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Le phénomène migratoire en mer méditerranée depuis 2013. Enjeux d'une frontière meurtrière aux portes de l'Europe.


par AnaàƒÂ«lle TOUTOUNJI
Ecole Supérieure de Commerce et Développement 3A Paris - Master 2 Manager de projets internationaux, parcours Coopération et Action Humanitaire 2019
  

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Titre d'un article4 du média Reinformation TV paru le 18 Juin 2018

(Infographie n° 2)

3 Crasnier, P. (2015, 11 Septembre). Migration ou Invasion : dans tous les cas une horreur. Récupéré le 25 Mai, 2019, sur http://www.economiematin.fr/news-migrants-france-accueil-francois-hollande

4 Mille, P. (2018, 18 Juin). Après migrants, réfugiés et accueil : Détresse, le nouveau mot qui justifie l'invasion de l'Europe. Récupéré le 26 Mai, 2019, sur https://reinformation.tv/detresse-mot-justifie-invasion-europe-migrants-refugies-accueil-mille-85441-2/

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C) Mesures prises par l'Union européenne et fermeture progressive des frontières

En parlant du contenu de son ouvrage Méditerranée : des frontières à la dérive (2018), Camille Schmoll explique « il s'agit de raconter avec plusieurs points de vue (acteurs à la frontière, acteurs en mer, migrants) comment ces frontières ne cessent de se composer, de se mouvoir et de se relocaliser ». À travers cette phrase, il faut comprendre que la Méditerranée a été transformée en une frontière voulue comme infranchissable par les gouvernements européens et que ces derniers ne cessent d'en redéfinir les limites afin de repousser toujours plus les migrants. Moyens colossaux déployés afin de dissuader ces derniers de venir en Europe et surveillance permanente des frontières font partie des actions mises en place pour contrôler et refouler au maximum. Pourtant, après les naufrages très médiatisés de 2013 (Lampedusa) et 2015 (photo du petit Aylan Kurdi échoué sur une plage turque), une prise de conscience générale avait relancé le débat de l'accueil des migrants en Europe et des opérations de sauvetage ont été menées en Méditerranée.

Cet élan de solidarité aura été de courte durée : le pic d'arrivées de demandeurs d'asile en 2015 en Europe a suscité le questionnement des États quant à leur capacité d'accueil, qui se sont alors vus confrontés à une réelle crise des réfugiés, et la montée des mouvements d'extrême droite au pouvoir, notamment en Italie avec l'élection du ministre de l'intérieur Matteo Salvini, a progressivement réengagé la fermeture des frontières avec, cette fois-ci, une mobilisation plus importante et conséquente.

Opération Mare Nostrum et volonté de quotas et de relocalisation des migrants en Europe : échec d'une politique européenne opérationnelle

Suite aux deux naufrages dramatiques à quelques kilomètres de Lampedusa les 3 et 11 octobre 2013, l'opération Mare Nostrum est lancée le 15 octobre 2013 par le Président du Conseil italien Enrico Letta. Cette opération, menée par la marine de guerre italienne, a pour but de secourir les migrants en situation de détresse en assurant une surveillance 24h/24 en Méditerranée et dans le canal de Sicile (entre la Tunisie et l'Italie), et d'arrêter les passeurs. En une année, elle a permis de sauver 170 000 personnes, soit plus que l'agence Frontex effective depuis 2004, et de démanteler des réseaux de passeurs. Mare Nostrum était financée à hauteur de 9 millions d'euros par mois par l'Italie uniquement, et a mobilisé des moyens techniques et

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humains importants. Elle a pris fin et a été remplacée par l'opération Triton en 2014 pour deux raisons. Premièrement, l'Italie ne pouvait plus assumer seule le financement de Mare Nostrum et s'est vue refuser la participation au coût opérationnel de 9 millions d'euros par mois de ses partenaires européens. Deuxièmement, il a été maintes fois signalé que l'opération encourageait les migrants à tenter la traversée de la mer Méditerranée et à les faire venir en Europe en toute sécurité, ce qu'on appelle « l'appel d'air ». Suite à cela, l'opération a pris fin et fut remplacée par Triton (opération détaillée plus bas dans cette partie).

D'autres mesures ont été votées par l'Union européenne afin de répondre rapidement à l'intensification des flux migratoires en 2015 et éviter la survenue de nouveaux drames en Méditerranée comme les deux naufrages d'avril 2015 qui ont tué 1500 personnes. Un « Agenda européen en matière de migration » a été proposé par la Commission européenne en mai 2015 avec 3 axes :

- Une répartition dite « équitable » des demandeurs d'asile arrivés en Grèce ou en Italie entre tous les États membres volontaires avec la mise en place de quotas selon la capacité d'accueil et la richesse du pays.

- La création de hotspots, présents en grande majorité sur les îles italiennes (Lampedusa) et grecques (Lesbos) afin de faire le « tri » des migrants pour n'accepter que ceux étant éligible au statut de réfugié.

- Le financement des pays de départ des migrants (Libye, Turquie, Maroc) afin qu'ils les retiennent et les empêchent de vouloir traverser la Méditerranée.

Le programme de relocalisation de 2015 consistait à répartir les migrants éligibles au statut de réfugié (après une identification et un tri dans les hotspots) dans d'autres États d'Europe que la Grèce et l'Italie, principaux pays d'arrivée des migrants. 160 000 demandeurs d'asile devaient être répartis entre les États membres volontaires tels que la France, l'Allemagne, la Pologne, l'Autriche ou la Suède. Des événements survenus entre-temps ont conduit à l'échec de cet objectif : par exemple, la Pologne s'est désengagée à accueillir 7000 réfugiés suite aux attentats survenus à Paris en novembre 2015 et à la peur qu'elle a suscité partout en Europe, alimentant davantage l'image du migrant assimilée au terrorisme, ou encore la création de nouvelles routes migratoires renforçant l'afflux de migrants dont les pays comme l'Autriche et la Suède n'ont pas voulu en assumer les conséquences. En septembre 2017, sur les 160 000 demandeurs d'asile, seuls 30 000 ont été accueillis par d'autres pays que la Grèce et l'Italie.

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Le système des quotas s'est donc révélé inefficace puisque des États ont refusé de se voir imposer un nombre de migrants à accueillir et ont cherché, pour la plupart, des excuses, alors qu'ils s'y étaient originellement engagés. C'est là toute la difficulté de la position de l'Europe sur les flux migratoires : comment concilier devoir de solidarité et souveraineté nationale ? Si certains États (souvent les mêmes) acceptent à chaque sauvetage de récupérer un certain nombre de migrants (comme la France ou l'Espagne), d'autres expriment clairement leur refus de participer à la gestion et à l'accueil des migrants, au nom de la souveraineté nationale.

En août 2015, la chancelière Angela Merkel avait déclaré vouloir accueillir 1 million de réfugiés avec son slogan « Welcome Refugees » et avait respecté cet engagement en l'appliquant. Selon l'ouvrage collectif Les réfugiés sont notre avenir (2019), sur ces 1 million de migrants accueillis, 400 000 seraient actuellement en formation ou auraient trouvé un emploi. Mais suite à l'impulsion des autres États de déléguer la gestion des migrants en passant des accords avec la Turquie en 2016, l'Allemagne ne s'est plus prononcée sur un accueil aussi conséquent mais se contente d'en accueillir lorsqu'il y a nécessité, notamment suite aux événements récents de migrants sauvés par des navires d'ONG après des semaines d'errance en mer.

La reprise du contrôle et du refoulement aux frontières

L'opération Mare Nostrum aura été de courte durée. Elle est remplacée par l'opération Triton, commanditée par l'agence Frontex en 2014, qui a pour but de renforcer le contrôle aérien, terrestre et maritime aux frontières tout en restant dans les eaux territoriales européennes. Frontex, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne créée en 2004, a pour mission la surveillance et la gestion constante des frontières maritimes, terrestres et aériennes extérieures de l'Europe. Elle s'occupe également d'analyser les flux migratoires et leur évolution afin de mieux les anticiper et d'y répondre efficacement et de rapatrier les personnes ayant été expulsées et contraintes de sortir du territoire européen. Comme évoqué dans l'article Frontex : Contrôlées en toute impunité, des frontières à géométrie variable de Marie Martin dans l'Atlas des migrants en Europe, Frontex « peut aujourd'hui intercepter, expulser, mobiliser à tout moment, en cinq jours, 1500 gardes-frontières au périmètre d'un État membre, acheter son matériel, collecter des données personnelles et les transmettre à Europol, ou opérer dans des pays « tiers » hors HE ». Le budget de Frontex, financé à 100% par les États membres, est passé de 6 millions d'euros en 2004 à 281

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millions en 2017 selon l'ouvrage Migrants & réfugiés, Réponses aux indécis, aux inquiets et aux réticents (Rodier, 2018 : 64-66). Selon ce même ouvrage, tous les frais dédiés à la surveillance des frontières - transports comme les hélicoptères ou les bateaux, salaire des gardes-frontières, équipements, satellites, drones, etc. - sont assurés par les États membres qui y consacrent une grosse partie de leur budget.

En 2014, l'opération Triton gérée par Frontex remplace Mare Nostrum qui était menée par la marine italienne. Cependant, il ne s'agit pas réellement d'une continuité de Mare Nostrum, en effet, Triton s'axe davantage sur la surveillance des frontières européennes que sur le sauvetage des migrants en détresse et pour cause, la première différence avec Mare Nostrum concerne le périmètre dans lequel Frontex agit : ses agents sont uniquement présents dans les eaux territoriales européennes tandis que les opérations de sauvetage de Mare Nostrum s'étendaient jusqu'aux eaux territoriales libyennes. Voici un aperçu des différences entre les opérations Mare Nostrum et Triton sous forme de schéma très clair réalisé par le journal Le Monde5 (Infographie n° 3 dans la table des figures placée à la fin du mémoire) :

5 Pouchard, A. (2015, 20 Avril). Migrants en Méditerranée : après « Mare Nostrum », qu'est-ce que l'opération « Triton » ? Récupéré le 4 Juin, 2019, sur https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/04/20/migrants-en-mediterranee-qu-est-ce-que-l-operation-triton_4619129_4355770.html

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Ce schéma permet de mieux comprendre le changement de posture de l'Europe en une année et le fait que sa volonté de contrôle renforcé aux frontières prime sur le sauvetage des migrants en mer. Si l'Italie finançait à elle-seule 9 millions d'euros par mois la mission Mare Nostrum, tous les États européens contribuent à l'opération Triton qui avait un budget mensuel de 3 millions d'euros. Cet écart de budget est représentatif de ce qui différencie fondamentalement les deux opérations : le sauvetage des personnes en détresse requiert plus de moyens et de mobilisation comme le fuel des navires qui se rendent jusque dans les eaux territoriales libyennes, les canots et équipements de sauvetage, le personnel médical nécessaire à bord pour prodiguer les premiers soins aux rescapés, etc.

En juin 2015, l'opération militaire EUNAVFAVOR MED, dite Sophia, est lancée avec pour même objectif de sauver des migrants et, principalement, de démanteler les réseaux de passeurs en Méditerranée, entre le sud de l'Italie et la Libye. Elle aurait sauvé 12 600 personnes en une année selon la haute représentante aux affaires étrangères européennes Federica Mogherini6. Les navires de Sofia étaient présents dans les eaux internationales mais pas dans les eaux libyennes, ce qui constituait d'ailleurs un objectif en 2016 : obtenir l'accord de la Libye pour sauver plus de personnes en détresse à proximité des côtes libyennes. Les opérations ne sont plus effectives depuis l'été 2018 avec la baisse drastique du nombre de navires dédiés au sauvetage.

En plus du contrôle renforcé exercé par Frontex aux frontières, un refoulement des migrants est régulièrement appliqué et se traduit par des reconductions forcées aux frontières ou alors des expulsions des hotspots lorsque la personne est considérée comme non éligible au statut de réfugié. Pour comprendre le sens du mot « refoulement » il convient de donner la définition du non-refoulement selon l'OIM7 : « Interdiction pour les États d'extrader, d'expulser ou de refouler de toute autre manière une personne vers un pays dans lequel sa vie ou sa liberté serait menacée, ou s'il

existe des motifs sérieux de croire qu'elle risquerait d'être soumise à la torture ou à d'autres peines ou traitements

cruels, inhumains ou dégradants, d'être victime d'une disparition forcée ou de subir un autre préjudice irréparable ». Ainsi, le refoulement des migrants reviendrait à les expulser dans des pays où leur

6 Ducourtieux, C. (2016, 16 Avril). Federica Mogherini : « Nous avons sauvé en mer 12 600 personnes avec

l'opération «Sophia» ». Récupéré le 20 Août, 2019, sur
https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/04/16/federica-mogherini-nous-avons-sauve-en-mer-12-600-personnes-avec-l-operation-sophia_4903554_3214.html

7 OIM. Termes clés de la migration. Récupéré le 3 Juillet, 2019, sur https://www.iom.int/fr/termes-cles-de-la-migration

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vie est menacée et constitue une violation de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés. Pourtant, le refoulement est régulièrement appliqué aux migrants qui se retrouvent parfois condamnés à une expulsion sans que leur cas n'ait été étudié au préalable, comme par exemple dans certains cas où des migrants arrivés dans les hotspots sur les îles grecques ou italiennes ont été immédiatement refoulés, les autorités ayant estimé que la personne n'est pas éligible au statut de réfugié. De nombreuses vidéos et témoignages de raccompagnement des migrants, et parfois même de mineurs non accompagnés, aux frontières par des autorités, et notamment une vidéo montrant la police française refouler trois migrants à la frontière italienne en octobre 2018 sans avoir examiné leur dossier et leur situation selon des ONG de défense des droits des migrants, ont confirmé que le refoulement est bel et bien appliqué par Frontex et par les autorités de certains États en dépit du principe de non-refoulement, principe fondateur de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés.

La position de l'Italie influence grandement la gestion des flux migratoires en Méditerranée

Symbole d'espoir en 2013 lors du lancement de l'opération Mare Nostrum ayant sauvé plus de 170 000 migrants en détresse en Méditerranée et symbole de la volonté de fermeture définitive des frontières européennes depuis 2018, l'Italie incarne aujourd'hui la posture anti-migratoire la plus prononcée de l'Europe. Elle a porté le poids de l'inaction de ses voisins européens face aux flux migratoires depuis 2013 et a décidé, avec l'élection Matteo Salvini, de fermer ses ports à l'accueil des migrants. Prévisible mais incompréhensible à la fois, cette fermeture exprime le changement radical de la politique traditionnelle de l'Italie. En effet, l'Italie est un pays d'immigration depuis toujours. Elle a subi de profondes mutations entre la période d'après-guerre et le début des années 2000, avec des arrivées de migrants toujours plus nombreuses et venant d'horizons variés. Accueillant la main d'oeuvre dite non qualifiée des pays d'Afrique du Nord dans les années 90, elle a représenté à la fois une terre où travail et sécurité sont garantis, et à la fois un passage menant aux pays d'Europe du Nord-Ouest. Néanmoins, l'arrivée de Matteo Salvini signe l'arrêt de ce qui constituait l'essence même de l'Italie, entraînant avec elle un rejet prononcé des migrants. Pourtant, l'Italie avait lancé plusieurs appels à ses voisins afin qu'ils sortent de leur silence et revoient la politique migratoire européenne. Un appel resté sans réponse. Alors qu'elle était investie dans le sauvetage des migrants en détresse en mer, l'Italie coopère activement avec la Libye depuis 2018 dans le but

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de renforcer le contrôle aux frontières libyennes et d'intercepter les migrants en mer afin de les ramener dans les camps de détention.

La fermeture des ports italiens depuis 2017 a des conséquences non négligeables sur les opérations de sauvetage en mer. Les ONG sont dans l'obligation d'errer pendant des semaines en Méditerranée en attendant que les autorités leur donnent le feu vert pour accoster. Cependant, comme le démontre le débarquement « de force » du navire Sea Watch 3 par sa capitaine Carola Rackete à Lampedusa après 17 jours d'errance en Méditerranée avec à son bord plus de 40 migrants rescapés, cette fermeture des ports ne pourra pas repousser indéfiniment les flux migratoires qui affluent de plus en plus vers l'Europe depuis quelques années. Il ne s'agit pas réellement d'une solution efficace puisque les migrants rescapés doivent être débarqués au plus vite après leur sauvetage.

Ainsi, pour conclure cette sous-partie, bien qu'un élan de solidarité envers les migrants de l'Europe ait été perceptible entre 2013 et 2015, les mesures comme l'opération Triton ou le refoulement aux frontières ainsi que le désengagement flagrant et progressif de la majorité des États envers cette cause ont signé la fin d'un potentiel changement de la politique migratoire européenne. Mais l'Europe ne s'est pas uniquement arrêtée au contrôle et à la surprotection de ses frontières, elle a finalement externalisé sa politique migratoire en signant des accords avec la Turquie en 2016 et avec la Libye en 2018 dans une logique de mise à distance des migrants, sans même leur laisser la possibilité d'arriver en Europe. Il s'agit donc d'une délégation de la gestion et de l'accueil des migrants pleinement assumée qui a des conséquences peu glorieuses et des résultats finalement peu convaincants. La partie qui suit abordera les moyens de mise à distance, de contrôle et de refoulement déployés par l'UE durant tout le parcours en Méditerranée des migrants.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault