MaItrise de Philosophie, Université de Paris Sorbonne,
année 2004-2005
L' <<optimisme>> de Leibniz
***
Par Mr. L.J. Et Sous la direction de M.Fichant
INTRODUCTION
Si de manière générale il est possible de
distinguer deux types d'optimisme, le premier correspondant a un optimisme
reposant sur le sentiment, l'expérience d'une vie calme, sans malheurs
et revers de fortune et un second, réfléchi, systématique
et philosophique, c'est sans conteste a la deuxième sorte d'optimisme
que nous avons affaire avec Leibniz. En effet, méme si le
caractère de Leibniz n'est pas étranger a l'élaboration de
son système philosophique puisqu'il est sans doute le rationaliste qui a
donné le plus de crédit a la raison - en tout cas si l'on regarde
ses prédécesseurs - en formulant notamment le grand
<<principe de raison>> et, comme il est possible de le sentir lors
de la lecture de ses principaux textes, en ayant, dans tout ce qu'il traite, le
souci de rendre raison de toutes choses, il faut dire que son
<<optimisme>> repose sur la pensée, l'ordre, plus
généralement sur les principes de son système et que ce
qui transparaIt chez lui c'est la raison et non le sentiment, et si c'est ici
parler un peu trop de manière catégorique, du moins pouvons nous
dire que la raison a chez lui l'ascendance sur le sentiment. Si la
première forme d'optimisme peut être dite insuffisante, c'est bien
parce qu'elle repose et dépend de la contingence des
évènements, la créature intelligente qui laisse
dépendre sa confiance dans le cours des choses, son idée de la
perfection du monde, son point de vue sur la bonté de l'univers de
l'expérience sera très certainement amenée a changer
d'opinion en fonction de ce qui lui arrivera personnellement. Or, on le voit
parfaitement, dans un tel cas l'optimisme, mais aussi son contraire le
pessimisme, seront d'<< humeur>> plus que de raison. Il est donc
impossible pour un philosophe guidé par la raison de fonder solidement
une doctrine de cette facon. Sous sa première forme, affective,
l'optimisme est donc voué a l'incertitude et au relativisme. Cependant,
sous une forme philosophique, et plus que jamais avec Leibniz, l'optimisme se
trouve être fondé par la raison: lorsqu'on aborde la lecture des
textes de Leibniz, il s'opère peu a peu ce a quoi méme Leibniz
veut aboutir lorsqu'il établit les thèmes principaux de sa
métaphysique, c'est-à-dire une élévation, un
changement de regard sur le monde dü a un exercice réflexif et a un
décentrement du point de vue subjectif, notamment eu égard a ce
qui est directement un obstacle a toute pensée optimiste, l'existence du
mal dans le monde. Cette progression lors de l'étude de la philosophie
de Leibniz et des thèmes qui font que l'on a attribué a l'origine
le terme méme d'<< optimisme>> pour désigner sa
philosophie1 a pour
1 Le terme füt employé pour la première
fois par des jésuites dans leur Mémoires pour 1 'histoire des
sciences et des arts, en 1737 et plus particulièrement dans le compte
rendu qu'ils firent de la Théodicée de Leibniz afin d'en faire
ressortir l'idée principale et depuis vulgarisée a souhait que le
monde actuel est le meilleur des mondes possibles, c'est-à-dire un
optimum qui réalise le plus de bonheur qu'il est possible de concevoir
compte tenu de la particularité du monde. Ils écrivirent
d'ailleurs a ce sujet: <<En termes de l'art, il l'appelle la raison du
meilleur, ou plus savamment encore, et théologiquement autant que
géométriquement, le système de l'optimum ou
l'optimisme.>> En 1762 le terme est adopté par l'Académie
francaise et il sera désormais employé pour
conséquence une évolution, une modification de
l'état d'esprit, de la disposition de celui qui pense le système
: cette évolution consiste dans la transformation de la manière
d'appréhender l'univers, dans laformation ou dans le renforcement
(notamment parce que les raisons de cet état sont fournies et
compréhensibles) d'un état d'esprit que nous appelons
<<optimiste >. La philosophie de Leibniz, tout en étant
optimiste, a pour effet de procurer une disposition optimiste. Cependant ce
sont ici deux choses différentes car il faut non seulement
établir, par l'étude de la philosophie de Leibniz, d'oü sont
tirées les raisons d'une telle doctrine mais également comment
l'optimisme parvient a s'implanter dans la créature rationnelle,
autrement dit, comment celle-ci y a-t-elle accès: serait-ce a l'aide de
la seule raison ou bien avec l'aide d'une autre source de vérités
telle que la foi? La foi, elle aussi doit être questionnée puisque
dans le système leibnizien, et on peut méme dire dans la
particularité de l'optimisme, il est souvent question de thèmes
qui peuvent a priori sembler ne pas être du ressort de la raison car ce
n'est pas seulement a la logique, aux mathématiques, a la morale mais
également a la théologie et méme a la
Révélation que Leibniz fait appel : initialement, il faut
méme voir que la question de l'optimisme est intimement liée a
celle de l'existence de Dieu et de sa nature ou essence. La question du rapport
entre la raison et la foi semble donc être un préalable avant
toute discussion car ce qui pose problème, c'est la prétention de
la raison dans les questions d'ordre théologique. Ne revient-il pas en
effet a la foi seule d'affirmer la bonté de Dieu, la perfection de son
ouvrage ? La raison peut-elle aussi discourir sur ce qui est au premier abord
objet de foi ? L'optimisme lui-même n'est-il pas uniquement du ressort de
la foi ? Il s'agira de clarifier la position de Leibniz et notamment de voir en
quoi la conciliation qu'il opère est nécessaire pour l'objet de
sa philosophie et aussi pour nous qui souhaitons mettre a jour son
<<optimisme >. Par conséquent nous devrons montrer dans un
premier temps que la raison peut s'accorder avec la foi et possède une
plein légitimité eu égard aux sujets discutés en
théologie, de la méme manière que Leibniz entreprend de le
faire dans le Discours sur la conformité de la foi avec la raison avant
d'exposer sa Théodicée: <<Je commence par la question
préliminaire de la conformité de la foi avec la raison, et de
l'usage de la philosophie dans la théologie, parce qu'elle a beaucoup
d'influence sur la matière principale que nous allons traiter (...).
> 1 Il nous faudra également montrer dans un second temps que
l'<<optimisme > de Leibniz procède a partir de la
considération de l'idée de Dieu, par conséquent totalement
a priori, ce qui supposera l'établissement de son existence et
l'explicitation de son essence pour
désigner toute opinion qui se représente le monde
comme une wuvre bonne, préférable au néant malgré
la présence du mal en son sein et oü il se réalise un
surcroIt de bonheur par rapport au malheur.
1 Leibniz, Discours de la conformité de lafoi avec la
raison, § 1 in Essais de Théodicée, Paris, GF, 1969
5inalement voir que le problème de l'optimisme se
résout dans l'étude du mécanisme de la création du
monde selon que Dieu se propose de résoudre, en ayant en vue le bien de
sa création, un problème de maximum et de minimum d'oü il
doit résulter, nous verrons pourquoi, un optimum. Nous 5inirons par
l'étude des créatures rationnelles en tant que l'optimisme peut
être pensé comme disposition et comme le résultat sur les
esprits de l'action divine en tant que l'optimum choisit, c'est-à-dire
ce monde, est également un optimum pour le développement et
l'expansion du bonheur des esprits, créatures privilégiées
de Dieu. Cette dernière étude sera menée dans l'optique
d'une compréhension des conséquences d'une telle disposition mais
également dans l'établissement des moyens pour l'atteindre, ce
qui sera aboutir a la caractérisation 5inale de l'<< optimisme
>> leibnizien.
* **
PREMIERE PARTIE
Nécessité d'établir la
conformité de la foi avec la raison avant toute discussion
A - La raison en théologie, la polémique
en question, justifications.
Vouloir traiter de l'optimisme de Leibniz, c'est
obligatoirement passer par l'établissement de thèmes
métaphysiques chers a son système et par là même
cruciaux pour qui souhaite en déterminer l'essence: la liberté
(quels sont les réquisits qui font qu'une personne peut être dite
<< libre>>? Les choses peuvent elles être dites <<
libres >> ?), la nécessité (comment s'exerce-t-elle?
Peut-on la concilier avec la liberté? Sa distinction en
<<nécessité hypothétique>> et
<<nécessité absolue ou géométrique >>)
l'origine du mal (y a-t-il une <<substance>> du mal, un principe ou
n'est il pas plutôt une privation d'être? Qui est la cause du mal ?
Dieu ? L'homme ?).
C'est aussi se rendre compte que le 1 7e
siècle, dans lequel s'insère Leibniz (né en 1646 et mort
en 1716), est fait de religiosité et qu'on y débat sans cesse
autour de questions théologiques : la prédestination (chaque
individu semble destiné avant tout temps et hors de la
considération des bonnes et mauvaises actions, a la damnation ou au
salut, ce qui pose des problèmes quant aux raisons de Dieu dans
l'élection de ses créatures et laisse entrevoir une sorte de
fatalisme), la prédétermination (elle résulte de la
prescience de Dieu et de sa toute puissance et correspond a une
nécessité éternelle des évènements; il est
question ici des causes qui déterminent les créatures dans leurs
actions et est posée en ces termes: comment la détermination de
tout acte par des raisons antérieures peut elle se concilier avec la
liberté au présent qui exige que l'acte accompli soit du ressort
de la créature, du sujet ?), la grace (elle concerne aussi la
manière dont Dieu choisit ceux qui bénéficieront de son
aide et qui, parce qu'ils sont aidés, verront la vérité
comme personne et ce qui doit être fait pour réaliser le dessein
de Dieu), le péché originel (qu'a-t-il pour cause? Sa raison
d'être et sa place dans la détermination de Dieu a créer),
la querelle du pur amour (peut-on aller vers Dieu, l'aimer sans être
intéressé par les bienfaits dont il peut être la source,
l'amour de Dieu doit-il être nécessairement
désintéressé ?), la Trinité (cette question pose le
délicat problème de l'un et du multiple, de la
consubstantialité, donc de l'unité divine malgré sa
désignation dans les Ecritures en trois personnes distinctes: le
Père, le Fils et le Saint Esprit), la transsubstantiation (la
présence de Jésus-Christ dans l'eucharistie, c'est-à-dire
la transformation de la substance du pain et du vin en celle de son corps et de
son sang).
Cela étant, le 1 7e siècle est aussi
l'ère du rationalisme et de la mise en avant du pouvoir de la raison, de
ses prétentions a connaItre ce qui est dit << être >>.
Avec Leibniz, la raison est plus que jamais mise en première ligne, plus
que jamais celle-ci prétend encercler le domaine de l'être et du
connaissable, elle conquiert tout domaine oü la vérité peut
être trouvée a force de
réflexions. La philosophie de Leibniz est un
asservissement de tout ce qui est ou peut être au pouvoir de
rationalisation de l'esprit. Pour Leibniz, le domaine de l'être est en
droit, et en fait, analysable selon la méthode rationnelle que nous
divulgue le principe de raison suffisante. La formulation par Leibniz du
principe de raison - qu'Heidegger nous dit être la première et
véritable formulation, la <<naissance>> du principe de tous
les principes après le <<temps d'incubation>> qui lui a
été nécessaire afin de se révéler a la
pensée - est l'élément déclencheur et le point
central de la philosophie de Leibniz: si le principe de raison sert a Leibniz
pour l'édifice de son système et pour rendre compte de ce qui
est, il nous sert (a nous) pour montrer que la <<raison>> du
principe de raison (le principe de raison a-t-il une raison?) est l'exigence
même de raison qui se fait jour dans la pensée alors même
que cette exigence est demeurée enfouie pendant des millénaires.
Que dit le principe de raison? Ceci: <<rien n'est sans raison >>,
il assimile ainsi l'être et la raison - la raison pouvant être dite
distributive des perfections, on parle d'être tel ou tel ou encore
être dite existentielle auquel cas il s'agit de la possibilité
d'être ou de ne pas être. A. Robinet écrit dans ce sens:
<<Il y a deux modalités de la raison suffisante
[il fait du principe de la raison nécessaire et de la raison suffisante
deux principes distincts] : l'une qui concerne l'ordre distributif du tel ou
tel; l'autre qui décide de l'existence ou de la non-existence du tel ou
tel. >>1
et Heidegger:
<<D'une facon générale, c'est-à-dire
en règle générale, tout étant possède une
raison, quelle qu'elle soit, de ceci qu'il est et qu'il est tel qu'il est.
>>2
Le principe de raison suffisante encadre donc tout le domaine
du réel mais sa force réside également en ce que le
domaine du simplement possible c'est-à-dire de ce qui est pensable sans
contradiction est lui aussi tenu par l'appel du principe de raison a fournir la
raison des choses possibles en tant que telles. L'exigence du principe de
raison est posée au moyen d'une double négation << rien ne
... sans ... >>, l'existence d'exception, c'est-à-dire de choses
qui seraient sans raison, n'est même pas pensable, tout ce qui est
possède une raison d'être plutôt que de ne pas être et
d'être ainsi plutôt que autrement. La philosophie de Leibniz est un
Panlogisme, tout est
1 A. Robinet, Justice et terreur - Leibniz et leprincipe de
raison, Paris, Vrin, 2001, p.131 2M. Heidegger, Le principe de
raison, Paris, Gallimard, 1962, p.49
rationnel et intelligible a celui qui sait correctement percevoir
la série des raisons ainsi que leur enchaInement, tout est logique et
déductible des premiers principes:
<<Pour caractériser cette métaphysique d'un
seul mot, écrit Couturat, c'est unpanlogisme >>1
Nous disions que le principe de raison était le point
central de la philosophie de Leibniz, de sa métaphysique; il est en
effet présent dans chaque raisonnement que Leibniz fait, dans chaque
idée maItresse, il est comme le garant de la véracité des
assertions faites. Il sert ainsi a la démonstration de l'existence de
Dieu, a la compréhension de son essence, a l'explication du
mécanisme métaphysique qui s'exerce dans la création de
l'univers mais aussi a la compréhension de la création
elle-méme, du rapport entre elle et Dieu et nous informe en tant qu'il
prétend nous amener a une justification suffisante des actes divins. Le
principe de raison est le maître incontesté du système
leibnizien.
Cependant, alors méme que la raison prétend
pouvoir résoudre ces questions difficiles touchant Dieu et la
création (en s'exprimant a travers le principe de raison), une autre
puissance faisant autorité lui refuse toute légitimité et
prétend que les questions auxquelles elle certifie pourtant avoir droit
d'accès sont pour elles hors de portée et méme contraire a
son mode de recherche, qu'elle ne saurait trouver de vérités si
elle se lance sur ce chemin réservé. Il s'agit ici de la
confrontation de la foi avec la raison et plus généralement de la
philosophie avec la théologie, de la science avec la Religion.
En effet, ces questions ne sont elles pas du ressort de la
foi? Comment la raison pourrait-elle prétendre fournir des connaissances
sur des questions oü la Révélation a déjà
établi son autorité? Pour qu'il en soit ainsi, il faudrait que la
raison en ait les moyens et c'est, selon Leibniz, le cas. Nous l'avons dit,
c'est le principe de raison et par suite la raison elle-méme qui
s'immisce au sens propre du terme, elle intervient dans un domaine
déjà régit par la foi, donc dans un domaine qui est la
compétence d'un <<autre>> et se présente comme
investigatrice sur chaque question qui avant son <<entrée>>
relevait d'une autre puissance, d'un autre mode d'accès aux choses,
c'est-à-dire de la foi. Nous en voulons pour preuve (avec Leibniz) le
fait méme que le principe de raison soit indissociable de la preuve de
l'existence de Dieu, cela tient au fait qu'aucun des êtres
créés ne possèdent en lui-même sa raison d'exister,
par conséquent cette raison doit se trouver dans un être
nécessaire, raison de toutes choses.
1 L. Couturat, La logique de Leibniz, Alcan, 1901, Préface
p.11
<<Or nous n'avons point besoin de la foi
révélée, pour savoir qu'il y a un tel principe unique de
toutes choses, parfaitement bon et sage. La raison nous l'apprend par des
démonstrations infaillibles ; (...). >>1
Comment, dès lors que la raison nous mène a
Dieu, refuser qu'il soit légitime a celle-ci de s'attacher aux questions
de même ordre ? A regarder la philosophie de Leibniz, on ne peut s'y
opposer. Cependant, cette incursion de la raison pose le délicat
problème du rapport entre la foi et la raison et on a vite fait de
penser a un rapport conflictuel (dans la définition de la foi, on voit
déjà en quoi elle et la raison ne saurait s'entendre:
adhésion ferme de l'esprit, toute subjective - alors que la raison est
<<l'enchaInement des vérités>> selon Leibniz, menant
a l'objectivité - mais aussi forte que celle qui constitue la certitude,
elle est cependant incommunicable par la méthode démonstrative).
La foi est du domaine de la croyance, la raison du domaine du savoir, de la
connaissance.
Pourtant, la foi est loin d'être en total contradiction
avec la raison, M. Blondel écrit d'ailleurs a ce sujet:
<<Mais ce n'est pas a dire que la foi
<<s'oppose>> au savoir ou a la raison: la foi n'est ni
antiraisonnable ni a-raisonnable; elle ne méconnaIt ni ne renie le
savoir: elle se fonde sur des raisons qui sont telles que la raison, une fois
consultée, s'achève en une attestation de confiance dont il
serait ridicule et presque odieux d'établir les preuves par un
raisonnement en forme. >>2
Il y a donc certains sujets qui sont sans aucun doute
fondés en raison mais non sur des raisonnements logiques car, dans leur
cas, une simple confiance ferme est suffisante et l'expression sous forme
démonstrative, inutile et blessante pour la foi.
1 Leibniz, Essais de Théodicée, Discours de la
conformité de lafoi avec la raison §44, Paris, 1969, GF
2 A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la
philosophie, art. <<Foi >>, Paris, 1926, PUF
- Le Discours sur la conformitéde lafoi avec la raison.
1/ La foi et la raison, deux sources de
vérités.
Il s'agit maintenant d'examiner comme il se doit la position
de Leibniz au sein de cette polémique tout en gardant a l'esprit le fait
que Leibniz va s'opposer a Bayle. Le début du Discours sur la
confor,nité de la foi avec la raison, texte précédant a
juste titre la Théodicée, nous invite a voir qu'en bon
conciliateur, Leibniz n'est ni pour les seuls partisans de la foi, ni pour les
seuls partisans de la raison. En effet, Leibniz fait de la foi et de la raison
deux sources de vérités, or comme les vérités ne
sauraient se contredire entre elles, il en sera de méme pour la raison
et la foi ; il les définit ainsi:
<<L'objet de la foi est la vérité que Dieu
a révélée d'une manière extraordinaire, et [que] la
raison est l'enchaInement des vérités, mais
particulièrement (lorsqu'elle est comparée avec la foi) de celles
oü l'esprit humain peut atteindre naturellement, sans être
aidé par les lumières de la foi. >>1
La raison est donc ici définie comme puissance capable
d'accéder a la vérité et ce quelque soit le type d'objet
auquel elle peut avoir affaire. Si vérité il y a a trouver dans
un domaine quelconque, la raison peut s'y exercer sans se voir reprocher des
prétentions qui lui sont contraires. La suite du texte nous conforte
dans cette direction en ce qu'elle établie une distinction et
méme une opposition entre la raison définie plus haut et une
raison productrice de vérités que nous pourrions appeler
<<mixtes>> étant le fruit des data de l'expérience et
de la réflexion de la raison. Leibniz définit donc initialement
une raison <<pure et nue >>, distincte de l'expérience,
trouvant par elle-méme des vérités c'est-à-dire par
la seule faculté de réflexion et par conséquent
différente de la raison que Leibniz rapproche de la foi,
elle-méme fondée sur l'expérience, c'est-à-dire sur
ceux qui ont vu les miracles et sur les Ecritures saintes transmis a travers
les siècles (la foi naissant a l'occasion de ces deux motifs).
On voit clairement ici que Leibniz entend aussi bien
défendre les droits de la raison que ceux de la foi car il reconnaIt
leur autorité individuelle. Cependant, étant donné que
c'est la raison qui, dans la polémique générale est prise
a mal du fait de son <<intrusion>> dans un domaine
réservé jusqu'alors a la théologie et a la foi, tous
partis confondus, Leibniz s'attache dans les
1 Discours, §1
paragraphes du Discours a justifier davantage le droit de la
raison dans les matières qu'il va être contraint d'aborder
étant donné sa Théodicée.
2/ La distinction entre ce qui est au-dessus de la raison
>> et ce qui est contre la raison>> montre qu'aucune
vérité n'est contraire a la raison, par conséquent la
raison peut s'occuper des vérités de la foi.
Pour ce faire, Leibniz met en rapport une double
distinction1: la première correspond a la
célèbre séparation entre la
<<nécessité hypothétique>> et la
<<nécessité absolue ou géométrique>>
(par cette distinction Leibniz pense d'ailleurs que toute polémique sur
la liberté, la détermination se trouve résolue),
l'hypothétique concernant les choses dont le contraire est logiquement
possible, concevable sans contradiction dans la pensée (ainsi il est
contingent que César ait franchit le Rubicon, le contraire est tout a
fait possible), l'absolue ayant pour domaine ce qui ne peut être
autrement qu'il n'est, ni ne pas être du tout, c'est-à-dire dont
la pensée de la non-existence ou de l'existence différente
implique contradiction (ainsi il est nécessaire
géométriquement que 2+2=4 et contradictoire que 2+2=5). La
deuxième distinction s'accorde avec la première, elle consiste a
séparer ce qui est<<au-dessus de la raison>> et ce qui est
<<contre la raison >>. Le parallélisme avec la
première distinction consiste en ceci: ce qui est <<au-dessus de
la raison>> écrit Leibniz, c'est ce qui <<est contraire
seulement a ce qu'on a coutume d'expérimenter ou de comprendre>>
et ce qui est <<contre la raison >>, c'est, nous dit Leibniz, ce
qui est << contre les vérités absolument certaines et
indispensables >>2, autrement dit, ce qui est contre la
raison, ce sera ce qui est logiquement impossible, ce qui implique
contradiction, ce sera <<tout sentiment qui est combattu par des raisons
invincibles, ou bien dont le contradictoire peut être prouvé d'une
manière exacte et solide. >>3
L'établissement du droit de la raison par rapport aux
matières sensibles qui font le quotidien des théologiens passe
par l'affirmation qu'aucune vérité n'est contraire a la raison,
par conséquent il ne reste plus que des vérités
accessibles a la raison et celles qui dépassent les habitudes de
manipulation (mais qui ne lui sont pas contraires), ce qui n'est pas sans
remède. Par conséquent, la raison, en modifiant son mode
d'approche peut tout a fait s'occuper de ce qui relève uniquement de la
foi selon les objecteurs (nous verrons comment par la suite). A ce sujet
Leibniz écrit:
1 Discours, §2 et 23
2lbidem, §23 3lbidem, §60
<<Une vérité est au-dessus de la raison
quand notre esprit, ou même tout esprit créé, ne la saurait
comprendre1 ; et telle est, a mon avis, la sainte Trinité,
tels sont les miracles réservés a Dieu seul, comme, par exemple,
la création; tel est le choix de l'ordre de l'univers, qui dépend
de l'harmonie universelle et de la connaissance distincte d'une infinité
de choses a la fois. Mais une vérité ne saurait jamais être
contre la raison; et bien loin qu'un dogme combattu et convaincu par la raison
soit incompréhensible, l'on peut dire que rien n'est plus aisé a
comprendre ni plus manifeste que son absurdité. >>2
3/ Le rôle de la raison : contrôler et
défendre les mystères révélés.
Quelle doit donc être l'attitude de la raison face aux
mystères de la foi ? La deuxième partie de la citation nous
indique que la raison a un role de crible, celle-ci est chargée de
montrer l'absurdité d'un dogme lorsqu'il est effectivement
problématique pour toute pensée qui raisonne selon les
règles de la logique vulgaire. Si la raison n'a pas la puissance
nécessaire pour une explication minutieuse du mystère, elle peut
tout du moins les expliquer suffisamment pour les faire croire, le bon
raisonnement ne détournant pas de la foi, mais au contraire, y
conduisant. La raison a donc essentiellement une attitude défensive par
rapport aux mystères, elle ne peut les prouver mais peut les
défendre contre les objections afin de montrer qu'il est raisonnable de
les croire. Leibniz procède d'ailleurs a une distinction dans les termes
que nous venons d'employer car ils sont selon lui source de confusion en
philosophie et en théologie:
<<(...) ils confondent expliquer, comprendre, prouver,
soutenir. (...). Les mystères se peuvent expliquer autant qu'il faut
pour les croire ; mais on ne les saurait comprendre ni faire entendre comment
ils arrivent; (...). Il ne nous est pas possible non plus de prouver les
mystères par la raison; car tout ce qui se peut prouver a priori ou par
la raison pure, se peut comprendre. Tout ce qui nous reste donc, après
avoir ajouté foi aux mystères sur les preuves de la
vérité de la
1 St Bonaventure distingue <<comprendre>> et
<<appréhender >>. <<Comprendre>> consiste a
embrasser un objet dans sa totalité, chose impossible pour un esprit
fini et << appréhender >> consiste a entrer en contact avec
la chose, l'objet se manifestant a nous d'une certaine manière sans que
son mystère puisse être sondé en profondeur. Selon Leibniz,
<<pour comprendre quelque chose, il ne suffit pas qu'on en ait quelques
idées ; il faut les avoir toutes de tout ce qui y entre, et il faut que
toutes ces idées soient claires, distinctes, adéquates>>
(Discours, §73). C'est ce qui fait dire a Leibniz qu'en
réalité nous ne possédons que peu d'idées car la
plupart du temps nous ne poussons pas assez loin leur décomposition afin
de voir si il n'y a pas en elles quelques inconséquences.
2Discours, §23
4/ L'objection de Bayle pour appuyer son rejet de
l'implication de la raison en théologie: la raison détruit plus
qu'elle n'édifie de vérités. La réponse de Leibniz
appuyée par la pensée d'Origène.
Ici la philosophie se montre davantage la servante de la
théologie que sa maItresse mais c'est sous-estimer le rôle
protecteur de la raison, qui, dans sa position défensive, continue
cependant a fortifier et a édifier le temple de la vérité.
Cet argument répond a Bayle pour qui la raison est davantage capable de
réfuter et de détruire que de prouver et d'édifier,
surtout lorsqu'elle s'occupe des questions relevant d'ordinaire de la
théologie. Afin d'appuyer la thèse selon laquelle l'usage de la
raison doit être rejeté en théologie, Bayle fait appel a de
multiples autorités en la matière2. Il fait
successivement appel aux Ecritures, au Nouveau Testament, aux Pères de
l'Eglise (St. Augustin a travers Arnaud), aux scolastiques, a Luther et a
Calvin. Tous disent plus ou moins la méme chose, du moins concernant
notre sujet: on ne saurait soumettre les mystères au <<tribunal de
la raison>> sans par là méme se montrer
téméraire dans la volonté de comprendre ce que Dieu a
pourtant décidé de ne pas révéler a ses
créatures. Selon eux, l'attitude a adopter serait un aveu d'impuissance
afin d'éviter a la raison de s'égarer dans des polémiques
sans fin. A cela, Leibniz répond premièrement que l'objection
faite par Bayle pour blamer la raison (la raison serait essentiellement
destructrice) est, a l'inverse de ce qu'il paraIt, a son avantage, car en
réalité << lorsqu'elle détruit quelque thèse,
elle édifie la thèse opposée >>.3 Ce qui
est en jeu ici est la thèse selon laquelle il peut exister ou non des
objections insolubles pour la raison concernant une vérité,
méme de la foi. Bayle le nie. Deuxièmement, selon Leibniz, le
recours de Bayle a ces autorités ne suffit pas a prouver
<<l'insolubilité des objections contraires a la foi >> par
conséquent la raison doit pouvoir lever les objections faites contre les
mystères.
Leibniz fait, de son côté, appel a
Origène, Père le l'Eglise grecque, afin de le rapprocher des
objecteurs que Bayle a cité (pour montrer leur point commun) mais pour
mieux aussi l'en démarquer. En effet, Origène a montré que
le christianisme était raisonnable, c'est-à-dire fondé en
raison, mais que pour autant il était préférable pour les
chrétiens de croire les dogmes sans
1 Discours, §5
2lbidem, §45 à49 3#bidem,
§80
les examiner (le rapprochement est ici fait en ce que
Origène <<souhaite>> l'ignorance des croyants -il la
conseille- comme les opposants font de l'ignorance une condition de l'homme).
Il justifie son propos en assurant que la raison, loin d'être
opposée au christianisme, y conduit assurément et va même
jusque le fonder en tant que Religion; la raison est dite conduire a la
religion chrétienne pour qui parvient a mener a terme les
réflexions nécessaires a la compréhension des dogmes (la
compréhension apportant la foi), mais une restriction est
apportée: les réflexions nécessaires pour parvenir, par ce
chemin, a la foi, sont longues et difficiles. C'est un fait que dans les plus
anciennes philosophies, l'atteinte de la sagesse, de la vertu,
spécialement dans la philosophie antique, nécessite un mode de
vie particulier, un mode de vie paisible oü il est possible de
méditer a souhait sans avoir soucis des vicissitudes extérieures,
sans avoir de responsabilités contraignantes, provoquant sans
arrêt l'interruption des recherches intellectuelles. Ici, Origène
ne dit rien d'autre que cela: le court ordinaire des choses fait que peu de
personnes ont la possibilité de s'adonner longuement a la
réflexion nécessaire a la compréhension des dogmes
principaux, et la capacité de chacune d'entre elles étant plus ou
moins limitée, cette voie d'accès leur est quasiment
fermée. Origène écrit:
<<S'il était possible que tous les hommes
négligeant les affaires de la vie s'attachassent a l'étude et la
méditation, il ne faudrait point chercher d'autre voie pour leur faire
recevoir la religion chrétienne. >>1
Face a cette difficulté de taille, Origène pense
donc qu'une foi toute nue portant au bien demeure suffisante pour les
chrétiens en général. Leibniz le suit d'ailleurs lorsqu'il
écrit:
<<Cependant tout le monde n'a pas besoin d'entrer dans
des discussions théologiques; et des personnes, dont l'état est
peu compatible avec les recherches exactes, doivent se contenter des
enseignements de la foi, sans se mettre en peine des objections (...).
>>2
Selon Origène, la conversion est le moyen que
Jésus Christ a donné a l'homme pour lui permettre de revenir vers
Dieu facilement, sans faire d'efforts spirituels et pour se délivrer des
vices dans lesquels il se vautre. Il pousse même la réflexion en
demandant quel chemin est préférable pour l'homme en
général, le chemin oü l'on est tiré des vices en
croyant les dogmes sans examen, en croyant qu'il y a un paradis pour les bons
et un enfer pour les méchants ou
1 Origène, Défense de la religion
chrélienne, Livre 1, chapitre 2 2Discours, §40
bien celui oü la conversion vient après l'examen du
fondement des dogmes ? Origene ne cache pas ses doutes quant au deuxième
chemin:
<<Il est certain qu'à suivre cette
méthode, il y en aurait bien peu qui en viendrait jusqu'oü leur foi
toute simple et toute nue les conduit, mais que la plupart demeureraient dans
leur corruption.>>
5/ La polémique avec Bayle sur l'existence ou non
d'objections insolubles contre la vérité. Les règles de la
dispute en matière de défense des mystères.
Entrons maintenant un peu plus dans la polémique sur
l'existence d'objections insolubles qui oppose Leibniz et Bayle. Sachant qu'une
objection se trouve être un raisonnement comportant un ou plusieurs
arguments formulée dans le but de s'opposer voire de détruire une
these, quelles solutions pouvons nous envisager lorsqu'une telle dispute se
crée et que de part et d'autre se trouve un défenseur combattant
pour la sauvegarde de sa these et un objecteur oeuvrant pour montrer que ses
arguments vont contre la these défendue ? Deux solutions s'offre
à nous: ou bien l'objection faite est correcte et fait alors office de
démonstration car elle repose sur les regles les plus simples de la
logique (contre la these), si tant est qu'elle possède une forme
correcte (ce qui nécessite l'examen de l'argument en détail),
auquel cas la these ne peut plus être raisonnablement maintenue puisque
sa contradictoire est démontrée et qu'il est impossible que la
these et l'antithèse soient vraies en même temps; ou bien, c'est
le contraire, l'objection est non fondée et repose sur une mauvaise
argumentation et manière de raisonner, bien souvent parce que la raison
est corrompue, mêlée de préjugés en tout genre et de
passions qui faussent le jugement, dans ce cas la these ne souffre pas des
erreurs qu'on prétendait lui opposer sous le nom d' <<objections
>> et ainsi reste intacte.
Leibniz nous donne donc ici un critère qui nous permet
de décider entre un article de foi authentique,
révélé et un article de foi donc la pensée pleine
nous amène à le qualifier d'absurde, c'est-à-dire, cette
fois-ci, réellement contre la raison.
De plus, hormis le fait que pour défendre les
mystères, ceux-ci doivent être susceptibles de quelques
explicitations pour la pensée, il est nécessaire que l'on puisse
répondre aux objections dont ils sont l'objet car dire que celles-ci
doivent être insolubles, comme Bayle le prétend, c'est la
même chose <<que si l'on disait qu'une raison invincible contre une
these n'est pas une
raison légitime de la rejeter. Car quelle autre raison
légitime pour rejeter un sentiment peut-on trouver, si un argument
contraire invincible ne l'est pas ? Et quel moyen aura-t-on après cela
de démontrer la fausseté et même l'absurdité de
quelque opinion? >>1
Autrement dit, la sauvegarde d'une these implique que l'on ait
pu répondre a l'objection en en montrant tant soit peu la contradiction
(il faut donc que l'on admette que la défense est possible, que la
raison peut résoudre les objections) et son rejet implique au contraire
que la these ait fait les frais d'une objection invincible (là encore
cela suppose que la raison puisse discuter des raisons qui font la these et
formuler des objections pertinentes ou pas). Il faut nécessairement
admettre que les objections puissent être résolues, qu'il existe
une méthode, un critère avec lequel on peut a la fois
décider si une raison (objection) peut vaincre une these, donc la faire
rejeter ou si elle est fausse, donc sans poids contre la these, afin de pouvoir
continuer a trouver des vérités, notamment dans le domaine qui
pose problème ici pour Bayle, celui de la foi. Le cas inverse (si il
fallait accepter l'insolubilité des objections) serait faire triompher
la raison mais de telle sorte que la foi en serait détruite car son
domaine devrait être rejeté au rang de bavardage sans aucun
rapport quel qu'il soit avec la vérité et par conséquent
avec la raison.
De manière générale écrit
Leibniz:
<<(...) il ne se peut faire qu'il y ait une objection
invincible contre la Vérité. Car si c'est une
démonstration fondée sur des principes ou sur des faits
incontestables, formée par un enchaInement des vérités
éternelles, la conclusion est certaine et indispensable, et ce qui y est
opposé doit être faux; autrement deux contradictoires pourraient
être vraies en même temps. Que si l'objection n'est point
démonstrative, elle ne peut former qu'un argument vraisemblable, qui n'a
point de force contre la foi, puisqu'on convient que les mystères de la
religion sont contraires aux apparences. >>2
En conclusion de ce point on peut dire que dans une dispute,
celui qui soutient une these vraie avec de bons arguments contre des objections
possède des <<preuves>> ; mais celui qui soutient une these,
renversée par des arguments contraires et invincibles, celui là
voit ses arguments se changer en <<objections>> contre la nouvelle
these qui vient de lui être démontrée. Quoi qu'il en soit,
Leibniz établit une regle d'or:
1 Discours, §58 2lbidem, §3
<<Il faut toujours céder aux démonstrations,
soit quelles soient proposées pour affirmer, soit qu'on les avance en
forme d'objections. >>1
Pourquoi cela? Tout simplement parce que, dans la
défense des mystères, et surtout dans la défense des
mystères, la raison (celui qui défend les dogmes) ne doit en
aucun cas rester campée sur ses positions, elle ne doit pas ignorer les
vérités nécessaires et éternelles qui peuvent lui
être portées dans une argumentation se voulant objection contre le
dogme <<de peur que les ennemis de la religion ne prennent droit
là-dessus de décrier et la religion et ses mystères
>>.2 En effet, la pire des attitudes serait de soutenir un
mystère sans en avoir de bonnes raisons, c'est-à-dire en ignorant
l'objection qui vient de lui être faite et qui l'a montré comme
étant un faux article de foi et en refusant par conséquent
d'abdiquer face a la démonstration adverse avec pour seul motif
l'entêtement. La mauvaise foi en matière de défense des
mystères peut donc causer de grands torts a la religion et aux dogmes
sur lesquels elle repose. Adopter une telle attitude, c'est donner plus de
raisons aux infidèles et aux athées de se conforter dans leur
discours.
6/ La raison ne saurait comprendre>> totalement les
mystères, elle doit les accepter comme des faits, leur pourquoi>>
demeure caché. La conformité de la foi avec la raison est par
conséquent ramenée a une absence de difformiti >>.
Polémique avec Bayle sur le sens des expressions au-dessus de la raison
>> et contre la raison >>.
La définition du comportement a adopter lorsqu'on se
fait le défenseur de la foi et de ses objets ayant été
établie, il convient de revenir sur ce qui a entraIné cette
discussion, a savoir la question d'établir si les mystères,
vérités de la foi, sont au-dessus de la raison et si oui, s'il
est tout de même possible a la raison de se les approprier d'une
quelconque manière.
A cela nous avons déjà esquissé une
réponse avec Leibniz qui nous dit qu'aucune vérité ne
saurait être contraire a la raison et aussi incompréhensible
qu'elle puisse être, ne saurait être au-dessus de la raison a tel
point de ne pouvoir en dire mots. Si il est possible de dire que les
mystères surpassent notre raison, il est en revanche
démesuré de dire qu'ils sont contraires au mode d'enchaInement
des vérités propre a la raison. Les mystères ne sont donc
pas contre la
1 Discours, §25 2lbidem, §22
raison pour la bonne raison que les raisonnements produits
pour leur défense ne vont pas contre la vérité. Il faut
donc conclure que méme si la conformité des mystères avec
la raison n'est pas totale puisque la raison ne saurait parvenir a une
complète compréhension sans en méme temps nier la nature
du mystère, il n'en demeure pas moins vrai qu'elle ne saurait se ramener
a une <<difformité>> qui nous conduirait a une opposition de
la foi et de la raison dans ce domaine. Raison et foi sont pour Leibniz des
dons de Dieu, par conséquent, <<leur combat ferait combattre Dieu
contre Dieu >>1, ce qui est absurde et blessant pour qui
souhaite uvrer pour la gloire de Dieu.
Cependant, la distinction dont il est question ici, a savoir 1
'être au-dessus de la raison et 1 'être contre la raison ne va pas
de soi, Leibniz se trouve encore ici en confrontation avec Bayle. Celui-ci ne
convient pas de la distinction et émet des doutes sur le sens du mot
<<raison>> dans les deux expressions. Pour Bayle, les deux
expressions peuvent ne pas avoir le méme sens suivant ce qu'on entend
par <<raison >>. Dans la première assertion, <<les
mystères ne sont pas au-dessus de la raison >>,
<<raison>> renvoie a la raison de l'homme (<< la raison in
concreto >>) alors que dans la deuxième, <<les
mystères ne sont pas contraires a la raison >>, il s'agit de la
raison en général (la raison in abstracto >>) ou raison
universelle se trouvant en Dieu. Or, a supposer que l'on prenne le mot
<<raison>> dans le deuxième sens dans les deux assertions,
il sera également vrai que les mystères ne sont pas au-dessus ni
contraires a la raison; mais, si il s'agit de deux sens différents dans
les deux expressions, Bayle dit ne pas voir oü se trouve la
solidité de la distinction et ce d'autant plus qu'à tout
ça, vient s'ajouter l'opinion de gens très orthodoxes avouant ne
pas être capables de connaItre la conformité entre les
mystères et la raison. <<Or ce qui nous paraIt n'être pas
conforme a notre raison nous paraIt contraire a notre raison: tout de
méme que ce qui ne nous paraIt pas conforme a la vérité
nous paraIt contraire a la vérité (...). >>2 Si
on accepte ça, il est clair qu'on ne peut que déprécier la
raison, en faire une raison faible et affirmer en conséquence que les
mystères sont au-dessus de ses capacités et méme
contraires a son mode d'enchaInement des vérités.
Avec son aisance habituelle Leibniz répond en clarifiant
bien ce qui peut être dit <<au-dessus de la raison>> (et
pourquoi) et << contre la raison>>:
1 Discours, §39 2lbidem, §63
<<Les mystères surpassent notre raison, car ils
contiennent des vérités qui ne sont pas comprises dans cet
enchaInement; mais ils ne sont point contraires a notre raison, et ne
contredisent a aucune des vérités oü cet enchaInement nous
peut mener. >>~
Par conséquent, dans les deux assertions, il s'agit
bien pour Leibniz de la raison humaine et non de la raison en
général. La question de la conformité des mystères
a notre raison, posée comme problématique par Bayle et les
orthodoxes auxquels il fait appel, se voit conciliée par Leibniz, comme
c'est souvent le cas, par une clarification des termes en jeu et dans notre cas
du terme <<conformité>>: il nous fait voir que si l'on prend
le terme de <<conformité>> dans le cadre d'une
défense toujours réussie du dogme, alors on peut dire qu'il y a
effectivement conformité de la raison avec le dogme; mais si il faut
entendre <<conformité>> par <<une explication du
comment>> du mystère, alors la conformité ne saurait nous
être connue et il faudrait admettre l'opposition de la raison et des
mystères évangéliques.
Pour Leibniz, si Bayle voit des difficultés dans ces
questions c'est notamment parce qu'il souhaite que l'on rende raison des
miracles de la méme manière que l'on rend raison de faits
ordinaires naturellement explicables par les seules forces des créatures
(autrement dit les faits qui ne sont pas extraordinaires, qui ne sont pas des
miracles et qui peuvent s'expliquer par les lois de la nature). Or, l'ambition
de Leibniz, et de tout défenseur de la foi selon lui, n'est en aucun cas
de justifier totalement les miracles car la compréhension nous passe
pour le moment, méme si il est raisonnablement permis d'en
espérer une pleine vision dans une autre vie. Tout ce qui nous est
possible de faire a l'aide de la raison, c'est de défendre les
mystères contre les accusations afin de montrer que les miracles ne sont
pas hors d'ordre, c'est-à-dire qu'ils sont compris dans le dessein de
Dieu. Face a notre finitude originelle, il s'agit de se contenter de
l'explication, certes imparfaite, que nous pouvons donner des miracles
évangéliques. Leibniz nous dit que <<l'intelligence
analogique >>2 du mystère est suffisante, du moins
n'est elle pas totalement dénuée de sens et affirme méme
qu'il n'est pas nécessaire que l'explication soit totale,
c'est-à-dire qu'elle aille jusqu'au comprendre et au comment pour la
simple et bonne raison qu'un mystère épuisé dans sa
signification est un << mystère >> démontré ne
relevant plus par conséquent de la foi mais entièrement de la
raison. Or de deux choses l'une, l'explication détaillée du
miracle est impossible pour des entendements finis et c'est méme une
chose tout a fait contraire pour qui se fait défenseur et conciliateur
de la foi et de la raison:
~ Discours, §63 2lbidem, §54
<<On blâmera donc ceux qui voudront rendre raison de
ce mystère et le rendre compréhensible, mais on louera ceux qui
travailleront a le soutenir contre les objections des adversaires.
>>1
L'impossibilité de rendre raison totalement des
mystères et le respect de leur nature nous pousse ici au contentement:
<<Il nous suffit un certain ce que c 'est; mais le comment nous passe, et
ne nous est point nécessaire. (...). Nous n'avons pas besoin non plus,
comme j'ai déjà remarqué, de prouver les mystères a
priori ou d'en rendre raison ; il nous suffit que la chose est ainsi sans
savoir lepourquoi que Dieu s'est réservé. >>2
Bayle fait également des difficultés selon
Leibniz par ce qu'il <<porte trop loin l'être au-dessus de la
raison >>3. Pour lui ce qui est au-dessus de la raison ne
saurait être a la fois expliqué, compris par la raison et on ne
saurait non plus répondre aux objections faites contre les
mystères. Sachant cela, Leibniz est d'accord pour dire que la
compréhension des mystères est impossible pour nous mais il
soutient qu'on puisse apporter une explication suffisante, ne serait-ce que des
termes, afin que ce que nous supportons ne soit pas sans signification,
c'est-àdire absurde. Il en va de méme pour les objections
formulées: il est obligatoire de pouvoir y satisfaire sinon la
conséquence sera le rejet de la thèse défendue (selon les
règles de la dispute dont nous avons fait état plus haut).
Par conséquent, pour Leibniz: <<Nous pouvons
atteindre ce qui est au-dessus de nous, non pas en le pénétrant,
mais en le soutenant. >>4
Voilà ce qu'il faut retenir de cette polémique
entre Leibniz et Bayle: au final les vérités de la foi, si
incompréhensibles qu'elles soient pour nous, ne le seront jamais assez
au point qu'on n'en puisse rien comprendre. Celui qui se fait le
défenseur de la foi et des mystères n'est en aucun cas en
position d'infériorité par rapport a son adversaire. Sa
tâche est simple: expliciter aussi bien que faire se peut le
mystère qu'il défend et répondre comme il se doit aux
objections en en négligeant aucune mais en gardant bien a l'esprit que
c'est a celui qui attaque une thèse de fournir le gros de
l'argumentation, car le défenseur ne se met pas en peine de prouver les
mystères, il se contente d'en maintenir la possibilité. En effet,
méme si le défenseur n'est pas contraint de rendre raison de sa
thèse, il doit pourtant, selon la règle d'or de toute dispute qui
se veut intelligente et censée, satisfaire, quand ses objections sont
fondées, son adversaire et
1 Discours, §59 2lbidem, §56
3lbidem, §66 4lbidem, §72
répondre en conséquence ou bien s'avouer vaincu.
La réponse qu'il fait pour soutenir le dogme doit consister en une
explicitation des termes mais celle-ci ne saurait être le complet
étalage de sa thèse et de tout ce qu'elle implique autrement le
dogme serait démontré et compris. Or cela le défenseur ne
le peut ni ne le doit. Le défenseur n'est donc pas obligé, pour
soutenir le dogme, d'établir sa thèse de A a z, d'en montrer
l'évidence de manière claire et distincte car l'évidence,
il ne la cherche pas; c'est au contraire a l'adversaire de montrer
l'évidence des ses attaques et des arguments qu'il emploie si il veut
que sa critique porte ses fruits, il doit les formuler selon les règles
de la logique et montrer que ses preuves sont contraires aux raisons que le
défenseur a de soutenir le dogme, sans ça, le défenseur
n'aura de compte a rendre a personne. Tout le travail d'argumentation est donc
du coté de l'attaquant, le défenseur n'ayant qu'à
maintenir la possibilité du mystère sans qu'il soit obligé
a autre chose, comme d'établir qu'il est vraisemblable par rapport a
l'état du monde.
Leibniz écrit en ce sens: << Quand on se contente
d'en soutenir la vérité, sans se mêler de la vouloir faire
comprendre, on n'a point besoin de recourir aux maximes philosophiques,
générales ou particulières, pour la preuve; et lorsqu'un
autre nous oppose quelques maximes philosophiques, ce n'est pas a nous de
prouver d'une manière claire et distincte que ces maximes sont conformes
avec notre dogme, mais c'est a notre adversaire de prouver qu'elles y sont
contraires. >>1
Par cette méthode de contrôle et de
vérification, Leibniz se fait le défenseur de la foi, sa
volonté d'insérer la raison dans les spéculations
théologiques n'est donc pas un caprice mais bien une exigence de la
raison elle-même et un devoir pour qui entend faire de la religion une
communauté unifiée. La raison peut être dite
<<facteur d'unité>> car elle est un moyen de concilier les
différents dogmes et les différentes confessions, elle combat non
pas la foi comme les détracteurs peuvent le penser mais la superstition,
les églises. Leibniz présuppose ici une religiosité de la
raison, toute pure et non entachée de polémique, de passions, une
foi innocente. La raison est le principe d'une religion universelle et parfaite
car il est donné a chacun de raisonner correctement:
<<Il n'y aurait rien de si aisé a terminer que ces
disputes sur les droits de la foi et de la raison, si les hommes voulaient se
servir des règles les plus vulgaires de la logique et raisonner avec
tant
1 Discours, §77
soit peu d'attention. Au lieu de cela, ils s'embrouillent par
des expressions obliques et ambiguës, qui leur donnent un beau champ de
déclamer, pour faire valoir leur esprit et leur doctrine (..).
>>1
7/ La conformité fait a certains égards figure de
subordination: la raison subordonne la foi du fait de l'exigence supreme du
principe de raison. La foi doit aussi avoir ses raisons.
Si il s'agit pour Leibniz de la conformité de la foi avec
la raison et non de la conformité de la raison avec la foi, c'est qu'en
un sens, la raison est première. F. Brunner écrit:
Leibniz considère que <<si la
vérité de la foi est incontestable, il suit de la nature de la
foi véritable que son analyse par la raison est possible, du moins a
ceux qui cherchent la vérité avec une attention soutenue et dans
la crainte de Dieu; s'il n'en était pas ainsi, selon lui, on ne pourrait
distinguer la religion chrétienne et l'erreur; la religion serait
arbitraire et nous n'aurions point d'avantage sur les infidèles et sur
les sectes (...). >>2
Ainsi donc, même si Leibniz fait état d'une
<<foi divine >>3, sorte de conscience plus ou moins
obscure de la présence effective de Dieu, foi qui semble ne pas avoir de
motifs mais au contraire, être pure adhésion non
délibérée a Dieu et a ce qu'il commande, une foi
allant<< audelà de l'entendement >>, s'emparant de la
volonté et du cWur, <<sans qu'on ait besoin de penser aux raisons,
ni de s'arrêter aux difficultés de raisonnements que l'esprit peut
envisager >>, il n'en demeure pas moins que la foi, au sens propre du
terme, ne saurait être du ressort de la volonté. En effet, elle
n'échappe pas a l'exigence du principe de raison et suppose donc des
raisons puisqu'elle est <<assentiment a >>, <<mouvement vers
>>. Elle n'est certes pas un acte entièrement intellectuel
puisqu'elle s'empare de la volonté et du cWur mais il est certain que si
la créance était une chose volontaire, elle serait arbitraire. On
ne peut croire sans raisons, il doit toujours y avoir des raisons qui font que
l'on est amené a croire certaines choses et non d'autres, une foi sans
motifs est une pure chimère (on doit même pouvoir rendre compte de
la foi divine en en faisant un don de Dieu, une grace qui trouve sa raison dans
le dessein que se propose le Tout Puissant, dans l'harmonie universelle) comme
l'indifférence face a deux
1 Leibniz, Essais de Théodicée, Discours de la
conformité de lafoi avec la raison §30, Paris, 1969, GF 2F .
Brunner, Etudes sur la signification historique de laphilosophie de Leibniz,
Paris, Vrin, 1950, P.240
3 Leibniz, Essais de Théodicée, Discours de la
conformité de la foi avec la raison §29, Paris, 1969, GF. On la
distingue au 17e siècle de la << foi humaine >>
qui est le fait de croire d'après le témoignage des hommes.
possibilités, qui même si elles nous semblent
également possibles n'en exercent pas moins des impressions
différentes sur notre constitution et par conséquent
déterminent notre volonté avec plus ou moins de force, plus pour
le parti que nous déciderons de suivre et moins pour celui que nous
rejèterons.1
La foi est donc ici également encerclée par le
principe de raison. C'est ici oü nous nous apercevons que la
conformité entre la foi et la raison peut a certains égard faire
figure de subordination de la foi a la raison puisque la raison semble englober
la foi du fait de son ambition d'infiltrer tout le réel, tout le
pensable, tout ce qui peut être source de vérité.
Même face a l'incompréhensible (pour nous) Leibniz nous dit qu'il
ne faut pas <<renoncer a la raison pour écouter la foi
>>2 nous montrant a quel point il fait de la raison le
principe de tout, nous montrant par là que la raison peut toujours
expliquer suffisamment les vérités de la foi3. Rien
n'échappe ala raison, ce qui ne tombe pas naturellement sous son joug en
vient tout de même a être contrôlé par elle sous la
forme, nous l'avons dit, d'un soutien, mais la frontière entre soutenir
et prouver le dogme, nous dit F. Brunner4, tend a s'effacer car ce
qui était objet de foi devient peu a peu, objet de la raison.
D'ailleurs, il est a noter que ce que Bayle appelle le
<<triomphe de la foi >> n'est finalement pas la victoire de la foi
sur la raison au sens oü la raison ne pourrait pas s'approprier ce qui est
objet de foi. Au contraire, pour Leibniz le <<triomphe de la foi>>
est en réalité le<<triomphe de la raison
démonstrative contre des raisons apparentes et trompeuses, qu'on oppose
mal a propos aux démonstrations. >> 5 Il s'agit donc du triomphe
de la raison réussissant a défendre les mystères contre
les objections non fondées des adversaires. Leibniz écrit a ce
propos:
<<Ainsi la foi triomphe des fausses raisons, par des
raisons solides et supérieures, qui nous l'ont fait embrasser: mais elle
ne triompherait pas, si le sentiment contraire avait pour lui des
1 La pensée qu'il puisse y avoir une situation dans
laquelle, deux solutions s'offrant a nous, notre volonté reste
indéterminée, est chimérique pour Leibniz. Il existe
toujours d'infimes perceptions non conscientes qui nous poussent a choisir un
parti plutôt qu'un autre. Le fait que ces perceptions soient inapercues a
conduit certains (Descartes par exemple) a concevoir une liberté
d'indifférence, c'est-à-dire une volonté capable de se
déterminer elle-même dans des situations oü il ne nous semble
pas possible de choisir avec raisons. Le recours de Leibniz a la théorie
des <<petites perceptions>> est ici encore une exigence du principe
de raison, pour toute action raison peut être rendue, au contraire, on ne
peut << vouloir vouloir >>.
2Leibniz , Essais de Théodicée, Discours
de la conformité de lafoi avec la raison §38, Paris, 1969, GF
3 F. Brunner écrit: <<L'objet de la foi constitue un
ensemble de faits échappant a la raison accidentellement et non
essentiellement.>>
4F. Brunner, Etudes sur la signification historique de
laphilosophie de Leibniz, Paris, Vrin, 1950, P.247 5Discours,
§43
raisons aussi fortes, ou méme plus fortes que celles qui
font le fondement de la foi, c'est-à-dire, s'il y avait des objections
invincibles et démonstratives contre la foi. >>~
Si la foi est ici dite triompher de la raison, c'est
uniquement parce qu'il faut dissocier la raison unie a de vraies
démonstrations, la raison alliée aux règles de la logique
de celle qui se fourvoie dans des objections pleines de préjugés
et d'erreurs. Il faut donc dire que la foi, lorsqu'elle est alliée a la
raison bien pensante, triomphe des fausses raisons, non par ses propres forces
mais parce que la raison parvient a contrecarrer les attaques en questions a
force de raisons correctement construites, les mémes qui ont fait
embrasser cela méme qui est défendu.
8/ La subordination n'est pas une négation du
subordonné, la foi demeure intacte même enveloppée par la
raison. La raison est un chemin vers Dieu.
Nous pouvons voir qu'il s'exerce une subtile relation entre la
raison et la foi: malgré la capacité de la raison bien pensante a
défendre la foi et ses mystères, il faut dire que la raison ne
peut en aucun cas parvenir a remplacer la foi et par là méme
parvenir a une complète compréhension de ses objets. Dans son
entreprise de défense, la raison ne pénètre pas l'essence
du mystère, elle possède des arguments réfléchis
qui lui ont fait embrasser le mystère et qui lui permettent, en cas
d'objections, de satisfaire aux démonstrations qui entendent montrer le
contraire de ce qu'elle défend. Comme nous l'avons dit plus avant, la
raison ne cherche pas l'évidence en matière de défense de
la foi, elle cherche davantage et méme uniquement la sauvegarde de
celle-ci. Malgré sa grande force, la raison, pourtant très
dominatrice chez Leibniz, laisse la foi demeurer intacte, non seulement parce
qu'elle assure sa défense (et qu'elle ne l'attaque pas) mais aussi parce
qu'elle la laisse subsister, vierge de tout contenu visant a une
rationalisation complète. Le but de la raison est de rester a sa place
de protectrice, elle ne doit pas, sous prétexte qu'elle remporte les
disputes contre les objecteurs, s'enorgueillir et penser qu'elle peut investir
totalement la foi et ses objets comme si elle les fondait intégralement,
sous peine de faire preuve de témérité et de n'avoir par
la suite plus aucun crédit aux yeux des théologiens et des
croyants et de donner des raisons de décrier la raison a ceux qui
pensent qu'elle ne doit pas <<s'occuper>> de théologie. La
raison fait donc ici figure de
~ Discours, §42
gardienne, protégeant ce qui est difficilement
intelligible des agressions extérieures provenant d'ambitions non
fondées, des passions, de la déraison.
Brunner écrit d'ailleurs a ce sujet: <<Il est
légitime de soutenir le dogme, mais a condition qu'en lui-même il
n'en soit pas affecté. Le dogme, a supposer que son objet soit
réel, se soutient véritablement d'en haut et non d'en bas, et la
foi peut s'appuyer sur des raisons humaines, mais non pas se nourrir d'elles.
>>1
Brunner affirme clairement l'indépendance absolue de la
foi et de ses dogmes, même a l'égard de la raison. Cette
indépendance résulte d'une double exigence, sensible dans la
citation que nous venons de reporter:
- Le défenseur de la foi et de ses mystères,
même si il a parfaitement le droit de se mêler des
polémiques d'ordre théologiques et de défendre les dogmes
qu'il sait être révélés car fondés sur de
bonnes raisons, ne doit cependant pas nuire aux dogmes eux-mêmes en les
réduisant a des formules rationnelles de part en part. En d'autres
termes, il doit les laisser mystérieux, c'est-à-dire tels qu'ils
sont, les défendre, non les conquérir (le défenseur, fort
de ses anciennes réussites pourrait en effet vouloir encercler
totalement le dogme et le prouver a force de démonstration, mais il
tenterait là quelque chose d'impossible pour tout esprit
créé non relevé et se placerait davantage du
côté des opposants au dogme que de celui oü l'on entend
simplement le sauvegarder tel qu'il est; la raison n'est donc jamais vierge de
dérapages et de vaines prétentions).
- Face a cela, il faut considérer le dogme en
lui-même. Sa nature est telle que la raison ne peut, quelque soient ses
prétentions, le comprendre dans sa totalité, si bien que sa
raison d'être ne peut être prouvée par les seules forces de
la raison. Lorsque Brunner dit que le dogme <<se soutient d'en
haut>> il souhaite par là signifier que le mystère a sa
raison dans l'entendement divin, siège des vérités
éternelles. Par conséquent, les raisons <<d'en bas
>>, c'est-à-dire les raisons que l'homme allègue dans la
défense du dogme ne sont que des raisons subsidiaires mais qui ne
s'écarte pas pour autant de la vérité. Cependant, si les
mystères sont fondés dans l'entendement de Dieu et dans
l'harmonie universelle, les raisons humaines nous font déjà
goüter légitimement a la justification totale de tout ce qui est
mais qui ne sera pleinement effective que dans l'autre vie. Voilà
pourquoi il est dit que la foi peut s'appuyer sur des raisons humaines parce
que celles-ci, grace a la force de la raison humaine, peuvent soutenir son
1 F. Brunner, Etudes sur la signi~ication historique de
laphilosophie de Leibniz, Paris, Vrin, 1950, P.248-249
fondement en montrant comment il est possible que les dogmes
entrent dans le dessein de Dieu sans introduire de l'arbitraire dans la
création, mais la foi en elle-même ne peut <<exister>>
uniquement d'après ces raisons, elle suppose un fondement autrement
intelligible, un fondement transcendant la raison humaine. C'est d'ailleurs
pour cela que la religion, comme les dogmes semblent être acceptés
par Leibniz comme des faits, la raison venant s'y ajouter pour les
défendre et suivant ce qui résulte des disputes, les
déclarer comme révélés ou non.
Par conséquent, même si pour Leibniz il n'y a que
la création, l'incarnation et quelques autres actions de Dieu qui soient
vraiment des miracles et que les autres ne sont miracles que comparativement et
relativement a nous - de la même manière que nos actions peuvent
être miraculeuses aux yeux des bêtes si il était en leur
pouvoir de faire réflexion sur elles - il n'en demeure pas moins vrai
qu'on puisse douter que la seule raison suffise a faire prendre conscience des
vérités de la foi, car comme nous l'avons montré, elle ne
doit pas et de toute facon ne peut pas épuiser le contenu de la foi,
uniquement intelligible dans l'entendement de Dieu (tout ce qui est a sa raison
d'être dans l'entendement de Dieu car tout est fondé en raison,
même les miracles).
Ainsi donc, ce qui nous semblait auparavant être une
subordination de la foi a la raison du fait de l'extrême exigence du
principe de raison se révèle être une relation complexe
entre deux partenaires oü la subordination n'est certes pas absente mais
oü le subordonné n'est pas pour autant nié. Dans le cas
présent, la raison semble tout d'abord vouloir s'approprier tout le
pensable, tout le possible et le domaine de la foi ne fait pas exception a la
règle mais il se révèle que son entreprise relève
davantage de la défense que de la démonstration, de la protection
que d'une volonté de prouver son objet. Brunner écrit:
<<Dans ces conditions, l'intelligence ne supprime point
le mystère, elle ne le ruine point, ne le réduisant point au
niveau de la raison. Elle s'élève au contraire jusqu'au
mystère, jusqu'à percevoir comme naturel, dans sa surnature, le
mystère lui-même. Si la foi nous apprend quelque chose de Dieu,
l'âme qui veut posséder Dieu doit passer par la foi. Et la foi
reste intacte et mystérieuse, parce que l'intelligence en la
dépassant, l'enveloppe sans la détruire et fonde sa
réalité. >>1
1 F. Brunner, Etudes sur la signi~ication historique de
laphilosophie de Leibniz, Paris, Vrin, 1950, P.258
Cette belle citation vient conforter ce que nous disions:
- Premièrement, le mystère n'est pas nié
dans l'entreprise de défense car il n'est pas réduit a la sphere
de la raison, il conserve donc son côté <<surnaturel>>
même si il n'est pas hors de la sphere de la raison qui peut des lors
fonder sa réalité en maintenant sa possibilité. -
Deuxièmement, la foi reste donc intacte en elle-même et
inaccessible a toute tentative de rationalisation totale, elle est simplement -
et c'est ici que réside le lien, la relation subtile dont nous parlions
plus haut entre la raison et la foi - englobée par l'intelligence
(désignant ici l'ensemble des capacités de l'esprit ayant pour
objet la connaissance), englobée dans le sens d'une subordination qui ne
dénature pas mais qui au contraire protege et fonde pour permettre a ce
qui est protégé de perdurer. C'est en somme une aide qu'apporte
la raison, sa force étant mise au service de la foi. Elle est en quelque
sorte la carapace qui protege le cWur. C'est d'autant plus crucial que la
théologie est sans cesse, comme nous le dit Leibniz, sujette a des
débats oü l'on fait plus cas de la défense de sa these que
de la recherche de la vérité. La raison bien pensante
étant pour Leibniz source de vérité, il entend
l'incorporer dans les questions de foi pour là encore fonder et
édifier un temple a la vérité et a la gloire de Dieu, car
loin de nous éloigner de Dieu, la connaissance nous ramène a
lui.
Nous pouvons dors et déjà conclure sur un point:
contrairement a Descartes, Leibniz ne dissocie pas Religion et science, raison
et foi. Selon lui, il est possible d'établir une connexion entre les
vérités humaines et la foi puisque celle-ci gagne a contempler
les desseins de Dieu par elle-même ainsi que ceux que la raison
découvre dans la science par ses propres moyens. La raison humaine est
l'occasion de monter vers la raison divine afin d'y contempler la
vérité et l'harmonie de toute chose, d'autant plus qu'en vertu de
l'univocité de l'être, Dieu et l'homme sont
considérablement rapprochés dans leur être: les
vérités nécessaires mettent l'homme en rapport avec
l'entendement de Dieu, donc avec Dieu lui-même. L'univocité de
l'être, notamment théorisée par Duns Scot, fait qu'il n'y a
plus entre l'homme et Dieu qu'une différence entre le fini et l'infini :
la différence réside des lors dans la perfection de l'être,
Dieu étant l'être souverainement parfait alors que l'homme est
limité originellement, et non dans une différence de nature,
comme si il ne nous était pas permis de concevoir l'homme comme un petit
Dieu, c'est-à-dire comme un être possédant entendement et
volonté. Le rapprochement de l'entendement de l'homme a celui de Dieu
nous permet de dire que grace a sa raison, l'homme peut aller vers Dieu. En
effet, les assertions faites a son sujet ne pourront pas être
dénuées de sens car Dieu et l'homme sont tous deux mu par le
bien, infailliblement pour Dieu, selon les apparences (de bien) pour l'homme.
De même les notions de <<justice >>, de
<<choix>>
ne sont pas des chimères pour Dieu, la théologie
de Leibniz nous révèle un Dieu proche de l'homme dans sa
manière de raisonner, d'agir, voilà pourquoi il est permis a
l'homme de s'avancer vers Dieu par quelque chemin sür oü la
pensée aura pied.
- Cette remarque nous mène au troisième point de
la citation de Brunner: il s'agit du rabaissement de la distinction entre
nature et surnature. Brunner nous dit effectivement que l'intelligence, en
s'appropriant le mystère (sans pour cela le nier), le rend en quelque
sorte <<terrestre>> en le rabaissant a la sphère de la
raison juste ce qu'il faut pour permettre de comprendre qu'il n'est pas
contradictoire: la raison percoit comme naturel le mystère dans sa
surnature. Les mystères sont donc comme
<<naturalisés>> et mis en adéquation avec notre
raison afin que celle-ci puisse les saisir sans en dire des choses
insensées. Nous voyons encore ici la délicate relation qui semble
osciller entre subordination et respect total de l'essence du mystère.
Il faut cependant conclure que la raison bien pensante laisse le mystère
tel qu'il est mais que son entreprise de défense nécessite
qu'elle le saisisse par certains aspects qui ne sont ni contraires au
mystère ni non plus réducteurs de son essence. Par la raison,
nature et surnature sont donc rapprochées comme l'homme et Dieu le sont
en vertu de l'univocité de l'être qui leur donne une
<<commune nature>> (méme si celle-ci diffère en
grandeur intensive) et de la commune <<soumission>> au principe de
raison, de sorte qu'il est permis de dire que plus l'homme se rapproche de
Dieu, plus le <<surnaturel>> lui devient <<naturel >>,
et qu'à l'inverse, plus l'homme sombre dans l'abIme de l'ignorance, plus
ce qui est <<naturel>> lui paraIt démesure, <<
surnaturel >>, hors d'ordre.
Le rapprochement entre le créé et
l'incréé permet a Leibniz de faire de deux ordres distincts une
seule et méme expression de l'harmonie universelle, l'intimité
est telle que celui qui s'adonne aux réflexions, guidé par le
seul principe de raison, et par la raison elle-méme, pourra sans aucun
doute percer en compréhension le court des choses et prendre conscience
de la continuité qui peut se trouver entre les différents points
de vue que la foi et la raison représentent.
A.Vinet écrit a ce sujet: <<La gloire paraIt un
sommet pour qui la voit du fond de l'abIme; la nature paraIt surnaturelle pour
qui est au-dessous de la nature >>.1
1 A. Vinet, Philosophie religieuse, Lausanne, 1918
Autrement dit, tout est miracle et grace pour l'homme
séparé de Dieu, tout est <<naturel>> a l'homme
relevé.
Leibniz distingue donc la foi de la raison mais sans les
opposer, il en fait deux moyens, deux sources de vérités valant
chacune pour elle-méme mais étant donné l'importance que
donne Leibniz a la raison, il faut voir chez elle une certaine tendance a
vouloir compenser la foi qui n'exprime pas la vérité sur le
méme mode que la raison. Cependant, cette tendance de la raison,
lorsqu'elle est correctement pensée et correctement comprise chez celui
qui se fait le défenseur de la foi et le conciliateur de la foi et de la
raison, ne va pas a l'excès, c'est-à-dire jusqu'à pousser
la défense a être un moyen de prouver l'indémontrable et
d'asservir contre raison le domaine de la foi. Au final la conformité de
la foi avec la raison est aussi une conformité de la raison avec la foi
puisque la foi n'est pas contraire a la raison, ses objets sont accessibles a
la raison (et méme fondés en partie sur elle) sous la forme d'une
attitude protectrice et défensive contre une raison pleine de vaines
prétentions et la raison bien pensante se conforme également a la
foi en la préservant telle qu'elle est, en ne prétendant pas la
réduire a l'exclusivité de la raison, en se faisant par
conséquent son alliée plus que son adversaire, en se faisant
chemin, voie vers Dieu.
* **
DEUXIEME PARTIE
L' <<optimisme>> déduit de
l'idée de Dieu
On définit généralement l'optimisme comme
une opinion d'après laquelle le monde est une uvre bonne malgré
<<l'existence>> du mal en son sein; bonne, c'est-à-dire
préférable au néant, et oü le bonheur a l'ascendance
sur le malheur. Nous donnons ici la définition commune car
originellement, l'<< optimisme>> ne correspond pas tout a fait a la
définition que nous venons de donner. Même si Leibniz n'emploie
pas le terme même d'<< optimisme>> pour désigner son
système philosophique, le terme a historiquement été
employé pour la première fois par des jésuites dans un
compte rendu de la Théodicée de Leibniz, donc pour
caractériser sa philosophie et plus particulièrement pour en
exprimer son idée, si ce n'est principale, du moins son idée la
plus connue et la plus, souvent a tort, banalisée: le monde actuel est
le meilleur des mondes possibles qui puisse jamais exister comparaison faite
avec les autres mondes tout aussi possibles a l'origine des temps, il est celui
oü se réalise le maximum de bien possible (la définition est
sensiblement différente a cause de l'introduction de la notion de
<< monde possible >>).
La définition classique de l'optimisme étant
posée, il convient de se demander de quel droit il est permis de penser
que notre monde est le meilleur, quel crédit accorder a une telle
doctrine? Assurément, il faut des raisons pour affirmer une telle chose,
d'autant plus que l'humanité expérimente sans cesse des maux
aussi divers les uns que les autres. Si Leibniz parvient a nous fournir des
raisons qui nous font penser que sa philosophie est un optimisme, d'oü les
tire-t-il? Précisons que pour les rationalistes, connaItre, c'est
connaItre par idée, l'expérience ne saurait être
essentielle pour connaItre ce qui est. Leibniz se situe, en bon conciliateur,
entre Locke, pour qui l'expérience est le ce sans quoi la pensée
ne pourrait être, et Descartes qui fait de l'expérience un
auxiliaire. Pour Leibniz l'expérience est nécessaire mais
insuffisante, elle n'est que l'occasion de découvrir les
vérités nécessaires et universelles que nous portons en
nous de manière innée sans même le savoir,
c'est-à-dire sans en être conscient. Leibniz nous montre sa
position dans ce débat sur l'innéisme des idées et des
principes de la pensée, par exemple, lorsqu'il se fait fort d'être
l'inventeur du principe de raison: le principe de raison est comme les autres
principes fondamentaux de la pensée, une sorte d'instinct intellectuel,
de tendance opératoire qui guide nos réflexions sans même
que l'on prenne conscience du principe lui-même, il est effectif a la
pensée uniquement si l'on fait réflexion sur les
opérations de l'esprit. Leibniz établit donc une sorte de
virtualisme des vérités et principes logiques régissant le
progrès de la pensée en matière de connaissance que
l'expérience nous permet de découvrir mais qu'elle ne crée
pas pour autant.
Pour en revenir aux raisons de l'optimisme, il nous faut
affirmer que l'expérience toute seule ne saurait fournir de raisons
suffisantes pouvant nous faire admettre l'effectivité de ce que la
doctrine de l'optimisme énonce, a savoir la supériorité de
notre monde sur les autres mondes possibles en matière de perfection, de
bonté etc. En effet, l'expérience n'est source que de
vérités contingentes, elle ne saisit que le particulier et son
domaine se limite souvent a la sphère du paraItre, aussi ne peut elle
nous donner accès aux autres mondes possibles, ce qui pourtant nous
permettrait de faire des comparaisons. Par conséquent, dans le cas d'une
justification des raisons de l'optimisme, l'expérience ne peut nous
être d'une très grande utilité et ne peut certainement pas
servir de principe explicatif. Cependant, dans l'hypothèse oü
l'expérience serait capable d'étendre ses bornes aussi loin, au
point d'avoir une vision de notre monde qui soit intégrale et
détaillée de chacune des choses qui existent, on peut
raisonnablement se demander si elle aurait tout de méme la
capacité suffisante pour émettre un jugement sur l'univers qui
soit complet? En effet, la perfection du monde ne saurait se résumer a
la seule quantité de perfection qui s'y trouve, le monde est
également un optimum au point de vue qualitatif et pas seulement
quantitatif, notamment parce qu'il s'y méle des intentions, une
finalité qui sont l'objet d'une conscience guidée par le bien et
parce qu'il est aussi question des êtres qui vivent dans ce monde et de
leur bonheur. Nous pouvons entrevoir ici un problème essentiel, celui de
savoir si un entendement fini, tel que celui de l'homme est capable d'avoir une
juste représentation de l'harmonie universelle qui se trouve dans
l'univers, question qui trouvera sa réponse a un autre moment de notre
étude.
Quel autre moyen avons-nous a notre disposition si
l'expérience ne peut fournir les raisons de l'optimisme? Là
encore, il faut faire appel au principe de raison et de manière
générale aux principes de la pensée logique qui sont, pour
Leibniz, sources des vérités nécessaires (le principe de
contradiction, le principe d'identité et d'autres principes que Leibniz
formule, grand inventeur de principes qu'il est).
Ces remarques introductives nous permettent déjà
et nous invitent méme a donner l'une des caractéristiques
principales de l'optimisme de Leibniz, a savoir le fait qu'il ne soit pas
constatable empiriquement et uniquement d'après les relevés des
sens mais plutôt le fruit d'une démonstration, objet de la raison,
démonstration pouvant tout de méme être appuyée,
mais comme après coup, par l'expérience, de la méme
manière qu'une vérité ou qu'un principe logique est
effectif de tout temps a la pensée mais qu'il arrive a la conscience a
force de réflexion sur les opérations de l'esprit ou par une
expérience venant corroborer ce qu'énonce un principe
fondamental. La perfection du monde, idée stipulée dans la
définition
classique de l'optimisme doit donc être
démontrée par la raison, c'est-à-dire de manière a
priori, il nous faut donc partir d'un principe, des raisons de cet optimisme et
ensuite, de ce principe, aller au monde lui-même afin de le voir sous un
angle différent (en ayant fait sien l'optimisme et ce qu'il stipule,
tout en possédant les raisons de son affirmation) et de trouver en son
sein des confirmations aux preuves a priori apportées. Ainsi
l'expérience peut être dite trouver sa justification
métaphysique après coup, c'est-à-dire, encore une fois,
lorsque les raisons de l'optimisme ont été mises a jour par la
pensée logique et métaphysique et que l'expérience se voit
insérée dans un cadre explicatif plus grand et englobant ses
données (décentralisation de l'expérience). Nous assistons
ici a un aller-retour, le point de départ est un Principe suprême
explicatif de l'ordre de l'univers et de son état optimal, Principe
suprême supposé avec raison par la pensée car la raison de
l'optimisme ne saurait être trouvée par des entendements finis au
sein même de l'univers. L'introduction d'un Principe suprême
résulte de la définition de l'optimisme établi plus haut
qui nous dit que le monde est une << Wuvre >>, bonne de surcroIt,
ce qui nous fait présumer que celui-ci doit être
façonné par un être dont la puissance, la sagesse et la
bonté sont infinies étant donné la tâche dont il
s'agit ici: créer le meilleur des mondes possibles et y réaliser
les maximum de bonheur pour les créatures qui en sont susceptibles et
qui vivent en son sein. Par conséquent, l'optimisme doit être
établi a priori a partir de Dieu. C'est d'autant plus vrai qu'en droit,
la voie a priori est suffisante pour connaItre les choses parfaitement
puisqu'elle répond a l'exigence du principe de raison et que tout ce qui
est possède a priori sa raison d'être tel ou d'être
autrement plutôt que de ne pas être du tout. En droit, l'optimisme
est donc tout a fait justifiable même si en fait, cette manière de
connaItre est impossible pour l'homme et qu'il faut en quelque sorte que la
voie aposteriori prépare la voie déductive qui est la seule
véritablement explicative et métaphysique. Pour l'homme toujours
déjà encré dans le sensible, la seule manière de
démontrer l'optimisme pris comme optimum du monde (il ne peut y avoir de
monde meilleur que celui là) est d'accomplir par la pensée
régressive un retour a Dieu et a son idée, et de là,
suivant les mêmes principes qui l'ont conduit a Dieu, redescendre vers la
création, toujours guidé par l'idée de Dieu et des
principes qu'il possède et qui lui permettent d'acquérir des
vérités, mais cette fois-ci avec une compréhension sans
égale que la seule vue du sensible ne saurait lui apporter. Ici, Leibniz
ne fait pas exception a la règle:
<<Comme dans toutes les grandes métaphysiques du
1 'le siècle, l'idée de Dieu joue chez Leibniz un role
tout a fait central. La philosophie leibnizienne se développe suivant
deux voies, qui se rejoignent précisément dans l'affirmation d'un
Dieu, dont l'essence même est
d'exister. En vertu de cette nécessité
d'existence, Dieu fonde toute réalité, le possible comme
l'actuel. Dès lors, tout peut se déduire de lui, et tout
ramène a lui l'esprit avide de comprendre la raison des choses. La voie
a priori dérive les effets des causes, les conséquences des
principes. Elle trouve donc son point de départ en Dieu, qui est le
Principe suprême. La voie aposteriori remonte des effets aux causes, des
conséquences aux principes. Elle trouve son achèvement dans
l'affirmation de l'Etre divin. >>1
L'idée de Dieu est donc le point de départ pour
nous qui souhaitons éclaircir l'<< optimisme>> de Leibniz et
qui par là même sommes amenés a expliciter l'origine du
monde, son pourquoi et son comment.
A - L'idée de Dieu
Avant de rentrer dans notre sujet principal, l'optimisme de
Leibniz, nous nous devons d'expliciter quelque peu l'idée de Dieu en
général et les particularités que Leibniz lui a
apporté afin que notre futur propos en soit plus clair.
Ainsi, analyser l'idée de Dieu implique que nous
établissions son existence, la nature de son essence et de ses attributs
et enfin son action dans le monde. Définir ces trois réquisits,
c'est déjà se situer dans le contexte bien précis d'un
Dieu unique, créateur et providentiel, par conséquent, c'est se
démarquer de conceptions qui, par exemple, font du divin une
modalité d'être totalement désengagée dans la
création du monde et qui, suivant cette idée, font de Dieu, ou
des dieux, des êtres sans aucuns rapport ou presque avec le monde et les
êtres animés qui l'habitent. C'est ainsi qu'Epicure voyait le
divin, une <<race>> d'être désengagée,
parfaitement heureux, indifférent au sort de l'humanité, il
concevait l'idée même de création comme incompatible avec
l'idée du divin, la nature bienheureuse des dieux leur interdisant tout
efforts pénibles. Aristote pensait lui aussi que Dieu n'avait pas grand
rapport avec le monde. En effet, le divin chez Aristote repose sur une
<<théologie astrale>> d'essence scientifique et non
religieuse, il ne faut donc pas confondre la doctrine aristotélicienne
avec les cosmogonies religieuses qui expliquent la formation de l'univers et
des astres. Chez Aristote, les astres sont des Dieux visibles en mouvement, ils
nous donnent une image du principe supérieur invisible. Il existe un
premier moteur, principe de tout mouvement dans l'univers qui n'est pas mu
lui-même donc immobile, a savoir Dieu, dont la
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.7
<<tâche>> consiste a mouvoir les astres du
monde supralunaire continuellement, c'est ainsi qu'il se communique a nous, par
l'image d'un mouvement éternel. La particularité du Dieu
aristotélicien est très bien définie par Pierre Aubenque
dans ces quelques lignes:
<<Le dieu d'Aristote est un Dieu lointain, mais il n'est
pas caché; c'est un Dieu a la fois présent et absent,
séparé de nous, mais se donnant a nous en spectacle, et
compensant son éloignement de notre monde par l'exemple toujours visible
de sa splendeur. >>1
Ce n'est pas ici notre propos d'établir les
différentes conceptions du divin au court des âges, remarquons
simplement pour notre sujet que Leibniz s'inscrit dans l'optique religieuse
d'un Dieu créateur, unique et providentiel, c'est-à-dire
directement lié a sa création. Mais l'encrage de Leibniz dans le
christianisme ne va pas de soi, car le Dieu de Leibniz est-il finalement le
Dieu des chrétiens? Cette question est posée par Jalabert alors
qu'il remet en cause l'orthodoxie de Leibniz d'après les thèmes
métaphysiques de sa philosophie et leurs conséquences, notamment
en ce qu'ils nous invitent a pencher en faveur du spinozisme qui on le sait est
un panthéisme contraire a la Religion et a l'affirmation principale d'un
Dieu transcendant. Au final, pour Jalabert le Dieu de Leibniz est effectivement
celui des chrétiens car il s'agit d'un Dieu transcendant et personnel,
c'est-à-dire proche de l'homme non seulement au sens oü, par sa
providence, il prend grand soin de sa création, mais également au
sens oü il est << comme >> un grand homme, assertions tout
d'abord blasphématoire puisque Dieu ne saurait être réduit
dans son être a n'être qu'un homme dont les perfections seraient
poussées a l'infini mais qui, après réflexions, n'a
quelque chose de choquant que pour celui qui pense mal l'essence de Dieu et en
fait un Dieu dont la transcendance est synonyme de domination, de froideur et
qui se représente la relation entre Dieu et l'homme davantage comme une
relation entre Maître et servant, qu'une relation entre Père et
fils (une des tâches de Leibniz est d'ailleurs d'atténuer la
distance qui sépare Dieu de ses créatures en affirmant que la
différence entre eux n'est qu'une différence entre le fini et
l'infini, une différence de degré dans l'être et non une
différence de nature, si bien qu'il contribue a la conception de
l'univocité de l'être ici extrêmement étendue au
point de rapprocher Dieu de notre entendement). En réalité, ce
qui fait s'opposer Leibniz et l'orthodoxie catholique (et qui suscite la
question posée par Jalabert), c'est l'idée selon laquelle Dieu se
devait de créer le meilleur des mondes possibles. En effet, cette seule
idée implique que Dieu est déterminé par
1 P. Aubenque, Le prob1ème de 1 'être chez Aristote,
Paris, PUF, 1692, P.348
sa bonté dans son choix lorsqu'il crée le monde,
ce qui est aller contre l'indéterminisme traditionnel. Pour Leibniz,
nous y reviendrons, la volonté divine ne saurait être
indifférente dans ce qu'elle se propose de créer, en affirmant
cela, Leibniz prend position entre un nécessitarisme aveugle comme l'est
la philosophie de Hobbes pour qui tout ce qui est représente le seul
possible (par conséquent, Dieu n'a pas choisi, il a créé
le seul monde possible) et un indéterminisme comme celui de Descartes
pour qui entendement et volonté ne font qu'un chez Dieu et qui se
représente donc la réflexion avant la création et la
création comme un seul et unique moment ou plutôt comme le seul
fait d'une volonté dont les décrets sont absolus alors que pour
Leibniz, même si il est exclu de concevoir l'exercice de la
volonté sur l'entendement (phase réflexive) lors de l'appel des
possibles dans l'entendement et la détermination a créer le
meilleur système de compossibles comme deux moments distincts dans le
temps, en revanche il est possible de concevoir entre eux une priorité
de nature, ce qui permet entre autre de montrer que la création n'est
pas arbitraire mais qu'il y a bien examen des possibilités multiples,
donc choix fondé en raison. Au final, pour Leibniz, même si Dieu
n'obéit pas a un fatum, il agit selon la représentation du bien,
du vrai, de la justice parce qu'il est lui-même vérité,
bonté et justice, en effet, qui d'autre que lui pourrait être
Raison et Bonté? Par conséquent, il est absurde de dire qu'en
créant selon la représentation du bien, Dieu aliène son
indépendance car il ne fait que créer selon ce qu'il est et ce
que lui disent sa raison et sa bonté.
Le cadre de la discussion étant établi, nous
pouvons aborder le premier point nécessaire a l'étude de
l'idée de Dieu: l'existence de l'être absolument parfait.
1/ L'existence de Dieu
S'il est besoin de prouver l'existence de Dieu dans un
système comme celui de Leibniz, cela tient au fait qu'il prétend
proposer une théologie rationnelle oü, comme dans les Religions,
Dieu a une place tout a fait centrale. En effet, comme nous l'avons dit, Dieu
est le principe de toute chose, la raison première et dernière de
toute chose suivant que l'on pense a priori ou bien a posteriori. La raison
nous invite a démontrer l'existence du divin afin d'avoir un fondement
solide et réel qui puisse garantir ses assertions en matière de
théologie. Dieu n'est donc pas appréhendé avec le cWur ici
mais avec la raison et Leibniz, comme ses prédécesseurs et
contemporains dont la métaphysique est orientée
théologiquement, ne souhaite en rien réduire le champ d'influence
de la foi, au contraire son but est de rapprocher
les hommes de Dieu et de son culte, mieux de les y mener et de
combattre aux côtés des croyants, en renforcant leur foi par des
raisons. Par conséquent lorsque Heidegger écrit : <<un
Dieu, qui doit au préalable se faire prouver son existence, ne serait en
fin de compte qu'un Dieu fort peu divin, et (...) la preuve de son existence
aboutirait tout au plus a un blaspheme. >>1, il ne souhaite
pas signifier que Dieu peut se passer de démonstration puisqu'il est
Dieu mais qu'une démonstration de son existence par la raison est une
atteinte a la Religion et a la foi, c'est une atteinte a la toute puissance de
Dieu et a sa transcendance, c'est un blaspheme en tant que Dieu semble mis au
rang d'objet purement théorique alors que le cheminement vers Dieu
devrait venir exclusivement du cWur, de la foi et de l'amour. C'est ici une
polémique importante et Leibniz, peut être plus que quiconque, est
dans la ligne de mire. En effet, on reproche au Dieu des philosophes
d'être trop éloigné de celui des croyants, mais ce n'est
ici rien d'autre, encore une fois, que la polémique sur l'opposition ou
non de la foi avec la raison. Ce qui est reproché a la théologie
rationnelle c'est sa tendance a faire de Dieu un objet d'argumentation
rationnelle et par conséquent proposer une voie différente de
celle de la croyance. Pour certains, Pascal entre autres, il n'est pas possible
d'aimer ce qui est objet de démonstration, que serait en effet un amour
dont les raisons nous sont données, autrement dit, donner a l'homme les
raisons pour lesquelles il doit aimer Dieu, c'est nier l'amour véritable
que porte le croyant a Dieu, c'est faire de l'amour quelque chose qui est du
ressort de la raison et non du sentiment. Pour Pascal le Dieu des philosophes
ne procure pas de joie et est étranger au sentiment. Nous ne reviendrons
pas sur la position de Leibniz sur la polémique de la conformité
de la foi avec la raison mais nous pouvons cependant indiquer que quelque soit
la force de l'objection de Pascal, il nous faut affirmer que Leibniz n'entend
en rien faire du Dieu des philosophes un Dieu différent de celui des
Ecritures et de la Religion, bien au contraire, il a parfaitement conscience
que la raison ne peut tout expliciter intégralement, preuve en est
certains passages oü il réserve certaines vérités a
la foi, aux <<yeux de la foi >>2, préservant
ainsi une part de croyance même si celle-ci n'est pas sans raison. La
théologie de Leibniz participe donc a la fois de la science et de la
croyance. Il est effet, a la lecture des textes de Leibniz, impossible de
penser que Leibniz puisse subir pleinement la difficulté
soulignée par Pascal, il sera d'ailleurs a propos pour nous qui allons
traiter de l'optimise de Leibniz, de montrer que cette part obscure,
intouchable mais respectée par Leibniz qui concerne la foi pourra
être prise pour un obstacle dans la
1 Heidegger, Nietzsche I, Paris, Gallimard, 1971, P.286
2Leibniz, Causa Dei, §144
démonstration de l'optimisme, pour une limite même
dans la volonté de prouver ce que l'optimisme stipule, mais nous y
reviendrons.
Nous pouvons donc voir que plusieurs sortes de preuves de
l'existence de Dieu ont été établies a travers l'histoire
de la pensée: la célèbre preuve ontologique, nommée
ainsi depuis la critique kantienne théorisée par St. Anselme,
sous certains aspects reprise par Descartes, complétée par
Leibniz, les preuves dites cosmologiques mais aussi la preuve par les
vérités éternelles reprise par Leibniz a la suite de St
Augustin et de Malebranche. Remarquons avant d'entrer dans le détail des
différents types de preuves qu'il est d'ors et déjà
possible de distinguer deux manières de prouver l'existence de Dieu, a
savoir en partant de son idée et en étudiant sa nature, son
essence ou en partant du monde, autrement dit du relatif, du contingent qui
présuppose l'existence de l'Absolu.
Commencons par la preuve ontologique, preuve a priori. Elle
est exposée par St. Anselme dans son Proslogion et possède une
valeur fondatrice. En effet, elle réunit la foi et la raison et
représente dans l'histoire de la pensée le cadre de toute
réflexion philosophique sur Dieu chez de nombreux philosophes, notamment
chez Bonaventure, Thomas d'Aquin, Descartes, Spinoza, Leibniz ou même
chez Kant. L'argument ontologique de St. Anselme ne constitue pas a proprement
parler une preuve de l'existence de Dieu, du moins ne se veut-il pas tel. Il
s'agit davantage pour St. Anselme d'une réflexion sur ce qu'il est
possible de savoir sur Dieu: existence, nature de la substance divine et
dénombrement de ses principaux attributs. Il faut noter que cette
<<preuve>> fait référence, touj ours chez le
même auteur, a la grandeur de Dieu, plus qu'à son être
même. En effet, Dieu est définit comme grandeur suprême et
toute la déduction rationnelle a partir de lui repose sur cette notion,
Dieu est <<quelque chose de tel que rien ne se peut penser de plus grand
>>1. Or ce qui est tel ne pouvant être uniquement dans
la pensée, Dieu existe réellement, c'est-à-dire hors de la
pensée de celui qui se le représente. Pour St. Anselme,
<<être en réalité>> est quelque chose de plus
grand que d'<< être simplement dans la pensée >>,
l'idée de l'être tel qu'il ne peut y en avoir de plus grand
implique donc que celui-ci existe en dehors de la pensée car un
être qui existe réellement mais qui pourrait ne pas exister est
moins grand qu'un être qui existe parce qu'il ne peut pas ne pas exister.
Si l'être le plus grand qui soit possible ne possédait pas une
existence nécessaire, alors il ne serait pas en conformité avec
sa définition. Précisons, en
1 Anselme de Cantorbery, Proslogion, Paris, GF, 1997
guise de commentaire, que dans le Proslogion, St. Anselme
entend mettre la foi en accord avec la raison, la foi étant pour lui ce
qui nous éclaire sur les grandes vérités philosophiques et
théologiques et l'occasion pour la lumière naturelle de nous
faire saisir la relation qui se joue entre l'essence divine et son existence.
Cependant, dans un autre texte, le Monologion, St. Anselme présente ses
arguments en faveur de l'existence de l'être le plus parfait sans avoir
recours aux Ecritures, il établit l'existence de Dieu avec l'aide de la
seule raison, en un acte relevant de la seule intelligence nous
révélant ainsi que la foi n'est pas la seule puissance a pouvoir
nous démontrer l'effectivité de l'être tel qu'il ne peut y
en avoir de plus grand. Quoi qu'il en soit, peu importe la voie
empruntée, foi ou raison, elles font toutes les deux font
référence a l'idée d'un Dieu dont l'existence est une
suite de son essence. Face a l'objection classique selon laquelle cette preuve
n'établit en rien l'existence de Dieu hors de notre pensée,
Descartes répondra, puisqu'il reprend la preuve ontologique a sa
manière, que si notre pensée n'impose en effet aucune
nécessité aux choses, elle exprime, lorsqu'elle est pensée
vraie, la nécessité des choses. Jalabert écrit a ce
sujet:
<<Sans avoir l'intuition de l'essence divine, sans
apercevoir dans cette intuition l'aséité de Dieu, notre
pensée éclairée par la vérité,
c'est-à-dire par Dieu, concoit par une idée la souveraine
perfection et comprend qu'à cette nature parfaite une existence
réelle actuelle appartient nécessairement.
>>1
Cependant, chez Descartes la preuve ontologique n'est pas
similaire a celle de St. Anselme. L'apparition de l'idée innée de
Dieu n'est plus le fait d'une illumination par la substance infinie, c'est la
lumière naturelle chez Descartes qui, même si elle est d'origine
divine, est seule responsable de l'acte d'intellection qui, guidé par
l'attention et la méthode du doute, fait se dévoiler
l'idée de Dieu, mise dans notre âme par Dieu lui-même lors
de la création. Le maître mot de Descartes dans ces
matières est <<intuition>> et avec lui cette intuition
devient humaine et non pas uniquement le privilège de l'être tout
puissant. Plus particulièrement, la preuve ontologique
cartésienne part de l'idée de Dieu mais n'en cherche pas la cause
comme c'est le cas pour les deux autres preuves que Descartes apporte. En
effet, la preuve de l 'existence de Dieu par l 'idée du parfait
énonce ceci : nous avons en nous plusieurs idées, la question qui
se pose lorsqu'on applique la méthode cartésienne, le doute
méthodique, consiste alors a se demander si a chacune des ces
idées il faut y faire nécessairement
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.72
correspondre un objet qui soit extérieur a notre
pensée. La réponse de Descartes est la suivante: il n'y a qu'une
seule idée qui nous oblige a le faire, l'idée d'un être
parfait, l'idée de Dieu. La démonstration s'effectue de la
manière suivante: toute idée doit avoir une cause et cette cause
doit avoir au moins autant de réalité que ce qu'exprime
l'idée même, par conséquent, pour l'idée de Dieu,
nous ne pouvons en être nous-mêmes la cause car comment un
être imparfait pourrait il trouver en lui assez de réalité,
assez de force pour former l'idée de perfection infinie? Il faut donc
que cette idée ait été mise par Dieu en notre âme
dès l'origine, ce qui est prouver l'existence de Dieu hors de notre
pensée. La même <<méthode>> est utilisée
pour la preuve de l 'existence de Dieu par la contingence du moi,
c'est-à-dire qu'ici encore il faut rechercher la cause de l'idée
de Dieu en nous qui se trouve être le fait que la création toute
entière (et tout ce qui y est contenu) ne possède pas en
elle-même sa raison d'être et qu'elle est donc causée par
une cause extérieure et transcendante qui est, elle, causa sui.
La preuve ontologique chez Descartes part donc de
l'idée de Dieu mais n'en cherche pas la cause, au contraire, il s'agit
d'en développer les implications: dans l'idée de l'être
souverainement parfait se trouve enveloppée l'idée de son
existence car l'existence étant une perfection et la non-existence une
imperfection, on doit conclure que Dieu, l'être possédant toutes
les perfections, existe nécessairement.
Avant de voir la position de Leibniz sur la preuve
ontologique, remarquons que Malebranche s'oppose a Descartes. Selon lui l'homme
ne saurait avoir l'idée de l'infini en lui car son entendement
étant fini, il ne peut posséder en lui une modalité
infinie. Cette thèse de Malebranche tient a la particularité de
sa doctrine de la vision en Dieu. En effet selon cette doctrine la
créature n'est pas a elle-même sa propre lumière, quand la
créature pense, elle pense par les idées de Dieu et voit toutes
choses en Dieu, par conséquent lorsqu'elle pense a Dieu, elle voit Dieu
même si elle n'en saisit pas toute l'essence. Dieu est donc l'objet
immédiat interne de la créature lorsque celle-ci le concoit en
pensée. Précisons quelque peu la pensée de Malebranche: Si
celui-ci en vient a théoriser une telle doctrine cela tient a plusieurs
raisons dont la première se trouve être que les créatures,
lorsqu'elles apercoivent un objet extérieur, ne l'apercoivent pas par
lui-même mais par l'intermédiaire d'une idée correspondante
; la seconde raison étant que Malebranche refuse tout autre mode de
représentation des choses extérieures que celui qui consiste a
faire dépendre totalement l'intellection et la sensation de Dieu. Dans
La recherche de la vérité, Malebranche nous expose les diverses
manières qu'il est possible de concevoir lorsqu'il s'agit de se
représenter
les choses extérieures, il nous donne six
possibilités et pour chacune d'elles pose la question de l'origine des
idées, par exemple est ce que les idées sont produites par notre
âme ou bien sont elles produites en même temps que notre âme
lors de la création. Malebranche s'attache a déconstruire les
unes après les autres les diverses conceptions pour finir par nous
révéler sa propre penser dans la sixième hypothèse:
nous voyons les choses en Dieu. Exposer sommairement ici ces divers moyens
ainsi que leur critique nous aidera a comprendre un peu mieux le propos de
Malebranche1:
- Il n'est pas possible pour Malebranche que les idées
viennent des corps car selon lui il n'est pas concevable, contre les
péripatéticiens, que des corps envoient des
<<espèces qui leur ressemblent>> sans par la même
devenir moindre.
- Il n'est pas possible que l'âme produise
d'elle-même les idées des choses auxquelles elle pense. Cette
opinion résulte de l'idée selon laquelle l'âme est faite a
l'image de Dieu et donc aurait la capacité de produire et
d'anéantir les idées des choses (autrement dit les susciter par
elle-même). Penser cela, selon Malebranche c'est dire que l'âme est
capable de créer des êtres plus nobles et plus parfaits que le
monde créé par Dieu (il fait des idées des êtres
réels, plus nobles que les corps). C'est en fin de compte quelque chose
d'illusoire de penser cela et il en est ainsi parce que les hommes, voyant
qu'ils ont a l'esprit les idées des choses quand ils le veulent,
s'imaginent que ces idées sont présentes selon leur bon vouloir,
que leur volonté est la cause de leurs apparitions dans l'esprit.
- Il n'est pas vrai non plus que Dieu ait produit les
idées en même temps que notre âme. Malebranche s'oppose ici
a la théorie des idées innées. Cet argument n'est pas
vraisemblable car il existe un autre moyen, beaucoup plus simple, pour
expliquer comment l'âme voit les choses. La création des
âmes avec toutes ses idées va contre la simplicité des
voies de même qu'il n'est pas possible que Dieu produise les idées
a chaque fois que nous pensons a un objet.
- Il n'est pas possible que l'âme voit l'essence et
l'existence des objets uniquement en considérant ses propres
perfections, c'est une chose réservée a Dieu seul. L'âme ne
peut pas se représenter d'elle-même les choses, ce serait faire
d'elle un monde intelligible bien plus noble que ce qu'elle est capable de
concevoir, ce serait la mettre au-dessus de la création du monde et
concevoir que l'âme n'a besoin que d'elle-même pour voir et
connaItre les choses. Ce n'est donc ni en soi ni par soi que l'âme peut
voir les choses, elle est dépendante d'une autre puissance.
1 Malebranche, La recherche de la vérité, Paris,
Vrin, 1946, T.3, II
- En réalité l'âme voit toutes choses en
Dieu. Celui-ci est en effet uni a chacune des âmes, il est directement
présent a elles et représente en quelque sorte le
<<lieu>> des esprits. Si Dieu a procédé ainsi a
l'origine au lieu de créer une infinité d'idées dans
chacune des âmes c'est essentiellement parce que Dieu s'est
proposé de créer le monde en utilisant les voies les plus simples
tout en se proposant de grandes choses (c'est ainsi qu'avec la seule
<<étendue>> Dieu produit tout ce que nous pouvons
<<voir>> dans la nature), Dieu est en effet plus parfait s'il
crée des grandes choses par des voies simples que s'il crée de
grandes choses par des voies multiples et compliquées.
Dieu ayant en lui les idées de toutes les choses qui
sont créées, la spécificité de cette doctrine est
donc que nous connaissons en Dieu et sentons par Dieu (nous voyons en Dieu mais
nous n'avons pas en Dieu les sentiments, c'est Dieu qui agit sur nous dans ce
cas précis), les sensations que nous avons sont le résultat ou
l'effet des idées que Dieu imprime dans notre âme. Qu'en conclure
sinon que l'origine de toutes nos idées est entièrement divine et
soumise intégralement au bon vouloir de Dieu. Cette philosophie s'oppose
donc a la fois aux empiristes pour qui les idées ont une origine
extérieure, l'expérience et aux innéistes comme Descartes
pour qui les idées sont en nous et nous invite a conclure que le monde
matériel ne nous affecte pas, que nous ne pouvons même pas en
démontrer l'existence car toutes les impressions que nous pouvons en
avoir sont en réalité le résultat de l'action de Dieu sur
nous qui imprime directement sur notre âme les sensations correspondantes
liées au corps (Dieu joint la sensation a l'idée lorsque les
objets sont présents), lui-même matériel et par
conséquent tout aussi indémontrable puisqu'il ne saurait y avoir
de lien entre notre âme qui est immatérielle et les choses
matérielles.
Au final, chez Malebranche la connaissance rationnelle, mais
aussi la connaissance sensible ont leur fondement en Dieu, il n'y a plus
d'argument servant a démontrer l'existence de Dieu, plus de
déduction a partir d'une idée innée, l'existence de Dieu
est une évidence due a la théorie de la vision en Dieu et a
l'appréhension de l'infini de manière directe.
Quelle est la position de Leibniz en ce qui concerne la preuve
ontologique de l'existence de Dieu? Dans nombre de texte, Leibniz fait des
reproches a Descartes sur l'insuffisance de sa formulation de l'argument mais
également a Malebranche, surtout sur le fait qu'il fait intervenir sans
cesse Dieu dans la création pour produire les idées
correspondantes aux objets présents aux créatures, selon lui
Malebranche aurait mal compris l'exigence de la simplicité des voies
dans la création et Leibniz trouve son hypothèse de l'harmonie
préétablie plus
digne de Dieu que celle des causes occasionnelles
théorisée par Malebranche. Mais pour ce qui est de Descartes,
Leibniz pense que l'argument ontologique est de manière
générale imparfaitement établi, il convient donc de le
compléter a la lumière des principes de la logique. Le reproche
que fait Leibniz a Descartes dépend de sa conception de l'<<
intuition >>, plus explicitement, Leibniz lui reproche de penser qu'il
suffit de comprendre ce dont on parle pour avoir l'idée de la chose en
question. En ce qui concerne Dieu, Descartes se fie a la prétendue
évidence d'une intuition pour ensuite en déterminer l'essence. La
théorie de la connaissance de Leibniz s'oppose a celle de Descartes en
ce que pour Leibniz, il y a idée d'une chose lorsque ce qu'elle implique
n'est pas contradictoire, c'est-à-dire lorsque ce qu'elle désigne
est logiquement possible ou ne manifeste aucune absurdité. Or, la
possibilité de l'idée d'un être parfait n'a pas
été démontrée par Descartes selon Leibniz. Leibniz
rejette le recours de Descartes a l'intuition, il lui demande de
démontrer l'accord de la pensée avec l'être. Etablir
qu'à notre notion d'être parfait, un possible correspond, c'est
voir si ce concept n'enveloppe aucune contradiction. Prenons un exemple:
l'idée du nombre le plus grand de tous ou de la figure la plus grande
parmi toutes les figures. Plusieurs seraient d'avis que nous possédons
l'idée du nombre des nombres car nous comprenons effectivement ce dont
il s'agit, cependant, pour Leibniz nous n'avons pas une telle idée car
elle implique contradiction: a une grandeur possible, il est toujours possible
d'en rajouter une autre qui la fasse devenir supérieure a la
première. Si l'idée du plus grand des nombres est contradictoire,
il y a lieu de douter selon Leibniz si l'idée du plus grand de tous les
êtres n'est pas elle-même sujette a contradiction:
<<De même quoique je sache ce que c'est que
l'être et ce que c'est que le plus parfait, néanmoins je ne sais
pas encore pour cela s'il n'y a une contradiction cachée a joindre tout
cela ensemble (...). >>1
Malgré le fait que l'on sache parfaitement ce que c'est
que l'être et ce qu'on entend par le plus parfait, on ne sait pas si
l'union des deux peut former une idée qui soit possible au sens
leibnizien, qui soit sans contradiction et qui par là même nous
révèle la possibilité d'un tel être.
Leibniz inverse donc le rapport de force, c'est de la
possibilité désormais que l'on peut déduire la
clarté et la distinction, la possibilité <<
s'établit par l'analyse complète des notions;
1 Leibniz, Discours de métaphysique et autres textes,
<<Lettre a Elisabeth de 1678 >>, Paris, GF, 2001, P.156
si, décomposée en ses éléments
simples, la notion ne laisse apparaItre aucune contradiction, on en conclut
qu'elle est possible. Ainsi la possibilité s'établit d'une
manière négative, par la constatation d'une non-contradiction,
d'une <<non-impossibilité. >> >> 1 C'est donc
l'impossibilité qui est en réalité démontrable.
Dans l'article <<Que l'être tout parfait existe
>>2, Leibniz nous expose les deux conditions pour qu'un tel
être soit possible: l'idée de perfection ne doit pas être
contradictoire, il doit donc exister des qualités susceptibles d'un
suprême degré et toutes les perfections doivent être
compatibles. Selon Leibniz et sa <<caractéristique
universelle>> les perfections sont compatibles et peuvent par
conséquent appartenir a un seul et même être, ce qui rend
possible l'idée d'un être parfait.
Cependant, la possibilité de l'être tout parfait
étant établie, il faut encore prouver son existence. Comme la
simple évidence de son existence ne saurait suffire, il faut donc se
demander si l'existence figure aux nombres des perfections et si oui, alors
Dieu, l'être possédant toutes les perfections, existera. C'est ici
un moment décisif, particulièrement important pour la
compréhension de la spécificité du système
leibnizien, notamment dans ce qu'il nous introduit directement dans une
polémique sur la notion d'<< existence >>. Or, il est
curieux au premier abord de voir que Leibniz ne définit pas la notion
d'existence, mieux, il la dit indéfinissable pour la simple et bonne
raison qu'elle est pour lui une notion simple et que la définir
reviendrait a en compliquer la compréhension. Mais comment Leibniz peut
il dès lors nous montrer que Dieu existe s'il ne nous dit pas auparavant
ce que c'est que l'existence? Il nous le montre en introduisant une des
idées chères a son système: la prétention de
l'essence a l'existence proportionnellement a son degré de perfection.
Nous étudierons plus tard et plus en détail le mécanisme
qui s'exerce dans le passage de l'essence a l'existence, ici concentrons nous
sur le fait que, pour établir que l'existence est une perfection,
Leibniz fait appel au principe de proportionnalité entre l'essence et la
prétention a exister. Nous pouvons remarquer que Leibniz n'énonce
pas ce principe pour l'appliquer uniquement a l'essence divine, cette
prétention concerne au contraire toutes les essences, donc y compris
celles qui se trouvent dans l'entendement divin, il explique d'ailleurs
pourquoi certaines essences parviennent a l'existence et d'autres non. C'est
ici encore une formidable manWuvre pour rapprocher le créateur et le
créé, le nécessaire et le contingent, l'infini et le fini.
L'essence divine enveloppe donc une exigence d'existence et cette exigence est
d'ailleurs première et la plus a même de faire exister son sujet
puisque Dieu est l'être
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960 2Leibniz, Discours de métaphysique et autres
textes, Paris, GF, 2001, P.95
infiniment parfait et qu'une essence prétend d'autant
plus a l'existence qu'elle possède de perfection. Il faut même
dire qu'en Dieu, exigence d'existence et existence en viennent même a se
confondre puisque rien ne peut empêcher Dieu d'exister. En Dieu,
l'essence et l'existence actuelle son une seule et même chose alors que
pour les possibles contingents, présents dans son entendement, l'essence
peut être dite identique a l'existence virtuelle puisqu'une essence peut
venir a l'existence si Dieu la choisit (les essences ne sont donc pas des purs
riens, puisqu'elles ont une modalité d'être dans l'entendement de
Dieu). Jalabert reproduit l'argumentation de Leibniz pour montrer que
l'exigence de l'essence se confond avec son existence de la manière
suivante:
<<Si l'existence était autre chose que l'exigence
de l'essence, elle viendrait en quelque sorte s'ajouter a l'essence de la
chose, dès que cette chose s'actualise. Dans ce cas, l'existence aurait
elle-même une essence, qui lui serait propre et qui complèterait
l'essence de la chose qui existe. Il faudrait se poser, a propos de l'essence
de l'existence, la même question que pour les autres essences, et se
demander si elle existe et pourquoi elle existe plutôt qu'une autre.
>>1
Ce raisonnement nous invite a préciser davantage la
pensée de Leibniz notamment en la mettant en parallèle avec la
critique kantienne sur le caractère non-analytique de l'existence. Nous
disions donc que la raison de l'actualisation de l'essence était sa
prétention même a exister suivant son degré de perfection,
or Kant n'admet pas le caractère analytique de l'existence, pour lui,
l'affirmation d'existence est synthétique c'est-à-dire qu'elle
est un donné issu de l'expérience, de la sensibilité; sans
intuitions les concepts sont vides, or c'est précisément ce qui
se passe avec l'affirmation de l'existence de Dieu. Kant refuse donc le passage
de la simple possibilité logique a la possibilité d'exister
commune il refuse tout autant de déduire l'existence de l'essence.
Cependant, qu'il nous soit permis de dire que Leibniz se situe a un autre
niveau car pour lui l'existence est un prédicat de l'essence. Par
conséquent, qu'elle soit virtuelle (pour les possibles contingents dans
l'entendement divin) ou actuelle, l'existence est contenue analytiquement dans
l'essence et cette inhérence est d'ailleurs prise comme raison de
l'existence des choses. L'exigence infinie de l'essence divine explique dans un
premier temps l'existence de Dieu puisque Dieu existe nécessairement en
vertu de son essence qui possède une exigence d'être infinie. Par
suite,
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.89
l'exigence de toute essence fait que toutes prétendent
a l'existence et contiennent en ellesmêmes la raison de leur existence
possible: leur tension vers l'être. A cela, nous le verrons, s'ajoute le
choix divin des possibles, mais nous pouvons d'ors et déjà voir
que les essences ne sont pas passives dans l'entendement divin mais au
contraire dynamiques et que par conséquent Dieu ne saurait faire
abstraction de leurs revendications et choisir arbitrairement, sans examen, le
système de compossibles qui parviendra a l'existence en acte. Au final,
avec sa théorie de l'exigence d'existence des possibles, Leibniz veut
nous faire comprendre la raison de l'existence nécessaire de Dieu,
même si son aséité nous reste cachée.
Ce qui vient d'être dit sur la démonstration de
l'existence de Dieu a été le fruit d'une déduction a
priori a partir de son idée, nous sommes donc partis de l'idée de
Dieu et avons établi que son existence était une suite logique de
son essence. Il est temps d'aborder une seconde catégorie de preuve, de
passer a ce qu'on appel une argumentation cosmologique de l'existence de Dieu.
Ici, les preuves procéderont a partir de la considération des
choses créées. Selon Leibniz cette seconde sorte de preuve est
plus naturelle pour l'homme et a sa manière de raisonner. En effet,
l'attention de l'homme est davantage portée sur le sensible, par
conséquent le fait de partir du sensible pour remonter a
l'inconditionné représente une démarche moins complexe
pour l'homme commun qui n'est pas habitué a raisonner de manière
a priori (c'est d'ailleurs un souci constant chez Leibniz de s'adresser a ses
interlocuteurs en prenant en considération leur capacité a
raisonner de manière a priori ou non, préférant la voie a
posteriori si ceux-ci ne sont pas d'habiles penseurs comme Arnaud peut
l'être lorsqu'il s'adresse a lui dans le Discours de metaphysique). La
preuve primitive de l'existence de Dieu est donc cosmologique, elle a en effet
la force d'être a portée de tous et ne nécessite pas a
proprement parler de démonstrations rigoureuses comme pour la preuve
ontologique, elle se contente d'une réflexion a partir du monde
physique. De manière générale, la preuve cosmologique nous
fait prendre conscience de la nécessité de supposer un être
nécessaire étant donné le caractère contingent du
monde physique. Cette preuve est en quelque sorte première a
l'entendement humain et nous invite a la découverte de la preuve
ontologique. Même si l'établissement des diverses preuves
cosmologiques de l'existence de Dieu ne rentre pas tout a fait dans notre
discussion sur l'idée de Dieu (bien qu'elle y conduise), il convient
cependant d'en dire quelques mots.
Ici encore, c'est le principe de raison qui fonde la preuve
cosmologique, elle prend une premiere forme a travers la preuve de l'existence
de Dieu par l'exigence d'un premier
moteur. De la méme manière que St. Thomas le
fait dans sa Somme contre les gentils1, Leibniz, dans le <<De
arte combinatoria>> de 1666 s'appuie sur le principe
aristotélicien selon lequel tout ce qui est mu est mu par autre chose.
Ainsi, de deux choses l'une, ou bien ce qui meut est mobile ou bien immobile,
s'il est immobile, alors il faut poser l'effectivité d'un moteur qui ne
soit pas en mouvement et qu'Aristote nomme Dieu; si le moteur est lui aussi en
mouvement, alors il faut remonter a l'infini la chaIne des moteurs, mais ne
pouvant remonter cette chaIne a l'infini, il faut poser un premier moteur
immobile.
Quelle utilité peut avoir une telle preuve dans le
système leibnizien? Nous avons déjà dit qu'elle est un bon
moyen pour le vulgaire d'accéder a une vérité essentielle
sans pour cela supposer chez lui une quelconque spécialisation dans les
matières logiques et métaphysiques, mais nous pouvons
également dire que la preuve par le mouvement est un argument qui permet
a Leibniz de combattre ceux qui pensent que l'explication mécaniste du
monde est suffisante par elle-méme. Ici, Leibniz se fait le conciliateur
de la science et de la religion. Si certains disent que la science
éloigne de Dieu, c'est uniquement parce qu'ils ne poussent pas assez
loin leurs réflexions et ne se rendent pas compte que le
mécanisme méme suppose le finalisme. Leibniz pense donc
qu'<< un peu de science éloigne de Dieu, mais que beaucoup y
ramène>> et que ce qui éloigne de Dieu, c'est la physique
nouvelle, celle de Descartes notamment, qui rejette les causes finales et qui
explique tous les phénomènes par des lois mécaniques.
Jalabert écrit a ce sujet:
<<Le mécanisme se passe en effet du recours a
Dieu dans le détail de son analyse des phénomènes ; mais
le vrai savant ne s'arrête pas là, il veut fonder en raison le
mécanisme luiméme, et c'est dans la recherche de la raison ultime
des phénomènes qu'il rencontre Dieu. >>2
Le danger du mécanisme est qu'il conduise a
l'athéisme, or cela Descartes est loin de le vouloir. Cependant, il
concoit le mécanisme comme auto suffisant parce que pour lui le
finalisme, la finalité de Dieu est impénétrable pour
l'homme. La particularité de Descartes est qu'il érige le
mécanisme en ontologie après avoir opéré une
scission entre la pensée et la matière, dès lors, l'unique
<<fonction>> de Dieu et donc de la métaphysique est de
fournir l'explication de l'origine de l'étendue et du mouvement. Face a
cela, Leibniz pense que le mécanisme ne peut être auto suffisant,
la physique appelle une métaphysique selon l'exigence méme du
principe de raison car la sphère des causes efficientes n'est qu'une
1 St. Thomas d'Aquin, Sommes contre les gentils, I, 13, Paris,
GF, 1999, P.165 et suivantes
2 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P9
sphère régissant les apparences et
déjà dans cette sphère, de l'intelligible (puisque la
matière n'est pas uniquement matérielle mais également
spirituelle), et du finalisme se manifestent a celui qui possède l'Wil
du savant. Jalabert conclut sur ce point:
<<Leibniz ne se contente pas de recourir a la
métaphysique et a Dieu pour en fonder la vérité; il s'y
réfère pour compléter l'explication du physicien et pour
accéder a une vision plus réelle et plus profonde des choses.
>>~
Une seconde preuve de type cosmologique, déjà en
partie exposée avec Descartes plus haut, se trouve être la preuve
par la contingence, elle énonce ceci: la matière mais aussi les
substances ainsi que leurs états respectifs sont contingents,
c'est-à-dire que tous n'ont pas la raison de leur existence en
eux-mêmes. La contingence est aussi affirmée par Leibniz au sens
précis et propre qu'il en donne, c'est-à-dire au sens oü la
non-existence de la matière, des substances, de leurs états, est
tout a fait concevable, autrement dit possible ou non contradictoire. En effet,
toutes les choses qui n'ont pas leur existence enveloppée dans leur
essence sont contingentes. Par conséquent, seul Dieu est
nécessaire, toute autre essence étant soumise au calcul divin et
a son choix dans la détermination du meilleur des mondes possibles.
Cet argument a lui aussi le mérite de nous
élever par la réflexion jusqu'à l'origine radicale de
toute chose en ce qu'il thématise un monde n'ayant pas sa raison
d'exister en lui-même et nous invite donc a poser que la raison du monde
est extérieure au monde lui-même, c'est-à-- dire dans un
être transcendant.
Leibniz donne en réalité plusieurs moyens de
prouver la contingence du monde, il fait une liaison comme nous venons de le
voir entre le caractère fini de l'univers et des choses dont il est
composé et le caractère contingent de l'existence mais il donne
une seconde manière et cette fois-ci pose un lien entre la contingence
et le choix, celui de Dieu lorsqu'il crée le monde. Dieu étant
l'intelligence par excellence, il a dans son entendement une infinité de
possibles qui peuvent potentiellement former des mondes possibles eux
mêmes légions. La contingence du monde suppose le choix entre
plusieurs possibilités et une intelligence infinie qui puisse aller a
tous le possibles, par conséquent une volonté qui crée en
connaissance de cause et dont la puissance n'est pas empêchée.
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960
Qu'il nous soit permis de faire ici une comparaison avec St.
Thomas qui apportera un peu plus de lumière sur la notion de contingence
chez Leibniz. Pour St. Thomas, la contingence repose sur l'expérience du
devenir, sur la possibilité d'être et de n'être plus dans le
temps, par conséquent, est contingent ce qui peut périr et
nécessaire ce qui est éternel. Avec Leibniz, la contingence par
excellence, n'a rien a voir avec le temps, bien plus, elle est affaire de
logique et repose sur le principe de contradiction: une chose est dite
contingente lorsque la pensée de son non-être n'implique pas de
contradiction dans la pensée (par exemple il est contingent d'être
en train d'écrire cette phrase parce que l'on peut tout a fait penser
qu'elle aurait pu ne pas être écrite), sinon elle est
nécessaire (il est nécessaire que deux et deux fassent quatre et
non cinq).
Pour terminer sur les preuves de l'existence de Dieu, abordons
la preuve par lafinalite, plus ou moins similaire a la preuve par la
contingence, que Leibniz reprend avec sa théorie de l'harmonie
préétablie. Ce qu'elle a de similaire avec la preuve par la
contingence, c'est le fait qu'elle énonce également que le
mécanisme de la sphere des causes efficientes ne possède pas sa
raison d'être et soit par conséquent dépendant d'une autre
sphere qui l'englobe et la dirige, celle des causes finales comme nous l'avons
dit. L'harmonie préétablie fait état de plusieurs choses,
elle montre que les substances sont plus ou moins guidées vers le bien
lorsqu'elles agissent même si elles sont souvent abusées par les
passions et le manque de réflexion; elle énonce également
que le règne des causes finales s'accorde avec celui des efficientes,
preuve en est ce que l'on vient de dire sur la tendance vers le bien mais
également parce que l'ordre des causes finales est lui-même
subordonné a la dynamique des possibles dans l'entendement divin
(lesquels manifestent une tendance et forment un dessein, une
réalisation). Enfin, le fait même que pour Leibniz et selon sa
théorie de la substance, il n'y ait pas d'interaction entre les
substances et entre les substances et leur corps nous montre que le
mécanisme de l'action et de la passion se situe a une autre
échelle, a savoir au niveau des raisons que Dieu a de faire agir cette
substance et pâtir celle-ci, au niveau même des essences qui dans
les idées de Dieu <<demande avec raison que Dieu en réglant
les autres des le commencement des choses, ait égard a elle >>. 1
De plus, la force de cette preuve réside assurément en ce qu'elle
nous fait supposer un être infiniment parfait ayant le pouvoir, la
sagesse et la bonté nécessaire pour créer, faire se tenir
et se réaliser l'harmonie universelle.
Jalabert écrit au sujet de la proximité entre la
preuve par la contingence et celle par l'harmonie préétablie:
1 Leibniz, Monadologie, §51, Paris, Delagrave, 1998
<<La preuve par l'harmonie préétablie ne
met pas l'accent sur l'existence des choses, mais sur leur ordre: elle fait a
son tour appel a l'intelligence et a la volonté d'un être premier
et absolu. Dans les deux cas le choix ne peut être qu'un choix infiniment
sage. Les deux arguments ne diffèrent guère que par leur point de
départ dans l'expérience: la contingence de l'existence et
l'ordre. >>1
Terminons avec la preuve a priori par les
vérités éternelles, présente dans toute la
tradition chrétienne, notamment chez Augustin et Malebranche. Leibniz
reprend cette preuve dite du <<Dieu-Vérité>> et fait
de Dieu le garant de la vérité. En quel sens? Leibniz s'oppose
ici a Descartes sur un point capital : pour Descartes les vérités
éternelles sont des créatures, c'esta-dire qu'elles sont
créées par Dieu. A la différence du Dieu de Leibniz, le
Dieu de Descartes ne possède pas d'entendement, lieu des essences, tout
dépend de sa volonté. Pour Leibniz, les vérités
éternelles dépendent de Dieu parce qu'elles se trouvent dans son
entendement, elles font parties de Dieu, de son essence, de sa
possibilité. Sans Dieu, il n'y a plus rien de possible, plus de
vérités puisque les vérités sont en Dieu, mais
celles-ci conservent leur modalité d'être dans le sens oü
elles sont incréées et qu'elles ont donc une existence
quasiindépendante du vouloir de Dieu, elles ont la même origine
que Dieu, l'éternité, leur raison d'être est Dieu
lui-même tandis qu'avec Descartes, les vérités
éternelles n'ont pas de modalité d'être ni non plus de
raison d'être. Au sein du monde, la créature intelligente
s'apercoit également qu'il existe des vérités
nécessaires et en vient a se demander leur origine étant
donné la contingence du monde dans lequel elle se trouve, il parvient
sans peine a s'élever jusqu'au fondement du monde et en infère
que tout, même la vérité, trouve sa raison en Dieu.
La place de cette preuve peut être dans les deux
catégories de preuves relevées : a priori (de l'idée de
Dieu a ses conséquences) ou a posteriori (a partir du monde). En effet,
elle est considérée comme une preuve a priori étant
donné la nature de la théorie de la vérité (les
vérités ont leur fondement dans l'entendement divin) mais elle
peut aussi être classée parmi les preuves cosmologiques
étant donné que la preuve par les vérités
éternelles constate l'effectivité d'un monde contingent et de
choses contingentes mais qui ont pour autant une essence qui leur correspond
dans l'entendement de Dieu, essence éternelle et nécessaire, et
infère l'existence d'un être fondateur de ces
vérités, Dieu.
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.117
2/ L'aséité divine : l'unité de Dieu,
ses attributs
Quelle représentation Leibniz se fait-il de
l'aséité divine? Nous avons vu avec la preuve ontologique
qu'à l'essence de Dieu il appartient d'exister, cependant, il convient
de préciser la position de Leibniz dans la conception de
l'aséité puisqu'on distingue généralement deux
conceptions de l'aséité : l'aséité
<<positive>> et l'aséité <<négative
>>. Les partisans de l'aséité positive disent de Dieu qu'il
est <<causa sui >>, c'est-à-dire qu'il semble s'engendrer
luimême. Le principe de son essence étant son existence
même, il est permis de dire que l'essence a une priorité de nature
sur l'existence. Ceux qui défendent une aséité
négative pensent que Dieu n'a pas de cause, qu'il n'a tout simplement
pas affaire avec ce que les créatures appellent <<relation causale
>>. C'est ainsi que St. Thomas rejette l'aséité positive et
se range donc au côté de l'aséité négative en
affirmant que la simplicité de Dieu doit nous obliger a ne pas faire de
distinctions en lui comme celle qui est faite entre son essence et son
existence; de plus Dieu ne saurait avoir de cause ni même être
cause de soi car être causé, c'est participer a l'être de la
cause, or Dieu est l'Etre par excellence, il n'a donc pas de cause, il est
inengendré (on ne peut même pas dire que son essence est la cause
de son existence). Si Leibniz semble parfois se ranger au côté du
thomisme puisqu'il fait de l'essence et de l'existence une seule et même
chose en Dieu et qu'il concoit la substance divine comme l'être Un par
excellence, les principes généraux de sa métaphysique nous
indiquent le contraire. En effet, lorsque l'on dit que Dieu est <<cause
de soi>>, le mot << cause >> ne possède pas le sens
qu'il a pour les créatures, a savoir celui de production, de
génération, il signifie que Dieu est lui-même sa propre
raison d'être et la théorie de l'inhérence de l'existence
dans l'essence nous le démontre parfaitement. Avec Leibniz, la
causalité est intériorisée dans l'essence, et selon
l'exigence du principe de raison, l'existence de Dieu doit elle aussi avoir une
raison. Ne pouvant être extérieure a Dieu, la raison doit
être interne a son être même, c'est-à-dire être
contenue dans son essence en tant que l'essence de Dieu est celle qui exige
infiniment l'existence. Le principe de raison fait qu'il nous est impossible de
refuser a l'essence une priorité de nature sur l'existence, mais cette
priorité ne nuit pas a l'unité de l'essence et de l'existence
puisque l'essence de Dieu est d'être. A propos de l'exigence du principe
de raison, Jalabert écrit:
<<Le rationalisme exigeant de Leibniz entraIne sur le
plan de l'être une sorte de toute puissance des lois logiques. C'est en
vertu d'une exigence logique et ontologique tout a la fois, que Dieu existe de
toute éternité et nécessairement. >>1
Le dynamisme de l'essence explique la priorité de
l'essence sur l'existence en Dieu, mais en Dieu, cette priorité de
l'essence se confond avec l'existence étant donné l'exigence
infinie de celle-ci, il ne peut donc pas être reproché a Leibniz
d'introduire un dualisme en Dieu. jalabert conclut sur ce point:
<<L'existence est l'aspect dynamique de l'essence. Chez
les êtres finis, c'est l'existence virtuelle qui s'identifie a l'essence,
considérée sous sons aspect dynamique; mais en Dieu, l'existence
en acte s'identifie a un dynamisme de l'essence, qui, en vertu de son
caractère, se réalise sans obstacle. >>2
C'est donc l'unité qui est ici la marque de l'Etre par
excellence (le débat sur l'aséité positive et
négative portant sur l'exigence de sauvegarder l'unité de Dieu)
et Dieu est a la fois un en tant qu'être mais également un en tant
qu'infini. En Dieu, les perfections sont compatibles et sont parfaitement en
adéquation avec l'unité divine. Chez Leibniz, si l'unité
peut être de l'ordre de l'infini c'est parce qu'il n'y a pas de nombre
infini possible, pas de quantité infinie, l'infini véritable est
donc de l'ordre de la qualité, c'est la perfection absolue.
<<L'unité divine n'est pas l'unité
arbitraire du nombre un; c'est l'unité concrète d'un Etre
souverainement réel et vivant, c'est une unité substantielle.
Notre habitude de compter et d'abstraire fait du nombre un le symbole de la
pauvreté et de la sècheresse d'être ; mais il n'y a rien
que l'on puisse compter en Dieu, car il est qualité pure.
>>3
Cette citation nous invite a préciser que la
distinction qui est communément faite pour distinguer les
facultés de Dieu en entendement et volonté doit davantage
être prise pour une distinction de convenance, elle n'est pas effective
en Dieu comme si il y avait de la multiplicité en lui, de la
composition, elle est en réalité une manière pour
l'intelligence finie d'appréhender la substance suprême ; les
facultés de Dieu sont des <<puissances
dérivatives>>
1 j. jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.128 2lbidem
3lbidem, P.136
nous dit Jalabert, c'est-à-dire des manières
d'être, des aspects de l'unité de la substance suprême. Il
en va de même pour les attributs divins, toutes les distinctions verbales
que l'on peut faire ne sont en réalité effective que sous l'angle
de la relation, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit pour Dieu d'agir sur des
objets. Cependant, avec Leibniz, nous ne pouvons dire que cette
multiplicité en Dieu est uniquement le fait de notre esprit.
Contrairement a ce que pense Descartes, les perfections divines ne sont pas
uniquement distinguables dans les créatures finies, du moins ces
distinctions ne sont elles pas sans fondement dans l'essence divine et Leibniz
se fait fort de nous le montrer lorsqu'il affirme, tout en maintenant la
distance entre le degré de perfection divine et celui de la perfection
des créatures, que notre manière de raisonner est en
adéquation avec la nature de ce qui est et que la différence de
degré (notamment entre Dieu et les créatures) ne change rien a la
nature des choses. Leibniz se refuse <<a considérer le passage a
l'infini comme un saut dans l'inconnu >>1, il applique ici le
principe scotiste de l'univocité de l'être qui nous enseigne les
caractères de l'être en général, donc a la fois les
caractères de Dieu et ceux des créatures raisonnables.
Malgré le fait que ce soit l'absolu qui soit objet de nos recherches et
de nos spéculations alors que nous ne pouvons saisir que le relatif, il
faut affirmer que l'absolu exprimé sous l'angle du relatifn'en reste pas
moins compréhensible: notre connaissance des perfections de Dieu est
certes imparfaite car celles-ci ont un caractère absolu mais,
exprimées sous l'angle du relatif leur absoluité n'en reste pas
moins compréhensible. L'analogie entre les facultés de Dieu, ses
attributs avec les facultés des créatures est donc réelle.
Jalabert écrit:
<<C'est encore l'univocité de l'être qui
conduit Leibniz a considérer Dieu comme une Monade et a lui attribuer
les caractères généraux de l'essence monadique. (...).
Mais cela signifie également que cette participation du fini a l'infini
autorise une certaine compréhension de la Monade suprême, a la
lumière des propositions essentielles de la monade créée,
qui est faite a l'image de la divinité. Elle fournit la clé de la
Théologie naturelle chez Leibniz. Elle ne se contente pas d'affirmer la
dépendance des êtres relatifs et l'existence d'une analogie de
principe dont il est impossible de tirer des conséquences. Elle est au
contraire un principe fécond de métaphysique, qui nous permet de
connaItre d'une certaine manière, exacte quoique imparfaite, les
attributs divins. >>2
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.140 2lbidem, P.141
La perfection divine comprend des attributs
métaphysiques relevant de la grandeur de Dieu, elle-méme
s'exprimant a travers l'omnipotence et l'omniscience et des attributs moraux
relevant de la bonté divine. L'omnipotence, c'est la perfection de la
puissance, autrement dit c'est une capacité d'agir a laquelle rien ne
peut s'opposer, c'est un acte pur sans limite (méme si chez Leibniz la
puissance est << limitée >> par la volonté qui a pour
objet le bien antécédemment et le meilleur conséquemment).
La toute puissance de Dieu fait qu'il est par soi, totalement
indépendant par rapport aux autres choses, a la fois dans son être
(il est donc seul a pouvoir décider, rien d'autre ne peut l'influencer,
nile déterminer que lui-même, il est naturellement et moralement
libre) et dans son activité. Cette puissance fait que tout dépend
de lui, les possibles (renfermés dans son entendement) comme les
êtres en acte (qui dépendent de la puissance divine dans leur
existence et leurs actions, ordinaires ou miraculeuses) puisque celle-ci prend
pleinement son sens en étant puissance créatrice et en
étant opératoire a tout instant (l'omniprésence est la
présence de l'action divine sur sa création a travers la
création continuée). Chez Leibniz, la perfection ne s'exerce pas
aveuglément, l'entendement propose un objet a réaliser et la
volonté donne l'ordre a la puissance de passer a l'acte ou non. On
assiste a une coopération de l'entendement qui a pour objet le vrai, de
la volonté qui a pour fin le bien et de la puissance qui va a
l'être. Cependant, la puissance est ici ce qui est dirigée,
notamment par la volonté, elle-méme éclairée par
l'entendement, lieu des vérités et du possible. Si la puissance
doit être contrôlée, c'est parce qu'elle est plus
<<ample>> que la volonté, elle va a plus de choses que la
volonté guidé par le bien (la puissance de Dieu va a tous les
biens mais la volonté de Dieu, après réflexion, va au
meilleur, suivant la logique des compossibles). Si Dieu est dit moralement
indépendant, il ne décide pas de ce qui est bien ou mal, vrai ou
faux par le seul décret arbitraire de sa volonté, en lui se
trouve déjà le bien et le vrai, par suite il n'a plus qu'à
les suivre sans que cela puisse nuire a son indépendance puisque ce qui
le détermine, c'est son essence méme. L'omniscience est en un
sens une forme de l'omnipotence puisque la connaissance est une puissance et
une condition de l'omnipotence car Dieu ne pourrait créer sans avoir
connaissance de tous les possibles (uniquement valable si on concoit, comme
Leibniz, que Dieu ne peut créer arbitrairement le monde ; pour Descartes
l'omniscience se réduit a la science de ce que Dieu crée). Cette
omniscience s'étend a tous ce qui est possible, Leibniz parle ici de
science <<de simple intelligence >>, science connaissant les
possibles avant le décret de la volonté et qui s'oppose a la
science <<de vision >>, science grace a laquelle Dieu connaIt, de
manière intellectuelle et non sensible, ce qui a été
réalisé par la connaissance méme de son décret. A
cela, les partisans de la liberté d'indifférence, les molinistes
ont
ajouté une science <<moyenne>> ayant pour
objet les possibles contingents ou futurs contingents, science qui n'est pas
utile chez Leibniz car avec les deux premieres sciences, la totalité du
pensable est déjà circonscrite, aussi bien ce qui est
nécessaire, que ce qui est contingent, aussi bien l'actuel que le
possible et parce que la science <<moyenne>> des partisans de
l'indifférence implique une conception des futurs contingents (et de la
liberté) qui ne se trouve pas chez Leibniz. Les futurs contingents
seraient en fin de compte des possibles indéterminés, pouvant se
réaliser ou non suivant le passage a l'acte de certaines conditions. Or,
chez Leibniz, même le contingent a sa raison a priori dans l'entendement
de Dieu, et la liberté n'est pas l'indétermination face a
diverses possibilités, c'est l'agir intelligent et spontané,
déterminé par des motifs qui sont contenus dans la notion
complete de l'individu en question de toute éternité. Cependant,
en conciliateur, Leibniz accepte cette troisième science mais en
redéfinit le sens: <<Ainsi, la science de pure intelligence sera
prise dans un sens plus restreint, a savoir comme traitant des
vérités possibles nécessaires, tandis que la science
moyenne traitera des vérités possibles contingentes et la science
de vision des vérités contingentes actuelles.
>>1
En ce qui concerne les attributs moraux de Dieu, la
bonté est en fait l'attribut moral par excellence, celui qui conditionne
tous les autres, elle est la perfection de la volonté2 en
tant que celle-ci est rendue droite par l'omniscience et efficace par
l'omnipotence. La volonté est elle-même divisée en <<
antécédente >> et << conséquente >>, en
<<productive >> et <<permissive >>. Il faut voir que
l'objet de la volonté antécédente est le bien en tant
qu'elle veut produire tout le bien possible et exclure totalement le mal de la
création, cela résulte de la logique de l'exigence des essences
suivant leur degré de perfection. Mais comme toutes les volontés
antécédentes ne sont pas compatibles dans leur objet, la
volonté conséquente intervient et choisit ce qui peut procurer le
maximum d'effet suivant la sagesse et la puissance de Dieu. La bonté de
Dieu se manifeste également pour Leibniz en ce que Dieu, lorsqu'il
formule son décret, a en vue le bonheur des créatures
rationnelles ou <<esprit >>. Certes il ne s'agit pas du but
essentiel que Dieu se propose lorsqu'il crée le monde mais Leibniz nous
dit que c'est l'un des principaux. La bonté de Dieu se manifeste donc
dans la création d'un monde oü les esprits sont susceptibles
d'être heureux et oü ils doivent l'être sous prétexte
de ne pas être digne de leur créateur. Avec Leibniz, la
bonté divine n'est plus essentiellement définie, comme elle l'est
avec la tradition scolastique, par l'amour de soi, c'est-à-dire par
l'amour que Dieu porte a ses perfections. Au contraire, la bonté de Dieu
chez Leibniz est envisagée dans
1 Leibniz, Causa Dei, § 17 2lbidem, §18
son rapport aux créatures, même si celui-ci est
d'accord pour dire que l'amour que Dieu se porte lui est essentiel. Mais le
point important qui contrebalance cette <<difficulté>>
réside dans la gloire de Dieu: comme Dieu aime ses perfections, il veut
les manifester, les faire connaItre et aimer des créatures (le motif de
gloire l'incite sans le nécessité a créer le meilleur) et
pas seulement tirer sa gloire de la contemplation de ses propres perfections,
il trouve donc son intérêt en étant <<proche>>
des êtres qui sont capables de lui renvoyer son image, Dieu ne pouvant
vouloir sa gloire sans vouloir le bonheur des esprits. C'est par les
créatures intelligentes que Dieu peut réaliser le but de la
création, sa gloire.
Les autres attributs moraux sont la justice et la
sainteté, la justice étant une conséquence directe de la
bonté et de la sagesse de Dieu. Toutes deux sont en rapport avec les
créatures. La justice se distingue de la bonté en tant que la
bonté est générale et pas seulement relative aux
créatures alors que la justice intervient dans la particularité
du gouvernement des esprits et représente un cas particulier de la
providence divine. La sainteté est un attribut essentiellement divin car
Dieu est pur de tout péchés et possède une perfection
morale sans failles, il veut et fait le bien selon l'excellence de sa nature et
n'a pas a dominer de mauvais penchants comme les créatures le doivent.
La sainteté de Dieu se manifeste au final dans le fait qu'il
exècre les péchés et veuille les éradiquer, surtout
chez les créatures, en les sanctifiant par sa grace.
3/ La providence : l'action de Dieu dans l'univers
Nous aborderons plus particulièrement la providence de
Dieu et son action dans le monde lorsque nous passerons a l'étude de
l'optimisme proprement dit mais il est déjà possible
d'établir les thèmes a travers lesquels elles s'expriment: la
création continuée qui marque la dépendance des
créatures a l'égard de Dieu mais qui pose le problème de
la création et de son rapport au temps: comment un acte unique, hors du
temps (autrement dit la création), peut il être continué?
il faut dire avec Leibniz que le caractère intemporel de l'acte
créateur équivaut a une création toujours
renouvelée ou se faisant sans cesse, le temps n'est pas réel en
Dieu, il est un cadre pour les créatures qui se représentent les
choses dans le temps, mais au plan métaphysique, la création n'a
ni début, ni fin si bien qu'au regard des créatures l'acte
créateur peut être dit contemporain de tous les instants:
<<La création continuée n'est que la création tout
court, apercue a travers la temporalité du devenir
monadique. >> 1 La providence s'exprime également
dans le concours divin aux actions des créatures ce qui pose le
problème de la liberté des créatures mais également
de la raison pour laquelle Dieu aide certaines créatures et pas
d'autres. A cela Leibniz répond que le concours de Dieu est
déjà compris dans l'essence des créatures et que donc
celui-ci ne fait qu'actualiser ce que l'essence demande, mais globalement,
Leibniz réserve le détail de la compréhension de ces
questions a celui qui serait capable de percer a jour les desseins
cachés de Dieu.
- La creation du monde : l'optimisme comme maximum et comme
optimum
Nous entrons désormais au cWur de la philosophie de
Leibniz et des thèmes qui vont pouvoir nous servir a appuyer
l'idée selon laquelle sa philosophie est un << optimisme >>.
Nous pouvons d'ors et déjà affirmer que cet optimisme se
manifeste essentiellement sous deux aspects: en premier lieu dans la doctrine
de la création avec l'idée selon laquelle la création est
un problème de logique et de mathématique, de maximum et de
minimum que Dieu se propose et dans un deuxième temps avec l'idée
selon laquelle la création de l'univers est un optimum, objet de la
bonté de Dieu et par conséquent quelque chose de tout a fait
profitable pour les créatures qui sont l'objet de la providence divine
et dont la félicité représente l'un des principaux
desseins de Dieu. Puisqu'il en est ainsi, démontrer l'optimisme de
l'univers compris comme meilleur monde possible suppose que l'on puisse
connaItre le fonctionnement de la pensée divine, son mode de
détermination et ce afin de pouvoir établir pourquoi le monde
actuel est le meilleur des mondes possibles. Nous rencontrons ici encore la
principale caractéristique de l'optimisme leibnizien, a savoir le fait
qu'il soit objet de démonstration a priori et que cette
démonstration parte de l'étude de l'idée de Dieu. Ce qui
est ici en jeu, c'est la compréhension du processus qui se
déroule dans la création de l'univers, il nous faut percer a jour
le mécanisme métaphysique qui s'effectue en Dieu lorsque celui-ci
se propose de créer, ce qui suppose l'établissement du mode
opératoire de la pensée divine. A. Robinet ne dit rien d'autre
lorsqu'il écrit que l'optimisme leibnizien est <<relayé par
une lourdeur scolastique du fonctionnement de la pensée divine
>>2. Cependant, méme si il est possible de distinguer
ces deux voies, c'est-à-dire la voie <<logique>> et la voie
<<théologique >>, méme si celles-ci
représentent deux angles différents d'oü il est possible
d'aborder la création, l'étude de la première qui
correspond, comme nous
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.196
2 A. Robinet, Justice et terreur, Leibniz et leprincipe de
raison, Paris, Vrin, 2001, P.3
le verrons au <<premier temps>> de la
création, nous amène a l'introduction de la seconde, seule
véritablement révélatrice de l'optimisme leibnizien et a
l'image du créateur (c'est ici qu'intervient l'optimum). En effet, les
deux voies sont solidaires et complémentaires et sont l'expression de
l'essence divine qui se manifeste a la fois comme parfait
géomètre et comme merveilleux monarque, oeuvrant pour le bonheur
de sa Cité. Tâchons donc d'examiner ces deux voies et de montrer
comment, en s'enchevêtrant, elles expriment l'<< optimisme>>
leibnizien.
La voie logique s'exprime de la sorte: <<Tout possible
enveloppe une exigence d'existence, et cette exigence est proportionnelle a sa
quantité de perfection, c'est-à-dire de réalité
positive. Comme tous les possibles ne sont pas compossibles, une sorte de
conflit s'établit entre eux, et c'est finalement le système de
compossibles le plus parfait qui l'emporte - le plus parfait,
c'est-à-dire le plus rationnel, celui qui réalise a la fois le
meilleur ordre et la plus grande richesse relative. >> 1 Entrer dans
l'explicitation de cette voie suppose que l'on ait non seulement une
idée de la nature des essences mais aussi de la théorie de la
<<compossibilité>> et plus généralement du
fonctionnement de la pensée divine, du mécanisme de sa
volonté et de son mode de détermination. Mais précisons
dès maintenant que l'affirmation: Dieu crée le meilleur des
mondes, celui oü il se réalise le plus grand ordre et oü l'on
trouve le maximum de richesses, suppose qu'il puisse y avoir un monde qui soit
meilleur que tous les autres et qu'il puisse y avoir un maximum pour Dieu.
Leibniz rentre notamment ici en polémique avec St. Thomas mais aussi
avec Arnauld, Bayle2 et Malebranche pour qui il est toujours
possible de concevoir un monde meilleur que celui qui est donné pour
tel, et ce a l'infini, et pour qui définir un optimum revient a limiter
la puissance et la liberté divine. Il examine cette objection au §3
de son Discours de Métaphysique:
<< Je ne saurais non plus approuver l'opinion de
quelques modernes qui soutiennent hardiment, que ce que Dieu fait n'est pas
dans la dernière perfection, et qu'il aurait pu agir bien mieux. Car il
me semble que les suites de ce sentiment sont tout a fait contraires a la
gloire de Dieu. >>3
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.203 2Leibniz , Essais de Théodicée,
Paris, 1969, Garnier Flammarion, §223 3 Leibniz, Discours de
Métaphysique §3
Pour ces <<modernes>> mais aussi pour St. Thomas,
Dieu peut toujours créer un monde qui soit meilleur que celui qu'il a
créé car il a la puissance nécessaire pour amener a
l'existence un monde toujours plus parfait. St Thomas se démarque
cependant des autres en ce qu'il refuse d'admettre un meilleur monde possible
pour l'homme en vertu des conséquences du péché originel.
Par conséquent, si le monde peut être dit parfait c'est parce
qu'il dérive d'une cause qui est elle-même parfaite et non parce
qu'il est intrinsèquement bon. Pour la scolastique thomiste, le monde
est bon car c'est Dieu qui l'a créé, par conséquent la
création d'un monde moins parfait que celui dans lequel nous
évoluons n'aurait en aucun cas remis en cause la bonté de Dieu.
Avec ces penseurs il faut dire qu'en lui-même le monde ne possède
pas la raison de sa perfection, il n'est pas parfait en lui-même mais
uniquement parce que c'est un être infiniment parfait qui l'a
créé et que d'un être parfait il ne peut émaner
quelque chose qui ne soit pas parfait ou du moins faut-il dire que Dieu ne peut
se voir reproché d'avoir créé quelque chose qui ne soit
pas totalement parfait, sachant qu'il aurait pu faire mieux (étant
donné qu'il est le critérium de la bonté). Ici, aussi bien
avec Malebranche (<< Dieu pouvait sans doute faire un monde plus parfait
que celui que nous habitons >>1) qu'avec Thomas, c'est la
grandeur (de Dieu) qui explique la perfection du monde et non la perfection du
monde qui exprime l'action infiniment parfaite de Dieu. En vertu des
perfections métaphysiques que possèdent Dieu (ici l'omnipotence),
avec cette tradition nous sommes amenés a concevoir un Dieu non
seulement indépendant dans son être mais également
indépendant par rapport a tout supérieur au sens oü il est
le maître qui définit luimême ce qui est bon sans
égard aux choses elles-mêmes. A trop vouloir mettre en avant la
puissance divine on fait de Dieu un être au-dessus de la
vérité, de la justice et du bien et on rend par là
même équivoque le sens de ces notions entre Dieu et ses
créatures, c'est ce que Leibniz tâchera de conjurer en maintenant
l'indépendance morale de Dieu mais en ne le faisant pas principe du bien
et du mal. La bonté de Dieu est ici totalement indépendante et
libre de toute référence aux créatures réelles ou
possibles, la bonté n'a de rapport qu'avec Dieu et avec l'amour qu'il
porte a ses perfections.
On peut voir que Spinoza dérive également la
perfection du monde de celle de Dieu: <<les choses ont été
produites par Dieu avec la suprême perfection: puisque c'est de la plus
parfaite nature qui soit qu'elles ont suivi nécessairement.
>>2 La perfection de Dieu nous oblige donc en quelque sorte a
affirmer la perfection de ses ouvrages indépendamment des ouvrages
eux-mêmes, peu importe finalement ce que Dieu crée, ce qu'il
crée est parfait.
1 Malebranche, Traité de la nature et de la grace, Paris,
Vrin, 1976, Discours I, § 14
2 Spinoza, Ethique, I Proposition 33, scolie 2, Paris, Seuil,
1999
Cependant, méme si Spinoza déduit la perfection
des choses de l'essence divine, il n'en résulte pas pour autant que le
monde soit le meilleur des mondes possibles car selon lui, il n'y a qu'un seul
possible, celui que Dieu crée d'une puissance aveugle. Les choses sont
dites découler de la nature divine comme les propriétés du
cercle découlent de sa définition.
En ce qui concerne Leibniz, on peut dire que chez lui aussi la
perfection divine est comme la garantie de la perfection de ses effets mais la
différence réside dans le fait que le monde créé
est le meilleur possible et constitue la raison de la détermination de
Dieu a créer (détermination morale nous le verrons par la suite):
c'est en lui-même que le monde est le meilleur et non parce que sa cause
est parfaite en tous points de telle sorte qu'il est possible d'affirmer que
c'est la nature du monde qui détermine la suite des choses avant
méme le décret de Dieu. Affirmer qu'une chose est bonne parce que
sa cause l'est (bonté conséquence) est acceptable mais
insuffisant, Leibniz écrit, toujours au §3 du Discours de
Métaphysique:
<<(...) de quelque facon que Dieu aurait fait son
ouvrage, il aurait touj ours été bon en comparaison des moins
parfaits, si cela est assez; mais une chose n'est guère louable, quand
elle ne l'est que de cette manière.>>
Et avant cela au §2: <<Aussi, disant que les choses
ne sont bonnes par aucune règle de bonté, mais par la seule
volonté de Dieu, on détruit, ce me semble, sans y penser, tout
l'amour de Dieu et toute sa gloire. Car pourquoi le louer de ce qu'il a fait,
s'il serait également louable en faisant tout le contraire?>>
Avec Leibniz il est donc possible de déduire de la
bonté divine la nécessité morale de la création.
Autrement dit, la bonté divine est avec Leibniz directement en relation
avec la création et il existe un lien analytique entre
<<bonté de Dieu>> et <<création du meilleur
>>. Lorsqu'il examine les possibles compossibles, Dieu apercoit ce monde
meilleur et ne peut pas ne pas le choisir sans en méme temps agir
imparfaitement et ainsi ruiner sa gloire. En créant, Dieu décide
a la fois du monde et de lui-même puisqu'il ne peut<<
espérer>> retirer de la gloire de son acte créateur si il
ne crée pas le meilleur qui soit possible. Le Dieu de Leibniz a ce ceci
de particulier que sa puissance est a la foi éclairée par
l'entendement qui a pour objet le vrai et guidée par la volonté
qui a le bien pour objet, par suite, il ne saurait créer des choses
contradictoires ni non plus créer un monde qui ne soit pas le meilleur
en bonté.
L'opposition de Leibniz avec la tradition scolastique mais
également avec Spinoza ou encore Descartes tient au fait qu'il distingue
entendement et volonté en Dieu, contrairement aux partisans du
décret absolu de Dieu qui voient la liberté de Dieu comme
primordiale et essentiellement de nature indifférente par rapport a ce
qu'elle crée, cette indifférence les conduisant a penser que Dieu
est l'auteur des vérités éternelles alors qu'elles sont
<< des suites de son entendement >> ne dépendant pas de sa
volonté mais de son essence. Ceux là ramènent en
réalité l'entendement a la volonté puisque la
volonté est absolument première et décide de tout,
même du vrai et du bien. L'indifférence est en effet la
conséquence directe de l'idée selon laquelle Dieu peut touj ours
créer un monde plus parfait: si il existe un monde plus parfait que
celui-ci, quelle est la raison de la détermination de la volonté
divine? S'il n'y a pas d'optimum pour Dieu, comment à-t-il pu se
déterminer a en créer un si ce n'est en en choisissant de
manière arbitraire? Pour Leibniz, un Dieu dont la volonté est
indifférente (et c'est bien le cas ici puisque Dieu se trouve face a une
infinité de mondes dont aucun ne peut être dit le dernier en
perfection, il n'y a donc pas de raison pour qu'il choisisse le notre
plutôt qu'un autre) est un Dieu dont on ne peut faire l'éloge car
tout émane de lui de manière arbitraire, dès lors, comment
fonder sur lui les notions de justice, de récompense, de châtiment
puisque même ces notions deviennent arbitraires, c'est-à-dire sans
fondement a partir duquel nous régler ? Le §3 du Discours de
Métaphysique nous dit:
<<Car de croire que Dieu agit en quelque chose sans
avoir aucune volonté, outre qu'il semble que cela ne se peut point [en
vertu du principe de raison qui demande que tout ait une raison d'être et
d'être ainsi et non autrement], c'est un sentiment peu conforme a sa
gloire ; (...).>>
A un tel <<Dieu >>, Leibniz substitue un Dieu
d'autant plus libre et d'autant plus puissant et digne qu'il se soumet a la
raison et au bien (<< comme si ce n'était pas la plus haute
liberté d'agir en perfection suivant la souveraine raison >>), un
Dieu pensant sa création et touj ours déjà tourné
vers elle, un Dieu qui ne fait rien dont il ne mérite d'être
loué, un Dieu par conséquent différent de celui de Spinoza
(qui préfère encore la théorie de la liberté
d'indifférence que de concevoir un Dieu guidé par la
représentation du bien) d'oü tout découle de la seule notion
de puissance infinie (Spinoza ramène la volonté a l'entendement,
il n'est pas question de volonté divine chez lui puisque tout se fait en
vertu de la nécessité de la substance suprême a exister),
un Dieu chez qui la perfection est dérivée de la puissance divine
mais éclairée par la sagesse et guidée par la bonté
dans le passage a l'acte du meilleur des mondes possibles. Leibniz ne donne
donc ni la préséance au vrai (objet de
l'entendement) ni au bien (objet de la volonté) mais
harmonise les deux et fait de Dieu le suprême harmoniste en tant qu'il
conserve le dernier mot dans le processus de création. Nous pouvons ici
faire une remarque qui apportera des précisions sur la nature de
l'optimisme leibnizien: a la différence de l'optimisme de Spinoza (s'il
nous est permis d'en déceler un), celui de Leibniz n'a rien d'absolu. En
effet, avec Spinoza, si tout ce qui est doit être selon la seule
nécessité de la substance divine a exister, si tout ce qui
découle de Dieu en découle nécessairement et de
manière géométrique comme le dit Leibniz, si Dieu est en
réalité ce que nous appelons le <<monde >>, on voit
clairement que ce qui est se trouve être la seule chose possible, et,
comme elle ne saurait être autrement que parfaite puisqu'elle est Dieu et
selon ce que nous venons de dire sur le caractère parfait des choses qui
dérivent de Dieu, il faut affirmer que l'optimisme de Spinoza est un
optimisme absolu: il n'y a rien de meilleur, rien de plus parfait que ce qui
est puisque ce qui est, c'est Dieu. L'optimisme de Leibniz a ceci de
particulier et en même temps de tout a fait honorable qu'il n'affirme pas
l'entière perfection des choses créées, l'optimisme qui
caractérise sa philosophie est <<relatif >>, non seulement
parce que, étant donnée une chose (particulière), on peut
en concevoir une plus parfaite mais également parce que l'optimisme
leibnizien, nous le verrons plus tard, fait une place au mal dans la
création alors que le panthéisme de Spinoza nous fait concevoir
le mal comme une illusion, résultat de notre point de vue subjectif.
Avec Leibniz, le mal n'est pas nié, il est au contraire
intégré au système de compossibles, lequel se trouve
être le meilleur mais relativement. Nous reviendrons sur le mal dans la
création mais nous pouvons déjà affirmer que Leibniz, pris
entre les exigences de la raison (le mal doit avoir sa raison d'être dans
la création et cette raison ne peut qu'être, au final, source de
biens supérieurs) et les évidences de l'expérience, refuse
cependant d'admettre l'<< existence>> substantielle du mal et
s'oppose ainsi aux manichéens qui en font un principe positif alors que
Leibniz concoit le mal comme étant de l'ordre de la privation.
Pour montrer la fausseté de la pensée
adversaire, mais pour en même temps en tirer quelque vérité
comme a son habitude lorsqu'il examine une thèse opposée, Leibniz
précise en quel sens il est possible de concevoir, malgré le fait
que le monde créé soit le meilleur, quelque chose de meilleur que
ce qui est donné. Pour que la thèse adverse puisse avoir quelque
sens, il faut distinguer le monde et ses parties, du moins en pensée
puisque Leibniz écrit: <<J'appelle monde toute la suite et toute
la collection de toutes les choses existantes >> 1 faisant
1 Leibniz, Essais de théodicée, §8
du monde et de la totalité de ses parties une seule et
même chose. Pourtant, si l'idée de meilleur monde possible n'est
pas chimérique, c'est bel et bien parce que le monde est pris dans sa
totalité et que pris de la sorte on ne peut en concevoir de plus
parfait. Là oü il est possible de concevoir que Dieu aurait pu
mieux faire, c'est lorsque l'on considère les parties du monde de
manière isolées, sans les joindre. En effet, Leibniz nous dit
qu'il est toujours possible de concevoir des créatures qui soient plus
parfaites car il n'en existe pas d'absolument parfaites; en elles-mêmes,
les parties du monde ne sont pas de la dernière perfection, si bien que
dans l'entendement divin, il doit y avoir une partie plus parfaite que celle
qui a été amené a l'existence en acte. Cependant, il n'est
pas permis de faire le même raisonnement lorsqu'il s'agit du monde dans
sa totalité englobante car selon Leibniz le monde est un infini, devant
s'étendre a travers l'éternité et progressant sans fin.
Leibniz résume: <<Prenant toute la suite des
choses, le meilleur n'a point d'égal; mais une partie de la suite peut
être égalée par une autre partie de la même suite.
Outre qu'on pourrait dire que toute la suite des choses a l'infini peut
être dite la meilleure qui soit possible, quoique ce qui existe par tout
l'univers dans chaque partie du temps ne soit pas le meilleur. Il se pourrait
donc que l'univers allât touj ours de mieux en mieux, si telle
était la nature des choses, qu'il ne f?t point permis d'atteindre au
meilleur d'un seul coup. >>1
Par conséquent, si il est possible de dire que les
parties du monde ne sont pas parfaites, c'est uniquement parce qu'elles sont
prises a un moment du temps et que le monde étant en constant
accroissement, les parties a un temps t ne peuvent avoir
développées totalement leur perfection et être les
meilleures possibles ; Leibniz nous dit d'ailleurs que <<ce qui trompe en
cette matière, est, qu'on se trouve porté a croire que ce qui est
le meilleur dans le tout est le meilleur aussi qui soit possible dans chaque
partie. >>2 Leibniz écrit au sujet de la progression du
monde dans une lettre de 1715 a Bourguet:
<<On peut former deux hypothèses, l'une que la
nature est toujours également parfaite, l'autre qu'elle croIt toujours
en perfection (...). Quoique, suivant l'hypothèse de l'accroissement,
l'état du monde ne pourrait jamais être parfait absolument,
étant pris dans quelque instant que ce soit, néanmoins la suite
naturelle ne laisserait pas d'être la plus parfaite de toutes les suites
possibles, par la raison que Dieu choisit toujours le meilleur
possible.>>
1 Leibniz, Essais de théodicée, §202
2 ibidem, §212
J.F. Nourrisson résume parfaitement et la distinction
apportée par Leibniz et l'absurdité de la thèse adverse
lorsqu'il écrit:
<<En effet, si le monde était actuellement et
totalement manifesté, il est clair qu'on pourrait concevoir et
désirer une somme de biens supérieure a celle que ce monde
contiendrait. Mais les progrès allant, comme nos conceptions et nos
désirs, a l'infini ou a l'indéfini, les progrès du monde
égalent ces conceptions mémes et ces désirs. Au reste,
demander une réalisation de la plus grande perfection possible, ce
serait aller tout ensemble et contre l'expérience et contre la raison.
(...). Ce serait aller contre l'expérience car la réalité,
qui chaque jour se déploie pour épancher de nouveaux
trésors, vaut mieux manifestement que celle qui, tout d'un coup
développée, demeure ensuite stérile. >1
Par conséquent, si Leibniz affirme que le monde
créé est le meilleur des mondes possibles, ce n'est pas qu'il
concoive que cet optimum est déjà effectif mais plutôt a
réaliser, la notion de progrès fait donc sens puisque le monde
s'insère dans une perspective infinie et que l'optimum, plus qu'un
état de fait, représente davantage, en tout cas pour les
créatures (parce que Dieu ne concoit pas le monde dans le temps, son
point de vue lui dévoile le monde dans son essence) une tâche a
réaliser. On peut méme affirmer que Dieu s'est donné une
tâche infinie puisque la progression du monde en matière de
perfection ne sera jamais achevée. Au final, si Leibniz soutient une
doctrine optimiste, c'est non seulement parce que le monde existe effectivement
et que Dieu ne pouvant créer quelque chose qui ne soit pas tout parfait,
a nécessairement choisit le plus parfait possible; mais c'est
également parce que si il était touj ours possible a Dieu de
créer un monde plus parfait, il ne pourrait en choisir aucun, et ce
serait aller contre la raison que de soutenir une telle chose: il faut donc
déduire que ce monde possède un degré de perfection
supérieur aux autres, penser le contraire nous conduirait a tomber dans
l'objection faites par les adversaires eux-mémes (définir un
maximum pour Dieu serait borner sa perfection) car se serait borner l'exercice
des attributs fondamentaux de Dieu que sont sa bonté (Dieu ne pourrait
pas créer le meilleur pour les créatures susceptibles de
bonheur), sa sagesse (Dieu ne pourrait pas concevoir ce qui réaliserait
le maximum de réalité) et sa puissance (Dieu n'aurait pas assez
de puissance pour amener a l'acte cet optimum).
1 J.F. Nourrisson, Laphilosophie de Leibniz, Paris, Hachette,
1860, Chapitre 4, P.301
En vertu de la théorie chimérique de l'existence
d'une volonté indifférente et de ses conséquences
désastreuses pour la piété et pour la morale, touj ours
guidé par le principe de raison, Leibniz affirme donc en
conformité avec les Ecritures et contre la tradition thomiste et les
<<modernes>> que Dieu crée le meilleur qui soit possible
mais apporte une nuance supplémentaire: Dieu ne fait pas le meilleur
lorsqu'il crée l'univers uniquement parce qu'il est Dieu mais il fait le
meilleur compte tenu de son objet, c'est-à-dire qu'il compose avec le
monde entendu comme pur possible. C'est ici un point fondamental qui
démarque Leibniz d'un Descartes ou d'un Spinoza: existences et essences
sont distinguées et les essences jouent un role crucial dans la
détermination du meilleur. Nous en revenons ici, mais de manière
différente, a ce que nous disions plus haut au sujet des deux voies
servant a établir l'optimisme propre a la philosophie de Leibniz: tout
se passe comme ci les essences et Dieu concourraient ensemble a la
détermination de l'optimum, comment, c'est là ce que nous allons
tenter de mettre àjour.
Nous avons déjà esquissé quelque peu la
théorie des essences chez Leibniz se trouvant dans l'entendement et
explicité leur tendance naturelle, leur prétention a l'existence,
il nous faut cependant y revenir et pousser plus avant le mécanisme qui
s'exerce dans la détermination du meilleur, en prenant en compte non
seulement la nature des essences mais aussi les exigences que Dieu rencontre
lorsqu'il examine les possibles et le système de compossibles formant le
meilleur des mondes possibles. Comme nous l'avons dit, l'optimisme s'exprime en
tout premier lieu dans le mécanisme des essences qui s'exerce lors de la
création du meilleur des mondes possibles: c'est en vertu de l'exigence
enveloppée dans chaque essence, cette exigence étant
proportionnelle a la quantité de perfection que possède
l'essence, c'est-à-dire de réalité positive, que l'on
parvient a la détermination du maximum de réalité dans la
création. Le mécanisme n'est certes pas si simple mais nous avons
déjà montré que chez Leibniz l'essence possède son
propre mode d'être et se trouve être indépendante de la
volonté de Dieu au sens oü celui-ci ne la crée pas. Les
essences tendent d'elles mêmes a l'existence, d'autant plus qu'elles
possèdent de perfections; dès lors, on se rend bien compte qu'une
fois affirmé cela, ce ne peut être que le meilleur, le plus
parfait (dans l'ordre quantitatif) qui parvient a l'existence. Leibniz
écrit:
<<Par là [étant donnée la nature des
possibles et leur prétention a l'existence], on comprend de la
manière la plus évidente que, parmi l'infinité des
combinaisons et des séries possibles,
celle qui existe est celle par laquelle le maximum d'essence ou
de possibilité est amené a exister. >>1
Ce premier aspect de l'optimisme - entendu comme
détermination du maximum de réalité suivant la tendance
des essences - nous conduit a l'idée selon laquelle l'optimisme de
Leibniz serait issu de <<la priorité de l'essence >>. Il
faut entendre par là que l'indépendance des essences pose
problème lorsque, comme chez Leibniz, elles sont la matière
même avec laquelle Dieu est amené a composer le monde. Affirmer
que l'optimisme de Leibniz repose sur la thèse selon laquelle l'essence
est prioritaire (c'est-à-dire que c'est elle qui détermine
l'existence future ou non du meilleur des mondes possibles), c'est en
même temps s'engager dans une polémique sur le rôle de Dieu
dans la création, c'est prétendre élever les essences a la
limite de l'indépendance totale. En effet, a regarder ce
mécanisme de manière isolée et oü il n'est question
que de maximum et de minimum (de réalité dans les essences), il
semble que l'on puisse dire que le monde peut se réaliser sans que Dieu
ait besoin d'intervenir. C'est l'impression que donne le début de
l'opuscule intitulé <<De rerum originatione radicali>> qui
fait état du mécanisme que nous tâchons de mettre a jour et
qui nous révèle le premier des deux aspects de l'optimisme, a
savoir la production des existences contingentes en vertu de la seule
théorie de l'exigence des essences en fonction de leur degré de
réalité. En effet, la causalité de l'essence dont nous
avons fait état précédemment semble pouvoir suffire a
expliciter l'existence du meilleur des systèmes de compossibles, si bien
que le processus a partir duquel l'univers advient s'apparenterait a une lutt e
entre des essences dont le seul critère de distinction serait d'ordre
quantitatif, or, on le sait, Leibniz attache beaucoup d'importance au
côté qualitatif de la création. Il s'agit ici
d'élucider, lors du mécanisme logique qui s'exerce dans le
premier temps de la création (là oü intervient la
détermination du maximum), la part respective d'implication revenant aux
essences, compte tenu de la particularité de leur nature, et celle
revenant a Dieu.
Comme nous l'avons déjà dit, chez Leibniz les
essences dépendent de l'entendement de Dieu au sens oü son
entendement est le lieu oü se trouvent les possibles possibles avant tout
décret et les possibles réels, compossibles. Les essences sont
incréées et participent de l'éternité de Dieu, la
volonté de Dieu ne décident pas de leur être comme le Dieu
de Descartes peut en un sens le faire, elles possèdent leur propre
modalité d'être et Dieu ne peut changer leur
1 Leibniz, 0pusculesphilosophiques choisis, Paris, Vrin 1962,
P.85
<<nature >>, il est tenu de les respecter aussi
bien quand il les pense que lorsqu'il les examine dans le but de former le
système de possibles le plus parfait. Lorsque nous disons que les
essences possèdent leur modalité d'être il faut entendre
par là qu'en elles-mêmes, elles possèdent l'unité et
représentent chacune une entité a part entière; distincts
de tous les autres, il n'existe pas deux possibles identiques dans
l'entendement de Dieu et chacun d'eux, en vertu de l'inhérence des
prédicats dans la <<notion complète>> du sujet
possèdent une <<histoire>> qui l'individualise absolument:
ainsi l'essence de César se trouve dans l'entendement de Dieu avant
même qu'elle parvienne a l'existence (on peut parler d'existence
virtuelle) et comprend en elle-même tout ce qui peut et pourra être
dit de César si celui-ci est inséré dans le système
de compossibles. Dieu peut donc percer a jour toutes essences et lui seul est
capable de voir parfaitement la composition de chaque essence. Par
modalité d'être, il faut également entendre ce qui
caractérise les essences en elles-mêmes, a savoir la
manière dont elles se présentent a Dieu: a ce sujet, Leibniz est
clair, les essences sont dynamiques. En effet, nous l'avons déjà
dit, toutes les essences dans l'entendement de Dieu possèdent une
certaine tendance, relative a leur perfection ou degré d'être, a
l'existence. Pour bien comprendre ce qui se passe aux niveaux des essences, il
faut prendre l'exemple de l'essence divine: l'essence de Dieu est celle qui
possède le plus de perfection ou de degré d'être, par
conséquent c'est aussi celle qui prétend le plus a l'existence.
Comme nous l'avons dit précédemment lorsque nous avons
examiné l'aséité divine, la prétention de l'essence
divine a l'existence se confond avec l'existence elle-même puisqu'il n'y
a rien qui fasse entrave a son déploiement. En revanche, en ce qui
concerne les essences coéternelles a Dieu, leur prétention a
l'existence s'exerce proportionnellement a leur degré de perfection qui
reste infiniment inférieur a celui de Dieu, et, comme ces essences se
trouvent être en nombre infini, il résulte de là qu'une
essence ne peut se déployer uniquement au dépend d'une autre,
c'est ce que Leibniz nomme l'<< entr'empêchement >>. De
là, on comprend comment seul le maximum peut advenir a l'existence (si
on s'arrête ici dans l'établissement du processus de
création de l'univers) puisque seules les essences qui possèdent
un degré de perfection élevé pourront prétendre a
l'existence au point de faire passer leur virtualité a l'acte. Grua
écrit a ce sujet nous révélant ce qui semble être la
cause de l'existence:
<<La perfection ou essence exige l'existence, qui la suit
en soi, mais non nécessairement, a savoir si rien de plus parfait ne
l'empêche. >>1
1 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, Chapitre 8
Cet aspect mécanique (c'est un jeux de plus et de
moins) de l'origine des choses soulève une difficulté de taille
puisque si on se contente de cette théorie, on voit clairement que la
création semble pouvoir se passer de Dieu, car, comme le dit Jalabert:
<<La même causalité de l'essence, qui fait exister l'Etre
nécessaire, paraIt expliquer également, en vertu d'une logique
implacable, le meilleur des système de compossibles. >> 1 Dans ces
circonstances, Dieu sert tout au plus de <<support >>, de
<<récipient>> contenant les essences. Rien ne nous
empêche donc au premier abord de penser que le mécanisme des
essences qui s'exerce suffit a expliciter l'origine de la création du
monde. C'est une difficulté qui se présente lorsqu'on examine la
théorie des essences de Leibniz: on peut en effet être
tenté de les concevoir comme indépendantes du vouloir de Dieu.
C'est donc sur le rapport entre les essences et la volonté de Dieu que
se joue le problème, pour le résoudre il est donc
nécessaire de clarifier en quel sens il est possible de dire que les
essences son indépendantes et de définir le role de Dieu dans ce
même processus oü c'est le meilleur qui est recherché en vue
de la création du monde.
Lorsqu'on regarde le texte intitulé <<De rerum
originatione radicali >>, on voit qu'il est démontré
comment le monde dérive de Dieu a travers un mécanisme
métaphysique et sont expliquées les opérations par
lesquelles il passe avant de parvenir a l'existence. Comme nous l'avons
déjà dit, il est possible de dire que deux étapes sont
nécessaires pour parvenir au meilleur des mondes possibles:
l'étape du maximum, et celui de l'optimum, là oü se
manifeste pleinement ce que nous entendons réellement par l'optimisme
leibnizien. Il est cependant important de voir que ces deux aspects sont
complémentaires et inséparables. Si nous en sommes venus a
l'examen de cette difficulté c'est uniquement parce que nous avons
examiné la première voie sans la lier a la seconde alors que
c'est cette liaison qui est a même d'apporter la solution de la
présente difficulté. En effet, Jalabert, comme bien d'autres
commentateurs, commence par l'examen de cette première voie et tombe
logiquement sur le problème du role de Dieu dans la création et
même sur l'idée selon laquelle l'existence du monde serait
nécessaire (puisqu'en vertu de la seule exigence des essences, il serait
possible de déduire l'existence des essences qui comportent le plus de
degré d'être) il écrit:
<<Sous l'un de ces aspects la production des existences
contingentes s'apparente a la réalisation de l'existence
nécessaire. Dans les deux cas, c'est l'essence, qui fait exister.
(...).
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.106
En vertu de la théorie prédicative de la
vérité, nous savons d'ailleurs que l'existence elleméme
doit se déduire de l'essence de la chose. Puisqu'elle se déduit,
l'existence est donc en un sens nécessaire, mais d'une
nécessité que Leibniz déclare <<hypothétique
>>, qui ne nuit pas a la contingence, et s'éclaire a l'examen du
second aspect du mécanisme métaphysique (...).>> 1
Dans un premier temps Jalabert semble donc vouloir nous dire
que la raison de l'existence des choses se trouve dans les choses
elles-mémes, autrement dit que la raison de l'existence se trouve dans
la possibilité qui elle-méme représente de l'être
sous forme virtuelle, et pour cause : <<une fois accordée au
possible une exigence d'existence, on ne peut refuser d'établir une
proportion entre la quantité de virtualité et l'exigence
d'exister. A tous les niveaux de la virtualité, le plus l'emporte sur le
moins, en vertu du caractère <<inessentiel>> du
négatif, du non-être. >>2 Par conséquent,
cette seule voie pourrait suffire. Mais il n'en est rien, car l'étude de
la deuxième voie nous invite a changer de regard sur les essences et
leur role dans le mécanisme métaphysique dont il est question
depuis le départ. L'idée est simple: l'univers ne peut se
réaliser sans Dieu, l'essence dépend sinon totalement de Dieu, du
moins essentiellement et ce méme jusque dans sa pré-tension.
Acquiescer a l'idée selon laquelle les possibles passent naturellement a
l'existence en vertu de leur lutte et de leur nature est quelque chose de tout
a fait absurde car ce serait par là rendre la dualité
essence-existence pourtant chère a Leibniz, tout a fait vaine, pire,
Dieu ne serait plus nécessaire pour départager les possibles
destinés a être amenés a l'acte et ceux destinés a
rester de purs possibles. Il est préférable de dire avec E.
Boutroux qu'il n'y a méme pas de combat entre les essences au sens
propre du terme, donc pas de destruction ni de sélection naturelle des
essences (de plus, la causalité est interne chez Leibniz) : Leibniz
parle de combat idéal, combat des raisons dans l'entendement
divin3. Si il y avait effectivement une lutte, il n'y aurait pas
d'ordre dans la création, viendrait a l'existence qui en aurait les
moyens (l'origine du monde serait donc basée sur l'injustice car les
essences ne méritent pas a proprement parler leur perfection
puisqu'elles sont ainsi de toute éternité) sans qu'il n'y ait
aucune règle présidant a l'élection, ce qui est
manifestement aller contre la raison4. Il faut donc dire que
<<ce n'est pas en tant que possible qu'ils tendent a l'existence, mais en
tant que la volonté de Dieu les y appelle. >>5
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.103
2lbidem, P.104
3 Leibniz, Essais de Théodicée, §201
4E. Boutroux, Laphilosophie allemande au XVIIe
siècle, Paris, Vrin, 1948, P.128
5lbidem, P.143
Il est donc préférable de parler de choix des
possibles et de loi sous laquelle les possibles qui veulent passer a l'acte
doivent tomber. A quelles règles sont-ils donc soumis? Les possibles
sont principalement soumis a deux exigences : la non-contradiction et la
compossibilité c'esta-dire qu'ils doivent être compatibles avec
l'essence du système le plus parfait. Dès lors, il est possible
de dire que ce n'est pas de la nature des essences que découle le
système le plus parfait, autrement dit l'harmonie universelle; au
contraire, c'est cette méme harmonie qui fait figure de loi et qui
subordonne les possibles, les obligeant a se plier a ses exigences qui
finalement sont celles de Dieu. Dieu joue donc un role plus que crucial
puisqu'il est celui qui exerce une volonté sur son entendement oü
se trouvent les possibles qui, sans cet appel, resterait a l'état de
purs possibles impuissants. Si Dieu n'était pas la source des
existences, nous dit Leibniz au §36 du Discours de métaphysique,
<<il n'y aurait aucune raison pour qu'un possible existât
préférablement aux autres >>. C'est donc avec l'assistance
de Dieu que le possible peut se développer et se réaliser car
dans son état initial, il ne possède aucun degré
d'existence: il tient non seulement sa prétention de Dieu qui fait appel
a lui lorsqu'il exerce sa volonté antécédente, cherchant
par là a déterminer le maximum de perfection mais aussi sa
<<réalité>> de l'être méme de Dieu
puisqu'il se trouve dans l'entendement divin qui lui est pleinement
réel. Il faut tout de méme prendre garde de ne pas retomber dans
les conséquences fâcheuses exposées plus haut qui sont le
résultat d'une conception erronée de l'essence divine, a savoir
celle de Descartes qui refuse d'admettre que Dieu se représente des
essences lorsqu'il se propose de créer le monde. Il faut tout de
méme dire que les essences participent a la création sinon nous
retomberions dans ces erreurs. Boutroux écrit:
<<S'ensuit-il que la création soit une action
absolument transcendante de Dieu, un phénomène absolument
contingent? Si cette conséquence est légitime, nous n'existons
pas, et l'action divine est tout. Si nous n'avons pas collaboré a notre
propre création, nous n'avons pas de nature propre, et nous sommes
simplement des produits. >>1
Boutroux refuse cette doctrine nous menant tout droit au
panthéisme de Spinoza et affirme, avec comme soutient la théorie
de la volonté divine propre a Leibniz que nous avons exposée (une
volonté qui n'est pas arbitraire mais déterminée par le
bien, le vrai, qui se représente donc des essences) que <<les
possibles sont donc les créatures elles-mémes en germe. Ainsi,
dans l'acte de la création, les créatures collaborent a
l'opération divine. >>2 Leur collaboration,
1 E. Boutroux, La philosophie allemande au XVIIe siècle,
Paris, Vrin, 1948, P.153 2Ibidem
répétons le, tient dans le seul fait que Dieu
les prend en considération, il les examine suivant ce que l'on peut
appeler la loi de la création des essences qui n'est rien d'autre que la
possibilité et suivant la loi de la création des existences qui
est la perfection consistant dans la plus grande quantité d'être.
Dieu est cependant contraint, étant donné l'indépendance
des essences qui signifie qu'aucun possible pris en lui-même n'en appel
un autre, de les examiner et de les choisir sous l'angle de la
compossibilité qui, du fait de l'indépendance radicale des
essences, doit être entendue au sens de <<liaison possible>>
et non de <<liaison nécessaire >>1, la seconde
exigence étant que Dieu ne peut créer ensemble ce qui s'exclut en
vertu du principe de contradiction.
Au final, l'existence des choses contingentes ne suit pas de
leur essence mais dépend de la volonté divine ou de l'harmonie
universelle (si les essences existent c'est parce qu'elles sont compatibles
avec le système qui réalisent le plus de perfection) sans qu'il
soit fait ici d'équivalence entre Dieu et l'harmonie universelle puisque
l'harmonie universelle est la cause de la détermination du vouloir de
Dieu. Seul Dieu donc possède le privilège d'avoir une existence
qui soit une suite logique de son être car pour les créatures
contingentes, l'essence ne fait que tendre a l'existence sans y parvenir si
Dieu ne décide pas qu'elles doivent passer a l'acte après la
confrontation avec l'exigence de compossibilité avec le meilleur
système. En vertu de cette exigence nécessaire, on déduit
que les essences existent, non pas en vertu de leur
<<définition>> (comme si l'existence pouvait être
déduite de leur nature) nous dit Grua mais par <<comparaison
>>2 avec d'autres en vue du plus parfait. Le possible le plus
parfait arrive a l'existence non par sa nature mais par le décret divin
de faire le meilleur. Si certains textes de Leibniz présentent la
prétention de l'essence a l'existence comme raison de celle-ci nous dit
Grua, il faut en réalité voir que l'on y remplace la
prétention a l'existence par la raison de l'existence qui est le plus de
perfection et sans ajouter que Dieu est ici nécessaire pour coordonner
tous les possibles suivant ce que demande l'essence du système le plus
harmonieux et pour expliquer pourquoi il y a de l'être et non pas le
non-être, autrement dit pourquoi il y a ce monde et pas un autre.
Précisons également, afin de rentrer un peu plus dans la
compréhension du mécanisme que <<si des incompossibles
inégaux ont tous une raison d'exister, existera le moins
empêché, donc le maximum, le plus parfait des compatibles.
>> 3 On voit donc bien ici comment intervient le
1 E. Boutroux, Laphilosophie allemande au XVIIe siècle,
Paris, Vrin, 1948, P.143
2 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, Chapitre 8 3Ibidem, P.3 19
maximum, au départ, une essence ne peut être
créée toute seule, il faut qu'elle soit en bon
<<rapport>> avec d'autres, que rien ne lui fasse obstacle,
c'est-à-dire qu'elle doit être celle qui est la moins
empêchée, celle qui réalise la plus grande quantité
d'être comparaison faite avec celles que Dieu lui oppose lors du combat
idéal qui se déroule dans l'entendement. Mais, l'exigence
suprême reste la compossibilité avec le système optimal, en
d'autres termes avec les attributs de Dieu, or c'est ici un point important,
cette compossibilité ne peut être apercue que par une
intelligence, Dieujoue donc un rôle actifdans le mécanisme.
Jalabert écrit:
<<L'incompossibilité de tous les possibles rend
nécessaire un choix intelligent [et intelligible] et nous oblige a
admettre un entendement et une volonté dans l'Etre absolu.
>>1
Il faut d'ailleurs préciser ici que la volonté
est la mise en pratique des lois prescrites par l'entendement de Dieu et que
tous deux sont liés. Dans le problème de savoir ce que gagne le
monde a être créé si on considère qu'il l'est
déjà dans l'entendement (le monde est déjà
composé avant de passer a l'acte) et que la volonté est inutile
ou tout au plus là pour réaliser la mathématique, si on
considère que <<les essences paraissent contenir
déjà en elles-mêmes de quoi arriver a l'existence, c'est
qu'elles sont le produit de l'entendement divin, et que l'entendement de Dieu
ne peut se séparer de sa volonté. La volonté divine est ce
qu'il y a de réel dans les essences. >>2 C'est la
volonté divine qui intervient lorsqu'il s'agit de procéder a
l'ordonnance des possibles en système harmonieux.
Par conséquent, les possibles ne tendent pas
d'eux-mêmes a l'existence, leur passage a l'acte est le résultat
de leur intégration a la série maximale organisée par
Dieu, autrement dit la vraie cause qui faut exister les essences se trouve dans
les décrets que Dieu fait librement, le principal étant de
vouloir faire le meilleur.
Clôturons ce point avec un beau passage de Jalabert
résumant parfaitement tout ce que l'on vient de dire:
<<Le relatif ne peut être et agir qu'en fonction
de l'absolu. Les essences relatives ne peuvent prétendre a exister que
relativement a la sagesse divine, en tant qu'elles sont présentes a son
entendement; elles ne peuvent triompher dans le conflit des possibles qu'en
rapport avec la bonté divine et par un acte décisoire de sa
volonté. (...). Le possible logique ne devient un
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.106 2E. Boutroux, La philosophie allemande au XVIIe
siècle, Paris, Vrin, 1948, P.156
existant possible, que parce que Dieu le concoit comme
possible; sa tendance a exister n'est que la volonté
antécédente du Créateur, qui se porte a tout bien; tandis
que sa réalisation est la volonté conséquente, qui est
créatrice par elle-méme. >>1
La difficulté que nous venons d'examiner nous
éclaire sur les deux voies que nous avons recensé et nous pouvons
désormais apporter quelques détails supplémentaires, dans
un premier temps sur la voie logique qui correspond au premier temps de la
création, là oü s'exerce la volonté
antécédente de Dieu et le jeu des maxima et des minima. Lorsqu'il
appel les possibles dans son entendement, Dieu est guidé par un principe
de détermination: pour chaque possible examiné, est prise en
compte la dépense faite au cas oü il serait incorporé au
meilleur système possible ainsi que son rendement, c'est-à-dire
la richesse dont il pourrait être la source. Leibniz écrit dans le
<<De rerum originatione radicali>>:
<<Il y a toujours, dans les choses, un principe de
détermination, qu'il faut tirer de la considération d'un maximum
et d'un minimum, a savoir que le maximum d'effet soit fourni avec un minimum de
dépense.>>
Si pour tous possibles examinés, ne sont retenus que
ceux qui sont producteur du maximum de richesses et de variétés
et qui ne nécessitent pas de dépenses excessives, on voit bien
comment Dieu, a partir de peu, fait se réaliser le maximum d'essence ou
de possibilité. De manière générale, le temps, le
lieu et la matière sont les données avec lesquelles Dieu compose,
Leibniz parle de <<réceptivité ou capacité du monde
>>, il s'agit de créer le maximum de réalité compte
tenu des cadres que sont l'espace et le temps et la matière que
représentent les essences. Dans ce contenant doit se loger la plus
grande somme d'objets possibles et il en est du monde <<comme dans
certains jeux oü il s'agit de remplir tous les espaces vides d'une table
selon certaines règles. Si vous ne procédez pas avec une certaine
adresse, vous finissez par vous trouver arrété devant des espaces
inégaux aux jetons et vous serez forcé de laisser plus de vides
que vous n'aviez le droit ou le désir d'en laisser. >>2
Par conséquent, on comprend pourquoi Dieu choisira davantage de donner
au monde une forme sphérique puisqu'elle représente la forme
oü il y a le moins de place perdue.
Au sein de la sphère se trouve donc un <<terrain
>>, composé du lieu et du temps : il s'y exerce une
stratégie, tout se passe comme si Dieu faisait une topographie du monde,
le lieu donne le
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.106 2Leibniz, 0pusculesphilosophiques choisis,
Paris, Vrin 1962, P.85
cadre oü il est possible de réaliser certaines
choses, car chaque lieu peut recevoir telles ou telles choses mais pas
n'importe lesquelles. Dieu est donc tenu de respecter le terrain sur lequel il
compose le meilleur et relativement au temps, deuxième composante du
terrain, il faut savoir qu'il y a un moment propice pour laisser éclore
les choses, Dieu ne peut créer la chute d'Adam et l'incarnation de
Jésus-Christ en un seul et méme temps (le temps étant ici
compris comme étant le temps des créatures intelligentes) ou le
second antérieurement au premier sans faire des choses contradictoires.
De méme, on peut déduire de cela que Dieu ne saurait créer
le monde complètement << réalisé >>,
c'est-à-dire déjà tout parfait, au contraire, si Dieu ne
peut créer tout tout de suite puisque le monde, étant
donné sa particularité, l'en empéche (en effet, le monde
limite l'action de Dieu en ce qu'il possède une capacité de
réception limitée, Dieu ne peut donc pas porter le monde
directement a l'infini c'est-à-dire a sa complète
réalisation), on doit concevoir que la notion de
<<progression>> n'est pas contradictoire lorsque l'on parle de
l'Wuvre de Dieu.
Pour remplir ce monde, il faut donc qu'il soit composé
d'une multitude de formes dont la variété doit être telle
que l'on puisse remplir n'importe quels espaces afin d'éviter les vides,
cet art nécessite par conséquent une méthode et une
intelligence ordonnatrice supreme puisque son objet est un infini et qu'il
s'agit par-dessus tout de produire le plus d'effets possibles en empruntant le
moins de voies possibles et les plus simples. Selon cette méthode de
rendement maximal orchestrée par Dieu oü il est question d'examen
des possibles suivant leur convenance avec la capacité du monde,
d'exigence de variété et d'ordre (l'une ne va pas sans l'autre
car <<Une variété sans ordre est un état
d'extrême confusion. Un ordre sans variété est parfaitement
statique et finit par s'identifier a la mort >>1) et selon le
mécanisme des essences parvenant a l'existence suivant qu'elles
possèdent plus de perfection, on comprend comment la série des
choses possédant le maximum de réalité parvient a
l'existence.
Cependant, comme le dit F. Fédier, lorsqu'il s'agit,
comme nous venons de le faire, d'examiner le rendement qui s'opère dans
le mécanisme métaphysique afin de montrer que le meilleur des
mondes possibles parvient comme cela a l'effectivité, il faut mettre au
second plan la considération du bonheur des créatures.
Méme si l'effet du meilleur des plans possibles sur les créatures
est le plus de bonheur et de bonté possibles, la considération
isolée du mécanisme sans qu'il ne soit fait état du
dessein de Dieu de composer un monde oü il se
1 F. Fédier, Leibniz: deux cours: Principes de la nature
et de la grace fondes en raison, Monadologie, Paris, Lettrage, 2002
réalise aussi le bonheur le plus haut conduit a penser
que la perfection de l'univers est uniquement d'ordre logique et
mathématique, par conséquent dénuée de
caractère moral. C'est ici une objection de taille et non sans liens
avec la dernière exposée (Dieu ne semble pas jouer un grand role
dans le passage a l'acte des essences étant donné que la seule
prétention des essences a l'existence semble pouvoir suffire a
l'expliquer) et qui est soulignée par Couturat. En effet, celui-ci fait
de la Théodicée de Leibniz une <<Logodicée >>,
un système oü la bonté de Dieu ne transparaIt pas, un
système froid oü tout se déduit de principes logiques, par
conséquent, un système oü les créatures rationnelles,
leur bonheur, ne sont pas pris en compte. Selon Couturat, la perfection de
l'Wuvre de Dieu est mathématique parce que la perfection s'identifie a
la quantité de réalité positive et elle est logique parce
que Dieu crée un monde qui réalise le maximum d'effets a partir
d'un minimum de principes. De ce point de vue on a vite fait de se
représenter la création du meilleur des mondes possibles comme un
problème de mathématiques ou comme un processus mécanique
sans vie et sans dessein particulier, orchestré uniquement pour amener
le maximum de perfection a l'être, sans considérations pour les
êtres vivants. Certes l'ordre qui se compose dans l'entendement de Dieu
selon le principe d'économie qui est une balance entre la fin et les
moyens est digne de louange puisqu'il manifeste la perfection de son auteur et
sa sagesse, mais c'est là le problème, il semble ne manifester
que cela alors qu'on s'attendrait a ce qu'il laisse transparaItre la
bonté de Dieu, elle qui est notamment orientée vers les
créatures.
Certains textes de Leibniz nous invitent a abonder dans le
sens de l'objection de Couturat, notamment le §5 du Discours de
métaphysique oü Leibniz utilise cinq images pour exprimer la
sagesse de Dieu et l'ordre du monde qui en découle, examinons ces images
et tâchons d'en retranscrire la signification:
La première image est celle d'un excellent
géomètre, Dieu est ici celui qui détermine le monde selon
le principe de rendement tiré de la considération du maximum et
du minimum; de là Dieu choisit une solution maximale.
La seconde image est celle d'un bon architecte, Dieu
établit ici le meilleur rendement possible entre les données et
leur utilisation (le terrain) et les multiples formes que l'édifice peut
revêtir.
La troisième image est celle d'un bon père de
famille, ici on s'attendrait a une comparaison avec Dieu pour montrer l'amour
du père et l'action préservatrice qu'il exerce sur sa famille
mais au lieu de ça Dieu est comparé a un père qui est
capable de gérer les biens de la maison sans faire de gâchis, donc
a un bon économe.
La quatrième image compare Dieu a un habile machiniste
capable d'agencer des moyens efficaces pour une fin déterminée,
Dieu est ici créateur d'une machine automatisée.
La cinquième et dernière image compare Dieu a un
savant auteur, par conséquent Dieu et celui qui est capable de faire un
minimum de décret faisant sens mais s'appliquant a quantité de
choses, son << discours >> est ordonné, dans ses
décrets s'expriment un maximum de pensée alors que ceux-ci sont
en petit nombre.
On voit clairement que ces images n'expriment pas du tout la
bonté de Dieu ni méme le rapport de Dieu avec ses
créatures, tout est question de rendement maximal dans la production du
meilleur monde possible, mais les créatures qui y vivent ne sont pas
prises en compte, ce qui conforte la pensée de Couturat. Cependant,
Leibniz dit lui-même que ces comparaisons ne doivent pas être
prises au pied de la lettre et il y a nombre de textes qui viennent
contrecarrer l'objection de Couturat et qui affirment au contraire que le bien,
le bonheur des créatures est également pris en compte dans la
création.
C'est dans le <<De rerum originatione radicali>>
que Leibniz affirme la perfection morale du monde en plus de sa perfection
métaphysique. Nous l'avons dit plus haut, c'est l'examen isolé de
la première voie qui conduit a de telles erreurs de pensée, dans
ses textes Leibniz met souvent en évidence le côté logique
et mathématique de la création et le côté moral en
aparté mais dans cette opuscule il établit comme il se doit sa
pensée en affirmant qu'il ne faut pas confondre la perfection morale ou
bonté avec la perfection métaphysique ou grandeur, il
écrit >
<<(...) il faut prendre garde a cette conséquence
de ce qui a été dit [il a été dit que le meilleur
des mondes découlait de la prétention des essences a l'existence
suivant leur degré de perfection, c'est la voie métaphysique], a
savoir que le monde n'est pas seulement le plus parfait physiquement ou bien,
si l'on préfère, métaphysiquement, parce qu'il contient la
série des choses qui présente le maximum de réalité
en acte, mais qu'il est encore le plus parfait possible moralement, parce que
la perfection morale est en effet, pour les esprits eux-mémes, une
perfection physique. D'oü il suit que le monde est non seulement une
machine [on retrouve le côté mécanique] très
admirable, mais encore qu'il est, en tant que composé d'esprits, la
meilleure des républiques, celle qui leur dispense le plus de bonheur ou
de joie possible, la perfection physique des esprits consistant en cette
félicité. >>1
1 Leibniz, 0pusculesphilosophiques choisis, Paris, Vrin 1962,
P.89
A la lumière de ce passage nous pouvons dire que le
système de Leibniz est loin de ressembler a une Logodicée, il ne
s'agit donc pas seulement d'une doctrine logique ou mathématique,
quantitative et donc sans aucun caractère qualitatif et moral; au
contraire, même si le monde est parfait métaphysiquement parce
qu'il est celui qui actualise le plus de réalité, il est aussi
celui qui est parfait moralement car il est l'Etat, la République la
plus parfaite possible oü les esprits, créatures rationnelles
susceptibles de bonheur, de plaisir mais aussi des contraires, ont, sinon la
place centrale dans la création, du moins une grande importance aux yeux
de Dieu. En effet, comme nous l'avons déjà dit, Dieu ne peut
créer un monde oü les esprits seraient sacrifiés pour la
perfection métaphysique de l'univers, ils sont au contraire ceux qui
sont le plus a même de rendre hommage a l' uvre de Dieu, par
conséquent Dieu ne peut que les <<favoriser >>, d'autant
plus que de son acte créateur il est censé en retirer de la
gloire: un monde dans lequel le bien des créatures est mis aux
oubliettes risquerait d'être un monde placé sous le signe de
l'échec divin, car comment Dieu retirait-il de la gloire de son uvre si
les seules créatures vraiment capables de lui rendre ce dü ont
été négligées lors de la détermination du
meilleur des mondes possibles? Il faudrait nécessairement conclure a
l'échec de l'entreprise divine, ce qui ne peut manifestement pas
être le cas, Dieu se devant de créer le meilleur, non seulement au
sens oü c'est le maximum de réalité qui est actualisé
en fonction du cadre particulier que représente l'univers mais
également au sens oü la création est aussi un optimum pour
les créatures.
Il faut même dire que la perfection métaphysique
n'est pas uniquement de l'ordre de la quantité car le maximum n'est pas
seulement grandeur, il est aussi qualité. Même si il est vrai que
la perfection du monde possède un aspect mathématique car il y a
de l'infini partout, il faut être conscient qu'à côté
de la quantité il y a aussi la qualité et que l'infini n'est pas
de l'ordre de la quantité, comme nous l'avons déjà dit,
mais bien de la qualité : Dieu est infini et pourtant il est un. Le
nombre infini est contradictoire si bien qu'il n'est plus possible de soutenir
que la perfection est d'essence quantitative.
Le §5 du Discours de métaphysique est très
important pour la présente difficulté puisqu'il nous montre que
le sort des esprits et déjà présent a l'esprit de Dieu
lorsqu'il cherche a amener a l'existence le maximum de réalité
suivant les considérations que nous avons abordé
précédemment:
<<Or les plus parfaits de tous les êtres [Leibniz
expose que la simplicité des voies est en balance avec la richesse des
effets lors de la détermination du maximum], et qui occupent le moins de
volume, c'est-à-dire qui s'empêchent le moins, ce sont les
esprits, dont les
perfections sont les vertus. C'est pourquoi il ne faut point
douter que la félicité des esprits ne soit le principal but de
Dieu, et qu'il ne la mette en exécution autant que l'harmonie
générale le permet.>>
Par conséquent, déjà dans le
mécanisme métaphysique qui nous apparaissait tout a l'heure avec
les cinq images comme étant dénué de
références au bien des créatures, s'exerce ce que l'on
peut appeler une providence divine a l'égard des créatures
intelligentes. Les créatures sont elles-mémes l'objet du calcul
divin, de la mathématique divine oü s'opère la
détermination du maximum mais cela n'empêche pas que Dieu ait a
l'esprit le dessein de rendre le monde propice au développement du bien
des créatures autant que l'harmonie universelle le lui permet, car Dieu
ne saurait faire d'entorse au meilleur des systèmes pour le bien des
créatures. Ce §5 du Discours de métaphysique nous montre
donc que la simplicité des voies, qui a lieu a l'égard des
moyens, s'exerce également pour les créatures intelligentes, nous
pouvons d'ailleurs préciser que selon Leibniz cette simplicité se
manifeste, dans son rapport aux créatures, par l'hypothèse de
l'harmonie préétablie. Leibniz la confronte a la théorie
de Descartes qui explique l'influence de l'âme sur le corps comme un
vécu que nous expérimentons au quotidien (via l'existence d'une
glande faisant la jonction entre l'âme et le corps) mais qui au final
demeure inexplicable (pour Descartes) et celle de Malebranche pour qui
l'âme ne peut agir sur le corps ni sur d'autres âmes et le corps
agir sur l'âme non plus que sur d'autres corps; il fait donc appel a Dieu
(cause efficiente) pour expliquer la communication des substances et fait des
créatures des causes occasionnelles: a l'occasion des modifications du
corps ou de l'âme, c'est Dieu qui produit (miraculeusement selon Leibniz)
dans l'âme ou dans le corps les modifications correspondantes. Avec
l'harmonie préétablie de Leibniz, les créatures ne sont
plus rattachées qu'à Dieu, il n'y a plus d'influences entre les
esprits ni de manière générale entre les substances qui
soient de l'ordre d'une causalité externe (le mécanisme de
l'action et de la passion est interne et est lié a la théorie de
la perception chez les substances), les rapports entre substances sont donc
grandement simplifiés, la simplicité se trouvant également
dans le fait qu'il n'existe qu'un seul lien, celui qui va de chaque substance a
Dieu. Le §5 nous montre également que la variété, la
richesse qui a lieu a l'égard des effets ou fins s'exercent aussi pour
les créatures intelligentes. En effet, les esprits eux-mémes
participent a la multiplication des effets de par leur nature de miroirs se
représentant l'univers et Dieu luiméme. Leibniz écrit:
<<De plus toute substance est comme un monde entier et
comme un miroir de Dieu ou bien de tout l'univers, qu'elle exprime chacune a sa
facon, a peu près comme une méme ville est diversement
représentée selon les différentes situations de celui qui
la regarde. Ainsi l'univers est en quelque facon multiplié autant de
fois qu'il y a de substances, et la gloire de Dieu est redoublée de
méme par autant de représentations toutes différentes de
son ouvrage. >>1
Et: <<(...) toutes les âmes étant
essentiellement des représentations ou miroirs vivants de l'univers
suivant la portée et le point de vue de chacune, et par
conséquent aussi durables que le monde lui-même. C'est comme si
Dieu avait varié l'univers autant de fois qu'il y a d'âmes, ou
comme si il avait créé autant d'univers en raccourci convenants
dans le fond, et diversifiés par les apparences. Il n'y a rien de si
riche que cette uniforme simplicité accompagnée d'un ordre
parfait. >>2
Cette théorie de l'expression permet a Leibniz de
démultiplier a l'infini la représentation de l'univers puisque
chaque substance est un centre de perspective sur l'univers ou comme un monde
en concentré et exprime, méme si c'est de manière confuse,
tout ce qui se passe dans l'univers, passé, présent et futur. De
plus, comme les substances s'entr'expriment, on peut dire que dans chaque
représentation se trouve compris l'ensemble des autres substances et ce
dans chaque substance, ce qui s'apparente a un jeux de miroirs se
reflétant les uns les autres démultipliant ainsi l'univers et la
représentation de sa perfection. Il est méme possible d'affirmer,
pour aller contre l'objection formulée par Couturat, qu'en créant
le plus parfait, Dieu favorise déjà les esprits et leur bonheur
puisque ceux-ci éprouvent d'autant plus de plaisirs qu'il contemple la
perfection du monde. En créant la série infinie des substances et
plus particulièrement les esprits, Dieu réalise donc un
merveilleux moyen de production de richesses, de variétés, en un
mot, de perfection mais fait également preuve d'économie
puisqu'il fait se refléter la diversité des substances dans
chacune des substances créées et simplifie les rapports entre
substances avec l'harmonie préétablie, qui, rappelons-le est une
doctrine inventée par Leibniz d'après laquelle il n'y a pas
d'action directe entre les substances créées mais uniquement un
développement parallèle qui assure l'existence d'un rapport
mutuel réglé d'avance par Dieu.
1 Leibniz, Discours de métaphysique, §9
2 Leibniz, <<Lettre a la reine Sophie-Charlotte du 8 mai
1704 >>, in Principes de la nature et de la grace, monadologie et autres
textes, Paris, GF, 1996
Leibniz écrit: <<Or cette liaison [il parle de
l'harmonie préétablie] ou cet accommodement de toutes les choses
créées a chacune et de chacune a toutes les autres, fait que
chaque substance simple a des rapports qui expriment toutes les autres, et
qu'elle est par conséquent un miroir vivant perpétuel de
l'univers.
Et, comme une méme ville regardée de
différents côtés parait tout autre, et est comme
multipliée perspectivement; il arrive de méme, que par la
multitude infinie des substances simples, il y a comme autant de
différents univers, qui ne sont pourtant que les perspectives d'un seul
selon les différents points de vue de chaque Monade.
Et c'est le moyen d'obtenir autant de variété
qu'il est possible, mais avec le plus grand ordre, qui se puisse,
c'est-à-dire, c'est le moyen d'obtenir autant de perfection qu'il se
peut. >>1
Si au niveau mathématique (de la science), la
perfection consiste dans l'homogénéité, la
simplicité, l'unité, au niveau de l'être, la perfection
consiste dans la richesse, la fécondité, l'activité et
c'est encore de Descartes que Leibniz se distingue ici, car méme si
celui-ci admet, en bon mathématicien, la réduction logique du
divers a l'homogène, il ne méprise pas pour autant, comme
Descartes peut le faire, le divers (en effet, pour Descartes le divers n'est
qu'une apparence au sein de laquelle il faut trouver
l'homogénéité, il réduit d'ailleurs tout le domaine
de l'étant a de l'étendue ou a de la pensée). En
métaphysicien, Leibniz effectue l'inverse d'une réduction, il
souhaite montrer que dans le domaine de la vie, l'homogène doit
engendrer le multiple, la variété en accord avec la loi de
l'harmonie universelle.
Reprenons l'étude de l'objection, Grua écrit:
<<Graduée, la perfection comporte donc une mesure
métaphysique, science capitale car elle détermine l'existence du
meilleur, du plus harmonique et beau, du plus parfait ou du plus possible
d'essence. >>2
Il y a donc bien ici, comme l'a souligné Couturat, un
maximum, une volonté de chercher << le terme supreme de chaque
genre>> mais a la lumière des textes leibniziens, nous sommes en
mesure d'affirmer que déjà dans ce mécanisme est
présente la considération du bien des créatures car le
maximum est aussi recherché en matière de bonheur pour les
esprits et les esprits eux-mémes font partis du calcul qu'opère
Dieu a l'origine de la création.
1 Leibniz, Monadologie, Paris, Delagrave, 1963, §56, 57 et
58
2 Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, P.338
Leibniz écrit : <<Il suit de la perfection
suprême de Dieu qu'en produisant l'univers il a choisi le meilleur plan
possible oü il y ait la plus grande variété, avec le plus
grand ordre, le terrain, le lieu, le temps les mieux ménagés : le
plus d'effet produit par les voies les plus simples ; le plus de puissance, le
plus de connaissance, le plus de bonheur et de bonté dans les
créatures que l'univers en pouvait admettre. Car tous les possibles
prétendant a l'existence dans l'entendement de Dieu a proportion de
leurs perfections, le résultat de toutes ces prétentions doit
être le monde actuel le plus parfait qui soit possible. Et sans cela il
ne serait pas possible de rendre raison pourquoi les choses sont allées
plutôt ainsi qu'autrement. >>1
Dans ce texte, on voir clairement que Leibniz fait
référence au principe de détermination du maximum et que
le bonheur et la bonté des créatures y sont compris. Pourquoi
donc l'objection de Couturat a-t-elle été formulée?
D'oü vient l'erreur de ce reproche? Pour Jalabert, l'objection
résulte d'une mauvaise compréhension de la bonté divine.
En effet, celle-ci ne doit pas être prise dans un sens anthropomorphique,
la bonté de l'homme consiste a aimer son prochain mais dans la
tradition, la bonté de Dieu consiste dans l'amour que Dieu porte a ses
perfections (Leibniz est d'accord avec cela). Bien entendu, personne n'oserait
nier l'amour que porte Dieu a ses créatures car il dérive, comme
on l'a vu de l'amour de soi, Dieu aime ses créatures parce qu'elles sont
faites a son image. Le problème est que dans l'objection que Couturat
formule, le jugement porté sur la création résulte d'un
point de vue humain, l'homme ayant tendance a se représenter un Dieu
pardonnant, rendant la faute impossible alors que Leibniz, lui, lorsqu'il porte
un jugement sur la création, le fait en se placant au sein de l'essence
divine et ne concoit pas le bien uniquement dans son rapport avec les
créatures intelligentes mais dans son rapport avec l'univers tout
entier. Même si Dieu possède une volonté de gloire qui
enveloppe une volonté de bienveillance, elle ne s'y ramène pas,
si bien que Dieu ne sacrifiera pas tout a l'intérêt des
créatures raisonnables. Dieu a le souci de chaque être mais
également de l'ensemble de la création et il concilie les deux en
créant le meilleur. Cependant la commodité du monde (et par suite
l'optimum) n'apparaIt pas a tous car le plan divin, pourtant le meilleur, n'est
pas avantageux pour tous, d'oü l'existence de jugements négatifs,
partiels et fondés sur un anthropomorphisme et un égocentrisme
démesurés. Heureusement, la philosophie de Leibniz invite les
créatures intelligentes a dépasser leur point de vue,
c'est-à-dire, non pas a détourner les yeux du mal qui se trouve
dans la création mais a le regarder comme un composante
nécessaire, permise
1 Leibniz, Principes de la nature et de la grácefondes en
raison, Paris, GF, 1996, § 10
puisqu'elle fait parti du meilleur que Dieu a
créé et a s'élever a celui de Dieu d'oü l'harmonie
universelle peut être contemplée et l'insertion de
l'humanité dans le dessein de Dieu comprise.
A ce sujet Leibniz écrit, nous montrant par là
le double point de vue, celui de l'homme égocentrique,
étriqué et celui de l'homme savant, a priori : <<Mais
dira-t-on, c'est le contraire que nous constatons dans le monde [point de vue a
posteriori] : c'est pour les meilleurs, bien souvent, que les choses vont le
plus mal, ce ne sont pas seulement des bétes innocentes, mais encore des
hommes innocents qui sont accablés de maux, tués parfois
méme avec une extreme cruauté, si bien que le monde, surtout si
l'on considère le gouvernement humain, ressemble plutôt a un chaos
qu'à l'Wuvre bien ordonnée d'une sagesse supreme. Que telle soit
la première apparence, je l'accorde. Mais dès qu'on examine les
choses de plus près [point de vue a priori], l'opinion contraire
s'impose. Il est a priori certain, par les arguments mémes qui ont
été exposés, que toutes choses et a plus forte raison les
esprits recoivent la plus grande perfection possible. >>1
La deuxième source d'erreur qui amène a
s'imaginer que la perfection du monde n'est que métaphysique, nous
l'avons déjà dit, se trouve être que l'on pense en
général que la perfection du monde, sa bonté, et plus
particulièrement celle qui se trouve au sein de l'humanité,
doivent être jugées d'après un critère quantitatif
alors qu'il doivent l'être d'après un critère qualitatif.
En effet, mesurer la perfection ou encore le bien selon la quantité
revient a accepter l'idée selon laquelle le nombre est susceptible
d'infinité, ce qui est contradictoire.
Expliquons maintenant un peu plus en détail comment la
détermination de l'optimum intervient dans le processus de
création. La clé de la compréhension réside dans
l'harmonie des facultés de Dieu: entendement, puissance et sagesse, ses
trois attributs permettent de démontrer l'optimisme de Leibniz. En
effet, l'optimisme repose sur l'affirmation qu'en Dieu la puissance est
coéternelle a l'entendement et a la volonté ; il s'exerce
là encore un jeu entre ces facultés d'oü le meilleur ne peut
qu'advenir. Il faut donc examiner la manière dont les attributs divins
se concilient en Dieu méme. Comme nous l'avons dit
précédemment, il existe dans l'entendement de Dieu une
infinité de mondes possibles mais parmi tous ces mondes, un seul doit
parvenir a l'acte, Dieu doit donc choisir parmi la multiplicité des
mondes
1 Leibniz, 0pusculesphilosophiques choisis, << De rerum
originatione radicali >>, Paris, Vrin 1962, P.89
possibles. Cependant, comme il ne saurait le faire
arbitrairement, il doit exister une raison suffisante a son choix. Nous avons
explicité ce choix dans un premier temps par la théorie des
essences possédant une tendance a l'existence suivant leur degré
de perfection, Dieu ne pouvant vouloir que ce qui est le plus parfait possible.
Nous avons également parlé de la nature des essences en affirmant
que celles-ci étaient des êtres virtuels, incomplètement
réalisés, <<existant>> parce que l'entendement de
Dieu est réel mais sous une forme enveloppée, demandant cependant
a devenir pleinement sujet et substance. Nous les avons
caractérisées comme étant indépendantes entre elles
et s'affrontant idéalement dans l'entendement de Dieu pour l'existence
suivant une jeu de plus et de moins (de perfection) mais également comme
représentant des unités dont les <<parties>> sont
logiquement compatibles selon le principe de contradiction, ce qui signifie que
Dieu ne conçoit pas de choses contradictoires, chacune des essences
possédant une cohérence sans faille (en effet, dans la nature
interne d'un possible tout est lié, rien ne peut être
changé, c'est pourquoi un possible est ou bien admis a l'existence ou
bien rejeté entièrement, Dieu ne peut décomposer les
<<parties>> d'un possible pour les allier a d'autres). Elles nous
sont apparues comme étant également indépendantes de Dieu
lui-même car leur nature préexiste a l'action divine, en d'autres
termes, elles possèdent un mode d'être qu'elles ne tiennent pas de
Dieu mais qu'elles possèdent de toute éternité. Dans tout
cela, le role de Dieu nous est cependant apparu comme indispensable.
Malgré le côté mécanique du processus qui se joue a
l'origine des temps, lorsque Dieu lance un appel aux possibles dans son
entendement, il ne faut pas concevoir ce processus comme quelque chose qui
s'amorce et se réalise tout seul. Certes, lorsque l'on dit que le role
de Dieu est de régler le passage des essences a l'existence, on tend a
penser au premier abord que Dieu est uniquement sollicité en tant que
puissance productrice et que le reste se fait sans son intervention, comme si
Dieu intervenait uniquement pour le passage a l'acte du meilleur des mondes
possibles. Cependant, il s'avère que ça ne peut être le cas
car il s'agit bien ici de régler le passage des essences a l'existence,
par conséquent, Dieu doit également intervenir en tant
qu'intelligence, procédant a la création du monde selon la
représentation d'une loi. Laisser le monde se réaliser selon la
seule exigence des essences reviendrait a accepter un monde chaotique et a
faire du processus de création un processus se faisant selon une
nécessité métaphysique ou absolue. A cela il est
préférable de substituer l'exigence d'un choix divin guidé
par la sagesse et la représentation du bien, par conséquent de
faire du processus de création un processus nécessaire (puisqu'en
vertu de la manifestation des ses attributs et de sa volonté de gloire,
Dieu ne peut pas ne pas créer), mais d'une nécessité
morale, compatible avec la liberté. Jalabert écrit:
<<Il ne faut pas séparer la volonté des
motifs, considérer les idées de l'entendement [les essences
tendant a l'existence] comme des forces indépendantes exercant leur
pression sur la volonté. (...). Plus la volonté est
éclairée, et plus l'action est libre. Il est facile d'en conclure
que la seule liberté parfaite est la liberté divine, car Dieu
seul choisit touj ours en parfaite connaissance de cause et par suite choisit
toujours le meilleur. >>1
Outre la comparaison de la liberté divine avec celle de
la créature imparfaite opérée dans ce passage, on peut
relever la nature de l'action divine ainsi que la liaison des facultés.
L'activité de Dieu résulte de la volonté divine
inclinée moralement au meilleur et éclairée par
l'entendement, c'est un déterminisme moral qui s'opère
<<par le moyen terme d'une volonté réfléchie>>
nous dit Jalabert, c'est-à-dire que l'action divine est
subordonnée a la représentation du bien fournie par
l'entendement, non de manière arbitraire mais en adéquation avec
la volonté de Dieu qui dans son essence est prédisposée a
suivre cette représentation sans qu'il y ait pour autant un
déterminisme absolu.
Or cette nécessité morale s'exprime a travers le
principe de raison, dans une des ses formulations particulières, a
savoir a travers le principe de la convenance qui implique l'intervention de la
volonté divine. En effet, si la puissance de Dieu peut réaliser
n'importe quel monde, la sagesse de Dieu l'incline sans la
nécessité, si ce n'est moralement, a réaliser le meilleur
monde possible. Il faut remarquer quelque chose de très important pour
la suite, c'est que, comme le dit Jalabert, la puissance de Dieu est
<<plus ample>> que son action volontaire, autrement dit la
puissance de Dieu va ad maximum et sa volonté, par
l'intermédiaire de la sagesse qui lui montre l'optimum
(c'est-à-dire le meilleur qui doit être créé) ad
optimum. C'est ici un point central puisqu'il signifie que le mondé
créé par Dieu n'est pas absolument parfait, et pour cause: au
final, lorsque la volonté, <<conséquente>> ou encore
<<décretoire >> comme l'appel Leibniz, fait passer a l'aide
de la puissance divine le meilleur des mondes a l'existence, Dieu ne
crée pas tout ce qu'il peut, autrement dit, Dieu <<aurait pu mieux
faire>> si il n'avait pas été nécessité
moralement a suivre la représentation de l'entendement. Ce que nous
venons de dire ne signifie en aucun cas que, prises en compte toutes les choses
auxquelles Dieu lui-même doit se plier, le monde ne soit pas le meilleur
des mondes possibles, au contraire, il l'est et ce précisément en
vertu de l'alliance des facultés de Dieu. Alors pourquoi avoir
affirmé cela? Expliquons nous.
1 J. Jalabert, Le Dieu de Leibniz, Paris, Presse Universitaire de
France, 1960, P.149
Leibniz écrit: <<Et c'est ce qui est la cause de
l'existence du meilleur, que la sagesse fait connaItre a Dieu, que sa
bonté le fait choisir, et que sa puissance le fait produire.
>>1
Dans ce paragraphe se trouve la théorie de l'optimisme
de Leibniz sous la forme de l'affirmation de l'existence du meilleur: le monde
actuel est celui qui représente, comme nous l'avons dit, le plus riche
composé (il s'y trouve de la diversité dans les formes et dans
les êtres), celui oü le terrain a été le mieux
aménagé de sorte que Dieu a pu y mettre le plus grand nombre
possible d'éléments et oü il peut se réaliser le plus
merveilleux développement possible suivant une parfaite harmonie. Il est
également fait état dans ce texte de la
prépondérance de la sagesse divine. En effet, on y voit la
bonté déterminée par elle et ce infailliblement et la
puissance produire ce que la sagesse même de Dieu a proposé a la
volonté. Or, ce que propose la sagesse de Dieu ce n'est pas la
perfection absolue mais le <<meilleur >>, qu'est-ce donc qui
<<empêche>> la création d'un monde absolument parfait,
aussi bien pris dans sa totalité que particulièrement, lorsque
l'on observe ses parties? Premièrement (bien que cette raison soit
importante, elle n'est pas celle qui constitue a proprement parler notre
propos), le fait même que le monde créé se doit
d'être imparfait sinon il faudrait dire que Dieu aurait
créé son sosie, ce qui, en vertu du principe de l'identité
des indiscernables que Leibniz formule et qui stipule que deux êtres
réels diffèrent touj ours par des caractères
intrinsèques et non pas seulement de par leur position dans l'espace et
dans le temps (distinguables en soi donc), serait absurde car si Dieu
créait son double identique, il faudrait dire qu'ils ne font qu'un. Plus
particulièrement, ce qui empêche la création d'un monde
absolument parfait, c'est la limitation originelle des essences dans
l'entendement divin. En effet, l'imperfection fait aussi partie de la
<<nature>> de toutes les essences, on ne saurait les concevoir
comme parfaites sans en même temps en faire des petits dieux, ce qui est
contradictoire, car c'est par ce moyen même que l'on peut les distinguer
de Dieu. Dieu ne peut pas remédier a cette imperfection, il ne peut
composer et décomposer les essences pour en faconner de plus parfaites,
nous l'avons dit, elles doivent être prises telles qu'elles sont. La
création ne résout pas non plus le problème puisqu'elle ne
fait pas disparaItre la limitation originelle, bien plus elle la laisse
intacte. On peut même voir que cette imperfection originelle explique
beaucoup de choses dans le système leibnizien, notamment l'origine du
mal qui ne saurait être attribuée a Dieu car le mal étant
pour Leibniz une privation d'être, un
1 Leibniz, Monadologie, §55, Paris, Delagrave, 1998
manque, une imperfection et Dieu étant l'Etre qui
existe par excellence, possédant toutes les perfections au plus haut
degré, il ne peut en être le principe. Il faut davantage dire que
c'est la <<région des vérités
éternelles>> qui est la <<cause idéale >> ~ du
mal (comme du bien), idéale parce qu'il n'en a pas d'<<
efficiente>> car on ne peut causer ce qui a proprement parler n'existe
pas. Cette imperfection originelle est appelée <<mal
métaphysique>> par Leibniz et provoque le <<mal
physique>> ou souffrance ainsi que le <<mal moral>> ou
péché, le physique en tant que les créatures sont
susceptibles de peine dont la finalité peut être multiple (pour
corriger ou éviter un mal présent ou futur), moral en tant que le
péché résulte d'une disposition oü la créature
se ferme a l'action providentielle de Dieu, se met dans la haine des choses
mondaines et de Dieu. Une autre exigence avec laquelle Dieu est
<<contraint>> de composer se trouve dans l'idée de
<<compossibilité >>. L'entendement de Dieu se
représente le système le plus parfait compte tenu de
l'imperfection originelle des essences, de la considération de leur
quantité de perfection, mais également compte tenu du fait que
les essences ne peuvent pas toutes faire partie du même monde, non
seulement parce que cela viendrait a dire qu'un seule monde est possible (la
distinction essence-existence serait donc superflue), et nous sombrerions alors
dans un nécessitarisme a la Hobbes mais également parce que les
essences ne sont pas toutes compatibles entre elles. L'univers actuel n'est que
la collection d'un certains nombres de compossibles, les autres possibles
compossibles entre eux formant d'autres mondes possibles mais étant
restés a l'état de pures possibilités a cause de leur
incompossibilité avec l'essence du meilleur système. En effet, si
certaines essences étaient actualisées dans le même monde,
il y aurait des contradictions dans l'Wuvre de Dieu, ce qui est impossible, par
exemple, si Dieu faisait passer a l'acte un César franchissant le
Rubicon et un César ne le franchissant pas, la contradiction serait
manifeste, par conséquent, dans l'entendement de Dieu certaines essences
ne sont pas compatibles, si l'une advient, l'autre ne le peut, d'oü
l'importance du choix divin et de la règle qu'il suit lorsqu'il examine
ces possibles: a la fois la compossibilité entre essences mais aussi la
compossibilité avec l'harmonie universelle autrement dit avec l'essence
du meilleur des mondes qu'il se propose de créer en vertu de son infinie
bonté.
Lors de se processus, la sagesse de Dieu lui présente
donc ce qui doit être, il a ainsi accès a une connaissance
distincte de l'essence et du degré de perfection de tous les possibles
mais aussi et surtout accès a l'essence du meilleur des mondes et a la
manière dont il doit le composer suivant la matière dont il
dispose (les possibles) ; sa bonté choisit effectivement ce
1 Leibniz, Essais de Théodicée, §20
que lui propose l'entendement, car en tant qu'il est
souverainement bon, il veut le meilleur d'une nécessité morale,
c'est-à-dire qu'il suit le jugement de son entendement de manière
infaillible (il est en effet préférable d'être guidé
par une regle, ici le bien, la représentation du meilleur donnée
par l'entendement que d'agir a l'aveugle); sa puissance a en quelque sorte pour
role d'écarter ce qui empêcherait aux essences choisies de
développer ce qu'elles contiennent ou impliquent, c'est-à-dire de
réduire a l'impuissance les autres possibles qui ne sont pas
compossibles avec le plan divin et ce même si ils possèdent un
degré de perfection élevé. Il faut d'ailleurs
préciser que si l'entendement de Dieu ne lui avait pas montré
l'optimum, c'est-à-dire si il n'y avait pas eu de meilleur monde
possible, Dieu n'en aurait produit aucun puisqu'il n'y aurait eu aucune raison
pour qu'il le fasse. L'exigence suprême est la compossibilité avec
le dessein de Dieu, tout le processus qui se déroule
<<avant>> la création (priorité de nature) aussi bien
que le fonctionnement de la pensée divine et la coordination des
facultés se fait en fonction de etpour la réalisation de
l'optimum, le meilleur doit être. C'est ce qui fait dire a Boutroux que
la question du degré de perfection que présente le monde doit
être traitée avant tout a priori en partant de l'idée des
attributs de Dieu et en prenant soin de les prendre ensemble car les traiter
séparément provoque des erreurs. Par exemple, on ne peut
comprendre le <<sacrifice>> d'une créature si on ne regarde
que la bonté de Dieu, par contre, si on lie les attributs de Dieu, il
est possible d'expliquer ce <<sacrifice>> par la
considération de l'harmonie universelle en tant que dans l'entendement
divin, la créature demandait elle-même le sacrifice, en vertu de
son essence et compte tenu la marche de l'univers.
On peut donc voir que lors du processus visant a
déterminer le meilleur des mondes possibles, il s'exerce une sorte de
<<compromis >>. En effet, il est possible de distinguer deux phases
: la premiere correspond a la volonté de Dieu de créer tout le
bien et toute la perfection possible en vertu de sa suprême bonté;
la seconde est celle qui a proprement parler détermine l'optimum, elle
correspond au compromis qu'établit la sagesse compte tenu de l'exigence
de compossibilité et de la limitation originelle des essences, elle
correspond a une volonté <<conséquente>> qui se
détermine au meilleur et non a l'absolument parfait, Leibniz
écrit:
La BONTE de Dieu << l'a porté
antécédemment a créer et a produire tout bien possible ;
mais [que] sa SAGESSE en a fait le triage, et a été cause qu'il a
choisi le meilleur
conséquemment; et enfin [que] sa PUISSANCE lui a
donné le moyen d'exécuter actuellement le grand dessein qu'il a
formé. >>1
La sagesse de Dieu intervient donc au moyen de la puissance
divine pour borner le premier dessein de Dieu qui est de réaliser toute
espèce de bien possible, et ce en présentant a la volonté
le meilleur des systèmes possibles étant donné les
exigences auxquelles Dieu doit se plier. La volonté conséquente
de Dieu porte au décret global, elle porte sur l'ensemble du meilleur
des systèmes, sur la série des choses qui s'y trouve ainsi que
sur leurs rapports, elle est la volonté qui procède par
<<optimisation>> et qui résulte du concours de l'ensemble
des volontés antécédentes en conflit dans l'entendement
divin a la manière d'un combat entre des raisons pour amener telle chose
a l'existence de telle facon et non telle autre. Ces volontés finissent
cependant par se <<composer>> entre elles et donc par se modifier
mutuellement. Elles sont loin d'être <<vaines >> nous dit
Leibniz2 car elles possèdent un efficace, même si au
final, leur effet n'est pas <<plein>> puisque d'autres raisons,
supérieures ou tout simplement en conflit, viennent les limiter. De
cette compétition entre les volontés antécédentes
résulte la volonté conséquente <<de telle sorte que,
quand les effets de toutes ne peuvent coexister, il en soit obtenu le plus
grand effet qui puisse être obtenu par le moyen de la sagesse et de la
puissance. >>3
Précisons que la volonté
antécédente primitive porte sur le particulier mais qu'elle veut
universellement la même chose pour chaque être particulier (elle
veut par exemple le salut de toutes les créatures rationnelles), cette
première volonté (composée de multiples volontés)
ne fait pas de compromis, elle veut empêcher le mal et faire advenir
uniquement le bien, elle est a la fois proche des essences et en même
temps semble en être éloignée car elle ne prend pas encore
en compte leur limitation qui inclue nécessairement l'idée
d'imperfection et qui est la source du mal; Leibniz parle même d'une
troisième sorte de volonté, intermédiaire', la
<<moyenne>> qui est déjà plus proche de la
réalité des exigences auxquelles Dieu doit se plier
(compossibilité et imperfection des essences) et qui est proche de la
volonté qui porte au
1 Leibniz, Essais de Théodicée, § 116
2Leibniz , Causa Dei, §27
3lbidem, §26
' Dans un opuscule intitulé << Conversation sur
la liberté et le destin >>, Leibniz tient a clarifier une chose:
il n'y a pas de <<priorité de temps >> dans les
décrets de Dieu même si on peut parler de <<priorité
de nature >> lorsque l'on parle de volonté
antécédente, moyenne et conséquente. Cependant <<il
faut considérer que Dieu ne forme aucun décret sans avoir en vue
toutes les causes et toutes les suites dans tout l'univers, a cause de la
connexion de toutes choses. De sorte que le meilleur serait de dire que Dieu ne
forme qu'un seul décret, qui est celui de choisir cet univers parmi tous
les autres possibles, et dans ce décret tout est compris sans qu'on ait
besoin de chercher un ordre entre les décrets particuliers, comme s'il y
en avait d'indépendants les uns des autres.>>
décret; elle commence a combiner bien et mal mais de
manière particulière, sans avoir égard a l'ensemble des
biens et des maux et compose avec ce que la sagesse de Dieu montre, c'esta-dire
le fait qu'il ne soit pas possible d'amener uniquement le bien a l'existence,
le mal étant une composante des essences étant donnée leur
limitation originelle. Leibniz écrit:
<<La volonté antécédente primitive
a pour objet chaque bien et chaque mal en soi, détaché de toute
combinaison, et tend a avancer le bien et a empêcher le mal : la
volonté moyenne va aux combinaisons, comme lorsqu'on attache un bien a
un mal; et alors la volonté aura quelque tendance pour cette combinaison
lorsque le bien y surpasse le mal; mais la volonté finale et
décisive résulte de la considération de tous les biens et
de tous les maux qui entrent dans notre délibération ; elle
résulte d'une combinaison totale. >>1
Ainsi, plus on descend vers la volonté
conséquente et plus Dieu respecte ce que son entendement lui montre.
Cependant, on voit clairement que dans ce processus c'est la bonté de
Dieu qui transparaIt, elle est celle qui inaugure le mécanisme, elle est
comme la cause de la création, car Dieu veut créer, il veut
répandre ses perfections, et dans son infinie bonté il irait
presque jusqu'à commettre une absurdité, créer un monde
infiniment et absolument parfait comme lui, il irait presque jusqu'à
s'épuiser dans cette création tellement il veut le bien de sa
créature, le Dieu de Leibniz est a l'image du père se sacrifiant
corps et âme pour son fils. Cependant, ne pouvant réaliser un
monde absolument parfait sans en même temps violer les lois de son
entendement et sans par conséquent se détruire lui-même, il
prend en considération la matière déjà
composée d'êtres <<vivants >>, lui demandant
l'existence et avec lesquels il se doit composer le monde ; car il n'est pas le
Dieu tyran, il n'est pas le Dieu froid de Descartes. Sa sagesse lui montre
qu'il peut réaliser le bien en composant le meilleur des
systèmes, certes imparfait, sans que sa bonté ne soit en rien
entamée, diminuée, il suit ce que lui recommande sa sagesse et sa
puissance réalise, en conformité avec sa volonté, un monde
dont la bonté, la beauté et la perfection sont optimales.
Il doit nécessairement en être ainsi car la
bonté de Dieu est infinie, on ne peut en concevoir de plus grande comme
on ne peut concevoir une sagesse et une puissance supérieures a celle de
Dieu. A ceux qui pensent que l'optimum est indigne de Dieu nous ne pouvons que
leur reprocher leur mauvaise compréhension de l'aséité
divine et de ses attributs: Dieu ne peut
1 Leibniz, Essais de Théodicée, § 119
faire que le meilleur sinon il faudrait concevoir une limitation
aux facultés divines. Leibniz écrit a ce sujet:
<<(...) Dieu fait le meilleur qui soit possible:
autrement ce serait borner l'exercice de sa bonté, ce qui serait borner
sa bonté elle-méme, si elle ne l'y portait pas, s'il manquait de
bonne volonté; ou bien ce serait borner sa sagesse et sa puissance, s'il
manquait de la connaissance nécessaire pour discerner le meilleur et
pour trouver les moyens de l'obtenir; ou s'il manquait des forces
nécessaires pour employer ces moyens. >>1
La volonté divine se détermine donc selon la
représentation du bien, il existe un lien indissociable entre la
bonté de Dieu et la création du meilleur. L'optimum sert ici de
motif a Dieu en méme temps qu'il explicite la structure de la
création. Mais cet optimum résulte d'un concours de Dieu avec les
essences, d'un concours de l'infini avec le fini, du parfait avec l'imparfait,
de ce concours il ne peut donc pas résulter le tout parfait. Expliquons
nous. Les perfections de Dieu s'exercent ensembles (elles sont compatibles en
tant que formes simples, distinctes les unes des autres, elles ne peuvent se
contredire) si bien que la volonté de créer le meilleur
intervient lorsque la puissance est déterminée par la
lumière de l'entendement, de plus on ne saurait concevoir que dans la
création de l'univers Dieu ne fasse pas le meilleur car ce serait borner
ses perfections dans leur exercice.
Cependant, il faut dire, face a l'objection suivante: si Dieu
avait réellement un amour infini pour le bien et une haine infinie pour
le vice, il n'y aurait pas du tout de vice dans le monde, que : <<quoique
chaque perfection de Dieu soit infinie en elle-méme, elle n'est
exercée qu'à proportion de l'objet, et comme la nature des choses
le porte (...). >>2 Comme nous l'avons dit, Dieu ne peut
remédier a l'imperfection originelle des essences, source du mal, c'est
donc bien en conformité avec la nature des essences et en fonction de ce
que lui commande son entendement moyennant la volonté de faire le
bien3 que Dieu réalise le meilleur possible. Mais l'optimum a
un prix: le mal métaphysique. Il est en effet un coüt
<<minimum>> nécessaire pour que le meilleur des mondes
parviennent a l'existence et comme l'être est supérieur au
non-être (c'est un postulat), il est préférable de
créer un monde présentant des imperfections que de ne rien
créer du tout. A partir de là suit le processus que nous avons
mis a jour suivant la limitation originelle des essences.
1 Leibniz, Essais de Théodicée, § 117
2Ibidem
3 Ibidem, § 327: <<Il n'y a que Dieu qui ait toujours
les volontés les plus désirables, et par conséquent il n'a
point besoin du pouvoir de les changer.>>
L'optimisme de Leibniz se manifeste dans cette deuxième
voie que nous nommions plus haut <<théologique
>>1 a travers l'idée selon laquelle la bonté de
Dieu (perfection de la volonté) est un attribut essentiel et est
déterminée moralement a se répandre; elle englobe
méme en un sens la première voie, la logique, puisque de tout
temps Dieu est guidé par la représentation du bien.
L'aboutissement du mécanisme qui s'exerce dans le processus de
création de l'univers se trouve être le plus parfait des mondes
possibles mais cette perfection est relative et non absolue puisque l'univers
ne possède pas la supreme perfection, seul fait de Dieu, il se
caractérise davantage par la plus grande perfection possible (pour lui),
notamment parce qu'en son sein le mal (en tant qu'il trouve son origine dans
l'imperfection des essences) est présent de manière
irrémédiable. Le mal métaphysique est donc
nécessaire, contrairement au mal physique et moral, il entre dans les
différents mondes possibles a titre de composant nécessaire
puisque, aussi bien pour le monde actuel que pour les autres mondes possibles
dans l'entendement divin, les essences restent finies, limitées. Leibniz
écrit:
<<On peut prendre le mal métaphysiquement,
physiquement et moralement. (...). Or, quoique le mal physique et le mal moral
ne soient point nécessaires, il suffit qu'en vertu des
vérités éternelles ils soient possibles. Et comme cette
région immense des vérités contient toutes les
possibilités, il faut qu'il y ait une infinité de mondes
possibles, que le mal entre dans plusieurs d'entre eux, et que méme le
meilleur de tous en renferme; c'est ce qui a déterminé Dieu a
permettre le mal. >>2
Le mal métaphysique est inévitable, il est la
privation d'un bien métaphysique, il est donc indissociable du bien
lui-même. Dans le concept méme de <<finitude>> qui
caractérise les essences sont comprises les notions d'imperfection, de
limitation et de privation. Par conséquent, ceux qui auraient
préféré que Dieu ne crée pas de créatures
imparfaites en créant le monde, auraient préféré en
fin de compte que Dieu ne crée pas du tout. La création de ce
monde n'est possible qu'à la condition de créer des
créatures imparfaites puisqu'elles sont déjà, dans leur
nature idéale, limitées. D'un point de vue logique, il faut
d'ailleurs que cela soit ainsi car si la créature n'était pas
imparfaite, si elle ne possédait pas quelques
1 Jalabert décrit de la sorte la voie
théologique in Le Dieu de Leibniz, P.204: <<La bonté est un
attribut essentiel de Dieu; en tant que telle, elle est nécessaire, et
consiste dans l'amour que Dieu porte a ses perfections. Mais cette bonté
divine est déterminée, quoique librement, a se répandre, a
créer. Dieu veut tout bien d'une volonté
antécédente; il veut le meilleur monde possible d'une
volonté conséquente ou décrétoire.>>
2 Leibniz, Essais de Théodicée, §21
imperfections de toute éternité,
c'est-à-dire avant même le péché, il faudrait dire
qu'elle est Dieu lui-même.
On peut donc voir déjà que Dieu n'est pas cause
du mal métaphysique (ce qui répond a une partie des objections
sur l'effectivité du mal dans le monde), ce sont les créatures
qui du fait de leur imperfection originelle sont par suite créées
déficientes (dans leur mode de connaissance, dans leur capacité a
voir le bien réel), il faut même dire que si l'origine du mal se
trouve dans cette limitation essentielle des possibles, il n'y a pas a
proprement parler de cause efficiente du mal, celui-ci a tout au plus une cause
idéale (comme le bien) qui se trouve être l'entendement de Dieu
car il est une privation totale d'être. Pour signifier que le mal n'a pas
de cause, que son non-être n'est pas causé, ce qui serait absurde,
la tradition scolastique a nommé la cause du mal comme étant une
cause deficiente.
Puisque la constitution des possibles est ainsi de toute
éternité, il faut dire que le mal est inséparable du bien
mais qu'il est aussi sa condition: inséparable parce que le mal est
coéternel au bien dans l'entendement divin et sa condition parce que la
volonté conséquente qui (ne) tend (qu') au meilleur, admet le mal
comme condition de la réalisation du bien qui se trouve dans le meilleur
des systèmes possibles. Il sera a propos de voir par la suite que
même dans la considération a posteriori du monde, le mal joue
aussi ce rôle de condition, il rend possible et détermine un plus
grand bien. Mais pour l'instant, il suffit pour notre propos de dire que le
mal, le désordre qui se trouvent impliqués dans le meilleur des
mondes possibles, n'entament en rien la perfection, aussi bien
métaphysique que morale, de l'Wuvre de Dieu. L'inégalité
au niveau de la répartition des biens et des maux dans le monde, comme
l'imperfection des créatures représentent une
nécessité que demande l'harmonie universelle. C'est en vertu de
ces imperfections que Dieu peut réaliser l'infinité des
degrés de l'être. Comme nous l'avons dit, la sagesse de Dieu
demande a ce que l'univers soit riche et varié, composé d'une
multiplicité de formes, or on voit clairement que si Dieu multipliait
uniquement le parfait, il n'en sortirait pas de la diversité mais de la
pauvreté: <<multiplier la même chose, si noble qu'elle
puisse être, est une pauvreté>> écrit Boutroux dans
son explication de la philosophie de Leibniz. On retrouve la même
exigence dans la création des créatures dont le degré de
distinction dans leur perception est inégal; là encore il s'agit
de diversité exigée par la sagesse de Dieu, cela permet aux
substances de se distinguer et en même temps de faire en sorte qu'il n'y
ait pas de lacunes entre les degrés de perfections mais plutôt
continuité de zéro a l'infini.
Au final, il faut dire que Dieu ne créant pas les
essences, il n'est pas responsable de leur déficience originelle, il
fait donc exister le mal, ou plutôt le permet, non pour lui-même
car il n'est pas l'objet d'une volonté particulière, mais parce
qu'il est compris dans le meilleur des plans que sa sagesse ne pouvait manquer
d'élaborer. Cette permission ne doit donc pas poser problème
comme si il était question de savoir si celle-ci est licite et digne de
Dieu, elle doit être prise comme une composante nécessaire et
comme quelque chose d'obligatoire, même, et surtout pour Dieu.
Il nous faut maintenant amorcer une descente en nous
intéressant aux créatures qui seront plus particulièrement
l'objet d'une troisième étude. Nous pouvons d'ors et
déjà affirmer que la création du monde est aussi un
optimum pour les créatures susceptibles de bonheur malgré le mal.
Grua cite Leibniz:
<<Dieu, s'il est ce qu'il ne peut manquer d'être,
a sans doute eu égard principalement a cette sorte de créatures
capables de le connaItre et de l'aimer, lorsqu'il a formé les autres, et
puisqu'il est lui-même un esprit, et que tout n'est fait que pour les
esprits, je suis assuré que les esprits ont été bien
coordonnés préférablement a toutes les autres choses,
qu'ils passent infiniment en noblesse, puisqu'ils expriment la perfection de
leur créateur d'une toute autre manière que le reste des
créatures incapables de cette élévation.
>>1
Ce texte nous révèle que les esprits
représentent un souci particulier pour Dieu mais nous en apprend
également un peu plus sur Dieu lui-même: Leibniz raisonne de
manière logique, si Dieu est ce qu'il est, il n'a pu que faire en sorte
de faconner le monde a la convenance des esprits. Pourquoi cela? Cela tient au
fait même que les esprits sont les seules créatures capables de
bonheur et de plaisirs et les seules a pouvoir rendre hommage a leur
créateur qui, comme on l'a dit, crée pour répandre sa
gloire et manifester ses perfections. Par conséquent, si seuls les
esprits sont capables de bonheur et seuls a pouvoir manifester la gloire de
Dieu, il est logique que Dieu se soit donné pour principal dessein de
contenter les esprits et ait fait en sorte que le monde soit pour le mieux pour
eux. Cela ne veut pas pour autant dire que Dieu sacrifierai tout le reste de la
création au seul bonheur des esprits puisque les autres créatures
sont également censées manifester la gloire de Dieu mais comme
elles sont dénuées de
1 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, chapitre 11
réflexion, elles servent plus qu'elles ne
témoignent de cette gloire et favorisent également le bonheur des
esprits. Grua écrit:
<<Créant pour sa gloire, Dieu a tout
constitué de la façon la plus parfaite par rapport aux
créatures raisonnables, pour que tout leur plaise d'autant plus qu'elles
entreront dans l'intimité des choses. >>1
Bonheur et connaissance sont ici rapprochées. La
Confessio philosophi nous le montre encore plus parfaitement lorsqu'elle nous
dit que les esprits sont les seuls a pouvoir être heureux car ils sont
les seuls être conscient de leur bonheur: nul n'est heureux sans savoir
qu'il l'est, or tout être conscient de son état est un esprit,
donc nul n'est heureux qui ne soit un esprit2 . Ce rapprochement est
d'autant plus sensible que le bonheur des esprits consiste a
<<éprouver l'harmonie >>, c'est-à-dire a percevoir la
tendance a l'unité qui se joue au sein méme de la
diversité, a percevoir la perfection du monde, sa richesse, son
unité en méme temps que sa diversité. De la méme
manière que l'harmonie dans la perception consiste a percevoir la
tendance a l'identité, l'harmonie de l'esprit se jouera dans la
pensée de l'harmonie concentrée dans l'esprit, autrement dit dans
la perception intuitive de l'harmonie universelle, par suite de Dieu. Le
bonheur est donc inséparable du plaisir que l'on a de contempler Dieu et
l'univers.
Ce qu'il nous faut ici retenir pour la suite, c'est que Dieu
voulant retirer de sa création de la gloire il a nécessairement
du, lors de la composition du meilleur de monde, accorder une attention toute
particulière aux esprits qui sont les seuls a pouvoir manifester sa
gloire. L'amour et la gloire de Dieu sont indissociables de la création
du meilleur des mondes, en général mais aussi pour les esprits.
Cependant, il ne faut pas tirer de conséquences hâtives, certes le
monde a été créé de facon a convenir aux esprits
mais cette convenance n'a pas été exclusivement mise en place
pour satisfaire les désirs égoIstes des esprits: si Dieu
privilégie les esprits, il ne peut le faire que relativement a ce que
demande l'harmonie universelle et non intervenir miraculeusement pour sauver un
esprit ou pour lui éviter un mal, Dieu est nécessité
moralement a respecter le cours harmonique de l'univers. C'est ce que Grua dit
lorsqu'il écrit :
1 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, chapitre 11 2Leibniz, Confessio
philosophi, Paris, Vrin, 1970, P.31
<<On peut dire que les esprits rendent gloire a Dieu par
leur bonheur même, et que Dieu a fait le monde en vue de sa plus grande
gloire, ou du plus grand bonheur des esprits, non absolu et universel, mais tel
qu'il est collectivement possible. Ainsi, tout en prenant la tête des
créatures, les esprits restent subordonnés a la gloire de Dieu.
Leur bonheur collectif lui équivaut. Sa distribution est limitée
par l'harmonie universelle qu'elle exige. >>1
Il faut donc se garder de deux choses : une gloire qui ne soit
recherchée par Dieu sans même une manifestation de sa bonté
(cette recherche serait vaine puisque les esprits ne reflèteraient pas
l'harmonie mais un Dieu tyran) ou encore une bonté que ne soit
définie que par rapport aux esprits et a leurs profits (ce serait
prendre la bonté de Dieu dans un sens anthropomorphique et penser que
Dieu pourrait sacrifier l'univers pour le bonheur d'un esprit).
Au terme du second moment de notre étude, nous pouvons
voir que l'optimisme de Leibniz est l'objet d'une démonstration, il est
considéré a priori et se construit a partir d'une
réflexion sur l'idée de Dieu. Afin d'établir pourquoi la
philosophie de Leibniz pouvait être dite << optimiste >>,
nous avons été contraint de passer par l'établissement de
l'essence de Dieu en explicitant notamment en quoi consistaient ses attributs.
Une telle méthode s'est en réalité
révélée être une description du mécanisme de
la pensée divine mais également une analyse de la relation entre
Dieu et les créatures possibles avant même la création de
l'univers. C'est en effet une chose très importante que cette
distinction que Leibniz opère entre les essences et les existences
puisque l'univers résulte du <<concours>> entre Dieu, en ce
qu'il se propose de créer le meilleur et les essences compte tenu de
leur nature (elles sont incréées dans l'entendement divin, se
révèlent ne pas être toutes compossibles lorsqu'il s'agit
pour Dieu de les assembler pour composer le meilleur des systèmes et
sont imparfaites). Ce mécanisme de la pensée de Dieu nous est
apparu comme procédant selon deux voies ou deux temps, non distincts
mais solidaires et interdépendants, deux temps qu'il est possible de
distinguer mais qui ne sont en réalité qu'un seul en Dieu. Un
premier temps, logique et mathématique oü entrait en
considération la détermination d'un <<maximum>> dans
l'optique de la création du meilleur des mondes, ce maximum ayant
égard a la perfection des essences et a leur
1 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, P.375
prétention a l'existence mais également au fait
méme que Dieu se propose de créer le plus riche composé,
possédant variété et ordre selon des voies dont la
simplicité ne diminue pas la richesse des effets ; un second moment,
moral ou théologique, oü la bonté de Dieu entrait en
considération dans la détermination cette fois-ci d'un
<<optimum>> correspondant réellement a ce que nous appelons
le <<meilleur >>. Cette bonté de Dieu est en effet la
clé du mécanisme métaphysique qui s'exerce a l'origine,
elle est cause dufiat de Dieu et méme avant cela, de la décision
de créer et de se communiquer. Nous avons affirmé que cette
bonté s'exercait sur l'univers tout entier: Dieu ayant égard au
tout et aux parties, rien n'est laissé pour compte car aucune partie ne
peut être jugée moins digne de la bonté de Dieu quelque
soit son degré de perfection. La bonté de Dieu s'exerce sur tout
mais en conformité avec ce que l'harmonie universelle réclame. Si
Dieu a égard a tout lors de la détermination du meilleur des
mondes possibles, le genre humain, une partie de l'univers qui rentre en compte
dans le dessein de Dieu doit donc aussi être l'objet d'un optimum,
autrement dit, l'optimum créé par Dieu doit pouvoir être
profitable aux créatures susceptibles de bonheur, celles qui sont a
méme de penser et d'éprouver l'Wuvre de Dieu. C'est ce que
Leibniz entend démontrer, et c'est ce que nous avons esquissé en
affirmant que la volonté qu'a Dieu de retirer de la gloire de son Wuvre
était indissociable de la création du meilleur et plus
particulièrement du meilleur pour les esprits et ce compte tenu du mal
métaphysique qui s'exerce déjà a l'origine dans
l'entendement divin au sein des essences. <<La gloire exclut le pouvoir
de faire mieux, car elle consiste a montrer la perfection divine, elle suppose
donc que Dieu agit de la facon la plus parfaite, choisit ce qui atteste le
mieux sa gloire. >> 1 Il ne peut en être autrement sinon Dieu
n'aurait pas créé l'univers. Face aux objections sur la
bonté de l'univers dans son rapport aux esprits, il faut se garder de
tomber dans un anthropomorphisme, comme si l'univers était uniquement
fait pour les esprits que nous sommes; il faut au contraire affirmer, contre
toutes objections et contre l'expérience méme qui recense une
multitude de maux, que Dieu nous aime et qu'il peut se faire aimer de nous en
retour suivant ce que demande l'harmonie universelle.
Mais qu'en est-il des créatures en tant que telle? Il
est vrai que jusqu'ici nous avons procédés de
démonstrations en démonstrations, c'est-à-dire totalement
a priori afin de révéler que l'optimisme de Leibniz se montrait
dans la doctrine de la création et dans le jeu méme des
facultés de Dieu suivant les exigences auxquelles Dieu était
confronté lors de la détermination du meilleur possible. Mais que
dire des créatures encrées dans ce meilleur des
1 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, P.311
mondes possibles ? Quelle est, ou plutôt quelle devrait
être leur disposition ? De l'optimisme comme théorie nous pouvons
passer a l'optimisme comme état d'esprit, comme disposition des esprits
et examiner comment la philosophie de Leibniz, dans ce que nous venons
d'établir, procure aux créatures intelligentes un contentement
que l'on peut nommer <<optimisme >>. Il sera également
intéressant d'examiner les conséquences d'une telle disposition
chez les esprits : quel regard sur le monde, que procure de manière
générale cet optimisme? Mais aussi les modalités
méme d'accès a cet optimisme, plus particulièrement dans
ce qu'il affirme: notre monde est le meilleur des mondes possibles, seront
aussi abordées : la raison suffit-elle pour accéder a ce que
l'optimisme en tant que théorie stipule ou bien serait-il finalement
question de foi?
* **
TROISIEME PARTIE
L'optimisme chez les creatures rationnelles
Il est temps d'examiner l'optimisme chez les créatures
pris en tant que disposition, de voir ses conséquences et d'examiner
comment l'optimisme peut par là même s'implanter dans les
esprits.
A - L'exercice de la raison mène les esprits a
l'optimisme entendu comme disposition.
Jusqu'ici nous avons mis en place la théorie de
l'optimisme telle qu'elle a pu être extraite a partir de la
considération du mécanisme s'exercant lors de la création
de l'univers et plus particulièrement a partir de l'idée de Dieu
et de la considération de l'exercice de ses facultés lors de la
création du meilleur des mondes, notamment en ce qu'elles s'exercent
ensemble. Nous avons, tout au long de l'étude précédente,
procédé de manière a priori et selon une méthode
progressive en considérant les choses du point de vue de l'essence
divine, méthode nécessaire puisque l'optimisme de Leibniz est
démontrable par la raison et non par les données de
l'expérience qui viennent la plupart du temps se positionner a tort
contre toute doctrine soutenant la perfection du monde. Avec Leibniz, il faut
dire que l'optimisme domine l'expérience mais sans la nier, Leibniz
s'attachant a montrer la raison des maux dans l'univers. Comme le souligne E.
Boutroux, <<Au lieu de chercher Dieu par une méthode
régressive [de la considération du monde a l'existence de Dieu],
il [Leibniz] s'installe d'abord au sein de son essence et considère les
choses de son point de vue: il va de Dieu aux choses, de l'infini au fini.
>>1 Cette méthode nous a donc permis d'établir
que l'optimisme de Leibniz se traduisait sous la forme d'un optimum, d'une
création optimale, résultat du travail divin s'opérant
<<avant>> le décret final et débouchant sur un
état qu'il nous a fallu décréter comme étant le
plus favorable, par suite le meilleur (dans son ensemble et
particulièrement pour les esprits), eu égard a la nature de Dieu,
a son dessein mais également considération faite de la nature de
la <<matière>> avec laquelle Dieu s'est vu contraint de
composer, a savoir avec des essences ontologiquement imparfaites.
Il s'agit désormais pour nous de prendre en
considération l'optimisme mais tel qu'on le concoit au premier abord,
c'est-à-dire comme état d'esprit, comme affection, mais comme
affection réfléchie, car comme nous l'avons dit, l'optimisme de
Leibniz est philosophique, construit d'après des raisons et sur la
raison, il ne se laisse pas influencer par l'expérience. Nous devons par
conséquent examiner, puisque nous sommes les créatures qui
réfléchissons sur le monde et par qui l'optimum du monde fait
sens, comment, en effet, depuis notre
1 E. Boutroux, philosophie allemande au XVIIe siècle,
Paris, Vrin, 1948, P.7
condition d'être incarné, l'optimisme peut se
manifester et se faire opinion et même doctrine en nous; comment, de
plus, il est possible de le défendre contre les objections et apparences
de l'expérience, autrement dit établir par quels moyens
accessibles a l'homme qui se dit esprit il est possible de parvenir a la
certitude que le monde dans lequel nous nous trouvons est le meilleur possible,
ce qui est fonder l'optimisme en tant que disposition affective, regard sur le
monde.
Il est donc possible de voir que tout ce que nous avons
établi dans le second moment de notre étude a été
tiré a priori de la notion de Dieu et non de l'expérience, plus
particulièrement au moyen d'une faculté de connaItre, celle-la
même avec laquelle on définit l'homme : la raison. C'est avec et
selon la droite raison que Leibniz met en place son système, c'est avec
l'aide de la seule raison qu'il entend faire surgir la vérité
lorsqu'il examine la notion de Dieu et ses conséquences pour la
création de l'univers. Pour nous qui souhaitons disserter sur
l'optimisme, ce n'est pas autrement que nous devons procéder puisqu'il
s'avère que montrer comment les créatures peuvent atteindre une
disposition optimiste, c'est-à-dire être persuadées que le
monde est le meilleur des mondes possibles et qu'il est aussi un optimum pour
leur bien être, revient en quelque sorte a expliciter aussi bien la
démarche propre de Leibniz que le mécanisme qui doit s'effectuer
dans les esprits si ceux-ci veulent parvenir a un état d'oü
l'harmonie universelle leur dévoile la perfection métaphysique et
morale de l'univers. Le processus par lequel Leibniz aboutit a son
<<optimisme>> est le même que chaque esprit doit parcourir
pour atteindre la disposition affective que l'on nomme <<optimisme
>>. Comment donc s'effectue l'atteinte, l'implantation, la
découverte de ce qui est pour Leibniz la vérité et qui
apparaIt pour nous source d'optimisme? D'après ce que nous venons de
dire, il est clair que l'optimisme comme état d'esprit et par
conséquent comme vision du monde résulte d'une réflexion
sur Dieu, il est indissociable d'un travail de la raison pour connaItre Dieu,
son essence. Par conséquent, il est possible de dire que la disposition
de la créature sera différente selon qu'elle se représente
un Dieu tel que celui que Leibniz décrit, un Dieu dont les perfections
sont liées et s'exercent ensemble, un Dieu qui en conséquence
agit en prenant en considération ce que sa nature demande,
c'est-à-dire la création du meilleur ou bien un Dieu dont
l'essence se trouve circonscrite par la seule notion de puissance infinie. Nous
voyons ici qu'il s'agit évidemment de capacité a atteindre la
vérité, a raisonner correctement sur les matières
concernées et donc aussi de la propension a l'erreur et de ce qui peut
être source d'erreur, par conséquent de ce qui peut masquer la
vérité nous menant a
l'optimisme, a ce que Leibniz - qui prétend bien sür
posséder la vérité sur ces matières - luimême
théorise.
Nous ne souhaitons pas revenir ici sur la totalité des
résultats de Leibniz que nous avons abordé
précédemment, qu'il nous soit simplement permis de dire que
l'optimisme de Leibniz dépend intégralement de la
représentation qu'il se fait de Dieu: un Dieu dont la puissance va ad
maximum et la bonté ad optimum, un Dieu louable car il ne fait rien sans
raison, sans connaItre que ce qu'il fait est le meilleur possible, un Dieu qui
suit par conséquent ce que sa sagesse lui montre comme devant
être. Par là on comprend pourquoi Leibniz s'attache a montrer la
fausseté des conceptions spinoziste et cartésienne de la
divinité, ce qu'il veut, c'est précisément rapprocher les
créatures de leur créateur et il y parvient en définissant
un Dieu providentiel, un Dieu proche de l'homme dans les deux sens du terme,
notamment parce qu'il le définit comme directement concerné par
sa création, soucieux de sa perfection, de son bonheur mais
également parce qu'il réduit la différence entre Dieu et
les créatures a n'être plus qu'une différence de
degré d'être, de degré de perfection et non dans une
différence de nature, comme si la manière d'opérer de Dieu
n'avait pas quelques similitudes avec celle des esprits lorsque ceux-ci
agissent et progressent par la réflexion sur le chemin de la
vérité (l'homme peut imiter l'action de l'entendement divin et la
de la volonté divine). C'est donc en un sens pour détruire les
obstacles menant a l'optimisme - qu'il ne définit pourtant pas - et a la
confiance en Dieu que Leibniz montre l'erreur des diverses conceptions de Dieu
auxquelles sa philosophie le confronte. Il montre ainsi que le
<<despotisme divin>> est l'erreur des théologiens qui
suppriment la bonté de Dieu en faisant de la volonté divine la
source arbitraire de tout ce qui est et que l'
<<anthropomorphisme>> est quant a elle l'erreur de ceux qui au
contraire rabaissent la grandeur de Dieu, ce qui, nous le verrons, est la
source d'un certain égocentrisme chez le créatures qui
s'imaginent a tort que Dieu devrait intervenir auprès d'elles
constamment pour supprimer la cause de leur maux, cette erreur,
conjuguée avec l'idée selon laquelle tout est fait dans l'univers
pour les créatures rationnelles ayant pour conséquence chez la
créatures un penchant pour le pessimisme (puisque dans la
réalité Dieu n'intervient pas comme elles pensent qu'il devrait
le faire), qui a pour conséquence la haine des choses mondaines et de
Dieu lui-même. Leibniz écrit:
<<Les théologiens rigides ont plus tenu compte de la
grandeur de Dieu que de sa bonté; les relâchés ont fait le
contraire: la véritable orthodoxie a également a cWur ces deux
perfections.
L'erreur qui abaisse la grandeur divine pourrait être
appelée anthropomorphisme, et despotisme celle qui enlève a Dieu
sa bonté. >>1
Par conséquent, lorsque Leibniz nous donne sa
conception de la nature de Dieu, il est possible ensuite de trouver pour notre
propos ce que l'on peut nommer un <<fondement>> a l'optimisme des
créatures. Ce qui procure a la créature un état d'esprit
confiant et assuré c'est notamment la soumission de Dieu au principe de
raison, principe qui sert, nous l'avons dit, a Leibniz dans la fondation
méme de son système mais qui par conséquent sert aussi aux
créatures lorsqu'elles veulent atteindre la vérité, comme
elles peuvent le faire selon Leibniz si elles s'attachent correctement a suivre
la raison. La soumission commune de Dieu et des créatures au principe de
raison permet a Leibniz de montrer que les assertions qu'il fait et qui sont
les composantes méme d'une << théorie de l'optimisme
>> sous jacente chez lui ne sont pas rien, c'est-à-dire ne sont
pas éloignées de la réalité, si bien qu'avec
Leibniz, la raison peut disserter sur Dieu, sur sa nature, comme nous avons pu
le faire précédemment, et les assertions avoir quelques rapports
avec les vérités qui se trouvent dans l'entendement divin. Ce qui
sert de fondement pour l'optimisme des créatures, c'est également
l'alliance des perfections divines lors de la création de l'univers si
bien que Dieu n'est ni un despote ni pour autant un Dieu au service de ses
créatures, il est a la fois parfaitement sage, absolument bon et
infiniment puissant, Leibniz le compare souvent a un habile
géomètre et a un bon monarque, P. Burgelin écrit a la
manière de Leibniz:
<<Le prince juste et sage, s'il a souci de sa
magnificence, est d'abord celui qui établit l'ordre, se soumet donc a la
raison et considère le bien de ses sujets, par opposition a la gloire
ostentatrice du despote qui baptise juste ce qui convient a sa fantaisie
égoIste, sans nul égard a ce tout dont il a la charge et dont
l'ordre constitue pourtant sa gloire la plus authentique.
>>2
Ce qui assure l'optimisme c'est aussi ce qui découle de
la nature infinie de Dieu, a savoir que les attributs de Dieu s'exercent de la
meilleure manière qui soit et ce infailliblement, Burgelin poursuit:
<<Si, pragmatiquement, le vouloir humain admet un certain
décalage entre la perception du bien et l'action, dans son
authenticité, la volonté est déterminée par
l'entendement et l'idée
1 Leibniz, Causa Dei, §2
2P . Burgelin, Commentaire du discours de métaphysique de
Leibniz, Paris, PUF, 1959, P.90
d'une volonté absolument non raisonnable se
détruit elle-même. Si Dieu a donc une volonté, il faut lui
appliquer le principe universel. Un Dieu voulant a nécessairement un
entendement et des raisons de vouloir ceci plutôt qu'autre chose. Il veut
le bien, c'est-à-dire ce que lui propose le soin de sa gloire, ce vers
quoi sa bonté le porte, ce que sa sagesse lui montre digne de son
vouloir. >>1
De manière générale, l'optimisme se fonde
sur ce qu'on appel la théorie de l'<< univocité de
l'être >> qui rend possible les affirmations
précédentes : que Dieu est << soumis >> au principe
de raison et qu'il possède lui aussi entendement et volonté comme
ses créatures. A la manière suarézienne, Leibniz fait de
l'être compris comme essence ou possible l'objet de la
métaphysique, il pense l'être commun avant de considérer
esprits et Dieu séparément. Ce qui est important avec cette
théorie, c'est qu'elle révèle aux créatures que les
notions de bien, de justice etc. s'appliquent a la fois a Dieu et a
elles-mêmes. Dieu est donc lui-même, du fait de cette
univocité, un esprit et de ce fait, est soumis aux mêmes lois
logiques, métaphysiques et morales que les esprits créés,
ce qui permet l'établissement d'une doctrine unique de la
volonté, de la liberté, du choix et de la justice. Ceux qui, par
souci d'affranchir Dieu de toute forme de nécessité, ont
affirmé qu'il était indifférent eu égard aux
notions de bien, de justice, de vérité, lui ôtant par
là même le qualificatifde <<bon>> n'ont pas vu que
leur facon de penser avait pour conséquences la destruction de la
confiance en Dieu qui a pour vertu de nous apaiser mais également celle
de son amour qui est pourtant la source de notre félicité. Les
trois dogmes destructeurs sont pour Leibniz: <<que la nature de la
justice est arbitraire, qu'elle est fixe, mais qu'il n'est pas sür que
Dieu l'observe et enfin que la justice que nous connaissons n'est pas celle
qu'il observe >>2 et ont donc pour conséquences
d'éloigner les créatures de Dieu (elles n'ont plus de motif pour
aimer Dieu) mais également de faire de Dieu un être tyrannique a
la volonté capricieuse, si bien qu'il sera impossible pour les
créatures de se régler sur sa volonté.
Pour autant, cette méthode : considérer
l'essence de Dieu et voir comment le meilleur en découle, comprendre la
création, voir comment le mal s'y insère, et au final
posséder une disposition optimiste parce qu'on a la vision de l'harmonie
universelle, suppose une certaine capacité chez les créatures,
plus particulièrement la capacité de connaItre a priori tout cela
et de ne pas se laisser vaincre par l'expérience des maux, par la vision
de parties de l'univers qui
1 P. Burgelin, Commentaire du discours de métaphysique de
Leibniz, Paris, PUF, 1959, P.91
2 Leibniz, Essais de Théodicée, § 177
peuvent sembler abandonnées de Dieu. Comme nous l'avons
dit, sous sa forme philosophique, le problème de l'optimisme suppose en
effet que l'homme puisse se détacher assez, par l'observation de tout
l'univers (de l'harmonie universelle) et par la réflexion, de sa propre
souffrance et de celle qu'il constate de manière générale
dans l'univers, pour essayer de les juger selon la droite raison. Nous avons
déjà justifié a priori le mal métaphysique et
donné son origine: l'imperfection des essences dans l'entendement divin
et nous avons également dit qu'il était la cause du mal physique
et moral. Chez la créature limitée, la conciliation de
l'existence du meilleur des mondes avec celle du mal s'opère par un
retour a l'idée de Dieu et en comprenant qu'il est une composante du
meilleur, une condition méme si l'on veut qu'il y ait création,
passage a l'acte du meilleur des mondes. Refuser l'existence du mal, c'est en
réalité refuser l'univers tout entier, refuser que Dieu
crée. Si le monde est l'Wuvre de Dieu, écrit Burgelin,
<<nous pouvons être persuadés a priori que cela ne saurait
échapper complètement a l'expérience elle-méme.
Plus donc nous serons éclairés, plus notre science progressera
dans l'étude du monde, tant physique et morale. Mais dans notre
situation concrète, avec le défaut de nos lumières et de
notre information, la confusion de nos perceptions, l'égocentrisme de
notre perspective sur le tout, cette excellence nous reste cachée et
nous avons facilement tendance a la nier. >1
On voit clairement ici que l'accès a l'harmonie
universelle suppose que l'on puisse passer outre notre conditionnement sensible
et qu'à l'aide de la raison nous nous élevions a la contemplation
du tout. Cependant, ce processus doit se faire dans le temps et suppose un
travail constant de décentralisation, de désincarnation presque
puisqu'il s'agit de quitter le point de vue limité, partiel qui est le
notre afin de se positionner au sein du situs des situs, celui de Dieu,
d'oü l'excellence est apercue sans que rien ne nous échappe et
d'oü la plus parfaite des félicités ne saurait manquer de
nous advenir. On peut méme voir ici que la félicité est
indissociable de l'appréhension de l'harmonie universelle (Dieu qui
comprend et voit comment tout est lié dans l'univers est donc
suprémement heureux), par conséquent, on peut raisonnablement
supposer que plus la créature développera sa capacité a
connaItre le meilleur des mondes (plus sa connaissance se fera distincte a la
manière de celle de Dieu), plus il sera heureux (puisqu'un être
est d'autant plus heureux qu'il possède de perfection) et plus sa
félicité et donc son optimisme en feront de méme (nous
n'assimilons pas ici félicité et
1 P. Burgelin, Commentaire du discours de métaphysique de
Leibniz, Paris, PUF, 1959, P.83
optimisme mais l'optimisme ne vas pas sans une certaine
félicité et la félicité sans un certain optimisme),
s'approchant a l'infini de la félicité divine.
Méme si Leibniz avoue dans plusieurs textes <<que
dans le présent état nos sens nous sont nécessaires pour
penser, et que si nous n'en avions eu aucun nous ne penserions
pas>>1,en réalité il établit l'existence
de quelque chose d'indépendant des sens: l'âme, l'esprit ou encore
la substance et qui est seule apte a fournir la vérité par son
pouvoir de réflexion et de démonstration, pouvoir que les sens ne
possèdent pas, cantonnés a la sphère du particulier, et
dont la capacité a rendre la raison dernière des choses est
nulle. La vérité est affaire de raison et ne dépend pas
des sens, par conséquent on voit clairement que l'optimisme des
créatures ne saurait a la foi reposer sur ce que les sens nous
apprennent (car la bonté du monde se démontre avant méme
toute constatation et contre ces constatations si elles se positionnent contre
la perfection du monde, par suite ce qui atteste la bonté de l'univers
est utile mais pas essentiel pour l'établissement de la doctrine de
l'optimisme) mais il faut déduire aussi que ce donné méme
de l'expérience ne saurait non plus avoir quelque prétention
contre ce que stipule l'optimisme: le croire est en réalité un
manque d'attention, de réflexion, pire, se tromper sur ce qui est chez
nous source de vérités et ce qui est au contraire source
d'erreurs ou sujet a tromper2. Les sens sont donc source de
préjugés et Leibniz ne nous conseille rien d'autre que d'exercer
notre raison plutôt que de nous fier a nos sens lorsqu'il s'agit de juger
la perfection du monde. Le recueillement de la pensée apportant la
lumière, le philosophe de la Confessiophilosophi nous dit en effet:
<<(...) si l'on se tourne vers Dieu ou ce qui revient au
méme, se détourne des sens et se recueille, si l'on tend a la
vérité par un mouvement sincère de l'âme, les
ténèbres s'ouvrent comme sous un trait de lumière
imprévue, et la voie se présente en pleine nuit, au travers de
l'obscurité épaisse. >>3
On voit ici que la solution des objections majeures qui
pourraient intenter a l'optimisme de Leibniz peut être atteinte en
opérant une réflexion a partir de (l'idée de) Dieu,
celle-ci étant effectuée au moyen de la réflexion: la
découverte de la vérité semble ici indissociable d'une
1 Leibniz, <<Lettre touchant ce qui est indépendant
des sens et de la matière >> in Système nouveau de la
nature et de la communication des substances et autres textes, Paris, GF, 1994,
P.243
2 Ibidem, P.239: <<(...) l'Existence des choses
intelligibles et particulièrement de ce Moi qui pense et qu'on appelle
l'esprit ou l'âme est incomparablement plus assurée que
l'existence des choses sensibles ; et [qu'] ainsi il ne serait pas impossible,
en parlant dans la rigueur métaphysique, qu'il n'y aurait au fond que
ces substances intelligibles, et que les choses sensibles ne seraient que des
apparences. Au lieu que notre peu d'attention fait prendre les choses sensibles
pour les seules véritables.>>
3 Leibniz, Confessio philosophi, Paris, Vrin, 1970, P.41
mise a l'écart de la sensibilité. Le texte
assimile la recherche de la vérité par le travail des sens - ce
qui est généralement la méthode employée par les
êtres intelligents - a <<l'obscurité épaisse >>
qui en découle et fait de la réflexion une lumière pouvant
remédier a la confusion oü nous plongent les sens. Leibniz ne lance
rien d'autre ici qu'un appel a utiliser davantage la raison, il
écrit:
<<Je ne désespère point que dans un temps
ou dans un pays plus tranquille les hommes ne se mettent plus a la raison
qu'ils n'ont fait. >>1
Nous pouvons voir que chez Leibniz, optimisme et connaissance
sont liés, la créature doit être capable de passer d'un
conditionnement sensible, source de mauvais raisonnements a l'exercice de la
raison seule. C'est en échappant a son point de vue incarné
qu'elle peut connaItre le principe de toutes choses et de là progresser
en compréhension, c'est-à-dire voir comment le tout (qui est le
plus parfait possible) s'ordonne et comment le particulier (qui peut ne pas
être le plus parfait possible et représenter une objection
sensible pour celui qui se contente de l'examiner de manière
isolée) s'y insère. Si optimisme et connaissance sont
indissociables, il faut préciser qu'en réalité c'est
l'optimisme qui passe par la connaissance, celle de Dieu puisqu'il a son
fondement en lui2 mais également par la connaissance des
principes qui gouvernent le monde et par suite par la connaissance de l'ordre,
de l'harmonie de l'univers. La créature doit donc passer par un
processus au court duquel elle développera sa capacité a
percevoir l'harmonie, elle devra aller vers de plus en plus de distinction dans
ce qu'elle se représente et ainsi vers plus de perfection. Ce
développement est <<un progrès qui part de l'instinct pur,
confus, inconscient, pour s'élever a la conscience de soi-même et
des choses>> écrit Boutroux3 et ce progrès est
en réalité un effort que font les créatures pour connaItre
Dieu distinctement ainsi que les vérités éternelles qui
font sa nature même. Toutes les créatures possèdent en
elles-mêmes sans le savoir les lois d'après lesquelles Dieu
régit le monde, le progrès consiste donc a actualiser,
c'est-à-dire a prendre conscience de ces lois, ce qui suppose l'aide de
la raison. Ce développement des perceptions se révèle
être un moyen pour imiter Dieu. En effet, lorsque Leibniz parle de
développer la perception des créatures, il faut comprendre que le
but est la perception distincte, cette lumière <<qui nous fait
ressembler
1 Leibniz, Nouveaux essais sur 1 'entendement humain, Paris, GF,
1990, P.305
2 Objet du second moment de notre seconde étude.
3 E. Boutroux, La philosophie allemande au XVIIe siècle,
Paris, Vrin, 1948, P.181
en diminutif a la Divinité >>1. Par
cette perception, nous ressemblons a Dieu, cette ressemblance se trouvant dans
le mode de connaissance, dans la manière d'accéder a
l'intelligence de l'ordre du monde mais également par la facon dont nous
procédons pour gouverner ce qui nous touche. C'est dans cette imitation
de Dieu nous dit Leibniz, que consiste notre perfection et c'est
également dans celle-ci que nous pouvons trouver notre
félicité puisqu'elle est source d'un plaisir sans comparaison.
Cette imitation est donc ce dont nous parlions plus haut,
c'est-à-dire ce par quoi il faut passer pour pouvoir atteindre une
disposition optimiste: le changement de point de vue s'opère dans une
progression vers plus de distinction, dans le passage du confus au distinct,
dans l'actualisation des lois ou vérités éternelles
contenues dans chaque esprits, il est une condition sine qua non pour qui veut
percevoir l'harmonie universelle, être convaincu de la perfection de
l'univers et par suite être dans une disposition heureuse. Analysons
cette conséquence: comment donc, a la suite de la perception de
l'harmonie universelle, la félicité peut-elle advenir? Il nous
faut entrer quelque peu dans le détail de l'argumentation de Leibniz. Le
philosophe de la Confessio philosophi nous dit que le plaisir consiste dans le
fait d'éprouver l'harmonie, c'est-à-dire de voir que le multiple,
la diversité tend a l'unité et il fait de la
félicité la possession de l'harmonie universelle (qui est en
réalité Dieu) en soi, c'est-à-dire sa concentration dans
l'esprit. Par suite la félicité est dite consister dans la
contemplation de Dieu. Pour nous qui cherchons a établir comment les
esprits peuvent parvenir a une disposition optimiste, nous avons dit qu'il leur
fallait pour cela se <<transcender>> et établir leur regard
sur l'univers en conformité avec celui que Dieu peut avoir, tout cela au
moyen de la réflexion et avec comme guide la raison. A travers la
doctrine de l'optimisme, la raison demande aux esprits d'aimer le monde, or
comme le dit Leibniz, <<on aime un objet a mesure qu'on en sent les
perfections >>2. Parvenu a la vision de l'univers, de son
ordre, la perfection de celui-ci ne saurait échapper a l'esprit devenu
<<petit dieu >>, par conséquent, il éprouve un
plaisir a ce que l'univers existe et l'aime notamment parce qu'il voit
maintenant qu'il s'y réalise le maximum de bien possible.
Au final, on découvre que Dieu fait le meilleur une
fois qu'on a réussi a échapper au point de vue
égocentrique, point de départ du fait de l'union de l'âme
avec un corps organique mais cependant source des objections contre la
bonté de l'univers. Dans plusieurs textes Leibniz
1 Leibniz, <<Lettre touchant ce qui est indépendant
des sens et de la matière >> in Système nouveau de la
nature et de la communication des substances et autres textes, Paris, GF, 1994,
P245
2 Leibniz, Essais de Théodicée, §278
fait du bonheur quelque chose qui repose sur la volonté
de chacun et dénonce l'égocentrisme et l'anthropomorphisme de
ceux qui pensent que Dieu n'a pas créé un monde acceptable parce
qu'ils ne tirent leur objection que de l'expérience de maux
isolés. Il écrit ainsi:
<<Si quelques-uns allèguent l'expérience,
pour prouver que Dieu aurait pu mieux faire, ils s'érigent en censeurs
ridicules de ses ouvrages, et on leur dira ce qu'on répond a tous ceux
qui critiquent le procédé de Dieu, et qui de cette même
supposition, c'est-à-dire des prétendus défauts du monde,
en voudraient inférer qu'il y a un mauvais dieu, ou du moins un dieu
neutre entre le bien et le mal. >> A tous ceux là il faut
répondre: <<Vous ne connaissez le monde que depuis trois jours,
vous n'y voyez guère plus loin que votre nez, et vous y trouvez a
redire. Attendez a le connaItre davantage, et y considérez surtout les
parties qui présentent un tout complet (comme font les corps
organiques); et vous y trouverez un artifice et une beauté qui va
au-delà de l'imagination. Tirons-en des conséquences pour la
sagesse et pour la bonté de l'auteur des choses, encore dans les choses
que nous ne connaissons pas. Nous en trouvons dans l'univers qui ne nous
plaisent point; mais sachons qu'il n'est pas fait que pour nous seuls. Il est
pourtant fait pour nous si nous sommes sages : il nous accommodera si nous nous
en accommodons ; nous y serons heureux si nous le voulons être.
>>1
A lui seul ce texte résume l'optimisme de Leibniz et sa
réponse aux mécontents. Les arguments tirés de
l'expérience pour montrer que Dieu n'a pas réussi a créer
le meilleur et qu'il est la cause du mal dans l'univers n'ont pas de poids face
a la démonstration fondée sur l'idée de Dieu de
l'existence du meilleur des mondes car ils sont finalement le résultat
de deux tendances présentes chez les être rationnels que Leibniz,
par sa philosophie, souhaitent éradiquer: l'égocentrisme et
l'anthropomorphisme. L'égocentrisme empêche l'homme de sortir de
sa condition particulière de créature limitée, au point de
vue étriqué et partiel dont l'attention reste empirique et
portée, presque par plaisir2, uniquement sur les
imperfections de l'ouvrage de Dieu, comme ci il fallait a tous prix que Dieu
soit le coupable alors que le mal est la responsabilité des
créatures qui ont été créé libres,
susceptibles du bien comme du mal mais a tout moment capable de
rémission et de voir le bien que Dieu, dans son action
1 Leibniz, Essais de Théodicée, § 194
2Leibniz , Confessio philosophi, Paris, Vrin, 1970,
P.94-95 : le mécontent dans son dégoüt des choses du monde
et de Dieu trouve toujours matière pour alimenter sa colère et
<< il est d'autant plus torturé qu'il peut d'autant moins changer
et soutenir le torrent des choses qui lui déplaIt. Mais la douleur se
change en quelque sorte en plaisir, et les damnés se réjouissent
de trouver par quoi être torturés. >> Rien ne réjouit
plus le damné que d'avoir de quoi se plaindre, il pense ainsi
détenir de droit une vérité allant contre la bonté
de Dieu: dans tout ce qu'il fait, son regard se porte sur ce qui est
susceptible d'alimenter son irritation.
providentielle leur indique pourtant sous la forme d'un
concours positif1. Croire que l'homme est le centre de l'univers,
que la création de l'univers a pour unique dessein sa satisfaction est
une seconde grande erreur car comme le dit Leibniz il se peut très bien
qu'il existe de par le monde d'autres créatures intelligentes dont nous
ne soupconnons pas l'existence, qui sont tout autant susceptibles de bonheur et
qui sont par conséquent l'objet de la providence de Dieu.
En ayant cela a l'esprit, pénétré des
démonstrations leibniziennes, il ne tient par suite qu'à l'homme,
par le travail de la raison dont nous avons parlé, de mettre en
adéquation son image du monde avec le concept de meilleur des mondes
possibles. Leibniz ne fait rien d'autre que de donner au genre humain les
moyens d'y parvenir, sa métaphysique est comme une religion a part
entière, mais une religion de la raison, naturelle, par
conséquent accessible a tous par l'exercice de la raison. Par suite,
<<dans la République de l'univers c'est-à-dire dans la
meilleure République, dont Dieu est le monarque, n'est malheureux que
celui qui le veut>>2 et tout mécontentement est
injustice et affront a Dieu, Leibniz écrit:
<<Il ne faut pas être facilement du nombre des
mécontents dans la république oü l'on est, et il ne faut
point être du tout dans la cité de Dieu, oü l'on ne le peut
être qu'avec injustice. >>3
Leibniz fait ici une distinction. Dans la Cité de Dieu,
au sein du règne de la grace, être mécontent de l'univers
et plus particulièrement être insatisfait de ce qu'il nous procure
représente la plus haute injustice puisque nous sommes, dans cette
cité, en pleine possession de l'harmonie et les élus de Dieu, par
conséquent, ne pas voir que Dieu a fait le meilleur pour tous, c'est
s'entêter et refuser de voir la vérité. En revanche, dans
la république terrestre qui est la notre, le mécontentement est
également une mauvaise chose même si il n'est peut être pas
une injustice, puisque nous pouvons d'ors et déjà, avec l'aide de
la raison, connaItre a priori que ce monde est le meilleur, dans son ensemble
et particulièrement pour nous, que tout y est fait pour nous contenter
suivant ce que réclame le plan de Dieu. La persistance dans une
disposition telle que celle du mécontentement est pour Leibniz la cause
de la damnation chez le pécheur. Ce mécontentement est pour
Leibniz une haine cachée de Dieu, un refus du monde et donc une
opposition contre la série toute entière des choses et l'harmonie
universelle. Combien la haine du pécheur est mesquine, combien son
audace est grande, il lui faudrait le monde a ses pieds, Dieu a son service
pour réaliser ses désirs d'homme sans intelligence, mais
1 Ibidem, §30 : <<Dieu est la cause de la perfection
dans la nature et dans les actions de la créature, mais la limitation de
la réceptivité de la créature est la cause des
défauts qu'il y a dans son action.>> 2Leibniz ,
Confessio philosophi, Paris, Vrin, 1970, P.89
3 Leibniz, Essais de Théodicée, § 15
pourtant, dans son infinie bonté, Dieu veut encore le
sauver. C'est dans la Confessio philosophi que Leibniz distingue deux genres
d'hommes: ceux qui sont contents de l'état présent des choses et
ceux qui en sont les ennemis. C'est pour lui l'occasion de montrer que la
réflexion est plus forte que toutes les expériences
négatives par lesquelles un homme peut passer. L'interlocuteur
théologien de Leibniz objecte qu'<< il est impossible que
l'homme
1
abandonné par le succès ne s'afflige
point>> 4 quoi Leibniz répond par la théorie des conatus et
de la tendance affective de l'âme et son remède. <<Ce que le
conatus est dans un corps, la tendance affective l'est dans l'âme.
>>2 En effet l'expérience négative,
résultat de la victoire d'un conatus opposé provoque une tendance
affective négative dans l'âme, mais Leibniz dit que cette tendance
ne saurait perdurer car <<la tendance affective primordiale et le premier
mouvement ne peuvent être supprimés, mais ils peuvent être
vaincus par des tendances opposées en sorte qu'ils perdent leur
efficace. >> 3 L'affliction ne peut donc être que temporaire, une
expérience heureuse suffira a inverser la tendance et a faire
comprendre, par le jeu de la réflexion que tout ce qui est est le
meilleur possible, en soi et pour soi, que Dieu veut le bien et le bonheur de
toutes les créatures, par conséquent qu'il faut l'aimer lui et
son Wuvre. Le pleine possession de ces vérités confortera les
esprits dans une disposition optimiste et les expériences malheureuses
ne seront plus reprochées mais comprises comme faisant partie
intégrante du meilleur, vaincues donc par l'exercice de la raison et
l'amour de Dieu qui nous fait voir l'univers sous un angle nouveaux, sous son
véritable jour. Par suite, ceux qui persisteront a dire que Dieu aurait
pu mieux faire, ceux donc qui ne seront pas contents de l'ordre du l'univers et
qui pour le montrer prendront des exemples tirés du désordre des
choses qu'ils s'imaginent ne pas être conciliable avec la perfection du
monde, devront être des <<haIsseurs de Dieu >>, cette haine
de Dieu et des choses mondaines étant caractéristique de
l'athéisme et ayant pour conséquence une disposition
négative, celle là même qui masque l'harmonie et qui cause
la damnation.
- La victoire de la raison, l'optimisme implanté dans
les esprits, ses consequences.
Abordons ici a titre d'éclaircissement ce que la
disposition optimiste engendre chez les esprits.
1 Leibniz, Confessio philosophi, Paris, Vrin, 1970, P.91
2lbidem 3lbidem
D'après ce que nous venons de dire, on peut voir que la
disposition optimiste, résultat de la perception de l'harmonie
universelle par suite de la perfection de l'univers, de sa bonté et donc
de la sagesse et de la bienveillance de son créateur, a pour effet le
plaisir pris a la perception de tant de perfection et l'amour de l'univers mais
surtout de Dieu, elle produit un contentement qui en termine une bonne fois
pour toute avec les multiples reproches fait a tort sur la perfection de
l'univers et sur la nature de Dieu: Dieu est bon, il veut le meilleur pour ses
créatures et par conséquent choisit un monde oü elles seront
capables, si elles le veulent, d'être heureuses. Cependant, comme le
théologien de la Confessio philosophi le dit, soulignant un
problème important: <<A philosopher de la sorte, il ne sera pas
permis de travailler a réformer les choses. >> 1 Le contentement
de l'univers semble inviter a l'inaction, bien plus, c'est l'amour même
de Dieu et du monde qui semble nous inviter a cette conclusion. Pour autant, il
s'agit de distinguer ici l'optimisme du quiétisme et de définir
ce qu'entend Leibniz lorsqu'il parle d'amour de Dieu car dans ces textes
Leibniz n'est pas homme a inviter a l'inactivité, au contraire, l'action
est même souvent entendue comme un devoir: il faut uvrer pour le
perfectionnement de l'univers afin de réaliser le dessein de Dieu qui
s'inscrit dans le temps. Il faut donc expliciter ce que Leibniz entend
lorsqu'il écrit par exemple:
<<Il appartient donc a celui qui aime Dieu d'être
satisfait du passé et de s'efforcer de rendre le futur le meilleur
possible. >>2
Commencons par voir en quoi consiste l'amour de Dieu. Nous
avons dis plus haut que la félicité de l'esprit se trouvait
complète lorsque celle-ci percevait l'harmonie universelle, Dieu en
d'autres termes. Mais, il est possible de voir que la perception de l'harmonie
universelle, de l'ordre de l'univers, supposait que la créature puisse
s'élever au point de vue de Dieu, jusqu'à son situs, par
conséquent qu'elle puisse en quelque sorte devenir un dieu ayant
accès a l'intelligence du tout. Il y a ici une assimilation qui n'est
pas sans poser problème pour notre présent propos. Dans l'amour,
on assiste a une identification qui tend a réduire de plus en plus la
distinction sujet/objet: l'objet de l'amour, parce qu'il est aimé, prend
plaisir a l'être, prend plaisir de lui-même a travers l'amour de
l'autre, il est en même temps sujet et objet de cet amour.
L'identification qui s'opère est ce qui nous permet par ailleurs de
distinguer l'amour de la simple jouissance de l'objet qui n'est en
réalité qu'un simple rapport d'utilité, de
1 Leibniz, Confessio philosophi, Paris, Vrin, 1970, P.91
2lbidem, P.93
satisfaction égoIste alors que dans l'amour, il y a
recherche du bonheur de l'objet aimé: ainsi, Dieu aimant sa
création, recherche infailliblement son bonheur (ce qui pose
également le problème d'une éventuelle identification de
Dieu au monde pouvant déboucher au panthéisme mais la philosophie
de Leibniz nous permet d'y échapper, nous verrons comment). Cette
identification nous révèle également que l'amour de Dieu
ne saurait être désintéressé puisque dans l'amour
nous recherchons notre propre bien. Cependant, cet amour ne peut être
répréhensible puisque dans l'amour, le bonheur de l'autre devient
notre bien propre (a cause de l'identification qui s'y opère).
Leibniz rentre ici dans la polémique portant sur la
<<querelle du pur amour>> (qu'aime t-on lorsqu'on aime Dieu? Dieu
lui-même? Ses bienfaits?) et comme a son habitude, en montre le non sens
en proposant une définition de l'amour valable aussi bien pour l'amour
divin que pour l'amour humain: <<amare est felicitate alterius
delectari>> (aimer c'est trouver du plaisir dans la
félicité d'autrui). Avec cette définition, Leibniz
résout le problème d'un possible mouvement vers Dieu qui soit un
mouvement intéressé parce que il est également
volonté de bienveillance et en méme temps
désintéressé puisqu'il n'est pas a sens unique et qu'il ne
résulte pas d'une volonté perverse, cherchant le profit sans
prendre en considération l'objet de son amour qui de ce fait n'a rien de
sincère et de pur. Leibniz écrit:
<<Lorsqu'on aime sincèrement une personne, on n'y
cherche pas son propre profit ni un plaisir détaché de celui de
la personne aimée, mais on cherche son plaisir dans le contentement et
dans la félicité de cette personne. Et si cette
félicité ne plaisait pas en elle-méme, mais seulement a
cause d'un avantage qui en résulte pour nous, ce ne serait plus un amour
sincère et pur. >>1
Par conséquent, lorsque nous nous mouvons vers un objet
qui constitue pour nous une source de plaisir et de bien et que nous aimons,
nous voulons en méme temps le bien de l'objet luiméme puisque
nous ne saurions aimer ce qui nous déplaIt. Remarquons au passage que
Leibniz semble réduire l'amour au plaisir parce qu'il réduit au
plaisir le bien désiré. A ce sujet Grua écrit:
<<Aimer est touj ours trouver du plaisir, au sens large
dans le bien ou perfection d'autrui, au sens propre d'amitié ou amour
vrai, dans son bonheur, au point de faire entrer le bonheur
1 Leibniz, << Sur l'amour désintéressé
de Dieu>> in Système nouveau de la nature et de la communication
des substances et autres textes, Paris, GF, 1994, P.126
d'autrui dans le sien. On peut identifier l'amour a ce
plaisir; comme tout plaisir comprend une tendance, l'amour tend encore a plus
de connaissance et encore plus d'amour, indéfiniment quand son objet est
Dieu infiniment parfait et heureux. >>1
Le plaisir est donc a l'origine de l'effort et comme le
plaisir comprend une tendance a sentir ce qui plait donc a le produire s'il
manque, selon les dires méme de Grua, on comprend que l'amour soit
producteur non seulement de bienveillance (on se réjouit du bonheur
d'autrui) mais aussi bienfaisance (on contribue au bonheur d'autrui). Tel est
l'homme de bien, il est celui qui aime tous les hommes et qui la règle a
laquelle Dieu ne déroge pas, fera le meilleur pour le bien public, le
bien se mesurant non suivant l'addition mais suivant la multiplication
<<car ce qui s'est reporté sur l'un se sera multiplié en se
réfléchissant sur plusieurs, et par suite, en faisant le bien de
l'un, l'on fera celui de beaucoup (...). >> 2 En revanche, nuire c'est
diviser. En vertu de l'expression propre aux esprits, le bien se
répercutera dans toutes les substances.
Cependant l'identification qui s'opère dans l'amour et
notamment dans celui de Dieu pose problème. En effet, la théorie
de l'amour se rapproche dangereusement des partisans de la fusion mystique et
des quiétistes pour qui l'amour de Dieu consiste dans un
anéantissement du sujet, donc dans la négation de
l'individualité de la créature. La question qui se pose est la
suivante: si dans l'amour entre deux créatures la dualité est
maintenue, lorsqu'il s'agit de Dieu, n'a-t-on pas affaire a une absorption du
fini par l'infini, autrement dit, l'objet infini aimé n'absorbe-t-il pas
la créature jusqu'à lui enlever toute identité et pire
toute activité? Leibniz ne peut accepter le mépris de soi
caractéristique de la tradition mystique, il s'oppose notamment a
Fénelon et préfère soutenir que l'amour de Dieu est une
relation interpersonnelle dans laquelle ne disparait ni la créature, ni
Dieu. M. de Gaudemar dit qu'il s'agit davantage chez Leibniz d'une unification
des volontés que d'une fusion des personnes3 mais
tempère les résultats de Leibniz lorsqu'elle écrit,
révélant le nWud du problème lorsqu'il s'agit de parler
des rapports qui se jouent dans l'amour de Dieu:
1 G. Grua, Jurisprudence universelle et Théodicée
selon Leibniz, Paris, PUF, 1953, P.206
2 Leibniz, <<Lettre a Arnaud de novembre 1671>> in
Discours de métaphysique et autres textes, Paris, GF, 2001, P.57
3 M. de Gaudemar, Leibniz, de lapuissance au sujet, Paris, Vrin,
1994, section 3, §3.4 <<Identification et Amour de Dieu>>
<<S'il y a une unification ou identification des
volontés, comme le plaide Leibniz, il y a en fait deux amours qui sont
supposés faire la même opération. Lorsqu'il s'agit d'un
amour humain, on peut déjà douter qu'il s'agisse de part et
d'autre d'une même réalité. Mais dans l'amour de Dieu, il
est clair que les roles ne peuvent être symétriques. Alors de deux
choses l'une: soit la créature peut donner a Dieu quelque chose dont il
fasse sa jouissance, et l'on pourra ironiser sur le besoin divin d'amour et de
gloire; soit c'est Dieu qui donne tout, et la voie la plus simple serait de
dire que Dieu s'aime lui-même. Dans un cas, c'est Dieu qui n'est pas mis
a sa place, dans l'autre, c'est le mépris de soi et de l'univers
créé qui nous guette. Dans le premier cas, l'amour pourrait
être de la part de la créature un calcul égoIste des
avantages de l'opération, dans l'autre, on peut verser dans
l'anéantissement fusionnel. >>1
Leibniz est donc proche de la doctrine fusionnelle oü
Dieu est la seule cause de l'amour, oü la dualité entre Dieu et la
créature saute parce que toute l'activité semble ne venir que de
Dieu. Cependant, pour Leibniz, l'indépendance des créatures dans
l'amour de Dieu doit être effectif. Ce n'est pas sans raison que la
philosophie de Leibniz peut être dite une <<philosophie de
l'activité>>; les substances sont créées toujours
percevantes, leur activité consiste dans la perception continue,
même si celle-ci demeure parfois inconsciente : avec la théorie
des petites perceptions, Leibniz théorise l'idée d'une sphere de
l'inconscience mais dont l'efficace reste complet; c'est ainsi que dans les
situations oü il ne nous semble pas possible de choisir entre deux partis
et oü il nous semble que nous choisissons comme par hasard, nous sommes en
réalité sans le savoir déterminés dans notre choix
par de petites perceptions et suivant l'apparence du bien. De plus, nous avons
évoqué auparavant le role des esprits dans l'univers: rendre
gloire a Dieu et manifester la perfection de l'univers. Comment donc
pourraient-ils jouer leur role si leur individualité est niée des
lors qu'ils sont amenés a aimer Dieu? Leibniz ne peut accepter le
quiétisme, l'amour de Dieu doit par conséquent être source
d'activité. La doctrine quiétiste est une ruine pour la morale et
la religion selon Leibniz car elle affirme qu'il est possible d'atteindre un
état continuel (s'il est continuel alors les esprits ne pourront pas
agir comme nous venons de le dire) d'amour et d'union avec Dieu qui dispense
l'âme de tout autre activité et la fait perdurer dans un
état de contemplation inactive. Pour Leibniz, il est donc
préférable de laisser les âmes indépendantes de
Dieu, de ne pas concevoir la divinité comme un océan d'âmes
dans lesquelles les âmes se perdraient, il faut laisser <<les
âmes particulières demeurer toujours en faction,
c'est-à-dire dans des fonctions
1Ibidem, P.244
particulières qui leur conviennent et qui contribuent a
la beauté et a l'ordre de l'univers, au lieu de les réduire au
sabbat des Quiétistes en Dieu, c'est-à-dire a un état de
fainéantise et d'inutilité. >> 1 Il est même
<<bien plus raisonnable de croire, qu'outre Dieu, qui est l'Actif
suprême, il y a quantité d'actifs particuliers, puisqu'il y a
quantité d'actions et passions particulières et opposées,
qui ne sauraient être attribuées a un même sujet, et ces
actifs ne sont autre chose que les âmes particulières.
>>2
Par suite comment résoudre le problème de la
distinction entre les créatures et Dieu dans l'amour de Dieu? Avec M. de
Gaudemar, il faut affirmer que Leibniz pense que dans cet amour, l'union,
pourtant passive, avec Dieu puisse tout de même produire de
l'activité: l'amour de Dieu nous apparaIt ici comme la source de la
puissance d'action des créatures intelligentes. Il y a donc un effet
dynamisant de l'amour de Dieu. De plus, Dieu ne peut vouloir cette union
anéantissante. Certes la création est l' uvre de l'amour, par
conséquent, Dieu aimant ce qu'il crée, devrait s'unifier a elle,
mais en vertu de la théorie propre de Leibniz, il nous est impossible
d'accepter cette conséquence. En effet, si la fusion avait lieu, la
réflexion<<précédant>> lefatum divin et
conférant une individualité a chacun des possibles devrait
être le seul stade dans l'agir de Dieu, tout se résumerait a
l'entendement de Dieu et le passage a l'acte du système de compossibles
serait vain.
M. de Gaudemar écrit a ce sujet:<<(...) la
création de l'univers est uvre de l'amour, qui va au-delà de la
possibilité en envisageant des êtres seulement possibles comme
s'ils étaient des sujets véritables, et qui leur confère
la puissance d'agir pour qu'ils soient effectivement sujets. L'amour de Dieu
est refus de la fusion, qui reviendrait a la pure possibilité, et
annulerait l' uvre de Dieu. Le maintien de la dualité, (...), est alors
voulue et entretenue par Dieu. >>-
Comme nous le verrons bientôt pour apporter une nuance a
ce qui a été établi dans la première sous partie de
ce troisième moment de notre étude, le développement des
esprits dans l'atteinte du situs de Dieu ne dépend pas uniquement de la
puissance des esprits, elle est le résultat d'une alliance entre la
volonté de la créature intelligente et de la grace de Dieu, la
volonté de la créature la prédisposant a recevoir l'aide
de Dieu dans le but d'atteindre la félicité. Leibniz ne fait donc
pas de l'amour de Dieu l'objet d'une stratégie de la créature
1 Leibniz, << Sur la doctrine d'un esprit universel
>> in Système nouveau de la nature et de la communication des
substances et autres textes, Paris, GF, 1994, P.228
2lbidem
- M. de Gaudemar, Leibniz, de la puissance au sujet, Paris, Vrin,
1994, P.245
puisqu'il faudrait dire que l'origine de cet amour se trouve dans
l'intérêt calculateur de la créature cherchant a
rentabiliser son mouvement vers Dieu1. Leibniz écrit:
<<Et lors même qu'on fonde l'amour de Dieu sur ses
bienfaits, considérés d'une manière qui ne marque pas en
même temps ses perfections, c'est un amour d'un degré
inférieur, utile sans doute et louable, mais qui ne laisse pas
d'être intéressé, et n'a pas toutes les conditions du pur
amour divin. >>2
Parce que l'amour de Dieu ne peut trouver sa pureté
lorsqu'il vient des créatures car leur intention n'est pas toujours bien
fondée, Leibniz fait de l'origine de l'amour de Dieu un don de Dieu
même. Il insiste ensuite sur les effets de cet amour: <<Par lui les
créatures intelligentes travaillent activement a la réalisation
de la gloire de Dieu et accroissent la richesse universelle. L'amour de Dieu
produit dans l'univers créé une majoration, non un
anéantissement ou une résorption. >> - Le contentement dont
nous parlions plus haut n'est donc pas qu'un simple état d'esprit, c'est
aussi un engagement de la puissance propre des créatures intelligentes,
puissance que Dieu consent a produire continuellement afin de maintenir notre
autonomie, si tel n'était pas le cas, les créatures seraient tout
a fait vaines et inutiles. <<Le tort des mystiques est [donc] de ne tenir
compte que de la puissance de Dieu, en oubliant que cette puissance est
précisément responsable de l'autonomie de la nôtre.
>>4
Chaque esprit est donc invité a s'associer au
développement du monde. Parce que la volonté conséquente
de Dieu ne donne pas aux choses toute la perfection qu'elles comportent, une
part est réservée a l'action des créatures rationnelles
qui doivent, suivant ce que l'être même demande, travailler pour
achever l'Wuvre de Dieu, non que celle-ci ne soit pas achevée dans les
idées que Dieu en a, mais selon le point de vue temporel des
créatures, l'univers est parfait mais a l'état d'enveloppement
comme le sont leurs perfections qu'il s'agit également de
réveiller de la confusion. Les créatures ne doivent surtout pas
perdre de vue la volonté antécédente de Dieu qui tendait
uniquement au bien et écartait toutes espèces de mal, elles
doivent tendre a la réunion des deux volontés et ce a l'infini
parce que la progression du
1 Grua souligne, touj ours dans son ouvrage Jurisprudence
universelle et Théodicée selon Leibniz, que Dieu est aussi en un
sens animé par un amour de concupiscence, il écrit : <<Mais
Dieu aussi a pour lui-même, et pour les autres en vue de lui-même,
l'amour appelé d'abord de concupiscence. Au dessus de son amour pour les
hommes, l'harmonie de l'univers lui est agréable et il crée des
êtres raisonnables pour être les échos ou miroirs de sa
gloire (...).>>
2Leibniz , <<Sur l'amour
désintéressé de Dieu>> in Système nouveau de
la nature et de la communication des substances et autres textes, Paris, GF,
1994, P.128
- M. de Gaudemar, Leibniz, de la puissance au sujet, Paris, Vrin,
1994, P.246
4lbidem, P.247
monde ne sera jamais achevée selon ce qu'énonce
le <<De rerum originatione radicali >>1. Ce concours a
l'Wuvre de Dieu se fait par l'imitation de l'action divine mais l'imitation et
par suite la fusion avec Dieu ne sera jamais effective, le maintien de
l'altérité étant une exigence de la raison afin de
maintenir l'identité de chacun. Cependant, il se crée quelque
chose comme une <<Société avec Dieu>> puisque
ensemble, créatures et créateur mettent en jeu leur puissance
pour l'avènement de l'Etat le plus parfait2, Etat qui se fait
sentir déjà dans le monde physique et qui est en
réalité l'Wuvre des créatures les plus
perfectionnées, aptes a diminuer en son sein la part du mal. L'optimisme
de Leibniz s'apparente ici quelque peu a un <<méliorisme >>.
En effet, du point de vue de Dieu, le monde possède sa perfection
dernière, rien ne peut lui ajouter de la perfection, mais du point de
vue des créatures, le monde peut être rendu meilleur par leurs
actions, ce qui est affirmer la thèse du méliorisme mais il faut
finalement dire que Leibniz s'en démarque en ce qu'il affirme que le
monde, dont la perfection se révélera aux créatures au fur
et a mesure du temps, est le meilleur possible en soi, ce que la thèse
du méliorisme n'affirme pas, la perfection du monde étant
uniquement la tâche de l'homme alors que l'optimisme de Leibniz introduit
Dieu. La Cité de Dieu s'apparente davantage a l'univers se faisant, de
sorte qu'elle peut déjà être dite présente dans
l'ordre des causes efficientes (Leibniz affirme d'ailleurs que le règne
de la grace a déjà son efficace dans le règne des causes
physiques), qu'à un <<au-delà>> oü tout est
déjà parvenu a terme. En effet, que serait ce monde optimal dans
lequel nous évoluons si on devait lui préférer un monde
surnaturel? Boutroux, lorsqu'il parle de la nature et de la grace, affirme que
ce monde surnaturel n'est certes pas le produit d'un effort isolé de la
nature pour se dépasser mais qu'elle est bel et bien la base sur
laquelle la Cité de Dieu se construit. Il écrit:
<<Ce monde ne s'est pas produit par développement
ou par évolution; il ne s'est pas produit non plus en dépit des
lois de la nature. La nature en fournit les éléments
indestructibles; (...), mais une nature supérieure, la grace, s'y
superpose. >>-
Parce que la République de Dieu n'est pas
eschatologique, Boutroux en tire une conclusion importante: <<La
volonté de Leibniz, c'est la volonté chrétienne aspirant
au bien, la volonté cherchant son objet non plus dans un monde
surnaturel, mais dans le monde naturel luimême. >>4
Malgré le péché originel, Leibniz concilie la peur
chrétienne de l'attachement excessif au monde sensible et la recherche
du bien dans le monde naturel, il trouve la
1 Leibniz, Opuscules philosophiques choisis, Paris, Vrin 1962,
P.92
2Liebniz , Monadologie, Paris, Delagrave, 1998, §
84-85
- E. Boutroux, La philosophie allemande au XVIIe siècle,
Paris, Vrin, 1948, P.227 4lbidem, P.166
satisfaction, le besoin d'infini de la volonté
chrétienne sur terre là oü déjà le
pressentiment du divin peut être trouvé.
Cette remarque étant faite, nous pouvons revenir et
terminer sur la conséquence de l'amour de Dieu: l'action des esprits
pour faire advenir l'harmonie universelle. Au final Leibniz nous donne
l'origine de notre puissance: l'amour que nous recevons de Dieu, un amour qui
nous incite a être, a développer ce qui est en nous et a
répandre le bien autour de nous. M. de Gaudemar écrit:
<<Reconnues, aimées, les intelligences sont des
personnes qu'unit a Dieu une relation privilégiée. Relation a
travers laquelle elles peuvent se reconnaItre, s'aimer et offrir leurs concours
actifà l' uvre de Dieu, dès lors uvre commune.
>>1
La métaphysique de Leibniz appel donc chacun a l'action
et a l'amour de Dieu en vue du complet développement de tout l'univers
et de la félicité dans l'union avec Dieu. <<Chacun est
invité a effectuer un transfert de son désir sur Dieu
lui-même, de facon a se diriger vers le point de vue qui sera celui de la
vie futur >>2, on voit ici qu'il s'agit de décentrer
son point de vue et de développer ses perfections comme nous en avons
parler précédemment afin de rejoindre le situs divin d'oü
nous verrons le tout comme Dieu. Mais déjà dans le présent
progressant, en aimant Dieu, nous pouvons par le déploiement de ce qui
est en notre puissance, goüter a la félicité future par de
multiples bénéfices que nous retirons de notre activité,
de notre association pour l'avènement de l' uvre de Dieu.
* **
1 M. de Gaudemar, Leibniz, de la puissance au sujet, Paris, Vrin,
1994, P.250 2lbidem, §262
CONCLUSION
Si de manière générale il est possible de
distinguer deux types d'optimisme, le premier correspondant a un optimisme
reposant sur le sentiment, l'expérience d'une vie calme, sans malheurs
et revers de fortune et un second, réfléchi, systématique
et philosophique, c'est sans conteste a la deuxième sorte d'optimisme
que nous avons affaire avec Leibniz. En effet, méme si le
caractère de Leibniz n'est pas étranger a l'élaboration de
son système philosophique puisqu'il est sans doute le rationaliste qui a
donné le plus de crédit a la raison - en tout cas si l'on regarde
ses prédécesseurs - en formulant notamment le grand
<<principe de raison>> et, comme il est possible de le sentir lors
de la lecture de ses principaux textes, en ayant, dans tout ce qu'il traite, le
souci de rendre raison de toutes choses, il faut dire que son <<
optimisme >> repose sur la pensée, l'ordre, plus
généralement sur les principes de son système et que ce
qui transparaIt chez lui c'est la raison et non le sentiment, et si c'est ici
parler un peu trop de manière catégorique, du moins pouvons nous
dire que la raison a chez lui l'ascendance sur le sentiment. Si la
première forme d'optimisme peut être dite insuffisante, c'est bien
parce qu'elle repose et dépend de la contingence des
évènements, la créature intelligente qui laisse
dépendre sa confiance dans le cours des choses, son idée de la
perfection du monde, son point de vue sur la bonté de l'univers de
l'expérience sera très certainement amenée a changer
d'opinion en fonction de ce qui lui arrivera personnellement. Or, on le voit
parfaitement, dans un tel cas l'optimisme, mais aussi son contraire le
pessimisme, seront d'<< humeur>> plus que de raison. Il est donc
impossible pour un philosophe guidé par la raison de fonder solidement
une doctrine de cette facon. Sous sa première forme, affective,
l'optimisme est donc voué a l'incertitude et au relativisme. Cependant,
sous une forme philosophique, et plus que jamais avec Leibniz, l'optimisme se
trouve être fondé par la raison: lorsqu'on aborde la lecture des
textes de Leibniz, il s'opère peu a peu ce a quoi méme Leibniz
veut aboutir lorsqu'il établit les thèmes principaux de sa
métaphysique, c'est-à-dire une élévation, un
changement de regard sur le monde dü a un exercice réflexif et a un
décentrement du point de vue subjectif, notamment eu égard a ce
qui est directement un obstacle a toute pensée optimiste, l'existence du
mal dans le monde. Cette progression lors de l'étude de la philosophie
de Leibniz et des thèmes qui font que l'on a attribué a l'origine
le terme méme d'<< optimisme>> pour désigner sa
philosophie1 a pour
1 Le terme füt employé pour la première
fois par des jésuites dans leur Mémoires pour 1 'histoire des
sciences et des arts, en 1737 et plus particulièrement dans le compte
rendu qu'ils firent de la Théodicée de Leibniz afin d'en faire
ressortir l'idée principale et depuis vulgarisée a souhait que le
monde actuel est le meilleur des mondes possibles, c'est-à-dire un
optimum qui réalise le plus de bonheur qu'il est possible de concevoir
compte tenu de la particularité du monde. Ils écrivirent
d'ailleurs a ce sujet: <<En termes de l'art, il l'appelle la raison du
meilleur, ou plus savamment encore, et théologiquement autant que
géométriquement, le système de l'optimum ou
l'optimisme.>> En 1762 le terme est adopté par l'Académie
francaise et il sera désormais employé pour
conséquence une évolution, une modification de
l'état d'esprit, de la disposition de celui qui pense le système:
cette évolution consiste dans la transformation de la manière
d'appréhender l'univers, dans la formation ou dans le renforcement
(notamment parce que les raisons de cet état sont fournies et
compréhensibles) d'un état d'esprit que nous appelons
<<optimiste >>. La philosophie de Leibniz, tout en étant
optimiste, a pour effet de procurer une disposition optimiste. Cependant ce
sont ici deux choses différentes car il faut non seulement
établir, par l'étude de la philosophie de Leibniz, d'oü sont
tirées les raisons d'une telle doctrine mais également comment
l'optimisme parvient a s'implanter dans la créature rationnelle,
autrement dit, comment celle-ci y a-t-elle accès: serait-ce a l'aide de
la seule raison ou bien avec l'aide d'une autre source de vérités
telle que la foi ? La foi, elle aussi doit être questionnée
puisque dans le système leibnizien, et on peut méme dire dans la
particularité de l'optimisme, il est souvent question de thèmes
qui peuvent a priori sembler ne pas être du ressort de la raison car ce
n'est pas seulement a la logique, aux mathématiques, a la morale mais
également a la théologie et méme a la
Révélation que Leibniz fait appel: initialement, il faut
méme voir que la question de l'optimisme est intimement liée a
celle de l'existence de Dieu et de sa nature ou essence. La question du rapport
entre la raison et la foi semble donc être un préalable avant
toute discussion car ce qui pose problème, c'est la prétention de
la raison dans les questions d'ordre théologique. Ne revient-il pas en
effet a la foi seule d'affirmer la bonté de Dieu, la perfection de son
ouvrage? La raison peut-elle aussi discourir sur ce qui est au premier abord
objet de foi? L'optimisme lui-même n'est-il pas uniquement du ressort de
la foi ? Il s'agira de clarifier la position de Leibniz et notamment de voir en
quoi la conciliation qu'il opère est nécessaire pour l'objet de
sa philosophie et aussi pour nous qui souhaitons mettre a jour son
<<optimisme >>. Par conséquent nous devrons montrer dans un
premier temps que la raison peut s'accorder avec la foi et possède une
plein légitimité eu égard aux sujets discutés en
théologie, de la méme manière que Leibniz entreprend de le
faire dans le Discours sur la conformité de la foi avec la raison avant
d'exposer sa Théodicée: <<Je commence par la question
préliminaire de la conformité de la foi avec la raison, et de
l'usage de la philosophie dans la théologie, parce qu'elle a beaucoup
d'influence sur la matière principale que nous allons traiter (...).
>> 1 Il nous faudra également montrer dans un second temps que
l'<<optimisme>> de Leibniz procède a partir de la
considération de l'idée de Dieu, par conséquent totalement
a priori, ce qui supposera
désigner toute opinion qui se représente le monde
comme une wuvre bonne, préférable au néant malgré
la présence du mal en son sein et oü il se réalise un
surcroIt de bonheur par rapport au malheur.
1 Leibniz, Discours de la conformité de lafoi avec la
raison, § 1 in Essais de Théodicée, Paris, GF, 1969
l'établissement de son existence et l'explicitation de
son essence pour 5inalement voir que le problème de l'optimisme se
résout dans l'étude du mécanisme de la création du
monde selon que Dieu se propose de résoudre, en ayant en vue le bien de
sa création, un problème de maximum et de minimum d'oü il
doit résulter, nous verrons pourquoi, un optimum. Nous 5inirons par
l'étude des créatures rationnelles en tant que l'optimisme peut
être pensé comme disposition et comme le résultat sur les
esprits de l'action divine en tant que l'optimum choisit, c'est-à-dire
ce monde, est également un optimum pour le développement et
l'expansion du bonheur des esprits, créatures privilégiées
de Dieu. Cette dernière étude sera menée dans l'optique
d'une compréhension des conséquences d'une telle disposition mais
également dans l'établissement des moyens pour l'atteindre, ce
qui sera aboutir a la caractérisation 5inale de l'<< optimisme
>> leibnizien.
* **
SOMMAIRE
Introduction
Premièrepartie Nécessité
d'établir la conformité de la foi avec la raison avant toute
discussion
A - La raison en théologie, la polémique en
question, justifications.
B - Le Discours sur la conformité de lafoi avec la
raison.
1/ La foi et la raison, deux sources de vérités.
2/ La distinction entre ce qui est << au-dessus de la
raison>> et ce qui est <<contre la raison>> montre qu'aucune
vérité n'est contraire a la raison, par conséquent la
raison peut s'occuper des vérités de la foi.
3/ Le rôle de la raison: contrôler et défendre
les mystères révélés.
4/ L'objection de Bayle pour appuyer son rejet de
l'implication de la raison en théologie : la raison détruit plus
qu'elle n'édifie de vérités. La réponse de Leibniz
appuyée par la pensée d'Origène.
5/ La polémique avec Bayle sur l'existence ou non
d'objections insolubles contre la vérité. Les règles de la
dispute en matière de défense des mystères.
6/ La raison ne saurait <<comprendre>> totalement
les mystères, elle doit les accepter comme des faits, leur
<<pourquoi>> demeure caché. La conformité de la foi
avec la raison est par conséquent ramenée a une absence de
<<difformité >>. Polémique avec Bayle sur le sens des
expressions << au-dessus de la raison >> et << contre la
raison >>.
7/ La conformité fait a certains égards figure de
subordination: la raison subordonne la foi du fait de l'exigence supreme du
principe de raison. La foi doit aussi avoir ses raisons.
8/ La subordination n'est pas une négation du
subordonné, la foi demeure intacte méme enveloppée par la
raison. La raison est un chemin vers Dieu.
Deuxièmepartie L'<< optimisme >>
déduit de l'idée de Dieu
A - L'idée de Dieu
1/ L'existence de Dieu
2/ L'aséité divine : l'unité de Dieu, ses
attributs
3/ La providence divine: l'action de Dieu dans l'univers
B - La création du monde : l'optimisme comme maximum et
comme optimum
Troisièmepartie L'optimisme chez les créatures
rationnelles
A - L'exercice de la raison mène a l'optimisme entendu
comme disposition
B - La victoire de la raison, l'optimisme implanté dans
les esprits, ses conséquences C - La disposition optimiste,
résultat d'une alliance. Caractérisation finale
Conclusion
* **
BIBLIOGRAPHIE
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Essais de Théodicée - sur la bonté de Dieu,
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Paris, GF, 1996
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textes, Paris, GF, 1996
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Causa Dei in Essais de Théodicée, Paris, 1969,
GF
Discours de métaphysique et autres textes, Paris, GF,
2001
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II! Etudes sur la philosophie de Leibniz et sur quelques themes
particuliers.
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Paris, Vrin, 2001
L. Couturat, La logique de Leibniz, Alcan, 1901
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Origène, Défense de la religion chrétienne
A. Vinet, Philosophie religieuse, Paris, Lausannes, 1918
P. Aubenque, Leproblème de l'être chez Aristote,
Paris, PUF, 1692 Heidegger, Nietzsche I, Paris, Gallimard, 1971
Anselme de Cantorbery, Proslogion, Paris, GF, 1997
Malebranche, La recherche de la vérité, Paris,
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St. Thomas d'Aquin, Sommes contre les gentils, Paris, GF, 1999
Malebranche, Traité de la nature et de la grace, Paris, Vrin, 1976
Spinoza, Ethique, Paris, Seuil, 1999
IV! Dictionnaire A. Lalande, Vocabulaire technique et critique
de la philosophie, Paris, PUF, 2002
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