WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le phénomène migratoire en mer méditerranée depuis 2013. Enjeux d'une frontière meurtrière aux portes de l'Europe.


par AnaàƒÂ«lle TOUTOUNJI
Ecole Supérieure de Commerce et Développement 3A Paris - Master 2 Manager de projets internationaux, parcours Coopération et Action Humanitaire 2019
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Année 2018 - 2019

Le phénomène migratoire en mer Méditerranée depuis 2013 :
enjeux d'une frontière meurtrière aux portes de l'Europe

Mémoire en vue de l'obtention du Master 2 Management de projets
internationaux dans l'innovation sociale et l'action humanitaire.

Présenté et soutenu par Anaëlle Toutounji

Soutenance le vendredi 13 septembre 2019 à 11h.

Remerciements

Pour le choix de mon sujet de mémoire, je tiens à remercier ma famille et mon entourage qui m'ont encouragé à écrire sur les migrations en Méditerranée, un sujet d'actualité qui me tient à coeur et qui s'inscrit dans la continuité de mon champ de connaissances et compétences dans le domaine des migrations internationales. En Master 1 à 3A, mes camarades Halima Barthélemy, Maëva Zézymbrouck et moi-même nous étions lancées dans la création d'une association ayant pour but l'insertion socio-professionnelle des migrants ayant obtenu le statut de réfugié à Paris. Nous étions allées à la rencontre de multiples associations et structures venant en aide à ce public (Utopia 56, France Terre d'Asile et autres) afin de nous créer un répertoire fiable pour lancer notre projet. Il paraissait donc logique et pertinent de « dédier » mon mémoire de fin d'études à la cause que je soutiens, et que j'espère pouvoir défendre dans mon futur métier.

Pour l'élaboration de ma problématique et de mon plan, pour le suivi, pour les conseils précieux et les recadrages nécessaires, je tiens à remercier Madame Céline Barré, ma tutrice de mémoire, qui m'a beaucoup apporté. Ses connaissances poussées sur le phénomène migratoire en Méditerranée et sa méthode de travail m'ont permis d'affiner l'objet de recherche de mon mémoire et de me réadapter dans l'écriture de mes parties lorsque cela fut nécessaire. Je tiens également à la remercier de nous avoir donné un cours sur les migrations cette année, qui fut un enseignement enrichissant et très utile pour mon mémoire.

Pour la validation de mes hypothèses et l'apport de connaissances, je remercie Madame Coralie Carvin, ancienne salariée de SOS Méditerranée, qui a eu la gentillesse de m'octroyer un entretien. Son expérience au sein de SOS et son point de vue sur le phénomène migratoire en Méditerranée m'ont apporté des informations pertinentes pour la rédaction de mon mémoire et ont renforcé mon envie de travailler chez SOS Méditerranée plus tard.

Pour la documentation précieuse, je remercie Monsieur Juan Branco, avocat et homme politique, qui a eu la gentillesse de me donner accès à son rapport rédigé en collaboration avec Omer Shatz, déposé devant la Cour Pénale Internationale, et qui accuse l'Europe de complicité avec la Libye pour des crimes contre l'humanité commis envers les migrants dans les centres de détention en Libye, qui tentent de rejoindre l'Europe.

Enfin, je tiens à remercier toute l'équipe pédagogique de l'école 3A Paris qui nous a apporté, durant ces deux dernières années, des connaissances et des outils de travail indispensables pour travailler et évoluer dans le monde de l'humanitaire.

Table des abréviations

BEAA : Bureau européen d'appui en matière d'asile

Benelux : Belgique, Pays-Bas, Luxembourg

CEDH : Convention européenne des droits de l'homme

CNUDM : Convention des Nations unies sur le droit de la mer

COPS : Comité politique et de sécurité

CPI : Cour pénale internationale

DH : Droits de l'Homme

DUDH : Déclaration universelle des droits de l'homme

EUBAM : Mission d'assistance pour une gestion intégrée des frontières en Libye

Eurostat : European statistic

Frontex : Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières

extérieures des États membres de l'Union européenne

MDM : Médecins du monde

MNA : Mineurs non accompagnés

MoU: Memorandum of Understanding

MSF : Médecins sans frontières

OIM : Organisation internationale pour les migrations

ONG : Organisation non gouvernementale

ONU : Organisation des Nations unies

OTAN : L'Organisation du traité de l'Atlantique Nord

PAF : Police aux frontières

PECO : Pays d'Europe centrale et orientale

RIC : centre de Réception et d'Identification

SNSM : Société nationale de sauvetage en mer

UE : Union européenne

UNHCR ou HCR (United Nations High Commissionner for Refugees) : Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

ZEE : Zone économique exclusive

Sommaire

I) La « crise » des réfugiés en Europe depuis 2015 6

A) Évolution des traversées en mer Méditerranée, des arrivées en Europe et de la

perception des flux migratoires des années 40 aux années 2000 7

B) Une médiatisation grandissante du phénomène migratoire en mer

Méditerranée depuis 2013 13

C) Mesures prises par l'Union européenne et fermeture progressive des frontières 19

II) Du pays départ à l'arrivée aux frontières européennes : des moyens de contrôle, de mise à distance et de refoulement durant tout le parcours migratoire en mer

Méditerranée 26

A) L'externalisation de la politique migratoire européenne : double coopération

bilatérale de l'Europe avec la Turquie et la Libye 26

B) Les enjeux et conséquences du sauvetage en mer des migrants en Méditerranée : rôle

des eaux territoriales et responsabilités 36

C) Les îles grecques : l'accueil dans les hotspots 44

III) Déni de solidarité et difficulté d'un consensus européen 50

A) Une violation de certains principes issus de textes de lois européens et internationaux

50

B) La criminalisation des ONG de sauvetage en mer 58

C) Difficulté d'un consensus européen sur la gestion des flux migratoires et perspectives

d'avenir en Méditerranée 72

1

La mer Méditerranée représente actuellement la route migratoire la plus empruntée du monde, mais également la plus meurtrière selon l'Organisation des Nations unies (ONU). Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR ou HCR), l'entité de l'ONU en charge de la protection des réfugiés partout dans le monde, estime que depuis 2015, 750 000 personnes ont traversé la mer Méditerranée, fuyant la Syrie, l'Irak, l'Afghanistan, l'Erythrée, la Libye, le Soudan et d'autres pays en proie à des guerres et conflits. Dans le but de trouver refuge et protection en Europe, et contraints de fuir les conditions de vie inhumaines en Libye, des milliers d'homme et de mineurs non accompagnés (MNA) risquent leur vie en embarquant sur des embarcations de fortune ou des bateaux pneumatiques surchargés. Certaines s'entassent même dans des cales de bateau et décèdent d'asphyxie faute de place et de manque d'air. En 2013, le projet Missing Migrants est lancé par l'Organisation internationale pour les migrants (OIM) suite au naufrage de 366 personnes au large de Lampedusa ayant tenté de rejoindre l'Europe. Le but de ce projet est de retrouver et de compter les migrants, demandeurs d'asile et réfugiés ayant disparu en empruntant des routes migratoires internationales (mer Méditerranée, frontière États-Unis - Mexique, etc.). Il s'agit probablement de la source la plus fiable en termes de comptage des migrants morts ou disparus partout dans le monde étant donné l'importante mobilisation des recherches et l'exactitude et la précision des chiffres communiqués régulièrement. En 2015, le Missing Migrants Project a recensé 2 704 décès en Méditerranée, en 2016, il en a recensé 3 216 faisant de 2016 l'année la plus meurtrière, en 2017, 2 428 personnes ont péri en Méditerranée et en 2018, on en comptabilise 1 549. Depuis le début de l'année 2019, 844 personnes se sont noyées ou ont disparu en tentant la traversée de la Méditerranée.

La problématique de la traversée de la mer Méditerranée demeure un sujet à la fois très médiatisé et à la fois tabou et pour cause : si les naufrages sont régulièrement évoqués par la presse, en revanche, la question de la responsabilité du sort des migrants qui tentent de rejoindre l'Europe demeure sous silence et sans réponse concrète apportée. Le rôle des passeurs dans l'aide à la traversée de la Méditerranée par les migrants, bien que controversé, semble arranger les politiques qui ont alors un coupable à pointer du doigt. Néanmoins, le problème qui subsiste s'étend bien au-delà du rôle des passeurs et de la traversée de la Méditerranée : les politiques actuelles se trouvent davantage positionnées sur une logique de contrôle et de mise à distance des migrants et se ferment ainsi à toute ouverture de dialogue pouvant mener à un changement de leur politique migratoire. Le sauvetage des vies en mer ne semble pas être la priorité mais la surprotection des frontières, elle, mobilise des moyens financiers, techniques et humains

2

considérables. Si les acteurs humanitaires, comme par exemple l'Organisation non gouvernementale (ONG) SOS Méditerranée, organisent des opérations de sauvetage en mer, ils n'ont pas le pouvoir de décision sur l'arrivée et l'accueil des migrants en Europe.

Transformée en véritable frontière voulue comme infranchissable, la Méditerranée est aujourd'hui représentative de la montée de l'extrémisme de droite et des mouvements xénophobes en Europe. Leurs discours politiques ne reflètent plus que haine et rejet envers les migrants et influencent négativement une majorité des citoyen(ne)s qui se ferment de plus en plus à l'accueil des migrants. Figée dans une politique migratoire datant des années 90 et n'étant plus réellement adaptée aux circonstances actuelles en raison de la montée des conflits dans le monde et de l'augmentation des personnes qui fuient, l'Union européenne (UE) semble impassible face aux drames en Méditerranée et face à l'aspect meurtrier de ses frontières. Malgré de nombreuses rencontres et sommets organisés ces dernières années afin de trouver des solutions pour stopper les naufrages en Méditerranée (sommet de l'Union européenne de Juin 2018 à Bruxelles), les États européens ne parviennent pas à s'accorder sur une politique opérationnelle et investie dans la traversée sécuritaire de la Méditerranée et l'accueil décent des migrants en Europe. La difficulté d'un consensus européen sur la question migratoire perdure depuis des années étant donné le positionnement et le rapport aux migrations différents de chaque État : si l'Espagne semble réceptive à l'appel des migrants en détresse, en répondant par exemple à l'appel du navire Open Arms qui souhaitait faire débarquer les migrants, l'Italie, elle, y est totalement opposée et ne souhaite plus accueillir de migrants ni laisser les ONG pénétrer dans ses eaux territoriales et ses ports. Face à ces divergences et à cette unité fragmentée, comment réussir à s'accorder sur une volonté commune qui puisse arrêter les drames en Méditerranée ? Comment opérer des changements profonds qui façonnent une nouvelle politique migratoire adaptée aux situations actuelles ? Car ce sont bel et bien tous les États européens qui sont confrontés aux flux migratoires, qui doivent apporter des solutions préservant la vie des migrants et qui répondent aussi, dans le même temps, aux principes de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés.

Malheureusement, actuellement, les droits des migrants et réfugiés sont régulièrement bafoués et l'Europe semble loin d'être le continent des droits de l'Homme qu'elle dit représenter depuis sa création. Dans une logique de contrôle et de mise à distance, l'UE procède à une délégation de la gestion des flux migratoires à des pays comme la Libye et la Turquie en passant des accords avec ces derniers afin qu'ils interceptent et gardent les migrants « chez eux ». À ce jour, seuls les navires affrétés par des ONG, par quelques États comme l'Espagne et de temps

3

en temps ceux de Frontex, sont présents en Méditerranée afin de repérer et secourir les bateaux et personnes en détresse. Il est important de savoir que tous les migrants ayant parvenu à arriver aux frontières européennes ont été secourus : à ce jour, aucune embarcation partie de Turquie ou de Libye n'a réussi à arriver « à bon port » étant donné les conditions extrêmes de la traversée en Méditerranée et la précarité des embarcations des migrants. Les initiatives comme l'opération Mare Nostrum, opération de sauvetage lancée par l'Italie en 2013 afin de porter secours aux migrants, ont réussi à sauver plus de 170 000 vies mais faute de solidarité des États membres de l'UE envers l'Italie qui finançait à elle-seule cette opération coûteuse, Mare Nostrum prend fin pour laisser place à l'opération Triton qui est davantage orientée dans la surprotection des frontières que dans le sauvetage en mer.

L'Europe se retrouve actuellement face à une situation qu'elle n'avait, jusqu'à alors, jamais anticipé, ayant toujours soutenu les actions dédiées aux migrants et réfugiés « de loin » principalement en finançant les camps de réfugiés gérés par le HCR en Afrique et au Moyen-Orient. Consciente que la Méditerranée constitue potentiellement une zone de dissuasion envers les migrants qui en tenteraient la traversée, l'Europe en fait son « arme » afin d'empêcher les entrées sur son territoire.

Ainsi, dans quelle mesure la mer Méditerranée représente-t-elle une zone de contrôle et de refoulement des migrants aux frontières de l'Europe ? De quelle manière l'Europe déploie-t-elle sa politique de dissuasion et de refoulement des migrants ? Quels sont les enjeux politiques, économiques et sociaux de la traversée de la mer Méditerranée par les migrants ? Ce mémoire a pour but d'exposer les moyens mis en place par l'Europe pour dissuader les migrants de parvenir à ses frontières et pour les refouler en déléguant leur gestion et leur accueil à des pays comme la Libye, le Maroc ou la Turquie. Plus précisément, il s'agira d'analyser la politique migratoire européenne actuelle, d'en extraire les défaillances en termes des droits humains et d'apporter des préconisations en réponse à ces défaillances. Ce mémoire n'a pas pour finalité de prendre position ou de dénoncer des potentiels coupables quant aux drames en Méditerranée. Il s'agira surtout d'énoncer des faits avérés à l'aide de sources diverses et de les analyser afin de mieux comprendre les enjeux politiques, économiques et sociaux qu'implique la traversée de la Méditerranée par les migrants et dans quelle mesure les différentes parties prenantes y ont leur responsabilité.

La première partie du mémoire sera essentiellement axée sur du contexte : en effet, pour bien analyser le déploiement de la politique migratoire européenne, il faut d'abord en

4

comprendre les causes et les évolutions en prenant en compte les changements politiques, économiques et sociaux des 30 dernières années qui ont joué un rôle dans l'instauration progressive d'une méfiance envers les migrants. Une analyse des évolutions des traversées en Méditerranée, des arrivées en Europe et de la perception des flux migratoires des années 40 aux années 2000 sera proposée dans la première sous-partie pour démontrer le changement progressif de la mentalité européenne vis-à-vis de la condition des migrants. La sous-partie Une médiatisation grandissante du phénomène migratoire en Méditerranée depuis 2013 abordera la question de la médiatisation importante que connait le phénomène migratoire en Méditerranée depuis 2013 et tentera de briser le stéréotype selon lequel les conflits dans le monde ont poussé des millions de migrants à aller en Europe. Enfin, dans la sous-partie Mesures prises par l'Union européenne et fermeture progressive des frontières, il s'agira de clôturer cette première partie de contexte en exposant le début des mesures prises par l'UE pour une fermeture progressive de ses frontières. Cette première grande partie a également pour but de de démontrer que l'Europe fait face à une « crise de l'accueil » plutôt qu'une « crise des réfugiés » : la crise réside en effet dans le fait que l'Europe ne souhaite pas accueillir les migrants fuyant conflits et persécutions, et ne répond donc pas à ses devoirs, et non pas dans le fait qu'il y ait trop de migrants ou réfugiés pour que leur gestion soit ingérable.

La deuxième partie du mémoire abordera les moyens de contrôle, de refoulement et de mise à distance des migrants durant tout leur parcours migratoire en Méditerranée, de leur départ de Turquie ou de Libye à leur arrivée aux frontières européennes. La première sous-partie développera les accords signés entre l'UE et la Turquie et l'UE et la Libye, accords représentatifs de la volonté de délégation de la gestion des flux migratoires de l'Europe en échange de moyens financiers et techniques importants et d'investissement dans la formation des garde-côtes libyens. Elle évoquera également les conséquences dramatiques de l'application de ces accords sur les migrants. La deuxième sous-partie traitera des enjeux et des conséquences du sauvetage des migrants selon qu'ils sauvés dans les eaux territoriales libyennes ou internationales. En effet, si la traversée sécuritaire de la Méditerranée n'est pas assurée, leur sauvetage l'est encore moins : interceptés par des garde-côtes libyens, ils seront ramenés de force dans les camps de détention en Libye, sauvés par les ONG de sauvetage, ils seront débarqués aux frontières européennes (îles ou territoire selon les autorisations et les États concernés). Enfin, dans la dernière sous-partie seront évoqués les hotspots, dispositif instauré par l'UE en 2015 afin de trier les migrants pour différencier ceux étant éligibles au statut de

5

réfugié. Il s'agit là d'une manière de contrôler sévèrement les flux d'entrées sur le territoire européen.

La troisième et dernière grande partie Déni de solidarité et difficulté d'un consens européen a pour but de mettre en exergue le déni de solidarité dont fait preuve l'Europe envers la cause migratoire ainsi que la difficulté de l'établissement d'un consensus européen pour répondre aux défis actuels. La première sous-partie concernera les violations des principes relatifs à la Convention de Genève sur les réfugiés. Ensuite seront abordés la criminalisation des ONG de sauvetage en mer et le rôle de certains États européens dans l'entrave au travail de ces ONG. Enfin, il s'agira de parler de la difficulté d'un consensus européen sur la gestion des flux migratoires et des perspectives d'avenir du sauvetage en Méditerranée.

6

I) La « crise » des réfugiés en Europe depuis 2015

Selon le Centre de ressources et d'information sur l'intelligence économique et stratégique, la crise se définit comme « tout événement qui survient brusquement, qui provoque une déstabilisation d'une organisation (État, entreprise...) et qui s'accompagne d'une forte charge émotionnelle faisant perdre à cette organisation ses repères. [La crise] peut être de type naturelle (catastrophe), économique, physique, psychotique, ou encore les crises liées à l'information, la réputation ou les ressources humaines. ». En prenant en compte les caractéristiques d'une crise, est-il juste de définir les récents mouvements migratoires en mer Méditerranée, qui s'orientent vers l'Europe, et leurs conséquences comme en étant une ? Les tentatives de traversée de la Méditerranée et les arrivées contrôlées aux frontières européennes déstabilisent-elles réellement les États et leurs citoyen(ne)s tout en provoquant une forte charge émotionnelle ? D'un point de vue objectif, les récentes migrations en direction de l'Europe - il faudrait plutôt parler de « tentatives » de migrations étant donné la restriction de plus en plus forte prônée par l'Europe - ne constituent pas réellement une « crise » qui chamboulerait tout le système politique, économique et social d'une société. L'image de migrants et réfugiés envahissant l'Europe par centaines de milliers depuis 2015 a été largement véhiculée dans les discours politiques, les médias, les mouvements xénophobes et d'extrême droite afin de justifier une volonté de rejet et de refoulement aux frontières européennes. Les termes « afflux massifs », « vague de réfugiés », « envahissement », « invasion » ont été relayés dans les médias, et le sont même toujours, afin de justifier l'imprévisibilité des arrivées de migrants en Europe depuis 2013 et son impuissance à concilier crise économique et acte de solidarité envers les réfugiés. Certes, en août 2015, 270 000 réfugiés sont arrivés par voie maritime en Italie et en Grèce. Cependant, cette image d'invasion massive sur le long terme qui est véhiculée est fausse de par la méconnaissance des chiffres réels communiqués par le HCR dans l'ouvrage Migrants & Réfugiés, Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents (Rodier, 2018 : 25) : en 2017, l'Europe accueillait 17% des réfugiés contre 30% en Afrique subsaharienne et 26% au Moyen-Orient. Entre 2015, année médiatisée marquée par les tentatives de traversée de la Méditerranée et les nombreux naufrages et noyades, et 2017, une baisse de 80% d'entrées irrégulières en Europe a été enregistrée.

Ainsi, comment en est-on arrivés à utiliser le terme « crise » dans les discours politiques et les médias à l'échelle mondiale ? Peut-on réellement parler de « crise migratoire internationale » ? Peut-on parler de « crise des réfugiés » en Europe ? Afin de comprendre le changement de

7

vision du phénomène migratoire en Méditerranée et d'en tirer les explications des réactions et moyens déployés par l'Europe pour externaliser ses frontières et refouler massivement, il est important de remonter dans le temps et d'analyser la perception des traversées en mer Méditerranée depuis les années d'après-guerre et les événements survenus entre temps.

A) Évolution des traversées en mer Méditerranée, des arrivées en Europe et de la perception des flux migratoires des années 40 aux années 2000

Mare Nostrum signifie en latin « notre mer ». Ce terme possède une connotation positive, chaleureuse, faisant de la mer Méditerranée un espace d'accueil et de transit, où toute personne et tout bien peut circuler facilement et librement vers sa destination. Il fut un temps où la zone méditerranéenne représentait une mer bienveillante où, malgré la difficulté de l'Europe à établir ses frontières maritimes depuis la création de l'espace Schengen en 1985, la libre circulation et la promesse d'une traversée sécurisée et d'une arrivée sauve étaient de mise. Cette sous-partie a pour but de retracer chronologiquement l'évolution des traversées en Méditerranée avec des périodes bien marquées par des événements et changements politiques, économiques, sociaux et culturels survenus autour du bassin méditerranéen et ayant une incidence directe sur les mobilités dans ce dernier. Les informations comprises dans cette sous-partie proviennent du croisement d'analyse entre : le chapitre Le point sur les données rédigé par Elena Ambrosetti dans l'ouvrage Migrations en Méditerranée (2017), un extrait de l'ouvrage Les flux migratoires dans le bassin méditerranéen de Michel Poulain (1994) et des extraits de l'ouvrage Migrants & Réfugiés, Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents de Claire Rodier (2018).

Période d'après-guerre : reconstruction de l'Europe, main d'oeuvre immigrée

Au lendemain de la 2nde Guerre Mondiale, l'Europe a connu sa vague de mobilités la plus importante. En effet, en plus des millions de déplacés internes au sein de l'Union Européenne dont la grande majorité avait perdu toute notion d'appartenance à un État, il y eut un afflux de migrants venant des pays d'Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal) et des pays de la rive Sud de la Méditerranée (Maghreb) afin de contribuer à la reconstruction d'une Europe dévastée humainement et matériellement. La reconstruction d'après-guerre s'est surtout concentrée dans les pays d'Europe du Nord-Ouest (France, Royaume-Uni, Allemagne, Pologne), zone la plus

8

touchée par la guerre. Si la main d'oeuvre contribuant au relèvement des pays du Nord-Ouest de l'Europe venait principalement d'Italie, d'Espagne, du Portugal et de Grèce depuis 1945, les années 60 ont marqué un tournant en termes de courants migratoires venant du Sud du bassin méditerranéen avec l'émergence d'une volonté d'émigrer vers les pays dits « industrialisés » de l'Europe du Nord-Ouest.

Les années 60 et l'accueil « à bras ouverts » des migrants économiques par l'Europe

Le début des années 60 marque un tournant en termes de migrations en provenance des pays des rives Sud et Est de la Méditerranée vers l'Europe, faisant de cette dernière une Terre promise où travail et abondance de biens matériels sont garantis pour les travailleurs venus « prêter main forte ». Des événements politiques et des tendances économiques favorables sont principalement à l'origine de ce changement dans la conception des migrations qui sont perçues comme très positives par et pour l'Europe à cette période-là. Si les courants migratoires des années 40 des travailleurs venus aider à la reconstruction dans les pays européens du Nord-Ouest étaient vus comme temporaires, les migrations des années 60 sont, elles, considérées comme bienfaitrices pour l'essor économique de l'Europe sur le long terme. Les pays où l'immigration est la plus forte sont la France, l'Allemagne, la Suisse, la Belgique et l'Autriche.

La signature du Traité de Rome en 1957 par six États européens (Allemagne de l'Ouest, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas) induit la création du marché commun qui promeut la libre circulation des produits au sein de la Communauté économique européenne (CEE) permettant ainsi un essor économique sans précédent. Cet établissement du marché commun attire grandement les travailleurs qui n'hésitent pas à migrer dans les pays concernés afin d'y travailler et aider financièrement leur famille, restée au pays, via transferts de sommes d'argent importantes.

De plus, lorsque l'indépendance de l'Algérie est proclamée en 1962, la France se voit accueillir dans les années qui suivent un nombre conséquent de Harkis : en 1965, ils étaient plus de 1 000 000 résidents en France.

Les figures en Annexe 1 ont été réalisées par Elena Ambrosetti et démontrent la présence prononcée de migrants originaires du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie) en France entre 1960 et 2000, et la hausse de la présence de migrants turcs en Allemagne sur la même période.

9

Début des restrictions des mouvements migratoires en Europe : quels déclencheurs et quelles conséquences ?

Si les tendances économiques des années 60 sont favorables à la croissance de l'Europe et à l'accueil massif de travailleurs étrangers, celles des années 70 le sont beaucoup moins. En effet, le choc pétrolier de 1973 a des conséquences non négligeables sur l'économie mondiale et sur la croissance des pays dits « industrialisés », ce qui provoque des répercussions directes sur les migrations en provenance des pays hors Europe. Les États européens assimilent, pour des raisons peu claires, la crise économique des années 70 à une remise en question de leurs propres politiques libérales d'immigration. Le recrutement de travailleurs étrangers baisse drastiquement et les entrées sur le territoire européen sont de plus en plus contrôlées et restreintes. Certains pays comme la France ou l'Allemagne tentent même d'instaurer des politiques visant au retour des migrants « chez eux ». Il est intéressant, et dramatique dans un certain sens, de constater un certain automatisme, prenant naissance dans les années 70 et visible de nos jours, qui consiste à rejeter la faute d'un trouble politique ou d'une crise économique sur la présence de migrants et travailleurs étrangers dans un pays ainsi que le « besoin » de leur en faire payer les conséquences. Bien que les politiques migratoires des années 70 soient moins restrictives que celles appliquées actuellement, force est de constater que la méfiance à l'égard des migrants est née à cette période-là et constitue un élément majeur dans la compréhension de la volonté de la fermeture des frontières prônée par les mouvements xénophobes et d'extrême droite. Pourquoi ce besoin de « faire payer » les migrants venus prêter main forte est-il né ? Il serait pertinent d'évoquer la phrase du poème Les échoués de Pascal Manoukian extrait de l'ouvrage Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés et qui dit des réfugiés venus en France qu'ils seront « sur nos chantiers, dans les cuisines de nos restaurants, dans les cales de nos paquebots, le confort de nos bureaux pour décharger, nettoyer ou vider les poubelles ». Il souligne ici que oui, nous avons cette tendance à rejeter celui qui est différent de nous, mais que par bien des moyens, ce différent nous est utile à un moment ou à un autre.

Un paradoxe est notable dans l'évolution de la conception des migrations en direction de l'Europe dans les années 70 : si cette dernière commence à appliquer des politiques restrictives migratoires, elle respecte néanmoins le droit de migrer pour travailler. Des politiques de regroupement familial voient également le jour afin de permettre les retrouvailles des immigrés travailleurs et de leur famille venue du pays d'origine. Cette pratique permet aussi, en un sens, de contourner les procédures de contrôle d'entrée sur le territoire européen. Il s'agit également d'un moyen pour l'Europe de pallier au besoin de fécondité présent dans

10

plusieurs pays à cette période-là et d'instaurer une dynamique de « peuplement ». Il est important de souligner que, suite à l'arrêt de recrutement des travailleurs étrangers dans les pays d'Europe du Nord-Ouest, ce sont les pays d'Europe du Sud (Espagne, Italie) qui ont accueilli les flux migratoires venant des pays de la rive Sud de la Méditerranée mais également d'Afrique subsaharienne et d'Amérique latine et bien davantage dans les années 90.

Les années 80 sont marquées par d'importants événements déterminants dans la conception des migrations en Europe et la montée d'un rejet prononcé de la part des sociétés. Tout d'abord, les demandes d'asile augmentent considérablement. Dans les années 70, les personnes fuyaient en grande partie l'Amérique du Sud et le Sud-est Asiatique afin de venir trouver refuge et protection en Europe. Cependant, les demandes d'asile dans les années 80 doublent quasiment, entraînant ainsi une restriction de plus en plus prononcée de l'Europe qui voit cette arrivée soudaine de réfugiés comme étant en fait une « couverture » pour les migrants souhaitant impérativement passer les frontières européennes. Suivant les restrictions de l'immigration de travail de 1973 - 1974 en Europe, les nouveaux arrivants réfugiés sont soupçonnés d'être en fait des migrants économiques « cachés » qui tentent d'utiliser les procédures d'asile afin d'entrer et de travailler sur le sol européen. Cette vision négative et faussée du « faux » demandeur d'asile et du « faux » réfugié contribue à la restriction de l'octroi du statut de réfugié relatif à la Convention de Genève de 1951, et de son protocole additionnel de 1967 qui s'étend aux réfugiés du monde entier, dont tous les pays européens sont signataires (et donc dans l'obligation de l'appliquer). Ce point sera développé plus amplement dans la sous-partie A de la troisième partie.

Deux événements importants survenus dans les années 80 et le début des années 90 sont à prendre en compte dans le changement quasi radical de la vision de l'Europe quant aux migrations et à l'établissement de nouvelles frontières. Premièrement, la signature des accords de Schengen, officialisant la libre circulation de personnes au sein de l'Union européenne et appliquée en 1995, a permis l'abolition des frontières internes et aussi, parallèlement, la définition de frontières externes très contrôlées par les États eux-mêmes. Deuxièmement, les chutes du rideau de fer (érigé pendant la Guerre Froide afin de séparer le bloc soviétique du bloc des États-Unis) et du mur de Berlin en 1989 ont provoqué l'augmentation des flux migratoires partout au sein de l'Europe et, par conséquent, ont renforcé la vision déjà bien ancrée des migrations comme frein et non plus comme facteur d'une économie florissante.

11

Des années 90 au début des années 2000 : pré-construction d'une « forteresse Europe »

Bien que l'économie soit de nouveau florissante en Europe, les contrôles et les arrestations aux frontières se font de plus en plus fréquents et nombreux. Une nouvelle catégorie de migrants attire les pays d'Europe du Nord-Ouest en plus des migrations dites « familiales » : il s'agit de la migration qualifiée, qui apporte ses compétences et son savoir-faire aux pays concernés (France, Allemagne, Belgique, Suisse). Dans les pays d'Europe du Sud, notamment Espagne et Italie, c'est le contraire : ils accueillent principalement de la main d'oeuvre non qualifiée et se transforment nettement en terre d'immigration et ne sont plus des pays d'émigration. Comment expliquer ce phénomène ? Tout simplement car, contrairement aux autres pays de l'Union européenne, l'Italie et l'Espagne n'exigeaient pas, à cette période-là, de visas d'entrée et le contrôle à leurs frontières était beaucoup moins restrictif. De plus, l'Italie et l'Espagne recrutaient réellement de la main d'oeuvre pour des métiers dans l'agriculture, la récolte, la restauration ou encore le bâtiment. Ainsi, il était plutôt attractif et « facile » d'émigrer vers ces pays, à la fois pour trouver du travail, mais aussi pour avoir une chance de rentrer en Europe et atteindre les pays du Nord-Ouest, qui restent les destinations les plus sollicitées par les migrants de par leur modèle de développement économique pérenne. Les migrants arrivant dans les pays de la rive Nord de la Méditerranée (Italie, Grèce, Espagne, Portugal, Malte) étaient surtout originaires du Maghreb et d'Égypte.

Les attentats du 11 septembre 2011 ont représenté un point de rupture dans la perception de l'Europe vis-à-vis des migrations toujours plus nombreuses, et de plus en plus clandestines, dans les années 2000. La société Occidentale considérait à ce moment-là que lutter contre l'immigration clandestine revenait à lutter contre le terrorisme. Le drame de septembre 2011 a été largement relayé et utilisé dans les discours politiques des mouvements d'extrême droite et xénophobes. Ces discours ont contribué à dégrader progressivement l'image du migrant et du réfugié et, ainsi, à renforcer le contrôle aux frontières tout en refoulant le plus possible, parfois sans même étudier la situation de la personne. L'accueil et la protection autrefois prônés par les États européens se sont transformés en lutte incessante contre les migrants « illégaux », « clandestins », qu'il fallait à tout prix chasser et surtout les empêcher de rentrer sur le territoire.

La montée des mouvements xénophobes et d'extrême droite dans les années 2000 renforcent également le « lavage de cerveau » exercé sur les citoyen(ne)s qui se ferment de plus en plus à l'accueil et l'hébergement des migrants et de ceux ayant obtenu le statut de réfugié.

12

En conclusion de cette sous-partie, nous pourrions dire qu'une nette évolution de la vision et de la conception des migrations en Méditerranée durant la seconde moitié du XXème siècle est notable et qu'elle s'explique par de nombreux changements politiques et économiques survenus dans la zone. Le constat le plus frappant concerne la crise économique des années 70 : si la main d'oeuvre étrangère était accueillie « à bras ouverts » par les pays d'Europe du Nord-Ouest afin de contribuer au renforcement du développement économique et à la dynamique de peuplement des zones touchées par une baisse des naissances, il est indéniable de dire que lorsqu'est survenu le choc pétrolier de 1973 et ses conséquences à l'échelle mondiale, ce sont les catégories de migrants qui en ont subi les répercussions négatives en se voyant refuser le droit de venir travailler. Cet exemple flagrant et l'assimilation controversée de la lutte contre l'immigration clandestine et de la lutte contre le terrorisme depuis 2001 démontrent en un sens que les migrants et les réfugiés sont pris pour cible et pour facteur « aggravant » lors de situations complexes ou de crises. Le terme « crise des réfugiés » utilisé dans les médias et l'opinion publique illustre cette vision péjorative et reflète parfaitement la volonté de contrôle renforcé et de refoulement aux frontières de l'Europe. Ne faudrait-il pas plutôt parler de « crise de l'accueil des réfugiés » plutôt que d'une « crise des réfugiés » comme évoqué dans l'ouvrage collectif Les réfugiés sont notre avenir (2019) ?

L'analyse de l'évolution des traversées en mer Méditerranée et des événements politiques, économiques et sociaux survenus dans la zone permet de mieux comprendre les causes profondes du changement progressif de la mentalité et de la prise de position de l'Europe vis-à-vis de la gestion des migrations en Méditerranée et sur son territoire. Force est de constater que les types de migrations en Méditerranées ont peu changé depuis le siècle précédent : il s'agit toujours de fortes migrations économiques avec, certes, actuellement, une majorité de migrations forcées. Néanmoins, les réactions face à ces courants migratoires se sont transformées et l'accumulation de crises entre 1970 et 2000 a fortement joué dans la baisse de considération de la condition des migrants et réfugiés.

13

B) Une médiatisation grandissante du phénomène migratoire en mer Méditerranée depuis 2013

Cette sous-partie n'a pas pour but d'énumérer mécaniquement les éléments qui ont déclenché un « focus » irréversible de l'Europe sur les mobilités en mer Méditerranée. Comme expliqué dans la sous-partie précédente, la montée de la méfiance et d'un rejet notable des États européens envers les migrants et réfugiés découle d'une série d'événements et de changements politiques, économiques et sociaux importants à l'échelle mondiale, entre les années 70 et le début des années 2000, qui ont grandement remis en cause la légitimité et la fréquence des migrations en Europe. Une évolution chronologique était donc nécessaire pour expliquer concrètement le changement progressif de la mentalité européenne par rapport à sa gestion de flux migratoires. Néanmoins, ici, il s'agira surtout de comprendre qu'il n'y a pas de réel(s) déclencheur(s) de l'augmentation des arrivées et traversées de la Méditerranée à partir de 2015. Bien entendu, des événements ont contribué à cet accroissement « soudain » mais il convient de préciser que bien avant ces événements, les migrations (économiques ou forcées) existaient déjà et ne cessent de croître de jour en jour de manière évidente et irréversible. Simplement, cette prévision n'avait pas été prise en compte par l'Europe qui s'est retrouvée impuissante face à la réalité qu'elle refusait jusqu'à alors d'affronter et qu'elle continue d'ailleurs de repousser.

Cette sous-partie a également pour but de comprendre comment l'influence des médias a contribué à l'accroissement des flux migratoires vus comme indésirables et « néfastes » par l'Europe. Les événements relayés dans les médias ont-ils influencé les prises de décisions des gouvernements et l'opinion publique ou inversement ? Il faut le dire, le terme « crise des réfugiés » a vu le jour grâce (à cause ?) des médias qui, en énonçant les faits des naufrages dramatiques ou la prise de position de tel ou tel État européen, ont fait naître une « pression » évidente chez les européens qui se sont alors vus confrontés à une « invasion massive et imprévisible » de réfugiés. Les chiffres communiqués (souvent faussés), les tournures de phrases, les termes comme « invasion », « envahissement », « millions de réfugiés » employés dans les articles ont provoqué une prise de conscience générale sur la conséquence inévitable que représente l'exil de centaines de milliers de personnes confrontées à des conflits au sein de leur pays.

14

La médiatisation « accélérée » du phénomène migratoire en Méditerranée en 2013 s'est imposée comme quasi instantanée, comparable à la fermeture irrémédiable des frontières européennes dans les mois qui suivirent. Pourquoi ce changement soudain dans les actualités ? Pourquoi ce focus persistant dans le temps sur les migrations en Méditerranée ? Réelle volonté d'informer le public ou lavage de cerveau orchestré par les États européens afin de provoquer une montée de rejet du peuple vis-à-vis des réfugiés et ainsi justifier leur position « anti-accueil » ou les deux à la fois ?

Les Révolutions arabes de 2011 ont-elles déclenché cet afflux « massif » de réfugiés vers l'Europe ?

En 2011, les Révolutions arabes attirent l'oeil de toute la communauté internationale de par la violence grandissante des répressions à l'encontre des peuples. Manifestations citoyennes pacifiques au départ, il s'agissait de faire entendre la voix du peuple, et des jeunes surtout, qui souhaitait mettre en place une démocratie dans leur pays et pouvoir jouir de leurs droits. Malheureusement, les Révolutions ont pris un tournant dramatique, et des guerres civiles ont éclaté dans certains pays (Libye, Yémen, Syrie) opposant forces armées du gouvernement, peuple et forces rebelles (Syrie). L'exil vers un lieu sûr est devenu la seule solution envisageable pour des centaines de milliers de personnes et famille persécutées par leur propre gouvernement. Cependant, il serait faux de dire que les individus ayant fui ont désespérément tenté de rejoindre l'Europe, ou l'Occident de manière générale, dans l'immédiat. En effet, Camille Schmoll, Hélène Thiollet et Catherine Wihtol De Wenden l'expliquent dans l'introduction de leur ouvrage Migrations en Méditerranée (2016) considérer que l'explosion des migrations moyen-orientales et nord africaines dans la période 2011 découle uniquement des conflits et du bousculement politique et social des États en proie aux révolutions est une vision purement « euro-centralisée ». Il est vrai que des millions de personnes ont été déplacées dans les zones du Proche et du Moyen Orient, mais ces millions de personnes étaient déplacées soit dans les pays voisins - par exemple au Liban pour le conflit en Syrie ou encore en Égypte pour la guerre en Libye - soit au sein même de leur pays - on parle de déplacés internes, par exemple, 1,5 millions de déplacés internes en Irak. 7,6 millions de syriens sont déplacés au sein-même de leur pays et 4 autres millions sont répartis entre le Liban, la Turquie et la Jordanie. Les afflux vers l'Europe ont réellement commencé vers 2014-2015, contrairement à ce que beaucoup de personnes ont clamé. Les trois auteurs citées plus haut expliquent également que

15

les migrations ont toujours fait partie intégrante de la région du Moyen-Orient, que ce soit les migrations économiques vers les Pays du Golfe ou encore les déplacements réguliers de réfugiés au Liban et en Irak.

Ainsi, les Révolutions arabes ont bel et bien ébranlé la géographie des migrations, mais ce que l'on doit bien prendre en compte, c'est que ces profonds changements ont d'abord touché le Proche et Moyen Orient, foyers de départ, de transit et d'accueil à la fois des migrants et réfugiés, et continuent d'ailleurs toujours de le toucher. Pour rappel, les pays comme le Liban, la Turquie, la Jordanie, le Pakistan, l'Iran et l'Éthiopie en Afrique accueillent dix fois plus de réfugiés que tous les pays d'Europe réunis.

Conflits, instabilités politiques et pauvreté dans certains pays d'Afrique subsaharienne : l'exil perçu comme une solution depuis des années

L'instabilité ne concerne pas uniquement le Proche et Moyen-Orient ni les pays d'Afrique du Nord (Tunisie, Libye). En Afrique subsaharienne, des conflits sociaux-politiques perdurant depuis des années continuent d'avoir des conséquences dramatiques sur les populations. Il s'agit du territoire où il y a le plus grand nombre de casques bleus, 80 000, un chiffre représentatif de l'instabilité politique et de l'imprévisibilité permanente des États et des groupes armés non étatiques. Au Congo-Brazzaville, par exemple, le problème de la liberté d'expression et d'autorisation des manifestations pousse des centaines de milliers de personnes et familles à fuir. Les répercussions des forces de l'ordre sont extrêmement violentes et de nombreux cas de personnes mortes ou blessées ayant tenté de manifester sont régulièrement relayés dans les médias. Les guerres civiles et conflits au Sud Soudan, les régimes dictatoriaux en Érythrée et en RDC ainsi que les conditions de vie misérables en Somalie ont entraîné l'exil de millions de personnes dans les pays voisins principalement (Tchad, Kenya, Égypte, Nigeria). Selon le HCR, l'Afrique subsaharienne accueille 30% des réfugiés du monde entier. Parmi les principaux pays d'accueil, selon les dernières statistiques du HCR1 datant de fin 2018, on compte le Soudan (1,1 million), l'Ouganda (1,1 million) et l'Éthiopie (900 000). Le nombre d'arrivées de réfugiés en Europe reste donc faible par rapport à l'accueil en Afrique subsaharienne et dans les pays voisins des pays en conflit.

1 UNHCR. (2019). UNHCR Population Statistics - Data - Overview. Récupéré le 11 Juillet, 2019, sur http://popstats.unhcr.org/en/overview#_ga=2.153873848.1003678506.1562927068-935967279.1543762883

16

En Orient comme en Afrique, de nos jours, 80% des personnes qui fuient leur pays se
réfugient dans le pays voisin selon les données du HCR.

Augmentation des traversées de la Méditerranée et du nombre de demandes d'asile en Europe depuis 2015

« L'Europe ne peut pas accueillir tous les réfugiés du monde », une phrase répétitive et que l'on entend souvent dans les discours des mouvements d'extrême droite et xénophobes principalement. La vraie question n'est pas de savoir si oui ou non l'Europe peut accueillir un nombre important de réfugiés, mais de se demander si l'Europe veut accueillir des réfugiés. En 2015, le nombre de tentatives de la mer Méditerranée ainsi que le nombre de demandes d'asile en Europe augmentent tous deux considérablement. Pour cause : l'intensification du conflit en Syrie en 2014 et la continuité des conséquences engendrées par les Révolutions arabes de 2011 et des conflits perdurant en Afrique subsaharienne que sont l'exil et la fuite. De plus, la plupart des pays voisins où se réfugient les demandeurs d'asile (Liban, Turquie, Ouganda, Soudan, Éthiopie) sont « saturés » par leur capacité d'accueil et ne sont pas signataires de la Convention de Genève ce qui ne garantit pas l'octroi du statut de réfugié aux personnes qui fuient des persécutions. Ainsi, les réfugiés se sont alors tournés vers l'Europe, continent des droits de l'Homme, où ils ont la possibilité d'obtenir une protection internationale suite à l'étude de leur dossier.

Selon les statistiques d'Eurostat2, en 2015, il y eut plus de 593 000 demandes d'asile déposées en Europe. Les pays de l'UE comme l'Allemagne, la Suisse, la France et l'Italie principalement, ont accordé l'asile à 333 350 demandeurs d'asile dont la moitié vient de Syrie (166 100) et d'Érythrée (27 600). Cette hausse de demandes fut qualifié « d'imprévisible » par l'Europe qui a vu l'arrivée de centaines de milliers de personnes traversant la Méditerranée comme une invasion d'étrangers sortis de nulle part et se « ruant sur les aides sociales proposées par l'État ».

La Méditerranée est devenue en l'espace de quatre ans la voie la plus empruntée par les migrants qui tentent de rejoindre l'Europe. En effet, dès 2015, des centaines de milliers de syriens ont fui leur pays pour rejoindre la Grèce, en passant par la Turquie et la Mer Égée, et

2 Eurostat (2016, 20 Avril). EU Member States granted protection to more than 330 000 asylum seekers in 2015. Récupéré le 2 Août, 2019, sur https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/7233417/3-20042016-AP-EN.pdf/34c4f5af-eb93-4ecd-984c-577a5271c8c5

17

les réfugiés venant d'Afrique subsaharienne sont passés par la Libye afin de traverser la Méditerranée et arriver sur les îles européennes (ex : Lampedusa, Sicile) car les frontières au Maroc se sont renforcées. Malheureusement, la mer Méditerranée est aussi devenue le chemin le plus meurtrier pour les migrants qui tentent sa traversée sur des bateaux pneumatiques peu fiables.

Les enjeux de la médiatisation du phénomène migratoire en Méditerranée

Le 3 octobre 2013, 366 personnes périssent en se noyant dans la Méditerranée à quelques kilomètres de Lampedusa. Un deuil national est décrété en Italie. Il ne s'agit pas du premier naufrage de migrants qui tentaient de rejoindre l'Europe mais il s'agit du premier autant médiatisé. En effet, le drame est relayé à l'échelle internationale et interpelle pour la première fois l'Europe sur sa responsabilité vis-à-vis de ces naufrages à ses frontières maritimes. 366 personnes de nationalités différentes ont perdu la vie en fuyant les guerres et les persécutions de leur pays et aucun navire ne les a secouru, aucun drone ne les a localisé, aucun pays n'en a pris la responsabilité. Le 2 septembre 2015, le corps de Aylan Kurdi, petit garçon syrien d'origine Kurde, alors âgé de 3 ans, est retrouvé échoué sur une plage de Turquie. Sa famille et lui avaient embarqué, la veille, sur un bateau pneumatique partant de Turquie pour aller en Grèce mais ce dernier a chaviré, entraînant la mort de 12 personnes réfugiées fuyant la guerre civile syrienne.

Si ces naufrages ont été très médiatisés et mis en avance, la découverte des corps aux frontières maritimes et terrestres de l'Europe et dans le détroit de Gibraltar ne date pas de 2013. Déjà dans les années 80, les corps de migrants tentant de traverser les frontières étaient retrouvés noyés et échoués sur les plages, asphyxiés dans des coffres de camions, déshydratés dans le désert du Sahara. Cette réalité rappelle l'aspect meurtrier des frontières depuis leur établissement en 85 à la suite de la signature des accords Schengen : établies pour délimiter les États certes, mais surtout établies dans le but de refouler massivement et diminuer les chances d'entrée sur le territoire européen des migrants. Les passages menant en Europe (détroit de Gibraltar, Ceuta, mer Méditerranée, frontière turco-grecque, etc.) sont devenus des espaces de mort.

Si la médiatisation de cette augmentation de migrants en 2015 et les chiffres communiqués ont reflété la perte de contrôle des moyens de l'Europe sur la situation migratoire et une difficulté à prendre des décisions en termes d'accueil, de gestion et de relocalisation

18

équitable entre tous les États, elle a surtout exposé au grand jour la violence des frontières européennes et le laxisme des États. S'agit-il réellement d'une difficulté de gestion et d'accueil ? Entre 2015 et 2018, les articles relayés en référence aux flux migratoires concernent surtout les naufrages et les morts des migrants, les conditions de rétention de ces derniers en Libye, et très peu les décisions de l'Europe quant à sa politique migratoire. Il y eut certes un écho médiatique suite au lancement des opérations Mare Nostrum et Triton en 2013, ou encore suite à la décision de l'Allemagne d'accueillir plus de 1 million de réfugiés sur son territoire en 2015. Mais que fait réellement l'Europe pour pallier à ses faiblesses en termes de gestion des flux migratoires ? Pourquoi les naufrages sont-ils sans cesse relayés sans qu'aucune solution ne soit envisagée ? L'État le plus évoqué est bien évidemment l'Italie, qui accueillie quasiment plus de 5000 migrants par jour, et qui a décidé de fermer ses ports suite au silence prolongé de ses États voisins puisque la relocalisation « équilibrée » des migrants en Europe n'a pas été respectée.

Titre d'un article3 du média Économie Matin paru le 11 Septembre 2015 (Infographie n°1)

Titre d'un article4 du média Reinformation TV paru le 18 Juin 2018

(Infographie n° 2)

3 Crasnier, P. (2015, 11 Septembre). Migration ou Invasion : dans tous les cas une horreur. Récupéré le 25 Mai, 2019, sur http://www.economiematin.fr/news-migrants-france-accueil-francois-hollande

4 Mille, P. (2018, 18 Juin). Après migrants, réfugiés et accueil : Détresse, le nouveau mot qui justifie l'invasion de l'Europe. Récupéré le 26 Mai, 2019, sur https://reinformation.tv/detresse-mot-justifie-invasion-europe-migrants-refugies-accueil-mille-85441-2/

19

C) Mesures prises par l'Union européenne et fermeture progressive des frontières

En parlant du contenu de son ouvrage Méditerranée : des frontières à la dérive (2018), Camille Schmoll explique « il s'agit de raconter avec plusieurs points de vue (acteurs à la frontière, acteurs en mer, migrants) comment ces frontières ne cessent de se composer, de se mouvoir et de se relocaliser ». À travers cette phrase, il faut comprendre que la Méditerranée a été transformée en une frontière voulue comme infranchissable par les gouvernements européens et que ces derniers ne cessent d'en redéfinir les limites afin de repousser toujours plus les migrants. Moyens colossaux déployés afin de dissuader ces derniers de venir en Europe et surveillance permanente des frontières font partie des actions mises en place pour contrôler et refouler au maximum. Pourtant, après les naufrages très médiatisés de 2013 (Lampedusa) et 2015 (photo du petit Aylan Kurdi échoué sur une plage turque), une prise de conscience générale avait relancé le débat de l'accueil des migrants en Europe et des opérations de sauvetage ont été menées en Méditerranée.

Cet élan de solidarité aura été de courte durée : le pic d'arrivées de demandeurs d'asile en 2015 en Europe a suscité le questionnement des États quant à leur capacité d'accueil, qui se sont alors vus confrontés à une réelle crise des réfugiés, et la montée des mouvements d'extrême droite au pouvoir, notamment en Italie avec l'élection du ministre de l'intérieur Matteo Salvini, a progressivement réengagé la fermeture des frontières avec, cette fois-ci, une mobilisation plus importante et conséquente.

Opération Mare Nostrum et volonté de quotas et de relocalisation des migrants en Europe : échec d'une politique européenne opérationnelle

Suite aux deux naufrages dramatiques à quelques kilomètres de Lampedusa les 3 et 11 octobre 2013, l'opération Mare Nostrum est lancée le 15 octobre 2013 par le Président du Conseil italien Enrico Letta. Cette opération, menée par la marine de guerre italienne, a pour but de secourir les migrants en situation de détresse en assurant une surveillance 24h/24 en Méditerranée et dans le canal de Sicile (entre la Tunisie et l'Italie), et d'arrêter les passeurs. En une année, elle a permis de sauver 170 000 personnes, soit plus que l'agence Frontex effective depuis 2004, et de démanteler des réseaux de passeurs. Mare Nostrum était financée à hauteur de 9 millions d'euros par mois par l'Italie uniquement, et a mobilisé des moyens techniques et

20

humains importants. Elle a pris fin et a été remplacée par l'opération Triton en 2014 pour deux raisons. Premièrement, l'Italie ne pouvait plus assumer seule le financement de Mare Nostrum et s'est vue refuser la participation au coût opérationnel de 9 millions d'euros par mois de ses partenaires européens. Deuxièmement, il a été maintes fois signalé que l'opération encourageait les migrants à tenter la traversée de la mer Méditerranée et à les faire venir en Europe en toute sécurité, ce qu'on appelle « l'appel d'air ». Suite à cela, l'opération a pris fin et fut remplacée par Triton (opération détaillée plus bas dans cette partie).

D'autres mesures ont été votées par l'Union européenne afin de répondre rapidement à l'intensification des flux migratoires en 2015 et éviter la survenue de nouveaux drames en Méditerranée comme les deux naufrages d'avril 2015 qui ont tué 1500 personnes. Un « Agenda européen en matière de migration » a été proposé par la Commission européenne en mai 2015 avec 3 axes :

- Une répartition dite « équitable » des demandeurs d'asile arrivés en Grèce ou en Italie entre tous les États membres volontaires avec la mise en place de quotas selon la capacité d'accueil et la richesse du pays.

- La création de hotspots, présents en grande majorité sur les îles italiennes (Lampedusa) et grecques (Lesbos) afin de faire le « tri » des migrants pour n'accepter que ceux étant éligible au statut de réfugié.

- Le financement des pays de départ des migrants (Libye, Turquie, Maroc) afin qu'ils les retiennent et les empêchent de vouloir traverser la Méditerranée.

Le programme de relocalisation de 2015 consistait à répartir les migrants éligibles au statut de réfugié (après une identification et un tri dans les hotspots) dans d'autres États d'Europe que la Grèce et l'Italie, principaux pays d'arrivée des migrants. 160 000 demandeurs d'asile devaient être répartis entre les États membres volontaires tels que la France, l'Allemagne, la Pologne, l'Autriche ou la Suède. Des événements survenus entre-temps ont conduit à l'échec de cet objectif : par exemple, la Pologne s'est désengagée à accueillir 7000 réfugiés suite aux attentats survenus à Paris en novembre 2015 et à la peur qu'elle a suscité partout en Europe, alimentant davantage l'image du migrant assimilée au terrorisme, ou encore la création de nouvelles routes migratoires renforçant l'afflux de migrants dont les pays comme l'Autriche et la Suède n'ont pas voulu en assumer les conséquences. En septembre 2017, sur les 160 000 demandeurs d'asile, seuls 30 000 ont été accueillis par d'autres pays que la Grèce et l'Italie.

21

Le système des quotas s'est donc révélé inefficace puisque des États ont refusé de se voir imposer un nombre de migrants à accueillir et ont cherché, pour la plupart, des excuses, alors qu'ils s'y étaient originellement engagés. C'est là toute la difficulté de la position de l'Europe sur les flux migratoires : comment concilier devoir de solidarité et souveraineté nationale ? Si certains États (souvent les mêmes) acceptent à chaque sauvetage de récupérer un certain nombre de migrants (comme la France ou l'Espagne), d'autres expriment clairement leur refus de participer à la gestion et à l'accueil des migrants, au nom de la souveraineté nationale.

En août 2015, la chancelière Angela Merkel avait déclaré vouloir accueillir 1 million de réfugiés avec son slogan « Welcome Refugees » et avait respecté cet engagement en l'appliquant. Selon l'ouvrage collectif Les réfugiés sont notre avenir (2019), sur ces 1 million de migrants accueillis, 400 000 seraient actuellement en formation ou auraient trouvé un emploi. Mais suite à l'impulsion des autres États de déléguer la gestion des migrants en passant des accords avec la Turquie en 2016, l'Allemagne ne s'est plus prononcée sur un accueil aussi conséquent mais se contente d'en accueillir lorsqu'il y a nécessité, notamment suite aux événements récents de migrants sauvés par des navires d'ONG après des semaines d'errance en mer.

La reprise du contrôle et du refoulement aux frontières

L'opération Mare Nostrum aura été de courte durée. Elle est remplacée par l'opération Triton, commanditée par l'agence Frontex en 2014, qui a pour but de renforcer le contrôle aérien, terrestre et maritime aux frontières tout en restant dans les eaux territoriales européennes. Frontex, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne créée en 2004, a pour mission la surveillance et la gestion constante des frontières maritimes, terrestres et aériennes extérieures de l'Europe. Elle s'occupe également d'analyser les flux migratoires et leur évolution afin de mieux les anticiper et d'y répondre efficacement et de rapatrier les personnes ayant été expulsées et contraintes de sortir du territoire européen. Comme évoqué dans l'article Frontex : Contrôlées en toute impunité, des frontières à géométrie variable de Marie Martin dans l'Atlas des migrants en Europe, Frontex « peut aujourd'hui intercepter, expulser, mobiliser à tout moment, en cinq jours, 1500 gardes-frontières au périmètre d'un État membre, acheter son matériel, collecter des données personnelles et les transmettre à Europol, ou opérer dans des pays « tiers » hors HE ». Le budget de Frontex, financé à 100% par les États membres, est passé de 6 millions d'euros en 2004 à 281

22

millions en 2017 selon l'ouvrage Migrants & réfugiés, Réponses aux indécis, aux inquiets et aux réticents (Rodier, 2018 : 64-66). Selon ce même ouvrage, tous les frais dédiés à la surveillance des frontières - transports comme les hélicoptères ou les bateaux, salaire des gardes-frontières, équipements, satellites, drones, etc. - sont assurés par les États membres qui y consacrent une grosse partie de leur budget.

En 2014, l'opération Triton gérée par Frontex remplace Mare Nostrum qui était menée par la marine italienne. Cependant, il ne s'agit pas réellement d'une continuité de Mare Nostrum, en effet, Triton s'axe davantage sur la surveillance des frontières européennes que sur le sauvetage des migrants en détresse et pour cause, la première différence avec Mare Nostrum concerne le périmètre dans lequel Frontex agit : ses agents sont uniquement présents dans les eaux territoriales européennes tandis que les opérations de sauvetage de Mare Nostrum s'étendaient jusqu'aux eaux territoriales libyennes. Voici un aperçu des différences entre les opérations Mare Nostrum et Triton sous forme de schéma très clair réalisé par le journal Le Monde5 (Infographie n° 3 dans la table des figures placée à la fin du mémoire) :

5 Pouchard, A. (2015, 20 Avril). Migrants en Méditerranée : après « Mare Nostrum », qu'est-ce que l'opération « Triton » ? Récupéré le 4 Juin, 2019, sur https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/20/migrants-en-mediterranee-qu-est-ce-que-l-operation-triton_4619129_4355770.html

23

Ce schéma permet de mieux comprendre le changement de posture de l'Europe en une année et le fait que sa volonté de contrôle renforcé aux frontières prime sur le sauvetage des migrants en mer. Si l'Italie finançait à elle-seule 9 millions d'euros par mois la mission Mare Nostrum, tous les États européens contribuent à l'opération Triton qui avait un budget mensuel de 3 millions d'euros. Cet écart de budget est représentatif de ce qui différencie fondamentalement les deux opérations : le sauvetage des personnes en détresse requiert plus de moyens et de mobilisation comme le fuel des navires qui se rendent jusque dans les eaux territoriales libyennes, les canots et équipements de sauvetage, le personnel médical nécessaire à bord pour prodiguer les premiers soins aux rescapés, etc.

En juin 2015, l'opération militaire EUNAVFAVOR MED, dite Sophia, est lancée avec pour même objectif de sauver des migrants et, principalement, de démanteler les réseaux de passeurs en Méditerranée, entre le sud de l'Italie et la Libye. Elle aurait sauvé 12 600 personnes en une année selon la haute représentante aux affaires étrangères européennes Federica Mogherini6. Les navires de Sofia étaient présents dans les eaux internationales mais pas dans les eaux libyennes, ce qui constituait d'ailleurs un objectif en 2016 : obtenir l'accord de la Libye pour sauver plus de personnes en détresse à proximité des côtes libyennes. Les opérations ne sont plus effectives depuis l'été 2018 avec la baisse drastique du nombre de navires dédiés au sauvetage.

En plus du contrôle renforcé exercé par Frontex aux frontières, un refoulement des migrants est régulièrement appliqué et se traduit par des reconductions forcées aux frontières ou alors des expulsions des hotspots lorsque la personne est considérée comme non éligible au statut de réfugié. Pour comprendre le sens du mot « refoulement » il convient de donner la définition du non-refoulement selon l'OIM7 : « Interdiction pour les États d'extrader, d'expulser ou de refouler de toute autre manière une personne vers un pays dans lequel sa vie ou sa liberté serait menacée, ou s'il

existe des motifs sérieux de croire qu'elle risquerait d'être soumise à la torture ou à d'autres peines ou traitements

cruels, inhumains ou dégradants, d'être victime d'une disparition forcée ou de subir un autre préjudice irréparable ». Ainsi, le refoulement des migrants reviendrait à les expulser dans des pays où leur

6 Ducourtieux, C. (2016, 16 Avril). Federica Mogherini : « Nous avons sauvé en mer 12 600 personnes avec

l'opération «Sophia» ». Récupéré le 20 Août, 2019, sur
https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/04/16/federica-mogherini-nous-avons-sauve-en-mer-12-600-personnes-avec-l-operation-sophia_4903554_3214.html

7 OIM. Termes clés de la migration. Récupéré le 3 Juillet, 2019, sur https://www.iom.int/fr/termes-cles-de-la-migration

24

vie est menacée et constitue une violation de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Pourtant, le refoulement est régulièrement appliqué aux migrants qui se retrouvent parfois condamnés à une expulsion sans que leur cas n'ait été étudié au préalable, comme par exemple dans certains cas où des migrants arrivés dans les hotspots sur les îles grecques ou italiennes ont été immédiatement refoulés, les autorités ayant estimé que la personne n'est pas éligible au statut de réfugié. De nombreuses vidéos et témoignages de raccompagnement des migrants, et parfois même de mineurs non accompagnés, aux frontières par des autorités, et notamment une vidéo montrant la police française refouler trois migrants à la frontière italienne en octobre 2018 sans avoir examiné leur dossier et leur situation selon des ONG de défense des droits des migrants, ont confirmé que le refoulement est bel et bien appliqué par Frontex et par les autorités de certains États en dépit du principe de non-refoulement, principe fondateur de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés.

La position de l'Italie influence grandement la gestion des flux migratoires en Méditerranée

Symbole d'espoir en 2013 lors du lancement de l'opération Mare Nostrum ayant sauvé plus de 170 000 migrants en détresse en Méditerranée et symbole de la volonté de fermeture définitive des frontières européennes depuis 2018, l'Italie incarne aujourd'hui la posture anti-migratoire la plus prononcée de l'Europe. Elle a porté le poids de l'inaction de ses voisins européens face aux flux migratoires depuis 2013 et a décidé, avec l'élection Matteo Salvini, de fermer ses ports à l'accueil des migrants. Prévisible mais incompréhensible à la fois, cette fermeture exprime le changement radical de la politique traditionnelle de l'Italie. En effet, l'Italie est un pays d'immigration depuis toujours. Elle a subi de profondes mutations entre la période d'après-guerre et le début des années 2000, avec des arrivées de migrants toujours plus nombreuses et venant d'horizons variés. Accueillant la main d'oeuvre dite non qualifiée des pays d'Afrique du Nord dans les années 90, elle a représenté à la fois une terre où travail et sécurité sont garantis, et à la fois un passage menant aux pays d'Europe du Nord-Ouest. Néanmoins, l'arrivée de Matteo Salvini signe l'arrêt de ce qui constituait l'essence même de l'Italie, entraînant avec elle un rejet prononcé des migrants. Pourtant, l'Italie avait lancé plusieurs appels à ses voisins afin qu'ils sortent de leur silence et revoient la politique migratoire européenne. Un appel resté sans réponse. Alors qu'elle était investie dans le sauvetage des migrants en détresse en mer, l'Italie coopère activement avec la Libye depuis 2018 dans le but

25

de renforcer le contrôle aux frontières libyennes et d'intercepter les migrants en mer afin de les ramener dans les camps de détention.

La fermeture des ports italiens depuis 2017 a des conséquences non négligeables sur les opérations de sauvetage en mer. Les ONG sont dans l'obligation d'errer pendant des semaines en Méditerranée en attendant que les autorités leur donnent le feu vert pour accoster. Cependant, comme le démontre le débarquement « de force » du navire Sea Watch 3 par sa capitaine Carola Rackete à Lampedusa après 17 jours d'errance en Méditerranée avec à son bord plus de 40 migrants rescapés, cette fermeture des ports ne pourra pas repousser indéfiniment les flux migratoires qui affluent de plus en plus vers l'Europe depuis quelques années. Il ne s'agit pas réellement d'une solution efficace puisque les migrants rescapés doivent être débarqués au plus vite après leur sauvetage.

Ainsi, pour conclure cette sous-partie, bien qu'un élan de solidarité envers les migrants de l'Europe ait été perceptible entre 2013 et 2015, les mesures comme l'opération Triton ou le refoulement aux frontières ainsi que le désengagement flagrant et progressif de la majorité des États envers cette cause ont signé la fin d'un potentiel changement de la politique migratoire européenne. Mais l'Europe ne s'est pas uniquement arrêtée au contrôle et à la surprotection de ses frontières, elle a finalement externalisé sa politique migratoire en signant des accords avec la Turquie en 2016 et avec la Libye en 2018 dans une logique de mise à distance des migrants, sans même leur laisser la possibilité d'arriver en Europe. Il s'agit donc d'une délégation de la gestion et de l'accueil des migrants pleinement assumée qui a des conséquences peu glorieuses et des résultats finalement peu convaincants. La partie qui suit abordera les moyens de mise à distance, de contrôle et de refoulement déployés par l'UE durant tout le parcours en Méditerranée des migrants.

26

II) Du pays départ à l'arrivée aux frontières européennes : des moyens de contrôle, de mise à distance et de refoulement durant tout le parcours migratoire en mer Méditerranée

Cette deuxième partie représente sans doute la partie la plus importante du mémoire étant donné qu'elle énonce en trois sous-parties distinctes les moyens de mise à distance, de contrôle et de refoulement déployés par l'Union européenne dans la zone méditerranéenne afin d'empêcher les migrants d'arriver sur son territoire. La première sous-partie concernera les accords de l'UE passés avec la Turquie et la Libye ces dernières années afin de leur déléguer la responsabilité de l'interception et de la gestion des migrants sur leurs territoires. Il s'agit là d'une forme de mise à distance extrême qui a des conséquences dramatiques sur le sort des migrants et qui viole même certains principes de traités européens et internationaux que l'UE a ratifié et s'est engagée à respecter (voir sous-partie A de la troisième partie). La deuxième sous-partie abordera la question du rôle des eaux territoriales et des eaux internationales en Méditerranée et dans quelle mesure les conditions du sauvetage des migrants varient selon qu'ils sont secours dans les eaux libyennes ou internationales. Le Droit maritime y sera également évoqué, dont les principes sur le sauvetage et ses caractéristiques sont intéressantes à prendre en compte pour une meilleure compréhension du devoir de chacun. Enfin, la troisième sous-partie traitera de l'accueil des migrants dans les hotspots, un dispositif créé afin de les « trier » et envoyer ceux éligibles au statut de réfugié en Europe et renvoyer ceux ne l'étant pas. Il s'agit d'une forme de contrôle et de refoulement.

A) L'externalisation de la politique migratoire européenne : double coopération bilatérale de l'Europe avec la Turquie et la Libye

Lors de l'établissement de l'Agenda européen en 2015, l'un des volets principaux consistait en une coopération avec les pays du pourtour méditerranéen, pays de départ et de transit des migrants que sont la Turquie, la Libye et le Maroc. Le but était de leur allouer des moyens financiers et techniques afin qu'ils empêchent les migrants de partir en direction de l'Europe dans une logique de mise à distance « soft ». En effet, si l'Europe tente de filtrer minutieusement les entrées sur son territoire et d'expulser les « sans-papiers », il s'agit aussi de

27

limiter les tentatives d'arrivée sur les îles grecques et italiennes, dont la capacité d'accueil au sein des hotspots semble avoir atteint son maximum, et surtout de stopper les tentatives de traversée de la mer Méditerranée.

Il est important de rappeler que, même si 80% des réfugiés quittent leur pays afin d'aller dans le pays voisin pour y trouver sécurité, l'Europe a connu une importante hausse d'arrivées de demandeurs d'asile à partir de 2015. L'année 2015 fut qualifiée comme étant l'année de la « crise migratoire » : un million de personnes sont arrivées par la voie maritime en Europe, dont 772 000 en Grèce et 153 000 en Italie.

Cette sous-partie a pour but de mettre en lumière les objectifs et les enjeux de la double coopération bilatérale mise en place par l'Europe avec la Turquie et la Libye. Si, au premier abord, la logique de contrôle et de refoulement des réfugiés dans ces deux pays peut sembler représenter la même, il s'avère que les moyens qui leur sont alloués par l'Europe varient tant sur le financier que sur le technique et la mobilisation humaine (voir le tableau comparatif en Annexe 2). Pourquoi parle-t-on de camps de détention en Libye et pas en Turquie ? Pourquoi la coopération de l'Europe en mer Méditerranée se fait-elle principalement avec les garde-côtes libyens et pas les garde-côtes turcs ? Des questions auxquelles nous tenterons de répondre dans cette sous-partie afin d'apporter un éclairage sur la vision de l'Europe quant à sa manière de gérer les flux migratoires au-delà de ses propres frontières.

Une logique de contrôle et de refoulement commune pour la Turquie et la Libye

Depuis les années 90, l'Union européenne soutient « de loin » les actions destinées aux réfugiés, en donnant une contribution financière pour l'entretien des camps en Afrique et au Moyen-Orient via le HCR. Malgré la ratification de la Convention de Genève de 1951 et de son Protocole additionnel de 67, l'Europe n'a pas réellement élaboré de politique opérationnelle et efficace en termes de gestion et d'accueil des migrants. Ainsi, la hausse des arrivées en Europe en 2015, qualifiée d' « imprévisible », a provoqué une sorte de panique générale et une volonté de refoulement massif au-delà des frontières. L'UE a donc décidé de continuer sa politique du « soutien de loin » des réfugiés en passant des accords entre 2016 et 2018 avec la Turquie et la Libye pour stopper l'immigration irrégulière sur son territoire.

La Turquie fait partie des pays qui accueillent le plus de réfugiés au monde. En 2016, le HCR comptabilisait 3,5 millions de réfugiés, dont 100 000 syriens. Bien qu'elle ne soit pas

28

signataire des Conventions de Genève de 1951 relatives au statut de réfugié, elle les accueille et les « héberge » dans des camps financés en grande partie par l'Europe, mais leurs conditions de vie sont déplorables et de nombreux cas de maltraitance ont été relevés par les structures humanitaires sur place. Le 5 octobre 2015, un plan d'action a été proposé par la Commission européenne ayant pour but le soutien des réfugiés et de leurs communautés d'accueil en Turquie et la gestion des flux de migrants irréguliers en mer Égée. Les objectifs de ce plan d'action sont :

- Le soutien des syriens sous protection internationale et de leurs communautés d'accueil turques avec le financement d'associations humanitaires en Turquie et également aux associations des principaux pays d'accueil des réfugiés syriens que sont le Liban, la Jordanie, l'Irak et la Syrie,

- La garantie que la Turquie permettra l'accès aux services publics aux réfugiés syriens, tout en prenant en charge les personnes vulnérables, et qu'elle reverra sa politique en termes d'octroi d'une protection internationale,

- La lutte contre l'immigration irrégulière en coopérant activement avec des parties prenantes comme Frontex.

Ce plan d'action sera adopté lors du sommet UE-Turquie du 29 Novembre 2015. Il soumet des engagements devant être respectés par l'UE et par la Turquie.

En 2017, l'Italie, impuissante face au silence des autres pays de l'UE et en proie à une forte montée de nationalisme et de xénophobie, notamment avec l'élection de Matteo Salvini, décide de signer des accords avec la Libye afin que cette dernière intercepte les bateaux de migrants et les ramènent sur son territoire. Ce n'est pas la première fois que l'Italie et la Libye coopèrent ensemble pour gérer les flux migratoires en provenance de l'Afrique : en 2000 et 2008, des accords avaient été signés et en 2009, de nombreux bateaux ont été interceptés en Mer afin que les équipages italo-libyens ramènent les migrants à Tripoli. En 2012, le Protocole d'accord Memorandum of Understanding (MoU) a été élaboré afin de garantir l'appui à la formation de la police et des garde-côtes libyens, la construction de centres de rétention en Libye, l'application des programmes de rapatriement des migrants et le renforcement de la coordination italo-libyenne aux frontières. Ce Protocole n'a jamais vu le jour car l'Italie fut condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme le 06 juin 2012.

29

Le 2 février 2017 marque la date du second MoU qui sera cette fois-ci signé et appliqué par le Président du Conseil des Ministres italiens Paolo Gentiloni et Fayez Mustafa al-Serraj, Président du Conseil de son propre parti politique. La seule différence relevée entre le premier et le second Protocole ? L'implication unique des garde-côtes libyens dans le refoulement et le rapatriement des migrants et non plus de la police italienne. Il s'agit d'un élément crucial pour la compréhension des enjeux migratoires actuels en Europe : cette volonté de non implication des autorités italiennes signifie que les pays de l'UE ne veulent pas (plus) être mêlés de près ou de loin à la gestion des migrants à leurs frontières. L'Italie, pour l'application de son second Protocole avec la Libye, a choisi de ne pas porter la responsabilité des sauvetages en Méditerranée, ni du retour forcé ou des maltraitances que subissent les migrants en Libye. Elle en porte néanmoins la responsabilité indirecte puisqu'elle finance la Libye et ferme les yeux sur les conditions inhumaines dans lesquelles les sauvetages en Méditerranée ont lieu et dans les camps de détention en Libye.

La signature de ces accords de l'UE avec respectivement la Turquie et la Libye représente, à ce jour, l'une des dernières mesures prises par l'UE afin de répondre au défi migratoire qui subsiste en Méditerranée. Dans cette logique de refoulement au-delà des frontières, l'UE ne semble pas vouloir revoir sa politique migratoire et prendre sa part de responsabilité quant aux décès en Méditerranée. L'importance des moyens financiers, techniques et humains octroyés à la Turquie et à la Libye démontre de manière évidente que l'UE souhaite déléguer cette responsabilité et ne pas assumer les conséquences tragiques qui en découlent. Financer des garde-côtes libyens afin qu'ils interceptent les embarcations de migrants et les ramènent en Libye et financer les camps en Turquie afin de retenir les migrants sont des actes de « délégation », révélateurs de la volonté de l'UE de ne pas se confronter pleinement au phénomène migratoire qui demeure (et se meurt) à ses frontières depuis des années.

Moyens financiers importants octroyés à la Turquie

Dans son ouvrage Migrants & Réfugiés, Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents (2018), Claire Rodier emploie le terme « dépenses anti migratoires » afin de qualifier les sommes importantes investies par l'UE dans sa gestion des flux migratoires. En effet, par l'emploi de ce terme, elle sous-entend que les dépenses engendrées par l'Europe n'ont pas pour but de faciliter l'arrivée des migrants sur son territoire ou de leur garantir un accueil décent mais plutôt de les repousser au-delà de ses frontières en finançant les principaux pays de transit

30

par lesquels ils passent afin qu'ils soient interceptés en Méditerranée et immédiatement rapatriés. Il s'agit donc de dépenses « anti migratoires » et non pas de dépenses « migratoires » dans le sens où l'argent est utilisé pour profiter à l'Europe et aux pays qu'elle sollicite et non pas pour le bien-être des migrants.

Suite aux accords signés avec la Turquie en mars 2016, l'Union européenne s'est engagée à lui verser la somme totale de 6 milliards d'euros en deux versements de 3 milliards d'euros chacun sur deux années. Cette somme conséquente a pour but l'arrêt total de l'immigration irrégulière en Europe avec différentes actions menées :

- Les autorités grecques ont pour obligation de renvoyer les migrants « irréguliers » ou n'ayant pas besoin de protection internationale en Turquie s'ils sont arrivés sur les îles grecques (Chios, Samos) depuis Mars 2016,

- Ils ont également pour obligation d'empêcher la création de nouvelles routes migratoires terrestres ou maritimes,

- L'obligation de démanteler les réseaux de passeurs,

- L'obligation d'instaurer le quota du « 1 réfugié syrien renvoyé en Turquie équivaut à 1 réfugié syrien accepté en Europe ».

Une partie des 6 milliards d'euros est allouée aux projets de développement (santé ou éducation par exemple) mis en place par les ONG et les associations pour les réfugiés en Turquie. Les frais de retour des migrants expulsés des îles grecques à la Turquie sont également pris en charge par l'Europe. Ce dispositif de grande ampleur a eu pour conséquence une baisse drastique des traversées en mer Égée et des arrivées en Grèce, et la réouverture de la route italienne. En contrepartie de ces actions, l'Europe s'engage à autoriser la procédure de libéralisation des visas de courte durée pour les ressortissants turcs et à rouvrir les négociations pour l'entrée de la Turquie au sein de l'UE.

Moyens techniques et formation des garde-côtes libyens

Si l'accord passé avec la Turquie est plutôt de l'ordre financier, l'accord passé avec la Libye est, en revanche, davantage axé sur l'opérationnel. En effet, l'UE avait déjà fait don de 4 navires patrouilleurs en juin 2017 et en avait promis 6 autres dans les mois suivants. De plus, il a été convenu que les garde-côtes libyens seraient entraînés et formés par les autorités italiennes afin d'apprendre le sauvetage en mer des migrants et renforcer la sécurité aux frontières libyennes.

31

En réalité, selon le rapport rédigé8 par Omer Shatz et Juan Branco déposé devant la Cour Pénale Internationale (CPI) en Juin 2019 qui accuse l'UE de crimes contre l'humanité au vu des traitements inhumains infligé aux migrants en Libye, les autorités libyennes seraient formées depuis 2014. En 2013, le Conseil de l'Union européenne a signé le lancement de la Mission d'assistance pour une gestion intégrée des frontières en Libye (EUBAM Libya) afin d'aider les autorités libyennes à renforcer la sécurité de leurs frontières aériennes, terrestres et maritimes. En 2016, le Comité politique et de sécurité (COPS) annonce officiellement le début des entraînements des garde-côtes libyens. En Juillet 2018, toujours selon le rapport, 213 personnes faisant parties des garde-côtes libyens et de la marine libyenne ont été entraînées en Crète et à Malte. La Mission d'assistance pour une gestion intégrée des frontières en Libye (EUBAM), initialement prévue pour deux années, est reconduite en Juillet 2017 pour une année supplémentaire. Quelques jours après, l'opération Sophia est également reconduite et le 28 Juillet 2017, des fonds sont débloqués par la Commission européenne afin de renforcer les capacités des autorités libyennes, et plus particulièrement des garde-côtes.

En Avril 2017, la Commission Européenne annonce l'octroi de 90 millions d'euros en faveur des projets d'aide aux migrants en Libye et notamment pour améliorer les conditions de vie dans les centres de détention. Un montant de 46 millions d'euros est débloqué en Juillet 2017 afin de « renforcer les capacités des autorités libyennes ». Le rapport explique notamment que c'est l'Italie qui coopère le plus avec la Libye et qui promet aux garde-côtes « des équipements, des bateaux et des salaires » pour l'interception et la gestion des migrants. Il est également évoqué que quelques opérations de recherche et d'interception des migrants aux frontières libyennes ou en Méditerranée ont été menées secrètement par les forces aériennes et maritimes d'États européens qui ont aidé et indiqué la position des migrants aux garde-côtes libyens.

Il apparait donc, au travers des faits énoncés et détaillés précisément date par date dans le rapport, que l'UE a déployé des moyens financiers, techniques et humains importants afin de rallier la Libye à sa lutte contre l'immigration clandestine en Europe. Les équipements et les formations coûteuses délivrées aux autorités libyennes s'apparentent davantage à des objectifs de contrôle, d'interception et de captivité dans les camps de détention que du sauvetage en merdes migrants en détresse et de leur confort en Libye. L'implication particulièrement forte

8 Shatz, O. et Branco J. (2018). EU Migration Policies in the Central Mediterranean and Libya (2014-2019). Récupéré le 11 Juin, 2019, par mail de Monsieur Branco, file:///C:/Users/Anaelle/Documents/3A/MASTER%202/Mémoire/EU-ICC-FINAL.pdf

32

de l'Italie dans la coopération avec la Libye démontre sa volonté de stopper tout débarquement de migrants dans ses ports (Lampedusa) et de ne plus porter le « poids migratoire » qu'elle gère seule depuis des mois sans l'aide des autres États membres de l'UE.

L'interception des embarcations de migrants en détresse par les garde-côtes libyens

De nombreuses vidéos ont récemment circulé sur le net montrant la manière de procéder des garde-côtes libyens afin de venir en aide aux migrants en détresse en Méditerranée. La plupart de ces vidéos sont filmées en caméras cachées et certaines images peuvent choquer de par leur contenu explicite et violent. Sur une vidéo relayée par le média Courriel international9, tournée par les agences Forensic Oceanography et Forensic Architecture et réalisée par le New-York Times, qui dure 15 minutes environ, on peut voir le déroulement d'une mission de « sauvetage » des garde-côtes libyens ayant repéré une embarcation de migrants en train de couler. La vidéo fut tournée sous forme de reconstitution de la journée du 6 novembre 2017, alors que 150 migrants quittent Tripoli sur un bateau pneumatique pour rejoindre l'Europe. La plupart du temps, lorsque les passeurs font embarquer les migrants sur des bateaux pneumatiques, très peu ont des gilets de sauvetage, et leur seul moyen de communication est le téléphone satellite pour appeler en cas de détresse. Durant les 15 minutes de la vidéo, nous pouvons observer la manière dont les garde-côtes libyens « viennent en aide » aux migrants dont l'embarcation chavire. La majorité des personnes tombent e la plupart ne savant pas nager, commencent à se noyer. Comme l'explique la personne qui parle dans la vidéo en commentant les images, le bateau libyen ne respecte pas les techniques standard de sauvetage car :

- Le bateau ne se situe pas à la bonne distance de l'embarcation pneumatique et engloutit les migrants autour,

- Les équipes libyennes se contentent de lancer des bouées et gilets de sauvetage mais ne descendent pas dans des canots pour sauver les personnes de la noyade,

- Les garde-côtes libyens crient et insultent les migrants. Ils les filment également en train de se noyer sans réagir,

9 Courriel international. (2019, 2 Janvier). Comment l'Europe et la Libye laissent mourir les migrants en Mer. Récupéré le 10 Août, 2019, sur https://www.courrierinternational.com/video/enquete-comment-leurope-et-la-libye-laissent-mourir-les-migrants-en-mer?fbclid=IwAR1anJyO5bZWcfka1tTJhTIeVdkY6A2x8POvVTVhJOseMPmzGCUcb9XE4oU

33

- Les garde-côtes libyens n'ont pas les équipements nécessaires à bord de leur navire pour secourir et soigner les migrants (pas de canots de sauvetage, pas de médecins ni de zone de soins).

Lorsque le bateau humanitaire Sea Watch 3 arrive finalement quelques minutes plus tard, on constate que la procédure de sauvetage diffère totalement de celle employée par les équipes libyennes : le bateau se trouve à bonne distance des migrants, les équipes descendent dans des canots de sauvetage et sortent les migrants de l'eau en les aidant à monter avec eux sur les canots. À bord, ils seront pris en charge par une équipe compétente de médecins qui leur apporteront les premiers soins ainsi qu'un soutien psychologique. Il est également choquant d'entendre les menaces des garde-côtes libyens proliférées envers les sauveteurs du Sea Watch, telles que « Ne revenez pas près de nos eaux territoriales. La prochaine fois, vous serez pris pour cible. N'approchez pas sinon je vous tue ». En vérité, il parait assez évident que les garde-côtes libyens qui se déplacent lorsqu'ils reçoivent un appel SOS d'une embarcation de migrants en détresse le font uniquement pour respecter l'accord passé avec l'UE et pas dans le réel but de sauver des vies. Il s'agit donc clairement de se rendre sur place, d'intercepter violemment les migrants, en laissant en mourir plus d'un, et de les ramener dans des centres de détention en Libye.

Malheureusement, la description détaillée de cette vidéo représente la réalité des drames actuels en Méditerranée. La Libye étant tenue de respecter les engagements énoncés dans les accords passés avec l'UE en 2017, les garde-côtes ne remplissent pas leur devoir de sauver les migrants de la noyade et de leur assurer sécurité et conditions de vie décentes. Les conséquences de cet accord sont désastreuses tant pour les migrants qui subissent les décisions européennes controversées que pour l'aide humanitaire qui s'efforce de répondre aux besoins de sauvetage en Méditerranée étant donné l'inefficacité des navires des garde-côtes libyens. Ces pratiques exercées par les autorités libyennes vont à l'encontre de certains principes propres aux droits de l'Homme et sont régulièrement dénoncées par les ONG de sauvetage.

L'horreur des centres de détention en Libye : crimes contre l'humanité ?

Pour les quelques migrants interceptés par le navire des garde-côtes libyens, leur sort sera bien différent de celui de ceux emmenés en Europe. Depuis la révolution de 2011 et la chute de Kadhafi, la Libye est en proie à une guerre civile violente et de nombreux reportages et témoignages ont révélé les conditions de vie inhumaines dans les centres de détention où des

34

milliers de migrants sont enfermés. Ils sont privés de nourriture, parfois d'eau, maltraités, violés, vendus, enfermés par centaines dans des endroits ne dépassant pas les 20 mètres carrés. On dénombre également des centaines de décès dus à des maladies comme la tuberculose depuis septembre 2018. L'ONU s'inquiète de cette situation et dénonce ces conditions de vie qui s'apparentent à des crimes contre l'humanité et a demandé maintes fois la fermeture de ces centres de détention. Rupert Colville, porte-parole du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme a déclaré10 « Nous sommes profondément préoccupés par les conditions épouvantables dans lesquelles des migrants et des réfugiés sont détenus en Libye ». À l'origine, les centres de détention dans lesquels sont enfermés les migrants devaient être des centres de rétention au vu des accords signés entre l'Italie et la Libye. Néanmoins, la Libye n'est pas signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et ne semble pas se préoccuper de la condition des migrants qu'elle intercepte et enferme durant de longues périodes dans ces centres. En juin 2019 est paru un rapport11, rédigé par les deux avocats Omer Shatz et Juan Branco, qui accuse l'UE et ses États membres de crimes contre l'humanité envers les migrants qui tentent de rejoindre l'Europe et qui sont interceptés et ramenés de force en Libye. Le rapport analyse toutes les décisions politiques prises par l'UE depuis 2014 dans le but de dissuader les migrants de venir en Europe et les refouler massivement à ses frontières. Il explique également en quoi les faits relevés dans les centres de détention en Libye s'apparentent à des crimes contre l'humanité. Il a été déposé devant la Cour pénale internationale (CPI) et à ce jour, aucun verdict n'a été rendu. Il y aurait actuellement, selon Amnesty International, 8000 migrants et demandeurs d'asile bloqués dans les centres de détention en Libye.

Il est horrifiant de constater que de par ses accords signés avec la Libye en 2017, l'Europe se rend, en un sens, complice des tortures, traitements inhumains et meurtres commis envers les migrants. Son objectif de refoulement et de mise à distance et les moyens déployés pour l'atteindre ne font que repousser le phénomène migratoire à ses frontières qui ne cessera de croître dans les années à venir étant donné l'augmentation des conflits dans le monde. Les accords passés avec la Turquie et la Libye témoignent de la volonté de l'Europe de ne pas prendre ses responsabilités vis-à-vis de la protection et de la prise en charge des migrants fuyant

10 Le Figaro. (2019, 7 Juin). Libye: l'ONU dénonce les conditions de détention «épouvantables» des migrants. Récupéré le 17 Juillet, 2019, sur http://www.lefigaro.fr/flash-actu/libye-l-onu-denonce-les-conditions-de-detention-epouvantables-des-migrants-20190607

11 Maupas, S. (2019, 3 Juin). Deux avocats accusent l'UE de crimes contre l'humanité envers les migrants de Libye. Récupéré le 2 Août, 2019, sur https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/03/plainte-contre-l-union-europeenne-devant-la-cpi-pour-le-traitement-des-migrants-en-libye_5470685_3210.html

35

conflits et persécutions. La Méditerranée représente par conséquent un « moyen », un « outil » non négligeable pour l'Europe afin de ne pas les laisser passer ses frontières facilement et laisser la responsabilité de leur survie en Méditerranée aux garde-côtes libyens (et aux ONG).

Comme le souligne de manière juste Claire Rodier dans son ouvrage Migrants & Réfugiés : Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents (2018), les moyens financiers, tels que les 6 milliards d'euros octroyés à la Turquie et les moyens techniques et humains, tels que les navires et la formation délivrés aux garde-côtes libyens, pourraient largement être dépensés pour les migrants et non pas contre les migrants. Cependant, la politique migratoire européenne étant axée sur un contrôle et un refoulement massif des migrants, les dépenses en faveur de ces objectifs ne cesseront très certainement de croître dans les années à venir et la condition du migrant ne sera bientôt malheureusement plus prise en considération.

36

B) Les enjeux et conséquences du sauvetage en mer des migrants en Méditerranée : rôle des eaux territoriales et responsabilités

Route privilégiée des migrations, la Méditerranée constitue une zone dont les multiples richesses et ressources en font le berceau de la civilisation occidentale.1/3 du trafic maritime mondial s'opère dans ses eaux. En termes juridiques, les eaux de la Méditerranée sont en grande majorité des eaux internationales c'est-à-dire « Toutes les parties de la mer qui ne sont comprises ni dans la zone économique exclusive, la mer territoriale ou les eaux intérieures d'un État, ni dans les eaux

archipélagiques d'un État archipel. La haute mer est ouverte à tous les États et est affectée exclusivement à des fins pacifiques » selon les articles 86, 87 et 8812 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM). Ce terme a été mentionné pour la première fois dans le cadre de l'élaboration de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer qui avait pour but de codifier et d'encadrer de manière universelle le droit de la mer afin que les États, et surtout les États côtiers, s'accordent sur une gestion des espaces maritimes et la conservation de ses ressources. Une première conférence fut organisée par l'ONU à Genève en 1956 afin de poser les bases de la Convention et de s'accorder sur les principes à mettre en oeuvre. En 1958, quatre Conventions sont élaborées : la Convention sur la mer territoriale et la zone contiguë, la Convention sur la haute mer, la Convention sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la haute mer et la Convention sur le plateau continental. Après une deuxième conférence en 1960 et une troisième en 1973, les Nations unies signent finalement en 1982 la Convention des Nations unies sur le droit de la mer à Montego Bay (Jamaïque). 168 États ont ratifié cette Convention dont tous les membres de l'UE en 1998.

À l'inverse des eaux internationales mentionnées plus haut, on parle de mer territoriale, ou eaux territoriales, qui est la « Zone de mer adjacente au territoire et aux eaux intérieures de l'État côtier, où celui-ci exerce une pleine souveraineté tant sur les eaux de surface que sur l'espace aérien au-

dessus de la mer territoriale, le fond de cette mer et son sous-sol. La largeur de la mer territoriale ne dépasse pas 12 milles nautiques » selon les articles 2, 3 et 4 de la CNUDM. Il s'agit donc d'espaces maritimes délimités et appartenant à des États côtiers qui peuvent en exploiter les ressources et y exercer une souveraineté totale. Au sein de l'Union européenne, 7 membres possèdent des eaux territoriales qui s'étendent sur 652 507 km2 : la France, l'Espagne, l'Italie, la Grèce, Malte, Chypre et la Slovénie. Il y a donc une majorité d'eaux internationales en Méditerranée, comme

12 Nations Unies. (1998). Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Récupéré le 18 Août, 2019, sur http://admi.net/eur/loi/leg euro/fr 298A0623 01.html

37

le montre la carte ci-dessous, la ligne rouge représentant la limite des eaux territoriales des États côtiers, et il est important de le mentionner puisque ces eaux jouent un rôle dans la compréhension des relations entre les différents acteurs présents en mer et le sauvetage des migrants en détresse.

Carte13 des mers territoriales de la mer Méditerranée et de la mer Noire
(Infographie n°4)

Parmi les principes énoncés par la CNUDM, les États ont des droits souverains et des devoirs à respecter dans la gestion de leurs eaux territoriales, ces droits s'étendant aux « sous-sols » des eaux, à la surface et à l'espace aérien de la zone délimitée. En termes de droits, les États peuvent appliquer leurs propres lois, exploiter les ressources de leurs eaux dont les ZEE (Zone économique exclusive), mener des opérations d'explorations des fonds sous-marins, réguler les pratiques de pêche, etc. Les devoirs cités sont nombreux mais nous nous concentrerons sur ceux qui nous intéressent le plus ici : le droit de passage inoffensif dans la

13 Parlement européen. (2010). Eaux territoriales en Méditerranée et en mer Noire. Récupéré le 21 Août, 2019, sur http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2009/431602/IPOL-PECH ET(2009)431602 FR.pdf

38

mer territoriale d'un État et l'obligation de porter assistance dans ses propres eaux territoriales. En effet il est dit dans l'article 9814 de la CNUDM que :

« 1. Tout État exige du capitaine d'un navire battant son pavillon que, pour autant que cela lui est possible sans faire courir de risques graves au navire, à l'équipage ou aux passagers :

a) il prête assistance à quiconque est trouvé en péril en mer;

b) il se porte aussi vite que possible au secours des personnes en détresse s'il est informé qu'elles ont besoin d'assistance, dans la mesure où l'on peut raisonnablement s'attendre qu'il agisse de la sorte;

c) en cas d'abordage, il prête assistance à l'autre navire, à son équipage et à ses passagers, et, dans la mesure du possible, indique à l'autre navire le nom et le port d'enregistrement de son propre navire et le port le plus proche qu'il touchera.

2. Tous les États côtiers facilitent la création et le fonctionnement d'un service permanent de recherche et de sauvetage adéquat et efficace pour assurer la sécurité maritime et aérienne et, s'il y a lieu, collaborent à cette fin avec leurs voisins dans le cadre d'arrangements régionaux »

Étant donné que la Libye a signé la Convention en 1984 mais qu'elle ne l'a jamais ratifié, la question de l'obligation des sauvetages dans ses eaux territoriales se pose. Néanmoins, le principe du Droit maritime (développé dans le point suivant) sur le sauvetage d'un navire et/ou de personnes en détresse en mer prime par-dessous tout, obligeant par conséquent les garde-côtes libyens à porter secours aux embarcations de migrants en détresse. Mais souvent, et comme montré dans de nombreuses vidéos, comme celle relayée par le média Courriel international, les garde-côtes, lorsqu'ils reçoivent un appel, mettent du temps à arriver sur place et à procéder au sauvetage des migrants qui se noient. De plus, il semblerait que les garde-côtes procèdent davantage à des interceptions de migrants qu'à des sauvetages : leurs navires ne sont pas équipés en canots de sauvetage et les équipements comme les gilets de sauvetage et les bouées sont lancées depuis le navire (soit en hauteur avec un effet de projectile) sur les migrants, augmentant davantage leur risque de noyade. Interviennent alors les navires d'ONG présentes en mer, si elles sont à proximité, qui respectent les règles du sauvetage afin de ne pas mettre plus en péril les migrants qu'ils ne le sont déjà. Ce schéma de l'arrivée des garde-côtes libyens, en réponse à l'appel d'une embarcation en détresse, puis de celle du navire de secours d'une ONG s'est répété très souvent ces derniers mois et interroge sur le droit d'entrée des ONG dans les eaux territoriales libyennes. Au vu :

14 Nations Unies. (1998). Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Récupéré le 18 Août, 2019, sur http://admi.net/eur/loi/leg euro/fr 298A0623 01.html

39

- De l'article 1715 de la CNUDM sur le Droit de passage inoffensif :

« Sous réserve de la convention, les navires de tous les États, côtiers ou sans littoral, jouissent du droit de passage inoffensif dans la mer territoriale »

- De l'article 18 de la CNUDM sur la Signification du terme « passage » :

« 1. On entend par «passage» le fait de naviguer dans la mer territoriale aux fins de:

a) la traverser sans entrer dans les eaux intérieures ni faire escale dans une rade ou une installation portuaire située en dehors des eaux intérieures

ou

b) se rendre dans les eaux intérieures ou les quitter, ou faire escale dans une telle rade ou installation portuaire ou la quitter.

2. Le passage doit être continu et rapide. Toutefois, le passage comprend l'arrêt et le mouillage, mais seulement s'ils constituent des incidents ordinaires de navigation ou s'imposent par suite d'un cas de force majeure ou de détresse ou dans le but de porter secours à des personnes, des navires ou des aéronefs en danger ou en détresse »

- Et de l'article 19 de la CNUDM sur la Signification de l'expression « passage inoffensif

» :

« 1. Le passage est inoffensif aussi longtemps qu'il ne porte pas atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l'État côtier. Il doit s'effectuer en conformité avec les dispositions de la convention et les autres règles du droit international.

2. Le passage d'un navire étranger est considéré comme portant atteinte à la paix, au bon ordre ou à la
sécurité de l'État côtier si, dans la mer territoriale, ce navire se livre à l'une quelconque des activités suivantes:

a) menace ou emploi de la force contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de l'État côtier ou de toute autre manière contraire aux principes du droit international énoncés dans la charte des Nations unies;

b) exercice ou manoeuvre avec armes de tout type;

c) collecte de renseignements au détriment de la défense ou de la sécurité de l'État côtier;

d) propagande visant à nuire à la défense ou à la sécurité de l'État côtier;

e) lancement, appontage ou embarquement d'aéronefs;

f) lancement, appontage ou embarquement d'engins militaires;

g) embarquement ou débarquement de marchandises, de fonds ou de personnes en contravention aux lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d'immigration de l'État côtier;

15 Nations Unies. (1998). Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Récupéré le 18 Août, 2019, sur http://admi.net/eur/loi/leg euro/fr 298A0623 01.html

h)

40

pollution délibérée et grave, en violation de la convention;

i) pêche;

j) recherches ou levés;

k) perturbation du fonctionnement de tout système de communication ou de tout autre équipement ou installation de l'État côtier;

l) toute autre activité sans rapport direct avec le passage »

Étant dans la seule optique de sauver des migrants en détresse, le passage des ONG dans les eaux territoriales libyennes est considéré comme inoffensif et toléré. Mais surtout, les sauvetages effectués par les garde-côtes libyens ne répondant pas aux règles du sauvetage et représentant davantage un danger qu'une réelle aide apportée, l'entrée des ONG dans les eaux territoriales libyennes s'apparente à « un cas de force majeure ou de détresse ou dans le but de porter secours à des personnes, des navires ou des aéronefs en danger ou en détresse » (paragraphe 2 de l'article 18 de la CNUDM) et ne constitue pas une violation du droit de la mer ou un danger pour l'État libyen. Les altercations violentes ayant éclaté entre les garde-côtes libyens et les ONG alors que ces dernières se trouvaient dans leurs eaux territoriales et les menaces proférées à leur encontre font de ces eaux une zone d'intervention dangereuse. Il serait même d'ailleurs dangereux pour les ONG d'opérer dans les eaux internationales près des eaux territoriales libyennes comme en atteste l'ONG espagnole ProActiva Open Arms qui fut menacée par les garde-côtes libyens le 15 août 2017. Selon l'article Une ONG menacée par les garde-côtes libyens : "Si vous n'obéissez pas... Vous serez ciblés" du média InfoMigrants16, les Libyens auraient menacé les acteurs humanitaires de leur tirer dessus s'ils ne quittaient pas immédiatement la zone. Le navire humanitaire se trouvait à ce moment-là dans les eaux internationales, à 25 km des eaux territoriales libyennes, distance plus que convenable et autorisée par la CNUDM.

« Vous naviguez dans les eaux libyennes depuis des mois et vous menez des activités qui portent atteinte à la souveraineté de l'État libyen. Nous vous demandons de vous diriger vers le port de Tripoli. Si vous n'obéissez pas immédiatement... Vous serez ciblés. »

16 Boitiaux, C. (2017, 16 Août). Une ONG menacée par les garde-côtes libyens : "Si vous n'obéissez pas... Vous serez ciblés". Récupéré le 22 Août, 2019, sur https://www.infomigrants.net/fr/post/4612/une-ong-menacee-par-les-garde-cotes-libyens-si-vous-n-obeissez-pas-vous-serez-cibles

41

Voici la phrase prononcée par un garde-côte libyen lors de cette altercation. Il sous-entend que les opérations de sauvetage menées par les ONG à proximité et dans les eaux territoriales libyennes porteraient atteinte à la souveraineté nationale de la Libye. Cependant, ces interventions, encore une fois, répondent au principe du cas de force majeure, énoncé dans l'article 18 de la CNUDM, et de sauvetage de personnes en détresse que sont les migrants qui fuient de plus en plus les conditions de vie inhumains dans lesquelles ils sont traités dans les centres de détention en Libye. En plus de cela, le garde-côte menace de façon très claire de tirer sur le navire humanitaire en cas de désobéissance, ce qui constitue une atteinte grave à la personne. S'il devient difficile pour les ONG de mener à bien leurs opérations de sauvetage dans les eaux libyennes, où les naufrages sont les plus recensés, il en est de même pour les opérations en eaux internationales dans lesquelles les garde-côtes libyens interviennent également. Menaces, agressions physiques même parfois, il s'agit d'une manière de dissuader les ONG de procéder à des sauvetages car, engagée par des accords avec l'UE depuis 2017, la Libye se considère comme seule entité autorisée à secourir les migrants et à les ramener dans ses camps de détention.

Ainsi, malgré le fait qu'il y ait une étendue d'eaux internationales plus importante que celle des eaux territoriales en Méditerranée, les opérations de sauvetage menées par les ONG constituent de plus en plus un risque pour les travailleurs humanitaires qui se retrouvent souvent confrontés aux garde-côtes libyens et à leur attitude offensive. Cependant, les ONG devraient pouvoir mener en toute liberté et en toute sécurité leurs opérations de sauvetage dans les eaux internationales, aucun texte de loi contraignant ou entité juridique n'interdisant les mouvements et activités dans cette zone.

Le Droit maritime : en Méditerranée, le principe de sauvetage des personnes en détresse

bafoué

Le Droit maritime est l'ensemble des règles juridiques relatives à la navigation en mer, selon la définition donnée dans le Précis Droit maritime rédigé par Philippe Delebecque (2014). Il diffère du Droit de la mer qui concerne plutôt la gestion des espaces maritimes par les États à l'échelle internationale. Selon le Droit maritime, il existe aujourd'hui trois événements appelés « accidents de navigation » que sont : la collision entre navires, l'assistance prêtée à des navires en péril et sauvetage des personnes en danger, et l'avarie commune. Nous nous

42

concentrerons sur le deuxième point évoqué qui concerne l'assistance aux navires en péril et le sauvetage des personnes en détresse. La loi maritime qui porte sur l'obligation de sauvetage des personnes en situation de détresse date de la fin du Moyen-Âge et peut être passible de sanctions en cas de non-respect selon la loi du 25 octobre 1941 : « Loi du 25 octobre 1941 MODIFIANT LES ART. 228 ET 248 DU CODE PENAL ET PORTANT OBLIGATION DE DENONCER LES CRIMES OU PROJETS DE CRIMES ATTENTATOIRES AUX PERSONNES ET DE SECOURIR LES PERSONNES EN DANGER ». De nombreux traités évoquent l'obligation de sauvetage en mer des personnes se trouvant en situation de détresse comme par exemple :

- La Convention internationale du 23 septembre 1910 pour l'unification de certaines règles en matière d'assistance et de sauvetage maritimes, article 11 : « Tout capitaine est tenu, autant qu'il peut le faire sans danger sérieux pour son navire, son équipage, ses passagers, de prêter assistance à toute personne, même ennemie, trouvée en mer en danger de se perdre »,

- La Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (Convention SOLAS), règle 10.1 : « le capitaine d'un navire en mer qui est dans une position lui permettant de prêter assistance et qui reçoit, de quelque source que ce soit, un signal indiquant que des personnes se trouvent en détresse, est tenu de se porter à toute vitesse à leur secours »,

- CMB, art. 98-2 : « tous les États côtiers facilitent la création et le fonctionnement d'un service permanent...de sauvetage adéquat et efficace... »,

- La Convention de Hambourg du 27 avril 1979 qui a permis la création d'un dispositif international ayant pour but la recherche et le sauvetage dans les eaux côtières de chaque pays.

En plus de l'obligation de sauver des personnes, le principe de gratuité doit s'appliquer, c'est-à-dire que les personnes secourues ne doivent pas payer pour être secourues selon l'article 9 de la Convention de 1910 et l'article 16 de la Convention de 1989.

En prenant en compte toutes ces dispositions et les missions en mer incombant à l'État (détaillées en Annexe 3), il convient de dire que l'UE manque, au vu de la situation actuelle en Méditerranée, à ses responsabilités en termes de sauvetage de personnes en détresse. En effet, malgré la création de Frontex en 2004, l'Agence européenne en charge de la surveillance des frontières européennes et des opérations aériennes et maritimes, et de la mission Mare Nostrum lancée en 2013, aucune mesure concrète n'a été prise ou le cas échéant, les mesures ne se sont pas révélées réellement efficaces. Pour cause, l'UE a, par l'intermédiaire d'un accord signé

43

avec la Libye en 2017, délégué la responsabilité des sauvetages de migrants en détresse en Méditerranée aux garde-côtes libyens qui les interceptent davantage qu'ils ne les sauvent. De plus, la non présence de navires de sauvetage en Méditerranée, hormis les navires affrétés par les ONG comme SOS Méditerranée, augmente considérablement le risques de noyade des migrants qui tentent la traversée sur des embarcations peu fiables. Il s'agit, en un sens, d'un non-respect du Droit maritime étant donné que l'Europe est consciente de l'aspect meurtrier de ses frontières maritimes et qu'elle ne fait actuellement pas grand-chose pour éviter les noyades en Méditerranée, et même au contraire, qu'elle entrave le travail des acteurs humanitaires présents dans la zone (ce point sera détaillé dans la sous-partie B de la 3ème partie).

Selon Coralie Carvin, ancienne salariée de SOS Méditerranée que j'ai eu l'opportunité d'interviewer (voir Annexe 4), bien avant 2015, l'agence Frontex procédait à des opérations de sauvetage en mer tout comme L'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) mais qu'il n'y en avait plus. À ce jour, seules les ONG, quelques navires de la marine dont on entend très peu parler, et la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM) sauvent les migrants en détresse en Méditerranée et dans la Manche.

Pour conclure cette sous-partie, selon les eaux territoriales dans lesquelles les migrants en détresse sont secourus, et selon les acteurs présents à ce moment-là, leur sort s'avère bien différent. Sauvés par des ONG, les migrants seront déposés dans les ports des îles européennes (Malte, Lampedusa, etc.), interceptés par les garde-côtes libyens, ils seront ramenés de force dans les camps de détention en Libye. Cependant, suite aux réactions virulentes des garde-côtes libyens envers les ONG présentes dans les eaux internationales, un droit tout à fait légitime étant donné que n'importe quel navire peut y circuler à des fins pacifiques, on peut finalement se poser la question du respect de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer par l'État libyen. En effet, n'ayant pas ratifié la Convention, rien ne les oblige à répondre aux obligations énoncées, mais les principes de sauvetage présents dans le Droit maritime constituent un devoir universel pour tous et ce, à titre individuel. Ainsi, les garde-côtes libyens ont une responsabilité lorsqu'ils sont en présence d'une embarcation de migrants en détresse, et sont censés appliquer les règles du sauvetage qui consistent à porter secours rapidement, mettre les rescapés à l'abri sur le navire, et les ramener dans le port le plus proche et le plus sûr. Des règles qui ne sont pas réellement respectées et qui constituent la cause des accrochages avec les ONG qui dénoncent leur manque d'investissement et d'humanité envers les migrants.

44

C) Les îles grecques : l'accueil dans les hotspots

Depuis 2015, le nombre des traversées de la Méditerranée a considérablement augmenté et les statistiques et témoignages de survivants ont démontré que les embarcations n'arrivaient jamais à destination : les migrants sont soit interceptés par les garde-côtes libyens et ramenés de force dans les centres de détention en Libye, soit sauvés par les ONG de sauvetage et emmenés sur les îles à proximité. Géographiquement, la Méditerranée est divisée en trois zones : la Méditerranée orientale bordée par les îles grecques comme Lesbos, Chios, Samos, Kos, Leros et Évros ; la Méditerranée centrale bordée par les îles italiennes telles que Lampedusa, Pozzallo et le canal de Sicile ; et enfin la Méditerranée occidentale dont le passage le plus emprunté, et le plus surveillé, fut le détroit de Gibraltar il y a quelques années de cela. Si les îles sur lesquelles sont débarqués la plupart des migrants sont des îles européennes, cela ne veut pas dire que les migrants ont atteint leur objectif d'entrer en Europe. En effet, si le dispositif des hotspots, instauré en 2015 par l'Union européenne afin de différencier les migrants éligibles au statut de réfugié de ceux ne l'étant pas, donne l'illusion d'une dernière étape à franchir pour les migrants afin d'accéder au sol européen, il s'agit en réalité d'un moyen de les contrôler et de les mettre à distance. La création des hotspots fut une réponse à l'afflux soudain de demandeurs d'asile venus chercher protection en Europe en 2015. Il s'agit de centres implantés sur les îles grecques et italiennes, premiers lieux d'arrivée des migrants où ils sont identifiés puis enregistrés en donnant leurs empreintes. Le cas des migrants est traité selon l'étude de leur situation : s'il est estimé que la personne est éligible au statut de réfugié, elle est orientée vers des procédures d'asile afin de formuler sa demande, dans le cas contraire, elle est renvoyée. Lors de l'élaboration de l'Agenda européen en matière de migration en 2015, la Commission européenne a proposé un mécanisme de relocalisation dans la continuité du passage par les hotspots : si les migrants sont considérés comme ayant besoin d'une protection, ils sont répartis entre plusieurs États européens afin qu'ils ne soient pas tous accueillis et pris en charge par la Grèce ou l'Italie. La gestion des hotspots et des migrants est assurée par trois entités que sont : Frontex qui gère les arrivées des migrants sur l'île, s'assure qu'ils donnent bien leurs empreintes digitales et coordonne les retours programmés pour ceux devant être renvoyée, le Bureau européen d'appui en matière d'asile (BEAA) qui les enregistre et prépare leur dossier, et Europol et Eurojust qui coopèrent afin de démanteler les réseaux de passeurs. Il y aurait actuellement 9 hotspots dont 5 en Grèce et 4 en Italie.

45

Si les hotspots ont été imaginés et perçus comme une solution idéale en réponse à la « crise migratoire » de 2015, ils cachent une toute autre réalité bien moins efficace et solidaire qu'elle n'y parait. La capacité d'accueil des hotspots s'est révélée être bien sous-estimée par rapport aux arrivées quotidienne de centaines, voire de milliers, de migrants et les conditions de vie y sont terribles selon le porte-parole du HCR. Véritables prisons à ciel ouvert où l'attente d'une réponse peut prendre jusqu'à 7 mois pour certains migrants, les hotspots ne constituent finalement pas une solution élaborée pour la prise en charge des migrants mais bien pour les intérêts politiques d'une grande partie des États européens qui y voient un moyen de contrôler et de refouler massivement les flux migratoires. De nombreux dysfonctionnements ont été relevés par des ONG, organisations internationales, médias et autres au sein des hotspots en Grèce et en Italie ainsi que des cas de maltraitance envers les migrants et le manque de prise en charge des personnes vulnérables (femmes enceintes, enfants, etc.).

Des prisons à ciel ouvert en Grèce : attente interminable et surpopulation

Le reportage de France Inter17 tourné en 2018 sur l'île de Lesbos et plus précisément sur le camp de Moria a révélé les conditions terribles dans lesquelles les migrants tentent de survivre en attendant l'examen de leur dossier. File d'attente de parfois 10 heures pour manger, installations sanitaires insalubres, bagarres entre migrants, tel est le quotidien des 8000 personnes, dont 2000 mineurs, entassées dans le camp de Moria, soit trois fois plus que la capacité d'accueil initiale. Certains migrants sont dans l'attente d'une réponse depuis 6, 7 voire 8 mois. L'ennui rythme leurs journées et le froid paralyse leurs nuits. Le terme prisons « à ciel ouvert » fut largement relayé par les médias et pour cause : des rangées de barbelés encerclent le camp et les entrées et sorties sont sans cesse surveillées et contrôlées. Privés de leur liberté et contraints de rester dans une attente indéfinie, les migrants déplorent les conditions de vie insalubres dans lesquelles ils vivent et beaucoup d'entre eux présentent des détresses psychologiques. Selon le reportage de France Inter, trois mineurs vivant dans le camp auraient tenté de se suicider. Malheureusement, Lesbos n'est pas la seule île dont les conditions de gestion des flux migratoires sont désastreuses : les îles comme Chios et Samos sont elles aussi le théâtre d'une politique de contrôle et de mise à distance qui impacte grandement la santé et

17 France inter. (2018, 8 Novembre). A Lesbos, le camp surpeuplé de Moria. Récupéré le 23 Août, 2019, sur https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-08-novembre-2018

46

le moral des migrants qui se retrouvent bloqués et impuissants face à cette situation pendant des mois.

Camp de Moria sur l'île de Lesbos, 201618

(Infographie n°5 dans table des figures)

Trois facteurs pourraient expliquer la rapide saturation des hotspots depuis leur élaboration en 2015. Premièrement, le fait que les politiques aient sous-estimé l'accroissement du nombre de personnes arrivant sur les îles grecques quotidiennement. Selon l'ouvrage Méditerranée : des frontières à la dérive (2018), à l'automne 2015, plus de 197 166 personnes seraient passées par l'une des cinq îles grecques de la mer Égée. Un chiffre colossal si l'on prend en considération la capacité d'accueil des hotspots qui n'excède souvent pas les 500 places. L'exemple de l'île de Samos illustre bien la réalité du surpeuplement progressif des hotspots. En 2007, le premier centre de Réception et d'Identification (RIC) est construit sur l'île de Samos, destiné à accueillir les migrants fraîchement arrivés en Europe pour une durée maximale de 3 mois. Avec l'augmentation progressive du nombre de migrants transitant par l'île les années qui suivirent, les conditions du centre se détériorèrent : selon l'ouvrage

18 Euractiv. (2016, 9 Mai). Le défenseur des droits en France dénonce les hotspots. Récupéré le 21 Août, 2019, sur https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/le-defenseur-des-droits-en-france-denonce-les-hotspots/

47

Méditerranée : des frontières à la dérive (2018 : 73), « le ministère de la Santé n'y délivrai ni services de santé primaire, ni accompagnement psychologique ou psychiatrique, les détenus ne bénéficiaient d'aucune assistance juridique et les plus vulnérables étaient laissés à l'abandon sans mesure spécifique de protection ». En 2016, l'État grec augmenta la capacité du camp, passant de 280 à 700 places, ce qui restait relativement peu étant donné l'explosion du nombre de passages et transits par Samos en 2015. De manière générale, l'Europe ne s'était pas préparée à l'afflux de migrants arrivant de plus en plus nombreux chaque année à ses frontières, même si cela était pourtant prévisible depuis quelques temps, et tous les hotspots construits en Grèce se sont retrouvés dans la même situation de devoir accueillir beaucoup plus de personnes que la capacité ne le permettait.

Le deuxième facteur qui explique cette saturation des dispositifs d'accueil découle des accords passés en mars 2016 entre l'UE et la Turquie. L'un des engagements de la Turquie consistait à ce que tous les migrants arrivant dans les hotspots des îles grecques soient identifiés mais également dans l'obligation immédiate de formuler leur demande d'asile, ce qui n'était jusqu'à maintenant pas le cas étant donné qu'ils étaient uniquement identifiés et enregistrés comme étant éligible au statut de réfugié puis redirigés vers le continent grec afin de déposer leur demande d'asile. En plus de bloquer les migrants, cette procédure de la Turquie a eu pour effet de surpeupler les hotspots étant donné la longueur que prend chaque procédure d'examen de la demande d'asile et l'arrivée continue de centaines de migrants chaque jour. Les refoulements et expulsions de migrants ont augmentés, et de nombreuses ONG ont dénoncé le fait que les demandes d'asile étaient parfois beaucoup trop rapidement étudiées, ce qui signifiait peut-être renvoyer une personne dans son pays alors que sa vie y est menacée. En rallongeant le temps d'attente des migrants et en leur imposant l'étude de leur demande sur les îles grecques, l'Europe souhaitait renvoyer le plus de migrants possible vers la Turquie et ne pas avoir à organiser elle-même des refoulements. Il faut savoir que les recours des migrants qui protestent contre la décision de rejet de leur demande d'asile rallongent encore plus leur temps au sein des hotspots. Le tout additionné d'un gros manque de sous-effectif dans le traitement et la gestion des dossiers des migrants qui contribue davantage à cette longue attente.

Le troisième facteur concerne le désengagement flagrant de certains États européens qui n'ont finalement pas accepté le mécanisme de relocalisation imposé lors de l'établissement de l'Agenda européen en 2015. Afin de « soulager » la Grèce et l'Italie et que les places se libèrent plus rapidement au sein des hotspots, la Commission européenne avait demandé aux États d'accueillir un certain nombre de migrants éligibles au statut de réfugié. Cependant, certains se sont progressivement retirés, prétextant des excuses peu fondées, renforçant davantage la vision

48

d'une Europe ne souhaitant pas gérer les flux migratoires présents à ses frontières depuis des années. Sur les 160 000 migrants devant être transférés dans des pays européens d'accueil, seuls 30 000 ont pu en profiter, soit moins du cinquième total que les États s'étaient engagés à accueillir.

L'île de Chios représentait probablement l'une des portes d'entrée la plus franchie pour accéder en Europe et pour cause : elle se situe à proximité de la Turquie, faisant face à la ville côtière de Çeþme, et constitue la première « étape » pour les migrants qui tentent de rejoindre l'Europe en traversant la mer Égée. Depuis les accords passés entre l'UE et la Turquie en 2016, Chios est devenue un obstacle. La présence des autorités turques, étant dorénavant requise sur les îles grecques et au sein des hotspots afin de procéder à des refoulements de personnes considérées comme n'ayant pas besoin d'une protection, est particulièrement accrue sur Chios car le contrôle entre l'île et les côtes turques a été renforcé et une surveillance des frontières est effective 24h/24. L'agence européenne Frontex et l'OTAN sont présents en mer Égée depuis 2015 et 2016 respectivement. Cela n'empêche pourtant pas des migrants de monter à bord d'une embarcation et de tenter la traversée, le trajet ne nécessitant en principe que quelques heures.

Les camps de Vial et de Souda sur Chios ont une capacité d'accueil totale de 2000 personnes et ont été effectifs de l'été 2016 au début de 2017, période à laquelle les départs de Turquie ont drastiquement baissé suite à la signature des accords UE-Turquie. Vial est à la fois un hotspot et un centre d'hébergement, et les conditions de vie y sont plus précaires qu'à Souda. Ce dernier est caractérisé par la présence de nombreux acteurs humanitaires qui oeuvrent chaque jour pour les migrants, et prioritairement pour les plus vulnérables comme les familles, femmes enceintes, MNA, etc. Malgré cela, les deux camps restent des lieux d'enfermement où l'attente est interminable pour les migrants qui attendant parfois des mois pour voir leur demande d'asile aboutir ou non. Des fils barbelés surplombent les grillages qui entourent la zone des camps et une sécurité est sans cesse présente aux entrées.

La réalité des hotspots et des conditions de vie qui y règnent représentent une fois plus une atteinte à l'intégrité des migrants. Enfermés, livrés à eux-mêmes dans une attente interminable, le « séjour » dans ces centres représente une détresse psychologique supplémentaire à celles provoquées par les potentielles persécutions subies dans leur pays et par la traversée de la Méditerranée ou de la mer Égée et le risque d'y mourir noyé. Le contrôle et les refoulements exercés par les autorités en charge de la gestion des migrants (Frontex,

49

autorités turques, etc.) sont heureusement, dans quelques cas, contrebalancés par la présence d'équipes médicales d'ONG qui prennent en charge les personnes les plus vulnérables. Cependant, les États européens doivent prendre conscience que les hotspots ne constituent pas un dispositif efficace et adapté aux milliers de migrants qui arrivent par semaine.

Si la sous-partie s'est concentrée sur les hotspots des îles grecques, les conditions n'y sont pas mieux dans ceux des îles italiennes. L'ONG Amnesty international a d'ailleurs dénoncé19 à maintes reprises les maltraitances et exclusions que subissent les migrants, un témoignage poignant fut d'ailleurs relayé sur leur site internet pour interpeller sur la gravité de la situation :

« La douleur était indescriptible... Jamais je n'aurais imaginé qu'on puisse me faire

une chose pareille en Italie » - Adam, 27 ans, originaire du Darfour.

19 Amnesty International. « Hotspots » en Italie : des réfugiés et migrants victimes de violences. Récupéré le 27 Août, 2019, sur https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2016/11/hotspot-italy/

50

III) Déni de solidarité et difficulté d'un consensus européen

Si la première partie représentait davantage une partie instaurant un contexte et énonçant des faits indispensables à la compréhension de la position de l'Europe quant à la gestion et l'accueil des migrants afin d'en contrôler les flux en Méditerranée, la deuxième, elle, avait pour but de démontrer le contrôle et la mise à distance exercés durant tout le parcours migratoire en Méditerranée, toujours en énonçant des faits avérés et rapportés par diverses entités fiables. Cette troisième et dernière grande partie se concentrera sur les enjeux de la politique migratoire européenne de ces dernières années et abordera la difficulté des États européens à s'accorder sur un consensus qui serve les intérêts de chacun tout en répondant au devoir de prise en charge et d'accueil des migrants. Les deux premières sous-parties auront pour objet les différentes violations des droits des réfugiés, et la criminalisation des ONG de sauvetage comme frein à la révision de la politique migratoire de l'UE. En effet, le non-respect des droits des réfugiés ainsi que l'entrave au travail des ONG en Méditerranée constituent une forme de contrôle exercée par l'Europe pour empêcher les migrants d'entrer sur son territoire. Ces deux sujets s'inscrivent donc parfaitement dans la problématique du mémoire et de son objet de recherche.

A) Une violation de certains principes issus de textes de lois européens et internationaux

Cette sous-partie aborde en grande partie les textes, conventions, traités, etc. relatifs au Droit international et au Droit international humanitaire. Elle n'a pas vocation à détailler de manière précise tous les textes juridiques relatifs à la condition et protection des personnes persécutées ou des réfugiés dans le monde. Il ne s'agit pas non plus de dénoncer ou de condamner telle ou telle entité, seulement d'énoncer des faits avérés et le fait qu'ils vont à l'encontre de certains principes fondamentaux énoncés dans des textes de lois internationaux. Si l'objectif du mémoire est d'apporter un point de vue objectif sur « l'utilisation » de la mer Méditerranée comme zone de contrôle et de refoulement des migrants venus chercher protection en Europe, il s'agit également d'apporter un éclairage sur une possible responsabilité des États concernés, notamment les pays européens et les pays dit de départ. Ainsi, il semble pertinent de mettre en évidence les violations des DH envers les migrants et réfugiés aux yeux du Droit international (et par des faits avérés) exercées par certaines parties prenantes comme l'Europe

51

ou la Libye. Néanmoins, afin de ne pas dériver de la thématique, seuls les actes de l'Europe seront évoqués et non pas ceux de la Libye, dont le nombre est élevé, et la complexité grande. N'ayant pas de connaissances approfondies en droit et ne souhaitant pas faire de cette partie une analyse précise des textes juridiques internationaux, j'ai décidé d'exposer des faits relatifs à la condition des réfugiés et d'en justifier le non-respect quant aux DH par l'apport de lois et d'articles.

La création d'une protection internationale pour les réfugiés

Après la Seconde Guerre mondiale, des millions d'Européens se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, sans foyer, sans identité nationale, sans repère car il y eut une redéfinition des territoires et des frontières en Europe. C'est ainsi que l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) fut créée en 1950 pour une durée initiale de 3 ans, afin de venir en aide aux victimes de la guerre, les réinstaller dans des lieux sûrs, et surtout défendre leurs droits en tant que victimes réfugiées. En 1951, la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés voit le jour. Il s'agit d'un document juridique signé et ratifié par 145 États (dont tous les pays de l'Union européenne) qui garantit une protection internationale (le statut de réfugié) à des victimes ayant vécu des conflits, des persécutions et qui ont été dans l'obligation de fuir leur pays. Ce statut relève du droit international, garantit une protection et des droits, et doit être appliqué par les pays l'ayant ratifié. Le principe fondamental de la Convention de 1951 est le non-refoulement « selon lequel un réfugié ne devrait pas être renvoyé dans un pays où sa vie ou sa liberté sont gravement menacées. Ceci est désormais considéré comme une règle du droit international coutumier » selon le site web de l'UNHCR20. En effet, le paragraphe 1 de l'article 33 de la Convention de 195121 stipule qu' « aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de

sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. ». Notons également que ce principe est énoncé dans le paragraphe 1 de l'article un

20 UNHCR. (1977, 23 Août). Note sur le non-refoulement. Récupéré le 11 Août, 2019, sur https://www.unhcr.org/fr/excom/scip/4b30a58ce/note-non-refoulement.html

21 UNHCR. Convention et protocole relatifs au statut des réfugiés. Récupéré le 5 Août, 2019, sur https://www.unhcr.org/fr-fr/4b14f4a62

52

du Protocole additionnel de 1967 ce qui renforce son caractère fondamental et l'importance de son application par les États de manière inaliénable et inconditionnelle.

Est considéré comme réfugié une personne « qui, par suite d'événements survenus avant le 1er

janvier 1951 et craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels

événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner » selon la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés22.

Bien qu'il s'agisse d'une initiative inédite et révolutionnaire dans le monde de l'humanitaire, le statut de réfugié a cependant deux restrictions : il ne peut être octroyé qu'aux européens ayant subi les dommages de la Seconde Guerre mondiale, et plus globalement aux victimes d'événements survenus avant 1951. Avec la montée de conflits complexes et souvent non internationaux partout dans le monde et des persécutions sur les peuples, le nombre de personnes fuyant leur pays pour leur vie a considérablement augmenté. Ainsi, en 1967, la protection s'est élargie avec la rédaction et mise en place du Protocole additionnel relatif au statut des réfugiés. Ce dernier stipule que désormais, le statut de réfugié peut être octroyé à n'importe quelle personne étant victime de persécutions partout dans le monde du fait de sa race, religion, nationalité ou appartenance à un certain groupe social. Tous les pays de l'UE ont ratifié ce Protocole additionnel, prenant donc la responsabilité et ayant surtout l'obligation d'en respecter les dispositions générales et d'appliquer le principe de non-refoulement. La Turquie, qui accueille la grande majorité des migrants fuyant les conflits au Moyen-Orient (Syrie, Irak) n'est pourtant pas signataire de la Convention de 1951 ni de son Protocole additionnel de 1967. À ce jour, dans le monde, selon les données du site du HCR23 (mises à jour régulièrement), il y aurait 25,9 millions de personnes ayant le statut de réfugié et 3,5 millions de demandeurs d'asile.

22 UNHCR. Convention et protocole relatifs au statut des réfugiés. Récupéré le 5 Août, 2019, sur https://www.unhcr.org/fr-fr/4b14f4a62

23 UNHCR. (2019). UNHCR Population Statistics - Data - Overview. Récupéré le 11 Juillet, 2019, sur http://popstats.unhcr.org/en/overview# ga=2.153873848.1003678506.1562927068-935967279.1543762883

53

Certains principes issus des textes de lois européens et internationaux ne sont pas respectés

Il ne s'agit bien évidemment pas de prendre parti mais d'énoncer des faits avérés qui justifient la violation de certains principes énoncés dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, que tous les États de l'UE ont ratifié et se sont engagés à respecter et appliquer, dans la Convention européenne des droits de l'homme ou encore dans la Charte des droits fondamentaux de l'UE. La violation de ces principes revient à bafouer les droits des réfugiés et donc à avoir une certaine responsabilité dans la mise en péril de leur vie et même de leur mort.

Le principe de non refoulement de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés

Tout d'abord, le principe de non-refoulement qui est le fondement même de la Convention de 1951 relative au statut de réfugié. Rappelons-le, le principe de non-refoulement stipule qu'il est interdit d'expulser et de renvoyer une personne dans un pays dans lequel sa vie est en danger. Principe qui, d'ailleurs, est également garanti par plusieurs textes juridiques internationaux comme :

- La Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (adoptée en 1984 par l'ONU) : le paragraphe 1 de l'article 324 stipule qu' « Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture » et le paragraphe 2 de ce même article « Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant,

de l'existence, dans l'État intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ».

- La Convention européenne des droits de l'homme25 (adoptée en 1950) : l'article 4 du Protocole numéro 4 stipule que « Les expulsions collectives d'étrangers sont interdites ».

24 Human Rights. (2014, 14 Juillet). Principe de non-refoulement. Récupéré le 7 Août, 2019, sur https://www.humanrights.ch/fr/droits-humains-internationaux/sources/principe-non-refoulement

25 Conseil de l'Europe. Convention européenne des droits de l'homme. Récupéré le 8 Août 2019, sur https://www.echr.coe.int/Documents/Convention FRA.pdf

54

- La Constitution fédérale de la Confédération suisse (ultime version sortie en 1999) : le paragraphe 2 de l'article 2526 stipule que « [...] Les réfugiés ne peuvent être refoulés sur le territoire d'un État dans lequel ils sont persécutés ni remis aux autorités d'un tel État » et le paragraphe 3 de ce même article que « Nul ne peut être refoulé sur le territoire d'un État dans lequel il risque la torture ou tout autre traitement ou peine cruels et inhumains ».

En prenant en compte les dispositions ci-dessus et les actions menées par l'Europe depuis 2015 envers les migrants en Méditerranée, il convient de dire que le principe de non refoulement n'a pas été respecté ni appliqué par l'Europe. En effet, plusieurs actions l'expliquent. Premièrement, la coopération euro-libyenne dont le traité stipule que les garde-côtes libyens devront « sauver » (nous dirons plutôt « intercepter ») les migrants qui tenteraient la traversée de la Méditerranée et les ramèneraient en Libye, pays qualifié par l'ONU comme étant dangereux pour les migrants en raison des conditions de vie épouvantables dans les centres de détention. De plus, la Libye n'est pas signataire de la Convention de 1951. Hors, le principe de non-refoulement stipule bien qu'il est interdit d'expulser et de renvoyer une personne dans un pays dans lequel sa vie est en danger, ainsi, l'Europe met totalement la vie des migrants interceptés par les garde-côtes libyens en Méditerranée en danger en refusant qu'ils soient déposés aux frontières européennes. Il faut savoir que les migrants qui sont arrivés en Europe ont été secourus par les ONG de sauvetage et non pas par les garde-côtes libyens ou les navires de l'Europe. Deuxièmement, la décision de l'Italie, et plus particulièrement de son Ministre de l'Intérieur Matteo Salvini, de fermer ses ports aux navires humanitaires ayant secouru des migrants en détresse en Méditerranée. La fermeture des ports européens aux migrants implique des conséquences telles que l'errance des navires des ONG pendant des jours, voire des semaines, en Méditerranée et une incitation à les déposer dans des pays dangereux comme la Libye, même si au final, les ONG de sauvetage ne cèdent pas et forcent souvent pour pénétrer dans les ports européens. Il s'agit donc indirectement d'une violation du principe de non refoulement. Troisièmement, la coopération euro-turque dont les accords signés en 2016 stipulent que les migrants qualifiés comme étant « irréguliers » arrivant sur les îles grecques en provenance de la Turquie (Samos, Chios) doivent être rapatriés en Turquie. Si les conditions de vie dans les camps de réfugiés en Turquie ne sont pas aussi préoccupantes que celles des

26 Human Rights. (2014, 14 Juillet). Principe de non-refoulement. Récupéré le 7 Août, 2019, sur https://www.humanrights.ch/fr/droits-humains-internationaux/sources/principe-non-refoulement

55

centres de détention en Libye, il ne faut pas oublier que la Turquie n'est pas non plus signataire de la Convention de 1951 et que de nombreux cas de maltraitance ont été relevés. De plus, les Accords évoquent également l'obligation de la Turquie de retenir les migrants de venir en Europe, migrants qui sont principalement des civils fuyant le conflit syrien, ce qui est, en un sens, une forme de refoulement.

Il est donc important de soulever qu'avec toutes ces initiatives « anti migratoires » prises par l'Europe, le principe de non refoulement est amplement bafoué. Il existe cependant des cas exceptionnels où le principe peut ne pas être appliqué. C'est le cas notamment pour une personne quittant son pays et souhaitant obtenir le statut de réfugié mais qui a commis des crimes ou représente un danger potentiel. Ainsi, le paragraphe 2 de l'article 33 de la Convention de 1951 sur les réfugiés27 dispose que « Le bénéfice de la présente disposition [c'est-à-dire du paragraphe 1 de l'article 33 mentionné plus haut] ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons

sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une

condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ». Hormis ce cas-là, le principe de non refoulement doit s'appliquer de manière systématique et inconditionnelle à toutes les personnes dont la vie serait en danger dans leur pays d'origine.

Les droits des migrants dans la Convention européenne des droits de l'homme et dans la Charte des droits fondamentaux de l'UE

Si la Convention de 1951 et son Protocole additionnel de 1967 concerne principalement les droits des réfugiés et non pas des migrants ou demandeurs d'asile (sauf pour le principe de non refoulement qui concerne toute personne), la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) adoptée en 1950, elle, énonce les droits civils et politiques des migrants que les États doivent respecter et appliquer. Le plus important réside dans l'article 3 de la CEDH28 qui stipule que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ce qui reviendrait à ne pas expulser et renvoyer les migrants dans des pays où ils seraient exposés à de tels risques. Il y a donc un certain lien avec le principe de non refoulement qui stipule la même chose. Ainsi, l'accord passé entre l'UE et la Libye, qui garantit

27 UNHCR. Convention et protocole relatifs au statut des réfugiés. Récupéré le 5 Août, 2019, sur https://www.unhcr.org/fr-fr/4b14f4a62

28 Conseil de l'Europe. Convention européenne des droits de l'homme. Récupéré le 8 Août 2019, sur https://www.echr.coe.int/Documents/Convention FRA.pdf

56

l'interception et le renvoi des migrants traversant la Méditerranée par les garde-côtes libyens dans les centres de rétention en Libye, revient donc à une exposition à de la torture et à des traitements inhumains des migrants par l'Europe. D'autres droits énoncés comme le droit au regroupement familial ou le droit de rester sur le territoire pendant l'examen de la demande d'asile permettent indirectement que les migrants ne soient pas expulsés vers des zones où leur vie est menacée.

Dans la Charte des droits fondamentaux de l'UE, il est spécifié dans l'article 3529 que toute personne doit accéder « à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales ». L'UE ne respecte pas réellement ce principe dans la mesure où lorsque les navires humanitaires viennent en aide aux migrants en Méditerranée et les prennent sur leur bateau sans possibilité d'accoster dans un port européen, ils sont contraints de tourner en mer pendant des jours alors que des personnes ont besoin de soins et d'assistance à bord. Il s'agit donc d'une négligence et d'une privation de soins médicaux.

L'article 13 de la Déclaration universelle des Droits de l'homme ou le droit à « sortir » de

son pays

L'ONU adopte la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) le 10 décembre 1948 au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Parmi ses articles, l'article 13 qui stipule que :

« 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat.

2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son

pays. »

Ce droit s'avère primordial dans l'évolution des mobilités internationales depuis le dernier siècle : il s'agit, à ce jour, de la seule mention juridique autorisant la migration et la résidence dans un État autre que le sien. Droit fondamental appliqué dans la plupart des pays, sauf dictatures et régimes autoritaires comme la Corée du Nord, Cuba ou l'Érythrée, il parait

29 Conseil de l'Europe. Convention européenne des droits de l'homme. Récupéré le 8 Août 2019, sur https://www.echr.coe.int/Documents/Convention FRA.pdf

57

cependant juste de mentionner que l'article 13 reste incomplet. En effet, si le droit de « sortir » d'un pays existe, qu'en est-il du droit d' « entrer » dans un autre pays ? À l'heure des migrations actuelles, ce manquement pose un véritable problème puisque l'entrée sur un territoire relève de la souveraineté nationale des États et non pas du droit international, hormis le droit d'asile avec octroi du statut de réfugié. En effet, chaque État possède le droit de contrôle sur les entrées, les installations et les sorties sur son territoire. Ainsi, si le droit de migrer existe grâce à cet article 13, le droit d'émigrer, lui, n'est pas réellement évoqué ni ouvert à des négociations afin de répondre au défi que représentent les mobilités mondiales actuelles.

Il est important de mentionner l'article 13 dans cette sous-partie car il est souvent utilisé pour justifier le rejet et le refoulement des migrants avec comme argument le principe de souveraineté nationale prenant le dessus sur le droit d'asile. Il s'agit donc d'une difficulté et d'un défi aux yeux des entités comme l'UNHCR qui luttent pour la mise à l'abri et la protection des personnes fuyant des conflits et/ou persécutions. Comment faire appliquer correctement la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole additionnel de 1967 si les personnes n'ont pas réellement de droit d'entrée sur un territoire et seulement un droit de sortir ? C'est toute la difficulté qui se pose et malheureusement, la montée des mouvements nationalistes et d'extrême droite en Occident semble laisser très peu de place à une ouverture aux négociations sur le droit d'émigrer.

En conclusion de cette sous-partie, nous pourrions dire que les faits relevés quotidiennement sur le phénomène migratoire en Méditerranée ne concordent pas avec les textes juridiques signés et ratifiés par les membres de l'UE sur le principe de non-refoulement et d'expulsion dans des zones où la vie des personnes est menacée (Libye). De par sa non présence en Méditerranée, son accord passé avec la Libye en 2017 et son manque de prises de responsabilités au vu de la question migratoire et des morts en Méditerranée, l'Europe ne respecte pas les Conventions et textes internationaux qu'elle a signé et qu'elle s'est engagée à appliquer. Il s'agit, par conséquent, d'une violation des principes contenus dans ces Conventions.

58

B) La criminalisation des ONG de sauvetage en mer

Les actualités récentes sur le phénomène migratoire en Méditerranée exposent toute la violence des frontières européennes et les conséquences dramatiques découlant de l'inaction de l'Europe. À ce jour, seuls les navires des ONG sont présents en Méditerranée afin de sauver les migrants en détresse. À ce jour, aucune initiative n'a été proposée par l'Europe pour rendre la traversée de la Méditerranée et les arrivées à ses frontières plus sécuritaires. Cette sous-partie abordera la thématique très médiatisée des ONG de sauvetage présentes en Méditerranée et des obstacles qu'elles rencontrent dans leur travail au quotidien. L'entretien effectué avec Madame Coralie Carvin (Annexe 4), ancienne salariée de l'association SOS Méditerranée et membre actuelle du Conseil d'Administration de cette dernière, a permis non seulement de confirmer que l'Europe ne répond plus à ses responsabilités de sauvetage en mer mais également qu'elle entrave même complètement le travail des ONG présentes en mer. Le titre de cette sous-partie correspond d'ailleurs à une phrase prononcée par Madame Carvin lors de notre entretien.

L'analyse du Droit maritime dans la partie II a révélé que le sauvetage en mer faisait partie intégrante des obligations de tout bateau naviguant et étant en présence d'embarcations et/ou de personnes en détresse (naufrage, noyade). Le Droit maritime est international et relève donc de la responsabilité de chaque individu, peu importe sa nationalité, son origine ou la raison de sa présence en mer. Ainsi, le sauvetage des migrants en Méditerranée dont les embarcations dérivent ne dépend pas d'un État européen ou de l'Europe toute entière mais bien de celles et ceux qui naviguent dans ces eaux et qui « assistent » à ces naufrages. Il parait donc évident de souligner que les ONG de sauvetage présentes en Méditerranée appliquent le Droit maritime international et pallient à une défaillance de l'UE. Malgré ce respect du Droit maritime, Coralie Carvin explique que l'UE ne soutient absolument pas les actions des ONG et même qu'elle entrave leur travail. Figée dans une politique migratoire d'externalisation des frontières, de refoulement massif et de délégation de la gestion des migrants à des pays comme la Libye ou la Turquie, l'Europe dérive des principes qu'elle prône depuis sa création, en l'occurrence, le devoir d'application des droits de l'Homme et des principes de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Aujourd'hui, plus que jamais, les ONG sont confrontées aux défaillances de la politique migratoire européenne et en subissent les conséquences au quotidien.

59

Malgré les obstacles, les ONG de secours résistent en Méditerranée. Il s'agit du titre de l'article publié par Le Monde le 9 août 201930 et il en dit long sur les enjeux actuels en Méditerranée et le bras de fer entre l'Europe et les ONG de sauvetage. Malheureusement, ce bras de fer ne date pas seulement depuis le mois d'août 2019. Depuis le début des opérations de sauvetage des ONG en Méditerranée après le retrait progressif des navires de secours de l'Europe, c'est-à-dire depuis 2015, année marquée par une explosion des arrivées de demandeurs d'asile en Europe et donc par une augmentation des traversées de la Méditerranée, il subsiste une tension, un conflit, entre les acteurs humanitaires, les États européens et les garde-côtes libyens. Pour cause, ces trois parties prenantes n'ont pas le même rapport et les mêmes initiatives vis-à-vis des migrants : l'Europe tente de les refouler massivement au-delà de ses propres frontières en déléguant leur gestion à la Turquie et à la Libye et aucun navire n'est présent en Méditerranée afin de les sauver, les ONG pallient à ce manquement en affrétant des navires et en agissant vite lorsqu'il y a embarcation en détresse mais se heurtent aux garde-côtes libyens qui les accusent de venir dans leurs eaux territoriales, entravent les missions de sauvetage et les menacent même. Il s'agit donc d'un cercle vicieux dont le schéma se répète tous les mois, d'une bataille entre valeurs humanitaires et eurocentrisme. Les ONG présentes en Méditerranée doivent actuellement faire face à de nombreux obstacles qui entravent leur travail tout en continuant à secourir des migrants en détresse et à témoigner de ce qu'il se passe dans la zone méditerranéenne (notamment les accrochages avec les garde-côtes libyens quant à l'interception et la mise en péril des migrants). À l'aide des sources en ma possession, de l'actualité du moment, des reportages et de l'interview de Coralie Carvin, j'ai pu recenser les 10 obstacles auxquels se heurtent les ONG de sauvetage en mer dans leur travail quotidien. Cette liste a été élaborée selon mes recherches et ma réflexion et n'est pas exhaustive.

30 Le Monde. (2019, 9 Août). Malgré les obstacles, les ONG de secours résistent en Méditerranée. Récupéré le 12 Août, 2019, sur https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/09/malgre-les-obstacles-les-ong-de-secours-resistent-en-mediterranee_5497916_3210.html?fbclid=IwAR0ITcUAzqk0WW1uLpxKXgYDAzNtyRY4sArNhFBe034qww Dd5FFYxdD3Ad4

60

1) L'accrochage avec les garde-côtes libyens lors de missions de sauvetage

Le dimanche 23 septembre 2018, une cinquantaine d'hommes, de femmes et d'enfants embarquent sur un bateau en Libye dans le but de rejoindre l'Europe. L'Aquarius, ancien bateau affrété par SOS Méditerranée, présent au large des côtes libyennes à ce moment-là, tente de coopérer toute la nuit avec les autorités maritimes libyennes en demandant l'autorisation de porter secours aux personnes. Les autorités libyennes refusent et font preuve de violence verbale à l'égard des humanitaires. Ils prononcent des phrases de menace telles que « Vous ne respectez pas nos instructions ! Nous vous avons dit de ne pas intervenir. Et de ne pas vous approcher. Vous allez avoir des gros problèmes ». L'équipe de L'Aquarius sauvera finalement tous les migrants en détresse. Cependant, hors de question de déposer les rescapés dans des ports libyens considérés comme dangereux par l'ONU et le HCR pour les migrants. Malheureusement, plusieurs cas d'altercations comme celui-ci se sont produits entre les ONG de sauvetage et les autorités libyennes et continuent d'ailleurs de se produire. Ces dernières sont tenues d'intercepter les migrants et de les ramener en Libye au vu des accords passés avec l'UE en 2018 et considèrent donc les ONG comme obstacle au respect de cet engagement. De même que la Libye accuse les ONG d'encourager les migrants à traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe. Autant de raisons qui font que les garde-côtes libyens ont un comportement violent et même menaçant envers les acteurs humanitaires en mer. La vidéo31 relayée par le média Courriel international Comment l'Europe et la Libye laissent mourir les migrants en Mer (2019) montre les images glaçantes de migrants en train de se noyer autour du navire des garde-côtes libyens mais révèle surtout les violences verbales et physiques à l'égard des membres du Sea Watch 3 qui viennent à la rescousse dans des canots de sauvetage. On entend notamment les garde-côtes libyens sur leur navire prononcer des menaces comme « Ne revenez pas près de nos eaux territoriales. La prochaine fois, vous serez pris pour cible. N'approchez pas sinon je vous tue. ». On les voit également en train de leur lancer des objets durs et des pommes de terre. Une conduite révélatrice de la ferme volonté de l'Europe d'intercepter les migrants et de les ramener en Afrique du Nord plutôt que de les sauver et les accueillir et d'entraver le travail des ONG.

31 Courriel international. (2019, 2 Janvier). Comment l'Europe et la Libye laissent mourir les migrants en Mer. Récupéré le 10 Août, 2019, sur https://www.courrierinternational.com/video/enquete-comment-leurope-et-la-libye-laissent-mourir-les-migrants-en-mer?fbclid=IwAR1anJyO5bZWcfka1tTJhTIeVdkY6A2x8POvVTVhJOseMPmzGCUcb9XE4oU

61

Il s'agit donc d'un risque supplémentaire pour les ONG qui sauvent les migrants en détresse : en plus de pallier au manquement et à la désertification de tous les navires de sauvetage européens en Méditerranée, elles sont régulièrement exposées à des risques d'agressions verbales et même physiques de la part des autorités libyennes. Le chef de mission du Sea Watch 3 Johannes Bayer explique dans cette même enquête qu'à chaque mission de sauvetage, il craint pour la vie des membres de son équipe et la sienne à cause du comportement et des réactions imprévisibles des garde-côtes libyens. Un comportement dû à la pression de l'Europe sur l'obligation de retenir des milliers de migrants de venir sur son territoire. Selon le site de Médecins sans frontières (MSF)32, au cours des six premiers mois de 2019, les autorités libyennes auraient intercepté et renvoyé de force 3685 personnes ayant tenté la traversée de la Méditerranée en faisant opposition aux missions de sauvetage des ONG se situant à proximité. Désormais, prendre l'initiative de sauver des personnes en détresse signifie s'exposer à un danger et risquer pour sa vie pour les ONG présentes en mer.

2) L'interdiction d'accoster dans les ports européens

En arrêtant progressivement d'envoyer des navires de secours en Méditerranée, l'Europe pensait pouvoir dissuader les migrants de tenter la traversée et ainsi accomplir sa politique migratoire de refoulement et de mise à distance. Voyant que les ONG de sauvetage présentes en mer ne cesseraient de porter secours aux embarcations en détresse, l'Italie et Malte ont décidé de fermer leurs ports pour les empêcher d'accoster. Ainsi, les ports dans les zones comme Lampedusa ou la Sicile sont désormais interdits d'accès pour les ONG ayant sauvé des migrants. Une solution extrême et inhumaine ayant des répercussions dramatiques pour les migrants qui ne peuvent débarquer sur la terre ferme afin d'être soignés durablement et les ONG de sauvetage qui se retrouvent sans solution et livrées à elles-mêmes dans les eaux pendant des semaines. La seule solution qui s'offre donc pour les navires de secours est de forcer l'entrée dans les ports malgré les éventuelles sanctions et le risque de ne plus pouvoir retourner en mer. Coralie Carvin le mentionne dans notre entretien « On voit que depuis la fermeture des ports italiens, chaque sauvetage est une crise diplomatique ». Les ONG sont donc bloquées,

32 Médecins sans frontières. (2019, 8 Août). Six raisons pour lesquelles MSF vient en aide aux migrants en Méditerranée. Récupéré le 10 Août, 2019, sur https://www.msf.ch/nos-actualites/articles/six-raisons-lesquelles-msf-vient-aide-aux-migrants-mediterranee?fbclid=IwAR0kVdSNIcuNlZ-EUMB_1OSRk-

2XiH iwS PxT06MY-Li4kAmwg-huG8ep8

62

contraintes de faire des choix qu'elles ne devraient pas faire. De plus, l'interdiction d'accoster dans les ports signifie errer en mer pendant des jours, voire des semaines, et ne pas porter secours aux nouveaux migrants qui tentent, pendant ce temps, de traverser la Méditerranée avec le risque que leur embarcation prenne l'eau et qu'ils se noient.

Cette décision des gouvernements européens répond à la fameuse logique du « contrôle - refoulement - mise à distance » puisqu'en fermant leurs ports, ils espèrent que les migrants soient ramenés en Libye. Hors, les ONG refusent de déposer les migrants rescapés dans les ports libyens étant donné qu'ils ne représentent, à ce jour, pas des lieux sûrs pour eux. Les seuls ports sûrs et à proximité dans les eaux méditerranéennes sont donc ceux de l'Europe. Néanmoins, la décision de la fermeture des ports semble toujours de mise et le dialogue reste fermé quant à une possible réouverture pour l'accueil des migrants rescapés.

3) L'errance pendant des jours et des semaines en Méditerranée

L'interdiction d'accoster dans les ports italiens implique l'errance en Méditerranée des navires de sauvetage humanitaires pendant des jours voire des semaines avec des centaines de migrants à bord. Cette situation fut largement répétée durant les derniers mois et les témoignages à son propos sont préoccupants : secourir des personnes qui ont failli se noyer de justesse et les laisser sur un bateau pendant plusieurs jours les rend extrêmement vulnérables, physiquement et psychologiquement. L'horreur des centres de détention en Libye additionnée à la peur de mourir noyé et au désespoir de voir les terres européennes sans pouvoir y entrer a des conséquences dramatiques sur les hommes, femmes et enfants présents à bord des navires de sauvetage. La fermeture des ports touche également les ONG qui se retrouvent livrées à elles-mêmes sans pouvoir décisionnel et sans possibilité de négociation. Les exemples à ce sujet sont nombreux : le plus marquant est sans doute celui du Sea Watch 3 dont la capitaine Carola Rackete a forcé le blocus italien imposé par Matteo Salvini en accostant de force à Lampedusa le 29 juin 2019 après 17 jours d'errance en Méditerranée. 17 jours durant lesquels les migrants étaient à bord, durant lesquels les rations et les soins s'amenuisaient, durant lesquels Carola Rackete a lancé de multiples appels et demandes d'accoster en urgence pour prendre en charge les personnes les plus vulnérables. À son arrivée, Carola a été arrêtée et emmenée par la police italienne pour avoir sauvé des vies et respecté le Droit maritime. Seulement, que faire lorsqu'un navire erre pendant 17 jours en Méditerranée sans possibilité d'accoster dans un port européen

63

alors que des personnes à son bord ont besoin de soins urgents et que les rations s'amenuisent et que des centaines de demandes ont été faites hormis accoster de force ?

Le même épisode se reproduit avec les navires Open Arms, qui a erré en Méditerranée pendant 19 jours avec 147 rescapés à son bord et qui a pu accoster à Lampedusa le 20 août 2019 et l'Ocean Viking de l'association SOS Méditerranée qui erre encore actuellement entre l'Italie et Malte sans port où débarquer avec 356 rescapés à son bord. Six pays, dont la France, l'Espagne, la Roumanie et le Luxembourg, se sont engagés à accueillir les migrants rescapés de l'Open Arms. Malgré la « victoire » du navire ayant réussi tant bien que mal à accoster, les conditions de vie à bord durant ces 19 jours ont été très difficiles. Le pire fut sans doute la dizaine de migrants qui, désespérés d'être dans une attente aussi longue, se sont jetés à l'eau. Il s'agit là d'un acte dramatique qui interpelle sur la prise de décisions réellement peu efficaces de l'UE et sur la nécessité d'un changement de sa politique migratoire.

Fabienne Lassalle, directrice adjointe de SOS Méditerranée, témoigne dans une vidéo postée par le média France info33 le 22 août 2019 en décrivant les conditions de vie à bord de l'Ocean Viking : les migrants sont dans l'attente, certains, après avoir été examiné, présentent des traces de torture physique et psychologique suite à l'enfermement dans des centres de détention en Libye et ont besoin de soins plus importants, la nourriture diminue de jour en jour. Il s'agit d'un appel, d'une interpellation de l'Europe sur la gravité de la situation et d'une demande de solution immédiate.

4) Le durcissement des politiques européennes

Le sauvetage des personnes migrantes est assuré par les ONG présentes en mer mais leur sort est décidé par les gouvernements européens. L'augmentation de l'arrivée des demandeurs d'asile en 2015 en Europe a entraîné avec elle le durcissement de la politique européenne et la mise en oeuvre d'une action massive de refoulement et de mise à distance. Parmi les axes de cette politique, le retrait progressif ces dernières années des navires européens dans les trois zones méditerranéennes (occidentale, centrale et orientale) ne laissant donc pas le choix aux ONG qui assurent désormais à 90% le sauvetage des migrants en détresse. Le problème plus

33 France info. (2019, 22 Août). En pleine mer Méditerranée, la longue attente des rescapés de l'Ocean Viking. Récupéré le 22 Août, 2019, sur https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/libye/video-en-pleine-mer-mediterranee-la-longue-attente-des-rescapes-de-l-ocean-viking_3585101.html

64

global qui persiste possède une dimension du « cas par cas au jour le jour », c'est-à-dire que l'Europe semble réagir à des moments donnés, comme par exemple lorsqu'il y a un navire humanitaire qui erre des jours en Méditerranée et qu'il faut « disperser » les migrants à son bord entre plusieurs États, et non pas de manière générale avec une redéfinition de sa politique migratoire commune. Il est étonnant de constater que des pays ne se manifestent que lorsqu'ils acceptent d'accueillir un certain nombre de migrants quand la situation atteint un réel seuil de crise. Les ONG comme MSF, Médecins du monde (MDM), Amnesty international et bien d'autres tentent tant bien que mal d'interpeller et de faire entendre leurs revendications aux gouvernements européens à l'aide de vidéos, reportages, articles, enquêtes, pétitions, rassemblements, mais ces derniers ne semblent pas ouverts au dialogue ni à la négociation. Il s'agit donc, d'une certaine manière, d'une condamnation des ONG qui ont conscience que leur travail de sauvetage en mer sera de plus en plus dur et restrictif. Coralie Carvin explique que des navires de sauvetage bénéficient de soutien financier - l'association SOS a eu à ce jour une subvention de la Mairie de Paris, une de la région Occitanie et une de la région Loire Atlantique - mais que l'idéal serait un soutien en cessant de criminaliser les ONG et d'entraver leur travail, mais surtout en redéfinissant les axes de sa politique migratoire. En parlant au nom de SOS, Madame Carvin déclare « Depuis sa création, SOS exhorte l'UE par le biais de communiqués de presses mensuels à mettre en place une vraie flotte de sauvetage, à s'entendre sur un mécanisme de débarquement et de

répartition de personnes qui permette à chaque navire et chaque sauvetage de ne pas tourner en Méditerranée pendant des semaines ». Il semble aujourd'hui difficile d'interpeller les gouvernements alors que la situation en Méditerranée devient de plus en plus grave et préoccupante au vu de l'augmentation du nombre de migrants qui tentent sa traversée. Plus que jamais, la question de la vie humaine doit primer sur les intérêts politiques.

5) L'Italie de Matteo Salvini : 1 million d'euros vaut plus que des vies

La décision de fermeture des ports italiens étant, il faut bien le dire, pas réellement efficace, Matteo Salvini a fait voter un décret « anti-migrants » sur les mesures et les peines encourues pour tous ceux venant en aide aux migrants et notamment pour les ONG qui souhaitent accoster dans les ports italiens pour y déposer les rescapés. L'entrée dans les eaux italiennes par les navires de secours est désormais interdite. Le texte de lois semble avoir été élaboré en réponse à l'abandon des poursuites envers Carola Rackete qui avait accosté de force en juin 2019 après des semaines d'errance en Méditerrané. Dans les peines encourues énoncées : jusqu'à 10 ans

65

d'emprisonnement en cas de résistance d'un navire humanitaire s'étant fait intercepté par les autorités italiennes, des amendes pouvant aller de 150 000 euros à 1 million d'euros pour les ONG de sauvetage qui forceraient le débarquement dans les ports italiens et le retrait temporaire, voire même définitif, des navires de sauvetage. Cette décision est lourde de conséquences pour les ONG qui continuent leurs missions de sauvetage en Méditerranée et qui bataillent à chaque fois pour trouver un port où débarquer les migrants.

6) L'affaire Carola Rackete : arrêtée pour avoir sauvé des vies

Le 29 juin 2019, le navire humanitaire Sea Watch 3 force l'entrée dans le port de Lampedusa et accoste afin de laisser les 40 migrants à son bord débarquer sur la terme ferme après 17 jours d'errance en Méditerranée et après avoir demandé maintes fois une autorisation d'accoster d'urgence. La capitaine du navire Carola Rackete est arrêtée par une vingtaine de policiers dès que son navire est amarré et qu'elle pose le pied sur le sol italien. Le 18 juillet 2019, elle fut entendue par les juges italiens : elle était poursuivie pour avoir accosté de force à Lampedusa alors que Matteo Salvini, ministre italien de l'Intérieur, le lui avait interdit. Le 2 juillet 2019, les poursuites sont abandonnées et l'arrestation invalidée, les juges estimant que Carola avait forcé l'entrée pour sauver des vies.

L'affaire Carola Rackete, en plus d'avoir eu un retentissement médiatique très fort, a marqué un tournant dans les rapports entre Union européenne et ONG de sauvetage quant à leur division sur la question migratoire. Il ne s'agit plus seulement de sauver des migrants en détresse en Méditerranée et de les déposer sains et saufs dans des ports européens, les ONG sont maintenant obligées de demander l'autorisation plusieurs fois pour accoster, d'errer dans les eaux pendant des semaines, de négocier, de rendre des comptes, de forcer l'entrée. L'UE, de par ses décisions et sa posture de refoulement et rejet des migrants, fait basculer les ONG dans la criminalité pour aide à « l'immigration clandestine ». Cependant, une immigration ne peut être qualifiée de clandestine si le dossier et la cause de fuite du migrant n'est pas correctement étudié. Toute personne fuyant conflits et persécutions a le droit de partir et d'entrer dans un autre pays pour sa survie (article 13 de la DUDH) et a le droit à ce que son cas soit examiné pour obtenir le statut de réfugié. L'arrestation de Carola Rackete a entraîné une importante mobilisation citoyenne avec notamment rassemblement citoyen, manifestation, pétition pour demander sa libération, lettre ouverte adressée aux politiques, etc. L'indignation générale était de mise et pour cause : Carola fut arrêtée et poursuivie alors qu'elle n'a fait que

66

son devoir, sauver des vies en mer, ce devoir complètement délaissé et jeté aux oubliettes par l'Europe. Il parait impensable aujourd'hui de courir le risque de se faire arrêter pour avoir sauvé des vies ou pour avoir aidé des migrants dans le besoin (affaire Cédric Herrou) en Europe, continent censé être celui des Droits de l'Homme. Désormais, les situations comme celle du Sea Watch ayant accosté de force ne cesseront de se reproduire, le besoin de sauvetage des migrants en Méditerranée étant plus important que jamais.

7) La difficulté de ravitaillement sur terre

Après que le navire L'Aquarius ait perdu son pavillon et stoppé ses missions de sauvetage en décembre 2018, l'association SOS Méditerranée a cherché un nouveau navire non pas sans difficulté selon Coralie Carvin : affréter un bateau, l'équiper et l'entretenir coûte extrêmement cher, par exemple, les frais de fonctionnement de L'Aquarius s'élevaient à 11 000€ par jour ! Depuis le 4 août 2019, le nouveau navire de l'association, l'Ocean Viking, est reparti en mer du port de Marseille, plus que jamais déterminé à reprendre ses missions de sauvetage. Depuis le 9 août 2019, selon le journal Info Migrants34, le navire aurait secouru plus de 600 migrants en détresse en Méditerranée dont 251 en moins de 3 jours entre le 9 et le 11 août. Néanmoins, l'équipage de l'Ocean Viking a dû faire face à une difficulté de taille qui a failli lui faire stopper ses missions de sauvetage. Le mercredi 7 août, le navire a fait une halte à Malte afin de faire le plein en carburant. Cependant, les autorités ont refusé l'accès dans leurs eaux territoriales et le navire n'a pas pu se ravitailler en carburant. Une décision jusqu'à ce jour inexpliquée. Heureusement, l'Ocean Viking avait assez de carburant pour naviguer pendant plusieurs jours. Cependant, cet incident constitue un obstacle de plus à l'entrave du travail des ONG en mer et ne présage rien de bon pour les semaines à venir : si les navires de secours ne peuvent se ravitailler en carburant dans les ports européens, il leur sera impossible de repartir en mer sauver des migrants en détresse. Il s'agit là d'une preuve supplémentaire que l'UE ne soutient pas les opérations de sauvetage en mer et qu'elle cherche par tous les moyens à empêcher l'arrivée des migrants à ses frontières.

34 Info Migrants. (2019, 11 Août). Méditerranée : 251 migrants secourus en moins de 3 jours par l'Ocean Viking. Récupéré le 14 Août, 2019, sur https://www.infomigrants.net/fr/post/18758/mediterranee-251-migrants-secourus-en-moins-de-3-jours-par-l-ocean-viking?fbclid=IwAR3hw8c-

VIsWLgtmCqrUclWnnl75 O8u3Bn8oMteTYQ9TdGE27eMPMAx6jk

67

8) La perte du pavillon d'un navire : le cas de L'Aquarius en septembre 2018

Cependant, ce qui est sûrement pire que ne pas pouvoir se ravitailler sur la terre ferme, c'est de perdre son pavillon car cela signe l'arrêt du retour en mer et donc la fin des opérations de sauvetage en mer. C'est malheureusement ce qui est arrivé au navire L'Aquarius, affrété par SOS Méditerranée. En septembre 2018, l'association annonce la perte de son pavillon, une première dans l'histoire maritime selon Coralie Carvin, et en décembre 2018, la suspension de ses missions en mer. Une situation plus que problématique étant donné que ce navire constituait l'un des plus importants et celui ayant sauvé le plus de migrants en Méditerranée ces dernières années : depuis 2016, 30 000 personnes ont été sauvé. « On était loin d'imaginer que L'Aquarius serait bloqué dans un port marseillais. On se rend compte que les choses peuvent encore empirer. C'est la première fois

dans l'histoire maritime qu'un bateau perd son pavillon. Cela n'était jamais arrivé. Et tout ça pour des raisons politiques » a déclaré Coralie Carvin pendant notre entretien. SOS a perdu son pavillon à Panama le 21 septembre 2018 et a bataillé pour le récupérer jusqu'à décembre 2018. Il avait déjà été privé de son pavillon par Gibraltar durant l'été 2018 et contraint de rester à Marseille pendant plusieurs semaines sans possibilité de retourner en mer. La perte de son pavillon par Panama en septembre 2018 a été expliquée par la raison suivante par les autorités maritimes panaméennes : « Le bateau ne respectait pas les procédures juridiques internationales en matière d'immigrants et de réfugiés secourus en mer Méditerranée ». Une décision qui, selon SOS et Médecins sans frontières, a été prise sous pression du gouvernement italien qui tente de freiner les missions de sauvetage en mer. Lorsqu'un pavillon est révoqué, le navire reste bloqué dans un port et ne peut plus repartir en mer à moins de retrouver un autre pavillon, ce que L'Aquarius n'a pas réussi à faire.

Ainsi, les opérations de sauvetage en mer de SOS se sont stoppées durant presque une année le temps de récolter des fonds, affréter et équiper un nouveau navire. « Affréter un bateau, ça coûte très cher » explique Coralie Carvin, « première dépense : la location, deuxième dépense : le fuel. Ensuite, tout ce qui va être frais de fonctionnement d'un navire, faire tourner la clinique médicale pour MSF avec qui on est en partenariat médical (qui participe aussi aux couts d'affrètement) ». Il serait donc regrettable qu'à l'avenir, d'autres navires soient privés de leur pavillon étant donné l'urgence actuelle en Méditerranée et la mobilisation importante qu'impliquent l'affrètement et l'entretien d'un navire.

68

9) La pression politique et médiatique : les ONG complices des passeurs

« L'ONG Lifeline fait le jeu des passeurs » - Emmanuel Macron, 2018

« On a observé que certaines ONG étaient en contact téléphonique avec des passeurs. Dans ce cas-là, elles ont pu se faire complices des passeurs » - Christophe Castaner, 2019

« Je n'autorise aucun débarquement à ceux qui se moquent totalement des lois italiennes et aident les passeurs » - Matteo Salvini, 2019

« Il y a 2-3 mois, le Ministre de l'intérieur a déclaré que les ONG étaient complices des trafiquants d'êtres humains. On a fait une lettre ouverte en lui demandant de s'expliquer mais on n'a pas eu de retour » - Coralie Carvin, 2019

Selon un sondage que j'ai réalisé sur un échantillon de 110 personnes (voir Annexe 5), dont la majorité sont des femmes ayant entre 18 et 25 ans, 53,6% ont répondu « Non » à la question « Pensez-vous que les ONG de sauvetage incitent les migrants à tenter la traversée de la Méditerranée pour rejoindre l'Europe et qu'elles sont complices des passeurs ? ». Le pourcentage des personnes ayant répondu « Oui » s'élève à 23,6 et celui des personnes ayant choisi la réponse « Je n'ai pas d'avis sur la question » s'élève à 22,7. Pour les personnes ayant répondu « Oui », il y avait possibilité d'expliquer pourquoi en développant une réponse. Sur les 21 réponses données, voici les grandes raisons qui sont le plus ressorties (Note : Les réponses sont retranscrites ici telles qu'elles ont été écrites sur le questionnaire) :

- Les ONG sont complices des passeurs pour le profit,

- Pour l'accès médiatique (avoir de l'attention),

- Pour provoquer l'Europe,

- Pour que les migrants se sentent ainsi assurés d'être sauvés puis amenés en Europe,

- Parce que les ONG sont en réalité des trafiquants d'êtres humains,

- Certaines ONG sont factices et sont gérées par des passeurs qui arnaquent les voyageurs

réfugiés,

- Il s'agit d'une complicité naïve avec les passeurs.

Il est intéressant de lire à la fois les phrases citées plus haut par les hommes politiques comme Christophe Castaner ou Matteo Salvini (dont la position anti-migrants est désormais indéniable) et à la fois le ressenti des citoyens sollicités pour répondre au questionnaire. Les politiques influencent certainement les prises de position des personnes quant à l'accueil des

69

migrants et au travail des ONG présentes en mer. La montée des mouvements d'extrême droite et xénophobes en Europe laisse peu de place à la considération de la condition des migrants et les discours élaborés sont grandement orientés vers leur rejet. Ces mêmes partis politiques inventes souvent de fausses vérités pour alimenter l'image des migrants comme envahisseurs et profiteurs comme par exemple le fait que les migrants sont mieux traités que les personnes SDF, qu'ils vont voler le travail des citoyens, chambouler la culture européenne avec leurs propres cultures et croyances, et même que certains sont en fait des terroristes. Autrefois terre d'accueil et de tolérance, l'Europe est aujourd'hui en proie à une déferlante de politiques et groupes prônant la haine et le rejet des étrangers ce qui explique le durcissement progressif de sa politique migratoire. Les déclarations contre les ONG en les assimilant aux passeurs et en les criminalisant fait donc partie intégrante de ce processus qui consiste à abolir toute forme d'aide aux migrants, de leur sauvetage en Méditerranée à leur arrivée aux frontières européennes.

La criminalisation des ONG et leur prétendue complicité avec les passeurs constitue un moyen d'entacher l'image des « sauveteurs » des migrants que représentent les navires de secours, et de les comparer davantage à des complices de « l'envahissement » de l'Europe. De par les déclarations politiques et les opinions de beaucoup de citoyens, le sauvetage en mer par les ONG n'est plus réellement vu comme un geste solidaire mais plutôt un fardeau avec, à la clé, des migrants à « dispatcher » et à accueillir partout en Europe. Il parait donc juste de dire que créer un lien entre les passeurs qui envoient les migrants en mer et les ONG qui les sauvent ensuite est une opportunité pour les gouvernements européens de désigner des coupables et de continuer à rallier le peuple à leur cause et à leur position anti-migrants. En effet, les passeurs étant dans l'illégalité, leur établir un lien avec les ONG signifie donc, en un sens, considérer que les ONG sont également dans l'illégalité.

10) Médaille et cause nationale : une réelle reconnaissance des ONG ?

Il est étonnant de comparer ce qui est dit dans le point 9) sur la complicité prônée entre ONG et passeurs et les révélations de Coralie Carvin. En effet, elle explique que l'association SOS Méditerranée a reçu plusieurs prix (UNESCO) et distinctions en récompense à son travail de sauvetage en Méditerrané et qu'elle a une certaine reconnaissance professionnelle. L'association a notamment été reconnue Cause Nationale en 2017 en France. Plus récemment, la Mairie de Paris a décidé d'accorder 100 000€ à SOS pour qu'elle continue le sauvetage en

70

mer. Coralie Carvin explique, en parlant de ces distinctions : « Cela peut faire sourire quand même quand on voit aujourd'hui publiquement qu'on n'est pas du tout soutenus ». En effet, pourquoi une telle criminalisation des ONG et leur assimilation à des passeurs alors qu'elles reçoivent des subventions pour mener à bien leurs missions et que leur travail est reconnu par des prix et distinctions ? Il peut s'agir d'une question d'échelle : à l'échelle européenne, les ONG sont souvent freinées dans leur travail à cause des décisions politiques prises comme la fermeture des ports italiens et maltais ou encore l'interdiction de ravitaillement en fuel sur la terre ferme. Même si ces décisions sont prises par un État de l'UE au nom de tous, et au vu de sa souveraineté nationale bien sûr, les autres pays, en ne réagissant pas, approuvent en silence d'une certaine manière. Aucun État ne s'est par exemple opposé à la décision de Matteo Salvini de fermer ses ports italiens. Il s'agit donc d'un accord commun, bien que non déclaré, de tous les États de l'UE sur leur politique migratoire. À l'échelle nationale et même régionale, les choses peuvent varier. Si la France ne se prononce que très peu sur la question migratoire en Méditerranée, la Mairie de Paris, elle, et particulièrement Anne Hidalgo, se montrent favorables et encouragent les sauvetages de migrants en détresse. C'est pour cette raison que SOS Méditerranée a obtenu une subvention de 100 000€ en 2019. De manière générale, la France ne semble pas s'opposer à l'accueil de migrants mais d'un côté, elle ne fait rien de plus à l'échelle européenne pour négocier des apporter des solutions et négocier des décisions.

Ainsi, peut-on parler d'une certaine hypocrisie ? Remettre un prix à une ONG pour la féliciter de ses sauvetages en mer et par la suite l'accuser de complicité avec les passeurs est sans aucun doute représentatif de la mentalité actuelle de l'Europe sur la question migratoire. À la fois tiraillée par son devoir de solidarité en tant que continent des droits de l'homme et par ses obligations politiques de plus en plus orientées vers la fermeture des frontières et le rejet des « étrangers », l'Europe ne parvient pas à trouver un équilibre qui concile ce qu'elle prône et ce qu'elle fait en réalité. Comme l'explique Claire Rodier dans l'ouvrage Migrants & Réfugiés, Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents (2018), « [...] l'Europe est un espace compliqué, elle est vieillissante, en crise économique, ses capacités d'accueil sont limitées, etc. ». Comment l'Europe envisage-t-elle de répondre au défi migratoire de notre temps ? Comment compte-t-elle redéfinir sa politique migratoire de manière efficace et équitable ?

71

Conclusion de la sous-partie

« Quoi qu'il arrive, tant qu'il y aura des personne qui traversent et se noient, on sera sur place. Je ne veux pas parler au nom des autres ONG de sauvetage mais en tout cas nous, tant qu'il y aura des morts, nous serons là » déclare Coralie Carvin. Malgré les difficultés qui se multiplient et le durcissement des politiques migratoires européennes, les ONG tiennent bon. Si l'avenir des conditions d'accueil des migrants en Europe est pour l'instant indécis, celui des ONG l'est encore moins. Entre reconnaissance professionnelle et criminalisation médiatisée, les ONG subissent l'indécision et la pression de l'Europe qui ne sait elle-même pas où se positionner et comment réellement aborder la question migratoire en s'adaptant à ses nouvelles caractéristiques. La médiatisation grandissante des drames en Méditerranée représente à la fois un atout qui donne de la visibilité aux ONG et aux conséquences tragiques de l'inaction de l'Europe, et à la fois un frein puisque les navires de secours sont vus comme les potentiels complices des passeurs.

La liste des 10 obstacles que rencontrent les ONG dans leurs missions quotidiennes démontre que l'Europe n'a pas procédé à une passation de ses responsabilités quant au sauvetage des migrants en détresse, mais qu'elle s'est retirée subitement après avoir signé les accords avec la Turquie et la Libye en pensant régler le « problème » migratoire. Actuellement, il est clair qu'elle entrave même complètement le travail des ONG, considérant qu'elles vont à l'encontre des axes définis par sa politique migratoire qui consiste à externaliser ses frontières, refouler au maximum et déléguer la gestion des migrants à la Turquie et à la Libye.

« Ce qui est le plus inquiétant aujourd'hui, c'est que l'UE n'arrive pas à s'entendre sur une politique migratoire digne de ce nom. Il s'agit d'externaliser toujours plus les frontières pour que les personnes n'arrivent pas sur le sol européen. On délègue la gestion de nos frontières à d'autres entités, en l'occurrence, la Turquie ou Libye. On finance des entités qui ne sont même pas européennes, par exemple un corps de garde-côtes libyens, c'est une externalisation à son max. On [l'Europe] a aussi un regard sur ce qu'il se passe et on s`assure que le

refoulement est bien mis en oeuvre. » - Coralie Carvin

72

C) Difficulté d'un consensus européen sur la gestion des flux migratoires et perspectives d'avenir en Méditerranée

La célèbre phrase « L'union fait la force » s'avère véridique dans de nombreux cas. Au fond, ne serait-ce pas le manque d'unité et d'accord commun qui divise l'Europe sur la question migratoire ? Chaque État adopte un certain positionnement vis-à-vis des migrations selon ses propres intérêts à une période donnée. L'orientation politique de chaque État joue également dans ce positionnement, les mouvements de droite, par exemple, adoptant plutôt un discours de rejet envers les migrants. Certains clament haut et fort leur posture anti-migrants comme l'Italie, d'autres répondent aux appels, lorsqu'il y en a, en permettant aux ONG d'accoster dans leurs ports comme l'Espagne, ou encore d'autres ne se prononcent pas réellement sur la question migratoire comme la France. Dans un monde où il est nécessaire de concilier souveraineté nationale et respect des principes des conventions internationales ratifiées, le juste équilibre est parfois difficile à trouver. C'est le cas des États d'Europe qui, divisés entre devoir de solidarité et défense des intérêts nationaux, ne parviennent pas à s'accorder sur un positionnement commun. Lors de l'explosion des arrivées des demandeurs d'asile en 2015, l'Europe a remis en question le principe de libre circulation en son sein ainsi que l'abolition des frontières instaurés par l'accord de Schengen en 1985, signé par la France, l'Allemagne et le Benelux, et appliqué en 1995. Si l'affranchissement des frontières et la libre circulation des biens et personnes sont au coeur de la création de l'Europe et en font une entité unique au monde (26 États qui décident, entre autre, de s'allier et de se soutenir mutuellement), ils sont aujourd'hui grandement ébranlés étant donné la redéfinition de certaines frontières internes et des contrôles renforcés. En juin 2015, par exemple, la frontière entre la France et l'Italie fut fermée, probablement dans un souci de ne pas laisser entrer les flux de migrants en France qui arrivent par milliers en Italie. Il y a d'autres exemples comme la fermeture de la frontière entre la Serbie et la Hongrie (qui a érigé un haut mur de grillages en guise de frontière), et celle entre la Slovénie et la Croatie dans les années qui suivirent. En 2003, la France et le Royaume-Uni avaient signé le Traité de Touquet dont l'objectif était la surveillance des frontières et des ports maritimes dans la zone de la Manche et entre le Nord de la France et le Royaume-Uni. De multiples exemples d'actions peuvent être encore cités pour démontrer la remise en question du principe de libre circulation au sein de l'espace Schengen, remise en question causée par l'augmentation progressive des arrivées de migrants en Europe et de la montée d'une méfiance envers eux. Seulement, force

73

est de constater que ce sont les migrants qui ont subi les difficultés d'une libre circulation au sein de l'UE et le rétablissement de frontières internes entre certains États.

Si l'Europe tente de renvoyer l'image d'elle étant une entité dont tous les États sont unifiés et sur la même longueur d'ondes, la crise de l'accueil des migrants de 2015 a démontré tout l'inverse. Loin d'être unifiée, les États ont, de par les traités et initiatives intra-européennes citées plus haut, appliqué leur principe de souveraineté nationale en protégeant leurs propres frontières et en renforçant leur contrôle sans s'accorder sur une politique migratoire commune. Les moments où les États européens se sont « retrouvés » par rapport à la question de la gestion des flux migratoires, furent lors de la proposition d'un Agenda européen proposé par la Commission européenne des droits de l'homme en 2015 et lors de la signature des accords avec la Turquie en 2016 et la Libye en 2017. Par conséquent, des moments de « retrouvailles » pour approuver des mesures répressives aux frontières et l'externalisation des flux migratoires. Cependant, rien de tout cela ne dissuade et n'empêche les migrants de traverser la Méditerranée dans le but d'atteindre les frontières européennes. Bien au contraire, les migrants risquent leur vie, tentent la traversée des mers Méditerranée, Égée et de la Manche, escaladent les murs et clôtures de Ceuta et Melilla, tout cela pour soit fuir les persécutions et conflits auxquels leur pays est en proie, soit pour fuir les conditions inhumaines dans lesquelles ils vivent dans les camps de détention en Libye. Le nombre croissant de décès en Méditerranée devrait interpeller les gouvernements européens et les interroger sur l'efficacité des mesures répressives issues de leur politique migratoire actuelle. La volonté initiale de dissuader et de mettre à distance a laissé place à une réalité bien plus dramatique : les frontières européennes tuent les migrants.

Alors pourquoi cette difficulté de consensus européen sur la gestion des flux migratoires ? Plusieurs facteurs expliquent que les politiques aient du mal à se mettre d'accord depuis des années. Premièrement, la position géographique de chaque État joue grandement dans leur prise de position et de décision. En effet, les pays au Sud de l'Europe et bordés par la Méditerranée comme l'Italie et la Grèce, étant les pays qui reçoivent en premier tous les flux de migrants arrivant de la Méditerranée depuis 2013, n'auront d'autre choix que de choisir l'une des deux postures suivantes : il s'agit pour eux de soit s'habituer et d'accueillir les migrants sur le long terme étant les premiers pays de l'UE à la frontière, soit, comme l'Italie, de refuser de continuer à endosser la responsabilité de l'arrivée et de la prise en charge de tous les migrants. Les pays dits au « centre » de l'Europe comme la France, l'Allemagne, le Benelux, etc. sont des pays qui ont, jusqu'à maintenant, accueilli un grand nombre de migrants (comparé aux autres pays de l'UE bien sûr et non comparable du tout avec les pays comme la Turquie, la

74

Jordanie ou le Liban) sans pour autant se prononcer plus que cela sur la question migratoire. Il s'agit de terres d'accueil et d'immigration depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la main d'oeuvre peu qualifiée venait du Sud de l'Europe (Italie, Espagne, Portugal) et de la rive Sud de la Méditerranée (Maghreb) aider à la reconstruction de l'Europe. Selon le site d'Eurostat, les trois pays ayant le plus accueilli de demandeurs d'asile en 2018 sont l'Allemagne (161 900), la France (111 400) et la Grèce (65 000). A contrario, les pays de l'Europe de l'Est comme la Hongrie, la Slovaquie ou la Pologne, sont plutôt des pays d'émigration, et sont ceux accueillant le moins de migrants. L'ouvrage collectif Les réfugiés sont notre avenir (2019) souligne d'ailleurs bien qu'il s'agit de pays dont la population vieillit le plus et que le taux de fécondité y est très bas ce qui pourrait expliquer un certain conservatisme de ces pays et un rejet des « étrangers ». Leur passé historique joue aussi un certain rôle dans la xénophobie prononcée des pays de l'Est. Les pays nordiques, comme le Danemark, la Suède et la Finlande qui ont accueilli des migrants ces dernières années ont finalement basculé dans un durcissement de leurs contrôles frontaliers et de l'octroi du statut de réfugié aux demandeurs d'asile. Ainsi, selon la position géographique et peut-être aussi selon leur passé historique, les pays de l'UE s'ouvrent ou non à un accueil des demandeurs d'asile.

Le deuxième facteur pouvant expliquer la difficulté d'un accord commun de l'Europe sur la question migratoire est celui des intérêts nationaux. Car avant d'être un État européen, ce sont des États à part entière, disposant d'une souveraineté nationale et donc du pouvoir de décision sur leur pays et le bien-être de leur peuple. Face au défi migratoire qui s'amplifie aux portes de l'Europe depuis 2015, les États semblent vouloir parler en leur nom et ne pas s'engager lors de décisions prises pour accueillir des migrants rescapés en Méditerranée par exemple ou accepter d'octroyer le statut de réfugié à plus de personnes. C'est pour cela que l'on assiste, depuis 2015 et peut-être même avant pour certains, à un rétablissement de frontières dites « invisibles » pour les citoyens européens mais bel et bien existantes et contraignantes pour les migrants, à un durcissement des contrôles frontaliers, à une restriction de l'octroi du statut de réfugié, et même à des refoulements opérés par les autorités étatiques. Aujourd'hui, les États consacrent une grande part de leur budget à la sécurité de leurs frontières (en Hongrie : un mur érigé en fils barbelés), en plus de financer l'agence Frontex tous les mois, alors que cette part de leur budget pourrait profiter aux demandeurs d'asile qu'ils accueillent. Chaque pays aspire bien évidemment à avoir une économie florissante, un taux de chômage le plus bas possible, un peuple heureux, une politique exemplaire en termes de démocratie et de respect des droits de l'Homme. Et par-dessus tout, chaque pays aspire à la sécurité : la sécurité de son

75

territoire, de ses ressources, de son peuple. En somme, n'est-ce- pas cet intérêt que certains États européens souhaitent défendre ardemment en renforçant leurs frontières ? L'arrivée des migrants depuis 2015 qualifiée « d'envahissement » dans les médias et alimentée avec des chiffres faussés ont provoqué, voire renforcé, un sentiment d'insécurité de quelques États qui se sont alors sentis contraints de protéger leur pays et leur peuple face à cette « horde » d'étrangers qu'il fallait à tout prix repousser. Les actes de terrorisme de ces dernières années en Europe (France, Allemagne, Belgique) ont renforcé davantage la méfiance envers les migrants, souvent assimilés, à tort et pour des raisons peu claires, à des terroristes. L'Allemagne est probablement le seul pays d'Europe à clamer les bienfaits de la migration et les avantages qu'elle apporte avec elle : compétences, culture, etc. Selon elle, les migrations semblent représenter un intérêt national plus fort et plus intéressant que la sécurité et le contrôle des frontières.

Enfin, le troisième facteur concerne la position politique la plus influente de chaque État. En Italie, terre d'immigration depuis toujours, ferme peu à peu ses ports depuis l'élection de son ministre de l'Intérieur d'extrême droite Matteo Salvini qui exprime sans retenue son rejet envers les migrants et sa volonté de ne plus en accueillir sur le sol italien. Les décisions récentes de fermer les ports (Lampedusa) et d'infliger des amendes aux ONG qui braveraient cette interdiction (allant jusqu'à 1 million d'euros) ont été initiées par Matteo Salvini qui n'a pas pris la peine de consulter les autres États membres, estimant que son pays avait suffisamment endossé la responsabilité et le poids des migrations depuis 2013. Pourtant, l'Italie est une démocratie prônant de fortes valeurs et vantant les bienfaits de l'immigration. L'arrivée de Matteo Salvini en tête des sondages et son élection ont prouvé que la voix des citoyens joue aussi dans la prise de position d'un État quant à la question migratoire. Les pays de l'Europe de l'Est et de l'Europe orientale (Pologne, Hongrie, Lettonie, Slovaquie, Bulgarie etc.) sont régis par un certain conservatisme et attachés à leur mode de vie culturel depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Selon l'article35 Politique migratoire : comment l'Europe de l'Est a préféré la tranquillité à l'enrichissement culturel prôné par l'Ouest du média web Valeurs actuelles, les « Pays d'Europe centrale et orientale » (PECO) sont actuellement emprunts à une économie florissante, à une baisse progressive du chômage et à une augmentation des salaires

35 Edery, P. (2019, 9 Août). Politique migratoire : comment l'Europe de l'Est a préféré la tranquillité à l'enrichissement culturel prôné par l'Ouest. Récupéré le 25 Août, 2019, sur https://www.valeursactuelles.com/monde/politique-migratoire-comment-leurope-de-lest-prefere-la-tranquillite-lenrichissement-culturel-prone-par-louest-109834

76

ce qui a conduit la Pologne à ouvrir ses portes à une immigration sélective en 2016. La différence avec les pays de l'Ouest qui accueillent ? Selon ce même article, les migrants accueillis en Europe de l'Est sont plus âgés et trouvent rapidement un travail grâce aux compétences qu'ils ont acquis dans leur pays d'origine. De plus, leurs axes politiques, de par leur passé historique et leur position géographique, sont davantage orientés sur l'accueil des migrants chrétiens que musulmans ce qui limite grandement l'entrée sur leur territoire. Les pays comme l'Espagne et le Portugal qui ont une tendance politique sociale semblent peu réticents à l'accueil des migrants dans leur pays. Pour cause, l'Espagne a été le premier pays à répondre à l'appel de l'Open Arms qui a erré pendant des semaines en Méditerranée sans pouvoir accoster dans un port européen en août 2019.

Ainsi, plusieurs facteurs expliquent la prise de position des États européens sur la question migratoire : géographique, défense des intérêts nationaux, tendance politiques et confessionnelles. Il s'agit, en un sens, d'une fragmentation de l'unité que l'Europe est censée représenter et prôner entre tous ses États. Si la difficulté d'un consensus perdure depuis des années, les accords signés en 2016 avec la Turquie n'arrangent en rien la situation, bien au contraire : les décès en Méditerranée ne cessent d'augmenter depuis 2016 et la responsabilité de l'Europe n'en est que plus évidente. La nécessité de redéfinir les axes de la politique migratoire européenne s'impose de plus en plus mais en parallèle de cela, les États se renferment sur eux-mêmes en jouissant de leur principe de souveraineté nationale. Rétablissement de frontières au sein-même de l'espace Schengen, érige de murs, clôtures, barrières hautes, fils barbelés et électrifiés, Police aux frontières (PAF), refoulement, etc., il s'agit actuellement des mesures prises par de nombreux États en réponse à l'intensification des flux migratoires depuis 2015.

Les perspectives d'avenir du sauvetage en Méditerranée

Il est difficile d'anticiper les changements politiques et sociaux de l'Europe dans les années à venir même si la montée de mouvements d'extrême droit et xénophobes semble présager un renforcement des mesures répressives aux frontières et une externalisation toujours plus importante des flux migratoires. Cependant, avec l'augmentation des conflits et persécutions dans le monde et les changements climatiques qui poussent les peuples à partir de leurs pays, les migrations sont plus que jamais au coeur des débats internationaux. Les naufrages

77

en Méditerranée et les décès aux frontières européennes sont la conséquence de la difficulté, qui perdure depuis des années, d'un consensus entre tous les États européens. Davantage orientés vers le renforcement du contrôle des frontières, avec le financement colossal de l'agence Frontex, et l'externalisation des flux migratoires, de par les accords signés avec la Turquie et la Libye, l'Europe est pourtant consciente de l'aspect meurtrier de ses frontières et n'y remédie pas.

À ce jour, les opérations de sauvetage menées en mer sont assurées par les ONG de sauvetage, les garde-côtes libyens (on parle plutôt d'interception que de sauvetage dans ce cas-là), des autorités maritimes étatiques de temps en temps, et quelques navires de pêche présents au moment des naufrages. Aucune initiative européenne n'a été prise depuis les opérations Mare Nosrum, Triton et Sophia alors que les personnes continuent encore à se noyer en traversant la Méditerranée. En déléguant la responsabilité de la gestion des migrants à la Turquie et à la Libye, l'Europe pensait pouvoir stopper les naufrages et noyades mais ce fut tout le contraire : malgré une baisse enregistrée des arrivées de migrants en Europe depuis 2017, les tentatives de traversées de la Méditerranée, elles, restent plus ou moins constantes, des pics ayant été enregistrés à certains moments donnés. Par exemple, il y eut une augmentation des traversées alors que le monde ouvrait les yeux sur les conditions de détention en Libye courant 2017 : traitements inhumains et dégradants poussent les migrants à fuir la Libye et à risquer leur vie en Méditerranée malgré les dangers et l'incertitude de la traversée. Cela n'a pourtant pas suffit à ce que l'Europe reconsidère les accords signés en février 2017 avec la Libye. Bien au contraire, la formation des garde-côtes libyens a été plus accélérée que jamais par les autorités maritimes italiennes. En gardant le silence face aux actes de la Libye envers les migrants, l'Europe les cautionne et se rend complice des actes de meurtre, torture, viol et autres traitements infligés. Il s'agit donc d'une violation des droits de l'homme et de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés.

Les ONG qui assurent les sauvetages en mer se voient quotidiennement entravés dans leur travail : altercations avec les garde-côtes libyens, victimes de menaces et d'agressions verbales et physiques, errance prolongée en Méditerranée, fermeture des ports européens, amendes de 1 million d'euros, emprisonnement, etc. Elles tiennent bon malgré ces difficultés, mais pour combien de temps encore ? Si tous les ports européens venaient à se fermer aux migrants, où déposer les rescapés ? Certainement pas en Libye bien sûr, ce qui reviendrait à continuer d'errer en Méditerranée pendant des jours, des semaines, des mois même peut-être ? Ces suppositions sont inquiétantes et alarment sur la gravité de la situation : si les ONG ne

78

pourront bientôt plus se rendre en mer, qui sauvera les migrants en détresse ? Les garde-côtes libyens sont davantage dans l'optique de les intercepter violemment et de les ramener de force en Libye alors les migrants cherchent à la fuir.

L'avenir en Méditerranée reste incertain. Aujourd'hui, plus que jamais, ce sont les États européens qui ont le pouvoir décisionnel sur le sauvetage et le sort des migrants. Les traversées ne feront que continuer, voire même s'intensifier, car l'instinct de survie et la volonté de trouver refuge et protection, et de fuir loin de la Libye, représentent des raisons suffisantes pour les migrants qui tentent la traversée au péril de leur vie. Certains ont même déclaré « Je préfère mourir que de rester en Libye ». Les déclarations qui accusent les ONG de créer un « appel d'air » et d'inciter les migrants à traverser de par la présence de leurs navires en Méditerranée qui sont ainsi assurés d'être secourus sont nombreuses et démontrent encore une fois les conséquences de la politique de criminalisation des ONG. Fuir pour survivre représente une solution pour beaucoup de personnes, et ONG de sauvetage en mer ou pas, elles tentent la traversée et ne se posent que très peu la question du risque qu'elles encourent pour leur vie.

L'horreur de la situation et les réactions peu vives de l'Europe ne présagent rien de bon pour le futur. La création d'une nouvelle entité européenne pour le sauvetage des migrants en détresse serait-elle envisageable ? Non pas une entité qui mènerait des opérations comme Triton mais plutôt une opération semblable à Mare Nostrum, cette fois financée par tous les États membres de l'UE et pas seulement par l'Italie ? Une entité gérée par les politiques et les ONG à la fois et dont la coordination permettrait le sauvetage de millier de personnes. Les idées sont nombreuses et les initiatives proposées par les ONG et citoyens sensibles à la cause migratoire n'attendent que d'être appliquées. Il s'agit maintenant de savoir si l'Europe répondra à l'appel d'une Méditerranée en détresse, qui demeure sans réponse depuis maintenant plusieurs années.

79

Conclusion du mémoire

La problématique « Dans quelle mesure la mer Méditerranée représente-t-elle une zone de contrôle et de refoulement des migrants aux frontières de l'Europe ? » amène à une multitude de réponses, mais surtout, elle interpelle sur le tournant dramatique que prend le phénomène migratoire en Méditerranée. La partie La « crise » des réfugiés » en Europe depuis 2015 a permis de poser le contexte nécessaire à la bonne compréhension de la position actuelle de l'Union européenne quant aux flux migratoires qui affluent à ses frontières. Si les migrations étaient perçues comme bienfaitrices dans les années 60 par de nombreux États européens, les changements politiques, économiques et sociaux survenus autour du bassin méditerranéen, et plus largement à l'échelle mondiale, ont modifié la perception des migrants, qui étaient alors désormais vus davantage comme un « fardeau » que comme des êtres humains apportant des compétences et une richesse culturelle au pays. La montée des conflits dans le monde au cours des 15 dernières années a paradoxalement renforcé cette image péjorative des migrants vus comme quittant leur pays pour venir « envahir » l'Europe et profiter de ses avantages. Pourtant, et on le voit bien actuellement, les migrants fuyant les guerres et persécutions en Syrie, au Soudan et en Afghanistan, et ceux fuyant de plus en plus l'horreur de la Libye, ont plus que jamais besoin d'une protection, autrement dit l'octroi du statut de réfugié, que seule l'Europe peut leur offrir d'un point de vue géographique. En effet, la plupart des pays dits « voisins » aux pays en guerre, en n'oubliant pas que 80% des personnes fuyant un conflit se réfugient dans le pays voisin, ne sont pas signataires et n'ont pas ratifié la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Ainsi, il parait compréhensible que les migrants se tournent vers l'Europe, dit continent des droits de l'Homme, afin de chercher cette fameuse protection qui leur garantit des droits. Surnommée « le cimetière », la mer Méditerranée représente actuellement le théâtre de drames jamais vus auparavant. Si La médiatisation grandissante du phénomène migratoire en Méditerranée a permis aux politiques européennes d'ouvrir les yeux sur la gravité de la situation (drame de Lampedusa en 2013 avec 366 migrants ayant péri noyés et les deux naufrages meurtriers en avril 2015) et de prendre des décisions pour éviter à nouveau de tels drames, elle a surtout joué un rôle en termes de compréhension de la réelle volonté des États derrière chaque solution proposée. Les opérations comme Triton, prétextant des missions de sauvetage des migrants en détresse en Méditerranée, se sont avérées représenter des moyens pour les États de contrôler, mettre à distance et refouler massivement.

80

Ce sont ces moyens que j'ai tenté de développer dans la deuxième grande partie. Afin d'appliquer sa logique du mise à distance - contrôle - refoulement des migrants, l'Europe a mis une place une stratégie sur plusieurs années qui s'est voulue bienveillante envers les migrants mais qui n'a servi qu'à répondre à ses propres intérêts. La mise à distance s'est traduite par une externalisation de la gestion des flux migratoires avec des accords passés respectivement avec la Turquie en 2016 et la Libye en 2017. Ces deux pays constituent les deux principaux pays de de départ des migrants à destination de l'Europe, mais pas les plus exemplaires en termes de respect des droits de l'Homme. Davantage orientée dans une perspective de lutte contre l'immigration irrégulière plutôt que de sauvetage en Méditerranée, l'Europe a délégué ses responsabilités à la Turquie et à la Libye en échange de contreparties financières et logistiques colossales, qualifiées de « dépenses anti-migratoires » par Claire Rodier dans l'ouvrage Migrants & Réfugiés : Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents (2018). Les conséquences de ces accords sont bien visibles aujourd'hui : les traversées en Méditerranée et les naufrages augmentent en raison des milliers de migrants qui fuient la Libye et ses centres de détention horrifiques et le principe de non-refoulement est régulièrement bafoué par les autorités turques qui procèdent à des expulsions de migrants sur les îles grecques (Lesbos, Évros, etc.) en réponse à leurs engagements pris avec l'Europe. Les décisions politiques et les actions allant avec ne sont plus pensées pour les migrants et leur bien-être, mais pour servir les intérêts de chacun, avec une volonté manifeste de fermer les frontières pour mieux contrôler les flux migratoires.

Le deuxième volet de la politique migratoire européenne consiste en un contrôle accru de la zone méditerranéenne et des frontières, assuré par l'agence Frontex et divers acteurs comme les autorités maritimes italiennes. Le rôle et la responsabilité selon la présence en eaux territoriales ou en eaux internationales, zones expliquées dans la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, sont sans cesse remis en question à cause de la bataille livrée par les garde-côtes libyens envers les ONG de sauvetage. Les principes de la Convention sur la délimitation des eaux en Méditerranée sont respectés par les ONG en tout point malgré une présence régulière à proximité, voire même dans, les eaux territoriales libyennes: ils appliquent le principe de cas de force majeure consistant à intervenir lorsque des personnes sont en danger, ce qui est le cas pour les migrants en détresse ou se faisant intercepter par les garde-côtes libyens, et le principe de passage inoffensif dans les eaux libyennes puisque leur seul et unique but est de secourir.

81

Le troisième volet concerne le refoulement effectué sous couvertures des hotspots, qualifiés de centres d'accueil, d'identification et d'enregistrement où tout migrant doit se rendre en arrivant en Italie ou en Grèce, mais s'apparentant davantage à des prisons visant à expulser le maximum de personnes. Les conditions de vie y sont désastreuses, et de nombreuses entités internationales comme le HCR ont appelé les politiques européennes à revoir leur décision étant donné l'inefficacité des hotspots. Tout comme les refoulements régulièrement exercés aux frontières européennes, les îles européennes de Lampedusa, Lesbos, Évros, Chios, Samos, etc. n'ont jamais eu vocation à accueillir et préparer les migrants pour leur entrée en Europe. Il s'agissait surtout d'une manière de pouvoir les maintenir hors du territoire européen et de faire en sorte qu'une majorité d'entre eux soient renvoyés dans leur pays. Le mécanisme de relocalisation imposé par la Commission européenne en 2015, planifiant la répartition de 160 000 migrants entre différents états européens, s'est révélé totalement inefficace et n'a fait que renforcer le désengagement flagrant de plusieurs États européens.

La partie sur le Déni de solidarité et la difficulté d'un consensus européen a permis de mettre en exergue les différentes prises de position des États européens quant à la question migratoire et leurs divergences qui entravent l'élaboration d'une politique commune et efficace. Sans volonté de dénoncer ou de prendre parti, il a fallu expliquer en quoi l'Europe violait certains principes de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés à travers sa politique migratoire. De plus, il y a une certaine criminalisation des ONG de sauvetage et pire encore, des moyens mis en place pour entraver leur travail et les empêcher de ramener les migrants en Europe. Seulement, si l'Europe ne compte plus envoyer de navires de secours en Méditerranée et que certains de ses États tentent les ONG de le faire (l'Italie notamment), qui sauvera les migrants en détresse ? Car, il faut bien le préciser, les ONG ne sont pas complices de la traversée des migrants et ne créent pas ce fameux « appel d'air » : les migrants risquant pour leur vie dans leurs pays, ou en Libye, cherchent à tout prix à fuir et tentent de rejoindre l'Europe malgré tout, ONG de sauvetage présentes en mer ou non.

Ainsi, la mer Méditerranée représente une zone de contrôle et de refoulement des migrants aux portes de l'Europe, et même une frontière meurtrière il faut le dire, puisqu'elle sert de terrain d'exploration et d'expérimentation à la politique migratoire européenne mise en place depuis 2015. S'il a été expliqué dans ce mémoire que l'Europe a été surprise et non préparée à l'afflux soudain de migrants en 2015 (qui était pourtant prévisible), elle y a riposté sans prendre en considération l'ampleur des drames en Méditerranée, ni les valeurs qu'elle prône depuis sa création. Pourtant, faciliter la venue des migrants en Europe venus trouver

82

refuge et protection fait partie intégrante des droits de l'Homme et si l'UE déploie tous les moyens pour les refouler à ses frontières, quel est l'intérêt d'avoir créé et ratifié la Convention de Genève de 1951 et son Protocole additionnel de 1967 si ses principes sont sans cesse bafoués ? À l'origine, la Convention de 1951 avait été créée pour les victimes de la Seconde Guerre mondiale, donc les victimes en Europe, afin de les protéger et leur garantir des droits, ainsi, pourquoi les autres personnes n'auraient-elles pas le droit de venir chercher refuge en Europe ? De traverser les frontières et de demander l'asile ? D'avoir une possibilité que leur dossier soit examiné et le statut de réfugié octroyé ? Les ancêtres de l'Europe actuelle ont bénéficié des avantages de la Convention de 1951 à l'époque, nous devrions donc nous sentir concernés par la situation actuelle et militer activement pour les droits des migrants et des réfugiés.

Mais rien n'y fait : actuellement, il s'agit de contrôler, éloigner et refouler toujours plus les migrants, quitte à les confronter à une mort certaine en mer ou en les renvoyant chez eux où ils sont menacés. Cependant, rejeter les migrants qui tentent la traversée de la Méditerranée revient à rejeter le phénomène migratoire dans sa globalité et bien évidemment, un tel phénomène ne peut être ignoré ni rejeté au vu des changements mondiaux importants qui provoquent des mobilités sans précédent. Les migrations sont irréversibles, on ne peut, et ne pourra, pas les repousser indéfiniment étant donné la montée des conflits dans le monde et le changement climatique qui incite des personnes à fuir. Plutôt que d'adopter une posture de rejet et de fermeture des frontières, tous les États du monde pourraient travailler ensemble et même apporter de nouveaux éléments à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Le monde et ses citoyens sont sans cesse dans l'obligation de s'adapter aux changements politiques, économiques, climatiques et sociaux, et pour pouvoir respecter un ensemble de règles et de contraintes, il faut pouvoir redéfinir des textes juridiques internationaux et les adapter aux circonstances actuelles.

« Aujourd'hui, les véritables frontières ne sont pas entre les nations mais entre les puissants et les impuissants, les hommes libres et les enchaînés, les privilégiés et les humiliés. Aujourd'hui, aucun mur ne peut séparer les crises humanitaires ou les atteintes aux droits de l'homme dans une partie du monde des crises de sécurité nationale dans une autre. (...) »

- Kofi Annan

Bibliographie

Atlas

Migreurop. (2017). Atlas des migrants en Europe. Paris, France : Armand Colin.

Conférence en présentiel

Conférence sur l'ONU et les réfugiés, organisée par Chloé Morel, le 8 Février 2019.

Ouvrages

Adam, O., Bagieu, P., Baudoin, E., Bedos, N., Jelloun, T.B, Berberian, C., Blake, S., Brisac,

G., Chalandon, S., Claudel, P., Darrieussecq, M., Delerm, P., Enard M., Gaudé, L., Gauz, Giraud B., Jauffret R., Jul, Lafon L., Mabanckou A., Manoukian, P., Monnin, I., Plantu, Ponti, C., Ribes, J.M., Salvayre, L., Sfar, J., Taïa, A., Tallec, O., Torreton P., Tran Huy, M., Trondheim, L., Zenatti V. et Zeniter, A. (2015). Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés. Paris, France : Points.

Alioua, M., Ambrosetti, E., Ambrosini, M., Anteby-Yemini, L., Bassi, M., Bensaâd, A., Bernardie-Tahir, N., Berthomière, W., Cassarino, J.P., Cinalli, M., Clochard, O., Tapia, S. de., Doraï, K., Fabbiano, G., Fine, S., Jaulin, T., Kobelinsky, C., Lacroix, T., Lambert, N., Levatino, A., Miret, N., Pagès El Karaoui, D., Pastore, F., Roussel, C., Schmoll, C., Souiah, F., Thiollet,

H., Triandafyllidou, A., Van Hear, N., Weber, S. et Withol, C., de. (2015). Migrations en Méditerranée. Paris, France : CNRS ÉDITIONS

Bastin, J., Cueto, E., Delcourt, L., Douxchamps, C., Duterme, B., Kabugubugu, L., Leroy, A., Mendoza, C., Polet, F., Thomas, F. et Vanhumbeeck, N. (2015). Migrations internationales : un enjeu Nord-Sud ? . Paris, France : Syllepse.

Bernardie-Tahir, N., Schmoll, C., Akoka, K., Bassi, M., Calarco, R., Clochard, O., Esperti, M., Foucher, A., Masson Diez, É., M. Morone, A., Perrin, C. et Tassin, L. (2018). Méditerranée : des frontières à la dérive. Lyon, France : le passager clandestin.

Boschet, A. et Guéguan, J.B. (2017). Comprendre les migrations : approches géographique et géopolitique. Paris, France : Bréal.

Kobelinsky, C., Le Courant, S., Diaz, P., Furri, Ph., Galisson, M., Moliner, C., Pian A. et Prestianni, S. (2017). La mort aux frontières de l'Europe : retrouver, identifier, commémorer. Neuvy-en-Champagne, France : le passager clandestin.

Ouvrage collectif. (2019). Les réfugiés sont notre avenir. Paris, France : Ginkgo éditeur.

Rodier, C. et Portevin, C. (2018). Migrants & Réfugiés : Réponse aux indécis, aux inquiets et

aux réticents. Paris, France : La Découverte.

83

UNESCO (2015). 70 Citations pour la paix. Paris, France : Gallimard.

84

Webographie - Sitographie

Amnesty International. (2018, 12 Novembre). Libye : les politiques déplorables de l'UE. Récupéré le 30 Juin, 2019, sur https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/libye-les-politiques-deplorables-de-lue

Amnesty International. « Hotspots » en Italie : des réfugiés et migrants victimes de violences. Récupéré le 27 Août, 2019, sur https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2016/11/hotspot-italy/

Andreone, G. et Cataldi, G. (2010). Regard sur les évolutions du droit de la mer en Méditerranée. Récupéré le 15 Août, 2019, sur https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085 2010 num 56 1 4601

Aquaportail. (2015). Définition des eaux territoriales. Récupéré le 20 Août, 2019, sur https://www.aquaportail.com/definition-4546-eaux-territoriales.html

Arte info. (2017, 29 Août). Les hotspots, armes européennes contre les flux migratoires. Récupéré le 21 Août, 2019, sur https://info.arte.tv/fr/les-hotspots-armes-europeennes-contre-les-flux-migratoires

Asile.ch. Principe de non-refoulement. Récupéré le 5 Août, 2019, sur https://asile.ch/memot/de-quoi-parle-t-on/principe-de-non-refoulement/

Azizi, R. (2017, 21 Décembre). Migrations vers l'Europe, les chiffres. Récupéré le 13 Mai, 2019, sur https://www.infomigrants.net/fr/post/6665/migrations-vers-l-europe-les-chiffres

Boitiaux, C. (2017, 16 Août). Une ONG menacée par les garde-côtes libyens : "Si vous n'obéissez pas... Vous serez ciblés". Récupéré le 22 Août, 2019, sur https://www.infomigrants.net/fr/post/4612/une-ong-menacee-par-les-garde-cotes-libyens-si-vous-n-obeissez-pas-vous-serez-cibles

Bonnel, O. (2019, 6 Août). L'Italie adopte un décret antimigrants, avec des amendes records pour ceux qui leur viennent en aide. Récupéré le 8 Août, 2019, sur https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/06/l-italie-adopte-le-decret-anti-migrants-de-salvini 5497095 3210.html

Channel 4. (2019, 25 Février). Torture and shocking conditions: the human cost of keeping migrants out of Europe. Récupéré le 25 Avril, 2019, sur https://www.channel4.com/news/torture-and-shocking-conditions-the-human-cost-of-keeping-migrants-out-of-europe?fbclid=IwAR241Rljlgg3k77cjLH8NyUm2RINDZKut--g7321QOx99lSSjev5BmnOOlI

Chesnais, J.C. (2006, 8 Janvier). Les courants migratoires vers l'Europe. Récupéré le 7 Mai,

2019, sur https://www.canal-
u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/les_courants_migratoires_vers_l_europe_jean_clau de chesnais.1464

85

Conseil de l'Europe. Convention européenne des droits de l'homme. Récupéré le 8 Août 2019, sur https://www.echr.coe.int/Documents/Convention FRA.pdf

Conseil de l'Europe. La Protection des migrants au titre de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Charte sociale européenne. Récupéré le 12 Août, 2019, sur https://rm.coe.int/16806f140a

Conseil européen. (2016, 18 Mars). Déclaration UE-Turquie, 18 mars 2016. Récupéré le 5 Juillet, 2019, sur https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2016/03/18/eu-turkey-statement/

Courriel international. (2017, 3 Février). Paniquée par les populismes, l'Europe veut fermer la

Méditerranée. Récupéré le 13 Juillet, 2019, sur
https://www.courrierinternational.com/article/migrants-paniquee-par-les-populismes-leurope-veut-fermer-la-mediterranee

Courriel international. (2019, 2 Janvier). Comment l'Europe et la Libye laissent mourir les

migrants en Mer. Récupéré le 10 Août, 2019, sur
https://www.courrierinternational.com/video/enquete-comment-leurope-et-la-libye-laissent-mourir-les-migrants-en-mer?fbclid=IwAR1anJyO5bZWcfka1tTJhTIeVdkY6A2x8POvVTVhJOseMPmzGCUcb9XE 4oU

Crasnier, P. (2015, 11 Septembre). Migration ou Invasion : dans tous les cas une horreur. Récupéré le 25 Mai, 2019, sur http://www.economiematin.fr/news-migrants-france-accueil-francois-hollande

Ducourtieux, C. (2016, 16 Avril). Federica Mogherini : « Nous avons sauvé en mer 12 600 personnes avec l'opération «Sophia» ». Récupéré le 20 Août, 2019, sur https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/04/16/federica-mogherini-nous-avons-sauve-en-mer-12-600-personnes-avec-l-operation-sophia_4903554_3214.html

Delebecque, P. (2014, 25 Juin). Droit maritime, chapitre 2 « L'assistance », page 691. Récupéré

le 10 Juillet, 2019, sur https://www.admin.ch/opc/fr/classified
compilation/19100021/200503210000/0.747.363.2.pdf

Durant, A.A. (2019, 20 Mars). Combien y a-t-il d'immigrants et de demandeurs d'asile en France et en Europe ? Récupéré le 10 Juin, 2019, sur https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/03/20/combien-y-a-t-il-d-immigrants-et-de-demandeurs-d-asile-en-france-et-en-europe 5438852 4355770.html

Edery, P. (2019, 9 Août). Politique migratoire : comment l'Europe de l'Est a préféré la tranquillité à l'enrichissement culturel prôné par l'Ouest. Récupéré le 25 Août, 2019, sur https://www.valeursactuelles.com/monde/politique-migratoire-comment-leurope-de-lest-prefere-la-tranquillite-lenrichissement-culturel-prone-par-louest-109834

EU Logos Athena. (2014, 9 Novembre). Immigration : principe du Non Refoulement. Un nouvel arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) rappelle l'importance de son plein respect ! Récupéré le 8 Août, 2019, sur https://www.eu-logos.org/2014/11/09/immigration-principe-du-non-refoulement-un-nouvel-arret-de-la-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-cedh-rappelle-limportance-de-son-plein-respect/

86

Euractiv. (2016, 9 Mai). Le défenseur des droits en France dénonce les hotspots. Récupéré le 21 Août, 2019, sur https://www.euractiv.fr/section/l-europe-dans-le-monde/news/le-defenseur-des-droits-en-france-denonce-les-hotspots/

Europe 1. (2019, 6 Juillet). Italie : un navire humanitaire accoste à Lampedusa, Salvini interdit

tout débarquement. Récupéré le 15 Juillet, 2019, sur
https://www.europe1.fr/international/italie-un-navire-humanitaire-accoste-a-lampedusa-salvini-interdit-tout-debarquement-3908428

European External Action Service. (2016, 20 Juin). À propos de la mission de l'UE d'assistance aux frontières (EUBAM) en Libye. Récupéré le 17 Juillet, 2019, sur https://eeas.europa.eu/csdp-missions-operations/eubam-libya/11078/%C3%A0-propos-de-la-mission-de-l%E2%80%99ue-d%E2%80%99assistance-aux-fronti%C3%A8res-eubam-en-libye fr

Eurostat (2016, 20 Avril). EU Member States granted protection to more than 330 000 asylum

seekers in 2015. Récupéré le 2 Août, 2019, sur
https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/7233417/3-20042016-AP-EN.pdf/34c4f5af-eb93-4ecd-984c-577a5271c8c5

Eurostat. (2019, 20 Juin). World Refugee Day: key statistics on asylum in the EU. Récupéré le 29 Juillet, 2019, sur https://ec.europa.eu/eurostat/en/web/products-eurostat-news/-/EDN-20190620-1

France 24. (2017, 8 Décembre). Vidéo Libye-Italie : les migrants pris entre deux feux. Récupéré le 17 Juillet 2019, sur https://www.youtube.com/watch?v=hMzTCHQ6MyY

France 24. (2017, 3 Février). L'Italie et l'UE vont financer les camps de migrants en Libye. Récupéré le 14 Juillet, 2019, sur https://www.france24.com/fr/20170203-italie-union-europeenne-eu-financer-camps-migrants-libye-mediterranee-malte

France 24. (2019, 19 Juillet). Devant les juges, la capitaine Carola Rackete lance un appel à l'Union européenne. Récupéré le 1er Août, 2019, sur https://www.france24.com/fr/20190719-devant-magistrats-italie-carola-rackete-capitaine-sea-watch-3-appelle-ue-agir

France culture. (2019, 13 Août). Des "indésirables" aux portes de l'Europe. Récupéré le 16 Août, 2019, sur https://www.franceculture.fr/emissions/revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mardi-13-aout-2019?fbclid=IwAR3fDiJUgOpK1qp2otaqNcxLFTmApBhJAg6yACRN1yTwkrtD7wOmLCj YS8Y

France culture. (2018, 22 Octobre). Mer Méditerranée : Mare... nostrum ? (1/4) La politique

migratoire à la dérive. Récupéré le 5 Mai, 2019, sur
https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/culturesmonde-du-lundi-22-octobre-2018

France info. (2019, 22 Août). En pleine mer Méditerranée, la longue attente des rescapés de

l'Ocean Viking. Récupéré le 22 Août, 2019, sur
https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/libye/video-en-pleine-mer-mediterranee-la-longue-attente-des-rescapes-de-l-ocean-viking_3585101.html

87

France inter. (2018, 8 Novembre). A Lesbos, le camp surpeuplé de Moria. Récupéré le 23 Août, 2019, sur https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-08-novembre-2018

France Terre d'Asile. (2019). L'UE suspend les moyens maritimes de l'opération Sophia. Récupéré le 3 Juillet, 2019, sur https://www.france-terre-asile.org/veille-europe-ftda/veille-europe-france-terre-d-asile/du-1er-au-15-avril-2019/l-ue-suspend-les-moyens-maritimes-de-l-operation-sophia

Human Rights. (2014, 14 Juillet). Principe de non-refoulement. Récupéré le 7 Août, 2019, sur https://www.humanrights.ch/fr/droits-humains-internationaux/sources/principe-non-refoulement

Info Migrants. (2019, 11 Août). Méditerranée : 251 migrants secourus en moins de 3 jours par

l'Ocean Viking. Récupéré le 14 Août, 2019, sur
https://www.infomigrants.net/fr/post/18758/mediterranee-251-migrants-secourus-en-moins-de-3-jours-par-l-ocean-viking?fbclid=IwAR3hw8c-

VIsWLgtmCqrUclWnnl75 O8u3Bn8oMteTYQ9TdGE27eMPMAx6jk

Info Migrants. (2019, 8 Août). Méditerranée : Malte refuse le plein de carburant à l'Ocean Viking avant son arrivée en zone de détresse. Récupéré le 11 Août, 2019, sur https://www.infomigrants.net/fr/post/18708/mediterranee-malte-refuse-le-plein-de-carburant-a-l-ocean-viking-avant-son-arrivee-en-zone-de-detresse

Kombila, H. (2016). Le respect des droits fondamentaux des migrants non ressortissants de l'Union européenne. Récupéré le 13 Août, 2019, sur https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2016-3-page-28.htm

Lasserre, F. (2018). Convention du droit de la mer : des concepts généralisés mais des interprétations encore divergentes. Récupéré le 19 Août, 2019, sur https://www.researchgate.net/publication/327270662_Convention_du_droit_de_la_mer_des_c oncepts generalises mais des interpretations encore divergentes

LCI. (2018, 25 Septembre). Le navire humanitaire Aquarius n'a plus de pavillon : qu'est-ce que ça signifie ? Récupéré le 8 Août, 2019, sur https://www.lci.fr/international/aquarius-le-bateau-humanitaire-n-a-plus-de-pavillon-qu-est-ce-que-ca-veut-dire-panama-2099478.html

Le Figaro. (2019, 7 Juin). Libye: l'ONU dénonce les conditions de détention «épouvantables» des migrants. Récupéré le 17 Juillet, 2019, sur http://www.lefigaro.fr/flash-actu/libye-l-onu-denonce-les-conditions-de-detention-epouvantables-des-migrants-20190607

Le Journal du Dimanche. (2015, 23 Avril). De Mare Nostrum à Triton : ce qui change. Récupéré le 4 Juin, 2019, sur https://www.lejdd.fr/International/UE/De-Mare-Nostrum-a-Triton-ce-qui-change-729346

Le Monde. (2016, 21 Avril). UE : quels moyens pour le sauvetage des migrants en Méditerranée ? Récupéré le 2 Juillet, 2019, sur https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/04/21/ue-quels-moyens-pour-le-sauvetage-des-migrants-en-mediterranee 4906599 3214.html

88

Le Monde. (2019, 24 Janvier). Italie : les ports restent fermés aux migrants, répète Matteo

Salvini. Récupéré le 3 Août, 2019, sur
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/24/italie-les-ports-restent-fermes-aux-migrants-repete-matteo-salvini 5413980 3210.html

Le Monde. (2019, 9 Août). Malgré les obstacles, les ONG de secours résistent en Méditerranée.

Récupéré le 12 Août, 2019, sur
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/09/malgre-les-obstacles-les-ong-de-secours-resistent-en-mediterranee_5497916_3210.html?fbclid=IwAR0ITcUAzqk0WW1uLpxKXgYDAzNtyRY4s ArNhFBe034qwwDd5FFYxdD3Ad4

L'Obs. (2019, 21 Août). Vidéo Cris de joie des migrants de l'Open Arms après l'autorisation de

débarquer à Lampedusa. Récupéré le 22 Août, 2019, sur
https://www.youtube.com/watch?v=5KY0 rvTeq8

Malécot, V. (2018, 28 Juin). Migrations vers l'Europe, les chiffres et les routes. Récupéré le 30 Juin, 2019, sur https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/06/28/migrations-vers-l-europe-les-chiffres-et-les-routes 5322410 3214.html

Manilève, V. (2015, 22 Septembre). Pourquoi le sujet des migrants rencontre-t-il autant d'écho médiatique seulement maintenant ? Récupéré le 4 Août, 2019, sur http://www.slate.fr/story/107035/migrants-echo-mediatique-timeline

Marcilly, C. de. et Garde, A. (2016, 13 Mai). L'accord UE-Turquie et ses implications. Récupéré le 16 Juillet, 2019, sur https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0396-l-accord-ue-turquie-et-ses-implicationsun-partenariat-incontournable-mais-sous-conditions

Maupas, S. (2019, 3 Juin). Deux avocats accusent l'UE de crimes contre l'humanité envers les

migrants de Libye. Récupéré le 2 Août, 2019, sur
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/03/plainte-contre-l-union-europeenne-devant-la-cpi-pour-le-traitement-des-migrants-en-libye 5470685 3210.html

Médecins sans frontières. (2019, 8 Août). Six raisons pour lesquelles MSF vient en aide aux migrants en Méditerranée. Récupéré le 10 Août, 2019, sur https://www.msf.ch/nos-actualites/articles/six-raisons-lesquelles-msf-vient-aide-aux-migrants-mediterranee?fbclid=IwAR0kVdSNIcuNlZ-EUMB 1OSRk-2XiH iwS PxT06MY-Li4kAmwg-huG8ep8

Mille, P. (2018, 18 Juin). Après migrants, réfugiés et accueil : Détresse, le nouveau mot qui justifie l'invasion de l'Europe. Récupéré le 26 Mai, 2019, sur https://reinformation.tv/detresse-mot-justifie-invasion-europe-migrants-refugies-accueil-mille-85441-2/

Missing migrants project. (2019, 27 Août). Total of deaths recorded in Mediterranean from 01

January to 28 August. Récupéré le 3 Juin, 2019, sur
https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean

Nations Unies. (2010). Droit de la mer. Récupéré le 21 Août, 2019, sur https://www.un.org/Depts/los/doalos publications/LOSBulletins/bulletinfr/bull72fr.pdf

89

Nations Unies. La Déclaration universelle des droits de l'homme. Récupéré le 10 Août, 2019, sur https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/index.html

Nations Unies. (1998). Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Récupéré le 18 Août, 2019, sur http://admi.net/eur/loi/leg euro/fr 298A0623 01.html

OHCHR. Convention relative au statut des réfugiés. Récupéré le 6 Août, 2019, sur https://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/StatusOfRefugees.aspx

OIM. Termes clés de la migration. Récupéré le 3 Juillet, 2019, sur https://www.iom.int/fr/termes-cles-de-la-migration

OIM. (2016, 1er Mai). L'OIM recense 3 771 décès de migrants dans la Méditerranée en 2015. Récupéré le 10 Juillet, 2019, sur https://www.iom.int/fr/news/loim-recense-3-771-deces-de-migrants-dans-la-mediterranee-en-2015

Organisation maritime internationale. Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (Convention SAR). Récupéré le 12 Juillet, 2019, sur http://www.imo.org/fr/About/Conventions/ListOfConventions/Pages/International-Convention-on-Maritime-Search-and-Rescue-(SAR).aspx

Parlement européen. (2010). Eaux territoriales en Méditerranée et en mer Noire. Récupéré le

21 Août, 2019, sur
http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2009/431602/IPOL-

PECH ET(2009)431602 FR.pdf

Pascual, J. (2018, 23 Septembre). A bord de l'« Aquarius », un accrochage sévère avec les garde-côtes libyens. Récupéré le 16 Juillet, 2019, sur https://www.lemonde.fr/a-bord-de-l-aquarius/article/2018/09/23/sauvetage-accrochages-et-menaces-un-dimanche-ordinaire-pour-l-aquarius 5358976 4961323.html

Pouchard, A. (2015, 20 Avril). Migrants en Méditerranée : après « Mare Nostrum », qu'est-ce que l'opération « Triton » ? Récupéré le 4 Juin, 2019, sur https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/20/migrants-en-mediterranee-qu-est-ce-que-l-operation-

triton 4619129 4355770.html

Poulain, M. (2017, 23 Décembre). Les flux migratoire dans le bassin méditerranéen. Récupéré le 12 Mai, 2019, sur https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1994_num_59_3_4305

Rodier, C. (2018, 5 Janvier). Le faux semblant des hotspots. Récupéré le 21 Août, 2019, sur https://journals.openedition.org/revdh/3375

Schmoll, C. (2018, 14 Février). Quoi de neuf sous le soleil de Sicile ? Récupéré le 26 Juillet, 2019, sur https://urlz.fr/7nNl

Shatz, O. et Branco J. (2018). EU Migration Policies in the Central Mediterranean and Libya (2014-2019). Récupéré le 11 Juin, 2019, par mail de Monsieur Branco, file:///C:/Users/Anaelle/Documents/3A/MASTER%202/Mémoire/EU-ICC-FINAL.pdf

Toute l'Europe. (2016, 4 Avril). Que contient l'accord UE-Turquie sur les migrants. Récupéré le 4 Juillet, 2019, sur https://www.touteleurope.eu/actualite/que-contient-l-accord-ue-turquie-sur-les-migrants.html

90

Treves, T. (2012). Les Conventions de Genève sur le droit de la mer, 1958. Récupéré le 20 Août, 2019, sur http://legal.un.org/avl/pdf/ha/gclos/gclos_f.pdf

UNHCR. (2019). UNHCR Population Statistics - Data - Overview. Récupéré le 11 Juillet, 2019, sur http://popstats.unhcr.org/en/overview#_ga=2.153873848.1003678506.1562927068-935967279.1543762883

UNHCR. La Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Récupéré le 5 Août, 2019, sur https://www.unhcr.org/fr-fr/convention-1951-relative-statut-refugies.html

UNHCR. Histoire du HCR. Récupéré le 4 Août, 2019, sur https://www.unhcr.org/fr/histoire-du-hcr.html

UNHCR. Convention et protocole relatifs au statut des réfugiés. Récupéré le 5 Août, 2019, sur https://www.unhcr.org/fr-fr/4b14f4a62

UNHCR. (1977, 23 Août). Note sur le non-refoulement. Récupéré le 11 Août, 2019, sur https://www.unhcr.org/fr/excom/scip/4b30a58ce/note-non-refoulement.html

Universalis. Article sur les eaux territoriales. Récupéré le 15 Août, 2019, sur https://www.universalis.fr/encyclopedie/eaux-territoriales/

91

Table des illustrations

? Infographie n° 1 : Titre d'un article du média Économie Matin paru le 11 Septembre 2015, page 18

? Infographie n° 2 : Titre d'un article du média Reinformation TV paru le 18 Juin 2018, page 18

? Infographie n°3 : Schéma comparatif entre les missions Mare Nostrum et Triton, élaboré par le média Le Monde le 20 Avril 2015, page 22

? Infographie n°4 : Carte des mers territoriales en mer Méditerranée et en mer Noire, inclue dans l'étude réalisée par le Parlement européen en 2010 sur les « Eaux territoriales en mer Méditerranée et en mer Noire », page 37

? Infographie n°5 : Image du camp de Moria sur l'île de Lesbos, publiée par le média Euractiv le 9 Mai 2016, page 46

92

Table des matières

I) La « crise » des réfugiés en Europe depuis 2015 6

A) Évolution des traversées en mer Méditerranée, des arrivées en Europe et de la

perception des flux migratoires des années 40 aux années 2000 7

Période d'après-guerre : reconstruction de l'Europe, main d'oeuvre immigrée 7

Les années 60 et l'accueil « à bras ouverts » des migrants économiques par l'Europe 8

Début des restrictions des mouvements migratoires en Europe : quels déclencheurs et

quelles conséquences ? 9

Des années 90 au début des années 2000 : pré-construction d'une « forteresse Europe »

11

B) Une médiatisation grandissante du phénomène migratoire en mer Méditerranée

depuis 2013 13

Les Révolutions arabes de 2011 ont-elles déclenché cet afflux « massif » de réfugiés

vers l'Europe 7 14

Conflits, instabilités politiques et pauvreté dans certains pays d'Afrique subsaharienne

: l'exil perçu comme une solution depuis des années 15

Augmentation des traversées de la Méditerranée et du nombre de demandes d'asile en

Europe depuis 2015 16

Les enjeux de la médiatisation du phénomène migratoire en Méditerranée 17

C) Mesures prises par l'Europe et fermeture progressive des frontières 19

Opération Mare Nostrum et volonté de quotas et de relocalisation des migrants en

Europe : échec d'une politique européenne opérationnelle 19

La reprise du contrôle et du refoulement aux frontières 21

La position de l'Italie influence grandement la gestion des flux migratoires en

Méditerranée 24

II) Du pays départ à l'arrivée aux frontières européennes : des moyens de contrôle, de mise à distance et de refoulement durant tout le parcours migratoire en Mer

Méditerranée 26

A) L'externalisation de la politique migratoire européenne : double coopération

bilatérale de l'Europe avec la Turquie et la Libye 26

Une logique de contrôle et de refoulement commune pour la Turquie et la Libye 27

Moyens financiers importants octroyés à la Turquie 29

Moyens techniques et formation des garde-côtes libyens 30

L'interception des embarcations de migrants en détresse par les garde-côtes libyens 32

L'horreur des centres de détention en Libye : crimes contre l'humanité 7 33

B) 93

Les enjeux et conséquences du sauvetage en mer des migrants en Méditerranée : rôle

des eaux territoriales et responsabilités 36

Le Droit maritime : en Méditerranée, le principe de sauvetage des personnes en

détresse bafoué 41

C) Les îles européennes : l'accueil dans les hotspots 44

Les prisons à ciel ouvert en Grèce : attente interminable et surpopulation 45

III) Déni de solidarité et difficulté d'un consensus européen 50

A) Une violation de certains principes issus de textes de lois européens et internationaux

50

La création d'une protection internationale pour les réfugiés 51

Certains principes issus des textes de lois européens et internationaux ne sont pas

respectés 53

B) La criminalisation des ONG de sauvetage en mer 58

1) L'accrochage avec les garde-côtes libyens lors de missions de sauvetage 60

2) L'interdiction d'accoster dans les ports européens 61

3) L'errance pendant des jours et des semaines en Méditerranée 62

4) Le durcissement des politiques européennes 63

5) L'Italie de Matteo Salvini : 1 million d'euros vaut plus que des vies 64

6) L'affaire Carola Rackete : arrêtée pour avoir sauvé des vies 65

7) La difficulté de ravitaillement sur terre 66

8) La perte du pavillon d'un navire : le cas de L'Aquarius en septembre 2018 67

9) La pression politique et médiatique : les ONG complices des passeurs 68

10) Médaille et cause nationale : une réelle reconnaissance des ONG ? 69

Conclusion de la sous-partie 71

C) Difficulté d'un consensus européen sur la gestion des flux migratoires et

perspectives d'avenir en Méditerranée 72

Conclusion du mémoire 79

94

Executive Summary - français

Ce mémoire a pour but de présenter les enjeux politiques, économiques et sociaux du phénomène migratoire en mer Méditerranée depuis 2013. Il s'agira également de démontrer que la Méditerranée est devenue, au fil des années, une frontière meurtrière dont les délimitations et les flux ne cessent de changer selon des intérêts politiques européens, au détriment de la prise en considération de la condition et de la sécurité des migrants.

Une première partie dite « contexte » est nécessaire afin de comprendre les causes ayant provoqué un changement progressif de la perception des flux migratoires par l'Europe. La médiatisation des drames en Méditerranée a joué un rôle important dans la révélation de la posture des gouvernements européens quant à la question migratoire et des mesures restrictives ont été prises suite à leur décision de fermer les frontières et d'externaliser les flux de migrants.

Les moyens de mise à distance, de contrôle et de refoulement durant tout le parcours migratoire en mer Méditerranée seront exposés dans la seconde partie, avec un focus sur les accords bilatéraux passés avec la Turquie (2016) et la Libye (2017) ainsi que sur le rôle et les responsabilités des parties prenantes selon les sauvetages en eaux internationales ou en eaux territoriales. Un éclairage sera apporté sur la réalité des hotspots, véritables prisons à ciel ouvert pour les migrants.

Enfin, les conséquences du déni de solidarité de l'Europe et de sa difficulté à s'accorder sur une politique migratoire commune seront développées dans la partie finale et permettront de mettre en exergue des perspectives d'avenir sur les sauvetages en Méditerranée au vu de la situation actuelle.

95

Executive Summary - anglais

The purpose of this thesis is to present the political, economic and social challenges of migration in the Mediterranean Sea since 2013. It will also demonstrate that, over the years, the Mediterranean has become a deadly border whose boundaries and flows are constantly changing according to European political interests, to the detriment of taking into account the condition and security of migrants.

A first part, called "context", is necessary in order to understand the causes that have led to a gradual change in Europe's perception of migration flows. The media coverage of the tragedies in the Mediterranean played an important role in revealing the stance of European governments on the migration issue and restrictive measures were taken following their decision to close borders and externalise migrant flows.

The means of distanceing, control and refoulement throughout the migratory journey in the Mediterranean Sea will be presented in the second part, with a focus on the bilateral agreements with Turkey (2016) and Libya (2017) as well as the role and responsibilities of the parties involved in rescues in international waters or in territorial waters. The reality of hotspots, real open-air prisons for migrants, will be highlighted.

Finally, the consequences of Europe's denial of solidarity and its difficulty in agreeing on a common migration policy will be discussed in the final section and will highlight future prospects for rescues in the Mediterranean in view of the current situation.






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon