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Justice, équité et égalité entre philosophie utilitariste et Science économique: Bentham, Mill, et Rawls

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par Didier HAGBE
Université Lyon II - Master 2 Histoire des théories économiques et managériales 2005
  

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PARTIE I. - PHILOSOPHIE UTILITARISTE: «PERSPECTIVE HISTORIQUE»

Introduction

À la fin du XVIIIe siècle, le monde connut des mutations politiques telles que les Révolutions américaine et française. Le concept d'Etat-nation moderne émergeait, et on assista à des transformations économiques que fut la montée en puissance de la bourgeoisie et le début du libéralisme3(*). Toutes ces mutations modifièrent considérablement le paysage philosophique. Les révolutions de 1848 révélèrent la puissance persistante des nouvelles idées de «liberté, d'égalité et de fraternité». De nouvelles préoccupations surgirent, et les philosophes adoptèrent une manière différente de poser les problèmes.

En Amérique, un nouveau pays aménagé d'une constitution inédite vit le jour, et la guerre civile sanglante mit un terme, finalement, à l'esclavage en Occident. Par ailleurs, la révolution industrielle amena rien de moins qu'une restructuration complète de la société. L'Angleterre, qui, dès la fin du XVIIe siècle, avait défini certains droits des sujets dans le cadre de la monarchie, devient ainsi un modèle pour les penseurs politiques prérévolutionnaires.

La place de l'Angleterre comme centre intellectuel est renforcée par les développements du courant empiriste4(*) né au XVIIe siècle. Hume5(*), par exemple, valorise l'observation tirée de l'expérience et critique le rationalisme6(*) du XVIIe siècle. Mais, face à ce premier courant qui tend vers un scepticisme radical, se développe un second courant qui privilégie le rôle des sentiments sur la raison. Cette tendance prend en France la forme du sensualisme7(*), dont Condillac est le plus grand représentant, mais il est probable qu'une philosophie comme celle de Jean-Jacques Rousseau trouva dans ce courant l'une de ses sources d'inspiration. A cette période on assiste à l'existence d'une continuité politique anglaise et une absence de rupture comme 1790 en France.

«Chez nous, l'écrivain qui avouerait hautement ses opinions antireligieuses, ou même antichrétiennes, compromettrait non seulement sa position sociale, que je me crois capable de sacrifier à un but suffisamment élevé, mais, ce qui serait plus grave, ses chances d'être lu[...]. La véritable émancipation des spéculations sociologiques, soit de l'empirisme, soit de la tutelle sociologique, ne saurait avoir lieu chez nous, tant que nous n'aurons pas fait notre 1790»8(*).

Ainsi deux cultures se font face: d'un côté le modèle français, lié au centralisme d'Ancien régime avec comme principe, l'État c'est la loi, et les contre-pouvoirs de Montesquieu inspirés du modèle anglais des «checks and balances», et une conception spécifique de la .justice qui applique la loi, qui a compétence liée, et doit être d'autant plus indépendant, or le débat français a pour un des points de départ, et comme source de la loi, la réflexion de Rousseau sur la volonté générale. En effet, c'est chez Rousseau que la notion prend un sens politique, la volonté générale est celle du corps social uni par et dans le contrat social, considéré non comme un agrégat d'individus, mais comme l'équivalent d'une personne morale et soucieux uniquement de l'intérêt commun. C'est pourquoi la volonté générale ne saurait se définir par la simple addition des volontés individuelles. C'est elle qui fonde toute décision du souverain, à condition qu'elle concerne une question d'intérêt commun, qu'elle soit établie par la majorité des citoyens après consultation de tous et que la décision soit appliquée à tous. La grande question du libéral français est comment faire pour que la politique ne soit pas tout, qu'elle n'interfère pas avec la vie privée, dans une culture où, par le jeu de la volonté générale, tout est politique. L'obsession libérale par excellence dans cette culture, est la liberté, au sens de la préservation de la spécificité du politique et de la protection de la sphère privée.

En face, le modèle anglais, marqué par la révolution anglicane, est marqué par deux traits : la non distinction entre raison politique et raison économique, d'une part ; la loi sans l'État, d'autre part. En ce qui concerne le premier trait, la majorité, c'est le plus grand nombre. L'idée de volonté générale est absente de la réflexion de Locke. La légitimité, empirique9(*), plus encore que dans le libéralisme bourgeois, repose sur les distinctions sociales : les contre-pouvoirs sont des pouvoirs sociaux, représentés par la chambres des Communes, les Lords, le Juge. De là le second trait, qui impose une conception de la justice très différente du système français. Le juge ne se borne pas à appliquer la loi, comme en France : il représente, lui aussi, la société, et, comme tel, il est aussi créateur de droit. A la différence du système français, qui fait émaner les règles collectives de la volonté générale, les règles de droit émanent aussi bien de la société civile que des représentants du peuple. L'obsession libérale par excellence, dans le système anglais, est la question de l'acquiescement de tous aux normes collectives. L'obsession centrale est la reconnaissance et la protection des minorités.

En fin de compte, la pensée libérale hésite, on le voit, entre deux pôles : d'un côté, l'aspiration intransigeante à la liberté. De l'autre, la soumission de l'individu aux lois naturelles, telles que les perçoit et les organise la raison. D'un côté le laisser-faire ; de l'autre, l'organisation. D'un côté l'individualisme ; de l'autre, le contrôle social.

Que ce soit sur le plan politique ou sur le plan législatif, le XVIIIe siècle est tout entier préoccupé par le problème de la nature. Cette question, que l'on retrouve sous la plume de la plupart des philosophes, dissimule une remise en question de l'héritage de la tradition de l'Ancien Régime qui imposait une hiérarchisation de la société. Or le rôle de plus en plus important de la bourgeoisie portait atteinte aux privilèges de la noblesse. Par conséquent, les tentatives menées pour isoler ce qu'est l'homme indépendamment de l'influence de la société ont une dimension critique qu'il convient de mentionner.

À la fin du XVIIIe siècle, l'indépendance de la science par rapport à la philosophie est devenue irrévocable. C'est en Prusse, avec la publication de la Critique de la raison pure d'Emmanuel Kant, que fut pour la première fois formulé philosophiquement ce constat. Malgré sa tendance irrépressible à passer outre les frontières de ce qu'elle peut connaître, la raison doit désormais reconnaître ses limites, et ne plus chercher à faire de notions comme l'âme10(*), le monde et Dieu, des outils de rationalité scientifique. Inspiré par l'empirisme anglais de Hume, le criticisme kantien donna naissance à l'idéalisme allemand que l'on retrouve tout au long du XIXe siècle.

Au départ, en économie, la notion d'utilité était essentiellement liée à la prise de risque. La «Théorie sur la mesure du risque» de Daniel Bernoulli11(*) [1700-1782], et dans celle-ci, le Paradoxe de Saint-Pétersbourg12(*) furent à la base des théories économiques et financières de l'aversion au risque, de la prise de risque et de l'utilité. La notion d'utilité est devenue plus largement une mesure de bien-être ou de la satisfaction obtenue par la consommation, ou du moins l'obtention, d'un bien ou d'un service.

Jeremy Bentham a été un pionnier dans l'utilisation de calculs utilitaristes en ce qui serait appelé plus tard économie du bien-être pour obtenir des jugements concernant l'intérêt social en agrégeant les intérêts personnels des différents individus sous la forme de leurs utilités respectives.

C'est ainsi que l'utilitarisme a été très influent dans la formation de l'économie du bien-être, dominée pendant longtemps par une adhésion quasi inconditionnelle au calcul utilitariste dont Bentham fut l'instigateur. La préoccupation de Bentham et celle de l'utilitarisme en général étaient l'utilité totale d'une communauté.

La notion d'utilité est liée à la notion de besoin. Le concept est ensuite utilisé dans les fonctions d'utilité, fonctions d'utilité sociale, utilité cardinale chez Jevons, boîtes d'Edgeworth, optimum au sens de Vilfredo-Pareto. Cette notion d'utilité devient un concept central de l'économie du bien-être.

Dès lors, la réflexion économique peut s'affranchir de la morale et s'appuyer sur le seul calcul des avantages et désavantages pour la richesse de l'individu et de la nation, bref selon son utilité économique13(*). La morale devient l'objet d'un calcul individuel, d'une arithmétique, qui influence aujourd'hui la théorie économique, par exemple la théorie de la responsabilité14(*), et pour ce calcul, initialement trois principes élémentaires sont à considérer:

Le premier principe est l'individu: le statut de l'enfant change et on peut dire la même chose de tout. L'individu acquiert le droit naturel moderne : aujourd'hui nous considérons que chaque humain a les mêmes droits.

Le deuxième principe est L'utilité: si les individus sont tous égaux, alors que peuvent-ils faire pour se supporter? Ils échangent sur les marchés qui doivent être réglés: le prix est déterminé selon l'offre et la demande et non plus par le rang de chacun comme au temps d'Aristote et de Thomas d'Aquin. C'est le «juste prix» ou prix d'équilibre. Ceci signifie que l'on doit avoir «le plus grand bonheur pour le plus grand nombre»: chaque individu cherche à maximiser son intérêt et contribue à un équilibre.

Le troisième principe est la liberté: elle consiste à laisser le marché s'autoréguler seul, c'est ce qu'on appelle «la main invisible». En 179115(*), la loi le Chapelier16(*) et le décret Allarde17(*) appliquent le principe de liberté de circulation des biens et des personnes: les associations de commerçants sont supprimées et tout syndicat est interdit.

C'est dans ce contexte de bouleversement politique, idéologique et économique que naît et vit Mill. Il n'est pas surprenant que tous ces bouleversements le conduisent avec tant d'autres, notamment Bentham, à repenser la morale. Les anciennes valeurs, les vieux modes de pensée, furent critiqués et questionnés. C'est cet arrière-fond qui explique que les arguments de Bentham en faveur d'une nouvelle conception de la morale eurent une influence considérable. La morale, selon lui, n'a rien à voir avec l'idée de faire les volontés de Dieu ni non plus avec l'obéissance à des règles abstraites. La morale n'est rien d'autre que la tentative d'accroître le plus de bonheur possible dans notre monde.

La morale, n'a plus rien à voir avec l'idée de faire les volontés de Dieu ni avec l'obéissance à des règles abstraites. La morale n'est rien d'autre que la tentative d'augmenter le bonheur du plus grand nombre d'individus.

Le XVIIIe siècle a donc vu naître et s'épanouir une révolution en éthique, et certaines théories philosophique transformèrent les mentalités, parmi lesquelles l'utilitarisme, théorie proposée par David Hume, et qui devient une philosophie qui évolue dans la période classique d'une morale individuelle : Bentham, vers une morale sociale : Mill. Mais, l'utilitarisme ne fut pas seulement une philosophie morale, mais également un vaste mouvement intellectuel, politique et social.

Chapitre I - L'Utilitarisme version Jeremy Bentham [1748-1832]

Jeremy Bentham, philosophe et juriste est né à Londres, le 15 février 1748. Il s'est révélé être un peu un enfant prodige : bien qu'étant encore tout petit, on le découvrit assis au bureau de son père lisant une encyclopédie de l'histoire de l'Angleterre, et il commença à étudier le latin à l'âge de trois ans. A douze ans, il fut envoyé comme étudiant en Droit au Queen's College d'Oxford, son père, un procureur prospère, ayant décidé que Jeremy suivrait le même chemin que lui et se dirigerait vers la loi, et étant entièrement sûr que son fils brillant serait un jour Grand Chancelier d'Angleterre. C'est au Queen's College d'Oxford, que Bentham découvre la théorie des droits naturels18(*) avec Blackstone, le grand juriste tory, et les théories pénales en lisant le Traité des délits et des peines [1764] de Beccaria19(*), admiré de Voltaire pour son combat contre la peine de mort. Sa vocation est toute trouvée : il rêve de devenir réformateur social ; et son champ d'action sera emprunté à un débat qui s'ouvre en Angleterre à son époque et qui émerge en France sous la Restauration.

Bentham, cependant, a rapidement perdu toute illusion concernant la loi, particulièrement après avoir entendu les lectures de la principale autorité en cette matière de l'époque, Sir William Blackstone [1723-1780]. Au lieu de pratiquer la loi, il a décidé d'écrire à son propos et il a passé sa vie à critiquer les lois existantes et à faire des propositions pour leurs améliorations. C'est dans un livre de Priestley que Bentham trouva la maxime sur laquelle il devait faire reposer tout son système : «Le plus grand bonheur du plus grand nombre.» A cette vue, dit-il, je m'écriai transporté de joie, comme Archimède lorsqu'il découvrit le principe fondamental de l'hydrostatique: je l'ai trouvé, Eurêka!

En 1789, Bentham publie son grand oeuvre, Introduction aux principes de la morale et de la législation. Bentham veut passer de la réforme libérale au contrôle social. La pensée de Bentham est très éloignée de celle de la Révolution française, car la Révolution, c'est la théorie de la volonté générale, l'idée du droit créé par les représentants du peuple, par l'Etat.

Le système anglo-saxon, issu de Locke20(*), est la conception de la majorité comme expression arithmétique de la pluralité des voix et l'idée du droit créé par les juges, et par la société. Il résulte de cette différence fondamentale qu'en France, la politique est perçue comme une idée, avant que d'être traduite en expérience, et que le droit s'impose de haut en bas. En revanche en Angleterre, la politique est d'abord une donnée de l'expérience, et le droit doit émerger de la société.

En bon logicien qu'il est, comme Hobbes21(*), Bentham s'est lancé sur cette piste, plus loin que quiconque, plus loin que Locke lui-même et que les pères de la Révolution américaine, dans son Introduction aux principes de la morale et de la législation, il récuse à la fois la théorie abstraite du contrat social et la théorie des droits naturels. Non pour nier ces droits, mais pour nier que ceux-ci soient effectivement fondés en nature, leur inventaire est un a priori qui a peu de rapport avec la raison, il est arbitraire.

Bentham qualifie la Déclaration des droits de l'homme de "sophisme métaphysique". Les critères d'une société juste devront donc être reconstruits sur d'autres bases. Ces bases, Bentham les emprunte au philosophe anglais par excellence, David Hume [1711- 1776], le philosophe de l'empirisme. Ces bases sont: les notions de bonheur et surtout, d'utilité.

L'homme est ainsi fait qu'il cherche naturellement le plaisir et fuit la douleur. Cette stratégie commande l'harmonie des sociétés humaines. Aucun objectif n'est plus absurde que la prétention de rendre l'homme autre qu'il n'est. Si vous le rendez bon, vous arriverez au même résultat que la fameuse fable des abeilles de Mandeville22(*), Pour Mandeville, la motivation réelle de l'action morale est l'intérêt personnel; cependant, et là Mandeville préfigure la «main invisible» au sens d'Adam Smith, l'intérêt privé peut conduire à des résultats heureux dans la vie publique: «vices privés, vertu publique» est le sous titre de La fable des abeilles (1714).

Sortant des impasses auxquelles conduisent ces hypothèses sur la motivation de l'acte vertueux, Bentham, prolongeant les idées de Hume, prend le tournant décisif en faisant porter l'analyse sur l'action et ses conséquences et non plus sur les motifs de la conduite. Il faut préciser, cependant, que ce qui intéresse Bentham, comme avant lui Beccaria, c'est l'action publique, celle des juges, des législateurs ou des gouvernements, pas l'action morale individuelle. Cela explique pourquoi le domaine privilégié de l'utilitarisme, encore de nos jours, est le domaine de l'éthique appliquée, du choix social et de la décision publique plus que celui de la décision individuelle. L'impact de Bentham fut très important, comme le soulignent justement Mill, en particulier dans le domaine du code pénal en raison de sa dénonciation de l'iniquité des peines dont le but était, surtout, de satisfaire l'esprit de vengeance de la société et non l'utilité publique.

Dans la fable des abeilles, elles sont égoïstes et âpres au gain ; une ruche où les abeilles seraient vertueuses et charitables ne pourrait pas fonctionner. Le problème du réformateur qu'est Bentham est donc de tirer le meilleur parti possible des défauts et des qualités des hommes. Bentham essaye donc de trouver l'arithmétique politique (il emploie l'expression) la plus exacte, qui ajuste les uns aux autres les comportements d'individus considérés comme égoïstes et calculateurs.

Bentham est un réformiste sans être vraiment révolutionnaire. Il faut réformer les institutions anglaises. Il y a une tension entre la totalité et les individus qui doivent être protégés dans la société. Ce n'est pas encore la lutte des classes. Il pense que la somme des utilités individuelles donnera un vecteur commun, le principe de maximation : il faut assurer le bien et pour un plus grand nombre.

Sous son influence, en 1793 il apparaît que le but de toute association politique est le bonheur commun. Le droit au bonheur figure aussi dans la déclaration des Etats-Unis d'Amérique.

Le principe d'utilité lui-même est adopté dogmatiquement, mais on ne peut prouver le principe d'utilité, car c'est une question de choix personnel. La chaîne des preuves doit bien commencer quelque part. Bentham évacue le concept de justice comme concept fondamental du droit. Il s'en sort en transformant la notion de sympathie envers les autres, une sympathie calculée. Il ne faut pas être bêtement égoïste mais de manière intelligente. Sinon des égoïsmes bruts s'opposent et le bonheur de chacun diminue. Il faut respecter les égoïsmes des autres. Il faut que chacun s'occupe de son bonheur individuel.

Le droit est un pur instrument. Il faut réformer la société dans un but commun. L'Etat est un apport de laisser-faire, de libéralisme. Le droit doit créer un cadre, un cadre d'épanouissement du bonheur. Les statuts des indigents doivent être protégés, car les pauvres sont potentiellement une menace. Il faut les aider un peu pour désarmer une révolte sociale possible.

Le droit devrait être un peu plus prévisible. Bentham demande une codification du droit anglais sur le modèle français ou prussien. Il faut un minimum de codification pour la sécurité juridique. Il n'aime pas le pouvoir prétorien des juges qui font ce qu'ils veulent. L'utilité est le rejet de la tradition qui ne sert plus à rien que l'on vénère seulement parce qu'elle est ancienne.

L'Etat repose sur la recherche de l'utilité commune et la recherche du maximum de bonheur pour le plus grand nombre. Le gouvernement ne doit intervenir que pour éviter les conflits entre les égoïsmes. Il ne doit pas se mêler de la distribution des biens sociaux. La législation doit assurer la doctrine de l'utilitarisme, le bien-être comme un critère moral de l'organisation de la société. Pour Bentham et Mill, la société doit chercher à maximiser l'utilité totale des individus.

Bentham ne propose aucune dogmatique éthique, aucune objectivité, l'éthique change selon les circonstances. Le droit réalise un équilibre social, en vue du bonheur de tous. C'est ce qu'il appelle le principe d'égalité, ce principe découle du principe d'utilité, il n'est pas créé normativement. Par exemple, si on a 100 choses à partager entre 5 personnes, on en donne 20 à chacun pour qu'il soit content. Si on répartit différemment, la somme globale mathématiquement est la même, mais un partage inégal, partant du principe de l'utilité marginale décroissante, ne maximise pas l'utilité. Le partage inégal diminue donc la somme totale de plaisir. C'est purement pragmatique et mathématique.

Bentham considère donc que l'homme réagit principalement aux sensations agréables ou désagréables qui l'affectent. C'est donc en agissant sur ces sentiments qu'on peut gouverner une société humaine. Un bon gouvernement doit donc tenir une comptabilité des peines qu'il inflige et des plaisirs qu'il dispense, l'objectif étant que la somme des plaisirs (c'est-à-dire le bonheur) soit maximum et la somme des peines (c'est-à-dire le malheur) soit minimum et cela dans le but d'atteindre "le plus grand bonheur (bonheur = bien suprême) du plus grand nombre". [The greatest happiness of the greatest number]. Bentham est donc en cela à l'origine d'une économie politique sur la base du calcul de l'utilité des choses et des activités.

Universaliste est la première expression qui caractérise l'ambition que Bentham assigne à son système philosophique. En cela le principe d'utilité est véritablement pragmatique. A la différence d'autres philosophes, Bentham admet les hommes tels qu'ils sont, et non tels qu'ils devraient être, mais le principe d'utilité prescrit également ce qui doit être c'est-à-dire les hommes tels qu'il faudrait qu'ils agissent.

Section I. - Principe d'utilité générale: Une révolution en éthique 

L'utilitarisme peut être considéré comme révolutionnaire, car c'est une théorie philosophique qui a transformée les mentalités. En effet la plupart des gens pensent certainement que la recherche du bonheur est légitime et que le plus grand bonheur du plus grand nombre reste un objectif révolutionnaire.

David Hume et Helvétius utilisaient systématiquement l'expression «principe d'utilité publique»23(*), indiquant clairement ainsi qu'il s'agit d'un critère éthique et que ce critère n'est pas le bonheur de «l'individu qui agit» mais celui de «tous ceux qui sont concernés».

Ce principe fut repris par Bentham. «D'Helvétius, j'ai appris à regarder la tendance de toute institution ou action à promouvoir le bonheur de la société comme le seul critère et la seule mesure de son mérite, et à [...] regarder le principe d'utilité comme un oracle qui, s'il était correctement consulté, donnerait la seule solution véritable à chaque question concernant le bien et le mal»24(*).

Les liens les plus étroits entre la philosophie utilitariste et l'économie doivent être recherchés dans l'économie du bien-être, ce qui importe c'est le bien-être humain, pour Mill, ce qui importe est la qualité des plaisirs. C'est Bentham qui introduisit le vocable Utilité en 1781 et qui fait de ces principes les implications théoriques et pratiques les plus abouties. Le principe éthique à partir duquel il jugeait les comportements individuels ou publics était l'utilité sociale, d'où la formule bien connue: «le plus grand bonheur du plus grand nombre». Cette doctrine pose en hypothèse que ce qui est «utile» est bon et que l'utilité peut être déterminée d'une manière rationnelle. Il est à l'origine d'une économie politique sur la base du calcul de l'utilité des choses et des activités. Bentham défendit l'idée qu'il n'y avait qu'un unique principe moral ultime, le « Principe d'utilité ». Ce principe veut qu'à toutes les fois que nous devons faire un choix entre deux actions ou deux règles, nous devons opter pour celle qui engendre les meilleures conséquences pour tous ceux concernés. Comme Bentham l'écrit dans son Introduction aux principes de la morale et de la législation.25(*)

On peut définir ce principe à partir des seules motivations élémentaires de la nature humaine, (son penchant «naturel» à rechercher le bonheur, le plaisir et à esquiver la souffrance). Ce principe est formulé ainsi par Bentham: «La nature a placé l'humanité sous l'empire, [gouvernement] de deux maîtres souverains, la peine et le plaisir. C'est à eux seuls qu'il appartient de nous indiquer ce que nous devons faire comme de déterminer ce que nous ferons. Le critère du bien et du mal, (la distinction du juste et de l'injuste) d'une part, l'enchaînement des causes et des effets, d'autre part, est attaché à leur trône. Le principe d'utilité constate cette sujétion, et la prend pour fondement du système dont l'objet est d'élever l'édifice de la félicité par la main de la raison et de la loi. Mais assez de métaphores et de déclamations: ce n'est pas par tels moyens que la science morale sera améliorée. »26(*) Ce principe est basé sur un point de vue simple, pour les utilitaristes, une société juste est une société heureuse.

Pour Hume « nous devons chercher les lois qui sont, dans l'ensemble, les plus utiles et les plus bénéfiques [...] quel argument plus fort peut- on souhaiter ou imaginer pour justifier tel ou tel devoir que le fait de savoir que plus ce devoir est considéré comme inviolable, plus la société atteindra un degré élevé de bonheur [...] même dans la vie de tous les jours, nous avons recours à chaque instant au principe d'utilité publique»27(*) Le principe d'utilité de Bentham ne se contente pas de décrire ce qui est comme chez Hume, mais prescrit ce qui doit être.

Les règles morales doivent être testées en fonction de leurs conséquences pour le bien-être de l'humanité (si le bien visé par la morale est le bien-être de l'humanité, alors le comportement le plus recommandable du point de vue moral est certainement celui qui maximise ce bien- être en accordant une égale importance au bien-être de chaque individu).

Bentham pense que pour qu'un homme soit gouverné par quelque motif que ce soit, il doit dans chaque cas regarder au-delà de son action; il doit regarder vers les conséquences; et c'est seulement de cette façon que l'idée de plaisir, de peine, ou de tout autre évènement, peut donner naissance à l'action28(*).

L'utilitarisme, héritier des lumières du XVIIIe siècle, et profondément influencé par l'empirisme anglais, il prône l'abandon de toute idée de droit naturel29(*) et de toute métaphysique30(*) englobante: aucune autorité suprême ne peut décréter ce qui est juste ou bon pour l'humanité; seuls comptent les états de plaisir ou de souffrance vécus par les être humains. Quelle que soit la décision à prendre, il nous faut faire abstraction de nos intérêts et de nos penchants, de nos préjugés moraux, de nos conceptions métaphysiques et de nos croyances religieuses, et nous soucier exclusivement de poursuivre le plus grand bonheur du plus grand nombre31(*). (Bentham qui employait pour désigner le principe de sa morale, l'expression «the principle of utility », lui substitua l'expression employée par Hutcheson et Beccaria, mais à laquelle le nom de Bentham devait désormais rester attaché: «the greatest happiness principle».

* 3 Libéralisme : Doctrine économique fondée sur la liberté laissée aux comportements individuels : liberté d'entreprise, liberté des échanges, liberté de choix dans les dépenses comme dans l'épargne et l'investissement.

* 4 Le mot empirisme qualifie toute doctrine philosophique admettant que la connaissance humaine déduit de l'expérience aussi bien ses principes que ses objets et ses contenus. En général opposé aux différentes formes de rationalisme- bien que l'empirisme de Hume ait tenu un rôle important dans la constitution du rationalisme critique de Kant.

* 5 David HUME [1711-1776], Philosophe et historien écossais, sa philosophie est construite autour de l'empirisme qui est source de connaissance pour l'entendement humain. Il prône un scepticisme modéré.

* 6 Le rationalisme : le rationalisme est une doctrine qui pose la raison comme source principale de toute connaissance vraie de la réalité.

* 7 Sensualisme : doctrine selon laquelle les sensations sont les matériaux de base de toutes nos connaissances et de toutes nos idées.

* 8 Mill, lettre à Auguste Comte, 20 décembre 1841.

* 9 En philosophie de la connaissance, l'adjectif « empirique » qualifie le contenu expérimental, ou la source expérimentale, d'une connaissance, synonyme de a posteriori ; il est alors d'usage de distinguer la connaissance empirique de la connaissance rationnelle (par exemple : les mathématiques).

* 10 Définition et existence de l'âme : Le mot âme avait chez les philosophes de l'Antiquité un sens très général: il désignait tout principe de vie et de mouvement, si bien qu'on pouvait distinguer dans l'être une pluralité d'âmes; Platon en comptait trois, Aristote cinq: les âmes nutritive, sensitive, motrice, appétitive et rationnelle. Chez les modernes, le mot âme a une signification beaucoup plus précise, désignant ce qui dans l'homme est «un» et le principe de son être, le moi permanent. L'existence d'une âme transcendante au corps est affirmée par les doctrines spiritualistes. Dans la doctrine catholique par exemple: «L'âme est immédiatement unie au corps et principe de toute vie et de tout mouvement dans le corps» (Xve concile de Vienne, 1312). Les doctrines matérialistes considèrent au contraire que les phénomènes psychologiques sont étroitement liés à leur substrat physiologique, d'une part, aux réalités sociales, d'autre part, et qu'ils dépendent largement de ceux-ci. Les unes acceptent, les autres nient la dualité de substance.

* 11 Daniel Bernoulli [1700-1782] est l'un des trois membres les plus importants d'une très rare dynastie de mathématiciens et physiciens, originaire d'Espagne et installée à Bâle.

* 12 Le paradoxe de Saint-Pétersbourg (1738) et l'intuition de l'utilité marginale Le concept d'utilité marginale allait cependant naître de l'intérêt, déjà ancien, manifesté par les philosophes au sujet d'un paradoxe connu sous le nom de "paradoxe de Saint-Pétersbourg", lequel fut résolu par Daniel Bernoulli (1700-1782) en 1738, qui lui appliqua sans le nommer le concept d'utilité marginale décroissante. Le concept d'utilité marginale décroissante dit simplement ceci : chaque unité supplémentaire de bien que l'on consomme procure une supplément d'utilité décroissant. Pour voir comment ce concept s'applique au paradoxe de Saint-Pétersbourg, on rappellera d'abord en quoi celui-ci consiste. Premièrement, s'il a été appelé ainsi, c'est simplement parce que Daniel Bernoulli (1700-1782) fut pendant quelques années professeur de mathématiques à Saint-Pétersbourg et que c'est donc logiquement devant l'académie de Saint-Pétersbourg, en 1738, qu'il présenta pour la première fois la solution à ce paradoxe qui était connu mais sans solution jusqu'alors.

* 13 En économie, l'utilité est une mesure du bien-être ou de la satisfaction obtenue par la consommation d'un bien ou d'un service. C'est un concept central de l'économie du bien-être.

* 14 Dans nos actions, nous prenons souvent en compte les conséquences de nos actes. Ces conséquences peuvent donc être considérées comme des critères possibles de notre comportement, ce qui fait de ce type de morale, un type normatif. Pour l'utilitarisme, les conséquences de l'action favorables à tous déterminent ce qui est bien et ce qui est mal. Jeremy Bentham, propose d'une part de considérer les conséquences de nos actions, et, d'autre part, de mesurer le plaisir et la peine qui en résultent. Dans la théorie de la responsabilité, la responsabilité morale est fondée sur l'identité personnelle et la similitude sociale. Cette théorie est présente dans l'éthique de l'économie durable par exemple.

* 15 Révolution française

* 16 La loi le Chapelier: promulguée en France le 14 juin 1791 est une loi instaurant la liberté d'entreprendre et qui proscrit les coalitions, les corporations, les syndicats et les grèves, elle a été abrogée le 25 mai 1864 par la loi Ollivier qui abolit le délit de coalition et instaure le droit de grève.

* 17 Le décret d'Allarde des 2 et 17 Mars 1791 contribuera à établir la liberté d'exercer une activité professionnelle en affirmant le principe suivant: «il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouvera bon»

* 18 Ces droits, selon les libéraux, ne découlent pas d'une définition législative, ce sont des droits inhérents à la nature humaine et dont la légitimité est supérieure à toute loi sur lesquels se fondent tous les concepts se réclamant du libéralisme.

* 19 Cesare BECCARIA [1738-1794] : intellectuel Italien très inspiré par Montesquieu, il s'intéresse très tôt aux questions liées à l'équité du système judiciaire, à 26 ans dans son oeuvre « des délits et des peines » [1764], il pose les bases de la réflexion juridique moderne.

* 20 LOCKE  [1632-1704]: John Locke est né en 1632 à Wrington, d'un père juriste. Il fait ses études à Oxford où il s'intéresse à la théologie, à la physique, à la chimie, à la médecine et au droit.

* 21 Thomas HOBBES [1588-1679] : Philosophe anglais, il est l'un des premiers penseurs de l'Etat moderne et fondateur de la philosophie civile. Il s'intéresse beaucoup aux mathématiques et à la physique, il travaille avec David Bacon, lors de la révolution anglaise, il s'installe à Paris en 1640, où il fréquente Descartes et il subit l'influence des libertins.

* 22 Bernard Mandeville, la fable des abeilles « La ruche murmurante ou les fripons devenus les honnêtes gens », trad. Jean Bertrand, GALLICA, 1740.

* 23 Utilité publique: on parle d'utilité publique, lorsque la réalisation d'un ouvrage (route, pont, usine) ou autre est déclare ainsi, à la suite d'une enquête, aux résultats favorables, auprès des citoyens concernés.

* 24 Jeremy Bentham, The Correspondence..., [The Athlone press, 1968), Volume II, 99.

* 25 L' introduction aux principes de la morale et de la législation de Bentham a été publié l'année de la révolution française [1789]

* 26 Bentham 1789

* 27 David Hume, An Inquiry Concerning the Principles of Morals, in Enquiries..., Oxford, Clarendon Press, 1992, [195-203]

* 28 Voir Bentham 1789

* 29 Ces droits, selon les libéraux, ne découlent pas d'une définition législative, ce sont des droits inhérents à la nature humaine et dont la légitimité est supérieure à toute loi sur lesquels se fondent tous les concepts se réclamant du libéralisme.

* 30 Considérons ici la « métaphysique » dans le sens où on l'employait couramment au XVIIIe siècle, chez beaucoup de philosophes de cette époque, la recherche des principes généraux d'un art ou d'une science quelconques, sans qu'une telle recherche apparût comme capable de nous donner accès au monde des « choses en soi ».

* 31 Cette expression [the greatest happiness of the greatest number] semble avoir été employée pour la première fois, non par Bentham, mais par Hutcheson [Enquiry into our ideas of beauty and virtue, 5e éd. 1753, V. Plamenatz-The English Utilitarians, p.22) et aussi par Beccaria dans son traité des délits et des peines (trad. Anglaise en 1767).

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe