WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Jésus-Christ, Résurrection et Vie pour le croyant Lobi en route pour l'au-delà. Lecture africaine de Jn 11,1-44.

( Télécharger le fichier original )
par Sansan Hervé POODA
Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest (U.C.A.O.), Unité Universitaire d'Abidjan (U.U.A.) - Licence Canonique (Maîtrise académique) en Théologie Biblique 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CHAPITRE 4 : Maladie, Mort et Vie chez les Lobi

En référence à la maladie puis à la mort de Lazare, nous voulons, dans ce chapitre, étudier la notion de la maladie, de la mort et de la vie dans l'au-delà chez les Lobi. C'est en vue du dialogue que nous voulons établir en définitive entre l'Evangile et la société des hommes lobi. Nous pensons qu'une telle étude nous permettra de mieux réussir notre tentative d'inculturation de la Parole de Dieu dans une culture africaine comme celle des Lobi, déjà du point de vue des concepts.

1. La conception de la maladie chez les Lobi

Toute maladie chez les Lobi du monde traditionnel a toujours une cause. La recherche de la cause cachée et les manifestations de compassion incombent à tous les membres de la famille du malade.

1.1. Toute maladie a une cause cachée

Pour les Lobi, toute maladie a une cause cachée qu'il faut chercher à découvrir pour espérer l'amélioration de l'état de santé d'un malade. Cette cause peut être une sanction divine ou de quelque entité spirituelle. Elle survient à la suite de transgression d'interdits sociaux et moraux. Elle est souvent une punition des entités spirituelles Th< la ou des ancêtres, les K*nt<na. Elle peut être provoquée par la méchanceté des sorciers ou d<t]dara. Elle peut être commandée par un ennemi humain qui en veut au malade. Des simples maux de tête aux maux de ventre chroniques en passant par la stérilité ou l'impuissance sexuelle, une large gamme de maladies frappe fréquemment les Lobi qui y voient touj ours une main hostile invisible.

Quand un Lobi tombe malade, il cherche donc à connaître la cause invisible de son mal. Il consulte le devin ou bù*rdaar pour savoir qui lui en veut. Il se rendra chez le prêtre des entités spirituelles pour conjurer le sort qui lui est jeté210. Le devin comme le prêtre de la religion traditionnelle fera un sacrifice de poussin ou de poules pour intercéder en faveur du malade. Il lui indiquera si possible les remèdes appropriés à prendre. Et si l'état de santé du malade ne s'améliore pas, il passera à un autre devin ou à un autre prêtre guérisseur traditionnel.

1.2. Marques de compassion face au malade lobi

Le malade chez les Lobi est entouré de grands soins. Les parents et les amis accourent à la nouvelle de la maladie, qui pour rendre une simple visite, qui pour apporter des remèdes. Ces remèdes consistent le plus souvent en des plantes ou des écorces médicinales assorties de nombreux interdits (surtout alimentaires). La nouvelle du malade est relayée de bouche à oreille, surtout dans les salutations qui s'intéressent à l'état de santé des parents et amis dans la société. Il est toujours bienséant de rendre visite aux malades, chez eux ou chez le

210 Nous évitons exprès de nommer les prêtres de la religion traditionnelle des féticheurs car le terme fétiche comme le souligne le Petit Robert électronique est un ``Nom donné par les Blancs aux objets de culte des civilisations dites primitives''. Il est donc péjoratif et tendancieux.

guérisseur traditionnel211. A l'occasion de ces visites, les Lobi échangent des conseils en vue d'un prompt rétablissement du malade. Un autre guérisseur peut être conseillé à l'occasion même. On apporte souvent à manger ou à boire au malade et à ses parents autour de lui. Il se peut qu'un parent au cours d'une consultation divinatoire reçoive une révélation sur la maladie dont souffre le malade. Il prendra le soin d'avertir qui de droit et d'y porter une solution en vue de la guérison du malade.

Si au bout de multiples sacrifices où la solidarité familiale et alliée se manifeste fortement, le malade est guéri, on procèdera à des sacrifices d'action de grâce aux entités spirituelles favorables. Les ancêtres ne seront pas laissés en reste. Mais au cas où la maladie s'empire, les Lobi suspendront toute activité sociale pour veiller le malade. Ils seront à ses petits soins. Ils lutteront pour qu'il survive212. On s'endettera pour chercher tous les remèdes possibles. Mais les Lobi n'aiment pas voir un malade souffrir atrocement. Certains n'hésitent pas en pareille circonstance à pratiquer une certaine forme d'euthanasie par le truchement de certaines herbes ou plantes de la nature. Certains artifices sociaux existent même pour hâter le départ de certaines vieilles personnes malades et très souffrantes213. Mais cela n'est pas chose fréquente. Les Lobi tiennent à la vie de leurs parents et amis. En cas de situation critique, les femmes pleurent autour du malade pour le retenir encore sur terre. En effet, selon les Lobi, le malade dans le coma, sort de lui-même et se met en communication avec ses ancêtres pour négocier ses modalités de voyage dans la mort. Les pleurs des parents, que l'âme ou Thuu de ce malade voit, peuvent l'émouvoir et la retenir encore sur la terre. Mais si elle décide de partir, rien ne peut vraiment la retenir. La mort redouble la peine et les pleurs des parents ou alliés accourus au chevet du malade. La mort est fortement célébrée chez les Lobi qui la considèrent comme un passage, un voyage, du monde des vivants à celui des morts.

211 K. J. BICABA écrivant sur les rites funéraires en pays Bwamu (essai de recherche anthropologique), Abidjan, ICAO, 1987, p. 67, le rapporte aussi : « lorsque l'entourage sait qu'un membre de la communauté est malade, il a le devoir selon la solidarité fraternelle de lui dire bonj our chaque matin ou régulièrement jusqu'à ce qu'il y ait du mieux »

212 Nous souscrivons entièrement ici à la pensée de N. Y. SOEDE in Sens et enjeux de l 'éthique, op. cit., p. 96, qui développe la thèse sur la conception africaine de la vie comme « valeur fondamentale de la pensée philosophique et de l'existence ». L'homme lobi est cet ``être-vie'' comme le dit SOEDE, perpétuellement en quête de mieux être et de plus de vie. C'est surtout, à notre avis, cet homme-relation ou ``l'être-bien-avec'' en quête d'harmonie sociale dont nous avons parlé plus haut.

213 Par exemple, les parents d'un chef de famille peuvent déboulonner la représentation de son esprit tutélaire appelé Th<lkhaa en autorisant les ancêtres à venir récupérer dans leur giron le moribond souffrant. Pour les Lobi, la souffrance physique est le pire des maux. Elle dégrade l'homme et porte une atteinte grave à son humanité qui s'en trouve fragilisée. Mieux vaut mourir que de trop souffrir et de faire souffrir ses proches, disent les Lobi, au coeur de leurs grandes souffrances physiques.

2. La célébration de la mort chez les Lobi

Les Lobi ont plusieurs cérémonies pour célébrer la mort. Nous voulons en donner les grandes lignes214. Tout décès d'un adulte lobi est suivi de deux grandes funérailles : les premières funérailles ou Biir et les secondes funérailles ou Bobuur. Entre les deux s'écoule le temps de deuil.

2.1. Les premières funérailles

Les premières funérailles ou Biir sont déclenchées à la mort d'un Lobi. Elles sont caractérisées par les lamentations bruyantes des femmes et des hommes pris à court par le décès d'un être cher. On pleure, on crie, on se lamente, on tombe et on roule à terre en signe de désolation, on néglige son habillement, on n'a pas le temps de s'alimenter, on déambule, on s'assoit en quinconce, on joue de la musique sur le balafon ou xylophone, on danse, on donne et écoute des témoignages sur la vie du disparu, on fait des cadeaux (jet de cauris et de céréales) et des commissions au partant vers l'au-delà, on lui souhaite bon voyage, on exhorte les ancêtres de lui faire bon accueil, on envoie des émissaires pour annoncer les funérailles aux parents et alliés les plus éloignés, on fait retentir des coups de fusil pour annoncer les funérailles à toute la région, on exécute des mîmes de la vie passée du défunt... autant de manifestations de deuil qui caractérisent les premières funérailles des Lobi. Tout comme dans la société juive vétérotestamentaire, l'émotion est forte lors des funérailles des Lobi. Les premières funérailles suspendent les activités de la famille et du village. La solidarité dans le deuil est ici très forte. Les funérailles durent deux à trois jours. Mais habituellement, le corps du défunt dure 24 heures. La toilette funèbre est touj ours faite avec grand soin215. « Après avoir fait la toilette du cadavre, on l 'interroge pour connaître les raisons du décès, qui ne peut provenir que d'une faute commise par le défunt ou d'un maléfice dont il faut identifier l'auteur. Même la mort d'un vieillard qui fut longtemps déclinant est considérée comme due à une faute ou provoquée par quelqu 'un ; il semble n 'y avoir aucune mort sans cause, quel que soit l 'âge du disparu216... »

Pendant le déroulement des funérailles, les fossoyeurs, organisés en confrérie comme nous l'avons vu dans le précédent chapitre, procèdent au creusement de la tombe. Mais ils ne commencent pas sans avoir auparavant fait un sacrifice à l'esprit tutélaire de la terre villageoise où l'enterrement doit être fait. La tombe ou « le Kaar prend l 'aspect de deux alcôves, l 'une à l 'Est, l 'autre à l 'Ouest, séparées par un petit tertre médian (...). Le cadavre est alors placé dans la position d'une personne qui dort, la main gauche sous la tête217 » et la face toujours tournée vers l'Est, l'horizon des origines des Lobi et la direction du pays des morts. Les premières funérailles ne prennent pas fin avec l'enterrement. Elles se prolongent touj ours par une veillée funèbre durant la nuit. Les instruments et objets qui ont été en contact avec le défunt sont placés au milieu de l'assistance qui continue de manifester au disparu ses hommages. Des dons sont faits en nature et en espèces antiques (cauris ou monnaies anciennes chez les Lobi) aux endeuillés pour pouvoir dédommager les joueurs de musique funèbre et les fossoyeurs qui prennent une part active à ces funérailles. Un grand monde prend toujours part, par solidarité, aux premières funérailles d'un Lobi218.

2.2. La période de deuil

Entre les premières funérailles et les secondes ou dernières funérailles des Lobi, s'écoule la période de deuil. Selon les circonstances du décès, cette période de deuil peut prendre deux semaines à six mois ou même un an. Le principe est qu'il faut régler tous les problèmes qui empêcheraient l'âme du défunt de réussir son voyage vers l'au-delà. On fera venir plusieurs devins (3 normalement pour les hommes et 4 pour les femmes) dans la famille éplorée pour rechercher tous les arrangements sacrificiels à faire pour libérer le défunt sur sa route vers le pays des morts. Pendant ce temps, les veufs, les veuves et les orphelins sont soumis à de nombreux interdits. Nous remarquons surtout que les veuves ont une condition de vie plus drastique : elles sont coupées de la vie villageoise pendant tout le temps du veuvage qui peut prendre six mois à un an. Elles ne se lavent pas et doivent s'oindre chaque jour de kaolin blanc. Elles se déplacent rarement et quand elles sont obligées de sortir de chez elles, elles emportent touj ours leur tabouret pour ne pas souiller les sièges du commun des mortels. Elles ne doivent toucher personne. On les estime impures. Les veufs et les orphelins se rasent

la tête en signe de deuil. Ils font preuve de modération dans l'expression de leurs sentiments durant l'entre-deux funérailles. L'impureté rituelle les frappe moins à notre analyse.

Dans la maison funèbre, les souvenirs du défunt sont disposés dans une chambre. Il est supposé que l'âme du défunt rôde touj ours dans les environs avant sa mise en route définitive prévue aux secondes funérailles219. Devant les représentations du défunt constituées de sa canne ou gboo, de ses photos, de son arc et carquois en ce qui concerne les hommes, de ses habits et poteries pour les femmes, des lamentations sont faites par les parents proches les jours qui suivent immédiatement l'enterrement du défunt. On continue de servir la nourriture du défunt pour souligner sa présence encore dans le giron familial. Les retardataires viennent là lui rendre hommage touj ours, en y jetant des cauris ou autres dons en nature. On évitera toutes palabres et autres actes répréhensibles dans la société, pendant cette période de deuil, dans la maison mortuaire, jusqu'aux dernières funérailles ou secondes funérailles.

2.3. Les secondes funérailles

Après tous les réglages religieux et surtout sacrificiels pour permettre le voyage effectif de l'âme du défunt, ont lieu les secondes funérailles ou Bobuur. Elles sont importantes suivant le rang et la considération sociale dont jouit le défunt. Elles sont organisées en fonction des clans et des traditions locales. Elles peuvent être symboliques ou très fastes. Pour les vieilles personnes défuntes, elles peuvent durer une semaine avec des manifestations qui drainent un grand monde encore dans la maison du disparu. Quelques lamentations rituelles sont entendues les premiers jours. Mais le ton cède vite à la joie et à une ambiance de fête traditionnelle. On regrette bien le départ définitif d'un être cher vers l'autre monde d'où on ne

219 Nous avons recueilli plusieurs témoignages de Lobi sur leur expérience de la mort. Ceux-ci sont assez intrigants surtout quand on les compare aux expériences des ``NDE'' ou Near Death Experiences (cf. Dr R. MOODY, la vie après la vie, édition Robert Laffont, 1978, 181p.). A l'article de la mort, presque tous les Lobi, dans leurs délires, disent apercevoir à leurs côtés les membres défunts de leur famille, surtout leurs proches parents s'ils sont déjà morts (père et mère, grands-pères ou grands-mères). Ceux-ci, disent-ils, viennent les conduire au pays des morts. Des voyants lobi affirment bénéficier d'apparitions de défunts avec souvent le crâne rasé (signe de deuil dans la société). De même, les porteurs de cadavres lobi se disent touj ours mus par une force invisible que l'on attribue à l'esprit du mort. Ce sont autant de croyances et de phénomènes liés à la mort qui alimentent les craintes des Lobi de la mort et de tout ce qui l'entoure. C'est aussi ce qui explique l'importance des funérailles et du deuil dans cette société. Sur le sujet des expériences avec le monde d'outre-tombe, voir aussi T. FOURCHAUD, La mort. Témoignages de vies, édition La Bonne Nouvelle, Saint-Denis-du-Maine, 2006, 160p. ; J. VERNETTE, Peut-on communiquer avec l'au-delà ? Paris, Editions du Centurion, 1990, 127p. avec de vibrants témoignages sur les revenants qui ressemblent fort drôlement à ceux que nous ont contés les Lobi (crâne rasé, sensations lourdes en leur présence etc. pp. 83-86). Voir aussi P. RAYET, Après la mort ? Paris, Edition O.E.I.L., 1996, 146p. surtout les expériences des saints avec le monde de l'au-delà, pp. 65-104.

peut plus revenir, mais aussi on fête l'entrée d'un nouvel ambassadeur des hommes dans le monde des ancêtres220.

Ainsi le premier grand jour des secondes funérailles est appelé Bowiri et consiste à faire des consultations divinatoires et divers sacrifices de réparation pour les fautes du défunt. Il y a ce jour-là des pleurs bruyants. Il y a une sorte de re-jeu des premières funérailles pendant un laps de temps assez raisonnable. Le deuxième jour ou Bi$l-wiri ou J$v<-wiri, on procède à de nombreux sacrifices pour mettre en route le défunt à qui on dit adieu. C'est après cela que s'ouvrira une véritable ambiance de fête où les orphelins, les veufs et les veuves sont réintégrés dans la vie sociale à travers un grand repas rituel consommé souvent sur la terrasse des maisons lobi. Le troisième jour ou Khîdîgba-wiri, les fossoyeurs sortent de la maison toutes les saletés du défunt et rompent de manière symbolique tout ce qui pourrait retenir dans la maison l'âme du défunt. Ils les conduisent vers l'Est, la route du pays des morts. S'instaure alors une véritable fête familiale et villageoise pour célébrer l'entrée du défunt dans le royaume des morts. Le quatrième jour où Jùkuulbîsa-wiri, une grande danse traditionnelle honorera enfin le défunt pour valoriser ses qualités paysannes, honneurs sensés convaincre les ancêtres pour qu'ils accueillent celui qui frappe maintenant à leur porte. Les réjouissances officielles prennent fin avec ce quatrième grand jour des secondes funérailles221. Les parents proches resteront dans la maison du défunt pour ranger le matériel et pour régler les questions d'héritage des biens et des charges. Les veufs et les veuves reprennent leur vie sociale normale.

Sans relater tous les détails de ces funérailles traditionnelles, nous remarquons une organisation sociale bien définie dans les rites de ce peuple sans écriture mais qui conserve fidèlement depuis des générations des rites immémoriaux. C'est dans ces rites que transparaît une certaine conception de la mort et de la vie dans l'au-delà qui mérite notre attention.

3. La conception sur la mort et sur l'au-delà chez les Lobi

Les Lobi ont un mythe pour expliquer l'origine de la mort. Quand elle survient, la mort est considérée comme un voyage de l'âme de cette terre vers l'au-delà222. L'au-delà est

220 Cf. M. FIELOUX et J. LOMBARD, « A propos du tournage et de la réalisation des ``Mémoires de Binduté Da'' » in AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, pp. 423-439.

221 Encore une fois de plus, il s'agit d'une présentation sommaire. Nous savons en général la complexité des rites funéraires africains. Nous n'entrons pas dans les détails. Mais tout est organisé pour faire un adieu à l'âme du défunt en route pour l'au-delà. L'aspect purificateur des rites, d'une part pour ce défunt et d'autre part pour les vivants qu'il laisse sur terre, est de loin le plus important dans ces rites, à notre analyse.

222 On est loin ici de la conception juive de la mort comme sommeil : cf. Supra, 1.2.2.4., p. 42.

un décalque de cette terre mais tout en positif. Dans l'au-delà, l'harmonie originelle est retrouvée223. C'est pourquoi, les habitants de l'au-delà sont vénérés des Lobi en quête d'harmonie à tout point de vue.

3.1. L'origine de la mort selon les Lobi

Louis-Vincent Thomas et René Luneau, traitant de la question de la mort en Afrique, affirment ceci : « L 'origine première de la mort demeure de même mystérieuse. Très souvent, les mythes font allusion à une faute de l'homme qui expliquerait également l'éloignement du ciel de la terre ; ou bien encore à une sorte de fatalité, d'engrenage maudit où l'animal porteur du message de mort arrive, auprès des hommes, juste avant l 'animal porteur du message de vie. Dans les deux cas, Dieu reste la raison permissive fondamentale, les causes magico-religieuses plus encore que les causes naturelles, seulement conditionnantes (vieillesse, maladie, accident, vengeance), expliquant le décès de telle ou telle personne.224 » Cela est bien vrai en ce qui concerne la société des Lobi. Pour les Lobi, la mort n'existait pas. Un mythe nous donne l'origine de la mort dans la société des hommes. Nous retrouvons ce mythe dans beaucoup de sociétés africaines225.

Aux temps anciens, quand Thâgba Dieu vivait au milieu des hommes, la société des hommes, la nature et le cosmos vivaient en harmonie. Les fils des hommes pouvaient même s 'amuser avec les fils de Dieu, jusqu 'au jour où la femme-là brisa l 'interdit originel. Ce qui éloigna Dieu de la terre pour toujours. Après que Thâgba Dieu ait pris congé de la terre, il envoya un émissaire aux hommes pour choisir entre la mort éternelle et la vie après la mort sur terre : a wù khi wù n q<n$ et a wù khi w a n q] ga226. La mort était devenue fatale pour les hommes. Mais ils pouvaient encore choisir entre une mort sans retour sur cette terre et une mort avec retour sur la terre. Les hommes se réunirent sur la place du marché et discutèrent longuement sans parvenir à un consensus, l 'harmonie ayant déserté de leur sein. Ils choisirent pour finir deux animaux emblématiques avec les deux messages contraires. La majorité choisit le chien en se disant que ce fidèle compagnon des hommes est alerte en

223 On ne peut s'empêcher de penser ici au maât des égypto-pharaoniens dans leur eschatologie dominée par le mythe d'Osiris et d'Isis (cf. N.Y. SOEDE, Sens et enjeux de l'éthique, op. cit., pp. 35-37). C'est à l'aune du maât que le jugement dernier est fait avant l'entrée dans le royaume des morts des égyptiens de l'Antiquité. De même, chez les Lobi, l'homme au soir de sa vie, sera jugé sur ses capacités et sur ses efforts sur la terre à rechercher cet équilibre humain et social auquel il aspire ontologiquement. Ce sera le critère d'agrégation dans le cercle des ancêtres où règne l'harmonie accomplie.

224 L.-V. THOMAS et R. LUNEAU, La terre africaine et ses religions, Paris, l'Harmattan, 1975, p. 247.

225 Nous avons entendu le même mythe chez les Abouré de Côte d'Ivoire située en zone forestière. Et D. B. GUIGBILE, dans Vie, mort et ancestralité chez les Moba du Nord Togo, Paris, l'Harmattan, p. 133, nous conte le même mythe.

226 Littéralement traduit : si on meurt on revient et si on meurt on ne revient pas !

course et pourra rapporter à Thâgba Dieu que les hommes désirent revenir vivre sur cette terre après leur mort. Le bouc devait rapporter le message contraire de la minorité : à quoi bon revenir sur cette terre où la souffrance est désormais installée pour de bon. Si on meurt, mieux vaut ne plus revenir ici227. Les deux messagers prirent la route vers le pays lointain de Thâgba Dieu. En cours de route, le bouc céda à la tentation des tendres herbes qui jalonnent la route menant chez Thâgba Dieu. Le chien profita pour prendre une bonne longueur d'avance sur son concurrent. Mais au point d'atteindre le but, il succomba à la tentation des os en découvrant au passage une soupe en préparation chez une parturiente. Confiant de

l 'avance considérable qu 'il avait prise, il décida de patienter jusqu 'au repas de la femme pour espérer se régaler des os de la viande contenue dans la soupe. Entre temps, le bouc repus, reprit sa course, difficile mais tenace. Il s 'était rendu compte de son retard. Déterminé qu 'il était, il ne faisait point attention aux chèvres qui l 'interpellaient sur son passage. Il traversa le village où le chien attendait patiemment ses os. C 'est ainsi qu 'il parvint le premier devant Thâgba Dieu et lâcha le message funeste : les hommes, après leur mort, ne veulent pas revenir sur cette terre. Et Dieu prit note de la décision des hommes. Pendant que

l 'émissaire des hommes était accueilli avec faste dans la maison de Thâgba Dieu, le chien arriva devant l 'Eternel après avoir calmé sa faim et sa passion. Il se mit à crier le message de la majorité des hommes désirant revenir sur cette terre pour une autre vie après l 'inéluctable mort, mais il se vit rabroué car le véritable émissaire des hommes était déjà arrivé et avait révélé le désir des hommes. Voilà pourquoi quand les hommes meurent, ils meurent pour de bon et ne reviennent plus vivre sur cette terre. C 'est ainsi que la mort éternelle entra dans la race des hommes, dit le mythe.

Le mythe a pour but de nous expliquer pourquoi la mort est fatale et comment elle est un chemin de non retour sur cette terre228. Elle est la conséquence de la faute originelle et du désordre entre les hommes. L'harmonie originelle brisée, rien de salutaire ne peut se concevoir entre tous les hommes. La mort elle-même symbolise ce désordre dans la vie des hommes. Les funérailles traditionnelles seront d'ailleurs une dramatisation ou une théâtralisation de cet état de désordre dans lequel la mort plonge la race des hommes. En

227 Joseph Antoine Kambou qui rapporte aussi ce mythe traduit le double message des hommes ainsi : « si on meurt on ressuscite...le second devait dire exactement le contraire » cf. J.A. KAMBOU, op. cit., p.150. Nous reviendrons sur l'implication d'une telle traduction qui peut être tout à fait juste !

228 Il faut préciser avec J. L. CUNCHILLAS, à la suite d'ailleurs de P. RICOEUR que « le mythe n'a rien à voir avec le mensonge. Il exprime au contraire une profonde vérité métaphysique. Il dérange le rationalisme car son existence prouve que certaines vérités échappent à la raison » in COLLECTIF, La création dans l'Orient ancien, Paris, Cerf, 1987, pp. 81-82. Voir P. RICOEUR, De l'interprétation. Essai sur Freud, Paris, Seuil, 1965, pp. 221-222.

même temps, seule la mort ouvre la perspective du voyage de l'homme vers l'harmonie originelle.

3.2. La mort comme voyage

Pour les Lobi, la mort est avant tout un voyage ad originem. En cela, cette conception qu'on retrouve déjà chez les Egyptiens des temps pharaoniques, existe d'ailleurs chez plusieurs peuples d'Afrique229. Chez les Lobi, l'épreuve ultime de l'âme en route pour l'audelà est bien la traversée du fleuve mythique (la Volta). Les cauris et autres menues pièces qu'on jette au mort lui permettront de payer la traversée du fleuve. On lui met sur la tête ou entre les mains une calebasse qui lui servira de gobelet pour étancher sa soif en cours de route. De plus, les divers sacrifices effectués sont nécessaires pour purifier l'âme afin de faciliter sa traversée du fleuve. Les âmes qui sont bloquées au bord du fleuve viendront tourmenter les hommes pour qu'ils fassent quelque chose en leur faveur230. Cela ressort bien souvent dans les consultations divinatoires.

Mais c'est surtout lors des témoignages que les Lobi font a l'occasion d'un décès, que nous avons cette conception de la mort comme voyage clairement exprimée. Durant les funérailles d'un de nos grands oncles paternels, un de ses frères se présenta devant le joueur de balafon et fit ce discours interprété sur les lames du xylophone par le musicien: DL Ltv! Bizr W, m /Iuv sail ai ki- hde, si yetri gL nil Fer ke ft lxii IczvL l7lcrr gq ir ke n sail kz.ui 1713 ii pn 1w; 1r ha iw uI lxxii (u/wi g DL m kuv lx, I.zu( jmnL LC ., çta Içcê'ff ke a bLek, 1w sa thxi ii.v ft I Nous pouvons traduire cela comme suit: Tout est bien231 ! O Buor (nom d'initiation de caste ou de confrerie)! Comme nos ancêtres l'ont dit. la mort existe vraiment, nous en avons lapreuve aujourd'hui encore! Toi qui n 'avais peur de rien, toi si brave dans n 'importe queue situation, te voici

229 Cf. J. M. ELA, Mafoi d'Africain, Paris, Karthala, 1985, pp. 36-56.

230 Ce sont autant de rites funéraires dont le symbolisme n'est pas sans évoquer l'antique croyance égyptienne de la survie de l'âme et de son voyage fluvial vers la thébaide. Tout comme dans le mythe d'Osiris dont le cadavre voyage sur le Nil avant d'être repêché par la ténacité d'Isis son épouse qui lui redonne vie, ainsi selon les égyptiens de L'Antiquité, l'âme après la mort empruntait la barque d'Osiris le dieu du royaume des morts pour le voyage mortuaire sur le Nil vers "l'Occident", le séjour des morts. Voir J. VERCOUTTER in Encyclopédie Universalis France S.A., 2003, art. "religion de l'Egypte antique" et aussi L. PFIRSCH, <<La religion égyptienne >>, in Encyclopédie des religions, Bayard Editions, 1997, pp. 35-53.

231 Même devant le malheur, l'homme lobi confessera que tout est bien comme pour dire que tout ce que Dieu fait est bien! Nous avons dans cette expression un concentré d'une philosophie et d'une certaine théologie lobi. Mais ce n'est pas la foi a un fatalisme beat car le Lobi ne croit pas trop au Destin mais plutôt a des forces et des causes invisibles qui peuvent être fatales pour l'homme qui n'est pas vigilant. Cette conception nous rappelle encore la mentalité égyptienne antique sur la notion du maât, symbole de l'ordre universel voulu par le démiurge lors de la creation et que la témérité humaine a trouble. La mort vient le redire aux Lobi en quête d'harmonie après la faute originelle qui a brisé l'interdit divin. Le bowc ou le har-v-ii (harmonie, paix) est paradoxalement troublée et aussi possible dans la mort.

aujourd 'hui inerte ; Tes ancêtres t 'ont devancé là-bas, reçois ces vingt cauris pour payer ton voyage jusqu 'à eux ! Plusieurs provisions sont données au défunt pour sa route. On lui fera des commissions orales pour les ancêtres. On lui souhaitera bonne route et bon voyage (fi gal b** : ce qui correspond à reposes-toi en paix dans la mentalité occidentale !). Toutes ces cérémonies funéraires bien complexes sont à comprendre comme une préparation de cet ultime voyage de l'âme thuu vers le pays des morts ou Khîdi-dù*. La femme aura sa canne et portera ses plus beaux atours pour ce voyage. L'homme aura son carquois et ses meilleures flèches pour sa route aussi. Leurs trophées de guerre ou de chasse les accompagneront. Leurs richesses et les produits de leur labeur seront exposés pour que les substances soient emportées comme gages de leur fidélité aux valeurs sociales des Lobi et comme témoignages en faveur de leur canonisation dans le cercle des ancêtres.

De plus, les lamentations funèbres sont un large champ sémantique de la conception de la mort comme voyage vers l'au-delà chez les Lobi. Une de nos grand-mères à l'occasion de funérailles en famille pleurait ainsi : Wei wei wei ! Thâgba yaa anye f< p$ s$r n<w$ ra m$ ! Weeey ! Am$ na hana m< Dibe ra ya n$r$ ! Am$ th*na f< le ktîd< huora yoo? Kpi$r naa n j b<saan n be m< n** hù*ra ga yoo! Damuun naa n j bi n bu m< hù*ra ga! Wei wei wey! Fa n kh$r h<<n khiru yuu ga î bi ! Si fa j < Thâgba ka bu s*r$ ga d$ ! Khiri, s< f< n `lar w aa thu! Gala b** yaa (trépignements et gesticulations de désolation) ! Nous pouvons traduire comme suit : Désastre ! Dieu, pourquoi nous as-tu plongé dans une si grande peine ! Malheur ! Qui me redonnera mon Dibe (nom du défunt) ! Qui t 'a envoyé sur la route du pays des ancêtres ? Kpièr (père défunt de Dibe), que le fiston ne trébuche jamais en route surtout ! Damoun (mère défunte de Dibe), que le petit ne se perde surtout pas en cours de route ! Vraiment, Dieu est-il juste en nous traitant ainsi ? Mort, que tu es vraiment brave ! Vas-y en paix (gestes de désolation extrême)! Durant les funérailles, toutes les lamentations seront comme des cris de révolte contre la mort comme voyage sans retour possible. Le thème de voyage sera toujours explicitement évoqué. Les musiques exécutées au balafon lors des funérailles vont dans le même sens. Giovanna Antongini et Tito Spini, deux chercheurs italiens, nous en donnent quelques échos dans leur ouvrage232. La mort pour les Lobi est vraiment un voyage, un passage, une traversée vers l'au-delà.

3.3. L'au-delà chez les Lobi

« Certes la mort, en tant qu 'elle implique séparation, engendre la douleur, surtout si le défunt était un homme en pleine force et n 'ayant pas achevé sa mission. Mais il ne s 'agit pas d'une destruction totale et définitive ; seulement d'un passage, d'une transition vers une nouvelle existence233. » Cette existence est un au-delà par rapport à cette terre des hommes. Et pour les Lobi, l'au-delà est le village des morts (khîdiduo), le village des ancêtres (ktinaw*du*). Ils le localisent de manière symbolique et même mythique sous la volta ou audelà de ce fleuve situé vers l'Orient du pays lobi. Le mort est toujours exposé le visage tourné vers l'Est234. Les sacrifices aux ancêtres sont souvent faits sur les pistes menant vers l'Est. Le cadavre dans la tombe a le visage tourné vers l'Est. L'Est du pays lobi du Burkina comme de la Côte d'Ivoire est orienté vers le Ghana. Et puisque la mémoire collective situe l'origine immédiate des Lobi vers le Ghana, nous pouvons conclure que le village des morts se situe aussi vers le Ghana. Mais nous pensons que cette situation est plus que symbolique. L'au-delà des Lobi n'est plus ou moins qu'un retour aux sources, à l'harmonie originelle perdue sur cette terre depuis la faute originelle235.

Pour les Lobi, le pays des morts est l'image idéale de tout village lobi. Il y règne l'ordre, la fraternité, la solidarité, l'entente, la richesse, le partage, la bonne ambiance, l'harmonie avec la nature, avec les entités spirituelles supérieures, la réconciliation avec Thâgba Dieu, somme toute, le lieu paradisiaque dont un Lobi peut rêver. C'est pourquoi les contes insistent sur l'impossibilité pour quelqu'un qui a visité ce paradis de revenir vivre sur cette terre, sur cette ``vallée des larmes''. Pour accéder à ce beau pays où il fait bon vivre, on se doit d'être spirituellement pur et purifié. C'est la raison des multiples sacrifices postmortem dans le cérémonial funéraire complexe des Lobi. On peut traîner avant d'accéder au pays des morts. On peut être bloqué au bord du fleuve. Il faut l'aide sacrificielle des humains pour aider les âmes bloquées dans leur voyage vers le pays des ancêtres. Les ancêtres euxmêmes contribuent activement à la réussite de ce voyage. Leur médiation est sollicitée dans les libations et les prières rituelles. Le défunt qui aura réussi facilement et correctement ce

233 L.-V. THOMAS et R. LUNEAU, Les religions d'Afrique noire, Paris, Librairie Arthène Fayard, 1969, p. 225.

234 Nous nous référons ici à une exposition officielle du défunt paré de ses plus beaux atours qui se fait devant la société entière avant sa mise en tombe. A cette occasion, le mort a le visage tourné vers l'Orient, vers le pays des ancêtres. Il n'est pas ici question de l'exposition du défunt quand il est encore dans la maison mortuaire. Là, le visage est toujours tourné vers la sortie de la maison pour signifier son départ, car mourir ici c'est bien partir !

235 N. P. DIALLO, Funérailles San. Chemin de vie, Abidjan, ICAO, 1983, p. 174, écrit aussi à propos de l'audelà chez les Samo : « Dans l'au-delà, les Ancêtres et tous les morts vivent dans de grands villages où la société est à l'image de celle d'ici-bas. On y retrouve son village, son quartier, son clan, sa famille ».

voyage prendra place au milieu des ancêtres et il pourra être invoqué ensuite par les vivants236.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote