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Le cinéma d'horreur en France : entre culture et consommation de masse

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par Laure HEMMER
EAC Paris - Master 1 Management de projets culturels 2007
  

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1.2. L'angoisse, la peur, l'épouvante, l'horreur : l'implication physique des spectateurs

Cette définition basée sur les effets physiques de l'horreur est reprise par Philippe Rouyer tout au long de son livre Le cinéma gore, une esthétique du sang1 et est toujours soutenue par de nombreux auteurs et acteurs du milieu. Gilles Deleuze l'étend même au genre fantastique en général2 : «le fantastique est d'abord un effet (...) On peut opérer des disctinctions et imaginer une échelle graduée selon le degré de détermination de l'objet suscitant cet effet chez les personnages de l'histoire racontée comme chez les spectateurs ; s'il ne peut pas se produire au même moment pour les uns et les autres, s'il peut même y avoir des discordances des uns aux autres, l'affect en lui-même reste identique. Il peut aller de l'angoisse suscitant la peur à l'épouvante en passant par la crainte et l'effroi.» Il semble que le propre de l'horreur, et a fortiori du fantastique soit de susciter des émotions fortes, qui varient selon le sujet et la manière dont celui-ci est abordé dans l'oeuvre cinématographique. De nombreux réalisateurs en conviennent volontiers et assument cet héritage, à la manière du réalisateur français Xavier Gens : « Nous aimons juste provoquer des émotions fortes »3. Les sources de l'horreur sont multiples et peuvent produire des sensations différentes, sur une échelle passant par la croissance des effets physiques provoqués : «Les effets produits dépendent de la nature du fantastique»4, rappelle Jean-Louis Leutrat à la suite de Deleuze. Il n'y a pas de règle en ce qui concerne la façon de composer l'horreur, mais elle semble cependant limitée dans le temps ; elle ne court généralement pas sur tout le film et reste liée au déclenchement de l'élément perturbateur, comme le suggèrent les canons du fantastique que ce soit en littérature ou au cinéma.

Evidemment, il n'y a pas que le cinéma d'horreur qui produit ces effets. La charge émotionelle latente des images s'impose d'elle-même. L'iconoclasme se basait sur la puissance des images, censées dicter des comportements néfastes à ceux qui les regardaient torp longtemps et trop attentivement. Les images religieuses sont un bon exemple de cette faculté de confondre fond et forme, afin des suciter une émotion bien précise, et dans ce domaine, la pitié, le partage de la passion christique, le recueillement,... En argument d'autorité, Régis Debray peut à lui seul convenir : «Pouvoir des images : à prendre d'abord au sens physique de «avoir des effets» ou «modifier une

1 Paris, Editions du Cerf, collection 7e art, 1997

2 in L'image-temps, Paris, éd. de Minuit, 1985

3 In Le Film Français, N° 3266 du 13 juin 2008

4 Jean-Louis Leutrat, op. cit. p.26

conduite»1. Les études sur l'influence des médias et de la publicité et sur l'impact des images en général, malgré les difficultés qu'impliquent l'analyse des formes de réception des publics, lèvent le doute sur l'eventuelle passivité du sujet regardant, faisant de chaque spectateur un «homo spectator»2 engagé par son regard, tant physiquement que mentalement. Nous ne sommes pas tous égaux devant les images, notre regard opérant avec un bagage culturel -selon une vision déterministe- et nombre de professionnels du cinéma, malgré la défense de leur métier, en conviennent. Cependant, les nombreux rapports concernant la mise en relation des mineurs aux images violentes montre la préoccupation suscitée par ce sujet dans l'espace public, avec des attitudes qui oscillent entre libéralisme et conséquentialisme3.

Il semble que la peur soit néanmoins un des sentiments les plus immédiats qui puisse être produit indépendemment du suivi de l'intrigue ou de la psychologie des personnages, contrairement à la pitié ou à la tristesse qui exigent une compréhension globale des dialogues, des attitudes ou de l'ambiance générale. Le rire peut en cela s'apparenter à l'horreur dans la facilité des effets produits, le muet se prêtait en effet bien aux deux styles -il n'y a qu'à considérer les sketches de Charlie Chaplin. L'immédiateté de l'agoisse, qui ne doit a priori rien à la réflexion ni à la compréhension, apparaît comme un élément qui déprécie le cinéma d'horreur aux yeux d'une partie de la critique cinématographique et du public. En effet, en voulant susciter ce sentiment chez tous les spectateurs, il tend à réduire la subjectivité et la personnalisation inhérente au regard en lui imposant un standard d'émotion auquel il se doit de réagir de façon uniforme. Cette forme d'appréciation physique tend à renvoyer l'homme à ses insctints les plus primaires (c'est souvent ce qualificatif qui est employé pour critiquer les films d'horreur), en lui ôtant toute capacité réflexive sur le moment. C'est pourquoi le jugement artistique sur ces films s'effectue souvent a posteriori ou au deuxième visionnage, le temps de «se remettre de ses émotions» comme disait un spectateur à la sortie d'une séance. En ce sens, un film d'horreur qui «fait peur» a en quelque sorte bien rempli son cahier des charges.

En avril 2008, la première bande-annonce de [Rec] de Jaume Balaguero et Paco Plaza montrait uniquement les réactions du public lors des avant-premières et des séances espagnoles, filmés en caméra infrarouge, sans évoquer l'histoire ni montrer une seule image du film. Ce procédé montre bien l'efficacité des images projetées : les spectateurs apparaissent recroquevillés sur leurs sièges, sursautant, hurlant ou se

1 Debray Régis, Vie et mort de l'image, Paris, Gallimard, coll. Folio Essais, 2005 (1e éd. 1994) p. 150-151

2 Marie José Mondzain, Homo spectator, Paris, Bayard, 2007

3 voir Laurent Jullier, op.cit. p.51 à 72

cachant les yeux pour ne plus regarder l'écran. L'objet de la peur de ces spectateurs prostrés demeure invisible aux spectateurs de cette bande-annonce, suscitant l'excitation et l'envie de le découvrir. Aussi le teaser reproduit-il le schéma d'un film d'horreur lui- même, à la manière d'une mise en abyme métonymique : le spectateur de la bande- annonce éprouve une partie de la peur des spectateurs du film, ceux-ci étant pris comme les protagonistes d'un autre film qu'il serait en train de visionner. Cette technique promotionnelle semble avoir été efficace puisque [Rec] était un des films les plus attendus de cette année et a réalisé plus de 550 000 entrées salles en France. Cependant il ne semble pas avoir fait l'unanimité des internautes : sur le forum de Mad Movies, les discussions autour du film et de ses avatars (caméra subjective, montage, intrigue, humour,...) ont compilé des dizaines de pages de débats, et il en ressort beaucoup de déception. Peut-être la surenchère a t-elle été trop forte ? Un des principaux reproches qui lui était adressé consistait justement à trop s'attacher à la provocation de la peur, avec des plans chocs, des personnages hurlants en permanence, sans réel aboutissement artistique. Malgré ces critiques, de nombreux réalisateurs (ré)affirment leur volonté de provoquer l'angoisse des spectateurs, en renouvelant sans cesse les techniques et les subtilités diégétiques. David Moreau, l'un des réalisateur de Ils, déclarait dans le dossier de presse du film, qu'il voulait «juste faire un film qui fasse peur à ceux que cela tente». Peut-on pour autant parler d'uniformisation ou de standardisation lorsque l'on cherche à produire le même effet ? Il semble que malgré la volonté d'effrayer les spectateurs, qui est sans doute un but en soi, les différentes manières d'y aboutir sont le siège de l'originalité d'un film et la difficulté de les renouveler tend à valoriser ses créateurs.

Réactions de spectateurs pendant une séance de [Rec] à Sitges
( http://www.dailymotion.com/video/x3chh7 _rec-trailer-avec-reaction-du-public _fun)

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