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Naturalisme et philosophie de l'esprit

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par Lucas GUILLEMOT
Université de Provence - Maitrise de philosophie 2002
  

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GUILLEMOT Lucas

NATURALISME ET PHILOSOPHIE

DE L'ESPRIT

Le problème de la « naturalisation » de l'intentionnalité

Mémoire de Maîtrise de Philosophie

Sous la Direction de Monsieur Pierre LIVET

Université de Provence, juin 2002.

TABLE DES MATIERES

RESUME

3

INTRODUCTION

4

1. LE NORMATIVISME : WITTGENSTEIN ET LES WITTGENSTEINIENS

15

2. LE MATERIALISME ELIMINATIF : P.S. CHURCHLAND

39

3. LE NATURALISME EVOLUTIONNISTE

59

CONCLUSION

83

BIBLIOGRAPHIE

87

INDEX DES NOTIONS

88

INDEX DES AUTEURS CITES

92

GLOSSAIRE

93

RESUME

Dans le prolongement de la conception religieuse qui perçoit l'esprit comme une entité continuant de subsister après la mort de l'individu, Descartes fait de l'âme une réalité indépendante de toute substance matérielle. Or, il est scientifiquement établi que l'altération de certaines parties du cerveau conduit à une altération des fonctions représentatives et cognitives. Les travaux de philosophie analytique prennent la mesure de ces découvertes et reformulent le problème de l'esprit en substituant au concept d'âme la notion de propriétés mentales d'une substance matérielle. Cette reformulation ne résout pourtant pas le problème de leur statut scientifique et ontologique. Plusieurs courants de pensée s'affrontent. Les partisans du normativisme font valoir que les énoncés du langage ordinaire ne peuvent sans perte de sens se réduire à des énoncés formulés au moyen du langage scientifique. Les tenants du matérialisme éliminatif souhaitent éliminer les propriétés mentales au profit de propriétés physico-chimiques, ainsi que les énoncés du langage ordinaire au profit d'énoncés du langage scientifique de la neurophysiologie. Entre ces deux positions, un naturalisme évolutionniste respectueux du sens des énoncés du langage ordinaire et sensible à une explication évolutionniste de l'intentionnalité des états mentaux semble la position intermédiaire la plus fondée.

INTRODUCTION 

a) La distinction de l'âme et de l'esprit

Avant d'entrer dans le détail de cette question complexe, tant par les nombreux débats qu'elle a suscités et continue de susciter, que par la terminologie qui est employée par ses détracteurs aussi bien que par ses défenseurs, nous allons procéder à quelques remarques d'ordre général qui auront pour effet, en tout cas nous l'espérons, de clarifier la façon dont nous comptons aborder le problème de la « naturalisation » de l'esprit.

Nous pouvons tout d'abord distinguer le concept d'esprit d'une certaine façon de concevoir l'âme, alors même que les deux notions ont souvent été employées l'une pour l'autre. Dans cette conception chrétienne notamment, l'âme a une sorte d'existence indépendante du corps et du cerveau, et continuerait de subsister après la mort de l'individu, en se réincarnant quelquefois même dans un autre corps selon certaines traditions, l'hindouisme par exemple. Mais il ne s'agit pas de cela ici ; tout au contraire, l'esprit tel que nous allons l'étudier, est dans une dépendance au corps et au cerveau, en tout cas à une substance physique, il ne subsiste pas et ne pourrait être sans elle. Si on admet son existence, ce qui est d'ailleurs problématique, comme nous le verrons, il sera simplement considéré comme une propriété de celle-ci. L'esprit ne serait donc pas une substance séparée de la substance matérielle, mais une propriété d'une substance matérielle particulière (la substance étant conçue comme le support des propriétés).

b) L'esprit est une propriété d'une substance

Le débat ne porte plus en effet sur la distinction entre une substance physique et une substance mentale, et sur leur mode de relation ; tout le monde ou presque semble s'accorder sur la thèse selon laquelle il n'y a qu'une sorte de substance, la substance physique. Si dualisme il y a, c'est un dualisme des propriétés. En bref, à la question « peut-on réduire la substance mentale à la substance physique ? », on vous répondra oui ; et aux questions « peut-on réduire les propriétés mentales à des propriétés cérébrales ? », et « peut-on réduire les propriétés mentales à des propriétés physiques ? », certains répondront oui et d'autres non.

Si l'on peut affirmer que la substance mentale n'est qu'une substance physique, il est moins évident que l'on puisse dire que toute la substance mentale n'est que la substance cérébrale, comme nous le verrons.

c) Propriétés mentales, propriétés sémantiques et substance

D'autres encore soutiennent que l'esprit et les propriétés sémantiques peuvent s'attribuer à des substances physiques autres que les cerveaux ou les personnes, à des livres ou à des textes par exemple. Montesquieu n'a-t-il pas parlé d'un « esprit des lois » ? On peut néanmoins contester que les propriétés que nous attribuons à ce type d'objets soient des propriétés mentales, bien qu'on puisse peut-être dire qu'elles appartiennent au domaine de l'esprit ; on parlera plutôt les concernant de propriétés sémantiques. Mais les propriétés sémantiques comme les propriétés mentales sont de toute manière des propriétés d'une substance physique ; et il s'agira de telles propriétés lorsque nous parlerons d' « états mentaux ».

Nous n'attribuons pas les propriétés mentales à des ordinateurs ou à des organismes dépourvus d'appareil cérébral. Si la substance à laquelle nous les attribuons n'est pas le cerveau, mais la personne, la présence d'un cerveau dans la substance considérée semble néanmoins être une condition nécessaire à l'attribution desdites propriétés. Il nous paraît difficile d'attribuer des propriétés mentales à une substance si elle n'est pas dotée d'un appareil cérébral. Il y a néanmoins des exceptions.

La première est l'animisme : il est courant dans certaines sociétés d'attribuer une âme à certains objets (à des arbres par exemple). La seconde est la stratégie qui consiste à attribuer des propriétés intentionnelles ou sémantiques à des objets, dans un premier temps et pour les besoins de l'explication, quitte à réviser cette attribution par la suite.

Il est en tout cas courant en philosophie de l'esprit de soutenir que le cerveau a des propriétés mentales ; nous verrons en quoi cette position est fondée, ainsi que les réserves que nous pourrions émettre à ce sujet.

d) Première définition de l'esprit

Adoptons néanmoins une première définition très sommaire de l'esprit : l'esprit désigne l'ensemble des propriétés mentales d'une substance physique, que l'on peut appeler la personne ou l'agent. Mis à part les difficultés déjà rencontrées, l'usage du terme de « propriétés » peut déjà être discuté car il présuppose que les états mentaux sont des états réels, et non de simples attributions d'un observateur / interprète. Nous conserverons néanmoins cette définition parce que leur réalité n'est pas mise en doute dans notre psychologie ordinaire et quotidienne.

Maintenant qu'il est sommairement défini, nous pouvons nous intéresser à la façon dont on a tenté d'expliquer ou de décrire ce phénomène.

e) Naturalisation de l'esprit et explication causale

On peut concevoir la naturalisation comme un certain type d'explication ou de tentative d'explication de l'esprit ou de la présence constatée de phénomènes mentaux, c'est-à-dire d'états ayant pour la plupart d'entre eux un certain contenu (« il va pleuvoir » étant le contenu de la proposition « il croit qu'il va pleuvoir »). Elle vise alors à expliquer les phénomènes mentaux ou propriétés mentales par leurs causes et par leurs effets, comme on le fait pour n'importe quel autre phénomène naturel, en intégrant les phénomènes mentaux comme un maillon nécessaire de la chaîne causale, sans lequel l'explication de nos comportements semble devoir être insuffisante ; c'est en tout cas de cette façon que Joëlle PROUST la définit : « ...il s'agit d'établir si une notion comme celle de représentation, ou de conscience, généralement considérées en philosophie comme des notions irréductibles, voire constitutives du domaine sémantique, peuvent en fait recevoir une explication de type ordinaire, c'est-à-dire être expliquées causalement comme n'importe quel phénomène naturel » 1(*). Dans cette optique, les représentations sont conçues à la fois comme des causes de nos comportements et/ou comme des effets/conséquences provenant de la sélection naturelle ou d'un apprentissage.

f) Naturalisation et réduction

Mais les tentatives de naturalisation sont confrontées à une double exigence : elles ont à la fois besoin des phénomènes mentaux pour expliquer nos comportements, mais il semble qu'elles doivent en même temps les réduire à des phénomènes physiques pour que la causalité entre les premiers phénomènes et les seconds soit possible. Une naturalisation de l'esprit ne pourra-t-elle être autre chose qu'une tentative de « réduire l'intentionnel à du physique », comme semble le penser Joëlle PROUST ? 2(*)

Comme l'expose très clairement Pierre JACOB dans l'Introduction aux sciences cognitives3(*) : « Traditionnellement - depuis Descartes -, le problème de l'influence causale des états mentaux a revêtu la forme d'un «  trilemme » qu'on peut aujourd'hui formuler de la manière suivante :

(A) (a) Il existe des entités (processus, phénomènes, états, etc.) matérielles ou physiques révélées tant par le sens commun que par les sciences   « physiques » (ou sciences de la nature)

(b) Il existe des entités (processus, phénomènes, états, etc.) mentales révélées tant par l'introspection ordinaire que par les sciences cognitives.

(B) Principe d'interaction causale : seules les entités qui obéissent à des principes tels que la conservation de l'énergie - donc les entités physiques - peuvent exercer une action causale.

(C) Les entités mentales interagissent causalement tant entre elles qu'avec les entités physiques. »

Il s'agit d'un « trilemme » car nous ne pouvons pas soutenir les principes (A), (B) et (C) en même temps, à moins de faire des états mentaux des entités inefficaces causalement, ou efficaces seulement en tant qu'ils sont physiques.

On peut se demander quelles conséquences nous devons tirer de cette formulation du problème. Ne pouvons-nous faire autre chose que réduire les entités mentales à des entités physiques pour expliquer la causalité qu'il semble y avoir entre les premières et les secondes ? Nous verrons que cette réduction n'est pas suffisante car elle ne rend pas compte de certains faits.

Même si l'on acceptait ce point de vue, devrons-nous privilégier un réductionnisme fort ou un réductionnisme faible ? Il faudrait encore préciser ce que nous entendons par réductionnisme. Jusqu'ici, il s'agissait d'ontologie, mais c'est une des ambiguïtés de ce qu'on appelle la naturalisation de l'esprit, qu'elle puisse être comprise à la fois comme un réductionnisme ontologique (il s'agit de réduire des entités mentales à des entités physiques) et/ou comme un réductionnisme conceptuel (il d'agit de réduire principalement nos explications en termes mentaux à des explications en termes physiques) ; Pascal ENGEL définit d'ailleurs les deux thèses du naturalisme de la manière suivante : « l'une est ontologique et dit qu'il n'y a pas d'états, de propriétés, d'évènements, ou de processus mentaux au-delà des entités physiques identifiées par les sciences physiques... ou, tout au moins par des sciences naturelles comme la biologie. » ; « la seconde thèse est méthodologique. Elle requiert que le langage et les concepts mentaux usuels soient expliqués ou réduits en termes de concepts considérés comme valides dans les sciences physiques ou naturelles. »1(*). Nous nous intéresserons plus particulièrement au naturalisme méthodologique, la naturalisation de l'esprit devant être ici comprise comme la mise en pratique de cette méthodologie vis-à-vis des propriétés mentales plutôt que sémantiques1(*).

h) Aspects épistémologiques, ontologiques et conceptuels du problème

Nous paraissons avoir affaire à trois types de problèmes, le premier est un problème épistémologique : décrire ou expliquer les états mentaux par leur causes et par leurs effets est-il pertinent ? Cela rend-il compte de ce qu'ils sont ?

Ces questions dépendent en fait du second problème qui est d'ordre ontologique : y a-t-il des états mentaux réels (des croyances et des désirs par exemple) ? Ces états mentaux sont-ils causalement responsables de nos comportements, voire d'autres états mentaux ?

Le troisième problème est un problème d'ordre conceptuel, mais néanmoins fondé sur une prise de position métaphysique (à savoir qu'il y a des états mentaux ou qu'il n'y en a pas) : s'il n'y a pas réellement des états mentaux tels que les croyances responsables de nos comportements, a/ nos explications usuelles perdent-elles tout intérêt, toute pertinence, toute valeur informative ? b/ nos explications usuelles doivent-elles être remplacées par d'autres explications causales, comme semble le présupposer le matérialisme éliminatif ?

i) Les sciences de référence : sciences naturelles ou psychologie ?

Si la réduction est ontologique, on peut se demander dans quelle science devront être choisies les entités destinées à remplacer les entités mentales ; et si la réduction est simplement conceptuelle, dans quelles sciences devront être choisis les termes non intentionnels qui remplaceront ou en tout cas définiront les termes intentionnels. Ces dernières questions peuvent paraître absurdes étant donné que la réponse que nous pouvons y apporter semble contenue dans la notion même de naturalisation : ce ne peut être que dans les sciences de la nature ; il s'agirait alors d'une naturalisation stricto sensu. En admettant cette réponse déjà problématique, nous voyons qu'elle n'est pas satisfaisante étant donné son degré d'imprécision. Ce qu'on appelle les « sciences de la nature » est un vaste ensemble regroupant trois sciences fondamentales : la physique, la chimie et la biologie ; et nous pouvons déjà remarquer que le vocabulaire de la biologie (« fonction », « adaptation »...) ne paraît pas réductible à celui de la physique. La réduction ontologique des entités mentales à des entités physiques paraît au premier abord nécessaire à l'explication causale, ainsi que la définition des concepts intentionnels par des concepts non-intentionnels, au risque de circularité.

Quoiqu'il en soit, il ne semble pas que cette acception soit la seule en usage, et on peut parler de « naturalisation de l'esprit » concernant toute tentative d'explication causale de celui-ci : la psychologie cognitive prétend aussi donner une explication de ce type en postulant de états intermédiaires ou subdoxastiques entre les états cérébraux proprement dits et les représentations.

La question de savoir à quelle science nous devons emprunter ses entités ou ses termes non intentionnels pour expliquer la capacité représentationnelle se pose donc bel et bien, comme nous l'indique aussi la définition de Pascal ENGEL, lorsqu'il évoque l'expression « naturaliser l'intentionnalité » qui peut selon lui signifier soit que « ...la philosophie de l'esprit et de la connaissance doit cesser d'être purement a priori ou « conceptuelle », soit ...qu'elle doit laisser la place à ce que l'on concevra, selon les cas, comme une « psychophilosophie », une « biophilosophie », ou une « neurophilosophie ». » 1(*)

Le problème de la naturalisation de l'esprit n'est donc pas simplement une interrogation sur la matérialité des états mentaux ou sur la réduction des états mentaux à des états cérébraux, bien que ces questions ne puissent être évitées ; il est avant tout celui de l'explication ou de la définition/description des concepts mentaux par des concepts scientifiques.

Une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés est la prétention hégémonique d'une science particulière ou d'une autre qui pense avoir seule compétence pour expliquer ce type de phénomène, et pense aussi pouvoir accaparer ce champ de recherche. On peut regretter que Pascal ENGEL, qui souligne ce problème dans sa définition, ne juge pas nécessaire de le traiter plus avant dans son livre.

Le fait de tenter de naturaliser l'esprit en se servant des entités ou du vocabulaire et des concepts de telle ou telle science dépend donc en partie d'une décision du philosophe naturaliste, qui adopte le point de vue selon lequel les concepts et les entités de l'une seront plus pertinents ou plus explicatifs que les concepts ou les entités de l'autre. Cette décision devra en tous les cas être justifiée.

j) L'articulation des niveaux d'explication scientifique

Certains auteurs, dont Henri ATLAN dans A tort et à raison1(*) ont aussi tenté de concilier, ou tout du moins d'articuler des explications se situant à différents niveaux, en reconnaissant la pertinence explicative de chacun de ces niveaux ; mais nous verrons que sa façon de concevoir l'explication est problématique.

Ces querelles et ces tentatives d'articulation qui ne sont pas sans importance, partagent néanmoins le postulat commun que nous saisirions la réalité de la capacité représentationnelle ou de l'esprit en en fournissant une explication causale. En plus de savoir si cette démarche rend compte de ce que sont les états mentaux, on peut se demander s'il appartient au philosophe de les expliquer.

k) Le normativisme

Une autre conception, dite normativiste, prétend expliquer ou plus exactement interpréter - et nous verrons que ce sont deux choses bien différentes - nos comportements tout autrement : les notions intentionnelles comme celles de croyances ou de représentations seraient essentiellement caractérisées par le fait qu'elles puissent être vraies ou fausses, correctes ou incorrectes ; il ne serait pas pertinent de les expliquer causalement. Cette conception dite normativiste privilégie une interprétation de nos comportements par les raisons plutôt qu'une explication par les causes.

Etant donné qu'il s'agit de philosophie analytique, ce sont principalement des énoncés censés expliquer nos comportements qui sont analysés par les partisans comme par les détracteurs de la naturalisation de l'esprit ; ces énoncés étant d'ailleurs souvent extraits des explications ou interprétations communes ou usuelles par lesquelles nous commentons les comportements de nos semblables.

l) Obstacles internes et interprétations concurrentes

Nous voyons donc qu'il y a au moins deux obstacles à toute tentative de naturalisation de l'esprit : des obstacles internes quant à la question de savoir quelle science de référence choisir pour le naturaliser, et des obstacles provenant d'une interprétation concurrente de nos états mentaux et comportements. Nous devrons observer comment les différentes tentatives de naturalisation de la capacité à former des représentations surmontent ces difficultés. Mais il y en a d'autres au moins aussi importantes.

m) Esprit et intentionnalité

Jusqu'à présent, nous avons assimilé les états mentaux à l'intentionnalité ; selon Joëlle PROUST, l'intentionnalité est un terme qui a été repris à Brentano « pour désigner la propriété distinctive des états mentaux de porter sur des états de chose, de les représenter. »1(*). Mais comme nous le montre SEARLE,2(*) il semble que l'on puisse soutenir que l'intentionnalité n'appartient pas à tous les états mentaux; si nos croyances et nos désirs renvoient toujours à quelque chose (c'est-à-dire ont un certain contenu), ce qui est le propre de l'intentionnalité, l'état de trouble ou d'inquiétude ne renverraient pas pareillement à quelque chose. Tous les états mentaux ne seraient donc pas intentionnels.

n) Esprit-conscience ou esprit-représentation ?

D'autre part, l'esprit a été conçu tantôt comme conscience tantôt comme capacité représentationnelle, la conception choisie par Joëlle PROUST étant l'esprit - représentation. Il nous semble aussi que cette piste est plus intéressante que celle de l'esprit - conscience, et cela est justifié par la réflexion suivante : « On peut considérer que les états conscients, pour autant qu'ils jouent un rôle dans la vie mentale, constituent une variété d'états représentationnels. »3(*).

Le problème qui nous préoccupe est la naturalisation de l'esprit et des états mentaux, et pas seulement celui de la naturalisation de l'intentionnalité, et il nous faudra voir si la naturalisation de la seconde suffit à décrire les premiers, puisque tous les états mentaux ne semblent pas intentionnels.

o) La conception digitale de la représentation

Une autre difficulté peut être évoquée : elle touche à une certaine conception de la représentation qui vise à ne tenir pour telles que les représentations digitales (cette thèse est soutenue par FODOR). Le problème de la naturalisation se trouve ainsi déplacé des états mentaux en général à la naturalisation de la représentation digitale, et l'on a l'impression d'avoir résolu le premier problème en traitant simplement le second.

Tout en incluant cette réflexion sur les représentations digitales et les attitudes propositionnelles à une réflexion plus large sur la représentation en général, nous essaierons de reposer ce problème soulevé et principalement traité par des philosophes analytiques en l'éclairant par des références externes à la philosophie analytique. Notre démarche sera une démarche d'intégration des analyses et des résultats de cette dernière ; mais nous tenterons aussi un dépassement, voire un déplacement relatif du problème et de la façon dont il a été initialement posé.

p) Deux approches analytiques complémentaires

Nous nous proposons d'aborder le problème de la naturalisation de l'esprit selon deux approches à notre avis complémentaires que nous nous efforcerons de garder à l'esprit tout au long de notre développement. Etant donné que les états mentaux sont avant tout présents par nos concepts usuels et nos explications communes, la première approche consistera à examiner les énoncés dans lesquels figurent des concepts faisant référence à des états mentaux, énoncés qui sont censés expliquer nos comportements. La seconde approche visera à examiner les tentatives de naturalisation, qu'elles soient comprises comme des tentatives de réduction, d'explication causale des états mentaux eux-mêmes, ou comme des tentatives de description/définition de l'intentionnalité en ne se servant que de concepts scientifiques.

q) Normativisme, matérialisme éliminatif et naturalisme évolutionniste

Comme toute entreprise de naturalisation semble compromise par les objections formulées par le normativisme, nous nous attacherons donc en premier lieu à répondre à des représentants de ce courant, qui est, nous le rappelons, anti-naturaliste ; nous définirons le concept d'explication, et montrerons en quoi le normativisme lui même nous renvoie au naturalisme.

D'autre part, pour qu'il puisse y avoir causalité entre des états intentionnels et des états physiques, comme les comportements par exemple, indépendamment de la difficulté de l'interactionnisme soulevée par P.JACOB, il semble nécessaire que les états mentaux soient des états réels. Si les états mentaux sont simplement des états attribués à un système par un interprète, le problème de leur causalité ne se pose pas, la réalité des états mentaux étant une condition nécessaire mais non suffisante de leur efficacité causale. En effet, s'il s'avère que les états mentaux sont irréels, ils ne peuvent être causes de quoi que ce soit.

Peut être sous la poussée du béhaviorisme, et sans doute en vertu de la croyance selon laquelle il est inobservable, l'esprit a pu être considéré comme une chimère. Le matérialisme éliminatif partage cette position ainsi que ceux qui considèrent que les états mentaux ne sont que des états attribués à un système par un interprète, bien que les raisons qu'ils avancent pour justifier cette thèse ne soient pas celles que nous venons d'indiquer.

Nous nous efforcerons donc en second lieu de réfuter les thèses et les arguments du matérialisme éliminatif, qui se propose d'éliminer les entités mentales ainsi que les concepts et les énoncés de notre psychologie populaire qui y font référence, pour les remplacer par les entités et les concepts des nouvelles sciences de la cognition, au premier rang desquelles se trouve la neurophysiologie.

Enfin , nous recentrerons la question de l'esprit sur la question des états mentaux, puis examinerons en quoi pourrait consister une naturalisme évolutionniste, en tentant notamment de décrire ou de définir ce qui semble être l'une des caractéristiques principales des états mentaux, et en n'utilisant que des concepts issus des sciences naturelles.

1. LE NORMATIVISME : WITTGENSTEIN ET LES WITTGENSTEINIENS

Le plus illustre représentant du normativisme est WITTGENSTEIN. Il semble s'opposer à toute naturalisation, qu'elle soit conçue comme une tentative d'explication causale de l'esprit ou comme une tentative de réduction. Pascal ENGEL, dans Philosophie et psychologie qualifie sa conception de la façon suivante : « la démarche de Wittgenstein est donc strictement opposée à celle d'un Fodor. »1(*).

Remarquons néanmoins que WITTGENSTEIN ne répond pas directement à FODOR, étant donné que les écrits de celui-ci sont postérieurs aux écrits de celui-là. Certains écrits de WITTGENSTEIN semblent répondre à une vision cartésienne dualiste : « Il semble, à première vue (et la raison de cette impression ne nous apparaîtra qu'un peu plus tard) que nous nous trouvons confrontés à deux mondes de nature toute différente : le monde mental et le monde physique. Certes on peut imaginer le monde mental sous une forme gazeuse ou plutôt, dirons-nous, éthérée. Mais souvenons-nous ici du rôle étonnant que l'on a pu attribuer en philosophie à l'élément gazeux, à la matière éthérée. En général, lorsqu'un substantif n'est pas utilisé pour désigner ce que l'on appelle d'ordinaire un objet, nous ne manquons pas de nous convaincre qu'il désigne une sorte d'objet éthéré... »2(*).

Comme nous l'avons déjà exposé dans notre introduction, DESCARTES pensait qu'il existait une substance mentale distincte de la substance physique : « ...je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui, pour être, n'a besoin d'aucun lieu, ni ne dépend d'aucune chose matérielle. En sorte que ce moi, c'est-à-dire l'âme par laquelle je suis ce que je suis est entièrement distincte du corps, et même qu'elle est plus aisée à connaître que lui, et qu'encore qu'il ne fût point, elle ne laisserait pas d'être tout ce qu'elle est. »3(*).

Mais si plus personne ou presque ne soutient qu'il existe une substance mentale distincte de la substance physique, comme nous l'avons souligné dans notre introduction, on peut se demander quel est l'enjeu et l'intérêt du problème soulevé par WITTGENSTEIN : pourquoi vouloir actuellement réfuter la conception cartésienne ? WITTGENSTEIN vise t-il DESCARTES et les cartésiens ? Il vise alors une cible qui n'existe pas, puisqu'il n'y a plus de philosophes de l'esprit cartésiens. En fait, selon l'interprétation de HACKER, qui se base peut-être sur le passage du Cahier bleu cité plus haut, il y aurait une persistance du mythe cartésien, qui a simplement pris une autre forme : « le mythe cartésien, comme tous les grands mythes, est insidieux. Il peut prendre de nombreuses apparences. Même ceux qui pensent s'être libérés du cartésianisme perpétuent certains aspects cruciaux de ce conte. On est ainsi frappé de voir que les philosophes, psychologues et neurophysiologistes contemporains, qui disent rejeter le dualisme esprit/corps, admettent en fait la structure conceptuelle fondamentale véhiculée par l'image - tableau cartésienne. Ils rejettent l'idée de substance immatérielle, mais ils ont tendance à identifier l'esprit au cerveau (ils parlent parfois de  « cerveau-esprit ») ou le mental avec le neuronal - suggérant que les états mentaux ne seraient que des états du cerveau. » 1(*).

Quel que soit l'adversaire que WITTGENSTEIN prétendait réfuter, il semble qu'avec DESCARTES on chosifiait l'esprit (en en faisant une substance), alors que maintenant on spiritualise la chose (le cerveau). Dans les deux cas, il s'agit d'une confusion conceptuelle, mais ce n'est pas la même chose de dire que l'esprit est une chose ou une substance mentale (ce que soutient DESCARTES), et de dire que l'esprit est une chose physique, ce que soutiennent les physicalistes. Dans le premier cas, on explique l'esprit par la catégorie de substance, mais on admet son autonomie, en tout cas son indépendance - une substance ou une chose est ontologiquement indépendante d'une autre substance ou chose - alors que dans le second cas, on procède à une réduction de l'esprit à autre chose, et l'on peut soutenir qu'il n'est qu'une propriété d'une substance physique. Celui qui affirme que la seconde conception est cartésienne, fait lui-même une confusion conceptuelle entre la catégorie de substance et la catégorie de propriété; DESCARTES n'a d'ailleurs jamais soutenu cela.

Sur la « chosification » de l'esprit, nous pouvons nous référer au passage de Philosophie et psychologie2(*) de ENGEL, qui interprète WITTGENSTEIN de la façon suivante : « d'une manière générale, Wittgenstein insiste sur le fait que les concepts mentaux n'appartiennent pas à la catégorie de substance mais à celle des propriétés de substance : ce ne sont pas des choses, des épisodes, des événements, mais les propriétés que nous attribuons à des individus ou à des personnes ».

Ceux qui prétendent réduire l'esprit au cerveau, ne prétendent pas nécessairement que l'esprit est une substance, ce que pensent aussi WITTGENSTEIN et les wittgensteiniens : « ... des expressions comme « l'esprit pense », « le cerveau pense » ou « Untel a des pensées » sont des non-sens logiques ou grammaticaux (au sens wittgensteinien) parce que l'on suppose que l'esprit et le cerveau sont des « choses qui pensent », ou qu'ils ont des pensées. Mais la pensée n'est pas une chose, et une pensée n'est pas une chose qu'on pourrait avoir, comme on a du tabac dans sa tabatière. Une pensée est plutôt un attribut de quelqu'un. »1(*).

