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Jésus-Christ, Résurrection et Vie pour le croyant Lobi en route pour l'au-delà. Lecture africaine de Jn 11,1-44.

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par Sansan Hervé POODA
Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest (U.C.A.O.), Unité Universitaire d'Abidjan (U.U.A.) - Licence Canonique (Maîtrise académique) en Théologie Biblique 2007
  

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3 - La pastorale de la libération des Lobi

L'étude de l'épisode de la libération de Lazare des liens de la mort nous invite à réfléchir à toutes les actions pastorales qu'il convient d'engager afin de libérer les chrétiens lobi des forces oppressives et mortelles actuelles. Ce chemin de libération passe par le souci des veuves et des orphelins et la prise en compte du besoin des Lobi d'être en communion perpétuelle avec leurs ancêtres qui les ont précédé dans la mort.

3.1. Communion et libération dans les rapports entre vivants et morts

Il importe de libérer le chrétien lobi de toutes les pratiques culturelles et sociales qui l'empêchent de vivre en paix et en harmonie avec ses frères et avec Dieu. Tout sera mis en oeuvre afin de soigner sa relation existentielle avec Dieu, avec tous ses ancêtres qui l'ont précédé dans la mort et avec les vivants, ses compagnons de route sur cette terre.

3.1.1. La libération des orphelins et des veuves dans la communauté chrétienne

De tout temps, la situation des orphelins et des veuves, dans les sociétés humaines, a toujours été précaire. La Bible recommande bien l'assistance aux veuves et aux orphelins349. Elle invite à les protéger (cf. Ex 22, 20-23 ; Dt 14,28-29 ; 24,17-22). Malheur à ceux qui abusent de leur faiblesse (cf. Is 10,2 ; Mc 1 2,40p) ! Jésus, comme Elie, rend à une veuve son fils unique mort (cf. Lc 7,11-15 ; 1R 17,17-24). Le Maître, sur la croix, prit le soin de confier sa mère au disciple bien-aimé (cf. Jn 1 9,26s). Et dans le service quotidien de l'Eglise primitive, les besoins des veuves étaient pris en compte (cf. Ac 6,1). Si ces veuves n'ont plus de parenté (cf. 1 Tm 5,16 ; Ac 9,36-39), la communauté doit les prendre en charge, comme l'exige la piété (cf. Jc 1,27 ; Dt 26,12s ; Jb 31,16).

Dans la société des Lobi, les orphelins et les veuves vivent aussi une situation précaire. Durant la période de deuil, ils sont frappés par une certaine impureté rituelle. Plus que les orphelins, les veuves vivent durement leur veuvage350. La situation des veufs est moins contraignante. Les veuves sont obligées de vivre en réclusion avant la fin du deuil. Elles ne sont pas autorisées à se laver, à s'habiller décemment, à se déplacer librement. Elles se badigeonnent le corps d'argile et de glaise chaque matin avec des eaux lustrales. Elles sont alors très sales. Tout est fait pour qu'elles ne soient pas attirantes et même qu'elles soient

349 Cf. AAVV, Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Cerf, 1991, art `veuves' col. 1343-1344.

350 Nous évoquons ici le temps du veuvage qui va des premières funérailles aux secondes funérailles puisqu'à la fin du deuil, chez les Lobi, la veuve peut de remarier rapidement.

dégoûtantes. Et elles peuvent vivre dans cet état pendant une année entière avant les dernières funérailles. C'est ce qui rend leur condition de vie préoccupante. Certes, la société voudrait par là les protéger contre la souillure de l'esprit de leur défunt mari et contre les hommes pervers. Mais une telle condition de vie est généralement imposée par la peur de la mort. Elles sont soumises ainsi à un grand nombre d'interdits très stricts.

Alors, il est bien heureux que les veuves chrétiennes soient déchargées de ce lourd fardeau qu'on impose dans la société traditionnelle aux veuves. Les veuves chrétiennes se lavent au début de leur veuvage par une eau dans laquelle est ajoutée de l'eau bénite et elles se rasent la tête comme toutes les veuves et les orphelins de leur société en signe de deuil. Elles ont pris l'habitude de porter un habit de deuil de couleur noire, pendant que la couleur de deuil dans la société des Lobi est le blanc. On y voit une volonté expresse de couper court avec les contraintes d'une culture traditionnelle trop astreignante. Mais elles se réfugient là dans des pratiques funéraires influencées par la civilisation occidentale ou par d'autres cultures. C'est ainsi qu'en Côte d'Ivoire, l'habitude s'impose de plus en plus de faire un uniforme vestimentaire pour les membres de la famille concernée par les funérailles. Outre les dépenses multiples et les différentes frustrations que cela peut occasionner, nous constatons le développement de pratiques funéraires, nouvelles à la société et non moins contraignantes. Il convient alors que les pasteurs et les chrétiens soient attentifs à dénoncer et à freiner de telles pratiques. Il faudrait libérer les veuves du lourd carcan traditionnel sans leur en ajouter davantage. Mais il importe surtout que les pasteurs aident les veuves par des sacramentaux adéquats et des gestes symboliques apaisants afin de les sauver des tentations syncrétistes.

Nous proposons, dans la ligne de la pratique de l'Eglise primitive, qu'il y ait dans la communauté chrétienne une institution des veuves (cf. 1Tm 5,9). Une telle association des veuves chrétiennes sera un cadre de rencontre, de partage, de soutien et de prière (cf. 1 Tm 5,4). Les pasteurs auront souci de les former davantage à la vie chrétienne. La communauté organisera une aide matérielle quand il le faut, afin que les orphelins et les veuves de l'EgliseFamille bénéficient de soutien effectif. Les veuves d'un certain âge, vraiment seules et dégagées de toute obligation familiale, s'adonneront davantage à une vie de prière (cf. 1Tm 5,5s) et d'évangélisation. Nous avons rencontré dans la paroisse saint André Kaggwa de Bouna en Côte d'Ivoire une telle organisation de veuves bien dynamique. Ces veuves chrétiennes lobi se soutiennent dans leur vie chrétienne. Dans la paroisse de Kampti, on les retrouve pour la plupart dans le groupe de prière de la Légion de Marie et leur apostolat est important. Notre souhait est que la communauté chrétienne soit soucieuse de leur prise en

charge comme le recommande l'apôtre (cf. 1Tm 5,16). Cela les aidera à mener une véritable vie chrétienne de prière, de chasteté et de charité (cf. 1 Tm 5,10). Ainsi pourront-elles être respectées dans la société où elles vivent. Elles pourront s'occuper particulièrement des orphelins et de tous les enfants abandonnés. En ces temps de pandémie du Sida, elles seront attentives à la situation de ces nombreux orphelins et femmes stigmatisés à cause de ce fléau. Les pasteurs devraient avoir ce souci pastoral qui devient de plus en plus crucial dans nos communautés chrétiennes. C'est l'invitation à vivre à fond notre idéal d'Eglise-Famille, solidaire de tous ses membres, surtout des plus fragiles. Cette solidarité de l'Eglise devrait embrasser aussi tous ceux qui sont partis vers la maison du Père.

3.1.2. La communion avec les fidèles défunts

Dans la société traditionnelle lobi, les vivants sont bien solidaires des morts351. Ils les aident dans leur pèlerinage vers l'au-delà en consentant à faire tous les sacrifices à même de débloquer tout sur leur passage de la vie de ce monde à celui de l'au-delà. Et ils sont convaincus que les morts, après avoir pris place au milieu des ancêtres de toute la société, leurs seront bénéfiques. Les vivants d'ailleurs vivent en communion perpétuelle avec les ancêtres qui les aident à être fidèles aux idéaux de la société traditionnelle et à vivre dans une certaine harmonie avec Dieu, les esprits et la nature. Ils ont leur place dans le giron familial. Des autels leur sont érigés dans la maison familiale et clanique. Ils communient aux joies et aux peines de leurs descendants352.

Dans l'Eglise, la communion avec les apôtres et les martyrs des premiers siècles est attestée par la tradition353. Dès le milieu du IIème siècle en Orient et au IIIème siècle en Occident, les chrétiens ont pris l'habitude de se réunir près des tombes des martyrs ou sur les lieux de leur supplice, en particulier le jour anniversaire de leur mort pour célébrer l'anniversaire de leur entrée au ciel.354 C'est ainsi que se développa dans l'Eglise le culte des martyrs et des saints. La communion des saints est même devenue un article de notre credo. Et l'abrégé du catéchisme de l'Eglise catholique définit la communion des saints non

351 Cf. Supra, 3.4. La commémoration des ancêtres, p. 97.

352 Cf. J.M. ELA, Ma foi d'Africain, Paris, Karthala, 1985, pp. 36-48.

353 Cf. AAVV, Théo. L 'encyclopédie catholique pour tous, Droguet&Arman/Fayard, Paris, 1992, p. 29.

354 « La communauté chrétienne en effet, sans aucun débat, a tout de suite regardé comme entrés dans la gloire de Dieu ceux qui ont versé leur sang pour lui, et l'habitude est prise très tôt de marquer fortement le lien entre leur sacrifice et celui du Christ sur la croix en célébrant l'eucharistie sur leurs tombes. Ce rassemblement est favorisé par l'usage qu'avaient les Romains de se réunir autour des tombes de leurs défunts et d'y prendre des repas ; ainsi le ``banquet eucharistique'' des chrétiens autour de la tombe des martyrs était-il admis par ceux-là même qui avaient mis à mort ces derniers », Ibid, p. 29a. Nous pouvons remarquer que cette tradition ecclésiale était inculturée à cette époque et à la coutume romaine de ce temps.

seulement comme « la participation commune de tous les membres de l'Eglise aux réalités saintes : la foi, les sacrements, en particulier l'eucharistie, les charismes et les autres dons spirituels 355» mais aussi comme « la communion entre les personnes saintes, à savoir entre ceux qui, par grâce, sont unis au Christ mort et ressuscité. Les uns sont en pèlerinage sur la terre, d'autres, ayant quitté cette vie, achèvent leur purification, soutenus aussi par nos prières, d'autres enfin jouissent déjà de la gloire de Dieu et intercèdent pour nous. Tous ensemble, ils forment dans le Christ une unique famille, l'Eglise, à la louange et à la gloire de la Trinité356 ». C'est au nom de cette foi que les chrétiens catholiques prient et célèbrent la sainte eucharistie pour les fidèles défunts. Et chaque année, le 2 novembre, au lendemain de la solennité de tous les saints, l'Eglise rassemble, dans une commune prière, le souvenir de tous les fidèles défunts. Et à côté de cette commémoration collective, les familles chrétiennes ont gardé la coutume de faire célébrer une messe à l'anniversaire de la mort d'un de leurs

membres357.

Partant de cette foi en la communion des saints et de la pratique ecclésiale de prier pour les fidèles défunts, comment les chrétiens lobi peuvent-ils vivre de manière inculuturée leur rapport avec ceux qui sont partis ? Nous ne pouvons qu'encourager cette riche tradition de l'Eglise catholique que les Lobi chrétiens ont bien adoptée en priant et en célébrant pour leurs fidèles défunts. Ils cherchent à vivre touj ours cette communion profonde avec leurs ancêtres et tous leurs fidèles défunts qu'ils recommandent à la miséricorde de Dieu358. Ils demandent souvent des Messes et prient pour ces frères défunts359. Ils savent célébrer avec foi la commémoration des fidèles défunts du 2 novembre. Il convient de soigner davantage cette célébration qui semble limiter les prières pour les défunts de l'année écoulée seulement. Il faudrait que ce soit un véritable rendez-vous de prière pour tous les défunts de tous les âges de toutes les familles chrétiennes. De plus, il faudrait accentuer le fait que tous ces défunts issus de plusieurs familles et clans lobi, intégrés dans la famille de Dieu dans le baptême en Christ, font désormais partie d'une même famille Eglise. Le 2 novembre, sera donc célébrée la mémoire des ancêtres de l'Eglise-Famille de Dieu qui doit comprendre tous les défunts qui sont morts dans la miséricorde du Christ. Dans une véritable foi au Dieu de Jésus-Christ, qui

355 Catéchisme de l'Eglise catholique. Abrégé, Liberia Editrice Vaticana, le Vatican, 2005, n°194.

356 Ibid., n° 195.

357 Cf. P. JOUNEL, La célébration des Sacrements, Paris, Desclée, 1983, p. 979.

358 En effet, comme le dit le Pape JEAN-PAUL II, dans l'exhortation post-synodale Ecclesia in Africa de 1995, « Les fils et les filles de l'Afrique aiment la vie. De cet amour de la vie découle leur grande vénération pour leurs ancêtres. Ils croient instinctivement que les morts ont une autre vie, et leur désir est de rester en communication avec eux. Ne serait-ce pas, en quelque sorte, une préparation à la foi dans la communion des saints ? » EIA n°43. 359 La plupart des demandes de Messe sont en faveur des fidèles défunts dans les paroisses du milieu lobi. Cela traduit le souci des chrétiens Lobi d'être toujours en communion profonde avec leurs frères défunts.

est en dehors du temps et de l'histoire - et qui n'est limité par aucun espace, même religieux - on ne pourrait exclure nos ancêtres lobi qui ne l'ont pas connu mais qui ont vécu de manière méritoire selon la volonté du Créateur inscrite dans leur conscience.

3.2. Le christianisme libérateur des structures sociales de mort

Le Lobi tout comme Lazare est encore lié par un certain nombre de liens de mort desquels le Christ devrait le libérer. Il est encore sous la domination d'un certain nombre de structures et de mentalités traditionnelles qui l'empêchent de vivre pleinement. Le Christ, qui est la vie totale, vient pour l'en libérer.

3.2.1. La libération du poids de la tradition du passé

L'organisation sociale des Lobi est fondée sur des valeurs du passé où la sécurité du groupe social était tout le temps menacée. L'habitat dispersé et la construction des maisons forteresses répondaient à ce souci pratique d'autodéfense sociale. Les initiations diverses avec les séances de bizutage et les divers sévices infligés aux différents candidats répondaient à un code de valeurs sociales significatives dans le passé. Entre temps, la colonisation et le brassage des populations ont porté un coup dur à l'organisation sociale des Lobi. De plus en plus, on constate un changement, certes timide, mais perceptible dans leur mode de vie360.

Mais le conservatisme des Lobi est toujours vivace. Les initiations traditionnelles, même si elles n'ont plus le même engouement que dans le passé, demeurent attrayantes même pour les chrétiens lobi. Elles ne semblent pas évoluer ou s'adapter aux nouvelles exigences de la vie. On continue de voir, par exemple, les initiés déambuler presque nus dans les villages et les zones semi urbaines des milieux lobi pour quémander leur pitance. Certains villages lobi continuent à privilégier l'habitat traditionnel malgré les possibilités qui leur sont offertes d'améliorer leur cadre de vie. Nous avons connu des villages lobi, qui refusent encore aujourd'hui d'accueillir les agents de vaccination contre la polio ou la méningite, malgré les risques d'épidémie de plus en plus accrus. La culture en semis ou l'agriculture attelée a encore du mal à entrer dans la vie paysanne des Lobi. Les semences du passé qui exigeaient de longs mois de pluviométrie continuent d'être privilégiées malgré les changements climatiques profonds. Alors, la faim et les épidémies continuent bien de faire des ravages.

De même, les Lobi sont encore pour la plupart attachés à de nombreux rites traditionnels contraignants. De nombreuses cérémonies traditionnelles et initiatiques exigent

une énorme quantité de vivres et beaucoup de moyens. Malgré la cherté de la vie actuelle, ils sont nombreux les Lobi qui se sentent obligés d'accomplir de telles cérémonies à coup de lourdes dettes. La solidarité du passé manque de nos jours pour pallier aux diverses dépenses. Malgré cela, les Lobi se sentent obligés de tout faire comme dans le passé. Cet attachement au passé et à ses rites devient mortifère. Il empêche le Lobi d'accéder au bonheur recherché sur cette terre et même dans l'au-delà. Il convient qu'une force nouvelle soit redonnée à la société pour qu'elle réinvente de nouveaux idéaux et de nouvelles valeurs, qui ne renient pas certes son passé, mais qui s'adaptent à son présent et à son avenir, dans un monde de plus en plus en évolution. Nous pensons trouver dans le christianisme cette nouvelle force intérieure qui pourra donner à la société des Lobi un nouveau dynamisme.

Mais pour que le christianisme soit chemin de salut pour la société des Lobi, il faut qu'il accepte dialoguer en vue d'une inculturation réelle dans la vie des hommes et des femmes du milieu361. Le Christ doit venir chez les Lobi pour ordonner qu'on enlève la grosse pierre qui les enferme encore dans bon nombre d'obscurantismes et d'autarcies passéistes. Les chrétiens convaincus de leur foi devraient être ces auxiliaires du Christ, prêts à répondre à l'invitation du Christ afin de libérer les Lobi du poids de la pierre de leurs traditions. Il y aura sûrement des Marthe qui redouteront les puanteurs et les pesanteurs d'une telle opération salvifique. Mais ceux qui croient au Christ verront certainement la gloire de Dieu se révéler tôt ou tard pour cette société en quête de véritable délivrance.

3. 2.2. La délivrance des liens des forces du mal

Jésus délivre Lazare de la mort et préfigure ainsi sa victoire sur sa propre mort et toutes les forces du mal. Il vient encore au lieu du deuil des Lobi pour les délivrer de la mort et des diverses forces du mal qui les tiennent dans leurs liens. Dans la religion traditionnelle des Lobi, un grand nombre d'esprits intermédiaires (les esprits tutélaires des clans, les esprits du village, les forces de la nature, les esprits des ancêtres) angoissent les hommes et les femmes qui peuvent se sentir en insécurité perpétuelle à leur compagnie. Les Lobi sont dans le souci quotidien de les satisfaire par un grand nombre de sacrifices d'animaux et de libations rituelles. Malgré cela, ils peuvent se montrer insatisfaits et infliger la mort aux Lobi. Toute faute à leur égard entraîne bien souvent des sanctions terribles dont tous les membres d'une famille ou d'un groupe sont solidaires. Ils ne connaissent souvent pas de pitié. Ils prennent

361 Nous rêvons ici de ce christianisme de la vie dont parle KÄ MANA dans la nouvelle évangélisation de l 'Afrique, Paris, Karthala, 2000, p. 27-30, un christianisme dépouillé de préjugés et de mépris à l'égard des peuples et des coutumes traditionnelles africaines. Cf. J. M. ELA, Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère, Paris, Karthala, 2003, pp. 191-240.

ainsi en otage la vie des hommes lobi. Ceux-ci sont obligés tout le temps de consulter les devins pour connaître leurs attentes insatiables. Ils n'arrivent pas alors à entrer en relation intime avec Dieu leur Créateur.

Nous pensons que la religion des Lobi contient là une véritable structure de mort qui maintient les hommes dans une perpétuelle dépendance vis-à-vis des forces surnaturelles et trop exigeantes. Il importe que les Lobi s'en libèrent. Et nous pensons que Celui qui a libéré Lazare du tombeau est le mieux indiqué pour apporter ce salut total aux Lobi. Les Lobi ont donc besoin du Christ comme libérateur par excellence de toutes les forces religieuses traditionnelles qui les oppressent. Le Christ doit venir libérer ces hommes afin qu'ils puissent vivre totalement en toute quiétude et en toute confiance dans la bonté du Dieu Créateur362. Il est le seul médiateur compatissant et miséricordieux qui sait pardonner aux hommes leurs fautes. Son fardeau est léger et son joug est facile à porter (cf. Mt 11,30).

Le christianisme se présente alors comme la seule force capable de révolutionner la mentalité des Lobi et de les libérer des différentes oppressions spirituelles et religieuses. Mais l'histoire de la rencontre du christianisme avec la société des Lobi s'est faite avec du plomb dans l'aile363. Le canon a fait appel à la croix pour mieux dompter le rebelle. Cela a négativement joué sur l'image que les Lobi ont du christianisme364. Celui-ci a eu aussi en aversion tout ce qui est de la culture et de la religion du Lobi, jetant à la fois l'eau du bain et le bébé. Il est venu le temps de la réconciliation et du dialogue afin que les Lobi puissent accueillir sereinement le salut du Christ. Ce Christ arrive tard certes, comme encore à Béthanie, mais Dieu aime aussi les païens. Il vient se révéler et aussi pleurer avec les Lobi leurs misères et leur mort. Il prie pour eux et avec eux. Il les délivre des liens de la mort. Il les ressuscite. Il les fait sortir du tombeau.

3.2.3. La sortie du tombeau structurel et social

Jésus par son autorité et sa Parole fait sortir Lazare de son tombeau. Une herméneutique africaine nous autorise à voir en cela une image de nos peuples sortant de la

362 La libération des forces oppressives sociales est la résurrection véritable qu'attendent les Lobi aujourd'hui. Si la mort est un voyage vers un au-delà de vie, la résurrection qu'opère le Christ est cette agrégation des hommes dans la liberté et dans la félicité de Dieu. Et cette résurrection qui est pour demain commence dans l'aujourd'hui de ces hommes.

363 Cf. Supra, 4.2. L'histoire de l'évangélisation en pays lobi, pp. 79-82. Voir aussi M. SOME, op. cit., pp. 269- 273.

364 Les ancêtres lobi ont formellement prononcé de véritables anathèmes contre « la chose du Blanc » dans les villages. L'école, l'armée et la religion chrétienne dite religion du Blanc furent frappés d'anathèmes sévères encore en cours dans certains villages lobi. Cf. M. PERE, op. cit., pp. 343-388.

misère et de l'obscurantisme. C'est la résurrection d'une société comme celle des Lobi qui peut bien se lire à travers la résurrection de Lazare365.

En effet, à l'heure de la mondialisation et de la globalisation, nos structures sociales traditionnelles comme le mariage, la vie en unité de production familiale, clanique et villageoise sont mises à rude épreuve. Il convient d'inventer de nouveaux codes de vie et de nouvelles valeurs sociales. Le Christianisme s'impose comme la religion qui a su valoriser l'Homme et son aspiration au bonheur véritable dans l'histoire des hommes. Il devient la planche de salut pour la société lobi en crise actuellement. Par exemple, des institutions traditionnelles comme le mariage366 préférentiel ou le lévirat, les initiations traditionnelles avec leurs contraintes diverses inadaptées à la fragilité de l'homme lobi d'aujourd'hui, les funérailles avec leur lourd tribut, sont autant de tombeaux ou de carcans d'où le Christ peut nous aider à sortir. Toute institution traditionnelle qui continue de maintenir le Lobi dans un état d'insécurité et de peur morbide est un tombeau d'où il doit sortir avec la force du Christ. Notre désir de respect des valeurs authentiques de la société lobi ne doit pas nous empêcher de voir ces nombreux trous dans lesquels sont enfermés bon nombre de nos frères les hommes. Par exemple, de plus en plus de Lobi réussissent dans les travaux champêtres. Ils sont aussi nombreux à voir leur situation économique s'améliorer à partir des plantations d'arbres comme le cacao ou le café. Mais ils sont nombreux aussi les Lobi qui n'osent pas investir pour améliorer leur cadre de vie ou leur alimentation journalière de peur d'être victimes des sorciers jaloux. Certains esprits de leur culte leur interdisent même de profiter du fruit de leur labeur par des interdits saugrenus. Nous avons rencontré plusieurs hommes et femmes qui sont venus au christianisme pour être soulagés d'un tel enfermement dans le tombeau structurel traditionnel. Il est bien urgent que le Christ libère totalement les Lobi de toutes ces institutions mortifères.

Mais le Christ, pour libérer entièrement Lazare, demande aux témoins de délier les liens coutumiers qui le tenaient dans la réalité du tombeau. Il est bien question ici aussi des acteurs de la libération des Lobi des liens de la mort. Nous pensons que les chrétiens et leurs

365 Comme l'écrit P. POUCOUTA , « Une théologie de la vie : la résurrection des ossements desséchés (Ez 37,1- 14) » dans ASSOCIATION PANAFRICAINE DES EXEGETES CATHOLIQUES, Prophétie et prophètes dans la Bible. Exigences du prophétisme au sein de l 'Eglise Famille de Dieu en Afrique, Actes du onzième congrès au Caire, Egypte du 6-12 septembre 2003, Kinshasa, J.B. MATAND BULEMBAT Editor, 2004, p. 136 : « Lazare devient la figure paradigmatique de la vie nouvelle en Jésus-Christ ». Dans sa résurrection, on peut voir le continent africain en général comme le développe aussi KÄ MANA, op. cit., p. 208 dans sa théologie de la reconstruction, on peut voir aussi chaque peuple comme par exemple les Lobi.

366 Le mariage préférentiel chez les Lobi est le mariage avec la cousine germaine. Cette consanguinité provoque souvent la naissance de beaucoup d'enfants fragiles beaucoup plus exposés aux épidémies et à de nombreuses tares ataviques. Quant au lévirat, c'est le remariage de la veuve avec le frère de son mari défunt. Cela est à la base aussi de plusieurs catastrophes familiales en ces périodes de pandémie de Sida.

pasteurs sont ceux qui pourront efficacement délier les Lobi de ces liens. L'action de chaque chrétien lobi est nécessaire pour soulever la pierre des pesanteurs qui pèse sur le tombeau social lobi et ensuite pour libérer chaque homme des liens qui l'empêchent de voir la lumière, de suivre le Christ. La contribution des amis et des soeurs de Lazare a été précieuse pour sa libération de la mort. Les frères et soeurs lobi ne peuvent se dérober à leur tâche d'être les acteurs privilégiés du salut en Jésus-Christ de leur société. Certes, en Eglise-Famille, nous sommes tous frères et soeurs d'un même Père des cieux. Mais il n'en demeure pas moins que cette famille est située dans un temps et dans un espace donné. Et pour ce faire, chaque communauté est responsable de la mission d'évangélisation de son milieu de vie afin que l'Evangile du Christ atteigne tous les peuples et toutes les nations jusqu'au bout du monde (Cf. Mt 28, 19 ; Ac 1 ,8b). Les chrétiens lobi sont bien responsables du salut de leurs congénères lobi. La mission de libération chrétienne de leurs frères leur incombe en premier.

Enfin, les lieux de libération ecclésiale peuvent être la catéchèse, la liturgie des sacrements et la vie ecclésiale. C'est dans l'évangélisation directe à travers la catéchèse et les sorties missionnaires que les chrétiens proposeront le salut de Jésus-Christ à leurs frères lobi. Il s'agit d'une catéchèse inculturée dans le temps et dans l'espace de la vie des hommes de cette société particulière367. Les sorties missionnaires à la rencontre des villages et des populations lobi non encore informées des avantages du christianisme se feront dans un esprit de dialogue et de respect à leur égard. C'est avant tout l'amour qui incorpore au Christ. Il ne s'agit pas de se lancer dans un prosélytisme violent et méprisant de l'autre. Il s'agit de proposer aux Lobi la voie du Christ qui est, à notre avis, la plus sûre pour l'accomplissement du Lobi en route pour l'au-delà. Jésus-Christ devient le chemin par excellence qui conduit le Lobi, au terme de son pèlerinage terrestre, vers cet autre pèlerinage de la mort qui finit auprès de Dieu son créateur. Les sacrements sont les forces que le Christ propose à son Eglise encore aujourd'hui pour la soutenir dans sa marche à sa suite. Ce sont autant de moments de libération qu'il faut proposer avec pertinence et pragmatisme aux Lobi qui ont besoin d'être rejoints là aussi dans leur imaginaire religieux. Les sacramentaux s'adapteront à l'esprit pragmatique des Lobi en quête de signes visibles de libération spirituelle. Ils ne seront pas du tout négligés quand le deuil frappe les Lobi. Ils peuvent contribuer à lui apporter la paix et le salut total en Christ.

367 Le synode diocésain de Diébougou attirait l'attention des acteurs de l'évangélisation dans ce sens : « les agents pastoraux, notamment prêtres, auront à coeur de préparer de façon très soignée la première rencontre du message chrétien avec le milieu païen, surtout lorsque cette annonce n'est pas seulement individuelle mais communautaire (sorties missionnaires) », DIOCESE DE DIEBOUGOU, op. cit., p. 38.

Conclusion au chapitre

Dans ce dernier chapitre de notre étude, notre souci a été d'élaborer des pistes d'application pastorale de l'herméneutique africaine de l'épisode de la résurrection de Lazare. Nous avons ainsi dessiné les grandes lignes d'une pastorale renouvelée et efficace en milieu lobi dans le domaine de l'accompagnement des personnes malades et des personnes éprouvées par le deuil. En invitant à une inculturation audacieuse du christianisme en pays lobi, nous n'avons pas occulté les lieux de libération et de conversion dont la société des Lobi actuelle a besoin. Nous avons présenté clairement le Christ comme le véritable libérateur et la véritable voie d'accomplissement total de l'homme Lobi en pèlerinage sur cette terre et dans son ultime pèlerinage de la mort vers l'au-delà de Dieu.

Conclusion à la troisième partie

Dans cette troisième et dernière partie de notre parcours, nous avons fait dialoguer les deux cultures, biblique et lobi, autour des notions de mort et de résurrection étudiées dans les parties précédentes. Nous avons mis en lumière des difficultés de compréhension mutuelle, mais nous avons aussi dégagé les lieux d'échange et de jonction entre les deux cultures. Cela nous a permis de préciser les pistes pastorales, où nous devons orienter nos efforts d'inculturation, afin que les africains lobi puissent accueillir aujourd'hui la Bonne Nouvelle de la résurrection et de la vie de Jésus-Christ. Nous avons surtout indiqué les liens mortifères qui bloquent encore les Lobi dans le noir tombeau, d'où le Christ peut venir les tirer, à notre prière et à notre sollicitude pastorale. Cette pastorale d'inculturation, que nous avons encouragée, ne sera certainement pas facile. Elle est une oeuvre de longue haleine. Et elle concerne tous les acteurs de la mission en pays lobi. Prions qu'avec le secours de la grâce de Dieu, tous nos efforts, en vue de libérer en Jésus-christ les hommes et les femmes de leurs maladies et de leurs morts actuelles, soient couronnés de succès.

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"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"