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Jésus-Christ, Résurrection et Vie pour le croyant Lobi en route pour l'au-delà. Lecture africaine de Jn 11,1-44.

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par Sansan Hervé POODA
Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest (U.C.A.O.), Unité Universitaire d'Abidjan (U.U.A.) - Licence Canonique (Maîtrise académique) en Théologie Biblique 2007
  

Disponible en mode multipage

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Sansan Hervé POODA

-

Faculté de Théologie - Section Bible

Université Catholique d'Afrique de l'Ouest (U.C.A.O.)
Unité Universitaire d'Abidjan (U.U.A.)

Juin 2007

Sigles et Abréviations

BJ : Bible de Jérusalem

TOB : Traduction OEcuménique de la Bible

A.T. : Ancien Testament

N.T. : Nouveau Testament

v. : verset vv. : versets

EIA : Ecclesia in Africa

Art. : article Cf.: confère

Id. : Idem (le même ouvrage)

Ibid. : Ibidem (au même endroit)

Op. cit. : Opus Citatus (oeuvre citée)

AAVV : Auteurs Variés

p. : page

pp. : pages St : saint

av. J.C. : avant Jésus-Christ

Par. : parallèles

Supra : plus haut (pages précédentes)

S : Suivant (verset)

Ss : suivants (versets)

N° : Numéro

I.C.A.O. : Institut Catholique de l'Afrique de l'Ouest
UCAO : Université Catholique de L'Afrique de l'Ouest

Jn : Jean

Mt : Matthieu

Mc : Marc

Lc : Luc

Ac : Actes des Apôtres

1R : 1er Livre des Rois

2R : 2ème Livre des Rois

Rm : Epître aux Romains

1 Th : 1ère épître aux Thessaloniciens

Ap : Apocalypse

Eph : Epître aux Ephésiens

1 Co : 1 ère épître aux Corinthiens

2Co : 2ème épître aux Corinthiens

Ba : Baruch Nb : Nombres Ag : Aggée Gn : Genèse

Dt : Deutéronome

Jb : Job

Is : Isaïe

Ez : Ezéchiel Dn : Daniel Ps : Psaumes Sg : Sagesse Jr : Jérémie Am : Amos Lv : Lévitique Jdt : Judith Os : Osée

1M : 1er Livre des Maccabées

2M : 2ème Livre des Maccabées

Jg : Livre des Juges

1 Tm : 1 ère Epître à Timothée

2Tm : 2ème Epître à Timothée

Ph : Epître aux Philippiens

Système de transcription de la langue des Lobi ou 'lobiri

1- Les symboles et leur classement articulatoire

L'Institut National d'Alphabétisation du Burkina Faso a une sous-commission du 'lobiri. C'est elle qui a élaboré un guide méthodique utilisé par les "alphabétiseurs" et que nous suivons pour la transcription des termes et des textes en 'lobiri. Ainsi, l'alphabet lobi comporte les symboles suivants :

a b x c d e $ & f g gb h i < j k kh kp I 'I m n ny o * p
ph r s t th u ù v w 'w y q.

Il s'agit de vingt-huit (28) consonnes et de dix (10) voyelles provenant pour la plupart des symboles I.A.I. (Institut Africain International). L'écriture du 'lobiri, pour le moment, est pratiquement phonétique même si elle n'en a pas toutes les caractéristiques1.

2 - Tableau phonétique des consonnes2

 

Bilabiales

Labio- dentales

Labio- vélaires

Apico- dentales

Apico- alvéolaires

Palatales

Vélaires

glottalisées

Occlusive

s

sourdes sonores aspirées injective vélarisées

p b Ph

x kp

g b

 
 

t

d

th

 
 

k

g kh

 

Fricatives Sourdes Sonores

 

f v

 
 

s

c j

h

 

Nasales

m

 
 
 

n

ny

 
 

Continues

 
 

w

 
 

y

 

`w q

Vibrantes

 
 
 
 

r

 
 
 

Latérales

 
 
 
 

l

 
 

`l

3 - Tableau des voyelles orales brèves

 

Antérieures ou
palatales

 

Centrales

Postérieures ou
vélaires

 

fermées

i

 
 
 
 
 
 
 

u

Avancées ouvertes

 

<

 
 
 
 
 

ù

 

fermées

 
 

e

 

&

 

o

 
 

Non-avancées ouvertes

 
 
 

$

 

*

 
 
 
 
 
 
 
 

a

 
 
 
 

AlPHABET GREC ET CORRESPONDANCES EN FRANÇAIS

L'alphabet grec comprend 24 lettres dont une bonne partie est identique aux lettres correspondantes de l'alphabet latin que nous employons encore en français3.

Majuscule

Minuscule grec

Equivalent français

Majuscule

Minuscule grec

Equivalent français

A

~

a

N

V

n

B

13

b

E

~

x

F

~

g

0

0

o

A

ö

d

II

iT

p

E

E

e

P

p

r

Z

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z

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s

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11

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K

k

X

x

kh

A

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M

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m

Q

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INTRODUCTION GENERALE

MOTIVATIONS

Depuis un certain nombre d'années nous nous sommes intéressé à la mort et à la résurrection du Christ qui sont, comme le dit Saint Paul aux Corinthiens (cf.1Co 15,1-28), les fondements de notre foi chrétienne. Dans notre quête spirituelle de compréhension de cette vérité chrétienne, l'épisode de la résurrection de Lazare a touj ours retenu notre attention.

De plus, à l'occasion des Messes pour les Obsèques et des Messes de Requiem, l'évangile de Jn 11, 1-44 est souvent lu avec intérêt. De nombreux commentaires sont faits à l'occasion pour réconforter les chrétiens éprouvés par le deuil de leurs proches. Mais ils n'arrivent touj ours pas à répondre à certaines questions que suscite ce texte de la résurrection de Lazare : Peut-on dire que Lazare est ressuscité ou réanimé ? Pourquoi le Christ pleure-t-il la mort de son ami alors qu'il sait qu'il va le réveiller ? Quelle herméneutique africaine peuton faire de la relation de Jésus avec la famille de Lazare endeuillée ?

Autant de préoccupations qui nous ont motivé à une étude exégétique de ce texte de Jn 11, 1-44. La perspective d'inculturation nous permet de réfléchir sur la notion de la mort en contexte biblique et en contexte africain. La société africaine que nous connaissons mieux est celle des Lobi du Burkina-Faso et de la Côte-d'Ivoire. Alors, comment faire une lecture intelligente de cet épisode de la résurrection de Lazare pour des Lobi éprouvés par la perte de leurs proches ? Comment Jésus peut-il rejoindre les Lobi découragés par la mort d'un parent proche, sur leur chemin d'Emmaüs pour leur expliquer l'Ecriture et pour que celle-ci se révèle pleinement à eux dans une vie sacramentaire (cf. Lc 24, 13-35) ? Comment évangéliser les Lobi dans leurs diverses croyances sur la mort aujourd'hui ?

Ce sont autant de motivations qui nous ont amené à traiter ce thème de notre étude

exégétique qui peut se résumer comme suit : « Jésus-Christ, Résurrection et Vie pour le

croyant lobi en route pour l'au-delà . Lecture africaine de Jn 11, 1-44 »

Cette étude exégétique nous permettra d'esquisser des pistes pastorales pour une meilleure inculturation de la Parole de Dieu en milieu africain lobi.

PROBLEMATIQUE

Nous entendons souvent dire que l'Africain aime bien la vie ! Pourtant il passe un long temps aussi à préparer avec grands soins sa mort4 ! Le Lobi n'a pas peur de la mort dit-on ! Il l'affronte touj ours avec sérénité5 ! Et pourtant toute mort donne lieu à de bruyantes lamentations et à de longues funérailles. Les acteurs du développement de la région lobi du Burkina-Faso comme de la Côte-d'Ivoire reconnaissent que les funérailles traditionnelles sont un grand facteur de blocage dans la mise en oeuvre des divers programmes de promotion sociale. Notre expérience pastorale en paroisses nous a permis de vérifier la portée des funérailles traditionnelles qui passent avant toute activité programmée. A l'occasion d'une fête de Noël dans un village, il y eut un décès dans la soirée avant la Messe de Minuit. Nous avons été désolé de célébrer cette Messe de vigile avec la moitié seulement des chrétiens qui s'étaient préparés à cette grande fête de l'Eglise. La mort rassemble plus de monde dans les villages lobi que toute autre activité. Elle suspend toute vie sociale ou tout travail programmé. Cela freine le développement de ces populations rurales. Mais aussi, du point de vue pastoral et ecclésial, cela pose problème. A l'occasion de ce Noël 2001 où nous avions rencontré la difficulté à rassembler nos chrétiens pour la Vigile, pour cause donc de décès dans le gros bourg de Marinkoura au Sud-Ouest du Burkina-Faso en région lobi, nous avions évoqué l'attitude de Jésus en face de la maladie et de la mort de son ami Lazare en Jn 11, 1-44 pour inviter les chrétiens à une attitude de retenue face à l'épreuve du deuil. Mais avons-nous été vraiment compris ? Quelle attitude chrétienne devons-nous avoir face à l'épreuve de la mort ? Quelle est l'attitude de Jésus face à la mort de son ami Lazare ? Que doit être notre comportement de chrétien face à des personnes éplorées par la maladie ou le deuil ? Quelle lecture africaine faire de cet épisode de la résurrection de Lazare que nous entendons souvent lors des célébrations d'obsèques ?

Ce sont autant de questions qui posent la problématique du chrétien face à la mort et particulièrement face au deuil. Pour mieux dégager l'attitude chrétienne requise en pareille circonstance, une étude du texte évangélique, en l'occurrence Jn 11, 1-44, nous parait fondamentale. Une telle étude devra déboucher sur des propositions d'ordre pastoral qui tiendraient compte de la perspective de l'Eglise africaine soucieuse d'inculturation de la foi chrétienne.

4 « L'Afrique aime la vie et célèbre la vie, même dans l'expérience de la mort » écrit N. Y. SOEDE, « Trilogie ``vie-mort-vie'' et théologie du péché » in RUCAO n° 28 (2006), p. 152. Cf. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa, Cité du Vatican, Liberia Editrice Vaticana, 1995, n°43.

5 Cf. AAVV, Images d'Afrique et sciences sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala et ORSTOM, 1993.

HYPOTHESE

Pour l'Africain certes les morts ne sont pas morts comme le dit le poète6. Ils sont partout ! Mais toute mort a une cause cachée qu'il convient de rechercher à l'occasion de chaque décès. Et les chrétiens africains ne demeurent pas indifférents face à de telles pratiques. Les Lobi du Burkina Faso et de la Côte-d'Ivoire n'y sont pas en reste. Les chrétiens lobi ont du mal à convertir leur mentalité traditionnelle pour épouser entièrement l'esprit du Christ face à la mort de son ami Lazare. Les pasteurs de la région lobi constatent toujours un syncrétisme tenace des chrétiens face à l'épreuve de la maladie et de la mort. Nous avons nous-même été confronté, dans l'animation des communautés chrétiennes, au problème des longues et accaparantes funérailles traditionnelles. A y réfléchir de plus près, on peut se demander si ces chrétiens connaissent bien la doctrine de Jésus sur la mort et la vie en lui. Les Missionnaires ont-ils tenu compte de la mentalité traditionnelle sur la mort chez les Lobi en leur prêchant Jésus-Christ Mort et Ressuscité ? N'y a-t-il pas lieu de dépasser la dichotomie entre les deux notions africaine traditionnelle et chrétienne de la mort pour une inculturation réelle du message du Salut en Jésus-Christ le Vivant ?

A notre humble avis, nous pensons qu'une sérieuse étude exégétique nous permettra de dégager les pistes pastorales qui aideront les chrétiens surtout lobi à suivre véritablement le Christ, Résurrection et Vie pour tout croyant.

METHODE DE TRAVAIL

La méthodologie en exégèse, que nous appliquerons, conjugue ensemble les deux grandes méthodes que sont la diachronie et la synchronie. La méthode diachronique ou historico-critique étudiera l'évolution historique de notre texte, à travers une analyse qui se veut critique et rigoureuse. Il sera question de rechercher, par exemple, le récit primitif qui a été à la base de l'histoire originale de la résurrection de Lazare. La méthode synchronique s'intéressera plutôt à l'état actuel du texte, tel que nous l'avons dans la Bible, pour en saisir les différents sens en présence. L'exploitation de ces deux grandes méthodes exégétiques répond à un souci d'équilibre dans l'analyse du texte johannique. Ce sera l'occasion de remarquer que les deux méthodes ne s'excluent pas7. De même, la perspective pastorale et

inculturation de notre étude nous poussera à une étude anthropologique sur la mort dans la société des Lobi. Cela s'inscrit bien dans la dynamique d'incarnation-rédemption du quatrième évangile que nous étudions.

Pour mener une telle étude, nous avons lu de nombreux ouvrages exégétiques et théologiques sur la mort et surtout sur le quatrième évangile. Nous avons parcouru la plupart des commentaires sur Saint Jean, mais nous n'en avons retenu que les éléments intéressant notre problématique. Alain Marchadour, qui a écrit un commentaire sur l'évangile de Jean8 et un ouvrage sur Lazare9, nous a le plus inspiré et même beaucoup guidé dans l'étude exégétique. Xavier Léon-Dufour10 nous a orienté dans la portée théologique du texte. Notre connaissance du milieu africain lobi fut approfondie par le recours aux diverses recherches sociologiques et anthropologiques relatives à cette société. Notre méthode de travail se veut donc déductive et assez rigoureuse à partir de données scientifiquement fiables et vérifiables.

ETAT DE LA QUESTION

De nombreuses études existent en sociologie et en anthropologie sur la notion de mort en contexte africain et particulièrement lobi. En théologie, à part les mémoires de fin de cycle théologique au grand séminaire, il n'existe pas de travail sur le sujet touchant la mort et le deuil en milieu lobi. Le seul travail biblique et théologique sur les Lobi vient de ZAW DABIRE Jean-Claude sur la notion de famille chez les Lobi à la famille de Jésus en référence particulière à Mc 3 : 20-21, 31-35 (Avec application pastorale)11.

Notre recherche, qui se veut exégétique et théologique avec une perspective pastorale, est donc tout à fait nouvelle en ce qui concerne le milieu lobi d'où nous sommes issu. C'est là tout l'intérêt d'une telle étude en ce premier siècle de l'évangélisation de la région lobi du Burkina Faso et de la Côte-d'Ivoire.

développées par J. DUHAIME et O. MAINVILLE (Sous la dir.), Entendre la voix du Dieu vivant. Interprétation et pratiques actuelles de la Bible, Montréal (Canada), Médiaspaul, 1994, 367p.

8 A. MARCHADOUR, l'évangile de Jean. Commentaire pastoral, Paris, Editions du Centurion, 1992, 260p.

9 A. MARCHADOUR, Lazare. Histoire d'un récit, récits d'une histoire, Paris, les éditions du Cerf, 1988, 290p. C'est à ce document qu'il faut se référer quand nous citons l'auteur avec l' op. cit. Il nous a semblé le plus intéressant pour notre étude.

10 X. LEON-DUFOUR, Lecture de l'évangile selon Jean, Tome II (chapitres 5-12), Paris, Editions du Seuil, 1990, 501p.

11 M. J.-C. ZAW DABIRE, De la notion de famille chez les Lobi à la famille de Jésus en référence particulière à Mc 3 : 2O-21, 31-35 ; Abidjan, I.C.A.O., 1995.

LIMITES DE L'ETUDE

Notre étude biblique, théologique et pastorale sur l'attitude du chrétien lobi face au deuil ne peut être exhaustive. Nous sommes soumis à des exigences académiques dans cette étude. Nous n'avons retenu que les éléments exégétiques pertinents à même de répondre à nos interrogations exégétiques. De plus, la notion de mort et les attitudes traditionnelles des Lobi face au deuil sont très complexes. D'ailleurs, si nous connaissons bien les Lobi du Burkina et dans une moindre mesure les Lobi de la Côte-d'Ivoire, nous sommes loin de maîtriser toutes les influences externes qui font la spécificité des Lobi du Ghana en zone anglophone. Nos propositions pastorales ne peuvent être que de grandes lignes tracées qui exigent des adaptations concrètes dans la praxis suivant les contextes des populations lobi à évangéliser.

Ce sont autant de limites de notre étude à tenir même si elles ne sont pas de nature à altérer sa pertinence et sa rigueur scientifique. Une telle étude pourra être une aide précieuse dans l'évangélisation actuelle des Lobi.

PREMIERE PARTIE :
JESUS-CHRIST, RESURRECTION ET VIE
ANALYSE EXEGETIQUE DE JN 11, 1-44

Introduction à la partie

A travers les méthodes historico-critiques et synchroniques en exégèse, nous voulons découvrir le contexte historique et littéraire dans lequel l'auteur du quatrième évangile au chapitre 11 de son livre nous a livré une profonde pensée théologique et christologique. Nous pensons que la complémentarité des deux grandes méthodes exégétiques nous permettra une meilleure compréhension du texte que nous voulons étudier.

CHAPITRE 1 : Etude du Contexte historique et littéraire de
Jn 11, 1-44

Introduction

Nous avons choisi de passer Jn 11, 1-44 sous le prisme de l'analyse historico-critique et de l'analyse synchronique car les spécialistes de la question ne se sont jamais accordés sur les conclusions de leurs travaux quand ils n'utilisent pas la même méthode exégétique. L'étude complémentaire réalisée sur le chapitre par un collectif d'experts de la question nous aidera à mieux cerner le texte dans tous ses contours littéraires12. Mais nous nous inspirerons surtout de l'étude exégétique de Alain Marchadour sur l'épisode de Lazare car nous la trouvons plus complète13.

1 - Présentation du texte

Nous lirons le récit de la résurrection de Lazare dans sa version grecque originale. Nous en proposons une traduction après avoir signalé quelques notes de critique textuelle. La délimitation du texte nous permettra ensuite de voir les différentes structures du récit. Toutes ces enquêtes préliminaires sont utiles pour aborder l'étude exégétique de notre texte.

1.1. Le texte grec de Jean 11, 1-44

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12 COLLECTIF, Genèse et structure d'un texte du Nouveau Testament. Etude interdisciplinaire du chapitre 11 de l 'évangile de Jean, Paris et Louvain, Le Cerf et Cabay, 1981, 293p.

13 A. MARCHADOUR, Lazare. Histoire d'un récit, récits d'une histoire, Paris, les éditions du Cerf, 1988, 290p.

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1.2. Notes de critique textuelle

Jusqu'au XXème siècle, on connaissait peu de papyrus qui pouvaient être intéressants pour les apparats critiques du quatrième évangile. Mais avec les récentes découvertes archéologiques, la critique textuelle a connu une véritable révolution.

Pour le texte de Jean en général nous pouvons citer les deux papyrus de la Bibliothèque Bodmer désignés ainsi : P66 et P75 et publiés entre 1955 et 1957. Le premier, daté des années 200, contient la plus grande partie de l'évangile de Jean, avec cependant quelques manques. Le second, daté du début du 3ème siècle, est complet pour les onze premiers chapitres de Jean. Signalons avec Alain Marchadour, quelques différences bien que minimes avec les grands manuscrits du IVème siècle que sont le Codex Vaticanus (B) et le Codex Alexandrinus (A) qui sont des onciaux.

Avec J. Duplacy14, relevons que pour Jn 11, 1-10, le papyrus P66 diffère 5 ou 6 fois du Codex Vaticanus (B), le papyrus P75, une fois seulement. L'analyse nous permet de relever de légères divergences selon les manuscrits. Nous retenons les variantes intéressantes pour notre analyse exégétique, surtout celles touchant aux thèmes de la foi, de la vie et de la résurrection.

V. 3 : dans le papyrus P66, on voit clairement qu'une première version au singulier a été corrigée : c~1TE~0tEL?EV au lieu de c~1TE~0tEL?c. Cela nous permet de remarquer avec Boismard15 que le manuscrit a dû connaître une correction d'un réviseur. Il ne serait pas question au départ des deux soeurs mais seulement de McpL~c&. Le papyrus P66 aurait ajouté le nom de Mct~pOct et tout le développement sur le thème de la foi.

V. 21 : le titre christologique de « K~~ p is » est attesté par le Codex Sinaïticus (4ème S.), le Codex Alexandrinus (5ème S.), le Codex Bezae Cantabrigiensis (5ème S.), le Codex Regius (8ème S.), le Codex Freerianus (5ème S.), l'oncial 037, l'oncial 038 ou Codex Koridethi, le codex Athous Laurensis (8ème S.) et par de nombreux minuscules, par la Vulgate et des versions syriaques et coptes. Mais il est absent de l'onctial B ou Codex Vaticanus et de la version syriaque sinaïtique.

V. 25 : le syntagme «KC. ~11 " (~11 » manque dans le papyrus P45, dans quelques versions de la Vetus Latina, dans la Syriaque sinaïtique, chez Cyprien et chez Origène en partie. Mais la grande masse des manuscrits et surtout les plus crédibles (les papyrus P66 et P75, le Codex Vaticanus, le Codex Alexandrinus, le Codex Ephraemi Rescriptus, le Codex Bezae Cantabrigiensis, le codex Regius, etc.) conservent les deux expressions. Nous trouvons intéressant pour notre étude de garder alors les deux expressions « résurrection et vie » dans ce verset16. Le concept de vie élargit et universalise bien ce qui est affirmé dans celui de la résurrection. Les deux thèmes de résurrection et vie sont importants dans la théologie du quatrième évangile. Et ils sont à côté du thème de la foi, les piliers théologiques de notre péricope.

V. 29 : ~~ys~p~~ : aoriste indicatif passif de sysipw (se lever). Nous signalons cette variante à cause de la connotation de résurrection contenue dans ce verbe. Le texte retenu ici suit le papyrus P75 et quelques autres traditions anciennes (Sinaiticus, Vaticanus, Ephraemi, Bezae, Regius, Freerianus et Athous Laurensis). C'est ce qu'ont retenu les critiques les plus modernes d'ailleurs. Nous les suivons bien. Mais dans les papyrus P66 et P45, nous avons ici plutôt le présent.

V. 39 : le syntagme « 11 " C~öE~411~ tou )tEtE~Eut11Ko~toc » manque dans quelques manuscrits secondaires. K~~pis est absent du papyrus P66. Mais la plupart des manuscrits sérieux les ont.

Dans l'ensemble, il est à noter qu'aucune de ces divergences textuelles n'est fondamentale17. L'Eglise a toujours reçu ainsi le texte actuel de Jn 11, 1-44. Ce qui nous permet d'accepter la plupart des traductions de la péricope qui se basent sur le présent texte grec. Nous suivons pour notre part la traduction française de la Bible de Jérusalem. Nous proposerons en son temps une traduction personnelle en langue africaine lobiri.

1.3. Traduction française de la Bible de Jérusalem18

1 - Il y avait un malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de sa soeur Marthe.

2 - Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfum et lui essuya les pieds avec ses cheveux; c'était son frère Lazare qui était malade. 3 - Les deux soeurs envoyèrent donc dire à Jésus : "Seigneur, celui que tu aimes est malade." 4 - À cette nouvelle, Jésus dit : "Cette maladie ne mène pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu : afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle." 5 - Or Jésus aimait Marthe et sa soeur et Lazare. 6 - Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore dans le lieu où il se trouvait; 7 - alors seulement, il dit aux disciples : "Allons de nouveau en Judée." 8 - Ses disciples lui dirent : "Rabbi, tout récemment les Juifs cherchaient à te lapider, et tu retournes là-bas!" 9 - Jésus répondit : "N'y a-t-il pas douze heures de jour? Si quelqu'un marche le jour, il ne bute pas, parce qu'il voit la lumière de ce monde; 10 - mais s'il marche la nuit, il bute, parce que la lumière n'est pas en lui." 11 - Il dit cela, et ensuite : "Notre ami Lazare repose, leur dit-il; mais je vais aller le réveiller." 12 - Les disciples lui dirent : "Seigneur, s'il repose, il sera sauvé." 13 - Jésus avait parlé de sa mort, mais eux pensèrent qu'il parlait du repos du sommeil. 14 - Alors Jésus leur dit ouvertement : "Lazare est mort, 15 - et je me réjouis pour vous de n'avoir pas été là-bas, afin que vous croyiez. Mais allons auprès de lui!" 16 - Alors Thomas, appelé Didyme, dit aux condisciples : "Allons, nous aussi, pour mourir avec lui!" 17 - À son arrivée, Jésus trouva Lazare dans le tombeau depuis quatre jours déjà. 18 - Béthanie était près de Jérusalem, distant d'environ quinze stades19, 19 - et beaucoup d'entre les Juifs étaient venus auprès de Marthe et de Marie pour les consoler au sujet de leur frère. 20 - Quand Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison. 21 - Marthe dit à Jésus : "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. 22 - Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera." 23 - Jésus lui dit : "Ton frère ressuscitera." - 24 - "Je sais, dit Marthe, qu'il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour." 25 - Jésus lui dit : "Moi, je suis la résurrection et la vie. Qui croit en moi, même s'il meurt, vivra; 26 - et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu?" 27 - Elle lui dit : "Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le

18 Nous avons délibérément choisi la traduction française de la BJ. Celle de la TOB pouvait bien nous convenir aussi. Nous n'avons pas rencontré beaucoup de problèmes en ce qui concerne la traduction française de la péricope. Nous ne privilégions donc pas une traduction donnée même si nous avons opté pour celle de la BJ.

19 Le stade équivaut à 600 pieds, mesure valant selon les régions entre 185 et 197 mètres. Cela fait environ 3

monde." 28 - Ayant dit cela, elle s'en alla appeler sa soeur Marie, lui disant en secret : "Le Maître est là et il t'appelle." 29 - Celle-ci, à cette nouvelle, se leva bien vite et alla vers lui. 30 - Jésus n'était pas encore arrivé au village, mais il se trouvait touj ours à l'endroit où Marthe était venue à sa rencontre. 31 - Quand les Juifs qui étaient avec Marie dans la maison et la consolaient la virent se lever bien vite et sortir, ils la suivirent, pensant qu'elle allait au tombeau pour y pleurer. 32 - Arrivée là où était Jésus, Marie, en le voyant, tomba à ses pieds et lui dit : "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort!" 33 - Lorsqu'il la vit pleurer, et pleurer aussi les Juifs qui l'avaient accompagnée, Jésus frémit en son esprit et se troubla20. 34 - Il dit : "Où l'avez-vous mis?" Ils lui dirent : "Seigneur, viens et vois." 35 - Jésus versa des larmes. 36 - Les Juifs dirent alors : "Voyez comme il l'aimait!" 37 - Mais quelques-uns d'entre eux dirent : "Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourût pas?" 38 - Alors Jésus, frémissant à nouveau en lui-même, se rend au tombeau. C'était une grotte, avec une pierre placée par-dessus. 39 - Jésus dit : "Enlevez la pierre!" Marthe, la soeur du mort, lui dit : "Seigneur, il sent déjà : c'est le quatrième jour." 40 - Jésus lui dit : "Ne t'ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?" 41 - On enleva donc la pierre. Jésus leva les yeux en haut et dit : "Père, je te rends grâces de m'avoir écouté. 42 - Je savais que tu m'écoutes touj ours; mais c'est à cause de la foule qui m'entoure que j'ai parlé, afin qu'ils croient que tu m'as envoyé." 43 - Cela dit, il s'écria d'une voix forte : "Lazare, viens dehors!" 44 - Le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes, et son visage était enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit : "Déliez-le et laissez-le aller."

1.4. Délimitation du texte

Il est nécessaire de commencer par la délimitation de notre texte sur la résurrection de Lazare. Le découpage actuel par chapitres que nous avons dans la plupart de nos Bibles ne date que du début du XIIIème siècle. Il fut réalisé par Etienne Langton. Les manuscrits anciens ne possèdent donc pas ces découpages. Il nous faut donc limiter le texte en amont et en aval pour situer notre épisode dans le contexte du quatrième évangile tout entier.

1.4.1. Terminus Ab quo

La plupart des exégètes du quatrième évangile s'accordent à reconnaître dans la résurrection de Lazare, le dernier des signes accomplis par le Christ avant sa passion-mort-

20 La critique textuelle porte la trace d'hésitations sur la traduction des sentiments humains de Jésus ici dans l'expression c~vc3pq~u'oato t ~~ tvci'~ati Kai'c~tápa~cv c~autóv ! On passe des sentiments d'indignation au trouble profond ou intérieur !

résurrection. En cela, cet épisode occupe une place significative dans l'évangile de Jean21. Selon Wilfrid Harrington22, le livre des signes va du chapitre 2 au chapitre 12. Et c'est à la fin de ce livre que se situe le signe de la résurrection de Lazare. Sa portée pascale ne souffre pas de doute dans le cercle des exégètes23. Avant ce signe, Jésus se trouvait au-delà du Jourdain où Jean pratiquait le baptême (Jn 10,40-42). Dans ces deux versets, il est question de Jésus et de Jean le Baptiste.

Puis, un nouveau récit commence par ce code narratif commun à toutes les littératures du monde comme le dit Alain Marchadour24 : « rv öE ttç ctaOEvwv 2aæapoç : il y avait un homme malade, Lazare » (Jn 11, 1). Et ce récit nous parle de l'histoire de ce mort revenu à la vie grâce à l'intervention miraculeuse de Jésus. Il est relié au passage précédent, sur le plan littéraire, par la conjonction de coordination ~~~ (or). Les personnages sont différents de ceux de l'épisode précédent. Là Jésus fuit la confrontation avec les Juifs pour se réfugier au-delà du Jourdain où baptisait Jean en son temps. Le thème est aussi différent. Le récit nous fait passer d'au-delà du Jourdain à Béthanie de Judée. Il est donc légitime ce découpage en amont que font la plupart des commentateurs. Ceux-ci suivent d'ailleurs le découpage d' Etienne Langton, qui place un nouveau chapitre au début de ce récit sur cet homme malade dénommé Lazare. Certes, des raisons ne manquent pas pour faire remonter le début du récit à Jn 10, 40 comme le fait d'ailleurs Alain Marchadour25 . Mais en suivant le schéma classique des récits de guérison qui commencent par la présentation du malade et qui se terminent par la réalisation de la guérison, notre texte commence à évoquer la maladie de Lazare en Jn1 1,1 et son extinction au verset 44 (« déliez-le et laissez-le aller »). Ce qui nous amène à fixer la fin de notre texte en aval.

1.4.2. Terminus Ad quem

L'épisode de la résurrection de Lazare met en scène Jésus, ses disciples, Marthe, Marie et Lazare le personnage silencieux. Les Juifs sont évoqués aux côtés de la famille endeuillée. En Jn 11,44 Lazare est effectivement ressuscité et la suite du texte semble l'ignorer désormais. Certes les versets 45-46 sont les réactions provoquées par le miracle que

21 C'est l'avis de J. PONTHOT, in COLLECTIF, Genèse et structure d'un texte du Nouveau Testament. Etude interdisciplinaire du chapitre 11 de l 'évangile de Jean, Paris et Louvain, Le Cerf et Cabay, 1981, p.93.

22 Cf. W. HARRINGTON, Nouvelle Introduction à la Bible, Paris, Seuil, 1971, pp .951-952.

23 Cf. A. MARCHADOUR, l'évangile de Jean. Commentaire pastoral, Paris, Editions du Centurion, 1992, p.149.

24A. MARCHADOUR, Lazare. Histoire d'un récit, récits d'une histoire, Paris, les éditions du Cerf, 1988, p.68 25 Plusieurs commentateurs dont A. MARCHADOUR (Ibidem, p. 69) et L. FORSTER, Le récit de la Passion selon saint Jean. Rédaction, Tradition, Histoire, Strasbourg, 1977, pp. 223-240 placent ici le début de la séquence relative à la résurrection de Lazare qui trouverait bien sa conclusion en Jn 11,54 ; 10,40 et 11,54 sont à ce moment mis en parallèle.

Jésus vient d'opérer. Nous ne serons pas opposé à un découpage qui inclurait à notre épisode ces réactions qui font souvent partie du schéma classique des récits de guérison26. Mais ces réactions semblent plutôt introduire la séquence suivante qui traite de la réaction négative en général qu'adopta le sanhédrin réuni par les grands prêtres et les pharisiens, décidés tous à faire mourir Jésus. Ce qui amena Jésus et ses disciples à se replier sur la région voisine du désert dans la ville d'Ephraïm (Jn 11,45-54). Nous convenons avec Albert Deschamps que ce sont là deux sujets différents27. Les personnages et les lieux divergent nettement d'ailleurs. On quitte le cadre amical de Béthanie pour nous retrouver au milieu du groupe hostile des Juifs du grand conseil de Jérusalem.

De plus, si on considère que les deux personnages principaux de notre épisode sur la résurrection de Lazare sont bien Jésus et le miraculé, nous sommes en demeure de considérer la fin ad quem du récit avec la dernière parole du Maître de la vie qui libère Lazare en ces termes en Jn1 1,44 « déliez-le et laissez-le aller » ! Lazare est ainsi revivifié et cela constitue bien, sur le plan narratif, le dénouement de l'intrigue.

Pour couper court, il convient de souligner néanmoins que si notre épisode sur la résurrection de Lazare a un début de récit beaucoup plus net, sa finale est moins sûre. Mais l'unité interne du récit est claire car elle suit une logique narrative bien structurée (ExpositionComplications-Dénouement). Nous suivons alors le découpage traditionnel retenu par la plupart des commentateurs de la péricope28.

1.5. Structure du texte

Jn 11,1-44 se présente comme un récit bien structuré. L'intrigue se déroule avec un temps d'exposition de la situation, une série de complications faites de dialogues et de rencontres et un dénouement bien discernable dans les différentes structures du récit.

26 C'est l'option de M.-E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, op. cit., p. 276 et de plusieurs autres commentateurs de Saint Jean. Comme l'écrit M. GOURGUES, op. cit., pp. 94-95, ces deux versets introduisent « de nouveaux personnages qui se retrouvent au coeur de l'action racontée ensuite : réunion du Sanhédrin et résolution de mettre Jésus à mort (v. 47-53). Si donc l'on s'en tient à l'unité d'action et de personnages, cette dernière section peut être dissociée du récit de miracle proprement dit ». Si l'on considère la thématique de la foi chère à Saint Jean, on ne peut exclure le v. 45 qui peut être lu comme le but du signe de Lazare. Chez St Jean, les récits de miracles s'intéressent avant tout aux réactions des témoins (cf. Idem). Et le v. 46 ne peut être séparé du verset précédent car il ne fait que décrire l'attitude négative qui contraste avec l'attitude positive soulignée.

27 A. DESCHAMPS, « une lecture historico-critique » in COLLECTIF, Genèse et structure d'un texte du Nouveau Testament. Etude interdisciplinaire du chapitre 11 de l 'évangile de Jean, p. 51.

28 BJ et TOB que nous suivons rattachent les vv. 45-46 à ce qui suit, tandis que le lectionnaire liturgique catholique retient le v. 45 mais écarte le v. 46. X. LEON-DUFOUR, Lecture de l 'évangile selon Jean, Tome II, Paris, Editions du Seuil, 1990, p.403 retient aussi les 44 premiers versets pour le récit de la résurrection de Lazare qui s'insère cependant dans une même unité littéraire avec la délibération du sanhédrin justement par le lien des vv. 45-46.

1.5.1. Macrostructure

Les intuitions de l'analyse narrative29 nous permettent de reconnaître dans le récit de la résurrection de Lazare les trois phases principales de la narration : une exposition du contexte du récit (v. 1-16) avec des précisions topographiques, psychologiques, circonstancielles où les principaux personnages sont bien campés, un temps de complications du récit (v. 17-3 8) avec deux niveaux de dialogue, entre Jésus et Marthe d'une part, et entre Jésus et Marie d'autre part, enfin un dénouement bien net (v. 3 9-44) et rapide qui nous laisse méditatif.

VV. 1-6 : Scène introductive et présentation des personnages

VV. 7-16 : Jésus et ses disciples au-delà du Jourdain

VV.17-27 : Jésus et Marthe

VV. 28-38 : Jésus et Marie

VV. 39-44 : Jésus devant Lazare

Complications :

Dénouement :

Exposition :

1.5.2. Microstructure

La microstructure nous donne les articulations internes du récit même. Elle nous permet de voir les petites unités à l'intérieur des grandes structures que nous avons dégagées dans notre récit :

1.) VV. 1-6 : Scène introductive et présentation des personnages

v.1-2 : Identification du malade Lazare par rapport à ses soeurs Marthe et Marie

V. 3 : Demande de guérison pour Lazare

V. 4 : la réponse de Jésus à la demande de guérison

V. 5-6 : la patience de Jésus avant d'intervenir

2.) VV. 7-16 : Jésus et ses disciples au-delà du Jourdain V. 7-8 : la décision de Jésus d'intervenir

V. 9-10 : Proverbe à l'adresse des disciples inquiets

V. 11-15 : le dévoilement de la mort de Lazare

V. 16 : la perspective de la mort de Jésus évoquée

3.) VV.1 7-27 : Jésus et Marthe

V. 17 : l'arrivée de Jésus à Béthanie V. 18-19 : la présence de témoins juifs V. 20-22 : la prière de Marthe à Jésus

V. 23 : la promesse de la résurrection

V. 24 : la foi traditionnelle à la résurrection des morts

V. 25-26 : la révélation de Jésus sur la résurrection en lui

V. 27 : la profession de foi de Marthe

4.) VV. 28-38 : Jésus et Marie

V. 28-31 : Marthe conduit sa soeur Marie à Jésus

V. 32 : Marie exprime sa déception à Jésus

V. 33-35 : le trouble de Jésus devant la mort de Lazare

V. 36-38 : réaction des témoins juifs 5.) VV. 39-44 : Jésus devant Lazare

V. 3 9-40 : Jésus devant la tombe de Lazare V. 41-42 : prière de Jésus devant la tombe

V. 43-44 : Jésus libère Lazare des liens de la mort.

2 - Contexte littéraire et historique de Jn 11, 1-44

Il s'agit d'analyser tout le contexte historique et littéraire qui a pu susciter notre récit et lui a donné sa forme actuelle. Nous passerons en revue les éléments externes hypothétiques qui ont pu influencer la rédaction de notre texte. C'est là tout l'intérêt de la méthode historicocritique que nous voulons appliquer d'abord à notre texte.

2.1. Auteur et contexte littéraire du récit

Après quelques remarques sur l'auteur et les destinataires de l'oeuvre du quatrième évangile, il s'agira pour nous de situer notre texte dans l'ensemble de l'évangile et dans le chapitre 11 qui le porte.

2.1.1. L'auteur et les destinataires du texte

Le texte du quatrième évangile ne donne pas de manière explicite le nom de son auteur. Comme pour les autres évangiles, le titre ~cttct 'Iwovv~v n'est pas de l'écrivain luimême, mais de la communauté éditrice. Pourtant, depuis Irénée de Lyon 30 (disciple de Polycarpe de Smyrne, lui-même compagnon de Jean), la Tradition (Hippolyte de Rome, Clément d'Alexandrie, Tertullien, le Canon de Muratori...) attribue à Jean l'apôtre la paternité de l'évangile en s'appuyant sur la finale de l'oeuvre (Jn 21, 24). « La plupart des critiques admettent l 'identification de l 'évangéliste avec le Disciple-Bien-Aimé. Par contre,

l 'identification du Disciple-Bien-Aimé avec l 'apôtre n 'est pas évidente (...). Pour de nombreux critiques aujourd'hui, le Disciple-Bien-Aimé appartient bien au cercle restreint autour de Jésus (...). Il porterait le nom alors répandu de Jean. Mais il est bien distinct du fils de Zébédée auquel la Tradition l 'aura it confondu. D 'autres encore pensent à Jean le presbytre ou l 'ancien, ayant vécu à Ephèse à la fin du premier siècle. Pour donner la crédibilité à l 'oeuvre, on lui aurait préféré le nom de l 'apôtre31 »

Sans ignorer les problèmes que pose l'identification de l'auteur du quatrième évangile, par convention, gardons Jean comme ancêtre de la tradition Johannique comme le dit Paulin POUCOUTA. Car, même dans l'hypothèse où Jean l'apôtre serait l'auteur de cet évangile, il n'a certainement pas travaillé seul. Il a eu autour de lui un cercle de disciples qui a poursuivi et diffusé sa pensée. « Dans son état actuel, l'évangile est certainement l'oeuvre d'une école qui a relu et remanié le livre32».

Les destinataires du quatrième évangile sont des croyants qui ont besoin d'être encouragés dans leur foi (cf. Jn 20, 31). Ce sont des chrétiens qui viennent des milieux baptistes (d'où une volonté de situer bien Jean à sa vraie place), des courants gnostiques (d'où un certain réalisme de l'incarnation souligné), des milieux juifs (d'où l'accent sur

30 Voir IRENEE de Lyon, Contre les Hérésies, II, I, 1. Cité par EUSEBE, Histoire Ecclésiastique, V, 20, 4-7.

31 P. POUCOUTA, Et la vie s 'est faite chair, Paris, L'Harmattan, 2005, pp. 29-30. Voir aussi Y.M. BLANCHARD, « Les écrits johanniques. Une communauté témoigne de sa foi » in Cahiers Evangile n°138, Paris, Cerf, 2006, pp. 12-19.

32 P. POUCOUTA, Ibidem, p. 30. Voir aussi M. QUESNEL et P. GRUSON (sous la dir.), La Bible et sa culture. Jésus et le Nouveau Testament, Paris, Desclée de Brouwer, pp. 409-423.

l'accomplissement et le dépassement de la loi en Jésus) et samaritains (voir le chapitre 4). Face à une communauté si variée, Jean se concentrera à présenter le Christ comme le révélateur du Père et le Fils de Dieu. La portée christologique est partout omniprésente dans cet évangile de la vie. Le quatrième évangile serait écrit en Asie Mineure (Ephèse ou Antioche) à la fin du Ier siècle (100-110). Il fut écrit en langue grecque, pas touj ours élégante mais correcte avec de nombreux aramaïsmes. Dans l'évangile de Jean, les signes et les discours sont difficiles à séparer dans la mesure où les discours visent souvent à interpréter les signes. De nombreuses figures de style comme l'inclusion, la double signification, l'ironie, le malentendu, la note explicative, le discours/récit, sont à noter33. Toutes ces remarques sont nécessaires pour aborder le texte johannique dans son contexte littéraire.

2.1.2. Contexte du texte dans l'Evangile de Jean

La plupart des exégètes traitent l'épisode de Lazare comme la conclusion de la première partie de l'évangile de Jean qui se terminerait au chapitre 12. Bultmann, Schnackenburg, Brown, Feuillet, Van den Bussche, pour ne retenir que quelques noms, adoptent cette hypothèse. Pour Ch. Rau, l'épisode de Lazare est au centre d'une grande figure chiastique qui enveloppe tout l'évangile34. Pourtant quelques voix isolées s'élèvent pour proposer un autre découpage situant l'épisode non au centre de l'évangile ni à la fin mais au commencement d'une nouvelle section35. Pour Xavier Léon-Dufour, les arguments divers sont tous valables, « car en définitive le texte fait transition entre le récit de la vie publique de Jésus et celui de la semaine qui conduit à la Passion »36. Mais de manière classique, le récit de Lazare est considéré par les exégètes comme le dernier signe de la première section de l'évangile de Jean qui va du chapitre 1 au chapitre 12. Il fait bien partie d'un projet narratif plus vaste. Dans le grand livre élaboré par Jean, il occupe donc une place charnière, au point que l'on peut difficilement l'arracher à la première partie, mais tout aussi injustement en priver la seconde.

PLAN en miroir de Rau37

I Révélation terrestre du Logos XVII

1, 19-2, 12

Premiers disciples à Cana. disciples.Témoignage de Jean. témoigne.

Nathanaël, 3e jour.

Comme Fils de Dieu

21

Conversation avec les

Le disciple qui

Nathanaël, 3e fois.

II

2-3

Purification du temple, Nicodème. Corps.

Fils de l'homme

XVI

20

Ensevelissement. Apparition à Marie.

Nicodème. Corps.

III

4

Sixième heure.

Je vous montrerai un homme.

Homme-Messie

XV

18-19

Sixième heure. Voici l'homme.

IV

5. Guérison du paralytique.

Relation au Père

XIV

17

Discours sur le Père.

V

6. Nourriture.

Vrai Pain.

 

XIII 15-16

Discours sur la vraie vigne.

VI

7. Les Tentes (3 moments). Pas encore l'Esprit.

(Trinité.)

 

XII

13, 36 et 14
Discours aux 3.

L'Esprit-Saint. Trinité.

VII

Pécheresse 7, 53 -- 8, 59 Je suis la

lumière

 

XI

12, 37 -- 13, 36 Lavement des pieds.

Je suis la lumière du monde.

VIII

9--10

Guérison de l'aveugle. Pasteur-Lumière.

 

X

11, 55 -- 12, 36
Entrée à Jérusalem.

Fils de lumière.

10, 22 -- 11, 54
Résurrection de Lazare.

IX

2.1.3. Contexte du texte dans le chapitre 11 de Jean

Le chapitre 11 de Jean est dominé par l'épisode de la résurrection de Lazare qui est l'objet de notre étude exégétique. Nous avons limité cet épisode aux 44 premiers versets de ce

chapitre 11 de Jean qui en compte au total 54. Les dix derniers versets semblent un appendice à l'épisode et ils ont pour but de nous donner les conséquences de ce signe opéré par Jésus.

La mort et la résurrection de Lazare ramènent Jésus vers Jérusalem où sera décidée sa condamnation par le Sanhédrin. Lazare et Jésus disparaissent de cette scène annexe qui tire les conséquences positives (la foi de quelques Juifs : v.45) et surtout négatives de ce signe (l'hostilité des Juifs contre Jésus et sa condamnation: vv. 46-54). L'épisode de Lazare est donc essentiel à ce chapitre 11 de Jean.

Jean 11, 1-54 : La résurrection de Lazare et la décision de la mort de Jésus par le Sanhédrin

Jean 11, 1-44 : Le récit de la résurrection de Lazare

Jean 11, 45-46 : Lien entre le récit de Lazare et la réunion du Sanhédrin

Jean 11, 47-54 : Délibération du Sanhédrin et condamnation à mort de Jésus

2.2. Critique des sources

La critique des sources se base sur le fait que l'évangile n'est pas une création ex nihilo. L'épisode même de la résurrection de Lazare, avant de constituer une partie intégrale du quatrième évangile, a pu exister de façon autonome. De plus, si on remonte plus loin dans cette enquête, on peut imaginer que le récit de Lazare n'a pas touj ours eu une forme définitive comme celle que nous connaissons aujourd'hui. Est-il possible de remonter à la constitution de ce récit à l'étape où elle n'existait qu'en puissance dans ses composantes ? C'est l'objectif de ce paragraphe sur la critique des sources. En compagnie de Boismard et de A. Marchadour,38 nous allons esquisser quelques hypothèses dans ce sens.

2.2.1. L'hypothèse de R. Bultmann (1941)39

En 1941, Bultmann publie un commentaire sur l'évangile de Jean fort remarquable. La plupart des spécialistes le considèrent comme une oeuvre majeure qui a marqué profondément

la recherche et conditionne encore de nombreuses hypothèses actuelles sur la question des sources du quatrième évangile.

En effet, Bultmann repère dans tout l'évangile de Jean actuel trois sources, tout à fait autonomes à l'origine : la Semeia-quelle, les discours de révélation de type gnostique et le récit continu de la passion. La Semeia-Quelle, à laquelle se rattache l'épisode de Lazare, est formée de sept signes qui devaient, avant d'être coulés dans le moule narratif propre à Jean, être d'une facture assez proche de celle des récits de miracles des évangiles synoptiques.

Dans sa tentative de reconstitution du récit primitif de l'épisode de Lazare dans la Semeia-Quelle, Bultmann fait disparaître les versets 9-10 qu'il renvoie aux discours de révélation (Offenbarungsquelle). Lui aussi n'hésite pas à supprimer l'essentiel du dialogue entre Jésus et ses disciples, entre Marthe et Jésus et entre Marie et Jésus. Il attribue à l'évangéliste lui-même les éléments trop kérygmatiques comme en Jn, 11, 4. 41-42 et les traits d'énonciation (v. 2. 4. 13). Mais il avoue la difficulté d'arriver à une reconstitution probante. Il reconnaît que le style de l'évangéliste ne se distingue pas nettement de la Source. Il avance même qu'il a dû exister, avant la Semeia-Quelle, un récit ancien où probablement les deux soeurs étaient anonymes. Mais ce qu'il retient comme terreau de la Semeia-Quelle comprend les versets suivants : Jn 11, 1. 3. 5. 6. 11. 12. 14. 15. 17-19. 33-39. 43.44.

L'impact méthodologique de Butlmann continue de nourrir les recherches de l'exégèse moderne. La plupart de ses successeurs continuent de défendre l'existence d'une source de miracles à la base du quatrième évangile même si les différences subsistent sur les détails et les limites de cette source dans l'évangile actuel de Jean.

2.2.2. L'hypothèse de M. -E. Boismard et A. Lamouille (1977)40

Selon Boismard, l'évangile de Jean se serait développé en quatre étapes successives, mais à l'intérieur d'une école johannique. La rédaction la plus ancienne constituerait déjà un évangile complet. Appliquée à notre texte sur la résurrection de Lazare, l'hypothèse de Boismard retrace les marques de ces quatre sources41.

- Dans le premier document Doc C, Marthe a disparu totalement ainsi que les disciples et les Juifs. Le champ sémantique « deuil », si présent dans la séquence entre Jésus et Marie est totalement absent aussi. Les notes interprétatives et les traits d'énonciation disparaissent.

Le récit ainsi reconstitué est proche des récits synoptiques. Nous retrouvons quelques éléments des versets suivants : 11, 1. 2. 3. 4. 6. 7. 11. 17. 29. 32. 33. 34. 38. 39. 41. 43. 44. - Le document II-A introduit le motif du deuil de Marie autour de qui sont placés des
personnages anonymes. Le trouble et la prière de Jésus y gagnent de la place. Une conclusion au récit est trouvée en Jn 11,45.

- Le document II-B constitue chez Boismard l'étape rédactionnelle la plus féconde : introduction de nombreux traits d'énonciation, utilisation du malentendu comme procédé littéraire, développement du suspense, apparition de personnages nouveaux comme Marthe avec le thème de la foi, des Juifs avec une valeur ambivalente et des disciples qui sont associés à la mort de Jésus.

- Le dernier document, le document III, n'ajoute simplement les versets 13 et 25b-26a
dans notre texte déjà constitué en majeur partie.

Boismard reconnaît bien que l'évolution littéraire du récit de Lazare est bien complexe. Et la plupart des exégètes sont d'avis avec lui que l'évangéliste aurait utilisé un récit plus ancien. Les additions qui proviendraient de l'évangéliste sont repérables dans les versets suivants : Jn 11, 4-5, 7-10, 35-37, 39b-40, 41b-42.

Mais, les limites d'une telle approche pour un texte écrit sur une période relativement brève comme c'est le cas pour notre texte johannique ne manquent pas. Comme le remarque C.H. Dodd « dans aucune autre partie de cet évangile peut-être les tentatives faites pour dégager une structure écrite ou des sources écrites ne se sont révélées aussi peu convaincantes, et si l'évangéliste suit un récit traditionnel conforme à son modèle déterminé, il a su n'en rien laisser paraître42 ». C'est ici que l'aide de la synchronie peut être utile pour résoudre un tant soit peu les problèmes de compréhensions que soulève la critique littéraire de la péricope. La critique du genre littéraire nous le confirmera.

2.3. Critique du genre littéraire du texte

Après avoir déterminé le genre littéraire de Jn 11,1-44, nous explorerons le Sitz im Leben dans lequel il aurait vu le jour43.

2.3.1. Le genre littéraire de notre texte

En Jn 11,1-44, nous sommes en présence d'un récit de résurrection, celle de Lazare. On peut faire la comparaison avec d'autres récits de résurrection des morts dans les

42 C.H. DODD, La tradition historique du quatrième évangile, Paris, Cerf, 1987, p. 296.

43 L'analyse du vocabulaire, du style et de la grammaire viendra par la suite à l'intérieur de l'analyse synchronique de notre texte.

Synoptiques (Mt 9,18-26 et par. ; Lc 7,11-17) dont l'intrigue est beaucoup plus simple. Dans notre récit, nous retrouvons bien le schéma classique de ce genre littéraire, proche du « récit de miracle » : description de la situation, demande de miracle à Jésus, obstacles à surmonter, exigence de la foi, puis miracle de résurrection opéré par Jésus. Mais saint Jean l'utilise de manière originale et particulière. Tout en suivant une logique narrative qui va de l'exposition au dénouement en passant par des péripéties de complications, il harmonise bien récits, dialogues et discours. Cela dédramatise certes la narration, mais ça lui permet d'anticiper sur la signification des faits rapportés. L'objectif de l'auteur est certainement moins de raconter que d'enseigner.

En effet, les discours, qui occupent une bonne place dans ce récit, sont kérygmatiques. Ils sont noués autour de dialogues entre Jésus et les principaux personnages du récit : Jésus et les disciples, Jésus et Marthe, Jésus et Marie, Jésus et Lazare. Jésus occupe bien le devant de la scène et son enseignement est bien mis en exergue dans le procédé de malentendu qui revient plusieurs fois et que saint Jean affectionne bien. Par d'autres artifices littéraires comme la prolepse, les gloses, les doublets, les inclusions, les chiasmes, les répétitions, saint Jean cherche à accrocher le lecteur sur l'essentiel de son message : la foi au Christ, Maître de la vie. Ce souci kérygmatique établit un décalage entre l'inévitable contingence du récit avec ses péripéties successives d'éloignements et de rapprochements, de pleurs et de frémissements devant la mort. Et la hauteur quasi temporelle de la Révélation de Jésus et la confession de foi même de Marthe conduisent bien de nombreux critiques à douter de l'homogénéité et de la cohérence du récit.

On peut remarquer que Lazare dont on raconte l'histoire de la résurrection est muet du début jusqu'à la fin. Sa résurrection même qui constitue le sommet du récit est comme relativisée à la fin. Bien plus, la confession de foi de Marthe forme dans le récit un sommet qui compromet le suspense entretenu depuis le début autour du destin particulier de Lazare. De même, les versets 1-3 présentent le malade en fonction de Marie pendant que la suite du récit donne une prééminence nette à Marthe. L'ordre de nomination même des deux soeurs est fluctuent : « Marie et sa soeur » (v.1), « Marthe et sa soeur » (v. 5). Au verset 39 Marthe est qualifiée de « soeur du défunt », précision qui surprend par son caractère tardif et inutile.

Toutes ces remarques viennent corroborer le fait que l'auteur de notre texte, tout en s'inscrivant dans les grandes lignes d'un genre littéraire donné, celui du récit de résurrection, se focalise sur un objectif kérygmatique bien net, si bien que les détails narratifs sont moins fignolés. Comme le dit Alain Marchadour, « l'union indissociable ici du kérygmatique et du

narratif est une des caractéristiques des récits johanniques et de l'épisode de Lazare 44». Cela à côté des thèmes théologiques (signe, gloire de Dieu, croire, voir, vie, résurrection, mort...) qui s'ajustent bien dans l'intrigue développée dans le récit, fait l'originalité du genre littéraire utilisé par l'auteur. Cela nous laisse à peine deviner le Sitz im Leben du récit.

2.3.2. Le Sitz im Leben du récit

Plusieurs hypothèses sont ici avancées par les commentateurs de la péricope. Nous mentionnons les plus en vue :

- Pour A. Loisy,45 les destinataires du récit sont les premiers chrétiens et à travers eux tous les chrétiens en général. Ainsi, quand Jésus parle de Lazare qui est endormi et qu'il va réveiller (v.11), c'est pour signifier en fait que la mort du chrétien n'est qu'un sommeil, non une mort véritable. Lazare représente à ce moment tout chrétien. Les personnages mêmes du récit sont des figures qui représentent des groupes de l'Eglise : Marthe représente les judéochrétiens et Marie plutôt les fidèles venus du paganisme. La résurrection de Lazare est le symbole de la résurrection de tous les justes. Loisy nous plonge ainsi dans une lecture allégorique du récit qui ne manquait sûrement pas d'émules aux premiers siècles du christianisme (cf. Origène, Clément d'Alexandrie, Augustin etc.).

- Bultmann46 nous renvoie au contexte des premiers chrétiens pour saisir le sens du récit. Ce qui est raconté dans l'épisode de Lazare, c'est la rencontre entre le révélateur et le croyant parfait symbolisé par Marthe, la chrétienne. Tout croyant, qui reconnaît alors en Jésus le révélateur suprême, échappe à la mort. Marthe est une véritable figure symbolique à qui tout croyant peut s'identifier, dans la mesure où comme elle, il choisit Jésus comme l'irruption définitive de Dieu dans le monde. Dans le dialogue de Marthe avec Jésus, se trouve projetée l'expérience humaine des premiers chrétiens confrontés au scandale de la mort et pourtant provoqués à parier sur la vraie vie présente en Jésus et par lui. Face à Marthe la croyante, est campée l'image de ceux qui ont besoin comme Marie d'un signe extérieur pour reconnaître en Jésus le révélateur.

- Pour rechercher toujours le Sitz im Leben de notre récit, des exégètes comme Sass, n'hésitent pas aussi à comparer Jn 11, 1-44 et Marc 5, 21-43. Sass particulièrement voit dans l'épisode de Lazare des traits communs avec la résurrection de la fille de Jaïre : dramatisation, effet de suspense (par l'intervention retardante de l'hémorroïsse). Le Sitz im Leben de

l'évangile de Marc ici est assez voisin de celui de l'Eglise de Thessalonique où les difficultés avaient surgi au sujet de la mort des croyants survenue avant le retour attendu de Jésus le Christ (1Th 4-5). Le but de Marc, c'est de donner confiance aussi à sa communauté affectée par la mort de certains de ses membres. Dans l'histoire de la fille de Jaïre, c'est précisément la situation de la communauté qui est décrite : le retard de Jésus, l'espérance des hommes, mais aussi la foi du père qui n'est pas seulement une foi en Jésus comme en un guérisseur, mais comme en quelqu'un qui a puissance sur la mort. Et Sass de noter que le Sitz im Leben de « la résurrection de Lazare doit être une situation semblable à celle de Marc »47.

En effet, comme l'écrivent Boismard et Lamouille, « la plupart des commentateurs admettent aujourd'hui que Jn a repris le récit de la résurrection de Lazare à une source plus ancienne 48» dont le Sitz im Leben peut être le même que dans les autres récits de résurrection rapportés par les synoptiques. La critique de la tradition n'hésite d'ailleurs pas à rapprocher le récit de Lazare de la tradition synoptique.

2.4. Critique de la Tradition

Le récit de la résurrection de Lazare s'inscrit dans une tradition vétérotestamentaire et néotestamentaire de la résurrection des morts. Mais en St Jean, cette tradition gagne en netteté et en ampleur.

En effet, les récits de la résurrection sont relativement nombreux dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Elie ressuscite le fils d'une veuve qui l'hébergeait (1R 17,17-24), et son disciple Elisée en fait autant pour le fils de la shunamite (2R 4,18-37). Dans les synoptiques, Jésus ressuscite la fille de Jaïre (Mc 5, 22-24 ; 35-43 et par.) et le fils de la veuve de Naïn (Lc 7,11-17). D'après Ac 9, 36-43, c'est Pierre qui rend la vie à une femme du nom de Tabitha ou Dorcas. « Le récit johannique offre des contacts avec tous ces récits49 ». Comme en 1 R 17,18 ou 2R 4,28, Marthe et Marie reprochent à Jésus d'avoir laissé mourir leur frère (Jn 11,21.32). Comme en Ac 9,38, Marthe et Marie envoient dire à Jésus que Lazare est malade (Jn 11,3). Comme en Mc 5,23.3 5, il s'agit d'un malade dont on apprend ensuite qu'il vient de mourir (Jn 11,3.11). Comme en Mc 5,41 et Ac 9,40, Jésus effectue la résurrection en donnant un ordre au mort qui obéit (Jn 11,43-44). « Nous sommes donc devant un récit de forme classique50 ». En introduisant le dialogue de Jésus avec ses disciples, St Jean a voulu vraiment

harmoniser son récit à celui de la résurrection de la fille de Jaïre tel qu'il le lisait dans Marc51. Ce souci d'harmoniser apparaît à plusieurs endroits du récit. Bien qu'avec des verbes différents, l'équivoque portant sur la mort comparée à un sommeil se lisait déjà en Mc 5,39- 40 : « l'enfant n'est pas morte, mais elle dort. Et ils se moquaient de lui ». Mais selon Boismard l'emprunt net au récit de Marc se trouve au v. 32 où Jean ajoute les mots « le voyant, elle tomba à ses pieds » ; de même, on lit en Mc 5,22 que lorsque Jaïre arrive près de Jésus, « le voyant, il tombe à ses pieds » ; ce parallèle est d'autant plus frappant que, dans Marc comme dans Jean, c'est le seul cas où l'on voit quelqu'un ``tomber aux pieds'' de Jésus52. En Jn 11,33, ce n'est pas seulement Marie qui pleure, mais aussi les Juifs qui sont venus avec elle ; il y a donc dans le récit johannique un groupe de ``pleureurs'' analogue à celui que l'on trouve en Mc 5,38b. En Jn 11,28, Marthe annonce à Marie l'arrivée de Jésus en lui disant : « le Maître est là » ; de même en Mc 5,35, les gens qui viennent avertir Jaïre que sa fille est morte ajoutent : « Pourquoi déranges-tu encore le Maître ? ». Pour Boismard, « une telle façon de parler de Jésus ne se lit ailleurs dans les Synoptiques qu'en Mc 14,14 et par. ; dans Jn, qu'en 13,14 ; elle est donc très rare et le contact ici entre les récits de Jn et de Mc ne doit pas être fortuit53 ». L'influence sur le récit johannique de la tradition synoptique et de tout l'arrière-plan vétérotestamentaire sur la résurrection des morts est donc formelle selon Boismard.

Mais St Jean adapte cette tradition de la résurrection des corps en fonction de son époque et de sa communauté. Il faut rappeler qu'il est l'un des derniers écrivains du Nouveau Testament54. Il a devant lui quand il écrivait l'événement exceptionnel de la résurrection du Christ avec l'expérience de nombreux témoins attestés par la tradition néotestamentaire (cf. 1 Co 15,3-8). La résurrection du Christ est le fondement même de cette tradition de la résurrection des morts chez les évangélistes. C'est parce que le Christ est ressuscité et vivant que les autres résurrections opérées par Jésus durant son ministère terrestre sont vraies. On comprend pourquoi St Jean insiste sur la mort réelle de Lazare dans les 4 jours passés au tombeau avant sa revivification. Chez les Synoptiques, Jésus ressuscite des personnes qui viennent juste de mourir. L'intrigue est alors plus élaborée chez St Jean.

A cela, il faut ajouter l'influence de la situation de la communauté johannique en attente du retour glorieux du Christ. Cette Parousie tarde à se manifester et les amis du Christ en viennent à connaître la mort. Mais le récit de la résurrection de Lazare aura pour but de

51 Cf. E. M. BOISMARD et A. LAMOUILLE, op. cit., p. 292.

52 Idem.

53 Id.

54 Cf. W. HARRINGTON, Nouvelle Introduction à la Bible, Paris, Seuil, 1971, p. 943.

consolider la foi de ces frères et soeurs découragés et qui attendent l'intervention rapide du maître de la vie. C'est dans ce sens que St Jean reliera à la tradition testamentaire de la revivification des morts ses thèmes théologiques favoris que sont la foi, la gloire de Dieu, la vie éternelle, le salut... Il les insèrera dans son récit à travers des discours kérygmatiques qui ne cachent point les cicatrices de plusieurs remaniements rédactionnels.

2.5. Histoire de la rédaction du récit

De nombreux exégètes sont aujourd'hui d'avis que St Jean a eu recours à un récit primitif pour composer l'épisode de la résurrection de Lazare. Les hypothèses ne manquent pas dans ce sens. Mais ce qui force le consensus, c'est bien l'intention théologique de l'auteur dans ce récit. St Jean a assurément retravaillé des matériaux préexistants dans une visée théologique bien nette : susciter la foi de ses lecteurs en Jésus, le Maître de la vie. Cette intention théologique est très claire. Les longs discours kérygmatiques, qu'il intercale dans la trame de son récit, sont à dessein. L'autorévélation du Christ à Marthe et sa nette confession de foi constituent bien le sommet de ce récit. Cet objectif dans la rédaction de son texte ne manque pas de dédramatiser même l'intrigue de son récit.

Mais à l'origine du récit de Lazare, il convient de placer l'événement pascal. Le rédacteur fait partie d'une communauté de foi constituée après la passion-mort-résurrection de Jésus. Il met en scène Jésus, il convoque les personnages, il utilise les titres théologiques et christologiques qui ne sont compréhensibles qu'après l'événement pascal. Il convient de reconnaître qu'il s'agit bien d'une écriture pascale, d'un récit postpascal. Fils de Dieu et Messie ne peuvent être appliqués à Jésus qu'après sa manifestation comme tel dans l'événement pascal. Jésus est appelé Seigneur dans le discours de Marthe et de Marie (v. 3. 21 32) et dans celui des témoins (v. 34) en lien avec sa résurrection. En un mot, le rédacteur écrit bien comme un chrétien et les interlocuteurs de Jésus même dans ce récit s'adressent à lui par intermittence comme au Ressuscité que Dieu a fait Seigneur. Ainsi à travers le récit de l'aventure de Lazare, le rédacteur nous donne le parcours déjà achevé de Jésus : il est celui qui rencontre la mort et s'y plonge avec son cortège de pleurs et de deuil ; mais en même temps il est le Seigneur omniscient et tout-puissant qui vient de la part de Dieu et sort victorieux de son combat contre la mort qu'il se risque à affronter sur son propre terrain. « En lui, toutes les figures de l'Ancien Testament convergent et prennent sens. Le narrateur le sait parce qu'il est situé au terme du récit55 ».

C'est bien le fruit d'une composition littéraire, d'une création littéraire. Cette mise en intrigue est oeuvre créatrice qui dépend moins des événements bruts que de la perspective narrative de l'auteur : susciter et soutenir la foi de ses lecteurs en Jésus-Christ Ressuscité et Vivant. Elle répond cependant à des critères et à un genre littéraire précis, même si le rédacteur l'adapte magnifiquement à sa visée théologique. A côté de la logique narrative qui va de l'exposition aux complications pour aboutir au dénouement de l'intrigue, on remarque des doublets, des incohérences, des précisions inutiles et tardives qui sont autant de cicatrices de remaniements rédactionnels certains.

Mais s'il est clair que St Jean a retravaillé ainsi le récit primitif reçu, nous sommes incapable, dans l'état actuel des recherches, de dire son origine exacte, le « degré zéro d'où il est sorti et s'est développé », comme le dit Alain Marchadour56. Des exégètes comme Boismard et Lamouille tentent des hypothèses de reconstitution de cette histoire rédactionnelle57. Ce que nous pouvons retenir, c'est que notre récit, à travers toute son histoire rédactionnelle, vise un objectif narratif et kérygmatique assez clair pour nous permettre de rencontrer et de connaître celui qui a affronté la mort et qui l'a vaincue par la puissance de sa Parole, c'est-à-dire Jésus-Christ.

Conclusion au chapitre

La méthode historico-critique nous a permis d'être sensible aux cicatrices qui subsistent aux transformations successives du texte. Mais comme le dit Alain Marchadour « cette sensibilité s'accompagne parfois d'une méconnaissance certaine de la logique narrative à l'oeuvre dans un texte 58». Les spécialistes de la synchronie, de nos jours, ont éveillé notre sens à découvrir une stratégie narrative à l'intérieur des textes où les critiques trouvent des ruptures linguistiques, stylistiques et théologiques complexes. C'est là tout l'intérêt de la complémentarité des méthodes en exégèse. Comme le remarque fort bien A. L. Deschamp, un familier de la méthode historico-critique dans cette étude interdisciplinaire précisément consacrée à l'épisode de Lazare59 « au total, en vertu de la méthode historicolittéraire, l'étude synchronique de Jean parait devoir prendre le pas sur une étude diachronique conséquente ». Ce qui nous encourage à l'approche synchronique de notre texte en vue d'une meilleure compréhension de la Parole de Dieu qu'elle nous révèle.

*****

56 A. MARCHADOUR, op. cit., p. 193.

57 M.-E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, op. cit., pp. 277-294.

58 A. MARCHADOUR, op. cit., p. 60.

59 COLLECTIF, Genèse et structure d'un texte du Nouveau Testament. Etude interdisciplinaire du chapitre 11 de l 'évangile de Jean, Paris et Louvain, Le Cerf et Cabay, 1981, p. 48.

EXCURSUS : La mort et le deuil en contexte juif de l'Ancien
Testament

Par cet excursus sur la mort et le deuil dans le contexte de la société juive vétérotestamentaire, nous voulons mieux saisir le contexte de funérailles et de deuil qui marque notre récit de la résurrection de Lazare60.

Il est incontestable que les anciens Hébreux ont cru à l'immortalité de l'âme. Pour eux donc, au moment de la mort, l'être humain se divisait en deux : le corps qui retournait à la terre dans le tombeau et l'âme qui se rendait dans un séjour appelé schéol. C'est là que ceux qui mouraient étaient réunis à leurs pères (cf. Gn 25,17 ; 3 5,29 ; 49,32 ; Dt 32,50). Et une fois passé les portes du schéol (cf. Jb 38,17 ; cf. Sg 16,13), il n'y a point de retour (cf. Jb 10,21s). Telle est la perspective désolante que la mort ouvre à l'homme pour le jour où il doit être « réuni à ses pères » (Gn 49,29).

En Palestine, les cérémonies des funérailles ne paraissent pas avoir varié sensiblement chez les Hébreux depuis les temps les plus reculés jusqu'à la destruction de Jérusalem par les Romains. Même encore de nos jours, les Juifs comme les Arabes indigènes de Palestine suivent les mêmes coutumes61. Aussitôt après le décès, on ferme les yeux du défunt et on lui fait sa toilette funèbre : les pieds et les mains sont entourés de bandelettes et le corps enveloppé d'un linceul dans lequel on dispose des parfums (aromates, myrrhe et aloès : cf. Jn 19,39.40 ; cf. Jn 12,3.7). Le corps est étendu sur une bière ouverte en haut (cf. 2R 3,31), de façon à laisser voir le visage (cf. Lc 7,14) et placé souvent au milieu d'une grande pièce de la maison ou dans la chambre haute (cf. Ac 9,37). Les parents et les amis l'entourent dans les larmes et les gémissements (cf. Ac 9,39). Les manifestations de deuil sont diverses : pleurs et lamentations ; on se jette à terre (cf. Jb 1,20 ;2R 13,31), on crie en s'arrachant les cheveux comme en mode orientale, dans certains cas on se fait des incisions sanglantes (cf. Jr 16,6) d'ailleurs défendues par la Loi (cf. Lv 19,28 ; 2 1,25), on déchire ses vêtements (cf. Gn 37,34 ; 2R 3,31) ; on se couvre la tête de cendre et de poussière, on revêt le cilice, des vêtements sombres (cf. 2R 14,2 ; Jdt 10,2), on cesse de s'oindre d'huile et d'autres soins de toilette (cf. 2R 14,2) on se voile la tête (cf. 2R19,4) on s'assoit et on reçoit des visites silencieuses des

amis pendant 7 jours (cf. Ac 9,39 ; Rm 12,15), on jeûne, on va pieds nus... En plus des pleureuses qui invitent les passants par leurs chants à se lamenter (cf. Jr 9,17 ; Am 5,16 ; Mt 9,23 ; Mc 5,3 8), des musiciens font entendre sur la flûte des airs lugubres (cf. Jr 48,3 ; Mt 9,23). Les lamentations funèbres font d'ordinaire l'éloge du défunt (cf. 2R 3,33-34).

L'ensevelissement se faisait le même jour du décès car la chaleur climatique ne permet pas de garder longtemps le cadavre dans la maison. Le corps, enveloppé d'un suaire, était mis au tombeau. La tombe était creusée dans les parois rocheuses que fermait une pierre. Les cavernes naturelles faisaient aussi bien l'affaire en certaines circonstances. Le culte des morts obligeait les Hébreux à certains devoirs envers la dépouille de ceux qui ne sont plus. La privation de sépulture était considérée comme une malédiction des plus graves (cf. Jr 8,2 ; 14,16 ; 16,4.6 ; 22,19 ; 1M 7,17). Selon les Chaldéens, ancêtres des Hébreux, l'esprit du mort abandonné sans sépulture revenait tourmenter les vivants jusqu'à ce qu'il eût obtenu la nourriture, les vêtements, les armes dont il était censé avoir besoin dans l'autre monde ; prières, libations, offrandes s'imposaient également à ses enfants et à ses héritiers. En retour de ces dons divers, il les protégeait62. Moïse dût épurer ces croyances qui ne manquèrent pas néanmoins de subsister dans certains esprits (interdiction de l'offrande d'aliments aux morts et de la nécromancie surtout). La durée du deuil varie entre 7 jours et 30 jours : 70 jours de deuil pour Jacob dont 7 jours de funérailles (cf. Gn 50,3.10), 30 jours pour Aaron et pour Moïse (cf. Nb 20,29 ; Dt 24,8) 7 jours de deuil pour Saül (cf. 1R 3 1,13), 30 jours de deuil ordinaire pour le père et pour la mère (cf. Dt 21,13) ; les veuves portaient le deuil plus longtemps et quelquefois toute leur vie (cf. Gn 38,14 ; 2R 14,2 ; Lc 2,37).

Aucune cérémonie religieuse n'était liée aux funérailles qui étaient avant tout une affaire familiale. Il n'est question de la prière pour les morts que dans l'un des derniers livres de l'Ancien Testament (cf. 2M 12, 39-46)63. Cette pratique de l'offrande sacrificielle pour les morts fut d'ailleurs liée à la naissance de la foi en la résurrection des morts. On ne le retrouve dans aucun des livres sacrés antérieurs à cette époque tardive (IIème siècle avant notre ère). Nous aurons l'occasion de découvrir dans un second excursus, l'élaboration et l'évolution lentes de cette foi en la résurrection dans la société juive suivant les données bibliques.

*****

62 G. MASPERO, Histoire ancienne, t. 1, p. 683-689 cité dans AAVV, Dictionnaire de la Bible, t. 4, Paris, Letouzey et Ané, 1912, article ``les Morts'', col. 1315.

63 Comme le dit E. F. PENOUKOU, « les conceptions de vie et de mort, dans la mesure où elles apparaissent dans les livres de l'Ancien Testament, sont naturellement apparentées à celles qui étaient courantes dans tout l'Orient, et sur bien des points, elles dépendent d'idées élaborées dans les grands empires civilisés, et qui se sont répandues dans les pays voisins sous forme de notions fixées » (in Foi chrétienne et compréhension africaine. Pour une herméneutique mina de la mort et de la résurrection à partir d'une analyse critique de 1Co 15. Tome 1, Paris, Institut Catholique, 1979, p. 118).

CHAPITRE 2 : Approche Synchronique
Et Portée Théologique de Jn 11, 1-44

Introduction

Pour ce chapitre, nous ferons usage de la méthode synchronique qui nous permettra d'analyser le texte dans sa structure interne. En suivant les diverses macrostructures du texte, nous serons attentif au vocabulaire, à la grammaire, au style, à la syntaxe, aux acteurs ou personnages, à la sémantique même du texte qui sont au service d'une certaine logique narrative. Le fait que nous ayons affaire à un récit, nous amènera à privilégier une analyse narrative à côté d'autres analyses synchroniques comme l'analyse rhétorique et l'analyse sémiotique. Cela nous permettra ensuite de dégager la portée théologique du texte.

1. Analyse synchronique de Jn 11, 1-44

Nous voulons, dans les paragraphes suivants, analyser les éléments qui, dans le cadre de la synchronie, sont porteurs de sens pour la bonne compréhension de notre texte. Nous dégagerons tantôt les éléments narratifs tantôt les éléments rhétoriques du texte. Dans l'analyse de la grammaire et de la sémantique des mots64, nous ferons usage de techniques simples de sémiotique sans entrer dans les dédales de la méthode. Pour ce faire, nous suivrons les grandes structures du texte.

1.1. Analyse du vocabulaire

Nous optons de nous arrêter sur l'analyse dans notre texte du vocabulaire de la mort d'une part et du vocabulaire de la vie d'autre part65 à cause bien sûr de leur intérêt exégétique et théologique pour notre étude66.

64 Tantôt nous citons le texte grec pour mieux saisir les nuances littéraires quand il le faut, tantôt nous nous bornons à la traduction française du texte quand il s'agit d'une simple analyse du message biblique.

65 C'est à dessein que nous avons opté de porter notre attention sur les verbes et les substantifs relatifs à la mort et à la vie. Nous n'analysons pas ici leur forme dans le texte. L'analyse narrative nous en donnera l'occasion quand il le faudra. Nous voulons simplement attirer l'attention sur le double registre de la mort et de la vie sur lequel l'auteur a bâti son récit. Cela a pour but de mettre en lumière la signification interne du texte.

66 Cf. P. POUCOUTA, op. cit., pp. 164-166. Voir aussi M. CARREZ et F. MOREL, Dictionnaire grec-français du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides et Pierrefitte, Société biblique française, 1988.

1.1.1. Le vocabulaire de la mort

Le vocabulaire de la mort recouvre essentiellement les verbes c~o9EvE'(1), KOL1tc'O1tcL,

c~iTO9vi1'oK(1), ~cK~l'(1), K?cL'(1),E~1t.pL1tc'O1tcL, et les substantifs c~o9E'vELc, 9c'vc~Oç, 1tvi11tEL'Ov.

- le verbe c~o9EvE'(1) qui revient à plusieurs reprises (vv. 1.3.6) signifie être sans vigueur, sans force, être faible, être malade. Ce verbe s'accompagne du substantif c~o9E'vELc qui désigne la faiblesse, la maladie (v. 4).

- le verbe KO L1tc'O1tc L qui revient à deux reprises dans le texte (vv. 11.12) signifie « dormir ». C'est ainsi que l'avaient compris les disciples. Mais il évoque également le sommeil de la mort. Il signifie alors mourir. C'est le sens qu'il a dans notre texte. De même le verbe c~iTO9vi1'oK(1), abondamment utilisé (vv. 14.16.21.25.26.37), signifie mourir, au sens physique du terme. Il s'agit de la mort de Lazare, mais aussi de celle dont on menace Jésus. A ces deux verbes s'ajoute le substantif 9c'vc~Oç, mort (vv. 4.13).

- le verbe K?cL'(1) signifie pleurer ou plus précisément se lamenter. Utilisé trois fois dans le texte (vv. 31.33), il est employé pour Marie et les Juifs qui pleurent et se lamentent. Le verbe K?cL'(1) évoque donc l'ambiance de la mort.

- Jean utilise un autre terme pour traduire les pleurs de Jésus. Il s'agit du verbe ~cK~l'(1), pleurer, verser des larmes (v. 35). C'est l'unique fois qu'il est employé dans le Nouveau Testament (hapax legomenon). L'évangéliste a certainement voulu distinguer le chagrin de Jésus des lamentations et de l'ambiance de deuil.

- l'évangéliste emploie également le verbe E~1t.pL1tc'O1tcL pour exprimer les sentiments de Jésus (v.33). Il signifie s'emporter, se courroucer, être violemment ému. Jésus ne critique pas ceux qui pleurent. Ne pleure-t-il pas lui aussi ? C'est plutôt l'expression de sa révolte devant le mal et la détresse humaine.

- Enfin, le terme 1tvi11tEL'Ov évoqué à trois reprises (vv. 17.3 1.38) vient de 1tvi11tOvEl'(1) (se souvenir, se rappeler). Il signifie d'abord souvenir. D'où le sens de monument commémoratif, essentiellement pour parler d'un mort, urne contenant les cendres d'un mort, chez les Grecs. Ce qui donne tombeau. Mais généralement chez les Juifs les morts étaient ensevelis dans des cavernes naturelles, ou creusées dans la paroi rocheuse que fermait une pierre comme nous l'avons vu dans l'excursus67. Du champ sémantique de la mort, l'écrivain sacré nous fait passer à celui de la vie beaucoup plus réconfortant.

1.1.2. Le vocabulaire de la vie

Si notre texte sent la mort, il exhale aussi la vie comme l'illustrent les expressions

E~%uivI.'((i), c~vI.'~t1lItI., c~vc'Otc~I.ç, ((i)11', (c'(i),iI.OtEu'(i), öO%c'((i), öó%c, c~ycic'(i).

- le verbe E~%uivI.'((i) n'est utilisé qu'ici dans le Nouveau Testament (v.11). Il signifie sortir du sommeil, réveiller et ici réveiller de la mort. Jésus annonce déjà le réveil de Lazare de la mort. - le terme c~vI.'OtTItI. qui revient à trois reprises (vv. 23. 24), est formé du verbe I.-~trItI. (placer, présenter, mettre débout) et de la préposition c)vc (de bas en haut, haut). Il signifie se lever, se dresser, ressusciter, en parlant des morts. Il est renforcé par le substantif c~vc'otc~I.ç (v.25) qui désigne l'action de se dresser ou de se mettre debout, le relèvement, la résurrection. Le terme souligne la victoire sur la mort. Jésus se présente bien comme la résurrection (v. 24-25). - le verbe (c'(i) signifie vivre au sens physique mais aussi spirituel. Il a ici les deux acceptions (vv. 25.26). De même, le substantif ((i)ii (v.25) signifie la vie au sens physique, mais aussi théologique. Liés au vocabulaire de la résurrection, les deux termes ont ici cette portée spirituelle et théologique.

- le verbe iI.atEu'(i) (croire, adhérer) est lié au thème de la résurrection (vv.15.25.26.27.42). Le signe suscite la foi, l'adhésion. Celle-ci est liée au don de la vie.

- le verbe öo%c'((i) et le substantif öó%c (v. 4.40) sont également liés au thème de la résurrection. Jésus est la manifestation de la présence active de Dieu au milieu des hommes. Il le prouve principalement par les signes qu'il accomplit, comme ici en donnant la vie (v. 44). - le verbe c~ycic'(i) (aimer) n'est utilisé qu'une seule fois dans le texte (v.5) tandis que le synonyme 4 I.?E'(i) revient à deux reprises (vv.3 .36). Les deux termes disent les sentiments de Jésus, son affection pour la famille de Béthanie. En outre, les pleurs de Jésus sur Lazare font dire aux Juifs : I.)öE i(i)~çE~4 I.'?E I. cu~tóv (voyez comment il l'aimait, v. 36).

On peut représenter les deux champs sémantiques de la mort et de la vie dans un tableau synoptique68.

Mort / Oc'vctoç

Vie / Z(i)~'

c~aeEvE'(i) (être malade) : vv. 1.3.6

c~vI.'atrItI. (se lever) : vv. 23. 24

KOI.Itc'OItcI. (dormir) : vv.1 1.12

E~%uivI.'((i) (se réveiller) : v.11

68 Cela nous permet de constater comment l'évangéliste nous fait passer du champ sémantique de la mort au champ sémantique de la vie avec Jésus, l'acteur principal de ce récit de la résurrection de Lazare.

c ~1ToeviaKc1) (mourir) : vv. 14.16.21.25.26.37

(c 'o (vivre) : vv. 25.26

öc Kp1'i) (verser des larmes) : v. 35

öo%c '(o (glorifier) : v. 4

K?c L'O (pleurer) : vv. 31.33

1TLatE1'J (croire) : vv.15.25.26.27.42

E~~.pLItc 'OItc L (être violemment ému) : v.33

c ~yc 1Tc '~ (aimer) : v.5 / 4L?E'o : vv.3.36

c ~aeE'vE Lc (maladie) : v. 4

c ~vc 'atc aLç (résurrection) : v.25

ec 'vc ~oç (mort) : vv. 4.13

(cr (vie) : v.25

~vrtEL'Ov (tombeau) : vv. 17.3 1.38

öó%c (gloire) : v. 4.40

Mort et vie, mieux, mort et résurrection, semblent vraiment les thèmes forts du récit de Lazare en Jn 11,1-44. St Jean les noue autour de sa visée théologique de la foi. En définitive, par Jésus, la vie a vaincu la mort. Et celui qui croit en Jésus devient vainqueur et vivant avec lui69. Après ces remarques sur le vocabulaire de la mort et de la vie, nous pouvons nous lancer dans l'analyse narrative de notre texte.

1. 2. Analyse narrative

Le récit de la résurrection de Lazare est entrecoupé de discours qui en éclairent le sens. Il se présente comme un drame à rebondissements (exposition-complications-dénouement). Voyons de plus près l'organisation de ce récit en faisant attention à la narratologie et à tous les éléments de synchronie qui peuvent éclairer notre compréhension du texte.

1.2.1. La scène introductive : v. 1-6

Cette partie introduit les personnages appelés à entrer en scène par la suite. Il s'agit bien de l'introduction d'un récit. Il s'ouvre à la manière d'un conte populaire : ?Hv öE' t Lç c ~aeEvc3'v (il y avait un malade). L'imparfait de EitL' nous situe dans le passé historique propre à la narration. Le pronom indéfini tig nous situe plutôt dans le général même si par la suite ce malade sera défini. Son nom est Act"ctpog qui signifie « à qui Dieu vient en aide ». Il est originaire de Béthanie, une bourgade située à 3 Km de Jérusalem. Cette Béthanie est

mentionnée comme le lieu où Jésus résidait à la fin de sa vie publique (cf. Mc 11,1.11 ; Mt 2 1,17). Remarquons l'ordre d'énonciation qui accorde une préséance à Marthe par rapport à Marie (v. 1).

Au verset 2, Marie est identifiée, dans une prolepse70, avec la femme de l'onction de Jn 12, 18. Albert Deschamps remarque ici « des redondances lourdes et malhabiles »71 témoin d'une « glose du rédacteur ecclésiastique »72. Les exégètes se sont plu à souligner d'ailleurs les difficultés de cette section introductive de notre texte. Barrett parle même d'une « introduction maladroite »73 pendant que Fortna fait remarquer que la syntaxe est gauche.74 Boismard prend appui sur la répétition du verbe ~~KOl~ELV en Jn 11, 4 et 11, 6 pour y repérer ce qu'on a appelé une Wideraufnahme et y discerner une interpolation tardive75. L'inconstance de la nomination des personnages semble lui donner un argument de plus. Aux versets 1 et 2, les deux soeurs sont nommées ensemble. Une glose parle bien de Marie. Et au verset 5, c'est Marthe qui est nominalement citée au dépend de sa soeur.

Mais l'analyse rhétorique de cette section jugée maladroite par de nombreux critiques nous apparaît au contraire très habile dans la mesure où le narrateur y a concentré une série de valeurs sémantiques qui seront ensuite monnayées tout au long du récit. Si on part du principe que le message évangélique fut d'abord oral avant d'être mis par écrit, on peut reconnaître une sorte de chiasme, certes moins net, dans cette section introductive76.

A - doOEvc~v (v. 1) : étant malade

B - Aá"apog

C - Mapia

D - Kai MdpOag

D' - TEv MdpOav (v. 5)

C' - Kai ' f'v à~E?Apf'v a'& f~ g B' - Kai' 'v Ad"apov

A' - àoOEvEi (v. 6) : était malade

70 La prolepse est une figure de style qui consiste à anticiper narrativement des faits à venir.

71 COLLECTIF, Genèse et structure d'un texte du Nouveau Testament. Etude interdisciplinaire du chapitre 11 de l 'évangile de Jean, Paris et Louvain, Le cerf et Cabay, 1981, p. 46.

72 Ibid., p. 54.

73 C. K. BARRETT, The Gospel according to St John, Londres, 1978, p. 322 cité par A. MARCHADOUR, Lazare. Histoire d'un récit, récits d'une histoire, Paris, les éditions du Cerf, 1988, p. 73.

74 FORTNA, op. cit., p. 75.

75 M. E. BOISMARD cité par A. MARCHADOUR, op. cit., p. 74.

76 Nous nous inspirons ici du schéma de A. MARCHADOUR, Lazare. Histoire d 'un récit, récits d 'une histoire, Paris, les éditions du Cerf, 1988, p. 74.

Nous notons de nombreuses occurrences de la racine de ~~o9E'vELc (maladie) : v. 1.2.3.4.6. On en compte dans chaque verset de cette section introductive sauf au verset 5 où il est question de l'amour de Jésus pour les trois personnages principaux du récit c'est-à-dire Marthe, sa soeur et Lazare. La maladie est un thème récurent donc au début de ce récit. A côté de cela est introduit aussi le thème de la mort. Il est évoqué discrètement dans la prolepse sur l'onction de Béthanie qui est en lien avec l'ensevelissement du Christ. D'ailleurs, le verbe ~~1To9v1j'oKo (mourir) reviendra 9 fois dans le récit et 9~'v~toç (la mort) 2 fois. On notera la double mention du nom de Lazare et de son état de malade dans ces versets introductifs. Ce personnage sera nommé 15 fois jusqu'en Jn 12, 17 ; 11 fois sous son nom et 4 fois comme le ~~öE?46ç (frère). C'est dire qu'il tient une place importante dans cette partie du livre qui précède la passion sans qu'il ne prononce lui-même cependant une seule parole77 !

Au verset 3, un simple pronom cLu~~~hv renvoie à la personne de Jésus et fait le lien avec le sommaire précédent. Ici on a une simple information en apparence, mais sous laquelle se laisse entendre un discret appel à intervenir. Jean emploie ici le verbe pLXE') (aimer d'amitié) qu'on retrouvera au v. 32. Le Maître est appelé Ku~pLog (Seigneur) qui ne peut être qu'un titre christologique, fruit de l'expérience post-pascale. Ce titre reviendra 9 fois dans le récit et s'appliquera à Jésus. Boismard et Lamouille remarquent ici que la formule « cL~TE~~tELXcLv...XE~youocLL » ne se lit pas ailleurs chez Jean. « C'est un sémitisme, caractéristique surtout lorsque, comme ici, le complément direct du verbe ``envoyer'' est sous-entendu 78».

Au verset 4, le participe ~~Ko~'aoç (ayant entendu), en début de phrase et sans complément, fréquent chez Mt, ne se lit nulle part ailleurs chez Jean. Dans ce verset, Jésus réagit comme lors de la rencontre de l'aveugle-né (Jn 9, 3) par un propos sur la finalité de

cette maladie : ~~-t'q i " ~~a9E'vELc o)~KE)OtLv 1TPÔç 9~'vWtov ~~A)' 1)"1TE~Pti~ç öó%~ç to~ ~9Eo~~,L-vc

öo%~~9~~$ o" uL"ôç to~~ 9Eo~~ öL' c~~t~~ç (cette maladie ne mène pas à la mort, elle est pour la

gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle). Au niveau narratif, la première affirmation qu'entendent les disciples, contribue à préparer le malentendu qui va survenir peu après (v. 12s.). Pourtant Jésus n'oppose pas à la mort la guérison, mais la öó%c to~~ 9Eoi~ (gloire de Dieu). Cela est de grande portée et commande l'ensemble du récit. Par là, Jean nous invite à dépasser l'anecdote pour faire une lecture proprement théologique.

1.2.2. Dialogue avec les disciples : v. 7-16

L'ensemble de cette section forme une unité de sens confirmée par l'unité de personnages.

1.2.2.1. Analyse syntaxique de la section

Avec Michel Gourgues, on peut déceler dans cette section, une structure en forme de chiasme,79 où les éléments se répondent et s'explicitent les uns les autres, autour des vv. 11- 14 qui constituent le noyau central :

A - v. 7-8 : Danger encouru

B - v. 9-10 : Sens de l'intervention
C - v. 11-12 :

Annonce de l'intervention

C' - v. 13-14 :

B' - v. 15 : Sens de l'intervention

A' - v. 16 : Danger encouru

Par exemple, au O)y4~Ev E~~c tT'v 'IoU~O~~Ov 1TO~?~v (v. 7) au début de la scène répond, à la fin, le O)y4LEv KOi. ' T"pEtc (v. 16). Au danger clairement exprimé au v. 8 O)y4LEv KOL 'T"pE1c répond aussi ~t,vO O~1ToeO~v4LEv ItEt' OU~toU (v. 16). A pOeTtOic (v. 7) du début de la séquence correspond aUppOeTtOic au v. 16... Les versets centraux développent l'élément nouveau qui distingue cette scène par rapport à l'introduction : c'est l'affirmation explicite de la mort de Lazare et de la décision de Jésus d'aller le réveiller (v. 11-14).

Mais au plan purement formel, on peut remarquer la triple occurrence de l'impératif pluriel O)y4~Ev au commencement (v. 7) et à la fin (v. 15 et 16). Cette inclusion verbale est confirmée par la reprise au verset 16 du mot ~OeTtT~ attesté au verset 7. L'ensemble de ces versets se caractérise aussi par une concentration particulièrement frappante de suffixes ou d'anaphoriques de la première personne du pluriel80 :

v. 7 : O)y4~Ev v. 11 : o" %~~?oc T"p4~v v. 15 : oU~KT)tTvE~KEL ; O)y4~Ev
v. 16 : O)y4~Ev KOL 'T"LEL~cLt, vOO, 1ToeO, v4~Ev ItEt ' OU,toU~.

Ce « nous » inclusif (je + vous) associe Jésus et les disciples dans le déplacement (~'yw&~v, allons ), dans l'amitié commune pour Lazare (notre ami, o~ cpi'Xog i~&w~v). Mais une distance demeure entre Jésus (Je) et les disciples, sous la forme d'un « nous »

d'opposition ~)y~ItEv K~L ~fl"ItEL~çL-vc ~~1To9~'v~ItEv ItEt' ~u~tou (allons et mourons avec lui) et même d'un je opposé à vous : x~L'ix öL'u"It~~çL-vc 1TLOtEu'OfltE, o-tL ou~Kfl)ItflvE~KEL (je me

réjouis pour vous que nous n 'ayons pas été là afin que vous croyiez) v. 15.

1.2.2.2. La décision de Jésus d'affronter la mort

Dans la section introductive, Jésus était nommé en relation avec la famille de Lazare. Mais dans cette deuxième section, voici réapparaître les disciples 81 . Ils apparaissent brusquement au v. 7 et disparaissent au v. 16 sans qu'il soit plus jamais question d'eux dans la suite du récit. Cela forme bien une inclusion rédactionnelle. Leur opposition au départ pour la Judée permet à Jésus d'exprimer sa résolution face à la mort de Lazare et face à la sienne. Avec ce dialogue, bien distinct de l'introduction (cf. E)1TELt ItEt~~ tou~to : après quoi, v. 7), on peut dire que la tonalité de la narration change : Jésus parle à la 1 ère personne et l'action

s'engage : ~)y~ItEv EL~ç tfl~v 'Iouö~L'av~ ( v. 7). Les disciples protestent ; le rappel de la

lapidation renvoie au contexte antérieur (Jn 8, 59 ; 10, 31) et le thème de la mort de Jésus apparaît en clair. Par trois fois dans ce passage, il est clairement question de mort (v. 13. 14.16).

1.2.2.3. Le sens du proverbe de Jésus

"N'y a-t-il pas douze heures de jour? Si quelqu'un marche le jour, il ne bute pas, parce qu'il voit la lumière de ce monde; mais s 'il marche la nuit, il bute, parce que la lumière n 'est pas en lui." (v. 9-10). Malgré cette dernière expression qui rompt le parallélisme exact des deux propositions, le sens général de cette sentence d'allure proverbiale est assez clair. Son application au contexte, comme justification du comportement de Jésus est moins évident. Jésus parle-t-il de sa propre route ? Le texte rend difficile cette lecture à cause de l'expression

to~ 4iç ou~K E)OtLvE~v ~u~t~~$ ( la lumière n 'est pas en lui), v. 10, qui ne peut s'appliquer au

Christ. Ici la lumière n'est pas celle du jour ou du soleil mais la lumière intérieure qui conduit le croyant. La métaphore s'appuie sur la représentation sémitique de l'oeil conçu comme une lampe dans le corps (cf. Mt 6, 22s). De plus, 1TpooKo'1Tt~ (trébucher) se réfère ordinairement

dans la Bible à la chute dans le péché (Jr 13, 16)82. Il est préférable donc de rapprocher notre texte d'une autre parole semblable de Jésus en Jn 12, 35-37 : « Pour peu de temps encore la lumière est parmi vous. Marchez tant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous saisissent : celui qui marche dans les ténèbres ne sait pas où il va... ». Jésus inviterait les disciples ici à surmonter leur réticence à le suivre donc.

1.2.2.4. La connaissance par Jésus de la mort de Lazare

Dans une deuxième étape du dialogue (1tEt~~ tO1)~tO : après quoi, v.11) Jésus annonce le but de son départ : il va réveiller Lazare qui s'est endormi : KEKoL'!n-raL. La mort est volontiers assimilée au sommeil, en particulier dans le Nouveau Testament, en vue du réveil qu'est la résurrection des morts83. Jean utilise ici le verbe rare de E~%1)1TVL'(c qui est un hapax legomenon dans le N.T., plutôt que E~yEL'pc qui signifie « ressusciter » (cf. Jn 2, 22 ; 5, 21). Ainsi est amené plus sûrement le malentendu des versets 12 et 13. Nous retrouvons bien le procédé johannique du malentendu, ici très naturel du fait de l'ambiguïté du verbe « dormir » (lEloL'!n-raL : être couché ) souvent employé par euphémisme pour désigner la mort. Les disciples imaginent un Lazare convalescent que la visite de Jésus va réconforter. C'est

pourquoi ils disent bien EL~ KEKOL'1t1t~L oc 91'oEtcL (s 'il est endormi, il guérira! V. 12. ) EL~p1'KEL

öE~ O" 'I1oO1)~ç 1TEpL ~ tO1)~ 9~V~'tO1)~1)~tO1)~~ E~KEL~VOL öE ~ E)öO%~V O5tL 1TEpL ~ t1~çKOL1t1'oEc ç tO1)~ 1)51TVO1)
?E'yEL (Or Jésus a parlé de sa mort, mais eux pensèrent qu 'il parlait de la dormition du sommeil) v.13 ! Et le narrateur d'expliquer qu'ils avaient pensé à la première phase de oc '$(c (guérir) et oc '$(c (sauver) comme le dit la parole de Jésus à celui qui a été guéri : ta foi t'a sauvé (Mt 9, 22s ; Mc 10, 52 ; Lc 17, 19). Signalons que 1)51TVOç (dormition) est encore un hapax legomenon84. Le verset 13 pourrait bien être une glose du dernier rédacteur, car il explique un peu lourdement la méprise que la réponse de Jésus suffit à écourter85 : « Alors donc Jésus leur dit ouvertement : Lazare est mort, et je me réjouis pour vous, afin que vous croyiez, de ce que je n 'étais pas là. Mais allons vers lui ! » (v. 14-15). Jésus sait la mort de son ami, sans qu'un messager ne l'en ait informé. Nouveau signe de cette clairvoyance unique que Jean ne cesse de lui attribuer. Jésus tient à marquer d'avance un second aspect de la finalité de l'épisode : s'il vise à glorifier le Fils, il doit aussi fortifier la foi des disciples. Les deux aspects seront réunis au v. 40.

1.2.2.5. La perspective de la mort de Jésus évoquée

Avant que les disciples ne disparaissent du récit, après avoir joué leur rôle dans le dialogue introductif (comme au chapitre 9), Jean donne encore la parole à l'un d'eux, qui reviendra nommément en Jn 14, 5 ; 20, 24 et 21, 2 : « Thomas donc appelé Didyme (qui signifie jumeau) dit à ses condisciples : allons, nous aussi, pour mourir avec lui ! » (v. 16). Thomas ne semble guère avoir cherché à pénétrer le sens du propos très paradoxal qu'il vient d'entendre86. Il se fait ainsi le porte-parole du groupe. Mais les faits contrediront cet élan des disciples87. En attendant, c'est le thème de la mort de Jésus qui résonne, en contraste avec le réveil qu'il a annoncé comme certain pour son ami.

Au terme de cette section, le lecteur comprend bien que le miracle aura lieu non seulement en raison de l'amour de Jésus pour ses amis, mais pour manifester la gloire de Dieu et susciter la foi en Celui qui affronte la mort : il a le pouvoir de déposer sa vie et le pouvoir de la reprendre pour la communiquer aux hommes. Il le dira autrement d'ailleurs à Marthe.

1.2.3. Jésus et Marthe (v. 17-27)

Nous distinguerons deux niveaux dans l'analyse narrative de cette section : le déplacement des personnages et le dialogue central entre Jésus et Marthe. Avec cette section, nous entrons dans les complications de l'intrigue du récit88.

1.2.3.1. Déplacement des personnages : v. 17-20

« A son arrivée, Jésus trouva Lazare dans le tombeau depuis quatre jours » (v. 17). Cet étonnant raccourci montre bien que le temps du récit ne coïncide pas avec le temps de l'histoire. Nous nous trouvons en présence d'une sorte d'ellipse où un temps déterminé de l'histoire (le temps du déplacement) est totalement escamoté dans le récit89.

Lazare a dû mourir peu après que les soeurs aient lancé leur appel à Jésus et être enseveli le jour même, selon la coutume fréquente en Orient. Ces « quatre jours » à nouveau mentionnés au v. 39 sont une donnée importante dans ce récit, en ce qu'ils marquent la réalité et la radicalité de cette mort. Pour les juifs d'alors, la mort réelle était en effet consommée

quatre jours après le décès, lorsque le corps commence à se décomposer. La résurrection de Lazare ne pourra pas être assimilée à la réanimation d'un corps que le souffle vient de quitter et qui serait un miracle de guérison poussé à l'extrême limite (cf. Ac 20, 1 0)90.

Le v. 18 indique que Béthanie est très proche de Jérusalem, moins de 3 Km, sans doute afin d'expliquer la venue de « nombreux Juifs » auprès de Marthe et de Marie « pour les réconforter au sujet de leur frère » (v. 19). Les deux soeurs, qui, ensemble, ont fait appel au « Seigneur », se comportent de manière opposée face au mystère de la mort91. Marthe accourt aussitôt vers Jésus ; Marie demeure chez elle « assise » comme il convient à une femme en deuil92. Après l'analyse des déplacements des divers personnages de cette section, abordons le dialogue central de ce récit : celui de Jésus et de Marthe.

1.2.3.2. Le dialogue entre Jésus et Marthe : v. 21-27

La scène entre Marthe et Jésus, souvent traitée par les spécialistes de l'exégèse historico-critique comme un ajout tardif93, occupe dans le dispositif narratif actuel une place centrale. Elle est fortement structurée et unifiée autant dans la forme que dans le fond.

1.2.3.2.1. Structure du dialogue entre Jésus et Marthe

En voici les éléments structurants d'après les analyses de A. Marchadour94 :
- Elle partit à sa rencontre (~(tflvrfloEv) : v. 20

Arrivée/dép art :

- Ayant dit cela, elle s'éloigna (àtfl~XOEv) : v. 28.

Elle partit à sa rencontre (20)

A - Marthe lui dit : Seigneur (21)

Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort Séquence I Mais je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu
Dieu te le donnera (22).

B - Jésus lui dit : Ton frère ressuscitera (23)

90 Voir C. L'EPLATTENIER, op. cit., p. 229.

91 Marthe exprime sa confiance puis, magnifiquement, sa foi ; Marie, aux pieds de Jésus, demeure accablée sous le poids de la douleur. L'une affirme l'espérance dans la vie qui ne finit pas, l'autre ne connaît que la séparation advenue. A ces attitudes psychologiques contrastantes correspondent des réactions différentes de Jésus, à travers lesquelles transparaît son propre engagement devant la mort.

92 Cf. l'Excursus que nous avons fait sur la mort et le deuil dans la société juive, à la fin du premier chapitre.

93 C'est par exemple l'opinion de M. E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, op. cit., p. 282.

94 A. MARCHADOUR, op. cit., pp. 83-84.

A - Marthe lui dit :

Je sais qu'il ressuscitera

à la résurrection au dernier jour.

B - Jésus lui dit :

JE SUIS la Résurrection et la Vie.

Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra (25) Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais

A - Elle lui dit (27)

Oui, Seigneur

Séquence II Je crois

que tu es le Christ,

Le Fils de Dieu

Celui qui vient dans le monde (27).

Ayant dit cela elle s 'éloigna (28).

Cette conjonction/disjonction où les éléments narratifs l'emportent encadre un échange théologique très dense et bien construit formellement comme il apparaît sur le schéma95. Deux principaux verbes de mouvements (i(3tflvrfloEv, à3tfl~XOEv) encadrent cette double séquence. Les verbes de déclaration (dire, savoir, croire) structurent le dialogue. Le message central est donné avec solennité « Je suis la résurrection et la vie ». C'est une autorévélation de grande portée. A la révélation centrale de Jésus répond la confession de foi de Marthe. Croire, mourir, vivre, sont évoqués dans un rapport dialectique. Il s'agit surtout de croire en Celui qui vient de se révéler. Le thème principal est donc la foi (croire) qui est l'aboutissement du dialogue entre Jésus et Marthe. Celle-ci part de la connaissance théorique

(Je sais, je sais, à je crois au JE SUIS) à l'adhésion totale dans la foi. Analysons maintenant ces divers éléments du dialogue entre Jésus et Marthe.

1.2.3.2.2. Les éléments du dialogue entre Jésus et Marthe

Le dialogue entre Jésus et Marthe se développe en effet sur une double étape. La première étape est caractérisée par une double affirmation de Marthe (avec la reprise du «Oi~~, je sais ») encadrant une sentence générale de Jésus. Ce qui caractérise cette séquence est bien l'effacement de Jésus au profit de Dieu. Lazare reste l'objet central de la demande de Marthe et de la réponse de Jésus :

Mon frère ne serait pas mort

Ton frère ressuscitera.

Ce dialogue met en jeu une fois encore le procédé du malentendu, à partir d'une parole à double sens96. Jésus annonce à Marthe : c'yc0ti'0EtcL o" c'öE?46c 0oD (v. 23) dans un futur

indéterminé et elle répond : oL!öc o-t L c'yc0ti'0Etc LE'yti) $ c'yc0tc'0E LE'yti)$ E'0xc'tj i"ILE'pc (v.

24). Ce disant, elle s'inscrit dans la ligne du judaïsme orthodoxe. Ce n'est point de sa part un simple acquiescement à ce que le Maître dit, mais l'affirmation d'une certitude. Cela concerne une lointaine perspective eschatologique, qui ne peut guère soulager la douleur présente de la perte de son frère. On peut sentir dans cette réplique même une nouvelle déception.

La seconde étape voit un déplacement du dialogue : Jésus passe au premier plan sous la forme d'un «*Eyth EL'LL ». Le grec hellénistique tend à banaliser ces formes redondantes « moi, je » ; mais il reste que dans l'ensemble du récit, ce passage est celui qui inclut un discours autorévélant de Jésus, souligné d'ailleurs par l'importance des anaphoriques97 : *Eyth (plus le verbe à la première personne au v. 25) EL'c E'ILE (vv. 25.26). Du registre du savoir et du futur de la première phrase, on passe au discours de la foi (le verbe croire est repris 2 fois, sous la forme d'une sentence générale, puis d'une interpellation directe : 1TL0tED'EL toD)to; (crois-tu cela ? v. 26). La réponse de Marthe épousera le même registre du présent de l'engagement : elle reprend la formule redondante « *Eyth » suivie du verbe croire au parfait ce qui marque la permanence de l'adhésion à Jésus triplement confessé : NcL~ KD'p LE, E''~~

ç toD )eEoD) o" EL'c to~y Kó0ILoyE'pxóILEyoc. On constate

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o xpL0to

ici que le discours s'est centré sur Jésus et Marthe, Lazare s'effaçant après avoir été au centre de la première partie du dialogue. On peut noter aussi au passage la dimension

interpersonnelle (le jeu du « je-tu »), l'épaisseur théologique de l'entretien et une certaine antinarrativité même qui brise le suspense par d'importants ensembles kérygmatiques insérés dans cette séquence. Cela est typique à l'évangéliste Jean qui n'hésite pas à mélanger les genres comme le remarque bien A. Marchadour : « cette cohabitation d'une intrigue narrative dramatique et d'une Parole transcendante venue de Dieu est la marque du récit évangélique et éminemment de Jean 98 ».

1.2.3.2.3. Autorévélation de Jésus à Marthe

Jésus répond à Marthe par un « 'Eyw EL'LL » de révélation : E~yc3~ EL~ItL 11 " ~~v~~Ot~OLc K~L'

11 " (c311 ~( o" 1TLOtE1'c3v EL~çE~ItE~K~6v ~~1To9~~v11l (11~OEtcL, KOL ~ 1TW i~ o" (c3iv K~L~ 1TLOtE1'c3v EL'cE~ItE~ o)~

~ It11

~~1To9~~v11l EL'c to~v~L~c3ivc. 1TLOtE~~ELc to~ito; (je suis la résurrection et la vie. Qui croit en

moi, même s 'il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? vv. 25-26). Comme le dit Charles l'Eplattenier, « c 'est ici sans doute que s 'exprime avec la plus impressionnante netteté la notion johannique de l 'eschatologie réalisée99 ». Marthe vient de se référer à l'eschatologie classique, du moins telle que la professaient depuis peu les Pharisiens : la résurrection des morts est un des éléments du plan de salut définitif, que Dieu doit réaliser à la fin des temps. Mais Jésus, maintenant, abandonne le futur équivoque du v. 23, et s'exprime au présent. Dans un « Moi je suis » souverain, il fait de la résurrection une réalité effective, ici et maintenant. En lui, dans sa personne divine, le triomphe de la vie est déjà là. Jésus dit très concrètement à Marthe : « le dernier jour que tu évoques, il est là ! La vie dont je suis porteur est plus forte que toutes les puissances de la mort ». En effet, dans cette déclaration, la mort n'est pas niée, ou traitée en amie, elle est bien le « dernier ennemi » à vaincre (cf. 1Co 15, 26).

Bien entendu, il convient de noter que la déclaration de Jésus est à comprendre en se situant au niveau post-pascal. Elle anticipe sur l'événement que le lecteur confesse, avec la communauté, comme la révélation décisive et la certitude fondamentale de la foi. C'est la résurrection du Crucifié qui donnera à ses propres promesses leur force convaincante. Il est « la résurrection et la vie » parce qu'il peut dire à son église : « J'ai été mort, et voici, je suis vivant pour les siècles des siècles, et je tiens les clefs de la mort et du séjour des morts » (Ap 1, 18). C'est effectivement à ce niveau que se tient l'évangéliste, tant lorsqu'il fait exprimer à Jésus la portée salutaire de cette révélation, que lorsqu'il transcrira la réponse de Marthe.

Lazare semble un peu oublié dans ce dialogue théologique central. Jésus ne dit pas à Marthe : « c'est maintenant que je vais réveiller ton frère de la mort ! » Il formule une promesse générale, concernant le salut de tout croyant : celui qui croit en moi, même s 'il meurt, vivra et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Dans le premier stique, comme nous l'avons vu dans l'analyse du vocabulaire, ~'1ToeyiOK (mourir) a le sens obvie de trépas et (~'o (vivre) a le sens fort de vie éternelle ; dans le second, « mourir (pour touj ours) » a le sens fort de perte définitive, de privation à jamais de la vie divine, tandis que « vivre », précédant 1T LOtED') (croire), semble dire la situation de celui qui est encore en ce monde100. Les deux sentences sont parallèles pour le sens : le croyant est destiné à la vie qui ne finit pas. Jésus révèle que la résurrection de vie, celle que Marthe, selon sa foi juive, attend de Dieu au dernier jour, est son oeuvre propre101. On voit ici la transition entre la foi traditionnelle et la nouveauté de la foi en Christ.

1.2.3.2.4. La confession de foi de Marthe

Jésus termine sa révélation en interpellant Marthe : 1TLOtED'ELç toD~to; (crois-tu cela ?). En guise de réponse, Marthe prononce aussi une confession de foi qui porte non sur le pouvoir eschatologique de Jésus mais sur son identité : ycL~ KD'p LE,E''~~ 1TE1T L'OtEDK~o-t L Oi EL!

ç toD ~eEoD~ o" EL'ç to~y KóOiLoyE'pXóiLEyoç (oui, Seigneur, je crois que tu es le

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Christ, Le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde, v. 27). On peut voir un décalage entre cette réponse et la proclamation que Jésus vient de faire. Mais en fait, le narrateur a voulu donner un caractère exemplaire à ce dialogue de confession de foi. Jean ne nous donne pas l'évolution psychologique de Marthe dans ce colloque avec Jésus. En trois répliques, elle est passée de la conviction d'un lien privilégié de Jésus avec Dieu à la reconnaissance de l'Envoyé eschatologique par qui le Règne de Dieu s'est approché, et donc de la foi juive à une foi proprement chrétienne. Sa confession du Christ correspond fort bien à celle des premiers chrétiens (cf. Mt 16, 16p ; Ga 4, 4 ; 1Jn 5,5 et cf. Jn 6,69 ; 10,36) et surtout selon la présentation de l'évangile de Jean (cf. 20,3 1). A travers Marthe nous reconnaissons la communauté johannique dans son expression de foi chrétienne. Certes Marthe, dans le récit, ignore quel sera l'itinéraire de Jésus, et devant la tombe elle reculera d'effroi en entendant l'ordre de soulever la pierre (11,39). Il reste qu'elle est illuminée par la parole de Jésus au

point qu'elle ne revient pas sur la mort de son frère comme si une nouvelle demande était superflue ; et elle va trouver sa soeur.

1.2.4. Jésus et Marie : v. 28-38

Dans cette section largement dominée par le champ sémantique du deuil, nous observerons le mouvement des personnages avant de considérer les diverses attitudes psychologiques en présence.

1.2.4.1. Le champ sémantique du deuil ou de l' affliction devant la mort ()9c~vcroç

C'est toute la section qui est ainsi dominée par le champ sémantique du deuil ou de l'affliction devant la mort. Il suffit pour s'en convaincre de remarquer tous ces termes qui se rattachent à cette constellation de sens : 1flcpctu9ou~tEvoL cu~~i~v (pour la consoler) ; to~

~vrtEL'ov (le tombeau) L-vc K?cu'~~$ ~ E~KEL (pour y pleurer) v. 31 ; EL!öEv cu~~i~v K?cL~ouocv (la vit pleurer) v. 33 ; KcL 'toiç ouvE?9o~vtcçcu~t~~ $ 'IouöcL~ouç K?cL~ovtcç (et ceux qui l'accompagnaient pleurant) v. 33 ; E~vE13p LInj~ocro t~~$ 1flvEu~tct L (il frémit dans son esprit) v. 33 ; KcL~E~tc~pc%Ev E"cur.o~v (et se troubla) v. 33 ; E~öc~KpuoEv (il versa des larmes), v. 35 ; E~~13pLIt~~iEvoç (frémissant), v. 38 ; EL~ç to~ IvrtEL~ov (au tombeau) v. 38.

Succédant à la section lumineuse de Jésus le révélateur, cette section est tragique et elle est envahie par le champ sémantique du deuil ou de l'affliction devant la mort102. Du début (v.3 1) à la fin (v. 38) l'ombre du tombeau avec ses aspects troublants traverse tous les versets de la section. D'ailleurs, tous les personnages de la section font mouvement vers le tombeau.

1.2.4.2. Rassemblement des personnages : v. 28-31

Les versets 28-30 constituent une sorte de transition permettant l'effacement de Marthe au profit de Marie. La mise en scène est assez élémentaire : Jésus reste à l'endroit où s'est déroulé son entretien avec Marthe. Serait-ce pour mieux nous permettre de saisir le parallélisme antithétique entre Marthe et Marie ? En tout cas, il est certain que le rédacteur veut accentuer l'opposition entre les deux soeurs. D'ailleurs par une série de déplacements, il va réunir tous les acteurs de cette scène. C'est d'abord Marthe qui fait le mouvement, pour rejoindre sa soeur : « ayant dit, elle s 'en alla appeler sa soeur Marie, lui disant en secret : ``le Maître est là et il t 'appelle'' » (v. 28). La discrétion de Marthe voulait sans doute éviter que

102 Lire A. MARCHADOUR, op. cit., p. 87 et P. L. MARCEL, Regard sur Jésus à la lumière de saint Jean, Kinshasa, Verbum Bible/Editions Paulines, 2003, pp. 202-203.

les ``consolateurs'' entourant Marie ne soient pas mêlés à la suite des événements, précaution qui va s'avérer vaine103. Marthe provoque ainsi un sursaut chez sa soeur que le narrateur transcrit successivement par les deux verbes classiques du vocabulaire de la résurrection ! « Celle-ci, à cette nouvelle, se leva (éyE1~p(J)) bien vite et alla vers lui » (v.29). Le v. 30 précise que Jésus était resté à l'écart du village, comme en attente. Il est le seul des personnages de cette section à ne pas se déplacer : tous viennent à lui. Le v. 31 est relativement développé. Il attire l'attention sur le rôle non négligeable que vont jouer « les Juifs qui étaient avec Marie dans la maison. » Marie est ainsi associée aux Juifs par deux fois dans ce récit : ici au v. 31 et aussi en Jn 11, 45. Ces Juifs la voient « se lever » (~~v~~otr1flL), et ils la suivent, « en pensant qu 'elle allait au tombeau pour y pleurer ». Ils sont touj ours dans la logique du deuil et de la sympathie humaine qu'il suscite104.

1.2.4.3. La rencontre de Jésus avec Marie : v. 32-33

Une série de dialogues retarde encore le dénouement du récit (complications diverses). Plus qu'un effet de suspense, il semble que le rédacteur cherche à nous faire mesurer l'extraordinaire enjeu de cet affrontement de Jésus avec la réalité de la mort. C'est d'abord la rencontre de Marie et de Jésus, parallèle et différenciée par rapport à celle relatée aux versets 21ss : « Arrivée là où était Jésus, Marie, en le voyant, tomba à ses pieds et lui dit : ``Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort !'' » (v. 32). Elle reprend exactement la petite phrase prononcée déjà par sa soeur. Effet rhétorique de répétition, typique donc de la tradition orale ! Ce sera l'unique prise de parole de Marie dans tout le récit. C'est une silencieuse, mais elle s'exprime avec son corps (note psychologique importante !) comme l'a déjà suggéré le v. 2 de l'introduction du récit. Elle se jette aux pieds de Jésus, ce que Marthe n'a pas fait, pour lui communiquer sa détresse et son affection, sans rien demander. Le verset suivant ajoutera qu'elle pleure, et que sa présence suscite la réaction de Jésus, dans ce même registre corporel, où se manifestent les émotions les plus fortes. Le contraste est frappant avec l'échange théologique qu'avait provoqué le propos de Marthe. La différence psychologique est nette entre les deux soeurs. Et elle aura une répercussion sur la réaction psychologique du Maître.

1.2.4.4. Le trouble de Jésus devant la mort : v.33-38

Les versets 33 à 35 nous donnent les réactions de Jésus en face de Marie : 'I~ooiç o~5v

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(J)

ç E~5ÔEv ~~~ti~v K?~~~oUOcv K~~ ~to~~ç ouvE?eo~vt~ç ~~~t~ l$ 'IoUÔ~~~olJç K?~~~ovtcç,E~vEl3pL1fl~~Octo

103 Cf. C. L'EPLATTENIER, op. cit., p. 233.

104 Lire C. F. MOLLA, Le quatrième Evangile, Genève, Ed. Labor et Fides, 1977, pp. 149-161.

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tc~pc%Ev E"cUtèv KcL 'EL'lTEv( 1TOU ~tEeEL~KctE cU~tO~v; ?E~yOUoLv cU~tC)~$ KU~pLE,

L'ÔE.E~Ôc~KpUoEv O" 'IroOU~ç (Lorsqu 'il la vit pleurer, et pleurer aussi les Juifs qui

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l 'avaient accompagnée, Jésus frémit en son esprit et se troubla. Il dit : ``où l 'avez-vous mis ? '' Ils lui dirent : ``Seigneur, viens et vois. '' Jésus pleura )105 . Les réactions de Jésus dans ces versets sont décrites par trois verbes : E~vE3pLIt~~octO (frémir, v. 33), E~tc~pc%Ev, (se troubler,

v. 33) et E~Ôc~KpUoEv (verser des larmes, v.35). L'interprétation de ce passage a préoccupé les exégètes anciens, soucieux de concilier le donné textuel avec la maîtrise souveraine de l'Homme-Dieu sur lui-même106. Le motif des émotions de Jésus n'est pas spécifié, seule l'occasion ressort du contexte : les pleurs de Marie et des Juifs (v.33) et l'invitation à voir la tombe. Le premier verbe E~It3p LItc~OItc L signifie littéralement ``produire un bruit sourd''. S 'il est uni avec un complément qui désigne des personnes, ce verbe peut signifier ``gronder,'' ``s'indigner contre''107 ou ``interdire à,'' et implique du mécontentement ou de la sévérité à leur égard. Ici Jésus ne ``frémit'' pas contre quelqu'un : le caractère tout intérieur de l'émotion est souligné par le rédacteur, qui ajoute ``en esprit'' (tC)~$ vEU~ItctL : v. 33) ou ``en lui-même'' (E~v E"cUtC)~$ v. 38). Les pleurs des compagnons de Marie ne seraient-ils, quant à eux, que lamentations rituelles plus ou moins sincères, qui provoqueraient chez Jésus une réaction indignée108 (cf. Mc 5, 3 8s) ? Mais les versets suivants semblent plaider en faveur de leur sincérité. L'émotion de Jésus est plutôt à interpréter comme illustrant le grand mystère de l'incarnation. L'évangéliste vient de présenter Jésus dans l'assurance souveraine de sa victoire sur la mort : il n'en montre pas moins, dans le même temps, qu'en homme de chair et de sang il est profondément affecté par la douleur de son amie prostrée à ses pieds, et aussi bouleversé spirituellement par la présence tragique de la mort.

Le verbe qui suit, relié par ~ai, et la mention des larmes vont dans le même sens : ``se troubler'' (tcpc~ooC)) du v. 33 appartient chez Jean au contexte de la Passion (cf. Jn 12, 27) ; Jésus dit : « mon âme est troublée » face à l'heure qui est là, et en 13,21 il se trouble en esprit à cause de la trahison de Judas ; dans le Discours d'adieu, l'âme des disciples est « troublée » à cause de la séparation d'avec Jésus qu'il leur a annoncée (14,1). Dans notre contexte,

105 Rappel : Nous citons le texte grec quand nous avons besoin d'attirer l'attention sur quelques particularités littéraires ou sémantiques. Quant il s'agit de scruter le sens du message contenu dans le texte, nous nous contentons de la version française. C'est là notre option.

106 Cf. Interprétation des Pères de l'Eglise du passage chez A. MARCHADOUR, op. cit., p. 210-211.

107 R. BULTMANN en déduit la colère de Jésus face à l'incroyance des Juifs qui ne comprennent pas que lui le révélateur est la résurrection et la vie, face à qui la mort terrestre n'est rien en fait.

108 C'est ce que suggère la note k de la TOB à propos de Jn 11, 34 : « en esprit ; l'expression évoque une profonde colère devant les lamentations qui sont, en fait, l'expression de l'impuissance et du manque d'espérance devant la mort (11,38) ». D'ailleurs, E. OSTY traduit le v. 33 comme suit : « Jésus donc, quand il la vit pleurer, pleurer aussi les Juifs qui l'avaient accompagnée, gronda en son esprit et se troubla » (in La Bible d'Osty, Paris, Seuil, 1973, p. 2288)

l'occasion du trouble est la même que pour ``frémir''. On est donc autorisé à conclure que, par la désolation de Marie qu'il aimait (v. 5) puis par la remarque des Juifs, Jésus se trouve confronté à la réalité de la mort, non seulement celle de Lazare, mais aussi la sienne, imminente selon l'orientation même du récit (cf. 11, 7-16) et il réagit par un combat intérieur109. La forme verbale E~Ô~~KpUOEV (v. 35) est encore un hapax legomenon du N.T. et il désigne les larmes versées en silence, sans nuance de lamentation funèbre110. Ces larmes (~àipua) sont mentionnées aussi dans l'épître aux Hébreux qui évoque bien l'agonie du Christ (He 5,7). Elles ne sont pas semblables aux pleurs de lamentation et mieux elles expriment un sentiment profond. Alors que le trouble n'est connu que du narrateur qui nous fait y communier, certains Juifs ne constatent que les larmes et les attribuent à son amitié pour Lazare (cf. v. 3.5) : « voyez comme il l'aimait ! » (v. 36)

Mais d'autres Juifs posent tout haut une interrogation qui rejoint la déception de Marthe et Marie, et montre qu'ils créditent Jésus d'un pouvoir miraculé avéré : « Ne pouvaitil pas, lui qui a ouvert les yeux de l 'aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourût pas ? » (v. 37) Cela sous-entend que le pouvoir d'un guérisseur peut empêcher que la maladie ne conduise à la mort, mais qu'il est impuissant lorsqu'a été franchi le seuil fatidique de la tombe. Le rappel, dans ce sens, du miracle de Siloé met encore une fois en évidence le pouvoir de Jésus, comme le faisait l'exclamation redoublée des deux soeurs (vv. 21.32). Et le signe de Lazare, qui est celui de la vie, est mis en continuité avec le signe de la lumière. « Alors Jésus, frémissant à nouveau en lui-même, se rend au tombeau. C'était une grotte, avec une pierre placée pardessus » (v. 38). La précédente émotion de Jésus tenait à son affrontement secret avec la mort, l'interrogation des Juifs prend un sens qui en justifie le retour. Jésus devant la tombe de Lazare est une présentation décalée de Jésus devant sa propre tombe, devant sa propre mort111. La présentation n'est pas loin de nous ramener devant le tombeau vide.

1.2.5. L'intervention victorieuse de Jésus : v. 39-44

Jésus face à Lazare gisant dans le noir tombeau est la figure qui nous est donnée au début de cette section qui nous donne le dénouement de l'intrigue du récit. Jésus retrouve son autorité. Il est seul au devant de la scène. Sa parole fait autorité112.

1.2.5.1. L'autorité de Jésus face à la mort

Cette autorité de Jésus face à la mort se manifeste à travers les ordres qu'il donne aux hommes et le pouvoir qu'il reçoit de son Père :

Jésus dit : « enlevez la pierre » (v. 39) ; Ils enlevèrent donc la pierre (v. 41)

Jésus leva les yeux (v.4 1). Il cria : « viens ici dehors » (v. 43). Et il sortit (v.44) Jésus dit : « déliez-le et laissez-le aller » (v.44).

Le récit s'étire dans une sorte de ralenti, chaque action est décrite par l'ordre donné par Jésus et l'exécution qui s'ensuit. Ici encore, l'interprétation accompagne et parfois précède l'événement113.

Le narrateur ne craint pas les détails réalistes qui soulignent l'horreur de la mort. Marthe redoute carrément l'ouverture du tombeau (v. 39). Cette réaction contraste avec la belle assurance dont elle avait fait montre dans la section de son dialogue avec Jésus. Jésus apparaît ainsi d'autant plus seul face au pouvoir de la mort. Mais la fonction première de l'intervention de Marthe est sûrement pour souligner les quatre jours (11,17) et la corruption du cadavre. La réplique « ne t 'ai-je pas dit que si tu crois tu verras la gloire de Dieu ? » (v.40) nous renvoie à la parole de Jésus au début du récit sur le thème de la gloire de Dieu. La gloire de Dieu dit le sens ultime, qui inclut les diverses significations données par Jésus à ses oeuvres. La foi est la condition pour « voir» (óp~~()) la gloire de Dieu. C'est une préparation importante pour découvrir dans le retour de Lazare à la vie un signe dont le prodige n'est que le support nécessaire. La prière même de Jésus en est une illustration.

1.2.5.2. La prière de Jésus à son Père

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K0uO~~ç Lou : Père, je te rends grâce parce que tu m 'as

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exaucé » (v.4 1). Comme la confession de Marthe anticipait le don de la vie à Lazare, de même ici aussi Jésus rend grâce avant la sortie de Lazare. Il ``savait'' que son Père l'écoute touj ours. Cette étrange liberté avec la syntaxe qui maltraite la concordance des temps est ici éclairante. La prière que Jésus formule n'est pas une demande mais déjà une action de grâce. L'action de grâce porte sur un fait situé dans le passé (l'aoriste ``~,,Kouo~~c'' renvoie à un moment ponctuel du passé)114, alors que l'événement qui justifie l'action de grâce n'a pas encore eu lieu. Jésus savait (ij(~~iv) : cet imparfait qualifie un savoir indépendant de la

113 « Tout se passe comme dans le récit de la création : l'énoncé d'un ordre, aussitôt suivi de son exécution » remarque M. GOURGUES, op. cit., p. 125.

114 Cf. M. CARREZ, Grammaire grecque du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 1985, p. 142.

chronologie des faits. Encore une fois la parole précède le signe chez Saint Jean, la révélation vient avant l'événement !

En continuité avec l'annonce de la gloire qui va se manifester, Jésus, dans sa prière, se tourne vers son Père en levant les yeux vers le ciel (v.41). Il y a ici un nouveau dépassement de frontière : de la terre au ciel. Jésus est en communication incessante avec son Père et l'assistance le reconnaît. Jésus sait que le Père l'a exaucé (~)Kouo~~c) et l'événement n'en sera qu'une conséquence. Ce verbe grec est le même que pour l'écoute par Jésus des paroles du Père (cf. Jn 5,30 ; 8,40 ;15,15). L'action de grâce, parce que Jésus a été exaucé, présuppose cependant une demande. Cette prière pourrait se référer, par-delà le miracle de Lazare, à la traversée de l'Heure, en accord avec l'évocation précédente du trouble de Jésus. Quant à l'exaucement constant du Fils par le Père, il est pour Jean au fondement de la prière des croyants. En effet, Jésus aurait pu se contenter d'une prière intérieure, qu'il sait déjà exaucée (cf. v.22). Mais il rend grâce à haute voix, pour que la foule rapporte à Dieu la gloire de ce que va accomplir son envoyé. Cet ultime commentaire préalable au miracle rejoint la conclusion de celui de Cana (cf. Jn 2,11) : les signes que fait Jésus conduisent à croire, parce qu'ils authentifient l'oeuvre qu'il vient accomplir de la part de son Père (cf. v.15 et Jn 6,29). L'interruption par Marthe et la prière de Jésus devant la tombe ouverte ont encore différé l'événement du miracle, mais en ont dit le sens115. S 'il nous faut retenir dans cette section une dominante lexico-sémantique, le thème de l'ouverture opposé à l'enfermement par lequel s'achevait la section précédente serait le plus indiqué. Ainsi, de la fermeture du tombeau (v. 38 : une pierre était posée dessus !), on passe à l'ouverture, de l'enfermement de Lazare on passe à sa sortie, « du voilement on aboutit au dévoilement » comme l'écrit Alain Marchadour116.

1.2.5.3. La libération de Lazare

Les précédents éléments narratifs ont amené tous les personnages à s'approcher du tombeau de Lazare. En deux versets très succincts, Jean va décrire le mouvement décisif vers lequel tendait tout le drame, celui du mort sortant de sa tombe (dénouement de l'intrigue), une sortie commandée par la parole souveraine du Fils (cf. Jn 5,28) : « Cela dit, il s 'écria d'une voix forte : ``Lazare, viens dehors !'' Le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes, et son visage était enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit : ``déliez-le et laissez-le aller.'' » (vv.43-44). Outre la sobriété dans la description du miracle, il apparaît que le narrateur joue

assez subtilement, dans ce bref tableau, avec des analogies et des différences entre cette ``résurrection'' et celle de Jésus. En Jn 19, 40, le corps de Jésus, descendu de la croix, est lui aussi lié de ``bandelettes'' (quoique le terme soit différent !) et Jn 20,7 évoque le ``suaire'' (même terme !) qui était sur la tête. Mais aucun récit canonique n'ose montrer Jésus « sortant du tombeau » et Jean fera remarquer, comme un signe de négation du règne de la mort, que ces bandelettes et ce suaire sont méticuleusement rangés dans le tombeau vide ! (cf. 20,6s). Le surgissement de Lazare hors de sa tombe est de soi un prodige inimaginable. Jean esquisse l'image surréaliste d'un être qui fait ses premiers pas chancelants, encore hésitant entre la vie et la mort, encore empêtré dans l'appareil de son ensevelissement. Il faut que Jésus fasse intervenir les vivants pour que Lazare rentre dans leur cercle, enfin « délié des liens de la mort » (cf. Ps 18,5.20)117.

Et le récit prend fin, laissant le lecteur face à Lazare vivant, mais muet sur ce qu'il éprouve. Si l'évangéliste a omis de noter la joie des retrouvailles, alors qu'il s'est étendu sur le chagrin des soeurs, cela tient non seulement à son art narratif qui n'ajoute rien de secondaire au signe rendu présent, mais aussi au fait que la perspective du récit est centré sur Jésus allant à sa mort-résurrection118. Lazare a certes dû reprendre le cours interrompu d'une existence terrestre qui reste destinée à la mort (cf. 12, 10). Mais tout autre est le mystère de la résurrection du Christ, qui « montera vers son Père » (20,17), pour retrouver « la gloire qu'il avait avant la fondation du monde » (cf. 17,14). Comme le remarquent Boismard et Lamouille, pour Lazare il ne s'agit donc pas de résurrection au sens strict du terme, mais plutôt de réanimation119. Puisque la mort garde encore son pouvoir sur Lazare et continue bien de le menacer. Les chefs Juifs envisageront même d'éliminer Lazare car à cause de lui (signe de la puissance du Christ), beaucoup de gens croyaient maintenant en Jésus (cf. Jn 12,10-11). Ce miracle, situé au seuil du récit de la Passion du Christ, est bien aux yeux de l'évangéliste le signe suprême qui désigne Jésus comme celui qui peut donner la vie éternelle, parce qu'il est vainqueur de la mort. A ce niveau de signe, le destin de Lazare figure et annonce celui de Jésus. Il conforte également la promesse de la résurrection des croyants (cf. Jn 5,28 ; 6,39s)120. Mais c'est surtout l'imbrication des deux destins de Lazare et de Jésus que nous allons retenir à cause surtout de leur intérêt christologique et théologique.

2. Portée christologique de Jn 11, 1-44

A côté de plusieurs titres christologiques comme le Christ, l'ami véritable pour le croyant confronté à la réalité de la souffrance, Jésus le Fils de Dieu, le Messie ou le Sauveur, nous avons dans notre texte la révélation du Christ comme notre vie et notre résurrection121.

2.1. Jésus, l'ami véritable

Le thème de l'amitié traverse tout le récit de la résurrection de Lazare. L'évangéliste insiste dès le début du récit sur ce thème. Les soeurs envoient dire à Jésus « celui que tu aimes (ipLXEL~ g) est malade » (v.3). A côté du thème de la fraternité très fortement marquée aussi, l'amitié de Jésus avec Lazare et avec ses soeurs est donnée comme paradigme de la relation du croyant avec le Christ. Jésus aime chacun de ses fidèles comme il aimait Lazare, Marthe et Marie (v.5). La réciprocité des sentiments est aussi avérée. Marie est celle qui versa du parfum sur le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux (v.2). Au-delà de la connotation que Jésus lui-même donne à ce geste, il faut y voir un signe de profonde amitié sinon un amour sublimé. Alain Marchadour l'interprète également dans ce sens122. C'est encore elle que nous voyons se jeter aux pieds de Jésus en pleurant (v.32) ce qui ne manqua pas d'émouvoir le Maître (v.35). Et aux réactions de Jésus devant cette souffrance morale de ses amis, les témoins juifs ne manquèrent pas de remarquer : « voyez comme il l'aimait ! » (v.36). Le thème de l'amitié chez Saint Jean est d'ailleurs récurrent123. Il suffit de penser au disciple que Jésus aimait (Jn 13, 23), à l'ami de l'époux qui se tient à ses côtés (Jn 3, 29) et au discours d'adieu affectueux que Jésus adressa à ceux qu'il appelle désormais ses amis (Jn 15, 14).

Dans le contexte de la résurrection de Lazare, Jésus est non seulement l'ami véritable de toute la famille de Lazare, mais aussi l'ami du malade, de l'éprouvé, de celui qui est sur le point de mourir : « Seigneur, ton ami est malade » (Jn 11,3). Jésus l'ami se révèle ainsi pleinement Homme et proche des hommes.

2.2. L'homme Jésus dans le récit

Le récit de Lazare est également de ceux qui expriment le mieux la pleine humanité du Fils du Dieu vivant. En effet, l'évangéliste se plaît à souligner à divers moments les

(P. POUCOUTA, op. cit., p. 168). Mais il est certain que symbole et histoire sont liés chez St Jean. Une histoire vraie peut-être plus simple a dû servir de support littéraire à la théologie johannique.

121 Cf. X. LEON-DUFOUR, op. cit., pp. 403-437.

122 Cf. A. MARCHADOUR, op. cit., note 26 de la page 125.

123 Cf. M. QUESNEL et P. GRUSON (sous la dir.), La Bible et sa culture. Jésus et le Nouveau Testament, Paris, Desclée de Brouwer, 2000, pp. 421-423.

sentiments de Jésus. Il insiste sur son affection pour Lazare et ses deux soeurs (v.5). Son trouble et ses pleurs montrent de manière particulière son humanité. Il se laisse émouvoir par les pleurs de ses amis. En communiant à la peine de ses amis, il verse des larmes. Il sait compatir à la souffrance des hommes. Il se trouble devant la mort de Lazare qui est en fait une préfiguration de sa propre mort (cf. Jn 12,27).

Il partage ainsi la fragilité humaine, particulièrement face à la douleur, face à la mort (vv. 33-35). Jésus pleure avec ceux qui pleurent. Il verse des larmes sincères pour manifester son amitié avec celui qui gît dans la mort124. Sa mort lui cause réellement de la peine. Mais, éclairée par la parole d'espérance dite à Marthe (vv. 25-26) et celle qui va sortir Lazare du tombeau (vv.43-44), la douleur de Jésus face à la mort cesse d'être accablement pour devenir un lieu d'espérance et de vie125.

De plus, comme homme, Jésus est le *-ctj3j3i, le maître, le ôiôct~cmctXog, l'enseignant dont la parole a autorité. Cette parole incarnée a toute la puissance divine car elle vient de Dieu.

2.3. Jésus le Seigneur, le Messie, le Fils de Dieu

Plusieurs fois dans notre texte, Jésus est désigné comme K~~piog, Seigneur (v. 3.12.21.27.32.34.39). Ce titre christologique, tout comme le o" xpL~t c o" uL"èc toi eEoc o" EL'c

pxóItETIoc du v.27, ne peut être qu'une confession de foi pascale. Marthe

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confesse la messianité de Jésus qui dépasse toute l'attente juive du fait du lien avec le Père explicitement souligné. Elle récapitule la conception juive du Messie et la compréhension chrétienne du Fils de Dieu. Elle voit en Jésus l'irruption eschatologique de Dieu dans l'histoire des hommes126.

Ces titres christologiques sont au service d'une eschatologie chrétienne puisqu'ils sont attribués à celui qui vient d'au-delà de ce monde127. Le Christ auquel les soeurs adresse leur prière de demande à peine clarifiée en faveur de leur frère malade, dès le début du récit déjà, est le Seigneur, l'Oint de Dieu, cet Envoyé de Dieu, le Fils de Dieu, Celui qui doit venir pour le salut de l'homme en difficulté. Ce Christ vient pour manifester la ôo~ct de Dieu, cette gloire qui est évoquée dans la prière de Jésus (v.41-42). Et Dieu exauce la prière de son Christ afin que le monde croie qu'il a été envoyé (v.42). C'est la révélation principale de l'évangéliste Jean qui centre son oeuvre sur la personne même du Christ, l'envoyé et l'exégète

124 Cf. F. LIBERMANN, Commentaire de Saint Jean, Paris, Nouvelle Cité, 1990, pp. 665-673.

125 Cf. P. POUCOUTA, op. cit., p. 169.

126 Cf. M. GOURGUES, op. cit., p. 120.

127 Cf. Idem.

du Père (cf. Jn 1, 1-18)128. Et le signe que Jésus opère nous montre bien qu'il vient de la sphère divine, qu'il est le sauveur, le libérateur de l'homme plongé dans les liens de la mort.

Jésus manifeste bien sa divinité par la prescience dont il fait montre dès le début du récit. C'est lui-même qui annonce la mort de Lazare. Le thème de la gloire de Dieu évoqué au début (v. 4) et à la fin du récit (v. 40) manifeste sa souveraineté. Le miracle qu'il accomplit avec autorité montre qu'il est l'envoyé de Dieu (vv. 27.42). Mais c'est en développant le thème de la foi que l'évangéliste révèle le caractère divin de Jésus. Le *Eyth EL'LL de révélation est à comprendre dans ce sens. Jésus se révèle comme celui qui donne la vie, mieux celui qui redonne vie à ce qui est mort. C'est lui la résurrection et la vie, qui ne peuvent être que des dons spécifiquement divins129. En cela, Jésus se révèle comme l'égal du Père qui ne lui refuse rien (v. 41). Mais par son humilité et sa prière toute orientée vers Dieu le transcendant, Jésus se présente comme modèle à imiter. C'est à sa suite que le disciple voit la gloire de Dieu qui est vie pour son peuple.

2.4. Jésus, notre Vie

Le signe de la résurrection de Lazare révèle surtout Jésus comme notre vie au-delà de la mort, celui qui ouvre nos tombeaux. Si le vocabulaire de la vie est dans le quatrième évangile aussi important que celui du royaume ou du règne de Dieu dans les synoptiques, c'est le signe de la résurrection de Lazare qui le montre le mieux130. Jésus lui-même se révèle explicitement comme la vie : ``Qui croit en moi, même s 'il meurt, vivra; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais'' (v. 26). On peut remarquer ici que dans la sentence, foi et vie sont étroitement reliées et elles prennent sens l'une par l'autre. La foi en Jésus y est présentée comme une adhésion qui triomphe de la mort de façon définitive, malgré les apparences. Les verbes mourir et vivre sont ambivalents et leur signification dépend du contexte et de l'instance du discours. La reconnaissance de Jésus et l'adhésion à son programme et, par delà, à son être même font passer des apparences (la mort physique) à la réalité (la vie de croyant).

Mais mort et vie dans leur sens biologique ne sont pas niées dans ce contexte. La mort est même incontournable, y compris pour ceux qui sont aimés de Jésus131. Marthe et Marie l'expriment d'ailleurs à leur façon : « si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort » (v.21.32). C 'est ce que soulignent les Juifs lorsqu'ils mettent en parallèle l'amour de Jésus

pour Lazare et son impuissance à l'arracher à la mort ; enfin c'est ce que traduit la propre détresse de Jésus en présence de la mort de son ami et du deuil de Marthe et Marie et de leurs amis. Cette mort physique n'est pas effacée par le discours de révélation. Elle garde sa puissance et Jésus lui-même doit subir sa loi : quand Lazare, son ami, tombe malade, Jésus est infiniment loin et, malgré son amour, il arrive trop tard, la mort est déjà consommée. Mais audelà de cette signification première, il y a la révélation décisive de Jésus sur la vraie vie. Malgré la mort physique (comme celle qui se manifeste en Lazare), le croyant en Jésus vivra car sa foi en lui constitue un antidote contre la mort. Ici se dévoile l'énigme fondamentale de l'homme mortel éclairée par la révélation du Prince de la vie132. Jésus est ce révélateur de la vraie vie qui est aussi résurrection pour ceux qui croient en lui.

2.5. Jésus, notre résurrection

Jésus ressuscite Lazare. Il donne la vie après la mort. Si Jésus peut nous sortir de nos tombeaux, s'il peut nous libérer de la mort, c'est qu'il est notre résurrection. La réalité de la résurrection s'est imposée peu à peu à l'expérience juive. La Bible a valorisé pendant longtemps la vie terrestre qui est don de Dieu et lieu du salut133. Dans la tradition juive ancienne, à la mort, l'homme disparaît au shéol, dans les profondeurs de la terre. Il y mène une vie réduite, incapable de penser, de vouloir, d'aimer et de louer Dieu (cf. Is 38, 18-20). Certes la vision des ossements desséchés d'Ezéchiel 37 ouvre une certaine perspective qui a dû marquer la relecture maccabéenne qui a aboutit à la foi en la résurrection chez les pharisiens du temps de Jésus134. C'est de cette espérance traditionnelle que témoigne Marthe dans le récit (v.24). Mais sa profession de foi est surtout chrétienne et post-pascale. Jésus est le gage de notre résurrection future. Et le quiproquo, le malentendu entre Jésus et Marthe (v.23-26), servira à la révélation de Jésus, non seulement le gage de notre résurrection à venir, mais aussi présente. Le jeu des temps du texte va dans le même sens. On passe du futur qui dit l'eschatologie à venir (vv.23-24) au présent qui renvoie à l'eschatologie réalisée (vv.25-26).

Les versets 25-26 peuvent être caractérisés comme « un condensé de la christologie et de la sotériologie johanniques, et Marthe devient ici, elle qui est une femme, la figure exemplaire du disciple, dont la foi est acquiescement au témoignage global de cet évangile »135. L'évangéliste exprime ainsi la tension entre le futur et le présent. La formule

solennelle du *Eyth EL'LL présente le Christ comme la résurrection et la vie dès aujourd'hui. Le croyant participe dès à présent à la vie éternelle de Dieu. Le dernier jour est déjà là. En ce sens, le chrétien est déjà ressuscité puisqu'il est habité par le Christ qui est la résurrection et la vie. En ce sens, la résurrection de Lazare annonce déjà celle du Christ136. Mais il existe des différences entre les deux, comme le suggère d'ailleurs certains détails symboliques. Lazare sort du tombeau pieds et mains liés. Il est encore retenu dans les liens de la mort. Lazare reste au tombeau jusqu'au quatrième jour, ce qui selon la tradition juive est preuve de décomposition du cadavre, sans espoir de retour à la vie. Le corps de Jésus lui ne connaîtra pas la corruption. Il sort du tombeau le troisième jour. Lazare revivifié retourne à la vie terrestre pour mourir de nouveau un jour. Jésus, lui, est ressuscité une fois pour toutes. Il est définitivement vainqueur de la mort. Avec lui, la résurrection n'est pas simple retour à la vie terrestre, mais vie pleine et définitive. C'est en cela qu'il est notre résurrection véritable. Lui seul accomplit notre aspiration à la pleine vie qui transcende la réalité concrète de la mort.

3. Portée sotériologique et dogmatique du texte

Le thème de la foi est sans conteste le thème dominant de l'épisode de la résurrection de Lazare. C'est le coeur du message théologique que voudrait faire passer l'évangéliste. On a souvent mis cette perspective en parallèle avec la finale même de l'évangile en Jn 20, 30-31. Le miracle a été opéré pour que nous croyions que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et qu'en croyant nous obtenions la vie en lui. Le salut est sous-entendu dans le don de la vie.

3.1. La foi comme reconnaissance de Jésus

Les récits de Jn 4,1-42 et de Jn 9,1-41 faisaient cas de cheminements vers la foi. La samaritaine comme l'aveugle-né cheminaient à partir de rien, en ce sens qu'ils ne connaissaient pas Jésus auparavant, vers l'adhésion entière à celui qui se révélait à eux. Cette perspective n'est pas totalement absente de notre récit de Jn 11, 1-44. Mais l'expérience que le récit met au premier plan est celle du cheminement, non pas tant vers la foi, mais surtout dans la foi. C'est « le passage d'une reconnaissance partielle à une reconnaissance plus approfondie de Jésus137 ». Les disciples de Jésus, en effet, tout comme les deux soeurs, progressent sur la base d'une reconnaissance déjà effectuée : « Je me réjouis, dit Jésus à ses disciples, de n'avoir pas été là, afin que vous croyiez » (Jn 11,15). Dès le premier signe opéré par Jésus à Cana en Jn 2,11, « il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui ». Le signe

de Béthanie les amènera donc à intégrer ou à approfondir une donnée qui manque à leur foi : Jésus est aussi maître de la mort et de la vie138.

Les deux soeurs feront la même expérience que les disciples car elles sont aussi des disciples du Christ. En effet, le message qu'elles font porter à Jésus, la façon dont ensuite elles l'abordent et surtout le dialogue de Marthe avec lui, témoignent, non seulement d'une relation d'amitié, mais d'une confiance qui a déjà le visage de la foi. Marthe affirme dès le départ sa connaissance de Jésus « Mais maintenant encore je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera » (Jn 11,22). Elle évolue dans son dialogue avec Jésus dans le sens de la connaissance des mystères de Dieu « Je sais, dit Marthe, qu'il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour » (Jn 11, 24). Et à la révélation de Jésus qui l'interpelle expressement sur sa foi personnelle (crois-tu cela ? v. 26), Marthe professe : Oui Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde » (Jn 11,27). « On a ici une formulation parfaite de la foi au Christ, l'une des plus riches que contienne le quatrième évangile. Cette formulation, avons-nous vu, s 'identifie déjà à celle des croyants d'après Pâques (Jn 20,31)139 ». C'est un article de foi ou le dogme de la communauté postpascale qui transparaît ici. Marthe a visiblement évolué de la connaissance première personnelle en passant par la connaissance traditionnelle sur la résurrection des morts à la reconnaissance de Jésus comme le Christ et le Fils de Dieu celui par qui l'au-delà est déjà là. Néanmoins la suite de ce récit manifeste que Marthe n'est pas encore parvenue à la pleine perception du sens de ce qu'elle proclame. Si l'on veut, sa foi possède un « contenu dogmatique » juste, dans lequel les croyants de tous les temps continuent de se reconnaître. Nous avons remarqué l'emploie du parfait E~y~~ 1TE1T~~OtEUKX littéralement « j 'ai cru et je continue de croire », à perspective dogmatique140. Mais son attitude devant le tombeau, sa résistance à son ouverture (Jn 11,39), montre que sa foi est toujours en devenir. Le signe de Béthanie l'amènera elle aussi à franchir un seuil décisif. Marthe représente chaque chrétien en cheminement de foi. On comprend pourquoi l'Eglise catholique fait méditer ce récit de Lazare dans le cadre du cheminement des candidats au baptême141. La foi véritable fait évoluer de la connaissance à la reconnaissance (cf. Jn 4, 1-42). Mais cette foi est aussi conquête sur le scepticisme raisonnable.

3.2. La foi comme conquête sur le scepticisme raisonnable

Le récit de Lazare s'attarde à souligner chez les témoins, tant chez les deux soeurs que chez les Juifs qui ne connaissent pas encore Jésus, la conscience du caractère pénible et irrévocable de la mort142.

La mort venue, il n'y a plus rien à faire, pensent les deux soeurs et les Juifs ; Jésus aurait peut-être pu faire quelque chose avant, mais maintenant il est trop tard (cf. Jn 11,21.32.37). Pour Marthe, la mort s'impose carrément comme un mur inexpugnable. Elle s'oppose à l'ouverture du tombeau (v. 39). Et face à ce seuil infranchissable, face à cette mort qui vient briser les relations les plus chères, que reste-t-il comme attitude humaine « naturelle », sinon celle de pleurer ? C'est ce que font les Juifs qui ne connaissent pas encore Jésus et les croyants eux-mêmes n'y échappent pas (v. 33). Et plus frappant encore, Jésus luimême va pleurer (v. 35) alors même qu'il a proclamé que « cette maladie n'est pas pour la mort » (v. 4).

Comme nous l'avons vu, le récit de Lazare ne nie pas la terrible réalité de la mort. Jésus éprouve des sentiments humains de lutte, de crainte, d'indignation mais aussi de compassion face à cette réalité de la mort. Alors, la foi en un au-delà dans ce contexte apparaît pour les croyants comme une véritable conquête sur le scepticisme raisonnable qui ramène toujours à l'évidence de la mort humaine. Comme pour dire avec Gabriel Marcel que « le croyant n 'est jamais tout à fait croyant, et il est impossible qu 'il ne connaisse pas des heures d'incertitude et d'angoisse, où il rejoint l 'incroyant, et inversement, celui-ci peut être animé par une croyance qu 'il porte en lui, qui le soutient, mais dont il est incapable de prendre pleinement conscience 143». Marthe est un paradigme du croyant chrétien dans ce sens144. Elle vacille entre la foi et la raison. Le combat pour la foi pleine n'est jamais gagné pour de bon. Cette foi est toujours en cheminement et en découverte. Elle est appelée à s'ouvrir toujours à l'inouï.

Conclusion au chapitre

Notre regard s'est porté dans ce chapitre sur le texte actuel de Jn 11, 1-44 pour en étudier le vocabulaire, le style, les formes verbales et autres artifices littéraires qui sont au service d'une logique narrative que nous y avons découverte. Le récit se prête bien à une

analyse narrative que nous avons menée à travers le commentaire exégétique de notre texte. Les éléments de rhétorique ou de sémiotique qui étaient intéressants pour la compréhension de notre texte ont été évoqués. Nous n'avons pas voulu à dessein nous lancer dans l'élaboration d'un carré sémiotique, l'analyse narrative nous ayant éclairé suffisamment sur la compréhension du texte. Toutes ces méthodes synchroniques nous aident à compléter notre maîtrise du texte que les techniques historico-critiques avaient bien situé en contexte. Les portées christologiques et théologiques qui se sont dégagées de cette analyse exégétique nous ont ramené à l'essentiel du message évangélique dans la lecture de la péricope johannique étudiée : croire en Jésus-Christ, maître de la mort et de la vie.

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EXCURSUS sur l'idée de résurrection dans la mentalité juive

Dans l'Ancien Testament, dans les plus anciens livres sacrés, il n'est point fait d'allusion formelle à l'idée d'une résurrection corporelle145. L'idée contraire est même communément exprimée, non pour nier la possibilité d'une résurrection, mais pour constater que, dans le cours ordinaire des choses, elle ne se produit pas : cf. Jb 14,12 cf. Ps 41,9 ; 43,17 ; Am 8,14. Cependant, si la loi, qui fait retourner à la poussière l'homme tiré de la poussière (cf. Gn 3,19), ne comportait pas d'exception, il était possible d'espérer une résurrection future, un retour des corps de l'état de poussière à l'état de vivant. Cette espérance fut lente à poindre en Israël. L'idée de résurrection vint aux Hébreux par d'antiques traditions que la révélation éveilla, précisa et développa peu à peu.

Dans une première série de textes bibliques, l'image de la résurrection est employée pour traduire l'espérance collective du peuple d'Israël à une restauration par Dieu : cf. Os 6,2- 3 ; 14,14 ; Is 26,19. Après l'épreuve de l'exil, Dieu ressuscitera son peuple comme on ramène

145 Cf. AAVV, Dictionnaire de la Bible. Tome 5, Paris, Ed. Letouzey et Ané, 1912, article ``Résurrection des morts''. Voir aussi AAVV, Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Cerf, 1991, article ``Résurrection,'' col. 1100-1108. L'excursus sur l'éveil de la pensée de la résurrection des morts dans la mentalité juive surtout vétérotestamentaire, non seulement vient compléter le premier excursus sur la mort et le deuil que nous avons eu à la fin du premier chapitre, mais aussi il vient éclairer notre étude sur ce thème à travers le récit de Lazare en Jn 11, 1-44. Nous le plaçons à ce niveau car il nous permettra de faire le lien avec la révélation chrétienne et la société traditionnelle africaine lobi.

à la vie des ossements déjà secs (cf. Ez 37,1-14)146. Il réveillera Jérusalem et la fera lever de la poussière où elle gisait comme morte (cf. Is 51,17 ; 60,1). Il fera revivre les morts, se réveiller ceux qui se sont couchés dans la poussière (Is 26,19). Résurrection métaphorique, sans doute, mais déjà vraie délivrance de la puissance du Schéol (Os 13,14). Surtout que la tradition religieuse ne manquait pas de cas de personnes ressuscitées : Elie ressuscita le fils de la veuve de Sarepta (cf. 1R 17, 7-24) Elisée opéra un miracle semblable pour le fils de la shunamite (cf. 2R 4,18-37). Mais même prise comme terme de comparaison, la résurrection des morts s'imposait comme notion spirituelle à l'époque des prophètes comme Ezéchiel. Car pour ce prophète, l'argumentation consistait à dire qu'aussi réellement que les morts ressuscitent à la voix de Dieu, le peuple aussi sera tiré de son état de servitude et d'abjection présente (cf. Ez 37, 1-14). Mais c'est avec le prophète Daniel (167-164 av. J.C.) que la doctrine de la résurrection des morts trouve sa formule précise (cf. Dn 12, 1-3). Le contexte est celui des persécutions. Et la formule d'ailleurs n'est pas encore complète. Il faut attendre la crise maccabéenne pour que la révélation fasse un pas de plus dans cette notion de la résurrection individuelle147. Au milieu des épreuves, les martyrs trouvent soutien dans l'espérance à la résurrection future (cf. 2M 7,9.11.22 ; 14,46). A partir de cette époque tardive, la doctrine de la résurrection devient un bien commun du judaïsme. Les peuples égyptiens et babyloniens alentours avaient pourtant depuis des siècles une idée de la résurrection des morts148. Mais si elle ne s'est pas imposée à Israël tout de suite, c'est que la révélation s'inscrit dans une histoire et une économie du salut dont Dieu seul est le Maître. Si la secte sadducéenne, par souci d'archaïsme, n'admet pas la résurrection des morts (cf. Ac 23,8) et même la raille en posant des questions ridicules à son sujet au Christ dans l'évangile (cf. Mt 22,23-28), elle était professée par la plupart des Juifs et surtout par les pharisiens149.

146 On peut bien se référer ici à ce brillant article de P. POUCOUTA sur « une théologie de la vie : la résurrection des ossements desséchés (Ez 37, 1-14) » à l'occasion du onzième congrès de l'Association Panafricaine des Exégètes catholiques tenu au Caire du 6-12 septembre 2003 avec pour thème Prophétie et prophètes dans la Bible, édité à Kinshasa sous la direction de Jean Bosco MATAND-BULEMBAT, 2004, pp. 119-138.

147 Cf. Ibidem, pp. 129-130. Voir aussi E. J. PENOUKOU, op. cit., p. 130 et AAVV, « la crise maccabéenne »in Cahiers Evangile n°42, Paris, Cerf, 1982.

148 Cf. le mythe d'Osiris mort et ressuscité grâce à la ténacité d'Isis sa femme Voir N. SOEDE, Sens et enjeux de l 'éthique. Inculturation de l 'éthique chrétienne. Approche théologique africaine, Abidjan, éditions UCAO, 2005, pp. 35-37. Comparer par exemple l'Histoire véridique de Satmi-kharnoïs et de son fils Sénosiris (datée du VIème av. J.C. Papyrus D.CIV du British Museum) et la parabole du riche et de Lazare dans l'évangile en Lc 16,19-31 cf. AAVV, « l'au-delà dans le Nouveau Testament » in Cahiers Evangile n°41, Cerf, Paris, 1982, p. 20.

149 Mais cela veut dire aussi que la doctrine de la résurrection n'était pas évidente pour tous. La doctrine était neuve encore au temps de Jésus. On la retrouve dans l'A.T. seulement à partir du IIème siècle av. J.C. Et la communauté de Qumram ne l'avait pas clairement adoptée : « En tout cas, on n'a pas réussi à trouver dans les écrits qumrâniens une affirmation claire de la résurrection corporelle » écrit M. GOURGUES, , « L'au-delà dans le Nouveau Testament » in Cahiers Evangile n°41, Paris, Cerf, 1982, p. 12.

Dans le Nouveau Testament, la résurrection du Christ devient la base de la foi chrétienne (cf. 1 Co 15, 1-34). Elle devient le gage de la résurrection des morts. Jésus promet de ressusciter celui qui croira en lui (cf. Jn 6,39-40). A Marthe, Jésus déclare qu'il est ``la résurrection et la vie'' c'est-à-dire le principe de la résurrection pour ceux qui auront cru en lui (Jn 11,25). Les images du dernier jugement (cf. Mt 24-25) supposent que le Souverain Juge fera comparaître devant lui tous les hommes en corps et en âme. Dans les évangiles, Jésus a opéré des résurrections (celle du fils de la veuve de Naïn en Lc 7,11-17 ; celle de la fille de Jaïre en Mt 9,18-26 et celle de Lazare en Jn 11, 1-44 qui est véritablement une préfiguration de sa propre résurrection des morts (cf. Jn 20,1s ; Mc 16, 1s ; Lc 24, 1s ; Mt 28,10s ; Ac 2,24)150. Les apôtres et Saint Paul surtout annonceront cette bonne nouvelle de la résurrection de Jésus, gage de la résurrection des morts, à tous les chrétiens (cf. 2Co 4,14 ; 5,4 ;Ph 3,10-11 ; 2Tm 2,18 ; He 6,2 ; Ap 20,5-6)151. La résurrection demeure ainsi le fondement de la foi des Chrétiens de tous temps.

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Conclusion à la première partie

Cette première partie de notre étude a porté sur l'analyse exégétique de Jn 11, 1-44 que nous avons passé sous le prisme de l'analyse historico-critique et de l'analyse synchronique. Cela nous a permis de bien lire cette péricope johannique et de mieux en saisir la portée théologique et christologique. Nous avons ainsi compris que le récit de Lazare n'était pas à lire comme un reportage d'événement mais comme un récit savamment composé dans un but nettement kérygmatique. La résurrection de Lazare est au fait une simple réanimation de corps. Si en cela elle peut être un signe et une préfiguration de la résurrection du Christ et des croyants, elle demeure différente de la résurrection glorieuse du Christ et de celle qu'il promet aux chrétiens et en particulier aux Lobi.

150 Mais comme on l'a déjà remarqué avec M. E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, op. cit., p. 287, il ne s'agit pas de résurrection au sens strict du terme mais plutôt de réanimations de cadavres. Elles n'ont rien de comparable avec la résurrection comme celui de Jésus-Christ avec un corps glorieux. Mais elles en sont véritablement des préfigurations et des images incontestables. Voir aussi L. MONLOUBOU et F. M. DU BUIT, Dictionnaire biblique universel, Paris, Desclée, 1984, art. ``résurrection de la chair''.

151 Même si les cultes à mystères grecs développèrent dans le Moyen Orient ancien la notion de mort-résurrection comme communion et consécration à la divinité dans l'initiation à ses mystères, la résurrection matérielle envisagée dans le christianisme était tout à fait nouvelle. Saint Paul en apprit à ses dépens à Athènes (ville grecque) en Ac 17, 22-3 3 quand il aborda ce sujet dans sa prédication.

DEUXIEME PARTIE : VIE ET MORT CHEZ LES LOBI

Introduction à la partie

Après l'étude exégétique de Jn 11, 1-44, dans la perspective d'incarner la Parole de Dieu dans une culture humaine bien définie, nous envisageons de découvrir dans cette deuxième partie de notre travail une société africaine dans sa quête religieuse et métaphysique. Les Lobi du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire sont un exemple de terre africaine prête à accueillir la Parole de Dieu jetée par le Semeur, le Verbe incarné. Il convient de connaître cette « Béthanie » où le Christ est attendu pour tirer du tombeau les frères et amis retenus dans les liens de la mort.

Pour ce faire, nous découvrirons ensemble le contexte historique, social et religieux des Lobi (Chapitre 3) avant d'aborder leurs croyances relatives à la vie et à la mort (chapitre 4). Notre présentation se limitera surtout aux aspects qui nous seront utiles, dans la dernière partie du travail, à amorcer un dialogue vrai entre l'Evangile et cette culture africaine.

CHAPITRE 3 : ETUDE DU CONTEXTE SOCIO-HISTORIQUE
ET RELIGIEUX DES LOBI

Introduction

Dans ce chapitre, nous étudierons le contexte historique, social et religieux des Lobi pour mieux connaître cette société de l'Afrique de l'Ouest où l'Evangile du Christ a été prêché il y a de cela plus de 75 ans déjà. Cette étude nous donnera l'état des lieux, en ce début du XXIème siècle, en ce qui concerne l'accueil de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Le lien avec notre étude exégétique sera sous-entendu dans les aspects socio-anthropologiques que nous développerons152. Nous pensons que le contexte biblique et surtout celui de la société

152 Dans l'étude exégétique de Jn 11, 1-44, nous avons rencontré une communauté de foi, la communauté johannique issue de la société juive avec ses croyances traditionnelles sur la mort et sur la résurrection des morts. Nous avons surtout saisi l'essentiel du message évangélique que St Jean a voulu adresser à cette communuauté. Dans ce chapitre, il s'agira de découvrir une communauté humaine traditionnelle africaine à la rencontre de ce message évangélique de Jn 11,1-44. Il s'agit du peuple des Lobi à situer dans l'espace et le temps.

biblique du temps des Evangiles peuvent être retenus en arrière-plan quand nous découvrirons le contexte social des Lobi.

1. Contexte sociopolitique des Lobi

Les Lobi sont un peuple de l'Afrique de l'Ouest installé sur un territoire qui chevauche sur trois pays : le Ghana, le Burkina-Faso et la Côte d'Ivoire. Leur histoire et leur organisation sociale continuent d'intriguer les quelques chercheurs qui s'aventurent dans leur zone culturelle.

1.1. Petite histoire des Lobi

L'histoire des Lobi demeure encore un mystère puisqu'ils n'ont pas la même notion du fait historique que notre pensée moderne. Les Lobi privilégient le souvenir de leurs rites et non le souvenir événementiel.

1.1.1. Origine des Lobi

Le souvenir des Lobi de leur origine ne dépasse pas le XVIIIème siècle où ils étaient installés au Nord-Ouest du Ghana. Leur mobilité perpétuelle a fait conjecturer sur leur probable origine autour du lac Tchad, en tout cas vers les zones de contact entre la culture égyptienne et la culture négroïde153. Mais la mémoire des Lobi ne s'arrête qu'au XVIIIème siècle à l'époque des guerres esclavagistes qui les ont poussé à traverser la rive gauche de la Volta pour se réfugier en territoire burkinabé154. L'origine la plus indiscutable est celle du Ghana d'où sont venus les Lobi du Burkina comme ceux de la Côte d'Ivoire. Cette origine est devenue mythique pour ces populations qui l'ont intégrée dans leur rite d'initiation traditionnelle nommée J*r*. Encore une fois, leur notion de l'histoire défie celle de l'Occident. C'est dans ce rite d'initiation que nous apprenons leur origine des deux derniers siècles.

153 Dans ce sens, Dominique Banlène GUIGBILE écrit : « Avec de très nombreuses autres petites entités du Nord Ghana, du Togo, du Bénin ou du Sud du Burkina Faso, qui traditionnellement avaient une structure sociopolitique similaire, ils ont formé de très longue date une sorte de zone-tampon entre les peuples de la forêt et les grands royaumes et empires soudanais, ce qui les exposait aux razzieurs d'esclaves venus des deux côtés. Leo Forbenius les a glorifiés dans sa revue des ``peuples nus'' comme Altnigritier, ``paléonigritiques,'' autrement dit comme représentatifs d'une ``négritude'' aux racines particulièrement anciennes. » dans Vie, mort et ancestralité chez les Moba du Nord Togo, Paris, l'harmattan, 2001, p. 130.

154Cf. M. FIELOUX, Les sentiers de la nuit. Les migrations rurales lobi de la Haute-Volta vers la Côte d'Ivoire, Paris, ORSTOM, 1980, p. 17.

1.1.2. Les migrations des Lobi

Depuis 1770, selon les chercheurs sur le milieu, les Lobi ont fait leur entrée sur le territoire de l'actuel Burkina-Faso (ex-Haute-Volta) et vont s'installer dans le Sud-Ouest. « Vers 1880-1890, les Lobi vont dépasser les zones frontières ivoiro-voltaïques (...) et continuer par un glissement naturel leur progression vers le Sud. Ils sont maintenant installés en grand nombre sur le territoire de l'actuelle Côte d'Ivoire. »155 Mais il ne s'agit pas aux yeux des Lobi d'un passage d'un territoire à un autre. Leur mobilité est motivée par la recherche de terres fertiles et d'un cadre de vie adapté à leur mode de vie paysanne. En 1960, ils étaient près de 8 000 sur le territoire ivoirien,156 et de nos jours, ils sont évalués à plus de 650 000 Lobi installés en Côte d'Ivoire, soit 5% de la population de Côte d'Ivoire157. Ce fort mouvement migratoire dépeuple peu à peu les villages lobi du Burkina Faso au profit des zones d'exploitation forestière et agricole de la basse Côte158.

1.1.3. De la période coloniale à nos jours

Les Lobi, semble-t-il, ont fui l'influence des peuples Dagomba et Gondja du Nord Ghana du XVIIIème et XIXème siècles pour se réfugier au-delà de la Volta, du côté burkinabé, parce qu'ils n'ont jamais en fait voulu se soumettre à une quelconque hégémonie159. « Ils ont résisté victorieusement aux tentatives dirigées par les Jula de Bobo-Dioulasso, les colonnes de Kong, les bandes de Samori et ne furent soumis à personne 160». Mais la colonisation française aura eu raison de leur indépendance au début du XXème siècle. Cependant, comme le note l'historienne Jeanne Marie KAMBOU, « la lecture des documents d'archives donne du reste une image assez uniforme de la situation politique du pays lobi, de la con quête (1898- 1902) jusqu'au début des années quarante (du 20ème siècle). Ces archives ne présentent qu'une suite de rixes, de rapts, de vols, d'assassinats, d'attaques à main armée, de batailles entre villages, de vendetta ; elles décrivent une atmosphère d'insécurité peu propice à une vie

155 Ibid., p.18.

156 Ibid., p.18

157 AAVV, Encyclopaedia Universalis France S.A., 2003, article `Lobi'.

158 Cf. G. SAVONNET, « Voyage en zig-zag dans le temps et dans l'espace en pays lobi (1954-198 1) » in AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, pp. 503-508.

159 Cf. M. PERE, Les Lobi. Tradition et changement, tome 1, village et traditions, Laval, Edition Siloë, 1988, pp. 73-7 5.

160 Ibid., p. 96.

sociale paisible et à une exploitation économique rentable161 ». Il faut attendre le début de la seconde guerre mondiale pour voir une accalmie de la région coloniale lobi. Mais les migrations et l'instabilité de la région seront toujours le lot des Lobi jusqu'à la période des indépendances. Après la décolonisation, les Lobi reprendront leur migration toujours plus vers le Sud de la Côte d'Ivoire et vers les grandes villes de l'intérieur de ce pays. Cette migration continue inexorablement jusqu'à nos jours, étendant davantage la carte de peuplement lobi.

1.2. Localisation géographique des Lobi

Les Lobi vivent sur un territoire à cheval entre le Ghana, le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire, sur une région qui s'étend entre le 9ème et le 1 1ème degrés de latitude Nord et entre le 5ème et le 6ème degrés de longitude Ouest (Cf. Carte géographique du pays lobi en Annexe). Ils forment une population de près de 1 million de personnes162.

1.2.1. Les Lobi au Ghana

Les Lobi font partie des principales ethnies du Ghana. Ils habitent le Nord-Ouest ghanéen sur un bandeau de territoire qui longe la Volta, du Nord au Sud, entre le 11° et le 9° de latitude Nord. Ils habitent à côté des Dagati et des Wala. Ils ne sont pas très nombreux. Ils sont évalués à près de 38 000 disséminés dans les districts de Bolé, Sawla, Wa et Lawra163. Ils sont pour la plupart des agriculteurs et des éleveurs de petit bétail. Ils sont foncièrement attachés aux cultes de la terre164.

1.2.2. Les Lobi au Burkina Faso

Les Lobi sont évalués à 327 000, soit 3% de la population totale du Burkina Faso165. Ils y occupent un territoire situé au Sud-Ouest du pays dans les provinces du Poni et du Noumbiel. Ils sont pour la plupart des agriculteurs et des éleveurs de petit et de gros bétail. Ils sont de religion généralement animiste et très attachée aux cultes de la terre. La lente et historique migration qui les a conduit de la Moyenne-Côte au Nord du Ghana puis, après la

161 J - M. KAMBOU - FERRAND, Guerre et résistance sous la période coloniale en pays lobi /birifor (Burkina Faso) au travers de photos d 'époque, dans AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, p. 86. Cf. J.M. KAMBOU-FERRAND, « Peuples voltaïques et conquête coloniale, 1885-1914. Burkina Faso », Paris, Ed. L'Harmattan, 1993.

162 AAVV, Encyclopaedia Universalis France S.A., 2003, art. `Lobi.'

163 AAVV, Ikuska Libros, S.L., 1997-2004, art. 'Lobi'.

164 Voir J. GOODY, « Peuplement : études comparatives, Nord-Ghana et Burkina Faso », in AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, pp. 5 1-55. 165 AAVV, Ikuska Libros, S.L., 1997-2004, art. 'Lobi'.

traversée de la Volta, au Sud-Ouest du Burkina, les pousse inexorablement vers le Nord-Est ivoirien de plus en plus en profondeur (vers le centre)166.

1.2.3. Les Lobi de la Côte d'Ivoire

Les Lobi sont évalués à près de 650 000 sur le territoire ivoirien soit 5% de la population167. Ils occupent un territoire au Nord-Est du pays, dans la région du Zanzan, dans les préfectures de Bouna et de Bondoukou. Par ailleurs, ils sont disséminés partout sur le territoire ivoirien dans les plantations de café et de cacao. Ils ont des villages entiers dans les régions du Moyen-Comoé et du Sud-Comoé dans le Sud-Est. Reconnus comme de grands agriculteurs, ils vivent dans de nombreux campements à l'intérieur de la zone forestière. Ils y conservent l'essentiel de leur organisation sociale.

1.3. Organisation sociale traditionnelle des Lobi en génér al

Les structures majeures de l'organisation socio-politique des Lobi sont le cadre du village ou d<<, le cadre clanique kù*n (patrilignage) ou caar (matrilignage) et le cadre de la cellule familiale ou cù*r.

1.3.1. Le cadre du village ou d<<

Le village ou d<< chez les Lobi est un espace géographique, plus ou moins grand, qui englobe plusieurs maisons, plusieurs familles (c*na), avec leurs biens et leurs champs. Ici « les habitations ne sont pas groupées. Mais elles sont plutôt dispersées ça et là sur l 'étendue

du village ».168

Le village ou le d<< lobi constitue aussi un espace cultuel placé sous l'autorité du premier occupant ou de ses successeurs. Celui-ci rend un culte au d<th<l ou l'entité spirituelle169 ayant la charge et la garde de cet espace géographique. Ce d<daar ou propriétaire du village, outre ses fonctions cultuelles, constitue l'autorité morale et politique la plus grande

166 Voir M. PERE, « Chronique des villages de la province du Poni en contribution à l'histoire du peuplement au Burkina Faso » in AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, pp. 57-73.

167 AAVV, Encyclopaedia Universalis France S.A., 2003, art. `Lobi'. De l'avis des Lobi eux-mêmes et des sociologues, les Lobi sont de nos jours plus nombreux en Côte d'Ivoire que dans les autres pays.

168 M. KAMBOU, Sokpaa. Essai d'étude ethnolinguistique de proverbes Lobi, Ouagadougou, F.L.A.S.H.S., 1999, p. 19.

169 L'entité spirituelle ou th<l en lobiri est une force surnaturelle qui se révèle aux Lobi à travers les songes ou des événements sociaux interprétés par les devins suivant un code assez minitieux. C'est ce que d'aucuns appellent fétiche ou esprit, avec en arrière-fond une certaine idéologie, dont nous nous démarquons.

en milieu lobi. Il veille alors à ce que tous les interdits du d~~ soient respectés et à ce que les diverses familles lobi vivent en paix et en harmonie170.

1.3.2. La famille lobi et ses diverses ramifications claniques

La famille chez les Lobi peut désigner la cellule familiale ou cù*r, le matriclan ou caar comme le patriclan ou kù*n.

Le cù*r ou maison, en contexte lobi, ne désigne donc pas seulement la forteresse en banco dans laquelle vivent les gens, mais surtout l'unité de production et de consommation, où l'autorité du paterfamilias, ou c*daarkuun, fait loi171. Elle comprend le chef de la maisonnée, ses diverses épouses et leurs enfants, tous placés sous la protection des mêmes entités spirituelles ou Th<la, que l'on peut apercevoir à l'entrée de la maison, sur la terrasse ou dans le

sanctuaire domestique contigu à la chambre de la première épouse (la c*daarkh$r)'72.

Au delà de la cellule familiale, le matriclan d'ego ou caar revêt une grande importance pour le Lobi. Il comprend un très grand nombre de personnes, réunies par le lien du sang et par leur commune descendance d'un ancêtre féminin. Il y a quatre matriclans majeurs en milieu lobi qui constituent des matronymes avec de multiples subdivisions internes : Kambiré/Kambou, Hien, Da et Palé173. Chaque matriclan a ses interdits et son entité spirituelle ou Wath<l. Ces matriclans sont alliés deux à deux. Les Kambiré sont alliés aux Hien et les Da aux Palé. Des relations culturelles et sociales les lient fermement.

Le patriclan ou Kù*n est capital pour le Lobi. Celui-ci est intégré dans son clan qu'il découvre à l'initiation septennale du J*r*. C'est à l'occasion de cette longue marche ou Hù* q<<r<, qui le conduit en pèlerinage initiatique et culturel aux bords de la Volta que traversèrent ses premiers ancêtres, que le Lobi découvrira les interdits, les coutumes et les secrets liés au culte de son patriclan (Kù*n) dont l'entité spirituelle est le th<lkhaa. Ce culte patriclanique est central dans la vie religieuse des Lobi.

2. Contexte religieux des Lobi

Les Lobi croient en l'existence d'un seul Dieu, créateur des êtres invisibles et des choses visibles. Dieu est toute Providence mais, il n'intervient pas directement dans la vie des hommes, depuis son éloignement de la terre. Une multitude d'êtres invisibles assurent la médiation entre Lui et l'Homme lobi.

2.1. Un monothéisme médiatisé

Au sommet de la pyramide religieuse des Lobi se trouve le Dieu suprême, appelé

Thâgba. La voûte céleste symbolise son lieu de repos. C'est lui le créateur et l'ordonnateur de toute chose dans le cosmos. Transcendant et inaccessible des hommes, Thâgba le Dieu Providence n'est jamais objet de culte précis en milieu lobi.

Un mythe explique d'ailleurs l'éloignement de Dieu des affaires des hommes. Comme chez de nombreux peuples, les Lobi attribuent à une femme la faute originelle : « ``Dabuole,'' en ce temps-là dit le conteur, il y avait une grande famine sur la terre, les femmes qui accouchaient nouvellement en souffraient plus que tout le monde ; le ciel était très bas, à hauteur d'homme, les femmes alors s 'entendirent un jour et toutes ensemble se

mirent à crier et à frapper les nuages avec leurs mains en disant : ``Thffgba, taa si, kamfren-

kw ser'', c 'est-à -dire, Dieu, sauve-nous, la faim nous tue ! Le Dieu les exauça en leur disant ``Désormais toute femme qui vient d'accoucher prendra un canari (poterie traditionnelle) qu 'elle posera sur le feu, y mettra de l 'eau, prendra ensuite un couteau, sortira et coupera les nuages ; elle les mettra dans le canari et posera dessus un couvercle. Elle n 'ouvrira pour en manger que lorsque les vapeurs en sortiront en quantité et qu 'elle entendra l 'eau bouillir avec grand bruit. Toutes firent comme le Dieu l 'avait ordonné, mais un jour, l 'une d'elles était tellement affamée qu 'elle ouvrit le canari avant ébullition. Qu 'arriva-t-il ? Les nuages qui étaient dans le canari s 'échappèrent avec fracas et emportèrent ainsi le firmament loin de la terre. Tout le monde, hommes et femmes, s 'en prirent à cette dernière en disant ``Tu ne reconnais pas la bonté même, ton ingratitude devient une punition pour tous les hommes.'' C 'est ainsi que d 'une façon banale le ciel s 'éloigna de la terre ».174 Le ciel désigne ici la manne céleste. La faute originelle fut avant tout une ingratitude humaine. Mais pour les Lobi, l'éloignement de Dieu n'a pas mis fin à sa générosité ontologique. Il continue d'abreuver la terre par la pluie et de combler les hommes de toutes ses largesses. J.A. Kambou

174 Nous avons opté de respecter la transcription française faite par notre aîné J.A. Kambou depuis 1972. Cf. J.A. KAMBOU, Le Dyoro ou Initiation sociale au Sud de la Haute-Volta, Paris, C.R.C., 1972, pp. 38-39.

trouve dans l'étymologie même de Thâgba cette notion de générosité175 : Tâg/T<</Terre et G ba/Prends (Que la terre recueille touj ours !). Dieu a préposé comme gardiennes de ses créatures dans l'univers, une multitude d'entités spirituelles ou êtres supérieurs que le Lobi appelle Thila. Et c'est par leur truchement que l'homme passe pour prier désormais son Dieu. C'est à Thâgba Dieu que sont destinées donc toutes les prières des Lobi en dernier ressort, par la médiation de ces nombreuses entités spirituelles appelées Thtla'76.

C'est pourquoi nous reconnaissons à cette société un monothéisme sans ambiguïté mais un monothéisme avec de nombreuses médiations assurées par des entités spirituelles diverses (Thila), un monothéisme fortement médiatisé donc177.

2.2. Les Thila ou entités spirituelles des Lobi

Les Th<la sont des forces surnaturelles que Dieu Thâgba donna dit-on aux Lobi. Ces entités spirituelles sont objet de culte et sont représentées par des autels multiples. Les Th<la

les plus fréquents en milieu lobi sont Thãgba-foudre178, le d<th<l ou culte de la terre villageoise, le Wath<l qui est l'esprit tutélaire du matriclan (caar) et le Th<lkhaa qui est l'esprit tutélaire du patriclan lobi (Kù*n). D'innombrables Th<la des cours d'eau ou poo, des cavernes

ou Kaar, des montagnes ou Kuri, des marchés, de la brousse, de la chasse, de la fécondité, de la richesse etc., sont objet de culte. « Ils révèlent leurs volontés aux humains directement ou par l'intermédiaire du devin (bù*rdaar). Ils peuvent récompenser ou châtier. 179» Leur place centrale dans le système religieux lobi développe un animisme très fort et beaucoup superstitieux. A l'entrée des villages ou des maisons des Lobi, les nombreux autels de ces entités spirituelles ne passent jamais inaperçus. Nous avons dénombré devant une concession de Moulera au Burkina Faso, une vingtaine de ces autels faits sous forme de cônes ou de

175 J.A. KAMBOU, op. cit., p. 39.

176 Toutes les invocations avant les sacrifices rituels commencent par le nom de Dieu Thâgba ! Voir J. A. KAMBOU, op. cit., pp.157-164 et M. PERE, op.cit., 169-172.

177 Mais « c'est bien lui [Dieu] l'ultime destinataire des sacrifices et des offrandes, même si les adorateurs n'en sont pas toujours conscients » remarque E. J. PENOUKOU, Foi chrétienne et compréhension africaine. Pour une herméneutique mina de la mort et de la résurrection à partir d'une analyse critique de 1Co 15, tome 1, Institut Catholique de Paris, 1979, p. 12. De même écrit J. M. ELA, dans Ma foi d'africain, Paris, Ed. Karthala, 1985, p. 46 « c'est là un trait important de la mentalité africaine qui se manifeste dans les plus petites choses : si l'on doit transmettre un message, on ne s'adresse pas directement à la personne concernée, mais à un tiers, même en sa présence ».

178Cf. M. PERE, op. cit., p. 203-229. Madeleine Père explique clairement que la foudre considérée comme une émanation de Thâgba-Dieu est objet de culte particulier. Elle n'est jamais confondue avec le Créateur. Elle est souvent représentée par une latte de bois surmontée d'une poignée de tiges sèches. Elle protège les champs et les récoltes des vols à cause de ses sanctions mortelles en cas de pluie.

179 M. KAMBOU, op. cit., p. 23.

monticules en terre ou en pierre. Sur la terrasse de la maison, une dizaine de Thila tiennent la garde de la maison et de ses environs. A l'intérieur de la grande forteresse lobi, une chambre sanctuaire est réservée aux multiples entités spirituelles. Le Lobi vit souvent au milieu d'une véritable horde de ``dominations'' spirituelles.

2.3. Les génies ()Kt$$ et les ancêtres ()ktina

Au troisième degré de la pyramide religieuse lobi se placent les Kt$$ ou génies qui sont des êtres surnaturels de petite taille à cheveux roux et aux membres exagérément difformes, habitant les montagnes, les bois sacrés, les cours d'eau ou les brousses lobi. Gardiennes de la nature, ces puissances chtoniennes peuvent être apprivoisées pour le bonheur des humains qui tiennent d'eux l'art de la culture, de la musique, de la chasse, de la médecine etc. Les plus méchantes s'en prennent aux hommes chez qui elles peuvent provoquer la démence.

Au bas de l'échelle des croyances religieuses lobi, se trouvent les Ktina ou ancêtres à qui les Lobi rendent toujours un culte pour leur médiation dans leurs relations avec les Th<la

ou avec Thâgba, le Dieu suprême. Les ancêtres ou les pères (th<r$) sont honorés par de multiples sacrifices sanglants et par de nombreuses libations rituelles. Même au cabaret, le Lobi versera quelques gouttes de dolo, la bière de mil locale, au sol pour les ancêtres avant sa première rasade. « Disons que c'est en vivant dans cette symbiose de la nature et du spirituel que le Lobi trouve son équilibre. Toute son activité religieuse tendra à manifester et à maintenir cette harmonie. La séparation du sacré et du profane n'existe pas dans l'esprit d'un Lobi.180 » Cela l'amènera à privilégier une hiérarchie de valeurs sociales propres.

3. Quelques valeurs sociales lobi

Les Lobi ont un système de valeurs sociales qu'il nous faut connaître pour mieux comprendre leur cosmogonie d'une part et d'autre part leur philosophie de la vie ou de la mort.

3.1. La solidarité familiale et la vie de l'homme

La solidarité familiale ou la solidarité de groupe est à notre avis la première et la plus importante des valeurs sociales lobi. Cette solidarité intervient dans le bonheur comme dans le malheur. La richesse d'un individu profite à tout le groupe. La faute d'un individu est imputée

à tout le groupe. C'est pourquoi les sanctions divines ou sociales lors des diverses initiations frappent tout le groupe. La grande conséquence de cette solidarité est bien le devoir ou l'obligation de vengeance lorsqu'un des membres du groupe est attaqué ou tué. La loi du talion devient la base des rapports sociaux. Elle justifie donc la vendetta lobi qui menace tout le temps des vies humaines `innocentes'.

Et pourtant le Lobi a un très grand respect de la vie et des droits humains, même si ce n'est pas l'avis de l'administrateur Labouret selon qui « dans ce pays où le respect de la vie humaine n 'existe qu 'entre parents assez rapprochés, le meurtre était et est encore le secret de tous les jeunes gens ; ils y sont amenés par l'ambiance locale, les conversations journalières, les excitations des femmes »181. Joseph Antoine KAMBOU reconnaît que « la vie humaine pour les populations du Sud Voltaïque est un bien. Tout ce qui concourt à son bien est à respecter ; au contraire il faut écarter ou détruire tout être ou comportement qui lui porte (ou semble lui porter) atteinte. »182. C'est la raison des infanticides, dont sont victimes les enfants malformés ou monstrueux issus souvent des mariages préférentiels consanguins, et des homicides des Lobi pour défendre la vie de leurs protégés sociaux. La vie humaine est à protéger à tout prix chez les Lobi, même au prix de la mort183.

3.2. La force et le courage dans les épreuves

La société lobi exalte le courage et la force qu'elle tient pour des valeurs éducatives éminentes. L'homme ou la femme lobi doit faire montre de ces valeurs sociales, que ce soit dans les travaux champêtres qu'à la chasse, dans la guerre comme dans la lutte quotidienne. Le `lobiduur ou l'idéal d'homme lobi l'exige. Il est exalté dans les kû-qiri ou surnoms d'homme ou même par les noms d'initiation du J*r*184.

Bien plus, cet idéal d'homme traditionnel tient aux valeurs sociales de l'honneur et de la bonne réputation sociale. Le Lobi s'y accroche tellement qu'on l'a affiché de barbare et de sauvage185 ; car l'honneur de l'individu et de sa famille ou de son groupe de vie est au dessus de toutes normes sociales même si subsiste l'interdiction absolue de nuire à son parent ou à son allié social. Jouir d'une bonne réputation exige qu'on respecte tous les interdits sociaux

181 H. LABOURET, Les Tribus du Rameau Lobi, Institut d'ethnologies, Paris, 1931, p. 393.

182 J. A. KAMBOU, Le Djoro ou initiation sociale au Sud de la Haute-Volta, Mémoire, Paris, 1972, p. 167.

183 « Cela relève du principe selon lequel l'ennemi de la vie est un traître avec lequel on ne peut plus pactiser » écrit F. KABASELE-LUMBALA, dans Catéchiser en Afrique aujourd'hui, Kinshasa, Ed. Baobab, 1995, p. 27.

184 Les Lobi ont des surnoms qu'ils se donnent et qui sont de véritables programmes de vie. Ces noms exaltent la bravoure et le courage dans l'adversité. Les noms d'initiation sont donnés toujours par les parents agnatiques. Ils ont toujours un lien avec les valeurs cardinales de la famille lobi.

185 Cf. E.C. SANDWIDE, Histoire de l'Eglise au Burkina Faso, Traditio, Receptio et Re-expressio: 1899-1979, Rome, 1999, p. 141.

tout en assumant bien ses devoirs sociaux (par exemple, nourrir suffisamment sa maisonnée, défendre ou venger ses parents, honorer les divers cultes, participer aux diverses initiations sociales, etc.)186.

3.3. L'idéal d'homme et de femme chez les Lobi

Un certain nombre de valeurs sociales entrent en jeu dans l'idéalisation de l'homme lobi accompli. L'homme lobi qui a réussi sa vie est celui qui, étant à l'aise spirituellement et matériellement, est chef d'une grande famille humaine. Il commande 3 à 4 femmes avec de nombreux enfants réunis dans une grande maison forteresse187. Ce chef de famille, qui est en même temps prêtre des autels domestiques, occupe un rang important dans les structures matri-claniques et patri-claniques. Au niveau de son village, il est respecté et écouté. Non seulement il jouit d'une fécondité humaine, conséquence de sa réussite spirituelle et sociale, mais il est ``père'' d'une multitude de parents qui lui font recours à plusieurs niveaux des relations sociales : soit il est maître d'initiation, soit il est un oncle qui arrive à assumer correctement ses responsabilités matrimoniales à l'égard de tous ses neveux188. Une telle vie féconde et aisée est admirée de tous les Lobi.

La femme lobi idéale est celle qui est avant tout féconde, c'est-à-dire mère d'une multitude d'enfants légitimes et adoptifs. Une telle femme jouit d'une stabilité matrimoniale et économique189. Elle est respectée et consultée par les femmes et les hommes de toute la société. Elle prend part aux grandes cérémonies initiatiques et religieuses qui concernent son clan et le village. Elle fait preuve de grandes qualités de bienveillance, d'hospitalité, de courtoisie, de discrétion, de bravoure et de sagesse. La femme idéale lobi n'est pas faible. Elle est forte physiquement et moralement. Elle est en définitive le pilier et la mémoire de la société. A la ménopause, la femme lobi peut surpasser en droit tous les hommes dans la

société190.

186 Cf. P. BONNAFE et M. FIELOUX, op. cit., pp. 101-114.

187 Les maisons traditionnelles lobi sont de véritables forteresses. M. PERE in op. cit., p. 27, les désigne comme des châteaux-forts : ``le plus souvent, en effet, on ne voit qu'une seule porte et point de fenêtre. C'est une sorte de ferme fortifiée...''.

188 La société des Lobi est bilinéaire, c'est-à-dire matrilinéaire et patrilinéaire. L'héritage des biens et puissances spirituels se fait par ligne agnatique et l'héritage des biens matériels par ligne utérine. Le neveu hérite de son oncle. Le fils ne peut hériter de son père que de ses entités spirituelles, de la maison et des champs.

189 On a souvent accusé d'instables les jeunes femmes lobi. Elles sont éprises de beaucoup d'indépendance et elles n'acceptent aucune maltraitance de la part des hommes. Elles sont à la base des fréquents remariages et divorces dans la société. De plus, elles tiennent en main la petite économie villageoise car elles seules ont quelque sens du commerce dans la société. Elles luttent fortement pour leur émancipation sociale. Elles sont souvent libres de se marier à qui elles veulent.

190 A la ménopause, la femme n'a plus à respecter les nombreux interdits liés aux menstruations et qui éloignent les femmes des grandes instances de décision dans la société. Les vieilles femmes qui font preuve de sagesse

Mais l'homme idéal comme la femme idéale lobi est en quête permanente d'une harmonie de vie, non seulement au sein de sa famille, de son village et de sa société, mais aussi avec le cosmos. C'est la recherche de son bonheur ainsi. Le bonheur de l'homme lobi réside donc dans la quête de l'harmonie originelle perdue avec le Créateur, avec les puissances diverses de la nature et entre les hommes191. Tout ce qui peut contribuer à créer un peu plus d'harmonie entre l'homme et son environnement socio-religieux est désiré par les Lobi. Cette harmonie devient la valeur cardinale recherchée dans la société.

C'est d ans un tel contexte social et religieux que la colonisation et l'évangélisation sont arrivées chez les Lobi. Le choc fut bien rude, mais la résistance des Lobi fut aussi tenace, si bien que après plus d'un siècle, leur société traditionnelle défie toujours l'esprit moderne et tous nos projets d'évangélisation.

4. Le contexte de l'évangélisation des Lobi

L'évangélisation des Lobi du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire a été faite dans le large contexte colonial du début du XXème siècle. Ce contexte nous permet de comprendre pourquoi, même de nos jours, la religion chrétienne est considérée par les Lobi comme la religion des Blancs.

4.1. L'impact de la colonisation occidentale sur la société des Lobi

Les annales de l'histoire coloniale française notent fortement la résistance héroïque des Lobi face à la colonisation. Les documents d'archives donnent bien une image assez uniforme de la situation politique du pays lobi, de la conquête (1898-1902) jusqu'au début des années quarante (du 20ème siècle). Ces archives ne présentent qu'une suite de rixes, de rapts, de vols, d'assassinats, d'attaques à main armée, de batailles entre villages, de vendetta ou vengeances entre clans ; elles décrivent une atmosphère d'insécurité qui était donc peu propice à une vie sociale paisible et à une exploitation économique rentable de la région. « L 'insoumission des Lobi et leurs attaques contre les représentants du pouvoir colonial entretenaient l 'insécurité

sont très respectées. Ce sont elles bien souvent qui ont la mémoire vivace sur le déroulement des nombreux rites sociaux. Et leur présence aux diverses initiations est toujours rassurante, même pour les hommes. 191 L'homme lobi est avant tout un « être-bien-avec ». C'est un `être' en harmonie avec son environnement, avec sa famille ou sa communauté de vie, avec les forces naturelles et surnaturelles, avec Dieu son créateur. C'est l'homme comme relation mais une relation harmonique. C'est l'homme comme réseau de liens familiaux, claniques et amicaux. Réussir ce pari ne peut procurer à l'homme lobi que le bonheur. Mais c'est avant tout une quête perpétuelle car le monde naturel comme surnaturel est souvent hostile. C'est pourquoi l'homme lobi est souvent physiquement et spirituellement armé pour faire face à l'adversité.

dans la région, rendant aléatoire toute exploitation économique »192. Il fallut mater de main forte cette tribu dite rebelle pour en venir à la pacifier après la seconde guerre mondiale. Mais les migrations rurales de nombreux Lobi vers le Ghana et surtout vers les grandes plantations de la Côte d'Ivoire devinrent la nouvelle méthode de résistance coloniale. Du coup, l'économie coloniale avec l'avènement de la monnaie, la charge de l'impôt de capitation, et les diverses migrations sociales donnèrent naissance à des fléaux sociaux tels que l'individualisme, la recherche exagérée du gain et le parasitisme des masses pauvres dans la société lobi. L'économie de consommation s'attaqua aux coutumes traditionnelles (comme la dot dans le mariage qui n'est plus symbolique mais motif d'enrichissement) qui de nos jours s'en trouvent vraiment fragilisées. Il faut y ajouter l'impact de la scolarisation et de l'évangélisation avec ses valeurs différentes de celles de la société lobi.

Toutes ces influences historiques et culturelles donnent de nos jours une société lobi en pleine mutation sociale. On sent encore en son sein des résistances de la part du puissant courant conservateur des traditions ancestrales, qui est aux prises avec les violents coups de boutoir de la mondialisation actuelle, qui globalise tout de gré ou de force193. On aboutit à un malaise culturel. Le Lobi lui-même devient un homme mal à l'aise, comme assis entre deux chaises : la chaise ancestrale et la chaise moderne. Bien plus, le chrétien lobi devient le prototype de cet homme écartelé entre « Tradition et Changement » comme l'a compris l'anthropologue Madeleine Père qui a intitulé ainsi un de ses écrits sur les Lobi194. Il vit dans une société à la fois ancrée sur des acquis traditionnels où le spirituel et le culturel sont bien imbriqués et dans une société en passe d'être moderne du fait de la compénétration des cultures du monde actuel. Cette dialectique sociale et culturelle ne ménage pas le domaine des croyances comme l'eschatologie. La synthèse harmonieuse tarde à se dessiner pour aider le Lobi, surtout le chrétien lobi, à être à l'aise dans sa société. Le chrétien lobi a besoin d'être en harmonie avec sa foi, ses croyances et ses idéaux sociaux. Le chrétien lobi a besoin d'être un homme de sa culture, de son milieu et de son temps. Mais la société lobi actuelle, dans son évolution, peut-elle s'ouvrir à cette Bonne Nouvelle que lui apporte le Christ ?

En effet, la colonisation française, s'étant butée à la complexité et à la résistance sociales des Lobi face à sa politique de pacification, fit appel à l'évangélisation dans cette région. L'histoire de l'évangélisation du pays lobi est riche de péripéties. Si des espoirs sont

192 J - M. KAMBOU - FERRAND, Guerre et résistance sous la période coloniale en pays lobi /birifor (Burkina Faso) au travers de photos d 'époque, dans AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993 p. 85.

193 Cf. M. PERE, « La société lobi actuelle et ses problèmes », in AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, pp. 277-29 1.

194 Cf. M. PERE, Les Lobi. Tradition et changement, tome 1 et 2, Laval, Edition Siloë, 1988.

permis dans le sens de l'évangélisation des Lobi au regard de l'état actuel de leurs conversions au Christ, il faut noter que plusieurs défis majeurs sont à relever dans ce domaine.

4.2. L'histoire de l'évangélisation en pays lobi195

En tournée à Gaoua le chef lieu du Cercle lobi dans l'ex-Haute-Volta, en Juillet 1928, alors qu'il vient de fonder la mission catholique de Bobo-Dioulasso, Mgr Esquerre est invité par l'administrateur Adam à fonder une ou deux missions en pays lobi voltaïque196.

4.2.1. L'arrivée des premiers missionnaires en pays lobi voltaïque

Au début du mois de novembre 1929, le Père Ferrage est envoyé par Mgr Esquerre à Gaoua. Monseigneur, accompagné du R. Père Galland et de Abdoulaye, un catéchumène originaire de Sikasso, se rendra à son tour à Gaoua dès le 7 novembre 1929 avec l'intention d'ouvrir un poste missionnaire dans le pays lobi sous colonisation française.

Le 9 novembre 1929, Mgr Esquerre et les Pères Galland et Ferrage optèrent d'ouvrir un poste missionnaire à Bomoï, village lobi proche de Nako et de Malba, deux villages frontaliers à la Gold-Coast et qui sont habités de Lobi et de leurs cousins les Birifor. Mais cela ne plaisait point à l'administration locale.

En effet, selon l'administrateur Fardet, commandant de Cercle de Gaoua, Bomoï n'est pas un lieu sain pour le début du christianisme dans ce pays encore sauvage des Lobi. Surtout que quelques jours avant l'arrivée des missionnaires, un Lobi avait été criblé à mort de soixante coups de flèches à Bomoï. Et il y aurait immanquablement des représailles et des batailles entre familles et villages lobi. L'administration projette opérer des manoeuvres militaires dans la région, question de dissuader les belligérants. Il serait donc dangereux pour les Pères d'être présents dans cette région en pareilles circonstances. Fardet proposa aux Pères d'aller s'installer ailleurs comme Nyoronyoro ou Tiankoura. Mais les Pères préférèrent toujours Bomoï pour sa situation géographique et surtout parce qu'ils « étaient flattés par la sympathie que les habitants leur manifestaient »197 malgré la désapprobation nette du pouvoir

colonial de Gaoua. De Bomoï, les Pères Missionnaires peuvent étendre leur zone d'influence et sur les Lobi de la Haute-Volta et sur les Lobi de la Gold Coast.

Le 15 novembre 1929, cinquante gaillards lobi aidèrent volontairement les Pères Missionnaires à ériger leur campement dans un endroit idéal. Et le 19 novembre 1929, fut célébrée la première Messe en pays lobi à Bomoï. Cela n'empêcha pas l'opération de représailles lobi redoutée par l'administration d'avoir lieu. Mais les Lobi ne s'attaquèrent point aux Pères Missionnaires. Dès le départ, l'évangélisation en milieu lobi fut occasion de tensions entre Missionnaires et pouvoir colonial sur fond de situation de vengeance lobi. C'est d'ailleurs cette situation qui amènera le 4 décembre 1929 l'administrateur Fardet à réitérer sa demande de voir les Pères Missionnaires quitter Bomoï car il prévoyait une opération punitive dans la région. Et selon lui, cette entreprise mettrait en danger la sécurité des Pères. Ceux-ci refusèrent néanmoins d'obtempérer. A partir du 6 décembre 1929, le capitaine Abeille, à la tête d'une forte expédition militaire, détruisit complètement le village de Bomoï. Mais les Pères ne le quittèrent que le 21 décembre après avoir reçu les ordres de Mgr Esquerre, harcelé par l'administrateur Fardet. Ils s'installeront provisoirement à Gaoua, le chef lieu du cercle lobi, avant de prospecter vers Daboura et ensuite Kampti que leur proposait depuis longtemps l'administration coloniale qui n'aimerait pas les voir durer à Gaoua.

4.2.2. La création du poste missionnaire de Kampti en 1930

Le 18 janvier 1930, les Pères s'installent à Kampti avant de visiter Batié en compagnie de la fameuse expédition militaire qui détruisit Domatéon et tous les derniers postes de résistance lobi-birifor à la colonisation. Ils durent regretter cette compromission avec le pouvoir militaire 198 . Il faut att endre le 5 janvier 1931 pour que les Pères soient définitivement installés dans leurs constructions de Kampti-Bouti situé à près de 250 kms de Bobo-Dioulasso et d'une vingtaine de kilomètres seulement de la frontière ivoirienne. La Côted'Ivoire étant colonie française, c'est un éventuel champ pastoral pour les Missionnaires.

L'évangélisation en pays lobi fut définitivement engagée. Par le biais de l'éducation scolaire et la catéchèse, les Pères Blancs s'attireront la sympathie des Lobi. Le 30 juin 1931, 24 personnes recevront la médaille dans l'Eglise Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus de Kampti. A Noël, le catéchiste Tiorihinte, ancien élève de l'école de Bobo sera le premier baptisé à Kampti. La mission progresse dans le pays lobi avec 337 médaillés en 1933 et 323 postulants

198 Beaucoup de Lobi et leurs cousins culturels les Birifor ont vu là la confirmation de la coalition entre la Croix et le Canon contre leur société. Cela a provoqué un traumatisme social qui perdure encore de nos jours dans les mentalités des habitants de la région. La religion chrétienne continue d'être accusée de violence et d'ennemie de la société traditionnelle.

inscrits au catéchisme. Les diaires des Missionnaires nous en font écho avec une note de fierté199.

Mais le 14 septembre 1934, le poste missionnaire de Kampti qui commence à avoir des conflits avec le pouvoir coutumier local, à cause du grand zèle des convertis qui sapent à loisir les coutumes traditionnelles, sera fermé pour quatre ans. Notons qu'un manque de personnel s'est fait ressentir à cette période où le Père Galland, premier curé de la paroisse de Kampti, tomba malade et fut rapatrié en France pour des soins. Pendant cette période de vacance du poste de Kampti, un jeune catéchumène lobi du nom de Dibe Kambou, s'illustrera dans l'animation de la communauté, encore catéchuménale.

Le poste sera rouvert le 18 octobre 1939 avec le retour du Père Galland qui sera aidé des Pères Guilbault et Jules le Bris envoyés par Mgr Groshenry de Bobo-Dioulasso. L'accent sera désormais mis sur la formation des catéchistes comme aide-missionnaires. Le 1 er octobre 1939 s'ouvre la première école des catéchistes en pays lobi. Elle fournira un personnel autochtone mieux formé pour l'expansion missionnaire dans la région.

4.2.3. L'expansion missionnaire en milieu lobi à partir du poste de Kampti

Le 21 février 1943 la chapelle de Gaoua est bénie. Mais il faut attendre le 6 janvier 1960 pour voir l'érection canonique de la paroisse de Gaoua jusque là succursale de Kampti. Ici l'évangile touche et les Lobi et les Birifor assez majoritaires dans la région. L'école de la mission à Kampti est une source de convertis et de Lobi évolués, plus ouverts au christianisme. Le dispensaire tenu par les religieuses Franciscaines Missionnaires de Marie dès 1946 a une influence considérable dans la région de Kampti. De même l'ordination sacerdotale du premier prêtre lobi, Toho Joseph Antoine Kambou le 28 avril 1962 à Bouti, consacra les assises de l'Evangile en pays lobi du côté voltaïque. Du côté ivoirien, la création de la paroisse de Bouna le 10 octobre 1970 rapproche les campements d'installation des Lobi de la zone d'influence des Pères de l'Eglise catholique. Le 27 janvier 1980, l'Eglise de Kampti fêtait son cinquantenaire après avoir fondé la paroisse de Batié en 1971.

Mais en 1986, du côté voltaïque, les Pères Missionnaires européens abandonneront la mission d'évangélisation des Lobi à des prêtres africains. Ceux-ci poursuivront la mission dans un contexte de changement de mentalité et de méthodes d'apostolat. L'évangélisation se heurtera à divers problèmes pastoraux difficiles à résoudre. Et pourtant, l'évangélisation des Lobi progressera avec de grandes conversions et la naissance de communautés chrétiennes

199 Voir aussi l'étude critique de l'évangélisation en pays lobi faite par M. SOME, La christianisation de l 'OuestVolta. Action missionnaire et réactions africaines. 1 92 7-1960, Paris, Editions l'Harmattan, 2004, pp. 269-273.

vivantes parmi les Lobi immigrés en Côte d'Ivoire. Au Burkina Faso, l'ex-Haute-Volta, Kampti fondera en 1994 la paroisse de Dipéo pendant que Gaoua créera celle de Nako en 1997.

L'expansion missionnaire en pays lobi progresse donc encore de nos jours. Parallèlement, il faut signaler que dès 1931, le protestantisme fut bien ancré aussi dans la région lobi avec comme poste central le village de Broum-Broum en Haute-Volta et Bouna en Côte d'Ivoire. Les conversions aux diverses églises protestantes sont de plus en plus fortes chez les Lobi de la Côte d'Ivoire que chez ceux du Burkina Faso. D'ailleurs, du côté catholique, le même constat peut être fait au regard de l'état actuel de l'évangélisation en milieu lobi.

4.3. Etat actuel de l'évangélisation en milieu lobi

Après 75 ans d'évangélisation, il importe de constater l'évolution, lente certes, mais non négligeable, du christianisme chez les Lobi.

4.3.1. L'exemple de la paroisse de Kampti

La paroisse de Kampti est la plus vieille des paroisses de la région lobi du Burkina Faso. C'est pourquoi elle retient notre attention dans cette analyse de l'évangélisation du milieu lobi. Elle fut surtout la première mission chrétienne fondée dans la région du Sud-Ouest de la Haute-Volta d'alors. Elle a bâti la première église de tout le pays lobi. En 1980, pendant qu'elle soufflait ses cinquante bougies d'existence, elle ne comptait que 1.468 baptisés sur une population globale de 65.000 habitants200. Et en 1990, alors qu'elle couvrait toujours plus de 3.900 km2 avec une population de plus de 80.000 habitants, la paroisse de Kampti ne comptait que 2.153 chrétiens soit une progression seulement de 685 chrétiens, à peu près le nombre obtenu entre 1970 et 1980. Les dernières statistiques ne sont guère très fameuses. Au jubilé des 75 ans de la paroisse en 2004, elle ne comptait que 6 651 baptisés (soit 8.55% de la population locale). La tâche missionnaire reste encore abondante. De plus, la communauté chrétienne est surtout composée de personnes vieilles et fatiguées, accrochées à un christianisme conservateur. Le problème pastoral récurrent demeure le syncrétisme et le retour aux pratiques superstitieuses des coutumes traditionnelles201. Issu de cette paroisse, nous

200 Cf. A.A.V.V., Pour un meilleur devenir chrétien lobi, Kampti, I.S., 1984, p. 24.

201 Le syncrétisme est manifeste surtout chez les jeunes générations qui n'ont pas transité par l'animisme avant d'être chrétiennes. Les jeunes, la plupart du temps, par curiosité et souvent par mimétisme, se lancent dans des pratiques animistes tout en étant fidèles à leur rendez-vous du dimanche à l'église.

partageons régulièrement les soucis des pasteurs actuels en ce domaine. Mais l'espoir est touj ours permis en matière de pastorale !

4.3.2. Le dynamisme missionnaire dans les autres paroisses du pays lobi

Si Kampti présente des signes visibles de vieillissement et même d'essoufflement dans le dynamisme missionnaire, ce n'est pas le cas des autres paroisses de la région où vivent d'importantes communautés chrétiennes lobi.

Dans la paroisse de Gaoua, la communauté chrétienne lobi, malgré ses nombreux problèmes pastoraux, présente un visage missionnaire radieux. C'est son dynamisme missionnaire qui a abouti à la fondation de la paroisse de Nako en 1997. Du côté de la Côte d'Ivoire, se fondent de plus en plus de fortes communautés chrétiennes lobi à Bouna, à Téhini, à Bondoukou et à Doropo. Ces communautés, jeunes certes, sont très dynamiques et expansives. Les conversions chrétiennes, tout comme les vocations sacerdotales, augmentent davantage chaque année. Du côté burkinabé, il faut souligner le dynamisme missionnaire des communautés chrétiennes lobi des paroisses de Dipéo et de Batié, même si elles demeurent aussi toutes marquées par les graves défis actuels de l'évangélisation des Lobi en général.

4.4. Les principaux défis de l'évangélisation des Lobi

Les défis de l'évangélisation en milieu lobi vont de l'organisation sociale à la loi du talion ou de la vengeance en passant par les problèmes de mariage, de l'initiation du J*r* et des funérailles traditionnelles.

4.4.1. L'organisation sociale ou le poids de la tradition lobi

L'organisation socio-religieuse des Lobi et leurs coutumes ont souvent été décriées par les Missionnaires. Ceux-ci interdirent très tôt aux chrétiens de se faire initier aux traditions de leur société202. Les chrétiens devaient renoncer à leur être de Lobi, cet être dit sauvage et barbare. Mais les cas d'abandon de la foi chrétienne avec le retour aux pratiques ancestrales sont touj ours fréquents en milieu lobi. Pendant que la mission chrétienne anathématisait les coutumes lobi telles que les initiations, la société traditionnelle anathématisait aussi " la chose du Blanc" telle que l'école, la religion chrétienne et ses structures de développement, etc203. Une telle situation a créé et continue de créer le malaise dans l'évangélisation des Lobi, assez

traditionalistes sur les bords dit-on. Il parait urgent de lancer un véritable dialogue entre l'évangile du Christ et la société lobi après toutes ces périodes de méfiance et de mépris mutuels.

4.4.2. Le problème du mariage et de la moralité lobi

Depuis le début de l'évangélisation en milieu lobi, le mariage traditionnel a posé problème pastoral. On lit à cet effet, en juin 1932 sur un rapport de la paroisse de Kampti ces interrogations : " La jeunesse devant les lois du mariage chrétien aura-t-elle la force nécessaire pour rompre avec les coutumes païennes ? Les unions matrimoniales se font et se défont ici avec une telle facilité qu'on peut être un peu inquiet pour l'avenir des Chrétiens catholiques"204. Et de nos jours, le mariage chrétien avec continence complète avant les noces, demeure absurde pour le Lobi. De même, si l'adultère demeure une faute grave et une cause de multiples bagarres chez les Lobi, la fornication des jeunes gens n'est pas condamnée par la société traditionnelle. Une telle moralité s'oppose à la morale chrétienne. On comprend alors pourquoi peu de jeunes lobi se convertissent au Christianisme qui apparaît ainsi à leurs yeux très exigeant. Mais le paradoxe est aussi que la morale humaine s'avère bien souvent plus sapée dans les milieux fortement christianisés que dans les villages traditionalistes des Lobi. On trouve par exemple plus de filles-mères, des cas de scandales sexuels et des cas de vol, plus dans les villages et familles de chrétiens que chez les Lobi animistes. La peur des sanctions sociales et religieuses en milieu traditionnel suffit-elle à expliquer cet état de fait205 ? Enfin, le mariage par rapt de la femme avec son consentement est de nos jours à la mode chez les Lobi qui continuent de privilégier la coutume par rapport au modernisme, d'où leur attachement à l'initiation traditionnelle du J*r*.

4.4.3. L'initiation traditionnelle du J*r*

La grande initiation sociale du J*r* pose toujours problème à l'évangélisation des Lobi. Les Pères Missionnaires ont anathématisé cette initiation septennale qui consacre et intègre le Lobi dans sa société. Malgré cette position, depuis toujours, des chrétiens lobi participent à cette marche communautaire de retour aux sources ancestrales.

En effet, l'initiation traditionnelle du J*r* se pratique chez les Lobi tous les 7 ans et elle concerne les hommes et les femmes ensemble206. D'abord, elle consacre comme Lobi les jeunes de 7 à 21 ans qui y participent pour la première fois. Cette initiation des jeunes comprend une longue phase préparatoire de purification sociale et familiale de près d'une année et une phase proprement rituelle. Cette dernière phase consiste en une marche initiatique qui conduit les jeunes lobi de leurs villages jusqu'aux abords du fleuve mythique qu'est la Volta ou le Mouhoun en passant par les sanctuaires locaux de leur clan. Au fleuve, les candidats sont consacrés à l'entité spirituelle du J*r* pour devenir ses fils (J*r*bi : enfants du J*r*) par divers rites dont une mort-résurrection symbolique avec rasage de cheveux, changement radical de nom, absorption du `lait' ou de la substance initiatique, baptême au fleuve etc207. Un temps de réclusion ou de retraite permet aux initiés de vivre en couvent en brousse pour apprendre les règles de la société, la langue secrète des initiés, la danse initiatique et la morale traditionnelle. Ce sont autant de rites traditionnels auxquels on invite le chrétien lobi à renoncer au baptême en Jésus-Christ mais qu'il a du mal à s'en départir réellement.

En dépit des anathèmes prononcés contre les chrétiens qui continuent de se rendre aux initiations traditionnelles et malgré les diverses sanctions pastorales prises à leur encontre, des chrétiens lobi pensent pouvoir participer à l'initiation traditionnelle, dans le souci de demeurer touj ours lobi, selon eux, sans renier leur être de chrétiens. Notre conversion à Christ nous exige-t-il en tant que chrétiens de devenir étrangers à notre culture lobi d'origine ? Devonsnous devenir des ``Blancs'' être chrétiens ? Christ peut-il devenir lobi avec les Lobi ?208 Autant de défis actuels que l'évangélisation des Lobi se doit de relever !

4.4.4. Les funérailes traditionnelles

Les Pères Missionnaires s'attaquèrent très tôt aussi aux rites funéraires lobi. Ils eurent le souci d'épurer la coutume pour la rendre chrétienne. Pour ce faire, on supprima alors tel ou

206 Cf. J. A. KAMBOU, Le Dyoro ou initiation sociale au Sud de la Haute-Volta, Paris, C.R.C., 1972 ; M. DIEU, « Quelque chose de nouveau à l'initiation » in AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, pp. 369-377 ; T. J. A. KAMBOU, « Histoire d'un rite de passage : le J*r*» in AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, pp. 360-366 ; B. M. SOME, Approche pèlerine de l'initiation pan-ethnique Djoro et esquisse d'une théologie chrétienne des pèlerinages, Abidjan, I.C.A.O., 2000.

207 Autant de rites initiatiques qui nous rappellent bien les cultes à mystères grecs. Cf. AAVV, Encyclopédie des religions, Paris, Bayard Editions, 1997, pp. 33-117.

208 Ce sont autant d'interrogations ressenties déjà en 1956 par le collectif Des prêtres noirs s 'interrogent, Paris, Cerf, 1956, p. 154 : « le christianisme, tel qu'il est, ne comporte-t-il pas pour le Nègre un péril d'aliénation ? En d'autres termes, le Nègre peut-il être chrétien sans renoncer à sa négritude ? ».

tel rite traditionnel durant les funérailles des chrétiens lobi. On introduisit par exemple le port de l'habit noir de deuil en remplacement du Kaolin blanc dont se fardent les veuves ici avant les dernières funérailles. Le noir devient le signe de deuil chez les chrétiens, bien influencés par la culture européenne, alors que la couleur de deuil chez les Lobi est bien le blanc (couleur de l'habit du mort, du fantôme quand on le voit, du kaolin que s'enduisent les veuves en signe de deuil...). On ne peut s'en douter qu'un tel travestissement de la coutume avec du vernis européen n'entame nullement l'eschatologie lobi demeurée très coriace au milieu même des chrétiens. L'inculturation ne consistera pas ici à supprimer tel ou tel geste aux funérailles traditionnelles mais à évangéliser, à éclairer toute cette culture de la lumière du Christ. Tout en prenant en compte par exemple les conceptions traditionnelles de la mort, la nouveauté du message chrétien sur la résurrection des morts ne peut être occultée. ``Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir'' (Mt 5 : 1 7b).

Conclusion au chapitre

Dans cette étude du contexte socio-religieux des Lobi, nous avons voulu présenter ce peuple dans son histoire, sa géographie, son organisation sociale, ses valeurs morales, sa rencontre avec l'Occident et avec l'évangile de Jésus-Christ. Cela nous permettra de comprendre la philosophie de la vie et de la mort de cette société où nous voulons proclamer la Parole de Dieu que nous avons lue en Jn 11, 1-44 en première partie de notre travail209. Le prochain chapitre se focalisera donc sur la notion de la vie et de la mort dans la société des Lobi.

CHAPITRE 4 : Maladie, Mort et Vie chez les Lobi

En référence à la maladie puis à la mort de Lazare, nous voulons, dans ce chapitre, étudier la notion de la maladie, de la mort et de la vie dans l'au-delà chez les Lobi. C'est en vue du dialogue que nous voulons établir en définitive entre l'Evangile et la société des hommes lobi. Nous pensons qu'une telle étude nous permettra de mieux réussir notre tentative d'inculturation de la Parole de Dieu dans une culture africaine comme celle des Lobi, déjà du point de vue des concepts.

1. La conception de la maladie chez les Lobi

Toute maladie chez les Lobi du monde traditionnel a toujours une cause. La recherche de la cause cachée et les manifestations de compassion incombent à tous les membres de la famille du malade.

1.1. Toute maladie a une cause cachée

Pour les Lobi, toute maladie a une cause cachée qu'il faut chercher à découvrir pour espérer l'amélioration de l'état de santé d'un malade. Cette cause peut être une sanction divine ou de quelque entité spirituelle. Elle survient à la suite de transgression d'interdits sociaux et moraux. Elle est souvent une punition des entités spirituelles Th< la ou des ancêtres, les K*nt<na. Elle peut être provoquée par la méchanceté des sorciers ou d<t]dara. Elle peut être commandée par un ennemi humain qui en veut au malade. Des simples maux de tête aux maux de ventre chroniques en passant par la stérilité ou l'impuissance sexuelle, une large gamme de maladies frappe fréquemment les Lobi qui y voient touj ours une main hostile invisible.

Quand un Lobi tombe malade, il cherche donc à connaître la cause invisible de son mal. Il consulte le devin ou bù*rdaar pour savoir qui lui en veut. Il se rendra chez le prêtre des entités spirituelles pour conjurer le sort qui lui est jeté210. Le devin comme le prêtre de la religion traditionnelle fera un sacrifice de poussin ou de poules pour intercéder en faveur du malade. Il lui indiquera si possible les remèdes appropriés à prendre. Et si l'état de santé du malade ne s'améliore pas, il passera à un autre devin ou à un autre prêtre guérisseur traditionnel.

1.2. Marques de compassion face au malade lobi

Le malade chez les Lobi est entouré de grands soins. Les parents et les amis accourent à la nouvelle de la maladie, qui pour rendre une simple visite, qui pour apporter des remèdes. Ces remèdes consistent le plus souvent en des plantes ou des écorces médicinales assorties de nombreux interdits (surtout alimentaires). La nouvelle du malade est relayée de bouche à oreille, surtout dans les salutations qui s'intéressent à l'état de santé des parents et amis dans la société. Il est toujours bienséant de rendre visite aux malades, chez eux ou chez le

210 Nous évitons exprès de nommer les prêtres de la religion traditionnelle des féticheurs car le terme fétiche comme le souligne le Petit Robert électronique est un ``Nom donné par les Blancs aux objets de culte des civilisations dites primitives''. Il est donc péjoratif et tendancieux.

guérisseur traditionnel211. A l'occasion de ces visites, les Lobi échangent des conseils en vue d'un prompt rétablissement du malade. Un autre guérisseur peut être conseillé à l'occasion même. On apporte souvent à manger ou à boire au malade et à ses parents autour de lui. Il se peut qu'un parent au cours d'une consultation divinatoire reçoive une révélation sur la maladie dont souffre le malade. Il prendra le soin d'avertir qui de droit et d'y porter une solution en vue de la guérison du malade.

Si au bout de multiples sacrifices où la solidarité familiale et alliée se manifeste fortement, le malade est guéri, on procèdera à des sacrifices d'action de grâce aux entités spirituelles favorables. Les ancêtres ne seront pas laissés en reste. Mais au cas où la maladie s'empire, les Lobi suspendront toute activité sociale pour veiller le malade. Ils seront à ses petits soins. Ils lutteront pour qu'il survive212. On s'endettera pour chercher tous les remèdes possibles. Mais les Lobi n'aiment pas voir un malade souffrir atrocement. Certains n'hésitent pas en pareille circonstance à pratiquer une certaine forme d'euthanasie par le truchement de certaines herbes ou plantes de la nature. Certains artifices sociaux existent même pour hâter le départ de certaines vieilles personnes malades et très souffrantes213. Mais cela n'est pas chose fréquente. Les Lobi tiennent à la vie de leurs parents et amis. En cas de situation critique, les femmes pleurent autour du malade pour le retenir encore sur terre. En effet, selon les Lobi, le malade dans le coma, sort de lui-même et se met en communication avec ses ancêtres pour négocier ses modalités de voyage dans la mort. Les pleurs des parents, que l'âme ou Thuu de ce malade voit, peuvent l'émouvoir et la retenir encore sur la terre. Mais si elle décide de partir, rien ne peut vraiment la retenir. La mort redouble la peine et les pleurs des parents ou alliés accourus au chevet du malade. La mort est fortement célébrée chez les Lobi qui la considèrent comme un passage, un voyage, du monde des vivants à celui des morts.

211 K. J. BICABA écrivant sur les rites funéraires en pays Bwamu (essai de recherche anthropologique), Abidjan, ICAO, 1987, p. 67, le rapporte aussi : « lorsque l'entourage sait qu'un membre de la communauté est malade, il a le devoir selon la solidarité fraternelle de lui dire bonj our chaque matin ou régulièrement jusqu'à ce qu'il y ait du mieux »

212 Nous souscrivons entièrement ici à la pensée de N. Y. SOEDE in Sens et enjeux de l 'éthique, op. cit., p. 96, qui développe la thèse sur la conception africaine de la vie comme « valeur fondamentale de la pensée philosophique et de l'existence ». L'homme lobi est cet ``être-vie'' comme le dit SOEDE, perpétuellement en quête de mieux être et de plus de vie. C'est surtout, à notre avis, cet homme-relation ou ``l'être-bien-avec'' en quête d'harmonie sociale dont nous avons parlé plus haut.

213 Par exemple, les parents d'un chef de famille peuvent déboulonner la représentation de son esprit tutélaire appelé Th<lkhaa en autorisant les ancêtres à venir récupérer dans leur giron le moribond souffrant. Pour les Lobi, la souffrance physique est le pire des maux. Elle dégrade l'homme et porte une atteinte grave à son humanité qui s'en trouve fragilisée. Mieux vaut mourir que de trop souffrir et de faire souffrir ses proches, disent les Lobi, au coeur de leurs grandes souffrances physiques.

2. La célébration de la mort chez les Lobi

Les Lobi ont plusieurs cérémonies pour célébrer la mort. Nous voulons en donner les grandes lignes214. Tout décès d'un adulte lobi est suivi de deux grandes funérailles : les premières funérailles ou Biir et les secondes funérailles ou Bobuur. Entre les deux s'écoule le temps de deuil.

2.1. Les premières funérailles

Les premières funérailles ou Biir sont déclenchées à la mort d'un Lobi. Elles sont caractérisées par les lamentations bruyantes des femmes et des hommes pris à court par le décès d'un être cher. On pleure, on crie, on se lamente, on tombe et on roule à terre en signe de désolation, on néglige son habillement, on n'a pas le temps de s'alimenter, on déambule, on s'assoit en quinconce, on joue de la musique sur le balafon ou xylophone, on danse, on donne et écoute des témoignages sur la vie du disparu, on fait des cadeaux (jet de cauris et de céréales) et des commissions au partant vers l'au-delà, on lui souhaite bon voyage, on exhorte les ancêtres de lui faire bon accueil, on envoie des émissaires pour annoncer les funérailles aux parents et alliés les plus éloignés, on fait retentir des coups de fusil pour annoncer les funérailles à toute la région, on exécute des mîmes de la vie passée du défunt... autant de manifestations de deuil qui caractérisent les premières funérailles des Lobi. Tout comme dans la société juive vétérotestamentaire, l'émotion est forte lors des funérailles des Lobi. Les premières funérailles suspendent les activités de la famille et du village. La solidarité dans le deuil est ici très forte. Les funérailles durent deux à trois jours. Mais habituellement, le corps du défunt dure 24 heures. La toilette funèbre est touj ours faite avec grand soin215. « Après avoir fait la toilette du cadavre, on l 'interroge pour connaître les raisons du décès, qui ne peut provenir que d'une faute commise par le défunt ou d'un maléfice dont il faut identifier l'auteur. Même la mort d'un vieillard qui fut longtemps déclinant est considérée comme due à une faute ou provoquée par quelqu 'un ; il semble n 'y avoir aucune mort sans cause, quel que soit l 'âge du disparu216... »

Pendant le déroulement des funérailles, les fossoyeurs, organisés en confrérie comme nous l'avons vu dans le précédent chapitre, procèdent au creusement de la tombe. Mais ils ne commencent pas sans avoir auparavant fait un sacrifice à l'esprit tutélaire de la terre villageoise où l'enterrement doit être fait. La tombe ou « le Kaar prend l 'aspect de deux alcôves, l 'une à l 'Est, l 'autre à l 'Ouest, séparées par un petit tertre médian (...). Le cadavre est alors placé dans la position d'une personne qui dort, la main gauche sous la tête217 » et la face toujours tournée vers l'Est, l'horizon des origines des Lobi et la direction du pays des morts. Les premières funérailles ne prennent pas fin avec l'enterrement. Elles se prolongent touj ours par une veillée funèbre durant la nuit. Les instruments et objets qui ont été en contact avec le défunt sont placés au milieu de l'assistance qui continue de manifester au disparu ses hommages. Des dons sont faits en nature et en espèces antiques (cauris ou monnaies anciennes chez les Lobi) aux endeuillés pour pouvoir dédommager les joueurs de musique funèbre et les fossoyeurs qui prennent une part active à ces funérailles. Un grand monde prend toujours part, par solidarité, aux premières funérailles d'un Lobi218.

2.2. La période de deuil

Entre les premières funérailles et les secondes ou dernières funérailles des Lobi, s'écoule la période de deuil. Selon les circonstances du décès, cette période de deuil peut prendre deux semaines à six mois ou même un an. Le principe est qu'il faut régler tous les problèmes qui empêcheraient l'âme du défunt de réussir son voyage vers l'au-delà. On fera venir plusieurs devins (3 normalement pour les hommes et 4 pour les femmes) dans la famille éplorée pour rechercher tous les arrangements sacrificiels à faire pour libérer le défunt sur sa route vers le pays des morts. Pendant ce temps, les veufs, les veuves et les orphelins sont soumis à de nombreux interdits. Nous remarquons surtout que les veuves ont une condition de vie plus drastique : elles sont coupées de la vie villageoise pendant tout le temps du veuvage qui peut prendre six mois à un an. Elles ne se lavent pas et doivent s'oindre chaque jour de kaolin blanc. Elles se déplacent rarement et quand elles sont obligées de sortir de chez elles, elles emportent touj ours leur tabouret pour ne pas souiller les sièges du commun des mortels. Elles ne doivent toucher personne. On les estime impures. Les veufs et les orphelins se rasent

la tête en signe de deuil. Ils font preuve de modération dans l'expression de leurs sentiments durant l'entre-deux funérailles. L'impureté rituelle les frappe moins à notre analyse.

Dans la maison funèbre, les souvenirs du défunt sont disposés dans une chambre. Il est supposé que l'âme du défunt rôde touj ours dans les environs avant sa mise en route définitive prévue aux secondes funérailles219. Devant les représentations du défunt constituées de sa canne ou gboo, de ses photos, de son arc et carquois en ce qui concerne les hommes, de ses habits et poteries pour les femmes, des lamentations sont faites par les parents proches les jours qui suivent immédiatement l'enterrement du défunt. On continue de servir la nourriture du défunt pour souligner sa présence encore dans le giron familial. Les retardataires viennent là lui rendre hommage touj ours, en y jetant des cauris ou autres dons en nature. On évitera toutes palabres et autres actes répréhensibles dans la société, pendant cette période de deuil, dans la maison mortuaire, jusqu'aux dernières funérailles ou secondes funérailles.

2.3. Les secondes funérailles

Après tous les réglages religieux et surtout sacrificiels pour permettre le voyage effectif de l'âme du défunt, ont lieu les secondes funérailles ou Bobuur. Elles sont importantes suivant le rang et la considération sociale dont jouit le défunt. Elles sont organisées en fonction des clans et des traditions locales. Elles peuvent être symboliques ou très fastes. Pour les vieilles personnes défuntes, elles peuvent durer une semaine avec des manifestations qui drainent un grand monde encore dans la maison du disparu. Quelques lamentations rituelles sont entendues les premiers jours. Mais le ton cède vite à la joie et à une ambiance de fête traditionnelle. On regrette bien le départ définitif d'un être cher vers l'autre monde d'où on ne

219 Nous avons recueilli plusieurs témoignages de Lobi sur leur expérience de la mort. Ceux-ci sont assez intrigants surtout quand on les compare aux expériences des ``NDE'' ou Near Death Experiences (cf. Dr R. MOODY, la vie après la vie, édition Robert Laffont, 1978, 181p.). A l'article de la mort, presque tous les Lobi, dans leurs délires, disent apercevoir à leurs côtés les membres défunts de leur famille, surtout leurs proches parents s'ils sont déjà morts (père et mère, grands-pères ou grands-mères). Ceux-ci, disent-ils, viennent les conduire au pays des morts. Des voyants lobi affirment bénéficier d'apparitions de défunts avec souvent le crâne rasé (signe de deuil dans la société). De même, les porteurs de cadavres lobi se disent touj ours mus par une force invisible que l'on attribue à l'esprit du mort. Ce sont autant de croyances et de phénomènes liés à la mort qui alimentent les craintes des Lobi de la mort et de tout ce qui l'entoure. C'est aussi ce qui explique l'importance des funérailles et du deuil dans cette société. Sur le sujet des expériences avec le monde d'outre-tombe, voir aussi T. FOURCHAUD, La mort. Témoignages de vies, édition La Bonne Nouvelle, Saint-Denis-du-Maine, 2006, 160p. ; J. VERNETTE, Peut-on communiquer avec l'au-delà ? Paris, Editions du Centurion, 1990, 127p. avec de vibrants témoignages sur les revenants qui ressemblent fort drôlement à ceux que nous ont contés les Lobi (crâne rasé, sensations lourdes en leur présence etc. pp. 83-86). Voir aussi P. RAYET, Après la mort ? Paris, Edition O.E.I.L., 1996, 146p. surtout les expériences des saints avec le monde de l'au-delà, pp. 65-104.

peut plus revenir, mais aussi on fête l'entrée d'un nouvel ambassadeur des hommes dans le monde des ancêtres220.

Ainsi le premier grand jour des secondes funérailles est appelé Bowiri et consiste à faire des consultations divinatoires et divers sacrifices de réparation pour les fautes du défunt. Il y a ce jour-là des pleurs bruyants. Il y a une sorte de re-jeu des premières funérailles pendant un laps de temps assez raisonnable. Le deuxième jour ou Bi$l-wiri ou J$v<-wiri, on procède à de nombreux sacrifices pour mettre en route le défunt à qui on dit adieu. C'est après cela que s'ouvrira une véritable ambiance de fête où les orphelins, les veufs et les veuves sont réintégrés dans la vie sociale à travers un grand repas rituel consommé souvent sur la terrasse des maisons lobi. Le troisième jour ou Khîdîgba-wiri, les fossoyeurs sortent de la maison toutes les saletés du défunt et rompent de manière symbolique tout ce qui pourrait retenir dans la maison l'âme du défunt. Ils les conduisent vers l'Est, la route du pays des morts. S'instaure alors une véritable fête familiale et villageoise pour célébrer l'entrée du défunt dans le royaume des morts. Le quatrième jour où Jùkuulbîsa-wiri, une grande danse traditionnelle honorera enfin le défunt pour valoriser ses qualités paysannes, honneurs sensés convaincre les ancêtres pour qu'ils accueillent celui qui frappe maintenant à leur porte. Les réjouissances officielles prennent fin avec ce quatrième grand jour des secondes funérailles221. Les parents proches resteront dans la maison du défunt pour ranger le matériel et pour régler les questions d'héritage des biens et des charges. Les veufs et les veuves reprennent leur vie sociale normale.

Sans relater tous les détails de ces funérailles traditionnelles, nous remarquons une organisation sociale bien définie dans les rites de ce peuple sans écriture mais qui conserve fidèlement depuis des générations des rites immémoriaux. C'est dans ces rites que transparaît une certaine conception de la mort et de la vie dans l'au-delà qui mérite notre attention.

3. La conception sur la mort et sur l'au-delà chez les Lobi

Les Lobi ont un mythe pour expliquer l'origine de la mort. Quand elle survient, la mort est considérée comme un voyage de l'âme de cette terre vers l'au-delà222. L'au-delà est

220 Cf. M. FIELOUX et J. LOMBARD, « A propos du tournage et de la réalisation des ``Mémoires de Binduté Da'' » in AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, pp. 423-439.

221 Encore une fois de plus, il s'agit d'une présentation sommaire. Nous savons en général la complexité des rites funéraires africains. Nous n'entrons pas dans les détails. Mais tout est organisé pour faire un adieu à l'âme du défunt en route pour l'au-delà. L'aspect purificateur des rites, d'une part pour ce défunt et d'autre part pour les vivants qu'il laisse sur terre, est de loin le plus important dans ces rites, à notre analyse.

222 On est loin ici de la conception juive de la mort comme sommeil : cf. Supra, 1.2.2.4., p. 42.

un décalque de cette terre mais tout en positif. Dans l'au-delà, l'harmonie originelle est retrouvée223. C'est pourquoi, les habitants de l'au-delà sont vénérés des Lobi en quête d'harmonie à tout point de vue.

3.1. L'origine de la mort selon les Lobi

Louis-Vincent Thomas et René Luneau, traitant de la question de la mort en Afrique, affirment ceci : « L 'origine première de la mort demeure de même mystérieuse. Très souvent, les mythes font allusion à une faute de l'homme qui expliquerait également l'éloignement du ciel de la terre ; ou bien encore à une sorte de fatalité, d'engrenage maudit où l'animal porteur du message de mort arrive, auprès des hommes, juste avant l 'animal porteur du message de vie. Dans les deux cas, Dieu reste la raison permissive fondamentale, les causes magico-religieuses plus encore que les causes naturelles, seulement conditionnantes (vieillesse, maladie, accident, vengeance), expliquant le décès de telle ou telle personne.224 » Cela est bien vrai en ce qui concerne la société des Lobi. Pour les Lobi, la mort n'existait pas. Un mythe nous donne l'origine de la mort dans la société des hommes. Nous retrouvons ce mythe dans beaucoup de sociétés africaines225.

Aux temps anciens, quand Thâgba Dieu vivait au milieu des hommes, la société des hommes, la nature et le cosmos vivaient en harmonie. Les fils des hommes pouvaient même s 'amuser avec les fils de Dieu, jusqu 'au jour où la femme-là brisa l 'interdit originel. Ce qui éloigna Dieu de la terre pour toujours. Après que Thâgba Dieu ait pris congé de la terre, il envoya un émissaire aux hommes pour choisir entre la mort éternelle et la vie après la mort sur terre : a wù khi wù n q<n$ et a wù khi w a n q] ga226. La mort était devenue fatale pour les hommes. Mais ils pouvaient encore choisir entre une mort sans retour sur cette terre et une mort avec retour sur la terre. Les hommes se réunirent sur la place du marché et discutèrent longuement sans parvenir à un consensus, l 'harmonie ayant déserté de leur sein. Ils choisirent pour finir deux animaux emblématiques avec les deux messages contraires. La majorité choisit le chien en se disant que ce fidèle compagnon des hommes est alerte en

223 On ne peut s'empêcher de penser ici au maât des égypto-pharaoniens dans leur eschatologie dominée par le mythe d'Osiris et d'Isis (cf. N.Y. SOEDE, Sens et enjeux de l'éthique, op. cit., pp. 35-37). C'est à l'aune du maât que le jugement dernier est fait avant l'entrée dans le royaume des morts des égyptiens de l'Antiquité. De même, chez les Lobi, l'homme au soir de sa vie, sera jugé sur ses capacités et sur ses efforts sur la terre à rechercher cet équilibre humain et social auquel il aspire ontologiquement. Ce sera le critère d'agrégation dans le cercle des ancêtres où règne l'harmonie accomplie.

224 L.-V. THOMAS et R. LUNEAU, La terre africaine et ses religions, Paris, l'Harmattan, 1975, p. 247.

225 Nous avons entendu le même mythe chez les Abouré de Côte d'Ivoire située en zone forestière. Et D. B. GUIGBILE, dans Vie, mort et ancestralité chez les Moba du Nord Togo, Paris, l'Harmattan, p. 133, nous conte le même mythe.

226 Littéralement traduit : si on meurt on revient et si on meurt on ne revient pas !

course et pourra rapporter à Thâgba Dieu que les hommes désirent revenir vivre sur cette terre après leur mort. Le bouc devait rapporter le message contraire de la minorité : à quoi bon revenir sur cette terre où la souffrance est désormais installée pour de bon. Si on meurt, mieux vaut ne plus revenir ici227. Les deux messagers prirent la route vers le pays lointain de Thâgba Dieu. En cours de route, le bouc céda à la tentation des tendres herbes qui jalonnent la route menant chez Thâgba Dieu. Le chien profita pour prendre une bonne longueur d'avance sur son concurrent. Mais au point d'atteindre le but, il succomba à la tentation des os en découvrant au passage une soupe en préparation chez une parturiente. Confiant de

l 'avance considérable qu 'il avait prise, il décida de patienter jusqu 'au repas de la femme pour espérer se régaler des os de la viande contenue dans la soupe. Entre temps, le bouc repus, reprit sa course, difficile mais tenace. Il s 'était rendu compte de son retard. Déterminé qu 'il était, il ne faisait point attention aux chèvres qui l 'interpellaient sur son passage. Il traversa le village où le chien attendait patiemment ses os. C 'est ainsi qu 'il parvint le premier devant Thâgba Dieu et lâcha le message funeste : les hommes, après leur mort, ne veulent pas revenir sur cette terre. Et Dieu prit note de la décision des hommes. Pendant que

l 'émissaire des hommes était accueilli avec faste dans la maison de Thâgba Dieu, le chien arriva devant l 'Eternel après avoir calmé sa faim et sa passion. Il se mit à crier le message de la majorité des hommes désirant revenir sur cette terre pour une autre vie après l 'inéluctable mort, mais il se vit rabroué car le véritable émissaire des hommes était déjà arrivé et avait révélé le désir des hommes. Voilà pourquoi quand les hommes meurent, ils meurent pour de bon et ne reviennent plus vivre sur cette terre. C 'est ainsi que la mort éternelle entra dans la race des hommes, dit le mythe.

Le mythe a pour but de nous expliquer pourquoi la mort est fatale et comment elle est un chemin de non retour sur cette terre228. Elle est la conséquence de la faute originelle et du désordre entre les hommes. L'harmonie originelle brisée, rien de salutaire ne peut se concevoir entre tous les hommes. La mort elle-même symbolise ce désordre dans la vie des hommes. Les funérailles traditionnelles seront d'ailleurs une dramatisation ou une théâtralisation de cet état de désordre dans lequel la mort plonge la race des hommes. En

227 Joseph Antoine Kambou qui rapporte aussi ce mythe traduit le double message des hommes ainsi : « si on meurt on ressuscite...le second devait dire exactement le contraire » cf. J.A. KAMBOU, op. cit., p.150. Nous reviendrons sur l'implication d'une telle traduction qui peut être tout à fait juste !

228 Il faut préciser avec J. L. CUNCHILLAS, à la suite d'ailleurs de P. RICOEUR que « le mythe n'a rien à voir avec le mensonge. Il exprime au contraire une profonde vérité métaphysique. Il dérange le rationalisme car son existence prouve que certaines vérités échappent à la raison » in COLLECTIF, La création dans l'Orient ancien, Paris, Cerf, 1987, pp. 81-82. Voir P. RICOEUR, De l'interprétation. Essai sur Freud, Paris, Seuil, 1965, pp. 221-222.

même temps, seule la mort ouvre la perspective du voyage de l'homme vers l'harmonie originelle.

3.2. La mort comme voyage

Pour les Lobi, la mort est avant tout un voyage ad originem. En cela, cette conception qu'on retrouve déjà chez les Egyptiens des temps pharaoniques, existe d'ailleurs chez plusieurs peuples d'Afrique229. Chez les Lobi, l'épreuve ultime de l'âme en route pour l'audelà est bien la traversée du fleuve mythique (la Volta). Les cauris et autres menues pièces qu'on jette au mort lui permettront de payer la traversée du fleuve. On lui met sur la tête ou entre les mains une calebasse qui lui servira de gobelet pour étancher sa soif en cours de route. De plus, les divers sacrifices effectués sont nécessaires pour purifier l'âme afin de faciliter sa traversée du fleuve. Les âmes qui sont bloquées au bord du fleuve viendront tourmenter les hommes pour qu'ils fassent quelque chose en leur faveur230. Cela ressort bien souvent dans les consultations divinatoires.

Mais c'est surtout lors des témoignages que les Lobi font a l'occasion d'un décès, que nous avons cette conception de la mort comme voyage clairement exprimée. Durant les funérailles d'un de nos grands oncles paternels, un de ses frères se présenta devant le joueur de balafon et fit ce discours interprété sur les lames du xylophone par le musicien: DL Ltv! Bizr W, m /Iuv sail ai ki- hde, si yetri gL nil Fer ke ft lxii IczvL l7lcrr gq ir ke n sail kz.ui 1713 ii pn 1w; 1r ha iw uI lxxii (u/wi g DL m kuv lx, I.zu( jmnL LC ., çta Içcê'ff ke a bLek, 1w sa thxi ii.v ft I Nous pouvons traduire cela comme suit: Tout est bien231 ! O Buor (nom d'initiation de caste ou de confrerie)! Comme nos ancêtres l'ont dit. la mort existe vraiment, nous en avons lapreuve aujourd'hui encore! Toi qui n 'avais peur de rien, toi si brave dans n 'importe queue situation, te voici

229 Cf. J. M. ELA, Mafoi d'Africain, Paris, Karthala, 1985, pp. 36-56.

230 Ce sont autant de rites funéraires dont le symbolisme n'est pas sans évoquer l'antique croyance égyptienne de la survie de l'âme et de son voyage fluvial vers la thébaide. Tout comme dans le mythe d'Osiris dont le cadavre voyage sur le Nil avant d'être repêché par la ténacité d'Isis son épouse qui lui redonne vie, ainsi selon les égyptiens de L'Antiquité, l'âme après la mort empruntait la barque d'Osiris le dieu du royaume des morts pour le voyage mortuaire sur le Nil vers "l'Occident", le séjour des morts. Voir J. VERCOUTTER in Encyclopédie Universalis France S.A., 2003, art. "religion de l'Egypte antique" et aussi L. PFIRSCH, <<La religion égyptienne >>, in Encyclopédie des religions, Bayard Editions, 1997, pp. 35-53.

231 Même devant le malheur, l'homme lobi confessera que tout est bien comme pour dire que tout ce que Dieu fait est bien! Nous avons dans cette expression un concentré d'une philosophie et d'une certaine théologie lobi. Mais ce n'est pas la foi a un fatalisme beat car le Lobi ne croit pas trop au Destin mais plutôt a des forces et des causes invisibles qui peuvent être fatales pour l'homme qui n'est pas vigilant. Cette conception nous rappelle encore la mentalité égyptienne antique sur la notion du maât, symbole de l'ordre universel voulu par le démiurge lors de la creation et que la témérité humaine a trouble. La mort vient le redire aux Lobi en quête d'harmonie après la faute originelle qui a brisé l'interdit divin. Le bowc ou le har-v-ii (harmonie, paix) est paradoxalement troublée et aussi possible dans la mort.

aujourd 'hui inerte ; Tes ancêtres t 'ont devancé là-bas, reçois ces vingt cauris pour payer ton voyage jusqu 'à eux ! Plusieurs provisions sont données au défunt pour sa route. On lui fera des commissions orales pour les ancêtres. On lui souhaitera bonne route et bon voyage (fi gal b** : ce qui correspond à reposes-toi en paix dans la mentalité occidentale !). Toutes ces cérémonies funéraires bien complexes sont à comprendre comme une préparation de cet ultime voyage de l'âme thuu vers le pays des morts ou Khîdi-dù*. La femme aura sa canne et portera ses plus beaux atours pour ce voyage. L'homme aura son carquois et ses meilleures flèches pour sa route aussi. Leurs trophées de guerre ou de chasse les accompagneront. Leurs richesses et les produits de leur labeur seront exposés pour que les substances soient emportées comme gages de leur fidélité aux valeurs sociales des Lobi et comme témoignages en faveur de leur canonisation dans le cercle des ancêtres.

De plus, les lamentations funèbres sont un large champ sémantique de la conception de la mort comme voyage vers l'au-delà chez les Lobi. Une de nos grand-mères à l'occasion de funérailles en famille pleurait ainsi : Wei wei wei ! Thâgba yaa anye f< p$ s$r n<w$ ra m$ ! Weeey ! Am$ na hana m< Dibe ra ya n$r$ ! Am$ th*na f< le ktîd< huora yoo? Kpi$r naa n j b<saan n be m< n** hù*ra ga yoo! Damuun naa n j bi n bu m< hù*ra ga! Wei wei wey! Fa n kh$r h<<n khiru yuu ga î bi ! Si fa j < Thâgba ka bu s*r$ ga d$ ! Khiri, s< f< n `lar w aa thu! Gala b** yaa (trépignements et gesticulations de désolation) ! Nous pouvons traduire comme suit : Désastre ! Dieu, pourquoi nous as-tu plongé dans une si grande peine ! Malheur ! Qui me redonnera mon Dibe (nom du défunt) ! Qui t 'a envoyé sur la route du pays des ancêtres ? Kpièr (père défunt de Dibe), que le fiston ne trébuche jamais en route surtout ! Damoun (mère défunte de Dibe), que le petit ne se perde surtout pas en cours de route ! Vraiment, Dieu est-il juste en nous traitant ainsi ? Mort, que tu es vraiment brave ! Vas-y en paix (gestes de désolation extrême)! Durant les funérailles, toutes les lamentations seront comme des cris de révolte contre la mort comme voyage sans retour possible. Le thème de voyage sera toujours explicitement évoqué. Les musiques exécutées au balafon lors des funérailles vont dans le même sens. Giovanna Antongini et Tito Spini, deux chercheurs italiens, nous en donnent quelques échos dans leur ouvrage232. La mort pour les Lobi est vraiment un voyage, un passage, une traversée vers l'au-delà.

3.3. L'au-delà chez les Lobi

« Certes la mort, en tant qu 'elle implique séparation, engendre la douleur, surtout si le défunt était un homme en pleine force et n 'ayant pas achevé sa mission. Mais il ne s 'agit pas d'une destruction totale et définitive ; seulement d'un passage, d'une transition vers une nouvelle existence233. » Cette existence est un au-delà par rapport à cette terre des hommes. Et pour les Lobi, l'au-delà est le village des morts (khîdiduo), le village des ancêtres (ktinaw*du*). Ils le localisent de manière symbolique et même mythique sous la volta ou audelà de ce fleuve situé vers l'Orient du pays lobi. Le mort est toujours exposé le visage tourné vers l'Est234. Les sacrifices aux ancêtres sont souvent faits sur les pistes menant vers l'Est. Le cadavre dans la tombe a le visage tourné vers l'Est. L'Est du pays lobi du Burkina comme de la Côte d'Ivoire est orienté vers le Ghana. Et puisque la mémoire collective situe l'origine immédiate des Lobi vers le Ghana, nous pouvons conclure que le village des morts se situe aussi vers le Ghana. Mais nous pensons que cette situation est plus que symbolique. L'au-delà des Lobi n'est plus ou moins qu'un retour aux sources, à l'harmonie originelle perdue sur cette terre depuis la faute originelle235.

Pour les Lobi, le pays des morts est l'image idéale de tout village lobi. Il y règne l'ordre, la fraternité, la solidarité, l'entente, la richesse, le partage, la bonne ambiance, l'harmonie avec la nature, avec les entités spirituelles supérieures, la réconciliation avec Thâgba Dieu, somme toute, le lieu paradisiaque dont un Lobi peut rêver. C'est pourquoi les contes insistent sur l'impossibilité pour quelqu'un qui a visité ce paradis de revenir vivre sur cette terre, sur cette ``vallée des larmes''. Pour accéder à ce beau pays où il fait bon vivre, on se doit d'être spirituellement pur et purifié. C'est la raison des multiples sacrifices postmortem dans le cérémonial funéraire complexe des Lobi. On peut traîner avant d'accéder au pays des morts. On peut être bloqué au bord du fleuve. Il faut l'aide sacrificielle des humains pour aider les âmes bloquées dans leur voyage vers le pays des ancêtres. Les ancêtres euxmêmes contribuent activement à la réussite de ce voyage. Leur médiation est sollicitée dans les libations et les prières rituelles. Le défunt qui aura réussi facilement et correctement ce

233 L.-V. THOMAS et R. LUNEAU, Les religions d'Afrique noire, Paris, Librairie Arthène Fayard, 1969, p. 225.

234 Nous nous référons ici à une exposition officielle du défunt paré de ses plus beaux atours qui se fait devant la société entière avant sa mise en tombe. A cette occasion, le mort a le visage tourné vers l'Orient, vers le pays des ancêtres. Il n'est pas ici question de l'exposition du défunt quand il est encore dans la maison mortuaire. Là, le visage est toujours tourné vers la sortie de la maison pour signifier son départ, car mourir ici c'est bien partir !

235 N. P. DIALLO, Funérailles San. Chemin de vie, Abidjan, ICAO, 1983, p. 174, écrit aussi à propos de l'audelà chez les Samo : « Dans l'au-delà, les Ancêtres et tous les morts vivent dans de grands villages où la société est à l'image de celle d'ici-bas. On y retrouve son village, son quartier, son clan, sa famille ».

voyage prendra place au milieu des ancêtres et il pourra être invoqué ensuite par les vivants236.

3.4. La commémoration des ancêtres

Comment devient-on ancêtre ou ktin chez les Lobi ? Tout Lobi qui meurt ne reçoit pas automatiquement le titre et la qualité d'ancêtre. Cet honneur est réservé aux ascendants défunts qui répondent à un certain nombre de critères sociaux bien définis237. Il faut être un homme ou une femme décédé dans la vieillesse après avoir réussi socialement sa vie. Il faut être un grand-père ou une grand-mère avant de mourir. Il faut être bien mort et en paix avec ses ancêtres. Il faut avoir vécu de manière méritoire aux yeux des hommes et des ancêtres. Des consultations divinatoires seront faites avant la canonisation rituelle d'un défunt. Un fils, après le décès de son père dans de telles conditions, est tenu à lui rendre un culte. C'est le culte du `père' ou Th<r$, important dans la vie d'un lobi238. Chaque année et aux périodes troubles de l'existence humaines (maladies, malheurs, initiations, décès...), les fils lobi sacrifient toujours à l'autel de leurs pères ou ancêtres masculins239. Un culte est aussi rendu aux ancêtres féminins surtout quand on est en quête de fécondité pour les femmes. C'est le culte du birbi-th<l ou du n<gba en langue des Lobi (lobiri). Les femmes et les filles sont plus attentives à un tel culte féminin lié à leur fécondité240.

Mais pour avoir un autel construit dans la grande maison lobi, il faut que l'ancêtre qui désire être honoré de manière spéciale par ses descendants se révèle à eux de manière manifeste. Les songes, les événements sociaux et autres signes interprétés par le devin ou bù*rdaar le révèleront241. Sinon, après les dernières funérailles, le bâton ou gboo du grandpère ou de la grand-mère rejoindra ceux de ses devanciers dans la mort dans la grande maison paternelle. Quand on invoquera les ancêtres ou Ktina au pluriel, il ou elle en fera partie. Ceux qui ont connu une mauvaise mort ou une mal-mort ne peuvent être invoqués comme

236 Lire « la figure de l'ancêtre : mémoire et sacralisation » de D. BAGNOLO, in AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, pp. 447-457.

237 J. M. ELA, op. cit., p. 54, écrit à cet effet : « Dans la tradition africaine, revêtir la dignité d'Ancêtre suppose qu'on a excellé dans la pratique de la vertu au long de son existence ». Voir aussi L.-V. THOMAS et R. LUNEAU, La terre africaine et ses religions, Paris, l'Harmattan, 1975, p. 100. Cf. E. J. PENOUKOU, op. cit., p. 86 : « Qui devient ancêtre, se demande-t-il ? En principe, toute personne qui décède d'une bonne mort. Car la mauvaise mort (eku bada) demeure pour la famille du défunt un objet de déshonneur et même porte-malheur, et qui n'oblige guère à aucun culte ».

238 Cf. Madeleine PERE, op. cit.,pp. 225-227.

239 Les Lobi font des sacrifices aux ancêtres à chaque début et à chaque fin d'année agricole. Les libations sur l'autel des ancêtres sont quasi quotidiennes. Les ancêtres participent à la vie des vivants.

240 Voir J. A. KAMBOU, op. cit., pp. 167-168.

241 Cf. D. BAGNOLO, op. cit., p. 447.

ancêtres242. Selon les Lobi, certains d'entre eux se réincarnent dans d'autres familles ou dans d'autres ethnies pour racheter leur existence brisée par la mort prématurée.

3.5. Réincarnation et résurrection en contexte lobi

Les Lobi ont une certaine croyance à la réincarnation. La réincarnation n'est pas systématique pour tous les défunts. Mais elle est une réalité qui existe selon les Lobi. Pour jouir totalement du paradis de l'au-delà, il faut avoir réussi son parcours initiatique sur cette terre des hommes. Pour ceux qui sont morts de manière prématurée selon les Lobi243, (nourrissons, jeunes, adultes) et même quelques ancêtres désireux de redresser leur famille en déconfiture, peuvent se réincarner dans la race des hommes. On est habitué dans la société des Lobi au va-et-vient incessant de certains mauvais enfants qui éprouvent le malin plaisir à éprouver leurs parents en naissant et en mourant à plusieurs reprises. C'est la croyance des Lobi 244 . Ils nomment ces enfants k$rabura ou revenants. Ils portent la marque des scarifications que les fossoyeurs leur font dans la tombe, souvent à l'insu même de leurs parents. Nous avons été plusieurs fois témoins de tels cas qui n'ont pas fini de jeter le trouble dans notre esprit.

Pour les Lobi, les méchants hommes comme les sorciers, les grands voleurs, les criminels, qui ont du mal à traverser le fleuve sacré de la Volta pour rejoindre l'au-delà, se réincarnent en vies animales ou en bestioles. Les rainettes sont désignées par exemple comme les réincarnations des mauvais enfants morts à bas âge. Les femmes enceintes surtout doivent s'en méfier. Les chasseurs doivent se protéger contre les mauvaises âmes humaines réincarnées dans les animaux sauvages qu'ils tuent. Ils doivent recourir à la protection de leurs entités spirituelles ou Th<la avant d'entrer en brousse pour la chasse. Ils peuvent facilement avoir affaire à des âmes hostiles incarnées dans ces animaux ou simplement aux

242 Chez les Lobi, la bonne mort est celle qui survient après une vieillesse tranquille. Une telle mort est fêtée dès les premières funérailles. Beaucoup de plaisanteries sont faites, à l'occasion, aux parents. Tout Lobi rêve d'une telle mort. La mauvaise mort ou khi-puu est celle qui arrive prématurément dans la force de l'âge. On peut parler aussi de mal-mort pour juger de la qualité de la mort : « mourir au loin et risquer d'être ainsi privé de funérailles ; mourir sans laisser d'enfants, pour accomplir les rites ; mourir en couches etc. » Nous citons ici L.- V. THOMAS et R. LUNEAU, La terre africaine et ses religions, Paris, l'Harmattan, 1975, p. 250. Et J. M. ELA, op. cit., p. 38, écrit dans ce sens : « Pour l'Africain, la mort n'est pas une assimilation de l'être. En rigueur, on ne craint pas la mort. Ce que l'on redoute, c'est de ``mourir'' sans enfant. L'absence des garçons, en particulier, est la pire des malédictions pour le Noir ».

243 Les Lobi qualifient une telle situation par le proverbe suivant « bar b<< n hale s< okôo n ji », le karité mûr peut demeurer sur l'arbre et celui qui n'est pas encore mûr peut tomber ! Il n y a pas toujours de logique devant la mort !

244 Cf. J. B. MATAND BULEMBAT, « ``Le Christ est ressuscité d'entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis'' (1Co 15,20). Appartenance au Christ et liens familiaux au village des ancêtres » in ASSOCIATION PANAFRICAINE DES EXEGETES CATHOLIQUES, Eglise-famille et Perspectives bibliques, Kinshasa, Editions J.B. Matand et Alii, 1999, pp. 127-1 50.

âmes errant en brousse après leur rejet de la porte du village des morts. Les Lobi ont donc une notion de damnation éternelle des âmes incapables d'entrer dans le pays des morts. Ces âmes errent dans les brousses et elles sont toujours dangereuses. Ce sont elles qui viennent enquiquiner les hommes en fantômes ou en phénomènes effrayants dans certains lieux redoutables.

Mais les Lobi ont-ils une croyance en la résurrection ? La résurrection des morts semble une notion difficile à concevoir chez les Lobi. Certes, le mythe de l'origine de la mort en parle comme d'une éventualité qui échoua. Dès lors, la résurrection des morts n'est plus matériellement envisagée par les Lobi245. Des histoires drôles racontent l'expérience de certains morts qui surgissent de leurs tombes. Mais ils sont, dans ce cas, obligés de vivre dans la clandestinité pour ne pas être reconnus de leurs parents. Un mort qui ressuscite en pleines funérailles est déjà mal vu. On va le soupçonner de sorcellerie. On en rencontre quelques cas dans la société des Lobi. Un mort qui reviendrait du pays des morts sans une réincarnation intra-utérine serait alors un phénomène ou h&&r& en langue des Lobi. Depuis donc l'échec mythique des hommes dans le choix entre la mort éternelle et la résurrection, il est devenu inconcevable pour les Lobi d'envisager une résurrection sur cette terre. Mais si on envisage la résurrection comme une autre vie après la mort, les Lobi y croient de toutes leurs pensées. Cela nous laisse entrevoir la délicatesse de notre mission d'évangélisation de cette culture africaine avec ses croyances et ses rites en face de la mort. Comment faire comprendre aux Lobi la réalité de la résurrection de Lazare, par exemple, comme une bonne nouvelle laissant entrevoir notre commune résurrection future des morts, lorsque ces hommes considèrent toute résurrection comme un phénomène redoutable ?

245 Mais les Lobi, tout comme les Egyptiens de l'Antiquité et les babyloniens ou dans les cultes à mystères grecs, ont une large notion eschatologique de vie-mort-vie (cf. N.Y. SOEDE, Sens et enjeux de l'éthique, op. cit., et E. J. PENOUKOU, op. cit. ). Ils le manifestent bien dans leurs initiations traditionnelles du J*r* et du Buur où il y a toujours une mort-résurrection symbolique et rituelle. Mais à aucun moment, dans l'Antiquité égyptienne ou chez les Lobi, l'eschatologie n'est liée à un événement historique fondateur comme la résurrection chez les chrétiens, même si les mythes égyptiens et lobi sur le voyage de l'âme vers l'au-delà ne sont pas déniés de toute référence historique ou sociale.

Voir PLUTARQUE, OEuvres morales. Isis et Osiris, Paris, Edition ``les belles lettres'', 1988 ; F. LE CORSU, Isis, mythe et mystères, Paris, Société d'édition ``les belles lettres'', 1977 ; H.S. VERSNEL, Ter Unus. Isis, Dionysos, Hermes, Three Studies in Henotheism, Leiden E. J. Brill, 1990 ; W. BURKERT, Ancient Mystery Cults, Harvard University Press, Massachussetts, 1987 ; A.J. FESTUGIERE, Etudes de religion grecque et hellenistique, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1972.

Conclusion du chapitre

Dans ce chapitre, nous avons voulu présenter la conception des Lobi de la maladie, de la mort et de la vie dans l'au-delà. Nous avons découvert que les Lobi avaient un grand respect de la vie humaine et qu'ils s'investissent pour la protéger. Ils ont aussi un grand respect des morts qui font partie intégrante de leur vie sociale. A travers des rites funéraires complexes, les Lobi célèbrent la mort comme un voyage vers un au-delà paradisiaque. Ils entretiennent une relation quasi existentielle avec leurs ancêtres défunts. Ceux-ci interviennent dans leur marche vers l'harmonie originelle perdue que seule la mort permet de retrouver. Jésus peut-il avoir une place dans une telle marche des hommes Lobi vers leur eschatologie ? Comment la notion lobi de la mort comme voyage peut-elle s'intégrer dans une théo-logie inculturée sur la mort en contexte africain d'aujourd'hui ? Ce sont autant d'interrogations à la fin de ce chapitre que la dernière partie de notre travail devrait prendre en compte.

Conclusion de la deuxième partie

Dans cette deuxième partie de notre parcours, nous avons découvert les notions de vie et de mort chez les Lobi du Burkina Faso, de la Côte d'Ivoire et du Ghana246. En référence à notre étude exégétique, nous avons voulu découvrir une culture africaine, celle des Lobi où le Christ est appelé à venir afin de répondre à la demande pressante de ses amis pour guérir les `Lazare' malades ou pour ressusciter ceux que la mort tient encore captifs du tombeau. C'est dans ce sens que l'étude du contexte socio-historique et religieux des Lobi et l'analyse des croyances sur la maladie, la mort et la vie dans l'au-delà chez les Lobi nous ont intéressé247. Cela nous ouvre mieux la perspective d'une inculturation africaine lobi du message évangélique étudié dans la première partie de notre travail. Notre dernière partie aura donc une visée théologique et pastorale en vue de l'inculturation du donné révélé dans la culture des Lobi que nous connaissons mieux maintenant.

TROISIEME PARTIE
Jésus-Christ, chemin et vie du croyant lobi en route pour l'au-delà :

Pour une inculturation du message chrétien sur la mort
chez les Lobi.

Introduction à la Partie

Dans cette troisième partie de notre parcours biblique et théologique, il s'agira de confronter la conception lobi de la vie et de la mort à la Parole de Dieu, surtout à l'épisode de la résurrection de Lazare en Jn 11,1-44. Il ne s'agit pas seulement de comparer les deux premières parties de notre étude, mais surtout de faire dialoguer les deux cultures biblique et lobi. Nous ambitionnons poser à la Parole de Dieu les questions des Lobi en quête de lumière et de salut pour ensuite dégager les véritables pistes où ce peuple africain devra s'engager pour parvenir à la pleine libération avec le Christ. Une telle herméneutique africaine de la Parole de Dieu devra déboucher sur des propositions pastorales, pour une inculturation248 réelle du message chrétien sur la vie avec le Ressuscité, dans l'aujourd'hui des Lobi. Nous pensons que ceux-ci ont dans leur culture des « pierres d'attente » ou des « semences du Verbe » sur lesquelles la Parole de Dieu devrait être semée pour porter réellement du fruit qui demeure. Nous pensons que c'est là la gageure de la nouvelle évangélisation que le premier synode africain appelle de tous ses voeux249.

Chapitre 5 : Lecture théologique africaine lobi de Jn 11, 1-44

Introduction

Après avoir étudié la péricope johannique selon les méthodes exégétiques traditionnelles et au sortir d'une étude du thème de la mort et de la vie en milieu africain lobi,

248 Nous souscrivons entièrement à la définition de l'inculturation donnée par l'Exhortation post-synodale Ecclesia in Africa du pape JEAN-PAUL II qui la rend intime à l'acte d'évangélisation même : « L'inculturation comprend une double dimension : d'une part, ``une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme'' et d'autre part, ``l'enracinement du christianisme dans les diverses cultures'' », EIA n°59.

249 Cf. JEAN-PAUL II, Exhortation post-synodale Ecclesia in Africa, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1995, n° 47 et n° 66.

il convient de tenter une lecture africaine de la Parole de Dieu pour en saisir toutes les nuances et toutes les difficultés possibles. Nous pensons qu'une telle herméneutique est une véritable oeuvre théologique dans le contexte actuel de nos églises où la Bible n'est pas encore partout accessible à la plupart des chrétiens250. Mais la Parole de Dieu, par sa nouveauté, éclaire toute culture humaine dans laquelle elle entre. Elle pousse à la conversion et à un changement de mentalité. Nous verrons dans quelle mesure elle peut éclairer la culture des Lobi et quelles conversions les Lobi doivent effectuer pour entrer dans la grâce nouvelle de l'Evangile. Mais pour être comprise des Lobi comme Bonne Nouvelle, cette Parole de Dieu doit se mouler dans le langage culturel et religieux compréhensible des Lobi. C'est à une telle convergence ou conciliation des cultures, biblique et lobi, que nous voulons aboutir à la fin de ce chapitre.

1 - Traduction de Jn 11, 1-44 en langue des Lobi

La langue des Lobi est appelée lobiri. Ce parler des Lobi comporte plusieurs variantes dialectales. Mais tous les Lobi se comprennent sans peine.

Il existe plusieurs traductions de la péricope de Jn 11, 1-44 en langue lobiri. Mais nous voulons tenter ici une traduction personnelle à la suite de l'analyse exégétique que nous avons faite dans la première partie de notre travail. Cela nous permettra de mettre à nu quelques problèmes qu'on peut rencontrer dans la traduction du texte original grec dans nos langues traditionnelles africaines. Nous pensons que traduire la Parole de Dieu dans nos langues africaines est le premier lieu d'inculturation et d'herméneutique du message divin251. Nous savons comment la traduction de la Bible hébraïque en grec (la LXX) a permis la fécondité théologique des premiers siècles du christianisme. Il s'agira de traduire la péricope johannique étudiée pour la société des Lobi252.

250 Voir A. KABASELE MUKENGE, Lire la Bible dans une société en crise. Etudes d 'herméneutique interculturelle, Kinshasa/RDC, Mediaspaul, 2005, pp. 32-63.

251 C'est d'ailleurs l'avis de J. NGALULA, La mission chrétienne à la rencontre des langues humaines, Kinshasa, Mediaspaul, 2003, p. 156, où elle écrit que « l'entreprise de traduction est certes déjà un premier pas vers l'inculturation ». C'est aussi l'avis du Synode national burkinabé ténu à Ouagadougou du 22 au 28 novembre 1999 sur le thème ``Eglise-famille de Dieu, ferment du monde nouveau,'' qui cite comme premier acte d'inculturation, la traduction de la Parole de Dieu et des textes liturgiques dans les langues africaines locales. Cf. CONFERENCE EPISCOPALE BURKINA-NIGER, Eglise-Famille de Dieu, ferment du monde nouveau. Orientations pastorales post-synodales, Ouagadougou, F.G.Z. Trading, 2001, n°19, p. 18.

252 Nous traduisons la péricope en lobiri à partir du texte grec de NESTLE-ALAND, Novum Testamentum Graece et Latine, D-Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 1984.

1.1. Traduction personnelle de Jn 11, 1-44 en langue des Lobi.

1- Grec: 'Hv öE~ tt.ç a~oOEv~'Sv, Aa~(apoç a~~o' BfOavLaç,E~K tf'Sç K~~~fç MapLaç Kat. 'Ma~pOaç tf'S ç a~öE)4f'Sç aU~tf'Sç. Lobiri : D< n k** khor kûn b<$l n doni Lazar*s<, then<

Betan<as< ra, Mar<am na 'w** Ækh$r Marta w* du*253. Traduction en français : Il y
avait un malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de sa soeur Marthe.
2- f!v öE'

f' a~)Et.'Icaoa to'v KU~pt.ov ~U'p $ Kat.'E~Kpa~%aoa toiç iióöaç aU~toi tat.'Sç Opt.%t.'v

Map t.a'1L aU~tf'Sç, f &ç

o" a~öE)4o'ç Aa~(apoç f~OOE~vEt.. Mar<am k$ k** deeri niin k$ n hùn< daw$ j**

Kt<n na s'a f*f* wù n$$ na `w** yùsuun, y< ûkuun Lazar*s< d< n k**
kho. Marie était celle qui oignit le Seigneur de parfum et lui essuya les pieds avec ses

cheveux; c'était son frère Lazare qui était malade. 3- a~1TEI0tEt.)av oU!v at. "a~öE)4at. ' iipo'ç

aU~to'v (

)E~yoUoat. KU~pt.E, t.'öE àv 4t.)Et.'Sç a~OOEvEt.'S. D< þkh$na na th so Kt<n na

thaak$ : h<n$, `wùr$ f< n nan< ph<n$ khoo. Les soeurs envoyèrent donc dire à Jésus : "Seigneur, celui que tu aimes est malade." 4- a~KoU~oaç öE 'o" 'IfooU'Sç Et.!1TEvaU-tff"

a, GOEIvEt.a oU~K E)Ott.v iipo' ç OaIvatov a~))+U"1TE'p tf'S ç öoI%fç toU 'SOEoU'S , t.Uva öo%aoOf'S$ o " Ut."o'ç toU'S

aU~tf'Sç Yesu n<$n< m a sor : da do khoo y< k$ n galal< khir
MOEoU'S

öt.' .

ra ga s< thaale Thâgba n `li kpalkar< s< d< kpalkha Thâgbaa Bikuun
d<khâ254. À cette nouvelle, Jésus dit : "Cette maladie ne mène pas à la mort, elle est pour la

f~ya~iTa tf'v

gloire de Dieu : afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle". 5- öE' o" 'IfooU'Sç

Ma~pOav Kat. 'tf'v a~öE)4f'v aU~tf'Sç Kat. 'to'v Aa~(apov . Yesu k** nar Marta na `w**

þkh$r na Lazar*s<. Or Jésus aimait Marthe et sa soeur et Lazare. 6- ~"ç oU!v f)KoUoEv

a~UOEvEt.'S, t6tE hE'v E'LEt.vEvE~v & c f!v tó~~$ öU~o

$ o-tt. ipE~paç, S< m a n<$n< aa d< n

k** khuur< ra k$, a toore wiri yeny* wo kâk$ a k** han<. Quand il apprit que

celui-ci était malade, il demeura deux jours encore dans le lieu où il se trouvait; 7- E'iEt.ta

~Eta' to&to )E~yEt. tot.'Sç (

paOftat.'Sç a)y(i)ILEv Et.'ç tf'v 'IoUöaLav ia~)t.v. D<kan< d<phâ, a sor

`w** kpâkpaandara ra : s< buri gala Yudaya ra wo. Alors seulement, il dit aux

disciples : "Allons de nouveau en Judée." 8- aU~t~'S$ ot." (

.iaOftai)E~yoUOt.v p"a1313i, vIv a)y()ILEv

253 Nous avons translittéré Aá"apoc, BiOaviac, Mapiac, Mápoac par Lazar*s<, Betan<as<, Mar<am, Marta, à partir directement du grec au lieu du français comme nous le rencontrons dans les traductions liturgiques qui existent en milieu lobi. Nous avons voulu ainsi « lobiriser » ces noms de lieu ou de personnes. Cela nous amène à souhaiter que les traducteurs en langues africaines partent directement des textes originaux pour traduire la Bible tout en tenant compte du génie propre de leurs langues.

254 Ici la notion de ~~~~a (gloire) nous a posé problème. Les Lobi ne connaissent pas de royaume ou d'autorité centralisée. La traduction de la gloire ou de la glorification pose problème dans une telle société. Nous avons opté de traduire gloire par Kpalkari qui a un sens proche aussi de louange et d'honneur, plus fort que le simple respect humain ou d<f<r< en lobiri.

KaL~ i" ~ELlc , KaL~ 1Ta~)Lvf"1Ta~yELcE~KELl; D< `w** kpâkpaandara so w*r : Rab<, da ti d* D<d<<rdaa, da do dêlê bù* k$ Jù<f<thùn* qaal wù dùùr f< na bùkana

ga, s< fa n qaal f< bur f< k$r le ! Ses disciples lui dirent : "Rabbi, tout
ré cemment les Juifs cherchaient à te lapider, et tu retournes là-bas!"
9- a~(

1TEKPLIei 'IiOoflc

öc~öEKa &

of~xL 'cpaL~ EL'OLv tilc itE~pac; E~a~v tLc 1TEpL1Tatil$ E~v til$ i"~E~pa$, of~ 1TpooKó1TtEL, o-tL to~
toO K6OLof tof~tof

)E~1TEL dee w$$r : da do l<$r nyù*r qeny* wiri n
Yesu4~lc

phâ cùùna ga, a tibil na q<<r na wiri, a na be n** hù*ra ga didoni a n q<r$ d<< k$ h<r$w$ ; Jésus répondit : "N'y a-t-il pas douze heures de jour? Si quelqu'un marche le jour, il ne bute pas, parce qu'il voit la lumière de ce monde; 10- E~a~v öE~ tLc

1TEpL1Tatil$ E~v til$ vfKtL~ , 1TpoOK

1TtEL,o-tL to~ 4 ~l c of~K E)~tLvE~v af~t~l$. S< q]t$ k$ n

q<<r< d<t<n* na be n** hù*ra didoni h<r$w$ na hana wa. Mais s'il marche la
nuit, il bute, parce que la lumière n 'est pas en lui."
11- Ta&ta EL!1TEv, KaL ~ILEta~ toflto )E~yEL

(Aa~(apoc o" 4L~)oc uiv

af~toLlc KEKo(a~))a~ 1TopEf'opaL L-va E~%f1TvL'oc) . A m<<n<
af~tóvL'4LitaL

qele p<, a so w$r$ d<phâ : as< kuun Lazar*s< daar$; s< ma gaal na jaa wù255. Il dit cela, et ensuite : "Notre ami Lazare repose, leur dit-il; mais je vais aller le réveiller". 12- EL!1Tav of!v oL" paeitaL~

af~t~l$Kf'pLE, EL~ KEKoL'.LitaL o~Oi~oEtaL. D< `w**

kpâkpaandara so w*r : Kt<n, a do a daar$ a na taar$ d<bara. Les disciples
lui dirent : "Seigneur, s'il repose, il sera sauvé."
13- EL~pi~KEL öE 'o" 'Iiooflc 1TEpL 'toi Oava~tof

af~toi , E~ KELlöE~ E'öo%avo-tL 1TEpL 'tilc KoLILiaE()c toi f-1Tvof .voL )E~yEL S<< do `w** khii

th<m< Yesu n k** so, d< `w$r wer kp<$r a n sor daan daar<. Jésus avait parlé de sa mort, mais eux pensèrent qu 'il parlait du repos du sommeil. 14- totE of!v EL!1TEv

af~toLlc o" 'Iiooflc (

1TappioL~a $Aa~(apoc a~1TE~OavEv, Liir Yesu câ so w$$r : Lazar*s<

khiri, Alors Jésus leur dit ouvertement : "Lazare est mort, 15- KaL~ xaL~p öL' f"pal c L-va

1T LOtEf~U

itE,o-tL of~K i).iiv

E~KELla~))a~ a)y~~Ev 1Tpo~c af~tóv. S< d< da m$$r$ n$r$ra

didoni ma k** hale ga thaale n< tu sobor; s< s< gala le `w** pa. Et je me
réjouis pour vous de n'avoir pas été là-bas, afin que vous croyiez. Mais allons auprès de lui!"

16- EL!1TEv of!v €)~~al c o" )Ey6ILEvoc 3L~öftoc toLlc (

ofj.tpaeitaLlc a)y~ILEv KaL ~i"ILELlc L-va

a~1ToOa~v~~Ev LEt' af~tofl. D< Tomas< k$ wù n wen< D<d<m*s< so `w**

`w*lkhara : s< gala s$r$ d<khâ s< gb$f< s< khi kha na `w*r. Alors Thomas,
appelé Didyme, dit aux condisciples : "Allons, nous aussi, pour mourir avec lui!"
17-

of!v o" 'I&

'E)O~~v EfpEv af~to~v tE~ ooapac i)öi i"IE~ pac E'xovtaE~v t~l$ ~vi~EL~~$iootc Yesu. daan

255 Nous avons eu du mal à rendre le malentendu stylistique de Saint Jean contenu dans ce verset. Pour les Lobi, dormir ( a daar) ou se réveiller (a jaa) n'est pas équivoque. Et pour le Lobi, le sommeil est une action continue, c'est pourquoi la même expression peut traduire `Lazare dort ou s'est endormi'.

y$$ dido a c*r ka bùn* wiri q$na p<. À son arrivée, Jésus trouva Lazare dans le

tombeau depuis quatre jours déjà. 18- öE 'i BiOaviaE~yyiç t~~v 5IEpo0o)~~~()v ~"ç

i!v a~1To~

otaöL'ov öEKa1TE~vtE. B$tan<a na k** hùn* j** na Yeruzal$m d<kt]< ga 256 .

Béthanie était près de Jérusalem, distant d'environ quinze stades 19- 1To))oL 'öE'E~K t(~v

E )i)uI8ELoav 1Tpo~ç ti~v MaIpOav KaL ~MapLa~IL LU va 1TapaLu8iIoc)vtaL av~ta~ç
, IouöaLIc)v 1TEpL ~ toy~

a~öE)4o~~. Ju<f< j*j* k** ther le q] wù q*l Marta na Mar<am haar `w$$

ûkuuni be qira. Et beaucoup d'entre les Juifs étaient venus auprès de Marthe et de Marie pour les consoler au sujet de leur frère. 20- o~!v Ma~pOa ~"ç i)KoVOEv oUtL 'Iioo~~ç

i" E'pxEtaL

vtiOEv a&t~~$

( MapLa~L öE'E~v t~ ~$oL)K~$ .

E~KaOE~(EtoM Marta n<$n< aa Yesu n

1)"1Ti~

q<n$, a caan w*r; s< Mar<am wer k** toore le cù*r. Quand Marthe apprit

que Jésus arrivait, elle alla à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison. 21-

o~!v i " Ma~pOa 1Tpo~ç to~v

'Iioo~~vKl'pLE, EL~i!ç & cEl1TEv o~~K a6v a~1TE~OavEv o" a~öE)4óç (

öE I.Lov

Marta sor Yesu ra : Kt<n, a do f< k** ha k$ ] ûkuun na k** na khi
ga; Marthe dit à Jésus : "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. 22-

[a~KaL ~vI~v oiöaoUtL oUoa a6v aL~ti~oi$ to~v ~Eo~v öJ~OEL OoL o" . S< n$n$ ra k$ m<
~Eóç))a~]

j<r$ q$r$ fa b<$l< Thâgba ra, Thâgba na ha f$r. Mais maintenant encore, je

sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l'accordera." 23- )E ~yEL a&ti~$ o"

(

'Iioo~~ç a~vaoti~oEtaL o" a~öE)4óç oov. D< Yesu so w*r : af< ûkuun na q<<r$.

Jésus lui dit : "Ton frère ressuscitera." 24- a&t~~$ i'

)E~yEL Ma~pOaoiöa oUtL a~vaOti~OEtaLE~v

ti~$

a~vaota~0ELE~v ti~$

E~

oxa~

ti$ i"

. Marta so w*r : m< j<r$ ana q<<r$ q<<rbù*257

~E~pa$

s< p< < r wiri. "Je sais, dit Marthe, qu 'il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour." 25-

EI1TEv a&ti~$

o" (

'Iioo~~çE~y~~ EL'LL i' a~va~otaoLç KaL~i"

(()i~o" 1TLOtE~~(Ov EL'çE~~E ~Ka6v a~1ToOa~vi$

Yesu(i~oEtaL, so w*r : m$r dù*n q<<r< na y<r; a q]t$ na tu m*r aa khi

rak$ s< ana hanan$ y<r, Jésus lui dit : "Moi, je suis la résurrection et la vie. Qui croit en

to~v aL'

c~va. 1TLOtE~~E

moi, même s'il meurt, vivra; 26- KaL~ 1Ta~ ç o" (~~v KaL ~1TLGtE~~Ov EL~çE~~E ~oi Li ~a~1ToOa~vi$ EL~ç Lç to~~to; S< y]t$ k$ hanan< yiri s'ana tu m*r na khi kper

yuu ga. F< tu y$r$ b$ ? Et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Le croistu?" 27- (

a~~t~~$ vaL~ K~~pLE,E~y~~ 1TE1TL~OtEuKaoUtL O) ~ El o" xpLOto~ç o" vL"o~ç to~~ ~Eo~~)E~yEL o"

EL~ ç to' v KoI oI.iov E~

pxo

I IEvoç. D< so w*r : `w** Kt<n, m< turi sob*r f$r d*

K<r<s<t*s<, Thâgbaa Bikuun k$ n q<n< k$ d<< ra. Elle lui dit : "Oui, Seigneur, je

256 Nous avons traduit ici le sens du verset car il nous était difficile de rendre la notion inconnue des quinze stades environ en lobiri.

257 Nous soulignons et mettons en relief quelques termes de traduction qui nous posent problème et sur lesquels il nous faut revenir particulièrement par la suite. Nous avons opté de nous arrêter seulement sur ces quelques termes à cause de leur intérêt théologique.

crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde." 28- KaL 'to~lto

ELa~1T~l)OEV KaL'E~4~SVtlaEV MapLa~1.L t~~V a~öE)4~~V a~~t~lç )aSOpa] (

EL~1To~lJa ~1To~l0a o" öLöaSOKa)oç

1TaS

KaL~ 4)VELl . A m<<n< m p<, a gaal sa we `w** ùkh$r Mar<am sa

OE pEOtLV

so w*r nûbikaara : D<d<<r ha k$ s< da n we f<. Ayant dit cela, elle s'en alla

appeler sa soeur Marie, lui disant en secret : "Le Maître est là et il t'appelle." 29- E~KELSVT1 öE~

~" ç ~) KoUUEV ~~

yESpOt tax~ ~KaL~ ~)pxEto 1Tpo~ç . A n<$n< m, a q<<r$ k*r* sa gal

a~~tóV

w*r. Celle-ci, à cette nouvelle, se leva bien vite et alla vers lui. 30- o~)1T~ öE'E~)11)~SOEL o"

'Iioo~lE~Lç t~~V K~SF.L11V, a~))' ~!V E)tLE~V t~l] tó1T() ] o-1To1) J)"1T~SVtr1oEV a~~t~ l]i " . Didoni
MaSpOaç

Yesu na k** lô le d<< ra pa; sa ha le `lo kâk$ Marta k** caan wùn<.

Jésus n 'était pas encore arrivé au village, mais il se trouvait toujours à l'endroit où Marthe

était venue à sa rencontre. 31- oL" o~!V 'IovöaLloL oL" o)VtEç LEt' a~~t~lçE~V t l] oL~KLSa] KaL~

1TapaILuOo~SLEVoL a~~t~SV, L'öóVtEç t~~V MapLa~Lo-tL taxEScç a~VESot'q KaL~E~%~l)OEV, iKo)olSOT1oaV a~~t~l] öó%aVtEço-tL ~"1TaSyEL EL'ç to~ LV1LELloV L-Va K)a~SJ~]E~KELl. D< Jù<f<thùn* k$ k**

toona wùn< le cù*r d< wa n q*l wù haar y<n< Mar<am na d< q<<r k*r*

a the, wù kpa w*r$ didoni wù k** kp<$r$ kaara a n gal a b< le. Quand les Juifs qui étaient avec Marie dans la maison et la consolaient la virent se lever bien vite et sortir, ils la suivirent, pensant qu'elle allait au tombeau pour y pleurer. 32- 5H o~!V Map La~IL

~"

ç~!)OEV o-1To1) !V 'Irioo~lç L~öo~loa a1~to~V E'1TEOEV a~~to~l 1Tpo~ç to~~ç 1Tóöaç )ESyovoa (

a1~t~l] K~SpLE,

EL~ ~!ç & (öE o~~K a)V LoV a~1TESOaVEV o" a~öE)4óç. M Mar<am dan< ka Yesu han<, a

y<<n<, a jiri `w** n$$ ra sa so w*r : Kt<n, a do f< k** ha k$ ] ûkuun na k** na khi ga. Arrivée là où était Jésus, Marie, en le voyant, tomba à ses pieds et lui dit : "Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort!" 33- 'Irioo~lç o~!V ~"ç EL!öEV

a~~t~~V K)aLSouaaV KaL 'toiç ovVE)OóVtaç a~~t~l] 'IouöaLSovç K)aLSoVtaç,E~VE.pL4L~Soato t~l]

1TVEVS~atL KaL~ E~taSpa%EVE"avto~V S< m Yesu y<<n< da n kh<< `w*r na Jù<f<thùn*

k$ gb$f<n<kha q], d< tùùr$ haara j** sa nyânyaan wù kp<$r<258. Lorsqu'il la vit pleurer, et pleurer aussi les Juifs qui l'avaient accompagnée, Jésus frémit en son esprit et se troubla. 34-

EL!1TEV1To~ ltEOELSKatE a~~tóV; )ESyouoLV r

a~~t~l]KaL 'K~SpLE, KaL ~.

L'öED< E'pxou

so : kana n< dùù ? D< wù dee w*r : Kt<n, q<na sa y$$n$. Il dit : "Où

l'avez-vous mis?" Ils lui dirent : "Seigneur, viens et vois." 35- o" .E~öaSKpVOEV 'Iroo~lç Yesu

258 Nous avons bien eu du mal à traduire les sentiments de Jésus dans ce verset. Le foie est chez les Lobi le siège des sentiments affectifs. C'est pourquoi nous avons employé l'expression idiomatique `d< tùùr$ haara j**' pour traduire l'émotion violente du verbe E~~.pLFiaSoiaL. Le trouble de Jésus peut bien être compris en lobiri par sa nyânyaan wù kp<$r< que nous avons employé. Pour les Lobi, tout trouble en l'homme affecte surtout son esprit.

b<. Jésus versa des larmes. 36- o~!V ot." (

'Iouöat.~ot. t.)öE ()~ c

ii E')EyoV E~4t.')Et. . D<

a~~tóV

Jù<f<thùn* n k** so : h<n$ m a k** b*na wùn< f$w. Les Juifs dirent alors :

"Voyez comme il l'aimait!" 37- öE'E~%a~~t()~V

EiiiaVo)~KE~öi'Vato &

o~t t.VE~c toc o" a~VoL%ac
o~4Oa)Loic to~ ~tU4)o~ ~iiot.~~oat. t.-Va Kat. ~&

to~~c

o~toc t~~ a~iioOa~V~$; S< 'w$kha 'w$$ thêtiin

k** sor : `w*r k$ kh$r< nyaar nyin&, a na k** na punu na cùù a na n

khi ga ? Mais quelques-uns d'entre eux dirent : "Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les

yeux de l'aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourût pas?" 38- 'Iioo~~c o~!V iia~)t.V

E~~.pt.IL()~LEVocE~V E"airt()~$ E'pXEtat. Et.~c to~

LV1LEt.~oV~!V öE ~ Oii1~)at.oV Kat. ~)t.'OocE~iiE~KEt.toE~ii'

a~~ t()~$ D< buri thù Yesu haar j** d< gal le kaara; gbâgbâkakpolo k** g< d<

wù gba bùkaar a s*v<na. Alors Jésus, frémissant à nouveau en lui-même, se rend au

tombeau. C'était une grotte, avec une pierre placée par-dessus. 39- o" (

)E~yEt. 'Iliootc a)patE

to~V )t.~OoV. )E~yEt. a~~t()~$ i' a~öE)4~ ~toO tEtE)EutllKótoc

Ma~pOaK~~pt.E, ~)ö1 ö(Et., tEtaptat.~oc

ya~ E~Ott.Vp . Yesu sor : n< te bùkaara. D< khidîdaari þkh$r Marta so w*r :

Kt<n, ana n hùn$ p< didoni wiri q$na ha ni. Jésus dit : "Enlevez la pierre!"

Marthe, la soeur du mort, lui dit : "Seigneur, il sent déjà : c'est le quatrième jour." 40- )E~yEt.

a~~t~~$

o" (

'IiooOc o~~K EIii6Got.o-tt.E~a~V iit.GtE~~rnjc 61IJ~$ t~~V öó%aV toO V ~Eot; D< Yesu dee

w*r : ma k** so f$r aa a f< tu sobor fa y<r$ Thâgbaa kpalkari ga ?

Jésus lui dit : "Ne t'ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?" 41- ~!paV o~!V to~V

)LOoVo"

. öE ~ 'ItiooOc~!pEV toic o~4Oa)Loic a)V() Kat. ~ EIiiEViia~tEp, E)~Xapt.Ot() ~ Oot. oU tt. i? KovoaIc

tov. Wù hal$ bùkaar. D< Yesu xa q<$ h<<n qû sa so : Th<r$, m< n ha

f$r fù*r< didoni f< n p$ m$r nûu. On enleva donc la pierre. Jésus leva les yeux en haut

et dit : "Père, je te rends grâces de m'avoir écouté. 42- E~y()~ öE' )$öEt.Vo-t t. iia~VtotE~ tov a~Kol'Et.c,

öt.a~ to~V 3X)oV to~V iiEpt.EOt()~ta EIiioV, t.-Va iit.OtE~~O()Ot.Vo-tt. O~ ~ILE a~))a~ a~iiE~OtEt.)ac. M$r$

m< j<r$ b** f$w f< n p$ m< nûu s< m< m<<r$ m thaale t<b<la k$

kpalam$r< k<$r wù punu wù tu sobor aa f$r th*na m<. Je savais que tu m'écoutes

toujours; mais c'est à cause de la foule qui m'entoure que j'ai parlé, afin qu'ils croient que tu

m 'as envoyé." 43- ta~~ta Et.'ii()~V 4()V~~$LEya~)j

E~Kpa~~yaOEV

Kat. ~Aa~(apE, öE~~po . M

E'%()

a son< qele p<, a phaan na n*khewe : Lazar*s< yoo ! Th$ k$ phiel !

Cela dit, il s 'écria d'une voix forte : "Lazare, viens dehors!" 44- E~%~~)OEV o" tEOVT1K()~c

to~~c iióöac Kat. ~ta~c XEt.~pac KEt.piat.c Kat. ~~ "31IJt.c a~~toi OoUöapt.'() $öEöE~E~Voc iiEpt.EöE~öEto. )E~yEt.

o" (

'Iioo~~c )~~ oatE a~~to~V Kat. ~a)4EtE a~~to~V. D< khirira the phiel m wù
~"iia~yEt.Va~~tot.~c

dùù n<, n$$ na ny$ na q<$ par khidùceciin `lo. Yesu so w$r : n< l<ma

wù sa faa wù a gal. Le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes, et son
visage était enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit : "Déliez-le et laissez-le aller."

Quelles sont les principales difficultés que nous avons rencontrées à la traduction de cette péricope dans la langue africaine des Lobi ? Ces points de difficultés ne peuvent-ils pas être des points d'ancrage du dialogue entre la Parole de Dieu et la langue des Lobi ?

1.2. Difficultés de traduction de la péricope en lobiri

Les difficultés de traduction sont inhérentes à toute traduction même d'une langue à une autre. Mais comme le note Paulin Poucouta, « la traduction est un moment herméneutique important et exigeant. Certes, tous les traducteurs de la Bible se heurtent sensiblement aux mêmes difficultés. Néanmoins, celui qui traduit dans les langues africaines rencontre des pro blèmes supplémentaires 259 ». Le Nigérian Emmanuel Dahunsi cite bien volontiers quelques problèmes que nous avons rencontrés dans la traduction de notre péricope 260: le problème des équivalents de mesure (v. 18 : a~~~~ cr~a~~'wv ~Eia~E'vtE), le problème des expressions techniques comme la gloire (~ó~a : vv. 4.40), la résurrection (a~váotaoig : v. 25), la vie ("w~ ': vv. 25.26) ou le problème des translittérations comme Xpiotóç ou les noms propres comme Aá"apog, B~Oavi'ag, Map~'ag, Mdpoag (v.1). Convaincu qu'une bonne traduction doit être exacte, claire et naturelle comme le souligne Katharine Barnwell,261 voyons de près, par exemple, nos options de traduction des cinq versets centraux de notre texte et les différents problèmes rencontrés.

V. 23 : ``+Av~~tij~oEtcL ~" ~~öE?46ç oou'' a été rendu en lobiri par af< ûkuun na q<<r$

c'est-à-dire ton frère va se lever ou se lèvera. Nous avons bien eu du mal à traduire le terme résurrection. A q<<r en lobiri désigne se lever, se relever, se dresser et aussi marcher, se mouvoir, commencer. Q<<r< n'a donc pas une notion de résurrection au départ. Mais seul le contexte peut apporter une telle nuance262. En fait, comme nous l'avons vu dans la présentation socio-anthropologique des Lobi, il n'existe pratiquement pas de notion formelle de résurrection dans le lobiri. D'aucuns ont traduit l'expression lobi `revenir à la vie' par résurrection. Les textes liturgiques en milieu lobi ont forgé le concept de résurrection par `réveil'. Mais nous trouvons cela peu pertinent car ce concept impose aux Lobi la notion de

259 P. POUCOUTA, Lectures africaines de la Bible, Presses de l'UCAC, 2002, p. 99.

260 Cf. E. A. DAHUNSI, « The problem of translating the Bible into African Languages » dans COLLECTIF, Black Africa and the Bible. L 'Afrique noire et la Bible, Jérusalem, Israel Interfaith Committee, 1972, pp. 117- 120.

261 Cf. K. BARNWELL, Manuel de traduction biblique. Cours d'introduction aux principes de traduction, Nairobi, Société Internationale de Linguistique, 1990, pp. 21-26.

262 Même en grec ~~v~~~tij~i et E~yE~~pL) utilisés pour traduire le fait de la résurrection relèvent du langage symbolique : « Au sens propre, ces deux verbes désignent des expériences de la vie courante et quotidienne » écrit M. GOURGUES, « L'au-delà dans le Nouveau Testament » in Cahiers Evangile n°41, Paris, Cerf, 1982, p. 27.

mort comme sommeil ou repos qu'ils n'ont pas. Nous reviendrons sur ce problème qui nous semble important dans la traduction du message chrétien aux Lobi. Nous pensons que a q<<r traduit mieux la notion de aviatrti263. Cela est plus juste que a jaa (réveil) qu'on a dans les traductions liturgiques lobi. Cette option a été prise par les traducteurs après avoir introduit le concept de mort comme sommeil chez les Lobi264. Comme nous le verrons par la suite, le réveil d'un mort est toujours redouté des Lobi. Personne ne peut désirer cela pour luimême ou pour ses amis.

V. 24 : La résurrection est rendue dans notre texte par q< < rbù* littéralement traduit, le moment de se lever. Seul le contexte nous permet de saisir la notion de résurrection dans ce terme. Pour traduire la résurrection des morts, il importe d'y accoler le qualificatif `mort' pour le rendre compréhensible dans ce sens : Khi-q<<rbù*. La mort se dit khiri en lobiri.

V. 25 : Pour les Lobi, la vie et la vue sont une même réalité. Est vivant celui qui voit encore. Est mort celui qui n'a plus de vue. Le verbe vivre se traduit donc par `avoir la vue' en lobiri (a hana yiri). Pour les Lobi, les aveugles ne sont pas dépourvus de vue puisque cette fonction est compensée et exercée autrement dans la réalité de leur existence. Nous savons comment la notion de voir est importante chez Saint Jean de même que la notion de vie. Le voir/vivre des Lobi ne peut-il pas nous aider à approfondir cette dimension de la théologie johannique ?

V. 26 : Nous avons traduit le `o~~ it~~ ~~1Toe~~TI~j E~~c to~TI ~~~L)öTIc' par na khi kper yuu ga

ne mourra pas complètement. Il faut dire que cela nous a posé un problème car pour les Lobi, on ne meurt jamais éternellement. Les morts ne sont jamais morts. Ils vivent ailleurs. Mais notre traduction est approximative car mourir complètement signifierait plutôt mourir totalement. Mais en réalité, Jésus ne nous promet-il pas de ne jamais mourir totalement ?

V. 27 : Nous avons traduit le ``E~yL)~ 1TE1T~~OtEUK o-tL oi E~! o" XpLoto~c o" u~"o~c to~ö eEo ö o" E~~c

pxóitETIoc'' par `m< turi sob*r f$r d* K<r<s<t*s<, Thâgbaa Bikuun k$

~

~

to

TI Ko

oitoTI E~

n q<n< k$ d<< ra' qui respecte la solennité de cette confession de foi de Marthe : je crois vraiment que toi tu es le Christ, le Fils de Dieu qui vient dans le monde ! Ici encore l'idée de `croire' est explicitée par l'adverbe `vraiment'. Nous avons toujours eu du mal à traduire le substantif `foi' en lobiri. Vu l'importance de ce thème chez Saint Jean et dans notre

263 ~~TI~~~t~iti veut dire bien : faire lever, susciter, ressusciter, se lever, s'élever, se dresser selon M. CARREZ et F. MOREL, Dictionnaire Grec-Français du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 1984, pp. 33-34.

264 Pourtant si le N.T. comme d'ailleurs la LXX ont employé ~~TI~~citriti et E~yE~~pL) au sens figuré et métaphorique pour désigner la résurrection, c'est que « cet usage métaphorique des deux verbes allait tout naturellement de pair avec celui qui consistait à représenter la mort comme un sommeil, image traditionnelle et courante tant dans la littérature profane que dans la Bible » écrit M. GOURGUES « L'au-delà dans le Nouveau Testament » in Cahiers Evangile n°41, Paris, Cerf, 1982, p. 28.

péricope, nous comprenons la nécessité de trouver une tournure adéquate pour le rendre en lobiri. C'est en tout cas l'une des principales difficultés à résoudre pour permettre aux Lobi de bien lire ce texte de Jn 11,1-44.

1.3. Principales difficultés des Lobi à la lecture de Jn 11, 1-44

Nous voulons dégager les principales difficultés qui peuvent se poser aux Lobi dans la compréhension du message divin contenu dans la péricope johannique que nous avons étudiée. Les problèmes de traduction de la péricope nous ont révélé déjà quelques points de blocage où les Lobi trébuchent dans la lecture de cette Parole de Dieu. Nous nous bornerons à évoquer les difficultés théologiques de ce dialogue que nous prônons entre la Parole de Dieu et la culture des Lobi à partir surtout de notre péricope johannique.

1.3.1. Compréhension lobi des attitudes de Jésus et des principaux personnages du récit

A partir de l'anthropologie lobi, nous pouvons traduire les critiques des Lobi sur les différentes attitudes des personnages ainsi révélées dans notre péricope.

De prime abord, un Lobi jugerait incompréhensible le retard de Jésus avant de rejoindre son ami Lazare malade. Nous avons vu comment les Lobi entourent de grands soins les malades265. L'amitié est sacrée dans cette société. Elle établit une alliance indéfectible entre des personnes et des communautés. Elle impose des devoirs d'assistance mutuelle. Jésus devait accourir à l'appel de ses amis de Béthanie. Et la réaction des deux soeurs à son arrivée est légitime : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ».

Mais l'attitude des deux soeurs peut intriguer plus d'un Lobi qui lirait le texte de Jean 11. Marthe, à l'annonce de l'arrivée de Jésus, va à sa rencontre. Chez les Lobi, cela est compréhensible et traduit la relation d'amitié forte qui devait lier les deux personnes. Mais ordinairement, Marthe rencontrerait Jésus dans les larmes et les lamentations. Cela aurait pour but de l'émouvoir. Mais habituellement, les hommes lobi ne cèdent pas rapidement aux fortes émotions. La réserve de Jésus serait bien indiquée chez les Lobi. Le dialogue engagé avec Marthe serait tout autant compréhensible. Et la plainte de Marthe serait plutôt à interpréter comme une complainte d'une femme éplorée par le deuil de son frère. Mais l'attitude de Marie, restée assise à la maison, est aussi acceptable chez les Lobi. Les deux soeurs ne pouvaient pas abandonner les Juifs qui étaient venus les consoler pour courir à la rencontre du

Maître et ami Jésus266. Mais l'écrivain sacré ne nous permet pas de faire cette interprétation car Marie semblait ignorer l'arrivée de Jésus à moins qu'on ne se base sur le détail où c'est Jésus qui a fait explicitement appel à Marie (cf. v. 28). Marie, informée de l'appel du maître, se lève aussitôt et va vers lui. Le fait que Marthe parle en secret à Marie peut être interprété chez les Lobi comme une note de discrétion ou de complicité, toutes des vertus féminines en pareille circonstance. La présence des Juifs venus de Jérusalem pour consoler les soeurs est une coutume fréquente chez les Lobi aussi. L'interprétation qu'ils ont faite du départ de Marie de la maison est tout à fait lobi267.

De même, les Lobi verront effectivement dans les larmes de Jésus le signe de sa grande amitié pour Lazare et ses soeurs (v.36). Certains parmi eux lui reprocheront d'avoir manqué de rendre visite au malade et d'avoir répondu tardivement à l'appel de ses amis. Ils comprendront son désir de connaître où se situe la tombe de son ami Lazare, mais ils réagiront comme Marthe quand il voudra qu'on exhume le cadavre. Certes, ils apprécieront l'attitude de prière de Jésus devant la tombe, une prière bien expressive avec le visage tourné vers le ciel en signe de référence à l'autorité du Dieu Tout-Puissant qui s'est éloigné de la terre après la faute originelle. Ils respecteront l'autorité de Jésus qui prononce avec force le nom de Lazare pour l'interpeller au-delà de sa tombe. Pour les Lobi, Lazare n'est pas totalement mort. Il vit outre-tombe. Et appeler son nom peut être bien magique. Mais tous les Lobi, devant le spectacle de Lazare sortant de la tombe, s'enfuiraient en poussant des cris de panique. Revenir de la mort ne saurait être une bonne nouvelle pour les Lobi.

1.3.2. Compréhension lobi de la mort-résurrection de Lazare

S'il est vrai que le mystère de la mort-résurrection du Christ est fondamental pour la foi chrétienne (cf. 1 Co 15, 1-23), il peut poser problème dans l'entendement d'un Lobi ordinaire. Nous savons que la mort-résurrection de Lazare est un signe et une préfiguration de la mort-résurrection du Christ268. Les Lobi auront cependant du mal à accepter ce signe comme une béatitude dans leur vie mortelle présente. Et pour cause ?

D'abord, selon le v. 11, Jésus assimile la mort à un repos ou à un sommeil. Cela fait partie désormais de la pensée chrétienne et même occidentale de nos jours. Mais pour les Lobi et certains peuples africains, la mort ne saurait être un quelconque repos ou un sommeil. En

comparant la mort à un sommeil, Jésus s'inculture dans la mentalité juive où la mort était considérée comme un profond sommeil dans le shéol269. La conception de la mort comme sommeil explique l'idée de résurrection comme réveil270. Mais pour les Lobi, il est difficile de traduire la résurrection comme un réveil puisque la mort ne saurait être considérée comme un quelconque sommeil. Bien plus, dans l'épisode de Lazare, ce qui choquerait fondamentalement le Lobi est assurément la réanimation ou la résurrection271. Selon les Lobi, la mort est un voyage vers l'au-delà. C'est une porte qui s'ouvre sur un autre monde de mieux être et de mieux vivre. Ceux qui font l'expérience de ce voyage ne sauraient revenir dans notre ``vallée de larmes''. Ramener Lazare à la vie terrestre ne saurait être aux yeux des Lobi une bonne nouvelle ou un bon signe272. Cela pose problème à ce moment dans la lecture lobi de ce texte qui devrait renforcer la foi des croyants en leur propre résurrection. Dans le même sens, il va sans dire que la mort de Jésus à l'âge de 33 ans, dans la force de la jeunesse, sans laisser de progéniture et de manière infâme sur la croix, est une mauvaise mort et une malemort273 qui scandalisent bien les Lobi. Sa résurrection après trois jours au tombeau ne peut enchanter le Lobi pour qui la mort n'introduit nullement dans un monde néant d'où l'on reviendrait en triomphateur. Un mort, qui disparaît de son tombeau après trois jours, ne peut être qu'un revenant dangereux pour les hommes selon la mentalité des Lobi. La mort et la résurrection de Lazare et partant celles du Christ posent un sérieux problème d'herméneutique aux Lobi.

269 Cf. L'excursus sur la mort et le deuil en context juif de l'Ancien Testament, pp. 32-33.

270 Cf. M. GOURGUES, « L'au-delà dans le Nouveau Testament » in Cahiers Evangile n°41, Paris, Cerf, 1982, p. 28.

271 Il convient de rappeler avec M. E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, op. cit., p. 287, à propos de la résurrection de Lazare, que « il ne s'agit pas de ``résurrection'' au sens strict du terme, mais de réanimation de cadavre ». En d'autres termes, les ``résurrections'' de l'A.T. et du N.T. ne sont pas de même nature que la ``résurrection'' du Christ. Comme le dit St Paul, « le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus, la mort n'exerce plus de pouvoir sur lui » (Rm 6,9) ; en revanche, tous ceux dont la Bible nous dit qu'ils sont ``ressuscités'' sont morts à nouveau, la mort avait encore pouvoir sur eux. C'est ce genre de résurrection qui choquerait réellement les Lobi.

272 J. B. MATAND BULEMBAT, « ``Le Christ est ressuscité d'entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis'' (1Co 15,20). Appartenance au Christ et liens familiaux au village des ancêtres » dans ASSOCIATION PANAFRICAINE DES EXEGETES CATHOLIQUES, Eglise-famille et Perspectives bibliques, Kinshasa, Editions J.B. MATAND et ALII, 1999, p. 146, le souligne bien aussi : « Mais aux yeux d'un africain qui baigne déjà dans une atmosphère où l'on croit à la vie dans l'au-delà, l'affirmation de la résurrection du Christ et des morts risque de ne point constituer une nouveauté ni d'être tout simplement intéressante. En effet, proclamer que le Christ est mort, est ressuscité et est apparu à ses disciples (cf. 1 Co 15, 1- 4) peut ne pas paraître extraordinaire, ne pas constituer une ``nouveauté'' ni même une ``bonne nouvelle'' (to euangelion) » (Sic).

273 C'est aussi l'avis de E.J. PENOUKOU, « Au regard de la thanatologie mina, la mort de Jésus, crucifié comme un criminel, s'inscrit dans la rubrique des mauvaises morts. De ce fait, il n'aurait eu droit ni à la sépulture ni aux funérailles, mais au contraire jeté à la pourriture de la forêt » dans Foi chrétienne et compréhension africaine. Pour une herméneutique mina de la mort et de la résurrection à partir d'une analyse critique de 1Co 15, Tome 1, Institut catholique de Paris, février 1979, p. 434. Par ailleurs, une malemort est une mort funeste et cruelle, une mort infâme. L'Encyclopédie Universalis France S.A. atteste l'existence du terme en français !

Il importe donc de réfléchir à des chemins de relecture lobi inculturée du mystère de la mort et de la résurrection de Jésus, base de notre foi chrétienne. Une telle oeuvre d'inculturation partira aussi d'une critique christique de la mentalité lobi traditionnelle. Il importe en effet que la Parole de Dieu critique aussi cette société lobi, qui doit s'ouvrir à la nouveauté et à la vérité sublime de l'évangile de Jésus-Christ.

2 - Critique chrétienne de la conception lobi de la mort et de la vie

C'est le tour de la Parole de Dieu d'interroger la mentalité lobi dans ses conceptions de la mort et de la vie étudiées dans la deuxième partie de notre travail. Nous partirons surtout des éléments d'analyse de la péricope de Jn 11, 1-44 pour indiquer les chemins de conversion que doivent emprunter les Lobi pour une véritable rencontre avec le Christ. Nous sommes convaincu que cette rencontre ne peut être que le fruit d'un dialogue franc entre la Parole de Dieu et la société lobi274.

2.1. Sur la conception lobi de la maladie

Pour les Lobi, la maladie est toujours causée par une main hostile invisible. Et devant chaque maladie, des consultations divinatoires sont engagées pour découvrir cette cause cachée 275 . Une telle pratique aboutit souvent à des hostilités sociales et familiales dévastatrices. Jésus-Christ en Jn 9, 2-3, s'insurge contre une telle mentalité connue des Juifs. Toute maladie est un cri lancé vers Dieu afin que soient manifestées ses oeuvres ou ses signes comme celui que nous avons en Jn 11. La maladie de Lazare a abouti à la révélation du Dieu Maître de la vie. Et durant tout son ministère public, le Christ s'attaquera à la maladie des hommes pour les en soulager. Au lieu de passer leur temps à consulter et à rechercher les causes cachées de leurs maux, les Lobi sont invités par le Christ à une attitude d'humilité et de foi envers Dieu, source de toute véritable guérison physique et spirituelle. La maladie n'est donc pas une fatalité ou une punition des esprits hostiles à l'homme, mais une épreuve de la vie. Et si Jésus n'a pas empêché la mort de son ami Lazare - car il pouvait sans se déplacer guérir Lazare comme dans le cas de la fille de la syro-phénicienne en Mc 7, 24-30 ou du fils du centurion romain en Mt 8, 5-13 - c'est qu'il voulait enseigner les Juifs que la maladie n'est pas la fin de l'espoir. Elle peut ouvrir des chemins de vie et de conversion. La mort même peut survenir, mais cela ne plonge pas l'ami du Christ ou le chrétien dans le chaos, car tôt ou

274 Cf. A. PEELMAN, L 'inculturation. L 'Eglise et les cultures, Paris/Ottawa, Desclée/Novalis, 1988, pp. 66-70.

275 Cf. Supra, 1.1. Toute maladie a une cause cachée, p. 87.

tard le Maître de la vie lui rendra visite et lui rendra la vie véritable. Une telle espérance recommande alors de la retenue dans les manifestations de deuil.

2.2. Sur les manifestations de deuil des Lobi

Certes, la Bible regorge de nombreuses occasions de deuil et de manifestations d'émotions fortes de peine. Dans le Nouveau Testament, à la mort d'Etienne, les premiers chrétiens l'ont beaucoup pleuré en faisant chez lui de grandes lamentations d'usage (Ac 8,2). A Jaffa, le décès de Dorcas avait causé autant de peine que toutes les veuves pleuraient à l'arrivée de Pierre (Ac 9,39). Jésus lui-même a pleuré son ami Lazare (v. 35). Comme le note ce pasteur protestant, à l'encontre d'ailleurs de la pratique de la plupart des églises protestantes du milieu lobi qui sont réticentes aux pleurs durant les funérailles de leurs fidèles, « devant l'abondance d'une telle description des émotions dans toute la Bible, il nous serait difficile, écrit-il, de retenir que Dieu est contre la manifestation de celles-ci lorsqu 'on est endeuillé. L 'angoisse, la tristesse, les pleurs font partie des émotions créées par Dieu. Vouloir les étouffer chez l 'homme serait contre nature. 276» Le Christ ne reprouverait certainement pas les Lobi dans leurs différentes manifestations émotionnelles devant la mort. Mais sa réserve et sa retenue devant la mort de son ami Lazare sont un exemple et un modèle de vie pour le croyant. Il convient que les chrétiens soient mesurés dans leurs manifestations de deuil. Le Christ reprocherait volontiers aux Lobi leurs émotions fortes devant la mort qui sont pour la plupart du temps motivées par l'hypocrisie et le m'as-tu-vu. Les chrétiens devraient éviter ces pleurs interminables et inconsolables devant les décès.

Bien plus, dans la célébration des premières funérailles et des secondes funérailles chez les Lobi, nous avons noté dans la deuxième partie de notre étude des rites complexes277. Ils sont nombreux et astreignants pour les Lobi. Le Christ est venu pour les soulager de toutes ces peurs devant la mort. Ces rites sont souvent occasion de gaspillages de nourriture et d'argent. Alors qu'on n'a pas toujours été généreux dans la prise en charge du malade, les funérailles sont souvent occasion d'étalage de richesse et de vanité familiale278. De nombreux rites en pareille circonstance maintiennent les veuves surtout dans des conditions souvent dégradantes. Ils ne sont pas aussi contraignants pour les hommes que pour les femmes279. Cela n'est pas juste. La femme et l'homme doivent être égaux en dignité et en droit. Le Christ

276 D. MANGONDA, Face aux funérailles en Afrique. Essai d 'une éthique chrétienne du deuil pour l 'église en Afrique, Abidjan, Centre de Publications Evangéliques, 1999, p. 34.

277 Cf. Supra, note 221, p. 92.

278 Cf. cet article du quotidien burkinabé Sidwaya du mardi 24 avril 2007 avec ce titre évocateur sur le sujet, « funérailles : recueillement ou simples ripailles ? » in www.Lefaso.net .

279 Cf. Supra, 2.2. La période de deuil, p. 90.

aurait dénoncé tous ces rites funéraires lobi qui ne sont pas chemins de libération de l'homme et de la femme. Il récuserait les beuveries et les licences morales qu'on observe de plus en plus dans les aires funéraires des Lobi. C'est aussi toute la conception lobi de l'au-delà qu'il éclairerait de la lumière évangélique.

2.3. Sur les conceptions des Lobi sur la mort et la vie dans l'au-delà

Certes, les Lobi ont une haute notion de l'immortalité de l'âme. Ils croient que la mort n'est pas une fin280. La mort n'est pas un sommeil perpétuel et sans fin. La mort est une porte qui s'ouvre à une autre vie281. Mais le fait que les Lobi ne considèrent pas la mort comme un repos pose un véritable problème à la rencontre de la conception biblique de la mort. Et ce qui est à déplorer encore dans la conception lobi de la mort, c'est le fait que la mort puisse plonger dans une certaine impureté. Les veuves et les veufs sont obligés de vivre un temps de réclusion sociale pour se purifier peu à peu de leurs liens avec les personnes disparues282. Ils vivent dans une certaine crainte de la mort. Certes l'Ancien Testament ne manquait pas d'une telle notion de la mort qui plongeait dans l'impureté ceux qu'elle touchait (cf. Lv 11, 31 s). Mais le Christ nous libère de la crainte de la mort et de toutes notions pessimistes de la mort qui est désormais vaincue par sa croix283. Les Lobi, en vivant dans cette crainte de la mort, ressemblent à bien des égards à Lazare retenu encore dans les liens de la mort et qui attend la venue libératrice de Jésus. L'importance des funérailles chez les Lobi, qui n'hésitent pas à suspendre toute activité, même vitale, pour célébrer les morts, les rend prisonniers d'un système social inhibant pour leur épanouissement réel284.

De plus, la conception lobi de l'au-delà est trop matérialiste. On retrouve une vie semblable à celle de la terre après notre mort285. Certes, tout y est en parfaite harmonie et la mort n'y existe plus mais à aucun moment nous n'avons senti que les morts entrent dans l'intimité de Dieu. Certes, ils bénéficient de pouvoirs quasi divins sur les vivants qu'ils peuvent influencer outre-tombe. Mais ils demeurent capricieux et pour ce fait sont craints par les vivants. Ils ne sont pas intrinsèquement bons puisqu'ils peuvent agir négativement sur les vivants. Une telle conception est fondamentalement différente de celle de la révélation

280 Cf. Supra, 3.3. L'au-delà chez les Lobi, p. 97.

281 Cf. J. M. ELA, op. cit., p. 38.

282 Cf. Supra, 2.2. La période de deuil, p. 90.

283 Cf. M. ZUNDEL, Vie, mort, résurrection, Québec, Editions Anne Sigier, 1995, p. 117-161.

284 Ce fut un des problèmes posés à l'introduction de notre présente étude. Cf. Supra, p. 6. La solution proposée ici serait d'appliquer à la société des Lobi l'hermeneutique du texte de la résurrection de Lazare. Les Lobi seraient alors Lazare, le prisonnier des liens de la mort que le Christ vient libérer.

285 Cf. Supra, 3.3. L'au-delà chez les Lobi, p. 97.

chrétienne qui nous donne l'espérance de notre transformation à l'image du corps ressuscité du Christ, le maître de la vie. Une conception terrestre de l'au-delà où on se marie et où on retrouve la vie de famille ou de village comme sur la terre est clairement récusée par le Christ en Mc 12,24-25p286. Nous avons là une nouveauté radicale de la révélation chrétienne par rapport à la conception traditionnelle lobi de l'au-delà.

Enfin, les conceptions lobi de la réincarnation des ancêtres dans la vie de leurs descendants sont contraires à la révélation chrétienne287. Dieu a un dessein unique sur chaque homme à qui il donne la vie. C'est l'originalité de la révélation chrétienne pour les Lobi aussi. Il reste à concilier cette révélation avec les schèmes de pensées des Lobi pour la rendre intelligible et compréhensible pour eux dans une perspective d'inculturation du discours de foi.

3 - Inculturation du discours chrétien sur la mort et la vie chez les Lobi

Après avoir montré les difficultés pour les Lobi de lire le message chrétien sur la mort et la résurrection de Lazare et après avoir vu les limites de la conception traditionnelle lobi sur la mort et la vie dans l'au-delà, il convient d'envisager un terrain de conciliation et d'entente entre les deux niveaux de dialogue : la culture biblique et la culture des Lobi. Nous pensons là prendre en compte la perspective d'inculturation appelée de tous les voeux par les pasteurs actuels du continent africain à l'occasion du dernier synode sur l'Afrique288.

3.1. La mort comme un voyage vers la maison du Père

Dans la péricope johannique étudiée, la mort est comparée à un sommeil. Cela est une inculturation sémite de la notion de mort. Et dans la péricope de la résurrection de Lazare, cette conception traditionnelle est reprise par Jésus (cf. Jn 11,11). Lazare repose dans la mort. Cela crée un malentendu d'ailleurs dans l'auditoire de Jésus. Une herméneutique africaine peut bien y voir aussi l'ambiguïté d'une telle conception de la mort. Ce qui nous ouvre la possibilité d'avoir diverses conceptions de la mort selon nos traditions socio-

286 C'est aussi cette conception de résurrection qu'avaient la plupart des Juifs, exceptés les sadducéens, au temps de Jésus. C'est cette conception que récuse Jésus. Comme l'écrit, M. GOURGUES in Cahiers Evangile n°41, op. cit., p. 16, « Pour Jésus, la résurrection implique une condition nouvelle, un mode de vie et de corporéité transformé. Cette conception diffère profondément de représentations, parfois assez grossières, selon lesquelles la résurrection ne signifie que la reprise du mode antérieur de vie et de corporéité, à la manière d'une réanimation de cadavres. Ainsi en est-il dans certains écrits du judaïsme, tant hellénistique que palestinien ».

287 Cf. P. RAYET, Après la mort ? Paris, O.E.I.L., 1996, 146p. pour avoir l'essentiel de la doctrine chrétienne sur la mort et l'au-delà (la communion des saints, la résurrection de la chair, la vie éternelle etc.). 288 Cf. EIA n° 67.

anthropologiques. De ce point de vue, il n'y aurait pas de problème à concevoir la mort comme voyage par exemple comme nous l'avons vu chez les Lobi289.

De plus, à plusieurs reprises, Jésus a évoqué sa mort dans la perspective d'un voyage ou tout au moins d'un départ : en Jn 7,33 il annonce son prochain départ vers Celui qui l'a envoyé ; et où il va, ses antagonistes ne peuvent pas venir. Ceux-ci l'ont ainsi compris en Jn 8,21-22 puisqu'ils firent cette réflexion sur Jésus « Va-t-il se donner la mort, qu 'il dise : `où je vais, vous ne pouvez venir' ? ». Il redira la même chose à ses disciples dans son discours d'adieu en Jn 13,33. A Pierre qui lui demande où il va, Jésus répond « où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; mais tu me suivras plus tard » Jn 13,36. Ce départ ou ce `partir' signifie clairement la mort de Jésus. Il signifie aussi la résurrection et la glorification de Jésus. En Jn 14, 3 Jésus dit en effet : « quand je serai allé et que je vous aurez préparé une place, à nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi afin que là où je suis, vous aussi vous soyez ». Au verset précédent, Jésus avait explicitement parlé de la maison de son Père où il y a assez de places. Dans la théologie johannique, nous savons bien que la mort, la résurrection, l'ascension et la glorification sont un même moment, une même ``Heure''290. Le départ de Jésus peut bien signifier sa mort-résurrection-exaltation.

`Partir' en langue africaine lobiri se dit `a gal'. C'est le même terme qu'on retrouve pour dire par euphémisme que quelqu'un est mort `a gaal'. On se souvient du souhait habituel fait au mort en milieu lobi `f< gal b** !' La mort a souvent été considérée par les sociétés africaines comme un voyage291. Et nous pensons que cette analogie peut se retrouver dans ce départ de Jésus que les Lobi traduiraient volontiers par la même notion que voyage. Nous trouvons pertinent une telle analogie pour désigner la mort de Jésus dans le contexte

289 Comme l'affirme M. GOURGUES, ibid., in Cahiers Evangile n°41, op. cit., p. 28, « tout ce qui concerne l'après-mort, de même que le mystère du Christ ressuscité, de sa vie et de sa condition présentes, appartient évidemment au monde ``de l'invisible et de l'indicible'' que le symbole a fonction d'exprimer. La résurrection du Christ n'est pas une simple réanimation qui, comme celle de Lazare (Jn 11,1-44) ou celle du jeune de Naïn (Lc 7,11-17), l'aurait amené à reprendre sa condition et sa situation de vie antérieures. Depuis la résurrection, le Christ n'appartient plus à notre monde, celui pour lequel nos mots sont faits ». Il ne faut donc pas prendre à la lettre le langage symbolique employé à propos de l'exaltation du Christ. Et chaque peuple peut bien trouver le symbole le plus pertinent pour le traduire. De la conception de la mort dérive bien celle de la résurrection.

290 Cf. J. K. KOUMAGLO, Tod als Verherrlichung. Eine exegetische Untersuchung zur Perikope 12,20-36 im Blick auf die johanneische Christologie und Soteriologie, Innsbruck, 1997, pp. 62-63. Voir M. QUESNEL et P. GRUSON, La Bible et sa culture. Jésus et le Nouveau Testament, Paris, Desclée de Brouwer, 2000, pp. 434-43 8. 291 Selon B. YAHANON, dans Les rites funéraires chez les ``Fon'' de Ouidah, Abidjan, ICAO, 1983, p. 36, chez les Fons de Ouidah « quand un vieillard meurt on ne dit jamais qu'il est mort, on dit plutôt : ``Eyi houé'' il est allé à la maison ». Voir aussi C. E. DAGBOVOU, De la mort selon la vie religieuse vodun à la MortRésurrection dans le Christ en référence à Mc 15,39, Abidjan, ICAO, 1994, 118p.

africain lobi. La mort de Jésus serait donc un voyage mais surtout un voyage vers la maison de son Père (cf. Jn 14,2-3)292.

En effet, Jésus est venu du Père et il retourne à travers sa mort vers la demeure du Père. Saint Jean nous le dit clairement de la bouche de Jésus : « Que votre coeur ne se trouble ni ne s 'effraie. Vous avez entendu que je vous ai dit : je m 'en vais et je reviendrai vers vous. Si vous m 'aimiez, vous vous réjouirez de ce que je vais vers le Père, parce que le Père est plus grand que moi » Jn 14, 27c-28. Jésus va vers son Père dans sa mort. « Je suis sorti d'auprès du Père et venu dans le monde. A présent je quitte le monde et je vais vers le Père » (Jn 16,28). Mourir pour Jésus est bien donc un retour vers le Père. Une telle conception n'est pas incompréhensible pour les Africains, mieux pour les Lobi, pour qui la mort est bien un voyage vers le pays des ancêtres ou des `pères'. En Lc 16, 19-3 1 sur la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare, cette même notion de la mort subsiste dans l'expression `être emporté dans le sein d'Abraham' pour dire la mort du pauvre Lazare. Cette expression typiquement hébraïque répond à l'ancienne locution vétérotestamentaire `être réuni à ses pères', c'est-à-dire aux patriarches (cf. Gn 15,15 ; 47,30 ; Dt 31,16 ; Jg 2,10). La mort peut bien être évoquée comme un chemin vers la maison de l'ancêtre. Les Juifs comprenaient ainsi cette expression. Les Lobi comprennent aussi que la mort les conduit vers la maison des ancêtres, des `pères'.

Nous pensons qu'un tel discours bibliquement ancré et anthropologiquement inculturé chez des peuples africains comme les Lobi peut contribuer à lever tout malentendu sur la notion de la mort dans les mentalités des chrétiens aujourd'hui293. Considérer la mort comme un voyage vers la maison du Père ou des `pères' nous paraît donc pertinent pour une théologie de la mort en Afrique294. Ce faisant, nous pensons suivre la dynamique de la pensée johannique qui, d'une part, s'est montrée inculturée dans la pensée juive de son milieu de vie (en considérant la mort comme un repos) et d'autre part, qui n'a pas manqué d'éveiller notre soupçon sur l'ambiguïté de la notion de mort comme repos (dans l'usage de l'artifice littéraire du malentendu). Mais considérer la mort comme un voyage et non comme un repos nous

292 Cf. A. M. DOURMA, Le chrétien Nawda et la célébration des funérailles : contribution pour une célébration chrétienne de la vie à travers le rite de « Kurem » (enterrement) en pays Nawda - Nord Togo, Abidjan, UCAO, 2004, pp. 99-101.

293 Comme le dit le COLLECTIF, Des prêtres Noirs s 'interrogent, op. cit., pp. 183-184, « rien n'empêche de procéder comme saint Paul, rien n'empêche d'exploiter les croyances populaires pour y greffer les vérités révélées. A cet effet, le héraut du message chrétien se fera une mentalité semblable à celle du peuple qu'il vient évangéliser, surtout lorsque cette mentalité est ouverte à la réception de ce qu'elle ne peut trouver réalisé ailleurs que dans l'Eglise ».

294 J. M. ELA le dit bien aussi dans Ma foi d'Africain, op. cit., p. 38 : « Il est caractéristique de bien de cultures africaines de ne jamais dire de quelqu'un qu'il est mort : d'une personne, on dira volontiers qu'elle est partie, qu'elle nous a laissés, qu'elle n'est plus, qu'elle est passée » (Sic).

amène à reconsidérer la résurrection autre qu'un réveil de la mort. Comment pouvons-nous dire `africainement' alors la résurrection si la mort est considérée comme un voyage ?

3.2. La résurrection comme re-création ou communion avec Dieu en Jésus-Christ

La résurrection du Christ est la base de la foi chrétienne. Nous avons vu comment elle s'est élaborée dans le judaïsme tardif pour atteindre sa pleine révélation dans le mystère chrétien295. Saint Paul la présente comme le pilier de la doctrine chrétienne (cf. 1 Co 15, 1-24). Mais les Lobi croient déjà à une vie après la mort et nous avons vu comment ils redoutent la résurrection matérielle des morts depuis que le mythe des origines a rendu cette perspective impossible296. Alors comment annoncer le mystère de la résurrection de Lazare, signe de la résurrection du Christ et de tous les croyants, à des peuples africains297 comme les Lobi du Burkina-Faso, de la Côte d'Ivoire et du Ghana ? Il nous faut donc élaborer un discours théologique qui soit ancré dans le schème culturel de ces hommes et femmes du continent africain tout en sauvegardant la nouveauté radicale de ce mystère de foi.

3.2.1. La nouveauté radicale du mystère de la résurrection du Christ

Partant de notre étude exégétique de l'épisode de la résurrection de Lazare et en ayant en mémoire le mythe de l'entrée de la mort chez les Lobi298, nous pensons proposer un discours qui se veut inculturé pour annoncer la nouveauté du dogme chrétien de la résurrection. Nous pensons pouvoir exploiter le mythe téléologique de l'entrée de la mort dans l'histoire des hommes pour expliquer aux africains lobi le mystère de la résurrection de Jésus. La vérité de la résurrection du Christ est en soi une nouveauté radicale. C'est un événement exceptionnel et fondateur d'une nouvelle histoire et d'une nouvelle communauté. Et il s'impose comme tel aux hommes. Mais pour qu'il soit compris chez des africains comme les Lobi, nous suggérons, dans la dynamique littéraire johannique, de trouver le meilleur canal

295 Cf. Supra, Excursus sur l'idée de la résurrection dans la mentalité juive, pp. 63-65.

296 Cf. Supra, 3.5. Réincarnation et résurrection en contexte lobi, p. 99-100.

297 C'est aussi la grosse interrogation de l'abbé Jean Bosco MATAND BULEMBAT, op. cit., pp. 146-147, à la fin de son article : « Dans quelle mesure l'annonce de la résurrection du Christ peut être entendue et reçue, comprise et interprétée comme une ``bonne nouvelle'' ? Faut-il vraiment insister sur cette nouveauté de l'Evangile, quand chaque membre de famille sait d'avance que la mort d'un des leurs n'éloigne pas ce dernier (...) du bonheur parmi les ancêtres ? Autrement dit, si la résurrection du Christ a constitué une grande espérance et une bonne nouvelle pour ceux qui croyaient que la mort n'était qu'une perdition dans le royaume de l'oubli éternel, et une séparation irréversible d'avec les êtres chers et même d'avec Dieu, ou pour ceux qui croyaient à la puissance invincible de la mort, comment peut-elle être annoncée là où l'on croit déjà que la mort n'est aucune menace à la communion de vie entre les êtres chers, particulièrement entre les membres d'une même famille ? ».

298 Cf. Supra, 3.1. L'origine de la mort selon les Lobi, pp. 93-94.

de communication et de transmission. Tout comme chez saint Jean, il s'agira de déployer une herméneutique qui passe de la tradition ancestrale (juive ou lobi) à la révélation chrétienne299. Ce faisant, nous ne pourrons certainement pas être exempt de malentendu. Et si le malentendu était là pour nous rappeler le caractère inédit et inépuisable de sens du mystère même de la résurrection du Christ et de tout discours sur ce mystère ?

3.2.2. Une foi traditionnelle à porter à accomplissement

Les Lobi, comme la plupart des peuples africains, croient à une vie après la mort300. Le passage de la mort à la vie est ce qu'on appelle résurrection. Sa modalité est hors de l'expérience sensible. Elle est de l'ordre du méta-physique. Dans ce sens, on peut bien dire que les Lobi croient en la résurrection des morts. Ce disant, nous ne nous contredisons guère. En fait, les Lobi redoutent plutôt la réanimation des morts301 et non la résurrection comme vie alternative à la mort. Mais selon leur foi traditionnelle, cette vie ne peut se passer sur cette terre302. Et de plus, la vie après la mort est certes béatifique mais elle est encore confinée dans les villages et les familles issues de l'expérience terrestre passée303. Cette vie est bien harmonie avec les esprits, les différentes principautés ou puissances invisibles, mais elle n'est pas centrée avant tout sur une communion avec le divin. Elle est centrée sur la communion familiale. Certes, une telle mentalité traditionnelle a besoin de retouches catéchétiques, mais elle est aussi une véritable `semence du Verbe,' qui ne demande que la pédagogie du Christ se révélant à Marthe, pour la faire germer et porter du vrai fruit théologique. Le Christ est la résurrection véritable qui fait entrer dans la vie totale, dans l'harmonie originelle avec Dieu. Si la mort est un voyage vers l'au-delà dans la communion avec les ancêtres lobi, la résurrection du Christ est l'agrégation des Lobi, au-delà de la mort, à la communion avec Dieu et avec toutes les familles humaines, enfin réconciliées par l'Agneau Pascal304.

299 Nous pensons qu'ici réside l'originalité de notre démarche théologique qui s'inscrit bien dans la ligne d'une hermeneutique africaine inculturée de la Bible. Voir P. POUCOUTA, Lectures africaines de la Bible, Yaoundé, Presses de l'UCAC, 2002.

300 Cf. Supra, 3.3. L'au-delà chez les Lobi, p. 97.

301 Cf. Supra, 1.3.2. Critique lobi de la mort-résurrection de Lazare, pp. 112-113.

302 Nous revenons sur l'importance des initiations sociales chez les Lobi où il y a toujours une mort-résurrection symbolique qui n'est pas sans nous rappeler les cultes à mystères grecs et cultes orientaux (cf. Supra, note 245, p. 100). Les Lobi ont donc une notion de la résurrection. Le langage initiatique comme le pense l'abbé Antoine de Padoue POODA, un pasteur chevronné du milieu lobi, peut certainement nous aider à mieux traduire aux Lobi les mystères chrétiens. Ce que vit symboliquement l'initié lobi (vie-mort-vie), le Christ peut l'amener à le vivre réellement et pleinement.

303 Cf. J. B. MATAND BULEMBAT, op. cit., p. 148.

304 C'est là une manière nouvelle et originale de proposer une compréhension africaine lobi de la résurrection. Nous la déduisons de l'hermeneutique africaine lobi de l'épisode de Lazare que nous avons étudié. Voir aussi Compendium du Catéchisme de l'Eglise Catholique, Abrégé, Abidjan, Paulines Editions, 2006, n° 131.

Pour les Lobi, si dans le mythe originel c'était des animaux305 (le chien et le bouc : animaux pour le sacrifice) qui furent les messagers des hommes et de Dieu pour trancher sur la question de la mort ou de la résurrection dans la société des hommes306, le Christ, Dieu et Homme, se présente comme `l'envoyé de Dieu venant dans le monde' (Jn 11,27). Voici enfin celui qui peut dire ex cathedra « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11, 25) c'est-à-dire celui qui vient apporter la Bonne nouvelle aux Lobi, aux Africains, à tous les peuples (cf. Lc 4,16-19). Il vient crier enfin que Dieu a accédé aux désirs secrets des hommes et à l'éternité bienheureuse d'une vie pleine dans une communion familiale, divine, cosmique. C'est son Fils que le Dieu Créateur a envoyé en ces temps qui sont les derniers pour nous parler en son nom (cf. He 1,1-2)307 : maintenant, si on meurt on revient à la vie ! Pour exemple, Lazare sort de son tombeau par l'autorité de la voix puissante du Christ qui fixe son regard vers les cieux ; des morts ressuscitent le vendredi saint à la mort du nouvel agneau pascal par excellence (cf. Mt 27,53) ; des témoins voient et touchent l'Esprit du Ressuscité (cf. Jn 20,19-29). Désormais la mort définitive est vaincue. La vie dans l'au-delà n'est plus cantonnée à des villages ou à des familles bâties sur le modèle terrestre. L'envoyé de Dieu a réconcilié désormais le ciel et la terre. Le ciel et la terre se retouchent désormais. On n'a plus besoin de la médiation des nombreux esprits ou des puissances intermédiaires pour avoir l'harmonie avec Dieu Providence. Le ciel et la terre sont désormais unis par la croix du Christ. C'est cette croix qui fait l'unité entre toutes les familles, tous les villages, tous les peuples pour former une seule famille en Dieu (cf. Eph 2,11-22). Désormais ceux qui croient en sa puissance, ceux qu'il possède par son Esprit (cf. Ac 16,7 ; Ph 1,19), vivront sans craindre la mort définitive. Ils auront la vie pleine déjà sur cette terre. Et s'ils meurent, ils vivront avec lui dans son royaume, dans le village du Père où il leur a préparé des demeures (cf. Jn 14,2). Il reviendra à la fin des temps de son voyage vers le Père pour récapituler tout et le remettre sous l'autorité de son Père (cf. 1Co 15, 24-28 ; Ap 20, 11s ; 21,1s ; 22,12s). Il viendra conduire dans sa gloire ceux qui seront encore sur la terre (cf. 1 Th 4,13-18), et qui auront cru en lui.

3.2.3. La nécessité d'une conversion pour croire en la résurrection

La nouveauté de la foi chrétienne est nette et ses conséquences peuvent être incalculables dans la vie des Lobi. Ceux-ci devraient accepter de se convertir pour s'ouvrir à l'accueil du nouvel envoyé de Dieu (Thâgbaa-Thth-yùù), qui n'est plus présent en chair et en os au milieu des hommes, mais dans sa Parole (Th<m<<r). C'est cette parole qui est à la limite du mythe et de la ratio que les Lobi devront intégrer désormais dans leurs mentalités308. C'est dans ce sens qu'ils devront comprendre l'épisode de la résurrection de Lazare comme `signe mythique' ou signe du nouveau mythe de la résurrection des hommes309. Avec le Christ, ils entrent dans une nouvelle histoire, dans une nouvelle création, dans une nouvelle harmonie qu'ils recherchaient depuis la nuit des temps comme à tâtons : l'harmonie avec Dieu, la communion originelle avec le divin. Ce nouveau discours ou mythe sur Dieu et l'homme marquera désormais leur vie sociale. Il fondera un nouveau type de rapport entre l'homme et Dieu, et entre les hommes310. Le Christ, l'homme total (Tibil-Yiri) et Fils de Dieu (Tâgbaa-Bikuun), a ouvert par sa mort la nouvelle voie de la résurrection (Q<<r<).

Par ailleurs, ce mythe est nettement plus élaboré que le premier, car l'initiative vient désormais de Dieu, l'envoyé vient de la sphère divine, il est le premier à vivre la Bonne nouvelle qu'il a apportée aux hommes. Il meurt et il ressuscite. Il monte vers son Père et notre Père à tous désormais, pour préparer à tous des places dans la demeure divine. Par sa résurrection, une nouvelle fondation de société est inaugurée. Une nouvelle création ou recréation est amorcée dans une nouvelle société, la société ecclésiale où tous les hommes sont appelés à être frères, solidaires les uns des autres, et à vivre en enfants d'un même Père dans les Cieux. Une nouvelle route est ouverte désormais. Une nouvelle initiation est fondée311. Ce

308 En réalité, affirme, M. GOURGUES, op. cit., in Cahiers Evangile n°41, p. 16, « l'utilisation du mythe et du symbole est la seule ressource que nous ayons pour parler de l'au-delà ». Cf. J. M. ELA, op. cit., pp. 59-68, sur le symbolisme négro-africain. Lire aussi J. NDI-OKALLA, (Sous la dir.), Inculturation et conversion. Africains et Européens au synode des Eglises d'Afrique, Paris, Ed. Karthala, 1994, pp. 130-136.

309 L'épisode de Lazare qu'on a dans le dernier scrutin préparatoire au Baptême, le premier des sacrements de l'initiation chrétienne, peut bien être expliqué aux Lobi comme le mythe de fondation du mystère chrétien en prélude à l'événement fondateur du christianisme qu'est la résurrection de Jésus lui-même le matin de Pâques. Ce mythe, où il est question de mort-résurrection de l'ami, le chrétien lobi peut bien le comprendre si un tel discours est sociologiquement et linguistiquement inculturé à partir surtout des initiations sociales qu'on trouve chez les Lobi comme le J*r* et le Buur.

310 Faut-il le rappeler, le mythe ne saurait être confondu à la légende ou à une histoire sans fondement véritable. Pour les Lobi, les vérités essentielles et transcendantales se traduisent sous forme de Mythe. Parler de la résurrection chrétienne en langage de mythe pour une telle société ne dégrade en rien ce mystère de foi. Bien au contraire, le mythe, chez les Lobi, coupe court à toutes discussions inutiles pour enseigner la vérité essentielle et fondamentale.

311 L'image de la route ou du chemin est très forte chez les Lobi. L'initiation sociale J*r* elle-même est appelée hù-q<<r< (littéralement, marcher la route). Si la mort est un voyage vers l'au-delà chez les Lobi, il convient de leur expliquer la résurrection en terme d'arrivée chez soi, de retour au bercail, d'accueil dans la patrie céleste.

nouveau mythe de la résurrection-recréation de l'homme par Dieu en Jésus-Christ devrait marquer et renouveler par exemple la célébration de la mort. Il n'est plus donc question de célébrer la mort comme un voyage vers la maison d'un ancêtre familial particulier mais de célébrer la mort comme un voyage vers la maison d'un unique Père des hommes. Car par elle, nous sommes recrées ou renés à une vie nouvelle chez Dieu. Nous sommes ressuscités et accueillis dans un nouveau monde glorifié. Nous sommes introduits dans un au-delà de paix, d'harmonie totale retrouvée.

3.3. L'au-delà expliqué aux chrétiens lobi

La foi en Christ devrait éclairer le chrétien lobi dans sa conception même de l'au-delà. L'au-delà n'est pas un lieu donné. Ce n'est pas sous le fleuve ou dans un village du Ghana312. Il n'est situé nulle part. L'au-delà est totalement en dehors du temps et de l'espace. Il est du domaine de l'éternité. Dans les évangiles, Jésus en parle en paraboles et en images (parabole du riche et du pauvre Lazare, du jugement dernier en Mt 25)313. L'au-delà ne peut être que chez Dieu. C'est dans la grande maison de Dieu où le Christ est allé nous préparer des places que nous nous retrouverons à notre mort, nous qui croyons en lui. Il reviendra à la fin des temps ou de notre temps pour nous y conduire. Mais les morts lobi, avant d'arriver au bout de leur voyage vers la maison du Père, se doivent de se purifier. C'est cela se revêtir de l'habit des noces pour ne pas paraître honteux devant le Roi des Rois (cf. Mt 22, 1-14 ; Ap 7,9-17). Ceux qui n'auront pas cru en Christ et qui auront vécu en ennemis de Dieu n'entreront pas dans la Grande maison du Père. Ce sont eux-mêmes qui se seront exclus de là. Ils se créeront leur propre enfer314. Mais, ceux qui auront vécu dans le sens de l'harmonie avec Dieu et avec les hommes, déjà sur cette terre, entreront dans la parfaite harmonie béatifique. Ils formeront ensemble une grande et parfaite famille unie à Dieu et à son Fils unique Jésus-Christ. Cette ``famille des ancêtres dans la foi'' ainsi rassemblés autour du Christ, le Proto-Ancêtre3 15, car

312 Cf. Supra, 3.3. L'au-delà chez les Lobi, p. 97.

313 Tout ce qui relève de l'au-delà, nous ne pouvons qu'en parler en termes d'images et de paraboles ou de mythes, comme dans le courant apocalyptique juif et chrétien. C'est à notre tour, de trouver les images africaines, assez pertinentes, pour consolider la foi des chrétiens et nourrir leur espérance. Voir Compendium du Catéchisme de l'Eglise Catholique, Abrégé, op. cit., n° 125-135.

314 Cf. Catéchisme de l'Eglise Catholique, n°1033-1037

315 Cf. Le Christ comme Proto-Ancêtre est un titre christologique qui peut être bien compris par les Lobi. Comme l'écrit Jean Bosco MATAND BULEMBAT, op. cit., p. 148, « le Christ, étant par sa résurrection l'unique médiateur du salut éternel, est à considérer comme le proto-ancêtre de qui tout homme tire la protection contre n'importe quelle ``malédiction,'' c'est-à-dire n'importe quelle situation qui est expression de la mort ». Voir aussi A.T. SANON et R. LUNEAU, Enraciner L 'Evangile. Initiations africaines et pédagogie de la foi, Paris, Cerf, 1982, pp. 130-217 ; C. NYAMITI, Christ as our Ancestor. Christology from African Perspective, Zimbabwe, Mambo Press, 1994 ; SEMAINE THEOLOGIQUE DE KINSHASA, Théologie africaine. Bilan et perspectives. Actes de la dix-neuvième Semaine Théologique de Kinshasa 2-8 avril 1989, Kinshasa, FCK, 1989.

premier-né d'une multitude de frères ayant un même Père c'est-à-dire Dieu, ne peuvent qu'être favorables aux vivants de la terre qui les implorent avec piété filiale. Ces ancêtres ne peuvent être causes du malheur des vivants car ils sont des saints en communion parfaite avec le Créateur souverain. Prier Dieu à travers leur intercession bienveillante ne peut qu'apporter salut et grâce aux hommes316.

Nous pensons qu'une telle perspective eschatologique respecte la mentalité des Lobi tout en les ouvrant à la nouveauté de la foi chrétienne en ce domaine. Nous pensons que les termes comme paradis, purgatoire, enfer, ciel sont des images liées toujours à une culture donnée317. Et la culture africaine des Lobi ne manque pas d'images culturelles propres à même de communiquer ces réalités théologiques.

Conclusion au chapitre

Au terme de cette analyse théologique du dialogue interculturel entre la culture de la Bible et la culture des africains lobi, nous pensons avoir réussi à jeter de véritables jalons d'inculturation pour un discours pertinent de la foi chrétienne. Nous avons montré les difficultés pour les Lobi à comprendre la Parole de Dieu que nous avons étudiée. Nous n'avons pas occulté non plus les lieux de conversion impératifs des Lobi pour bénéficier des grâces divines que Dieu leur apporte dans la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Nous avons montré surtout le meilleur langage pour leur interpréter l'essentiel de ce message de foi et de salut. Ce faisant, nous avons tiré les implications de notre parcours exégétique et socioanthropologique des chapitres précédents. Nous pensons que cela est nécessaire pour asseoir une pastorale, en vue de libérer les africains lobi de la mort et de tous ses divers liens actuels.

CHAPITRE 6 :

Implications pastorales d'une inculturation de la théologie
de la mort et de la vie dans l'au-delà des Lobi à partir de la
lecture de Jn 11,1-44

Introduction

Dans ce dernier chapitre de notre parcours exégétique et théologique, nous voulons indiquer des pistes d'application de la Parole de Dieu afin de contribuer à l'évangélisation des Lobi. Il s'agira de tirer les implications pastorales du dialogue initié entre la culture de la Bible et la culture des Lobi. Cela répond donc à un souci de pragmatisme et d'inculturation de notre étude exégético-théologique à l'heure où nos églises locales sont encore en chantier. L'épisode de la résurrection de Lazare peut aider les chrétiens Lobi à vivre une pastorale des malades et une pastorale des funérailles sous la lumière de la foi véritable318. Le Christ vient répondre encore à l'appel de tous ses amis pour les libérer des liens de la mort. Les chrétiens ont ce devoir de le rendre encore présent sacramentellement dans les épreuves de deuil de leurs familles et de se laisser enseigner par celui qui continue de se révéler à eux comme la résurrection et la vie.

1 - Pour une pastorale renouvelée en faveur des malades

Une critique objective de la pastorale actuelle des malades en contexte chrétien lobi nous permettra de saisir l'urgence d'un renouveau en la matière pour une évangélisation en profondeur.

1.1. Nécessité d'une pastorale soutenue en faveur des malades chrétiens lobi

Notre expérience pastorale en milieu chrétien lobi au Burkina Faso et nos enquêtes auprès des pasteurs du milieu lobi en Côte d'Ivoire, nous ont permis de toucher du doigt la réalité pastorale en ce qui concerne la plupart des églises paroissiales où vivent les Lobi. En

318 Maladie et mort ont bien été des thèmes majeurs abordés dans l'étude exégétique de Jn 11, 1-44 (cf. Supra, pp. 9-64) et dans notre étude socio-anthropologique (cf. Supra, pp. 65-100). C'est dans ce sens que nous developperons dans ce chapitre, surtout la pastorale des malades et des personnes éprouvées par la mort.

matière de pastorale des malades, nous pouvons constater un manque général d'organisation en la matière. Il n'y a rien de systématique dans l'accompagnement des malades. Dans l'une ou l'autre paroisse, une timide association dénommée famille camillienne laïque commence à voir le jour avec pour vocation le souci des malades. Mais cela demeure embryonnaire. Certes, plusieurs C.C.B. ou C.E.B. 319 ont le souci de visiter les malades de leurs communautés. Mais les pasteurs n'ont plus beaucoup de temps pour accompagner ces chrétiens dans cette pastorale des malades. Des hôpitaux et des centres de santé sont sans aumônier désigné. Des malades attendent vainement la visite de l'homme de Dieu320. Et cela est une situation pastorale qui nous interpelle chaque jour. Des chrétiens sont découragés parce que leurs pasteurs n'ont plus le temps de porter la sainte communion aux malades, en famille ou au dispensaire. On voit rarement des chrétiens s'organiser pour se rendre au chevet d'un malade pour prier pour lui. Des chrétiens lobi malades qui ont recouvré leur santé ont quitté l'Eglise, parce qu'ils se disent avoir été abandonnés au milieu de leurs épreuves de santé. C'est pour cela qu'il est urgent de mettre sur pied une véritable pastorale des malades qui puisse rendre concrète la sollicitude du Christ pour les personnes malades.

1.2. Proposition de pastorale renouvelée envers les malades

Les malades chrétiens ont besoin d'expérimenter vraiment l'amitié de Jésus qui accourt vers eux à leur appel. Ils ne peuvent qu'être découragés tout comme Marthe et Marie, quand il doit toujours venir tardivement. Notre proposition concrète est d'organiser un mécanisme ecclésial afin que les malades ne soient pas touj ours ignorés dans notre pastorale chrétienne. Ils ont besoin de visite et d'accompagnement spirituel ou matériel.

Bien souvent, les chrétiens ne signalent aux pasteurs leurs malades que tardivement, souvent lorsqu'ils sont dans le coma ou en situation critique. Ils ont ainsi développé cette mentalité, à propos du sacrement des malades ou de la visite du prêtre, comme ultime recours en cas de maladie. Il nous faut corriger une telle mentalité dans nos communautés ecclésiales.

319 C.C.B. : Communauté Chrétienne de Base (Burkina-Faso) ; C.E.B. : Communauté Ecclésiale de Base (Côte d'Ivoire). C.C.B. et C.E.B. désignent donc la même réalité ecclésiale. Il s'agit de communauté chrétienne, à taille humaine, formée pour mieux permettre la vie de la communion et de l'unité entre les membres. L'exhortation post-synodale EIA n°89 dit en effet « L'Eglise-famille ne pourra donner sa pleine mesure d'Eglise que si elle se ramifie en communautés suffisamment petites pour permettre des relations humaines étroites ». L'Encyclique du pape JEAN-PAUL II, Redemptoris Missio, Cité du Vatican, Liberia Editrice Vaticana, 1990, n°5 1 précise que « la communauté ecclésiale de base est constituée d'un groupe de chrétiens qui se réunit pour la prière, la lecture de l'Ecriture, la catéchèse, ainsi que le partage des problèmes humains et ecclésiaux, en vue d'un engagement commun (...). Décentralisant la communauté paroissiale à laquelle elle reste unie, elle est ferment de vie chrétienne, construisant une nouvelle société fondée sur la civilisation de l'amour, et engageant ses membres pour la transformation de la société ».

320 Le synode du DIOCESE DE DIEBOUGOU, op. cit., p. 63, attire l'attention des agents pastoraux dans ce sens d'ailleurs !

Depuis Vatican II, nous avons dépassé la conception du sacrement pour les malades comme extrême-onction ou simple viatique321. Le sacrement des malades doit être vécu comme un sacrement de la vie et non comme un sacrement de la mort. Pour ce faire, nous encourageons dans chaque C.C.B. ou C.E.B. la mise en place d'un responsable et même d'une cellule de prière pour les malades. Comme le dit Pierre Jounel, il est souhaitable que dans chaque paroisse « il y ait un service des malades et des personnes âgées, chargé de coordonner les initiatives individuelles. Le rôle des femmes y est capital »322. Nous suggérons que chaque C.C.B. organise ce ministère, afin que ce service soit efficace et proche de tous les chrétiens si possible.

De plus, nous ne pouvons qu'encourager la formation des associations et mouvements dont la vocation serait spécifiquement la visite et le soin des malades. Ces associations peuvent se mettre sous le patronage de divers saints de l'Eglise qui se sont illustrés dans cette pastorale envers les malades et les personnes souffrantes. Nous pensons aux associations camilliennes ou de Saint Vincent de Paul encore balbutiantes dans les paroisses lobi du Burkina Faso. Les comités paroissiaux de lutte contre le SIDA émergent de plus en plus et s'orientent vers la prise en charge et l'accompagnement de tous les malades sans distinction, afin de ne pas contribuer à stigmatiser les malades atteints de SIDA pour qui ils manifestent une grande attention. Tout en encourageant cette pastorale, nous sommes cependant inquiet du fait qu'on parle plus dans ces comités de prévention et de dépistage du SIDA, au lieu d'une réelle sollicitude concrète pour les nombreux malades, déjà victimes de la pandémie. Il nous faut être plus pragmatique que théorique en la matière323. Nous proposons surtout qu'une véritable spiritualité anime ces comités de lutt e contre le SIDA. On peut cultiver en leurs membres l'attention au Christ présent dans le malade, puisque nous serons jugés au dernier jour pour avoir visité ou non les malades auxquels le Christ s'identifie (Mt 25, 36.43). Mais surtout, il nous faut aider tous les malades de nos communautés à bénéficier de la vie sacramentaire au milieu de leurs épreuves.

1.3. Pour une vie sacramentaire des malades alités ou impotents

Les malades et les personnes âgées vivent souvent en marge de la vie ecclésiale et sacramentaire. Nous devons les prendre en compte dans notre vie d'Eglise-famille où les personnes fragiles devraient être prises en charge par tous.

1.3.1. La visite des malades

La visite des malades et des personnes âgées est un geste fraternel que le chrétien devrait pratiquer souvent. Dans une perspective de foi, visiter un malade, c'est visiter le Christ, car celui-ci a voulu s'identifier à tous ceux qui souffrent : « J'étais malade, et vous m 'avez visité » (Mt 25,36). Certes, de nombreux malades ou personnes âgées en milieu lobi reçoivent les visites des chrétiens. Mais cela ne suffit pas. Il faut qu'on aide les malades et les personnes âgées à communier à la vie sacramentaire de l'Eglise s'ils sont chrétiens. S'ils ne sont pas encore chrétiens, un tel apostolat, motivé par l'amour chrétien, ne peut passer inaperçu. Il peut être un chemin de conversion pour plus d'un en situation de souffrance. Il est un puissant réconfort pour les croyants vivant l'épreuve de la maladie et souvent de la solitude. « La visite se situe d'abord au plan humain : manifestation d'une sympathie attentive à ce qui pourrait être utile ou agréable, souci de prévenir les désirs muets du malade ou de l 'handicapé. Mais celui-ci attend du messager de la communauté chrétienne un geste de réconfort dans la foi, un mot d'espérance en Jésus, une invitation à prier ensemble 324». Il ne suffit donc pas de s'inquiéter de l'état de santé du malade seulement à l'occasion de cette visite, il faut lui dire des paroles de réconfort inspirées de la Parole de Dieu. On peut lui faire goûter la Parole de Dieu de la liturgie du jour. On peut lui donner des conseils sur sa vie spirituelle ou sur sa vie sacramentaire. On peut lui conseiller la réception des sacrements de l'Eglise. C'est ainsi que le Christ rejoindra véritablement chaque homme dans sa `Béthanie' d'épreuve de la maladie et de menace de la mort, pour se révéler à lui comme la vie en plénitude. On peut donner au malade les nouvelles de la communauté chrétienne. En Afrique, on ne quitte pas un malade sans lui prodiguer des souhaits et des bénédictions divines. Le Christ doit être clairement la source de toutes ces grâces en pareille circonstance. C'est en communion avec lui, surtout dans les sacrements de l'Eglise, que le malade peut espérer la guérison et la vie éternelle.

1.3.2. L'Onction des malades

L'onction des malades est le sacrement de la maladie grave. Par ce sacrement, le Christ vient vers le malade pour l'apaiser, lui donner confiance, lui pardonner ses faiblesses et le fortifier ainsi moralement face à la maladie. Ce sacrement trouve en Jc 5, 4-15 ses fondements bibliques. Au Moyen-Âge, il sera appelé Extrême-onction, l'onction de ceux qui vont mourir. Donnée après le viatique, elle constituait la dernière étape de la pénitence. Il faut attendre le concile Vatican II dans sa constitution liturgique pour voir évoluer la terminologie et la pratique en la matière. « "L 'extrême-onction ", qu 'on peut appeler aussi et mieux l'onction des malades, n'est pas seulement le sacrement de ceux qui se trouvent à toute extrémité. Aussi, le temps opportun pour le recevoir est déjà certainement arrivé lorsque le fidèle commence à être en danger de mort par suite d'affaiblissement physique ou de vieillesse. 325» L'onction des malades est donc destinée à la vie des malades et non à leur mort. A ceux qui vont quitter cette vie, l'Eglise offre l'Eucharistie reçue en viatique (c'est-àdire en provision pour la route) pour les aider à assumer leur propre mort afin d'en faire une pâque avec le Christ. « C'est l 'Eucharistie qui est, à proprement parler, le sacrement des mourants 326». Il faut donc conscientiser les chrétiens afin qu'ils ne restent pas à l'ancienne notion du sacrement des malades comme extrême-onction. Bien des malades ont touj ours repoussé la réception de ce sacrement à cause de la crainte de la mort attachée à la réception de ce sacrement. En effet, d'aucuns pensent que le sacrement des malades est touj ours un passeport pour partir, c'est-à-dire pour mourir. Dans les prédications et la catéchèse, il faut donc que les agents pastoraux éclairent tous les chrétiens sur le sujet. L'occasion d'une célébration communautaire de ce sacrement peut être mise à profit dans ce sens.

1.3.3. Pour une célébration communautaire des sacrements en faveur des malades

Il convient de développer la célébration communautaire des sacrements en faveur des malades. On peut choisir un vendredi dans le mois où on peut faire une célébration communautaire pour tous les malades. Nous avons proposé ce jour en lien avec la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ le vendredi saint. Cette Messe en faveur des malades rassemblera les malades et les bien-portants de la communauté chrétienne. Il est souhaitable de préparer les malades à l'Eucharistie en leur proposant le sacrement de la réconciliation. A l'occasion de cette Messe, on pourra conférer l'onction des malades à ceux qui en expriment le désir et

qui en ont besoin. Cette célébration communautaire du sacrement des malades est plus que avantageuse. « Elle aide, en plus, à faire évoluer les mentalités, encore marquées par l 'usage qui faisait de l'Extrême-Onction le sacrement des mourants. Quand les malades ou des personnes âgées ont participé à une célébration communautaire de l 'Onction, ils sont mieux préparés à s 'entendre proposer ultérieurement la célébration individuelle, si leur maladie s 'aggrave ou si leurs forces déclinent. 327»

Mais il importe d'accorder une bonne place à la Parole de Dieu et à la révélation du mystère du salut chrétien lors d'une telle célébration communautaire des sacrements pour les malades. Comme jadis à Marthe, le Christ vient se révéler comme la vie véritable de ceux qui croient en lui. Et c'est dans sa Parole qu'il continue de se révéler à tout homme malade et désemparé face à la souffrance ou à l'épreuve humaine. C'est là que le Christ le rejoint et l'accompagne sur le chemin de ses luttes contre la mort et pour la vie. A l'occasion, il se révèle même comme viatique pour le malade en fin de vie.

1.3.4. Le viatique pour les malades en fin de vie

Le viatique demeure cependant le dernier sacrement du chrétien en route pour l'audelà. Il convient que les chrétiens en soient bien informés. Beaucoup font l'amalgame entre le viatique et le sacrement des malades. « On appelle viatique (en latin via, le chemin), la communion donnée à un mourant. L 'Eucharistie a toujours été considérée comme le véritable sacrement du moment de la mort 328». C'est elle qu'il faut proposer aux mourants. Le viatique est normalement précédé de la réception du sacrement de la réconciliation et du sacrement des malades. C'est l'Eucharistie pour la route. « Cette communion au corps et au sang du Christ est la nourriture de la dernière étape, le sacrement du passage de la mort à la vie, la Pâque du chrétien. Elle est la dernière et suprême affirmation de foi 329». Mais elle n'est pas la canonisation directe de celui qui part. Bien souvent, certains chrétiens le pensent ainsi. Et ils n'hésitent pas à prendre à partie ceux qui, pour des raisons quelconques, ont retardé ou empêché la réception de ce sacrement par leur malade. Cela demande une clarification des pensées dans la catéchèse et dans la prédication.

En milieu lobi chrétien, il peut être intéressant de partir de cette notion chrétienne de viatique ou de nourriture eucharistique pour la route, pour déboucher dans la vision lobi de la

327 P. JOUNEL, op. cit., p.812. Voir aussi AAVV, Encyclopédie de la foi, Tome III, Paris, Cerf, 1966, art. ``onction des malades'', pp. 223-230.

328 AAVV, Théo. L 'encyclopédie pour tous, Paris, Droguet Ardant/Fayard, 1992, p. 982c.

329 P. JOUNEL, op. cit., p. 860. Cf. Catéchisme de l'Eglise Catholique n°1 524.

mort comme voyage. Dans ce sens, tout le rite complexe des funérailles peut bien aussi se comprendre comme viatique du chrétien lobi en route pour l'au-delà chez Dieu.

2 - Pour une Pastorale nouvelle des funérailles en milieu lobi

Encore aujourd'hui, des chrétiens comme Marthe et Marie attendent l'arrivée de Jésus pour guérir et sauver leurs parents malades. Ceux-ci connaissent aussi la mort tout comme Lazare chez saint Jean. Et Jésus ne manquera pas de venir à `Béthanie' si les chrétiens l'invitent avec foi. Il viendra réveiller celui qui dort dans le noir tombeau. Il viendra le relever car lui-même a vaincu la mort par sa propre mort. Il viendra se révéler surtout par sa Parole et par sa présence sacramentaire comme la résurrection et la vie. L'Eglise a ce devoir aujourd'hui de rendre concrète cette venue salvifique de Jésus-Christ au lieu de l'épreuve de la mort des hommes. Il importe de soigner ces moments de rencontre entre Jésus-Christ et les croyants éprouvés par le deuil, surtout en milieu africain lobi. C'est dans ce sens, que nous voulons suggérer des orientations pastorales que doivent prendre en compte les rites funéraires en milieu chrétien lobi.

2.1. La prédication de la Parole de vie du Christ au lieu des funérailles

La venue du Christ aux funérailles de Lazare a été pour lui l'occasion de se révéler en parole à Marthe et en acte à Marie et à tous les témoins Juifs comme la résurrection et la vie330. De même, il convient d'accorder, à notre avis, une large part à la prédication de la Parole de Vie durant les funérailles chrétiennes.

2.1.1. L'annonce effective de la parole de Dieu aux funérailles des Lobi

Dans la pratique actuelle en milieu chrétien lobi, la note chrétienne qu'on voit aux funérailles chrétiennes, à part les différents élagages du rite traditionnel de ses éléments taxés de superstitieux par les premiers Missionnaires, est la prière du chapelet avec la méditation des mystères chrétiens. Certes, il est heureux que la prière trouve sa place au coeur de nos funérailles. Mais ce qui devrait prendre le pas, c'est, à notre avis, la proclamation de la Parole de Dieu sur la mort et la vie. Il nous faut proclamer à tous que Christ est la résurrection et la vie. Les chrétiens éplorés et tous les amis et parents accourus devraient entendre le message de foi que le Christ avait proclamé à Marthe. Nous pensons que les funérailles chrétiennes lobi sont le meilleur aréopage social pour évangéliser en général. Les funérailles rassemblent

beaucoup de monde en milieu lobi. Elles sont si importantes qu'elles monopolisent pendant deux ou trois jours la vie sociale et villageoise. Il n'y a pas meilleur endroit pour rejoindre les Lobi pour leur parler de Jésus-Christ. Que ce soit au balafon ou auprès du cadavre331, les chrétiens peuvent témoigner de leur foi en la vie éternelle avec le Christ. Cela réconfortera la foi des personnes éplorées et cela sera un témoignage audible à tous les Lobi de la religion traditionnelle qui sont toujours solidaires de tous ceux que le deuil frappe dans la société332.

En plus des plages traditionnelles qui sont offertes pour témoigner de la Parole de Dieu au lieu des funérailles chrétiennes, nous encourageons les veillées de prières où la Parole de Dieu est proclamée, commentée et méditée. Nous pensons que lors des veillées funèbres où un grand monde vient veiller auprès du mort et de ses parents éplorés, les chrétiens ont le devoir d'animer cette veillée par une méditation de la Parole de Dieu333. Il s'agira d'une célébration de la Parole de Dieu ponctuée de chants d'espérance chrétienne et de prières adaptées au contexte funéraire et social. Il ne s'agit pas de faire les éloges du disparu. Il s'agit de rendre présent à ces funérailles Jésus-Christ, Résurrection et Vie.

Par exemple, nous trouvons bien indiqué le texte de la résurrection de Lazare en Jn 11,1-44 que nous avons étudié et traduit en langue lobiri. Il s'agit de prendre le temps de le lire posément et d'en faire une herméneutique adaptée à la circonstance de deuil en milieu lobi. Dans ce sens, le commentaire qui en découlera devra avoir le souci d'inculturation comme nous l'avons vu dans le chapitre précédent334. Il serait heureux de montrer comment le Christ vient se présenter comme le chemin, la vérité et la vie (cf. Jn 14,6) pour le chrétien lobi en route pour l'au-delà. Il convient de permettre aux esprits troublés des Lobi en face de la mort d'être éclairés par la lumière de cette page d'évangile. Le Christ vient se révéler comme le messager qui vient de chez Dieu pour apporter la bonne nouvelle de la vie totale possible en lui. Ces lieux de funérailles demeurent les meilleurs champs d'inculturation actuelle de la Parole de Dieu dans nos sociétés.

331 Les Lobi comme nous l'avons vu dans la deuxième partie de notre étude rendent témoignage aux morts à côté du cadavre exposé ou à côté du balafon interprète. Nous trouvons dans ce rite traditionnel le meilleur endroit pour témoigner de la foi du chrétien qui est mort et son espérance en Christ le Maître de la vie.

332 Le synode diocésain de Diébougou le déclare bien aussi : « les funérailles sont un moment privilégié pour le témoignage de la Foi, de la Charité et surtout de vivante Espérance dans la communauté chrétienne. L'homme est plus que sensible au témoignage de solidarité de toute sorte et surtout spirituel à ces heures de terrible épreuve qu'est la mort », DIOCESE DE DIEBOUGOU, op. cit., p. 26.

333 Cf. C. BIOT, La célébration des Funérailles. Propositions et perspectives, Paris, Desclée de Brouwer, 1993.

334 Cf. Supra, 3. Inculturation du discours chrétien sur la mort et la vie chez les Lobi, pp. 117-124.

2.1.2. Inculturation de la parole de Dieu et prières aux funérailles

Le concile Vatican II en parlant des peuples dit que « tout ce qui, chez eux, peut se trouver de bon et de vrai, l'Eglise le considère comme une préparation évangélique 335». Le Christ vient les assumer, les purifier et les porter à l'accomplissement. Il vient alors assumer les conceptions traditionnelles des Lobi sur la mort mais il les purifie aussi de sa lumière. Il nous faut convertir tout ce patrimoine traditionnel pour qu'il soit une offrande agréable pour Dieu, que cela puisse servir à élever son nom336. C'est ce que fit Israël au contact des autres peuples du Moyen Orient ancien. Il a su rapporter à Yahvé, l'unique Dieu, les attributs que les autres peuples conféraient à leurs diverses divinités337. De même, les traducteurs de la Septante et les Pères de l'Eglise n'hésitèrent pas à utiliser des catégories philosophiques grecques pour faire comprendre le mystère du Dieu Révélé. Mais ils n'hésitèrent pas à donner un autre sens tout à fait nouveau et original à ce qu'ils empruntaient à leur culture ambiante.338 Il nous faut savoir redéfinir les termes que nous empruntons à nos cultures. Il nous faut purifier les mentalités en les éclairant par notre théologie et notre christologie. Jésus a su faire évoluer Marthe de sa foi primitive à la belle confession de foi en lui le Messie et le Fils de Dieu. Il a su, par le dialogue pédagogique, la conduire à la foi totale en lui, une foi ferme et personnelle (`oui, je crois'). Imitions la pédagogie du Christ dans nos catéchèses et dans nos prédications afin qu'en définitive la foi au Christ puisse devenir personnelle chez les chrétiens lobi. Il ne suffit donc pas d'annoncer la Parole de vie aux funérailles des chrétiens lobi. Il faut que cela débouche sur une confession de foi en Christ le Sauveur et le Fils de Dieu. Chanter ou réciter notre foi en Christ durant la veillée funèbre ou à la Messe des obsèques devrait aller de soi. Cela peut précéder le temps des intercessions et des prières d'action de grâces.

En effet, les funérailles chrétiennes devront se ménager de véritables temps de prières. Certes, la veillée funèbre est un moment idéal, mais il convient de ponctuer les grandes étapes de la célébration des funérailles lobi de moments de prières. Habituellement, les prières chrétiennes sont recommandées le matin, à midi, et le soir. Mais avant la mise en tombe ou la

335Concile Oecuménique Vatican II, Lumen Gentium n°16

336 L'exhortation post-synodale du pape JEAN-PAUL II dans Ecclesia in Africa dit bien que « la synthèse entre culture et foi n'est pas seulement une exigence de la culture mais aussi de la foi parce qu'une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n'est pas pleinement accueillie, entièrement pensée et fidèlement vécue (...). Le défi de l'inculturation en Afrique consiste à faire en sorte que les disciples du Christ puissent assimiler toujours mieux le message évangélique, restant cependant fidèles à toutes les valeurs africaines authentiques » EIA n°78.

337 Cf. AAVV, « Prières de l'Ancien Orient » in Supplément aux Cahiers Evangile n°27, Paris, Cerf, 1979.

338 Cf. ASSOCIATION DES PATROLOGUES AFRICAINS, Les titres christologiques dans la patristique, Kinshasa, FCK, 2001.

mise en bière, des temps de prières peuvent être bénéfiques. Jésus a prié devant la tombe de Lazare. Il a levé les yeux vers Dieu son Père. Il nous a appris à prier de même. Il nous invite à la confiance totale en Dieu à qui nous devons rendre grâce pour tout. Il convient qu'on tienne compte de cet aspect de la prière d'action de grâce à nos lieux de funérailles. Ce sont elles qui aideront nos chrétiens à se libérer de la peur de la mort. Souvent comme Marthe, ils redoutent l'ouverture du tombeau par Jésus. Ils ont besoin d'être soutenus par notre prière afin qu'ils croient jusqu'au bout et qu'ils voient la gloire de Dieu se manifester dans la vie des morts comme des vivants. C'est avec cette aide qu'ils pourront faire montre de comportements véritablement chrétiens durant le deuil qui les frappe.

2.2. Attitudes chrétiennes face à l'épreuve du deuil et de la mort

L'attitude chrétienne inspirée par la sollicitude de Jésus pour Lazare et ses soeurs doit être la compassion pour les malades et pour les familles éplorées339. Le chrétien, qui accueille le Christ dans sa vie, ne devrait plus avoir peur de la mort.

2.2.1. La compassion de l'Eglise-famille dans le deuil de ses membres

La compassion à l'image de celle du Christ à l'égard des personnes éplorées doit être non seulement l'attitude fondamentale des chrétiens mais surtout celle de toute l'EgliseFamille, solidaire de la peine qui frappe tous ses membres.

2.2.1.1. La compassion de Jésus comme modèle de vie

La compassion de Jésus pour les personnes endeuillées comme à Béthanie (Jn 11, 1- 44) ou à Naïn n'est plus à démontrer340. Lc 7, 11-16 nous montre bien le Christ éprouvant de la pitié pour une pauvre veuve qui portait en terre son fils unique fauché dans la fleur de l'âge. Il fait arrêter les porteurs du cercueil, dit à la veuve « Ne pleure pas » (v.13) et d'une parole, il ressuscite l'enfant et le donne à sa mère. Cette résurrection du fils de la veuve de Naïn a abouti à cette belle confession de foi des témoins : « un grand prophète s 'est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple » (v.16). C'est la même compassion du Christ qui conduit à la même foi les témoins de la résurrection de la fille de Jaïre en Mc 5, 21-43 avec les parallèles

339 Dans notre problématique de départ (cf. Supra, p. 6), nous nous interrogions déjà sur le comportement adéquat du chrétien face à l'épreuve de la mort et du deuil. Nous proposons ici une réponse à cette question en partant de l'exemple du Christ tel que nous l'avons découvert à travers l'analyse exégétique et l'hermeneutique africaine lobi de l'épisode de Lazare en Jn 11, 1-44. Notre proposition pastorale s'adresse à l'ensemble de l'Eglise mais aussi à chaque chrétien, en particulier, appelé à suivre le Christ, chemin, vérité et vie (cf. Jn 14,6).

340 Cf. Supra, 1.2.4.4. Le trouble de Jésus devant la mort, pp. 50-52.

en Lc 8, 40-56 et en Mt 9, 18-26. Tous les quatre évangélistes ont tenu à nous présenter un tel visage compatissant de Jésus, le Maître de la vie. Il est en cela un modèle pour l'Eglise ou pour la communauté chrétienne341.

Alors, la première attitude à recommander à l'Eglise et à chaque chrétien en face du deuil, dans la société des Lobi, c'est la compassion à l'image du Maître. Cette compassion se montrera visible dans le déplacement et la participation des chrétiens aux funérailles des hommes et femmes de toute religion et de toute condition sociale. Car il ne s'agit pas d'assister seulement aux funérailles des chrétiens. Cette compassion de l'Eglise passe par des gestes concrets de solidarité dans la peine de la part de ses membres : présence, pleurs, dons, soutiens pour les dépenses diverses, conseils, consolation, amour, tendresse etc. Mais les chrétiens devront garder en tout leur identité sans compromission dans des cultes qui peuvent aller à l'encontre de leur foi au Dieu de la vie. Le soutien de l'Eglise-Famille les aidera dans ce sens.

2.2.1.2. Le rôle de l'Eglise-Famille dans la célébration des funérailes

Pour le cas surtout des funérailles spécifiquement chrétiennes, il convient que la communauté chrétienne se manifeste comme Eglise-Famille. En milieu lobi, les funérailles concernent des familles claniques ou alliées, des villages et même des régions entières. Le lieu des funérailles est le rendez-vous par excellence où la communauté chrétienne peut se montrer réellement comme famille. Les funérailles ne devraient pas relever uniquement et avant tout du ressort des familles naturelles et claniques. Le chrétien baptisé en Christ est membre d'une grande famille qui est l'Eglise. Ses obsèques doivent avant tout être dirigés et célébrés par cette famille. Il est donc hors de question qu'un père des funérailles342 soit un membre extérieur à la communauté chrétienne. Si le père géniteur est absent ou s'il n'est pas chrétien, le parrain de baptême ou un responsable de la communauté chrétienne est bien désigné pour jouer ce rôle essentiel dans la célébration des funérailles en contexte lobi. C'est lui qui précisera tout ce qu'il est permis de faire pour mieux `mettre en route' son fils sur le chemin qui conduit à la maison du Père Eternel. S'il est donc vraiment chrétien, il saura

conduire en toute responsabilité les funérailles sans syncrétisme et sans maladresses culturelles.343

Dans ce sens, les chrétiens lobi ont besoin donc d'être bien formés à cela par une bonne catéchèse inculturée (une double inculturation même, celle qui tient compte de leur culture traditionnelle encore vivace et de celle du monde globalisé qui les enserre chaque jour un peu plus). Ainsi, ils se sentiront réellement membres d'une même famille en Eglise et alors solidaires dans la joie comme dans l'épreuve du deuil. C'est là qu'il faut vivre concrètement notre option fondamentale d'Eglise africaine qui se veut une véritable Eglise-Famille344. En Afrique, bien plus chez les Lobi, tout deuil rassemble, unit, réconcilie et ressoude les membres d'une même famille entre eux et avec ceux qui sont partis dans l'au-delà, cet au-delà qui est chez Dieu selon notre foi chrétienne345. C'est le lieu de vivre réellement notre communion avec les saints. Seule une telle solidarité véritable entre le ciel et la terre pourra exorciser la peur de la mort chez les hommes lobi.

2.3. Vaincre la peur de la mort

Le Lobi a touj ours une peur de la mort à cause de son caractère irréversible et dramatique. Sa société a élaboré des rites pour exorciser cette peur. Si nous rejetons en tant que chrétiens ces différents rites que nous caractérisons de superstitieux, il nous faut les remplacer par des rites qui sauvent réellement le chrétien lobi du choc psychologique que provoque toute mort.

343 Nous ne pensons pas utile de citer ici des interdits pour les chrétiens en pareille circonstance. Notre religion se doit de dépasser l'image d'une religion uniquement d'interdits. Cela ne rend pas responsables les chrétiens. Et la déprime de la société occidentale actuelle qui a eu ras le bol des interdits moyenâgeux est là pour nous en convaincre. Cela a donné lieu à tout ce mouvement social de mai 68 en France avec ce slogan malheureux : il est interdit d'interdire...

344 Pour saisir l'ecclésiologie de l'Eglise-Famille, on peut se référer ici à l'Exhortation post-synodale Ecclesia in Africa du pape JEAN-PAUL II au n° 63 : « Non seulement le Synode a parlé de l'inculturation, mais il l'a appliquée en prenant, pour l'évangélisation de l'Afrique, l'idée-force de l'Église Famille de Dieu. Les Pères y ont vu une expression particulièrement appropriée de la nature de l'Église pour l'Afrique ». Dans ce sens, on lira avec profit l'oeuvre de R. HOUNGBEDJI, L 'Eglise-famille en Afrique selon Luc 8, 19-21- Problèmes de fondements, Fribourg, Université de Fribourg, 2006. Voir aussi sur le sujet : A.E. OROBATOR, The Church as Family. African Ecclesiology in Its Social Context, Nairobi, Paulines Publications Africa, 2000, 184p. ; J.-M. KUSIELE DABIRE, L 'Eglise-Famille de Dieu (Approche théologico-doctrinale et pastorale), Imprimerie de la Savane, Bobo Dioulasso, 1992 ; J.-M. KUSIELE DABIRE, Le sacrement de confirmation, thèse de doctorat, Paris, Juin, 1985 ; B. D. YANOOGO, Eglise-Famille au Burkina Faso. Contribution théologique et perspectives pastorales, Abidjan, ICAO, 1991 ; A. QUENUM et J.-M. KUSIELE DABIRE, Eglise Famille de Dieu. Chemin de fraternité en Afrique. Essai de réflexion théologique inculturée, Abidjan, UCAO, 2004.

345 Cf. J.M. ELA, op. cit., p. 42.

2.3.1. Action pastorale pour exorciser la peur de la mort chez les chrétiens lobi

Beaucoup d'efforts pastoraux sont faits au niveau de l'Eglise en milieu lobi afin que les chrétiens n'aient pas peur de la mort. Le Christ leur maître est vainqueur de la mort (cf. 1Co 15, 55-58). Il est hors de question que les chrétiens se mettent à interroger les morts à la recherche de la cause cachée de la mort346. Depuis l'Ancien Testament, toute évocation ou invocation des morts est interdite par le Dieu révélé (cf. Lv 19,31 ; 20,6.27 ; Dt 18,11 ; 1S 28,9). Certes, l'attitude du chrétien devant la mort ne doit pas être influencée par la peur, mais on ne peut ignorer l'état psychologique fragile dans lequel toute disparition brutale met l'homme de faible ou de sensible caractère. De nombreux chrétiens, d'ailleurs, pallient à ce manque par un usage désordonné des sacramentaux comme l'eau bénite ou le chapelet, d'où le besoin d'une action pastorale plus efficace dans ce domaine.

Il convient que les pasteurs soient attentifs à l'état d'esprit de leurs ouailles, confrontées à la réalité de la mort, pour les aider à vivre chrétiennement ces moments d'épreuve avec foi. Il ne s'agit pas de balayer d'un revers de main leurs craintes et leurs inquiétudes en les renvoyant dire une dizaine de chapelets parce qu'elles nous ont rapporté des songes ou des rêves sur les personnes défuntes qui continuent de hanter leurs mémoires. C'est souvent parce que les pasteurs se montrent incapables de les comprendre que ces chrétiens déboussolés par l'épreuve de la mort se tournent vers les devins et autres gourous de la région. Bien des pasteurs continuent à penser comme les premiers Missionnaires, parce que eux aussi sont animés de l'esprit occidental qui tend à dénier toute vérité aux expériences supra-sensorielles ou aux phénomènes paranormaux. Il nous faut, comme pasteurs, rejoindre nos ouailles dans leur champ sémantique des peurs et des angoisses du quotidien pour leur présenter des paraboles inculturées sur le Royaume de Dieu tout comme le faisait le Maître Jésus pour les auditeurs de son temps. Un tel souci nous permettra de trouver les gestes et les sacramentaux, qui peuvent montrer aux Lobi chrétiens en cheminement de conversion, la main de Jésus, le Maître de la vie, qui vient les toucher pour les apaiser347.

2.3.2. La foi en Christ vainc la peur de la mort

Dans l'épisode de Jésus marchant sur les eaux (cf. Mc 6,45-52 ; Jn 6,16-2 1 ; Mt 14,22- 33), les disciples ont aussi connu la peur en voyant Jésus au milieu de la nuit et au milieu de la mer hostile. « Les disciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés : ``c 'est un fantôme'', disaient-ils, et pris de peur ils se mirent à crier » (Mt 14,26). Jésus les rassure que c'est bien lui qui les rejoint. Il invitera Pierre à le rejoindre et il étendra sa main pour le soutenir quand il commencera à douter. Il s'agit pour tous les pasteurs d'imiter la sollicitude du Maître le Christ devant la peur des chrétiens. Beaucoup ont encore peur des fantômes de toutes sortes. Il ne sied pas de banaliser leurs craintes et leurs peurs. Jésus ne l'a pas fait à l'égard de ses disciples. Il s'est montré rassurant. Les pasteurs sont invités à être ces voix rassurantes et ces mains secourables du Christ qui vient encore apaiser et conduire à la foi ses disciples. La finale de l'épisode de Jésus marchant sur les eaux ne conclut-elle pas sur une superbe confession de foi des disciples apeurés mais apaisés ? « Ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, en disant : vraiment, tu es le Fils de Dieu ! » (Mt 14,33). Notre mission pastorale sera de conduire tous les chrétiens, au-delà de toutes leurs peurs, à se prosterner devant le Fils de Dieu qui vient leur apporter la paix véritable.

Mais l'effort est toujours demandé aux chrétiens de dépasser les peurs et les angoisses devant la mort par une véritable vie de foi348. La foi en Christ vainc la peur de la mort, car le Christ a vaincu la mort. Sur lui la mort n'a plus aucun pouvoir. C'est cette foi qui pousse le chrétien apeuré à se confier à la prière et à l'écoute de ses frères de communauté. Un manque d'ouverture aux responsables et aux frères de communauté accentuent souvent nos peurs de chrétiens devant la réalité de la mort. De même, les chrétiens devraient se montrer touj ours proches des personnes éplorées par le deuil afin de les rassurer dans leurs angoisses et de les soutenir dans l'épreuve. Nous pensons qu'il faudrait que cela puisse être automatique dans les C.C.B. ou C.E.B. afin qu'il y ait toujours une chrétienne ou un chrétien pour accompagner pendant le temps du veuvage les personnes concernées par le deuil. Cela réduirait les tentations et les harcèlements dont sont objet les pauvres veufs ou veuves en situation de fragilité psychologique. Cela est nécessaire pour une véritable libération des Lobi de toutes les forces sociales oppressantes et angoissantes.

3 - La pastorale de la libération des Lobi

L'étude de l'épisode de la libération de Lazare des liens de la mort nous invite à réfléchir à toutes les actions pastorales qu'il convient d'engager afin de libérer les chrétiens lobi des forces oppressives et mortelles actuelles. Ce chemin de libération passe par le souci des veuves et des orphelins et la prise en compte du besoin des Lobi d'être en communion perpétuelle avec leurs ancêtres qui les ont précédé dans la mort.

3.1. Communion et libération dans les rapports entre vivants et morts

Il importe de libérer le chrétien lobi de toutes les pratiques culturelles et sociales qui l'empêchent de vivre en paix et en harmonie avec ses frères et avec Dieu. Tout sera mis en oeuvre afin de soigner sa relation existentielle avec Dieu, avec tous ses ancêtres qui l'ont précédé dans la mort et avec les vivants, ses compagnons de route sur cette terre.

3.1.1. La libération des orphelins et des veuves dans la communauté chrétienne

De tout temps, la situation des orphelins et des veuves, dans les sociétés humaines, a toujours été précaire. La Bible recommande bien l'assistance aux veuves et aux orphelins349. Elle invite à les protéger (cf. Ex 22, 20-23 ; Dt 14,28-29 ; 24,17-22). Malheur à ceux qui abusent de leur faiblesse (cf. Is 10,2 ; Mc 1 2,40p) ! Jésus, comme Elie, rend à une veuve son fils unique mort (cf. Lc 7,11-15 ; 1R 17,17-24). Le Maître, sur la croix, prit le soin de confier sa mère au disciple bien-aimé (cf. Jn 1 9,26s). Et dans le service quotidien de l'Eglise primitive, les besoins des veuves étaient pris en compte (cf. Ac 6,1). Si ces veuves n'ont plus de parenté (cf. 1 Tm 5,16 ; Ac 9,36-39), la communauté doit les prendre en charge, comme l'exige la piété (cf. Jc 1,27 ; Dt 26,12s ; Jb 31,16).

Dans la société des Lobi, les orphelins et les veuves vivent aussi une situation précaire. Durant la période de deuil, ils sont frappés par une certaine impureté rituelle. Plus que les orphelins, les veuves vivent durement leur veuvage350. La situation des veufs est moins contraignante. Les veuves sont obligées de vivre en réclusion avant la fin du deuil. Elles ne sont pas autorisées à se laver, à s'habiller décemment, à se déplacer librement. Elles se badigeonnent le corps d'argile et de glaise chaque matin avec des eaux lustrales. Elles sont alors très sales. Tout est fait pour qu'elles ne soient pas attirantes et même qu'elles soient

349 Cf. AAVV, Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Cerf, 1991, art `veuves' col. 1343-1344.

350 Nous évoquons ici le temps du veuvage qui va des premières funérailles aux secondes funérailles puisqu'à la fin du deuil, chez les Lobi, la veuve peut de remarier rapidement.

dégoûtantes. Et elles peuvent vivre dans cet état pendant une année entière avant les dernières funérailles. C'est ce qui rend leur condition de vie préoccupante. Certes, la société voudrait par là les protéger contre la souillure de l'esprit de leur défunt mari et contre les hommes pervers. Mais une telle condition de vie est généralement imposée par la peur de la mort. Elles sont soumises ainsi à un grand nombre d'interdits très stricts.

Alors, il est bien heureux que les veuves chrétiennes soient déchargées de ce lourd fardeau qu'on impose dans la société traditionnelle aux veuves. Les veuves chrétiennes se lavent au début de leur veuvage par une eau dans laquelle est ajoutée de l'eau bénite et elles se rasent la tête comme toutes les veuves et les orphelins de leur société en signe de deuil. Elles ont pris l'habitude de porter un habit de deuil de couleur noire, pendant que la couleur de deuil dans la société des Lobi est le blanc. On y voit une volonté expresse de couper court avec les contraintes d'une culture traditionnelle trop astreignante. Mais elles se réfugient là dans des pratiques funéraires influencées par la civilisation occidentale ou par d'autres cultures. C'est ainsi qu'en Côte d'Ivoire, l'habitude s'impose de plus en plus de faire un uniforme vestimentaire pour les membres de la famille concernée par les funérailles. Outre les dépenses multiples et les différentes frustrations que cela peut occasionner, nous constatons le développement de pratiques funéraires, nouvelles à la société et non moins contraignantes. Il convient alors que les pasteurs et les chrétiens soient attentifs à dénoncer et à freiner de telles pratiques. Il faudrait libérer les veuves du lourd carcan traditionnel sans leur en ajouter davantage. Mais il importe surtout que les pasteurs aident les veuves par des sacramentaux adéquats et des gestes symboliques apaisants afin de les sauver des tentations syncrétistes.

Nous proposons, dans la ligne de la pratique de l'Eglise primitive, qu'il y ait dans la communauté chrétienne une institution des veuves (cf. 1Tm 5,9). Une telle association des veuves chrétiennes sera un cadre de rencontre, de partage, de soutien et de prière (cf. 1 Tm 5,4). Les pasteurs auront souci de les former davantage à la vie chrétienne. La communauté organisera une aide matérielle quand il le faut, afin que les orphelins et les veuves de l'EgliseFamille bénéficient de soutien effectif. Les veuves d'un certain âge, vraiment seules et dégagées de toute obligation familiale, s'adonneront davantage à une vie de prière (cf. 1Tm 5,5s) et d'évangélisation. Nous avons rencontré dans la paroisse saint André Kaggwa de Bouna en Côte d'Ivoire une telle organisation de veuves bien dynamique. Ces veuves chrétiennes lobi se soutiennent dans leur vie chrétienne. Dans la paroisse de Kampti, on les retrouve pour la plupart dans le groupe de prière de la Légion de Marie et leur apostolat est important. Notre souhait est que la communauté chrétienne soit soucieuse de leur prise en

charge comme le recommande l'apôtre (cf. 1Tm 5,16). Cela les aidera à mener une véritable vie chrétienne de prière, de chasteté et de charité (cf. 1 Tm 5,10). Ainsi pourront-elles être respectées dans la société où elles vivent. Elles pourront s'occuper particulièrement des orphelins et de tous les enfants abandonnés. En ces temps de pandémie du Sida, elles seront attentives à la situation de ces nombreux orphelins et femmes stigmatisés à cause de ce fléau. Les pasteurs devraient avoir ce souci pastoral qui devient de plus en plus crucial dans nos communautés chrétiennes. C'est l'invitation à vivre à fond notre idéal d'Eglise-Famille, solidaire de tous ses membres, surtout des plus fragiles. Cette solidarité de l'Eglise devrait embrasser aussi tous ceux qui sont partis vers la maison du Père.

3.1.2. La communion avec les fidèles défunts

Dans la société traditionnelle lobi, les vivants sont bien solidaires des morts351. Ils les aident dans leur pèlerinage vers l'au-delà en consentant à faire tous les sacrifices à même de débloquer tout sur leur passage de la vie de ce monde à celui de l'au-delà. Et ils sont convaincus que les morts, après avoir pris place au milieu des ancêtres de toute la société, leurs seront bénéfiques. Les vivants d'ailleurs vivent en communion perpétuelle avec les ancêtres qui les aident à être fidèles aux idéaux de la société traditionnelle et à vivre dans une certaine harmonie avec Dieu, les esprits et la nature. Ils ont leur place dans le giron familial. Des autels leur sont érigés dans la maison familiale et clanique. Ils communient aux joies et aux peines de leurs descendants352.

Dans l'Eglise, la communion avec les apôtres et les martyrs des premiers siècles est attestée par la tradition353. Dès le milieu du IIème siècle en Orient et au IIIème siècle en Occident, les chrétiens ont pris l'habitude de se réunir près des tombes des martyrs ou sur les lieux de leur supplice, en particulier le jour anniversaire de leur mort pour célébrer l'anniversaire de leur entrée au ciel.354 C'est ainsi que se développa dans l'Eglise le culte des martyrs et des saints. La communion des saints est même devenue un article de notre credo. Et l'abrégé du catéchisme de l'Eglise catholique définit la communion des saints non

351 Cf. Supra, 3.4. La commémoration des ancêtres, p. 97.

352 Cf. J.M. ELA, Ma foi d'Africain, Paris, Karthala, 1985, pp. 36-48.

353 Cf. AAVV, Théo. L 'encyclopédie catholique pour tous, Droguet&Arman/Fayard, Paris, 1992, p. 29.

354 « La communauté chrétienne en effet, sans aucun débat, a tout de suite regardé comme entrés dans la gloire de Dieu ceux qui ont versé leur sang pour lui, et l'habitude est prise très tôt de marquer fortement le lien entre leur sacrifice et celui du Christ sur la croix en célébrant l'eucharistie sur leurs tombes. Ce rassemblement est favorisé par l'usage qu'avaient les Romains de se réunir autour des tombes de leurs défunts et d'y prendre des repas ; ainsi le ``banquet eucharistique'' des chrétiens autour de la tombe des martyrs était-il admis par ceux-là même qui avaient mis à mort ces derniers », Ibid, p. 29a. Nous pouvons remarquer que cette tradition ecclésiale était inculturée à cette époque et à la coutume romaine de ce temps.

seulement comme « la participation commune de tous les membres de l'Eglise aux réalités saintes : la foi, les sacrements, en particulier l'eucharistie, les charismes et les autres dons spirituels 355» mais aussi comme « la communion entre les personnes saintes, à savoir entre ceux qui, par grâce, sont unis au Christ mort et ressuscité. Les uns sont en pèlerinage sur la terre, d'autres, ayant quitté cette vie, achèvent leur purification, soutenus aussi par nos prières, d'autres enfin jouissent déjà de la gloire de Dieu et intercèdent pour nous. Tous ensemble, ils forment dans le Christ une unique famille, l'Eglise, à la louange et à la gloire de la Trinité356 ». C'est au nom de cette foi que les chrétiens catholiques prient et célèbrent la sainte eucharistie pour les fidèles défunts. Et chaque année, le 2 novembre, au lendemain de la solennité de tous les saints, l'Eglise rassemble, dans une commune prière, le souvenir de tous les fidèles défunts. Et à côté de cette commémoration collective, les familles chrétiennes ont gardé la coutume de faire célébrer une messe à l'anniversaire de la mort d'un de leurs

membres357.

Partant de cette foi en la communion des saints et de la pratique ecclésiale de prier pour les fidèles défunts, comment les chrétiens lobi peuvent-ils vivre de manière inculuturée leur rapport avec ceux qui sont partis ? Nous ne pouvons qu'encourager cette riche tradition de l'Eglise catholique que les Lobi chrétiens ont bien adoptée en priant et en célébrant pour leurs fidèles défunts. Ils cherchent à vivre touj ours cette communion profonde avec leurs ancêtres et tous leurs fidèles défunts qu'ils recommandent à la miséricorde de Dieu358. Ils demandent souvent des Messes et prient pour ces frères défunts359. Ils savent célébrer avec foi la commémoration des fidèles défunts du 2 novembre. Il convient de soigner davantage cette célébration qui semble limiter les prières pour les défunts de l'année écoulée seulement. Il faudrait que ce soit un véritable rendez-vous de prière pour tous les défunts de tous les âges de toutes les familles chrétiennes. De plus, il faudrait accentuer le fait que tous ces défunts issus de plusieurs familles et clans lobi, intégrés dans la famille de Dieu dans le baptême en Christ, font désormais partie d'une même famille Eglise. Le 2 novembre, sera donc célébrée la mémoire des ancêtres de l'Eglise-Famille de Dieu qui doit comprendre tous les défunts qui sont morts dans la miséricorde du Christ. Dans une véritable foi au Dieu de Jésus-Christ, qui

355 Catéchisme de l'Eglise catholique. Abrégé, Liberia Editrice Vaticana, le Vatican, 2005, n°194.

356 Ibid., n° 195.

357 Cf. P. JOUNEL, La célébration des Sacrements, Paris, Desclée, 1983, p. 979.

358 En effet, comme le dit le Pape JEAN-PAUL II, dans l'exhortation post-synodale Ecclesia in Africa de 1995, « Les fils et les filles de l'Afrique aiment la vie. De cet amour de la vie découle leur grande vénération pour leurs ancêtres. Ils croient instinctivement que les morts ont une autre vie, et leur désir est de rester en communication avec eux. Ne serait-ce pas, en quelque sorte, une préparation à la foi dans la communion des saints ? » EIA n°43. 359 La plupart des demandes de Messe sont en faveur des fidèles défunts dans les paroisses du milieu lobi. Cela traduit le souci des chrétiens Lobi d'être toujours en communion profonde avec leurs frères défunts.

est en dehors du temps et de l'histoire - et qui n'est limité par aucun espace, même religieux - on ne pourrait exclure nos ancêtres lobi qui ne l'ont pas connu mais qui ont vécu de manière méritoire selon la volonté du Créateur inscrite dans leur conscience.

3.2. Le christianisme libérateur des structures sociales de mort

Le Lobi tout comme Lazare est encore lié par un certain nombre de liens de mort desquels le Christ devrait le libérer. Il est encore sous la domination d'un certain nombre de structures et de mentalités traditionnelles qui l'empêchent de vivre pleinement. Le Christ, qui est la vie totale, vient pour l'en libérer.

3.2.1. La libération du poids de la tradition du passé

L'organisation sociale des Lobi est fondée sur des valeurs du passé où la sécurité du groupe social était tout le temps menacée. L'habitat dispersé et la construction des maisons forteresses répondaient à ce souci pratique d'autodéfense sociale. Les initiations diverses avec les séances de bizutage et les divers sévices infligés aux différents candidats répondaient à un code de valeurs sociales significatives dans le passé. Entre temps, la colonisation et le brassage des populations ont porté un coup dur à l'organisation sociale des Lobi. De plus en plus, on constate un changement, certes timide, mais perceptible dans leur mode de vie360.

Mais le conservatisme des Lobi est toujours vivace. Les initiations traditionnelles, même si elles n'ont plus le même engouement que dans le passé, demeurent attrayantes même pour les chrétiens lobi. Elles ne semblent pas évoluer ou s'adapter aux nouvelles exigences de la vie. On continue de voir, par exemple, les initiés déambuler presque nus dans les villages et les zones semi urbaines des milieux lobi pour quémander leur pitance. Certains villages lobi continuent à privilégier l'habitat traditionnel malgré les possibilités qui leur sont offertes d'améliorer leur cadre de vie. Nous avons connu des villages lobi, qui refusent encore aujourd'hui d'accueillir les agents de vaccination contre la polio ou la méningite, malgré les risques d'épidémie de plus en plus accrus. La culture en semis ou l'agriculture attelée a encore du mal à entrer dans la vie paysanne des Lobi. Les semences du passé qui exigeaient de longs mois de pluviométrie continuent d'être privilégiées malgré les changements climatiques profonds. Alors, la faim et les épidémies continuent bien de faire des ravages.

De même, les Lobi sont encore pour la plupart attachés à de nombreux rites traditionnels contraignants. De nombreuses cérémonies traditionnelles et initiatiques exigent

une énorme quantité de vivres et beaucoup de moyens. Malgré la cherté de la vie actuelle, ils sont nombreux les Lobi qui se sentent obligés d'accomplir de telles cérémonies à coup de lourdes dettes. La solidarité du passé manque de nos jours pour pallier aux diverses dépenses. Malgré cela, les Lobi se sentent obligés de tout faire comme dans le passé. Cet attachement au passé et à ses rites devient mortifère. Il empêche le Lobi d'accéder au bonheur recherché sur cette terre et même dans l'au-delà. Il convient qu'une force nouvelle soit redonnée à la société pour qu'elle réinvente de nouveaux idéaux et de nouvelles valeurs, qui ne renient pas certes son passé, mais qui s'adaptent à son présent et à son avenir, dans un monde de plus en plus en évolution. Nous pensons trouver dans le christianisme cette nouvelle force intérieure qui pourra donner à la société des Lobi un nouveau dynamisme.

Mais pour que le christianisme soit chemin de salut pour la société des Lobi, il faut qu'il accepte dialoguer en vue d'une inculturation réelle dans la vie des hommes et des femmes du milieu361. Le Christ doit venir chez les Lobi pour ordonner qu'on enlève la grosse pierre qui les enferme encore dans bon nombre d'obscurantismes et d'autarcies passéistes. Les chrétiens convaincus de leur foi devraient être ces auxiliaires du Christ, prêts à répondre à l'invitation du Christ afin de libérer les Lobi du poids de la pierre de leurs traditions. Il y aura sûrement des Marthe qui redouteront les puanteurs et les pesanteurs d'une telle opération salvifique. Mais ceux qui croient au Christ verront certainement la gloire de Dieu se révéler tôt ou tard pour cette société en quête de véritable délivrance.

3. 2.2. La délivrance des liens des forces du mal

Jésus délivre Lazare de la mort et préfigure ainsi sa victoire sur sa propre mort et toutes les forces du mal. Il vient encore au lieu du deuil des Lobi pour les délivrer de la mort et des diverses forces du mal qui les tiennent dans leurs liens. Dans la religion traditionnelle des Lobi, un grand nombre d'esprits intermédiaires (les esprits tutélaires des clans, les esprits du village, les forces de la nature, les esprits des ancêtres) angoissent les hommes et les femmes qui peuvent se sentir en insécurité perpétuelle à leur compagnie. Les Lobi sont dans le souci quotidien de les satisfaire par un grand nombre de sacrifices d'animaux et de libations rituelles. Malgré cela, ils peuvent se montrer insatisfaits et infliger la mort aux Lobi. Toute faute à leur égard entraîne bien souvent des sanctions terribles dont tous les membres d'une famille ou d'un groupe sont solidaires. Ils ne connaissent souvent pas de pitié. Ils prennent

361 Nous rêvons ici de ce christianisme de la vie dont parle KÄ MANA dans la nouvelle évangélisation de l 'Afrique, Paris, Karthala, 2000, p. 27-30, un christianisme dépouillé de préjugés et de mépris à l'égard des peuples et des coutumes traditionnelles africaines. Cf. J. M. ELA, Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003, pp. 191-240.

ainsi en otage la vie des hommes lobi. Ceux-ci sont obligés tout le temps de consulter les devins pour connaître leurs attentes insatiables. Ils n'arrivent pas alors à entrer en relation intime avec Dieu leur Créateur.

Nous pensons que la religion des Lobi contient là une véritable structure de mort qui maintient les hommes dans une perpétuelle dépendance vis-à-vis des forces surnaturelles et trop exigeantes. Il importe que les Lobi s'en libèrent. Et nous pensons que Celui qui a libéré Lazare du tombeau est le mieux indiqué pour apporter ce salut total aux Lobi. Les Lobi ont donc besoin du Christ comme libérateur par excellence de toutes les forces religieuses traditionnelles qui les oppressent. Le Christ doit venir libérer ces hommes afin qu'ils puissent vivre totalement en toute quiétude et en toute confiance dans la bonté du Dieu Créateur362. Il est le seul médiateur compatissant et miséricordieux qui sait pardonner aux hommes leurs fautes. Son fardeau est léger et son joug est facile à porter (cf. Mt 11,30).

Le christianisme se présente alors comme la seule force capable de révolutionner la mentalité des Lobi et de les libérer des différentes oppressions spirituelles et religieuses. Mais l'histoire de la rencontre du christianisme avec la société des Lobi s'est faite avec du plomb dans l'aile363. Le canon a fait appel à la croix pour mieux dompter le rebelle. Cela a négativement joué sur l'image que les Lobi ont du christianisme364. Celui-ci a eu aussi en aversion tout ce qui est de la culture et de la religion du Lobi, jetant à la fois l'eau du bain et le bébé. Il est venu le temps de la réconciliation et du dialogue afin que les Lobi puissent accueillir sereinement le salut du Christ. Ce Christ arrive tard certes, comme encore à Béthanie, mais Dieu aime aussi les païens. Il vient se révéler et aussi pleurer avec les Lobi leurs misères et leur mort. Il prie pour eux et avec eux. Il les délivre des liens de la mort. Il les ressuscite. Il les fait sortir du tombeau.

3.2.3. La sortie du tombeau structurel et social

Jésus par son autorité et sa Parole fait sortir Lazare de son tombeau. Une herméneutique africaine nous autorise à voir en cela une image de nos peuples sortant de la

362 La libération des forces oppressives sociales est la résurrection véritable qu'attendent les Lobi aujourd'hui. Si la mort est un voyage vers un au-delà de vie, la résurrection qu'opère le Christ est cette agrégation des hommes dans la liberté et dans la félicité de Dieu. Et cette résurrection qui est pour demain commence dans l'aujourd'hui de ces hommes.

363 Cf. Supra, 4.2. L'histoire de l'évangélisation en pays lobi, pp. 79-82. Voir aussi M. SOME, op. cit., pp. 269- 273.

364 Les ancêtres lobi ont formellement prononcé de véritables anathèmes contre « la chose du Blanc » dans les villages. L'école, l'armée et la religion chrétienne dite religion du Blanc furent frappés d'anathèmes sévères encore en cours dans certains villages lobi. Cf. M. PERE, op. cit., pp. 343-388.

misère et de l'obscurantisme. C'est la résurrection d'une société comme celle des Lobi qui peut bien se lire à travers la résurrection de Lazare365.

En effet, à l'heure de la mondialisation et de la globalisation, nos structures sociales traditionnelles comme le mariage, la vie en unité de production familiale, clanique et villageoise sont mises à rude épreuve. Il convient d'inventer de nouveaux codes de vie et de nouvelles valeurs sociales. Le Christianisme s'impose comme la religion qui a su valoriser l'Homme et son aspiration au bonheur véritable dans l'histoire des hommes. Il devient la planche de salut pour la société lobi en crise actuellement. Par exemple, des institutions traditionnelles comme le mariage366 préférentiel ou le lévirat, les initiations traditionnelles avec leurs contraintes diverses inadaptées à la fragilité de l'homme lobi d'aujourd'hui, les funérailles avec leur lourd tribut, sont autant de tombeaux ou de carcans d'où le Christ peut nous aider à sortir. Toute institution traditionnelle qui continue de maintenir le Lobi dans un état d'insécurité et de peur morbide est un tombeau d'où il doit sortir avec la force du Christ. Notre désir de respect des valeurs authentiques de la société lobi ne doit pas nous empêcher de voir ces nombreux trous dans lesquels sont enfermés bon nombre de nos frères les hommes. Par exemple, de plus en plus de Lobi réussissent dans les travaux champêtres. Ils sont aussi nombreux à voir leur situation économique s'améliorer à partir des plantations d'arbres comme le cacao ou le café. Mais ils sont nombreux aussi les Lobi qui n'osent pas investir pour améliorer leur cadre de vie ou leur alimentation journalière de peur d'être victimes des sorciers jaloux. Certains esprits de leur culte leur interdisent même de profiter du fruit de leur labeur par des interdits saugrenus. Nous avons rencontré plusieurs hommes et femmes qui sont venus au christianisme pour être soulagés d'un tel enfermement dans le tombeau structurel traditionnel. Il est bien urgent que le Christ libère totalement les Lobi de toutes ces institutions mortifères.

Mais le Christ, pour libérer entièrement Lazare, demande aux témoins de délier les liens coutumiers qui le tenaient dans la réalité du tombeau. Il est bien question ici aussi des acteurs de la libération des Lobi des liens de la mort. Nous pensons que les chrétiens et leurs

365 Comme l'écrit P. POUCOUTA , « Une théologie de la vie : la résurrection des ossements desséchés (Ez 37,1- 14) » dans ASSOCIATION PANAFRICAINE DES EXEGETES CATHOLIQUES, Prophétie et prophètes dans la Bible. Exigences du prophétisme au sein de l 'Eglise Famille de Dieu en Afrique, Actes du onzième congrès au Caire, Egypte du 6-12 septembre 2003, Kinshasa, J.B. MATAND BULEMBAT Editor, 2004, p. 136 : « Lazare devient la figure paradigmatique de la vie nouvelle en Jésus-Christ ». Dans sa résurrection, on peut voir le continent africain en général comme le développe aussi KÄ MANA, op. cit., p. 208 dans sa théologie de la reconstruction, on peut voir aussi chaque peuple comme par exemple les Lobi.

366 Le mariage préférentiel chez les Lobi est le mariage avec la cousine germaine. Cette consanguinité provoque souvent la naissance de beaucoup d'enfants fragiles beaucoup plus exposés aux épidémies et à de nombreuses tares ataviques. Quant au lévirat, c'est le remariage de la veuve avec le frère de son mari défunt. Cela est à la base aussi de plusieurs catastrophes familiales en ces périodes de pandémie de Sida.

pasteurs sont ceux qui pourront efficacement délier les Lobi de ces liens. L'action de chaque chrétien lobi est nécessaire pour soulever la pierre des pesanteurs qui pèse sur le tombeau social lobi et ensuite pour libérer chaque homme des liens qui l'empêchent de voir la lumière, de suivre le Christ. La contribution des amis et des soeurs de Lazare a été précieuse pour sa libération de la mort. Les frères et soeurs lobi ne peuvent se dérober à leur tâche d'être les acteurs privilégiés du salut en Jésus-Christ de leur société. Certes, en Eglise-Famille, nous sommes tous frères et soeurs d'un même Père des cieux. Mais il n'en demeure pas moins que cette famille est située dans un temps et dans un espace donné. Et pour ce faire, chaque communauté est responsable de la mission d'évangélisation de son milieu de vie afin que l'Evangile du Christ atteigne tous les peuples et toutes les nations jusqu'au bout du monde (Cf. Mt 28, 19 ; Ac 1 ,8b). Les chrétiens lobi sont bien responsables du salut de leurs congénères lobi. La mission de libération chrétienne de leurs frères leur incombe en premier.

Enfin, les lieux de libération ecclésiale peuvent être la catéchèse, la liturgie des sacrements et la vie ecclésiale. C'est dans l'évangélisation directe à travers la catéchèse et les sorties missionnaires que les chrétiens proposeront le salut de Jésus-Christ à leurs frères lobi. Il s'agit d'une catéchèse inculturée dans le temps et dans l'espace de la vie des hommes de cette société particulière367. Les sorties missionnaires à la rencontre des villages et des populations lobi non encore informées des avantages du christianisme se feront dans un esprit de dialogue et de respect à leur égard. C'est avant tout l'amour qui incorpore au Christ. Il ne s'agit pas de se lancer dans un prosélytisme violent et méprisant de l'autre. Il s'agit de proposer aux Lobi la voie du Christ qui est, à notre avis, la plus sûre pour l'accomplissement du Lobi en route pour l'au-delà. Jésus-Christ devient le chemin par excellence qui conduit le Lobi, au terme de son pèlerinage terrestre, vers cet autre pèlerinage de la mort qui finit auprès de Dieu son créateur. Les sacrements sont les forces que le Christ propose à son Eglise encore aujourd'hui pour la soutenir dans sa marche à sa suite. Ce sont autant de moments de libération qu'il faut proposer avec pertinence et pragmatisme aux Lobi qui ont besoin d'être rejoints là aussi dans leur imaginaire religieux. Les sacramentaux s'adapteront à l'esprit pragmatique des Lobi en quête de signes visibles de libération spirituelle. Ils ne seront pas du tout négligés quand le deuil frappe les Lobi. Ils peuvent contribuer à lui apporter la paix et le salut total en Christ.

367 Le synode diocésain de Diébougou attirait l'attention des acteurs de l'évangélisation dans ce sens : « les agents pastoraux, notamment prêtres, auront à coeur de préparer de façon très soignée la première rencontre du message chrétien avec le milieu païen, surtout lorsque cette annonce n'est pas seulement individuelle mais communautaire (sorties missionnaires) », DIOCESE DE DIEBOUGOU, op. cit., p. 38.

Conclusion au chapitre

Dans ce dernier chapitre de notre étude, notre souci a été d'élaborer des pistes d'application pastorale de l'herméneutique africaine de l'épisode de la résurrection de Lazare. Nous avons ainsi dessiné les grandes lignes d'une pastorale renouvelée et efficace en milieu lobi dans le domaine de l'accompagnement des personnes malades et des personnes éprouvées par le deuil. En invitant à une inculturation audacieuse du christianisme en pays lobi, nous n'avons pas occulté les lieux de libération et de conversion dont la société des Lobi actuelle a besoin. Nous avons présenté clairement le Christ comme le véritable libérateur et la véritable voie d'accomplissement total de l'homme Lobi en pèlerinage sur cette terre et dans son ultime pèlerinage de la mort vers l'au-delà de Dieu.

Conclusion à la troisième partie

Dans cette troisième et dernière partie de notre parcours, nous avons fait dialoguer les deux cultures, biblique et lobi, autour des notions de mort et de résurrection étudiées dans les parties précédentes. Nous avons mis en lumière des difficultés de compréhension mutuelle, mais nous avons aussi dégagé les lieux d'échange et de jonction entre les deux cultures. Cela nous a permis de préciser les pistes pastorales, où nous devons orienter nos efforts d'inculturation, afin que les africains lobi puissent accueillir aujourd'hui la Bonne Nouvelle de la résurrection et de la vie de Jésus-Christ. Nous avons surtout indiqué les liens mortifères qui bloquent encore les Lobi dans le noir tombeau, d'où le Christ peut venir les tirer, à notre prière et à notre sollicitude pastorale. Cette pastorale d'inculturation, que nous avons encouragée, ne sera certainement pas facile. Elle est une oeuvre de longue haleine. Et elle concerne tous les acteurs de la mission en pays lobi. Prions qu'avec le secours de la grâce de Dieu, tous nos efforts, en vue de libérer en Jésus-christ les hommes et les femmes de leurs maladies et de leurs morts actuelles, soient couronnés de succès.

CONCLUSION GENERALE

Au terme de notre parcours biblique et théologique sur l'herméneutique africaine lobi de la résurrection de Lazare en Jn 11,1-44, il convient de relever les acquis pastoraux pour une évangélisation en profondeur des Lobi.

En effet, il est heureux que l'épisode de Lazare soit toujours bien lu et commenté pour les chrétiens Lobi en période de deuil. La portée christologique et théologique qui est au centre de cet épisode ne saurait donc être occultée. Jésus-Christ demeure le chemin de la résurrection et de la vie auxquelles aspirent tous les hommes. Il appelle tout homme éploré à une foi totale en lui. Il s'agit donc de saisir chaque occasion de deuil en milieu lobi pour annoncer la Parole de Dieu et plus particulièrement Jésus-Christ, Résurrection et Vie. Mais il convient de savoir communiquer aux Lobi ce message hautement pascal et eschatologique. En effet, un langage mal inculturé peut produire chez les Lobi de véritables blocages à l'accueil de cette Bonne Nouvelle du Salut. Et la survivance du syncrétisme chez certains chrétiens lobi peut même s'expliquer par le fait de la dichotomie encore présente dans leur tête, entre les deux notions, biblique et lobi, de la mort et de la vie dans l'au-delà. C'est pourquoi nous avons proposé, à partir de la dynamique même de l'épisode de la résurrection de Lazare, une herméneutique de la foi qui part du socle traditionnel pour s'accomplir dans la Révélation chrétienne368. Ce fut la pédagogie du Christ avec Marthe dont la confession de foi est au centre du récit de Lazare que nous avons étudié369.

Après avoir expliqué comment les Lobi conçoivent la mort comme voyage vers l'audelà et leur foi en la vie après la mort370, nous n'avons pas occulté la difficulté à leur présenter la résurrection de Lazare comme bonne nouvelle et signe de notre prochaine résurrection en Jésus-Christ, le premier-né d'entre les morts371. Nous avons montré aussi comment cette conception traditionnelle lobi de la mort et de la vie dans l'au-delà peut être exploitée pour l'annonce de l'Evangile de la Vie372. Si la mort est un voyage de l'âme vers l'au-delà dans la communion avec le monde des ancêtres (foi traditionnelle africaine lobi), la résurrection est

cette nouveauté salvifique apportée par Jésus pour agréger toute la communion des fidèles défunts à la communion divine (révélation évangélique nouvelle)373. Il ne suffit plus de désirer rejoindre la communion et l'harmonie avec les ancêtres comme dans l'eschatologie traditionnelle lobi. Il faut croire en Jésus-Christ et l'accepter dans sa vie, car c'est lui qui nous introduit dans le `village de Dieu'. Chez Dieu, les Lobi retrouveront en Jésus-Christ, l'harmonie originelle brisée par la faute des hommes. Le langage mythique a été exploité pour traduire ce mystère de foi à inculturer dans la vie des Lobi. Car le mythe est le moyen par excellence, dans la société lobi, pour théo-logiser, pour dire Dieu, pour parler des réalités transcendantales.

Quand le message est incullturé et bien compris, il ouvre un large champ d'applications pastorales comme nous l'avons vu. Il incite à soigner notre pastorale ecclésiale auprès des personnes malades pour leur témoigner de la compassion et de la sollicitude, à l'exemple du Christ intervenant en faveur de ses amis de Béthanie. C'est surtout la pastorale des funérailles et des personnes éplorées qu'il faut renouveler pour une évangélisation en profondeur des Lobi. Nous avons insisté sur l'accompagnement pastoral à mener auprès des Lobi éprouvés pour les amener à vaincre la peur de la mort et à s'ouvrir à la vie de grâce, dans la foi au Maître de la vie qu'est le Christ374. Si, à bien des moments, nos propositions pastorales concernaient surtout les premiers responsables de la mission d'évangélisation dans le milieu lobi, nous n'avons pas ménagé les chrétiens lobi qui doivent appeler le Christ au chevet de leur société malade et moribonde. Nous avons épinglé même les liens de la mort qui tiennent ces hommes et ces femmes de la société, à bien des égards, dans le noir tombeau de l'obscurantisme et du traditionalisme destructeurs. Nous en sommes arrivé à la confession de foi, comme d'ailleurs dans l'épisode de Jn 11, 1-44, que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu qui vient dans le monde pour le salut de tous les Lobi comme de tous les hommes.

Pour terminer, nous ne saurons prétendre avoir cerné toute la problématique relative au comportement du chrétien lobi face à l'épreuve de la mort ou du deuil. Ce sujet, en luimême, est assez vaste. Nous avons essayé de le cerner surtout du point de vue biblique. Le recours anthropologique fut obligé, afin d'actualiser notre étude de Jn 11, 1-44 pour une communauté chrétienne particulière, celle des Lobi. L'actualisation pastorale s'est limitée seulement au domaine de la pastorale des malades et des funérailles. D'autres perspectives comme l'amitié, le sens du sacrifice, et même le thème de la foi, pouvaient être davantage développées. Mais nous pensons que notre parcours a été suffisant pour nous permettre de

373 Cf. Supra, 3.2.2. Une foi traditionnelle à porter à accomplissement, pp. 121-122.

374 Cf. Supra, 2.3. Vaincre la peur de la mort, pp. 13 8-139.

comprendre les difficultés de notre prédication évangélique chez les Lobi. Il nous a surtout permis de comprendre les raisons du syncrétisme qui subsiste chez les chrétiens lobi vivant entre deux cultures jusque là difficilement conciliables. L'inculturation du message chrétien, au-delà des rites et des symboles, commence par le discours religieux. Nous prions qu'à chaque fois, lors des obsèques et des Messes de Requiem où l'évangile de la résurrection de Lazare sera commenté aux Lobi, une telle herméneutique africaine, développée dans ce travail375, soit mise en oeuvre pour aboutir à une véritable confession de foi en Jésus le Messie et le Maître de la vie totale avec Dieu et les hommes, sur la terre et au ciel dans l'au-delà !

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ANNEXE : CARTE GEOGRAPHIQUE DU PAYS LOBI

BIBLIOGRAPHIE

1. Textes Scripturaires

- La Bible de Jérusalem, traduite en français sous la direction de l'Ecole

Biblique de Jérusalem. Nouvelle édition entièrement revue et augmentée (5ème

Édition), Paris et Madrid, Cerf /Verbum Bible, 1995.

- The New Jerome biblical commentary, New Jersey, Prentice Hall Ed., 1990

- The Greek New Testament, Forth revised edition, D-Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft U.B.S., 2001.

- Traduction Oecuménique de la Bible, Paris, Cerf, 1987.

- BENOIT, P. & BOISMARD, M.-E., Synopse des quatre évangiles T.1, Paris, Cerf, 1965.

- CARREZ, M., Grammaire grecque du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides, 1985.

- CARREZ, M. & MOREL, F., Dictionnaire grec-français du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides et Pierrefitte, Société biblique française, 1988

- METZGER, B. M., A Textual Commentary on the Greek New Testament

Forth revised edition, D-Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft United Bible Societies, 2001.

- NESTLE-ALAND, Novum Testamentum Graece et Latine, D- Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft, 1984.

- OSTY, E., La Bible d'Osty, Paris, Seuil, 1973.

2. Documents Magistériels

- Catéchisme de l'Eglise catholique, Mame-Plon, Paris, 1967.

- Catéchisme de l'Eglise catholique. Abrégé, Liberia Editrice Vaticana, le Vatican, 2005. - Code de Droit Canonique annoté, Paris, Cerf, 1989.

- Concile OEcuménique Vatican II, Paris, Centurion, 1967.

- COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L 'interprétation de la Bible dans l 'Eglise, Paris, Les éditions du Cerf, 1994.

- CONFERENCE EPISCOPALE BURKINA-NIGER, Eglise-Famille de Dieu, ferment du monde nouveau. Orientations pastorales post-synodales, Ouagadougou, FG.Z. Trading, 2001. - DIOCESE DE DIEBOUGOU, Pour un nouveau départ en mission avec notre orientation pastorale Parole et pain pour tous et par tous, I. S., Diébougou, 1997.

- DUMEIGE, G., La foi catholique, Paris, Ed. de L'Orante, 1975.

- JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique post-synodale, Ecclesia in Africa, aux prêtres et aux diacres, aux religieux et aux religieuses et à tous les fidèles laïcs sur l 'Eglise en Afrique et sa mission évangélisatrice vers l 'AN 2000, Liberia Editrice Vaticana, Cité du Vatican, 1995.

- LA CONGREGATION POUR LE CULTE DIVIN ET LA DISCIPLINE DES SACREMENTS, Instruction Redemptionis Sacramentum, Cité du Vatican, Liberia Editrice Vaticana, 2004.

3. Dictionnaires & Encyclopédies

- AAVV, Dictionnaire de théologie catholique, Paris, Librairie Letouzey et Ané, 1932. - AAVV, Dictionnaire Encyclopédique de la Bible, Paris, Ed. Brepols, 1960. - AAVV, Dictionnaire de la Bible, Paris, Ed. Letouzey et Ané, 1912.

- AAVV, Encyclopédie des religions, Paris, Bayard Editions, 1997.

- AAVV, Encyclopédie de la foi, Tome III, Paris, Cerf, 1966.

- AAVV, Théo. L 'en cyclopédie pour tous, Paris, Droguet Ardant/Fayard, 1992

- MONLOUBOU, L. et DUBUIT, F.M., Dictionnaire biblique universel, Paris, Desclée, 1984.

4. Ouvrages spécifiques sur saint Jean

- BOISMARD, M. E. & LAMOUILLE, A., Synopse des quatre évangiles en français. Tome III. L 'évangile de Jean, Paris, les éditions du Cerf, 1977.

- BRAUN, F. M., La foi chrétienne selon saint Jean, Paris, Gabalda, 1976.

- BRAUN, F. M., Jean le théologien. T. 1-3, Paris, Gabalda, 1958-1972

- COLLECTIF, Genèse et structure d'un texte du Nouveau Testament. Etude interdisciplinaire du chapitre 11 de l 'évangile de Jean, Paris et Louvain, Le Cerf et Cabay, 1981.

- CULLMANN, O., Le milieu johannique : étude sur l'origine de l'évangile de Jean, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1976.

- DE JONGE, M. et ALII, L 'Evangile de Jean. Sources, rédaction, théologie, Gembloux et Louvain (Belgique), Editions J. Duculot et Leuvan University Press, 1977.

- DODD, C.H., La tradition historique du quatrième évangile, Paris, Cerf, 1987. - DURAND, A., Evangile selon saint Jean, Paris, Beauchesne, 1927.

- FEUILLET, M. A., Etudes johanniques, Paris, D.D.B., 1962.

- FESTUGIERE, A.J., Observations stylistiques sur l'évangile de saint Jean, Paris, Klincksieck, 1974.

- FORSTER, L., Le récit de la Passion selon saint Jean. Rédaction, Tradition, Histoire, Strasbourg, 1977.

- GEORGE, A., Jésus notre vie. Lecture de l'évangile de Jean, Paris, Equipes Enseignantes, 1958.

- GOURGUES, M., Chemins de Pâques, Cerf, Paris, 2002.

- GUARDINI, R., Le message de saint Jean, Paris, Cerf, 1965.

- JAUBERT, A., Approches de l'Evangile de Jean, Paris, Editions du Seuil, 1976.

- LEON-DUFOUR, X., Lecture de l'évangile selon Jean, Tome II (chapitres 5-12), Paris, Editions du Seuil, 1990.

- LEON-DUFOUR, X., La résurrection du Christ et l'exégèse moderne, Paris, Cerf, 1969.

- L'EPLATTENIER, C., L 'Evangile de Jean, Genève, Labor et Fides, 1993.

- LION, A., Lire saint Jean, Paris, Cerf, 1974.

- LOISY, A., Le quatrième évangile, Paris, Alphonse Picard et Fils, 1903.

- MARCHADOUR, A., Lazare. Histoire d'un récit, récits d'une histoire, Paris, les éditions du Cerf, 1988.

- MARCHADOUR, A., L 'évangile de Jean. Commentaire pastoral, Paris, Editions du Centurion, 1992.

- MOLLA, F. C., Le quatrième évangile, Genève, Ed. Labor et Fides, 1977.

- MOLLAT, D., Etudes johanniques, Paris, Seuil, 1979.

- MUSSNER, F., Le langage de Jean et Jésus de l'histoire, Paris, D.D.B., 1969.

- PAUL, M. D. L. C., L 'évangile de Jean et son témoignage spirituel, Paris, D.D.B., 1959.

- POUCOUTA, P., Et la vie s 'est faite chair, Paris, L'harmattan, 2005.

- RAMSEY M. J., Commentaire sur l'évangile de Jean, Floride, Ed. Vida, 1992.

- TROADEC, H., Le message de Saint Jean : introduction à l'étude du quatrième évangile et de l'apocalypse, Paris, Mame, 1962.

- WALTER, L., L 'incroyance des croyants selon saint Jean, Paris, Cerf, 1976.

5. Ouvrages Anthropologiques

a) Sur les Lobi

- AAVV, Images d'Afrique et sciences sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & l'ORSTOM, 1993.

- A.A.V.V., Pour un meilleur devenir chrétien lobi, Kampti, I.S., 1984

- ANTONGINI, G. & SPINI, T., Il cammino degli antenati. I Lobi dell'Alto Volta, Roma, Editori Laterza, 1981.

- CROS, M., Anthologie du sang en Afrique. Essai d'hématologie symbolique chez les Lobi du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire, Paris, Ed. L'Harmattan, 1990.

- DE ROUVILLE, C., Organisation sociale des Lobi. Burkina Faso - Côte d'Ivoire, Paris, Ed. L'Harmattan, 1987.

- FIELOUX M., Les sentiers de la nuit. Les migrations rurales lobi de la Haute-Volta vers la Côte d'Ivoire, Paris, Ed. l'ORSTOM, 1980.

- KAMBOU-FERRAND, J.M., Peuples voltaïques et con quête coloniale, 1885-1914. Burkina Faso, Paris, Ed. L'Harmattan, 1993.

- KERSALE, P. & KAMBOU, B., Parole d'ancêtre lobi. Sorcières et araignées, FontenaySous-Bois (France), Editions ANAKO, 1999.

- LABOURET, H., Les Tribus du Rameau Lobi, Paris, Institut d'ethnologies, 1931.

- LABOURET, H., Nouvelles notes sur les Tribus du rameau lobi. Leurs migrations, leur évolution, leurs parlers et ceux de leurs voisins, Dakar, IFAN, 1958.

- PERE M., Les Lobi. Traditions et changements, T. 1 & T. 2, Paris, Edition Siloë, 1988.

- SOME, M., La christianisation de l'Ouest-Volta. Action missionnaire et réactions africaines. 1 92 7-1960, Paris, Editions l'Harmattan, 2004.

SUTTER, A., Tyol tyol. Le grand chasseur lobi et la petite peuhle, Saverne, 1984.

b) Sur les autres peuples

- DIOP, C. A., Civilisation ou barbarie. Anthropologie sans complaisance, Paris, Présence Africaine, 1988.

- GUIGBILE, D. B., Vie, mort et ancestralité chez les Moba du Nord Togo, Paris, l'Harmattan, 2001.

- SENGHOR, L. S., Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, Paris, P.U.F., 1948. - THOMAS, L.-V. & LUNEAU, R., Les religions d'Afrique Noire, Paris, Librairie Arthène Fayard, 1969.

- THOMAS, L.-V., & LUNEAU, R., La terre africaine et ses religions, Paris, l'Harmattan, 1975.

6. Ouvrages Théologiques

a) Théologie en général

- AAVV., Catholicisme. Hier, aujourd'hui, demain, Letouzey et Ané, Paris, 1949.

- BIOT, C., La célébration des Funérailles. Propositions et perspectives, Paris, Desclée de Brouwer, 1993

- FOURCHAUD, T., La mort. Témoignages de vies, édition La Bonne Nouvelle, SaintDenis-du-Maine, 2006.

- JOUNEL, P., La célébration des sacrements, Paris, Desclée, 1983, p. 802.

- PRAT, F., Jésus-Christ, sa doctrine, son oeuvre, Paris, Ed. Beauchesne et ses Fils, 1933.

- RAYET, P., Après la mort ? Paris, O.E.I.L., 1996.

- SCHILLEBEECKX, E. H., Le Christ, sacrement de la rencontre de Dieu, Paris, Cerf, 1983.

- SESBOUE, B., Jésus-Christ, l'unique médiateur, Paris, Desclée, 1988.

- VERNETTE, J., Peut-on communiquer avec l'au-delà ? Paris, Centurion, 1990. - ZUNDEL, M., Vie, mort, résurrection, Québec, Editions Anne Sigier, 1995

b) Théologie Africaine

- AAVV, L 'expérience religieuse africaine et les relations interpersonnelles. Actes du colloque international d'Abidjan, 16-20 Septembre 1980, Abidjan, Editions SavanesForêts/ICAO, 1982.

- COLLECTIF, Des prêtres noirs s'interrogent, Paris, Cerf, 1956

- CZERNY, M. F., et ALII, Sida en Afrique : que pense l'Eglise ? Abidjan, Les Editions du CERAP, 2006.

- DOSSOU, M. S., La nouvelle Afrique de Jésus-Christ. Du christianisme de la peur à l'Evangile du bonheur, Yaoundé, Editions SHERPA, 2002.

- EBOUSSI-BOULAGA, F., Christianisme sans fétiche. Révélation et domination, Paris, Présence Africaine, 1981.

- EBOUSSI-BOULAGA, F., A contretemps. L 'enjeu de Dieu en Afrique, Paris, Ed. Karthala, 1991.

- ELA, J.M., Le cri de l'homme africain, Harmattan, Paris, 1980.

- ELA, J.M., Ma foi d'Africain, Karthala, Paris, 1985.

- ELA, J. M., Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003.

- HEBGA, M., Emancipation des Eglises sous tutelle. Essai sur l 'ère post-missionnaire, Présence Africaine, Paris, 1976.

- KABASELE-LUMBALA, F., Catéchiser en Afrique aujourd'hui. Apport des traditions orales, Kinshasa, Ed. Baobab, 1995.

- KABASELE MUKENGE, A., Lire la Bible dans une société en crise. Etudes d'herméneutique interculturelle, Kinshasa/RDC, Mediaspaul, 2005

- KA MANA, La nouvelle évangélisation en Afrique, Paris/Yaoundé, Karthala-Clé, 2000.

- KA MANA, L 'Afrique va-t-elle mourir ? Essai d'éthique politique, Paris, Karthala, 1993.

- KA MANA, Théologie Africaine pour temps de crise. Christianisme et reconstruction de l'Afrique, Paris, Karthala, 1993.

- KA MANA, Foi chrétienne, crise africaine et reconstruction de l 'Afrique. Sens et enjeux des théologies africaines contemporaines, Naïrobi-Lomé-Yaoundé, Ed. CETA/HAHO/CLE, 1992.

- KUSIELE DABIRE, J.-M., L 'Eglise-Famille de Dieu (Approche théologico-doctrinale et pastorale), Imprimerie de la Savane, Bobo Dioulasso, 1992.

- MANGONDA, D., Face aux funérailles en Afrique. Essai d'une éthique chrétienne du deuil pour l'église en Afrique, Abidjan, Centre de Publications Evangéliques, 1999.

- MVENG, E., (Sous la direction de), Spiritualité et libération en Afrique, Paris, Ed. L'Harmattan, 1987.

- NDI-OKALLA, J., (Sous la direction de), Inculturation et conversion, Africains et Européens au synode des Eglises d'Afrique, Paris, Ed. Karthala, 1994.

- NGALULA, J., La mission chrétienne à la rencontre des langues humaines, Kinshasa, Mediaspaul, 2003.

- NYAMITI, C., Christ as our Ancestor. Christology from African Perspective, Zimbabwe, Mambo Press, 1994.

- OROBATOR, A.E., The Church as Family. African Ecclesiology in Its Social Context, Nairobi, Paulines Publications Africa, 2000.

- PEELMAN, A., L 'inculturation. L 'Eglise et les cultures, Paris, Desclée et Novalis, 1988. - POUCOUTA, P., Lectures africaines de la Bible, Yaoundé, Presses de l'UCAC, 2002.

- SANON, A.T. & LUNEAU, R., Enraciner l'Evangile. Initiations africaines et pédagogie de la foi, Paris, Cerf, 1982.

- SOEDE, N. Y., Sens et enjeux de l'Ethique. Inculturation de l'Ethique Chrétienne, Abidjan, Editions UCAO, 2005.

- QUENUM, A. & KUSIELE DABIRE, J.-M., Eglise Famille de Dieu. Chemin de fraternité en Afrique. Essai de réflexion théologique inculturée, Abidjan, UCAO, 2004.

7. Ouvrages Généraux

- BURKERT, W., Ancient Mystery Cults, Harvard University Press, Massachussetts, 1987.

- BARNWELL, K., Manuel de traduction biblique. Cours d'introduction aux principes de traduction, Nairobi, Société Internationale de Linguistique, 1990.

- DUHAIME, J. & MAINVILLE, O. (Sous la dir.), Entendre la voix du Dieu vivant. Interprétation et pratiques actuelles de la Bible, Montréal (Canada), Médiaspaul, 1994.

- FESTUGIERE, A.J., Etudes de religion grecque et hellénistique, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1972.

- GRELOT, P., La Bible. Parole de Dieu. Introduction théologique à l'étude de l'Ecriture Sainte, Paris, Desclée, 1965.

- HARRINGTON, W., Nouvelle Introduction à la Bible, Paris, Seuil, 1971.

- LE CORSU, F., Isis, mythe et mystères, Paris, Société d'édition ``les belles lettres'', 1977. - MARCEL, G., Présence et immortalité, Paris, Flammarion, 1959.

- PLUTARQUE, OEuvres morales. Isis et Osiris, Paris, Edition ``les belles lettres'', 1988.

- QUESNEL, M. & GRUSON, P. (sous la dir.), La Bible et sa culture. Jésus et le Nouveau Testament, Paris, Desclée de Brouwer, 2000.

- RICOEUR, P., De l 'interprétation. Essai sur Freud, Paris, Seuil, 1965.

- VAUX, R., Les institutions de l'Ancien Testament, T. 1: le nomadisme et ses

survivances, institutions familiales, institutions civiles, Paris, Cerf, 1961.

- VERSNEL, H.S., Ter Unus. Isis, Dionysos, Hermes, three studies in Henotheism, Leiden E. J. Brill, 1990.

- WENHAM, J.W., Initiation au Grec du Nouveau Testament, Paris, Beauchesne, 1990.

8. Documents Divers

a) Revues et Articles.

- AAVV, Encyclopaedia Universalis France S.A., 2003, article `Lobi'

- AAVV, Ikuska Libros, S.L., 1997-2004, art. 'Lobi'

- AAVV, « la crise maccabéenne » in Cahiers Evangile n°42, Paris, Cerf, décembre 1982.

- BLANCHARD, Y.M., « Les écrits johanniques. Une communauté témoigne de sa foi » in Cahiers Evangile n°138, Paris, Cerf, 2006.

- DE ROUVILLE , C., « Les cérémonies d'initiation du Bur chez les Lobi de la région d'Iridiaka (Burkina Faso) » in Journal des African istes, 54, 2, ( 1984).

- DUPLACY, J., « Critique textuelle du Nouveau Testament » in RSR 50 (1962), 242-263.

- GBAANE-DABIRE C., « Qu'est-ce que convertir ? », Diébougou, Session diocésaine, 1985 - GOURGUES, M., « L'au-delà dans le Nouveau Testament » in Cahiers Evangile n°41, Paris, Cerf, 1982.

- GUILLET, J., « Jésus-Christ dans l'Evangile de Jean » in Cahiers Evangile n°31, Paris, Cerf, 1980.

- LA POTTERIE, I. D., « Je suis la voie, la vérité et la vie Jn 14, 6 » in N.R.T., T. 88, n°9, (1966).

- MATAND BULEMBAT, J. B., « ``Le Christ est ressuscité d'entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis'' (1Co 15,20). Appartenance au Christ et liens familiaux au village des ancêtres » in ASSOCIATION PANAFRICAINE DES EXEGETES CATHOLIQUES, Eglise-famille et Perspectives bibliques, Kinshasa, Ed. J.B. Matand-Bulembat et Alii, 1999.

- POUCOUTA, P., « une théologie de la vie : la résurrection des ossements desséchés (Ez 37, 1-14) » in ASSOCIATION PANAFRICAINE DES EXEGETES CATHOLIQUES, Prophétie et prophètes dans la Bible, Kinshasa, J. B. Matand-Bulembat Editor, 2004.

- SEMAINE THEOLOGIQUE DE KINSHASA, Théologie africaine. Bilan et perspectives. Actes de la dix-neuvième Semaine Théologique de Kinshasa 2-8 avril 1989, Kinshasa, FCK, 1989.

- SOEDE, N. Y., « Trilogie ``vie-mort-vie'' et théologie du péché » in RUCAO n° 28 (2006), pp. 123-152.

- VANHOYE, A., « Notre foi, oeuvre divine d'après le 4ème Evangile » in N.R. T., T.86, (1964), n°4.

b) Thèses - Mémoires

- BICABA, F. J., Yunu : célébration de la mort et de la vie chez les Bwaba, Abidjan, ICAO, 1975.

- BICABA, K. J. Les rites funéraires en pays Bwamu (essai de recherche anthropologique), Abidjan, ICAO, 1987

- DIALLO, N. P., Funérailles San. Chemin de vie, Abidjan, ICAO, 1983

- DAGBOVOU, C. E., De la mort selon la vie religieuse vodun à la Mort-Résurrection dans le Christ en référence à Mc 15,39, Abidjan, ICAO, 1994.

- DOURMA, A. M., Le chrétien Nawda et la célébration des funérailles : contribution pour une célébration chrétienne de la vie à travers le rite de « Kurem » (enterrement) en pays Nawda - Nord Togo, Abidjan, U.C.A.O., 2004.

- HIEN, O. E., Le Lobi chrétien à l'heure de la mort : quels changements l'espérance eschatologique chrétienne appelle-t-elle dans la pratique funéraire du Lobi ? Anyama, G.S.A., 2000.

- HOUNGBEDJI, R., L 'Eglise-famille en Afrique selon Luc 8, 19-21- Problèmes de fondements, Fribourg, Université de Fribourg, 2006.

- IBO GOA, J. M., Lc 24, 1-12 : l'Evangile de la vie. Un accomplissement de la pensée sur la vie après la mort en milieu Ghwa (C. I.), Abidjan, ICAO, 1997.

- KAM, S. E. F., Interrogatoire des morts et foi chrétienne : Problématique de l'évangélisation des Jaana, Ouagadougou, G.S.J., 2002.

- KAMBOU, J.A., Le Dyoro ou Initiation sociale au Sud de la Haute-Volta, Paris, C.R.C., 1972

- KAMBOU, M., Sokpaa. Essai d'étude ethnolinguistique de proverbes lobi, Ouagadougou, F.L.A.S.H.S., 1999.

- KOUMAGLO, J. K., Tod als Verherrlichung. Eine exegetische Untersuchung zur Perikope 12,20-36 im Blick auf die johanneische Christologie und Soteriologie, Innsbruck, L.-F.-U.I., 1997.

- KUSIELE MEDA, B., La peur de la mort chez les Dagara et la paix en Jésus-Christ ressuscité, Abidjan, U.C.A.O., 2003.

- PENOUKOU, E. F., Foi chrétienne et compréhension africaine. Pour une herméneutique mina de la mort et de la résurrection à partir d'une analyse critique de 1Co 15. Tome 1, Paris, Institut Catholique, 1979.

- POODA, A. P., Le joro et l'initiation chrétienne : De la confrontation à l'intégration, Koumi, G.S.K., 1998.

- POODA S. H., De la loi du Talion à la loi du Christ : Problématique de l'évangélisation des Lobi, Ouagadougou, G.S.J., 2000.

- SANDWIDE, E. C., Histoire de l'Eglise au Burkina Faso, Traditio, Receptio et Reexpressio : 1899-1979, Rome, Urbaniana, 1999.

- SANON, A.T., Tierce Eglise ma mère ou la conversion d'une communauté païenne au Christ, Paris, Beauchesne, 1972.

- SOME, B. M., Approche pèlerine de l'initiation pan-ethnique Djoro et esquisse d'une théologie chrétienne des pèlerinages, Abidjan, I.C.A.O., 2000

- YAHANON, B., Les rites funéraires chez les ``Fon'' de Ouidah, Abidjan, ICAO, 1983 - YANOOGO, D., Eglise-Famille au Burkina Faso. Contribution théologique et perspectives pastorales, Abidjan, ICAO, 1991.

- ZAW DABIRE, J. C. M., De la notion de famille chez les Lobi à la famille de Jésus en référence particulière à Mc 3 : 20-21, 3 1-35 (avec application pastorale), Abidjan, I.C.A.O., 1995.

TABLE DES MATIERES

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INTRODUCTION GENERALE 5

PREMIERE PARTIE : JESUS-CHRIST, RESURRECTION ET VIE 9

CHAPITRE 1 : Etude du Contexte historique et littéraire de Jn 11, 1-44 10

1 - Présentation du texte 10

1.1. Le texte grec de Jean 11, 1-44 10

1.2. Notes de critique textuelle 12

1.3. Traduction française de la Bible de Jérusalem 14

1.4. Délimitation du texte 15

1.5. Structure du texte 17

2 - Contexte littéraire et historique de Jn 11, 1-44 19

2.1. Auteur et contexte littéraire du récit 20

2.2. Critique des sources 23

2.3. Critique du genre littéraire du texte 25

2.4. Critique de la Tradition 28

2.5. Histoire de la rédaction du récit 30

EXCURSUS : La mort et le deuil en contexte juif de l'Ancien Testament 32

CHAPITRE 2 : Approche Synchronique et Portée Théologique de Jn 11, 1-44 34

1. Analyse synchronique de Jn 11, 1-44 34

1.1. Analyse du vocabulaire 34

1. 2. Analyse narrative 37

2. Portée christologique de Jn 11, 1-44 56

2.1. Jésus, l'ami véritable 56

2.2. L'homme Jésus dans le récit 56

2.3. Jésus le Seigneur, le Messie, le Fils de Dieu 57

2.4. Jésus, notre Vie 58

2.5. Jésus, notre résurrection 59

3. Portée sotériologique et dogmatique du texte 60

3.1. La foi comme reconnaissance de Jésus 60

3.2. La foi comme conquête sur le scepticisme raisonnable 62

EXCURSUS sur l'idée de résurrection dans la mentalité juive 63

DEUXIEME PARTIE : VIE ET MORT CHEZ LES LOBI 66

CHAPITRE 3 : Etude du contexte socio-historique et religieux des Lobi 66

1. Contexte sociopolitique des Lobi 67

1.1. Petite histoire des Lobi 67

1.2. Localisation géographique des Lobi 69

1.3. Organisation sociale traditionnelle des Lobi en génér al 70

2. Contexte religieux des Lobi 72

2.1. Un monothéisme médiatisé 72

2.2. Les Thila ou entités spirituelles des Lobi 73

2.3. Les génies (Kt$$) et les ancêtres (ktina) 74

3. Quelques valeurs sociales lobi 74

3.1. La solidarité familiale et la vie de l'homme 74

3.2. La force et le courage dans les épreuves 75

3.3. L'idéal d'homme et de femme chez les Lobi 76

4. Le contexte de l'évangélisation des Lobi 77

4.1. L'impact de la colonisation occidentale sur la société des Lobi 77

4.2. L'histoire de l'évangélisation en pays lobi 79

4.3. Etat actuel de l'évangélisation en milieu lobi 82

4.4. Les principaux défis de l'évangélisation des Lobi 83

CHAPITRE 4 : Maladie, Mort et Vie chez les Lobi 86

1. La conception de la maladie chez les Lobi 87

1.1. Toute maladie a une cause cachée 87

1.2. Marques de compassion face au malade lobi 87

2. La célébration de la mort chez les Lobi 89

2.1. Les premières funérailles 89

2.2. La période de deuil 90

2.3. Les secondes funérailles 91

3. La conception sur la mort et sur l'au-delà chez les Lobi 92

3.1. L'origine de la mort selon les Lobi 93

3.2. La mort comme voyage 95

3.3. L'au-delà chez les Lobi 97

3.4. La commémoration des ancêtres 98

3.5. Réincarnation et résurrection en contexte lobi 99

TROISIEME PARTIE: Jésus-Christ, chemin et vie du croyant lobi en route 102

Chapitre 5 : Lecture théologique africaine lobi de Jn 11, 1-44 102

1 - Traduction de Jn 11, 1-44 en langue des Lobi 103

1.1. Traduction personnelle de Jn 11, 1-44 en langue des Lobi. 104

1.2. Difficultés de traduction de la péricope en lobiri 109

1.3. Principales difficultés des Lobi à la lecture de Jn 11, 1-44 111

2 - Critique chrétienne de la conception lobi de la mort et de la vie 114

2.1. Sur la conception lobi de la maladie 114

2.2. Sur les manifestations de deuil des Lobi 115

2.3. Sur les conceptions des Lobi sur la mort et la vie dans l'au-delà 116

3 - Inculturation du discours chrétien sur la mort et la vie chez les Lobi 117

3.1. La mort comme un voyage vers la maison du Père 117

3.2. La résurrection comme re-création ou communion avec Dieu en Jésus-Christ 120

3.3. L'au-delà expliqué aux chrétiens lobi 124

CHAPITRE 6 : Implications pastorales d'une théologie de la mort et de la vie 126

1 - Pour une pastorale renouvelée en faveur des malades 126

1.1. Nécessité d'une pastorale soutenue en faveur des malades chrétiens lobi 126

1.2. Proposition de pastorale renouvelée envers les malades 127

1.3. Pour une vie sacramentaire des malades alités ou impotents 129

2 - Pour une Pastorale nouvelle des funérailles en milieu lobi 132

2.1. La prédication de la Parole de vie du Christ au lieu des funérailles 132

2.2. Attitudes chrétiennes face à l'épreuve du deuil et de la mort 135

2.3. Vaincre la peur de la mort 137

3 - La pastorale de la libération des Lobi 140

3.1. Communion et libération dans les rapports entre vivants et morts 140

3.2. Le christianisme libérateur des structures sociales de mort 144

CONCLUSION GENERALE 150

ANNEXE : CARTE GEOGRAPHIQUE DU PAYS LOBI 153

BIBLIOGRAPHIE 154

TABLE DES MATIERES 164






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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus