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Le rôle des « valeurs structurantes de la
tradition culturelle » et la capacité réactive de
l'individu citoyen.La compétition politique entre les individus se
nourrit en grande partie des hiérarchies sociales existantes au niveau local et c'est dans les relations de
solidarité et de dépendance que l'on peut trouver une explication
à l'évolution des allégeances politiques. À l'augmentation des pouvoirs indirects de l'influence et
des pouvoirs fondés sur les usages de la  communication,  correspond  une  augmentation 
parallèle  des  contrepouvoirs  symboliques exercés  dans  le 
débat  public.  Ainsi  que  nous  le  notions,  il  existe,  d'abord, 
des  résistances politiques  à  l'hégémonie 
symbolique  des  pouvoirs  fondés  sur  la  communication.  Il  s'agit, 
au premier chef, du libre examen et de la fonction critique exercés par
les acteurs de la sociabilité dans le cadre de leurs pratiques de
communication et de leur activité symbolique. Il demeure aussi qu' « au Sénégal, (...)
le choix électoral entretient une corrélation étroite
avec les mécanismes sociaux ; il procède d'une 
évaluation discursive certes,  mais fondamentalement,  c'est un  choix
motivé    par des affinités  objectives  avant d'être
rationnellement suscité » 83 R. Hackfield et J. Sprag, en étudiant le caractère
des influences des moyens de communication utilisés dans la campagne
électorale de 1984 aux EtatsUnis, sont arrivés à la
conclusion que les   gens   euxmêmes,   conformément   à  
leurs   préférences   politiques,   créent   des  
réseaux d'informations  par  lesquels  ils  reçoivent  une 
information  politique.  Ces  réseaux,  dans  une mesure significative,
se définissent par le contexte social et l'entourage de l'individu. En  d'autres  termes,  la  perception  des 
évènements  politiques  par  les  gens  est  influencée 
en premier lieu par leur entourage direct. Cela ne signifie pas que les
électeurs reçoivent la plus grande  part  de  l'information 
relative  à  la  politique  par  des  simples  conversations  avec 
leurs voisins. En effet, dans la société actuelle les mass
média nationaux sont la principale source 83 DIOP A. B.,  Logiques sociales et démocratie
électorale au Sénégal. Essai de reconstitution et
d'interprétation d'une trajectoire de crise :  l'exemple  de  Fouta 
Toro  (19832001)  Thèse  de  doctorat  en  science  politique, 
Université  MONTESQUIEU,  Bordeaux  IV,  IEP Bordeaux , CEAN, juillet
2002, p.21 d'informations politiques. Cependant, c'est
particulièrement l'entourage et le contexte social qui aident  les 
électeurs  à  se  former  une  opinion  politique  sur  les 
évènements  actuels  et  à  les pourvoir de sens.
L'entourage social est constitué avant tout des gens avec lesquels
l'individu interagit (la famille, les amis, les collègues, les
voisins). Le caractère d'influence de l'entourage ou du contexte
est défini par le contenu de l'information qui circule dans ces groupes
sociaux auxquels l'individu appartient. En discutant avec d'autres personnes, 
en  échangeant  avec  elles  des  informations,  il  entre  en  contact 
avec  les  opinions diffusées dans ce milieu. C'est que l'allégeance politique est une ruse, une
tactique de positionnement. Aussi, convientil d'être souple dans
l'analyse de la formation des identités politiques. En  outre,  la  légitimité  est 
corrélative  à  l'allégeance  partisane  d'un  individu, 
c'estàdire  à l'ensemble des liens ou relations 
clientélaire, idéologique, familiale, sexuelle, primordiale  qui
l'identifient au sein de la scène politique. Le choix de soutenir un
groupe politique dépend de  la  capacité  de  ce  dernier  à 
répondre,  d'une  façon  efficace,  aux  besoins  de  ses 
adhérents. Souvent,  ces  besoins  sont  articulés  sur  la  famille,
 sur  les  exigences  de  la  vie  privée  et  de
l'économique. Et « dans son analyse de l'orientation du
comportement politique, A. Lancelot observe qu'en définitive, il s'agit
de ne pas occulter le rôle fondamental et déterminant que jouent
les valeurs structurantes de la tradition culturelle dans les comportements
» 84 Tarik DAHOU note bien encore à ce propos la
nécessité de « saisir le politique à partir des
hiérarchies  sociales  et  des  pouvoirs  locaux  afin 
d'appréhender  le  changement  de  structures comme  le  produit  de 
relations  locales  originales »  et  qu'il  faut  donc 
reconnaître  la  forte présence et la prégnance des
« dépendances parentale et économique au sein des
hiérarchies sociales » qui expliquent « les
transformations survenant dans les relations politiques »
85. Revenant sur la place que peuvent occuper le jeu des logiques
sociales et surtout les liens de parenté, il part des «
institutions aux relations politiques ». Cette lecture du politique
à partir des relations n'est pas en soi nouvelle, mais elle conduit
à relativiser les objets et les domaines 84   Idem 85   DAHOU Tarik, Entre parenté et politique.
Développement et clientélisme dans le delta du
Sénégal, Editions Karthala et Enda Graf Sahel, Collection Hommes et
Sociétés, 2004, p.16 du politique. Une telle démarche est
particulièrement utile pour décrire, de manière
dynamique, les  logiques  du  politique,  mais  elle  dévoile  aussi 
les  effets  d'échelles  dans  les  stratégies  des acteurs. Dans cette perspective, les régulations politiques
résultent des rapports sociaux quotidiens dans de nombreuses sphères  sociales qui ne sont pas
forcément spécialisées dans l'organisation des rapports
politiques. Et dans ces rapports sociaux, la parenté ne pourrait
être occultée surtout dans   nos   sociétés  
africaines   (et   patriarcales   pour   la   plupart)   et   celle  
sénégalaise   plus particulièrement. Cette parenté, selon Tarik DAHOU, « repose sur
des différences statutaires qui s'articulent à d'autres  types 
de  rapports  hiérarchiques  pour  donner  le  jour  à  des 
relations  d'autorité publique »86. On comprend
dès lors que « les stratégies politiques peuvent
même s'appuyer sur la  parenté  dès  l'instant  où  il 
s'agit  de  stabiliser  les  coalitions  afin  de  perpétuer  leur
hégémonie »87  . Il apparaît donc que le politique est perçu comme
peu autonome de l'environnement social et économique. Les rapports
sociaux, de même que l'allocation de ressources, ont une influence
déterminante sur les dynamiques politiques. Bien même encore, sont
mises à nu, la complexité et l'indétermination des rapports entre univers politique
et univers social. Cet  espace  vital  propre  à  une  communauté 
d'individus,  la  famille,  le  lieu  de  la  domesticité sociale  et 
politique,   n'est  pas  à  négliger  pour   comprendre  le 
caractère  opportuniste  et dynamique des  allégeances 
partisanes.  La formation  des  allégeances  partisanes  n'estelle  pas
l'espace et le temps d'un certain "marchandage " politique suivant des
critères "économiques " (au  sens  étymologique),  de  la  compétition  des
 partis  politiques  sur  le  "marché  des  biens électifs " ? Il faut enraciner la
légitimité politique dans les préoccupations
quotidiennes. Des historiens ont bien montré que la
légitimité politique résulte bien souvent de la
valorisation de  qualités  "économiques "  bien 
spécifiques,  se  rapportant  à  des  formes  de 
clientélisme, relatives  à  la  gestion  de  problèmes 
domestiques  concernant  la  subsistance  matérielle,  la
sexualité, la santé, la maladie et générant des
gains économiques au profit de "clients ". 86    Ibid., p.105 87    Ibid., p.105 Nous  sommes  ici  au  coeur  de  l'espace  public  où 
s'exercent  des  dynamiques  de  pouvoir symboliques  et  matérielles. 
La  prééminence  de  la  communication  dans  le  champ 
politique s'explique en ce que la fonction de mobilisation prend le pas sur la
fonction d'expression des idées et des idéaux et sur la fonction
de représentation. Dans le champ politique s'établissent des
représentations sociales; cette façon de concevoir les
représentations   sociales   s'apparente   à   celle   de  
Murray   EDELMAN   qui   s'intéresse   aux constructions  symboliques 
par  le  biais  du  langage  en  politique,  dans  l'information,  dans  la
bureaucratie  et  les  professions  aidantes,  entre  autres,  constructions 
qui  tissent  les  croyances sociales : caractère rationnel du choix
électoral, importance des élections pour l'établissement
des  politiques  gouvernementales,  caractère  rationnel  et  même
 mécanique  de  l'application administratif et judiciaire des lois. Le choix dépend donc de l'enjeu des élections,
des différents programmes et, bien entendu, de leur
crédibilité. La volatilité électorale est alors
expliquée par l'existence de ce type d'électeurs qui ne se
constituent pas prisonniers d'un parti mais choisissent leur candidat en
fonction des avantages qu'il peut leur procurer. Il faut relever les
capacités de résistance des citoyens face aux influences des
médias qui servent  à véhiculer le message politique. Les études de l'Ecole de Columbia nous renseignent
beaucoup à cet effet, sous le regard de Tanguy WUILLEME 88 Les  études  relatives  aux  effets  des  médias
 ou  de la  communication  ont  aussi  été  d'un  grand apport.  
Les   études   que   l'on   peut   appeler   inaugurales,   sont  
menées   en   1940   par   Paul LAZARSFELD et soulignent le fait que,
malgré une forte exposition aux messages politiques, les  électeurs  continuent  d'activer  leurs  croyances 
et  appartenances  antérieures  notamment envers les partis politiques
89. Ils révèlent aussi l'absence d'effets massifs de
la propagande sur les  électeurs  et  introduisent  la  thématique 
de  la  fin  de  l'électeur  rationnel,  informé  et
compétent. 88    Tanguy WUILLEME , L'étude des partis sous
l'angle de la communication politique : une mise en perspective. in 
Les partis politiques, quelles perspectives ? ( sous la direction de
Dominique andolfatto, Fabienne greffet, Laurent olivier) , Paris, L'Harmattan,
2001, collection logiques politiques. 89    Lazarsfeld P., Berelson B., Gaudet H., 1944, The people
Choice : how the voter makes up his mind in a presidential campaign, New
York, Columbia university press En  premier  lieu,  force  est  de  reconnaître  que  la
 thématique  de  l'électeur  rationnel  conduit  à
concentrer les études sur la réception, ou sur les leaders
d'opinion et non pas sur le « qui ? », c'estàdire sur
l'émetteur, notamment les partis politiques. En  second  lieu,  l'importance  de  la  notion  de  groupe 
d'appartenance  dans  l'analyse  des déterminations du comportement de
vote maximise le rôle des variables à long terme et tend à
occulter l'analyse des facteurs à court terme. Troisième méditation,  celle  des 
réseaux.  Et  Frédéric SAWICKI  de  remarquer  à
cet  effet  « le rôle  des  trajectoires  sociales  et 
politiques  qui  déterminent  l'acquisition  de  ressources  et  de
savoirfaire spécifiques à laquelle est liée la
constitution de réseaux d'interconnaissances, dont l'existence
même est susceptible de générer des formes
d'intérêt et d'affinités non évidemment
réductibles à l a position sociale des individus » 
90 Les   réseaux   sociaux   sont   crées   autour 
 d'objets   multiples   (clubs   de   pensée,   groupes confessionnels,
spirituels, professionnels, etc.). La communication y occupe des espaces et des
temporalités invisibles à ceux qui n'y participent point. Il apparaît donc que l'électeur ou le
récepteur développe certaines capacités de
résistances. Il prête une attention sélective aux messages
émis ou diffusés en fonction de ses contraintes, ses centres
d'intérêt ; de sorte que les messages sont
réévalués en fonction des différents paysages
mentaux   et   paradigmes.   Et   surtout,   l'impact   dépend   des  
relations   interpersonnelles : LAZARSFELD souligne le rôle des groupes
de références et des leaders d'opinion proches du
récepteur. L'on peut bien être amené à croire que ce
dernier s'emploie souvent à réinterpréter les contenus du message et du discours en fonction de ses
ressources culturelles. Ainsi   à la   problématique des effets des
médias sur le public, s'est substituée la question de savoir ce
que les individus faisaient des médias. Elle a permis de mieux mesurer
l'impact de ces prétendus facteurs à court terme que sont
l'information et la communication. La  thématique  de  la  réception  a  permis  de
 prendre  en  compte  toutes  sortes  de  publics  en reconnaissant la
validité d'une approche vers les publics dits populaires comme vers les
plus instruits. Cet aspect permet de traiter toutes sortes de dispositifs de
communication politique s'adressant  à  des  publics 
différenciés  (d'autant  plus  qu'au  Sénégal  il 
existe  un  très  fort  taux 90   SAWICKI F., 1988, Questions de recherche : pour une
analyse locale des partis politiques, in Revue Politix, n°2,
pp.1327 d'analphabétisme).  Il  faut  donc  dépasser 
« la  démocratie  des  lettrés »91   
car  « le  discours politique pour être opérant,
doit absolument épouser l'idiome local pour permettre à tous les
citoyens  du  haut  et  du  bas  ,  de  comprendre  et  de  s'approprier  le 
discours  des  hommes politiques » 92 Par ailleurs, si l'étude s'est portée sur le
récepteur dans son individualité, des ouvertures à un
aspect collectif se sont fait jour. La question s'est posée de
connaître l'impact du contexte et des appartenances de tous ordres sur la
réception d'un individu. Des tensions existent effectivement entre les
parcours, les inscriptions et les appartenances sociales des  individus et la
réception qu'ils  font  d'objets  médiatiques.  Tensions  qui 
existent  également  entre  les  identités,  les
expériences,  les  représentations  des  individus  et  ces 
mêmes  produits  médiatiques.  Toutes empêchent une
compréhension unilatérale de la réception et des effets
des médias. Il convient ainsi de déplacer la question de
l'influence sur les comportements politiques vers la question de l'influence de
la communication sur les cognitions et les représentations que les
individus se font des situations politiques. Les  recherches  en  communication  politique 
révèlent  alors  la  sensibilité  des  électeurs 
à  la conjoncture, à des facteurs de court comme l'information
médiatique. La  sensibilité  à  la  conjoncture  n'implique 
pas,  pour  autant,  que  l'on  dénie  le  poids  des variables 
à  long  terme93    mais  si  les  préférences 
stables  existent,  elles  sont  éclairées  par l'information
à court terme sur la campagne et la situation de l'environnement. Les
électeurs développent   des   processus   cognitifs   de  
recherche   et   de   traitement   de   l'information   en correspondance avec
les mécanismes persuasifs de l'information. Il demeure aussi que la thèse de Tarik DAHOU sur le
rôle qui peut être valablement prêté à la
parenté  est  à  relativiser  dans  une  certaine  mesure.  En 
effet,  les  relations  hiérarchiques  de  la famille ne sont peut
être pas plus stables que les relations politiques. Les liens qui
unissent les membres  de  la  famille  évoluent  et  pas  seulement  en 
fonction  de  cycles  réguliers,  mais également   au  
gré   d'   'accidents   de   parcours'   liés   aux  
transformations   économiques   ou politiques. Ces impacts de
l'environnement produisent des effets différents selon les
réactions 91    Pour reprendre les mots  de Aminata DIAW in
Sénégal, Trajectoires d'un Etat (dir.), Dakar, CODESRIA,
Paris, Karthala, 1992 92   cf. cours de Sociologie électorale 93    GELMAN A., KING G., 1993, Why are American Presidential
election Campaign Polls so variable when votes are so predictable ?,
British Journal of Political Science, n°23 du  groupe,  car  celuici  répond  à  ces 
variations  par  des  stratégies  nouvelles  qui  doivent  être
accordées   avec   les   stratégies   individuelles;   ce   qui  
ne   va   pas   de   soi.   Les   normes   de comportement au sein de la
sphère parentale sont également l'objet de négociation en
fonction des rapports de force politique et ne se caractérisent pas
nécessairement par la stabilité. C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en place une
étude plus globale sur la communication politique en prenant en compte
l'ensemble des ces données mais aussi en travaillant avec les
producteurs des messages comme avec les récepteurs et les
médiateurs. |