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La protection sociale au Cameroun

( Télécharger le fichier original )
par Alex OKOLOUMA
Université de Yaoundé II-Soa - DEA en sciences économiques 2008
  

Disponible en mode multipage

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    SOMMAIRE

    INTRODUCTION GENERALE.......................................................................1

    PREMIERE PARTIE : LES DYSFONCTIONNEMENTS DE LA PROTECTION SOCIALE AU CAMEROUN.........................................................................9

    CHAPITRE 1 : LE FONCTIONNEMENT D'UN MODELE DE PROTECTION SOCIALE.................................................................................................11

    1.1. Les fondements théoriques des systèmes de protection sociale...............................11

    1.2. Les limites des systèmes de protection sociale..................................................26

    CHAPITRE 2 : LE FONCTIONNEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE AU CAMEROUN.............................................................................................31

    2.1. L'organisation de la protection sociale camerounaise..........................................31

    2.2. Les éléments d'un fonctionnement défectueux..................................................37

    DEUXIEME PARTIE : LES VOIES DE REFORME DE LA PROTECTION SOCIALE AU CAMEROUN.......................................................................................49

    CHAPITRE 3 : L'ANALYSE THEORIQUE DES REFORMES DES SYSTEMES DE PROTECTION SOCIALE............................................................................51

    3.1. Les caractéristiques des modèles d'assurance sociale..........................................52

    3.2. Le débat sur les réformes : les arguments théoriques en présence............................59

    CHAPITRE 4 : LA REFORME DU SYSTEME DE PROTECTION SOCIALE CAMEROUNAIS.......................................................................................69

    4.1. Le modèle de protection sociale à venir..........................................................69

    4.2. Des implications et adaptations multiformes pour le Cameroun..............................73

    CONCLUSION GENERALE........................................................................78

    I

    AVERTISSEMENT

    « L'université de Yaoundé II n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions contenues dans ce mémoire ; celles-ci doivent être considérées comme étant propre à l'auteur. »

    DEDICACES

    A mes parents et à mes frères et soeurs

    REMERCIEMENTS

    La réalisation de ce mémoire a pu être possible grâce à la collaboration de plusieurs personnes qui ont apportés leur soutien au cours de cette grande aventure. Ainsi, je remercie tous ceux ou celles qui ont apporté leur précieuse contribution à ce travail.

    Tout d'abord, mes remerciements s'adressent au Professeur Georges KOBOU qui malgré ses multiples occupations m'a accompagné à chacune des étapes de la réalisation de ce travail d'initiative à la recherche. Son soutien et ses conseils m'ont guidé sur la bonne voie pendant les moments d'incertitude.

    Ensuite, je tiens à remercier le Professeur Désiré AVOM pour l'important appui qu'il a su m'apporter pendant la formation du programme NPTCI.

    Enfin, je remercie aussi ma famille, mes camarades de la première promotion du NPTCI et également tous ceux qui de près ou de loin m'ont soutenu dans la rédaction de ce mémoire.

    Je ne saurais terminer sans rendre hommage aux initiateurs du Nouveau Programme de Troisième Cycle Interuniversitaire (NPTCI), aux enseignants et à l'ensemble de tous ceux qui participent à la formation du capital humain des jeunes africains.

    LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS

    BIT: Bureau International du Travail

    BM: Banque Mondiale

    CEMAC : Communauté Economique et monétaire de l'Afrique Centrale

    CIPRES : Conférence Interafricain de la Prévoyance Sociale

    CNPS : Caisse Nationale de Prévoyance Sociale

    DSRP : Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté

    F CFA : Franc de la Communauté Financière Africaine

    FMI : Fond monétaire International

    INS : Institut National des Statistiques

    LFSS : Loi de Financement de la Sécurité Sociale

    OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economique

    OIT : Organisation Internationale du Travail

    PIB : Produit Intérieur Brut

    RD : Ratio de Dépendance

    SMIG : Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti

    WDI : Word Development Indicators

    LISTE DES TABLEAUX

    Tableau 2.1 : Evolution du taux de croissance annuelle moyen de l'inflation...................40

    Tableau 2.2 : Evolution du taux de croissance annuelle moyen des salaires réels...............40

    Tableau 2.3 : Evolution du ratio de dépendance.....................................................42

    Tableau 2.4 : Evolution du taux de chômage.........................................................42

    LISTE DES GRAPHIQUES

    Figure 2.1 : Structure de la couverture sociale en 2005.............................................35

    Figure 2.2 : Evolution du taux de croissance annuelle moyen des recettes de cotisations sociales et des dépenses de prestations sociales......................................................36

    Figure 2.3 : Evolution du taux de croissance annuelle moyen du PIB............................38

    RESUME

    Cette étude a pour objet d'analyser le fonctionnement du système de protection sociale au Cameroun. A l'aide des données statistiques et de leur analyse descriptive rigoureuse nous montrons que, depuis le milieu des années 1980 le système de protection sociale camerounais rencontre des dysfonctionnements liés à une triple crise : une crise financière, une crise d'efficacité et une crise de légitimité.

    Au regard de ces dysfonctionnements nous militons pour une réforme du système de protection sociale camerounais dont l'analyse se focalise sur la réhabilitation de la sécurité sociale et l'institutionnalisation d'un système de solidarité sociale.

    Mots clés : Protection sociale, réforme.

    ABSTRACT

    This study has the aim of analyzing the operation of the social protection system in Cameroon. Using the statistical data and of their rigorous descriptive analysis we show that, since the middle of the years 1980 the Cameroonian social protection system meets dysfunctions related to triple crisis: a financial crisis, a crisis of effectiveness and a crisis of legitimacy.

    Taking into consideration these dysfunctions we militate for a reform of the Cameroonian social protection system whose analysis is focused on the rehabilitation of the social security and the institutionalization of a system of social solidarity.

    Key words: Social protection, reform.

    INTRODUCTION GENERALE

    « Les institutions publiques devraient développer des capacités d'intervention efficaces d'un point de vue social. »

    Cette proposition de Joseph Stiglitz (1997) prix Nobel d'économie 2001, résume à elle seule une fonction que veut remplir de manière générale les organismes chargés de mettre en oeuvre un ensemble de règles établies en vue de la satisfaction d'intérêts collectifs et plus particulièrement ceux chargés de la protection sociale, c'est-à-dire une protection universelle par la collectivité nationale des conséquences économiques néfastes pour l'individu des risques de l'existence (chômage, vieillesse, maladie, etc.).

    La protection sociale désigne tous les mécanismes de prévoyance collective permettant aux individus de faire face aux conséquences financières des risques sociaux c'est-à-dire des situations susceptibles de compromettre la sécurité économique d'un individu ou de sa famille en provoquant une baisse de ses ressources ou une hausse de ses dépenses. Elle a donc à la fois des objectifs matériels (permettre aux individus de survivre quand ils sont malades, ou âgés, ou chargés de familles nombreuses par exemple) et des objectifs sociaux (réduire l'inégalité devant les risques de la vie et assurer aux individus un minimum de revenus leur permettant d'être intégrés dans la société). Pour atteindre ces objectifs, elle peut fonctionner selon trois logiques :

    · une logique d'assurance sociale, dont l'objectif est de prémunir contre un risque de perte de revenu (chômage, maladie, accident du travail). Le plus souvent, les prestations sociales sont financées par des cotisations sur les salaires ; elles sont donc réservées à ceux qui cotisent ;

    · une logique d'assistance sociale, qui a pour objectif d'instaurer une solidarité entre les individus pour lutter contre les formes de pauvreté. Elle consiste à assurer un revenu minimum versé sous condition de ressources, mais sans cotisations préalables (revenu minimum d'insertion, allocation adulte handicapée) ;

    · une logique de protection universelle, qui a pour but de couvrir certaines catégories de dépenses pour tous les individus. Les prestations sont les mêmes pour tous et accordées sans conditions de cotisations ou de ressources (prestations familiales par exemple).

    La protection sociale est assurée par les institutions telles que : la sécurité sociale (protection contre la maladie, la vieillesse, etc.), l'État lui-même (bourses scolaires, indemnisations des chômeurs en fin de droits par exemple), les collectivités territoriales (les communes peuvent prendre en charge certaines dépenses des retraités ayant peu de ressources, comme les dépenses de transport) et les administrations privées (les organisations caritatives, comme le secours catholique ou le secours populaire). La plupart des dépenses de la protection sociale sont financées par les prélèvements obligatoires. Les impôts permettent de payer les dépenses inscrites aux budgets de l'État ou les collectivités territoriales. Les cotisations sociales patronales et salariales permettent de financer les dépenses de la sécurité sociale. Les administrations privées sont financées par les dons des particuliers et les subventions éventuellement reçues de l'État, des collectivités territoriales ou même des organismes supranationaux.

    Depuis la fin du XIXe siècle, et surtout après 1945, tous les pays occidentaux ont mis en place un système de protection sociale afin « de répondre à un commun défi, celui de l'industrialisation et des facteurs de dissociation sociale qu'elle entraînait » (Fournier, Questiaux, Delarue, 1988). Cependant, chaque nation a suivi une voie particulière pour élaborer ses propres institutions et à des rythmes différents, en mobilisant ses traditions nationales et en tenant compte des différentes forces en présence dans chaque contexte. Ainsi, les grandes familles de protection sociale en Europe recouvrent en partie la distinction Bismarck/Beveridge et se différencient nettement du modèle libéral américain de protection sociale.

    Aux États-Unis, le système de protection sociale développé relève du « modèle résiduel » où le marché est censé fournir aux individus des emplois et des revenus suffisants en fonction de leurs mérites. Si l'individu ne peut se procurer des moyens de subsistance, les solidarités familiales ou celles des réseaux privés doivent y pourvoir. L'État n'intervient qu'en dernier instance. La protection sociale américaine sépare clairement le domaine de la Social Security (créée par la Fédéral Security Act du 14 août 1935 : loi s'intégrant dans la politique du New Deal menée par Roosevelt) qui répond à une logique d'assurance sociale contre les risques chômage et vieillesse (l'assurance-maladie n'en fait pas partie), et celui du Welfare (« bien-être ») qui répond à une logique d'assistance et de lutte contre la misère.

    En Allemagne, le système de protection sociale, est marqué par les lois de 1883 (assurance maladie), 1884 (assurance accident) et 1889 (assurance invalidité vieillesse), annoncées dans le discours programme prononcé par Bismarck (1815-1895) au Reichstag le 17 novembre 1881, dont la phrase résume parfaitement la stratégie : « Messieurs les démocrates joueront vainement la flûte lorsque le peuple percevra que les princes se préoccupent de son bien-être ». Le modèle allemand est fondé sur la technique d'assurance, sur le travail, obligatoire pour les seuls salariés et géré par les employeurs et les salariés eux-mêmes.

    En Grande-Bretagne, le système de protection sociale est conforme au plan de Beveridge (1879-1963) qui centralise et associe étroitement les politiques d'indemnisation de l'insuffisance de revenu (organisée par le ministère de Sécurité sociale), de lutte contre la maladie (National Health Service géré par le ministère de la santé) et de l'emploi (ministère de l'éducation et de l'emploie). Ce système est généralisé à toute la population quel que soit son statut d'emploi ou son revenu, unifié, simple et versant des prestations uniformes quel que soit le gain des intéressés.

    En France, le système de protection sociale initié par le juriste Pierre Laroque (1907-1997) s'est constitué sur un compromis entre une logique assurantielle correspondant au modèle historique bismarckien, et une logique d'assistance héritée du modèle beveridgien (Palier, 2002). Comme le modèle anglais, il adopte le principe de l'universalité de la couverture sociale mais son mode de financement et d'organisation relève plutôt du modèle allemand. Dans chacun de ces États-providence, un équilibre économique et politique a été trouvé autour de la conception commune d'« une bonne société ».

    Ces constructions ont cependant été remises en question au milieu des années 1970 par la transformation de l'environnement économique, démographique et sociétal. La crise économique a généré « une crise technique » des systèmes de protection sociale, qui s'est progressivement orientée vers une « crise de légitimité » (Habermas, 1978). Ce phénomène a été accru par la mondialisation de l'économie et la concurrence internationale. Devant ces nouveaux défis, les États-providence ont été sommés de « s'adapter » (Esping-Andersen, 1996). Parallèlement à ce mouvement de remise en cause des systèmes de protection sociale et des propositions de réformes, les réflexions intellectuelles se sont développées, cherchant à étudier ce processus de « crises », qui selon Hannah Arendt, est à la fois synonyme d'éclatement et de construction, passage créateur vers de nouvelles conceptions (Arendt, 1972).

    Les travaux se sont ainsi développés sur la « crise de l'État-providence » (OCDE, 1981 ; Rosanvallon, 1981) et nombreuses sont les analyses qui accompagnent le développement du ou des États-providence contemporains (Daniel et Pallier, 2001 ; Rosanvallon, 1995 ; Leibfried, 2001 ; Castel, 1995 ; Esping-Andersen, 1990).

    Les premières recherches sur les systèmes de protection sociale ont été lancées en Europe dans les années 1960-19701(*), en réponse au rôle nouveau et croissant joué par les États d'après guerre dans la satisfaction des besoins. Celles-ci ont porté sur la comparaison des différents systèmes de protection sociale en Europe. Elles reposent alors presque totalement sur la comparaison des montants des dépenses publiques. Le niveau des dépenses sociales est en effet considéré comme le meilleur indicateur de l'effort des États en faveur du bien-être social, et les pays sont classés sur une échelle de bien-être « faisant ressortir le lien entre le niveau de développement économique et le niveau de développement social ». Ce type d'analyse développementaliste a aujourd'hui été remplacé par l'analyse typologique qui, regroupant les régimes en catégories idéales-typiques, permet de mettre en évidence des modèles de welfare, de mener une réflexion sur les convergences et les divergences et de procéder à la recherche de causes.

    Les recherches du sociologue suédois Gösta Esping-Andersen (1990) ont joué un rôle majeur dans cette nouvelle orientation des travaux comparatifs. S'inspirant de la typologie de Richard Titmuss (1958), centrant l'analyse autour du concept de « démarchandisation2(*) » emprunté à Karl Polanyi (1944), Esping a ainsi identifié trois régimes de protection sociale sans nul doute explicables par les choix sociétaux typiques des pays entrants dans telle ou telle catégorie à savoir : le modèle libéral ou résiduel, le modèle corporatiste-conservateur et le modèle social-démocrate3(*).

    Tout comme dans les pays développés, l'organisation du système de protection sociale est plus que jamais au coeur des préoccupations des pays africains et plus particulièrement le Cameroun. L'actualité économique, sociale et politique de ces derniers temps en apporte une illustration édifiante. Ainsi, par arrêté n°159/PM du 04 novembre 2008, le gouvernement camerounais à travers son Premier Ministre a mis sur pied un comité de réflexion en vue de la modernisation de son système de protection sociale. Au Cameroun, le système développé s'est constitué sur une logique assurantielle correspondant au modèle historique bismarckien4(*), dans lequel les droits sociaux individuels sont obligatoirement liés à l'exercice d'une activité professionnelle. Depuis le milieu des années 1980, les contraintes institutionnelles, ainsi que celles liées au contexte socioéconomique du Cameroun tendent à fragiliser et à faire évoluer le fonctionnement du système de protection sociale, incidence qui est en elle - même source du niveau actuel de la couverture sociale. En effet, une bonne partie de la population active camerounaise (travailleurs indépendants et ceux de l'économie informelle) ne bénéficie pas de la couverture sociale, soit 82,5%. Seule une minorité de cette population (les actifs salariés) en bénéficie, soit 17,5%5(*).

    En matière de sécurité sociale au Cameroun, seule la caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS)6(*) assure dans le cadre de la politique de protection sociale du gouvernement, le service des prestations aux travailleurs assurés et à leurs ayants droits. Il convient de relever que la CNPS est un établissement public doté de la personnalité juridique et jouissant de l'autonomie financière. Elle est placée sous la tutelle du ministère du travail et de la sécurité sociale et est administrée par un Conseil d'Administration composé de représentants des travailleurs, de représentants des employeurs et des représentants des pouvoirs publics.

    A ce titre, elle gère différentes branches de prestations réparties ainsi qu'il suit :

    · les prestations familiales : allocations familiales, prise en charge du congé de maternité, frais médicaux liés à la grossesse, allocations prénatales, indemnité journalière ;

    · les prestations de vieillesse (vieillesse normale et vieillesse anticipée), d'invalidité et décès : pension ou allocation vieillesse, pension ou allocation de survivant, frais funéraires, majoration pour tierce personne ;

    · les prestations d'accident de travail et de maladies professionnelles : prise en charge des frais médicaux, des frais de prothèse et des frais funéraires, rente de survivants et d'incapacité partielle, annuité de rente, rachats d'annuités, allocation d'incapacité, majoration pour tierce personne, indemnité journalière ;

    Dans ces différentes branches seulement six des neuf prestations reconnues par l'OIT sont prises en charges par la CNPS7(*), qui ne dispose ni de branche assurance maladie, ni de branche assurance chômage. Le système de sécurité sociale camerounais est un système par répartition, dans lequel les prestations sont financées par des prélèvements qui leur sont contemporains. Néanmoins jusqu'à ce jour, la part de l'impôt et des transferts publics dans le financement de la sécurité sociale est nulle dans certains régimes (Caisse nationale de prévoyance sociale) et appréciable dans d'autres (Ministère des Finances). Seules les cotisations sociales assurent le financement des différentes branches dans le régime CNPS.

    Pour ce qui est de l'assistance sociale aux plus défavorisées, elle est assurée par le ministère en charge des affaires sociales qui s'occupe des populations cibles telles que : les enfants, les handicapés, les personnes âgées, les indigènes et les populations vulnérables. Les chômeurs n'en font pas partie. Il faut cependant reconnaître que jusqu'à ce jour, le Cameroun ne dispose pas d'une véritable politique d'assistance sociale par défaut de financement.

    Il existe néanmoins plusieurs mécanismes fondamentaux de protection sociale à savoir : la protection faite par l'administration publique, celle faite par les assurances, celle faite par la famille sous forme d'assistance, celle faite par la caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) et celle faite par les systèmes d'assurance communautaire évoluant encore dans l'informel.

    Ces différents mécanismes s'insèrent dans un système sociodémographique, économique et politique qui n'est pas du tout meilleur. Ainsi, les problèmes socioéconomiques à l'instar de la crise économique, de l'évolution du taux d'informalité économique et du chômage que rencontre le Cameroun laissent craindre d'importantes difficultés pour le régime de sécurité sociale. En effet, la CNPS connaît depuis la récession de l'économie camerounaise survenue au milieu des années 1980 de déficits financiers importants dans ses différentes branches. Cet état de chose a suscité auprès des pouvoirs publics et des institutions de Bretton Woods (FMI et BM) l'idée de scinder cet organisme en plusieurs entités ; d'où la transmission de ce dossier, à la commission nationale de réhabilitation des entreprises publiques après publication du décret N° 99/24 du 29 octobre 1999 modifiant et complétant certaines dispositions du décret N° 95/056 du 29 mars 1995 portant réorganisation des entreprises du secteur public et parapublic en vue de trouver une solution opportune à ce problème.

    Que retracent ces problèmes socioéconomiques ? Les estimations de l'INS en 2004 montrent que le Cameroun comprend près de 17 millions d'habitants. Son taux de progression annuel avoisine 3%. Cette population est composée de 64% de jeunes âgés de 0 à 14 ans et de 3% d'individus âgés de 60 ans et plus : soit un total d'inactifs de 67%, les 33% autres personnes appartiennent à la tranche d'âge 15 ans-59 ans et représentent les actifs qui constituent la main d'oeuvre du pays. Cependant, 9,6% seulement de cette main d'oeuvre est employé dans l'économie formelle et le taux d'informalité des emplois est fixé à 90,4 % (INS, 2005).

    Les difficultés éventuelles que peut rencontrer le système de sécurité sociale dépendent toutefois de la conjoncture dans laquelle il évolue, du taux d'activité dans l'économie formelle et de la gestion des fonds qui alimentent le régime. Si l'on prévoit une hausse des activités dans l'économie informelle chez les individus appartenant à la classe d'âge des actifs, alors cela ne peut que susciter la dégradation du ratio de dépendance du système. Selon les données obtenues au niveau de la CNPS le ratio est resté stable de l'année 2001 à 2003 ; soit 1/8 ; ce qui signifie que 8 bénéficiaires des pensions retraites sont à la charge d'un travailleur actif.

    Ces différents facteurs apportent des éléments susceptibles d'expliquer les dysfonctionnements de la protection sociale au Cameroun, remettant ainsi en cause l'organisation du système de protection sociale.

    Dans ces conditions, une interrogation émerge.

    Au regard des modèles de protection sociale développés dans les pays occidentaux, ne sommes-nous donc pas en droit de penser que le système de protection sociale camerounais fonctionne mal ?

    A travers ce questionnement, l'objectif de ce travail est de montrer que le système de protection sociale au Cameroun fonctionne mal. Plus spécifiquement, il s'agit d'identifier les facteurs à la base des fonctionnements défectueux dans le système de protection sociale camerounais.

    Plusieurs facteurs de dysfonctionnements ont souvent été identifiés par certains auteurs dans le système camerounais de protection sociale. Pour Ntsama E. (2003), ces facteurs sont d'abord démographiques et macroéconomiques. Il ya l'arrivée à l'âge de la retraite de populations importantes de salariés pris en charge à l'époque de la croissance et bénéficiaires de pensions au moment où le nombre de cotisants à baisser considérablement. A ces facteurs structurels et financiers de la CNPS, s'ajoutent également les évolutions négatives de la gestion interne (gestion financière et gestion administrative).

    Face à ces dysfonctionnements, la situation de la CNPS appelle donc des réformes en profondeur. Un effort a été entrepris, au niveau des pays de la Zone Franc, pour aider au redressement de la rationalisation de la gestion des institutions de prévoyance sociale avec la création de la CIPRES. Par ailleurs, un projet de loi instituant la sécurité sociale, a été présentée en juin 1996 à l'assemblée nationale. Son adoption a été différée. Il convient, de façon globale, d'observer que ces initiatives tendent à une réduction du niveau des prestations servies et ne se sont pas encore traduites par des recouvrements substantiels des arriérés, ni même des cotisations courantes.

    De plus, le système de protection sociale n'a pas constitué une grande préoccupation dans les politiques d'ajustement structurel, même celles dites de deuxième génération pourtant centrées sur la lutte contre la pauvreté. L'ensemble des disparités relevées est la preuve d'un manque d'études d'impact des réformes qui tendent à corriger certaines erreurs caractéristiques du système de sécurité sociale en place. Si ce système continue à fonctionner ainsi, sa viabilité sera dans un terme proche mise à mal. Il apparaît donc judicieux d'entreprendre la réforme du système camerounais de protection sociale.

    La mise en place d'un nouveau modèle de protection sociale va permettre de contribuer à l'extension et à l'amélioration du fonctionnement du système de protection sociale camerounais.

    Pour ce faire, nous posons l'hypothèse principale selon laquelle le système de protection sociale camerounais fonctionne mal. De manière spécifique, deux hypothèses sont énoncées :

    - Les contraintes institutionnelles, ainsi que celles liées au contexte socioéconomique du Cameroun expliquent les dysfonctionnements de la protection sociale camerounaise.

    - La viabilité du système de protection sociale camerounais passe par la réhabilitation de la sécurité sociale et l'institutionnalisation d'un système de solidarité sociale.

    Pour parvenir à la vérification de ces hypothèses, nous nous proposons dans un premier temps de faire une analyse descriptive des dysfonctionnements de la protection sociale au Cameroun et dans un second temps, il sera question de mener une analyse des réformes du modèle de protection sociale camerounais.

    Suivant l'analyse descriptive des dysfonctionnements de la protection sociale au Cameroun, il s'agit de montrer que le système de protection sociale camerounais fait face à une triple crise : une crise financière, une crise d'efficacité et une crise de légitimité.

    Suivant l'analyse des réformes du modèle de protection sociale camerounais, il s'agit de mener une analyse sur la réhabilitation de la sécurité sociale et une autre sur l'institutionnalisation d'un système de solidarité sociale.

    Les données nécessaires à notre étude sont tirées des cahiers de charges de la CNPS et de l'annuaire statistique de l'économie camerounaise. Par ailleurs les données relatives aux taux de croissance du PIB, à l'inflation, au salaire réel, au taux de mortalité, au taux de fécondité, à l'espérance de vie et à la population ont été fournies par les tables statistiques de la Banque Mondiale.

    En considérant tout ce qui précède, nous subdivisons notre étude en deux parties. Dans une première partie, on se propose de présenter les dysfonctionnements de la protection sociale au Cameroun, et dans une deuxième partie d'analyser les voies de réformes de la protection sociale au Cameroun.

    PREMIERE PARTIE : LES DYSFONCTIONNEMENTS DE LA PROTECTION SOCIALE AU CAMEROUN

    INTRODUCTION A LA PREMIERE PARTIE

    Le fonctionnement de la protection sociale dans le monde s'est fait par étapes successives, évoluant en même temps qu'émergent d'autres risques sociaux qui sont pris en compte par la société. Le système de protection sociale constitue aujourd'hui un corps assez délicat dans leur mise en oeuvre. Les évolutions économiques et sociodémographiques en plus d'autres problèmes que l'on observe aujourd'hui dans chaque pays conduisent de plus en plus à créer un doute quant à la capacité des régimes de protection sociale à assurer la couverture sociale et ce, de manière pérenne à tous les citoyens.

    Les différentes formes d'essoufflements auxquels font face les systèmes de protection sociale dans nombre de pays ont des causes dont les origines sont diverses. Dans les pays développés par exemple, l'on parle du vieillissement de la population. Phénomène qu'on n'observe pas dans les pays pauvres à l'instar de ceux de l'Afrique subsaharienne et notamment le Cameroun. Tout au contraire, deux types de problèmes justifient la crise des systèmes de protection sociale dans ces pays d'une part les problèmes institutionnels et de gestion et d'autre part les problèmes liés à l'évolution de l'environnement économique et des contextes sociodémographiques. Il s'agit là d'une révélation du débat sur l'incidence plus ou moins favorable des variables économiques relativement aux variables sociodémographiques sur les régimes de protection sociale en plus d'autres problèmes que connaissent ces régimes.

    Dans le cas du système de protection sociale camerounais, et notamment le système de sécurité sociale, les contraintes de l'extension de la couverture sociale témoignent des difficultés qu'endure ce système, ce qui du même coup nous amène à nous poser des questions quant à l'adéquation du modèle de protection sociale adopté dans ledit système avec l'environnement économique et ses contextes sociodémographiques.

    Cette partie a pour principal objet de faire une étude approfondie sur la santé du système de protection sociale en matière d'organisation sociale et de déterminer éventuellement les causes de son asphyxie. Elle se subdivise en deux chapitres. Le premier présente le fonctionnement d'un modèle de protection sociale. Le deuxième quant à lui porte sur le fonctionnement de la protection sociale au Cameroun.

    CHAPITRE 1 : LE FONCTIONNEMENT D'UN MODELE DE PROTECTION SOCIALE

    Le fonctionnement d'un modèle général de protection sociale est relativement récent. Il voit le jour après la seconde guerre mondiale.

    Mais il est également le fruit d'une longue évolution. Les étapes de passage à une protection généralisée et universelle s'expliquent par les bouleversements socioéconomiques provoqués par l'avènement de la société industrielle. L'évasion des sociétés anciennes (villageoises ou familiales) au XIXe siècle rendit impératif l'élaboration des systèmes de protection sociale garantissant une certaine sécurité face aux risques qui frappent les personnes démunies. C'est dans ce sens que les institutions de protection sociale voient le jour partout dans le monde entier et cela pour protéger les membres de la société grâce à une série de mesures publiques contre les divers risques et charges susceptibles de diminuer leur niveau de vie et de menacer leur sécurité économique. Malheureusement, le début des années 1980 marque la fin du règne du mode de fonctionnement de ces systèmes de protection sociale. Ceux-ci seront remis en cause.

    Le présent chapitre aborde dans un premier temps les fondements théoriques des systèmes de protection sociale pour s'appesantir dans un second temps sur les limites desdits systèmes.

    1.1. Les fondements théoriques des systèmes de protection sociale

    Dans le monde, le fonctionnement des systèmes de protection sociale a évolué. Il remonte à la renaissance au XIVe siècle ; époque où l'on observe une irruption de l'humanisme, qui place l'homme au centre de ses préoccupations et bouleverse toute la pensée occidentale. Cette renaissance intellectuelle est suivie de profonds changements politiques et sociaux. Parallèlement à la révolution industrielle, un vaste système de protection sociale se constitue au XIXe siècle allant de l'assistance sociale à la protection universelle, en passant par l'assurance sociale.

    1.1.1. Naissance et développement des systèmes de protection sociale

    Avant de présenter la genèse de l'organisation sociale et son développement, une analyse théorique de celle-ci est d'abord nécessaire.

    1.1.1.1. L'analyse théorique de l'organisation sociale

    Il s'agit ici de mener une analyse microéconomique et macroéconomique de l'organisation sociale.

    · L'analyse microéconomique de l'organisation sociale

    Du point de vue microéconomique, le besoin de protection sociale est né des insuffisances de la prévoyance libre (individuelle et collective) et de celles de l'altruisme et du don libre envers les non-travailleurs (les « non-agents économiques » car trop vieux, trop malades, trop jeunes, trop inemployable...) et la faiblesse de certains revenus du travail (ceux des woorking poors).

    La prévoyance libre est assurée par le marché selon la règle « à chacun selon ses besoins ». Elle fonctionne à travers deux techniques : le report et l'assurance.

    La technique du report repose sur la redistribution du revenu sur le cycle de vie. Elle peut s'effectuer du présent vers l'avenir (épargner) mais aussi de l'avenir vers le présent (emprunter). Cette planification intertemporelle peut être de courte durée ou être étendue sur une longue durée.

    Cette technique a été mise en évidence par Modigliani et Brumberg (1954), puis par Ando et Modigliani (1963). Ceux-ci soulignent ainsi que, en général les revenus du travail sont repartis irrégulièrement sur toute la durée de vie de l'agent économique. Le revenu salarial suivrait « une courbe en cloche » avec l'âge (dont le « sommet » se situe vers la fin de la quarantaine), du fait d'une productivité du travail faible en début de carrière (temps d'apprentissage) et en fin de vie professionnelle (capacité physique déclinante ou formation obsolète). Cette analyse du cycle de vie fait face néanmoins à des insuffisances à savoir les contraintes de liquidité, la pluralité des intérêts et les incertitudes sur le long terme. Ce sont ces insuffisances qui justifient la mise en place d'un dispositif d'assurances sociales qui s'occupe des retraites publiques, de l'éducation nationale, ainsi que de la garantie et des subsides publics à l'épargne et à l'emprunt.

    Pour ce qui est de l'assurance, elle repose sur la technique de la mutualisation des risques, c'est-à-dire de l'étalement sur tous les membres d'un groupe (les assurés) de la charge d'un préjudice correspondant à un évènement frappant l'un d'eux. L'assurance est un jeu contre la nature qui permet de réduire l'incertitude (Bichot.J, 1997), même si le danger intrinsèque (mort, accident, maladie) demeure inchangé. L'activité d'assurance n'est pas une simple opération de transferts de charges, mais est source de valeur ajoutée en utilisant le principe de calcul actuariel. Cette technique n'échappe pas à des insuffisances à savoir le problème d'antiselection (Akerlof, 1970) et celui de risque moral. Des insuffisances ayant pour conséquences les inégalités, les discriminations et les inefficacités économiques. D'où la mise en place d'un dispositif d'assurances sociales permettant l'information publique, une double obligation d'assurance, un prix indépendant du risque individuel et de l'âge, une économie d'échelle, ainsi qu'une couverture uniforme et complète.

    La solidarité au sein d'un groupe quant à elle s'exprime par une redistribution de revenus, de biens ou de services vers les personnes économiquement faibles. Elle peut être conçue comme une interaction réciprocitaire (mutuellisme), une action purement altruiste et spontanée (le don charitable) ou comme le fruit d'un calcul stratégique à court, moyen ou long terme (ostentations ou intérêt personnelle bien compris), sans d'ailleurs que ces trois conceptions soient mutuellement exclusives.

    Le mutuellisme familial contribue à faire de la famille un espace de protection et d'entraide. Le mutuellisme communautaire et professionnel pour sa part s'organise autour d'une base communautaire sous la forme de confréries et de corporations. Ces deux formes de mutuellismes n'échappent pas à des insuffisances telles que : la mauvaise diversification des risques et l'inégalité d'appartenance.

    La solidarité est aussi liée aux dons à travers un donateur qui veut se faire valoir (en cela la dépense est ostentatoire), à travers également la générosité des donateurs. A cela, il faut ajouter la charité privée qui peut être directe ou intermédiée, ainsi que l'altruisme lié à «  l'égoïste prudence » (J.M.Buchanan et G.Tullock, 1986) et au « voile d'ignorance » (John Rawls, 1971). Des insuffisances guettent néanmoins ces différentes formes de solidarités à savoir : le don proportionnel à la proximité au risque des donateurs et non aux besoins des défavorisés, la réciprocité non garantie du don, les intérêts acquis, le sous-investissement en capital humain et le comportement de passager clandestin.

    Ces contraintes justifient les attributions de la protection sociale à travers: le devoir de contribution, le choix collectif, un mutuellisme obligatoire dont les bases seront le droit à l'aide sociale, ainsi qu'un mutuellisme social plus large et plus égalitaire.

    A l'issue de cette analyse microéconomique de l'organisation sociale, le caractère étroitement imbriqué des assurances sociales et de l'aide sociale amène à douter de la pertinence de la dichotomie entre prévoyance-assurance et solidarité-assistance et de la nécessité de séparer dans les divers régimes, ce qui relèverait d'une logique d'assurance de ce qui dépend de la solidarité. Ainsi pour D.Blanchet (1996) : « le système de protection sociale évolue en s'appuyant sur deux jambes : le sentiment que quelque chose d'inconditionnel doit être fait pour les moins chanceux, et le sentiment que ce quelque chose joue aussi un rôle d'assurance qui est à l'avantage de tous. Faut-il continuer à prendre appui sur ces deux jambes ou (...) continuer à cloche pied ? ». Nous allons maintenant voir qu'au plan macroéconomique, la protection sociale est aussi une et indivisible.

    · L'analyse macroéconomique de l'organisation sociale

    L'individualisme méthodologique développé précédemment se fonde sur l'étude des besoins individuels de protection et se caractérise par deux traits : 1) la protection sociale est contingente et subsidiaire des possibilités du marché ; 2) la protection sociale s'organise autour de deux pôles majeurs, l'assurance sociale et l'aide sociale.

    A l'inverse, la démarche holiste choisit une approche globale dès l'origine, en considérant la protection sociale directement au sein de la société et du système productif dans leur ensemble, en interaction avec les agrégats économiques globaux et les groupes sociaux pour les keynésiens, en relation avec les classes sociales et les institutions pour les marxistes. Ces deux traits communs aux analyses keynésienne et marxiste facilitent également la construction par l'école de la régulation d'une explication « mixte » de la protection sociale, en tant qu'élément du fordisme, et débouchent sur une interprétation économique globale de l'État Providence.

    L'approche keynésienne de la protection sociale

    « Les deux vices marquant du monde économique où nous vivons sont le premier que le plein-emploi n'y est pas assuré, le second que la répartition de la fortune et du revenu y est arbitraire et manque d'équité (...) Les contrôles centraux nécessaires à assurer le plein emploi impliquent une extension des fonctions traditionnelles de l'État. (...) Cet élargissement nous apparaît comme le seul moyen d'éviter une complète destruction des institutions économiques actuelles et comme la condition d'un heureux exercice de l'initiative individuelle. ». ce programme de réforme sociale du capitalisme qu'esquisse J.M.Keynes dans le dernier chapitre de La Théorie générale intitulé « Notes sur la philosophie sociale à laquelle la théorie générale peut conduire » constitue la base théorique de la construction de l'État Providence : la taxation des revenus et des successions, le développement des dépenses publiques et la redistribution massive qu'implique la protection sociale sont mis en place non pas tellement dans le but de justice sociale, mais dans un but de sauvetage économique du capitalisme nécessaire à sa survie sociale et politique.

    Pour Keynes, le risque systémique du capitalisme est essentiellement dû à l'insuffisance de la demande globale. C'est en cela que l'approche keynésienne considère la protection sociale comme un instrument de politique économique. Autrement dit, la politique sociale devient à l'égal de la politique budgétaire et de la politique monétaire un outil au service du « carré magique » de Nicolas Kaldor : croissance, plein-emploi, équilibre extérieur, stabilité des prix.

    L'approche marxiste de la protection sociale

    Selon X.Greffe (1975) : « L'approche matérialiste lève la présomption de bienfaisance officiellement attachée aux politiques sociales pour montrer que l'amélioration économique de la situation d'une classe peut être simultanément récupérée du point de vue social. ». Autrement dit la protection sociale, et plus largement l'État Providence sont certes bénéfique aux salariés en termes de progrès social mais sont aussi une providence pour les capitalistes ! C'est le second aspect de la dialectique de la protection sociale que les marxistes s'attachent à expliciter, à savoir comment la protection sociale permet de surmonter certaines contradictions du mode de production capitaliste.

    Marx définit un mode de production comme « l'ensemble des conditions matérielles et sociales de la production à un certain stade de l'histoire. ». Cet ensemble s'organise à travers les forces productives et de la force de travail, le rôle de l'entreprise étant d'organiser la « coopération » efficace des forces productives. Il s'organise également à travers les rapports de production (les rapports des hommes entre eux dans le processus de production) et des rapports sociaux (rapports entre hommes en dehors de la production). Les rapports sociaux s'exprimant par une super structure juridique et politique, et par une forme déterminée de conscience véhiculée par des appareils idéologiques (éducation, sport, presse, publicité) qui sont aux mains de la classe dominante.

    Lorsque Marx énonce « ce que la grande industrie développe, ce sont ses propres fossoyeurs », il fait référence aux effets de le concurrence entre les capitalistes qui font rentrer en contradiction les intérêts individuels des capitalistes (faire toujours plus de profit en conquérant les parts de marché) et leur intérêt collectif (la baisse tendancielle du taux de profit résultant de la hausse de la composition organique du capital).

    Afin de lutter contre cette baisse tendancielle qui est avant tout une crise de rentabilité, les capitalistes cherchent à accroître le taux de plus-value (appelé aussi taux d'exploitation), ce qui en l'absence de système de protection sociale va déboucher sur une crise de la reproduction du mode de la production capitaliste à quatre facettes : l'exploitation du prolétaire, la paupérisation de la classe ouvrière, l'absolue répétition et la décomposition extrême des tâches dans la grande industrie (doublées des règlements du travail draconiens et quasi militaires) et la prolétarisation de la société.

    Pour Marx, le capitalisme est donc destiné à « s'effondrer de lui-même sous le poids de ses propres contradictions », au bénéfice des prolétaires. Mais pour les libéraux du XIXe siècle, si l'analyse des symptômes est assez proche, il s'agit au contraire de sauvegarder le capitalisme, en apportant une réponse à cette « question sociale » de la misère des familles ouvrières.

    Ce projet libéral, que P.Rosanvallon qualifie de « capitalisme utopique » fut un échec, d'où la nécessité de mettre en place un système de protection sociale facteur de reproduction du mode de production capitaliste à travers la reproduction de la force de travail, des rapports sociaux et des rapports de production.

    L'approche régulationniste de la protection sociale

    L'école de la régulation repose sur une analyse keynésiano- marxiste menée dans une perspective historique et institutionnaliste. Dans La théorie de la régulation : une analyse critique (1986), Robert Boyer définit la régulation comme étant « la conjonction de mécanisme concourant à la reproduction d'ensemble compte tenue des structures économiques et des formes sociales en vigueur ».

    Dans cette approche, le risque systémique du capitalisme résulte de l'absence d'autoéquilibre qui nécessite la médiation d'institutions. Le rôle de la protection sociale est basé sur un triple compromis institutionnalisé : l'organisation du travail, le partage des revenus et les interventions sociales de l'État. Les interactions avec les autres politiques publiques sont historiquement et nationalement situées. Il s'agit de la réglementation du travail, de la politique d'emploi et d'une politique industrielle.

    1.1.1.2. La genèse de l'organisation des systèmes de protection sociale

    Le problème de protection sociale prend naissance au XIXe siècle avec les conséquences sociales de l'industrialisation. Période à laquelle apparaissent les premiers systèmes de protection sociale. Jusqu'à cette époque, il est admis que la pauvreté est la sanction de l'oisiveté et du vice. En effet, selon la conception libérale, dans un système économique fondé sur le marché autorégulateur, chaque individu reçoit un revenu en fonction de sa contribution productive. Il doit donc se prémunir contre les risques sociaux par l'épargne. S'il se trouve néanmoins de « vrais » pauvres, la charité privée doit pourvoir à leurs besoins.

    Ce discours va peu à peu être remis en cause et les idées d'assistance, de solidarité, d'assurance sociale, vont progressivement s'imposer au sein des pays industrialisés.

    · Jusqu'au XVIIIe siècle : pauvreté et assistance

    Avant l'industrialisation, les risques tels que l'interruption d'activité pour maladie ou accident et vieillesse, sont pris en charge par la famille étendue (solidarité intra-familiale) et par les organismes professionnels (par exemple les corporations).

    L'église et l'État royal, de leur côté, mettent en place les premiers dispositifs d'assistance aux pauvres. Les paroisses et les ordres religieux tissent, dans toute la chrétienté, un réseau de léproserie, aumônerie, hospices et hôpitaux. L'État crée des hôpitaux, des dépôts de mendicité, des asiles d'aliénés. Mais l'intervention de l'État n'est pas systématique et reste de faible ampleur.

    L'Angleterre élisabéthaine fournit une première réponse, massive et cohérente, au problème de la pauvreté avec l'instauration des lois sur les pauvres (Poor Laws). En France, le traitement de la pauvreté contient, dès le XVIIIe siècle, une dimension économique avec le recours aux travaux de secours (travaux publics). Les travaux de secours commencent à être appréhendés comme un droit et conduisent à la création des « fonds de travaux de charité » dans de nombreuses régions françaises au cours des années 1770. Par la suite sont créés les « ateliers de charité » et l'idée resurgit naturellement pendant la révolution de 1789.

    Dès le départ, les dispositifs mis en place obéissent à deux logiques : une logique d'assistance et une logique de surveillance et de contrôle social des indigènes et des vagabonds.

    · La naissance des assurances sociales

    L'industrialisation du XIXe siècle conduit à la prise de conscience de la disparition des solidarités traditionnelles. Comme l'a montré K.Polanyi (1887-1967), l'instauration du marché autorégulateur, en particulier dans le domaine du travail, suppose la suppression des formes anciennes de solidarité, souvent liées à des formes de sociabilités familiale, professionnelle, religieuse, etc. De même il faut supprimer les normes traditionnelles qui régissaient l'usage de la force du travail. En France en 1791, la loi Le Chapelier supprime les corporations et en Grande-Bretagne, l'acte de Speenhamland (1795) est lui aussi abrogé en 1834. La disparition des formes antérieures de solidarité s'accompagne d'un exode rural et de la montée de nouveaux risques.

    « L'insécurité sociale » qui en résulte va conduire progressivement à l'instauration d'un système dans lequel les garanties sociales sont associées à un système d'assurances obligatoires couvrant les principaux risques de l'existence (maladie, chômage, retraite, invalidité, etc.). Une première expérimentation des assurances sociales se met en place entre 1880-1914 en Europe. Les accidents du travail sont couverts les premiers et marquent ainsi la reconnaissance à la société du risque inhérent à l'activité industrielle (même si la responsabilité de l'employeur n'est pas directement engagée). Puis, viennent l'assurance vieillesse, l'aide à la famille et, enfin, l'assurance-maladie. Le chômage n'est pas encore pris en compte. Seuls les travailleurs et leurs familles accèdent à l'assurance sociale. Bien souvent leur affiliation reste volontaire. La logique de l'assurance ou la solidarité professionnelle l'emporte sur la solidarité nationale.

    L'Allemagne de Bismarck joue un rôle précurseur : l'assurance-maladie est mise en place en 1883, l'assurance contre les accidents du travail en 1884, l'assurance invalidité vieillesse en1889.

    Pour Bismarck, ces réformes ont explicitement pour but de détourner les ouvriers de la propagande socialiste.

    Selon M.T.Join-Lambert (1998), quatre principes fondamentaux définissent le système bismarckien :

    - une protection exclusivement fondée sur le travail et, de fait, limitée ;

    - une protection obligatoire pour les seuls salariés dont le salaire est inférieur à un certain montant, donc pour ceux qui ne peuvent recourir à la prévoyance individuelle ;

    - une protection sociale fondée sur la technique de l'assurance, qui instaure une proportionnalité des cotisations par rapport aux salaires et une proportionnalité des prestations par rapport aux cotisations ;

    - une protection gérée par les employeurs et les salariés eux-mêmes.

    En Grande-Bretagne, il faut attendre 1911 pour que soit mis en place par l'État un système d'assurance obligatoire contre la maladie et le chômage. En France, ce n'est qu'au début du XXe siècle que commence à se mettre en place un système d'assurance (1910, loi sur les retraites ouvrières et paysannes).

    La période 1920-1940 apparaît comme une période où le système des assurances sociales se consolide. Les avantages obtenus par une minorité des travailleurs s'étendent aux classes moyennes, parfois à toute la population. Le processus devient irréversible : les incertitudes et les débats du XXe siècle s'estompent. En France, la loi sur les assurances sociales voit le jour le 30 avril 1930 et couvre les risques de maladie, maternité, vieillesse, invalidité et décès. Elle est complétée par la loi du 11 mars 1932 sur les allocations familiales.

    Aux États-Unis, jusqu'en 1930, le gouvernement fédéral, par fidélité aux principes du libéralisme, refuse toute intervention sociale systématique : l'aide aux nécessiteux est laissée à l'appréciation des États fédérés, des municipalités ou des organismes charitables. L'économie de marché est censée fournir aux individus des revenus élevés et des emplois nombreux (conception résiduelle de la protection sociale).

    Avec la crise économique de 1929, le chômage apparaît désormais comme un risque majeur. Par ailleurs, la théorie keynésienne justifie l'intervention de l'État et la redistribution. Aux États-Unis, le traumatisme de la crise conduit au vote du Social Security Act (1935), qui complète la politique économique du New Deal. Il s'agit d'une loi combinant l'assurance et l'assistance, et d'une protection sociale générale. La loi introduit une assurance-vieillesse coordonnée par le gouvernement fédéral (Federal Old Age Assistance), financée par des cotisations d'employeurs et de salariés, ainsi qu'une assurance-chômage (Unemployment Compensation), enfin une aide aux familles indigènes, aux aveugles et aux vieillards nécessiteux (confiés aux États fédérés). Ces mesures restent timides pour l'époque.

    Les conditions de la mise en place de L'État-providence vont être réunies au lendemain de la seconde guerre mondiale.

    · Des assurances sociales à la protection sociale

    En Europe, à travers la crise et la guerre, un nouveau compromis social s'institutionnalise. Les rapports Beveridge en Grande-Bretagne (1942 et 1944), les travaux du Conseil national de la Résistance en France, visent à instaurer un système protégeant l'ensemble de la population contre les risques de maladie, maternité, accidents du travail, vieillesse, chômage et famille.

    Ø Le rapport Beveridge en Grande- Bretagne

    Le rapport Beveridge de novembre 1942 (Social Insurance and Allied service) marque l'avènement du « Welfare State ». Selon W.Beveridge, une société industrielle vivant en paix ne devrait pas souffrir du besoin ni « des cinq génies malfaisants de l'histoire » : la maladie, l'ignorance, la dépendance, la déchéance et le taudis. Pour lui la liberté individuelle n'est pas séparable de la sécurité sociale qui doit « affranchir du besoin ». Il rejette le système d'assurances sociales réservées aux seuls travailleurs ainsi que le principe d'une assistance limitée aux plus démunis et introduit l'idée d'une protection universelle de tous les citoyens financée par l'impôt.

    Le régime de sécurité sociale conçu par W.Beveridge est en rupture avec la conception des « assurances sociales ». Il repose sur une nouvelle conception du risque social et du rôle de l'État. La sécurité sociale a pour but de libérer l'homme du besoin et du risque en garantissant une sécurité du revenu. Est considéré comme risque social tout ce qui menace le revenu régulier des individus : maladie, accidents du travail, décès, vieillesse, maternité, chômage. Face au caractère partiel des politiques existantes, W.Beveridge propose la mise en oeuvre d'un système global et cohérent.

    Il préconise un système caractérisé par :

    - le principe d'universalité : un système généralisé, qui couvre l'ensemble de la population quelque soit son statut d'emploi ou son revenu ;

    - le principe d'unité : un système unifié et simple (une seule cotisation couvre l'ensemble des risques, donc un seul régime) ;

    - la centralisation du système (service public unique).

    Pour Beveridge, cette nouvelle protection sociale n'a de sens que si elle est liée à une politique de plein-emploi8(*). Il publie en 1944 un second rapport Full Employment in a Free Society (Du travail pour tous dans une société libre). « Ce doit être une fonction de l'État que de protéger les citoyens contre le chômage de masse, aussi définitivement que c'est maintenant la fonction de l'État que de défendre les citoyens contre les attaques du dehors et contre les vols et les violences du dedans. »

    L'État-Providence qui se met en place en Grande-Bretagne entre 1945 et 1948 (loi de 1945 sur les allocations familiales, loi de 1946 sur le National Health Service, National Assistance Act en 1948 pour lutter contre l'indigence) va peu évoluer jusqu' aux années 1960. Il constitue une référence historique de l'État-Providence, financé par l'impôt, contrôlé par le parlement et géré par le service public. Ce système sera adopté par les pays scandinaves après 1945 (Norvège, Suède, Finlande, Danemark, Irlande), par le Canada en 1970 et par les pays méditerranéens (Grèce, Italie, Espagne, Portugal) autour de 1980.

    Ø Le modèle français de protection sociale

    Le modèle français, initié par le juriste Pierre Laroque en 1945, est « un modèle hybride », intermédiaire entre les modèles bismarckien et béveridgien. Comme le modèle anglais, il adopte le principe de l'universalité de la couverture sociale mais son mode de financement et d'organisation relève plutôt du modèle allemand.

    Les ordonnances du 22 février et des 4 et 19 octobre 1945 fondent la sécurité sociale. Le système trouve sa source dans les travaux du Conseil national de la Résistance et le rapport demandé à Pierre Laroque. L'intention de départ était de créer un régime obligatoire unique couvrant l'ensemble de la population pour les quatre risques pris en compte (maladie, accidents du travail, invalidité, vieillesse et maternité), en application des principes énoncés par W.Beveridge. En même temps, on voulait mettre en place une gestion paritaire du système. Ce fut un échec, de nombreux groupes professionnels (professions indépendantes, cadres...) ont refusé de s'intégrer dans le régime général et, pour certains, ont conservé un régime spécial (marins, mineurs, cheminots, etc.). C'est ce qui explique la complexité administrative du système français.

    La protection sociale est organisée selon quatre niveaux :

    o La sécurité sociale fournit la couverture de base des risques maladie, maternité, invalidité, décès, accidents du travail et maladies professionnelles, vieillesse et famille qui correspondent chacun à une « branche ». Elle est composée de différents régimes regroupant les assurés sociaux selon leur activité professionnelle dont les principaux sont :

    - le régime général qui concerne la plupart des salariés, les étudiants ;

    - les régimes spéciaux qui couvrent les salariés qui ne sont pas dans le régime général (fonctionnaires, et autres agents) ;

    - les régimes des non salariés non agricoles qui couvrent séparément les artisans, les commerçants ou industriels et les professions libérales pour l'assurance vieillesse, le risque maladie faisant l'objet d'une gestion commune ;

    - le régime agricole pour les exploitants et des salariés agricoles.

    o Les régimes dits complémentaires peuvent fournir une couverture supplémentaire aux risques pris en charge par la sécurité sociale. Certains sont obligatoires (régimes complémentaires de retraite des salariés du secteur privé) et d'autres facultatifs (mutuelles de santé, institutions de prévoyance).

    o L'union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce gère le régime d'assurance-chômage.

    o L'aide sociale relève de l'État et des départements, qui apportent un soutien aux plus démunis.

    Ø Le modèle américain de protection sociale

    Le système américain relève du « modèle résiduel » où le marché est censé fournir aux individus des emplois et des revenus suffisants en fonction de leurs mérites. Si l'individu ne peut se procurer des moyens de subsistance, les solidarités familiales ou celles des réseaux privés doivent y pourvoir. L'État n'intervient qu'en dernière instance.

    La protection sociale américaine sépare clairement le domaine de la Social Security et celui du Welfare (« bien-être ») :

    o le domaine des assurances sociales est très limité : il comprend un programme d'assurance vieillesse et chômage, l'assurance-maladie n'en fait pas partie ;

    o le domaine du Welfare fait référence aux mesures de l'État en direction des pauvres. Les plus importantes sont Medicaid, assistance médicale au plus démunis, aide aux familles avec des enfants dépendants (souvent des familles monoparentales) et le revenu minimum complémentaire pour les personnes âgées, les invalides et les aveugles. Chaque État a une grande liberté pour fixer le niveau des allocations et les conditions d'attributions de ces aides.

    Au-delà de l'opposition entre système bismarckien et système béveridgien, plusieurs auteurs comme le politologue danois Gösta Esping-Andersen ont tenté de dresser une typologie des systèmes de protection sociale.

    1.1.2. La typologie des systèmes de protection sociale

    Dans son ouvrage intitulé, Les trois mondes de l'État-providence - Essai sur le capitalisme moderne, Gösta Esping-Andersen réalise une classification des États-providence sous la forme d'idéaux-types (Esping-Andersen, 1990). Il montre qu'il n'existe pas un État-providence, réponse fonctionnelle à la montée des besoins sociaux générés par la société industrielle, mais des États-providence qui diffèrent par leur histoire, le mode de relation entre la société et la protection sociale, la place accordée à l'État par rapport au marché et plus généralement par le paradigme qui sous-tend l'action en matière de protection sociale.

    Trois critères rendent compte des principes fondamentaux qui sous-tendent les systèmes de protection sociale. La première est la « démarchandisation » des besoins des individus par le système de protection sociale. Ce critère permet de mesurer le niveau de générosité de la protection sociale et la mesure dans laquelle il permet aux individus et aux familles de préserver un niveau de vie socialement acceptable, indépendamment de leur participation au marché. Idéalement la démarchandisation supposerait que les citoyens puissent opter librement pour le non-travail, lorsqu'ils considèrent cette solution comme nécessaire, sans perte potentielle d'emploi, de revenu ou de bien-être général. Le deuxième critère est la « stratification sociale », c'est-à-dire la façon dont le système de protection sociale participe à l'organisation et au maintien de l'organisation sociale. Le troisième critère est l'agencement opéré par chaque régime entre les trois principales sources de bien-être, souvent désignées comme les trois piliers de la protection sociale que constituent l'État, le marché et la famille.

    Gösta Esping-Andersen différencie ainsi trois mondes de l'État-providence ou régimes de protection sociale : le régime libéral limite son intervention sociale aux plus faibles qui sont protégés, mais aussi stigmatisés ; le régime social-démocrate se caractérise par un niveau élevé de protection sociale pour tous les citoyens, une offre importante de services sociaux, et une volonté de redistribution par l'impôt. Le troisième régime, qui rassemble les pays de l'Europe continentale est dit « conservateur-corporatiste », dans la mesure où la protection sociale est adossée au travail salarié, visant moins une transformation de la société dans un objectif d'équité sociale, que le maintien des statuts sociaux et professionnels.

    1.1.2.1. Le régime «  libéral »

    Dans ce premier modèle, le degré de démarchandisation est faible. Le principe de l'assistance est prédominant, et les droits sont au moins attachés au travail qu'à un besoin démontrable. Dans les nations où ce modèle a été mis en place (principalement dans les pays anglo-saxons), la « marchandisation » ou régulation par le marché est un principe prééminent. Cet idéal-type s'inscrit dans la continuité de l'éthique libérale, selon laquelle l'individu est considéré comme responsable de son propre bien-être, accessible par le travail. Par conséquent, le système de protection sociale intervient peu, avec la volonté de ne pas se substituer aux règles du marché, et se limite à offrir un filet de sécurité. Financées par l'impôt, les prestations sociales sont modestes et principalement attribuées à ceux qui ont les plus bas revenus. Les règles de droit social sont strictes et souvent associées à des stigmates.

    En matière d'organisation du système de protection sociale, les pays anglo-saxons n'ont pas suivi toutes les recommandations de Beveridge. Par exemple, au Royaume-Uni, si l'action de la protection sociale est possible pour tous les résidents, seul le système de santé (National Health Service) est véritablement universel. Les prestations en espèce (indemnités maladie, allocations chômage, retraites) servies par le système public (National Insurance) sont forfaitaires et peu élevées, ce qui implique un rôle important des assurances privées et les régimes d'entreprises. Ceux qui n'ont pas suffisamment cotisé à l'assurance nationale perçoivent des prestations sous condition de ressources (Income Support). Le système public, très unifié, est géré par l'appareil administratif de l'État central, et majoritairement financé par l'impôt.

    L'État encourage le fonctionnement du marché, qui régule les mécanismes d'allocations des richesses, en garantissant qu'un minimum social et en subventionnant le développement des projets privés de prévoyance. Ce type de régime érige un ordre de stratification sociale, qui délimite un dualisme politique de classes, entre les plus riches qui recourent peu au système public de protection sociale et s'assurent par l'intermédiaire des dispositifs privés, et les groupes les plus pauvres, généralement les classes ouvrières, qui relèvent de l'assistance public financée par l'impôt. La classe moyenne est partagée entre ces deux groupes majeurs, et oscille entre la difficulté de financer une assurance sociale dans le secteur privé, et le risque de bénéficier des prestations universelles publiques, ce qui induit socialement de tomber dans la catégorie des plus pauvres.

    Dans la mesure où les indemnités sont prises en charge par l'État et financées par l'impôt, les citoyens sont peu attachés au système de protection sociale et celui-ci semble de ce fait plus facile à réformer9(*). Les Etats-Unis, le Canada et l'Australie apparaissent comme les archétypes de ce modèle de protection sociale. Au niveau européen, le régime de protection sociale libéral est représenté par la Grande-Bretagne.

    1.1.2.2. Le régime « conservateur- corporatiste10(*

    Le second modèle est celui de l'assurance sociale obligatoire adossée au travail, qui permet l'obtention de droits sociaux d'un niveau élevé, mais n'apparaît pas, selon Esping-Andersen comme réellement «  démarchandisant ». En effet, le degré de démarchandisation dépend de la structure d'éligibilité et des règles d'indemnisation. Or, dans ce modèle, les indemnités dépendent des contributions, et par conséquent de l'accès au travail et au marché. En ce sens, même si le droit social est présent, les règles d'indemnisation dictent le point jusqu'auquel les programmes sociaux offrent de véritables alternatives à la dépendance au marché.

    Cependant, ce régime de protection sociale est moins régulé par le principe du marché que par celui du maintien de l'organisation sociale. La protection sociale s'inscrit dans l'héritage des assurances sociales bismarckiennes. L'ouverture des droits est conditionnée par le versement de cotisations et l'attribution des prestations sociales est directement liée à la position dans l'emploi. Les prestations en espèces sont contributives et proportionnelles au revenu. Les cotisations sociales sont versées par les employeurs et les employés constituent l'essentiel des sources de financement du système. Ces systèmes, souvent très fragmentés, sont organisés de façon plus ou moins autonome de l'État, et sont gérés par les représentants des employeurs et des employés. Ceux qui ne sont pas ou plus couverts par les assurances sociales peuvent recourir à un filet de sécurité constitué de prestations minimales, sous condition de ressources, financées par des recettes fiscales.

    Le système corporatiste est subordonné à un édifice étatique, qui est près à se substituer au marché en tant que pourvoyeur de bien-être. En ce sens, l'État participe à l'organisation et au maintien des strates sociales, et son impact de répartition est faible. Les valeurs catholiques sont également présentes et conduisent à préserver les structures familiales traditionnelles. Dans ce contexte, les assurances sociales sont le plus souvent décernées au travailleur et à sa famille, les femmes n'accédant pas à l'emploi salarié et se dédiant aux soins familiaux. De ce fait, si le niveau des allocations familiales est le plus souvent élevé, les services familiaux (garderies, crèches...) sont sous-développés. Cet idéal-type de la protection sociale est commun aux pays de l'Europe continentale, c'est-à-dire l'Autriche, la France, l'Allemagne ou l'Italie...

    1.1.2.3. Le régime «  social-démocrate »

    Le troisième modèle apparaît comme le plus démarchandisant dans la mesure où il offre une indemnité de base égale à tous, indépendamment des gains antérieurs ou des cotisations. La protection sociale incarne la logique universaliste et constitue un droit pour tous les citoyens, la plupart des prestations sont forfaitaires et d'un montant élevé, versées automatiquement en cas d'apparition du besoin social. Ces systèmes sont essentiellement financés par des recettes fiscales. Ils sont totalement publics, placés sous l'autorité direct des pouvoirs publics centraux et locaux. Les salariés reçoivent aussi des prestations complémentaires au travers de régimes professionnels obligatoires, financés essentiellement par les employeurs. Seule l'assurance chômage n'est pas intégrée au système public de protection sociale.

    Plutôt que de tolérer un dualisme entre l'État et le marché, entre classe ouvrière et classe moyenne, les sociaux-démocrates ont choisi d'instaurer un État-providence qui encourage une égalité à partir des plus hauts standards et non des besoins minimaux. Toutes les classes sont incorporées dans un système universel d'assurance sociale, bien que les indemnités soient relatives aux revenus habituels. Ce modèle neutralise le marché et par conséquent établit une solidarité globale en faveur de l'État-providence.

    La politique d'émancipation du régime social-démocrate concerne aussi la famille traditionnelle. Contrairement au modèle corporatiste, le principe n'est pas d'accompagner (voire de renforcer) l'interdépendance familiale mais de rendre possible une interdépendance individuelle. En ce sens, le modèle est une fusion particulière de libéralisme et de socialisme. Il en résulte un État-providence qui octroi des subsides directement aux individus et qui prend la responsabilité directe des soins aux enfants, aux personnes âgées ou aux personnes sans ressources. Par conséquent, il est soumis à une lourde charge de service social, qui tend à s'équilibrer par un accès facilité à l'emploi pour les femmes.

    La spécificité du régime social-démocrate est d'après Esping-Andersen sa fusion entre bien-être et travail : il vise à fournir une garantie de plein emploi et est indépendant de la réalisation de cet objectif. D'une part, le droit au travail a le même statut que le droit à la garantie de revenu. De ce fait, l'État-providence intervient sous la forme de politiques actives pour l'emploi (formation, reclassement, création d'emplois publics). D'autre part les coûts de maintien du système nécessitent de préserver un quasi plein emploi, et la valeur du travail est prééminente. Cet idéal-type rassemble les pays nordiques, c'est-à-dire la Suède, la Finlande, le Danemark...

    1.2. Les limites des systèmes de protection sociale

    Pendant les Trente Glorieuses, le niveau de la protection sociale ne va pas cesser de s'améliorer, y compris aux États-Unis où, en dépit des traditions individualistes très fortes, les présidents J.F.Kennedy et L.B.Johnson mettent en place des politiques de lutte contre la pauvreté et de couverture du risque maladie. Dans tous les pays, les revenus de transferts occupent une place croissante dans le revenu disponible des ménages et en France le budget social de la nation (qui recense l'ensemble des dépenses de protection sociale et d'aide sociale) devient supérieur au budget de l'État.

    Le ralentissement du rythme de croissance des pays industrialisés à partir de 1974 marque la fin de l'âge d'or des politiques sociales. Les limites des systèmes de protection sociale relèvent des critiques libérales et des transformations de l'environnement socioéconomique et politique.

    1.2.1. Les critiques libérales

    La légitimité de la protection sociale est aujourd'hui contestée par certains auteurs libéraux qui mettent en avant les effets économiques négatifs de la redistribution.

    · Pour ces auteurs, le développement des politiques sociales produit des effets pervers : loin de réduire la pauvreté elle l'institutionnalise. Il faut donc réduire la protection sociale obligatoire, faire appel à la responsabilité des individus qui peuvent s'assurer contre les risques de l'existence dans un cadre concurrentiel. Il faut par ailleurs laisser toute leur place aux activités caritatives volontaires des individus altruistes.

    · Plus récemment, certains économistes ont mis en avant l'accroissement de l'aléa moral, phénomène bien connu en économie de l'assurance. Plus la protection contre les risques est complète et étendue, moins les individus sont incités à éviter les risques auxquels ils sont exposés. Il s'agit d'une version à peine dépoussiérée de la condamnation de l'aide aux pauvres.

    · Les prestations sociales et plus particulièrement les minima sociaux sont accusés de créer des trappes à la pauvreté : le versement des prestations sociales incite ceux qui les perçoivent à ne pas faire d'effort pour améliorer leur situation.

    · La protection sociale génère d'autres effets économiques négatifs. En effet, les prélèvements sociaux freinent :

    - la croissance (courbe de Laffer) ;

    - l'emploi et la compétitivité des entreprises ;

    - l'épargne, comme le dénonçait dans les années 1970 M.Felstein, expert des problèmes de santé et de retraite et conseiller économique de R.Reagan. Pour lui, le financement des retraites par répartition était une des causes de l'insuffisance chronique de l'épargne des ménages aux États-Unis.

    1.2.2. Les transformations de l'environnement socioéconomique et politique

    Les limites de la protection sociale relèvent aussi de facteurs économiques (équilibres financiers), de facteurs démographiques et de facteurs sociaux et politiques.

    1.2.2.1. Les facteurs socioéconomiques

    Les difficultés de la protection sociale sont d'abord financières : le ralentissement de la croissance et la montée du chômage réduisent les ressources des régimes sociaux alors que les dépenses continuent à s'accroître rapidement. Cet accroissement résulte d'un double phénomène.

    D'une part, certaines dépenses poursuivent leur tendance antérieure. C'est le cas des dépenses de santé dont la croissance est plus rapide que la croissance du revenu (à la fois en raison de la demande des ménages et des caractéristiques de l'offre de soins). Dans la mesure où ces dépenses sont largement socialisées, les régimes d'assurance-maladie voient leurs charges s'accroître.

    D'autre part, certaines dépenses comme les dépenses d'indemnisation, de prise en charge des retraites anticipées etc., augmentent avec la montée du chômage.

    Ces difficultés financières conduisent les pouvoirs publics à rechercher une réduction des coûts.

    La protection sociale se heurte aussi aux conséquences des évolutions démographiques. L'accroissement de la charge des deux compartiments les plus lourds des dépenses (vieillesse et santé), est principalement déterminé par des facteurs structurels qui relèvent de l'évolution du mode de vie et de facteurs démographiques, notamment le vieillissement de la population, et de facteurs techniques (progrès technique médical).

    Sous l'effet de ces facteurs, en France les prestations sociales ont progressé sur l'ensemble de la période plus vite que la production nationale. Leur poids dans le PIB est ainsi passé de 25% en 1981 à 29,15% en 2004.

    Quelques tendances peuvent être observées :

    - la progression des prestations « vieillesse-survie » (12,7% du PIB en 2004), sous l'effet du vieillissement démographique, du développement des régimes complémentaires et la montée en puissance des systèmes de retraite. Cette hausse devrait s'accélérer avec l'arrivée à l'âge de la retraite des générations du baby-boom ;

    - une reprise à la hausse des prestations liées à la maladie (8,5% du PIB en 2004), alors que leur part dans le PIB tendait à se stabiliser depuis 1995. Les dépenses de médicaments et la montée en puissance de la couverture maladie universelle (CMU) contribuent à expliquer cette nouvelle augmentation ;

    - une progression des prestations « pauvreté-exclusion », avec la création du revenu minimum d'insertion (RMI) en 1988 ;

    - la poursuite de la baisse des prestations « famille-maternité » (9,4% des prestations sociales et 2,7% du PIB en 2004), malgré la progression des aides de logement ;

    - une augmentation des prestations « emploi » avec l'apparition d'un « chômage de masse ». leur évolution reste fortement liée à celle de la conjoncture économique (très forte hausse de 1981 à 1986, baisse importante après 1997, reprise depuis 2002).

    1.2.2.1. Les facteurs politiques et culturels

    Certains contestent le système de protection sociale tel qu'il fonctionne aujourd'hui. Ses effets sur la réduction des inégalités de revenus sont assez faibles. La redistribution horizontale l'emporte sur la redistribution verticale. Par ailleurs, de larges poches de pauvreté subsistent et les exclus sont de plus en plus nombreux à passer à travers les mailles du filet de la protection sociale.

    Plus fondamentalement, P.Rosanvallon (1981) considère que la crise de la protection sociale a une dimension culturelle et politique. Pour lui, l'État moderne est fondamentalement un État protecteur. La protection sociale permet de substituer à l'incertitude de la providence religieuse la certitude de la providence étatique. L'État-providence est donc un produit de la culture démocratique et égalitaire moderne.

    Historiquement, l'État-providence progresse par bonds, notamment à l'occasion des crises ou des guerres, car « ces périodes constituent des temps d'épreuve à la faveur desquels il y a reformulation plus ou moins explicite du contrat social ». Or, dans la période actuelle, aucun mouvement social significatif ne s'est produit pour légitimer une avancée de l'État-providence (à la différence de l'après-guerre). Le doute sur l'État-providence est ainsi lié à une « panne de l'imagination sociale ».

    De plus, la dynamique égalitaire des sociétés modernes semble bloquée. Selon Rosanvallon, la demande d'égalité est en perte de vitesse au profit d'une demande de sécurité, on assiste à une montée de l'individualisme, à une tendance à la corporatisation, à un développement de réactions catégorielles étroites en matière d'impôts et de cotisations sociales, etc.

    Selon P.Rosanvallon, ces évolutions doivent être analysées en termes sociologiques. Le système de redistribution, et donc d'organisation de la solidarité, se substitue au face à face des individus et des groupes. De fait, il se présente pour ces derniers comme une donnée, un système autonome et indépendant d'eux, alors qu'il résulte de l'interaction des prestations et des prélèvements affectant chaque individu. L'organisation de la solidarité est ainsi coupée des rapports sociaux réels et devient plus abstraite. Dans ces conditions, les revendications d'individus et de groupes pour réduire ou limiter les contributions financières peuvent être totalement disjointes du sens social de leurs effets.

    Le constat d'une crise de l'État-providence doit être nuancé. En effet, si les limites rencontrées depuis une vingtaine d'années par les différents systèmes d'État-providence démontrent la nécessité d'engager des réformes profondes, l'État et ses systèmes de régulation collective demeurent aujourd'hui les meilleurs garants de la cohésion sociale. L'État-providence doit certes adapter son intervention aux évolutions de son environnement économique (concurrence sociale dans une économie mondialisée, vieillissement démographique, nouveaux comportements économiques et sociaux) et répondre de manière adéquate à l'émergence de nouveaux besoins sociaux (exclusion, dépendance), mais il demeure le socle d'un véritable « modèle social européen ».

    CONCLUSION

    A travers l'évolution du fonctionnement du modèle de protection sociale, on perçoit comment les systèmes de protection sociale ont progressivement acquis leurs principales caractéristiques actuelles. Certaines étaient en germe à la fin du XIXe siècle, d'autres se sont affirmés dans les années quarante/cinquante ou soixante-dix correspondant à l'âge d'or des systèmes de protection sociale. Néanmoins, le début des années soixante-dix marques également la phase de la stagnation ou de la crise desdits systèmes. Ceux-ci sont confrontés à la crise économique, source de difficultés financières, en même temps qu'à des transformations de «  la structure des risques et des besoins sociaux » (Esping-Andersen, 2001).

    Au Cameroun tout comme dans la plupart des pays africains, l'impulsion initiale du fonctionnement d'un modèle de protection sociale est d'origine coloniale. Contrairement en Occident où l'État et les forces sociales ont eu à jouer un grand rôle dans la mise en oeuvre des systèmes de protection sociale. Dès lors, le fonctionnement de la protection sociale au Cameroun, ainsi que le caractère défectueux de celui-ci fera l'objet du deuxième chapitre.

    CHAPITRE 2 : LE FONCTIONNEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE AU CAMEROUN

    Le fonctionnement de la protection sociale au Cameroun comme dans la plupart des pays africains est un héritage colonial. Il constitue un legs de la part du colonisateur la France, qui par les ordonnances de 1945 met en oeuvre les idées issues du Conseil national de la Résistance en matière de sécurité sociale (Ntsama.E, 2003). Mais depuis le milieu des années 1980, le système de protection sociale camerounais connaît un essoufflement qui remet en cause son fonctionnement. Cet essoufflement est fortement lié d'une part aux contraintes socioéconomiques, et d'autre part aux contraintes institutionnelles.

    Ainsi, ce chapitre est structuré de la façon suivante : tout d'abord, l'organisation de la protection sociale au Cameroun sera présentée, ensuite les éléments d'un fonctionnement défectueux du système de protection sociale camerounais seront analysés.

    2.1. L'organisation de la protection sociale camerounaise

    Le mode de fonctionnement de la protection sociale au Cameroun relève du legs colonial. Celui-ci a évolué après avoir vu le jour en 1945 à travers les ordonnancements du pays colonisateur la France. La présente section s'attèle à présenter en première lieu la particularité du système camerounais de protection sociale, puis en second lieu le régime camerounais de protection sociale.

    2.1.1. La particularité du système camerounais : un héritage colonial

    Le système camerounais de protection sociale a connu deux phases d'évolution : celle de l'avant indépendance et celle de l'après indépendance.

    2.1.1.1. La protection sociale avant l'indépendance

    La substance du système social camerounais se décline de manière précise par l'ordonnancement du 06 décembre 1945 mise en place par la France, créant une caisse de compensation des prestations familiales dont le siège est à Douala. A cette époque la législation sociale est encore à une double vitesse. On comprend que la caisse ne prend en charge que les travailleurs français et assimilés par la revendication des travailleurs indigènes et l'action des organisations internationales, à l'exclusion des camerounais.

    Il importe toutefois de souligner qu'avant cet ordonnancement, quelques textes coloniaux posaient déjà les jalons d'un embryon de sécurité sociale au Cameroun ; pour l'illustrer, il y a lieu de citer le décret du 17 novembre 1937 qui, pour la première fois, posait le principe de l'indemnisation directe, par les employeurs, des accidents du travail survenus à leurs travailleurs ; on citera aussi le décret du 7 janvier 1944 portant réglementation du travail indigène au Cameroun, notamment dans son titre VI qui instituait un système de réparation des accidents de travail et des maladies professionnelles. Ce système était non seulement discriminatoire car ne s'appliquant qu'aux travailleurs indigènes, mais aussi les réparations étaient dérisoires.

    Le code du travail des pays d'outre-mer promulgué le 15 décembre 1952 viendra mettre un certain ordre dans les nombreuses initiatives des divers textes de l'administration coloniale tendant à mettre en place au Cameroun quelques germes des assurances sociales. Le bénéfice de la caisse de compensation est étendu à tous les travailleurs (article 237 du code). Un décret du 1er juillet 1956 traduit dans les faits l'extension du champ de compétence personnel de la caisse de compensation des prestations familiales.

    A la veille des indépendances, la loi n°59/25 du 11 avril 1959 abroge le décret de 1956 et réorganise la caisse. Les prestations familiales comprennent :

    - les allocations familiales distribuées au titre des enfants mineurs à charge ;

    - les allocations prénatales versées pendant la grossesse ;

    - le salaire unique ou l'allocation de foyer (complément de salaire pour le travailleur dont le conjoint n'a pas d'emploi salarié) ;

    - des prestations en nature.

    Le code du travail de 1952 prévoit également l'extension à tous les travailleurs de la couverture des risques professionnels (maladie et accident). Le décret du 24 février 1957 organise la formule. Celle-ci est basée sur l'idée de la responsabilité de l'employeur pour les maladies professionnelles et accidents de travail. Mais les prestations sont servies par un organisme assureur à qui les employeurs versent des cotisations. Finalement, si l'idée de la responsabilité est retenue, elle est diluée puisque les cotisations sont dues sans égard à la réalisation effective d'un dommage. Le système fonctionne avec plusieurs organismes assureurs qui sont des compagnies privées d'assurance. Mais les cotisations et les prestations sont fixées par l'autorité. Les premières varient en fonction du risque couru, les secondes en fonction de la gravité de l'atteinte.

    Le code de travail de 1952 permet enfin l'extension aux camerounais de la couverture du risque vieillesse. Le système adopté est dans la ligne du système français prévu par l'Ordonnance de 1945. Il s'agit du système de répartition consistant pour les actifs à cotiser pour le service des prestations aux retraités.

    2.1.1.2. La protection sociale après l'indépendance

    Avec l'indépendance et la réunification, le Cameroun, membre de l'organisation du travail depuis 1960, est amené à adapter sa législation aux normes internationales. Cet ajustement du cadre juridique de la protection sociale s'est fait à travers :

    - la loi n°67/LF/07 du 12 juin 1967 instituant un code des Prestations Familiales (allocations prénatales, allocations familiales, allocations maternité, indemnités journalières de congé de maternité) ;

    - la loi n°67/LF/08 du 12 juin 1967 qui crée la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale en tant qu'organisme autonome en charge de la gestion du régime des prestations familiales ;

    - la loi 69/LF/18 du 10 novembre 1969 instituant un régime d'assurance pensions de vieillesse, d'invalidité et de décès. Dans ce régime, le financement est assuré à travers les cotisations sociales recouvrées tant auprès des employeurs que des travailleurs ;

    - l'ordonnance n°73/17 du 22 mai 1973 portant organisation de la prévoyance sociale qui confie à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale dans le cadre de la politique générale du Gouvernement, le service des diverses prestations prévues par la législation de la protection sociale ;

    - la loi n°77/11 du 13 juillet 1977 portant réparation et prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui confie à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale, la couverture et la gestion des risques professionnelles, abrogeant ainsi une législation antérieure issue de l'Ordonnance 59/100 du 31 décembre 1959 qui avait confié la gestion de ces risques aux compagnies privées d'assurance.

    2.1.2. Le régime camerounais de protection sociale

    Le système camerounais de protection sociale peut se présenter à travers son architecture institutionnelle et sa situation depuis les années quatre-vingts.

    2.1.2.1. L'architecture institutionnelle

    Le système camerounais actuel de protection sociale est assis d'une part sur le système de la prévoyance sociale géré par la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale au profit des travailleurs du secteur privé et des personnels de l'État relevant du code du travail, et d'autre part sur le régime de pension de retraite des fonctionnaires et assimilés géré par l'État11(*). S'inspirant de la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et de la convention n°102 de l'Organisation Internationale du Travail qui fait de la sécurité sociale un droit universel, le Cameroun a mis en place , par une ordonnance du 22 mai 1973, une organisation de son système de protection sociale et familiale, adapté à son environnement économique et social. Cette organisation est chargée d'assurer le paiement des prestations prévues par les principes de la sécurité sociale.

    La sécurité sociale a institutionnalisé neuf types de prestations qui sont :

    - les soins médicaux à caractère préventif ou curatif ;

    - les indemnités de maladie en cas d'arrêt de travail résultant d'une maladie ;

    - les prestations de chômage ;

    - les prestations de vieillesse ;

    - les prestations en cas d'accidents du travail et les maladies professionnelles ;

    - les prestations aux familles ;

    - les prestations de maternité ;

    - les prestations d'invalidité ;

    - les prestations de survivants.

    Dans son organisation de la protection sociale et familiale, que le Cameroun a dénommée la prévoyance sociale, six des neufs prestations susvisées ont été regroupées dans les trois branches ci-après ;

    - les prestations familiales ;

    - les pensions de vieillesse, d'invalidité et de décès ;

    - les accidents de travail et les maladies professionnelles.

    A côté de ces branches, une action sanitaire et sociale est également menée par le système.

    Les soins sont dispensés aux travailleurs par les employeurs dans le cadre du code du travail. Toutefois, depuis 1952, un certain nombre de soin sont dispensés, dans le cadre d'un service national de santé. La législation camerounaise de sécurité sociale ne comporte pas, en effet, de branche « soins de santé » et de branche « chômage ». Conformément également aux dispositions prévues par le code du travail, les employeurs assurent le maintien du salaire en cas d'incapacité provisoire de travail.

    Le système camerounais de protection sociale se distingue par son caractère bismarckien, fondé sur des contributions obligatoires (des salariés et des employeurs) assises sur les salaires. Il plaide pour une gestion de la sécurité sociale par les intéressés, les assurés ou leurs représentants (l'État et les partenaires sociaux). C'est un système professionnel fortement étatisé, puisque les bénéficiaires sont en grande partie les employés de l'État.

    Ce système fonctionne selon la logique d'assurance sociale, dont l'objectif est de prémunir contre un risque de perte de revenu des travailleurs. Ici, seuls les travailleurs qui cotisent perçoivent les prestations sociales. Autrement dit, au Cameroun la sécurité sociale est payante.

    Pour ce qui est du système d'assistance sociale et de solidarité, celui-ci est encore résiduelle par défaut de financement. L'aide sociale est en partie assuré par le ministère en charge des affaires sociales qui apporte une assistance aux populations cibles telles que : les enfants, les handicapés, les personnes âgées, les indigènes, les populations vulnérables. L'objectif étant ici la réduction de la pauvreté (objectif beveridgien). La solidarité familiale malgré ses signes d'insuffisances (inégalités de revenus et manque de diversification des risques) du fait de l'urbanisation, de l'individualisation, de la croissance du salariat, et finalement d'un processus de modernisation des sociétés occupe encore une place essentielle en matière d'assistance. L'assistance privée, internationale et religieuse est importante, mais reste déconcentrée et peu coordonnée.

    La protection sociale complémentaire quant à elle est assurée par les systèmes d'assurance communautaire. La majorité de ces systèmes mènent leurs activités dans l'informel et sont organisés par les populations elles mêmes dans les tontines, réunions de quartier ou de village notamment pour les deuils, la maladie, les naissances.

    Actuellement, seules les mutuelles de santé connaissent un début de promotion réelle par les bailleurs de fonds.

    En ce qui concerne la couverture sociale, le Cameroun se caractérise par une protection sociale embryonnaire et à extension bloquée. Ceci s'explique par le niveau actuel de la couverture sociale. La figure 2.1 ci-dessous nous permet de mieux cerner cette situation.

    Figure 2.1. Structure de la couverture sociale en 2005

    Source : réalisé par l'auteur à partir des données de la CNPS

    De cette figure, il ressort que, les travailleurs indépendants (médecins, avocats, huissiers ingénieurs, commerçants entrepreneurs, artisans,...) et ceux de l'informelle représentent 82,5% du nombre total de travailleurs au Cameroun. C'est-à-dire que la sécurité sociale ne couvre que les 17,5% restant. Il s'agit selon les chiffres de la CNPS 2005, de 130 696 fonctionnaires relevant du portefeuille de l'État, et 728 746 travailleurs salariés du secteur privé structuré régis par le code du travail. En conséquence, la population active occupée non encore couverte par le champ d'application du régime de sécurité sociale du Cameroun est évalué à 4 003 558 travailleurs.

    Pour ce qui est de la dynamique d'extension, c'est le secteur informel qui prédomine avec l'extension par adjonction de dispositifs hétérogènes (mutuelles, micro-assurance, etc.). Ces dispositifs sont destinés à différents groupes minoritaires de la population. L'homogénéisation et l'universalisation étant problématiques.

    Le système de protection sociale ainsi présenté a connu une période d'embelli notamment financière depuis sa création jusqu'en 1982. Cette période est marquée par une accumulation importante de ressources financières, favorisée par une croissance économique forte ayant pour conséquence la création de nombreux emplois. Les cotisations sociales étant prélevées sur les revenus du travail, le système a pu disposer d'un volume important de ressources financières. L'organisme va alors s'engager dans plusieurs grands chantiers pour fructifier les réserves ainsi accumulées. Dès le début des années 1980, cette période d'embelli va prendre fin, marquant ainsi l'arrivée à maturité du système camerounais de protection sociale.

    2.1.2.2. La situation de la protection sociale depuis le milieu des années 1980

    Cette situation peut s'analyser à travers l'évolution des charges sociales et de celle des prestations sociales. Le tableau en annexe 7 nous permet de faire une observation de l'évolution des charges sociales et des prestations sociales sur la période de l'étude à travers la figure 2.2 ci-dessous.

    Figure 2.2. Evolution du taux de croissance annuelle moyen des recettes et des dépenses de la sécurité sociale

    Source : réalisé par l'auteur à partir des données extraites des cahiers des charges de la CNPS

    - Mouvement des charges sociales

    Sur toute la période de l'étude, les recettes de cotisations sociales ont connu des phases évolutives.

    Entre 1987 et 1993, le taux de croissance annuelle moyen des recettes s'est établit à - 5,19%. Cette situation s'explique par l'avènement de la crise de l'économie camerounaise dans son ensemble, conjugué des difficultés rencontrées par les branches de la prévoyance sociale (crise financière) et la dégradation du marché du travail.

    Pour la période allant de 1994 à 2001, ce taux augmente et atteint un niveau de 6,75% grâce aux nouvelles procédures de recouvrement des cotisations sociales édictées par les pouvoirs publics et à la reprise de l'économie camerounaise.

    - Mouvement des prestations sociales

    Les dépenses pour leur part connaissent également la même phase évolutive que celle des recettes de cotisations sociales.

    Pendant la période allant de 1987 à 1993, le taux de croissance annuelle moyen des dépenses sociales s'est établit à - 2,92%, soit une baisse par rapport à la période d'embelli du système de protection sociale. Cela résulte des montants de prestations gelés qui constituent les arriérés de prestations de certaines branches de la prévoyance sociale comme l'assurance vieillesse. Il faut également ajouter à cela, l'arrivée à l'âge de la retraite de populations importantes de salariés prises en charge à l'époque de la croissance et bénéficiaires de pensions au moment où le nombre de cotisants a baissé considérablement.

    En ce qui concerne la période 1994 - 2001, le taux de croissance annuelle moyen des dépenses sociales est de 5,88%. Cette évolution suit l'augmentation des bénéficiaires qui désormais s'étend jusqu'aux ayants droits.

    A partir du milieu des années 1980, c'est ce modèle de protection sociale camerounais lui-même qui commence à être ébranlé par les dysfonctionnements d'un système parvenu à sa maturité et par les changements de l'environnement économique et sociale.

    2.2. Les éléments d'un fonctionnement défectueux

    Depuis le milieu des années 1980, les contraintes socioéconomiques et les contraintes institutionnelles ont des conséquences à la fois sur le financement, sur l'efficacité et sur la légitimité du système de protection sociale camerounais. En cela, elles sont les principales sources de dysfonctionnements dudit système.

    2.2.1. Les contraintes socioéconomiques

    Les répercussions des contraintes socioéconomiques sur le système de protection sociale camerounais peuvent être analysées à travers l'observation des tendances économiques et sociales de certaines variables.

    2.2.1.1. Les tendances économiques

    Plusieurs variables économiques ont des répercussions sur les systèmes de protection sociale notamment les salaires, les prix (Latullippe et Plamondon, 2004) et la croissance du PIB (Holzmann, 2000). L'évolution de ces variables explique la crise financière du système de protection sociale camerounais.

    · La croissance du PIB et le taux d'inflation

    Le PIB est un indicateur économique qui représente le total de la valeur ajoutée des biens et des services réalisés dans un territoire aussi bien par les nationaux que par les étrangers pendant une période donnée. Il est positivement proportionnel aux recettes sociales.

    Depuis le milieu des années 1980, le taux de croissance du PIB au Cameroun a connu des phases ayant entraînées la variation des recettes et des dépenses du système de protection sociale. Ces différentes phases sont respectivement présentées dans la figure 2.2 de la section 2.1 et dans la figure 2.3 ci-dessous.

    Figure 2.3. Evolution du taux de croissance annuelle moyen du PIB

    Source : réaliser par l'auteur à partir des données extraites du CD WDI, (2005)

    A l'observation de ces figures, les constats suivants ont été effectués :

    - durant la période 1987-1993, l'économie camerounaise connait une phase de récession marquée par une chute brutale du taux de croissance de son PIB. Ce taux est descendu à - 4,31% en moyenne annuelle alors qu'il était de 8,95% avant cette période (1980-1986). Cette crise trouve ses origines aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, et se concrétise par un ralentissement important des activités publiques et par voies de conséquences privées (Touna Mama et Tsafack Nanfosso, 2001). La figure 2.3 retrace cette baisse.

    Parallèlement, la figure 2.2 montre que les taux de croissance annuel moyen des recettes et des dépenses sociales ont chuté de l'ordre de - 5,19% et - 2,92% respectivement. La branche allocations familiales et la branche risques professionnels ont également connu des chutes similaires des taux de croissance annuelle moyens de leurs recettes et de leurs dépenses (voir figure en annexe 1). Seule la branche assurance vieillesse a vu son taux de croissance annuelle moyen des recettes sociales s'amoindrir de l'ordre de - 4,36% pendant que celui des dépenses sociales de la dite branche est resté élevé de l'ordre de 12,01%.

    - la période 1995-2001 est celle de la reprise qui se manifeste par une relance des activités économiques et donc par une atténuation des effets néfastes de la crise économique sur les activités. On assiste à une hausse du taux de croissance annuelle moyen des recettes sociales de l'ordre de 6,75%, mais également de celui des dépenses sociales de l'ordre de 5,88%. Dans les différentes branches de la sécurité sociale, la figure en annexe 1 montre une amélioration du taux de croissance annuelle moyen des recettes qui est passé à 7,1% pour l'assurance vieillesse, à 6,95% pour l'allocation familiale et à 8,04% pour les risques professionnels pendant que celui des dépenses s'est établi à 7,12% pour l'assurance vieillesse, à 3,51% pour l'allocation familiale et à - 0,9% pour les risques professionnels.

    Quant à l'inflation, il est défini comme une situation ou un phénomène caractérisé par une hausse généralisée, durable et plus ou moins importante des prix. La relation qui lie aux prestations sociales se décèle au niveau de l'influence qu'exerce l'inflation sur les prestations sociales des différentes branches.

    Concernant ses mouvements au Cameroun, on peut dire qu'au cours de la période de récession économique (1987-1993), l'inflation s'établit à - 0,34% alors qu'elle était de 11% avant cette période. Après la dévaluation du franc CFA qui a lieu en 1994, l'inflation s'est stabilisée autour de 4,06% sous l'impulsion des importants efforts de lutte contre la crise, de l'apaisement salutaire des relations entre le Cameroun et ses principaux bailleurs de fonds (FMI et BM), ainsi que des politiques budgétaires et monétaires prudentes dans le cadre de l'union monétaire (CEMAC). Ces chiffres sont représentés dans le tableau 2.1 ci-dessous.

    Tableau 2.1. Evolution du taux de croissance annuelle moyen de l'inflation

     

    1980-1986

    1987-1993

    1994-2001

    Inflation

    11%

    - 0,34%

    4,06%

    Source : calculés par l'auteur à partir des données extraites du CD WDI (2005)

    A lecture de ce tableau, la branche assurance vieillesse enregistre un taux de croissance annuelle moyen de ses dépenses élevé à 12,01% pendant la période de récession (1987-1993). Ceci s'explique par les diverses revalorisations ayant eu lieu avant cette période pour faire face au coût de la vie (voir tableau en annexe 1). Les autres branches par contre (allocations familiales et risques professionnels) n'ont pas connu de revalorisations. Par exemple, la dernière revalorisation de la branche allocations familiales remonte au 1 juillet 1985. Ce qui explique la chute de leurs dépenses durant cette période inflationniste.

    Durant la période de relance (1994-2001), on note le taux de croissance annuelle moyen des dépenses respectives des branches assurance vieillesse et allocations familiales positifs alors celui de la branche risques professionnels reste négatif, ceci du fait de la baisse du taux de croissance annuelle moyen de l'inflation autour de 4,06% par rapport à la période (1980-1986).

    · L'évolution des salaires réels

    Le salaire est une rémunération du travail effectué par un employé pour le compte d'un employeur, en vertu d'un contrat de travail. Sa variation à la hausse influence positivement le système de protection sociale.

    En ce qui concerne ses mouvements au Cameroun, ils sont analysés à travers le tableau 2.2 ci-dessous.

    Tableau 2.2. Evolution du taux de croissance annuelle moyen des salaires réels

     

    1980-1986

    1987-1993

    1994-2001

    salaires

    14,31%

    71,96%

    7,13%

    Source : calculs de l'auteur à partir des données extraites du CD WDI, (2005)

    Durant la période 1987-1993, la croissance salariale a atteint un niveau élevé (71,96%). Cette croissance est la résultante de l'emploi créé auparavant et de l'intervention des bailleurs de fonds dans l'octroi d'emprunt au pays. L'État a trouvé nécessaire d'augmenter les salaires pour encourager les travailleurs tout en négligeant le volet protection sociale qui oblige les employeurs à accomplir l'un de leurs devoirs qui est celui de verser les cotisations sociale à la CNPS. Ces manquements sont principalement expliqués par l'arrivée de la récession économique qui touche l'ensemble du pays. C'est ainsi que les différentes branches de la CNPS se sont retrouvées dans une situation de déséquilibre du fait de la chute de leur taux de croissance annuelle moyen des recettes de cotisations sociales (voir figure en annexe 1).

    Quant à la période 1995-2001, le tableau de l'évolution du taux de croissance annuelle moyen des salaires ressort une baisse drastique desdits salaires suite aux mesures des ajustements structurels. Ce taux de croissance tombe à 7,13% pendant que les recettes de cotisations des différentes branches s'élèvent légèrement du fait de la relance économique et les moyens mis en oeuvre pour améliorer le recouvrement desdites cotisations (voir figure en annexe1).

    2.2.1.2. Les tendances sociales

    Aux mutations de l'environnement économique, il faut ajouter les transformations sociales ayant également expliqué la crise de la protection sociale au Cameroun à savoir : les tendances démographiques et celles liées au marché du travail.

    · Les tendances démographiques

    Peuplé de 10 659 290 habitants en 1987, le Cameroun a une population estimée en 2003 à 16 087 472 habitants dont 52,8% sont en zone urbaine12(*). Son taux de progression annuelle avoisine 3%. Dans cette population 63,8% représentent les jeunes âgées de 0 à 24 ans alors que ceux âgés de 60 ans et plus ne représentent que approximativement 3% : soit un total d'inactifs de près de 67%, les 33% autres personnes appartiennent à la tranche d'âge de 25 à 59 ans et représentent les actifs qui constituent la main d'oeuvre du pays. La population camerounaise est donc essentiellement jeune (voir figure en annexe 8).

    Pour ce qui est des taux de mortalité et de natalité, on assiste à une tendance baissière de ceux-ci. Pour mille habitants, ces dernières sont respectivement passées de 16,46 en 1980 à 15,7 en 2002 et de 44,54 à 35,5 pour la même période avec une augmentation asynchrone de l'espérance de vie à la naissance (50,96 ans en 1982, puis 53,31 ans en 1987 et 48 ans en 2003 : cf. tableau en annexe 4).

    Le taux de fécondité (nombre de naissance par femme) a également connu une tendance à la baisse, passant ainsi de 6,39 en 1980 à 4,6 en 2002.

    Pour ce qui est du ratio de dépendance de la CNPS, les statistiques y relatives allant de 2001 à 2004 montrent qu'il n'a véritablement pas connu un processus d'évolution progressive ou régressive. La population âgée de 60 ans et plus est resté constante. Il ressort 8 bénéficiaires des pensions pour un travailleur actif (voir tableau 2.3 ci-après).

    Tableau 2.3. Evolution du ratio de dépendance

    Années

    2001

    2002

    2003

    2004

    Inactifs

    56 675

    61 470

    63 357

    62 370

    Actifs

    469 947

    487 735

    477 748

    526 206

    RD

    1/8

    1/8

    1/8

    1/8

    Source : cahier de charges CNPS (2003)

    Ce contexte démographique combiné avec la crise économique du début des années 1980 est de nature à avoir peser sur le marché du travail entraînant ainsi la crise du système de protection sociale.

    · Les tendances du marché du travail

    Depuis le milieu des années 1980, on assiste à une dégradation du marché du travail qui a des conséquences sur le financement et l'efficacité du système de protection sociale camerounais.

    - Un marché du travail dont la dégradation contribue pour une large part à la crise financière de la protection sociale

    Deux évolutions sont ici à étudier et la dégradation du marché du travail est évidemment à considérer dans un premier temps du point de vue quantitatif, avec la montée du chômage depuis le milieu des années 1980. Si l'on se réfère aux statistiques du DSRP pour la période étudiée, le constat est simple : le taux de chômage est passé d'un peu plus de 14,7% en 1987 à 35% en 1996 et en 2001 ce taux est estimé à 30% (voir tableau 2.4 ci-après).

    Tableau 2.4. Evolution du taux de chômage annuel

    Année

    1987

    1993

    1995

    1996

    2001

    chômage

    14,7%

    24,6%

    17%

    35%

    30%

    Source : DSRP (2000)

    La dégradation du marché du travail est également à considérer du point de vue qualitatif, puisque l'on assiste à une précarisation significative de l'emploi au Cameroun. Les emplois atypiques ont connu une évolution considérable. Dans les zones urbaines du Cameroun, même si le travail salarié régulier constitue le mode d'emploi dominant (moins de 60% à 70% de l'ensemble des travailleurs), on observe que l'emploi salarié protégé ne concerne environ que le tiers (1/3) de l'ensemble des individus employés. Cela signifie que, compte tenu de la part du travail indépendant avec le capital, 55% à 60% des travailleurs sont exclus d'un emploi stable en termes de revenu et de protection sociale. Aujourd'hui, on assiste de plus en plus à une fragmentation des emplois, non seulement au niveau des contrats de travail proprement dits, mais aussi à travers la flexibilisation des tâches de travail. 

    Ces différentes situations du marché du travail mettent en difficulté le système de financement de la protection sociale. Parmi les facteurs en cause, la montée du chômage joue un rôle considérable. Il apparaît ainsi dans le tableau en annexe 2 que, depuis le milieu des années 1980, les dépenses sociales liées à la dégradation du marché du travail tel que celles de la branche assurance vieillesse (1996-1999) et celles de la branche allocations familiales (1987-1991) ont fortement augmenté.

    Parallèlement, le moyen de financement traditionnel reposant sur les cotisations sociales salariales, s'est trouvé restreint du fait de la montée du chômage et du faible niveau de la croissance économique sur la période. La logique de cette situation est implacable ; avec cette conjoncture, « les ayants-droits » augmentent alors que les cotisants n'augmentent plus suffisamment.

    - Une dégradation du marché du travail qui révèle une crise d'efficacité du système de protection sociale

    Au-delà de la crise financière qui vient d'être caractérisée, apparaît une crise d'efficacité puisque, malgré un coût et des déficits croissants, la protection sociale ne semble plus en mesure de jouer pour tous le rôle qui lui est assigné.

    Traditionnellement, au Cameroun, les personnes pauvres se trouvaient pour l'essentiel parmi les personnes âgées, les salariés agricoles ou les anciens indépendants qui n'avaient pu poursuivre leur activité du fait des mutations structurelles de la société. Les personnes qui avaient un emploi, en particulier les salariés échappaient de manière à peu près systématique à la pauvreté. On pouvait donc penser que la salarisation croissante de la population active qui accompagnait la croissance rapide des années 1970 réussirait à vaincre définitivement la pauvreté. Il n'en a malheureusement rien été.

    Une nouvelle pauvreté s'est développée à partir des années 1980, liée à la montée du chômage. On va trouver parmi les « nouveaux pauvres » des jeunes sans qualification qui n'ont pas réussi à trouver un emploi stable ou des travailleurs licenciés. En 2001, on estime à 14,4% le taux de chômage des jeunes au Cameroun.

    Ces difficultés d'insertion deviennent dans certains cas sources d'exclusion sociale. Comme le souligne Robert Castel (2003), les « situations hors-droit » se développent, ce qui met les personnes concernées dans une situation de « désaffiliation ».

    Cette situation de grande fragilité sociale qui caractérise les « oubliés » de la protection sociale ne se limite pas aux chômeurs.

    Elle est aussi liée aux transformations du travail : la précarisation du travail et la montée des emplois atypiques amènent certains travailleurs à avoir des revenus très faibles, les plaçant en dessous du seuil de pauvreté. Tous ces travailleurs pauvres se trouvent dans « les zones grises de l'emploi » entre population active occupée et population active inoccupée.

    Trop souvent les emplois atypiques, les « petits boulots », ne procurent pas d'identité sociale et le salarié n'est pas considéré comme faisant véritablement partie de l'effectif de l'unité de production. Une nouvelle fois, le phénomène de « désaffiliation » décrit par Robert Castel (2003) semble opérer.

    Ces incidences des transformations socioéconomiques sur la protection sociale ainsi développées, concourent à la remise en cause de la logique même du système.

    2.2.2. Les contraintes institutionnelles

    Il s'agit à ce niveau d'analyser la crise du système de protection sociale camerounais à travers les contraintes liées à l'État et celles liées à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale.

    2.2.2.1. Les contraintes liées à l'État

    L'État a eu une part de responsabilité dans les dysfonctionnements du système de protection sociale à travers son ingérence et ses décisions d'investissement dans ledit système.

    · L'ingérence de l'État

    Selon Marius (2005), l'une des priorités essentielles à laquelle il faut remédier dans le cadre des efforts visant à pallier le manque de crédibilité des caisses de prévoyance sociale a trait au modèle hérité et aux problèmes de gouvernance qui en découlent. Pour les régimes de sécurité sociale, une bonne gouvernance est essentielle à la viabilité et à la pérennité dudit régime. Elle est également essentielle pour capter la confiance des institutions qui ont souvent été l'objet de suspicion et de mépris.

    Au Cameroun, de nombreux facteurs témoignent clairement de l'intervention ou de l'ingérence excessive de l'État. Les pouvoirs publics ont souvent un droit de regard sur la composition et la nomination des comités directeurs, ainsi que des administrations de la sécurité sociale, sur la gestion des caisses de prévoyance sociale et les décisions d'investissement. Le ministre compétant est presque toujours autorisé par la loi à donner au comité directeur des instructions à caractère général ou spécifique. Cette situation accroît la possibilité d'ingérence politique et peut compromettre l'indépendance du comité. En outre, la composition des comités est souvent de nature tripartite (Musenge, 2003).

    Dans le même ordre d'idées, une expérience dans le domaine de l'assurance sociale, vu sous l'aspect financier ou administratif peut être exigée de leurs membres, le choix d'un représentant des actionnaires pouvant être limité à une entité particulière faisant partie des actionnaires et pouvant donner lieu à une situation dans laquelle les personnes pour lesquelles le régime en cause a été créé sont faiblement représentées (Barbone & Sanchez, 2000). C'est ce qui se passe au conseil d'administration de la CNPS.

    Outre cela, cet organisme est sous la tutelle du Ministère du Travail et de la Sécurité Sociale et dont les ressources sont collectées en partenariat avec la direction des impôts qui est une structure du Ministère des finances.

    · Les décisions d'investissement

    Comme l'ont relevé Barbone & Sanchez (2000), dans presque tous les pays, l'État a emprunté ou s'est approprié des ressources provenant des caisses de sécurité sociale. Souvent, les pouvoirs publics ont utilisé ces ressources pour investir dans des projets ou des sociétés spécifiques. De même, dans de nombreux cas, il n'est pas possible de faire des investissements offshores (Diop, 2003). Cette interdiction s'avère problématique, étant donné que les possibilités d'investissement dans ces pays sont limitées. Les gestionnaires des caisses ont souvent tendance à investir dans des actifs qui ne fournissent peut-être pas le meilleur rendement, tel que l'immobilier (Barbone & Sanchez, 2000). En fait, à la lumière de diverses études réalisées par la Banque Mondiale et d'autres institutions multilatérales, le rendement des investissements réalisés par les institutions de sécurité sociale en Afrique au cours des trois dernières décennies a été négatif. Ces pertes ont été répercutées aux affiliés, qui ont reçu des prestations médiocres (Musenge, 2003).

    A cet égard, le Cameroun offre un exemple de l'intervention excessif de l'État. Au cours des années 1980, la CNPS a éprouvé des difficultés à trouver une valeur refuge pour investir ses moyens financiers grandissants (Banque Mondiale, 2001). Compte tenu de la disponibilité limitée de titres émis par des sociétés privées, la CNPS a été contrainte d'acheter des obligations à moyen et à long terme faiblement rémunérées. La majeure partie de son portefeuille comportait des obligations d'État. Naturellement, on pensait que les moyens financiers de la CNPS investis dans des obligations d'État ne couraient aucun risque. Pourtant, ce ne fut pas le cas, car l'État a emprunté des montants considérables et il a été ordonné d'octroyer des prêts supplémentaires à des entreprises publiques. Ces prêts ont été accordés suivant les instructions des dirigeants politiques. Certaines entreprises publiques ont été incapables de rembourser les prêts, tandis que d'autres ont simplement choisi de ne pas les rembourser.

    Ce sont ces différents comportements de l'État qui ont expliqué à un moment donné la crise de légitimité du système camerounais de protection sociale géré par la CNPS.

    2.2.2.2. Les contraintes liées à la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale

    Au milieu des années 1980, la crise économique et financière que connait le Cameroun a accentué les dysfonctionnements du système de protection sociale.

    Face à cette situation de crise économique, l'État a été dans l'obligation, sous la pression des bailleurs de fonds, de s'engager dans la mise en oeuvre d'un programme d'ajustement structurel qui comporte des mesures drastiques. Ces mesures ont ainsi eu pour effet immédiat : 

    - la fermeture de plusieurs entreprises publiques et parapubliques ;

    - la compression massive des personnels de plusieurs sociétés provoquant ainsi la perte des cotisations sociales prélevées sur les salaires versés à ces personnels ;

    - une chute d'environ 4 milliards du volume des cotisations encaissés entre 1989 et 1992.

    Au même moment, la loi n°84/07 du 04 juillet 1984 consacre l'abaissement de 60 à 50 ans, de l'âge d'admission à la retraite anticipée, ce qui a pour effet de priver l'organisme des cotisations sociales étendues sur une période de 10 ans, et de provoquer corrélativement une augmentation des dépenses de la branche d'assurance pensions de l'ordre de 7 milliards de francs CFA.

    Dès lors, les ressources financières de l'organisme vont s'amenuiser provoquant un déséquilibre financier structurel des branches (voir figure en annexe 1). La dette de l'État vis-à-vis de la CNPS atteint la somme colossale d'environ 300 milliards de francs CFA.

    L'insolvabilité de la plupart des banques fait perdre à la CNPS ses dépôts bancaires dans les comptes à termes pour environ 30 milliards de francs CFA de créances comprises.

    Ces contraintes financières auxquels fait face la CNPS sont également liées à la mauvaise gestion financière, aux avantages non contributifs de l'action sanitaire et sociale, aux nombres pléthoriques des agents recrutés, aux mauvais comportements des entreprises et de certains agents de recouvrement et aux problèmes de gestion administrative (coûts administratifs élevés). Le problème de gestion est dû en grande partie à un manque de formation adéquate et à la méconnaissance des principes de prudence en matière de sécurité sociale. Pour ne citer qu'un exemple, on peut mentionner la tendance de la CNPS à utiliser les ressources provenant de certaines branches de prestations pour payer les pensions des retraités, dans des circonstances où l'insuffisance du montant de la cotisation, la diminution du nombre de cotisants et l'augmentation du nombre de bénéficiaires exercent une pression sur le régime en général.

    Face à ces différentes contraintes, l'organisme se trouve désormais dans l'incapacité de faire face à ses missions institutionnelles, notamment assurer le paiement régulier des prestations sociales échues. Le volume des arriérés de cotisations sociales atteint la somme faramineuse d'environ 600 milliards de francs CFA. Cette faible redistribution des prestations sociales, plonge ainsi la CNPS dans une crise de légitimité sans précédent, suscitant des réformes.

    CONCLUSION

    En résumé, il ressort de ce chapitre que le système de protection sociale camerounais fait face à une triple crise depuis le milieu des années 1980. Il s'agit de la crise financière du fait des déséquilibres de la sécurité sociale, de la crise d'efficacité du fait de nombreux exclus sociaux et de la crise de légitimité du fait des prestations sociales peu redistributives. Ces dysfonctionnements s'expliquent par les contraintes socioéconomiques et les contraintes institutionnelles.

    Les débuts de solutions à cette triple crise commencent en 1990 par l'État qui va prendre en charge ses propres fonctionnaires. D'autres initiatives de réformes vont suivre, mais n'apporteront pas des solutions profondes à l'organisation du système de protection sociale camerounais. Ceci nous amène à aborder dans la deuxième partie les pistes de réforme nécessaire à l'organisation sociale au Cameroun.

    CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

    A l'issue de cette partie, il ressort que le système de protection sociale camerounais est en pleine crise depuis le milieu des années 1980. Cette crise est triple : une crise financière, une crise d'efficacité et une crise de légitimité. Cette triple crise matérialise les dysfonctionnements de la protection sociale au Cameroun. Le chapitre 2 aborde ces dysfonctionnements. Dans le développement de ce chapitre, nous avons pu constater que les tendances économiques et sociales du Cameroun ont fortement des répercussions sur le système de protection sociale Camerounais entraînant celui-ci à la ruine.

    A côté de ces évolutions socioéconomiques, il a été constaté qu'il existe également des contraintes institutionnelles qui expliquent le fonctionnement défectueux dudit système. Nous avons ainsi différencié les contraintes liées à l'État et celles liées à la CNPS.

    L'examen de tous ces éléments ont permis de constater que le système de protection sociale camerounais à besoin d'une réforme organisationnelle profonde pour pouvoir remplir décemment les missions qui lui sont assignées.

    DEUXIEME PARTIE : LES VOIES DE REFORME DE LA PROTECTION SOCIALE AU CAMEROUN

    INTRODUCTION A LA DEUXIEME PARTIE

    La question de l'organisation de la protection sociale au Cameroun depuis la création de l'institution chargée de la protection sociale (CNPS) jusqu'au milieu des années 1980, n'a jamais fait l'objet de quelques inquiétudes que ce soit, du fait de la bonne santé dudit système.

    En effet, cette période concorde avec celle de l'expansion de l'économie camerounaise. Mais l'avènement de la crise économique du milieu des années 1980 provoque la crise du système de protection sociale. C'est alors que celui-ci n'assure plus ses fonctions qui lui ont été assignées. Le nombre d'exclus sociaux augmente, la population non couverte par la CNPS augmente également, et les déficits de la sécurité sociale s'accentues. Bref, le système n'arrive plus à s'adapter à l'environnement socioéconomique. Cette situation incite ainsi les pouvoirs publics et les institutions internationales à réfléchir sur les programmes de réforme du système de protection sociale dès le début des années 1990.

    De manière générale, les réformes des systèmes de protection sociale font l'objet d'un débat dans la littérature économique sur le choix entre le modèle d'assurance du revenu salarial et celui de transferts sociaux par l'impôt. La majeure partie des réformes mises en oeuvre jusqu'à une période récente est rattachée au premier modèle. Mais une conception renouvelée et élargie de la fonction d'assurance à assigner aux systèmes de protection sociale conduit pourtant, le plus souvent, à préconiser des réformes allant en direction du second modèle.

    Cette partie a pour but d'examiner les voies de réformes possibles du système de protection sociale camerounais. Pour ce faire nous allons d'abord procéder à une revue de la littérature sur les réformes, pour finir ensuite avec le modèle de protection sociale à mettre en place.

    CHAPITRE 3 : L'ANALYSE THEORIQUE DES REFORMES DES SYSTEMES DE PROTECTION SOCIALE

    Les débats contemporains sur les réformes de la protection sociale interrogent les fondements des systèmes publics de couverture des risques sociaux. Ils font réapparaître deux modèles concurrents de protection sociale entre lesquels les assurances sociales réalisent un compromis : le modèle d'assurance du revenu salarial et le modèle de transferts sociaux par l'impôt.

    Ces deux modèles ne coïncident pas avec le modèle bismarckien et le modèle beveridgien, que l'on a coutume d'opposer. En premier lieu, parce que la lecture souvent faite du plan Beveridge tend à occulter quelques-uns des principes fondamentaux mis en avant par le réformateur anglais : une approche « contributive » de la protection sociale (Kerschen, 1994) et un système de prestations uniformes auquel doit correspondre un système uniforme de cotisations salariales (exception faite de la santé et de la famille). De même, c'est par une ironie de l'histoire que l'on qualifie de « bismarckien » un modèle de protection sociale qui correspond si peu aux intentions initiales du chancelier du Reich13(*).

    En second lieu et surtout, parce que l'opposition Bismarck-Beveridge est traditionnellement avancée afin de faire valoir l'antagonisme entre l'assurance et les politiques de solidarité. Or, le principal enjeu des débats contemporains sur la protection sociale en Europe -que confirme un regard porté outre-Rhin -concerne les conceptions de la fonction d'assurance dévolue aux systèmes de protection sociale et l'ensemble des conséquences qui s'en déduisent en matière de distribution des ressources. A ces conceptions concurrentes sont associés dans chaque cas des arguments, tant en termes d'efficacité que d'équité.

    Notre projet, dans cette perspective, est d'analyser les fondements théoriques des débats sur les réformes à partir des justifications et des implications économiques de l'opposition entre le modèle d'assurance du revenu salarial et le modèle de transferts sociaux par l'impôt. Les caractéristiques de ces deux modèles seront dans un premier temps présentées, puis nous examinerons les arguments qui plaident en faveur des réformes allant dans le sens de l'un ou l'autre de ces modèles.

    3.1. Les caractéristiques des modèles d'assurance sociale

    Il s'agit ici d'énumérer les caractéristiques propres à chaque modèle d'assurance en termes de qualification des personnes exposées aux risques, de nature du bien protection sociale, de formes institutionnelles, de financement et d'effets redistributives.

    3.1.1. L'assurance sociale : entre deux modèles

    Les deux modèles de protection sociale entre lesquels les systèmes d'assurance sociale réalisent un compromis peuvent être distingués à partir de leur définition du risque, ou, mieux encore, de la « qualification » (Livet et Thévenot, 1994) des personnes qui y sont exposées. Dans le cadre du modèle assuranciel, c'est le salarié qui est exposé aux risques ; du point de vue du modèle de transferts sociaux par l'impôt, c'est le citoyen.

    A ces différentes qualifications correspondent des modes spécifiques de distribution des charges et des avantages en matière de couverture des risques sociaux. Des caractérisations dissemblables de la nature du bien « protection sociale », qui traduisent des conceptions divergentes de la fonction d'assurance exercée par les systèmes de protection sociale, leur sont également associées. Ces deux modèles reposent en conséquence sur des formes institutionnelles contrastées, qui se traduisent par des modalités de financement et par un droit des prestations dans chaque cas originaux.

    3.1.1.1. Qualifications des assurés et caractéristiques du bien assurance

    Depuis leur origine, les assurances sociales reposent sur un compromis, évolutif à travers le temps, entre des qualifications concurrentes des personnes exposées au risque. C'est l'économie de ces qualifications, qu'il s'agit ici de préciser.

    Le modèle d'assurance du revenu salarial

    Ce premier modèle repose sur une qualification des assurés comme personnes exerçant une activité professionnelle subordonnée à la conclusion d'un contrat de travail salarié. Définir le risque comme risque professionnel lié à l'activité de production, c'est choisir de mettre chacun à contribution en fonction de son efficacité productive et de fixer l'indemnisation à proportion de celle-ci. Il s'agit alors d'assurer la capacité à conserver un revenu salarial dans le cadre d'une communauté de risque limitée aux cotisants.

    Au niveau le plus général, ce modèle met en avant la relation d'équivalence entre la prestation et la contre-prestation, compte tenu d'une redistribution des risques ex post entre les assurés. Le principe d'équivalence joue un rôle central pour apprécier le rôle et la portée des principes assurantiels dans le cadre des assurances sociales, de même qu'il occupe une place de choix dans les débats sur les réformes. Il revêt cependant des significations différentes selon qu'il renvoie à l'équivalence globale, à l'équivalence actuarielle ou à l'équivalence relative.

    En termes techniques, une police d'assurance doit être conçue comme une créance conditionnelle dont l'échange permet une redistribution des risques portant sur la richesse (le revenu salarial) aléatoire entre agents économiques rassemblés au sein d'une communauté de destin. Pour pratiquer cette activité d'intermédiation financière qui consiste à redistribuer les risques, l'assureur prélève une somme de primes qui, compte tenu d'une évaluation du risque, doit couvrir le montant des prestations. Il existe donc une contrainte d'équivalence globale entre la valeur de la totalité des primes qui (des cotisations) et la valeur de la somme des indemnités à verser (des prestations). L'équivalence globale entre les primes nettes et les prestations n'a de sens que pour un horizon temporel et un facteur d'actualisation donnés, qui peuvent être variables selon le mode de financement. Ces trois éléments : la communauté de risque (fermée), la redistribution des risques conditionnelle à des états aléatoires et l'équivalence globale, caractérisent toute activité d'assurance ; que l'assurance soit ou non marchande.

    L'assurance sociale se singularise, en revanche, par l'interdiction qui lui est faite de pratiquer la sélection des risques. A la prime actuarielle se substituent un taux de cotisation proportionnel, assis sur le revenu salarial et le principe d'équivalence relative.

    Les prestations en espèces ne sont pas directement fonction de la cotisation mais reposent, compte tenu du taux de remplacement du salaire. La cotisation est, elle aussi, prélevée sur le salaire et son montant absolu traduit, compte tenu du taux en vigueur, la place du revenu dans la hiérarchie salariale. Il doit donc y avoir une équivalence entre les cotisations versées et les prestations à recevoir, relativement au revenu salarial assuré. Puisque le droit à prestation acquis par le versement de cotisations est à proportion du salaire, la hiérarchie des prestations doit refléter la hiérarchie des salaires. Pour être garantie à travers le temps, cette équivalence doit être exprimée en termes de salaire moyen des assurés sociaux. En même temps qu'un rang dans la hiérarchie salariale, l'assuré acquiert ainsi un droit à une part de la somme des cotisations prélevées en cas d'occurrence du dommage.

    Le principe « d'équivalence relative », à proportion du revenu salarial, est plus contesté en ce qui concerne les prestations en nature (pour l'essentiel les biens et services médicaux). Cependant, le mode de financement des prestations en nature par des cotisations prélevées sur les salaires ne contredit pas nécessairement le principe d'équivalence, alors même que les prestations sont consommées en fonction des besoins. Si, en effet, le critère d'évaluation des prestations en nature est, non pas le montant des dépenses réelles, mais le coût d'opportunité de la perte de revenu qui résulte de la maladie, coût évalué sur la durée de vie d'un assuré, alors les cotisations qui servent à financer les prestations en nature doivent être aussi fonction du revenu. Un principe d'équivalence des utilités, via le coût d'opportunité sur l'ensemble de la durée de vie, peut être ainsi avancé en lieu et place du raisonnement en termes de dépenses réelles effectué dans une perspective transversale.

    Le modèle de transferts sociaux par l'impôt

    Le système de transferts sociaux par l'impôt repose sur une qualification différente des personnes exposées au risque. Le risque que visent à couvrir les systèmes de transferts sociaux par l'impôt est lié au contrat social par lequel les citoyens se reconnaissent mutuellement une dette. Il s'agit alors de couvrir le risque d'exclusion de la communauté que font peser sur le citoyen la pauvreté, la vieillesse, la maladie, les aléas de carrière, etc. Chaque citoyen doit pouvoir bénéficier des conditions matérielles qui l'autoriseront à exercer concrètement ses droits.

    Alors que le modèle assurantiel, en liant les droits à couverture au salariat, prend effet à partir de l'entrée à la vie active, qu'il vise à garantir la capacité à obtenir un revenu salarial, ce second modèle vise à couvrir tous les citoyens, éventuellement dès leur naissance, grâce à des mécanismes redistributifs. Le premier modèle trouve traditionnellement ses justifications dans les déficiences des marchés assurantiels (Barr, 1994). Economiquement, les conditions d'efficience de ce second modèle peuvent être conçues à partir d'un dispositif de voile d'ignorance, dissimulant aux individus leurs positions futures, ou, plus généralement, à partir de l'incertitude qui pèse sur le montant du revenu à percevoir et la nature des processus qui en sont à l'origine (Varian, 1980). Les mécanismes publics de redistribution des revenus et des richesses, dont la spécification exacte dépend des contraintes informationnelles et incitatives retenues, peuvent alors être conçus comme une assurance contre les aléas pesant sur les revenus, voire les projets de vie.

    La nature du bien protection sociale selon les modèles

    Cette qualification contrastée des assurés « sociaux », sur laquelle reposent les modèles assurantiels et de transferts sociaux par l'impôt, renvoie à une interrogation sur la nature de l'assurance des risques vitaux du point de vue économique. Les deux modèles sont de ce point de vue le produit de deux conceptions nettement différenciées : la prévoyance personnelle par l'État, qui renvoie au concept de bien tutélaire, d'une part, et la production directe de sécurité conçue comme un bien collectif, d'autre part.

    Dans le premier cas, l'objectif du système de protection sociale est de contraindre les individus à se couvrir. Ce premier paradigme défend le caractère individualisable de la couverture des risques vitaux. Le rapport d'équivalence entre cotisations et prestations précédemment évoqué a, à l'évidence, pour condition préalable l'acquisition d'un droit par le paiement d'une prime. En d'autres termes, l'assurance, qu'elle soit privée ou publique, est, dans cette optique, soumise au principe d'exclusion : les personnes qui ne paient pas le prix d'accès à la protection n'y ont pas droit.

    Par construction, le second paradigme part de l'idée que l'État doit prendre directement en charge la couverture des risques. Cette conception équivaut à faire de la protection sociale un bien collectif -éventuellement « impur »- et de la redistribution une assurance, dans les conditions énoncées précédemment.

    Cette opposition sur les caractéristiques du bien peut sembler en partie artificielle dans la mesure où l'État, dans une tradition qui remonte à Hobbes, est toujours producteur de sécurité ou, si l'on préfère, « réducteur d'incertitude ». L'organisation étatique de la prévoyance personnelle, dans le cadre d'un système obligatoire, a en effet le caractère d'un bien collectif. En ce sens, la sécurité est bien produite par l'État de manière indirecte. Inversement, la production directe de sécurité par l'État relève aussi de la prévoyance volontaire, dans la mesure où cette production étatique réclame le consentement -même tacite ou, mieux, « oublié » (Ricoeur, 1991) - des citoyens, comme le souligne une autre tradition de pensée qui court de la Boétie à H.Arendt. « Ce qu'il y a de sûr, c'est que les critères classiques définissant les biens collectifs, à savoir l'indivisibilité et la non exclusion, ne peuvent être dans ce contexte que définis socialement ». C'est parce que ces critères ne peuvent être conçus que socialement, parce qu'aucune définition intrinsèque d'une hypothétique « nature » économique du risque et de l'assurance n'est possible, qu'il peut y avoir une pluralité de qualification possible des personnes exposées au risque et, en conséquence, une pluralité de modèles conceptuels mais aussi réels de protection sociale.

    3.1.1.2. Formes institutionnelles et financement

    Les deux paradigmes conduisent à des formes institutionnelles et à des modes de financement contrastés, que l'on peut expliciter succinctement à partir de la théorie traditionnelle des finances publiques.

    La qualification de la couverture du risque en termes de bien collectif, dont les effets externes peuvent s'étendre à l'échelle de la collectivité toute entière, requiert une organisation publique à gestion centralisée. Puisque le mode de financement implique le respect du principe de non affectation, c'est une gestion unitaire des différents risques qui s'impose.

    En revanche, la caractérisation de la protection en termes de bien tutélaire individualisable (profitant à des groupes particuliers et identifiables) nécessite un processus de décision décentralisé. La gestion de chacun des risques doit être organisée en fonction du principe de la communauté de risque fermée. La séparation des risques est une condition essentielle de l'utilisation du principe d'équivalence. L'interdépendance de fait entre les différents risques doit alors s'accompagner de mécanismes de compensation financière, élaborés sur la base de critères économiques qui ne doivent pas contrevenir au principe d'équivalence globale propre à la gestion de chacun d'entre eux.

    La configuration institutionnelle des deux modèles, non plus horizontalement, mais verticalement, c'est-à-dire du point de vue de l'articulation entre les différents niveaux de protection, peut être comprise à partir de leur mode de gestion de l'hétérogénéité de la population assurée (sa partition entre des « hauts » et des «  bas » risques). Les systèmes publics conformes au modèle assurantiel donnent lieu à une classification partielle des assurés, ce qui les oppose aux systèmes de transferts sociaux par l'impôt qui n'en opèrent, par construction, aucune. Cette segmentation prend la forme de régimes réservés à des entreprises, à des branches d'activité ou à des catégories de population spécifiques. Elle entraîne pour l'essentiel une catégorisation des assurés selon le secteur d'activité, la catégorie socioprofessionnelle et le revenu. La constitution par ce biais de classes de risques, plus ou moins homogènes, conduit à modifier la proportion des risques, selon qu'ils sont élevés ou faibles, et à rapprocher une majorité d'assurés de l'équivalence actuarielle. Elle favorise en conséquence l'existence d'un taux de couverture publique élevé. Les opportunités d'assurance complémentaire s'amenuisent ainsi logiquement. Alors que les systèmes à prestations universelles appellent un complément par le haut sous formes d'une protection complémentaire, les systèmes assurantiels réclament, réciproquement, la mise en place d'une couverture par le bas, pour ceux qui, soumis au principe d'exclusion, n'ont pas acquis un droit suffisant à prestations.

    Si l'on s'intéresse plus spécifiquement au financement, le critère de décision essentiel est celui de l'existence de groupes de personnes clairement identifiable, qui retirent un bénéfice de la prestation collective et dont peuvent être exclus d'autres groupes ou individus. De surcroît, c'est la perspective de la redistribution comme assurance qui conduit à privilégier le financement par l'impôt, alors que la logique de la distribution des charges et des avantages à proportion des revenus salariaux requiert un financement par cotisations.

    Le modèle de transferts sociaux par l'impôt conduit à garantir à l'ensemble de la population résidente l'offre de sécurité sociale produite par l'État et à réparer les critères d'attribution des prestations des critères de financement, conformément au principe de transferts unilatéraux (en espèces, en nature ou en service). Alors que les impôts concernent fondamentalement tous les résidents, qu'ils sont un système de prélèvement unilatéral, dont le caractère original tient à ce que le prélèvement est effectué à titre définitif et n'a pas à être compensé par une prestation étatique spécifique, les cotisations sont des prélèvements donnant droit à contrepartie. Ne sont donc bénéficiaires, dans le cadre du modèle assurantiel, que les personnes qui sont assujetties au prélèvement. En outre la fonction d'épargne que remplissent les systèmes assurantiels conduit à lier la durée de bénéfice des prestations à la durée préalable de cotisation.

    Les deux modèles se différencient enfin par le mode d'indexation des prestations. Le mode de revalorisation des salaires de référence et des prestations, qui court sur plusieurs décennies, a des effets majeurs sur l'orientation et la dynamique des systèmes de pensions (vieillesse ou invalidité). En cette matière, comme en d'autres, la réunification du système d'assurances sociales allemand fait clairement apparaître les enjeux. On sait qu'à long terme, l'un des avantages les moins contestables des systèmes publics par répartition est de permettre la garantie du pouvoir d'achat des droits acquis et des pensions servies. Il reste que le mode d'indexation varie selon que l'objectif assigné au système de pension est, soit de garantir le pouvoir d'achat des droits acquis au moment de la liquidation des pensions, soit de permettre au retraité d'obtenir et de conserver une certaine position dans la hiérarchie de l'ensemble des revenus.

    Dans le premier cas, c'est une logique de couverture des besoins, définis au moment où se réalise l'évènement ouvrant droit à prestations, qui prévaut, et cela enfin d'atteindre, ceteris paribus, un rythme d'évolution des dépenses défini en référence à la hausse des prix, comme dans le cadre des procédures usuelles d'élaboration du budget de l'État. Pour peu qu'il soit couplé à une clause de participation régulière aux fruits de la croissance, ce mode d'indexation a pour singularité de permettre des arbitrages intergénérationnels qui ne sont pas soumis au seul rythme de croissance des salaires.

    Si, comme dans le second cas, l'objectif est le respect du principe d'équivalence relative, du point de vue transversal et du point de vue longitudinal, l'indexation sur les salaires s'impose. Il s'agit de garantir aux prestataires une certaine position dans l'échelle des revenus, exprimée en termes de salaire moyen des assurés sociaux, qui est alors l'unité de mesure des droits à prestations. Cette équivalence relative ne peut être maintenue à travers le temps que si les droits à pensions et les retraites sont revalorisés uniformément en fonction de la croissance du salaire moyen (éventuellement net).

    3.1.2. Les effets rédistributifs des modèles d'assurance sociale

    En matière de redistribution des ressources, les systèmes de protection sociale ont a priori différent effets, que l'on peut distinguer ainsi :

    - redistribution intertemporelle des revenus ;

    - redistribution interpersonnelle et intergénérationnelle des risques ;

    - redistribution intergénérationnelle des revenus (redistribution interpersonnelle entre les membres des différentes cohortes) ;

    - redistribution interpersonnelle des revenus au sein d'une cohorte (redistribution intragénérationnelle).

    Les deux modèles de protection sociale se distinguent quant à la hiérarchisation de ces objectifs.

    3.1.2.1. Effets rédistributifs du système d'assurance du revenu salarial

    En application du principe d'équivalence relative, le modèle d'assurance du revenu salarial privilégie la redistribution intertemporelle, qui correspond à une fonction de report, et la redistribution entre ceux qui ont été épargnés et ceux qui ont subi un dommage. L'objectif des systèmes qui s'y conforment est, en cas d'occurrence du dommage, de reproduire la hiérarchisation des revenus salariaux telle qu'elle ressort de la distribution primaire.

    Pour évaluer les effets rédistributifs du système d'assurance du revenu salarial, suivant la configuration qui y prévaut au regard de celui-ci, il faut aussi s'intéresser au problème de l'incidence des prélèvements. En ce domaine, un certain nombre de résultats empiriques sont communément avancés (Schmähl, 1989), même s'ils demeurent contestés et nécessiteraient en tout état de cause d'être situés dans des cadres spatio-temporels précis.

    Les cotisations sociales salariales ne semblent pouvoir faire l'objet que d'un report fort limité. L'effet du prélèvement est donc soit proportionnel au revenu, soit dégressif pour les revenus bas et irréguliers et les salaires élevés, en raison de l'existence d'un minimum soumis à cotisation, et du plafond. L'incidence réelle des cotisations sociales patronales dépend de l'hypothèse faite sur le report de la charge. Si la charge est reportée en amont vers les salaires, l'incidence est identique à celle de la cotisation salariée. Si elle est reportée en aval sur le consommateur, on doit s'attendre à un effet plutôt régressif.

    Les développements qui précèdent conduisent enfin à prédire une réaction archétype du modèle d'assurance du revenu salarial en période de difficultés financières. Ce modèle, qui repose sur le principe d'équivalence tend dans ces conditions, à protéger les droits acquis à prestations (ceux des salariés les mieux insérés au regard des normes d'emploi). En revanche, il conduit à réguler les dépenses en priorité par l'exclusion des mauvais risques, par la minoration ou la suppression des prestations ne répondant pas à la logique d'équivalence relative ou par le durcissement des conditions d'acquisition des droits à prestations.

    3.1.2.2. Effets rédistributifs du système de transferts sociaux par l'impôt

    Le modèle de transferts sociaux par l'impôt donne la priorité au mode de redistribution secondaire au cours de la période courante. Du côté du financement, c'est en effet le principe de la capacité contributive qui prévaut. Les prestations, qui sont indépendantes des contributions versées, ont vocations à assurer un niveau de ressources suffisant. L'objectif est alors la redistribution interpersonnelle et intergénérationnelle des revenus et des patrimoines.

    Pour l'évaluation des effets rédistributifs du système, il faut aussi s'intéresser au problème de l'incidence des prélèvements. En ce domaine, un certain nombre de résultats empiriques sont également communément avancés, même s'ils demeurent contestés et nécessiteraient en tout état de cause d'être situés dans des cadres spatio-temporels précis. Dans le cadre du modèle de transferts sociaux financés par l'impôt, l'effet rédistributifs est naturellement très dépendant de l'impôt sollicité. S'agissant de l'impôt sur le revenu, il y a identité entre celui à qui est imputée la dette fiscale et celui qui la paie effectivement. En conséquence, un financement des prestations sociales par cet impôt entraîne un prélèvement qui, conformément au barème, devrait être progressif. Si les prestations sont financées par la taxe à la valeur ajoutée, le report de la charge sur le consommateur entraîne un effet tendanciellement régressif par rapport au revenu, dont l'ampleur dépend cependant d'une série de facteurs.

    Pour ce qui de la réaction en période de difficultés financières, le modèle de transferts sociaux par l'impôt qui couvre tous les groupes de risques tend, à l'inverse du modèle d'assurance du revenu salarial, en l'absence de relation entre la contribution et la prestation, à réagir par la baisse du niveau des prestations délivrées, la sous-indexation et le redéploiement des dépenses.

    3.2. Le débat sur les réformes : les arguments théoriques en présence

    La confrontation des deux modèles précédemment distingués permet de mettre en perspective et d'analyser quelques-uns des principaux enjeux des débats théoriques contemporains sur les réformes des systèmes de protection sociale. Au coeur de cette confrontation entre les arguments qui plaident pour une orientation des systèmes d'assurances sociale en direction de l'un ou l'autre modèle, réapparaît l'affrontement entre les conceptions concurrentes de la fonction d'assurance que doivent exercer les systèmes de protection sociale (qui doivent-il assurer, pour quels risques et comment ?).

    Les principales justifications en termes d'équité et d'efficacité qui plaident en faveur du modèle d'assurance du revenu salarial seront dans un premier temps exposées, avant que soit synthétisées la critique de ce premier modèle, à partir d'une argumentation qui conduit, à l'inverse à plaider pour les réformes inspirées du modèle de transferts sociaux par l'impôt.

    3.2.1. Les arguments en faveur du modèle d'assurance du revenu salarial

    « Les économistes ont généralement porté peu d'attention aux assurances obligatoires, en les considérants comme une forme déguisée d'impôt et un mode comme un autre de dépense publique » (Summers, 1989 p.177). C'est, au contraire, par la mise en évidence des caractéristiques et des avantages propres aux systèmes d'assurance du revenu salarial en matière de distribution des ressources, par rapport aux transferts publics financés par l'impôt, qu'ont été justifiées les réformes conformes à ce premier modèle.

    3.2.1.1. Assurances sociales et principe d'équivalence

    La stratégie de renforcement de la logique assurantielle, telle qu'elle peut être comprise dans le cadre de ce premier modèle, s'appuie sur conception d'assurance, qui n'est pas nécessairement unifiée, mais que l'on peut comprendre a minima comme étant caractérisée par trois critères. Une assurance verse des prestations :

    - dont le financement est apporté pour l'essentiel par le versement préalable de prime (de cotisations) ;

    - pour lequel le principe d'équivalence (relative) prévaut ;

    - qui sont versées inconditionnellement lorsqu'intervient l'évènement ouvrant droit au bénéfice de l'indemnisation, et donc indépendamment de la situation des bénéficiaires.

    Le principe d'équivalence constitue ainsi l'un des pivots de cette stratégie. C'est pourquoi la démonstration de sa pertinence dans le cadre des systèmes publics obligatoires est importante.

    Une approche théorique traditionnelle revient à qualifier la logique de l'assurance comme celle qui relie indemnité et cotisation par le biais de calcul actuariel. Dans cette optique, la spécificité des assurances sociales est d'occasionner une vaste redistribution ex ante puisque la cotisation n'est pas a priori liée à la probabilité d'occurrence du risque. On peut toutefois, au contraire, considérer comme parfaitement justifié le fait que les prélèvements opérés par les assurances sociales sont liés au revenu, puisque les risques professionnels lui sont liés à des degrés divers. En tout état de cause, puisque c'est la perte du revenu salarial qui constitue le risque à couvrir, l'originalité des assurances sociales comme assurance, tient à ce que les charges et les avantages (les cotisations et les prestations) y sont définis à proportion de celui-ci. En application du principe d'équivalence relative, les assurances sociales, à l'image des assurances privées, conduisent à différencier les prestations individuelles sur la base de la durée de cotisation et, via le salaire, de leur montant.

    De ce point de vue, ce n'est donc ni la taille de la communauté de risque, ni l'uniformité des taux de cotisation, qui donnent à l'assurance publique son caractère social, mais bien le critère d'attribution des prestations. L'assurance publique va au-delà de la simple compensation des risques lorsque, pour un taux de cotisation uniforme au sein d'un groupe d'assurés, certaines prestations sont accordées indépendamment du montant du revenu salarial sur lequel est assise la cotisation ou de l'appartenance à la communauté des risques. Les prestations accordées sans cotisations préalables à certains d'ayant-droit en sont un exemple.

    Cette distinction relatif claire sur le plan théorique s'avère, en revanche, délicate à appliquer lorsqu'il s'agit de distinguer empiriquement la redistribution interpersonnelle et intergénérationnelle des risques de celle afférent aux revenus, notamment afin d'énoncer des recommandations en matière de financement. Ce qui, au premier abord, semble devoir être conçu comme de la redistribution interpersonnelle, peut être en réalité compris comme une redistribution des risques parfaitement efficiente du point de vue économique. Ainsi en va-t-il, par exemple, des avantages versés aux femmes qui ont élevé des enfants dans le cadre des systèmes de pension. En conséquence, la séparation entre la redistribution des risques et la redistribution interpersonnelle et intergénérationnelle des revenus requiert un certain nombre de conventions, qui ne sont pas pour autant arbitraires.

    3.2.1.2. Justifications à partir des objectifs et des effets en matière de distribution des ressources

    Des motifs convergents d'équité et d'efficacité incitent à limiter la fonction des assurances sociales à la redistribution intertemporelle des revenus salariaux et à la mutualisation des aléas propres à chaque risque.

    Le financement par cotisations de prestations concourant à une redistribution interpersonnelle, en violation du principe d'équivalence relative, contrarie en effet les principes d'une répartition équitable des charges : seul le revenu salarial (éventuellement sous plafond) est à un prélèvement effectué à taux proportionnel, sans qu'au surplus soient prises en considération les caractéristiques des ménages. Il entraîne par ailleurs une majoration inefficiente des coûts salariaux. Cela ne signifie pas au demeurant que d'autres formes de redistribution ne doivent pas être mises en oeuvre. Simplement le recours aux principes assurantiels a alors des conséquences précises sur la nature du financement souhaitable (les contributions publiques ou la fiscalisation des prestations). Il apparaît en outre souvent nécessaire de renforcer la logique actuarielle afin d'éviter que les assurances sociales n'entraînent une redistribution à rebours, du bas vers le haut à l'échelle des revenus ; à l'image de ce que l'on peut constater, par exemple, dans les systèmes publics d'assurance-vieillesse en des différences d'espérance de vie entre les professions et catégories socioprofessionnelles.

    Des vertus spécifiques sont prêtées à un financement par cotisations en matière d'offre et de demande de travail, d'épargne et de croissance. L'enjeu est d'abord de savoir s'il existe une différence réelle entre l'impôt et les cotisations concernant la tolérance au prélèvement ou si, au contraire ils doivent être confondus quant à leurs effets. Le prélèvement auquel est associée une (contre-) prestation clairement identifiable sera mieux supporté qu'une ponction destinée à une fin anonyme. Les cotisations ne se distinguent toutefois pas seulement par la possible identification de leur affectation, mais parce qu'elles sont en outre liées à l'acquisition d'un droit à contre-prestations (Schmähl, 1989 ; Libault, 1992). « les prélèvements qui financent des prestations à vocation assurantielle seront vraisemblablement mieux acceptés par les agents économiques que les prélèvements à vocation de pure redistribution dans la mesure où les premiers se traduisent par une réduction des risques de l'existence pour tous les individus qu'ils couvrent (jeu à somme positive), tandis que les seconds se traduisent par une réduction des inégalités (de revenu par exemple) qui impose un prélèvement net sur le revenu d'une partie de la population (jeu à somme nulle) ». Un certain nombre d'arguments plus techniques, issus de la théorie fiscale sont avancés pour mettre en évidence les sentiments de sécurité et de transparence que susciterait un financement par cotisations.

    3.2.2. Les arguments en faveur du modèle de transferts sociaux par l'impôt

    L'argumentation en faveur du précédent modèle assurantiel repose d'abord sur une conception de l'assurance discutable à maints égards. La spécificité et l'efficacité d'un mode financement par cotisations est, en outre, contestable. C'est, enfin, en considération de la dynamique conjoncturelle et structurelle des assurances sociales que le mode assurantiel classique est mis en cause. A travers ces critiques se dessine une orientation souhaitable des systèmes de protection sociale en direction du modèle de transferts sociaux par l'impôt.

    3.2.2.1. La logique assurantielle du modèle

    Le renforcement de la logique assurantielle passe, dans l'optique du modèle précédent, par recours plus strict au « principe d'équivalence ». Ce principe, quoique modifié dans le cadre des assurances sociales, se réfère à l'équivalence actuarielle mise en oeuvre par les compagnies d'assurances privées. C'est justement la pertinence de l'idée d'équivalence actuarielle et de la conception de l'assurance qui s'en déduit, qui peut être mise en cause.

    L'égalité entre prime nette et l'espérance mathématique du dommage est contingent à un certain nombre de conventions en ce qui concerne la gamme des risques pris en compte, l'horizon temporel de l'évaluation, ou le choix du taux d'actualisation (Blanchet, 1996). Elle se heurte également à des coûts de transaction et de l'information liés à la tarification des contrats. En outre, la structure du marché assurantiel contrevient à l'hypothèse selon laquelle le principe d'équivalence serait mis en oeuvre sur le marché. En raison des rendements d'échelle croissants qui y sont à l'oeuvre, les marchés d'assurance ont une structure plutôt oligopolistique, et cette situation de concurrence imparfaite offre aux compagnies la possibilité d'utiliser ces marges de manoeuvre en matière de fixation des prix (Cresta, 1984).

    Plus fondamentalement encore, se sont les asymétries d'information qui rendent largement caduque la séparation entre les problèmes d'allocation et de redistribution. En présence de phénomènes de sélection adverse, si les compagnies d'assurances poursuivent une stratégie concurrentielle (à la Nash-Cournot), l'équilibre de marché peut ne pas exister et, s'il existe, il n'est pas optimal. Les effets externes négatifs, des hauts risques sur les bas risques, qui en résultent, peuvent conduire ces derniers à souhaiter subventionner les premiers afin de pouvoir acheter une couverture plus étendue. Plus précisément, dans un contexte d'asymétrie d'information, une tarification des polices entraînant une subvention des bas risques vers les hauts risques peut permettre d'améliorer le bien-être du pool de risque par rapport à une situation où prévaudrait une tarification s'appuyant sur l'équivalence actuarielle.

    Le principe d'équivalence n'a ainsi de portée que dans le cadre d'un hypothétique univers à information parfait. Dans le monde réel, les arguments d'efficacité conduisent, au contraire, à préconiser des redistributions entre catégories d'assurés, ce qui est la caractéristique propre des systèmes publics. En dehors des considérations d'ordre financier, la justification d'une liaison entre les cotisations et les prestations et d'un financement par cotisation s'en trouve considérablement amoindrie.

    Des considérations semblables peuvent être mises en avant s'agissant des transferts intergénérationnels en général, les systèmes par répartition en particulier. La mise en oeuvre d'un strict principe d'équivalence équivaudrait à réclamer de chaque cohorte qu'elle atteigne un taux d'autofinancement des prestations de 100%. Sans même évoquer les nombreuses difficultés techniques ou les problèmes d'équité d'une telle stratégie soulèverait, l'idée d'assurance n'a de sens, sur le plan intergénérationnel, que s'il y a bien des transferts non nuls (des bilans actualisés rapportant les prestations aux cotisations différents de un) entre les différentes cohortes successives. C'est d'ailleurs bien cette mutualisation des risques qui rend les systèmes par répartition efficients en présence de chocs démographiques (Smith, 1982) ou de chocs de productivités.

    3.2.2.2. Financement de la protection sociale, droits des prestations, distribution des ressources et dynamique des systèmes d'assurances sociales

    Les arguments en termes de financement de la protection sociale, de droits des prestations et de distribution des ressources sont d'abord présentés, avant de parler ensuite de la dynamique des systèmes d'assurances sociales.

    · financement de la protection sociale, droits des prestations et distribution des ressources

    La critique du modèle assurantiel ne se limite pas à la remise en cause du principe d'équivalence. La spécificité du financement par cotisation est également contestée. Les assurances sociales couvrent désormais la quasi- totalité de la population et, par conséquent les particularités du financement par cotisations attachées au « mythe de la communauté du risque » sont désormais devenues surannées, les prestations à vocation rédistributive, en nature ou sous conditions de ressources, revêtent une importance croissante ; les frontières entre les différents modes de redistribution s'effacent.

    Pour l'essentiel ces arguments font donc valoir que les cotisations soient devenues un prélèvement obligatoire assimilable à des quasi-impôts, mais sans pour autant revêtir les qualités des prélèvements fiscaux. Si la protection sociale est un bien collectif, un financement par l'impôt est source de distorsions majeures quant à l'allocation des ressources.

    Les critiques adressées au mode de financement par cotisation, en considération de ses effets sur l'emploi, font appel à deux types d'arguments (Dupuis, 1995).

    - Les cotisations sociales sont, en premier lieu, rendues responsables d'un coût de la main d'oeuvre trop élevé. Des études comparatives (A.Euzeby et C.Euzeby, 1983-1995) ont cependant montré de manière convergente, que, au niveau macroéconomique, la structure du financement de la protection sociale reste sans effet sur le coût de la main d'oeuvre ; en particulier parce que l'arbitrage entre les cotisations sociales et l'impôt direct conduit les salariés des pays où les premières sont plus faibles à percevoir les salaires directs plus élevés, soumis à un prélèvement fiscal plus important. Par ailleurs, les évolutions relatives des coûts salariaux unitaires rendent très imparfaitement compte de la compétitivité des différentes économies nationales, en raison notamment du rôle déterminant qu'y jouent les facteurs « hors prix », comme le montrent les nouvelles théories du commerce international.

    Dans une version alternative de ce premier type d'argument, c'est cependant le coût relatif du travail par rapport au capital ou, à tout le moins, l'absence de neutralité des cotisations sociales eu égard au choix des combinaisons productives, qui est mise en avant. C'est dans cette perspective qu'a été formulé le projet sur l'ensemble de la valeur ajoutée, et que peuvent également s'inscrire les diverses propositions visant à étendre le prélèvement à l'ensemble des revenus.

    - L'analyse du coût du travail par niveau de qualification et de rémunération conduit, en second lieu, à rendre les cotisations responsables d'un coin socio-fiscal marginal excessif pour les salariés peu qualifiés, en raison du poids des cotisations sociales sur les bas salaires. S'il existe une incertitude sur l'élasticité de la demande travail à son coût au niveau macroéconomique, ce qui se comprend assez bien, cette élasticité apparaît toutefois d'autant plus significative, au niveau désagrégé et à long terme, que l'on a affaire aux branches industrielles ou aux services à la personne, et, en tout état de cause, aux salariés peu qualifiés. Or, si le coin socio-fiscal moyen bien avec la hiérarchie salariale, le coin socio-fiscal marginal apparaît élevé pour les salariés peu qualifiés dans de nombreux pays européens. cette proposition ne peut certes pas être établie indépendamment du fonctionnement des marchés nationaux de l'emploi. Elle est cependant particulièrement mise en avant en France, en raison des difficultés aiguës d'insertion des jeunes sur le marché du travail et d'un phénomène apparemment prononcé d'éviction des salariés peu qualifiés par les salariés qualifiés.

    Dans tous les cas, le choix d'une assiette plus neutre, eu égard au coût relatif des facteurs, mais aussi plus large s'impose indépendamment de la nature des prestations à financer et/ou de tout droit à contre-prestation. L'adoption de dispositifs permettant, d'une manière ou d'une autre, de subventionner les salariés les moins qualifiés apparaît également désirable dans le contexte européen.

    En outre, l'idée qu'il serait souhaitable de rendre les systèmes d'assurances sociales plus neutres au regard de l'offre de travail, en liant plus strictement les prestations à l'effort contributif préalable, mérite un examen critique. Les propositions qui visent à rendre plus flexibles les conditions de cessation d'activité, grâce à des abattements et des majorations inspirées du calcul actuariel à l'image des réformes introduites dans cet esprit, bien que sur diverses formes, aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Italie en fournissent un bon exemple. Leurs fondements théoriques apparaissent fragiles et peu pertinents empiriquement, et ces propositions retiennent une conception trop restrictive de la fonction d'assurance exercée par les systèmes de protection sociale.

    Ces propositions s'inspirent directement des modèles « revenu-loisir », conforme aux hypothèses de la théorie du cycle de vie. A ce modèle, qui éprouve quelques difficultés à rendre compte de l'abaissement massif de l'âge de cessation d'activité depuis vingt ans, on peut opposer un cadre théorique, plus institutionnaliste, faisant valoir le concept de « revenu relatif de substitution ». Dans les systèmes publics qui ont pour finalité de garantir un certain niveau de pension, un salarié en fin de carrière n'a pas pour objectif de maximiser son revenu sur le cycle de vie : au moment où il interrompt son activité, il souhaite plus simplement que son revenu relatif -attendu comme rapport de la prestation de remplacement de salaire au salaire d'activité - baisse le moins possible. Ce qui pèse sur la décision concernant l'âge de cessation d'activité n'est donc pas la comparaison entre l'abattement réellement mis en oeuvre et l'abattement, mais plus simplement les droits à prestation déjà acquis. En matière de politique de maîtrise des dépenses, il conviendrait plutôt, dans cette perspective, de s'intéresser aux processus déterminant la demande de travail des salariés âgés et aux facteurs institutionnels, qui, de toute évidence, prédominent dans ce contexte, comme en attestent les comparaisons internationales (Schmähl, 1989). La référence au modèle actuariel, en concentrant l'attention sur le risque viager, conduit de surcroît à négliger la fonction d'assurance contre le risque d'exclusion anticipée du marché du travail pour les salariés âgés que remplit le couple formé par les systèmes de préretraites et de retraite (Blanchet, 1994).

    Dans le même ordre d'idée, le renforcement de la contributivité des systèmes d'assurance-vieillesse ne pourrait se faire qu'au détriment de leur fonction de correction des aléas.

    · La dynamique des systèmes d'assurances sociales

    La critique d'une conception trop étroite de la fonction d'assurance que remplissent les systèmes de protection sociale, et du mode de financement qui y est associé, est également formulée en termes de dynamique des systèmes d'assurances sociales

    C'est d'abord la sensibilité conjoncturelle du mode de financement par les cotisations qui peut être mise en cause. L'ampleur de l'effet de stabilisateur conjoncturel d'un système de protection sociale est liée à « l'élasticité-recettes » et au degré de redistribution verticale dont il fait preuve. En raison de leur assiette et de leur barème, les systèmes financés par cotisation présente de ce point de vue un double désavantage : leurs recettes épousent plus largement le cycle conjoncturel et les détenteurs des plus hauts revenus, à la plus forte propension marginale à épargner, sont peu ou pas soumis au prélèvement.

    De surcroît, le système assurantiel peut être rendu responsable, en période de récession, d'un cycle pervers de profitabilité car une large partie du financement repose sur les entreprises, alors même que, pour les risques chômage et cessation (anticipée) d'activité liée à l'âge, la masse des prestations à verser s'accroît (Malinvaud, 1985). Un élargissement de l'assiette permettrait, en diversifiant les sources de financement, de réduire l'impact à court-moyen terme des fluctuations de celle-ci sur les recettes.

    Une réforme de l'assiette permettrait en outre de rompre avec le principe d'équivalence inter temporelle et avec les contraintes qui lui sont liées. Il deviendrait ainsi possible d'opter pour un mode de financement où serait mieux prise en compte la capacité contributive réelle de l'ensemble des agents économiques, à laquelle pourrait répondre, du côté des prestations, une plus grande souplesse quant l'affectation des ressources prélevées. Cette modification de l'assiette est à mettre en relation avec les avantages liés à un prélèvement à assiette large, auxquels sont en effet traditionnellement associés des effets moins négatifs sur le choix de la combinaison productive, la création de richesse, ainsi qu'une plus grande tolérance au prélèvement.

    A cette critique, de nombreux auteurs ajoutent enfin le constat des effets d'exclusion croissant auxquels conduisent, dans la période contemporaine, les politiques menées conformément au modèle d'assurance du revenu salarial ; en premier lieu en matière d'assurance chômage. Plus encore, ce sont les mutations démographiques, sociales et économiques contemporaines (l'effritement et l'éclatement du salariat) qui appellent une profonde réforme du droit des prestations, accompagnés d'une fiscalisation progressive du financement.

    En résumé, dans cette optique, les assurances sociales ne peuvent pas ou plus être catonnées à la seule fonction de garantie du revenu salarial (ou de la capacité à en obtenir un) dans le cadre d'une communauté de risque fermée, en application du principe d'équivalence. Seuls des mécanismes de redistribution, étendus et financés à l'échelle de la collectivité nationale toute entière, permettrait de prendre en charge de manière efficiente et équitable une gamme diversifiée de risques sociaux.

    CONCLUSION

    En définitive, un certain nombre de débats sur les réformes des systèmes de protection sociale, tant en matière de financement que de droit de prestations, peuvent être réexaminés au regard de ces arguments théoriques, qui fondent l'opposition entre les deux modèles (Lechevalier, 1996).

    Au terme de ce chapitre, il n'en apparaît pas moins que ce sont des réformes marquant une inflexion en direction du modèle de transferts sociaux par l'impôt qui s'avèrent désormais bien souvent nécessaire. La poursuite de la substitution de la contribution généralisée aux cotisations en France, la diversification de la qualification des activités sociales ouvrant droit à prestations, un mode de revalorisation de prestations qui sans abandonner la référence aux salaires, prendrait en compte la variation de l'ensemble des ensembles des prélèvements sociaux, en fournissent de bons exemples.

    Une conception renouvelée et enrichie de la fonction d'assurance que prennent en charge les systèmes d'assurance sociale conduit, en tout état de cause, à ne pas exclure la poursuite, en leur sein, d'objectifs explicitement redistributifs.

    Pour ce qui est du système de protection sociale au Cameroun, des réformes doivent également être envisagées. C'est ce qui fera l'objet du chapitre suivant.

    CHAPITRE 4 : LA REFORME DU SYSTEME DE PROTECTION SOCIALE CAMEROUNAIS

    Depuis le début des années 1990, le gouvernement camerounais et les organismes internationaux (BIT et autres) ont perçu la nécessité de réformer le système actuel de protection sociale camerounais dans le but de résoudre ses dysfonctionnements.

    Ces réformes procèdent en général de la volonté de mettre sur pied un système de protection sociale : - cohérent, parce qu'articulé entre les différentes composantes (régimes de base, régimes complémentaires et régime de solidarité sociale) - solide, parce que reposant sur les financements appropriés - et durable parce que généralisé à la majorité de la population, reposant sur un consensus large, et gage de la préservation de la cohésion du tissu social. Ce dernier élément étant une condition essentielle de la croissance et/ou du développement.

    Des études de réforme ont été menées, mais n'ont pas conduit à des actions concrètes.

    Parce que toute la population française est couverte par son régime de protection sociale, il est possible de s'en inspirer pour le Cameroun pour à la fois, proposer un modèle de protection sociale à venir d'une part, et pour esquisser les implications et les adaptations multiformes qui peuvent en être tirées, d'autre part.

    4.1. Le modèle de protection sociale à venir

    L'organisation du système de protection sociale représente un défi majeur pour les pouvoirs publics camerounais, car sa réforme nécessite la réhabilitation de la sécurité sociale et l'institutionnalisation d'un système de solidarité sociale.

    4.1.1. La réhabilitation de la sécurité sociale

    La rénovation de la sécurité sociale passe par l'amélioration de l'organisation des branches existantes, mais également par la mise en place des branches non existantes14(*).

    Les branches existantes (assurance vieillesse, risques professionnels, allocations familiales) doivent s'articuler entre les différents régimes15(*) : régimes de base et régimes complémentaires. Ceci permet de prendre en compte l'inégalité des travailleurs face aux assurances sociales et les réticences de certains d'entre eux à abandonner un régime pour un autre.

    Pour les régimes de base, l'on peut envisager un grand système regroupant les agents publics (État-Établissements publics ou les collectivités décentralisées) et tous les employés du secteur privé, coopératif et mutualiste ainsi que les exploitants du monde rural, les artisans, les artistes, les commerçants ou industriels et les professions libérales.

    L'on peut aussi penser à une Grande Caisse par branche pour la couverture sociale des agents publics (Fonction publique nationale et territoriale) et ceux du secteur privé et associatif. Il s'agit en fait de mettre sur pied :

    - une caisse nationale d'assurance maladie qui gère les branches maladie et Accidents Travail Maladie professionnelles,

    - une caisse nationale des allocations familiales qui gère la branche famille,

    - une caisse nationale de l'assurance vieillesse qui gère la branche vieillesse,

    Dans ce cas, il y a nécessité, d'une part, de tenir compte d'une nécessaire décentralisation pour des besoins d'une gestion participative et de proximité (Caisses locales primaires par branche) et d'une Caisse nationale des organismes de la sécurité sociale (chargée des services communs comme la gestion de trésorerie et les placements).

    D'autre part, il convient de prendre en compte, pour le secteur privé, rural et associatif, le souci de recenser le maximum des personnes réellement actives pour les intégrer dans le système des assurances sociales. C'est le domaine difficile et complexe de la migration des activités du secteur informel, à l'économie officielle et du marché.

    Le financement des régimes de base peut être à base paritaire (employeurs et salariés). Ce qui permet auxdits régimes de garantir un minimum de revenu en se référant au salaire moyen en vigueur (50 à 70%).

    Une réflexion attentive doit également prendre en compte le contexte socioéconomique de notre pays. Au regard de l'assurance sociale et de la conjoncture, il y a lieu de souligner une réalité d'évidence, c'est l'étroitesse de l'assiette du salariat formel. L'on doit aussi considérer que la population jeune et active est prépondérante et se renouvelle encore et pour longtemps à un rythme rapide (taux de croissance démographique de 2,8%). Il y a donc peut-être lieu d'explorer la possibilité des systèmes de minima sociaux généralisé sur le financement budgétaire et par conséquent fiscal. Les taux de prestations pourraient se référer à l'actuel SMIG (28 216 F CFA).

    Les régimes complémentaires quant à eux, doivent être mise en place pour ceux des assurés sociaux qui estiment que la couverture sociale dans les régimes de base n'est pas satisfaisante. Ces régimes pourront fournir une couverture supplémentaire aux risques pris en charge par la sécurité sociale (régimes de base).

    Les régimes complémentaires doivent se structurer en :

    - un régime obligatoire pour les travailleurs salariés et indépendants, sous forme de fonds de pensions d'entreprises, de secteurs socioprofessionnels ou encore de corps de métiers. Les cotisations seraient également paritaires ;

    - et des fonds de pension à adhésion facultative, mais avec des incitations fiscales appropriées : déduction des cotisations payées sur le revenu imposable.

    Ces deux formules, outre leur vocation de couvrir les risques sociaux, sont, un puissant outil de collecte de l'épargne longue et donc de financement de l'économie au travers du marché financier. Elles combinent un effort de solidarité nationale en faveur des plus défavorisés et une capacité de mobilisation de l'épargne pour le développement.

    Un système global, ainsi structuré en régimes de base au financement assuré et élargi, et en régimes complémentaires et optionnels bénéficiant d'incitations fiscales, permet de dépasser le piège d'une discussion idéologique sur les mérites respectifs de la répartition et de la capitalisation en matière de retraite. Les deux objectifs combinés de l'amélioration de l'organisation des branches existantes en élaboration peuvent prévoir la prise en charge de la plus grande partie de la population et la collecte d'une épargne longue orientée vers le financement endogène du développement économique. Mais devra également s'accompagner de la mise en place des branches non couverts.

    En ce qui concerne les branches inexistantes telles que la branche maladie et la branche chômage, il faut envisager leur mise en place dans le système de sécurité sociale.

    La branche maladie peut être articulée entre les régimes de base et les régimes complémentaires comme les autres branches. Celle-ci peut également être supervisée par le ministère de la santé et gérée de façon paritaire.

    La branche assurance chômage quant à elle, peut être gérée indépendamment des régimes de base par un régime d'assurance-chômage supervisé par le ministère de l'emploi comme c'est d'ailleurs le cas en Grande Bretagne et aux États-Unis. Le financement doit reposer sur les cotisations (pour les allocations chômages et de formation reconversion) et sur les impôts (pour les services et conseils pour l'emploi, ainsi que les enseignements). Le régime d'assurance chômage peut être articulé autour de deux régimes : le régime général d'assurance chômage financé par les contributions des employeurs et des salariés et un régime dit de solidarité financé par l'État.

    Le système de sécurité sociale ainsi innové doit être décentralisé et géré par les intéressés eux-mêmes pour éviter toute ingérence de l'État.

    Face à la recrudescence de l'informalisation des mutuellismes communautaires, ainsi que de l'exclusion sociale des plus démunis et la pauvreté, une institutionnalisation de la solidarité sociale est également nécessaire.

    4.1.2. L'institutionnalisation d'un système de solidarité sociale

    Il s'agit ici pour le Cameroun de mettre en place un système de solidarité national officiel et durable pour tous ceux qui ne peuvent pas ou plus bénéficier du système d'assurance (chômeurs), mais également pour les populations déjà prise en charge par le ministère des affaires sociales à savoir les enfants, les handicapés, les personnes âgées, les indigènes (les populations vulnérables) et les populations marginales. Autrement dit, aux bénéficiaires de l'aide médicale, de l'aide aux handicapés, de l'aide aux personnes âgées, de l'aide à l'enfance s'ajoutent de nombreux bénéficiaires de certains minima sociaux16(*) (chômeurs en fin de droits ou parents isolés par exemple).

    Ce vaste système de solidarité nationale doit être placé sous la tutelle du ministère des affaires sociales. Il doit être unique et universelle, seul garant d'une réelle solidarité nationale17(*).

    Le critère d'accès aux prestations doit être subordonné à une décision prise par ledit ministère après demande des intéressés. La responsabilité générale de l'aide sociale peut relever des départements ou des collectivités locales, mais le taux minimal et les conditions d'accès aux prestations sont fixés par l'État. Les communes peuvent également intervenir dans la prise en charge des besoins sociaux (centres communaux d'actions sociales).

    En matière de financement, il faut penser à mettre sur pied un Fond de Solidarité Nationale ayant pour mission de financer les avantages sociaux non contributifs dudit système. Ce fond peut être alimenté par l'impôt à travers les taxes sur certains produits pouvant nuire à l'environnement comme le tabac, les alcools et d'autres produits.

    A côté de ce régime, il faut également encourager les institutions sans but lucratif (associations caritatives) qui doivent être coordonnées et suivies par l'État de manière à rendre celles-ci plus efficaces en matière de politique d'assistance sociale.

    Malgré les avantages de ce nouveau modèle de protection sociale camerounais, il faut néanmoins noter que celui-ci n'échappe pas à des excès.

    4.2. Des implications et adaptations multiformes pour le Cameroun

    Il s'agit ici d'esquisser tout d'abord les excès que le nouveau modèle de protection sociale peut susciter au regard des réalités du Cameroun, avant d'apporter les adaptations nécessaires.

    4.2.1. Des implications multiformes

    Face aux réalités camerounaises, le nouveau modèle de protection sociale peut générer un certain nombre d'excès dû à la segmentation du marché du travail, à l'exclusion sociale, aux inégalités et à l'absence de minima sociaux.

    · La segmentation du marché du travail se répercute sur le système de sécurité sociale

    Avec un marché du travail camerounais segmenté, où la logique de distinction et de différenciation entre salariés et non-salariés, mais aussi entre salariés et entre non-salariés l'emporte sur l'égalité et l'unité, il faut s'attendre à une diversité et à une complexité de la protection sociale des travailleurs.

    L'organigramme de la sécurité sociale donne ainsi une projection de la structure hiérarchisée de la société, dans laquelle chaque groupe professionnel marque sa distance à l'égard des autres et cherche à maintenir son statut.

    La sécurité sociale est ainsi constituée d'une mosaïque de régimes. De plus la différenciation entre travailleurs est encore renforcée par l'existence pour certains d'une protection dite surcomplémentaire (régime d'employeurs, régimes de la mutualité et de la prévoyance) qui assure des suppléments familiaux et des compléments d'indemnités journalières maladies et retraites. Ce système de sécurité sociale peut se révélée coûteux en matière de gestion.

    · Les inégalités de la protection

    Face à une société camerounaise déjà fortement inégalitaire en matière de protection sociale, la juxtaposition de régimes distincts pourrait accentuer ces inégalités. Il s'agit ici des inégalités entre travailleurs, de droits (prestations perçues) et de devoirs (contributions versées).

    · Les compensations entre régimes

    Du fait de l'évolution de la structure économique actuelle et donc de la population active camerounaise, il faut craindre que certains régimes (mines, commerçants, artisans, professions agricoles) se vident de leurs actifs tout en devant supporter la charge, de plus en plus lourde de leurs inactifs.

    De ce fait des compensations financières dites bilatérales (entre régimes de salariés) d'abord, puis générales entre tous les régimes peuvent être organisées.

    · Les nouveaux pauvres

    Il faut également noter que, le principe d'assurance fondée sur le travail exclus du dispositif de protection les personnes qui, à titre provisoire ou durable, se trouve sans attache professionnelle soit du fait d'une durée de travail (jeunes, femmes isolées, personnes âgées ayant connu de rupture de carrière). Dans un contexte camerounais marqué par la recrudescence de l'exclusion et de la pauvreté, on peut s'attendre à une crise d'efficacité.

    Face à ces conséquences de la logique d'assurance professionnelle, des adaptations paraissent nécessaire si l'on veut rester arrimé aux réalités camerounaises.

    4.2.2. Des adaptations multiformes

    Les adaptations nécessaires pour s'arrimer aux réalités camerounaises passent par la redéfinition du rôle de l'État et la réforme du marché du travail.

    · La redéfinition du rôle de l'État

    Il s'agit pour l'État de revoir son rôle en matière de protection sociale. Celui-ci doit désormais limiter son champ d'intervention sociale sur la simple réglementation, le contrôle et l'arbitrage du fonctionnement des nouvelles caisses. Ceci évitera toute ingérence dans la gestion des caisses.

    L'instauration d'une loi de financement de la sécurité sociale doit également être envisagée, dans le but de maîtriser les dépenses sociales. Celle-ci va ainsi spécifier les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale, qui prévoit par catégorie les recettes de l'ensemble des régimes, qui détermine par branches les objectifs de dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires. La LFSS peut être votée par le Parlement tous les ans en même temps que la loi de finance déterminant le budget de l'État. Elle peut aussi être modifiée en cours d'année par une LFSS rectificative. Le Parlement dispose ainsi d'un droit de regard sur l'équilibre financier de la sécurité sociale. On peut voir dans cette réforme l'affirmation juridique du rôle prépondérant des pouvoirs publics (Gouvernement et Parlement) afin de répondre à un besoin de régulation globale d'un système de protection sociale segmenté, et également une étape vers une intégration plus cohérente de la politique budgétaire et fiscale et de la politique sociale.

    L'État doit également penser à renforcer sa politique sociale en utilisant la protection sociale comme un facteur de relance économique et de redistribution18(*). Il s'agit ici pour le gouvernement camerounais d'inscrire sa nouvelle politique sociale non pas tellement dans un but de justice sociale, mais dans un but de sauvetage économique du capitalisme (Keynes, 1936). Ceci est ainsi nécessaire surtout dans un contexte de l'économie camerounaise où l'initiative et la responsabilité individuelle sont amenées à jouer un rôle moteur de la croissance économique.

    L'État doit aussi revoir son rôle en matière de politique d'assistance sociale pour faire face à l'extension du chômage et à des situations d'exclusions dues à la crise. « A l'avenir, l'État aura la charge d'une nouvelle fonction. Il devra effectuer un décaissement suffisant pour protéger ses citoyens contre un chômage massif, aussi énergétique qu'il lui appartient de les défendre contre le vol et la violence car il y aura chômage lorsque la demande effective ne sera pas suffisante pour assurer l'emploi de la totalité du potentiel humain de la communauté » (Beveridge, 1944).

    · La réforme du marché du travail

    L'amélioration du marché du travail passe par la mise en place d'une véritable politique d'emploi. Celle-ci doit surtout être axée sur l'emploi des jeunes qui constitue la majorité de la population camerounaise. Ceci est essentiel pour une sécurité sociale décente à tous les camerounais.

    Cette politique est également nécessaire dans la mesure où sa mise en oeuvre permet de réduire la diversité et la complexité du système de protection sociale et de combattre le chômage.

    CONCLUSION

    Ce chapitre avait pour but d'analyser les voies de réformes du système de protection sociale camerounais. La réforme a d'abord porté sur la réhabilitation de la sécurité sociale, ensuite elle a porté sur l'institutionnalisation d'un système de solidarité sociale. De ce fait, il ressort que la réhabilitation de la sécurité sociale passe dans un premier temps par l'amélioration de l'organisation des branches existantes en les articulant dans différents régimes gérés par des caisses différentes, mais également dans un second temps par la mise en place des branches non existantes (chômage, maladie). Pour ce qui est de l'institutionnalisation d'un système de solidarité sociale, la réforme envisagée est celle de la mise en place d'un système d'assistance sociale qui pourrait servir de complément à la sécurité sociale. Mais le nouveau modèle de protection sociale n'échappe pas néanmoins à des excès qu'il peut engendrer, d'où des adaptations multiformes pour le Cameroun.

    CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE

    Cette partie avait pour but d'analyser les voies de réformes de la protection sociale au Cameroun. Dans un premier temps, nous avons fait une analyse théorique des réformes des systèmes de protection sociale, puis dans un second temps il était question de présenter un nouveau modèle de protection sociale camerounais en s'inspirant du modèle de protection sociale français. Pour ce faire, il ressort que les débats sur les réformes des systèmes de protection sociale restent focalisés sur le choix entre deux modèles de protection sociale liés à la fonction d'assurance à savoir : le modèle d'assurance du revenu salarial et le modèle de transferts sociaux par l'impôt. Ces réformes sont de plus en plus orientées vers la mise en place du deuxième modèle d'assurance sociale.

    Pour ce qui est du Cameroun, il en ressort que la réforme du système de protection sociale passe par la réhabilitation de la sécurité sociale et l'institutionnalisation d'un système de solidarité sociale. Il faut néanmoins noter que ce nouveau modèle de protection sociale Camerounais demeure amendé par des adaptations multiformes.

    CONCLUSION GENERALE

    L'objectif de ce travail était d'analyser le fonctionnement du système de protection sociale au Cameroun. Sa structuration en deux parties dont la première a abordé les dysfonctionnements de la protection sociale au Cameroun et la deuxième, les voies de réforme, a permis d'atteindre cet objectif.

    Dans une première partie, nous avons pu démontrer que le fonctionnement du système de protection sociale camerounais est en crise depuis le milieu des années 1980. Cette partie s'est appuyée sur une analyse descriptive.

    Le chapitre 1 a permis d'examiner le fonctionnement d'un modèle de protection sociale. Dans un premier temps, nous avons visité les fondements théoriques s'y afférent. Puis dans un second temps, nous avons mis en évidence les limites des systèmes de protection sociale. De cette analyse, il ressort que les systèmes de protection sociale des pays développés ont connu une croissance rapide pendant les trente glorieuses, après avoir vu le jour au début du XIXe siècle. Mais le début de la crise économique des années 1970 marque la fin de l'âge d'or du fonctionnement desdits systèmes.

    Le chapitre 2 avait pour but l'étude du fonctionnement de la protection sociale au Cameroun. La présentation de l'organisation sociale camerounaise a été faite dans une première section. Puis dans la seconde section les éléments d'un fonctionnement défectueux ont été analysés. Pour ce faire, une analyse de l'organisation sociale au Cameroun a d'abord été faite. Elle a permis de constater que le système de protection sociale camerounais fonctionne encore selon une logique d'assurance sociale et que la logique d'assistance sociale demeure résiduelle. Une analyse des dysfonctionnements de la protection sociale au Cameroun a ensuite été menée. Le recours aux données statistiques et leur analyse rigoureuse nous ont permis de démontrer que le système de protection sociale camerounais fait face à une crise financière, une crise d'efficacité et une crise de légitimité. Ces crises trouvant leurs origines des contraintes socioéconomiques et des contraintes institutionnelles.

    Dans la deuxième partie, nous avons milité pour une réforme du système de protection sociale camerounais. C'est pourquoi notre analyse a porté sur un modèle de protection sociale à venir fonder sur la réhabilitation de la sécurité sociale et l'institutionnalisation d'un système de solidarité sociale.

    Le chapitre 3 a porté sur l'analyse théorique des réformes des systèmes de protection sociale. Les caractéristiques des modèles de protection sociale liées à la fonction assurantielle ont été présentées en premier lieu. Puis en second, nous avons insisté plus particulièrement sur les arguments théoriques en présence. De cette analyse, il ressort que la majeur partie des réformes des systèmes d'assurance sociale mise en oeuvre, jusqu'à une période récente, en France et dans de nombreux pays européens, peut être rattachées au modèle d'assurance du revenu salarial. Une conception renouvelée et élargie de la fonction d'assurance à assigner aux systèmes de protection sociale conduit pourtant, le plus souvent, à préconiser des réformes allant en direction du modèle de transferts sociaux par l'impôt.

    Le chapitre 4 était axé sur la réforme du système de protection sociale camerounais. Pour ce faire, nous avons appelé dans un premier temps pour un modèle de protection sociale à venir fondé sur la réhabilitation de la sécurité sociale et l'institutionnalisation d'un système de solidarité sociale, capable à même de couvrir toutes les couches de la population camerounaise. Puis dans un second temps, nous avons esquissé les implications et les adaptations multiformes pour le Cameroun. La réforme idoine pour accompagner une telle modification du modèle pourrait reposer sur les prémisses du modèle français de protection sociale, néanmoins amendé par des adaptations qui tiennent compte des effets de débordement d'un tel modèle.

    Ainsi, au vu de ces résultats, quelques enseignements s'avèrent nécessaires :

    Ø Le fonctionnement d'un système de protection sociale ne se limite pas uniquement à une logique assurance sociale, il doit également intégrer une logique assistance sociale si nous voulons parvenir à une sécurité sociale pour tous les travailleurs camerounais.

    Ø Le fonctionnement d'un système de protection sociale dépend de la santé économique du système dans lequel il s'insère. D'où la nécessité pour le gouvernement camerounais de mettre en place les politiques macroéconomiques visant la croissance et le plein emploi, les politiques de protection du monde du travail (salaire minimum, réglementation des conditions de travail et licenciement, place de la négociation collective et formation professionnelle), les politiques d'éducation (formation du citoyen, solidarité entre générations et investissement en capital humain) et les politiques d'action sur les modes de vie.

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    ANNEXES

    ANNEXES

    Annexe 1 : Graphiques d'évolution des taux de croissance annuelle moyen des recettes et dépenses des différentes branches

    Source : Auteur

    Annexe 2 : Tableau d'évolution des recettes et dépenses des différentes branches (en millions de F CFA)

     

    Branche allocations familiales

    Branche assurance vieillesse

    Branche risques professionnels

    Années

    Recettes

    Dépenses

    Recettes

    Dépenses

    Recettes

    Dépenses

    1987

    14 482

    16 294

    14 725

    4 363

    6 053

    -

    1988

    13 404

    16 133

    13 557

    5 891

    5 317

    -

    1989

    13 884

    14 406

    14 319

    7 597

    5 327

    -

    1990

    12 489

    14 581

    12 851

    10 235

    4 862

    2 373

    1991

    11 898

    12 952

    11 964

    11 063

    4 997

    2 261

    1992

    11 575

    8 315

    11 904

    11 945

    3 915

    1 999

    1993

    10 875

    6 213

    11 497

    10 393

    3 795

    1 767

    1994

    13 387

    5 483

    13 954

    11 520

    4 274

    1 667

    1995

    15 753

    5 006

    15 361

    12 435

    3 856

    1 565

    1996

    13 981

    4 925

    14 571

    14 951

    3 697

    1 672

    1997

    14 643

    5 517

    15 270

    16 349

    3 824

    1 689

    1998

    15 763

    5 556

    16 257

    17 905

    4 108

    1 699

    1999

    17 484

    6 398

    18 103

    25 166

    4 575

    1 790

    2000

    23 040

    6 931

    23 659

    21 784

    5 873

    2 450

    2001

    23 217

    7 207

    24 053

    20 763

    6 048

    1 754

    Source : Cahiers des charges de la CNPS

    Annexe 3 : Tableau du déficit de la sécurité sociale (CNPS) en millions de F CFA

    Années

    Branche allocations familiales

    Branche assurance vieillesse

    branche risques professionnels

    1987

    -1 812

    10 362

    -

    1988

    -2 729

    7 666

    -

    1989

    -522

    6 722

    -

    1990

    -2 092

    2 616

    2 489

    1991

    -1 054

    901

    2 736

    1992

    3 260

    -41

    1 916

    1993

    4 662

    1 104

    2 028

    1994

    7 904

    2 434

    2 607

    1995

    10 747

    2 926

    2 291

    1996

    9 056

    -380

    2 025

    1997

    9 126

    -1 079

    2 135

    1998

    10 207

    -1 648

    2 409

    1999

    11 086

    -7 063

    2 785

    2000

    16 109

    1 875

    3 423

    2001

    16 064

    3 290

    4 294

    Source : Auteur

    Annexe 4 : Tableau d'évolution de l'espérance de vie à la naissance au Cameroun

    Années

    1982

    1987

    1990

    1992

    1997

    1999

    2002

    Femme

    52,5

    54,9

    55,74

    56,3

    54,2

    51,97

    49,4

    homme

    49,5

    51,8

    52,7

    53,3

    51,6

    49,8

    47,5

    Les deux sexes

    50,96

    53,31

    54,18

    54,76

    52,87

    50,86

    48,43

    Source : Banque Mondiale ; (WDI, 2005)

    Annexe 5 : Tableau d'évolution des salaires et des taux de croissance annuelle du PIB et de l'inflation au Cameroun

    Années

    PIB (%)

    Inflation (%)

    Salaires réels (en millions)

    1980

    -1,97

    9,55

    2 456,10

    1981

    17,08

    10,72

    3 093,68

    1982

    7,52

    13,25

    2 847,33

    1983

    6,86

    16,63

    3 175,13

    1984

    7,47

    11,37

    3 680,36

    1985

    8,03

    8,5

    4 323,23

    1986

    6,77

    7,77

    4 102,71

    1987

    -2,14

    13,14

    4 512,61

    1988

    -7,82

    1,68

    4 200,20

    1989

    -1,81

    -1,66

    4 669,47

    1990

    -6,1

    1,09

    4 578,83

    1991

    -3,8

    0,06

    4 778,44

    1992

    -3,1

    -0,016

    4 718,65

    1993

    -3,2

    -3,2

    4 526,10

    1994

    -2,5

    35,09

    2 520,75

    1995

    3,29

    9,07

    2 170,91

    1996

    5

    3,92

    2 025,57

    1997

    5,09

    4,77

    2 187,58

    1998

    5,03

    3,17

    2 577,67

    1999

    4,39

    1,87

    2 693,62

    2000

    4,19

    1,23

    2 930

    2001

    4,51

    4,42

    3 351,83

    Source : Banque Mondiale ; (WDI, 2005)

    Annexe 6 : Tableau d'évolution de la population totale du Cameroun

    Années

    Population totale

    Taux de croissance annuelle de la population

    1980

    8 754 000

    2,9

    1981

    9 006 010

    2,8

    1982

    9 262 290

    2,8

    1983

    9 523 610

    2,8

    1984

    9 791 270

    2,8

    1985

    10 067 000

    2,8

    1986

    10 356 110

    2,8

    1987

    10 659 290

    2,9

    1988

    10 977 300

    2,9

    1989

    11 310 920

    3

    1990

    11 661 000

    3

    1991

    12 012 020

    3

    1992

    12 363 410

    2,9

    1993

    12 714 600

    2,8

    1994

    13 065 000

    2,7

    1995

    13 414 000

    2,6

    1996

    13 761 040

    2,6

    1997

    14 105 510

    2,5

    1998

    14 446 750

    2,4

    1999

    14 784 130

    2,3

    2000

    15 117 000

    2,2

    2001

    15 445 580

    2,2

    Source : Banque Mondiale ; (WDI, 2005)

    Annexe 7 : Tableau d'évolution des cotisations sociales et des prestations sociales de la sécurité sociale (CNPS) en millions de F CFA

    Années

    Cotisations sociales

    prestations sociales

    1987

    35 260

    20 657

    1988

    32 278

    22 024

    1989

    33 530

    22 003

    1990

    30 202

    27 189

    1991

    28 859

    26 276

    1992

    27 394

    22 259

    1993

    26 167

    18 373

    1994

    31 615

    18 670

    1995

    34 970

    19 006

    1996

    32 249

    21 548

    1997

    33 737

    23 555

    1998

    36 128

    25 160

    1999

    40 162

    33 354

    2000

    52 572

    31 165

    2001

    53 318

    29 724

    Source : Auteur

    Annexe 8 : Structure par âge de la population camerounaise

     
     
     

    Population

     

    Années

    0 -14 ans

    15 - 64 ans

    65 ans et plus

    total (%)

    1980

    44,3

    52,1

    3,6

    100

    1981

    44,4

    52

    3,6

    100

    1982

    44,5

    51,9

    3,6

    100

    1983

    44,6

    51,8

    3,6

    100

    1984

    44,7

    51,7

    3,6

    100

    1985

    44,8

    51,6

    3,6

    100

    1986

    44,8

    51,6

    3,6

    100

    1987

    44,8

    51,6

    3,6

    100

    1988

    44,8

    51,6

    3,6

    100

    1989

    44,8

    51,6

    3,6

    100

    1990

    44,7

    51,6

    3,6

    100

    1991

    44,6

    51,8

    3,6

    100

    1992

    44,5

    51,9

    3,6

    100

    1993

    44,4

    52

    3,6

    100

    1994

    44,3

    52,1

    3,6

    100

    1995

    44,1

    52,2

    3,6

    100

    1996

    44,1

    52,3

    3,6

    100

    1997

    44,1

    52,4

    3,5

    100

    1998

    44,1

    52,4

    3,5

    100

    1999

    44,1

    52,5

    3,5

    100

    2000

    41,8

    52,5

    3,7

    100

    2001

    41,6

    54,7

    3,7

    100

    Source : Banque Mondiale ; (WDI, 2005)

    Annexe 9 : Tableau d'évolution des taux de natalité, de mortalité et de fécondité au Cameroun

    Années

    Taux brut de natalité (pour 1000 habitants)

    Taux brut de mortalité (pour 1000 habitants)

    Fécondité (naissance par femme)

    1980

    44,54

    16,46

    6,42

    1981

    ..

    ..

    ..

    1982

    43,9

    15,7

    6,4

    1983

    ..

    ..

    ..

    1984

    ..

    ..

    ..

    1985

    42,7

    14,62

    6,4

    1986

    45,4

    14,5

    ..

    1987

    41,9

    13,9

    6,4

    1988

    ..

    ..

    ..

    1989

    ..

    ..

    ..

    1990

    41,12

    13,24

    6

    1991

    ..

    ..

    ..

    1992

    40,6

    12,8

    5,7

    1995

    39,76

    12,32

    5,2

    1997

    39,2

    12

    5,1

    2000

    36,98

    14,22

    4,8

    2002

    35,5

    15,7

    4,6

    Source : Banque Mondiale ; (WDI, 2005)

    TABLE DES MATIERES

    SOMMAIRE...............................................................................................I

    AVERTISSEMENT.....................................................................................II

    DEDICACES............................................................................................III

    REMERCIEMENTS...................................................................................IV

    LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS.......................................................V

    LISTE DES TABLEAUX.............................................................................VI

    LISTEDESGRAPHIQUES..........................................................................VII

    RESUME...............................................................................................VIII

    ABSTRACT.............................................................................................IX

    INTRODUCTION GENERALE......................................................................1

    PREMIERE PARTIE : LES DYSFONCTIONNEMENTS DE LA PROTECTION SOCIALE AU CAMEROUN.........................................................................9

    INTRODUCTION A LA PREMIERE PARTIE..................................................10

    CHAPITRE 1 : LE FONCTIONNEMENT D'UN MODELE DE PROTECTION SOCIALE.................................................................................................11

    1.1. Les fondements théoriques des systèmes de protection sociale...............................11

    1.2. Les limites des systèmes de protection sociale..................................................26

    CONCLUSION..........................................................................................29

    CHAPITRE 2 : LE FONCTIONNEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE AU CAMEROUN.............................................................................................31

    2.1. L'organisation de la protection sociale camerounaise..........................................31

    2.2. Les éléments d'un fonctionnement défectueux..................................................37

    CONCLUSION..........................................................................................47

    CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE...................................................48

    DEUXIEME PARTIE : LES VOIES DE REFORME DE LA PROTECTION SOCIALE AU CAMEROUN .......................................................................................49

    INTRODUCTION A LA DEUXIEME PARTIE.................................................50

    CHAPITRE 3 : L'ANALYSE THEORIQUE DES REFORMES DES SYSTEMES DE PROTECTION SOCIALE............................................................................51

    3.1. Les caractéristiques des modèles d'assurance sociale..........................................52

    3.2. Le débat sur les réformes : les arguments théoriques en présence............................59

    CONCLUSION..........................................................................................67

    CHAPITRE 4 : LA REFORME DU SYSTEME DE PROTECTION SOCIALE CAMEROUNAIS.......................................................................................69

    4.1. Le modèle de protection sociale à venir..........................................................69

    4.2. Des implications et adaptations multiformes pour le Cameroun..............................73

    CONCLUSION..........................................................................................76

    CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE...................................................77

    CONCLUSION GENERALE........................................................................78

    REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES...........................................................80

    ANNEXES ................................................................................................84

    TABLE DES MATIERES ............................................................................92

    * 1 On peut néanmoins faire remonter l'idée de comparer les systèmes de protection sociale beaucoup plus loin dans le temps, presque au moment de la naissance des États-Providences (Palier et Daniel, 2001).

    * 2 La « démarchandisation » désigne le processus de libération ou d'indépendance des individus vis-à-vis des forces du marché du travail. La démarchandisation du travail est une fonction commune à tous les systèmes de protection sociale, mais elle atteint un niveau différent suivant les régimes (Polanyi K, 1944).

    * 3 Pour plus d'explication voir chapitre 1.

    * 4 Modèle mis en place au Cameroun par les ordonnances françaises de 1945.

    * 5 Données CNPS 2005.

    * 6 Les assurances sociales gérées par la CNPS sont régies par des textes uniques, présentant plus d'homogénéité et de cohérence interne.

    * 7 Voir chapitre 2

    * 8 Référence à John Maynard Keynes (voir bibliographies)

    * 9 Les travaux de Paul Pierson ont cependant montré que les réformes étaient aussi difficiles dans ces pays en raison de l'attachement de la population au systèmes de protection sociale et des phénomènes d'institutionnalisation auxquels le gouvernement Thatcher a notamment été confronté lorsqu'il a voulu remettre en cause le système de protection sociale britannique (Pierson, 1994).

    * 10 Ce modèle a aussi été qualifié de « chrétien-démocrate » Maurizio Ferrera (1996)

    * 11 Les agents de l'État relevant du code du travail, autrefois gérés par la CNPS, ont été reversés au ministère de l'économie et des finances depuis 1993.

    * 12 Source : Banque Mondiale (2005)

    * 13 L'intention de Bismarck, motivée par ses projets politiques et financiers, était en réalité d'introduire des assurances étatisées, financées partiellement (assurance-accident) ou totalement (assurance-vieillesse) par les concours publics. Il dut céder face à la coalition des forces industrielles et à la résistance que rencontra le mouvement d'extension du pouvoir impérial.

    * 14 La sécurité sociale doit contribuer à « réaliser un ordre social nouveau » fondé sur « le rapprochement des classes » et « un souci élémentaire de justice sociale ». Pierre Laroque

    * 15 Le principe d'unification doit être remplacé par un objectif de généralisation.

    * 16 Le principe beveridgien de protection minimale pour tous peut être envisagé.

    * 17 « L'aménagement d'une vaste organisation nationale d'entraide obligatoire ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes qu'elle englobe et quant aux risques qu'elles courent ».Pierre Laroque (1907-1997)

    * 18 « La sécurité sociale apparaît ainsi comme un élément dans une politique d'ensemble beaucoup plus vaste, englobant : la garantie à tous la possibilité de trouver un emploi rémunérateur, donc le plein-emploi et l'élimination du chômage ; (...) la sécurité de l'emploi, donc des garanties contre l'arbitrage patronal dans les embauches et les licenciements ; une organisation médicale permettant de conserver à chacun intégrité physique et intellectuelle par des soins appropriés et, plus encore, par la prévention de la maladie et l'invalidité, notamment par l'hygiène et la sécurité du travail ». Pierre Laroque






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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery