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Christologie contemporaine: le défi du pluralisme religieux

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par Clément TCHUISSEU NGONGANG
Grand séminaire Notre Dame de l'Espérance de Bertoua - Baccalauréat canonique en théologie 2011
  

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III- LE PLURALISME RELIGIEUX COMME UNE QUESTION CONTEMPORAINE

1- Le cadre socio-politique moderne

L'histoire des religions est-elle capable de remonter à un âge de la civilisation humaine où la croyance fut homogène et univoquement partagée ? Comme nous l'avons souligné plus haut, le christianisme lui-même prend naissance dans un contexte pluraliste bien précis. Quel serait l'intérêt de se pencher sur un pluralisme à l'âge contemporain ? Qu'apporte de spécifique le pluralisme contemporain à la recherche christologique ? En d'autres termes, en quel sens le pluralisme aujourd'hui est une façon nouvelle d'interroger et de stimuler la réflexion théologique ?

Avec la période des Lumières, l'on célébrait le primat de la raison sur la foi et ses avatars obscurantistes du Moyen-âge, le primat de l'homme sur Dieu. La religion cessait d'être la matrice des principes pour la vie humaine multidimensionnelle. La séparation de l'Eglise et de l'Etat en France en 1905 consacrait définitivement le déclin de la religion longtemps clamé par les pères fondateurs des sciences sociales (Marx, Max Weber et Durkheim) qui mettaient volontiers au point de départ de leurs analyses l'effacement du religieux comme condition d'accomplissement de la modernité à travers trois pivots, le premier étant le processus de rationalisation scientifique à travers la technique qui disqualifierait l'herméneutique religieuse du monde. Tout s'explique et donc pas besoin de recourir à une instance d'intelligibilité surnaturelle. Le deuxième pivot est l'autonomisation du sujet humain par un renversement de la souveraineté propre des sociétés fondées sur la religion qui va de haut vers le bas. La Révolution française s'avère donc un moment fort de cette affirmation du sujet amorcée depuis l'époque des Lumières. Le dernier pivot est le processus de différentiation des institutions selon les domaines par l'émancipation par exemple du domestique de l'économique, du politique du religieux et du droit de la morale avec comme caractéristique forte le repli du religieux dans la sphère privée.

Cela dit, on s'attend à ce que les processus mis en jeu débouchent logiquement sur la sécularisation entendue comme mort du religieux. De façon inattendue, on remarque d'abord aux Etats-Unis, à la suite de la contre-culture une prolifération des courants spirituels visant l'accomplissement de soi en provenance d'Asie, et construites sur des systèmes de spiritualité hybrides, proches et connexes au grand mouvement à vocation planétaire, le New Age avec ses pratiques gnostico-philosophico-mystiques satellites. On pourrait y ajouter par ailleurs, la naissance du pentecôtisme à l'origine des mouvements charismatiques et des communautés émotionnelles. Courants spirituels et pentecôtismes se répandent comme une traînée de poudre à partir des Etats-Unis (supposé exemple typique de l'Etat-nation moderne).

Ensuite, le religieux ressurgit dans les débats politiques comme en Amérique latine et en Pologne. Les tenants de la théorie de la mort du religieux expliquent, non sans pertinence, qu'en ces lieux hostiles au débat démocratique, l'outil religieux est utilisé pour dire ce qui ne peut être dit dans le débat politique. Il s'agirait donc là des failles d'une pseudo-modernisation qui n'entame pas la théorie. La théologie de la libération se comprend comme une façon d'articuler les protestations des sans-terres. Malheureusement pour ces théoriciens, ils se heurtent à une ténacité des faits de nature à saper les fondements de leurs affirmations : ce retour du religieux ne concerne pas seulement comme ils tentaient d'arguer, les sociétés périphériques de la modernité ; même les sociétés les plus démocratiques comme les Etats-Unis avec l'émergence de la moral majority, n'échappent pas à cette réalité. Ce phénomène du retour du religieux se fait remarquer en France aussi où la Loi Giscard de 1974 sur le regroupement familial permet aux immigrés de drainer avec eux leurs croyances religieuses. Ce qui permettra aux immigrés d'alimenter des revendications liées à l'expression de leurs croyances religieuses. Le religieux n'aurait-il donc pas disparu de la scène politique tel que prédisaient certains prophètes de malheur !

Il découle de ce qui précède que la sécularisation a été à tort considérée comme la mort du religieux. Au vrai, les sociologues se hâtent et réajustent leurs analyses et considèrent la sécularisation comme la désinstitutionalisation du religieux, sa dérégulation institutionnelle.

De ce point de vue, le pluralisme religieux s'entendrait possiblement de deux manières : il s'apparenterait soit à la survivance du religieux en une forme de ligne de résistance du religieux face aux assauts répétés de le reléguer au second plan ; soit à l'inflation innommable de l'expression religieuse hors des cadres institutionnels traditionnels.

En rapport avec la première acception du mot, nous constatons qu'à mesure que le pluralisme religieux se pose comme la conséquence d'un retour du religieux au travers des institutions, la tension entre l'Etat et la religion se fait importante. En effet, une des ambitions de l'Etat laïque était l'invention de la société moderne dans le but de garantir l'espace de la liberté au sujet. Un chercheur souligne avec pertinence,

« Or, le problème de fond que soulève la situation du pluralisme, de ce point de vue, réside en ce que le présupposé implicite de la compatibilité entre les requêtes avancées par chaque sujet social est venu à manquer, à l'occurrence, dans le domaine religieux. Le cas le plus évident à ce propos est fourni par l'Islam, c'est-à-dire par une religion qui, tout en conservant sa complexité et sa variété, n'a pratiquement pas participé au projet moderne de l'Etat laïque. En général, cependant, le nouveau problème est précisément posé par l'apparition de sujets sociaux qui veulent faire valoir une identité forte, légitimée aussi par la religion, en facilitant ainsi l'éclatement de situations conflictuelles. »44(*)

Dans ce contexte, deux situations sont envisageables face à l'échec de l'Etat heurté au pluralisme : soit que l'Etat laïque reste fidèle à son intuition première quant aux religions - c'est-à-dire leur ignorance pur et simple -, et génère malgré lui par un effet d'action-réaction des mouvements fondamentalistes tels que l'histoire de notre époque en témoigne. Ces fondamentalismes entendus « comme tentatives de refonder sur de nouvelles bases d'identités menacées des traditions religieuses de la société contemporaine »45(*), cherchent à juguler l'impérialisme de la culture moderne ; de ce fait, ils se présentent comme une sorte « d'anti-modernisme moderne », selon les mots de notre auteur.

Soit alors que l'Etat, se résignant devant la réalité irréductible du pluralisme, accepte de poursuivre simplement la dépossession du pouvoir d'intégration sociale autrefois dévolue à la religion - et spécialement au christianisme - dans la société traditionnelle. Claude Geffré, spécialiste de la question des religions, souligne à propos de la religion  dans la société traditionnelle :

« Celle-ci constitue une réserve transcendante de sens qui, par tout un réseau symbolique et rituel, assure la cohésion et la stabilité du groupe social. Avec l'avènement de la société moderne comme société laïque, le système politico-social ne reçoit plus sa légitimité de la religion et les symboles ou structures qui relient étroitement les deux sont rompus. Le phénomène de la sécularisation implique que les grandes aires de la vie sociale (...) passent de la tutelle de l'instance religieuse à la juridiction de l'Etat. »46(*)

En effet, le dogme de la médiation unique du Christ tout comme celui de l'incarnation avait engendré selon les mots du dominicain, une « certaine idéologie unitaire » qui a marqué la pensée occidentale, devenue moins encline à intégrer le pluralisme, notamment dans le domaine religieux. En se posant aux antipodes de cette idéologie unitaire, l'Etat s'arroge la mission de garantir la stabilité sociale en donnant à chaque religion d'intervenir dans la sphère du débat politique avec les chances que lui octroie son degré d'importance dans l'histoire et l'identité du peuple concerné. Pour soutenir ce dépassement,

« aujourd'hui, écrit Filoramo, dans certains pays de traditions catholiques où était en vigueur un régime laïque traditionnel de séparation (France, Italie, Espagne), émerge une forme apparemment nouvelle de collaboration : la reconnaissance des représentants des grandes religions comme autant d' « autorités morales » auxquelles les pouvoirs publics n'hésitent plus à faire appel soit en matière d'instruction religieuse, soit pour des questions éthiques qui focalisent l'attention de l'opinion publique (...) En premier lieu, implicitement ou explicitement, et donc de fait, existe une reconnaissance pluraliste de ce que toutes les religions représentées plus ou moins officiellement se trouvent, devant le pouvoir politique de service, sur un pied d'égalité. »47(*)

Cette première situation d'interprétation du pluralisme comme survivance du religieux au travers des institutions (politiques) est un défi de crédibilité pour l'Eglise si elle ne veut pas continuer d'arguer à base de propos exclusivistes historiquement liés à son parcours et à son rapport avec l'ordre temporel à une époque précise. Pour autant que nous puissions affirmer, en paraphrasant le philosophe allemand, que la « théologie est fille de son temps », pour souligner sa nécessaire connexion avec les acquis actuels des autres domaines du savoir et les situations de l'heure, comment réinterpréter l'unique médiation du Christ ? En ce sens, il est un truisme de préciser : « La théologie ne peut pas non plus se satisfaire d'une phénoménologie de la religion. C'est qu'elle ne saurait se déployer en examinant le donné religieux hors de ses rapports au social et des recompositions qui s'y tissent, tant au plan de ses formes et représentations qu'au plan de la distribution des instances de rationalité et de leurs procédures de légitimations. Pour elle, le religieux ne saurait être autonomisé »48(*).

En rapport avec la deuxième acception du pluralisme, nous pouvons soutenir que la sécularisation est désinstitutionalisation du religieux selon que le retour du religieux à notre époque échappe à une régulation institutionnelle, fût-elle religieuse ! Autrement dit, même si par endroit il est observé dans le globe une perte du sens religieux qui affecte au premier chef les institutions (Eglises, ministres, vie sacramentelles, etc.), il est aussi remarqué une prolifération du religieux dans la sphère privée qui a comme compensé cette perte du religieux.

Tout se passe comme si le primat accordé au sujet dans la société moderne avait affecté d'une certaine façon le retour religieux en incitant le sujet à évacuer de la religion ce qui relève de l'institution ou à ne retenir que ce qui exalte son autonomie, aux relents parfois consumériste (selon la logique de la société de consommation qu'accompagne la négation des valeurs éthiques). C'est dans ce sens qu'il faudrait lire cet extrait de Giovanni Filoramo :

« Comme Berger n'a cessé de le répéter (...), dans le nouveau scénario religieux de la modernité, la religion n'est plus une destinée, mais le fruit d'un choix. Le pluralisme devenait la caractéristique distinctive d'un scénario qui, à cause du relativisme des fois et de la perte de visibilité que prennent les religions institutionnelles, se transformait en un supermarché des fois, où, avec l'avènement d'une société de consommation toujours plus dominée par les mass médias, ce qui devenait déterminant était leur « consommation » et le choix du consommateur - relatif au produit le plus « intéressant » et non plus à la conservation d'une foi traditionnelle -prenait un caractère déterminant. »49(*)

La cristallisation du pluralisme autour du sujet au détriment de la foi traditionnelle et des institutions donne naissance à une société où les revendications identitaires à cor et à cri s'élèvent çà et là. De plus, l'allégeance des Etats à une base minimale, non pas de type religieux, - les droits de l'homme - , vont influencer le débat théologique vers la recherche d'un consensus éthique entre les religions en vue d'une cohabitation pacifique des peuples, sans doute avec l'avantage de laisser de côté des différences doctrinales parfois inconciliables qui, face au pluralisme, accorde priorité à la recherche de la tolérance qu'à l'assimilation et au rejets des autres alternatives religieuses.

* 44 FILORAMO Giovanni, « Pluralisme religieux et crises identitaires », in Diogène 2002/3, n° 199, p. 42.

* 45 Ibidem, p. 46.

* 46 GEFFRE Claude, « Pluralité des théologies et unité de la foi » dans LAURET Bernard (dir) et REFOULE François (dir), Initiation à la pratique de la théologie, T.1, Cerf, Paris, 1982, p. 119.

* 47 FILORAMO Giovanni, Op. Cit., p. 43.

* 48 GISEL Pierre., « Tâche et fonction actuelles de la théologie. Déplacements et perspectives dans le contexte contemporain » dans Revue théologique de Louvain, n° 35 fascicule 3, juillet-septembre 2004, p. 303.

* 49 Ibidem, p. 36.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus