Francis Ponge et Bernard Heidsieck : exemples d'un
parti pris du banal en poésie contemporaine
Introduction
On observe à la lecture des textes poétiques de
ces deux auteurs du XX ème siècle un parti pris du réel,
de la réalité prise dans ce qu'elle offre de plus ordinaire,
commun, banal. Chez Ponge, il s'agit de donner la parole à ces
« objets taciturnes, qui ne vivent que dans l'attente de leur plus
juste expression » (1948) 1(*) en les isolant de tout contexte. Chez Heidsieck le
parti pris est moins « objectiviste » (vs. humaniste), mais
il se donne aussi le but de faire voir, entendre la vie de tous les jours. En
effet, il y a dilution du banal objet dans un contexte. Leur point commun a
priori ? Refuser d'idéologiser le réel, encore moins de
le rendre idéal.
La double question qui se pose est : quelles motivations
ont dirigé ce choix d'une part et d'autre part les motivations chez ces
deux auteurs sont-elles comparables ?
Le contexte du XX ème siècle est
évidemment à placer au centre de ce questionnement et nos deux
auteurs s'inscrivent délibérément en position de rupture
par rapport aux recherches du XIX ème siècle : le
caractère égocentrique et anthropocentriste des thèmes,
les registres lyrique et élégiaque. En bref, tout ce qui faisait
une poésie hautaine et fière qui, soit détournait avec
horreur le regard de la basse matérialité, soit la dramatisait
à la manière de Victor Hugo dans une visée politique. On
observe ainsi dans ce siècle la naissance d'un regard neuf posé
sur l'objet, la chose, le banal. Georges Perec traite des Choses,
écrit qui lui vaudra d'ailleurs le prix Renaudot en 1965. Il
écrira également un texte intitulé Je me souviens, les
choses communes. Et la lecture de L'Anthologie arbitraire d'une
nouvelle poésie d'Henri Deluy2(*) qui « arbitrairement » rend compte
de trente poètes entre 1960 et 1982, nous révèle des
titres de poèmes pour le moins singuliers : Objet
d'Anne-Marie Albiach3(*), ou
Ménagerie quotidienne de Alain Lance4(*), ou Les Objets contiennent
l'infini5(*), ou encore
de James Sacré Bocaux, bonbonnes, carafes et bouteilles
(comme)6(*).
Francis Ponge et Bernard Heidsieck sont du XX ème
siècle et se revendiquent comme tels, même si Ponge aime à
rappeler que sa naissance en 1899 lui permet d'avoir eu un pied dans ce XIX
ème siècle qu'il remettra de nombreuses fois en cause.
Derrière le « parti pris de la
banalité » se présente et s'affirme un parti pris
poétique. Faisons de la poésie un outil de lecture du réel
et non plus une vision fantasmée de cette réalité qui
décevait tant les Romantiques. Parlons de ce que nous croyons
connaître et que nous avons toujours sous-estimé. D'une part, on y
verra peut-être de la beauté, d'autre part on pourra sortir la
poésie de l'ornière des élites en parlant des choses que
tout le monde connaît. De fait, une communication sera peut-être
possible avec une plus grande partie de la population. Faisons de la
poésie ouverte et compréhensible.
Ainsi nos deux poètes n'ont pas suivi la seule
« fonction poétique » pour
« faire » de la poésie -- et j'emploie
« faire » à dessein à la place
d' « écrire » -- non pas telle que la
définissait d'ailleurs Jakobson, mais telle qu'elle a été
comprise par certains poètes, mais ils ont voulu privilégier
« la fonction conative » d'une poésie communicante.
Le registre lyrique, en effet, à notre sens n'entre pas dans le
schéma de communication établi par Jakobson. Au contraire, il se
caractériserait par une attitude anti-communicative dans la mesure
où il s'agit d'un discours qui prend son locuteur pour destinataire,
donc une poésie dont la fonction resterait uniquement
« émotive ». En effet, la fonction poétique
qui caractérise le fait que, dans un raccourci nécessaire, le
texte parle et non le locuteur, n'est donc plus privilégiée. Nous
avons affaire à une poésie discursive, communicante. C'est moins
le « noème » qui désigne chez Jakobson une
pensée immanente que l'intention et le but du message qui importent chez
l'un et l'autre de nos poètes.7(*) Ceci dit, nous insistons bien sur l'idée que
certains poètes ont privilégié l'unique
« fonction poétique » et que ce n'est pas le fait de
Jakobson car lui-même insiste sur la nécessité de se
référer à d'autres fonctions : « Toute
tentative de réduire la sphère de la fonction poétique
à la poésie, ou de confiner la poésie à la fonction
poétique, n'aboutirait qu'à une simplification excessive et
trompeuse. » C'est dans ce sens qu'il faut lire la visée de
Ponge : « compte-tenu des mots » ne doit pas
être séparé de « parti pris des
choses ».
Donc leur point commun est bien de partir du réel sans
l'idéaliser, mais en le prenant tel qu'il nous apparaît.
Des différences encore apparaissent. Ainsi si Ponge
reste fermement attaché à la page, au support papier, Heidsieck
n'en fait qu'un auxiliaire nécessaire à la poésie sonore
(mais à des fins pratiques).
Ponge prend les objets un par un et les examine avec passion,
les dotant d'une identité. Heidsieck les dilue dans des contextes de
vie.
Ponge a un but révélé, même s'il le
récuse à plusieurs reprises, mais tout à fait
identifiable : sauver l'homme de lui-même ; de son
égocentrisme, son nombrilisme puisqu'il s'agit d'ouvrir l'homme à
autre chose que lui-même.
Heidsieck veut se poser contre la poésie du XIX
ème siècle et renouveler le genre par les techniques nouvelles du
XX ème siècle sans l'idée de sauver
particulièrement l'homme.
Ponge ne manque pas de préciser que les sujets qu'il
aborde sont l'objet d'une admiration voire d'un véritable amour tandis
que Heidsieck reste relativement neutre sur le plan affectif.
Mais tous deux ont pris comme thème commun le banal. Et
non seulement ils revendiquent ce sujet en usant de ce terme, mais ils en
changent le sens : le banal, victime du processus qu'est la banalisation
devient sous leur plume et dans leur bouche synonyme d'extra-ordinaire, de
prodige. Tout simplement parce que le regard du spectateur s'est posé
sur lui ou l'oreille de l'auditeur en a amplifié le son. La
poésie devient alors vecteur, outil de
« re-connaissance ».
D'autres différences sont décelables, notamment
sur le plan d'une sensibilité attribuée au banal. Ponge
revendique chez les objets ou choses un droit à la parole,
dénonce l'injustice d'un manque de considération. Les
« Escargots », en 1936, sont justifiés ainsi :
« Justice pour l'escargot ! Cet animal vaut mieux que son pesant
de morve. »8(*)
Ici c'est un sentiment d'injustice qui nourrit le désir de
l'étudier, une volonté de réparer une erreur humaine.
Quant à Bernard Heidsieck, il place ailleurs son
devoir : ce ne sont pas des choses ou des objets qui sont traités
sous le vaste sujet du banal, mais des situations banales, ordinaires,
de tous les jours. Le but n'est pas de réparer une erreur humaine mais
de rendre compte de situations.
Autre différence encore, quand Ponge examine ses objets
de l'extérieur et de l'intérieur, il n'en reste pas moins
à distance de ce qu'il appelle des « objets ». Il
s'agit de choses « objectées », placées
devant lui. Heidsieck au contraire s'imprègne du banal, non seulement en
l'incorporant à ses textes tels que ses enregistrements et
« biopsies » le lui ont livré, laissant une place
non négligeable au hasard, mais en s'en imprégnant lui-même
par des lectures-performances qui le poussent à choisir l'expression
« poésie action » à partir de 1963.
Nous traiterons donc ces différents aspects selon le
plan suivant :
I] Le concept du banal selon Ponge puis Heidsieck
II] Les buts du banal en poésie
I] Le concept du banal selon Ponge puis Heidsieck
1) Ponge et la (ou les) notion (s) d'objet/chose
Un relevé des occurrences du mot
« banal » et de ses dérivés nous
révèle que Ponge emploie donc rarement le mot
« banalité » mais ce qui demeure assuré,
c'est son désir marqué de parler de la « beauté
non reconnue », de « la faiblesse d'arguments »,
de « la modestie »9(*), dans « Je suis un suscitateur »
en 1942. « Ceux qui n'ont pas la parole, c'est à
ceux-là que je veux la donner », ajoute-t-il car
«[r]abaisser les puissants m'intéresse moins que glorifier les
humbles ». Dans Entretiens de F. P. avec P. S.10(*) , Ponge dit vouloir
chercher ses sujets dans les « objets les plus indifférents
possibles »11(*), il parle d' « un naïf
programme »12(*) : on retrouve ce menu dans une note accompagnant
le texte « Pierre Charbonnier »13(*) :
N'importe quel objet ou motif. Parce que tout s'agence
sans nous dans la nature. Et tout donc et n'importe quoi nous
intéresse, de ce point de vue. Nous choisirons même plutôt
ce dont le caractère désert, étranger n'est pas
particulièrement reconnu d'habitude. Tout ce que l'on a sordidement
d'habitude le sentiment d'avoir annexé, conquis, domestiqué,
surpris : les choses les plus « communes », les
paysages les plus « simples ».
Et pourquoi pas le chat ? se demande Ponge lors d'un
entretien avec Jean Ristat en mars 1976. Parce que le chat est
déjà trop poétique. « Je pense qu'il vaut mieux
choisir des objets beaucoup plus communs, qui ne sont pas poétiques,
montrer qu'ils sont aussi intéressants que n'importe quels
autres. »14(*)
Cette neutralité devient condition du choix de ses sujets.
Il est donc question d'un paradoxe puisque Ponge se
veut poète de l'épidictique, de l'éloge, au sens
étymologique du terme « paradoxe », à
savoir : « éloge d'un objet que nul ne songe à
louer, parce qu'il ne le mérite pas. »15(*)
On observe ainsi, dans un premier temps, que Ponge oscille
sans arrêt entre ces deux termes « choses » et
« objets » comme s'il ne faisait pas de distinction entre
eux. En ouvrant Le petit Robert, il se dessine effectivement dans le
sens large une corrélation directe entre les deux. Ainsi
un « objet » se définit comme « Toute
chose (y compris les êtres animés) qui affecte le sens et
spécialement la vue. » Donc un objet n'est pas seulement
inanimé et contredit la première partie de la
célèbre citation : « Objets inanimés,
avez-vous donc une âme (...) ? »
Ponge veut traiter n'importe quel objet ou chose sans
critère d'animation ou d'absence d'animation, (l'homme compris
ramené à cet état ou des parties d'homme :
« Ebauche d'une main ») à la condition d'avoir
affaire à notre espace commun, de tous les jours, à notre
« quotidienneté », à notre espace banal.
Certes, on observe une prédilection de Ponge pour les objets solides et
non liquides ou gazeux. Mais il s'en explique en parlant d'un premier
état de sa réflexion :
Si mon esprit s'est appliqué d'abord aux objets
solides, sans doute n'est-ce pas par hasard. Je cherchais un étai, une
bouée, une balustrade. Plutôt donc qu'un objet liquide ou gazeux
devait bien me paraître propice un caillou, un rocher, un tronc d'arbre,
voire un brin d'herbe, et enfin n'importe quel objet résistant aux yeux
par une forme aux contours définis, et aux autres sens par une
densité, une compacité, une stabilité relatives
également indiscutables. Les sens de l'homme et la densité
relative de son corps font ici, serait-ce inconsciemment, office de
critère.16(*)
(Et ici Ponge prend le mot « objet » dans
son sens visuel.)
Cependant ce n'est pas Le petit Robert qui a servi de
référence à Ponge, mais Le Littré. Qu'en
est-il de la distinction entre « objet » et
« chose » ?
« chose » signifie dans un premier
sens : « Désignation indéterminée de tout
ce qui est inanimé ». Il semble que Ponge ait oscillé
entre les sens 10 et 11 qui apportent les nuances respectives suivantes :
« peu de chose, chose inutile et sans valeur » et
« grand'chose, quelque chose qui a de l'importance ».
« objet » signifie « Tout ce qui
se présente à la vue » et en deuxième sens
« Tout ce qui affecte les sens ». Une troisième
signification ajoute cette nuance : « Tout ce qui est en dehors
de l'âme. Par opposition à sujet qui exprime ce qui est en dedans
de l'âme : l'objet et le sujet ». Une quatrième
acception nous apprend : « chose dans un sens
indéterminé » et une cinquième « Tout
ce qui se présente à l'esprit, tout ce qui l'occupe ».
Dès lors, il semble bien qu'il y ait un rapport à la vue et un
rapport sensuel de l'objet avec celui qui le considère.
A priori les choses et les objets ne font pas
vraiment l'objet d'une distinction chez Ponge.
C'est la raison pour laquelle, nous nous sommes
interrogé sur les différents emplois des mots
« objet » et « chose » en nous
demandant quelles « choses » du Parti pris des
choses sont-elles désignées comme des
« objets » ?
Il y a en première place « Le
cageot » : « cet objet » est
« agencé », utilitaire puisqu'il est d'entrée
de jeu désigné par sa fonction : « vouée au
transport »17(*). Or il s'agit d'une chose créée par
l'homme et c'est important car elle est « agencée ».
Le deuxième est « Le Pain » qui doit rester
« moins objet de respect que de consommation ».18(*) Le troisième est
« La Crevette ». Ce dernier peut sembler étonnant
par son classement dans la catégorie des « objets ».
Mais Ponge s'explique à ce propos en multipliant les
références à la vue. En effet, tout un champ lexical se
dessine : « gibier de contemplation »,
« vue », « hallucination »,
« aperçoit », « vision »,
« surimpression », « yeux »,
« vision », « représentations »,
« trouble de la vue », « se montre »,
« l'oeil », « aperçoit »,
« regards », « illusion »,
« reflet », « ombre »,
« formes », « forme », etc. Et Ponge
d'insister sur ce caractère d' « Objets pudiques en tant
qu'objets ». Il s'en explique en faisant la distinction entre chose
et objet.
« Chose » (terme qui n'est pas
nommé mais qui va de soi ici) relève de la
« réalité » (et l'on pense au De natura
rerum de Lucrèce), « objet » relève de
la « contemplation ». La crevette est objet car elle est
difficile à percevoir par la vue tant elle se déplace rapidement,
d'où cette mention de la « cinétique » et non
de l' « architecture ».19(*) Ainsi même « Le cageot »
est décrit comme objet et non chose peut-être non pas parce qu'il
est de fabrication humaine mais parce qu'il « luit » et
qu'il est en « bois blanc », d'où un rapport
à la vue non négligeable, puisque, en effet, Ponge veut nous le
« faire voir » cet objet qui traîne à nos
pieds et qui n'est pas élevé à hauteur de notre regard.
Idem pour « le pain » qui offre une « surface
(...) merveilleuse (...) une impression quasi panoramique ». Le texte
insiste sur les superpositions de couches et donc son aspect
multidimensionnel.
Parmi celles désignées comme des
« choses », nous avons la mer qui est « une chose
simple », puis l'eau20(*), le coquillage (dans « Notes pour un
coquillage ») est « une petite chose » que l'on
peut « démesurer »21(*). Le « Galet » n'est pas
« une chose facile à bien définir »22(*) et bizarrement il devient
« objet » quand il est question de l'
« introduire réellement dans nos yeux » pour
permettre sa « contemplation ».23(*) Quand il est question de son
rapport « en réalité » à la
« nature », il redevient
« chose »24(*). Et enfin, quand il question, cette fois pour le
galet, de parler de sa forme (« leur dos forme un parterre
incommode »), alors il s'agit de « ces objets du dernier
peu »25(*). Il
en est de même dans une lettre adressée à Bernard
Grothuysen où le galet est tour à tour
« objet » quand il est question de « perception
sensible », et de « chose » quand il est question
de langage, « mille compositions de qualités
logiques ».26(*)
On pourrait à ce moment reconnaître par l'emploi
du mot « objet » une sous-catégorie des choses. En
effet, quand il s'agit de « choses » naturelles, au sens
où elles sont l'objet de la création de la nature, en un
rapprochement avec les « choses-rerum » de
Lucrèce, Ponge emploie le mot « chose ». On ne peut
perdre de vue en effet que Ponge avait envisagé comme titre de ce qui
s'intitulera Le Parti pris des choses « l'approbation de la
nature » et c'est à lire comme un rappel du titre de
Lucrèce.27(*) Par
contre quand elles s' « objectent » à la vue et la
contemplation et qu'elles sont de fabrication humaine comme le cageot et le
pain, il s'agit d'objet. Même la crevette se ramène par là
à un objet dans la mesure où cette nécessité de la
voir et de la contempler se veut la raison d'en faire un texte, donc de
l' « objecter ».
On est en droit de se demander dès lors : qu'en
est-il des choses (ou objets) qui ne sont désignées ni par l'un
ni par l'autre des deux termes ? Ainsi le premier texte intitulé
« La Pluie » ne comporte aucune mention de l'un ou de
l'autre. La pluie n'est désignée ni comme
« chose » ni comme « objet ». Et
pourtant le premier verbe du PPC, donc extrait de ce texte est
« regarder »28(*) : « La pluie, dans la cour où
je la regarde tomber, descend à des allures très
diverses. » Ponge a-t-il hésité à la
désigner comme « objet » sachant qu'elle est
phénomène naturel et donc davantage
« chose » ? Alors pourquoi ne pas l'avoir
désignée comme « chose » si elle est
« res naturae », chose de la nature ? Il semble que
Ponge ait laissé planer le doute et ait décidé de ne pas
prendre parti. Pourtant il la décrit sous la forme de petites gouttes
différenciées selon leur taille : « Ici elles
semblent de la grosseur d'un grain de blé, là d'un pois, ailleurs
presque d'une bille ». Puis il ajoute plus loin :
« Chacune de ses formes a une allure particulière ».
La forme est vraiment au coeur de la description de la pluie
décomposée en gouttes. Il semblerait que la pluie soit donc
à classer dans les objets.
Ainsi dans Proêmes, « Introduction au
« Galet » », il est question pour Ponge de
reprendre et d'expliquer cette nuance. Il parle des
« objets » quand il s'agit
de « contemplation » et de « contemplation
d'objets précis » car ils s'opposent à l'informe,
à l'indéfini. Quant aux « choses », Ponge en
parle clairement quand il évoque le De natura rerum dans le but
de faire également une « cosmogonie » : plonger
dans « l'épaisseur des choses » , en retirer des
« qualités », « faire des discours
entièrement composés de déclarations
inédites », mais « fixer son attention
sur », « observer »,
« décrire », « contempler » les
« objets ».29(*) Donc c'est un but de traduction de nos perceptions
des « choses » mais c'est un but de contemplation qui
occupe les « objets ». Et c'est bien le sens de l'emploi du
mot dans natare piscem doces : « Le poète ne
doit jamais proposer une pensée, mais un objet, c'est-à-dire que
même à la pensée, il doit faire prendre une pose
d'objet ». Finalement, quand Ponge parle de faire parler les choses,
il s'agit de faire parler l'homme qui ressent les choses. On est très
proche de la théorie de Merleau-Ponty qui déclare que la
perception des choses se fait par les sens humains et Ponge le reconnaît
dans « Raisons de vivre heureux » : « on ne
peut aucunement sortir de l'homme ».
On pourrait penser à la lecture du titre
Pièces (1962, mais les textes ont été
composés entre 1924 et 1959) que ce recueil dès lors aurait pour
but de s'opposer au choses du Parti pris des choses (1942) et donc de
traiter cette fois plutôt des objets dans la mesure où ces
« pièces » comprises dans le sens n°12 du
Littré de « différentes parties d'un
appartement » vont être l'objet de description de leur
contenu. Le titre peut aussi être lu comme les pièces d'un puzzle,
ou comme le démontre Jean-Marie Gleize dans sa Lecture de
Pièces de Francis Ponge, comme les pièces d'un
échiquier, ou le « palimpseste » d'une poésie
« mise en pièces » (en effet, de nombreux textes
sont inachevés)30(*) ou même de « pièces de
théâtre », en un « théâtre de la
banalité »31(*). Ce puzzle constituerait le bazar à objets ou
le dictionnaire des objets, le PPC constituant le dictionnaire
des choses 32(*) ou s'il
s'agit d'un théâtre de l'objet, c'est bien le regard et même
l' « observation »33(*) qui serait au centre de ce recueil. En effet, on
observe une majorité d'objets traités et très peu de
choses.
Il est certes question en troisième position du recueil
de « La Robe des choses » mais en fait elles deviennent
des « objets » car elles sont placées dans un
rapport à la lumière 34(*) (celle des « ampoules » d'une
scène de théâtre ?) ;
l'expression « parti pris » est citée et on
peut la lire comme une référence explicite au premier recueil de
1942. Ce texte semble vouloir faire le lien entre deux réalités
que Ponge en fait n'oppose pas mais qu'il complète.
Puis « objet » réapparaît en
compagnie de « bibelot » pour un retour sur
« La Crevette » devenue « dans tous ses
états ». Il est fortement question de la vue puisque c'est
« l'objet le plus pudique qui soit au monde, celui qui met le mieux
la contemplation en défaut ». Dès lors, l'entreprise de
Ponge est d'en faire vraiment un « objet » de vision et
donc de rompre la « [p]udeur de l'objet en tant qu'objet »,
à savoir nous le décrire avec audace, « dans tous ses
états ».35(*) Dans « La Maison paysanne »,
Ponge évoque des « objets bruts en bois dans les marrons
à la Rembrandt », or ce sont des objets et non des choses car
ils sont l'objet d'un perception visuelle.36(*) Mais quand Ponge évoque « quelques
choses », il s'agit de désigner des
« choses » extérieures à la maison et qui
appartiennent au domaine de la nuit. Elles sont donc par voie de
conséquence invisibles. Par contre, quand il est question de
« Paysage »37(*), alors Ponge parle de « la
réalité même des choses » ce qui nous
ramène au sens phénoménologique du terme traité par
Lucrèce. Dans « La Danseuse », il est à
nouveau question de « la robe des choses » par jeu de mots
simplement avec le texte précédent puisque Ponge évoque
« les choses » qui tournent bien « quand sa robe
tourne en tulipe »38(*). Donc il n'est pas question de sens de la vue mais
d'objectifs atteints par la danseuse. Dans
« L'édredon », Ponge parle du désir de
« contempler quelque chose » et il n'emploie pas le mot
« objet » car il s'agit de « plumes »
qui sont cachées à la vue. Donc elles restent
indéterminées.
Un autre objet est désigné par ce terme :
« La Lessiveuse ». Aussitôt, fidèle à
sa définition implicite, Ponge parle de « l'étincelle
de la considération » à faire jaillir.39(*) Ensuite c'est « La
Cruche » qui est appelée « objet ». Certes
cette appellation intervient lors de sa description, mais il semble que ce soit
son côté utilitaire qui en justifie ce nom. C'est un
« objet médiocre », « un objet
utile », un « objet de basse-cour. Un objet
domestique », un « objet médiocre »,
« un objet dont il faut nous servir
quotidiennement »40(*). Ponge insiste même, dans cette distinction qui
s'opère entre les deux mots, pour que la cruche ne soit pas
mélangée avec les « choses ». Bien sûr
cela signifie qu'elle risque de se casser en entrechoquant une chose, mais il
semble que l'insistance de Ponge veuille dire que cet ustensile est à
classer parmi les « objets ».
Ce rapport de l'objet à la lumière et donc
à la vue réapparaît dans « Le volet, suivi de sa
scholie » où il est question de « l'apparition du
monde extérieur, de tout le train des objets dans son flot »
au moment de l'ouverture du volet. « L'assiette » est
également un « objet de tous les jours »,
« un objet qui prête à vivre plus qu'il n'offre à
réfléchir ». Or c'est sa beauté qui ravit Ponge,
cette beauté nacrée, née de la mer en un rapprochement ni
plus ni moins avec Vénus. Encore une fois, c'est le sens de la vue qui
est sollicité. Quant aux roses dans « La parole
étouffée sous les roses », elles sont des
« choses » et comme il est question de leur
« robe » on ne peut que penser à l'expression
« la robe des choses ».
Le soleil lui-même, pourtant directement lié
à la nature est classé parmi les objets quand il est question de
sa clarté éblouissante : « éblouissante
(...) tenant à la nature du Soleil (...) au coeur même de notre
objet »41(*).
Plus loin il ajoute : « Qu'est-ce que le soleil comme
objet ? -- C'est le plus brillant des objets du monde. » Mais
Ponge est obligé de reconnaître que devant l'impossibilité
de « contempler » le soleil, il ne peut le classer parmi
les objets. Il n'obéit pas à la « condition même
du regard »42(*)
Et pourtant Ponge hésite puisqu'il le désigne plus loin comme
« cet objet éblouissant »43(*). Il est donc
« objet » et condition d'être des
« objets » : « Le soleil est l'objet dont
l'apparition ou la disparition produit, dans l'appareil du monde comme sur
chacun des (autres) objets qui le composent, le plus d'effet et de
sensation. »44(*) De ce fait, il est objet car il est objet de regard
ou du moins il le permet sur le monde. Mais, en même temps :
« Pourquoi le soleil n'est-il pas un objet ? Parce que c'est
lui-même qui suscite et tue, ressuscite indéfiniment et retue les
sujets qui le regardent comme objet »45(*). Cette image de la nuit et du jour conserve au soleil
son statut d'objet seulement lorsqu'il est visible.
Par contre il se pose un problème avec
« L'abricot » et « La figue »
définies toutes deux comme des « choses », l'une
à cause de sa forme, l'autre à cause de son remodelage possible.
Qu'est-ce que cela signifie ? Ne sommes-nous pas dans le domaine de la
vue ? Cela n'est pas sûr. En effet, il semble que nous soyons non
pas dans la contemplation de l'objet mais dans l'appréhension tactile de
la forme, d'où le recours au mot « chose ».
On déduit de cette brève étude portant
uniquement sur Le Parti pris des choses et Pièces, que
Ponge semble faire une distinction dans ses emplois des deux termes. Dans un
premier temps, on ne peut nier que « objet » désigne
une sous-catégorie de « chose ». De plus, il ressort
que lorsqu'il s'agit de sonder l'épaisseur, la diversité des
choses et donc de leur donner la parole, Ponge préfère le mot
« chose ». Il s'agit sans doute de vouloir faire le lien
avec Lucrèce. Cet aspect formel de mondes en épaisseur, de
déformation des choses pour les appréhender tactilement renvoie
au terme « chose ». Mais quand il est question de vue et de
mise en lumière, alors Ponge emploie le mot
« objet ». Ainsi le soleil est objet en tant qu'il est
source de lumière et permet de faire voir les objets. Donc, par
transfert il est lui-même objet. Mais dans la mesure où il est
impossible de le regarder fixement (de même que la mort, selon La
Rochefoucauld), il quitte sa désignation
d'« objet ». Certes, on peut dire comme Christian
Jacomino46(*) que les
objets de fabrication humaine, appelés « objets »
pour cette raison, sont les préférés de Ponge. Mais c'est
surtout la mise en lumière des choses devenues alors
« objets » par ce procédé de description qui
intéresse Ponge. Peu importe qu'ils soient d'origine humaine ou
naturelle. Il semble que c'est
la « considération » ou plutôt le manque
de « considération » qui soit la cause des
préférences de Ponge. Donc quand il est question du
« Cageot » placé au rang d'objet, et il faut
comprendre ce processus de hiérarchisation dans le choix des termes de
Ponge, il faut lire un vrai souci de le mettre en lumière pour qu'il
« luise bien de l'éclat » mais rempli de respect --
et non de vanité -- dû à la
« considération » et la
« contemplation ».
La plupart des critiques aboutissent à une
équivalence entre « objet » et
« texte » dans la mesure où Ponge s'évertue
à faire prendre à ses textes des poses d'objet. Certes, on ne
peut le nier tout en reconnaissant chez Ponge l'égalité de statut
entre les différents états d'un texte qui dès lors sont
autant d' « objets » paradoxalement de l'objet. Ceci
dit, cette affirmation confirme notre définition de l'
« objet » qui emprunte à la vue ses critères.
Ainsi dans le PPC, cette mise en avant de l'objet-texte trouve
son application dans l'aspect formel des « buissons
typographiques » des « Mûres » :
« Aux buissons typographiques constitués par le poème
sur une route qui ne mène hors des choses ni à l'esprit, certains
fruits sont formés d'une agglomération de sphères qu'une
goutte d'encre remplit ». Tout se mêle : les buissons de
fruits, donc comparé-objet, sont mêlés, fondus au
comparant-texte : « typographiques »,
« poème », « goutte d'encre »,
en une métaphore où le comparé et le comparant, le point
de départ de la métaphore et son point d'arrivée se
mélangent et s'échangent leur statut. Qui est à l'origine
de qui ? On aboutit donc à un objet hybride, une
agglomération des deux notions d'objets qui finissent par mûrir
après les « efforts patients » du poète, en
un résultat homogène. L'objet-texte se nourrit de
l'objet-référent.
Certes, ce combat en faveur des choses et notamment des
« bibelots », au sens d'objets de moindre importance, est
également à lire comme lutte contre cet « aboli bibelot
d'inanité sonore » de Mallarmé, ce
« réicide », dans le sens où lutter contre la
poésie lyrique, surtout après ce maître de la rue de Rome,
doit passer en toute logique par une réintroduction du
« bibelot » et cette fois c'est de la rue Lhomond que
viendra la « réification » de la poésie.
Cette poésie de l'éloge se lit dès les titres du
PPC qui se révèlent pour la plupart
encomiastiques : « Ode inachevée à la
boue », etc.
Enfin, il est certain qu'on ne peut ignorer non plus
l'étymologie de « choses », comme le souligne
Jean-Pierre Bobillot qui lit ce mot comme « causes ». Ainsi
ce Parti pris des choses serait la « cause des
causes », au sens de prendre fait et cause pour. Evidemment
« chose » se voit justifié et
« objet » de même puisqu'il faut y lire aussi ce
souci de la poésie de considérer les « objections,
objecteurs de langage » que sont les choses, donc les
« objets ».47(*)
Il nous reste à relire avec attention « My
creative method » qui de manière très indirecte semble
donner un semblant de distinction. En effet, il est question dans un texte
daté du 27 décembre 1947 de la distinction entre idées et
choses, les unes étant l'objet d'une profonde déception pour
Ponge tandis que les choses sont le
« prétexte », à savoir l'objet du
texte pongien, l'avant-texte. Il semble inclure dans ces choses :
« Les objets, les paysages, les événements, les
personnes du monde extérieur » car ils « me donnent
beaucoup d'agrément au contraire ».48(*) Ces choses ne deviennent
objets que lorsque Ponge en a corrigé les fausses
interprétations :
Ainsi ces choses : mon oeuvre, ma
personnalité, je puis les considérer maintenant comme tout autre
chose, et écouter (répondre à) l'appel a minima
qu'elles objectent aux explications qui en ont été
données. Il faut que je corrige leurs fausses interprétations (ou
définitions).49(*)
C'est là que de choses on passe à objets. Ces
objets doivent aboutir à l'objet littéraire :
créer des objets littéraires qui aient le plus
de chance (...) de s'opposer (s'objecter, se poser objectivement) avec
constance à l'esprit des générations, qui les
intéressent toujours (comme les intéresseront toujours les objets
extérieurs eux-mêmes), restent à leur disposition, à
la disposition de leur désir et goût du concret, à
l'évidence (muette) opposable, ou du représentatif (ou
présentatif).
Il s'agit d'objets d'origine humaine, faits et posés
spécialement pour l'homme (et par l'homme), mais qui atteignent à
l'extériorité et à la complexité, en même
temps qu'à la présence et à l'évidence des objets
naturels. 50(*)
Donc, s'objecter signifie se placer en position de combat
contre le regard commun, et l'objet-texte en constitue l'arme.
Nous ne pouvons clore (momentanément) cette
étude distinctive sans convoquer Jean-Paul Sartre qui établit une
étonnante distinction entre « choses » et
« objets ». En effet, il définit les objets comme la
donnée humanisée des choses :
Voilà donc une mère de famille et un
trapéziste pétrifiés. Ce sont des choses. Il a
suffi pour obtenir ce résultat de les considérer sans ce parti
pris d'humain qui charge de signes les visages et les gestes des hommes. On
s'est abstenu de leur coller sur le dos les étiquettes traditionnelles
« Haut » et « Bas », de leur supposer
une conscience, de les considérer, enfin, comme des poupées
sorcières. En un mot, on les a regardés avec les yeux des
behaviouristes. Et tout à coup les voilà rentrés dans la
Nature ; le gymnaste, entre le singe et l'écureuil, devient un
produit naturel ; la jeune mère est un mammifère
supérieur qui a mis bas.
A présent, nous avons compris qu'un objet quelconque
apparaîtra comme une chose dès qu'on aura pris soin de le
déshabiller des significations trop humaines dont on l'a paré
alors.51(*)
Il est évident que nous n'aboutissons pas à
cette conclusion et qu'il semble plus évident qu'une notion de vue
intervienne.
2) Humilité et banalité dans la
banalité
Les critères du banal, nous nous contenterons de les
énoncer : banalité dans la banalité dans la mesure
où aucun des objets ou choses, selon le traitement poétique qui
leur est donné, ne sort des critères banals de l'objet ou de la
chose en question. Ponge semble défendre la banalité jusque dans
ses aspects les plus subtils. En effet, non seulement il choisit ses sujets
d'étude parmi les objets les plus banals, les plus
« humbles », les plus quotidiens comme nous venons de le
montrer dans la partie précédente, mais il les choisit
eux-mêmes comme étant les représentants les plus banals de
leur catégorie.
Citons « L'Orange » qui est une
« vulgaire », banale, ordinaire orange et non une orange
sanguine par exemple ou un représentant particulièrement beau ou
parfait de forme. « Le Papillon » n'est jamais qu'un
papillon, représentant banal de nos jardins. Aucune mention n'est faite
de son espèce, de ses couleurs particulières.
Les objets qui meublent comme « La Table »
dont il sera question plus loin n'est pas décrite en tant que bel objet
ou objet particulier, fruit d'un héritage paternel par exemple. Ce n'est
pas la nostalgie qu'il évoque, c'est sa fonction seule qui est digne
d'éloges. L'objet n'est donc pas salué dans sa fonction
symbolique mais dans sa fonction utilitaire.
« Le Verre d'eau » n'est pas beau en tant
que résultat esthétique du travail particulier, unique et
délicat d'un artisan, ou en tant que reflet d'une histoire familiale
précédente. Il est beau en tant qu'objet générique
qui contient de l'eau. Encore une fois, c'est sa fonctionnalité
qui lui donne ses lettres de noblesse, comme si l'aspect fonctionnel
devenait l'unique critère de l'aspect esthétique et que cette vue
si importante chez Ponge -- on se souvient du premier verbe du PPC
« regarder » et d'ailleurs du dernier mot-clef qui
conclut « Le Galet » :
« description » -- ne servait pas à montrer le
caractère original de tel ou tel objet mais à décrire
implicitement son manque d'originalité, son caractère
représentatif de l' « espèce » en question.
Nous sommes très proches de l'analyse sociologique
menée par Jean Baudrillard dans Le Système des objets.
En effet, il explique que « ce système des objets »
correspond aux processus par lesquels les gens entrent en relation avec ces
objets et de la systématisation des conduites humaines. Cette analyse
est évidemment très « vingtiémiste »
dans la mesure où elle s'inscrit dans le constat au vingtième
siècle d'une prolifération d'objets et de gadgets typique de la
civilisation urbaine. Par conséquent, les rapports des êtres
humains à l'égard de ces objets changent.
Cette seule constatation donne un sens au PPC
ou à Pièces. En effet, pour quelle raison Ponge
s'est-il investi d'une mission de « suscitateur » à
l'égard des choses ? Tout laisse à penser, d'après
cette étude, qu'elles se sont imposées à lui comme
évidentes dans leur présence. Les choses nous entourent de plus
en plus et nous les considérons de moins en moins.
Or, il est étonnant que, ce parti étant pris,
Ponge ait fait le choix d'objets totalement fonctionnels et absolument pas
symboliques d'une part, d'objets qui obéissent, quand ils sont
« objets » au sens admis couramment par chacun, au
critère de Baudrillard de « RANGEMENT » et non d'
« AMBIANCE »52(*). Ce critère de choix de « La
Table », « L'Appareil de
téléphone », « La Radio »,
« L'Assiette », « La Barque »,
« Le Bateau », « La Bougie »,
« La Bouillotte », « Le Cageot »,
« La Cruche », « Le Savon »,
« L'Edredon », « Le Fauteuil »,
« Les Gants », « La Lessiveuse »,
« La Montre », « Les Poêles »,
« Le Pot d'étain », « La
Serviette-éponge », « L'Ustensile »,
« La Valise », « Le Volet » confirme
l'absence de tout « objet bourgeois » pour reprendre la
terminaison de Baudrillard : pas de lampe, pas de miroir (il rappelle
ainsi que ce que nous retenons de Louis XIV c'est la galerie des glaces et ce
n'est pas un hasard). Donc Ponge appartient à la nouvelle
génération qui choisit l'objet de série et non l'objet
particulier doué de valeur affective.
La configuration du mobilier est une image fidèle des
structures familiales et sociale d'une époque. (...) En même temps
que changent les relations de l'individu à la famille et à la
société change le style des objets mobiliers. (...) L'individu
n'est plus strictement relatif à la famille à travers
eux.53(*)
Ces objets de Ponge sont choisis selon le critère de
leur « ordinarité », leur absence d'ornementation et
leur neutralité. Prenons l'exemple du
« Fauteuil »54(*). Il est certes choisi comme « trône
bourgeois » tout en étant le contraire d'un
« trône » dans la mesure où seules ses
qualités fonctionnelles nous sont données :
« siège confortable », « proche du divan
et du lit de repos », il a « deux bras et quatre
pieds »... Aucun critère de beauté n'est retenu. Seule
sa fonctionnalité est traitée.
On soulignera également l'absence d'horloge, de
pendule, austère figure hiératique du meuble chargé
d'histoire. Non, il sera question de la montre uniquement, objet moderne et non
personnalisé par les années de vie familiale.
Nous sommes donc chez Ponge par ce choix d'objets dans
l'anti-« buffet » rimbaldien qui non seulement est
personnalisé en un tutoiement familier mais qui voudrait aussi raconter
bien des histoires. Les objets de Ponge ne racontent pas d'histoire et pourtant
Ponge souhaite les sortir de leur mutisme : paradoxe ? Ce n'est plus
le « confident tel qu'il fut vécu dans la quotidienneté
traditionnelle »55(*).
Par contre, il faut distinguer dans le traitement du banal le
singulier et le général. Or, il est vrai que Ponge oscille sans
arrêt entre l'article indéfini et l'article défini. Henri
Maldiney en fait une étude dans Le Vouloir dire de Francis
Ponge.56(*) Il montre
en effet l'hésitation de Ponge à définir le banal dans sa
généricité, comme « notion » ou comme
représentant particulier d'un genre de choses. Ainsi « My
creative method » nous présente cet idéal de toucher
l'idée de l'objet :
Dire que ce n'est pas tellement l'objet (il ne doit pas
nécessairement être présent) que l'idée de l'objet,
y compris le nom qui le désigne. Il s'agit de l'objet comme
notion.57(*)
Il s'agit donc de l'objet comme
« idée » au sens presque platonicien de l'objet et
non dans sa singularité. Ainsi il est question en effet de la
« notion de la chèvre »58(*), de même il est question
de la « notion de pré »59(*). Mais très vite de
notion on passe à la chèvre ou au pré
devenu une chèvre ou à un pré particulier. Nous allons
voir que c'est de l'influence des peintres que Ponge passe ainsi du notionnel
au particulier en convoquant une part de sa propre expérience face
à un cas particulier. Certes, le but est d'aboutir à cette autre
notion qu'est le texte-objet ou objet-texte, mais le recours à
l'expérience et à l'émotion particularise l'objet et le
rend unique ou support de la notion.
Les peintres (1940-1961) : autre leçon de la
banalité
C'est une question de regard qui se pose au centre de sa
poésie. Elle prend pour objet des choses que l'homme ne fait que voir et
ne regarde plus. Donc c'est la banalisation de ce regard qui est remise en
cause par la poétique des choses de Ponge. Cette question du regard
provient de l'intérêt des peintres pour le PPC
lors de sa parution en 1942. En effet, Bernard Vouilloux montre que le terme
même de « parti » est emprunté aux
beaux-arts :
Parti. [...] Terme de beaux-arts. De parti pris, se dit d'une
manière raisonnée et déterminée de traiter une
difficulté, un accessoire du sujet. Ces draperies sont traitées
de parti pris. / Prendre un parti, disposer les ombres et les lumières
par grandes masses ; ne point les éparpiller.60(*)
Ainsi Ponge explique que c'est la question du regard et de la
vision qui fait le lien entre les oeuvres des peintres et les siennes :
On m'a beaucoup dit que ces textes étaient soumis [...]
à la vision, c'est-à-dire que la bougie, la cigarette,
l'huître, etc., comme je les traite, auraient pu aussi bien être
des tableaux que des textes.61(*)
Les peintres sont ainsi pris à témoin et sont
cités en exemple parce qu'ils rejoignent Ponge dans leur éloge du
« commun ». Qu'il s'agisse de Chardin dès 1940, ou
de Braque en 1946, de Charbonnier en 1948, l'éloge du simple par
opposition à l'anthropomorphisme est au centre de cet art
engagé :
Ce qui m'assure aussi bien de la profondeur où s'est
livré le combat, du niveau auquel la victoire est atteinte, la cause
gagnée, c'est le choix des sujets dans cette peinture.
Il s'agit des objets les plus communs, les plus habituels,
terre à terre. C'est à eux que nous devions nous
réadapter. Voilà qui rend bien compte de la profondeur de notre
trouble. Nous sommes de nouveau jetés nus, comme l'homme primitif,
devant la nature. Les canons de la beauté grecque, les charmes de la
perspective, l'historiographie, les fêtes galantes, il n'en est vraiment
plus question. Ni même de décoration.62(*)
La banalité est donc source de génie
et Ponge s'explique à ce propos plus loin :
Ces pêches, ces noix, cette corbeille d'osier, ces
raisins, cette timbale, cette bouteille avec son bouchon de liège, cette
fontaine de cuivre, ce mortier de bois, ces harengs saurs, il n'y a aucun
honneur, aucun mérite à choisir de tels sujets. Aucun effort,
aucune invention, aucune preuve ici de supériorité d'esprit.
Plutôt une preuve de paresse, ou d'indigence. Partant de si bas, il va
falloir dès lors d'autant plus d'efforts, de talent ou de génie
pour les rendre intéressants. Nous savons que nous risquons à
chaque instant la médiocrité, la mièvrerie, la platitude,
la préciosité. Mais certes leur façon d'encombrer notre
espace, de venir en avant, de se faire (ou de se rendre) plus importants que
notre regard, le drame que constitue leur rencontre, leur respect, leur mise en
place, voilà un des plus grands sujets qui soient.
Nous avons à faire attention tout près.
D'ailleurs dans un monde où l'homme (et il a raison) a souvent l'oeil
à une lunette ou à un microscope, il est important que
quelques-uns le remettent à sa place dans la nature, ne cessent de lui
représenter le monde où il doit se déplacer chaque
jour.63(*)
Il faut « transfigurer le quotidien » dit
Ponge un peu plus loin. Mais l'atelier c'est aussi l'exhibition du travail en
cours. Quand Ponge décrit l'atelier du peintre, on ne peut que penser
à Courbet dont l'oeuvre picturale deviendra le symbole du mouvement
réaliste. Ponge d'ailleurs suivra cette leçon en exhibant
à son tour sa « table » et la position
particulière qu'il adopte pour écrire. Car la poésie,
c'est aussi un « atelier de fabrication » au sens grec
de « poïen » et l'artiste en mots est un
« faber ». Et cette notion est comprise dans le banal. En
effet, elle s'oppose à l'idée romantique du poète
inspiré qui trouve le vers parfait, la formule divine. Ses entretiens
participent aussi dans leur fréquence à expliciter son oeuvre,
à en expliquer la composition dans son mode et son contexte. Ponge
dévoile ainsi de plus en plus les circonstances de rédaction de
tel texte. Comme s'il ne lui manquait plus que les photos ou le film de sa
composition. Il faut exhiber le « poète à
l'étude ». Et tant pis si cela se fait
rétrospectivement. L'hommage rendu à Denis Roche est à
lire en ce sens. Son travail photographique est très intéressant
en ce qu'il exhibe non l'oeuvre mais le dispositif pour aboutir à son
oeuvre : en un atelier du photographe.
Parmi les peintres dont Ponge fait l'éloge, il y a
Hélion et son atelier :
Hélion travaille dans un atelier immense, sorte de
gymnase désaffecté aux murs duquel sont accrochés des
objets hétéroclites, du caractère le plus familier (nous
dit-il) : torchons, carpettes, parapluies, vieilles chaussures. Ce sont
ceux qui font le sujet de ses natures mortes, ou dont il entoure, honore
à son idée ses nus.64(*)
Or, Ponge émet des réserves envers le travail du
peintre, alors que comme lui il semble s'intéresser exclusivement aux
objets de la vie courante. On lit en effet une critique à peine
déguisée sous le plume de Ponge à l'égard du
traitement de ces objets. En effet, Hélion ne les traite pas comme des
objets en fonction. Ponge a souvent le souci de décrire l'aspect
à la fois esthétique et utilitaire de l'objet, en ce sens que sa
fonction est source de beauté aussi et source d'inspiration pour celui
qui l'observe. Or chez Hélion, rien de tel :
Il s'agit d'une peinture dans la connaissance, non dans
l'expérience ; d'objets conçus par l'esprit, non
observés. D'une peinture conceptuelle. (...)
Pourtant, le plus récent souci d'Hélion
paraît être de nacrer, d'enrober de salive ou de sperme ses
emblèmes graphiques, dans l'espoir de les rendre vivants. Autant jouir
sur des statues. Nous avons vu pareille tentative récemment dans Les
Justes de Camus. Les concepts ne se fécondent pas.65(*)
Il semble qu'à ce stade, en 1948, Ponge oscille entre
deux attitudes : traiter l'objet en général sans en rendre
compte dans sa singularité par rapport à l'objet pris dans sa
généralité. Il faudra attendre 1950 et Nioque de
l'avant-printemps pour que Ponge mène une véritable
réflexion sur le singulier, l'individualité de l'objet.
Déjà s'amorce durant cette période
l'idée que les objets sont l' « objet » d'un
rapport intime avec le peintre. Il s'agit d'
« individualiser » les objets comme s'il s'agissait de
personnes. Ce ne sont plus des abstractions : « le
Cageot », « Le Savon », etc. C'est-à-dire
pris dans leur généralité. Le banal se personnalise en un
contexte précis. Cette leçon semble se dessiner dans l'esprit de
Ponge de ses rapports aux peintres qui choisissent tel objet de leur quotidien
pour sujet. Cet objet n'est pas l' « idée » de cet
objet, c'est l'unique serviette, l'unique éponge, l'unique pinceau qui
les a aidés. Ponge se détache des abstractions du Parti pris
des choses où certes l'idée s'amorçait
déjà mais restait très floue dans son esprit. Il est vrai
que « La Serviette-éponge » était
individualisée en un lieu, en une sensation, mais les autres objets sont
des porte-parole syndicaux des objets qu'ils représentent et non des
individus entrés en relation unique avec le poète. D'où
l'aspect politique du Parti pris des choses à une époque
où Ponge est le représentant syndical aux éditions
Hachette.
Hymne à la matière (1950-1963 :
« A la rêveuse matière »)
Le rapport devient donc beaucoup direct dans cette
période qui suit cette prise de conscience.
Le 2 avril 1950, Ponge écrit un texte liminaire
à Nioque de l'avant-printemps que l'on peut lire comme un hymne
à la matière et à la banalité. En effet, il s'agit
de la description d'une maison paysanne et de son environnement. Comme la
plupart des maisons, elle est tournée vers le Sud. Evidemment on peut y
lire la réactivation des origines méditerranéennes de
Ponge qui s'assimilerait ainsi à cette maison. Elle est
protégée par des « communs » qui brisent le
vent de droite, c'est-à-dire venant de l'Ouest. Or ce vent est
assimilé à de « frais soucis »,
des « rembrunissements bleuâtres »,
peut-être les soucis de « frais » puisqu'au mois de
novembre 1949, Ponge était menacé de saisie. Or ce sont les
« communs » qui le protègent, or ce nom est ambigu
puisqu'il désigne les bâtiments réservés aux
services mais connaissant le travail de Ponge sur les mots, on ne peut
s'empêcher de voir le sujet de ses poèmes : le banal est une
protection. Ce qui importe est le « Mais » qui inaugure le
dernier paragraphe. Ponge vient de développer la froideur des
tempêtes, la nécessité de chauffer avec du bois :
« un peu de la chaleur de cette braise venant du bois allumé
par l'industrie de l'homme, afin de compenser les coryzas et les
rhumatismes ». Or qu'est-ce qui vient corriger ce tableau instable
où la couleur bleue de la tempête domine ? C'est la terre
brune : « Mais là-dessous, le corps allongé,
nourricier, de la terre brune ».66(*)
Le 10 avril 1950, le « Proême
capital » qui apparaît en quatrième partie de Nioque
de l'avant-printemps redéfinit l'humilité de Ponge et le
devoir moral qu'il s'est donné : donner la parole aux muets, contre
le bavardage des hommes :
le reste : les muets, la nature muette, les campagnes,
les mers et tous les objets et les animaux et les végétaux. Pas
mal de choses, on le voit. En fin tout le reste.
C'est cette seconde partie parfaitement en dehors des hommes,
qu'il est de ma raison de représenter, à quoi je donne la
voix.
Que je voudrais (qui se fasse entendre par ma voix), faire
parler aussi haut que les hommes.
(...)
Je ne m'intéresse qu'à vous.
Vous dévoue entièrement ma vie, mes paroles.
Exercées dès longtemps, dès ma jeunesse,
à cela.67(*)
C'est une véritable mission qu'il se donne et s'est
donnée depuis le début. Mais cette mission s'est nuancée.
Un sentiment de véritable humilité se dessine. Ce n'est plus un
sens politique qui l'anime mais une vraie conscience individuelle. Ainsi il
s'agit d'une maison particulière, d'objets particuliers, avec lesquels
il va se mettre à « parler » comme le souligne ce
« vous » qui marque un rapport direct avec l'objet
particulier. Ponge d'ailleurs insiste sur la nécessité de dater
et situer dans un lieu d'écriture dorénavant ses travaux pour
qu'un travail de recherche puisse être mené. En 1958, dans un des
états de Comment une figue de paroles et pourquoi, Ponge donne
une origine géographique à cette figue, une
réalité, ainsi qu'à la petite église dont il est
question dans l'amalgame métaphorique entre la figue,
« sapate » et son intérieur qui comporte comme un
autel scintillant :
Il y a aussi des figuiers, amis d'une autre sorte, rampante,
grasse, à raquettes, figuiers de barbarie (ou de berbérie) dans
une partie du jardin, à Villeneuve-les-Avignon, des demoiselles X...
(à l'intérieur du fort Saint-André).
Et où je parle d'une église de campagne, c'est
de cette petite église rustique, près de Bombanville, non loin de
la propriété du père de Paul Perrotte (René
Perrotte), qui était maire de Caen à l'époque :
1912-1913-1914-1915).68(*)
De même, dans les premières pages de La
Fabrique du Pré datées du 11 août 1960, Ponge revient
sur les référents du Carnet du Bois de pins, Le
Galet et enfin sur celui du Pré. On constate
immédiatement que ce sont des référents réels et
spatialement identifiés. Ils sont uniques. On en déduit que Ponge
n'a pas écrit ces textes à partir de points de départ
abstraits. Mais il est parti de lieux réels :
J'ai revu mon bois de pins (nous sommes à
cinq minutes en voiture de La Suchère) : inchangé. Par
contre, celui où j'avais conçu Le Galet a disparu.
Ce que j'avais envie d'écrire, c'est Le
Pré : un pré entre bois (et rochers) et ruisseau (et
rochers).69(*)
Ponge revendique l'unicité de ses
référents. Ce n'est pas l'idée du
« pré » dont il parlera, mais ce pré qui se
trouve en bordure du Lignon, à Chambon sur Lignon, à
côté de Chantegrenouille. Cette information est placée en
exergue du texte selon une volonté de donner une sorte de
« généalogie », d'origine du
Pré. Les données géographiques sont très
précises comme si Ponge invitait son lecteur à se rendre sur
place pour constater la réalité de ce pré :
En haut (à l'endroit où nous
étions, l'endroit où nous nous trouvions, d'où nous le
dominions d'où je l'ai vu, pour la première fois vu,
conçu), nous nous trouvions parmi des buissons secs : des
bruyères surtout, aiguilles de pins, quelques fougères sans
doute, parmi les rochers et les fûts d'arbres.
Et tout en bas de nous coulait une rivière (le
Lignon) derrière une haie irrégulière, en bordure, de
petits arbres et de rochers, et il y avait des rochers aussi, encore, dans le
lit du ruisseau.
Entre les deux, le pré. Une théorie de
promeneurs l'empiétait, au bord de l'eau.70(*)
Il est important de souligner le fait qu'il s'agit de plus en
plus, dans cet après 1950, d'une rencontre particulière où
surgit une émotion ressentie par Ponge. Que ce soit dans les Cahiers
critiques de la littérature n° 2 daté de
décembre 197671(*)
ou dans fig. 572(*) qui rapporte une partie de l'entretien qui s'est tenu
entre Jean Daive et Francis Ponge le 5 et 6 octobre 1984, Ponge fait mention de
cette rencontre avec des promeneurs et fait de cet événement
l'origine du Pré. Ponge l'écrit lui-même dans une
note du 11 août 1970 du dossier « Livre Skira. Texte de
présentation » (Archives familiales) :
« en 1960 [...] dans les environs de Chambon-sur-Lignon, en
Haute-Loire. C'est de cette seconde émotion qu'est né mon travail
sur Le Pré ». Donc le banal est aussi le lieu de
l'unique. Le lieu est si important que Ponge revient, entre le 11 octobre 1960
et la nuit du 11 au 12 novembre 1963, sur l'émotion née d'un
pré unique qu'il va entreprendre de décrire :
Le pré qui m'a ému ou Le
pré, où je l'ai conçu.
Il s'agissait d'un pré de montagne, mais non d'une
grande courbure, d'un grand pré convexe sous un grand ciel. Nous
{étions dans | abordions en surplomb} la vallée {d'une
rivière | d'un petit fleuve} assez rapide, {roulant | coulant} entre de
gros ou moins gros rochers dans son lit, et {les | à partir duquel les}
pentes de la montagne s'élevaient assez rapidement
à partir de {son | ce} lit d'ailleurs limité
à la vue à droite et à gauche par les sinuosités de
son thalweg laissant toutefois aux promeneurs une assez large avenue {
horizontale | territoriale} : ce pré, justement.73(*)
Ce premier paragraphe ne présente pas la nature de
l'émotion, mais très logiquement nous donne la seule description
du lieu.
Ponge reviendra sur cette question de l'unicité de ses
référents dans un entretien de 1972 où il insiste sur
cette notion de mémoire très importante à ses
yeux :
je sais exactement [...] à quels endroits, et depuis
mon enfance, je peux dire exactement le lieu, et à peu près le
temps où j'ai eu ces impressions, elles se sont
sédimentées en moi ; de là résulte toute
chose. [...] Nos origines font partie de notre originalité. C'est une
telle idée, un tel sentiment si vous voulez, qui fait parfois que je
pense qu'un texte est arrivé.74(*)
La question des origines est très importante aux yeux
de Ponge : sa propre origine et l'origine de ses souvenirs qui donnent une
identité aux choses, une unicité.
Hymne à nouveau aux objets (1955-1973)
Il s'agit dans cette dernière période de
souligner leur fonction, de les étudier « en
fonction » et donc de bien insister sur cette utilité du
banal. Et pour atteindre l'essence des choses il faut faire-valoir leur
propriétés.
Ainsi de « L'Ardoise » texte
écrit le 17 novembre 1961, il est dit :
Elle sèche bientôt revient à [sa]
condition évidente. D'humide à humble, de pierre ou tablette ou
tuile d'attente, terne et dure. Qu'elle le reste. Elle perd ses voyelles et
redevient muette. C'est alors qu'elle me touche surtout.75(*)
En octobre 1973, Ponge termine La Table. Or il
insiste et conclut d'ailleurs par cette idée que la table est par
essence indispensable à l'homme, qu'elle est devenue un besoin. Cet
objet mérite ainsi cet éloge tardif, de fin d'oeuvre, mais
suffixe par excellence, elle ponctue ainsi l'oeuvre entreprise :
TABle indispensable (j'en dépends, j'en suis
dépendant, j'en suis le sujet (comme on est sujet d'un monarque) comme
on est l'esclave d'un maître76(*)
Apparaît alors une nouvelle acception du mot
« objet » qui prend ses lettres de noblesse de son
opposition dénotative avec le mot « sujet » pris
dans le sens de « être le sujet de ». Etre un objet
devient être un monarque. On pourrait dire que la conclusion de cet
éloge « paradoxal » des choses banales provient d'un
besoin physique, d'un désir de remodelage en mots. Ponge s'explique
à ce propos dans « L'art de la figue » dans un
entretien avec Jean Ristat dans lequel il est question du
« marqueur » comme relais important pour la
« préhension » de l'objet et du coup du texte car
« tout commence par la sensation »77(*).
Ce « marqueur » est le bout des doigts
d'un point de vue matériel et ce sera l'encre du stylo d'un point de vue
formel. Comme un « appendice de mon propre
corps ».78(*) Cet éloge du sensible s'inspire de
Condillac comme moyen de connaissance. Idem pour connaître la chose mise
en mots, il faudra un modelage et remodelage par les mots, d'où les
brouillons. D'où un attachement de Ponge à la forme, même
si le texte ne prendra pas la forme de la figue, comme le ferait Apollinaire
dans ses Calligrammes. Mais la forme des lettres est importante en un
« désir de revenir à une espèce de
pictogramme ».
2) Bernard Heidsieck
2.1) D'abord une question de thème
Le banal apparaît comme le point de départ de
tout poème, le thème immanquablement choisi pour construire un
poème. Mais ce banal n'est pas celui d'objet, mais de situations
concrètes empruntées à des situations de communication et
au quotidien qui rythme notre vie.
Dès Sitôt dit, paru en mars
1955, apparaissent quelques thèmes qui nourriront la poésie de
Heidsieck : le refus de la poésie ancienne et archaïque. Il
est question, dès le poème liminaire intitulé
« Limpide », d'opposer à « la
mécanique des vains mots », « le mur de ton vrai
corps » en une évidente mise en opposition de la vanité
d'un langage mécanisé par les figures de style à la
réalité. Dans la dernière section de ce même
poème, il fait achopper « dialogue » à
« paysage de pures flammes ». La conclusion est que
« tout se dit ».79(*) Ou plus exactement tout doit se dire. Se dessine
déjà une critique sous-jacente de la poésie du XIX
ème siècle comme « paysage de pures flammes »
auquel il faut opposer le thème du « tout ».
Mais Heidsieck renie ce recueil jugé trop
« poétique », trop conventionnel au regard de ce que
nous présente la poésie ancienne.
La rupture se fait avec le premier
Poème-Partition intitulé
« N » qui veut commencer par une négation
en une table rase de la poésie ancienne. D'où ce
« N » qui correspond à un
« nicht, niente, niet, nul, non, négatif, no,
nothing ». Le premier thème banal est le rien, le nul, les
négations que symbolise cette lettre. Il se veut le poème de la
« table rase », de la rupture radicale avec le
précédent poème Sitôt dit. Bernard
Heidsieck s'en explique dans un courrier daté du 14 octobre 2006 :
C'était volontairement rompre avec l'usage
précédent, abondant, des métaphores, et le ramener,
rythmiquement, à ras le sol par l'utilisation fréquente de
locutions passe-partout. C'était quelque part une tentative de sortie
d'une gangue (facile) d'images pour me rapprocher d'une concrétude
immédiate.80(*)
Pour la première fois, Heidsieck conçoit un
poème en vue d'être « projeté à haute
voix », même si finalement, il ne sera lu en public qu'une fois
en 1981 à la Galerie Donguy. Donc, contrairement à
Sitôt dit, il apparaît une certaine gratuité,
désinvolture, jubilation libératoire dans la mesure où il
se veut le poème de la « coupure nette et la volonté
d'avancer dans ce brouillard neuf ». Il s'agit en effet de sortir de
la « poésie poétique » encore présente
dans le premier recueil, de la poésie passive où le lecteur
devient dans ce contexte des années cinquante de plus en plus
hypothétique. Heidsieck décrit en effet cette période
comme oscillant « entre l'inflation d'images des dernières
flammèches du Surréalisme (à vomir), et l'apparition de la
poésie blanche, à l'inverse. » D'où cette
nécessité devenue consciente à travers ce
Poème-Partition « N » de la rendre
« active » et donc de la sortir du livre pour la
« rebrancher sur la Société, son environnement
immédiat ».
-1955 automne/1956 hiver : Poème-Partition
« R » comme « Rythme ». Selon
Bernard Heidsieck, il s'agit de son « premier
« poème-partition » : mon premier poème
sonore »81(*).
Ce poème s'inscrit dans le rejet de Sitôt dit jugé
trop traditionnel. C'est la raison pour laquelle il s'intitule
« R ». « R » comme rythme
parce qu'il fallait arracher le poème à la page où trop de
passivité le caractérisait afin de le rendre
« actif » et de révolutionner la poésie. Il
devait être « une danse, un roulé-boulé, dans
l'instantanéité de sa
« lecture » ».82(*)
A partir de là, les thèmes du banal seront
essentiellement la communication avec le Poème-Partition
« Q » comme « Questionnement »
(mai 1956), le Poème-Partition « D4P », art
poétique pour François Dufrêne (août-décembre
1962) où on entend trois bandes « se chevauchant et
s'imbriquant au point de se rejoindre et confondre dans le souci et le but de
se résumer dans l'aventure même de la
communication. »83(*). Il s'agit aussi d'un programme et d'une
revendication pour le poème. D'abord, il se doit de communiquer avec le
monde :
mû, par le désir d'être en prise
concrète avec le monde, d'y injecter sa propre pulsation. Ou de le
tenter. Ne serait-ce que l'espace de sa seule durée. La
société ainsi, pour interlocuteur, complice et matière
première. 84(*)
Ainsi à partit de 1959 le magnétophone permettra
de remplacer par des prélèvements directs de vie (surtout
urbaine) les agencements de sons qui devaient reproduire la
réalité.
Ensuite, il doit refuser de refuser le monde, donc il doit
refuser toute attitude attentiste :
Il y a même une certaine commodité, sinon
complaisance, à se retrancher, par exemple, derrière le mythe
d'une révolution attendue, restant à faire, pour en ignorer les
indices quotidiens, refuser de voir ou rejeter ses modifications radicales ou
insensibles de chaque jour.85(*)
Ensuite encore, tout homme doit avoir le sentiment
d'appartenir à la société « car enfin, jouer à
la fois les autruches et les censeurs ressort plutôt de la quadrature du
cercle ».
Le thème de la communication se poursuit avec
« Quel âge avez-vous ? », biopsie 5 (mars
1966). Deux voix se superposent qui donnent à entendre des bribes de
conversation au bureau sur les conditions de travail. « Une poule sur
un mur » est déclinée avant que se fasse entendre les
voix de bureau. Se superposent des questions, des affirmations positives,
négatives, des critiques de tous ordres et il arrive que les questions
et les réponses soient audibles. Enfin la question du titre se fait
entendre restant sans réponse.
Le banal apparaît dilué dans une
réalité, un contexte que l'on découvre au fur et à
mesure de l'écoute de la bande. Ces prélèvements de bribes
de notre quotidien font partie intégrante du poème. Des sonneries
de téléphone, des voix, des voix automatiques qui indiquent un
changement de numéro de téléphone. Entre mai 1973 et 1979,
Heidsieck travaille à la composition de Canal Street. Ce texte
est à lire comme le quasi « art poétique » de
Heidsieck. En effet, ce travail de longue haleine se caractérise par
plusieurs phases qui finissent par superposer trois types de réflexion.
Le premier consiste à faire des
« planches-collages » (cinquante), le deuxième
à associer à chacun un texte, le troisième consiste
à enregistrer les textes. Enfin leur « lecture » en
public aboutit à des performances et à ce qu'il a appelé
à partir de 1963 « poésie action ». Chaque
planche prend pour thème les mots, les difficultés de la
communication. Ce sont les mots « pour ne rien dire »
(premier Canal Street), ou les questions qui s'enchaînent sans
discontinuer et auxquelles s'ajoute la deuxième bande sonore qui demande
en instaurant un rythme « qu'est-ce que tu deviens »
(deuxième Canal Street), les « mots
derviches-tourneurs » (troisième Canal Street), le
« sac à noeuds » de la communication, du
« précise ta pensée » (quatrième
Canal Street), qui comme la premier se termine sur le mot même
de « communication », etc.
Nous retrouvons ce thème dans la plupart des oeuvres de
Heidsieck, en un leitmotiv d'un constat d'impossibilité.
Par contre le thème du quotidien semble faire son
apparition et s'installer davantage dans les biopsies et les passe-partout,
à condition d'ajouter à ce raccourci le Poème-partiton
« K » intitulé aussi « Le
Quotidien ».
Le banal chez Bernard Heidsieck est bien au centre de ses
recherches poétiques car il est non seulement présent dans les
thèmes mais dans la voix qui est projetée sur scène. En
effet, même dans son tour du monde autour de Vaduz, Heidsieck ne
charge pas de subjectivité ses textes mis en action devant un public.
Seuls ceux qui rendent compte de la communication le sont. Les textes
eux-mêmes par leur mode de transmission au public doivent rendre compte
de cette banalité qui leur sert de jalon.
D'ailleurs si Heidsieck ne prend pas parti dans ses textes, on
peut malgré tout se demander si Respirations et brèves
rencontres n'est pas le seul de ses textes à montrer la
possibilité d'une communication. Tous ces souffles, toutes ces
respirations enregistrées du vivant des
« interlocuteurs » de Heidsieck, mais morts au moment de la
composition des textes, semblent réussir la situation de communication
que leur impose l'auteur. Ce dernier d'ailleurs donne l'impression d'un
« réel » échange avec eux. Donc il
apparaît que sans vouloir se départir de son optimisme, souvent
évoqué, Heidsieck mène malgré tout un constat sur
la communication assez pessimiste : la communication n'est peut-être
qu'un leurre social, et elle ne devient peut-être possible qu'avec la
projection que nous nous faisons de notre interlocuteur. Heidsieck mène
certes un dialogue, mais un dialogue fantasmé avec
Ghérasim Lucas, etc.
Mais si cette communication semble impossible c'est aussi la
faute de la langue présentée dans ses aspects les plus
compliqués : le banquier a son propre jargon
(Poème-partition b2b3), de même que l'économiste
(Le Quatrième plan), ou du scientifique (La
Pénétration, mécano-poème), sans oublier le
nutritionniste (Bilan ou mâcher ses mots), ou le politique
(Coupez n'est pas jouer), et même les sociologues dont une
série est citée à titre de preuves au début du
Carrefour de la chaussée d'Antin ; quant au dictionnaire,
Derviche/Le Robert nous montre la quasi impossibilité de le
connaître intégralement. D'ailleurs le texte de Heidsieck ne nous
donne absolument pas les sens de ces mots qu'il ignore mais il les place dans
un discours tout à fait déroutant qui laisse place à une
grande incertitude quant à ce que Heidsieck veut en faire.
Comment, faute de moyens de communication simples,
voulez-vous permettre un échange. Quant aux locutions de tous les jours,
de nombreux textes de Heidsieck en montrent les limites. Idem au niveau des
moyens de communication, puisque le téléphone, moyen moderne et
sûr, est la proie de difficultés insurmontables (Ruth Francken
a téléphoné). La communication ne se fait pas.
Que reste-t-il ? Le cri : celui qui vient
interrompre le banquier, notamment ceux des enfants qui viennent interrompre le
scientifique. Malheureusement, souvent c'est La Convention collective
qui a le dernier mot. (Elle dit : « Lorsqu'une fête
légale, toutefois, tombe un vendredi ou un mardi, le samedi qui suit
cette fête, ou le lundi qui la précède, ne sont pas
considérés comme jours ouvrables »)86(*)
Poète de la ville et non des campagnes comme le
souligne Henri Chopin, Heidsieck nous projette directement dans le banal
grâce à partir de 1959 au magnétophone. Avant cela, c'est
le rythme, la répétition et toutes sortes de
procédés stylistiques relevés par J.-P. Bobillot87(*) qui rendront compte du
réel. Ensuite, le travail sur les mots, le souffle et le rythme toujours
présents verront se superposer à eux des sons de la vie
urbaine : bruits de pas de piétons, klaxons d'automobiles, cris
d'enfants, bruits de voix, ajoutant une ancre supplémentaire qui nous
rattache au réel. D'où le commentaire suivant que Heidsieck fait
à propos de Carrefour de la Chaussée d'Antin :
J'ai voulu faire de ce point particulièrement
`chaud' de Paris une sorte de topologie sonore. Cela m'a conduit très
naturellement à aller y faire des enregistrements sur place de
différents éléments qui composent ce carrefour :
ordinateurs de banques, juke-boxes, cafés, bruits de voitures et
roucoulements de pigeons, haut-parleurs de grands magasins et bruits de la
foule. Tout cela est donc du hasard sélectionné ! Et qui ne
se veut nullement illustratif, une sorte de simple illustration sonore du
carrefour. Tout cet ensemble est en effet intimement mixé au texte qui
jalonne, de bout en bout, ce tour de piste du carrefour. 88(*)
Cette mise en scène du réel, cette
« concrétude », pour reprendre un terme de Heidsieck
est à comprendre comme le désir non pas de rendre compte du banal
quotidien, mais dans celui de nous imprégner en dernier stade de son
travail, par la dimension « active » de sa
poésie : la « performance », condition ultime
de réussite de son travail.
2.2) La banalité à vivre
Le banal ne se contente donc pas d'être un sujet
d'étude, ou un sujet de description, ou un sujet de définition.
Heidsieck ne définit rien, ne décrit rien. Il n'entre absolument
pas dans les attentes de la poésie habituelle ou encore, malheureusement
unanimement et banalement comprise.
Le banal n'est pas seulement
« prétexte » d'écriture, il est rendu dans
son « être-là ». On pourrait dire qu'il est le
début, le milieu et la fin du travail. Début en tant que
« biopsies » parfois menées au hasard de ce banal
jamais complètement prévisible. D'où cette énorme
difficulté à en rendre compte, car il est une donnée
fluctuante et non maîtrisable. Milieu car le poète doit
s'imprégner par la sémantique (qu'il opposera à
François Dufrêne) de ce banal : comment le mettre en sons, en
rythme, en cris, voire en mots complets ou tronqués. Et enfin,
« fin », pour autant qu'elle soit possible car les textes
qui rendent vraiment compte d'une boucle fermée sont rares, dans la
transmission à un public. Seule cette imprégnation finale du
public qui permet une réciprocité du texte, du lecteur-Heidsieck
et du public teste l'efficacité du poème. Cette trinité de
la banalité pose un point quasi final à sa perfectibilité.
Il s'agit bien d'une poésie centrifuge, happante, inclusive, grâce
à ces petites saynètes de mise en situation du banal. Certes, ce
banal est une sorte de concentré de banal dans la mesure où
l'engagement du poète n'est pas à démontrer. Il choisira
ce qui produit du son et du sens, en une accumulation de divers
procédés qui ont pour but de créer un monde de
banalité.
Donc on ne peut pas parler comme Ponge d'une
« transfiguration » du banal mais d'une
« phono-signifiance » du banal, à la fois comme mise
en sons et comme compte-rendu sonore. Nous verrons qu'il s'agit aussi d'une
sublimation.
III] Les buts de Ponge et de Heidsieck
1) Heidsieck
1.1) Sublimer le banal
Pourquoi cette poésie sonore devenue
poésie-action ? Deux poétiques aux yeux de Heidsieck se
dessinent, presque complémentaires. Il s'agit d' « exorciser
le banal »89(*)
et de « procéder à de successifs
exorcismes »90(*), ou de sublimer ce banal. Ce choix que se donne
Heidsieck est exprimé dans 91(*) la citation suivante : « Cet
éventail physique ou symbolique des soucis, automatismes et repaires
quotidiens » se doivent d'être
« métamorphosés en bouées de sauvetage ou
tremplin. Et par là-même, et par ricochet, à les exorciser
ou les sublimer. » Ainsi reprenons l'exemple de la bombe dans le
Mécano-poème
« pénétration » : cette bombe nous est
présentée par Heidsieck dans sa cruelle banalisation. Le
poème sert à
[l]a situer, Elle, la Bombe, dans le cadre de
l'activité quotidienne et banale de chacun. (...) Puisque cette menace
est un lot commun. A défaut donc de trancher dans le vif d'un tel sujet,
le rôle du poème se limite à en rappeler l'existence. (...)
Efficace ? (...) Comme il se doit. Comme il se peut.
Ainsi « sublimer » le banal signifie
également se réveiller et sortir du constat amer et passif d'une
banalisation :
Par ces temps où chacun se lamente par habitude sur
l'abêtissement généralisé, j'ai voulu dire que la
poésie (le cinéma) se révélait
« aussi » comme un prodigieux instrument de réveil
et de lucidité. 92(*)
Le poème doit donc se donner la mission de faire voir
le banal ; d'en rappeler l'existence pour en faire prendre conscience et
le sortir de sa banalisation. Par exemple, Heidsieck prend le thème de
la bombe dont il critique cet aspect. Il s'agit du Mécano-poème
« la pénétration » dans Partition
V.93(*) La
poésie doit donc « capter », au sens d'attraper, de
prendre, de surprendre « la vie même, dans le cours et
l'instant précis de sa manifestation. »94(*) Il ajoute
C'est dans un tel contexte que le regard actuel, amicalement
ou cliniquement posé sur les choses, les êtres ou les
événements, semble les découvrir ou redécouvrir.
Qu'il s'annexe le pire et le meilleur, le rare et le tout venant, l'acte
isolé comme le phénomène sociologique, comme pour s'y
acclimater ou mieux les sublimer.
« sublimer » le banal, c'est l'accepter
non dans sa négativité, mais en faire un tremplin du
progrès, donc pour un banal qui rende possible des mutations de
pensée. Cet objectif est possible par le jeu d'arrangements qui offrent
un regard neuf, ou une oreille neuve sur le thème en question. Il est
délocalisé, puisque placé contre une autre bande qui va en
révéler ce qu'il a de banalisé.
En effet, le
« poème-éponge », le
« poème-serpillère »95(*) doivent rendre compte de la
vitesse du monde, du rythme haletant de la vie et non plus se cacher
derrière les traditions poétiques :
Il s'agit, après tout, de piéger et de se
piéger, de se piger et de piger tant soit peu ce qui nous arrive, nous
cerne, nous englobe et nous façonne. Il s'agit tout au moins de la
tenter. En somme, au minimum, de se déchloroformer. Vaille que vaille.
Et tout cela, dans un grand branle-bas d'allées et venues, de
mouvements, d'expériences, de coulées centripètes,
centrifuges.96(*)
Donc double objectif : ramasser le quotidien et non pas
le nettoyer mais nettoyer notre façon d'envisager ce banal. Que faut-il
« sublimer » ? Ces banalités bancaires dans
Derviche/Le Robert, des banalités navrantes ou dites navrantes
de la conversation, dans Canal Street, de la voix de la speakrine des
appels-radio d'un taxi dans Partition V, des informations
enregistrées à partir d'une émission de l'O.R.T.F. en
1966, de la nécessité de rappeler un correspondant au
téléphone (Partition V), de la déclaration
d'amour d'une poinçonneuse à un client régulier dans une
station de métro (La Poinçonneuse), de la liste
intégrale des présidents du conseil de la 3ème,
4 ème, 5 ème Républiques,
« comme exemples de prises à bras-le-corps d'une part
très concrète de quotidien », etc.
La poésie par son entreprise se rend moderne et le
poème « redevient oral, audible et visible, actif pour tout
dire, et pour ce, utilise maintenant la technique adéquate que commande
précisément l'époque radicalement autre dans laquelle nous
pénétrons, fondée, même si les premiers
balbutiements s'en font seuls encore sentir, sur des modes de transmission
visuels et oraux, donc directs, rapides, physiques et
instantanés. »97(*)
Heidsieck parle à partir des biopsies de tenter de
faire des « ready-made » de poésie à partir
des résidus du quotidien : prélever du réel et
l'agencer dans un texte poétique, le mettre en perspective pour en
dégager un nouveau message, un nouvel objectif. C'est aussi le sortir de
son caractère utilitaire, un peu à la manière de Duchamp
afin de lui donner, non un aspect esthétique -- Duchamp refusait ce
critère artistique -- mais pour créer un nouvel objet. On peut
reconnaître chez Heidsieck en effet un travail de cet ordre.
Heidsieck se fait donc expérimentateur du langage, et
ses textes se présentent comme une sémiotique en action.
1.2) Faire entrer en communication la poésie
Heidsieck revendique le banal et en fait une ligne de force de
sa poésie. Il s'explique sur ce thème dans Notes
convergentes98(*) : le poème est à la
recherche d'un contact.
Afin, mû par le désir d'être en prise
concrète avec le monde, d'y injecter sa propre pulsation. Ou de le
tenter. Ne serait-ce que l'espace de sa propre durée. La
société ainsi, pour interlocuteur complice et matière
première. Et d'en finir donc, avec, à son égard, cette
gamme d'attitudes nobles, de refus et condamnations, de diatribes
systématiques et sans appel. Ou pour le moins de créer une
rupture dans leur cascade.
Donc le monde n'est pas seulement un décor dans ce
théâtre qu'est la vie. Il doit faire partie intégrante du
poème. Heidsieck stigmatise en effet cette « commodité,
sinon complaisance » qui consiste à « jeter
l'anathème, enfin, en vrac, sur les évidences journalières
d'un monde qui de toute évidence à chaque instant reste à
faire ou à refaire. »,
il incombe à la poésie, donc, aussi, de
participer à cette course, aussi folle soit-elle sinon pour cette raison
même. De vivre au rythme ambiant. Perpétuellement tendue. Et de
jouer dans ce tourbillon un rôle de garde-fou, d'électro-choc ou
d'anti-somnifère.
La banalité du monde comprise comme acceptation de son
inexorabilité est refusée par Heidsieck. Il s'agit de lutter
contre ce sentiment d'attentisme global. Il s'agit de refuser de refuser le
monde : le prendre en compte comme il est sans entrer dans la
démarche banale de le rejeter sans chercher à le corriger.
Il y a même une certaine commodité, sinon
complaisance, à se retrancher, par exemple, derrière le mythe
d'une révolution attendue, restant à faire, pour en ignorer les
indices quotidiens, refuser de voir ou rejeter les modifications radicales ou
insensibles de chaque jour. A jeter l'anathème, enfin, en vrac, sur les
évidences journalières d'un monde qui de toute évidence
à chaque instant reste à faire ou à défaire, et
fort d'un échantillon de constats désastreux, de leur opposer,
à titre d'excuse pour n'y point toucher, ne pas s'y tremper, quelque
absolu inflexible, mais pétrifié, ou un passé dans
l'impossibilité de resurgir.99(*)
Sentiment d'appartenance à la société et
refus de le nier.
« D'où ses tentatives pour redevenir orale.
Donc audible plus que visible. » La poésie doit retourner
à sa source sonore pour se faire au sens propre entendre. Car le
poème doit prendre ce risque de s'extraire de la page et doit s'incarner
en un
cri écartelé mais
déchirure-charnière puisque, avec l'un et l'autre, un nouveau
cycle, centrifuge, cette fois s'est ouvert à la poésie. Le
poème se retourne à 180 degrés et s'ouvre au monde. Il est
à réinventer. La force des mots avec lui. Leur sens. Celle, en
somme, ou celui de la communication. Simplement. 100(*)
Le poème s'incorpore à la lettre dans la diction
pour affronter le public. Heidsieck rappelle à plusieurs reprises le
choc ressenti à l'écoute de la musique de la première
oeuvre de musique électronique qu'il entendait : Les Chants des
adolescents de Stockhausen et la prise de conscience
immédiate d'un grand retard de la poésie sur la musique et la
peinture. Il s'agissait, au début de 1955, des concerts du Domaine
Musical, sous la direction de Pierre Boulez, les oeuvres de Varèse, de
Stockhausen, de John Cage... Le tourbillonnement de cette musique lui donne
l'idée de faire tourbillonner de la même façon les mots
dans une salle de « concert » de mots. Il faut arracher la
poésie à la page, il faut en faire des
« partitions ». Le premier de ses poèmes-partitions,
le Poème-Partition « N » est à cet
égard symptomatique dans sa présentation même puisqu'il est
imprimé sur du papier à bandes horizontales noires et blanches.
Quant au Poème-Partition « V », il s'est
voulu hommage à Edgar Varèse, compositeur franco-américain
dont Heidsieck découvrait à l'époque « avec
passion et admiration folles »101(*) la musique. Là encore une proximité
musicale se dessine puisque le début du texte fait écho exact
avec sa fin, signifiant la boucle de la journée qui peut ainsi se
répéter indéfiniment mais également une sorte de
« thème » musical. Une poésie nouvelle
apparaît donc qui se donne pour but de prendre à rebours la
« poésie blanche » et le Surréalisme. La
première représentée par « la vacuité, la
blancheur, l'iconoclasme radical de l'autre (un mallarméisme
exténué) », la seconde caractérisée par
une « inflation des images (...) (un surréalisme
aggravé) »102(*).
2) Ponge
2.1) Transfigurer le banal 103(*)
« commencer à ressentir religieusement la
réalité quotidienne »104(*), tel est, pourrait-on dire, le credo de Ponge.
Refuser la mission salvatrice de la religion surtout chrétienne et faire
une passation de pouvoir au commun des objets.
Il multiplie ainsi les critiques acerbes et ironiques à
l'égard du christianisme, religion de la douleur, de l'exaltation des
souffrances. A ce message « martyrophile », il oppose la
pleine jouissance du réel, les pieds sur terre, ou plutôt sur la
table et la main sur la porte ou modelant la figue. De nombreux symboles
chrétiens sont ainsi détournés : « le
pain » devient tout un monde au lieu de permettre de
« casser la croûte » avec les
« copains »105(*) même si on termine sur la
nécessité de « la briser » et non
« briser-là ».
L'autre point à souligner est la lecture approfondie du
De natura rerum de Lucrèce qui lui inspire une méfiance
à l'égard de tout ce qui leurre :
Au temps où, spectacle honteux, la vie humaine
traînait à terre les chaînes d'une religion qui, des
régions du ciel, montrait sa tête aux mortels et les effrayait de
son horrible aspect, le premier, un homme de la Grèce, un mortel, osa
lever contre le monstre ses regards, le premier il engagea la lutte. (...) Il a
parcouru par la pensée l'espace immense du grand Tout, et de là,
il nous rapporte vainqueur la connaissance de ce qui peut ou ne peut pas
naître, de la puissance départie à chaque être et de
ses bornes inflexibles. Ainsi la superstition est à son tour
terrassée, foulée aux pieds, et cette victoire nous
élève jusqu'aux cieux.106(*)
Cet être extraordinaire qui a prouvé la non
existence des dieux est évidemment Epicure.
Ce texte est à mettre en rapport avec « La
Mounine » car ce texte daté de 1941 exprime dans la vision
d'un ciel tourmenté « jour bleu cendres », comme un
mercredi des Cendres dans la liturgie catholique, le refus du Carême et
de sa pénitence alimentaire.
Une science très positiviste se dessine contre la
religion, c'est-à-dire basée sur des expériences directes
entre l' « écrivant »,
le « décrivant » et l'objet de cette
expérience directe. Cette science doit partir d'une émotion,
« d'un sanglot » a priori « sans cause
apparente »107(*) pour aboutir à l'
« explication de [s]a profonde émotion »,
donc pour aboutir, et c'est là que le raisonnement souffre dans sa
cohérence, à « une loi esthétique et morale
importante ». C'est ce qui fait dire à Lionel Cuillé
que « l'ambition scientifique est une des stratégies par
lesquelles Ponge légitime son travail d'écriture, cette
démarche critique semble paradoxalement, de manière curieusement
très romantique, fascinée par l'ambition du poète comme
« multiplicateur de progrès »
(Rimbaud) ».108(*) Par ailleurs, il insiste sur l'idée que le
discours pseudo-scientifique ou scientifisant finalement veut avant tout se
placer contre tout discours religieux, « contre
l'obscurantisme ».109(*)
La poésie est donc avant tout un moyen d'expression de
ce mépris à l'égard de Dieu. C'est la volonté
exprimée de défaire les sens tout faits, les lieux communs et
Dieu est un lieu commun qui a besoin d'être examiné :
Ni Dieu ni Maître.
Le Maître serait-il le Logos, le langage, les
mots.110(*)
En 1952, alors que Ponge commence à se faire
reconnaître de son siècle, il participe à un enregistrement
radiophonique en compagnie de Reverdy et de Breton. C'est le moment de
définir de la manière la plus synthétique possible ses
pensées poétiques et c'est aussi le moment qu'il choisit pour
exposer ses griefs contre la religion chrétienne :
Non seulement les religions (et en particulier la religion
J.-Ch.) me paraissent en cause, mais l'humanisme tout entier : ce
système de valeurs que nous avons hérité à la fois
de Jérusalem, d'Athènes, de Rome, que sais-je ? et qui a
ceinturé récemment la planète. Selon lui, l'homme serait
au centre de l'univers, lequel ne serait, lui, que le champ de son action, le
lieu de son pouvoir. 111(*)
L'accusation rejoint bien le thème central de sa
poétique. L'homme n'a pas à avoir cette place de choix car il ne
la mérite pas. Cette vision anthropocentriste a fait déjà
trop de dégâts pour la poursuivre. La modestie est à gagner
pour l'homme en passant par la considération du monde concret, seule
rédemption possible de l'homme à ce stade de son histoire.
D'où cette « Ode inachevée à la boue »
où la Bible se trouve stigmatisée comme imposture sur la
condition de l'homme :
Certain livre, qui a fait son temps, et qui a fait, en son
temps, tout le bien et tout le mal qu'il pouvait faire (on l'a tenu longtemps
pour parole sacrée), prétend que l'homme a été fait
de boue. Mais c'est une évidente imposture, dommageable à la boue
comme à l'homme.112(*)
L'ironie de ce texte est à lire dans l'ordre des
victimes puisque la boue apparaît avant l'homme.
2.2) Banalité contre une certaine conception de
l'homme par l'homme
Ponge explique sa place en tant que poète comme celui
qui doit partir de ce constat de mort de Dieu, de l'homme, de
l'anéantissement. Mais son constat n'est pas aussi pessimiste qu'il y
paraît au premier abord. Il faut partir de cette « mort de
Dieu », de cette « destruction des valeurs », de
cet « extrême amaigrissement de l'individu
(homme) »113(*) pour mieux permettre de
« renaître (Que le monde renaisse, la moindre
chose.) »114(*) Or pourquoi cet état des choses ? Ponge
l'explique par la disproportion de l'ego humain :
L'homme de G. Richier, sorte de King Kong (jamais plus
sauvage) réveillé dans la forêt actuelle (primitive) par
l'orage actuel (primitif), prêt à étreindre le monde,
à l'étrangler..., a maigri... (nouvelles désillusions
depuis 1944), s'est exténué dans sa destruction des valeurs
(Nietzsche), sans rien se mettre sous la dent. Laminé de plus en plus
par son désespoir, sa solitude, son sentiment exaspéré de
la personne humaine, de la liberté, de etc., sa volonté
de puissance (Socrate, Descartes, Pascal, Nietzsche, Sartre, Camus).115(*)
Ponge fait l'analyse de la société et de
l'individu et place ce dernier comme responsable du chaos humain. L'homme est
faible tout en se croyant plus fort que tout, ce qui le rend facile à
asservir à des idéologies, des religions et le conforte dans sa
volonté de puissance. Mais la leçon de Ponge est tout autre. Il
s'agit méthodiquement de faire comprendre à l'homme qu'il usurpe
une place qui n'est pas la sienne. Il s'agit d'acquérir une
liberté de pensée qui passe par la remise en question des
idées reçues, des idéologies de masse et lui donne une
vision plus humble de sa condition. Cette prise de conscience, Ponge choisit de
la faire passer par son traitement des choses, objets
« taciturnes » mais riches d'enseignement et de
beauté. En prenant comme support de réflexion l'oeuvre de
Giacometti, Ponge salue chez lui la non personne. Cette sculpture en effet met
en valeur le « je » de chacun réduit à sa
plus simple expression et de fait dénué de toute
individualité :
Pourquoi l'iconographie d'A. Giacometti me plaît-elle
si fort ? Parce qu'après elle, je suppose qu'on sera
près d'en avoir fini avec le Je.116(*)
Dans un texte quasiment contemporain, daté du 24
novembre 1951, Ponge identifie les responsabilités et expose ainsi le
but de sa poésie :
Non seulement, à mon sens, la religion
judéo-chrétienne, mais « l'Humanisme » tout
entier est en question : ce corpus de valeurs nées à la fois
à Jérusalem, à Athènes, à Rome, par lequel
l'homme s'est trouvé placé au centre d'un univers qui ne serait
pas le champ de son action ou le lieu de son « pouvoir ».
Cette conception de la supériorité de l'homme me semble, à
la vérité, l'avoir conduit quelque part hors du monde, dans une
sorte d'aliénation. La pseudo-civilisation qui vient d'achever
récemment de ceinturer le globe mourra aussi d'un de ces schismes qui
suivent immanquablement les périodes dogmatiques, celles qu'en
littérature on appelle classiques. Voilà ce contre quoi,
plongeant dans le trente-sixième dessous, chaque poète
authentique aujourd'hui par sa seule présence agit. Nous cheminons au
niveau des racines, nous menons la vie noire des vers dont chacun remue des
tonnes de terre végétale. Voilà où nous devons
enfoncer la lyre qui n'est plus à placer au fronton des superstructures,
mais doit pourrir dans l'infraordinaire. Nous naissons muets dans un monde
muet. Nous : je parle de moi-même à l'instant
même devant ce micro. Car nous naissons en réalité au
milieu d'un brouhaha insensé, celui des paroles de l'ancien ordre, des
rengaines de la mélodie mondiale, celui que font ici-même, par
exemple, les publicistes et les concierges de la littérature.117(*)
Dans les années 50 apparaît une idée qui
rejoint beaucoup les pensées de Ponge contre le comportement actuel de
l'homme. Il s'agit de l' « abhumanisme »,
élaborée par Jacques Audiberti et Camille Bryen qui publient en
1952 L'Ouvre-boîte, un dialogue qui défend l'idée
que l'homme doit être considéré comme faisant partie de la
nature, au contraire de l'humanisme qui plaçait hiérarchiquement
au centre du monde l'homme
En 1954, Ponge reprend le texte du
« Murmure » et en opère une relecture. Il revient
alors sur la nécessité de remettre l'homme à sa place. Il
explique par ce biais des textes comme « Notes premières de
l'homme »118(*) en 1942-1943 et « L'homme à grands
traits »119(*), « De la bouche »120(*) ou encore
« Première ébauche d'une main » en mai
1949121(*), qui
représentent des descriptions de l'homme souvent tronquées,
incomplètes. En effet, le but de Ponge est
d' « amenuiser » l'homme et de lui donner une mesure
plus juste. Le ramener à l'utilité d'une main par exemple est un
moyen de désacraliser la vision que l'homme porte sur
lui-même :
Un coup violent donné à l'Homme, à sa
prétention intellectuelle :
voilà le Murmure :
un coup de poing pour ramener l'homme à une juste
conscience de sa petitesse - fonctionnante grâce à quoi tout se
remettra à fonctionner.
C'est par un processus en réduction parfois que tout
se remet à fonctionner (soliculus). Théocrite.122(*)
Le 12 septembre 1954, Ponge place vraiment l'homme au centre
et même en but ultime de ses préoccupations puisque dans
« Constance d'une de mes idées de l'objeu
(préface ou introduction à l'objeu) », il termine par
le classement suivant :
Il y a profit à ce traitement :
1° pour l'objet (dénudé)
2° pour le poème (parfait)
3° pour l'homme (détaché,
réjoui, remis dans la disponibilité de nature).123(*)
En plaçant en troisième position l'homme on
comprend qu'il s'agit en fait de l'unique but de Ponge, en tout cas celui qui
occupe dans la hiérarchie la place la plus importante. Mais à la
condition triple énoncée entre parenthèses : qu'il
soit disponible, ouvert, dans un état de nature, c'est-à-dire
avant la pernicieuse dégradation opérée par les habitudes
sociales.
Mais ce n'est pas n'importe quel homme. C'est une question de
mesure et non plus de démesure. En février 1962, à
l'occasion de l'exposition L'Objet au Musée des arts
décoratifs en mars 1962, Ponge reprend une expression de Braque :
« Le peintre pense en formes et en couleurs ; l'objet, c'est la
poétique »124(*) pour en faire le titre de sa préface.
Pourquoi les objets sont-ils utiles à l'homme ? Moins par leur
caractère utilitaire que parce qu'ils sont l'accusatif de l'homme. Ce
dernier existe, fait des choses parce qu'il y a des objets que sa main
manie :
Le rapport de l'homme à l'objet n'est du tout
seulement de possession ou d'usage. Non, ce serait trop simple. C'est bien
pire.
Les objets sont en dehors de l'âme, bien
sûr ; pourtant, ils sont aussi notre plomb dans la tête.
Il s'agit d'un rapport à l'accusatif.125(*)
On y reconnaît d'ailleurs l'une des définitions
du Littré donnée au début de cette étude : les
objets sont ce qui est en dehors de l'âme.
Les objets opèrent une sorte de résistance
à l'homme qui lui donne l'impression d'exister. Ils sont l'application
de la vie de l'homme.
Conclusion
Comme Ponge, Heidsieck se place contre toute poésie
formelle, en faveur du vivant, du quotidien, de la dénonciation de ce
banal dont ils nous disent qu'il faut prendre conscience. Certes les moyens
utilisés sont très différents, Ponge reste dans la page,
même s'il joue de cela, et Heidsieck s'en détache avec horreur
quand il découvre la phono-technè. Mais le quotidien,
l'interrogation sur le langage, la Communication restent au coeur de leur parti
pris respectif. Ainsi que leur jeu, leur volonté de jouir des manques du
langage, de leur manque aussi, car tous deux se montrent
particulièrement humbles face à leurs lacunes et en jouent. Nous
avons affaire à deux exorcistes pragmatiques et sémiotiques qui
comme tout un chacun se heurtent à la langue, à son propre usage
en un jeu communicationnel. « [L]ittéralement et dans tous les
sens ». Cependant des différences se dessinent. On observe les
mêmes images : Ponge parle des paroles comme de « vieux
chiffons (...) à remuer, à secouer, à changer de
place », Heidsieck parle de la poésie sonore, sa poésie
comme d'une poésie serpillière. Où est la
distinction ? En ce que Ponge part d'un constat amer et négatif,
vécu personnellement comme un obstacle, Heidsieck ne porte pas de
jugement, mais en fait le constat. Les jeux de paroles enregistrées dans
notre banal quotidien servent alors de vivier pour nous faire prendre
conscience de ces phénomènes. Certes Ponge ensuite, après
Proêmes en fait également un jeu, une jubilation, pour
l'objet devienne objeu, puis objoie. Il se révèle chez Ponge un
parti pris de l'homme qui prend à rebours l'ancien parti pris
nombriliste de l'homme. Les objets sont sources de considération
philosophique. En effet, la poésie de Ponge qui place les objets au
centre de l'univers humain et non plus le contraire vise à replacer
l'homme dans un contexte de finitude, alors que les objets sont d'une certaine
manière éternels. La ressource fondamentale du De natura
rerum de Lucrèce est au coeur de la poétique de Ponge et
sert à passer ce message. « De la nature morte »,
« de la banalité » pourraient être de nouveaux
titres plus adéquats mais ils cachent le souci constant de Ponge,
même s'il le récuse à certains moments de sa
carrière poétique : l'homme. Heidsieck reste a
priori au niveau du constat, de la biopsie et ne prononce pas de morale,
là où Ponge ne s'en prive pas. Mais ils ont en commun le
même sujet unique finalement qui reste l'homme. Mais un homme face au
quotidien.
Bibliographie
1. Oeuvres de Francis Ponge
-OEuvres complètes, Gallimard, Bibl. de la
Pléiade, 1999, t. I.
-OEuvres complètes, Gallimard, Bibl. de la
Pléiade, 2002, t. II.
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« nrf », Gallimard, 2005.
2. Entretiens de Francis Ponge
-Entretien avec Francis Ponge, « C'est très
jeune que j'ai commencé à ouvrir le dictionnaire »,
Digraphe, décembre 1988, n°46.
-« Entretien avec Francis Ponge et textes
écrits », [31 mai 1976], Cahiers critiques de la
littérature, n° 2, décembre 1976.
-« L'art de la figue », entretien avec Jean
Ristat, Digraphe, n°14, avril 1978.
-Sollers Philippe, Entretiens avec Philippe Sollers
(1967), Gallimard/Seuil, 1970.
3. Oeuvres sur Francis Ponge
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modélisation scientifique, et religion de la Parole dans l'oeuvre de
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-Bobillot J.-P., Bernard Heidsieck, Poésie
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française et la présentation de J.-M. Schaeffer. Titre
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coll. « NRF », Gallimard, 1983.
-Sacré James, Bocaux, Bonbonnes, carafes et bouteilles
(comme), coll. « CRIR é LIR », Ed. Le Castor
Astral & Le Noroît, 1986.
-fig. 5, Editions fig. & fourbis, 1991.
* 1 « Prière
d'insérer pour « le peintre à
l'étude » », L'Atelier contemporain, OC, t.
II, p. 612.
* 2 Henry Deluy,
L'Anthologie arbitraire d'une nouvelle poésie, Flammarion,
1983.
* 3 Anne-Marie Albiach,
Objet, coll. « Figurae », Orange Export Ltd,
1976.
* 4 Alain Lance,
Ménagerie quotidienne, Orange Export Ltd, 1971.
* 5 Claude Royet-Journoud,
Les Objets contiennent l'infini, coll. « NRF »,
Gallimard, 1983.
* 6 James Sacré,
Bocaux, Bonbonnes, carafes et bouteilles (comme), coll.
« CRIR é LIR », Ed. Le Castor Astral & Le
Noroît, 1986.
* 7 Jakobson, Essais de
linguistique générale, coll. « Points »,
Ed du Seuil, 1980, p. 218-220.
* 8 [L'escargot], Dans
l'Atelier du Parti pris des choses, OEuvres complètes, Galld.,
Bibl. de la Pléiade, 1999, t. I, p. 58.
* 9 F. P., Nouveau nouveau
Recueil I , OEuvres complètes, Gallimard, Bibl. de la
Pléiade, 2002, t. II, p. 1171.
* 10 Seuil, Gallimard, 1970.
* 11 Ibid., p. 122.
* 12 Ibid., p.
121.
* 13 L'Atelier
contemporain, OEuvres complètes, Gallimard, Bibl. de la
Pléiade, 2002, t. II, p. 571.
* 14 Entretien avec Francis
Ponge, « C'est très jeune que j'ai commencé à
ouvrir le dictionnaire », Digraphe, décembre 1988,
n°46, p.12-13.
* 15 Nous reprenons le constat
de Paul J. Smith, « Ponge épidictique et
paradoxal », Francis Ponge, CRIN 32, 1996, p. 36-37
* 16 « La
Seine », OC, t. I, p. 246.
* 17 Le Parti pris des
choses, OC, t. I, p. 18.
* 18 Ibid., p. 23.
* 19 Ibid., p. 48.
* 20 Ibid., p. 32.
* 21 Ibid., p. 38.
* 22 Ibid., p. 49.
* 23 Ibid., p. 52.
* 24 Ibid., p. 53.
* 25 Ibid., p. 55.
* 26 [à propos du
« Galet »], OC, t. I, p. 67-68.
* 27 Pour un Malherbe,
Gallimard, 1965, p. 186.
* 28 Le regard est en effet au
centre de la poétique de Ponge beaucoup plus que les autres sens. Claude
Evrad le montre dès l'intitulé de son premier chapitre :
« L'Ecriture du regard », Francis Ponge, Ed.
Pierre Belfond, 1990.
* 29 « Introduction
au « Galet » », Proêmes, OC, t. I,
p. 201-205
* 30 J.-M. Gleize, Lectures
de...Pièces de Francis Ponge, Les mots et les choses, coll.
« Dia », Belin, 1988, p. 9.
* 31 Ibid., p. 32.
* 32 Nous reprenons ainsi ce
que Ponge appelle son « dictionnaire
encyclopédique » dans My creative method et qui en
sixième phase devient distinction entre Nature et objets.
* 33 J.-M. Gleize montre en
effet la forte présence de la métaphore du
« spectacle » du banal non dans son aspect spectaculaire,
théâtral mais le mot « dramatique » est
cité à plusieurs reprises : « l'apparition de la
plus banale forme aussitôt vous saisit »
précédé de « ces extraordinaires dramatiques
quoique ordinairement inaperçus événements
sensationnels ». « La Robe des choses »,
Pièces, OC, t. I, p. 696.
* 34 Pièces,
OC, t. I, p. 695.
* 35 Ibid., p.
703/709.
* 36 Ibid., p. 713.
* 37 Ibid., p. 721.
* 38 Ibid., p. 723.
* 39 Ibid., p. 737.
* 40 Ibid., p.
751-752.
* 41 Ibid., p. 776.
* 42 Ibid., p. 781.
* 43 Ibid., p. 782.
* 44 Ibid., p. 788.
* 45 Ibid., p. 790.
* 46 Christian Jacomino,
« Temps et création (à propos de Francis
Ponge) », NRF, n° 407, 1er décembre 1986,
p.50-63.
* 47 Jean-Pierre Bobillot,
« Notes pour un Ponge ou D'un s/ça/voir qui ne serait pas de
m/êtrise », Action poétique, Ponge, 26 fois
& Québec aujourd'hui et autres, Hiver/printemps 1998-1999,
p.153-154.
* 48 « My creative
method », Le Grand Recueil, Méthodes, OC, t.
I, p. 517.
* 49 Ibid., p. 519.
* 50 Ibid., p. 520.
* 51 J.-P. Sartre,
« L'homme et les choses », Critiques littéraires
(Situations, I), NRF, Gallimard, 1947, p. 311.
* 52 Baudrillard, Le
Système des objets, Denoël/Gonthier, p. 24.
* 53 Baudrillard, La
Structure des objets, Denoël/Gonthier, 1968, p. 19-22.
* 54 « Le
Fauteuil », Textes hors recueil, OC, t. II, p. 1387-1388.
* 55 Baudrillard, La
Structure des objets, Denoël/Gonthier, 1968, p. 33.
* 56 Maldiney Henri, Le
Vouloir dire de Francis Ponge, « La Parole tenseur de
l'être au monde », Ed. Encre marine, 1993, p. 125-135.
* 57 « My creative
method», Méthodes, Le Grand Recueil, OC, t. I, p. 33.
* 58 « La
Chèvre », Pièces, OC, t. I, p. 806.
* 59 La Fabrique du
Pré, OC, t. II, p. 457.
* 60 Vouilloux Bernard, Un
Art de la figure, Ponge dans l'atelier du peintre, Villeneuve d'Ascq,
Presses Universitaires du Septentrion, 1998, p. 21.
* 61 Philippe Sollers,
Entretiens avec Philippe Sollers (1967), Gallimard/Seuil, 1970, 89.
* 62 « Braque ou
l'Art moderne comme événement et plaisir », OEuvres
complètes, t. I, p. 139.
* 63 « Hommage
à Chardin », Pages d'atelier 1917-1982, p.
235-236.
* 64
« Hélion », L'Atelier contemporain, OEuvres
complètes, t. II, p. 575.
* 65
« Hélion », L'Atelier contemporain, OEuvres
complètes, t. II, p. 577.
* 66 Nioque de
l'avant-printemps, OC, t. II, p. 957.
* 67 Ibid., p.
973-974.
* 68 Comment une figue de
paroles et pourquoi, OC, t. II, p. 766.
* 69 La Fabrique du
Pré, OEuvres complètes, t. II, p. 437.
* 70 Ibid., p.
437-438.
* 71 « Entretien avec
Francis Ponge et textes écrits », [31 mai 1976], Cahiers
critiques de la littérature, n° 2, décembre 1976, p.
4-32.
* 72 fig. 5, Editions
fig. & fourbis, 1991, p. 27-45.
* 73 Ibid., p. 477.
* 74 « La
Chèvre », Textes hors recueil, OC, t. II, p.
1415-1416.
* 75 Pages d'atelier
1917-1982, coll. « nrf », Gallimard, 2005, p. 345.
* 76 La Table, OC, t.
II, p. 944.
* 77 Ibid., p. 114.
* 78 « L'art de la
figue », entretien avec Jean Ristat, Digraphe, n°14,
avril 1978, p. 112-113.
* 79 Heidsieck, Sitôt
dit, éditions Pierre Seghers, Paris, 1955, p. 7.
* 80 Courrier de Bernard
Heidsieck daté du 14 octobre 2006.
* 81 « Note
explicative de Bernard Heidsieck », Poème-Partition
« R », coll. « Jeudigris »,
Ed. Cahiers de Nuit, 1994, p. 1.
* 82 Ibid., p. 5.
* 83 Notes
convergentes, coll. « & », Ed. Al Dante, 2001, p.
25.
* 84 Ibid., p. 26.
* 85 Ibid., p. 27.
* 86 Poème-Partition
V, Le Bleu du ciel, 2001, p. 110.
* 87 J.-P. Bobillot,
Bernard Heidsieck, Poésie action, Jean-Michel Place, 1996.
* 88 Interview par Le coin
du Miroir, op. cit., p. 48.
* 89 Ibid., p. 77.
* 90 Notes
convergentes, p. 46.
* 91 Partition V, p.
75.
* 92 Bernard Heidsieck,
Notes convergentes, coll. « & », Al Dante,
2001, p. 130.
* 93 Partition V, Ed.
Le bleu du ciel, 2001.
* 94 Ibid., p.100.
* 95 Ibid., p. 120.
* 96 Ibid., p. 118.
* 97 Notes convergentes,
Axe n°3.
* 98 Notes
convergentes, Al Dante, coll. « Critique », 2001, p.
26-29.
* 99 Notes
convergentes, Al Dante, coll. « Critique », 2001, p.
27.
* 100 Notes
convergentes, Axe n°3, Anvers 1976.
* 101 Courrier daté du
25 septembre 2006.
* 102 J.-M. Gleize,
À Noir, coll. « Fiction &
Compagnie », Deuil, 1992, p. 115.
* 103 Nous empruntons ce titre
à Arthur Danto qui lui-même l'empruntait à Sandy Stranger,
personnage du roman de Muriel Spark, (Le Bel Age de Miss Brodie)
censée avoir écrit un ouvrage portant ce titre.
* 104 « De la nature
morte et de Chardin », L'Atelier contemporain, OC, t. II, p.
664.
* 105 Nous rappelons
l'étymologie de ce terme : « cum + panis ». Les
« copains » sont ceux avec qui on rompt le pain.
* 106 Lucrèce, De
la Nature, trad., intr. et notes par H. Clouard, Garnier-Flammarion,
1964, p. 20-21.
* 107 Ibid., p.
424.
* 108 Lionel Cuillé,
L'Herméneutique littérale : subversion du discours
chrétien, modélisation scientifique, et religion de la Parole
dans l'oeuvre de Francis Ponge, thèse de doctorat, Ecole Normale
Supérieure Lettres et Sciences Humaines, dir. Jean-Marie Gleize, 2003,
p. 8.
* 109 « La
Mounine », OC, t. I, p. 425.
* 110
« Première et seconde méditations
nocturnes », Nouveau nouveau recueil, II, OC, t. II, p.
1182-1183.
* 111 « Entretien
avec Breton et Reverdy », Méthodes, Ibid., p. 687.
* 112 « Ode
inachevée à la boue », OC, t. I, p. 731.
* 113 Ibid., p.
617.
* 114 Ibid.
* 115 « Joca
Seria », L'Atelier contemporain, OC, t. II, p. 617.
* 116 « Joca
Seria », L'Atelier contemporain, OC, t. II, p. 636.
* 117
« Préface aux Pratiques », Pages d'atelier
1917-1982, coll. « nrf », Gallimard, 2005, p.
286-287.
* 118 « III. Notes
premières de l'homme », Proêmes, OEuvres
complètes, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, 1999, t. I, p.
223.
* 119 « L'homme
à grands traits », Méthodes, OEuvres
complètes, Bibl. de la Pléiade, Gallimard, 1999, t. I, p.
616.
* 120 « De la
bouche », « L'Homme à grands traits »,
Méthodes, OEuvres complètes, Bibl. de la Pléiade,
Gallimard, 1999, t. I, p. 620.
* 121
« Première ébauche d'une main »,
Pièces, Oeuvres complètes, Bibl. de la
Pléiade, Gallimard, 1999, t. I, p.765.
* 122 Ponge,
[Réflexions sur les genres littéraires] Justification de la
préciosité », Pages d'atelier 1917-1982,
« nrf », Gallimard, 2005, p. 319.
* 123 Pages d'atelier
1917-1982, coll. « nrf », Gallimard, 2005, p. 325.
* 124 Georges Braque, Le
Jour et la Nuit. Cahiers 1917-1952, coll.
« Blanche », Gallimard, 1952, p. 11.
* 125 « L'objet,
c'est la poétique », L'Atelier contemporain, OC, t.
II, p. 657.
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