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La gouvernance, Etat des lieux et controverses conceptuelles

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par Cheikh NDIAYE
Université du Littoral - Doctorat 2008
  

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4. LES APPROCHES THEORIQUES DE LA GOUVERNANCE

Principalement, les apports conceptuels et théoriques de la gouvernance moderne, découlent de deux sources : la gouvernance des institutions politiques complexes caractérisées par une multiplicité de paliers de gouvernement et de lieux de pouvoirs (Etats fédéraux décentralisés, l'Union Européenne...), et la gouvernance d'entreprise d'inspiration américaine. D'obédience européenne, la première source, permet de considérer les rapports entre divers partenaires publics et privés, évoluant à des échelles de pouvoirs différents, voire enchevêtrées. Il s'agit donc de prendre des décisions concernant des actions publiques qui soient efficaces compte tenu de cette complexité institutionnelle. La gouvernance de ces institutions politiques complexes favorise une coordination empirique entre les multiples acteurs présents ainsi que l'élaboration pragmatique et négociée des normes et des instruments de régulation.

Développée principalement dans le contexte américain, la seconde source se situe dans le prolongement des modifications structurelles de l'économie qui ont «systématique de la sous- traitance, l'autonomisation des centres de responsabilité. Le nouveau mode de gestion de la « corporate governance» explore ainsi la voie d'un fonctionnement moins hiérarchique de l'entreprise, en se fondant sur le postulat du choix rationnel dans un contexte de libre circulation de l'information et de collaboration. Très schématiquement, trois courants se dessinent dans les approches et usages de la gouvernance. Le premier, développé principalement depuis les années 1970, est constitué par les analyses scientifiques de la Théorie de la Gouvernance (TG) à proprement parler. À partir de ce tronc commun, deux courants presque simultanés dégagent les deux applications les plus importantes du terme : celui de la gouvernance corporative dans les années 1990 et celui de la bonne gouvernance à partir de 1989 avec la Banque Mondiale, qui sera repris par la plupart des organisations de coopération et d'aide au développement.

Les usages contemporains de la gouvernance dans le cadre des études, recherches et analyses académiques prennent le sens de «pilotage pragmatique des pouvoirs ». Les premiers travaux en date sont ceux de Berle et Means en 193219 et de Coase dès 1937.20 L'analyse théorique du phénomène de gouvernance s'orientait plus vers le monde des entreprises où elle se conçoit comme un mode de gestion qui marque la séparation bien nette entre le patrimoine et la gestion à travers la substitution de la responsabilité à la rente de pouvoir, ou, en d'autres termes, un mode qui remet en cause la gestion patrimoniale des fonctions. La gouvernance est alors à la fois un état d'esprit et des méthodes de travail.

Mais on peut situer le démarrage de la théorisation de la gouvernance dans les années 1970, avec deux repères : le texte d'Olivier Williamson (1970) et le rapport The Crisis of Democracy: Report on the Governability of Democracies to the Trilateral Commission (Huntington, Crozier et Watanuki 1975). Ce dernier développe le principe selon lequel dans les pays d'Europe occidentale, au Japon et aux Etats-Unis, la fracture entre l'augmentation des demandes sociales et le manque de ressources de l'Etat génère des problèmes de gouvernabilité ; il s'agit donc du début de la crise de l'Etat-providence, qui ouvre la voie au thème des réformes structurelles des relations entre l'Etat et le citoyen, thème centré sur le retrait économique de l'Etat. La gouvernabilité est ici la première utilisation de la version instrumentale ou pragmatique de la question de la gouvernance, entendue alors comme capacité à trouver les conditions pratiques au guidage de l'action publique.

L'analyse institutionnelle appliquée en dehors de la sphère publique est une partie essentielle de la TG. En 1976, James March et Johan Olsen parlaient de University Governance, faisant référence aux problèmes de gestion et d'administration du pouvoir et de l'économie des responsabilités dans une structure organisationnelle. Dans la même lignée, la gouvernance corporative, consacrée au cours des années 1990, est à proprement parler la première conception de la gouvernance dans son sens moderne21. Elle s'intéresse à la structure de l'entreprise, à son organisation interne, à la division du travail entre les unités de production, à ses relations avec d'autres entreprises et à la régulation du jeu entre les actionnaires et les dirigeants. Selon cette conception, le meilleur système de gouvernance est celui qui permet de minimiser les pertes de valeur en tenant compte des coûts qu'il induit, sachant que les différents mécanismes sont imbriqués et que l'élimination totale des pertes de valeur est impossible. Son application dans la gestion des biens publics parie sur l'établissement de partenariats entre les entreprises, veillant à davantage d'efficacité, avec la responsabilité ou accountability22 comme pierre angulaire. Son présupposé part du fait que les entreprises transnationales sont plus puissantes que beaucoup d'Etats dans le monde23 et qu'elles pourront garantir la gestion des biens publics avec le double résultat de l'accroissement de l'efficacité et du profit.

19 Berle et Means, The Modern Corporation and Private Property (Transaction Publishers, New Brunswick, NJ, 1991).

20 In: Coase, Ronald H., «The Nature of the Firm», Economica, vol. 4 (13-16), November 1937, pp. 386-405.

21 On en attribue cependant l'origine à la thèse de Berle et Means en 1932 et aux travaux de March et Olsen (1995).

22 L'accountability est la définition claire de qui est responsable de quoi, et a pour but principal de s'opposer aux «dimensions arbitraires» de la gestion. De son côté, la corporate social responsibility est un nouveau terme du monde des affaires et comporte trois éléments: prospérité économique, souci de l'environnement et équité sociale.

23 Selon G. Solinis, 500 de ces entreprises contrôlent un tiers du PNB mondial et trois quarts du commerce international. « Mondialisation, pouvoirs et rapports de genre ».

Pour revenir à l'action publique, le débat en sciences politiques autour de l'Etat s'est développé dans les années 1980 et 1990, à partir du constat de ses défaillances face à ses fonctions régaliennes, associées à la régulation, au bien-être et au développement social. Avec ce constat, les acteurs non étatiques se forgent de plus en plus une légitimité pour défendre et promouvoir le bien public. L'Etat ne détient donc plus de façon exclusive le monopole de la promotion de ce bien, ni celui de sa définition. Dans ce cadre, il s'agit aussi de définir l'espace public dans lequel se joue la démocratie actuellement, cet espace étant constitué d'un réseau complexe d'intérêts, d'interactions entre acteurs et d'échelons d'intervention politiques. Certains auteurs comme Kooiman et Jessop parlent d'une «école européenne» de la TG, relativement différente du «courant américain» et fortement orientée par une sociologie davantage fonctionnaliste que critique des systèmes politiques. Selon cette approche «européenne», la gouvernance est un processus complexe de prise de décision qui devance et dépasse le gouvernement, ayant pour principaux aspects la légitimité de l'espace public en constitution, la répartition du pouvoir entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés, les processus de négociation entre les acteurs sociaux, la décentralisation de l'autorité et des fonctions liées à l'acte de gouverner.

Notons enfin que la TG est concernée, pour différentes raisons et de diverses manières, par les deux champs extrêmes de la sphère publique : le local et le transnational. Pour ce qui est du premier, l'approche instrumentale de la gouvernance, dans son acception importée du monde de l'entreprise pour décrire des protocoles de coordination différents des marchés, a eu comme premier laboratoire le pouvoir local et la gestion urbaine. La gestion de l'aménagement des villes en France au XXe siècle à travers les plans d'urbanisme apparaît comme une pratique de fait de la gouvernance locale «avant la lettre» : après l'acte classique de gouvernement de la commande du plan se développe la pratique de gouvernance dans les mécanismes de négociations informelles et de coopération entre acteurs publics et privés. En outre, il est aujourd'hui convenu d'accepter que les politiques urbaines24 des années 1980 et 1990 ont fait en général l'objet d'une influence accrue de la terminologie néolibérale et des méthodes de gestion consacrant les principes de transparence, d'efficacité et d'obtention de résultats précis (il est rarement établi qui définit les résultats à atteindre, dans quel objectif et surtout au moyen de quel processus - démocratique, participatif, technocratique... ).

Le niveau transnational pourvoit l'une des plus intéressantes applications de la TG. En 1995, la Commission mondiale sur la gouvernance globale a défini la gouvernance comme un « processus continu à travers lequel les intérêts conflictuels peuvent être conciliés par des actions de coopération ». Le processus comprend la constitution d'institutions formelles et de régimes capables de renforcer des allégeances - des accords informels que les peuples et les institutions font ou envisagent de faire dans la protection de leurs intérêts. Dans cette approche, il n'y a pas plus un seul modèle de gouvernance qu'une seule structure. Dans son élaboration la plus achevée et en liaison avec l'approche de la gouvernance globale ou transnationale, la TG participe à l'étude de réseaux organisés (policy networks) où l'Etat est un acteur parmi tant d'autres. Les notions d'ouvertures, de dynamique et de complexité sont des approches nécessaires à la prise de décision interactive qui évolue pour répondre à des circonstances changeantes. Le concept clé de cette analyse est la régulation, issue de la théorie des systèmes et désignant un ensemble de règles explicites et implicites qui guident le comportement des acteurs en présence sur la scène politique et qui maintiennent un minimum d'ordre et d'intégration par des processus grâce auxquels un système politique serait capable de résoudre des tensions sociales et de réduire les effets déstabilisateurs.

24 Sur l'application de la gouvernance au niveau local, voir le numéro spécial que la revue Annales de la recherche urbaine a consacré à ce thème (n° 80/81, décembre 1998).

Les bases théoriques de cette approche25 sont ancrées dans la gestion de systèmes sociaux complexes, appliquant à la science politique des notions systémiques empruntées aux sciences dures. Malgré la nature diverse des courants sur la TG, on peut les regrouper en cinq traits :

- l'efficacité dans la gestion des biens publics;

- le transfert de pouvoir du secteur public au secteur privé et de l'Etat à la société civile;

- Le rôle des acteurs non étatiques dans les mécanismes de régulation politique, de gestion et de participation;

- l'analyse des organisations les mieux adaptées aux évolutions du monde contemporain; - et enfin, les transferts des usages sociaux de la science.

Cependant, ce grand engouement à la notion et aux usages de la gouvernance, ne saurait l'épargner des critiques qui s'évaluent à la mesure de son succès.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld