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Etre une femme en Algerie, action sociale

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par Liliane Mébarka GRAINE
Université Paris 8 - St Denis (93) - Doctorat en sociologie 2006
  

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INTRODUCTION

Aucun problème, à mon avis, n'a été aussi préoccupant que celui de la (d'une) femme, notamment dans les pays arabo-musulmans. Les problèmes énormes et intenses qu'elle avait suscités dépassent de loin en complexité tous les autres problèmes sociaux. Depuis des années, les femmes sont une cible privilégiée pour tous ceux qui militent en faveur de la régression sociale : pourfendeurs de la protection sociale et du service public, défenseurs de la natalité par le biais du mariage et de la constitution de familles stables, promoteurs de l'ordre social, partisans du retour au foyer, intégristes...

La femme algérienne cherche, revendique son identité et sa place dans la société en disant : "Je suis une personne à part entière...".

Je vais essayer de montrer, sans polémique, la réalité intrinsèque d'un problème qui ne se laisse réduire à aucun autre plus légitime : la frustration des femmes n'est pas seulement une invention de bourgeoises ou d'intégristes ; l'opposition des hommes à une libération (qualifiée d'excessive) est plus profonde et parfois plus généralisée qu'on ne le croit, elle établit l'exigence féminine comme une exigence autonome qui n'est pas seulement réductible à des exigences plus vastes, lutte de classes, lutte nationale, lutte anti-terroriste, lutte anti-impérialiste... ; non que celles-ci soient de simples prétextes et de faux-semblants, leur dominance a été amplement prouvée dans l'histoire et les femmes y participent à part entière mais reparaissent toujours en-dessous, insolites et gênantes, il y a l'autre lutte, c'est-à-dire celle des femmes cherchant à gagner leur reconnaissance par le monde des hommes.

On peut se demander pourquoi cette lutte est si difficile dans un pays qui tire son prestige de la libération, libération nationale vécue comme histoire toujours présente et libération sociale proposée comme projet à réaliser. Bien entendu, il y a des raisons pour que toutes les libérations soient solidaires mais, souvent, la libération (ou ce qui est vécu comme telle) dans un secteur de relations sociales s'accompagne du maintien de la répression dans un autre secteur, voire de

l'apparition d'une autre répression d'autant plus forte qu'elle est perçue comme naturelle ou même pas perçue du tout. Mais justement, la situation féminine ne fait plus partie de ces zones sociales obscures où la répression refoule les exigences avant même qu'elles aient eu le temps de se former.

Faut-il alors incriminer l'archaïsme des moeurs des populations rurales qu'il convient de moderniser vigoureusement comme la Charte Nationale ou le Code de la Famille y appellent fréquemment en divers domaines ? Seulement, il n'est pas sûr que le mode de vie urbain et moderne soit le facteur de libération en soi ; on peut vraiment se demander si n'importe quelle urbanisation, n'importe quelle modernisation favorisent une émancipation ; de bons exemples ne manquent pas pour montrer soit la (ré)activation de valeurs répressives de la part du monde des hommes, soit l'existence de conditions matérielles retirant les femmes du réseau de relations sociales rurales qui leur assurait un minimum de communications pour les enfermer dans des conditions modernes souvent plus sévères que les conditions traditionnelles.

Reste l'effet de la colonisation si fortement souligné par Frantz Fanon. Il est vrai que l'idéologie implicite du colonialisme (plus d'ailleurs que ses doctrines officielles) a considéré l'oppression féminine comme la marque essentielle de la religion musulmane et une excellente justification de l'oeuvre bienfaisante de la conquête. Tout ceci est assez comique pour qui a en mémoire la situation des femmes au sein d'une bonne partie du groupe colonisateur, mais il est, en tout état de cause, important de noter que cette idéologie implicite a produit chez le groupe colonisé un discours explicite qui en prenait exactement le contre-pied. Les rapports hommes-femmes y étaient présentés comme un aspect secondaire des problèmes assaillant la société algérienne et, d'ailleurs, ces rapports étant excellents, toute revendication à ce sujet ne pouvait être que bourgeoise ou étrangère au génie profond du peuple.

Ces explications ne me paraissent guère satisfaisantes pour rendre compte du décalage entre les valeurs affirmées par les décalages politiques et les réalités de la condition féminine quotidienne. On peut hasarder l'hypothèse que c'est justement le changement accéléré (éducation massive y compris des filles, exigences d'emplois et de biens de consommation ainsi que d'information, urbanisation, etc.) emportant une société faiblement bourgeoise (au double sens de citadine et capitaliste) qui explique les résistances au changement. L'ambitieuse aventure dans laquelle l'Algérie est engagée, du fait entre autres de ses paris industriels, ne peut qu'engendrer un sentiment d'angoisse et de crise d'identité, même et peut-être surtout chez ceux qui en bénéficient. Toutes les techniques de reproduction (famille, mariage, comportement envers la natalité et les enfants) vont tenter de se figer pour que demeure, quelque part, un terrain ferme sur lequel la société civile puisse s'enraciner.

Or, ces techniques apparaissent comme très fortement tributaires d'une famille élargie inadaptée aux conditions de la vie urbaine actuelle. La famille conçue comme une association volontaire d'individus égaux, telle qu'on l'observe dans les pays développés, est certes souhaitée à la fois par la société politique - qui y voit une garantie de régulation sociale en période d'intense changement - et par la société civile - qui y voit une solution idéalement économique à ses problèmes matériels - mais, comme toute cellule sociale, elle ne s'improvise pas aisément en l'absence d'une société citadine assez ancienne et assez forte pour en répandre le modèle. Ceci impose, par conséquent, au régime politique d'opérer des choix fermes sur les instruments capables de promouvoir le modèle de famille adapté aux exigences d'un développement socio-capitaliste. De ces instruments (qu'ils concernent la famille, les lois, la religion ou d'autres aspects de la situation féminine), j'ai essayé de montrer comment, en Algérie, on peut être une femme qui construit la société.

Il est évident que le militantisme assume un rôle important car il constitue, en fait, les moteurs de l'évolution de la société. Remettant en cause les idées reçues, les analyses banales qui guident l'action quotidienne de l'homme en font ressortir les éléments-clefs sur lesquels l'action humaine peut agir pour construire des lendemains à la mesure de l'homme. Pourquoi ne pas utiliser la scientificité pour une conceptualisation des interprétations ?

Une autre raison tient à certaines préoccupations en matière de développement : celle-ci dépend à la fois de l'intervention de l'État et de l'adhésion des populations ; or, celle-ci existe comme on l'a fort bien dit "lorsque la masse des adultes (hommes et femmes) éprouvent avec force le besoin d'améliorer leur condition d'existence et sont prêts à y consacrer leurs efforts".

L'importance du facteur psychologique de volonté de promouvoir le changement est reconnue par expérience comme jouant un rôle très important dans le développement. Or, il nous semble que les femmes très désireuses de sortir de leur condition effacée peuvent aider puissamment à créer cette volonté de développement. Pourquoi, dès lors, les maintenir dans un rôle subordonné et un statut d'infériorité qui ne peuvent que retarder l'adaptation aux impératifs du développement qui requiert que toutes les forces du pays soient mobilisées sur cet objectif ?

D'où les questions : pourquoi cette situation inadaptée concernant la population féminine ? Et éventuellement : comment la modifier ?

Une autre raison, plus personnelle et aussi lointaine dans le temps, m'a orientée vers ce thème d'étude : j'ai intimement connu un certain nombre de femmes qui ont pris une part active à la lutte de Libération à l'intérieur du pays comme à l'extérieur, les moudjahidates ou membres de l'organisation civile du Front de Libération National (aujourd'hui, certaines sont au foyer ou en exil, d'autres sont de ferventes militantes d'associations ou députées). Ces moudjahidates et militantes exprimaient, à l'époque, la façon dont elles voyaient l'avenir de l'Algérie après l'indépendance et, notamment, la transformation de la condition féminine qui, pensaient-elles, pouvait être déjà posée comme un fait acquis. Elles envisageaient, certes, la nécessaire éducation du milieu féminin mais n'évaluaient pas exactement la force des "coutumes et préjugés" et la pression sociale qui allaient se révéler, par la suite, des obstacles tellement forts à l'entrée des femmes dans la "cité".

Les responsabilités et initiatives à prendre avaient introduit un tel changement dans leur vie qu'il leur semblait qu'il en était ainsi pour l'ensemble des femmes, celles-ci ayant eu, à un titre ou à un autre, à faire face à des situations nouvelles du fait des bouleversements apportés par la guerre de Libération.

Or, j'ai dû constater que les femmes, dans l'Algérie indépendante, ont été peu à peu repoussées, pour la plupart, vers le monde privé et le rôle traditionnel de la femme limité au foyer... alors que, pourtant, pendant la lutte, certaines d'entre elles avaient participé pleinement aux affaires publiques à divers titres, même politiques.

D'où le désir de comprendre à quoi était due cette sorte de mise à l'écart ? De plus, la profonde insatisfaction éprouvée par beaucoup de femmes et due à cette situation de retrait engageait à rechercher les processus pouvant assurer le passage d'une structure sociale à une autre, plus favorable à une participation de l'ensemble des femmes et non seulement de quelques individualités (aujourd'hui, on les entend crier au scandale par rapport à la situation du pays).

Par ailleurs, si les femmes algériennes sont très fortement participantes à la réalité nationale puisqu'on les considère même comme gardiennes de ses valeurs profondes, dans quelle mesure sont-elles alors participantes à l'édification collective du pays et même aux décisions qui fixent leur destin personnel ? Également, sont-elles partie prenante au même titre que les hommes ? L'accès à la modernité, par exemple, n'est-il pas moins aisé pour elles ? Bénéficient-elles des progrès du développement au même titre qu'eux ? Quand je parle de participation, j'entends par là son apport au développement, donc le degré d'engagement des femmes et le degré de justice sociale à son égard.

I- CADRE DE LA RECHERCHE

L'objet de cette recherche est, d'abord, d'étudier l'application du Code de la Famille algérien sur la femme algérienne en Algérie. Plus largement, elle se propose d'analyser, à travers le parcours social de la femme algérienne, de sa condition, la relation de cette dernière avec le Code de la Famille et l'impact de cette application sur le processus de la construction sociale.

Mon but est également d'étudier les rôles actuels de la femme afin de tenter d'expliquer ses aspirations dans une société où deux modèles antithétiques sont en présence. Dans cette optique, il m'a, en effet, semblé important de m'intéresser aux rôles de sexes actuels en postulant que les aspirations sont déterminées par rapport aux rôles actuels (vécus ou attendus) et aussi par rapport aux conflits qu'ils engendrent en fonction du système de valeurs valorisé.

Ma recherche s'inscrit dans la lignée de la pensée des travaux menés par Simone De Beauvoir, Germaine Tillion et C. Camelleri 1(*) sur le changement socioculturel en Algérie et ceux dirigés par P. H. Chombart De Lawe 2(*) sur les transformations de l'environnement, des aspirations et des valeurs. D'autres auteurs m'ont interpellée, inspirée, questionnée comme Georges Devreux, Pierre Bourdieu, Alain Touraine, Malek Chebel, Tassadit Yacine, Monique Gadant pour qui j'ai une forte pensée  (grâce à ses écrits, elle nous replonge dans les années de Boumédiène ; dommage qu'elle ne puisse plus être parmi nous pour voir, peut-être, l'évolution de l'Algérie. Qu'elle repose en paix !) ...

A- CHOIX DU THÈME

L'intérêt suscité par la remontée de l'intégrisme pour la question de la femme en Islam et, surtout, son statut juridique a donné naissance à une multitude d'ouvrages sur la question. En 1981, Christiane Souriau qualifiait déjà cette bibliographie sur l'Islam d'impressionnante 3(*). De part et d'autre, la question de la femme cristallise les discussions et l'Islam se réduit à cette seule question. Les intégristes en font leur cheval de bataille contre les moeurs occidentales et entendent confiner la femme à la maison ou derrière un voile qui protège "l'honneur" de la société musulmane. L'Occident et les associations féminines crient à l'atteinte aux droits de la femme en mettant au devant de la scène la question du voile islamique.

Mon attention a été retenue par l'aspect juridique de la situation de la femme algérienne, notamment en Grande Kabylie où les traditions ancestrales l'emportent beaucoup plus sur l'application de la Charia ou du Code de la Famille que j'expliquerai dans ma recherche. Mon étude s'inscrit également dans un vaste processus de conscientisation qui est le préalable à toute libération. Il s'agit de l'immense monde féminin, cette "dernière colonie de l'homme" 4(*), et, plus précisément, de la femme kabyle, algérienne, qui, s'il existe une échelle d'évaluation des libertés, serait assurément située bien bas.

Les musulmans (surtout les intégristes) veulent voiler la femme pour ne pas la dévoiler. Pourquoi ?

Aborder la société algérienne par le biais du voilement et du dévoilement de la femme est assez délicat et nous renvoie à plusieurs thèmes : à l'histoire, à l'Islam, à la famille, à l'espace privé et à l'espace public... Il s'agit, en l'occurrence, de l'angoisse du chercheur face à un matériel dont le questionnement renvoie à soi. C'est ce que G. Devreux désigne sous le terme de "contre-transfert social".

Dévoiler les femme algériennes et, par extension, les Kabyles, est une démarche qui n'est pas aisée pour une Algérienne en France quand on connaît le rôle qu'a joué le voile durant la colonisation et toute la stratégie élaborée par le colonisateur pour déchirer le voile, pénétrer le monde des femmes et les attirer à l'extérieur; ayant compris que s'il arrivait à les dévoiler, il réaliserait sa victoire définitive réfractaire à toute pénétration étrangère.

Cette première mise à distance a permis l'émergence d'un questionnement sur la femme et le processus de son existence et de sa construction comme corollaire pour être un point d'étude d'une thèse de troisième cycle. 

Un autre aspect a attiré mon attention car on n'a jamais autant parlé de langues et d'identités en Algérie qu'aujourd'hui, notamment en Kabylie. Pourquoi donc cette problématique revêt-elle une acuité particulière dans cette région ? Sans doute parce que des crises majeures s'y manifestent et mettent en question la légitimité d'une affirmation identitaire monovalente dont le contenu est uniformément universel. Crise de l'État-Nation-Parti qui n'est pas en mesure d'offrir un langage cohérent à ses citoyens et de leur garantir une certaine modernité. Crise de la modernité elle-même, laquelle est mise en cause par certains en raison de son caractère étranger et, enfin, crise des sexes où l'émancipation féminine interpelle l'identité masculine. À ces multiples formes de crise, s'ajoutent des mutations sociales fulgurantes qui, en bousculant certaines traditions, constituent une forme de crise.

Ces crises ont incontestablement des effets perturbateurs. Comment ne pas constater qu'elles ont des répercussions sur la conception de l'identité ? Comment ne pas comprendre qu'on s'accroche davantage à la vision homogénéisante et uniformisante de la langue ? Dans un contexte où l'on confond, voire où l'on feint de confondre unité/unicité, universalité/uniformité et langue unique/langue commune, tout ce qui est de l'ordre de la différence est plutôt bâillonné.

1- RAISONS PERSONNELLES

Le choix du sujet de cette thèse est dû à mon propre parcours. Les réflexions sur ma vie passée me viennent en tête : jusqu'où est allé mon engagement de mère, de militante, d'enseignante et de femme algérienne ? Qu'ai-je réellement fait pour mon pays, ma famille, pour l'école et pour les femmes en étant militante des droits des femmes ? Quel est le moteur de ma vie et quel fil conducteur relie mes actions aujourd'hui? Je ne peux que m'interroger...

Je fus marquée par une double éducation religieuse : musulmane et chrétienne. Un point commun reliait celles-ci : le dévouement, l'amour de son prochain, la justice... On me rappelait aussi trop souvent ma position en tant que fille, femme et épouse (avec les contraintes dues au sexe dit "faible"). Si je respectais ces enseignements, je n'en étais pas moins révoltée, je sentais à quel point mon statut de femme me couperait "les ailes".

J'ai vécu ma vie d'étudiante dans une certaine gaieté, un désir de connaissances malgré un rejet progressif du religieux (ayant une double culture franco-berbère). À cette époque, il m'est apparu, dans ma culture, l'inégalité flagrante entre les sexes, femme j'étais... et femme je resterais et je devrais me battre. Je sentais que le combat serait rude et l'avenir me l'a, hélas !, démontré mille fois...

Un fait marquant dans ma vie : mon divorce. À partir de cette période, j'ai réellement pris conscience du Code de la Famille : je l'ai subi ! J'ai enfin réalisé que, toute ma vie, je serai mineure pour la société algérienne. Depuis, j'ai voulu bouleverser le monde en m'engageant dans le monde associatif pour les droits des femmes...

Je me questionne en disant : est-il possible de mener à bien mon sujet de thèse en fonction de mes acquis, de mes préoccupations et des grandes lignes de mes réflexions  ? Quelles sont mes implications ?

Il est, en effet, intéressant et difficile de construire un espace de théories permettant, le temps d'une distance salutaire, de comprendre pour soi et avec les autres, les enjeux d'un engagement, d'une lutte et des échanges.

Au-delà de ma volonté amenée par tout ce qui la précède (une histoire, une expérience, des drames, des événements), au-delà d'un voeu ouvert sur l'avenir, il me reste un thème qui me tient à coeur : celui des femmes ; lucidement, patiemment, il a pris le prétexte d'une démarche universitaire pour travailler mes implications, disons plutôt ma façon d'être.

Il me semble que l'analyse de ses propres implications est un bon antidote au volontarisme borné exigé par toute une armée d'experts et de technocrates ; elle permet d'accéder à une compréhension de ses engagements, eux-mêmes liés à des positions, à des statuts, à des appartenances multiples, dans des contextes sociaux qui n'inscrivent pas leurs actes dans la durée du projet ou qui rejettent purement ; elle invite à réfléchir sur la "conséquence de ses actes".

Mon travail n'est pas facile car il suppose que nous nous attaquons à des routines ou que nous dénonçons ce qui existe. Or, c'est quand on commence à dénoncer les allants de soi, à dévoiler les "non-dit" que la lutte s'incarne et prend corps. Encore faut-il que notre lutte soit mise en perspective pour la penser et en tirer, pour soi et pour les autres, les conséquences (recherche impliquée).

J'ai essayé de montrer qu'il n'y a pas de lutte ex-nihilo. La lutte nous fait prendre la mesure souvent douloureuse du politique et de l'institution. Il n'y a pas d'inscription en dehors des institutions. À cet égard et pour cause, ma thèse est pleine d'institutions de toutes sortes : l'institution du mariage, de la famille, l'institution religieuse, la langue, l'État, l'école... Par sensibilité, c'est cette dimension qui m'a frappée dans mon parcours, dans celui des autres femmes avec lesquelles j'ai eu des entretiens ou que j'ai connues, comme si les institutions, celles qui nous ont façonnées et qui façonnent le destin, imposaient la nécessité de mieux connaître, à travers mon histoire et mon expérience, comme celles des femmes algériennes.

Mais, du coup et dans le même temps, on peut se demander s'il est possible de découvrir l'institution autrement que par "affrontement" ? Et, à partir de son expérience, peut-on élucider de manière abstraite, désincarnée, par un acte de connaissance objective et rationnelle ? Peut-on analyser les institutions sans agir et "militer" ? Mais alors, qu'est-ce que militer ? Qu'est-ce que l'analyse militante ? Est-ce une forme d'analyse qui, loin de s'aveugler elle-même (totalitarisme, volontarisme) en procédant par affirmations / réductions, introduirait de la relativité, de l'intelligence, de la conscience et finalement de la démocratie ? Voilà d'autres questions que je me pose dans le cadre de ma recherche.

S'agissant de ces dimensions, l'historien Pierre Nora écrivait que :

"Aucune activité intellectuelle n'est sans doute aussi dépendante que l'histoire des raisons qui poussent à s'y intéresser, des conditions de son élaboration, de ses lieux d'épanouissement, des circonstances, de sa production, de ses enracinements psychiques et biographiques".

Très jeune, je ne comprenais pas pourquoi les femmes se voilaient lorsqu'elles sortaient ? Pourquoi les hommes les dévoilaient dans la rue ? Une de mes soeurs avait une institutrice qui se voilait, arrivée à l'intérieur de l'école, c'était une autre femme ! À mon interrogatoire, elle m'a répondu que "c'était la tradition, pour ne pas attirer les hommes ; pour son mari : c'était le voile et le travail ou la maison...". Pourquoi se voilent-elles pour se rendre sur l'espace public ?

Dans cette distance extérieure, le voilement et le dévoilement de la femme algérienne s'imposent comme un phénomène dont le mouvement est en relation avec les grandes ruptures d'équilibre social. Chaque fois qu'il y a une rupture dans la continuité de l'histoire telle que la colonisation ou la décolonisation, le renversement d'un État, la révolution islamique, il y a un retentissement au niveau de la femme. Certains vont la voiler, d'autres vont la dévoiler. À quel moment intervient l'une ou l'autre séquence ? Quel est la fonction et le sens de ce phénomène ? Je crois que le voilement de la femme a un sens caché, occulte et, précisément pour cela, important.

Le voile dans la société algérienne, et musulmane en général, fait partie d'un système cohérent. Y toucher, le questionner implique le questionnement de la structure d'ensemble qui le sous-tend et, par conséquent, exige du chercheur le recours aussi bien à la dimension historique que sociologique. Je suis, me semble-t-il en présence d'un fait social total au sens où l'entend Marcel Mauss 5(*).

L'élément féminin dans les sociétés musulmanes, par son caractère caché, occulte, voilé, infiltre tout l'ensemble et apparaît en filigrane aussi bien dans le comportement quotidien du particulier - son honneur et sa dignité sont largement tributaires du comportement de ses femmes (sa femme, ses filles, ses soeurs, ses cousines...) qui peuvent l'élever aux yeux de la société par un comportement fait de

réserve et d'effacement ou le rabaisser en contrevenant aux coutumes - que dans les décisions prises à l'échelle nationale, en effet, malgré les options modernistes des gouvernants, leur silence ou leur malaise dans le traitement de toute question concernant la multiplicité de ses incidences.

La femme semble détenir ou être garante de l'honneur de la nation, de la société ou tout simplement de la famille. Dès lors, son immobilisation ou son voilement devient une nécessité car, dès qu'elle bouge, elle menace les valeurs ancestrales qui constituent le groupe. Pour comprendre le voilement, il va falloir "dénuder les fondations de notre propre société. Il est présent dans la structure même de cette société endogame et tribale" 6(*).

Est-ce que le voilement ou le dévoilement est un véritable problème qui mérite réflexion ou n'est-ce qu'une gageure, conséquence de notre occidentalisation? La femme algérienne peut-elle être autrement que voilée actuellement et, après tout, ne serait-elle pas qu'un vestige de l'Histoire de la femme, un mouvement attardé lié à notre sous-développement ? Il n'y avait donc plus qu'à laisser faire l'histoire et les choses suivront inéluctablement leurs cours vers une évolution pleine et complète de la femme comme partout ailleurs.

Mais, si je reprends ce qu'a écrit Germaine Tillion sur cette société, je me rends compte, encore une fois, que ce n'est qu'un refus déguisé d'aborder le sujet, et ceci est en rapport avec toute l'angoisse qui lui est liée :

"N'oublions pas que l'évolution urbaine est plus ancienne dans le levant méditerranéen que partout ailleurs...depuis le néolithique" 7(*).

"Si, d'un côté, l'Algérie socialiste avec ses plans d'industrialisations lourdes... vers l'avenir, l'Algérie islamique, par contre, regarde vers le passé pour renforcer les traditions arabes : les femmes actuellement encouragées à porter le voile pour bien marquer l'intention de l'Algérie de vouloir choisir une voie de développement qui ne soit pas entachée d'occidentalisme" 8(*).

Une société des plus avancées s'est figée, sous quelle fascination ou quelle emprise ? Mon objectif n'est pas d'approfondir l'origine de la stagnation, ni les multiples facteurs qui sont nécessairement entrés en jeu. Je limiterai mon étude à l'élucidation d'une de ces causes de retard qui est, à mon sens, la mise à l'écart de la moitié féminine de la population. Cette mise à l'écart se traduit par la persistance du voile qui, à lui seul, suffit à caractériser la société musulmane comme étant celle qui voile ses femmes.

Le voile n'est-il pas une forme d'identité nationale ? Qu'est ce qu'une identité féminine ou des identités ?

Pour un pays nouvellement indépendant, la définition ou la redéfinition d'une identité nationale ne va pas de soi sur le plan idéologique comme sur le plan existentiel, quelles que soient les proclamations officielles qui se veulent contradictoires. Aussi, les mots qui servent à dire l'appartenance ethnique, l'appartenance culturelle, l'appartenance nationale, sont-ils un des lieux privilégiés de figements identitaires, d'ambiguïtés et de conflits sur le sens, reconduits consciemment ou non dans les productions discursives ? Repérables dans les textes fondateurs de l'État qui vient de se constituer, ces antagonistes, feutrés à l'écrit, s'exhibent ouvertement en interaction verbale dans les propos de la vie quotidienne. Ils perturbent fortement le déroulement du dire lorsque des interlocutrices sont sollicitées pour parler de ce sujet brûlant.

Dans l'Algérie d'aujourd'hui, plus de trente ans après l'indépendance, la question du contenu de l'identité nationale se pose en termes d'urgence existentielle. Les tensions politiques récentes que connaît ce pays exacerbent le malaise. Les entretiens que j'ai conduits ont pour objet de cerner les difficultés éprouvées par des locutrices pour parler de leur algérianité. Par rapport à quelles mêmes et à quelles autres sont-elles en mesure de se positionner lorsqu'elles se proposent de mettre en mots ce que signifie pour elles : "être algérienne, une femme" ? Dans un débat de ce type, je suis directement impliquée.

Il est important de souligner que la situation linguistique (arabe - kabyle - français) actuelle de l'Algérie, tiraillée entre une politique unificatrice volontariste et une réalité plurielle, est une des causes majeures des distorsions qui m'ont amenée à constater des revendications légitimes. Dans ces conditions, il est à la fois difficile et périlleux de se positionner dans sa parole, ses mêmes et ses autres tout autant que de se positionner soi-même, en tant que même et en tant qu'autre. Parmi les interlocutrices interviewées, certaines vivent dans une impasse, prises entre une pluralité impossible à assumer et une unicité impossible à vivre.

Après avoir pris du recul dans mon engagement avec mon pays et avec les associations féminines pour l'abrogation du Code de la Famille, je me pose beaucoup de questions sur le choix du thème de ma thèse : Qu'est-ce que je recherche et qu'est-ce que je ne connaisse pas ? Qu'est-ce qui est pertinent pour ma recherche ? J'ai trouvé opportun de définir, dans un premier temps, les notions qui existent dans le sujet énoncé. Quels sens et quelles représentations que je donne à chaque terme de ce sujet d'étude ?

2- QU'EST-CE QU'ÊTRE UNE FEMME EN ALGÉRIE ?

C'est quoi être une femme ? Ce n'est pas la même chose si je dis c'est quoi être femme ? "Être une femme", expression dans ma langue maternelle qui veut dire qu'on est bien sûr de sexe féminin mais également une femme capable d'assumer son rôle de femme, être capable d'affronter le monde extérieur, de concilier travail domestique et travail rémunéré, être capable de remplacer un chef de famille dans plusieurs domaines sans oublier la protection de "son honneur et du nom qu'on porte".

Être une femme veut également dire qu'on peut remplacer un homme : être dedans et dehors. L'expression utilisée également dans ce pays est "une femme et demi" pour exprimer la comparaison avec l'homme. Dans ces termes, cela me renvoie à plusieurs domaines concernant l'inégalité et la différence (des sexes, des chances, des positions...). L'inégalité et la différence engendrent des processus dans la construction sociale.

ÊTRE : je le définis comme exister, être reconnu, être présent, c'est le moi et le nous. Tout cela me conduit à définir les concepts de l'identité, de soi, de la tradition/modernité, du matriarcat/patriarcat... Mon sujet me renvoie également à l'oeuvre de Simone de Beauvoir, "Le deuxième sexe", j'adhère à ce qu'elle énonce et où je me reconnais dans ma prise de conscience et de la définition de l'être.

La femme est un être de culture entièrement façonné par son éducation. N'est-elle pas la semblable de l'homme qu'il convient de traiter comme compagne ? Ou bien est-elle toujours l'autre, marquée de l'indestructible signe de la différence qui suscite, d'abord de la part de l'homme, le désir et la crainte ? Dans un cas, l'égalité va de soi, mais dans le second, elle est plus difficile à réaliser. L'égalité reconnue et acceptée est plus une belle idée mais n'est-elle pas aussi une utopie? La différence fait mauvais ménage avec l'égalité. Qu'on déplore ou non, elle s'accompagne dans nos esprits d'une évaluation marquée des signes "plus et moins". Et comme l'homme a toujours été regardé comme étalon-or de l'humanité, la femme, considérée dans son altérité, n'a pas cessé de souffrir.

C'est dire à quel point la définition de la femme est lourde de conséquences psychologiques et sociales, morales et politiques. Selon que l'on accorde la prééminence à la nature et à la physiologie ou à la culture et à l'éducation, c'est le statut des femmes qui change du tout au tout. Il n'y va pas seulement de leur bonheur et de leur destin mais aussi, inséparables, de leur être et de leur reconnaissance.

Depuis des millénaires, l'histoire des femmes est jalonnée par toutes les injustices que l'oppression des hommes a pesé sur elles. Les hommes de bonne foi ne le nient pas mais cela n'implique pas qu'ils puissent être objectifs.

L'ALGÉRIE, c'est mon pays, ma patrie, je suis citoyenne de cette contrée, de cette partie du continent africain. Ma citoyenneté n'est pas reconnue comme elle devrait l'être, dans le sens profond de sa définition. Comment est-on citoyen? Comment le devient-on ? Comment définit-on la citoyenneté dans un pays en quête d'identité, à la recherche d'un changement politique, de mentalités et de démocratie ? Je reste très attachée à cette partie de la terre avec toutes ses valeurs, sa beauté, ses paradoxes et ses contradictions. L'Algérie... Proche... Liens d'amour et de haine qui nous unissent à jamais (Français et Algériens). Aujourd'hui et depuis plus de quatre générations, nos parents, nos collègues, nos amis, nos amours ont été confrontés à la traversée de la Méditerranée. Les douleurs, les impasses, les violences, les espoirs et les plaisirs d'ici et de là-bas passent par la mer et se rejoignent. Ces allers - retours sont ferments de luttes et d'échanges.

3- CONSTRUCTION SOCIALE

Comment construit-on une société ? Quels sont les éléments qui régissent une société ? Comment une femme peut-elle oeuvrer pour la construction de sa société ? Qu'est-ce qu'une construction sociale, comment la définit-on ?

Des initiatives collectives de femmes (les associations de femmes comme Femmes en Détresse, Femmes Démocrates Algériennes, Mouvement National des Femmes Rurales, Comité National des Associations s'occupant de la Famille, etc.), dont les buts consistent dans le changement de l'environnement social et culturel où elles vivent, sont des composantes essentielles de la situation féminine. Ces initiatives sont révélatrices de la résistance que les femmes algériennes exercent pour affirmer leur subjectivité par rapport à la domination masculine qui se sert de la religion, de la culture traditionnelle et de certains repères de la rationalisation occidentale pour les inférioriser par rapport aux hommes.

Elles sont aussi révélatrices de la capacité des femmes de formuler des projets d'amélioration de leur situation, de poursuivre des objectifs pour changer leur condition et même de préfigurer des alternatives individuelles et collectives à la domination dont elles essaient de se libérer. Ces initiatives ont pour rôle d'assurer la défense de la spécificité féminine qui résiste à l'emprise masculine sur la vie sociale. Elles ont aussi pour tâche la poursuite de certains changements sociaux et culturels qui pourraient permettre d'assurer aux femmes cette défense face à la tradition.

Cependant, le problème du dépassement de cette tradition ne trouve pas sa solution dans la poursuite d'une rationalisation de la vie sociale inspirée du modèle occidental qui peut être source d'autres formes de domination, différentes des formes traditionnelles mais non pour autant négligeables.

Les initiatives collectives sont les moyens les plus directs qui permettent aux femmes d'intervenir sur plusieurs aspects et à des différents niveaux de la vie sociale (le Code de la Famille, droit au logement et au travail...). Elles leur permettent de revendiquer l'amélioration de leurs conditions dans le contexte "du cadre normatif qui règle l'organisation sociale où les rapports d'autorité sont cachés par la prééminence des modèles de relations humaines indépendantes" 9(*).

La construction de la société ne peut se faire sans mouvement. Les femmes algériennes considèrent que le mouvement ne peut exister sans une société civile laquelle ne peut se construire en suivant les modèles occidentaux de la modernité, de la rationalisation de l'économie et de la politique. Elles abordent, de cette manière, la question de la difficulté d'adopter ce modèle lui aussi en crise. Cette crise se répercute aujourd'hui dans des aspects importants tels celui de la définition des voies de développement et de la construction de la nation qui est en crise parce que cette entité n'est plus un organisme susceptible d'intégrer les différents intérêts dans une perspective de progrès et d'amélioration de la vie collective de la population du territoire. La crise, dans tous ses aspects, touche également la dignité des femmes, l'identité nationale et la mobilisation des ressources...

La modernité caractérisée par la rationalisation voulue comme prédominante dans la formation de la vie sociale est en crise. La construction d'un mouvement en Algérie ne peut que tenir compte de cette crise quand il se situe dans le contexte de la construction civile ; une construction qui a commencé réellement depuis seulement une douzaine d'années et qui a eu le féminisme comme l'un de ses protagonistes. La guerre de libération n'a pas permis aux femmes de se construire et de s'imposer après l'indépendance (malgré leur participation). Le syndicalisme n'a pas été, pour sa part, un autre protagoniste de cette construction.

Aujourd'hui, par ailleurs, la situation a changé par rapport à la situation initiale parce que d'autres acteurs sociaux (associations, partis politiques démocrates, artistes, journalistes, écrivains...) interviennent aussi dans cette construction. Celle-ci se définit, en effet, d'une manière plus explicite qu'auparavant car des acteurs sociaux, ayant comme contexte de leur formation l'appareil d'État, se constituent aussi du côté dirigeant. Ces acteurs sont bien représentés (autrefois militants dans la clandestinité ou ayant fait de la prison pour outrage à l'État) par certains des interlocuteurs. Ce sont des dirigeants qui commencent à agir comme acteurs sociaux tout en restant liés à l'État et à la responsabilité de poursuivre ses politiques. Ces acteurs sont des constructeurs de la société civile comme le sont également les acteurs populaires.

C'est ainsi qu'a commencé la construction de la société civile en Algérie. Elle est l'oeuvre d'acteurs collectifs (les différents soulèvements des jeunes et des femmes en 1980 et le 05 octobre 1988) dirigeant (création du multipartisme en 1989) et appartenant au peuple qui ont commencé à ouvrir le champ des rapports sociaux et à construire des actions modernisatrices ainsi que des conflits (les partis islamiques comme le F.I.S.) qui ont poussé l'État algérien a apporter des modifications dans sa Constitution et à continuer à se concerter pour amender et abroger le Code de la Famille.

En effet, les actions des mouvements de femmes ont commencé à définir la construction de cette société civile par la lutte pour l'abrogation du Code de la Famille. Elles l'ont fait d'une manière originale en suscitant la question de la naissance d'acteurs sociaux autonomes mais aussi celle du rapport à établir entre les composantes de la vie civile d'une société qui, à leur avis, n'était pas simplement à moderniser. Le mouvement des femmes avait, en effet, nié l'existence d'une exclusivité du contenu de la modernisation, les femmes se sont focalisées sur le Code de la Famille qu'elles trouvent infâme, archaïque et préhistorique.

Au temps du féminisme, l'action de l'U.N.F.A. (qui était membre du F.L.N., Parti unique de l'Algérie de 1962-1987) ne se limitait pas, par ailleurs, à poursuivre des alternatives aux archaïsmes. Cette action était, au contraire, soucieuse d'entreprendre des chemins pour indiquer le contenu autonome d'une culture féminine susceptible de représenter des alternatives à la domination exercée sur les femmes. Ces alternatives n'auraient pas dû être assimilables aux acquis ni aux projets de modernisation favorables aux femmes (comme le stipule la Constitution et la Charte Nationale : l'école obligatoire pour tous, l'égalité au travail...). Elles auraient dû, en effet, se distinguer de cette modernisation que les femmes ne voulaient pas récuser mais qu'elles proposaient de dépasser.

Un tel dépassement aurait dû permettre aux femmes de poursuivre, de façon autonome, leurs objectifs de construction d'une nouvelle société où la ségrégation féminine ne serait plus qu'un souvenir mais il s'agissait de construire leur vie en valorisant leurs connotations culturelles qui sont différentes de celles des hommes, il s'agissait de poursuivre ce projet dans un contexte qui aurait conduit à l'ouverture de la construction d'une société civile en Algérie.

La tentative de relance (depuis 1989) du projet de construction sociale (abrogation du Code de la Famille, refonte du système scolaire, de l'appareil judiciaire, du système économique... ) se retrouve, en effet, face à deux questions. La première est celle d'un pouvoir politique qui n'a pas abandonné ses méthodes répressives. La deuxième est celle des dangers venant d'une fermeture culturelle exprimée par l'intégrisme pour échapper à la domination occidentale et tenter de construire une certaine cohérence là ou surgissent les incohérences de la crise des anciennes perspectives de la modernisation.

En effet, cette tentative de relance du mouvement des femmes (l'U.N.F.A. a été écartée et de nouvelles associations de femmes sont sur le terrain) ne se trouve pas seulement confrontée aux problèmes qui surgissent dans le contexte local (terrorisme, abus de pouvoir, problèmes économiques, système scolaire malade...), elle doit aussi tenir compte du contexte de globalisation de la société qui oblige le mouvement à faire face à la domination de ceux qui contrôlent les traitements et la diffusion des informations (Gouvernement, intégristes... ).

La construction du mouvement des femmes se réfère à la fois à la définition de la spécificité féminine dans le contexte de la formation de la société civile en Algérie et à l'affirmation de la particularité culturelle algérienne. Cette dernière surgit, pour sa part, comme une question importante au moment de la crise du modèle classique de la modernisation universaliste et face à l'emprise des contrôleurs du traitement et de la diffusion des informations sur la vie sociale qui se globalise.

Le mouvement des femmes (les militantes des droits des femmes) pense que la construction de la société civile ne peut se faire sans la formation de relations entre les acteurs qui définissent et contrôlent l'espace autonome de leurs confrontations sociales. De cette manière, toutes les femmes sollicitées ou interrogées ont des positions convergentes sur cette question de la construction de la société civile. Il n'en est pas de même lorsqu'elles abordent la question des relations à construire entre la spécificité féminine et la particularité culturelle algérienne dans le contexte de globalisation de la vie sociale. Elles font face à différentes questions et à des thèmes liés au Code de la Famille, à la question de la religion (situation oblige : le F.I.S., le HAMAS, la NAHDA, le terrorisme...), à la démocratie, au culturel (la revendication berbère), à l'éducation et à l'économique (travail, adhésion à la politique...).

La convergence autour de la question de la construction de la société civile n'empêche pas l'apparition de différences importantes au sein des femmes. En effet, chacune accorde une priorité à celle définie par les autres. Par conséquent, la relance de l'action des femmes se développe par une convergence entre les positions des composantes (sociale, politique, culturelle, universalisme) qui restent différentes entre elles.

Certaines femmes rencontrées et interviewées sont soucieuses de relier l'universalisme à la spécificité culturelle locale, tout au moins à la spécificité algérienne si ce n'est à la spécificité arabo-musulmane. Cette exigence est ressentie d'autant plus que la rupture qui avait été exercée par les premières féministes face aux traditions culturelles algériennes, arabes et même musulmanes n'intéressent plus les nouvelles générations de filles... Certaines femmes essaient de construire et de maîtriser un rapport entre la modernisation de leur comportement et la tradition, dans la conduite en famille comme dans leurs relations sociales plus larges.

Des chercheurs et des universitaires algériens travaillent sur des notions scientifiquement universelles mais cela n'empêche pas qu'elles prennent une signification différente de part et d'autre de la Méditerranée. Par exemple, quand ces femmes parlent de subjectivation, elles voient la référence du Nord mais elles voient aussi qu'en Algérie, cela les pousse à avoir une réaction qui est celle de dire qu'elles en ont assez de cette dimension, que c'est peut-être celle qui les a étouffées en plus de la Charia. Elles pensent qu'elles n'avanceront pas en utilisant des formules qui n'ont pas le même contenu, la même définition.

E.F.(*) , professeur à l'université d'Alger dit que l'universalisme est en crise en Occident, mais cette crise est aussi alimentée par ce qui se passe en Algérie et dans les pays où l'intégrisme se manifeste. Est-ce que l'Algérie passera par une étape historique où l'universalisme triomphera pour pouvoir un jour être en mesure de voir ses limites, ses défauts ? Ou, comme elle souligne : " Mais il n'y a pas de segmentation du monde.... (...), nous la vivons d'une manière ou d'une autre. Alors, tout le monde est concerné... Car, bien que le choix universaliste ne conduise pas une femme à renier la spécificité féminine, il la détache de la culture locale et des implications subjectives qu'elle peut avoir auprès des femmes. Au contraire, l'enfermement dans la culture locale pourrait conduire les actions à se bloquer et à rester coincées dans le piège du traditionalisme et de la ségrégation de la femme.

(...) L'Europe est arrivée à l'universalisme essentiellement à travers le rationalisme...(...). Il y a eu dans la civilisation arabo-musulmane le mouvement humaniste des Mo`tazilas qui a reconsidéré la raison humaine par rapport au sacré. Par exemple, ils se sont attaqués aux problèmes du Coran. Ils ont dit que ce n'était pas une parole éternelle mais quelque chose qui se soumet au temps et à l'espace.

La modernité est la seule voie possible. Une fois cette démarche adoptée, là on pourra poser tous les problèmes de la spécificité algérienne et celle des femmes en étant plus à l'aise. D'autant plus qu'il n'y a pas, de ce point de vue, de véritable dualité entre spécificité et universalisme. La spécificité culturelle algérienne peut se combiner avec le rationalisme et l'universalisme. Ce que veulent les femmes, ce n'est pas un compromis ou un simple mélange entre spécificité et universalisme. Il s'agit, plutôt, d'une démarche.

Le rapport entre spécificité et universalisme, qui est à la base du modèle des explications des actions des femmes et des définitions, se définit ainsi. Cette explication consiste à dire que le propre du mouvement des femmes algériennes est de s'opposer à une modernisation imposée et à une tradition obscurantiste. L'opposition à cette modernisation découle de l'exigence même de construire l'autonomie d'un acteur social face à un État volontariste qui veille à maintenir le contrôle du processus de développement.

L'opposition à la tradition est celle qui vise à combattre l'infériorisation consacrée par le biais des interprétations conservatrices de la religion et de la femme dans la société algérienne et arabo-musulmane en général. Cette opposition à l'obscurantisme définit, par ailleurs, la différence qui passe entre la référence aux particularités féminines et algériennes et l'enfermement dans le fondement de la tradition. Cette référence veut être, en effet, un instrument de la résistance à exercer contre les impositions culturelles venant de la modernisation classique mais aussi contre les impositions par les acteurs dirigeants qui contrôlent tout dans le contexte de la globalisation de la vie sociale actuelle.

Le propre du mouvement des femmes (associations, comités, indépendantes, etc.) n'est pas seulement de poursuivre une telle opposition culturelle. Il consiste aussi dans la construction d'un projet d'alternative culturelle consacré aux perspectives d'avancement de la femme dans la société algérienne et arabo-musulmane. Ce projet couvre trois aspects principaux de l'action des femmes.

q Le premier consiste à l'abrogation du Code de la Famille afin que la femme soit une femme, une personne majeure responsable de ses actes, avec des droits, citoyenne à part entière, il lui permettra la construction d'un acteur collectif féminin capable d'intervenir dans la construction de la société.

q Le deuxième concerne la formation d'une action capable d'intervenir dans la construction de nouveaux circuits institutionnels permettant de parvenir à la confrontation entre les intérêts et les propositions culturelles d'acteurs dirigeants et populaires parmi lesquels les femmes considèrent avoir leur place.

q Le troisième concerne la construction et la maîtrise d'une relation entre spécificité féminine, spécificité culturelle algérienne et universalisme. Une construction et une maîtrise nécessaires si l'on veut atteindre l'objectif de l'affirmation des femmes dans la société où elles ne seront pas soumises aux hommes et où elles pourront poursuivre la formation de leur action par une voie culturelle autonome et par la voie de la démocratie et de la liberté.

La construction sociale en Algérie passera par le mouvement des femmes et de toute la société civile. La construction du mouvement des femmes en Algérie a traversé plusieurs passages. Le premier a été celui lié à la libération nationale, le deuxième celui de la tentative de développement commencée avec la décolonisation, et le troisième a été celui de la construction d'une action autonome des femmes au cours des années quatre vingt. Dans cette avant-dernière période, l'action des femmes a été la base de la formation de l'un des acteurs qui a commencé avec le syndicalisme et qui est arrivé, aussi avec des acteurs dirigeants (partis politiques militants dans la clandestinité jusqu'à 1989), à la construction d'une première ébauche de société civile.

Par la suite, ce mouvement de femmes s'est transformé en associations autonomes et en réseaux de relations entre anciennes militantes. Ensemble, aujourd'hui, elles tentent de maintenir une relance commune de revendications, de transformations face aux changements dans la vie sociale du pays malgré les oppositions de certaines femmes musulmanes intégristes. Toutes ces femmes solidaires sont aussi directement impliquées dans la définition des contenus de l'antagonisme culturel de l'action qui consistent dans la poursuite de l'affirmation de l'autonomie féminine face à la prédominance masculine dans la tradition mais aussi dans la modernisation de la vie sociale.

Aujourd'hui, malgré les convergences, les dangers qu'elles encourent avec l'intégrisme (menaces de mort, enlèvements, viols, tortures, assassinats...), toutes les femmes veulent construire la société chacune à sa manière, touchées dans leur dignité, leur amour propre et leur chair : elles veulent le changement en bravant les interdits et les tabous... !

4- LA RÉSISTANCE DU CODE DE LA FAMILLE AU CHANGEMENT

Le Code de la Famille en Algérie, mais aussi dans la plupart des pays islamiques, est resté le seul domaine qui échappe au droit moderne et où le droit musulman subsiste encore et conserve son empire.

"Les continents délaissés par la loi de l'Islam au cours du XIX ème et du XX ème siècles ne se comptent plus ... le droit musulman a été évincé selon un processus qui a pu varier ... qui a abouti à la consécration d'un droit moderne" 10(*).

Pourquoi l'Islam, qui a pourtant délaissé les autres domaines de droit, persiste-t-il à trouver dans le statut personnel son dernier refuge ? Car si le fondamentalisme durcit son langage envers les femmes, le discours religieux officiel n'est guère différent à ce niveau-là. Si, socialement, il y a une certaine tolérance due plus aux changements économiques qu'à une réelle volonté d'améliorer la situation de la femme, la situation juridique de la femme ne résulte pas du discours intégriste mais trouve ses assises dans les textes du Code de la Famille né après l'indépendance et qui n'a subi aucun changement. Les dernières réformes apportées au Code de la Famille enregistrent un pas timide vers l'amélioration du statut de la femme mais il n'y a toujours pas la volonté politique affirmée pour que la femme soit égale en droit à l'homme.

Beaucoup d'études se sont intéressées au code du statut personnel, notamment, de la femme musulmane. Il nous a semblé donc important d'étudier comment est résolue la contradiction entre un droit algérien où la femme a un statut dépendant de celui du Coran et une pratique judiciaire algérienne où l'égalité de l'homme et de la femme est un principe fondamental du Coran.

5- LE JURIDIQUE COMME MOYEN DE LUTTE POUR L'AMÉLIORATION DE LA FEMME

La question de savoir si le droit doit jouer le rôle d'un levier de changement de la société continue de partager les tenants de telle ou telle position. Sans prétendre répondre à la question, la présente étude tend à comprendre le rôle que joue le droit de la famille dans la vie des femmes algériennes et kabyles en Algérie car, si ce droit est tellement défendu par le décideur politique d'une part et les mouvements intégristes d'autre part, c'est qu'il représente un enjeu déterminant dans la démocratisation de la société.

Dans ce domaine, l'Algérie n'est-elle pas en train de céder le terrain à un Code de la Famille qui ne respecte pas le droit de la femme au moment où elle met la guerre civile au devant de la scène médiatique (événements de 1992-2002) et lutte pour une démocratie libre ?

Le droit international privé est, dans sa majorité, de caractère coutumier et la pratique qui est en train de s'installer en droit international privé français est celle qui, au nom du principe de la nationalité des lois personnelles, admet la polygamie et la répudiation du moment qui concernent des non nationaux.

Traiter ce sujet avec tous les événements qui secouent l'Algérie présente d'autant plus d'intérêt que les études qui ont abordé le problème ont surtout apporté des analyses juridiques et l'intérêt serait donc de rapprocher des analyses fournies par les entretiens.

L'application du Code de la Famille à la femme algérienne dans un pays musulman crée tout de même d'énormes difficultés pour son existence et sa reconnaissance. En effet, la femme algérienne a évolué et aspire à un changement. Aujourd'hui, elle se trouve dans un milieu différent, accède plus ou moins à l'espace public, apprécie la modernité et veut bénéficier de la liberté. Dans ce nouvel environnement, comment la femme algérienne réagit-elle à l'application d'un droit de la famille qui ne correspond pas au vécu social ? L'examen du comportement de la femme dans divers espaces et institutions (privé/public, famille, école, travail, etc.) pourrait donner des éléments de réponses.

La déclaration des Droits de l'Homme proclame l'égalité des citoyens devant la loi et leur égale admissibilité à toutes les dignités, places et emplois publics selon leurs capacités et sans autre distinction que celles de leurs vertus et de leurs talents... La voix des femmes s'est fait entendre avec force, tout particulièrement, en Occident et il n'est plus à démontrer qu'il n'y a plus de développement durable possible sans leur participation en qualité d'actrices à part entière dont les droits sont indissociables de tous les autres. Ce n'est pas le cas en Algérie.

Mes préoccupations rejoignent celles de beaucoup de mes compatriotes (femmes au foyer, paysannes, enseignantes, juristes, médecins, secrétaires, militantes et même nos grands-mères...), soucieuses de l'instruction et de l'éducation de leurs enfants, du devenir et de l'avenir de ce pays qui est le nôtre.

Dans un premier temps, l'étude sera générale, les spécificités seront axées sur les femmes kabyles, algériennes afin de rester dans mon sujet. Ainsi découleront les concepts.

B- FÉMINISME / FÉMININ / FEMME

En Europe (au nord), le féminisme a opéré une critique radicale de la famille et de la séparation des espaces privé et public. Il a repensé les termes de la différence sexuelle, dit les limites de la conquête des droits et la " neutralisation " de la féminité sous prétexte d'égalité.

En Algérie (au sud), la revendication des femmes se polarise, au contraire, sur la conquête de l'égalité avec les hommes. C'est sur cette base que doit se faire leur entrée dans l'espace public. La morale de l'homme s'y oppose, la religion sacralise ces interdits. La classe dirigeante s'appuie sur cet ensemble de valeurs et cherche dans le nationalisme la caution idéologique qui rendrait acceptable le changement, à condition d'en préserver les femmes. Comment affrontent-elles le monde du travail, la vie syndicale et associative ? Quelles sont leurs stratégies face au mariage, à la dot ? Si les traditions sont en crise, quelles recompositions sont à mettre à l'oeuvre ?

Le combat féministe a trouvé une légitimité nouvelle en s'inscrivant dans le combat pour la justice sociale, la citoyenneté et les libertés démocratiques. La question de la citoyenneté doit-elle être abordée avant la question de l'appartenance à la catégorie femme ? Le lieu de naissance n'est-il pas un événement fortuit ? En quoi le concept de citoyenneté dépasse-t-il le fait d'être né quelque part ? L'exercice de la citoyenneté exigerait de se positionner en tant qu'individu(e), sans se laisser détourner par les intérêts du pouvoir (État, parti, patron, mari...) et le titre de citoyenne ne suffit pas. Il faut le charger du contenu politique.

Kristeva appelle à "la logique de l'identification et non pas au sein de celle de la différence. Exclu du discours masculin, il milite pour gagner une place dans l'espace de ce discours pour se retrouver emprisonné dans son cercle" 11(*).

La résistance de la femme, selon Derrida, ne pourrait être effective que si elle renonce à l'usage des catégories et des mécanismes du logocentrisme. Par conséquent, cette résistance ne pourrait avoir qu'une fonction négative et non positive, rejetant ainsi tout ce qui définit la femme comme chose structurée et chargée de sens dans une société donnée. Autrement dit, il s'agit moins de dire ce qui serait le statut de la femme que de dire comment ce statut a été structurellement et socialement édifié.

Le terrain de la recherche et du savoir pourrait constituer le champ le plus approprié à l'émergence d'une telle résistance. Aussi diverse que soit l'investigation dans les domaines du savoir : pensée islamique, anthropologie, histoire, sociologie, etc., cette investigation serait la voie qui nous guiderait vers la déconstruction des catégories masculines et féminines et de tout ce qui les charge de sens, tels que les langages, les pratiques, les attitudes et les habitudes socioculturellement acquises.

Le contexte spatial et social nous montre qu'au niveau du vécu, il serait erroné de parler de la condition de la femme algérienne comme s'il s'agissait d'une entité. Les catégories de femmes dans la société algérienne sont diverses par la diversité des contextes dans lesquels elles se trouvent. Les différences géographiques, spatiales, ethniques et géographico-culturelles (marabout, arabe, kabyle, chaoui, chleh, etc.). Opter pour une approche monographique ne voudrait nullement dire dissoudre ou noyer le phénomène local du fait féminin. Le contexte de la Grande Kabylie en Algérie m'offre un cadre de réflexion sur sa particularité.

Dans ce contexte, le statut de la femme, sous certains aspects, reflète ce qui existe ailleurs, c'est-à-dire qu'il correspond globalement à un modèle que l'on retrouve un peu partout en Algérie. Mais, sous d'autres aspects, il a sa particularité, véritable reflet d'un climat culturel, de contraintes environnementales et de conditions socio-économiques. Ce qui reviendrait à dire qu'il n'y a pas de femmes isolées de leurs sociétés locales à qui il faudrait appréhender le statut.

Être une femme tout en traitant le sujet "femme représente un atout mais aussi un handicap" comme le dit Malika. Un atout parce que la femme vit le fait d'être femme, il la touche dans son corps, dans sa différence et dans l'expérience qu'elle fait de la féminité dans son vécu quotidien. "C'est un atout !", dira-t-on. Toutefois, il pourrait représenter un handicap dans la mesure où la femme est directement impliquée dans la réaction qui suscite la féminité dans une société masculine.

1- UNE FEMME / FEMME

Comment peut-on, en effet, pratiquer démocratiquement l'égalité sans respecter les différences ? Le postulat de la nécessaire égalité entre toutes et tous pose un problème à ce titre : il suppose un modèle unique à égaler ou une soumission du sujet à l'objet unique qui sert de mesure.

q DÉFINITION

Pour savoir ce qu'est une femme, selon Monique Rémy12(*), la réponse pourrait être celle du "devenir". Dans un processus de devenir femme, on peut dire que le devenir, étant le processus du désir, ne peut être que minoritaire (socialement), quel que soit le nombre d'individus concernés puisqu'il se dresse contre la majorité comme état de pouvoir et de domination.

Il m'est apparu également que l'histoire d'un peuple, d'une région est nécessaire pour retracer le parcours et la condition de la femme afin de mieux cerner le changement/permanence et la tradition/modernité ainsi que la lutte qu'elle a menée et qui fait qu'aujourd'hui, elle revendique sa place véritable dans sa société et sa famille. On peut envisager la femme d'un triple point de vue de mode : mode d'être, de paraître et d'exister qui sont, en effet, trois dimensions caractéristiques de l'être humain 13(*).

2- L'HOSTILITÉ ENVERS LE SEXE FÉMININ

Lorsque nous attribuons aux autres des sentiments personnels négatifs, le plus souvent, nous faisons une projection. C'est un mécanisme inconscient par l'ego et même des individus très équilibrés n'en sont pas exempts.

Le mécanisme de projection, c'est-à-dire d'attribution aux autres de nos propres impulsions hostiles. La fille est moins désirée que le garçon et, souvent, elle ne l'est pas du tout, et aussi que sa valeur sociale est considérée comme inférieure à celle du garçon, mais il ne sied pas d'exprimer ces sentiments négatifs qui heurtent cet autre préjugé tenace qui veut qu'on aime ses enfants.

Gianini Belloti, dans son livre (Du côté des petites filles, 1981) montre, de façon claire et irréfutable, les racines de l'inégalité entre hommes et femmes. Dès sa naissance, la petite fille est traitée différemment du petit garçon ; dès la maternelle, elle est enfermée dans un rôle écrit à l'avance.

"Aucune preuve ne permet de soutenir l'hypothèse selon laquelle les comportements différenciés pour les deux sexes sont innés, à cet égard, l'hypothèse contraire, qui considère que ces comportements sont le fruit de conditionnements sociaux et culturels auxquels les enfants sont soumis dès la naissance, reste aussi valable".

Il est possible de modifier les causes sociales et culturelles qui seraient à l'origine des différences entre les sexes, comme le cas de l'Algérie, la situation que j'aborderai tout le long de la recherche. Mais, avant d`essayer de les changer, il est nécessaire de les connaître.

"Malgré la certitude scientifique de la responsabilité paternelle dans la détermination du sexe de l'enfant à naître... voit dans la femme la responsable et ceci en bien ou en mal1(*). "Ma femme m'a donné un beau garçon ", "ma femme ne sait faire que des filles", "ma femme n'est pas capable de faire un garçon"...".


"Si les ressemblances dominaient entre l'homme et la femme et si la valeur sociale attribuée au sexe féminin était égale à celle attribuée au sexe masculin, l'identification de la petite fille au père serait comme anormale. "1(*).

On voit bien que la petite fille, à cause du lien affectif qui l'attache à sa mère et parce qu'elle se reconnaît comme semblable, est poussée à la choisir comme modèle à en devenir la fidèle reproduction. Le comportement de la mère, ses réactions, le rapport entre elles deux, le rapport de la mère avec chaque membre de la famille, sont les indices des valeurs auxquelles la mère elle-même se soumet. À travers le processus inconscient d'identification, c'est tout ce qu'est profondément la mère qui se transmet et qui est intériorisé par la petite fille.

"Dans une culture patriarcale qui pose comme valeurs essentielles, d'une part, la suprématie de l'individu de sexe masculin et, d'autre part, l'infériorité de l'individu de sexe féminin, il est compréhensible que la remise en question du prestige de l'homme soit rigoureusement interdite, cela pourrait entraîner un effritement fatal de son pouvoir"14(*). .

Quant au préjugé selon lequel tout est parfait dans le corps de l'homme sur le plan de la procréation, c'est particulièrement clair en cas de stérilité dans le couple car tous les examens médicaux sont effectués sur la femme, c'est seulement quand ceux-ci ont donné des résultats négatifs, et encore pas toujours, que l'homme, rétif et humilié, accepte de s'y soumettre à son tour.

3- PRÉFÉRENCE ENVERS LE SEXE MASCULIN EN ALGÉRIE

On ne saurait dire combien il est pénible aux Algériens d'avoir de nombreuses filles, notamment en Kabylie. Les filles sont plus nombreuses dans certaines familles (on fait beaucoup d'enfants dans l'espoir d'avoir des mâles, des héritiers). Ils allèguent des motifs qui semblent plausibles. Ils savent que les filles, à leur mariage, causent un préjudice aux affaires domestiques par le fait qu'on leur prépare un trousseau et qu'elles lèsent, en quelque sorte, le foyer. Mais, le plus important dans la société kabyle, c'est l'honneur en préservant sa virginité.

"(...) Au contraire, personne ne jubile. L'enfant attendu, le préféré, l'objet de tous les souhaits reste toujours le garçon... " 1(*).

Le fait est que, si la réalité sociale change avec une rapidité toujours croissante, les structures psychologiques de l'homme changent avec une lenteur extrême. On attend de la femme qu'elle soit objet et elle est considérée pour ce qu'elle donnera.

La naissance d'un garçon, surtout s'il est le premier né, représente pour l'homme l'apothéose, le triomphe : si la procréation d'un enfant donne à l'homme la preuve réconfortante de sa virilité, la naissance d'un fils est ressentie comme l'expression complète, parfaite, suprême de sa propre puissance. L'aspiration la plus commune actuellement est de n'avoir que deux enfants, le premier étant un garçon, le second, une fille. Le garçon est désiré pour le prestige que sa naissance confère à la famille, pour l'autorité qu'il aura à l'intérieur et à l'extérieur de celle-ci, pour ce qu'il réalisera.

4- PROBLÈME DE LA FEMME

La position de la femme est liée à celle de l'homme mais elle est si différente, en réalité, dans son aspect. La femme n'est ni "supérieure", ni "inférieure", ni "égale" à l'homme. Elle devrait être son complément. On pourrait en trouver l'origine dans un complexe sexuel. La libido peut expliquer bon nombre de ces terminologies "émancipatrices" de la femme, notamment dans les pays musulmans modernisés.

La femme algérienne veut "jeter le voile" ? Elle veut participer à la politique ? Elle veut aller au cinéma, travailler ou s'instruire ? Il ne s'agit pas de poser de telles questions "pour" la femme mais pour la liberté de l'individu.

La condition actuelle de la femme en Algérie est là pour en témoigner. Par conséquent, il faut considérer sa "condition" dans l'ensemble des conditions qui commandent à une civilisation, à sa durée. S'agit-il, en particulier, de donner à la femme algérienne la même liberté que sa soeur européenne ?

La toilette est un indice certain de la position de la femme dans une société. Le sens esthétique et éthique d'un milieu s'exprime dans la forme qu'il met à "l'éternel féminin". La toilette, en Europe, au début du siècle, a jeté la "gaine" étriquée et serrée qui enfermait et étouffait le corps. Et en libérant ses formes, la femme libérait sa façon de voir. Aujourd'hui, une certaine image de la femme très dénudée, très érotisée, fait le jeu d'un extrémisme qui trouve là l'argument idéal pour "enfermer" sous le voile la femme réasservie. La femme européenne ne révèle plus le "sens" féminin mais le "sexe" féminin.

Les dictatures qui ne disent pas leurs noms, les intégrismes de tous les bords, les commandos misérables avec ou sans cagoules, les Rambos nationalistes de toutes sortes qui sont autant de manifestations d'un esprit mafieux et /ou totalitaire, trouvent leurs complices dans les démocraties occidentales d'Europe et d'Amérique. Toutes alliances passées avec de telles forces mettent à mal les droits des femmes et rabattent sur elles la loi des silences dans les États comme dans les quartiers.

Le mouvement des femmes algériennes pour l'acquisition ou la défense de leurs droits ne date pas d'aujourd'hui. Il a pris plusieurs formes. Des révoltes sporadiques aux mouvements actifs, il a toujours existé.

II- PROBLÉMATIQUE

De quoi parle-t-on au juste lorsqu'on évoque l'Algérie ? A-t-on tout simplement une impression de l'Algérie singulière ? Celle-ci existe-t-elle réellement ? Y a-t-il plutôt différentes représentations de l'Algérie où chacun, selon ses croyances et convictions, s'en construit sa propre vision ? Certes, il y a l'Algérie confisquée par la politique politicienne qui a fait dresser des murailles empêchant dialogue et communication, mais il existe aussi d'autres visions de l'Algérie : celles des usagers, des femmes, des artistes, des écrivains, des linguistes, bref, celles de l'intellectuel collectif... Ce sont ces visions qui fructifient les possibilités d'échanges et créent cet espace de convivialité qu'est l'Algérie à laquelle on aspire.

C'est vrai que, dans la conjoncture actuelle, parler d'espace convivial à propos de l'Algérie relève peut-être de l'utopie mais cela importe peu car l'utopie s'avère légitime puisque tournée vers le futur. L'Algérie reste à faire en tenant compte des différences. Les aspects de la dialectique singulier / pluriel indispensable, à notre sens, à la vision que l'on se fait de l'Algérie, doivent être développés car ils ne sont pas, sans doute, sans rapport avec la conception des identités.

Cette étude interroge les rapports sociaux dans lesquels s'insère la relation entre deux sexes dans un contexte donné ainsi que le discours véhiculé par les gens sur les rapports sociaux et sur les pratiques culturelles dans le but de déplacer le discours sur les femmes d'un discours critique référentiel et de passion à un discours critique qui a pour objet de "déconstruire" les catégories socioculturelles qui ont forgé les statuts du masculin et du féminin. Des interrogations se profilent alors à travers la crise que traverse l'Algérie. De par son histoire et sa situation actuelle, on constate, en effet, que les relations entre hommes et femmes sont entrées dans une phase nouvelle, ambiguë et complexe.

Bien que cette étude se veuille une contribution modeste, elle soulève implicitement, et parfois explicitement, quelques questions théoriques sur le statut du féminin, sur le terrain tortueux de la réalité sociale. Comment cerner le rapport au sein duquel se construisent les statuts ? S'il s'agit d'un rapport de pouvoir, par quels mécanismes se renouvelle-t-il ? Quelles sont les stratégies du contre-pouvoir ?

Tout le long de cette recherche, un questionnement m'a accompagnée : devrait-on bâtir, sur le terrain théorique, sa réflexion sur la question de la femme ? Autrement dit, comment parler de ce sujet tout en adoptant un ton froid, sans investir sa propre passion de femme ?

À ces questions théoriques s'ajoutent d'autres d'ordre empirique auxquelles la recherche sur la femme devrait faire face. Sur le plan du constat empirique, pourrait-on parler de la femme algérienne comme phénomène uniforme ? Il faut souligner que les notions de "fait féminin", de "condition de femme algérienne", de "musulmane" ou de "femme kabyle, algérienne et musulmane" soulèvent quelques problèmes sur le terrain. Il suffit de se référer au sens commun et aux différentes régions de la société algérienne pour se rendre compte que la femme est multiple. L'appartenance à une classe, à un espace géographique, à une variante culturelle forge et forme les dimensions de sa multiplicité.

Les réalités sociales nous révèlent que la "misère dont les femmes souffrent" est relative et nous contraignent à avoir un penchant pour un discours universel sur elles, à utiliser le discours misérabiliste, militant dans son contenu, qui a sa cible en Algérie : le droit. Seul le Code de la Famille, "cette citadelle incontournable", uniformise la condition féminine et se protège par le silence des responsables pour se rendre opaque au changement.

Jusqu'à présent, on peut dire que tout change sauf la loi. Celle-ci a édifié un modèle de femmes, d'hommes et de rapports pour les figer à jamais dans un cadre juridique. Immuable, insensible au temps, à l'évolution de la société, au changement politique et à l'émergence de la femme active sur la scène du travail et de la compétence, etc., le système juridique reflète une image et une seule, celle de la femme, et codifie la suprématie du mâle. Il suffit de jeter un coup d'oeil sur les articles du Code de la Famille en Algérie pour se rendre compte de cette évidence.

Le féminisme gagne donc sa légitimité de l'existence de sa cible qui est la loi et les hommes politiques. Ce féminisme, quoique légitime sur la scène des conflits idéologico-politiques, a des limites.

En voulant réduire la diversité dans la condition féminine, sur le plan conceptuel, le discours féministe fait alliance, malgré lui, avec celui du droit. Seuls, les articles du Code de la Famille traitent le fait féminin comme un fait unidimensionnel dans la mesure où ils nous livrent un cadre, un statut uniforme de l'institution familiale. Le discours féministe parle de la femme algérienne au singulier alors que la réalité du vécu des femmes est multiple et hétérogène. Il serait évident, mais important, de répéter que la condition de la femme riche, instruite et citadine n'est pas semblable à celle de la femme appartenant à la classe moyenne urbaine ou encore à celle de la femme rurale, de surcroît analphabète. Il faudrait noter aussi que les catégories sociales ont connu un changement dans le temps.

Depuis l'indépendance, le changement a touché l'économie, l'éducation, les moeurs et les comportements. Le vécu des femmes se diversifie donc en fonction du temps, de l'espace, de l'aire culturelle et du niveau socio-économique. Ceux-ci constituent des variables importantes dont il faudrait tenir compte dans toute réflexion sur le statut social de la femme comme phénomène relativisé.

La confusion est souvent répandue entre deux notions liées à l'identité : la différence et l'altérité. Comment faire pour que l'altérité ne soit pas perçue comme une étrangeté et que la différence ne soit pas assimilée à l'inégalité ? À notre sens, on ne peut valoriser la diversité sans rompre avec les thèses homogénéisantes...

Quelles réponses apporter aux antagonismes idéologiques et identitaires ? Quel regard porter sur les variétés minorées ? Comment lire le passé ? Comment concilier tradition et exigences de la vie moderne en termes de changement et de transformation du réel ?

Dans un contexte politique et social où, de part et d'autre, la tendance est au repli sur soi, quel sera l'avenir de l'Algérie ? J'ai essayé, dans cette recherche, de mettre l'accent sur un problème crucial : l'absence de démocratisation à laquelle fait face l'Algérie. Ce problème s'y pose avec une acuité telle que les autres questions lui sont incontournablement liées. Ma thèse affirme que les revendications à l'existence et à la reconnaissance de soi, de son statut, de sa citoyenneté, des langues... sont des revendications de la démocratie qui doivent être entendues comme telles dans le cadre de la liberté de tout citoyen. 

Les discours dominants portant sur le Code de la Famille et sur le plurilinguisme en Algérie ont coutume de passer sous silence les éléments d'émancipation de la femme et de la question berbère.

La femme algérienne est en marche. Mais où va-t-elle ? L'itinéraire et le but de son "émancipation" ne sont pas, que nous sachions, encore désignés parce que notre société n'a pas que son préjugé mais son empirisme aussi.

Comment donc ne pas s'interroger sur les droits et la place des femmes avec ses ambiguïtés et ses paradoxes ? Comment donc ne pas s'interroger sur l'égalité et la différence à propos de l'accès aux sphères publiques et politiques ? ...

Ma recherche consiste à comprendre et à analyser les difficultés et les obstacles que les femmes rencontrent dans leur vie quotidienne. Comment les femmes accèdent-elles au changement de leur vie en préservant les traditions ? Comment accèdent-elles ou n'accèdent-elles pas à la citoyenneté, aux études, au marché du travail ? ...  Qu'est-ce que nous savons de la place d'une femme dans une société d'hommes et qu'est-ce que nous ne savons pas encore aujourd'hui ? Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui en Algérie ?

Par ses contenus, par son thème même, mon travail s'inscrit aussi dans les courants d'analyse qui n'évacuent pas le sujet dans la construction de l'objet.

De cette manière, j'ai réalisé des entretiens sur trois générations de femmes quelles que soient leurs positions sociales (une grand-mère, une mère, une fille), je relate la situation de la femme algérienne entre le changement (évolution, modernisme) et le permanent (conformisme, traditionalisme), des parcours qui participent au même souci épistémologique tenant les bouts d'un processus où se mêlent les dimensions personnelle et sociale de la recherche en les distinguant. Mon travail consiste donc à faire des repérages avec les dimensions du temps, de l'histoire et de la mémoire.

Analyser la condition des femmes algériennes, leurs positions dans la société, c'est interroger leur culture, leur histoire... mais aussi la culture et l'histoire passée de ce pays profondément machiste. Il est indéniable que la construction d'une société se fera par et avec la femme. Comment ?

La problématique de cette recherche se définit ainsi par :

q La structure familiale et la sphère publique ;

q Le droit et la religion (Islam) ;

q Les enjeux politiques et le pouvoir (qui s'enchevêtrent avec les sphères publique et privée ainsi que le politique) ;

q La revendication de l'identité.

La famille et le statut de la femme sont au centre des problèmes posés par notre recherche d'une synthèse entre le changement et le permanent.

q Quel est le statut de la femme dans le discours coranique ?

q Quelle est la situation juridique actuelle des femmes en Algérie ?

q Quel est le contenu du discours islamique actuel au sujet de la femme ?

q Quels sont les enjeux du combat entre islamistes et modernistes au sujet du statut de la femme et du Code de la Famille ?

Pour comprendre la place de la femme dans l'Islam, il faut situer théoriquement le rôle attribué par l'Islam à la femme et l'interprétation donnée du Coran par la société actuelle. Parallèlement, nous avons essayé de cerner le rapport de l'Islam et de la tradition à la femme dans le maintien de la cohésion sociale prise progressivement par la femme vis-à-vis des rôles qui définissent la tradition et / ou l'Islam dans la remise en question de cette cohésion.

Le thème étant vaste, ma réflexion s'est orientée également vers les relations d'identités masculines et féminines dans leurs interrelations.

L'analyse de fragments de la biographie des femmes kabyles relèvera les tensions et interactions complexes au sein desquelles les identités se constituent ainsi que les différentes interprétations auxquelles donnent lieu des références culturelles partagées, obligeant le chercheur à concilier plusieurs thématisations différentes de l'identité puisqu'il faudra, tour à tour, envisager l'identité comme une ressource (ensemble de références légitimantes mobilisables à l'occasion d'une action ou pour accompagner un comportement) et comme le produit précaire d'interactions. Ce sera, du même coup, l'occasion de montrer la complexité des formes d'hybridation entre ce qu'on a coutume d'appeler la tradition et la modernité et d'exemplifier l'enchevêtrement hiérarchique des identités individuelles ou collectives.

La famille algérienne est longtemps demeurée comme en dehors du temps, figée dans des structures anciennes pendant toute la période coloniale. Cet équilibre s'est brusquement écroulé après l'indépendance. Depuis lors, tout un ensemble d'éléments (familial, social, politique et économique) convergents bouleversent la société algérienne. Ces bouleversements sont d'autant plus importants pour les vieilles structures familiales car la famille se sent déstructurée et ne peut s'empêcher de lutter pour maintenir la cohérence du vieil abri protecteur et sécurisant. Dans cette perspective, la question brûlante reste celle de la femme.

Le Code de la Famille, réforme du statut de la femme et de la loi religieuse (Charia), relève de sa compétence.

La vertu de la femme ainsi que son rôle de mère, d'épouse soumise à son mari et aussi à l'autorité de tous les mâles de la famille, ne cautionnent-ils pas la rigueur de l'État national en l'enracinant dans le sacré (religion et traditions) puisque la permanence de la condition féminine est justifiée par l'appartenance à l'arabo-islamisme ? À l'État revient la définition de la femme et des normes de son individualisation, il concrétise ainsi son emprise sur le corps et l'esprit.

L'entrée des femmes dans la vie sociale, politique et professionnelle rencontre, en effet, une très grande opposition masculine confortée par l'idéologie officielle. C'est à partir de cette analyse que nous avons abordé l'éducation des filles et leur scolarité. Entre féminité et masculinité figure une nette opposition qu'un auteur a, par le raccourci, appelée une "guerre des femmes". Ce qui n'est malheureusement pas plus une simple métaphore quand on sait l'effroyable répression que subissent les femmes dans cette "guerre intérieure" par les groupes islamistes.

C'est entre l'affirmation d'un principe d'égalité et le constat de la réalité des différences qui caractérisent la situation concrète des hommes et des femmes dans notre société qu'on peut situer les interrogations essentielles.

L'égalité formelle ne serait-elle qu'illusion face à ce qu'il y a d'irréductible dans la différence qui structure la relation entre les sexes ?

Faudrait-il choisir entre un modèle égalitaire négateur de la différence et un modèle respectueux d'une spécificité compatible avec l'égalité, refusant une hiérarchisation des sexes ?

Entre ces deux pôles, les contributions que nous rassemblerons s'attachent à analyser les tensions et les contradictions qui sont inhérentes aux contradictions pratiques entre les idéaux et la réalité.

Nombre d'analyses empiriques dans le champ du politique et de l'éducation démontrent la persistance et la résurgence des inégalités dans ces différents champs mais aussi la complexité d'un processus où, en raison même de la transformation des rapports sociaux de sexe, des catégories qui permettent de penser et de mesurer l'égalité et la différence entre les sexes (égalité, famille, éducation, travail, par exemple) sont en profonde mutation.

Repenser l'égalité, réanalyser la différence, mettre en scène leurs dialectiques, leurs contradictions, leurs compromis, situer la liberté au regard de l'égalité et de la différence, voilà des points qui sont au centre de nos interrogations et de notre problématique.

Quelle est la place de la femme en Algérie ? Certains affirmeront qu'elle tend à disparaître depuis la montée de l'intégrisme musulman, cependant, nier "la marche des femmes" dans ce pays c'est, tout d'abord, méconnaître la réalité et, surtout, se laisser abuser par la reconnaissance d'une situation socio-politique conjoncturelle. C'est à cette autre question d'actualité que j'ai tenté de répondre en faisant le trait d'union entre le passé et le présent de ces femmes ainsi qu'entre le permanent et le changement. Certains aspects de la vie de ces femmes forment une vaste mosaïque de réalités, le but recherché dans le processus de leur évolution demeure fondamentalement le même.

Les femmes sont de plus en plus présentes dans l'édification de cette société, même si leurs aspirations sont souvent en opposition avec les intérêts idéologiques du pouvoir. Elles acquièrent leur force des contradictions même de ce pouvoir qui prône un discours égalitaire.

Les femmes qui veulent prendre en main leur destin sont partout : étudiantes, travailleuses, mères au foyer, citadines ou issues du monde rural. Désormais, leur détermination freine toute volonté de les exclure de la vie sociale et l'État, même s'il essaie, ne peut changer le cours de leur histoire.

C'est cette lutte, parfois invisible, du monde des femmes que fera apparaître cette étude. Ces femmes ne veulent pas être ce qu'elles ont été. Elles perçoivent enfin le rôle déterminant qu'elles ont à prendre au sein d'une société qui les cantonne autour d'un statut de "mineures".

Le choix d'une frange de femmes (citadines / rurales, milieu différent / même famille...) résulte de la volonté d'étudier la problématique féminine dans un contexte socioculturel différent du contexte occidental. Il découle aussi du désir de l'insérer dans un univers au sein duquel la religiosité, d'une part, et la tradition, d'autre part, ont créé un vécu quotidien qui maintient la femme dans le cadre de la famille et limite ses activités.

Étant donné les évolutions ou les régressions en matière de statut, il est apparu nécessaire de saisir leur pleine signification, de les restituer dans une perspective historique et dans le cadre des structures sociales au sein desquelles ces femmes s'insèrent. Afin de ne pas limiter l'étude et l'analyse entreprises aux domaines juridique et politico-historique, des entretiens et des discussions portant sur la condition actuelle des rurales et des citadines kabyles m'ont permis de compléter la partie théorique.

Ceci a eu pour résultat de mieux cerner l'image que les femmes se font d'elles-mêmes et de leurs aspirations pour l'avenir.

Étant moi-même Algérienne, femme, mère, enseignante, militante, je suis partie prenante sur les thèmes apparus essentiels du point de vue de la participation politique des femmes, de l'approche religieuse de l'Islam, du niveau de scolarisation, du degré d'isolement, des freins et stimulants opposés par notre société, du rôle du gouvernement dans l'insertion dans la vie politique et économique, de la façon d'appréhender le statut juridique et la manière dont on envisage de transformer notre société.

Ces hypothèses, qui constituent les axes fondamentaux autour desquels s'est articulée ma recherche, m'a amenée aux déductions concernant les points suivants.

A- RELIGION / CODE DE LA FAMILLE

Il existe aujourd'hui, en matière religieuse, une interprétation différente du Coran qu'il soit vu par les hommes (utilisé pour le pouvoir, pour l'asservissement de la femme, etc.) ou bien par les femmes qui l'utilisent comme un facteur dynamisant à la participation à la vie politique et économique du pays.

Les hommes ne connaissent pas réellement les textes de la religion. Ils les confondent entre les croyances, les traditions et la religion : les rapports entre la tradition prophétique (hadiths), les textes du Coran et le Code de la Famille sont confondus. Les femmes sont conscientes que les articles du Code de la Famille sont basés sur la Charia.

B- ESPACE PRIVÉ / SCOLARITÉ

Par rapport aux générations précédentes qui étaient maintenues à la maison, les jeunes filles aujourd'hui - souvent poussées par leurs mères - ont accès à la scolarisation qui leur permet de couper l'isolement qui les rendait dépendantes des hommes. C'est un atout pour leur participation à une vie politique mais c'est surtout un bond en avant pour leur émancipation.

C- IDENTITÉ

La perte de l'identité causée par divers facteurs, la population algérienne est en quête. Ceci ne se fait pas sans angoisse : que lui a apporté la scolarisation, la religion d'aujourd'hui, l'apprentissage de la politique ? Les femmes se rendent compte qu'elles sont bafouées et les premières victimes de cette situation. En effet, la société leur impose, ainsi qu'à leur corps défendant, un rôle précis : celui de gardienne des valeurs traditionnelles et familiales qui les confinent à la maison.

La crise identitaire définit diverses situations individuelles et de groupe qui, en dehors de tout déterminisme, provoquent une confusion dans les limites subjectives du moi en altérant le sentiment d'une unité et d'une continuité. La situation d'acculturation est favorable à l'émergence du conflit identitaire. D'ailleurs, la question de l'identité berbère est posée en termes de reconnaissance d'une histoire expoliée. Les Kabyles protestent contre une arabisation totale qui fait des femmes les premières analphabètes (incapables de lire un document en arabe, de comprendre une émission ou un discours à la télévision...).

Les causes énumérées ci-dessus ont orienté ma recherche vers le Code de la Famille et les problèmes soulevés par son application. Le champ est vaste et nécessite une approche à la fois sociale et juridique pour traiter les problèmes que l'application du Code de la Famille soulève pour la femme en tenant compte du climat social et politique et les perspectives de l'avenir de l'Algérie.

III- CONDUITE DE TRAVAIL ET HYPOTHÈSES

Il me semble opportun d'indiquer comment j'ai conduit notre travail : les problèmes généraux et un certain nombre de questions ont été relevés lors de mon travail de DEA que j'ai repris en l'approfondissant car il n'était qu'exploratoire ; il a suscité d'autres interrogations, d'abord, sur la définition du sujet lui-même. Pour pouvoir répondre à la question, j'ai dû me référer à des penseurs et écrivains européens qui ont alimenté ma réflexion sur "Qu'est-ce qu'une femme ? ".

Quels sont les fondements théoriques de ma recherche ? Quels sont les aspects à traiter : le discours sur les femmes ou la réalité des femmes ? Il est évident que la réflexion sur ce sujet fait usage d'outils conceptuels et analytiques de différentes théories classiques et modernes. Elle emprunte des démarches ou des

approches élaborées dans le champ du savoir des sciences humaines et sociales. Elle se caractérise aussi par le fait de l'interdisciplinarité relevant de l'histoire, de la sociologie, de l'anthropologie, de la démographie, des sciences politiques et juridiques, de l'économie...

L'investigation a révélé, d'une part, de nouveaux problèmes en identifiant le travail des femmes et une nouvelle dimension du rapport de pouvoir au sein de l'économie domestique et, d'autre part, de la macro-économique.

Sur le plan sociologique et anthropologique, un aspect mérite une profonde investigation, celui de l'acceptation de l'ordre des choses établi par la tradition. Ces femmes subissent, de plus, le poids de la culture dans leur vécu.

1- Les femmes ne se complaisent plus dans le rôle dominé de femme confinée au foyer entièrement dépendante des hommes de la famille que la société continue à leur impartir. Il me semble même qu'au-delà des différences de condition de vie, un même élan vers la libération personnelle anime les femmes d'aujourd'hui. Aussi, une question se pose, à savoir : à quel degré et de quelle façon ce rôle ancien est-il rejeté par les femmes pour un autre rôle les rendant partie prenante du projet commun à titre analogue à celui des hommes ? Cela m'amène à ma deuxième hypothèse.

2- Les femmes, lorsqu'elles atteignent un certain niveau de conscience, de formation et d'instruction ont, sans doute, le désir de participer à l'édification nationale (l'économie de l'Algérie). Cette question est d'importance car toutes les études actuelles basées sur l'expérience suggèrent que la participation féminine est une nécessité pour le développement. D'un point de vue psychologique, c'est souvent par l'éducation des femmes plus que par celle des hommes qu'on peut obtenir un changement dans les attitudes et les comportements favorables à l'adaptation au monde moderne. Donc, cette formation et cette participation des femmes doivent exister, il doit y avoir la possibilité de les augmenter lorsqu'elles existent déjà ou de les obtenir dans le cas contraire.

Ces deux hypothèses - le refus par les femmes de leur ancien statut et la participation féminine souhaitée ou voulue par au moins une partie des femmes - se sont affermies au cours des entretiens (faits en DEA) de telle façon qu'il a semblé nécessaire de les vérifier. Cela fut fait par d'autres entretiens et des lectures portant sur des questions déterminantes : tout d'abord, "les sorties féminines" (bain, visites, coiffeuse...) pour contrôler le peu de rapports que les femmes disaient avoir avec l'extérieur et le peu d'échange entre elles, même en monde féminin ; puis, les aspirations et le problème du travail féminin notamment pour contrôler la soif, exprimée par certaines, de participer d'une façon ou d'une autre au monde extra-familial, à la vie publique.

Le refus de demeurer à la fois originelle d'effacement et en dehors de tout réseau de relations interpersonnelles élargies et le désir concomitant de prendre en main, en liaison avec d'autres, leur propre destin et le destin collectif, ont été confirmés pour toute une fraction de la population féminine beaucoup plus largement que nous ne le pensions au départ ; l'étude sociologique montre qu'il y a un désir très net de participation interpersonnelle sociale, voire politique, surtout avec tous les événements que traverse l'Algérie.

Quant aux conclusions qui se sont dégagées de l'ensemble de mon travail de DEA, elles pourraient se formuler ainsi : les femmes ressentent très fortement l'état de transition dans lequel se trouve l'Algérie car, plus que d'autres, elles ont intérêt au changement défini, elles pourraient ainsi collaborer efficacement aux mutations nécessaires. D'où, la participation des femmes à la vie politique et sociale n'est pas impossible puisque les motivations existent (parfois très fortement) chez les individualités conscientes et dans tous les milieux et âges. Le désir d'intégration dans la société apparaît clairement en termes de révolte.

La tradition et les changements se concentrent sur l'interprétation de l'Islam qui agit comme une barrière dans le processus de développement social. À la lecture des textes officiels (Charte Nationale, Constitution, Coran...), on pourrait penser que la femme algérienne participe activement à la vie sociale et politique de son pays. Or, on est bien obligé de constater, au contraire, que la participation féminine à la vie sociale et politique est très minime en Algérie ; la réalité sociale fait apparaître un très grand décalage entre le droit et le fait, entre les principes et leur application pratique. Cela semble anormal et anachronique principalement divers raisons que l'on verra tout le long de cette étude. Juste, quelques exemples pour montrer qu'elles existent et qu'on les rencontre, mais très vite on constate qu'elles sont à part : pas de femmes dans les cafés, les stades, les cinémas, bien peu dans les rues ou au marché et très souvent voilées et n'apparaissant que rarement au repas familial si un hôte est présent et, tout de suite, on pressent une mise à part, un rejet vers le "le monde des femmes".

Quels sont les éléments nouveaux de l'expérience du travail féminin rémunéré et peut-elle introduire la logique des rapports hommes/femmes en Algérie ? Quels mécanismes la famille va-t-elle développer pour intégrer cet élément étranger à sa logique ? Comment, en retour, l'accès au travail va-t-il influer cette logique ?

L'intériorisation de cette logique constitue un élément fondamental dans le processus de socialisation de l'individu. Cela explique que la famille (lieu privilégié de ces rapports) joue un rôle décisif dans le maintien ou la transformation de l'ordre établi. De manière précise, en Algérie, le problème de l'organisation et, partant, celui des rapports entre les sexes (sans exclure d'autres) constitue en ce moment un enjeu d'une importance capitale. Pour preuve, on remarquera qu'il a fallu attendre vingt deux ans après l'indépendance de l'Algérie (soit de 1962 à 1984) pour qu'un Code de la Famille ait pu être promulgué, aujourd'hui contesté par la majorité des femmes.

Ce climat de tension extrême que suscite tout débat relatif à la famille est significatif de la complexité de l'enjeu et devient lourd de sens lorsqu'on le confronte aux "transformations radicales" que l'Algérie se propose d'entreprendre dans les domaines économique et social. Comment envisager l'un sans l'autre ? Donc, ce qui en constitue la complexité, c'est le statut de la femme. Il est clair, cependant, que poser le problème seulement en termes de statut de la femme revient à le tronquer d'une dimension essentielle : ce statut est indissociable de celui de l'homme ; il n'y a pas un problème féminin mais un problème de rapport entre les sexes. C'est sur la nature de ce rapport qu'il faudra s'interroger.

J'ai essayé de percer le mythe du travail libérateur. Le travail et les études constituent deux volets que l'on présente comme des "leitmotivs" dans le discours moderniste sur "l'émancipation de la femme". Si le statut de la jeune fille scolarisée est potentiellement porteur de changement, il n'en demeure pas moins que ses potentialités deviennent nulles si le passage par l'école ne débouche pas sur un emploi salarié. Il faut rappeler que l'école ne fait qu'entrouvrir la porte sur l'extérieur, celle-ci étant prête à se refermer à la moindre faille. Donc, le travail de la femme se situe dans un rapport continuel de subversion / neutralisation.

Ma recherche consiste à travailler sur trois générations de femmes en Algérie : grand-mère, mère, fille. Des thèmes seront abordés après l'étude des concepts-clefs tels que : la place de la femme dans l'Islam, la femme et la sexualité, la femme et la loi...

A- AU NIVEAU DU CODE DE LA FAMILLE

L'égalité des sexes consacrée par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme n'est à ce jour, tout comme d'autres droits, qu'un cadre d'application et c'est cette application qui pose problème. Entre "dire" et "faire" interviennent tous les rapports conflictuels que génère la confrontation des concepts traditionalistes imprégnés de religiosité rigide avec de nouvelles idées prônant, justement, la suppression de cette rigidité comme exigence si la société aspire à rejoindre l'humanité en marche vers le XXI ème siècle. Les traditions doivent nous servir de repères socioculturels et non de bitte d'amarrage ; nous devons sortir du port d'attache pour voguer vers de nouveaux horizons.

J'ai décidé de faire connaître le Code de la Famille avant d'aborder son application. Le problème que j'ai rencontré dès le départ est d'étudier le Code de la Famille sans étudier le droit musulman, vu que ce dernier constitue la source essentielle du premier. Mais, comme le sujet n'est ni d'étudier le droit musulman, ni le Coran, une telle étude aurait peut-être élargi le sujet mais risquerait de créer une confusion entre le droit musulman et le Code de la Famille qui, tout en puisant dans le droit musulman, reste différent car considéré comme un droit positif.

Le Code de la Famille reflète-t-il une réalité sociale ? Comment réagit la société algérienne à ce code, et les femmes particulièrement ? Quelle est la position de la société civile (partis politiques, associations...) par rapport à ce code ? Ce sont là les questions que nous nous sommes posées et auxquelles nous nous efforcerons de répondre.

B- AU NIVEAU DE LA FEMME ALGÉRIENNE

Comment réagit la femme algérienne à son environnement social ? Quelles sont ses relations avec les institutions, son entourage familial : son mari, ses enfants et sa belle-famille ? Y a-t-il prise de conscience des références juridiques ? On peut formuler à cet égard plusieurs hypothèses.

C- AU NIVEAU DES INSTITUTIONS

Le problème de la femme est-il une préoccupation majeure pour les différents gouvernements ? Plusieurs propositions d'amendements du Code de la Famille ont été proposées par des associations, l'État reporte la question. Les hommes algériens ne veulent pas déroger leurs traditions, leurs acquis et leur pouvoir...

En Algérie, l'Islam est religion d'État et le Code de la Famille est régi sur la base du Coran. Or, les textes de la Constitution stipulent que les droits sont égaux à tout citoyen : il y a paradoxe.

IV- INVESTIGATIONS

Mon objet de recherche a été déterminé en plusieurs étapes. La première étape était de me positionner par rapport au sujet. Ensuite, il m'a semblé important de choisir des textes relatifs au Coran et au Code de la Famille et de montrer les droits qu'on attribue aux femmes, la notion d'obligations dans la sphère privée.

Pourtant, la sphère privée concerne la personne, son espace, sa vie avec ses familiers et les relations de son choix circonscrits et préservés par la loi. La maison, la famille coïncident avec le privé or, la famille appartient à une entité, à la cité... L'organisation sociale en Algérie ne peut séparer la notion privé/public, un dualisme. Cette dichotomie privé/ public a sa dynamique propre et persiste dans la vie des femmes...

Comme le souligne Pierre Bourdieu, la maison kabyle, véritable microcosme, s'organise selon un ensemble d'oppositions : le haram (péché) s'oppose à nif (l'honneur sacré), comme le féminin au masculin, la femme à l'homme, le dedans au dehors, la tradition à la modernité...

"L'opposition entre le monde de la vie féminine et le monde de la cité des hommes repose sur les mêmes principes que les deux systèmes d'opposition qu'elle oppose" 14(*).

La distinction entre vie privée et vie publique correspond, pour certains des entités distinctes et séparées, faute de quoi, on retombe dans le pouvoir, dans l'autorité de l'État ; or, l'État algérien a promulgué le Code de la Famille que beaucoup de femmes refusent ou luttent pour son abrogation...

À la base de ce travail, il y avait mon mémoire de DEA sur la Femme algérienne où ma problématique était posée en termes de permanent / changement. Les conclusions qui se sont dégagées nous ont permis de développer mes investigations en donnant la parole aux femmes. Les histoires de vie sont riches en recherche théorique, elles sont également sources d'interrogations sur divers concepts.

Ma recherche s'est basée sur des thèmes d'actualité de l'Algérie d'aujourd'hui.

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE I

LA FEMME ET LES TEXTES

"Dans ces États, les capacités des femmes ne sont pas reconnues, utilisées surtout pour la procréation, elles sont avant tout au service de leurs maris et reléguées à l'éducation des enfants. Cela réduit à néant l'espoir d'une activité professionnelle, les femmes ne sont tenues capables d'aucune vertu humaine. Il arrive souvent qu'elles ressemblent à des plantes. Le fait que, dans ces États, elles soient un fardeau pour les hommes est une des raisons de la pauvreté de ces États" 15(*).

LA BATAILLE AUTOUR DU CODE DE LA FAMILLE

Le thème "femmes" et les textes institutionnels m'interpellent en ce début de siècle, période de mondialisation des marchés, de développement, de connaissance, de communication, d'extension, d'informatisation et de réaffirmation des identités.

La réflexion sur le religieux n'est pas l'apanage des seuls théologiens ou de la gent masculine. L'Islam, en tant que religion, oriente la vie du musulman, organise la communauté sur les bases de l'égalité, de la justice et de la dignité. On peut étudier le "Texte Sacré", interroger les diverses interprétations et analyser les pratiques sociale qu'ils engendrent. Dans les sociétés musulmanes, les transformations profondes qui ont eu lieu fin de XIX ème siècle ont touché (et continuent encore en ce nouveau siècle) différents aspects de l'organisation sociétale.

Cependant, la famille algérienne, en tant qu'institution sociale de base, n'a subi que peu de changements. Les lois qui la régissent demeurent d'inspiration religieuse alors que celles qui organisent les autres domaines de la vie politique, économique, sociale et culturelle sont d'inspiration laïque. Ce paradoxe tend à introduire une fissure dans la société, les femmes en sont les plus affectées.

L'interférence du religieux et du politique est un moyen de contrôler la vie de la femme, de dresser des limites entre le dit et le non dit. Les frustrations, les anxiétés psychologiques se multiplient, l'anxiété est souvent transférée ou projetée dans le religieux. La pesanteur du religieux et du social sur le statut de la femme demeure manifeste quand on se penche sur le Code de la Famille.

En Algérie, le contenu du Code de la Famille reste la loi la plus fidèle à la Charia. C'est le texte qui a le plus résisté aux principes fondamentaux d'égalité, à ceux de l'universalité des Droits humains comme nous le verrons dans cette étude.

Les femmes musulmanes ont joué un rôle cardinal dans le soutien et le renforcement des changements introduits par l'Islam dans la société arabe. Elles ont lutté avec les différents moyens dont elles disposaient pour asseoir leur place dans la société musulmane. L'Islam les a reconnues en tant que personnes, il a défendu leurs intérêts, il les a protégées de l'exploitation dont elles étaient l'objet durant la période préislamique. De leur côté, les femmes étaient très vigilantes sur leur participation effective dans la dynamique sociale, sur l'amélioration de leur condition et le changement de leur statut. Elles formulaient leurs revendications, les présentaient et les discutaient avec le Prophète. Elles ont même demandé à ce que le Prophète leur réserve particulièrement un jour pour les informer sur les affaires religieuses et publiques.

Aucun sujet ne représentait un tabou pour elles. Elles abordaient avec le Prophète des questions très pertinentes relatives au dogme et à sa pratique, aux relations familiales, aux conflits conjugaux et à la participation des femmes aux affaires publiques. Le Prophète a toujours insisté sur le respect de la femme. Il offrait le meilleur exemple dans son comportement avec ses propres épouses à l'égard desquelles il était toujours à l'écoute, ne les réprimait jamais et les laissait s'exprimer librement.

Il est vrai, néanmoins, qu'au contact des civilisations différentes, les Arabes musulmans (mais pas eux exclusivement) cherchent à éviter une promiscuité de nature à gêner les femmes, considérées avant tout comme mères, épouses, soeurs ou filles. La préoccupation majeure à cet égard semble être la perte de l'identité personnelle pour se préoccuper et préserver l'identité sociale, ce qui explique la prohibition de liens matrimoniaux avec les non musulmans. Ainsi, pensait-on, l'ordre social serait préservé.

Il y a un réflexe de défense légitime sachant que même l'Europe occidentale actuelle (donc, quelques siècles plus tard) a opté sensiblement pour la même attitude. De fait :

"La condition de l'occidentale est restée pratiquement inchangée pendant des millénaires : il n'y a guère de différence fondamentale entre la condition de l'Athénienne du IV ème siècle avant J. C. et celle de la Française du XIX ème siècle" 16(*).

Dans le même ordre d'idées, l'auteur souligne qu'au Moyen-Orient, les théologiens, réunis en concile, refusaient à la femme non seulement le droit au plaisir mais la chargeait des travaux les plus asservissants pour un salaire dérisoire (inférieur de moitié à celui des hommes 2(*)). Cette situation a perduré puisque, dans sa version originale, le Code Civil frappe la femme d'incapacité.

La question de la femme dont la pierre d'angle philosophique semble être le fameux : "Inna-r-rijâla qawwâmûn 'alâ-n-nisâ'" 3(*), soit la prééminence de l'homme consacrée par la Charia.

À ce sujet, deux courants contemporains se partagent la pensée : d'une part, les "fondamentalistes" (les salafistes) qui prônent "le retour aux sources" (Al-Asâla), processus devant aboutir à ancrer durablement le statut de la femme aux origines de l'Islam dans la tradition des ancêtres et, d'autre part, les "réformistes" avec notamment Mohamed Abdou, Djamel El Afghani, Rachid Ridha, Tahar Haddad et Qasim Amin qui préfèrent parler d'émancipation de la femme dans un esprit religieux se situant loin de l'ordre patriarcal.

Cette querelle juridique et politique que est loin de s'estomper, a fortiori en Algérie où le Code de la Famille a fait couler beaucoup d'encre. Du régime de Boumédiène à Mohamed Boudiaf (période du socialisme à la création de multipartisme, c'est-à-dire de 1965-1992), de "l'autogestion" à celui du "libéralisme", le dossier relatif à la condition de la femme fut des plus délicats. Quelle a été l'ambiance générale du pays à cet égard ?

Depuis l'Indépendance, des droits élémentaires en termes de "droit" ou "d'usage" tels que la liberté de circuler, consommer dans les cafés, aller au cinéma ou autres lieux publics, sont réduits à la portion congrue. Soucieux de "draguer" littéralement les mieux qualifiés des traditionalistes, le Pouvoir a intégré dans sa stratégie la répression policière. Citons à titre d'exemple la "campagne d'assainissement" de 1979 avec le harcèlement des couples pour atteinte aux moeurs ?

Le marasme culturel, malgré le "débat sur la culture" en 1981, n'a pas bougé d'un iota. Le "modèle occidental de consommation" (électroménager, audiovisuel, meubles, vêtements, denrées alimentaires et loisirs) a envahi les têtes des Algériens sans moyen de le contrecarrer puisque la pénurie des biens de consommations cantonne les gens à se satisfaire d'un "meilleur" à venir, d'où, peut-être, le slogan que la rue a traduit par "pour une vie ailleurs".

De plus, la croissance démographique non maîtrisée qui, outre qu'elle obère de façon certaine le développement socio-économique, ne libère pas les mentalités des pesanteurs historiques. Il faut ajouter à cela le caractère moralisateur des supports pédagogiques (livres) dans l'enseignement ainsi que les "prêches" de certains maîtres des écoles (voire des collèges et des lycées), l'université étant devenue, hélas depuis longtemps, le théâtre d'affrontements physiques entre "francisants" et "arabisants", entre "progressistes" et "traditionalistes", beaucoup plus que des lieux de savoir scientifiques et de débats d'idées. Par ailleurs, prendre comme chef d'illustration un secteur jugé émancipateur (le travail) permet de constater l'une des contradictions sociales les plus aberrantes.

L'égalité des sexes, consacrée par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, n'est à ce jour, tout comme d'autres droits, qu'un cadre d'application. Et c'est cette application qui pose problème. Entre "dire" et "faire" interviennent tous les rapports conflictuels que génère la confrontation des concepts traditionalistes imprégnés de religiosité rigide avec ces nouvelles idées, prônant cette rigidité comme exigence si la société aspire à rejoindre l'humanité en marche vers ce XXI ème siècle. Les traditions doivent nous servir de repères socioculturels et non de bitte d'amarrage.

La patriarcalité n'a cessé d'exister durant deux mille ans d'histoire avant que les luttes des femmes n'aboutissent. Déclarer le 8 mars Journée mondiale de la Femme crée une polémique quant aux autres jours de l'année ! En Algérie, quel sens prend le 8 mars, jour qui compte une demi-journée chômée et payée pour les femmes avec, pour certaines d'entre elles, l'occasion de humer un léger air de fête en se faisant offrir, sinon en s'offrant, quelques fleurs ! Le décor est planté pour une journée symbolique qui revêt plus des airs de fête traditionnelle que l'allure d'une lutte universelle.

Depuis les années 70 à nos jours, bien des batailles ont été menées suite à des tentatives d'instauration d'un Code de la Famille basé sur la Charia. Les lois civiles n'étaient apparemment pas aptes à codifier la famille et la femme, et ce durant l'année 84, dans un climat de montée du mouvement démocratique en tentant le démantèlement de l'opposition.

La fin de la décennie 80 annonçait bien des changements : le multipartisme est en bonne voie et les revendications sociales, s'aiguisant pourtant dans certaines constances, restent incontournables et le Code de la Famille y est inscrit. L'histoire du mouvement féminin en tant que mouvement de masse est encore à venir, non point qu'il n'y ait pas eu de luttes mais la structuration de ce mouvement est encore récente et la régression continue des droits de la femme sur le plan juridique a renforcé un statut informel traditionnel fortement réactionnaire au sein de toute la société. Aujourd'hui, passons sur le ronron de la télévision algérienne qui n'en finit pas de conter dans la langue et le langage officiel : "la participation de la femme à la libération aux côtés de son frère l'homme".

Il apparaît que, durant la guerre de libération autant que dans l'après-guerre, au sein du pouvoir autant que dans le mouvement d'opposition, le statut de la femme a toujours occupé le second plan. La lutte des femmes, née au sein des mouvements d'opposition, ne s'en est pas détachée, recréant ainsi des schémas du parti unique, de ses organisations de masse fractionnant ainsi les luttes axées sur un seul projet. Tout cela dans un contexte d'évolution de la loi des priorités (économique, politique, sécuritaire) qui ont, durant des décennies, éclipsé la revendication sociale. L'abrogation du Code de la Famille, devenue un pôle rassembleur de l'opposition démocratique, a permis une décantation entre associations du pouvoir et mouvance islamique d'une part, autour de l'amendement du code et les associations de l'opposition démocratique d'autre part.

Les ateliers initiés par le gouvernement en avril 1996 pour impulser les amendements ont été à l'origine d'une division au sein des associations qui se sont positionnées pour l'abrogation : certaines ont répondu à l'urgence d'amendements immédiats de certains articles discriminatoires en attendant de reprendre la lutte pour l'abrogation de celles (associations) qui refusent de s'inscrire dans la logique d'amendement d'un code qui doit disparaître. La loi des priorités sévit encore et la réorganisation des revendications sociales autour d'une opposition qui s'impose en tant qu'alternative est encore loin devant.

Plus globalement, c'est toute la classe politique qui sort affaiblie de dix années de guerre fratricide dans une société où l'ensemble des problèmes se pose avec la même urgence : statut des femmes, place de la religion, question des langues et donc d'identité, passage à l'économie de marché, chômage, pauvreté, rôle de l'école, etc. ; des problèmes jusqu'alors contenus par la dictature de l'armée et du parti unique.

La société d'aujourd'hui est ailleurs. Elle élabore des stratégies complexes pour sa survie physique et matérielle, puisant tantôt dans les valeurs de l'Islam, tantôt dans celles de l'Occident, ce qui n'est pas sans incidence sur le rôle et le statut des femmes dans les familles algériennes. Bien entendu, l'ensemble de ces changements rend encore plus caduc le Code de la Famille posé comme une camisole de force sur la liberté des femmes, ce qui continue d'arranger l'écrasante majorité des hommes algériens, y compris les plus modernistes.

Mais, d'autres modèles sont nés véhiculés de façon concurrente et puissante par les mosquées ou par les programmes de télévision reçus de l'étranger via le satellite (antennes paraboliques qui ont poussé comme des champignons vers 1989). Ces modèles, rejetés ou adoptés, ont marqué cette nouvelle jeunesse qui rappelle aux dirigeants du Mouvement des Femmes qu'elles ont vieilli au moins autant que leur mode de séduction de la société.

I - LA PLACE DE LA FEMME DANS L'ISLAM

- Sous la terreur, des thèses divergentes s'élaborent

La société algérienne est confrontée à une mutation extrêmement rapide et à des bouleversements sanglants. La profondeur de la prégnance de l'islamisme radical, devenu discours collectif non seulement moral mais totalitaire, explique tout, justifie tout pour ceux qui se disent "justiciers".

La non moins grande imprégnation des acquis - travail, instruction, choix personnel du mariage, recherche de la dignité - que l'on pourrait voir comme la résultante d'un mouvement féministe sert pourtant d'égal repoussoir aux femmes islamistes qui prêchent une religion pure et dure. Il est paradoxal de voir que des voilées veulent être des propagatrices actives de la religion mais aussi des femmes qui réussissent à la fois leur vie professionnelle et conjugale, des femmes libres et épanouies !

Surgit une majorité de figures religieuses mais aussi des modèles de femmes, autrefois occultés, venant des sociétés musulmanes telles Aïcha (la femme du Prophète), Zaineb ; épanouies professionnellement, les femmes des mondes de la politique et du spectacle font l'objet d'un unanime rejet.

Des femmes détournent la confrontation homme / femme à leur profit, ne voient aucun empêchement à entrer en compétition avec l'univers masculin et se démarquent donc de la société traditionnelle, d'ailleurs condamné par l'islamisme. Le projet de l'État islamique vise à modeler les individus en empêchant les champs de la modernité : conquérir tout le pays et ordonner l'uniformisation (un modèle de vie identique à tous).

Or, dans cet objectif, et ce n'est pas une des moindres interrogations qu'il pose, l'obsession de l'émergence du féminin est constante. Ce n'est pas seulement que la femme est vue comme un danger potentiel, un risque toujours renouvelé de fitna (désordre), c'est que le féminin pourrait fonder l'ordre du monde.

Les sociétés musulmanes, marquées par une profonde crise de la pensée et un formidable retour religieux, amorcent, à leur façon, après l'histoire inaboutie du nationalisme arabe, un tournant. Ce faisant, elles dérangent, notamment l'Occident dont elles ont une représentation très critique, elles s'affirment "comme une authentique voix du Sud" confrontée à la domination du Nord. Elles interpellent l'universel.

Le rationnel perd toute force d'ordonnancement d'un réel devenu terrifiant. L'émotionnel y prend de la place, beaucoup de place. La mort est là, présente, prête à surgir, à emporter des êtres chers, des inconnus, de simples citoyens qui font souvent les pages d'un journal du matin. Au fil des jours, ces citoyens sans nom et sans âge, en un mot sans histoire, rejoignent la rubrique des faits divers. Parfois, le signe de reconnaissance est un uniforme : un gendarme, trois policiers, une militante, une lycéenne...

Les femmes ont été les premières victimes du terrorisme. La purification par le feu a été le premier acte de terrorisme islamiste. Rappelons qu'à Ouargla (ville du sud algérien) où, par le feu, on a appliqué le châtiment à une femme décrétée "de mauvaises moeurs". Son enfant, âgé de trois ans, a été sacrifié sur l'autel de la haine. Ce passage à l'acte (première trace d'un processus violent qui tend à briser toute volonté, toute différence, toute opposition) nourrit ce sentiment que toute agression contre les femmes annonce une régression sociale par rapport aux acquis de la femme des années 70 -80.

D'autres ont subi la même loi, la loi de la mort. Des intellectuels, des journalistes, des poètes, des chanteurs... Hommes aux idéaux humanistes, chantres de l'Algérie plurielle. Hommes de paroles, repères d'identité et d'identification. Hommes libres, généreux, qui assumaient la partie féminine de leur société. Ce fut décidé par des bourreaux et exécuté par de jeunes gens. Ignorant la vie, ils ont opté pour la semence de la barbarie. Leur héros crie au "djihâd" (guerre sainte) et appelle au sang au nom de l'Islam et d'Allah (Dieu). La rumeur continue, la rumeur se fait sentence, la loi s'énonce contre les femmes. L'ordre qui s'annonce s'édifie sur la répression des femmes. Le pouvoir des ténèbres s'empare des pensées et des actes. Il instaure son hégémonie : la terreur de figurer sur la liste des condamnés...

Reste l'exil pour rejoindre d'autres diasporas. Rester. Mais encore ? Impuissance devant un monde qui surgit la nuit et qui tue. Résister. Se maintenir en vie. Tenter de mettre de la distance entre soi et la terreur pour ne pas sombrer dans le délire. Garder sa tête pour penser, pour communiquer. Assumer le quotidien. Comprendre pour écrire, pour donner sens... Tout ceci est banalisé avec le jeu de la mort.

Cet ensemble de points de vue renvoie à l'acceptation, la sélection, le rejet que l'on peut actualiser devant un discours qui tend à dominer le champ social. Les réponses que l'on peut obtenir indiquent des prises de positions, des opinions, des élaborations intellectuelles, c'est-à-dire des représentations sociales. Autrement dit, les réponses formulées à propos d'un questionnement autour des thèses islamistes relatives aux statuts et rôles sociaux féminins sont révélatrices d'élaborations. Et ce sont les phénomènes que je tenterai de cerner tout le long de cette recherche.

La dépendance féminine constitue la base d'équilibre de la famille musulmane car elle conditionne la femme dans un rôle de mère dévouée, humble mais aussi transmettrice des valeurs. Elle doit avoir la foi, un bon caractère, mais aussi être belle, vierge, féconde. De plus, elle doit respecter un ensemble de normes qui règlent sa conduite tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de sa maison. Nous sommes donc en présence d'un système qui privilégie le collectif sur l'individuel, l'objectif sur le subjectif, sur le moi, sur le soi, la maîtrise sur l'excès . Dans cette logique, la structure du pouvoir est très stricte et fonctionne sur la base d'un système d'opposition : affirmation / exclusion, sacré / souillure, honneur / veulerie...

1- LE STATUT DES FEMMES DANS LE DISCOURS CORANIQUE

Le discours religieux sur la femme musulmane est multiple et varié. Il oscille entre le rejet, la réclusion du sexe féminin et son acceptation relative ou sa prise en considération en tant qu'être humain à part entière. Cependant, depuis des siècles, les femmes ont constitué une obsession pour l'ordre et la stabilité politique. Elles ont toujours été l'objet de discours moralisateurs. Certaines fatwas, consultations juridiques qui ont prévalu en Algérie depuis quelques années, sont très explicites en la matière. Elles traduisent le transfert d'un malaise d'une société en confrontation avec des problèmes d'ordre économique, politique, social et culturel sur les femmes.

Depuis la promulgation des partis politiques islamiques (1989), les femmes, objet de discours religieux lors des prêches dans les mosquées, sont désignées comme responsables de la crise des valeurs. Les victimes des moralistes sont les femmes dont le corps est décrié comme sujet de perdition et de séduction des hommes, aussi faut-il le contrôler, réprimer ses désirs, l'isoler et le cacher par de multiples voiles. Cacher la femme s'opère sous différentes formes y compris la laisser dans l'ignorance. L'accès des femmes (en général), musulmanes (en particulier) à l'instruction était très limité, bien qu'on ne trouve aucun texte dans le Coran ou la sunna qui prive la femme de l'éducation. Les fouqahas qui prônaient l'instruction de la femme l'ont cantonnée dans l'enseignement du Coran et des préceptes de la religion.

Dans les années 1920 au Maghreb, M. Mahdi El Hajoui, inspiré par ce qui se passait en Europe sur l'enseignement obligatoire pour les deux sexes et par référence aux sources authentiques du Coran et de la sunna, revendiquait l'éducation des filles. Il rencontra beaucoup de résistances au début de la part des Oulémas et des hommes politiques. Pourtant, l'éducation qu'il proclamait ne devait pas dépasser l'enseignement primaire car dit-il :

"On n'a pas besoin de femmes juge, écrivain ou médecin, il ne faut pas qu'elles soient concurrentes des hommes ou leurs égales. De plus, elles ne peuvent pas voyager à l'extérieur pour continuer leurs études..." 17(*).

Certes, à l'époque, le dévoilement des femmes et leur accès à la sphère publique ne posait pas de problèmes vu le respect des traditions, rares étaient les femmes qui accédaient à ces revendications. El Hajoui considérait le dévoilement comme une fitna et une atteinte à l'ordre familial. Il critiqua le modèle de la femme française et remit en question la libération de la femme arabe telle qu'elle était revendiquée par ses confrères arabes.

Tout le Maghreb (y compris l'Algérie) paraît ainsi très conservateur, le religieux est mis au service de la tradition. Les conceptions masculines sur l'émancipation des femmes restent encore timides. C'est avec Allal El Fassi 18(*) que le mouvement prendra un essor et une progression plus rapide.

En effet, le discours sur la spécificité et l'universalité des Droits Humains est prédominant dans les pays musulmans, plus particulièrement quand il s'agit du statut de la femme, noyau central du discours identitaire. Les fondamentalistes contemporains sont focalisés sur la spécificité contre l'universalité. Ils se sont alliés, durant les différentes conférences et rencontres, en refusant le principe d'égalité et en le remplaçant par celui d'équité.

Tous les discours ont un point commun : c'est la réclusion plus ou moins accentuée de la femme, son maintien sous l'autorité masculine et le rejet du principe d'égalité entre les sexes considéré comme importé et non convenant dans une société musulmane. D'ailleurs, l'accès des femmes à la sphère publique et leur participation à la gestion des affaires d'un pays semble une anomalie alors que l'Islam n'a jamais interdit à la femme d'accéder à n'importe quel poste de responsabilité, il suffit qu'elle soit instruite, formée et apte à l'assumer.

Si les interprétations de certains fouqahas ont contribué à la claustration des femmes, d'autres interprétations ont ouvert les portes à l'Idjtihâd pour accorder à la femme la place qui lui revient dans les champs économique, politique, social et familial. D'autres tendances islamistes semblent plus conscientes du rôle des femmes dans la politique et la nécessité de leur représentativité à toutes les échelles de la vie publique.

Dans le combat qui les oppose aux intégristes, certains musulmans modernistes se plaisent à souligner que la révélation coranique affirme l'égalité spirituelle de l'homme et de la femme et que, au regard de la condition féminine d'avant la prédication (Djâhiliya), l'Islam a incontestablement amélioré sa situation (par exemple : reconnaissance de l'égalité spirituelle des sexes, autonomie financière de l'épouse, droit à l'héritage, limitation et réglementation sévère de la polygamie, droit au douaire...).

Il suffit donc, aux yeux de ces modernistes qui sont partisans d'un modèle islamique des droits de l'homme, d'adapter simplement les textes religieux aux nécessités de l'heure et de les compléter pour parvenir à une réelle émancipation féminine.

À l'inverse, pour certains courants laïques et pour l'immense majorité des Occidentaux, l'Islam est une religion particulièrement sexiste ; l'infériorité intolérable de la femme dans les sociétés musulmanes, depuis quatorze siècles, en est la démonstration la plus éclatante. Il convient de nuancer ces deux positions en tenant compte des remarques.

Dans le contexte spécifique qui était celui de l'Arabie du VII ème siècle, l'Islam a certainement provoqué des changements profonds dans les mentalités et dans les structures sociales. De manière parfois ambiguë, le Prophète Mohammad a cherché une relative amélioration de la condition féminine.

Cependant, entre l'affirmation de ces principes et leur inscription dans le droit et surtout dans les faits, il y a incontestablement un hiatus que n'ont comblé ni les théologiens, ni les simples croyants (marqués par les structures élémentaires de la parenté propre à la région), ni les responsables politiques (étroitement soumis aux injonctions des théologiens-juristes, partisans d'un contrôle étroit de la femme et de son infériorisation).

Il faut, cependant, tenir compte du fait que la condition féminine a souvent été réglée par des coutumes locales (souvent préexistantes) étrangères aux normes juridiques et aux valeurs spirituelles de la religion musulmane. Ainsi, dans toute l'aire méditerranéenne, le contrôle de la sexualité des femmes s'intégrait dans des stratégies classiques de domination et dans le code de l'honneur, en vigueur encore aujourd'hui. En Algérie, le droit musulman s'est accommodé avec le droit coutumier algérien.

La femme a, partout, fait l'objet de stratégies de la part des hommes qui ont le monopole du contrôle de la circulation des biens1(*) et elle a été soumise à des rapports d'échange et de force entre familles, clans ou tribus. Mais, si l'éthique islamique a tenté de diffuser une conception novatrice porteuse d'émancipation, elle n'a pas modifié de manière significative cet état de choses et s'est accommodée de ces structures anciennes. Le texte coranique lui-même, d'où sont extraits les codes sacralisés et figés par les théologiens constitutifs du corpus du droit musulman, porte les marques des structures et des conceptions de l'époque antéislamique, contribuant ainsi à reproduire le statut d'infériorité de la femme.

J'ai été inspiré par plusieurs exemples pris dans le Coran (et cités par Boudhiba « La sexualité dans l'Islam » :

q Appréhension de la femme comme bien familial et assignation de celle-ci à la fonction procréatrice au profit du seul lignage masculin (Coran IV / 3) ;

q Ségrégation entre les sexes et enfermement des femmes (Coran XXXIII / 59) ;

q Autorisation de la polygamie (Coran IV / 3) ;

q Autorisation de la pratique de la répudiation (Coran II / 226-232) ;

q Soumission des femmes à la tutelle masculine en vertu de la prééminence reconnue des hommes sur les femmes (Coran IV / 38) ;

q Inégalité devant l'héritage (Coran IV / 12).

Le Coran indique clairement que les hommes doivent se prémunir contre les femmes, prévenir leur indocilité ou châtier leur désobéissance par l'admonestation, la relégation, voire les châtiments corporels (Coran IV / 38).

Certes, des innovations ont été apportées comme la condamnation du meurtre des fillettes à la naissance (Coran XVI / 60-61), l'abolition de l'obligation pour une veuve d'épouser le frère de son mari (Coran IV / 23) ; la stricte réglementation de la polygamie autorisée mais limitée par l'obligation d'un traitement égal des épouses (Coran IV / 3). Mais, ces innovations restent bien au-delà d'une véritable émancipation et d'une réelle égalité matrimoniale et sociale. Et on le voit d'une manière générale : les versets du Coran consacrent explicitement la prééminence de l'homme (père, mari, tuteur...) sur la femme en matière de vie conjugale, sociale et professionnelle bien que le discours coranique insiste sur l'égalité sur le plan matrimonial et, plus généralement, sur le plan social.

2- LES DROITS ET OBLIGATIONS DES ÉPOUX DANS LE CORAN

Le mari est appelé à respecter ses devoirs envers sa femme :

q Il doit cohabiter avec sa femme ;

q Il doit consommer le mariage et ne pas cesser, par la suite, de s'acquitter de son devoir conjugal ;

q Il doit s'abstenir de tout mauvais traitement à l'égard de son épouse ;

q Il doit subvenir à l'entretien de son épouse ;

q S'il a plusieurs femmes, il doit procéder à un partage égal des nuits ;

q Il doit autoriser son épouse à recevoir la visite de son père, de sa mère et, d'une manière générale, de tout parent à un degré prohibé, de même qu'à visiter ces personnes. De surcroît, le mari ne peut obliger sa femme à vivre sous le même toit que sa propre famille à lui (fait non respecté).

Parallèlement aux devoirs imposés au mari, la femme doit respecter cinq obligations :

q La femme doit obéissance à son mari ;

q La femme doit habiter au domicile conjugal ;

q La femme doit être fidèle au mari ;

q La femme peut, le cas échéant, être obligée de vaquer elle-même aux soins du ménage ;

q La femme peut disposer, dans l'intérêt exclusif d'un tiers et par donation entre vifs ou cautionnement, de plus du tiers de ses biens sans l'assentiment du mari.

Ces droits et devoirs ne sont pas appliqués à la lettre par les Algériens (ne font toujours pas référence au Coran mais surtout aux traditions). On constatera qu'il y a des similitudes avec le Code de la Famille...

3- LE VOILE : POLÉMIQUE ET DISCOURS

Dès qu'on parle de la femme et de l'Islam, on aborde les questions du voile et de la mixité qui ont amené à des prises de position, à des conflits, etc.

Le discours sur le voile est multiple, vieux et très actuel. Les connotations et les résonances risquent donc d'être denses et complexes. L'approche de la question de la femme voilée / dévoilée, du féminin "dévoilable" et "indévoilable" se veut anthropologique et psychologique. Elle tend surtout vers un essai de compréhension par rapport à plusieurs axes. Le voile est une relation au corps, la mixité est une relation à soi et à l'autre sexe. Le voile serait un langage et le corps porteur de symboles. Le voile, en tant que pratique vestimentaire, s'intègre dans un processus socio-religieux et culturel qui lui donne son sens complet.

Seulement, différentes interprétations attestent que le voile a été recommandé et non imposé. C'est une pratique qui permettait de distinguer les musulmanes ou de conditions libres (des "hourra") des non musulmanes, des "djawârîs" (esclaves) et des prostituées. C'est une affirmation de l'identité, elle avait comme fonction de protéger durant cette phase où les structures de l'Islam se mettaient en place et où les non-croyants cherchaient à humilier les musulmans en portant atteinte à leurs femmes. On peut se demander que représente de nos jours le voile d'une musulmane au sein d'une société de musulmans ? Cependant, le port actuel du voile atteste-t-il le retour au religieux ou est-il l'expression d'une société en crise ? Les déficits politique, économique, la perte des valeurs et des repères ont donné au voile d'autres significations : le voile couverture de l'identité, le voile auto-affirmation de soi, le voile cache misère, le voile concession, le voile peur, le voile enfermement, le voile séparation et le voile manipulation islamique.

Les penseurs de la renaissance avaient mené une campagne contre le voile, les mouvements nationalistes ont accepté, approuvé et encouragé le dévoilement des femmes (comme Charaoui, Nawel Saddaoui, Kasmi Amin, et Tahar Haddad... ). Les islamistes prônent, actuellement, le voile en tant que vêtement qui traduit l'appartenance à un groupe, qui exprime une idéologie et une façon de se démarquer des autres, les non islamistes.

À mon sens, le voilement et le dévoilement sont différents dans la réflexion. Pour les femmes voilées, il exprime différentes significations : d'ordre religieux, de pudeur, d'affirmation de soi, d'obligation familiale (répression familiale pour recouvrir la liberté et sortir du ghetto familial), de déséquilibre psychologique profond. C'est un enjeu identitaire et psychologique...

II- LES SOURCES DE LA LOI ISLAMIQUE

Voyons les sources de la loi islamique, les quatre principales bases de l'Islam, qui ont permis d'édifier les règles d'application de l'Islam.

1- LE SOURCES

LE CORAN

Il est de révélation divine, dicté au Prophète Mohammad. Ce livre sacré a permis d'écarter certaines coutumes pré-islamiques, d'en conserver d'autres et d'établir un code des valeurs musulmanes. Mon sujet n'est pas d'étudier le Coran mais d'en retenir quelques versets, à mon sens, significatifs pour montrer que le Code de la Famille s'est basé et a été calqué sur des textes Coraniques.

En matière de mariage, par exemple, le Coran ordonne que seule l'épouse, et non son père ou un autre homme de la famille, reçoive la dot (mahr) de son mari. "Donnez leurs douaires à vos femmes, spontanément" 19(*). La femme devient une partenaire légale dans le contrat de mariage plutôt qu'un objet bon pour la vente. La polygamie illimitée a été restreinte et le nombre des femmes limité à quatre.

Toutefois, une recommandation finale demandait que le mari qui ne pensait pas pouvoir traiter équitablement chacune de ses femmes devrait n'en épouser qu'une seule à la fois.

"... Epousez donc celles des femmes qui vous seront plaisantes par deux, par trois, par quatre mais si vous craignez de n'être pas équitables, prenez une seule ou des concubines" 20(*).

"... Vous ne pourrez être équitables entre vos femmes même si vous le désirez" 21(*).

En matière de divorce, de manière à donner aux époux une possibilité de réconciliation, une importante réforme coranique instaure une période d'attente de trois mois ou jusqu'à ce que l'épouse accouche de son enfant pour que son mari puisse divorcer d'elle.

" Pour celles de vos femmes qui désespèrent d'être menstruées, si vous avez des doutes, leur période d'attente sera de trois mois. Pour celles qui n'ont pas leurs menstrues : même délai. Pour celles qui sont enceintes, le terme de leur période d'attente sera leur accouchement" 22(*).

Un autre verset coranique dit :

"Ne les (femmes) expulsez pas de leurs foyers à moins d'une faute grave établie".

Ce verset est bafoué. Il n'y a là rien "a priori", à l'homme le droit ou le pouvoir de répudier librement sa conjointe. Au contraire, la condition non équivoque mise au divorce (l'établissement de la faute) semble restreindre singulièrement sa liberté en cette matière.

En effet, on ne saurait concevoir "l'établissement de la faute" dans les prérogatives d'un conjoint ; il serait, dans ce cas, le principe d'un arbitrage pour établir précisément la faute et prononcer, en conséquence et s'il y a lieu, "l'expulsion". Évidemment, il ne faudrait pas tomber dans le travers contraire : maintenir coûte que coûte une union impossible.

Le Coran a modifié le système agnatique (qui veut dire descendant d'un même ancêtre masculin) en introduisant la loi sacrée de l'héritage. Il est donc la plus importante des sources de la loi. Il faut pourtant signaler que les diverses interprétations de ses versets apportent des arguments tant aux partisans de l'émancipation féminine qu'aux intégristes les plus sévères.

- LA SUNNA (ou la tradition du Prophète)


La deuxième source de la loi musulmane concerne les faits, gestes et déclarations du Prophète pendant sa vie. Le compte exact de ces traditions (Hadiths) ne s'est terminé qu'au milieu du IX ème siècle.

Qu'elles soient de la ville ou de la campagne, toutes les femmes ont en commun de se référer à la tradition de l'Islam historique (la Sunna) et d'obéir à des traditions coutumières. Par leur mode de vie, elles ont, à travers le gynécée et la maternité, assuré la transmission d'une façon de penser et se comporter. La femme est définie, dès le début de sa vie, comme un être dépendant donc plus faible et inférieur à l'homme. Cette discrimination sexuelle est fondée sur une préférence divine en faveur de l'homme quant au devoir de subvenir aux besoins de la femme mais aussi de la corriger lorsque nécessaire.

"Les hommes ont autorité sur les femmes du fait qu'Allah a préféré certains d'autres que vous à certains autres et du fait que (les hommes) font dépense sur leurs biens (en faveur de leurs femmes)... Celles dont vous craignez l'indocilité, admonestez-les ! Reléguez-les dans les lieux où elles couchent ! Frappez-les ! Si elles vous obéissent, ne cherchez plus contre elles de voie (de contrainte) ! Allah est auguste et grand" 23(*).

- IDJMÂ` (consensus)

Cette source juridique peut être définie comme étant l'accord unanime de la Oumma (la très haute instance musulmane). Le Coran, parole divine, est l'unique source d'obligation, la Sunna ne fait que nous informer au sujet des règles différentes, règles que Dieu nous impose. Quant à l'Idjmâ`, il ne fait qu'expliciter la Sunna.

- QIYÂS (raisonnement analogique)

Cette troisième source de loi permet d'émettre des jugements personnels limités en se référant à une autre situation dont la solution se trouve soit dans le Coran, soit dans la sunna (Hadiths ou Traditions). Parmi les usages les plus anciens du Qiyâs se trouvait celui de la fixation de la dot minimale. Un exemple d'analogie de la situation a été établi entre la perte de la virginité en raison du mariage et la pénalité coranique pour le vol égale l'amputation de la main... La virginité de la femme est considérée comme aussi importante pour elle que la main pour un homme, d'où l'analogie établie.

B- LES NORMES DE L'ISLAM PAR RAPPORT AUX FEMMES

Quelles sont les normes que la petite fille, puis la femme, doit respecter tout au long de sa vie ? Son arrivée est acceptée mais sans enthousiasme, contrairement à la naissance d'un petit garçon. Très vite, des rôles distincts seront enseignés au frère et à la soeur.

La fillette apprend qu'elle est avant tout dépendante de son corps dont elle peut user par séduction pour obtenir ce qu'elle veut, mais dont elle doit aussi avoir honte. Elle est considérée comme impure, elle devra tout au long de sa vie, et même après la mort, être purifiée grâce à une conduite irréprochable et à l'action de Dieu. Elle apprend dès l'âge de six à neuf ans les fondements de son rôle de ménagère et d'humble complément de l'homme.

L'homme a le monopole des attentions sexuelles de sa femme, de son travail et de celui de ses filles... Le mari doit subvenir matériellement à leurs besoins, s'en occuper et les protéger contre le reste du monde.

Les qualités de la femme complètent celles de l'homme : elle doit être humble, obéissante, loyale et différente. Sa place dans le monde est le reflet de sa position de gardienne... La confirmation primordiale de la valeur d'une femme s'exprime à travers les biens matériels qu'elle obtient.

La deuxième étape importante de la femme est le mariage. La fille devient majeure uniquement par le mariage avec préservation de sa virginité et doit être pubère. Le mariage ne peut se conclure qu'avec le consentement du tuteur légal (père ou un proche parent mâle, si celui-ci est décédé). Elle ne peut épouser un non musulman alors que l'homme peut se marier avec une étrangère de confession différente.

"Ne donnez point vos filles en mariage aux associateurs avant qu'ils ne croient ! Certes, un esclave croyant est meilleur qu'un associateur, même si celui-ci vous plaît" 24(*).

C- COMPRÉHENSION DE L'ISLAM

Lorsque qu'on parle de la femme en Islam, j'essaie de faire une approche normative, c'est-à-dire par rapport aux textes et préceptes de la religion musulmane. Sans trop m'étaler sur une littérature disponible à qui veut "l'éplucher", je ne peux simplement affirmer que la religion musulmane, en matière culturelle, oblige la femme, tout comme l'homme, de s'acquitter de ses obligations et que tout devoir accompli (ou non) est sanctionné de manière égale. Quant à la problématique de la femme dans l'Islam, elle est surtout posée lorsqu'il s'agit de l'activité sociale en terme de "sens féminin" et non en terme de "sexe féminin".

Pour pouvoir étudier de la manière la plus objective possible la question féminine dans les sociétés musulmanes, il faut se débarrasser des critères établis en dehors de celles-ci puis rétablir les critères déterminés par l'Islam et dont la variation de forme n'est autre que l'adaptation des sociétés pré-islamiques aux préceptes de l'Islam. Succinctement, l'Islam (en tant que religion) a débarrassé des sociétés pré-islamiques les idées qui font de la femme un "objet" ou, à défaut, un être accidentel et non désirable qui, lorsqu'il n'est pas systématiquement éliminé, est considéré comme un mal nécessaire que l'on doit souvent cacher. Au contraire de cela, l'Islam a introduit des idées nouvelles :

q La femme est une créature humaine ayant une perception de la vie différente de celle de l'homme mais complémentaire ;

q Elle est la garante des relations familiales (la notion de famille et des relations de familles est une des notions sacro-saintes en Islam et dont sa permanisation est un devoir religieux) ;

q Elle est dépositaire de la bonne éducation et des bonnes moeurs.

De cela découlent les droits de la femme à savoir (succinctement) :

q Droit à l'héritage (les Kabyles refusent d'appliquer) ;

q Droit à la propriété ;

q Droit à l'indépendance dans la gestion et la jouissance de ses biens même mariée (l'épouse de Mohammad était la première à appliquer cette Sunna) ;

q Droit à la consultation dans toute affaire "publique" quand celle-ci est soumise à consultation "populaire"...

Qu'en est-il de cela dans les autres pays musulmans comme la Turquie (pays musulman laïque), l'Arabie Saoudite (pays pratiquant à la lettre la charia), l'Iran (pats musulman de doctrine chiite) ? Ces trois pays musulmans ont des pratiques identiques vis à vis de la femme

L'objectivité veut que la réalité soit vue en face. En effet, la quasi-totalité des sociétés musulmanes, durant la longue période du déclin de la civilisation, tout en s'éloignant des vraies valeurs et des normes musulmanes, a laissé la place de la résurgence des valeurs aux survivances des valeurs antéislamiques conjuguées à celles des valeurs de l'Islam, donnant lieu à des valeurs de troisième type c'est-à-dire des valeurs païennes colorées d'Islam (que l'on retrouve dans certaines pratiques de diverses régions d'Algérie).

À titre indicatif, les regroupements autour du tombeau d'un saint ou d'une source dont on vante les bienfaits sont essentiellement des regroupements "féminins" à travers lesquels la femme affirme son existence en tant que telle et existence de son monde. Vénérer un saint ou une grosse pierre d'une montagne est interdit dans l'Islam. De par cette conjugaison de deux types de valeurs contradictoires, tout en étant gardienne des valeurs religieuses, la femme s'était construit un monde propre à elle et s'était éloignée du sens "féminin" qui détermine son rôle complémentaire de celui de l'homme.

Ainsi, deux mondes cohabitaient au sein des sociétés musulmanes dont la stagnation était le seul ciment qui les unissait. Et, en parallèle de la période de déclin, survenait la période des conquêtes de l'Occident sur les sociétés musulmanes.

II- LA FEMME ET LA LÉGISLATION DE LA FAMILLE

1- L'ÉVOLUTION HISTORIQUE DE L'INSTITUTION FAMILIALE

Trois périodes ont marqué l'évolution de l'institution familiale algérienne :

la conquête musulmane ou la période pré-coloniale, la période coloniale et la période qui suivit l'indépendance nationale : 1962 25(*).

Durant la période pré-coloniale, la famille algérienne était influencée par la religion musulmane et principalement par le droit malékite (cette doctrine s'est répandue en Espagne musulmane, elle tire son nom de son fondateur Mâlik Ibn Anas, né à Médine (717-795 de l'Hégire) et un des grands imams de l'Islam. Il faut savoir que les quatre écoles : malékite, hanbalite, chafi`ite et hanafite sont le résultat de la division du sunnisme (qui se différencie du chi`isme) sauf pour les Turcs et leurs descendants vivant en Algérie qui étaient régis par le droit hanafite. Les sources de la loi musulmane qui constitue le " fiqh" (Charia) ont régi les chapitres du statut juridique de la famille, c'est-à-dire en ce qui concerne le mariage et sa dissolution, le régime de la puissance paternelle, les questions relatives aux successions, etc.

Durant la seconde période et au début de l'occupation française, les Français n'ont pas touché à l'institution familiale algérienne, notamment au statut familial (convention du 05 juillet 1830), par la suite, leurs interventions successives concernaient aussi bien l'organisation de la justice musulmane (décrets du 10 septembre 1866, du 31 décembre 1866 et du 17 avril 1889) que l'état civil des indigènes musulmans d'Algérie (loi du 23 mars 1882).

D'ailleurs, les interventions de la jurisprudence et du législateur français étaient si profondes qu'un observateur français, M. Morand cité par G. Benmelha,26(*), témoigna ce qui suit :

"De tous les pays musulmans gouvernés par une puissance chrétienne, l'Algérie est peut-être celui sur lequel s'est abattue le plus lourdement la main du vainqueur car la France ne s'est pas bornée à exiger des vaincus la reconnaissance de sa souveraineté, elle a entrepris de les gouverner et s'est efforcée de leur imposer ses institutions (...)".

Le législateur français s'est, par la suite, carrément inspiré de la réglementation métropolitaine pour modifier quelques chapitres du statut familial. Il s'agit de la tutelle des mineurs (loi du 11 juillet 1957), de la formation du mariage et de sa dissolution (loi du 11 juillet 1957 et décret du 17 septembre 1959). Pour sa part, la jurisprudence française a modifié également le cadre de la famille algérienne en posant de nouveaux principes en matière de contrainte matrimoniale (djabr) et de garde d'enfants (hadâna). Ainsi, au terme de plus de cent trente ans de régime colonial, la famille algérienne a perdu en partie son empreinte islamique malékite.

Enfin, au début de la troisième période qui commença juste après 1962, l'État algérien s'est retrouvé devant un vide juridique, dans la mesure où un certain nombre de lois et de décrets régissant le statut familial étaient d'inspiration française.

La première réponse du législateur algérien était d'abord de reconduire les textes de loi du 11 juillet 1957 relatifs à la tutelle des mineurs et à la formation du mariage et sa dissolution - textes de loi qui ne vont pas à l'encontre de la souveraineté nationale (loi algérienne du 13 décembre 1962) -, ensuite, d'adopter une nouvelle loi votée par l'Assemblée Nationale Algérienne et relative à l'âge minimum au mariage (loi Khémisti 1963). Dans les années qui suivirent, en dépit des efforts fournis par le législateur en matière de codification du droit de la famille, il était très difficile de déterminer l'appartenance juridique de la famille algérienne dans la mesure où il fallait tenir compte à la fois de la Charia et des aspirations modernistes.

2- LE CADRE JURIDIQUE

Depuis l'indépendance nationale, plusieurs tentatives ont eu lieu pour promulguer le Code de la Famille : 1963-1964, 1966, 1973 et 1981. Toutes ces tentatives ont échoué face aux résistances des adeptes de la Charia, d'une part, et des rénovateurs, d'autre part. Lors des travaux préparatoires du Code de la Famille algérienne, le président de l'Assemblée Populaire Nationale rappelait que cet important projet de loi doit être conforme à notre religion et à nos traditions nationales, il doit également être adapté aux réalités sociales actuelles et à la société socialiste que nous voulons édifier telle que définie par la Charte Nationale et la Constitution 27(*).

On voit bien, à travers ce discours, que le souci majeur du législateur est d'arriver à forger - non sans difficulté - un Code de la Famille qui tienne compte des aspirations d'une société nouvelle mais, en même temps, sans trahir les préceptes de l'Islam puisque le peuple algérien est un peuple musulman et l'Islam est la religion d'État 28(*). Ce n'est que le 09 juillet 1984 que la loi relative au Code de la Famille fut promulguée. On note une légère évolution en ce qui concerne :

- l'âge au mariage fixé à 18 ans révolus (art. 7),

- du tuteur (père, proche parent ou walî en l'absence de l'un ou de l'autre) ne pouvant imposer le mariage ou s'y opposer (art. 17),

- l'épouse pouvant entamer une procédure de divorce au cas où son mari viendrait à se remarier : polygamie (art. 8).

L'évolution concerne également le divorce 29(*) : divorce intervenant après consentement mutuel des conjoints (art. 48). Les changements apportés par le législateur ne sont pas du goût de tous les observateurs, plus particulièrement en ce qui concerne le sort réservé à la femme.

Pour Hélène Vandevelde :

"Le droit joue contre les femmes algériennes puisque la condition féminine se résume à : une fille soumise à son père, une épouse obéissant à son mari, une mère liée à son foyer..." 30(*).

Saléha Boudéfa trouve que le nouveau Code de la Famille a :

"Pour souci de ne pas provoquer une rupture d'avec les valeurs et conceptions traditionnelles. Le code reprend même certains stéréotypes concernant la femme : source de "danger" pour la société, force capable de bouleverser l'ordre social, (...) si elle n'est pas encadrée par un ensemble de valeurs défensives 31(*) (...) Le nouveau code accorde très peu d'importance à l'enjeu que représente, aujourd'hui, la condition féminine ; cette dernière est inscrite dans le cadre d'une politique générale de développement de la société et aucun statut ne lui est conféré (...) " 32(*).

3- LE CODE DE LA FAMILLE DE 1984

Le Code algérien de la Famille de 1984, au centre des développements (à l'instar de la plupart des codes de statut personnel des pays arabo-islamiques), peut s'analyser comme la "référence structurante de la hiérarchisation des sexes en tant que valeur constituante de l'identité masculine". Quand nous disons identités, nous l'employons expressément au pluriel car nul ne peut penser l'articulation de la loi à la société concrète dans le seul champ de l'analyse juridique. On aboutirait à l'illusion entretenue dans la relation entre identités masculines et féminines par la construction d'un objet abstrait, c'est-à-dire identité au sens essentialiste que nous développerons dans le champ théorique en singularisant parfaitement et totalement des traits d'appartenance objective à des collectivités de subjectivisme.

"La loi est vécue par des identifications diverses se confortant ou se confrontant à l'ordre symbolique... en Algérie... Nous pourrions dire, en paraphrasant Hegel, que nous sommes en présence d'une crise de "l'identité de l'identité". C'est l'identité en tant que modèle, loi de référence structurante, qui est délégitimée, défaite" 33(*).

Il serait alors d'un grand intérêt d'interroger les causes de cette crise, d'en situer les lieux et les manifestations, d'examiner le conflit des représentations et la position des acteurs, notamment des femmes. La situation de l'Algérie est, à cet égard par la violence et la "radicalité", exemplaire. J'aborderai les divers aspects.

Le droit, norme positive dans la société, participe à des productions symboliques qui déterminent, dans toute culture, la place des sujets. Analysé de ce point de vue, le Code algérien de la Famille de 1984 prescrit les catégories légales d'identification qui désignent aux sexes les places nommées (ordre dans la généalogie), prescrites ou interdites. Cette dimension institutionnelle est donc une surface de projection des identifications. Tout le Code de la Famille se présente comme un ensemble de structures de la parenté fondant la filiation légitime.

a - DATES ESSENTIELLES À L'ABOUTISSEMENT D'UN CODE

- 1962

L'Algérie en tant que département français était géré par le code civil Napoléon et le droit coutumier par certaines jurisprudences (comme le mariage, le divorce...). L'Algérie de 1962 estimait, au lendemain d'une guerre de libération longue et meurtrière, avoir d'autres urgences que de légiférer rapidement sur le statut de la famille et celui de la femme au sein de cette famille. La question avait été débattue au cours de cette guerre comme en témoignent certains écrits de militants comme, par exemple, l'ex-ministre de la culture Ahmed Taleb Ibrahimi 34(*).

L'idée de légiférer un code conforme aux traditions arabo-musulmanes et à l'option socialiste, pour emprunter le langage de l'époque, n'est pas enterré pour autant. C'est alors que commence la longue marche vers le code actuel dans une société traversée par des contradictions. L'analyse des tentatives successives qui en résultent fait apparaître une clôture progressive sur les solutions classiques du fiqh malikite, leurs auteurs semblent ne pas avoir mesuré les évolutions réelles de la société algérienne depuis plusieurs décennies et même avant l'indépendance 35(*).

Le contenu traditionnel du droit musulman en la matière, ce que l'on appelle, en langage "colonisé", le "statut personnel", n'y est que partiellement traité. On en reste, en effet, aux conditions et effets du mariage et de sa dissolution et à la filiation, laissant de côté successions, testaments, donations et biens de mainmorte (waqf ou habûs), un avant-projet qui, à l'exception de quelques innovations reprises de la loi Khemisti de 1963, ne renouvelle guère les solutions du fiqh malikite.

- 1964

Le premier essai se situe début 1964 avec la mise en place, par le Ministère de la Justice, de commissions chargées d'élaborer un code. Très vite surgissent les contradictions d'ordre idéologique qui opposent, au sein même des commissions de travail, des " révolutionnaires" partisans d'une égalité absolue entre hommes et femmes et des " conservateurs" défenseurs du droit musulman en tant que reflet de l'identité nationale. Les premiers veulent organiser une famille et parlent de libération de la femme sans se référer à une éthique religieuse. Les seconds trouvent leur inspiration dans la rigueur islamique du réformiste badissien 36(*). En fait, le ton a été donné par le ministre de la justice : "Les commissions qui étudient le Code de la Famille, déclare-t-il, ne sauraient perdre de vue que l'Islam est la religion de l'État37(*). Les divergences sont telles que la tentative tourne court et le projet est enterré.

-1966

La question resurgit début 1966 lorsque la presse annonce un séminaire de formation organisé par le Ministère de la Justice, il est :

"Destiné à donner à nos magistrats une connaissance générale des nouveaux codes algériens, à savoir le Code de la Famille, le Code Pénal et le Code de Procédure Pénale..." 38(*).

Puis, c'est au tour du Président Boumédiène de déclarer, le 8 mars de la même année, dans son discours pour la Journée de la femme : "Le code qui est appelé à paraître est celui de la préservation du droit de la femme et de la famille algérienne". Le Ministère de la Justice va pourtant démentir l'existence de ce code qui, de fait, ne dépasse pas le stade de l'avant-projet. Le texte circule, néanmoins, dans le pays puisqu'il est reproduit en 1967 par Fadéla M'rabet dans un ouvrage qui fit alors grand bruit 39(*), et l'opinion publique se mobilise.

Le silence qui suit n'interrompt, cependant pas, le parcours souterrain de la recherche, comme en témoignent quelques discours officiels. Ainsi, le ministre de la Justice, ouvrant en mai 1968 le colloque maghrébin sur "L'instabilité de la famille et le droit de l'enfant au Maghreb", évoque "Le Code de la Famille que nous élaborons patiemment depuis plusieurs années... ". Il en donne les objectifs en accord avec le thème du colloque 40(*), un colloque houleux, troublé déjà par une présence islamiste véhémente et musclée.

- 1969

La question resurgit en octobre avec la mise en place annoncée par le très officiel (seul journal à l'époque, émanant du parti unique) El-Moudjahid, d'une commission "dont la mission est d'étudier et de confectionner le projet du Code de la Famille (...). Un premier rapport devra être déposé ainsi qu'un avant-projet de texte avant le 31 janvier 1970" 41(*)

"Le ton général en a été donné peu avant, lors des "journées d'études de la magistrature" (22-25 octobre 1969) : Assurer la stabilité de la famille (...), restituer au mariage son caractère de lien quasi indissoluble dans l'intérêt des enfants, ...par l'organisation d'un régime de tutelle uniforme où la mère pourrait jouer un rôle primordial... " 42(*).

Mais le stade du discours ne paraît pas dépasser cela et le silence retombe pour être de nouveau interrompu, semble-t-il, vers 1973.

- 1979 - 1981

C'est à la fin des années 70, après la mort du Président Boumédiène (décembre 1979), que le courant refait définitivement surface avant d'aboutir à la promulgation du code actuel. Deux avant-projets vont se succéder rédigés par une commission du Ministère de la Justice, le premier vers 1980 et le second en 1981. Bien que "confidentiels", ils n'en circulent pas moins dans un certain public, notamment celui des militantes féministes, anciennes moudjâhidâtes, collectifs d'avocats et autres groupements qui s'activent à les divulguer et vont, par tous les moyens disponibles à l'époque, s'efforcer de mobiliser l'opinion en vue d'un débat public.

La presse "unique" elle-même publie des courriers de lecteurs qui reflètent assez bien les diverses tendances de la société algérienne et les contradictions auxquelles elle est confrontée depuis l'indépendance. Mais ce sont surtout les élites du nord du pays qui se mobilisent sans toujours mesurer l'état réel d'une majorité importante de femmes algériennes.

Le débat qui va progressivement s'instaurer est crucial car il touche au projet de société jamais défini depuis 1962. Quels doivent être le statut et la place de la religion dans un pays qui aspire à la modernité tout en refusant d'y perdre son âme ? Plus encore en 1966, ces deux avant-projets sont massivement inspirés du fiqh malikite sans pourtant en conserver les garde-fous essentiels. Ils en confirment la dimension patriarcale et inégalitaire et ne correspondent nullement aux options du document de référence idéologique de l'époque : la Charte nationale mise en oeuvre par la Constitution votée la même année.

Charte et Constitution sont indubitablement d'inspiration égalitaire et socialiste même si elles affirment leur fidélité à la dimension islamique de la personnalité algérienne, donc la Charte définit les lignes majeures : islamisme et arabité. L'Islam y est de nouveau déclaré religion de l'État. Définition ambiguë, s'il en fut, comme le montre bien la diversité des interprétations de ce principe et des revendications que son application suscite dès le début des années 80.

Cependant, le statut des personnes en reste le domaine d'application privilégié. De fait, les quelques règles juridiques explicites du Coran confirmées et complétées par la tradition prophétique (sunna) ne concernent-elles pas justement le mariage et sa dissolution ainsi que les successions ? Elles sont dominées par l'inégalité de principe entre homme et femme, également déclarée par le Coran à propos "des droits de chacun dans le mariage et dans la répartition des successions" 43(*).

La comparaison des points les plus litigieux de chacun des avant-projets entre eux permet de faire apparaître les lignes générales de l'évolution jusqu'à l'adoption du code de 1984. Une évolution qui se caractérise par le renforcement progressif de l'opinion "patriarcale" et, tout d'abord, du mariage. Sans doute les trois avant-projets intègrent-ils les règles posées par la loi Khemisti de 1963 sur l'échange des consentements, la fixation d'un âge minimum et l'obligation d'inscrire l'acte de mariage à l'état civil. Ils interdisent aussi la "contrainte matrimoniale", prérogative que le fiqh malikite concède au tuteur sur ses enfants, garçons ou filles. Quant à la tutelle matrimoniale imposée à la femme, même majeure, elle est conservée en 1966 (art. 18). Le texte de 1979 ne la maintient que dans le cas du mariage d'une mineure (art. 16). Mais elle réapparaît dans sa formulation traditionnelle en 1981 : "La charge de marier la femme incombe à son tuteur matrimonial..." dont la désignation s'inspire des principes du fiqh malikite, explicitement en 1966 (art. 17), implicitement en 1981 (art. 8).

La direction de la famille est confiée par les trois avant-projets au mari qui en est déclaré le chef. Quelques minces ouvertures sur une réalité "conjugale" différente apparaissent dans le texte de 1976, elles y font au mari un devoir "d'exercer cette fonction dans l'intérêt du ménage et des enfants". Bien plus, et c'est là une innovation certaine, "la femme concourt avec le mari à assurer la direction morale et matérielle de la famille, à élever les enfants et à préparer leur établissement" (art. 40). Mais, ces limitations d'une autorité quasi souveraine disparaissent de l'avant-projet de 1981. Le devoir d'obéissance, déjà imposé à l'épouse en 1966, est restitué dans le contexte patriarcal institutionnalisé par le fiqh. Se conformant aux usagers, elle doit accorder à son mari les regards qui lui sont dus en sa qualité de chef de famille et, sans réciprocité pour sa propre famille, respecter ses parents et ses proches qui représentent l'agnation de son époux (art. 34).

La polygamie demeure tout au long de l'évolution mais ce n'est pas à proprement parler une "permission" puisqu'elle est inscrite au titre des "empêchements" qu'une dispense peut écarter. L'organisation et les limitations qui lui sont imposées en 1966 rappellent d'assez près celles du code irakien. Ainsi, l'autorisation du juge est requise sous peine de sanctions pénales (prison ou amende) - et civiles - dont la nullité du second mariage non autorisé (66 / art. 31, 33 et 34).

En 1979, c'est sous peine de nullité que le remariage d'un homme déjà marié est soumis à l'autorisation motivée du juge (77 / art. 15). Mais, la sanction pénale prévue en 1966 disparaît. La rigueur s'atténue encore en 1981 puisque le contrôle du juge n'est plus explicitement requis, de même que disparaît la menace de nullité (81 / art. 4). Bien plus, ce texte reprend à son compte le devoir du "partage des nuits" organisé avec une grande minutie par toutes les écoles du fiqh (81 / art. 32). Un autre verrou sauté : c'est la disposition qui permettait en 1966 (66 / art. 20) d'inscrire dans le contrat de mariage une "clause de monogamie". Ce silence est lourd de risques. En effet, bien inscrite dans la plupart des contrats algériens anciens 44(*), cette clause est considérée comme nulle par la doctrine dominante, à l'exception du fiqh hanbalite.

Les trois avant-projets conservent sans changement deux autres caractéristiques du mariage musulman. L'obligation pour le mari de verser un douaire (mahr) à son épouse demeure un élément fondamental du mariage (66 / art. 21-25 ; 79 / art. 18-22 ; 81 / art. 13-16). Par ailleurs, il reste toujours interdit à la femme d'épouser un non musulman (66 / art. 32 ; 79 / art. 13 ; 81 / art. 27).

Qu'en est-il de la répudiation  / divorce, autre point particulièrement sensible pour la stabilité de la famille autant que la situation de l'épouse ?

Le passage de la répudiation privée à la dissolution judiciaire est annoncé dès 1966. Mais, en dehors d'une disparition en 1979, la répudiation (talâq) reste une prérogative exclusive du mari (66 / art. 46 ; 81 / art. 44). Le texte de 1979 innove, cependant, par rapport au fiqh puisqu'il donne aux deux époux, à égalité, le droit de demander le divorce moyennant des réparations civiles le cas échéant (79 / art. 51). S'agit-il de l'ouverture de la répudiation à la femme ou plutôt d'une innovation adaptée à la réalité sociale et offrant à l'homme le thalât, ce divorce judiciaire ouvert à l'épouse par le fiqh malikite sous un certain nombre de conditions ? Reste que le mari semble ici ne plus se voir reconnaître le droit exclusif à la répudiation unilatérale que lui avait conservé l'avant-projet de 1966.

L'avant-projet de 1981 le restaure dans ce droit quitte, en cas d'abus, à payer, sous forme de dommages et intérêts, à l'épouse victime (art. 44). L'innovation s'arrête là puisqu'on ne retrouve plus les clauses communes aux deux époux définies en 1966 (art. 46) et en 1979 (art. 49-50) : le consentement mutuel, l'adultère, la condamnation pour infraction contre la famille ou pour mauvaises moeurs, les excès, sévices et injures personnels (79 / art. 50). Les conditions du divorce à la demande de la femme, selon les modalités du fiqh malikite (talâq) sont conservées et le texte de 1981 restaure le divorce avec compensation (talâq al-khul`), procédure empruntée au fiqh hanafite qui permet à la femme d'obtenir que son mari la répudie judiciairement moyennant une "rançon" (khul`) pour le prix de sa liberté (81 / art. 46).

Quant à la procédure du divorce, si les avant-projets de 1966 (art. 47-61) et de 1979 (art. 53-64) l'organisent avec une certaine minutie, le texte de 1981 garde le silence sur la question, en dehors de quelques brèves indications relatives au rôle du juge et à celui des arbitres suggérés par le Coran (Coran IV, verset 35), (79 / art. 57 ; 81 / art. 46). Les effets de la dissolution pour les époux et leurs enfants ne comportent guère de nouveauté par rapport au fiqh. Pour déterminer le délai de viduité, les textes de 1966 et 1979 prennent quelques libertés par rapport au fiqh (66 / art. 62-67 ; 79 / art. 71-72) en ne conservant qu'une computation mathématique. En 1981, on retrouve la notion de "périodes de pureté menstruelle", objet de tant d'arguties de la part du fiqh. Le but de la computation est double : elle permet de limiter le risque de confusion de paternité et le délai obligatoire au mari d'entretenir son épouse divorcée, l'entretien comportant la pension alimentaire (66 / art. 56 ; 79 / art. 69 ; 81 / art. 46) et le logement (79 / art. 69 ; 81 / art.50).

La garde des enfants mineurs reste tributaire du fiqh malikite. C'est la mère qui en est la première attributaire jusqu'à un certain âge : 15 ans en 1979 (art. 73) et 10 ans en 1981 (art. 53). L'évolution sur ce point bien particulier n'est nullement neutre, elle reflète assez bien le sens des codifications. La tutelle (wilâya) des enfants du couple appartient de plein droit au père tant qu'il est vivant (79 / art. 135 ; 81 / art. 76). S'il meurt, il peut être remplacé par la mère, à moins qu'il n'ait pris la précaution de désigner un tuteur testamentaire (79 / art. 136 ; 81 / art.76). Le fiqh donnait priorité au grand-père, tuteur des enfants de ses fils pré-décédés.

Reste la question si délicate du droit successoral et de ses annexes : testaments, donations et habûs ou waqf. En la matière, toutes les écoles de fiqh puisent directement à la source coranique. Les avant-projets de 1979 et 1981 ne font pas exception à la règle et conservent la division entre héritiers à quote-part (ashâb al-furûd), des femmes et quelques hommes, et héritiers par "agnation" (ashâb), des hommes et quelques femmes qu'ils "agnatisent". Ils gardent également intact le privilège de masculinité selon lequel, à vocation successorale analogue, l'homme bénéficie toujours d'une part double de celle de la femme.

Ces avant-projets constituent une préhistoire révélatrice du chemin parcouru pour arriver au Code de la Famille de 1984. Les très rares accrocs à la tradition patriarcale consolidée par le fiqh malikite n'ont nullement réussi à renouveler des principes souvent peu en accord avec la situation effective d'une partie de la société algérienne. La couleur est annoncée dès l'exposé des motifs de l'avant-projet de 1981. Ses auteurs disent s'être fondés sur la Charte Nationale et sur la Constitution, ainsi que sur les sources classiques du droit en Islam - Coran, tradition du Prophète (sunna), consensus (Idjmâ`), analogie (Qiyâs) et effort d'interprétation (idjtihâd) ; ils y joignent le fiqh et plusieurs codes déjà en vigueur dans certains pays musulmans, des références tout à fait contradictoires par les options que chacune représente. Manque, cependant, la référence explicite à l'application de la Charia. C'est le Code de la Famille qui l'exprimera.

La lecture des divers avant-projets élaborés depuis 1966 a permis de relever quelques-unes des contradictions majeures d'un système juridique soumis à des idéologies fondamentalement différentes. L'une privilégie la notion de "droit révélé" ou Charia avec laquelle, après bien des évolutions, on a fini, au XX ème siècle, par confondre le fiqh, du moins en ce qui concerne le statut des personnes. L'autre, s'appuie sur la raison humaine indépendante. Ces contradictions, bien qu'elles aient suscité les mises en garde des militantes féministes, ne semblent point avoir gêné dans leur option de fond.

Elles ont mis en place un système dans une société qui n'a plus rien à voir avec celle des premiers siècles de l'Islam, au risque des injustices auxquelles le Coran, prédication marquée par la recherche de justice sociale (`adl), avait voulu remédier à l'époque de sa réception par le Prophète Mohammad. L'expression "statut personnel" disparaît et c'est un "Code de la Famille" qui est voté en 1984 par une Assemblée nationale qui confirme et renforce la tendance vers la traditionalisation 45(*) et soulève la contestation véhémente du mouvement féministe algérien déçu par l'inaction de l'U.N.F.A. (Union Nationale des femmes algériennes émanant du F.L.N.). C'est même à cette époque que ce mouvement commence à se structurer.

Les anciennes moudjâhidâtes (combattantes), s'appuyant sur la moralité des héroïnes de la guerre de libération sont les premières à s'engager publiquement dans la bataille. Le 28 octobre 1981, elles osent affronter les traditions, les hommes, l'État et la police en "descendant dans la rue" et en organisant un sit-in devant le siège de l'Assemblée nationale où elles réclament d'être reçues pour faire valoir leur argumentation qu'elles appuient sur l'institutionnel de l'avant-projet au regard du principe d'égalité totale de tous les citoyens. Le mouvement est vite rejoint par d'autres militantes. Un "comité d'action issu du rassemblement" s'organise et lance un appel à la résistance. La mobilisation est telle que l'on croit, un moment, avoir remporté la victoire.

- 1982

En 1982, le chef de l'État, Chadli Bendjedid, prend l'initiative de retirer du bureau de l'Assemblée nationale (A.P.N.) l'avant-projet en cours de discussion.

- 1984

Et en avril 1984, lorsque la presse commence à parler des débats de l'Assemblée sans informer pour autant de leur contenu, il a été filtré sur la question de la vision que l'on doit avoir de l'Islam :

"Une vision moderniste de la religion, de la tolérance, de la justice et du progrès ou alors interpréter le dogme religieux de façon restrictive en ignorant les mutations réelles qui se déroulent autour de nous ?".

Modernistes et conservateurs seraient unis par "le Coran qui constitue l'instrument essentiel de l'élaboration de la loi dans ses grandes lignes" tout en différant "au niveau des nuances et de la façon dont sont interprétés le Coran et la sunna" 46(*).

Une lecture attentive du code adopté et promulgué en juin de la même année 47(*) permet de constater que l'on a finalement privilégié l'option conservatrice dans la forme et le fond. Ses rédacteurs (de la science fuqaha) utilisent même un langage directement puisé dans la tradition du fiqh. Ils reprennent presque mot pour mot les formulations du Coran et de la sunna. Le texte en reçoit une forme désuète qui s'accorde mal avec les options "modernistes" choisies par l'Algérie en d'autres secteurs et accentue l'ambiguïté du texte.

Lors de la présentation à la presse le 18 juin 1984, le ministre de la Justice s'efforce d'expliquer que le code représente le choix de l'Algérie pour un projet de société gouverné par "une morale socialiste qui respecte les valeurs arabo-islamiques du peuple algérien" 48(*). On retrouve ici un principe posé par le discours politique de l'époque : parmi les comportements étrangers à la société algérienne et représentatifs d'une certaine modernité, refuser "ceux qui portent atteinte à notre morale car ils sont contraires aux enseignements de notre religion et remettent en cause notre identité culturelle" 49(*).

L'équilibre entre modernité et respect des traditions n'est nullement atteint comme le fait apparaître l'étude du texte car on a peu mis en oeuvre une valeur coranique fondamentale, la justice à l'égard des personnes, des femmes en particulier. La famille n'est pas sauvée de la crise dans laquelle elle est plongée 50(*).

Un Code de la Famille réglementant tout le processus matrimonial a été adopté le 9 juin 1984 et se trouve aujourd'hui fortement contesté par les associations de femmes et par toutes les forces progressistes algériennes qui le considèrent comme anticonstitutionnel du fait qu'il institutionnalise la supériorité de l'homme sur la femme. Il est nécessaire de montrer, justement, en procédant au démontage de ses articles fondamentaux.

* 1 C. CAMILLERI, Jeunesse et développement, édit. du C.N.R.S., Paris, 1969.

* 2 P. H. CHOMBART De LAUWE, Pour une sociologie des aspirations, édit. Denoël, Paris, 1969.

* 3 Christiane SOURIAU, Le Maghreb musulman en 1979, édit. du C.N.R.S., Paris, 1981.

* 4 Germaine TILLION, Le harem et les cousins, édit. Seuil, Paris, 1966, p. 199.

* 5 M. MAUSS, Sociologie et anthropologie, édit. PUF, Paris, 1978, p. 147.

* 6 G. TILLION, Le harem et les cousins, op. cit., p. 11.

* 7 G. TILLION, op. cit., p. 184.

* 8 "Les femmes arabes", In M.R.G., Rapport n° 27, pp. 11-12.

* 9 Alain TOURAINE, La voix et le regard, Sociologie des mouvements sociaux, édit. Seuil, Paris, N. édit., 1993.

* E. F. n'a pas voulu que je cite son nom mais elle a publié ses propos dans un document de l'AFRISE.

* 10 Jean DEPREZ, Pérennité de l'Islam dans l'ordre juridique au Maghreb, Publication du C.N.R.S.M., 1981.

Le Matin, Quotidien national, "Les naissances au maquis", n° 2504 du mardi 23 mai 2000, Alger.

* 11 KRISTEVA, Le texte du roman, édit. Mouton, Paris, 1970.

* 12 Monique RÉMY, L'histoire des mouvements de femmes, édit. L'Harmattan, Paris, 1990.

* 13 Simone De BEAUVOIR, Le Deuxième Sexe, 2 vol., édit. Gallimard, Paris, 1949 ; édit. Flammarion,

* 1 Elena Gianini BELLOTI, Du côté des petites filles, édit. De Poche, Paris, 1981

* 2 Ibidem

* 1 Elena Gianini BELOTTI, op. cit., p. 25

* 14 Pierre BOURDIEU, Esquisse d'une théorie de la pratique, édit. Points-Seuil, Paris, 2000.

* 15 IBN ROCHD, dit Averroès, philosophe.

* 16 R. GUBBELS, Le travail au féminin, édit. Marabout, Paris, 1967, p. 23.

* 2 Ibidem

* 3 Expression arabe qui veut dire "Les hommes sont plus droits que les femmes".  

* 17 Mohamed Mahdi EL HAJOUI, La femme dans le droit musulman, imprimerie Dar Al Kitab, Casablanca, 1967.

* 18 Allal EL FASSI, L'autocritique, édit. du Parti du Leader de l'Indépendance, Rabat, Maroc, 1979.

* 1 Fethi BENSLAMA, La pensée à l'épreuve, édit. , ,199.

* 19 CORAN, Sourate IV, An-Nisâ' (Les Femmes), Verset 4.

* 20 Coran, sourate IV, op. cit., Verset 3.

* 21 Coran, sourate VI, Al-An`âm (Les Bestiaux), Verset 129.

* 22 Coran, sourate XV, Al-Hidjr (nom d'une région de l'Arabie préislamique), Verset 4.

* 23 Coran, sourate IV, op. cit., Verset 34.

* 24 Coran, Sourate II, Al-Baqara (La Vache), Verset 220.

* 25 G. BENMELHA, Eléments du droit algérien de famille, édit. O.P.U.- Publisud, 1985, pp. 17-22.

* 26 G. BENMELHA, "La famille algérienne entre le droit des personnes et le droit public", In Revue algérienne des sciences juridiques, politiques et économiques, Spécial 20ème année, Alger, 1982, p. 327.

* 27 El Djazairia, 1981, p. 36.

* 28 Constitution de 1976, article 2.

* 29 Titre II, chap. I.

* 30 Hélène VANDEVELDE-DAILLIERE, Malgré la tourmente, Paris, 1988, p. 24.

* 31 Saléha BOUDÉFA, "Image de la femme dans les discours officiels", In Femmes, familles et société au Maghreb, journées d'études du 2, 3 et 4 / 1987, Université d'Oran, 1988, pp. 261-286.

* 32 Op. cit., p. 206.

* 33 EPHESIA, La place des femmes, Collection Recherche, édit. La découverte, Paris, 1995.

* 34 Ahmed TALEB IBRAHIMI, Lettres de prison, 1957-1961, édit. SNED, Alger, 1965.

* 35 M. BORMANS, Statut personnel et famille au Maghreb de 1940 à nos jours, édit. Mouton, 1977, pp. 521-529, In Documents sur la famille au Maghreb de 1940 à nos jours, Orient moderne, 59, pp. 1-5, 1979.

* 36 Sur la doctrine sociale des `Olamâs algériens, voir Ali MERAD, "Le réformiste musulman en Algérie de 1925 à 1940", In Essai d'histoire religieuse et sociale, édit. Mouton, Paris - La Haye, Mouton, 1967.

* 37 BORMANS, op. cit., p. 521.

* 38 El Moudjahid, Quotidien National, 20-21 février 1966.

* 39 Fadéla M'RABET, Les Algériennes, édit. Maspero, Paris, 1967, pp. 241-255, repris par BORMANS, In Documents, "Ce projet qui "n'existe pas" ...", pp. 311-320.

* 40 Actes de ce colloque du 8-10 mai 1968, In RASJEP, Alger, 1968, 4, pp.1047-1049.

* 41 El-Moudjahid, quotidien national, le 30 novembre-1er décembre 1969.

* 42 Journal El-Moudjahid, 28 octobre 1969.

* 43 Coran - II, op. cit., Verset 228, "Les hommes ont une prééminence sur les épouses".

- IV, op. cit., Verset 34 : "Les hommes ont autorité sur les femmes en vertu de la préférence que Dieu leur a accordée sur elles... ".

- IV, Ibid, Verset 11, "Quant à vos enfants, Dieu vous ordonne d'attribuer au garçon une part égale à celle de deux filles...".

* 44 Saadeddine BENCHENEB, "Un contrat de mariage algérois du début du XVIII ème siècle", In Annales de l'institut d'études Orientales d'Alger, n° 13, 1955, pp. 98-117.

* 45 El Moudjahid, Quotidien National, Alger, 20-21 avril 1984.

* 46 Z. GADOUCHE, "Code de la Famille, reflet de l'Algérie", In Algérie-Actualité, journal hebdomadaire du 10-16 mai 1984.

* 47 Journal Officiel de la République Algérienne, "Loi 84-11 du 9 juin 1984, Le Code de la Famille", Alger, 1984, p. 612.

* 48 El Moudjahid, Alger, 19 juin 1984.

* 49 Rapport du chef de l'État et secrétaire du Parti, V ème Congrès du F.L.N., Alger, décembre 1983.

* 50 Omar LARDJANE, "Identité collective et identité individuelle", In Élites et questions identitaires en Algérie, édit. Casbah, Alger, 1997, p. 19.

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