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La communication politique dans les élections au Sénégal: l'exemple du PS(Parti Socialiste) et de l'AFP(Alliance des Forces de Progrès) en l'an 2000

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par Hamad Jean Stanislas Ndiaye
Université Gaston Berger de Saint-Louis (Senegal) - Maitrise de Sciences Politiques 2004
  

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B « Les conquêtes de la citoyenneté »112.

En l'an 2000, la société sénégalaise offre un visage très particulier : elle est une société de

privilèges pour les uns et de privations et d'injustices pour les autres et se caractérise de plus en plus par les grandes inégalités qui se sont creusées au fil du temps, au sein des populations entre des catégories sociales. Ainsi se côtoient d'une part, et de manière très ostentatoire, le luxe et l'opulence les plus tapageurs d'une minorité et, de l'autre, la pauvreté, le dénuement, la misère et les privations de couches de plus en plus importantes de la société.

111 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et mutations: citoyennetés en construction, in Le Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002, p.594

112 Nous empruntons l'expression à NDIAYE A. M., et SY A. A., Les conquêtes de la citoyenneté Essai politique sur l'alternance, Harmattan, Paris 2001

Devant l'absence ou l'insuffisance des solutions proposées par les pouvoirs politico administratifs à la forte demande sociale, et face à l'interventionnisme et les abus des chefferies religieuses dont les intérêts avaient beaucoup d'interférences et d'imbrications avec le politique, l'électorat sénégalais, par un long processus de mûrissement dont l'an 2000 ne semble être que l'aboutissement, va finir par se décider à prendre en main son destin, tout en s'octroyant un droit de regard, d'appréciation et de sanction sur ceux qui sollicitent son adhésion et son suffrage.

Ainsi à l'opposé de la thèse d'un certain fatalisme quasi structurel, les sénégalais présentent une auto prise en charge de leur destin et ce, dans les franges sociales les plus significativement déterminées parce qu'étant les plus touchées par les effets de la crise. L'engagement de ces catégories sociales, leurs implications, rôles et actions et leur vision affichée de ce que devrait être la société, auront constitué de sérieux indicateurs à prendre en compte.

Face à cette prolifération des facteurs de stress et à la massification des mécontentements sociaux, les populations éprouvent de plus en plus des difficultés d'utilisation judicieuse des systèmes de représentations, de défenses et de régulation des tensions sociales et des conflits individuels ; ce qui est déjà en soi un facteur de fragilité et de vulnérabilité. Et les réactions de survie apparaissent très vite.

Ce scrutin de l'an 2000 aura été l'aboutissement d'un processus long de maturation individuelle et collective qui a permis aux sénégalais d'aller vers l'alternance.

De nos jours, la mobilité sociale fait que chacun est condamné à se forger son propre destin, souvent en dépit et en dehors de sa famille, de son groupe de naissance et est tenu de se donner une place et un statut, de par sa compétence et ses mérites personnels. « Et si une telle évolution confère à l'individu une certaine solitude, elle n'en constitue pas moins un facteur d'émancipation de celuici du carcan social et culturel, voire de la tutelle familiale »113. Tout part de la rupture du contrat social: les difficultés de la vie quotidienne vont induire des stratégies de survie dont la saturation, articulée aux multiples dysfonctionnements, aura largement contribué à la maturation de certains segments de populations qui vont prendre conscience de limites objectives des institutions sociales, des pouvoirs politiques, à prendre

113 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et mutations: citoyennetés en construction, in Le Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002 p.577

convenablement en charge leurs aspirations et préoccupations. C'est ainsi qu` « au sein des classes moyennes, la sphère familiale est progressivement désertée au bénéfice de la rue et de l'informel, qui sont devenus des espaces d'expérience de recréation d'une identité, tandis que

la précarité de la vie sociale et l'improvisation, après avoir été génératrices de solitude, de

désarroi et d'insécurité, sont devenues des facteurs de maturation » 114

Le désengagement de l'Etat, la libéralisation économique, et la nécessité, pour la population, d'assurer sa survie dans un environnement économique de plus en plus hostile, ont suscité le développement d'associations populaires autonomes et dynamiques, construites autour des modes d'organisation traditionnels et ont favorisé, surtout en milieu urbain, l'expansion rapide

su secteur dit 'informel'.

Le recul de l'Etat, l'ouverture du champ politique depuis 1981, l'autonomisation de plus en plus affirmée de la société se sont traduites, d'une part, par l'émergence de nouveaux acteurs, de nouvelles figures comme celle du moodu moodu ou du rappeur à côté de celle de plus en plus évanescente du penseur et d'autre part, par la constitution de nouveaux répertoires et champs symboliques.

Ce qui a eu pour conséquence de cabrer davantage un électorat qui a mûri et est largement conscientisé sur l'importance de la carte d'électeur. Et l'abaissement de l'âge du vote à 18 ans

a par ailleurs, permis à la jeunesse de s'inscrire en masse sur les listes électorales, pour sanctionner un régime qui tardait à trouver des solutions à ses problèmes. Et persiste cette tradition qui veut que « vox populi, vox dei » (parole du peuple, parole des dieux); comme pour dire avec la carte d'électeur, que certes c'est Dieu qui choisit, mais qu'Il passe par le peuple qui élit. Ce qui sans doute est compris au regard du fort taux de participation électorale car un grand nombre de citoyens qui n'avaient jamais voté ou qui avaient renoncé à accomplir ce droit devoir civique pour causes de fraudes, ont procédé à leur (ré) inscription sur les listes électorales : puisque « Ma carte d'électeur, ma force ! » (Slogan diffusé à travers les médias et incitant à l'inscription sur les listes électorales et au retrait des cartes), force devait lui rester. Aujourd'hui, le pouvoir que la carte d'électeur confère au citoyen fait de lui le véritable acteur mais aussi arbitre du jeu politique et démocratique.

114 Ibid., p.580.

En l'an 2000, les jeunes et les femmes vont se redéfinir par rapport à un ordre symbolique en déconstruisant le consensus sur lequel étaient érigés sa légitimité et son régime de validation.

Les formes d'intervention de la jeunesse dans l'espace public et politique ont été plurielles mais elles marquent surtout l'échec des politiques d'institutionnalisation des modes d'actions politiques. Cette frange juvénile va s'inscrire dans une logique de rude confrontation avec le système.

Le mouvement élève et étudiant a été le fer de lance de cette confrontation du fait de sa capacité à formuler sa propre demande par rapport au reste de la société mais aussi à cause du lieu particulier et avec ses réalités propres ou cette formulation se fait. Cette implication dans

le champ politique traduit une appréhension face au destin avec le chômage des diplômés,

l'insuffisance des bourses, la surpopulation du campus surtout de Dakar...ce qui va contribuer

à nourrir et à mûrir un sentiment de défiance à l'endroit du pouvoir. L'école a beaucoup suscité

de débats et de passions, de révoltes aussi et nombre de revendications. La réforme universitaire

a en effet, dépossédé le diplôme du baccalauréat de son aura magique, celle, pour des nombreux jeunes, d'une possible ascension sociale avec l'entrée automatique à l'université. A celleci est venue se substituer une admission à l'université ; ce qui est ressenti comme une profonde injustice et parachève de désorienter une jeunesse dont les espoirs et illusions se brisent devant les murs de ce qu'ils considèrent comme de l'exclusion.

Deux nouveaux modes d'action populaires mais aussi de déconstruction vont ainsi apparaître, à

travers le set setal et le rap, et donner corps à cette « politique par le bas ». Cette jeunesse, avec

le set setal et le rap a voulu rapporter la norme politique à une norme éthique et esthétique. Ainsi se forme ce que Achille MBEMBE appelle « un acte d'accusation de la logique des anciens »115 . Par delà ces phénomènes, les jeunes somment le reste de la société de repenser la politique et la modernité. Cette 'politique par le bas' va peu à peu s'ériger en concurrent de 'la démocratie des lettrés'.

Le discours se construit positivement autour du pôle de l'équité qui intègre toute la société dans

le mythe du développement, qui ne peut plus être opératoire à partir du paradigme de

115 MBEMBE A., Les jeunes et l'ordre politique en Afrique noire, Paris, L'Harmattan, 1985

l'exclusion. « Le sopi que s'est approprié la jeunesse est moins une contestation interne au champ politique qu'une irruption ou éruption du social dans le politique »116.

Le discours des rappeurs s'insurge contre ce que Souleymane Bachir DIOP appelle la perte de sens due à la force corrosive de la pauvreté. Plus qu'une crise des valeurs, c'est une crise des modèles qui est indexée à travers les pratiques autour d'institutions sociales telles que le baptême, le mariage et les funérailles (Bill Diakhou), les transactions sociales et financières révélatrices de moeurs délétères d'une classe sociale embourbée dans la luxure alors que l'écrasante majorité de la population se débat dans les affres de la pauvreté. « Ce sont ces modèles en crise, fruits naturels de la modernisation, qui ont hypothéqué le Développement et

les conditions de possibilité de tout futur pour les jeunes » 117

Mais ce qui reste marquant dans ce réveil du 'Sénégal d'en bas' c'est que la jeunesse a « pour une fois, transformé ses frustrations, sa hargne, ses revendications, son agressivité et sa violence habituellement exprimées dans des conduites de révolte et de casses, saccages et bagarres de rue, en détermination citoyenne. En effet, par son vote et par sa vigilance, cette jeunesse gardienne du scrutin et du respect des suffrages en février mars 2000, s'est imposée comme une entité sociale avec laquelle il faudra désormais compter » 118Ainsi, le bul faale

(T'occupes pas! Laisse passer!) a été un vaste mouvement de refus et il sera dans le hiphop sénégalais, symbole de ce refus des jeunes, un fédérateur de toute une génération de rupture, en défiance à l'endroit des politiques. Il traduit la vision de cette jeunesse, sa révolte par la banalisation, sur désir d'émancipation et d'affirmation d'une identité sociale. Ce front est à situer dans la logique des ruptures plurielles qui caractérisent nos sociétés, malgré bien des conservatismes irréductibles et des conflits de générations.

Cette musique va donc émerger et s'imposer comme une communication qui s'émancipe des modèles conventionnels et qui s'adresse à la fois aux jeunes, aux pouvoirs publics, à la société des adultes et aux parents.

116 DIAW A., Les intellectuels entre mémoire nationaliste et représentations de la modernité in Le Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002, p.569

117 Ibid., p.570

118 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et mutations: citoyennetés en construction, in Le Sénégal contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et Sociétés, Paris, 2002 p.587

Le flagrant nonrespect, par les jeunes notamment, des consignes de vote de bien de chefs religieux, traduit une certaine forme de désaveu et surtout une maturité et une responsabilité civiques de cette frange de la population électorale.

Le mbalax aura aussi aidé à apaiser les tensions et le conflit inhérents au jeu politique à travers notamment l'icône que vont constituer deux jeunes artistes, Pape et Cheikh, qui avec leur mythique « nuni nena » (c'est nous dans nous) vont s'imposer comme des régulateurs, dans un scrutin gros de tension et lourd d'incertitudes.

Les chemins de la dignité étant désormais balisés, les conquêtes de la citoyenneté sont réaffirmées. Mais, « ce n'est pas le poids électoral de la jeunesse qui a été déterminant dans l'avènement de l'alternance politique au Sénégal (en février mars 2000), mais la surveillance

du scrutin, dès avant le premier tour. Toutefois, par ses initiatives autonomes hardies lors des

scrutins, cette jeunesse, même dans sa composante partisane, s'est émancipée des cadres de contrôle des partis traditionnels et a posé le principe de son existence en tant que force en soi

et pour soi » 119

L'on aura aussi noté l'envahissement du champ politique par cette jeunesse. L'irruption dans le champ politique, selon des modalités parfois violentes, consacre l'investissement dans le présent et le refus de la vie à vivre dans le futur, selon le schéma de la classe dirigeante. Elle atteste du rejet par les jeunes des places qui leur sont assignées par le pouvoir politique jeunesse espoir de demain et par la tradition dont les perspectives de soumission des cadets aux aînés, des femmes aux hommes, sont répétées à longueur d'émissions radiotélevisées sous

le vocable de « crise des valeurs » ou de « démission des parents en matière d'éducation des enfants ».

Les femmes ne vont pas être en reste dans ce vaste mouvement de conquêtes citoyennes ; Parce que constituant plus de la moitié de la population, elles exigent maintenant que la société les reconnaisse comme des citoyennes majeures, elles qui, en tant que mères, « enseignant les règles élémentaires de la vie, le langage et l'amour et prodiguent les soins maternels prolongés qui sont la source première de la sociabilité humaine »120. Désormais, plus que des sentinelles

du passé, elles sont des agents de développement ; leviers du tissu socio économique mais

119 cf. article de PAYE M., En genre et en nombre, Sud Quotidien du 28 février 2001, p.2

120 BADINTER E., L'Un est l'Autre, Paris, Editions Odile Jacob, 1986, p.40

aussi femmes et maris à la fois puisque dans leur quête d'émancipation, « goorgorlu war na goor te war na jiguen ! aye leen ! » (La débrouillardise incombe tant à l'homme qu'à la femme ! Alors en avant !) 121

Les femmes revendiquent donc une participation significative à la vie politique nationale, puisqu'elles constituent la majorité de l'électorat avec les jeunes et avec un slogan tel que « démocratie, ou estu ? », elle l'ont réclamé fortement, en actes et plus dans les discours.

Se lit à travers ces changements, la reconnaissance de l'importance du suffrage et la force qui s'attache à la carte d'électeur, indice de participation politique ; c'est aussi la croissance de l'individualisme et du sens de l'Etat. L'idée d'un Etat démocratique au Sénégal ne peut plus être présentée comme une mauvaise plaisanterie ou une coquetterie, l'électorat ayant désormais

la preuve du pouvoir de la carte électorale. Le lien entre l'individu et l'Etat se voit ainsi

renforcé de même que sa liberté. L'objectif est donc de faire partie non pas des citoyens que l'on compte, mais de ceux qui comptent. On en revient à la sempiternelle question shakespearienne d' « être ou ne pas être ».

Comment apprécier cette citoyenneté reconquise ?

La société sénégalaise a entamé une expérience sociopolitique nouvelle à situer dans les profonds changements dont les contours restent encore difficiles à cerner mais dont les enjeux sont importants. On y lit une forme certaine d'émancipation des individus visàvis des familles

et des groupes.

Mais face aux conquêtes de la citoyenneté, une interrogation subsiste : « S'agitil là de nouveaux types de mécanismes collectifs de défense ou de simples réflexes éphémères de survie

ou bien alors ces facteurs relèveraientils et participeraientils en même temps, de mentalités et

de conduites de rupture véritable et de patriotisme, gages de maturité et prémices d'une conscience citoyenne et d'une société civile émergente ? » 122

121 générique du célèbre sketch inspiré de la BD de Alphonse MENDY alias `TT Fons', journaliste satirique et adapté au petit écran; dans « Les aventures de goorgorlu » , goor, le héros se démène pour assurer la dépense quotidienne DQ

122 MBODJI M., Le Sénégal entre ruptures et mutations: citoyennetés en construction, in Le Sénégal

contemporain, (sous la direction de) Momar Coumba DIOP, Editions Karthala, Collection Hommes et

Sociétés, Paris, 2002 p.595

Il y'a d'abord le changement profond du rapport entre le citoyen et le pouvoir politique d'une

part, et entre ce même citoyen et certains cercles religieux, d'autre part ; cercles auxquels il est demandé de façon on ne peut plus explicite, de ne plus s'immiscer dans l'exercice du libre arbitre du citoyen notamment dans celui de ses droits civiques et dans l'expression de ses revendications en tant que citoyen qui tient désormais à demander des comptes à ceux qui le gouvernent.

A travers cette mentalité d'autodétermination, les velléités de plus en plus manifestes de l'implication citoyennes des sénégalais, se dessinent, en pointillé, les contours d'un nouveau type de sénégalais en gestation et qui, à terme, ne peut que produire un homme libre, responsable et affranchi de bien des pesanteurs des tutelles familiale et 'grégaire' . Ce qui, selon Mamadou MBODJI « ne devrait pas être une finalité en soi mais une étape qui requerra l'instauration d'un nouveau ciment de cohésion, d'appartenance, de concordance et de solidarité »123. A charge, pour cela, à l'Etat d'oeuvrer à « l'ancrage de toutes ces mutations dans une optique citoyenne, dans un esprit républicain » 124

Tirant la conclusion des résultats au lendemain du second tour du scrutin du 19 mars 2000, l'ancien Ministre socialiste chargé des relations avec les Assemblées, Papa Babacar MBAYE dira que l' « une des principales leçons qu'il faut tirer de cette situation, c'est que les citoyens

ont recouvré leur plénitude, leur liberté de choix et c'est un acquis qu'il faut saluer ».

123 Ibid., p.598

124 Ibid., p.598

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld