WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le concept husserlien de "monde vécu intersubjectif " dans la théorie des systèmes de Niklas Luhmann et dans la théorie de l'agir communicationnel de Jà¼rgen Habermas

( Télécharger le fichier original )
par Danny Boisvert
Université Laval - Maitrise en sociologie 2000
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

DANNY BOISVERT

LE CONCEPT HUSSERLIEN DE 0 MONDE VECU ENTERSUBJECTIF
DANS LA THEORIE DES SYSTEMES DE NiKLAS LIMMANN
ET DANS LA THEORIE DE L'AGIR COMMUNICATIONNEL
DE JURGEN HABERMAS

Memoire
presente
a la Faculte des etudes superieures
de l'Universite Laval
pour l'obtention
du grade de maitre es arts (M.A.)

Departement de sociologie
FACULTE DES SCIENCES SOCIALES
UNIVERSITE LAVAL

JANVIER 2000

141

National Library of Canada

Acquisitions and Bibliographic Services

395 Wellington Street Ottawa ON KlA ON4 Canada

Bibliothisque nationale du Canada

Acquisitions et

services bibliographiques

395, rue Wellington Ottawa ON KlA ON4 Canada

Your by Voir, niorinorlog

Our No Notre refinery,.

The author has granted a nonexclusive licence allowing the National Library of Canada to reproduce, loan, distribute or sell copies of this thesis in microform, paper or electronic formats.

The author retains ownership of the copyright in this thesis. Neither the thesis nor substantial extracts from it may be printed or otherwise reproduced without the author's permission.

L'auteur a accorde une licence non exclusive permettant a la Bibliotheque nationale du Canada de reproduire, preter, distribuer ou vendre des copies de cette these sous la forme de microfiche/film, de reproduction stir papier ou sur format electronique.

L'auteur conserve la propriete du droit d'auteur qui protege cette these. Ni la these ni des extraits substantiels de celle-ci ne doivent etre imprimes ou autrement reproduits sans son autorisation.

0-612-47172-1

Canada.

Ce memoire porte sur le concept de « monde vecu intersubjectif » du philosophe phenomenologue Edmund Husserl et sur les reappropriations de ce concept par le sociologue Niklas Lulunann dans le cadre de sa theorie des systemes, et par le sociologue et philosophe Jurgen Habermas dans le cadre de sa theorie de l'agir communicationnel. L'objectif est de montrer les divergences entre la reappropriation du concept par Luhmann et celle que realise Habermas, en insistant sur les caracteres perspectiviste, technique et descriptif de la theorie des systemes, ainsi que sur les caracteres humaniste, critique, normatif, dialectique et pratique de la theorie de l'agir communicationnel. Trois chapitres constituent ce memoire : le premier pane sur le concept husserlien de « monde vecu intersubjectif », le second sur la theorie des systemes de Nik-las Luhmann et sur la theorie de l'agir communicationnel de Jurgen Elabermas, et le dernier chapitre est une presentation des recents developpeinents de la polemique entre Luhmann et Habermas concernant le monde vecu.

AVANT-PROPOS

J'aimerais tout d'abord remercier mon directeur de recherche, M. Olivier Clain, pour ses encouraeements, sa disponibilite et ses cornmentaires enrichissants et constructifs. J'aimerais egalement offrir des remerciements aux personnels enseignant et administratif du departement de sociologic de l'Universite Laval pour la qualite de l'enseignement et la disponibilite envers La communaute etudiante. Merci a mes patrons pour leur tolerance envers mes periodes de lectures au travail, sans celle-ci le temps m'aurait stirement manqué. Milles mercis a mes proches pour leurs encouragements, leur aide a la correction, et surtout pour leur patience envers mes sautes d'humeur occasionnelles succedant mes nombreuses heures de travail et d'etude. Je vous en suis reconnaissant! Et finalement, je m'en voudrais d'omettre de remercier les professeurs Luc Langlois et Marie-Andree Ricard, de la Faculte de Philosophie de l'Universite Laval, pour la qualite de leurs enseignements des pensees de Kant, Gadamer et Habermas (M. Langlois) ainsi que de Hegel, Husserl et des philosophes critiques de l'Ecole de Francfort (Mme Ricard).

TABLE DES MATIERES

Page

RESUME 2

AVANT-PROPOS 3

TABLE DES MATIERES 4

INTRODUCTION : Une theorie de la societe 6

CHAPITRE I L'INTERSUBJECTIVITE DU MONDE-DE-LA-VIE DANS LA PHENOMENOLOGIE D'EDMUND HUSSERL

1.1 Le monde-de-la-vie et les sciences objectives 11

1.2 L'intersubjectivite transcendantale du monde-de-la-vie 12

CHAPITRE II ANALYSES IDIOSYNCRATIQUES DE LA THEORIE DES SYSTEMES DE NIKLAS WHMANN ET DE LA THEORIE DE L'AGIR COMMUN1CATIONNEL DE JURGEN HABERMAS

2.1 La theorie des systemes sociaux de Niklas Luhmann 19

2.1.1. La theorie des systemes 20

2.1.2. La theorie de la communication

2.1.3. La dimension temporelle du systeme comme introduction a la theorie de

l' evolution 32

2.1.4. La theorie de revolution 35

2.2. La theorie de ragir communicationnel de Jurgen Habermas 37

2.2.1. Le concept de rationalite 38

2.2.2. La theorie weberienne du processus de rationalisation socio-culturelle de

]'Occident 39

2.2.3. Le concept d'agir conununicationnel 41

2.2.4. Le concept de monde vecu 44

2.2.5. La disjonction entre systeme et monde vecu 47

2.2.6. Le concept de societe a deux niveaux 49

CHAPITRE III LES RECENTS DEVELOPPEMENTS DE LA POLEMIQUE ENTRE LUHMANN ET HABERMAS CONCERNANT LE MONDE VECU

3.1. Les trois modeles : Husserl et l'intersubjectivite du monde-de-la-vie, Luhmann et le systeme comme perspective auto-referentielle dans et sur le monde vecu (la societe)., Habermas et I'agir communicationnel cornme notion complementaire au concept de monde vecu 54

12 Luhmann versus Habermas 60

CONCLUSION 77

BIBLIOGRAPHIE 83

INTRODUCTION

Une theorie de la societe.

L'avantage que possede le sociologue sur toutes autres disciplines scientifiques (sauf peut-titre la psychologie) est la constante presence de son objet d'etude en lui et autour de lui. C'est ['implication du chercheur dans son propre objet d'etude qui caracterise la sociologic, comme toutes les sciences humaines d'ailleurs, de la l'importance et la pertinence de cette discipline scientifique : les theories qu'elle produit ont des consequences directes sur la vie sociale du chercheur lui-metre, la sociologic est une discipline sciemifique pratique qui ne peut separer le sujet-chercheur de son objet puisqu'il s'y dilue. Les traditions comprehensive et critique en sociologie ont toujours su tenir compte de cette implication du sociologue dans son objet d'etude. Par contre, une ecole theorique en sociologic, depuis les dents de Comte et Durkheim, a prefere approcher la societe et l'experience d'autrui comme les sciences exactes approchent [cur objet, c'est-a-dire en insistant sur la stricte separation entre le sujet-chercheur et son objet, faisant de la societe et de ['experience d'autrui des objets d'etude observables comme de l'exterieur, desquels le sociologue peut s'abstraire, je parle bien sur de la tradition fonctionnal iste.

C'est dans le cadre de cette opposition dpistemologique que s'inscrit ce memoire. Deux approches theoriques de la societe seront etudides : une approche davantage fonctionnaliste et descriptive et une approche davantage critique et pratique. II y sera done question de la relation de la theorie sociologique a ses objets d'etude que sont la societe et les interactions entre individus, tine relation qui sera saisie dans son actuante, une relation entre deux approches theoriques en sociologic et entre celles-ci et les societes contemporaines. Les representants contemporains les plus pertinents de ces deux courants de pensee sociologique sont Niklas Luhmann et Jurgen Habennas, le premier proposant une refonte phenomenologique du structuro-fonctionnalisme de Talcott Parsons, et le second etant le demier representant de l'Ecole de Francfort. C'est en fait leur interet envers les processus de differenciation et de rationalisation des societes moderns qui fait toute la pertinence de leurs pensees pour la sociologie et pour la theorie de la societe contemporaine. C'est la description qu'on nomme souvent post-modernive de la societe occidentale contemporaine qui se trouve

impliquee au sein des approches theoriques de Luhmann et Habermas, et les exemples empiriques sont nombreux : fragmentation identitaire, polytheisme et generalisation des valeurs culturelles orientant l'action, solidification de la culture de masse, retour au localisme, traitement technocratique des pathologies sociales, technicisation de la science au service (rune economie capitaliste, scientificisation de la politique, desillusion face aux ideaux de la modemite et de la societe bourgeoise, pour ne nommer que ces phenomenes. Bien stir, le discours post-moderniste stir les societes fortement industrialisees laisse peut-titre trop souvent peu de place aux nuances et a l'optimisme. Une description generale plus juste et plus nuancee des societes modernes doit laisser davantage de place aux potentiels de communication et d'entente entre les acteurs politiques, groupes identitaires et formations sociales de toutes sortes, politiques, economiques ou communautaires, ainsi qu'aux alternatives d'actions qu'offre a ces groupes sociaux divers une societe fortement differenciee.

Ce furent deux ouvrages collectifs sur le neo-fonctionnalisme qui m'ont permis d'arreter mon choix sur un theme de recherche clans le cadre de mes etudes a la maitrise. Ces deux ouvrages collectifs, intitules Neofunctionalismi et Neofunctionalist sociologv2, presentent des textes de sociologues faisant reposer leurs recherches principalement sur l'heritage de la theorie du systeme d'action de Talcott Parsons et sur les contributions du neo-marxisme critique. L'accent est mis davantage stir les conflits sociaux et politiques, les desordres et desequilibres au sein des systemes sociaux des societes contemporaines. Les traditions structuro-fonctionnaliste et critique sont jumeldes pour un travail en collaboration. Le systeme n'est plus concu comme etant clos, relativement en equilibre et atemporel, mais bien comme etant traverse de changements structuraux, d'une dimension historique, et comme etant ouvert a un environnement contingent et conflictuel dans lequel it doit se reproduire et dans lequel de multiples interets d'acteurs sociaux sont en jeu.

ALEXANDER, Jeffrey C. (editeur), Neofunctionalism, Beverly Hills, Sage, 1985, 240p. 2 COLOMY, Paul (editeur), Neofunctionalist sociology, Brookfield, E Elgar, 1990, 396 p.

C'est dans le cadre des lectures de ces deux ouvrages que j'ai decouvert les ecrits de Jurgen Habermas et de Niklas Luhmann. L'ethique communicationnelle et la theorie critique de Jurgen Habermas ainsi que la theorie phenomenologique des systemes sociaux de Niklas Luhmann sont des contributions theoriques majeures a cette &ole neo-fonctionnaliste. Ce sont les deux sociologues qui attirerent le plus mon attention. L'aspect critique de la theorie de l'agir communicationnel de Habermas, jumele au potentiel descriptif enorme de la theorie des systemes de Luhmann, font de ces approches les deux courants de pens& theorique les plus aptes a la comprehension critique des societes moderns complexes. C'est une approche phenomenologique que ces deux auteurs partagent et qui fait, a mon avis, toute la pertinence de leurs pens&s. En effet, Luhmann et Habermas capitalisent sur la contribution de la phenomenologie d'Edmund Husserl a la philosophie modern. Ils insistent sur ('importance de partir des perspectives des acteurs sociaux eux-memes et de leurs propres vecus pour mieux comprendre la complexite des societes contemporaines et les problemes multiples qui les traversent. La comprehension monolithique et deterministe des societes moderns complexes, celle que proposait le fonctionnalisme parsonien ou la tradition hegeliano-marxiste, n'est plus en mesure de s'adapter a son objet d'etude. Luhmann et Habermas proposent une theorie de la societe qui est non deterministe et non apologetique, c'est-i-dire que, contrairement a Hegel et a Marx, par exemple, la societe n'est pas envisagee dans le cadre Tun processus historique et irreversible de developpement vers ('Esprit Absolu ou vers la societe sans classe, comme Fautodetennination d'un macro-sujet social, mais plutot dans sa contingence, par le biais du processus de differenciation sociale et culturelle qui l'anime, a travers le sporadisme des proces d'intercomprehension et d'entente langagieres entre les acteurs sociaux (Habermas) et l'auto-reference des systemes sociaux (Luhmann).

C'est le concept de monde vecu (lifeworld) que partagent Luhmann et Habermas et qu'ils empruntent au philosophe et phenomenologue Edmund Husserl. Le monde vecu, c'est le monde tel que vecu par des consciences, des consciences individuelles et des consciences collectives, disons des intersubjectivites, situees ici et la dans l'espace et dans le temps, mais en interrelations constantes les unes avec les autres. C'est l'ensemble des certitudes que possedent des individus et des collectivites sur le monde dans lequel ils vivent et sur lequel ils ont des points de vue spatio-temporels, des perspectives socio-culturelles et historiques

toujours particulieres, potentiellement conciliables selon Husserl et Habermas, et toujours asymetriques et auto-referentielles selon Luhmann. C'est ici que les reappropriations du concept husserlien de monde vecu intersubjectif par Luhmann et par Habermas divergent, et c'est precisement sur ces divergences que portera mon memoire. Je montrerai les differences entre l'approche perspectiviste et relativiste (auto-referentielle) de Niklas Luhmann et sa theorie des systemes, et l'approche dialectique et humaniste de la theorie de l'agir communicationnel de Jurgen Habermas, les differences entre ces deux approches du monde vecu intersubjectif tel que d'abord theorise par Edmund Husserl, ainsi que leurs consequences pour la comprehension des societes contemporaines_ Tout au long du memoire, nous verrons que Luhmann et Habermas souhaitent, de fawns tres differences par contre, combler les lacunes laissees par Husserl concemant la generation de l'intersubjectivite dans la communication.

Voici done les &apes que je suivrai dans la presentation de ce memoire. Trois chapitres le composent : le premier porte sur une presentation du concept de « monde vecu intersubjectif » dans la phenomenologie d'Edmund Husserl; le second comprend une analyse de chacune des deux theories qui nous interessent dans ce memoire, soit la theorie des systemes de Niklas Luhmann et la theorie de l'agir communicationnel de Jurgen Habermas; et le troisieme chapitre porte sur les divergences entre les reappropriations luhrnanienne et habermasienne du concept husserlien de « monde vecu intersubjectif », sur les recents developpements de la polemique entre Luhmann et Habermas concemant leurs approches du monde vecu intersubjectif. Le deuxieme chapitre, celui portant sur les particularites de chacune des deux theories a l'etude, est sous-divise : dans la section portant sur la theorie des systemes de Luhmann, it est question des theories de la communication, de la temporalite et de l'evolution acconipagnant la theorie des systemes; et dans la section portant sur la theorie de l'agir communicationnel, it y est question du concept de rationalite communicationnelle, du processus de rationalisation socio-culturelle de l'Occident, des concepts d'« agir communicationnel » et de « monde vecu » en tant que notions complementaires, de la disjonction entre systeme et monde vecu, et du concept de societe a deux niveaux. Pour la realisation de ce memoire, je me suis base principalement sur les ouvrages suivants : d'Edrnund Husserl, les ouvrages La crise des sciences europeennes et la phenomenoloeie

transcendantale3 et Meditations cartesiennes4; de Niklas Luhmann, les ouvrages The differentiation of societv5, Essays on self-reference6 et Social systems'; et de Jurgen Habermas, les ouvrages La technique et la science comme ideologies, The philosophical discourse of modernity9 et Theorie de l'agir communicatiorme1.

3 HUSSERL, Edmund, La crise des sciences europeennes et la phenomenologie transcendantale, Paris, Gallimard, 1976, 589 p.

4 HUSSERL, Edmund, Meditations car14s.iennes, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1996, 251 p.

5 LUHMANN, Niklas, The differentiation of society, New York, Columbia University Press, 1982, 482 p.

6 LUI-LMANN, Niklas, Essays on self-reference, New York, Columbia University Press, 1990, 245 p.

LUHMANN, Niklas, Social systems, Stanford, Standford University Press, 1995, 627 p

g HABERMAS, Jurgen, La technique et la science comme ideologie, Francfort, Gallimard, 1968, 211 p. 9 HABERMAS, Jurgen, The philosophical discourse of modernity, Cambridge, MIT Press, 1987.

HABERMAS, Jurgen, Theorie de l'agir communicationnel. Tome I et II, Paris. Fayard, 1987.

11
CHAPITRE I

L'INTERSUBJECTIVITE DU MONDE-DE-LA-VIE DANS
LA PHENOMENOLOGIE D'EDMUND HUSSERL

1.1 Le monde-de-la-vie et les sciences objectives

Pour prendre connaissance de ce que Husserl entend par l'expression « monde-de-lavie », it faut se referer aux chapitres qui lui sont consacres dans les ouvrages La crise des sciences europeennes et la phenomenologie transcendantalel 1 et Meditations cartesiennes12.

Dans la Krisis, Husserl met le monde-de-la-vie donne d'avance, le monde des experiences subjectives-relatives, en contraste avec le monde objectif-scientifique et idealise. L'objectif general de Husserl est de rappeler l'origine pre-scientifique des connaissances des sciences objectives et positivistes, rappeler aux savants qu'elles ne sont que des formations de sens subjectives et intersubjectives resultant d'une substruction par une praxis theoretico-logique. Cette derniere n'est qu'une pratique parmi d'autres, n'est qu'un projet parmi d'autres, toes inscrits dans le monde des vecus de conscience, le monde des evidences intuitives et subjectives-relatives. En fait, la pratique theoretico-logique des savants des sciences positivistes est une activite reflexive, au meme titre que revaluation realisee par l'individu sur ses actions, ses valeurs, ses buts, ses experiences vecues subjectives passees et actuelles, ses plans d'actions, au meme titre que les evaluations ou discussions critiques qu'on realise collectivement, dans un cadre formel ou dans la vie quotidienne, et qui concement des vecus collectifs.

Le monde-de-la-vie d'un sujet est compose d'horizons temporels (retentionnels et protentionnels) et synthetiques de vecus de conscience intentionnels, formant comme des champs perceptifs (l'horizon de signification propre a la conscience) et chosiques (l'horizon spatial de la chose) d'objets thematiques temporels avec leurs actualites et leurs potentialites,

des objets ththnatiques vecus dans le flux de la conscience et pouvant etre selectionnes en fonction de nos differents interets pratiques, et qui peuvent aussi etre reflechis et devenir des objets thematiques-objectifs selectionnes en fonction d'interets theoretiques (ou pratiques). Les substructions logiques et inintuitives (inintuitives parce que reflexives) que produit la praxis theoretico-objective des savants (c'est-i-dire les connaissances scientifiques qu'ils construisent) sont de ceux-la, mais etant realisees par des honunes et des femmes dans l' attitude naturelle du monde-de-la-vie donne d'avance, ces substructions sont elks aussi des vecus intuitifs de conscience, des objets thematiques actuels avec leurs horizons de potentialites et de temporalite (leurs vecus passes et leurs protentions dans la conscience), des vecus subjectifs-relatifs inscrits dans une praxis reflexive et logico-theoretico-objective et pouvant 'etre reflechis eux aussi. C'est par une attitude reflexive sur les differents modes de donee subjectifs-relatifs-intuitifs (actuante, potentialite, rememoration, retention, protention, reflexivite, evaluation, affection, affirmation, negation, souhait, imagination, pratique, etc.), sur ce que Husserl appelle la vie profonde, par une mise-entre-parentheses du monde et des choses naturelles, etant maintenant envisages comme phinomeries pour une conscience, qu'une thematisation des vecus de conscience et du monde-de-la-vie lui-meme est possible (du monde tel qu'il se donne dans des vecus de conscience et dans le temps).

1.2 L'intersubjectivite transcendantale du monde-de-la-vie

On petit donc presenter le monde-de-la-vie cornme etant le monde pre-theorique et pre-donne dans l'intuition, le monde des vecus de conscience, un monde d'objets qui se donnent en tant que choses memes dans le flux de Ia conscience. Ce monde vecu est donne d'avance parce que chaque vecu de conscience actuel s'inscrit toujours dans un flux temporel dans lequel se trouvent d'autres vecus de conscience et auxquels le vecu actuel se rattache inevitablement.

Mais cette insistance sur la conscience-de-quelque-chose dans la phenomenologie de Husserl n'est pas non plus l'apologie du solipsisme (solipsisme duquel Descartes n'a pu prendre distance, selon Husserl). II est evident que le monde est pour moi. Mais c'est a travers 1' experience de l'autre que Ia constitution d'un monde objectif et pour tous est

possible, un monde d'objets vecus par la conscience certes, mais aussi un monde d'objets reeliement la pour moi et pour l'autre aussi, meme si pour moi et pour autrui ils sont intuitionnes dans des vecus de conscience differents. Je ne suis pas le seul moi a avoir cette conscience du monde. Ego et alter ego font l'experience du monde objectif et l'experience l'un de l'autre faisant l'experience du monde objectif :

La reduction transcendantale me lie au courant de mes etats de conscience pars et atm unites constitudes par leurs actualites et leurs potentialites. Des lors it va de soi, semble-t-il, que de telles unites soient insenarables de mon ego et, par la, appartiennent a son etre concret lui-meme.

Mais au'en est-il alors d'autres egos? Ils ne sont pourtant pas de simples representations et des objets representes en moi, des unites sv-nthetiques d'un processes de verification se deroulant « en moi mais justement des « autres ». »13

II se constitue done, en plus de la conscience des choses du monde-de-la-vie, une experience de l'autre, vecu effectivement comme un alter ego avec ses propres consciencesde-choses, et non seulement comme un simple objet de mon propre vecu de conscience. Cette experience de l'autre se realise en plusieurs couches ou plusieurs degres, elle est precedde de couches d'experiences vecues subjectives-relatives, de couches d'experiences d'autrui comme objet pour une conscience puis comme sujet du monde, des strates qui la constituent comme elle-meme precede et permet la constitution synthetique et concordante du monde objectif en tant que Nature intersubjective co-validee:

Ce qui se constitue en premier lieu sous forme de communaute et sert de fondement a toutes les autres comnumautes intersubjectives est retre commun de la « Nature » comprenant celui du « corps » et du « moi psycho-physique » de l'autre. accouplo avec mon oronre moi nsvcho-physique. » 14

« Le problerne se presente donc, d'abord, comme un probleme special, pose au sujet « de l'existence d'autrui pour moi », par consequent comme ostbleme d'une theorie transcendantale de l'experience de l'autre, comme celui de l' « Einfiihlung» fl'empatine). Mais la portie d'une pareille theorie se revele bien plutot comme &ant beaucoup plus grande qu'il ne parait a premiere vue : elle donne en meme temps les assises d'une theorie transcendantale du monde objectif (...) it appartient au sens du terme o nature », en tant gue nature objective, d'exister pour chacun de nous... »15

13 Op. cit., HUSSERL, 1996, p.149.

4 4 Ibid., p196.

4 5 Ibid.. p.152.

La constitution d'une nature objective, de l'unite synthetique de sens « monde objectif », necessite donc ma propre experience des objets du monde dans ma conscience, l'experience de la presence d'autres egos (des alter egos) dans mon horizon de perception ayant eux aussi conscience du monde, et finalement l'experience des vecus de conscience d'autrui par empathie (einfuhlung). Cette experience empathique n'est pas aussi originaire et premiere que mes vecus de conscience propres, elle se fait par analogie avec ces derniers, mais elle constitue la condition pour la possibilite de recouvrements de mes horizons d'objets thematiques vecus avec ceux des autres.

Cette experience de l'autre, constitutive d'une nature intersubjective et objective, se realise a travers clifferentes &apes ou differents deirres de vecus de conscience. L'eeo realise d'abord une distinction entre son monde primordial, ou sa sphere d'appartenance, et le domaine de ce qui lui est etranger, son extraneite. Ces mondes primordiaux propres a chaque conscience du monde objectif sont des perspectives sur celui-ci, des aperceptions du monde d'ici et de la, comme hic et comme illic, des aperceptions ou des presentations originaires des objets a l'interieur de ma sphere primordiale (ou sphere d'appartenance) et des appresentations (aperception par analogie) du monde tel que je le suppose percu de la-bas, la ou est situe l'autre. Cette appresentation des vecus de conscience d'autrui, dans son hic a lui, se realise dans le cadre d'une intentionnalite mediate, c'est-i-dire qu'elle se fait d'abord par ma perception de son corps physique dans mon champ perceptif, c'est le premier degre de l'experience de l'autre, celui de la saisie de l'autre comme chose corporelle. Ensuite, par analogie assimilatrice avec mon propre corps (par un transfert de sens), j'ai conscience de ce corps (qui est la et non pas ici) comme d'un corps vivant, charnel et kinesthesique (un corpsorganisme), un corps qui est plus qu' un simple objet dans ma sphere d'appartenance, mais qui est aussi conscience d'un monde primordial etranger au mien, qui constitue sa propre sphere d'appartenance, c'est le second degre. Je fais aussi l'aperception de ce corps-organisme dans son comportement d'homme psycho-physique, d'homme pratique (incluant le langage). 11 s'agit alors d'un troisieme degre de l'appresentation de l'autre. C'est a ce degre que se complete l'empathie envers le vecu de conscience d'autrui.

En prenant conscience de ce corps-organisme et de son comportement dans mon champ de perception originaire et primordial, par accouplement ou association accouplante, par des series d'appresentations synthetiquement concordances, des unites de ressemblance ou des syntheses associatives et appresentatives sont credes et permettent ainsi l'empathie envers les vecus de conscience de l'autre dans sa sphere primordiale, mais ce vecu de conscience de l'autre ne m'est pas donne originairement dans l'intuition, it m'est plutot appresente par analogie avec mon propre corps, avec mes vecus de conscience primordiaux. C'est par ce processus d'empathie, par associations accouplantes et par validation par correction reciproque entre les sujets, qu'est possible la constitution d'une nature objective commune a plusieurs sujets et la constitution d'unites intersubjectives, d'identites (par analogie) entre les systemes de phenomenes de sujets differents, la constitution d'une communaute des monades qui se considerent comme hommes et femmes parmi d'autres hommes et femmes, comme sujets egologiques dans une intersubjectivite. Au degre superieur, une intersubjectivite transcendantale clans laquelle l'experience de l'autre devient primordiale et originaire est creee:

<< En variant de moi. monade primitive clans l'ordre de la constitution, j'arrive aux monades qui sant « autres » pour moi, ou aux autres en qualites de sujets psycho physiques_ Ceei implique que larrive aux «mitres )4 non pas comme s 'onoosant a moi par leur corps, et se rapportant, erice a accouplement associatif ct parce qu'ils ne peuvent metre domes que dans une certain « orientation », a mon etre psycho-physique (...) Bien au contraire. le sens dune communaute des hommes, le seas du terme « honune », qui, en taint qu'individu deja, est essaniellement membre d'une societe. (...) implique une existence reciproque de 1 un sur 1 'autre. Cela entrain tine assimilation objectivante qui place mon etre et celui de sous les autres stir le mane plan. Moi et chaque autre nous sommes done hommes entre autres hommes. Si je nfintroduis en auirui par la pantie, et si je penetre plus avant dam les horizons de cc qui lui avpartient. je me heurte bientot au fait suivant : de meme que son organisme cmorel se trouve dans mon champ de Perception de meme le mien se trouve clans son chamv I lui et, generalement, iI m'apprehende tout ausi immediatement comme « autre » pour lui clue moi je l'aoprehende comme « autre )) pour moi. Jc vois egalement que la multiplicia des autres s'aporthencle reciproquement conirne « autres >: ensuite, que je peux apprehender chacun des « autres » non seulement comme « autre » mais comme se rapPortant a tots ceux qui sont « autres » pour lui et done. en meme temps. irnmedimement moi-meme. 11 est egalement clair que les hommes ne peuvent etre apprehendes pie comme trouvant (en realite ou en puissance) d'autres hommes amour d'eirc_ La nature infinie et illimitie elle-meme devient alors une nature qui embrasse une multiplicite d'homnies (...) comme sujets d'une intercommunion possible (...) une conimunauto illimitee de monades MC nous designons pax le terme d'intersubiectivite transcendantale. 016

Dans ce passage de la cinquieme meditation, Husserl presente ce qu'il entend par l'intersubjectivite transcendantale. Nous verrons dans les sections 2 et 3 du travail que c'est sur ce transcendantalisme du « monde vecu intersubjectif o que Habermas adresse sa critique

et appuie sa revision langagiere du concept husserlien de monde vecu ou « monde-de-la-vie ». Pour l'instant, insistons sur ce que Husserl appelle des unites intersubjectives. Chaque conscience egologique fait l'exporience de son propre monde primordial, celui de ses propres vecus de conscience, de ses experiences subjectives-relatives a elle, des vecus de conscience du monde dans lequel se trouvent d'autres consciences egologiques synthetisant elles aussi le flux temporel de leurs experiences subjectives-relatives, d'autres consciences egologiques avec lesquelles celui qui les trouve dans son champ de perception ou en memoire peut curer en synthese associative (par empathie). Des lors, chacune de ces consciences egologiques peuvent devenir elements (vecus de conscience) du monde primordial d'autres consciencesdu-monde egologiques, par intention ou intuition mediate. Ainsi se forment des nous, des unites intersubjectives de monades (de consciences egologiques) pour lesquelles le monde se donne dans des vecus de conscience portages, formant systeme unifie. C'est dans le cadre de ces communautes egologiques, constituant par syntheses appresentatives (par empathie envers le vecu de conscience de l'autre) la « Nature intersubjective », que les individus agissent teleologiquement sur le monde. Meme quand l'ego synthetise ses vecus de conscience d'une chose quelconque sans la co-presence d'une autre conscience egologique, it ne peut oviter de se referer a des experiences anterieures (donnees d'avance) intersubjectives de cette chose et l'identifiant comme etant cette chose et non pas une autre.

II se forme donc des unites intersubjectives de consciences egologiques du monde vecu dans lesquelles ce dernier prend pour chacune un sens particulier, selon le temps et le « ici et ta », comme it prend un sens particulier pour chaque conscience egologique, malgre la possibilite de la synthese empathique. Husserl nomme egalement ces unites intersubjectives des mondes pratiques ou des mondes teleologiques, car les individus ne font pas que patir et prendre conscience du monde, mais agissent aussi sur lui, toujours en le presupposant intersubjectivement, car it est le monde vecu donne d'avance pour tous dans des consciences. C'est ici que l'axe central de ce memoire commence a prendre forme : Husserl demande s'il est possible que ces unites intersubjectives, contrairement aux consciences egologiques qui font preuve d'empathie les unes envers les experiences subjectives-relatives des autres et communiquent leurs vecus de consciences, soient completement closes sur elles memes et ne

communiquent pas entre elles. 11 semble clair selon Husserl qu'il est toujours question du meme monde pour taus. malgre la multiplicite desperspectives :

« Puis-je m 'imaginer (...) que plusieurs multiplicites de monocles coexistent separies les unes des autres, c'est-i-dire sans communiquer entre elks, et que, oar consequent. chacune d'entre elles constitue un monde propre? Puis-je m'imaginer qu'il y aurait ainsi deux mondes separes a l'infini. avec deux espaces et deux espaces-temps infinis?

De mute evidence ceci n'est pas quelque chose de concevable, mais un pur non-sens. Certes, chacun de ces groupes de monades, en qualite d'unite intersubjective et pouvant se passer de tout commerce actuel avec les autres, a, a priori son monde a lui, qui peut avoir, pour chacun, un aspect different. Mais ces deux mondes ne sont alors que des ambiances de ces unites intersubjectives et que les aspects d'un monde objectif unique qui leur est commun. Car les deux unites intersubjectives ne sont pas suspendues en Pair; en tant qu'imaginees par moi, elles som necessairemem en relation avec moi (...) qui joue, par rapport a elles, le role de la monde constituante_ Elles appartiennent donc, en verite, a une communaute universelle unique qui m'englobe moi-meme et qui embrasse mutes les monades et tous les groupes de monades dont on pourrait imaginer la coexistence. 11 ire peut donc, en realite, y avoir qu 'tine seule Communaute de monades, celle de louses les monades coexistantes; par consequent, un seul monde objectif tin seul et unique temps objectif, un seul espace objectif. tine seule Nature

4 17

(-

Husserl affirme runicite du temps et de l'espace objectifs, disons du monde objectif, de la nature constituee dans des vecus de conscience intersubjectivement portages, et it affirme egalement la multiplicite des unites intersubjectives qu'il concoit comme des ambiances ou des aspects de ce monde objectif unique. En effet, on ne peut vier le fait que ces multiples unites intersubjectives, formant chacune un monde teleologique et pratique relativement ferme sur soi, sont presentes ici et la et historiquement dans un seul et unique monde objectif, qu'elles constituent par une co-validation entre des consciences egologiques. Mais tout en etant ensemble une seule communaute de consciences egologiques constituant un seul monde objectif, les multiples perspectives sur celui-ci sont irreductibles les tines aux autres. Chacune possede son propre horizon temporel de significations. C'est dans le cadre de cette relation et de cette distinction entre I' unite intersubjective particuliere et la totalite de la communaute des monades que s'inscrit le debat theorique entre Niklas Luhmann et Jurgen Habermas. Si on applique le concept husserlien de monde vecu intersubjectif aux societes contemporaines pluralistes. pouvons-nous parley de la possibilite d'une unite intersubjective unique et universelle, d'une communaute universelle des monades et des unites intermonadiques. ou devrions-nous nous concentrer uniquement sur les differences presentes entre des perspectives (les unites intersubjectives) peut-titre irreconciliables sur le monde? Luhmann insiste stir le

caractere auto-referentiel de l'unite intersubjective, decrite alors comme un systeme de signification clos et auto-reproducteur (autopoietique), preservant sa difference face a un environnement compose d'autres systemes considers comme etant la dimension sociale du monde. 11 substitue la relation entre un systeme (une unite intersubjective) et son environnement systernique duquel it fait partie et duquel it se differencie, a la relation de la conscience au monde des choses clans lequel cette derriere s'inscrit comme sujet constituant et synthetisant et comme objet percu. Pour Luhmann, unite intersubjective, ou dans ses termes « le systeme auto-referentiel », prend la place du sujet egologique. Habermas, quanta lui, met l'emphase sur la constitution langagiere de l'intersubjectivite du monde vecu, disons sur la co-validation langagiere et critique du monde vecu, ainsi que sur la coordination intersubjective de plans d'actions sur Ia base de cette intercomprehension. II oriente ses ecrits sur la possibilite inherente au langage d'etablir des consensus sans domination ideologique sur ce qu' it appelle le monde objectif, le monde social et le monde subjectif a partir des composantes du monde vecu, soit la culture, la societe et Ia personnalite (les schemas d'interpritation culture's, les appurtenances sociales et reglementations instuutionnelles et les structures de la personnalite), et sur des plans d'actions orientas vers les situations actuelles de celui-ci, des consensus motives par l'ideal d'une entente et d'une emancipation universelles. Habermas, lui aussi, tient compte de la multiplicite des horizons de seas et de la sporadicite des ententes laneagieres sur les mondes objectif, social et subjectif, mais sa theorie de l'agir communicationnel vise be consensus comme elareissement et recoupement de ces horizons particuliers. Nous verrons, tout au long du memoire et particulierement dans le troisieme chapitre, que Luhmann presente une theorie perspectiviste, technique et descriptive (phenomenologique) sur le monde vecu intersubjectif, un monde vecu qui ne petit plus etre envisaee intersubjectivement dans sa totalite, selon lui, alors que Habermas presente stir celuici tine theorie dialectique, critique, normative, humaniste et pratique, sur un monde vecu dont les perspectives sur lui se recoupent dans tin consensus elargi et idealement universe'.

CHAPITRE II

ANALYSES IDIOSYNCRATIQUES DE LA THEORIE DES SYSTEMES DE
NIKLAS LLTHMANN ET DE LA THEORIE DE L'AGIR COMMUN1CATIONNEL
DE JURGEN HABERMAS

Avant de proceder a la presentation des recents developpements de la polemique entre Luhmann et Habermas sur le monde vecu intersubjectif, it me semble essentiel d'analyser d'abord chaque theorie independamment l'une de ,l'autre, de saisir chacune dans sa singularite, afin d'offrir une bonne base theorique a la presentation du &bat. Je debute par la theorie des systemes de Niklas Luhmann pour faire suivre ensuite celle sur l'agir communicationnel. L'oeuvre de Habermas etant de nature critique, it me semble donc preferable de la presenter apres la theorie de Luhmann, comme une reaction critique a celle-ci, entre autres.

2.1 La theorie des systemes sociawc de Niklas Luhmann

L'oeuvre de Niklas Luhmann est une reappropriation de la theorie generale des systemes de Ludwig Von Bertalanffy, de la theorie du systeme d'action de Talcott Parsons, de revolutionnisme de Herbert Spencer, de l'heritage de la sociologie et de l'anthropologie fonctionnalistes (E. Durkheim, R.K. Merton, B.K. Malinowski, A.R. Radcliffe-Brown), de l'idealisme allemand (Fichte et Hegel principalement), de la metaphysique et de la philosophie du langage de Ludwig Wittgenstein, et surtout, de la phenomenologie d'Edmund Husserl et du perspectivisme de Friedrich Nietzsche. Une multitude de concepts constituent la theorie des systemes de Luhmann. L'important ici n'est pas d'en faire une presentation exhaustive ni de definir chacun precisement, mais bien d' identifier ceux qui me semblent essentiels et de les definir progressivement tout au long du texte. De plus, les expressions en italique representent des concepts importants ou des idees generales importantes provenant directement de la theorie de Luhmann, comme ce sera le cas dans la section portant sur la theorie de Habermas.

2.1.1. La theorie des systemes.

La theorie des systemes de Luhmann est accompagnee d' une theorie de la communication et d'une theorie de ['evolution. Ce sont les trois stapes que je suivrai dans ce chapitre : le systeme et son environnement, les processus de communication qui s'y deroulent et la dimension temporelle et evolutive du systeme. Evidemment, c'est par le concept de systhme que doit commencer cette analyse. Comme l'a fait avant lui Ludwig Von Bertalanffy, Luhmann s'eloigne de la conception classique et universaliste du systeme, celle de la theorie aristotelicienne et du fonctionnalisme primitif, comme it s'eloigne aussi du systeme hegelien. Plutot que d'orienter sa theorie vers la difference entre un tout et ses parties, entre la societe globale et ses composantes dont elle excede leur somme, it insiste sur la difference entre des systemes sociaux autoporetiques et un environnement, sur 1' unite de cette difference et sur ['absence d'une instance supra-systemique ou d'un systeme englobant. Scion Luhmann, l'ancien paradigme du systeme comme whole made out of parts etait compatible avec les societes segmentarisees et stratifiees, ties monolithiques, mais il ne peut plus s'appliquer aux societes moderns eclatees del a ['extreme complexite et au processus de differenciation avance de ces derrieres. L'instance supra-systemique ne peut Etre identifiee ni dans la politique, ni dans la culture, la religion, le mythe ou l'econornie, car en fait, cette instance n'existe pas, les societes moderns sont a-centriques et heterarchiques. Le sociologue qui travaille sur les societes contemporaines se penche sur un environnement contingent de nombreux systemes qui combinent ouverture sur cet environnement plus complexe qu'eux et fermeture auto-referentielle (l'unite de la difference). C'est le caractere auto-referentiel et reflexif de ces systemes qui permet de se passer de l' unite creee par l' instance suprasystemique de l'ancien paradigme, appliques par le mythe dans les societes archaiques et a travers un apex aristocratique dans les societes traditionnelles. Les systemes sociaux, peu importe leur complexite et leur duree dans le temps, que ce soit la politique, l'economie, les systemes legal ou religieux, les organisations et les groupes sociaux de toutes sortes, les interactions spontandes et quotidiennes, assurent leur identite et leur auto-reproduction (leur autopoiesis) en preservant leur difference par rapport a un environnement complexe, contingent et en constant changement avec lequel ils sont en relation, et en assurant euxmemes la reproduction de leurs elements, les actions sociales, conceptualisees par la theorie

de la communication. Dans son ouvrage Essays on self-reference, Luhmann emprunte Humberto Maturana sa definition d'un systeme autopoietique, qui va comme suit :

...autopoietic systems « are systems that are defined as unities as networks of productions of components that recursively, through their interactions. generate and realize the network that produces them and constitute, in the space in which they exist, the boundaries of the network as components that participate in the realization of the network. o. »Is

Les systemes sociaux de Luhmann sont auto-referentiels, comme cette definition l'affirme, tout en se referant a l'environnement social dont ils dependent et avec lequel ils entrent en contact par le biais de leurs frontieres. Luhmann parte ici d'accompanying self-reference. 11 n'y a pas de pure auto-reference de la part du systeme car celui-ci serait tautologique et incapable de s'adapter a son environnement, it y a une auto-reference qui accompagne une reference a l'environnement. Les systemes de Luhmann, ceux dans lesquels nous vivons, sont des open-ended systems, ils sont des ilots de probabilite d'actions et de stabilize dans un environnement complexe, instable et improbable, des ordres dans le desordre. L'ensemble des differences d'un systeme par rapport aux multiples regions de son environnement constitue son (ou ses) unite(s) de la difference et sa distance face a l'environnement, face a la societe consider& comme monde vecu, comme world-society.

En fait, les parties composant le tout, telles que decrites par la conception classique du systeme, prennent pour Luhmann la forme de sous-systemes autonomes differencies et fonctionnels inscrits dans un systeme plus large, lui-meme le sous-systeme autonome et fonctionnel d'un systeme plus large et ainsi de suite jusqu'au niveau le plus englobant, celui du systeme societal, de l' encompassing system, du monde vecu (lifeworld), un unitas multiplex qui est certes un systeme englobant et universel comme celui de l'ancien paradigme, mais un systeme dans lequel regnent la pure contingence et le relativisme, it est un environnement interne de systemes auto-referentiels formant eux aussi des environnements internes, telte une poupee russe. Chaque sous-systeme tient compte du systeme dans lequel it se trouve, it reproduit la difference entre ce systeme plus large et son environnement, mais la reproduit toujours selon sa propre perspective, selon sa propre difference par rapport a l'environnement

Ig Op. cit., LUHMANN, 1990, p.3.

immediat (le systeme l'incluant et les (sous-) systemes a sa peripherie) et l'environnement global (ou par rapport a des systemes qui s'y trouvent). Cette perspective particuliere du soussysteme lui est donne par sa fonction clans le systeme plus large, une fonction qu'il fait sienne reflexivement, envers laquelle les actions qui se deroulent dans le systeme sont orientees et qui est l'objet de l'auto-reference du systeme, sa fermeture essentielle a son auto-reproduction par la communication, une fermeture qui permet l'autonomie du systeme. Chaque sous-systeme remplit une fonction pour un systeme plus large, mais le plus englobant des systemes, la societe ou le systeme societal, unit tous ces sous-systemes et ne les inclut en lui que par leurs differences (l'unite de la difference). 11 n'est que l'ensemble contingent des possibilites d'actions sociales qu'offrent les systemes sociaux, it est moms que la somme de ses parties.

C'est au niveau le plus abstrait, celui de la societe, que se confondent systeme et environnement, parce que tout en etant un environnement interne, la societe reproduit ses propres elements, les communications, comme un systeme. Elle contient toutes les actions sociales possibles, elle est l' horizon de significations le plus lointain, atteignable dans sa totalite seulement dans une relative mesure pour l'etre humain (human being) en interaction (il en sera question dans le troisieme chapitre). Chaque sous-systeme inscrit dans cet environnement social global (la societe, le monde vecu) est autonome et auto-referentiel tout en etant dependant de son environnement immediat, c'est-a-dire le systeme dans lequel it est inclus, et, dans une relative mesure, de l'environnement plus large pour s'auto-reproduire, c'est-i-dire les principaux systemes fonctionnels de la societe tels ['economic, la politique, le systeme legal, le systeme educationnel, les systemes religieux, scientifique, culturel. En insistant sur la difference (fonctionnelle) entre chaque systeme social et l'environnement, Luhmann evite d'orienter sa theorie vers une dimension particuliere de la vie sociale et d'en faire ['essence de la societe, le plus que la somme des parties. Contrairement a Marx, qui emprunte une perspective economique et materialiste, Hobbes, Locke et Rousseau qui donnent une orientation politique a leurs ecrits sur la societe, Mead et Goffrnan qui se penchent sur les interactions entre individus, la sociologie d'Alfred Schatz d'influence phenomenologique et culturaliste, Luhmann propose une theorie aux pretentions universelles orientee vers des systemes auto-referentiels tint micro-sociologiques que macro-sociologiques, tine theorie du relativisme, un constructivisme social.

On remarque l'aspect hierarchique que revet le systeme societal, une hierarchie non pas de commande, ni cybernetique comme dans le systeme d'action de Parsons, mais une hierarchie de gendralite (d'abstraction), de comp/ex/re et de duree, c'est une profondeur phenomenologique. En fait, ce qui est important ici, c'est le concept de differenciation. Les principaux systemes fonctionnels de la societe, telle qu'on la connait depuis les debuts de la modemite, sont differencies tels qu'ils ne semblent pas faire partie du meme systeme global de la societe. C'est parce qu'ils sont les sous-systemes fonctionnels du systeme societal, ['encompassing system, qui voit devant lui des problemes de natures differentes l'exploitation des ressources (l'economie), les decisions collectives (la politique), la decouverte de la verite (la science), la production de regles aprioriques d'actions (la justice), la comprehension de l'inexplicable (la religion), dont les resolutions ne peuvent etre assurdes que par des sous-systemes differencies quanta leur fonction. Mais les sous-systemes qui se differencient a l'interieur de ces principaux sous-systemes fonctionnels de la societe le font hierarchiquement de telle sorte qu'ils sont toujours des sous-systemes inclus dans un systeme plus large.

...hierarchy. This does not mean official channels or a chain of command

from top down. Instead, in this context hierarchy means only that subsystems can differentiate into further subsystem and that a transitive relation of containment within containment emerges._ )>19

Luhmann divise cet environnement de systemes en trois niveaux d'abstractions, de complexite, ou trois types de systeme : les systemes interactionnels, les systemes organisationnels et le systeme societal. Ces trois types de systemes font partie de la hierarchie de differenciation et chacun constitue, ou peut constituer, une hierarchic a son tour. Les systemes interactionnels sont les plus nombreux, les plus ephemeres et les moms complexes. Its apparaissent et disparaissent au gre de nos rencontres quotidiennes, a chaque fois qu' un systeme psychique agit en presence d'autres systemes psychiques. C'est aussi a ce niveau que la difference en complexitd entre le systeme et l'environnement est la plus grande, le systeme interactionnel est si simple et peu etendu, et si court en duree, qu' it ne peut se fondre (par interpenetration) qu'a une infime partie de l'environnement. En fait, les relations entre un systeme interactionnel, dans lequel les individus evoluent par leur presence, et le systeme

19 Op. cit., LUHMANN, 1995, p.19.

societal, qui comprend toutes les actions possibles, ne sont que partietles et ephemeres, la societe etant trop complexe en informations et en quantite d'actions possibles pour correspondre point-par-point avec un systeme interactionnel (mime si le systeme interactionnel schematise ou codifie ce qui le distingue de la totalite du monde, nous en reparlerons plus loin). Les interactions ne sont que de courts episodes de la societe qui se succedent dans le temps (nous parlerons plus loin de la dimension temporelle des systemes).

C'est progressivement, a travers le processus de differenciation socio-culturelle que connaissent les societes modemes depuis trois a quatre siecles, que se differencient le second et le troisierne type de systeme, ceux du niveau organisationnel et du niveau societal. Dans les systemes de type organisationnel, ce sont des conditions particulieres de membership qui determinent la possibilite pour un individu d'y participer, non pas la seule presence dans une interaction, des conditions prenant la forme de regles de comportement specOques qui ne necessitern pas une correspondence avec les motivations de l'individu. Line distinction se developpe progressivement entre des interactions quotidiennes, non incluses dans le cadre d'une organisation de l'activite sociale scion des regles de comportement spacifiques, et des interactions organisationnelles et fonctionnelles, soumises (darts une plus ou moms grande dependance) aux regles d'actions des sous-systemes fonctionnels de la societe, tels l'economie, la politique, la science, et aux regles d'actions des organisations, c'est-a-dire les sous-systemes (eux aussi fonctionnels) de ces sous-systemes fonctionnels de la societe. Et comme pour l'interaction, ['organisation ne peut correspondre point-par-point avec l'environnement, elle ne peut saisir et reduire toute sa complexite, par rnanque de temps. Meme si les interactions interns et les actions orientees vers l'environnement y sont regies par des regles specifiques (concritisees dans des roles et des programmes d'actions), meme si les performances de leurs membres au sein d'autres systemes (la famine, les antis, d'autres organisations) sont neutralisees et rendues non significatives par l'organisation, renforcant ainsi les structures du systeme, l'environnement immediat de celle-ci et l'environnement s'etendant jusqu'au niveau societal restent quand mime insaisissables en entier d'une facon precise.

Luhmann insiste sur le role rempli par l'apparition de recriture et des premieres techniques d'impression dans ce processus de differenciation des systemes organisationnels et societal du niveau des interactions. Les systemes interactionnels et organisationnels etaient confondus dans les societes holistes et archaiques, structurees par le mythe. Ces deux types de systemes etaient aussi confondus avec le systeme societal : la societe etait l'unique organisation dans laquelle se deroulaient toutes les interactions des participants. Lorsqu'un individu agissait en presence d'autres individus, ii le faisait toujours en etant soumis a des regles et des normes precises d'actions structurees par l'ideologie du mythe et s'etendant a la societe clans son ensemble. Les societes modernes complexes, quanta elles, ne permettent plus aux individus qui en font partie d'agir envers et en tenant compte de la societe globale, ces actions sociales sont realisees dans tin environnement contingent difficilement saisissable en totalite, compose d'organisations sociales inscrites au sein des principaux systemes fonctionnels differencies de la societe tels l'economie, la politique, le droll, la science, la religion, la culture, des systemes offrant aux organisations qui en font partie des perspectives particulieres stir la societe et sur leurs environnemenrs. L'ensemble des actions et activites sociales ne petit plus etre oriente par une organisation unique et le processus avance de differenciation socio-culturelle que nous connaissons aujourd'hui ne permet plus a l'individu en interaction de saisir la societe en entier, meme lorsque cette interaction s'inscrit dans une organisation de l'activite : la societe echappe a elle-meme, elle est moins que la somme de ses parties. C'est pour cette raison que Luhmann doute de la possibilite de regler par la discussion orientee vers le consensus les problemes concemant les principaux systemes fonctionnels de la societe. Par contre, cette differenciation ne signifie pas une totale independance entre les trois niveaux de systemes : presque toute interaction s'inscrit dans une organisation de l'activite sociale ou trouve dans son environnement sernantique une ou des organisations (sauf peut-etre des systemes interactionnels quotidiens comme ceux unissant des voisins se croisant stir la rue ou des amis en discussion); toute interaction est incluse dans la societe car elle se fait par la communication, l'alement des systemes sociaux des trois types; toute organisation de l'activite sociale est dependante des systemes interactionnels qui existent en elle et autour d'elle et des systemes plus larges jusqu'au systeme societal dans lesquels elle performe ou remplit sa fonction auto-referentielle, comme des organisations en sa peripherie ou dans son environnement global; et quant a elle, la societe, ou tout simplement la communication, ne

pourrait se reproduire sans une differenciation de ses sous-systemes fonctionnels principaux en sous-systemes plus specifiques quanta leur fonction et en organisations des interactions et de l'activite sociale. Dependance et independance sont combines, reference a l'environnement et au systeme lui-meme.

Les systemes interactionnels, organisationnels et le systeme societal sont tous les trois des systemes sociaux dont les elements sont des evenements, plus precisement des communications de signcations (meaning) reduites en actions sociales par le systeme pour faciliter son auto-reference et sa reference a l'environnement et aux communications qui s'y deroulent. Ces communications internes et externs au systeme sont reduites en complexite et envisagees comme actions par le biais des processus d'auio-observation du systeme et d'observation de I'environnement par le systeme, ou elles sont envisagees comme telles, comme des communications, par des processus d'auto-description et de description de l'environnement. Ce dernier processus, celui de la description des communications dans l'environnement, est toujours relativement approximatif vu la grande complexite de l'environnement et des nombreuses communications qui s'y deroulent et qui peuvent s'y derouler. C'est pour reduire cette complexite de l'environnement, reduire les communications qui s'y produisent en actions significatives pour lui, que le systeme realise des processus d'observation de I'environnement, une description etant trop complexe a re.aliser. Des actions communicatives se deroulent dans l'environnement, elles sont observees par le systeme, mais lorsque Ullmann parle de l'action, it se refere aux selections d' informations (necessitant l'observation et ('auto-observation) par le systeme Tors d'une communication de celui-ci dans son environnement (ou tors d'une communication dans le systeme lui-meme, entre ses soussystemes ou dans un de ceux-ci), et it pule d'experience pour designer l'observation, l'autoobservation, la description et l'auto-description des actions communicatives des systemes (et it parle de reflexivite ou d'observation de second ordre (second-order observation) pour simifier les (auto-)observations d'(auto-)observation).

Les systemes sociaux (dont les elements sont des communications de sens ou de signification, des evenements) sont un type particulier de systeme, its entrent en relation avec un environnement compose d'autres systemes : it s'agit des systemes psychiques, c'est-i-dire

les individus avec leurs personnalites propres et possedant eux aussi leurs elements sous formes de significations, mais se produisant dans la conscience et non comme communication; des systemes organiques, c'est-a-dire le support biologique des individus, et finalement des systemes machines, construits par l'etre humain pour controler et transformer les environnements organique et physique. Ce vers quoi je veux en venir, c'est que les systemes sociaux, tels que les decrit Luhmann, excluent les individus, ceux-ci ne font pas partie de la societe, mais plutot de son environnement, en tant que systemes psychiques et non sociaux. C'est par la communication que les systemes psychiques ont contact avec l'environnement social :

« We are dealing with social_ not psychic systems. We assume that social systems are not composed of psychic systems (...). Therefore, psychic systems belong to the environment of social systems. Of course, they are a part of the environment that is especially relevant for the formation of social systems (...). Such environmental relevance for the construction of social systems constrains what is possible, but it does not prevent social systems from forming themselves autonomously and on the basis of their own elemental operations. These operations are communications -- not psychic process per se, and also not the process of consciousness. »

2.1.2. La theorie de la communication.

C'est par le biais de sa theorie de la communication que Luhmann explique l'interpenetration entre les systemes psychiques et les systemes sociaux ainsi que la formation et ['auto-reproduction des systemes sociaux. Cette interpenetration entre des systemes psychiques (interhuman interpenetration), celle entre tin systeme psychique et un ou des systemes sociaux, et ['interpenetration entre des systemes sociaux (social interpenetration), Luhmann l'explique longuement dans un chapitre de Social systems, mais on peut se ['imager (concretement, la oit elle s'effectue) comme etant celle entre tin individu et un horizon de signification, c'est le moment ou deux systemes (psychiques ou sociaux) rendent leurs propres differences accessibles a une interpretation par ['autre. La communication se realise lorsqu'un individu (un systeme psychique), inscrit dans un horizon de significations (l'environnement qu'est pour un systeme psychique un ou des systemes de communication quelconques, dans la societa), fait tine selection d'information ou de signification gull

exprime a alter par le langage (le langage ordinaire ou tin langage specialise : I'argent, le pouvoir, l' amour, la verite) et qui s' inscrit dans le cadre d'une interaction ou s'effectue par le biais d'un moyen de communication de masse ou de communication a distance (medias electroniques de communication, ecriture, supports audio-visuels, etc.). Cette selection permet alors une reduction de la complexite de renvironnement. Il s'agit de la formation d'un nouveau systeme, qui peut durer le temps de la communication et s'eteindre avec elle, ou perdurer par la redondance creee par l'information communiquee lorsqu'alter decide de continuer la communication avec ego ou ceux-ci avec d'autres individus (ensemble, au meme moment, ou separement et a des moments differents). Lorsqu'alter rejette la communication d'ego, le nouveau systeme s'eteint, la communication s'arrete et pourra recommencer plus tard ou ne jamais recommencer. Toute communication d'information choisie parmi un horizon de significations (un environnement social quelconque) pone en elle sa propre possibilite de negation, alter peut rejeter l'information transmise et empecher sa redondance dans le temps. Cette negation n'em 'Oche quand mime pas que la communication soit reussie : ego exprime une ou des informations selectionnees parmi un horizon de significations (l'environnement interne ou exteme), des informations qui doivent etre comprises par alter. Alter peut la nier et petit decider d'arreter cette communication. Par contre, si alter accepte l'information transmise, une memoire de cette information se developpe et permet la reproduction de cette communication, de cette selection d'information, elle permet le developpement d'une structure d'attente de communication formee (eventuellement) par des valeurs, des programmes d'actions et des roles qui progressivement s'elevent si la communication perdure, se restructurent ou disparaissent progressivement si la communication redondante est rejetee par un ou des individus. Mais ces structures se solidifient dans le temps, resistant ainsi plus facilement au rejet de communication. Par exemple, la structure d'attente d'une organisation comme une entreprise economique, un parti politique ou un organisme d'entraide, une structure solidifiant n'importe quel systeme, ne s'ecroulera pas si un individu refuse de faire affaire avec l'entreprise ou de voter pour le parti en question. Par contre, une organisation de l'activite sociale ne verra pas le jour si ceux qui l'entreprennent ne s'entendent pas sur les communications d'informations et de significations qui s'y deroulent et sur les valeurs, les programmes d'actions et les roles qui devront les structures. Les structures d'attente assurent les relais entre des communications, elles sont des themes de communication (inscrits dans des

organisations particulieres ou se presentant tout simplement comme themes culturels) qui tendent a se repeter dans le temps et dans I'espace, elks assurent la stabilite d'un systeme de communication et de signification dans un environnement social instable et contingent qui regroupe l'ensemble des significations et des communications possibles, elles assurent [a reproduction de ses elements (les communications) qui se dissolvent et disparaissent au fil du temps (toute communication ne dure pas eternellement), la transformation de 1' improbabilite en probabilite. S'effectue ainsi la constante reproduction autopoietique de l'ordre des systemes a partir du desordre de l'environnement.

Qu'alter accepte ou rejette la communication, it suffit qu'une information soft conununiquee par ego et comprise par alter pour qu' it y ait communication_ La certitude que la communication est reussie n'est pas incarnee dans le consensus sur celle-ci, contrairement a ce qu'affirme Habermas, mais tout simplement dans les effets de la communication (la reduction ou l'augmentation de la complexite par la selection d'informations) dans le systeme qui l'inclut et dans l'environnement En fait, toute communication est l'unite de trois selections : la selection d'une information par ego (l'emetteur), la selection d'une expression par ego et la selection par alter entre l'acceptation ou le rejet de l'information commtutiquee. Luhmann nomme ces trois selections information, utterance et expectation of success. La premiere selection est celle de la simple information tiree d'un horizon de significations possibles, la seconde est celle de la maniere dont l'information est exprimee, une maniere percue et distineude par alter en tant qu'action communicative et expressive dans un contexte systemique dans lequel ego se trouve, et la troisieme est celle entre ['acceptation ou le rejet par alter selon les structures d'attente dans lesquelles se trouvent les systemes psychiques qui communiquent. La communication est done empreinte d'une double contingence (Luhmann se refere ici a Talcott Parsons), celle de la selection de l'information et de l'expression par ego et celle de la selection entre l'acceptation ou le rejet par alter. Ego et alter possedent chacun leurs propres memoires des communications auxquelles ils ont participe, des systemes de communication dont ils furent des environnements en Lint que systemes psychiques, et chacun tient compte de cette memoire et de ses attentes et de celles qu'il peut prevoir chez l'autre, Husserl parlerait des vecus de conscience retentionnels et protensionnels des sujets. Nous

verrons plus loin qu'Austin et Habermas parlent de locution, d'illocution et de perlocution, au lieu de ['information, de ['expression et de l'attente de succes.

Un des concepts centraux dans la theorie de la communication et dans la theorie des systemes de Luhmann est le concept de code (binary schematism). Tout systeme de communication, qu'il ne soit qu'une simple interaction quotidienne ou un systeme de communication structure et assurant sa reproduction dans le temps, volt les communications qui se deroulent en lui determines par un code binaire particulier qui fournit a chacune sa propre version negative, sa duplication en une version positive et une version negative : dans tin systeme interactionnel, ce code prend la forme d'une possibilite qu'offre le langage de repondre oui ou non a une communication emise par ego, accepter ou rejeter la communication; dans un systeme de communication structure et qui assure son auto-reproduction, ce code se differencie et prend la forme d'un code binaire qui determine et oriente les communications non plus seulement scion la simple possibilite d'accepter ou de rejeter la communication, mais selon une preference pour la valeur positive du code propre au systeme. 11 devient une distinction directrice. Par exemple, toute organisation inscrite dans le systeme de l'economie volt ses communications orientees par le code avoir ' ne pas avoir ; dans le systeme politique, c'est le code pouvoir superieur pouvoir inferieur et dans les hautes spheres du pouvoir, le code gouvernement i opposition; clans le systeme scientifique, c'est le code binaire vrai faux; dans le systeme judiciaire, le code legal illegal. Dans les systemes de communication inscrits au sein des principaux systemes fonctionnels de la societe tels que l'economie, la politique, la justice, la science, la religion, des mediums de communications symboliquement generalises (l'argent, le pouvoir, la verite, l'amour, des mediums semblables a ceux conceptualises par Parsons) remplacent le langage et sa capacite de negation (oui / non) dans l'application des codes prelinguistiques aux communications et favorisent la valeur positive du code (avoir, pouvoir superieur, verite, legalite...). Ce n'est qu'avec l'apparition des medias de diffusion, c'est-i-dire l'ecriture et les medias de communications electroniques, que ces mediums de communications symboliquement generalises peuvent se developper, se differencier (eux et les systemes dont ils font partie) et assurer l'auto-reproduction des elements des systemes, la continuite des communications, en favorisant la valeur positive du code. En fait, chaque systeme de communications oriente celles-ci selon son propre code, par

le biais de mediums qu'il choisit (le langage, les mediums generalises), comme chaque systeme reproduit sa difference par rapport a l'environnement Le code n'est en fait que ce qui differencie le systeme de l'environnement, un code appliqué aux communications, dont les references sont internes et externs (reference au systeme et reference a l'environnement), par le biais des valeurs, des programmes d'actions et des roles qui structurent le system. C'est en ce sens que Luhmann, dans son dernier ouvrage intituld Observations on modernity2', pane d'une application « orthogonale » du code. La valeur positive et la valeur negative du code, qui ensemble consituent la difference du systeme, peuvent etre appliquees a l'auto-reference du systeme ou a la reference a l'environnement. II faut done eviter de confondre l'autoreference du systeme avec la valeur positive du code et la reference a l'environnement avec la valeur negative du code_ Par exemple, le systeme legal ne doit pas etre identifie a ce qui est code legal et l'environnement du systeme a ce qui est code illegal. Le systeme legal conceme la legalite (et sa version negative, l'illegalite) et le code legal / illegal peut etre appliqué au systeme lui-meme, -c'est-a-dire que les lois sont positives, elles sont susceptibles d'être revisees, et it peut s'appliquer a l'environnement, a ce qui ne conceme pas la legalite proprement dice, c'est-i-dire les autres domains de l'activite sociale. L'ensemble du code constitue la difference du systeme par rapport a son environnement et sert de medium aux references intemes et externs fors des communications :

« The code values serve as both universal and specific binary schemes that help identify a functions system but are also applicable to the self-referential as well as the extra-referential, the system as well as its environment »22

Comme tout systeme, les codes sont auto-referentiels et autopoietiques, ils assurent la reproduction des communications dans le temps en orientant les selections d' informations selon la difference entre le systeme et l'environnement De la meme maniere que les systemes organisationnels se differencient progressivement des systemes interactionnels dans le passage des societes archaiques aux societes traditionnelles et aux societes modemes complexes, les codes prelinguistiques orientant les communications se differencient de la possibilite de negation inherente au langage quotidien (sans pour autant la rejeter) pour se generaliser dans

21 LUHMANN, Niklas, Observations on modernity, Stanford, Stanford University Press, 1998, 147 p.

22 Ibid., p.11.

la communication, acquerir une autonomie temporelle par rapport aux interactions quotidiennes et assurer ['auto-reproduction des elements du systeme en accordant une preference a la valeur positive du code.

2.1.3. La dimension temporelle du systeme comme introduction a la theorie de

l'evolution.

Nous avons vu, dans la section precedente, que les elements des systemes sont des communications d' informations selectionnees parmi un horizon de sens ou de significations. Ce que Luhmann appelle meaning, le sens, possede trois dimensions independantes et egalement en relations: la dimension factuelle, la dimension sociale et la dimension temporelle. La dimension factuelle du sens ou de la signification concerne les objets de la conscience d'un systeme psychique et/ou les themes d'un system de communication (d'un systeme social), ces derniers pouvant etre des choses ou des personnes. Ces objets et ces themes possedent chacun un horizon interne aux possibilites infinies, c'est-i-dire leur signification pour le systeme, et un horizon externe lui aussi infini, c'est-i-dire leur signification en tant qu'objets ou themes dans l'environnement. Luhmann s'inspire ici de la theorisation du champ perceptif et du champ chosique realisee par Husserl. La dimension sociale de la signification, quanta elle, represente la difference de perspective sur la factualite du sens entre ego et alter, et comme la dimension factuelle de la signification, sa dimension sociale est constituee d'un double horizon infini, celui d'ego et celui d'alter, inscrit chacun dans un systeme social (ou dans plus qu'un a la fois; ou inscrit dans le ou les memes sys-temes, aussitot qu'ils communiquent par exemple):

« The social dimension is endowed with an independence vis-a-vis any factual articulation of meaning that reaches through to everything. It emerges from the fact that alongside the ego-perspective one or many alter-perspectives come into consideration. A social reference can then be required of every meaning. This means that one can ask of every meaning whether another experiences it in exactly the same way I do. »23

Comme la dimension sociale pour la dimension factuelle, la dimension temporelle du sens recoupe les deux premieres. Nous avons vu que tout systeme de communication effectue

des reductions de ses elements et de certains de ceux de l'environnement (les communications) en actions par des processus d'auto-observation et d'observation. C'est en reduisant les communications en actions (une reduction de la propre complexite du systeme et de celle de l'environnement) que les premieres peuvent etre identifides comme evenements dans le temps par le systeme (en fait, par les systimes psychiques qui communiquent et qui constituent son environnement). Toute communication ou toute action est une selection d'information parmi un horizon de significations qui se veut en meme temps un horizon temporel. Luhmann se refere ici a l'analyse phenomenologique de la conscience du temps chez Husserl. Chaque action se deroulant au present possede son propre horizon de sigr4ications passe (par retention du passe dirait Husserl), dont les selections qui en ont ete tirees la determinent, et son propre horizon de significations futur, parmi lequel d'autres selections seront effectudes suite a cette action au present chaque moment present sur l'axe temporel d'un systeme possede son propre passe qui le determine et son propre futur qui s'ouvre devant lui. Ici encore, on retrouve le double horizon de la signification, cette fois entre le passé et le futur, un double horizon au centre duquel le moment present constitue l'irreversibilite du temps, meme si la reversibilite de ce dernier est possible au sein d'un systeme structure.

Luhmann pule du present's past, du present's future et du present's present. Ainsi chaque systeme social petit rdcuperer une action passee saisie comme un present passé (past present) et identifier les autres possibilites de selections inscrites clans l'horizon de significations qui auraient pu etre actualisees a cc moment tenant compte des selections passees et des possibilites de selections futures de ce present passé, comme it peut identifier les autres possibilites de selections adjacentes a une selection qui est effectude au moment present (present present) et qui fera desormais partie du passé, comme ii peut aussi prevoir l'horizon de significations ou de possibilites de selection dans lequel est inscrit un present futur (future present) souhaite pour ainsi planifier une action dans le present present. Ce present present est alors identifie comme un present passe du present futur que l'on veut atteindre par planification. C'est par Le concept de modalite temporelle reflexive que Luhmann decrit cette capacite des systemes de selectionner une ou des selections passees ou une ou des selections futures eventuelles dans l'horizon temporel pour motiver et orienter une selection

dans le moment present. Les evenements passes d'un systeme social peuvent etre reselectionnes par celui-ci comme ils peuvent etre mis de cote comme elements d'un horizon de signification qui sont sans importance (non significatif) pour le moment present (Luhmann parle alors d'une neutralisation de l'histoire, surtout dans le systeme economique), de la meme maniere que des evenements futurs peuvent etre preselectionnes comme evenements souhaites vers lesquels les actions et communications presentes sont orientees. En fait, tout est question de selection auto-referentielle actuelle du systeme, combine a et en fonction de l'observation des evenements passes et des possibilites d'actions futures du systeme et de l'environnement complexe (l'environnement innediat, l'environnement interne, l'environnement global ou societal et ses regions). Chaque systeme social possede sa propre temporalite, it experimente son environnement et agit dans son environnement a son propre rythme, it prend son temps (et on peut avancer que cette temporalite propre a chaque systeme est une caracteristique des societes modemes differenciees, comparativement aux societes archaiques et traditionnelles dans lesquelles le temps semble plus homogene). Le temps n'est plus saisie comme une suite lineaire d'evenements se determinant les uns apres les autres depuis une genese fondatrice mythique ou selon une tradition particuliere. La differenciation progressive des societes amene, depuis les 17`eme et 18`x'` siecles, une differenciation et une complexification de la dimension temporelle des systemes sociaux que Luhmann propose de saisir phenomenologiquement et non plus comme un mouvement dialectique en eclosion (Hegel et Marx), ni d'une perspective nihiliste ou pessimiste, comme celle de Nietzsche ou de Weber, envisageant le temps comme le mouvement d'un appauvrissement et d'un nivellement des valeurs ou d'un desenchantement du monde. Line conception universaliste du temps serait anachronique clans les societes modernes et fortement clifferencides. Luhmann s'oppose d'ailleurs aux theories detertninistes de l'histoire partagees par les penseurs d'allegeance hegelienne et marxiste en distinguant une orientation technologique d' une orientation utopique vers le futur, celle-ci orientant les actions presentes vers un present's future unique, utopique et inatteignable (la societe socialiste et ensuite communiste, ou tout autre projet de societe utopique), qui s'eloigne au fur et a mesure que nos actions selectives presentes nous en rapprochent, et la premiere orientant les actions presentes en fonction de programmes d'action planifies vers un future present anticipe et selectionne parmi un horizon de possibilites futures. Le futur vers lequel est tournee cette orientation technologique est un open future, un futur

comprenant une pluralite contingente de possibilites et non pas une necessite unique et predetermine historiquement. Une multitude de system-histories selectives, autoreferentielles et contingentes (de multiples petites histoires disait Michel Maffesoli lors d'une conference sur la post-modernite) ont lieu sirnultanement dans ce que Luhmann appelle le world-time qui represente la temporalite du systeme societal (le monde). Comme les differents systemes peuvent observer les actions qui se deroulent dans les systemes environnants et entrer en relation avec eux en tenant compte de la temporalite de chacun et de celle qui leur est propre, les systemes sociaux peuvent aussi accompagner l'auto-observation de leur temporalite avec une observation de la temporalite du monde social dans son entier, une temporalite societale dont r histoire purement contingente est envisa2ee par Luhmann comme etant le processus d'evolution auquel sont soumis ['ensemble des systemes sociaux dans leurs structures et dans leur differenciation.

2.1.4. La theorie de revolution.

L'evolution societale n'est pas envisagee par Luhmann comme un proces teleologique, elle ne peut etre planifide comme un systeme social petit le faire concernant ses actions communicatives eventuelles. Elle est la resultante contingente de ['evolution de chaque systeme social contenu dans la societe, des evolutions particulieres qui, elles, peuvent etre planifiees vu le caractere auto-referentiel et reflexif des (sous-) systemes sociaux. Luhmann reprend les concepts darwiniens de variation, de selection et de stabilisation pour decrire comment revolution des systemes sociaux se realise. Ces trois concepts representent en fait les trois mecanismes de revolution des etres vivants transposes aux systemes sociaux : le mecanisme de variation est la capacite de negation inherente au langage; le mecanisme de selection est possible grace a rauto-reference des systemes sociaux et a r horizon de significations qu'est l'environnement social et offrant des informations et significations alternatives a celle rejetee par le mecanisme de variation; finalement le mecanisme de stabilisation est la capacite de former systeme par l'auto-reproduction des communications selectionnees. Ces trois mecanismes representent en fait les conditions de possibilite internes de revolution d'un systeme social. C'est ['augmentation de la population mondiale (du nombre de systemes psychiques), des communications qui se deroulent dans la societe et par

consequent de la complexite de l'environnement social, qui rend necessaire l'evolution des systemes sociaux et surtout la transformation du type de difterenciation sociale. Luhmann identifie trois types de differenciation des systems sociaux : la segmentation, la stratification et la differenciation fonctionnelle, la premiere correspondant aux societes archaiques, la seconde aux societes aristocratiques composees de classes sociales distinctes et la derriere correspondant aux societes modernes complexes. La differenciation segmentaire signifie que les sous-systemes qui se differencient sont egaux, ils prennent la forme de systemes sociaux axes sur la descendance et l'appartenance a des tribus, ils sont des systemes sociaux paralleles les uns par rapport aux autres, non hierarchiques entre eta et orientant leurs communications vers la reproduction de l'instance supra-systemique (l'apex du systeme social global, c'est-idire le mythe). La differenciation stratifide, quant a elle, cree des sous-systemes inegaux les uns par rapport aux autres, c'est-i-dire que les chances d'acceptation des communications provenant du bas de la hierarchic sociale vers les hautes spheres aristocratiques sont tres faibles, mais chaque sous-systeme repose sur l'egalite des chances de reussite des communications internes au sous-systeme; a l'interieur d'un sous-systeme particulier dans la hierarchie sociale, les individus ont tour les memes chances de voir leurs communications acceptees par le destinataire. Comore les systemes differencies par segmentation, les systemes sociaux stratifies orientent leurs communications vers la reproduction de l'apex du systeme social global (l'aristocratie, la royaute, la tradition). Cette transformation du type de differenciation est attribuable a ('augmentation de la faille de la societe et par consequent a la necessite de reduire la complexite des communications en differenciant des sous-systemes n'ayant pas les memes chances de reussite des communications. Le type de differenciation sociale oriente vers une fonction, le type propre aux societes modernes, cree des sous-systemes fonctionnels autonomes ouverts a n'importe quel individu, donc qui sont egaux, mais orientes vers une fonction specifique qui leer donne une perspective particuliere sur l'environnement social et cree donc une certain inegalite entre les sous-systemes. Chaque sous-systeme est auto-referentiel et ne depend que de lui-meme pour se reproduire, du moms tant que les autres sous-systemes fonctionnels remplissent leurs fonctions adequatement; it est auto-referentiel, tout en se referant a l'environnement, mais en ne voyant pas en celui-ci une instance suprasystemique a reproduire.

Pour conclure, rappelons que ridee integrative derriere les theories des systemes, de la communication et de revolution presentees par Luhmann est que robjet d'etude du sociologue s'incarne dans des communications entre des individus, des communications qui prennent la forme de systemes plus ou moires structures et, surtout, autonomes par rapport aux individus conununiquants; des systemes s'auto-reproduisant selon des codes (des schernatismes) determinants les actes langagiers des individus. C'est en opposition a cette caracteristique essentielle de la perspective theorique de Luhmann sur la realite sociale, c'esta-dire l'auto-reference du systeme, aussi en opposition a toute forme de theorisation de ('experience sociale qui s'eloigne du monde vecu total et partage des individus qui communiquent que Habermas propose son concept de rationalite communicationnelle.

2.2. La theorie de raitir communicationnel de Jurgen Habermas

C'est au sein de la tradition theorique de l'Ecole de Francfort que s'inscrit l'oeuvre de Jurgen Habermas. Sa theorie de l'agir communicationnel se veut, en fait, un renouvellement de la Theorie critique propos& par Max Horkheimer et Theodor Adorno, a laquelle Habermas veut fournir une base normative dont ii remarque l'absence dans les &tits des deux sociologues. Selon Habermas, le depassement de la theorie traditionnelle (la tlzeoria de l'ontologie arecque) par la Theorie critique de Horkheimer et Adorno, ou le depassement de la rationalite objectiviste et instrumentale (une irrationalite selon ces derniers), qui domine au sein des societes modernes et qui separe le sujet de ('objet, par une rationalite dialectique et critique qui reunit le sujet et l'objet et replace la relation sujet / objet dans la realite sociale et historique de laquelle elle provient, est incomplet et reste impregne d'idealisme (malgre cette volonte de replacer la theorie et la Raison sur leur substrat concret et historique) s'il n'est pas accompagne d'une conceptualisation de 1' intersubjectivite langagiere qui constitue cette realite socio-historique (le monde vecu) et qui permet cette relation critique et normative entre lc sujet et I 'objet. C'est le concept de rationalite communicationnelle que Habermas propose pour completer le depassement de cette relation objectiviste et instrumentale qui unit les sujets individuels et sociaux des societes modernes aux objets physiques et sociaux, un depassement vers la comprehension de la relation qui unit, selon Habermas, une realite divisee en un monde objectif, un monde social et un monde subjectif, avec des sujets sociaux qui interagissent et qui tentent de s'entendre et de faire consensus sur les definitions qu'ils veulent se dormer des

objets composant ces trois mondes. Je reparlerai plus loin de ces trois mondes et des objets qu'ils contiennent. Sachons tout de suite que Habermas insiste sur la presence d'un monde social et d'un monde interieur ou subjectif, deux mondes qui accompagnent toujours le monde objectif des etats de chases eristants lorsqu'on entre en relation cognitive avec lui. Le concept de rationalite communicationnelle est un concept englobant l'agir teleologique oriente vers le monde objectif, l'agir regule par des normes oriente vers le monde social ou normatif et l'agir dramaturgique oriente vers le monde subjectif. Nous verrons egalement que, pour Habermas, les mondes social et subjectif sont impliques dans ce qu'il appelle la reproduction symbolique du monde vecu, alors que le monde objectif constitue le substrat materiel du monde vecu. Mais avant de presenter le point de vue de Habermas stir le concept de monde vecu, ii est essentiel de prendre connaissance du modele de rationalite de l'agir qu'il propose.

2.2.1. Le concept de rationalite.

C'est dans un de ses premiers ouvrages, Connaissance et Interet24, que Habermas entend presenter l'incompletude de la tentative des instigateurs de la Theorie critique de depasser la rationalite objectiviste et instrumentale de l'action, une rationalite typique aux societes modernes. Cette volonte de formuler une critique complete de la rationalite instrurnentale, une critique reposant sur intercomprehension et l'entente langagieres entre des individus en interactions, reste tout aussi manifeste et devient centrale dans son ouvrage Theorie de l'agir communicationnel. Dans cet ouvrage, Habermas propose de reformuler le concept de rationalite, qu'il presente comme le theme central de la philosophic. C'est une rationalite qui prend une distance critique des concepts de Sujet transcendantal et d'Absolu soutenus par la tradition idealiste de Kant et de Hegel, qui remet en question le concept de rationalite a la base de la philosophie du Sujet, celle de l'idealisme allemand et des traditions cartesienne et husserlienne; qui souhaite aussi prendre distance face a toute philosophie ontologique, c'est cette rationalite plus modeste, plus concrete, anthropocentrique, que Habermas tente de definir. C'est en tant que theorie post-metaphysique et aussi post-hegelienne, ainsi qu'en tant que radicalisation du tournant linguistique de la philosophie contemporaine, qu'il faut

2 HABERMAS, Jiirgenrucp Paris, Gailimard, 1979, 386 p.

comprendre le nouveau concept de rationalite que propose I'auteur. Meme si Hegel envisageait un Absolu post-metaphysique et historique, it etait toujours question dans sa doctrine d'un Esprit Absolu vers lequel le processus dialectique de I'histoire nous dirige inevitablement. Definir la Raison, c'est avant tout comprendre l'activite langagiere qui distingue I'homme de toute autre forme de vie et par laquelle celui-ci coordonne et oriente ses actions avec celles de ses semblables en vue d'une « Bonne vie o, une activite langagiere par laquelle des sujets sociaux argumentent et tentent de creer et surtout de maintenir des consensus ephemeres et faillibles sur des orientations d'actions, ceci sans domination. Pour Habermas, philosophie et sciences sociales ainsi que theorie de la rationalite et theorie de la societe doivent etre reunies pour definir un concept de Raison qui saisit celle-ci concretement dans ses manifestations langagieres, dans la realite sociale et normative dans laquelle elle performe, qui exciut toute definition idealiste ou metaphysique de la Raison.

12.2. La theorie weberienne du processus de rationalisation socio-culturelle de l'Occident.

Toujours dans son ouvrage Theorie de l'agir communicationnel, Habermas accompagne cette reinterpretation langagiere du concept de rationalite par une critique de la theorie de l'action de Max Weber et de la theorie du systeme d'action de Talcott Parsons. C'est sa volonte de reunir philosophie et sciences sociales par une theorie de la rationalite communicationnelle qui pousse Habermas a reinterpreter les classiques de la sociologie, comme it le fait du discours philosophique modeme. Au lieu de presenter l'action sociale par laquelle se manifeste la Raison, comme le fait Weber, par le biais des motivations et des orientations d'action d'un sujet individuel, comme la manifestation d'une rationalite par rapport a une fin et orientie par des valeurs, qui tient compte certes des valeurs collectives dans ('orientation de l'action individuelle, mais qui donne priorite a la Zweckrationalitat et qui par consequent reste prisormiere d'une rationalite teleologique et instrumentale, Habermas souligne 1' importance de se pencher sur les proces d'intercomprehension langagiere et d'entente communicationnelle. Selon Habermas, Weber voit juste dans sa comprehension et sa presentation du processus de rationalisation socio-culturelle de l'Occident, un processus qui ouvre le chemin a une domination de la rationalite instrumentale et a un desenchantement du

monde. Mais, comme Horkheimer et Adorno et leur Theorie critique et dialectique de la relation sujet / objet, comme Marx et Lukacs et leur concept deterministe de revolution proletarienne, une theorisation des actes langagiers d'individus qui souhaitent coordonner leurs plans d'actions et qui se referent a un monde vecu commun manque a la pensee de Weber : langage, consensus et monde vecu sont a la base des concepts d'agir conununicationnel et de rationalite communicationnelie, et ils sont absents de la theorie monologique et mentaliste du processus de rationalisation socio-culturelle occidentale presentee par Weber. La principale erreur de Weber, aux yeux de Habermas, est d'avoir fait de la rationalite par rapport a une fin le point d'aboutissement du processus de rationalisation socio-culturelle de 1' Occident, d'avoir adopte une perspective pessimiste face a ce processus en le presentant unilateralement et sans nuance corrune le desenchantement du monde provoquant perte de sens et de liberte et en n'ayant pas tenu compte de la liberation du potentiel de rationalite contenu dans le langage, une liberation rendue possible par ce passage des images metaphysico-religieuses du monde, propres aux societes pre-moderns, a des structures de conscience moderns. C'est par ce processus de rationalisation, cette mise en langage du consensus normatif assure par le sacra, ou comme dirait Durkheim ce passage d'une solidarite mecanique a une solidarite organique, qu'eclatent ces images metaphysicoreligieuses monolithiques en spheres de valeurs culturelles differencides et rendues accessibles pour une critique langagiere de la part des sujets en interactions_ Ce sont les spheres de valeurs du vrai, du bien et du beau, presentees par Habermas comme etant les spheres de valeurs cognitives-instrumentales, morales-pratiques et esthetiques-expressives. Weber a souligne cette differenciation, en la presentant comme l'apparition d'un polytheisme des valeurs, mais it a ignore les potentiels de critique normative (de la sphere de valeurs moralespratiques) et d'auto-critique subjective (de la sphere de valeurs esthetiques-expressives) liberes par cet eclatement des images metaphysico-religieuses des societes traditionnelles et mythiques, et it a fait de la rationalite cognitive-instrumentale et de l'action rationnelle par rapport a une fin le modele de rationalite hegemonique, incarne dans l'entreprise capitaliste et dans l'Etat bureaucratique moderne et provoquant perte de sens et de liberte.

2.2.3. Le concept d'agir communicationnel.

C'est ce pessimisme de Weber que Habermas veut &passer en proposant un modele de rationalite ou d'agir rationnel qui replace celui-ci dans son contexte interactionnel et langagier, darts lequel l'agir est soutnis a la critique, qui tient compte aussi des spheres de valeurs morales-pratiques (le monde social) et esthetiques-expressives (le monde subjectif), sousestimees par Weber. A l'orientation unilaterale des theories de ('action et de la rationalisation socio-culturelle de Weber vers la rationalite instrumentale et monologique, Habermas propose un modele communicationnel, ou consensuel, d'action et de rationalite :

« Si nous partons de l'application non-communicationnelle d'un savoir propositionnel dans des actions dirigees vers un objectif (...), nous sommes spontanement pones a privilegier le concept de la rationalize cognitive-instrumentale qui a forternent marque, a travers l'empirisme, l'autocomprehension du Moderne. Ce concept comporte les connotations d'une affirmation de soi qui serait couronnee de succes. Ce qui rend possible une telle auto-affirmation, c'est l'aptitude a disposer en connaissance de cause d'un environnement contingent, ainsi que l'adaptation intelligeme a cet environnement_ En revanche, si nous partons de !'application communicationnelle d'un savoir propositionnel dans des actes de langage, nous decidons spontanement en faveur d'un concept plus large de rationalite ( ..). Ce concept de rationalize communicationnelle comporte des connotations qui renvoient finalement a l'experience centrale de cette force sans violence du discours argumentatif. qui Dermet de realiser l'entsme et de susciter le consensus. C'est dans le discours argumematif que des participants differents surmontent la subjectivite initiale de leur conceptions, et s'assurent a la fois de ('unite du mond ob-ectif et d l'intersub'ectivite de leur cont xte de vi grace a la cortununaute de convictions rationnellement motivees. »23

On constate dans cet extrait que Habermas donne priorite au consensus arguments sur l'unite du monde objectif telle que vecue par des sujets qui reussissent a &passer la relativite de leurs perspectives particulieres. La distinction conceptuelle ainsi que la prise en consideration des relations effectives et concretes entre, d'une part, la rationalite instrumentale d'un sujet agissant dans un environnement contingent objectif et social, et d'autre part, Ia rationalite communicationnelle de sujets coordonnant leurs actions par l'echange d'arguments en vue d'un consensus, cette distinction et cette prise en consideration sont centrales dans Ia theorie de l'agir communicationnel de Habermas. D'une maniere semblable a la difference entre un systeme et son environnement sur laquelle repose toute la theorie de Luhmann, Habermas tient compte de la relation d'un sujet a un environnement duquel it preserve son independance et son pouvoir d'action, mais il est clair que sa theorie de l'agir

25 Op. cit., HABERMAS, 1987, 1, p.27.

communicationnel a comme telos la realisation du consensus entre des sujets en interaction. Cet autre passage tire du premier tome de La theorie de l'agir communicationnel montre bien cette distinction conceptuelle importante et constitutive de la perspective et de l'orientation theorique de Habermas:

« Plus grande (...) est la mesure de rationalite instrumentale incorporde dans l'action, et plus grande est pour les sujets qui agissent en vue d'un objectif l'independance a regard des limitations qu'impose a leur auto-affirmation l'enNironnement contingent. Plus grande est la mesure de rationalite communicationnelle et plus large est, a l'interieur d'une communaute de communication, la marge de jeu qui permet la coordination non-violente des actions et la conciliation des conffits par un consensus (...). » 26

La conciliation consensuelle des conflits actuels et potentiels entre des acteurs en communaute de communication (l'unite intersubjective selon Husserl, ou le systeme selon Luhmann), des conflits concernant la coordination de leurs plans d'action dans un monde objectif contingent reconnu intersubjectivement, voila l'interet emancipateur que sat l'agir communicationnel comme depassement d'une rationalite unilateralement instrumentale et servant un interet technique et strateeique. C'est sur ce concept d'agir communicationnel que nous allons maintenant nous pencher, ceci pour mieux comprendre le processus langagier par lequel les sujets d'interactions etablissent des consensus.

Les sources theoriques auxquelles se refire Habermas pour elaborer son modele de rationalite communicationnelle sont nombreuses : it se refere a la theorie de la communication de G. 1-1. Mead pour presenter l'ontogenese du consensus sur le symbole linguistique et la norme, base de la communication et de l'agir communicationnel; it effectue aussi un detour par la theorie de la solidarite sociale de Durkheim pour montrer cette fois la phylogenese de

communicationnel, qui permet le passage d'une conscience collective mecanique et sacree a une conscience collective profane differenciee et rendue accessible a la critique langagiere, a un agir communicationnel; et it fait egalement reference a la pragmatique formelle de L. J. Wittgenstein et a la theorie des speech acts ou acres langagiers de J. L. Austin pour sa theorisation du contexte langagier et argumentatif dans lequel Habermas reinsere le concept de rationalite.

Le modele d'agir rationnel que presente Habermas inclut et reunit un agir teleologique (ou cognitif-instrumental) oriente vers un monde objectif dont les objets sont des etats de choses existants, un agir regule par des normes (ou moral-pratique) oriente vers un monde social dont les objets sont non pas des etats de choses existants, mais des normes; et un agir dramaturgique (ou esthetique-expressif) oriente vers un monde subjectif compose d'experiences vecues subjectives (Habermas se refere ici a Husserl et a Wittgenstein), auxquelles l'individu en action a un acces privilegid, et oriente vers un public compose des autres participants de l'interaction et face auquel l'agir dramaturgique se presente comme une performance. L'agir regule par des normes est toujours aussi un agir oriente vers le monde objectif, et l'agir dramaturgique est toujours aussi un agir teleologique et normatif, toute performance d'un individu en interaction s'inscrivant toujours dans et etant toujours Oriente vers tin monde objectif d'etats de choses existants et un monde ou un contexte normatif. Ces trois types d'agir rationnel s'inscrivent toujours dans tin contexte interactionnel (la base du contexte social dans lequel Habermas veut replacer le concept de rationalite), un contexte qui permet tine critique langagiere et argumentative des pretensions a la validate qui accompagnent l'action langagiere et qui sont defendues par des arguments par le sujet qui agit. Dans le cas de l'agir teleologique a la base de toute action sociale, les participants a. l' interaction soumettent a la critique les opinions et les intentions de l'individu en action selon des criteres de verite et d'efticacire. Le sujet qui agit alors et dont l'action est soumise a la critique est le sujet epistemique. L'agir teleologique est un ache locutoire, par lequel le sujet dit quelque chose sur des etats de choses objectifs (Habermas se base ici sur la theorie des speech acts de J. L. Austin). Lorsque l'on met l'accent sur le contexte normatif dans lequel s'inscrit l'action, les participants a. l'interaction soumettent a la critique argumentative la justesse normative des maximes et devoirs auxquels se rapporte le sujet en action et soumettent aussi a. la critique, si necessaire, la legitimate de la norme elle-meme qui oriente l'action de l'individu. Celui-ci est alors nomme le sujet pratique de l'action. L'agir regule par des normes, selon Austin et Habermas, est un ache illocutoire, par lequel l'individu agissant, en plus de dire quelque chose stir le monde objectif, fait quelque chose dans un contexte normatif. Finalement, les participants a l'interaction soumettront aussi a la critique la veracite et l'authenticite des souhaits et des sentiments qui constituent le monde subjectif ou interieur de l'individu en action et auxquels it se refere en Lain que sujet pathique. L'agir

dramaturgique est un acre perlocutoire, par lequel le sujet en action vise a produire un effet chez ses auditeurs, it veut les convaincre de la validite objective, normative et subjective de son action langagiere.

Le modele weberien de la Zweckrationalitat, de ['action rationnelle par rapport a une fin comme unique resultat du processus de rationalisation occidentale, se voit &passe par un modele de rationalite qui laisse place a la critique d'actions aux pretentions de rationalite, d'actions non pas seulement teleologiques et instrumentales, mail d'actions qui tiennent compte du contexte normatif dans lequel cites s'inscrivent inevitablement et des experiences vecues du sujet qui agit et auxquelles le sujet se refere avant d'agir, une critique avec une visee consensuelle et qui a pour but la determination de situations d'actions. L'agir d'un individu, lors d' une interaction, est communicationnel lorsque les participants a cette interaction s'entendent sur la validite de l'acte dans son orientation vers les trois mondes : objectif, social et subjectif. En fait, l'agir communicationnel est un agir Oriente vers une fin a sa base, sauf qu'i1 s'inscrit dans un contexte d' interactions dans lequel des actions finalisees sont coordonnees par Fintercomprehension et ['entente langagieres : ['aspect teleologique et ['aspect communicationnel de Faction, ou comme Habermas les nommait darts ses premiers ouvraees, le travail et l' interaction, ne doivent pas etre envisages l'un sans l'autre.

2.2.4. Le concept de monde vecu

Cette critique de ['action d'un sujet par les participants de ['interaction sociale dans laquelle cette action s'inscrit, ce contexte de communication dans lequel on tente de faire consensus sur la verite, l'efficacite, la justesse normative, la veracite et Fauthenticite des pretentions a la validite d'un sujet en action, it reste incomplet sans la comprehension du concept de monde vecu, que Habermas emprunte a la tradition phenomenologique de Husserl et a la sociologie de A. Schatz et T. Luclanann. Nous verrons plus loin que ce concept de monde vecu, Habermas l'oppose au concept de systerne partage par Parsons et Luhmann. Le monde vecu, tel qu'envisage par Habermas se basant sur Husserl, est ['ensemble des horizons de signification auxquels se referent les individus lors d' interactions, un ensemble qui ne forme qu'un horizon dans lequel le sujet se &place. 11 est une reserve commune de savoir

pre-langagier, pre-reflexif et pre-theorique, non critique et non problematique, latent et opaque, une reserve d'arriere-plan de certitudes et de convictions reappropriables, modifiables et critiquables uniquement par le biais du langage et dans le cadre de situations d'action quotidiennes dans lesquelles des acteurs tentent de s'entendre sur les elements des mondes objectif, social et subjectif pour coordonner leurs plans d'actions. Chaque situation d'action represente un decoupage dans la symbolique du monde vecu, ceci dependant du theme aborde lors de 1' interaction et dependant des elements des trois mondes. Ce decoupage thematique du monde vecu se retrecira, s'elargira ou se deplacera en fonction de la direction thematique que va prendre l'interaction, et le monde vecu changera dans certaines parties de ses structures en fonction des remises en question que peut necessiter le contact du monde vecu des acteurs avec la realite concrete des trois mondes_ C'est lors de situations interactionnelles quotidiennes dans lesquelles des acteurs veulent coordonner des plans d'actions vers des objectifs individuels ou collectifs que leur monde vecu partage est reproduit ou est modifie par une critique langagiere. Chaque individu est situe dans un espace social et historique et traine avec lui le monde vecu qu'il partage avec d'autres, ses contemporains ou les participants de ses interactions passees, et qu'il se reapproprie dans une proportion relative lors de situations d' actions. Le monde vecu est donc historique, et pour cette raison Habermas insiste stir r importance de rapport theorique de rherrneneutique philosophique de Gadamer pour supporter sa theorie de l'agir communicationnel et du monde vecu, comme it insiste stir les ecrits de Mead, Austin et Wittgenstein pour comprendre le monde vecu dans sa synchronie, a travers r intercomprehension langagiere et l' interaction.

Comme je rai mentionne, Habermas se base sur la phenomenologie de Husserl et stir la sociologic de Schatz et Luckmann pour montrer la pertinence du concept de monde vecu dans sa theorie de l'agir conununicationnel. Mais, comme it l'a fait avec la Theorie critique de Horlcheimer et Adorno, avec la theorie de la rationalisation socio-culturelle de Weber, comme it r a fait aussi, nous le verrons, avec la theorie parsonienne du systeme de ('action, Habermas emploie une approche dialectique, it souhaite depasser et combler les insuffisances de la phenomenologie husserlienne, de la sociologie phenomenologique de Schatz et Luckmann et de la theorie des systemes de Luhmann en proposant son concept d'agir communicationnel dans le cadre d' interactions pour ainsi solutionner le probleme de l' intersubjectivite du monde

vecu (un probleme, selon Habermas, non resolu par Husserl et son concept de monde vecu transcendantal) et en insistant sur la presence des trois composantes du monde vecu, soit la culture, la societe et la personnalite pour &passer la notion de monde vecu de Schutz et Luckmann qu'il juge culturaliste (comme it juge les theories durkheimiennes et parsoniennes trop orientees vers la composante societe et l'interactionnisme symbolique de Mead unilateralement orients vers la composante personnalite).

Un long chapitre est consacre a cette revision du concept de monde vecu par laquelle Habermas souligne l'importance de ramener le monde vecu de son transcendantalisme husserlien vers sa reappropriation quotidienne, profane et langagiere par les individus en interaction, ainsi que l'inevitable presence comme composantes du monde vecu, en plus de la fonction semantique d' intercomprehension par transmission du savoir culturel, des fonctions de coordination de l'action par l'integration sociale et de socialisation par la formation d' identites personnelles. Ces trois composantes du monde vecu, soit la culture, la societe et la personnalite, aussi importantes les unes que les autres, peuvent etre comprises comme ses trois dimensions : la dimension semantique des traditions culturelles, la dimension de l'espace social incluant des groupes socialement integres et la dimension historique assurant la succession des generations. Ces trois composantes du monde vecu se manifestent concretement par la presence de schemas d'interpretation de situations d'actions (la culture), d'appartenances sociales et de reglementations institutionnelles (la societe) et de structures de la personnalite. On constate que les composantes societe et personnalite, tout en faisant partie du monde vecu, constituent les mondes social et subjectif des situations d'actions dans lesquelles agissent et performent les acteurs, elles ont un double statut : celui de composantes du monde vecu et celui d'elements social ou subjectif des situations concretes d'interactions. Les schemas d' interpretations offerts par la culture sont reappropriables lors de situations d'actions (comme la societe et la personnalite sont des ressources accessibles), mais ne constituent pas des elements concrets immediatement presents dans ces situations d'actions. Cette possibilite de reappropriation et de critique langagiere des composantes du monde vecu Tors de situations interactionnelles permet a Habermas de qualifier le monde vecu comme etant quasi-transcendantal. Quanta lui, le monde objectif represente le substrat materiel du monde vecu, face auquel I'agir prend une forme teleologique et finalisee. C'est dans le monde

objectif qu'au fil du processus de rationalisation socio-culturelle, du processus de rationalisation du monde vecu, se forment des systemes d'action autonomes, ceux de l'economie capitaliste et de 1'Etat modern bureaucratique et technocratique, en processus de disjonction avec le monde vecu, selon Habermas.

2.2.5. La disjonction entre systeme et monde vecu.

Cette possibilite qu'ont les acteurs sociaux de critiquer et de modifier le savoir pre-reflexif du monde vecu collectif et historique dans le cadre de situations interactionnelles, elle est Liberec par le processus de rationalisation du monde Veal (d'abord saisi d'un point de vue pessimiste par Weber et d'un point de vue utopique et deterministe par Marx - et ces deux auteurs n'employant pas l'expression monde vecu) faisant passer des images mitaphysicoreligieuses, propres aux societes archaiques et traditionnelles et dans lesquelles le monde vecu est reproduit integralement par le langage a travers le mythe et la transmission des traditions (sans etre critique), aux structures de consciences modernes dans lesquelles la differentiation des spheres de valeurs cognitives-instrtunentales, morales-pratiques et esthetiques-expressives, des mondes objectif, social (societe) et subjectif (personnalite), permettent cette reappropriation critique du monde vecu. Ce processus de rationalisation du monde vecu se fait au niveau de ses trois composantes, c'est-i-dire celui de sa reproduction symbolique (culture, societe et personnalite), comrne au niveau de son substrat materiel (le monde objectif des situations d'actions). Schemas d' interpretations culturelles, appurtenances, identites et normes sociales, structures de la personnalite ainsi que les activites economiques et politiques, disons la culture, la societe, la personnalite et le substrat materiel economique et politique du monde vecu, se differencient progressivement dans le passage des societes mythiques et traditionnelles aux societes modernes. C'est ce que Habermas appelle la disjunction entre systeme et monde vecu, entre l'activite finalisee et instrumentale rendue autonome et etant necessaire a ('auto-reproduction de I'Homme, et les fonctions d'intercomprehension, de coordination de l'action et de socialisation remplies par les composantes du monde vecu a travers le consensus langa2ier. La reproduction du monde vecu se realise a deux niveaux : it y a reproduction symbolique par l'intercomprehension langagiere et it y a reproduction materielle par l'activite rationnelle orientee par une fin. Cette derniere dolt combler les

exigences de survie que rencontrent les individus et les collectivites, par le biais de l'economie et de l'organisation politique. Dans le cadre du processus de rationalisation du monde vecu, cette reproduction materielle passe progressivement et relativement d'une economie de subsistance (societes archaiques et mythiques de chasseurs et cueilleurs, societes traditionnelles et agricoles) a une economie de plus en plus differenciee des schemas d' interpretations culturelles, des identites sociales et individuelles, axee sur le travail salarie separe de la vie domestique, sur la production de masse et stir l'accumulation du capital. Elle passe egalement d'une organisation politique basee stir la parente et la descendance a une organisation politique etatique et autonome par rapport au monde vecu, reposant sur l'autorite de fonction. Plus le processus de rationalisation du monde vecu progresse, plus sa reproduction materielle se complexifie et necessite du meme coup l'instauration de mediums reg,ulateurs comme ['argent et le pouvoir pour remplacer le langage qui ne suffit plus a la coordination des actions. Bien stir, le langage reste le support de la communication, mais it se soumet progressivement aux mediums que sont l'argent et le pouvoir. Habermas ne s'insurge pas contre ce processus de rationalisation du monde vecu, car celui-ci permet la differenciation des trois composantes du monde vecu et les rend ainsi disponibles et accessibles a une evaluation et tine reproduction critiques par le langage, par les arguments et la volonte des acteurs sociaux. II ne s'insurge pas non plus contre le processus de disjonction progressive entre systeme et monde vecu qui accompagne le processus de rationalisation, cette disjonction etant necessaire pour mieux gerer la complexite croissante de la reproduction materielle des societes modernes naissantes et des societes contemporaines_ Ce contre quoi Habermas dresse et oppose ses concepts de rationalite et d'agir conununicatiormels, c'est ce qu'il appelle la colonisation du monde vecu par les imperatili fonctionnels du systeme, Ia soumission de ['integration sociale comme type d'integration de la societe tenant compte des orientations d'action coordonnees par le langage, a l'integration systemique qui ne tient compte que des effets des actions dans tin systeme autonomise par rapport au monde vecu; ce qu'il decrit comme les paradoxes d'un processus de rationalisation du monde vecu qui, tout en permettant Ia mise en langage du monde vecu des acteurs sociaux et son accessibilite pour la critique par la differenciation de ses composantes, provoque aussi le rejet du monde vecu en marge du systeme, sa colonisation par des imperatifs fonctionnels qui transforment culture, societe et personnalite en des realites objectivees et instrtunentalisees, manipulables par les sciences

empirico-analytiques et de plus en plus soustraites aux sciences historico-hertneneutiques et praxeologiques (des sciences praxdologiques remplacees par le concept d'agir communicationnel dans la theorie de l'agir communicationnel).

12.6. Le concept de societe a deux niveaux.

Les imperatifs fonctionnels et systemiques des societes modemes ainsi que les composantes du monde vecu assurant les fonctions d'imercomprehension, d'integration sociale et de socialisation doivent etre inclus dans un meme concept de societe pour ainsi eNiter de saisir et de presenter unilateralement les societes modernes comme une realite sociale completement soumise aux systemes formes par les effets des actions qui s'y deroulent, ou comme une realite sociale qui ne depend que de la volonte et des motivations d'acteurs sociaux inscrits dans un monde vecu, negligeant ainsi les systemes autonomes independants du monde vecu et rendus necessaires dans les societes modemes complexes. C'est un concept de societe a deux niveaux que Habermas propose, incluant systeme et monde vecu ainsi qu' une theorisation du processus de disjonction progressive et necessaire entre ceux-ci, le processus qui anime le passage des societes mythiques et tribales, d'abord egalitaires et ensuite hierarchisees, aux societes traditionnelles de haut niveau culturel et stratifides en classes politiques, sujettes d'un Etat souverain, jusqu'aux societes modemes constitudes de classes economiques et soumises a un Etat technocratique. Dans les societes mythiques, les trois types de pretentions a la validite (se rapportant aux mondes objectif, social et subjectif, aux agirs teleologique, normatif et drarnaturgique), de meme que les trois composantes du monde vecu (culture, societe et personnalite), forment un tout monolithique preserve par le mythe constamment reactualise et reproduit par une pratique rituelle et par des interactions quotidiennes elles aussi fortement ritualisees. Le monde vecu n'est pas disponible pour une critique langagiere. Quant a elle, l'integration des effets des actions (l'integration systemique) se veut transparente et latente, elle est parasitaire a l'integation sociale en ce sens qu'elle ne repousse pas le monde vecu a sa marge, elle est soumise a la reproduction rituelle d'un monde vecu monolithique. Les debuts du processus de detachement entre systeme et monde vecu (entre integration systemique et integration sociale) et de differenciation des composantes du monde vecu (de mise en langage du sacre dirait Durkheim) s'effectuent dans le passage des

societes tribales hierarchisees par le prestige accorde aux differentes descendances vers les societes dont l'organisation politique n'est plus celle du syskme de parente, mais celle d'un Etat souverain differencie des structures genealogiques et auquel des classes politiques stratifiees sont relives inegalement selon leur pouvoir d'action politico-economique. C'est durant cette periode que des systemes d'action autonomes et fonctionnellement specifies commencent a se former et a se differencier du monde vecu des groupes et acteurs sociaux, du systeme de parente comme integration systemique latente et transparente dans 1' integration sociale, d'abord une differenciation du systeme politique par la formation d'un Etat souverain, et progressivement celle d'un systeme economique capitaliste sous forme de marche stabilisateur des rapports de classes_ Les mediums de regulation du systeme que sont l'argent et le pouvoir sont suffisamment differencies, developpes et etendus dans les societes de classes economiques, modernes et complexes, pour pouvoir compenser la lourdeur inherente I 'intercomprehension langagiere dans les relations politiques et economiques entre acteurs sociaux (groupes ou individus). Parallelement a ce processus de differenciation et d'autonomisation par rapport au monde vecu de l'organisation politique etatique et du marche economique capitaliste, les composantes du monde vecu et les spheres de valeurs (cognitivesinstrumentales, morales-pratiques et esthetiques-expressives) se differencient elks aussi les ones par rapport aux autres et permettent la reappropriation langagiere et critique du monde vecu et ('apparition de formes generalisees de communication qui se cristallisent autour des spheres de valeurs differenciees et reposant sur des savoirs soit cognitifs-instrumentaux (les savoirs scientifique et technique), soit moraux-pratiques (les savoirs juridique, ethique, religieux) ou soit esthetiques-expressifs (les arts), des formes generalisees de la communication qui deviendront plus faciles d'acces par le developpement d'un espace public diargi grace aux technologies de communication que sont l'ecriture, la presse, les medias electroniques. On constate done, comme Habermas, que dans ce long passage des societes mythiques et tribales aux societes modernes, complexes, stratifides economiquement et dont les acteurs sociaux sont sujets, ou plutilt clients d'un Etat de plus en plus technocratique, dans le long processus de modernisation des societes occidentales, des paradoxes s'installent entre, d'un part, les imperatifs systamiques et fonctionnels, ceux des syskmes autonomes de

econoinie capitaliste et de l'Etat administratif et technocratique avec leurs mediums de regulation respectifs (l'argent et le pouvoir), necessaires a la reproduction materielle du monde

vecu, et d'autre part, les fonctions d'intercomprehension, d'integration sociale et de socialisation assurees par les trois composantes differencides du monde vecu et accessibles une reappropriation et a une reproduction langagieres et critiques dans le cadre de formes generalisees de la communication et d'espaces publics. En d'autres termes, tine technocratie et ses imperatifs fonctionnels colonisent une democratic d'acteurs sociaux souhaitant s'entendre pour coordonner leurs actions, tine colonisation systemique qui envahit progressivement le monde vecu en imposant ses mediums que sont l'argent et le pouvoir aux communications langagieres, en substituant progressivement et dans une certain mesure ses codes pre-langagiers et pre-critiques, les pretentions nominales de ces mediums, aux pretentions a la validite critiquables de celui qui s'exprime par le langage. Au lieu de se completer sous l'instance d'un droit et d'une morale etablis communicationnellement, systeme et monde vecu sont en lutte dans nos societes contemporaines.

Cette necessite d'un concept de societe a deux niveaux, Habermas n'est pas le seul a en avoir senti l'urgence au sein de la theorie sociologique. C'est un concept semblable que propose Talcott Parsons dans sa theorie du systeme d'action. Parsons tentera de conserver l' heritage neo-kantien de la theorie weberienne en incluant dans sa theorie les orientations d'actions selon des valeurs, en faisant dependre l'action sociale du sujet, certes, des imperatifs fonctionnels du systeme politique (le systeme des buts que se fixe la personnalite) et du systeme de la communaute societale (la societe) dans leur relation au monde ambiant (par le biais du systeme economique), mais aussi des modeles culturels; en faisant dependre, dans sa hierarchie de controle comme reappropriation de l'idee vveberienne d'effectuation des valeurs, les systemes economique (le monde ambiant), politique (la personnalite) et de la communaute societale (la societe) de la culture, plus riche en quantite d'informations susceptibles d'orienter l'action. Dans le premiere version de sa theorie, la composante culturelle du monde vecu ne prend pas encore la forme d'un system autonome au meme titre que le monde ambiant comme systeme economique, la personnalite comme systeme politique et la societe comme systeme de la communaute societale. Parsons tient toujours compte du monde vecu qu'il identifie a la culture et ses modeles d'interpretations, meme s'il systematise les composantes societe et personnalite; systeme et monde vecu ne sont pas assimiles totalement l'un a l'autre, comme le souhaite Habermas. Mais la version finale de sa theorie du systeme d'action fait du

monde vecu un systeme autonome, le systeme culturel, mix cotes des systemes societal, politique et economique; it reduit l'importance de sa hierarchie de controle et fait de la culture (ce qui restait du monde vecu encore non systematise dans sa theorie) un systeme comme les autres. Selon Habermas, la theorie du systeme d'action sociale de Talcott Parsons ne permet pas, elle non plus, de se distancer de la relation monologique et prelangagiere d'un sujet en action avec ['objet de son action. Parsons aura compris ['importance de systematiser la theorie weberienne de ['action pour ainsi la rendre plus apte a saisir les contextes autonomes et systemiques typiques des societes modernes, il aura compris ['importance de faire appel a une theorie des systemes (comme Luhmann apres lui) pour saisir la complexite des societes modemes et des systemes d'actions autonomes qui s'y developpent, mais une comprehension de la societe par une theorie systemique ne peut etre etendue, selon Habermas, a celle de la culture et de la personnalite du sujet qui agit. La composante societe du monde vecu peut etre systematisee, la necessite des systemes sociaux autonomes darts les societes modemes complexes ['obligeant, mais la culture, la societe et la personnalite forment, selon Habermas, les trois composantes inseparables du monde vecu auxquelles les acteurs sociaux se referent comme a une totalite lorsqu'ils interagissent, trois composantes qui soot reappropriees par les sujets a travers le langage lors d'interactions. Effectivement, la complexite des societes modemes necessite l'autonomisation de mediums de communication, tels ['argent et le pouvoir, la systematisation d'interactions de certains types, tels l'economie, la politique, la science, mais le processus de socialisation a la base de [a formation de la personnalite de l'individu et la presence de modeles et de valeurs culturelles desquels dependent les normes sociales et les identites sociales orientant l'action ne peuvent s'autonomiser en systemes autonomes sans creer des pathologies sociales et restent dependants du langage et de la volonte des acteurs sociaux.

CHAPITRE III

LES RECENTS DEVELOPPEMENTS DE LA POLEMIQUE ENTRE LUHMANN ET
HABERMAS CONCERNANT LE MONDE VECU

Ces presentations idiosyncratiques de la theorie des systemes et de la theorie de l'agir communicationnel etant realisees, voici maintenant une presentation des recents developpements du debat entre Luhmann et Habermas sur le monde vecu intersubjectif Mon objectif est d'identifier dans leurs traits les plus generaux les divergences entre les pensees des deux sociologues sur l'intersubjectivite du monde vecu, sans aucune intention d'exhaustivite de ma part. Il s'agit davantage d'une etude exploratoire que d'une analyse detaillee.

Je debate cette troisieme section avec la presentation de trois modeles cornmentes imageant les structures et la conception du monde vecu telles qu'envisagees par Husserl. Luhmann et Habermas, question de se rappeler les grandes lignes de ce qui a ete vu jusqu'a present. Darts les deux derniers modeles, les elements de celui imageant le monde-de-la-vie intersubjectif husserlien seront presents, ceci pour montrer comment Luhmann et Habermas se reapproprient cbacun la pensee de Husserl. Sur la base de ces trois modeles, la presentation de la polemique entre Luhmann et sa theorie des systemes et Habermas et sa theorie de l'agir communicationnel suivra.

3.1. Les trois modeles : Husserl et l'intersubjectivite du monde-de-la-vie. Luhmann et le systeme comme perspective auto-referentielle dans et sur le monde vecu (la societe), Habermas et I'agir communicationnel comme notion complementaire au concept de monde vecu

L'intersubjectivite du monde-de-la-vie selon Husserl.

Unites intersubiectives, dans la
communautie universelle des monades

synthes/ empathie

co-validante ilerBans

Monde obiectif dans Experience d'autrui

on nature intersubiective comme corps asvcbo-obvsioue

intende viva ou monde-de-la-vie) et comme ce mai m'est etramer

Perception \dansir Perception

et synthese et synthese

primordiales Vecus de conscience primordiales

temnorels de Pito

Quatre elements principaux sont presents dans ce modele du monde-de-la-vie husserlien : le vecu de conscience temporel (le temps : souvenirs, retentions et protentions des vecus) comme intuition originaire et primordiale dans lequel est constitude l'experience du monde des choses et des autres, l'experience d'autrui comme corps psycho-physique et comme conscience etrangere, ['unite intersubjective au sein d'une communaute universelle rendues possibles par l'empathie (intersubjectivite), et la constitution intersubjective synthetique et co-validante du monde objectif compris comme nature intersubjective (le monde-de-la-vie, le monde vecu). Voyons maintenant comment Luhmann et Habermas se reapproprient ce modele husserlien :

Luhmann et la theorie des systemes comme perspectives auto-referentielles
dans et sur le monde vecu Oa societe) (egalement dans et sur l'environnement).

intersubjectivite (systems sociatrc)

Environnement (meaning incluant Sys. soc. et psy.)

ension factuelle du sens 1 monde otectif 111.1 (Societe (monde vieulDimensimaccjitle_du sgui J Amenytisckti t4 I

4im

0 A * Dimension temporelle du sens ] temps 4_1

Auto-reference, autopoiesis, difference.

/ 1

I

I

I 1 I 1

I t

I 0.

Oreanisiitions

Dimension factuelle du seas monde objectif 4-, socie du sens 1 intersubjectmte ension temporelle flu set'srumps 4-1

Vecus de I Svstimes psychiques conscience

'

ension sociale ciu sens-) intersubjectivad

elision temporelfe llit sensTtemps

4-,
4-1

, ,

lAtito-rd), CpTmunication. interpenetration_ auto-reference,

lautoporesN : putopoiasis, difference.

t 1 i

%difference \

1 % 1 Tt

l %1 Dimension factuelle du sensj monde objectif .4-,

.

\ Inractions Writhiension sociale au sendintasth*tivite .

1 ,

\
·4 , 4

, Dimension temporelle-diz sensTemps

\ ,

...._ . ,

Communication, interpenetration, auto-reference,

.....

1 iii

s autclkoiesis, difference.

. ,

., ,

r. `r 10 i ension factuelle du sens] monde objeettf

II g II i

* = La difference de perspective entre les systems, et qui peut toujours persister darts intersubjectivite d'un system.

**

= Communication (interpenetration) entre les systemes organisationnels et entre

les systems interactionnels; auto-reference, autopoiese et differenciation

de chaque systeme organisationnel et de chaque systeme interactionnel lots de la

communication; auto-reference, autopotese et differenciation du systeme organisationnel et du systeme interactionnel tors de la communication.

Dans ce premier modele, celui imageant la conception du monde vecu intersubjectif par Luhrnann, on remarque la presence des trois types de systemes sociaux, c'est-a-dire les systemes interactionnels, organisationnels et societal, nous remarquons aussi les systemes psychiques qui en sont differencies, ainsi que l'environnement qui inclut les systemes sociaux et les systemes psychiques. Cet environnement, dont les elements sont des significations

comme vecus de conscience (les systemes psychiques) et des significations communiquees (les systemes sociaux), inclut des systemes sociaux qui assurent leur auto-reproduction et leur difference lors de la communication d'informations selectionnees et signifiantes.

Ces communications sont representees par les fleches pointillees. Elles sont pointillees pour representer l'auto-reference (accompagnant la reference a l'environnement) et l'autoreproduction qui se produisent tors de la communication et la double contingence des possibilites de communication, les aspects auto-referentiel, autopoietique et contingent de la communication. C'est la fermeture du systeme accompagnant son ouverture communicative a l'environnement immediat ou a l'environnement societal complexe et contingent. Certaines fleches sont a double sens, d'autres sont a sens unique. Les premieres, celles rejoignant et representant la communication entre les systemes psychiques et les systemes interactionnels, celles rejoignant les systemes psychiques et les systemes organisationnels et celles rejoignant les systemes interactionnels et les systemes organisationnels, sont a double sens parce que les systemes psychiques, interactionnels et organisationnels peuvent realiser des interpenetrations avec d'autres systemes psychiques, interactionnels ou organisationnels, c'est-i-dire communiquer entre eux et donc agir sur l'environnement, l'observer (les actions qu' it inclut) et le decrire (decrire les communications qui s'y deroulent, ceci dans une relative mesure), et par le fait meme s'auto-reproduire et preserver leurs differences par l'auto-reference dans la communication. De plus, les types de systemes sociaux peuvent s'auto-observer, s'autodecrire et agir sur leur propre complexite (ce que signifient les plus petites fleches accompagnees d'asterisques, en plus de signifier les communications entre systemes de meme type). La double fleche pointillee represente la dependance des systemes interactionnels a la presence de systemes psychiques pour prendre forme. Quant aux fleches pointillees a sens unique rejoignant les systemes psychiques, les systemes interactionnels et les systemes organisationnels au systeme societal, elles representent la reference a l'environnement societal (au monde vecu) qui peut accompagner l'auto-reference du systeme lors de la communication (en plus de la possibilite de reference a l'environnement immediat), et elles representent aussi l'impossibilite pour le systeme societal de communiquer dans son environnement car it est la communication, ii est l'ensemble des possibilites de communication, it n'a donc aucun systeme exterieur a lui avec lequel it pourrait communiquer par des significations. Les

relations qu'il entretient avec les systemes organiques et la nature en general se font par la perception realisee par le systeme psychique, non pas par la communication de signification_ Le systeme societal est auto-referentiel et autopoietique puisqu'il assure la reproduction des communications qu'il inclut, mais it est davantage un environnement interne contingent de systemes sociaux qu'un systeme reproduisant tine fonction et tin code particuliers, ce qu'il reproduit est la communication tout court Le systeme societal, ou la societe clans sa totalite, est concu par Luhmann comme etant le monde vecu (lifeworld) qu'on ne petit observer et decrire que d' tine perspective systemique particullere et auto-referentielle. Quail/ a eux, les quatre grouper de fleches pleines representent les trois dimensions de sens propres a chaque systeme : les dimensions factuelle, sociale et temporelle. J'accompagne chaque type de systeme social et les systemes psychiques d'une tri-dimensionnalite du sens particuliere parce que les systemes psychiques, interactionnels, organisationnels et societal constituent des types de systeme auto-referentiels et relativement fermes possedant leurs propres dimensions du sens aux complexites differentes. Chaque dimension est separde des deux autres par tin trait pointille et rejointe aux autres par des fleches pointillees pour signifier l' independance de chaque dimension par rapport aux deux autres, une independance de chaque dimension accompagnee par leurs interrelations.

Les quatre elements du modele representant le monde vecu intersubjectif theorise par Musser' sont presents dans le modele de la theorie de Luhmann : l'intersubjectivite correspond aux trois types de systemes sociaux (la dimension sociale du sens des systemes sociaux et des systemes psychiques representent alors la difference de perspective qui peat toujours persister meme tors de la formation d'un systeme social), les vecus de conscience correspondent aux systemes psychiques, le monde objectif a la dimension factuelle du sens et le temps a la dimension temporelle du sens. Nous verrons plus loin comment Luhmann concoit l'intersubjectivite du monde vecu, une conception que nous comparerons a celle de Habermas.

Habermas et le monde vecu comme notion complementaire a mile de
l'agir communicationnel.

Vecus de conscience Intersubjectivite

Composantes , svmboliques

du monde vecu

Personnalite Societe 411---110. Culture tersubjectivite


·


·

Situations
d'actions

Mon_ de subjectif 4-- Monde social 4-Monde obiecti)11

Agir Agir t Substrat materiel

communicationnel communicationnel du monde vecu,

intersub'ectivne intersub'ecti VI s-ys_ economtque

Apr comnnimcancame
[intersubjectivite]

et politique) /Monde

objectif

Dans ce modele, on retrouve les trois composantes du monde vecu telles que decrites par Habermas, c'est-a-dire la culture comme ensemble des schemas d'interpretations du monde, la societe comme ensemble des appartenances sociales et des reglementations institutionnelles, et les structures de la personnalite rendues possibles par le processus historique et generationnel de socialisation. Nous retrouvons aussi dans ce modele les trois mondes auxquels les sujets qui agissent et coordonnent par le langage leurs plans d'actions se referent lors de situations concretes d'actions, c'est-a-dire le monde objectif des etats de choses existants sur lequel l'individu a des opinions et des intentions, le monde social des normes a partir desquelles le sujet se donne des maximes et des devoirs, et le monde subjectif des experiences vecues, c'est-i-dire les souhaits et les sentiments, auquel l'individu a un acces privilegie. Insistons tout de suite sur les fleches pleines rejoignant les trois mondes les uns aux autres. Elles representent le consensus que recherchent des sujets en interactions tentant de coordonner leurs plans d'actions dans le monde par la critique des trois pretentions a la validite (verite et efficacite, justesse normative et legitimite de la norme, veracite et authenticite) elevees dans des actes de langages (speech acts) par chacun des sujets de l'interaction. 11 s'agit de l'agir communicationnel permettant d'atteindre le consensus, sans

violence et sans contrainte, sur les elements des trois mondes presents darts la situation d'action, avec l'intention de coordonner des plans d'action. Neuf fleches rejoignent les trois mondes de la situation d'action aux trois composantes du monde vecu, deux sont doubles, quatre sont simples et trois sont pointillees. Les neuf representent les renvois au monde vecu des sujets en interaction par ceux-ci lorsqu'un ou des elements d'un des mondes de la situation d'action est ou sont concerne(s) et discute(s). Les deux premieres, les fleches doubles, representent le double statut des composantes personnalite et societe du monde vecu des acteurs, un statut de composante du monde vecu et un statut de monde d' une situation d'action. Un renvoi direct est possible du monde social vers la composante societe et du monde subjectif vers la composante persannalite. Les quatre fleches simples representent la possibilite de renvoi a partir du monde subjectif des souhaits et sentiments d'un sujet en situation d'action vers la composante societe incluant les appartenances sociales et les reglementations institutionnelles, la possibilite de renvoi a partir du monde social des normes de la situation d'action vers les structures de la personnalite socialisee, et les possibilites de renvois a partir du monde objectif des etas de choses existants de la situation d'action vers les appartenances sociales et reglementations institutionnelles de la composante societe du monde vecu et vers sa composante personnalite. Les trois dernieres fleches, celles pointillees, representent les schemas d'interpretations du monde qu'offre la composante culture lors de situations d'actions. Elles sont pointillees pour signifier que ces schemas ne sont pas presents concretement dans les situations d'action dans lesquelles les acteurs se trouvent, on y a acces a travers leur incarnation dans les normes concretes d'actions du monde social (doubles fleches pointillees) et par le biais des composantes societe et personnalite du monde vecu. Finalement, les quatre elements du modele imageant l'intersubjectivite du monde vecu scion Husserl sont presents dans le modele sur la theorie de Habermas : le vecu de conscience est concu par Habermas comme etant les souhaits et sentiments du monde subjectif ainsi que les structures de la personnalite comme composante du monde vecu du sujet (on pourrait y inclure les opinions, les intentions, les maximes et les devoirs), l'intersubjectivite est presente en tant que monde social des normes en situation d'action, en tant qu'appartenances sociales et reglementations institutionnelles de la composante societe du monde vecu, on la retrouve au sein des schemas culturels d' interpretations constituant la composante culture du monde vecu, et finalement, elle est presente dans l'agir communicationnel par lequel les sujets en situations

d'interaction coordonnent leurs actions et valident les pretentions elevees par chacun dans le langage concernant les elements des trois mondes concrets, tout ceci par l'echange d'arguments rationnels et sans violence et domination ideologique.

3.2 Luhmann versus Habermas

Cette presentation des trois modeles etant realisee, je vais en comparer les elements, en insistant sur les divergences entre le modele luhmannien et le modele habermassien, principalement en ce qui concerne la reappropriation et la depassement du transcendantalisme de Husserl. Cette courte presentation des divergences entre les modeles sera l'occasion d'introduire la polemique entre Luhmann et Habermas dans leurs derniers ouvrages. J'aimerais avant cela rappeler les grandes divergences entre Luhmann et Habermas en ce qui concerne leurs positions theoriques sur l'intersubjectivite du monde vecu, signalees a la fin de la section sur Husserl. J'y mentionnais que Luhmann adopte une position theorique perspectiviste, technique et descriptive (phenomenologique), alors que Habermas concoit le monde vecu intersubjectif d'un point de vue dialectique, critique, normatif, humaniste et pratique. Ces qualificatifs seront explicites dans le cadre de cette comparaison des trois modeles et de la presentation de la polernique entre les deux sociologues.

D'un premier coup d'oeil sur les trois modeles, on remarque les aspects arborescent et differencie que revet le modele du monde vecu selon le systemisme de Luhmann, alors que les modeles sur le monde vecu chez Husserl et chez Habermas sont beaucoup plus integres. Alors que, dans le modele sur le monde vecu selon Luhmann, chaque type de systeme, incluant le systeme psychique, ainsi que chaque dimension du sens, sont differencies et autoreferentiels dans un environnement contingent (dont le monde vecu comme environnement le plus englobant), chaque systeme etant une perspective particuliere sur ce dernier, chez Husserl l'intersubjectivite du monde vecu est integree aux syntheses effectuees dans des vecus de conscience et a l'experience que fait ego d'autrui, et elle est actualisee et intetude dans les trois mondes des situations de coordination d'action par le langage et I'agir communicationnel dans le modele habennassien. De plus, chez Luhmann, les vecus de conscience du systeme psychique ne font pas partie de ce que Husserl nomme les unites

intersubjectives, les systemes de communication des trois types selon Luhmann. Chez Habermas, ces vecus de conscience sont integres a la situation d'action par le biais du monde subjectif des experiences vecues, et sont integres au monde vecu dans les structures de la personnalite.

On constate donc que Luhmann insiste sur la formation de systemes de communication autonomes et differencies qui peuvent subsister a l'absence ou aux alters et venues des systemes psychiques (meme si les systemes interactionnels necessitent la presence d'interlocuteurs, its existent toujours comme interactions passees reactualisables lorsque ceux-ci quittent l'echange corrununicatify En fait, chaque systeme est une chose qui existe comme etant exterieure aux individus, meme si ceux-ci y participent. Selon Luhmann, le transcendantalisme de Husserl, comme celui de Kant, absolutise le pouvoir de synthese du sujet et ignore l'auto-reference et l'autonomie des systemes de communication (leur fonction particuliere, auto-referentielle et auto-reproductrice dans et par la communication). Egalement, selon Luhmann, les theories dialectiques de Hegel et de Habermas, le premier insistant sur l'identite comme negation de la negation et le second sur l'application langagiere de ce principe dialectique et mediateur dans le monde vecu des sujets en action, nient et depassent sans precaution le pouvoir autopoietique de la difference :

« A serious discussion of the relationship of functionalistic systems theory to the tradition of transcendantal theory and dialectics could begin here. The point of departure for all these theoritical variants lies in the theorem of accompanying self-reference (...) Thus the issue revolves around different accounts of simultaneous reference to self and to something else One ends up with transcendentalism when this problem is interpreted as the distinctiveness of consciousness and therefore (!) consciousness is declared to be the « subject » One ends up with dialectics when, given the synchronization of referring to self and to something other. one focuses on the underlying unity (thus, finally, on the identity of the identity and difference and not on the difference between them) (...). We consider transcendental theory to be a false absolutizing of merely one system reference (but at the same time a Rood model for theories of self-reference) and dialectics too risky in assuming an identity (...). Theses distancings from the most important theories that are available in this domain of problems lead to functionalistic systems theory. It maintains that self-referential systems acquire information with the help of the difference between referring to self and to something other (in short, with the help of accompanying self-reference), and that this information makes possible their self-production ». 27

27 Op. cit., LLTHMANN, 1995, p.447-448.

Habermas aussi veut &passer le transcendantalisme husserlien. Par contre, au lieu d'insister sur l'auto-reference et la difference de systemes fonctionnels, it fait prendre aux renvois de la conscience perceptive vers son monde vecu donne d'avance un tournant langagier, pragmatique et culturel, langage et monde vecu sont indissociables:

« Si nous abandonnons maintenant les principes de Ia philosophic de Ia conscience, avec lesquels Husserl traite la problematique du monde vecu, nous pouvons penser le monde vecu comme represents a travers un ensemble de modeles d'interpritation. transmis par Ia culture et organises dans le langage. II n'est plus besoin des tors d'expliciter le propos d'un contexte de renvois, reliant entre eux les elements d'une situation et reliant la situation au monde vecu, dans le cadre d'une phenomenoIogie et_4'une psycholo_gie de Ia perception. On pent, bien au contraire, voir dans les contextes de renvois les connexions de signification qui existent entre une enonciation communicationnelle donne, le contexte immediat et l'horizon de signification qu'elle connote. Les contextes de renvois remontent aux relations. soumises a des regles 2rammaticales, entre elements d'une reserve de savoir orgcmisee par le langage »

28.

Les grandes lignes des depassements du transcendantalisme, de la philosophic de la conscience de Husserl etant presentees, parsons a la comparaison des divergences concernant les theorisations du monde vecu intersubjectif par Luhmann et par Habermas. Nous disions que Luhmann adopte une approche perspectiviste du monde vecu intersubjectif et que Habermas inscrit ce dernier au rein d'un processus dialectique et langagier orients vers la totalite. Selon Luhmann, cotrune nous rayons déjà mentions, chaque systeme social assure sa differenciation d'un environnement social contingent dans lequel it est inscrit, un environnement social immediat, c'est-i-dire les systemes a sa peripherie et les systemes plus larges qui l'incluent, et un environnement global, considers conune etant le monde vecu, le world-society. Le monde vecu petit etre saisi dans sa totalite, mais d'une perspective particuliere auto-referentielle et irreductible a une autre, scion un code ou un schematisme differencie, decentre et auto-reproducteur :

« The relationship between meaning and world can also be described with the concept of decentering. As meaning- the world is accessible everywhere : in every situation, in any detail, at each point on the scale from concrete to abstract. From any starting point one can prKeed to all other possibilities in the world; this is what it means to say that the world is indicated in all meaning. To that state of affairs corresponds an a-centric world concept.

At the same time, the world is more than the mere sum comprehending all possibilities, all meaningful references. It is not just the sum, but the unity of these possibilities. Above all, this means that themigtm_oto
· t,1 for e4__.r_____dif_e__.nEg__g!f difference AKuisgft____its

28 Op. cit., HABERMAS, 1987, 1T, p.137.

own unity as difference. It sublates the differences in all perspectives from individual systems, in that for every system the world is the unity of its own difference between system and environment. Thus in each specific performance the world functions as the `lifeworld' It is simultaneously the momentary absence of doubt, the existence of preconception, the unproblematic background of assumption, and the supporting meta-certainty that the world somehow permits every dissolution and every introduction of distinctions to converge »."

« ...schematisms (le code binaire) (...) 9roduce their materials themselves. They postulates that from their specific angle of vision everything takes on one or the other value. Therefore they require function systems that are closed specifically with respect to them. function systems that scan the entire world for information accordin&to their own schematism and that can afford indifference to all other schematisms ».

Cornme chaque systeme possede un schematisme (un code semantique) particulier differencie des schematismes des autres systemes de communication presents dans son environnement, le sens (meaning), qui constitue les elements de l'environnement incluant les systemes psychiques et les systemes sociaux, se divise en trois dimensions en relations, mais pouvant aussi, comme les schematismes des systemes, manifester une indifference rune envers l'autre. Nous l'avons vu lors de la presentation du modele de l'intersubjectivite du monde vecu dans la theorie systemique de Luhmann, les trois dimensions du sens sont relativement autonomes, comme le montraient les lignes pointillees les separant. Cette caracteristique de la semantique des systemes de communication dans les societes contemporaines complexes a des consequences majeures et constitutives pour l'intersubjectivite du monde vecu, du moms tette qu'envisagee par Luhmann. De son cote, Habermas distingue, au niveau theorique, ce qu'il nomme le monde objectif des etats de chases existants dans la situation d'action, le monde social des normes correspondant a la composante societe du monde vecu qui assure ('integration (la dimension de I'espace social), et le monde subjectif des experiences vecues subjectives correspondant a la composante personnalite du monde vecu qui assure la socialisation (la dimension du temps historique)3`. II les distingue au niveau theorique, mais dans la situation concrete d'action et d'interaction, les trois mondes (le monde objectif, le monde social correspondant a la dimension de l'espace social du monde vecu et le monde subjectif correspondant a la dimension du temps historique du monde vecu) sont toujours vises en bloc par l'agir communicationnel, toujours en vue

:19 Op. cit., LUHMANN, 1995, p.70.

Ibid., p.441.

31 La dimension temporelle chez Luhmann et la dimension du temps historique chez Habermas chez Lubmann, le temps est envisage a partir du present (present's past, present's present et present's future; past present, present

d'une critique langagiere des pretentions a la validite d'un locuteur. Voila une divergence centrale entre les theories de Luhmann et de Habermas : l'autonomie de chaque dimension du sens dans la theorie des systemes et la fusion des trois mondes de la situation d'action chez Habermas. En fait, c'est Ia differenciation et la relative independance de la dimension sociale du sens par rapport aux dimensions factuelle et temporelle, dans Ia theorie de Luhmann, qui distinguent celle-ci de l'importance accord& par Habermas a la rationalite communicationnelle du consensus sur les elements des trois mondes de la situation d'action. Selon Habermas, le consensus dolt s'etablir sur les trois mondes a la fois, c'est-i-dire stir le monde objectif, sur le monde social et is dimension de l'espace social qui y correspond dans le monde vecu, et sur le monde subjectif et la dimension historique et socialisatrice correspondante dans le monde vecu. Scion Luhmann, la difference entre le consensus et le desaccord n'est relative qu'a la dimension sociale du sens, et le fait que cette derniere est constituee d'un double horizon, celui d'dgo et celui d'alter, cornrne la dimension factuelle est constituee d'un horizon interne et d'un horizon externe et la dimension temporelle d'un horizon passe et d'un horizon futur, ce fait interdit d'orienter idealement la theorisation du monde vecu intersubjectif vers le consensus et la raison communicationnelle (ici, Luhmann diverge de Habermas) et empeche de faire reposer l'intersubjectivite du monde vecu sur les prestations synthetisantes d'une conscience egologique transcendantale, donc unique et universelle, cette intersubjectivite etant plutot en realite fragrnentee, interieurement differenciee (cette fois, Luhmann diverge de Husserl) :

« Both the self-referential constitution of society as the social system par excellence and the self-referential constitution of meaning verify that meaning dimensions separate and become relatively independent via an empirical historical process. In particular, increased differentiation means that negations in one dimension do not necessarily imply negations in the others. This increasingly blocks consensual obligations vis-à-vis matters of facts (...).

Then meaning dimensions mediate one another with greater difficulty, and it becomes necessary to think complexity only in the context of being either factual. temporal. or social complexity, with the consequences that strategies for reduction are correspondingly diversified.

(...) In the place of compact assumptions that bind in all dimensions at once. a combinatory consciousrkos, which perhaps can best be characterized as an option-load. seems to be recquired : if someone establishes Something in a factual respect (e.g., invests), then this has not just any consequences in temporal and social r s.

( ..) in view of the option-loads (...), there no longer exists a general formula for what

is good and right, because their starting points vary_ from dimension to dimension and

present et future present); chez Habermas, le temps est envisage dans sa continuite historique (la socialisation, l'histoire effective de l'action chez Gadamer).

consequences for the societal system's structural decisions spill over into the meaningfulness of experience and action in different ways. The system lacks reason ».32

« The consensus/dissent difference thereby become at once more and less important --more important, because it alone articulates the social dimension in an informationally signifiant way, and less important, because it merely articulates the social dimension ».'

La difference consensus I desaccord articule seulement la dimension sociale du sens, et cette derriere, parce qu'elle est un double horizon, un horizon aux perspectives doubles, peut tout aussi bien empecher le consensus et la fusion totale des perspectives qu'elle peut permettre l'interpenetration des systemes, l'accompagnement de la perspective d'eao par la perspective d'alter. L'intersubjectivite du sens n'est jamais garantie au-dela du systeme. Le transcendantalisme du sujet monadique, chez Husserl, est remplace par des perspectives empiriques particulieres :

« ...the social dimension is (...) constituted by a twofold horizon ; it is relevant to the extent that in experience and action it becomes apparent that the interpretive perspectives a system relates to itself are not shared by others. Here as well, the horizonality of ego and alter means that further exploration will have no end. Because a twofold horizon is constitutive of the independence of a meaning dimension. what is social cannot be traced back to the conscious performances of a monadic subject. This has been the downfall of all attempts to establish a theory of the subjective constitution of « intersubjectivity » (...). If what is social in meaning themes is experienced as reference to (possibly distinct) interpretive perspectives then this experience can no longer be attributed to a subject. .(...) the difference is constitutive as a twofold horizon for what, as meaning, is left open ».14

Chez Habermas, par contre, Pechange argumentatif et le consensus sur la validite des intentions et opinions d'un locuteur envers le monde objectif, des maximes et devoirs de ce dernier envers le monde social et normatif, et sur la veracite et l'authenticite de ses souhaits et sentiments comme elements de son monde subjectif, sont des taches a accomplir simultanement:

« Seul le modele conmiunicationnel d'action presuppose le langage connate medium d'intercomprehension non tronque, ou locuteur et auditeur, partant de l'horizon de leur monde vecu interprets, se rapportent a quelgue chose a la fois dans le monde objectif. social et subjectif, afire de negocier des definitions communes de situations ».35

32 Ibid., p.91-92.

33 Ibid., p.89.

34 Ibid., p.81.

Op. cit., HABER1VAS, 1987,1, p.111.

Nous disions que Luhmann refuse d'asseoir sa theorie systemiste sur la constitution monadique du monde vecu intersubjectif. Selon lui, la dimension sociale du sens, qui s'etend evidemment dans chaque systeme de communication, est un double horizon, celui d'ego et celui d'alter, it faut donc l'etudier et la comprendre selon une approche theorique qui permettra de saisir la multiplicite des perspectives sur le monde vecu, irreconciliables au sein d'une subjectivite transcendantale constitutive. Luhmann refuse egalement de parler d'intersubjectivite du monde vecu puisque celle-ci presuppose les performances synthetisantes d'un sujet absolu unique present en chaque sujet ou perspective empirique et rendant alors possible une intersubjectivite universelle. 11 prefere concevoir les interrelations entre perspectives (entre les systemes psychiques, entre les systemes sociaux) coronae etant des interpenetrations doublement contingentes par lesquelles les systemes communiquent entre eux (les systemes psychiques ou sociaux), se rendent disponibles reciproquement leurs schematisnaes binaires respectifs (leurs perspectives particulieres sur le monde) tout en les preservant et les reproduisant comme differences face a l'environnement, et pouvant aussi permettre la formation, la structuration d'un nouveau systeme (Ia fusion des horizons), sans que cet evenement soit necessaire :

« The concept of interpenetration answers the question of how double contingency can be possible. It avoids reference to the nature of human beings, recourse to the (supposedly foundational) subjectivity of consciousness, or formulating the problem as « intersubjectivity » (which presupposes subjects). The question is rather What must be given in reality so that an experience of double contingency and with it a construction of social systems can emerge with sufficient frequency and density? The answer is interpenetration D. 36

Si, dans cette derriere citation, Luhmann rejette l'intersubjectivite du monde vecu rendue possible par les prestations d'une conscience transcendantale presente en chaque conscience empirique, et s'en remet plutot a l'interpenetration contingente entre deux perspectives, entre deux systemes, Habermas ne semble pas comprendre la theorie des systemes sociaux comme la coneoit son auteur et accuse tout de meme le systemisme de Luhmann de rester prisonnier de Ia philosophie de la conscience, celle partant de Descartes, Kant, Fichte et Schelling, passant par Hegel jusqu'a Husserl. Selon Habermas, Luhmann remplace la relation de la conscience au monde des choses par celle entre chaque systeme et l'environnement, des relations systeme / environnement aussi nombreuses que le nornbre de

36 Op. cit.. LUHMA.NN, 1995, p. 216.

systeme existant a un certain moment. La reproduction de la philosophic orientee vers la conscience monologique faisant ['experience du monde et agissant teleologiquement dans celui-ci, la reproduction de cette philosophie non dialogique en une theorie du systeme autoreferentiel ne permet pas, selon Habermas, d'expliquer et de permettre la constitution langagiere valid& d'un monde vecu intersubjectif partage par des sujets agissants certes differents, mais dont les horizons doivent en venir a fusionner suite a un processus dialectique concretise clans l'echange langagier, dans la discussion critique orient& vers l'objectif d'une entente la plus large possible, idealement universelle. Le concept d' interpenetration, qui selon Luhmann explique comment deux systemes s'offrent mutuellement leurs schematismes du monde vecu et de l'environnement pour une interpretation dans le schematisme de l'autre, ne permet seulement, selon Habermas, qu'une relation externe et contingente entre deux systemes (psychiques ou sociaux) se considerant comme environnement run pour l'autre et qui n'en viennent pas a partager veritablement tin monde vecu commun et identique dont la reproduction culturelle, ['integration sociale et la socialisation de ses membres seraient rendues possibies, validees et reguldes par leur soumission a une critique argumentative assurant l'emancipation face a toute forme de domination ideologique. Selon Habermas, Luhmann reduit le langage a une simple manifestation exterieure d'un schematisme assurant l'identite ferrnee sur soi d'un systeme, un langage ayant perdu sa principale fonction, celle d'etablir des consensus et des identites de perspectives entre des sujets en action dans le monde, et ne servant plus qu'a l'auto-reproduction du systeme :

« Sans nul doute, les modeles, utilises en psychologie et en sociologie, de l'acteur solitaire, stimuli par excitation ou agissant conformement a un plan clans une situation donne, gagne en profondeur a etre rattaches aux analyses phenomenologiques du monde vecu et de la situation d'action. C'est la le point de depart, a son tour, pour une theorie des systemes informee par la phinomenologie. Du reste, on peut voir la avec quelle agilite la theorie des systemes reprend ['heritage de Ia philosophic de la conscience. Si l'on interprete Ia situation du sujet agissant comme l'environnement du systeme de la personnalite, on peut integrer sans rupture les resultats de ['analyse phenomenologique du monde veal dans une theorie des systemes. du type de celle de Luhmann. Cela offi-e mime l'avantage qu'on peut laisser de cote le probleme sur level Husserl avait ochoue clans ses Medications cartesiemtes: je pane de la generation monadologique de l'intersubjectivite du monde vecu. Ce probleme n'emerge plus du tout des lors que les relations sujet-objet sont remplacees par les relations entre le systeme et l'environnement. Dans cette representation, les systemes de la personnalite torment I'un pour l'autre un environnentent, exactement comme a un autre niveau les systemes de Ia personnalite et de la societe. Le probleme de l'intersubjectivite disparait alors. comme donc la question de savoir comment des sujets diffirents peuvent partager le mime monde vecu; elle disparait au

profit du probleme de l'interpenetration, et notanunent de la question : comment des genres determines de systemes peuvent-ils former des environnements accordes les uns aux autres et a certaines conditions contingents les uns pour les autres ».37

Habennas reproche a Luhmann d'orienter unilateralement sa theorie perspectiviste de l'intersubjectivite du monde vecu vers la contingence des interpenetrations entre systemes qui ne sont que des convergences partielles ou des raises en parallele de perspectives sans connexions internes validees par les sujets capables de parter et d'argumenter. Les structures de monde vecu intersubjectif, soit la culture, la societe et la personnalite, se fractionnent et isolent les individus et les groupes identitaires. L'agir instrumental devient le modele pour des systemes psychiques et sociaux s'influencant l'un et l'autre, creant des interrelations purement exterieures :

« An intersubjectivity of mutual understanding among agents that is achieved via expressions with identical meanings and criticizable validity claims would be too strong, a tie between psychic and social systems as well as between different psychic systems. Systems can only contingently influence one another from outside; their interaction lacks any internal regulation. This is why Luhmann has first of all to cut language and communicative action down to so small a size that the internal intermeshing of cultural reproduction. social integration, and socialization disappear from view ».33

« Niklas Luhmann simply presupposes that the structures of intersubjectivitv

have collapsed and that individuals have become disengaged from their lifeworlds --

that personal and social systems form environments for each other ».39

Cet eclatement des structures du monde vecu, considers par Luhmann comme n'etant que la consequence contemporaine d'un lone processus de complexification et de differenciation de la sooiete en plusieurs systemes et sous-systemes fonctionnels, est envisage par Habermas comme etant la colonisation du monde vecu des sujets par les imperatifs du systeme, une colonisation rendue possible paradoxalement par un processus de rationalisation et de mise en langage du monde vecu qui fut d'abord la manifestation structurelle de l'emancipation par les Lumieres, mais qui permit progressivement (comme un effet secondaire) l'autonomisation de systemes et de mediums auto-regulateurs (des mediums comme l'argent et le pouvoir) repoussant a leurs marges un monde vecu traverse par leurs

37 Op. cit., HABERMAS, 1987, II, p.142-143.

38 Op. cit., HABERMAS, 1987, p.379.

39 Ibid., p.353.

imperatifs et leers mecanisrnes. Les dimensions de l'espace social et du temps historique se fractionnent, l'histoire effective de l'action, dirait Gadamer, se laisse traverser par des discontinuites. Habermas reproche a Luhmann d'ignorer les consequences pathologiques de cette disjonction excessive, rnais a l'origine necessaire, entre systeme et monde vecu, de cette objectivation de la societe en realite organisationnelle qui, aux yeux de Luhmann, se presente comme la differenciation fonctionnelle de la societe devenue un monde vecu complexe, contingent et a-centrique schematise par des systemes auto-referentiels accordant autant d' importance, sinon plus, a leur environnement Munediat qu'au monde vecu, qu'a la societe. Comme le modele sur l'intersubjectivite du monde vecu telle que percue par Luhmann le rappelait, les systemes interactionnels, organisationnels et societal se sont differencies l'un de l'autre, au point de faire du world-society, du lifeworld, un environnement societal complexe et contingent schematise ou codifie par des systemes (un environnement societal etant moins que la somme de ses parties). Selon Habermas, telle que comprise par le fonctionnalisme systemique, la societe ne devient qu'une trame de fond pour les perspectives organisationnelles, devenues quasiment les seules mediatrices entre les sujets en interaction et le monde vecu de plus en plus &late. Pour Luhmann, critique Habermas, it n'y a pas de disjonction excessive et colonisatrice entre systeme et monde vecu, puisque pour lui le systeme et le monde vecu sont la meme chose, le monde vecu est un environnement complexe et global de systemes :

« N. Luhmann distingue trois niveaux d'integration ou plans de differenciation : le plan des interactions simples entre acteurs presents; celui des organisations qui se constituent grace aux affiliations disponibles; et, ftnalement, celui de la societe en general, qui comprend mutes les interactions qu'il est possible d'atteindre dans les espaces sociaux et les temps historiques, c'est-i-dire les interactions potentiellement accessibles. Des interactions simples, une organisation devenue autonome, cormectee grace a des mediums, et la societe constituent une hierarchie de systemes d'actions enchevetres, qui se deploie progressivement au cours de l'histoire -- hierarchie qui Arend la place du « systeme d'action general o de Parsons. Il est interessant que Luhmann reagisse ainsi an phinomene de disjonction entre s_ysteme et monde vecu en prenant le point de vue du monde vecu lui-meme; les connexions du systeme, condensees, dans les societes moderns, en realize organisationnelle, apparaissem comme un decoupage objective de la societe, assimilde a la nature exterieure, et qui s'insinue entre chaque situation d'action et l'horizon de leur monde vecu. Luhmann hvpostasie ainsi en « societe o le monde vecu relegue derriere des sous-systemes regules par des mediums: ce monde vecu ne se rattache plus immediatement a des situations d'actions, it ne forme plus que l'arriere-plan _pour des systemes d'actions organises ».

40 Op. cit., HABERMAS, 1987, II, p.169.

« ...for Luhmann the lifeworid now has already lost all signiflance in the functionally differentiated societies of the modern world. What disappears from both perspectives is the mutual interpenetration and opposition of system and lifeworid imperatives. which explains the double-front character of societal modernization ».'

Pour contrer cet a-centrisme du monde vecu, que Habermas se dolt bien de constater lui aussi, ce dernier propose la projection d'un centre (un « point zero 0) autour duquel les horizons des differentes perspectives sur le monde vecu pourraient fusionner, disons la projection d'un centre autour duquel des sujets avec leur propre monde vecu culture!, social et personnel pourraient s'entendre dans des discussions sans violence et sans domination ideologique sur des definitions de situations et sur la coordination de plans d'actions, ceci par la critique des pretentions a la validite elevees par chaque locuteur et sous !Instance d'une ethique communicationnelle, celle de l'agir communicationnel. Contre le multiperspectivisme des systemes et sous-systemes sociaux et des systemes psychiques sur lequel Luhmann assoit son fonctionnalisme, Habermas dresse son modele critique de l'agir communicationnel a l'oeuvre a l'interieur de spheres publiques ouvertes a la discussion et orientees vers l'ideal du plus large consensus possible. L'idee de « fusion des horizons » travers le langage est empruntee a Gadamer. Par contre, comme je l'ai déjà mentionne, Habermas est conscient du sporadisme et de la froglike de cette projection poly-centrique de la totalite du monde vecu par des acteurs sociaux aux interets et aux vecus socio-culturels differents :

« The unity of modern societies always presents itself differently from the perspectives of their different subsystems. (...) there can no longer be any central perspective of a self-consciousness proper to a social system as a whole. But if modern societies have no possibility whatsoever of shaping a rational identity, then we are without any point of reference for a critique of modernity ».42

« The legacy of Husserlian apriorism may mean a burden for various versions of social phenomenology; but the communications-theoretic concept of the lifeworld has been freed from the mortgages of transcendental philosophy. If one is to take the basic fact of linguistic socialization into account, one will be hard put to do without this notion. Participants in interaction cannot carry out speech acts that are effective for coordination unless they impute to everyone involved an intersubjectively shared lifeworid that is angled toward the situation of discourse and anchored in bodily centers. For those acting in the first person singular or plural with an orientation to mutual understanding, each lifeworid constitutes a totality of meaning relations and referential connections with a zero point in the coordinate system shaped by historical time, social space, and semantic field. Moreover, the different lifeworlds that collide

41 Op. cit., HABERMAS, 1987, p.355.

42 Ibid., p374.

with one another do not stand nest to each other without any mutual understanding As totalities, they follow the pull of their claims to universality and work out their differences until their horizons of understanding « fuse » with one another, asGadamer puts it Consequently, even modern, largely decentered societies maintain in their everyday communicative action a virtual center of self-understanding, from which even functionally specified systems of action remain within intuitive reach (...). This center is, of course, a projection, but it is an effective one. The polycemric projections of the totality -- which anticipate. outdo, and incorporate one another -- generate competing centers. Even collective identities dance back and forth in the flux of interpretations, and are actually more suited to the image of a fragile network than to that of a stable center of self-reflection ».43

Nous disions que la theorie des systemes adopte tine approche perspectiviste du monde vecu, et qu'on peut qualifier l'approche de Habermas comme etant dialectique et critique, c'est-i-dire orientee vers le depassement de la finitude des horizons socio-culturels et historiques propres a chaque sujet, propres a chaque acteur social, vers !Ideal d'un horizon universe! dont l'intercomprehension et 11 integration sociale de ses membres et la continuite historique ne seraient pas biaisees ideologiquement, et dont les connexions systemiques aux domaines d'actions autonomes economiques et politiques ne creeraient pas de pathologies sociales, assurant ainsi requilibre entre !Integration systemique et !'integration sociale de la societe. Le perspectivisme du systemisme de Luhmann va de pair avec ce qu'on pourrait appeler son caractere technique et descriptif, et ce perspectivisme techniciste peut aussi s'inscrire dans une opposition theorique avec l'humanisme et l'orientation normative et pratique de la pensee de Habermas. La comprehension des societes moderns dans leur totalite et par le biais des possibilites de consensus qu'offre le centrisme des spheres publiques et de l'ethique communicationnelle, c'est la comprehension des societes moderns partagees par une humanite unique capable de prendre distance face a la multiplicite et a la finitude de ses perspectives sur un monde vecu unique, une humanite capable de se dormer des normes d'actions universelles. On retrouve ici des idees proches de celles de Husserl et de l'universalite de son transcendantalisme. Par contre, selon Habermas, en rejetant les systemes psychiques hors des systemes sociaux, faisant d'eux ainsi des environnements Pun pour l'autre, et en orientant sa theorie sur l'auto-reference des systemes, Luhmann neutralise les structures du monde vecu et le deshumanise, it fait eclater les connexions internes entre personnalite, societe et culture au profit d'une technicisation du monde vecu permettant !'observation et la description des actions et des experiences des systemes dans leur

environnement, independanunent de la validation langagiere et critique de ces dernieres par l'agir communicationnel_ Cette technicisation du monde vecu, qui abstrait les systemes de ce dernier, s'oppose a une auto-comprehension de soi elargie a l'interieur mime de la pratique communicationnelle dans le monde vecu. La techne et la phronesis aristoteliciennes, stir lesquelles Gadamer insiste dans son hermeneutique philosophique, sont reproduites dans cette opposition entre Luhmann et Habermas. Habermas nous (lit:

« ...a « concern for humanity » that also cannot manage without this concretism of the whole and his parts; I am talking about the « concern » to conceptualize modem society in such a way that possibility of distantiating itself from itself as a whole and of working out its perceptions of crisis within the higher-level communication process of the public sphere is not already negatively prejudiced by the choice of basic concepts. Naturally, the construct of a public sphere that could fulfill this function has no place once communicative action and the intersubjectively shared lifeworkd slip between system types that, as in the case of the psychic and the social sytems, constitutes environments for one another and have only external relationships to one another )).44

0 Avec les nouvelles organisations, des points de vue systemiques prennent forme : partir d'eux, le monde vecu est percu a distance, comme element d'un monde ambiant quelconque du systeme. Les organisations acquierent une autonomic en operant une delimitation contre les structures du monde vecu. delimitation qui neutralise ces dernieres, les organisations deviennent ainsi indifferences par definition envers la culture la societe et la personnalite. Luhmann decrit ces effets comme une « dishumanisation de la societe ». La realite sociale semble globalement se reduire a une realite organisationnelle objectivies debarrassee d'obligations normatives. En fait, « deshumanisation » signifie seulement la dissociation_ rendue vossible grace aux mediums regulateurs, entre domains de l'action formeliement organises et monde vecu, elle ne signifie pas seulement une depersonalisation, au seas d'une separation entre systernes d'actions organises et structures de la persormalite; bien au contraire, on peut montrer une neutralisation analogue dans les deux autres composantes du monde vecu ».45

« Luhmann panic (...) d'une technicisation du monde vecu : it veut signifier par-la « qu'on evacue les processus d'experience et d'action producteurs de sens, hors de la reprise, de la formulation et de ('explication communicationnelle de tous les traits de sens impliques dans le contexte du monde vecu de Faction orientee vers l'intercomprehension... >> >>.46

L'anti-humanisme de Luhmann s'objecte contre cette tendance constante de la tradition humaniste a faire de l'individu un element constitutif et dependant de la societe. Selon Luhmann, le degre eleve de differenciation des societes modems ne permet plus de subsumer le sujet dans l'ordre social normatif :

44 Ibid., p.378.

45 Op. cit., HABERMAS, 1987, II., p.338-339.

46 Ibid., p.289.

« The theme of human beings and their relationship to social order has a long tradition (...). This tradition continues to live on in « humanistic » concepts of norms and values. Because we want to dissociate ourselves from this, we must determine exactly where we break away from it. If a tradition incapable of continuing -- and we believe this happens wherever there is a radical change in social structure -- one must clarify difference to find possibilities of translation.

The point of difference is that for the humanistic tradition human beings stand within the social order and not outside it. The human being counts as a _permanent part of the social order, as an element of society itself Human beings were called « individuals » because they were the ultimate, indivisible elements of society. It was impossible to conceive the soul and the body separate and then to dismantle them further. Such a dissolution would have destroyed what the human being was in and for society. Accordingly, the human being not only was view as dependent on social order (which no one will dispute), but was also interpreted as bound to a conduct of life within society. The form of human existence could be realized only within society. (...) Human perfection was thus designed for social realization... ».47

Considerer le sujet comme etant exterieur a la societe, comme etant un systeme psychique dans l'environnement des systemes sociaux, c'est ne reconnoitre de commun aux deux types de systemes que leur caractere auto-referentiel, c'est egalement faire de la communication une option, une selection d'information et d'expression (un acte locutoire et un acte illocutoire dirait Habermas) darts un horizon de significations (dans un environnement) toujours en vue d'une auto-reproduction. La possibilite d'une entente langagiere entre sujets, constitutive d'un « vivre ensemble », est remplacee par Luhmann par un environnement contingent de systemes psychiques et sociaux auto-referentiels, un monde vecu dans lequel regne ['auto-reference de systemes de sens interpretant le monde selon un schematisme propre a chaque systeme. Selon Luhmann, porter d'une subjectivite transcendantale constituant le sens d'un monde vecu intersubjectif n'est pas approprie. Mettle que Luhmann propose de rejeter la « terminologie du sujet » et de parler plutOt de systemes de sens auto-referentiels. Selon lui, designer un systeme psychique ou un systeme social par ['expression « sujet » ou « intersubjectivite », puler d'une « subjectivite transcendantale » constituant le monde vecu et ses objets, ce n'est en fait que porter chaque fois des selections d'informations et des interpenetrations (dans la communication) realisees par des systemes psychiques ou sociaux au tours d'une duree de vie et sur le base de schematisations autoreferentielles (d'interpretations) de l'environnement, des interpenetrations se succedant dans le temps, s'accumulant et finissant par se sedimenter en structures relativement stables qu'on nomme « sujet » (ou « intersubjectivite », « unite intersubjective »). Selon Husserl, la

47 Op. cit., LUHMANN, 1995, p.210-211.

conscience phenomenologique est le sujet du monde vecu, mais chez Luhmann, cette conscience egologique et synthetisante perd sa substantialite et sa primordialite fondationnelle et les systemes de communication, tout autant que les systemes psychiques, sont considdres comme schematisations auto-referentielles d'im monde lui aussi auto-referentiel (l'isomorphie entre le langage et le monde, chez le premier Wittgenstein):

« ...the insight that psychic systems are also self-referential systems is maintained (...). If one accepts this, then one has already rejected the premises that consciousness is the subject of the world. The duplication of empirical / transcendental facts of consciousness becomes superfluous. If one wishes to retain a « subjg_ct » terminology, one can still say - a consciousness is the subject of the world. alongside which there are other kinds of subjects, above all social systems. Or that psychic and social systems are the subjects of the world. Or that meaningful self-reference is the subject of the world. Or that the world is a correlate of meaning. In every case, such assertions burst open the clear Cartesian difference between subject and object. It is superfluous to try to understand the concept of the subject from the viewpoint of this difference (...). The self-referential-subject and the self-referential-object are conceived isomorphically (...). And isn't the concept of self-reference, then. all that is needed? »48-

« ...the subject is « subject » (...) only for the biographically unique constellation of designations and realizations that binary schematisms have held open. It owes its possibility to this feature, not to itself. If one accepts this, one can see that subjectivity is nothing more than the formulation for a result of interpenetration. Uniqueness and fundamentality are not figures for grounding a history, but rather its end products, emissions and cristallizations of interpenetration that are then to be reintroduced into interpenetration ».49

Bien stir, Habermas s'insurge contre cette insistance de Luhmann stir l'auto-reference et l'auto-reproduction de systemes de sens et y voit une reappropriation de la philosophie du sujet monologique ne tenant pas compte du caractere langagier, oriente vers l'entente, d'un monde vecu intersubjectif partage en totalite par des sujets parlant et agissant. Meme si Luhmann dit rejeter la o terminologie du sujet », Habermas identifie chez lui uric emphase sur la relation du sujet au monde, du systeme a l'environnement, qui isole le sujet de l'intersubjectivite langagiore et communicationnelle, c'est-i-dire consensuelle, orientee idealement vers l'entente universelle, cette demiere etant l'aiguillon de la raison immanente chaque acte de discours. Nous en avons doja parle longuement. II y voit egalement, et c'est la-dessus que j'aimerais maintenant insister, l'accompagnement d'une philosophie du sujet par un perspectivisme radical se basant sur la critique nietzcheenne de la Raison. Tout au long du memoire, nous avons insiste sur le perspectivisme de la theorie des systemes de

Luhmann, et selon Habermas, ce perspectivisme est emprunte a la philosophie de la vie de Nietzsche. A la rationalite communicationnelle inscrite au coeur des actes de discours de sujets souhaitant s'entendre sur la coordination de plans d'actions dans un monde vecu commun, Luhmann substitue la schematisation auto-referentielle et auto-reproductrice du monde par des systemes fonctionnels et reprend ainsi a son compte les idees de Nietzsche sur le perspectivisme radical et fictionnelle d'une conscience qu'on nomme ainsi qu'en tant que volonte de puissance devant communiquer pour s'auto-reproduire :

« On the one hand, Luhmann's version of systems functionalism takes up the heritage of the philosophy of the subject: it replaces the self-relating subject with a self-relating system_ On the other band, it radicalizes Nietzsche's critique of reason by withdrawing any kind of claim to reason along with the relationship to the totality of the lifeworld

« The fiction-creating productivity of a life-enhancing self-maintenance by subjects, for which the difference between truth and illusion has lost his meaning, is reconceptualized as the self-maintenance of a system that makes use of a meaning, a self-maintenance that masters the complexity of the environment and increase its own complexity ».51

The difference from the environment maintained by the system itself is treated as ultimate. Reason as specified in relation to being, thought, or proposition is replaced by the self-enhancing self-maintenance of the system ».52

Lorsque Luhmann nous dit que les systemes sociaux s'auto-reproduisent dans la communication, ce sont aussi les systemes psychiques qui s'y reproduisent inevitablement. La schematisation du monde vecu (et de ses systemes) par la conscience presentee par Luhmann comme systeme psychique, et la necessite de communiquer, manifestee par la formation de systemes sociaux autopoietiques sans rationalite communicationnelle interne necessaire, ceci pour assurer la continuite du systeme psychique (et, par consequent, des systemes de communication auxquels it participe), voila ce qui chez Nietzsche est interprets comme etant la production de fictions regulatrices du monde des phenomenes par une conscience qui ne se cristallise en conscience que par l'accumulation des communications necessaires a la survie et auxquelles elle participe, par une conscience qui est en fait, a sa

Op. cit., HABERMAS, 1987, p.353-354.

51 Ibid., p421.

52 Ibid., p.372.

source, une force vitale infiniment personnelle et unilateralement perspectiviste, precedant ce qu'on nomme la conscience, qui est sans rationalite interne, qui interprete authentiquement la multiplicite des phinomenes du monde, ce maelstrom de sensations dans lequel un ordre fictionnel est cree. Voici, pour terminer, quelques extraits des ouvrages de Nietzsche imitates Le gai savoir et La volonte de puissance, des extraits dans lesquels des convergences entre les pensees de Nietzsche et de Luhmann peuvent etre identifides:

« Le probkme de la conscience (ou plus exactement : du fait de devenir conscient) ne se presente a nous que lorsque nous commencons a comprendre en quelle mesure nous pourrions nous passer de la conscience (...). A quoi bon la conscience si, pour tout ce qui est tssentiel, elle est superflue? Si Fen veut been ecouter ma reponse A cent question et les hypotheses, peut-etre vccessives_ sur lesquelles elle repose, je dials que Is finesse et la force de la conscience me peraissent toetours Firs en rapport avec la factthe de communication d'un homme (...), et cette faculte elle-memo fonction de Ia nicessue de communiquer (...). Si cette observation est juste. je pant eller plus loin et supposer que /a conscience ne s 'est developpee que sous la pression du besoin de communiquer, que, de prime abord, elle ne fit necessaire et utile quo dans les rapports d'homme a homme (...) et qu'elle ne s'est developoee au'en fonction de son degre d'utilito. La conscience n'est en somme qu'un reseau de communication d'homme a homme, ce n'est que comme telle qu'elle a ete forcee de se ciavetopper C..). (...) l'homme. comme tout etre vivant, pense sans cesse mais ne to sait pas: la pensee qui devient consciente n'en est que la plus petite panic (...) c'est cettepenste consciente seulement aui s'effeaue en paroles, c'est-a-dire en signs de communication, par quoi l'origine memo de la conscience Se revile_ En un mot- le developpement du langage et to developpement de la conscience (non de la raison, mais seulement de la raison qui devient consciente d'elle-mime) se dormers' Ia main. (...) Mon idde est, on le volt, que la conscience ne fait pas proprement panic de l'existence individuelle de l'homme, mais plutat de ce qui appartient chez lui a la nature de la conunimauto gm, par consequent. la conscience n'est developpee d'une facon subtile que par rapport a son uolite pour la communaute (...). Tons nos actes sont au fond incomparablement personnels, uniques,_ immensement personnels. it n'v a a cola aucun doute: mais des que nous les transcrivons dans la conscience, ils ne le paraisseni plus... Voila le veritable phonomenalisme, le veritable perspectivisme tel Quo je l'entends (...) 0.53

« 11 n'y a ni « esprit ), ni raison_ ni pease& ni conscience. ni ame, ni volonte. ni verite : ce ne sont la que des fictions inutilisables. 11 ne s'agit pas de « sujet et d'objet », mais Tune certaine espece animate qui ne prospere que sous I'empire d'une juslesse relative de ses perceptions, et avant tout avec la rerdarion de celles-ci (en sone qu'elle est a mime de capitaliser des experiences)... ».54

« Non point connaitre, mais schematiser, imposer au chaos assez de regularite et de formes pour satisfaire notre besoin pratique ».55

« Le monde imagincnre du sujet. de la substance. de la « raison », etc.. est necessaire

y a en nous une puissance ordonnatrice, simplificatrice qui falsifie et separe artificiellement. « Verite » c'est la volonte de se rendre maitre de la multiplicite des sensations -- senor les phenomenes sur des categories determinees ».56

« La communication est necessaire : pour que la communication soit possible. it faut que quelque chose soit fixe, simplifie, precisable (.4 ».57

« Parmenide a dit : « L'esprit ne peut pas concevoir le neant - Nous nous trouvons l'autre extremite et nous disons : Cequi pout etre coniu est necessaimment tine fiction. » ».5B

53 NIETZSCHE, Friedrich, Le gai savoir, Paris, Librairie Generale Francaise, 1993, p. 364-365-366-367.

54 NIETZSCHE, Friedrich, La volonte de puissance Paris, Trident, 1989, p.214.

55 Ibid., p.216.

56 Ibid., p.217. 5, Ibid., p218. 58 Ibid., p.219.

(...) la necessiti d'appriter, a notre usage, un monde ou notre existence serait rendue possible : nous creons ainsi un monde qui est determinable, simplifii, comprehensible pour nous n.59

0 (...) on a compris que le « sujet » n'est pas quelque chose qui agit, mais seulement une fiction (...) »6°

« Fiction d'un monde qui corresponde a nos disks (...). « Volonte du vrai », sur ce degre c'est essentiellement Part de !'interpretation (...). La mime espice d'hommes, d'un degri plus pauvre encore, n'itant plus en possession de la force d' interpreter. de c 'reer des fictions, constitue le nihiliste ».61

CONCLUSION

Si on replace le perspectivisme techniciste de la theorie des systemes de Luhmann et l'humanisme dialectique, normatif et critique de la theorie de l'agir communicationnel de Habermas en relation avec la phenomenologie husserlienne du monde vecu intersubjectif, quelles conclusions pouvons-nous maintenant tirer concemant les reappropriations des idees de Husserl par les deux sociologues a l'etude? Les unites intersubjectives identifiees par Husserl constituent-elles des perspectives irreconciliables telles des fictions autoreferentielles, ou peuvent-elles fusionner par un processus dialectique et langagier tout en preservant leurs particularites, celles-ci n'etant alors que des moments d'un consensus elargi?

11 est maintenant clair que la theorie des systemes de Niklas Luhmann s'inspire grandement de la phenomenologie husserlienne. Le systeme, inscrit dans un environnement qu'iI codifie, ayant ses propres actions et experiences passees et des capacites planificatrices, etant capable d'interpenetration avec les systemes environnants dans un environnement dans lequel it est saisi lui aussi comme systeme environnant par d'autres systemes, ce systeme tient la place de la conscience egologique et temporelle dont les prestations synthetisantes constituent le monde dans lequel it se trouve et dans lequel it rencontre d'autres consciences, elles aussi constituant le monde et envers lesquelles l'empathie est possible. Par contre, la communaute universelle des monades envisagee par Husserl, le monde-de-la-vie unique dans lequel les unites intersubjectives et leurs mondes teleologiques et pratiques ne sont que des

59 Ibid., p.221.
[bid., p.222.
61 Ibid., p.228.

ambiances, cette communaute universelle des monades, selon Luhmann, n'est pas reconciliable avec elle-meme et inclut en elle des unites intersubjectives ou des systemes dont les perspectives sont auto-referentielles, differentes et fictionnelles. ll n'y a pas de raison universelle inherente a ces perspectives systemiques sur le monde vecu, sur la societe. De plus, Luhmann nous rappelle que l'experience empathique des vecus de conscience de l'autre (de sa perspective sur le monde) repose toujours sur une perspective ou un schematisme prealable du systeme psychique ou du systeme social qui fait cette experience et qui interprete toujours la perspective d'autrui selon son propre code, selon sa propre difference, et qu'en fait cette unite intersubjective n'est pas symetrique. Husserl disait que cette asymetricite pent etre eliminee par correction reciproque entre les consciences en experience l'une de l'autre. Gadamer dirait ici que les prejuges de l'interprete lui provenant de sa situation hermeneutique sont mis a l'epreuve, et corriges si necessaire, avec ceux provenant de I'horizon de l'alterite rencontree. Mais Luhmann, contrairement a Husserl et Gadamer (et Hegel), contrairement aussi a Habermas qui insiste sur la visee vers le consensus entre les perspectives historiques et socio-culturelles particulieres, refuse de parler de la possibilite d'un depassement dialectique de la perspective systernique vers une conscience du monde universelle, de la possibilite d'une empathie symetrique, done d'une intercomprehension et d'une identite totales. Luhmann rejoint Gadamer (cette fois), Nietzsche et Fleidegger en rappelant que chaque conscience du monde est incrustree dans une perspective differenciee (fictionnelle), disons avec Gadamer : « dans une situation hermeneutique », ou avec Heidegger : « dans la factual ite ».

Habermas, quant a lui, oriente sa theorie vers la projection d'un ideal d' unite des differents mondes vecus des multiples acteurs sociaux, la projection d'un centre situationnel considers comme point de depart d'une possibilite d'entente sur un monde vecu intersubjectif commun, d'une fusion des horizons dans une meta-perspective consensuelle dans le cadre d'une ethique communicationnelle et normative fortement influence par le deontologisme de Kant et par la dialectique positive de Hegel_ L'imperatif categorique kantien proposant d'agir envers autrui comme si la maxime orientant mes actions devait etre erigee en loi morale universelle pourrait etre traduit en termes habermassiens de cette facon : « agis comme si a chaque fois les pretentions a la validite que to eleves dans ton acte de langage (ou ton action

tout court) devaient toujours etre soumis par tes interlocuteurs a la discussion critique visant le consensus D. Et mere si Habermas qualifie sa theorie comme etant post-hegelienne, c'esta-dire sans pretention au Savoir absolu, et dans son cas ayant pris le tournant linguistique, son concept d'agir communicationnel s'inscrit tout de meme directement dans le courant de la pensee dialectique positive de Platon, de Hegel et de Gadamer (ce dernier se separant lui aussi du concept hegelien d'Absolu o, malgre son insistance sur l'entente, la reconciliation, le depassement dialectique). On peut donc affirmer que Habermas, tout en insistant sur l'agir teleologique de sujets individuels ou collectifs utilisant les moyens les plus efficaces pour atteindre des objectifs, souligne la necessite de mettre en pratique une ethique communicationnelle par laquelle les sujets pourront s'entendre sur la coordination non violente de leurs plans d'actions en etablissant des definitions consensuelles des situations d'actions dans lesquelles ils se trouvent et en puisant dans les ressources d'un monde vecu postage et non biaise ideologiquement. On pourrait dire de l'approche theorique du monde vecu intersubjectif par Habermas qu'elle est une Aufld arung ou une emancipation communicationnelle. La rationalite et la visee d'intercomprehension inherentes a chaque acte de discours sont le fondement sur lequel construire une co-habitation pacifique et une collaboration intersubjective universelle dans un monde defini en commun. La possibilite d' une conununaute des monades universelle dont les perspectives fusionneraient, dont les ambiances particulieres ne seraient que les couches anterieures de la constitution d'un monde vecu commun, cette possibilite est l'aiguillon motivant la mice en pratique et l'etablissement de spheres publiques ouvertes a la discussion et a l'entente.

II semble bien que I' interet du chercheur, de l'interprete des sciences sociales, y est pour beaucoup si l'on souhaite repondre a la question posee, celle de savoir si le perspectivisme radical regne dans le monde vecu ou si plut8t l'anticipation de la totalite ouvrant la vole a l'agir communicationnel et au consensus sans limite est raisonnable. Celui qui s'interesse davantage aux conflits sociaux, aux motivations et interets des opposants, aux processus de differenciation et d'interpenetration entre des systemes sociaux de taille et de pouvoir d'action differents, favorisera probablement l'approche descriptive, phenomenologique et ecocentrique (ou biocentrique) de la theorie des systemes de Niklas Luhmann, lui permettant d'axer ses recherches sur l'auto-reference et le schematisme des

systemes. Il nous dira probablement que des perspectives irreconciliables animeront toujours la dynamique des societes et que celle-ci permet leur developpement incessant et le deroulement de l'histoire et de revolution. Par contre, celui qui desire accompagner son interet descriptif envers les societes contemporaines de considerations emancipatrices, critiques et pratiques, orientees vers le « mieux vivre » des hommes et des femmes et vers l'entente et la collaboration pacifiques entre ceux-ci, s'adonnera mieux avec la theorie humaniste (anthropocentrique) de l'agir communicationnel de Habermas et nous dira probablement que 'Ideal d'une communaute universelle communicationnelle et pacifide est souhaitable et realisable.

Dans le cadre de ce memoire theorique sur le concept de « monde vecu intersubjectif 0 dans la theorie des systemes de Niklas Luhmann et dans la theorie de l'agir communicationnel de Jurgen Habermas, mon objectif etait de presenter les divergences d'approche du concept husserlien par les deux sociologues, et leurs consequences pour une comprehension des societes contemporaines.

Pour ce faire, j'ai present& d'abord ce que Edmund Husserl entend par « monde vecu intersubjectif » dans le cadre de sa philosophie phenomenologique. Nous avons vu ce que signifie le retour vers les vicus de conscience temporels des sujets et vers les formations d'unites intersubjectives rendues possibles par ''experience empathique, des vecus de consciences intersubjectivement partagos et constituant le sens qu'a pour les sujets un monde objectif commun, mais toujours percu a partir de perspectives spatio-temporelles particulieres potentiellement conciliables entre elles a I' interieur d'une communaute universelle des monades. Nous avons souligne 'Importance centrale des relations entre, d'une part, les unites intersubjectives particulieres, considerees comme ambiances d'un monde vecu commun, et d'autre part, la communaute universelle des monades vers laquelle les unites intersubjectives tendent comme vers une perspective unique partagee urtiversellement, vers laquelle les unites intersubjectives depassent les particularismes de leurs perspectives, ''importance de ces relations « unites intersubjectives / communaute universelle », considerees comme constitutions intersubjectives du monde vecu, dans la polemique entre les approches luhmanienne et habermassienne de ce dernier.

Nous avons ensuite presente la theorie des systemes et la theorie de l'agir communicationnel individuellement, question de se donner une base sur laquelle poser la presentation des divergences entre les deux theories dans leurs reappropriations du concept de « monde vecu intersubjectif ». Dans cette presentation des divergences entre Luhmann et Habermas, nous avons souligne les aspects perspectiviste, techniciste et descriptif de Ia theorie de Luhmann et son orientation vers la difference et l'auto-reference, ainsi que les aspects humaniste, dialectique, critique, normatif et pratique de la theorie de Habermas et son orientation vers identite et la fusion des perspectives et le consensus, tine presentation des divergences facilitee par la comparaison entre les trois modeles imageant le monde vecu intersubjectif tel qu'envisage dans la phenomenologie de Husserl, dans la theorie systemique de Niklas Luhmann et dans la theorie de l'agir communicationnel de Jurgen Habermas.

Une etude plus approfondie du theme de ce memoire nous await permis d'analyser la contribution de la sociologic phenomenologique d'Alfred Schutz aux theories des systemes et de l'agir communicationnel. Schutz s'est penche longuement sur la question du monde vecu et de son intersubjectivite, tine intersubjectivite sur laquelle Husserl n'a pas suffisamment insiste selon lui, une problematique que Husserl await laissee ouverte et non resolue. J'ai signale a quelques reprises ['importance des travaux de Hans-Georg Gadamer dans mon texte. L'hermeneutique philosophique de Gadamer aurait pu constituer une ressource theorique considerable et pertinente pour le developpement de ce memoire, Gadamer s'etant interesse l'historicite de ['horizon de signification d'une situation hermeneutique particuliere et relative, a son inscription dans une histoire effective de ('action. Des convergences sont identifiables entre, d'une part, l'auto-reference du systeme dans la theorie de Luhmann et les prejuges qui constituent la situation hermeneutique relative de tout interprete, et d'autre part, I'insistance de Gadamer sur l'entente langagiere comme fusion des horizons et l'orientation consensuelle de l'agir communicationnel presentee par Habermas. Les contributions des dialectiques hegelienne et fichteenne a ces interrelations entre Luhmann, Habermas et Gadamer auraient etc egalement tits pertinente. Nous aurions pu egalement evaluer les relations theoriques de Ia dialectique negative de Theodor Adorno et son insistance sur la double mediation et l'asymetrie inevitable entre le sujet et son objet, ainsi que stir la communication du different, les relations de cette dialectique negative avec l'insistance de

Habermas sur le consensus et l'identite des perspectives, ainsi que les relations entre cette dialectique negative et le concept d'auto-reference chez Luhmann. Nous aurions pu nous pencher aussi sur les liens theoriques entre, d'une part, le solipsisme du premier Wittgenstein et le concept d'auto-reference dans la theorie de Luhmann, et d'autre part, entre la critique du solipsisme par le second Wittgenstein et la theorie de I'agir communicationnelle de Habermas. II aurait ete aussi interessant d'identifier les divergences entre la critique de l'ideologie chez Habermas et celle que propose Luhmann envers l'auto-reference productrice de justifications ideologiques, une auto-reference soit tautologique, lorsqu'elle se decrit par la formule « le systeme est ce qu'il est » (A=A, ideologie conservatrice), ou une auto-reference paradoxale, lorsqu'elle se decrit par la formule « le systeme est ce qu'il n' est pas » (A= non A, ideologie revolutionnaire, progressiste, axee vers le changement). Une etude des consequences ethiques et politiques des deux approches theoriques du monde vecu intersubjectif que nous avons etudiees serait aussi tres pertinente. Ces pistes de recherches eventuelles seront peut-etre les themes d'etudes ulterieures.

BIBLIOGRAPHIE

- ADORNO, Theodor et HORKEEIMER, Max, La dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1974, 281 p.

- ADORNO, Theodor, Dialectique negative, Paris, Payot, 1978, 390 p.

- ADORNO, Theodor, Minima momlia, Paris, Payot, 1980, 230 p.

- ALEXANDER, Jeffrey C. (editeur), Neofunctionalism, Beverly Hills, Sage, 1985, 240 p. - ARISTOTE, Ethique de Nicomaque, Paris, Flammarion, 1992, 346 p.

- COLOMY, Paul (editeur), Neofunctionalist sociology, Brookfield, E. Elgar, 1990, 396 p.

- DELEUZE, Gilles, Nietzsche et la philosophic, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, 232 p.

- DESCARTES, Rene, Discours de Ia methode (suivi de Meditations metaphysiques), Paris, Union Generale d'Editions, 1951, 313 p.

- DURICHEIM, Emile, Les !tees de la methode sociologique, Paris, Presses Universitaires de France, 1950, 149 p.

- DURKHEIM, Emile, De Ia division du travail social, Paris, Presses Universitaires de France, 1960, 416 p.

- GADAMER, Hans-Georg, L'art de comprendre. Ecrits I, Paris, Aubier-Montaigne, 1982.

- GADAMER, Hans-Georg, Write et methode, Paris, Seuil, 1996, 533 p.

- GURVITCH, Georges, Dialectique et sociologie, Paris, Flammarion, 1962, 312 p.

- HABERMAS, Jurgen, La technique et la science conune ideologic_ Francfort, Gallimard, 1968, 211 p.

- HABERMAS, Jurgen, Connaissance et interet, Paris, Gallimard, 1979, 386 p_

- HABERMAS, Jurgen, The philosophical discourse of modernity, Cambridge, MIT Press, 1987. *

- HABERMAS, Jurgen, Theorie de l'agir communicationnel. Tome I et II, Paris, Fayard, 1987. *

- HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich, Phenomenologie de l'Esprit, Aubier, 1991, 565 p.

- HUSSERL, Edmund, Idees directrices pour une phenomenologie, Paris, Gallimard, 1950, 567 p.

- HUSSERL, Edmund, Meditations cartesiennes, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1996, 251 p. *

- HUSSERL, Edmund, La crise des sciences europeennes et la phenomenologie transcendantale, Paris, Gallimard, 1976, 589 p.

- KANT, Emmanuel, Critique de la raison pure, Quadrige, Presses Universitaires de France, 1997, 584 p.

- LUHMANN, Nildas, The differentiation of society, New York, Columbia University Press, 1982, 482 p.

- LUHMANN, Niklas, Essays on self-reference, New York, Columbia University Press, 1990, 245 p. *

- LUHMANN, Niklas, Social systems, Stanford, Stanford University Press, 1995, 627 p. *

- LUHMANN, Niklas, Observations on modernity, Stanford, Stanford University Press, 1998, 147 p.

- MALINOWSKI, Bronislaw, Une theorie scientifique de la culture, Paris, Francois Maspero, 1968, 183 p.

- MARX, Karl et ENGELS, Friedrich, L'ideologie allemande, Editions sociales, 1982, 279 p.

- MARX, Karl, Le manifeste du parti communiste, Paris, Union Generale d'Editions, 188 p. - MARX, Karl, Oeuvres choisies I, Paris, Gallimard, 1963, 367 p.

- MARX, Karl, Oeuvres choisies II, Paris, Gallimard, 1966, 378 p.

- MERLEAU-PONTY, Maurice, Phenomenologie de la_perception, Paris, Gallimard, 1945, 531 p.

- NIETZSCHE, Friedrich, La volonte de puissance, Paris, Trident, 1989, 387 p. *

- NIETZSCHE, Friedrich, Le gai savoir, Paris, Librairie Generale Francaise, 1993, 565 p. * - NIETZSCHE, Friedrich, La gendalogie de la morale, Paris, Gallimard, 1971, 212 p.

- NIETZSCHE, Friedrich, Par-dela bien et mal, Paris, Gallimard, 1971, 248 p.

- FtADCL1H-t-BROWN, Alfred Reginald, Structure et fonction dans la sociOte primitive, Editions de Minuit, 1968, 316 p.

- WITTGENSTEIN, Ludwig, Tractatus Logico-Philosophicus, Londres, Routledge et Kegan Paul, 1961, 166 p.

- WITTGENSTEIN, Ludwig, Philosophical Investigations, Oxford, Basil Blackwell, 1968, 232 p.






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle