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Liberté de la presse et droits fondamentaux en France et en Ecosse: influence de la CEDH

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par Abderrahman BENYAHYA
Université d'Auvergne Clermont I - DU Etudes Juridiques et Politiques Comparées 2007
  

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Paragraphe 2: Les limites à protection de la réputation accentuées dans le cadre du débat d'intérêt public

Certes la jurisprudence européenne très favorable à la liberté de la presse dans le cadre du débat politique a trouvé un certain écho dans les droits nationaux: ainsi, la cour de cassation a reconnu en 2000 que « l'intention d'éclairer [les électeurs] sur le comportement d'un candidat est un fait justificatif de bonne foi, lorsque les imputations, exprimées dans le contexte d'un débat politique, concernent l'activité publique de la personne mise en cause, en dehors de toute attaque contre sa vie privée, et à condition que l'information n'ait pas été dénaturée»266(*). Cependant, la France s'est vu condamnée en ce qui concerne la critique d'homme publique (A) et elle a dû abroger la législation sur l'offense envers les chefs d'Etat étrangers (B).

A- Le déplacement de « l'acceptable » en faveur de la critique pour les hommes publiques

La jurisprudence de la Cour Européenne relative aux hommes politiques incite à faire preuve de plus grande tolérance quant aux publications d'article critique à leur égard et spécialement dans le cadre d'élections. En ce domaine, c'est l'arrêt Lingens267(*) qui est le pilier fondateur de la jurisprudence européenne.

En effet, il s'agissait en l'occurrence d'un haut responsable politique (le chancelier fédéral d'Autriche) victime de vives critiques dans deux articles par un journaliste et ce à l'issue d'élections générales. Il s'est vu reproché le fait d'avoir agi en vu d'une coalition incluant un parti dirigé par un ancien nazi. Son comportement a été qualifié d' « immoral et dépourvu de dignité » émanant d'un « opportunisme le plus détestable ». Les propos ont été jugés injurieux et le journaliste a été condamné à une amende. Il s'est prévalu de l'article 10 devant la Cour Européenne pour demander la condamnation de l'Autriche pour mesure disproportionnée par rapport au but poursuivi. Dans le cadre de l'appréciation du caractère « nécessaire dans une société démocratique » de l'ingérence, les juges européens ont élaboré les principes fondamentaux.

Tout d'abord, il faut distinguer entre les citoyens ordinaires et les politiciens dans l'appréciation du caractère proportionnel de l'ingérence: les derniers doivent davantage tolérer la critique des médias du fait qu'ils s'exposent inévitablement en leur qualité à un contrôle attentif de leurs faits et gestes tant par les journalistes que par les citoyens. Ce principe se justifie du fait que la presse est tenue d'éclairer les citoyens sur les idées et attitudes des dirigeants dans une société démocratique.

Lorsque sont en jeu les intérêts de la libre discussion des questions politiques, la Cour reconnaît que l'utilisation de termes controversés fait partie du caractère habituel des « durs combats de la vie politique ». Par conséquent la condamnation des auteurs des propos litigieux même si elle n'a pas empêché l'expression constitue une « espèce de censure tendant à l'inciter à ne pas se livrer désormais à des critiques formulées de la sorte » et « est de nature à entraver la presse dans l'accomplissement de sa tâche d'information et de contrôle ».

Enfin en matière de preuve, comme nous l'avons vu multiple fois dans notre développement, la Cour Européenne a insisté sur la distinction entre faits et jugements de valeur: la preuve des jugements de valeurs est une violation de la liberté d'opinion car par essence impossible à apporter. Par conséquent, il n'est pas étonnant de voir la Cour Européenne déclarer la condamnation non nécessaire dans une société démocratique et disproportionnée au but légitime poursuivi.

Ces principes ont été rappelé maintes fois dans d'autres arrêts268(*): la Cour Européenne ajoute que dans la contribution à la discussion de la conduite des hommes politiques et de leur morale politique, il est disproportionné de demander de peser chaque mot pour exclure tout malentendu269(*). Elle va jusqu'à reconnaître à la liberté journalistique le recours possible « à une certaine dose d'exagération, voire même de provocation »270(*).

Dans cette perspective, la France s'est vue condamnée dans l'affaire Mamère271(*) pour violation de l'article 10 dans la condamnation pour diffamation envers un fonctionnaire de propos mettant en cause la politique de la France au moment de la catastrophe de Tchernobyl.

En l'occurrence, il s'agissait de Noël Mamère qui lors d'une émission télévisée « Tout le monde en parle » a vivement critiqué le directeur à l'époque de la catastrophe de Tchernobyl s'est produite, du Service central de Protection contre les Rayons ionisants: il le présentait comme étant un « sinistre personnage (...) qui n'arrêtait pas de nous raconter que la France était tellement forte - complexe d'Astérix - que le nuage de Tchernobyl n'avait pas franchi nos frontières ». Il a donc fait l'objet de poursuites pour complicité de diffamation publique envers un fonctionnaire et a été déclaré civilement et pénalement responsable. Devant la Cour Européenne des Droits de l'homme, la question était donc de savoir si la condamnation était nécessaire dans une société démocratique: après avoir rappelé les principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence, la Cour affirme que la marge d'appréciation dont disposaient les autorités pour juger de la « nécessité » de la mesure litigieuse était particulièrement restreinte. Étant donné que les propos litigieux tenaient à la fois du jugement de valeur et de l'imputation de fait, l'auteur doit avoir la possibilité de s'exonérer de sa responsabilité par l'exception de vérité et la bonne foi. Or, la déclaration portait sur des faits remontant à plus de dix, ce qui selon l'article 35 de la loi de 1881 empêchait l'intéressé de faire valoir l'exceptio veritatis. Cette disposition se trouve aux yeux de la cour peu justifiable « lorsqu'il s'agit d'événements qui s'inscrivent dans l'Histoire ou relèvent de la science » car, « au fil du temps, le débat se nourrit de nouvelles données susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la réalité des choses ». Par ailleurs, en ce qui concerne la bonne foi rejetée comme moyen de défense par les juridictions nationales, la Cour rappelle que « si tout individu qui s'engage dans un débat public d'intérêt général - tel le requérant en l'espèce - est tenu de ne pas dépasser certaines limites quant - notamment - au respect de la réputation et des droits d'autrui, il lui est permis de recourir à une certaine dose d'exagération, voire de provocation (...), c'est-à-dire d'être quelque peu immodéré dans ses propos ». Elle juge que les propos incriminés restent dans les limites de l'acceptable et ne constituent pas de termes outrageants. Enfin si elle reconnaît le fait que les fonctionnaires puissent bénéficier d'une protection spécifique dans l'exercice de leur fonction, la Cour rappelle qu'ils s'exposent à un contrôle attentif de leurs faits et gestes comme les hommes politiques et donc « les limites de la critique admissible à leur égard dans l'exercice de leurs fonctions officielles peuvent dans certains cas être plus larges que pour un simple particulier ».

Cet arrêt en déclarant la violation de l'article 10 de la convention remet en cause la disposition de la loi de 1881 qui interdit d'évoquer l'exception de vérité des faits diffamatoires de façon générale et absolue: quand sont en jeu le libre espace de discussion et les faits de nature scientifique, cette mesure s'avère disproportionnée par rapport au but légitime poursuivie. Les juridictions internes devront donc tenir compte de cette inflexion apportée par la jurisprudence européenne. A l'heure de la rédaction de ce document il n'existe pas d'arrêts qui puissent démontrer une telle attitude, contrairement au domaine de l'offense aux chef d'État étrangers ou la législation a dû être amendée pour se conformer avec le point de vue de la Cour.

* 266 Crim. 24/11/2000 n° de pourvoi : 97-81554

* 267 Lingens c/ Autriche préc.

* 268 Oberschlick c/ Autriche, 1991

* 269 CEDH, Schwabe c/ Autriche, 28 Août 1992, Série A242-B

* 270 Dalban c/ Roumanie, 28 septembre 1999, Recueil des arrêts et décisions 199-VI par. 49

* 271 CEDH, Mamère c/ France, 7Novembre 2006, requête n° 12697/03

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