On ne peut qu'être d'accord avec WITTGENSTEIN, sauf peut-être sur la proposition  « Untel a des pensées » : pourquoi Untel n'aurait-il pas des pensées ? Il ne les a pas comme il a du tabac dans sa tabatière, mais il les a.

Les wittgensteiniens, dont HACKER, font une double erreur lorsqu'ils disent que la thèse selon laquelle l'esprit peut être réduit ou identifié au cerveau est une thèse cartésienne : premièrement, DESCARTES n'a jamais soutenu une telle chose. Bien au contraire, il soutiendrait plutôt une irréductibilité de l'esprit au cerveau et une indépendance de la sphère mentale par rapport à la sphère de tout ce qui est corporel ou physique. Deuxièmement, les wittgensteiniens postulent que le cerveau est une chose/substance. Cela dépend des critères ontologiques que l'on adopte pour identifier une chose, mais il est certain que le cerveau du point de vue de son activité n'est pas indépendant ni séparable du corps; il est plus une partie d'une substance corporelle qu'une substance lui-même. 

Nous pouvons donc remarquer que si l'interprétation d'ENGEL est correcte, WITTGENSTEIN soutient que les concepts mentaux n'appartiennent pas à la catégorie de substance, et nous pouvons ajouter à cela que les naturalistes font de même.

Remarquons d'autre part que WITTGENSTEIN semble soutenir un dualisme ontologique : il y aurait d'un côté le monde mental, et de l'autre le monde physique (voir extrait cité plus haut).

C'est cette distinction entre deux mondes qui sous-tend la distinction entre raisons et causes. Lorsque nous posons la question « pourquoi ? » dans l'énoncé « pourquoi a-t-il tué son voisin ? », on peut y répondre en termes de raisons, ou en termes de causes ; si l'on posait la question à l'assassin, il pourrait nous répondre : « parce qu'il m'a exaspéré », et il parlerait de ses raisons. Si l'on pose la question à un neurologue chargé de l'examiner, il nous répondra peut-être : « parce qu'il a une lésion cérébrale qui fait qu'il n'a plus le contrôle de lui-même », et ce sera alors une réponse en termes de causes.

Nous ferions encore une confusion conceptuelle ou erreur de catégorie lorsque nous parlons de naturalisation ou d'explications causales de l'esprit, puisque cela revient à appliquer le concept de cause qui est un concept du monde 1 (physique) au monde 2 (mental). Les normativistes comme WITTGENSTEIN « nient qu'on puisse appliquer au domaine des raisons des explications qui relèvent proprement du domaine causal. »1(*). Remarquons que cette objection ne s'applique à la naturalisation que dans la mesure où on la conçoit comme une explication causale.

Il n'est en effet pas évident que les propriétés mentales puissent faire l'objet d'une naturalisation, qu'elle soit entendue comme une explication, ou comme une définition de concepts (intentionnels, moraux) en termes d'autres concepts dits naturels ; cela n'est pas évident parce que tous les concepts ne se prêtent pas à ce type de traitement. Il est par exemple problématique de vouloir fonder la morale ou le droit, et donc le concept de viol par exemple sur des explications naturelles : nous considérons en effet qu'il n'y a pas de viol dans la nature. Ce traitement aurait donc pour effet de faire disparaître un concept dont nous avons besoin, voire de justifier certains actes immoraux. La question se pose néanmoins différemment pour les concepts faisant référence à des entités mentales, car il n'est pas acquis qu'ils soient des normes. Mais laissons de côté cette digression.

La distinction entre raisons/motifs et causes est fondée notamment sur le mode d'accès que nous avons aux unes et aux autres : « ...nous avons un accès direct et immédiat à nos motifs »... « ...les causes ne peuvent pas être connues immédiatement. » 2(*), ainsi que sur la distinction entre les deux mondes. Alors que je connais la raison de mon action, je n'en connais pas nécessairement la cause. Alors que l'énoncé de la cause serait une explication, « l'énoncé du motif est plutôt comme le dit Waismann, une sorte d'interprétation que nous donnons de l'action. »3(*).

Les interprétations dont il est question, pour qu'elles ne soient pas totalement arbitraires, sont basées sur des critères. Il nous faut revenir à ce que dit WITTGENSTEIN :  « si d'un point de vue médical, l'angine est une inflammation causée par un bacille bien défini et que nous nous demandions : « Pourquoi dites-vous qu'un tel a une angine ? » la réponse : « parce que j'ai trouvé le bacille de l'angine dans son sang » nous apporte un critère ; on pourra le nommer « critère de définition de l'angine ». Si par contre, on nous répond : « Parce que sa gorge est enflammée », ce sera le symptôme d'une angine... Ainsi ce ne peut être qu'une tautologie de dire que quelqu'un a une angine parce qu'on a découvert le bacille de l'angine... Mais ce sera formuler une hypothèse que de dire que quelqu'un a une angine quand il a la gorge enflammée ». 1(*). Selon ENGEL, les critères ne sont pas uniquement des comportements, mais « certains comportements peuvent être des critères »2(*).

Néanmoins, l'extrait cité par Pascal ENGEL3(*) : « Quel est le critère de la douleur chez quelqu'un ? Quand il s'agit de moi le fait que je l'éprouve, quand il s'agit de quelqu'un d'autre, ce qu'il fait et dit »  prête à confusion, car ce que fait et dit l'autre, n'implique pas nécessairement qu'il ait réellement cette douleur qu'il prétend avoir : il peut nous tromper, et son comportement est toujours susceptible d'être interprété de plusieurs façons. Le critère pourrait aussi nous induire en erreur, bien qu'il soit une « hypothèse » fondée. On peut néanmoins se demander si un comportement et le bacille de l'angine sont à mettre sur le même plan épistémique, car ils ne possèdent pas le même degré de fiabilité.

Pour en revenir à la distinction entre raisons et causes que WITTGENSTEIN souhaite opérer en vue d'une interprétation du comportement, nous pouvons prendre l'exemple du cycliste qui tend le bras à gauche pour indiquer qu'il va tourner. Il semble bien que seule l'invocation des raisons permet de comprendre le mouvement du cycliste comme une action, et le physiologue qui nous parlerait de ce mouvement nous en parlerait comme un mouvement, et passerait à côté du sens de l'action. Il est certain que le fait d'invoquer des raisons nous permet de comprendre l'action de l'agent en tant qu'action, mais elle ne nous permettrait pas de l'expliquer à cause de la pluralité des raisons; nous ne pourrions pas inférer les raisons du comportement. A cet argument, nous pouvons répondre que, de la même manière qu'il peut y avoir une pluralité de raisons, il peut y avoir une pluralité de causes, et le fait que nous invoquions celle-ci lors de l'explication d'un phénomène n'invalide pas sa valeur explicative. Pour accepter l'argument selon lequel l'invocation de raisons n'a pas valeur explicative, il faudrait accepter qu'il y ait un partage strict entre les raisons et les causes, et que le domaine des raisons ne puisse empiéter sur celui des causes et inversement. La discussion suivante va éclairer le fait que ce n'est pas le cas. Reprenons l'exemple donné par ENGEL : « Supposons qu'un professeur décide de croire qu'il y a 78 étudiants dans sa salle de cours en tirant au hasard le nombre 78 d'une urne contenant, disons, 1000 papiers portant les chiffres de 1 à 1000. A moins d'un hasard étonnant, sa croyance sera fausse, et il ne sera pas justifié à croire, dans de telles circonstances, qu'il y a 78 étudiants dans la salle. Etant donné la méthode de tirage au sort qu'il a utilisée, il sera au contraire justifié à croire la négation de cette proposition, c'est-à-dire Il est faux de croire qu'il y a 78 étudiants dans cette salle, parce qu'il est hautement improbable qu'il puisse tirer de l'urne le papier indiquant le nombre exact des étudiants dans la salle. » 1(*). Si l'on accepte que « être justifié à croire » et « avoir des raisons de croire » signifient à peu prés la même chose, ce qui ne semble pas une concession considérable, il s'ensuit qu'on ne peut « séparer radicalement les considérations causales des considérations sur la justification »2(*) ou sur les raisons. Cela constitue le premier argument. Le second est que WITTGENSTEIN « admet que dans certains cas, la raison d'une action peut être sa cause. Par exemple il admet que certaines émotions, comme la peur qui me fait sursauter, ou la colère qui me fait vociférer, sont bien des causes de mes actions. »3(*). Il n'y a donc pas d'impossibilité logique à ce que la connexion entre les raisons et les actions soit en réalité causale. Si cela est exact, il nous faut accepter une version plus faible de l'argument que l'on peut alors formuler de la manière suivante : les raisons ont une valeur explicative si et seulement si elles sont des causes. Etant donné que la distinction entre raisons et causes n'est pas stricte, et que certaines raisons peuvent être des causes, et en vertu du fait qu'un énoncé causal est explicatif, un énoncé invoquant des raisons peut être explicatif.

Mais ici surgit une première difficulté, WITTGENSTEIN affirmant ceci : « Je voudrais que vous compreniez bien que notre travail ici ne consiste pas à réduire n'importe quoi à toute autre chose, ou à expliquer quoi que ce soit. La philosophie est par nature « purement descriptive. » »1(*). Nous verrons qu'un naturaliste peut partager cette idée. Si l'on en croit HACKER, l'un des commentateurs de WITTGENSTEIN, «  Au sens où les sciences expliquent les phénomènes - c'est-à-dire, par des hypothèses causales et des inférences hypothético-déductives à partir de lois et de conditions initiales - il ne peut y avoir d'explication en philosophie. Les seules formes possibles en philosophie sont des explications par description - à savoir par description de l'usage des mots. »2(*). Nous irions encore plus loin en ce sens : il ne nous semble pas qu'une explication puisse se satisfaire d'une description. WITTGENSTEIN affirme que la philosophie décrit mais n'explique pas. Si l'on accepte qu'un énoncé invoquant des raisons est une description ou une interprétation, en tout cas n'est pas de l'ordre de l'explication, et qu'un énoncé invoquant des causes est une explication, comment se fait-il que nous puissions expliquer un comportement en invoquant des raisons (dans le cas où celles-ci sont des causes) ? A cet argument pourrait être rétorqué que les raisons n'ont un pouvoir explicatif qu'en tant qu'elles sont des causes. Mais à quel ordre de discours appartiendront alors les énoncés invoquant des raisons qui sont des causes ?

Devront-ils être rangés dans les descriptions ou dans les explications, dans la philosophie ou dans les sciences ?

Nous en revenons au problème de savoir comment des états mentaux, qui sont du domaine de l'esprit, peuvent être des causes de notre comportement, ce dernier étant un phénomène physique.

C'est pour résoudre ce problème, que WITTGENSTEIN, n'a ni dissous ni solutionné, que certains naturalistes ont voulu tenter une réduction ou une identification de l'esprit au cerveau, ou plus exactement des propriétés mentales aux propriétés cérébrales. Le normativisme nous renvoie en fait au naturalisme qu'il prétendait réfuter, parce qu'il n'explique pas comment les raisons peuvent être des causes ; ce point valide aussi la démarche qui consiste à appliquer au domaine des raisons et à celui de l'esprit des explications relevant proprement du domaine causal, ce que les wittgensteiniens jugeaient absurde.

Le naturalisme comme explication des états mentaux par des causes est donc possible, même dans un cadre strictement wittgensteinien, puisqu'on considère que dans certains cas, les états mentaux peuvent être des causes de nos comportements.

Un autre argument proposé par les normativistes pour tenter de montrer que les états mentaux ne peuvent être des causes de nos comportements est celui qui consiste à soutenir que la notion de causalité présuppose l'idée de loi et de nécessité : une fois que j'ai A, j'ai nécessairement B. Or, je peux croire que ceci est un verre d'eau, et je peux avoir le désir de le boire (=A), mais cela ne conduit pas nécessairement à le boire (=B), si je désire par exemple battre le record de résistance à la soif. Nous reprenons cet exemple à ENGEL 1(*). Il n'y a pas de nécessité entre cette croyance, ce désir, et ce comportement. Un des tests couramment utilisé pour savoir si nous sommes en présence d'une relation de causalité est l'utilisation des contrefactuels, c'est-à-dire qu'on suppose qu'un certain événement n'a pas eu lieu.

Dans notre cas, on peut supposer que la croyance que ceci est un verre d'eau et le désir de le boire n'existent pas ou n'ont pas lieu. S'ensuit-il que je ne boirais pas le verre d'eau ? Autrement dit, le fait que je boive ce verre d'eau peut-il être causé par un autre événement que ceux proposés ? Je peux effectivement boire de l'eau sans avoir le désir de boire de l'eau dans le cas où ce serait bon pour ma santé par exemple. Je peux aussi croire que c'est du vin et boire de l'eau par erreur (mais dans ce cas, c'est encore ma croyance qui est causalement efficace).

La question se pose en fait à un autre niveau : puis-je boire quelque chose que je crois ne pas être un liquide ? Pourtant, si j'affirme que l'on ne boit que ce que l'on croit liquide, alors il faudra aussi attribuer aux animaux qui boivent la croyance que ce qu'ils boivent est liquide. Or, il ne va pas de soi que les animaux ont des croyances, ni qu'il soit justifié d'un point de vue scientifique de leur en attribuer. Le problème se pose donc dans les termes suivants : il semble que l'on puisse soutenir contre les normativistes qu'il y a une relation nomique (= ayant valeur de loi) entre la croyance que ceci est un liquide et le comportement de boire, étant donné que si je ne crois pas que ceci est un liquide, il ne semble pas que je puisse avoir ce comportement. Mais si cette forme d' « explication » a valeur de loi, il n'y a pas d'objection à ce que l'on puisse l'étendre à tous les êtres vivants ayant ce comportement ; l'objection principale à cette dernière affirmation est que l'on ne voit pas figurer ce vocabulaire intentionnel dans les explications scientifiques. Autrement dit, les biologistes se fixant pour but d'expliquer le comportement de la girafe en train de boire l'expliquent d'une toute autre manière ; et certains qualifieraient même d'anthropomorphisme cette attribution de croyances à une girafe. Cependant, une explication causale d'un autre type serait-elle pertinente et plus explicative ? Qu'est-ce que nous expliquons lorsque nous disons que la girafe boit de l'eau parce qu'elle croit que ce qu'elle boit est un liquide ?

Nous avons perdu en cours de route l'objection qui nous conduisait à affirmer que la relation entre la croyance que ceci est un liquide et le comportement de boire ne peut être nomique, parce que, ayant cette croyance, il n'y a pas de nécessité à ce que je boive. Laissons cette discussion de côté pour l'instant.

Une des autres objections d'importance soulevée par les normativistes, est celle qui consiste à dire que lorsque l'on fait de la croyance ou de tout autre état mental une propriété du cerveau ou d'un état cérébral, on commet ce que l'on peut appeler avec KENNY le « sophisme de l'homoncule » 1(*) (l'homoncule étant un petit sujet ou un petit homme). La conclusion de cet argument s'énonce ainsi : les états mentaux tels que les croyances ne peuvent s'attribuer qu'à des personnes et pas aux cerveaux ou à d'autres parties de cette personne. ENGEL cite WITTGENSTEIN : « il n'y a que d'un être humain ou de ce qui ressemble à (ou se comporte comme) un être humain vivant que l'on peut dire : il a des sensations, il voit, il est aveugle, il entend, est sourd, est conscient ou inconscient. » Puis ENGEL résume l'objection de la façon suivante : « cela n'a tout simplement pas de sens de parler de croyances, de connaissances, ou de règles tacites, parce que tous ces termes renvoient à une grammaire d'états, prédiqués non pas de l'individu mais de sous-systèmes de l'individu qui ne peuvent, par définition, avoir ces caractéristiques. »2(*). Avant d'examiner la réponse qu'il y fait, développons l'argument avec le wittgensteinien DESCOMBES. Nous le citons : « ...c'est là le point difficile de toute philosophie mentale : comment peut-on transférer les attributions d'un sujet personnel à une partie de ce sujet ? »3(*). Cela revient à ne pas faire de « différence entre les capacités mentales de M. Dupont et les capacités mentales du cerveau de M. Dupont. » 1(*). Il nous invite à comparer les énoncés suivants :

«  - J'écris une lettre

- Je fais écrire une lettre par mon secrétaire

- J'écris une lettre de ma main

- Ma main écrit une lettre

- Mon cerveau fait écrire une lettre par ma main

- Mon cerveau écrit une lettre »

Il qualifie les trois derniers énoncés de « figures de style de plus en plus obscures »2(*), et conclut ainsi : « ...le cerveau ne devient le sujet d'attribution de nos activités mentales qu'à la faveur d'une figure (la partie pour le tout). »3(*), ou encore « c'est seulement par figure qu'on peut représenter la partie ou la faculté comme ce qui agit. »4(*).

ENGEL répond à ces objections de la façon suivante : « On pourrait simplement répondre à ces critiques que si on les prenait à la lettre, il faudrait fermer tous les départements de psychologie cognitive, de neuropsychologie, de psychologie animale ou de psycholinguistique. Peut-être faut-il le faire, mais en général, ce genre de décision revient aux savants eux-mêmes. » 5(*).

Nous ne trouvons pas cette réponse satisfaisante. Tout d'abord, il ne s'ensuit pas de l'objection du sophisme de l'homoncule qu'on doive fermer tous les départements de psychologie cognitive, mais simplement que les scientifiques qui font usage de ce type d'attributions le justifient. S'agit-il d'une méthodologie, d'une étape dans le raisonnement, ou devons-nous prendre ces attributions de propriétés à la lettre ? D'autre part, la seconde partie de l'argument nous prive d'un droit de regard sur les recherches et les résultats de nos « savants », et par là-même, de toute recherche de nature épistémologique. N'est-ce pas précisément sur ce genre de problème que la collaboration entre philosophes et psychologues (ou scientifiques en général) peut s'avérer fructueuse ? ENGEL prolonge son argument ainsi : « Et quant à la pratique qui consiste, face à un phénomène complexe et relevant d'un niveau d'organisation global, à le décomposer en sous-systèmes plus simples, quitte à utiliser pour décrire ces sous-systèmes des caractéristiques du système global, elle est monnaie courante en science, et elle a une valeur heuristique certaine. Les neurobiologistes qui parlent de « populations » de neurones, par exemple, ne prêtent pas aux neurones les propriétés des populations humaines, et pourtant, l'analogie peut être utile, et il peut être fécond de comparer les propriétés macroscopiques d'un processus aux propriétés d'un processus décrit à un niveau microscopique. Tout le monde comprend que quand on dit que l'oeil « voit » ; ou qu'un sous-système de la vision « voit », ce n'est pas au même sens que celui où un individu en condition de vision normale « voit » ce qui l'entoure. Ce n'est pas parce que ce genre de terme s'applique par définition à l'individu total qu'il serait interdit de décomposer les processus en question, et d'envisager la contribution que les parties apportent à l'ensemble... »1(*).

Nous sommes plus réservés qu'ENGEL sur ce point à cause des dérives fréquentes des scientifiques qui en arrivent à débiter des absurdités du type : « Nous pouvons ainsi considérer la vision tout entière comme la quête continuelle des réponses aux questions que le cerveau se pose... », ou « Les neurones présentent des arguments au cerveau » 2(*). Ces énoncés n'ont aucune valeur heuristique et engendrent une confusion totale dans l'esprit du lecteur. Pourquoi ne dirais-je pas alors de mon oreille qu'elle marche, court, se lève, s'endort ? Quelle est la contribution que mon oreille apporte au fait de marcher ? Il peut effectivement être intéressant de « décomposer » certains « processus et d'envisager la contribution que les parties apportent à l'ensemble »3(*), mais ce n'est pas ce que nous faisons lorsque nous découpons le tout en parties et transférons simplement les propriétés du tout aux parties ; nous nous interdisons ainsi de saisir les propriétés spécifiques des parties.

Si le transfert des propriétés du tout de la personne à une partie de cette personne est contestable, le fait de vouloir décomposer l'esprit en parties, comme le préconise FODOR, est encore plus problématique. Considérer l'esprit comme séparable en parties ou domaines relativement autonomes et étanches (=les modules) amène à penser l'esprit sur le modèle de la chose matérielle/physique. Cette hypothèse s'est pourtant révélée fructueuse et a permis des résultats significatifs en psychologie. Nous ne pouvons donc l'écarter simplement à cause de son étrangeté : en effet, si l'on comprend de quoi il s'agit lorsqu'on utilise l'expression « les parties du cerveau », cela est moins évident de l'expression « les parties de l'esprit », l'esprit n'étant pas un objet étendu et par là semblable au cerveau.

Pour en revenir au « sophisme de l'homoncule », il existe une objection au normativisme qui nous apparaît comme étant plus probante que celle qui nous a été exposée par ENGEL. Le problème de cette objection est qu'elle suppose que nous ayons déjà fondé le naturalisme. Nous nous contenterons donc simplement de la présenter pour l'instant : les concepts de personne, de sujet, ne figurent pas dans les explications scientifiques naturelles. On peut en effet soutenir que la personne, le sujet ou l'individu sont des fictions. Il est légitime de se demander ce qui reste identique dans la même personne étant donné que ses éléments biologiques et physiques sont en changement et en renouvellement permanent. A cause du fait que le concept de personne et d'autres concepts apparentés ne figurent pas dans les explications scientifiques naturelles, et semblent plutôt être des concepts à expliquer que des concepts qui expliquent, on peut se demander : 1/ si un énoncé dans lequel figurent ces notions est une explication, 2/ si ce concept nous renvoie à une entité réelle qui serait susceptible d'avoir des propriétés mentales. Autrement dit l'objection consiste en ceci : les normativistes nous ont affirmé qu'il est plus correct d'attribuer les propriétés mentales à la personne qu'au cerveau, mais nous nous rendons compte que l'entité que nous appelons « personne » est plus évanescente et moins certaine que l'entité que nous appelons « cerveau », notamment parce qu'elle n'est pas qu'une entité physique ou un corps (on ne peut en effet identifier une personne à son corps). Et comme le naturalisme veut réduire les concepts et les entités figurant dans ses explications à des entités physiques dans la mesure du possible, n'est-il dans cette optique préférable de faire des propriétés mentales des propriétés du cerveau, ou du corps, plutôt que des propriétés de la personne ? Est-il finalement plus correct d'attribuer les propriétés mentales au cerveau plutôt qu'à la personne ? Non, pour les raisons que nous avons invoquées, et surtout parce que le concept de personne ou celui d'agent peut être reconstruit en mettant en rapport le cerveau, le corps, les relations entre ces deux entités, et les relations qu'entretiennent ces deux entités avec le monde extérieur.

Remarquons bien que dans les deux cas ce qui fonde l'argument est ce qui est en usage dans un certain langage : nous n'attribuons pas dans notre langage usuel des croyances à des cerveaux, nous ne faisons pas usage dans le langage scientifique naturel du concept de personne. Dans un cas comme dans l'autre, on écarte une certaine hypothèse en vertu d'un principe : dans le premier cas, le principe qui va servir à écarter l'hypothèse est : « cela se dit-il dans notre langage usuel ? », dans le second, c'est : « cela se dit-il dans notre langage scientifique naturel ? »

Mais ne s'agit-il pas en fin de compte dans les deux cas d'une norme, qui va servir à déterminer ce qui est correct et ce qui est incorrect ? Cela est sans conséquence pour le normativisme, mais il n'en est pas de même pour le naturalisme qui prétendait fournir une explication sans faire usage de normes ; il apparaît qu'il en est une lui-même.

Une seconde objection peut être formulée vis-à-vis du normativisme : on ne peut prédire de nouveaux faits à partir de la norme qui ne nous dit pas ce qu'on va faire à part suivre la norme. Mais il semble qu'elle puisse aussi être faite sous une forme différente au naturalisme : étant donné qu'il faut nous servir des concepts déjà présents dans les explications scientifiques (et cela est une norme comme nous l'avons souligné), comment le scientifique fera-t-il pour introduire un nouveau concept ?

On peut tout d'abord remarquer que le naturalisme est une démarche philosophique, et que la norme selon laquelle il faut se servir des concepts déjà présents dans les explications scientifiques s'impose non au scientifique lui-même, mais au philosophe naturaliste. Le scientifique peut toujours introduire de nouveaux concepts à condition qu'ils aient subi un traitement ou qu'ils soient l'objet d'une élaboration scientifique (le concept étant expérimentalement vérifié par exemple).

Cependant, cette question est presque secondaire par rapport au fait qu'un naturalisme ne semble pas pouvoir se passer de normes.

Quoiqu'il en soit, nous en revenons au débat et à l'opposition classique entre ce qui est normatif et ce qui est naturel. Et la conception normativiste des états mentaux conçoit les choses ainsi : « Des activités telles que « comprendre », « raisonner », « juger », ou même « percevoir », que l'on qualifie traditionnellement de « cognitives » parce qu'elles impliquent un type de connaissance, sont (...) essentiellement « normatives », parce qu'elles sont sujettes à une évaluation en tant que vraies ou fausses, correctes ou incorrectes, valides ou invalides, rationnelles ou irrationnelles, c'est-à-dire relèvent de quelque chose dont on peut rendre raison... » 1(*) et « les philosophes considèrent le plus souvent que la question de savoir si quelqu'un a jugé ou raisonné dépend de l'existence de normes ou de critères, de raisonnement ou de jugement correct, et que ces normes et critères ne peuvent être analysés en termes empiriques et causaux, relatifs à l'environnement biologique ou social des individus ou relatifs aux capacités psychologiques dont ils disposent. C'est pourquoi ils ont le sentiment, quelles que soient les descriptions de ces activités qu'une « science de l'esprit », ou même une quelconque enquête qui prétendrait analyser leurs soubassements causaux, pourrait donner, que ces descriptions manqueront la dimension normative essentielle de ces activités, et confondront le normatif avec le naturel... »1(*).

On voit donc que le normativisme dépend en partie du conceptualisme ou de la conception aprioriste de l'esprit. Les normativistes sont d'ailleurs la plupart du temps conceptualistes. Etant donné que nous avons déjà répondu à certains de leurs arguments concernant la distinction entre les raisons et les causes et « la thèse selon laquelle les notions normatives ou celles qui appartiennent à la sphère des « raisons » et des justifications ne sont pas réductibles à des notions naturelles qui appartiennent à la sphère des causes ... »2(*), il nous reste à souligner les difficultés que peut rencontrer le conceptualisme. Les arguments développés par ENGEL à ce propos semblent assez convaincants. Il commence tout d'abord par exposer le conceptualisme : « ...selon la perspective  « conceptuelle » ou aprioriste, si l'on découvrait que telle ou telle propriété mentale est identique à telle ou telle propriété physique, cette découverte ne pourrait pas changer le sens que nous donnons aux concepts mentaux exprimant cette propriété. C'est ainsi, par exemple, que le philosophe américain Norman Malcolm a soutenu que même si nous découvrions que les rêves sont certaines configurations neuronales dans le cerveau, nous ne parlerions plus, en parlant de ces configurations, de rêves. Nous parlerions d'autre chose. Le sens du mot « rêve » selon Malcolm, est entièrement déterminé par les critères usuels (introspectifs, comportementaux) que nous associons à ce mot. » 3(*).

La difficulté de cette thèse est la suivante : « supposez par exemple que notre concept de vision, ou celui d'image mentale, puissent rester non affectés par ce que peuvent nous apprendre la neurophysiologie de la vision ou la psychologie des images mentales, paraît tout aussi absurde que soutenir que notre concept courant de matière pourrait rester non affecté par des notions telles que celles d'antimatière ou de trou noir »1(*).

Remarquons simplement que la neurophysiologie et la psychologie sont mises sur le même plan épistémologique alors qu'elles ont un statut scientifique différent ; mais cela importe peu pour notre argument étant donné que les conceptualistes considèrent les découvertes empiriques de ces deux sciences comme non-pertinentes pour ce qui concerne les états mentaux. Quoiqu'il en soit, il semble difficile de soutenir ce point de vue puisqu'il est prouvé que des lésions de certaines parties du cerveau affectent certaines de nos capacités mentales. Mais ce fait ne suffit pourtant pas à valider la thèse de la localisation des capacités mentales dans le cerveau, puisque de la privation de la langue, privation qui altère la capacité langagière, nous ne tirons pas la conséquence que la capacité langagière doit être localisée uniquement dans cet organe.

Ce n'est néanmoins pas être téméraire que d'affirmer avec ENGEL que « certains travaux en neurosciences semblent - mais la question reste ouverte de savoir si c'est vraiment le cas - de nature à modifier la conception usuelle que nous avons de certains phénomènes mentaux (comme les travaux de Jouvet sur les rêves, ou comme les travaux sur les cerveaux divisés et sur la vision aveugle)... » 2(*). Etant donné que les raisons peuvent être des causes comme nous l'avons montré, et que le domaine des raisons peut se prêter à une naturalisation comprise comme une explication par les causes de nos états mentaux, il ne semble pas qu'il y ait d'objection de principe à ce que les sciences étudiant les conditions ou les causes de la capacité représentationnelle puissent informer notre conception usuelle du mental. D'autre part, considérer que la caractéristique essentielle des représentations est de se prêter à une appréciation de type normatif comme le soutiennent les normativistes / wittgensteiniens soulève une difficulté : si effectivement la croyance que Chirac va gagner les élections présidentielles pourra être dite vraie ou fausse le jour du résultat de celles-ci, et si la croyance que Madelin va gagner aux élections présidentielles peut être considérée comme irrationnelle vu les circonstances, il n'est pas sûr qu'il puisse en être ainsi de tous les états mentaux. Si je rêve que Chirac gagne aux élections présidentielles et que Chirac ne gagne pas, pourra-t-on dire de mon rêve qu'il est faux ? Si l'on peut soutenir que la fonction de la croyance est d'être vraie, et c'est un point important sur lequel nous reviendrons, il ne semble pas en être de même du rêve. Nous corrigeons, modifions, révisons nos croyances en fonction du réel, mais nous ne corrigeons pas nos rêves, en partie parce que nous n'avons pas de prise sur leur contenu. Et même si nous entreprenons de corriger le rêve que nous avons fait cette nuit, par exemple que Madelin gagne les élections présidentielles, nous ne voyons pas le sens de cette correction. De même, si je rêve que Madelin fait une bonne action pour moi, cela ne va pas faire que je vais voter pour lui, alors que si je crois qu'il a fait une bonne action pour moi, cette croyance jouera en sa faveur lors de mon vote. Nous pourrions objecter à ces considérations que le rêve est un cas particulier d'état mental qui ne se caractérise pas par sa normativité. Qu'en est-il de l'image mentale ? Lorsque je me représente le Père Noël tel qu'il est couramment représenté, (avec une barbe blanche, un costume rouge, etc...), peut-on dire que mon image mentale est correcte ou incorrecte, vraie ou fausse ? Il semble juste de dire que si je me représente le Père Noël avec un costume vert à carreaux, les cheveux longs, et des lunettes de soleil, mon image mentale du Père Noël est fausse. Mais si je crois que cette représentation n'est pas conforme à celle que l'on se fait généralement du Père Noël, et que c'est ma fantaisie qui me le fait représenter ainsi, pourra-t-on dire de mon image mentale qu'elle est fausse ? Oui, dans la mesure où je la dénomme « Père Noël » et que cet objet n'est pas susceptible de se conformer à la description usuelle et commune du Père Noël. Mais si je crée par imagination une image mentale de quelqu'un et que je lui donne un nom dont la description n'est pas rigide, en bref si j'abolis toute référence au réel, il ne sera plus fondé de dire que cette représentation est correcte ou incorrecte. Le rapport que la croyance établit avec le monde ou le réel n'est pas le même que celui que le rêve établit avec le monde ou le réel. La relation du rêve au réel est comparable à celle de l'oeuvre d'art, qui n'a pas pour fonction de se conformer au réel. Et apprécier une oeuvre d'art - par exemple L'Odalisque d'Ingres - en fonction de sa conformité au réel, relève d'une incompréhension de ce qu'est une oeuvre d'art. Les représentations issues de l'imagination n'ont pas la caractéristique essentielle d'être normatives. Ces dernières réflexions nous donnent l'occasion de nous pencher sur la relation des états mentaux avec le monde extérieur.

Mais nous devons auparavant examiner une question préalable. Il nous semble qu'il y a deux idées bien distinctes, celle qui consiste à soutenir que l'esprit n'est qu'au-dehors et ne doit être cherché que dans le monde, et celle qui consiste à soutenir qu'il y a des états mentaux devant être en relation avec quelque chose au-dehors, et se définissant en partie par cette relation sémantique. DESCOMBES a tendance à confondre ces deux idées.

Reprenons l'expression que DESCOMBES emprunte1(*) à Montesquieu ; ce dernier nous parle d'un « esprit des lois ». Est-il justifié d'attribuer ce que nous appelons un esprit à autre chose qu'à une personne ? Comment pouvons-nous attribuer cette propriété à deux objets aussi différents qu'une personne et un texte de loi ? Cette question en soulève une autre formulée par DESCOMBES : « où placez-vous l'esprit ? » 2(*). Toujours selon cet auteur, il a deux réponses à cette question : dedans, « dans un flux interne de représentations », ou dehors, « dans les échanges entre les personnes »3(*), « dans le monde »4(*).

Nous pouvons faire une première remarque : dans notre langage usuel, nous aurions plutôt tendance à attribuer les états mentaux à des personnes et accessoirement aux cerveaux de ces personnes. Et si l'on nous demande où localiser l'esprit, nous le plaçons dans la tête plutôt que dans les livres. Pourtant, toujours selon DESCOMBES, « l'idée selon laquelle le mental est intérieur à la personne n'est pas une évidence première, elle est une thèse exigeante. »5(*). Peut-être, mais placer l'esprit dans les livres nous semble une thèse tout aussi exigeante. L'objection de DESCOMBES à la localisation de l'esprit uniquement dans les têtes est typiquement wittgensteinienne : « tout le vocabulaire des verbes sémantiques s'applique sans peine aux ouvrages de l'esprit. Il n'est pas difficile d'imaginer un bibliothécaire qui nous aide dans notre enquête en pointant du doigt des volumes sur le rayon tout en disant : ce livre soutient telle proposition, ce livre enseigne telle doctrine, voici un autre livre qui montre que le premier est dans l'erreur, voici un livre qui a réfuté tous ses compagnons dans le rayon. »6(*); DESCOMBES présente aussi ce qui pourrait être une objection à cette thèse : « on dira peut-être que, dans ce cas, le vocabulaire est transféré d'un domaine primitif d'application à un domaine dérivé. »7(*), et y répond de la façon suivante : alors que la dérivation du lexique des personnes aux livres n'apparaît pas absurde, la dérivation du lexique des personnes aux cerveaux l'est : « il ne semble pas possible d'appliquer ces mêmes verbes aux cerveaux, pour dire : ce cerveau enseigne des doctrines platoniciennes, mais ce cerveau a été réfuté par un autre cerveau. » 1(*).

Il y a plusieurs points sur lesquels nous pouvons revenir. Tout d'abord nous n'avons pas besoin de répondre à la première objection, car, dans la mesure où elle est valable, elle n'invalide que la conception selon laquelle l'esprit est identique au cerveau ; elle n'infirme pas les thèses naturalistes pour lesquelles la question de l'explication ou de la description des propriétés sémantiques se pose de manière semblable quelle que soit la localisation que l'on donne à celles-ci, ou le type de matériau physique qui les instancie. Remarquons aussi qu'elle n'atteint le naturalisme qu'à condition que nous ayons déjà adhéré au conceptualisme, ou à ce qu'ENGEL appelle la conception aprioriste de l'esprit. DESCOMBES le signale d'ailleurs lui-même : « ces considérations de vocabulaire ne sauraient bien entendu établir quoi que ce soit du point de vue philosophique. »2(*). Et si DESCOMBES soutient que le naturalisme suppose l'identification de l'esprit au cerveau (donc une propriété du tout de la personne à une propriété d'une partie de cette personne), il se trompe, car il ne s'agit pas tant d'identifier le premier au second que de réduire les propriétés sémantiques ou mentales à des propriétés physico-chimiques, d'expliquer, de décrire ou de tenter de définir les premières par les secondes.

Même si l'esprit est « dehors », il n'y a pas de contradiction à ce qu'il puisse se prêter à une naturalisation ; il pourrait simplement être considéré comme une propriété d'autres substances que le cerveau ou la personne. La question du type de  « matérialité » de l'esprit est distincte du fait de penser qu'il y a des états psychologiques internes : « ...il n'est pas nécessaire d'être immatérialiste en philosophie de l'esprit pour récuser l'idée d'une science des états psychologiques internes »3(*). Au contraire de DESCOMBES, la tentative de réduire les états mentaux aux états cérébraux peut apparaître comme un processus d'objectivation et un effort de rendre public et manifeste ce qui était privé et caché.

Il n'en reste pas moins que réduire ou identifier l'esprit au cerveau, c'est d'une certaine manière être internaliste, puisque cela semble impliquer l'abolition de toute relation sémantique. Mais ne peut-on soutenir encore une fois que les états cérébraux ont des propriétés sémantiques, et que ce sont non pas ces états cérébraux qui entretiennent une relation avec le monde extérieur ou relation sémantique, mais seulement les états cérébraux en tant qu'ils possèdent ces propriétés sémantiques ?

Cette discussion nous fournit l'occasion de nous intéresser à l'idée selon laquelle les états mentaux dépendent pour leur définition des conditions extérieures, ce qui est généralement appelé, si nous l'avons bien compris, l'externalisme. Les wittgensteiniens, dont DESCOMBES, s'opposent à l'idée que ce qu'on appelle les états mentaux soient purement internes à un sujet.

Il y a en fait deux façons de concevoir les états mentaux : soit on les considère comme isolés ou détachés du monde extérieur, soit on les considère comme dépendants de ce dernier : la première position est connue sous le nom d'internalisme, la seconde sous le nom d'externalisme. ENGEL résume de façon claire « l'argument externaliste » :

(a') Les états mentaux et leurs contenus intentionnels sont toujours individualisés en relation à des objets et propriétés externes à un sujet (de manière « externaliste »)

(b') or la psychologie cognitive ne s'occupe que de contenus et de propriétés internes aux sujets, individualisés de manière « internaliste »

(c') par conséquent la psychologie cognitive ne porte pas sur les contenus mentaux et intentionnels comme tels. »1(*).

Nous pouvons déjà faire remarquer aux normativistes qu'il leur faut choisir entre un holisme et un externalisme tel qu'il est formulé ci-dessus, puisqu'un holisme affirme qu'un état mental ne peut être individualisé, en vertu de son caractère holistique. Brièvement, les états mentaux seraient donc « individualisés essentiellement de manière externe ».2(*) Quand on veut réduire les états mentaux à des états cérébraux, ce que veulent faire certains tenants d'une naturalisation de l'esprit, on se situerait selon DESCOMBES dans le cadre de l'internalisme. Cette dernière conception repose sur ce que nous pourrions appeler avec DESCOMBES un représentationnisme, dont la thèse peut être formulée de la manière suivante : « le sujet n'est pas directement en rapport avec les choses, mais avec des représentations de choses. »3(*). Cela nous amène à la « séparation du monde et de la sphère du mental. »4(*). DESCOMBES en vient à distinguer une philosophie du mental d'une philosophie de l'esprit, la philosophie mentale étant «  une pensée qui assure d'abord l'autonomie du mental en le détachant du monde extérieur (matériel)... »1(*). Toute philosophie mentaliste « réhabilite la théorie des idées représentatives (tout en insistant sur le fait que pour elle, ces idées n'ont rien d'idéal, que ce sont des entités cérébrales). »2(*).

Etant donné que le « cognitivisme est la réhabilitation de la théorie représentationniste de l'esprit »3(*), c'est essentiellement contre lui et contre FODOR (l'un de ses plus éminents représentants) que sont dirigés les arguments de DESCOMBES. Grossièrement, le problème est de savoir si les états mentaux font référence à l'état interne du sujet (et ce sera alors un état étroit), ou à l'état externe de son environnement. Reprenons l'exemple de l'état consistant à être jaloux, que DESCOMBES emprunte à PUTNAM : « Dans l'emploi ordinaire (...) on usera d'une expression qui nous impose d'admettre l'existence de plusieurs personnes. Le schéma X est jaloux de Y au sujet de Z est de forme triadique : ce drame psychologique familier réclame trois personnages. »4(*). Donc, « l'état du jaloux (X) n'est pas un état de jalousie, au sens ordinaire du mot, s'il n'y a pas rival (Y) dont il est jaloux et quelqu'un (Z) qui fournit le motif de cette jalousie. Du coup, l'état de X dépend de ce qui se passe autour de lui, et nous sortons de la sphère mentale qu'il s'agissait d'isoler. »5(*). Peut-on concevoir la jalousie comme un état étroit ? Cela est possible si l'on imagine « quelqu'un qui passerait par une crise de jalousie à l'égard d'un rival peut-être imaginaire et à propos d'un objet d'amour qui, lui aussi, pourrait ne pas exister. »6(*). On pourrait par exemple considérer que le personnage d'Aurélia dans la nouvelle du même nom 7(*) est un objet d'amour qui n'existe pas pour le protagoniste principal qui est aussi le narrateur, et introduire dans l'histoire un personnage lui aussi imaginaire dont ce protagoniste serait jaloux.

Il y a une absurdité à dire que « le contenu mental d'un sujet » « peut être décrit abstraction faite du monde... » 8(*) et, « il n'est pas possible que la description d'une pensée fasse entièrement abstraction de toute relation sémantique au milieu. »9(*) ; l'argument est le suivant : « supposons que l'homme de Cro-magnon soit frappé par la foudre, qu'il soit placé par la décharge électrique dans un état neuronal identique à celui de quelqu'un qui se souvient qu'il doit aller à la banque. ». Devra-t-on dire qu'il a la pensée qu'il doit aller à la banque ? La conséquence de l'argument est dévastatrice : « ...un bon sauvage, vivant innocemment sur son île du Pacifique, aurait la capacité inexplicable de penser une pensée qui devrait lui être impensable. »1(*).

Vouloir considérer la jalousie comme un état interne du sujet, c'est « substituer une expérience à une relation »2(*). Ces arguments de DESCOMBES nous paraissent tout à fait valables.

Le suivant est moins convaincant : « ... un état ne peut être à la fois intentionnel et interne : s'il est interne, il n'est pas évaluable sémantiquement, mais s'il n'est pas évaluable sémantiquement, il n'est pas interne. »3(*). Encore une fois, DESCOMBES confond l'état et les propriétés de l'état, et l'état n'est pas tant interne que physique. On peut tout à fait concevoir un état cérébral avec des propriétés intentionnelles ; et l'évaluation sémantique porterait alors non pas sur l'état mais sur les propriétés de l'état. Et le monde extérieur peut très bien être conçu comme une condition nécessaire à la survenance des propriétés mentales, celle-ci pouvant être définie comme suit : « une propriété M d'un objet survient ou est survenante sur une propriété P de cet objet, s'il ne peut y avoir de changement de M dans cet objet sans qu'il y ait un changement de P dans cet objet. » 4(*). La survenance n'implique pas seulement que les « propriétés morales ou mentales covarient avec des propriétés physiques », mais aussi que « ce qui est survenant dépend de (est déterminé par) ce sur quoi il survient ; et les propriétés survenantes (en l'occurrence les propriétés mentales) sont irréductibles aux propriétés sur lesquelles elles surviennent. »5(*).

DESCOMBES fait comme si nous étions obligés de soutenir soit l'internalisme, soit l'externalisme, et que nous ne pouvions prendre aucune position intermédiaire. Il n'y a pas d'objection de principe qui nous interdirait d'adopter une telle position, surtout que DESCOMBES n'envisage même pas cette possibilité, tous ses arguments étant dirigés contre l'internalisme. Il existe bien une théorie que l'on appelle la théorie du « double aspect » interne et externe des contenus mentaux qui nous est signalée par ENGEL1(*). Mais nous préférons personnellement nous passer de la métaphore intérieur/extérieur qui nous paraît à plusieurs égards trompeuse.

Une autre difficulté ne peut pour autant être négligée : « pour qu'une théorie puisse formuler des lois psychologiques, dans le sens où une science naturelle formule des lois, il faudrait qu'elle puisse se donner un système psychique clos, de façon à définir des états internes à ce système. »2(*).

On peut reformuler ce problème comme étant celui du holisme : « les croyances n'ont pas seulement un contenu propositionnel. Ces contenus ont une certaine structure : ils sont composés de concepts, en sorte que l'on ne peut être dit avoir une croyance donnée si l'on n'a pas les autres concepts auxquels ceux-ci sont liés. Par exemple, je ne peux pas être dit croire que cet homme est marié si je n'ai pas le concept d' « homme », ni celui de « mariage »... » ; et « ...jusqu'où devons-nous aller, dans la spécification des autres croyances, et des autres concepts, pour pouvoir attribuer à un individu donné, la croyance individuelle que cet homme est marié ? »3(*). Ce holisme empêcherait qu'il y ait des lois psychologiques comparables à celles des sciences naturelles. Nous allons rappeler un passage déjà cité : « on ne peut attribuer par exemple à un agent la croyance que ceci est un verre d'eau que si on peut aussi lui attribuer des croyances à propos des verres, à propos de l'eau, peut-être aussi des désirs de boire, ou même de ne pas boire. Il ne semble pas y avoir de limites précises assignables à de telles attributions. C'est pourquoi, notamment, une croyance ou un désir humain ne sont pas liés nécessairement à un type d'action spécifique : ma croyance que ceci est un verre d'eau peut, avec mon désir de le boire, me conduire à le boire ; mais cette croyance et ce désir peuvent également s'associer à l'action de ne pas le boire, si par exemple j'ai aussi le désir de battre le record de résistance à la soif. »4(*).

Comme nous l'avons précédemment souligné, il n'y a pas de nécessité que je boive alors que j'ai la croyance que ceci est un verre d'eau et le désir de le boire. Malgré le fait que cette nécessité soit absente, on peut néanmoins parler de « lois psychologiques ». Celles-ci ne sont dénuées de toute valeur que lorsqu'on les compare avec les lois des sciences naturelles. Cette comparaison masque l'aspect prédictif des généralisations de notre psychologie populaire (dont nous exposerons les thèses un peu plus loin), généralisations qui sont ceteris paribus, c'est-à-dire « moyennant des conditions spécifiques » ou « provisos »1(*). Il reste vrai qu'en général « un mari jaloux surveille sa femme »2(*), et que quelqu'un qui a la croyance que ceci est de l'eau et le désir de boire a le comportement de boire. ENGEL compare judicieusement les généralisations de la psychologie avec celles que l'on trouve en géologie et qui sont du type « les rivières à méandres ont une forte érosion de leur rive supérieure ».3(*) La vérité de cet énoncé n'est infirmée que par certaines exceptions. Il ne suffit pas aux pourfendeurs des lois psychologiques de dire qu'elles sont des lois avec exceptions, il faut encore qu'ils nous montrent que les lois des sciences naturelles sont toujours vraies sans exceptions.

On peut aussi remarquer que même si les lois de la psychologie populaire sont normatives (c'est-à-dire que si je crois que ceci est de l'eau et que j'ai le désir de boire, il est rationnel que je boive), il n'est pas pour autant justifié de leur refuser le statut de lois, étant donné que nous appelons certaines de nos normes juridiques des lois. Le terme de lois n'est en aucun cas réservé aux lois causales, et vouloir qu'il en soit ainsi serait en contradiction manifeste avec les thèses wittgensteiniennes selon lesquelles la signification d'un mot est fixée par son usage.

Nous avons considéré en quoi l'ouverture de l'esprit au monde (externalisme) ou des états mentaux à d'autres états mentaux - sans qu'on sache très bien lesquels, ni où s'arrêter (holisme) -, pouvait être un obstacle à toute naturalisation de l'esprit. Nous n'en avons pas conclu à une impossibilité d'ordre logique de toute tentative de ce genre, et nous avons montré l'incohérence de la position normativiste qui se trouve dans l'obligation de choisir l'un ou l'autre argument (externalisme ou holisme), parce qu'elle ne peut soutenir les deux à la fois, pour les raisons que nous avons évoquées.

Il nous reste maintenant à aborder un dernier point : qu'est-ce qu'une explication ? Pour ATLAN on peut distinguer une « explication scientifique » d'autres « explications » de type animiste, mystique, ou métaphysique, et il y aurait cinq grands schèmes explicatifs possibles : le causaliste physique, le finaliste physique, le probabiliste, le causaliste animiste, le finaliste animiste4(*). Seuls les trois premiers seraient scientifiques ; « or il s'agit dans tous les cas d'interprétations, c'est-à-dire de projections de schèmes explicatifs abstraits sur les perceptions de nos sens... »1(*).

D'autre part, et c'est ce qui est important pour notre propos, il affirme que « dans le cas d'événements naturels, (...) l'interprétation scientifique n'apporte pas beaucoup plus, au fond, que l'interprétation animiste magique du point de vue de son pouvoir explicatif, c'est-à-dire en tant que rattachement de l'événement à une chaîne causale : la foudre interprétée comme décharge d'électricité ou colère du dieu reste ce qu'elle est, intégrée dans les deux cas à une chaîne causale et donc par là « expliquée ». Comme on l'a vu, ce n'est que si l'on cherche à agir sur certains de ses aspects (ceux précisément ayant trait aux propriétés électriques qu'on peut y reconnaître) à l'exclusion de certains autres (des effets sur un psychisme ou une organisation sociale conditionnés par des interprétations animistes) que l'explication scientifique est plus efficace. »2(*); et « autrement dit, c'est par son efficacité que l'interprétation scientifique est supérieure aux autres (...), et non par son pouvoir explicatif « pur » si l'on peut dire, c'est-à-dire celui qui fait appel à l'expérience intérieure de « soulagement »... »3(*). ATLAN nous parle aussi de la « confusion » entre « deux sortes d'expérience de l'explication », qui sont « l'efficacité technique et le sentiment intérieur de compréhension »4(*). Puis il nous dit qu' « il n'y a plus vraiment d'explication scientifique ».

Bien qu'il soit probable que « le besoin d'explication du réel est, au fond, antiscientifique »5(*), la position d'ATLAN nous semble être un bon exemple de confusion entre l'expérience de l'explication, qui est de l'ordre de la compréhension, et l'explication elle-même. Il ne suffit pas d'intégrer un phénomène à une chaîne causale (par exemple penser qu'un dieu est cause de la foudre), pour que ce dernier phénomène soit expliqué ; sinon il faudrait admettre aussi que l'invocation d'une vertu dormitive de l'opium explique le fait que cette substance ait une forte tendance à nous ensommeiller. Cette invocation peut effectivement produire en nous une « expérience intérieure de soulagement », mais elle n'est en aucun cas une explication, car il faudrait dire que chaque fois que nous faisons cette expérience, nous sommes en présence d'une explication. Or il semble bien que nous puissions éprouver ce sentiment ou cette expérience simplement si l'on nous met en présence d'un énoncé prenant la forme d'une explication, mais cette forme ne suffit pas à faire de lui une explication.

Pour saisir ce qu'est une explication, nous allons citer plusieurs passages de l'ouvrage d'HEMPEL intitulé Eléments d'épistémologie : « les explications scientifiques doivent,..., satisfaire à deux conditions systématiques que nous appelons l'exigence de pertinence dans l'explication et l'exigence de testabilité. »1(*). Il nous donne ensuite un exemple de raisonnement non-explicatif, puis développe son idée : « Considérez en revanche l'explication physique de l'arc-en-ciel. Elle montre que ce phénomène se produit par suite de la réflexion et de la réfraction de la lumière blanche du soleil dans des gouttelettes d'eau sphériques, comme celles qui sont en suspension dans les nuages. Elle fait voir, en recourant à certaines lois de l'optique, qu'on peut s'attendre à voir apparaître un arc-en-ciel dans deux cas : quand des gouttelettes d'eau sont pulvérisées ou qu'elles forment une brume et qu'une forte lumière blanche venant de derrière l'observateur les illumine. Donc, même si nous nous trouvions n'avoir jamais vu d'arc-en-ciel, l'information que fournit cette explication physique nous donnerait de bonnes raisons d'attendre ou de croire que, certaines conditions étant remplies, un arc-en-ciel apparaîtra. Nous désignerons cette caractéristique en disant que l'explication physique satisfait à l'exigence de pertinence dans l'explication : l'information fournie par l'explication donne de bonnes raisons de croire que le phénomène s'est produit ou se produit en fait. Cette condition doit être satisfaite pour que nous soyons autorisés à dire : « voilà l'explication - le phénomène en question devrait bien sûr être attendu dans ces conditions ». »2(*). Mais « cette exigence constitue, pour une explication valable, une condition nécessaire mais non pas suffisante. »3(*). Il continue ainsi : « ... les énoncés sur lesquels repose l'explication physique de l'arc-en-ciel ont effectivement des implications vérifiables variées : celles-ci concernent, par exemple, les conditions dans lesquelles on pourra voir un arc-en-ciel et la gamme des couleurs ; l'apparition de ce phénomène dans les embruns d'une vague se brisant sur des rochers ou au-dessus d'un jet d'eau de jardin. Ces exemples illustrent une seconde condition que doivent remplir les explications scientifiques, que nous appellerons l'exigence de testabilité : les propositions qui constituent une explication scientifique doivent pouvoir se prêter à des tests empiriques. »1(*). Il dit aussi que « ... les deux exigences que nous venons d'examiner sont liées : si l'on propose une explication qui satisfasse à l'exigence de pertinence, elle satisfait aussi à celle de testabilité. (La converse n'est évidemment pas valable.). »2(*).

Nous voyons néanmoins que HEMPEL s'intéresse avant tout à l'explication scientifique. Les critères nous permettant de la distinguer ne pourront donc pas nécessairement s'appliquer à nos explications ordinaires, qui produisent des énoncés dans lesquels figurent des concepts mentaux, c'est-à-dire à celles que nous fournissons dans notre vie de tous les jours. Elle nous permettra néanmoins d'examiner si la naturalisation peut prétendre au statut d'explication.

Les obstacles majeurs à une naturalisation de l'esprit étant levés, il ne nous reste plus qu'à examiner les démarches allant dans ce sens, en ne perdant pas de vue la question de savoir si un naturalisme peut se passer de toute référence à des normes.

2. LE MATERIALISME ELIMINATIF : PS. CHURCHLAND

WITTGENSTEIN et ses disciples nous ont affirmé que la philosophie a une valeur interprétative (des actions en tant qu'actions par exemple) que les sciences en général ne nous fournissent pas, parce qu'elles se situent du côté de l'explication ; cela conduit tout wittgensteinien qui se respecte à éliminer les sciences pour les questions relatives au domaine de l'esprit et des raisons.

D'autre part, les wittgensteiniens visent entre autres choses à réfuter que les états mentaux puissent être réduits à des états du cerveau ou intégralement expliqués par leurs causes et par leurs effets. Dans ce cadre, toute « explication » considérant que les phénomènes mentaux sont des causes de nos comportements est mythologique, et toute recherche portant sur des éventuelles causes de nos états mentaux est vouée à l'échec. Les matérialistes qu'on appelle « éliminativistes » partagent cette thèse avec les normativistes.

Comme son nom l'indique, le matérialisme éliminatif veut procéder à une élimination des entités mentales, et cette démarche se distingue d'une réduction ou d'une identification. En effet, parce que les entités mentales ne seraient qu'une fiction, il veut procéder à leur élimination, ainsi qu'à celle des concepts mentaux usuels y faisant référence, au profit d'entités matérielles et de concepts ne renvoyant qu'à des entités matérielles, ces derniers étant extraits de la neurophysiologie.

Avant d'exposer le plus clairement possible les différentes thèses auxquelles s'oppose le matérialisme éliminatif, qui sont appelées les thèses de la psychologie populaire, nous devons nous arrêter sur quelques points.

Tout d'abord, il nous faut dire que le matérialisme éliminatif est un naturalisme au sens où il vise à remplacer le vocabulaire intentionnel usuel que nous utilisons pour « expliquer » nos comportements, par des concepts et des explications issues de la neurophysiologie. Il nous faudra donc examiner si une élimination peut être une explication, et si elle n'en est pas une, quelle explication nous fournit le matérialisme éliminatif. Rappelons qu'il correspond à la seconde branche de la définition du naturalisme proposée par ENGEL : « ...la philosophie de l'esprit et de la connaissance...doit laisser la place à ce que l'on concevra, selon les cas, comme une « psychophilosophie », une « biophilosophie », ou une  « neurophilosophie ». » 1(*). Dans le cas qui nous intéresse, il s'agirait plutôt d'un projet de « neurophilosophie », car les entités destinées à remplacer les entités mentales dans nos explications usuelles sont des états cérébraux ou neuronaux.

Cela n'est légitime que dans la mesure où le matérialisme éliminatif prétend nous parler des propriétés mentales, étant donné que les propriétés sémantiques semblent pouvoir être instanciées par d'autres états physiques que les seuls états cérébraux. Pour la suite de notre développement, il est important de souligner que nous sommes en présence d'une philosophie cérébraliste qui se préoccupe plus du mental que de l'esprit.

Disons maintenant quelques mots sur le matérialisme.

André MACE, dans son introduction consacrée au recueil de textes intitulé La matière soutient l'idée suivante à propos de celle-ci : « Il semble tout d'abord que nous utilisons ce terme pour isoler un type d'objets que nous appelons « matériels », par opposition à d'autres objets dits «immatériels », comme par exemple, des choses simplement imaginées, des fantasmes, ou des choses comme ce que certains appellent des âmes, des dieux, « Dieu », des monstres, entendant par là des êtres à la fois bien réels et immatériels. » 1(*). Il dit aussi : « on remarque immédiatement qu'il existe une sorte de compétition entre ces deux types d'objets. Il y a, en effet, une prétention sous-jacente au fait de différencier l'immatériel et le matériel, prétention qui consiste à poser en même temps que l'une de ces deux catégories est la mesure de la réalité : soit les objets matériels sont les seules véritables choses existantes, réelles, soit, inversement, « Dieu », le « Concept », sont des réalités plus véritables encore. »2(*).

Le matérialisme, quel qu'il soit, soutient la thèse suivant laquelle la matière est la mesure de la réalité, celle affirmant qu'il n'existe d'autres entités que les entités matérielles.

Plutôt que de chercher à faire des états mentaux des objets matériels, comme pourrait le faire un réductionnisme, le matérialisme éliminatif préfère leur dénier toute réalité, et éliminer ces états de notre ontologie, et les concepts et expressions qui renvoient à ces états de notre vocabulaire usuel.

Avant de revenir aux thèses et aux arguments du matérialisme éliminatif, tâchons d'exposer clairement les thèses auxquelles il s'oppose ; elles sont rassemblées sous l'expression de « psychologie populaire » ou « psychologie du sens commun ». On peut les résumer ainsi avec ENGEL : « nous expliquons le comportement de nos semblables (et de nous-mêmes) en leur attribuant des états mentaux doués de contenus, en particulier des « attitudes propositionnelles », telles que les croyances, désirs, craintes ou souhaits. Que les attitudes propositionnelles aient des contenus veut dire que les contenus sont sémantiquement évaluables, c'est-à-dire ont des conditions de vérité (par exemple la croyance que cette pomme est bonne est vraie si et seulement si cette pomme est bonne). Nous supposons aussi que ces attitudes propositionnelles ont des pouvoirs causaux sur d'autres attitudes (par exemple la croyance que cette pomme est bonne peut causer le désir de manger cette pomme) et sur le comportement (manger la pomme). Enfin nous supposons que ces attitudes propositionnelles forment la base de lois et de généralisations largement vraies, qui permettent d'expliquer et de prédire les comportements. « Largement », car ces généralisations sont vraies mutatis mutandis : si X désire manger une pomme, et si X croit que cette pomme est bonne, il mangera la pomme, sauf si d'autres croyances (par exemple la croyance qu'elle est souillée) interviennent pour contrecarrer son action. »1(*).

Nous pourrions ajouter qu'en plus de vouloir expliquer les comportements de nos semblables par des états mentaux, nous les considérons généralement comme réels, et pas comme de simples attributions fictives que nous projèterions sur nos congénères parce qu'elles nous permettraient d'expliquer leurs comportements. Le matérialisme éliminatif nous dit au contraire que ces états ne sont pas réels, et que nos « explications » du type « la croyance que cette pomme est bonne peut causer le désir de manger cette pomme » sont fausses. Remarquons que pour dire qu'elles sont fausses, il faut avoir une théorie de la vérité. Quelle est la théorie de la vérité du matérialisme éliminatif ? Mais il faut surtout considérer que ce qu'on appelle la psychologie populaire est une théorie, et c'est sur ce postulat que sont fondées l'idée générale qu'il faut la réfuter, et l'idée particulière qu'il faut l'éliminer. Cette objection est présentée par ENGEL dans Introduction à la philosophie de l'esprit 2(*). Si l'on refuse ce postulat, il n'y a plus lieu d'avoir une telle attitude vis-à-vis de la psychologie populaire.

Le matérialisme éliminatif ne partage pas la thèse selon laquelle nous devrions identifier les états mentaux aux états cérébraux. ENGEL nous le dit clairement : « ...l'éliminativisme n'est pas, justement, un partisan de la théorie de l'identité du mental et du cérébral. »1(*). Le matérialisme éliminatif ne « prêche » pas la réduction du mental au cérébral, il prêche son élimination ou sa disparition... »2(*). Il n'est pas non plus un réductionnisme et ne prétend d'ailleurs pas l'être. Pour comprendre ce qu'est un réductionnisme, regardons un peu ce que nous en dit ATLAN : « la pratique réductionniste consiste à séparer un tout en ses constituants, avec l'espoir de trouver dans les propriétés des constituants de quoi expliquer celles du tout. »3(*).

Mais le matérialisme éliminatif ne veut pas réduire un état mental tel que la croyance à ses constituants car, pour que le tout soit réductible à ses parties, il faut que le tout existe, et comme le dit ENGEL : « il n'y a pas de réduction possible s'il n'y a rien à réduire. »4(*). Or, selon le matérialisme éliminatif, la croyance n'est qu'un mot, et il n'existe aucune entité ou état qui serait la référence de ce concept. Parler de croyance, d'intention ou de désir n'aurait pas de sens, et vouloir réduire les états mentaux à leurs constituants serait comme vouloir réduire un elfe, une sorcière, ou toute autre entité fictive à ses constituants.

ENGEL résume ainsi les thèses du matérialisme éliminatif : « selon... le « matérialisme éliminatif », les états mentaux ordinaires de la psychologie du sens commun ou « populaire », tels que « croyance », « désir », ou « douleur », ne désignent tout simplement rien, et ne sont qu'un mythe que nous projetons sur les structures propres à notre comportement (en ce sens le béhaviorisme peut être aussi un éliminativisme) ou nos structures neuronales, tout comme des termes tels que « sorcière » ou « possession démoniaque » ne désignent rien et ne sont que des projections fictives. Selon l'éliminativisme, une science future de l'esprit qui aura pu expliquer causalement en termes d'un vocabulaire neurophysiologique et ultimement physique l'ensemble de nos comportements, montrera que l'ensemble de notre psychologie populaire est une théorie fausse, au même titre que la théorie phlogistique ou la théorie de la génération spontanée. »5(*).

Il y a plusieurs choses à dire sur cet extrait de texte ; on peut déjà remarquer que si les termes de « elfe », « sorcière », ou « possession démoniaque », n'ont aucune référence, les « explications » dans lesquelles ils figureront, (du type « c'est cette sorcière qui m'a rendu malade ») n'auront aucune valeur explicative, car elles ne satisfont qu'à la forme de l'explication causale (cf p.32).

ENGEL nous donne une raison de considérer que des notions comme celles de « sorcellerie » et de « croyance » ne peuvent être mises sur le même plan : la dernière « paraît beaucoup plus enracinée dans nos explications communes », et « ce n'est pas le même arrière-plan de principe qui les gouverne ».1(*)

Nous ne voyons pas en quoi le fait que la notion de croyance soit « plus enracinée dans nos explications communes », c'est-à-dire est plus employée que l'autre, établit quoi que ce soit de sa réalité. De même, si nous employions constamment la notion de « sorcellerie » pour « expliquer » certains événements dans le monde, il ne faudrait pas pour autant en inférer que cette notion fait référence à des propriétés réelles.

On peut aussi objecter qu'il y a une différence entre attribuer des croyances à quelqu'un pour expliquer son comportement, et postuler des causes telles que des elfes pour « expliquer » certains phénomènes physiques. La première attribution peut être considérée comme rationnelle, alors que la seconde serait considérée comme irrationnelle. Cela ne prouve peut-être rien quant à la réalité des entités postulées, mais c'est néanmoins une distinction que nous faisons.

Il y a en fait une difficulté à mettre sur le même plan une croyance et une sorcière, la seconde n'étant pas conçue comme une propriété d'une substance physique, mais comme une substance physique pourvue de certaines propriétés. Pour que l'objection du matérialisme éliminatif soit plus intelligible, il faudrait la reformuler ainsi : les propriétés mentales attribuées au cerveau (telles que les croyances), sont à mettre sur le même plan que les propriétés magiques de la sorcière, elles sont fictives et n'ont aucune référence dans la réalité ; ces entités ne peuvent par conséquent avoir les propriétés causales qu'on leur prête. En vertu de ce que nous avons dit précédemment, l'énoncé « c'est cette sorcière qui m'a rendu malade » serait donc faux.

Pourtant, si je dis de ma voisine grippée qui s'habille toujours en noir, a un nez crochu, et qui l'autre jour m'a malencontreusement éternué dessus, « c'est cette sorcière qui m'a rendu malade », cet énoncé pourra être considéré comme vrai.

La réponse que le matérialiste pourrait faire à cette objection est que nous ne surnommons notre voisine « sorcière » que parce qu'elle ressemble à une sorcière. Mais nous ne faisons pas appel à ses propriétés magiques pour « expliquer » qu'elle nous ait rendu malade ; nous invoquons simplement un fait matériel (l'éternuement) pour expliquer notre contamination. Le matérialiste éliminatif pourrait donc nous dire que l'énoncé « c'est cette sorcière qui m'a rendu malade » n'est faux qu'en tant qu'il fait référence ou renvoie à des propriétés magiques de cet objet que l'on dénomme « sorcière », et que ce n'est que par figure que l'on emploie ce terme pour désigner notre voisine. En fait la valeur de vérité de ce genre d'énoncés a fait l'objet de discussions. FREGE aurait plutôt tendance à soutenir que ce type d'énoncé ne peut recevoir de valeur de vérité, étant donné que celle-ci dépend de l'existence de l'entité à laquelle il est fait référence. Autrement dit, du fait de l'inexistence des propriétés magiques, les propositions dans lesquelles elles figurent ne pourraient être dites vraies ou fausses.

Pour accepter l'argumentation du matérialisme éliminatif, il faut assimiler les propriétés mentales à des propriétés magiques (c'est-à-dire à des propriétés dont les objets sont dénués, mais qui sont attribués à ceux-ci par des observateurs/interprètes). Cela ne va pourtant pas de soi. Peut-on mettre sur le même plan les énoncés suivants : « cette croyance que ceci est de l'eau a fait qu'il a bu » et « cette sorcière m'a rendu malade » ?

Même en admettant que nous considérions les propriétés mentales comme des propriétés magiques, cela ne nous oblige qu'à réviser notre ontologie, et pas nécessairement nos concepts et nos explications.

Le matérialisme éliminatif part du présupposé que l'absence de référent d'un concept prive ce concept de tout sens. Autrement dit, il ne tient pas compte de la distinction fregéenne entre le sens et la référence : « on peut... concevoir un sens sans avoir pour autant avec certitude une dénotation. ». FREGE donne deux propositions à l'appui de cette thèse : «le corps céleste le plus éloigné de la terre »1(*) et « Ulysse fut déposé sur le sol d'Ithaque dans un profond sommeil. »2(*).

D'autre part, si nous étendons le raisonnement du matérialisme éliminatif à d'autres objets que les seuls états mentaux, devrons-nous dire « sers-moi un verre de molécules d'H2O » ? Il semble que nous appellerions « eau » toute substance présentant les mêmes qualités phénoménales que ce que nous avons pour habitude de désigner ainsi : nous ne désignons pas en fait par le terme d'« eau » une certaine composition chimique. En fait, par le concept d' « eau », nous désignons plutôt un ensemble de qualia ou qualités phénoménales (transparence, liquidité...), et/ou ce qui répond à une certaine fonction dans notre vie de tous les jours, c'est-à-dire à un ensemble d'actions que nous pouvons normalement faire avec une telle substance (boire, se laver...). Si les expressions « H2O » et « eau » ont le même sens, comment se fait-il que cette question nous paraisse bizarre et incongrue ?

Devrons-nous dire aussi « J'ai un mouvement de molécules » plutôt que « J'ai chaud » ? Nous ne pouvons sans absurdité décider que nous devons remplacer nos énoncés et nos concepts usuels par des énoncés et des concepts scientifiques, en justifiant simplement cette entreprise par le fait que certaines expressions auraient le même référent. Autrement dit, nous venons d'établir la proposition suivante : le fait que deux phénomènes relèvent d'un même niveau d'organisation n'implique pas que nous devons les faire relever d'un même niveau de description, ou que nous devons confondre leur description ; (cette proposition ne pourra être comprise que plus tard, lorsque nous aurons explicité les concepts qui la composent).

De plus, il n'est absolument pas établi que des termes comme « chaleur » et « mouvement de molécules » aient la même dénotation ou référent, le premier énoncé renvoyant à une réalité phénoménale, le second à une réalité physique, et ce dernier état étant le plus souvent une cause de l'autre. On pourrait en effet très bien imaginer qu'il puisse y avoir mouvement des molécules sur la terre sans qu'aucune chaleur ne soit ressentie - pour la bonne raison qu'il n'y aurait pas d'organismes sensibles à ce phénomène physique - la chaleur étant une sensation plutôt que tel ou tel mouvement de telles ou telles molécules.

Nous voyons donc que l'élimination de nos concepts mentaux et de nos énoncés usuels ne peuvent se faire sur la base de la postulation d'une équivalence entre les référents, parce qu'ils n'ont pas le même sens ; d'autre part, nous ne pouvons pas non plus dire qu'ils ont le même référent, car il faudrait alors considérer qu'une cause et un effet puissent désigner un même phénomène.

Le problème est néanmoins de savoir si nous pouvons dire de l'état cérébral X qu'il est une cause de l'état mental Y. Si nos remarques visant à montrer que les énoncés tels que « mouvement de molécules » et « chaleur » n'ont pas le même référent, et sont problématiques, la non-équivalence de signification, quant à elle, est établie par le fait que les concepts ne sont pas interchangeables ou substituables.

D'autre part, le matérialisme éliminatif, dans la mesure où il veut nier l'existence des états mentaux pour ne considérer comme réels que les états cérébraux ou neurophysiologiques, peut être compris comme un internalisme au sens où il semble se priver de toute relation sémantique. Il s'expose donc aux critiques que nous avons déjà pu faire à l'internalisme.

Ce qui fait la différence entre un état comme la douleur, et un simple état cérébral ou corporel, c'est que dans le premier cas la douleur est une sensation et se réfère au monde extérieur (ou au monde intérieur) où quelque chose fait mal, alors que dans le second cas, il s'agit simplement d'un état interne de l'organisme. La conception qui vise à ne faire de la douleur qu'un état interne de l'organisme (que celui-ci soit « mental » ou qu'il soit cérébral) est dans l'incompréhension de ce à quoi sert une douleur. La fonction de la sensation de douleur est en effet d'indiquer qu'un phénomène réel à l'extérieur ou à l'intérieur de l'organisme est en train de menacer l'intégrité de celui-ci pour que l'organisme puisse réagir (en fuyant, évitant, combattant l'objet menaçant).

L'internaliste que constitue le matérialiste éliminatif pourrait nous rétorquer que nous pouvons ressentir une douleur sans qu'il y ait de phénomène réel externe ou interne causant cette douleur ; autrement dit, elle pourrait n'être qu'une hallucination tactile ou kinesthésique.

Nous pourrions lui répondre qu'il s'agit d'un dysfonctionnement du mécanisme de la douleur. De la même manière, ce n'est pas parce qu'il arrive au train de dérailler que le train n'est pas fiable ; d'ailleurs nous le prenons et nous nous en servons. Le déraillement et l'hallucination sont des dysfonctionnements anormaux et relativement exceptionnels, qui ne remettent pas en cause la fiabilité du mécanisme. Le cas de l'hallucination kinesthésique est un déraillement qui ne remplit plus la fonction d'indiquer un objet réel menaçant l'intégrité de l'organisme, fonction qui est normalement celle de la douleur, et qui permet à ce dernier de prendre les dispositions qui s'imposent pour assurer sa survie et son intégrité.

Ne tenir compte que du référent interne pour statuer sur la réalité des entités mentales est absurde, comme nous l'a fait remarquer DESCOMBES par ses objections à l'internalisme.

Ce n'est pas en effet parce que l'une des caractéristiques principales des états mentaux est leur intensionnalité qu'il faut les priver de toute référence à quelque chose de réel, ce « quelque chose » pouvant être aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur de l'organisme. L'intensionnalité se caractérise de la façon suivante: si X croit que a est F, et si a = b, il ne s'ensuit pas que X croit que b est F. Autrement dit, ce n'est pas parce qu'il peut y avoir une opacité référentielle de nos états mentaux qu'il faut supprimer systématiquement tout référent externe. N'oublions pas que la plupart de nos états mentaux sont des états intentionnels, et qu'il faut bien qu'ils soient la représentation de quelque chose. Et le fait que ce « quelque chose » puisse être inexistant ou illusoire n'invalide pas la thèse selon laquelle les états mentaux ont pour fonction de représenter une réalité, qu'elle soit intérieure ou extérieure, et de nous informer sur cette réalité.

Pour mieux comprendre cette question de la révision de notre ontologie et du remplacement des énoncés renvoyant à des entités absentes dans les sciences de la nature par des énoncés renvoyant à des entités figurant dans les explications scientifiques naturelles, nous voudrions introduire le concept de niveau d'organisation. Ce concept apparaît et semble avoir été initialement élaboré par Henri LABORIT dans La nouvelle grille notamment 1(*). Avant d'expliciter cette notion par la lecture d'ATLAN, nous voudrions critiquer la définition que LABORIT fait du réductionniste qu'il présente ainsi : « ...le « réductionniste » est celui qui s'enferme dans un seul niveau d'organisation. »2(*).

Cela nous paraît justement ne pas être le cas, parce que le réductionniste s'efforce d'étudier deux niveaux d'organisation pour pouvoir réduire l'un à l'autre ; il prend justement en compte le fait qu'il y ait deux niveaux, et sa démarche implique l'idée d'une irréductibilité possible du premier niveau au second.

Il est par contre probable que la définition de LABORIT s'applique plus aisément à ce que nous appelons le matérialisme éliminatif.

La compréhension de ce qu'est un niveau d'organisation chez ATLAN ne manquera pas de nous paraître évidente, une fois cités certains passages : « En effet, c'est maintenant le même objet - un organisme - qui est à la fois un objet physique (atomique), chimique (moléculaire), biologique (macromoléculaire, cellulaire), physiologique, psychique, linguistique, social. » 3(*).

Ces différents niveaux d'étude du même objet sont ce qu'il appelle les niveaux d'organisation, ce qui n'est pas sans poser un problème d'importance que nous reformulerons un peu plus loin : « et ceci pose d'ailleurs une question à laquelle il n'est peut-être pas possible de répondre de façon certaine : dans quelle mesure la séparation en différents niveaux d'intégration dans un système intégré existe-t-elle « objectivement », ou bien est-elle dépendante des techniques d'observation, d'expérimentation et d'analyse par lesquels nous avons accès à ces différents niveaux ? »1(*)

Le matérialisme éliminatif remet en cause le niveau d'organisation psychique en doutant de son existence objective, et privilégie ou affirme la supériorité explicative des niveaux atomique, chimique et biologique (et peut-être aussi physiologique). Selon lui, nous n'aurions pas à postuler des entités telles que les croyances et les intentions, parce qu'elles ne figurent pas dans les explications des niveaux « inférieurs » que nous venons de citer ; nous devrions éliminer de notre ontologie ce niveau d'organisation fictif (ce que l'on a appelé ailleurs le niveau de description) et les propriétés qui y sont afférentes, ainsi que les concepts y faisant référence.

Pourtant, et c'est ce qui est paradoxal, le matérialisme éliminatif qui refuse en principe le niveau intentionnel, suppose en fait un pré-découpage intentionnel, comme nous le montre le passage suivant de ENGEL : « L'objection la plus évidente à la position éliminativiste en épistémologie est qu'elle semble s'autoréfuter. Car si l'épistémologie naturalisée doit remplacer l'épistémologie traditionnelle, elle doit bien, d'une manière ou d'une autre, porter sur la connaissance. Si elle ne le fait pas, et si elle doit être remplacée par la psychologie, ou la neurophysiologie, quelles sont, parmi toutes les régularités causales qu'étudient ces disciplines, celles qui concernent le domaine du connaître proprement dit ? L'étude des réflexes moteurs, ou celle du comportement émotionnel, semblent, peut-on présumer, moins directement porter sur une connaissance que l'étude des processus de la vision ou de l'audition. Mais au nom de quoi fera t-on cette distinction, sinon parce qu'on dispose d'un critère de ce que c'est que  « connaître » ?...Comment, en d'autres termes, parler de connaissance sans présupposer au moins une définition minimale de cette notion ? »2(*). Le matérialisme éliminatif est en fait obligé de procéder à un pré-découpage intentionnel, c'est-à-dire de se servir des catégories déjà existantes de la psychologie populaire pour comprendre à quoi les différentes réactions neurophysiologiques qui ont pu être observées correspondent ; il n'aurait autrement qu'un ensemble de données physico-chimiques anarchiques. En effet, comme le remarquent RENCK et SERVAIS : «... plus on se débarrasse d'une terminologie dite intentionnelle..., plus on risque de se retrouver avec un ensemble désorganisé de données. »1(*).

Comme le développe Bernard ANDRIEU dans La neurophilosophie, le matérialisme éliminatif se distingue d'un « physicalisme radical et simpliste »,2(*), parce qu'il prend en compte des réseaux neuronaux. Il s'agirait donc d'une explication complexe et respectueuse des différents niveaux d'organisation. Quels sont-ils ? Chez CHANGEUX et DEHAENE, il s'agit 1/ du niveau cellulaire, 2/ du niveau circuit, 3/ du niveau méta-circuit3(*). Il en est de même pour P.S.CHURCHLAND, qui distingue aussi des niveaux d'organisation : respectivement, le comportement / le circuit / l'assemblée cellulaire / la synapse / la cellule / la membrane4(*).

Mais comme le remarque très justement ANDRIEU, cette « complexité... permet d'éviter l'accusation de réductionnisme pur et simple ; mais cette hiérarchie n'articule pas l'écart entre le corps et l'esprit autrement que sous le mode matérialiste... » 5(*). On peut aussi remarquer qu'il n'y a pas dans les niveaux d'organisation de P.S.CHURCHLAND un niveau des représentations internes. Par conséquent, contrairement à ce que nous disait DESCOMBES, et conformément à ce que nous avions souligné, « l'élimination se définit avant tout par une volonté arbitraire de refuser toute référence à une philosophie mentaliste. »6(*).

Mais ne pouvons-nous dire à ce moment-là que nous n'avons pas à postuler les entités théoriques que semblent être les masses et les électrons, parce qu'elles ne figurent pas dans les explications des niveaux « supérieurs » (en se situant évidemment hors des niveaux d'organisation définis par le matérialisme éliminatif) ? Cette réflexion nous est venue à la suite de la lecture d'un passage d'ENGEL : « mais pourquoi les croyances et les désirs ne seraient-ils pas, comme les masses et les électrons, des entités théoriques postulées pour rendre compte de l'observation ? »7(*), et d'un passage de JACOB extrait de Autrement 8(*), où il s'interroge sur la réalité des électrons. Les électrons sont-ils finalement des entités plus certaines que les croyances et les intentions ?

De plus, comme nous l'avons déjà fait remarquer, l'attaque du matérialisme éliminatif ne s'adresse pas qu'à un ensemble d'entités inexistantes que nous devrions éliminer de notre ontologie, mais aussi aux différentes sciences étudiant d'autres niveaux d'organisation que ceux décrits par P.S.CHURCHLAND, qui perdraient du fait de cette inexistence, leur objet et leur légitimité. Il y aurait en effet chez P.S.CHURCHLAND, un projet de « dissolution de toutes les sciences humaines dans les neurosciences. » 1(*). C'est en tout cas de cette façon que le décrit ANDRIEU :  « ...il s'agirait d'abandonner ces sciences humaines désuètes face aux progrès réalisés par les sciences de la vie dans l'analyse et l'explication de la nature humaine. Ou plutôt les sciences humaines ne devraient leur avènement et leur développement qu'en raison de l'insuccès provisoire de la biologie, de la phrénologie, de l'anthropométrie, de la raciologie, de l'histoire naturelle ou encore de la neurologie. »2(*).

Au-delà de ces questions sur la réalité ontologique de certaines entités postulées aussi bien par les sciences physiques que par la psychologie, le matérialisme éliminatif formule en fait une critique de la scientificité de la psychologie (qui fait comme la psychologie populaire l'hypothèse d'entités mentales) et de ses méthodes, parce qu'elle fait appel, dans ses explications, à des entités non physiques, et qu'elle ne semble pas pouvoir énoncer de lois autres que ceteris paribus.

Il est pourtant tout à fait légitime que la psychologie mette en oeuvre d'autres méthodes étant donné qu'elle étudie un niveau d'organisation différent (il nous reste encore à établir qu'il s'agit non pas simplement d'un niveau de description, mais d'un niveau d'organisation).

Laissons pour l'instant de côté cette question des lois à laquelle nous avons déjà répondu dans notre première partie.

S'agissant des explications de la psychologie, nous allons voir que la norme de ne faire figurer dans nos explications que des concepts faisant référence à des entités strictement physiques et présentes dans les sciences naturelles peut être transgressée, car la présence de concepts faisant référence à des entités mentales dans ces explications, ne paraît pas impliquer pas qu'elles soient dénuées de tout pouvoir explicatif ; de même, il semble que nous puissions construire des énoncés absurdes ne contenant que des concepts scientifiques naturels, et qui seraient de ce fait dénués de toute valeur explicative.

D'autre part, « comme l'a noté Fodor ..., il y a un sens où, si l'on tient la physique pour la science la plus fondamentale, toutes les propriétés, y compris celles qui sont non intentionnelles, sous lesquelles nous décrivons un objet quelconque apparaissent comme « épiphénoménales ». Par exemple, la propriété d'être une montagne est une propriété qui entre dans des explications causales : elle explique pourquoi par exemple le Mont Blanc a des neiges à son sommet, pourquoi les alpinistes veulent le grimper, ou pourquoi il fait sombre si tôt dans les vallées (quel que soit le détail de ces explications). Mais les pouvoirs causaux du Mont Blanc, selon l'analyse physicaliste présente, sont déterminés eux-mêmes par les propriétés physiques de la montagne : sa hauteur, les roches qui le composent, etc ... Il s'ensuit que la propriété d'être une montagne est causalement inerte ou épiphénoménale par rapport à ces propriétés physiques... »1(*).

Si on laisse pour l'instant de côté le problème de l'efficacité causale des propriétés non physiques que l'on peut appeler fonctionnelles, il y a ontologiquement une difficulté quant à considérer qu'il n'y a de propriétés que physiques. Il semble bien qu'au cas par cas, chaque propriété fonctionnelle se révèle finalement être une propriété physique, mais la description de certains phénomènes par ses propriétés fonctionnelles semble posséder une autonomie, une validité qui lui est propre.

Mais s'agit-il de la description abstraite d'un processus qui n'a de réalité que physique et déterminée, ou s'agit-il d'une propriété réelle et relativement autonome ?

S'il ne s'agit pas d'une propriété réelle (étant entendu qu'il n'y aurait de propriété réelle que physique), mais d'une description, elle ne peut avoir d'efficacité causale. Or nous verrons qu'il y a une objection probante à la thèse selon laquelle les propriétés mentales seraient irréelles et inefficaces causalement.

Pour y voir un peu plus clair, reprenons un exemple à Pierre JACOB : la propriété d'être un antalgique peut se prêter à au moins deux propriétés chimiques : l'acide acétylsalicylique et le paracétamol. Nous aurions plutôt tendance à appeler l'acide acétylsalicylique et le paracétamol des  substrats, mais JACOB emploie l'expression de « propriétés chimiques » pour les désigner parce qu'ils ont la propriété chimique d'« être composés de molécules d'un certain type chimique ».1(*)

La propriété d'être un antalgique est donc une propriété disjonctive au sens où elle peut être instanciée par au moins deux propriétés chimiques distinctes : « ...une substance est un antalgique si elle est composée de molécules chimiques qui agissent causalement sur la douleur - comme l'acide acétylsalicylique (pour l'aspirine) et le paracétamol (pour le Doliprane). »2(*). Autrement dit : « plusieurs molécules distinctes peuvent conférer à une substance la propriété F d'être un antalgique. »3(*).

Si l'on reste dans la logique du matérialisme éliminatif (et nous verrons que l'argument est transposable au problème qui nous occupe), l'énoncé « mon mal de tête a cessé car j'ai pris un antalgique » devra être remplacé par « mon mal de tête a cessé car j'ai pris de l'acide acétylsalicylique », parce que la propriété d'être un antalgique n'est pas une propriété physico-chimique, et qu'elle relèverait par conséquent d'un niveau d'organisation et de description illusoire. (Il est entendu que l'antalgique et l'acide acétylsalicylique désignent des causes dans ces énoncés.)  Nous devrions donc renoncer à l'explication suivant laquelle la prise d'un médicament ayant la propriété d'être un antalgique est cause de la cessation de mon mal de tête.

Pourtant, nous voyons bien que cet énoncé n'est pas trivial et non-informatif, puisqu'il écarte d'autres alternatives : « mon mal de tête a cessé parce que j'ai fait de la relaxation », « mon mal de tête est parti tout seul sans que j'aie pris aucun médicament »...

Cet argument montre simplement que l'énoncé « mon mal de tête a cessé parce que j'ai pris un antalgique » ne semble pas dénué de toute valeur descriptive. Mais s'agit-il d'une explication ?

De la même manière qu'il y a une réalisabilité multiple de la propriété d'être un antalgique, il pourrait y avoir une réalisabilité multiple des propriétés mentales telles que les croyances et les désirs ; et les énoncés dans lesquels ces derniers concepts figurent, du type « il a bu le contenu de ce verre parce qu'il croyait que c'était de l'eau », pourraient avoir une valeur explicative du fait qu'ils écartent d'autres possibilités, et ne sont ni faux ni non-informatifs.

Mais cet argument n'établit pas pour autant la réalité de ces propriétés disjonctives ou fonctionnelles. Il s'agit de savoir si l'invocation de ces propriétés renvoie à un niveau de description qui serait simplement une autre façon de décrire les mêmes propriétés physico-chimiques, ou si elle renvoie à un niveau d'organisation relativement autonome.

Reprenons l'argument de JACOB : « ...même si l'on concède qu'une propriété fonctionnelle de second ordre est causalement inefficace vis-à-vis des effets normaux des propriétés de premier ordre qui rentrent dans sa définition, sans l'intermédiaire d'un processus de formation de croyances, elle n'en a pas moins une efficacité ou un rôle explicatif. En disant que la douleur d'un malade a été supprimé par l'ingestion d'un antalgique, - conformément à la définition logique d'une propriété fonctionnelle -, on affirme que la douleur du malade a été supprimée par l'une des molécules susceptibles de supprimer la douleur. Sans nommer la molécule, on fournit une explication du fait que la douleur du malade a disparu. Cette explication est bel et bien une explication causale : elle écarte d'autres explications rivales possibles - que, par exemple, le malade est guéri ou qu'il est mort. Comment le fait d'invoquer une propriété causalement inerte peut-il entrer dans une explication causale ? Tout simplement - en vertu des caractéristiques logiques des propriétés de second ordre - en nous indiquant qu'il existe une propriété causalement efficace de premier ordre sans la nommer. »1(*).

Il nous faut prêter une attention particulière à ce passage important. Examinons tout d'abord la seconde partie de l'argument : selon JACOB, il semble que la question de l'explication soit distincte de celle de la causalité réelle des propriétés qui y figurent. Autrement dit un énoncé pourrait être explicatif bien que les concepts qui le composent ne renvoient pas à des propriétés causalement efficaces.

La question porte sur le critère que nous adoptons pour la détermination de la réalité de certaines propriétés. Si l'on accepte que la réalité de certaines propriétés est établie par le fait qu'elles sont causalement efficaces (et nous ne voyons pas d'autres manières d'établir cette réalité), il faut soutenir la thèse selon laquelle un énoncé pourrait être explicatif bien que les concepts qui le composent ne renvoient pas à des propriétés réelles. Mais cela nous amènerait à ne plus pouvoir distinguer des énoncés comme « cette croyance que ceci est de l'eau a fait qu'il a bu » et « cette sorcière m'a rendu malade ». Nous irions ainsi à l'encontre du but que nous nous étions fixé, et nous ferions les apologistes du matérialisme éliminatif qui veut renvoyer dos à dos ces deux énoncés.

Nous aurions donc plutôt tendance à soutenir qu'il ne suffit pas qu'un énoncé soit informatif pour lui accorder le statut d'explication. Un énoncé tel que « mon mal de tête a cessé parce que j'ai pris un antalgique » est une description informative mais pas une explication, car dans celle-ci doivent figurer des propriétés réelles et causalement efficaces. Nous ne pouvons donc assimiler la propriété mentale que constitue la croyance à la propriété d'être un antalgique sous prétexte qu'elles seraient toutes les deux des propriétés fonctionnelles.

Comme nous allons le voir par l'examen de la première partie de l'argument de JACOB, l'efficacité causale de la propriété d'être un antalgique dépend de la croyance que ceci est un antalgique. Les énoncés tels que « mon mal de tête a cessé parce que j'ai pris un antalgique » et « mon mal de tête a cessé parce que j'ai cru que ceci était un antalgique » ont un statut différent : le premier tient sa valeur de la description informative qu'il nous fournit, alors que le second semble pouvoir prétendre au moins au statut d'explication ordinaire, si ce n'est scientifique, notamment à cause du fait que la psychologie scientifique prétend expliquer nos comportements par nos croyances. Nous voudrions simplement montrer ici que les propriétés mentales semblent être causalement efficaces.

Là encore, nous nous référons à JACOB : au début de l'extrait de texte que nous venons de citer, il affirme « qu'une propriété fonctionnelle de second ordre est causalement inefficace vis-à-vis des propriétés de premier ordre qui entrent dans sa définition, sans l'intermédiaire d'un processus de formation de croyance ... ».1(*)

Nous pouvons déduire de ce passage qu'une propriété fonctionnelle est causalement efficace vis-à-vis des propriétés qui entrent dans sa définition si et seulement si il y a un processus de formation de croyances. Autrement dit, il semble que ce soit la croyance qui rende la propriété fonctionnelle de second ordre causalement efficace.

Ce qui fonde cette affirmation est le passage suivant : « être un antalgique n'est pas la cause directe de la suppression de la douleur d'un organisme dépourvu de la capacité cognitive de former le concept d'antalgique. Cependant, de même qu'une propriété de premier ordre peut avoir des effets secondaires, de même une propriété fonctionnelle de second ordre peut exercer une action causale sur un dispositif cognitif capable d'acquérir le concept de la propriété fonctionnelle - comme l'attestent les effets placebo - : le fait de tenir une substance pour un antalgique peut provoquer une diminution ou une suppression de la douleur chez une créature capable de former des croyances... »1(*). Cet argument est extrêmement intéressant et rarement envisagé dans les discussions sur l'efficacité causale des croyances et des états mentaux en général. Il semble que nous puissions l'élargir à d'autres états mentaux : « ...il est établi que le chagrin d'un deuil ou la dépression grave affaiblissent le système immunologique pendant plusieurs mois, et que les maux de l'esprit peuvent devenir maladies du corps... ; l'hypnose peut déclencher des perturbations physiologiques et somatiques ; l'auto-éducation de la volonté peut conduire à contrôler les battements du coeur (yogisme). Plus encore, le phénomène le plus intensément psycho-culturel, la foi, peut provoquer mort ou guérison ; ainsi les tabous, envoûtements, malédictions peuvent tuer, les miracles peuvent guérir, et les placebo sont efficaces sur un tiers des malades. ».2(*)

Pour continuer en ce sens, on peut citer un exemple médical spécialisé du neurologue Antonio R. DAMASIO, qui fait plus que constater la corrélation entre un certain état mental et un état général d'immunité du corps. :  « ...le stress mental chronique, un état affectant de nombreux systèmes cérébraux, au niveau du néo-cortex, du système limbique et de l'hypotalamus, semble conduire à la surproduction d'une substance chimique, le peptide dérivé du gène de la calcitonine ou CGRP, au sein des terminaisons nerveuses figurant dans la peau. Par suite, ce peptide recouvre de façon excessive la surface des cellules de Langherans qui sont apparentées au système immunitaire et ont pour fonction de capter les agents infectieux et de les présenter aux lymphocytes, de telle sorte que le système immunitaire puisse éliminer ces microbes de l'organisme. Lorsqu'elles sont complètement recouvertes de CGRP, les cellules de Langherans sont moins fonctionnelles et ne peuvent plus jouer leur rôle de gardien. Le résultat final est que le corps devient vulnérable aux infections, puisqu'une porte d'entrée majeure pour les agents infectieux est désormais moins bien défendue... » 3(*).

Soit, mais comment constatons-nous qu'il y a « stress mental chronique » si ce n'est par des perturbations physiologiques ? D'autre part, le fait que l'on puisse établir une corrélation entre le « stress mental chronique » et des états du corps n'implique pas qu'il y ait nécessairement une relation de cause à effet entre le premier et les seconds. Ne peut-on soutenir au contraire que le stress mental est causé par un état du corps ? Même dans la mesure où nous acceptons que le stress mental cause la production d'une substance chimique ayant pour effet des modifications des états du corps qui atteignent son immunité, les réflexions de DAMASIO ne nous disent pas de quelle façon se produit cette causalité entre l'esprit et le corps.

Nous pensons néanmoins que ce n'est pas parce que nous ne savons comment expliquer ces phénomènes qu'il faut renoncer à les comprendre et à tenter de les expliquer. Il est en effet dommageable à la science de faire de ces faits encore inexpliqués des faits inexplicables. Ils sont extrêmement intéressants, et l'on pourrait croire qu'ils constituent le dernier bastion d'arguments contre le matérialisme pur et dur et la causalité strictement physique, ainsi que le résidu non-intégré et non-intégrable de ces théories. Cela est en fait en partie faux, puisque toute propriété mentale est une propriété d'une substance physique. Il nous paraît néanmoins erroné de nier que des états mentaux puissent être des causes de certains états physiques de notre organisme, ou d'écarter cette hypothèse en classant les faits que nous venons de citer comme des cas particuliers ou des exceptions, notamment parce que la connaissance des croyances d'autrui nous permet dans une certaine mesure de prédire ses comportements.

Quoiqu'il en soit de l'explication de ces faits, nous voyons bien qu'il est avéré que les états mentaux en général peuvent être des causes des phénomènes physiques (et donc de nos comportements). Bien que nous devions nous arrêter sur cette question, notamment pour réfuter le matérialisme éliminatif, il ne nous appartient pas ici de résoudre le problème de la causalité mentale, qui ne constitue qu'un aspect de notre problème. Nous reviendrons néanmoins un peu sur cette question dans notre troisième partie.

Nous pouvons maintenant en revenir à une critique plus directe des ambitions du matérialisme éliminatif. Considérons son projet d'élimination des entités mentales : que nous dit le matérialisme éliminatif sinon que nous ne devons pas croire à l'existence de certaines entités ?

Le matérialiste éliminatif devra t-il croire en l'existence des entités neurophysiologiques destinées à remplacer nos entités mentales ? De son point de vue, il n'est pas plus juste de croire aux unes qu'aux autres, et le matérialiste éliminatif, s'il est conséquent avec lui-même, ne pourra pas croire en la vérité de la thèse qu'il soutient, ni en la fausseté de la thèse adverse.

S'il peut y avoir une certaine légitimité du projet d'élimination des entités mentales, rien ne justifie la décision selon laquelle seule la neurophysiologie doit servir de science de référence à l'entreprise de naturalisation de l'esprit, ni même le fait que nous devrions remplacer nos concepts usuels par les concepts uniquement issus de la neurophysiologie. Nous avons déjà montré l'absurdité qu'il y a à vouloir modifier notre langage usuel en fonction de ces derniers, et il serait bien plus raisonnable de demander aux scientifiques de ne pas employer dans leurs explications des concepts faisant référence à de telles entités, s'il n'est pas démontré qu'elles existent ou qu'il est nécessaire de les postuler, mais nous ne nous situerions plus alors dans le cadre d'un matérialisme éliminatif.

Nous ne voyons pas non plus pour quelles raisons nous ne devrions faire référence qu'à des concepts de la neurophysiologie lorsque nous voulons expliquer nos comportements. Pourquoi devrions-nous suivre le matérialisme éliminatif dans cette voie nous conduisant à une cérébralisation excessive ?

La psychologie scientifique nous fournit elle aussi une naturalisation de l'esprit tout à fait acceptable, et le fait qu'elle postule des entités mentales ne suffit pas à lui ôter toute valeur prédictive ou explicative (bien que cette dernière soit problématique), notamment parce qu'il semble que les entités mentales soient causalement efficaces, comme nous avons déjà pu le montrer par l'exemple de l'effet placebo. Certains maux semblent bel et bien cesser après l'ingestion d'un médicament causalement inefficace. Si la référence à l'effet placebo, c'est-à-dire en fait aux croyances, ne possède pas une valeur explicative, elle est une description valable de la réalité qui nous permet certaines prévisions : nous pouvons prévoir qu'environ 30% des malades verront leurs maux cesser après l'ingestion d'un médicament causalement inefficace.

Etre naturaliste n'implique pas que le discours philosophique ne doive emprunter des concepts qu'aux sciences de la nature (ce serait en ce cas un naturalisme stricto sensu) ; il doit fournir des explications ou descriptions dans lesquelles ne figurent que des concepts scientifiques, mais il peut aussi bien les emprunter à la psychologie par exemple. Et, dans une certaine mesure, le naturalisme peut ne pas être matérialiste, et ne l'est effectivement pas, lorsque l'on fait appel aux concepts psychologiques. On pourrait en effet très bien imaginer qu'il ne figure dans nos explications scientifiques que des termes faisant référence à des entités immatérielles. Et l'emprunt que le philosophe, formulant des énoncés philosophiques, ferait à ces sciences et à leurs énoncés scientifiques pour construire son discours philosophique pourrait, sans contradiction, être taxé de naturalisme. Il nous semble donc que le naturalisme est avant toute chose une norme qui nous prescrit de ne nous servir que des entités postulées dans les sciences et des concepts faisant référence à ces entités dans nos explications, descriptions ou définitions.

Concernant le matérialisme éliminatif, nous voyons que le fait de ne faire référence qu'à des concepts désignant des entités neurophysiologiques n'est rien d'autre qu'une idéologie affirmant que les seules véritables choses existantes et réelles sont les objets matériels, et qui fait comme si l'on pouvait, sans perte d'information, expliquer nos comportements en nous passant de toute référence à des représentations. Mais, ce faisant, le matérialisme éliminatif n'a pas conscience qu'il est lui-même un phénomène de l'esprit, en tant que théorie, et il est intéressant de remarquer avec HEIDEGGER que « le matérialisme n'est absolument rien de matériel. Il est lui-même une forme de l'esprit. »1(*). Nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec le fait que le matérialisme ne serait « absolument rien de matériel », mais cette objection reste néanmoins valide dans la mesure où une théorie ne nous semble pas être quelque chose d'exclusivement matériel.

Remarquons aussi que le matérialisme éliminatif ne rend pas compte de l'effet placebo, et cette dernière remarque nous amène à tirer la conséquence suivante : l'élimination n'est pas une explication, et « expliquer un phénomène n'est pas expliquer sa dissolution. » 2(*).

D'autre part, nous pouvons aussi nous demander quel est le statut de la philosophie dans le matérialisme éliminatif. S'il est déjà problématique dans le cadre d'un naturalisme, notamment à cause du fait que la philosophie risque de se subordonner aux sciences de son époque, il l'est encore plus, nous semble-t-il, dans le cadre du matérialisme éliminatif, car elle pourrait ne pas bénéficier d'un niveau autonome de description ou d'explication.

Nous savons que le matérialisme éliminatif a pour objet d'éliminer les entités et les concepts faisant référence à d'autres entités que celles établies par les neurosciences, et nous nous demandons si les énoncés naturalisés de la philosophie, c'est-à-dire les énoncés n'utilisant que les concepts désignant ces entités, sont des énoncés philosophiques, ou s'ils ne sont pas en fin de compte, des énoncés scientifiques. Autrement dit, selon le matérialisme éliminatif, il ne semble pas qu'il puisse y avoir d'autres explications ou description que celles utilisant des concepts scientifiques naturels. Mais quel est alors le statut du discours philosophique ? Doit-il être éliminé ? En ce cas le matérialisme éliminatif devra aussi être éliminé, car il ne constitue pas un discours scientifique, et si l'on peut lui accorder une légitimité qui pourra être refusée à un discours philosophique classique, c'est-à-dire non-naturaliste, il n'est pas plus ni mieux établi que tout autre naturalisme (et sans doute même moins bien, au regard de toutes les difficultés qu'il rencontre).

Les problèmes philosophiques doivent-ils toujours être reformulés en faisant usage de concepts scientifiques ? Le travail de la philosophie ne doit-il consister qu'en une reformulation des énoncés comportant des concepts usuels en des énoncés ne comportant que des concepts scientifiques ? Remarquons que s'il en est ainsi, elle s'interdit toute vulgarisation des théories scientifiques, étant donné qu'il s'agit de la démarche inverse. Or la vulgarisation ne constitue t-elle pas une forme d'explication ? Le langage ordinaire est-il à ce point imparfait pour qu'il doive en permanence faire l'objet d'une reformulation ?

Si la philosophie est encore de la philosophie, et qu'elle ne peut utiliser dans ses énoncés que des concepts scientifiques, il faut qu'il y ait une différence entre les énoncés scientifiques (qui utilisent eux aussi des concepts scientifiques) et les énoncés philosophiques, (la distinction entre les énoncés philosophiques et les énoncés scientifiques se situant peut-être dans l'articulation de concepts identiques) sinon la philosophie n'existe plus et est éliminée. Cela conviendrait peut-être aux matérialistes éliminatifs, mais ne ferait pas l'affaire des philosophes naturalistes.

Les énoncés naturalisés que la philosophie nous soumet sont-ils des explications ?

C'est pour tenter de répondre à ces différentes questions qu'il nous faut maintenant créditer un naturalisme évolutionniste, en examinant la description ou définition qu'il se propose d'accomplir à l'aide de concepts provenant uniquement des sciences naturelles.

3. LE NATURALISME EVOLUTIONNISTE

Avant d'entrer dans le détail d'un naturalisme évolutionniste, nous nous proposons de nous interroger sur l'usage qu'une science fait de concepts ou d'entités mentales. Pour éclairer les questions relatives aux relations qu'entretiennent les états mentaux et les comportements, nous pouvons faire une incursion dans la science du comportement : l'éthologie. Comment cette branche de la biologie explique-t-elle les comportements animaux et humains ? Cette réflexion sur l'éthologie est intéressante, parce que si les concepts mentaux sont considérés par les éthologistes comme des concepts scientifiques, il n'y a plus lieu de les naturaliser. Il faut donc que nous montrions que ce n'est pas le cas.

Dans leur livre intitulé L'éthologie1(*), RENCK et SERVAIS la présentent ainsi : «  l'éthologie a dans ses objectifs et sa pratique, une approche mécaniste, mais elle ne défend pas de dogmes, en principe, quant au degré de vie psychique chez l'animal ou aux opérations qui en procèderaient - simplement, Niko Tinbergen a souligné la difficulté de les explorer et de les justifier objectivement. ». Beaucoup d'éthologistes font preuve de réserve, voire s'opposent à l'attribution d'états mentaux aux animaux parce qu'il y a des « risques d'interprétation erronée dès lors qu'on vise à identifier, chez un animal, des états mentaux et des raisonnements que l'on veut tenir pour causes de ses comportements ».2(*) Dès lors, la plupart des éthologistes se sont rangés au « canon de Morgan » qui proposait « qu'on ne rattache plus le comportement animal à des causes vagues telles que l'intelligence ou le raisonnement si une interprétation plus simple s'avérait suffisante... »3(*). Cela rappelle étrangement la démarche béhavioriste, mais les éthologistes et les béhavioristes se distinguent par le fait que chez les seconds les comportements se mettent en place essentiellement par voie d'apprentissage, alors que chez les premiers, ils sont issus de la sélection naturelle, certains comportements pouvant être innés. Ils se distinguent aussi sur d'autres points que nous n'aborderons pas ici parce qu'ils ne concernent pas directement notre problème.

Dans leurs explications, les éthologistes rejettent les états mentaux, et cela vient peut-être du fait que l'on veut considérer ceux-ci comme des causes du comportement, alors que les éthologistes semblent se préoccuper davantage de leurs conséquences ou effets, et du rôle qu'ils jouent pour la survie de l'espèce. L'étude éthologique serait-elle plus fonctionnelle que causale ?

Définissons d'abord ce que nous entendons par « études fonctionnelles » : ce sont des études qui visent « à peser les bénéfices et les coûts associés à un comportement ou à un ensemble de comportements constituant une stratégie comportementale. ».1(*) Nous pouvons voir en fait que l'on ne peut considérer l'étude fonctionnelle comme étant indépendante de l'analyse causale, étant donné que l'étude fonctionnelle porte sur des conséquences, c'est-à-dire sur des effets. La détermination des causes du comportement est néanmoins extrêmement complexe : « nous sommes bien en peine de mettre en évidence quoi que ce soit de vraiment spécifique dans l'organisation d'un crabe qui le mène à se conduire comme tel, hors de son organisation d'ensemble. »2(*) ; « les systèmes biologiques responsables du comportement sont moins des réalités localisables que l'effet de processus multiples, diffus. » 3(*) ; et encore : « ...les ponts établis entre l'éthologie, la neurobiologie, l'endocrinologie, et la génétique ont considérablement étendu notre vision des déterminants immédiats des comportements, à défaut de leur « cause », qui souvent entremêle les stimulations de l'environnement et les dispositions internes du moment chez l'organisme. »4(*).

L'invocation de gènes pour expliquer les comportements semble tout autant poser problème, et bien qu'on ait pu « amener par des greffes de tissu cérébral de caille, des poussins à vocaliser et à hocher la tête à la manière des cailles. » 5(*), nous sommes encore dans l'ignorance concernant la « manière » dont « les greffons imposent leur programmation », et « nous ne sommes donc pas plus près avec cette expérience, de reconnaître en quoi un ensemble de neurones induit une conduite spécifique. ». 6(*)

Si les gènes sont « impliqués dans la genèse des comportements », certains « aspects du comportement nécessitent pour leur plein développement des interactions avec l'environnement social, biologique ou physique. »7(*).

Il y a une différence entre :  « supposer une influence génétique » et « reconnaître quel gène est impliqué et surtout de quelle manière il intervient » 8(*). Dans le premier cas, nous sommes dans ce que nous pourrions appeler le génétisme, alors que dans le second nous sommes en présence d'une véritable démarche scientifique. RENCK et SERVAIS résument très justement cette question en une phrase : « soutenir la primauté de l'acquis ou du génétique dans la mise en place des comportements s'apparente à se demander : « quelle est, dans un applaudissement, le son produit par une main ? »1(*). Cela invalide sans doute aussi la démarche qui consisterait à faire des seuls états mentaux des causes de nos comportements.

Nous voyons donc que la détermination des causes du comportement est loin d'être aisée.

Indépendamment du fait de concevoir les états mentaux comme des causes, leur simple attribution à des animaux est considérée par beaucoup de chercheurs en éthologie comme de l'anthropomorphisme, qui peut être défini comme l' « attribution de caractéristiques humaines aux animaux. »2(*). Mais « est-ce anthropomorphique d'attribuer une personnalité à un chimpanzé, des émotions à un chien, ou des intentions à un dauphin ?  Ce n'est évidemment une erreur que si les animaux considérés ne possèdent ni personnalité, ni intention, ni émotion. »3(*).

Ne fait-on pas une pétition de principe lorsque l'on suppose a priori que les animaux n'ont pas d'états mentaux ? Autrement dit, l'attribution d'états mentaux à des animaux est-elle anthropomorphique ?

Il y a une différence entre supposer a priori que les animaux n'ont pas d'états mentaux et tester l'hypothèse selon laquelle ils en possèdent.

Mais peut-être cherchons-nous du mauvais côté en voulant à tout prix obtenir comme résultat de notre analyse des causes du comportement.

En effet, les explications visant à faire des états mentaux des causes de nos comportements paraissent déboucher sur le problème quasi-insoluble de la causalité mentale, et les explications scientifiques cherchant les causes physiques de nos comportements semblent devoir en partie y renoncer, étant donné l'enchevêtrement de celles-ci, comme nous l'ont déjà fait remarquer RENCK et SERVAIS. Cet enchevêtrement est une des raisons qui justifierait que nous renoncions à la notion de causalité pour analyser les états mentaux. Faut-il alors privilégier une étude fonctionnelle des états mentaux par rapport à une étude causale ? Mais comme nous l'avons vu, celle-ci n'est pas totalement indépendante de celle-là.

Il nous paraît donc justifié de laisser de côté cette question de la causalité supposée des états mentaux sur les comportements, étant donné qu'elle ne concerne pas directement le problème qui nous occupe. Remarquons aussi que ceux qui refusent d'attribuer des états mentaux aux animaux ne prennent pas nécessairement conscience que nous n'avons pas plus de raisons d'attribuer de tels états aux individus de notre espèce qu'aux animaux ou à d'autres entités.

Indépendamment de la question de savoir si les animaux ont réellement des états mentaux, et si ceux-ci doivent être décrits en termes de cause ou de fonction, il peut être fructueux d'en attribuer à diverses entités. L'insertion d'états mentaux dans les descriptions que nous faisons des comportements des animaux peut avoir une valeur heuristique, indépendamment de l'existence et de la possession réelle de ce niveau d'organisation par les entités en question.

Cette démarche de mettre en exergue le caractère heuristique de ce niveau de description est recommandé par Daniel DENNETT sous le nom de « stratégie intentionnelle » ou « posture intentionnelle » ; celle-ci « doit s'appliquer, même lorsque nous avons affaire à des créatures dont le comportement est moins que rationnel, ou apparemment non rationnel comme des animaux. »1(*), et « ...elle n'a pas à être vraie d'états réels de l'organisme, mais seulement d'états que l'on pose, à titre instrumental, pour des fins de l'explication du comportement. »2(*).

La démarche de DENNETT « consiste à prendre le contre-pied du canon de parcimonie, et à supposer que les comportements observés doivent en principe être susceptibles d'une interprétation d'ordre supérieur, et d'essayer, à partir de là, de prédire les séquences comportementales qui devraient s'ensuivre. Si les données empiriques confirment ces prédictions, les animaux étudiés seront promus à la possession de facultés supérieures. Sinon, ils en seront déchus. (...) C'est une stratégie que Dennett prescrit non seulement pour l'attribution de croyances à des humains, mais aussi à des systèmes artificiels, tels que des ordinateurs... » 3(*). Nous voyons donc que nous pouvons attribuer des états mentaux à d'autres entités que les seuls humains, et que cette démarche a un sens et un intérêt, même si nous ne considérons pas que les états mentaux sont des causes. DENNETT est en effet plus normativiste que causaliste, mais il n'hésite pas pour autant à recourir à la science et aux données empiriques pour éclairer les problèmes que posent les états mentaux, au contraire des wittgensteiniens et normativistes classiques comme DESCOMBES.

Mais bien que la posture intentionnelle puisse avoir une valeur heuristique, elle ne nous dit rien sur l'existence et la réalité des états mentaux, et se situe d'emblée dans une conception non-naturaliste, puisqu'au lieu de tenter de décrire ou de définir des états mentaux par des concepts scientifiques, elle cherche à faire accepter et à introduire des concepts intentionnels dans des explications scientifiques, en leur accordant une légitimité qui leur est déniée. L'utilisation de concepts mentaux dans les explications scientifiques est néanmoins très débattue au sein de la communauté des éthologues, ce qui fait que ces concepts n'ont pas encore acquis un statut scientifique ; les entreprises de naturalisation ne sont donc pas menacées par cette éventualité.

Rappelons aussi que le problème qui nous occupe n'est pas tant celui de l'explication de nos comportements, mais celui de l'éventuelle réduction, explication, ou description de nos états mentaux eux-mêmes, et c'est pour cette raison que nous pouvons en fait laisser de côté pour l'instant cette question de la modification de nos énoncés comportant des états mentaux, et visant à expliquer nos comportements, car elle dépend en fait de la pertinence d'une telle naturalisation.

Nous avons montré que la réalité d'une croyance, d'une intention, d'un désir ou de tout autre état mental ne peut être mise sur le même plan que la réalité d'un elfe ou d'une sorcière, et nous pouvons maintenant nous demander quel type de réalité peuvent avoir les états mentaux.

Il est en effet possible de soutenir un réalisme modéré concernant les états mentaux, comme nous y invite ENGEL. Celui-ci « peut être caractérisé ... par des analogies, plus qu'il ne peut être véritablement défini. »1(*). Ce réalisme modéré ne peut être assimilé à une identification de l'esprit au cerveau, ou à une identification des propriétés mentales à des propriétés physiques ou neurophysiologiques. Celle-ci se heurte en effet à deux objections : « la première a trait à la relation d'identité elle-même. Si cette relation est entendue en son sens strict, elle doit être symétrique : si a=b, alors b=a. Mais d'une manière ou d'une autre, la théorie est supposée montrer que le terme physique des énoncés d'identité est plus important, explicativement, que le terme mental.. » La seconde tient à la relation d'identité elle-même qui « doit respecter la « Loi de Leibniz » où le principe d' « indiscernabilité des identiques » : toutes les propriétés vraies de x doivent être vraies de tout ce qui est identique à x (...) Mais si c'est le cas, une propriété mentale, par exemple une sensation de rouge, ou une pensée obscène, ne peut être identique à une propriété physique de mon cerveau, car les états de mon cerveau ne sont pas rouges, ni obscènes, et inversement ces états ont des propriétés spatiales, chimiques, électriques, que l'on ne peut attribuer à des états mentaux. » 1(*).

Les propriétés mentales ne pourront pas non plus être réduites à des propriétés physiques, ce que nous verrons tout à l'heure. Il faut accepter l'idée d'un niveau d'organisation ontologiquement irréductible, et possédant une réalité propre, parce que s'il est fondé de dire que les états mentaux d'autrui peuvent être des causes de son comportement, notre description ou interprétation des comportements d'autrui en termes d'états mentaux ne peut jamais être une cause de son comportement. Afin d'examiner celle-ci, revenons sur les analogies proposées par ENGEL : « soit, par exemple, un centre de gravité. C'est un point mathématique, un objet abstrait, et pas une entité physique. Mais s'ensuit-il qu'il n'y ait pas de centres de gravité, que ce soit une pure fiction ? Non. Le statut de tels objets abstraits n'est pas tout à fait à mettre sur le même plan que celui des nombres ou des objets mathématiques, car un centre de gravité se définit par rapport à un objet physique. » 2(*). Il en est de même de la croyance ou d'autres états mentaux qui sont ici conçus comme des propriétés d'un ou de plusieurs états du cerveau. D'autres analogies peuvent être fructueuses : « Dennett compare encore les croyances à des entités telles que des voix ou des fatigues. »3(*). La voix est en effet « un ensemble de sons, doués de caractéristiques physiques, sans que pour autant il y ait un ensemble défini de ces caractéristiques physiques à laquelle se réduise la voix. » 4(*).

Il en est de même des buissons de QUINE « que l'on taille de manière à leur donner la forme d'éléphants, mais dans lesquels les détails anatomiques de feuilles et des branches diffèrent dans chaque cas » ; on peut remarquer avec ENGEL que : « toutes ces analogies sont destinées à suggérer que aussi indéterminées que soient ces trames ou structures ... il existe cependant une structure ou trame réelle qui est là. » 5(*).

Pareillement, « divers schèmes de mesures peuvent être utilisés, par exemple en degrés Celsius et en degrés Fahrenheit pour la température. Mais le fait que divers schèmes alternatifs soient possibles n'implique pas qu'il n'y ait pas quelque chose à mesurer, la température, qui est parfaitement réel. (...) En d'autres termes, la pluralité des schèmes d'interprétation d'une structure physique quelconque n'implique pas l'irréalité de la structure en question. » 1(*). Ces différentes analogies nous permettent de mieux saisir le type de réalité que pourraient posséder les états mentaux.

ENGEL évoque aussi la métaphore de RAMSEY qui consiste à se représenter les croyances comme des « cartes de l'espace environnant qui nous servent à nous diriger » et continue comme suit : « cette analogie contient en germes toutes celles que nous avons rencontrées. D'un coté, les croyances ont une certaine fonction (de direction), de l'autre, en tant que « cartes », elles représentent quelque chose. Ceci prend en compte le profil fonctionnel et le contenu représentatif. D'un autre côté une carte n'a pas besoin de représenter de manière exacte un territoire, elle peut être à diverses échelles, utiliser diverses notations conventionnelles (couleurs) pour représenter des montagnes, des villes, etc. En ce sens, il n'y a pas lieu de supposer que ces cartes sont des représentations internes « réelles » : dans une large mesure, l'usage que l'on fait d'une carte dépend de la manière dont on l'interprète. La carte peut ne représenter rien de réel. Mais la carte n'est pas pour autant une fiction : même si c'est une carte de l'île au Trésor, elle est réelle dans notre esprit, et demeure telle, comme le dit RAMSEY, « quelle que soit la manière dont nous la compliquons ou en complétons les détails. » »2(*). Notons bien que toute carte, et donc par assimilation toute croyance, est censée représenter un territoire, qu'il soit réel (la France), ou imaginaire (l'île au Trésor).

Les expressions « naturalisation de l'esprit » ou « naturalisation de l'intentionnalité » peuvent être comprises comme le programme visant à « réduire l'intentionnel à du physique », ce à quoi nous invitait Joëlle PROUST dans Comment l'esprit vient aux bêtes3(*). Cela peut être interprété de deux façons : c'est juste si l'on considère que l'état mental ou intentionnel a été réduit en tant qu'état à un état physique ; mais c'est faux si l'on considère que les propriétés mentales ou intentionnelles ont été réduites à des propriétés physiques.

De plus, cette définition est incomplète car on peut comprendre la naturalisation de l'esprit ou de l'intentionnalité comme autre chose qu'une simple réduction. Mais faisons pour l'instant comme si nous la jugions correcte, et examinons le programme réductionniste.

Rappelons la définition proposée par ATLAN que nous mentionnons à nouveau pour la clarté de notre exposition : « la pratique réductionniste consiste à séparer un tout en ses constituants, avec l'espoir de trouver dans les propriétés des constituants de quoi expliquer celles du tout »1(*).

Il ne s'agit pas pour autant de supposer des micro-unités mentales qui seraient censées expliquer l'émergence des propriétés mentales. Cette démarche pourrait au premier abord apparaître comme un réductionnisme. Mais il faut concevoir les propriétés intentionnelles ou mentales comme une émergence ou survenance à partir de constituants non intentionnels. Analyser le mental en le « découpant » simplement en parties mentales ne nous en apprend pas plus sur les propriétés mentales que si nous cherchions à analyser les propriétés gustatives d'un cake en supposant qu'elles sont la résultante de l'assemblage de ses morceaux ou parties. Les propriétés gustatives d'une partie ou d'un morceau de cake sont la même chose que les propriétés gustatives du tout du gâteau, et cela même s'il peut y avoir une légère variation entre les propriétés gustatives des parties de celui-ci. Une « analyse » des propriétés gustatives du cake consiste notamment à mettre en évidence non pas les parties, mais les ingrédients qui le constituent ; les parties du gâteau étant déjà un tout du point de vue de leurs propriétés gustatives. Cela peut être remarqué par le fait que goûtés un à un, les ingrédients du gâteau (farine/sucre/beurre) n'ont pas les mêmes propriétés gustatives que le gâteau, alors que les différentes parties du gâteau ont quasiment les mêmes propriétés gustatives que le gâteau (sauf exception).

La division en parties est une pseudo-analyse qui repose sur l'erreur consistant à faire des propriétés du tout des propriétés des « parties », qui peuvent elles-mêmes être fictives : la définition du psychisme par FREUD en termes de relations entre Ca, Moi et Surmoi est un bon exemple de ce type de pseudo-analyse qui amène à produire une pseudo-explication.

Nous avons bien conscience que nous ne devons pas analyser de la même manière les propriétés gustatives et les propriétés mentales, étant donné que les premières se satisfont d'une analyse en termes d'ingrédients, alors que les secondes réclament une analyse en termes d'entités ou constituants présents dans les sciences de la nature, et de concepts scientifiques naturels, si l'on se situe dans le cadre d'une naturalisation stricto sensu.

Une véritable analyse du mental consistera donc à considérer des relations entre différents états ou constituants physiques pour expliquer ensuite la production des propriétés mentales par les interactions de ces états physiques ou constituants. La pratique réductionniste appliquée à l'esprit ou au mental devra donc considérer l'esprit comme un tout séparable en des constituants. Le réductionnisme pourra être dit « fort » ou « faible ». Dans le premier, « s'exprime une métaphysique matérialiste » alors que le second est « limité à une pratique sans laquelle la démarche scientifique ne pourrait pas exister »1(*). Toujours selon ATLAN, « le premier est intenable car il est contredit dès qu'on dépasse un certain seuil de complexité, alors même qu'on reste dans le cadre du fonctionnement de systèmes physico-chimiques artificiels. Le second est correct mais dans le cas d'une machine trivial, car il ne dit pas grand chose de plus au-delà du constat que le fonctionnement de la machine est limité par les contraintes qu'imposent les constituants. Le réductionnisme fort admet que l'analyse qui sépare le tout en ses parties suffit à la compréhension des propriétés du tout, dans une reconstruction mentale où celle-ci découle, en quelque sorte automatiquement, des propriétés des parties. Or, ce n'est que dans des organisations simples, où les parties sont associées les unes aux autres de façon additive et linéaire, telle qu'une propriété du tout peut être conçue immédiatement, par le bon sens, comme une addition des propriétés des parties, que le postulat réductionniste peut se vérifier. ... Autrement dit on rencontre ... de grandes difficultés à prédire le comportement du tout à partir des propriétés des parties, comme dans le cas d'une cellule qui serait réduite à ses molécules ou d'un cerveau à ses neurones. » 2(*). Les « parties » telles qu'ATLAN les entend sont en fait assimilables logiquement aux constituants ou ingrédients dont nous avons précédemment parlé.

Le réductionnisme fort semble donc, par ce qui vient d'être dit, infondé scientifiquement.

De plus, l'argument de la probable réalisabilité multiple des fonctions (et des états mentaux lorsqu'ils sont conçus comme des fonctions) pose problème à un physicalisme radical : « pour accomplir une même fonction à un niveau global d'organisation, une machine ou un programme peut utiliser des substrats physiques très différents obéissant à des lois physiques différentes (valves, ressorts et mécanique d'horlogerie, diodes, semi-conducteurs, molécules enzymatiques, cellules nerveuses). Inversement, une même machine électronique (un ordinateur programmable), obéissant au niveau de ses composants aux mêmes lois physiques, pourra être programmée à accomplir des tâches extrêmement diverses décrites en termes d'instructions logiques n'ayant que des rapports extrêmement lointains avec l'état physique des composants. »1(*).

Il y aurait en fait une irréductibilité à la fois du niveau d'organisation et du niveau de description : « c'est pourquoi chaque niveau, alors même qu'il existe des langages de traduction (tels que les compilateurs) permettant de passer d'un niveau à l'autre jusqu'à celui du langage-machine, est, dans une certaine mesure, irréductible, en fait sinon en droit, aux niveaux précédents. »2(*).

S'agissant de la réduction d'un langage scientifique à un autre langage scientifique, ainsi que de la réduction des entités auxquelles les concepts de ces langages se réfèrent, est-elle possible sans perte d'information ? En parlant de la psychologie, de la neurophysiologie, de la biochimie, de la mécanique quantique et de la réduction des unes aux autres, ATLAN fait la remarque suivante : « en fait ces réductions ne manquent pas de poser beaucoup de problèmes, et elles posent beaucoup plus des hypothèses de travail, bases de programmes de recherche, que de véritables théories complètes et cohérentes. Celles-ci devraient permettre un cheminement causal inverse du physique au psychique tel que la composition d'une symphonie ou la découverte d'une loi scientifique puissent être décrites de façon suffisante dans le langage de la neurophysiologie, puis que cette description soit traduite complètement dans le langage de la biochimie et enfin celui-ci, lui aussi complètement, en formules de mécanique quantique. »3(*).

A cette réflexion fait suite une mise en garde : « le fait qu'il n'en est rien, mais que, pourtant, il ne peut pas y avoir de science sans postuler qu'il doive en être ainsi, et qu'enfin ce postulat, si l'on y croit, porte avec lui un danger de dogmatisme et d'illusion au moins aussi grand que la théologie et le spiritualisme, c'est ce que je voudrais essayer d'exposer ici. »1(*). Sans doute nous parle-t-il ici de ce qu'il appelle le « réductionnisme fort ».

D'autres penseurs comme WITTGENSTEIN nous mettent en garde contre la tentation réductionniste et la fascination que ce type d' « explication » peut exercer : « certains types d'explications exercent une attraction irrésistible. A un moment donné, l'attraction d'un certain type d'explication est plus grande que tout ce que vous pouvez concevoir. En particulier, une explication du type : « Ceci est en réalité seulement cela. » »2(*). Un peu plus loin, il revient sur ce type d'énoncé : « ces phrases ont particulièrement la forme de la persuasion, qui disent : « Ceci est en réalité ceci .» »3(*). Cela revient à affirmer comme il le dit auparavant que « le meilleur parfum n'est qu'acide sulfurique »4(*), même s'il le formule comme une question.

Le réductionnisme faible est par contre une pratique scientifique ou méthodologie acceptable et sans doute recommandée à titre d'hypothèse de travail. Mais il n'est pas nécessairement évident que le philosophe doive se prêter à une telle pratique.

Appliqué aux propriétés mentales, il pose en effet un certain nombre de problèmes : ontologiquement, il semble difficile de soutenir que les propriétés mentales doivent se réduire à leurs constituants, et cela pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la propriété mentale peut être judicieusement comparée à la propriété non-physique qu'a une automobile de braquer. Et comme l'affirme ENGEL à qui nous reprenons cette analogie : « on ne peut assimiler la propriété qu'a une auto de braquer avec les états particuliers du moteur. Si la voiture braque, c'est parce qu'une quantité de pièces entrent en interaction par rapport auxquelles le braquage est une propriété « survenante ». Cela ne veut pas dire que les pièces qui sous-tendent le fait de braquer n'existent pas. Au contraire, sans elles il n'y aurait pas de braquage. Mais les états physiques de la voiture ne sont pas nécessairement la même chose que les propriétés dont nous avons besoin pour caractériser ses performances. »5(*).

Le réductionnisme vis-à-vis des propriétés mentales est aussi problématique en ce qu'il ne sait pas à quels constituants réduire les états mentaux, ni même à quels constituants et à quelle activité physique ou neuronale de ces constituants correspond tel ou tel état mental, à moins de procéder à un pré-découpage intentionnel (cette objection semble s'appliquer au matérialisme éliminatif aussi bien qu'à toute tentative de réductionnisme); en effet, comme le dit ATLAN : « le fait d'affirmer que le comportement du cerveau dans ses activités de penser est la conséquence de l'état d'activité de ses neurones et que toute pensée ou sensation qui peut être décrite sous la forme d'un de ces états est une affirmation évidente mais vide tant que nous ne connaissons pas cette description. »1(*).

En admettant que nous connaissions les différents constituants physiques de nos états mentaux (sans doute variables du fait de la plasticité du cerveau), cette connaissance étant une condition nécessaire mais non suffisante à la réduction de ceux-ci, et que nous acceptions l'analogie que nous a proposé Pascal ENGEL, nous devrions concevoir l'esprit ou les propriétés mentales comme une organisation survenant de l'agencement de différents constituants physiques. Il ne s'ensuit pas pour autant que nous devions réduire cette survenance à ses constituants physiques, étant donné qu'il semble qu'elle puisse pareillement survenir sur d'autres constituants physiques, en vertu de la probable réalisabilité multiple des états mentaux.

Etant donné que le concept d'organisation est un concept issu des sciences de la nature, cette façon de décrire les propriétés mentales ou l'esprit, satisferait aux exigences d'une naturalisation stricto sensu. Nous reviendrons sur cette question importante tout à l'heure.

Plutôt que de réduire, expliquer ou décrire chaque entité mentale à/par une entité physique, les philosophes naturalistes se sont proposé de s'intéresser uniquement à ce qui caractérisait tous les états mentaux, à savoir l'intentionnalité. Mais quelques philosophes, dont certains sont naturalistes, ont soutenu que tous les états mentaux ne sont pas intentionnels. SEARLE, qui définit l'intentionnalité comme « la propriété en vertu de laquelle toutes sortes d'états et d'événements mentaux renvoient à ou concernent ou portent sur des objets et des états de choses du monde », affirme que « l'Intentionalité  n'appartient pas à tous les états ou événements mentaux, mais seulement à certains d'entre eux. » 2(*). Alors que les croyances ou les désirs renverraient toujours à quelque chose, l'état de trouble ou d'inquiétude ne renverrait pas pareillement à quelque chose.1(*)

Nous voudrions au contraire défendre l'idée que tout état mental a pour fonction d'indiquer ou de nous informer sur quelque chose, un « territoire », autrement dit possède la propriété d'intentionnalité, et que lorsque ce n'est pas le cas, il s'agit d'un dysfonctionnement de l'état mental, comme nous l'avons soutenu dans notre seconde partie avec l'exemple de la douleur. Nous pouvons tout d'abord compléter notre réflexion en montrant que les états que SEARLE pense être non-intentionnels sont en fait intentionnels. Sans rentrer dans le détail de cette question, on peut considérer que le trouble ou l'inquiétude sont des émotions, et à ce titre peuvent être conçues comme des perceptions. En tant que perceptions, elles sont nécessairement intentionnelles puisqu'il faut qu'il y ait quelque chose qui soit perçu. SEARLE aurait donc raison de nous demander : « de quoi les états d'inquiétude et de trouble sont-ils la perception ? ». On peut répondre à cette question avec DAMASIO que « la perception des émotions ne porte sans doute pas sur des entités psychologiques fugitives, mais qu'elle correspond à la perception directe d'un paysage particulier : celui du corps. »2(*). Autrement dit, les états d'inquiétude et de trouble seraient des perceptions des états du corps : « en gros, la perception d'une émotion donnée correspond à l'information sensorielle provenant d'une certaine partie du paysage corporel à l'instant t. Elle a un contenu spécifique (c'est l'état du corps) ... »3(*).

S'il n'est pas évident que l'émotion ne soit que perception d'un état du corps, il paraît probable que l'émotion implique une perception d'un état de choses intérieur et/ou extérieur. Nous aurions plutôt tendance à soutenir que l'émotion est avant tout une perception d'un état de choses extérieur qui se manifeste ensuite sous la forme d'un état du corps.

Résumons ce que nous avons acquis : nous comprenons à peu près ce que pourrait être un état mental lorsque nous le concevons comme une carte ayant, comme toute carte, la propriété d'intentionnalité qui consiste à indiquer ou à représenter un certain territoire. Nous avons vu que la naturalisation conçue comme une réduction se heurtait à un certain nombre de difficultés, qu'il s'agisse d'un réductionnisme fort comme d'un réductionnisme faible. La réduction ontologique des propriétés mentales à leurs constituants ne peut avoir lieu car nous n'avons pas une connaissance suffisante de ceux-ci, c'est-à-dire de ce qui pourrait être la référence de nos croyances par exemple, et la réduction dans notre langage ordinaire, comme à l'intérieur même des sciences, entre un niveau de description et un autre, ne peut se faire sans perte d'information. La tâche que nous nous proposons maintenant d'accomplir est une description/définition de l'intentionnalité en utilisant des concepts issus des sciences naturelles, dont celui de fonction fait partie.

Nous voudrions auparavant examiner ce que recouvre l'expression « causes de l'intentionnalité ». Il semble qu'il y ait deux principaux schèmes explicatifs causaux concernant l'intentionnalité des états mentaux : le premier postulé comme pouvant être à l'origine de celle-ci est l'apprentissage par le conditionnement opérant, le second par la sélection naturelle. Quant aux états cérébraux, il semble qu'ils soient plutôt une condition des états mentaux qu'une cause de ceux-ci. Joëlle PROUST, dans son livre Comment l'esprit vient aux bêtes, s'emploie à réfuter la première affirmation. Nous nous attacherons plutôt à la seconde en examinant si l'intentionnalité des états mentaux des organismes peut être conçue comme une fonction sélectionnée par le processus biologique que l'on appelle l'évolution. Mais auparavant il nous faut justifier le fait que nous ne nous servions pas du concept d'organisation pour décrire et éventuellement définir les états mentaux. L'organisation est en effet un concept bien établi en biologie, comme on peut le voir par la lecture de La logique du vivant 1(*), qui consacre un chapitre entier à cette notion. Définir ou décrire l'esprit en termes d'organisation consisterait à le concevoir comme un tout immatériel survenant sur des constituants physiques, tout immatériel à cause du fait que des relations entrent en compte dans sa définition. Il est intéressant de se le représenter ainsi, mais cela ne rendrait pas compte de la propriété possédée par cette organisation spécifique désignée par le terme d' « esprit ». Autrement dit, si nous définissions simplement les propriétés mentales comme une organisation, nous nous priverions de cette propriété singulière qui paraît les caractériser, et que nous avons jusqu'à présent appelée l'intentionnalité, qui est la propriété de porter, d'indiquer, ou de représenter (nous distinguerons ces concepts plus tard), des états de choses du monde. Le seul concept usité dans les sciences de la nature (notamment en biologie) pouvant peut-être rendre compte de cette relation est celui d'information.

Nous allons traiter le détail de cette question dans le cadre du problème général que nous nous posons : l'intentionnalité est-elle une fonction issue du processus biologique que l'on appelle l'évolution ? Mais il nous faut auparavant examiner cette question : que nous apporte une analyse de l'intentionnalité en termes de fonction ?

Cette idée de concevoir le fait de se représenter comme une fonction apparaît notamment chez Joëlle PROUST : « ... le concept de fonction permet... de déterminer la capacité représentationnelle comme une fonction biologique parmi d'autres. » 1(*).

Ici intervient le problème de la scientificité des énoncés téléologiques : en effet, « c'est le maillon considéré comme le plus faible, le plus éloigné de recevoir un traitement scientifique, à savoir le caractère téléologique, finalisé, des attributions intentionnelles, qui allait offrir aux naturalistes en philosophie l'un des instruments conceptuels les plus pertinents pour conférer aux contenus mentaux le statut scientifique « le plus strict ». » 2(*). Et « un organisme recueille une information, forme des croyances, désire et planifie son action pour atteindre certaines fins. »3(*). Ces dernières réflexions peuvent paraître paradoxales parce qu'il semble qu'on veuille réintroduire la notion de finalité dans les explications scientifiques, ce qui serait le contraire d'une démarche naturaliste, qui présuppose, nous le rappelons, que nous ne nous servions que de concepts scientifiques dans nos descriptions des phénomènes. Mais il s'agit bien en fait d'une naturalisation au sens où l'on cherche à rendre compte du concept de fonction en extirpant de celui-ci toute idée de finalité. Il y a en effet deux façons de comprendre la téléologie : « on entend en effet par là tantôt une explication qui invoque les buts ou les fins d'un processus à titre de facteur causal expliquant ce processus, tantôt une explication en termes de fonction, qui ne présuppose nullement l'hypothèse selon laquelle la structure considérée aurait un but ou un objectif particulier. Ne retenons donc pour le mot « téléologique » que le sens où l'on cherche à déterminer la fonction d'une structure ; et demandons-nous si les explications téléologiques ne peuvent pas être formulées en des termes non-téléologiques, sans rien perdre du contenu de ces explications. »4(*). Notre démarche sera donc une démarche téléologique au sens second.

Rappelons comment une analyse du comportement en termes de fonction était caractérisée par RENCK et SERVAIS : elle consiste à observer les conséquences d'un comportement, et à en « peser les bénéfices et les coûts ... »1(*). De la même façon, pour NAGEL, cité par Joëlle PROUST l' « explication téléologique en biologie se borne à « indiquer les conséquences qu'ont pour un système biologique donné une partie constitutive ou un processus » appartenant à ce système ... »2(*). La difficulté est que concevoir l'explication téléologique comme une simple étude des conséquences de fait d'une structure semble rendre impossible la détermination de sa fonction. La fixation de la fonction ne semble pas en effet dépendre uniquement des conséquences de fait auxquelles a donné lieu une structure :  « le coeur est censé faire circuler le sang, un marteau est censé permettre d'enfoncer des clous, le perçoir percer des matériaux, un mot du langage peut avoir une contribution sémantique déterminée. Il se peut que le coeur échoue à faire circuler le sang, le marteau à enfoncer un clou, le perçoir à percer, le mot du langage à communiquer son sens. Mais on ne dit pas dans ces circonstances, que l'élément ou la structure considérés ont perdu leur fonction, on dit qu'ils ont mal fonctionné...Lorsque l'on compare un énoncé causal et un énoncé fonctionnel, on voit en effet que le premier s'intéresse aux corrélations statistiquement pertinentes entre des faits, tandis que l'énoncé fonctionnel pose une relation normative indifférente aux corrélations statistiques entre la structure fonctionnelle et ses effets. »3(*).

Relevons pour l'instant simplement les remarques d'HEMPEL : pour lui, le raisonnement de NAGEL qui procède à une analyse téléologique est faux, et n'est pas une explication. Selon HEMPEL, l'analyse fonctionnelle peut être formulée comme suit, en ayant présent à l'esprit que l'on cherche à expliquer « l'occurrence d'un trait I dans un système S »4(*) :

« (1) A t, S fonctionne adéquatement dans un contexte de type C (C est un ensemble de conditions internes à S et externes).

(2) S fonctionne adéquatement dans un contexte de type C seulement si une condition nécessaire donnée N, est satisfaite.

(3) La présence du trait I en S aurait pour effet de satisfaire la condition N.

(4) Donc, à t, le trait I est présent dans S. »1(*).

Or, selon HEMPEL, ce raisonnement n'est pas valable, notamment à cause de l'étape (3) qui poserait problème. Nous n'entrerons pas dans le détail de cette objection à laquelle NAGEL nous semble répondre de façon satisfaisante2(*). Le problème le plus important soulevé par HEMPEL dans le raisonnement (1-4) est qu'il « pèche en ce qu'il n'existe aucun moyen de passer déductivement de (1-3) à (4). Etant donné I, on peut déduire que N est satisfait ; mais si N est satisfait, on ne peut déduire logiquement que I est présent dans S. »3(*). La condition N pourrait en effet être satisfaite par d'autres traits (J, K...). Remarquons que si l'on ajoute l'énoncé « s'il n'y a que I qui satisfasse N » à (4), le raisonnement est correct. 

Pour mieux comprendre ce raisonnement, examinons l'énoncé suivant : « la fonction de la chlorophylle des plantes est de leur permettre d'effectuer la photosynthèse ». Selon Joëlle PROUST, « cet énoncé affirme que ce qui explique la présence de la chlorophylle dans les plantes (soit un certain type de systèmes ayant tel et tel type de constituants et d'organisation), c'est qu'elle fournit l'un des moyens (en présence d'eau, de soleil et de gaz carbonique) nécessaires à la photosynthèse et à la production d'amidon, dont on suppose qu'il est indispensable à la survie-reproduction de la plante. »4(*).

Le fait qu'il est possible que la fonction que remplit la chlorophylle ait pu être remplie par d'autres substances, n'implique pas que cette substance (la chlorophylle) n'ait pas la fonction de permettre la photosynthèse. On peut même peut-être inférer du fait de sa présence que cette substance a en fait été sélectionnée par l'évolution, parce qu'elle était la plus apte à remplir cette fonction.

Mais à ce type de raisonnement semble s'appliquer une objection soulevée par RENCK et SERVAIS : ce raisonnement serait circulaire parce qu'il reviendrait en fait à la thèse suivante qui a été dénommée le « paradigme de Pangloss » : « ... si un trait existe, il possède forcément une valeur adaptative »5(*). Procède-ton à ce raisonnement circulaire lorsque l'on dit que « si la chlorophylle est présente, c'est qu'elle remplit une certaine fonction » ?

Il ne semble pas, car sa fonction (permettre la photosynthèse) semble déterminée, et l'hypothèse consistant à dire que la chlorophylle a cette fonction et que cette fonction contribue à la survie-reproduction de la plante a sans doute été mise à l'épreuve et vérifiée.

Néanmoins, la remarque de RENCK et SERVAIS sur le raisonnement erroné selon lequel « si un trait existe, il possède une valeur adaptative », est intéressante parce qu'elle nous permet de comprendre que tout trait existant à un moment t n'est pas le résultat d'une adaptation, ou n'a pas une valeur adaptative du fait qu'il existe. Notre appendice, par exemple, ne semble plus avoir de fonction ni de valeur adaptative ou bénéfice quelconque, bien qu'il soit toujours présent dans notre organisme, et que l'évolution ne l'ait pas encore éliminé.

Remarquons que si nous voulons comprendre la valeur adaptative de la propriété d'intentionnalité, c'est-à-dire à la fois sa fonction et les conséquences bénéfiques auxquelles sa présence donne lieu, il faut préalablement fixer sa fonction ; dans le cas contraire, notre démarche se conformerait bien maladroitement au « paradigme de Pangloss ». Autrement dit, il ne faut pas postuler que si l'intentionnalité existe, c'est qu'elle possède une valeur adaptative. Il nous faudra examiner cette hypothèse.

Revenons pour l'instant à notre thèse : l'intentionnalité pourrait avoir pour fonction de nous informer sur des états de choses du monde, cette information nous permettant d'adapter notre comportement à ces états de choses, ou à ce « territoire ».

Avant d'aborder certains aspects de la théorie de DRETSKE qui cherche à résoudre cette question, nous pouvons exposer en quelques mots la façon dont Edgar MORIN expose le concept d'information : « l'information a toujours besoin d'une organisation néguentropique pour avoir existence et effet. Une inscription n'existe comme information que si elle est lue ... »1(*), et « ... l'information n'est pas une chose inscrite dans un signe, mais une relation active qui n'existe que dans et par un processus computationnel / organisationnel. »2(*).

Nous n'avons pas ici pour ambition d'exposer dans le détail l'intégralité de la théorie de DRETSKE, mais simplement de nous arrêter sur certains points pouvant éclairer notre problème, et de répondre aux objections qui lui ont été faites, dans la mesure où elles seraient susceptibles d'affecter la thèse que nous défendons. Edgar MORIN et DRETSKE se distinguent notamment sur la nécessaire présence d'un interprète pour que l'on puisse parler d'information : si l'on en croit ENGEL, l'information est pour DRETSKE, « une notion naturelle, une « ressource objective », dont l'existence est indépendante de l'activité d'un interprète qui impose des significations à des événements. C'est de plus une notion nomologique, formulée en termes de lois exemplifiées par des événements naturels. »1(*). ENGEL nous fournit l'exemple suivant : « le fait qu'il y ait des boutons rouges sur la figure de Jojo véhicule l'information que Jojo a la rougeole parce qu'il y a une régularité nomologique (non-unique) entre les boutons et la rougeole, et le fait qu'un tronc de sequoia ait un ensemble donné d'anneaux véhicule l'information que le sequoia a tant d'années, parce qu'il y a une corrélation nomologique entre le nombre d'anneaux et l'âge de l'arbre, etc... » 2(*). Il s'ensuit que « la notion d'information sera donc une propriété d'un certain signal et de ce que ce signal indique objectivement. »3(*). Il semblerait que le nombre d'anneaux ne puisse indiquer (au sens de DRETSKE) l'âge de l'arbre que s'il n'y a pas d'autre fait que le nombre des cycles de croissance qui puisse être causalement responsable de la production de ces anneaux. Il y a une difficulté dans cette façon de concevoir les choses : tout d'abord, lorsque l'on dit « il n'y a pas d'autre fait qui puisse être causalement responsable de la production de ces anneaux », on dit en fait que nous n'en connaissons pas, et on fait comme si aucun lien de causalité nouveau ne pouvait être découvert. Nous ne voyons pas en effet quelle nécessité il pourrait y avoir à ce que seuls les cycles de croissance puissent donner lieu à tel ou tel nombre d'anneaux (il pourrait en effet y avoir une maladie X causalement responsable de la formation de ceux-ci).

Grossièrement, le projet de DRETSKE est de décrire et définir des états tels que la croyance comme des états informationnels. ENGEL en parle en ces termes : « si l'on résume l'analyse de la croyance de Dretske, on dira qu'un agent a une croyance que p (a) s'il y a un état neuronal S de l'agent véhiculant l'information i et qui joue un rôle approprié d'indication dans l'organisation fonctionnelle de l'agent, et si (b) à la fin d'une certaine période d'apprentissage de S, S acquiert le contenu sémantique que p. »4(*). Autrement dit : « ... la croyance qu'il y a une mouche dans son environnement immédiat s'identifie à une structure interne de la grenouille ayant acquis une fonction d'indication et véhiculant le contenu sémantique qu'il y a une mouche dans l'environnement immédiat. »1(*).

Parmi les nombreuses difficultés que pose ce type de théorie, nous pouvons en relever une toute simple : la définition qui nous est donnée ne nous permet pas de faire la différence entre une sensation/perception et une croyance, la sensation/perception pouvant elle aussi être définie comme une structure interne ayant acquis une fonction d'indication et véhiculant le contenu sémantique qu'il y a une mouche dans l'environnement immédiat.

ENGEL affirme que « la difficulté principale d'une analyse de la croyance en termes de la notion de contenu informationnel est que les contenus des croyances sont individualisés de manière plus fine que les contenus informationnels. »2(*). En fait, DRETSKE distinguerait un contenu de croyances et un contenu informationnel, ceux-ci différant « quant à leur « ordre d'intentionnalité » »: « un état S doué d'un contenu a une « intentionnalité de premier ordre » si et seulement si : (a) tous les F sont G, (b) S a le contenu que t est F, (c) S n'a pas le contenu que t est G. Une intentionnalité de second ordre est exemplifiée quand (a) est remplacé par la condition (a') selon laquelle c'est une loi naturelle que les F soient G ; on a une intentionnalité de troisième ordre s'il est (a'') nomologiquement nécessaire que les F soient G. »3(*).

DRETSKE paraît donc résoudre la difficulté exposée par ENGEL.

Parmi les autres objections que l'on a fait à ce type de théorie, il y a celle-ci : on ne pourrait assimiler l'information que véhicule une certaine structure physique (la température fournie par le thermomètre, ou l'âge de l'arbre fourni par le nombre d'anneaux) avec l' «information » qui serait véhiculée par une croyance, pour la bonne raison que cette dernière peut véhiculer un contenu intentionnel faux, et qu'une information ne peut avoir cette propriété : en effet, « un signal r véhicule l'information que s est F seulement si s est F. »4(*). Tout contenu intentionnel ne serait donc pas une information, puisqu'une croyance peut véhiculer que s est F alors que s n'est pas F. Si l'on reformule avec l'exemple d'ENGEL5(*), la grenouille apprendrait que tous les objets noirs passant alentour ont la propriété d'être des mouches, et croit donc que cet objet noir passant alentour est une mouche, alors que cet objet noir passant alentour n'en est pas une.

Il y a plusieurs façons de répondre à cette objection. On peut dire que le contenu intentionnel que tout objet noir passant alentour est une mouche est une information parce que c'était vrai jusqu'à ce que l'expérimentateur introduise un objet noir passant alentour qui n'est pas une mouche, c'est-à-dire modifie artificiellement l'environnement de la grenouille, d'après lequel elle avait acquis cette information. Dans ce cas de figure, s'il n'est pas vrai en général que tout objet noir passant alentour est une mouche, cela est vrai dans l'environnement de la grenouille. On peut remarquer au passage qu'une information n'a de rôle pour la survie de l'organisme que si elle porte sur lui-même ou sur son environnement (il n'y aurait en effet pas d'intérêt a ce que la grenouille possède une information concernant l'environnement d'un autre organisme). Dans le second cas de figure, qui est plus vraisemblable, il existe dans l'environnement naturel de la grenouille des objets noirs passant alentour qui ne sont pas des mouches ; et le contenu intentionnel peut donc dans certains cas être considéré comme faux et non-informationnel. Mais cela n'est pas une objection à la thèse que nous avançons, car nous ne soutenons pas que tout contenu intentionnel est une information, mais simplement que tout contenu intentionnel a pour fonction d'être informationnel. Si la grenouille a le contenu intentionnel que tout objet noir passant alentour est une mouche, ce contenu peut être faux et non-informationnel la plupart du temps, et alors la grenouille ne parviendra pas à se nourrir et mourra ; il peut aussi remplir sa fonction informationnelle, même si tout objet noir passant alentour n'est pas une mouche. Comment cela peut-il se faire ? On peut postuler que si la grenouille a un tel contenu, c'est que cela lui est avantageux et qu'il y a sans doute en proportion plus d'objets noirs passant alentour qui sont des mouches que d'objets noirs passant alentour qui n'en sont pas, en vertu de la sélection des états mentaux porteurs d'information opérée par l'évolution. Il est tout à fait plausible que le contenu intentionnel, même s'il n'est pas systématiquement informationnel, est adapté ou s'adapte à l'environnement de l'organisme qui le possède. Le fait que l'information ait pour propriété d'être analytiquement vraie n'implique donc pas que le contenu intentionnel n'ait pas pour fonction d'être informationnel. Les états mentaux peuvent être dits informationnels seulement s'ils remplissent la fonction qui est la leur. La fonction informationnelle serait donc une norme vers laquelle tendraient les états mentaux, par les bénéfices que cette information apporte à l'organisme ; mais tous les états mentaux n'y souscriraient pas : une défaillance ou un dysfonctionnement occasionnels du système représentationnel sont toujours possibles.

Mais ici surgit une première difficulté : du fait que le nombre d'anneaux nous indique l'âge de l'arbre, nous n'inférons pas qu'ils ont pour fonction d'indiquer l'âge de l'arbre, et il serait sans doute erroné de procéder à une telle inférence si nous n'avons aucune raison de le faire. En quoi serions-nous fondés à passer du fait que le nombre d'anneaux indique l'âge de l'arbre au fait que le nombre d'anneaux ait pour fonction d'indiquer l'âge de l'arbre ?

La réponse pourrait être la suivante : nous ne voyons pas en quoi nous serions fondés à croire que l'indication de l'âge de l'arbre puisse apporter une quelconque contribution à la survie de cet organisme. Alors qu'il semble bien que les états mentaux en tant qu'ils sont porteurs d'une information permettent dans beaucoup de cas à l'organisme de maintenir son homéostasie.

A ceux qui nous diraient que nous commettons une erreur de raisonnement assimilable au « paradigme de Pangloss », nous pouvons répondre que l'assignation d'une telle fonction ne va évidemment pas de soi, mais que nous ne devons l'écarter a priori que lorsque son absurdité est flagrante. Par exemple, nous pourrions supposer que l'arbre produit chaque année un anneau parce qu'il a l'espoir qu'il sera épargné lorsque les bûcherons viendront l'abattre et constateront son âge avancé et respectable. Cette expérience de pensée consiste à considérer quel bénéfice l'arbre pourrait trouver à la production de tels anneaux, et nous ne voyons pas quelle autre contribution la production de ceux-ci pourrait apporter à la survie de l'arbre (il n'y aurait en effet aucun bénéfice à ce qu'il soit informé de son âge). Mais nous devons écarter cette hypothèse absurde parce que la production d'anneaux ne peut remplir une telle fonction, étant donné que nous ne pouvons être informés précisément de l'âge de l'arbre qu'une fois qu'il a été tronçonné. Il n'est par contre pas absurde d'affirmer que l'intentionnalité de nos états mentaux contribue pour une large part à notre survie, et aurait été sélectionnée par l'évolution pour cette raison.

Ici encore, nous pouvons nous référer à DAMASIO et à ses réflexions sur les émotions : « par elle-même, la réponse émotionnelle peut remplir quelques utiles fonctions : par exemple, elle peut permettre de se dissimuler rapidement à la vue d'un prédateur, ou de montrer à un concurrent que l'on est en colère. Le processus ne s'arrête pas avec les changements corporels qui caractérisent une émotion cependant. Il se poursuit - en tout cas, on en est certain chez les êtres humains - et son stade suivant correspond à la perception de l'émotion en rapport avec le phénomène qui l'a déclenchée, autrement dit à la prise de conscience qu'il existe un rapport entre un phénomène donné et un état du corps marqué par une certaine émotion. »1(*). En plus de confirmer ce que nous venons de dire sur la fonction pouvant être assurée par nos états mentaux, nous voyons que les émotions ne sont pas simplement des états du corps (ce qui suffit à en faire des états intentionnels), mais que la perception de l'émotion à son stade le plus avancé semble aussi établir l'existence d'un rapport entre un certain phénomène et l'émotion considérée. De là à dire que l'émotion puisse aussi avoir pour fonction d'indiquer ou de nous informer d'un phénomène réel extérieur, il n'y a qu'un pas qu'il nous semble justifié de franchir. Nous pouvons néanmoins émettre une réserve quant au fait que le type de rapport que nous établissons avec le phénomène en question soit d'ordre conscient, comme le soutient DAMASIO. La peur peut en effet nous faire fuir ou éviter un obstacle avant même que nous n'ayons pris conscience du danger.

Nous voyons donc qu'un état mental tel que l'émotion peut avoir une valeur informationnelle ; mais avons-nous pour autant déterminé sa fonction ?

Ici surgit ce qu'on appelle le problème de l'indétermination fonctionnelle. ENGEL l'expose de la façon suivante : « De même la grenouille qui tire sa langue en direction des mouches : a t-elle un dispositif interne qui commande à la capture de mouches ou bien la capture d'objets noirs passant alentour ? Si on lui envoie des balles de plomb, le dispositif « fonctionne » identiquement. Il est indéniable qu'il malfonctionne, puisque la grenouille aura une indigestion, mais relativement à quel contenu informationnel ? ». 3(*) Nous voyons ici que ce qui est appelé l' « indétermination fonctionnelle » est en fait l'indétermination du contenu informationnel de la fonction. Nous allons tenter de montrer dans ce qui suit que le contenu informationnel est en fait déterminé.

Si la fonction du dispositif interne de la grenouille est de commander à la capture des F (ou objets noirs passant alentour), c'est qu'il n'y a pas ou peu d'F qui ne possèdent pas la propriété g (être nutritif), car l'évolution ne sélectionne une fonction que si elle a des conséquences bénéfiques, et il n'y a pas de bénéfice à ce qu'une grenouille ingère des F-g, c'est-à-dire des F privés de la propriété g. On peut donc en déduire que si l'évolution n'a pas fait en sorte que le dispositif interne de la grenouille distingue les Fg de F-g, c'est parce que la plupart des F présents dans l'environnement de la grenouille sont des Fg, ou qu'il y a suffisamment de Fg en proportion parmi les F ingérés par la grenouille pour satisfaire la condition N (nourrir la grenouille). Dans ce contexte, il n'y a pas de sens à distinguer la fonction de commander à la capture des Fg de la fonction de commander à la capture des F-g, puisque la plupart des F ont la propriété g et que l'ingestion de F en masse suffit à satisfaire la condition N, étant donné qu'il y a proportionnellement plus de Fg que de F-g à l'intérieur des F.

On peut donc considérer que le contenu informationnel de la fonction du dispositif interne de la grenouille est déterminé et consiste à commander la capture des F. En effet, si le contenu informationnel de la fonction du dispositif interne de la grenouille commandait à la capture des F ayant la propriété g, alors la grenouille ne pourrait pas prendre des F-g pour des Fg.

Remarquons aussi que si l'environnement de la grenouille se modifie, au sens où la proportion de F-g deviendrait supérieure à la proportion de Fg, il est probable que l'évolution ferait en sorte que les grenouilles distinguant un trait spécifique des Fg soient sélectionnées. Si aucune n'en devenait capable, l'espèce de grenouille en question serait menacée de disparition.

Il n'y a donc pas d'objection à ce que les états mentaux aient pour fonction d'être informationnels, ni à ce que nous puissions déterminer le contenu informationnel de cette fonction, comme il semble que nous ayons réussi à le faire pour le contenu informationnel de la fonction du dispositif interne de la grenouille.

Il convient maintenant de revenir sur la sélection de cette fonction et de nous interroger sur le concept d'évolution. Voyons ce que nous en dit François JACOB : « la théorie de l'évolution se résume essentiellement en deux propositions. Elle dit d'abord que tous les organismes, passés, présents ou futurs, descendent d'un seul, ou de quelques rares systèmes vivants qui se sont formés spontanément. Elle dit ensuite que les espèces ont dérivé les unes des autres par la sélection naturelle des meilleurs reproducteurs. »1(*). La seconde est celle qui nous intéresse, mais nous pouvons remarquer qu'elle nous renvoie en fait au concept de sélection naturelle. F.JACOB cite à ce propos le DARWIN de L'origine des espèces :  « c'est à la « conservation des variations favorables ... et à la destruction de celles qui sont nuisibles que j'ai appliqué le nom de « sélection naturelle » ou de « survivance du plus apte ». Les variations indifférentes, ni utiles ni nuisibles, n'étant pas effectuées par la sélection » peuvent demeurer ou non. » 1(*).

Remarquons que cette définition de la sélection naturelle évoque le fait que certaines variations puissent être « indifférentes », c'est-à-dire « ni utiles ni nuisibles », et ne fait donc pas de tout trait un trait ayant valeur adaptative, inférence dénommée le « paradigme de Pangloss ».

Etant donné que nous avons montré en quoi l'intentionnalité pouvait être « utile » à la survie de l'individu et de l'espèce, nous pouvons la considérer comme une « variation favorable » qui aurait été conservée par la sélection naturelle qui « est à chaque instant et dans l'univers entier occupée à scruter les moindres variations ; rebutant celles qui sont mauvaises, conservant et additionnant celles qui sont bonnes ; travaillant inlassablement et sans bruit, partout et toutes les fois que l'occasion s'en présente, à l'amélioration de chaque être organisé, dans ses rapports tant avec le monde organique qu'avec les conditions inorganiques. »2(*)

Deux objections peuvent encore nous être faites : la première est que d'une certaine manière, tout recours à la fonction dans nos descriptions ou définitions dématérialise l'esprit, par le fait que différentes structures matérielles peuvent accomplir une même fonction.

Remarquons que c'est une chose de dire que la fonction peut se réaliser dans différentes structures matérielles ou physiques, et que c'en est une autre de dire que la fonction n'a besoin d'aucune structure matérielle ou physique pour se réaliser. Si le « fonctionnalisme conduit à séparer l'esprit du cerveau » 3(*), donc à une « décérébralisation »4(*), le fonctionnalisme et le matérialisme sont tout à fait compatibles, sous la forme d'un matérialisme non-réductionniste par exemple. Autrement dit, nous ne soutenons pas que les propriétés mentales se réduisent à telles ou telles propriétés physiques, mais défendons l'idée déjà exposée que toute propriété mentale est une propriété d'une substance physique, qui n'est pas nécessairement le cerveau. Comme le dit DESCOMBES : « on ne confondra pas le fait pour la pensée d'être rattachée à un cerveau et le fait d'être rattachée à un système vivant. »5(*).

La seconde objection, déjà en partie traitée dans notre première partie, est que nous confondrions le descriptif et le normatif dans notre  « description » des états mentaux. DESCOMBES le formule ainsi : « un tel partage de la description et de l'évaluation est pleinement justifié, et il l'est par le précepte suivant : on ne doit pas introduire, dans notre description de la réalité, des éléments qui n'appartiendraient pas à cette réalité elle-même, mais plutôt à notre réalité... » 1(*), et « l'opposition du normatif et du descriptif signifie que nous tenons à distinguer ce que la chose est en elle-même et ce qu'elle est pour nous. » 2(*). Peut-être devons-nous donc renoncer à l'utilisation du concept de description pour qualifier notre entreprise ; nous aurions en fait simplement fourni une définition fonctionnelle des états mentaux. Mais il faudra alors dire la même chose des sciences naturelles lorsqu'elles emploient des concepts normatifs (celui d'homéostasie par exemple). Remarquons néanmoins avec DESCOMBES que « les normes en question sont celles du système dont on s'occupe et non celles de l'observateur » 3(*), et que «... le point de vue qui nous permet d'étudier le système ne s'occupe pas de la rationalité que présente ce système pour nous, mais de la rationalité qu'il présente pour soi. »4(*). Pareillement, les états mentaux de la grenouille (si elle en a) sont informationnels pour elle et pas pour nous, et il en est de même des états mentaux que nous avons : ils sont informationnels pour soi. On peut considérer le système étudié non pas simplement comme un système matériel isolé de son environnement, mais comme un système intégré dans ce dernier : « le système adaptatif tient compte de son milieu, faute de quoi il est condamné à périr ou à décliner. »5(*). On ne peut pour autant opposer les « sciences naturelles » et les « sciences de l'artificiel », les premières portant sur le système matériel isolé de son environnement, les secondes portant sur le système adaptatif intégré à son milieu ; en effet, il n'y a pas de démarcation stricte entre les deux, la biologie étant une science naturelle qui étudie aussi bien l'aspect matériel que l'aspect adaptatif/fonctionnel du système (c'est-à-dire aussi l'environnement dans lequel il s'intègre). Les concepts de milieu ou de biotope nous le montrent, ainsi que les expérimentations étudiant l'influence du milieu ou de l'environnement sur le plein développement des dispositions de l'organisme.

Nous avons donc tenté d'étudier les propriétés mentales du système comme pouvant elles-mêmes être adaptées par l'information qu'elles lui procurent. Nous n'avons néanmoins fait qu'une partie du travail en montrant que notre tentative de naturalisation de l'esprit n'est pas absurde, du fait des bénéfices que l'organisme peut tirer des informations véhiculées par ses représentations. Il faudrait encore montrer comment lesdites représentations peuvent orienter ou modifier le comportement, c'est-à-dire nous intéresser de plus prés à la question de la causalité mentale ; mais cela est un autre problème qui nécessiterait une réflexion à part entière.

CONCLUSION

Qu'avons-nous exactement accompli lorsque nous arrivons à la conclusion que l'intentionnalité des états mentaux peut être décrite ou définie comme une fonction informationnelle sélectionnée par l'évolution ? S'agit-il d'une explication de la capacité représentationnelle et de l'intentionnalité ? Joëlle PROUST prétendait en effet que le naturalisme consistait à « ...établir si une notion comme celle de représentation, ou de conscience, généralement considérées en philosophie comme des notions irréductibles, voire constitutives du domaine sémantique, peuvent en fait recevoir une explication de type ordinaire, c'est-à-dire être expliquées causalement comme n'importe quel autre phénomène naturel » 1(*), ou à « réduire l'intentionnel à du physique » 2(*).

Nous n'avons pas procédé à une explication telle que la définit HEMPEL, nous n'avons pas non plus réduit l'intentionnel à du physique, ni même décrit ou défini l'intentionnalité des états mentaux sans faire usage de concepts normatifs, ce qui aurait d'ailleurs été inutile, puisque le naturalisme est lui-même une norme qui prescrit de n'employer dans nos énoncés décrivant la capacité représentationnelle que des concepts usités dans les sciences.

Nous n'avons pas procédé à une explication de l'intentionnalité des états mentaux, car faire uniquement usage de concepts scientifiques dans nos énoncés ne garantit en rien que les énoncés ainsi produits soient des explications scientifiques étant donné que nous pouvons articuler ces concepts de manière absurde.

Nous pouvons néanmoins dire que des énoncés tels que « la croyance que ce liquide est de l'eau a fait que x l'a bu » sont considérées comme des explications par la psychologie populaire, car le fait de connaître les croyances de quelqu'un nous permet dans une certaine mesure de prévoir son comportement ; d'autre part, si nous demandons à quelqu'un (a) « pourquoi x a t-il bu le contenu de ce verre ? » il nous répondra : (b) « parce que x croyait que c'était de l'eau » ; et si nous réitérons la question, il nous répondra sans doute sur un ton agacé :  « mais je viens de vous l'expliquer ! ». La signification du concept d'explication ne se restreint pas à la définition qu'en donne HEMPEL, qui nous parle uniquement de ce qu'est une explication scientifique. Il s'ensuit de ces considérations que nos explications usuelles ne perdent pas tout intérêt et toute pertinence, et que nous n'avons pas à remplacer l'énoncé (b) par un énoncé du type :  « parce que x avait l'état neuro-cérébral z que c'était de l'eau ».

Nous n'avons pas non plus réduit l'intentionnel à du physique. Nous avons simplement délimité les propriétés mentales en affirmant qu'elles étaient des propriétés de la personne ou de l'agent, la seule réduction qui puisse nous être attribuée étant celle consistant à soutenir que toute propriété mentale ou sémantique est propriété d'une substance physique (mais s'agit-il d'une réduction ?), ce qui se distingue de la thèse affirmant que les propriétés sémantiques sont des propriétés physiques, et de la thèse consistant à soutenir que toute propriété mentale est une propriété d'une substance cérébrale.

Nous avons par contre soutenu que « ...la philosophie de l'esprit ou de la connaissance doit cesser d'être purement a priori ou « conceptuelle » »1(*), en tout cas qu'il n'y a pas d'objection de principe à ce qu'elle s'informe des données scientifiques portant sur son objet (l'esprit), et modifie ou révise ses propres théories en fonction de ces dernières.

Nous avons donc accompli une tâche modeste consistant à ne caractériser l'esprit qu'en faisant usage de concepts normatifs et de concepts non-normatifs issus des sciences naturelles. Il s'agit pourtant bel et bien d'un naturalisme qui ne perd pas pour autant sa valeur du fait qu'il se destine uniquement à la production d'énoncés descriptifs et informatifs portant sur l'intentionnalité des états mentaux.

Il est maintenant temps de répondre à deux questions : pourquoi avons-nous choisi de ne faire usage que de concepts issus des sciences naturelles ? La philosophie ne se subordonne-t-elle pas à la science lorsqu'elle se fixe pour règle de n'user dans ses descriptions que de concepts scientifiques ?

A la première question, nous pouvons répondre que nous n'avons pas utilisé de concepts psychologiques dans notre définition de l'intentionnalité des états mentaux, non parce que nous considérerions la psychologie comme une sous-science, mais parce qu'elle utilise des concepts intentionnels dans ses explications, et que nous ne pouvons pas définir l'intentionnalité par des concepts intentionnels ou subdoxastiques, c'est-à-dire quasi-intentionnels, sous peine de circularité.

La réponse à la seconde question semble pouvoir être trouvée chez Joëlle PROUST qui la formule un peu différemment : « Cet emprunt ne compromet-il pas la valeur philosophique de la réflexion, qui devient assujettie à la validité d'un champ de savoir extérieur à elle-même ? » Elle y répond comme suit :  « cette objection serait fondée si les concepts en question étaient purement et simplement transférés tels quels dans le raisonnement philosophique. Tel n'est pas le cas. L'intégration d'un concept d'origine psychologique ou neurophysiologique à des considérations philosophiques ne se fait pas sur le mode de l'emprunt pur et simple. L'activité proprement philosophique consiste à retravailler le concept issu de la théorie empirique pour mettre au jour ses conditions générales d'application, et le lien qu'il entretient avec un réseau d'autres contraintes philosophiques. » 1(*). Nous pouvons lui répondre que c'est là justement tout le problème, car on peut alors soutenir qu'il ne s'agit plus du concept de la théorie empirique. Nous ferions donc dans ce cas usage dans nos énoncés de concepts qui ne sont pas uniquement scientifiques, mais qui sont en fait devenus des concepts philosophiques. Or n'était-ce pas là précisément ce que le philosophe naturaliste voulait éviter en préconisant de ne se servir que de concepts scientifiques ? Joëlle PROUST pressent sans doute cette objection puisqu'elle dit un peu plus loin : « le concept est le même, mais il est éclairé différemment. » 2(*). Il peut lui être rétorqué que le fait qu'il entretienne de nouvelles relations et soit lié à un réseau de contraintes philosophiques suffit à ce qu'il ne soit plus tout à fait le même.

Nous pouvons aussi remarquer que la démarche consistant à ne se servir, dans les énoncés philosophiques, que de concepts scientifiques, avait sans doute pour objet de se prémunir du vocabulaire et des entités en bref, des excentricités métaphysiques (au sens kantien du terme3(*) ) des philosophes, mais que respecter le naturalisme ne nous garantit pas que nous y échappions. Et cela tout simplement, soit parce que le philosophe peut retravailler le concept en métaphysicien, soit parce qu'il peut changer le sens des différents concepts scientifiques en les articulant en métaphysicien.

Il s'ensuit de tout cela que le naturalisme présuppose des normes dans la définition de l'esprit qu'il nous soumet et est une norme lui-même, dont nous avons explicité le contenu. Nous avons vu aussi qu'il se permet en partie de transgresser la règle qu'il s'est lui-même fixé, en modifiant le sens des concepts qu'il emprunte aux sciences. Le fait que le naturalisme fasse nécessairement référence à des normes l'invalide t-il ?

Pas nécessairement. Nous pouvons en effet soutenir qu'il s'agit d'une démarche pertinente : il n'est pas négligeable de dire que les états mentaux ont été sélectionnés pour leur fonction d'être informationnels et pour la contribution que celle-ci apporte à la survie de l'individu et de l'espèce. Mais cette fonction informationnelle fait aussi qu'ils doivent se prêter à une appréciation en termes de normes c'est-à-dire comme pouvant être vrais ou faux, corrects ou incorrects, rationnels ou irrationnels. Les simples considérations causales ne suffisent donc pas à caractériser les états mentaux ; autrement dit l'approche naturaliste et l'approche normative sont complémentaires. Il nous faut donc accepter que nous ne puissions procéder qu'à un naturalisme modéré qui ne se cache pas de faire usage de normes.

BIBLIOGRAPHIE

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WITTGENSTEIN Ludwig, Le cahier bleu et le cahier brun, Editions Gallimard, 1965 / Collection TEL.INDEX DES NOTIONS

Adaptation (75, 82)

Valeur adaptative (74)

Âme (4)

Animisme (5)

Anthropomorphisme (22, 61)

Attitude propositionnelle (12, 40, 41)

Behaviorisme (42, 59)

Biophilosophie (10, 39)

Canon de Morgan (59)

Carte mentale (64, 65)

Causalité (7, 21, 36, 61)

Analyse causale (60)

Causalité mentale (7, 13, 54, 82)

Causes (17, 18, 19, 20, 21, 27, 60, 61, 62)

Cerveau (16, 17, 21, 23, 25, 28, 30)

Cognitivisme (32)

Comportement (59, 60, 61)

Concepts (34)

Concepts mentaux ou intentionnels (17, 59, 62)

Concepts naturels (84)

Concepts normatifs (84)

Concepts philosophiques (84, 85)

Concepts scientifiques (26, 55, 57, 84, 85)

Conceptualisme (9, 27)

Confusion conceptuelle (16, 17, 23, 24, 30)

Conscience (6, 12)

Contenu informationnel (76, 79, 80)

Contenu intentionnel (77)

Contenu propositionnel (41)

Contenu sémantique (76)

Contrefactuel (21)

Corps (25) (voir aussi Etats du corps)

Critère (18)

Croyance (11, 22, 28, 42, 55, 64, 76)

Douleur (45, 46)

Dualisme (4, 15, 16)

Effet placebo (53, 56, 57)

Emergence (voir Survenance)

Emotion (70, 78, 79)

Enoncé (11, 13, 23, 24, 51, 53, 56, 57, 74)

Enoncé causal (36, 51, 53, 73)

Enoncé fonctionnel (73)

Enoncé naturalisé (44, 58)

Enoncé téléologique (72)

Entité (25, 64)

Entité mentale (7)

Entité physique (7)

Environnement (77, 78, 80) (voir aussi Milieu)

Erreur de catégorie (voir Confusion conceptuelle)

Esprit (4, 5, 12, 16, 17, 21, 29, 30)

Définition (6)

Etats du corps (70, 79)

Etats cérébraux (16, 17, 40)

Etats mentaux (voir aussi Réalité) (5, 12, 16, 17, 42, 43, 46, 59, 61, 62, 69, 70, 80, 82, 85)

Ethologie (59)

Evolution (71, 74)

Théorie de l'évolution (80)

Expérience de pensée (78) (Voir aussi Contrefactuel)

Explication (36, 37, 52, 53)

Explication causale (10, 22, 42, 52, 53)

Explication ordinaire ou usuelle (9, 38, 53)

Explication scientifique (22, 36, 37, 62)

Externalisme (30, 31, 32, 33, 34, 35)

Finalité (72)

Fonction (62, 71, 72, 73, 74, 81)

Etudes fonctionnelles (59, 60, 72)

Fonction informationnelle (75, 77, 78, 80)

Fonctionnalisme (81)

Génétique (60)

Génétisme (idéologie génétique) (60)

Holisme (32, 34, 35)

Homéostasie (78, 82)

Identité (voir Relation)

Image mentale (27, 29)

Indétermination fonctionnelle (79)

Indication (70, 75, 76, 78)

Information (70, 75, 77)

Intensionnalité (46)

Intentionnalité (11, 12, 69, 70, 71, 78, 81, 83)

Internalisme (30, 31, 32, 33, 34, 45)

Interprétation (18)

Langage

Langage usuel (25)

Langage scientifique (25, 26, 67)

Lois (21, 22, 35) (voir aussi Relation nomique)

Loi de Leibniz (63)

Lois psychologiques (34, 35, 41)

Lois des sciences naturelles (34, 35)

Matérialisme (40, 56, 81)

Matérialisme éliminatif (13, 39, 40, 41, 42, 47, 55, 56)

Mental (16, 17)

Métaphysique (85)

Milieu (82) (voir aussi Environnement)

Modules (25)

Naturalisation (6, 8, 9, 10, 18, 65)

Naturalisme (21, 26, 56, 83, 84, 85)

Naturalisme évolutionniste (14, 58)

Naturel (27)

Nécessité (21, 76)

Neurophilosophie (10, 39)

Neurosciences

Neurophysiologie (55)

Niveau de description (44)

Niveau d'organisation (44, 46, 63)

Normativisme (11, 13, 15, 21, 26, 27, 35, 62)

Normatif, Normes (26, 27, 28, 50, 81, 82, 84, 85)

Ontologie (8, 40, 44, 46, 47, 49)

Opacité référentielle (46)

Organisation (69, 71)

Organisme (46, 77, 78)

Paradigme de Pangloss (74, 78)

Partie (24, 25, 31, 65, 66)

Perception (70)

Personne (22, 23, 25, 29, 84)

Philosophie (20, 24, 57, 84)

Discours philosophique (56, 57)

Philosophie analytique (11)

Philosophie de l'esprit (23, 32, 84)

Physicalisme (16, 48, 67)

Placebo (voir Effet placebo)

Prédiction (56, 55)

Propriété (16) (voir aussi Tout et Partie)

Propriétés cérébrales (21)

Propriétés disjonctives (51)

Propriétés fonctionnelles (50, 52)

Propriétés gustatives (65, 66)

Propriétés magiques (43, 44)

Propriétés mentales (5, 21, 25, 31, 43, 44, 55, 63, 66, 68, 81, 84)

Propriétés physiques ou chimiques (31, 50)

Propriétés sémantiques (5, 31, 40)

Psychologie (49, 84) (voir aussi Lois psychologiques)

Psychologie cognitive ( 23)

Psychologie populaire (40, 41, 42)

Psychologie scientifique (56)

Psychophilosophie (10, 39)

Qualia (44)

Raisons (17, 18, 19, 20, 21, 27)

Réalisabilité multiple (51, 67)

Réalisme

Réalisme modéré (63)

Réalité des états mentaux (8, 13, 64)

Réduction (7, 8, 13, 16, 65, 70)

Réductionnisme (7, 8, 63, 66, 67, 68, 69)

Définition (41, 42, 65)

Réductionnisme conceptuel (8)

Réductionnisme faible (8, 66, 68)

Réductionnisme fort (8, 66, 67, 68)

Réductionnisme ontologique (8, 9, 70)

Réductionniste (46, 47)

Référence (43, 44)

Référent (44, 45, 46)

Relation (25)

Relation causale (voir Causalité)

Relation d'identité (63)

Relation nomique (22, 75) voir aussi Lois)

Représentation (6, 12)

Représentation digitale (12)

Représentationnisme (32)

Rêve (27, 28, 29)

Science (9, 10, 84)

Discours scientifique (57)

Sciences humaines (49)

Sciences naturelles (9, 82, 84)

Sélection naturelle (71, 80)

Sens ou signification (44, 45)

Non-sens (17)

Sophisme de l'homoncule (22, 23, 25)

Stratégie intentionnelle (5, 62)

Substance (4, 5)

Substance cérébrale (5)

Substance mentale (4, 5, 15, 16)

Substance physique ou matérielle (4, 5, 15)

Survenance (33, 34, 65, 69)

Survie (74, 77, 78, 80)

Symptôme (18)

Téléologie (72)

Tout (24, 25, 31, 65, 66)

Usage (voir Langage usuel)

Variation (80, 81)

Vocabulaire

Vocabulaire intentionnel (22, 48) (voir aussi Concepts mentaux)

Vocabulaire scientifique (42) voir aussi Concepts scientifiques)

Vrai et faux (voir Normatif)

INDEX DES AUTEURS CITES

Andrieu Bernard (48, 49)

Atlan Henri (10, 36, 41, 46, 47, 65, 66, 67, 69)

Churchland P.S. (48, 49)

Damasio Antonio.R (54, 70, 78, 79)

Darwin Charles (80)

Dennett D. (62, 64)

Descartes René (7, 15, 16, 17)

Descombes Vincent (23, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 46, 48, 62, 81, 82)

Dretske F. (75, 76)

Engel Pascal (8, 9, 10, 15, 16, 17, 19, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 30, 31, 34, 35, 39, 40, 41, 42, 47, 49, 63, 64, 68, 69, 75, 76, 77, 79)

Fodor J. (12, 15, 24, 32, 50)

Frege Gottlob (43, 44)

Freud Sigmund (66)

Hacker P.M.S (15, 17, 20)

Heidegger Martin (56)

Hempel Carl.G (37, 38, 73, 83)

Jacob François (80)

Jacob Pierre (7, 13, 49, 50, 52, 53)

Kant Emmanuel (85)

Laborit Henri (46, 47)

Mace André (40)

Malcom Norman (27)

Morin Edgar (75, cité en bas de page 54, 55)

Nerval Gérard (cité en bas de page 33)

Proust Joëlle (6, 7, 11, 12, 65, 71, 72, 74, 83, 84, 85)

Renck Jean-Luc (48, 59, 60, 61, 72, 74)

Servais Véronique (48, 59, 60, 61, 72, 74)

Searle John.R (11, 69, 70)

Waismann (18)

Wittgenstein Ludwig (15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 39, 68)

GLOSSAIRE

Etats mentaux : les états mentaux sont des états représentant des états de choses, ils ont donc la propriété d'intentionnalité.

Intentionnalité : relation qu'entretiennent certains états (dits intentionnels) avec des états de choses ou états du monde. Exemple d'intentionnalité : le mot « chat » représente le concept de chat et les différents objets appelés « chats ». Le mot « ryidfyfgh » ne représente rien et n'est donc pas pourvu d'intentionnalité.

Par analogie avec les mots, les états mentaux sont dotés de la propriété d'intentionnalité.

Matérialisme éliminatif : position philosophique qui considère les états mentaux comme n'ayant aucune réalité, et qui préconise donc d'éliminer les entités mentales et les concepts mentaux de nos explications ou descriptions du réel au profit de concepts et d'entités neurophysiologiques.

Naturalisme / naturalisation : en philosophie de l'esprit, il s'agit de la position philosophique visant à rechercher les causes des états mentaux ou de celle consistant à définir ceux-ci à l'aide de concepts scientifiques naturels (c'est-à-dire empruntés aux sciences naturelles).

Normativisme : en philosophie de l'esprit, il s'agit de la position philosophique adoptant un point de vue normatif sur les états mentaux, visant donc à les considérer uniquement comme corrects ou incorrects, rationnels ou irrationnels, vrais ou faux... Le normativisme s'oppose au naturalisme.

Proposition : énoncé ou phrase dans sa relation avec le monde extérieur ; plus exactement énoncé susceptible d'être vrai ou faux.

Substance / propriété : ce sont deux catégories fondamentales avec lesquelles il semble que nous pensions le réel. Cette division est présente dans notre langage. Dans l'énoncé « cette lampe est rouge », la lampe est considérée comme une substance. Pour ce qui est de leur existence, les propriétés sont dépendantes des substances.

* 1 (p. 10-11 / Comment l'esprit vient aux bêtes / éd. Gallimard.)

* 2 (p.62 / Comment l'esprit vient aux bêtes / éd. Gallimard).

* 3 (p.321 / Introduction aux sciences cognitives / Le problème du corps et de l'esprit aujourd'hui / éd. Gallimard - Folio essais)

* 1(p.9 / Introduction à la philosophie de l'esprit / Engel / éd. La découverte).

* 1 Nous considérons en effet que l'intentionnalité des propriétés sémantiques est dérivée de l'intentionnalité des propriétés mentales et renvoyons à l'argument de Joëlle PROUST qui nous apparaît convaincant  : « Le fait qu'un ordinateur puisse être interprété de manière intentionnelle est lié au fait qu'il a été conçu pour émuler des suites d'états intentionnels ; mais cette intentionnalité est dérivée de son concepteur et de ses utilisateurs successifs. Il en va de même des phrases d'une langue : elles ne sont pourvues de contenu représentationnel que pour autant qu'elles sont utilisées par un système qui les charge d'intentionnalité. » (p.33 / Comment l'esprit vient aux bêtes / Proust)

* 1 (p.52 / Philosophie et psychologie / Engel / éd.Gallimard -Folio essais).

* 1 (A tort et à raison / Atlan / éd. du Seuil)

* 1 (p.8 / Comment l'esprit vient aux bêtes / Proust / éd. Gallimard)

* 2 (p.15 / L'Intentionalité / Searle / éd. de Minuit)

* 3 (p.14 / Comment l'esprit vient aux bêtes / Proust / éd. Gallimard)

* 1 (p.177 / Philosophie et psychologie / Engel / éd. Gallimard Folio-essais)

* 2 (p.114 / Le cahier bleu / Wittgenstein/ éd. Gallimard - coll.TEL)

* 3 (p.55 / Discours de la méthode / Descartes / éd. Nathan )

* 1 (p.26 / Wittgenstein / PMS.HACKER / éd. du Seuil / traducteur J.L.FIDEL)

* 2 (p.171 / Philosophie et psychologie / Engel - nous indiquerons dorénavant cet ouvrage par P&P étant entendu qu'il s'agit toujours de la même édition)

* 1 (p.171 / P&P)

* 1 (p.12 / P&P )

* 2 (p.166 / P&P )

* 3 (p.168 / P&P)

* 1 (p.82 / Le cahier bleu / Wittgenstein / éd. Gallimard)

* 2 (p.168 / P&P)

* 3 (p.169 / P&P)

* 1 (p.117-118 / P&P)

* 2 (p.118 / P&P)

* 3 (p.180 / P&P)

* 1 ( p.70 / Le cahier bleu / Wittgenstein / éd. Gallimard)

* 2 (p.15-16 / Wittgenstein / Hacker / Editions du Seuil / coll. Points-essais)

* 1 (p.190 / P&P)

* 1 (p.238 / P&P)

* 2 (p.238 - 239 / P&P)

* 3 (p.254 / La denrée mentale / Descombes / éd. Minuit, que nous noterons dorénavant DM )

* 1 (p.248 / DM / Descombes)

* 2 (p.254 / DM)

* 3 (p.255 / DM)

* 4 (p.253 / DM)

* 5 (p.239 / P&P)

* 1 (p.239-240 / P&P)

* 2 (p.77-78 / Wittgenstein / Hacker / éd. du Seuil)

* 3 (p.240 / P&P)

* 1 (p.60-61 / P&P)

* 1 (p.61 / P&P)

* 2 (p.111 / P&P)

* 3 (p.4 / Introduction à la philosophie de l'esprit que nous noterons dorénavant IPE / Engel / éd. La découverte )

* 1 (p.5 / IPE)

* 2 (p.5 / IPE)

* 1 (p.74 / DM)

* 2 (p.10 / DM)

* 3 (p.10 / DM)

* 4 (p.12 / DM)

* 5 (p.14 / DM)

* 6 (p.14-15 / DM

* 7 (p.15 / DM)

* 1 (p.15 / DM)

* 2 (p.15 / DM)

* 3 (p.278 / DM)

* 1 (p.268 / P&P)

* 2 (p.269 / P&P)

* 3 (p.20 / DM)

* 4 (p.20 / DM)

* 1 (p.23 / DM)

* 2 (p.33 / DM)

* 3 (p.97 / DM)

* 4 (p.276 / DM)

* 5 (p.276 / DM)

* 6 (p.276 / DM)

* 7 (Aurélia /Les filles du feu / Gérard de Nerval / éd. Gallimard / Folio)

* 8 (p.302 / DM)

* 9 (p.307 / DM)

* 1 (p.311 / DM)

* 2 (p.276-277 / DM)

* 3 (p.278 / DM)

* 4 (p.38 / IPE)

* 5 (p.87 / Comment l'esprit vient aux bêtes / Proust / éd. Gallimard)

* 1 (p.36 / IPE)

* 2 (p.286 / DM)

* 3 (p.96 / IPE)

* 4 (p.190 / P&P)

* 1 (p.52 / IPE)

* 2 (p.52 / IPE)

* 3 (p.52 / IPE)

* 4 (p.99 / A tort et à raison, que nous noterons dorénavant ATR / Atlan / éd. du Seuil)

* 1 (p.214 / ATR)

* 2 (p.233 / ATR)

* 3 (p.233 / ATR)

* 4 (p.233-234 / ATR)

* 5 (p.134 / ATR)

* 1 (p.74 / Eléments d'épistémologie / Hempel / Librairie Armand Colin / 1972)

* 2 (p.75 / Eléments d'épistémologie / Hempel / Librairie Armand Colin)

* 3 (p.75 / idem)

* 1 (p.76 / Eléments d'épistémologie / Hempel)

* 2 (p.76-77 / idem)

* 1 (p.52 / P&P)

* 1 (p.11 / La matière / Introduction de André Macé / GF / Flammarion)

* 2 (p.11-12 / idem)

* 1 (p.50 / IPE)

* 2 (p.62-63 / IPE)

* 1 (p.57 / IPE)

* 2 (p.57 / IPE)

* 3 (p.65 / A tort et à raison / Atlan / éd. du Seuil)

* 4 (p.57 / IPE)

* 5 (p.29 / IPE)

* 1 (p.63 / IPE)

* 1 (p.104 / Sens et dénotation / Ecrits logiques et philosophiques / Frege / éd. du Seuil)

* 2 (p.108 / idem)

* 1 (La nouvelle grille / Laborit / éd.Gallimard / Folio-essais)

* 2 (p.43 / La nouvelle grille / Laborit / éd. Gallimard / Folio-essais)

* 3 (p.57 / ATR)

* 1 (p.75 / ATR)

* 2 (p.349-350 / P&P)

* 1 (p.272 / L'éthologie / Renck et Servais / éd. du Seuil / coll. Points-sciences)

* 2 (p.9 / La neurophilosophie / Andrieu / PUF / coll. Que sais-je ?)

* 3 (p.31 / idem)

* 4 (p.95 / idem)

* 5 (p.33 / idem)

* 6 (p.21 / idem)

* 7 (p.56 / IPE)

* 8 (Autrement n°102 / article : A quoi pensent les philosophes ? L'analyse en philosophie : réduction ou dissolution ? / Jacob / Novembre 1998)

* 1 (p.24 / La neurophilosophie)

* 2 (p.120 / idem)

* 1 (p.30 / IPE)

* 1 (p.345 / Introduction aux sciences cognitives / Le problème du corps et de l'esprit aujourd'hui, que nous noterons dorénavant ISC-PCE / article de P.Jacob / éd.Gallimard / Folio-essais)

* 2 (p.345 / ISC-PCE)

* 3 (p.345 / ISC-PCE)

* 1 (p.348-349 / ISC-PCE)

* 1 (p.348-349 / ISC-PCE)

* 1 (p.348 / ISC-PCE)

* 2 (p.73 / 3.La connaissance de la connaissance / La méthode / Morin / éd. du Seuil)

* 3 (p.168-169 / L'erreur de Descartes / A.R.Damasio / éd. Poches - Odile Jacob)

* 1 (p.257 / Conférence ajoutée au livre Le principe de la raison / Heidegger / éd. Gallimard / cité par Atlan dans ATR p.67)

* 2 (p.122 / Eléments d'épistémologie / Hempel)

* 1 (p.30 / L'éthologie / Renck et Servais / éd. du Seuil)

* 2 (p.52 / idem)

* 3 (p.53 / idem)

* 1 (p.102-103 / L'éthologie)

* 2 (p.116 / idem)

* 3 (p.116 / idem)

* 4 (p.118 / idem)

* 5 (p.127 / idem)

* 6 (p.127 / idem)

* 7 (p.137 / idem)

* 8 (p.150 / idem)

* 1 (p.146 / L'éthologie)

* 2 (p.261 / idem)

* 3 (p.261 / idem)

* 1 (p.64 / IPE)

* 2 (p.64 / IPE)

* 3 (p.104 / IPE)

* 1 (p.116 / IPE)

* 1 (p.26 / IPE)

* 2 (p.116 / IPE)

* 3 (p.116 / IPE)

* 4 (p.116 / idem)

* 5 (p.117 / idem)

* 1 (p.117 / IPE)

* 2 (p.119 / IPE)

* 3 (p.62 / Comment l'esprit vient aux bêtes / Proust / éd. Gallimard)

* 1 (p.65 / ATR)

* 1 (p.58 / ATR)

* 2 (p.69-70 / ATR)

* 1 (p.72-73 / ATR)

* 2 (p.73 / ATR)

* 3 (p.54-55 / ATR)

* 1 (p.55 / ATR)

* 2 (p.57-58 / Leçons et conversations - chapitre : Leçons sur l'esthétique / Wittgenstein / éd. Gallimard / coll. Folio-essais)

* 3 (p.62 / idem)

* 4 (p.57 / idem)

* 5 (p.118 / IPE)

* 1 (p.71-72 / ATR)

* 2 (p.15 / L'Intentionalité / Searle / éd. de Minuit)

* 1 (p.16 / idem)

* 2 (p.11 / L'erreur de Descartes / Damasio / éd. Poche Odile Jacob)

* 3 (p.12 / idem)

* 1 (La logique du vivant / François Jacob / éd. Gallimard / coll. TEL)

* 1 (p.101 / Comment l'esprit vient aux bêtes / Proust / éd. Gallimard)

* 2 (p.100 / idem)

* 3 (p.100 / idem)

* 4 (p.101-102 / idem)

* 1 (p.102-103 / L'éthologie / Renck et Servais / éd. du Seuil)

* 2 (p.103 / Comment l'esprit vient aux bêtes / Proust/ éd. Gallimard)

* 3 (p.215 / idem)

* 4 (p.102 / idem)

* 1 (p.103 / Comment l'esprit vient aux bêtes)

* 2 (p.103 / idem)

* 3 (p.104 / Comment l'esprit vient aux bêtes)

* 4 (p.102 / idem)

* 5 (p.289 / L'éthologie / Renck et Servais / éd. du Seuil / coll. Point-Sciences)

* 1 (p.344 / La méthode 1- La nature de la nature / éd. du Seuil / coll. Point-essais)

* 2 (p.133 / La méthode 2 / La vie de la vie / éd. du Seuil / coll. Point-essais)

* 1 (p.123 / IPE)

* 2 (p.123-124 / idem)

* 3 (p.124 / idem)

* 4 (p.129 / IPE)

* 1 (p.130 / IPE)

* 2 (p.127 / IPE)

* 3 (p.128 / IPE)

* 4 (p.124 / IPE)

* 5 (p.135 / IPE)

* 1 (p.185 / L'erreur de Descartes)

* 3 (p.135 / IPE)

* 1 (p.21 / La logique du vivant)

* 1 (p.188 / La logique du vivant)

* 2 (Darwin cité par F. Jacob / p.189 / La logique du vivant)

* 3 (p.213 / DM)

* 4 (p.213 / DM)

* 5 (p.213 / DM)

* 1 (p.199 / DM)

* 2 (p.199 / DM)

* 3 (p.199 / DM)

* 4 (p.200 / DM)

* 5 (p.203 / DM)

* 1 (p.10-11 / Comment l'esprit vient aux bêtes)

* 2 (p.62 / idem)

* 1 (p.52 / Philosophie et psychologie / Engel)

* 1 (p.345 / Comment l'esprit vient aux bêtes)

* 2 (p.345 / idem)

* 3 La métaphysique est définie par KANT  comme la :  « connaissance spéculative de la raison tout à fait isolée et qui s'élève complètement au dessus des enseignements de l'expérience par de simples concepts... » (p.18 / Critique de la raison pure / Préface de la seconde édition / Kant / Quadridge - Presses Universitaires de France). Il serait intéressant de voir dans quelle mesure cette définition s'applique au « conceptualisme ».






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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus