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La dignité de l'enfant

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par Pierre Leon André DIENG
Université Cheikh Anta DIOP de Dakar - Maà®trise en Droit 2003
  

Disponible en mode multipage

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INTRODUCTION

De nos jours, les Droits de l'Homme sont sur toutes les lèvres et habitent tous les discours juridiques et politiques.

Les Droits de l'Homme sont devenus une des composantes importantes des relations internationales contemporaines.

L'histoire de l'humanité est indissociable du combat des individus et des peuples contre l'injustice, l'exploitation et le mépris. La reconnaissance, sur le plan national puis sur le plan international, des droits et des libertés fondamentaux de l'homme est l'une des expressions les plus prestigieuses de ce combat.

Aux droits de l'homme, terme générique regroupant toute l'humanité, le monde tend à consacrer les droits de l'individu en ce qu'ils ont de spécifique qu'ils visent à prendre en considération que les intérêts particuliers des personnes.

Et précisément, on invoque volontiers ces mêmes droits et libertés pour légitimer certaines formes de revendications toujours conformes aux idéaux et aux principes formulés par ces droits. Notre époque ne croit plus à une politique des droits de l'homme qui aurait pour cible l'humanité envisagée de façon abstraite et indifférenciée. Plus exactement, elle l'estime insuffisante : l'idée d'un individu moyen titulaire de droits a cédé le pas devant la constatation des revendications de groupes. Chacun demande à ce que lui soit garanti une dignité qui suppose des mesures correctives. C'est justement dans ce cadre que l'on conçoit, de plus en plus aujourd'hui, des applications particulières des droits de l'homme qui développent des particularités positionnelles de droits : femmes, handicapés, étrangers, réfugiés, détenus politiques, etc. Ces personnes ont réclamé et continuent à exiger des garanties, une égalité, une dignité. Ce qui appellerait à des relectures des bases textuelles telles la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen des 24 et 26 août 1789, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948, la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine signée à Addis-Abeba en mai 1963 abrogée et remplacée dans les années 2000 par l'actuelle Charte de l'Union Africaine, la Déclaration Universelle des Droits des Peuples (Alger 1976), la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples du 28 juin 1981 (entrée en vigueur le 21 octobre 1986), la Déclaration Islamique Universelle des Droits de l'Homme du 19 septembre 1981 (Palais UNESCO), etc. qui toutes n'ont pas pris en compte de telles revendications.

En fait, ces particularismes se sentent marginalisés, affaiblis et ne demandent pas moins qu'une législation spécifique à leur profit car le propre de tout mouvement naturel, de toute société est, par essence, d'écraser les couches les plus faibles.

Or, précisément, l'enfant est, par définition, un acteur fragile, vulnérable et le plus faible parmi les faibles puisqu'il ne survivre puis se développer qu'avec l'aide et l'assistance d'autrui.

L'enfant est l'innocence même. La femme nous l'offre dans sa douleur pour qu'il vienne illuminer de sa gaieté notre vie. A ce propos, Victor HUGO (1802-1885) résume de fort belle manière notre pensée dans une originalité bien fouillée en clamant dans un vers tiré de · Lorsque l'enfant paraît · :

« Quand l'enfant paraît, le cercle de famille,

Applaudit à grands cris. Son doux regard qui brille

Fait briller tous les yeux,

Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,

Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,

Innocent et joyeux... »

Cette représentation de la vulnérabilité de l'enfant est une perception sous forme de prescriptions des règles traditionnelles et / ou formelles voulues par les adultes.

Ce faisant, l'acte de prendre l'enfant, de le guider vers un but n'est jamais, somme toute, innocent mais intéressé. Cet intérêt est apprécié à l'aune de la moralité. En effet, la protection des droits de l'enfant, en général, et de sa dignité, en particulier, doit faire l'objet d'une politique permanente suivie par les Etats, la famille, la doctrine, les organismes nationaux et internationaux et la justice.

L'enfant a donc une créance de laquelle sont débiteurs les acteurs précités. Les Romains de l'Antiquité l'ont si bien compris qu'ils n'ont pas manqué de magnifier cette vérité « in puero homo », dans chaque enfant réside un homme.

Pour avoir compris cette pensée, la Société Des Nations (SDN) adopta en 1924 la Déclaration de Genève qui posait, pour la première fois, les premiers indicateurs relatifs à la protection de l'enfance. La communauté internationale prend déjà conscience de l'importance accrue de l'image, du respect et de la considération qu'il faut accorder à l'enfant.

Cette année fut charnière et prépondérante vers les futures luttes pour l'avancée de l'affirmation de la personnalité de l'enfant.

Ce même souci anima les Nations-Unies ( N-U), qui succédèrent à la SDN, à prévoir les droits de l'enfant dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948.

Plus que la Déclaration des Droits de l'Enfant de 1959 passée largement inaperçue, l'évènement fut créé par l'adoption le 20 novembre 1989, au sein de l'Assemblée Générale des N-U dans un bel élan d'unanimité, d'un traité : la Déclaration en dix points des droits de l'enfant dite Convention Internationale des Droits de l'Enfant (CIDE) ou Convention de New-York. L'étape de 1979 vit l'institution de l'Année Internationale de l'Enfant. C'est à partir de cette étape que fut entamé le processus de préparation, d'élaboration et d'adoption de la CIDE. L'adoption fut ouverte à la signature et à la ratification des Etats dès le 26 janvier 1990 et pour son entrée en vigueur le 2 septembre 1990.

Le Sénégal, avant même le délai imparti pour l'entrée en vigueur, avait procédé à la ratification le 31 juillet 1990. Depuis cette date, il a accru son dispositif de protection de la dignité de l'enfant par des structures autonomes et spécialisées rattachées à plusieurs ministères dont le principal reste celui de la Petite Enfance qui est rattachée dans le sillage du ministère de la Famille, de la Femme et de la Solidarité. De plus, plusieurs directions (de la Petite Enfance, de l'éducation surveillée, etc.), centres spécialisés de rééducation ou de détention (l'AEMO), une législation spécifique et la récente politique de la case des Tout-Petits participent à cette dynamique, en plus d'une justice spéciale dévolue à l'enfant.

La dignité de l'enfant est la thématique sur laquelle tournera nos constructions.

Dignité et enfant, deux mots clés qui nous accompagneront durant toute notre réflexion.

Par dignité, il faut entendre le respect que mérite quelqu'un. C'est un principe selon lequel un être humain ne doit jamais être traité comme un moyen mais comme une fin en soi, l'estime que l'on doit vouer à son amour-propre et à son honneur.

La définition de l'enfant, par contre, pose problème. L'infans latin, c'était l'enfant en bas âge.

A notre époque, même avant, chaque société a sa conception de l'enfant et tente de la traduire en règles de droit telles l'âge de la majorité civile ou celle pénale ou encore celle de travail.

Notre droit interne sénégalais n'est donc pas le seul à s'intéresser à l'enfant.

L'art. 276 alinéa 1er CF, depuis la réforme apportée par la loi n° 99-82 du 3 septembre 1999, modifiant la majorité civile (uniformisée à la majorité pénale), prévoit que l'enfant mineur est celui âgé de moins de 18 ans de l'un ou de l'autre sexe.

La constitution du 7 janvier 2001 en son art. 3 alinéa 3 épouse la même démarche.

Dans ce même ensemble d'idées, la plupart des textes internationaux précités et relatifs aux droits de l'enfant considèrent également que l'enfant est tout humain de moins de 18 ans sauf si la loi nationale accorde la majorité plus tôt (art.1er de la CIDE du 20 novembre 1989).

Cette lecture laisserait croire que la dignité de l'enfant doit être comprise dans cette fourchette.

Or, selon le fameux adage « infans conceptur pro nato habetur quotis de commedis ejur agitur », l'enfant est tout être humain conçu et considéré comme né toutes les fois que cela peut lui apporter des avantages.

C'est dans ce sens qu'il faut lire l'alinéa 2ème de l'art. 1er du code de la famille du Sénégal :

« L'enfant peut acquérir des droits au jour de sa conception s'il naît vivant ».

Ainsi, la protection de la dignité de l'enfant peut remonter plus loin, au jour de sa conception même.

Néanmoins pour des soucis de commodité, nous savons que cette qualité d'être humain se prolonge au moment de la naissance. Ainsi de la personnalité conditionnelle, il accède à la personnalité juridique effective de laquelle procède une rétroactivité de la jouissance de tous les droits et de la qualité de sujet de droit et d'un statut d'enfant.

La naissance semble donc être un tournant dans la vie, même si elle ne marque pas le début de la vie et celui de la protection de sa dignité.

Par conséquent, notre démarche qui suivra se limitera à l'enfant, sujet naissant de droit. Un tel choix arbitraire nous amène déjà à élaguer des pans intéressants d'atteinte à la dignité, à la vie de l'enfant conçu que dont l'avortement, l'infanticide, l'insémination artificielle, le sort des embryons non utilisés et le clonage. Avec tout ce que ces pratiques ont de bouleversant et de désastreux dans la dignité de l'enfance lorsqu'elles sont utilisées à des fins détournées, immorales, commerciales et industrielles.

Il est, certes, vrai que leurs conséquences postérieures entrent dans notre champ d'étude car concernant l'enfant vivant et existant, fruit de telles pratiques.

Ceci dit, la réflexion sur la dignité de l'enfant, qui est la protection même de son existence dès le début de sa vie jusqu'au moment où on estime qu'il a acquis une maturité d'adulte, suscite moûltes interrogations que l'on peut quantifier de la sorte :

Qu'est-ce la dignité de l'enfant et pourquoi une dignité de l'enfant ?

Quel est le domaine de cette dignité, le champ des atteintes de celle-ci et

de sa protection ?

Quelles sanctions sont apportées à sa violation ?

Comment préserver et protéger cette dignité de l'enfant ?

C'est autour de ces considérations que se greffera notre problématique. En effet, l'objet de notre étude consiste, pour l'essentiel, à évaluer le sens, la portée juridiques de la notion de dignité de l'enfant et son rôle protecteur. Nonobstant la nature juridique de ce thème, il faudra également nous interroger sur sa valeur. La problématique consiste aussi à noter que toute nation équilibrée ne peut se réaliser qu'en accordant une activité participative à l'enfance.

Une prospection des bases textuelles (nationales et internationales) montre que le Sénégal est en phase dans sa mission protectrice de la dignité de l'enfant.

Cependant, les applications pratiques de cette protection restent à parfaire du fait de différences culturelles et civilisationnelles. Ce décalage entre les textes et la réalité a pour causes et facteurs endogènes et exogènes le comportement des acteurs protecteurs face à des manquements constatés, voire même souvent du caractère récalcitrant de la cible protégée.

Par suite, de façon complémentaire, des solutions et perspectives seront proposées sans pour autant dans la routine des formules répétitives, des redondances singulières.

Le sujet revêt un cachet toujours pratique sous le feu de la rampe des intérêts qu'il ne manque pas de susciter. On peut ainsi relever les difficultés posées à l'applicabilité des textes au Sénégal. Il s'agit d'accompagner l'enfant dans sa marche progressive vers la maturité.

Ce qui est une exception dans la mentalité sénégalaise d'accaparement de la personnalité de l'enfant. En outre, le sujet pose, lui-même, sa limite. En effet, un effet de balancier, de flexibilité est opéré suivant les intérêts du moment à sauvegarder. L'Etat vise à réaliser l'équilibre entre la dignité de l'enfant et l'obéissance due aux valeurs traditionnelles et formelles qui sont des nécessités d'ordre public.

L'intérêt théorique est que les acteurs (Etats, familles, organismes...) n'ont pas souvent la même perception de la notion de dignité de l'enfant, encore moins de sa protection. Cela se comprend et s'explique par les différences de civilisations à l'échelle internationale et culturelle et à l'échelle nationale. On craint ici de faire de l'enfant non plus un sujet de droit mais un roi-enfant, un prince qui, croirait-on, est insoumis au droit à l'instar de l'impétueux monarque français le Roi-Soleil Louis XIV qui disait : « l'Etat, c'est moi ! ».

Ainsi la notion de dignité de l'enfant ne rencontre pas l'égale adhésion au sein de la communauté internationale et fait l'objet d'une difficile appréhension.

Il sied, maintenant, de poser les balises sur lesquelles va se fonder notre travail.

Parler de la dignité de l'enfant dans le monde n'est donc pas notre objectif. Au Sénégal, c'est déjà un large océan que soulèvent des vagues de passions.

Au Sénégal, l'enfant se meut dans une ambiance de plusieurs règles. Nous nous proposons de scinder notre étude en deux parties. Nous concentrerons l'essentiel de nos efforts sur l'examen du contenu législatif relatif à la protection de la dignité de l'enfant qui naît dans un environnement protecteur de sa dignité (TITRE I). Toutefois, ce n'est qu'en examinant le degré de protection et de clarté des règles énoncées que l'on pourra évaluer la pertinence de la prise en considération de la dignité de l'enfant quant à ses mécanismes de contrôle, de son degré de viabilité et de l'appréciation de son efficacité. Le constat que l'on en tirera est qu'il se pose un problème d'applicabilité, une pratique limitée de la préservation de la dignité de l'enfant (TITRE II).

L'environnement protecteur à la dignité de l'enfant s'explique par cette dynamique du législateur sénégalais d'introduire tout un ensemble de règles favorables qui suivent le chemin de l'enfant depuis sa naissance, son éclosion dans un cercle familial et des privilèges dans le statut personnel.

En outre, l'activité sociale de l'enfant bénéficie d'un régime aménagé, qui illustre le renforcement adopté pour le préserver contre toutes formes d'atteintes économiques et pénales et même celles qu'il peut causer à autrui.

Cependant cet environnement, pour euphorique qu'il soit, subit les contrariétés d'une pratique difficile qui sont autant d'obstacles à la promotion de cette dignité. Cette inefficience résulte de raisons que renforcent la précarité des garanties internes du fait des failles dans la volonté politique de l'Etat mais également des blocages intrinsèquement posés par les populations elles-mêmes et même par la cible protégée. Pareillement, les garanties internationales ont une portée réduite du fait des intérêts divergents en présence et de l'absence d'instruments performants de contrainte.

Mais l'image de l'enfant n'est pas désespérante et des perspectives d'amélioration pourraient être prises par un renforcement des mesures existantes, une application effective des décisions consacrées et par des voies nouvelles allant dans le sens de la création d'un médiateur chargé de l'enfant et un code de l'enfant.

TITRE I - UN ENVIRONNEMENT PROTECTEUR A LA DIGNITE DE L'ENFANT

Le législateur sénégalais a posé le socle sur lequel il a eu à asseoir toute une protection de la dignité de l'enfant.

Celle-ci commence, dès la naissance de l'enfant, par son identification civile comme sujet de droit (CHAPITRE I). La société est un milieu inconnu à l'évolution et au progrès de l'enfant.

C'est dire qu'il peut être pour l'enfant un cadre de périls dans sa croissance vers la maturité. En vue de le prémunir contre les risques auxquels il peut être confronté, l'Etat a également prévu des mesures de sauvegarde sociale pour l'enfant vu sous l'angle d'un acteur dans la cité (CHAPITRE II).

CHAPITRE I - L'IDENTIFICATION CIVILE DE L'ENFANT

SUJET DE DROIT

L'enfant naît dans un cadre étatique dont il épouse les contours et qui lui agrège ses éléments de base relatifs à l'identification de tout sujet de droit (SECTION I). La société qui lui a donné une identité va veiller également à lui assurer un dynamisme et un épanouissement en lui reconnaissant une sphère de conscience (SECTION II).

SECTION I - LES ELEMENTS DE L'IDENTIFICATION

Dans l'optique de faire de l'enfant un national, l'Etat du Sénégal a fixé un double lien de rattachement auquel est assujetti tout nouveau citoyen (Paragraphe 1) et qui sert à consolider son statut particulier (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 - Le double lien de rattachement de l'enfant

L'Etat sénégalais exprime ce double lien de rattachement de l'enfant en utilisant la technique de l'attribution du nom (A) et la technique de la qualité de national à la naissance, c'est-à-dire la nationalité (B).

A - La technique de l'attribution du nom

Le droit au nom est réaffirmé par divers textes internationaux. La CIDE (Convention Internationale des Droits de l'Enfant) du 20 novembre 1989 pose cette exigence à l'art. 7 alinéa 1er :

« l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom (...) ».

La Charte Africaine des Droits et du Bien-Etre de l'Enfant opère la même recommandation à l'art. 6 alinéa 1er : « Tout enfant a droit à un nom dès sa naissance ».

De même, le droit musulman n'est pas en reste avec le projet du Covenant sur les Droits de l'Enfant en Islam qui affirme également ce droit.

Au Sénégal, la constitution du 7 janvier 2001 en son article 8 ne fait aucune référence expresse au droit au nom. Il faudrait alors se reporter au préambule pour faire une interprétation extensive. En effet, le préambule fait un renvoi aux conventions précitées que sont la CIDE et la Charte ci-dessus. Renvoi à partir duquel on en tire une déduction que la constitution, elle aussi, a posé cette exigence du droit au nom.

Toutefois, l'essentiel de cette réglementation relative au nom se trouve dans la loi n° 72-61 du 12 juin 1972 portant code de la famille. Ceci précisé, la notion de droit au nom est large dans notre entendement et prend également en considération le prénom.

Sur ce, on peut retenir que le code de la famille (CF) distingue deux formes de règles qui gouvernent l'attribution du nom. Il s'agit respectivement de la situation de l'enfant dans une famille (1) et de la situation de l'enfant hors d'une attache familiale (2).

1 - La situation de l'enfant dans une famille

Elle a trait à la situation de l'enfant exclusivement attaché à une famille. Cette situation de famille se présente elle-même dans trois cas :

- dans le premier cas, l'enfant est lié à une famille légitime, celle dans laquelle existe une union maritale entre ses parents. L'enfant doit porter - résidu du patrilinéarité - le nom de son père. En France, cette règle patrilinéaire, bien que non inscrite dans la loi, est imposée par la coutume et ne souffre d'aucune exception. Au Sénégal, au contraire, l'art. 3 CF est suffisamment péremptoire et exige que l'enfant né d'un père et d'une mère mariés porte le nom patronymique du père ;

- le deuxième cas est presque identique au premier cas. En effet suivant

l'art. 6 CF l'enfant, ayant fait l'objet d'une adoption plénière par un

couple, porte le nom du mari s'il est adopté par deux époux. Toutefois,

une petite dérogation est offerte par la loi à un adoptant célibataire de

l'un ou de l'autre sexe ayant 35 ans révolus de pouvoir donner son nom

à l'enfant adopté. Par contre en cas d'une adoption simple, l'enfant

conserve son nom patronymique d'origine, celui de ses parents de

sang, auquel il y est ajouté celui de l'adoptant. Néanmoins, il se peut

que, pour prévenir des risques de conflits d'intérêts divergents dans

l'institution de l'adoption limitée, le juge puisse décider, pour les

besoins de la notion d'intérêt impérieux et supérieur de l'enfant, de

faire porter le seul nom de l'adoptant ;

- enfin le troisième cas est plus complexe et pose plus de questions. Il s'agit

d'apprécier la situation de l'enfant naturel. C'est celle de l'enfant à

l'encontre de qui il n'existe pas de mariage entre ses parents.

Contrairement à ce qui est prévu pour l'autorité parentale, le nom de

l'enfant naturel ne dépend pas de la réalité d'une vie commune entre ses

parents. En pareil cas, il prend le nom de sa mère sauf si, bien entendu, le

père consent à le reconnaître. Sur cette seconde possibilité, l'enfant

naturel porte le nom de son père qui l'a reconnu.

En France, le schéma prête à équivoque. En effet en cas de reconnaissances simultanées, c'est-à-dire les auteurs s'empressent, séparément, de donner chacun son nom à l'enfant, la préférence est accordée au père.

Cependant une faille est prévisible lorsque les deux déclarants ne s'entendant plus se disputent l'enfant. La mère pourrait, indubitativement, feindre ignorer de sa grossesse en invoquant plusieurs liaisons. Un tel cas de figure éliminerait, à coup sûr, le candidat à la paternité dans l'attribution du nom. Le législateur ne peut imposer à la mère des tests génétiques.

De plus, le principe de l'antériorité de la reconnaissance prénatale donne l'avantage de fait à la mère, première informée.

A notre avis, la position sénégalaise semble moins risquée. Mais là également, le législateur en interdisant toute recherche de paternité a trop tranché car il ne résout pas le problème des filles-mères ou femmes-mères célibataires abandonnées par le supposé auteur de la grossesse. Une telle attitude aurait pour inconvénient sur la dignité de l'enfant de ne pas connaître le nom de son père et de constater inscrite sur son état-civil, la mention « père inconnu ».

Une deuxième situation hors d'une attache familiale est prévue par le législateur sénégalais.

2 - La situation de l'enfant hors d'une attache familiale

Il arrive parfois et fréquemment qu'un enfant nouveau-né soit abandonné. L'officier d'état civil doit lui donner un nom qui ne doit pas porter atteinte ni à sa considération, ni à celle d'un autre (art. 5 CF). Pour rendre effectif ce droit au nom, le législateur a prévu à l'art. 51 CF des procédures de déclaration de naissance enfermées dans le délai d'un mois. Au delà d'un mois et 15 jours, il est prévu une déclaration tardive pendant un délai d'un an, sous réserve pour le déclarant de produire une attestation de naissance délivrée par le personnel médical ou avec l'appui de deux témoins majeurs.

Passé le délai d'un an, la déclaration de naissance ne peut être faite qu'après autorisation du juge, mais le Procureur de la République peut à tout moment faire procéder à cette déclaration qui n'a pas été constatée, s'il en a eu connaissance.

La loi prévoit une amende de 2000 à 5000 F CFA à l'encontre des chefs de quartier ou de village qui n'auraient pas déclaré une naissance dans les délais d'un mois et 15 jours.

Enfin, la dignité de l'enfant pousse le législateur à autoriser des conditions dans lesquelles le changement d'état peut s'opérer. En France, il est possible grâce au consentement de l'enfant de substituer le nom de son père par celui de sa mère. Le juge appréciera l'opportunité des intérêts en présence. Il est même possible pour des raisons de rupture de relations avec ledit père, mauvaise foi de celui-ci, origine étrangère du nom de procéder à un tel changement.

Au Sénégal, cette permissivité n'est consentie que pour des cas exceptionnels que sont certaines consonances étrangères ou noms grossiers, ridicules, difficiles à porter. En dehors de ces cas limités, le législateur entend préserver la cohésion sociale.

C'est aussi de son origine familiale que va le plus souvent dépendre la nationalité de l'enfant.

B - Le droit à la nationalité

La nationalité fait également partie des composantes d'identification de l'enfant reconnues par la communauté internationale.

L'art. 7 alinéa 1er de la CIDE précise que chaque enfant a, dès sa naissance, droit à une nationalité. L'art. 6 alinéa 3 de la Charte Africaine des Droits et du Bien-Etre de l'Enfant dispose que « tout enfant a le droit d'acquérir une nationalité ».

Tout comme pour le droit au nom, la constitution sénégalaise n'en fait état qu'à la lumière du préambule. C'est dans le préambule qu'il est fait mention de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Et précisément l'art. 15 de ladite Déclaration dispose que tout individu a droit à une nationalité et que nul ne peut être privé de sa nationalité ni de son droit d'en changer.

Aux termes des recommandations prises en 1949, le Secrétaire Général des Nations-Unies invitait les Etats membres à insérer dans leur législation deux principes dont l'application permettrait d'éliminer l'apatridie :

1° Tout enfant doit recevoir une nationalité à sa naissance ;

2° Aucune personne ne doit, au cours de son existence, perdre sa nationalité

tant qu'elle n'a pas acquis une nationalité nouvelle.

Pour en revenir à la nationalité sénégalaise, celle-ci repose alternativement sur des critères de liens familiaux (jus sanguinis) et de présence sur le sol (jus soli),

si bien que l'on se trouve à l'interface des relations de l'enfant avec sa famille et avec la société.

Les règles d'acquisition de la nationalité sénégalaise ont été profondément remaniées et tendent à en faciliter l'acquisition à l'enfant. La nationalité sénégalaise résulte de la loi n° 61-10 du 7 mars 1961 ( Jo du 15 mars 1961) portant code de la nationalité sénégalaise.

Est sénégalais, selon l'art. 1er alinéa 1er dudit code, tout individu né au Sénégal d'un ascendant au premier degré qui y est lui-même né. Cet article est à la fois une combinaison du lien du et du lien du sol.

D'un autre côté, l'enfant, quelque soit sa situation juridique, acquiert la nationalité. A cet effet, l'art. 5-1° et 2° affirme qu'est sénégalais l'enfant légitime né d'un père sénégalais. Il en va de même aussi pour l'enfant légitime né d'une mère sénégalaise et d'un père sans nationalité ou de nationalité inconnue.

L'art. 5-3° et 4° du code de la nationalité fait état de l'enfant naturel qui acquiert la nationalité lorsque celui de ses parents à l'égard duquel la filiation a d'abord été établie est sénégalais. Il en va encore de même pour l'enfant naturel lorsque l'un des parents sur lequel la filiation est établie est sénégalais et que l'autre parent est sans ou de nationalité inconnue.

Le code de la nationalité prévoit également d'autres dispositions dans le sens de renforcer l'obtention de la nationalité.

En premier lieu, l'art. 8 aménage à l'enfant, atteignant 18 ans jusqu'à 25 ans, la possibilité d'opter pour la nationalité sénégalaise lorsqu'il est né légitime d'une mère sénégalaise et d'un père d'une nationalité étrangère.

Par là, on reconnaît donc clairement un droit d'option à l'enfant. L'art. 9 alinéa 1er pose, quant à lui, que l'enfant naturel légitime au cours de sa minorité acquiert la nationalité si son père est sénégalais. L'art. 9 alinéa 2 situe la position de l'enfant qui a fait l'objet d'une adoption plénière ou en cas d'adoption conjointe. Il lui accorde la nationalité si l'adoptant (homme ou femme) ou le père adoptant ( couple) est sénégalais.

L'art. 10, quant à lui, étend de plein droit la nationalité sénégalaise à l'enfant légitime mineur dont le père ou la mère veuve acquiert la nationalité.

Cette même démarche est reconnue à l'enfant naturel mineur dont la filiation est établie à l'égard de ses parents ou, le cas échéant, si le parent survivant acquiert la nationalité sénégalaise. Cependant on peut s'étonner, à juste raison, à l'alinéa 2 de la discrimination faite à l'enfant mineur marié au sens de l'art. 10.

En effet, l'art. 10 alinéa 2 stipule que les dispositions du présent article ne s'appliquent pas à l'enfant mineur marié. Cet alinéa est bien imprécis. S'il fait état du mineur sénégalais marié, on peut aisément comprendre cette volonté de protection du législateur. Mais rien n'est moins sûr de constater que le mineur peut être un étranger marié à un sénégalais. En pareil cas, le législateur opère là une discrimination non justifiée. Alors qu'au comble du paradoxe, l'art. 19 autorise, sur sa demande, le mineur sénégalais ayant une nationalité étrangère, à perdre la nationalité sénégalaise. Cette autorisation est accordée par décret.

On ne s'explique pas non plus de la situation de précarité où l'on veut enfermer un enfant du fait du seul lien avec sa mère. L'art. 21 alinéa 2 dispose en effet : « la déchéance est prononcée par décret et ne peut être étendue aux enfants mineurs que si elle l'est aussi à la femme ».

Les articles 11 et 15 combinés enferment également la demande de naturalisation dans des rigueurs qui ne sont pas nécessaires. L'art. 11 alinéa 1er subordonne l'octroi de la nationalité par décret ( fait de prince) et après enquête sur la personne de l'intéressé. Or, il peut arriver manifestement une urgence. Cette insécurité est renforcée par l'incertitude où on plongerait l'enfant dans une attente pendant une année. A plus forte raison, le décret peut faire défaut et en pareil cas, la demande est considérée tacitement comme étant rejetée (art. 11 alinéa 2). Plus grave encore, le rejet formel ou implicite de la demande de naturalisation n'ouvre droit à aucun recours ( art. 11 alinéa 3). L'art. 15, de son côté, pose la condition d'âge de 18 ans pour l'exercice de la demande de naturalisation, même s'il permet d'effectuer ladite demande sans autorisation. Il est clair que la législation sur la nationalité, sur bien des points, mérite d'être revisitée.

Par ailleurs, la loi confère la nationalité sénégalaise à tout enfant nouveau-né trouvé au Sénégal et dont les parents sont inconnus ( art. 3 alinéa 1er). Si entretemps la filiation de l'enfant est retrouvée, la nationalité sénégalaise cesse de lui être appliquée pour se conformer à la loi nationale (art. 3 alinéa 2).

A l'analyse de ces diverses dispositions, il est possible de déduire que le droit au nom est mieux protégé que le droit à la nationalité du fait des résistances de la souveraineté d'Etat. Le risque serait des situations d'apatridie non voulues qui seraient la conséquence d'une législation tatillonne et désuète par rapport à l'esprit de construction de grands ensembles économiques et politiques.

Nous partageons l'avis d'un groupe d'auteurs qui ont eu à projeter une solution de rechange : « Toutefois, une parfaite conformité pourrait être assurée en permettant à tout enfant né au Sénégal de pouvoir acquérir la nationalité sénégalaise jusqu'à sa majorité sans exiger que son ascendant soit lui-même né au Sénégal » 1(*).

On pourrait même souhaiter que le législateur ne se limite pas seulement à cette conception du jus soli ( « tout enfant né au Sénégal ») mais épouse aussi les idéaux posés par l'Union Africaine : la simple résidence et l'examen de moralité suffisent et constatant une bonne insertion sociale, le parler des langues, l'adoption des valeurs, etc.

A ce double lien de rattachement de l'enfant à l'Etat sur lequel le législateur ne s'est pas seulement arrêté, il a eu aussi à fixer un statut particulier à l'enfant.

Paragraphe 2 - Le statut particulier retenu pour l'enfant

Le statut de l'enfant renvoie, pour l'essentiel, au droit à la filiation (A) et au droit successoral (B).

A - Le droit à la filiation

La filiation, prévue aux articles 192, 194 et 211 CF, est souvent associée à l'idée du lien biologique (1). Mais le droit ne reçoit pas exclusivement le lien du sang : la filiation juridique peut également être artificielle avec le système de l'adoption. Toutefois, est apparu ce que le droit désigne sous l'expression d'assistance technique médicale à la procréation. Cette voie permet de donner la vie à des enfants par le recours à l'insémination artificielle ou à la fécondation in vitro (2).

1 - La filiation biologique de l'enfant

La filiation, fondée sur le lien du sang, est celle qui unit un enfant à son auteur biologique qu'il s'agit du père ou de la mère. On oppose traditionnellement la filiation légitime (a) à la filiation naturelle (b).

a °) La filiation légitime

La filiation légitime rattache juridiquement l'enfant à ses père et mère qui sont dans les liens du mariage. C'est en rattachant l'enfant à ses concepteurs que le code de la famille consacre la famille biologique.

La désignation de la mère établit la filiation de l'enfant à la date indiquée de l'accouchement laquelle permet de déduire de sa maternité, d'où la formule : «  mater semper certa est » (art. 190CF).

L'indication du nom du mari de la mère vaut également établissement du lien de filiation paternelle, c'est-à-dire qu'elle établit que l'enfant dont la naissance a été déclarée et a fait l'objet d'un acte de naissance a pour père cet homme. Il s'agit là de l'application de la présomption de paternité légitime énoncée sous forme originaire : « pater is est, quem nuptiae demonstrant », c'est-à-dire que « le père est celui que le mariage désigne ».

Le mariage emporte les devoirs de communauté de vie (entretenir des relations sexuelles) et de fidélité (réserver des rapports charnels exclusifs qu'au conjoint).

Partant, un enfant né pendant le mariage est présumé né des oeuvres de la femme à partir de la présomption légale relative à la durée de la gestation. Cette présomption de paternité est consacrée par les articles 191 et 192 du code de la famille.

Selon l'art. 191 CF, l'enfant né 180 jours après la célébration du mariage ou 300 jours après la dissolution du lien est présumé issu des oeuvres du mari et conçu pendant le mariage.

La jurisprudence française a tranché la question dans le célèbre arrêt Degas 2(*). Selon cet arrêt, l'enfant conçu avant le mariage mais né dans le mariage n'est pas seulement légitimé par le mariage mais également légitime depuis son origine, ab ovo, c'est-à-dire que l'enfant né avant le 180e jour du mariage est légitime et réputé l'avoir été dès sa conception (art. 192 CF).

Aux termes de l'art. 399 alinéa 3 qui renvoie à l'art. 1er alinéa 3 CF, « la date de la conception d'un enfant est fixée légalement et de façon irréfragable entre le 180e et le 300e jour précédant sa naissance ». Cette présomption irréfragable de la gestation est un triomphe de la protection de l'enfant qui n'a pas à démontrer sa filiation qui a duré plus de 300 jours ou moins de 180 jours. La preuve contraire à la présomption irréfragable de paternité est irrecevable. Cette présomption de faveur ( in favorem) est étendue également à l'art. 192 CF pour le cas des enfants conçus avant le mariage.

La conséquence de cette extension, c'est de faire bénéficier à ces enfants la légitimité d'origine à laquelle ils restent couverts. Ce qui donne à penser que la légitimité de ces enfants est forte et dont l'inexistence doit être établie pour anéantir la présomption.

Néanmoins, l'art. 192 alinéa 2 CF prévoit deux cas d'exclusion de la présomption de paternité. En premier lieu, la durée maximale de la grossesse est de 300 jours et c'est dans cette durée que l'enfant peut être couvert par la légitimité. S'il naît plus de 300 jours après la dissolution du mariage ou en cas d'absence (art. 16 CF et s.), il est normal et logique d'exclure son attachement à ce mariage.

En second lieu, cet alinéa exclut également la présomption de paternité lorsque l'enfant naît plus de 300 jours à la suite d'une procédure de divorce ou de séparation de corps. Le devoir de cohabitation étant suspendu, l'enfant ne peut avoir été conçu par le mari de sa mère sauf hypothèse de réunion de fait ( art. 192 alinéa 2 in fine).

Un troisième cas d'exclusion peut être tiré de la combinaison des articles 193 alinéa 1er in fine et 112 alinéa 2 CF. C'est l'hypothèse de la nécessité d'observer les délais de viduité pour éviter toute confusion de paternité au sujet d'un enfant à compter du relâchement du lien marital. Il est donc interdit à la femme de se remarier avant l'expiration des délais. L'accouchement intervenu après la cessation de l'union conjugale et survenu après cet événement ne peut être rattaché au mariage dissout.

A côté de la présomption de légitimité, la possession d'état prévue à l'article 200 CF est le second mode de preuve de la filiation légitime qui permet à l'enfant d'établir sa filiation sans recourir à la justice. La possession d'état ne joue qu'un rôle probatoire. Et pour ce faire, il faut produire l'acte de mariage du père prétendu. Cette exigence de l'acte de mariage vise à limiter l'emploi de la possession d'état qu'à la seule filiation paternelle légitime, en l'absence duquel l'enfant ne pourrait prétendre avoir en la possession d'état le statut d'enfant légitime.

Il peut survenir une contestation de la paternité dans le mariage. Les articles 203 et suivants du code de la famille réglementent le désaveu en paternité, l'action en contestation de légitimité. Le père présumé peut écarter sa paternité en justifiant le défaut d'impossibilité physique de cohabiter pendant la période de conception de l'enfant (maladie, voyage, impuissance, accident, etc.). Il n'en reste pas moins que l'enfant désavoué demeure l'enfant de sa mère et sa protection est accrue par des moyens de neutralisation de l'action en désaveu de paternité par des fins de non recevoir ( art. 192 CF). Quid maintenant de la filiation naturelle.

b°) La filiation naturelle

La filiation naturelle est légalement établie par la reconnaissance volontaire, par la possession d'état ou par l'effet d'un jugement. De plus, un sort particulier a toujours été réservé aux enfants dont la naissance se situe hors mariage de leurs parents.

En l'absence du lien conjugal entre ceux qui conçoivent un enfant, le lien de filiation s'établit séparément à l'égard de l'un et de l'autre. Unis seulement de fait, chacun des deux parents aura, en parallèle, un lien juridique avec l'enfant. C'est en ce sens que la filiation naturelle donne une préséance à l'enfant qui n'est plus ce bâtard que l'on cache.

La filiation naturelle ne concerne que les modes de preuve de la paternité naturelle puisque l'action en recherche de maternité est de moindre importance. En effet, la recherche judiciaire de maternité qui postule que l'enfant n'a pas été reconnu par sa mère et qu'il est dépourvu de possession d'état à son égard, devrait concerner que celui qui a été abandonné par elle à sa naissance.

A ce propos, la loi française du 8 janvier 1993 a introduit une fin de non recevoir particulière à la recherche de maternité naturelle. La femme qui accouche peut demander que le secret de son identité soit préservé (art. 341-1 du code civil français).

Si l'accouchement « sous X » n'est pas une nouveauté, cette possibilité de secret étant déjà prévue dans le code français de la famille (art. 47), il n'emportait pas jusque-là interdiction d'exercer une action en recherche de maternité ; tout au plus, il la rendait plus difficile en fait. Ce droit au secret de la femme qui accouche est désormais absolu à l'encontre de l'enfant, même si ce dernier détient en sa possession des informations susceptibles d'éclairer le juge sur l'identité de celle qui l'a mis au monde ; l'accès au lien de filiation lui est fermé. Mais la mère peut revenir sur sa décision d'anonymat à la condition que l'enfant n'ait été, entretemps, placé en vue d'une adoption. On bafoue, par cette règle manifestement le droit de l'enfant à connaître ses origines. On peut même se poser la question de savoir quelle utilité morale y a t-il pour une femme de porter 9 mois un enfant sinon que de l'abandonner par la suite ?

D'un autre côté, cette règle viole la conformité de plusieurs normes internationales. Au Sénégal, on n'est pas arrivé à ce stade de mépris manifeste du droit de l'enfant à connaître sa mère naturelle.

Seule la recherche judiciaire de la filiation paternelle est interdite (art. 196 CF)). Toutefois, le législateur sénégalais, soucieux de fonder la parenté sur le lien de sang, a consacré la filiation naturelle dans les articles 193 CF (reconnaissance volontaire) et 211 CF (reconnaissance judiciaire) dont la teneur suit : « lorsqu'il n'est pas présumé issu du mari de sa mère, l'enfant peut être reconnu par son père » (art. 193 alinéa 1er CF). L'article 211 CF stipule pour sa part :  « Nonobstant l'interdiction édictée par l'art. 196 CF, l'enfant pourra établir sa filiation paternelle, si le prétendu père a procédé ou fait procéder à son baptême ou lui a donné un prénom... ». Comme on peut le remarquer, ces textes réaffirment le droit à la filiation naturelle, c'est-à-dire l'enfant dont la conception ne se place pas à une période où ses parents étaient mariés (art. 219 CF).

L'article 193 CF n'intéresse que tous les enfants naturels qu'ils soient naturels, simples ou adultères et rattache ceux-ci, au moyen de la reconnaissance volontaire par leur père, à celui-ci. Cette belle unanimité tranche à l'opposé du

Droit musulman pour lequel seule la reconnaissance de la filiation des enfants légitimes est concevable.

Ce droit ignore pudiquement les enfants naturels, reconnus ou non, pour lesquels il estime que leur existence serait de nature à troubler les consciences religieuses les plus affinées. Il s'ensuit que la légitimation n'existe pas dans le droit musulman. De même, l'a ction en recherche de paternité ou de maternité qui établirait, de façon judiciaire, donc forcée, une filiation quelconque, n'est pas recevable. Ainsi, l'enfant né ou conçu avant le mariage de ses auteurs serait un « sous-produit » de rapports socialement condamnables.

Toutefois, le droit musulman et le droit commun de la famille se retrouvent autour de l'article 195 CF pour interdire l'établissement de la filiation lorsque l'enfant est le fruit d'un inceste. Le code français penche également dans cette voie (art. 334-10 c.civ.fr.). A l'égard de cet enfant, fruit de l'inceste, le législateur impose une filiation unilinéaire. Il s'agit pour le législateur sénégalais de ne pas transiger sur certains principes moraux essentiels qui constituent la base de toutes les civilisations. Il est inéluctable que l'enfant pourrait souffrir non pas de l'incognito de son origine incestueuse mais de la publicité malheureuse qui pourrait le suivre toute sa vie durant. Il est à noter, tout de même, que l'art. 195 CF relativise la prohibition qui n'est ni absolue, ni définitive dans le cas où l'empêchement à mariage, cause de l'inceste, venait à être levé (art. 110 alinéa 3 CF).

On peut même relever que si l'inceste émane d'un père sur sa fille, l'imposition de la filiation unilinéaire est une hypocrisie dans la mesure où la fille porte déjà le nom patronymique de son père et forcément l'enfant incestueux portera aussi le même nom. Est-il alors besoin de cacher à l'enfant sa véritable origine et de lui faire injure de l'insertion de la mention ·père inconnu· sur son état civil ?

Mieux vaut la mention du père indélicat en passant sous silence la véritable nature des liens dans l'acte ; ceci pour préserver pour la vie en société l'enfant qui pourrait souffrir de voir son extrait tomber entre n'importe quelle main (carrière politique, concours administratifs, examens, avancements, promotion professionnelle, etc.). Mieux vaut travestir la vérité en faisant croire que pour des raisons de considération de l'enfant on a préféré lui donné le nom de son grand-père pour sauver les apparences. C'est une forme de justice que l'on doit à cet enfant qui n'est pas responsable de cette situation, même si cette vérité est opaque ou teintée. Le législateur semble l'avoir effleuré et semble être en avance même s'il l'a compris autrement et n'a pas, plus ou moins, le même objectif.

Quoiqu'il en soit la prohibition demeure une atteinte, certes nécessaire et inévitable, à la filiation de l'enfant, voire de sa dignité. En Afrique, seul le législateur gabonais ne prohibe pas l'établissement de la filiation adultérine et incestueuse en procédant à son assimilation au régime juridique de la filiation naturelle simple (art. 452 et s. c.civ. gabonais).

Enfin, le législateur sénégalais a aménagé à l'article 194 CF la légitimation.

Cette institution confère à un enfant naturel la condition qui est faite à ceux qui sont conçus ou nés dans le mariage. Son but est la transformation de la situation

Juridique de ceux qui sont nés hors mariage. Le texte vise indifféremment la légitimation par le mariage et la légitimation post nuptias. En les consacrant dans un même texte, le législateur semble n'opérer aucune distinction entre les deux. La filiation juridique n'est pas seulement liée au principe de la filiation par le sang. Le législateur sénégalais soumet également l'enfant à une réglementation relative au régime de la filiation artificielle.

2 - La filiation artificielle de l'enfant

Le droit désigne sous cette expression le régime de l'adoption (a) et le système d'assistance médicale à la procréation (b).

a°) Le régime de l'adoption

C'est le moyen pour établir un lien de filiation juridique sans aucun rapport avec la réalité biologique. Elle résulte nécessairement d'un jugement prononcé par l'autorité judiciaire. Elle peut être prononcée au bénéfice d'un célibataire ou d'un couple marié. En droit sénégalais, il existe deux sortes d'adoption :

- l'adoption plénière exige des conditions tenant à la rupture de tous les

liens entre l'enfant et sa famille d'origine (s'il en a : le cas de l'enfant trouvé abandonné) et l'assimile totalement à un enfant légitime. Aux termes de la loi, le législateur requiert d'abord une différence d'âge suffisante des parents adoptifs et de l'adopté.

Ainsi, l'adoption plénière peut être demandée conjointement après 5 ans de mariage par les deux époux non séparés de corps dont l'un au moins est âgé de 30 ans révolus.

Si la personne est non mariée, la loi exige d'elle qu'elle ait plus de 35 ans. Ces exigences relatives à l'âge minimum de l'adoptant disparaissent lorsque l'adoption est faite par un époux en ce qui concerne les enfants de son conjoint.

Ensuite, l'adoptant doit avoir 15 ans de plus que l'enfant qu'il se propose d'adopter. Si ce dernier est l'enfant de son conjoint, la différence d'âge est réduite à 10 ans.

En outre au jour de la requête à fins d'adoption, l'adoptant ne doit avoir ni enfant ni descendants légitimes. L'existence d'un enfant déjà adopté ne constitue pas un obstacle à une autre adoption. Sur ces deux dernières règles, il faut relever l'inconséquence du législateur qui, d'une part, refuse toute adoption par le seul fait de l'existence d'un enfant (naturel ou légitime) et, d'autre part, accepte une nouvelle adoption qui demeure dans la mesure du possible à la suite d'une précédente. L'impair du législateur est, pour le moins, injustifié d'autant qu'il prive certains enfants sans attache familiale d'une possibilité offerte par un couple marié (peut-être bien assis financièrement) qui a déjà un ou des enfants.

Par ailleurs, le consentement de la famille d'origine ou du conseil de famille est requis. Tout aussi est exigé le consentement personnel de l'adopté lorsqu'il est âgé de plus de 15 ans révolus. Aux termes de l'article 227 CF, plusieurs personnes ne peuvent à la fois adopter un même enfant si ce n'est un couple marié. Néanmoins, le décès de l'adoptant ou des deux adoptants autorise qu'une nouvelle adoption puisse être prononcée.

L'adoption plénière confère à l'enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d'origine. L'adopté cesse d'appartenir à sa famille par le sang. Ce principe connaît, toutefois, deux exceptions :

· la première concerne les prohibitions au mariage qui sont

maintenus ;

· La seconde ne joue qu'en cas d'adoption de l'enfant du conjoint. Cette adoption laisse subsister la filiation d'origine de l'enfant à l'égard du conjoint et de sa famille. L'adopté acquiert le nom de l'adoptant (celui du mari en cas d'adoption par des époux). L'adopté a, dans la famille de l'adoptant, les mêmes droits et les mêmes obligations qu'un enfant légitime. Enfin, l'adoption plénière, selon l'article 243 CF, est irrévocable à compter du jour où la décision de la juridiction compétente est passée en force de chose jugée. Il en résulte que, sous réserve de la tierce opposition, elle ne pourra être remise en question.

- la deuxième et dernière forme d'adoption est l'adoption simple ou

limitée. Elle entraîne une adjonction d'une filiation adoptive à la filiation

d'origine, adjonction qui peut éventuellement être remise en cause. La

filiation d'origine est maintenue : l'adopté conserve dans cette famille

tous ses droits, notamment ses droits héréditaires. Les empêchements à

mariage demeurent. Le lien de parenté résultant de l'adoption s'étend aux

enfants de l'adopté. Contrairement à l'adoption plénière, l'adoption

limitée de l'enfant peut être révoquée. La limite tient également à ce que

ni l'adopté ni ses descendants n'acquièrent la qualité d'héritiers

réservataires à l'égard des ascendants de l'adoptant. Cela signifie que les

aïeux de l'adoptant peuvent déshériter l'adopté et ses descendants. Par

ailleurs, l'adoption simple est permise sans condition d'âge de l'adopté.

Cependant si ce dernier est âgé de plus de 15 ans, il doit consentir

personnellement à l'adoption.

Cette adoption pourra être remplacée par une adoption plénière. Elle peut

faire l'objet d'un prononcé de révocation qui suppose qu'il soit justifié de

motifs graves, ce qu'apprécie souverainement le tribunal. Le jugement de

révocation doit être motivé et sera transcrit en marge de l'acte de

naissance de l'intéressé. La demande aux fins de révocation peut être

formée par l'adoptant ou l'adopté (si l'adopté a plus de 15 ans) ou par le

ministère public, ses père ou mère par le sang ou un parent d'origine (si

l'adopté a moins de 15 ans). Les effets qui s'attachent à la révocation de

l'adoption simple se limitent à la perte du droit d'user du nom de

l'adoptant, de la cessation du droit alimentaire, des droits successoraux,

de l'effacement des liens avec la famille adoptive et de l'autorité

parentale. Toutefois, cette révocation ne rétroagit pas aux effets passés et

acquis (succession liquidée). On peut se poser la question de l'utilité de

cette adoption face à l'aléa d'une révocation. Pis encore, si les ayant-

droits légitimes de l'adoptant recueillent seuls sa succession, l'intérêt de

l'adopté est nullement pris en considération.

Apprécions maintenant la dignité de l'enfant à l'aune de la filiation par la procréation médicalement assistée.

b°) Le régime de la procréation médicalement assistée

Le Sénégal connaît une pratique timorée de cette forme de filiation aux travers de l'insémination artificielle (dite fécondation in vivo) et de la fécondation in vitro, à l'exclusion de la gestation pour autrui ( maternité des mères porteuses et participation sexuelle masculine du tiers donneur) 3(*). Par la suite, la réflexion, la réflexion est juste ramenée à la situation de l'enfant en France où elle existe depuis plusieurs dizaines d'années, depuis les lois dites « bioéthiques » (lois n° 94-653 et n° 94-654 du 29 juillet 1994). Les conditions sont fixées par le code de santé publique (art. L. 152-1 et s.) et ses effets sont déterminés par le code civil français (art. 311-19 et 20).

Les pratiques cliniques et biologiques procèdent de la conception in vitro, du transfert d'embryons et de l'insémination artificielle. Le but est de permettre la procréation en dehors du processus naturel. Le législateur français l'autorise pour remédier à une infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou pour éviter la transmission à l'enfant d'une maladie d'une particulière gravité. La loi écarte les célibataires, les couples homosexuels, les demandes d'assistance médicale post mortem, celles présentées par des personnes jugées trop âgées ou impotentes (ménopause, vieillesse), contrairement aux pays anglo-saxons comme les Etats-Unis et l'Angleterre.

Malgré la panoplie des mesures préventives, la procréation médicalement assistée (PMA) fait souvent le lit de comportements égoïstes, illicites, irresponsables. Les bouleversements s'opèrent par des travaux scientifiques (scientisme) en violation des lois de la nature. L'exemple le plus médiatisé est le clonage. Il consiste à prélever des cellules et tissus humains et à reproduire la même personne comme une jumelle identique. Un clone est une population d'individus génétiquement identiques. L'impact du phénomène du clonage touche l'essence même de l'humanité, de la morale et de la dignité de la personne en général et de l'embryon en particulier. A cette fin, il ne serait que plus étonnant de constater un jour que l'embryon soit breveté. De plus en plus, on ne s'offusque plus de pratiques commerciales et industrielles, de chosification de l'insémination artificielle ou de fécondation in vitro.

On se méprend également des conséquences d'insertion sociale des enfants qui sont les « produits » de ces «travaux scientifiques ». Hitler n'avait-il pas voulu créer une race aryenne de super-allemands ? Cette idée de faire miroiter l'immortalité pousse d'aucuns à mépriser l'innocence de l'enfant « cloné » pour les besoins du progrès de la recherche.

Il peut également arriver qu'un enfant né à la suite de cette forme de procréation fasse l'objet de contentieux pour sa garde malgré les mesures d'anonymat entre le donneur(ou porteur) et le couple infertile ou encore qu'au bout de la chaîne, il y ait désistement du couple ou du père-candidat qui ne veut plus lui accorder sa filiation. En pareille situation, la loi française prévoit d'engager judiciairement la paternité du « père » récalcitrant ou la responsabilité de la « mère » qui projetait l'adoption ou encore la mère porteuse qui veut garder l'enfant.

Le Sénégal n'est pas encore profondément ancrée dans cette situation « scientifique » et il serait préférable qu'il ne franchisse jamais ces travers puisque les enfants à adopter existent. Au Sénégal donc la filiation de l'enfant est consolidée par une législation, somme toute, acceptable que confortent les règles qui gouvernent l'intérêt de l'enfant et la gestion de son patrimoine.

B - L'intérêt de l'enfant et la gestion de son patrimoine successoral

La situation de l'enfant est dominée par l'idée des incapacités d'exercice destinées à la protection de son gouvernement (1) et à la gestion de son patrimoine successoral (2).

1 - L'intérêt protecteur du gouvernement de l'enfant

Le gouvernement de l'enfant correspond à la puissance paternelle, à son administration légale et à la tutelle.

Tout enfant, qu'il soit placé sous un système quelconque de gouvernement, doit évidemment être protégé contre son immaturité : son statut d'incapacité générale rend les engagements qu'il prend nuls. Au Sénégal, l'enfant est donc protégé quant, à sa personne, par les règles de la puissance paternelle qui doit être exercée dans son intérêt (art. 283 CF). Le code de la famille réglemente la situation de dépendance de l'enfant (articles 276 à 339 CF).

L'incapacité du mineur emporte inaptitude à exercer seul toute activité, c'est-à-dire qu'elle l'empêche de prendre des décisions concernant sa personne. Il ne peut contracter valablement des actes de la vie courante ou agir en justice ; et ses représentants ne sont pas tenus de le consulter sur ces points. La nullité des actes juridiques accomplis par un enfant couvert par le régime d'incapacité est une mesure de protection nécessaire. Dans le cadre de la famille légitime unie, la puissance paternelle appartient aux deux époux même si c'est le père qui normalement l'exerce (art. 277 CF). Mais la mère, nous le savons, peut tout aussi l'exercer dans les hypothèses visées à l'article 277 alinéas 3 et 4 CF.

En cas de divorce ou de séparation de corps, il n'y a plus de préférence pour le père ; le juge tient, exclusivement, compte de l'intérêt de l'enfant, de « son plus grand avantage » dit le texte. Ainsi donc, la puissance paternelle peut être assurée par le père ou la mère ou une tierce personne (art.278 CF). En cas de décès, c'est toujours l'intérêt de l'enfant qui doit guider le juge s'il décide de confier l'enfant à une personne autre que le conjoint survivant (art. 279 alinéas 1 et 2 CF).

Dans le cadre de la famille naturelle ou adoptive, les principes sont semblables. L'enfant est assimilé à un enfant légitime si sa filiation est établie à l'égard de ses parents ; dans l'hypothèse où la filiation paternelle ne serait établie que postérieurement à la filiation maternelle, seul l'intérêt de l'enfant peut justifier le transfert de la puissance paternelle de la mère au père (art. 281 alinéa 2 CF).

Quant au tuteur qui exercerait la puissance paternelle (art.280 CF), il est censé avoir été choisi parce qu'il est le plus capable de s'occuper de l'enfant, d'assurer la défense de ses intérêts.

Les parents n'ont pas que des droits sur leur enfant, ils ont également et surtout des devoirs à leur égard. L'article 283 CF énonce avec force que l'usage des droits de puissance paternelle n'est concevable que dans l'intérêt de l'enfant ; de même l'article 286 alinéa 2 CF impose que les attributs de la puissance paternelle doivent concourir à ce que les revenus des biens de l'enfant soient exclusivement consacrés à son entretien et à son éducation. Dans le but de veiller à bon droit à l'exécution de la puissance paternelle, il est reconnu au juge un droit de contrôle prévu à l'article 287 CF. Ce contrôle oblige tout parent à déférer à toutes les décisions prises à l'égard de l'enfant. Ce contrôle est complété sur le plan pénal par l'article 593 CPP qui autorise le magistrat instructeur ou le Président de la juridiction, en cas d'infractions commises sur l'enfant ou s'il est en danger moral ou matériel, à le confier provisoirement à un parent ou à une personne ou à une institution qu'il désigne.

C'est le prélude à une mesure d'assistance éducative lorsque la sécurité, la moralité ou l'éducation de l'enfant sont compromises. Ces mesures sont complétées par la possibilité de prononcer la déchéance de la puissance paternelle (art. 296 à 299 CF) et de la déléguer soit volontairement (art. 289 à 292 CF) soit judiciairement en cas d'abandon de l'enfant (art. 294 alinéa 4 CF).

La gestion du patrimoine économique et successoral de l'obéit également à cette même dynamique d'assurer un avenir digne et décent à l'enfant.

2 - La gestion du patrimoine économique et successoral de l'enfant

L'enfant ne gère pas par lui-même son patrimoine. Il est protégé quant à ses biens. Frappé, en effet, d'une incapacité d'exercice de protection générale (art. 660 CF), il a un représentant légal que l'on appelle administrateur légal. C'est le père qui a cette qualité ou la mère si ce dernier est décédé ou fait défaut. Si les deux parents sont décédés ou font défaut, il faut les remplacer et l'enfant sera mis, au plan juridique, sous tutelle (art. 305 et s. CF).

Il revient alors au tuteur de le représenter dans tous les actes de la vie civile (art. 328 CF). Cette tutelle intéresse à la fois le gouvernement et l'administration des biens de l'enfant. Cette tutelle est placée sous l'autorité du juge des tutelles qui surveille et contrôle les activités de celui-ci (art. 301 et 307 CF).

Dans le cadre du régime des successions, le législateur sénégalais a introduit un véritable dualisme pour la dévolution successorale, pour l'attribution des biens et pour la répartition des héritiers. On distingue, à ce propos, le régime des successions de droit musulman et le régime des successions de droit moderne (encore appelé successions de droit commun).

Signalons au passage que le code de la famille n'a pas consacré la conception successorale traditionnelle. De plus à défaut d'héritier situé et identifié, la succession est recueillie par l'Etat en vertu de son droit de préemption régalien.

Ceci dit on peut retenir, en ce qui concerne les règles successorales de droit commun applicables à l'enfant, que pour recueillir une succession il faut d'abord avoir une vocation héréditaire, c'est-à-dire être appelé par la loi selon qu'on est enfant légitime, enfant naturel, enfant adopté ou enfant légataire. C'est une condition essentielle et première qui profite à l'enfant que s'il a une existence de successible, c'est-à-dire une existence réelle de présence au moment de l'ouverture de la succession. L'article 399 alinéa 1er CF exige, pour prétendre à la succession, une existence certaine. La condition d'existence de l'enfant successible soulève une difficulté en ce qui concerne l'enfant simplement conçu. On admet à ce sujet qu'il n'est pas nécessaire d'être déjà né. Un enfant simplement conçu peut recueillir une succession. Le législateur sénégalais considère à cet égard l'enfant comme ayant une existence juridique propre dès l'instant de la conception (art. 399 alinéa 1er CF). Cependant pour que l'enfant simplement conçu hérite, il faut qu'il naisse vivant au moment du décès (l'enfant mort-né n'hérite pas) et il n'est pas nécessaire qu'il naisse viable.

En plus de la condition d'existence, le législateur exige que l'enfant ait la capacité à succéder. Précisément, l'enfant accepté (naturel ou adopté) et l'enfant légitime ont la capacité de succéder qui est une capacité de jouissance, c'est-à-dire de recueillir une succession.

Toutefois, ils sont frappés par l'incapacité générale d'exercice et ne peuvent recueillir que par l'entremise de leur administrateur légal.

Le principe dans les successions de droit commun, c'est que tous les enfants légitimes succèdent à leur parent de façon égalitaire (art. 520 à 522 CF). Les enfants naturels ou adoptés jouissent des mêmes droits suivant l'article 533 CF qui dispose que les enfants naturels « sont appelés à la succession de leur père et mère dans les mêmes conditions que les enfants naturels ». L'article 250 CF est lui applicable à l'enfant adopté. Ainsi comme en droit français (art. 757 c.civ. fr.), l'enfant naturel ou adopté est, en principe, assimilé à l'enfant légitime en matière successorale. Par ailleurs, il n' y a aucun privilège de masculinité. En effet, le droit commun ne tient aucun compte du sexe des héritiers pour déterminer leur vocation successorale et leur part héréditaire ; à égalité de degré, qu'ils soient garçons ou filles, les héritiers ont une égalité absolue de droits. Il n' y a pas non plus de privilège de droit d'aînesse. De même, la représentation joue autant pour l'enfant naturel ou adopté que pour l'enfant légitime (art. 535 alinéa 2 CF).

Cependant des nuances sont apportées aux conditions de successibilité par le droit musulman qui conçoit mal la reconnaissance d'un enfant naturel a fortiori qu'il puisse hériter. Le sort des enfants adultérins et incestueux est plus péniblement scellé.

Il s'ensuit que la légitimation n'existe pas dans ce droit, encore moins l'action en recherche de paternité ou de maternité, l'action judiciaire. Les règles de dévolution des successions de droit musulman exclut l'enfant naturel de la succession paternelle et, pour cause, il ne peut pas y avoir de lien juridique entre le père et l'enfant considéré par ce droit comme illégitime. Un homme ne peut pas reconnaître pour sien un enfant naturel tandis qu'il existe toujours un lien, dès l'accouchement, entre l'enfant et la mère, que l'enfant soit légitime ou non.

En outre, le droit musulman a vocation à privilégier les héritiers de sexe masculin qui recueillent toute la totalité de la succession. Ils ont une égalité absolue de droits entre héritiers mâles. Sur cette base, le droit sénégalais des successions musulmanes a fait à l'héritier mâle une situation prépondérante par rapport à celle de l'héritier de sexe féminin (art. 637 CF).

L'épanouissement de l'enfant suppose que lui soit concédé des moyens de participer personnellement à l'orientation de sa vie. Par là, on reconnaît à l'enfant une conscience participative.

SECTION II - LA RECONNAISSANCE D'UNE CONSCIENCE

PARTICIPATIVE A L'ENFANT

Le législateur sénégalais exprime clairement sa position et met à la disposition de l'enfant des moyens lui assurant une perfection de sa dignité. En quoi faisant, il veille à la préservation de ses droits familiaux (Paragraphe 1) et lui garantit l'exercice de ses droits individuels (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 - La préservation des droits familiaux

Cette préservation est assurée au bénéfice de l'enfant par une sécurité de sa personne au sein de sa famille ou dans toute structure spécialisée où il serait placé.

Certains de ces droits ont déjà fait l'objet de notre étude. On peut citer, à titre de rappel, notamment le droit au nom que doit lui assurer ses parents. Ainsi, l'enfant en bas âge est intégré dans une famille qui assure l'essentiel de ses besoins aussi bien matériels qu'éducatifs et affectifs. L'enfant a besoin de sa famille (famille par le sang) ou d'une famille (famille d'accueil). Ce droit à une famille recoupe la plupart de nos questions soulevées à propos du nom et de la filiation. Il n'est donc plus opportun d'y revenir. Tout au plus, on peut ajouter que c'est la volonté des parents et non celle de l'enfant qui semble être prise en compte, c'est-à-dire d'avoir une vie familiale normale puisque l'enfant est réputé incapable de choisir par lui-même, mais également il vient au monde et s'intègre, en principe, à une famille. Et plus encore même, pour son bien, il est prévu dans le cadre de l'assistance spécialisée de maintenir chaque fois qu'il est possible l'enfant dans un milieu familial. A cet effet, le législateur a prévu des mesures de placement des enfants en difficulté ou en danger soit qu'il s'agit d'enfants sans attache familiale, soit d'enfants liés à une famille. Quelque soit la situation familiale, l'enfant bénéficie de droits qu'il serait intéressant de relever.

Par la force de la tradition mais aussi par la force des choses, les droits de l'enfant dans sa famille sont asymétriques, c'est-à-dire qu'ils ne sont possibles qu'en parfaite symphonie avec ses obligations familiales.

L'enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses parents. Il reste sous leur autorité jusqu'à sa majorité ou son émancipation.

En contrepartie, ses père et mère le protègent dans sa sécurité, sa santé et sa moralité. Ils ont l'obligation de nourrir, d'entretenir et d'élever l'enfant. L'entretien est dû même si l'enfant manque à ses devoirs ses parents.

Pour l'enfant, la dépendance économique s'inscrit dans l'obligation de ses parents ou administrateurs légaux ou tuteurs d'entretenir les enfants placés sous leur responsabilité. C'est une obligation alimentaire mais aussi tout ce qui est nécessaire à sa survie. Si les parents sont divorcés ou séparés, une pension alimentaire sera versée par le parent chez qui l'enfant ne réside pas habituellement.

En fait, seuls les pères sont tenus par ces pensions au Sénégal. Quant un père a la garde de son enfant, il est rare que la mère que la mère lui verse une contribution à fins d'entretien de l'enfant. Mais cela ne signifie pas que la mère est privée de son droit de participer à l'entretien de son enfant et la pratique sénégalaise montre que les mères s'occupent souvent plus de leur progéniture que les pères. Cette situation de relâchement des liens entre les parents est reconduite en ce qui concerne le cas des enfants nés hors mariage lorsqu'ils sont reconnus par leur père ou que ce dernier ait procédé ou fait procéder à leur baptême.

Le code de la sécurité sociale a renforcé le champ des droits familiaux de l'enfant par la diversité des prestations et allocations qui lui sont décernées et qu'il serait fastidieux de les énumérer toutes dans le cadre de cette étude (loi n° 73-37 du 31 juillet 1973 portant code de la sécurité sociale).

Les enfants ont également droit à une éducation et à être assistés pour les frais de leurs études par leurs parents. A ce titre, le législateur sénégalais affirme que l'obligation des parents ne s'arrête pas à la majorité de l'enfant et ceux-ci doivent financer leurs études jusqu'à la limite imposée par les textes, laquelle limite est de 25 ans. Cette dépendance éducative comprend d'une part les droits et les devoirs de garde, de surveillance et d'éducation. Le droit de garde implique le droit de déterminer l'endroit où est l'enfant, son domicile. L'enfant ne peut pas quitter de son propre chef la maison familiale où il est domicilié. La surveillance n'implique pas les immixtions arbitraires dans l'intimité de l'enfant. L'éducation implique que les parents disposent de la liberté du choix de l'orientation scolaire des établissements.

Enfin, l'enfant bénéficie du droit de ne pas être séparé de ses parents contre son gré, et du regroupement familial lorsque son intérêt l'exige du fait du séjour à l'étranger d'un de ses parents.

A côté de ces droits familiaux, la dignité de l'enfant est également mise en oeuvre par la promotion de ses droits individuels.

Paragraphe 2 - L'exercice des droits individuels

En vue de consolider le cadre d'épanouissement de la dignité de l'enfant, le législateur sénégalais a consenti au bénéfice de l'enfant des libertés qui participent à l'orientation de sa vie et qui couvrent divers domaines.

Le catalogue des droits individuels est loin d'être exhaustif. Il serait long et fastidieux d'examiner pour chacun son sens et sa portée.

Notre démarche consistera plutôt à un rapide survol de ces droits dispersés dans toute la législation sénégalaise et traduits dans la C.I.D.E. (Convention Internationale des Droits de l'Enfant) du 20 novembre 1989 et la Charte Africaine des Droits et du Bien-Etre de l'Enfant du 11 juillet 1990.

Relativement aux droits politiques, la constitution sénégalaise du 7 janvier 2001 en son article 3 alinéa 3 exclut l'enfant du champ des activités politiques. En effet, cette disposition subordonne l'exercice de l'action politique à la condition de majorité d'âge. Or, l'enfant est la personne âgée de moins de 18 ans. Toutefois, le domaine des droits individuels est envisagé sous l'angle des droits civils.

A cet égard, le droit à la vie est le premier des droits de l'homme. Il est celui qui conditionne la jouissance de tous les autres droits. Ce droit épouse plusieurs contours déjà visités allant du droit de l'enfant conçu à l'enfant né ; tous les deux protégés contre les atteintes à leur intégrité physique (avortement et infanticide).

Il est également vu sous l'angle d'un droit économique et social en ce sens qu'il fait obligation à tous les acteurs chargés de la protection de l'enfant de veiller à son alimentation et à ses soins médicaux adéquats. Il a donc pour corollaire immédiat le droit à la protection du corps de l'enfant contre toutes les agressions (violences punitives et sexuelles) et les sévices (excision, mutilation clitoridectomie, etc.).

Le droit à l'intégrité morale renvoie aux situations vexatoires, de brimades, d'endoctrinements religieux, de menaces traumatisantes auxquels l'enfant pourrait être victime.

De même les libertés de pensée, de conscience et d'opinion revêtent une importance particulière et sont proclamés à l'article 8 de la nouvelle constitution sénégalaise de 2001.

Sur ce, le droit de la famille pose aussi les manifestations de cette liberté d'opinion, notamment en décidant que l'enfant doit consentir personnellement à son mariage (art. 108 CF), l'enfant doit consentir à son adoption ( art. 231 CF), l'enfant peut, si le juge l'estime nécessaire, assister aux délibérations du conseil de famille et y être entendu à titre consultatif. Il n'est pas innocent de constater également le libre accès de l'enfant à une information appropriée. Pour ce faire, on remarque la parution de journaux exclusivement réservés à l'enfant et, même

Ecrits en partie par des enfants, notamment dans les établissements scolaires. La radio GUNE YI sur la bande FM favorise également un cadre d'expression et de promotion participative de l'enfant à la vie de la nation. Quid du parlement des enfants, de la journée parlementaire des enfants dans le monde et de la journée internationale de l'enfant, de la journée de l'enfant africain qui sont autant de d'instruments pour susciter la conscience et l'intellect des enfants ( articles 10 et 11 de la constitution). Par ailleurs, l'exercice par les parents ou les personnes habilitées de leur droit de surveillance ne doit pas se muer en des immixtions infondées et arbitraires telles que la violation du droit à l'intimité , etc., si cela ne nuit pas pour autant à la probité morale de l'enfant protégé.

Aujourd'hui, l'autonomie de l'enfant se traduit par des sphères de libertés plus poussées où l'enfant peut exercer des choix personnels, même au détriment des aspirations des parents. Ces nouvelles formes de libertés sont, de plus en plus, remarquées en France. Il en est notamment du droit d'ester en justice enfermé dans des conditions restrictives, du droit d'être titulaire d'un compte bancaire.

L'enfant identifié au plan civil bénéficie d'une protection affirmée depuis sa naissance et dans son épanouissement dans la société. Le législateur sénégalais ne va pas se limiter à cette protection au plan civil de la dignité de l'enfant. Il tend également à la sauvegarde sociale de l'enfant qui n'est plus un agent passif mais un acteur agissant dans la cité.

CHAPITRE II - LA SAUVEGARDE SOCIALE DE L'ENFANT

ACTEUR DANS LA SOCIETE

L'enfant comme tout citoyen demeure soumis à la loi. Selon qu'il soit sujet ou victime de faits punissables, le législateur a prévu pour sa personne un régime de justice spécifique (SECTION I) et soumet l'activité ou l'exploitation économique dont il peut être l'objet à une réglementation précise (SECTION II).

SECTION I - LA SPECIFICITE DE LA JUSTICE POUR ENFANT

Cette spécificité de la justice de l'enfant repose sur la particularité de la situation de l'enfant en conflit avec la loi pénale (Paragraphe 1) et de l'état d'engagement de sa responsabilité civile (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 - La situation de l'enfant en conflit avec la loi pénale

Il s'agit de la détermination de la procédure pénale suivie (A) et de la sanction applicable à l'enfant au pénal (B).

A - La procédure pénale suivie

L'objectif consiste à ne pas soumettre à l'enfant le même régime pénal applicable à l'adulte. Il peut arriver qu'au cours de sa marche dans la société, l'enfant commette des faiblesse et déviances coupable et qu'il faille sévir contre sa personne pour le tort qu'il a infligé à la société ou alors qu'il est lui-même victime d'atteintes contre sa personne répressives au pénal.

En combinant les principes fondamentaux du respect du caractère sacré de la personne humaine, de ses droits à la défense à tous les degrés de la procédure, le législateur sénégalais a aménagé des garanties qui ne prennent en compte que la situation de l'enfant car le but tend avant tout à le rééduquer et non pas à le punir. Par suite, la problématique ne varie pas fondamentalement de celle de l'adulte. Si l'enfant est pénalement responsable de ses actes, encore faut-il fixer les règles qui gouvernent son incrimination.

La majorité pénale est fixée à 18 ans, tout comme pour la majorité civile. Lorsqu'un enfant commet une infraction, la jurisprudence française avait dégagé une sous-distinction parmi les enfants de moins de 13 ans. Ainsi, l'enfant de moins de 13 ans bénéficie d'une présomption irréfragable d'irresponsabilité. Il ne peut être frappé d'une condamnation pénale. Il n'est justiciable que de mesures éducatives, même s'il comparaît devant la juridiction des enfants. C'est un arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 13 mars 1956 4(*) qui a bien précisé que l'enfant doit avoir compris et voulu l'acte matériel qu'il a causé et qui lui est reproché ; car toute infraction, même non intentionnelle, suppose que son auteur ait agi avec intelligence et volonté. Dès lors, on ne peut imputer des infractions au jeune enfant dépourvu d'un minimum de raison. Avec l'arrêt Laboube de 1956, l'enfant de moins de 13 ans bénéficie d'une présomption irréfragable d'irresponsabilité pénale tandis que pour l'enfant de plus de 13 ans, la présomption est simple.

Seuls les enfants dépourvus d'un discernement sont considérés comme pénalement responsables. Les enfants de bas âge, qui ne comprennent pas la portée de leurs actes, ne sont pas pénalement responsables. Il revient ainsi au juge d'apprécier souverainement la notion d'aptitude à discerner de l'enfant. Une appréciation qui risque, au demeurant, d'être fort logiquement contestable au vu de la marge d'erreur qui reste dans la mesure du possible. Pour les enfants âgés de 13 ans, ils doivent répondre de leurs actes délictueux mais ne feront l'objet d'aucune sanction pénale.

Notre analyse tiendra compte de l'enfant âgé de moins de 13 ans mais doté d'un esprit de discernement et l'enfant âgé de 13 ans jusqu'à la fin de la minorité d'âge.

Ceci dit, l'âge de l'enfant s'apprécie au jour de l'infraction et même, le cas échéant, d'heure en heure.

La procédure se caractérise par une originalité très forte. La première particularité est la présence obligatoire d'un avocat. Désormais, l'enfant aura droit à la présence d'un avocat à tous les stades de la procédure : le défenseur devra être convoqué lors des interrogatoires au cours de l'instruction. Les procédures de comparution immédiate et de citation directe sont inapplicables aux enfants. C'est l'impérieuse nécessité de respecter les droits de la défense. L'article 577 CPP dispose à l'attention du tribunal pour enfants qu'il ne doit statuer sur le sort de l'enfant qu'après l'avoir entendu, avec ses parents ou ses représentants légaux ou son défenseur. L'enfant de moins de 13 ans ne peut être placé en garde à vue (art. 576 CPP) et ses parents doivent être tenus informés des charges pesant sur lui. Par ailleurs, des délais ont été introduits dans la procédure. L'article 592 CF in fine fait obligation au Procureur de la République, chargé de la poursuite (art. 572 CPP), de faire comparaître à bref délai l'enfant devant la juridiction de jugement (art. 592 CF in fine). Il s'agit de prémunir l'enfant contre les longues détentions et la promiscuité avec les adultes qui pourraient être préjudiciables à sa santé morale, voire à sa réinsertion dans la société.

L'efficacité de l'intervention judiciaire se jauge à l'aune d'une bonne instruction. Pour ce qui a trait au déroulement de l'instruction, certaines règles particulières ont été consacrées par le législateur. Le magistrat chargé de l'instruction procède à une enquête, à des investigations pour la manifestation de la vérité (art. 573 CPP) et il a la charge à la fois de constituer le dossier de personnalité et le dossier de l'acte. En constituant le dossier de l'acte, le juge d'instruction est tenu par la règle du respect intangible des droits de la défense.

A ce titre, la désignation de l'avocat incombe à l'enfant ou à son représentant légal, à défaut, le juge d'instruction désignera ou fera désigner, par le Bâtonnier des avocats, un défenseur d'office. On admet aujourd'hui que l'enfant dans les locaux de la police doit avoir aussitôt un avocat, a fortiori lors de sa première comparution à l'instruction devant le magistrat instructeur. Les parents ou les représentants légaux sont avisés (art. 575 alinéas 1er et 2).

Pour le dossier de personnalité, le juge d'instructeur peut ordonner diverses mesures afin de connaître, le mieux possible, la personnalité du jeune délinquant (art. 573 alinéa 5 CPP). La clôture de l'instruction est prévue à l'article 574 CPP. Lorsque le juge d'instruction estime que son information est terminée, il rend une ordonnance de règlement après avoir communiqué le dossier au Procureur de la République et suivant les circonstances, il rend soit une ordonnance de renvoi devant le tribunal pour enfants, soit une ordonnance de renvoi devant le tribunal de simple police, soit une ordonnance de non-lieu.

Il revient au tribunal pour enfants, juridiction compétente saisie de juger et sanctionner l'enfant, auteur de violations pénales.

B - La sanction applicable à l'enfant au pénal

La juridiction compétente dépend de la gravité de l'infraction commise (crime, délit, contravention). La composition du tribunal pour enfants est prévue à l'article 577 CPP. Il ne peut statuer qu'après avoir entendu toutes les personnes qui ont gravité autour de l'enfant et même ce dernier (art. 578 alinéa 1er CPP). Il statue en chambre de conseil et peut, dans l'intérêt de l'enfant , le dispenser de comparaître à l'audience (art. 578 alinéa 2 CPP). La restriction de la publicité des audiences est motivée par un souci de protéger la moralité de l'enfant (art. 579 alinéas 4 et 5). Les contrevenants à ce caractère non public des audiences sont passible de sanctions (art. 579 alinéa 6).

Quelque soit le résultat, la décision du tribunal pour enfants est susceptible d'appel (art. 588 alinéa 2 CPP) et le droit d'opposition, d'appel ou de recours en cassation peut être exercé soit par l'enfant, soit par son représentant légal (art. 588 alinéa 3 CPP).

Toutefois, la loi reste muette sur les notions de contumace et de recours en révision. Malgré le silence, on peut penser que leur application est possible dans le cas des enfants car on comprendrait mal une protection de l'enfant moins efficace que celle du majeur délinquant.

Ceci précisé, les sanctions ou mesures applicables à l'enfant sont très diverses. Une option est offerte à la juridiction de jugement puisqu'elle doit choisir entre la voie éducative et la voie répressive.

La primauté de la voie éducative plus pratiquée. Les mesures éducatives sont ordonnées par les tribunaux pour enfants. Il en existe un au niveau de chaque tribunal régional. Le juge doit faire appel à l'assistance de la Direction Nationale de l'Education Surveillée et de la Protection Sociale qui, elle, supervise un ensemble de structures spécialisées dans la prise en charge éducative des jeunes inadaptés, notamment l'AEMO (service de l'Administration Educative en Milieu Ouvert), les centres de protection sociale, les centres d'adaptation sociale et les centres de sauvegarde. L'objectif de protection de l'enfant étant le but prioritaire de l'intervention judiciaire. Les mesures peuvent concerner la garde de l'enfant, la liberté surveillée de l'enfant et la mise sous protection judiciaire (art. 561 alinéa 1er CPP).

Les mesures ordonnées sont provisoires et peuvent être révisées à tout moment (articles 591 et 603 CPP). Les mesures provisoires sont exécutoires nonobstant appel ou opposition.

Quant aux mesures répressives, elles sont exceptionnelles. La primauté étant accordée avec force aux mesures éducatives. La juridiction opte pour la voie répressive si la mesure éducative paraît vouée à l'échec.

Cependant, la peine est atténuée. En effet, le législateur a prévu des peines spécifiquement moins lourdes que celles encourues par les majeurs. En ce sens, l'enfant bénéficie entre autres excuses atténuantes, de l'excuse de minorité ( art. 25 et 53 CP). En raison de cette excuse de minorité, la peine est schématisée de la façon suivante :

- si l'enfant encourt la peine de mort ou les travaux forcés à perpétuité, la

peine sera de 10 à 20 ans ;

- s'il encourt les travaux forcés à temps de 10 à 20 ans, ou de 5 à 10 ans ou

la détention criminelle de 10 à 20 ans, il sera condamné à la moitié de la peine ;

- s'il encourt la dégradation civique, il sera condamné à 2 ans au plus. Dans tous les autres cas, il ne pourra être condamné à plus de la moitié de la peine applicable au majeur.

L'enfant, privé de liberté, doit purger sa peine dans une prison spéciale (le Fort B, sis à Hann) et dans les autres prisons du pays où il doit lui être aménagé un quartier spécial.

En France, il a été institutionnalisé le régime de la médiation pénale par la loi du 4 janvier 1993 réformant la procédure pénale. Ce régime subordonne l'abandon des poursuites pénales à une action positive du jeune délinquant, visant en particulier à indemniser la victime. La mesure de réparation doit être acceptée à la fois par l'enfant, par les titulaires de l'autorité parentale et par la victime. Elle est décidée par le procureur avant les poursuites ou par le juge chargé d'instruire le délit. Si elle est bien exécutée, l'affaire sera classée sans suite ou fera l'objet d'un non-lieu.

L'enfant n'est pas le plus souvent l'auteur d'infractions. Il est pour la plupart du temps la victime d'actes répressifs contre sa personne. Ce sont des atteintes qui sont portées à son état. Par exemple, le fait d'une non -représentation d'enfant est un délit qui consiste à refuser indûment de représenter un enfant dans tous les actes juridiques en société. Ce délit peut être à la base de la déchéance de la puissance paternelle. Egalement le délit de soustraction par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par un tiers consistant à soustraire l'enfant des mains de ceux qui exercent la puissance paternelle et au domicile desquels il a sa résidence habituelle. Le délit de provocation à l'abandon d'enfant est une question d'actualité parce qu'il existe un véritable ·marché· de l'adoption où la demande est très largement supérieure à l'offre. Certains peuvent être tentés soit par don, promesse, menace ou abus d'autorité de pousser les parents ou l'un d'entre eux à abandonner un enfant né ou à naître. Dans cet ordre, peuvent entrer les délits de substitution, de simulation ou de dissimulation en portant atteinte à son état-civil, c'est-à-dire de faire perdre les traces de sa naissance ou de ne pas l'enregistrer.

D'autres comportements intentionnels sont tout aussi réprimés, notamment l'incitation à l'usage et à la vente de stupéfiants sur mineurs, la provocation à la mendicité, les violences, tortures, menaces, actes de barbarie, mutilations sexuelles, viols, incitation à l'infanticide, à l'avortement, à la prostitution, etc. Les infractions que peut subir l'enfant revêtent un aspect disparate qu'il serait d'une pénibilité certaine et trop fastidieuse de tout relever. Toutefois, leurs auteurs s'exposent à des peines plus sévères puisque la minorité de l'enfant est une circonstance aggravante.

L'enfant n'est pas seulement soumis au régime des règles pénales. Le législateur sénégalais retient à son encontre un régime de responsabilité civile.

Paragraphe 2 - L'état de la responsabilité civile de l'enfant

Le caractère individuel de la responsabilité emporte que, en principe, nul ne répond des dommages causés par autrui. Mais la loi, le code des obligations civiles et commerciales (COCC) en sa partie générale (loi n° 63-62 du 10 juillet 1963. JORS 31 août 1963. 1206 et s.) a prévu certains cas dérogatoires énumérés par les articles 143 à 145 du COCC pour les parents, l'article 150 pour les maîtres et artisans.

Le fondement de cette responsabilité est que souvent les enfants ne sont pas solvables et la victime aurait peu de chances d'obtenir une réparation réelle si personne ne répondait de leurs actions. De plus, les responsables que la loi désigne sont investis d'une autorité à leur égard : on admet aisément une présomption de mauvaise surveillance. Ainsi, la responsabilité des parents est liée à l'autorité qu'ils détiennent sur leurs enfants mineurs et au devoir d'éducation et de surveillance que leur impose la loi.

La responsabilité des parents reposait traditionnellement sur une présomption de faute : le dommage causé par l'enfant fait présumer qu'il a été mal éduqué ou mal surveillé. A l'origine régnait une conception subjective de la faute. Il était très difficile de la déceler dans la personne de l'enfant dépourvu de discernement. Face à l'improbabilité des moyens de preuve, on a alors délaissé la notion d'imputabilité morale 5(*) au profit du caractère illicite de l'acte commis par l'enfant.

Ainsi, le simple comportement objectivement illicite de l'enfant permettait de demander réparation aux parents, bien que cet acte ne puisse lui être subjectivement reproché. Plus tard dans deux français arrêts en date du 9 mai 1984 : les arrêts Derguini 6(*) et Fullenwarth 7(*), on ne retient plus le fait objectivement illicite mais une simple anomalie dans la conduite de l'enfant suffit ou encore l'unique condition de responsabilité des parents réside dans le seul rapport de cause à effet entre l'action de l'enfant et le dommage.

Ce revirement de la jurisprudence ne laisse plus de place à l'interprétation. Elle substitue à la notion de « faute présumée » l'expression de « responsabilité présumée ». Il en est de même lorsque l'enfant a la garde d'une chose 8(*). Un nouveau fondement, lié à l'idée de risque et au développement de l'assurance, est venu relayer le précédent. Suivant ce fondement, il appartient aux parents de supporter ce risque en contractant une assurance. Ce fondement tend à verser le régime de la responsabilité dans le sens de l'assurance obligatoire. Pour présumer la responsabilité des parents, quatre conditions sont nécessaires et doivent être accomplies :

- D'abord, l'enfant doit avoir lui-même commis une faute. La notion de faute prise en considération résulte d'un fait matériel et il n'est pas retenu l'élément moral de l'intention. La responsabilité de l'enfant peut, en outre, être totale ou partielle et même partagée avec la victime, si celle-ci a concouru à la réalisation de son dommage ;

- Ensuite, la responsabilité des parents reste attachée à la notion de minorité d'âge. En effet, l'autorité cesse lors donc que l'enfant atteint sa majorité ou en cas d'émancipation ;

- En troisième lieu, le parent titulaire de la puissance paternelle doit exercer la garde. Mais si la garde est partagée par les deux parents, la

Responsabilité est solidaire. Si l'enfant est confié à un tiers (grands-parents, amis ou établissements spécialisés), celui-ci est responsable de plein droit ;

- La dernière exigence est le lien de cohabitation avec le ou les parents qui

ont la garde. Toutefois, cette condition échappe au titulaire de la

surveillance lors d'un séjour, par exemple, de vacances. En pareille

hypothèse, la garde est transférée. Il en est de même lors d'une fugue que

l'enfant soit recueilli, hébergé ou séjourne chez l'autre parent ou un tiers.

Lorsque ces conditions sont réunies, le ou les parents sont présumés responsables.

Traditionnellement, la présomption était simple. Mais depuis quelques années en France, elle est devenue irréfragable. Il devient donc difficile aux parents de pouvoir s'exonérer en prouvant qu'il n' y a pas eu défaut d'éducation et de surveillance.

Sur cette même mouvance, le placement d'un enfant comme apprenti chez un artisan emportait une sorte de transfert d'autorité : l'apprenti logeait le plus souvent chez son patron qui parachevait l'éducation parentale par l'apprentissage professionnel.

Ces conditions ont changé puisque le contrat d'apprentissage conclu avec des enfants reste soumis au nouveau code du travail sénégalais (articles L 73 et L 74 de la loi n° 97-17 du 1er décembre 1997). Il y a présomption de responsabilité si l'apprenti vit chez son patron et s'il loge à l'extérieur, pendant les heures où il est sous sa surveillance. Néanmoins, l'artisan peut s'exonérer en prouvant qu'il n'a commis aucune faute de surveillance ou dans la formation professionnelle qu'il lui dispense.

Enfin, la responsabilité des instituteurs qui était retenue supportait la même présomption que pour les parents et les artisans. Mais le développement du système éducatif conduit le plus souvent l'Etat à prendre en charge cette responsabilité, ou s'il s'agit d'une structure privée, l'employeur est civilement responsable : quitte, pour lui, à exercer par la suite une action récursoire contre l'instituteur fautif.

Au Sénégal avec la réforme intervenue le 26 mai 1977, un alinéa 3ème a été ajouté à l'article 121 cocc. Cet alinéa combiné à l'alinéa 1er peut être lu comme obligeant l'enfant à réparer tout dommage qu'il aurait commis, même si son état naturel le laisse dans l'impossibilité d'apprécier son acte. Le législateur sénégalais a ainsi rejoint la jurisprudence française qui a également délaissé la notion d'imputabilité morale au profit du comportement ou fait objectivement illicite.

Les règles du droit pénal et du droit commun de la responsabilité civile ne sont pas, cependant, les seules normes protectrices de la dignité de l'enfant. Le droit positif sénégalais a précisé une réglementation devant sévir contre l'exploitation économique de l'enfant.

SECTION II - LA REGLEMENTATION CONTRE L'EXPLOITATION

ECONOMIQUE DE L'ENFANT

Le besoin vital de travailler est une nécessité sociale. L'enfant est parfois amené, malgré lui, à devoir entrer très tôt dans la vie active pour diverses raisons (familiales et / ou personnelles). Le législateur a posé, à son profit, une réglementation particulière et appropriée de règles protectrices en matière de travail (Paragraphe 1). Ce encadrement législatif exclut et sanctionne les autres situations d'exploitation économique susceptibles de compromettre la survie et le développement de l'enfant (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 - La particularité des règles protectrices en matière de

travail

La Convention relative AUX Droits de l'Enfant du 20 novembre 1989 ne rejette pas le travail des enfants mais elle interdit l'exploitation et les abus.

En effet, l'article 32 CIDE pose en son alinéa 1er que les Etats doivent l'enfant non seulement contre l'exploitation économique mais encore lui éviter des travaux comportant des risques. L'alinéa 2ème du même article va plus loin et demande aux Etats de fixer un âge minimum ou des âges minimums d'admission à l'emploi et de déterminer une réglementation appropriée des horaires de travail et des conditions d'emploi. L'article 15 de la Charte Africaine des Droits et du Bien-Etre de l'Enfant pose également les mêmes exigences.

Quoiqu'il en coûte, le principe sacro-saint du droit au travail est une des libertés garanties et reconnues à tout citoyen, fusse-t-il un enfant, par l'article 8 de la constitution sénégalaise du 7 janvier 2001.

Dans cette optique, l'OIT a adopté sa première convention sur le travail des enfants en 1919, l'année même de sa fondation. Il s'agit de la convention n° 5 sur l'âge minimum qui interdit le travail des enfants de moins de 14 ans dans les établissements industriels. L'instrument le plus complet sur l'âge minimum du travail demeure la convention n° 138 de 1973 qui fixe à 15 ans l'âge minimum de travail de l'enfant. En outre, elle invite les Etats membres, dont le Sénégal, à s'engager dans une politique suivie visant à assurer pour l'avenir, l'abolition effective du travail des enfants et à élever progressivement l'âge minimum d'admission à l'emploi. La recommandation n° 146 de l'OIT qui complète la convention n° 138 propose le cadre d'action et les mesures essentielles, à mettre en oeuvre pour prévenir et éliminer le travail des enfants.

Cette recommandation appelle les Etats membres à s'efforcer de porter l'âge minimum à 16 ans pour tous les secteurs d'activité. L'ancien code du travail sénégalais en son article 139 fixait l'âge minimum à 14 ans. L'actuel code du travail s'est conformé à la convention n° 138 du 26 juin 1973 du BIT en fixant l'âge minimum à 15 ans (art. L 145 de la loi n° 97-17 du 1er décembre 1997 portant nouveau code du travail du Sénégal). On remarque une volonté progressive d'élever l'âge minimum d'admission à l'emploi qui n'en est qu'à une phase ascendante. La convention du BIT précitée prescrit même de fixer l'âge minimum pour tout travail présentant un degré de dangerosité ou de toxicité pour l'enfant. Le Sénégal va même plus loin et interdit de soumettre l'enfant à de tes travaux (art. L 145 alinéa 2).

Pour de tels travaux, il revient au ministre du Travail de déterminer l'âge limite auquel s'applique l'interdiction. La convention n° 138 exige également la consultation préalable des organisations d'employeurs ou de travailleurs pour tout emploi d'enfant. A ce titre en 1930, la convention n° 29 de l'OIT préconisait déjà l'interdiction des pires formes d'exploitation et vise à supprimer le recours forcé ou obligatoire.

Par ailleurs, il est formellement interdit d'affecter un enfant à des travaux non proportionnés à ses forces (art. L 146 alinéa 2) et l'inspecteur du travail peut requérir un examen médical en vue de vérifier si le travail exigé à l'enfant n'excède pas ses forces (art. L 146 alinéa 1er).

En outre, il n'est pas permis d'occuper des enfants à des travaux de nuit (art. L 140 alinéa 1er) et l'employeur est tenu d'appliquer les mesures d'hygiène et de sécurité surtout lorsqu'il utilise des enfants (art. L 149). De même, l'enfant a droit à un minimum de 11 heures consécutives de repos (art. L 141) entre deux journées, conformément à la convention n° 90 de l'OIT. Ce repos est obligatoire (art. L 147).

L'employeur ne peut, à dessein, confiner l'enfant dans un cercle sans fin d'apprentissage (articles L 73 et L 74) ou de formation professionnelle sans perspective d'une promotion de carrière (articles L 75 et L 76) comme il est fréquent dans les entreprises non structurées du secteur informel (mécanique, menuiserie, transport...).

La violation par l'employeur de la réglementation spéciale du travail des enfants est sanctionnée principalement par le décret n° 62-17 du 22 janvier 1962.

Pour autant le législateur ne s'est pas limité qu'aux seules règles du travail des enfants. Il a aussi mis l'accent sur d'autres situations d'exploitation économique en aménageant des mesures drastiques en vue de renforcer la protection de la dignité de l'enfant.

Paragraphe 2 - La protection contre les autres situations d'exploitation

économique

Cette protection concerne les formes d'industrie de l'exploitation économique par des structures du secteur informel et apparemment illicites.

La main-d'oeuvre servile enfantine se manifeste soit en milieu rural, soit résulte de la conjoncture économique et produit ses ramifications dans les sphères urbaines.

La traite des agissements odieux prend les traits des enfants dans les travaux champêtres (champs familiaux ou maraboutiques), des enfants domestiques, des petits vendeurs, cireurs et apprentis de toutes sortes (restauration, transport, mécanique, menuiserie...).

L'image des jeunes talibés, en quête effrénée d'aumônes, mal habillés et à la propreté douteuse, révèle une tragédie poignante. Ils ne connaissent que les rudiments de la tradition et les textes du Coran et sont privés d'une scolarisation. Ces enfants sont victimes d'abus d'autorité par la cupidité d'enseignants coraniques qui les réduisent à l'état de mendicité, lequel au reste, est un délit réprimé par l'article 245 CP et le décret n° 64-088 du 6 février 1964 relatif à la mendicité sous toutes ses formes.

Le plus souvent c'est pour échapper à cet engrenage maraboutique que le phénomène des enfants de la rue s'est accentué et a pris des proportions démesurées avec pour conséquences perceptibles une recrudescence de la prostitution enfantine, le lit facile du tourisme sexuel, la vente et la traite d'enfants (adoptions à l'étranger, plantations dans les haciendas de certains pays d'Afrique de l'Ouest,...), la pornographie sous toutes ses formes, l'usage de la drogue, la production et le trafic des stupéfiants parmi les jeunes enfants.

Sur l'initiative de l'Etat, la lutte contre la prolifération de la drogue en milieu juvénile a été durcie quant à la répression des infractions relatives aux stupéfiants. Ce renforcement de la répression est prévu par la loi n° 87-12 du 24 février 1987, abrogeant et remplaçant les articles 3, 4, 10 et le 4ème paragraphe de l'article 6 de la loi n° 72-24 du 19 avril 1972. Les peines prononcées peuvent aller de 2 à 10 ans d'emprisonnement sans exclusion d'autres peines complémentaires telles la confiscation et la destruction des substances psychotropes.

Par ailleurs, l'exploitation sexuelle des enfants est devenue un phénomène de cliché à la mode et présente des ramifications internationales.

Par ·enfant·, on entend généralement une personne qui n'a pas encore atteint l'âge de consentement à l'acte sexuel. Il est donc criminel d'obliger des enfants à se prostituer ou à consommer un acte intime. Il y a indéniablement un lien très étroit entre la pédophilie ou la violence sexuelle en général et l'utilisation à des fins commerciales d'enfants pour satisfaire ses vices.

Le Sénégal réprime les relations sexuelles avec des enfants. Deux aspects de la prostitution d'enfants sont, en général, pénalement incriminés, à savoir :

- profiter de la vulnérabilité de l'enfant quel qu'en soit le procédé utilisé (tromperie, incitation, supercherie, coercition...) ;

- tirer un profit économique de l'activité sexuelle d'un enfant, de ses

offres de prestations sexuelles.

Lorsque l'âge légal du mariage est inférieur à l'âge de consentement à mariage (articles 109 ; 111 CF), certains évoquent le prétexte du lien matrimonial pour justifier leur ·droit sexuel· avec leur ·partenaire·.

Dans cette optique, la loi a prévu des mesures répressives contre les mutilations génitales féminines.

Cette circoncision féminine est une opération douloureuse aux conséquences physiologiques et psychologiques qui laissent des traces indélébiles sur l'adolescente qui la subit.

Les articles 323, 324 et 325 CP combinés prévoient les agissements relatifs au proxénétisme. Ces articles punissent des peines de 2 à 5 ans d'emprisonnement ceux qui auront attenté en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de l'enfant. C'est le délit d'incitation du mineur à la débauche. Il est également octroyé aux tribunaux sénégalais la compétence ratione loci de connaître des infractions commises à l'étranger à l'encontre des enfants.

L'action de l'Etat se renforce également en direction des enfants handicapés par le dynamisme des structures spécialisées (le Centre TALIBOU DABO de Grand-Yoff, le Centre Verbo-tonal dans le quartier de Fass / Gueule-Tapée à Dakar, l'Institut National de Formation et d'Education des Jeunes Aveugles : INEFJA) même si l'on constate l'absence d'une législation orientée vers la satisfaction des besoins des handicapés, conformément à l'article 23 CIDE du 20 novembre 1989.

Le législateur, en ·homme prudent, diligent et avisé· se place résolument dans une perspective protectrice des enfants réfugiés.

A cet effet, le Sénégal n'a pas manqué de ratifier la Convention relative au Statut des Réfugiés du 28 juillet 1991. Ce statut donne appui à la loi n° 67-28 du 24 juillet 1967 relative au statut des réfugiés et au décret n° 82-1582 du 30 décembre 1982 sur les conditions de fonctionnement de la Commission des Réfugiés.

On ne saurait faire abstraction du cas des enfants-soldats. Le Sénégal prohibe tout enrôlement d'un enfant de moins de 18 ans dans les forces armées nationales (loi n° 70-23 du 6 juin 1970 et loi n° 82-17 du 23 juillet 1982 instituant le Service National et le décret n° 91-1173 du 7 novembre 1991 fixant les règles relatives au recrutement dans l'armée).

Le constat qui se profile à la lecture rapide de la législation sénégalaise est qu'il existe une volonté textuelle de la préservation et de l'affirmation de la dignité de l'enfant. Toutefois, le cadre législatif et réglementaire, a fortiori international connaît de sérieuses zones d'ombre liées pour la plupart à la pratique, l'exécution sur le terrain de ces textes de loi.

Ainsi, la dignité de l'enfant connaît des obstacles non seulement dans sa promotion mais également pour sa pérennité et son application.

TITRE II - LES OBSTACLES A LA PROMOTION DE LA DIGNITE DE

L'ENFANT

Les obstacles à la pérennité de la dignité de l'enfant restent liés à des raisons dues à la précarité même de la protection (CHAPITRE I). Toutefois, l'espoir n'est pas éteint et des perspectives sont toujours trouvées ou recommandées en vue du maintien et de l'amélioration de la dignité de l'enfant (CHAPITRE II).

CHAPITRE I - LES RAISONS LIEES A LA PRECARITE DE LA

PROTECTION

Elles tiennent exclusivement à l'insuffisance des garanties internes (SECTION I) et à la portée réduite des garanties internationales (SECTION II).

SECTION I - L'INSUFFISANCE DES GARANTIES INTERNES

La société étatique peut être hiérarchisée en deux structures concernant les gouvernants et les gouvernés. Pour dire que les failles observées découlent du système politique, c'est-à-dire de la volonté politique, elle-même (Paragraphe 1) mais aussi inévitablement de l'action parallèle de la population qui réagit par un réflexe de blocage à certains actes initiés par l'Etat (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 - Les failles dans la volonté politique

Les pouvoirs publics ont une réaction limitée dans leur action d'élévation de la dignité de l'enfant (A). Ce qui a pour conséquence dans leur démarche, un retard dans l'uniformisation de la législation nationale aux normes internationales (B).

A - Une action limitée des pouvoirs publics

L'évolution de la situation de l'enfant au Sénégal peut être considérée, à certains égards, comme un indicateur de la politique mise en oeuvre par les autorités politiques.

La situation de l'enfant est difficile en raison de l'acuité des problèmes d'environnement. Il en découle des enjeux de lobbies. En effet sur la base d'une économie en perfusion, l'Etat s'oblige à asseoir un cadre attrayant de captation des investissements.

Or, précisément cette politique de défense des intérêts du capital amène l'Etat, non pas à réviser sa législation relative à l'enfance travailleuse mais à s'enfermer dans une politique de libération (flexibilité de l'emploi) et donc une déprotection des droits acquis de haute lutte. Le travail des enfants est une réalité au Sénégal. Pour la plupart du temps, il prend l'allure d'un apprentissage pour les enfants apprentis du secteur informel (tailleurs, aides dans les gargotes, menuisiers, mécaniciens, agriculteurs, vendeurs à la sauvette, travailleurs domestiques et la ·professionnalisation· de la mendicité des talibés).

Or, nous l'avons déjà vu, la formation professionnelle et l'apprentissage sont régis par les articles L 73 et L 76 du nouveau code du travail sénégalais. Une réglementation que bafouent les employeurs de maison ou des micro-entreprises à taille réduite du secteur informel. Pour leur défense à l'accusation d'exploitation de la main-d'oeuvre fragile enfantine, ils avancent que le principe veut que celui qui postule à être formé consente également à prendre en charge les frais de sa formation.

Or, tel n'est pas le cas pour les enfants apprenants à qui ils assurent la gratuité de la formation pour diverses raisons. Par conséquent, la rémunération faible et modeste est amplement justifiée par une sorte de système de compensation. Plus encore, ils invoquent les moyens réduits de l'Etat qui ne peut satisfaire à toutes les demandes en formation. Il semble que cet argument ne soit pas aussi faux d'autant que l'Etat manifeste peu d'empressement à mettre un terme à cette situation. La réaction de l'Etat irait même dans le sens de compromettre la politique d'attrait des investissements étrangers qui cherchent à s'implanter pour maximiser ses profits dans les pays où la main-d'oeuvre servile est corvéable, déprotégée et faiblement syndiquée.

En outre d'autres causes liées à la faiblesse de la réaction de l'Etat recoupent les phénomènes sociaux de paupérisation, de déperdition scolaire, la non scolarisation, la démission des parents et les résistances de certaines mentalités qui considèrent que ·l'obligation· de l'enfant est d'obéir et d'assurer la relève pour le bien-être commun de la famille, comme lui-même a eu à en bénéficier. Ainsi, les raisons qui mènent les enfants sur les chemins du labeur sont multiples. La crise économique et son corollaire la pauvreté font leur lit et déclenchent les formes les plus extrêmes et perverses de désoeuvrement pour les enfants sans revenus ou laissés à eux-mêmes. C'est le début de la prostitution enfantine qui se modernise avec l'outil informatique et le téléphone portable. Cette prostitution déguisée et clandestine prend des proportions inquiétantes d'autant que la population juvénile reste la couche la plus touchée par le VIH-SIDA au Sénégal.

A côté, on assiste, fréquemment à des mariages forcés dont certains cachent mal leur caractère de pédophilie (surtout en zones rurales et religieuses), d'autres pour étouffer les cas de grossesses indésirables ou pour taire des actes d'inceste. Le nombre inquiétant de filles-mères abandonnées ou poussées à l'avortement clandestin ou acculées à l'infanticide est en nette recrudescence. Leur arrestation et incarcération les conduisent à la découverte de l'univers carcéral. Très souvent à leur élargissement, elles peinent à se trouver un travail et c'est le cycle du proxénétisme et de la prostitution.

Pour ce qui relève de l'enfance délinquante, le législateur démontre son inconséquence dans la logique d'assurer une protection judiciaire à l'enfant.

En effet, il est inconcevable que l'enfant puisse être placé dans les liens de la prévention, de la garde à vue provisoire dans une maison d'arrêt en cas de crime présumé et à la suite d'une audition du juge d'instruction. Or, il ne fait plus de doute que la personne de l'enfant est, et demeure, considérée comme pénalement irresponsable conformément à l'article 40-3 de la CIDE. Malheureusement dans la pratique, durant l'instruction et les poursuites, les contacts avec les structures chargées de faire respecter la loi sont émaillées de privations, menaces, bastonnades, brimades, vexations et tortures.

Par ailleurs contrairement au but de la réforme initiée par la loi n° 77-64 du 26 mai 1977 9(*) qui ajoute un 3ème alinéa à l'article 121 COCC, le législateur a engagé, systématiquement, la responsabilité civile de l'enfant. Or, la volonté première était l'indemnisation de la victime de l'enfant et la mise en oeuvre des articles 130 et 139 COCC. Mais pour le législateur sénégalais, l'art de mal légiférer et de rester statique dans l'erreur a été consacré en règle de vertu et en principe. Une conséquence imprévisible en résulte. L'enfant, pour qui on prétendait vouloir faire bénéficier un régime de protection plus favorable, voit en définitive sa responsabilité civile beaucoup plus facilement engagée que celle du majeur. En effet de l'adulte on exige la commission d'un acte moral et d'un acte matériel qui consomment la faute et réalise le dommage. A l'égard de l'enfant, il n'est retenu, pour l'avenir, que la faute objective tirée de l'accomplissement d'un fait matériel illicite.

Et si ses parents sont insolvables, il risque de se retrouver criblé de dettes à sa majorité pour un acte dont il n'aura, certainement, plus aucun souvenir.

Le personnel spécialisé dans l'enfance ne bénéficie pas souvent d'une formation pointue et d'une assistance lui permettant de faire face dans tous les milieux où l'enfant est menacé. A cela s'ajoutent des sources de démotivation légitimes du personnel judiciaire, des structures d'éducation ou de rééducation surveillée du fait que l'Etat rechigne à octroyer les moyens subséquents pour une bonne prise en charge pérenne de la dignité de l'enfant, même si l'article 607 CPP pose la mise sur pied d'une brigade spéciale de protection des enfants en danger avec pour mission préventive supplémentaire, le dépistage de tous les endroits réputés dangereux pour l'enfant.

Les failles dans l'action des pouvoirs publics sont complétées par le retard dans l'uniformisation de la législation nationale avec les normes internationales.

B - Un retard dans l'uniformisation des textes

Le Sénégal a ratifié la plupart des textes internationaux sur les droits de l'enfant. Si l'acte, en lui-même, est louable pour l'effort diligenté par rapport à certains pays, il n'en reste pas moins qu'il est insuffisamment lacunaire.

En effet, des distorsions et inadaptations existent entre les conventions internationales et la législation nationale relative à l'enfant.

On peut relever qu'en matière de filiation, tous les enfants ne jouissent pas des mêmes droits. On trouve une parfaite illustration dans le mode d'établissement de la filiation naturelle paternelle qui doit nécessairement se faire par une reconnaissance du père. L'article 196 CF interdit la recherche de paternité naturelle, laquelle n'est admise, suivant l'article 211 CF, que si le présumé père a procédé ou fait procéder au baptême de l'enfant ou lui a donné un prénom. Ce qui équivaut à une reconnaissance implicite du père naturel de sa paternité. Mais l'enfant qui n'est pas reconnu est privé de tous les droits attachés à la filiation paternelle naturelle et son acte d'état-civil portera la mention ·père inconnu·. C'est le sort identique qui est réservé à l'enfant issu d'un inceste, dont interdiction expresse est faite à son père de le reconnaître.

L'illogisme du législateur est à son comble car, paradoxalement, il concède à l'enfant le droit de disposer d'une action alimentaire : l'action en indication de paternité lui permet juste d'obtenir de celui qui sera indiqué comme son père mais ne lui permet nullement d'établir la filiation paternelle (art. 215 CF).

Par conséquent, il est grand temps que la législation familiale du Sénégal se conforme aux articles 7 et 8 de la CIDE en établissant judiciairement la paternité naturelle à la suite d'une recherche de paternité.

Dans ce même registre en France, l'enfant né de la technique de la procréation médicalement assistée est contraint à subir une fausse paternité ou une fausse maternité(don d'ovules) car il lui est imposé l'anonymat de son véritable auteur. Ainsi l'enfant, dans l'ignorance de son véritable auteur, est privé du droit prévu à l'article 7 de la CIDE. Sa dignité s'en ressent dans sa vie psychique et psycho-émotionnelle.

On ne peut comprendre pourquoi le législateur fait repose sur les enfants l'irresponsabilité des adultes en leur refusant une même égalité dans les droits qui leur sont reconnus. C'est à ce propos qu'il faut lire le régime discriminatoire des successions.

En matière successorale, un traitement de privilège de masculinité est réservé à l'enfant légitime de sexe masculin au détriment de la fille et de l'enfant naturel (article 637 CF). Cette disposition est en déphasage avec le principe même d'égalité de tous les citoyens posé dans la constitution sénégalaise, a fortiori elle viole les textes internationaux signés et ratifiés par le Sénégal.

D'un autre côté, l'enfant naturel subit cette même ségrégation discriminatoire vis-à-vis de l'enfant légitime. Il convient de rappeler que ses droits successoraux sont, en théorie, égaux avec ceux de l'enfant légitime (art. 533 CF). Mais cette proclamation est réduite à sa plus simple expression par l'article 534 CF qui exige, en premier lieu, que la vocation héréditaire de l'enfant naturel est subordonnée à l'établissement de la preuve de sa filiation.

En second lieu, il faut que la filiation maternelle naturelle fasse l'objet d'une indication du nom de la mère sur l'acte de naissance ( art. 190 CF). Le droit français ne connaît pas cette exigence d'indication du nom de la mère sur l'acte de naissance. Cette seconde exigence explique la raison pour laquelle l'article 533 alinéa 1er parle de « filiation maternelle juridiquement établie ».

En troisième lieu, le montant et la quotité des droits successoraux dépendent de l'acquiescement de la ou des épouses de l'auteur de la reconnaissance de l'enfant naturel (art. 534 CF). Si l'épouse de l'auteur consent, l'enfant naturel aura les mêmes droits que l'enfant légitime. Comment demander à une épouse trompée ou non d'accorder à l'enfant extra-conjugal de son mari les mêmes droits successoraux que son propre enfant né dans le mariage ?

Le législateur semble attiser et affectionner particulièrement les rivalités féminines. A défaut d'acquiescement, l'enfant naturel ne recueille que la moitié de la part successorale d'un enfant légitime, le surplus étant dévolu aux héritiers légitimes. Il est prévisible que le non acquiescement du conjoint de l'auteur de la reconnaissance accroît la part successorale de ses enfants légitimes. Par suite, le principe de l'égalité successorale est une belle preuve d'hypocrisie du législateur sénégalais, discrimination qui heurte l'article 2 de la CIDE. On sanctionne l'enfant naturel pour le seul fait de son existence hors des normes du mariage.

Cette attitude du législateur est une remarque que lui a admonesté le droit musulman avec lequel il s'est complu dans de larges compromissions, au détriment de la dignité de l'enfant. Le législateur a consacré une inégalité flagrante entre les enfants sur la base du droit musulman. Or, la référence à la religion est interdite par la constitution (art. 4 alinéa 1er) et le principe laïc des lois de la République. Et de surcroît, l'enfant naturel ne peut succéder comme héritier à son père ; il n'est qu'un légataire (art. 220 alinéa 2 CF). Le légataire est le bénéficiaire d'un legs. Le legs est une transmission de tout ou partie des biens du testateur ; et la condition pour que l'enfant naturel soit déclaré légataire, il faut une reconnaissance par écrit de son père. Même la reconnaissance implicite de l'article 211 CF ne change pas son statut d'enfant naturel. Ses droits en tant que légataire sont limités : il ne peut pas exercer l'action à fin d'égalité ou l'action à fin de réduction qui lui permettraient de recouvrer la part successorale que la loi lui attribue. Il ne pourra pas non plus demander le maintien dans l'indivision (art. 462 CF), ni l'attribution préférentielle des biens (art. 476 CF). L'article 521 alinéa 1er CF lui refuse la possibilité de représenter ses père ou mère et l'article 533 CF interdit à l'enfant naturel d'hériter de ses frères et soeurs légitimes, pas plus des autres parents. Cette discrimination a fait dire à Madame le Professeur Amsatou Sow SIDIBE que : « Il en est ainsi de la situation de l'enfant naturel qui n'a pas à choisir à naître et ne saurait être condamné à subir les tares d'une situation qu'il n'a pas créée. Il est inadmissible que l'homme qui a conçu l'enfant hors mariage ne supporte pas les conséquences de son acte » 1(*)0. Elle est confortée par les Professeurs Ndiaw DIOUF et Isaac Yankhoba NDIAYE qui n'ont pas manqué de servir un piquant persiflage au législateur sénégalais en affirmant : « L'article 534 consacre une responsabilité bien singulière : celle de l'enfant du fait de son père » 1(*)1.

Au pénal, il est proclamé que l'enfant âgé de 13 ans ne peut, en aucune façon, être condamné à une peine par le tribunal pour enfants (art. 583 CPP). Mais on sait que la peine de l'enfant est la moitié de celle prévue pour les adultes (articles 52 et 53 CP), ce qui est en porte à faux avec l'esprit de l'article 40 in fine de la CIDE. Cette disposition stipule que l'Etat doit établir un âge minimum à partir duquel les enfants sont présumés n'avoir pas la capacité d'enfreindre la loi pénale et étant entendu qu'il serait souhaitable de ne pas recourir à la procédure judiciaire à leur égard.

La même situation prévaut aussi dans le cas des enfants handicapés. Il n'existe, en réalité, aucune législation d'ensemble consacrée aux enfants handicapés. Les autorités publiques ne semblent pas avoir une politique globale en la matière mais plutôt une action de pis aller qui trahit manifestement l'esprit et la lettre de l'article 23 de la CIDE.

Il y a également lieu de souligner que si le législateur a prévu une réhabilitation judiciaire de l'enfant, celle-ci n'intervient que d'office ou à la requête du ministère public après l'expiration d'un délai de 5 ans à compter de la décision frappant l'enfant, même si entretemps, ce dernier atteint la majorité.

De ce point de vue, il serait de bonne justice de réviser les textes et d'offrir à l'enfant ou à ses représentants légaux la possibilité d'introduire l'action en réhabilitation et de ne plus la décerner à l'appréciation souveraine du seul ministère public.

Tout aussi est contestable l'exclusion de l'enfant du champ politique en violation de la loi constitutionnelle (art. 3 alinéa 3) alors qu'on lui reconnaît, parallèlement, le libre arbitre de consentir à certains actes, notamment de délivrer son opinion dès l'âge de 15 ans sur tout projet d'adoption émis sur sa personne (art. 231 CF) et pour son mariage par l'effet d'émancipation (art. 108 CF). Et même, il peut être entendu par le juge ou le conseil de famille à titre consultatif dans une affaire le concernant. Dans le même temps, on l'utilise pour des parades médiatisées dans des manifestations politiques, notamment la journée du parlement des enfants. On ne comprend pas dès lors la déclaration d'inaptitude à participer à l'action politique qui le frappe, même si l'interdiction de l'exercice de responsabilités politiques est compréhensible. Il n'en demeure pas pour autant que c'est une violation des articles 12 et 13 de la CIDE.

Ces quelques éléments, loin d'être exhaustifs, nous permettent d'apprécier le degré d'incohérence du législateur sénégalais dans sa politique en faveur de l'enfance.

En partie cette incohérence recoupe et s'explique par les pesanteurs sociologiques qui sont autant de blocages intrinsèques à la population, elle-même.

Paragraphe 2 - Les blocages intrinsèques à la population

Les blocages recoupent les résistances de la tradition aux idéaux de dignité de l'enfant (A) et souvent sont liés à l'attitude récalcitrante de la cible protégée qu'est l'enfant (B).

A - Les résistances de la tradition

Les approches culturelles sont d'une réelle importance pour la compréhension de la mentalité de chaque société, de tout peuple et de toute civilisation.

Le droit de la famille est, par excellence, le terreau voire le socle sur lequel se cimentent les moeurs, us, coutumes et pratiques socioculturelles. C'est donc dire qu'il épouse les empreintes de son environnement qui l'a fait naître.

Ce droit va donc opérer une sorte de syncrétisme en alliant les règles du droit commun moderne et les orientations familiales, voire religieuses des valeurs sénégalaises.

Le problème principal de tous les codificateurs africains est d'opérer une alchimie équilibrée entre les règles traditionnelles et un droit moderne. Ce métissage que l'on pensait solide est un colosse aux pieds d'argile.

En effet, le code de la famille a toujours soulevé les passions et, aujourd'hui encore, il suscite l'ire adrénalique de certains religieux qui exigent sa refonte pure et simple et l'application intégrale du droit musulman.

Face aux difficultés de développement de l'économie sénégalaise, ces contestataires estiment que la cause du niveau extrêmement bas de la perte des repères et valeurs a pour sonorité l'actuel code de la famille qui bafouerait toute la dignité de l'homo senegalensis, a fortiori la dignité de l'enfant.

Une telle attitude excessive de nihilisme (il faut le reconnaître !) a, toutefois, le mérite de poser un débat que d'aucuns occultaient ou craignaient, de conscientiser les esprits et d'appeler à forger la réflexion sur le périlleux devoir de sensibilisation que doivent peiner les masses intellectuelles en vue de faire tomber les derniers remparts de l'ostracisme et de l'obscurantisme pour le dynamisme et le progrès social de l'enfant.

Ces habitudes anachroniques et mal adaptées à la politique de développement de l'enfant prennent pour configuration un aspect, notamment, d'inégalité à l'établissement de la filiation et de la dévolution des successions musulmanes qui en sont les modèles du genre de cette résistance au triomphe de la citoyenneté égalitaire entre tous les enfants.

Il semble bien là que ce sont les deux difficultés majeures à lesquelles se trouve confronté le législateur sénégalais. Monsieur Mouhamadou Moctar MBACKE 1(*)2 ne nie pas cette notion d'inégalité latente en droit musulman opposé au régime moderne lorsqu'il avance : « Nous disions donc que la filiation, telle que la conçoit le droit musulman, est le droit commun des musulmans sénégalais. On peut dire que ce droit ne reconnaît que les enfants légitimes ; il ignore pudiquement les enfants naturels, reconnus ou pas, auxquels il réserve un sort de nature à troubler in petto les consciences religieuses les plus affirmées. Cet enfant, victime d'une sanction diffuse, est touché dans le plus profond de sa vie sociale, voire religieuse (...) ».

Il affirme également : »Le même sort est réservé à l'enfant incestueux ou adultérin. Quant à l'adoption, elle n'est suivie d'aucun effet juridique, elle est réduite à un phénomène purement affectif. Il s'ensuit que la légitimation n'existe pas dans le droit musulman ».

En matière de mariage, l'émancipation de la fille à 16 ans par le législateur est une concession accordée aux règles traditionnelles qui, le plus souvent, n'exigeaient aucun âge pour le mariage de la femme et même, celle-ci était mariée au berceau ou avant la naissance (art. 111 CF). Ces mariages forcés sonnent comme des abus à la recherche effrénée de source de revenus. Et quelle jeune fille peut s'opposer publiquement à ses parents dont elle est dépendante à moins qu'elle y consente elle-même par propre penchant et cupidité ?

L'enfant, cible protégée, adopte très souvent une attitude récalcitrante qui rende difficilement possible la protection de sa dignité.

B - Les attitudes récalcitrantes de la cible protégée

Il a toujours été dit que l'enfant a besoin de soutien et d'assistance pour qu'il puisse s'épanouir et se réaliser.

Toutefois, on remarque de plus en plus une désaffection de beaucoup d'enfants à l'encontre des structures chargées de les guider dans leur marche dans la société.

Beaucoup parmi eux n'adhèrent plus au mécanisme classique de la scolarisation. Ils préfèrent quitter, de leur propre gré, les bancs. Certains d'entre eux se lancent dans le secteur informel de production par mimétisme, pour la satisfaction de leurs besoins ou plus encore pour aider leur famille en difficulté.

Pour d'autres, l'avenir ne brille que dans le désoeuvrement ou la mauvaise pente et ils s'abandonnent à toutes les joies factices du monde mal famé (tourisme sexuel, pédophilie, drogue, larcins, violence ,prostitution, etc.).

Certains de ces enfants en difficulté, marqués par des expériences indélébiles, sont réfractaires à tout discours et ne souhaitent plus faire confiance à un adulte.

La multiplicité des enfants sénégalais en rupture de ban résulte de l'absence d'une visibilité pour leur avenir, de la persistance des travers de la pauvreté, de l'urbanisation stressante avec son phénomène de l'égoïsme cultivé, de l'absence de repères et surtout l'effritement des valeurs sociales dont les piliers que constituent les adultes sont les premiers à donner le mauvais exemple.

Même si la politique d'assistance des enfants en difficulté est une constante de l'Etat, des échecs sont souvent notés dans les tentatives de récupération sociale. Le sentiment du « mal aimer » regroupe des enfants de la rue en bandes de malfrats et la recrudescence des agressions, viols et crimes est le fait, la plupart du temps, d'enfants que l'on considère comme des repris de justice.

A côté d'eux, l'effet du mimétisme des stéréotypes à l'occidental a un impact psycho-social et psycho-affectif sur les enfants des villes citadines qui ne voient en l'hexagone que la référence la plus achevée du développement de soi. Par suite, ils manifestent une oreille indifférente à toutes les formes de communication ou de sensibilisation consacrées aux programmes de jeunesse et à la politique de l'enfance.

Ce désintéressement s'est renforcé dans la région mythique de la Casamance où la longue guerre a fini de réduire beaucoup d'enfants dans un lot de souffrances et de désolations qui attisent la haine, la rancoeur et la méfiance lorsque des parents ou des amis sont morts, mutilés par les mines antipersonnelles. Ce conflit larvé s'est accentué avec le naufrage du bateau « LE JOOLA » dans la nuit du 26 au 27 septembre 2001 et qui a fini d'installer durablement le mental de l'enfant dans la déconsidération de l'action de l'Etat et des organismes spécialisés qui, eux, en profitent pour se donner à coeur découvert comme des marchands d'illusions face à la politique d'indemnisation décidée par l'Etat. Les enfants orphelins de ce drame maritime sont souvent placés dans des familles de la verte région pour la plupart pauvres et démunies et qui ont du mal à joindre les deux bouts. Ces enfants ne sont plus scolarisés, malgré les déclarations intempestives des autorités publiques de les faire des pupilles de la nation. L'avenir demeure sombre et sans issue pour eux.

Devant l'insuffisance des garanties internes, on a cru voir et espérer, au plan international, les moyens seraient plus efficaces à pérenniser et défendre l'idéal de la dignité de l'enfant. Mais là aussi, le désenchantement à démontrer que la portée de ces garanties en est également très réduite.

SECTION II - LA PORTEE REDUITE DES GARANTIES

INTERNATIONALES

La communauté internationale est un monde où convergent plusieurs civilisations, cultures et perceptions de la notion de la dignité de l'enfant.

Des divergences de compréhension et du contenu des intérêts en présence peuvent être une source d'affaiblissement des garanties internationales (Paragraphe 1) et l'absence de moyens de coercition à l'échelle internationale est très significative à ce propos (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 - La divergence des intérêts en présence

La société internationale est un assemblage disparate d'Etats qui se disent égaux dans un même exclusive, dans une même approche de la notion de souveraineté dont ils tirent leur liberté. En principe, ils ne peuvent donc se contraindre mutuellement au respect et au développement des droits.

Envisager les rapports entre l'enfant et l'Etat sous l'angle de la protection due par ce dernier est un choix qui laisse dans l'ombre les hypothèses où l'Etat n'assure pas vraiment sa protection.

Si le Sénégal a pu ratifier sans état d'âme la Convention Internationale relative aux Droits de l'Enfant (CIDE), les Etats-Unis ont refusé de le faire pour ne pas devoir à subir l'obligation d'abolir la peine de mort qui est également applicable aux enfants (art. 37 CIDE). Tandis que d'autres considèrent comme injustifiée l'interdiction d'engager dans l'armée des enfants de moins de 15 ans (art. 38 CIDE).

La liberté d'opinion est proclamée par l'article 14 de la convention de l'ONU mais quant à la liberté de relations de l'enfant, rien de précis n'est énoncé dans ladite convention, qui envisage seulement les droits de réunion et d'association lesquels concernent plutôt l'Etat que les familles.

La CIDE indique que l'enfant ne doit pas être séparé de ses contre leur gré et peut entretenir des relations avec celui de ses parents qui se trouverait dans un autre pays. Cette exigence est très régulièrement battue en brèche par les décisions de justice qui confient la responsabilité ou la garde des enfants à des institutions spécialisées d'assistance et d'entraide à l'enfant ; et parfois même contre le voeu de l'enfant.

La Convention de la Haye du 22 octobre 1980, qui a été ratifiée par une trentaine d'Etats dont le Sénégal, tend à assurer le retour immédiat de l'enfant dans le pays de sa « résidence habituelle » s'il est retenu ailleurs en violation d'un droit de garde attribué par les règles du pays de résidence. Le respect de cette convention a du mal à être assuré, en général, entre juridictions de pays différents.

D'un autre côté, l'Islam marque sa différence par rapport à une « morale » calquée sur une essence chrétienne des pays occidentaux à laquelle, sur bien des points, il n'adhère pas. En effet, les conventions internationales relatives à l'enfant connaissent, pour la plupart, une ligne rédactionnelle occidentale. Ce qui n'empêche pas des pays musulmans, devenus membres des institutions relatives à la protection de l'enfant d'adhérer officiellement à des textes auxquels ils ne croient pas et qu'ils violent sans retenue. Cette même attitude est très perceptible dans bon d'Etats d'Amérique du Sud fortement christianisés.

Le caractère de cette unité de façade remet gravement en cause le consensus interculturel sur lequel se fondent les instruments juridiques internationaux et revêt un aspect délibérément restrictif quant à l'exercice de certains droits et libertés fondamentaux, au point que certaines dispositions essentielles sont en deçà des règles de droit en vigueur dans nombre de pays où la « légitimité » des pratiques de châtiments corporels est le principe.

Il serait angélique de croire ou de faire croire que la vision unie mondiale de la dignité de l'enfant, énoncée dans les textes internationaux et à laquelle presque tous les gouvernements du monde ont officiellement donné leur aval, constitue l'apothéose qui cimente « la société humaine ». Ce qui est souvent dit dans un milieu est différent de ce qui est dit, au même moment par les mêmes personnes dans un autre lieu et, pire encore, dans leurs pratiques. On peut parler d'hypocrisie lorsque la pureté des intentions énoncées vise à masquer des actes qui sont tout bonnement contraires aux droits que les Etats, y compris le Sénégal, se sont engagés à faire respecter.

La protection internationale de la dignité de l'enfant achoppe sur deux obstacles majeurs :

- l'absence de conviction profonde d'Etats que certains au moins de ces droits constituent des valeurs suprêmes de l'enfance. L'humanité s'essoufflant, des ouvriers de la 25ème heure sans scrupule font de la condition de l'enfant un fonds de commerce, une sorte d'industrie à l'escroquerie (le mot n'est pas fort !) ;

- le dogme de la « souveraineté » des Etats, souvent vidé de la signification réelle pour bien de pays, permet d'opposer une barrière à la protection internationale des enfants par ceux l'invoquent comme prétextent pour ne pas agir. C'est à juste raison qu'on peut s'étonner de la promptitude de l'Etat du Sénégal a ratifié toutes les conventions, et son inertie à honorer sa signature par la non application des recommandations transcrites dans lesdites normes internationales et l'absence du toilettage de sa législation, sur bien des points choquants et que nous avons eu à relever le long de notre étude. Ce sentiment d'impunité des Etats à violer des décisions internationales s'explique aussi par l'absence de moyens de contrainte au niveau international.

Paragraphe 2 - L'absence de moyens de contrainte

Aucun mécanisme juridictionnel comportant plainte, instruction et jugement, puis exécution de la sentence, n'existe sur le plan international en vue de renforcer les mécanismes protecteurs à la pérennité de la dignité de l'enfant.

Par suite, tout ce que nous allons évoquer maintenant s'apparente à des appels à l'opinion internationale, comme témoin et qui, s'exprime à travers un certain nombre d'organes internationaux dont certains espèrent qu'ils réussiront à atténuer ou à mettre fin aux violations des droits de l'enfant.

Le contrôle de base est fondé sur les procédures conventionnelles qui fonctionnent dans le cadre des traités et qui sont de deux sortes :

- d'une part, il existe un système général de contrôle du respect par les Etats des engagements qu'ils ont pris en tant que parties aux traités protégeant les droits des enfants. Pour ce faire, le Sénégal doit présenter régulièrement des rapports concernant la mise en oeuvre des conventions. Les rapports font l'objet d'examens par l'instance de contrôle mise en place par la CIDE (art. 45), le comité des droits de l'enfant à l'ONU, le comité sur les droits et le bien-être de l'enfant africain (art. 32) et de la convention africaine). Les comités concluent, chaque année, leurs examens par des recommandations qui visent à mieux garantir les droits de l'enfant ;

- d'autre part, les instances de contrôle sont habilitées à recevoir des plaintes ( d'organismes comme les sections ·enfant· de la RADDHO ou de l'ONDH).

Chaque année, les comités ne passent en revue que la situation des enfants de quelques pays, souvent triés au sort. Toutefois, les procédures conventionnelles ont une portée très restreinte : ni les mesures d'alerte rapide et de procédure d'urgence, ni les recommandations n'impliquent qu'il y ait lieu à réparation des dommages subis par les enfants. En effet, les procédures conventionnelles de protection de l'enfant ne s'apparentent absolument pas à des sentences de tribunaux dont il y aurait moyen d'assurer l'exécution par le Sénégal. Leur impact est faible. Tout aussi peut-on s'étonner que les textes internationaux s'empressent de fixer la majorité civile mais renvoient, en ce qui concerne l'âge du travail, à la loi des Etats pour la majorité sociale au travail.

Or, manifestement, la plupart des Etats, surtout ceux en voie de développement, sont dépendants des groupes économiques qui peuvent les conduire à édicter des âges minimums qui ne tiennent pas compte de la dignité de l'enfant.

La première des procédures extra-conventionnelles est appelée la « procédure 1503 » qui reçoit les plaintes individuelles qui ne peuvent pas être examinées par les comités spécifiques. Les plaintes sont transmises au Comité pour les Droits de l'Homme à l'Etat du Sénégal pour observations. Les plaintes et les réponses sont, ensuite, examinées par un groupe de travail de la sous-commission des Droits de l'Homme de l'ONU qui concluent, à la majorité, sur les cas qui semblent révéler l'existence d'un ensemble de violations flagrantes des droits de l'enfant, en particulier.

Enfin, la commission des Droits de l'Homme décide en sessions privées soit de se dessaisir du cas d'un Etat, soit de suivre la situation, soit même de la passer en « procédure publique ». Cette dernière constitue la « sanction » internationale la plus grave.

A toutes ces étapes, le pays indexé s'efforce de fournir des explications ou prend des mesures visant à améliorer la situation de l'enfance incriminée.

La deuxième procédure extra-conventionnelle relève des procédures publiques. Lorsque la commission des Droits de l'Homme a placé un Etat sous une procédure publique de suivi, c'est que la situation de violation est non seulement alarmante mais a fait l'objet pendant des années d'un examen confidentiel, selon la procédure 1503, et donc qu'il est de bon droit et de bonne justice de ne plus taire en privé les violations dudit Etat. Tout le jeu diplomatique consiste à essayer de mettre en oeuvre le mécanismes permettant d'aboutir à des condamnations des gouvernements qui mettent à mal les droits de l'enfant.

Enfin, la dernière procédure extra-conventionnelle tient aux procédures spéciales thématiques. Elles fonctionnent à travers des « groupes de travail » ou des « rapporteurs spéciaux » institués par la Commission des Droits de l'Homme.

Leur mandat consiste à recueillir des réponses à des questionnaires adressés aux gouvernements à la suite d'accusations portées par des organisations non gouvernementales ou à la suite d'enquêtes effectuées dans le pays incriminé (Rapport Annuel d'Amnesty International) dans son volet sur l'enfant qui est le « livre noir » des atteintes à la dignité humaine, rapport également de la RADDHO, etc.)

En tout état de cause, l'ensemble de ces procédures conventionnelles et extra-conventionnelles sont sans incidence particulière sur l'Etat fauteur de violations des droits de l'enfant et qui, juste, fait l'objet de critiques et dénonciations formelles, voire officielles. D'autant plus que l'Etat fautif peut jouer sur des pressions fortes pour éviter les mises en accusation. C'est le cas notamment des Etats puissants qui, fort de leurs appuis dans le concert des nations, parviennent à bloquer l'examen de leur cas par des manoeuvres de procédure et mettent en échec tous les projets de résolution qui finissent par ne pas être votés.

Par ailleurs, on peut se poser la question de savoir si le projet de Cour Pénale Internationale permanente, préparé de 1981 à 1996 par la Commission de Droit International de l'ONU et qui a finalement vu le jour avec l'installation à la Haye le 11 mars 2003 des 18 juges du siège, prendrait en compte également les revendications spécifiques dont celles des enfants ?

Tout semble laisser croire que la Cour Pénale Internationale reste confinée qu'aux crimes contre la paix, la sécurité et les génocides contre l'Humanité. Une extension de son champ de compétence, serait, à notre avis, une initiative salutaire dans le renforcement de la protection de la dignité de l'enfant.

La protection de la personne de l'enfant au plan international accuse le coup de ses insuffisances du fait des Etats qui limitent son domaine de compétence ou qui refusent de ratifier certaines conventions pour ne pas se les voir appliquées. Les Etats demeurent incontournables. Il en résulte à l'évidence un paradoxe qui n'est que l'expression de la problématique de l'exercice des droits.

On constate que l'humanité s'efforce, en explorant des voies diverses, d'établir un système international de protection de l'enfant. Mais il apparaît que les Etats dont le Sénégal répugnent à donner une réelle et constante efficacité au système international. De plus, ils refusent aux divers procédés d'investigation, dont on ne peut taire la lenteur, la lourdeur bureaucratique, le coût , la complexité technique, l'ésotérisme, la possibilité d'être coercitifs, au mieux ces procédés n'aboutissent qu'en de simples formules de recommandations auxquelles l'Etat en cause est libre de rester sourd. La précarité des garanties nuit évidemment à leur existence et n'est pas faite pour encourager le citoyen à vouloir les connaître et à s'en servir. Il y est d'autant moins porté que les difficultés et obstacles de saisine achèvent de compromettre leur crédibilité.

Le Droit de l'Enfant découvre, de plus en plus, ses inspirations dans la double détente que constitue l'existence d'une réglementation nationale et internationale qui prend en compte toute la dignité de l'enfant. Mais comme toute oeuvre humaine, ce droit connaît des imperfections dans son application.

Que faire alors pour porter remède à des situations de nature à porter gravement un tort à l'avenir des enfants ?

C'est le moment d'explorer les voies nouvelles, c'est-à-dire les perspectives qui s'offrent pour l'amélioration des droits de l'enfant en vue de lui restituer toute sa dignité.

CHAPITRE II - LES PERSPECTIVES POUR L'AMELIORATION DE

LA DIGNITE DE L'ENFANT

L'amélioration de la dignité de l'enfant vise le renforcement qualitatif des mesures existantes par des actions de proximité plus permanentes (SECTION I).

Dans cette même lancée, une société n'est pas statistique mais dynamique dans son évolution. Il en va de même de la condition de l'enfant qui subira également une adaptation au contexte. On peut ainsi concevoir l'ouverture de nouvelles possibilités d'orientation des garanties à la dignité de l'enfant (SECTION II).

SECTION I - LE RENFORCEMENT DES MESURES EXISTANTES

L'implication des populations dans le processus de défense de la dignité de l'enfant appelle à une reconsidération de la politique de sensibilisation qui se doit d'être à une portée plus pratique (Paragraphe 1). De même, un caractère effectif doit être reconnu aux actes souscrits dans les instances nationales et internationales (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 - Une sensibilisation plus pratique des populations

L'objectif visé est l'adhésion des populations aux droits de l'enfant, de mettre au point une stratégie permettant d'utiliser de façon novatrice les données déjà connues sur la situation de la dignité de l'enfant.

Au Sénégal, le pourcentage des ménages ayant entendu parler des droits de l'enfant est encore minime, malgré une progression notable.

Les droits les plus connus ont trait à la famille, au nom, à la nationalité, à l'éducation, aux loisirs, à la santé et à la protection. Les droits qui sont les moins familiers aux ménages concernent les droits à l'égalité, la liberté d'expression et l'information. Les structures citées comme les plus connues, des populations et considérées comme les vulgarisateurs potentiels des droits de l'enfant sont principalement l'UNICEF, le ministère de la Famille et de la Solidarité Nationale et Enda-Tiers monde. C'est pourquoi la plupart des programmes des autres organismes méritent un meilleur sort. Pour ce faire, l'Etat a le devoir impérieux d'octroyer un accès plus facile à tous les programmes et organisations qui oeuvrent pour la cause des enfants en leur permettant de recourir, plus aisément, aux instruments de dialogue, d'éducation, d'information et de sensibilisation de l'opinion à travers les médias.

L'Etat doit, également, avoir une politique d'information en permanence de ses démembrements, notamment les parlementaires pour qu'ils prennent des textes plus conformes à la réalité sur le terrain de la condition de l'enfant, le monde judiciaire et la police. A ce titre, il y a urgence dans la formation du personnel de police qui intervient au niveau des enfants en situation difficile.

D'autant que la police est la première courroie de liaison entre la justice et l'enfant délinquant. Pris sous l'angle pénal, la police se débrouille à l'aveuglette et, c'est au moment de la garde à vue que les textes sont le moins respectés. Le comportement ultérieur d'un jeune délinquant dépend de ses premiers contacts avec la police. Avec la création en 1995 de la Brigade Spéciale des Mineurs (BSM), il y a lieu d'accroître ses capacités et la mise en place d'autres structures similaires dans tous les chefs-lieux de région et la création de réseaux pour une plus grande circulation de l'information.

Dans ce même élan, il faudrait constituer un manuel accessible dans toutes les langues nationales et d'autres outils didactiques de sensibilisation pour faciliter l'adhésion des populations. C'est dans ce sens que l'essentiel des segments de la société sénégalais se sont investis à divers niveaux. Les enfants, eux, s'investissent à travers le Forum du Mouvement des Pionniers sur les Droits de l'Enfant, le Forum National des Enfants organisé en collaboration avec le ministère de la Famille et de la Solidarité Nationale. Ce dernier forum a permis aux représentants du Parlement des Enfants et aux autres mouvements des enfants d'apprécier le degré d'engagement des pouvoirs publics. Dans cette démarche l'Etat, qui a adhéré au Protocole facultatif sur les enfants-soldats, a, à cet égard en direction des enfants déplacés par la guerre, institué un programme de volontaires pour la reconstruction de la Casamance meurtrie. Dans ce cadre, un programme humanitaire a été confectionné et vise à la réhabilitation des classes, l'hygiène et l'assainissement, l'adduction d'eau, la prise en charge psychosociale, la sensibilisation sur les mines antipersonnelles. Cette sensibilisation prend aussi la forme de manifestations de proximité, d'alphabétisation, de vulgarisation sur la santé reproductive des adolescentes, de faire connaître la nouvelle loi sur les mutilations génitales féminines (loi n° 99-05 du 29 janvier 1999, article 299-bis), des apports des émissions radiotélévisées sur l'enfant, notamment avec la radio GUNE YI sur la bande FM , entre autres.

Il est donc constant que les voies et moyens sont diversifiés pour améliorer la condition de l'enfant et lui assurer un plein accès à la dignité. C'est dans cette perspective qu'il faut appeler l'Etat à l'application effective des actes qu'il a eu à souscrire tant au niveau national qu'international.

Paragraphe 2 - Une application effective des actes souscrits

Le Sénégal a ratifié plusieurs textes relatifs à l'enfant et a même eu à voter des lois en ce sens, mais leur application pose problème.

Conformément aux dispositions de l'article 44 de la CIDE, le Sénégal a présenté, en juin 1994, son rapport initial au Comité des Droits de l'Enfant. Ce rapport, qui portait sur la récapitulation des mesures d'application concrètes, a été examiné en novembre de la même année par le Comité des Nations-Unies qui a eu à formuler des observations.

Le comité déplore que les orientations de la CIDE soient, en partie, faussées. En ce sens, le Sénégal est appelé à accorder une action plus positive à certains poins préoccupants :

- l'existence de pesanteurs culturelles qui contribuent négativement à la réalisation des droits de l'enfant (filiation, successions...) ;

- le peu d'attention portée à la formation des corps d'enseignants, de magistrats, des travailleurs sociaux ;

- l'insuffisance des mesures prises pour la mise en place d'un système d'information et de monitoring approprié ;

- la non conformité de plusieurs textes nationaux aux normes internationales ;

- l'absence d'une obligation légale d'aller à l'école ;

- le nombre important d'enfants travailleurs qui ne décroît pas.

Dans cette même lancée, les problèmes émergents et ceux dont l'ampleur et la manifestation sont connues tels que les mutilations féminines et la mendicité des enfants nécessitent de véritables changements de comportement.

Il faut mettre un terme à la mendicité des talibés qui est un mode éculé de travail forcé et d'esclavage qui sont inadmissibles du fait de la pénibilité de l'acte sur l'enfant qui peut être la victime de toutes sortes de dangers. En vue de se conformer à ses engagements, le Sénégal devra mettre en oeuvre des programmes et stratégies visant à éliminer les pires formes de travail et d'exploitation des enfants, d'harmoniser davantage sa législation, mettre en place un comité de suivi de la prise en charge des enfants en situation de vulnérabilité (talibés, enfants abandonnés ou en fuite : les « faakhmans » 1(*)3 et « boudioumanes » 1(*)4, ou encore en conflit avec la loi) et mettre en application le Plan National de Lutte contre les Mutilations Génitales.

Le recentrage des interventions autour d'objectifs prioritaires doit être conduit avec une approche holistique et intégrée dans l'élaboration des stratégies. L'Etat se doit donc de prendre en compte les disparités et d'en favoriser les réductions en allouant équitablement les ressources financières et le personnel spécialisé, de renforcer les infrastructures et les capacités des communautés de base dans les zones où les enfants sont les plus vulnérables, de mettre en place des systèmes d'indication et de mobilisation sociale dans les zones défavorisées.

Le Sénégal devra également développer des plans d'action et d'appui aux initiatives communautaires pour la prise en charge des enfants handicapés, en particulier les sourds-muets et les déficients mentaux. En même temps, ces catégories devraient être prises en charge par des systèmes alternatifs dans le circuit formel, à travers l'éducation spécialisée, l'emploi. Le gouvernement devra, pour satisfaire la demande croissante des enfants, s'engager à prendre des mesures d'accès de tout enfant aux NTIC et aux infrastructures sportives et de loisirs (terrains de jeux et parcs d'attraction) qui devront être prévues dans le cadre des plans d'urbanisation.

Toutefois, l'Etat du Sénégal n'est pas statique. En 1991, il a institué un Fonds National des Jeunes pour lutter contre le chômage et le sous-développement. En mars 1998, un programme d'élimination du travail des enfants appelé IPEC démarre grâce à un financement d'un million de dollars (600 millions de F CFA) des Pays-Bas. L'IPEC a pour but de proposer des actions directes à travers des programmes d'action privilégiant trois axes : la prévention du travail précoce ou dangereux, l'amélioration des conditions de vie et de travail des enfants qui sont déjà en activité et l'élimination des formes les plus extrêmes ou perverses (drogue, prostitution...). Il vise également à travers des actions démonstratives en matière de législation, sécurité, en direction des familles, patrons, maîtres coraniques à sensibiliser l'opinion sur la question.

En mai 1995, un Comité National de Suivi des Objectifs pour l'Enfant a été mis en place au Secrétariat Général de la Présidence de la République pour suivre l'ensemble des actions et progrès accomplis en vue de l'atteinte de ces objectifs. Ce comité se réunit trimestriellement et rend compte au Président de la République qui, en conseil des ministres, donne des instructions ou des directives pour la poursuite des efforts et / ou la levée des contraintes. Ces réunions trimestrielles sont alimentées par les rapports provenant des régions et départements ministériels intéressés par les objectifs. Le rapport MICS 2000 1(*)5 a fait l'objet, dans chacune des 10 régions du pays, de restitutions en présence de tous les acteurs régionaux et locaux (structures de l'Etat, partenaires au développement, ONG, société civile, Parlement des Enfants, syndicats, Conseil National de la Jeunesse, groupements féminins, associations religieuses et de jeunes, médias, association des maires pour les droits de l'enfant).

Enfin en matière de santé, le PDRH 1 1(*)6, renforcé par la suite par le Plan National de Développement Sanitaire de la Santé (PNDS-1998 / 2007) et le Programme de Développement Intégré de la Santé (PDIS-1998 / 2002) met un accent particulier sur la réduction de la mortalité infanto-juvénile et la prise en charge des maladies de l'enfant.

En matière d'éducation, le PDRH 2 (1993 / 1998), soutenu par le PDEF 1(*)7(2000 / 2010), avec l'appui des partenaires au développement, vise, entre autres, la scolarisation avec un accent particulier sur celle des filles. En l'an 2000, à la faveur de l'alternance politique, l'Etat a mis en place un ministère de la Jeunesse, a adopté le Plan Décennal pour la Jeunesse, un ministère chargé de la Petite Enfance, une politique nationale de la petite enfance centrée sur le programme des cases des Tout-Petits au niveau communautaire, en collaboration avec l'association « Les enfants d'abord ».

Faut-il également rappeler que, depuis 1989, la Politique Nationale de Santé et de Population du Sénégal est basée sur les Soins de Santé Primaires (SSP) et les services de base. Depuis 1997, le Programme Elargi de Vaccination (PEV) connaît un succès. Et dans la même année, il a été mis en place un système novateur d'accès généralisé aux anti-rétroviraux dont le but est la prévention de la transmission du VIH de la mère à l'enfant.

La communauté internationale devrait accentuer sa mobilisation autour de l'enfant et soutenir toute action du Sénégal visant la pleine jouissance des droits à l'enfant. A cet égard, les pays nantis doivent accompagner les efforts des en voie de développement à disposer davantage de ressources budgétaires à consacrer au développement, en procédant, entre autres, à des reconversions de dettes, surtout la dette multilatérale au profit du financement de ces programmes de développement pour enfants. C'est l'un des objectifs du Plan Oméga pour l'Afrique d'appui des puissances nanties, refondu dans le Plan NEPAD.

Si ce renforcement de mesures existantes constitue une panacée, même relative, aux omissions qui frappent la pérennisation de la condition de l'enfant, de nouvelles possibilités d'orientation plus audacieuses peuvent être franchies par le Sénégal dans le but de donner plus de crédit à l'exigence du respect de la dignité de l'enfant sénégalais, dont il est débiteur.

SECTION II - LES NOUVELLES POSSIBILITES D'ORIENTATION

Dans un souci de parfaire son action pour le bien-être de l'enfant, le Sénégal a intensifié, ces toutes dernières années, son axe stratégique d'intervention par un accroissement subséquent et qualitatif d'institutions dynamiques. Allant dans cette mouvance, d'aucuns ont avancé que l'Etat gagnerait mieux encore à instituer un médiateur chargé des questions de l'enfance, doté de pouvoirs étendus (Paragraphe 1). D'autres trouvent en l'élaboration d'un code de l'enfant une solution des meilleurs à l'option irréversible des pouvoirs publics à poursuivre les objectifs internationaux destinés aux enfants(Paragraphe 2).

Paragraphe 1 - L'institution d'un médiateur chargé de l'enfance

Pour contourner les obstacles que posent les paradigmes et les considérations socioculturels dans l'exécution et le respect des engagements vis-à-vis des enfants, l'Etat du Sénégal doit être encouragé à renforcer sa capacité institutionnelle par la création d'un médiateur chargé de l'enfance. Le foisonnement des structures comme l'Association des Maires Défenseurs des Droits de l'Enfant, le Comité National de Suivi des Objectifs pour l'Enfance, le Parlement des Enfants, les ministères concernés montrent leurs limites. En effet, ces institutions souffrent d'un manque réel d'impact dans la pratique souvent itérative de leurs actions à l'égard des enfants. Celles-ci sont le plus souvent non renouvelés et stagnent vers les dérives de l'activité protocolaire ou des manifestations inaugurales de grande envergure et médiatisées. Quant aux centres de rééducation surveillée et les autres institutions spécialisées, ils ne semblent plus répondre aux attentes des enfants du fait d'une pratique beaucoup plus administrative que sociale. En plus, ils éprouvent de réelles difficultés à s'adapter au contexte évolutif et de mutations permanentes des besoins et de la condition.

Face à tous ces impondérables, on a donc imaginé et conçu dans la réflexion la proposition de mise en place d'un « ombud » encore appelé « médiateur pour enfants ». A ce propos, il pourrait prendre la forme d'une personne morale et serait donc un comité de surveillance où siégeront également des représentants élus des enfants, qui seront eux-mêmes des enfants et non des adultes, même si ces derniers auraient un rôle à jouer en tant que membres également. Ce comité ou cette commission ou autre sera accessible à toute la communauté nationale et internationale. Le médiateur pour enfants peut également être une personne physique à l'image du Médiateur Pénal dans certains pays ou du Médiateur de la République au Sénégal. Il prend alors l'appellation d'ombudsman.

Rappelons que l'ombud ou l'ombudsman est soit une sorte d'institution ou espace, soit une personne physique qui a pour tâche de promouvoir les droits des citoyens, par tous les moyens légaux. Il a été institué pour la première fois en Norvège. A la différence du Médiateur de la République qui n'a aucun pouvoir coercitif et qui ne dispense que de simples recommandations, le Médiateur pour Enfants serait une sorte de procureur, un accusateur qui agirait pour l'application des textes nationaux et internationaux.

Et sa compétence lui permettra d'avoir un domaine interne et externe à l'instar de cette velléité qui a amené la création par l'ONU en 1993 d'une sorte d'ersatz en la personne du Haut Commissaire pour les Droits de l'Homme. Ainsi donc ce Médiateur chargé des Enfants sera régi par le principe de l'indépendance entière et du principe de l'inamovibilité à l'image des magistrats du siège et aura un mandat suffisant. Il pourrait même saisir les instances internationales si la nécessité s'en fait sentir. On pourrait épiloguer sur les missions et l'étendue des pouvoirs du médiateur pour enfants mais sa détermination reste un voeu pieux, tout comme l'avènement futur d'un code de l'enfant.

Paragraphe 2 - L'avènement d'un code de l'enfant

Le projet d'élaboration du code de l'enfant résulte d'une recommandation du Sommet Mondial pour les enfants (1999-2000) et s'inscrit dans le cadre du renforcement de la protection juridique de l'enfant.

Ce projet vise également à rassembler tous les textes disparates. L'objectif consiste à élaborer un document consensuel qui prenne en compte la prévention, l'ensemble des règles de droit, des conventions en vigueur dans le pays et visant la protection de l'enfant.

Comme dit, l'objectif général du projet est de promouvoir un processus législatif beaucoup plus conforme aux idéaux dégagés par les normes internationales, notamment la Convention Internationale relative aux Droits de l'Enfant du 20 novembre 1989 et la Charte Africaine des Droits et du Bien-Etre de l'Enfant du 11 juillet 1990. La démarche dynamique consiste également à faciliter, non seulement à l'enfant mais à toute la nation, la possibilité de se faire un aperçu d'ensemble et de compréhension des valeurs fondamentales et le respect de l'identité et des traditions culturelles. Le code doit donc s'imprégner avant tout d'une empreinte des valeurs du pays sans ignorer les civilisations différentes et les libertés fondamentales reconnues à l'échelle internationale.

C'est dire que le code n'éludera nullement la loi internationale, meilleur instrument de maintien.

Le code devra, par ailleurs, avoir un esprit « révolutionnaire » en abrogeant toutes les dispositions discriminatoires contenues dans la législation nationale que nous avons déjà étudiées, notamment l'inégalité entre les enfants au niveau de la filiation, du régime des successions et l'aberration du privilège de masculinité. Le code devra aussi rendre obligatoire la scolarisation des enfants et en sanctionner sévèrement toute violation.

La multitude des documents ayant trait aux droits de l'enfant (constitution, code de la famille, code des obligations civiles et commerciales, code du travail, code de la sécurité sociale, code pénal, code de procédure pénale, les Actes Uniformes de l'OHADA contenant des dispositions concernant les enfants, les conventions internationales sur les droits de l'enfant, etc.) doivent être rassemblés dans un document unique en vue de protéger plus efficacement l'enfant.

Sur la base d'indicateurs connus, le code devra avoir vocation à régir toutes les situations possibles portant discrédit à la considération de l'enfant.

Dans ce cadre, l'état de la filiation se doit d'être conforme à tous les principes dégagés par les normes internationales, le travail des enfants, le recours aux enfants à fin de commerce, et d'usage des drogues, la pédophilie qui est en montée constante avec le tourisme sexuel, l'exploitation des enfants talibés mendiants qui doit être éradiquée des moeurs sénégalaises, l'excision, les atteintes à l'intégrité physique, les mariages forcés subséquents à des pratiques traditionnelles à l'encontre des petites et jeunes filles, les violences et tous autres actes d'indignité sur la personne de l'enfant.

En outre, le futur code doit remédier aux incohérences manifestes du régime de la responsabilité civile de l'enfant posé par l'article 121 alinéa 3 COCC et celui de la législation pénale. Celui-ci doit assouplir la procédure pénale et ne plus soumettre l'enfant à la garde à vue ou l'incarcération, à la suite d'une sentence judiciaire. Il doit être exigé la présence la présence permanente d'un conseil juridique à toutes les étapes du processus de police et celui en justice. Dans le même sens, le code en gestation doit avoir le réflexe de soumettre le secteur informel à un cadre formel approprié car c'est le plus grand pourvoyeur de la main-d'oeuvre servile enfantine.

Au-delà de cette adresse faite au législateur, celui-ci a, une belle et excellente occasion de ne plus se préoccuper seulement de l'idéal mais de la réalité en ne faisant plus de compromissions avec le droit musulman et la tradition. Il est certes vrai que sans idéal, aucune réalité ne sort de son immobilisme. Mais simultanément, sans l'adéquation de la réalité à l'idéal, on risque de créer des frustrations et des incompréhensions. Le code doit être une réhabilitation d'une culture qui n'est pas figée mais dynamique et qui atteint sa maturité, laquelle exige de mettre un terme aux clichés stéréotypés qui avaient cours à une époque surannée.

CONCLUSION

Que peut-on conclure à l'issue de cette étude dans les arcanes de la protection de la dignité de l'enfant ?

D'abord , les droits de l'enfant ne sont pleinement respectés même si chacun sait qu'au Sénégal la situation diffère en mieux de celle de plusieurs Etats africains. L'idéal des droits de l'enfant, comme tout idéal, implique une volonté constante de perfectionnement sans jamais qu'il soit imaginable d'atteindre la perfection.

Ensuite, la responsabilité d'améliorer le degré des droits de l'enfant adaptés aux diverses cultures sénégalaises incombe, au premier chef, à l'Etat et à la population. Progresser dans le respect de la dignité de l'enfant donc de ses droits, c'est avancer sur la voie des formes possibles de démocratie la plus achevée.

Dans ce cheminement, les institutions internationales et les Etats, dont le Sénégal, peuvent apporter leur poids idéologique, juridique et leur concours juridique. Dans l'état actuel de la société internationale, ce concours a d'autant plus de chances d'être efficace qu'il semble être un leitmotiv pour le Sénégal qui tend à l'envi vers le respect des droits de l'enfant.

Même si le souci d'édulcorer cet optimisme est une tentation pour certains du fait que, dans le cadre d'une mondialisation de l'économie par les intérêts capitalistes et marchands, les valeurs sont de moins en moins défendues avec conviction par les démocraties. C'est ce qui explique que, devant l'intérêt économique et financier qui constitue des goulots d'étranglement pour les pays africains, ceux-ci n'affichent qu'une molle détermination à défendre les droits de l'enfant contre leurs violations, plutôt préoccupés à sortir de leur marasme économique.

On le voit de fort belle manière, sur la voie du respect des droits de l'enfant et de sa dignité, il reste un long chemin à parcourir par le Sénégal.

Toutefois, on ne saurait plus douter que la liberté de tout individu, fût-il un enfant l'espoir d'une nation en devenir, réside dans sa dignité comme a eu à le souligner Blaise PASCAL : « Toute la dignité de l'homme est en la pensée » 1(*)8.

Ainsi, toute l'utilité de la protection de la dignité de l'enfant est de parachever leur personnalité, leur respectabilité en en faisant des modèles de référence de citoyenneté. Un impératif auquel reste débiteur à perpétuité l'Etat qui a la lourde responsabilité de faire rayonner, haut, le soleil pour tous les enfants présents, futurs et en devenir du Sénégal qui gagne. Les enfants d'aujourd'hui seront les parents, les décideurs et les politiques de demain.

Pouvons-nous nous permettre de ne pas assurer que ces enfants aient accès à l'éducation et aux services, qu'ils soient protégés contre la violence, les abus et l'exploitation ?

Comment sera notre avenir dans 10, 15 ou 30 ans si les droits fondamentaux des enfants sont ignorés ou si leur situation s'empire ?

Se taire contre les exactions infligées à l'enfant, c'est se faire le complice de leurs auteurs et, à juste propos, un penseur avait raison d'affirmer que « le pire n'est pas dans la méchanceté du mauvais mais c'est dans le silence du réputé bon » afin que l'enfant martyrisé, bafoué dans sa dignité ne fasse sienne cette formule, peu ou prou, prémonitoire : « que l'enfant qui grandira ne te haïsse pas » 1(*)9. C'est la réponse qu'il faut assener à tous ces « porteurs d'eau » religieux qui veulent refondre le code de la famille et leur dire que c'est leur incurie qui pousse les jeunes à ignorer leur propre histoire à cause des modèles ou paradigmes qu'on veut leur imposer.

La dignité de l'enfant postule, de façon générale, sur un bilan satisfaisant. Le législateur a réussi une synthèse d'exigences contradictoires, même si sur certains points que nous avons signalés chemin faisant, des erreurs ont été commises et si des confusions apparaissent ou que certaines dispositions traduisent un espoir peut être trop idéaliste dans l'évolution des mentalités.

Cependant, la volonté du législateur garde le cap : elle est irréversible. Mais elle est pleine de bon sens pédagogique et procède par à-coups et par tant de parcimonie afin de ne pas choquer les esprits réfractaires aux idéaux actuels.

D'autres dispositions, enfin, sont exagérément rigoureuses, notamment l'inégalité exaltée comme principe cardinal en matière de filiation, des successions et de question de genre (le privilège de masculinité).

Quoiqu'il puisse en advenir, toutes sont inspirées par un besoin profond de justice à travers les idées d'égalité et de liberté et par un souci de sécurité. En effet, le volet de la sécurité nous renvoie à une interrogation, somme toute légitime, sur l'impact réel de l'approche conceptuelle de la dignité de l'enfant sur les consciences citoyennes : les atteintes à l'intégrité physique (violences, pénibilité du travail, etc.) et morale (état des handicapés, etc.) et l'absence d'éducation sont devenues un fait de société que l'on croit normales. Poser donc le problème de l'effectivité de la dignité de l'enfant, c'est se demander s'il n'aurait pas mieux valu dépasser les réformes qui ne sont qu'une répétition textuelle et les assortir par des innovations audacieuses à l'image des lois sur le harcèlement sexuel et les mutilations génitales avec des sanctions plus efficaces et sévères que celles qui sont actuellement prévues.

Nous pensons que l'efficacité de la protection de la dignité de l'enfant doit être concomitante avec l'effet de vulgarisation et de sensibilisation tout en préservant un régime de répression sans réserve.

C'est à ce prix que l'Etat peut être considéré comme un Etat de droit soucieux de faire prospérer la règle de droit, toute la règle de droit et rien que la règle de droit et son corollaire, la sanction, pour que l'enfant sourie, rit et s'épanouit.

* 1 « Etude comparative : Convention relative aux Droits de l'Enfant et environnement législatif, social et institutionnel sénégalais » UNICEF-SENEGAL, janvier 1996 p.10

* 2 civ. 8 janvier 1930-DP 1930. 51. note G.P. ; S. 1930. 1. 257. note Gény.

* 3 Dossier du Journal quotidien national sénégalais « Le Soleil » du 7 janvier 1993 de Jean PIRES sur la Procréation Médicalement Assistée au Sénégal.

* 4 Crim. 13 mars 1956. D. 1957. 349.

* 5 1ère ch.civ., 20 déc. 1960. JCP 1961. II. 12031. Note Tunc.

* 6 JCP. 1984. II. 20256.

* 7 JCP. 1984. II. 20255.

* 8 civ. 9 mai 1984. Gabillet. JCP 1984. II. 20255.

* 9 J.O.R.S. 18 juin 1977. 736.

* 10 A. S. SIDIBE · Le pluralisme juridique en Afrique, l'exemple du droit successoral sénégalais·, NEA, 1991, p. 92.

* 11 Ndiaw DIOUF et Isaac Yankhoba NDIAYE « Législation comparée, Sénégal, Fascicule 2 : Régimes matrimoniaux, successions, libéralités », 8, 1996.

* 12 Mouhamadou Moctar MBACKE · De la protection de la femme et de l'enfant dans le code sénégalais de la famille·, Revue Sénégalaise de Droit (RSD) 1973 n° 13, P.31 et s.

* 13 Faakhmanes (mot wolof) = enfants de la rue.

* 14 Boudioumanes (mot wolof) = enfants qui récupèrent des objets dans les décharges publiques pour les recycler et les vendre.

* 15 MICS 2000 = Multiples Indicators Cluster Survey / Enquête par Grappe à Indicateurs Multiples.

* 16 PDRH 1 = Projet de Développement des Ressources Humaines.

* 17 PDEF = Plan Décennal de l'Education et de la Formation.

* 18 Blaise PASCAL dans « Pensées », IV. 365.

* 19 Fatsah OUGUERGOUZ « La Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples ». P.11, 1ère éd. 1993, PUF-Une approche juridique des Droits de l'Homme entre tradition et modernité.






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