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e 104 à Paris en 2008: Un projet de transversalité artistique et sociale ?

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par Elsa Gobert
Université Paris III - Master 1 2007
  

Disponible en mode multipage

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ELSA GOBERT

Mémoire de Master 1

Université de Paris III-SORBONNE NOUVELLE

Institut d'études théâtrales

Le 104 à Paris en 2008: un projet de transversalité artistique et sociale ?

Direction : Daniel Urrutiaguer Juin 2008

TABLE DES MATIÈRES :

Table des matières.............................................................2

Introduction.....................................................................4

PREMIERE PARTIE :.......................................................

DES FRICHES AU 104 : UTOPIE DU SQUAT.......................9

1) Le phénomène de reconversion..........................................9

A : Les lieux alternatifs............................................................. 9

a : Reconversion d'un mot ..........................................................9

b : Esthétique de l'insertion.........................................................11

c : Les moyens de l'insertion........................................................14

B : Reconversion artistique........................................................16

a : La nouvelle place du spectateur, une place qui découle du mouvement

des performances...................................................................16

b : Quels nouveaux rapports à l'art ?.................................................................18

c : Le théâtre environnemental......................................................19

2) Vers une friche institutionnelle..........................................21

A : Fonctionnement d'un nouveau lieu culturel parisien..............................21

a : Position théorique de deux hommes de théâtre......................................21

b : Un projet de transversalité effectif ?..............................................................23

B : Un nouveau rêve artistique.....................................................24

a : L'institution.....................................................................24

b : Fabrique d'un besoin............................................................27

c : « La norme engendre le déclin »1(*).................................................28

DEUXIEME PARTIE :......................................................

RELATION ENTRE LE SOCIAL ET LE POLITIQUE : ...........

UN NOUVEAU STATUT POUR L'ART..............................30

1) La question du rapport au spectateur et à la population.............30

A : Étude autour d'un événement de médiation au 104 : La Traversée...............30

a : L'événement...................................................................30

b : Mon expérience de médiatrice au 104.............................................32

c : Le médiateur est-il nécessaire ?...................................................................33

B : la transmission.................................................................35

a : Une nouvelle dramaturgie à inventer..............................................35

b : L'exemple d'un artiste résidant 104 qui exerce un art ouvert à la communication :

Nicolas Simarik....................................................................37

c : Espaces-temps-lieux.............................................................38

2) Transversalité sociale.....................................................39

A : Inscription du 104 dans son milieu.....................................................39

a : Exemple d'un espace public culturel parisien : La Villette...........................40

b : Le 104, espace public ?.............................................................................42

c : Le 104 dans le contexte culturel actuel..............................................43

B : les perversions du système......................................................44

a : Vers un art uniquement contextuel................................................44

b : Passer outre l'obligation de production............................................45

c : Institution = modelage ?...........................................................................46

CONCLUSION....................................................................48

BIBLIOGRAPHIE.................................................................51

ANNEXES..................................................................................55

INTRODUCTION

« Ne penser la création qu'en termes d'événements au sens de performance est incompatible avec la constitution d'un espace public dans lequel on partagerait du temps. »2(*) (Marie-José Mondzain)

L'aventure culturelle tend aujourd'hui vers la rencontre sociale entre plusieurs champs artistiques. Le Ministère des Affaires Culturelles a été créé sous De Gaulle en 1959 par André Malraux avec une volonté de rendre la culture accessible à tous. Il met fin à la gestion des acquisitions par le secrétariat des Beaux Arts, en tutelle de l'éducation nationale. Malraux créé et dirige le ministère de la culture avec une volonté de démocratisation de l'art. Par un décret du 24 juillet 1959, il s'engage à faire accéder un maximum de personnes à la connaissance en assurant « la plus vaste audience à son patrimoine culturel »3(*). Parallèlement, les artistes ont théorisé et mis en pratique, individuellement ou spontanément, l'apport réciproque des divers champs de l'art. Mais il n'existe pas de lieu capable d'accueillir tous les arts en création dans un même espace public et institutionnel.

En 1977, le centre Georges Pompidou, construit par les architectes Piano et Rogers concrétise ce désir d'un espace modulable et ouvert, apte à accueillir plusieurs formes d'art. Ce Centre national d'Art et de Culture, situé au centre de la capitale française, comporte un musée d'art contemporain, le centre de création industrielle, des expositions permanentes et temporaires, une bibliothèque, des salles de vidéo, il accueille également (et de plus en plus) des performeurs. Il pratique des politiques culturelles d'accessibilité à un public large. Cependant ce lieu n'est pas conçu ni aménagé pour accueillir toutes les composantes de la scène artistique, et son image globale demeure celle du musée.

Face à la pénurie des lieux de création, les squats d'artistes se sont multipliés depuis le milieu des années 1980. Ils ont été un phénomène culturel d'investissement spontané des lieux délaissés. En exemple : à Grenoble,  l'expression d'une urgence pour la création et « la transmission de cette urgence d'une génération à une autre, d'un lieu à l'autre », donnent naissance à un archipel de squats artistiques ; à Saint Ouen Mains d'Oeuvres, s'installe dans le bâtiment de l'ancien comité des usines Valéo, que l'entreprise a quitté en 1991. Ces aventures culturelles sont multiples. Depuis, nombre ont été expulsées ou dissoutes. Le collectif d'Art Cloche fut contraint de déménager de l'ancien dépôt de la seconde guerre où les artistes s'étaient établis pour s'installer en 1986 dans un ancien garage désaffecté ; plus récemment, la Générale, chassée de Belleville (Paris 19ème) a éclaté en plusieurs sites.

En mai 2001, Michel Duffour, Secrétaire d'Etat à la Culture, au Patrimoine et à la Décentralisation culturelle constate que « le paysage cultuel français s'est profondément transformé au cours de ces vingt dernières années »4(*). Il demande à Fabrice Lextrait de constituer un rapport qui répertorie les nouveaux lieux artistiques. Ce dernier caractérise alors la nature du phénomène à étudier autour de quatre éléments. Le premier est « le rapport physique à l'espace choisi »5(*) qui définit l'identité du lieu, et ce qu'il représente pour les artistes (maisons, fabriques, friches, usines, bases...). Le deuxième définit plus le projet artistique dans le type d'actions menées. S'agît-il d'un laboratoire artistique ? Est-ce un lieu de fabrique, de création ? Une base de travail ? Le troisième indice tient au contenu du projet et à sa mixité. Il définit la ligne artistique du lieu par rapport à l'art et au public, il montre l'intention globale. Un quatrième indice définit le mode d'organisation de l'expérience. S'agit-il d'un collectif, d'un système, d'une compagnie ? Le rapport est construit avec un parti pris monographique, Fabrice Lextrait se rendant dans le lieu à étudier pour s'entretenir directement avec les artistes. Une quinzaine de sites sont répertoriés, et des « fiches d'expériences » sont réalisées sur dix-sept autres. Il s'agit pour le Ministère de la Culture de pouvoir mieux, à l'aide de ce rapport, repérer ces lieux sans pour autant les enfermer ou les catégoriser dans un nouveau label. Le rapport cherche à déceler les mutations culturelles significatives tant au point de vu de l'art que celui de l'urbain.

De ce rapport ressort un terme qui qualifie ce phénomène : Nouveau Territoires de l'Art (NTA). Aujourd'hui, sans s'essouffler, le mouvement des squats se normalise et l'institution cherche à créer des lieux qui se rapprochent de ces formes.

En octobre 2008, à Paris, un nouveau lieu culturel, entièrement institutionnalisé et financé par la Ville ouvrira ses portes dans le 19ème arrondissement : Le 104, Établissement Artistique de La Ville de Paris. Le 104 est annoncé comme le projet « phare »6(*) de la politique culturelle de la Ville de Paris, initié dès le début de sa mandature par Bertrand Delanoë (2001), maire de Paris appartenant au Parti Socialiste, et Christophe Girard, adjoint au maire chargé de la culture. Le coût total de l'opération est de 102 millions d'euros de budget d'investissement. Avec un budget de fonctionnement de 11 millions d'euros par ans, il est subventionné à 70% (huit millions d'euros par ans) par la Ville, le reste se constitue de recettes propres et de mécénat (3 millions d'euros). Soixante-dix personnes travailleront en permanence sur le lieu. Robert Cantarella et Frédéric Fisbach ont été sélectionnés à l'issue d'un appel à candidatures portant sur le projet culturel et artistique, mais aussi sur le développement économique du site pour diriger le projet et le lieu.

Le 104 émane de la transversalité. La transversalité relève par définition de ce qui est transversal. L'adjectif « transversal » qualifie d'après le dictionnaire Larousse « 1. disposé en travers ; qui coupe en travers. » On parle de ligne transversale ou de vallée transversale. 2 Fig : Qui recoupe plusieurs disciplines ou secteur, pluridisciplinaire. 7(*) » Le nom féminin la transversale signifie  « 1. une ligne horizontale. 2 un itinéraire routier ou voie ferrée qui joint directement deux villes sans passer par le centre du réseau. 3 droite coupant une courbe en deux points.8(*) ».

Plusieurs termes se dégagent de ces définitions et s'apparentent à l'image du « 104 ».

La transversalité c'est tout d'abord une notion artistique nouvelle qui vient des mouvements issus de la performance, de la pluridisciplinarité et du désir communs de certains artistes (comme Antonin Artaud et Taddeus Kantor) de joindre l'art à la vie en créant un art qui se situe dans les zones d'intersections.

Le 104 représente, et c'est l'originalité de son programme, une transversale entre un lieu institutionnalisé et un nouveau territoire de l'art comme défini par Fabrice Lextrait. Il est établi dans un ancien espace industriel, 104 rue d'Aubervilliers (son nom 104, est bien référant à sa situation géographique), qui accueillait précédemment les Pompes Funèbres Municipales, et divers services de la ville de Paris, dans un bâtiment de 48 000 m2 datant de 1874, témoignage de l'architecte Delebarre de Bay. Lieu de la création, de la mixité, de l'ouverture et de la démocratisation culturelle, le 104 est proche de l'image du squat artistique. Mais le 104 est un lieu subventionné à 70% par la Ville, un lieu institutionnel avec quelques espaces purement commerciaux ou pratiques : espaces de location pour entreprises ou défilés de mode, caserne de pompiers. Peut-on parler alors de friche institutionnelle ?

Le 104 c'est en plus une transversalité sociale, existante au sein de ceux qui travailleront dans ce lieu. Le chantier de cet équipement qui fut ouvert au public pour La Traversée (29 et 30 décembre 2007), en moment de préfiguration est un exemple significatif. Les « passeurs » recrutés pour présenter le lieu étaient aussi bien des habitants du 19ème arrondissement, des employés du chantier, des employés des anciennes pompes funèbres mais également des comédiens des Feuillets d'Hypnos monté par Frédérique Fisbach (Avignon 2007).

Cette transversalité se trouvera aussi entre les artistes et le public puisque les créateurs résidents auront comme ligne artistique de montrer  l'art en train de se faire. Le lieu demande des échanges réguliers avec le public, pas seulement une simple ouverture d'atelier mais aussi une dimension dialectique et cognitive entre l'art et le public. Les directeurs désirent une « zone d'échanges à inventer ». Ils veulent aussi créer une mise en contact du public et d'associations, des actions avec des écoles primaires,  conservatoires d'art dramatique, etc.

Avec un projet pluridisciplinaire posé dès la proposition du programme, ce lieu accueillera toutes les pratiques.  Il existera alors une transversalité entre les arts et entre les artistes en résidence d'un mois à un an qui pourront investir les ateliers du 104 à partir de juillet 2008. Après ouverture, le 104 pourra accueillir simultanément seize projets artistiques dans dix-sept ateliers différents. Les acteurs/artistes du lieu obtiennent une bourse de 1500 euros par mois.  Les échanges de voisinage seront confortés et encouragés par le fait que les artistes résidants issus de toutes les disciplines artistiques disposeront de divers lieux de création, de réalisation et de présentation communs mis à disposition par la structure. Lieu de la transversalité artistique, les artistes accepteront-ils cet échange ?

Vient alors une question : Quel public pour le 104 ? Sur le site, des espaces sont prévus dans un souci de transversalité sociale qui rapproche ce lieu de l'espace multifonctionnel : librairie, café presse, restaurants, maison d'édition sur les événements du site, jardin suspendu ouvert au public, maison de la petite enfance avec des jouets dessinés par des artistes et destinées à initier les plus jeunes à l'art, incubateur d'entreprises culturelles, avec bail d'une durée de 3 ans, et des espaces pour les artistes amateurs. Dans cet établissement artistique de la ville de Paris, il y a une volonté de créer une autre forme de transversalité aussi bien entre les artistes et les disciplines qui dialogueront ensemble, qu'entre le public du 19ème arrondissement venu là par hasard, celui de la région parisienne, et celui, national ou international, venu spécialement pour un événement. Cette transversalité artistique et sociale peut-elle être opérante ?

J'ai d'abord commencé par étudier le lieu, 104, Etablissement Artistique de la Ville de Paris, en y allant, en consultant son site Internet, en rencontrant les directeurs et en y travaillant pour l'événement de préfiguration La Traversée, le dernier week-end de décembre 2007.

Puis je me suis intéressé au phénomène des friches, en ayant toujours plusieurs questions à l'esprit : En quoi le 104 est-il un « avatar » du mouvement des friches industrielles? Quels points communs des friches au 104, quelles différences ? Un point majeur qui diffère, même à première vue, est la question de l'institution. Ce qui m'a poussé à m'interroger sur la volonté de La Ville de Paris d'ouvrir un lieu où les artistes de tous les horizons artistiques se croisent échangent, entre eux, et avec le public.

En parallèle, le colloque sur « l'impact de l'avant-garde américaine sur les théâtres européens et la question de la performance » qui avait lieu du 21 au 23 janvier 2008 au Théâtre National de la Colline, a orienté ma réflexion sur les questions de pluridisciplinarité mises en jeu au 104, sur la nouvelle place du spectateur dans un art qui favorise l'échange avec le public. Quelles en sont les conséquences sur le spectateur contemporain qui, dans ce dispositif, tend de plus en plus à devenir un spectateur participatif dans un espace multifonctionnel auquel il n'est pas habitué ?

Enfin, une question est restée toujours présente à mon esprit car la remarque m'est parvenue sous différentes formes lors de mes recherches : ce phénomène d'institutionnalisation de modèle établi à l'origine pour pallier les problèmes de temps et d'espace vécus par les artistes ne risque-t-il pas à terme de figer l'art ? d'en modaliser les processus de production ?

Le 104, lieu de la transversalité, peut-il faire avancer la démocratisation artistique à travers l' institutionnalisation d'un espace pluridisciplinaire orienté vers des rapports interactifs avec la population ? ou existe-t-il des risques de sclérose du mouvement des squats artistiques, par l'institutionnalisation d'un lieu basé sur ce modèle, qui finalement serait relativement coupé de la population locale et artistique ?

PREMIERE PARTIE :

DES FRICHES AU 104 : UTOPIE DU SQUATT

« Impossible dans ce dispositif pluridisciplinaire de ne pas penser à l'apport des squats artistiques. Depuis presque trente ans, ces friches précaires ont inventé la transversalité entre les pratiques culturelles. Voici ce legs précieux ici institutionnalisé, avec des moyens : le coût total de l'opération est de 102 millions d'euros. »9(*)

Dans les années 1970, la crise du capitalisme et la désindustrialisation contraignent de nombreuses usines à fermer leurs portes. Des services publics (hôpitaux, usines, laboratoires) sont restructurés en partie, laissant des bâtiments inoccupés, ce qui va correspondre au début du mouvement des squats artistiques. Les artistes de toutes les disciplines investiront ces lieux délaissés.

Toutes les friches sont différentes et le rapport Lextrait souligne bien leur diversité. Cependant, elles ont en commun de joindre plusieurs disciplines artistiques et de s'inscrire dans un quotidien et un mouvement collectif : c'est en groupe qu'on peut établir et faire vivre une friche. La friche garde les fondations d'origine de l'usine, son volume et son histoire, mais en assure le renouveau. En s'en tenant aux particularités de la friche telle que décrite dans Les nouveaux territoires de l'art, le 104 pourrait s'apparenter à une friche. Il prend place dans un ancien hall industriel, il fait cohabiter ensemble des artistes de toutes les disciplines.

1) Le phénomène de reconversion

A : Les lieux alternatifs

a : Reconversion d'un mot 

Le mot « friche » vient du Néerlandais « versch » qui veut dire « frais ». C'est un terme d'origine agricole qui désigne un « terrain non cultivé et abandonné, une friche industrielle urbaine qui correspond à une zone industrielle urbaine à l'abandon ou en attente de reconversion »10(*). Certaines de ces friches laissées vides vont être investies dans les années 1980 par les artistes contestataires de la génération de mai 68 (En exemple, Guy Alloucherie ouvre la Base 11/19 dans les anciens puits de mine, Karine Noulette et Frédéric Marcignac fondent l'association Emmetrop et s'installent à Bourges dans une ancienne usine). C'est le phénomène des friches : de l'usine industrielle, le lieu devient friche culturelle. À l'image de ces friches, le 104, assure également la reconversion d'un lieu. Construit autour d'une galerie centrale surplombée d'une charpente métallique de type Polonceau, le bâtiment, classé à l'inventaire des bâtiments de France, doit garder sa structure fixe et son identité architecturale. Il est réhabilité et réaménagé par les architectes du groupe Novembre.

Les artistes squatteurs, au-delà de l'opportunité de lieux de travail et de vie, développent des nouvelles formes artistiques, recherchent le voisinage avec des artistes pratiquant d'autres disciplines et, progressivement, s'attachent à créer une transversalité entre les disciplines artistiques. De la notion de pluridisciplinaire on passe à transdisciplinaire. Les arts se traversent, les artistes s'inspirent. Ainsi dans le squat de l'Antre Peaux à Bourges en 2001, plusieurs associations d'horizons culturelles différents travaillent ensemble dans un esprit collectif : Bandits Mage pour l'art vidéo, le Nez dans les étoiles pour les arts du cirque, Eko N ko pour les enregistrements musicaux, et Sonar Lap pour la création sonore. Les espaces sont répartis entre les structures et c'est Emmetrop qui s'assure de la cohésion générale de cette friche artistique. C'est également un désir de rencontres artistiques qui est favorisé, à travers le projet du 104. En exemple, en ce moment résident au 104 : Pascal Dhennequin qui photographie des visages ; Rimini Protokoll un collectif théâtral ; le cinéaste Sébastien Lifshitz ; Tania Bruguera qui est une artiste politique et interdisciplinaire dont les travaux se focalisent autour des relations entre art, vie et politique : et enfin, les designers culinaires Chinon Chéron. Ces artistes ne résident pas encore dans le lieu même, mais exercent leur travail dans le 19ème auprès des populations locales. C'est donc bien une transversalité entre les disciplines artistiques qui est en jeu. C'est le lieu, le concept qui construit un pont entre ces disciplines. Le lieu évite les obligations, attributions, les fixations et le conventionnel. Robert Cantarella rappelle que « Si un artiste vidéo veut un plateau de danse (...), il y en a un sur place, qu'il l'investisse. C'est la façon d'utiliser l'instrument de travail qui fait la spécificité de l'art et non l'inverse. »11(*)

Les friches naissent toujours dans le désir de s'éloigner des valeurs établies, et du conformisme de l'art : « le principe d'un lieu d'expérimentation et de développement des pratiques culturelles alternatives est né de la réflexion individuelle et collective d'artistes confrontés, dans leur pratique quotidienne, à l'inadéquation des structures existantes »12(*). En effet, malgré la multiplication des Maisons de la Culture initiées par Malraux et Picon (première Maison de la Vulture inaugurée en 1961 au Havre) qui excluent la spécialisation et favorisent la pluralité des disciplines artistiques, il manque d'espaces et de temps pour la création. Les artistes squatteurs rejoignent là un mouvement d'appropriation d'un espace industriel comme lieu de création et de monstration, dont un des exemples les plus connus est la Factory ouverte en 1963 par Andy Warhol dans une ancienne usine désaffectée de New York. Cette usine servait à la production en série de l'artiste du pop art.

C'est aujourd'hui cette même observation que font les directeurs du 104, en disant « on est partie d'un constat très simple : à Paris, il n'y a pas de lieu de l'art en train de se faire. Pour voir l'art en train de se faire, il y a un besoin de temps et d'espace. »13(*)

Les lieux anciennement industrialisés qui revivent partent de l'abandon, du rejet des grands espaces par toute une société. Ils sont les témoins d'une époque économique révolue qui annonce en parallèle un renouveau artistique. Cette transformation du lieu abandonné allant de pair avec une réappropriation des périphéries urbaines, est pour l'architecte Roland Castro, initiateur de banlieues 89 « un acte architectural qui nous sort de l'idéologie du on efface tout et on recommence »14(*).

Il s'exerce alors une reconversion double : celle d'un lieu industriel abandonné en un lieu artistique, le non-lieu qui devient lieu, et la reconversion de la façon d'aborder l'art. Par l'intermédiaire de ces lieux de visibilité, il se crée une interaction de plus en plus explicite entre la société et l'art, une insertion de l'art dans un nouveau milieu.

b : Esthétique de l'insertion

Ces lieux plus ouverts aspirent à une nouvelle façon d'envisager le processus artistique, plus en relation avec le public, moins sclérosé. Frédéric Kahn et Fabrice Lextrait, dans leurs propos recueillis suite au colloque international réuni à la Friche de La Belle-de-Mai en février 2002 le soulignent. « Toutes ces initiatives ont en commun d'être un laboratoire de l'émergence concrète d'un nouveau rapport entre l'art et la société, d'une présence inédite de l'artiste dans la cité. »15(*)

Avec les friches et les squats artistiques, voici le début des « lieux alternatifs », et l'émergence même du terme « Nouveaux Territoires de l'Art ». Ces sites présentent plusieurs avantages. Leur taille permet d'y travailler toutes les disciplines sans se préoccuper de la place. Ils sont vides et disponibles ce qui évite, au début du moins, les contraintes administratives. Ils se situent dans les zones industrielles ou en milieu urbain, là ou l'art n'a pas toujours l'habitude d'aller. En ceci, le mouvement spontané des friches trouve un écho théorisé dans les positions de Nicolas Bourriaud, commissaire d'exposition, écrivain et critique d'art qui affirme dans Esthétique relationnelle que l'art « s'avère particulièrement propice à l'expression de cette civilisation de la proximité, car il resserre l'espace des relations.  »16(*)

La rupture entre lieu de production (atelier) et lieu de monstration (galerie, salle de spectacle, musée) s'efface. L'artiste est présent dans les deux champs, comme acteur et comme médiateur. Les portes ouvertes, organisées dans les squats afin de rendre le public moins réticent à cette forme nouvelle qui va à l'encontre des normes établies, favorise l'accès à l'art et le processus de médiation par l'artiste. Les artistes recherchent la confiance du public de proximité, souvent « conscients des préjugés du public sur l'occupation illégale des lieux »17(*) comme le rappellent les résidents du Brise-Glace à Grenoble. Le 104, c'est également ce lieu de rapprochement de la population locale, situé au coeur de la ville, dans la ville et ouvert tous les jours gratuitement au public, comme un passage parisien, entre huit heures et vingt-deux heures, il incite en théorie à la rencontre de proximité.

Ce déplacement de l'art vers les populations, représente une sorte de deuxième décentralisation culturelle. Cette nouvelle décentralisation est moins officielle que la première, entreprise par l'état. Celle-ci fut initiée par Jeanne Laurent, sous-directrice des Spectacles et de la Musique. Sous son impulsion, cinq Centre Dramatiques Nationaux sont créés en Province de 1947 à 1952. Mais, Jeanne Laurent est brutalement arrêtée par André Cornu. Ainsi sa politique de décentralisation est suspendue, elle sera relancée par le Ministère Malraux en 1959. L'état français qui a toujours été centralisé sur sa capitale entreprend alors une décentralisation politique et administrative. C'est-à-dire qu'il va attribuer à des autorités autonomes (départements, communes) des pouvoirs de décision et d'exécution relatifs à certaines catégories d'affaires. C'est sous l'enseigne de cette décentralisation administrative que l'état va mettre en oeuvre une politique de décentralisation artistique qui vise à diffuser sur tout le territoire des produits de la création et notamment en dehors de Paris et des grandes villes. Cette décentralisation est renforcée en 1981 par le ministère Lang.

Celle des squats artistiques est plus spontanée, multiforme est en constante évolution. La carte établie par Fabrice Lextrait dans son rapport à Michel Dufour fait état de la répartition des principaux squats artistiques en France. Ils se développent dans toutes les régions, avec une certaine concentration dans le Nord, région la plus touchée par le recul de l'ère industrielle en raison de la présence de nombreux puits de charbon.

Ce que recherchait le mouvement spontané qui est allé investir les friches industrielles, en plus des obligations souvent économiques, c'est un désir de proximité de l'oeuvre au spectateur, une dynamique artistique nouvelle qui tendrait vers une certaine désacralisation de l'art, une esthétique de l'insertion.

De même que la notion de cadre et de vitre avait donné naissance aux codes de la perspective, la fin de l'époque industrielle marque le début d'un nouveau cadre pour l'art. Ce que confirme la citation d'Hervé Carrier dans son Lexique de la Culture : « L'histoire de l'art démontre à quel point les formes artistiques évoluent avec le progrès des techniques et des cultures ». 18(*)

L'expérience collective et la proximité avec le public oeuvrent à la diminution de la distance art-vie. Une nouvelle esthétique de la rencontre va naître. Cette nouvelle esthétique favorise le groupe, le collectif au-delà de l'individu et appelle à de nouvelles formes artistiques.

Si l'investissement spontané des friches par la communauté artistique répondait à un besoin d'espace, de temps et de lieu pour la création, ces nouveaux lieux montrent aussi une nouvelle façon d'envisager la relation au public. Cette nouvelle façon d'aborder l'art à travers des lieux industriels va joindre l'art à la vie en créant une transversalité entre la courbe de l'art et celle de la vie.

Les friches artistiques sont les lieux privilégiés de cette rencontre car elle n'établissent pas de frontière entre l'art et la vie. Les artistes sont présents avec le spectateur et ils sont là pour expliquer leur travail, sinon leur oeuvre même. C'est également ce que recherchent les deux directeurs du 104, ce rapprochement vers les spectateurs, dans un espace non conventionnel. Le lieu vise à ancrer tous les arts dans le quotidien en créant un lieu de vie où le travail en train de se faire devient visible, en ouvrant les portes des ateliers des artistes résidents. Très concrètement, au quotidien se jouera dans ce lieu la question de la transversalité artistique, des outils et des lignes mis en oeuvre théoriques, spatiaux, urbains pour une transversalité, une ligne qui joint l'art et la vie.

c : Les moyens de l'insertion

Le 104 offre des sessions de pratiques artistiques, des rencontres, des workshops et des formations professionnelles. Des publics différents se mêleront en théorie: visiteurs de lieux culturels, touristes de passage à Paris, mais aussi professionnels et habitants du quartier qui pourront traverser le lieu qui rejoint la rue Curial à la rue d'Aubervilliers.

Avec ce lieu, on dépasse la notion de lieu pluridisciplinaire pour atteindre la notion de lieu multifonctionnel, examinons pour chaque espace du 104, quel public serait susceptible de venir traverser le lieu et peut-être créer un rapport à l'art.

Les ateliers d'artistes de toutes nationalités et de toutes disciplines et les spectacles seront présentés dans un programme, disponible sur place à l'accueil et sur le site internet du 104. Les actions artistiques pourraient faire venir des amateurs d'art de toutes la région parisienne : étudiants, professionnels de l'art, simples curieux ; mais aussi des scolaires du quartier ou des villes de proche banlieue. Peut-être également quelques curieux du 19ème arrondissement.

Le jardin suspendu, changeant tous les ans par un système d'appel à projet pour des paysagistes et qui sera au début un potager, pourra inciter les gens du quartier à venir se promener, déambuler, ou se reposer. Cependant, rappelons que le site de La Villette, situé également dans le 19ème arrondissement offre plus d'espace vert et des possibilités de jeux de ballons.

Les espaces pour les courses de proximité et les restaurants (un restaurant de 300m2 chauffé l'hiver et un café presse avec une terrasse de 150m2 et accessible de l'extérieur) pourraient également attirer la population locale. Une étude a été faite afin de ne pas porter concurrence aux commerces existant déjà dans un secteur proche. Ainsi, ça ne sera pas un commerce représentant un besoin vital pour la population. Le restaurant reste, il me semble, un moyen cohérent d'attirer les habitants voisins du lieu.

Les lieux destinés aux salons, congrès, lancements de produit, séminaires d'entreprises, réunions, soirées de gala, cocktails, évènements artistiques (concerts, défilés de mode, foires d'art...) loués aux professionnels et principale source d'auto-financement du 104, attireront, c'est certain, des catégories professionnelles différentes (6000m2 en tout).

Seulement les actifs de l'entreprise ont-ils envie, après une journée de travail de rester dans un espace culturel ? Il en est de même pour la pépinière de jeunes entreprises culturelles qui accueillera, pour deux à quatre ans, une dizaine de jeunes sociétés. Ces professionnels pourront par contre s'alimenter dans un des espaces dédiés à la restauration.

Les espaces pour les artistes amateurs (500m2) seront loués pour des pratiques artistiques variées à un prix symbolique d'un euro l'heure préférablement à des habitants du quartier. Ils sont aussi un moyen efficace de conquérir la population proche et les jeunes du quartier.

La Maison des petits est un espace aménagé pour les enfants de 0 à 5 ans, conçu par la designer Matali Crasset. Dans cet endroit, les parents pourront venir avec leurs enfants. C'est un espace « d'écoute, de parole, de rencontre et de sensibilisation précoce à l'art »19(*). C'est une manière d'attirer un public différent, les parents accompagnés de leurs enfants, ou les mamans qui usuellement ne fréquentent pas les lieux culturels avec leurs enfants en bas-âge.

Pour les enfants plus grands, il y aura également une boutique de biens culturels avec une offre spécifique à leur destination.

Ajoutons à cela la volonté de créer des échanges avec les écoles et les associations du quartier. Le 104 se mettra par exemple en relation avec une ou plusieurs structures du quartier qui proposent des cours d'alphabétisation et de français langue étrangère. Cela témoigne une volonté d'établir une communication qui se fera dans différentes langues majoritairement parlées et écrites par les communautés des 18ème et 19ème arrondissements dans le but d'offrir aux migrants une ouverture à la culture du pays. Toutes les catégories sociales trouveront en théorie une raison de venir au 104, espace du public. Mais il ne suffit pas de s'inscrire dans un quartier et de mettre en place des moyens cohérents pour faire venir la population locale. Les enquêtes réalisées à La Villette, sur les publics du parc, montrent bien que si les usagers ou les habitués côtoient le lieu, ils ne sont pas forcément au courant des pratiques artistiques du lieu, nous y reviendrons dans la deuxième partie. Il ne suffit pas d'autre par qu'un visiteur traverse le 104 pour qu'il devienne spectateur, il faut qu'il accepte de devenir spectateur et de vivre la rencontre. Peter Brook donne une définition de l'acte théâtral dans L'espace vide « Quelqu'un traverse cet espace vide pendant que quelqu'un d'autre l'observe, et c'est suffisant pour que l'acte théâtral soit amorcé »20(*) mais c'est à condition qu'ils partagent des référents permettant au spectateur de comprendre et ressentir des émotions, il ne faut pas juste traverser le lieu, il faut également observer ce qui s'y passe. Car pour qu'il y ait partage, il faut que le spectateur potentiel accepte la relation.

B : Reconversion artistique

a : La nouvelle place du spectateur, une place qui découle du mouvement des performances

La performance est une technique d'expression à part entière reconnue dans les années 1970. Celle-ci naît dans un contexte de provocation des normes. Les performances ont lieu en public et sont utilisées comme « autant d'armes dirigées contre les conventions de l'art officiel »21(*). Elle prennent jeu au milieu d'une foule et vie par la présence du spectateur, par l'inscription dans les espaces de la vie. Elles rejettent généralement les matériaux habituels de l'art pour utiliser des éléments bruts : (le corps, la terre, les détritus). Des artistes de l'avant-garde américaine comme Allan Kaprow et John Cage ouvrent avec ce mouvement une mutation radicale des pratiques artistiques. Les arts plastiques quittent leurs supports conventionnels (la toile, la sculpture) pour rejoindre les arts vivants. Ce sont toujours des expériences directes, le spectacle s'empare de la réalité.

L'avant-garde américaine est un terme qui désigne un mouvement né après la deuxième Guerre mondiale dans les années 1950. Il puise en partie ses sources dans les mouvements d'avant-gardes européens tel le futurisme, le Bauhaus (école d'art pluridisciplinaire basée à Berlin) ou le dadaïsme. Il s'effectue à partir des années 1950 un déplacement du centre de gravité des arts de Paris vers New York.

Gertrüde Stein, écrit des pièces-paysages dans les années 1930. Ses pièces sont une succession d'images linéaire, où chaque spectateur se fait comme dans un train sa propre image de la pièce, son propre récit narratif. Il est libre de sa vision. Antonin Artaud en 1938 décrit « la scène comme un lieu physique et concret qui demande qu'on le remplisse et qu'on lui fasse parler son langage concret ». Il place le théâtre non comme un lieu qui reproduit la vie mais comme un lieu de vie. C'est, il me semble, effectivement un langage propre fait de « tous les moyens d'expressions utilisables sur une scène »22(*) que recherchent aujourd'hui les actants de l'art contemporain. Et ce en créant de nouveaux lieux qui ne soient pas spécifiques à un type d'art et à un public privilégié. Artaud s'inspire du théâtre Balinais pour soutenir que le théâtre doit accompagner la vie quotidienne en s'inscrivant dans un espace total. Le théâtre ne s'inscrit pas dans un temps mort, un temps à part, mais dans un temps de vie. Plus tard, Thaddeus Kantor revendique le fait qu'il a « toujours utilisé des lieux non institutionnels, des lieux qui faisaient des trous dans l'institution »23(*). Il situe son oeuvre là où deux arts peuvent se provoquer. Pour ces deux hommes de théâtre, une rencontre entre plusieurs arts est nécessaire pour que l'échange artistique ait lieu. Ces trois artistes fondateurs marquent une nouvelle approche de l'art et de son public. Pour Artaud, Kantor et Stein, l'expérience du spectateur est première.

En 1948 au Black Montain College, John Cage commence à développer ses idées auprès d'artistes américains et fait découvrir celles d'Artaud et de Gertrude Stein, il est suivi par Robert Wilson. En 1952 il y joue « Evénement sans titre ». « Cette oeuvre se composait d'une improvisation chorégraphique interprétée par Merce Cunningham dans les rangs du public, de lectures poétiques données par plusieurs interprètes juchés sur des échelles, de films projetés sur les murs, de tableaux blancs de Robert Rauschenberg accrochés au plafond et d'une composition pour piano « préparé » interprétée par David Tudor »24(*). Cet événement marque le début d'une période interdisciplinaire où la dynamique du dialogue des disciplines convoque le public à vivre l'action artistique. Chaque spectateur se faisant sa propre dramaturgie de l'oeuvre, vivant sa propre expérience face aux actions dramatisantes. Le spectacle n'existe pas sans spectateur, une nouvelle façon d'envisager l'événement par l'expérience du spectateur se dessine. Les artistes issus de l'avant-garde américaine manifestent un désir de réouverture des frontières artistiques et initient une tentative d'éliminer les frontières entre l'art et la vie. C'est le début des performances.

La performance associe les arts visuels, le théâtre, la danse, la musique, la vidéo, la poésie et le cinéma et se définit par l'interconnexion entre ces disciplines. L'accent est mis sur l'éphémère et le non-achèvement de la production plutôt que sur l'oeuvre d'art, représentée et achevée. C'est une dynamique d'interdisciplinarité où tout se fait sur l'expérience du spectateur. Le préfixe inter joue avec les écarts-différences-relations, il y a donc une rencontre et un dialogue des arts mais ces derniers peuvent garder leur autonomie ou bien se lier et se mélanger.

Si le futur lieu d'art et de culture parisien, le 104, n'est pas un lieu où se donneront uniquement des performances, il est intéressant à faire le lien entre le programme de ce lieu et l'avant-garde américaine : il y a en effet dans ces deux phénomènes une volonté de diminuer la frontière entre l'art et la vie en plaçant le spectateur au coeur du processus artistique et en le rendant participatif de la création.

Le concept de passage qui laisse à supposer que l'on puisse traverser le lieu occasionnellement sans le prévoir, conduit à un autre élément de l'avant-garde américaine, celle du hasard. La notion de hasard est très présente dans les performances, notamment avec John Cage qui utilise le hasard comme motif musical. On retrouve au 104 quelque chose du hasard : l'imprévu de ce que l'on verra ce jour-là, l'aléatoire de l'événement et de la rencontre.

Par sa configuration, le lieu place le spectateur, public averti ou non, en position de voyeur. En effet celui-ci se promène dans le lieu et voit directement le processus artistique. C'est un peu comme dans une scénographie où l'on se promènerait et l'on verrait des actions dramatiques différentes suivant le lieu dans lequel on se trouve. Je pense au spectacle The Tooth Crime, pièce musicale écrite par Sam Shepard en 1972 et jouée par The Performance Group. Les spectateurs étaient dans l'obligation de se déplacer pour pouvoir voir l'intégralité du spectacle. Le 104, c'est presque une pièce paysage, le spectateur qui accepte l'échange peut se créer sa propre dramaturgie à l'intérieur du lieu.

b : Quels nouveaux rapports à l'art ?

Avec la multiplication des formes numériques (télévisions, Internet, téléphones portables...) les sociétés connaissent de moins en moins de lieux physiques de rencontres et de discussions. On ne va plus beaucoup à la messe, les marchés tendent à disparaître, les transports en commun ne constituent pas des lieux de rencontres très propices à l'échange...

L'oeuvre d'art peut alors offrir un interstice social. Comme au 15ème siècle, où l'aristocratie se rendait au théâtre et au cinéma pour se montrer, se rencontrer avant et après la représentation et pendant les entractes que Richard Schechner qualifie « d'événements sociaux sous-jacents »25(*), l'art est redevenu un moment de rencontre.

Cette rencontre qui se crée avec ces nouvelles conceptions de l'art implique une nouvelle médiation à effectuer. Nicolas Bourriaud, théorise l'importance du processus artistique: «  L'art est une activité consistant à produire des rapports au monde à l'aide de signes, de formes, de gestes ou d'objets »26(*). L'art resserre l'espace des relations et privilégie non seulement la rencontre et l'expérience homme-oeuvre mais aussi la rencontre homme-homme.

Pour que cette rencontre ait lieu, il est important de créer de nouveaux moyens de médiation, de constituer une nouvelle approche du public. La multiplication des festivals partout en France illustre ces nouveaux modes de communications (premier festival d'Avignon en 1947). Les rencontres organisées entre artistes et spectateurs à la fin d'une représentation ou d'une performance également.

Dans les lieux d'exposition, le « médiateur » remplace petit à petit le conférencier et, plus que d'expliquer le pourquoi d'une oeuvre, il engage une réelle discussion avec et entre les publics qui acceptent cet échange. Il fait exemple de ces moyens de médiation mis en oeuvre.

La 104 suit cet axe relationnel plaçant directement l'artiste comme médiateur de sa propre oeuvre. Frédéric Fisbach le rappelle : « Il n'y a rien de plus intéressant que d'écouter quelqu'un expliquer son travail. On en retient toujours quelque chose et il nous reste toujours quelque chose. »27(*)  . C'est pourquoi, bien que les artistes ne vivent pas en permanence au 104, dans le projet artistique de chaque candidat à une résidence au 104, il est demandé d'ouvrir son atelier au public et de discuter avec ce dernier au moins une fois par semaine. Le lieu artistique se définit souvent par les codes esthétiques utilisés par les artistes. C'est lui qui, par son oeuvre spectacle ou oeuvre d'art, va inciter le spectateur à participer, à devenir acteur de l'oeuvre d'art. Le public qui réagit engage par l'art une rencontre, un échange. Il devient participatif de l'oeuvre. Il ne peut plus être un public passif.

c : Le théâtre environnemental

Le mouvement artistique dans lequel s'inscrit le projet du 104 est un mouvement qui va vers le public, pour lui faire vivre une expérience, un partage ; il se veut d'être un moment de vie. Pour que le dialogue fonctionne et que le public vive ce moment, la transversalité n'utilise pas tous les arts mélangés sur scène mais selon le spectacle, certains des arts qui s'associent, se traversent. Tout se joue sur le même plan, dans le même espace-temps. Grâce à ces mouvements pluridisciplinaires, on cherche à sensibiliser le public pour le pousser à participer. L'américain Richard Schechner écrit sur le théâtre, expérimente les formes, produit des modèles théoriques, met en scène des performances et enseigne le performing arts à New York University. Il théorise dans son livre Performance, cette nouvelle approche. Il appelle cela le « théâtre environnemental 28(*)». Il soutient qu'« il n'y a pas de technique plus importante pour le théâtre contemporain que la participation 29(*) ». Il faut initier le public à participer à l'art, à être actif de cet art. Une nouvelle médiation, un nouveau chemin artistique est à créer.

Pour Richard Schechner « le théâtre est, avant tout une performance présente, définie comme la manifestation d'une action corporelle (gestuelle, voix, mouvement) dans le cadre d'un lieu spécifique, conçu pour être observé »30(*). Il qualifie le public de « partenaire de la relation de communication »31(*). Pour lui il ne peut y avoir performance sans la présence et l'échange avec le spectateur. L'art est un rassemblement nécessaire à l'homme. Si le public est un vecteur de la performance, l'espace vivant, composé de l'ensemble de l'espace à l'intérieur du théâtre et pas seulement ce qu'on appelle la scène, en est un autre. Le 104 c'est un espace vivant, l'espace de la rencontre. L'intégralité de l'espace doit être utilisé pour que la performance ou théâtre environnemental puisse avoir lieu. Dans ce contexte artistique, la télévision n'est pas un système de communication interactif. Il montre que le théâtre est avant tout un événement social. Pour lui le véritable événement c'est le rassemblement de spectateurs différents les uns des autres. Schechner définit le théâtre environnemental comme un ensemble de transaction connexes entre les interprètes et le public. Tout comme Artaud, il ne place pas la pièce première. Il met au même plan tous ceux qui conçoivent l'événement théâtral.

 Le « 104 » représenteraient, comme la friche, ce lieu de vie, de l'expérience directe et de la performance permanente. Il répond à la définition du théâtre environnemental selon Schechner « un lieu qui encourage les échanges à travers un espace organisé dans son ensemble et dans lequel les aires occupées par le public s'assimilent à une mer traversée à la nage par les acteurs, et les aires de jeu à des îles ou des continents bordés par le public »32(*).

2) Vers une friche institutionnelle

« Sa première originalité est d'offrir aux artistes un espace immense au sein d'une architecture industrielle qui n'était pas destinée à les recevoir. Son second point innovant est de faire cohabiter dans ce lieu ouvert des producteurs et des artistes de disciplines, de notoriétés et d'horizons différents, afin de faire naître de leur rencontre des créations artistiques, mais aussi une potentialité économique. Le troisième point qui apparaît essentiel dans le fonctionnement de la Friche est le rapport étroit et nouveau qu'elle rend possible entre la création et la production »33(*) (Renaud Muselier)

A : Fonctionnement d'un nouveau lieu culturel parisien

a : Position théorique de deux hommes de théâtre

Frédéric Fisbach et Robert Cantarella, les directeurs du 104 sont deux metteurs en scène de théâtre. Frédéric Fisbach est, de janvier 2002 à janvier 2008, le directeur du Studio-Théâtre de Vitry ; il est en 2007 le metteur en scène associé du festival d'Avignon où il monte les Feuillets d'Hypnos de René Char en associant comédiens professionnels et amateurs. Après un parcours de comédien à sa sortie du Conservatoire National d'Art dramatique il oriente à partir de 1996 son travail vers la mise en scène. Il développe un rapport au théâtre fondé sur quelques axes fondateurs : il place le public au centre de ses préoccupations de metteur en scène, dans un acte social, en proposant par exemple un statut de spectateur-associé à des spectateurs qui interviennent en amont et pendant des représentations. Il s'écarte cependant de cette approche sociale du théâtre en montant en 2005 Animal de Roland Fichet au Théâtre de la Colline. Cette mise en scène s'inscrivait dans une démarche réflexive et jouait de l'écart et de la tension, faisait fuir nombre de spectateurs. En revanche, à Avignon, les Feuillets d'Hypnos étaient composés de cent six comédiens amateurs aux côtés de sept acteurs professionnels. Frédéric Fisbach cherche également des appuis dans les autres pratiques artistiques, adaptées à la nature des textes présentés, en les mêlant aux formes théâtrales. On reconnaît par là des traits fondateurs du projet artistique du 104 : placer le spectateur au centre du projet, ne pas rester hermétique dans l'art, mais ouvert à toutes les disciplines. L'aspect social de l'art semble moins présent chez Robert Cantarella qui est plus connu pour ses travaux et écrits concernant la mise en scène. Il réalise des mises en scène de textes contemporains (notamment de Noëlle Renaude), il crée également la revue Frictions, consacrée aux arts de la scène ainsi que le festival du même nom et écrit en 1997 un manifeste Pour une formation à la mise en scène. Dans la publication 2.représentation Robert Cantarella et Marie-José Mondzain s'entretiennent autour de l'art contemporain. Robert Cantarella rappelle que pour lui l'art, c'est « prendre du temps à tenir l'autre (...) rappeler l'événement du vivant (...) face à toutes les constructions du réel refaites par la télévision »34(*). Et Marie-José Mondzain d'ajouter :  « au cinéma, le spectateur est touché alors qu'il n'y a pas d'effet tactile (...), au théâtre, le spectateur, même à distance des acteurs, sent qu'ils ne sont pas intouchables, il partage leur réalité présente et sensible (...) on respire ensemble »35(*). Cette idée de l'artiste, « aux prises avec la réaction directe et immédiate, du public »36(*) est également défendue par Marie Madeleine Mervant-Roux dans ses écrits sur le spectateur. Marie-José Mondzain ajoute que l'oeuvre dépend de « la perception créatrice du spectateur ».37(*) L'artiste, parfois, est lui même le médiateur de sa propre oeuvre. Et c'est ce que recherchent les directeurs du 104, que l'artiste explique son art en train de se faire. Il est intéressant de remarquer que l'artiste est présent sur le lieu de travail et qu'il assure une part de médiation. Il y a un effacement de la rupture art/public, l'artiste médiateur fait le lien dans un acte à la fois d'écoute, de représentation et de médiation. Il n'est plus « tranquille » et le travail fini n'est pas un seul aboutissement. Il y a une « mise en acte de sa présence »38(*), il doit être là. Tout comme dans la performance, où c'est l'artiste qui fait directement son art avec sa personne, ici il y a aussi une idée de l'être là. L'artiste se doit d'être présent à son oeuvre pour engager le dialogue, sans forcément tout expliquer, il doit créer la discussion, être ouvert au public. La position est cependant discutable, certains artistes sont incapables d'expliquer leur création, ou bien certaines créations perdent tout leur intérêt dès lors que le mystère est dévoilé.

On retrouve dans cette discussion une thématique de la résistance par le théâtre et les arts vivants en général. Une résistance à l'éloignement et à la virtualité. L'art cherche le rapprochement, la mise en contact direct presque tactile d'autrui. Alors que les médias comme la télévision et internet permettent de savoir ce que fait autrui sans avoir à lui parler, sans avoir à entrer dans sa « sphère' . Le 104 ça pourrait être le lieu de cette respiration commune, de ce rapprochement.

Il y a un point paradoxal dans la direction du 104. Il s'agit de l'association de deux metteurs en scène. Parce qu'en général on a idée que la mise en scène ne peut relever que d'une seule personne. Or ici il y a association de deux artistes pour partager les idées, une manière de rester dans le collectif.

b : un projet de transversalité effectif ?

La Générale était une friche artistique établie dans le 19ème arrondissement de Paris, dans un bâtiment qui appartenait à l'Education Nationale. En Avril 2007, le regroupement, en procès depuis plus d'un an, s'est fait expulser du lieu. L'association et la communauté artistique du lieu se sont divisées en deux et une partie du regroupement a installée ses locaux dans les ateliers désaffectés de la manufacture de céramique à Sèvres. Ils font preuve d'une autogestion efficace. Sans aucun personnel propre à l'administratif, ils organisent expositions quasi-hebdomadaires, concerts, spectacles, ateliers portes ouvertes, recherches théoriques...

En rencontrant le regroupement de la Générale en manufacture (Annexe 6), j'ai pu observer une volonté de transversalité du lieu, que les artistes mettent parfois en opposition avec des lieux institués, comme le 104.

Le concept de durée limitée dont parle F. Fisbach39(*) (Annexe 5) est repris par les actants de la Générale qui revendiquent le fait de ne pas inscrire leur travail dans un lieu, mais dans un concept. Ils ont déjà dû déménager une fois, car ils ne sont pas propriétaires du lieu mais soutiennent : « On l'a fait une fois, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas recommencer. Nous ici, il n'y a personne qui est accroché à son mètre cube »40(*). La notion de collectif, de regroupement est plus importante que celle de l'inscription dans un lieu par la durée. Le regroupement est mobile, ouvert et flexible et ne recherche pas forcément à s'installer définitivement. C'est aussi une façon d'éviter les fixations. Si les deux lieux veulent éviter les attributions, il semble que les artistes de la Générale voient dans le 104, justement une façon de fixer les choses. Chaque artiste pour une place. Dans l'exemple d'un squat artistique comme celui de La Générale en manufacture, Pierre Limpens m'explique que l'intérêt du lieu c'est aussi l'implication de tous les artistes dans le fonctionnement : « Ici il n'y a personne qui s'occupe particulièrement de l'administration, on fait tous tout. Ce sont les artistes qui gèrent le lieu. Moi par exemple je gère les Résidences, je coordonne un peu l'ensemble et je fais de la vidéo ». Ainsi aucun autre personnel que les artistes n'est engagé pour gérer le lieu. Ce qui ajoute une nouvelle forme de transversalité entre les artistes et leur travail. C'est aussi je pense ce qui permet la cohésion du collectif. Des réunions sont organisées régulièrement, il n'y a pas de séparation artistes/administration, comme c'est le cas dans un lieu institué comme le 104. La notion de regroupement est ici importante, car si les directeurs de 104 parlent d'art collectif, il faut tout de même souligner que les artistes se croiseront dans le lieu, et qu'un vrai travail de groupe prendra forcément forme dans une durée limitée. Et pour qu'il y est une transversalité artistique qui aille plus loin que la juxtaposition de plusieurs disciplines, il faut que ces mêmes artistes qui ne se connaissent pas forcément au début acceptent de travailler ensemble. Ils doivent recréer l'esprit de groupe qui va de soi dans les friches artistiques. Il faut noter enfin que dans un lieu comme le 104 - où l'artiste, une fois entré en résidence, n'a pas à s'occuper de la partie administrative ni de la gestion technique - l'artiste a plus de temps à accorder à sa création, sans se préoccuper du reste. Mais la transversalité que les actants du 104 veulent créer est peut-être plus difficile parce que justement ils veulent fabriquer au 104 ce qui se fait naturellement dans une friche artistique.

B : Un nouveau rêve artistique

a : L'institution

« Vous exigerez de chaque structure subventionnée qu'elle rende compte de son action et de la popularité de ses interventions, vous leur fixerez des obligations de résultats et vous empêcherez la reconduction automatique des aides et des subventions. »41(*) (Nicolas Sarkozy)

Le 104 est avant tout un lieu initié par la Ville de Paris et subventionné à 70% par elle. Frédéric Fisbach entend que la structure soit plus indépendante de la ville en augmentant les recettes propres et le mécénat. Il rappelle également, à raison, qu'il « y a une très grande volonté de la part de la mairie de Paris, un grand courage de créer un lieu comme ça dans un tel contexte politique ». Rappelons que les subventions accordées aux associations sont actuellement réévaluées par le ministère de la culture en fonction de leur productivité. Pour que le 104 parvienne à subvenir à ses 30% de recettes propres, des espaces seront loués à des entreprises dans un but essentiellement lucratif, les commerces installés dans le lieu payeront un loyer à la structure. La concession du restaurant et du commerce de proximité est accordée pour trois années minimum reconductible. On peut lire dans les conditions d'exploitation du commerce et du restaurant du site que :

« L'autorisation sera consentie moyennant le paiement par le preneur d'une redevance annuelle composée d'une part variable du chiffre d'affaires hors taxes, assortie d'un minimum garanti équivalant au montant du loyer. À cette redevance s'ajoutent les charges de bâtiment (évaluées à environ 10% du loyer annuel hors taxes) (...) Chaque preneur aura à s'acquitter de ses consommations individuelles d'énergies (eau, électricité, etc.). » 42(*)

Huit espaces seront également loués pour des entreprises. La location de ces espaces est à ajouter à la quête de mécénat culturel. Le mécénat culturel est un soutien financier, matériel ou humain apporter par une entreprise ou un particulier à un organisme d'intérêt général. C'est un don d'argent sans retour. Il ouvre le droit à des avantages fiscaux. Ce qui apporte aux entreprises qui font « ce don » une réduction de l'impôt sur les sociétés qui peut s'élever jusqu'à 60% de cet apport pour les organismes et pour les particuliers une réduction de l'impôt sur les revenus à hauteur de 66%.

Frédéric Fisbach entend augmenter les revenus propres du lieu afin d'être moins dépendant des subventions et du contrôle de la mairie.

On trouvera des complémentarités dans le sens où des salles de spectacle pourront être louées pour des événements artistiques. On peut aussi craindre des incohérences : locations pour des entreprises purement commerciales et défilées de modes pourraient donner un côté mercantile et populaire à l'art. La transversalité qui s'exerce entre la création et le monde économique devient alors dangereuse. Cependant, ce fonctionnement qui rend le 104 non entièrement dépendant de la mairie peut lui permettre tout de même une autonomie culturelle. Cent deux millions d'euros représente un budget très important pour un lieu culturel, surtout dans un contexte où les subventions culturelles diminuent et où le ministère commence à mesurer la qualité d'un spectacle par sa jauge. Ce qui s'institutionnalise a peut-être tendance à disparaître. Beaucoup de friches sont subventionnées par les DRAC (Entre-Peaux est subventionné par la Direction régionale des affaires culturelles du centre, Main d'Oeuvre par la région Ile de France...). Rappelons encore une fois que l'expertise menée par les DRAC juge parfois sur l'excellence artistique et le taux de remplissage des spectacles et non la qualité sociale des processus relationnels avec la population.

Marie-Madeleine Mervant-Roux rappelle pourtant que « l'événement décisif (du spectacle) n'est ni le taux de remplissage ou de satisfaction des salles, ni le degré d'activité visible de leurs occupants, mais la nature de la fonction octroyée au spectateur »43(*). De ce point de vue-là, le 104 est donc bienvenu dans le milieu culturel puisqu'il favorise dans son projet artistique le rapport au spectateur.

C'est malgré tout le budget culturel le plus important de la ville. Il sera donc signifiant d'évaluer les degrés de dépendance vis-à-vis des autorités. Quelles sont les formes réelles de contrôle et quel est le degré d'autonomie des directeurs dans la programmation artistique et dans la politique d'actions culturelles, c'est ce que je demande aux directeurs lors du deuxième rendez-vous. Ces derniers se posent question quant à l'intérêt pour la ville d'exercer une main mise sur le lieu. La question est détournée. Pourtant en décembre 2007, La Ville de Paris présente ses voeux aux Parisiens avec en fond d'affiche la photo du 104. C'est déjà un premier signe de la fierté de la Ville par rapport à cet équipement. Le 104 n'est pas une friche c'est un Etablissement Artistique de la Ville de Paris. Il n'appartient pas aux directeurs, ni au Ministère de la Culture. Financé par la mairie de Paris et ayant un objectif de recettes propres, il a un statut bien particulier : ni le statut d'un CDN (Centre Dramatique National) - bien qu'il ait des points communs dans son fonctionnement avec les contrats de décentralisation théâtrale (recettes propres, les directeurs ont signé avec la ville un contrat de trois ans renouvelable, obligation de création), ni celui d'un théâtre national - bien qu'il en ait la même structure EPIC (Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial). Cet établissement public est pour l'instant rattaché à une seule collectivité : La Ville de Paris.

Il n'est pas sous le régime de la loi de décentralisation théâtrale qui impose, certes, aux CDN des contraintes mais qui garantit également une obligation de création et une forme de liberté. Le 104 a son propre projet artistique, normalement garant de l'indépendance du lieu et de la création. Mais ce projet artistique est surveillé par la ville. Il faut donc faire attention avec ce lieu car la politique du lieu, pour l'instant assez ouverte, est totalement dépendante de la mairie de Paris. Un changement de politique pourrait entraîner un changement dans le projet artistique. Le 104 n'est pas à l'abri malgré sa ligne de création de devenir un lieu de pur production artistique.

b/ Fabrique d'un besoin

Le « 104 » semble vouloir détourner la question de la production pour rester dans celle de la création. Voir l'art en train de se faire par les artistes, sans penser toujours à la finalité.

La programmation du 104 par ses fondateurs qui va vers le collectif, les équipements

dont il dispose, le nombreux personnel administratif et de régie technique, visent à en faire un outil original, performant, exemplaire. Mais justement, l'importance de l'équipement et des moyens, paradoxalement, ne va-t-elle pas en contre avec ce qui fait la force créative des friches : la nécessité de s'organiser, l'état d'urgence, de précarité, l'absence de normes de sécurité, la légèreté financière ?

Le « 104 » correspond à un nouveau rêve qui découlerait du mouvement des débuts de la performance et des squats artistiques et d'une inclusion totale du public dans l'art. Le mouvement de mai 68 et de l'avant-garde américaine ont laissé dans les esprits cette image du « vivre ensemble », d'une vision plus communautaire et d'un art qui peut se faire à partir de n'importe quelle matière. Réduire la distance spectateur-acteur et inciter la rencontre collective tels sont les objectifs communs de l'art depuis la fin des années 1950 et tels sont les objectifs du « 104 ». Sortir des lieux conventionnels, à l'image ennuyante pour le public comme les théâtres et les musées, pour se promener et vivre un événement dans un espace total. C'est, je pense le nouveau rêve artistique du 21ème siècle dans lequel s'inscrit ce lieu.

Les squats artistiques naissent généralement des besoins d'un artiste de s'approprier un espace qui favorise son art. Il va contre les valeurs traditionnelles de l'institution. Au 104, l'institution cède le lieu à l' artiste, ce n'est plus lui qui s'en empare, ce qui correspondait déjà au début de l'acte artistique. Avec cette organisation, la notion de spontanéité de l'occupation du lieu disparaît. Le 104 est un projet initié en 2005 et qui verra le jour en octobre 2008, soit après trois ans de travaux, de préparation, et déjà de sensibilisation. La notion d'urgence qui apparaît dans les friches qui répondent à des besoins d'acuité, au moment, disparaît alors pour laisser la place à l'anticipation. Les artistes qui veulent être en résidence au 104 déposent des dossiers, passent en études, il n'y a plus cette notion de spontanéité de l'acte, bien qu'elle existe toujours pour le public qui voit l'art en train de se faire. C'est peut-être là que le 104 se distingue en premier de la friche. Il ne naît pas dans le danger, et les artistes qui y seront pourront travailler dans la sécurité. C'est bien d'actualité que de faire un lieu « sécurisé ». À la question « pensez-vous qu'on peut parler de friche institutionnelle ? » Frédéric Fisbach fait remarquer que c'est un paradoxe que de dire « friche institutionnelle ». Il est vrai que la friche relève de ce qui est abandonné et délaissé, alors que l'institution, c'est ce qui est reconnu. Malgré ses ressemblances extérieures, ses influences artistiques, évoqués et sa volonté sociale de s'inscrire dans un espace de la vie, le 104 ne peut pas être, par sa nature, considéré comme une friche. Le geste créatif qui se fait dans la liberté absolue au sein d'une friche est ici commandé et anticipé.

c : « La norme engendre le déclin »44(*)

L'art est aussi une manière de protester contre les valeurs établies, ou tout du moins c'est une dénonciation, une idée à faire passer. Or, si l'institution rattrape l'art et tend vers la normalisation de ce dernier, est-ce que ce n'est pas la fin annoncée de nouveaux territoires de l'art qui deviennent des modèles pour les lieux institutionnels ? Le Rapport Lextrait a permis de recenser ces nouveaux lieux. Mais une fois qu'ils deviennent modèles, ils perdent de l'extravagance, de leur origine.

Observons ce phénomène avec un autre type de manifestation artistique illégale qui maintenant devient de plus en plus instituée : le Technival du premier mai. L'état prête un terrain pour cette immense Rave Party qui à lieu tous les ans, le premier week-end de mai. Mais maintenant il y a de plus en plus de contrôles, de policiers, la presse est présente sur le site, les « teuffeurs » sont filmés. Et l'événement perd son aspect de rassemblement libre, qui faisait son dynamisme. Les « teuffeurs » organisent pour répondre à cette institutionnalisation qu'ils critiquent un contre-technival. La collectivité des « teuffeurs » est alors scindée en deux : les « vrais teuffeurs », qui ne vont pas au Technival, qu'ils surnomment « Sarkoval » et les autres, pour l'instant adeptes du Technival officiel. Ainsi, la communauté des teuffeurs est divisée, elle ne fait plus une. Est-ce que ça n'est pas le même phénomène qui se produit avec le « 104 » ? Déjà je commence à entendre, quand je parle du lieu, des critiques de la part de la communauté artistique, adepte des nouveaux territoires de l'art, qui reproche au lieu d'être trop propre, trop proche de l'institution, pas assez en marge. Et, il commence à naître au sein de cette communauté artistique des clans : ceux qui profitent de l'espace qui leur est offert par la Ville pour travailler leurs arts et échanger avec le public, et ceux qui mettent à l'index le lieu et qui se dirigent vers d'autres lieux artistiques plus en marge. Mais quels nouveaux lieux sont alors à inventer ? et par qui ?

Dans ce que l'on a nommé « les nouveaux territoires de l'art » on verra bientôt se confondre lieux et pratiques de médiation. Le 104 est-il simplement un « nouveau territoire » emblématique de l'actuelle institutionnalisation de lieux et de pratiques hier marginales ? Ouvre-t-il le champ culturel à des pratiques et des modes de médiation nouveaux ? quelles en sont les sources et les évolutions possibles ? C'est autant de questions qui seront abordées dans la deuxième partie.

DEUXIEME PARTIE :

RELATION ENTRE LE SOCIAL ET LE POLITIQUE : UN NOUVEAU STATUT POUR L'ART

Une évolution s'est créée depuis les années cinquante avec un fil conducteur entre les arts: la médiation au public. Si les mouvements artistiques sont différents, un point commun se retrouve : la dimension dialectique de l'art avec le public, une façon de toucher un public sans forcément fixer l'art. Ce n'est pas que la place accordée au public était moindre avant, il a toujours fallu des spectateurs pour l'art car « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux'· , mais la théorie de l'inclusion se développe et l'artiste demande au public une part participative. L'art se rapproche de l'acte social.

1) La question du rapport au spectateur et à la population au 104

A : Étude autour d'un événement de médiation au 104 : La Traversée

a : L'événement

Les 29 et 30 décembre 2007 le 104 ouvre ses portes pour un moment de préfiguration : La Traversée. De midi à minuit le samedi 29 et de 9h à 15h le dimanche 30, le chantier du 104 est ouvert gratuitement au public, pour une première rencontre avec le lieu. Elle permet au public qui devient spectateur de la transformation du lieu de découvrir l'architecture, l'ampleur des travaux et son ambition culturelle. Une autorisation spéciale est demandée à la mairie de Paris par les deux directeurs qui ne sont pas encore les responsables du lieu et qui le seront à partir de mai 2008. Les outils de chantiers sont rangés sur les bas-côtés. Seules les deux halles centrales qui forment un passage long de 250 mètres joignant la rue Curial à la rue d'Aubervilliers sont accessibles par le public et la presse. La Traversée ne se fait que dans un seul sens de la rue Curial vers la rue d'Aubervilliers, elle doit durer approximativement vingt minutes. Pour des raisons de sécurité (nous sommes sur un chantier en cours), les spectateurs ne peuvent s'immobiliser au même endroit trop longtemps et ne peuvent pas faire demi-tour. Durant ces deux jours, de nombreux artistes déjà en résidence au 104 et associés au projet investissent le futur passage parisien et animent La Traversée en traçant un parcours artistique allant du métro Riquet au Métro Stalingrad :

Les architectes Berger et Berger travaillent à la conception de sculptures lumineuses qui seront présentes sur le lieu lors de son inauguration en octobre 2008. Ils conçoivent également des micros espaces à structure légère ;

Le photographe Alain Bernardini prend en photo les ouvriers du chantier embrassant leurs outils sur leur lieu de travail. Ses photos sont affichées en grand format tout autour du chantier sur le mur de l'entreprise Tafanel ;

L'écrivain Jean Paul Curnier écrit des petites phrases sur les murs-alentours du chantier ;

Le musicien Vincent Eplay, fait un montage de son des villes associées au lieu ;

Le groupe de designer Expérimental Jet Set réalise le graphisme du lieu ;

Mai Lucas projette un diaporama de ses photos, portant un nouveau regard sur la population du quartier ;

L'écrivain Olivia Rosenthal écrit actuellement une pièce sonore Viande Froide sur l'histoire des pompes funèbres. Elle lit des extraits de sa pièce sonore au café Le Mathis, situé à côté du lieu. Le concepteur lumière Jean François Touchard éclaire toute La Traversée, et le vidéaste Pierrick Sorin prend les spectateurs en photo lors de La Traversée.

Ici se manifeste déjà une attitude de la part des artistes de partir du lieu ou de sa fonction pour ensuite créer l'oeuvre, partant du chantier, de l'histoire des pompes funèbres, du quartier ou du public. Les artistes créent en fonction du lieu d'exposition.

Ajoutons qu'un mot d'ordre était donné au public, un concours de photos prises depuis son téléphone portable avait lieu entre tous les spectateurs pour « vivre sa propre traversée », les photos étaient ensuite exposées sur le site internet. Cet acte place également le spectateur en position d'artiste.

Pour promouvoir l'événement, de nombreuses affiches sont mises en place dans la ville. Des annonces sont publiées dans les journaux (Libération, Le Monde II, Télérama...) et à la radio (France Inter est partenaire de l'évènement). Des informations sur le site du 11 bis sont données sur l'événement, les inscrits sur le site reçoivent la lettre d'information de l'événement.

Le titre de l'événement est lancé : « Soyez les premiers à traverser le 104 »

Pour cette première ouverture publique du lieu, les bureaux du 11 bis rue Curial recrutent et forment par l'intermédiaire des personnes chargées de relations publiques des Passeurs et des Médiateurs en contrat à durée déterminée. Ils ont une différence de fonction.

La mission des passeurs : s'adresser aux visiteurs du lieu à l'intérieur du 104 pour leur proposer des explications ou simplement engager la discussion. Ces explications peuvent, suivant le désir des visiteurs, aborder soit le projet artistique du lieu, soit son histoire, soit son architecture.

La mission des médiateurs : Le vendredi et le samedi matin, dans le quartier, tout autour du lieu, ils incitent le public non averti à la curiosité. Dès l'ouverture de La Traversée, ils expliquent en plus les oeuvres en place, les itinéraires possibles

b : mon expérience de médiatrice au 104

J'ai travaillé au 104 en tant que passeuse, pour La Traversée. Nous sommes soixante-dix Passeurs en tout. Les Passeurs durant l'événement de La Traversée n'étaient pas reconnaissables. Notre but n'étant pas de tout connaître et de faire une conférence sur les tenants et les aboutissants du lieu, mais, simplement d'engager une conversation avec les visiteurs. Pour cela, plusieurs méthodes : soit nous étions à l'entrée, côté rue Curial et nous traversions tout l'édifice avec un groupe de visiteurs qui, curieux du lieu demandaient à faire une visite « guidée », soit nous interceptions à l'intérieur un questionnement sur un sujet et nous en profitions pour engager une discussion. Le passeur/médiateur provoque la rencontre, l'interrogation et donc la discussion. Il est aussi là pour rassurer certaines personnes inquiètes de la venue d'un tel équipement culturel dans le quartier. Beaucoup de visiteurs étaient surpris en arrivant dans le chantier, le besoin d'exprimer leur surprise à un autre individu se faisait sentir, nous étions là pour partager leur étonnement. Certains des médiateurs parlaient des dialectes (le Wolof, dialecte Sénégalais, ou le Fon, dialecte Béninois par exemple) pour être aptes à renseigner les visiteurs qui comprenaient mal le français. Des visites étaient également prévues en langues des signes.

Les passeurs sont de tout âge, de tout type, artistes ou non artistes, ils ont été préparés pour cet « acte de confiance », choisis pour « faire partager à tous l'ambition et la passion du projet »45(*).

J'ai pu constater en travaillant au 104 ce samedi soir, la venue de beaucoup de gens du quartier. Ils sont généralement très contents du lieu et de l'aménagement progressif du XIXéme arrondissement par la Mairie de Paris. Beaucoup citent l'aménagement du jardin d'Eole, juste en face du 104. Le 104 s'inscrit dans le renouvellement du quartier, et les habitants qui ont parfois l'impression d'être délaissé par rapport aux quartiers sud, sont fiers des nouvelles installations. Certaines personnes pensent qu'elles y viendront, d'autres sont dubitatives. Par contre certains sont mécontents de l'abandon progressif du marché Riquet juste à côté du 104 et il y a là un paradoxe, les créateurs du 104 parlent de créer un nouveau lieu de rencontre dans le quartier, or, un marché ne constitue-il pas par définition un lieu de rencontre, surtout dans ces quartiers populaires ? Les patrons des cafés voisins (café Au Curial, café le Pascali, café le Mathis, Brasserie du Parc) apprécient l'établissement d'un équipement culturel nouveau dans le quartier. Un tel lieu est susceptible de leur apporter une nouvelle clientèle. D'autres personnes du quartier ne croient pas en la pérennité d'un tel lieu. Précisons que le prix de l'immobilier est haussé dans les agences par la présence du 104 « ce charmant appartement faubourien est situé à proximité du canal et du 104 »46(*). Le site de "l'immobilier intelligent"47(*), BMI Key donne des précisions sur la mutation du quartier sur l'établissement de ce lieu culturel. « L'ancien bâtiment des Pompes funèbres municipales créé par les architectes Delebarre et Godon en 1874, d'une architecture industrielle, deviendra à l'automne un immense établissement artistique de la ville de Paris. »48(*) Cet argument immobilier inquiètent certains habitant du 19ème arrondissement. Les personnes à faibles revenus craignent d'être repoussées hors du quartier. Quelques-uns ont peur de la venue d'étrangers « La peur de l'autre, de ce qui est différent » nous dit F. Fisbach, nous cherchons « un art qui va à la rencontre de l'autre, et non qui s'en éloigne. » Beaucoup d'artistes s'interrogent sur la pérennité du lieu, notamment avec l'approche des élections municipales de mars 2008. Ils doutent des résidences. Seront-elles justement attribuées ? Ils craignent la main mise de la part de la Mairie de Paris ou des directeurs.

Le public est hétérogène : habitants du quartier, de la banlieue proche, du sud de Paris. Ils viennent par curiosité : certains ont entendu parler de l'événement à la radio ou dans des journaux, d'autres ont vu des affiches, le bouche à oreille est également un facteur important. Les individus viennent seuls, en famille, ou entre amis.

Certains sont impressionnés par la vitesse à laquelle la rénovation et la reconstruction se font en même temps (réhabilitation, reconversion). On retrouve bien ici le thème de la reconversion, déjà présent dans les friches culturelles, à la différence que plus que de reconvertir un lieu, on va ici jusqu'au réaménagement du lieu par la reconstruction. On en fait un vrai lieu artistique aux normes, alors que les friches squattées ne posaient pas ces problèmes de normes de sécurité. Il faut noter aussi que bon nombre d'entre elles ont fermé pour ces mêmes raisons, les artistes n'ayant pas les moyens de payer les travaux pour faire de leur squat un lieu conforme à la loi et accessible par le tout public.

Je rencontre également le président du conseil de quartier du XIXéme Monsieur Demange49(*), qui me dit que le 104 n'a jamais été squatté, contrairement à l'image qu'il reflète, de la mythologie du squat d'artistes. Ainsi, à l'intérieur même de l'équipe de médiation, l'échange et la transversalité sociale sont déjà présents entre un groupe hétérogène d'individus.

c : Le médiateur est-il nécessaire ?

Un médiateur « sert d'intermédiaire, d'arbitre, de conciliateur » 50(*), la médiation est « une entremise destinée à apporter un accord »51(*). Plus que d'apporter un accord, les médiateurs dans l'art ont pour mission de servir d'intermédiaire entre le spectateur et ce qu'il voit. Ils doivent rendre l'art accessible au spectateur, réussir à placer les deux sur un même plan, une même transversalité. C'est, toujours dans cette idée de rapprocher l'art de la vie et du quotidien que le médiateur intervient pour faciliter le rapport à l'art, le rendre visible par tous. Il intervient pour permettre au spectateur de trouver un chemin de compréhension devant une oeuvre.

Dans un lieu qui pousse à l'échange et à la rencontre, il paraît logique qu'il y ait des personnes pour provoquer cet échange s'il ne va pas forcément de soi. Mais devant certaine oeuvre, le médiateur s'avérait inutile.

C'est le cas de Pierrick Sorin qui pour cet événement propose une création vidéo participative dans la Nef Curial. Son projet consiste à diffuser un « tableau animé » ultra-panoramique, constitué par juxtaposition de cinq projections synchronisées. Le tableau représente un paysage de chantier, réalisé par photomontage à partir de prises de vues effectuées sur le site du 104 en travaux. Dans ce paysage circulent des personnages, à califourchon ou assis sur divers objets eux-mêmes issus de chantier (sac de ciment, marteau piqueur, tractopelle...). Ces personnages ce sont les visiteurs qui, rapidement photographiés dans un petit espace studio à proximité des images projetées, se voient mis en mouvement dans le paysage. Ceci par un procédé de montage où l'image est traitée en moins de cinq minutes. Le spectateur, étonné de voir son image projetée aussi rapidement, engage de lui-même un échange avec autrui, pour partager sa surprise. J'ai travaillé plus tard sur une installation de ce même artiste à la Maison des Arts de Créteil. L'oeuvre Warming seat est un petit préfabriqué en bois dans lequel le visiteur entre seul. Il s'assied en face d'un écran dans lequel il se regarde de profil et appuie sur un bouton. Se regardant dans l'écran, il voit un homme (Pierrick Sorin) venir derrière lui et allumer un feu sous son tabouret. Le visiteur réagit (joie, peur pour les enfants, surprise, cris...) et ressort de la boîte. Il aperçoit alors sa réaction projetée en grand écran au milieu de l'exposition, dans un espace plus solennel.

Il y a dans les deux installations un effet de surprise, mais la réception est différente suivant le lieu et le contexte.

Au 104, on ne peut passer qu'un par un pour faire cette oeuvre participative. Il y a alors un phénomène de file d'attente, les spectateurs attendent et engagent la discussion. Il faut faire attention, car il y un esprit plus populaire (type fête foraine) qui s'installe entre les gens et beaucoup oublient qu'ils vont voir une « oeuvre d'art ». La limite ici entre l'art et la vie diminue donc mais avec un aspect péjoratif pour l'art qui se rapproche alors de l'attraction, phénomène que les critiques d'art qualifient d'entertainement. Il est accessible par tous, mais certains oublient qu'il s'agit d'une installation élaborée par un artiste. Il en fut de même à la MAC, avec les groupes de lycéens qui se bousculaient pour se faire prendre en photo une fois le dispositif connu. Dans ces moments-là, il me semble que la présence d'un médiateur est utile pour développer le fonctionnement et rappeler au public qu'il s'agit bien d'une oeuvre d'art.

B : la transmission

a : Une nouvelle dramaturgie à inventer

Le 104 c'est aussi une droite coupant la courbe du temps artistiques en deux points : il joint celui de la performance et de l'interdisciplinarité à toutes les disciplines de l'art contemporain. Il ne faut cependant pas confondre les dramaturgies mises en jeu dans la dynamique interdisciplinaire- qui crée sur la scène un tissage particulier entre les disciplines -et la nouvelle dramaturgie à inventer dans un lieu transdisciplinaire comme le 104.

Le 104 est un établissement artistique de la ville de Paris, nom trouvé spécialement pour ce projet. Diverses notions sont à l'oeuvre dans ce projet : dialectique entre les arts, dimension pédagogique dans les relations avec le public.

À lire les documents et écouter les acteurs du 104, on retrouve une sémantique particulière dans les termes employés pour parler de ce lieu. Un nouveau vocabulaire se crée, issu de vocabulaire du nouveau cirque et du hip hop mais typique au 104. Des entretiens avec Cantarella et Fisbach des mots/formules sont sortis : « traversé humaine », « inventer un lieu de transmission » « passeurs parleurs » « chemin de créations »52(*). Un vocabulaire narratif, imagé, dynamique, qui rappelle que les directeurs voient également le lieu en tant que scénographes d'une dramaturgie culturelle. Une nouvelle dramaturgie à inventer et qui favorise en théorie la démarche vers des publics plus populaires, la rencontre, « l'art qui s'éprouve au quotidien »53(*). Pour les deux directeurs, le « 104 » c'est avant tout un lieu de création artistique qui s'éprouve au quotidien et qui est indépendant de la production. Il y a donc une mise en scène du lieu à imaginer l'espace artistique devient espace dramatique. Cette mise en scène voit le lieu comme un espace dramatique duquel on ressort en ayant vécu une expérience, tout comme lorsqu'on va au théâtre. Imaginer que c'est un lieu du quotidien, imaginé que c'est la rue, une rue scénique. C'est un lieu de happening si on se réfère à la définition de ce dernier par le metteur en scène Peter Brook dans L'Espace Vide «  De même qu'une peinture, un happening est conçu comme un nouvel objet, une nouvelle construction introduite dans le monde pour l'enrichir, pour ajouter à la nature, pour accompagner la vie quotidienne54(*) ».

Le 104 rechercherait à retrouver ce besoin commun, oublié, qui existe entre les hommes de partager une expérience commune devant une oeuvre d'art. L'art pour l'art, sans obligation de production, mais qui cherche juste l'expérience du spectateur, c'est ce à quoi vise ce nouveau territoire de l'art.

Les directeurs du 104, dans leurs projets, entendent réunir au sein du lieu un public hétéroclite parce qu'aujourd'hui à Paris,  « il existe trop peu de lieux de rencontre »55(*). Ils aspirent à faire vivre l'art dans ce quartier difficile et hétérogène. Des réunions avec les habitants du quartier sont déjà organisées régulièrement au 11bis rue Curial pour les tenir informés de l'évolution du projet et des prochaines rencontres artistiques. Le Jeu "de mon balcon" est initié : « Alimenté par les contributions des riverains apercevant tout ou partie du site depuis leurs fenêtres, un espace numérique sur le site du 104 qui témoigne de l'évolution du chantier au fil des saisons, vu par les riverains. »56(*) Tous les habitants du quartier apercevant le 104 depuis leur fenêtre sont invités à photographier le chantier en évolution. Après ouverture, les actants du lieu espèrent que ce dispositif sera reflet de l'activité du 104, de son inscription dans le quartier. Enfin, signalons que dans le  « contrat » des résidences, il est spécifié que "chaque résidence commence par une quinzaine de jours de découverte de l'environnement du lieu, en compagnie d'un riverain, ambassadeur volontaire de son quartier."57(*) C'est une manière de créer l'échange et aussi de permettre à l'artiste de travailler en fonction du nouvel environnement qu'il habite.

b : L'exemple d'un artiste résident du 104 qui exerce un art ouvert à la communication : Nicolas Simarik.

Nicolas Simarik est né le 10 mars 1977 dans la région parisienne. Il est diplômé de l'école des beaux-arts de Bourges puis de Nantes. Il est actuellement en résidence au 104 pour l'élaboration d'un projet constitué de clés. En 2006 il réalise à Toulouse un catalogue « La Déroute »58(*). Ce catalogue est une oeuvre artistique contemporaine prenant la forme d'un faux catalogue de la Redoute. C'est une oeuvre collective et participative qui propose une image du quartier toulousain Empalot.

« Le propos de ce livre d'image sera d'utiliser un support connu de tous pour mettre en valeur la vie quotidienne d'un quartier »59(*)

Le magazine, oeuvre d'art, se présente comme le porte parole de l'architecture, de la vie d'un quartier.

Partir du quotidien pour arriver à une oeuvre artistique c'est la recherche globale des artistes du 104. S'inspirer du quotidien des personnes qui côtoie l'art en train de se faire pour faire un art plus accessible et plus proche.

« Pour l'ouverture du 104, Nicolas Simarik propose un projet participatif de grande envergure autour du thème symbolique de la clé. Allant à la rencontre du plus grand nombre par le biais de récoltes de clés, il organise des tournées locales, nationales et internationales. Il se lance le défi d'amasser un million de clés, pour les agencer ensuite en un immense parterre. »60(*)

Cette gigantesque oeuvre collective marque bien la volonté réelle de cet artiste résident de s'adresser au plus grand nombre. « Certifiant l'idée essentielle que l'art se manifeste aussi dans le quotidien et le lieu dit commun. »61(*). Cette image illustre bien que ce qui est important ce n'est pas le résultat final, mais le processus de création avec la population. Ici les moyens mise en place pour l'oeuvre sont en même temps le but et la signification de cette dernière. Avec l'art participatif ou « l'art en train de se faire », voici l'arrivée de nouvelles notions d'espaces, temps, lieux.

c : Espaces-temps-lieux.

Avec cette conception de l'art comme fait de simultanéité et de société, il se construit une nouvelle temporalité. Cette temporalité est différente de celle du temps de la représentation ou de l'exposition : le temps accordé pour l'art va plus loin que le simple temps de la représentation. C'est une transversalité qui est temporelle. Avec « l'art en train de se faire » le temps de la fiction a disparu, il n'y a plus que temps de la représentation, de l'expérience. Cette durée est la même pour le spectateur et l'artiste. C'est un temps qui s'inscrit dans la vie. Il se mélange avec le lieu traversé.

Au 104, le temps artistique peut correspondre au chemin parcouru entre la rue Curial et la rue d'Aubervilliers. Comme pour l'exemple de la Villette, il se confond avec un temps de vie. Les courbes de l'espace et du temps sont dans la même transversalité. Le moment artistique n'est plus forcément un temps de pose où notre corps ne bougerait plus dans l'espace.

De même que pour le spectateur, le rapport au temps est différent pour l'artiste. Avec cette esthétique participative, ou du moins de l'échange, ce n'est pas le but qui compte, mais le processus de création avec le public comme le montre l'exemple des créations de Pierrick Sorin et Nicolas Simarik. Le spectateur, dans ces dispositifs, se retrouve malgré soi artiste à la place de l'artiste, tandis que celui-ci regarde le spectateur et joue avec/de lui. L'oeuvre ici n'existe pas en amont du spectateur, elle n'existe que par lui, et la création a lieu en temps direct. L'autonomie de l'oeuvre d'art tend à s'effacer pour se rapprocher (par le truchement) de la technique. On entre donc dans une esthétique du moment qui fait l'oeuvre. Et « l'oeuvre authentique, en vérité, c'est l'oeuvré et son temps réel (...) le moment de son élaboration »62(*). L'oeuvre ici n'est jamais terminée, différente pour chaque spectateur, c'est le processus, de création qui fait l'oeuvre. Son résultat ne s'inscrit pas dans un temps fini, puisque toujours changeant. Comme la représentation théâtrale et les performances, cet art, qui s'inscrit dans un lieu et non dans une durée devient éphémère. Il existe uniquement pour le lieu, tout comme il prendrait place dans un endroit de l'espace public, il s'établit dans son contexte.

Mais voir l'art en train de se faire ne marque-t-il pas le début de la disparition de la magie dans l'art ? Il y a indéniablement un rapprochement vers la technique. Ce qui constitue la fin de l'illusion du mystère de la création : Le spectateur et l'artiste sont maintenant sur le même plan. Ils évoluent sur la même transversalité. Cette transversalité est spatiale. Ils sont dans le même espace, il n'y a plus, avec ces nouveaux lieux, de différences, de niveaux de séparation scène/salle. Sauf pour les salles de représentations incluses dans le lieu, mais pour ce qui est de La Traversée propre du 104, de la promenade, les artistes créent leur art au même niveau que le spectateur. L'art est inclus dans le lieu de vie.

2) Transversalité sociale 

A : Inscription du 104 dans son milieu

L'espace public est libre, d'accès gratuit et fréquentable par tous. Il est « espace de médiation des rapports humains, lieu de rencontre et d'interactions sociales »63(*). L'espace public est le terrain de nombreuses installations artistiques, les colonnes de Buren, derrière la Comédie Française à Paris en sont l'exemple le plus connu. De plus en plus de manifestations ont lieu en espace public, citons en exemple la manifestation « Mots publics », organisée par Agrafmobile le 19 octobre 2007 dans le quartier Saint Blaise, 20ème arrondissement de Paris. Agrafmobile est une association qui privilégie les interventions qui investissent l'espace urbain. « Mon envie, c'est de recréer par ce théâtre visuel un espace public qui donne à voir et à lire autre chose que des signes administratifs et des messages commerciaux. Une tentative de reconquérir l'espace public comme espace d'imagination appartenant à ceux qui y vivent... »64(*) explique Malte Martin, le directeur artistique d'Agrafmobile. L'espace public c'est ce lieu qui appartient à personne et à tout le monde dont les artistes s'accaparent parfois pour le transformer en espace artistique.

a : Exemple d'un espace public culturel parisien : La Villette

Le Parc de la Villette dans le 19ème arrondissement de Paris fait partie de ces lieux ouverts, susceptibles d'attirer un public varié. Il est intéressant de remarquer que le Parc de la Villette pratique une politique particulière pour attirer un large public (espace de promenade, jeux pour les enfants, concerts...). Il est créé sur le site des abattoirs de la porte de la Villette où il y avait un vaste terrain et deux bâtiments principaux, la grande halle du 19ème siècle, et les abattoirs construits dans les années 1960.

Un concours d'architecture est remporté par l'architecte Bernard Tschumi (suisse américain) qui propose un projet programme, capable d'accueillir de multiples activités. Le projet est un système de tracés et de points qui, selon la volonté de son concepteur, ne cesse d'évoluer. La grande halle accueille des expositions et spectacles, les abattoirs modernes la Cité des sciences, les points du tracé Tschumi les Folies. Les vingt-cinq Folies sont espacées de 120 mètres dans le parc. Certaines ne sont que figures urbaines vides (à investir), d'autres hébergent des activités diverses (ateliers, centre d'informations, billetterie, antenne de secours, restaurant Quick). Portzamparc a conçu le Conservatoire et la Cité de la musique (enseignement, spectacles, concerts, expositions, musé). Jean Nouvel est lauréat en 2007-2008 du projet de Salle Philharmonique.

Le parc, aménagé en différentes séquences paysagères thématiques, offre de vastes surfaces de pelouses et des aires de jeux pour les enfants. Il attire la population des quartiers voisins et des banlieues proches. Les publics de la Cité des sciences, de l'espace chapiteau, du théâtre Paris-Villette, des manifestations de la Grande Halle, de la Cité de la Musique, du Zénith, ainsi que des événements plus périodiques (cinéma plein air, feux d'artifices) s'y croisent. Ce qui établit en apparence une hétérogénéité culturelle. Jacques Martial, dans l'édito du programme de la saison 2008 de la Villette écrit : « le rôle de la Villette (...) est de créer un environnement propice à la découverte des arts et à la démocratie culturelle dans le but d'offrir à chacun l'opportunité de son développement sensible, intellectuel et citoyen »65(*).

Cependant, plusieurs enquêtes réalisées sur le site de la Villette et disponibles sur le site Internet du lieu montrent que les visiteurs favorisent le côté pratique à venir dans un lieu et pas forcément l'aspect culturel. On vient pour courir, promener son chien, ou bien pour le plaisir de sentir des fleurs66(*).

Les « Rencontres de la Villette», manifestation pluridisciplinaire annuelle, proposent un éventail des formes artistiques émergentes en danse urbaine et en théâtre. Elles attirent généralement un public socialement hétérogène. Cependant « ces différentes catégories de public étaient amenées à se côtoyer par le caractère pluridisciplinaire de la programmation, mais on remarquait néanmoins que les comportements d'ouverture et de découverte à l'égard des disciplines autres que celle qui les avait motivés à venir, étaient freinés par tout ce qui instaurait une trop grande distance entre le public et l'offre »67(*). Les publics intellectuels et habitués aux sorties culturelles se rendent aux rencontres théâtrales, les publics plus jeunes et des structures sociales sont plus attirés par la danse. Mais, «  les éléments de continuité entre les différentes propositions s'avéraient favorables à la découverte (le principe du forfait et de la libre circulation, les offres transversales mêlant plusieurs langages ou associant artistes professionnels et amateurs) ». La continuité et la transversalité artistiques favorisent donc bien les échanges sociaux entre les publics. En lissant les enquêtes sur les usagers du parc, on peut voir que les visiteurs les plus réguliers sont les usagers ou les familiers. Les « familiers » s'approprient le lieu de façon ouverte et active, un nombre important d'entre eux participe aux événements culturels du parc, tandis que les « usagers » l'utilisent comme un espace vert de proximité.

Les « familiers du site » sont présents toute l'année sur le site et s'intéressent aux offres culturelles du Parc de la Villette. Et ce, malgré un profil social qui, loin de favoriser ces pratiques, joue habituellement un rôle de barrière culturelle.

C'est à travers cette partie du public que le Parc de la Villette met véritablement en oeuvre sa mission de démocratisation culturelle. Le 104, pour mettre également à l'oeuvre cette volonté de démocratisation culturelle, devra à travers sa programmation et les espaces annexes qu'il offre trouver les moyen de se faire une public de familier.

De plus  «  La médiation culturelle représente une activité importante au Parc de la Villette : en 2004, le service de médiation culturelle a mis en oeuvre quelque 1300 actions - des journées de formation, d'ateliers, de visites, de débats, etc. - qui ont touché près de 26.000 personnes, pour l'essentiel des professionnels de l'enseignement et de l'action socioculturelle ou socio- éducative, accompagnés ou non de leurs élèves ou de leurs groupes. »68(*). La médiation mise en place aide à la sensibilisation culturelle des promeneurs du parc. Cependant, le fait qu'il y ait autant de sondages sur les usagers montre que répondre aux attentes d'un public hétérogène ne va pas de soi, et qu'il ne suffit pas d'être dans un quartier populaire pour attirer toutes les catégories sociales dans un espace, même si celui-ci se rapproche de l'espace public.

b : Le 104, espace public ?

Avec un espace traversier, «  seul lieu d'art où l'on n'est pas obligé de rentrer par le même endroit que là d'où l'on est sorti »69(*), véritable passage public parisien ouvert de 8h à 22, le 104 évolue au-delà de la notion de propriété privative de l'espace de création vers celle d'ouverture, donc de perméabilité au voisinage, au public. C'est un lieu de rassemblement social d'individus, en théorie de classes hétérogènes, un lieu sociologique, un lieu qui s'approche de l'espace public.

«  C'est ça, la rue ouverte à tous en question, où l'on pourra voir l'art en train de se faire. C'est un chemin de création»70(*) explique Frédéric Fisbach.

« Une rue ouverte à tous » c'est donc bien de créer un espace sur le modèle d'un espace public que recherchent les directeurs avec ce lieu.

L'espace se présente effectivement comme un long passage couvert d'une verrière, bordé d'ateliers de création et de divers équipements de réalisation artistique, de monstration, ou de services. Il concourt à part entière aux objectifs : L'art en lui-même devient un lieu de transversalité, par la médiation que la forme urbaine impose de fait au public. Il y a un rapport dialectique entre le lieu et la culture. Un désir par les acteurs du « 104 » d'attribution collective d'un lieu au public. Le désir de créer un espace ouvert que la collectivité a en partage.

La notion d'espace public n'est jamais évoquée dans les textes qui viennent de l'équipe du 104.

C'est une rue qui permet de voir « l'art en train de se faire »71(*) par les artistes, un espace de la création. Un lieu de passage, de rencontre et d'interactions sociales, c'est bien ce à quoi le 104 s'apparente. C'est un espace libre d'accès gratuit et fréquentable par tous. Ce qui reste toujours dans le domaine de l'espace public. Pourtant, s'il se rapproche de la rue, de la vraie voie publique, il n'est pas complètement un espace public. Car un espace public, se référant à la thèse de Jürgen Habermas, philosophe allemand, intitulée L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise et qui date de 1963, est un espace « gouverné par la raison », où la « critique s'exerce contre le pouvoir d'état » 72(*). Or le 104 est un lieu institué, ce qui semble aller contre un espace de la critique du pouvoir d'état. Les premières résidences démontreront si cet espace peut recevoir des artistes qui exercent leur art dans ce registre. Ce passage est fermé la nuit, il n'est pas complètement public car appartenant à la mairie et demandant des normes de sécurité particulières (une caserne avec des pompiers qui travailleront en permanence sur le lieu est construite). Ainsi, ce n'est pas totalement un espace public, et pourtant on en est très proche et les notions d'espace, de temps et de lieu sont donc différentes de celles des lieux conventionnels de l'art.

Le 104 représente un effacement progressif de la frontière entre lieu public et lieu privé. Il incarne le refus du cloisonnement, l'espace multiple cité par Jean-François Augoyard : « Il faut concevoir des espaces qui offrent le maximum d'usages possible, qui permettent l'appropriation et sa dynamique »73(*).

c : Le 104 dans le contexte culturel actuel

Parce qu'à Paris, on trouve beaucoup de lieux de représentation et peu de lieux de travail, il faut inventer avec le 104 un lieu de transmission. Mais si les friches sont des laboratoires de la décentralisation, le 104 malgré tout s'inscrit au coeur de la capitale française déjà très culturelle. Il viserait donc à décentraliser la culture à l'intérieur même de la ville. Il faut ici faire un court point sur l'offre culturelle parisienne relativement vaste. En effet, d'après la base de donnée en ligne sur le site Internet du Ministère de la Culture74(*), la capitale française recense en tant que lieux subventionnés : 13 compagnies résidant dans la ville, 37 théâtres; 32 compagnies, deux grands festivals, plusieurs associations culturelles (seulement trois sont recensées par le ministère) et un grand lieu pluridisciplinaire : le Parc de la Villette, situé dans le même arrondissement que le futur « 104 ».

Tout ceci sans compter les squats artistiques établis à Paris et les lieux non subventionnés. On compte actuellement une vingtaine des squats culturels à Paris regroupant plus d'une centaine de créateurs. Il ne s'agit pas alors de critiquer l'ouverture d'un nouveau lieu culturel dans la capitale, mais bien de voir en quoi ce lieu apporte un renouvellement dans l'offre culturelle parisienne. En quoi il pourrait rentrer dans une autre catégorie que cité au-dessus.

Le 104 est en correspondance avec quatre lieux hors de France. À Berlin, Sasha Waltz et Jochen Sandig pour la danse,  Folkert Uhde, pour la musique, viennent d'ouvrir (Septembre 2006) le RadialSystem dans un ancien transformateur électrique situé au bord de la Spree. À Rome, en 2008, Zone Attive aménage dans les anciens abattoirs de la ville un complexe de 10000 m2 dédié à l'innovation dans les arts. À Madrid, le Matadero se situe aussi dans les anciens abattoirs, coron de l'architecture industrielle, et s'étend sur 148000 m2. Enfin le 104 est en associations avec une école pluridisciplinaire de référence aux Etats-Unis : le CalArts. Tous ces lieux sont créés sur des bases similaires aux 104 : ils croisent les arts et se soucient de la transmission au public. Ces nouveaux sites d'art s'allient, ensemble, à repenser la place de l'artiste dans la société, les conditions de production et les modes d'accès à l'art. Ces lieux « partagent leurs expériences, mettent en commun leurs forces »75(*). En me rendant à Berlin au RadialSystem, je me suis aperçue que c'était un lieu peu ouvert au public et qui engageait moins à la discussion. Berlin est riche de lieux artistiques ouverts, où les artistes sont présents, prêts à échanger avec le public. Au RadialSystem, allant le jour où il n'y avait pas spécialement d'événement, je n'ai trouvé personne pour m'informer de la programmation artistique du lieu. Cet espace privé, en apparence sclérosé, construit dans une ville pourtant ouverte à l'échange culturel pourrait-il représenter l'avenir du 104 ?

B) les perversions du système

a : Vers un art uniquement contextuel

Considérons, sans l'appeler ainsi, le 104 comme un espace public : la place de l'art change donc légèrement pour se rapprocher de l'art contextuel dont parle Paul Ardenne. Cet art s'illustre soit dans les Happenings en espaces publics, soit lorsque l'art investit l'espace urbain ou le paysage. Dans la plupart des cas, il est fondé sur une esthétique participative et « opte donc pour la mise en rapport directe de l'oeuvre et de la réalité sans intermédiaire »76(*). Il semble que l'esthétique du lieu étudié se rapproche de ce concept d'art contextuel qui favorise la situation et le processus artistique avant le résultat. Comme dans la performance, l'artiste doit être présent et dans les moments d'échanges avec le public, il y a pour lui, une réelle mise en acte de sa présence. « L'art contextuel reconfigure la destination de l'art, qui dépasse ainsi le champ de la seule contemplation, et requalifie la notion « d'art public ».77(*) Ces oeuvres participatives qui offrent au public des « situations à composer »78(*) qui se développeront au 104 sont généralement plus faciles d'accès au public. Mais Paul Ardenne nous met bien en garde : l'art contextuel correspondrait à un rêve artistique commun dans lequel tout le monde pourrait se reconnaître et trouver sa place. Objectif qui peut être périlleux. Il ne faut pas, sous prétexte de vouloir absolument toucher un public faire de l'art qui serait plus « facile ». La banalisation de ces formes d'art et le rêve de donner du plaisir au public sont deux éléments de la création qui pourraient s'avérer contraignants. Il importe de faire attention à bien rester dans la surprise pour le spectateur. Être attentif à ce que ce dernier ne devienne pas un habitué de ce processus artistique qui l'inclut dans le travail. D'autre part, la position du créateur est à considérer. Cette mise en public ne convient pas à tous, et certains ont besoin de solitude, de secret, de concentration et de recentrement sur soi pour produire une oeuvre qu'ils considèrent comme aboutie. La notion de production d'une oeuvre d'art en tant qu'objet ne peut pas être totalement éliminée du champ de l'art.

c : Passer outre l'obligation de production

La performance et l'installation artistique contemporaine ne peuvent être ni achetées ni vendues. Il y a avec cette conception de l'art en train de se faire une invitation pour le spectateur de reconsidérer la place de l'art dans la société. Bourriaud dit que « ce qui ne peut se commercialiser a tendance à disparaître »79(*), l'art non tangible aurait-il alors tendance à disparaître ? L'art réalisé par certains artistes au 104 est une expérience directe mais éphémère à vivre, un moment de la participation qui ne peut pas s'acheter avec une valeur marchande. Il est là pour rendre palpable les relations humaines, il est un prétexte à la rencontre. C'est une monstration tactile mais non-transportable de la réalité. « A partir du même matériau (le quotidien), on peut réaliser différentes versions de la réalité ».80(*) Cet art-là, que le 104 s'apprête à exposer part du quotidien. Mais pas seulement du quotidien du lieu ou du quartier, mais du quotidien du ressenti des artistes et de leur rencontre avec les publics. Car les directeurs espèrent que ces rencontres publiques, ces dialogues influenceront les artistes dans leur travail. Le 104 s'inscrit donc dans une dramaturgie qui est celle de la création. Celle de ce qu'il y a en aval de la production.

Mais le système peut, je pense, facilement se pervertir et le 104, s'il devient un lieu public qui brasse des populations peu attirer des artistes poussés plus par l'envie de montrer leur oeuvre et de se faire une renommée que par celle de communiquer avec le public. Et l'acte de transmission peut alors devenir un acte intéressé. La transversalité qui s'exerce entre les artistes et le public peut alors se transformer en une « publicité » pour l'artiste, qui venant en résidence dans un lieu comme celui-ci peut chercher à se faire connaître du grand public.

c : institution = modelage ?

Nous entrons avec le phénomène qui a poussé l'art à s'éloigner de l'institution dans un processus inverse de celui qui existait jusqu'au début du 20ème siècle.

Dans la démocratie athénienne, le « théâtre s'est trouvé naturellement intégré à l'organisation de la vie sociale »81(*). Tous les citoyens étaient donc obligés de se rendre au théâtre, dans un acte de société et les acteurs étaient entièrement tributaires de la démocratie ; la question de la création, du lieu ne se posait pas. La représentation avait toujours lieu au même endroit, au même moment lors des Dionysies et des Lénéennes. À la Renaissance, en France, le théâtre n'est plus un fait politique mais un divertissement culturel, cependant, quand le pouvoir royal donne de l'argent à une troupe par un principe de mécénat, ce geste était synonyme de survie pour la troupe. Elle était mieux vue du public de manière générale.

Maintenant c'est le contraire. Si les artistes se battent tout de même pour avoir des subventions du ministère de la culture ou des différentes DRAC (direction régionale des affaires cultuelles), le rêve absolu de toute compagnie est de garder son indépendance pour ne pas être redevable d'une obligation de production.

« De violent et désobéissant, l'artiste devient doux et serviable »82(*)

La dramaturgie programmée au 104 est peut-être trop propre, trop bien fabriquée, trop proche de l'institution. Alors que l'art, pour s'épanouir, a besoin de désordre et de négation. Mettre en ordre les conditions de l'ouverture, n'est-ce pas, à terme, fixer des contraintes fortes ? Frédéric Hocquard dans le bimensuel Mouvement83(*) nous dit que «  l'art de la friche ne relève pas de la contingence, ni du situationnel, ni du marginal. Il répond à une nécessité : la puissance de la négativité, qui a fait que l'art n'a jamais manqué de changer et d'innover ». Ce nouveau mode artistique d'une transversalité comme règle, ne risque-t-il pas alors, perdant son autonomie critique, de constituer un nouveau modèle, au risque de figer l'art ?

CONCLUSION

Le fait qu'il y ait eu plusieurs colloques et parutions sur le sujet des friches artistiques (dont un colloque international, suite au rapport Lextrait, réuni à la Belle-de-Mai à Marseille en février 2002 pour parler de ces nouveaux territoires de l'art) fait signe qu'on décèle un mouvement culturel dont les relations avec le social et le politique posent question sur le statut même de l'art.

À la fin du 20ème siècle, on peut dire que le mouvement des friches a laissé sa marque dans l'histoire des arts, en mettant en pratique l'interdisciplinarité, la rencontre collective, et l'intervention urbaine par la reconversion d'un lieu.

Les avantages et les particularités de la friche se trouvent dans son espace dû à l'architecture industrielle : grande échelle, espaces libres sans cloisonnement, donc partitions indéterminées et évolutives. Ces locaux vides donnent la possibilité de travailler, de prendre des risques. Les friches sont définies par Christian Martin comme des « laboratoires de la décentralisation »84(*) elles sont des outils pour inventer des nouvelles formes d'art. Les artistes proposent dans une friche, un lieu ouvert, des expériences directes à vivre avec le public. Pour ces artistes contemporains, les friches correspondent à un retour à l'espace réel, à une communauté de vie, à une autorisation, à un temps d'errance. C'est également cette transversalité que le projet du 104 cherche à recréer.

Des artistes comme Stein, Kantor, Artaud, qui cherchent un théâtre qui s'inscrit dans la vie et qui bouleverse le spectateur sont à l'origine des mouvements des performances. Les nouvelles formes de lieux artistiques comme le 104 sont nourries d'expériences de l'Avant-garde Américaine qui jouent sur la spontanéité, l'immédiateté comme le Living Theatre défini par Georges Banu comme un « phénomène de sociologie culturelle qui provoque un choc de l'immédiateté85(*) » . De telles références sont implicitement présentes dans la démarche des fondateurs du 104 Robert Cantarella et Frédéric Fisbach, dans leur pratique d'hommes de théâtre qu'ils ont décidé de « reconvertir » dans ce projet. Un projet imaginé par La Ville d'un lieu artistique pluridisciplinaire basé sur l'image topographique et culturelle des Friches. Construit dans une ancienne usine industrielle des pompes funèbres, forme de hangar, mélange des disciplines, c'est avant tout un lieu ouvert et transversal.

La reconversion du lieu et sa forme de passage sont exactement à l'image de la friche, physiquement et symboliquement. Jacques Pajot et Marc Iseppi, architectes à l'Atelier Novembre et chargés du réaménagement du 104 le rappellent « Dans ce projet, l'enjeu était de réorganiser l'espace en fonctions utiles aux artistes invités, avec des plateaux de production modulables, des logements, des services, tout en s'inscrivant dans l'architecture existante »86(*).

L'esthétique et l'architecture des lieux d'art sont des actants à part entière du rapprochement homme/oeuvre : du tissage de la ligne qui unit l'art à la vie. Elles jouent la valorisation de la rencontre de proximité. Le 104, proche d'un espace qu'on pourrait qualifier d'espace public, vise à réduire l'espace qu'il y a entre l'art et la vie. Le temps de la vie devient celui de l'oeuvre, et l'espace artistique espace public. Le croisement des disciplines correspond à un décloisonnement des publics, les publics de la danse vont rencontrer les arts du théâtre, du cirque, de la vidéo ainsi que les publics qui s'y associent. On essaie de retrouver par l'art un rapport social.

En créant un nouvel espace multifonctionnel qui ne soit pas spécifique à un type d'art et, à un public privilégié, la Ville s'engage à recréer un lieu de vie collective, sur le modèle des nouveaux territoires de l'art. L'art transdisciplinaire qui se travaille dans ces espaces recherche l'unification, développée par le situationnisme Guy Debord, dans son livre La société du spectacle. « Le spectacle se présente à la fois comme la société même, une partie de la société, et comme un instrument d'unification »87(*).

On note également une théorisation de « l'art en train de se faire » où le concept de performance se dilue dans diverses pratiques, où de manière générale l'espace public devient l'espace de jeu et le public spectateur improvisé.

Le projet du « 104 » s'inscrit entièrement dans un nouveau mode de médiation. On y voit le processus de création qui ouvre à la rencontre. L'art devient participatif. Cette rencontre, ce moment de vie avec l'artiste, est un facteur « crucial » de l'événement artistique actuel. Il doit être optimum. La création d'un lieu institutionnel sur un modèle de lieu contre-institutionel annonce irrémédiablement un changement prochain dans l'art, si les squats deviennent un modèle et que l'art évite les modèles et les obligations, vers quoi l'art contemporain se dirige-il ?

Ce mouvement qui recherche la transversalité artistique et sociale, le regroupement, le collectif et la relation à l'autre trouve peut-être ses avatars dans d'autres modes de vie. Le cirque par exemple est un mode du vivre ensemble, dans la troupe on se déplace ensemble, on vit en groupe. Dans les phénomènes sociaux on retrouve également ce courant qui tend vers le regroupement, la perméabilité entre les groupes d'individus, ceci peut être pour répondre à un isolement croissant des individus dans une société morcelée en catégories. Les pratiques artistiques et le 104, lieu multifonctionnel ouvert à tous, en sont, il me semble, une excellente image : « l'artiste habite les circonstances que le présent lui offre »88(*).

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Sur le 104

· Documents fournis par le 104 lors de La Traversée :

Dossier de presse La Traversée

Documents fournis aux passeurs :

-104, le service municipal des pompes funèbres,

-Le 104 centre quatre, établissement Artistique de la ville de Paris, Guide à l'attention des passeurs de la Traversée, décembre 2007.

· Articles dans une revue :

FEVRE Anne-Marie. « Le 104 aux portes d'une seconde vie ». Libération, 29 et 30 décembre 2007, p. 32.

SCHMITT Olivier, « à table, déjeuner avec les 2 du 104 », Le monde 2, 29 décembre 2007, page 66.

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· Documents électroniques :

Site du 11 bis, (Page consultée régulièrement), Adresse URL : http://www.11bis.fr

Puis Site du 104 (Page consulté régulièrement), adresse URL : http://www.104.fr

Site de La Traversée, (Le 28/01/2008), adresse URL : http://www.104latraversée.com

Le perroquet libéré (27/12/2007), Adresse URL :http://le perroquetlibere.com/le-104-habite-au-11-bis_a224.html

Sur les débuts de l'interdisciplinarité, les friches et les nouveaux territoires de l'art.

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· Documents et rapports officiels

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· Article 

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· Colloque

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Sur les autre lieux en correspondance et les CDN

· Documents électroniques

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· Document annexe

Programmation du Radial System, New space for the arts in Berlin, Février Mars 2008

MARTIAL, Jacques. Edito du programme 2008 « Grains de Folie », Parc de la Villette.

TABLE DES MATIÉRES DES ANNEXES

· Annexe1...................................................................56

Frédéric Fisbach et Robert Cantarella : Directeurs du 104 

Lucie Nicolas : responsable des passeurs pour La Traversée

27 décembre 2007, Visite du lieu

· Annexe 2..................................................................59

Discussion avec Monsieur Demange,

Président du conseil de quartier du 19e

29 décembre 2007, café Mathis, Paris

· Annexe 3..................................................................61

Rencontre Victor Dixmier,

Mairie de Paris,

30 Décembre 2007, 104, La Traversée

· Annexe 4..................................................................62

Entretien avec Frédéric Fisbach,

Codirecteur du 104,

7 avril 2008, 11 rue Curial

· Annexe 5..................................................................68

Entretien

Stéphanie Lefebvre : Présidente de l'association La Générale en Manufacture, Artiste Photographe

Caroline Pradal : Présidente de l'association La générale et présidente adjointe Association La générale en manufacture, Artiste Sculpteur

Pierre Lempens : « Coordinateur », artiste vidéo

Le 10 Mai 2008, Ateliers de la manufacture de Sèvres

Annexe 1

Visite du lieu

Frédéric Fisbach et Robert Cantarella : Directeurs du lieu 

Lucie Nicolas : responsable des passeurs pour La Traversée

27 décembre 2007

R.C : Donc on va faire la visite du chantier ensemble, c'est cette visite que vous ferez avec les visiteurs samedi et dimanche pour La Traversée. C'est aussi un acte de confiance pour nous que de vous déléguer ce rôle de passeur parleur de notre projet (...)

L.N : Alors vous êtes passé et c'est à vous de faire passer les autres et de faire partager à tous l'ambition et la passion du projet (...)

F.F : Là on est pile à l'endroit où les gens rentreront. Donc il y aura un décompte puisque vous savez qu'il n'y aura pas plus de deux mille quatre cents personnes qui peuvent être simultanément sur le chantier. Un comptage sera fait forcément, donc les gens attendront à l'extérieur.

R.C  : Autre chose importante à identifier, c'est que le passage, quand on dit c'est un passage en fait c'est ça. Ici c'est l'entrée ou la sortie et ça va jusque de l'autre côté. C'est la rue qui fait 250m de long et 70m de large. C'est ça la rue ouverte à tous en question où l'on pourra voir l'art en train de se faire. C'est un chemin de création.

F.F  : Quand on arrive du côté de la rue d'Aubervilliers, en fait on est de plain-pied avec la rue, de ce côté ci, on est obligé de monter des marches. Simplement parce que en fait, à l'origine tout le site était en pente puisque il y avait trois cents chevaux, donc il fallait évacuer le purin et que le purin était évacué à grands jets d'eau vers la rue d'Aubervilliers. C'est pour ça que le site était en pente.

R.C  : Ici c'est la cour Curial. Là c'est la halle Curial et après il y a la cour de l'horloge et la cour d'Aubervilliers. Donc c'est là qu'il y aura la pépinière d'entreprise

E.G : Qu'est ce que vous entendez par pépinière d'entreprise ?

R.C  : Ca veut dire qu'on accueille des jeunes entreprises qui commencent. Tu as une idée, tu es une jeune entreprise, tu ne sais pas où te mettre, et bien là, pendant trois ans tu as des bureaux, des accompagnements juridiques, des salles mutualisées, jusqu'à ce que ton produit soit tellement bien que l'entreprise puisse voler de ses propres ailes.

F.F : Là, on est dans la halle Curial au niveau des commerces. C'est-à-dire que de part et d'autre il y aura derrière ces...parpaings, des espaces qui sont des commerces en fait. Là, en face, il y aurait une librairie, ici il y aurait une maison des enfants, c'est un endroit pour les enfants accompagnés, de 6 mois à 6 ans.

R.C  : Une maison verte

F.F  : et en face un restaurant, et là...

R.C : Là ; en fait on ne sait pas, peut-être une supérette, il y aura un commerce qu'on n'a pas encore déterminé, il y a plein d'études qui ont été faites. En tout cas, ce sont vraiment les deux halles commerciales qui sont de part et d'autre. Là, au centre, c'est ce qu'on appelle le Jardin. On a demandé à des paysagistes une fois par an de faire un projet de jardin, vous voyez avec la verrière ça fait une lumière parfaite, et ça sera un jardin public et couvert. Donc chaque année il y aura...Les premiers paysagistes, ce sera un potager par exemple, mais ça sera toujours un jardin public.

F.F  : En dessous ce sont les anciennes écuries. Je vous parlais de chevaux tout à l'heure, ils étaient en dessous. Ce sera des endroits à commercialiser pour des petits salons de professionnels, des réunions d'entreprises par exemple. En fait c'est des espaces commerciaux, 2400 mètres carrés, d'espaces qui donnent sur deux cours anglaises. Toute cette halle sera éclairée par la lumière du jour, c'est à plein ciel. Au-dessus, ce seront des ateliers d'artistes plus petits, de 100 m carré.

R.C  : Et le jour de La Traversée, en fait, la question est : où est ce qu'on est ? Comment on commence ? Et bien, vous vous serez là, des deux côtés de la rue. Les gens passeront comme vous, en traversée humaine. Vous vous mettez où vous voulez, l'important, c'est de passer à côté de quelqu'un, et si vous êtes à côté quelqu'un, de lui expliquer ce que c'est que là, comme on est en train de se le dire. Souvent vous verrez que certaines personnes ont peur de la venue de beaucoup d'étranger au quartier avec l'arrivé du 104. La peur de l'autre, de ce qui est différent. Nous au contraire, il faut leur expliquer que nous cherchons un art qui va à la rencontre de l'autre, et non qui s'en éloigne.

R.C  : Cette halle sera entièrement fermée par des grandes portes en verre en hiver, et donc il sera possible d'avoir une température plus clémente. Pour accueillir par exemple un travail avec du cirque, du théâtre de rue...

F.F : Depuis cette cour, la cour de l'horloge, on voit les habitants du quartier, et inversement les habitants du quartier nous voient. C'est-à-dire que là on voit bien que le bâtiment est complètement pris dans des habitations. C'est ce qui fait qu'on ne pourra pas faire des concerts de 2400 personnes, parce qu'il y a des gens qui habitent dans la villa Curial, et ça fera beaucoup de bruit. C'est pour cela qu'il y aura deux salles de spectacle isolées acoustiquement et un grand atelier isolé aussi. Et ces salles seront disponibles par tous hein, puisque c'est un lieu qui évite les attributions. Si un artiste vidéo veut un plateau de danse, il y en a un sur place, qu'il l'investisse. C'est la façon d'utiliser l'instrument de travail qui fait la spécificité de l'art et non l'inverse.

R.C  : Dans la cour Aubervilliers, le plus important est que c'est la cour des ateliers d'artistes justement. Lieu de résidence pour les artistes, tous les arts, toutes les pratiques artistiques, on peut rester d'un mois à douze mois, on a un des ateliers. Et sur la gauche là-bas, il y aura un café presse (...)

Annexe 2

Discussion

Monsieur Demange : Président du conseil de quartier du 19e

29 décembre 2007, café Mathis, Paris

E.G : Ca fait longtemps que vous habitez dans le 19?

M.D : Ha oui ça fait trente ans.

E.G : Donc vous avez connu aussi quand c'était les pompes funèbres...

M.D : ha oui, mais attendez, les pompes funèbres je crois que ça s'est arrêté en 75

E.G : Comment vous avez vu l'évolution du projet ?

M. D : Ce qu'il faut savoir c'est que jusqu'en 2002...heu.....la Mairie de Paris, c'était Tiberi le Maire. Et Roger Madec, de gauche était maire du 19ème mais n'avait aucun pouvoir décisionnaire. C'était Tiberi qui décidait. Alors ce que Roger Madec fait, il a bloqué le fait qu'on en fasse des logements en faisant classer le lieu « monument historique », donc ça a arrêté la procédure de démolition. Delanoë a été élu en 2002, donc il y a eu une bonne entente si je puis dire. Parce que je me souviens avant 2002 il y avait des désagréments entre la mairie du 19e et La Ville. Parce qu'on avait un Conseil de Quartier qui n'était pas « légal », puisque à l'époque c'était pas obligatoire de le faire. Je me souviens quand on sollicitait les services de la Mairie, il y en avait qui ne voulaient pas nous entendre, parce qu'ils nous disaient : vous êtes le conseil de quartier...on ne vous connaît pas, on veut pas avoir etc. Mais alors après 2002, il y a eu une réflexion qui s'est faite, on nous a donc chargé de voir un peu ce qu'on pouvait faire et puis ça a pris corps puis Delanoë a tranché en disant « faudrait que ça soit un lieu culturel ». C'est quand même lui qui a tranché parce que là aussi, il y a eu des discussions de savoir ce qu'on en faisait de ça...Disons que pendant deux trois ans ça a été un lieu où on ne savait pas trop quoi en faire. Alors entre le moment où la ville a dit, on abandonne, parce que c'était là où il y avait les services sociaux de la ville...A un moment donné les pompiers devaient venir là...

E.G : Est ce que le lieu a été squatté à un moment ?

M.D : Non, jamais. Non, parce que c'était les services sociaux de la ville qui habitaient là. Alors il y a eu à un moment c'est vrai, c'était pas des squatteurs, on a mis des gens...des sortes de drogués, des SDF qui, disons, devaient être réinsérés etcetera. Mais c'étaient pas des squatteurs, non ça a jamais été squatté. Parce que c'était fermé, on ne pouvait pas rentrer dans le lieu. C'était fermé, abandonné, barricadé. On pouvait rentrer par une petite porte qui n'existe plus maintenant, il y avait une petite porte à droite où il y avait les services de la ville. Mais on ne pouvait pas aller à l'intérieur.

Annexe 3

Brève rencontre

Victor Dixmier : Mairie de Paris

Samedi 30 Décembre 2007, 104, lors de l'événement La Traversée

E.G : Vous travaillez pour la Ville, ça représente quoi le 104 pour la Mairie ?

V.D : Symboliquement il faut montrer que voilà c'est vraiment le chantier culturel phare de la Ville...Ils ont mis ça pour l'affiche des voeux. C'est un des projets phares...C'est très beau en tout cas. Le montrer en chantier, c'est vraiment bien, ça donne envie de venir voir ce qu'il y aura dans ce lieu, une foi les travaux finis...Ça a un petit côté Nuit Blanche...Par contre leur site Internet je n'ai pas tout compris, je n'arrive pas à cliquer au bon endroit...Je suis resté un peu sur ma faim quoi...Mais il faudra voir en quoi les travaux artistiques sont vraiment des entrées dans le quartier. Qu'ils ne soient pas là simplement pour faire joli quoi...

E.G : Moi j'ai vu pas mal de gens du quartier

V.D : Oui, ils ont l'air assez curieux

Annexe 4

Entretien

Frédéric Fisbach : Codirecteur du 104,

7 avril 2008, 11 rue Curial.

E.G : Comment définiriez-vous le « 104 » ?

F.F : Le « 104 » c'est avant tout un lieu de l'art qui s'éprouve au quotidien, qui se transmet au quotidien. C'est un lieu de transmission qui travaille la relation à l'oeuvre. Il n'y a pas de lieu de création, d'art en train de se faire à Paris. L'oeuvre est toujours achevée quand elle est visible par le public. Or, nous nous pensons que pour comprendre l'art, et les artistes, il faut les voir faire, et les entendre expliquer leur travail. Parce que l'art vient d'où ? Il ne vient pas du divin, il vient des artistes, et il faut les écouter ces artistes. Il n'y a rien de plus intéressant que d'écouter quelqu'un expliquer son travail. On en retient toujours quelque chose et il nous reste toujours quelque chose. Qui peut le mieux parler de l'art sinon les artistes ? Alors bien sûr ça ne veut pas dire qu'il faut un mode d'emploi aux oeuvres, ça n'a rien à voir. Parce qu'il n'y a pas un seul chemin pour comprendre l'oeuvre, il y en a une infinité, non, nous ce qu'on cherche, c'est créer des relations entre l'art et le quotidien. Voilà, le 104 c'est un lieu de l'art qui s'éprouve au quotidien.

E.G : L'art au quotidien des artistes mais l'art aussi dans son quotidien ?

F.F : Oui mais sans que le mot quotidien ait une connotation péjorative. Il ne doit pas y avoir non plus de côté banal dans le lieu. Presque, on pourrait parler de fréquentation, comme on fréquente un parc ou un lieu où on aime aller, on fréquenterait le 104. Vous savez, on est parti d'un constat très simple : à Paris, il n'y a pas de lieu de l'art en train de se faire. Pour voir l'art en train de se faire, il y a un besoin de temps et d'espace. Il y a beaucoup de lieux de représentation, mais peu de lieux de travail. Donc, avec Robert Cantarella nous nous sommes fait la réflexion qu'il fallait partir ou bien inventer un nouveau lieu de transmission. La transmission tient à ce qu'on retiendra quelque chose de l'art. Il nous reste quelque chose, vice-versa, l'artiste aussi garde quelque chose et enrichit son art en échangeant avec autrui. Nous voulons créer l'échange, nous voulons voir l'art en amont du travail, en fin de compte, et non en aval, du côté de la production. Parce qu'il y a un ressenti différent, parce que nous pensons vraiment que l'oeuvre d'art peut changer quelque chose. Voilà, alors j'ai fait long mais le 104 c'est tout ça. Puis, c'est un lieu urbain, ça c'est important aussi. C'est un lieu qui s'inscrit dans une ville. Contrairement à la Villette qui voit la ville de loin, le 104 s'inscrit dans son quartier. Nous cherchons à ce qu'il devienne un lieu de fréquentation des gens du 19e, un lieu qu'ils pourraient inscrire dans leur quotidien. Je pense que ça raconte une chose toute bête. Parce que l'art fait quoi finalement ? Il réarticule des représentations du monde. Pourquoi y aurait-il un art populaire et un art élitiste, pourquoi l'art ne pourrait pas être accessible par tous, compris par tous ? Pourquoi il faudrait encore et toujours créer des lieux d'art avec un grand A ? Nous, on veut un art qui soit dans la ville et, plus, un art qui s'intègre dans le quartier. Je trouve qu'il y a un grand courage politique et une grande compréhension aussi d'avoir voulu installer un lieu d'art ici, dans ce contexte culturel. Mais c'est palpitant comme projet de faire ça dans ce quartier que l'art a oublié. Justement pour dépasser ces apories il y a une réelle volonté sociale de faire un lieu d'art dans le quartier de ceux qui ne rentrent pas dans les cases. Parce que vous savez tout le monde rentre dans des cases pour la culture, mais ici non, ici, je pense, c'est le quartier des oubliés. C'est vrai, le 19e ce n'est pas un quartier Haussmannien. Nous, on a décidé d'installer nos bureaux ici pour vivre ce quartier au quotidien, essayer de comprendre ce quartier, essayer de..., c'est toujours sur le principe de l'échange. Ici, on est ailleurs, mais on veut comprendre ce quartier, que les gens puissent passer, toquer à la portes du 11 bis et venir discuter avec nous, on cherche le rapprochement. Par ce que ça marche dans l'autre sens aussi. Ici on ressent la peur des gens de l'autre, de ce qui est différent, de ce qui va changer leurs habitudes. Nous recherchons un acte qui va a la rencontre de l'autre et non qui s'en éloigne. C'est le principe même d'un acte de confiance aussi, je crois que c'est important de faire confiance, c'est des choses qui devraient aller de soi. C'est comme pour La Traversée. On vous a délégué notre savoir, on vous a transmis ce que nous savions sur le lieu pour qu'à votre tour vous le transmettiez et le partagiez avec le public. C'est un acte de confiance, les médiateurs deviennent alors les acteurs du lieu à notre place.

E.G : Est-ce que vous apparentez le 104 à une Friche institutionnelle ?

F.F : Friche ou squat. On devrait pouvoir parler de ça, oui c'est vrai. Mais ce n'est pas ça. Le 104, c'est l'époque d'après ça. En tout cas, c'est vrai qu'on s'est beaucoup inspiré de ce mouvement qui laisse un champ artistique assez libre, ouvert. C'est un mouvement qui sort du mono disciplinaire pour aller vers le pluri et vers le collectif. Et puis il y a un paradoxe dans le terme des friches indus...Tenez, j'ai failli dire friches industrielles. Oui, friche institutionnelle c'est tout le paradoxe entre la friche et l'institution. Le squat s'établit toujours dans une durée limitée avec le facteur risque, mais c'est intéressant aussi de travailler dans la durée limitée, avec toujours cette histoire qu'on est jamais sûr du devenir du squat.

Parce qu'il faut faire attention à la tranquillité et au formatage, c'est très dangereux pour l'art le formatage. Vous savez, les petites cases dans lesquelles on nous met encore. C'est pour ça que c'est bien de partir du modèle du squat qui justement évite le formatage

E.G : Vous saviez qu'il y avait la Générale avant dans le 19ème justement. Et qu'ils ont récemment été expulsés pour êtres relogés à Sèvres...

F.F : bien sûr, bien sûr, oui. C'est pour ça que je dis qu'il faut faire attention. La Générale c'était un squat très artistique, vivant, ancré dans son quartier. Certains des artistes sont partis à Sèvres, d'autre se sont dispersés. C'est le monde artistique, les squats artistiques s'inscrivent dans une prise de risque, il n'est pas forcément fait pour durer. Il s'inscrit dans un temps donné. C'est très sain d'ailleurs de se dire qu'on travaille dans un temps limité. Là, nous on réfléchit beaucoup à ça nous, on se dit : qu'est ce qui se passera quand on devra partir ?

E.G : Vous avez signé pour une durée limitée avec la ville, (comme les directeurs de CDN qui doivent se renouveler régulièrement) ?

F.F : Pour l'instant nous avons signé un contrat de trois ans, après ouverture du lieu, bien sûr. Mais le contrat est renouvelable. Je pense que l'idéal est de rester cinq ans après l'ouverture. Pour pouvoir vraiment lancer le lieu pendant trois ans et puis après pouvoir profiter un peu du lieu, vivre le lieu. Ça ne veut pas dire qu'on n'en profite pas en ce moment mais c'est simplement qu'on n'a pas beaucoup de temps, que tout passe vite. Mais peut être que, voilà, au bout de trois ans, on jugera qu'on aura fait le tour et on partira, vous savez, la pérennité des choses... Mais c'est bien que ça change aussi, qu'il y ait d'autres personnes qui viennent avec d'autres programmes artistiques. Là où il faut faire attention, c'est au contexte culturel actuel. Ce qui est paradoxal c'est que nous ne choisirons pas les gens qui nous succéderont et que peut-être eux chercheront la productivité.

E.G : Vous dites que vous ne cherchez pas la productivité, en ce moment il y a quand même une crise dans la culture et justement on tend vers une forme d'art plus productive, je pense à la lettre de mission du président à la ministre de la culture. Il y a une tendance à fermer les lieux qui...

F.F : Là vous parlez de l'Etat. Il y a un problème au niveau de l'Etat. Ici nous dépendons de la Ville de Paris. Je pense que le système aujourd'hui est complètement perverti, ce n'est pas que ce gouvernement. Je pense qu'il faut modifier le fonctionnement des lieux subventionnés, pas forcément les changer, mais les modifier. Les modifier ça veut dire... je pense que les administrations restent en place pendant trop longtemps. Tout à l'heure je parlais de l'intérêt qu'il y a à travailler dans une durée limitée, mais là, les directeurs des structures changent mais les administrations restent. Lorsqu'un nouveau directeur arrive dans une structure, il se heurte à des habitudes culturelles et les politiques restent les mêmes. Alors c'est délicat, hein, comme discours mais je ne pense pas qu'il y ait trop de compagnies en France, enfin, il y en a peut-être trop, mais peut-être pas assez aussi. Parce que les compagnies, avant tout, c'est quoi ? C'est par là qu'arrive la création, et c'est la création qui fait l'art pas uniquement les lieux de l'art. Je pense qu'à un moment donné, il faut faire les missions qu'on a et tenter de développer un maximum la création. Parce que les administrations des théâtres ce sont des salariés qui travaillent, ils sont tranquilles, mais les compagnies sont dans un système de on-off en permanence, elles sont toujours en déplacement. Il y a un trop grand décalage entre ces deux régimes. C'est-à-dire que ce qui est contradictoire en ce moment, et c'est là que je trouve qu'il y a un courage fort de la part de la Ville, c'est qu'il y a de plus en plus de lieux de production pure mais qu'il y a moins de lieux de création, de travail pour ces compagnies. Alors, bien sûr, le 104 ne va pas résoudre tous les problèmes, mais le 104 propose une alternative à ces lieux. Je pense que c'est un lieu qui est pionnier dans cette réflexion-là, c'est un lieu pour accueillir la création dans la volonté de montrer l'art en train de se faire. Et tous les arts. Alors moi, je ne suis pas très « trans » là-dedans. Ça ne veut pas dire qu'on va prendre le meilleur du théâtre, de la vidéo, de la danse et puis que tout ça, ça va faire une oeuvre. Non. Ce qui est intéressant c'est de faire que des gens qui vont travailler côte à côte dialoguent, échangent, s'influencent parfois même sans le savoir. On est plus dans le domaine de l'inspiration, de l'empreinte que les arts peuvent se laisser entre eux. Je pense qu'avec un lieu comme ça, on essaie de sortir du travail parfois trop individuel de l'artiste pour entrer dans le collectif. Là où je trouve qu'il y a un courage politique c'est qu'il est quand même assez drôle de voir que le seul champ qui caractérise l'art aujourd'hui c'est sa valeur. Sa valeur marchande je veux dire. Comme si l'art n'était que marchandise !

Mais l'art est créateur de beauté, d'esthétisme de vie, je trouve qu'on a tendance à oublier que l'art c'est aussi un prétexte à la rencontre. Il y a un désengagement de l'Etat sauf... et c'est encore autre chose...

E.G : dans le patrimoine...

F.F : alors oui dans le patrimoine et puis dans les arts visuels, on continue de dire qu'on va encore débloquer des fonds pour l'audiovisuel... et on oublie presque le reste de la création. C'est pour ça que je dis encore une fois qu'il y a un enjeu énorme. Alors bien sûr, y a d'autres lieux en France qui fonctionnent un peu comme ça...

E.G : justement, en quoi trouvez-vous que le 104 sera différent des endroits comme le Lieu Unique à Nantes ou la Belle-de-Mai à Marseille par exemple.

F.F : C'est déjà beaucoup plus grand et puis ici on verra les ateliers, c'est un lieu du public le 104, je pense que c'est plus ouvert ; mais bien sûr il y a des ressemblances avec ces friches dans le fonctionnement, dans tout ce qui a rapport au collectif. Le Lieu Unique par exemple, il y a peu d'ateliers d'artistes qui travaillent directement sur place, c'est plus un lieu de diffusion et on retrouve beaucoup moins ce système d'échange. La Belle-de-Mai c'est encore autre chose. Mais le 104 c'est à ma connaissance le seul lieu d'art où l'on n'est pas obligé de rentrer par le même endroit que là où on est sorti.

E.G: Pourquoi vous associer à d'autres lieux, pourquoi le Radial System par exemple ?

F.F : Je pense que ces lieux partagent leur expérience et mettent en commun leur force. Prenez le Radial à Berlin, c'est un lieu privé qui a failli fermer l'année dernière. Ils fonctionnent avec leur propre subvention, ils louent beaucoup d'espace et pratiquent de moins en moins de diffusion. Chaque ville a sa propre particularité. À Berlin, il y a plus d'espace et la vie est beaucoup moins chère qu'à Paris. Beaucoup d'artistes vivent là-bas, ils travaillent là-bas parce qu'il y a plus de possibilité d'avoir des ateliers, mais ils ne montrent pas toujours leur travail sur place. Mais c'est encore autre chose parce que le mouvement des squats est entrain de s'épuiser à Berlin, alors le RadialSystem est construit encore sur un autre modèle...Enfin c'est intéressant de voir comment un lieu évolue, de s'inspirer les uns les autres. Comme il n'y a pas de lieu équivalent au 104, il faut trouver des gens avec qui on a envie d'échanger, de réfléchir ensemble.

E.G : Pour revenir à la Ville. Les 70% de subventions que vous recevez de la part de la Ville de Paris ne risquent-ils pas d'obliger un rendu, une certaine légitimité du lieu, dans le sens d'une certaine dépendance? Quel est votre degré de dépendance vis-à-vis de la ville ?

F.F : Alors, maximum 70%.

E.G : alors vous voulez diminuer l'apport de la Ville

F.F : Non, on ne veut pas diminuer. Dans l'idéal, nous ce qu'on aimerait c'est augmenter nos revenus propres bien sûr. Entre autres grâce au mécénat. Non, je ne pense pas qu'on ait peur d'une main mise de la part de la Ville. Quel intérêt pour la Mairie de Paris de garder un contrôle total sur le lieu ? C'est vraiment très important de conserver l'indépendance du lieu. De toute façon, il n'y a pas trente-six solutions, si nous on n'avait pas eu la chance d'avoir la mission d'ouvrir un lieu comme ça, maintenant, à Paris, on serait parti à l'étranger.

E.G : Vous avez eu des craintes au moment des élections ?

C'est sûr qu'on y a pensé mais finalement ça ne sert à rien parce que...D'abord on n'a pas de temps à perdre avec ça et puis, bien évidemment, ça serait très dommage qu'un tel projet soit laissé aux oubliettes. Mais je pense que ça peut marcher, que ça doit marcher.

E.G : Quels moyens pratiques comptez-vous mettre en place pour que le processus de rencontre fonctionne ? Comment ne pas attirer un public uniquement bobo mais également des gens qui traverseront le lieu dans leur vie quotidienne ?

F.F : Le 104 ce n'est pas qu'un lieu où on voit de l'art. Tout le monde pourra trouver une raison de venir au 104, et particulièrement les gens du quartier. Il faut que les gens du quartier, voilà, s'associent le lieu d'une façon ou d'une autre. Il faut que les artistes travaillent avec eux. Avec des groupes qu'ils connaissent aussi. C'est pour ça qu'il y a plusieurs types d'espaces. Je pense aux espaces pour les pratiques amateurs, aux ateliers qui se mettront en place pour les jeunes, aux petits commerces. C'est aussi un lieu où on pourra venir se promener le dimanche après-midi par exemple. Je pense qu'il faut que les gens puissent se dire « si on allait au 104 ». On a mis en place un dispositif qui encourage le mélange, si vous voulez, ce n'est pas un lieu monopublic bobo et je pense, j'espère, que ça va marcher.

E.G : Pourquoi vous pensez qu'il y a besoin d'un lieu comme ça à Paris ?

F.F : Il n'y a pas de lieu de travail pour les artistes, peu de lieux d'échange. Je crois qu'aujourd'hui, il y a un besoin de paroles échangées. Il existe trop peu de lieux de rencontres à Paris, pour nous il fallait partir ou bien inventer un lieu de transmission. Avec les jeux vidéo et la télé, il y a plus de lieux de l'échange. La seule chose qui puisse faire barrage à ça, c'est un lieu qui ne soit pas trop éloigné de nous. Moi je pense que c'est dans le face à face et le dialogue que ça se passe. Il n'y a pas de lieu pour ça. Aujourd'hui je trouve que l'art ne s'inscrit pas assez dans le réel, voilà.

Annexe 5

Entretien

Stéphanie Lefebvre : Présidente de l'association La Générale en Manufacture, Artiste Photographe

Caroline Pradal : Présidente de l'association La Générale et présidente adjointe Association La Générale en manufacture, Artiste Sculpteur

Pierre Lempens : « Coordinateur », artiste vidéo

Le 10 Mai 2008, Ateliers de la manufacture de Sèvres

E.G : Bonjour. Je suis étudiante en Master Arts du spectacle à Paris III, je rédige un mémoire sur les squats artistiques. Mais pas que ça, parce qu'il y a eu déjà beaucoup d'études là-dessus. Je m'intéresse surtout à l'arrivée du 104 à Paris et j'essaie de voir en quoi ça découle, entre autres, des friches culturelles.

E.G : Tu es présidente de l'association établie ici. Comment s'appelle-t-elle ?

S.L : La Générale en Manufacture.

E.G : Donc c'est une nouvelle association qui a été fondée pour ce lieu ?

S.L : Oui, elle a été faite pour ce lieu. Parce que en fait quand on a quitté Belleville il ya eu scission. Une partie du regroupement -parce qu'on ne parle pas de collectif- est venue ici à La Manufacture de Sèvres, et l'autre partie qui est plus dans la branche du spectacle est restée sur Paris. Mais de ça, je ne peux pas trop t'en parler parce que je ne suis pas au courant de ce qui se passe.

E.G : Vous n'êtes pas restés en contact ?

S.L : Si, on est un peu resté en contact, mais enfin il y a eu quand même scission.

E.G : Et après il y a eu donc deux associations qui se sont créées ?

S.L : Oui eux je crois que c'est la Générale du 14

E.G : Et à la base, c'était quoi l'association ?

S.L : C'était la Générale

E.G : Toi tu étais déjà là-bas quand vous avez été expulsés ?

S.L : oui

E.G : Et tu étais déjà présidente ?

S.L : non pas du tout, moi ça fait quelques moi que je suis présidente.

E.G : Le squat de Belleville datait de quand ?

C.P : De février, mars 2005.

S.L : C'est parti de l'envie de trois, quatre personnes, qui avaient repéré le lieu déjà, d'ouvrir ce squat là et après...C'étaient des gens qui avaient rarement ou jamais même squatté ou ouverts des squats. Du coup on était quand même tous nouveaux là-dedans. La Générale c'était un truc qu'était pas vraiment un squat, en tout cas je pense pas que ça suivait les autres modèles de squat. Nous on a toujours voulu que ce soit un lieu ouvert, un lieu de travail pour les artistes.

E.G : Parce que vous aviez remarqué le bâtiment. C'était quoi avant ?

S.L : C'était un bâtiment qui était inoccupé depuis dix ans. Ça appartenait à l'Education Nationale en fait et ils étaient en pourparlers pour le revendre à la Santé. Parce qu'ils voulaient en faire un hôpital psychiatrique. Ils vont faire une Maison-Blanche là-dedans. Mais bon, ça faisait dix ans qu'il était fermé, donc si tu veux, nous on y est allé aussi en disant : voilà, nous on s'installe mais quand vous voudrez commencer les travaux on partira.

E.G : J'ai l'impression que la procédure d'expulsion a duré assez longtemps ?

S.L : On a été très bien défendus par un avocat qu'on avait pris. William Bourbon, c'était l'avocat qu'on voit dans le film Bamako. Et du coup ça a pu traîner, traîner, traîner, et on a pu rester plus.

E.G : Mais il y avait quand même une procédure d'expulsion...

S.L : Oui, on savait qu'on devait partir, donc on avait déjà déménagé avant l'expulsion. On avait déjà les locaux ici, c'était en avril 2007. On a dû partir le mardi et ils ont fermé les portes le mercredi. Et depuis, le lieu est gardé, ils ont pas encore commencé les travaux. Mais il y avait cette question-là surtout que nous, on voulait avoir un espace de travail, pas forcément un espace de vie, et puis donner la possibilité aux gens qui voulaient travailler de faire des expos...

E.G : Comment vous avez entendu parler de la Manufacture ?

S.L : C'est la DRAC qui nous a proposé ça. C'était le deal. Mais ici, ça court jusqu'en novembre prochain. Donc là on est dans les pourparlers pour, soit rester un peu plus, soit voir ce qu'on peut faire dans un autre lieu. Ici c'est 150 000 euros pour les impôts locaux que la DRAC paie, nous on paie les fluides : eau, gaz, électricité, assurance. Mais la DRAC ne peut pas prendre une telle somme en charge deux années de suite. Donc, à nous d'aller voir...le Conseil Régional....le maire de Sèvres...

C.P : En fait plus précisément la DRAC est venue à des expos qu'on organisait à la Générale à Paris. De là ils ont pris contact avec nous, en fait. Donc, ils savaient depuis le début que c'était un squat et qu'on était en procès, donc ils nous ont proposé de nous reloger, pour qu'on puisse continuer à travailler. Ils nous ont proposé ce site-là. Par ce qu'en fait il y a des liens assez forts avec la Manufacture de Sèvres. Avec David Caméo qui est le directeur de la Manufacture et Laurence Maynier son bras droit. C'est comme ça que le DRAC nous a proposé le site et on a dit ok on va voir. Donc voilà comment ça s'est passé en fait.

E.G : Donc après vous êtes venus ici ?

C.P : Donc oui. On a proposé ce lieu de trois milles mètres carrés à la Générale, une bonne partie avait très envie de venir ici. Et une autre partie beaucoup moins parce que ça collait moins avec leur projet en fait. Ils avaient besoin d'être dans Paris intra-muros pour leurs différentes activités, donc voilà on a déménagé.

E.G : Et les autres, ils se sont installés où ?

C.P : Ils vont aller dans un local qui est un ancien transformateur E.D.F. C'est avenue Parmentier. Eux ils n'ont toujours pas investi le lieu parce que c'est un bâtiment où il fallait pas mal de travaux. Eux, ils auront besoin d'accueillir le public parce que c'est un lieu de spectacle, d'arts vivants...Donc ça prend beaucoup de temps pour tout mettre aux normes et tout ça. Donc eux, ils fonctionnent pour le moment en petites cellules, dans des endroits différents, puis après ils se retrouveront. Mais le lieu sera un lieu de monstration, parce que c'est construit de telle façon qu'il ne peut pas y avoir d'ateliers ou des choses comme ça...C'est vraiment un grand plateau.

E.G : Ici vous faite du travail avec la Ville, le lycée ?

S.L : Pas encore

E.G : Pas encore ça veut dire que vous envisagez de le faire ?

P.L : On n'envisage pas de ne pas le faire. Mais pour l'instant....

E.G : Parce que il y a des options Arts Plastiques dans le Lycée...

S.F : Oui, le maire nous en a parlé la dernière fois qu'on l'a rencontré. Mais c'est toujours pareil, nous en théorie, on est ici jusqu'en novembre ; ça laisse peu de temps pour mettre en place des actions artistiques avec le lycée. Est-ce qu'on met en place un truc pédagogique ? Est ce qu'on a envie de mettre en place un truc pédagogique ? Caroline oui, mais c'est un peu compliqué quoi...

E.G : Et le public, certains vous ont suivi de Paris à ici ?

C.P : On arrive à avoir du public ici. Alors c'est un public de gens motivés et très intéressés en fait. Ici c'est plutôt rare que les gens passent sans savoir ce qu'il y a. A Belleville ça arrivait souvent. Alors qu'ici on invite les gens à venir, il faut qu'ils soient au courant de ce qui se passe... Il y a très souvent des vernissages, des performances, des concerts, des vidéos , par des artistes qui travaillent là, ou en résidence, ou des invités. Plusieurs fois par mois, et il y a toujours du monde. On fait des affiches, des flyers, sur internet...

E.G : Vous avez un site internet ?

C.P : oui...oui, on a plusieurs sites internet en fait...

S.L : la-g.org, sur celui-là tu as tous les autres sites.

E.G : Quelle est la procédure pour pouvoir venir travailler ici ?

C.P : Il y a plusieurs façons. On propose des résidences. Tu prends contact avec nous et puis on voit de quel type d'espace tu as besoin, ça va jusqu'à un mois, deux mois, puis à la fin il faut que tu puisses montrer ton travail. Sinon il y a aussi des systèmes d'échanges. Là par exemple, le 15 mai il y a des Marseillais qui vont venir exposer à la Générale, et la Générale va aller exposer à Marseille. A la friche de La-Belle-de-Mai.

E.G : Donc vous êtes en contact avec d'autre lieu ?

S.L : Oui, on essaie d'organiser des échanges, mais pas que avec des squats. On ne veut pas rester cloisonné dans le même niveau.

P.L : La Générale c'est en même temps un squat et pas un squat. C'est les deux et aucun des deux à la fois. C'est entre le squat et l'institution, entre le non-officiel et l'officiel. C'est une position qui n'est pas facile à défendre mais qu'on voudrait essayer de garder. Ici il n'y a personne qui s'occupent particulièrement de l'administration, on fait tous tout. Ce sont les artistes qui gèrent le lieu. Moi, par exemple, je gère les résidences, je coordonne un peu l'ensemble et je fais de la vidéo.

S.L : Quand il y a un vernissage, c'est nous qui faisons les courses, c'est nous qui tenons le bar. C'est la différence du 104 tu vois, où t'as un staff en place et après il y a les artistes qui viennent...

E.G : Et les résidents versent quand même de l'argent à l'association ?

S.L : Alors oui il y a quand même une cotisation pour aider à pallier par exemple la facture EDF qui est très très élevée en hiver...On a pas de mécénat, nous sommes nos propres mécènes...Après les résidences, comment tu viens, eh bien tu vois par le bouche-à-oreille, ou bien tu vas sur le site, enfin ça se fait simplement et puis il n'y a pas de dossiers ou de trucs comme ça...On n'invite pas les gens pour ce qu'ils font, c'est juste pour l'énergie qu'ils apportent au regroupement, ce qu'ils veulent donner...Enfin la base du truc quand même c'était : bon, tu viens mais tu essaies de t'investir aussi dans le fonctionnement du lieu, dans la vie de l'assos. Alors c'est vrai que là, ça fait quelques années qu'on tourne, alors oui nous on se retrouve entre nous par affection, mais ça reste ouvert. Il y a pas d'attribution quoi. Pour les résidences, on les rencontre voilà, y'a pas de dossier.

E.G : Vous êtes combien à être restés de Belleville à ici ?

S.L : On est une cinquantaine.

E.G : Qu'est ce que vous pensez du 104 ? Je sais pas si vous connaissez le lieu ?

C.P : C'est Cantarella et Fisbach non ?

E.G : Oui voilà, c'est la mairie de Paris qui subventionne l'ouverture de ce lieu pluridisciplinaire dans le 19e, dans l'ancien bâtiment des pompes funèbres...

C.P : Oui, oui j'en ai entendu parler...C'est pas du tout en fait la même approche, il y a le vice générationnel qu'est là évidemment, mais eux ils fonctionnent par attribution, je pense que c'est un projet déjà bien ficelé. L'approche est différente

S.L : Ils sont un petit peu sur-subventionné non ?

C.P : Enfin voilà c'est une autre approche, c'est moins ouvert peut être, par exemple pour obtenir des résidences là-bas, c'est quelque chose de complètement différent, puisqu'ils savent exactement qui va aller où, qui va travailler.

P.L : Et puis ça fait cinq ans qu'on en entend parler et puis voilà, on a jamais rien vu...

S.L : Moi je dis que c'est quand même un peu l'inverse, c'est-à-dire que si tu veux nous on commence à peine à faire des dossiers pour les envoyer à droite à gauche, en gros nous c'est canaliser une énergie, faire les choses, et puis après on pense éléments administratifs, eux c'est l'inverse.

P.L : On n'est pas rattaché à un lieu non plus, regarde, en quatre ans d'existence on en est à notre deuxième lieu. On est plus mobiles peut être, et puis on fait grandir aussi les choses, quand on est arrivés ici il y a des nouvelles personnes qui sont entrées, quand on partira d'ici y'en aura encore d'autres. Ça fluctue plus.

S.L : On est rattaché à un fonctionnement qui n'en est pas vraiment un en fait. Tu vois enfin c'est aussi le fait de ne pas rentrer dans les cases, ce n'est pas forcément quelque chose qu'on a voulu, mais voilà ça s'est présenté comme ça quoi...

E.G : Est ce que parfois il y a des personnes qui rentrent comme ça, ils ont entendu parler du lieu...

C.P : Ca arrive

S.L : Ca arrive pas beaucoup hein quand même !

C.P : Oui pas beaucoup, parce qu'on est vraiment très loin. Donc il faut quand même avoir très envie, puis un bon sens de l'orientation. Mais ça arrivait, surtout au début en fait, ça arrivait plus souvent. Ils rentrent et ils posent des questions. Oui, alors, des gens du coin, comme y a eu des petits articles dans le Sèvrien, et par curiosité...

S.L : Maintenant moins, par ce qu'en fait les gens passent directement par le site internet, et puis voilà, c'est beaucoup plus simple pour eux.

E.G : Vous êtes bien ici ?

C.P : On est bien ici, on est content. C'est très productif pour le travail d'être ici, très très efficace. Les bâtiments sont beaux, le site est classé site historique. Et puis même par rapport au travail, il y a une bulle de travail qui est très très forte. Par ce que à Belleville on était dans le centre de Paris, et il y avait toujours quelques choses à faire, on était plus dispersé. Ici tu viens et t'es dans une bulle de travail quand même.

E.G : Et vous pensez que si vous déménagez, vous arriverez à vous rétablir ailleurs ?

P.L : Oui

C.P : On l'a fait une fois, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas recommencer. Nous ici, y'a personne qui est accroché à son mètre cube. C'est bien, parce que ça renouvelle, ça fait de l'air. Y'en a qui restent, d'autre qui partent, qui font leur propre chemin...

* 1 LYOTARD, Jean-François, Rudiments païens : genre dissertatif. Paris. Union générale d'éditions. 1977. 249p. p. 246.

* 2 MONDZAIN, Marie-José, 2. la représentation. Paris : Les éditions de l'Amandier, Rencontre du 8 décembre 2002/Paris. 125p. p.24.

* 3 Décret portant sur l'organisation du ministère de la culture, rédigé par André Malraux en 1959.

* 4 LEXTRAIT, Fabrice, Une nouvelle époque de l'action culturelle : rapport à Michel Dufour secrétariat d'état au patrimoine et à la décentralisation culturelle. Mai 2001. Premier volume. 210 p. p.3.

* 5 Ibid.

* 6 DIXMIER, Victor. Rencontre au 104, Samedi 30 Décembre 2007, Annexe 3.

* 7 Dictionnaire. Le Petit Larousse illustré grand format . Paris : Edition 2008 de Larousse.

article transversalité. p. 1029.

* 8 ibid, article transversal.

* 9 FÈVRE, Anne-Marie, Le 104 aux portes d'une seconde vie. Libération, Samedi 29 et dimanche 30 décembre 2007, p. 32

* 10 Dictionnaire, Le Petit Larousse illustré grand format . Edition 2008 de Larousse, article friche, p 441.

* 11 FISBACH, Frédéric et CANTARELLA, Robert  : Directeurs du 104, 27 décembre 2007, Visite du lieu  , Annexe 1.

* 12 LEXTRAIT Fabrice, op. cit, p 19.

* 13 FISBACH, Frédéric, entretiens, 7 avril 2008, 11 rue Curial, Annexe 4.

* 14 CASTRO, Roland, Nouveaux territoires de l'art. Propos recueillis par Fabrice Lextrait et Frédéric Kahn. Paris : éditions sujet/objet, 2005. 295p. p 122.

* 15 Ibid. LEXTRAIT, Fabrice, KAHN, Frédéric. Avant-propos. p. 16

* 16 BOURRIAUD Nicolas. Esthétique relationnelle. Paris : Les presses du réel, Edition française, 1998. 128p. p.15

* 17 LEXTRAIT, op. cit, p.14

* 18 CARRIER, Hervé. Lexique de la Culture : pour l'analyse culturelle et l'acculturation. Editions Désilée, 1999. p 47.

* 19 (page visité le 6 mai). Site du 104. adresse URL : www.104.fr

* 20 BROOK, Peter. L'espace vide : Ecrits sur le théâtre. Paris : Editions du Seuil, 1977. 181p. p. 25.

* 21 GOLDBERG, Roselee. La Performance du futurisme à nos jours. Paris : Editons Thames et Hudson, 2001. 232p. p 7.

* 22 ARTAUD, Antonin, Le théâtre et son double. France : Editions Gallimard, 1964. 246p.

* 23 SCARPETTA, Guy. Kantor au présent. Actes Sud, Académie expérimentales des théâtres, 2002. 209 p.p.37

* 24 GOLDBERG, Roselee. Performance : L'art en Action. Paris : Editions Thames et Hudson, 1999.

* 25 op. cit. p. 100.

* 26 op. cit. p. 111.

* 27 op. cit. Annexe 3.

* 28 SCHECHNER, Richard. Performance, expérimentation et théorie du théâtre aux USA, éditions théâtrales, UPX, 2008. 533p. p.117.

* 29 Ibid. p. 212.

* 30 Ibid. p. 121.

* 31 Ibid. p. 187.

* 32 Ibid. p. 9.

* 33 MUSELIER, Renaud. Nouveaux Territoires de l'Art. op. cit. p 24.

* 34 CANTARELLA, Robert. op. cit. p. 16

* 35 MONDZAIN, Marie José. op. cit. p. 16

* 36 MERVANT-ROUX, Marie-Madeleine. Figurations du spectateur : Une réflexion par l'image sur le théâtre et sur sa théorie. Paris : Edition L'Harmattan, collection univers théâtral, 2006. 210p. p35.

* 37 ibid p 62.

* 38 ARDENNE, Paul. Un art contextuel : Création artistique en milieu urbain, en situation, d'intervention, de participation. Paris : Flammarion, Coll. Poche, 2004. 254p. p. 65.

* 39 Entretien : Frédéric Fisbach, Codirecteur du 104, 7 avril 2008, 11 rue Curial. Annexe 4

* 40 Entretien : Stéphanie Lefebvre : Présidente de l'association La Générale en Manufacture, Artiste Photographe, Caroline Pradal : Présidente de l'association La générale et présidente adjointe Association La générale en manufacture, Artiste Sculpteur, Pierre Lempens : « Coordinateur », artiste vidéo, Le 10 Mai 2008, Ateliers de la manufacture de Sèvres.

Annexe 5.

* 41 Lettre de Mission de Nicolas Sarkozy, président de la république à Christine Albanel, ministre de la Culture et de la communication. Paris. 1er août 2007.

* 42 (Page consulté le 20 mai). Site du 104, adresse U.R.L : http://www.104.fr/#fr/Commerces/38-Restaurant

* 43 MERVANT-ROUX, Marie-Madeleine. op. cit. p. 201

* 44 LYOTARD, Jean-François. Rudiments païens : genre dissertatif. Paris : Union générale d'éditions, 1977. 249p. p.246.

* 45 Op. cit. Annexe1.

* 46 Page vivitée le 20 mai, site http://www.immobilieretparticuliers.com/

* 47 ibid

* 48 ibid

* 49 Discussion avec Monsieur Demange, Président du conseil de quartier du 19e, 29 décembre 2007, café Mathis, Paris, Annexe2.

* 50 op. cit. article médiateur. p. 632.

* 51 ibid. article médiation.p.632.

* 52 Op cit. Annexe 1.

* 53 ibid

* 54 BROOK, Peter. L'espace vide : Ecrits sur le théâtre. Paris : Editions du Seuil, 1977. 181p. p 80.

* 55 Op. cit. Annexe 4.

* 56 Page visitée le 10 mai, site du 104. Adresse URL : http://www.104.fr/104-2.0/index.php

* 57 Page visitée le 10 mai, site du 104. Op.cit

* 58 SIMARIK, Nicolas. La Déroute. Editions entrez sans frappez, 2006

* 59 (Page consulté le 4 avril 2008). Site internet Nicolas Simarik. Adresse URL : http://www.entrezsansfrapper.net/la_deroute.htm

* 60 (pages visitées le 30 avril 2008). Site internet du 104. Adresse URL : http://www.104.fr/#fr/Artistes/A78-Nicolas_Simarik

* 61 ibid

* 62 ARDENNE, Paul. Un art contextuel : Création artistique en milieu urbain, en situation, d'intervention, de participation. Paris : Flammarion, Coll. Poche, 2004. 254p. p 51.

* 63 MERLIN Pierre, CHOAY Françoise. Espace Public. In : Dictionnaire de l'urbanisme, Presses Universitaires de France -PUF, 2005. 724 p.

* 64 MARTIN, Malte. Manifestation culturelle d'Agrafe Mobile dans le quartier Saint Blaise, Paris, le 19 octobre 2007.

* 65 MARTIAL, Jacques. edito du programme 2008 « Grains de Folie », Parc de la Villette.

* 66 Site internet : La Villette enquête sur les jardins passagers du parcs de la villettes, dec 2005. Pages visitées le 25/04/08 Adresse URL : http://www.villette.com/images/stories/etude_pdf/jardins_passagers_05.pdf

* 67 Site internet : La Villette enquête sur les publics des rencontres de La Villette. Page visitées le 23 mai. http://www.villette.com/images/stories/etude_pdf/rencontres2003.pdf

* 68 Ibid

* 69 FISBACH, Frédérique. op cit. annexe 4.

* 70 FISBACH, Frédérique. op cit. annexe 1.

* 71 Premier entretien avec Frédéric Fisbach. 28 dec 2007, 11 rue Curial 75019 Paris. Annexe 2. p

* 72 HABERMAS, Jürgen. L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise. Paris : Payot. 1997.

* 73 AUGOYARD, Jean-François, LEROUX Martine. Médiations Artistiques Urbaines. Grenoble : Cresson, 1999. 207 p.

* 74 Répertoire des arts du spectacle. (page consulté le 15 avril 2008). Adresse URL : http://rasp.culture.fr/sdx/rasp/

* 75 Entretien avec Frédéric Fisbach. 7 avril 2008. 11 rue Curial 75019 Paris. Annexe 5.

* 76 op. cit. p. 12.

* 77 Ibid. p. 65.

* 78 Ibid. p. 182.

* 79 op. cit. p. 9.

* 80ibid. p. 27

* 81 ABIRACHED, Robert. Le Théâtre et le Prince : L'embellie 1981-1992, vol.1. Paris : Actes sud, 2005. 230 p. p 52.

* 82 ARDENNE, Paul. op. cit. p. 203

* 83 HOCQUARD, Frédéric In : ADOLPHE Jean-Marc (avec la collaboration de Maïté Rivière). Que mille lieu s'établissent. Mouvement, l'interdisciplinaire des arts vivants, janvier-mars 2008, n°46, p.56

* 84 MARTIN, Christian. Nouveaux territoires de l'art. op. cit. p. 26.

* 85 BANU, Georges, colloque sur l'impact de l'avant-garde américaine sur les théâtres européens et la question de la performance qui avait lieu du 21 au 23 janvier au Théâtre National de la Colline.

* 86 PAJOY, Jacques, ISEPPI Marc, Le Moniteur. 14 mars 2008. p.64

* 87 DEBORD, Guy. La société du Spectacle. Paris : Editions Gallimard, 1992. 208p. p.16.

* 88 BOURRIAUD, Nicolas. op. cit. p.13.






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