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La gouvernance, Etat des lieux et controverses conceptuelles

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par Cheikh NDIAYE
Université du Littoral - Doctorat 2008
  

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5.2. La gouvernance entre innovations et inadaptations

En admettant que la notion de gouvernance concerne plutôt les outils et les processus de l'action collective, celle de gouvernabilité quant à elle, met l'accent sur la spécificité des situations, et sur la probabilité, face à ces situations spécifiques, plus ou moins complexes, de trouver des solutions à la fois efficaces et acceptables. Si certaines situations sont

intrinsèquement ou politiquement gérables; d'autres ne le sont pas - ou ne peuvent l'être qu'au prix d'énormes sacrifices. Ce qui signifie que les solutions vont fortement dépendre de la nature des problèmes ou de la structure des relations existantes entre les différents acteurs. De ce fait, le caractère plus ou moins structuré ou controversé des questions mises en jeu, l'existence ou pas de solutions praticables, le nombre des acteurs impliqués dans cette solution et leur capacité à se coordonner, l'accord ou pas sur les objectifs et les moyens d'action, la capacité à gouverner du ou des principales instances de coordination ou des acteurs majeurs (ressources, savoir faire, légitimité, organisation), et enfin la volonté ou l'habileté de ces acteurs majeurs à élaborer un projet de gouvernement crédible et susceptible de générer des alliances stables et suffisamment puissantes, vont fortement influer.

Concrètement la notion de gouvernabilité traduit les typologies de situations plus ou moins «gouvernables» et à toute une série de distinctions entre, par exemple, « problèmes bien structurés et mal structurés; modes de gouvernement en univers stabilisé ou en univers controverse~33; gouvernabilité forte, moyenne ou faible »34. Ainsi, la notion de gouvernabilité remet finalement en cause l'idée même «d'instruments universels», de boîte à outils appropriée à toutes les situations. Dans certains cas de «basse gouvernabilité» (problèmes non structurés ou sans solution praticable, pluralité anarchique d'acteurs opposés, capacité de blocage d'un acteur majeur, faiblesse structurelle des institutions, absence de projet mobilisateur...) les gains à attendre de procédures plus ouvertes de «gouvernance» seront mineurs. Et puis surtout les «styles de gouvernement», et donc les processus à mettre en place, seront très différents selon la nature des problèmes en jeu et les contextes institutionnels. C'est ce qu'Olivier GODARD a formalisé dans le domaine de l'environnement en opposant de manière radicale la prise de décision en «univers stabilisé» et en «univers controversé» et que nous avons représenté sur le tableau suivant.

Tableau II : Modes de gouvernement dans deux univers de décision différents, stabilisé et controversé

La prise de décision en univers stabilisé

La prise de décision en univers controversé

Les agents ont une perception directe des effets externes ou

Prédominance de la construction scientifique et sociale des

des biens collectifs

problèmes sur la perception directe par les agents

Leurs préférences sont bien informées

La représentation séparée des intérêts de tiers absents est en

Seuls les intérêts ou préférences des agents présents sont directement pertinents

cause: générations futures, autres pays, espèces naturelles, biosphère

Ces agents disposent de procédures sociales adéquates pour exprimer leurs préférences:

Ils sont des porte-parole contradictoires

marché, votes, manifestations et protestations, conflits

 

La connaissance scientifique s'est stabilisée sur les aspects

La connaissance scientifique est encore controversée sur des

des problèmes pertinents pour l'action:

aspects essentiels du problème pertinents pour l'action

- chaînes causales élucidées

 

- dommages bien constituées

 

- imputation des responsabilités dénuées d'ambiguïté

 

Les phénomènes en cause sont réversibles:

Du fait de l'irréversibilité potentielle, et du caractère majeur

on peut attendre un développement suffisant des

des enjeux, certains acteurs estiment qu'il faut agir

connaissances pour pouvoir prendre des décisions

immédiatement, sans attendre la stabilisation des

conforme aux exigences du modèle de la rationalité substantielle (analyses coûts - avantages)

connaissances

33 Olivier GODARD, «Stratégies industrielles et convention d'environnement. De l'univers stabilisé aux univers controversés», INSEE méthode 1993, Paris.

34G. VAN VLIET et Carlos MATUS, «Planification en sistemas de baja governabilidad», IDRI, Bogota, 1982.

Les connaissances scientifiques stabilisées constituent un monde commun pour tous les acteurs, de façon préalable à l'action

Les théories scientifiques, les «visions du monde et du futur» deviennent des variables stratégiques donnant naissance à de nouvelles formes de compétition

L'enjeu de la situation: l'efficacité économique et l'équité, sur la base d'intérêts bien constitués

L'enjeu de cette compétition: la formation de communautés
épistémiques et la fixation de conventions d'environnement

Source : Olivier Godard, 1993

C'est également dans cette perspective que Yves Mény et Jean-Claude Thoenig35 différencient fortement plusieurs types possibles de processus ou styles de gouvernement plus ou moins efficaces - en fonction du degré d'accord ou de désaccord entre acteurs sur les objectifs et les valeurs (première dimension), et du degré de certitude ou d'incertitude existant sur le fait et les moyens à mettre en oeuvre (seconde dimension). Dans certaines situations les contradictions pourront être gérées par la négociation ou le pragmatisme; dans d'autres cas on n'évitera pas un processus chaotique essentiellement régulé par les crises (tableau 3).

Tableau III : Nature des problèmes et processus ou styles de gouvernement

Degré d'accord sur les objectifs et les valeurs

ELEVE FAIBLE

Processus programmé

Routines, automaticité, non-évènement. Technicisation, bureaucratisation, planification.

Processus négocié

Débats idéologiques ; recours à l'expérience et à la tradition. Controverses officielles

et compromis informels.

Processus pragmatique

Recours aux experts, empirisme

(le mieux qu'on peut) recherche de variantes stratégiques

Processus chaotique

Evitement, décentralisation, recours à l'autorité ou à l'homme providence ; gestion des crises.

 

ELEVE

Degré de certitude sur les moyens, les faits, la connaissance

 

FAIBLE

Source: Y. Mény et J. - C. Thoenig 1989

Ainsi donc, le concept de gouvernabilité rappelle l'indissociabilité entre les processus de gouvernements et les contextes structurels dans lesquels ils se déroulent.

Ceci étant, les concepts de gouvernance et de gouvernabilité, malgré leurs différences ont néanmoins en commun, d'être très fortement liés à l'analyse de système. Ils s'inspirent clairement d'une conception managériale des systèmes politiques pour laquelle il s'agit essentiellement de trouver des solutions pragmatiques à des défaillances de marché ou à des défaillances d'intervention publique. Maintenant, la question qui se pose naturellement est de

35 Yves MENY et Jean-Claude THOENIG ; Politiques Publiques, PUF, Paris, 1989

savoir si on peut parler de «bonne gouvernance» - ou de «gouvernabilité forte ou faible» - sans vision normative du bon gouvernement? Evidement, des controverses ne sauraient manquer à cette question.

La Gouvernementalité du philosophe Michel Foucault (auquel on doit cette notion), remet en cause la neutralité idéologique du «bon gouvernement» dont certains auteurs américains comme Karl Deutsch ou David Easton tentent de défendre sous une perspective fonctionnaliste, «cybernétique»36, et apolitique. Pour Deutsch, qui a joué un rôle majeur dans la filiation entre cybernétique et gouvernance, celle-ci s'apparente en effet essentiellement à un ensemble fonctionnel d'instruments de contrôle et de guidage. Un ensemble de régulations qui permettent au système politique de s'adapter à son environnement, et font intervenir de manière centrale la capacité à diffuser, échanger, recevoir de l'information. Comme l'indique le titre même d'un de ses livres majeurs: The Nerves of Government37, ce qui compte dans le système politique, ce ne sont pas «les muscles ou les os» (c'est à dire les «rapports de force») mais «les nerfs» : «il est donc plus profitable - écrit dès 1963 K. Deutsch- d'étudier le gouvernement non pas comme un phénomène illustrant la présence du pouvoir, mais comme un instrument de guidage, le guidage étant avant tout une question de communication. S'il y a dysfonctionnement du système politique, c'est parce qu'il n'est plus capable de déchiffrer ou capter les informations essentielles, ou parce qu'il y a un écart croissant entre l'interdépendance des acteurs et l'échange d'information».

Conçue ainsi comme un ensemble de mécanismes autorégulateurs, d'incitations et de signaux, la gouvernance ne suppose, dans cette perspective, aucune vision politique ou éthique du bon gouvernement, aucune conception du monde ou «méta-rationnalité», si ce n'est un vague assentiment sur des règles purement procédurales et cognitives de transparence, de réflexivité et d'accès à l'information. Elle n'intègre pas non plus la dimension du temps et de l'irréversibilité, qui est pourtant, comme on le sait, essentielle pour déterminer l'efficacité des mécanismes «d'autorégulation» mis en jeu par la communication. La position de Michel Foucault est, dans une large mesure, symétrique à celle de Karl Deutsch: là où ce dernier privilégie l'autorégulation sans rupture, la neutralité du fonctionnalisme, et les vertus de la rationalité communicatrice, il réintroduit la discontinuité historique, la spécificité du pouvoir, et l'importance des visées politiques. Pour lui, nous ne pouvons comprendre les pratiques pragmatiques, les arrangements collectifs, le fonctionnement des outils ou des procédures en les isolant des objectifs et valeurs assignées à l'action publique; mais surtout en oubliant les formes de rationalité, ce qu'il appelle lui- même «les régimes de vérité» qui structurent en profondeur ces pratiques ou ces arrangements. C'est cette combinaison des outils, des objectifs et des systèmes de rationalité qui définit la «Gouvernementalite~»38 un art de gouverner dont les formes changeantes sont indissociablement liées à l'histoire: de même que Machiavel introduit une rupture radicale par rapport au modèle politique de la Renaissance; de même ne peut-on assimiler l'art de gouverner orienté par la Raison d'Etat à celui qui se construit à partir du 1 8ème siècle, autour de la conception libérale de la politique puis du biopouvoir.

36 La «cybernétique» signifie au sens propre "l'action de manoeuvrer un vaisseau" ou "l'action de diriger, de gouverner" au sens figuré.

37 Karl Deutsch, The Nerves of Government, New York, Free Press, 1963

38 Michel Foucault, De la Gouvernementalité; Edition du Seuil 1989, Paris.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry