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La construction d'une carrière de fan: étude de cas chez les fans de Mika

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par Christina Chiron
Université Victor Segalen Bordeaux 2 - Licence sociologie 2010
  

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Distanciation de la passion

« On est dans l'extrême tout en étant modéré quoi » (Lucinda, 24 ans)

Chez les individus que j'ai interrogé, tous ont souhaité se distinguer des autres fans, et notamment de ceux qu'ils considèrent comme des fans trop excessifs, ou qui parfois ont des comportements qui ne leur semblent pas adaptés. En effet, ils ne souhaitent pas y être associés car non seulement ils ne se reconnaissent pas dans leurs attitudes, mais ils ne souhaitent pas être comparés à des individus ayant des comportements déviants.

Ici, la distanciation de la passion va se faire par une justification de la déviance, en comparaison avec ces fans. En effet, les fans « hardcore » sont vus comme étant sans limites vis-à-vis de leur idole, prêts à s'endetter ou à altérer les liens familiaux. Ces fans sont vus comme déviants par rapport à la norme des fans44(*). La norme est ici implicite, et où le comportement déviant est à deux niveaux. Tout d'abord, les fans en général, comme nous avons pu le voir, sont vus comme déviants pour la majorité de la population. Mais au sein de la communauté des fans, certains sont aussi considérés comme tels: ce sont les fans «hardcore », ou comme cela a été dit dans un entretien, les « die hard fans ». Ainsi, certains fans sont considérés comme déviants au sein de la société, mais pas au sein de la communauté des fans, et ont un double statut déviant-non déviant qui intervient simultanément45(*).

Durant mes entretiens, l'accent a été mis sur le fait que ''eux'' ne sacrifiaient pas ce qu'ils avaient à côté de Mika pour lui, ne considérant pas avoir un comportement déviant au sein de la communauté des fans. Ainsi, lors des entretiens, sans nécessairement désigner des personnes en particulier, les fans ont montré qu'ils avaient un rapport distancié à la passion. Nous pouvons donc voir que cette distanciation se fait de deux façons: par un esprit critique envers ce que fait Mika, et par un certain recul en ce qui concerne le comportement de chacun.

Être fan ne doit pas venir altérer le jugement envers l'artiste qu'il apprécie. En effet, il ne doit pas se laisser aveugler par son idolâtrie, et garder un avis le plus objectif possible. Ainsi, si l'artiste fait des choix artistiques ''douteux'', ou a un comportement inadapté, le fan doit être capable de reconnaître les erreurs du chanteur, et doit admettre qu'il n'est pas parfait. Ainsi, la barrière artiste-admirateur est moins importante du fait de la prise de conscience qu'au fond, l'artiste est un individu comme un autre, qui n'est pas à l'abri d'une erreur. Elodie (20 ans), m'a expliqué que selon elle, certains fans ne seraient pas capables d'admettre quand l'artiste fait quelque chose de mauvais: « s'ils font quelque chose que je n'aime pas, je ne me forcerai pas à aimer et je dirai pourquoi je n'aime pas. [tu penses que les autres fans, où en tout cas certains, n'auraient pas ce recul là?] Oui ! [c'est quoi qui te fait dire ça?] ce qui se lit, s'entend, ces fans qui ne jamais, ô grand jamais, ne critiqueront, ne feront que sous-entendre ça et chercheront une excuse pour que ce ne soit pas bon »; « Je ne lui trouve pas des excuses quand il a tort, ou je n'aime pas ses chansons juste parce que c'est lui » (Aurélie, 28 ans). De même, pour Déborah (23 ans) aussi, « il faut trouver le juste milieu, le soutenir c'est à dire aller à ses concerts, acheter son CD et pas le télécharger, lui montrer que ses fans sont là quoi. Mais tout en étant lucides et "juste". C'est pas être fan que d'aimer tout ce que fait l'artiste, sans aucun esprit critique... ».

De même, la plupart explique que même si leur investissement dans la passion peut sembler être trop important aux yeux notamment des proches et des autres en général, ils vont malgré tout justifier de ce comportement du fait qu'ils ont un certain recul sur cela, qu'ils en ont conscience: « ma vie ne tourne pas qu'autour de ça !!! » (Déborah, 23 ans). Elodie illustre aussi cette distanciation: « je suis davantage fan de Mika que de certains artistes mais je suis aussi plus fans de certains artistes que de Mika. Et j'explique ça assez facilement : je n'ai pas la capacité que peuvent avoir des gens à avoir un "chouchou" et le reste.» De même: « je ne passerai pas une soirée à regarder les NRJ music awards pour voir une prestation par exemple. J'attendrai que ce soit en ligne, je ne cours pas après l'info, je prends ce qu'on me donne ». Delphine (29 ans), se rend bien compte qu'elle est « un peu une groupie par certains côtés si on repense aux nombres de concerts que j'ai pu faire mais ça reste toujours bon enfant et je ne vis pas QUE pour lui...». Lucinda (24 ans) m'explique: « je suis consciente que je suis dans un certain extrême, je ne suis pas une admiratrice lambda, mais je crois que le plus important quand on fait un truc un peu fou, c'est de s'en rendre compte et de ne pas mettre sa vie entre parenthèse pour autant ». Pour eux, même si c'est perçu comme excessif, ça ne dépasse jamais une certaine limite, limite que d'autres n'ont pas su respecter, que ce soit d'ordre financier: « Les études passent avant tout et si le budget ne suit pas je ne vais pas me mettre dans le rouge pour le voir, pas comme certains ont fait » (Elodie, 20 ans). Mais cela peut aussi bien concerner la vie de famille: « je sais que certaines sur le forum ont eu des histoires avec leur mari parce qu'ils trouvaient qu'elles allaient trop souvent aux concerts » (Béatrice, 42 ans).

Le profil de ces fans auxquels les membres ne souhaitent pas s'apparenter semble être celui d'un individu individualiste, donnant son temps libre, son argent,..., autant de temps passé à admirer l'idole qui ne sera pas utilisé pour profiter des proches. Cette figure assez extrême apparaît cependant assez rarement: « il faut aussi savoir garder les pieds sur terre, et certains ont tendance à l'oublier mais au final c'est à eux que ça fait le plus de mal car leur réalité doit malheureusement être bien fade, mais ce genre de personne reste assez rare! » (Delphine, 29 ans).

Ainsi, en même temps qu'ils se définissent comme fans et qu'ils reprochent aux autres d'être stigmatisés en tant que tel, eux-mêmes véhiculent cela en stigmatisant à leur tour ceux qu'ils considèrent comme « trop » fans. Ainsi, il y a toujours quelqu'un qui est plus fan, et où la critique de leurs comportements permet de justifier des leurs, du fait que s'ils s'investissent, c'est toujours dans un certain respect de l'artiste. De même, tout comme l'indique Philippe Le Guern, « l'habitus de fan présente ceci de remarquable que les fans développent généralement une conscience très active des processus et des présupposés qu'ils mettent en oeuvre lorsqu'ils se présentent comme fan: cette double posture d'engagement (dans le collectif) et de distanciation (par rapport aux fans les plus «pris au jeu») leur permet en quelque sorte de jouer sans être totalement dupe du jeu, de se comporter comme fans sans être fanatiques »46(*).

Quelquefois, le recul se fait en partie involontairement, dans le fait de devoir jongler entre ses différentes identités professionnelles et familiales, comme en a témoigné l'extrait précédent. Pour Béatrice aussi, comme nous l'avions vu dans la deuxième partie, elle a du savoir faire avec ses contraintes: « c'est sur que j'aurais bien aimé aller au cirque d'hiver, mais j'habite à Calais, faut que je trouve quelqu'un qui puisse s'occuper de mes enfants le temps que leur père rentre du boulot... et surtout c'est pas donné une place de concert [...] en fait mes priorités sont ailleurs, elles sont dans le bien être de mes enfants, dans leur scolarité et dans ma vie de famille ». De même, Elodie (20 ans) sait garder ses limites, et ne va aux concerts que sous certaines conditions: « j'ai fait les Francos [Francofolies de La Rochelle] parce qu'après, je remontais facilement en vacances en Bretagne. Pour Nîmes je suis partie plusieurs jours, aie pu profiter de la Méditerranée, désormais à chaque fois il y a des raisons autres que lui qui me font me décider à aller "loin" de chez moi ». La vie de famille doit donc être conciliée avec l'envie de voir Mika, même si cela est surtout apparu chez Béatrice (42 ans), qui a ces contraintes (nous avions vu précédemment que les autres membres interrogés avaient la vingtaine, et étaient célibataires, facilitant beaucoup la possibilité de s'investir dans la passion): «l'an dernier enfin en 2008 plutôt, ma fille est venue avec moi à Arras et mon mari a posé son 4 mai pour que je puisse aller a Liévin, et il va même s'occuper de la fille de nos copains», et aussi pour Sylvie (42 ans): « il ne voulait pas que tout cet argent dépensé compromette nos projets et/ou nous empêche de faire des trucs prévus [...] le sujet de conflit en fait est plus financier qu'autre chose ! ». Cependant, en règle générale, les proches restent assez compréhensifs vis-à-vis de la passion, sans être non plus trop concernés: « on en parle avec ma fille. Elle aime bien mais elle n'est pas fan. Avec mon mari je lui parle de quelques trucs mais bon pareil, il écoute, ça lui plait mais sans plus » (Béatrice, 42 ans). A l'inverse, Déborah (23 ans): « en fait, mon père trouve ça plutôt drôle! Et aime bien ce coté modo du forum, montage sur scène avec Mika, il en parle même à ses collègues! ». Même si chez cette dernière, sa mère a eu du mal à la comprendre au début: « ma mère ne m'a pas trop soutenue non plus [...] elle a du mal à comprendre tout ça ! Pourquoi j'ai besoin de tant de concerts et c'est du coté financier que ça bloque, car je suis étudiante et donc toujours dépendante de mes parents... [...] ma mère est même allée jusqu'à me demander si j'étais amoureuse de Mika !! », il s'agit surtout de petites plaisanteries: « si je me fait chambrer par ma famille ?!! euhhh oui !». Il en va de même pour les autres membres du forum: « mes collègues suivent mes aventures avec attention, mes amis aussi et ...ma famille aussi! [...] personne ne m'a jamais rien reproché, comme je t'ai dit ça les amuse plutôt et après ils me demandent des comptes rendus. Ils vivent l'aventure par procuration ». « Ils savent que j'ai du recul donc ça va, ça se passe bien », mais Elodie (20 ans), a quand même une petite anecdote sur ses amis de fac: « je me rappelle qu'on parlait de lui parce qu'il passait dans un bar sur MCM, et je disais que j'allais à Strasbourg, et que je doutais d'aimer le nouveau spectacle. Et un ami qui me sort en rigolant : ouais, t'as quand même acheté la place. Donc je me fais chambrer, oui! ». Il en va de même pour Sylvie (42 ans), qui explique: « J'ai eu droit aux sarcasmes de mon mari qui me traitait de midinette, qui rigolait ! [...] Sinon j'ai un collègue au boulot qui m'appelle Mika, quasi plus jamais par mon prénom !!! ».

Lucinda (24 ans), travaillant dans une école, a préféré ne mettre au courant qu'un seul de ses collègues, et quand elle m'a expliqué pourquoi, j'ai vite compris en effet qu'avoir la réputation d'être ''la fan de Mika'' auprès de pré-adolescents ne serait pas une bonne idée: « je veux pas qu'ils le sachent, parce que si je veux m'absenter pour quoi que ce soit, ils vont me saouler. Et puis je bosse dans un collège, si les élèves l'apprennent je suis foutue! ».

On peut donc voir la difficile cohabitation entre l'identité professionnelle, et celle de la passion: «Le moi passionné doit apprendre à composer avec d'autres moi tout aussi réels: moi professionnel, moi conjugal, moi construit par d'autres passions, d'autres goûts, etc47(*)».

Mais il est arrivé dans l'un de mes entretiens que ce soit des fans trop investis qui viennent faire prendre conscience que cette personne ne voulait pas en être. Elodie (20 ans) suite à une mauvaise expérience, a vu le comportement de certains fans qui l'ont marqué: « c'était en février 2008, quand il avait fait une after [à Londres] et que ça avait tourné à ce que des sangsues le collent alors qu'il avait prévu de faire le tour de la salle. et que nous avions fini, avec entre autres lulu, à papoter avec Luke, Andy, Chérisse, Saranayde48(*)... pendant que les autres se poussaient pour avoir leur photo avec Mika. J'ai trouvé ça irrespectueux pour lui et pour les gens qui étaient là, qu'elles apprennent à se tenir. Le respect entre fan et artiste est quelque chose auquel je tiens et je trouve qu'un fan irrespectueux est vite pathétique et tout simplement à claquer ».

A la suite de cela, elle a préféré assister à moins de concerts, car cela « entraîne le côtoiement de ces fans vraiment trop hardcore à mon goût, et je ne sais pas, ça m'a "calmée" [...] l'ambiance parfois tendue entre fans, surtout pendant la queue, influe sur l'appréciation de la journée, globalement, et donc sur le concert, c'est lié à mon avis. C'est comme si tu devais passer la journée avec ta tête à claque préférée à 5 mètres de toi, tu ne profites pas à fond parce qu'à un moment, cette personne va t'exaspérer ». De plus, elle ne souhaite pas participer à cette image de fan, ou « plutôt d'y être associée car c'est une attitude qui m'irrite tellement je trouve ça irrespectueux surtout quand il s'agit d'artistes qui ont de bonnes relations avec l'ensemble de leurs fans et parce que les gens des fan- clubs qui me connaissent même rien qu'en me voyant poster comprennent bien que je ne suis pas comme ça ».

Dans cette dernière partie, nous pouvons donc dire que la dernière étape dans la carrière du fan de Mika consiste à se considérer en tant que tel, mais surtout à s'affirmer comme tel aux yeux des autres. Le fan en effet ne peut plus renier cette identité, du fait de son implication importante pour sa passion. Ainsi, s'il n'est pas difficile de se rendre compte que l'on devient fan, notamment du fait de son intérêt pour l'artiste, et des comportements qui confirment celui-ci, il devient beaucoup plus compliqué de s'affirmer comme tel au regard d'autrui. Ainsi, le fan entre dans une double présentation de soi affirmée-mitigée, affirmée aux yeux de ses proches et de la communauté, mitigée vis-à-vis des autres. En effet, si pour l'entourage, l'activité du fan est considérée comme acceptée, même si elle n'est pas toujours normalisée, il n'en reste pas moins que pour la plupart des individus, cette activité soit stigmatisée et perçue comme déviante, car non associée aux profils que j'ai pu étudier. Être fan est vu de façon souvent caricaturale, comme une identité uniquement valable pour certaines catégories de personnes, pour l'essentiel des enfants ou des adolescentes, s'identifiant à l'idole. Autant de stéréotypes nuisant aux fans dans leur ensemble, qui adoptent ainsi des stratégies de présentation de soi.

De même, afin de justifier leur activité jugée déviante, ils vont se distancier de la passion, notamment en prenant du recul sur celle-ci, et se démarquant de cette façon de cette catégorie de fans stéréotypée, qui elle étant consacrée entièrement à l'objet de sa passion, ne possède plus ce recul nécessaire pour laisser de la place aux autres identités de l'individu existantes. Un certain paradoxe a pu ici être observé, puisque de la même manière que les fans interrogées se sentaient indirectement stigmatisés par les individus en général, ils reproduisent le comportement de ces individus en stigmatisant à leur tour la même catégorie de personnes. Il existerait ainsi deux catégories de fans, dont l'une ne ferait pas forcément de la majorité, mais qui représente la figure la plus courante du fan ''aliéné'', et dont on cherche à se distinguer.

* 44 Nous pouvons ici reprendre le raisonnement d'Howard Becker, qui avait fait un tableau résumant les types de comportements déviants: Becker (1985), op. Cit., p.43.

* 45 Cela peut aussi expliquer pourquoi les fans préfèrent parler de leur passion principalement avec leurs proches.

* 46 Le Guern (2002), op. Cit. p.189.

* 47 Le Bart (2000), op. Cit., p. 221.

* 48 Membres du groupe jouant avec Mika.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams