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Ethnicité et Management des Staffs locaux dans les ONG internationales au Burundi

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par Christian Munezero
Université Catholique d'Afrique Centrale (UCAC) - Master en Développement et Management des Projets 2007
  

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Revue de littérature

Le concept d'ethnicité né de la déconstruction et de la reconceptualisation de la
notion d'ethnie a pris son véritable sens après la seconde guerre mondiale. Ce

11 "Management." Microsoft® Encarta® 2007 [DVD]. Microsoft Corporation, 2006.

concept ne cesse de susciter une diversité d'interprétations à telle enseigne qu'il semble être utilisé, à tort ou à raison, comme explication à une multiplicité de pratiques. C'est dans ce sens que WEBER13 n'a pas hésité à le qualifier de concept « fourre tout ». L'ethnicité, thème d'un grand intérêt chez les Anglo-saxons, est considérée comme réalité sociale dans les milieux des chercheurs européens et surtout français seulement au début des années quatre vingt. Ce thème apparaît en Afrique à la faveur de l'intensification du débat politique sur la démocratie des années quatre-vingt-dix.

Aborder le thème de l'ethnicité en Afrique revêt beaucoup de difficultés et nécessite, de la part du chercheur, une attitude « d'engagement et de distanciation »14 . Pour KAMDEM, « l'une des principales difficultés d'approche de ce sujet réside dans la perspective suivant laquelle il a souvent été abordé dans les différents milieux (politique, économique, scientifique, etc.) ; une perspective partisane et manifestement polémique qui a malheureusement beaucoup retardé l'engagement d'un débat utile et constructif. [... ] »15. Il faudrait donc aborder ce sujet « en évitant autant que possible une double tentation : narcissique (la glorification d'une ethnie quelconque) et négativiste (la dévalorisation des autres) ». Il importe alors d'analyser l'ethnicité comme un fait social au sens de DURKHEIM16.

L'ethnicité n'a pas une appréhension unique. Sa compréhension et son usage reposent sur les dimensions qui sont privilégiées dans la pratique ou l'analyse. « Le débat sur l'ethnicité a longtemps opposé d'une part, les tenants de la conception « primordialiste » et d'autres part, ceux privilégiant la conception « constructiviste »»17.

De l'avis d'Aundu MATSANZA18, la conception primordialiste repose sur des critères
objectivistes et circonscrit l'ethnicité comme un fait naturel qui s'impose à l'individu

12 KAMDEM Emmanuel, Idem.

13 WEBER, Economie et société, Agora, tome 2, Paris, 1995

14 NORBERT ELIAS, Engagement et distanciation, Fayard, Paris, 1993

15 KAMDEM Emmanuel, Management et interculturalité en Afrique : expérience camerounaise, L'Harmattan, Paris, 2002

16DURKHEIM Emile, Les règles de la méthode sociologique, PUF, 10ème édition, Paris, 1999

17 KAMDEM Emmanuel, FOUDA ONGODO, « Faits et méfaits de l'ethnicité dans les pratiques managériales au Cameroun », Colloque du Réseau de Recherche en Sciences de Gestion de l'Agence Universitaire Francophone, Beyrouth, 28 et29 octobre 2004.

sans qu'il soit en mesure d'y échapper, car lui étant antérieur. Cette approche privilégie le lien de base au sein des organisations fondé sur la parenté, les modèles de comportements des individus en groupe, les institutions représentant l'ascendance, etc. La conception constructiviste quant à elle, repose sur les aspects subjectivistes tissés pendant les relations sociales. Cette dimension s'intéresse donc aux identités, aux modes de domination, aux attitudes, aux valeurs et aux préjugés dans le processus de l'agir communicationnel.

A ce propos, POUTIGNAT et STREIFF-FENART19 passent en revue les différentes théories de l'ethnicité produites dans les sciences sociales. Ce concept y est analysé à travers différents paradigmes renvoyant à des formes variées de structuration et de fonctionnement du lien social. L'ethnicité est tour à tour comprise comme une donnée primordiale, une extension de la parenté, une revendication d'intérêts communs, un reflet des antagonismes économiques, un système culturel et un système d'interaction sociale.

L'ethnicité comme donné primordiale est une approche développée par SHILS (1957) qui met l'accent sur la prédominance de l'héritage culturel issu des ancêtres d'une communauté et transmis aux différentes générations successives. L'ethnicité est vécue comme une forme d'héritage collectif à différentes personnes se reconnaissant des liens fondamentaux visant à préserver l'unité et la stabilité de la communauté d'origine.

Le paradigme qui considère l'ethnicité comme une extension de la parenté l'analyse comme le prolongement de la parenté biologique et de la consanguinité. Ici, on considère la réalité ethnique comme un mécanisme dominant de sélection et de reproduction sociales (VAN DEN BERGHE, 1981).

L'approche de l'ethnicité en tant que revendication d'intérêts communs relève l'instrumentalisation de l'ethnicité comme une ressource stratégique à mobiliser dans une compétition pour l'accès aux ressources économiques et la participation au pouvoir. Elle est ici utilisée comme un moyen parmi tant d'autres d'expression d'une

18 AUNDU MATSANZA, « Taxinomie critique des paradigmes de l'ethnicité », Université Libre de Bruxelles, p. 1

19 POUTIGNAT, STREIFF-FENART, Théorie de l'ethnicité, Paris, 1995

revendication dans le sens de la défense des intérêts particuliers. Les principaux tenants de cette approche sont N. GLAZER et D.P. MOYNIHAN.

La conception de l'ethnicité comme reflet des antagonismes économiques se focalise, quant à elle, sur le problème de la compétition économique entre des groupes ethniques organisés en catégories rivales dans un champ de compétition. D'inspiration marxiste, elle reconnaît au groupe ethnique, à l'inverse de la précédente, la même fonction sociale que celle attribuée aux classes sociales dans un système capitaliste (E. BALIBAR et I. WALLRSTEIN, 1988).

Le courant qui conçoit l'ethnicité comme un système culturel entend « restituer l'ethnicité dans un champ culturel, tout en évitant de tomber dans le piège et les dérives du « lien primordial » et du « culturalisme ». Pour ses tenants, l'ethnicité est la traduction vivante d'une dynamique culturelle dont le symbolisme s'oppose radicalement à l'orientation utilitariste et instrumentale (L. DRUMMOND, 1980).

Une dernière approche est celle qui conçoit l'ethnicité comme un système d'interaction sociale. Prônée notamment par F. BARTH (1969), cette approche souligne la mobilité des frontières des groupes ethniques considérés comme des « supports de culture » ou des types d'organisation dont il faut identifier les frontières sociales, les zones de distinction et d'interaction.

Beaucoup d'auteurs semblent s'accorder sur le fait qu'il y aurait un lien direct entre la décomposition de l'Etat en Afrique et la résurgence de l'ethnicité. A ce propos, HUGON note que « dans les sociétés où l'Etat-Nation demeure en voie de constitution et où les réseaux personnels et les solidarités ethniques l'emportent sur l'institutionnalisation de l'Etat, la crise économique a renforcé la décomposition de l'Etat »20 . C'est cette situation d'affaiblissement de l'Etat qui fut pour certains, avec l'instauration du multipartisme, à l'origine du développement du secteur associatif et des ONG internationales au Burundi.

Dans les années quatre-vingt, le néo-libéralisme imposé par les institutions de
Bretton Woods dans le cadre des Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) dicte la

20 HUGON Philippe, L'Économie de l'Afrique, Éditions La Découverte, Paris, 1993.

réduction de l'intervention de l'Etat dans l'économie, l'Etat étant « l'ennemi » du néolibéralisme. Dans ces circonstances où, comme le dit ELA, prévaut désormais « la mise sous tutelle de l'Etat africain »21, on va assister à l'accroissement et au renforcement des inégalités, à la marginalisation des groupes sociaux et à la dégradation des conditions de vie. Le rétrécissement du champ étatique entraîne donc d'énormes conséquences sur le plan social et humain. Dès lors, note ELA, «mécontentement, grèves, humiliation marquent la vie de beaucoup d'agents du secteur public en état de délabrement»22. C'est ainsi que, comme va le relever DIA, «le relâchement des liens entre l'individu et l'Etat a renforcé les liens entre l'individu, la famille et son ethnie».

Au début des années quatre-vingt-dix, certains chercheurs pensaient que le vent de la démocratisation et la libéralisation économique allait endiguer, sinon réduire le phénomène ethnique et tribal en Afrique. Mais ELA soutient que, « suite au désengagement trop prononcé de l'Etat dans la vie économique, le processus démocratique pourrait connaître un coup d'arrêt »23 . Dans cette perspective et s'agissant de l'Afrique Centrale, BOUKONGOU note que les transitions démocratiques «ont été marquées par les clivages ethno-identitaires »24 . En conséquence, l'ethnicité semble aujourd'hui, plus que jamais, être au centre de la structuration de la réalité sociale, que ce soit au niveau de la société considérée globalement, qu'au niveau restreint des entreprises et des autres organisations.

Selon DIA, « l'identité ethnique continue de jouer un rôle grandissant dans la formulation des décisions économiques au niveau des individus et des instances gouvernementales »25 . On note avec KAMDEM26 que la culture ethno-tribale est une dimension importante dans la gestion des organisations et semble même constituer un des fondements de la logique du manager africain. On peut ainsi remarquer qu'en

21 ELA Jean-Marc., «Les sciences sociales à l'épreuve de l'Afrique : les enjeux épistémologiques de la mondialisation», Communication Assemblée Générale du CODESRIA, Dakar.

22 Idem

23BOUKONGOU Jean Didier, «Préface», «Ethnicité et Citoyenneté en Afrique Centrale», in Cahier Africain des Droits de l'homme, Presses de l'UCAC, Yaoundé, 2002.

24 Idem.

25 DIA, «Pratiques indigènes de gestion et développement en Afrique subsaharienne : Leçons pour les années 90» in SERAGELDIN et TABOROFF, Culture et développement en Afrique, BM, Washington, 1994, pp. 189-216.

26 KAMDEM Emmanuel, «Nouveau regard sur les pratiques du management au Cameroun», in LALEYE, PAWHUYS, VERSHELST, et ZAOUAL, (dir), Organisation économique et cultures africaines : de l'homo oeconomicus à l'homo situs, Paris, l'Harmattan, 1996, Chapitre 13, pp. 249-271.

Afrique plus qu'ailleurs, la loyauté vis-à-vis de la tribu et de la famille élargie influence encore la plupart des décisions concernant le personnel (DIA), les pratiques managériales, ainsi que les relations professionnelles au sein des organisations.

Lors des travaux menés dans les entreprises ivoiriennes, HERNANDEZ va examiner l'influence des facteurs socioculturels, surtout ethniques, dans la gestion des ressources humaines notamment sur les variables relatives à la gestion du personnel (procédure de recrutement, augmentation, préférence d'un collègue, rapport avec le supérieur, favoriser un parent, rapport avec les subordonnés, rôles des facteurs ethniques et familiaux). Il arrive à la conclusion selon laquelle «les facteurs ethniques et familiaux constituent une réalité au niveau des entreprises étudiées, de leur gestion du personnel en particulier et des relations professionnelles»27. Mais il relativise son propos en disant que ces facteurs jouent un rôle qui doit être ramené à une juste mesure. Ils ne constituent pas, selon lui, une barrière infranchissable à une bonne gestion des entités économiques et sociales et politiques.

Concernant l'influence de l'ethnicité sur les pratiques de gestion des ressources humaines, les travaux de Emmanuel KAMDEM sont d'une richesse particulière. Son travail28 sur les entreprises camerounaises relève que l'observation attentive des pratiques du terrain révèle l'influence considérable du critère ethno-tribal, en particulier dans le recrutement et la promotion. D'après ses observations, il va identifier trois modes de « gestion ethno-tribale » :

Il y a d'abord le mode de gestion fondé sur le développement de la « coalition ethno-tribale ». Il s'agit ici de chercher à reconstituer une sorte de « village ethnique » dans l'entreprise en donnant la priorité dans le recrutement ou dans la promotion aux personnes originaires de la même ethnie que le promoteur ou le dirigeant. Ce mode de gestion peut être soit, un facteur d'échec (l'auteur cite le cas de la compagnie FROMACAM) soit un facteur de réussite (l'auteur cite ici le cas de la PROLAL).

Ensuite, il y a le mode de gestion fondé sur la recherche « des habiletés ethno-
tribales ». Ce mode, nous dit Kamdem, consiste pour l'entrepreneur, « à établir

27 HERNANDEZ, Le management des entreprises africaines, les Éditions l'Harmattan, Paris, 1997.

une certaine corrélation entre l'origine ethnique d'un employé et sa performance au poste de travail »29. Il s'agit par exemple de l'attribution de certaines qualités managériales aux membres de telle ou telle autre ethnie.

 

Enfin, le mode de gestion fondé sur « la réduction de la coalition ethno-tribale ». Ce mode consiste, selon les termes de l'auteur, à « faire abstraction, autant que possible, de l'origine ethnique de l'individu et de ne privilégier que sa capacité manifeste à répondre à la demande de l'entreprise. Le prototype du dirigeant ou de l'employé qui incarne ce mode est celui qui, tout en reconnaissant l'existence de la dynamique ethno-tribale dans les organisations, ne cherche pas du tout à s'en servir comme outil de gestion. C'est bien cela qui distingue ce dernier mode des deux précédents. Ici, la tendance dominante n'est pas de favoriser un regroupement ethnique des individus, mais bien au contraire de le limiter en privilégiant la compétence technique et l'expertise professionnelle »30.

Mais si l'ethnicité apparaît, aux yeux des chercheurs, comme étant une réalité qu'il faut prendre en compte car pouvant influencer négativement ou positivement les performances des entreprises en Afrique, la recherche sociologique sur le secteur associatif semble esquiver la question de l'ethnicité en tant qu'élément interne à l'organisation non gouvernementale pouvant agir sur les résultats des activités et sur les objectifs spécifiques des projets mis en oeuvre par ce type d'organisation.

Depuis une vingtaine d'année, les ONG internationales se professionnalisent de plus
en plus et recrutent un personnel de plus en plus spécialisé. La professionnalisation,
comme le dit Jean FREYSS31, signifie que l'ONG mobilise, dans chaque domaine

28 KAMDEM Emmanuel, op. cit.

29 Voici quelques propos d'un promoteur relevés à ce sujet par KAMDEM Emmanuel: « Je prends par exemple le cas des Bassa, ce sont des gars impulsifs et connaissant leur caractère impulsif, on peut bien les utiliser. Si on les met sur une chaîne, ils sont assez rapides quand même et cela est très utile pour la production. Mais il y a d'autres qui sont très passifs, qui viennent de certains coins... Si donc j'ai besoin d'un caissier, il est plus intéressant pour moi de mettre quelqu'un de tel ou tel coin car je pourrai avoir moins de chance de me faire voler. Si par exemple, je mets une personne d'une certaine ethnie commerciale, ce serait... parce qu'il y a des ethnies qui ont un caractère impulsif. Or dans le commercial, il faut amadouer le client, le caresser dans le sens du poil, être cool, plus calme. Donc, je ne peux pas prendre de risques de le faire ». Il conclut en riant « dans tous les cas, je me sers un peu de cela pour attribuer telle ou telle responsabilité ... J'ai des Béti, j'ai des Bassa et j'ai des gars de l'Ouest », p.267

30 KAMDEM Emmanuel, op. cit.

31 LE NAËLOU Anne et FREYSS Jean, « ONG : les pièges de la professionnalisation », in Revue du Tiers Monde, n°180 Tome XLV, PUF, Paris, octobre - décembre 2004, p. 759.

utile pour son activité, des personnes disposant des compétences reconnues comme constitutives d'un métier nommément désigné. « Cette professionnalisation consiste donc à incorporer dans l'ONG des compétences diverses, reconnues sur le marché du travail global comme portant tous les attributs du métier correspondant ». De l'avis de cet auteur, « la professionnalisation des ONG implique la mobilisation dans l'organisation les compétences techniques nécessaires à l'efficacité de l'action». L'idée qui sous-tend cette vision est que l'action doit être concrète, réaliste, au plus près des personnes, rapidement efficace et visible. Cette vision stratégique privilégie un mode de faire qui est celui de la réalisation des « projets concrets ».

Pour FREYSS, l'un des facteurs principaux qui contribuent à façonner le paysage professionnel des ONG, c'est la croissance rapide des fonctions de gestion. Cela est d'abord rendu nécessaire par l'accroissement des exigences contractuelles imposées par les bailleurs de fonds. D'autre part, les actions conduites sur le terrain par les ONG ont souvent pour objectifs des réalisations concrètes, dignes d'une entreprise : construction de bâtiments, de routes ou d'hydraulique, travaux agricoles, distributions alimentaires, etc. Ainsi, remarque l'auteur, « à côté des métiers directement liés à la nature des actions menées (les techniciens), les administrateurs, logisticiens, comptables et financiers, agents enquêteurs, gestionnaires de ressources humaines deviennent, sous la houlette des chefs de projets, les rouages de plus en plus indispensables au fonctionnement de beaucoup d'ONG». L'ONG n'est alors qu'un lieu, parmi tant d'autres, combinant une gamme de métiers concourant à l'efficacité de son action.

En conséquence, on retrouve quelques similarités dans les pratiques managériales dans les entreprises et dans les ONG. Ces similitudes font référence, entre autres éléments, à « une gestion administrative performante, des stratégies financières, une salarisation croissante et une rotation importante de personnel, une politique de recrutement sur définition de postes et de profils, un développement de liens avec les médias et avec les réseaux de marketing, une technicité pointue »32, etc. On retrouve alors logiquement dans les deux entités des enjeux et des problèmes proches liés à la gestion des ressources humaines.

32 LE NAËLOU Anne et FREYSS Jean, op. cit.

La nature des relations professionnelles dans les ONG internationales opérant au Burundi est ainsi, en partie, tributaire de la professionnalisation croissante de celles- ci et en leur sein. En effet, cette professionnalisation effective implique l'embauche par ces organisations d'employés compétents, qui ne partagent pas forcément les mêmes idéaux d'impératif humanitaire, de droits de l'homme ou autres considérations philosophiques. Ceux-ci sont dans l'ONG en tant que salariés faisant le travail pour lequel ils sont payés. A ce titre, il est inévitable que certains employés locaux ne mobilisent ou non l'élément identitaire dans les relations professionnelles car baignant dans un environnement profondément ethnicisé comme nous l'avons montré plus haut. Cela est d'autant vrai qu'au moment où nous faisions la collecte des donnés sur le terrain, il ne se passait pas un mois sans que l'on parle, dans les différents médias privés et publics, de meurtres à forte connotation ethnique. C'est ce type d'incidents qui ravivent les passions collectives et installent un climat de tension se répercutant dans touts les secteurs de la société.

Un employé d'une grande ONG internationale nous a confirmé cette présence de l'ethnicité dans les relations professionnelles :

« L'ethnicité est présente dans la vie professionnelle comme elle est présente dans la vie quotidienne au Burundi. C'est une réalité qui s'observe partout tant au niveau social qu'au niveau professionnel [...]. Il y a eu des moments de tension au niveau national qui ont été provoqués par certaines circonstances politiques où on a vu des collègues se lancer des injures, ici au bureau, en disant que voilà, votre ethnie est foncièrement mauvaise, c'est elle qui tue, etc. Il y a une crise qui est née ; pour te dire que s'il y a quelqu'un qui te dit que ce n'est pas une réalité qui se vit dans le milieu du travail dans les ONG, c'est que c'est un menteur invétéré ».

Les ONG internationales opérant au Burundi sont, dans leur grande majorité, dirigées par des cadres internationaux. Ces derniers sont amenés à gérer ces structures dans un contexte conflictuel dont ils ne maîtrisent pas toujours tous les contours ou alors dont ils ne cernent que quelques éléments diffus alimentés par des prénotions et des jugements de valeurs. En effet, le conflit burundais a cela de particulier qu'il rentre difficilement dans la typologie classique en termes de critères d'identification des acteurs sociaux. Il s'agit de deux communautés qualifiées d'ethniques qui ont en commun l'histoire, la langue, la culture, le territoire, la religion,

le système social et politique, etc. De ce fait, elles répondent difficilement aux critères ethnologiquement et anthropologiquement admis pour définir une ethnie. Le seul critère sur lequel on se base habituellement pour différencier les deux communautés est la référence à la morphologie. Là encore, ce critère de différenciation peut être faussé car, de par les mélanges qui se sont produits tout au long de l'histoire, depuis la période monarchique précoloniale jusqu'à nos jours, il est très difficile de déterminer avec assurance l'appartenance ethnique d'un individu. Par ailleurs, il ne s'agit pas d'un conflit opposant deux communautés dans leur intégralité, mais des divisions entre des individus appartenants à ces deux communautés. Mais il ne faut nullement banaliser l'intensité de ces divisions car elles sont suffisamment profondes pour avoir occasionné des centaines de milliers de morts.

Aussi complexe que cela puisse paraître pour un observateur extérieur, les Burundais savent parfaitement faire la distinction entre un Hutu et un Tutsi. L'enjeu pour nous ici n'est pas de savoir si les Hutu et les Tutsi constituent des ethnies ou non. À partir du moment ou les individus s'identifient comme tels et fondent leur action et leurs comportements en fonction de cette variable, nous en prenons acte et nous nous limitons à l'explication de la réalité sociale telle qu'elle se présente. Il s'agit ainsi d'analyser le phénomène des identités ethniques dans les relations professionnelles comme une « manière d'agir, de penser et de sentir, extérieure à l'individu, et qui est douée d'un pouvoir de coercition en vertu duquel elle s'impose aux acteurs »33 (au sens de DURKHEIM). A ce propos les dires d'un employé d'une ONG internationale nous ont édifiés :

« Au Burundi être Hutu ou Tutsi, c'est comme être Blanc ou Noir. C'est quelque chose qui est limpide, au bureau tu sais qui est qui, tu sais que ton collègue est ceci ou cela ; Hutu et Tutsi, tout le monde sait qui est quoi ».

Ce type de déclarations souvent entendues au cours de notre travail de terrain montre que, bien que l'ethnicité soit loin de constituer le seul facteur de régulation du comportement, il y a sans nul doute une forte présence de cette catégorie dans l'imaginaire collectif des Burundais. Il est donc clair dans notre esprit que la convocation de l'identité ethnique est une réalité observable dans les relations

33 DURKHEIM Emile, Les règles de la méthode sociologique, PUF, 10ème édition, Paris, 1999

professionnelles au sein des ONG internationales opérant au Burundi, tout comme dans d'autres secteurs d'activités.

La présence de l'identité ethnique dans l'imaginaire des employés locaux est telle que les managers des ONG internationales se trouvent dans l'obligation d'adopter une posture managériale s'y rapportant dans la gestion quotidienne des ressources humaines. En effet, qu'ils le veuillent ou non, cette variable identitaire influe directement ou indirectement sur l'efficacité et l'efficience de l'action des ONG sur le terrain.

Dans le cadre de cette étude, nous entendons par manager, au premier degré, les coordinateurs des ONG internationales et, au second degré, les personnes occupant les postes stratégiques de décision au sein de ces organisations, à savoir les hauts cadres.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984