A - Matériel et méthodes
L'étude transversale a l'avantage de la
facilité et le faible coût ; Elle permet l'analyse de
l'état de santé des travailleurs à un instant donné
(passage au moment de l'enquête).
Dans la présente étude, on a choisie
l'enquête de type rétrospectif, qui est très
utilisée en médecine du travail, elle est plus facile, plus
courte et moins coûteuse que les enquêtes prospectives. Cependant
elle présente certains inconvénients tels que :
· la subjectivité des données de
l'interrogatoire (oubli,
exagération des plaintes...),
· la difficulté de l'évaluation
rétrospective du risque
professionnel.
Pour éviter au maximum le biais dû aux erreurs
sur l'évaluation des plaintes, l'interrogatoire a été fait
par un seul médecin, et pour plus d'objectivité nous avons inclus
dans l'étude un groupe témoin.
L'étude environnementale n'a pu être
réalisée faute de tubes Dreager au moment de la période de
l'enquête.
Le dosage des métabolites urinaires nous permet
d'évaluer le degré d'imprégnation de l'organisme et d'une
manière indirecte l'intensité de l'exposition à ces
produits.
Le groupe étudié est de 84 sujets
exposés, travaillant dans deux entreprises de transformation du cuir ;
C'est une population jeune dont l'âge moyen est de 29 ans. Les ages
extrêmes varient de 18 à 47 ans. Sexe ratio : 0,83.
L'ancienneté moyenne est de 7 ans ; 56 % des exposés ont une
ancienneté de plus de 5 ans.
Les témoins sont appariés avec les exposés
pour l'âge et le sexe.
B - Manifestations cliniques
Notre étude montre que chez les exposés, il y a
une prédominance des signes neuropsychiques (89% contre 75% chez les non
exposés, et il y a une tendance vers une différence significative
avec les témoins (P=0,06).
La différence est nettement significative pour les
signes cardio- vasculaires (P= 0,01).
Les troubles oculaires, digestifs et dermatologiques viennent
en
second lieu.
L'analyse des signes neuropsychiques séparément
montre une différence très significative pour les troubles du
sommeil (P=0,008) et les troubles de la mémoire (P=0,02) ;
Pour le signe de la fatigue et l'asthénie il y a une
tendance vers une différence significative (P=0,06). Quant aux
céphalées la différence n'est pas significative (P =
0,4).
44 sujets exposés (soit 52,4%) rapportent un
état de manque au week-end ( Syndrome de sevrage ) et quatre sur cinq
(80%) d'entre eux ressentent une amélioration lors de la reprise du
travail et la disparition des signes de l'état de manque.
Par contre on n'a pas décelé de syndrome de
sevrage chez les témoins.
Les signes neuropsychiques ont étés
étudiés par plusieurs auteurs. En 1944 et pour la première
fois BLEURLER les a regroupé sous le terme de Psycho-syndrome organique
aux solvants (PSO) ou « Organic Brain Syndrome » ; Pour cet
auteur le PSO associe des troubles de la mémoire, du raisonnement, de
l'attention, de la pensée et de l'affectivité.
En 1985 CASSITO a distingué trois phases de ce syndrome
:
- une première phase dominée par une
asthénie physique et psychique, et une réactivité
émotionnelle accrue. Les explorations ne montreraient à ce stade
que peu ou pas d'anomalies ;
- une deuxième phase
caractérisée par un syndrome dysphorique avec une grande
labilité émotionnelle, une tendance dépressive, une
irritabilité, des troubles du sommeil. Les traits de la
personnalité de base, névrotique ou psychotique, seraient
accentués. Des perturbations des tests psychométriques et / ou
neurophysiologiques pourraient être mis en évidence à ce
stade, mais le profil de ces anomalies reste à trouver ;
- une phase irréversible
caractérisée par un syndrome psycho- organique qui
évolue vers un état démentiel. (50)
Un nombre impressionnant d'études transversales sur
les effets neuro-comportementaux dans les groupes exposés aux solvants
sont concordantes avec notre étude :
* C. TEYSSIER-COTTE et L. MANDEREAU en 1993 ont montré
la présence d'un lien entre l'exposition aux solvants et des
altérations neuropsychiques subjectives par une enquête
transversale de type exposés / non exposés (55) dont les
résultats sont répertoriés dans le tableau n°17.
Tableau n° 17 : Relation
entre l'exposition aux solvants et certains regroupement de signes
cliniques.
|
|
|
Exposition aux
|
solvants
|
|
OUI ( N = 46 )
|
Regroupement 1 :
Asthénie et céphalées
ou troubles de la concentration ou
troubles du sommeil
Nombre de Oui (%)
|
|
|
22 (84,6 %)
|
|
40 (87 %)
|
Regroupement 2 :
Anxiété, irritabilité, perte de
mémoire
confusion ou labilité émotionnelle
Nombre de Oui (%)
|
ou
|
15
|
(55,6 %)
|
39
|
( 84,8 %)
|
|
Dans notre étude pour le premier regroupement de
symptômes nous avons trouvé 88% (74 sujets exposés) contre
71,4% (60 témoins) avec une différence significative (P = 0,03) ;
Pour le regroupement 2, la différence est aussi significative (P = 0,02)
avec 35,7% (30 sujets exposés) contre 17,9% (15 témoins).
* D. CHOUANIERE en 1998 a montré que le toluène
pourrait avoir un effet neurotoxique pour de faibles doses ( inf. à 50
ppm ) en particulier sur les fonctions mnésiques (14).
* P. A. SOBORG (13) en 1993 a réalisé une
étude sur la fréquence du syndrome psycho-organique ( SPO ) aux
solvants en fonction du degré d'exposition et a montré une
relation très significative entre le niveau d'exposition et le stade
SPO.
Tableau n° 18 : fréquence du
SPO en fonction des trois groupes d'exposition (N = 96)
|
Niveau d'exposition
|
|
moyen N = 36
|
élevé N = 41
|
|
%
|
N
|
%
|
N
|
%
|
Pas de SPO
|
13
|
68.4
|
7
|
19.4
|
5
|
12.2
|
Suspicion de
SPO
|
4
|
21.1
|
15
|
41.7
|
10
|
24.4
|
SPO léger
|
2
|
10.5
|
11
|
30.6
|
18
|
43.9
|
SPO léger à
modérer
|
0
|
|
3
|
8.3
|
8
|
19.5
|
|
* C. HOGSTEDT et I. LUNDBERG (29), lors du quatrième
symposium international d'épidémiologie en santé au
travail tenu à Côme en 1985, ont présenté quatre
études d'origine scandinave montrant toutes un doublement du risque de
développement de désordres neuropsychiques
invalidant avant l'âge de la retraite chez des
travailleurs exposés à des solvants.
* Deux études tunisiennes réalisées par
Z. SAOUD (52) et M. MAALEJ (40) respectivement en 1990 et en 2003 ont
trouvé une prédominance des manifestations neuropsychiques, ce
qui est en corrélation avec notre étude (Tableau n°19).
Tableau n°19 : Répartition
selon les signes cliniques
Signes cliniques
|
Z. SAOUD
|
M. MAALEJ
|
Notre étude
|
neuropsychiques
|
28
|
(100%)
|
26 (63%)
|
75
|
(89%)
|
Oculaires
|
20
|
(71,4%)
|
15 (36,6%)
|
49
|
(58,3%)
|
Digestifs
|
15
|
(53%)
|
8 (19,5%)
|
38
|
(45,2 %)
|
dermatologiques
|
18
|
(64,2%)
|
14 (34,1%)
|
26
|
(30,9%)
|
|
* Dans notre étude nous n'avons pas trouvé de
cas d'avortement spontané ni de malformation congénitale.
Toutefois un article synthétique de la littérature à
propos de l'état des connaissances épidémiologiques (1989
- 1999) sur les risques liés à l'exposition professionnelle de
femmes enceintes aux solvants organiques a permis aux auteurs de conclure que
les éthers de glycol ont été plus directement mis en cause
dans l'augmentation du risque d'avortements spontanés et de certaines
malformations congénitales. D'autre part, ils ont trouvé
plusieurs études récentes, qui sont en faveur d'une augmentation
du risque d'avortement spontané et de fentes labiales / palatines dans
l'industrie du cuir, d'où le rôle possible d'une exposition
à des solvants, et plus particulièrement à des
hydrocarbures aliphatiques (n-héxane) et / ou toluène. Il est
donc préférable de réduire l'exposition à ces
agents pendant la grossesse ou mieux avant la conception. (51)
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