation bilingue au Burkina Faso.
25
L'éducation bilingue au Burkina Faso
2.2.2.1 La genèse de l'éducation
bilingue
Faisant l'historique de la naissance de l'éducation
bilingue au Burkina Faso, Ilboudo (2009) identifie deux étapes
clés qui ont milité en faveur du développement de
l'école bilingue ; il s'agit de la reforme de l'éducation de 1979
et de l'expérimentation de la méthode d'Apprentissage de la
Langue Française à partir des Acquis de l'Alphabétisation
initiée en 1992 et connue sous le nom de méthode ALFAA.
- La réforme de 1979
Suite à une analyse critique de la situation de
l'éducation en 1979 qui a révélé de nombreux
dysfonctionnements, le gouvernement voltaïque (à l'époque) a
engagé une réforme du système éducatif visant
notamment l'introduction des trois principales langues nationales
(mooré, dioula, fulfuldé) comme médium
d'enseignement au même titre que le Français. Malheureusement,
cette expérimentation sera de courte durée car elle sera
interrompue en 1984, une année après l'avènement de la
révolution burkinabè, sans justification et alors même que
les évaluations intermédiaires avaient prouvé que les
écoles bilingues avaient de meilleures performances que les
écoles classiques dans des disciplines clés telles que le
français, les mathématiques, les sciences d'observation et
l'histoire géographie. Selon Ilboudo (2009), l'interruption brutale de
cette expérimentation a contribué à créer une
méfiance vis-à-vis de l'école bilingue chez les parents
d'élèves qui ont eu le sentiment que leurs enfants ont
été traités comme des « cobayes ». Exclus du
système classique mais convaincus de la performance de leur innovation,
il était nécessaire que les initiateurs du projet trouvent un
cadre plus favorable pour poursuivre leur expérimentation et prouver son
intérêt. Ce terreau favorable, ils le trouveront dans
l'éducation non formelle.
- La méthode d'apprentissage de la langue
française à partir des acquis de l'alphabétisation
(méthode ALFAA)
La méthode ALFAA est née en 1990 de
l'initiative d'une association d'alphabétisation dénommée
Manegbzanga (développement pour tous) ; désireux d'aider ses
membres à accéder au français, elle aurait soumis le
projet à son partenaire principal, l'OSEO, qui en collaboration avec des
enseignants et des chercheurs en linguistiques ont mis au point, en
26
1993, la méthode ALFAA. L'objectif de cette
méthode est d'aider des adultes déjà
alphabétisés dans leur langue nationale à acquérir
un niveau de français équivalent à celui d'un
élève du cours moyen en 150 jours. Au regard du succès de
cette expérimentation qui a été étendue à
tout le pays, l'association a souhaité qu'elle soit adaptée aux
enfants âgés de 9 à 14 ans qui ont dépassé
l'âge d'être recrutés dans le système classique tout
en n'étant pas assez grands pour rejoindre le groupe des adultes.
D'après Ilboudo (2009), c'est à partir de là que serait
venue l'idée de créer des écoles d'éducation
bilingue adressée à cette frange de la population. La mise en
pratique de cette initiative connaîtra trois phases de
développement :
Il y a d'abord la phase pilote qui va de 1994 à 1998 :
au cours de cette période, l'OSEO, en partenariat avec l'association
Manegbzanga, va non seulement mettre en oeuvre son plan
d'apprentissage du français aux jeunes de 9 à 14 ans mais
profitera aussi de l'occasion pour reprendre l'expérimentation qui avait
été arrêtée en proposant un programme de
scolarisation complète bilingue langue nationale-Français. Cette
expérimentation sera confortée par les résultats
jugés satisfaisants de la première promotion
présentée au Certificat d'Etudes Primaires ; en effet, alors que
le taux de la moyenne nationale de succès au Certificat en cette
année 1998 était de 48,60%, l'école bilingue a obtenu un
taux de succès de 52,83% (Ilboudo, 2009). Ce résultat va conduire
l'expérimentation de l'école bilingue à sa seconde
phase.
La seconde phase va de 1998 à 2002 : devant le
succès inattendu de l'école bilingue, le Ministère de
l'Enseignement de Base va s'impliquer plus profondément dans cette
innovation ; cette seconde phase voit l'alignement de l'âge de
recrutement dans les écoles bilingues à celui des écoles
classiques, c'est-à-dire (7-8 ans), l'extension géographique et
linguistique de l'expérimentation pour prendre en compte les principales
langues nationales. L'un des signes majeurs de l'implication du
Ministère de l'Enseignement de Base dans le projet d'éducation
bilingue à cette période est la publication de la lettre
circulaire (N°2002-098/MEBA/SG du 18 juin) de l'année 2002
autorisant les parents et les écoles qui le souhaitent à demander
la transformation des écoles classiques de leurs localités en
écoles bilingues (cf. annexe n°1).
La dernière phase qui va de 2003 à nos jours
voit la poursuite de l'extension géographique et linguistique de cette
innovation pédagogique ; en plus de l'Etat, d'autres partenaires
s'engagent aux côtés de l'OSEO : c'est le cas de l'enseignement
catholique mais aussi d'autres organismes financiers tels que la
Coopération Suisse au Développement (Ilboudo, 2009). Au cours de
cette dernière phase de son développement, l'éducation
bilingue
27
a réussi également à compléter son
dispositif de continuum éducatif en créant les espaces
d'éveil éducatif (3E) pour les plus petits (3 à
6 ans) et les collèges multilingues spécifiques (CMS) pour le
post-primaire (13 à 16 ans).
Il faut noter que si la formule d'éducation bilingue
soutenue par l'OSEO a réussi à s'imposer et à créer
un partenariat avec le MENA, d'autres formules d'éducation bilingue sont
restées dans le secteur non formel et poursuivent leurs activités
: ce sont entre autres les centres Banmanuara, les CEBNF (Centre d'Education de
Base Non Formelle, etc.. Nous utiliserons de ce fait le concept
d'éducation bilingue pour désigner la formule d'éducation
bilingue OSEO-MENA.
2.2.2.2 Le bilinguisme pratiqué au Burkina
Les objectifs poursuivis par les concepteurs de
l'éducation bilingue au Burkina et définis par Ilboudo (2009)
sont principalement les suivants :
· Améliorer l'efficacité interne et externe
de l'éducation de base ;
· Relever la qualité et la pertinence de
l'éducation de base ;
· Établir une synergie et des passerelles entre
l'éducation de base formelle et l'éducation de base non formelle
;
· Améliorer le rapport
coût/efficacité de l'éducation de base ;
· Renforcer l'intégration de l'école au
milieu, l'appropriation de l'école par les communautés de base et
leur participation active à la préparation, la planification et
la mise en oeuvre des activités.
En tenant compte de ces objectifs et des différentes
pratiques de bilinguismes expérimentées de par le monde, les
initiateurs de l'éducation bilingue au Burkina ont opté pour le
bilinguisme additif complet où la langue première de l'enfant
serait utilisée comme véhicule et objet d'enseignement et
durerait tout le long de la scolarisation ; au regard de cet objectif, il est
apparu que c'est le modèle de maintien qui convenait le mieux.
28
La mise en oeuvre de ce modèle se traduit dans
l'organisation des temps d'enseignements entre les langues nationales et le
Français comme indiquée dans le tableau ci-dessous :
Tableau n°4 : Répartition des temps
d'enseignements en langues nationales et en Français dans les
écoles bilingues
Niveau
|
Langue nationale
|
Français
|
|
Emploi
|
% horaire
|
Emploi
|
% horaire
|
1e année
|
Médium & matière
|
90%
|
Matière (français oral)
|
10%
|
2e année
|
Médium & matière
|
80%
|
Matière (oral, écrit)
|
20%
|
3e année
|
Médium & matière
|
50%
|
Médium et matière
|
50%
|
4e année
|
Matière (expression écrite)
|
20%
|
Médium et matière
|
80%
|
5e année
|
Matière (rédaction)
|
10%
|
Médium et matière
|
90%
|
Comme on peut le constater, ce modèle
d'éducation bilingue procède à une utilisation massive de
la langue maternelle de l'enfant, surtout dans les deux premières
années de scolarisation, comme médium et matière
d'enseignement (90% et 80%). Durant ces deux premières années,
l'accent est mis sur le développement des compétences
communicatives des élèves en français oral (1e
année) puis en français oral et écrit (2e année) ;
en deuxième année la langue nationale est utilisée
également pour l'enseignement de l'histoire, de la géographie et
de la grammaire de la langue dans la langue. En troisième année,
on procède à l'utilisation alternée de la langue nationale
et du Français comme médium et comme matière
d'enseignement ; cependant, à ce niveau, la grammaire de la langue dans
la langue est remplacée par la grammaire du français. C'est
seulement à partir de la 4e année que les proportions
d'utilisation du Français s'inversent pour atteindre 80% en 4°
année et 90% en 5e année (Voir, en annexe n° 2, tout
le programme d'enseignement bilingue).
29
2.2.2.3 La mise en place des écoles
bilingues
- Procédure d'ouverture des écoles
bilingues
L'ouverture d'une école bilingue est toujours
précédée d'une phase de sensibilisation au cours de
laquelle l'OSEO, avec ses partenaires techniques s'efforcent d'expliquer aux
populations les bien-fondés de l'éducation bilingue (Nikiema,
Kaboré-Paré, 2010). Cette phase de sensibilisation est souvent
accompagnée d'études de faisabilité effectuées
généralement par des linguistes ou socio-linguistes ; dans les
régions où se croisent plusieurs dialectes, la mission de ces
derniers consiste essentiellement à servir de conseil à l'OSEO
pour le choix des dialectes en tenant compte des effets de tolérance ou
de rejet qui peuvent se poser à l'une ou l'autre des communautés
linguistiques.
Après cette phase d'exploration, s'en suit une longue
procédure administrative (Cheron, 2008). Conformément à la
lettre circulaire (N° 2002/098/MEBA/SG du 18 juin 2002) autorisant les
parents et les écoles qui le souhaitent à demander la
transformation des écoles classiques de leurs localités en
écoles bilingues, les parents sont amenés à exprimer leur
requête auprès de l`Inspecteur de la Circonscription de
l'Enseignement de Base dont ils relèvent. Cette demande remonte par voie
hiérarchique jusqu'au Ministère de l'Enseignement de Base qui a
la possibilité de donner l'accord d'ouverture. L'autorisation
accordée par le Ministère de l'Enseignement de Base peut
concerner deux modes d'implantations : il y a d'abord l'ouverture d'une
nouvelle école qui commence par la première année ou la
transformation d'une école classique déjà existante ; dans
ce cas précis, la rétrocession se fait année après
année jusqu'à épuisement des classes classiques.
De l'avis de l'OSEO, rapporté par Cheron (2008), des
demandes d'ouvertures et de transformations d'écoles classiques en
bilingues d'environ 500 ont été formulées à cette
date mais n'avaient pu être satisfaites en raison des moyens
limités du Ministère de l'Enseignement de Base.
- Recrutement des enseignants de l'éducation
bilingue
Au Burkina Faso, les enseignants sont recrutés sur la
base du Brevet d'Etudes du Premier Cycle (BEPC). Ceux qui réussissent au
concours sont intégrés dans les Ecoles Nationales de formation
des Enseignants du Primaire (ENEP) pour la formation
30
pédagogique ; cette formation dont la durée
initiale était de deux ans a été réduite à
une année sous la pression des partenaires financiers, pour être
finalement reconduite à deux ans au regard des nombreuses insuffisances
constatées auprès des enseignants formés en une
année. L'enseignement catholique dispose aussi de son Centre de
Formation Pastorale et Pédagogique des enseignants catholiques (CFPP) ;
mais, à ce niveau, la durée de la formation a toujours
été de deux ans.
Les maîtres des écoles bilingues sont donc
recrutés parmi les enseignants des écoles classiques
formés dans les ENEP ou au CFPP sur la base du volontariat. Dans les
premières années de l'éducation bilingue, ceux qui se
portaient volontaires recevaient une formation complémentaire
dispensée par l'OSEO durant les périodes des vacances scolaires ;
et pour motiver les enseignants, des per diem leur étaient offerts.
Toutefois, depuis 2004, par l'arrêté N°14/MEBA/SG/ENEP du 10
mars 2004, la formation à l'éducation bilingue a
été intégrée à la formation initiale des
enseignants dans les ENEP ou au CFPP de sorte que tous les enseignants sont en
mesure de tenir une classe bilingue dans une langue donnée. Il est
à noter que les enseignants qui optent d'intégrer
l'éducation bilingue reçoivent en plus de leur salaire, une
indemnité de 15 000F CFA8 Cette indemnité initialement
versée par l'OSEO a été confiée à la
responsabilité de l'Etat qui, dans le cadre de la politique d'appui aux
initiatives éducatives du PDDEB, a prévu de verser une
indemnité à tous les enseignants intervenants dans le cadre d'une
innovation pédagogique.
- Le contenu de la formation des enseignants
Bien que la formation initiale des enseignants de
l'éducation bilingue ait été intégrée aux
curricula des ENEP, l'OSEO a maintenu des formations continues qui sont
programmées pendant les périodes des vacances. Les enseignants
qui y sont convoqués reçoivent une formation spécifique
destinée à la classe qu'ils sont appelés à encadrer
l'année scolaire suivante. Les enseignements portent essentiellement sur
:
- La maîtrise de la transcription de la langue nationale
;
- Les démarches méthodologiques d'enseignement
en langue nationale dans les disciplines suivantes : causerie-débat,
lecture, écriture, calcul oral et écrit, production et culture,
histoire-géographie, sciences etc. ;
8 Il faut noter que la situation était
différente dans l'enseignement catholique ; en effet, l'OSEO n'avait pas
prévu de versement d'indemnités aux enseignants des écoles
privées si bien qu'il était difficile de trouver des volontaires
pour l'enseignement bilingue ou de motiver ceux qui y étaient
déjà à y rester.
31
- La maîtrise de la grammaire de la langue dans la
langue ;
- La maîtrise des néologismes créés
pour l'enseignement en langue nationale (Ilboudo, 2009 ; Nikiema,
Kaboré-Paré, 2010).
En plus de la formation initiale et de la formation continue,
Cheron (2008) relève le fait que les enseignants des écoles
bilingues, contrairement à leurs collègues du public
reçoivent régulièrement les visites des inspecteurs qui
relèvent avec eux les difficultés et les aident à corriger
les imperfections. Toutefois, note Cheron (2008), si de multiples visites sont
possibles dans l'éducation bilingue et non dans les écoles
classiques, c'est avant tout en raison des moyens déployés par
l'OSEO pour soutenir les encadreurs.
2.2.2.4 L'éducation bilingue, une alternative
à l'éducation classique
Si l'objectif poursuivi par les initiateurs de
l'éducation bilingue au Burkina Faso visait à combler les
insuffisances de l'éducation classique tant du point de vue de
l'efficacité interne qu'externe, les protagonistes de cette innovation
se réjouissent aujourd'hui d'avoir réussi leur pari.
D'abord, du point de vue de l'efficacité interne, il
faut reconnaître que les statistiques semblent leur donner raison. En
effet, dans une étude menée par Toé-Sidibé (2002)
portant sur l'évolution comparée des taux de flux de 1998
à 2001 des écoles bilingues et classiques de deux provinces du
Burkina, les résultats obtenus ont donné le contenu suivant :
Tableau n°5 : Evolution comparée des taux
de flux de 1998 à 2001 des écoles bilingues et classiques dans
deux provinces
|
1998/1999
|
1999/2000
|
2000/2001
|
Indicateurs
|
Ecole bilingue
|
Ecole classique
|
Ecole bilingue
|
Ecole classique
|
Ecole Bilingue
|
Ecole classique
|
Taux de
promotion9
|
88,10
|
71,90
|
88,58
|
69,45
|
86,87
|
74,22
|
Taux
redoublement
|
15,95
|
19,40
|
10,31
|
20,14
|
10,50
|
17,19
|
Taux d'abandon
|
1,95
|
8,70
|
1,11
|
10,41
|
2,52
|
8,59
|
Source : Suzanne,Toé/Sidibé,
2002
9 Il s'agit du taux de passage en classe
supérieure.
32
Au regard de ce tableau et en considération des taux de
promotion, de redoublement et d'abandon, on observe que les écoles
bilingues obtiennent des performances largement au-dessus des écoles
classiques.
Cette ascendance des écoles bilingues est confirmée
par ailleurs par les résultats des examens officiels au certificat
d'études primaires des sessions de 2002 à 2008 :
Tableau n°6 : Résultats au Certificat
d'Etudes Primaires des écoles bilingues comparativement à la
moyenne nationale de 2002 à 2008.
|
Ecoles bilingues
|
Moyenne nationale
|
année
|
Nombre écoles
|
Nombre langues nationales
|
Nombre candidats
|
Taux succès
|
Scolarité en général
|
2002
|
4
|
2
|
92
|
85,02
|
61,81
|
2003
|
3
|
1
|
88
|
68,21
|
70,01
|
2004
|
10
|
4
|
259
|
94,59
|
73,73
|
2005
|
21
|
6
|
508
|
91,14
|
69,01
|
2006
|
40
|
7
|
960
|
77,19
|
69,91
|
2007
|
47
|
7
|
1182
|
73,97
|
66,83
|
2008
|
75
|
7
|
1828
|
61,43
|
58,34
|
Source : Direction des examens et concours du
MENA
Comme on peut le constater, les résultats des
écoles bilingues au Certificat d'Etudes Primaires sont presque toujours
supérieurs à la moyenne nationale sur plusieurs années. A
ne prendre en considération que ces résultats, on pourrait tout
de suite conclure que l'éducation bilingue est performante et meilleure.
Mais face à cette tentation, Nikiema et Kaboré/Paré (2010)
invitent à la prudence car on compare ici des éléments
divers, précisent-ils. A l'opposé, on pourrait être
tenté de relativiser ces performances en mettant en avant les conditions
favorables dont bénéficie l'éducation bilingue
(encadrement plus resserré, nombre d'écoles plus réduit
etc.). Mais à ce niveau encore, affirment Nikiema et
Kaboré/Paré (2010 : 62), ce serait ignorer « les
difficultés réelles auxquelles sont confrontées les
écoles expérimentales, dont les maîtres,
généralement plus jeunes et inexpérimentés, se
plaignent souvent de leur niveau de formation, doivent constamment assimiler de
nouvelles approches
33
non encore stabilisées ». Quoiqu'il en
soit, ces résultats montrent, d'après eux, que l'éducation
bilingue a un fort potentiel à exploiter dans l'amélioration du
système éducatif burkinabè.
Pour ce qui concerne l'efficacité externe du
système d'éducation bilingue, de nombreuses études tendent
à affirmer l'existence d'un consensus autour de la question ; la plupart
de ces recherches sont des thèses ou des mémoires
d'étudiants ou d'élèves inspecteurs en fin de formation ;
ainsi, Yaro (2004 : 299), dans sa thèse portant sur l'échec
scolaire est parvenu à cette conclusion : « Que ce soit en
milieu urbain, semi-urbain ou rural, la plupart des maîtres estiment
qu'il serait bénéfique d'utiliser les langues nationales comme
médium de communication pour expliquer certaines notions ... »
; quant à Yameogo (2004 : 80), dans son mémoire de fin de
formation des élèves-inspecteurs, il affirme que « 96%
des encadreurs pédagogiques se sont dits prêts à susciter
l'adhésion des enseignants et des parents d'élèves au
processus de l'éducation bilingue s'ils sont outillés pour
s'engager en toute responsabilité et en connaissance de cause,
grâce à une formation conséquente ». Le
même auteur laisse entendre que la tendance au niveau des parents
d'élèves est à l'acceptation de l'école bilingue
car bien que ne comprenant pas tout le fonctionnement du système, ils y
voient un moyen qui permet « d'apprendre vite ».
Des auteurs tels que Jacques Sibalo, Désirée
Tapsoba, Constance Lavoie (2007) et Cyr Payim Ouedraogo (2003) soutiennent
particulièrement l'idée que l'école bilingue tire sa
suprématie du fait qu'elle formerait des hommes et des femmes utiles
à eux-mêmes et à leurs communautés. A
l'opposé de l'école classique qui, selon eux, conduit au
déracinement des élèves en raison des programmes qui sont
inadaptés aux réalités et aux possibilités du
terrain, l'école bilingue possèderait une plus grande
efficacité externe en ce sens qu'elle est ancrée dans le contexte
du développement local. D'autre part, et contrairement à
l'école classique, elle ne préparerait pas l'élève
seulement à un travail de bureaucrate mais plutôt à gagner
sa vie et cela, dès son jeune âge. C'est dans ce sens qu'elle
enseigne les contes et proverbes, les chants et danses, la musique du milieu et
les instruments traditionnels de musique ainsi que des activités
manuelles comme l'élevage ou l'agriculture.
34
Le tableau ci-dessous présenté compare
l'école classique et bilingue, laissant percevoir qu'en tout point de
vue, l'éducation bilingue est préférable à
l'éducation classique :
Tableau n°7 : Ressemblances et divergences des
écoles bilingues et des écoles classiques
Ecoles bilingues
|
Ecoles classiques
|
Plus de motivation de la part des élèves
|
Plus d'incompréhension
|
Les élèves sont plus actifs en classe
|
Meilleure prononciation du Français surtout au CE1
(3e année)
|
Niveau beaucoup plus élevé en 1e
année
|
Les enfants ont plus confiance en eux pour s'exprimer en
Français
|
En 5 ans, les élèves du bilingue ont le
même niveau que ceux du classique en 6 ans
|
Scolarité primaire de 6 ans
|
Apprentissage de métiers : menuiserie,
agriculture, élevage, teinture, couture, etc.
|
Peu ou pas d'activités culturelles ou de production
|
Participation des parents d'élèves aux
activités de production
|
Moins de participation des parents, moins de suivi
|
Meilleure compréhension des concepts
enseignés
|
Incompréhension et peur chez les enfants durant les
premières années
|
L'école est en lien avec la culture et le milieu de
l'enfant
|
Reconnaissance des écoles classiques par les
intellectuels et des fonctionnaires burkinabés
|
Source : Constance Lavoie (2008)
En considération de tous ces atouts, les protagonistes
de l'éducation bilingue de même que certains chercheurs,
didacticiens et linguistes, affirment que ce modèle d'éducation
serait le plus recommandable pour le Burkina en tant qu'il répond le
plus adéquatement aux besoins et aux réalités du contexte.
A ne s'en tenir toutefois qu'à ses observations, on en vient à se
demander pourquoi cette éducation bilingue, si recommandable,
peine-t-elle à s'imposer à tout le pays ? Existe-t-il des
obstacles qui entravent l'expansion de ce système éducatif ?
Comment les enseignants qui sont les premiers protagonistes de
l'éducation bilingue et les acteurs principaux de son
développement se positionnent-t-il dans cette innovation ?
35
CHAPITRE 3 :
DES RAISONS DE S'INTERROGER
Notre travail de recherche porte sur le rapport des
enseignants aux langues nationales dans l'éducation bilingue au Burkina
Faso. Si nous avons été amené à nous
intéresser à un tel sujet, c'est parce qu'en dépit de tout
le bien qu'on peut dire de cette innovation pédagogique, il subsiste des
craintes, des réserves et même des problèmes qui nous
amènent à nous interroger sur la posture des enseignants dans ce
projet d'éducation. En effet, interroger la posture réelle des
enseignants dans l'éducation bilingue au travers de leur rapport aux
langues nationales nous semble un passage obligé pour donner des assises
solides et pérennes à ce projet d'éducation. Au nombre de
ces questions problématiques qui nous poussent à nous interroger
sur la posture des enseignants dans l'éducation bilingue, deux nous
semblent d'une importance capitale ; il s'agit d'une part de la remise en cause
de la solidité des fondements du système éducatif bilingue
et d'autre part de la situation de la diglossie que connaît le Burkina
Faso.
3.1 L'école bilingue, la fabrication d'un
succès
Dans une étude qu'il a effectuée dans deux
provinces du Burkina sur l'état des écoles bilingues
initiées par l'OSEO, Cheron (2008) a montré que les discours
élogieux tenus à l'endroit de l'éducation bilingue
relevaient plus de l'effet de la fabrication d'un succès par l'OSEO et
ses partenaires que de la description d'une réalité. Parmi les
domaines sur lesquels a porté l'action de l'OSEO, Cheron (2008) cite
entre autres, l'enrôlement des cadres du Ministère de
l'Enseignement de Base, l'implication des parents et l'amélioration des
conditions de vie des enseignants.
Selon Cheron (2008), l'enrôlement des cadres du
Ministère de l'Enseignement de Base par l'OSEO a pris force avec la
création en 2003 au sein de ce ministère de la Direction
Générale de l'Enseignement Bilingue (DGEB). Cheron (2008 : 26)
fait remarquer que « ce service public entièrement voué
au suivi-évaluation de la pédagogie bilingue a été
pensé, conçu et instauré par l'OSEO elle-même et est
dirigé et animé par des inspecteurs proches de l'OSEO ».
Entièrement financée par l'OSEO, elle organise plusieurs
visites dans les écoles bilingues en collaboration avec les
différentes inspections ; pour se rendre compte de l'importance de
l'action de la DGEB, Cheron (2008) cite en exemple le constat selon lequel
36
les écoles bilingues peuvent recevoir entre trois
à quatre visites dans l'année pendant que les écoles
publiques voisines n'en bénéficient même pas d'une seule.
Cette immixtion dans la sphère décisionnelle aurait par ailleurs
permis à l'OSEO de court-circuiter certaines réticences
émanant du milieu des intellectuels.
Le second axe d'influence dans la fabrication du succès
de l'école bilingue que révèle l'étude de Cheron
(2008) porte sur l'implication des parents. Si l'OSEO a su organiser son projet
et lui donner l'ancrage qu'il connaît actuellement, c'est parce qu'il a
tenu à s'assurer « une meilleure intégration de
l'école à la communauté villageoise et une participation
effective des parents au processus éducatif » (Cheron, 2008 :
37) en associant les parents au processus d'implantation et à
l'animation des écoles ; critiquant par ailleurs l'insistance des
initiateurs du projet sur la forte demande d'ouverture d'écoles
bilingues (d'environ 500 comme nous l'avions souligné
antérieurement) l'étude menée par Cheron (2008 : 37)
montre que « même si les parents adhèrent à
l'école - notamment parce qu'ils cherchent à réaliser
à travers elle une certaine justice intergénérationnelle
-, ils ne semblent pas adhérer au bilinguisme en tant que tel et ne
réclament des écoles bilingues que lorsqu'ils se rendent compte
que c'est le seul moyen d'obtenir une école pour leur village
».
Enfin, les travaux de Cheron (2008) ont surtout mis à
jour le constat selon lequel si l'éducation bilingue est aujourd'hui
exaltée, décrit comme étant un succès
pédagogique c'est avant tout parce que l'OSEO et les différents
partenaires ont pris le soin d'améliorer les conditions de vie et de
travail des enseignants qui sont les acteurs clés dans ce système
éducatif. Une étude de terrain entreprise par Nanema (2009), sur
les profils et les conditions de travail des enseignants des écoles
bilingues et classiques a permis de confirmer les propos de Cheron (2008) ; de
ces deux études, il ressort que les enseignants des écoles
bilingues, contrairement à leurs collègues des écoles
classiques bénéficient de nombreux avantages : tout d'abord, les
enseignants des écoles bilingues disposent d'infrastructures neuves
(écoles et logements neufs et bien équipés,
matériels didactiques et pédagogiques neufs et en nombre
suffisant, effectifs des élèves contrôlés) ; en
outre, ils bénéficient de nombreuses séances de formations
qui sont le plus souvent rémunérées et sont
régulièrement suivis par les encadreurs pédagogiques. Sur
le plan financier, ils jouissent d'une indemnité spécifique
mensuelle de 15000F CFA qui vient grossir leur salaire de fin du mois. A en
croire donc ces auteurs, la motivation des enseignants dans l'éducation
bilingue serait entretenue par ces nombreux avantages dont ils
bénéficient et par les soins dont ils sont l'objet. Cela pose
à notre niveau de grandes questions : si la motivation des enseignants
est nourrie non pas par la conviction
37
qu'ils ont de l'efficacité du système
éducatif bilingue mais par les avantages qu'il procure, quel savoir
vont-ils transmettre ? Cette éducation bilingue a-t-elle un avenir ?
Mais si la remise en cause des fondements de
l'éducation bilingue peut être une source d'inquiétude pour
l'avenir de ce système éducatif, elle n'est cependant pas la
seule ; la situation socio-linguistique du Burkina nous amène aussi
à nous interroger sur l'engagement des enseignants.
3.2 La situation de diglossie au Burkina Faso
Selon Wolff (2004), cité par Nikiema et
Kabore-Paré (2010 : 21), « le terme de
« diglossie » est... utilisé pour
décrire toute situation dans laquelle deux langues différentes ou
deux variétés d'une même langue sont utilisées et
parlées dans la vie quotidienne d'une communauté linguistique
pour des fonctions différentes, souvent complémentaires, l'une de
ses fonctions étant généralement associée à
des fonctions sociolinguistiques supérieures, et l'autre à des
fonctions inférieures, c'est-à-dire que la première est
considérée comme plus prestigieuse que la seconde ».
Si aujourd'hui, les linguistes s'accordent à
reconnaître à Jean Psichari (1854- 1929) la paternité du
concept, on peut admettre que c'est avec Charles Fergusson, dans son article
célèbre, « Diglossia » (1959) que le concept va
connaître une véritable théorisation. En partant de
différentes situations sociolinguistiques comme celles des pays arabes,
la Suisse alémanique, Haïti, ou la Grèce, Ferguson (1959)
considère qu'il y a diglossie lorsque deux variétés de la
même langue sont en usage dans une société avec des
fonctions socioculturelles différentes. Cette différence
s'explique du fait que l'une de ces variétés est
considérée comme « haute » donc valorisée,
investie de prestige par la communauté : on la retrouve essentiellement
à l'écrit et dans la littérature en particulier ou dans
des situations d'oralité formelle, et elle est enseignée. A
l'opposé, l'autre, considérée comme « basse »,
est utilisée dans les communications ordinaires de la vie quotidienne,
et est réservée à l'oral.
De l'avis des sociolinguistes et didacticiens (Ilboudo, 2009 ;
Nikiema, Kaboré/Paré, 2010), la situation de diglossie se serait
construite au Burkina Faso à la faveur de la mise en place de deux
systèmes éducatifs parallèles : l'éducation
formelle avec comme support de langue le Français et l'éducation
non formelle utilisant comme support les langues nationales. Dans le contexte
burkinabè, les politiques éducatives et linguistiques auraient
oeuvré à associer les fonctions supérieures au
Français, langue officielle, langue de scolarisation et
38
langue administrative et les fonctions inférieures aux
langues nationales, utilisées seulement dans le cadre de
l'alphabétisation.
Ces deux systèmes éducatifs diffèrent non
seulement par leur langue d'enseignement (le Français pour
l'éducation formelle et les langues nationales pour l'éducation
non formelle), mais aussi par leur public cible, le traitement
réservé aux sortants et la classe sociale de ces derniers.
En s'inspirant des catégories définies par
Charles Fergusson (1959), Nikiema et Kabore/Paré (2010)
représentent succinctement les fonctions attribuées à
l'une et l'autre de ces formes d'éducation comme suit :
Tableau n°8 : Représentation de la
situation de la diglossie au Burkina Faso d'après Nikiema et
Pare-Kabore/Paré (2010)
|
Education formelle
|
Education non formelle
|
Langue
|
Français
|
Langues nationales
|
Public cible
|
Jeunes en âge de scolarisation (7-12 ans)
|
Adultes analphabètes « Rebuts » de
l'école
|
Certification
|
Diplômes officiels
|
Attestations non reconnues
|
Traitement des
sortants
|
Accès à la fonction publique, au travail
rémunéré par des salaires réguliers
|
Pas de débouchés particuliers
|
Classe sociale
des sortants
|
Elite, classe dirigeante, privilégiés
|
Classe des dominés et laissés-pour-compte
|
A partir de ce tableau, on peut comprendre aisément que
du point de vue des représentations, « le Français
jouira des préjugés les plus favorables, tandis que les langues
nationales seront accablées de toutes sortes de préjugés
défavorable » Nikiema et Pare-Kabore/Paré (2010 :
21).
Selon ces auteurs, cette situation de diglossie a pour
conséquence d'entretenir un certain nombre de préjugés
néfastes sur les langues nationales, allant du doute sur leur
efficacité pédagogique à l'affirmation de leur
incapacité à véhiculer le progrès ; comme le
signifie bien Nikiema (1995 : 219), « on établit
allègrement une synonymie entre « langue nationale », «
culture ancestrale », « arriération », « ignorance
», « retro... », « arrière-garde », cependant
qu'on fait rimer « progrès » et « modernité »
avec « Français » »
Partant de ce constat, nous nous interrogeons sur les effets
que pourrait produire cette situation de diglossie sur les rapports des
enseignants à ces langues nationales et partant à
l'éducation bilingue. En effet, comme nous le souligne Daunay (2010 :
189), dans le
39
Dictionnaire des concepts fondamentaux des
didactiques, « dans toute situation d'apprentissage (...) le
sujet apprenant est confronté à des contenus d'enseignement qu'il
doit maîtriser progressivement. Cette confrontation l'amène
à donner du sens, à accorder une valeur aux contenus, autrement
dit à supposer notamment leur utilité sociale, leur
légitimité dans la situation d'apprentissage, leur pertinence
dans la discipline. » Dans ce cas précis, nous faisons
l'hypothèse que la valeur, la pertinence et la légitimité
que ces enseignants, qui ont grandi dans le même contexte social,
accordent à ces langues nationales ne peuvent être
dénuées de toute influence de la diglossie.
La question que nous nous posons dans cette étude est
de comprendre les rapports qu'entretiennent les enseignants avec les langues
nationales utilisées comme médiums et objets d'enseignement dans
les écoles bilingues au Burkina Faso ; Malgré certaines opinions
favorables qui vantent l'efficacité du système d'éducation
bilingue, la motivation des enseignants et les taux de succès
satisfaisants qui confirment cette efficacité, d'autres études
tendent à prouver que la réussite tant proclamée de
l'éducation bilingue n'est en réalité qu'un château
de carte car elle a été savamment fabriquée par ses
protagonistes. D'autre part, on remarque que malgré le dynamisme de ses
acteurs, l'éducation bilingue, qui est appelée à remplacer
le système classique, a de la peine à s'imposer. Certains
chercheurs (linguistes et didacticiens) expliquent cette difficulté par
la situation de diglossie qui prévaut au Burkina et qui dessert
l'éducation bilingue fondée essentiellement sur l'usage des
langues nationales comme médiums et matières d'enseignement. Face
à ce constat, nous nous sommes dit qu'il était important
d'interroger le rapport des enseignants aux langues nationales car un rapport
aux langues de ces enseignants conforme ou non à celui de l'institution
scolaire pourrait favoriser ou freiner le développement de
l'éducation bilingue. Tout cela nous conduit donc à formuler
notre question de recherche comme suit : quel est le rapport des
enseignants aux langues nationales, en tant que médiums et
matières d'enseignement dans l'éducation bilingue au Burkina
Faso?
40
3.3 Hypothèses de recherche
En rapport à notre question de recherche et à la
suite de notre problématique, nous pouvons énoncer comme
réponses provisoires à notre questionnement les hypothèses
suivantes :
Hypothèse principale
Le rapport des enseignants aux langues nationales en tant
que médiums et matières d'enseignement révèle des
réticences au sujet de la pertinence et de l'efficacité de
l'éducation bilingue au Burkina Faso.
Hypothèses secondaires
De cette hypothèse principale, nous allons
vérifier les hypothèses spécifiques suivantes :
Hypothèse 1 : les enseignants
manifestent peu d'intérêt pour les langues nationales ainsi que
pour le langage scolaire bilingue.
Nous voulons vérifier ici l'intérêt que
manifestent les enseignants pour les langues nationales et pour le langage
scolaire bilingue, ainsi que les initiatives prises pour améliorer la
connaissance de ces langues.
Hypothèse 2 : Les enseignants sont
réticents par rapport à la capacité des langues nationales
à servir de médium et de matières d'enseignement.
Cette hypothèse nous permettra de mesurer
l'appréciation que font les enseignants du rôle disciplinaire des
langues nationales utilisées comme médiums et matières
d'enseignement.
Hypothèse 3 : Les enseignants sont
réticents par rapport à l'efficacité et à l'avenir
de l'éducation bilingue.
Dans cette hypothèse, nous analyserons le point de vue
des enseignants sur l'intérêt scolaire et socioculturel ainsi que
sur l'avenir de l'éducation bilingue.
41
3.4 Justifications
Deux raisons principales justifient le choix de notre
étude sur le rapport des enseignants aux langues nationales
utilisées comme médiums et matières d'enseignement dans
l'éducation bilingue : la première est une raison d'ordre
expérientiel et la seconde une motivation d'ordre académique.
En effet, pour avoir travaillé pendant quelques
années en tant que responsable de l'enseignement catholique de notre
diocèse, nous avons pu constater qu'en dépit de tout le bien que
l'on disait de l'éducation bilingue, celle-ci éprouvait des
difficultés à s'imposer sur le terrain. Même si, a priori,
ces obstacles semblaient liés aux réticences des parents
vis-à -vis de cette innovation pédagogique, nous avons voulu en
savoir davantage d'autant plus que l'enseignement catholique au Burkina Faso
était un des partenaires privilégiés de l'OSEO dans la
mise en oeuvre de ce projet.
La seconde raison, d'ordre académique, tient au fait
qu'après avoir parcouru la documentation pour comprendre les causes du
mal-être de l'éducation bilingue, nous avons pu réaliser
que beaucoup de recherches avaient été faites sur
l'éducation bilingue au Burkina Faso mais qu'aucune ne
s'intéressait aux objets d'enseignement proprement dits ou aux premiers
acteurs de ce système éducatif que sont les élèves
et les enseignants. Au nombre de ces recherches on peut citer entre autres :
Ø des études comparatives portant sur
la nature ou l'efficacité des approches pédagogiques et
didactiques des écoles bilingues et classiques :
- Ouédraogo Bibata Sotisi (2004) : Etude
comparative de l'enseignement bilingue et de l'enseignement classique au
Burkina Faso. Cas des provinces de l'Oubritenga et du Sanmatenga de 1998
à 2003, Mémoire de fin de cycle pour l'obtention du
diplôme de l'ENAM, option : administration scolaire et universitaire,
Ecole Normale d'Administration et de Magistrature (ENAM).
- Nikiema Norbert, Kabore-Paré Afsata. (2010): Les
langues de scolarisation dans l'enseignement fondamental en Afrique
subsaharienne francophone: cas du Burkina Faso.
Ø
42
Des études portant sur les difficultés
liées aux conditions de fonctionnement de l'éducation bilingue
:
- Chéron Hélène (2008) : Le projet
« école bilingue » de l'Oseo à Koudougou et Réo.
La fabrication d'un succès, programme Etat local, Ouagadougou,
Laboratoire Citoyennetés.
- Nanema Ouindpanga Geoffroy (2009) : Profils et
conditions de travail des enseignants des écoles bilingues et
classiques. Une analyse comparative dans la ville de Koudougou (province du
Boulkiemdé), Burkina Faso, Ouagadougou, Laboratoire
Citoyennetés.
- Kinda-Remain Patarbtallé Emma Clarisse (2003) :
L'impact d'une généralisation de l'éducation bilingue
sur le plan décennal de développement de l'éducation de
base : cas des écoles bilingues, mémoire de fin de formation
à la fonction d'Inspecteur de l'Enseignement du Premier Degré,
Ecole Normale Supérieure de Koudougou (ENSK).
- Yaméogo Victor (2004) : Quelles stratégies
pour une pérennisation de l'éducation bilingue dans le
système éducatif formel burkinabè ? Le cas de
l'éducation de base au Boulkiemdé, mémoire de fin de
formation d'Inspecteur de l'Enseignement du Premier Degré (IEPD), Ecole
Normale Supérieure de Koudougou (ENSK).
Ø d'autres enfin se sont
intéressés aux représentations des acteurs de
l'éducation ou des parents ; c'est le cas notamment de :
- Napon Abou (2007) : Les obstacles sociolinguistiques
à l'introduction des langues nationales dans l'enseignement primaire au
Burkina Faso. Dans Compaoré, Félix, Compaoré, Maxime,
Lange, Marie-France, Pilon, Marc dir., La question éducative au
Burkina Faso. Regards pluriels. Ouagadougou : Imprimerie de l'Avenir du
Burkina
- Nikièma Norbert. (2000) : Propos et prises de
positions de nationaux sur l'utilisation des langues nationales dans le
système éducatif au Burkina Faso, In Mélanges en
l'honneur du Professeur Coulibaly Bakary à l'occasion du 25e
anniversaire de la création du département de linguistique,
Cahiers du CERLESHS, Numéro spécial 2000.
Si toutes ces recherches sont d'un intérêt
certain pour la communauté scientifique et pour les praticiens, force
est de reconnaître qu'aucune d'entre elles, à notre connaissance,
n'a tenté une approche de l'éducation bilingue par une
entrée au moyen des objets d'enseignement et du rapport des enseignants
à ces objets d'enseignement. Une telle observation ne constitue en
aucune manière une prétention de notre part à vouloir
affirmer
43
que notre approche est la meilleure ou que notre étude
est la plus pertinente. Ce que nous voulons signifier ici, c'est que notre
entrée dans l'approche de l'éducation bilingue par les
enseignants et par les contenus d'enseignement comprend une portée
nouvelle dans le champ des recherches et dans le domaine plus particulier de
l'éducation bilingue, du fait de la dimension didactique qui la
caractérise. Outre le fait qu'elle met en exergue, à la suite des
recherches précédentes, les obstacles qui freinent le
développement du système éducatif bilingue, nous osons
espérer que notre étude sera d'un grand intérêt pour
la communauté scientifique et pour les praticiens à plusieurs
titres : d'abord, nous pensons qu'en investissant un terrain de recherche assez
nouveau, celui du rapport aux langues nationales utilisées comme
matières au Burkina Faso, nous ouvrons de nouvelles perspectives pour
les chercheurs. Ensuite, nous estimons que l'investissement de cette question
de recherche revêtira un intérêt particulier pour les
enseignants dans la mesure où il leur permettra de
réfléchir aux motivations de leur engagement dans
l'éducation bilingue. Et enfin, nous espérons que notre
étude permettra aux formateurs des enseignants de mieux connaître
le public auquel ils s'adressent et de mieux adapter les contenus de la
formation aux réalités du terrain.
Dans ce chapitre, nous avons essayé de
présenter le questionnement qui sous-tend notre travail de recherche ;
ce questionnement prend appui sur un certain nombre de difficultés qui
sont liées aux conditions de mise en place et de fonctionnement de
l'éducation bilingue au Burkina Faso. Conscient du fait qu'un tel
questionnement peut être abordé sous plusieurs angles et dans le
but de mieux cerner notre perspective de recherche, nous entendons, dans le
chapitre suivant définir la posture théorique dans laquelle nous
nous inscrivons.
44
CHAPITRE 4 :
LE CADRE DE REFERENCE
4.1 Le « rapport à » comme fondement
du rapport au savoir
Selon le dictionnaire des concepts fondamentaux des
didactiques (2010 : 189), « le concept de « rapport à
» en didactique désigne la relation (cognitive mais aussi
socio-psycho-affective) qu'entretient l'apprenant aux contenus et qui
conditionne en partie l'apprentissage de ces derniers ».
Beillerot (1989) a fait remarquer que c'est une notion qui
fonctionne par sous-entendus comme si elle ne voulait pas désigner de
quoi ou de qui elle veut exactement parler ; allant dans ce sens, il a pu
identifier trois possibilités de compréhension du concept de
« rapport à » ; ainsi, il invite à distinguer
« le rapport de l'élève au savoir » qui n'est
pas la même chose que « le rapport au savoir de
l'élève » ni que « le rapport à son
savoir de l'élève ». Si l'emploi de la notion dans le
premier cas désigne « le rapport d'une personne dans son statut
avec le savoir scolaire », la seconde expression quant à elle
« mentionne plutôt la disposition de l'élève
indépendante de lui et antérieure même à
l'école », tandis que la dernière formule insiste sur
« la manière dont l'élève utilise son propre
savoir ». Même si pour De Leonardis et al. (2002 : 42)
, « le rapport à » se présente « comme un
concept médiateur et intégrateur indiquant la façon dont
un sujet est affecté par le savoir qui lui est transmis et la
façon dont ce sujet le signifie et s'y rapporte », nous
choisissons d'employer le concept de « rapport à » en
référence à sa première acception,
c'est-à-dire pour désigner le rapport des sujets dans leurs
statuts d'enseignants des écoles bilingues avec les langues nationales
employées comme médiums et matières d'enseignement. A ce
propos, Jacky Verrier et Xavier Burrial (2007 : 7 ) expliquent que le rapport
au savoir des enseignants, dans le cas plus précis du rapport à
la langue comme médium et matière d'enseignement, est à
envisager, non pas sous une dimension bi-directionnelle (enseignant-savoir)
mais multidirectionnelle (enseignant-savoir-instrument-métalangue). Cela
s'explique, selon lui par le fait que contrairement à l'enseignement des
autres disciplines où la langue sert uniquement de véhicule pour
les enseignements et apprentissages, dans le cas de l'enseignement de la
langue, les rapports se complexifient en raison du fait que : « d'un
côté, la langue est savoir
45
d'enseignement, ce qui l'assimile aux autres
enseignements, mais de l'autre, elle est l'instrument de l'enseignement de son
propre savoir, ce qui la différencie des autres disciplines
d'enseignement et, enfin, elle contient la métalangue qui permet de
décrire et d'expliquer la langue, autrement dit, le savoir à
enseigner » Verrier et Burrial (2007 : 7). Ce constat conduit ces
auteurs à distinguer trois catégories dans la définition
du rapport de l'enseignant à la langue : d'abord, ils distinguent
l'enseignant dans son rapport à la langue comme sujet parlant ordinaire,
qui de ce fait entretient avec la langue les mêmes rapports que tout
sujet natif de cette langue ; ensuite, ils considèrent l'enseignant dans
sa fonction et son rôle pédagogique qui utilise la langue comme
instrument de transmission du savoir ; et enfin, ils invitent à prendre
en compte l'enseignant dans son rôle de linguiste et grammairien,
« spécialiste de la métalangue didactique qui sert
à décrire la langue ».
Ce concept de « rapport à », dans sa
relation au savoir, a fait l'objet de nombreuses théorisations dans
plusieurs disciplines ; nous présenterons ces différentes
approches théoriques tout en précisant celle qui nous servira de
cadre de référence pour notre étude.
4.2 Ancrage disciplinaire
Citant Develay (1996), Charlot nous apprend que deux auteurs
ont contribué à ce jour à éclairer la notion de
rapport au savoir : il s'agit de Bernard Charlot dans la sociologie de
l'éducation et Jacky Beillerot dans le domaine de la psychanalyse. Ces
deux auteurs auxquels sont rattachées deux équipes de chercheurs,
l'équipe ESCOL (Education scolarisation) pour la sociologie de
l'éducation et l'équipe du CREF (Centre de Recherche Education et
Formation) pour l'approche psychanalytique, ont contribué à
développer deux approches théoriques du rapport au savoir qui
font référence aujourd'hui. A ces deux approches
théoriques du rapport au savoir, on ne manquer cependant d'associer
l'approche anthropologique d'Yves Chevallard.
4.1.1 L'approche socio-anthropologique
La théorisation du rapport au savoir sous l'angle
socio-anthropologique a été l'oeuvre de l'équipe ESCOL,
sous la direction de Bernard Charlot, sociologue de l'éducation.
L'approche psychosociale se donne pour objectif d'appréhender le rapport
au savoir du sujet
46
dans sa singularité mais aussi en tant qu'il est en
relation avec le monde. Aux sources de la naissance de cette théorie
s'inscrit la préoccupation des chercheurs de l'équipe ESCOL
d'appréhender autrement la question de l'échec scolaire en se
désolidarisant des théories des sociologues français comme
Bourdieu et Passeron ; il faut noter que ces derniers tentaient une explication
de l'échec scolaire par l'origine sociale des apprenants, à
l'aide notamment des théories de la reproduction sociale, de l'habitus
et du handicap social (Charlot, 1997). Face à ces théories
sociologiques, les membres de l'équipe ESCOL s'efforcent de montrer que
s'il est évident, d'une part, que la dimension sociale a un impact
certain dans le rapport au savoir du sujet, on ne peut ignorer, d'autre part,
le rôle singulier que joue chaque sujet dans le rapport au savoir et au
sens qu'il accorde à ce savoir ; c'est la sociologie du sujet. Pour
l'équipe ESCOL, poser la question du sens, c'est s'obliger à une
"lecture en positif" de la réalité sociale et scolaire, en se
refusant à interpréter immédiatement cette
réalité en termes de manques, de lacunes, de "handicaps" : «
Se demander quels sont les mobiles de l'enfant qui travaille à
l'école, c'est s'interroger sur le sens que l'école et le savoir
présentent pour lui. Quel sens cela a-t-il pour un enfant d'aller
à l'école, d'y travailler, d'y apprendre des choses ? Telle est
notre question centrale » (Charlot, Bautier et Rochex, 1992 : 21) ;
cette approche psychosociale du rapport au savoir conduit alors Charlot (1997 :
91) à conclure qu'« analyser le rapport au savoir, c'est
étudier le sujet confronté à l'obligation d'apprendre dans
un monde qu'il partage avec d'autres (...) cette analyse porte sur le rapport
au savoir d'un sujet singulier inscrit dans un espace social ».
Pour étayer sa théorie, l'équipe ESCOL
identifie trois pôles du rapport au savoir que sont le rapport
épistémique, identitaire et social.
- Selon Charlot (1997), le rapport épistémique
au savoir renvoie à la nature même de l'acte d'apprendre et au
fait de savoir ; il répond de ce fait à la question «
apprendre, c'est avoir quel type d'activité ? ».
- Le second pôle du rapport au savoir que Charlot
(1997) identifie, c'est le rapport identitaire. Ici, il n'est plus question de
s'interroger sur la nature du savoir en jeu mais plutôt sur le sens que
nous donnons à ce savoir en référence à notre
histoire, à nos attentes, à nos repères, à notre
conception de la vie etc. La question qui est en jeu ici est de savoir
« qui suis-je pour les autres et pour moi-même, moi qui suis
capable d'apprendre cela ou moi qui n'y parviens pas ? » (Charlot,
1997 : 79).
- Enfin, le troisième pôle du rapport au savoir
décrit par Charlot (1997) est le rapport social. Cette dimension du
rapport au savoir s'explique par le fait que le rapport au savoir est
47
toujours le rapport d'un sujet, lequel est
inséré dans un monde et dans une relation à l'autre,
constitués sous des formes qui préexistent au sujet ; dans ces
conditions, le rapport du sujet au savoir est aussi un rapport social car le
sujet ne peut s'affranchir du monde constitué dans lequel il
évolue.
Charlot (1997) précise toutefois que le rapport social
du sujet n'a pas une dimension propre et indépendante des autres
pôles que sont le rapport épistémique et identitaire ;
« elle contribue à leur donner forme particulière »
(1997 : 87) ; il met également en garde contre toute tentative
d'associer le rapport social à la seule position sociale du sujet comme
l'envisage la théorie sociologique ; si la position sociale
peut-être prise en considération, elle ne suffit pas à
rendre compte de la réalité car la société est
aussi histoire (Charlot, 1997).
A cette approche socio-anthropologique centrée
essentiellement sur la responsabilité du sujet dans la construction du
rapport au savoir, la théorie psychanalytique va apporter une dimension
nouvelle, celle du désir comme condition de détermination du
rapport au savoir.
4.1.2 L'approche psychanalytique
L'approche psychanalytique a été
développée avec l'équipe du CREF sous la direction de
Jacky Beillerot, psychanalyste et professeur de sciences de l'éducation
à l'université de Paris X. Au centre de cette théorie du
rapport au savoir se trouve la valorisation, à travers son histoire, du
désir du sujet comme constitutif de son rapport au savoir.
Le désir est défini comme étant avant
tout « un processus créateur de savoir, par lequel un sujet
intègre tous les savoirs disponibles et possibles du temps »
(Beillerot, 1989 : 189). Cette antériorité accordée
au désir dans la construction du savoir induit par le fait même
une primauté du psychique sur le social sans pour autant l'exclure comme
l'exprime si bien Beillerot (1996 : 73) :
« Toute étude qui prendra le rapport au
savoir comme notion centrale ne pourra pas s'affranchir du soubassement
psychanalytique ; non que cela interdise d'autres approches, mais c'est
à partir de la théorisation de la relation d'objet, du
désir et du désir de savoir, puis de l'inscription sociale de
ceux-ci dans des rapports (qui lient le psychologique au social) qu'il sera
possible de prendre le risque de faire évoluer la notion ; une
évolution qui n'oubliera pas une chose essentielle, sous peine de lui
faire perdre son sens : il n'y a de sens que de désir »
48
Une des caractéristiques essentielles de l'approche
psychanalytique du rapport au savoir c'est qu'elle étudie le sujet, non
pas en contexte expérimental mais en situation, dans les conditions
sociales ordinaires de leur évolution (Beillerot et al. 1996).
Il faut cependant préciser que pour Beillerot et son équipe, la
question principale reste de savoir comment le désir conduit au savoir ;
en effet, si le désir est un processus créateur de savoir, il
reste que ce que vise tout désir en premier c'est la jouissance,
à travers l'objet, et n'ont pas l'objet en lui-même. Ainsi, dans
le cas du rapport de l'individu au savoir, on peut penser que ce qui est
visé en premier par l'apprenant ce n'est pas le savoir mais la
jouissance ; en conséquence, Beillerot (1996 :71) parvient à la
conclusion que « le désir de savoir peut être
considéré comme un donné, mais que l'objet du désir
devienne le savoir ne va pas de soi » ; pour que l'objet du
désir devienne le savoir, il est impératif que le désir de
savoir élise tel ou tel objet en savoir. Pour le chercheur qui s'engage
dans la voie de l'approche psychanalytique, sa tâche consistera donc
« à comprendre comment on passe du désir de savoir
(comme recherche de jouissance) à la volonté de savoir, au
désir d'apprendre, et qui plus est au désir d'apprendre et savoir
telle ou telle chose » (Charlot, 2003 :37).
Charlot (2006 : 40) a reconnu que pour une large part il
n'avait pas de reproche à faire à l'approche psychanalytique en
ce sens que les deux théories s'accordent pour affirmer « le
refus de considérer le rapport au savoir comme une
caractéristique de l'individu, ou, pire encore, comme l'absence d'une
caractéristique attendue (un « handicap ») et le principe
selon lequel le rapport au savoir est un « processus » (Beillerot),
un ensemble de relations et de processus (moi-même) ». Son
différend avec la théorie psychanalytique porte principalement,
comme il l'affirme lui-même, sur le référent
psychanalytique tel qu'il est utilisé par Mosconi (1996 ; 2000) dans ses
recherches : « si l'on développe une théorie des
pulsions à partir d'une base organique, alors le social, l'autre
n'arrivent qu'après, à un moment donné. Par contre quand
J. Beillerot aborde la question par le désir, je le suis tout à
fait, parce que quand on se donne le désir, on se donne d'emblée
« l'autre » et le monde » Charlot (1998 :12).
A ces deux approches théoriques du rapport au savoir,
nous adjoignons l'approche anthropologique d'Yves Chevallard (2003). Même
si nous faisons nôtre la réflexion de Charlot (2000) qui estime
qu'il n'y a pas à choisir entre ces versions (Beillerot, Charlot,
Chevallard) en raison du fait que sur le fond, les questionnements, les modes
d'entrée, les concepts et les méthodes se croisent plus qu'ils ne
se heurtent, nous nous adossons principalement à l'approche
anthropologique. La raison de ce choix s'explique par le fait que son
entrée par la place du sujet, commune aux deux autres approches
théoriques, mais surtout
49
la place et le rôle qu'elle accorde au sujet dans
l'institution semble répondre le mieux à notre
problématique.
4.1.3 L'approche anthropologique de Chevallard
L'approche anthropologique doit sa théorisation
à Yves Chevallard, professeur des universités et didacticien des
mathématiques. Sa théorie est bâtie sur trois
éléments clés : les individus, les institutions, et les
objets qu'elles contiennent. Le postulat qu'il établit à partir
de ces éléments porte l'affirmation selon laquelle un individu
concret a besoin d'entrer en relation avec une ou des institutions pour pouvoir
entrer en rapport avec un savoir. Dès son enfance, l'individu
est assujetti par de multiples institutions qui le constituent personne,
c'est-à-dire l'ensemble formé par l'individu et les rapports
qu'il entretient avec les différents objets ; de là, si l'on
considère une institution donnée comprenant des individus
(famille, école) un objet de savoir devrait exister
nécessairement pour cette institution si au moins un des individus
entretient un rapport personnel avec cet objet. Dans ces conditions,
Enseigner
c'est agir sur le rapport de l'apprenant à l'objet
enseigné pour que celui-ci soit le plus conforme possible au rapport
institutionnel car un bon sujet institutionnel est un individu de l'institution
dont le rapport personnel est proche du rapport institutionnel (Chevallard,
2003). En substance, parler de rapport au savoir selon la théorie
anthropologique nous amène à mettre en évidence la
relation qu'entretient l'individu avec l'ensemble des savoirs institutionnels
et même non institutionnels auxquels il est appelé à faire
face ; cela nous conduit également à mettre en exergue les
tensions et les contradictions que peuvent vivre les individus lorsqu'ils sont
amenés à entretenir des relations entre différentes
institutions aux injonctions parfois contradictoires ; pour échapper
à ces conflits intérieurs, l'individu peut être conduit,
lorsqu'il est sollicité à s'exprimer dans telle ou telle
institution, à présenter une composante publique qui soit
conforme aux exigences de l'institution tout en gardant une dimension
privée qui soit contraire aux mêmes exigences. Cela pose bien
évidemment le problème de l'efficacité du rendement car
si, comme le dit Daunay (2010 : 189), « un rapport aux contenus qui ne
correspond pas à celui que l'institution envisage peut rendre difficile
les apprentissages », il est aussi certain qu'un rapport à
l'institution qui est contraire aux convictions personnelles du sujet peut
aussi rendre difficile les apprentissages.
50
Cette approche théorique nous est donc utile pour
creuser le rapport au savoir des enseignants dans l'institution «
éducation bilingue » en lien avec leur rapport aux autres
institutions que sont la famille, le milieu social etc.
En plus du concept de « rapport à », deux
concepts fondamentaux nous aideront à mieux entrer dans ce cadre
théorique. Ce sont les concepts de « représentations »
et de « conscience disciplinaire ».
4. 3 Autres concepts principaux
4.3.2 La notion de « représentations
»
Si le rapport au savoir est un rapport au monde, un rapport
à l'institution, on ne peut comprendre ce rapport au savoir sans prendre
en compte les représentations que le sujet a de ce monde ou de cette
institution.
La notion de « représentations » a
été initiée dans le domaine des sciences sociales par
Emile Durkheim (1898), mais c'est avec des chercheurs tels Serge Moscovici ou
Denise Jodelet qu'elle connaîtra son développement et son
affinement.
Selon Jodelet (1989 : 53), « la
représentation sociale est une forme de connaissance, socialement
élaborée et partagée, ayant une visée pratique et
concourant à la construction d'une réalité commune
à un ensemble social ».
A la suite de Jodelet (1989), le lexique de sociologie d'Yves
Alpe et al. (2010 : 280) apporte plus de précision à la
définition de ce concept en affirmant que « les
représentations sont d'abord constituées d'idées, de
croyances, de jugements, de visions du monde, d'opinions ou encore d'attitudes.
». Et Seca (2001 :17) d'ajouter qu'elles naissent et se
développent dans « les conversations quotidiennes et par
rapport à des circonstances culturelles et historiques ».
Abric (1994), pour sa part, identifie une double
structuration des représentations sociales ; il distingue :
- d'une part le noyau central, constitué
d'éléments non négociables, stables et cohérents
entre eux et résistants au changement ;
- et d'autre part les éléments
périphériques qui jouent un rôle de décryptage de la
réalité et de tampon, permettant aux individus de mieux
maîtriser les événements qui
51
surviennent en leur assignant une signification et un
rôle. Cette seconde structuration constitue selon Abric (1994 : 25)
« l'interface entre le noyau central et la situation concrète
dans laquelle s'élabore ou fonctionne la représentation
». Par ailleurs, pour cet auteur « c'est l'existence de ce
double système qui permet de comprendre une des caractéristiques
essentielles des représentations sociales qui pourrait apparaître
comme contradictoire : elles sont à la fois stables et mouvantes,
rigides et souples » Abric (1994 : 29).
De ce point de vue, l'intérêt de l'étude
des représentations pour les didactiques se situe
précisément dans la prise en compte de cette double structuration
car c'est sur elle que peut s'appuyer le didacticien pour mieux comprendre
certaines difficultés relatives à l'apprentissage et
procéder à la mise en place d'actions didactiques
appropriées.
Notre recherche ayant pour objectif de comprendre les
fonctionnements des enseignants vis-à-vis de l'éducation
bilingue, le concept de « représentations » qui se situe aux
carrefours du psychologique et du social (Barré-de Miniac, 2000) nous
paraît pertinent pour cerner les enjeux de la question. S'il est vrai
qu'aucune situation d'apprentissage ne peut se passer du rapport du sujet aux
contenus, on ne peut ignorer que ce rapport se nourrit des
représentations du sujet, c'est-à-dire des connaissances qu'il
mobilise autour de ces contenus.
En se référant à la définition
proposée par Jodelet (1989), et en rapport à notre domaine de
recherche, on peut reconnaître en l'ensemble social en question les
groupes ethniques et linguistiques de la population burkinabè
d'où sont issus les enseignants qui font l'objet de notre étude ;
la réalité commune en construction quant à elle fait
référence aux jugements, aux opinions et aux attitudes portant
sur les langues nationales ainsi que sur le Français en usage dans le
milieu scolaire.
L'examen des jugements, opinions et attitudes des enseignants
portant sur les langues nationales utilisées comme médiums et
matières d'enseignement au Burkina Faso nous permettra donc de
caractériser leur rapport à l'éducation bilingue.
4.3.3 La conscience disciplinaire
Comme la notion de « représentations »,
celle de « conscience disciplinaire » nous paraît utile pour
caractériser le rapport aux langues nationales des enseignants, dans la
mesure où ces langues nationales sont utilisées comme disciplines
d'enseignement dans l'éducation bilingue au Burkina.
52
La conscience disciplinaire désigne « la
manière dont les acteurs sociaux et, en premier lieu, les sujets
didactiques - élèves mais aussi enseignants - reconstruisent
telle ou telle discipline » Reuter (2010 : 41).
Cette notion s'inscrit certes dans le champ d'autres concepts
proches tels que le contrat didactique, les « représentations
» ou encore le « rapport à », mais elle s'en distingue
par la dimension spécifique qu'elle accorde aux disciplines et à
la manière dont celles-ci s'actualisent dans l'esprit des apprenants et
des enseignants (Reuter, 2010).
Verrier et Burrial (2007) ont fait observer que la
définition du rapport des enseignants aux langues utilisées comme
matières d'enseignement était d'autant plus difficile à
établir que ces dernières pouvaient être apprises en dehors
du cadre institutionnel et scolaire ; cette situation fait, selon eux, que
« la langue a du mal à être reconnue comme discipline
d'enseignement » Verrier et Burrial (2007 : 9). De ce fait, pour
arriver à convaincre que la langue est vraiment une discipline au
même titre que les autres, l'enseignant a besoin de recourir à des
éléments pédagogiques et didactiques autres que la langue
elle-même et qui garantissent l'identité disciplinaire de ces
langues comme les connaissances en syntaxe, en phonétique ou en
grammaire (Verrier et Burrial : 2007).
En rapport avec notre étude, si l'on considère
qu'avant d'être utilisées comme médiums et matières
d'enseignement dans l'éducation bilingue, les langues nationales
étaient employées dans l'éducation non formelle, avec des
fonctions et des objectifs différents, il est important de se demander
quelle configuration les enseignants donnent à ces disciplines dans le
cadre scolaire ; Nous estimons que la notion de conscience disciplinaire qui
s'attache à définir la manière dont les individus
reconstruisent les disciplines pourra nous aider à déterminer les
fonctions et les finalités que les enseignants rattachent aux langues
nationales appelées désormais à servir de médiums
et de matières d'enseignement dans le système scolaire
burkinabè.
4.3 Opérationnalisation de la
problématique et du cadre théorique
Le concept de rapport au savoir est l'outil principal dont
nous nous servirons pour procéder à l'opérationnalisation
de notre problématique et du cadre théorique. De l'avis de
BEAUCHER (2010), en dépit des efforts déjà
réalisés par les chercheurs, l'opérationnalisation du
concept de rapport au savoir a encore besoin d'être clarifiée ;
cette
53
situation est due, selon De Léonardis et al.
(2002 : 27), au fait que c'est un concept qui est étroitement
lié au contexte et aux objectifs de la recherche et qui, de ce fait,
varie selon que le chercheur privilégie l'aspect subjectif du rapport au
savoir ou « son ancrage dans des situations socio-culturelles
multiples renvoyant à des objets de savoir eux-mêmes pluriels
».
Dans notre effort pour cerner les rapports des enseignants
à l'école bilingue et aux savoirs qu'elle véhicule, nous
nous référons aux dimensions du rapport des enseignants à
l'écriture établies par Barré-de Miniac (2000). Partant
des catégories qu'elle a élaborées pour l'étude du
rapport à l'écriture des élèves, Barré-de
Miniac (2000) en déduit trois dimensions qu'elle juge pertinentes pour
une approche du rapport à l'écriture des enseignants. Ces trois
dimensions se rapportent à l'investissement de l'écriture, aux
opinions et attitudes et aux conceptions de l'écriture et de son
apprentissage ; toutefois, elle attire l'attention sur deux écueils
à éviter dans l'usage de ces dimensions : le premier danger
consisterait, selon elle, à considérer chacune de ces dimensions
de façon isolée ; ce n'est qu'articulées les unes aux
autres qu'elles peuvent caractériser le rapport au savoir de l'individu.
L'autre danger, selon elle, serait de comprendre ces dimensions comme
étant immuables ; elles sont ouvertes et doivent être
contextualisées à l'état des recherches didactiques
concernées. Pour notre part, nous avons fait l'option de nous inspirer
de cette catégorisation pour l'adapter à la conceptualisation de
notre cadre théorique ; trois raisons ont principalement motivé
notre choix : la première raison tient au fait que nos recherches sont
étayées par un même concept didactique clé, à
savoir le « rapport à », même si elles s'en distinguent
par leurs objets ; la deuxième raison se rapporte au caractère
disciplinaire de l'objet de nos recherches : l'écriture comme discipline
d'un côté et les langues nationales comme médiums et
matières d'enseignement de l'autre ; ce qui fait que nous restons
néanmoins dans le même champ d'étude, c'est-à-dire
le milieu scolaire ; enfin, la troisième raison qui a motivé
notre choix tient à la part importante et commune accordée aux
représentations et à leur prise en compte dans la
définition du rapport au savoir des enseignants. Fort de cela et au
regard de notre problématique ainsi que de notre cadre théorique,
nous avons élaboré les trois dimensions suivantes pour servir de
guide à notre travail de recherche :
- la maîtrise et l'investissement des langues
nationales : Pour Barré-de-Miniac (2000), l'investissement renvoie
à l'intérêt affectif que l'on a pour quelque chose et
à la quantité d'énergie qu'on y consacre ; nous lui avons
associé le terme de maîtrise pour pouvoir évaluer le niveau
de connaissances que les enseignants ont des langues nationales qu'ils
enseignent ainsi que l'intérêt qu'ils leur accordent.
54
- les opinions et attitudes sur les langues nationales :
Barré-de Miniac (2000) fait la distinction entre opinion et attitude ;
se référant à la psychologie sociale, elle note que les
opinions se rapportent aux déclarations, aux dires tandis que les
attitudes renvoient aux comportements, l'un et l'autre pouvant être par
ailleurs et dans certaines circonstances en concordance ou en contradiction. La
prise en compte de cette dimension nous sera utile pour déceler le
regard que portent ces derniers sur l'éducation bilingue comme
institution porteuse de savoir ; ainsi, nous nous intéresserons aux
opinions (pertinence, utilité), à l'adhésion, aux
résistances des enseignants mais aussi aux leviers de changement pour
l'amélioration de ce système.
- Les conceptions sur les fonctions disciplinaires des
langues nationales : Barré-de Miniac (2000 : 122) définit les
conceptions comme étant « des représentations relevant
du sens commun, au sens où elles sont généralement
énoncées comme relevant de l évidence ».
L'approche de cette dimension du savoir enseignant nous conduira d'une
part, à porter un regard attentif sur la connaissance que les
enseignants ont des disciplines qu'ils enseignent et de leurs limites et
forces, et d'autre part, de mettre en évidence la valeur et
l'utilité qu'ils accordent à ces disciplines.
A travers l'investigation de ces trois dimensions du rapport
des enseignants aux langues nationales, il s'agit pour nous de chercher
à mettre en exergue le regard que les enseignants portent sur
l'éducation bilingue dans toutes ses dimensions : linguistique,
sociologique et didactique, mais aussi d'interroger leur posture dans ce
système éducatif en rapport avec les institutions en jeu.
Dans l'objectif d'étudier la question relative au
rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médiums
et matières d'enseignement, dans l'éducation bilingue au Burkina
Faso, un cadre théorique a été défini et un
certain nombre d'hypothèses ont été posées à
la suite de l'élaboration de notre question de recherche. Leur test
devra permettre d'obtenir des réponses à nos questionnements.
Pour cela, il est nécessaire de déployer une méthodologie
de travail qui puisse nous aider à recueillir les données
nécessaires à notre étude. C'est la démarche que
nous avons opté de suivre que nous préciserons dans les pages qui
suivent.
55
CHAPITRE 5 :
NOS CHEMINS D'INVESTIGATIONS
5.1 La démarche de recueil des données
5.1.1 La démarche méthodologique
adoptée
Notre travail de recherche s'appuie sur la démarche
hypothético-déductive. Selon Depelteau (2010 : 62), « la
démarche hypothético déductive est la démarche
classique de la science moderne. Elle découle de la méthode
expérimentale et est applicable en sciences humaines dans toutes les
disciplines et avec plusieurs méthodes de recherche ».
La démarche hypothético-déductive a
été prônée par Popper, en réaction à
l'approche inductive des positivistes. Pour lui, une démarche se dit
scientifique, non pas dans la mesure où elle conduit à la
vérification des hypothèses et des théories comme
l'entendent les positivistes mais seulement si elle permet leur falsification
ou leur réfutation. Selon Popper, la science ne mène pas à
la vérité, elle ne peut faire que s'en rapprocher par la
corroboration ou la réfutation des hypothèses que l'on formule ;
aussi, la bonne démarche, celle qui répond le mieux à
cette exigence est-elle la démarche hypothético-déductive.
Citant Popper (2007), Depelteau (2010 : 76) définit ainsi la
méthode hypothético-déductive inspirée du
falsificationnisme : « c'est la démarche propre à une
science qui ne poursuit jamais l'illusoire de rendre ses réponses
définitives ou mêmes probables. Elle s'achemine plutôt vers
le but infini encore qu'accessible de toujours découvrir des
problèmes nouveaux, plus profonds et plus généraux et de
soumettre ses réponses, toujours provisoires, à des tests
toujours renouvelés et toujours affinés ».
Les étapes de la recherche selon la démarche
hypothético-déductive sont organisées comme suit :
- Enonciation de la question de départ ou question de
recherche - Construction d'une ou plusieurs hypothèses de recherche -
Tests empiriques pour vérifier ou infirmer la ou les hypothèses -
Corroboration ou réfutation des hypothèses
- Poursuite ou reprise des recherches
56
En dépit des critiques qui sont faites au
falsificationnisme et qui portent notamment sur la trop grande importance qu'il
accorde à la réfutation des énoncés
généraux au détriment de leur corroboration, Depelteau
(2010) a montré que son apport dans le domaine de la recherche est
indéniable. En effet, « il suggère une mise en garde
essentielle et fort pertinente pour le néophyte qui fait ses premiers
pas en sciences humaines : il est plus sage de se contenter de corroborations
provisoires et même d'une falsification des hypothèses de
recherche que d'espérer, ou pire encore, de croire en leur
vérification grâce à l'expérience ».
En tant que néophyte dans la recherche et fort de ce
conseil, nous optons pour cette démarche car nous estimons qu'elle est
la mieux adaptée pour nous aider à mieux répondre à
notre question de recherche.
5.1.2 Les techniques de recueil de données
Afin de procéder aux tests empiriques de nos
hypothèses de recherches, nous avons adopté une méthode de
recherche mixte, c'est-à-dire quantitative et qualitative.
Legendre (2005 : 1155) définit la recherche
quantitative, comme étant une « recherche qui préconise
l'utilisation d'instruments de mesure pour préciser les observations
ainsi que l'utilisation de méthodes statistiques pour objectiver
l'analyse et l'interprétation de résultats ». Afin de
recueillir des données quantitatives relatives à notre champ de
recherche, nous avons donc fait le choix d'adopter la technique du
questionnaire (voir questionnaire en annexe n°3). Ce
choix est motivé par deux raisons principales : la première est
liée au fait que notre étude aborde une dimension descriptive de
la situation du rapport des enseignants aux langues nationales dans
l'éducation bilingue au Burkina Faso. Les données quantitatives
qui seront recueillies nous permettront sans doute de dégager des
constantes, des régularités, des oppositions ou des
singularités statistiquement observables qui nous aideront dans notre
tâche descriptive ; la seconde raison qui a guidé notre choix de
la technique de recueil de données par questionnaire comme
méthode d'investigation se rapporte au fait que c'est le moyen qui nous
permettait de prendre en compte toutes les langues impliquées dans
l'éducation bilingue et d'atteindre le plus grand nombre possible
d'enseignants.
En plus de la recherche quantitative, nous avons aussi
adopté une technique de recueil de données de type qualitatif.
D'après Mongeau (2008 : 31), les méthodes qualitatives d'analyse
des données « s'appuient essentiellement sur l'induction ; les
propositions relatives aux relations porteuses de signification sont
tirées, induites, des observations. Elles sont dites
57
qualitatives parce que l'analyse des données et
leur interprétation procèdent par analogies, métaphores,
représentations, de même que par des moyens qui tiennent du
discours plutôt que du calcul. Il s'agit ici de comprendre une situation
particulière propre à un contexte donné ».
Etant donné que notre travail de recherche porte sur
le rapport des enseignants au savoir, cela nous amène à nous
intéresser aux représentations, aux valeurs, au sens que ces
acteurs accordent à leurs pratiques en tenant compte de leurs
expériences et de leurs trajectoires socioculturelles. Aussi, ce domaine
de la connaissance ne pouvant être efficacement appréhendé
que dans le discours des intéressés, nous avons jugé utile
de procéder à des entretiens semi-directifs en complément
de l'enquête par questionnaire (voir grille d'entretien en annexe
n°4).
5.1.3 L'échantillonnage
Selon Depelteau (2010 : 213), « un
échantillon est une partie ou un sous-ensemble d'une population
mère », la population mère étant l'ensemble de
tous les individus qui ont des caractéristiques précises qui se
trouvent être en lien avec les objectifs de l'étude. Depelteau
(2010) fait remarquer que si idéalement le souhait de tout chercheur est
d'établir un échantillon représentatif de la population
mère, il est concrètement difficile d'y arriver ; on se borne de
ce fait, et le plus souvent, à établir des échantillons
exemplaires plutôt que représentatifs de la population
mère.
Dans le cadre de notre étude, nous avons établi
deux types d'échantillons en référence au questionnaire et
à l'entretien semi directif que nous avons élaborés. Notre
population mère est constituée des enseignants des écoles
bilingues du Burkina Faso ; selon les statistiques du Ministère de
l'Enseignement de Base, le Burkina Faso comptait, en 2012, 150 écoles
bilingues, soit un minimum de 750 enseignants à raison de 5 enseignants
par école, sans compter les suppléants (voir la situation
complète de l'éducation bilingue en annexe n°5).
En ce qui concerne l'enquête par questionnaire, nous
avons établi un échantillon de 131 enseignants
représentatif des 9 langues en usage dans l'éducation bilingue et
proportionnel au nombre d'enseignants exerçant au compte de chaque
langue nationale ; d'autre part nous avons pris pour consigne de ne pas retenir
moins de 5 individus par langue nationale quel que soit le nombre d'enseignants
représentés dans la langue ; enfin, pour permettre la prise en
compte d'un regard extérieur à l'éducation bilingue, nous
avons pris en
58
considération, dans l'échantillon, 33
enseignants issus des écoles classiques, soit le quart du nombre
d'enseignants retenus dans notre échantillon.
Quant à l'entretien semi-directif, nous l'avons
mené avec un échantillon de 6 individus dont cinq enseignants
issus des écoles bilingues et un seul provenant de l'éducation
classique. Ce choix des 5 enseignants bilingues contre un seul des
écoles classiques s'explique, avant tout, par le fait que notre
étude porte prioritairement sur l'éducation bilingue mais aussi
parce que 3 des 5 enseignants bilingues que nous avons interviewés ont
déjà une longue expérience de l'enseignement classique.
Nous aurions voulu prendre en compte toutes les langues nationales mais cela
s'est avéré difficile en raison des contraintes en termes de
temps et de distance. Nous nous consolons néanmoins en pensant à
cette réflexion de Mongeau (2008 : 93-94) : «
L'échantillon d'une recherche poursuivant des objectifs de nature
plus qualitative peut être relativement petit, car l'objectif n'est pas
de rendre compte d'une population, mais de recueillir de l'information
pertinente pour mieux comprendre un phénomène ». Pour
la désignation des 5 individus issus des écoles bilingues, nous
avons regroupé les langues en fonction du nombre d'écoles qui les
représentent et par palier de 1 à 5 écoles. Un ou deux
représentants ont ensuite été choisis dans chaque
catégorie pour être interviewés. Ce choix a tenu compte
aussi des situations géographiques.
5.1.4 Conditions de recueil des données
L'enquête qui nous a permis de recueillir les
données de la présente étude s'est déroulée
du 13 au 31 janvier 2014 au Burkina Faso. Etant donné que l'objet de
notre étude porte essentiellement sur une dimension de
l'éducation de ce pays et animé par le souci d'être plus
proche de la réalité du terrain, nous avons effectué
spécialement un voyage à cette fin. L'enquête s'est
déroulée dans 18 villes et villages différents ; ces
villes et villages correspondent à la localisation des 131 enseignants
que nous avons interviewés et couvrent la totalité des huit
langues nationales en usage dans l'éducation bilingue au Burkina Faso.
Si, pour les entretiens nous avons tenu à les mener nous-même pour
nous assurer de l'orientation, du contenu et de la qualité à
donner aux échanges, il n'en a pas été de même pour
le questionnaire. En effet, en raison du nombre des villes ciblées et
compte tenu des distances à parcourir, nous avons sollicité
l'aide de quelques amis prêtres et enseignants pour nous accompagner dans
cette tâche. Ainsi, nous n'avons pu être physiquement
présent que dans 7 villes (Koupela, Kaya, Kongoussi, Thyou, Ouahigouya,
Ouagadougou et Tenado). Toutefois,
59
nous nous réjouissons de la motivation de ces acolytes
qui nous ont épaulé et dont l'implication personnelle nous a
permis de récupérer toutes les fiches qui ont été
transmises aux enquêtés.
En ce qui concerne la collecte des données
qualitatives par entretien, nous l'avons, comme souligné
précédemment, effectué nous-même. Etant donné
que nos entretiens ont un rôle complémentaire à
l'enquête par questionnaire, nous avons dû attendre de recueillir
quelques fiches d'enquêtes afin de mieux ajuster nos questions en
fonction des données déjà recueillies. Dans l'ensemble,
nous avons été agréablement surpris par la
disponibilité des enseignants qui semblaient ravis de pouvoir partager
leurs préoccupations sur l'éducation bilingue.
5.1.5 Difficultés
A l'image de ce que peut représenter toute entreprise
humaine, notre travail de recherche a été marqué par
quelques obstacles.
La première difficulté à laquelle nous
avons été confronté se rapporte à la distance qui
nous sépare de notre champ de recherche. Si nous avons pu rassembler
sans grande épreuve la documentation liée à notre
thème d'étude, le problème restait entier quand à
la possibilité d'être sur le terrain et d'y mener surtout les
enquêtes. Pour lever cette entrave, nous avons décidé, avec
l'autorisation de notre directeur de mémoire d'effectuer un voyage d'une
durée de trois semaines au Burkina afin de mieux nous imprégner
de la réalité de l'éducation bilingue et de pouvoir y
mener nos enquêtes ; ce voyage a eu lieu au mois de janvier 2014.
La seconde difficulté concerne la problématique
du rapport au savoir des enseignants ; si de nombreuses recherches ont
été menées en didactiques ou en sciences de
l'éducation de façon générale sur le rapport au
savoir des élèves, il n'en est pas de même pour les
enseignants ; et l'on peut considérer que cette difficulté prend
encore plus d'ampleur quand il s'agit de parler de rapport aux langues ou aux
langues nationales dans notre contexte ; toutefois, avec les conseils de notre
directeur de mémoire, nous avons pu avancer avec prudence et assurance,
conscient que nous pouvons, par la petite pierre que nous apporterons,
contribuer à combler un tant soit peu ce manque.
Le dernier obstacle auquel nous avons dû faire face
concerne les modalités de recueil des données et plus
précisément le remplissage des fiches d'enquêtes par
questionnaire. Dans les localités où nous ne sommes pas
passé nous-même, certains enseignants ont eu du mal à
60
remplir les valuateurs de représentations ; là
où c'était possible, le problème a été
résolu par téléphone ; dans les autres cas, nous avons
dû récupérer des fiches avec des cases
incomplètes.
5.2 Le traitement des données
5.2.1 Traitement des données quantitatives
Le traitement des données quantitatives que nous avons
recueillies par le biais du questionnaire a été effectué
au moyen du logiciel Hector. Hector est un logiciel de traitement de
données quantitatives qui a été élaboré par
Alain DUBUS, professeur émérite des sciences de
l'éducation. Il permet, comme la plupart des logiciels de ce type,
l'organisation et la saisie des données recueillies autour de cinq types
de variables (logique, numérique, calendaire, ordinal et nominal) et
leur présentation sous forme de tableaux ou de graphiques. Trois des
cinq catégories de variables établies par Hector ont
été nécessaires à la constitution de nos
données en corpus ; il s'agit des variables de type logique, nominal et
numérique. Les données recueillies ont été
codées suivant ces trois registres de variables et sont consultables
dans le plan de codage situé en annexe (voir le plan de codage
en annexe n°6, un exemplaire des réponses au questionnaire en
annexe 7 et la présentation de l'intégralité des
données en tableaux ou graphique, selon les variables, en annexe
8).
5.2.2 Traitement des données qualitatives
Le traitement des données recueillies par l'entremise
des entretiens a commencé, pour nous, par le travail de retranscription.
Tous les entretiens enregistrés ont été
intégralement retranscrits (voir l'intégralité de
la retranscription des entretiens en Annexe 9). Au terme de cette
première étape, nous avons procédé à la
catégorisation des discours selon les dimensions que nous avons
élaborées pour la construction du questionnaire et des entretiens
; à noter que pour Albarello (2007 : 83), la catégorie est
«une rubrique significative ou une classe qui rassemble les
éléments du discours de même nature, du même ordre,
ou du même registre. On peut visualiser la technique comme autant de
petites boîtes ou de tiroirs dans lesquels le chercheur, après
découpage systématique et exhaustif des discours retranscrits
(c'est-à-dire le matériau), regroupe tous les
éléments qu'il estime être de même nature sur base de
critères préalablement définis ». Les
critères préalablement définis en question ici
61
sont prioritairement ceux qui ont présidé
à la construction de notre questionnaire et de notre guide d'entretien
mais aussi ceux qui sont nés de la prise en compte de l'inattendu des
entretiens comme nous l'exprime bien Albarello, (2007 : 83) : « il
arrive que des informations nouvelles, inattendues, non prévues
surgissent ; elles permettent de constituer d'autres catégories a
posteriori. Quoi qu'il en soit, les catégories obéissent à
des règles d'exclusion mutuelle, de pertinence,
d'homogénéité et d'efficacité »
5.2.3 Méthodes d'analyse des données
Après avoir procédé au traitement des
données à l'aide du logiciel Hector et catégorisé
les discours contenus dans les entretiens, nous nous sommes alors livré
au travail d'analyse. De l'avis de Tremblay et Perrier (2006 : 2), «
l'analyse des résultats consiste à rendre compte des
données par rapport à l'objet de recherche ».
Pour mener à bien ce travail d'analyse, nous avons
adopté deux méthodes d'approche : une approche descriptive et une
approche interprétative. Tremblay et Perrier (2006 : 2) enseignent que
« Faire une analyse descriptive c'est dresser un portrait de la
situation telle qu'elle nous apparaît suite à la compilation et au
classement des données qualitatives ou quantitatives obtenues ».
En revanche, « leur interprétation consiste : à en
livrer le sens dans le contexte théorique de la recherche ; à en
livrer le sens en rapport avec la problématique de recherche et à
faire ressortir les pistes de recherches sur lesquelles les résultats
nous amènent » (2006 : 2).
L'approche descriptive a été utilisée
pour procéder à une description détaillée du
rapport des enseignants à l'éducation bilingue sous trois angles
que sont la dimension linguistique, la dimension disciplinaire et la dimension
des représentations. Pour y parvenir, nous nous sommes muni d'une grille
d'analyse élaborée à partir des hypothèses et des
dimensions que nous avons construites pour notre recherche. Cette grille se
présente comme suit :
Ø Intérêt pour les langues
nationales
- Connaissance des langues nationales et du langage scolaire
bilingue - Investissement des langues nationales
Ø Intérêt disciplinaire des langues
nationales
62
- Utilité des langues nationales employées comme
matières d'enseignement - Utilité des connaissances
prodiguées par l'utilisation des langues nationales
- Les effets des langues nationales, utilisées comme
matières d'enseignement, sur les autres matières
Ø Intérêt et conviction des
enseignants pour l'éducation bilingue
- Intérêt scolaire et socioculturel de
l'éducation bilingue
- Conviction des enseignants pour l'éducation bilingue
- Sentiments des enseignants vis-à-vis de
l'éducation bilingue
Pour cette approche descriptive, nous avons utilisé
conjointement les données quantitatives et qualitatives dans un
mouvement de complémentarité, les unes éclairant les
autres et vice versa.
Quant à l'approche interprétative, elle nous a
permis de réfléchir et de discuter les résultats de notre
recherche, en lien avec notre problématique et notre cadre
théorique.
63
CHAPITRE 6 :
ANALYSE DESCRIPTIVE DES DONNEES
Dans ce chapitre, nous nous donnons pour objectif de saisir
le rapport des enseignants aux langues nationales au travers des données
recueillies dans nos enquêtes. Après avoir procédé
à une brève présentation du profil des enseignants qui
constituent notre échantillon, nous exposerons les résultats
suivant les trois axes de notre recherche : l'intérêt des
enseignants pour langues nationales, l'intérêt disciplinaire des
langues nationales et la conviction qu'on les enseignants de
l'intérêt et de l'efficacité du système
éducatif bilingue
6.1 Quelques éléments portant sur le
profil des enseignants
Les enseignants qui composent notre échantillon
d'étude appartiennent à différents statuts professionnels
: ils sont instituteurs adjoints, instituteurs adjoints certifiés,
instituteurs certifiés et instituteurs principaux :
L'Instituteur Principal (IP) est un encadreur de
proximité. Il a le grade le plus élevé du corps des
enseignants exerçant sur le terrain. Généralement, il est
directeur d'école déchargé de cours et assure
l'encadrement pédagogique des autres enseignants.
L'Instituteur Certifié (IC) est un instituteur
titulaire d'un Certificat d'Aptitude Pédagogique (CAP). Ce certificat
est obtenu après un examen par les enseignants qui sont sur le
terrain.
L'Instituteur Adjoint Certifié (IAC) est un
instituteur qui est sorti de l'école de formation des enseignants ; il
est titulaire d'un Certificat Elémentaire d'Aptitude Pédagogique
(CEAP) ou d'un diplôme de fin d'études dans des ENEP
(DFE/ENEP).
L'Instituteur Adjoint (IA) n'a aucun titre de capacité
ou diplôme professionnel. Il est recruté et envoyé
directement en classe. On ne rencontre plus ce type d'enseignant dans les
64
écoles publiques parce que l'Etat a arrêté
cette pratique depuis quelques années déjà ; les seuls que
l'on trouve encore dans l'enseignement sont recrutés dans certaines
écoles privées.
Tableau n°9 : Statut professionnel des enseignants
selon le type d'enseignement
en %.
Type d'école
|
IA
|
IAC
|
IC
|
IP
|
nr
|
Total en %
|
EB
|
12
|
16
|
60
|
9
|
2
|
100%
|
(98)
|
EC
|
12
|
15
|
67
|
6
|
|
100%
|
(33)
|
Total en %
|
12% (16)
|
16% (21)
|
62% (81)
|
8% (11)
|
2% (2)
|
100%
|
(131)
|
|
Au regard de ces statistiques, on remarque qu'une nette
majorité se dégage en faveur des Instituteurs Certifiés
(IC) qui représentent 62% de l'ensemble des enseignants
interrogés, soit 67% des enseignants de l'éducation classique et
seulement 60% de ceux de l'éducation bilingue.
D'autre part, avec un écart d'âge qui va de 25
ans à 56 ans (soit une moyenne de 36 ans), l'ancienneté moyenne
des enseignants de notre échantillon est de 10 ans dans
l'éducation classique et de 4 ans seulement dans l'éducation
bilingue.
Quant à la répartition selon le sexe, il donne
un large avantage aux hommes qui comptent pour 60% de l'échantillon
contre 40% de femmes.
65
Du point de vue de l'origine sociolinguistique des
enseignants, on observe que ces derniers sont issus de 17 groupes ethniques
parlant 17 langues nationales.
Tableau n°10 : Origines ethniques et langues
maternelles des enseignants de notre échantillon
Langues maternelles
|
Effectifs
|
%Total
|
Mooré
|
62
|
47%
|
Fulfuldé
|
11
|
8%
|
Bissa
|
5
|
4%
|
Nûni
|
5
|
4%
|
Kassena
|
5
|
4%
|
Dagara
|
11
|
8%
|
Lyèlé
|
6
|
5%
|
Gourmantch
|
10
|
8%
|
Bwamu
|
2
|
2%
|
San
|
5
|
4%
|
Dafing
|
1
|
1%
|
Bobo
|
3
|
2%
|
Kô
|
1
|
1%
|
Toussian
|
1
|
1%
|
Sciamou
|
1
|
1%
|
Haoussa
|
1
|
1%
|
Lobiri
|
1
|
1%
|
Total
|
131
|
100.00%
|
|
A l'examen de cette liste représentative des langues
maternelles des enseignants de notre échantillon, on note
d'emblée l'absence d'une des huit langues en usage dans l'enseignement
bilingue qui, selon les statistiques, ne se trouve être la langue
maternelle de personne : il s'agit du Dioula ; en effet, les
enseignants qui dispensent des cours d'éducation bilingue à
partir du Dioula se répartissent dans d'autres groupes
ethniques comme le kô, le bobo, le san, le
toussian, le dafing, le bwa, le sciamou.
Cela s'explique par le fait que le dioula est une langue
véhiculaire qui sert de moyen de communication et d'échanges
à plusieurs ethnies de l'Ouest du Burkina et même de la
sous-région.
Par ailleurs, dans le registre linguistique, les
résultats de notre questionnaire nous donnent d'observer que 73% des
enseignants interrogés ne maîtrisent qu'une langue nationale, 21%
d'entre eux en parlent deux, tandis que seulement 6% en connaissent trois.
66
6.2 L'intérêt pour les langues
nationales
Pour mesurer l'intérêt des enseignants pour les
langues nationales, nous avons pris en compte deux critères : leur
niveau de connaissance des langues nationales et du langage scolaire
utilisé dans l'éducation bilingue ainsi que leur degré
d'investissement de ces langues.
6.2.1 La connaissance des langues nationales et du langage
scolaire
Le tableau ci-dessous représenté indique le
niveau de connaissance des langues nationales utilisées dans
l'éducation bilingue par les enseignants. Il faut préciser que
ces langues nationales constituent aussi les langues maternelles de nombre
d'entre eux.
Le premier constat que l'on peut faire au vu de ces
résultats, c'est que les enseignants, dans leur grande majorité,
estiment avoir une maîtrise satisfaisante de la langue nationale qu'ils
parlent et qui est utilisée dans l'enseignement bilingue. On peut ainsi
observer que presque 8 enseignants sur 10, soit 87%, affirment avoir un niveau
de maîtrise de la langue nationale comprise entre une estimation assez
bonne ou très bonne, quand seulement 13% d'entre eux reconnaissent en
avoir une maîtrise simplement passable ou médiocre. Il faut noter
que ceux qui affirment avoir une connaissance médiocre de leur langue
nationale sont tous des enseignants issus des écoles classiques. A ce
niveau, et en-dehors de la remarque que nous venons de faire, il ne nous est
pas donné de constater une nette variation entre enseignants bilingues
et enseignants classiques.
Graphique n° 1 : Niveau de connaissance des
langues nationales, en usage dans l'éducation bilingue, par les
enseignants.
67
Par contre, une variation remarquable apparaît au niveau
des groupes linguistiques :
en effet, il ressort d'emblée que les peuls,
les gourmantchés, les kassena et les Bissa
sont les seuls à déclarer avoir, dans l'unanimité,
une bonne ou très bonne maîtrise de leur langue nationale
d'enseignement tandis que le mooré et le nûni
sont les seuls groupes linguistiques où l'on observe la
présence d'enseignants bilingues dont la maîtrise de la langue
nationale utilisée dans l'enseignement est de niveau passable.
Graphique n° 2 : Niveau de maîtrise des
langues nationales selon les groupes linguistiques.
En revanche, pour ce qui a trait à la connaissance du
langage scolaire propre au bilingue, la variation est beaucoup plus
marquée entre les enseignants du bilingue et ceux du classique. Si les
enseignants affirment toujours, dans leur ensemble et majoritairement (60%)
avoir une bonne ou très bonne maîtrise du langage scolaire des
écoles bilingues, cette
68
proportion acquiert une autre configuration si l'on prend en
compte la spécificité des deux groupes d'enseignants :
Graphique n° 3 : Niveau de connaissance du
langage scolaire bilingue selon le type d'enseignement.
Le graphique ci-dessus présenté nous donne
ainsi de voir que si dans l'éducation bilingue ils sont 75% à
déclarer avoir une bonne ou très bonne maîtrise du langage
scolaire bilingue, dans l'éducation classique, ce taux chute à
12%. A l'opposé, pendant que dans l'éducation classique le taux
de ceux qui estiment avoir une maîtrise du langage scolaire bilingue
à un niveau passable ou médiocre s'élève à
38%, il n'est que de 2% dans l'éducation bilingue. On pourrait toutefois
s'étonner que des enseignants exerçant dans des écoles
bilingues, si peu nombreux soient-ils, disent ne pas maîtriser leur outil
de travail, c'est-à-dire le langage scolaire bilingue pendant que des
enseignants des écoles classiques affirment en avoir une bonne, voire
très bonne maîtrise. Ce problème de la non-maîtrise
du langage scolaire bilingue a été évoqué par Inno,
qui pointe du doigt la formation :
« Le mooré tel qu'il est enseigné
...de sorte que le maître puisse lui-même apprendre là, ils
ne maîtrisent pas ça ! Quand vous regardez le cursus de formation,
un enseignant qui sort de l'ENEP, il n'a jamais eu affaire au mooré et
on le prend, on l'amène pour douze jours de formation et on veut qu'il
conduise des cours d'un an. Donc ya pas ce murissement là ! Le temps n'a
pas été suffisant; donc ça veut dire que les documents que
lui-même va utiliser qui sont également écrit en langue, il
lit mal ! Il lit mal ! »
69
6.2.2 Investissement des langues nationales
Pour rendre compte de l'investissement des enseignants dans
les langues nationales, deux facteurs ont été pris en compte :
les dispositions prises pour améliorer le niveau de connaissance de la
langue et du langage scolaire bilingue et le rôle de la langue dans la
communication.
Ø Dispositions prises pour améliorer la
connaissance de la langue nationale et du langage scolaire bilingue
A la question de savoir s'ils avaient pris des dispositions
pour améliorer leur connaissances des langues nationales
utilisées dans l'enseignement, 66% des enseignants des écoles
bilingues et seulement 34 % des enseignants des écoles classiques ont
répondu par l'affirmative. Les moyens mis en oeuvre sont entre autres
:
- les formations : pour 51% des enseignants du bilingue contre
6% des enseignants du classique ;
- les lectures de magazines et bulletins en langues
nationales : soit 21% des enseignants du bilingue contre 6% des enseignants du
classique ;
- la communication en langues nationales pour 6% des
enseignants du bilingue et 0% pour ceux du classique ;
- la rédaction d'articles et de lettres pour les
parents d'élèves : soit 3% de chacun des groupes d'enseignants
;
Mais ce qui marque le plus au constat de ces
résultats, c'est le manque d'investissement des enseignants du classique
pour améliorer leur niveau de connaissances en langues nationales ; en
effet, on remarque que 84% d'entre eux n'ont pris aucune disposition à
cet effet.
En ce qui concerne les dispositions prises pour
améliorer la maîtrise du langage scolaire bilingue, les
résultats sont proches de la variable précédente avec
néanmoins un léger regain d'intérêt du
côté des enseignants du bilingue. Alors que le taux de ceux qui
déclaraient avoir pris des dispositions pour améliorer leur
connaissance des langues nationales dans ce groupe n'était que de 65%,
il passe à 80 % pour l'intérêt accordé à la
maîtrise du langage scolaire bilingue ; les enseignants des écoles
classiques restent pour leur part à la traîne avec seulement 34%
de réponses positives. Là aussi, les moyens mis en oeuvre sont
les formations
70
(pour 31% des enseignants qui ont répondu), les
lectures (18%), les aides sollicitées aux collègues (5%), les
recyclages (4%) et les conversations en langues nationales (2%).
Ø L'importance de la langue dans la
communication
Un coup d'oeil sur les résultats du tableau ci-dessous
nous donne de percevoir d'emblée que le Français reste la langue
de communication préférée des enseignants, qu'ils soient
du bilingue ou du classique. La variation réside toutefois dans la
dimension de l''écart qui existe entre les taux d'adhésion au
Français et aux langues nationales selon les types d'enseignement ;
alors que l'écart est insignifiant du côté des enseignants
du bilingue (seulement 1%), il est visiblement plus important dans
l'éducation classique, passant de 61 % de préférence pour
le Français à 39% pour les langues nationales, soit un
écart de 22%.
Graphique n° 4 : Choix de la langue de
communication préférée selon le type
d'enseignement
Ces résultats ne reflètent toutefois pas l'avis
des enseignants vus du point de vue de leurs groupes linguistiques respectifs ;
en effet, si pour les bissas, les gourmantchés et les
nûnis, le français demeure la langue de communication
préférée avec respectivement 80%, 70% et 60%
d'adhésion, la tendance est à l'égalité parfaite
pour le fulfuldé mais s'inverse en
71
faveur des langues nationales quand on se réfère
aux groupes kassena (80%), lyèlé (75%) et
dagara (62%).
Graphique n° 5 : Choix de la langue de
communication préférée selon les groupes
linguistiques
6.3 Intérêt disciplinaire des langues
nationales
6.3.1 Utilité des langues nationales
employées comme matières d'enseignement
Dans l'objectif de recueillir l'opinion des enseignants
bilingues sur la valeur qu'ils accordent aux langues nationales
utilisées comme médiums et matières d'enseignement, il
leur a été demandé de se prononcer par rapport à la
thèse selon laquelle « il y aurait des matières inutiles
ou inadaptées dans l'éducation bilingue ». A l'examen
des résultats, il apparaît que les enseignants sont nombreux, soit
72% contre 28%, à réfuter une telle affirmation.
Cependant, lorsque l'on rapporte ces résultats aux deux
catégories d'enseignants, il nous est donné de constater que la
part des enseignants bilingues qui admettent l'existence de matières
inutiles (31%) est largement plus importante que celle des enseignants des
écoles
72
classiques qui est seulement de 6%. Ceux qui soutiennent cette
thèse citent en exemple plusieurs matières :
- Le langage en première année :
il est cité par 58% des enseignants bilingues ; le reproche qui
est fait à cette matière a trait à son caractère
inadapté :
· Daniel, enseignant bilingue gourmantchema :
« les répliques sont longues et difficiles à retenir
pour les élèves »
· Bamogo, enseignant bilingue mooré : « les
structures sont difficiles et confuses pour les élèves
»
Sayoré, enseignant bilingue et directeur d'école
nous explique en quoi consiste cette matière et les difficultés
qui l'affectent :
« depuis qu'on a commencé, on a toujours
demandé à ce qu'on allège le langage de la première
année parce que, comme la première année est
considérée comme trois classes réunies (CP1, CP2, CE1 et
même le CE2), donc dans leur système, ils ont voulu prendre en
compte deux disciplines dans le classique, le langage et les exercices
sensoriels, qu'ils ont mélangés pour faire des dialogues qu'on
appelle le langage en première année au niveau du bilingue ; au
niveau du classique y a ce qu'on appelle les exercices sensoriels : c'est
là-bas où on voit par exemple "c'est gros, c'est long ", c'est un
peu les exercices d'observation des sciences qu'on apprend à l'enfant du
CP1 mais c'est oral. Et au niveau du langage au CP1 classique c'est
peut-être :"je montre un crayon, j'écris au tableau» ; donc
c'est un peu ça ; mais dans le bilingue, comment on a fait, on a
réunit par exemple ces deux-là et on a formé des dialogues
et c'est très long ; les textes là sont très longs
».10
- Les APPC (Activités Pratiques,
Productives et Culturelles) dans les écoles bilingues sont
indexées comme constituant une matière problématique par
13% des enseignants ; si ces derniers la trouvent inutile, c'est parce qu'elle
n'est pas effectivement pratiquée ; le matériel qui devait servir
à faire fonctionner les ateliers des activités pratiques n'est
pas toujours disponible, comme nous le signifie Mouboé, enseignant
bilingue lyèlé : « les ateliers sont
10 Ce que Say dénonce ici, c'est la longueur
des séances de cours de langage ; ces longues séances ne seraient
pas adaptées au niveau des élèves de première
année ; il explique qu'ils ont attiré l'attention des initiateurs
de l'éducation bilingue sur ce problème mais il n'y a eu aucune
réaction. La longueur des séances de cours de langage serait due
au fait qu'on y a regroupé deux matières pratiquées
séparément dans l'éducation classique : il s'agit du
langage et des exercices sensoriels.
73
quasi vides, il n'y a pas de matériel , ·
or, l'élève de l'école bilingue ne devrait pas sortir
bredouille même s'il échouait intellectuellement».
Les chants et récitations en langues :
Cette matière est citée spécifiquement comme étant
inadaptée par le groupe bilingue fulfuldé pour des
raisons culturelles que nous explique Alioud, directeur d'école :
« je me dis que y a pas de matières qui puissent en tout cas
fatiguer les enfants , sauf quelque peu aussi des leçons comme
récitation et chant, mais ça c'est dû au milieu culturel de
l'enfant , par exemple nous les Peuls, on n'aime pas chanter , parce que dans
la structure ethnique il y a des personnes qui sont indiquées pour
ça , donc un Peul comme ça en principe ne doit pas chanter
, · et on dit aux enfants de chanter... »
- La grammaire de la langue dans la langue :
4% certains enseignants trouvent que cette matière est inutile
parce qu'elle ne mobilise pas les notions grammaticales françaises ;
c'est l'avis de Aïssa, enseignante bilingue mooré :
« la grammaire de la langue est inutile parce que certaines notions
n'apparaissent pas (COD, COI, CCM, CCT, féminin, masculin)
»
- La dictée en langue nationale :
cette matière est citée par 11% des enseignants ; elle
est déclarée inutile soit parce qu'elle n'est pas
réinvestie dans les classes supérieures, soit parce qu'elle n'est
pas évaluée à l'examen.
6.3.2 Utilité des connaissances prodiguées
par l'utilisation des langues nationales
Toujours dans le registre de l'intérêt
disciplinaire des langues nationales, et pour rendre compte de la valeur que
les enseignants accordent aux connaissances produites par suite de
l'utilisation des langues nationales comme médiums et matières,
il leur a été demandé de se positionner entre trois
propositions : les langues nationales utilisées comme matières
d'enseignement apportent-elles des connaissances « plus utiles »,
« moins utiles » ou « aussi utiles » que dans
l'éducation classique ? Dans leur ensemble, les enseignants ont
plutôt une bonne appréciation des langues nationales : 58% de
l'échantillon soutient qu'elles apportent des connaissances aussi utiles
que dans l'éducation classique, 34% d'entre eux pensent que ces
connaissances sont même plus utiles et seulement 5% estiment qu'elles
sont moins utiles.
Ce résultat ne doit toutefois pas cacher les fortes
variations d'appréciations qui
74
existent entre les enseignants du bilingue et ceux du
classique ; en effet, rapporté à ces deux groupes d'enseignants,
on remarque que les enseignants du classique sont plus nombreux à penser
que les connaissances qu'apportent les langues nationales en tant que
matières d'enseignement sont aussi utiles que dans le classique, soit 3
enseignants sur 4 contre 2 sur 4 dans le bilingue. Quant à la part de
ceux qui pensent que ces connaissances sont moins utiles, elle est plus
élevée chez les enseignants du classique que chez leurs
collègues du bilingue, soit 9% contre 3% ; en revanche, et comme on
aurait pu s'y attendre, les enseignants du bilingue se trouvent être
proportionnellement plus nombreux à soutenir que les connaissances
qu'ils dispensent sont plus utiles que celles enseignées par leurs
confrères des écoles classiques, soit 41% contre 12%.
Graphique n° 6 : Appréciation des
connaissances dispensées dans les écoles bilingues par rapport
à celles des écoles classiques selon le type
d'enseignement
6.3.3 Les effets des langues nationales, utilisées
comme
matières d'enseignement, sur les autres
matières
Ø Les effets néfastes
Si les enseignants des écoles bilingues sont
plutôt minoritaires à soutenir qu'il y a des matières
inutiles ou inadaptées dans l'éducation bilingue, ils sont,
à l'opposé, beaucoup plus nombreux à reconnaître que
les langues nationales utilisées comme matières d'enseignement
ont des effets négatifs sur les autres matières, soit près
de 7 enseignants sur 10. Là aussi, plusieurs effets sont
évoqués selon les matières indexées :
75
- L'expression orale française : Les
difficultés d'expression en langue française figurent en
tête des effets néfastes des langues nationales cités par
les enseignants pour ce qui concerne la discipline « expression orale
française ». Ces difficultés d'expressions qui sont communes
à toutes les langues nationales seraient dues au fort ancrage des
élèves dans la langue nationale et à la faiblesse du temps
d'études et de pratiques accordé à la langue
française durant les premières années de la scolarisation.
La conséquence directe en est que les élèves
éprouvent de fortes carences en vocabulaire :
C'est ce que nous explicite cet enseignant en langue
nationale dagara : « le fait de rester longtemps dans la
langue maternelle pour aboutir aussi brusquement en Français en 2°
année par le biais de la phonétique appauvrit le vocabulaire des
élèves qui manquent à s'exprimer aisément
».
Ou encore Martin, un enseignant en gourmantchema :
« manque d'effort de la part des élèves (utilisation de
mots gulmancema pour combler les mots inconnus du Français
».
Mais pour Honorine, une enseignante en langue Bissa,
cette carence en vocabulaire n'apparait que lorsque le transfert de la langue
nationale vers le Français est mal fait : « lorsque le
transfert est mal fait, cela peut entraîner une insuffisance de bagages
en vocabulaire à l'oral ».
A cette carence en vocabulaire s'ajoutent les
interférences avec les langues nationales : certaines lettres de
l'alphabet français n'existent pas toujours dans les langues nationales
(c, j, q) et inversement comme le [kp], [?], [?m], [ny] en dagara ; ou
quand elles existent, elles ne se prononcent pas de la même
manière ; c'est le cas des lettres homographes non homophones. Et
lorsque l'élève n'a pas été entraîné
très tôt et intensément à les prononcer, il
éprouve des difficultés par la suite ou les prononce avec
l'accent de la langue ; c'est l'avis d'Alioud qui cite l'interférence
linguistique comme effet néfaste de l'utilisation des langues nationales
dans le bilingue : « interférence linguistique : les
élèves ne peuvent pas faire la différence entre e,
é, è, ê » ou encore Zacharie, enseignant dans une
école bilingue mooré : « les
interférences linguistiques : l'accent des langues nationales domine
».
Tous ces effets auraient pour conséquence, de l'avis
des enseignants, de créer un sentiment de honte chez les
élèves comme nous l'exprime Babilenwé, directeur
d'école bilingue lyèlé : « ils ne
peuvent pas bien prononcer les mots en français. Ils ont honte de
s'exprimer ». C'est aussi le point de vue de cet enseignant
dioula : « à ce niveau, certains élèves
restent collés à la langue nationale parce qu'ils ont des
difficultés ou honte de s'exprimer ».
76
- La lecture et l'expression écrite
française : les difficultés de lecture et
d'écriture
des élèves des écoles bilingues telles
que décrites par les enseignants s'inscrivent toujours dans le registre
des interférences linguistiques. Elles sont évoquées par
des enseignants issus d'écoles bilingues mooré,
fulfuldé, bissa, lyèlé,
gourmantchéma et dagara. Deux causes sont
invoquées pour justifier ces difficultés ; il y a d'abord le
problème des interférences : les élèves auraient
tendance à écrire selon le code orthographique des langues
nationales plutôt que selon le code orthographique français.
Sayoré nous l'explique en ces termes :
« sinon y a quand même des inconvénients
aussi ; par exemple y a la confusion des sons
de la langue nationale et du Français ; un exemple
: en première année on va peut-être dire à l'enfant
que le "U" là se dit" OU"[u]; et quand il va arriver au Français
on dit mais écoute, ce n'est pas OU mais U, [y] ; en plus,
généralement en mooré, un "S" entre deux voyelles se dit
"SE" [s] mais en Français ça devient "ZE" [z]; ça fait que
lors de nos dictées, l'enfant peut écrire un mot et pour
quelqu'un qui sait lire le mooré le mot est bien écrit avec des
sons en mooré ; par exemple on dit "toute la famille" ; l'enfant peut
écrire le "TOUTE" là en "TUT" avec "T" à la fin. "TUT en
mooré, ça se lit TOUTE ; ça fait que l'enfant a tendance
à utiliser ses acquis du mooré là pour mélanger
avec le Français ».
La même difficulté apparaît en
lyèlé : « quand on prend l'alphabet
français et l'alphabet lyèlé, il y a des lettres qui se
prononcent de la même manière par contre il y'en a qui
diffèrent ; quand on prend le C il se lit "kié" en
lyèlé ; quand on prend le G il se lit "gyé", le ZH se lit
"g"..., le U se lit "OU"[y]; ça fait que quand on finit la
phonétique lyèlé et on entame la phonétique
française y a une interférence linguistique qui est là ;
mais ça se corrige dans les autres classes ». (Babil)
A tout cela s'ajoute le fait des conventions orthographiques
françaises qui n'existent
pas dans les langues nationales, telles que gn, ch , un, oie,
in, ph ou des terminaisons muettes du genre « ent ». Ces
difficultés orthographiques, les élèves des écoles
bilingues auraient tendance à les surmonter en lisant ou écrivant
selon le code orthographique appris dans la langue nationale, d'où les
confusions.
- Le calcul : sur l'ensemble des 68
enseignants qui soutiennent que les langues nationales ont des effets
néfastes sur les autres matières, seulement 7 d'entre eux
mentionnent le calcul. Ces enseignants sont issus de quatre groupes
linguistiques : le mooré, le dioula, le
fulfuldé et le gourmantchema. C'est donc la
matière la moins citée en termes d'obstacles. Ici,
77
les enseignants évoquent surtout des difficultés
de conversion des grands nombres appris dès la première
année dans les langues nationales en Français comme nous le
signifie Martin : « difficulté de la lecture
des nombres connus du gulmancema au Français » ; il est aussi
question de problèmes de compréhension des énoncés
; c'est l'avis partagé par Alioud : « les grandes
difficultés, c'est au niveau des problèmes car ils ne comprennent
pas bien le Français».
- Grammaire française : Cette
difficulté est évoquée par les enseignants des
écoles bilingues mooré, fulfuldé,
kassena, lyèlé, gourmantché et
dagara. Sur les 68 enseignants qui ont reconnu
l'existence d'effets néfastes des langues nationales, 13 en
parlent. Le souci rencontré par les
élèves mais aussi par les enseignants au niveau de la grammaire
française se rapporte au fait que les structures grammaticales de
certaines langues nationales diffèrent du Français ; c'est ce que
nous explique Alioud : « certaines formes syntaxiques changent de la
langue nationale en Français. Ex . · Oumarou de Sadou est riche
se dit . · jom (est) jawdi (riche) yo (de) Umaru (Oumarou) Saadu
(Sadou ») ; de ce fait, les élèves qui ont bien
assimilé les constructions grammaticales auraient du mal à
comprendre ces variations et à s'en détacher comme le souligne
Saïdou, enseignant dans une école bilingue mooré :
« apprentissage difficile dû au problème de
détachement du mécanisme de fonctionnement du mooré pour
le français. »
Ø Les effets positifs
Les enseignants des écoles bilingues reconnaissent,
à une majorité écrasante, soit 93%, que l'utilisation des
langues nationales a des effets positifs sur l'enseignement des autres
matières.
Toutefois, à la différence des avis portant sur
les effets négatifs où une diversité de raisons
était convoquée, les avantages induits par l'usage des langues
nationales tels qu'ils sont cités ici mettent en avant la maîtrise
des techniques d'apprentissage par les élèves des écoles
bilingues. L'usage des langues nationales comme médiums et
matières serait un atout dans la mesure où il permet aux
élèves de mieux comprendre et de s'approprier les contenus
d'enseignement. Ce phénomène est présent dans toutes les
disciplines évoquées telles que nous pouvons le percevoir
à travers les propos des enseignants contenus dans le tableau ci-dessous
:
78
Tableau n°11 : Récapitulatif des effets
positifs de l'utilisation des langues nationales comme médiums et
matières sur les autres matières selon les
enseignants
Matières
|
Déclarations des enseignants
|
Nombre de citations
|
Expression orale
française
|
Martin : « les enfants s'expriment
aisément grâce à
l'exploitation des leçons de langage en
première année»
Alioud : « En montrant la voie
à suivre en langue nationale, l'enfant n'a plus de
difficultés, il applique seulement »
|
17/92
|
Lecture
|
Ousseini : « L'enfant lit
correctement car il a déjà les rudiments
nécessaires dans sa langue »
Eloi, enseignant bilingue mooré
: « L'enfant appréhende les sons, les associations
dès la première année à l'issue de
laquelle il lit toute oeuvre même sans comprendre »
|
41/92
|
Expression écrite française
|
David, enseignant bilingue mooré
: « En grammaire de la langue, l'enfant apprend à
découper une phrase en sujet, verbe et complément et
cela l'aide à bien structurer le Français aussi à
l'écrit comme à l'oral »
|
14/92
|
Calcul
|
Martin : « maîtrise
des techniques opératoires et avancée significative du
programme par rapport au classique »
Irenée, enseignant bilingue
lyèlé : « en calcul, c'est encore plus
pertinent parce qu'ils découvrent déjà la centaine
et les grandes opérations en 1° année, ce qui leur permet de
manipuler les chiffres et de comprendre les quatre opérations
sauf en problème où le Français intervient pour
faire comprendre les énoncés »
|
73/92
|
Grammaire française
|
SAYORÉ : « quelques
notions grammaticales vues en langues nationales restent un acquis en
Français »
Ali : « les notions sont
d'abord étudiées en langue nationale avant d'être
transférées en Français, ce qui aide les
élèves à mieux comprendre ».
|
20/92
|
|
79
Au vu des déclarations des enseignants, il ressort
clairement qu'un accord unanime se
dégage en faveur de la reconnaissance de l'apport des
langues nationales utilisées comme médiums et matières
d'enseignement dans la facilitation des enseignements et apprentissages des
autres matières. La matière qui recueille le plus
d'unanimité reste néanmoins le calcul. Sur cette matière
précise, 73 des 92 enseignants qui ont reconnu l'impact positif des
langues nationales ont tenu à marquer leur avis ; Babil nous explique
l'intérêt de cette matière :
« Ici, quand nous avons fait nos premiers pas dans
le bilingue, avec les résultats que nous avons eu, nous avons compris
tout de suite que la maîtrise des connaissances dans la langue maternelle
permet facilement à l'enfant d'acquérir des connaissances dans
d'autres langues ; par exemple, quand on prend le calcul, lorsque l'enfant
acquiert une connaissance en calcul dans sa langue, tout ce qu'on peut faire
c'est de lui donner la notion en Français mais la technique est
déjà acquise en langue ; si tu montres à un enfant comment
il faut faire une conversion des unités de mesure des longueurs, c'est
la même technique en langue ; tu ne peux pas lui dire 18 et il va
écrire 8 là dans la colonne des décamètres! Quand
tu lui donnes la technique en langue c'est la même chose en
Français ; c'est l'appellation du terme qui change ».
L'effet positif des langues nationales sur la lecture, pour
sa part est moyennement cité, soit 41 enseignants sur 92, tandis que
l'expression écrite et orale qui comptent chacune 17 et 14 citations
d'exemples restent faiblement marquées.
6.4 Intérêt et conviction des enseignants
pour l'éducation bilingue
6.4.1 Intérêt scolaire et socioculturel de
l'éducation bilingue
Parmi les thèses qui ont présidé
à la mise en place de l'éducation bilingue au Burkina Faso figure
l'assertion selon laquelle l'éducation bilingue favoriserait les
enseignements et les apprentissages et contribuerait à la sauvegarde des
valeurs culturelles. Le tableau ci-dessous présente les
appréciations que les enseignants font de l'éducation bilingue
sur la base de cinq
80
énoncés ; au regard des résultats, on
s'aperçoit que les enseignants de notre échantillon ne se
distancient pas de cette thèse initiale.
Tableau n°12 : Récapitulatif de la
position des enseignants par rapport aux opinions relatives aux avantages et
aux inconvénients de l'éducation bilingue en %.
Enoncés
|
Pas du tout
|
Un peu
|
Moye nment
|
Tout à fait
|
nr
|
Total
|
Elle améliore la compréhension des enseignements
et facilite les apprentissages
|
2
|
18
|
8
|
70
|
|
100%
(131)
|
Elle aide l'élève à mieux connaître
son milieu culturel
|
1
|
15
|
3
|
77
|
4
|
100%
(131)
|
Elle crée un complexe d'infériorité chez
les élèves
|
62
|
18
|
10
|
5
|
5
|
100%
(131)
|
Elle est un handicap dans l'apprentissage du Français
|
39
|
30
|
13
|
15
|
3
|
100%
(131)
|
Elle réduit les chances de réussite future des
élèves
|
67
|
15
|
5
|
9
|
4
|
100%
(130)
|
|
En effet, si 70% des enseignants partagent tout à fait
l'opinion qui soutient que l'éducation bilingue «
améliore la compréhension des enseignements et facilite les
apprentissages », ils sont encore plus nombreux, 77% de
l'échantillon à reconnaître qu'« elle aide
l'élève à mieux connaître son milieu ». A
l'opposé, il nous est donné de constater que les
énoncés qui tendent à remettre en cause la qualité
de l'éducation bilingue recueillent des opinions plutôt
défavorables : c'est ainsi qu'ils sont respectivement 39%, 62% et 67% de
l'échantillon à ne pas être du tout d'accord avec les avis
qui laissent entendre que l'éducation bilingue « constitue un
handicap dans l'apprentissage du Français », «
crée un complexe d'infériorité chez les
élèves », ou « réduit les chances de
réussite future des élèves ».
Dans la plupart des énoncés, on remarque que la
proportion des enseignants bilingues qui se disent « tout à
fait d'accord » ou à l'inverse « pas du tout d'accord
» est plus élevée que celle des enseignants du
classique à l'exception du quatrième énoncé, celui
stipulant que l'éducation bilingue constitue un handicap à
l'apprentissage du Français ; sur cette opinion précise et
contrairement à ce qu'on aurait pensé, ce sont les enseignants
des écoles classiques
81
qui sont proportionnellement les plus nombreux à
n'être pas d'accord, soit 45% contre 37% pour les enseignants bilingues
comme nous l'indique le graphique ci-dessous représenté.
Graphique n° 7 : Position des enseignants par
rapport à l'énoncé : « l'utilisation des langues
nationales comme médium et matière d'enseignement est un handicap
pour l'apprentissage du Français »
Ce regard positif que portent les enseignants sur
l'intérêt scolaire et socio-culturel de l'éducation
bilingue se trouve par ailleurs confirmé par les avis qu'ils
émettent sur les chances de réussite des élèves des
écoles bilingues. A la question de savoir quelles étaient pour
eux les chances de réussite des élèves des écoles
bilingues par rapport à ceux du classique, les résultats issus
des réponses nous permettent de constater que seulement une infime
minorité, soit 13% des enseignants constituant notre échantillon
déclarent qu'ils ont moins de chances de réussite que ceux du
classique. Tous les autres enseignants estiment qu'ils ont, soit les
mêmes chances, à raison 47% de l'échantillon, ou plus de
chances de réussite, soit 40%. Ces résultats se situent, par
ailleurs, à des proportions plus ou moins égales chez les
enseignants bilingues que chez leurs collègues du classique.
Tableau n°13 : Opinions des enseignants par
rapport aux chances de réussite des élèves des
écoles bilingues en comparaison avec ceux des écoles classiques
en %.
Type d'école
|
mê ch q EC
|
- ch q EC
|
+ ch q EC
|
Total en %
|
EB
|
46
|
11
|
43
|
100% (98)
|
EC
|
48
|
18
|
33
|
100% (33)
|
Total
|
47
|
13
|
40
|
100% (131)
|
|
82
Les raisons évoquées par les enseignants pour
justifier leurs opinions sont multiples :
- Ceux qui soutiennent que les élèves des EB
ont moins de chances de réussite avancent comme argument la
délicatesse de l'année de transfert ; c'est l'avis de
Jean-Noël : « l'évaluation à l'école
primaire est à 100% française. Si l'année de transfert
échappe à l'enfant, il aura un sérieux problème
après ». D'autres évoquent les difficultés
qu'ils éprouvent dans la maîtrise de l'expression
française, comme Lassina, enseignant bilingue mooré :
« les élèves du bilingue ont des difficultés en
Français et même la compréhension des mots » ;
d'autres enfin estiment que les langues nationales ne répondent pas aux
exigences de la mondialisation ; c'est le constat fait par Aline, enseignante
classique : « le monde évolue et les choses changent.
Même ceux qui parlent Français ne s'en sortent presque plus, donc
pourquoi parler la langue nationale qui ne nous amène nulle part ?
»
- A l'opposé, les enseignants qui défendent
l'idée selon laquelle les élèves des écoles
bilingues auraient plus de chances de réussite développent trois
principaux arguments : d'abord, il y a ceux qui se réfèrent aux
statistiques, comme Daniel : « dans ma circonscription
d'éducation de base, nos résultats au CEP sont meilleurs à
ceux du classique si on fait la moyenne » ; ensuite, il y a ceux qui
évoquent la facilitation de la compréhension et des
apprentissages induite par l'utilisation de la langue maternelle de l'enfant ;
c'est l'avis de Mouboué, enseignant bilingue lyèlé
: « l'utilisation de la langue de l'enfant pour la transmission
des connaissances facilite l'acquisition de celles-ci » mais aussi de
Wéléme, enseignant bilingue kassena « l'utilisation de
la langue vise la compréhension alors que connaître c'est
comprendre ». Le troisième argument mis en avant par les
enseignants pour justifier l'avantage dont bénéficient les
élèves des écoles bilingues sur leurs camarades du
classique, sur le plan de la réussite scolaire, a trait au
caractère multidimensionnel et pratique des connaissances
enseignées ainsi qu'à leur enracinement socioculturel, comme nous
l'explique Céline, enseignante bilingue kassena :
« En plus des connaissances bilingues que les
enfants apprennent, les élèves du bilingue reçoivent
d'autres connaissances que les enfants du classique n'ont pas : par exemple
l'introduction des valeurs culturelles positives de l'Afrique, des contes et
des proverbes, des chants et danses du milieu ainsi que les activités de
production permettent aux enfants de se préparer à devenir plus
tard des acteurs conscients et motivés pour le développement
local, régional et national ».
83
- Enfin, ceux qui estiment que les élèves des
écoles bilingues ont les mêmes chances de réussites que
ceux des écoles classiques avancent comme argument le fait qu'ils
suivent les mêmes programmes à partir de la quatrième
année : « ils ont les mêmes chances parce qu' à
partir du CE, c'est à peu près le même programme
» (Lucie, enseignante bilingue mooré), qu'ils passent
le même examen en fin de cycle primaire et sont capables de
réussir au même titre que leurs camarades du classique :
« ils prennent part au même CEPE ; donc, s'ils
réussissent à passer, ces élèves sont à
égalité » (Kadidiatou, enseignante bilingue
mooré) .
6.4.2 Conviction des enseignants pour l'éducation
bilingue
Pour rendre compte de la conviction qu'ont les enseignants
sur l'efficacité de l'éducation bilingue, il leur a
été demandé de donner leur avis par rapport à
l'opinion qui sous-tend que « la pédagogie bilingue serait le
meilleur système éducatif pour le Burkina Faso ». La
réponse à donner devait être partagée entre
« très convaincu », « convaincu »,
« peu convaincu » et « pas du tout convaincu
». Au regard des résultats, on peut affirmer que la majeure
partie des enseignants a une opinion favorable à l'éducation
bilingue car 64% de l'échantillon se dit « convaincu »
ou « très convaincu » contre 36% se
déclarant « peu convaincu » ou « pas du tout
convaincu ». Les discours tenus par les enseignants que nous avons
interviewés confirment cette tendance. C'est l'avis de Manu, directeur
d'école classique : « Par essence je crois que
l'éducation bilingue c'est quelque chose de bien ; parce que partir de
ce que l'enfant connaît le mieux pour l'aider à apprendre ce qu'il
ne sait pas, partir des réalités propres à lui, sa langue
maternelle pour lui apprendre une langue étrangère, y a rien de
tel » ; ou encore Inno : « moi je suis un partisan du
bilingue en ce sens que l'enfant utilise sa langue ; l'enfant se retrouve dans
son milieu ; en famille il parle le mooré, arrivé à
l'école il parle encore le mooré ; je trouve que y a pas meilleur
moyen d'apprentissage que d'amener les enfants à parler leur propre
langue en les initiant à une autre langue ».
84
Toutefois, comme le montre le graphique suivant, les
résultats varient lorsqu'on distingue les enseignants du bilingue de
ceux du classique.
Graphique n° 8 : Niveau de conviction des
enseignants par rapport à l'éducation bilingue selon le type
d'enseignement.
Ce graphique montre clairement que les
enseignants de l'éducation bilingue ont un accueil beaucoup plus
favorable de ce système éducatif que ceux des écoles
classiques. Alors que le pourcentage des enseignants se disant «
convaincus » ou « très convaincus » culmine
à 69% dans le bilingue, il n'est que de 44% au classique. En partant de
l'avis de Babil, on pourrait expliquer cet écart par la
méconnaissance qu'ont certains enseignants de la réalité
de l'éducation bilingue : « Lorsqu'on n'est pas dans le
système on peut de l'extérieur apprécier sans pour autant
connaître le contenu de la chose, il faut être dans une
école bilingue pour comprendre ; tel que conçue par les
concepteurs, je peux dire que c'est le meilleur des systèmes ; mais le
système présente des contraintes ».
Du point de vue des groupes linguistiques, on observe aussi
quelques variations : ainsi, le premier constat que l'on peut faire, c'est que
le dagara et le dioula sont les groupes linguistiques
où le pourcentage de ceux qui se déclarent « convaincus
» ou « très convaincus » est le plus
élevé, soit 100% pour le premier et 91% pour le second. A
l'opposé le bissa et le gourmantchema sont les seules
langues nationales d'enseignement où la part de
85
ceux qui affirment n'être « pas du tout
convaincus » ou « peu convaincus » est la plus
élevée, avec notamment 6 enseignants sur 10 de part et
d'autre.
Tableau n°14 : Niveau de conviction des
enseignants par rapport à l'éducation bilingue selon les groupes
linguistiques en %.
Langues nat
|
pas conv
|
peu conv
|
convaincu
|
très conv
|
nr
|
Total %
|
Mooré
|
8
|
21
|
54
|
15
|
3
|
100% (39)
|
Dioula
|
|
9
|
36
|
55
|
|
100% (11)
|
Fulfuldé
|
|
25
|
67
|
8
|
|
100% (12)
|
Bissa
|
|
60
|
40
|
|
|
100% (5)
|
Nûni
|
|
40
|
60
|
|
|
100% (5)
|
Kassena
|
|
20
|
40
|
40
|
|
100% (5)
|
Lyèlé
|
|
25
|
75
|
|
|
100% (4)
|
Gourmanchema
|
10
|
50
|
30
|
10
|
|
100% (10)
|
Dagara
|
|
|
100
|
|
|
100% (8)
|
Total en%
|
4% (4)
|
24% (24)
|
55% (4)
|
16% (16)
|
1% (1)
|
100% (99)
|
|
Mais pour mieux apprécier la part de conviction des
enseignants du bilingue, intéressons-nous à ce qui a
motivé leur entrée dans ce système éducatif :
Tableau n° 15 : Récapitulatif de la
position des enseignants par rapport aux opinions explicatives de leurs
motivations à entrer dans l'éducation bilingue en %.
Opinions
|
Pas du tout
|
Un peu
|
Moye nnemt
|
tout à fait
|
nr
|
Total en %
|
J'ai choisi l'éducation bilingue parce que je suis
convaincu de sa pertinence.
|
23
|
12
|
22
|
28
|
15
|
100%
(98)
|
Je suis venu par hasard.
|
54
|
6
|
5
|
27
|
7
|
100 %
(98)
|
J'ai choisi l'éducation bilingue parce
que cela m'a été imposé.
|
55
|
6
|
9
|
12
|
|
100%
(98)
|
J'ai choisi l'éducation bilingue parce que je
cherchais un métier.
|
73
|
2
|
2
|
5
|
18
|
100%
(98)
|
J'ai choisi l'éducation bilingue à cause de
l'intérêt accordé à la langue nationale.
|
20
|
11
|
13
|
41
|
14
|
100%
(98)
|
|
86
La compilation des réponses des enseignants à
l'énoncé des différentes opinions relatives à leur
engagement comme éducateurs bilingues nous donne d'observer l'existence
d'un courant défavorable pour les énoncés de la
deuxième, troisième et quatrième opinion ; le
cinquième énoncé, celui portant sur l'intérêt
de la langue a pour sa part une opinion plus favorable ; quant au premier
énoncé, il a deux courants opposés avec néanmoins
une légère tendance vers l'accord. Nous pouvons donc en
déduire que ce qui motive principalement la conviction des enseignants
c'est leur intérêt pour les langues nationales, suivi de
près par la pertinence du système éducatif bilingue, ce
qui tend, à première vue, à confirmer la conviction qu'ils
ont de l'efficacité du système éducatif bilingue.
Toutefois, les entretiens que nous avons effectués
avec les enseignants nous invitent à la prudence ; en effet, les propos
recueillis montrent que le plus souvent les enseignants sont
intégrés dans l'éducation bilingue, non pas sur initiative
personnelle mais sur incitation des autorités compétentes :
Babil : « je fais partie de ceux qui ont
été de la première promotion à faire le test
d'intégration après leur formation pour pouvoir être
engagé dans la fonction publique ; et on a eu à faire le test et
à l'issue du test on a été reçu ; maintenant,
à la proclamation des résultats on a écrit devant nos
noms enseignants bilingues11 ; ce qui veut dire qu'on devait
n'importe comment se retrouver dans une école bilingue »
Inno : «En 2000 quand l'enseignement catholique
avait des problèmes il s'est trouvé que moi aussi j'étais
en chômage ; alors, lors d'un pèlerinage l'Evêque a
demandé à tous ceux qui pouvaient aider de se manifester ;
moi j'ai déposé mon dossier et on m'a affecté dans une
école bilingue»
Alioud : « Bon, ce qui m'a amené,
premièrement c'était par manque d'enseignants parce que ici, si
un enseignant prend une classe, c'est lui-même qui doit terminer la
classe jusqu'en cinquième année ; maintenant y a eu deux
postes vacants et l'inspecteur nous a sollicités ;
premièrement c'était pour ça mais avant de venir
même on avait entendu parler de l'école bilingue et on
était intéressés ; et comme il nous a appelés on
n'a même pas refusé».
Il nous est donc donné de penser, comme le laisse
entendre Alioud, que même si les enseignants sont
intéressés au départ par le système éducatif
bilingue, leur choix de devenir éducateur bilingue est assez souvent
impulsé par leurs autorités hiérarchiques.
6.4.3 Sentiments des enseignants vis-à-vis de
l'éducation
11 C'est nous qui soulignons.
87
bilingue
Si, comme nous venons de le voir, les enseignants se montrent
a priori convaincus de l'efficacité de l'éducation bilingue, il
nous semble que pour mieux apprécier la situation, nous devons
interroger le regard qu'ils portent sur leur situation d'enseignants bilingues
ainsi que sur l'avenir même de l'éducation bilingue ?
Ø Sentiments en rapport à leur
situation présente
Le tableau ci-dessous nous présente les opinions des
enseignants bilingues sur leurs conditions présentes :
Tableau n°16 : Récapitulatif de
l'expression des sentiments des enseignants par rapport à la situation
présente de l'éducation bilingue en %.
Opinions
|
Pas du tout
|
Un peu
|
Moyen nement
|
Tout à fait
|
nr
|
Total en %
|
Je suis satisfait
|
|
|
|
|
|
100%
|
(ça correspond à mes attentes)
|
6
|
16
|
27
|
45
|
6
|
(96)
|
Je suis indifférent (j'ai eu un
|
|
|
|
|
|
100%
|
poste et cela me suffit).
|
70
|
1
|
5
|
5
|
19
|
(96)
|
Je regrette mon choix.
|
70
|
7
|
2
|
2
|
19
|
100%
|
|
|
|
|
|
|
(96)
|
Je cherche une porte de sortie.
|
63
|
10
|
5
|
5
|
16
|
100%
(96)
|
|
A l'examen des résultats statistiques contenus dans ce
tableau, on observe que le nombre des enseignants bilingues qui se disent
« moyennement » ou « tout à fait satisfait
» de leur situation est bien au dessus de la moyenne, soit 72% de
l'échantillon. Même s'il convient d'admettre que ce n'est pas
l'enthousiasme chez tous, on ne peut manquer de souligner que malgré
tout, moins d'1 enseignant sur 10, soit 4% de l'échantillon regrette
« moyennement » ou « tout à fait »
son choix et que seulement 1 enseignant sur 10 se déclare
« moyennement » ou « tout à fait »
indifférent à la situation ou se dit décidé
à quitter le système éducatif bilingue.
Ø 88
Sentiments en rapport à l'avenir de
l'éducation bilingue Concernant l'avenir de
l'éducation bilingue, les avis restent partagés :
Tableau n°17 : Récapitulatif de
l'expression des sentiments des enseignants par rapport à l'avenir de
l'éducation bilingue en %.
Opinions
|
Pas du tout
|
Un peu
|
Moyen nement
|
tout à fait
|
nr
|
Total en %
|
Elle est dans l'impasse (elle n'a pas d'avenir).
|
65
|
9
|
7
|
5
|
15
|
100%
(131)
|
Elle va continuer de s'étendre et de s'imposer.
|
9
|
17
|
28
|
32
|
14
|
100%
(131)
|
Elle connaît beaucoup de difficultés mais est
promise à un grand avenir
|
4
|
13
|
21
|
54
|
8
|
100%
(131)
|
Nul ne peut le deviner.
|
33
|
6
|
10
|
23
|
27
|
100%
(131)
|
|
Même si le tableau ci-dessus montre que les
enseignants, aussi bien bilingues que classiques, reconnaissent,
presqu'unanimement, que le système éducatif n'est « pas
du tout » dans l'impasse, à raison de 65% de
l'échantillon, ils sont beaucoup moins nombreux à se prononcer
fermement pour un avenir radieux de l'éducation bilingue : on peut ainsi
remarquer que seulement 3 enseignants sur 10 partagent « tout à
fait » l'opinion selon laquelle l'éducation bilingue va
continuer de s'imposer et que seule la moitié de l'échantillon
estime qu'elle éprouve actuellement des difficultés mais va finir
par connaître un avenir meilleur. Ce sentiment mitigé
partagé par les enseignants transparaît dans la dernière
opinion portant sur l'incertitude quand à l'avenir de l'éducation
bilingue où l'on voit apparaître deux courants opposés plus
ou moins équilibrés entre ceux qui se disent « pas du
tout » ou « peu d'accord » et les autres qui
s'affirment « moyennement » ou « tout à fait
d'accord », soit 39% contre 33%. En cherchant à comprendre ce
regard mitigé porté par les enseignants sur l'avenir de
l'éducation bilingue dans les entretiens que nous avons
réalisés, ces derniers nous ont surtout fait savoir que l'avenir
de l'éducation bilingue reposait avant tout sur l'engagement des
autorités politiques et des responsables en charge de l'éducation
; c'est le point de vue de Manu :
« l'avenir de l'école bilingue au Burkina pour
l'instant je ne vois pas d'issue heureuse, parce que ça se
décide dans les salons feutrés sans tenir compte des acteurs sur
le
89
terrain ; alors que ce n'est pas celui-là qui est
assis dans le salon feutré qui va faire le travail sur le terrain ; donc
je crois qu'il faut vraiment d'abord essayer de faire un travail à la
base pour amener tout le monde à adhérer avant d'enclencher le
système à l'échelle nationale ».
Cette opinion est aussi celle d'Alioud : « il faut
que les autorités soient elles-mêmes convaincues ; c'est des
choses théoriques, on s'assoit dans les bureaux et on ne passe pas
soi-même voir ; là c'est difficile (...) le système est bon
mais y a pas de suivi, y a pas de motivation. C'est pas facile mais bon on fait
ce qu'on peut ».
Mais ce qui nous paraît le plus frappant,
au-delà des sentiments exprimés, c'est le taux du pourcentage de
non réponses qui culmine jusqu'à 19 % dans les questions portant
sur les sentiments éprouvés en tant qu'enseignants bilingues et
27% dans celles portant sur l'avenir de l'éducation bilingue. Plus
encore, et contrairement à notre attente, on remarque que dans cette
dernière série de questions, ce sont les enseignants des
écoles bilingues qui se sont le plus abstenus de se prononcer : alors
que, selon les énoncés, les taux d'abstentions vont de 1%
à 5% chez les enseignants classiques, soit une moyenne de 3,25%, il est
compris entre 9 et 30 % chez ceux du bilingue, avec une moyenne de 17,25%.
L'analyse des résultats de notre enquête nous a
permis de décrire le rapport des enseignants à l'éducation
bilingue du point de vue de la connaissance et de l'investissement des langues
nationales, de l'usage disciplinaire de ces langues nationales et de
l'intérêt scolaire et social de cette innovation
pédagogique. Nous allons maintenant tenter de faire une lecture
interprétative de ces résultats.
90
CHAPITRE 7 :
INTERPRETATION DES DONNEES ET PROSPECTIVES
Comme nous le rappelaient Tremblay et Perrier (2006),
l'interprétation des résultats d'une recherche consiste à
en livrer le sens, en lien avec la problématique de recherche, et
à dégager les pistes de recherches sur lesquelles les
résultats nous engagent. C'est ce à quoi nous nous
attèlerons dans ce chapitre. Après avoir fait une synthèse
des résultats obtenus, nous livrerons notre lecture
interprétative de ces résultats avant de proposer quelques pistes
d'investigations complémentaires.
7.1 Synthèse des résultats
7.1.1 Connaissance et investissement des langues
Au niveau de la connaissance et de l'investissement des
langues nationales, il ressort que les enseignants affirment, dans une large
majorité, avoir une bonne maîtrise des langues nationales qu'ils
utilisent comme médium et matières d'enseignement. La
difficulté apparaît au niveau de la maîtrise du langage
scolaire propre au bilingue où les enseignants du classique sont plus
nombreux à se déclarer incompétents en la
matière.
Pour ce qui concerne l'investissement des langues par les
enseignants, on observe d'emblée que la langue la plus utilisée
est le Français et non pas les langues nationales ; en outre, les
données recueillies font apparaître une forte variation : alors
que les enseignants des écoles bilingues se montrent plus soucieux
d'accroître leur niveau de connaissance des langues nationales et surtout
du langage scolaire bilingue, ceux du classique sont plus minoritaires à
avoir entrepris quelque initiative dans ce sens.
7.1.2 Intérêt disciplinaire des langues
nationales
Trois facteurs nous ont été utiles pour jauger
l'intérêt disciplinaire dont témoignent les enseignants
pour les langues nationales : il s'agit de l'utilité des langues
nationales en tant que matières, l'utilité des connaissances
qu'elles apportent et les effets qu'elles produisent sur les autres
matières.
91
Les résultats nous ont permis d'observer que
près des 3/4 des enseignants rejettent l'idée de l'existence de
matières inutiles ou inadaptées dans l'éducation bilingue
; d'autre part, les enseignants qui soutiennent cette opinion sont
majoritairement issus des écoles bilingues.
Pour ce qui a trait aux connaissances produites par
l'utilisation des langues nationales dans l'enseignement, les enseignants,
presqu'à l'unanimité reconnaissent qu'elles sont soit aussi
utiles sinon plus utiles que dans l'éducation classique ; une
légère variation réside entre les deux groupes
d'enseignants dans le degré de qualification de ces connaissances :
alors que les enseignants des écoles classiques sont plus portés
à penser que les connaissances produites dans le bilingue sont aussi
utiles que celles du classique, ceux des écoles bilingues penchent plus
pour des connaissances plus utiles.
Enfin, même si, pour la plupart des enseignants,
l'idée de l'existence de matières inutiles ou inadaptées
dans l'éducation bilingue n'est pas partagée, les enseignants
admettent, à l'opposé et dans une large proportion, que les
langues nationales utilisées comme médiums et matières
d'enseignement ont des effets certes néfastes mais davantage positifs
sur les autres matières.
7.1.3 Intérêt et conviction des enseignants
pour l'éducation bilingue
Les données de notre enquête nous ont
révélé que les enseignants avaient une très bonne
opinion de l'éducation bilingue. Le pourcentage de ceux qui se disent
convaincus de son efficacité est bien au-dessus de la moyenne (64%). On
ne peut manquer toutefois de souligner que le groupe des enseignants bilingues,
avec 69 % d'avis favorables, se montrent encore plus convaincus que celui des
enseignants classiques qui ne recueillent que 44% d'individus se disant
« convaincus » ou « très convaincus »
; par ailleurs, il ressort que les enseignants partagent, dans une large
majorité, la conviction que ce système éducatif a des
avantages scolaires et socioculturels certains pour les élèves et
réfutent l'idée qu'il pourrait constituer un handicap pour les
apprentissages ; sur ce point précis, ils sont unanimes à
soutenir que les élèves des écoles bilingues ont les
mêmes chances ou plus de chances de réussite que leurs camarades
du classique.
Enfin, concernant l'appréciation qu'ils font de leur
situation présente, les enseignants bilingues se disent assez
satisfaits, mais entrevoient, dans le même sens que leurs
collègues
92
des écoles classiques, l'avenir avec des sentiments
mitigés, conditionnant le devenir de l'école bilingue à la
volonté des autorités politiques et ceux en charge de
l'éducation.
7.2 Interprétation des résultats au
regard de notre problématique et de nos hypothèses
Notre démarche problématique nous avait conduit
à formuler la question de recherche suivante : « quel est le
rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médiums et
matières d'enseignement, dans l'éducation bilingue au Burkina
Faso? »
Au regard de cette question nous avions émis comme
hypothèse principale l'opinion selon laquelle : Le rapport des
enseignants aux langues nationales en tant que matières et
médiums d'enseignement révèle des réticences au
sujet de la pertinence et de l'efficacité de l'éducation bilingue
au Burkina Faso.
Pour vérifier cette hypothèse principale, nous
avions formulé trois hypothèses spécifiques dont
l'objectif était de déterminer :
- L'intérêt que manifestent les enseignants pour
les langues nationales et leur implication dans la promotion de ces langues.
- L'appréciation que font les
enseignants du rôle disciplinaire des langues nationales utilisées
comme médiums et de matières d'enseignement.
- Le point de vue des enseignants sur
l'intérêt scolaire et socioculturel ainsi que sur l'avenir de
l'éducation bilingue.
Nous allons maintenant examiner ces hypothèses
à la lumière des résultats que nous a livré
l'analyse des données.
7.2.1 Interprétation des résultats selon la
première hypothèse spécifique
« Les enseignants manifestent peu
d'intérêt pour les langues nationales ainsi que pour le langage
scolaire bilingue ».
La première hypothèse spécifique de
notre étude présumait que les enseignants manifestaient peu
d'intérêt pour les langues nationales dans l'éducation
bilingue au Burkina Faso.
93
En considérant les données recueillies dans nos
enquêtes, il pourrait sembler, à première vue, que les
résultats obtenus réfutent une telle hypothèse ; en effet,
les résultats de l'analyse nous ont montré que les enseignants
maîtrisent bien leurs langues nationales ainsi que le langage scolaire
bilingue, qu'ils prennent des initiatives ou participent à des
activités en vue d'améliorer les connaissances qu'ils ont des
langues nationales ; cependant, cela suffit-il à témoigner de
leur intérêt pour les langues nationales ? Pour rendre compte de
toute la mesure de la question, il nous semble important de prendre ici en
considération le fait que les langues nationales en question sont avant
tout les langues maternelles de presque tous les enseignants ; ce qui laisse
entendre que c'est plutôt la non-maîtrise que la maîtrise de
ces langues qui relèverait de l'extraordinaire ; d'autre part, quand on
scrute en profondeur le mode d'investissement des langues nationales par les
enseignants, on remarque qu'en plus du taux assez élevé
d'individus (35%) de notre échantillon qui affirment n'avoir entrepris
aucune activité pour accroître leur niveau de maîtrise des
langues nationales, les initiatives prises à titre personnel, telles que
les lectures (13%), la communication (5%), la rédaction d'articles (53%)
restent proportionnellement très infimes par rapport aux
activités programmées par l'institution que sont les formations
ou les recyclages (45%). On retrouve ici un des éléments, qui, de
l'avis de Dabène (1994), participe à la détermination de
l'attitude de l'individu par rapport à une langue, à savoir son
utilité réelle ou présumée. En effet, pour
Dabène (1994 : 82), « la maîtrise d'une langue
dotée d'un certain prestige représentera, pour l'individu, un
bien appréciable, dans la mesure où il la considérera
comme un atout pour son image et sa position sociale, et où il en
attendra des bénéfices pour une éventuelle progression
». Dans le cas de notre étude, on peut penser que
l'utilité de l'investissement des langues nationales se résume,
pour les enseignants, à la nécessité de se doter d'outils
adéquats pour accomplir au mieux leur fonction, d'où le fort taux
d'implication des enseignants bilingues dans les formations et le faible
engagement de ceux du classique qui, en raison du fait qu'ils ne tiennent pas
de classes bilingues, n'en éprouvent aucun besoin. Quand bien même
ils ne nient pas l'intérêt didactique des langues, il nous parait
évident que les enseignants ne semblent pas voir dans l'investissement
des langues nationales un moyen de promotion sociale ou professionnelle tel que
l'envisage Dabène (1994).
Bien plus, certaines variables, comme la langue de
communication préférée, nous permettent d'observer que les
enseignants ont une préférence pour le français
plutôt que pour les langues nationales à l'exception de certains
groupes linguistiques tels que le kassena, le
94
lyèlé et le dagara où
la part de ceux qui disent préférer la langue nationale est
visiblement plus élevée.
Mais même là, il nous semble difficile d'en
déduire que les groupes linguistiques kassena,
lyèlé et dagara manifestent plus
d'intérêt pour les langues nationales ? En effet, un croisement de
la variable des langues nationales en usage dans l'éducation bilingue
avec celle de l'intérêt pour les langues nationales comme
motivation des enseignants à entrer dans l'éducation bilingue
nous montre qu'il en va autrement.
Tableau n°18 : Niveau d'appréciation de
la langue nationale comme motivation à entrer dans l'éducation
bilingue selon les groupes linguistiques en %.
Langues nat.
|
pas du tt
|
un peu
|
moynmt
|
tt à fait
|
nr
|
Total en %
|
Mooré
|
21
|
10
|
13
|
44
|
13
|
100 (39)
|
Dioula
|
33
|
|
11
|
11
|
44
|
100 (9)
|
Fulfuldé
|
8
|
|
17
|
58
|
17
|
100 (12)
|
Bissa
|
40
|
20
|
|
40
|
|
100 (5)
|
Nûni
|
|
|
|
100
|
|
100 (5)
|
Kassena
|
40
|
|
40
|
|
20
|
100 (5)
|
Lyèlé
|
25
|
50
|
25
|
|
|
100 (4)
|
Gourmantch
|
10
|
20
|
10
|
40
|
20
|
100 (10)
|
Dagara
|
14
|
14
|
14
|
57
|
|
100 (7)
|
Total %
|
20% (19)
|
10% (10)
|
14% (13)
|
42% (40)
|
15% (14)
|
100 (96)
|
|
Ces résultats nous permettent de réaliser
qu'à l'exception du dagara où 57% des enseignants
estiment que l'intérêt pour les langues nationales correspond tout
à fait à ce qui a motivé leur entrée dans
l'éducation bilingue, aucun des enseignants des deux autres groupes
linguistiques, c'est-à-dire le kassena et le
lyèlé, n'a retenu l'intérêt pour les
langues nationales comme ayant motivé « tout à fait
» son choix de devenir éducateur bilingue. A l'inverse, le
groupe nûni où une majorité des enseignants avait
retenu le Français comme langue de communication
préférée justifie à l'unanimité son
entrée dans l'éducation bilingue par l'intérêt qu'il
éprouve pour les langues nationales. Cette absence de corrélation
entre le choix de la langue de communication préférée et
l'intérêt pour les langues nationales comme motivation à
l'entrée dans l'éducation bilingue rend donc difficile
l'affirmation d'une marque
95
particulière d'intérêt de l'un ou l'autre
groupe linguistique pour les langues nationales. Cet avis nous semble par
ailleurs soutenu par la nature des raisons évoquées par les
enseignants pour justifier le choix de leur langue de communication
préférée. En effet, pour ceux qui ont choisi la langue
nationale comme langue de communication préférée, plus que
le souci de promotion de la langue qui compte pour seulement 12% des motifs
invoqués, c'est surtout, pour 57% d'entre eux, le fait que la
majorité de leurs interlocuteurs ne connaissent que cette langue qui
justifie leur préférence pour les langues nationales.
En considération de ces résultats, nous
estimons que si l'on ne peut nier l'intérêt des enseignants pour
les langues nationales, cet intérêt reste beaucoup plus
guidé par des motivations d'ordre professionnel que personnel ; en
conséquence de quoi nous estimons que les résultats de notre
enquête corroborent partiellement l'hypothèse spécifique
qui soutient que les enseignants manifestent peu d'intérêt pour
les langues nationales.
7.2.2 Interprétation des résultats selon la
seconde hypothèse spécifique
« Les enseignants sont réticents par rapport
à la capacité des langues nationales à servir de
médium et de matières d'enseignement »
Ø Sur l'utilité disciplinaire des langues
nationales
L'analyse du rapport des enseignants aux disciplines
scolaires bilingues a montré que si les enseignants sont nombreux
à déclarer qu'il n'y a pas de matières inutiles ou
inadaptées dans l'éducation bilingue, tous ne partagent cependant
pas cet avis ; en effet, près d'un tiers d'entre eux affirment le
contraire. Et lorsque nous scrutons de près les exemples
évoqués par ces derniers pour justifier leur point de vue, il
apparaît que ce qu'ils pointent du doigt ce n'est pas tant
l'utilité didactique des disciplines que leur inadaptation aux exigences
de l'école, implicitement ou explicitement exprimées. Ces
exigences se rapportent notamment à la nécessité de la
réussite aux différentes évaluations et examens dont les
conditions sont fixées selon les normes des écoles classiques
mais aussi aux préoccupations liées à la suite à
donner à la scolarité des élèves qui, en l'absence
du continuum bilingue, doivent intégrer les collèges classiques.
C'est ainsi qu'une matière comme l'APPC12 peut
paraître, aux yeux des
12 APPC (Activités Pratiques Productives et
culturelles)
96
enseignants, utile pour l'équilibre humain de
l'élève comme le reconnaît David : «
l'école bilingue intègre les activités pratiques
productives et culturelles en se basant sur les possibilités du milieu ;
de même les langues maternelles suscitent l'intérêt de
l'enfant qui favorise sa compréhension des notions enseignées ;
l'école bilingue recherche ainsi la formation intégrale de
l'enfant » mais en même temps problématique parce
qu'elle n'est pas prise en compte dans l'évaluation, comme nous le
rappelle Honorine : « l'enfant n'est pas évalué à
l'examen dans cette matière ». Il nous semble donc
évident que ce n'est pas l'intérêt didactique des contenus
d'enseignement en jeu qui sont remis en cause mais plutôt leur
concordance aux exigences qui conditionnent la progression de
l'élève.
Ø L'expression de la construction d'une
conscience disciplinaire bilingue ?
Le regard que portent les enseignants sur
l'intérêt des langues nationales utilisées comme
matières d'enseignement nous amène par ailleurs à nous
interroger sur la manière dont ils conçoivent les disciplines
scolaires, la valeur qu'ils leur accordent. Dans les raisons qui sont
évoquées pour justifier l'existence des matières inutiles
ou inadaptées dans le système éducatif bilingue, les avis
exprimés réfèrent entre autres aux lieux de transmission
du savoir : « ils n'ont pas besoin d'aller à l'école
pour apprendre ces choses », aux enjeux culturels comme dans le cas
des élèves peuls qui rechignent à faire des
récitations ou des chants au seul motif qu'ils ne sont pas des griots,
ou encore au manque de référence aux notions de la grammaire
française.
Derrière toutes ces difficultés
exprimées par les enseignants sur l'intérêt des langues
nationales utilisées comme médiums et matières, il nous
semble possible de percevoir un souci de définition de ce que pourrait
être une discipline pour eux. Cet effort de cadrage de la discipline
qu'on pourrait désigner comme étant une conscience disciplinaire
bilingue en construction se tisserait sur la base d'une certaine tension
portant sur les finalités mêmes des disciplines. Reuter (2010) a
expliqué que toute discipline pouvait s'organiser autour de
visées propres à l'école et à l'ensemble des
disciplines ou excédant le cadre scolaire ; dans le cas présent,
il nous semble que la tension part de la conception de la discipline scolaire ;
elle porte, à notre avis, sur une divergence d'approche entre une
conception traditionnelle, classique et scolaire de ce que devrait être
une discipline scolaire, centrée notamment sur l'évaluation et la
validation par les examens d'un côté et la nécessité
d'intégrer de nouveaux référents scolaires non
évaluables à l'examen (apprentissage des langues nationales) ou
extra-scolaires (APPC) induites par le système éducatif bilingue
et centré plutôt sur le souci de la
97
formation humaine intégrale de l'homme de l'autre. Sur
cette question, Reuter (2010 : 41) a aussi montré que la notion de
conscience disciplinaire est née entre autres du constat que «
les représentations d'élèves du collège ou du
lycée pouvaient parfois être éloignées du projet
d'enseignement disciplinaire et, par voie de conséquence, source
d'obstacles ou de conflits... ». Si l'on considère que
l'objectif poursuivi par l'éducation bilingue est d'oeuvrer à
l'éducation intégrale de l'homme, on peut estimer que les
enseignants qui jugent que les matières du système
éducatif bilingue sont utiles et adaptées, donc «
enseignables » selon la visée fondamentale de toute discipline
définie par Chervel (1998) ont intégré parfaitement le
projet et les objectifs de l'éducation bilingue en étant parvenus
à une conception plus large et ouverte de la notion de discipline
scolaire. En référence à notre cadre théorique, on
pourrait aussi considérer ces enseignants comme étant les bons
sujets de l'institution « école bilingue ». En revanche, ceux
pour qui certaines matières de l'éducation bilingue paraissent
problématiques nous semblent restés dans une conception des
disciplines scolaires liée à la sphère scolaire avec en
toile de fond le souci de préparer les enfants aux évaluations et
aux examens ; ce groupe d'enseignants dont le rapport au savoir ne correspond
pas à celui de l'institution pourraient être
désignés, selon la théorie anthropologique du rapport au
savoir, comme de mauvais sujets de l'institution ici en question. Dans tous les
cas, il nous semble que ce qui justifie le plus l'inquiétude des
enseignants c'est surtout la question du rapport des disciplines et de
l'évaluation. Cheron (2008) avait déjà montré que
cette hantise des résultats, entretenue par ailleurs par les
protagonistes de l'éducation bilingue était au centre des
préoccupations des enseignants ; ce discours qu'elle rapporte d'un
entretien qu'elle a réalisé avec un directeur d'école en
est illustratif : « C'est les résultats qui nous
intéressent ! Au-delà des résultats il n'y a rien d'autre
qui nous intéresse, maintenant le chemin par lequel on va passer pour
atteindre les résultats bon... » (Cheron, 2008 : 22)
Sur cette question du rapport des disciplines à
l'évaluation, Delcamdre (2006 : 132) a par ailleurs montré que
l'évaluation était un outil de légitimation externe de la
discipline scolaire. Traitant de la question de l'évaluation de l'oral,
elle déclarait ceci : « Pour les élèves comme
pour les parents, l'évaluation justifie l'effort d'apprentissage, donne
légitimité aux contenus de savoirs visés (...) Cet aspect
de légitimation externe renvoie au rôle des examens et des
concours dans la définition des contenus d'une discipline scolaire
(savoirs et savoirs faire) ». A la suite de cette réflexion de
Delcambre (2006), il est possible de penser que pour les enseignants bilingues,
cette question de légitimation de matières qui ne sont pas prises
en
98
compte à l'examen ou aux concours n'est pas sans effet
dans la manière dont ils conçoivent les disciplines de ce
système éducatif.
Ø Sur les effets néfastes de l'utilisation
des langues nationales comme matières sur les autres
disciplines
Dans l'analyse des données de notre enquête, il
est ressorti que sur 10 enseignants bilingues, 7 avaient reconnu que les
langues nationales utilisées comme médiums et matières
d'enseignement pouvaient avoir des effets néfastes sur les autres
matières. Si cette proportion est sans doute considérable,
faudrait-il pour autant en conclure que les enseignants reconnaissent d'une
certaine manière l'inutilité ou l'inadaptation de ces
matières ? En considérant les situations décrites par les
enseignants, nous remarquons que ce qui revient dans les discours ce sont les
questions relatives aux interférences, qu'elles soient d'ordre
grammatical, lexical ou phonologique. Nous osons donc penser raisonnablement
que ce que dénoncent les enseignants c'est la répartition des
temps d'enseignement entre les langues nationales et le Français. La
réponse des enseignants à la question portant sur la
réorganisation de la répartition de ces temps d'enseignement
semble d'ailleurs confirmer notre opinion ; en effet, comme nous l'avons
souligné antérieurement, le système éducatif
bilingue consacre 90% des temps d'enseignement aux langues nationales en
première année, 80% en deuxième année, 50% en
3° année, 20% en quatrième année et 10% en 5°
année. En partant de cette organisation et en considération de
leur expérience, nous avons demandé aux enseignants de nous
proposer une répartition qui leur semblerait plus adéquate. Les
résultats à cette question que nous publions en annexe montrent
que la moyenne de temps d'enseignement des langues nationales proposée
par les enseignants est de 68,36% en première année contre 90%
selon les instructions officielles et de 58,81% en deuxième année
contre 80%. En première année, seuls 23% des enseignants
s'alignent sur le temps officiel édicté par les curricula ; en
deuxième année, c'est encore moins, soit 21%. Tous les autres
enseignants proposent de réduire le temps d'enseignement consacré
aux langues nationales en première année. Cet enjeu de la
répartition des temps d'enseignement nous est amplement expliqué
ici par Alioud :
« Moi, en ce qui me concerne, je dirai que ce qui a
été fait là...il faudra quand même revoir parce que
si nous prenons ce qui est écrit sur papier, on dit : première
année 90% en langue nationale et 10% de Français alors que la
scolarité dure cinq ans, donc si dès la première
année il ne voit pas très bien quelques notions en
Français, en deuxième
99
année encore 80%, vous voyez que l'enfant en
cinquième année il écrit bien, il peut même lire des
textes mais il ne comprend pas parce qu'on n'a pas pris du temps pour leur
apprendre beaucoup de choses en Français ; donc selon moi je me dis que
dès la première année s'ils pouvaient aller à 20%
et deuxième année 40 % je crois que là ç'allait
permettre aux enfants de voir beaucoup de notions en Français
».
Au regard de ce qui précède, nous pouvons
affirmer que notre seconde hypothèse spécifique est seulement
partiellement corroborée par les résultats obtenus, en ce sens
que nous estimons que les enseignants ne doutent pas de l'efficacité des
langues nationales à servir de médiums et de matières
d'enseignement mais reconnaissent la nécessité de faire un
certain nombre d'aménagements du point de vue didactique et
organisationnel pour les rendre plus crédibles et plus efficaces.
7.2.3 Interprétation des résultats selon la
troisième hypothèse spécifique
« Les enseignants sont réticents par rapport
à l'efficacité et à l'avenir de l'éducation
bilingue ».
L'analyse de la variable portant sur le degré de
conviction qu'ont les enseignants de l'efficacité de l'éducation
bilingue a montré que près des 3/4 des individus de notre
échantillon se disent convaincus ou très convaincus de ce
système éducatif. Si l'on ne s'en tenait qu'à ces
données, on pourrait penser peut-être que ceux qui se disent peu
ou pas convaincus sont des enseignants des écoles classiques qui ne
comprennent pas grand-chose au système éducatif bilingue et
conclure sans tarder que ces résultats réfutent notre
hypothèse spécifique.
Toutefois, lorsqu'on met en relation la variable relative au
choix du système éducatif préféré pour la
scolarisation des enfants avec les deux catégories d'enseignants, on se
rend vite compte que ces résultats ne sont pas sans poser question ; en
effet, on remarque que si les enseignants classiques sont évidemment
plus nombreux proportionnellement, soit 61 %, à préférer
inscrire leurs enfants dans les écoles classiques, chez les enseignants
bilingues, la part de ceux qui font le même choix s'élève
à 34%, ce qui n'est pas négligeable pour des gens qui sont des
acteurs de premier plan de ce système éducatif. Bien plus, en
croisant la part de ceux qui se disent convaincus ou très convaincus
avec la variable portant sur le choix de
100
scolarisation préférée des enfants, il
nous est donné de constater que 19% des enseignants qui se
déclarent convaincus et 11% de ceux qui s'affirment très
convaincus préfèrent scolariser leurs enfants dans des
écoles classiques ; alors, comment comprendre que des
enseignants qui oeuvrent dans l'éducation bilingue d'une part, et
d'autres qui disent en être convaincus d'autre part, optent malgré
tout de scolariser leurs enfants dans des écoles classiques ?
Dans les entretiens que nous avons pu réaliser avec les
enseignants, nous avons pu comprendre que ces réticences étaient
la conjonction de plusieurs raisons qui ne sont pas liées en tant que
tel à la nature du système éducatif bilingue mais à
sa gestion ; cette situation est bien résumée par Babil :
« ce n'est pas l'innovation qui n'est pas bonne mais c'est parfois les
conditions de mise en oeuvre ; ça peut être au niveau des
élèves, ça peut être au niveau des enseignants ; si
les conditions d'accompagnement ne sont pas suivis, on ne peut pas aboutir
à de bons résultats »
D'abord, les enseignants reprochent aux autorités
politiques de n'être pas eux-mêmes convaincus et de manquer de
donner le bon exemple aux populations en n'inscrivant pas leurs enfants dans
les écoles bilingues ; c'est l'avis de Manu :
« en regardant les autorités de ce pays se
comporter vis-à-vis du bilingue, on a l'impression que
l'éducation bilingue c'est pour l'enfant du pauvre ; jusqu'à
présent nous n'avons vu aucune autorité de ce pays envoyer son
enfant dans une école bilingue, ce qui
fait que les uns et les autres aussi se disent que c'est
parce que c'est une école au rabais qu'on leur dit d'envoyer leurs
enfants dans ces écoles ; je crois que l'exemple devrait venir de
là haut ».
Ils craignent aussi que l'éducation bilingue ne
disparaisse un jour, comme les innovations pédagogiques qui l'ont
précédée, lorsque les bailleurs de fonds cesseront de
financer son exécution. Sur cette question, Sayoré est formel,
lorsqu'on lui demande son avis sur l'avenir des écoles bilingues :
« Mais là, il faudra peut-être que les
autorités elles-mêmes soient convaincues ; dans l'éducation
y a trop de réformes, maintenant on ne sait pas ;
généralement c'est des projets, ça vient et une fois qu'il
n'y a plus de financement ça disparaît ; donc ça fait que
quand ça rentre dans les questions politiques, là ça
devient compliqué ; sinon y a plusieurs réformes au niveau de
l'éducation ; y a les écoles satellites, les CBNEF où
on
fait les langues nationales ; mais c'est des projets ;
quelqu'un vient avec ça, ça finit et on cherche d'autres trucs
encore ».
101
Ensuite ils dénoncent une gestion chaotique des
écoles bilingues qui contribue à
démobiliser les enseignants ; de l'avis des uns et des
autres, les enseignants bilingues seraient amenés à effectuer un
travail plus exigeant que leurs collègues du classique mais ne sont pas
rémunérés à la hauteur de leurs peines ; en plus,
lorsqu'ils veulent passer d'une école bilingue à une école
classique ils sont retenus tant qu'ils n'ont pas bouclé le cycle des
cinq ans. Manu nous explique la situation en ces termes :
« Premièrement, les enseignants qui sont
affectés dans ce système, si tu n'as pas fini un cycle complet tu
ne peux pas partir , · ça pose problème , · si tu
vas et tu ne t'y sens pas tu vas vouloir partir, mais on te retient pour
boucler le cycle des cinq ans , · alors, si tu restes là
à contre coeur, le travail aussi va prendre un coup ! Ça c'est
d'un, ensuite les moyens ne suivent pas , · ceux qui font
l'éducation bilingue trouvent, que c'est un travail
supplémentaire, un travail beaucoup plus compliqué qu'ils sont en
train d'accomplir , · par conséquent ils voudraient une juste
rémunération des efforts qu'ils sont en train d'effectuer mais
leurs attentes ne sont pas comblées et ça aussi ça cause
des blocages ».
Pour ce qui concerne plus précisément les
aspects financiers, les enseignants nous ont expliqué que cette
année, ils ont dû faire des sit-in dans les Directions
Régionales de l'Enseignement de Base pour enfin bénéficier
des 15000 F CFA d'indemnités qui leur sont allouées :
Babil : « cette année on a attendu nos
indemnités d'octobre, c'est à dire juillet, août septembre,
ce n'est pas venu , · au mois de décembre ce n'est pas venu et
il a fallu qu'on fasse un sit-in à la DREBA13 pour qu'ils
nous payent le 15 janvier ; ça fait que l'engouement prend un
sérieux coup. »
Ou encore Alioud « même cette année on a
eu à faire des sit-in à la DREBA avant qu'on nous paye
, · voilà pourquoi tous ceux qui viennent au bilingue veulent
partir , · mais si le suivi était régulier et si la prise
en charge était conséquente, ça allait mobiliser les gens
un peu , · mais on a remarqué que quand quelqu'un vient,
après ses trois années de formation il veut partir
».
Une autre difficulté qui suscite la crainte chez les
enseignants et nourrit leur réticence vis-à-vis de
l'éducation bilingue a trait à la raréfaction des visites
pédagogiques. Depuis quelques années, l'OSEO s'est
déchargée de sa responsabilité dans la gestion des
écoles
13 Direction Régionale de l'Enseignement de
Base (DREBA)
102
bilingues et les a confiées à l'Etat ; depuis
lors, les visites pédagogiques et le suivi des écoles ne sont
plus réguliers, comme nous l'explique Alioud : « on sent que y
a un relâchement même de l'Etat ; avant que je ne vienne ici, les
suivis c'était chaque mois mais depuis que l'OSEO s'est retiré
c'est parfois une fois par an, parfois tous les deux ans. Mais dans ces trois
dernières années c'est une fois l'année scolaire » ;
il faut remarquer qu'on est déjà très loin des
nombreuses visites pédagogiques effectuées par la DGEB et les
IEPD dont faisait état Cheron (2008) en 2007 lorsque l'OSEO était
encore aux commandes de l'enseignement bilingue. Mais bien plus que le suivi
des écoles, ce sont les structures mêmes qui ont été
mises en place pour les APPC et pour l'accueil des élèves qui
sont en train de péricliter ; dans une des écoles bilingue en
zone sahélienne nomade, l'OSEO avait construit un centre d'accueil pour
permettre la sédentarisation des enfants Peuls et favoriser ainsi les
apprentissages ; l'école était de ce fait subventionnée
par l'OSEO en vivres et les résultats étaient excellents. Mais
malheureusement, avec le retrait de l'OSEO et la suppression de la dotation en
vivres, les parents ont retiré leurs enfants et les locaux construits
à couts de millions de francs CFA sont laissés à l'abandon
:
Alioud : « vous voyez le bâtiment qui est
là, les enfants logeaient ici ; ils étaient nourris, ils
mangeaient ici ; mais depuis que l'OSEO s'est retiré on a fermé
les salles, même d'hébergement, alors que nos enfants viennent de
loin ; donc ce qui fait que le niveau là a baissé (...) ; comme y
a pas de vivres les gens préfèrent garder leurs enfants ; et puis
nous les peuls tant qu'on ne voit pas exactement la chose, on ne peut pas
croire ; il préfère qu'il reste derrière le troupeau ; on
dit l'école et il ne voit rien... C'est ce qui fait qu'ils
n'amènent pas les enfants ».
Cette situation que vit l'éducation bilingue de nos
jours se trouve être, à nos yeux, la concrétisation d'une
conclusion à laquelle était parvenue Hélène Cheron
(2008) dans son travail de recherche sur le projet école bilingue de
l'OSEO à Koudougou et Réo ; dans notre problématique, nous
avions d'ailleurs évoqué cette crainte comme ayant motivé
notre intérêt pour cette présente recherche. Dans son
étude, Hélène Cheron (2008) était parvenue à
la conclusion que l'éducation bilingue telle qu'elle était
organisée ressemblait à une bâtisse portée en tout
point par l'OSEO et qui risquait de tanguer très fort si celle-ci venait
un jour à se retirer. On peut penser, à juste titre que c'est ce
qui commence à se produire avec les indemnités qui ont du mal
à être payées, les visites qui se raréfient, les
activités pratiques et culturelles qui ont de la peine à se
tenir, etc.
103
La dernière épreuve qui participe à
entretenir les réticences chez les enseignants a trait à
l'âge de recrutement des écoliers. Le système de
l'éducation bilingue a été conçu pour accueillir
des enfants d'âge mûr, compris entre 7 et 8 ans, qui parlent bien
leur langue maternelle. Or il se trouve qu'avec la création des
écoles maternelles, notamment dans les villes, les enfants arrivent
très jeunes au primaire, autour de 5 ou 6 ans ; cela constitue une
véritable entorse dans la conception du système éducatif
bilingue et est malheureusement source d'échecs pour certains enfants
comme l'atteste Inno :
« La deuxième difficulté c'est que les
enfants que nous recrutons en fonction du cycle ne répondent pas en
ville , · ça veut dire quoi ? On a des enfants de cinq ans
, · dans notre Koupela, on a des enfants de cinq ans , · or le
bilingue demande des enfants de 8 à 9 ans , · dans nos villes on
ne peut pas avoir des enfants de six ans même qui ne sont pas à
l'école , · donc on se retrouve avec des enfants qui ont
à peine quitté leurs mamans et on veut leur apprendre , ·
donc finalement, comme c'est leur langue, en première année y a
pas de problème , · ils lisent, ils calculent , · la
deuxième année on commence à sentir une baisse du
rendement et en troisième année où l'enfant n'avait acquis
que seulement 20% du Français, on veut que tout se passe maintenant en
Français et à un niveau CE2, ça ne peut pas marcher
».
Dans cette ville où l'éducation bilingue avait
été fortement soutenue par l'enseignement catholique,
l'apparition de cette difficulté qui a servi de justificatif aux
nombreux échecs qui s'en sont suivi à l'examen du CEPE a conduit
les autorités du diocèse à reconvertir les écoles
bilingues en écoles classiques, et ce, conformément aux souhaits
des parents.
Cette troisième hypothèse spécifique
posait que les enseignants font preuve de réticence à
l'égard de l'efficacité et de l'avenir de l'éducation
bilingue. Les résultats montrent toutefois une situation plus
nuancée. On remarque que si les enseignants sont réticents, ce
n'est pas avant tout à cause de l'inefficacité du système
éducatif mais en raison des questions qu'ils se posent sur son avenir et
ce, en référence à la manière dont il est
géré présentement. Nous pouvons donc dire que les
résultats ne supportent que partiellement l'hypothèse.
En résumé, notre hypothèse principale
stipulait que « le rapport des enseignants aux langues nationales, en
tant que médium matières et d'enseignement, révèle
des réticences au sujet de la pertinence et de l'efficacité
même de l'éducation bilingue au Burkina Faso ».
104
En conséquence de l'interprétation qui vient
d'être faite de nos résultats, laquelle interprétation
révèle que ces résultats ne supportent que partiellement
les trois hypothèses spécifiques, nous pouvons en déduire
que notre hypothèse principale est aussi partiellement
corroborée. En effet, s'il est possible d'affirmer de façon
raisonnable, au vu des résultats, que les enseignants sont effectivement
réticents, on ne peut manquer de noter que cette réticence est
beaucoup plus liée à la question de la pertinence ou de
l'efficacité du système éducatif, comme nous le
supposions, qu'à sa mise en oeuvre par ceux qui en ont la
responsabilité.
Une telle analyse du rapport des enseignants aux langues
nationales utilisées comme médiums et matières
d'enseignement nous amène par ailleurs à nous interroger sur leur
rapport à la diglossie. Comment faut-il analyser l'état d'esprit
des enseignants dans la situation de diglossie qui marque le Burkina Faso et
dont nous avions fait l'écho précédemment ?
7.2.4 Les enseignants face à la diglossie
Dans la présentation des causes qui ont suscité
notre intérêt pour cette recherche, nous avions vu, avec Nikiema
et Kabore/Paré (2010), que la diglossie a principalement pour
conséquence d'entretenir un certain nombre de préjugés
néfastes sur les langues nationales, allant du doute de leur
efficacité pédagogique à l'affirmation de leur
incapacité à véhiculer le progrès. En
référence à cet effet de la diglossie, notre étude
nous a révélé que les enseignants de notre
échantillon n'étaient pas, à première vue, dans cet
état d'esprit ; en effet, au regard des résultats de notre
analyse et de l'interprétation que nous avons pu en faire, il ressort
que non seulement les enseignants ne doutent pas de la pertinence et de
l'efficacité pédagogique de l'éducation bilingue mais plus
encore, ils soutiennent, à une large proportion, que les connaissances
dispensées par ce système éducatif sont aussi utiles,
sinon plus utiles que dans l'éducation classique. Toutefois, cela
suffit-il à en déduire que les enseignants sont à l'abri
de la situation de diglossie au Burkina Faso ? Les nombreuses insistances des
enseignants bilingues sur les difficultés liées aux
interférences qu'ils rencontrent lors du transfert des enseignements et
apprentissages, des langues nationales au français, nous invitent
à nuancer notre appréciation de la situation. Il nous semble, en
tenant compte de cette insistance sur les interférences, que si les
enseignants reconnaissent l'efficacité pédagogiques des langues
nationales c'est avant tout en tant qu'elles servent de tremplin pour conduire
à l'apprentissage
105
du français et non parce qu'elles constituent une voie
de réussite sociale ou professionnelle. Si les langues nationales
étaient appelées à remplacer entièrement le
français, nous nous demandons si les enseignants auraient la même
appréciation de leur rôle et de leur efficacité. Bien plus,
même s'ils reconnaissent l'intérêt didactique et
pédagogique de l'éducation bilingue, le fait que certains
enseignants bilingues comme classiques préfèrent scolariser leurs
enfants dans des écoles classiques montre, à notre sens, que pour
eux, le français reste la première et la meilleure voie de
succès. Tout cela nous amène à conclure que même si
les enseignants semblent se dégager de l'emprise de la diglossie, cela
est à circonscrire dans le cadre strictement pédagogique et
didactique de l'enseignement bilingue au Burkina Faso dont l'objectif, aux yeux
de beaucoup d'entre eux, est seulement d'aboutir à l'apprentissage du
français ; il ne nous semble donc pas, au vu des données de notre
enquête que les enseignants soient dégagés des enjeux
sociaux, culturels et économiques de la diglossie .
7.3 Interprétation au regard du cadre
théorique
Nous avons déjà vu que dans sa
théorisation du rapport au savoir, Chevallard distingue l'institution,
l'individu et l'objet de savoir. Si l'objet de savoir n'a d'existence que dans
le cadre d'une institution telle que l'école ou la famille, l'individu
qui entre dans une institution se trouve quant à lui assujetti à
cette institution par le rapport qu'il établit avec l'objet de savoir.
Chevallard appelle, dès lors, « apprentissage »
l'évolution du rapport personnel qu'établit le sujet avec l'objet
de savoir, en précisant qu'un bon sujet est celui dont le rapport
personnel à l'objet est conforme au rapport institutionnel dudit
objet.
Avant tout propos et au regard de la construction de son
approche du rapport au savoir par Chevallard, nous nous interrogeons sur le
rôle qu'il assigne à l'institution en rapport à sa
dimension statique ; si la possibilité d'évolution dans le
rapport à la connaissance n'est reconnue qu'à l'individu pendant
que l'institution reste figée dans ses positions, comment le savoir
peut-il progresser dans ces conditions ? Le conflit n'est-il pas
inévitable ? Bien plus, si l'on considère que les savoirs se
forgent dans un système de constructions et de déconstructions,
comment peut-on qualifier de « bon sujet » un sujet dont le rapport
au savoir n'est l'objet d'aucune remise en cause ? Il nous semble, pour notre
part, que dans le cadre de cette approche théorique, il serait plus
judicieux de considérer comme étant un bon sujet d'une
institution le « sujet qui sait agir dans l'intérêt de cette
institution ».
106
Les résultats de notre étude nous semblent
très illustratifs à ce sujet ; en effet, les
enquêtes que nous avons menées nous ont
révélé que les enseignants, sans se considérer
comme de mauvais sujets des institutions auxquelles ils sont assujettis, savent
prendre du recul, critiquant au besoin le fonctionnement de ces institutions
pour les rendre meilleurs ; d'abord, au niveau de l'institution sociale, nous
avons pu remarquer que les enseignants se sont démarqués, dans
leur ensemble, de l'influence de la diglossie en faisant preuve d'une
reconnaissance de la capacité des langues nationales à servir de
médiums et de matières d'enseignement ; mais cela ne les a
pourtant pas empêchés de souligner les effets néfastes
induits par l'usage de ces langues nationales au contact des autres
disciplines. De même, en ce qui concerne l'institution «
éducation bilingue » en elle-même, les résultats de
nos enquêtes montrent que les enseignants ne manquent pas de critiquer ou
même de modifier les directives établies par cette institution
comme nous le signifie Bamogo :
« par rapport aux contenus, ce que je trouve un peu
difficile pour les élèves, c'est le langage au CP1 ; parce que en
première année on a 10% de Français et 90% de langue
nationale ; les 10% là c'est le langage là ; les phrases qu'on
utilise dans le langage là sont longues ; elles ne sont pas
adaptées aux enfants ; l'élève doit mémoriser la
phrase là et puis reprendre ; avec les longues phrases comme ça
c'est compliqué ; souvent nous-mêmes on est obligé de
couper les phrases pour pouvoir enseigner ; on fait les critiques mais chaque
fois ça ne change rien » ; mais ce n'est pas pour autant
qu'ils se considèrent comme étant de mauvais sujets ou qu'ils
cèdent au découragement ; quand on leur demande s'ils veulent
poursuivre leur carrière d'enseignant dans le système
éducatif bilingue, la réponse ne souffre pas
d'ambiguïté : « y a pas de problème, tant que je ne
gagne pas un concours professionnel moi je suis là-dedans, je ne vois
pas de mal ; moi je ne trouve pas d'inconvénient dans le fait de quitter
le classique pour le bilingue ; c'est toujours l'enseignement ; quel que soit
là où tu es » ( Sayoré).
En substance, si l'on considère que l'apprentissage a
lieu, comme le spécifie Chevallard, dans l'évolution du rapport
personnel de l'individu au savoir au sein de l'institution, il nous semble que
pour permettre à ce savoir de se développer, il est important que
l'individu ne supporte pas à lui tout seul les tensions qui seraient
nées de ses rapports contradictoires avec l'institution au sujet du
savoir à apprendre ou à enseigner ou qu'il se plie naïvement
aux injonctions de l'institution ; il nous paraît, à l'inverse,
plus judicieux de prendre en compte l'expérience de l'individu et
d'accepter qu'il peut éclairer l'institution dans
107
la construction et l'amélioration du savoir ; dans le
cas qui nous préoccupe, celui de l'éducation bilingue, il nous
paraît évident que les enseignants ont beaucoup à apporter
pour l'amélioration du système éducatif bilingue, encore
faudrait-il que l'institution éducation bilingue soit à leur
écoute ; ce qui ne semble pas le cas pour l'instant.
7.4 La portée des résultats
Pour bien mesurer la portée de nos résultats, il
aurait été préférable de les comparer à des
travaux similaires déjà réalisés au Burkina Faso ;
malheureusement, cela nous semble difficile dans la réalité, du
moins en intégralité, car si les problématiques sont
souvent proches comme nous l'avons montré précédemment,
les perspectives diffèrent. Nous allons donc nous contenter de
présenter quelques domaines de recherches qui se recoupent et essayer
d'en dégager la portée.
7.4.1 Le profil des enseignants
Pour ce qui concerne le profil des enseignants bilingues,
Cheron (2008 : 25), dans son étude portant sur la situation du «
projet école bilingue à Koudougou et Réo », avait
noté comme caractéristique principale de ses résultats la
jeunesse des enseignants des écoles bilingue dont l'âge moyen
était de 29 ans contre 42 au classique. Elle expliquait notamment que la
propension des enseignants bilingues à s'investir dans le travail
était due à cette jeunesse : « La jeunesse de ces
enseignants leur donne plus de capacité à faire face aux nombreux
efforts que demande le métier d'enseignant : le remplissage des cahiers
de préparation, la préparation des cahiers des
élèves (dans les classes de CP pour l'écriture, le calcul
etc.), la correction des cahiers de devoirs (à partir du CE), recopier
les leçons et les exercices au tableau, etc. » Six
années plus tard, notre étude révèle un âge
moyen de 36 ans au bilingue contre 37 ans au classique ; même si l'on
peut considérer qu'en six ans les enseignants ont pris de l'âge ou
que notre étude concerne un domaine plus vaste, il reste que la
réduction de l'écart entre les âges moyens au bilingue et
au classique pose question.
Sans en avoir la certitude, nous pensons que ce
phénomène pourrait s'expliquer par la possibilité qu'ont
de plus en plus les enseignants de passer d'un système éducatif
à l'autre en raison de l'introduction des modules de formation à
l'éducation bilingue dans les ENEP (Ecoles Nationales des Enseignants du
Primaire). Cette passerelle a sans doute permis
108
l'arrivée dans l'éducation bilingue
d'enseignants expérimentés et le départ vers les
écoles classiques d'éducateurs plus jeunes, ce qui pourrait
justifier la tendance à l'équilibre que l'on peut observer entre
les âges moyens des deux catégories d'enseignants.
7.4.2 Conviction des enseignants par rapport à
l'éducation bilingue
D'autre part, par rapport à l'intérêt et
à la conviction des enseignants pour l'éducation bilingue, les
recherches menées par Yameogo (2004) dans le cadre de son mémoire
portant sur les stratégies pour une pérennisation de
l'éducation bilingue ont révélé que 74% des
enseignants de son échantillon s'étaient montrés
favorables à l'éducation bilingue tandis que 21% d'entre eux
étaient contre. Si l'on met ces résultats en parallèle
avec notre variable relative à la conviction des enseignants pour
l'éducation bilingue, on remarque qu'il y a là aussi une
légère disproportion ; en effet, interrogés sur
l'appréciation qu'ils faisaient de l'efficacité de
l'éducation bilingue, 64% des enseignants de notre échantillon
ont déclaré en être convaincus ou très convaincus
pendant que 36% d'entre eux se disent peu convaincus ou pas du tout convaincus.
A première vue, cette situation pourrait s'expliquer par le mode de
composition des échantillons : alors que notre échantillon est
composé en majorité d'enseignants bilingues, soit 75% contre 25%
d'enseignants classiques, celui de Yameogo (2004) fait l'inverse, avec 66%
d'enseignants classiques contre 26% d'enseignants bilingues ; mais à la
réflexion, il semble qu'une telle explication ne soit pas satisfaisante
; en effet, on aurait pu penser que la forte présence des enseignants
classiques, peu informés du fonctionnement de l'éducation
bilingue, entraînerait une plus grande réticence vis-à-vis
de ce système éducatif - c'est d'ailleurs la tendance
exprimée par Yaméogo (2004 : 72 ) lui-même lorsqu'il
déclare qu'« à l'examen, il ressort que ceux qui ont
répondu par la négative ou qui se sont abstenus sont tous issus
des écoles classiques » - mais les résultats nous
montrent le contraire.
Bien plus, le constat fait par Yaméogo (2004), selon
lequel les enseignants les plus réticents à l'éducation
bilingue seraient tous issus des écoles classiques n'apparaît pas
dans nos résultats qui révèlent, pour leur part, que
certes 54% des enseignants classiques mais aussi 30% des enseignants bilingues
se disent peu convaincus ou pas du tout convaincus de l'éducation
bilingue. Alors comment comprendre ces fortes variations entre nos
données et celles de Yaméogo (2008) dans l'intervalle de quelques
années ? Les enseignants bilingues
109
seraient-ils déjà sous le coup du
désenchantement prédit par Cheron (2008) et Nanema (2009) du fait
du changement des conditions de gestion des écoles bilingues ?
S'il nous est difficile de donner, ici même, des
réponses satisfaisantes à toutes ces interrogations portant sur
la mise en oeuvre et le fonctionnement se l'éducation bilingue, nous
pouvons néanmoins partager quelques propositions faites par les
enseignants pour aider à l'amélioration de ce système
éducatif.
7.5 Prospectives
Au nombre des propositions faites par les enseignants pour
aider à l'amélioration de l'éducation bilingue, celles qui
reviennent le plus se rapportent à l'extension du système
éducatif à tout le pays, à l'intensification des
formations et à l'accompagnement des enseignants ainsi qu'à la
mise en place effective du continuum éducatif.
7.5.1 L'extension du système éducatif
bilingue
Si les enseignants proposent que l'on étende le
système éducatif bilingue, ils sont
toutefois conscients des difficultés que cela
entraînerait en raison de la multiplicité des langues nationales
et de la mobilité des populations. Mais ils conditionnent surtout un tel
projet à la volonté politique des autorités en charge de
l'éducation, comme le signifie bien Manu :
« Si les autorités veulent que
l'éducation bilingue soit étendue à tout le pays, eh bien
ce sera fait et il faut trouver les moyens conséquents pour accompagner
cette innovation! Cela nécessite qu'on revoie la formation du personnel
enseignant parce que ne va pas enseigner dans une école bilingue qui
veut ! Y a un préalable, il faut former les enseignants, il faut bien
entendu le matériel nécessaire, les manuels scolaires...ça
un coût, si l'Etat est prêt à mettre les moyens je crois que
y a pas de problème! »
La difficulté c'est que l'Etat lui-même semble
pris au piège de son jeu ; en effet selon Cheron (2008), le projet
d'éducation bilingue serait inscrit dans un programme plus vaste de
massification de l'éducation au Burkina financé par les bailleurs
de fonds internationaux ; c'est dans ce cadre notamment que s'inscrit le PDDEB.
Dans ces conditions, généraliser l'éducation bilingue
reviendrait à tourner le dos aux autres partenaires ou à leur
dire de
110
s'aligner sur le projet de l'OSEO, ce qui apparemment n'est
pas envisageable pour l'Etat burkinabè et contraint par le fait
même l'éducation bilingue à évoluer timidement.
7.5.2 L'intensification des formations
En vue de l'amélioration du système
éducatif bilingue, les enseignants insistent sur la
nécessité de mettre en place des formations et un accompagnement
des enseignants à tous les niveaux :
Mouboé : « il faut absolument la formation
continue des enseignants, les recyclages. Une formation pour
3°,4°,5° année est très insuffisante. Revoir les
indemnités à la hausse pour encourager les acteurs du terrain car
ce n'est pas vraiment aisé »
Mais il faut noter surtout que ce que réclame les
enseignants du point de vue des formations et du suivi des enseignants, c'est
un retour au rythme qu'ils connaissaient du temps de l'OSEO, car avec le
retrait de cet ONG, les choses semblent tourner au ralenti :
Apollinaire : « Bien former les enseignants
(certaines formations sont bâclées) ; accompagner
l'éducation bilingue comme au départ : de nos jours elle est de
plus en plus abandonnée ».
Ou encore Alioud : « l'Etat propose des choses et
c'est sans suivi ; je suis convaincu que si les maîtres étaient
motivés par des formations conséquentes, les écoles
bilingues feraient plus de fureur (donneront plus de chance aux
élèves) ...depuis que l'OSEO s'est retiré, l'Etat
n'arrive plus à s'occuper des élèves ».
7.5.3 La mise en place effective du continuum bilingue
D'une manière générale, les enseignants
que nous avons interviewés reconnaissent que leurs élèves
qui quittent le CM2 arrivent à s'adapter au collège. C'est l'avis
de Sayoré : « chez nous y a un problème qui est
là, c'est les sites d'or ; sinon nous on a même eu des
élèves qui sont allés jusqu'en quatrième, qui ont
quitté la quatrième après mais chacun avait au moins 13/20
de moyenne ; y a d'autres aussi qui n'ont pas pu tenir et qui sont revenus ;
c'est vraiment une question de volonté ; mais ceux qui sont toujours
là tiennent bien ».
Quant à Babil, il est encore plus élogieux à
leur endroit :
« Moi j'ai tenu ma première promotion en 2008
ici ; (...) sur 45 élèves que j'ai présentés il
y avait 41 admis soit 97% et à l'entrée en sixième nous
avons enregistré 36 admis ; et
111
sur les 36 admis j'ai les statistiques cette année
et il y a une bonne vingtaine qui se retrouvent en classe de quatrième
au CEG de Doudou et je peux dire que mes élèves font partie des
meilleurs ; voici des preuves qui montrent que si le travail est bien fait y a
pas de problème ; y a des enfants mêmes qui sont venus me dire que
leur professeur de Français leur a demandé qui était leur
maître ; ils ont donné mon nom et elle a dit qu'elle ne me
connaissait pas. C'est pour dire que non, en Français ils sont bons
».
Cependant, malgré ces témoignages qui attestent
de la capacité des élèves des écoles bilingues
à s'adapter au système éducatif classique, les enseignants
insistent pour la mise en place effective du continuum éducatif car il
constituerait aux yeux des parents et de l'ensemble de la population une
reconnaissance de la qualité et de l'intérêt de
l'éducation bilingue. Cette préoccupation des enseignants est
résumée en ces termes par Saïdou : « Que les
langues nationales soient intégrées au secondaire pour convaincre
(...). Des facteurs exogènes ont besoin de jouer à
l'encouragement du système. Tant qu'aucune langue ne sera
enseignée au secondaire, le bilingue à l'école primaire
restera aux yeux des parents un tâtonnement local ».
D'autres propositions moins récurrentes ont trait
à la prise en compte des langues nationales dans les évaluations
et la formation de tous les enseignants à la pédagogie de
l'éducation bilingue.
112
CONCLUSION
Le choix que nous avons fait de nous pencher sur le rapport
des enseignants aux langues nationales utilisées comme médiums et
matières d'enseignement a été motivé par le constat
des difficultés qu'éprouvent le système éducatif
bilingue à s'étendre selon le rythme et les espaces tels
qu'envisagés par ces concepteurs et les autorités en charge de
l'éducation au Burkina Faso.
Face aux nombreuses hypothèses qui sont aujourd'hui
mises en avant pour expliquer cet état de fait, à savoir la
situation de diglossie que connait le Burkina Faso ou la surévaluation
du succès et de l'adhésion à l'éducation bilingue
par l'OSEO, nous avons voulu savoir comment les enseignants, au-delà de
toutes ces conjectures, se situaient par rapport à ce système
éducatif ? Sont-ils influencés par les effets de la diglossie,
sont-ils réticents ou convaincus de l'efficacité des langues
nationales à servir de médium et de matières
d'enseignement ?
Pour répondre à ces questionnements, nous sommes
partis de l'hypothèse que les enseignants étaient plutôt
réticents sur la pertinence et l'efficacité du système
éducatif bilingue ; nous avons ensuite cherché à
vérifier cette hypothèse à travers trois axes de
recherches : leur rapport aux langues nationales, leur rapport au rôle
disciplinaire des langues nationales utilisées comme médiums et
matières d'enseignement et enfin leur rapport à
l'éducation bilingue de façon générale, dans sa
situation présente et à venir.
Les données que nous avons recueillies à travers
les enquêtes quantitatives et qualitatives réalisées sur le
terrain, auprès des 131 individus de notre échantillon, nous ont
ensuite permis de procéder à une analyse descriptive et
explicative du rapport des enseignants à l'éducation bilingue. Au
regard de nos hypothèses, les résultats obtenus peuvent
paraître surprenants :
- sur le plan de leur rapport aux langues nationales, il
ressort que les enseignants témoignent d'un intérêt certain
pour les langues nationales en raison de la maîtrise et de
l'investissement dont elles sont l'objet ; toutefois, on ne peut manquer de
souligner que c'est un intérêt qui est beaucoup plus guidé
par les besoins du métier d'enseignant bilingue plutôt que par une
conviction personnelle.
- En ce qui concerne le rapport aux langues nationales
utilisées comme médium et matières d'enseignement, les
résultats ne permettent pas d'affirmer que les enseignants sont sous le
coup de la diglossie comme nous l'avions supposé ; même s'ils
admettent que
113
l'utilisation des langues nationales comme disciplines
d'enseignement entraine des effets néfastes sur les apprentissages, ou
qu'elle a besoin d'être perfectionnée sur certains plans, ils
reconnaissent malgré tout leur efficacité et leurs performances
sur le plan didactique.
- Enfin, par rapport à l'intérêt scolaire
et social de l'éducation bilingue en elle-même, les enseignants se
montrent convaincus mais inquiets de la manière dont est
gérée cette innovation pédagogique et plus
précisément de son avenir.
En conclusion de tous ces constats, nous osons affirmer que
notre hypothèse de recherche qui stipulait que les enseignants sont
réticents vis-à-vis de l'enseignement bilingue est partiellement
confirmée ; elle est confirmée dans la mesure où les
enseignants sont effectivement réticents, mais partiellement car cette
réticence ne porte pas sur la capacité des langues nationales
à servir de médiums et de matières d'enseignement mais sur
les aspects structurels et organisationnels.
Au-delà et en conséquence de ces
résultats, notre recherche nous motive à approfondir deux
questions essentielles : le positionnement des autorités à qui
les enseignants reprochent leur manque d'engagement et leur indécision
vis-à-vis de l'éducation bilingue et la question des
interférences qui revient de façon récurrentes dans les
difficultés d'ordre didactique liées à l'éducation
bilingue :
-La position des autorités
A l'examen des propositions faites par les enseignants pour
permettre un meilleur essor de l'éducation bilingue, il apparait que ce
qui préoccupe les enseignants c'est moins la question des objets
d'enseignement liés à l'utilisation des langues nationales comme
médium et matières d'enseignement que la gestion de l'innovation
pédagogique elle-même ; cela rejoint largement la conclusion
à laquelle nous étions parvenus dans nos résultats,
à savoir que si les enseignants sont réticents vis-à-vis
de l'éducation bilingue, ce n'est pas en raison de l'inefficacité
des contenus d'enseignement mais bien plus à cause de son mode de
fonctionnement. Tout fonctionne comme si les autorités en charge de
l'éducation étaient encore indécises sur le sort de
l'éducation bilingue, comme s'il subsistait des non-dits qui les
empêchent d'avoir les coudées franches pour agir. Bamogo
résume en quelque sorte ce malaise :
« Depuis le début de l'implantation de
l'école bilingue jusqu'à maintenant, tous les ministres qui sont
passés étaient d'accord, réellement convaincus de la
nécessité de faire
114
le bilingue , · mais pourquoi jusqu'à
présent ils ne font rien, pourquoi ça ne fait que
régresser? Ça régresse mais ça ne progresse pas
, · s'il y a des écoles qui renoncent et qui repartent dans le
classique là, c'est que ça régresse , · mais ils
ne vont jamais le dire officiellement ».
Cette indécision est-elle liée au fait que les
autorités ne croient pas réellement à l'efficacité
de l'éducation bilingue, à la question de la diversité des
partenariats et enjeux financiers évoqués par Cheron (2008) ou
est-ce simplement parce qu'ils auraient senti que ce système
éducatif ne correspond pas aux besoins de la population ?
Sur cette dernière question, Nanema (2009) avait
déjà montré que contrairement aux affirmations de l'OSEO,
certaines communautés ne choisissaient pas l'école bilingue par
conviction mais parce qu'elles avaient besoin d'une école ; dans le
même ordre d'idées, nous avons parfois senti, à travers les
discours des enseignants, que les préoccupations des parents pour
l'éducation de leurs enfants pouvaient être en décalage
avec les contenus de l'éducation bilingue. Dans le contexte de la
mondialisation, certains parents semblent plus portés à offrir
à leurs enfants des chances de maîtriser les langues
parlées à l'échelle internationale que locale. Cette
situation qui renvoie d'une certaine manière à la diglossie est
bien décrite par Sayoré ; parlant des hésitations de
l'Etat et des parents, il disait :
« Chacun veut que son enfant parle correctement le
Français , · dès le CP1 même avant le CP2, on veut
que quand le tonton va venir qu'il puisse quand même dire : "tonton
ça va ?". "D nâ n mâana wana ?"14, on n'a pas le
choix ! Voilà pourquoi on ne parle pas mooré avec les enfants
à la maison , · quelqu'un qui ne veut pas qu'on parle
mooré à son enfant, est-ce que ce « gars » là va
aller inscrire son enfant dans une école bilingue ? Ce n'est pas
possible ! »
Ce décalage de certains bilinguismes avec la
réalité avait déjà été
dénoncé par Castellotti, Coste et Moore (2001 : 102) en ces
termes :
« La réflexion en didactique des langues qui
raisonne encore essentiellement sur l'apprentissage d'une langue
étrangère en relation avec une autre considérée
comme maternelle s'inscrit en décalage à la fois des situations
de plurilinguisme de plus en plus complexes que marque l'expression des
circulations économiques, culturelles et
14 Expression en langue nationale mooré
qui signifie : « Comment allons-nous faire ? »
115
professionnelles et des nouveaux besoins d'apprentissages,
dès l'école de non plus une mais plusieurs langues
étrangères plus ou moins proches ».
L'idée émise par la Ministre de l'Education
Nationale d'introduire l'enseignement de l'anglais au primaire, alors
même que la question des langues nationales n'est pas encore
résolue, n'est-elle pas d'une certaine manière une prise de
conscience de ce décalage ? (cf Burkina 24, quotidien en ligne du
10/02/2014).
Tout bien considéré, il nous semble que pour
lever les réticences des enseignants sur l'avenir de l'éducation
bilingue et motiver leur engagement, cette posture des décideurs
politiques et plus particulièrement, ceux en charge de
l'éducation au Burkina constitue une piste de recherche à
entreprendre.
- La question des interférences
Dans un domaine plus strictement didactique, il est apparu, au
regard de nos résultats, que les interférences constituaient le
handicap principal lorsqu'il s'agit de procéder au transfert des
apprentissages des langues nationales au Français. Mackey (1982 : 48)
définit l'interférence comme suit : « par
interférence nous entendons l'utilisation des éléments
d'une langue dans le discours d'une autre langue ; cela comprendra, dans notre
contexte, la manifestation des caractères de la langue première
sur le parler et les écrits des apprenants de la langue seconde ».
Dans le contexte de l'éducation bilingue au Burkina Faso, les
interférences portent notamment sur l'influence des effets des langues
nationales sur le Français, au point que cela constitue parfois une
source de complexe pour les élèves bilingues qui hésitent
à parler en présence de leurs camarades des écoles
classiques. A ce niveau, et pour rassurer les enseignants et les parents
d'élèves, nous estimons également qu'un travail
didactico-linguistique portant notamment sur les contenus d'enseignement dans
les écoles bilingues pourrait être envisagé afin
d'anticiper et d'atténuer les effets de ces interférences sur les
enseignements et les apprentissages.
116
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ISTE DES SIGLES
Liste des sigles
|
Significations
|
ALFA
|
Apprentissage de la Langue Française par les acquis de
l'Alphabétisation
|
APPC
|
Activités Pratiques productives et Culturelles
|
BEPC
|
Brevet d'Etudes du Premier Cycle
|
CAP
|
Certificat d'Aptitude Professionnel
|
CE
|
Cours Elémentaire
|
CEB
|
Circonscription d'Education de Base
|
CEBNF
|
Centre d'Education de Base Non Formelle
|
CEG
|
Collège d'Enseignement Général
|
CEPE
|
Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires
|
CFPP
|
Centre de Formation Pédagogique et Pastorale
|
CM
|
Cours Moyen
|
CMS
|
Collèges Multilingues Spécifiques
|
CP
|
Cours Préparatoire
|
DEP/MENA
|
Direction des Etudes et de la Planification du MENA
|
DGEB
|
Direction Générale de l'Enseignement de Base
|
DGESG
|
Direction Générale de l'Enseignement Secondaire
Général
|
DPEBA
|
Direction Provinciale de l'Enseignement de Base et de
l'Alphabétisation
|
DREBA
|
Direction Régionale de l'Enseignement de Base et de
l'Alphabétisation
|
3E (EEE)
|
Espace d'Eveil Educatif
|
ENEP
|
École Nationale des Enseignants du Primaire
|
ENSK
|
École Normale Supérieure de Koudougou
|
EPT
|
Éducation Pour Tous
|
ES
|
Écoles Satellites
|
ESSRS
|
Enseignements Secondaires Supérieurs et de la recherche
scientifique
|
IEPD
|
Inspecteur de l'Enseignement du Premier Degré
|
MASSN
|
Ministère de l'Action Sociale et de la Solidarité
Nationale
|
MENA
|
Ministère de l'Education Nationale
|
MESSRS
|
Ministère des Enseignements Secondaire, Supérieur
et de la Recherche Scientifique
|
OCDE
|
Organisation de Coopération et de Développement
Economique
|
OMD
|
Objectifs du Millénaire pour le Développement
|
ONG
|
Organisation Non Gouvernementale
|
ONTB
|
Office National du Tourisme Burkinabè
|
OSEO
|
OEuvre Suisse d'Entraide Ouvrière
|
PDDEB
|
Plan Décennal de Développement de l'Education de
Base
|
PDSEB
|
Programme de Développement Stratégique de
l'Education de Base
|
RGPH
|
Recensement Général de la Population Humaine
|
UNESCO
|
Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la
Culture
|
124
ANNEXES (voir tome 2)
Sommaire des annexes
ANNEXE N° 1 : LETTRE CIRCULAIRE
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ANNEXE N° 2 : CURRICULA DES ECOLES BILINGUES
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ANNEXE N°3 : QUESTIONNAIRE
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ANNEXE N°4 : GRILLE D'ENTRETIEN
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ANNEXE N°5 : La SITUATION DES ECOLES BILINGUES
SELON LES LANGUES NATIONALES
EN USAGE Error! Bookmark not
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ANNEXE N°6 : PLAN DE CODAGE
Error! Bookmark not defined.
ANNEXE N°7 : EXEMPLAIRE DES REPONSES AU
QUESTIONNAIRE Error! Bookmark not
defined.
ANNEXE N° 8 : PRESENTATION DE L'INTEGRALITE DES
DONNEES SOUS FORME DE
TABLEAUX OU GRAPHIQUES Error!
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ANNEXE N° 9 : RETRANSCRIPTION DES ENTRETIENS
Error! Bookmark not defined.
125
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS II
126
S0MMAIRE III
INTRODUCTION 1
CHAPITRE 1 : CONTEXTE DE L'ETUDE 4
1.1 Présentation du Burkina Faso 4
1.1.1 Situation physique, historique et économique 4
1.1.2 Le contexte démographique 5
1.1.3 Un pays multiethniques 6
1.2 Présentation du système éducatif
burkinabè 8
1.2.1 La structuration de l'éducation au Burkina 8
1.2.2 Les performances de l'éducation au Burkina 9
1.2.3 Quelques causes explicatives des contreperformances du
système éducatif burkinabè 13
CHAPITRE 2 : LA PROBLEMATIQUE DE L'INTRODUCTION DES
LANGUES NATIONALES
DANS L'EDUCATION 17
2.1 Les obstacles à l'introduction des langues nationales
dans l'éducation 18
2.1.1 Les enjeux politiques 18
2.1.2 Les intérêts des anciennes colonies 19
2.1.3 Les représentations et attitudes sur les langues
20
2.2 L'éducation bilingue comme alternative à la
problématique de l'introduction des
langues nationales dans l'éducation 21
2.2.1 Typologie de l'éducation bilingue 21
2.3 L'éducation bilingue au Burkina Faso 25
2.3.1 La genèse de l'éducation bilingue
Error! Bookmark not defined.
2.3.2 Le bilinguisme pratiqué au Burkina 27
2.3.3 La mise en place des écoles bilingues 29
2.4 L'éducation bilingue, une alternative à
l'éducation classique Error! Bookmark
not defined.
CHAPITRE 3 : DES RAISONS DE S'INTERROGER
35
3.1 L'école bilingue, la fabrication d'un succès
35
3.2 La situation de diglossie au Burkina Faso 37
3.3 Hypothèses de recherche 40
127
3.4 Justifications 41
CHAPITRE 4 : LE CADRE DE REFERENCE
44
4.1 Le « rapport à » comme fondement du rapport
au savoir 44
4.2 Ancrage disciplinaire 45
4.1.1 L'approche socio-anthropologique 45
4.1.2 L'approche psychanalytique 47
4.1.3 L'approche anthropologique de Chevallard 49
4. 3 Autres concepts principaux 50
4.3.2 La notion de « représentations » 50
4.3.3 La conscience disciplinaire 51
4.3 Opérationnalisation de la problématique et du
cadre théorique 52
CHAPITRE 5 : NOS CHEMINS D'INVESTIGATIONS
55
5.1 La démarche de recueil des données 55
5.1.1 La démarche méthodologique adoptée
55
5.1.2 Les techniques de recueil de données 56
5.1.3 L'échantillonnage 57
5.1.4 Conditions de recueil des données 58
5.1.5 Difficultés 59
5.2 Le traitement des données 60
5.2.1 Traitement des données quantitatives 60
5.2.2 Traitement des données qualitatives 60
5.2.3 Méthodes d'analyse des données 61
CHAPITRE 6 : ANALYSE DESCRIPTIVE DES DONNEES
63
6.1 Quelques éléments portant sur le profil des
enseignants 63
6.2 L'intérêt pour les langues nationales 66
6.2.1 La connaissance des langues nationales et du langage
scolaire 66
6.2.2 Investissement des langues nationales 69
6.3 Intérêt disciplinaire des langues nationales
71
6.3.1 Utilité des langues nationales employées
comme matières d'enseignement 71
6.3.2 Utilité des connaissances prodiguées par
l'utilisation des langues nationales 73
128
6.3.3 Les effets des langues nationales, utilisées
comme matières d'enseignement, sur les autres
matières 74
6.4 Intérêt et conviction des enseignants pour
l'éducation bilingue 79
6.4.1 Intérêt scolaire et socioculturel de
l'éducation bilingue 79
6.4.2 Conviction des enseignants pour l'éducation
bilingue 83
6.4.3 Sentiments des enseignants vis-à-vis de
l'éducation bilingue 86
CHAPITRE 7 : INTERPRETATION DES DONNEES
90
7.1 Synthèse des résultats 90
7.1.1 Connaissance et investissement des langues 90
7.1.2 Intérêt disciplinaire des langues nationales
90
7.1.3 Intérêt et conviction des enseignants pour
l'éducation bilingue 91
7.2 Interprétation des résultats au regard de notre
problématique et de nos
hypothèses 92
7.2.1 Interprétation des résultats selon la
première hypothèse spécifique 92
7.2.2 Interprétation des résultats selon la seconde
hypothèse spécifique 95
7.2.3 Interprétation des résultats selon la
troisième hypothèse spécifique 99
7.2.4 Les enseignants face à la diglossie 104
7.3 Interprétation au regard du cadre théorique
105
7.4 La portée des résultats 107
7.4.1 Le profil des enseignants 107
7.4.2 Conviction des enseignants par rapport à
l'éducation bilingue 108
7.5 Prospectives 109
7.5.1 L'extension du système éducatif bilingue
109
7.5.2 L'intensification des formations 110
7.5.3 La mise en place effective du continuum bilingue 110
CONCLUSION 112
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 116
ANNEXES (voir tome 2) 124
129
RESUME
L'objet de cette étude porte sur le rapport des
enseignants aux langues nationales utilisées comme médiums et
matières d'enseignement dans l'éducation bilingue au Burkina
Faso. L'enjeu de cette question tient au fait que l'éducation bilingue,
comme innovation pédagogique au Burkina Faso, est appelée
à se développer dans un contexte fortement marqué par la
diglossie où les langues nationales ne jouissent pas toujours des
préjugés les plus favorables à leur usage comme
matières dans l'enseignement. Faisant l'hypothèse que les
enseignants qui sont issus de ce contexte pourraient être eux aussi
gagnés par la réticence et conscient de leur rôle
incontournable dans la mise en oeuvre de cette innovation pédagogique,
nous avons voulu comprendre quel était leur posture dans ce
système éducatif. Pour y parvenir, nous avons mis en oeuvre une
démarche méthodologique de type mixte comprenant un questionnaire
et des entretiens complémentaires. Les résultats montrent que les
enseignants sont effectivement réticents mais l'objet de la
réticence ne porte pas primordialement sur les objets d'enseignement
comme nous l'avions envisagé ; si les enseignants sont réticents
c'est avant tout en raison des hésitations et des incertitudes qui
jalonnent la conduite du projet. Cette étude nous donne de comprendre
que si des choses restent à améliorer au plan didactique dans
l'éducation bilingue, les obstacles à son extension sont à
chercher ailleurs.
Mots clés : Burkina Faso, Education
bilingue, Ecole bilingue, Enseignement bilingue, Education classique, Ecole
classique, langue nationale, langue maternelle, diglossie, système
éducatif, Enseignant, rapport au savoir.
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