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L'Inde un enjeu cognitif et réflexif. Etude des voyageurs de l'Inde et des populations diasporiques indiennes

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par Anthony GOREAU
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 - DEA 2004
  

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GOREAU ANTHONY

L'INDE, UN ENJEU COGNITIF ET RÉFLEXIF

-Étude des voyageurs de l'Inde et des populations diasporiques indiennes-

DEA DYNAMIQUE DES MILIEUX ET SOCIÉTÉS

Sous la direction de Monsieur SINGARAVELOU

Juin 2004

UNIVERSITÉ MICHEL DE MONTAIGNE BORDEAUX III

SOMMAIRE

SOMMAIRE 3

INTRODUCTION 5

CHAPITRE 1 18

ATTRACTION, RAYONNEMENT, ABSTRACTION ET APPROPRIATION : LE MYTHE DU « DROMOMANE » ET L'ANTIMONDE INDIEN. 18

INTRODUCTION AU CHAPITRE 1 19

A/ LE CHOC DE L'INDE, OU LA RECHERCHE D'UN EXOTISME. 21

1-L'IMAGINAIRE INDIEN: 21

a) L'imaginaire médiatique et touristique : 23

b) L'imaginaire des valeurs : 29

c) Imaginaire de l'expérience relatée : 33

2- L'EXOTISME INDIEN. 35

3- VOYAGE ET TOURISME. 39

B/ DIMENSION ANAGOGIQUE ET ALLEGORIQUE DE L'INDE. 46

1- L'HINDOUISME, LE CATALYSEUR DE L'AFFECT. 47

2) SYNCRÉTISME MUSICAL. 52

3) APPROPRIATION DES SYMBOLES DE L' « INDIANITÉ ». 56

a) La cuisine: 56

b) Le cinéma : 57

c) L'hindouisme et ses « dérivés » : 59

C/ INTERSPATIALITE ET INTERCULTURATION. 60

1) ALTÉRITÉ ET IDENTITÉ. 61

2) QUEL(S) PROCESSUS DE TERRITORIALISATION ? 63

3) UNE TERRITORIALITÉ DE L'ENTRE DEUX. 67

CHAPITRE 2 69

TERRITORIALISATION ET EXTRA-TERRITORIALISATION, LE CAS DE LA DIASPORA INDIENNE. 69

INTRODUCTION AU CHAPITRE 2 70

A/ LE PROCESSUS DE MISE EN PLACE DE L'EXTRA-TERRITORIALITE. 73

1) MYTHIFICATION DE LA TERRE D'ORIGINE. 75

2) UNE MYSTIFICATION DE LA TERRE D'ORIGINE : LE CAS DES SIKHS DE FRANCE. 81

3) UNE IDENTITÉ À GÉOMÉTRIE VARIABLE : 85

B/ INTERCULTURATION OU SEGREGATION ? 89

1) UN TERRITOIRE DE L'ENTRE-SOI. 90

2) COSMOPOLIS OU CLAUSTROPOLIS ? 98

3) LA QUESTION DE L'INTÉGRATION : 102

C/ CONTINUITÉ TEMPORELLE ET SPATIALE ? 103

1) UNE PRÉSENCE AMBIGUË : 104

2) UNE COMMUNAUTÉ TRANSNATIONALE ? 107

3) UNE CONTINUITÉ POUR LES VOYAGEURS DE L'INDE. 109

CONCLUSION 111

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ET SUPPORTS DOCUMENTAIRES. 114

ANNEXES 121

TABLE DES DOCUMENTS 125

INTRODUCTION

L'Inde est un grand film, et nous spectateurs occidentaux, venons tout y puiser : nos origines, nos raisons de fuir la réalité ou de retrouver une âme, l'aventure aussi et le mythe. Tandis que certains veulent y abandonner toutes leurs références occidentales, d'autres lorsqu'ils tentent d'en déchiffrer la réalité sociale se perdent dans la complexité d'un monde insaisissable, onirique, qui permet d'échafauder tous les systèmes. Et leurs visions, leurs perceptions sont parfois tout aussi fantasques que les délires des aventuriers, des routards de ces folles années 1970. L'espace indien ainsi représenté se charge de valeurs, il porte la marque des codes culturels, des idéologies propres aux groupes sociaux auxquels appartiennent les sujets dans la conscience desquels il surgit.

La structure d'un territoire reflète la manière dont les groupes humains l'ont investi, modelé et se le représentent ; elle se fait aussi l'écho des divisions internes à la société.

Toute perception se charge aussi d'un contenu social. Nous n'avons affaire qu'à des représentations du réel, plus ou moins déformées par les filtres individuels et sociaux. La matière des représentations se compose d'opinions, d'images, d'attitudes ou de préjugés dont les principes organisateurs appartiennent en commun à des ensembles plus ou moins cohérents d'individus.

La culture, définie par Claval1(*) comme « l'ensemble des artefacts, des savoir-faire et des connaissances par lesquels les hommes médiatisent leur relation avec le milieu naturel », apparaît comme l'élément incontournable de ce mémoire, et en représente la clé d'entrée.

L'espace indien est source inépuisable d'idées et d'images déformées par la culture, l'hexis des individus (les valeurs culturelles imprègnent nos représentations du monde et des autres).

Problématique et méthodologie :

Dans une démarche empruntée à la phénoménologie, c'est-à-dire comme l'a défini Husserl dans Les recherches logiques,  attachée à l'étude des vécus de pensée et de connaissance, des structures de la conscience qui lui permettent de se rapporter aux objets extérieurs à elle ; il s'agit de comprendre à travers « l'acte de percevoir, par le moyen de sensations et à travers des filtres perceptifs qui tiennent aux organes des sens et aux cultures individuelles »2(*), concept éminemment géographique, ces territorialités qui se forment et se déforment au grès des distinctions sociales, des schèmes de pensée ; où la mobilité et l'imaginaire remettent en question la proximité et la contiguïté, essence même du territoire, et créent une nouvelle dimension à celui-ci empreint de représentations, de mythes et de symboles.

Ancrée dans une géographie sociale pertinente qui affiche son penchant particulier pour ces « territorialités relationnelles, multidimensionnelles, qui projettent chaque acteur social dans le tourbillon confus des références géographiques »3(*), souvent obscures de son vécu, il est nécessaire de déterminer les dimensions de ces perceptions et représentations, en sachant qu'il est sûr qu'elles contribuent à un processus de construction territoriale d'ordre social. Toutefois, il est indispensable d'opérer une distinction entre les différentes structures de représentations et de perceptions de l'Inde, celles liées au voyage seront analysées au travers des itinéraires de l'imaginaire, des lieux et de leur référent, et celles liées aux migrants indiens installés en France au travers la dissémination des références identitaires et des « micro-territoires »4(*).

Selon Airault5(*), « le voyage en Inde commence tôt, avec l'idée qu'on s'en fait, véhiculée par notre culture, ses clichés, ses légendes, ses mythes, mais aussi par notre enfance nourrie de contes et d'histoires merveilleuses. Ce fantasme s'étaye à l'adolescence de nos rencontres avec ceux qui en reviennent. Après, il y a soudain le choc, puis l'épreuve et, ensuite, l'éprouvé de l'Inde : des sensations nouvelles nous submergent, provoquant un séisme de l'intime [qui peut être à l'origine de ce syndrome indien]. Enfin, après le retour, nous prend la nostalgie de l'Inde ».

Ces perceptions peuvent être appréhendées dans une dimension anagogique et allégorique justifiées par l'attirance de certains individus à l'hindouisme, à la philosophie indienne et aux symboles de l'indianité par exemple, rendant subséquemment l'affect, l'émotion, les clés pour approcher la modernité de ces interrelations, même si ces notions prennent une dimension sociétale plus prononcée. L'affect sert de biais permettant la transition avec l'altérité, l'extérieur mais surtout de modalité de résolution des oppositions entre la réalité et l'illusion, le virtuel et l'authentique, l'art et la culture. Mais aussi dans une dimension d'imaginaire et d'exotisme pour appréhender et incorporer un « ailleurs » souvent perçu comme menaçant (historiquement la motivation exotique a reposé sur un sentiment ambivalent d'attraction ou de répulsion, à propos de ce qui est loin ou différent). « C'est moins l'image exotique, banalement stéréotypée, qui, en soi, est attirante que l'idée de passage, induite par le rapport entre le monde terne et celui de la couleur »6(*). Ce qui compte, ce ne sont pas d'abord les caractéristiques d'un paysage exotique qui est souvent très schématique, mais le fait qu'il représente une altérité, une étrangeté ; qu'il offre le rêve d'une fuite possible, même dans l'utopie.

Il est donc question d'appréhender le vécu des voyageurs Français de l'Inde, tel qu'il est, en ce qu'il est, par le jeu des rencontres qui donnent forme à l'expérience. Vécu qui comprend aussi celui du chercheur. Ce travail se cadre donc dans une géographie sensitive, subjective bien sûr, voire même impressionniste. Géographie empreinte de l'expérience, faisant appelle aux sens des voyages précédemment effectués en Inde (au cours des années 2002 et 2003).

On notera que l'individu, le groupe, ou mieux le « chercheur », ne sont pas vierges, ils ont une histoire, née de l'accumulation des expériences et des perceptions antérieures, de l'apprentissage au sens large. Ces données ne sont jamais purement individuelles mais sociétales. Elles affectent la perception. Le traitement du sujet n'a donc aucune prétention de se rapprocher vers une quelconque objectivité, il est au contraire axé sur des observations précédentes plus ou moins justifiées, des ambiances, faisant appel aux sens et aux impressions. Ceci est particulièrement vrai pour le premier chapitre.

Mais la démarche, la réflexion n'en sont pas moins rigoureuses et logiques. La démarche ici est déductive voire pour la deuxième partie hypothético-déductive, c'est-à-dire qu'elle consiste à tirer les conséquences logiques d'hypothèses de départ. Ainsi, le développement des deux chapitres fait foi de cet effort de conceptualisation et de théorisation.

Voyageur est lourd de sens. Ce peut-être d'une part un voyage dans l'intime animé par des images, par des systèmes de signes médiatisant une relation de l'individu-acteur au monde, et par des passions. Dans ce cas précis, l'objet dont rêve le sujet baigne nécessairement dans une aura d'irréalité. C'est pourquoi cet « objet » possède immanquablement des caractères étranges d'un « non-objet » (« non-objet » dont il n'est naturellement pas question de jouir, ni de véritablement posséder). Un voyage génère aussi la possibilité d'un déplacement physique (déterminant une vérification des représentations par le vécu) d'autre part.

Le terme voyageur de l'Inde s'applique aux Français de la métropole ; la population Française des DOM ET TOM n'est pas considérée ici car elle a fait l'objet de lourdes études précédentes. En effet, il est évident d'établir un lien entre l'Inde et la Réunion ou encore entre l'Inde et la Guadeloupe lorsque l'on songe au passé historique. La diaspora indienne s'y est essaimée, nous apercevons dès lors les mécanismes de la territorialité qui se dégagent à l'horizon.

Mais ce lien devient moins palpable, plus abstrait et à la fois plus intéressant entre la France métropolitaine et l'Inde. Il se fait sous des formes diverses qui font appel à divers stimulus. Ce lien est un construit social, il a été inventé et réinventé au fur et à mesure des générations suscitant diverses réactions de la part des sujets. D'une Inde merveilleuse à une Inde où toutes les alternatives sont possibles, son pouvoir d'attraction et de séduction est multiple et il s'agira dans un premier temps de l'identifier. Ce rapport entre la France métropolitaine et l'Inde ne concerne que les populations qui exercent une fuite au travers le monde indien. Fuite qui peut revêtir la forme d'une pérégrination physique ou imaginaire, transcendant l'opposition sédentaire/nomade.

Les termes du sujet n'ont pas été choisi au hasard, ni par effet de mode (il faut éviter de perpétuer une facilité de langage qui apparaît comme un abus, il n'y a pas une perception d'ailleurs pas plus qu'il n'y a d'Homme (au sens générique), mais des perceptions). La perception est différentielle, elle varie dans le temps pour un même individu ou pour un même groupe selon l'accumulation d'information (et de sa diffusion), selon l'âge (effet de génération, particulièrement pour les migrants indiens installés en France), selon l'acuité des sens et dépend notamment des intérêts qui sont liés à des pratiques et des valeurs plus ou moins conscientes.

Les représentations de l'espace quant à elles induisent une intervention encore plus grande de la personnalité du sujet, que la simple perception, et porte d'ailleurs plus sur le contenu que sur les formes.

Les représentations semblent inclure plus directement la notion d'espace : « si l'espace est le produit de la société c'est bien le comportement de celle-ci qui doit être connu ; et, si le comportement est davantage influencé par des perceptions a-spatiales, que par des perceptions de l'espace lui-même, on apprendra plus sur l'espace en analysant les premières »7(*).

Le binôme perception/représentation détermine les enjeux cognitifs et réflexifs des rapports à l'Inde. Enjeux définissant d'une part des rapports à la fois passionnels, affectifs mais aussi rationnels organisant un réseau de significations, et des effets de retours sur soi d'autre part.

Cette combinaison simultanée de deux couples (cognitif/affectif et perception/représentation) ne s'exerce pas d'une façon singulière, exclusive, sur les voyageurs de l'Inde ; les populations diasporiques d'origine indienne, du monde indien (en ce qui nous concerne, même si l'appellation indienne est attribuée à tous ceux qui sont originaires de l'ensemble subcontinental reliant la chaîne himalayenne à l'océan indien, les bouches de l'Indus à celles du Gange, celle-ci s'élargira à l'ensemble constitué par l'Union Indienne et du Sri Lanka) sont aussi concernées par ce phénomène qui génère construction et déconstruction.

Ces deux ensembles humains ne s'opposent pas mais sont complémentaires : tous deux se caractérisent par des processus de construction territoriale ayant des référents identiques ; par des « géosymboles »8(*) (des symboles comme système fonctionnel mais aussi comme expérience psychique) similaires (car la source en est la même) mais réappropriés et réinterprétés selon la culture du groupe social.

Ces processus de réappropriation et de réinterprétation sont les clés de voûte de notre démonstration. Ils interviennent à divers niveaux de l'analyse. Pour bien comprendre ces phénomènes, il est nécessaire pour les voyageurs de l'Inde, malgré un fond d'attraction commun, d'établir une distinction entre voyage physique et voyage mental (imaginaire). Au sein même de cette distinction, il faudra faire la part entre les voyageurs individuels souvent nommés de façon péjorative « routards » et les voyageurs en groupes qui fréquentent les circuits organisés. Car l'intensité des contacts entre les deux monde culturels ne sera pas du même ordre, et donc les processus de réinterprétation et de réappropriation divergeront aussi (particulièrement en intensité).

Voyageurs de l'Inde ou migrants Indiens sont vecteurs de transformations, de perturbations par leur seule présence, car ils transportent dans leur sillage l'altérité d'où émerge un métamorphisme de contact entre deux entités culturelles distinctes.

Perturbations qui se matérialisent sous des formes diverses (nous le verrons au cours du développement). C'est pourquoi dans un but méthodologique, le développement est scindé en deux parties : l'une s'attache à décrire les processus de territorialisation concernant les voyageurs de l'Inde, l'autre à ceux qui s'expriment au travers des migrants Indiens.

Mais, il ne faut pas y voir une opposition mais des prolongements. Prolongements visibles dans la mise en relief des deux versants d'une construction territoriale des voyageurs de l'Inde et des migrants Indiens installés en France métropolitaine.

Celui du monde structuré et celui de ces territorialisations qui le structure. Le versant du monde structuré part de l'hypothèse que celui-ci est le reflet de cette construction car il se rapporte aux endroits dont parle l'individu, à des pôles mais aussi à des repères spatiaux et temporels sur lesquels l'individu se projette par le discours et qui spécifient chacun à leur manière certaines limites ou points d'ancrages dudit monde.

Le versant des territorialisations quant à lui, doit être conçu comme le reflet dynamique de cette construction puisque l'argumentation du discours amène à concevoir l'interaction des énoncés entre-eux et à mettre en perspective le type de relation aux points d'ancrages (spatiaux et temporels).

Pour comprendre l'expérience des « énoncés comme embrayeurs de la construction territoriale »9(*), nous avons choisi une méthode reposant à la fois sur l'expérience vécue, sur les sens mais aussi sur des entretiens.

Au travers cette recherche, c'est toute une réflexion qui s'échafaude autour du lieu et du territoire ; où « le lieu est une condition de réalisation du territoire car il lui confère une image et des points d'ancrage de son enracinement mémoriel ; il l'est aussi parce qu'il permet au groupe qui territorialise d'avoir une existence collective et une mise en scène. Mais plus encore, le lieu symbolique participe de la structuration du territoire. Il fait le lien entre un espace géographique structuré par les principes de contiguïté et de connexité et un monde symbolique construit à l'aide de synecdoques et de métaphores »10(*).

Dès lors, on comprend la place privilégiée aux populations diasporiques dans cette étude, où les migrants Indiens ou d'origine indienne vivant en France mais conservant des liens affectifs et matériels avec leur pays d'origine contribuent à un double processus : une reterritorialisation gravitant autour de hauts lieux (où les liens communautaires, les marqueurs territoriaux et la mémoire du territoire d'origine sont autant de ciment à la reproduction de l'identité) et à une extra territorialisation de l'altérité.

Vers une accélération des pôles structurants et points d'ancrages de la territorialisation :

Dans cette focalisation sur les lieux et les territoires, la mondialisation intervient non pas comme un processus tirant vers l'uniformisation et l'homogénéisation ; vers une certaine mondialité reposant dans un bain d'isotropie ; mais au contraire est élément de fractures, de discontinuités, cette dernière prenant substance et vigueur non pas de l'assimilation et de l'effacement diffus des sociétés humaines dans des « non-lieux »11(*), mais des localités et des territorialités quelles qu'elles soit.

La mondialisation crée une accentuation de l'ambivalence du lien territoriale et s'enferme dans une double dialectique (ouverture/fermeture induisant celle du global/local et, mobilité/sédentarité). La mondialisation permet en outre une redéfinition du territoire qui nous est au combien utile dans cette problématique ; l'internationalisation, la globalisation permettent de transcender l'acception territoriale fondée sur une « idéologie géographique »12(*) (penser territoire implique par métonymie, une portion de l'espace, une plage cartographiable, à l'intérieur de limites précises) pour aboutir à la substitution d'une territorialisation régionalisée par une territorialisation temporalisée (celle-ci étant permise par les nouveaux moyens de communication produisant l'augmentation de l'intensité de la diffusion de l'information).

« Le territoire ne se définit pas par un principe matériel d'appropriation, mais par un principe culturel d'identification, ou si l'on préfère d'appartenance »13(*). L'hypothèse ici sous-jacente est que nulle territorialité n'existe en dehors du groupe social, et ce n'est pas le territoire qui fonde le groupe mais l'inverse, car quels que soient les déterminants concrets, le lien social s'y immisce.

Hypothèse qui peut se révéler très discutable principalement à la vue des processus de territorialisation qui s'exercent notamment au sein de dynamiques ségrégationnistes (par exemple, les township sud-africain crées de toute pièce par l'apartheid sont pourtant devenus des lieux d'identification, d'appropriation et d'appartenance), mais qui apparaît pertinente dans notre cas.

La mondialisation produit une redéfinition sensorielle des lieux. La confrontation de la culture occidentale facilitée par une redéfinition « systémique de la distance euclidienne »14(*) et par les NTIC (technologies de l'information et des communications) avec les hauts lieux indiens, produit une appropriation qui elle-même crée un basculement de sens souvent inverse à celui donné par la population indienne (ce processus de réappropriation s'illustre notamment à Gokarna, Bénarès/Varanasi, c'est-à-dire dans les lieux de condensation des valeurs liées à l'hindouisme, mais ils ne sont pas les seuls). Les NTIC et la révolution des transports conduisent aussi à l'indépendance de l'espace par rapport au temps, et créent une accélération et une intensification des liens entre la France et l'Inde, utiles à la fois aux voyageurs de l'Inde et aux migrants Indiens.

L'économie sociale et le développement local sont souvent mis en exergue comme étant la face cachée de la mondialisation. Même si ces concepts paraissent de prime abord éloignés de notre sujet, les ponts que l'on peut entrevoir avec les migrants Indiens sont pourtant faciles à expliciter.

L'ensemble de l'économie sociale est fille de la nécessité (cette dernière générant des mouvements coopératifs, associatifs ou encore mutualistes), mais aussi fille d'une identité collective : faite d'initiatives économiques lancées sous la pression de besoins cruciaux, l'économie sociale est aussi portée par une communauté de destin forgée par des facteurs d'ordre culturel (de langue, de religion, de territoire...). Enfin, elle est inscrite dans la dynamique de mouvements intellectuels et sociaux porteurs d'une visée de transformation de la société entière. En cela, la diaspora indienne, loin d'être un ensemble figé, rigide, représente un contre poids, une résistance à cette mondialisation par les rugosités, les résonances qu'elle génère. Il est évident que l'on ne peut faire abstraction de la globalisation (particulièrement pour les populations diasporiques), mais les rapports à la mondialité de la diaspora indienne se forgent sur une dissidence à mi-mot ; la communauté servant de pivot à l'expression de solidarités solides (sous formes de coopérations, d'associations, de mouvements mutualistes) combinant des dimensions marchandes et non marchandes au sein d'activités productives traversées par une perspective d'économie sociale. La diaspora indienne apparaissant alors comme le creuset d'un possible renouvellement de l'économie sociale au Nord, en France.

Par delà cette hypothèse, c'est toute l'opposition entre société d'individus et communauté qui revient à l'ordre du jour faisant ressurgir la question des solidarités. Si pour les voyageurs de l'Inde, il s'esquisse de nouveaux types de liens sociaux qualifiés de « réflexifs »15(*) (après ce que l'on a pu identifier comme solidarité mécanique et organique, il apparaît une troisième solidarité dite réflexive), il en est tout autrement pour les migrants Indiens.

Pour donner plus de corps à la démonstration et dans un souci d'exemplarité, une étude de terrain dans l'agglomération parisienne a été mené pour illustrer ces divers processus. Etude qui s'est attaché à mettre au jour les pôles structurant de la mise en place d'une construction territoriale en France par les migrants indiens. Les critères retenus pour délimiter cette aire de recherche ont été la concentration à la fois commerciale, mais aussi communautaire (ici la population tamoule originaire de Sri Lanka). Recherche d'abord effectuée à l'aide de l'outil Internet, débouchant sur un bornage précis.

Il s'agira alors de démonter l'existence de liens communautaires et la création d'une extra-territorialisation (ou territorialisation hors de la terre d'origine) par le marquage de l'espace public (dissémination de signes identitaires tamouls) générant une certaine privatisation de l'espace public, au mieux de l'espace commun (agencement qui permet la coprésence des acteurs sociaux sortis de leur cadre domestique) ainsi que des tensions avec la population non tamoule.

Le périmètre d'étude est celui du quartier de la Chapelle. Quartier ici n'a pas une valeur administrative mais un sens d'espace vécu via des représentations intégratrices engagées dans l'action qui font « tenir ensemble ».

Ce quartier est celui d'une minorité majoritaire (les Tamouls) ; il est à cheval entre les 10ème et 18ème arrondissements et inclut une partie du boulevard de la Chapelle, la rue du Faubourg-Saint-Denis jusqu'à la gare du Nord, complétées par les rues Perdonnet, Cail et Philippe de Girard (voir plan en annexes).

A l'opposé, les mobilités (réelles mais aussi issues d'un processus mental) entre un ici et un ailleurs motivées par l'imaginaire, le mythe ou encore la quête d'un idéal, redéfinissent le rapport à la mondialité des populations d'origine française en voulant puiser dans le sous-continent indien des éléments d'une utopie, d'une idéologie pour élaborer des champs d'investigations nouveaux à une modernité oppressante. L'ici est empreint des vécus, des pratiques et des usages circonscrits dans une monotonie, tandis que son versus, l'ailleurs est un espace représenté, mythifié, imaginé c'est-à-dire propice à toutes les lubies de notre esprit. L'ailleurs est d'autant plus important qu'il est véhiculé par différents moteurs de la mondialisation, la société française devenant une démocratie d'émotions liée à une révolution informationnelle (se distinguant nettement d'une société standardisée prenant pied dans la modernité et la révolution industrielle).

Diaspora indienne et voyageurs mobiles, ou non, se complètent : l'une réinvente la modernité et les autres transportent avec eux la postmodernité. Travailler sur les notions d'ici et d'ailleurs est indispensable en géographie car cela permet de nous interroger sur la relation des sociétés à l'espace.

Ces deux ensembles d'individualités se rassemblent autour d'un point commun, au travers leur perception, et leur représentation ; ils alimentent la formation d'un espace de l'entre-deux, entre rêve et réalité, entre un ici et un ailleurs, entre un dedans et un dehors, dont la formation (acte de fondement) repose sur des symboles, des mythes, des passions, des images.

Espace d'entre-deux, interface qui laisse à l'individu, au sujet, la possibilité d'exercer une fuite en avant face à la réalité matérielle (aux conditions d'existence), au mouvement d'attraction de la mondialisation.

Dans le même temps ces entités sociétales ne s'expriment pas en dehors de la mondialisation. Au contraire, la matérialité de cette espace de l'entre-deux est facilitée par l'augmentation des mobilités et par la propagation des NTIC. Celles-ci favorisent l'ubiquité, l'instantanéité participant de facto à introduire plus de « mondialité » dans chacune de nos actions.

Identité et territoire, deux processus différents :

Certains diront que identité et territoires sont indubitablement liés, consubstantiels. Mais là encore, la mondialisation (dans sa phase actuelle d'accélération des mobilités et des échanges culturels) introduit une nouveauté. « Nous vivons dans un monde où les gens ne savent plus toujours ce qu'ils sont, mais où les facilités de communication et de déplacement multiplient les points de références où ils peuvent s'accrocher »16(*). Les valeurs naguères dominantes sont érodées, mais il y a hésitation sur celles qui pourraient leur être substituées. Les voies que peuvent suivre la reconstruction des identités sont donc multiples.

La multiplication des déplacements et la rapidité des communications ont cependant des effets incontestables sur les sentiments identitaires.

L'identité implique des référents sans lesquels elle ne pourrait être définie ; le récit identitaire reconstruit quatre piliers de l'expérience humaine : le temps, l'espace, la culture et les systèmes de croyance. Ces référents étant ponctuels, la territorialité s'exprime alors plus en terme de polarité que d'étendue.

Ainsi l'essence de cette interspatialité entre l'Inde et la France, entre l'ici et l'ailleurs, fil directeur de notre recherche, s'épanouit dans la localité. Localité qui sert de base, de support au déploiement d'une territorialisation complexe faite d'allers et retours.

La transformation contemporaine des sentiments d'identité a des répercussions sur la territorialité ; elle entraîne une réaffirmation appuyée des formes symboliques d'identification et en ce qui nous concerne un double processus de construction territoriale.

Les voyageurs puisent dans le monde Indien, dans l'ailleurs des éléments constitutifs d'une nouvelle identité, ou tout au moins voulu en tant que telle. Ce mouvement d'appropriation de l'altérité s'inscrit dans une nouvelle transition culturelle où la « consommation culturelle » (rendue de plus en plus efficace par les outils et moyens de propagation de la mondialisation) détermine l'émergence de nouvelles formes de sentiments identitaires qui s'enchevêtrent dans une territorialisation. L'appropriation cognitive de l'ailleurs, redéfinie au travers des filtres perceptifs de l'individu, génère une intériorisation de l'extériorité. Ce phénomène est alors inverse dans le cas des populations diasporiques indiennes.

L'ouverture de la société conçoit la multiplication des contacts avec l'Autre, et montre la complexité et la diversité culturelle de celui-ci. Cette confrontation élargie conduit à des attitudes diverses, parfois défensives17(*) dans le cadre des représentants de la diaspora indienne : l'affirmation identitaire devient explicite (affirmation identitaire qui ne s'exprime pas dans une structure rigide mais dans une extériorisation de l'intériorité), mais débouchant le plus souvent sur une « interculturation » recherchée pour les voyageurs de l'Inde.

Le chapitre premier aura comme objectif d'expliciter les fondements de l'attirance ou de la répulsion des voyageurs français pour l'Inde. Sentiments ou émotions extraits à la fois de l'imaginaire indien (exotisme, utopie), des représentations et des perceptions, où l'hindouisme, les philosophies indiennes et l'authenticité sont souvent les médiateurs des relations entre la France et l'Inde. Médiateurs souvent réinterprétés et réappropriés à l'origine de syncrétisme à la fois musicaux, cultuels et plus généralement sociaux.

Le chapitre deux se focalisera sur la diaspora indienne et sur ses formes de territorialités. Le développement n'est pas ici tourné sur une dimension historique ou sur un exercice d'épistémologie ou sémantique s'exerçant à trouver une définition au terme de diaspora, mais s'attachera à élucider les liens qui s'établissent entre la communauté diasporique et l'Inde.

« L'idée diasporique permet de dépasser le simplisme de certaines oppositions (continuité/rupture, centre/périphérie) pour penser le complexe, c'est-à-dire la coprésence du Même et de l'Autre, du local et du global »18(*).

Pour plus de clarté, le terme de diaspora aura ici pour principe de signification celui d'un statut que l'on accorderait aux ressortissants indiens ou d'origine indienne installés en France. Statut qui permettrait de « postuler l'existence d'une communauté dont le nom est diaspora et qui représente à la fois la conscience commune de l'absence physique de la patrie et de sa présence symbolique. Il [le statut] permet d'englober les diasporas dans un seul et même cadre significatif, indépendamment de leurs différences sociales, économiques, politiques, culturelles, etc. La diaspora existe, toute chose égale par ailleurs »19(*). Idéal type à la manière de Weber, mais soumis à plusieurs discriminants : l'illusion de la communauté, l'illusion de la continuité, la dimension de l'identification, la dimension de la différenciation et la dimension de l'historicité.

Le but est ici d'analyser les fondements d'une extra-territorialité faite d'allers et de retours entre ici et là bas et entre le passé et l'avenir.

CHAPITRE 1

ATTRACTION, RAYONNEMENT, ABSTRACTION ET APPROPRIATION : le mythe du « dromomane »20(*) et l'antimonde indien.

INTRODUCTION AU CHAPITRE 1

L'ensemble du mémoire repose sur une hypothèse qui guide la totalité de la démonstration. Nous posons que les mouvements de va-et-vient entre l'Inde et la France métropolitaine sont à l'origine d'une territorialisation double. Territorialisation duale dont les deux faces ne sont pas forcément complémentaires. L'une s'effectue dans l'ailleurs (en Inde), l'autre dans l'ici (en France). Il s'agira dans ce chapitre d'entrevoir les conditions de la territorialisation des Français en Inde. Cette territorialisation est soumise à plusieurs conditions de réalisation. L'attraction et le rayonnement en sont les deux premières.

L'attraction c'est-à-dire l'influence de l'Inde sur des réalités sociales consistant à les orienter ou à les déplacer dans sa direction est fonction de divers stimulus, parmi eux l'imaginaire indien. Celui-ci prend diverses formes, modulées en fonction des perceptions des individus et, est de diverses natures (imaginaire médiatique ou touristique, imaginaire des valeurs principalement les utopies, et imaginaire de l'expérience relatée). La notion d'imaginaire nous aide à décrire simplement les relations entre un sujet et d'autres domaines où s'exerce l'activité de l'esprit : art, pensée, mythe, religion et tourisme. Au-delà de la lecture rationnelle du monde, il existe des formes symboliques qui aident à asseoir un lien entre nous et le monde, entre l'intériorité et le social. Ces liens symboliques aident à faire ainsi une transition, un relient, entre l'individu et le dehors, entre les sujets, et entre les diverses temporalités, c'est ce « trajet anthropologique »21(*) qui nous intéresse ici.

Lié à l'imaginaire, l'exotisme, l'étrangeté, l'altérité, l'hétérogène, le divers, les écarts de niveaux de développement sont autant de notions qui provoquent des effets positifs ou négatifs mais c'est cette attractivité qui confère à l'Inde un certain pouvoir.

L'hindouisme est aussi l'un de ces stimuli permettant à l'Inde de drainer plus de 90 000 français par an. Ce sont d'abord ses préceptes qui attirent mais aussi les diverses « sagesses orientales » que l'on retrouve dans un second temps (le temps du retour) un peu partout en France à l'instar des centres de yoga, de médecine ayurvédique ou encore d'écoles de musique karnatique ou hindustani. L'hindouisme contribue à asseoir l'imaginaire dans un creuset d'images fécond et sert de biais au rayonnement de l'Inde en France et plus largement en Occident.

L'autre condition essentielle de la réalisation de cette territorialisation est le déplacement, le voyage. Ce voyage exprime une fuite momentanée dans l'ailleurs soit de façon réelle ou virtuelle. La figure aboutit en est celle du « dromomane » (du grec drômos, fuir, s'échapper de la réalité) qui serait un individu en quête de nouveaux liens sociaux, à la recherche du contact culturel, une sorte de « routard ».

Le rayonnement de l'Inde est souligné par le voyage ; mais celui-ci n'est que l'aboutissement de l'attraction du sous-continent qui forge un désir de voyage. Partir suggère une brisure ; celle-ci est d'autant plus visible chez les voyageurs au long cours. Il nous faudra saisir de quel imaginaire l'envie de partir nous vient, sans perdre de vue que celui-ci est doublement subjectivé et que c'est de la compréhension de cette subjectivation que l'on pourra saisir le fonctionnement de cette territorialisation.

Subjectivation in visu, orchestrée en France par divers supports médiatiques et subjectivation in situ (selon les paramètres de la première subjectivation). C'est ce deuxième pendant qui nous intéressera le plus, car il donne lieu à des phénomènes d'appropriation. En effet, l'espace indien représenté selon l'imaginaire se charge de valeurs, il porte la marque des codes culturels, des idéologies propres aux groupes sociaux auxquels appartiennent les sujets dans la conscience desquels il surgit et détermine des attentes motivant une subjectivation in situ qui va générer des phénomènes de réinterprétation et de réappropriation.

L'ensemble des voyageurs ne fait que surplomber (du haut de l'avion) les réalités indiennes suggérant l'émergence d'un antimonde indien, une sorte d'externalité négative liée à la fois à l'attraction et à l'imaginaire indien. Ce qui attire en Inde, c'est l'autre, l'altérité radicale. Mais celle-ci se tient sous nos pas, ou plutôt sous les ailes de nos avions, sur les écrans de nos satellites poussant le voyage dans la simultanéité mais aussi dans une multiplicité non maîtrisée, générant des modifications qui interviennent dans l'ailleurs, en Inde. Ici et ailleurs n'est plus de nul lieu tout en étant partout.

A/ LE CHOC DE L'INDE, OU LA RECHERCHE D'UN EXOTISME.

On associe souvent à l'Union indienne des images diverses pourtant parfois éloignées de la réalité. Les Français et plus largement les occidentaux usent depuis le Moyen-Âge d'adjectifs qualificatifs divers échafaudant une agrégation multiforme de termes atemporelle (traversant les époques). Tours à tours figure de l'exotisme, du dépaysement, de l'authentique ou de la « sagesse », les divers paysages de l'Inde participent à ce construit social établissant l'Inde comme source d'une altérité, d'une étrangeté radicale à la base de multiples fantasmes. La simple évocation du nom Inde motive l'imagination (d'ailleurs, officiellement l'Inde prend comme dénomination Union indienne ou Bhârat).

L'imaginaire et l'exotisme sont les biais pour comprendre la multiplicité des relations non maîtrisées qui s'établissent entre l'Inde et la France. C'est pourquoi dans un effort de conceptualisation, il est nécessaire de brosser un tableau complet de l'imaginaire français de l'Inde, car c'est lui qui sera à la source des formes de territorialisation à la fois en France mais aussi en Inde.

1-L'imaginaire indien:

« L'image n'est pas seule en cause dans le constat de changement que nous sommes aujourd'hui invités à établir. Plus exactement, ce sont les conditions de circulation entre l'imaginaire individuel (et par exemple le rêve), l'imaginaire collectif (et par exemple le mythe) et la fiction (littéraire ou artistique, mise en image ou non) qui ont changé. Or, c'est parce que les conditions de circulation entre ces différents pôles ont changé que nous pouvons nous réinterroger sur le statut actuel de l'imaginaire. La question peut en effet se poser de la menace que fait peser sur l'imaginaire la « fictionnalisation » systématique dont le monde est l'objet et cette mise en fiction elle-même dépend d'un rapport de forces très concret, très perceptible, mais dont les termes ne sont pas faciles à identifier. [...] Tout réel serait « halluciné » s'il n'était symbolisé, c'est-à-dire collectivement représenté. La question particulière porte sur le fait de savoir ce qu'il en est de notre rapport au réel quand les conditions de la symbolisation changent. »22(*)

L'imago en psychanalyse est la représentation des personnes de son entourage premier qui se fixe dans l'inconscient du sujet et oriente son mode d'appréhension d'autrui, de l'altérité. L'imago serait donc le médiateur de l'extériorité mais par l'intériorisation (« intériorisation de l'extériorité » de Pierre Bourdieu) ; l'imago est un processus mental général qui traduit un ensemble de représentations inconscientes et n'agit pas comme un simple fait psychique d'imagination. L'image est alors étroitement corrélée au stade du miroir en tant que passage du spéculaire à l'imaginaire. C'est par le truchement de l'imaginaire et précisément par la réflexion de sa propre image dans le miroir qu'un sujet peut appréhender l'existence de son corps. L'identité et la similitude opèrent dans l'imaginaire ; elles permettent au sujet de retrouver dans l'autre ce qui lui ressemble.

L'imagologie est le règne de l'image en tant que représentation. Représentation qui se fait par un système de signes non verbal et non séquentiel qui forme un double analogique de l'objet (mais, est image toute chose matérielle ou mentale).

Réelle, fictive et chimérique, l'image prête à penser, à se penser et à faire penser : elle est un système de signes qui médiatise le rapport de l'individu au monde, elle convertit l'intériorité en extériorité, en même temps qu'elle permet à une personne d'incorporer des éléments issus de son expérience sociale, de son vécu (donc de participer à un processus d'identification).

Sa puissance intrinsèque est de véhiculer un langage et une mémoire iconographique et picturale dont le signe porte en lui un mouvement, une aspérité, une épaisseur, une profondeur voire un silence. L'image est aussi un instrument de domination de l'espace à la fois par son aptitude à réduire sa complexité, par son pouvoir mnémonique, mais aussi parce qu'elle jouit de l'effet vérité consubstantiel à l'icône.

L'image, atemporelle et fugace, conte et diffuse une histoire allégorique parfois contextualisée. L'image se fige dans des stéréotypes, des clichés tantôt positifs, tantôt négatifs. L'image est virale, trouvant toujours une faille, une diaclase afin de se glisser dans un imaginaire collectif. Toutes les images sont déformées, elles opèrent à un double processus de subjectivation : subjectivation in situ (par celui qui crée l'image) et subjectivation in visu (par celui qui contemple l'image).

L'Inde est pourvoyeuse d'images et d'imaginaire géographique à trois ancrages possibles (qui ont la même source) : l'imaginaire de masse, médiatique et touristique ; l'imaginaire des valeurs et l'imaginaire de l'expérience relatée (de l'expérience humaine issue de la confession de la complicité d'une tiers personne : ami ou connaissance).

Figure 1/L'image : un système langagier, la médiation de notre « géographicité »23(*) :

IMAGE

L'INDIVIDU

GROUPE SOCIAL

Le groupe social et l'individu produisent et utilisent des images. En tant que système d'interprétation, les images ou représentations régissent notre relation au monde, orientent et organisent les conduites et les communications sociales. Elles confèrent pour l'individu et/ou pour le groupe, une signification et une cohérence à la localisation, à la distribution, à l'interaction de phénomènes dans l'espace. L'imaginaire (ensemble d'images en relation) contribue à organiser les conceptions, les perceptions et les pratiques sociales.

a) L'imaginaire médiatique et touristique :

« L'orient, soit comme image, soit comme pensée est devenu pour les intelligences

autant que pour les imaginations une sorte de préoccupation générale »24(*).

En ce début de XXI siècle, l'espace se standardise. Estampillé par le sceau de la mondialisation, par les réseaux tentaculaires de l'information, ce sont des images identiques qui sont diffusées dans les quatre coins du globe. Les images et imaginaires géographiques sont dans cette révolution informationnelle les supports d'une deshistoricisation rendue effective par les nouvelles technologies de l'information et des communications (NTIC), nous transportant dans le tourbillon confus de l'instantanéité et de l'ubiquité. Les NTIC suscitant du même coup l'apparition de corps humain solitaire, immobile et hérissé de prothèses, des villes désurbanisées et des sociétés dans le flou identitaire.

Le rapport global des humains au réel se modifie sous l'effet des représentations associées au développement des technologies, à la planétarisation de certains enjeux et à l'accélération de l'histoire. L'époque actuelle voit se développer un bien remarquable paradoxe. D'un côté, de puissants facteurs d'unification ou d'homogénéisation sont à l'oeuvre ; d'un autre côté nous voyons des régions ou des fédérations se disloquer, un encombrement territorial accompagné d'un argot (pays, communauté urbaine, communauté d'agglomération...), des particularismes s'affirmer, des nations et des cultures revendiquer leur existence singulière. Ce mélange d'unité et de diversité, de forces centripètes et centrifuges, apparaît d'autant plus déroutant qu'il est reproduit et multiplié par les médias qui en sont à la fois l'expression et l'un des agents. L'usage que nous sommes conduits à faire, à son propos, des termes spectacle et regard n'a rien de métaphorique. C'est bien notre regard qui s'affole au spectacle d'une culture qui se dissout dans les citations, les copies et les plagias d'une identité qui se perd dans les images et les reflets, d'une histoire que l'actualité engloutit.

Il ne s'agit pas de définir d'une manière toutefois assez réductrice la mondialisation, mais l'instantanéité et la réduction de l'espace-temps introduisent une nouvelle formulation des rapports à l'altérité ; c'est toujours par rapport à l'Autre que se pose la question de l'identité.

Les NTIC rendent le rapport à l'autre de plus en plus abstrait ; nous nous habituons à tout voir mais il n'est pas certain que nous regardions encore. La substitution des médias aux médiations contient ainsi en elle-même une possibilité de violence. Mais le développement des médias et les changements qui affectent la communication et l'image sont des changements présentés le plus souvent comme culturels et il est dès lors normal de s'interroger sur le rôle de la culture ou de l'idée que l'on s'en fait dans l'histoire la plus récente.

En outre cette révolution informationnelle, dont les nouvelles technologies des communications et de l'information sont le fer de lance (on ne le redira jamais assez), alimente le mythe d'une migration possible dans lequel se niche une certaine magie des images.

C'est entendu, l'Inde attire et suscite rejets et fascinations, ses images reposent sur des dialectiques précises. Elle est un véritable bassin cognitif et affectif organisant verticalement (selon un système de pentes valeurs/désirs) et horizontalement les rapports des individus à l'Inde.

Ce sont les clichés classiques d'une Inde incarnée par la figure du Maharadja, du Mahatma Gandhi et de sa résistance non-violente, satyagraha ; ou encore des paysages largement stéréotypés, où sortant du brouillard matinal surgissent les ghâts de Bénarès/Varanasi, la cité des dieux, sur le fleuve sacré, le Gange, que les supports médiatiques véhiculent et instrumentalisent.

Ce sont aussi les contrastes entre les épices, les palais, les couleurs, l'exégèse, les festivités versus les images de pauvreté et de misère. C'est une nature peu clémente, inhospitalière, sauvage, mais aussi aux attributs d'une lumière éclatante lors de la fête du diwali par exemple (le 26 octobre qui marque le début de la nouvelle année hindoue ; les maisons et les bâtiments sont illuminés dans tout le pays), d'une grande diversité.

Photo 1 : Le palais du Maharadja de Mysore.

(c)Goreau, A. Février 2002. Palais de style indo-saracène (mélange de style hindou et musulman).

« Aussi bien cet espace qu'occupe l'Inde a-t-il été d'entrée de jeu consacré aux errances de l'imagination. Terre de confins, mitoyenne entre réel et surréel, monde monumental où l'inépuisable labeur de la nature livre ses productions les plus exaspérées, jungle rutilante dont l'arborescence dérobe l'accès, l'Inde n'aura jamais été véritablement découverte, a fortiori inventée »25(*). Inventée et réinventée des milliers de fois au grès des envies et de l'imagination des individus dont l'évolution se fait l'écho des époques.

C'est l'image d'un immobilisme séculaire, d'un temps circulaire, de la masse, de la chaleur écrasante, des paysans besogneux. L'imaginaire médiatique procède comme toute instrumentalisation issue d'icônes, par effets métonymiques et synecdoques : l'Inde c'est l'hindouisme, un pèlerinage aux sources de la sagesse, où y abondent, maharajas à dos d'éléphants, fauves, charmeurs de serpents, bosquets luxuriants de palmiers ou de banyans traversés de lianes écarlates et de fleurs carnivores aux parfums enivrants, Thugs, britanniques hautains coiffés du casque colonial, temples...

Cet imaginaire prend ses sources dés l'antiquité mais est relayé par le Moyen-Âge, la Renaissance, mais surtout par le Romantisme. L'Inde existe par l'imaginaire qu'elle suscite et qui y fait retour, qu'elle alimente et dont elle se nourrit, auquel elle donne naissance et qui la fait renaître à chaque instant.

Si l'évolution de cet imaginaire nous intéresse, c'est parce qu'elle concerne à la fois l'Inde -ses permanences et ses mutations- et notre rapport à l'image, qui évolue sans cesse (la diffusion des images sur la terre entière pose de façon plus générale la question de l'existence quotidienne, pouvons-nous, au travers de l'imaginaire faire de l'Inde le support de nos rêves et de nos attentes ?). L'expression la plus probable de l'imaginaire médiatique se traduit au cours des romans et récits d'aventure.

Au travers des écrits des différentes époques, le paysage indien s'avère plus qu'un décor, ou qu'un prétexte à divers fantasmes occidentaux. Le paysage indien et notamment celui de Ceylan (Taprobane de son nom antique) apparaissent d'une façon paradoxale un des mythes les plus tenaces de la chrétienté, celui du paradis terrestre, de l'Eden. Mais, l'évolution de l'imaginaire indien n'est pas linéaire, une image mercantile se substitue à la Renaissance à cette illusion chrétienne, et ce n'est qu'au XIX siècle avec la découverte des textes épiques et philosophiques de la civilisation indienne (Mahabharata, Ramayana, Upanishad et lois de Manu) qu'un engouement baroque (fait de spécialistes dits « indianistes ») insufflera à la littérature et aux arts un esprit nouveau sous la figure d'Antoine Léonard de Chézy, d'Eugène Burnouf, ou encore Langlois (« jusqu'à la fin du XVIII siècle, la vision qu'avait de l'Inde l'élite cultivée était encore tributaire de Ctésias26(*) et de Mégasthènes27(*) : un peuple de fakirs nus, mi-hommes mi-monstres, debout en plein soleil un pied dressé au-dessus de la tête »28(*)).

Ces images kaléidoscopes réactivent le paradoxe d'un Occident fasciné et méfiant devant une Inde insaisissable issue de l'enchevêtrement des realia et des mirabelia. L'image archétypale de l'Inde se définissant depuis le Moyen-Âge par deux thèmes particulièrement saillants, dont perdurent encore aujourd'hui avec une moindre acuité, sinon des variations : monstruosités et sagesses.

L'imaginaire médiatique transmet par le biais des canaux de la télévision, des journaux ou encore des affiches et du cinéma le portrait d'une Inde valorisée, souvent envoûtante mais aussi déconcertante ; ce portrait étant souvent relayé par l'imaginaire touristique.

Si d'ordinaire, on entend le paysage comme l'affichage polysémique conscient (aménagement, politique, économique, religieux) ou inconscient (le paysage vernaculaire) dans l'espace, dans le temps et dans un milieu donné des statuts, des héritages, des projets de société qui permet ainsi le balisage (ou bornage) et l'identification d'un territoire mais qui également enregistre les dysfonctionnements du complexe (système) milieu/société, la mondialisation nous amène à faire le distinguo entre un paysage à usage interne et un paysage à usage externe.

Paysage à usage externe car celui-ci est de plus en plus un formidable outil de communication qui via l'esthétisation devient un gage de vente pour les tours opérateurs (pour Alain Roger, tout paysage est le produit de l'art, d'une artialisation29(*)).

Photo 2 : Paysage « authentique » du Sud de l'Inde. Le Gopuram constituant la tour Est du temple Minakshi-Sandareshvara ((c) Goreau, A. Février 2002).

Ce paysage se nourrit des mêmes figures, des mêmes icônes à ceci près qu'elles prennent part à une transformation sémantique : les rues perpendiculaires aux gopuram de Madurai (temple Minakshi-Sandareshvara), les fêtes de pongal au Tamil Nadu ou de sankrati au Karnataka (fête des moissons) prennent part à l'authentique (l'authenticité a besoin de terre battue, de spiritualité mais elle ne trompe pas. L'usage d'artifice et de ruse n'est pas de mise), tandis que les piedmonts des ghâts occidentaux, les Nilgiri aux stations d'altitude d'Ooty, de Munnar ou de Kodaikanal (« cascades, sentiers enchevêtrés, et villages perdus en pleine jungle. En prime, la richesse extravagante de la flore, les jeux de couleurs, le lac et ses reflets, les nuages accrochés aux montagnes raviront les passionnés de photos. [...] C'est l'endroit rêvé »30(*)), ainsi que les filets chinois de Cochin (la géographie universelle de Brunet illustrant même l'Inde du Sud de cet élément) font parti du champ lexical du pittoresque, empreint de couleur locale faisant ipso facto leur originalité, les distinguant des autres (par un trait souvent forcé, dans ces deux cas : la spécificité d'altitude mêlant plantations, réserves d'animaux et fabriques de chocolat). Pour qu'un paysage soit « pittoresque », il lui faut aussi du relief (sinon c'est plat, morne) et du menu (sinon c'est grandiose ou sublime, à la manière des contreforts de l'Himalaya, de Darjeeling ou de Leh, du Cachemire et de l'Assam). Nombre de descriptions abusent de cet adjectif quelque peu dévalué et paresseux. Cela va volontiers avec « le vrai » et le varié, le folklorique, comme clichés.

Le pittoresque s'arrête sur des détails, sur des images c'est une vision bien sûr réductrice. Le pittoresque est schématique mais c'est un élément de communication fort à la manière de l'authentique.

Ce paysage est aussi qualifié d'exotique, à la manière des terrains de jeux de Kipling. Imaginaire touristique empreint des romans de Jules Verne -La Maison à Vapeur : Voyage dans l'Inde septentrionale, Tour du monde en quatre-vingt jours- (où le héros Philéas Fogg résume en une suite de mots le paysage indien : « Des mosquées, des minarets, des temples, des fakirs, des pagodes, des tigres, des serpents, des bayadères ») : architecture, exubérance de la flore, tout est réuni pour faire de l'Inde l'archétype de l'exotisme.

Conflictuelle, l'image touristique tend à diviser, plus qu'à unifier une réalité culturelle. L'imaginaire « médiatico-touristique », véhicule une opinion généralisée et simpliste qui peut devenir le catalyseur d'une curiosité.

Il s'agit alors de dépasser l'image subie, d'aller au-delà des stéréotypes et de ce paysage à usage externe pour entrevoir un paysage fait dans le temps, dans les usages et dans l'émotion, essayer d'atteindre l'herméneutique de l'Inde.

Cette curiosité critique vis-à-vis de l'ignorance prenant une acuité sincère dans l'imaginaire des valeurs et celui des expériences relatées. Etre curieux consiste à parcourir afin de découvrir ce qui nous manque pour reconstituer une totalité homogène et ordonnée.

b) L'imaginaire des valeurs :

Dans les relations triangulaires de l'image (figure 1) l'imaginaire des valeurs à l'inverse de l'imaginaire médiatique provient de l'individu.

Ici ce n'est pas le groupe social qui produit les images mais l'individu. Il ne s'agit pas des valeurs formalisées par les normes, l'ethos, orientant les comportements d'une société ou d'un groupe social. Les valeurs supposées et admises ici, couvrent des images d'un modèle de vie susceptible d'apporter des réponses à un Occident en quête de manque ou de perfectibilité. Les valeurs touchent à un idéal, à une utopie, au besoin d'imaginer de nouvelles perspectives sociales ne relevant pas de l'aliénation mais procédant d'une conscience réflexive de l'Homme.

Utopie qui concerne la volonté de transcender l'être-là humain, le quotidien vécu. Cependant, l'idéologie est une conscience dont la fonction est conservatrice, alors que celle de l'utopie est révolutionnaire. L'une et l'autre sont des fausses consciences, de pures évasions hors des sociétés vivantes. L'utopie répond à une métaphysique de l'évasion, à une fuite de l'ennui reposant sur l'ambivalence idéal/paradoxe.

Idéal, suscité par les utopies communautaires, les sagesses orientales, la volonté individuelle d'échapper à la « radicalisation de la modernité »31(*) et de recréer un espace d'interaction sociale, un maillage de lieux anthropologiques.

Idéal qui se conforte par la recherche d'une alternative, d'une rupture de l'Occident et de l'omnipotence du marché ; idéal fondé sur le lien social, la collectivité à l'instar des kibboutz israéliens.

Les valeurs individuelles se retrouvent autour de la proximité, de la coprésence, et de la contiguïté non pas physique mais sociale ; une sorte de « proxémie »32(*) partagée, c'est-à-dire l'ensemble des observations et théories concernant l'usage que l'homme fait de l'espace en tant que produit culturel (c'est un dépassement de la proximité : l'espace n'est pas une donnée neutre, un simple contenant de pratiques fonctionnelles, mais un construit culturel et relationnel, la dimension cachée exprime des habitudes intériorisées non objectivables. L'analyse des données infra culturelles permettant de repérer des niveaux d'organisations territoriales).

L'adhésion à ses valeurs, pourtant à la base individuelles, génère la formation d'une solidarité sociale qui se double d'une construction territoriale ; l'idéal, l'illusion devenant une réalité tangible : les ashrams et Auroville peuvent en être quelques-unes des illustrations.

En effet, vers la fin des années 1960 (1968 plus précisément), des occidentaux sont pris par la volonté de créer une « cité idéale » : Auroville (se situant à dix kilomètres au nord de Pondichéry). Il s'agit d'une cité qui se veut universelle où hommes et femmes de tous pays doivent pouvoir vivre en harmonie progressive au dessus de toute croyance, de toute politique et de toute nationalité. Ce projet, louable au départ, est vite devenu subversif, se rapprochant plus d'une secte (selon les indiens) que de l'expression d'une volonté oecuménique : le contraste entre occidentaux blancs (de toutes nationalités mais particulièrement européens) et paysans tamouls accomplissant les travaux de construction et les tâches besogneuses est saisissant. Architecturalement, cette « ville » devait se concrétiser sous la forme d'une galaxie : un point au centre représentant l'unité (le Matrimandir, une boule sphérique et lieu de méditation), un premier cercle pour la création et des pétales pour symboliser le pouvoir de l'expression.

Photo 3 : Le Matrimandir d'Auroville (noter l'attachement à l'origine étymologique latine aurum : or).

(c) A, Goreau, février 2002.

Ajoutons dans cette quête d'un idéal, les ashrams c'est-à-dire des unités de réflexion philosophique et spirituelle (ashram signifie « travail sur soi »). La philosophie est à la fois manière de vivre, manière de voir le monde, manière d'approcher le divin, grâce à la méditation collective et à la pratique du yoga. Par exemple l'ashram de Sri Aurobindo à Pondichéry ; celui-ci a été crée par un indien Bengali (donc interdit aux tamouls), Aurobindo rejoint par une française Mirra Alfassa (anciennement Mirra Richard) dit la « Mère » au début du XX siècle.

D'une oeuvre essentiellement spirituelle, affabulatrice, l'ashram est aujourd'hui une entreprise capitaliste recevant de multiples dons d'occidentaux, particulièrement français, partageant les mêmes valeurs. Entreprise, mais aussi gros propriétaire qui gère des fermes, surveille des laboratoires, fait tourner des usines et administre une clinique, imprime, publie, expédie par sa propre poste.

Ainsi le paradoxe n'est jamais loin entre un idéal et son penchant fallacieux. Ashram ou Auroville sont des figures modernes d'auto gestion, du mythe de « phalanstère » (selon Fourier, la société idéale devrait être divisée en phalanges de coopération, ou communautés, chacune étant constituée d'environ 1 600 personnes qui vivraient dans le phalanstère, grand bâtiment communal situé au centre d'une zone agricole. Un système de règles complexes réglementerait la vie à l'intérieur de chaque phalange. En vertu de ce règlement, l'affectation du travail est fonction du talent de chacun. La propriété privée pourrait subsister, mais un mélange des riches et des pauvres devrait faire disparaître la hiérarchie sociale. La richesse communale du phalanstère subviendrait généreusement aux besoins élémentaires de ses membres. Le mariage, au sens courant, devrait être aboli et remplacé par un système complexe réglementant le comportement social de ceux qui mèneraient une vie commune).

L'Inde dans la continuité du courant soixante-huitard et hippy serait l'issue d'une société marchande, arrivée à la cinquième étape de Rostow : le consumérisme. L'Inde est la figure du moyen de s'extirper d'une société matérialiste, rationnelle.

Alternative reposant sur une plus grande spiritualité dans la lignée des écrits des romantiques mais aussi sur un différentiel important en termes de pouvoir d'achats et des substances illicites abondantes et peu chères, faisant de Goa (et de Katmandou au Népal) des hauts lieux de cette illusion).

La filmographie aussi est chargée de ce sens, de cette quête de l'idéal, de cette ontologie indienne, à l'instar de « nocturne indien » d'Alain Corneau (d'après le roman d'Antonio Tabucchi) réalisé en 1989, qui nous évoque la recherche de soi dans l'altérité, la multiplication des réalités et l'illusion de l'apparence.

Paradoxe, entre cette quête de quelque chose plus authentique, de plus « vrai », un mode de vie plus proche de ses racines (des roots), qui se fait l'écho d'un certain retour aux sources, « l'image de l'Inde s'ancre donc dans l'inconscient collectif en une alternance de volupté et de sauvagerie dans un contexte de besoin de régénération de l'Occident »33(*) et des intérêts plus fallacieux.

Que reste-t-il du psychédélisme, de ces utopies ? L'Inde ne fascine plus depuis qu'on l'associe au tiers-monde, à un pays sous-développé (par opposition à l'Eden). Par l'intermédiaire des cinéastes que cela soit dans La cité de la joie34(*) ou dans Salaam Bombay35(*) par exemple, les bidonvilles de Calcutta ou « les gosses des rues » de Bombay fournissent aux français les sentiments d'horreur, d'effroi et de pitié (qui contrastent aisément de celles véhiculées dans l'épisode Octopussy de James Bond ayant pour toile de fond le Lake palace hotel d'Udaipur).

Paradoxe aussi car derrière ces utopies se cachent souvent des velléités mercantiles, capitalistes, d'accumulation et d'homogénéisation.

Derrière cette volonté d'aller en Inde soit par un déplacement physique ou dans l'imaginaire, l'individu veut s'extirper du keynésianisme, du fordisme, du « corbuséisme », de la collectivité, de la raison, c'est-à-dire de tous les fleurons de la modernité. Mais l'individuation plonge l'Inde dans le matériel, dans le « non-lieu » au sens que lui donne Marc Augé.

Cette ambivalence idéal/paradoxe de l'imaginaire des valeurs participe pleinement à donner vie au mythe du voyage.

c) Imaginaire de l'expérience relatée :

Le but de cette analyse succincte de l'imagologie indienne est, ni plus ni moins, de permettre la compréhension des mécanismes de la constitution de cet entre-deux, entre un ici et un ailleurs. Interspatialité qui peut-être de l'ordre de l'imaginaire ou bien physique instaurant un rapport de distance entre la France et l'Inde (matérialité malgré tout frappée d'une lourde dimension culturelle et sensitive)

Le projet de partir se nourrit d'encouragements suscités par l'expérience relatée des voyageurs d'hier et d'aujourd'hui. Relation qui peut se faire sous différentes formes et supports, mais qui stimulera invariablement l'imaginaire, le désir d'ailleurs et le désir de l'Inde.

Bien sûr, on pense aux documentaires télévisuels tels ceux diffusés dans les émissions de Thalassa, dans Des racines et des ailes, Ushuaia ou encore Faut pas rêver. Cette vulgarisation touchant un large public se fait aussi sur le front de la lecture à l'instar des magazines ou autres revues mensuelles comme Géo.

Nonobstant ces récits médiatiques, c'est le filtre d'hommes et de femmes ayant vécu l'expérience en Inde qui nous intéresse. Pragmatisme dans l'ailleurs qui rend compte d'une rhétorique de l'expérience, de l'espace vécu, offrant une représentation de l'Inde différente (ayant un plus grand pouvoir d'attraction pour les jeunes générations) que celle véhiculée par la télévision.

Rhétorique de l'expérience offrant une dimension nouvelle : sensitive, émotive et impressionniste (en fonction du positionnement du narrateur).

« Les précieux mots laissés par les premiers voyageurs sont et restent des invitations au voyage cent fois plus alléchantes que les publicités en quadrichromie des voyagistes actuels même les plus audacieux »36(*).

Il est banal de préciser que l'on voyage d'abord par les livres ; expérience relatée qui se fait donc via la sphère scripturale, qui rend compte d'une proximité sentie et ressentie où l'individu/lecteur, imagine ce que l'auteur a vécu. Imaginaire empreint de la subjectivité de l'auteur.

Cet imaginaire marque l'expérience de l'ailleurs par le livre déterminant une catégorie de voyageurs : les voyageurs mentaux, certains diront voyageurs de chambre, qui parfois partent finalement plus loin, plus en profondeur et plus librement que les masses de voyageurs pressés de tout faire et de tout voir.

Au-delà du livre, l'expérience relatée peut se faire dans l'échange, au cours de rencontre fortuites, ou dans des associations philindiennes comme l'association Ganapati de Bordeaux, ou la FAFI (fédération des associations franco-indiennes), ou encore lors de rencontres culturelles.

Cet imaginaire est d'autant plus stimulé qu'Internet représente un véritable vivier pour vivre l'ailleurs par substitution.

Ces premières rencontres de l'ailleurs par le livre, l'échange, et par les médias donnent vie au mythe et à la recherche de l'altérité.

2- L'exotisme indien.

« Ce qui assure une unité du lien et une jointure dans les visions du monde de l'Antiquité au XVI siècle, malgré les ruptures et les progrès technologiques inégaux, c'est la commune appréhension de l'altérité. Autrui, qu'il se présente sous la figure du juif, du berbère, de l'africain, de l'indien, du fait qu'il est imaginé avant d'être perçu, est prédiqué de deux valeurs opératoires essentielles : le lointain lié à l'état de la géographie et de la cartographie d'une part, la bonté et la beauté paradisiaque d'autre part. Cette double prédication analytique de l'altérité va forger les symboles emblématiques sous lesquels l'Autre sera aperçu et conçu, à savoir qu'il est toujours exotique puisqu'il est d'un ailleurs par définition inconnu, et qu'il est dès lors porteur des fonctions traditionnellement accrochées à cette modalité. Ces qualités sont nécessairement ambivalentes puisqu'on ignore la provenance et l'essence du sujet : cruel et doux, beau et laid, blanc et basané, brut et humanisé »37(*).

L'imaginaire fantasmagorique, le merveilleux ou le monstrueux offrent à l'Inde une forte base « exotique » qui s'émancipe dans la cuisine, l'architecture, le climat (la mousson indienne), la flore, la faune, les couleurs et la population. Le dépaysement est d'autant plus sensible que l'on visite mentalement ou physiquement des sociétés et des paysages qui différent de ceux qui nous entourent, il s'agit de l'altérité radicale.

L'exotique, du grec « exôtikos » (étranger), est frappé du sceau du divers, de la différence. Dans le domaine de la physique, les particules exotiques sont celles dont les caractéristiques divergent et diffèrent notablement des caractéristiques habituelles. L'exotisme serait donc un principe de changement, de discontinuité, de rupture avec le quotidien, le routinier ; en bref une façon d'échapper à la modernité, à la standardisation.

De cette manière, l'exotisme serait la matérialisation de la rencontre avec l'altérité, de la confrontation entre nous et eux (français et indiens), mais plus encore, l'exotisme serait une synapse entre la normalité et le divers où se manifesterait l'expression du désir insatiable d'occuper un espace vierge.

Ce désir va de pair avec le mythe de la terre sauvage, où pour avoir la prétention de l'atteindre il faut sortir des « sentiers battus », ravir l'engouement personnel pour l'aventure (toute proportion gardée), c'est rechercher des ambiances, des impressions méconnues. De multiples lieux de l'Inde paraissent satisfaire cette volonté de nu, de mystérieux. Par exemple Gingee, gros bourg rural à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Pondichéry allie « petits monuments datant du XVI siècle éparpillés dans une végétation sauvage, peuplée de singes, de bruits inconnus dans les buissons, le tout comme semi abandonné, quasiment désert »38(*) et altérité radicale, l'ensemble confortant un dépaysement gradué en fonction de l'expérience de l'ailleurs et de l'imaginaire. Radicalisation de l'altérité et de l'exotisme atteignant leur paroxysme dans les îles Andaman et Nicobar du fait de la présence d'éléments de population autochtone (deux groupes principaux sur les Andaman : des populations de type Mongoloïdes arrivées par bateau, par petites embarcations du Sud-est asiatique (Malaisie et Birmanie) et de type Négroïdes qui seraient les descendants des bushmen africains) d'une part et par la difficulté d'accès à cet archipel d'autre part ; l'Etat indien hésitant encore entre préservation et développement d'un tourisme haut de gamme focalisé sur les ressources naturelles (récifs coralliens, forêts, grandes étendues sablonneuses, mangroves...) à l'instar des Maldives.

Photo 4 : Les îles Andaman : banalement tropical pour un géographe, mais figure même de l'exotisme pour le profane ((c) Goreau, A. Îles d'Havelok, février 2003).

L'exotisme est doté d'un pouvoir d'illusion, d'attraction et/ou de répulsion. Ensemble de sensations qui répondent à des dualités prononcées tout en lui étant substantiellement lié. Par exemple, l'opposition duale entre le développement et le sous-développement (première altérité qui naît d'une discontinuité économique large), ou encore entre la tradition et la modernité auxquelles s'ajoute, s'adjoint l'opposition entre eux et nous, entre indiens et français.

En effet, la tradition vécue par le spectateur comme un retard, lié à un état d'anomie économique, est source de distinctions, de différentiations, voir même de synesthésies39(*) ; la différence suscitant la comparaison (revêtant parfois des allures de néo-colonialisme). On a forcément à l'esprit cet exotisme indien du présent où le « pittoresque » des campagnes (entendons ici misère et dur labeur) rappelle la France de jadis.

Toutefois ce même écart crée motivation et désir d'ailleurs, une envie d'aller voir sur place, de rejoindre l'Inde. Cette même tradition peut être instrumentalisée, stéréotypée pour en faire des clichés dotés d'un fort pouvoir de communication et de vente. Ça et là, les voyagistes et autres tours-opérateurs s'orientent sur deux thèmes phares pour caractériser l'Inde : civilisation et tradition (selon cette même nomenclature40(*)Madagascar serait plutôt tournée vers « la nature et les grands espaces », « au fil de l'eau » conviendrait pour les Seychelles...) qui sont les piliers d'un édifice de multiples circuits s'orientant tous vers un exotisme du passé. « Les couleurs du Rajasthan » (avec un crochet tout de même en Uttar Pradesh, il ne faudrait pas manquer de voir le Taj Mahal à Agra), « parfums du Sud » ou encore « légendes sacrées » sont autant d'itinéraires revisitant « les superbes témoignages de la vieille civilisation indienne, mélange de culture hindoue, bouddhique, musulmane, et britannique »41(*), se targuant d'éléments architecturaux (le temple de Khajurâho, de Kanchipuram, mosquée de Delhi et autres palais des maharadjas). Il s'agit donc ici d'un exotisme du passé.

Cette opposition duale transcende tout en la corroborant la première acception de l'exotisme. Cet adjectif à l'origine s'attache à signifier une nature qui n'appartient pas au monde européen. Ainsi l'Inde tropicale, l'Inde des forêts, la jungle de Kipling, renfermant tigres et éléphants font figure du divers, de dépaysement.

Mais c'est plus le différentiel économique que l'image banalement stéréotypée d'un paysage tropical qui attire (la possibilité de trouver dans l'ailleurs la solution à ses envies.....). « Voyager dans le tiers monde est sans doute la forme de tourisme qui occasionne le dépaysement le plus grand à un habitant de pays tempéré développé : paysages et sociétés sont radicalement exotiques car correspondant à un climat différent (en général tropical) [...] Il semblerait que le sous-développement soit générateur d'exotisme. »42(*)

Ce différentiel contribue à accroître l'image d'une Inde idyllique, d'une Inde étape sur les chemins de Katmandu, aux utopies grandissantes à la manière d' Alex Garland43(*) mais de façon renouvelée par les nostalgiques des années 1960 (des néo-psychédéliques post « soixante-huitards », empreints de beat génération et de culture hippie).

Image qui se concrétise dans des Etats comme celui de Goa (« Goa est un petit paradis bourré de cocotiers, de rizières verdoyantes, de jardins en fleurs et de longues plages de sable. La population semble avoir hérité de la nonchalance des Portugais, et se contentait jusqu'il y a peu des prodigieux cadeaux de la nature »44(*)). Goa évoque pour la population française et occidentale, la liberté, à la fois sexuelle mais aussi via les psychotropes bons marchés ; ces deux consommations : sexuelle et drogues, faisant partie intégrante selon le Economic and Political Weekly45(*) de l'exotisme.

L'exotisme est frappé des stigmates de la différence, c'est l'espace où le Français et plus généralement l'Européen plongent avec fascination. Ainsi, dans le procédé, l'exotisme agit à l'instar du bovarysme : il s'agit de fuir dans le rêve l'insatisfaction, la frustration éprouvée dans la vie. Mais la configuration n'est point la même, cette fuite ne s'exerce pas dans le rêve (du moins a demi-mot, via le prisme de l'imagologie) mais dans l'ailleurs, dans l'étrangeté, dans l'insolite, dans le merveilleux, dans l'inattendu, dans le surprenant voir même dans le mystérieux ; en bref dans tout ce qui est autre (l'hétérogène, le divers, le multiple).

« L'exotisme n'est donc pas cet état kaléidoscopique du touriste et du médiocre spectateur mais la réaction vive et curieuse au choc d'une individualité forte contre une objectivité dont elle perçoit et déguste la distance »46(*)

Mais, cette individualité est de plus en plus soumise à de multiples facteurs d'usure qui prennent la figure de la standardisation de la diversité via le progrès technique, la mondialisation, la multiplication des rencontres qui génèrent plus de non-lieux que de lieux anthropologiques. Et au total, l'espace exotique découvert par les Français, ou fantasmé comme tel, apparaît fort différent de l'espace indien.

3- Voyage et tourisme.

L'exotisme du passé, du présent et celui lié au désir d'utopie, associés à leurs images, exercent un pouvoir d'attraction différent correspondant à des formes distinctes de tourisme, à divers processus d'appropriation de l'espace indien.

L'imaginaire et l'exotisme suscitent le départ, l'évasion, l'envie de partir. Etymologiquement, partir (du latin vulgaire partire) signifie « partager, séparer », et c'est bien de cela qu'il s'agit : se scinder en deux, entre l'ici et l'ailleurs au profit d'une inter spatialité de l'entre-deux.

A l'instar du mythe, le voyage possède un rôle dans la production de l'espace, dans la somme des symboles et des représentations, au sein de laquelle se manifeste toute la place des objets géographiques.

Le voyage peut se faire excursion, incursion, exil momentané, apprentissage, rite de passage, acquisition d'expérience, balade, circuit, pérégrination ou encore errance, mais dans tous les cas, il est une vérification.

Exercice de contrôle de l'image par le vécu, de la représentation par la perception.

Le voyage ainsi revêt un sens social, une herméneutique ; sens qui est plus profond lorsqu'il prend l'aspect d'un passage, d'une initiation, à la dimension du monde. Passage ou moment hasardeux, délicat, difficile, voir aventuré qui fait la jonction entre eux et nous, entre la France et l'Inde, mais qui marque aussi le risque du changement d'état. Le voyage implique dès lors une trajection au sens d'Augustin Berque47(*), c'est-à-dire une combinaison médiale et historique du subjectif et de l'objectif, du physique et du phénoménal, de l'écologique et du symbolique, produisant une médiance. Il donne consistance à l'imaginaire et permet enfin de toucher l'Inde, d'assouvir cette soif de notre « orient intérieur »48(*).

Figure 2 : Les mécanismes du départ.

CONFIGURATION GLOBALE DU DEPART

Imaginaire de l'expérience

Imaginaire médiatico-touristique

Imaginaire des valeurs

Documents

Exotisme

Tradition

Récits de voyageurs

Peur/Misère

Modernité

Héritage familial

Musique

Utopie(s) sociale(s)

Cercle d'amis

Cinéma

Sagesses orientales (ashram, gourous).

Projet individuel ou collectif

Mythe du voyage/Mobilité humaine

Soi L'Autre L'INDE

DEPART

(c) Goreau, A.

Le voyage en Inde prend la figure du tourisme, qui répond à plusieurs motivations. Et d'abord, il porte sur un espace que l'on pourrait appeler affectif puisqu'il est préalablement investi d'images et de valeurs sentimentales. A moins de se déplacer pour rien, errance purement improductive et sans motif précis, le voyage implique toujours une finalité plus ou moins efficace. Il est donc inutile de tomber dans l'opposition systématique entre « routard » et touriste ou encore entre touriste et « vrai » voyageur. « Le touriste n'est pas ce voyageur moutonnier qu'on imagine le plus souvent. Au fil de ses voyages, il acquiert des compétences et des savoir-faire dont la capitalisation peut contribuer à améliorer sa mobilité »49(*). Il faut cesser de penser que le touriste ne voyage que dans une attente matérialiste, n'ayant que des besoins et ipso facto ne concevant pas l'intelligence de sa mobilité ; et qu'il ne serait pas, contrairement au voyageur, au routard, considéré comme un acteur conscient et volontaire de sa mobilité, animé par un projet (puisqu'il est souvent qualifié de mouton se fondant dans une masse uniforme, ou au mieux, marchant dans les pas des voyageurs qui l'ont nécessairement précédé). Car, on vient toujours après d'autres, et de ce fait on est toujours le touriste d'un autre.

Outre que le voyage sollicite un savoir-faire, une stratégie dans l'art des repérages, des choix d'itinéraires, des balisages, des passages, des manoeuvres d'approche (d'ailleurs le mot anglais travel qui signifie voyage, à la même origine étymologique que le mot travail, suggérant par là que voyager implique une succession de tâches plus ou moins bien maîtrisées par les voyageurs), il vise une direction et, au loin un projet.

Le voyage mobilise une capitalisation, la mobilité devenant un art, un investissement.

Graphique 1 : les touristes français en Inde.

1/ Evolution en valeur absolue.

2/ Evolution en valeur relative (en %).

Source : D'après le Statistical Abstract, India, 2001. A noter que le nombre total de touristes étrangers en Inde pour l'années 2000 est de 2 641 157.

Le voyage en Inde connaît des soubresauts, mais le nombre de touristes français qui touchent le sous-continent avoisine annuellement les 90 000. L'espace touristique indien est multiple, correspondant à l'imaginaire de chacun et à son capital de mobilité, mais cet espace découvert par le visiteur étranger apparaît fort différent de l'espace indien réel ; de l'Inde telle qu'elle est dans son ensemble, mais aussi de l'Inde en tant qu'espace vécu par les indiens eux-mêmes. Le tourisme ou le voyage en Inde s'attarde sur des zones bien précises et concises, et la plupart du temps il est urbain, négligeant du même coup les campagnes indiennes où vivent pourtant les deux tiers de la population indienne. Au total le voyageur au même titre que le chercheur ne peut avoir qu'une vue très partielle et partiale de l'Inde (souvent loin de la complexité de la réalité), mais cette expérience va créditer un phénomène d'appropriation de l'espace indien. Principe matériel qui peut toutefois se doubler d'un phénomène d'identification ou du moins d'une réinterprétation/recréation de l'espace visité.

Recréation qui sera empreint des figures des indes touristiques (voir carte 1). En effet, les régions de l'Inde sont inégalement concernées par le tourisme, (qui n'est pas une panacée) qualitativement et quantitativement. A une Inde des « routards », voyageant à peu de frais, parcourant parfois de grandes distances entre des lieux privilégiés tels que l'Etat de Goa (pour profiter des plages d'Arambole ou de Colva), celui de Jammu Cachemire (pour participer à un trekking de haute altitude dans le Karakoram ou dans les vallées du Ladakh) ou encore les îles Andaman s'oppose d'une certaine manière l'Inde des tour-opérateurs, « qui ne laissent voir de l'Inde, outre ses aéroports et ses hôtels climatisés, que ses monuments les plus fameux, correspondant à une clientèle généralement plus fortunée »50(*). Vision réduite s'attachant particulièrement au centre-ouest de la plus grande démocratie du monde, se focalisant sur des hauts lieux comme le Rajasthan, ses dunes (désert du Thar) et ses palais (avec pour points d'ancrage : Bikaner, Jaisalmer, Jodhpur, Rohet, ou encore Jaïpur), L'Uttar Pradesh avec la capitale moghole d'Agra (Fatehpur Sikri et Taj Mahal), l'Etat du Maharastra, avec la métropole de Mumbai (Bombay), enfin Delhi avec ses points forts, le Qutab Minar, la Connaught Place, le Raj Ghat ou encore la mosquée Jama Masjid ; le tout orchestré par un « guide-accompagnateur local parlant français »51(*).

Mais de plus en plus l'espace touristique des Français, des occidentaux se confond avec l'espace touristique des Indiens (hormis dans les cas de tourisme balnéaire stricto sensu) par le biais principalement de la sphère religieuse et essentiellement de l'Hindouisme et du Bouddhisme.

Des organismes français de voyage permettent de suivre les traces des différents pèlerinages liés à l'hindouisme (comme l'organisme Kuoni ou Travelling Asia), avec des repos dans des chaînes hôtelières luxueuses, il en convient. La forme la plus impressionnante de ce prosélytisme religieux (et son aboutissement) est sans doute celle que prend les kumbha mela.

Dans quatre villes : Allahabad (ancienne Prayaga, Uttar Pradesh), Nasik (Rama, le héros du Ramayana y aurait vécu, Maharastra), Ujjain (capitale du royaume légendaire d'Avanti, un État indien évoqué dans diverses chroniques bouddhistes. Au IIe siècle av. J.-C., le roi de la dynastie maurya Ashoka y réside. Madhya Pradesh) et Hardware (Etat d'Uttaranchal) a lieu un grand pèlerinage tous les douze ans, soit un kumbh mela tous les trois ans en Inde (l'hindouisme et sa ferveur, sa dévotion, ravissant alors la demande en exotisme des français). Le plus fameux et le plus visité par les indiens et les occidentaux (car tous les ans en fait, y a lieu un pèlerinage) est celui d'Allahabad au confluent (les zones de confluence sont sacrées dans l'hindouisme) de trois fleuves et rivières : le Gange, la Yamuna et la Saraswati. Là se rassemblent jusqu'à quinze millions de pèlerins pendant plus d'une semaine.

Il s'agit dans ce genre de circuits de s'imprégner d'ambiances, de spiritualité voir de mysticisme.

D'une façon moins prononcée, mais consubstantiel à cette « manne religieuse », à un Sud de l'Inde mésestimé auparavant se substitue une destination majeure rivalisant de plus en plus avec le Rajasthan. On y vient pour voir les Gopura de Kanchipuram, de Thanjavur et de Madurai mais aussi les temples et grottes de Mahäbalipuram, d'Ajanta et d'Ellora ou encore les vestiges de l'ancien Etat hindou Vijayanagar du centre du Dekkan à Hampi, près de Bellary, dans l'État du Karnataka.

Ainsi, « il y a de la fierté chez beaucoup d'indiens complexés par leur statut d'ancien peuple colonisé, à voir tous ces Blancs admirer des temples hindous du VIII siècle, à rendre en quelque sorte hommage à une civilisation qui se trouve ainsi comme réhabilitée »52(*).

Figure 3 : L'Hindoustan, le centre de l'Inde touristique.

(c) Goreau, A. 2004. L'Hindoustan est une « région » aux limites indéterminées qui fait plus figure d'un contenu que d'un contenant. Ce territoire au sens de l'appropriation repose sur de multiples points d'ancrage d'ordre culturel (la langue hindi, la musique hindoustani, les cités sacrées de l'Uttar Pradesh...). Cette partie du subcontinent apparaît de prime abord comme le berceau culturel de l'Inde et c'est elle qui est le support de toute l'imagologie indienne et des multiples circuits touristiques (dans un premier temps en tout cas).

Figure 4 : Les Indes touristiques

(c) Goreau, A. 2004.

Le voyage permet d'approcher l'Inde, d'établir une réponse physique à l'attraction, à la fascination et au rayonnement produit par le sous-continent. Approche qui est fonction d'un capital de mobilité, de l'hexis et de l'habitus des individus concernés.

Voyage qui permet aussi d'apprécier la réalité. Mais attention, celle-ci peut être transformée, car le voyage par un passage par l'anglais trip c'est aussi subir les effets d'hallucinogènes. On a affaire à une réalité hallucinée, édulcorée voir même instrumentalisée ; car le tourisme n'est qu'un subterfuge, un procédé plus ou moins habile fait d'effets métonymiques, de lieux, de réductions et de simplifications.

Dès lors, la construction territoriale d'un entre deux, entre l'ici et l'ailleurs ne peut se passer du voyage mental, de l'imaginaire. La dichotomie nomade/sédentaire apparaît obsolète ; ici les figures d'Hermès (dieu du Commerce et des Professions itinérantes, Hermès protégeait les voyageurs, les commerçants, les bergers et leurs troupeaux) et d'Hestia (déesse vierge du Foyer) apparaissent complémentaires.

Ce voyage va pourtant générer un flou identitaire ; il va organiser un sens différent, un rôle fomentant une identité projet produit par les sujets s'exerçant à cette forme de mobilité au sens de Castells. « Identité projet qui apparaît lorsque des acteurs sociaux, sur la base du matériau culturel dont ils disposent, quel qu'il soit, construisent une identité nouvelle qui va redéfinir leur position dans la société »53(*).

B/ DIMENSION ANAGOGIQUE ET ALLEGORIQUE DE L'INDE.

« Je vécus là une des périodes les plus décisives de mon séjour. Je me trouvais soudain plongé dans cette authentique « indianité » à laquelle j'avais tant aspiré »54(*).

L'Inde est pourvoyeuse d'images et d'imaginaires qui permettent de se transporter dans un univers fantasmagorique, idéal ou obscur. Elle nourrit aussi nos utopies les plus folles, nos désirs d'évasion, d'envie d'un système idéal. C'est aussi le faciès par excellence de l'exotisme, du dépaysement. C'est ainsi que bon nombre se l'approprie, parfois d'une façon moins idyllique, plus terre à terre rehaussée de misérabilisme, de maladies, d'étouffement et de pauvreté. L'idée que l'on s'en fait pousse au voyage (« visiter signifie vérifier la conformité de la copie à l'original, à savoir la fidélité de l'image mentale ou physique avec la réalité de l'objet, là sous les yeux »55(*)), au tourisme, à la pérégrination. Voyage qui exprime une quête d'authenticité, mais ailleurs, sous d'autres cieux, c'est une recherche nostalgique de la « vraie vie » dans une société indienne ancienne, exotique et « traditionnelle », une recherche de la réalité des choses.

Le temps du retour, épreuve difficile, particulièrement pour les expatriés et les routards, dont le temps en Inde est beaucoup plus long que celui des touristes des tours-opérateurs (en moyenne 122 jours contre seulement 11 jours pour les circuits organisés et séjours balnéaires56(*)) est difficile, et teintée de nostalgie. Commence alors le flou des références, et une réinterprétation selon ses schèmes perceptifs des normes et valeurs de l'Inde (histoire de se créer un territoire d'entre-deux).

Les français entretiennent une relation sacrale avec l'Inde, faite d'une fascination mystique, philosophique contribuant à forger la dimension anagogique du sous-continent, qui se ressent dans l'appropriation en France des figures allégoriques de l'Inde et des symboles de l' « indianité ».

1- L'hindouisme, le catalyseur de l'affect.

Dans une approche téléologique de la culture, celle-ci est un réservoir d'images dans lequel à des moments donnés, les groupes humains puisent les ressources nécessaires à la fabrication de références collectives.

Les productions culturelles marquent les lieux dans lesquelles elles se déroulent : si plusieurs se révèlent fugaces, transitoires, d'autres établissent des rapports étroits avec les lieux dans lesquelles elles s'inscrivent.

Mais une production culturelle peut changer l'utilisation, la perception d'un lieu, le donner à voir différemment, le transfigurer. Les figures de l'hindouisme et la philosophie indienne font partie de ces productions culturelles ambivalentes, à cheval entre un fort ancrage local et allégorique et, un réservoir de références pour les français.

Le voyageur retient de l'Inde son trait de caractère le plus appréciable : la dimension religieuse, anagogique, tout en opérant en parallèle une figure de rhétorique. Il use de synecdoques (voire parfois d'un style fait d'hypallages) et écarte les autres convictions (islam particulièrement) de son champ perceptif. Rhétorique qui n'est pas spécifique au profane mais commune aussi aux universitaires, aux journalistes qui parfois confondent hindous et indiens (les hindous se définissant eux-mêmes comme ceux qui reçoivent l'enseignement des Veda ou ceux qui suivent la voie, dharma déterminée par les quatre castes varna et, les quatre âges de la vie : ashrama).

L'hindouisme est l'élément qui provoque une réaction par sa seule présence ou intervention. Réaction qui est du domaine de l'affect : impression élémentaire d'attraction ou de répulsion. L'affect, l'émotion prennent une dimension sociétale plus prononcée mais servent de biais permettant la transition avec l'altérité, l'extérieur mais surtout de modalité de résolution des oppositions entre la réalité et l'illusion, le virtuel et l'authentique, l'art et la culture. L'affect sert alors de médiateur entre ici et ailleurs, entre l'imaginaire et la réalité indienne doublement subjectivée, in visu et in situ, et permet dès lors de comprendre les procédés de l'élaboration d'une interspatialité (créant une nouvelle territorialisation). Il est difficile ici dans une perspective de géographie culturelle et sensitive de mesurer cette attraction par des modèles scientifiques proposant des analyses chiffrées se targuant d'une représentation des différentes énergies concentrées et diffusées (on est loin de pouvoir offrir une cartographie des différentes forces en présence).

Longtemps l'imagerie de l'Inde merveilleuse a exercé une véritable fascination sur les esprits d'Occident, tandis que ses différences avec l'Occident voué au Logos ont toujours fait de l'Inde, et ce encore aujourd'hui, une sorte de lieu mythique où se cristallisent maintes aspirations secrètes et un certain ésotérisme mystique que le rationalisme occidental refoule avec vigueur.

Les sagesses de l'Inde, l'hindouisme et la philosophie sont sources d'intéressement pour les français, précisément parce qu'ils se dégagent des concepts philosophiques occidentaux héritiers des pensées de Platon ou d'Aristote, de même que des systèmes stoïciens, sceptiques etc., en ce que la raison est ce qui permet d'articuler la pensée dans un discours, et qu'en ce sens une connaissance du monde est possible : la raison est logos, langage (Pour Hegel, « ce qui est rationnel est réel et ce qui est réel est rationnel ». Affirmant l'identité du rationnel et du réel, cette forme de rationalisme est absolue). Les concepts philosophiques indiens parfois issus de textes mythiques (donc non réels) se distinguent de la main mise de la raison, du rationalisme, de la scientificité occidentale et de la distinction ontologique du sujet et de l'objet.

Ainsi les Français allant en Inde, en plus du dépaysement, de la diversité (par opposition à la standardisation) réinventent la modernité. L'attrait est porté sur les voies de réalisation spirituelles consubstantielles à l'hindouisme.

En effet, la préoccupation principale des Upanishad (textes ésotériques et mystiques indiens, regroupés dans les aranyaka qui font partie des Veda) est la nature de Brahma, l'âme universelle. La doctrine fondamentale exposée est l'identité entre atman, ou l'âme, et Brahma. Les autres thèmes abordés sont la nature et le but de l'existence, les différentes façons de méditer et de vénérer les dieux, l'eschatologie, le salut et la théorie de la transmigration des âmes.

La vie humaine est également cyclique : après la mort, l'âme passe dans un nouveau corps, qu'il soit humain, animal, végétal ou minéral. Ce processus ininterrompu de morts et de renaissances est appelé samsara. Cette nouvelle existence est déterminée par les mérites et les erreurs accumulées, conséquence de toutes les actions commises durant les vies antérieures, ou plus généralement de ce que les hindous appellent le karma. Il est possible d'en contrer les effets par des rituels, des pratiques expiatoires, d'en sortir grâce à l'expérience de la sanction et de la récompense, mais surtout par la libération (moksha) du processus global de samsara, qui s'obtient par le renoncement à tous les désirs mondains.

Parallèlement au sanatana dharma, de nombreuses tentatives furent entreprises pour réconcilier les deux voies de l'hindouisme. La Bhagavad-Gita parle de trois voies de réalisation spirituelle. À la voie de l'action ou karma (qui désigne ici les actes rituels et sacrificiels), et à celle de la connaissance ou jnana (la méditation sur le Dieu suprême recommandée par les Upanishad), vient s'ajouter une voie médiane, bhakti ou chemin de la dévotion et de l'amour pour Dieu : un idéal religieux qui transcende et mêle les deux autres voies.

L'évocation de ces quelques préceptes permet de comprendre le fossé qu'il existe entre philosophie occidentale et orientale, et plus particulièrement indienne. Philosophie débouchant sur plusieurs convictions religieuses (jinisme, bouddhisme, çivaïsme etc.) pourtant née du même creuset : l'hindouisme et qui suscitent ça et là des émules. Bien sûr il ne s'agit pas de se convertir à l'hindouisme, mais plutôt d'adopter une partie des concepts des Upanishad, en adhérant par exemple aux préceptes du bouddhisme (d'ailleurs, niché entre l'arc de Triomphe et la tour Eiffel, dans un ancien hôtel particulier se cache un musée se consacrant au panthéon bouddhique, recevant de multiples adeptes français).

Appropriation de l'indianité qui peut aussi se faire sous d'autres formes à l'instar des centres d'apprentissage du Yoga (l'un des six systèmes classiques de la philosophie hindoue qui se distingue des autres systèmes par les méthodes de contrôle du corps et les pouvoirs magiques attribués à ses adeptes avancés, les doctrines et pratiques datant de la période des Upanishad), mais aussi tantrisme, terme impropre qui n'existe pas en sanskrit ; que cela soit en Inde (Pune ou Poona, capital intellectuel de L'Inde organisant des séminaires d'apprentissage de la pratique des tantras ouvert aux français) ou en France. Ainsi, qu'ils aient reçu ou non une formation religieuse, à notre époque, nombreux sont les français qui se tournent volontiers vers des pratiques apparemment profanes (ou qu'ils envisagent comme telles), lesquelles en réalité se confondent avec des rituels indissociables des philosophies indiennes.

Le yoga affirme que, par la pratique de certaines techniques, on peut réussir à se libérer des faiblesses de la chair, des illusions des sens et des embûches de la pensée et à atteindre ainsi la communion avec l'objet de la connaissance ; « s'approchant du Kaivalaya (délivrance), les adeptes du yoga sont présumés acquérir des pouvoirs hors du commun. Ils deviennent insensibles à la chaleur ou au froid, aux blessures, aux plaisirs ou aux douleurs. Ils peuvent accomplir des exploits extraordinaires sur le plan spirituel et physique, ils sont à même d'infléchir les lois de la nature. Ils sont en mesure de distinguer les éléments les plus subtils de la matière et, simultanément, de contempler l'univers dans son ensemble, appréhendant le microcosme et le macrocosme dans la même pensée »57(*). C'est sûrement cela qui attirait (à l'instar de Mircea Eliade, d'Aldous Huxley et de Yehudi Menuhin) et attire encore les adeptes occidentaux.

À l'aspect mondain de l'hindouisme correspondaient, à l'origine, trois Veda, trois castes (varna), trois âges de la vie (ashrama) et trois objectifs essentiels assignés à la vie des hommes (purusharthas). La répartition des trois premières castes (les brahmanes ou prêtres, les kshatriya ou guerriers et les vaishya qui représentaient le peuple) fut élaborée sur le modèle de la division tripartite de l'ancienne société indo-européenne. Une quatrième caste fut créée, celle des Shudra ou serviteurs.

La stratification de la société indienne selon les castes et l'opposition pur/impur est sans doute ce qui motive le plus le couple attraction/répulsion, l'altérité devenant radicale (voir C).

Toutefois, loin des préoccupations philosophiques, l'hindouisme frappe ne serait-ce que par son caractère surréaliste, surprenant, principalement lors des défilés où une telle dévotion, une telle foi ne se retrouvent nulle part ailleurs. Assister à un pèlerinage ou à une procession revêt une grande singularité. Il n'est pas commun de faire un face à face avec des éléphants parés d'or massif et parcourant en ligne les ruelles d'une ville millionnaire.

Photo 5 : Procession dans le quartier hindou à Cochin (Kérala, Inde du Sud) :

(c) Goreau, A. Janvier 2003. Après s'être arrêté devant chaque maison hindoue, pour récolter des dons sous forme de céréales, le cortège, accompagné de joueurs (de percussions, de flûtes et de trompette) et d'une quinzaine d'éléphants se rend au temple pour une ultime représentation où les sonorités répétitives des tablas mettent en transe les dévots. Ici, rassemblement en ligne des éléphants pour la représentation finale.

Enfin, une des dernières « sagesses orientales » suscitant de l'admiration et une certaine appropriation est le principe de non-violence du Mahatma. Mohandas Gandhi tenta également d'extraire de l'hindouisme les éléments utiles à ses objectifs sociopolitiques, et proposa son interprétation de l'ahimsa qui devint une résistance passive pour obtenir des réformes en faveur des intouchables et pour « chasser les Anglais » de l'Inde.

Le voyage en Inde est de plus en plus culturel et se concentre autour de la visite des temples et des vestiges passés de l'hindouisme. Vestiges architecturaux dans le sens où les édifices ont traversé les époques et que la question de la patrimonialisation ne se pose pas encore.

C'est bien cela qui excite la curiosité et la sagacité de l'oeil occidental : la prépondérance de l'hindouisme et de ses concepts philosophiques dans la société indienne. On oppose souvent le spiritualisme hindou au matérialisme occidental mais, c'est plus dans la forme spécifiquement hindoue de rupture avec le monde et les conceptions qui la sous-tendent, commandées par la manière spécifiquement hindoue d'être au monde qu'il faudrait plutôt chercher la source de la résistance à la modernité. C'est donc cette manière d'être au monde que certaines catégories de la population française essaie de s'approprier via de multiples emprunts à la culture indienne (que cela soit par l'apprentissage du yoga, des tantras, ou encore des dogmes religieux). C'est ainsi que de nombreux indiens religieux se sont déclarés maîtres (guru) et ont émigré vers l'Europe et les États-Unis où ils ont inspiré bon nombre de disciples.

2) Syncrétisme musical.

« Le sport et d'autres formes culturelles telles que la musique et la danse sont en train d'esquisser ce que seront les cultures de masse du XXI siècle à l'échelle de la planète. Ces cultures émanant de l'économie-monde dessinent les contours incertains d'un ensemble métissé où chacun est à la fois de plusieurs lieux et de plusieurs milieux. Un imaginaire de la diversité qui amène à relativiser sa terre natale et à participer à l'élargissement du monde, est à l'oeuvre aujourd'hui »58(*).

Un pas de plus est ici franchi vers les chemins de l'interculturalité et dans l'explication des matériaux d'une genèse territoriale entre l'ici et l'ailleurs. La musique est une forme de production culturelle qui, de plus en plus en France se fait l'écho de références indiennes.

La musique aspire à de multiples enjeux : économiques, de pouvoir mais aussi et surtout de civilisation. Car la musique comme le sport ou la danse, fait partie des phénomènes de civilisation qui s'inscrivent sur et comme territoire-monde.

Mais quelle légitimité intellectuelle à rechercher de l'espace dans la pratique d'écoute de la musique ?

Pour la raison essentielle que la musique est un phénomène de société et qu'elle est le médiateur dans la relation de l'homme à son milieu.

La musique intéresse par sa capacité à évoquer la société. Si l'on accepte que toute culture comprenne des organisations symboliques qui façonnent les représentations, il paraît que le potentiel évocateur de la musique, mis en mouvement par un processus symbolique peut-être un vecteur essentiel de représentations. Ainsi, la musique pourrait-elle servir de support à la circulation de représentations collectives, compte tenu de la spécificité des processus symboliques qui implique l'autonomie des champs de la production et de la réception.

La musique marque le pas dans les chemins de l'acculturation, et sert de liant à cet espace imaginé et vécu qu'est l'Inde ; on recherche les sonorités des percussions et des instruments à cordes pincées (comme le sitar) indiennes.

Le bhangra, est l'illustration de ce mélange abouti, de ce syncrétisme musical qui est une matérialisation (via une production culturelle) de cette interspatialité.

Au départ, le bhangra était un style de danse provenant du Panjab, exécutée pour célébrer des occasions importantes telles que la moisson, les mariages, etc. Typiquement accompagné par des chants, il a aussi comme caractéristique le battement de différents types de percussions. Percussions qui se singularisent par l'emploi du dhol (tambour à deux faces recouvertes de peaux), du dholaki (de la même famille en plus petit, employé à la place ou en complément) et du tabla59(*) . Des lanières de cuir permettent de tendre les peaux et d'en faire l'accord avec la tonalité du raga (râga ou râgam en tamoul -terme sanskrit signifiant attirance, couleur ou passion- est un cadre mélodique. Les raga sont basés sur les théories védiques concernant le son et la musique). Les peaux sont frappées avec les doigts, la paume de la main et le poignet, ce qui permet de réaliser une grande variété de sonorités, aigues ou graves, sèches ou profondes, cependant la frappe sur le tambour grave sert surtout à donner la cadence.

Si, jusqu'aux années 1960, les musicologues avaient une vision évolutionniste de l'histoire de la musique : ils considéraient que les peuples primitifs pratiquaient une musique rudimentaire et que le processus de civilisation avait engendré des musiques de plus en plus sophistiquées dans le monde occidental, le bhangra (considéré comme traditionnel et rudimentaire jusqu'à cette même période) démontre le contraire, à cela près que ce type musical a perdu sa dimension sociale, culturelle et d'identification au profit d'une dimension plus marchande.

En effet, de nos jours, le nom bhangra est surtout associé au type de musique qui utilise ce type de percussion et qui a été développé par la communauté indienne vivant au Royaume-Uni (issue de l'émigration punjabi, à la suite de la vivisection entre le Pakistan et l'Union indienne lors de l'indépendance en 1947). Percussions qui n'ont plus aucune signification sociale en occident (sauf pour la diaspora), en terme de rites, mais qui donnent simplement la cadence et, qui sont désormais associées à d'autres genres musicaux. Le bhangra a toujours été populaire parmi les personnes d'origine punjabi mais le style a connu un renouveau et un regain d'intérêts au cours des dix dernières années. Les arrangements traditionnels intègrent souvent des styles musicaux contemporains. Dans cette période le bhangra a été influencé à l'instar du groupe Bombay Talkie ou Panjabi MC par le reggae, la techno (comme Talvin Singh), la house, le rap, le ragga, le raggamuffin (tels que les mélanges d'Apache indian) et la jungle. En fait, ces synthèses sont souvent si réussies que le bhangra moderne, la plupart du temps en provenance du Royaume-Uni est maintenant réexporté de nouveau vers l'Inde. Dès lors, le bhangra est référence pour les Français en situation d' « anémie d'Inde » mais aussi référence identitaire pour les indiens issus de la diaspora. Toutefois ce type de musique caractérisée donc par la cadence des percussions, est réinventé par de multiples artistes français classés dans la mouvance Dub. Parfois le syncrétisme et la volonté d'acculturation s'affichent même dans les couvertures de disque. Ainsi Massilia sound système pousse le métissage à son paroxysme (ci-contre60(*)). En effet, ce groupe marseillais chantant en langue d'oc, tombe dans le tourbillon des références indiennes en associant percussions et cadences liés au bhangra dans l'ensemble de son oeuvre.

Le bhangra et sa réinterprétation en France génèrent une appartenance multiple. La volonté d'identification, d'acculturation se fait aussi par l'achat de disques de grandes figures de la musique indienne comme Ravi Shankar (sitariste et compositeur indien, l'un des plus célèbres musiciens de son pays, connu en France notamment pour ses enregistrements avec le violoniste Yehudi Menuhin) par exemple.

Genres et formes musicales circulent d'un bout à l'autre de la terre par le biais des tournées (concerts), des disques, et des émissions de télévision transmises par satellite. Le phénomène musique du monde se fait le vaisseau de l'apologie du métissage. Mélange des styles et des genres, à l'image d'une société qui rêve de fusion culturelle.

Ainsi le syncrétisme musical issu des références indiennes est symptomatique d'une situation beaucoup plus générale participant à la mondialisation et à une certaine perte de signification. Toutefois ce mélange musical en particulier au niveau du bhangra, demeure fortement imprégné par la thématique identitaire. « Noyés dans l'anonymat des grandes métropoles, les originaires d'une même communauté utilisent souvent leur musique et leur danse traditionnelles pour perpétuer le souvenir du pays d'origine et resserrer le lien social »61(*).

3) Appropriation des symboles de l' « indianité ».

Le temps du retour suscite la nostalgie de l'Inde et, c'est à ce moment précis que se délivre matériellement, donc de façon visible cette territorialité de l'entre-deux. Construction matérielle d'autant plus forte que le séjour ou l'immersion mentale dans l'Inde est longue. Nostalgie qui se manifeste par l'appropriation, ou du moins la réappropriation, des symboles, des références de l'indianité, c'est-à-dire d'être à l'Inde de ce qui fait la culture indienne. Si la culture peut se définir comme « la somme des comportements, des savoir-faire, des techniques, des connaissances et des valeurs accumulés par les individus durant leur vie »62(*), nous nous attacherons aux formes les plus visibles de réinterprétation /réappropriation en France tels que le cinéma, la cuisine, les icônes des divinités du panthéon hindou etc.

a) La cuisine:

Les habitudes culinaires ont toujours été influencées par les règles sociales de chaque région. L'importance du facteur culturel se fait sentir, par exemple, dans les modifications apportées par les différentes vagues d'immigration. L'alimentation reflète les structures de la société. Au-delà de l'importance des pratiques alimentaires et des actes culinaires s'y associant, soulignons que manger, cuisiner, c'est aussi et surtout, parler un langage, parler le même langage.

La cuisine est un élément culturel fort de différenciation de distinction entre les divers groupes sociaux, elle permet dès lors la valorisation de l'altérité.

Ainsi il faut distinguer, opposer l'alimentation fonctionnelle et l'alimentation authentique, chargée de sens et de valeurs. Cette deuxième attribution n'étant opératoire la plupart du temps que pour la population issue de la diaspora indienne. Car en pratique, cette valorisation des particularismes alimentaires tient parfois pour la population française du folklore. Le temps d'un repas, la maison, le foyer deviennent un lieu de mise en scène. Tandis que d'autres voyagent en fréquentant les « restaurants indiens » de quartier.

La mondialisation est souvent vécue à la fois comme la standardisation des aliments et des saveurs et, comme l'uniformisation des goûts. La première image qui nous vient à l'esprit de cette dynamique est la figure emblématique de la chaîne de restaurant Mac Donald's qui nous impose un menu unique, et réduit la diversité des identités culinaires. Paradoxalement, l'individualisme conduit l'acteur à rechercher de l'originalité, de l'authenticité (gage de souvenirs, telle la madeleine de Proust)63(*) qui l'oblige à prendre des distances avec son modèle de normes et de valeurs culturelles. C'est ainsi que l'acteur pratiquera l'exotisme au quotidien en fréquentant des établissements de gastronomie indienne, ou en se composant chez lui son espace de l'ailleurs.

Pour ce faire, rien de plus simple. Depuis cinq ans des industrielles britanniques, en majorité des émigrés panjabi, notamment l'industrie Pataks64(*), ont mis au point une large gamme de produits « indian food » à la disposition d'un large public que l'on retrouve classifié dans les grandes surfaces au rayon « cuisine du monde ».

Il s'agit là d'une gamme complète, où l'on retrouve l'ensemble du panorama des galettes indiennes et accompagnements conditionnés soit en conserve (type pot en verre), soit sous cellophane. Produits la plupart du temps estampillés d'un logo à valeur générique, comme le Taj Mahal.

Ces entreprises agro-alimentaires utilisant l'onirisme de l'Inde pour vendre, appliquent une rationalité instrumentale à l'alimentation. Cette cuisine n'étant plus le pôle porteur de significations alimentaires profondes s'ancrant dans une culture et une idéologie, à l'instar de celle de l'ailleurs, mais au contraire, l'ici, se rapporte à des normes d'efficacité (en termes de gain de temps et de facilités de conservation).

b) Le cinéma :

Le cinéma est sans doute le trait le plus caractéristique de la culture indienne et une des formes de distraction les plus populaires ; il suffit pour s'en rendre compte de voir la cohue qui se presse devant les salles de projection à chaque séance. L'Inde est en première position mondiale des pays producteurs de films. Cette production se différencie de façon régionale (en divers centres de diffusion cinématographique : Madras, Bangalore, Cochin et Bombay pour le Sud, versus Delhi pour le Nord), en fonction des cultures et de la grande dichotomie Inde Dravidienne et Inde Indo-européenne. Toutefois, au-delà des distinctions culturelles, il existe des éléments communs à l'ensemble de la production indienne, une « indianité » des thèmes et des méthodes. La plupart des films (dont la durée excède en majorité les trois heures) exploitent des sujets sentimentaux, mêlant mythologie, hiérarchie sociale et au sein de la famille, les comportements vis-à-vis des aînés (triptyque de la belle-mère, du fils et de la future bru), rapports de castes, sur fond de comédie musicale et entrecoupé de danses. Le déroulement ou trame du film, stéréotypé, s'appuie en général sur un amour impossible (car entre des positions sociales trop hétéroclites), ponctué de combats, de séquences chantées plus ou moins longues et de bouffonneries. Un héros grassouillet à l'épaisse moustache brune, viril, maniant à merveille l'art des poings, bien peigné et bien habillé ; une héroïne vêtue de saris, parfois aux cheveux lâchés et aux attitudes aguicheuses : une liberté et une fantaisie qui transgressent les codes sociaux mais qui se plient vite à la coercition de la société, telle est la recette du succès.

Mais de cette énorme production, une faible quantité se fait connaître en France et dans les festivals internationaux. Seuls quelques films arrivent à passer outre mer et à inonder de références indiennes la France.

Tableau 1 : L'exportation du cinéma indien en 1996.

PAYS

RECETTES DES EXPORTATIONS

(en roupies)

%

PAYS

RECETTES DES EXPORTATIONS

(en roupies)

%

Emirats Arabes Unis

69 915 116

33.671

Afrique du Sud

590 450

0.284

Royaume-Uni

41 868 025

20.164

Russie

588 093

0.283

Malaisie

21 142 746

10.182

Hong Kong

490 482

0.236

Etats Unis

16 896 880

8.137

Norvège

281 640

0.136

Indonésie

14 932 577

7.191

Liban

268 051

0.129

Singapour

13 854 723

6.672

Syrie

253 464

0.122

Canada

7035649

3.388

Maldives

206 502

0.099

Sri Lanka

3 285 040

1.582

Pérou

181 366

0.087

Maurice

2 981 131

1.436

Autriche

156 350

0.075

Australie

2 788 403

1.343

Roumanie

104 606

0.050

France

2 232 296

1.075

Maroc

99 946

0.048

Suisse

2 170 157

1.045

Tanzanie

96 624

0.047

Egypte

1 672 854

0.806

Pays-Bas

89 132

0.043

Pakistan

1 669 651

0.804

Somalie

43 700

0.021

Allemagne

1 371 353

0.660

Oman

27 249

0.013

Japon

1 222 172

0.589

Soudan

23 453

0.011

Philippines

691 431

0.333

Trinidad

12 967

0.0006

Kenya

681 778

0.328

Danemark

1 564

0.001

Myanmar

631 998

0.304

Thaïlande

940

0.000

Arabie Saoudite

598 453

0.288

TOTAL

207 642 433

 

Source : Uma J. Nair, In : Peyroles, N-S. Géographie et cinéma en Inde du Sud, regard sur le Tamil Nadu et la ville de Coimbatore. France, Bordeaux : TER de maîtrise, Singaravélou (dir.), 2002.

Toutefois, depuis la fin des années 1990, de nombreux films indiens sont diffusées en France et notamment dans des salles art et essai à l'instar de l'Utopia à Bordeaux (qui fonctionne en partenariat avec des associations françaises philindiennes). Ceci n'est que la continuité d'un phénomène commencé dans le début de la décennie 90. En 1996, la France était la onzième destination des exportations du cinéma indien, mais la deuxième en Europe, après le Royaume-Uni (un des plus amples foyers récepteurs de la diaspora indienne). Ces exportations concourent à diffuser la culture indienne et ses fondements philosophico-religieux, même s'il s'agit en général de films du nord de l'Inde, en Hindi.

C'est ainsi que des longs métrages de plus de trois heures ont fait plusieurs milliers d'entrées en France, comme Lagaan (2001, première production indienne sélectionnée pour les oscars), Devdas (2003) ou encore le Mariage des moussons (1999).

Enfin le format DVD, permet de faire perdurer le rêve et de se replonger à toute heure dans l'onirisme indien. A cela s'ajoute des conférences et autres rétrospectives. En effet, le cinéma de Bollywood de 1940 à nos jours s'est affiché au centre Pompidou à Paris durant tout le mois de mars 2004.

c) L'hindouisme et ses « dérivés » :

Shiva, Krishna, Vishnou et Ganesha (ou Ganapati) sont à la mode en France. En sculptures ou sur des sacs en toile, ou encore inscrits sur des vêtements, les référents de l'hindouisme s'affichent, et deviennent source d'une consommation ostentatoire. En effet, on ne compte plus le nombre de chaînes de magasins de vêtements (comme la chaîne Salsa), de boutiques des stations littorales qui usent des icônes du panthéon hindou pour vendre leurs produits.

En même temps, le mysticisme comme fer de lance du marketing ne s'arrête pas là. Dans une France, se voulant plus proche des territoires, de l'identité, des labels, de la culture, beaucoup se retranchent vers de nouvelles valeurs. En particulier au niveau de la médecine, le retour vers des pratiques plus « naturelles », moins consommatrices en chimie et axée sur les plantes, aboutit à une arrivée en force de l'ayurveda, sorte de médecine alternative mêlant phytothérapie, chiropraxie, massage et méditation (l'annuaire des praticiens des médecines alternatives a recensé douze centre ayurvédiques en France, la totalité gérée par des migrants indiens et principalement du Kérala et du Maharastra).

L'ensemble de l'appropriation des symboles de l'indianité, permet aux voyageurs de l'Inde, de retour en France d'avoir des repères matériels, physiques et symboliques à leur territorialité.

Mais la dimension de ces repères apparaît plus légère en signes, et au contraire participe plutôt à un antimonde indien, sorte d'antithèse à l'onirisme, au spiritualisme (souvent identifiés comme les principales raisons de la focalisation et de la fascination que le regard français porte sur l'Inde).

C/ INTERSPATIALITE ET INTERCULTURATION.

Les relations établies entre l'Inde et la France, entre l'ici et l'ailleurs selon leurs modalités et les temps de contact (particulièrement longs pour les routards et les expatriés) avec l'altérité, créent des conditions favorables à l'interculturel, à l'acculturation et à la formation d'enclaves, ou plutôt de non-lieux : l'avènement des voyageurs français en Inde a façonné d'autres types d'environnements, la logique utilitaire les domine à tel point que ce sont souvent des espaces monofonctionnels face auxquels la population indienne se trouve décontenancée et n'arrive pas à s'accrocher au territoire pour bâtir son identité.

1) Altérité et identité.

« Pour traiter de la rencontre des cultures, on abandonne le point de vue de l'acculturation pour adopter la perspective dynamique de l'interculturation. Il ne s'agit plus d'analyser le contact sous le jour réducteur d'un système dominant-dominé où le dominant réduirait quasi mécaniquement le dominé à la conformité. On cherche à reconnaître les contributions respectives à l'aménagement de nouvelles réalités psychologiques englobant les divers acteurs en présence »65(*).

L'étude du phénomène humain implique de prendre en compte la question du sujet, de l'identité et donc de l'altérité, et inclut en conséquence le chercheur lui-même. La dimension de l'altérité, spécifique de l'homme, n'est pas seulement ce qui est externe à chacun, mais aussi ce qui l'habite de l'intérieur, et le chercheur ne peut en faire abstraction sinon sans risquer de fausser toute sa recherche.

L' « autre », est ici tout déplacement géographique, culturel (linguistique particulièrement), social, psychologique vécu ou hérité (notamment au travers des représentations) et qui vient influer sur le processus identitaire de l'individu. L'altérité s'impose à partir de l'expérience même du multiple.

Figure 5 : Modes d'appréhension de l'altérité d'après Affergan, F :

Discontinuité/rupture : Découverte/catastrophe :

DESIR AILLEURS/LOINTAIN

FUITE EXTRANEITE/ETRANGETE

EXOTISME INQUIETUDE/SOUCI

IDENTITE

Sous cette thématique, c'est toute une géographie du rapport à l'autre qui s'esquisse, faite de métissage culturel et de modifications sensibles de l'identité. La question centrale à laquelle il va nous falloir répondre est la suivante : Comment un individu (étudiant, professionnel expatrié, migrant français) en déplacement peut-il faire de son expérience du séjour en Inde un élément actif de sa « trajectoire sociale », définie selon Bourdieu comme la série des positions successivement occupées par un même agent dans un espace lui-même en devenir et soumis à d'incessantes transformations ?

Insistons d'abord sur le fait que la durée du séjour est un élément discriminant important, une faible imprégnation dans un bassin de valeurs et de normes autres qu'à l'ici, ne pouvant exercer une telle modification.

La question mérite d'être posée car elle a des implications spatiales, en terme de territorialisation à la fois en France et en Inde (voir 2).

La réponse tient en un mot : à savoir que l'identité est faussée, ou du moins réagit au métamorphisme de contact entre deux réalités distinctes, créant de facto un terrain favorable à l'acculturation. A partir d'une série de marqueurs (physiques et symboliques) qui offrent les moyens de distinguer les similitudes et les différences, on se rapproche et/ou on se distancie de l'autre. « Le voyage peut devenir un temps de mises en relations interculturelles grâce auxquelles chacun se met à l'écoute des contradictions qui traversent son parcours de formation : entre besoin de conformité sociale et désir d'inventivité culturelle »66(*). Désir d'inventivité qui va se teinter d'emprunts à la culture visitée d'ordres multiples.

L'identité est conçue comme une dynamique ; elle est un processus d'élaboration d'un système signifiant, chez un acteur qui interagit à la fois avec d'autres acteurs et avec le système symbolique dans lequel ils évoluent ensembles. L'identité se révèle comme un processus dialectique, au sens d'intégrateur des contraires, c'est-à-dire d'intégrateur des valeurs ou/et normes de l'ailleurs.

En effet, nul ne demeure identique à lui-même après avoir été entraîné dans les turbulences du mouvement confus des références indiennes. Les séries de normes qui servaient la cohésion, l'harmonie du fonctionnement des groupes en France, pris dans la rencontre avec l'Inde, se désarticulent, pour se recomposer en de nouvelles formations, irréductibles à une simple juxtaposition. Car de nouvelles normes et valeurs sont créées, formant de nouveaux systèmes de signification mobilisables au cours des négociations identitaires qui se font jour.

Les phénomènes d'acculturation (c'est-à-dire les processus de changements socioculturels entraînés par le contact prolongé entre des groupes et des individus de cultures différentes, on l'aura bien compris) sont fonction des modalités du contact culturel. Ce dernier ne se fait plus sous la forme d'une acculturation imposée (contexte colonial ou néo-colonial) mais au contraire sous la forme d'une acculturation demandée, voir même recherchée.

Mais la plupart du temps il se dessine souvent un processus plus complexe : formation d'une culture « nouvelle » faite de compromis, de réinterprétation de la culture indienne (réinterprétation lacunaire par le manque de connaissance, il est vrai) et de réorganisation de la culture française. L'acculturation se réalise aux moyens d'attributions : d'anciennes valeurs sont associées à des éléments nouveaux ou de nouvelles valeurs viennent changer la signification culturelle d'anciennes formes.

Au total, c'est plus une intelligence nomade qui s'esquisse pour les voyageurs de l'Inde. Intelligence faite de l'expérience de la mobilité, donc du rapport à l'autre dans la longue durée, qui modèle une sorte de « mixte » entre la France et l'Inde. Mélange de valeurs (choses ou manières d'être considérées comme estimables et désirables, idéaux plus ou moins formalisés orientant les actions et les comportements des individus acteurs) -entre matérialisme et spiritualisme- et de normes (règles et usages socialement prescrits caractérisant les pratiques d'une collectivité ou d'un groupe en particulier, déterminant une certaine contrainte sociale) à la base d'une construction sociale et d'un lien social extra-local, qui s'épanouit dans cet espace d'entre-deux, où la culture est un moyen de communication, un langage qui autorise la reconnaissance et l'identification mutuelle des acteurs qui en sont porteurs.

Bien sûr, cette dynamique interactive entre les acteurs sociaux en présence est d'autant plus visible en France, mais cette fois-ci dans le cas inverse, c'est-à-dire lorsqu'il s'agit des populations diasporiques indiennes. Le mélange est dès lors inversé.

2) Quel(s) processus de territorialisation ?

Le lien social extra-local, lié au partage des mêmes valeurs et normes produit une certaine proximité sociale. La signification sociale de la proximité (et contiguïté) géographique n'est pas donnée, elle est à construire par les acteurs sociaux, par ces voyageurs de l'Inde.

Cette construction sociale de l'espace, déterminée par des individus qui portent ses pratiques, ses rites, sa mémoire ou ses projets, qui s'approprient l'espace, est à l'origine d'une territorialité. Territorialité qui s'avère être double, l'une s'exerçant dans l'ici et la seconde dans l'ailleurs.

Tout d'abord, en Inde s'effectue un processus de territorialisation par les voyageurs de l'Inde et particulièrement par ceux que l'on appelle communément les « routards ». Territorialisation qui se fait aux dépends des lieux et des hauts lieux de la territorialité des populations indiennes.

En effet, ce territoire extra-local, s'enracine dans des pratiques du quotidien, dans un vécu, et il est référent identitaire et médiateur des rapports sociaux pour les Français voyageurs de l'Inde, mais s'avère être un vide (un non-sens) pour les populations indiennes. Ce processus de territorialisation dans l'ailleurs ne concerne les individus ayant une pratique sommaire de l'Inde, c'est-à-dire les adeptes des circuits des tours organisés, où le contact ne peut se faire en profondeur du fait de la rapidité du passage (à l'inverse ces individus connaissent un processus de territorialisation en France empreint des valeurs indiennes).

Ça et là, se développent des enclaves dans l'espace indien qui servent de fondements spatiaux à cette territorialité. Ainsi Varkala, Kovalam ou encore Gokarna illustrent ce phénomène. Ces trois stations littorales de la côte ouest du Kérala et du Karnataka étaient exclusivement, jusqu'aux années 1980 des lieux de pèlerinage, des points forts de la culture Malayalam, et plus largement de la culture Dravidienne. Mais, l'afflux des visiteurs occidentaux motivés d'une part, par cette spiritualité et, par la volonté de trouver une terre d'adoption à la manière de Goa dans les années 1970, une terre d'accueil répondant à cet orient intérieur qui nous appel d'autre part, à générer un processus sociofuge balayant la fonction première de ces lieux, à savoir, une fonction identitaire. Par là même, va se substituer un « non-lieu » à un « lieu anthropologique », au regard de la population indienne. Population qui entretiendrait avec ce « non-lieu » un rapport contractuel symbolisé par sa fonction de figurant de l'altérité, de gérant d'hôtel ou encore de gourou d'un centre de yoga.

Rapport qui se fait gage du maintien d'activités traditionnelles (notamment de pêche) pour offrir aux individus un certain dépaysement se calquant sur l'imaginaire, sur l'imagologie première de l'Inde ; la qualité d'extranéité du voyageur ne percevant pas la confusion et justifiant ipso facto cette image première.

De cette substitution, née la territorialisation des voyageurs français. Dès lors, il ne s'agit plus d'une rencontre avec l'altérité, d'un rapport aux autres, mais d'une figuration de la radicalisation de la surmodernité, esquissant une sorte de standardisation selon la symbolique des français.

Territorialité qui s'amplifie par le caractère routinier de la vie quotidienne mais aussi par une certaine dynamique ségrégationniste.

Par exemple, l'archipel des Andaman recherché par les routards pour sa quiétude, sa beauté (mais aussi pour les psychotropes), se double d'un visage à volonté obsidionale : les voyageurs occidentaux se regroupent ensembles sur les mêmes îles (Havelock et Neil situées à l'Est de Port Blair, la capitale), se doublant parfois d'une scission souvent linguistiques. Les chemins du quotidien se calquent sur cette « ségrégation orchestrée » : les voyageurs déambulent à la poursuite du chanvre, renouant avec leurs aînés de la route des Indes, pratiquent de multiples activités de régénération, tentant ainsi d'inscrire leur territorialité temporaire par tout un faisceau d'activités routinières. La coutume (au sens de répétition quotidienne) instaurée comme rite de sociabilité s'installe aussi dans la pratique physique des lieux. « L'habitude d'emprunter tel itinéraire, de parcourir telle rue ou tel chemin, imprime chez tout individu des schémas mentaux spécifiques de rapport à l'espace Ils associent des stimulations purement sensorielles à des impressions et à des images d'ordre affectif, esthétique ou culturel »67(*).

Il ne s'agit pas de phénomènes isolés. Plus de 90 000 Français se rendent chaque année en Inde. Parmi ces individus, seuls 10% participent à des circuits organisés, orchestrant une découverte rapide de l'Inde ; les autres restent en moyenne 120 jours. Ce sont eux les acteurs de cette territorialisation extra-locale. Mouvement qui en fait exprime plus une continuité qu'une rupture. Continuité par rapport à la territorialisation créée par les pratiquants de la route des Indes (c'est-à-dire depuis les années 1960) mais qui toutefois s'exprime en des termes différents (notamment par un changement de valeurs).

Les lieux dont on parle ne sont pas ceux qui sont voués au tourisme organisé, ces enclaves occidentales prenant l'aspect de club argués de noms de Maharadja ou de contrées mythiques de l'Inde. Non, il s'agit d'une construction d'un entre-soi, non pas selon les valeurs occidentales mais d'après une certaine image de l'Inde réinterprétée.

Approximation qui dévitalise les propriétés identitaires, relationnelles et historiques des lieux indiens. Lieux « anthropologiques » qui se caractérisent par une « construction concrète et symbolique de l'espace qui ne saurait à elle seule rendre compte des vicissitudes et des contradictions de la vie sociale mais à laquelle se réfèrent tous ceux à qui elle assigne une place »68(*). Ces lieux sont toujours principes de sens pour ceux qui l'habitent mais ont perdu leur principe d'intelligibilité pour ceux qui l'observe.

En effet, les voyageurs de l'Inde concourent peu à peu à transformer la nature de ces lieux par la construction d'un entre-soi qui génère une demande d'exotisme et de symbolisme indien mais selon les schèmes perceptifs des Français. Demande qui peu à peu se substitue au référent engendrant une nouvelle signification plus matérialiste et occidentale du lieu.

Puis, les représentations territoriales les plus abstraites se nourrissent d'images et de sensations nées de la rencontre avec ces lieux d'un exil passager. L'interspatialité sert alors de médiation entre deux territorialités qui ne s'opposent pas mais se complètent.

Cette construction territoriale extra-locale, se charge d'une deuxième dimension empreinte de cette idéologie territoriale (« qualifiant l'ensemble des représentations mentales, des idées et des concepts, des images, des mythes et des discours, des symboles collectifs partagés, à une époque et dans un territoire donnés, par des groupes sociaux [...] développant un minimum de sentiment identitaire »69(*)) confirmant une autre territorialité, cette fois-ci dans le domaine de l'ici, en France.

Si selon Raffestin70(*), « le territoire est une réordination de l'espace [...] il peut être considéré comme de l'espace informé par la sémiosphère » laquelle sert ensuite à décrire et à définir l'écogenèse territoriale -« processus de sémiotisation de l'espace », alors cette territorialité prend la dimension du foyer. Car, le domaine sémiologique s'empare des systèmes signifiants, des questions relatives aux représentations, aux images et aux imaginaires spatiaux.

En effet, les agencements spatiaux du foyer élaborés en fonction de l'expérience de l'Inde (appropriation des symboles de l'indianité) font sens pour les acteurs. La maison devient alors espaces de signes.

Enfin, l'identification des signes spatiaux qui fixent et manifestent des significations individuelles ou collectives peut s'élucider aussi dans les grandes agglomérations françaises. En effet, les manifestations qualifiées de culturelles comme les festivals de film indien (assez courant dans la région parisienne), la vie associative, favorise l'individu à tisser une toile solide faite de marqueurs, et permet de faire des allers retours entre l'ici et l'ailleurs devenu alors lointain à la fois dans le temps et dans l'espace. La ville permet l'accès à de multiples actes permettant d'aviver la nostalgie du voyage celui-ci devenant alors une nécessité.

3) Une territorialité de l'entre deux.

Ces deux faces de la territorialisation des français, qu'elles soient « extra-local » ou « intra- local », participent à la justification d'une interspatialité. Cette dernière est le médiateur des relations d'ordre affectives, symboliques, imaginaires et mythiques que les voyageurs entretiennent avec l'Inde. Au-delà de la conciliation elle est à la fois interface, mettant en contact deux réalités distinctes (dont la limite n'est pas d'ordre physique mais culturelle), mais aussi emboîtement, ou inclusion d'espace par transformation scalaire. Cette interspatialité se régule à partir simplement de quelques lieux utiles, des lieux de condensation du contact culturel qui s'articulent dans une dimension plus large.

L'ici et l'ailleurs sont pourtant reliés par le temps : temps du voyage et temps du retour. Une territorialité temporalisée se substitue à une territorialité régionalisée. Ainsi « intra-territorialité » et « extra-territorialité » donnent lieu à un processus de construction territoriale plus générale fait de préfixes et de suffixes : dans un premier temps territorialisation dans l'ailleurs, puis déterritorialisation et enfin reterritorialisation dans l'ici (où le territoire se pose comme un ensemble spatialisé de relations de pouvoir et de stratégies identitaires).

Territorialisation dans l'ailleurs qui se manifeste principalement par l'élaboration d'un entre soi, d'un territoire du quotidien bien que momentané (par exemple, le temps d'une maîtrise en Inde) mais borné par les frontières du vécu dans l'exil, qui sont : la rue familière, le restaurant, le cinéma, le centre de yoga, ou encore le temple. Mais cette territorialisation dans l'ailleurs s'effectue selon l'image que l'on a reçu de l'Inde (une image multiséculaire) et se fait au demeurant, souvent à l'encontre des lieux de condensation culturelle indiens. Cette territorialisation exerce une certaine transformation des emplacements indiens travaillés par le social, traités par l'esprit humain et pourvoyeurs de relations et d'histoire en les substituant en des lieux vides de leurs références. Substitution qui naît de la confrontation d'entités culturelles différentes entrant dans une logique de relations de pouvoir.

Déterritorialisation rendue efficace par l'affaiblissement du facteur distance (physique) du fait de la suppression supposée de l'espace par le temps (ou par l'accélération de la vitesse) mais aussi par une perte de la dimension matérielle (sans un référent spatial concret). Processus le moins palpable et contestable car l'instantanéité communicationnelle ne supprime pas pour autant la prégnance du lieu, et n'épuise guère les dimensions non physiques de la distance.

Enfin, reterritorialisation en France qui souligne ce voyage par la formation en deux temps d'une identité nomade, plus ou moins hybride (mais le métissage n'est ici qu'apparent, toujours soumis aux fluctuations des images de l'Inde) qui se manifeste par l'appropriation des symboles de l'indianité et d'une sorte d'extension territoriale en France de l'Inde.

Il serait alors maintenant judicieux d'observer les parallèles avec les migrants indiens installés en France.

CHAPITRE 2 

Territorialisation et extra-territorialisation, le cas de la diaspora indienne.

 

INTRODUCTION AU CHAPITRE 2

Les voyageurs de l'Inde déterminent une territorialité temporalisée se substituant à une territorialité régionalisée. Territorialité constituée d'allers et retours, de compositions, de fragmentations et de recompositions rendues efficaces par les fleurons de la mondialisation ; à savoir : les nouvelles technologies de l'information et des communications, et l'accroissement de l'intensité des mobilités. Ces deux composantes plongent l'individu dans l'interculturation, dont le référent identitaire est l'Inde. Mais il s'agit d'une Inde subjectivée in situ (on ne peut avoir la prétention de comprendre l'ensemble de la culture indienne par un simple contact, alors on se rattache aux éléments les plus visibles et les plus instrumentalisés) et in visu (au travers de toutes les images véhiculées en Occident). Cette interculturation ne provient pas seulement d'une dynamique de contact, parfois éclair, mais d'une volonté, d'une recherche, voire même d'une quête de l'étrangeté, de l'altérité, définissant ainsi une intelligence nomade faite d'empreints à l'Inde et à la France.

Selon Giddens, la modernité se caractérise par le « désencastrement du temps et de l'espace »71(*), auparavant indissociables, quand la vie ensemble prenait une dimension locale. La révolution des moyens de transport et de communication fait de la maîtrise de l'espace une dimension fondamentale en réduisant le rapport entre le temps et la distance parcourue.

Ainsi se pose l'hypothèse que la diaspora indienne en France soit mue par une territorialité du même ordre, c'est-à-dire temporalisée ; les NTIC offrant la possibilité de ne plus vivre une double absence (mais au contraire une double présence). Elles ouvrent in fine la voie à une coprésence (extraite de la synchronisation et de la désynchronisation des échanges) entre ici et là-bas, entre la France et l'Inde. Coprésence qui se complexifie en prenant des allures du dieu des Portes et des Entrées de la mythologie romaine (son temple, situé au Forum, avait des portes orientées à l'est et à l'ouest pour le commencement et la fin du jour. Entre les deux se dressait sa statue à deux visages, fixant deux directions opposées), Janus. En plus de regarder deux directions opposées, l'Inde et la France, la diaspora indienne contemple le passé et l'avenir.

Mais territorialité, qui comme un organisme vivant subit différentes phases de croissance, et de manière analogue aux voyageurs de l'Inde se traduit par un processus « TDR »72(*) : territorialisation, déterritorialisation et reterritorialisation, où la reterritorialisation prend ici une dimension d'extra-territorialistion.

L'essence même de cette territorialité s'exprime dans les enceintes de la famille, du foyer et du réseau relationnel. L'accent est mis sur les pratiques quotidiennes des migrants indiens ou d'origine indienne vivant en France et les différentes relations (réelles ou imaginaires) qu'ils entretiennent avec le monde indien. « La dénomination de ces communautés comme immigrés avait comme corollaire l'effacement de la pertinence de leur lieu d'origine au profit du lieu d'installation ; leur appellation comme communautés d'émigrées inscrivait la pertinence du lieu d'origine dans un passé révolu à jamais alors que leur désignation aujourd'hui comme diaspora souligne que les liens entre les lieux d'origine et d'installation se prolongeant dans la durée sont saisis dans l'immédiateté du présent »73(*).

Il s'agit donc de percevoir cette continuité entre l'Inde et la France, de déterminer ses modes d'expression, leur ordre (imaginaire, mythe ou réalité) et leur dimension afin d'identifier les marqueurs de cette territorialité. Le fil rouge est celui du lien et du sens social (car l'extra-territorialité génère de nouvelles relations au sein du triptyque territoire-culture-identité).

Cette territorialité est-elle diffuse ou concentrée ? Quels rapports la diaspora indienne entretient-elle avec la modernité ? A l'heure où les voyageurs de l'Inde se détachent de la modernité, caractérisée par la croyance en la raison, le progrès, l'universel et le stable, pour plonger dans la postmodernité où dominent le doute, l'éclatement, le métissage et la fluidité des identités, exportant dans leur sillage requalification des lieux et volonté d'interculturation en Inde ; le repli communautaire à l'inverse se fait monnaie courante en France.

Dès lors, faut-il analyser la diaspora indienne en terme de communauté, de Gemeinschaft, selon la distinction proposée par Ferdinand Tönnies, caractérisée par une solidarité mécanique et des pôles de structuration singuliers : biologiques (famille, « ethnie »), religieux et économiques ; ou en terme de Geselschaft, c'est-à-dire sous la forme d'une « diaspora hybride »74(*) ?

Faut-il rester sur une distinction, entre communautés « centrées » et communautés « acentrées » à savoir dans ce deuxième cas « une construction sociale particulière qui serait constituée par un ensemble d'orientations collectives non hiérarchisées, une culture plurielle dépourvue de centralité dans la manière qu'elle à de signifier les ensembles »75(*), ou dépasser cette opposition d'ordre méthodologiques plus que réelle pour aboutir plutôt à un territoire de l'entre-soi ?

La mythification et la mystification de la terre d'origine : l'Inde, effectuée via des icônes, une mémoire et des pôles structurants, sont les catalyseurs de la mise en place de l'extra-territorialité dont les relais sont les relations entre l'Inde et ses citoyens a-territoriaux (ou extra-territoriaux). Le rapport au temps et à l'espace sera analysé dans un deuxième temps avant de conclure par un paradoxe : la diaspora indienne en France, entre interculturation et ségrégation.

A/ LE PROCESSUS DE MISE EN PLACE DE L'EXTRA-TERRITORIALITE.

« La constitution d'une identité ici ne peut être comprise que replacée dans l'ensemble diasporique, dans un nous éclaté géographiquement mais reconstitué dans chacune des localités de la diaspora. Cette identité diasporique est à appréhender à travers les rapports au territoire et au processus d'extra-territorialité. La situation migratoire pose la question du lien entre identité et territoire, la réponse est trouvée dans un processus d'extra-territorialisation dans lequel la culture, comme l'ensemble des formes intériorisées devient le lieu principal de fixation des identités »76(*).

Peut-on parler de territoire, de territorialité et de territorialisation pour un peuple et/ou une communauté en dispersion (c'est-à-dire dans une configuration quasi-ubiquitaire) ? L'interrogation pour certain peut paraître tenir du non-sens (voir même du contre-sens) mais elle suscite l'intérêt d'entre apercevoir la triangulation qui s'échafaude entre territoire, culture et identité dont l'Inde et la France sont à la fois les deux directions opposées mais aussi les référents.

La diaspora suppose un ancrage fort dans le territoire d'installation et une coupure nette avec le territoire d'origine. Trois types d'appoint favorisent l'essor des liens communautaires à distance : le développement des transports, les facilités de communication et le niveau de compétences socio-culturelles. De plus, les relations avec le pays d'origine, l'Inde sont devenues avec les nouvelles technologies de l'information et des communications, de l'ordre du quotidien. La fracture entre ailleurs et ici est compensée le plus souvent (au-delà des relations qui tiennent de l'instantané) par la création dans l'ici, en France, de marqueurs territoriaux, de lieux de mémoires assurant le lien avec l'ailleurs.

Lien qui s'effectue à l'aide d'emblèmes, d'une iconographie territoriale et de divers pôles structurant.

Les représentants de la diaspora indienne en France sont peu nombreux par rapport aux autres pays comme le Royaume-Uni. Les estimations du High Level Commitee on Indian Diaspora font état de 65 000 individus en France77(*) qu'ils soient NRI78(*) (Non Resident Indians : catégorie créée par le gouvernement de l'union indienne dans les années 1970 pour désigner les citoyens indiens vivant à l'étranger et leur proposer des programmes d'investissement en Inde) ou PIO (catégorie instituée en 1999 par le gouvernement de l'union indienne pour qualifier tout citoyen d'un autre pays ayant été citoyen indien, ou dont l'un des ascendants est né et a résidé en Inde).

Cette présence est dès lors l'aboutissement d'un long processus ; la diaspora indienne étant un « peuple monde de longue durée »79(*) .

Figure 6 : Trajectoire spatio-temporelle des indiens.

(c) Bruneau, M. Peuples- monde de la longue durée : Grecs, Indiens, Chinois. In : L'espace géographique, Num3, France, Montpellier : Ed. Belin-Reclus, 2001, p193-212.

C'est l'organisation, les pôles structurant de l'expérience collective, la mémoire et les images de cette masse chiffrée d'individus qui nous intéresse ici.

1) Mythification de la terre d'origine.

La dimension territoriale de la diaspora indienne en France s'appréhende au travers l'étude des divers marqueurs territoriaux et des instances qui les produisent. Ces marqueurs reproduisent et rappellent le pays d'origine et c'est en cela qu'ils exercent une sorte de mythification de l'Inde.

Cette mythification prend l'aspect d'un système de représentations collectives qui met en ordre les connaissances et les expériences des membres de la communauté diasporique indienne et instaure un rapport de celle-ci au monde. Rapport qui se fait gage de sa territorialité.

Cette mythification de la terre d'origine, est l'élément structurant dans la dispersion de l'identité et de la culture de la communauté. C'est elle qui fournit du lien et du sens social à la communauté (qu'elle soit appréhendée dans une perspective « centrée » ou « acentrée »).

Tout territoire social est un phénomène immatériel et symbolique. En France, la diaspora indienne, s'approprie un territoire à l'aide de marqueurs identitaires à forte valeur symbolique qui reproduisent ou rappellent le pays d'origine.

C'est d'abord la maison familiale. « La maison, construite grâce à la mobilisation des ressources communautaires et des énergies familiales, incarne un lieu de pérennité identitaire, un monde clos qui abrite le statut familial en lui permettant de se soustraire au regard des autres »80(*).

La maison est la toile de fond de l'apprentissage des normes et des valeurs de la communauté. C'est le lieu où la famille jouit de sa position de première instance de socialisation qui se joue sur deux tableaux : d'une part un mécanisme d'instruction et de formation, elle transmet à ses membres l'acquisition de réflexes, de savoir-faire, d'habitudes. Et un second mécanisme d'intériorisation (faire sienne les valeurs et les normes de la communauté) - assimilation d'autre part.

Marquage territorial qui se fait aussi dans la maison par le biais d'une architecture ou du moins d'une décoration spécifique. Spécificité qui tient compte de tout un faisceau d'images ayant attrait à plusieurs domaines de la terre d'origine. Ce peut-être une image à caractère religieux, une représentation de l'une des divinités du panthéon hindou, par exemple, ou touchant au passé politique ou encore à l'organisation sociale.

Cette iconographie peut se doubler de l'apprentissage de la langue d'origine. Ces deux ensembles formant une certaine continuité territoriale et une cohésion sociale.

Dans cette volonté de mythifier la terre d'origine, malgré l'éloignement, la cellule familiale fait aussi preuve de continuité lors du choix du prénom des enfants.

Cette complexité de prérogatives permet d'entretenir à la maison familiale l'image d'un « micro-territoire de diaspora »81(*) assurant lien et cohésion sociale, préservant ainsi ses membres d'une coupure nette entre ici et ailleurs.

Maintenir des liens apparaît indispensable pour ne pas sombrer dans l'isolement ou dans une situation anomique.

L'entreprise familiale est le prolongement dans le monde économique de ce micro-territoire. La diaspora indienne (mais de façon non exclusive) est un démultiplicateur de la relation aux autres parce qu'elle met en présence des mondes culturellement distincts, des minorités et des majorités. D'une certaine manière, elle déplace les frontières de l'altérité jusqu'aux confins d'elle-même.

Par exemple, chacun a déjà été sensible au soin apporté à la décoration dans un restaurant indien (qu'il sert de la cuisine du Nord ou du Sud, peu importe) ; où d'un coup d'oeil l'individu-client, jouissant d'une qualité d'extranéité, identifie les référents à la terre d'origine (statue de divinité, autel, encens qui se consume, motifs des tapisseries ou des peintures...).

Puis, les édifices religieux participent à ce marquage territorial. Ça et là en France, la diaspora indienne coupée de son territoire d'origine se constitue des points d'ancrages essentiels pour la formation et la consolidation de son identité. Ce sont des éléments de réinterprétation de hauts lieux, des noeuds de sa territorialité.

Une haute valeur symbolique leur est attachée, valeur puisée dans la religion (hindouisme, islam ou sikhisme) ou dans l'histoire politique de la terre d'origine (car ces lieux ont pris forme en Inde et, au moment du déracinement ils ont pu être détruits ou abandonnés).

Ces lieux reconstitués en France sous la forme la plupart du temps d'édifices religieux, remplissent une fonction : ils expriment la quintessence. « Le lieu choisi est destiné à rendre la quintessence manifeste »82(*).

Ainsi, la diaspora via son ou ses idéologies suivant les groupes (car il existe plusieurs diasporas dans la diaspora indienne : Tamoule, Sikhe/Panjabi, Gujarâtî, Jaïn, Chettiar, Pondichérienne...), pave le territoire qu'elle domine de signes destinés à manifester sa présence à toutes les échelles : des autels des dieux de l'unité familiale, de la maison, jusqu'aux grandes métropoles françaises (Paris essentiellement).

Signes de reconnaissance et d'appartenance à la communauté ou au groupe qui se décèlent aussi dans la toponymie, ou plus exactement dans les noms donnés à ces hauts lieux.

En France, le premier temple hindou, le temple Sri Manicka Vinayakar Alayam dédié à Ganesha, a été fondé le 4 février 1985. Ce dernier se trouve à Paris, et représente le noyau de condensation de ce que l'on pourrait appeler un « quartier indien », c'est-à-dire dans un espace géographique se situant grosso modo entre la gare du Nord et le boulevard de la Chapelle et prenant en écharpe la rue Philippe de Girard pour finir entre la rue Lafayette et la rue de l'Aqueduc. Le coeur de ce quartier en est la rue du faubourg saint Denis.

Ce temple célèbre par un ou plusieurs prêtres trois pûjas par jour (mais celles-ci peuvent aussi être célébrées à domicile, sur un autel individuel). La pûja est un rituel extrêmement important dans la tradition hindoue. Les Hindous vénèrent des divinités de pierre ou de métal, non en tant que symboles mais en tant que corps physique des Dieux (pendant la cérémonie, les Dieux utilisent ces formes pour répandre leur puissance et leur bénédiction aux fidèles). La pûja est une communion entre les Dieux et le Monde. L'officiant ou poujari, baigne, recouvre d'huile et invoque les statues des Dieux. En plus, il fait fonction d'astrologue, de médecin, d'exorciste et de directeur spirituel. Le temple de Ganesha ou temple Sri Manicka Vinayakar Alayam à Paris organise aussi des services religieux à domicile effectués en langue Sanskrite par des prêtres indiens (voir annexe 1). Services qui prennent la forme de mariages, célébrations ou service funéraire mais aussi des rituels pour éloigner les maux de la famille, éviter les dettes ou parvenir à ses fins.

Photo 6 : Célébration d'un mariage au temple Sri Manicka Vinayakar Alayam.

(c) www.perso.wanadoo.fr/temple.hindou.

Ainsi ce temple, en plus d'exercer une fonction de marqueur de la territorialité de la diaspora indienne dans l'ici, agit comme un pôle structurant de cette dernière. Structuration par les rituels, les cultes quotidiens qu'ils soient à domicile ou au temple, mais aussi par des manifestations religieuses hors des murs de l'édifice, générant un face à face entre l'Inde et la France.

Ce haut lieu s'apprécie par rapport à ce qui l'environne, qui ne l'est pas. Il naît de la différence et se maintien par la distinction. Dès lors cette confrontation tient plus à une conséquence de l'extra-territorialisation de l'altérité.

Photo 7 : Ci-contre le huitième grand défilé de Ganesh à Paris

Source : www.perso.wanadoo.fr/temple.hindou.

Le temple Sri Manicka Vinayakar Alayam célèbre toutes les fêtes du calendrier hindou. Pour les plus importantes d'entre-elles, il organise des défilés dans les rues du quartier « indien » de Paris. Celui de Ganesh est le plus connu, mais il y a aussi la grande parade du char de Jagannath (fin juin). Les deux processions se déroulent de la même manière : le dieu est promené sur un palanquin imposant, au son des conques, des flûtes, des tambours et des champs rituels, arrosé par la foule d'eau de rose, de lait et de riz. Des centaines de noix de coco sont brisées par les fidèles au passage du cortège, en guise d'offrande.

D'autres fêtes moins spectaculaires rythment la vie de la communauté indienne, comme pongal (nouvel an tamoul, mi janvier), holi (fête des couleurs, en mars) ou durga puja (fête de l'automne).

Planche 1 : Une confrontation France-Inde : le huitième grand défilé du char de Ganesha.

(c) www.perso.wanadoo.fr/temple.hindou.

Enfin, dernière instance, dernier pôle qui remplit cette fonction de marquage territorial : les associations.

Celles-ci favorisent la mise en place de contacts entre les groupes et l'organisation d'activités visant à préserver l'identité diasporique. Elles font la relation entre l'Inde, la France et la diaspora, de sorte que ces associations peuvent devenir directement les relais de l'Inde en France.

Le nombre des associations d'indiens en France ne cesse d'augmenter. Ainsi, la diaspora indienne par le biais de ces associations accroît sa capacité d'action, d'agir territorial et, réalise précisément un processus interpolaire : une forme associative en France mais dans une localisation multiple. Bien que cela n'est aucune valeur scientifique : si l'on introduit comme discriminants de recherche les termes « associations indiennes en France » sur Internet, le moteur de recherche fournit approximativement plus de 90 000 réponses. Parmi lesquelles on trouve l'association française des Télougou, l'association des migrants de l'Inde, ou encore divers groupements reprenant le découpage linguistique de Nehru (association des Tamouls de France, des Panjabi de France...).

La diaspora indienne apparaît donc active voir activiste. Ces qualificatifs confèrent aux groupes de migrants indiens une dimension à la fois évanescente et fragile mais également vivace dans leur versatilité grâce à leur configuration ubiquitaire.

Toutefois, ces associations sont d'ordres différents et les efforts pour les fédérer en une seule et unique force d'action ont jusqu'alors peu porté leurs fruits en comparaison des groupements fondés sur quatre dimensions qui sont la religion (hindoue, sikhe, parsie, islam), la langue (hindi, tamoul, panjabi, telugu), la région d'origine (Pondichéry, Tamil Nadu, Pendjab, Gujarat, Andhra Pradesh, Sri Lanka) et la caste. Mais on peut tout de même noter une certaine réussite pour la FAFI (fédération des associations franco-indiennes) bien qu'il s'agisse au départ d'une initiative de la communauté tamoule.

En effet, cette association fondée en mars 1996 (dont le but principal est de construire un « Centre Culturel Indien » à Paris) est le fruit d'une longue maturation issue de l'initiative de la France tamil sangam ou fédération tamoule de France.

L'ensemble de ces groupements et de ces coalitions volontaires, institués par plusieurs personnes s'unissant dans une entreprise commune et s'enchâssant dans le cadre de la loi du 1er juillet 1901, prennent une autre dimension avec les NTIC. Dès lors, le tamilnet83(*), sorte de toile transnationale permet aux tamouls de puiser toutes sortes d'informations sur leur Etat d'origine, (le Tamil Nadu) mais aussi sur d'autres thématiques qui cristallisent l'opinion comme le renouvellement des conflits au Sri Lanka, ils peuvent aussi acquérir et écouter les dernières compositions à la mode dans l'ensemble du faisceau de la diaspora tamoule84(*). Encore plus étonnant, le net permet aux familles indiennes de trouver depuis la France une femme pour leur fils, qui répondra aux exigences d'appartenance linguistique, culturelle et hiérarchique (de caste similaire). En effet, plusieurs sites sont spécialisés sur les mariages ( www.punjabimarriage.com par exemple), certains affichent clairement leurs objectifs en proposant des unions arrangées85(*). La révolution Internet a modifié le marché matrimonial en le transformant.

Cette révolution est le support à un lien et à une cohésion sociale hors de la terre d'origine. Mais elle peut aussi servir des l'intérêts plus pernicieux, voir subversifs.

En effet, les NTIC peuvent alimenter des mouvements violents orchestrés par des retour d'argent désormais immatériels alimentant par exemple la LTTE (Tigres de la libération de l'Eelam tamoul) ; cette dernière revendiquant la séparation des régions nord et est du Sri Lanka, à majorité tamoule.

La communauté indienne visible ici, en France, est le prolongement, l'extension extra-territoriale de l'identité de la terre d'origine, mais en reste un référent majeur, par exemple dans la distance et les moyens de la surmonter. Les marqueurs territoriaux, ces différents points d'ancrage de la diaspora dans le territoire forment une véritable épine dorsale pour la communauté indienne. Cette communauté, même dépouillée de la plupart de ses racines, de toutes projections matérielles dans l'ailleurs, impose les notions de continuité, de cohésion, d'équilibre et de reproduction.

2) Une mystification de la terre d'origine : le cas des Sikhs de France.

« Les diasporas se fondent dans leur rapport avec le temps et la mémoire. Elles s'enracinent dans la longue durée [...] Le territoire existe surtout en tant que territoire d'origine, c'est-à-dire situé dans le temps et objet d'une mémoire »86(*).

Les communautés diasporiques indiennes en France maintiennent de forts liens affectif et matériels avec leur pays d'origine et arborent des signes mnémoniques qui rappellent leurs racines. La communauté Sikhe de France ne déroge pas à la règle, elle exerce des contacts multiples entre les groupes et organisent des activités visant à préserver cette identité. Mais au-delà de la mythification de la terre d'origine se fonde une certaine mystification ayant pour base une instrumentalisation de la mémoire collective.

La dimension n'est pas la même, il ne s'agit plus de marqueurs territoriaux, mais des liens qui s'immiscent entre la terre d'origine et la communauté dispersée. Relations qui se teintent d'un mythe prépondérant du retour, et de la volonté de créer un Etat (création dans la sécession).

La diaspora indienne à la différence de la diaspora juive ou arménienne ne s'inscrit pas dans une dimension traumatique liée à une déportation ou à un génocide ; il s'agit d'une diaspora marchande. Toutefois à l'instar de ces deux dernières, la communauté sikhe est animée par la volonté de créer un Etat où pourrait venir s'y rassembler les différents groupes dispersés. Volonté de création qui alimente le mythe d'un retour.

Les Sikhs comptent aujourd'hui environ 22 millions d'adeptes dans le monde, dont la plupart sont originaires de la région du Pendjab, dans le nord-ouest du Pakistan et dans les régions limitrophes de l'Inde, où les dix gourous fondateurs vécurent et enseignèrent. Cependant, l'émigration massive des Sikhs au cours du siècle dernier a entraîné la constitution d'une grande diaspora. On estime actuellement à deux millions le nombre de Sikhs vivant hors de l'Inde. Cette communauté sikhe en exil est issue de trois vagues d'immigration. Jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, les Sikhs du Royaume-Uni se comptaient par milliers. La deuxième vague fut celle de 1947, consécutive à la partition (entre l'Inde et le Pakistan). Le dernier flux migratoire sikh succéda à l'opération Blue Star, c'est-à-dire à l'assaut, par l'armée indienne, en juin 1984, du Temple d'or d'Amritsar, haut lieu des préceptes religieux sikh.

Les Sikhs sont assimilés et appelés punjabis (mais il ne faut pas faire la confusion, la communauté punjabi en France compte 15 000 individus87(*)), du nom de l'Etat dans lequel ils sont majoritaires : le Pendjab. En France au début des années 1980 (avant l'opération Blue Satr), ils étaient une centaine, aujourd'hui les représentants de cette communauté sont entre 5 000 et 7 000 (soit approximativement l'équivalent de 0.35% de l'ensemble de la communauté diasporique !), principalement installés dans les communes de la banlieue parisienne (particulièrement à Bondy, Aubervilliers, Drancy et dans l'Est). Ils ont ouvert plusieurs « gurdwara » ou lieux de culte, abritant le livre saint (livre saint des Sikhs : l'Adi Granth88(*)) en Europe (à titre de comparaison : un en Belgique, six aux Pays-Bas et onze en Allemagne, tous situés dans les grandes métropoles connectées aux réseaux internationaux par le biais d'aéroports ou de noeuds ferroviaires).

En France, on comptabilise cinq temples sikh (dont trois pour l'ensemble de l'agglomération parisienne), mais seul le plus ancien et le plus grand gurdwara de France, le Gurdwara Sahib se situant à Bobigny (s'il ne paie pas de mine du point de vue architectural : un simple bâtiment crépi de blanc que seul un fanion orange frappé du khanda, l'emblème sikh vient distinguer, il brasse un millier de fidèles) est recensé par les associations et réseaux Sikhs mondiaux.

Photo 8 : Le Gurdwara Sahib de Bobigny.

(c) Goreau, A. Mai 2004. Derrière la façade de cette maison, que seul un fanion orange frappé du khanda distingue, se cache en réalité le gurdwara sahib. Avant d'y pénétrer, à l'instar des temples hindous de l'agglomération, il est indispensable de se déchausser, mais en plus il faut se vêtir du turban et se laver les mains abondamment. Le rez-de-chaussée abrite les cuisines mais aussi une salle où sont entreposées les divers portraits de l'ensemble des gurus fondateurs. Bien sûr au centre de chaque pièce du Gurdwara siège en position centrale une photo aux dimensions imposantes du temple d'or d'Amritsar. Le rez-de-chaussée sert aussi de salle à manger. L'ensemble des membres affiliés au gurdwara peuvent s'y restaurer (chaque membre fournissant par mois l'équivalent de 10% de son salaire ; la somme étant répartie entre les frais de fonctionnement des lieux et l'assistance aux membres les plus nécessiteux). Le premier étage, est quant à lui réservé à la prière. Une zone de « circumvolution » fait face à l'Adi Granth.

D'ailleurs, le site Internet www.sikh.net divulgue l'ensemble des informations au sujet de l'accessibilité au lieu de culte, notamment à partir de Londres.

Ni hindous, ni musulmans, les Sikhs appartiennent à une religion syncrétiste, qui fit son apparition à la fin du XV siècle, avec son fondateur, Gourou Nanak89(*). Son recueil de poésie mystique constitue la base de toute l'activité religieuse dans les lieux de culte Sikhs ou Gurdwara.

Les Sikhs doivent être fidèles aux cinq articles dont le nom commence par un K (il s'agit de la plus importante contribution de Govind Singh, de son vrai nom Gobind Rai, à la tradition sikh qui fut la création de l'ordre militaire des khalsa en 1699. Les membres de cette fraternité des « purs » devaient marquer publiquement leur appartenance par les cinq « k ») ; prescriptions du livre sacré, le Granth Sahib : une longue chevelure jamais coupée (kes), souvent enserrée dans une longue mousseline de quatre à sept mètres généralement safran (couleur du sacrifice) ou bleu (couleur de la foi), un peigne en bois pour maintenir leurs cheveux bien soignés (khanga ou kangh), le poignard (kirpan), la longue culotte (kacch ou kaccha) et le bracelet d'acier autour du bras de la main qui tient le poignard (kera ou kara).

Les khalsa fondent l'orthodoxie de la religion sikhe et, c'est l'appartenance par les cinq « k » qui fonde l'identité de cette communauté.

Toutefois, cette identité est polymorphe c'est-à-dire à géométrie variable. Comme les autres communautés diasporiques de l'Union indienne, les Sikhs peuvent jouer de multiples facettes identitaires, et invoquer leur indianité, ou leur caractère panjabi, ou leur identité sikhe.

La mise en place de l'extra-territorialisation pour les Sikhs de France (mais de façon non exclusive) est consubstantielle du rêve de fonder un Etat séparatiste : le Khalistan (qui relève plus d'une patrie mythique).

Les divergences de représentation liant espace, identité et territoire sont inscrites au coeur du dilemme identitaire sikh : la représentation de l'espace panjabi, la représentation d'une identité sikhe et, enfin celle du territoire (de ce qui aurait dû constitué le khalistan). Le concept de territorialité, pilier de l'édification d'un Etat-nation imaginaire constitue l'argument central de la communauté sikhe diasporique.

La diaspora sikhe par le biais des NTIC, détermine à la fois une force de pression, un lobby, et fournit un appui au mouvement séparatiste in situ. En effet, il n'est guère difficile depuis n'importe quel poste Internet d'adhérer, de cautionner et de subventionner le National Concil of Khalisatan, l'un des principaux artisans du mouvement séparatiste en exil dont les liens se trouvent sur plusieurs sites portails : www.khalistan.net ou www.khalistan.com. Toutefois l'ensemble des membres de la communauté ne sont pas tous rassemblés derrière cette volonté et (d'après divers entretiens) espèrent seulement pratiquer leur religion dans leur terre d'accueil.

La communauté sikhe est contrainte de suspendre son identité dans un territoire imaginaire parce que désiré, convoqué, mais jamais réalisé. Dès lors, la construction d'une unité dans la dispersion ne se fait pas seulement en se référant à une mémoire collective et en maintenant un lien social, une certaine cohésion par des marqueurs territoriaux, ici les cinq « k », support d'une identité. Mais la référence à un peuple, à une nation qui n'a pas d'autre forme d'existence qu'à travers le mythe (la patrie mythique du Khalistan), est également un moyen de construire et de maintenir une unité et une identité. La construction politique se préparant dans l'ici pour la transposer dans l'ailleurs, même imaginaire est la pierre angulaire de la construction du lien social.

3) Une identité à géométrie variable :

« Le corps social devient le territoire en tant qu'il permet de fixer l'identité individuelle et collective d'où l'importance attaché à la culture »90(*).

L'identité constitue un point sensible des conditions d'émergence d'un lieu fort. La notion d'identité spatiale -à la fois identification à un espace et identité d'un espace- se trouve relancée quand on l'élargit à des appartenances multiples et dynamiques, à des choix individuels ou collectifs. La dimension spatiale des identités permet de vérifier que l'identité contemporaine n'est pas la simple expression d'un passé enfoui, mais, toujours, une tension entre une mémoire et une projection dans le futur, ces trois éléments (mémoire, identité, projet) se modelant mutuellement.

Véritable boîte à outils, l'identité se façonne selon trois composantes : ontologique, pragmatique et de valeurs (sa dimension ontologique permet à l'individu d'établir un sens à son mode d'être, à la somme de ses actions, la fonction pragmatique de l'identité lui permet de négocier son évolution ontologique dictée par les attentes sociales majoritaires. En réaction à ces perturbations intimes se développe la valeur de l'identité, sorte d'idéal-type de référence destiné à contrebalancer la réalité de l'identité).

Au quotidien, la stratégie identitaire opère dans la communauté, la famille et de façon individuelle.

Dans une situation minoritaire, la vie sociale communautaire se structure selon un ensemble complexe et mouvant de critères d'appartenance, dont le plus emblématique serait la langue (panjabi, tamoule et télougou pour les groupes les plus importante en France). Alimentée sur un plan démographique par les logiques de regroupement familial et de migration secondaire, la communauté remplit deux types de fonctions. Elle est à la fois source d'identité individuelle et collective par son souci de préservation des valeurs philosophiques, religieuses, linguistiques et politiques, de référence. Grâce à ses réseaux socio-économique, grâce à sa structure filandreuse (ou réticulaire), la communauté facilite l'intégration de nouveaux membres, et la mise au point ainsi que l'application d'un modèle d'intégration qui atténue le choc culturel.

En France, la diaspora indienne ne constitue pas une communauté mais plusieurs entités différenciées culturellement et linguistiquement (comme nous l'avons vu ci-dessus). Alors, pour plus de facilités et dans un objectif méthodologique, le terme « communauté » (à défaut d'employer le terme d'ethnie, trop connoté et peu approprié à la situation, ou celui de supra-communauté, qui reste à inventer) aura pour signification l'ensemble de la diaspora indienne installée en France, qui a pour point commun le même référent territorial. Et, « groupe » désignant les distinctions au coeur de cet ensemble.

La communauté indienne en France, apparaît comme « centrée », peu hybride. Les chiffres publiés en 1999 par l'INSEE91(*) corroborent ce point de vue. En effet, les mariages mixtes sont peu nombreux, ils ne sont qu'au nombre de 102 en 1999 (30 pour les époux, 72 pour les épouses). Il n'y a donc pas de métissage sporadique, physique.

Ainsi, le risque de morcellement, de fragmentation est moindre lorsque la communauté se fait une enclave hermétique face à l'acculturation.

La communauté se caractérise aussi par des stratégies groupales dont les 10ème et le 18ème arrondissements de Paris constitue l'archétype. Certains ont développés des activités professionnelles à grande échelle dans la restauration, le prêt à porter et le négoce (principalement du commerce des fruits et légumes) qui nécessitent des pratiques de réseaux.

La communauté permet le positionnement par rapport à l'altérité : les groupes indiens ou d'origine indienne peuvent se situer à une multitude de positions en fonction de leurs organisations sociales, de leurs perceptions identitaires, de leurs consciences historiques, de leurs constructions socio-spatiales ; de l'ensemble des signes de reconnaissance et d'appartenance qui font que le groupe se considère comme un groupe.

Jusqu'à maintenant, la territorialité de la population diasporique indienne installée en France, était envisagée comme médiateur de la relation sociale, du lien social entre l'ici et l'ailleurs. Mais la dimension communautaire permet de mettre le doigt sur le contenu de cette territorialité et dote celle-ci de certains attributs qui donnent forme à une socialité particulière : les termes de stabilité, durée, reproduction, contiguïté, localité, unité jalonnent cette acception.

La communauté permet de retrouver aussi une forme de citoyenneté dans le pays d'origine. Car certains groupes, comme les Sikhs, ne possèdent ni la nationalité française, ni la nationalité indienne, ni même le statut de réfugié politique (l'Inde étant la plus grande démocratie du monde).

Plus encore que la structure communautaire, la famille s'érige en rempart identitaire le plus solide et le plus visible contre l'acculturation et fournit en même temps la base de l'intégration dans la société d'accueil, dans l'ici.

La famille est la garantie de la reproduction des normes et des valeurs des différents groupes constituant la communauté indienne. Il n'existe pas de données précises compte tenue de la structure familiale des immigrés indiens en France, mais on pourrait penser qu'elle reconstitue le schéma de l'ailleurs, de la terre d'origine et se caractériserait dès lors par une structure élargie, rassemblant sous un même toit un groupe social assez large, assis sur plusieurs générations.

La famille se fait le gardien des traditions, des us et coutumes. Même pour la seconde génération issue de la diaspora pondichérienne, souvent brillante, plus autonome et qui n'a pas les moyens similaires de résister à l'acculturation que la première, sans distendre les liens familiaux, elle reconnaît à la tradition un seul territoire inaliénable : la cuisine, rien moins ce qui demeure quand on a oublié tout le reste.

Enfin, en étroite symbiose avec les deux autres niveaux d'analyse, la stratégie individuelle est assurément la plus complexe et la plus mouvante des dynamiques identitaires.

On recense un continuum de réactions personnelles face à la société française. Réactions qui sont modulées en fonction des capacités de l'individu de se détacher du conditionnement social, c'est-à-dire les mécanismes par lesquels le comportement d'un individu est influencé - sinon façonné - par son environnement social ou dans un sens plus restreint par des instances de manipulation (édifices religieux, associations...) émis par la communauté et de façon plus restreinte par les groupes « ethnoculturels ».

La diaspora émerge de la conscience qu'elle prend de sa dispersion. « C'est en reconnaissant peu à peu les lieux où elle se déploie qu'elle acquière progressivement la conscience d'elle-même et qu'elle peut se représenter l'espace physique sur lequel elle se déploie »92(*). Le couple mythification et mystification de la terre d'origine permettent d'entrevoir les mécanismes identitaires au sein de la communauté qui contribuent à forger une territorialité ou plutôt un sentiment d'exterritorialité fait de va-et-vient entre l'Inde et la France.

Mouvement alimenté par les NTIC qui permettent un recentrage identitaire permanent, un jeu fictif de constructions et de déconstructions à partir d'éléments intangibles.

Ce même mouvement conduit à la création dans l'ici d'un territoire de l'entre-soi et non d'un non-lieu, d'une a-topie au sens de MA MUNG. Selon lui, « ce qui différencie la diaspora des autres groupes migrants c'est l'arrachement du territoire d'origine, l'impossibilité de se reproduire dans un espace physique clos, circonscrit et tangible [...] De fait, elle est (la diaspora) conduite à le faire dans un espace imaginaire, fantasmé, reconstruit à l'échelle internationale [...] Elle a conscience de soi dans un non-lieu »93(*) .

Nous allons à l'aide d'illustrations précises démontrer que la diaspora indienne en France se reconstruit, au contraire, dans un territoire fixé, borné, clos et tangible (même si les NTIC introduisent un dépassement de ces limites et discontinuités).

B/ INTERCULTURATION OU SÉGRÉGATION ?

L'immigration originaire du monde indien, assez méconnue (donc mal chiffrée) en France, est apparue depuis une vingtaine d'années. Ces migrants ont fait leur entrée en France progressivement, se constituant en communautés et en réseaux. Leurs lieux d'origine sont divers : Pakistan, Bangladesh, Maurice, Union indienne, Sri Lanka... Par delà la diversité un groupe représente le contingent le plus nombreux : il s'agit des Tamouls.

Une partie des tamouls sont originaires des ex-comptoirs français d'Inde du sud (se confondant avec les ressortissants pondichériens, ayant pour point commun la civilisation dravidienne et la langue), dont beaucoup ont acquis la nationalité française (lors du processus de restitution des territoires à l'Union indienne). Il s'agit du premier anneau de migration. Un petit nombre vient des Antilles et des Mascareignes ; ce sont principalement des descendants des coolies des plantations (après l'abolition de l'esclavage , le manque de main d'oeuvre pousse les puissances européennes particulièrement Royaume-Uni, France et Hollande, à trouver d'autres solutions ; sous la pression des planteurs est mis en place le système de l'indenture, par lequel des volontaires indiens acceptent par contrat d'aller travailler dans les plantations pour une période de cinq ans).

Le second anneau de migration, la dernière vague si l'on peut dire, provient du Sri Lanka, et elle est à relier au contexte de guerre civile qui sévit dans l'île et qui oppose depuis quarante ans Cinghalais (bouddhistes) et Tamouls (hindous). Le nombre de réfugiés Tamouls à travers le monde est estimé à 700 000, soit le tiers de la population Tamoule du Sri Lanka avant guerre94(*). En France, les estimations oscillent entre 45 000 et 60 000 (certaines associations tamoules vont même jusqu'à donner le chiffre de 95 000) Tamouls qui seraient présent sur le sol français (« but only 300 have passed the stringent citizenship requirement to read and write French fluently »95(*)).

Ces réfugiés s'avèrent constituer des noyaux de peuplement principalement à Paris, dans des diverses villes de banlieues : Noisy le Grand, Montreuil, Nanterre, Garges-lès-gonesse (c'est à dire dans la couronne périurbaine nord de Paris) ; et, le quartier de la Chapelle en est le principal noeud commercial (la proximité de la Gare du Nord permet de faire le trajet du domicile en banlieue jusqu'à cette aire commerciale. C'est aussi un lieu d'une grande connexité avec l'Europe et principalement avec le Royaume-Uni).

L'intérêt dans cette partie n'est pas porté sur les modalités de l'immigration tamoule, sur une quelconque digression sur le statut de réfugié et les stratégies d'obtention des visas, mais sur l'émergence d'un espace de l'entre-soi et des liens qui s'établissent entre la communauté indienne et les français.

« Little India »96(*) du Faubourg-Saint-Denis, ou plutôt little Jaffna (du nom de la capitale des régions de langue tamoule du Sri Lanka) suscite à la fois intérêts, controverses et tensions entre les habitants, qui semblent se cristalliser sur cette présence tamoule : « cette communauté majoritairement Sri-lankaise, est très sympathique, serviable, pas violente [...] Mais elle rachète peu à peu tous les appartements et les commerces. La population locale est exaspérée. Surtout les personnes âgées. Le défilé du char de Ganesh aurait été perçu comme une provocation »97(*) (voir annexe 3).

1) Un territoire de l'entre-soi.

L'entre-soi est un réflexe, une nécessité : la fonction d'un tel espace de regroupement est d'assurer une transition entre l'ici et l'ailleurs, entre le monde indien et la France afin d'atténuer le choc. Cet espace préserve les modèles culturels, les institutions et les liens sociaux hérités de la communauté d'origine. Il limite les effets déstructurants du choc culturel au prix d'une agrégation/ségrégation qui règle le jeu des proximités et des distances avec la société environnante.

Ce regroupement constitue une sorte de pôle structurant où s'exprime de manière amplifiée la sociabilité tamoule et où se pratique de façon privilégiée l'entre-soi.

Toutefois dans cet entre-soi, il faut distinguer, dissocier la concentration résidentielle (couronne nord périurbaine de Paris) de la concentration commerciale et religieuse (quartier de la Chapelle). Par manque de temps et surtout par logique (l'inscription spatiale de la concentration commerciale et religieuse étant visible dans l'immédiat, flagrante) nous nous tiendrons qu'au deuxième point.

La dimension religieuse et l'éducation sont les fers de lance de ce territoire de l'entre-soi. Le quartier de la Chapelle offre la possibilité de retrouver et de consolider, d'affermir son identité culturelle. Ce quartier est l'expression d'une peur : celle de la perte de l'identité tamoule.

Pour aller contre cette angoisse, la communauté indienne et plus particulièrement les groupes tamouls, dans l'agrégation, ont développés divers organismes et associations à visée culturelle comme les temples et les écoles.

Par exemple, l'institut des hautes études universelles, située rue Philippe de Girard (donc à proximité du temple Sri Manicka Vinayakar Alayam) participe à ce mouvement de perpétuation communautaire. Cette école pratique le « bilinguisme » : en fait, elle donne des cours de français, d'informatique et offre du soutien scolaire, mais surtout on y trouve des cours de tamoul et de bharata natyam.

Au même titre que la cellule familiale, cette école apparaît comme une instance de socialisation et comme un lieu de sociabilité indéniable ; elle est un instrument de reproduction sociale et de contrôle communautaire. Elle constitue donc un lieu de socialisation et d'identification en dehors de la famille, du voisinage et de la communauté ; alors que le milieu scolaire « Français » peut représenter un espace d'éloignement communautaire, affaiblissant in fine la chaîne de transmission des valeurs et des savoirs. D'où la volonté chez les migrants Tamouls de créer un espace protégé qui assurerait la reproduction communautaire.

Cette école appartient à la sphère privée, la scolarité y est donc payante. Celle-ci est un enjeu fondamental pour les deuxièmes générations, leur permettant peut-être d'obtenir des emplois qualifiés. Car, le principal handicap des migrants tamouls est celui de la langue (« language is the major barrier for the 60,000 refugees in France, according to V. Sanderasekaram, 51, founder and trustee of the Sri Manicka Vinayakar Alayam of Paris »98(*)), le français est peu ou pas parlé, dès lors le spectre des activités rémunérées couvert par le groupe ne s'attache qu'à des emplois où il n'y a pas besoin de parler le français, comme « faire la plonge », agent d'entretien ou encore cuisinier.

Ainsi, cette école en permettant de maintenir le lien communautaire, par l'apprentissage du français offre des perspectives meilleures en terme de mobilité sociale de type verticale (qui correspondrait à une mobilité ascendante le long de l'échelle sociale en terme de catégorie socioprofessionnelle).

Hors de cette école, il est inutile de préciser qu'il doit exister tout un réseau d'écoles parallèles informelles, illégales, échappant à tout contrôle de l'Etat français ; ou plus simplement des formes abouties d'économie sociale et solidaire à l'instar de système d'échanges locaux entre groupe tamoul et groupe pondichérien (ce dernier maîtrisant mieux la langue française).

Pour les parents de la première génération (les premiers migrants des années 1970-1980), la présence d' « écoles tamoules » (au sens de structure formelle ou informelle véhiculant un enseignement collectif général, parfois même une doctrine notamment dans le cas des temples) est une occasion rassurante d'être entre soi, de contrôler les relations et les fréquentations de leurs enfants.

L'école permet ainsi d'amoindrir la distance culturelle et de participer à la construction de cette temporalité transitionnelle entre l'Inde (le monde indien) et la France.

Les temples aussi participent à cette fonction. Il existe trois temples pour les hindous à Paris. Mais il est fort probable, au même titre que pour les écoles, donc d'une manière informelle, qu'il existe d'autres lieux de culte, notamment des salles dans les villes de banlieue (mais nous n'avons pas eu d'informations à ce sujet là, ni par Internet ni par l'enquête de terrain).

Toutefois, il faut noter l'extrême souplesse de l'hindouisme concernant les lieux de culte (particulièrement avant la construction du temple Sri Manicka Vinayakar Alayam), en témoigne la fréquentation par de nombreux hindous de la basilique du Sacré Coeur. « Les Tamouls sri lankais à Paris, à la recherche d'un lieu de culte, se sont rabattus sur le Sacré Coeur, à défaut de trouver un temple hindouiste déjà établi. Cette église suggère certaines références : située au sommet d'une petite montagne, elle demande une ascension pour y accéder ; large et visible, elle s'impose à la vue comme la maîtresse de Paris ; ses coupoles volumineuses et blanches rappellent aussi bien les stupas bouddhistes par leur rondeur que les églises ceylanaises par leurs façades vastes et blanches [...] L'accès à l'église nécessite une ascension depuis la sortie du métro Anvers s'échelonnant à travers le parc sur sept niveaux. C'est une sorte de pèlerinage en miniature »99(*).

Dans le 18ème arrondissement, rue Philippe de Girard, se trouve le Temple hindou de Paris (temple Sri Manicka Vinayakar Alayam) dont la divinité principale est Ganesh ou Ganapati, le dieu à tête d'éléphant (selon les Purana, il a été créé par sa mère Parvati pour monter la garde devant sa salle de bains. Shiva, se voyant interdire l'accès à l'intimité de son épouse, coupe la tête du jeune homme sans savoir qu'il s'agit de son fils. Pour consoler Parvati, il promet de donner à Ganesha la tête de la première créature qui se présente, en l'occurrence un éléphant. Shiva donne en outre à son fils le commandement de ses armées de ganas, d'où son surnom de Ganapati, « chef des ganas »). L'entrée est entièrement libre. Il a été fondé en 1985 par Sanderasekaram, dont la famille a établi plusieurs temples dédiés au dieu Ganesh au Sri Lanka100(*). Suite au miracle de Ganesh buvant du lait en 1995, un défilé est organisé dans les rues de Paris par le temple et la communauté depuis 1996 pour célébrer l'anniversaire du Dieu.

Ce temple jouit d'une grande importance pour plusieurs éléments. Il est le seul organisateur du défilé de Ganesh, manifestation qui prend de plus en plus d'ampleur, et qui permet aux hindous de perpétuer une « tradition » ou du moins un héritage culturel.

L'organisation du défilé offre à l'ensemble de la communauté indienne une sorte de publicité bienveillante, qui compense les critiques quotidiennes et permet au temple de s'imposer au niveau religieux comme porte-parole de la communauté hindoue (tamoule, pondichérienne, télougou ou encore panjabi).

Le temple Sri Manicka Vinayakar Alayam, s'affiche comme le « temple hindou de Paris », cette réduction est liée à sa stratégie « promotionnelle » : sites Internet en plusieurs langues (français, anglais, allemand et tamoul), brochures et affiches ; or ce n'est pas le seul temple hindou (on comptabilise trois temples hindous dans l'agglomération parisienne dont deux en position centrale c'est-à-dire dans la commune centre et un récemment ouvert, en périphérie, à Evry, le Krishna Kadhy Temple).

En effet, il en existe un deuxième situé rue du Département. Celui là est dédié à Mariamman, déesse primordiale dans la pratique tamoule de l'hindouisme.

Ce temple est aussi fréquenté que le premier, mais accueil moins de visiteurs hors de la communauté Tamoule. Il organise des cours de Tamoul et de bharat natyam. Le bharata natyam est une forme de danse classique indienne originaire du sud qui a été sauvé au début du XXe siècle d'un oubli presque total101(*). Un spectacle typique comprend les parties suivantes : Ganapati Vandana (une prière traditionnelle d'ouverture au dieu Ganesh, qui écarte les obstacles), Alarippu (une présentation du tala, suite de syllabes chantées par la danseuse. Il s'agit en fait d'une invocation des dieux pour qu'il bénisse le spectacle), Jatiswaram (une danse abstraite où le rythme est scandé par le tambour. La danseuse montre ici sa dextérité dans le travail des pieds et la grâce des mouvements de son corps), Shabdam (la danse est ici accompagnée par un poème ou une chanson sur un thème dévotionnel ou amoureux), Varnam (la pièce centrale du spectacle. C'est aussi la partie la plus longue qui montre les mouvements les plus complexes et les plus difficiles. Les positions des mains et du corps racontent une histoire, habituellement d'amour et de désir), Padam (probablement la partie la plus lyrique où la danseuse exprime certains formes d'amour : dévotion à l'être suprême, amour maternel, amour des amants séparés puis réunis) et Tillana (cette dernière partie est une danse abstraite où la virtuosité de la musique trouve son parallèle dans le travail des pieds et les poses captivantes de la danseuse). Le spectacle se termine par la récitation de quelques versets religieux en forme de bénédiction.

Ce temple est aussi le siège de la fédération des associations tamoules de France (France Tamil Sangam). Cette association dont les prémices datent de 1970 (de la troisième conférence international du Tamoul à la Sorbonne) changeant de nom au grés des époques et des évolutions (Manavar tamil mantram ou associations des étudiants tamouls en 1970 ; Paris tamil sangam, association tamoule de Paris en 1972 ; et en 1983 France tamil sangam) fait partie intégrante de cet entre-soi communautaire et le consolide : elle publiait (nous ne pouvons ici qu'utiliser l'imparfait car il manque des informations sur la continuité de l'ensemble du faisceau des activités, même sur le site Internet de l'association) dans les années 1990-1995 deux journaux mensuels, Tamijosaï et Parimalar (en tamoul) et célèbre au mois de janvier la fête de Pongal.

Les temples exercent ainsi un rôle d'encadrement ; un rôle essentiel dans la perpétuation de la temporalité tamoule : ils imprègnent et impriment les rythmes de la vie sociale, donnent des repères fixes et temporels, par les trois pujas quotidiennes, par les rites mais aussi par les fêtes (pongal, défilé de Ganesh...).

Ces temples permettent donc de retrouver un repère temporel. De plus ils respectent le calendrier lunaire usité par les tamouls.

Ces lieux de ressourcement culturel, au même titre que la famille, que l'école sont des pôles structurant de l'entre-soi communautaire.

Dès lors une question se pose : quel est la nature des liens que la communauté tamoule entretient avec la terre d'origine, avec le Sri Lanka ? Le CCTF ou Comité de Coordination Tamoul France (situé rue des Pyrénées), affilié aux Tigres joue-t-il lui aussi ce rôle de pôle structurant ?

De même, le temple dédié à Mariamman affiche en ses lieux le portrait du leader des Tigres : Prabhakaran (recherché avivement et présent sur les sites d'Interpol) faut-il pour autant en déduire que cette communauté au même titre que les Sikhs est animée par le mythe du retour ?

Le CCTF, selon ses responsables comptabiliserait approximativement 10 000 adhérents, ce qui laisse songeur compte tenu de l'ensemble de la communauté tamoule évaluée entre 45 000 et 60 000 individus. Ainsi, la part de la population diasporique tamoule avivée par le mythe du retour ou du moins soutenant l'action des tigres et songeant à une patrie tamoule représenterait au plus bas 16.6% et au plus haut 22.2% !

En fait, le CCTF dispose d'une emprise étendue sur la communauté diasporique tamoule. Il investi tous les lieux du quotidien où se joue une confrontation entre l'univers du groupe et celui de l'extérieur, pour y favoriser un apprentissage des codes culturels. Il cherche ainsi à créer l'émergence d'un espace intermédiaire entre la sphère publique et la sphère privée pour contenir une certaine acculturation.

Il s'agit d'une manoeuvre pour favoriser l'entre-soi et de l'instrumentaliser afin de servir les intérêts des Tigres.

Enfin, l'entre-soi est favorisé par la dimension commerciale du quartier de la Chapelle. On assiste ici à un « commerce ethnique » qui n'a que pour seul débouché les membres de la communauté, l'ensemble des produits étant destiné à un groupe minoritaire. Produits qui correspondent à des pratiques culturelles particulières.

La marchandise est présentée à l'accoutumée, c'est-à-dire selon les habitudes du pays d'origine. Les inscriptions sur les étiquettes voir même sur les enseignes sont établies en langue d'origine, en tamoul.

La « décoration », ou plutôt le soin apporté à l'intérieur et à l'extérieur des différents magasins, manifeste explicitement l'appartenance communautaire.

La majorité des enseignes reprennent des noms et des éléments culturels familiers aux tamouls (Ganesha Corner, Lal Qila, Bollywood Paris ou encore Sarre Palace) ou des noms de lieux (auto-école Jaffna, Madras sweets ...).

Parmi cet espace de vente, des boutiques participent plus que d'autre à cet entre-soi communautaire, en proposant des produits « typiquement indiens » (bien qu'il soit assez malaisé d'établir un idéal-type, un modèle indien).

Ces boutiques jouent alors un rôle primordial de soutien communautaire. Ainsi parmi ces produits on pense aux denrées alimentaires. L'alimentation est un secteur incontournable de la Chapelle. Les habitudes alimentaires sont un élément culturel qui se maintien durablement, elles sont un emblème identitaire.

Le quartier joue un rôle central dans l'approvisionnement en denrées diverses souvent d'une extrême difficulté à trouver dans un notre contexte que celui d'agrégation communautaire et souvent à des prix prohibitifs (la communauté diasporique jouit souvent de liens durables avec la terre d'origine, de réseaux avec le « pays »). Les magasins proposent des produits divers mais toujours adoptés à une clientèle indienne. On y trouve facilement des sacs de riz de 50Kg en provenance du Panjab, différentes épices mais aussi les grandes marques de nourriture indienne comme pataks. Le 18ème arrondissement constitue un centre d'approvisionnement pour la population indienne.

On trouve également dans ces épiceries des journaux tamouls tels que le Tamil Guardian ou d'autres éditions en langue tamoule, ainsi que les deux journaux locaux Eelanadu et Eelamerasu. Mais les établissements qui remportent le plus grand consensus de la part de la communauté et ce, sans commune mesure, sont ceux qui sont consacrées à la location ou à la vente de vidéo et de cassettes de musique de films indiens.

On vient pour acheter les derniers succès de l'industrie cinématographique de Mollywood (industrie cinématographique en tamoul, M pour Madras) mais aussi de Tollywood (industrie cinématographique en bengali ou télougou) et de Kollywood (industrie cinématographique en malayalam, K pour Kerala) mais aussi les dernières musiques filmi (bandes originales des films) des compositeurs à l'instar de Naushad, Salil Choudary ou encore Ilaiayaraja.

La vidéo et la musique jouent un rôle essentiel dans la sociabilité et la constitution de l'identité tamoule en exil (on s'invite pour visionner les films mais surtout on s'imagine là-bas, la vidéo permet de retrouver une atmosphère, une ambiance, des couleurs de la terre d'origine...).

Photo 9 : Un des nombreux vidéoclubs du quartier de la Chapelle :

(c) Goreau, A. Mai 2004. Vidéoclub ne proposant que des films tamouls (TMS ayant pour signification Tamil Movies). D'ailleurs le propriétaire ne parle pas un mot français comme la plupart des acteurs commerciaux de la Chapelle. Les membres de la communauté s'y pressent pour acquérir les derniers succès.

Bien sûr, après l'alimentation et le cinéma, il y à les tenues vestimentaires ; on relèvera la présence de nombreux commerces de saris et autre tuniques. A cela s'ajoutent les bijouteries au goût des tamouls : c'est-à-dire des bijoux en or. Plus ciblés encore : les vendeurs de guirlandes de fleurs que les femmes se mettent dans les cheveux ou usitées pour les festivités hindoues.

L'ensemble commercial de la Chapelle offre aux tamouls la possibilité de recréer leur territoire d'origine, de replonger dans l'Inde à partir d'une aire de consommation complète ; on y retrouve tout ce qui faisait la spécificité du mode de vie dans l'ailleurs. On y vient pour se sentir chez soi, on y retrouve des odeurs (celles des épices, du chia, des différents plats cuisinés...) ; l'entre-soi communautaire participe bien évidemment au sentiment d'exterritorialité. C'est un prolongement de l'Inde en France. La Chapelle est aussi l'endroit où mobiliser les réseaux, toujours à base communautaire. Cette stratégie maintient des liens forts (« j'ai des relations avec le pays ») avec la terre d'origine, mais cache aussi une économie informelle, segmentant à l'infini les secteurs de distribution.

Cette recréation territoriale suscite aussi auprès de la communauté pondichérienne une certaine nostalgie. Cette communauté installée en France plus longuement et durablement, maîtrisant bien le français se mêle avec connivence à l'élaboration de l'ambiance du quartier, à la recherche d'un passé, des racines.

2) Cosmopolis ou claustropolis ?

Les différents groupes constitutifs de la diaspora indienne apparaissent fermés dans une logique communautaire formant une couche isolante et hermétique maintenant l'identité et rejetant le plus possible les contacts culturels avec la France.

En illustrant ce chapitre par le quartier de la Chapelle, lieu privilégié d'un entre-soi communautaire, on remarquera que les tamouls ont développés des stratégies d'appropriation de l'espace publique, collectif et en ont transformé les usages, suscitant parfois des réactions de nature diverses.

Cet entre-soi communautaire se veut le prolongement matériel d'une territorialisation qui au départ était symbolique ; territorialisation qui se fait par la construction d'une identité, d'une sorte de moi collectif.

Ainsi se pose la question en terme de cohabitation entre majorité et minorité mais aussi en terme de transformation de la nature de l'espace publique, de discontinuité, de frontières socales-urbaines. De quelle nature sont les interactions qui découlent de cette confrontation entre population majoritaire et population minoritaire ? Quelles implications génère le marquage de l'espace publique par une dissémination de signes identitaires tamouls ?

D'ordinaire, le champ culturel des diasporas est abordé selon trois axes méthodologiques : la continuité pure et parfaite, la créolisation et l'aliénation.

Dans notre étude, le contact entre l'ici et l'ailleurs ne donne pas lieu à une créolisation mais, il est plutôt le composé complexe d'aliénation et de continuité.

Continuité pure et parfaite dans l'ici de l'ailleurs, visible notamment par cet entre-soi communautaire, offrant une image cosmopolite à l'ici et, aliénation dans le contexte d'une France républicaine et laïque (bien sûr le terme est un peu fort car ce processus ne va pas jusqu'à l'impossibilité de s'approprier pour les migrants indiens son histoire d'origine et la revendiquer) où se pose de façon renouvelée la question de l'immigration et d'une certaine manière celle de la ségrégation.

C'est en ces termes que se définie la ville de Paris : cosmopolis ou claustropolis.

L'adjectif cosmopolite, du grec kosmopolitès, « citoyen du monde » confère à la ville de Paris l'image d'un village globale, d'une citoyenneté mondiale à l'image du village planétaire de Mac Luhan. D'ailleurs, la mairie de Paris joue de cette présence communautaire et bâtie même des itinéraires nommés « invitation au voyage, entre Afrique et Asie »102(*). En réalité il s'agit d'une balade entre l'église Saint Bernard et la Chapelle, entre quartier « africain » et quartier « indien ».

TEXTE 1 : Itinéraire de balade de la mairie de Paris :

« Face au théâtre des Bouffes du Nord, le quartier indien prend naissance rue du Faubourg Saint-Denis. Sri lankais et Indiens y déambulent en sari pour faire leurs achats d'épices et de vidéocassettes. Entre restaurants tandoori et brasseries moules frites, la gare du Nord offre un contraste surprenant avec ses statues XIX e, son architecture de verrières et de métal, sa partie récemment rénovée pour l'Eurostar [...] Au n°43 commence le passage Brady qui se prolonge au-delà du boulevard de Strasbourg. Ici débuta le commerce des premiers émigrés indiens. Le mythe est toujours là sous les verrières qui abritent épiceries et restaurants. A la sortie du passage, la rue du Faubourg-Saint-Denis mène à la porte du même nom : elle marquait la limite du Paris d'autrefois et termine notre voyage d'aujourd'hui dans le Paris d'ailleurs. Le 5 septembre aura lieu le défilé du dieu Ganesh pour la neuvième année. Devant son char tiré à travers les rues, les participants offriront à la divinité, fleurs, noix de coco et pâtisseries colorées... »

Source : mairie de Paris, www.paris.fr, itinéraire, « invitation au voyage ». 2004

Cet itinéraire se propose comme la rencontre entre diverses cultures diverse « civilisations » (suivant les propos usités par le site Internet).

La singularité du quartier de la Chapelle attire et suscite de la curiosité. Si la majorité des clients sont des Indiens et des Sri-lankais, il semble que cet entre-soi réponde à des impératifs commerciaux qui pourraient l'éloigner de son caractère spécifiquement « ethnique ».

En effet, c'est aussi un lieu fort pour les voyageurs de l'Inde, en quête de repères et de symboles qui peuvent puiser ici un certain ressourcement empreint de nostalgie, mais dans une moindre mesure, il semble que français et touristes de passage fassent de ce quartier une utilisation « exotique » (la clientèle n'est ici élargit que par la volonté de certain impétueux de se confronter à l'altérité). Mais, pour certains, l'attraction vient moins de l'exotisme que de l'extrême avantage des prix.

Bien sûr cette caractéristique est évidente pour la restauration qui balaie une clientèle plus large, mais on observe un attrait touristique de ce quartier ; il apparaît dans plusieurs guides sur Paris ; c'est aussi un endroit « branché », à la mode pour la bourgeoisie parisienne.

En réalité, cet entre-soi communautaire permet d'alimenter l'imagologie de l'Inde.

Mais, cet entre-soi est aussi l'illustration d'une privatisation de l'espace publique. Privatisation qui prend toute son ampleur lors des fêtes et principalement du défilé de Ganesh qui a lieu tous les ans au mois de septembre, où la communauté tamoule s'accapare trottoirs, rues, et places publiques.

C'est essentiellement cet événement qui cristallise les critiques. D'ailleurs, une partie de la cinquième édition du défilé en septembre 2000 avait été interdite (voir annexe 3) par le maire du dixième arrondissement, alimentant la polémique entre les différentes mouvances politiques (ici entre Parti socialiste et Verts).

L'espace public est souvent défini comme un des espaces possibles de la pratique sociale des individus. C'est un agencement qui permet la coprésence des acteurs sociaux sortis de leur cadre domestique, mais surtout accessible à tous et empreint d'anonymat. Il suppose donc une séparation de sociabilités entre l'intime, soi-même, et autrui, par de multiples sas et seuils. Ce sont ces seuils qui sont remis en cause par cet entre-soi communautaire (qui soulève l'opposition société d'individus/société communautaire), l'espace publique devenant le support de l'élaboration des sociabilités intimes. Ce manque de « mélange » ne remplit donc pas une des conditions sine qua non de l'espace public : l'accessibilité et tombe ainsi dans une sorte de privatisation. Privatisation qui toutefois lors des défilés de Ganesh rend compte d'une forme de publicisation de l'intime, de la sphère privée.

Cet entre-soi détermine-t-il alors ce que certains appellent un espace « priblique » : une zone tampon où s'expriment à la fois l'individuation et la socialisation ?

L'affirmation de cet entre-soi communautaire institue, en quelque sorte, comme étrangers les usagers n'appartenant pas à la communauté tamoule. Il s'instaure donc une certaine ségrégation sur fond de frontière communautaire voir même « ethnique ». La construction d'une aire marquée par une faible diversité sociale donne une image de claustopolis à la ville de Paris.

Bien sûr il ne s'agit pas d'une ségrégation spatiale à la manière des condominos fechados brésiliens ou des gatted communities, alimentées par un cynisme social par une volonté obsidionale, ni même d'un ghetto ; mais la séparation est bien réelle et d'autant plus forte que les groupes s'y « opposant » n'ont pas les mêmes usages du quartier de la Chapelle. En effet, les migrants indiens y investissent des éléments identitaires, des référents culturels mais n'y vivent pas (en grande majorité), il s'agit d'un lieu de sociabilité, de coprésence communautaire alors que d'autres, « la population locale »103(*), y investi tout un mode de vie.

Cette ségrégation est d'autant plus prégnante qu'elle se spatialise : l'ailleurs est borné, les rues et les faubourgs deviennent les garants de cette délimitation. A cela s'ajoutent des discontinuités d'ordre social, en terme de richesses. Les migrants indiens occupent la plupart du temps des emplois faiblement rémunérés (du fait notamment de la faible maîtrise de la langue française).

Il s'agit donc plus que d'un entre-soi communautaire mais d'une extra-territorialisation qui reprend les lignes de fractures (culturelles, économiques...) entre la France et l'Inde.

3) La question de l'intégration :

Cette limiogenèse issue de cette exterritorialité, de la création d'un espace de l'entre-soi communautaire se traduisant par tout un faisceau de limites et discontinuités : économiques, sociales et « ethniques », suscite tout un questionnement sur l'intégration des migrants indiens en France.

« La question de la légitimité de leur présence en un lieu pose le problème d'une double intégration : intégration à une société d'accueil et intégration à la diaspora »104(*).

L'intégration sociale désigne le processus d'insertion des groupes ou des individus dans un même ensemble acquérant ainsi un minimum de cohésion ; il s'agit soit d'une situation observable à un moment donné, soit d'un processus faisant passer d'une situation d'extériorité à une insertion plus ou moins forte. En France, une certaine confusion a toujours était faite entre intégration et assimilation : il était exigé des futurs citoyens français qu'ils renoncent à leur cultures, traditions et rites d'origine. Cette assimilation conduit à une certaine aliénation des différents groupes migrants, générant souvent une dégradation des spécificités de l'autre.

Cette confusion subsiste et exerce une violence symbolique sur les migrants indiens en France, sommés parfois de justifier leur présence, et ceci en manifestant essentiellement leur utilité sociale d'autant plus que la communauté tamoule manifeste son attachement à sa terre d'origine et qu'elle est parfois incriminée par les médias de terrorisme activiste, de trafics illicites (drogue particulièrement).

Les migrants indiens justifient et négocient leur présence dans la société d'accueil par une utilité commerciale de type exotique que ce soit dans la restauration, dans le commerce alimentaire ou dans l' « ethnic business »105(*) (vente de saris, de guirlandes de fleurs, de statue à l'effigie de Ganesh...). « Cette utilité est donc placée d'emblée sous le signe de l'échange : l'exotisme contre la présence »106(*). Mais ce contrat est précaire car la France ne reconnaît pas sur le plan politique les minorités ethniques et religieuse, et érige la laïcité en valeur suprême, ou plutôt comme norme sociale.

C'est ainsi que les derniers débats sur les signes religieux à l'école ont abouti à l'interdiction des signes ostensibles d'appartenance communautaire. Mais alors comment se construit l'identité des Sikhs sans référents quotidiens ; comment peuvent-ils marquer leur appartenance communautaire s'ils ne peuvent être fidèles aux cinq articles ? Cette volonté d'assimilation par la norme obéit aussi à des conte sens ; en effet, sans leur turban (c'est sur cet élément que devrait porter l'interdiction), c'est leur appartenance communautaire qui se dévoile.

Tandis que l'intégration sociale des migrants indiens à la société française est parsemée d'embûches qui prennent plus la forme d'apories que d'obstacle ; l'intégration à la diaspora paraît être une réussite.

Les différents groupes de la communauté indienne fabriquent leur intégration à la diaspora à travers la constitution d'une mémoire et d'une histoire collective faites de va-et-vient imaginaires et réels avec la terre d'origine. « Cette mémoire leur permet d'articuler le sens de leur présence en un lieu à celui d'une tangibilité recevable par la diaspora »107(*).

C/ Continuité temporelle et spatiale ?

Si les références communes des migrants indiens se fondent sur une expérience inscrite dans le passé -la socialisation dans le pays d'origine-, celle-ci se manifeste dans l'immédiateté des compétences linguistiques et sociales d'aujourd'hui, indispensable à l'intégration économique mais aussi sociale. Le mythe du retour permet d'entrevoir un nationalisme à distance qui transcende l'ensemble des communautés mais à des cohérences qui s'actualisent dans le présent bien que sur des distances très longues. La distance et le temps semblent être les maîtres mots des migrants indiens, élaborant tout un jeu de va-et-vient, d'allers et de retours à la fois spatiaux mais aussi temporels entre la France et l'Inde

1) Une présence ambiguë :

« Pour avoir une véritable diaspora, le simple fait de la dissémination ne suffit pas. Les spores envoyés sur un terrain fertile peuvent prospérer mais si les plantes restent isolées au milieu de forêts étrangères, elles perdront rapidement leur spécificité »108(*).

La diaspora indienne est présente à la fois dans l'ici et dans l'ailleurs, elle est un être ensemble unitaire, c'est-à-dire qu'elle unifie à la fois le temps et l'espace. Cette présence ambiguë, malgré des espaces rendus disjoints par la dispersion, prend tout son sens dans la logique de réseaux, de continuité et par les nouveaux moyens d'information et de télécommunication. Cette double présence transcende l'éloignement géographique entre la France et l'Inde. C'est le concept de réseau (présent au coeur de la diaspora indienne avant les NTIC) qui permet la préservation, une survie historique atemporelle des spécificités culturelles des groupes de migrants formant la communauté indienne de France.

Les NTIC placent la relation au monde sous le signe de l'instantanéité et de l'ubiquité, Le rapport global des communautés indiennes au réel se modifie sous l'effet des représentations associées au développement de ces technologies (emblèmes de la surmodernité ou de la radicalisation de la modernité). Les NTIC permettent la mise en place d'une culture du lien entretenue dans la mobilité.

En effet, la révolution des communications et des moyens de transport fait de la maîtrise de l'espace une dimension fondamentale en réduisant le rapport entre le temps et la distance parcourue. Il est d'autant plus important qu'on parvient à se détacher du temps. Ce temps est d'ailleurs de l'ordre de l'instant dans le cas d'Internet.

La révolution des télécommunications et dans notre cas : Internet et le satellite ont pratiquement réussi à rendre potentiellement l'espace indépendant du temps.

Cette transformation à des conséquences notables sur les migrants indiens : le maintien d'un lien malgré la distance. Lien qui se renouvelle quotidiennement avec le pays que ce soit avec la vie économique, politique ou culturelle, il ne suffit pour ce faire qu'à s'engager sur la grande autoroute du web. Entre soi et l'Inde un simple « clic » fait basculer l'individu sur un forum de discussion élaborant des contacts avec des « cyberindividus », ou lui permet de lire le New Indian Express ou encore d'assister aux dernières nouveautés musicales et télévisuelles de son pays d'origine ; le tout en ligne et en temps réel.

La messagerie électronique, le portable, le satellite, la vidéo, la radio désormais permettent de rester en contact dans l'ici avec l'ailleurs et contribuent à la disparition de l'espace. Les migrants indiens sont simultanément présents ici et là-bas, établissant une certaine coprésence virtuelle.

C'est surtout la messagerie électronique, les communications par e-mail qui participent à l'élaboration à cette coprésence virtuelle. « Partager des banalités, la routine et les activités communes de la vie quotidienne, accroît le sentiment d'appartenir à une communauté et amplifie la perception d'un partage »109(*).

Toutefois, même si ces technologies ne sont pas accessibles à tous d'une manière privative, l'ensemble de la communauté peut en jouir par l'intermédiaire d'une personne interposée (à la source de nouvelles sociabilités, consolidant l'entre-soi communautaire). Il faut arrêter de croire qu'Internet n'est disponible que pour une élite mondialisée. Le faible coût des communications, la multiplication des browsing centre et des accès subventionnés par les instances publiques (dans les bibliothèques par exemple) permettent d'entretenir un lien symbolique qui peut rattacher les familles de migrants indiens à ce qu'elles vivent comme terre d'origine : « Le passé inscrit dans les corps n'est plus présent que dans une autre partie, lointaine, de l'espace. Tout ce qui peut actualiser ce passé et réduire l'espace est bienvenu »110(*).

Mais, il ne faut pas tomber dans l'excès, dans l'euphorie. Les NTIC ne transmettent qu'une simple information codée. A l'inverse, l'information tacite nécessite de la proximité physique, de la contiguïté, une certaine coprésence, d'où une concentration communautaire, l'élaboration d'un espace de l'entre-soi à la Chapelle. En effet, certaines informations ne peuvent s'affranchir de la distance et nécessitent une certaine concentration d'abord pour l'acquérir mais aussi pour la sélectionner, il en est ainsi (à l'instar des grandes entreprises qui se concentrent dans les plus grandes agglomérations, malgré la révolution des NTIC, pour partager l'information) des instances de socialisation que ce soit la sphère religieuse ou encore l'école et du commerce. Malgré une organisation de la diaspora en réseau, les migrants indiens ne peuvent s'affranchir d'une concentration, d'une territorialité dans l'ici, garantie de leur reproduction. L'information n'a pas de sens en elle-même, elle nécessite un processus qui engage un ou plusieurs émetteurs et récepteurs. Les informations échangées n'ont pas toute la même propriété : certaines sont assez répétitives et circulent sous une forme accessible à tous (information codée), d'autres nécessitent le dialogue, la coprésence (informations tacites). Car la compréhension en est plus délicate ; il faut préciser, interpréter. Ces échanges tacites ne peuvent se faire que dans un face à face et passent donc difficilement par les nouveaux moyens de communication.

Cette différenciation information tacite/information codée peut expliquer aussi la dissociation des espaces des migrants indiens de Paris entre lieu de commerce et lieu d'habitation.

Comme nous l'avons dit précédemment, les migrants indiens, Sikhs ou Tamouls, sont principalement installés dans les communes de la banlieue parisienne (particulièrement à Bondy, Aubervilliers, Drancy et dans l'Est pour les Sikhs, et à Noisy le Grand, Montreuil, Nanterre, Garges-lès-gonesse pour les Tamouls), donc dans une situation périphérique qui tranche avec la situation de centralité de la Chapelle.

Il ne s'agit pas là d'une opposition centre/périphérie mais bien celle entre information tacite et information codée. Les différents groupes indiens éclatés géographiquement dans leur installation domestique, dans l'ensemble de la couronne Nord périurbaine de Paris (pour des raisons aussi de coûts du foncier), pour acquérir l'information codée, divulguée par Internet, par le satellite ou encore par les conversations téléphoniques (que cela soit par réseau câblé ou par satellites) ne nécessitent pas de jouir d'une position de centralité, donc de concentration. A l'inverse, l'information tacite nécessite la concentration que seule une position de centralité et d'accessibilité peut offrir malgré les coûts de transport pour s'y rendre. La Chapelle apparaît comme un lieu de confiance, d'échange, de face à face pour les tamouls, où s'échange un autre type d'information que celui divulgué par le biais des NTIC. Il ne s'agit plus de télévision, de cinéma, de prétention politique mais de fonder un vivre ensemble, un projet que seul la proximité physique rend efficace.

Les NTIC permettent aussi de développer des formes alternatives de communication, de représentation et d'imagination dans lesquelles la communauté indienne à sa place, à l'inverse des médias français.

C'est ainsi que diverses chaînes de télévision à « valeur communautaire » diffusées par le satellite ont fait leur apparition. En effet, de nombreux réseaux ont vu le jour en direction des populations vivant à l'étranger tel que Doordarshan. Après des débuts en langue tamoule, ce réseau diffuse des programmes dans l'ensemble des langues du sud de l'Inde : Surya (en Malayalam), Udaya (en Kannada), Gemini (Telugu), Sun News (Tamoule), SS Music (une chaîne musicale pour l'ensemble de l'aire dravidienne) et KTV (Tamoule).

2) Une communauté transnationale ?

Si les NTIC permettent d'entretenir un lien avec l'Inde, d'élaborer une double présence, celles-ci conduisent aussi à des reconstructions d'ordre identitaires mais aussi d'ordre sociales pouvant aboutir à une modification de la culture et donc à une perte de le spécificité des migrants indiens installés en France.

« La question particulière porte sur le fait de savoir ce qu'il en est de notre rapport au réel quand les conditions de la symbolisation changent »111(*).

Les cultures sont réceptives aux influences extérieures (en un sens toutes les cultures ont été et sont des cultures de contact), or les changements qui affectent la communication et l'image sont des changements présentés le plus souvent comme culturels. Si nous considérons la culture comme étant vivante, en perpétuelle renégociations, le contact, la mise à l'épreuve de l'autre sont plutôt l'occasion d'une vérification ; quelles sont les réactions de la culture en contact ?

Les NTIC portent ce contact dans le domaine de l'instant, ainsi, la communication en ligne conduit-elle à un renforcement de la cohésion du groupe (mais cette fois-ci à l'échelle de l'ensemble diasporique) ou au contraire à une atomisation des individus (l'individu se détachant de l'attraction de la communauté par le biais du lien virtuel rendu possible par Internet et plus particulièrement par la messagerie électronique), à une perte de spécificité culturelle ?

Cette interrogation est d'autant plus pertinente que l'effet premier de la révolution des communications est de fondre le local dans le global. La dimension temporelle maîtrisée par l'instantanéité offre une continuité aux espaces disjoints que sont les différentes localisations de la diaspora. Les NTIC permettent dès lors d'orchestrer un bouleversement scalaire : « le monde est dans le lieu, le lieu est dans le monde [...] Fulgurance scalaire où le local saisit le global en même tant qu'il est saisit par lui »112(*).

Cette modification scalaire est entretenue par les relations qui se tissent entre les différents pôles de la diaspora indienne (France, Royaume-Uni, Afrique australe et orientale, Mascareignes...) déterminant à la manière des grandes firmes un caractère transnational à la communauté indienne. Caractéristique que les NTIC ne font qu'amplifier et permettent d'entretenir une conscience de la dispersion en temps réel, le monde devenant territoire de la diaspora indienne.

Mais, c'est pousser trop loin le raisonnement. Même si les NTIC permettent un rétrécissement scalaire et une certaine continuité temporelle, la conscience identitaire de la communauté indienne en France s'effectue par des efforts inouïs pour maintenir un lien avec la terre d'origine (malgré la dispersion). Les NTIC mettent au goût du jour la question des niveaux pertinents d'appartenance à une seule communauté et leur articulation : le local (l'entre-soi communautaire de la Chapelle), le régional (la France) et le global. Cette dimension de l'articulation des échelles englobe la question de l'unité des différentes communautés indiennes. Car le lien en France par exemple est évident entre la communauté tamoule et sa terre d'origine (lien qui lui permet d'ailleurs de jouir d'avantages comparatifs pour les commerces qu'elle entretient à la Chapelle), mais il devient plus flou entre cette même communauté et celle d'un autre pays d'accueil. De même, quels liens entretiennent les différents groupes constitutifs de la diaspora issue du monde indien ? Ces liens nécessitent une territorialisation tangible elle-même modulable en fonction des groupes présents en France. Ainsi, des Pondichériens arrivés dans les années 1950 cohabitent avec des Sikhs, des réfugiés Bangladeshi, des exilés Pakistanais ou Sri-lankais (ces deux derniers groupes majoritaires ont débarqué en masse à Paris dans les années 1970-1980, à défaut de rejoindre Londres, fermée aux flux migratoires par la nouvelle législation de Margaret Thatcher) ; tandis que certains transforment leur quotidien en little Jaffna, élisant une Miss India France, d'autres crée leur little islamabad (les Pakistanais, estimés à 40 000 commercent autour de la gare de l'Est, vers la rue Jarry, « semblable à une rue de Karachi, avec ses barbiers, ses vidéoclubs et ses snacks, où défilent en boucle des clips en ourdou »113(*)).

Ainsi, « une diaspora n'est pas un construit social, elle est une somme : celle des membres dispersés de la population considérée »114(*). Une situation commune ne suffit pas à créer une conscience commune. La diaspora ne jouit donc pas pleinement d'un caractère transnational, sinon de manière virtuelle.

3) Une continuité pour les voyageurs de l'Inde.

Les migrants originaires du monde indien, installés en France expriment une continuité à la fois dans le temps, au travers des génération, mais aussi spatiale, par les liens qu'ils entretiennent avec leur terre d'origine (continuité spatiale on l'a vu qui s'affranchit du temps par le biais des NTIC).

Ces migrants sont aussi les médiateurs et les garants d'une continuité à deux visages pour les voyageurs de l'Inde. En effet, l'entre-soi communautaire tamoul de la Chapelle, expression la plus visible de cette continuité entre la France et l'Inde, fournit des moyens importants aux voyageurs de l'Inde (commerces, loisirs, centres divers) de pouvoir se replonger dans cet univers onirique.

D'abord par l'intermédiaire des défilés et des fêtes organisés par les temples hindous et les associations franco-indiennes mais aussi par l'ensemble des pratiques exercées à la Chapelle. Sans attendre la création du futur centre culturel indien de Paris (à l'initiative de la FAFI), les manières de s'immerger dans l'Inde sont multiples à l'instar des centres d'apprentissage de bharata natyam (notamment ceux de Mandapa et de Soleil d'or), ou ceux dédié à l'ayurveda (qui englobe médecine, cuisine et diététique) comme celui de Tapovan, ou encore par la pratique de hatha-yoga (qui comptabilise douze clubs dans le quartier).

Puis, cette immersion de type indirecte s'effectue principalement par la dimension commerciale du quartier de la Chapelle. Commerces qui permettent d'établir un certain prolongement entre la France et l'Inde et de retrouver des référents. Ce peut-être les magasins de saris, de pashminas du Cachemire, de tuniques de Khadi, ou encore de voiles multicolores du Kérala qui peuvent en être l'intermédiaire. Ou encore les cinémas indiens du quartier, les vidéoclubs (particulièrement Bollywood Paris), les restaurants ou encore les ateliers du Musée Guimet.

Mais c'est surtout la présence d'une altérité, d'une étrangeté qui confère à ce quartier, à ce microcosme une image si particulière que les voyageurs de l'Inde viennent retrouver.

Enfin, cette continuité qu'entretient la diaspora en France est un élément d'instrumentalisation à la fois de la part de la communauté mais aussi de la part de la société d'accueil. Celle-ci s'effectue d'une part par une mise en valeur touristique voir exotique qui sert de support à la publication de guides d'itinéraires de « voyage urbain » (tel que Les indes à Paris de Royer) mais aussi d'une manière cinématographique, par exemple le film du réalisateur Vijay Singh, One Dollar Curry, à pour toile de fond le quartier de la Chapelle d'autre part.

Ainsi, les diverses communautés de migrants indiens installés en France favorisent l'émergence d'un accès à l'ailleurs pour les voyageurs de l'Inde. Ailleurs qui se prête à la nostalgie et aux ambiances de la Chapelle.

CONCLUSION

Voyageurs de l'Inde et populations diasporiques indiennes ou d'origines indiennes installées en France métropolitaine ont pour trait commun le même bassin de références identitaires et symboliques. Ces deux groupes de population migrante se posent dans des catégories et des conditions différenciées, mais dans tous les cas l'imaginaire sert de biais à une construction territoriale où l'enjeu cognitif et réflexif de l'Inde en est la pierre angulaire. Et plus largement, c'est une nouvelle interspatialité qui se fait jour mêlant transformations scalaires (ou plutôt inclusion d'espace par transformation scalaire), interface entre l'Inde et la France dont les synapses sont l'imaginaire, les NTIC (particulièrement Internet), l'identité et la culture ; et coprésence à la fois entre ici et là-bas, entre la France et l'Inde mais aussi entre le passé et l'avenir (en plus de regarder deux directions opposées).

Ce sont les NTIC qui ouvrent la voie à cette nouvelle interspatialité.

La réflexivité prend son sens avec les nouvelles technologies de l'information et des communications, et plus largement avec l'ère de l'accélération. La mondialisation sous l'aspect du rétrécissement de l'espace temps impose aux individus de négocier des choix de style de vie parmi toute une série d'option. Le projet de vie réfléchie devient un élément crucial de la structuration de l'identité personnelle.

Dans les cas des voyageurs de l'Inde, cet enjeu réflexif se révèle par la mise à jour d'une identité de moins en moins stable, fluide, voire même flexible se raccrochant à une existence de l'Inde issue d'une appropriation et d'une réinterprétation. On assiste dès lors à la création d'une identité nomade, animée par la volonté de l'intercultutation, du contact, de la mise en rapport directe de deux cultures différentes.

Volontiers monstrueuse ou sage, fantastique ou désolante, l'image archétypale de l'Inde se définit depuis le Moyen-Âge par deux thèmes particulièrement saillants, dont perdurent encore aujourd'hui avec une moindre acuité, sinon des variations : Monstruosités et « sagesses » (hindouisme et utopies en particulier). Ces images kaléidoscopes réactivent le paradoxe d'un Occident fasciné et méfiant devant une Inde insaisissable, onirique issue de l'enchevêtrement des realia et des mirabelia.

L'Inde n'a donc jamais été découverte mais sinon au moins inventée et réinventée au fur et à mesure des évolutions, des attentes des Français. Elle n'existe qu'au travers de la subjectivation des individus qui se la représentent et la perçoivent d'une manière non analogue à la population indienne.

L'imaginaire humain noue d'ailleurs avec ce qu'il imagine une relation de complicité : lui-même est en partie le produit de certains territoires humains et sociaux et, donnant naissance à de nouveaux territoires, s'immerge partiellement en eux, se territorialise comme par et avec eux. Il y a fusion partielle de ce qui imagine et de ce qui est imaginé.

Toutefois, les NTIC bouleversent les conditions de circulation de l'image entre l'imaginaire individuel, l'imaginaire collectif et la fiction. C'est cette condition de circulation qui forme à la fois l'enjeu cognitif et réflexif mais aussi cette interspatialité concernant à la fois les voyageurs de l'Inde et les migrants indiens.

Cet imaginaire motive une double création territoriale à laquelle on peut lui suppléer des suffixes et des préfixes. Territorialisation en Inde par la création d'un entre-soi élaboré en fonction de cet imaginaire pour les voyageurs français, et inversement, création d'un micro-territoire en France par les migrants indiens.

Ce micro-territoire de diaspora identifié dans le mémoire au quartier de la Chapelle à Paris détermine une reterritorialisation, faite d'imprimés identitaires extraits de la substance territoriale de l'Union Indienne ; l'arrachement à la terre natale constitue elle une déterritorialisation. Le processus est identique pour les voyageurs français de l'Inde mais les étapes n'ont pas la même signification géographique : la reterritorialisation en France se fait dans le temps du retour, elle est animée par la nostalgie et le flou identitaire exercé par l'Inde.

Cette conceptualisation se concrétise par des modifications en termes d'enjeux et d'impacts de type identitaire et paysager ; la collusion entre les deux générant une confrontation de pouvoir et un défi de gestion, de gouvernance locale mais aussi de développement. Ce risque prend toute son ampleur dans les étapes de reterritorialisation pour les migrants indiens et de territorialisation pour les voyageurs de l'Inde, c'est-à-dire lorsqu'il y a contact culturel.

Tout déplacement quelle que soit sa portée et sa motivation, nous entraîne sur le territoire des autres, c'est-à-dire dans un espace produit et approprié, où de ce fait des conflits de tous ordres peuvent intervenir. Ces conflits proviennent de la redéfinition des lieux, des phénomènes de réinterprétation. Bouleversement en terme d'identité, de référents mais aussi au niveau du paysage. Peu à peu, un paysage constitué de lieux de « solitude » (ces espaces d'installation à la circulation accélérée, ne créant ni identité singulière, ni relation mais solitude et similitude) se substitue à un paysage vernaculaire à usage interne servant de codification sociale (les groupes inscrivant dans ce dernier leur signature sociale).

Le rapport à l'autre est empreint du poids des images, des stéréotypes générant parfois de véritables non-lieux dans le cas des circuits touristiques en Inde, où cette fois, les voyageurs entretiendraient un rapport contractuel avec celui-ci qui prendrait la forme de ces hôtels standardisées parfois ornés d'une certaine architecture typée faisant foi d'une archaïsation du paysage. Les individus ne sont identifiés, localisées et socialisés qu'à l'entrée ou à la sortie de ces non-lieux.

D'une autre manière, la création d'espace d'entre-soi (en Inde pour les français et en France pour les migrants indiens) ouvre la voie à des rapports conflictuels en terme de pouvoir mais aussi de gestion. Ces territoires ne s'ancrent pas dans cette radicalisation de la modernité car ils sont les supports de nouveaux liens sociaux, d'utopies, ou encore de mémoire mais leur « écogenèse »115(*) se fait au détriment d'autres territoires.

Ainsi, sommes-nous capables d'investir des lieux multiples sans en changer les significations et les signatures sociales, c'est-à-dire sans générer de plus amples perturbations identitaires ? L'ampleur et la légitimité de cette interrogation prenant pied dans la révolution des télécommunications. D'ailleurs, le virtuel peut-il être un enjeu de pouvoir en terme d'appropriation ? Pour sûr il permet d'accroître la confusion des références entre la France et l'Inde (confusion que la couverture de ce mémoire essaie de symboliser).

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www.intamm.com site portail de la communauté tamoule.

www.thendal.com site d'une station de radio tamoule, où l'on peut acheter les derniers tubes tamouls.

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Ternisien, X. polémique à Paris au sujet d'une célébration hindoue. In : Le Monde, 12 septembre 2000.

ANNEXES

ANNEXE 1 : LES SERVICES RELIGIEUX PROPOSÉS PAR LE TEMPLE.

Ganapati Agni Homam : Rituel et Feu sacré dédiés au dieu Ganesha. Pour enlever les obstacles sur notre route, faciliter nos actions et développer nos entreprises.

Skanda Agni Homam : Rituel et Feu sacré dédié à Skanda (Mourouga, fils de Shiva). En cas de conflits de justice, Pour être libéré de ses ennemis. Se fait uniquement au temple. 1316 mantras, la cérémonie dure 4 heures.

Rudra Agni Homam : En l'honneur de dieu Siva. Rituel et feu sacré. Protection des personnes, des maisons et des véhicules. Pour assurer la prospérité des entreprises. Fait au temple uniquement.

Sri Lalita Sahasranamam : Rituel des 1008 noms de la déesse avec des fleurs. Pour favoriser l'étude, et en cas de problèmes familiaux.

Sri Durga Agni Homam : Rituel et Feu sacré dédié à la Déesse Durga. Pour la protection et le bien-être de la femme, du couple et des enfants. L'enfantement, problèmes féminins, maladies infantiles, éloigne les problèmes puissamment.

Vishnou sahasranamam : Rituel des 1008 noms de Dieu Vishnou. Pour maintenir, accroître sa prospérité, payer les dettes, accord de prêts.

Shanti Agni Homam : Rituel du Feu sacré pour la paix et la fraternité. Active les forces de vie. Prépare à une vie satisfaisante, heureuse et harmonieuse pour tous.

Lakshmi Agni Homam : Rituel et Feu sacré dédié à la Déesse Lakshmi. Pour l'abondance matérielle, la beauté, la prospérité de la famille.

Navagraha Agni Homam : Rituel et Feu sacré dédié aux neufs planètes. Pour une intercession auprès des divinités astrales en cas de période astrologique néfaste.

Mrityounjaya Agni Homam : Rituel et Feu sacré pour faire disparaître la peur, permettre une vie longue sans maladie. Rituel puissant fait uniquement au temple.

Bhairava Pouja : Rituel au dieu Bhairava en cas de maladie de peau, peur, dépression, insomnie, mauvais rêves. Se déroule au temple uniquement.

Kantishti / panchavarnanoul : Rituel de protection des personnes par les divinités majeures. Un cordon de 5 couleurs sera attaché au poignet ou au cou. Il y a aussi une amulette contenant un diagramme magique dessiné sur une plaque de cuivre ou d'argent pour une protection plus forte et durable. La préparation des amulettes durera une semaine avant qu'elles soient nouées sur les personnes. Protection contre le mauvais oeil, la malchance, la jalousie etc.

Pour les sacrements, l'astrologie et les fêtes mensuelles, merci de vous renseigner auprès du Président du Temple.

Source : publication du temple en ligne sur internet.

ANNEXE 2 : LE POIDS DES NTIC DANS LA DIFFUSION DE L'INFORMATION.

Ganesha Tours Paris
Thousands of Hindus who have immigrated here from Sri Lanka participated in the yearly chariot procession of Lord Ganesha in Paris, held September 10, 2000, near the Sri Manicka Vinayakar Alayam temple. The massive chariot carrying Lord Ganesha departed the temple on its six-hour journey starting at 8am. It was pulled through crowded streets by a dozen bare-chested men on foot accompanied by the traditional nagaswaram horn and tavil drum. A leading French magazine described the event as "a unique open and festive spectacle in Paris for discovering the oldest religion in the world." France's Sri Manicka Vinayakar Alayam was founded in 1983 by the current president, V. Sanderasekaram, whose family founded many Ganesha temples in Sri Lanka.

Hinduism Today, Diaspora, March-april 2001. En ligne.

ANNEXE 3 : L'ENTRE-SOI COMMUNAUTAIRE SOURCE DE RAPPORTS CONFLICTUELS.

Source: Ternisien, X. polémique à Paris au sujet d'une célébration hindoue. In : Le Monde, 12 septembre 2000.

ANNEXE 4 : CALENDRIER DES FÊTES HINDOUES CÉLEBRÉES Á PARIS.

Source : Temple Sri Manicka Vinayakar.

TABLE DES DOCUMENTS

Photographie numéro 0 : Photo montage 2

Photographie numéro 1 : Palais du Maharadja de Mysore 25

Photographie numéro 2 : Temple de Maduraï 28

Photographie numéro 3 : Matrimandir d'Auroville 31

Photographie numéro 4 : Iles Andaman 36

Photographie numéro 5 : Procession à Cochin 51

Photographie numéro 6 : Célébration d'un mariage 78

Photographie numéro 7 : Huitième grand défilé 78

Photographie numéro 8 : Gurdwara Sahib 83

Photographie numéro 9 : Vidéoclub de la Chapelle 97

Graphique 1 : Les touristes Français en Inde, valeur absolue 41

Graphique 2 : Les touristes Français en Inde, valeur relative 42

Figure 1 : l'image, un système langagier 23

Figure 2 : Les mécanismes du départ 40

Figure 3 : L'Hindoustan, le centre de l'Inde touristique 44

Figure 4 : les Indes touristiques 45

Figure 5 : Modes d'appréhension de l'altérité 61

Figure 6 : Trajectoire spatio-temporelle des Indiens 74

Texte 1 : Itinéraire de balade de la mairie de Paris 99

Tableau 1 : Exportation du cinéma indien en 1996 58

Planche 1 : Une confrontation France-Inde 79

PROJET DE THÈSE

Ce mémoire n'est qu'une étape et s'inscrit dans un temps long. Même s'il paraît un peu prétentieux de parler d'un projet de thèse, ce travail avait comme but principal d'entamer la recherche en termes de conceptualisation (théorisation). Seule une « étude de terrain » à Paris au quartier de la Chapelle et des entretiens fournissaient des éléments concrets à la réflexion.

Il s'agira dans un futur proche de vérifier les hypothèses proposées (il est donc question de prolonger cet effort de recherche entamé durant l'année de DEA et d'assouvir en même temps une passion aigue pour le monde indien). Hypothèses qui soulignent la formation d'une nouvelle interspatialité en géographie (après la coprésence, l'interface et la cospatialité) liée à l'imaginaire et à l'identité.

L'Inde et la France en sont les exemples donnés, et seront les supports de la réflexion. Cette interspatialité se double d'une construction matérielle et idéelle à la fois en Inde et en France. C'est cet espace d'entre-deux et les entre-soi consubstantiels à sa constitution (émergeant à la fois dans l'ailleurs et dans l'ici) qu'il s'agira d'identifier, d'analyser avec plus de rigueur, de profondeur et de pertinence.

Ce sujet prend toute sa valeur dans notre contemporanéité où d'une part les images et imaginaires géographiques sont dans cette révolution informationnelle les supports d'une deshistoricisation rendue effective par les NTIC (technologies de l'information et de communication), nous transportant dans le tourbillon de l'instantanéité et de l'ubiquité, et d'autre part où l'individu est de plus en plus acteur.

Les NTIC perturbent les conditions de la réalisation de l'identité en permettant à l'individu et plus particulièrement aux migrants indiens d'être d'un lieu et de tout lieu en même temps. C'est cette transformation scalaire qu'il faudra déterminer avec plus de précision dans un but de définition des enjeux géographiques et de pouvoir. Car les NTIC peuvent permettre le repositionnement à la fois identitaire et imaginaire. Toutefois il ne s'agit là que d'une information codée. L'information tacite quant à elle nous est donnée par les multiples formes de la territorialisation.

L'enjeu au coeur de ce projet de thèse sera d'établir les discriminants de cette territorialité, mais surtout les bouleversements en terme de paysage, de gestion, d'identité, de pouvoir et de développement qu'elle engendre.

Car l'émergence des territoires de l'entre-soi s'affilient à des conflits majeurs. La somme des frictions interculturelles s'inscrivant dans le paysage, il est donc légitime de s'interroger sur son contenu.

* 1 Claval, P. Géographie culturelle. France, Paris : Ed. Armand Colin, collection U, 2003, 287p.

* 2 Brunet, R ; Ferras, R ; Théry, H. Les mots de la géographie. France, Paris : Ed. Reclus - La Documentation Française, 1992, 518p.

* 3 Di Méo, G. Géographie sociale et territoires. France, Paris : Ed. Nathan université, 1998, 317p.

* 4 Bruneau, M. Diasporas et espaces transnationaux. France, Paris : Ed. Economica, collection Anthropos, 2004, 249p.

* 5 Airault, R. Fous de l'Inde. Délires d'occidentaux et sentiment océanique. France, Paris : Ed. Payot & Rivages, 2002, 240p.

* 6 Amirou, Rachid. Imaginaire touristique et sociabilités du voyage. France, Paris : Ed. PUF, La sociologie, 1995, 281p.

* 7 Brunet, R. Espace, perception et comportement. In : L'espace géographique, Num3, France, Montpellier : Ed. Doin, 1974, p189-204.

* 8 Bonnemaison, J ; Cambrezy, L. Le lien territorial. Entre frontières et identité. In : Territoire, Géographie et cultures, Num20, France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, p7-19.

* 9 Bonnemaison, J ; Cambrezy, L. Le lien territorial. Entre frontières et identité. In : Territoire, Géographie et cultures, Num20, France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, p7-19.

* 10 Debarbieux, B. Le lieu, le territoire et trois figures de rhétorique. In : L'espace géographique, Num2, France, Montpellier : Ed. Belin-Reclus, 1995, p97-112.

* 11 Augé, M. Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité. France, Paris : Ed. Le Seuil, 1992.

* 12 Bonnemaison, J ; Cambrezy, L. Le lien territorial. Entre frontières et identité. In : Territoire, Géographie et cultures, Num20, France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, p7-19.

* 13Ibid.

* 14 La mondialisation repose notamment sur une survalorisation des différentiels géographiques et sur des réseaux logistiques où la distance euclidienne devient une distance en terme de système.

* 15 Giddens, A. Les conséquences de la modernité. France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1994.

* 16 Claval, P. Le territoire dans la transition à la postmodernité. In : Territoire, Géographie et cultures, Num20, France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, p93-111.

* 17 Cet adjectif qualificatif n'est pas employé ici dans un sens péjoratif.

* 18Dufoix, S. Les diasporas. France, Paris : Ed. PUF, collection Que sais-je ? 2003, 127p.

* 19 Ibid

* 20 Airault, R. Fous de l'Inde. Délires d'occidentaux et sentiment océanique. France, Paris : Ed. Payot & Rivages, 2002, 240p.

* 21 Durand, Gilbert. Les structures anthropologiques de l'imaginaire. France, Paris : Ed. Bordas, collection « Dunod », 11ed, 1992, 505p.

* 22 Augé, M. L'impossible voyage. Le tourisme et ses images. France, Paris : Ed. Payot et Rivages, 1997, 187p.

* 23 Dardel, E. L'homme et la terre. France, Paris : Ed. CTHS, 1990, 199p.

* 24 Victor Hugo, preface des Orientales, 1829.

* 25 Weinberger-Thomas, C (dir.). L'Inde et l'imaginaire. France, Paris : Ed. EHESS, collection « Purusartha », 1988, 281p.

* 26 Historien et médecin grec, auteur de Indika.

* 27 Historien et géographe grec qui fut envoyé par Séleucos Nicator auprès du roi indien Chandragupta et a rapporté sur ces régions un des plus grand témoignage de l'époque.

* 28 Vincent, R (dir.). L'aventure des français en Inde, XVII-XX siècle. India, Pondicherry : Ed. Kailash, 1995, 240p.

* 29 Roger, A. Histoire d'une passion théorique ou comment on devient un rabiolot du paysage. In : Cinq propositions pour une théorie du paysage. France, Paris : Ed. Champ vallon, 1994, 122p.

* 30 Description de Kodaikanal, in Guide du routard. Inde du Sud. France, Paris : Ed. Hachette Tourisme, 2003, 419p.

* 31 Giddens, A. Les conséquences de la modernité. France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1994.

* 32 Hall, E-T. La dimension cachée. France, Paris : Ed : Seuil (pour la traduction française), 1971, 254p.

* 33 Champion, c. L'imaginaire tropical: le paysage indien dans les romans populaires français, 1860-1920. In : Weinberger-Thomas, C (dir.). L'Inde et l'imaginaire. France, Paris : Ed. EHESS, collection « Purusartha », 1988, p91-123.

* 34 Film Franco-anglais de Roland Joffé (1992), adapté du livre de Dominique Lapierre.

* 35 Film Franco-indien (1988) de Mira Nair, interprété par des enfants des rues de Bombay.

* 36 Franck, M. Désir d'ailleurs. France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1998, 320p.

* 37 Affergan, F. Dépaysement. In : Affergan, F. Exotisme et altérité. France, Paris : Ed. PUF, 1987, p27-132.

* 38 Guide du routard. Inde du Sud. France, Paris : Ed. Hachette Tourisme, 2003, 419p.

* 39 De comparaisons, à la manière de Mircea Eliade : « Parfois je me joignais à un groupe pour deux ou trois jours, afin d'aller à Ghoum visiter l'un des monastères bouddhistes, ou pour aller contempler à l'aube, depuis la colline de Tigu, la cime blanche et nacrée de l'Everest qui se dressait 200km plus à l'ouest. [...] Quand parfois il faisait froid et qu'il y avait du brouillard, j'avais l'impression de retrouver le ciel des Carpates. »

* 40 Dans le dépliant Jet tours, hiver 2003/2004.

* 41 Landy, F. Le tourisme en Inde ou l'exotisme sans le vouloir. In : l'information géographique. France, Paris : Ed. Vol 57, NUM3, 1993, p92-102.

* 42Landy, F. Le tourisme en Inde ou l'exotisme sans le vouloir. In : l'information géographique. France, Paris : Ed. Vol 57, NUM3, 1993, p92-102.

* 43Garland, A. La plage. France, Paris : Hachette littérature, 1998, 545p.

* 44Lonely planet, South India, 2003.

* 45Routledge, P. Consuming Goa. Tourist site as dispensable space. In : Economic and political weekly. India, Delhi. 2000, p2647-2656.

* 46 Segalen, V. Essai sur l'exotisme, une esthétique du divers. France, Paris : Ed. Fata Morgana, 1978, 91p.

* 47 Berque, A (dir.). Cinq propositions pour une théorie du paysage. France, Paris : Ed. Champ vallon, 1994, 122p.

* 48 Lenoir, F. L'Orient intérieur. In : Lenoir, F. La rencontre du bouddhisme et de l'occident. France, Paris : Ed. Fayard, 1999, p347-354.

* 49 Cériani, G ; Knafou, R ; Stock, M. Les compétences cachées du touriste. In : Voyage migration mobilité. France, Paris : Ed. Sciences humaines, mensuel, NUM 145, janvier 2004, p28-30.

* 50 Landy, F. Le tourisme en Inde ou l'exotisme sans le vouloir. In : l'information géographique. France, Paris : Ed. Vol 57, NUM3, 1993, p92-102.

* 51 Selon l'expression utilisée dans les brochures détaillées des voyagistes.

* 52 Landy, F. Le tourisme en Inde ou l'exotisme sans le vouloir. In : l'information géographique. France, Paris : Ed. Vol 57, NUM3, 1993, p92-102.

* 53 Castells, M. Les paradis communautaires ; identité et sens dans la société en réseau. In : L'ère de l'information-le pouvoir de l'identité. France, Paris : Ed. Fayard, Tome 2, 1999, p15-88.

* 54 Eliade, M. Sur l'érotique mystique indienne. France, Paris : Ed. L'Herne, collection « Confidences », 1997, 104p.

* 55 Amirou, Rachid. Imaginaire touristique et sociabilités du voyage. France, Paris : Ed. PUF, La sociologie, 1995, 281p

* 56 Selon le Tourism of India Department.

* 57 Chenet, F. La philosophie indienne. France, Paris : Ed. Armand Colin, collection synthèse, 1998, 96p.

* 58 Augustin, J-P ; Malaurie, C. Le territoire-monde du surf -diffusion, médias et énonciation. In : Géographie et culture. France, Paris : Ed. L'Harmattan, Num21, 1997, p119-130.

* 59 Son origine remonte au XVII siècle. Il est composé de deux fûts, un tambour mâle, le tablâ ou dahina et un tambour femelle, le bâyan, bâya ou dagga, accordé une octave plus bas. Une pâte composée de farine et de poix, est appliquée au centre de la peau pour former une pastille noire, la shyahi, permettant de varier la tonalité rendue lors de la frappe. Généralement, le tablâ est en bois de rose, de jacquier ou de teck alors que le bâyan est en métal, laiton ou cuivre (parfois argile).

* 60 La pochette ici associe représentation de l'hindouisme, calligraphie indienne et le titre en rapport avec bollywood. Mais l'ensemble du syncrétisme est toujours recentré sur Marseille (en arrière plan Notre Dame de la Garde et le titre : la sauce aïoli).

* 61 Darré, A. Musique et politique. France, Rennes : Ed. Presses Universitaires de Rennes, collection RES PUBLICA, 1996, 321p.

* 62 Claval, P. Géographie culturelle. France, Paris : Ed. Armand Colin, collection U, 2003, 287p.

* 63 « La volonté d'authenticité ne se construit pas dans le vide, il lui faut un horizon, qui en l'occurrence sera une référence culturelle ». De Labarre, M. Modernité et alimentation : vers une acculturation culinaire. In : Corbeau, J-P. Cuisine, alimentation, métissage. France, Cesson-Sévigné : Ed. Bastidiana, NUM31-32, Dec 2000, p77-88.

* 64 www.pataks.co.uk

* 65Vinsonneau, G. L'identité culturelle. France, Paris : Ed. Armand Colin/VUEF, collection U, 2002, 234p.

* 66 Leray, C ; Molinié, M. Le voyage à l'étranger : un déplacement formateur. In : Malewska, H ; Sabatier, C ; Tanon, F. Identité, acculturation et altérité. France, Paris : Ed. L'Harmattan, 2002, p229-238.

* 67 Di Méo, G. Géographie sociale et territoires. France, Paris : Ed. Nathan université, 1998, 317p.

* 68 Augé, M. Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité. France, Paris : Ed. Le Seuil, 1992.

* 69 Di Méo, G. Géographie sociale et territoires. France, Paris : Ed. Nathan université, 1998, 317p.

* 70 Raffestin, C. Ecogénèse territoriale et territorialité. In : Auriac, f et Brunet, R (dir.). Espace, jeux et enjeux. France, Paris : Ed. Fayard, 1986, p173-185.

* 71 Giddens, A. Les conséquences de la modernité. France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1994.

* 72 Raffestin, C. Ecogénèse territoriale et territorialité. In : Auriac, F et Brunet, R (dir.). Espace, jeux et enjeux. France, Paris : Ed. Fayard, 1986, p173-185.

* 73 Fibbi, R ; Meyer, J-B. Le lien plus que l'essence. In : Diasporas, développements, mondialisations. Autrepart. France, La tour d'Aigues : Ed. de l'Aube, IRD, 2002, p5-22.

* 74 Chivallon, C. Repenser le territoire à propos de l'expérience antillaise. In : Territoire, Géographie et cultures, Num20, France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, p45-54.

* 75 Chivallon, C. Cité dans : Bruneau, M. Diasporas et espaces transnationaux. France, Paris : Ed. Economica, collection Anthropos, 2004, 249p.

* 76 Ma Mung, E. La diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap : Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.

* 77 www.indiandiaspora.nic.in/

* 78 www.nriol.com

* 79 Bruneau, M. Peuples- monde de la longue durée : Grecs, Indiens, Chinois. In : L'espace géographique, Num3, France, Montpellier : Ed. Belin-Reclus, 2001, p193-212.

* 80 Hovanessian, M. Les Arméniens et leurs territoires. France, Paris : Ed. Autrement, 1995, 173p.

* 81 Bruneau, M. Diasporas et espaces transnationaux. France, Paris : Ed. Economica, collection Anthropos, 2004, 249p.

* 82 Gentelle, P. Haut lieu. In : L'espace géographique, Num2, France, Montpellier : Ed. Belin-Reclus, 1995, p135-138.

* 83 www.tamilnet.com

* 84 www.intamm.com

* 85 www.thendal.com

* 86 Bruneau, M. Diasporas et espaces transnationaux. France, Paris : Ed. Economica, collection Anthropos, 2004, 249p.

* 87Selon les estimations données par www.sikh.net

* 88 Sorte de Bible de 1 430 pages contenant l'enseignement de Gourou Nanak et des autres Gourous.

* 89 Désirant mettre fin aux conflits fréquents entre hindous et musulmans, il voulut faire en quelque sorte une synthèse de l'islam et de l'hindouisme. Il lutta contre les excès et les injustices de la caste des brahmanes et contre le sectarisme musulman, et entreprit de propager une nouvelle religion à base de monothéisme et de tolérance universelle. Il s'établit comme le grand gourou de cette nouvelle religion. Né hindou, Nanak croyait à la transmigration des âmes mais pas à l'intouchabilité. Il répudiait les propos de mépris de beaucoup d'hindous de caste à l'égard des parias.

* 90 Ma Mung, E. La diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap : Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.

* 91 Insee : La situation démographique en 1999 - Mouvement de population. Mariages mixtes et mariages entre étrangers par nationalité du conjoint.

* 92 Ma Mung, E. La diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap : Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.

* 93 Ma Mung, E. La diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap : Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.

* 94 Hinduism Today. Special report. April 1997. En ligne, www.hinduismtoday.com

* 95 Ibid

* 96 Perrier, J.L. Little India à Paris. In : le Monde, 24 octobre 1992.

* 97 Tony Dreyfus, maire PS du dixième arrondissement, cité dans : Ternisien, X. polémique à Paris au sujet d'une célébration hindoue. In : Le Monde, 12 septembre 2000.

* 98 Hinduism Today. Special report. April 1997. En ligne, www.hinduismtoday.com

* 99 Robuchon, G. Pratiques sociales et pratiques religieuses des Tamouls au Sacré Coeur de Paris. In : Piault, M-H. Vers des sociétés pluriculturelles : études comparatives et situation en France. France, Paris : Ed. ORSTOM, 1987, p332-336.

* 100 Hinduism Today. Special report. April 1997. En ligne, www.hinduismtoday.com

* 101 L'origine du nom Bharata Natyam provient de Bharata, le nom indien de l'Inde et de natyam, le mot tamoul pour danse. Les gouverneurs britanniques désapprouvaient cette forme de danse car les seules femmes qui la pratiquaient étaient les devadasis, appelées "spécialistes des rituels du temple" ce qui ne trompait pas les Anglais, car en fait, leur spécialité était de prendre soin des besoins charnels des fidèles masculins, soit une forme de prostitution ritualisée. Les Britanniques interdisent, d'ailleurs, le système des devadasis en 1925. Une femme, Shrimati Rukmini Devi Arundale, élève alors le Bharata Natyam en une forme d'art, déconnectée de son passé controversé. Elle fonde l'école Kalakshetra dans la périphérie de Madras (aujourd'hui Chennai) pour l'enseigner et pour favoriser l'étude d'autres formes de l'art indien comme par exemple la musique. C'est une danse en solo, dans le style lasya, féminin et gracieux, par opposition au style tandava masculin.

* 102 www.paris.fr

* 103 Ternisien, X. polémique à Paris au sujet d'une célébration hindoue. In : Le Monde, 12 septembre 2000.

* 104 Ma Mung, E. La diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap : Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.

* 105 Raulin, A. Commerce et inter-ethicité : les affinités culturelles. In : Piault, M-H. Vers des sociétés pluriculturelles : études comparatives et situation en France. France, Paris : Ed. ORSTOM, 1987, p301-306.

* 106 Ma Mung, E. La diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap : Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.

* 107 Ma Mung, E. La diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap : Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.

* 108 Prévélakis, G (dir.). Les réseaux des diasporas. France, Paris : Ed. L'Harmattan, 1996, 444p.

* 109 Georgiou, M. Les diasporas en ligne : une expérience concrète du transnationalisme. In : Migrants.com. Hommes et migrations, vol 149, NUM 1240, nov-dec 2002, p10-18.

* 110 Dufoix, S. Les diasporas. France, Paris : Ed. PUF, collection Que sais-je ? 2003, 127p.

* 111 Augé, M. Les formes de l'oubli. France, Paris : Ed. Payot et Rivages, 1998, 119p.

* 112 Ma Mung, E. La diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap : Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.

* 113 Marco polo, NUM 5, mai 2004.

* 114 Dufoix, S. Les diasporas. France, Paris : Ed. PUF, collection Que sais-je ? 2003, 127p.

* 115 Raffestin, C. Ecogénèse territoriale et territorialité. In : Auriac, F et Brunet, R (dir.). Espace, jeux et enjeux. France, Paris : Ed. Fayard, 1986, p173-185.






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