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Le concept d'Ontologie Sociale

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par Jules Donzelot
Université de Provence - Master 1 - Maà®trise de philosophie 2004
  

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IV / Engagement conjoint & Obligations

La condition de savoir commun mise à part, reste que pour former un sujet pluriel, les individus concernés doivent manifester directement auprès des autres leur volonté d'agir avec eux. Or, en exprimant leur volonté d'agir ensemble, les individus expriment en fait un engagement conditionnel [conditional commitment]. C'est à dire qu'ils manifestent leur accord de faire ce qu'il faudra le moment venu pour atteindre l'objectif en vue duquel ils s'unissent. La première étape de la formation des sujets pluriels est ainsi celle de l'expression de l'engagement conditionnel. Vient ensuite s'ajouter la condition de savoir commun. Comme nous l'avons vu, la notion de savoir commun dénote les situations où différents individus savent que les autres savent. En l'occurrence, la condition de savoir commun signifie que pour qu'un sujet pluriel soit effectivement constitué, il est nécessaire que l'expression par chacun de sa volonté de former un groupe avec les autres 1) soit connue de ceux auxquels il s'adressent (qu'ils soient présents et perçoivent directement les mots ou les gestes en question) et 2) que celui qui exprime sa volonté de s'engager avec les autres sache qu'ils ont bel et bien perçus son expression. Une fois cette condition satisfaite, « les personnes concernées seront conjointement engagées à faire A ensemble lorsque le moment sera venu. »42(*) L'engagement conjoint caractérise par conséquent l'acte par lequel le sujet pluriel est créé. « Les individus constituent un sujet pluriel lorsqu'ils sont conjointement engagés à réaliser ensemble une action tel un seul corps. »43(*)

Gilbert définit aussi l'engagement conjoint comme l'acte de placer sa volonté dans un « groupement de volontés » (a pool of wills). Ce groupe de volontés, par la suite, se voit adjoindre un certain but à accomplir. Afin d'éclairer cette formulation, Gilbert la compare à l'idée de contrat social de Rousseau : « Cette formulation rappelle fortement le Contrat Social de Rousseau : «Or, comme l'homme ne peut pas engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent, il n'a plus d'autres moyens pour se conserver que de former par aggrégation une somme de forces qui puisse l'emporter sur la résistance, de les mettre en jeu par un seul mobile, de les faire agir conjointement et de les diriger sur un seul objet.» »44(*)

Doit-on comprendre que le sujet pluriel est mû par une « volonté générale » ? C'est-à-dire que de l'engagement des diverses volontés individuelles naîtrait sui generis une volonté nouvelle dont le caractère serait de poursuivre également le bien de tous et non de privilégier celui de certains ? Les sujets pluriels sont-ils animés d'une volonté de ce genre ? Gilbert répond par la négative : « A ma connaissance, je n'ai utilisé aucune notion qui soit proche du concept de Rousseau de volonté générale. »45(*) Mais alors, en quoi consiste l'existence d'un sujet pluriel ? Que vient-elle ajouter à la simple juxtaposition de diverses volontés individuelles ? Nous avons vu que les individus concernés engageaient leur volonté dans un groupement de volontés auquel était adjoint un but particulier. Autrement dit, les volontés s'unissent en vue de réaliser un objectif. Elles s'engagent à agir de manière à atteindre cet objectif. Une fois les volontés engagées, le groupe prend le relais des agents singuliers et les fait agir en tant qu'agents complémentaires. Voilà en quel sens le groupe possède sa propre volonté : une objectif propre au groupe réunit les membres de celui-ci comme agents complémentaires en vue d'atteindre l'objectif partagé. Les membres du groupe agissent alors en tant que parties du groupe et non en tant qu'individus singuliers. Les individus étaient auparavant des touts, ils deviennent des parties. Ils ne sont plus libres en tant qu'êtres humains indépendants des autres, mais en tant qu'agents dépendants des autres agents dans le cadre de la poursuite d'un objectif particulier. Et, en tant que membres complémentaires du groupe, ils reçoivent l'obligation de remplir leur part de travail. Si deux joueurs de tennis s'engagent à former une équipe et à essayer de remporter la victoire sur une autre équipe, ils devront faire de leur mieux pour y arriver. Et si l'un des deux renonce subitement à cet objectif, sort du terrain et regarde l'autre joueur se faire battre par l'équipe adverse, alors son coéquipier est en droit de lui reprocher son comportement : « nous nous étions engagés à essayer de gagner ensemble cette partie, pourrait-il alors lui dire, par conséquent tu n'avais pas le droit de me laisser seul sur le terrain. » Aux obligations de faire de son mieux pour atteindre l'objectif du groupe, sont associés des droits à la réprimande.

Nous cherchions la propriété des sujets pluriels qui les distingue des simples juxtapositions d'individus, il semble que nous l'ayons trouvée : il s'agit des droits et des obligations que reçoivent les individus qui s'engagent conjointement à atteindre un objectif. Il convient de qualifier de politiques les obligations de sujet pluriel. Elles ne sont pas à proprement parler morales, car elles n'ont rien à voir avec le bien et le mal. Elles ne sont pas non plus légales, car aucune loi ne les fait exister. Elles sont implicites, connues de ceux qu'elles concernent et efficaces. Elles sont politiques, car aucune association humaine ne peut avoir lieu qui ne les fasse exister.

* * *

DEUXIÈME PARTIE

* 42 On Social Facts, p. 198.

* 43 Sociality and Responsibility, Chap. I., p. 2.

* 44 Contract Social, Rousseau Jean-Jacques, Ière version, Notions du Corps Social, Ed. Gallimard, 1964, p. 111-112. Gilbert cite Rousseau dans une traduction anglaise : «Since men cannot engender new forces, but merely unite and direct existing ones, they... form bvy aggregation a sum of forces, so that their forces are directed by a single moving power and made to act concert.» - On Social Facts, p. 198.

* 45 On Social Facts, p. 438.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand