WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La construction d'une carrière de fan: étude de cas chez les fans de Mika

( Télécharger le fichier original )
par Christina Chiron
Université Victor Segalen Bordeaux 2 - Licence sociologie 2010
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CHIRON Christina L3 Sociologie

LA CONSTRUCTION D'UNE CARRIERE DE FAN:

ETUDE DE CAS CHEZ LES FANS DE MIKA

TER présenté pour la Licence 3 de Sociologie

Directeur de TER : Eric Macé

Université de Bordeaux

Département de sociologie

SOMMAIRE

INTRODUCTION 3

PARTIE I/ La découverte 8

A) L'émerveillement 8

Point de départ: 8

Un artiste singulier: 11

B) Des raisons plus implicites 15

Une bulle d'air 15

Un lien avec la vie personnelle 16

PARTIE II/ Faire partie d'un groupe 19

A) La recherche d'un entre-soi 20

Les raisons d'inscription au forum 20

L'importance de la communauté des fans 22

Un groupe d'influence 24

Manifestations de la solidarité et de la solidité du groupe 25

B) Mais réduisant son individualité 26

Des tensions inévitables 26

Des stratégies de différenciation 28

PARTIE III/ Se dire fan: une identité à la fois affirmée et mitigée 33

A) Un statut que l'on affirme... 34

Un investissement plus important que la moyenne... 34

...mais des façons différentes de s'investir 38

B) Mais qui reste en partie mitigé: 40

Une étiquette difficile à décoller 40

Distanciation de la passion 43

CONCLUSION 49

BIBLIOGRAPHIE 51

ANNEXES 52

INTRODUCTION

Des larmes, des étreintes, une émotion palpable, une fillette encore à moitié endormie ne comprend pas tout ce qui lui arrive, mais elle est heureuse. Non, ce n'est pas encore le matin de Noël, d'ailleurs, des millions de personnes observent la scène... à travers leur écran de télévision. Et ce qui la rend si euphorique ne sont pas les cadeaux du Père-Noël, mais Lorie qui est allée la réveiller. Nous sommes dans l'émission « Star à domicile ». Faisant les beaux jours de TF1 au début des années 2000, le concept de l'émission est simple: une star se rend au domicile de son fan, mais, et tout l'intérêt est là, c'est une surprise! Bien sûr, les proches sont complices de la supercherie, et au moment où le fan s'y attend le moins, la star arrive et à ce moment, le fan voit son rêve se réaliser, il rencontre enfin son idole. Ici, les stéréotypes liés aux fans sont exacerbés, certes pour faire de l'audience, mais on y découvre les profils de fan correspondant le plus à notre imaginaire commun: des jeunes filles en fleurs ayant des posters de la star accrochés dans leur chambre du sol au plafond, le fan de Johnny Hallyday, ayant une collection lui étant consacré faisant deux fois son salon, etc.

Étymologiquement, le mot fan est emprunté au vocabulaire anglo-américain, issu par apocope de «fanatique». Ce dernier terme venant du latin fanum, "le temple", qui désigne quelqu'un qui s'estime inspiré par la divinité. Cette notion, qui faisait référence au religieux, est aujourd'hui, dans une société de moins en moins croyante, employé à tord et à travers pour désigner tout et n'importe quoi. Ainsi, faire le parallèle entre être fan aujourd'hui, et le religieux (et tout le vocabulaire qui y est associé: cultes, rituels,...) peut sembler facile, en avançant l'hypothèse que les Olympiens de nos nouvelles mythologies sont les stars, élevées au rang de divinité, mais qui communiquent avec le reste de la population à travers la culture de masse1(*). Certains s'y sont essayés2(*), mais nous verrons que les fans sont des individus rationnels, possédant une capacité de réflexion sur leur propre statut, les artistes ne représentant pas une sorte de Dieu quelconque. Ainsi, dans le cadre de cette recherche, ce rapprochement ne se révèlera pas pertinent.

Toute la difficulté fut de ne pas tomber dans ces principes trop simplistes, et d'éviter les raccourcis interprétatifs. Les médias viennent cependant renforcer ces pré-notions sur les fans en les véhiculant, depuis les premières groupies de Claude François, jusqu'à aujourd'hui avec les jeunes fans du film « Twilight ». Les articles dans les journaux, à la télévision, les documentaires, stigmatisent d'autant plus ces individus qu'ils n'y paraissent que lors de leurs dérives (l'un des exemples les plus significatifs étant l'assassinat de John Lennon). De même, nos sociétés actuelles, individualistes, renvoient à la responsabilité des individus, au fait d'être adulte, et cela semble en opposition avec la définition selon le sens commun du mot fan. Personnes aliénées et quelque part infantiles, consommateurs manipulés par l'industrie du star-system, dépourvues de personnalité propre, s'identifiant et imitant l'idole auquel elles sont entièrement vouées: même si l'image est exagérée, cette représentation des fans est loin d'être glorieuse3(*).

A travers ma recherche, je n'ai pas voulu démontrer que ce type de personnes n'existait pas, mais que lorsque l'on parle de fans, on ne peut pas désigner un seul type de fans: il n'existe pas un, mais des fans. Mon propos est ainsi d'étudier les carrières de fans, de façon à voir les étapes que pouvaient traverser les fans dans cette carrière, les points qui pouvaient être communs à tous, sans me réduire pour autant à définir un seul idéal-type de carrière. En effet, comme nous le verrons dans le développement de cette analyse, chacune des personnes interrogées a vécu de façon différente son expérience de fan, et les raisons qui les ont poussées à devenir fans sont, dans une certaine mesure personnelles. L'objet de cette recherche peut apparaître simpliste ou amusante. Pourtant, nous avons tous été fan de quelque chose, l'important n'est pas de savoir de quoi, mais plutôt de se dire qu'à un moment donné, nous nous sommes définis comme des « fans ». Il semble ainsi exister une tendance universelle à avoir une passion, à s'y retrouver mais aussi à la partager. D'ailleurs, lorsque des individus font connaissance, ne parlent-ils pas de leurs passions respectives?

Par ailleurs, j'ai souhaité étudier en particulier les fans de Mika pour plusieurs raisons. Du fait que je me définisse moi-même comme tel, et étant déjà impliquée dans un forum de fans4(*), mon travail de terrain était grandement facilité, puisque étant reconnue comme fan, je n'ai pas eu à me heurter à une certaine méfiance. De plus, le fait que ce travail de recherche soit effectué dans le cadre de mes études m'a permis d'obtenir des réponses favorables. Mais au-delà de ces raisons purement « techniques », cela m'a paru intéressant d'effectuer une réflexion personnelle quant à mon propre statut de fan.

Ainsi, la question de départ à laquelle j'ai cherché à répondre a été la suivante: Quelles sont les différentes étapes de la carrière d'un fan de Mika?

A travers cette question, j'ai voulu analyser le processus qui amène les fans à se considérer et à agir comme tel. De plus, j'ai pu approfondir ma réflexion, et en dégager une problématique: Comment se comportent les fans de Mika, quelles sont leurs motivations? Qu'est ce que fait Mika aux fans, et comment intervient-il dans leur vie quotidienne?

Un certain nombre d'hypothèses sont venues compléter ces interrogations:

û Être fan n'est pas quelque chose que l'on porte en soi, qui serait inné, et qui ferait que l'on saurait exactement comment se comporter. Être fan, c'est d'abord un processus, une construction, un apprentissage.

û On ne peut analyser les fans comme un groupe homogène, ayant les mêmes pratiques, et aimant de la même façon. Il existerait une expérience subjective à chacun.

û La rationalité des fans transparaît à travers la réflexion qu'ils se font de leur statut et de leur comportement, et les stratégies de présentation de soi utilisées.

En étudiant les carrières de fan, j'ai mobilisé un certain nombre de concepts, et je me suis appuyée sur les analyses de différents auteurs. La notion de carrière, au centre de notre analyse, a été étudiée par Howard Becker5(*), où il reprend la définition de Hughes: « dans sa dimension objective, une carrière se compose d'une série de statuts et d'emplois clairement définis, de suites typiques de positions, de réalisations, de responsabilités et même d'aventures. Dans sa dimension subjective, une carrière est faite des changements dans la perspective selon laquelle la personne perçoit son existence comme une totalité et interprète la signification de ses diverses caractéristiques et actions, ainsi que tout ce qui lui arrive6(*) ». D'ailleurs, Philippe Le Guern7(*) précise qu'être fan ne va pas de soi, et suppose un apprentissage constant à travers les sites d'informations par exemple, mais aussi par la fréquentation d'autres fans.

Le mot fan n'ayant pas de définition sociologique, il pourrait être défini de façon presque tautologique, comme étant un individu qui se pense comme tel, consacrerait plus de temps personnel, et consommerait davantage envers l'objet aimé, par rapport à des individus qui simplement apprécieraient. De même, à travers la vision péjorative des individus envers les fans, je serais amenée à voir dans certains cas l'activité du fan comme activité déviante, la définissant ainsi comme une propriété non du comportement lui-même, mais de l'interaction entre la personne qui commet l'acte et celles qui réagissent à cet acte8(*).

Par ailleurs, mon analyse porte aussi sur la notion d'identité, qui « repose sur la différence et l'appartenance commune, parce qu'elle sollicite deux pôles convergents ou parfois opposés que sont l'identité revendiquée (pour soi) et l'identité attribuée (pour autrui) »9(*). Nous verrons ainsi qu'être fan, n'est pas toujours évident à assumer, et relève d'une utilisation de cette identité variable, en fonction de ce que l'on cherche à montrer, ou au contraire à dissimuler. Christian Le Bart10(*), de même, illustrera de nombreuses fois mon propos, lui même ayant analysé les fans des Beatles.

L'enquête:

Afin de rendre compte de ces réflexions, et de pouvoir en tirer des conclusions, j'ai procédé de deux manières, l'une formant davantage la base de ce TER. Tout d'abord, j'ai observé un forum de fans11(*), afin de connaître le public, du fait que l'inscription à un forum soit une étape importante dans le processus amenant à devenir fan.

La technique d'enquête utilisée pour ma recherche a été l'entretien, où, à partir du forum observé, j'ai effectué des entretiens compréhensifs auprès de sept femmes, âgées entre 20 et 42 ans12(*), dont les variables qui se sont révélées les plus utiles furent la situation familiale et professionnelle, ainsi que l'âge (les deux étant indirectement en lien). .

L'entretien compréhensif a pour objectif principal « la production de théories [...]: une articulation aussi fine que possible entre données et hypothèses d'autant plus créatrice qu'elle est enracinée dans les faits »13(*). De même, cette méthode permet une implication plus grande de l'enquêteur, permettant ainsi à la personne interrogée de s'engager plus fortement durant l'échange.

Ces entretiens ont été réalisés à partir d'un guide d'entretien, où j'avais dégagé trois thèmes principaux, suivi de sous-thèmes. De plus, parmi ces différents thèmes, et afin de me guider davantage, je les ai explicités à l'aide de quelques questions introductrices14(*). Tous ces entretiens ont été effectués sur Internet du fait de la distance géographique, par le biais d'MSN Messenger et de facebook.

Une fois les entretiens effectués, j'ai procédé à une analyse de contenu, où je les ai regroupés à partir de leurs points communs. Grâce à cette méthode, j'ai ainsi pu voir se distinguer plusieurs thèmes, où certaines réponses se recoupaient. De même, cela m'a permis de voir les contradictions d'une même personne, mais aussi les distinctions possibles entre chaque entretien. Ainsi, avant de commencer la rédaction du TER, j'ai pu faire quelques interprétations préalables au vu de ces premier résultats.

Nous verrons ainsi dans cette recherche que ces personnes ne sont pas devenues fans de Mika par hasard. Bien souvent, la musique a été en lien avec leur vie personnelle, l'une venant contraster l'autre, du fait de l'originalité des mélodies, venant rompre avec les autres artistes. Mika va ainsi prendre une plus grande importance (même si nous le verrons, cela n'a pas toujours été le cas) du fait de sa singularité, et va se démarquer des autres. Il semblera ainsi qu'être fan soit lié au fait de privilégier un artiste vis-à-vis des autres. Cela constituerait le point de départ de la carrière du fan, mais nous verrons que le réel marqueur de celle-ci, et qui fera que le fan prendra conscience de son statut, est la rencontre avec les autres fans. Comme le précise Christian Le Bart, le fan va découvrir que « son petit monde est aussi peuplé qu'un autre15(*) ». Il va ainsi créer des liens avec des semblables, et va affirmer davantage son statut du fait que les interactions vont normaliser son comportement, cristallisant ainsi son identité. Néanmoins, si ce statut est assumé dans cette sphère, nous verrons qu'affirmer être fan n'est pas toujours évident, et demande un travail de présentation de soi afin de ne pas paraître déviant aux yeux d'autrui.

C'est ainsi que dans un premier temps, nous étudierons le contexte dans lequel les fans ont découvert Mika, mais aussi que le fait de devenir fan a un lien avec la singularité donnée à l'artiste en comparaison des autres. Puis, nous verrons que ce qui marquera une étape importante de la carrière du fan de Mika est l'inscription au forum de fans, puisqu'elle permet la rencontre entre semblables, et donc de ce fait une implication plus grande en tant que fan. Nous verrons d'ailleurs que l'amitié qui se nouera entre les fans sera tout aussi importante que Mika lui-même dans la continuité de la carrière. Enfin, la dernière partie consistera a montrer que si les fans ont conscience de leur statut et l'assument, la confrontation avec la réalité quotidienne n'est pas toujours en adéquation avec la passion, et entraîne des difficultés à s'affirmer en tant que fan auprès d'autrui.

PARTIE I/ La découverte

Presque systématiquement, la première « rencontre » musicale avec Mika semble être le fruit du hasard. On zappe sur une radio et on tombe sur une chanson encore inconnue à nos oreilles; on voit à la télévision un grand jeune homme, « beau garçon », se distinguant par un look aussi coloré et décalé que sa musique. Sans pouvoir toujours expliquer les raisons de cet engouement, les mères de familles, étudiants, et autres se retrouvent à s'attacher à l'artiste, aux mélodies, et finissent par adopter des comportements (nous verrons plus précisément lesquels plus loin) qui les assignent au rang de fan.

Néanmoins, tout comme tomber amoureux n'est pas totalement irrationnel, et qu'il existe des déterminismes sociaux (PCS, lieu d'habitation,...) à rencontrer la personne de sa vie, devenir fan de Mika n'est pas une simple coïncidence. En effet, des raisons plus rationnelles viennent succéder aux premières descriptions de la découverte lors des différents entretiens que j'ai pu effectuer. Et, tout comme le précise Christian Le Bart, il existe une « tension repérable dans les récits entre le désir de croire en une rencontre magique [...], et l'obligation de restituer les préalables qui rendirent possible, sinon nécessaire, cette préférence musicale »16(*).

C'est ainsi que dans cette partie, nous aborderons dans un premier temps la surprise de la découverte, ainsi que les critiques très positives concernant l'artiste et sa musique. Nous verrons ensuite que l'attachement à l'artiste a des origines logiques, souvent en lien avec la vie personnelle des individus.

A) L'émerveillement

Point de départ:

Relax, take it easy

For there is nothing that we can do.

Relax, take it easy

Blame it on me or blame it on you.

(Mika, Relax, take it easy, Life in Cartoon Motion, 2007)

Tube de l'été 2007, et, bien souvent, avec la chanson « Grace Kelly », points de départ de la carrière de fan, la découverte de Mika passe par celle de ses chansons. Les diffusions successives sur les ondes des singles «Relax, take it easy» et «Grace Kelly» au début de l'année 2007 ont souvent été à l'origine de cette découverte. Ainsi, avant de pouvoir mettre un nom sur le visage du chanteur, ce sont les chansons qui ont touché la plupart des fans interrogés: «j'ai du l'entendre la toute première fois en avril 2007, je crois, et comme à l'époque les radios passaient Relax et Grace Kelly en même temps, j'étais toujours en train de demander à ma fille qui chantait (car je ne me souvenais jamais!) » (Béatrice, 42 ans).

Mais les deux chansons étant différentes, certaines ne se sont pas tout de suite rendues compte qu'elles étaient du même auteur: « en fait un ami me chantait relax depuis décembre 2006 mais je ne savais pas que c'était Mika, et en fait, j'écoutais Europe2 chez moi et aimait Grace Kelly, et ma soeur écoutait Fun Radio qui passait Relax. Et j'ai donc remarqué qu'il faisait les deux chansons là alors que je ne pensais pas du tout que c'était la même personne » (Elodie, 20 ans). Elle ajoute d'ailleurs qu'elle aimait, mais que « c'était juste si différent de Grace Kelly que je ne pensais pas que ça pouvait être la même personne »; « j'avais entendu relax a la radio auparavant, mais je ne savais pas que c'était lui » (Aurélie, 28 ans). Cette remarque se retrouve aussi chez Béatrice, qui a « apprécié les 2 chansons tout de suite », mais qui, ne se souvenant jamais de qui chantait, a « donc souvent [j'ai] cru que c'était 2 gars différents! ». De façon plus amusante encore, l'une des membres du forum m'a dit avoir « directement adoré », mais a ajouté: « mais évidemment je ne savais pas qui pouvait bien être cette femme (euh... oui je croyais que c'était une chanteuse !) » (Lucinda, 24 ans).

Néanmoins, les passages à la télévision et à la radio étant plutôt proches, elles ont pu rapidement mettre un visage sur la voix: « j'ai entendu pour la première fois Mika en été 2006. C'était Grace Kelly et c'était dans la rue [...] Et c'est finalement en janvier 2007, que j'ai vu Mika dans Taratata et je me suis direct souvenue de la mélodie » (Lucinda, 24 ans). De même, Delphine (29 ans) l'a découvert simultanément à la radio et à la télévision: « la première fois que je l'ai vu et entendu c'était lors d'un extrait TV (France2, un extrait du clip de Grace Kelly) très court, mais j'ai ensuite reconnu la chanson à la radio »; « la première fois que je l'ai entendu j'étais chez moi, seule. C'était dans une émission sur la 6 le matin avant d'aller au travail. L'animateur a annoncé le clip d'un jeune homme très prometteur, il a dit qu'il avait quelque chose de Queen dans sa musique. Je me suis donc attardée, par curiosité. Et j'ai donc vu le clip de Grace Kelly, je suis tombée sous le charme! » (Aurélie, 28 ans); «La première écoute sur Radio Nova. J'ai d'abord trouvé que ça ressemblait aux Scissors Sisters. J'ai d'emblée trouvé que c'était sympa » (Sylvie, 42 ans).

Mais quelquefois, cela se passe non sans surprise: «La 1ere fois que je l'ai vu c'était à la fête de la musique 2007, avec Olivier Minne: on a l'habitude de regarder cette émission tous les ans et là enfin j'ai mis un visage sur son nom. Ma première réaction quand je l'ai vu : "il est complètement déjanté ce type"! Il bougeait beaucoup, il était super à l'aise j'ai trouvé pour un gars qui "arrivait" dans le métier [...] en plus je ne l'imaginais pas du tout comme ça [...] donc ça a été un choc on peut dire de le voir » (Béatrice, 42 ans).

Et de la même façon que certains ont tout de suite accroché à la musique, (« j'ai directement adoré!! »; « Je suis restée scotchée ») d'autres ont mis plus de temps à apprécier les mélodies. Ainsi, Déborah (23 ans) n'a pas tout de suite aimé, mais les écoutes régulières à la radio ont fini par la convaincre. « Mon ami (Paul, avec qui je suis depuis plus de 6 ans) a voulu me faire écouter un artiste qu'il avait découvert et c'était Mika. Au premier abord, j'ai été assez indifférente en fait ! Je n'étais peut être pas "prête" pour apprécier mais je n'ai pas été séduite ! Ensuite, les chansons sont beaucoup passées en radio et j'ai donc commencé à bien aimer Grace Kelly et Relax ».

Ainsi, pour certaines, cela s'est produit en deux temps, le commencement de « l'aventure Mikanesque » (Déborah) ayant été déclenché par la rencontre réelle lors du premier concert. En effet, le premier concert étant l'occasion de voir l'artiste en live, de « vivre » les chansons et de partager un moment, une expérience à la fois personnelle et collective, deux membres du forum interrogés l'ont vécu comme le déclic. D'ailleurs, j'ai pu noter que dans les deux entretiens, c'est ce même mot, « déclic » qui avait été employé. Comme si avec ce premier concert, c'était toute une machinerie qui s'emboîtait et se mettait en marche. Ainsi, pour Elodie (20 ans), l'occasion d'aller le voir s'est présentée « en mai [2007], un ami m'a dit qu'il passerait à Colmar, j'ai sauté sur l'occasion en plus la place n'était pas chère, c'était une veille de jour férié... et ça a été un des concerts que j'ai le plus aimé, ce que j'ai vu sur scène n'a fait que renforcer l'impression que j'avais sur l'album [...]  Le premier concert m'a fait venir sur le forum, le premier concert m'a donné envie d'aller en voir d'autres. Ce fut le déclic, et sûrement un de mes meilleurs concerts de lui ». Pour Déborah (23 ans), ce concert a quasiment été une révélation: « Pour l'anniversaire de mon ami, en août, je lui ai offert 2 places pour le zénith de Nantes. Et c'est ce concert qui a été un véritable déclic. Pour moi, j'ai découvert Mika en live et ça a été une vraie claque : les chansons ont pris une dimension différente et j'ai été bluffée par sa présence scénique, sa voix...». Selon Delphine, l'avoir vu sur scène a largement été une contribution à ce qui n'était pas encore une ''addiction'': « le fait de l'avoir vu en live et d'avoir pu le rencontrer à grandement contribué à ma fan attitude ». Pour Béatrice, c'est aussi de l'avoir vu en live, mais à travers l'écran de la télévision, où « le déclencheur ça a été son énergie, le voir sauter partout, et sa simplicité ».

De plus, dans les cinq entretiens effectués sur les sept, l'élément déclencheur, entraînant de cette façon les personnes à s'intéresser davantage à Mika, et par la suite à en devenir définitivement fan, a été le fait de le voir, que ce soit par le biais de la télévision ou du premier concert. Sur ce dernier point, je n'ai eu que deux personnes qui m'ont avoué l'avoir trouvé « beau garçon » (Lucinda, 24 ans), et d'être « restée scotchée [sur] son physique sur le coup » (Delphine, 29 ans). Ainsi, ses prestations scéniques les ont amenés à s'intéresser davantage à lui, en plus d'apprécier sa musique.

Un artiste singulier:

« Quand je regardais une émission de chanteurs, c'était toujours les même qui revenaient, et qui restaient stoïques avec leur micro bien à 10 cm devant eux. Mika arrive et c'est une autre façon de se ''produire'' sur scène. » (Béatrice, 42 ans).

Cette citation résume plutôt bien le fait que l'arrivée sur la scène musicale de Mika n'est pas passée inaperçue. En donnant un coup de pied dans la fourmilière qu'est l'industrie du disque, il s'est distingué de ses camarades par une pop acidulée, dansante, et faussement naïve. Ce changement fut d'ailleurs largement apprécié durant les entretiens que j'ai pu faire.

En effet, la nouveauté apportée musicalement, l'originalité des chansons, ont été l'un des facteurs favorisant cette attirance: « ça faisait du bien de voir et d'entendre autre chose, j'avais besoin de découvrir cette façon d'être... je commençais à m'ennuyer musicalement » (Béatrice, 42 ans). Il en va de même pour Delphine (29 ans): « J'ai découvert un jeune homme plein d'énergie, d'humour et de fantaisie [...] c'est ce qui le rend différent des autres à mes yeux ». Mais aussi pour Lucinda (24 ans): « c'était aussi le fait que ce soit inconnu et tout nouveau qui m'a attiré »; « Au moment du premier album, je trouvais qu'il détonnait dans le "paysage musical". Rien ne ressemblait vraiment a lui, et sa voix très aiguë était assez étonnante » (Aurélie, 28 ans).

Une autre qualité reconnue comme plutôt rare aujourd'hui est la proximité maintenue entre Mika et ses fans. En effet, toutes les personnes interrogées m'ont fait part de ses qualités personnelles, mais aussi de sa capacité à être disponible pour ses fans. Principalement évoquées, sa gentillesse, et sa simplicité qui le rendent accessible et attachant. C'est ainsi que le vocabulaire utilisé est souvent similaire, voire identique: « Sa générosité envers ses fans est vraiment un plus et ça le rend attachant! [...] sa gentillesse, sa disponibilité, sa bonne humeur communicative, sons sens de l'humour, son côté artistique » (Delphine); « J'apprécie avant tout sa simplicité et la manière dont il aborde la célébrité. Il semble rester lui même. Il est très proche de ses fans et très patient. Et ça, c'est rare ! Il est drôle et charmant aussi, tout en étant parfois maladroit ! Bref, il est très attachant! » (Déborah); « il a été d'une gentillesse incroyable, j'imaginais pas qu'un artiste soit aussi adorable avec des gens qu'il ne connais pas finalement [...] je trouve qu'il est accessible et ne prend pas la grosse tête. Il a une façon de parler à ses fans sans leur montrer qu'il est au dessus. Il est modeste et simple. Sa personnalité fait entièrement partie du personnage que j'aime » (Lucinda); « C'est une personne très gentille et attachante, qui respecte ses fans. A son niveau, c'est des fois bien rare [...] [il] reste proche de ses fans, disponible, sa famille l'aide vraiment à garder les pieds sur terre, sa mère n'hésite pas à le rembarrer s'il faut, ils se prennent la tête mais 5min près c'est oublié, je pense que le fait de bosser "en famille" est quelque chose qui fait qu'il soit aussi disponible, naturel (hors promo, je parle en backstages/avec les fans) et juste gentil » (Elodie); « il est vraiment TRES abordable, et il a gardé ça, jusqu'à présent » (Aurélie).

Enfin, une particularité assez inédite chez les artistes a été très souvent saluée: le fait que lors des concerts, des fans sont sélectionnés dans les files d'attente afin de participer en tant qu'acteur du concert, incarnant des personnages de ses albums tirés des chansons (Big girl, Lollipop girl). Beaucoup de personnes du forum ont ainsi pu eu l'opportunité de voir l'envers du concert, et de pouvoir côtoyer le temps d'une soirée leur idole. « Le fait qu'il fasse monter des fans sur scène c'est génial et totalement dingue ! Il nous considère vraiment et c'est une expérience unique de vivre de l'intérieur le concert de son artiste favori » (Déborah, 23 ans); « faire plaisir a ses fans, les faire monter sur scènes avec lui, les faire danser, les rencontrer, leur offrir le champagne ou des soirées dans un bar, leur parler via internet, vidéos postées sur son site internet17(*),... »; « Sa simplicité, sa gentillesse (pour faire monter des fans sur scène ....on en voit jamais ailleurs que dans ses concerts à lui), sa bonne humeur (même quand il a l'air crevé) » (Béatrice, 42 ans). A travers ces témoignages, c'est l'impression d'être reconnu en tant que fan, de ne pas exister inutilement qui transparaît. Mika est ainsi apprécié en partie parce qu'il donne de l'importance aux fans, et les fait exister, les distinguant ainsi des « amateurs » de sa musique, en leur donnant ce privilège: « il nous implique en tant que fan, enfin je trouve [...] je trouve qu'il nous donne beaucoup, alors forcément on veut lui rendre la pareille, ça renforce les liens entre son public et lui. Dans ce cas là oui, il y a une réciprocité. C'est pas souvent qu'un chanteur choisit dans son public pour faire monter des gens sur scène pour danser en costume! Tu as l'impression d'être importante dans ces moment là, c'est con! » (Aurélie, 28 ans).

Mais lorsque je leur demande de mettre des mots sur cette passion, ce que leur fait Mika, ce qu'il a en plus, l'exercice devient souvent plus difficile, tant il est complexe d'expliciter ce qui relève de l'émotion. Il est d'autant plus difficile d'exprimer un ressenti sur un artiste que l'on apprécie que cette situation là est la première à se présenter. En effet, pour beaucoup, Mika est le premier artiste qui leur a fait cet effet: «Disons que j'ai eu des coups de coeurs musicaux, passagers, mais ils n'ont jamais duré bien longtemps. C'est donc la première fois que je suis un artiste sur sa carrière de cette manière, que je fais plusieurs concerts et que je m'inscris sur un forum de discussion à son sujet» (Déborah, 24 ans). Il semble pour elles singulier et original, parce qu'une relation particulière s'est installée entre lui (notamment au travers de ses chansons), et ses fans.

Par ailleurs, si l'exposition médiatique de Mika a fait qu'il était difficile de ne pas le connaître, « la naissance de la passion ne s'explique jamais complètement par ce seul contact [...]. C'est qu'il s'est passé « quelque chose », quelque chose de difficile à décrire, sinon par métaphore: coup de foudre, enchantement, choc... »18(*). Dans notre cas, la situation est assez similaire, puisqu'à plusieurs reprises, Lucinda (24 ans), a eu du mal à décrire ce qu'elle ressentait. « C'est quelque chose que je ne peux pas expliquer. C'est comme tomber amoureuse, sauf que là c'est d'une voix, d'un artiste, d'une personnalité etc ». Elle ajoutera d'ailleurs plus tard que « sur scène comme dans la vie, il dégage un truc. Je saurais pas définir, mais je crois que c'est ce qu'on appelle le charisme. Et ça je ne l'ai pas encore trouvé chez d'autres artistes, cette chose qui fait que tu es irrémédiablement attirée vers lui »; « Pourquoi lui et pas un autre? C'est comme l'amour là tu l'explique pas !!! » (Sylvie, 42 ans); « La raison qui fait que c'est Mika : je ne sais pas ! ça s'explique pas, c'est un tout » (Déborah, 23 ans); « Franchement, je ne sais pas trop. Je crois que c'est un peu l'impression de se dire: il est en train de se passer quelque chose! Je veux en faire partie » (Aurélie, 28 ans). Cela se retrouve aussi chez Béatrice (42 ans): « c'est difficile de l'expliquer, c'est une chose qu'on ressent mais qu'on a du mal à exprimer ». De même, elle pensait voir ses goûts musicaux déterminés et qui ne changeraient plus. Le coup de coeur pour Mika fut donc une surprise: « c'est assez bizarre d'ailleurs, car quand tu as 40 ans, tu te dis : ''ok c'est bon, j'ai mes préférences et ça changera plus" ! Et paf, Mika arrive et tout est remis en question ». De plus, ayant déjà été fan 20 ans auparavant de Patrick Bruel, elle n'avait plus « retrouvé un tel engouement pour un artiste ».

Ce coup de foudre musical tient aussi aux émotions que ses chansons peuvent faire passer. A ce titre, les personnes interrogées semblent être en partie devenues fan du fait de ces transmissions au travers des chansons. Musicalement, il leur parle, elles sont toutes en effet particulièrement touchées par sa capacité à faire ressentir des sentiments contradictoires. Elles ont ainsi l'impression d'être comprises, que, dans une certaine mesure, Mika, à travers ses chansons, les comprend: « je m'y retrouve [dans les chansons] [...] Il essaie de faire ressentir à la personne qui l'écoute, quelque chose qui l'a touché lui » (Béatrice, 42 ans). « Mika est un artiste qui sait me parler musicalement. Je suis touchée par sa musique, sa voix, ses paroles, la diversité de son talent et également sa personnalité. [...] J'aime avant tout la diversité des mélodies. En fait, il me fait passer par un large panel d'émotions : la joie, la rage, la tristesse, le doute... TOUT J'aime écouter ses albums car ils me font tout ressentir. Je trouve qu'il a une manière assez dingue de composer ses chansons, en mélangeant des styles, des instruments... Et bien sûr sa voix qui m'émeut particulièrement » (Déborah, 23 ans). Il en va d'ailleurs de même pour Delphine (29 ans): « Il dégage quelque chose qui me touche... autant dans ses chansons que dans son attitude ». Mais plus légèrement aussi, « sa musique me met une pêche d'enfer » (Béatrice).

Ainsi, la passion est vue comme subjective à chacun, la façon d'être touché par telle ou telle chanson étant différente pour chaque individu, et ne provoque pas nécessairement les mêmes sentiments. De même que certaines chansons demeurent plus ou moins appréciées. Dans ce registre, ce commentaire est assez intéressant, puisqu'il montre bien comment on peut s'approprier les oeuvres de l'artiste, et l'artiste en lui même: « j'ai détesté ''any other world'' ou ''happy ending'', je ne trouve pas que les balades sont les chansons qui lui "vont" le mieux musicalement, je préférais ''Love Today'' ou ''Lollipop'' » (Elodie, 20 ans). A l'inverse, Béatrice (42 ans) avoue « avoir pleuré sur ''any other world'' comme je crois je ne l'avais jamais fait ».

Et c'est bien là qu'il se distingue des autres artistes. Si l'on devient fan, ce n'est pas simplement parce que l'on apprécie, c'est parce que c'est une façon d'aimer qui est différente. On peut d'ailleurs reprendre les propos d'Antoine Hennion, qui nous indique qu'il y a aimer, et aimer. Pas facile à comprendre au premier abord, la différence semblant subtile entre les deux, et pourtant ô combien importante. La passion est fonction de situations, de manières d'être, de faire et de percevoir, qui dépendent de situations données. La façon d'aimer dépend de la façon dont on aime, et ainsi être fan dépend de la même manière de la façon dont on est fan, dont on se comporte en tant que tel, permettant par la même occasion de se distinguer des autres. Pour reprendre Antoine Hennion, « c'est la différence entre aimer et « aimer », être amateur, même à un degré minimal. On voit que cette attention différenciée et différenciatrice renvoie à une double historicité, personnelle et collective, et plus généralement à un espace propre, dans lequel l'activité a pu se donner les lieux, les moments, les moyens de se constituer comme telle : le goût est aussi réflexif au sens « fort », c'est une activité cadrée. On n'aime pas le vin ou la musique comme on rentrerait dans un mur. On aime le vin ET on « aime le vin » (ou tel vin) : on se décale légèrement de soi-même pour «rentrer» dans cette activité, qui a un passé et un espace, jalonnés par ses objets, ses autres participants, ses façons de faire, ses lieux et ses moments, ses institutions »19(*).

B) Des raisons plus implicites

Une bulle d'air

« Ça n'allait pas fort, la routine m'étouffait...»

(Delphine, 22 ans)

Lorsque l'on se penche un peu plus sur les raisons personnelles qui ont amené ces personnes à devenir fan, on s'aperçoit que souvent, la nouveauté apportée musicalement vient compléter un quotidien trop étouffant, pas toujours très intéressant. Ainsi, Mika devient une issue de secours, où certains peuvent aller afin d'oublier un peu la routine installée dans la vie quotidienne.

En effet, pour Béatrice (42 ans), Mika lui a apporté « un renouveau, j'avais besoin d'entendre autre chose car depuis des années on n'avait pas eu de nouvelles stars »; « Mika avec sa gueule d'ange et ses mélodies rafraichissantes nous a tous permis de nous échapper de notre quotidien » (Lucinda, 24 ans); « je pense qu'il est arrivé dans ma vie au moment où j'avais besoin d'évasion, et il m'a donc aidé à m'évader du quotidien. Il a donc un peu pimenté ma vie quoi [...] il est peu mon exutoire en fait » (Delphine, 29 ans). Elle ajoutera d'ailleurs « au quotidien, c'est comme un échappatoire, on laisse de côté la réalité pour le suivre dans ses périples»; « c'était vraiment une bouffée d'air frais, colorée, et j'en avais besoin aussi, quelque chose d'un peu "naïf", enfantin, léger » (Aurélie, 28 ans). Les albums sont vus comme un univers à part, qui permettent de sortir du quotidien le temps d'une chanson. Béatrice (42 ans), exprime très bien cette idée. Lorsqu'elle m'a parlé du fait que même si elle écoute très souvent Mika, elle est toujours contente de tomber sur un clip par hasard, ou de l'entendre à la radio; elle m'a ainsi résumé ce comportement et son ressenti: « Mika c'est comme une bulle d'air au milieu de la journée, ça redonne la pêche et le moral pour le reste de la journée ».

De même, non seulement les mélodies ont apporté un peu de fraîcheur dans la vie, mais l'échappatoire vient aussi du fait de multiplier les concerts, où à chaque fois, les fans sont plongés dans une ambiance totalement opposée à la vie de tous les jours. Les concerts sont ici aux antipodes de la routine, du fait de visiter d'autres villes, mais aussi de voir ou revoir d'autres fans, et ainsi de voir le concert associé à une expédition, certes contrôlée (pour tout ce qui concerne les préparatifs liés au transport et à l'hébergement), mais source de plaisir, puisque le concert arrive à les « faire entrer dans un monde parallèle» (Lucinda, 24 ans). Mais ce n'est pas seulement le concert en lui-même qui provoque cet effet, mais aussi tout ce qui entoure l'avant et l'après concert. Pour Delphine (29 ans), « ça [me] permet de déconnecter un peu de la réalité, et ça fait du bien ». En effet, le suivre sur sa tournée correspond à une aventure qui leur permet d'oublier pour un temps les responsabilités liées à l'âge adulte, de simplement profiter de l'instant présent sans se soucier ni de ses problèmes, ni de ceux d'autrui. Comme le dit de façon très claire Lucinda, « c'est agréable de faire des trucs de dingue sans forcement réfléchir aux conséquences. On oublie un peu le quotidien, et dieu sait qu'on en a tous bien besoin! ».

Un lien avec la vie personnelle

Néanmoins, ce besoin de s'échapper du quotidien trouve quelquefois sa source dans un événement douloureux de la vie personnelle, se situant à peu près à la même époque où elles ont découvert Mika. Indirectement, il allait se révéler être celui qui allait davantage les aider à surmonter leur peine, même si ce lien entre l'évènement et Mika n'a pas toujours été repérable sur le moment: « Je m'en suis rendue compte assez tard en fait que mon lien avec Mika et le fait de devenir fan soit lié avec ce qui me soit arrivé. Mais c'est vrai que du coup, c'est très lié. » (Déborah, 23 ans).

Plus qu'un proche et par ses chansons, l'artiste se révèle être un soutien pour traverser les moments de joie comme de peine: « sa joie de vivre correspondait à une période pas facile à vivre et cela m'aidait » (Sylvie, 42 ans). Lucinda (24 ans), s'est d'ailleurs aperçue au fil du temps que la plupart des membres du forum ont tous plus ou moins vécu un moment difficile, et que par conséquent, pense que « c'est aussi un besoin de combler quelque chose. » Elle ajoute d'ailleurs: « J'ai toujours été persuadée que ce qu'on fait (multiples concerts, voyages de dingue, volonté à tout prix de voir Mika, etc) c'est aussi pour combler un manque ou pour ne pas penser à quelque chose de difficile. En discutant avec d'autres fans, on se rend compte que finalement on est tous tombés dans ce "groupe" après un événement douloureux ou à un moment de nos vies où ça n'allait pas trop. Je pensais être la seule, et en fait, en discutant, on a tous eu le coup de coeur à un moment bien précis de notre vie ». Et en effet, dans trois de mes entretiens, cette situation s'est retrouvée. Dans les trois cas, la perte d'un proche, où le travail de deuil était difficile et la période compliquée, a été en partie facilité avec l'arrivée de Mika. Les passages narrés sont d'ailleurs plutôt longs, en témoigne l'entretien de Béatrice (42 ans), qui s'est « rattrapé[e] à lui comme d'autres se raccrochent à la foi », et qui raconte: « j'avais perdu le frère de mon grand père, qui était devenu avec le temps comme un grand père pour moi (c'est compliqué mais en 2 mots : mon grand père est décédé quand j'étais ado et c'est lui qui m'a élevée pendant quelques années, donc très dur pour moi à l'époque et j'ai reporté mon affection sur mon oncle). Et quand cet oncle est décédé en mars 2007, j'ai tout eu à gérer : sa femme est morte un an avant, ils n'avaient pas d'enfant...et ne s'entendaient pas avec le reste de la famille. Du coup j'ai du tout faire (avec l'aide de mon mari) et j'ai eu beaucoup de mal a surmonter tout ça. Et quand Mika est vraiment arrivé dans "ma vie", ça a été comme une libération. Je me souviens d'avoir pleuré sur ''any other world'' comme je crois je ne l'avais jamais fait, et franchement ça m'a libéré. Et pas de bol, ma grand mère décède en septembre 2007, et franchement là j'ai mieux encaissé le coup ». Le vocabulaire utilisé est plutôt fort, puisqu'elle parle d'une libération, et Mika lui a ainsi « permis de [se] me sortir de [son] mon esprit de l'époque ».

Il en va de même pour Déborah (24 ans): « Octobre 2007 était une période très difficile pour moi, donc ce concert m'a transporté dans le monde qu'il me fallait pour m'échapper de tout ça. J'ai en effet perdu très brutalement ma grand-mère dont j'étais extrêmement proche en septembre 2007. Elle est décédée d'une rupture d'anévrisme dans un supermarché de ma ville et le hasard a voulu que je fasse mes courses ici au même moment : j'ai donc vécu tout ça en direct et j'ai dû tout gérer... Bref, j'ai vécu un vrai choc en voyant les pompiers, devoir appeler ma famille... C'était très dur. J'ai commencé à sombrer en dépression (ce qui n'est pas du tout dans ma nature)... jusqu'au concert et ma venue sur le forum. J'ai pu oublier les choses et avoir de nouveaux projets. » Ce fut aussi le cas pour Aurélie: « mon grand père qui était décédé au début de l'année 2007. J'avais besoin de me "changer les idées" ».

Ici, les proches, même s'ils ont constitué un fort soutien, n'ont pas pu entièrement les aider, il leur fallait une aide « extérieure », liée à la musique. La musique se révèle donc être un formidable rempart contre les difficultés - presque au même titre que la religion, comme en a témoigné Béatrice précédemment - créant ainsi un lien particulier entre le fan et l'artiste, où le fan a l'impression d'être compris et entendu. Déborah montre bien ici ce besoin d'avoir quelque chose qui lui appartienne, et qu'elle ait réussi à surmonter cette période difficile, pas seulement avec l'aide des proches, mais aussi grâce indirectement à Mika, et à la rencontre des autres fans sur le forum: « Mais c'est sûr que j'ai eu un vide immense dans ma vie, du jour au lendemain. Ma famille, mes amis ne pouvaient pas le combler car ils étaient déjà là avant. Il me fallait quelque chose d'autre, de différent. Et qui m'appartienne uniquement, que ce soit mon aventure qui me permette de m'aider à avancer.»

Le décalage apporté entre un passage douloureux et la gaité des chansons leur a permis d'avoir un soutien, et de se sortir d'un quotidien parfois difficile. Bien sûr, ces deux exemples ne sont pas significatifs de tous les fans, et pour d'autres, devenir fan de Mika a été uniquement lié à sa musique, sans avoir eu à traverser nécessairement ce genre d'épreuves.

Nous pouvons donc dire ici que la découverte de Mika s'est faite quasiment de la même manière pour les interrogés, qui ont d'abord entendu les chansons à la radio ou ailleurs, et qui ont fini d'être convaincus lorsqu'ils ont vu la prestation scénique de l'artiste. C'est ici que débute la carrière de fan, qui vont vouloir en savoir plus sur lui, et en cherchant davantage d'informations, vont s'inscrire sur le forum, et affirmer définitivement leur statut, et leur identité de fan. De même, certains ont vu en Mika un moyen de se sortir de la réalité, d'apporter un plus dans leur vie, et pour d'autres, une aide précieuse pour surmonter des périodes plus ou moins difficiles.

Petit à petit, l'artiste va s'imposer comme faisant entièrement partie du quotidien des fans, notamment par le biais du forum (nous le verrons en deuxième partie). En effet, Mika va devenir presque un membre de la famille, comme en témoigne Béatrice (42 ans): « c'est bête à dire mais quelque part il fait partie de notre vie ». Lucinda (24 ans) est du même avis: « à force de le côtoyer aussi souvent, il devient presque un proche, il a pris une place très importante dans ma vie. Je crois aussi qu'il fait partie de nos proches maintenant, du coup on espère avoir un peu d'importance à ses yeux, comme il en a pour nous »; Delphine (29 ans): « [c'est] un peu comme s'il faisait partie de l'entourage. Enfin en restant objective car ce n'est évidemment pas le cas, mais vu qu'il prend pas mal de place dans ma vie, c'est un peu ça ... Il fait partie de ma vie mais pas d'une manière physique disons ». L'immersion de Mika dans la vie des individus sera caractérisée par l'écoute des chansons, mais que nous étudierons dans la troisième partie.

A présent, nous allons donc passer à la deuxième partie, qui va davantage porter sur l'affirmation de son identité de fan à travers l'appartenance à une communauté. Nous y verrons que le fan, s'étant distingué de ces proches par cet attachement à Mika, va chercher à entrer en contact avec des semblables, ce qui le rassure sur sa « normalité ». Christian Le Bart parle d'ailleurs de « stratégie de dé-différenciation »20(*). Nous verrons cependant aussi que faire partie d'un groupe n'a pas que des avantages, notamment du fait que cela suppose de perdre une partie de son individualité, en étant assimilé à une masse de fans.

PARTIE II/ Faire partie d'un groupe

« Si je ne m'étais pas intégrée à une communauté et sur ce forum, je n'aurais jamais été fan à ce point...ça c'est sur. » (Déborah, 23 ans). Cette fan montre bien l'importance de l'influence du groupe dans son statut, et explicite ainsi le fait que l'artiste est au moins aussi important que les individus qui l'admire. Être fan ne correspond pas seulement à l'être pour soi, mais aussi à partager sa passion avec d'autres.

En effet, être fan suppose de partager sa passion et de se retrouver parmi des semblables. Ainsi, l'identité du fan commence à prendre forme lors de l'inscription au forum. En effet, cette inscription, souvent vue comme une étape importante dans la carrière de l'admirateur, a pour fonction au départ de chercher des informations sur le chanteur. C'est ici que le fan se rend compte que son intérêt pour Mika augmente, et c'est à partir du moment où il va commencer à discuter avec d'autres passionnés que va débuter la confirmation de son identité de fan. C'est dans les interactions qu'il va se forger son identité de fan, s'affirmer mais aussi être reconnu par les autres en tant que tel.

Le forum va ainsi un constituer un lieu de socialisation, par l'apprentissage des manières d'être fan, ainsi que des normes et valeurs de la communauté. Tout comme le remarque Howard Becker, expliquant que la carrière d'un fumeur de marijuana débute avec au cours des interactions avec des fumeurs plus expérimentés, le fan ne devient ici réellement fan que lorsqu'il est confronté au groupe de pairs. Ainsi, « avant de se livrer à ces activités avec plus ou moins de régularité, la personne n'a aucune idée des plaisirs qu'elle peut en retirer: c'est au cours des interactions avec des déviants plus expérimentés qu'elle apprend à prendre conscience de nouveaux types d'expériences et à les considérer comme agréables. Ce qui a fort bien pu n'être qu'une impulsion fortuite qui incitait à essayer quelque chose de nouveau, devient un goût plus durable pour quelque chose de déjà connu et expérimenté. [...] En bref, les individus apprennent à participer à une sous culture organisée autour d'une activité déviante particulière »21(*). Dans notre cas, il ne s'agit pas d'une activité « déviante » (même si cela peut-être considéré comme tel, étant donné la définition de sens commun qu'ont les individus du mot ''fan''), mais de la même manière, l'individu qui s'inscrit au forum va connaître une forme d'apprentissage inconsciente, et va apprécier de plus en plus non seulement Mika et sa musique, mais aussi d'être accepté par la communauté et d'y participer pleinement.

Le forum est ainsi une communauté, qui par le biais des divers sujets de discussion, va se créer sa propre culture. On peut de même prendre comme exemple d'apprentissage implicite le fait qu'il y ait des topics (sujets) qui ne soient pas accessibles à tous. Ainsi, seuls ceux au courant de leur existence peuvent y accéder, afin de préserver un entre-soi de fans (c'est notamment le cas en ce qui concerne les organisations de certains concerts). Philippe Le Guern reprend par ailleurs cette idée, en montrant que la communauté des fans joue « un rôle - implicitement ou explicitement - structurant en ce qu'elles codifient les manières d'être-fan et d'être entre-soi en mettant en scène, par toute une série de processus et d'interactions, l'histoire et les souvenirs du groupe, ses rituels, une culture et des valeurs communes, des systèmes de comportements, processus qui aboutit à produire le sens du collectif et sa consolidation ».22(*)

Cependant, l'effet de groupe peut parfois engendrer une perte d'une partie de son individualité. En effet, le fan n'est plus unique, il s'aperçoit qu'il doit composer avec d'autres individus. C'est au travers du groupe que le fan se met à exister, ce qui peut entraîner un conflit interne chez lui. En même temps qu'il se fait remarquer plus facilement auprès de l'artiste (notamment lors des concerts) comme fan, car appartenant à un groupe connu, il souhaite aussi se faire remarquer individuellement. Nous verrons plus tard que des stratégies peuvent ainsi se mettre en place pour essayer de se démarquer du groupe, même si ces techniques sont vues comme « minuscule[s] ».

C'est ainsi que dans cette partie nous aborderons l'importance de faire partie d'un groupe, non seulement dans la construction de l'identité et de la carrière du fan, mais aussi pour le fan lui-même qui a ainsi pu former des amitiés durables avec des individus partageant la même passion. Nous verrons néanmoins les effets négatifs du groupe, notamment dans le fait qu'il masque l'individualité de la personne (auprès de Mika), mais aussi du fait qu'un groupe suppose d'être nombreux, et donc que des frictions y sont toujours possibles (il s'agira surtout de ''tensions'' entre forums).

A) La recherche d'un entre-soi

Les raisons d'inscription au forum

We are not what you think we are

We are golden, we are golden....

(Mika, We are golden, The boy who knew too much, 2009)

Comme nous l'avons vu précédemment, le fait d'avoir vu Mika a donné envie pour la majorité des fans interrogés de s'intéresser davantage à lui. L'une des étapes les plus importantes, qui marque l'engagement dans la carrière de fan, est celle de l'inscription au forum. La plupart du temps, cet engagement se fera inconsciemment, la première visite ne se faisant pas particulièrement pour échanger avec les autres membres, mais davantage pour chercher quelques informations sur Mika: « au départ c'était pour avoir des infos » (Lucinda, 24 ans); « je voulais m'inscrire sur un forum pour en savoir plus sur cet artiste, des infos et me renseigner sur la tournée qu'il faisait à ce moment là (début 2007) pour espérer le voir en concert » (Delphine, 29 ans), ou pour chercher des photos du premier concert vécu: « trouver des photos de Colmar »; « après le concert de Nantes, je voulais voir des photos et vidéos car je n'avais pas mon appareil et vlan! » (Déborah, 23 ans).

Et vlan! Au fond, il ne s'agit que de ça: sans s'en apercevoir, les personnes interrogées se sont attachées aux autres fans, comme si indépendamment de leur personne, elles se retrouvaient prises dans le mouvement. Que l'inscription se soit faite avant ou après avoir cherché les informations concernées, le forum devient un lieu d'échange et d'amitié. Voir un forum de discussion portant sur l'idole a ainsi donné envie à la plupart d'échanger, et de partager sa passion : « en lisant les forums j'ai eu envie de partager ce que je pensais. Je me suis donc inscrite uniquement pour pouvoir discuter. Il y avait aussi des gens qui avaient l'air sympa, je me suis dis c'est un moyen comme un autre de lier contact avec des gens avec qui j'ai au moins un point commun.» (Lucinda, 24 ans). De plus, pour Delphine, (29 ans) s'est imposé « le besoin de partager une même passion, de faire de nouvelles connaissances »; « Je me suis inscrite sur le forum pour y trouver des infos sur les concerts et puis je me suis rendu compte qu'il était possible d'y rencontrer des personnes qui seraient aussi aux concerts. Donc dès mon deuxième concert (Bruxelles en novembre 2007) j'ai fait des connaissances » (Sylvie, 42 ans). Enfin, Déborah (23 ans), ne pensait pas « revenir un jour. Et au fur et à mesure, j'ai voulu échanger avec ces gens... et quand on est entourés de fans ça t'influence quelque part car les gens parlent que de ça, tu as tout regroupé sur un même site et tu sais tout sur l'artiste ! »

Ainsi, l'inscription au départ se fait sans conviction d'y rester, puis les fans y vont pour échanger leurs impressions, pour discuter de leur passion avec d'autres, ce qui n'est pas toujours possible avec leurs proches: « le fait de passer du temps sur un forum et à parler avec des gens qui deviennent des amis permet de se sentir moins seul » (Déborah, 23 ans); « je trouve ça plus sympa de partager tout ça ensemble plutôt que tout seul dans son coin » (Delphine, 29 ans); «  Pour moi la musique est quelque chose qui se partage, et quand on sait que nos proches ne peuvent plus partager ça avec nous (ici à cause des distances pour le voir [en concert]), on se tourne facilement vers les fans » (Elodie, 20 ans).

Il se crée donc une forme « d'entre-soi », de compréhension entre individus, car partageant une expérience similaire. Dans certains topics par exemple, les fans partagent l'incompréhension de leur famille quant à leurs voyages répétés pour suivre la tournée de Mika. Comme le dit Lucinda (24 ans), « on se sent comprise quand on est en groupe, il n'y pas de tabou, on est tous là pour la même chose ». Ainsi, chacun peut s'exprimer librement sur sa propre expérience de fan, sans avoir la crainte d'être jugé, ou d'être considéré comme s'investissant trop par rapport à la « normale ». Déborah (23 ans), exprime cette envie de partager les différentes expériences de chacun: « Je ne me verrai pas fan toute seule dans mon coin. J'ai besoin de partager ce que je ressens, ce que je vis en tant que fan, j'ai besoin que les autres me disent aussi la manière dont ils vivent leur façon d'être fan »; « les infos, les articles, forum etc, c'est génial! ça permet de partager vachement nos sentiments, nos expériences etc » (Lucinda, 24 ans).

L'importance de la communauté des fans

« On a la chance d'avoir une vraie communauté de fan, il existe des forums, des rencontres, des projets et un vrai sentiment de faire partir des fans de Mika » (Déborah, 23 ans).

Progressivement, les fans vont ainsi devenir des membres réguliers, certains devenant même modérateurs du forum. C'est le cas de deux des sept membres interrogés, créant ainsi une implication beaucoup plus importante. Le forum va devenir, à l'instar des fan-clubs auparavant, un lieu d'affirmation de l'identité, où la différenciation avec les proches entraîne ici un rapprochement entre fans: « c'est aussi le plaisir d'être avec d'autres personnes qui fait qu'on devient "fan" » (Lucinda, 24 ans). De plus, les fans se rassurent dans leur « normalité » en côtoyant des semblables partageant la même passion : « tu vas à un concert et tu rencontres des membres qui iront à d'autres concerts donc t'as bien envie d'y aller aussi. Et de voir que plusieurs y vont, ça t'aide à "normaliser" le fait de multiplier les dates et de devenir sérieusement fan ! » (Déborah, 23 ans). Christian Le Bart reprend cette idée, mais avec le fan-club des Beatles, où l'adhésion permet de « conforter le processus en cours de cristallisation identitaire. Parce qu'il s'adresse à chacun de ses membres en tant que fan, parce qu'aussi il diffuse des modèles de légitimation de la passion [...], le fan-club met à la disposition de chacun des ressources identitaires collectives. Il diffuse un sentiment de confiance en soi qui facilite la confrontation avec le reste du monde »23(*). Si dans notre cas, nous ne pouvons parler réellement de confrontation, le forum reste une sphère sociale qui permet de s'exprimer en tant que fan de Mika - chose qui ailleurs n'est pas toujours permise - ainsi que de s'assumer davantage en tant que fan dans la vie quotidienne. De plus, le groupe devient un moyen d'être reconnu par Mika: « c'est important pour moi d'en faire partie, car je trouve qu'on est mieux "représentés" tous ensemble que chacun de son coté » (Béatrice, 42 ans). Pour elle, le groupe est un moyen de se faire remarquer dans la sphère des fans: « on est plus "lourd". [...] si tu lui dis a la fin d'un concert "ouais salut je suis bidule de MWS24(*)"... je ne vois pas l'intérêt. Par contre si tu es présent sur un forum avec je sais pas combien d'autres, là ça devient intéressant [...] je pense que l'artiste est beaucoup plus touché de voir qu'il a 2000 fans sur un forum, fans qui se connectent tous les jours ou presque, que de voir un fan qui le suit partout »; « ça nous donne une identité, il nous reconnait en tant que fans français et il sait qu'on est actif » (Aurélie, 28 ans).

Parallèlement à ce partage, le temps qui y est passé finit par créer des liens plus importants entre membres, certains devenant même amis dans la vie, grâce aux rencontres lors des différents concerts: « c'est super de partager ensemble des concerts, de pouvoir créer des amitiés sincères » (Lucinda, 24 ans); « j'ai pu y rencontrer plein de gens qui sont devenus mes amis et avec qui je fais désormais les concerts » (Delphine, 29 ans). Les concerts deviennent ainsi non seulement l'occasion de voir leur idole, mais aussi de partager ce moment avec leurs amis: «au fur et à mesure je ne venais plus que pour Mika mais aussi pour être avec des gens que j'apprécie[...] c'est intimement lié je pense » (Elodie, 20 ans); « L'importance de cette communauté et d'y appartenir est surtout dans le fait de se retrouver aux concerts, d'échanger sur un terrain commun puisque nous y sommes tous pour la même raison. Au delà de ça, de vrais amitiés se sont nouées et ça c'est plutôt sympa » (Sylvie, 42 ans); « pour Bercy, c'est pas pratique pour moi et je vais être en gradins, mais j'y vais aussi et surtout pour voir du monde et me passer une soirée sympa. Tout ça contribue à une sorte d'équilibre pour moi ! » (Déborah, 23 ans). De même, certains membres ne se rencontrent plus seulement par le biais des concerts, mais aussi en dehors: « Mika c'est un coup de coeur musical à la base qui s'est transformé en une belle aventure humaine, des gens du forum sont devenus de vrais amis pour moi, on se voit en dehors des concerts » (Elodie, 20 ans); « exemple de l'Écosse : s'il n'y avait pas eu de concert de Mika, j'y serai allée volontiers avec les membres du forum pour des petites vacances » (Déborah, 23 ans).

Le forum n'est plus un simple site d'information sur Mika, il devient le lieu de discussions entre amis, comme en témoigne les différents topics qui ne sont pas consacrés à Mika, et où chacun peut partager des moments de sa vie quotidienne. Le site communautaire devient réseau social, et permet de se retrouver pour discuter de tout et de rien: « le forum j'y vais autant pour discuter avec mes amis, participer aux conversations (sur Mika ou pas) que pour avoir de nouvelles infos, j'aime y passer mes soirées, ça me relaxe » (Delphine, 29 ans). Elle ajoutera d'ailleurs l'importance de la bonne entente du groupe: «s'il n'y avait pas cette ambiance là, je passerai moins de temps sur le forum, il faut l'avouer! »; « si je ne me sentais pas bien sur ce forum, si je ne m'entendais pas bien avec les gens, je n'y serai pas si souvent, ça joue [...] On reste en quelque sorte attaché à ce bout de web » (Elodie, 20 ans).

Un groupe d'influence

La communauté des fans va ainsi devenir un groupe d'influence dans le comportement du fan. En effet, le groupe va jouer le rôle de meneur, invitant indirectement le fan à s'investir davantage envers Mika. Le forum tout d'abord oblige à une présence régulière, car pour faire partie d'un groupe, il faut savoir ce qu'il s'y passe. Ainsi, si les absences se font trop régulières, beaucoup d'informations ne sont plus d'actualité. C'est notamment le cas lors des passages à la télévision, où les avis se multiplient très peu de temps après la diffusion, voire pendant la diffusion même.

Comme le dit très justement Howard Becker, citant lui-même Mead et Blumer, « les gens agissent ensemble. [...] Ils font ce qu'ils font avec un oeil sur ce que les autres ont fait, sont en train de faire, ou sont susceptibles de faire dans le futur25(*) ». Cela se vérifie surtout pour les concerts, où le fait de voir de nombreuses personnes multiplier les spectacles peut conduire les fans à faire de même, provoquant un effet « boule de neige ». Ainsi, les individus peuvent vouloir renouveler l'expérience, faite de bons souvenirs, et commencer à enchaîner les dates. C'est ainsi que beaucoup parlent de cette influence sans pression, puisque rien n'est obligatoire, et personne n'est jugé en fonction de ses activités au sein du forum. Pour Lucinda (24 ans), « les voyages et les concerts sont surtout motivés par l'effet groupe », elle-même avouant: « au départ j'adorais vraiment Mika, j'aime toujours d'ailleurs, mais seule je n'aurais jamais fait autant de concerts et de voyages ». Aurélie (28 ans) aussi a vu en quoi les autres membres ont un effet entraînant: « quand on est plusieurs, on a tendance a "s'entrainer" pour faire tel ou tel concert et mes parents sont super conciliants là dessus, puisqu'ils font la même chose avec Indochine, donc à force de faire plusieurs concerts, à essayer de venir tôt pour être le mieux placé possible, tu te prends forcement au jeu ». Déborah (23 ans) a remarqué elle aussi cette influence: « Ce genre de forum, c'est très "dangereux" dans le sens où tu te laisse facilement influencer par les autres et toi aussi tu veux participer à tout ça... c'est entrainant mais c'est ce qui est grisant en même temps [...] Alors que si on n'était pas sur le forum, on se poserait même pas la question ! ». De même, Delphine (29 ans) avoue que si elle s'était moins bien entendue avec les membres du forum, « ça serai différent, j'aurai moins fait de concerts ». Pour Déborah aussi, faire partie d'un groupe de fan a été déterminant dans sa façon d'être fan: « Si je ne m'étais pas intégrée à une communauté et sur ce forum, je n'aurais jamais été fan à ce point...ça c'est sur ».

Il existe ainsi une sorte d'interdépendance entre les fans: on devient fan alors on discute avec d'autres, et ensuite on est et on demeure fan parce que l'on discute, et que l'on partage de bons moments avec eux qui nous incitent à en partager d'autres.

Manifestations de la solidarité et de la solidité du groupe

L'appartenance à un forum se doit d'être distinguée, en tout cas lors de certains concerts, par des signes distinctifs, afin de montrer à Mika l'importance de la communauté des fans. Cette possibilité leur est offerte de se distinguer du reste du public lors des concerts. C'est alors que des signes distinctifs sont mis en oeuvre, pour « ressortir » davantage que les autres, qui sont divers. La principale constitue à ce que la plus grande partie se place lors des concerts au premier rang, et de multiplier les concerts afin d'être reconnu par l'artiste. Mais cela passe aussi par exemple par des distinctions « physiques »: maquillage, vêtements,..., et « matérielles »: badges du Mikawebsite, bracelets fluorescents, banderoles, et divers cadeaux offerts (books, et des opérations spécifiques au forum, comme par exemple un journal de fausses informations sur Mika et son groupe). Ces manifestations ne se font pas seulement dans le cadre du concert ou de la rencontre de l'artiste, mais aussi grâce à la proximité instaurée par le net, directement sur cette plateforme (c'est le cas par exemple de clips organisés entre membres sur des chansons de Mika, mais aussi, au-delà des fans du forum, à organiser des chorégraphies entre fans du monde entier diffusés sur Internet): « je trouve que c'est une communauté assez forte qui a fait de beaux projets! Il y en a un peu moins aujourd'hui, mais nous avons eu de belles bannières, de très jolis books, des dessins, des chansons, des vidéos...Une forte complicité est née entre les membres, et Mika aime ses fans français. Je suis fière d'en faire partie » (Aurélie, 28 ans).

Dans le cadre du forum, on remarque aussi l'instauration d'une certaine solidarité. Par exemple, toujours lors de l'organisation des concerts, des topics sont crées pour faire face à diverses demandes: un topic spécial est dédié à la vente et à l'achat de billets, afin d'éviter à certains fans de devoir payer trois fois le prix de départ d'une place; sont organisés la liste des membres venant aux concerts, afin de se donner des points de rendez-vous; il s'agit aussi d'aider ceux qui viennent de loin à pouvoir dormir chez un autre membre lorsque cela est possible.

L'expression la plus probante de cette solidarité s'est exprimée notamment lors de deux concours pour gagner des places de concerts privés. En effet, lors du premier concours, la solidarité de certains membres qui se sont organisés pour aider d'autres fans n'ayant pas gagné a permis de faire venir la quasi-totalité de ceux voulant venir. Ce fut de même pour le second, organisé par le biais de la marque « Coca-cola » sur la base de votes (sur des bouteilles créées sur un site internet), où tous les membres votaient pour tout le monde, même sans être certains de l'utilité de ces votes, afin d'avoir le plus de chance possible de gagner. De plus, pour ceux n'ayant pas assez de votes, un groupe a même été crée sur facebook pour qu'ils puissent récolter plus de votes! De même, un membre a même téléphoné à un responsable afin de distribuer quelques places à des fans, permettant à ceux n'ayant pas gagné par le concours de pouvoir y aller quand même. Et comme en témoigne encore une fois Aurélie, illustrant mes deux exemples, « je trouve qu'en groupe, on est "plus fort". C'est un peu cliché, mais regarde, on a pu avoir des places pour la Jam et pour le concert privé ». Ainsi, les fans arrivent à faire preuve d'une grande détermination, et d'un grand soutien entre eux, afin que le concert puisse se passer dans la meilleure ambiance possible, et génère d'autant plus de bons souvenirs.

B) Mais réduisant son individualité

Des tensions inévitables

Faire partie d'un groupe signifie à la fois d'accepter d'être assimilé à une somme d'individus, sans pour autant se distinguer d'autrui, mais c'est aussi devoir composer avec des personnes de caractères différents. Concernant ce dernier point, nous pouvons remarquer que la communauté des fans est identique à chaque groupe existant, elle ne peut exister sans conflits: « je pense que ce genre de tensions sont inévitables car au sein de ces communautés, il y a de fortes personnalités, des gens avec des caractères différents et plus ou moins compatibles. » (Déborah, 23 ans); «Je pense que tout le monde ne peut pas s'aimer. C'est normal, c'est comme dans la vraie vie, chacun a son caractère. Les tensions sont normales. » (Lucinda, 24 ans).

Béatrice (42 ans): «ce que j'ai remarqué, sur le MWS ou sur le forum de Bruel, c'est qu'il y a une espèce de compétition entre les filles : c'est à dire qu'elles se "battent" pour être reconnues à la sortie. Enfin sur le MWS moins quand même que sur le MFC26(*) [...] je trouve que sur le MWS on a pas trop à se plaindre, on forme un bon groupe même si parfois ca pète entre certaines! Par contre sur le MFC c'est beaucoup plus virulent »; Sylvie résume ainsi le public des forums de cette manière: « En fait je crois qu'il y a 2 catégories dans les forums : ceux qui sont là pour partager leurs expériences de concerts et autres, et ceux qui sont là pour approcher Mika à tout prix, essayer de trouver des infos exclusives, son adresse comme il y a pas longtemps, ce sont souvent des arrivistes hélas mais je ne citerai pas de nom ! ».

Mais bien souvent, au sein du forum que j'ai étudié, il ne s'agit que de divergences d'opinions qui n'ont pas été nuisibles à l'ambiance du groupe, comme le résume Delphine (29 ans): « il y en a toujours eu [des tensions], mais jamais bien méchant et tout le monde fait des efforts pour que quand on est tous ensemble ça se passe le mieux possible ». De même, Lucinda (24 ans), est «contente de faire partie d'un groupe que je trouve légitime et dans l'ensemble intelligent et cohérent»; «  Je pense qu'on n'a pas trop à se plaindre et que la communauté de fans de Mika est globalement agréable » (Déborah, 23 ans).

Mais il arrive qu'entre les forums même, une rivalité s'installe, sans forcément connaître les causes réelles de cette mésentente. C'est le cas notamment entre les deux principaux sites français de fans de Mika : Mikawebsite (que j'ai observé), et Mikafrance. Bien sûr, tous les fans des deux forums ne sont pas concernés, et une certaine quantité sont d'ailleurs inscrits sur les deux. Ainsi, savoir les causes réelles qui ont amené à cette « division » ne m'ont pas paru intéressantes, du fait en premier lieu qu'elles ne me sont pas réellement connues. Mais c'est surtout parce que ce qui m'intéressait était de savoir comment des fans appréciant la même chose, mais tout simplement étant sur deux forums différents ne s'entendaient pas toujours. Malheureusement, lors de mes entretiens, la réponse était bien souvent difficilement connue: « je ne l'explique pas justement ... je ne comprends pas... je pense à des jalousies, même si je ne vois pas de quelles jalousies il s'agirait, mais l'écart se creuse de plus en plus sans que personne ne sache pourquoi... c'est juste navrant et puéril... » (Delphine, 29 ans). Seule Déborah (23 ans), a avancé l'idée que les fans inscrits sur les forums de Mika étant majoritairement féminines, cela ait pu influencer les conflits, du fait qu'elles s'énerveraient plus facilement entre elles: « En plus, il y a le facteur jalousie qui peut jouer et puis, c'est une communauté composée principalement de filles, donc ça peut jouer ! [...] ça se crêpe plus le chignon que les garçons ! ».

Par ailleurs, Lucinda (24 ans), trouve dommage ce genre de tensions: « Ce que je trouve ridicule, c'est de continuer une guéguerre débile entre forums ou entre les personnes. Il suffirait juste de s'ignorer ou d'arrondir les angles pour éviter les conflits. Mais de se faire la gueule, je trouve ça con, on est tous dans le même panier, tous là pour la même chose, on aime tous le même artiste. Je suis pas du genre à faire la guerre » (Lucinda, 24 ans). Ainsi, le constat est le même pour tous: l'inutilité de ces tensions entre forums, ce qui leur est regrettable: « Pourquoi se croire supérieur à l'un ou à l'autre... on est tous fans du même type, c'est bête de se "bouffer" entre nous » (Béatrice, 42 ans).

Des stratégies de différenciation

Les fans étant assimilés à un groupe ont certes plus de reconnaissance auprès de l'artiste, car justement, composant un grand nombre de personnes, mais cela se fait au détriment de leur reconnaissance individuelle.

Mais tout d'abord, les individus du forum vont chercher à se distinguer en tant que groupe des autres fans de Mika: « En ce qui concerne les "projets" qu'on a pu faire pour lui, je crois que c'est simplement une façon d'essayer d'attirer son attention sur nous et de lui faire plaisir aussi. Parce que mine de rien, on est nombreux maintenant à le suivre et c'est vrai que ça a un côté frustrant de l'apercevoir à chaque fois sans réussir à le capter, et faire une banderole, un book, un cadeau etc, permet d'attirer son attention sur nous pour enfin essayer d'entamer une relation privilégiée » (Lucinda, 24 ans). Et comme nous l'avons vu dans la première partie, le fait que Mika fasse monter certains de ses fans sur scène est aussi perçu comme une reconnaissance de leur existence, ainsi qu'un remerciement de leur soutien. Cependant, Lucinda reste consciente des limites de cette reconnaissance: « mais bon, on se voile pas la face non plus, ce ne sera jamais mon ami (est-ce que j'ai vraiment envie qu'il le devienne un jour...pas sûr), et il garde une part de mystère qui nous donne encore envie d'en savoir plus ».

Par ailleurs, les fans en eux-mêmes souhaitent construire une relation privilégiée avec l'artiste, ou du moins, partager un moment unique avec lui. En effet, cela se vérifie notamment lors des concerts, lieu de communion avec l'artiste, qui comme le souligne Christian Le Bart, est paradoxal, puisqu'en même temps que l'on est heureux de trouver un entre-soi permettant d'affirmer son identité auprès de semblables, les fans se rendent compte qu'ils ne sont pas seuls à aimer l'artiste, que des milliers d'autres sont exactement dans la même situation, et ont eu la même impression d'avoir un lien unique avec lui. Ainsi, « autant la rencontre d'un semblable rassurait sans vraiment menacer l'entreprise de singularisation, autant la contemplation de la tribu des milliers de semblables apporte la preuve déprimante que [les Beatles] l'artiste n'est pas à soi, que l'on n'est personne en face d'eux, que le « je » est toujours un « nous » qui s'ignore »27(*). Bien sûr, la réalisation de cela ne se fait pas toujours de façon décevante, mais le fan se rend compte de la difficulté d'être reconnu parmi la masse de la communauté: « tu passes individuellement plus inaperçu » (Béatrice, 42 ans). Lucinda (24 ans): « ça nous enlève aussi une certaine individualité, on est plus des individus mais on nous voit uniquement comme un groupe. C'est aussi pour ça que certains d'entre nous ont envie de se démarquer. Certains voudraient être remarqués pour eux même et pas forcément comme un groupe. Tout le monde est un peu égoïste quand même parce qu'on a besoin d'exister pour soi »; Aurélie (28 ans): « franchement, c'est une chose qui me dérange un peu parfois. Le fait que l'on restera toujours une personne parmi tant d'autres pour lui, alors qu'il occupe beaucoup de nos pensées, de notre énergie ».

Ainsi, ils vont logiquement avoir des comportements cherchant à capter l'attention de l'artiste, à un degré très faible, et qui n'aura pas forcément un grand impact sur la durée, mais qui sera source de satisfaction pour le fan. En effet, c'est l'occasion pour le fan d'avoir sa propre expérience dans sa relation avec Mika, même si c'est de l'ordre de l'infime. C'est ainsi que Lucinda (24 ans), est consciente de ces différentes stratégies mises en place: « c'est pour ça qu'on recherche l'eye contact, ou que certains ont fait ou font encore des projets de banderoles, de book, offre des cadeaux, essaye de parler personnellement à Mika etc ». Même si elle s'est aperçue en même temps de la relative inefficacité de ces méthodes: « C'est minuscule, la preuve, on passe encore pour un groupe. Mais ce sont des tentatives ».

D'ailleurs, la principale méthode consiste à être au premier rang, afin, d'une certaine manière, d'avoir davantage l'impression d'être en phase avec l'artiste: « Il y a une atmosphère différente au premier rang, on se sent "plus dedans", comme si on faisait limite partie du spectacle » (Lucinda, 24 ans). Cela va à l'inverse d'un des témoignages de Christian Le Bart, qui était au milieu de la foule lors d'un concert, et a eu l'impression de ne pas faire partie du spectacle, et donc s'est certainement davantage rendu compte de l'importance de la communauté des fans, et de combien il n'était pas « seul » dans sa relation aux Beatles28(*). Cependant, dans mes entretiens ne s'est pas fait sentir cette mauvaise expérience lors des concerts, au contraire, les qualificatifs ne manquaient pas pour décrire les souvenirs liés aux spectacles.

Par ailleurs, à ma propre décharge, je ne peux que confirmer le constat de cette recherche d'attention auprès de l'artiste, puisque moi-même lors de mon premier concert, j'étais aussi au premier rang, et j'ai recherché ce « eye contact ». Ainsi, lors de mon entretien avec Lucinda, elle a tout a fait compris mon comportement, puisqu'elle même le reproduit (« t'inquiètes moi aussi j'aime le "eyes contact"! »). De même, Aurélie a la chance de ne pas être totalement anonyme dans la masse des fans, comme elle en témoigne ici: « à Londres, pendant l'after party il m'avait dit: "tu sais que je te reconnais?" bon, j'étais très surprise, mais c'est pas étonnant vu qu'il connait aussi Biche [Delphine] et qu'on était tout le temps ensemble pendant tous les concerts ».

Lorsque j'ai demandé par la suite quelles sont les raisons qui peuvent pousser à chercher à se démarquer des autres, il s'agit surtout de la recherche de reconnaissance qui prime, en témoigne ce long extrait d'entretien: « je pense qu'on donne tellement (financièrement, physiquement, moralement etc) qu'on aimerait avoir un peu en retour! [...] On espère avoir un peu d'importance à ses yeux, comme il en a pour nous [...] on a l'impression d'avoir fait tout ça pour quelque chose [...] même sans forcement parler de Mika on cherche tous un peu de reconnaissance, et ici d'autant plus qu'on fait des gros efforts! » (Lucinda). Plus simplement, il s'agit pour les fans de signifier leur existence, et lors d'un échange (autographe, eye contact, cadeau offert,...), d'avoir l'impression d'être reconnus, uniques, même si ce n'est que de l'ordre de quelques secondes.

Néanmoins, Béatrice m'a expliqué qu'elle ne ressentait pas tellement ce besoin de se démarquer des autres. Ainsi, l'un des moments les plus significatifs permettant au fan de se démarquer est notamment la fin du concert. En effet, c'est là que les fans attendent impatiemment la sortie de l'artiste afin d'avoir un autographe, une photo, mais c'est aussi l'occasion d'échanger quelques paroles. Et ainsi de pouvoir être un individu singulier au milieu de la foule des fans. Mais pour elle, ce besoin de reconnaissance ne se fait pas ressentir, peut-être du fait de sa maturité, liée à son âge (42 ans) et à sa situation familiale (mariée et mère de trois enfants), et ainsi ayant d'autres priorités. « Si tu veux, pour moi, lui parler ne va rien m'apporter [...] je pense que ce n'est pas ce que je recherche auprès d'un artiste car lui ne se souviendra de toute façon plus de moi dans les 30 minutes qui suivront. C'est pas un échange pour moi, pour moi le plus important c'est d'être là sans m'imposer à lui. Je pense que par le fait d'acheter et d'écouter un album, l'artiste sait déjà que tu existes ».

Nous pouvons donc dire que l'un des éléments qui va marquer durablement la carrière de fan est son engagement dans la communauté, par le biais notamment de l'inscription dans un forum d'admirateurs. Si la découverte de Mika, et le fait pour certains de l'avoir vu en concert ont été déclencheurs de la carrière du fan, la manifestation réelle de celle-ci se fait par cette inscription. Tous les individus appréciant un artiste ne s'inscrivent pas nécessairement à un forum de fan, ainsi, le besoin de partager ses ressentis, son expérience, va pousser l'individu à vouloir communiquer avec des personnes ayant vécu quelque chose de similaire. Même si l'inscription se fait au départ moins dans le but de ce partage que dans la recherche d'informations (comme nous l'avons vu précédemment), très vite ce besoin se fait ressentir, permettant une implication plus grande, et des connections plus fréquentes. Bien sûr, les personnes s'inscrivant au forum ne restent pas toutes aussi longtemps que celles que j'ai interrogées (pour des raisons qui peuvent être très diverses, mais auxquelles je ne me suis pas intéressée), distinguant sur la durée ceux qui participent le plus dans les relations avec autrui. Tout comme le précise Christian Le Bart, « dans la petite société des fans, chacun est reconnu comme tel pour autant qu'il accepte de reconnaître les autres comme tels: il s'ensuit logiquement un jeu à somme positive dans lequel chacun a intérêt à rentrer »29(*). C'est à partir de là que le fan va prendre conscience de son engagement plus important envers Mika, du fait que la communauté des semblables va avoir un effet de miroir sur son propre comportement: « Mais surtout je pense que ce qui fait que je me considère plus fan que quelqu'un qui apprécie juste sa musique c'est mon implication aussi bien sur le MWS que sur le fan club officiel... » (Déborah, 23 ans).

« La communauté des fans se veut finalement ouverte, démocratique, égale et fraternelle, conformément à la logique des sociabilités adolescentes contemporaines. Le leadership y est discret, chacun doit demeurer maître de ses choix, l'intégration doit servir la recherche identitaire, elle ne doit pas l'écraser sous le poids de normes rigides »30(*). Ainsi, les individus s'aperçoivent de leur proximité avec les autres membres du forum, et vont avoir le sentiment d'être compris, donnant l'impression d'un entre-soi, sans être totalement enfermés dans un sectarisme, et permettant à chacun d'adopter son propre comportement de fan en fonction de son ressenti: « J'avoue que le terme communauté ne me plaît pas car ça fait trop sectaire et fermé, alors je préfère ne pas me sentir appartenir à une espèce de communauté quel qu'elle soit [...] même s'il y a forcément un peu de ça, mais ce n'est pas volontaire » (Delphine, 29 ans).

Mais si faire partie d'un groupe de fans se révèle souvent nécessaire afin de se retrouver dans un entre-soi, tout groupe ne pouvant exister sans conflit, il arrive qu'ici aussi, des frictions puissent se produire, que ce soit entre les fans d'un même forum, ou entre deux forums différents, et de plus ou moins grande importance en fonction du (ou des) forum(s) impliqué(s).

De même, faire partie d'un groupe suppose de céder un fragment de sa propre personne afin de favoriser l'ensemble de celui-ci. Ainsi, chacun ne pouvant exister seulement à travers une communauté, les individus vont chercher à mettre en place certaines stratégies individuelles, afin de créer sa propre relation avec Mika. En effet, si au départ, le fan se crée une relation « virtuelle » avec l'artiste du fait du contexte personnel dans lequel il l'a découvert, la confrontation avec des semblables le fait réaliser que tous ont vécu une expérience similaire à la sienne. Il va ainsi chercher à se distinguer à la fois à partir du forum, mais aussi individuellement, en essayant de faire partie de la vie de Mika, même si cela n'est que le temps de quelques secondes. Néanmoins, cette recherche là n'est pas comme nous l'avons vu le fait de tous, et se fait rarement dans le cadre d'une compétition qui amènerait des tensions entre fans, même si cela reste possible, notamment entre les forums.

Nous allons donc passer à présent à la dernière partie de la recherche, intitulée « Se dire fan : une identité à la fois affirmée et mitigée ». Comme nous avons vu que les fans prennent conscience de leur statut notamment à travers l'inscription au forum, nous allons voir de quelle façon ce dernier est assumé. En effet, nous allons nous apercevoir que se dire fan, et s'affirmer comme tel est ''plus facile à dire qu'à faire'', du fait notamment de l'image négative qu'en ont les individus. De même, la confrontation du passionné avec sa vie quotidienne, le ramène sans cesse à ses autres identités (professionnelle, familiale,...), l'empêchant d'exercer pleinement sa passion. Nous verrons ainsi deux facettes du fan: l'une assumée, et une autre davantage nuancée.

PARTIE III/ Se dire fan: une identité à la fois affirmée et mitigée31(*)

Lorsque le fan prend conscience de son statut, il va être confronté à différentes identités qui vont devoir cohabiter: à la fois celle de passionné, mais aussi toutes celles qui interviennent dans la vie quotidienne (professionnelle, familiale,...), et qui ne peuvent pas forcément entrer en interaction. Le fan reste ainsi surtout fan dans la sphère privé, même si ce statut peut ressortir dans la sphère publique, notamment lors des concerts. De même, si le fan peut vouloir s'investir de façon importante dans sa passion, nous verrons que le cadre dans lequel il vit le rappelle sans cesse à ses responsabilités, provoquant ainsi un paradoxe entre ce qu'il souhaite faire, et ce qu'il peut faire pour assouvir ses envies.

De même, nous verrons que le fan est confronté au regard d'autrui, qui ne comprend pas forcément le comportement adopté par celui-ci et qui peut le stigmatiser de façon plus ou moins forte. Mais nous remarquerons aussi que le fan lui-même stigmatise ceux qu'il considère comme davantage dans l'excès, tout en ayant conscience des siens, mais qu'il considère comme rationnels parce qu'il possède un certain recul sur ses activités. Ce qui apparaît comme contradictoire se révèle donc comme logique au vu des entretiens effectués, et comme le précise David Muggleton: « Affirmer, de l'extérieur, que les gens se définissent de façon contradictoire, c'est ignorer que les contradictions apparentes peuvent être perçues, de l'intérieur, comme parfaitement logiques »32(*).

Ainsi, nous pourrons voir que la difficulté de s'assumer en tant que fan vient presque davantage d'un problème de vocabulaire employé et de définition inhérente à celui-ci que du comportement réellement adopté.

Dans cette partie, nous verrons donc dans un premier temps que le statut de fan est assumé, du fait du comportement adopté, puis dans un second temps nous verrons que les fans se distancient de cette passion, afin de montrer que leur personne ne se résume pas qu'à une identité de fan, et vont ainsi chercher à se distinguer des fans jugés trop excessifs dans leur comportement. De plus, nous allons voir qu'être fan n'est pas toujours facile à assumer, car renvoyant à tous les stéréotypes qui lui sont associés, et enfermant de ce fait les individus dans des catégories.

A) Un statut que l'on affirme...

Say what you want to satisfy yourself

But you only want what everybody else says you should want

(Mika, Grace Kelly, Life in Cartoon Motion, 2007)

Un investissement plus important que la moyenne...

Dans un premier temps, du fait des comportements adoptés et de l'investissement pour Mika, les fans ne peuvent que confirmer leur statut et l'assumer, puisque indéniablement, ils reconnaissent s'investir davantage que les personnes qui aimeraient juste Mika.

Ces comportements adoptés les amènent à assumer ce statut, du fait que justement, ils se démarquent de ceux qui apprécient juste un artiste, en s'intéressant davantage à lui. Ainsi, j'ai choisi d'étudier plus précisément deux types de comportements qui confirment cela: la recherche et la connaissance d'informations sur l'artiste (biographie, actualité, signification des chansons,...), mais aussi tout ce qui est en lien avec les dépenses diverses, que ce soit d'argent - objets dérivés, albums, DVD de concerts, les concerts,... - ou de temps (passé à écouter la musique, sur internet,...). Dans l'ensemble des entretiens effectués, le constat est ainsi le même: l'investissement du fan est beaucoup plus important que celui de l'admirateur classique: « je suis consciente que je suis dans un certain extrême, je ne suis pas une admiratrice lambda » (Lucinda, 24 ans). Et comme le résume Sylvie (42 ans), « Disons que l'investissement est à la hauteur des qualités que je lui trouvais ».

Néanmoins, lors de tous mes entretiens, je n'ai pas rencontré les six formes légitimes et stigmatisées de la passion de Christian Le Bart33(*). En effet, cela s'est notamment ressenti lorsque j'ai demandé sur quoi portaient leurs différentes dépenses, dans tous mes entretiens j'ai obtenu des réponses similaires, à savoir très peu de dépenses de merchandising, l'argent étant dépensé dans l'essentiel: les albums et DVD, ainsi que dans les places de concerts, et tout ce qui y est annexe (hébergement, frais de déplacements,...). Ainsi, on ne retrouve pas la posture dominée du collectionneur, puisque peu achètent des objets dérivés, et d'autant plus qu'ils n'en voient pas l'utilité: « Je trouve que le merchandising n'a aucun intérêt » (Lucinda, 24 ans); « j'ai acheté le disque en or de We are golden, j'ai l'EP34(*), j'ai 2 fois le The boy who knew too much car il y avait la chanson bonus en plus. Non j'ai pas une très grande collection, mais c'est pareil, c'est pas un truc primordial pour moi » (Béatrice, 42 ans).

Nous pouvons donc voir dans une certaine mesure que, si l'on reprend ces six profils, la forme stigmatisée de la groupie est indirectement présente, même si le but ici n'est pas réellement la rencontre personnelle avec l'artiste (l'attachement de la groupie pour l'artiste chez Le Bart s'exprimant « à travers le désir intense de rencontrer celui-ci, de le rencontrer seul à seul, comme pour suspendre un moment la hiérarchie (à laquelle on adhère d'ailleurs) qui fait du musicien une star et de soi un anonyme obscur »35(*)), mais plutôt de voir de nombreuses fois ses prestations scéniques. Multiplier les concerts étant pour la plupart le plus important, la majorité dépense leur budget dans cette activité, et ainsi pas ou peu pour le merchandising: « Pour les objets dérivés, pas vraiment ! Je claque déjà assez pour les concerts. J'achète CD, DVD. Ensuite, j'ai toujours adoré son univers artistique, donc j'adore les affiches de concert, de promos de CD... donc ça oui. Mais le reste, non » (Déborah, 23 ans); « pour les concerts oui36(*) (car faut aussi compter les déplacements et hébergements) mais ensuite non, je ne suis pas du genre collectionneuse a acheter les produits dérivés etc, j'ai juste le minimum à savoir, DVD et CD et quelques posters souvenirs de concerts mais c'est tout » (Delphine, 29 ans); « je n'achète pas du tout de merchandising, à part les CD, EP, etc. Enfin ce qui concerne la musique quoi, et les concerts évidemment » (Lucinda, 24 ans); « Je n'achète pas d'objets dérivés, je dépense déjà suffisamment dans les concerts (c'est un sacré budget entre les places, les transports, les hôtels, la nourriture sur place....) » (Aurélie, 28 ans); « J'ai pas de trucs de merchandising, et que le premier album » (Elodie, 20 ans).

De la même façon, les concerts vont devenir quasiment indispensables pour la plupart d'entre elles, devenant presque une forme d'addiction. En effet, les fans, au fur et à mesure des concerts, vont multiplier les bons souvenirs non seulement de la prestation de Mika, mais aussi d'avec les membres du forum. Ainsi, comme nous l'avions vu dans la deuxième partie, le groupe de fans influence partiellement cette envie de retrouver la même ambiance, la même atmosphère, et beaucoup vont donc se retrouver à rechercher cela: « c'est dépaysant et très agréable, et c'est un cercle vicieux, parce que du coup, on a des super souvenirs ensemble et quand l'occasion se présente on veut recommencer pour revivre ça, c'est alors qu'on se refait des bon souvenirs et hop on a re-envie de recommencer! » (Lucinda, 24 ans), « c'est quelque chose de bien, qui fait que même si tu es morte de fatigue après le concert et transpirante de partout, tu as apprécié et tu en redemandes » (Elodie, 20 ans). De même, Delphine (29 ans), explique le fait que si elle souhaite assister à plusieurs concerts, c'est parce qu'au fond, chacun est vécu comme un moment unique: « ayant pu le rencontrer plein de fois et monter sur scène avec lui font que chaque aventure est vécue différemment et on vit toujours des moments incroyables ». D'ailleurs, l'affiliation avec les effets des usages de drogues n'est jamais bien loin: « J'ai comme une envie perpétuelle de retrouver cet état de bien être que j'expérimente » (Déborah, 23 ans); ou est tout simplement explicité chez Lucinda (24 ans): « c'est une sensation étrange, ça peut être comparé à quelque chose comme l'adrénaline. Quand on va à ses concerts pour la première fois, on se sent heureux, comme une bonne drogue », mais aussi chez Sylvie (42 ans): « ça a été comme une drogue en quelque sorte. Une drogue qui fait du bien, plaisir à voir et à entendre ».

Comme précisé au début, les personnes interrogées estiment être davantage investies que ce qui leur semble être ''normal''. Lucinda explique: « je fais partie des gens qui en plus d'admirer un artiste, ont besoin de le voir » (même si plus tard dans l'entretien, elle ne parlera plus de besoin, mais simplement d'une envie: « je sais uniquement que lorsque j'entends sa musique, lorsque j'ai des nouvelles de lui, je ressens une "envie très forte" plutôt qu'un besoin, parce que je peux m'en passer sans soucis. Et du coup si sur le moment, je peux me le permettre je le fais »). De même, lorsque j'ai demandé à Delphine ce qui la séparait d'un simple amateur de Mika, elle me répondit que c'était du à « l'implication dans le forum, le nombre de concert (et l'argent dépensé qui va avec ...), prendre des vacances pour pouvoir suivre la tournée par exemple ». Il en va de même pour Elodie (20 ans): « je suis depuis deux ans sur un forum de fans [...], suis son actu, m'intéresse à ce qu'il fait en dehors de la musique même si je n'aime pas tout le temps et j'ai assisté à 10 concerts en deux ans », mais aussi pour Aurélie: « je pense être très impliquée par le biais du forum et de mon rôle de modératrice entre autre, et je me considère fan aussi par rapport aux personnes qui sont extérieures à cette histoire, et qui ne comprennent pas toujours pourquoi je fais cela ».

Néanmoins, la distinction se fait aussi à un niveau plus ''symbolique'', comme le montre Béatrice (42 ans), qui constate elle-même l'attitude différente qu'elle a entre Mika et les autres artistes qu'elle apprécie: « J'aime bien De Palmas, j'ai quelques CD mais pas tous et je ne l'ai vu qu'une fois en concert...je ne me considère pas fan. Je ne vais pas chercher des infos sur le net sur lui, ni sur ses tournées. Ça revient aussi a ce que je disais tout à l'heure à savoir : une musique ou des paroles te touchent ou pas ». Ainsi, l'implication ne se compte pas seulement au nombre de concerts effectués, ou de CD achetés, mais aussi à la connaissance de l'artiste, de son actualité, l'écoute de sa musique,... Ainsi, pour Déborah (23 ans), qui est devenue l'une des modératrices du forum, son implication au sein de celui-ci la distingue, mais aussi « parce que j'écoute sa musique plus que la moyenne des autres artistes que j'aime ! Que j'ai fait la démarche de m'inscrire sur un forum de fan, sur lequel je suis très impliquée puisque je suis devenue modératrice grâce à mon assiduité !! Et parce que je me tiens à la pointe de ses actualités, et j'essaie de me rendre aux plus de concerts possibles ! Je pense qu'une personne qui apprécie juste sa musique ne ferait pas tout pour faire plusieurs dates de concerts, ne chercherait pas à s'informer de toutes les actus... Mais surtout je pense que ce qui fait que je me considère plus fan que quelqu'un qui apprécie juste sa musique c'est mon implication aussi bien sur le MWS que sur le fan club officiel... ». De la même manière, lorsque j'ai demandé à Delphine (29 ans), ce que signifiait pour elle être fan, elle me répondit: « Admirer un artiste au point de s'inscrire sur un (des) forums le concernant, économiser pour suivre l'artiste en concert, bref consacrer du temps (et de l'argent pour ceux qui le peuvent, qui ont un travail) à cet artiste, s'informer de tout et presque tout connaitre sur l'artiste en question ».

Le dernier point commun à tous est l'écoute de Mika, qui est ressentie et écoutée quasiment de la même façon, que ce soit lors d'une écoute volontaire ou non. Les personnes interrogées se sont aussi reconnues en partie comme fans, parce que la façon d'écouter les chansons de Mika sont différentes des autres individus, elles ont conscience que leur rapport à cette musique en particulier est différente des autres.

Ainsi, pour elles, il n'existe pas de moments particuliers pour écouter, tous les moments sont bons. Quelque soit l'instant, l'humeur ou le lieu, l'écoute se fait sans lassitude particulière: « j'écoute beaucoup Mika dans la voiture ou dans le train car je fais beaucoup de route!! Quand c'est en voiture, je chante, dans ma douche aussi! » (Déborah, 23 ans). Pour Béatrice (42 ans) aussi, tous les moments ou presque sont bons: « Mika c'est dans ma voiture (toujours), quand je suis sur l'ordi et que j'ai des choses pas trop importantes à faire et quand je suis seule (si mon mari bosse à côté je lui laisse mettre sa musique). Quand je bosse (je suis décoratrice sur bois) je mets toujours virgin17 je suis sûre de voir au moins un clip [...] sinon, quand on dort ailleurs qu'a la maison (hôtel, amis...) j'ai mon mp3, et aussi quand je fais le ménage (ça donne la pêche) »; « c'est soit quand je me balade avec mon mp3 ou sinon quand je suis sur le PC, que je surfe ou bosse » (Elodie, 20 ans); « la plupart du temps c'est soit en voiture, soit quand je suis devant l'ordinateur, et parfois avant de m'endormir, dans mon lit...même sous la douche » (Delphine, 29 ans); « Si je suis dans ma voiture, je chante assez fort! Sinon, je mets le CD pour prendre ma douche par exemple, histoire de démarrer la journée de bonne humeur. Si je l'entends à la radio, je monte le son » (Aurélie, 28 ans).

En effet, tout comme explique Antoine Hennion que le « goût ''dépend'' tout court [...], c'est d'abord un opportunisme du moment et des situations37(*) », l'écoute des chansons va dépendre de la même façon de tout un ensemble de situations diverses qui vont favoriser, ou une écoute attentive, ou une écoute plus distraite, qui accompagne le passionné: « je peux écouter attentivement ou non, ça dépend. Quand je veux me poser, j'écoute attentivement » (Déborah, 23 ans). De la même manière, le choix des chansons va dépendre de l'humeur du moment, de la situation vécue et des ressentis de la personne. Il s'agit d'une « quête du bon morceau au bon moment, de ce qui plaît dans cette situation, là, présente38(*) ». Pour Lucinda (24 ans), le choix des chansons vont aller de pair avec son humeur: « quand je me sens moyen, j'essaie de plutôt écouter des chansons gaies et quand j'ai le cafard c'est le contraire. Mais j'écoute très rarement un album entier ». Il s'agit de la même chose pour Béatrice (42 ans): « pour qu'une chanson me touche, il faut que la musique et que les paroles soient vraiment en symbiose avec ce que je pense à ce moment là ». Ainsi, les fans s'aperçoivent que quelque soit le moment de leur vie, Mika les accompagne, de façon presque inconsciente: « en général je fais d'autres choses en même temps, mais je peux aussi bien écouter attentivement quand je suis dans les transports par exemple ou le fredonner chez moi. Bref, il n'y a absolument aucune règle. Au contraire, sa musique m'accompagne tout le temps » (Lucinda, 24 ans); « je chante tout, par réflexe » (Elodie, 20 ans).

Et la joie associée à l'écoute non volontaire est la même pour tous, même si elle est vue par les fans comme peu rationnelle, et fait donc l'objet d'une auto-dérision, du fait que la norme veut que les réactions soient ''mesurées''. En effet, Déborah (23 ans), montre qu'elle est consciente que sa réaction est excessive par rapport à d'autre en plaisantant: « Et quand je le vois ou écoute par hasard, je suis excitée comme une puce ! C'est grave! », tout comme Béatrice (42 ans) qui se rend compte de l'irrationalité apparente de sa réaction: « c'est complètement bête, mais si je suis dans la voiture de mon mari, on écoute la radio et pouf, 9 fois sur 10 on entend Mika et là je suis super contente (alors que je l'écoute toujours sur le mp3 de ma voiture) »; « j'ai un sourire idiot sur le visage et je chante comme une gamine de 12 ans! » (Lucinda, 24 ans).

...mais des façons différentes de s'investir

Si, comme nous l'avions vu précédemment, la majorité semble s'investir à peu près de la même manière, il y a quand même des différences notables, que l'on pourrait mettre en lien avec la vie personnelle ou professionnelle des interrogés.

Pour expliquer cela, je vais m'appuyer sur un entretien qui va à l'encontre des six autres que j'ai effectué. En effet, Béatrice, notamment en ce qui concerne les concerts, n'est pas autant investie que les autres interrogées, en m'expliquant qu'elle n'en ressentait pas le besoin: « J'éprouve pas le besoin d'aller voir le même concert 20 ou 30 fois ». De même, elle ne se voit pas aller le voir à la sortie d'un concert ou prendre une photo avec lui, ce qui est à l'opposé de la posture de la groupie: «franchement je m'en fous, je fais partie des gens qui sont dans l'ombre mais qui sont là quand même [...] si tu veux, pour moi, lui parler ne va rien m'apporter». Ainsi, elle a établi le profil de celles qui seraient davantage présentes aux différents concerts39(*), ce qui montre que sa situation familiale et professionnelle ne lui permettent pas d'aller aux différents concerts, mais elle s'en explique: « moi je suis mariée, j'ai trois gamins de 14, 6 et 4 ans et j'ai un mari qui rentre tous les soirs a la maison, je ne me vois pas lui dire : tu te démerdes avec les gosses pendant 30 soirs durant les mois à venir parce que MOI je vais voir Mika. Je sais que certaines sur le forum ont eu des histoires avec leur mari parce qu'ils trouvaient qu'elles allaient trop souvent aux concerts ».

Effectivement, lorsque j'ai regardé le profil des autres personnes interrogées, la différence d'âge est beaucoup plus grande (les autres ont toutes entre 20 et 30 ans), et sont toutes célibataires (excepté Sylvie, qui a 42 ans et est mariée). Ainsi, l'âge et la situation familiale pourraient influencer la carrière du fan.

Elle s'est alors accommodée de cette situation notamment en adoptant une des formes légitimes de la passion: celle de l'érudit. « Ce qui me motive, c'est que je fais des recherches sur le net pour pouvoir monter le dossier le plus complet sur lui [...] MAIS je ne me sens pas moins fan que les autres parce que je ne fais pas tous les concerts ». D'ailleurs, elle-même trouve que son comportement tranche avec celui des autres fans, puisqu'elle ajoute « je ne suis sans doute pas normale! ». Ainsi, son engagement est différent puisqu'il porte davantage sur la connaissance de l'artiste, les significations de ses chansons, mais aussi sur les raisons qui l'ont poussé à les écrire: «je ne suis pas a vouloir savoir absolument ce qu'il mange au petit déj' ou s'il part en vacances avec 10 paires de chaussettes. Ce que je recherche plus c'est de savoir pourquoi il a écrit ça ou ça ». L'une des illustrations de cette posture adoptée, est lors de l'explication de la signification d'une chanson: « dans stuck in the middle, j'ai beaucoup lu (et je pense à tort) que c'était une chanson écrite pour une ex petite amie, mais quand on écoute bien, c'est à son père qu'il s'adresse, et ça je ne suis pas sûre que beaucoup de gens s'en soient aperçu ».

Néanmoins, les formes de la passion que peuvent avoir les fans peuvent varier en fonction des situations et peuvent aussi cohabiter. Elodie adopte deux postures différentes, puisqu'en même temps qu'elle assiste à de nombreux concerts (même si aujourd'hui, c'est beaucoup moins le cas), elle se défend d'adopter ce comportement uniquement pour lui, et pour de «mauvaises» raisons.

« Je saute de joie quand je vois que Imogen Heap collabore avec Mika parce que je suis fan d'elle depuis des années et non pas parce que c'est une nouvelle qui concerne Mika pour moi, mais elle ». Ainsi ici, la posture de groupie40(*) s'oppose en partie à celle de l'érudit. Il en va de même pour Béatrice, qui en partie du fait de ses contraintes familiales, ne peut pleinement participer à davantage de concerts, même si selon elle, ce n'est pas une situation contrariante.

Tout le monde est donc fan à sa façon. Au départ, il n'y a pas de réelles stigmatisations des fans en fonction de leur comportement. Pour les interrogées, chacun a le droit de s'assumer en adoptant les attitudes de leur choix, les raisons poussant à adopter tel ou tel comportement n'étant connus que du fan lui-même (même si par exemple les problèmes d'argent peuvent jouer un rôle, notamment pour ce qui concerne la « consommation »). Ainsi, pour Lucinda (24 ans), « chacun vit la chose à sa manière. Certains fans ressentent le besoin de se déplacer [en concert], d'autre pas forcément mais ça veut pas dire que ce sont des "mauvais" fan »; « je ne parlerai pas en nombre de concerts car c'est à l'appréciation de chacun, ça » (Elodie, 20 ans); « Il y a pleins d'ado qui ne peuvent pas aller au concert, ou qui ne peuvent pas acheter tous les CD, et je suis certaines qu'ils sont tout autant a fond que moi » (Aurélie, 28 ans).

Cependant, un entretien vient contredire cette constatation. Alors que toutes, même si elles ont établit des « critères », qui pourrait faire que l'on soit davantage fan qu'un admirateur classique, se considérer comme fan reste essentiellement une affaire de ressenti. Ainsi, que l'on s'investisse pleinement ou non a certes une influence sur le fait de se considérer comme fan ou non, mais le degré d'investissement demeure une décision personnelle. Or, Elodie se considère comme fan aux «3/4», car elle pense moins s'investir depuis quelques temps, notamment en ce qui concerne les concerts: « Je ne dirai pas à part entière étant donné que je ne prends pas part aux concours, etc (comme tu as pu voir sur le forum) et que je n'irai voir que des concerts dont les dates m'arrangent, que je ne ferai sûrement pas de festivals car je pars en août un an à Hambourg et économise mais je continue à venir quotidiennement en ligne donc je n'ai pas décroché ! »

B) Mais qui reste en partie mitigé41(*):

Une étiquette difficile à décoller

« Je trouve que les gens voit ça comme quelque chose d'un peu négatif d'être fan, comme si c'était un peu réservé aux ados » (Aurélie, 28 ans).

Néanmoins, même si dans le cadre de cette recherche, les fans semblent avoir une vision positive de cette communauté42(*), du fait qu'eux mêmes y appartiennent, j'ai pu observer qu'être fan n'est pas assumé devant tout le monde. En effet, même si les personnes interrogées se considèrent toutes comme fan à part entière, ce statut demeure davantage assumé devant les proches, en partie parce qu'il est difficile pour eux de passer à côté, et d'ignorer la passion de leur fille, femme, ou amie: « je ne dis généralement pas le nombre de concerts que j'ai fait, ni les rencontres ni tout ça, sauf pour ceux que je connais bien et qui connaissent ma fan attitude Mikanesque! » (Delphine, 29 ans); « ma famille, mes amis le savent » (Béatrice, 42 ans); «Mes amis le savent, ma famille aussi» (Déborah, 23 ans); « j'assume devant les gens de ma promo » (Elodie, 20 ans).

Les raisons qui font que même si elles se considèrent comme fans, elles gardent surtout cette identité dans la sphère privée, auprès essentiellement de la famille et des amis (et quelquefois aussi des collègues de travail) sont liées à un problème d'image extérieure. En effet, comme cela a été vu dans l'introduction, les fans sont associés aux adolescentes dont les premiers émois vont à l'acteur, au chanteur, qui ressemblera le plus à leur idéal masculin, ou à l'inverse aux ''vieux'' fans qui vouent un véritable culte à leurs idoles (on pourrait penser aussi aux fans de comics qui se déguisent de la même façon que leur super-héros). Il est d'ailleurs difficile de ne pas imaginer cela, même lorsque l'on est soi-même fan: « Pour moi être fan d'un artiste c'était un truc ringard, j'imaginais les fans de Johnny ou de Cloclo, les hystero complètement barge. Mais bon, faut croire que tout le monde est différent » (Lucinda, 24 ans).

« Je ne sais pas, c'est comme s'il y avait quelque chose qui me gênait dans l'interprétation qu'on peut en avoir. Quand on me demande "t'es fan de Mika ?" je réponds que je l'aime beaucoup ! ce n'est qu'une question de termes mais j'aime faire la différence ! c'est surement absurde ! » (Déborah, 23 ans).

Pourtant ça ne l'est pas! Déborah, qui pense que son raisonnement est absurde, ne devrait pas, puisque si elle fait la différence, c'est qu'il y a de bonnes raisons à cela, liées comme nous l'avons dit tout à l'heure à l'image des fans en général. Ainsi, les fans de Mika ne peuvent totalement affirmer qu'ils sont fans auprès de simples connaissances, par peur d'être associés à une image qui ne leur correspond pas, et qui ne les définit pas. De plus, le risque pour eux est de se retrouver assimilé à une seule facette de leur personnalité, qui les enfermeraient dans une case: « en général les gens ne comprennent pas et te cataloguent direct » (Lucinda, 24 ans); « ça se rapproche tout de suite aux jeunes filles en fleurs criant quand elles aperçoivent leur idole ! » (Déborah, 23 ans); « Avec ma famille proche (parents et frères) oui. Parce que ma mère est pareille. Mais avec mes amis, je n'en parle plus, parce que certains ne comprenaient pas » (Aurélie, 28 ans). Ainsi, elle préfère davantage partager son expérience de fan avec des personnes partageant ce sentiment: « j'en parlerais plus facilement avec une personne qui vit à peu près la même chose avec un autre artiste par exemple ». Pour Béatrice (42 ans), sa première expérience de fan avec Patrick Bruel lui a appris à être plus prudente concernant le fait de dire qu'elle était fan: « j'assume parfaitement, j'en parle assez facilement, mais je ne dirai pas spontanément que je suis fan de Mika ou d'un autre. Je vais t'expliquer pourquoi : lorsque j'étais jeune fan de Bruel, je le disais très facilement et au bout d'un moment je me suis aperçue que les gens te cataloguaient par la suite ou se moquaient de ton statut de fan ».

Nous voyons ainsi les conséquences que peuvent entraîner le fait d'être étiqueté en tant que fan, tant ce mot est associé au comportement extrême de certains. Howard Becker a repris le raisonnement de Everett C. Hughes, qui distingue caractéristiques principales et accessoires d'un statut. Ainsi, il «remarque que la plupart des statuts ont une caractéristique principale qui sert à distinguer ceux qui occupent ce statut de ceux qui ne l'occupent pas43(*)». Associé à notre recherche, le fan a pour caractéristique principale dans le sens commun d'être tout à l'idolâtrie de sa personnalité préférée, et souvent, n'est vu que comme tel, ou à travers cela. Cependant, les fans ont des caractéristiques secondaires et peuvent avoir un profil tout à fait contraire à l'image de la plupart des individus.

Pour éviter ce jugement souvent négatif d'autrui les concernant, les personnes interrogées vont donc être conduits à avouer ce statut progressivement, à l'instar de Béatrice: « je l'amène sur la pointe des pied, genre "ah oui, moi je vais voir Mika en concert" ou "vous avez déjà vu Mika en concert?" »; « j'y vais doucement, en disant que j'aime bien !! Ensuite si la personne est réceptive j'explique un peu mieux » (Delphine, 29 ans); « en général, je laisse un peu de temps pour qu'on apprenne à se connaitre et une fois que la personne se rend compte que je suis pas une folle furieuse, je dévoile mon secret! Mais je vais pas spontanément le dire à n'importe qui » (Lucinda, 24 ans).

Assumer son identité de fan serait donc lié à un problème de vocabulaire? Visiblement, cela semble être en partie le cas, puisque la définition même du mot fan semble poser des problèmes aux personnes interrogées: « je n'aime pas le mot fan, il enferme dans une case remplie de préjugés et renvoie directement au mot d'origine "fanatique" » (Elodie, 20 ans); « c'est juste la connotation "fan" et le côté hystérique qui va avec qui me gène en fait » (Delphine, 29 ans); « Déjà je suis pas "fan" de ce mot. Ça a une connotation négative et je trouve que ça ne résume pas du tout ce qu'on fait. Dans "fan" il y a quand même fanatique quoi... mais bon, il n'existe pas, enfin pas à ma connaissance quoi, d'autres mots pour nous définir » (Lucinda, 24 ans).

Quelques fois, ce choix de ne pas l'avouer ouvertement peut ne pas être seulement lié à l'envie de ne pas être étiqueté, car cela fait aussi partie de la vie personnelle de l'individu. C'est le cas notamment de Déborah (23 ans): « Alors en fait ça dépend. Au début, je n'assumais pas du tout mon statut de fan. Comme c'était la première fois, je comprenais pas trop ce qui m'arrivais ! [...] Mais au fur et à mesure, j'ai assumé ! [...] je disais juste que "j'aimais bien". Encore aujourd'hui, je ne le dis pas à tout le monde, car c'est mon monde à moi, j'ai pas forcément envie que tout le monde soit au courant ! » Ainsi, même si elle affirme assumer son statut (« je me considère comme fan à part entière [...] ma famille aussi et beaucoup de gens savent que je vais à beaucoup de concerts »), elle m'avoue que « très peu de personnes savent que je suis modératrice d'un forum de fans !! »

Nous pouvons voir néanmoins que Déborah se contredit plusieurs fois. En effet, elle se « considère comme une admiratrice de Mika, une fan, mais pas dans le sens extrême du terme ». Pourtant, elle a « l'impression que les fans ne savent pas être dans un autre registre que l'excès alors que nous on peut ». De même, elle me précise que « le terme "fan" peut être perçu négativement. Dans mon entourage en tous cas, c'est le cas! Fan, c'est un dérivé de fanatique ». Néanmoins, elle me dira un peu plus tard dans l'entretien que « être fan ce n'est pas être fanatique ou hystérique ».

Lucinda se contredira aussi, puisqu'en même temps qu'elle estime que « quand on dit "fan", les gens pensent direct à une hystéro qui hurle et saute sur lui, alors qu'en fait on est absolument pas comme ça », elle concède quand même avoir un comportement qui peut pousser à la considérer comme telle, du fait de son investissement important: «je suis consciente que ça peut passer pour de la folie». Il en va de même pour Aurélie, qui considère que « "fan", je trouve que ca a une petite connotation négative. On sent bien qu'on est dans l'excès, quoi! », tout en admettant « ce qui n'est pas faux... ».

Cependant, nous pouvons remarquer que ces contradictions suivent un raisonnement logique, puisqu'elles ont conscience à la fois d'être fan du fait de leur comportement, mais aussi qu'elles ne peuvent pas, et ne veulent pas s'associer à cette mauvaise image des fans, qui ne correspond pas selon elles à la réalité.

Distanciation de la passion

« On est dans l'extrême tout en étant modéré quoi » (Lucinda, 24 ans)

Chez les individus que j'ai interrogé, tous ont souhaité se distinguer des autres fans, et notamment de ceux qu'ils considèrent comme des fans trop excessifs, ou qui parfois ont des comportements qui ne leur semblent pas adaptés. En effet, ils ne souhaitent pas y être associés car non seulement ils ne se reconnaissent pas dans leurs attitudes, mais ils ne souhaitent pas être comparés à des individus ayant des comportements déviants.

Ici, la distanciation de la passion va se faire par une justification de la déviance, en comparaison avec ces fans. En effet, les fans « hardcore » sont vus comme étant sans limites vis-à-vis de leur idole, prêts à s'endetter ou à altérer les liens familiaux. Ces fans sont vus comme déviants par rapport à la norme des fans44(*). La norme est ici implicite, et où le comportement déviant est à deux niveaux. Tout d'abord, les fans en général, comme nous avons pu le voir, sont vus comme déviants pour la majorité de la population. Mais au sein de la communauté des fans, certains sont aussi considérés comme tels: ce sont les fans «hardcore », ou comme cela a été dit dans un entretien, les « die hard fans ». Ainsi, certains fans sont considérés comme déviants au sein de la société, mais pas au sein de la communauté des fans, et ont un double statut déviant-non déviant qui intervient simultanément45(*).

Durant mes entretiens, l'accent a été mis sur le fait que ''eux'' ne sacrifiaient pas ce qu'ils avaient à côté de Mika pour lui, ne considérant pas avoir un comportement déviant au sein de la communauté des fans. Ainsi, lors des entretiens, sans nécessairement désigner des personnes en particulier, les fans ont montré qu'ils avaient un rapport distancié à la passion. Nous pouvons donc voir que cette distanciation se fait de deux façons: par un esprit critique envers ce que fait Mika, et par un certain recul en ce qui concerne le comportement de chacun.

Être fan ne doit pas venir altérer le jugement envers l'artiste qu'il apprécie. En effet, il ne doit pas se laisser aveugler par son idolâtrie, et garder un avis le plus objectif possible. Ainsi, si l'artiste fait des choix artistiques ''douteux'', ou a un comportement inadapté, le fan doit être capable de reconnaître les erreurs du chanteur, et doit admettre qu'il n'est pas parfait. Ainsi, la barrière artiste-admirateur est moins importante du fait de la prise de conscience qu'au fond, l'artiste est un individu comme un autre, qui n'est pas à l'abri d'une erreur. Elodie (20 ans), m'a expliqué que selon elle, certains fans ne seraient pas capables d'admettre quand l'artiste fait quelque chose de mauvais: « s'ils font quelque chose que je n'aime pas, je ne me forcerai pas à aimer et je dirai pourquoi je n'aime pas. [tu penses que les autres fans, où en tout cas certains, n'auraient pas ce recul là?] Oui ! [c'est quoi qui te fait dire ça?] ce qui se lit, s'entend, ces fans qui ne jamais, ô grand jamais, ne critiqueront, ne feront que sous-entendre ça et chercheront une excuse pour que ce ne soit pas bon »; « Je ne lui trouve pas des excuses quand il a tort, ou je n'aime pas ses chansons juste parce que c'est lui » (Aurélie, 28 ans). De même, pour Déborah (23 ans) aussi, « il faut trouver le juste milieu, le soutenir c'est à dire aller à ses concerts, acheter son CD et pas le télécharger, lui montrer que ses fans sont là quoi. Mais tout en étant lucides et "juste". C'est pas être fan que d'aimer tout ce que fait l'artiste, sans aucun esprit critique... ».

De même, la plupart explique que même si leur investissement dans la passion peut sembler être trop important aux yeux notamment des proches et des autres en général, ils vont malgré tout justifier de ce comportement du fait qu'ils ont un certain recul sur cela, qu'ils en ont conscience: « ma vie ne tourne pas qu'autour de ça !!! » (Déborah, 23 ans). Elodie illustre aussi cette distanciation: « je suis davantage fan de Mika que de certains artistes mais je suis aussi plus fans de certains artistes que de Mika. Et j'explique ça assez facilement : je n'ai pas la capacité que peuvent avoir des gens à avoir un "chouchou" et le reste.» De même: « je ne passerai pas une soirée à regarder les NRJ music awards pour voir une prestation par exemple. J'attendrai que ce soit en ligne, je ne cours pas après l'info, je prends ce qu'on me donne ». Delphine (29 ans), se rend bien compte qu'elle est « un peu une groupie par certains côtés si on repense aux nombres de concerts que j'ai pu faire mais ça reste toujours bon enfant et je ne vis pas QUE pour lui...». Lucinda (24 ans) m'explique: « je suis consciente que je suis dans un certain extrême, je ne suis pas une admiratrice lambda, mais je crois que le plus important quand on fait un truc un peu fou, c'est de s'en rendre compte et de ne pas mettre sa vie entre parenthèse pour autant ». Pour eux, même si c'est perçu comme excessif, ça ne dépasse jamais une certaine limite, limite que d'autres n'ont pas su respecter, que ce soit d'ordre financier: « Les études passent avant tout et si le budget ne suit pas je ne vais pas me mettre dans le rouge pour le voir, pas comme certains ont fait » (Elodie, 20 ans). Mais cela peut aussi bien concerner la vie de famille: « je sais que certaines sur le forum ont eu des histoires avec leur mari parce qu'ils trouvaient qu'elles allaient trop souvent aux concerts » (Béatrice, 42 ans).

Le profil de ces fans auxquels les membres ne souhaitent pas s'apparenter semble être celui d'un individu individualiste, donnant son temps libre, son argent,..., autant de temps passé à admirer l'idole qui ne sera pas utilisé pour profiter des proches. Cette figure assez extrême apparaît cependant assez rarement: « il faut aussi savoir garder les pieds sur terre, et certains ont tendance à l'oublier mais au final c'est à eux que ça fait le plus de mal car leur réalité doit malheureusement être bien fade, mais ce genre de personne reste assez rare! » (Delphine, 29 ans).

Ainsi, en même temps qu'ils se définissent comme fans et qu'ils reprochent aux autres d'être stigmatisés en tant que tel, eux-mêmes véhiculent cela en stigmatisant à leur tour ceux qu'ils considèrent comme « trop » fans. Ainsi, il y a toujours quelqu'un qui est plus fan, et où la critique de leurs comportements permet de justifier des leurs, du fait que s'ils s'investissent, c'est toujours dans un certain respect de l'artiste. De même, tout comme l'indique Philippe Le Guern, « l'habitus de fan présente ceci de remarquable que les fans développent généralement une conscience très active des processus et des présupposés qu'ils mettent en oeuvre lorsqu'ils se présentent comme fan: cette double posture d'engagement (dans le collectif) et de distanciation (par rapport aux fans les plus «pris au jeu») leur permet en quelque sorte de jouer sans être totalement dupe du jeu, de se comporter comme fans sans être fanatiques »46(*).

Quelquefois, le recul se fait en partie involontairement, dans le fait de devoir jongler entre ses différentes identités professionnelles et familiales, comme en a témoigné l'extrait précédent. Pour Béatrice aussi, comme nous l'avions vu dans la deuxième partie, elle a du savoir faire avec ses contraintes: « c'est sur que j'aurais bien aimé aller au cirque d'hiver, mais j'habite à Calais, faut que je trouve quelqu'un qui puisse s'occuper de mes enfants le temps que leur père rentre du boulot... et surtout c'est pas donné une place de concert [...] en fait mes priorités sont ailleurs, elles sont dans le bien être de mes enfants, dans leur scolarité et dans ma vie de famille ». De même, Elodie (20 ans) sait garder ses limites, et ne va aux concerts que sous certaines conditions: « j'ai fait les Francos [Francofolies de La Rochelle] parce qu'après, je remontais facilement en vacances en Bretagne. Pour Nîmes je suis partie plusieurs jours, aie pu profiter de la Méditerranée, désormais à chaque fois il y a des raisons autres que lui qui me font me décider à aller "loin" de chez moi ». La vie de famille doit donc être conciliée avec l'envie de voir Mika, même si cela est surtout apparu chez Béatrice (42 ans), qui a ces contraintes (nous avions vu précédemment que les autres membres interrogés avaient la vingtaine, et étaient célibataires, facilitant beaucoup la possibilité de s'investir dans la passion): «l'an dernier enfin en 2008 plutôt, ma fille est venue avec moi à Arras et mon mari a posé son 4 mai pour que je puisse aller a Liévin, et il va même s'occuper de la fille de nos copains», et aussi pour Sylvie (42 ans): « il ne voulait pas que tout cet argent dépensé compromette nos projets et/ou nous empêche de faire des trucs prévus [...] le sujet de conflit en fait est plus financier qu'autre chose ! ». Cependant, en règle générale, les proches restent assez compréhensifs vis-à-vis de la passion, sans être non plus trop concernés: « on en parle avec ma fille. Elle aime bien mais elle n'est pas fan. Avec mon mari je lui parle de quelques trucs mais bon pareil, il écoute, ça lui plait mais sans plus » (Béatrice, 42 ans). A l'inverse, Déborah (23 ans): « en fait, mon père trouve ça plutôt drôle! Et aime bien ce coté modo du forum, montage sur scène avec Mika, il en parle même à ses collègues! ». Même si chez cette dernière, sa mère a eu du mal à la comprendre au début: « ma mère ne m'a pas trop soutenue non plus [...] elle a du mal à comprendre tout ça ! Pourquoi j'ai besoin de tant de concerts et c'est du coté financier que ça bloque, car je suis étudiante et donc toujours dépendante de mes parents... [...] ma mère est même allée jusqu'à me demander si j'étais amoureuse de Mika !! », il s'agit surtout de petites plaisanteries: « si je me fait chambrer par ma famille ?!! euhhh oui !». Il en va de même pour les autres membres du forum: « mes collègues suivent mes aventures avec attention, mes amis aussi et ...ma famille aussi! [...] personne ne m'a jamais rien reproché, comme je t'ai dit ça les amuse plutôt et après ils me demandent des comptes rendus. Ils vivent l'aventure par procuration ». « Ils savent que j'ai du recul donc ça va, ça se passe bien », mais Elodie (20 ans), a quand même une petite anecdote sur ses amis de fac: « je me rappelle qu'on parlait de lui parce qu'il passait dans un bar sur MCM, et je disais que j'allais à Strasbourg, et que je doutais d'aimer le nouveau spectacle. Et un ami qui me sort en rigolant : ouais, t'as quand même acheté la place. Donc je me fais chambrer, oui! ». Il en va de même pour Sylvie (42 ans), qui explique: « J'ai eu droit aux sarcasmes de mon mari qui me traitait de midinette, qui rigolait ! [...] Sinon j'ai un collègue au boulot qui m'appelle Mika, quasi plus jamais par mon prénom !!! ».

Lucinda (24 ans), travaillant dans une école, a préféré ne mettre au courant qu'un seul de ses collègues, et quand elle m'a expliqué pourquoi, j'ai vite compris en effet qu'avoir la réputation d'être ''la fan de Mika'' auprès de pré-adolescents ne serait pas une bonne idée: « je veux pas qu'ils le sachent, parce que si je veux m'absenter pour quoi que ce soit, ils vont me saouler. Et puis je bosse dans un collège, si les élèves l'apprennent je suis foutue! ».

On peut donc voir la difficile cohabitation entre l'identité professionnelle, et celle de la passion: «Le moi passionné doit apprendre à composer avec d'autres moi tout aussi réels: moi professionnel, moi conjugal, moi construit par d'autres passions, d'autres goûts, etc47(*)».

Mais il est arrivé dans l'un de mes entretiens que ce soit des fans trop investis qui viennent faire prendre conscience que cette personne ne voulait pas en être. Elodie (20 ans) suite à une mauvaise expérience, a vu le comportement de certains fans qui l'ont marqué: « c'était en février 2008, quand il avait fait une after [à Londres] et que ça avait tourné à ce que des sangsues le collent alors qu'il avait prévu de faire le tour de la salle. et que nous avions fini, avec entre autres lulu, à papoter avec Luke, Andy, Chérisse, Saranayde48(*)... pendant que les autres se poussaient pour avoir leur photo avec Mika. J'ai trouvé ça irrespectueux pour lui et pour les gens qui étaient là, qu'elles apprennent à se tenir. Le respect entre fan et artiste est quelque chose auquel je tiens et je trouve qu'un fan irrespectueux est vite pathétique et tout simplement à claquer ».

A la suite de cela, elle a préféré assister à moins de concerts, car cela « entraîne le côtoiement de ces fans vraiment trop hardcore à mon goût, et je ne sais pas, ça m'a "calmée" [...] l'ambiance parfois tendue entre fans, surtout pendant la queue, influe sur l'appréciation de la journée, globalement, et donc sur le concert, c'est lié à mon avis. C'est comme si tu devais passer la journée avec ta tête à claque préférée à 5 mètres de toi, tu ne profites pas à fond parce qu'à un moment, cette personne va t'exaspérer ». De plus, elle ne souhaite pas participer à cette image de fan, ou « plutôt d'y être associée car c'est une attitude qui m'irrite tellement je trouve ça irrespectueux surtout quand il s'agit d'artistes qui ont de bonnes relations avec l'ensemble de leurs fans et parce que les gens des fan- clubs qui me connaissent même rien qu'en me voyant poster comprennent bien que je ne suis pas comme ça ».

Dans cette dernière partie, nous pouvons donc dire que la dernière étape dans la carrière du fan de Mika consiste à se considérer en tant que tel, mais surtout à s'affirmer comme tel aux yeux des autres. Le fan en effet ne peut plus renier cette identité, du fait de son implication importante pour sa passion. Ainsi, s'il n'est pas difficile de se rendre compte que l'on devient fan, notamment du fait de son intérêt pour l'artiste, et des comportements qui confirment celui-ci, il devient beaucoup plus compliqué de s'affirmer comme tel au regard d'autrui. Ainsi, le fan entre dans une double présentation de soi affirmée-mitigée, affirmée aux yeux de ses proches et de la communauté, mitigée vis-à-vis des autres. En effet, si pour l'entourage, l'activité du fan est considérée comme acceptée, même si elle n'est pas toujours normalisée, il n'en reste pas moins que pour la plupart des individus, cette activité soit stigmatisée et perçue comme déviante, car non associée aux profils que j'ai pu étudier. Être fan est vu de façon souvent caricaturale, comme une identité uniquement valable pour certaines catégories de personnes, pour l'essentiel des enfants ou des adolescentes, s'identifiant à l'idole. Autant de stéréotypes nuisant aux fans dans leur ensemble, qui adoptent ainsi des stratégies de présentation de soi.

De même, afin de justifier leur activité jugée déviante, ils vont se distancier de la passion, notamment en prenant du recul sur celle-ci, et se démarquant de cette façon de cette catégorie de fans stéréotypée, qui elle étant consacrée entièrement à l'objet de sa passion, ne possède plus ce recul nécessaire pour laisser de la place aux autres identités de l'individu existantes. Un certain paradoxe a pu ici être observé, puisque de la même manière que les fans interrogées se sentaient indirectement stigmatisés par les individus en général, ils reproduisent le comportement de ces individus en stigmatisant à leur tour la même catégorie de personnes. Il existerait ainsi deux catégories de fans, dont l'une ne ferait pas forcément de la majorité, mais qui représente la figure la plus courante du fan ''aliéné'', et dont on cherche à se distinguer.

CONCLUSION

Être fan ne peut se résumer aux pré-notions que nous pouvons avoir, tant le processus qui amène les individus à le devenir, mais aussi à se considérer comme tel est complexe. En effet, le fan ne le devient pas comme ça, du jour au lendemain, même si la découverte de l'artiste peut donner une impression de « coup de foudre », et de soudaineté.

Les résultats de cette recherche ont montré que certaines étapes semblent participer à la construction de la carrière du fan. En effet, parmi les personnes interrogées, des similitudes sont apparues dans cette construction. Ainsi, en réponse à notre question de départ portant sur les étapes de la carrière d'un fan de Mika, nous ne pouvons y répondre de manière déterminée, tant les expériences de fans sont propres à chacun, renvoyant ainsi aux théories de la réception. Chaque fan s'empare de la musique pour participer à la construction de son identité, il y a une diversité de manières de vivre la passion: si n'importe qui peut aimer Mika, on n'aime pas n'importe comment. Il subsiste des manières différentes d'aimer, et donc des comportements différents pour manifester cette passion, même si certains déterminismes sociaux peuvent influencer ces comportements (notamment la situation familiale et professionnelle, ainsi que l'âge).

Néanmoins, nous avons pu voir que certaines situations se recoupaient dans les carrières de fan, et notamment une qui est apparue importante: le rapport aux autres fans. Si le point de départ de la carrière reste évidemment le rapport à l'artiste, il n'en demeure pas moins que l'amitié liée avec les semblables est un facteur de continuation de la carrière. Même si quelquefois, le fan ressent une baisse de la passion pour diverses raisons, les liens crées permettent un maintien empêchant la disparition totale de celle-ci. Le forum de fans est alors apparu comme ressource dans la normalisation de la passion, et comme lieu d'entre-soi. La passion, loin d'être vécue comme activité solitaire éloignant des proches, puisqu'en s'échappant pour un temps de la famille, c'est pour se retrouver avec d'autres fans.

L'apport de Mika pour les fans est ainsi double: en même temps qu'il leur a permis de s'épanouir à travers les différentes expériences apportées (s'éloigner des difficultés de la vie quotidienne, mais aussi s'extérioriser notamment par rapport au fait d'avoir la possibilité de monter sur scène), il aura apporté des interactions entre fans créant des amitiés qui ne sont plus simplement liées à Mika, ces fans se rencontrant en dehors des concerts.

Mais s'il est facile de s'assumer dans un entre-soi où l'on n'est pas jugé (sauf exceptions irréductibles aux groupes sociaux existants), cela devient plus complexe lorsque l'activité est perçue comme déviante aux yeux de la majorité. Des stratégies de présentation de soi apparaissent, les fans ayant conscience de la mauvaise interprétation possible de leur passion. De plus, les fans se distancient de cette passion, en prenant du recul par rapport à celle-ci, et en ne se définissant pas seulement à travers cette identité.

Le fan n'est donc pas nécessairement « fanatique ». Il peut certes laisser entrevoir certains comportements déviants (l'investissement et l'importance accordés à Mika peut sembler surprenant pour certains), mais ils ont une capacité de réflexion sur leurs propres actions les amenant à avoir une attitude rationnelle. Contrairement à la vision de Pierre Bourdieu où le fan est vu comme dominé, consommant les produits les moins légitimes de la culture populaire, et renforçant sa position dans l'acharnement à consommer tous les objets se rapportant à l'idole, cette recherche à permis de voir que ce n'était pas le cas. En effet, les dépenses étant consacrées essentiellement aux concerts, et non aux objets finançant l'industrie du star-system.

Davantage dans un rapport au genre, il aurait été intéressant de voir les expériences des fans hommes de Mika. En effet, ne voulant pas choisir moi-même les personnes interrogées et ayant proposé à ceux qui le souhaiteraient de faire un entretien, je n'ai pas eu l'occasion d'interroger des hommes. Ainsi, nous pourrions aller plus loin en attirant l'attention sur le rapport entre le regard d'autrui et l'expérience propre de ces fans, qui doivent se confronter à un double préjugé: celui concernant les fans, et le fait que Mika soit vu à la fois comme un « chanteur pour filles et pour homosexuels », du fait de sa voix ''haut perchée'', et de son apparence extravagante.

Ce cadre de réflexion demanderait néanmoins un travail de recherche plus complexe, puisqu'il mobilise différentes spécialités de la sociologie, du fait qu'il interroge à la fois la question des fans et tout ce qui s'y rapporte (le rapport à l'identité et à l'expérience en tant que fan), mais aussi les rapports de genre, les fans étant vus comme surtout femmes ou jeunes filles, d'autant plus ici que Mika est catalogué comme chanteur gay, donc supposé attirer davantage la gent féminine et/ou les homosexuels.

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages et articles:

- Becker Howard (1985), Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Éditions A.- M Métailié

- Bourdieu Pierre (1979), La distinction, Paris, Minuit

- Hennion Antoine (2009), Réflexivités. L'activité de l'amateur, Réseaux 2009/1, N° 153, p. 55-78

- Kaufmann Jean-Claude (2007), L'enquête et ses méthodes. L'entretien compréhensif, Paris, Armand Colin

- Le Bart Christian (2000), Les fans des Beatles. Sociologie d'une passion, Presses universitaires de Rennes.

- Le Guern Philippe (2002), "En être ou pas : Le fan-club de la série Le Prisonnier. Une enquête par observation", dans Le Guern Philippe (dir.), Les cultes médiatiques. Culture fan et oeuvres cultes, Presses Universitaires de Rennes, (177-215)

- Le Guern P., « No matter what they do, they can never let you down...» Entre esthétique et politique : sociologie des fans, un bilan critique, Réseaux 2009/1, N° 153, (19-54)

- Morin Edgar (1962), L'esprit du temps, Paris, Armand Colin.

- Muggleton David (2002), "Individualité distinctive et affiliation subculturelle", dans Glevarec Hervé, Macé Eric, Maigret Eric (dir.), Cultural studies. Anthologie, Paris, Armand Colin (232-250).

- Segré Gabriel (2007), Au nom du King. Elvis, les fans et l'ethnologue, Aux lieux d'être.

Site internet:

Http://mikawebsiteforum.com

ANNEXES

GUIDE D'ENTRETIEN

Question de départ: Quelles sont les différentes étapes de la carrière d'un fan de Mika? Comment se construit l'identité du fan, et comment ce statut intervient dans la vie quotidienne de l'individu et dans la définition qu'il se donne?

I/ Découverte du chanteur:

- contexte: quand, comment, sur quel support, vu seul ou à plusieurs,...

- première impression: tout de suite aimé, pas du tout, indifférence,...

- écoutes ultérieures: hasard, recherche de cette écoute,...

II/ Devenir fan: à partir de quand se considère t-on comme fan?

- Choix de l'artiste: pourquoi Mika? Qu'a t-il de différent? (éventuellement: as tu été fan d'autres artistes et en quoi le fait d'être fan de Mika est-il différent d'un autre chanteur, acteur,...?)

Réflexion plus large sur ces raisons: lien avec vie personnelle, identification au chanteur, ou à sa vie,...

- Marqueurs déclencheurs: comment expliques-tu le fait d'avoir évolué vers ce statut de fan? Recherche d'éléments marquants (1er concert, achat du 1er cd, inscription au forum, recherche biographique ou d'informations liées à son actualité,...) et témoignage d'anecdotes.

- Question des motivations: qu'est-ce qui te pousse à faire tout ce que tu fait « pour lui », à dépenser du temps, de l'argent, de l'énergie,... pour Mika? Comment est-ce que tu expliques le fait de t'investir pour quelqu'un dont, au final, n'est pas un proche au sens strict?

- Savoir être fan: apprentissage des bonnes façons de se comporter, par lesquelles le fan peut s'identifier et être identifié comme tel.

Définition personnelle de fan, reconnaissance éventuelle dans cette définition.

=> Est-ce qu'aujourd'hui, tu te considères comme fan à part entière? Si c'est le cas, en quoi est-ce que tu te considères comme fan, et pas comme simplement « amateur » de sa musique?

Qu'est-ce qui, selon toi, te distinguerait de quelqu'un qui apprécierait juste Mika? Qu'est ce qu'il faudrait faire/avoir pour être considéré comme un « vrai » fan?

III/ Expérience de fan:

- rapport à soi:

- Qu'apprécies-tu dans sa musique et/ou dans sa personne?

- qu'est ce que Mika a éventuellement modifié dans ta vie pour que tu en devienne fan? Qu'est ce que Mika t'a apporté? Qu'est ce que te fait le fait d'être fan de Mika? Qu'est ce que ça t'apporte au quotidien?

Est ce qu'aujourd'hui, avec la découverte de Mika, tu te voit différemment? Si c'est le cas, en quoi est ce que tu penses avoir « changé » et comment, qu'est ce qui a permis ce changement?

- Lien avec famille: Est ce que tu penses que le fait que tu sois devenu fan de Mika aie pu avoir une origine dans le style de musique que tu écoutes, ou les chansons que ta famille t'a fait découvrir? (ou même dans l'origine familiale, rapport avec capital culturel).

- comportement du fan:

- Qu'est ce que tu fais quand tu écoutes Mika? (fredonnes, tapes le rythme, chantes, tu travailles, écoute attentive...en fonction du contexte)

Qu'est ce que te fait Mika, quand tu l'écoutes, ou à la tv,...? Ressenti, émotions,...

- travail de présentation de soi: stratégies utilisées sur la scène sociale par le fan. Question d'assumer son statut de fan dans diverses sphères sociales (travail,...), négociation permanente des différentes identités (emploi occupé, rôle familial, être fan,...) et influence du statut de fan dans la vie quotidienne.

- « consommations »: achats cd, concerts, objets dérivés, recherche d'informations,...

- rapport à autrui: - proches, famille, collègues,...: conversations, avis, influence, réactions,...

- autres fans: Qu'est ce qui t'a poussé à t'inscrire au forum? Échanges, « entre-soi » possible, tensions éventuelles, sentiment d'appartenance à un groupe,... Quelle importance de l'existence de cette communauté et d'y appartenir pour le fan?

Éléments biographiques: âge, sexe, lieu d'habitation, situation familiale, profession, niveau d'études.

PRESENTATION DES PERSONNES INTERROGEES

-Sylvie: membre depuis le 08/11/2007. 42 ans, mariée, infirmière, et possède un niveau Bac +5.

- Aurélie: membre du forum depuis le 11/04/2007. 28 ans, habite Orléans, célibataire, travaille à Amazon.fr au service informatique et est titulaire d'une licence d'anglais.

- Delphine: membre depuis le 05/04/2007. 29 ans, habite Angoulême, célibataire, est monitrice d'auto-école, est titulaire d'un bac littéraire et d'un diplôme dans le tourisme (secteur aérien).

- Béatrice: membre depuis le 12/12/2008. 42 ans, habite Guemps, mariée, 3 enfants, est décoratrice sur bois, et est titulaire d'un brevet professionnel de préparatrice en pharmacie.

- Déborah: membre depuis le 13/10/2007. 23 ans, habite St Malo, en couple, est étudiante en management de la culture et du patrimoine, et possède un niveau Bac +5.

- Elodie: membre depuis le 16/08/2007. 20 ans, habite Nancy, célibataire, est étudiante, pigiste et bénévole en salle de concert, est actuellement en L3 de culture et communication spécialité connaissance des métiers de l'information.

- Lucinda: membre depuis le 13/05/2007. 24 ans, habite Brou sur Chantereine, célibataire, est étudiante en sciences humaines et salariée dans un collège, possède un niveau Bac +3.

* 1 Voir ici l'ouvrage d'Edgar Morin (1962), L'esprit du temps, Paris, Armand Colin.

* 2 C'est le cas dans de nombreux ouvrages de Gabriel Segré (voir bibliographie), portant notamment sur les fans d'Elvis Presley, où il propose une «recomposition du religieux», à travers une analogie entre le culte à Elvis, et les cultes religieux.

* 3 Cette image du fan en quête d'identité, car n'ayant pas une vie stable, et vu comme un déséquilibré, est souvent reprise dans les films et ouvrages.

* 4 Faire partie de ce forum, et donc y participer régulièrement durant mon temps libre, m'a fait indirectement faire de l'observation participante pour mon TER, puisque j'ai plusieurs fois eu l'occasion de confirmer sur ce site internet ce qui a été dit dans les entretiens.

* 5 Becker Howard (1985), Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Éditions A.- M Métailié

* 6 Becker (1985), op. Cit., p. 126.

* 7 Le Guern Philippe (2002), "En être ou pas : Le fan-club de la série Le Prisonnier. Une enquête par observation", dans Le Guern Philippe (dir.), Les cultes médiatiques. Culture fan et oeuvres cultes, Presses Universitaires de Rennes, (177-215)

* 8 Howard Becker fait une analyse plus précise du concept de déviance, et de la création sociale de la déviance dans son ouvrage Outsiders (1985).

* 9 Le Guern P., « No matter what they do, they can never let you down...» Entre esthétique et politique : sociologie

des fans, un bilan critique, Réseaux 2009/1, N° 153, (19-54), p.24.

* 10 Le Bart Christian (2000), Les fans des Beatles. Sociologie d'une passion, Presses universitaires de Rennes.

* 11 Http://mikawebsiteforum.com

* 12 Voir présentation des personnes interrogées en annexe.

* 13 Kaufmann Jean-Claude (2007), L'enquête et ses méthodes. L'entretien compréhensif, Paris, Armand Colin, p. 11.

* 14 Voir annexe: guide d'entretien

* 15 Le Bart (2000), op. Cit., p. 114

* 16 Le Bart (2000), op. Cit. p. 25.

* 17 Http://www.mikasounds.com

* 18 Le Bart (2000), op. cit., p. 25-26.

* 19 Hennion Antoine, Réflexivités. L'activité de l'amateur, Réseaux 2009/1, N° 153, p. 55-78.

* 20 Le Bart (2000), op. Cit

* 21 Becker (1985), op. Cit., p.53-54.

* 22 Le Guern Philippe (2002), op. Cit., p.189.

* 23 Le Bart (2000), op. Cit., p. 95.

* 24 Il s'agit des initiales du forum du MikaWebSite: http://mikawebsiteforum.com

* 25 Becker (1985), op. Cit., p.205

* 26 Initiales du forum anglais: MikaFanClub

* 27 Le Bart (2000), op. Cit., p. 114

* 28 Le Bart (2000), op. Cit.

* 29 Le Bart (2000), op. Cit., p. 81

* 30 Le Bart (2000), op. Cit., p. 117

* 31 Le titre est repris à David Muggleton, dans son ouvrage cité ci-dessous, qui pose cette question: « Comment se fait-il qu'une identité de groupe puisse être, en même temps, affirmée et mitigée? ».

* 32 Muggleton David (2002), "Individualité distinctive et affiliation subculturelle", dans Glevarec Hervé, Macé Eric, Maigret Eric (dir.), Cultural studies. Anthologie, Paris, Armand Colin (232-250), p. 234

* 33 Il a établit dans son ouvrage Les fans des Beatles. Sociologie d'une passion (2000), trois formes stigmatisées de la passion: groupies, collectionneurs et imitateurs, et trois formes nobles: créateurs, érudits, et esthètes.

* 34 ''Extended Play''. Il s'agit d'un format entre l'album et le single, sorti courant 2009 en attendant la sortie de son deuxième album The Boy who knew too much, contenant un livret de 68 pages, et quatre chansons.

* 35 Le Bart (2000), op. Cit., p. 185. Nous pouvons d'ailleurs rattacher cela au besoin de reconnaissance vu dans la deuxième partie de cette recherche, où le fan essaie durant un instant d'être autre chose qu'un fan parmi tant d'autres.

* 36 Le nombre de concerts explique en effet le peu de dépenses concernant les objets dérivés, puisqu'à titre d'exemple, Delphine a déjà assisté à presque 30 concerts de Mika depuis 2007.

* 37 Hennion (2009), op. Cit., p.74.

* 38 Hennion (2009), op. Cit., p.74.

* 39 « je pense que les filles qui investissent dans les concerts sont en majorité jeunes, habitant pas trop loin de Paris et qui sont célibataires. Elles ont du temps pour elles »

* 40 Au sens de Christian Le Bart

* 41 Tout d'abord, et ce pour éviter de mauvaises interprétations, je préfère expliquer le choix du titre. Ici, le fan ne renie pas son identité. La posture du fan est mitigée dans le sens où les fans ne se définissent pas seulement en tant que tel, et ne souhaitent pas être associés à une minorité qui participe à la stigmatisation du plus grand nombre.

* 42 Même si, nous le verrons, le comportement de certains fans reste stigmatisé, car considéré comme trop excessif. Émergera ainsi l'image stéréotypée du fan.

* 43 Becker (1985), op. Cit., p.55.

* 44 Nous pouvons ici reprendre le raisonnement d'Howard Becker, qui avait fait un tableau résumant les types de comportements déviants: Becker (1985), op. Cit., p.43.

* 45 Cela peut aussi expliquer pourquoi les fans préfèrent parler de leur passion principalement avec leurs proches.

* 46 Le Guern (2002), op. Cit. p.189.

* 47 Le Bart (2000), op. Cit., p. 221.

* 48 Membres du groupe jouant avec Mika.






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon