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L'or blanc. le marché occulte et illégal du corps humain à  Libreville

( Télécharger le fichier original )
par Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY
Université Omar Bongo - DEA 2010
  

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    UNIVERSITE OMAR BONGO

    FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

    DEPARTEMENT D'ANTHROPOLOGIE

    Mémoire de D.E.A

    Option : Anthropologie Africaine

    L'or blanc

    Le marché occulte et illégal du corps humain à

    Libreville

    Présenté et soutenu par : Sous la direction du :

    Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY Pr Joseph TONDA

    Professeur titulaire des universités
    (CAMES)

    « Soyez saints, car je suis saint, moi l'Eternel votre Dieu ».

    Lévitique, chapitre 19, verset 2.

    Sommaire

    Dédicace

    Remerciements

    Sigles et abréviations Liste des illustrations Indexe des tableaux Sommaire

    Introduction générale<<<<<. <<<<<<<<<< 1

    Les préalables épistémologiques<<<<<<<<<<<<<<<..<<<.<<3

    Section 1 : Objet et Champ de l'étude<<<. < <<<. <<<.<<<.<. 4

    Section 2 : Construction du modèle d'analyse<<<<<.<<..<.<<<<<<.< 8

    Section 3 : Démarche méthodologique<<<<<.<<..< .<<<.<<<<<. 24

    Première partie : Approche historique des profanations des tombes<<. 34

    Introduction de la première partie<<<<<<<<<<<<<<<<<<<35

    Chapitre I : Les reliques au Gabon <<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<.37

    Section 1 : Le culte des ancêtres comme illustration des pratiques reliquaires<<<37 Section 2 : Les reliques comme symbole du pouvoir<<<<<<<<<<<<..<. 41

    Chapitre II : La conversion des africains au christianisme et à l'islam<<<<<<45

    Section 1 : Pourquoi la conversion ? <<.<<<<.45

    Section 2 : Criminalisation des pratiques ancestrales par l'Église<<<<<<<<.60

    Conclusion de la première partie<<<<<<<<<<<<<<<. <<< ..71

    Deuxième partie : les profanations des tombes et des corps à Libreville

    corps<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<73

    Introduction de la deuxième partie<<<<<<<<<<<<<<<.<<<..74

    Chapitre III : Le discours moraliste des Églises sur les profanations des
    tombes<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<<<<<<<<<<<<<<.76

    Section 1 : Prise de position de l'Église et de l'Islam face aux profanations des
    tombes et des corps à Libreville <<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<.76
    Section 2 : Les profanations des tombes<<<<<<<<<<. <<<.<<<<<85

    Chapitre IV : La modernité insécurisée<<<<<<<<<<<<<<<.<<<.116

    Section 1 : Agression sans retenue de l'espace médiatique<<<<<<<<. <117

    Section 2 : La profanation des corps<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<...122

    Conclusion de la deuxième partie<<<<<<<<<<<<<<<<<<<126

    Conclusion générale<<<..<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<<128 Références documentaires<<<<.<<<. <<<<<<<< <<<<<<.130

    Annexes<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<137

    Table des matières< <<<.<<<<<<<<<<<<<<<<< 138

    Dédicace

    A ma fille, Merveilles Asthine Janny ILEMBE-RENAMY, pour la joie qu'elle m'apporte un peu plus chaque jour !

    Remerciements

    Mes remerciements vont d'abord à toute l'équipe pédagogique du DEA Anthropologie Africaine, particulièrement à mon directeur, le Professeur Joseph TONDA, pour sa disponibilité et d'avoir bien voulu diriger ce travail. Profonde gratitude !

    À ma Floriane Melinda KAYIBA pour son soutien matériel et sa présence.

    À la promotion 2008/2009 du DEA Anthropologie Africaine et les autres, pour leurs critiques et leurs encouragements. Nous pensons aussi à la famille de monsieur Aloïse MAYOMBO et à tous mes interlocuteurs pour l'aide apportée.

    Enfin, je voudrais remercier ma mère madame Juliette Jocelyne RENAMY, pour qui, j'ai une pensée toute particulière, mon père monsieur Sylvain Claude IKOGOU, pour son implication à sa manière. À mes frères : Axel Sydney BIYOGHEIKOGOU, Fred LENDONYO, Marielle, Carelle, Frédérique et Ericka IKOGOU, Janny DIVAGOU IBRAHIM KUMBA, Suzanna MOUSSONGOU IBRAHIM KUMBA , Ernestine RENAMY-ISSEMBE, Tyrolle Mélia AKENDJAMBANI, Chantal NTCHOUNGOUWA-RENAMY, Sandrine RENAMY, Stéphane AKENDENGUEDICK, Frédéric IKOGHOU-YENO, Jean-Claude RENAMY, Bertrand OGOUERA, Jean-luc MBOUMBOU, Stéphane ROGOMBE, Ghislaine ONANGA, Simone Ariane KOWET, Steeve RETENO, Yvon Mauxer MONDJO, Raymond AKITA, Nickyta AZINGO , Christian ABESSOLO EKOUMA, Yannick ALEKA ILOUGOU, Michelle KOUMBA IBINGA, Willy BOULINGUI, Joe Francis DEMBA et Ernest TSATSABI.

    À mes oncles, David IKOGHOU-MENSAH, Isaac IKOGOU, Samuel IKOGOU, Jacques IKOGOU, Claude OPENDA, Victor AKENDENGUE, Philippe OGOUERA, Martine KOKO-DICK, Flavienne WULINYAMIE, Jules DJEKI, Marc Louis ROPIVIA, Mesmin-Noël SOUMAHO et à tous les membres de ma famille, qui ne cessent de ménager leurs efforts et leurs encouragements.

    Sigles et abréviations

    D.G.S.T : Direction Générale des Services Techniques de la Mairie de Libreville. Elle

    est chargée de l'élaboration, la conception, l'exécution et le suivi des travaux techniques communaux ; l'entretien et la gestion, dans sa partie physique, du patrimoine bâti et roulant de la Mairie de Libreville.

    H.D.V. : Hôtel de Ville de Libreville.

    P.V.C : Sigle dérivé de l'anglais PolyVinylChlory de matière plastique. Il s'agit de

    tuyaux utilisés en plomberie pour les canalisations de la maison et qui servent pour l'évacuation des eaux usées. En général, les tuyaux p.v.c sont utilisés pour les fosses sceptiques. Pour la présente étude, nous avons pu constaté que sur le terrain, ces tuyaux P.V.C sont utilisés par les profanateurs pour aspirer l'or blanc dans les cimetières ; comme en témoignent les photos dans la 2ème partie du Mémoire.

    Liste des illustrations

    La photo n°1 : « Une des vues de la Mission protestante de Baraka de Libreville dans le 4ème Arrondissement »<<<<<<<<<<<.<<<<<<<<<<<<<<<<<<.26

    La photo n°2 : «Une vue principale du cimetière de Baraka »<<<<. <<<<..<< 27

    La photo n°3 : «Un aperçu de la Mission protestante de Baraka »<<<<<<. <<...27

    La photo n°4 : «Une vue latérale de la cathédrale Sainte Marie de Libreville ».<<.<< 28

    La photo n°5 : «Une vue partielle du cimetière catholique de Sainte Marie » < < << 29

    La photo n°6 : «Une prise de vue faciale de Sainte Marie>><<<<<<<<<<<<<29
    La photo n°7
    : << Des stèles à Sainte Marie >><<<<<<<<<<<<<<<<<< 30

    Figure n°1 : << Localisation géographique du cimetière de Mindoubé et de la décharge
    publique »<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<
    89

    Photo n°8 : <<Le portail principal du cimetière >><<<<<<<<<<<..< <<<< 90

    Photo n°9 : <<Une tombe immergée dans les huiles de vidange >><<<<..< <<<<<91

    Photo n°10 : << La tombe d'un chinois >><<<<<<<<<<<<<<<.<.<<<<91 Photo n°11 : <<Le crâne chinois>><<<<<<<<<<<<<<<. <<.<.<<<<.92

    Photo n°12 : << La face cachée d'une tombe >><<<<<<<<<<<<<. <.<<< 93

    Photo n°13 : << Un exemple de tombes profanées >><<<<<<<<<<. <<.<<< 93
    Photo n°14 : << Une vue d'ensemble du cimetière >><<<<<<<. <<<< <<<<94
    Photo n° 15 : << L'organisation sociale autour de la décharge >><<.<<<<<<<<< 95

    Photo n°16 : << Ce qui reste de la décharge >><<<<<<<<<<<<<<<<<<<99
    Photo n°17 :<< Le logement du gardien>><<<<<<<<<<<<. <<<<<<< .99
    Photo n°18:<< La technique classique>><<<<<<<<<<<<<<..<<<<<<.102

    Photo n°19 :<< La technique du p.v.c.>><<<<<<<<<<<<<<. <<<<< ..

    102

    Photo n°20 :<< Ce qui reste d'un corps profané>><<<<<<<<<<<.

    <<<..<..

    103

     

    Photo n°21 :<< La veste rouge>><<<<<<<<<<<<<<...<<<.

    <<<..<..

    105

     

    Photo n°22 :<< Autre manière de profaner >><<<<<<<<..<<<<

    <<<..<..

    106

     

    Photo n°23 :<< La tombe vide >><<<<<<<<<<<<..<<<<<

    <<<..<..

    107

     

    Figure n°2 : << Histogramme des tombes profanées à Mindoubé de 2004 à 2009 »<<<<

    108

     

    Indexe des tableaux

    > Tableau n°1 : Construction du concept de «l'or blanc>><<<<<..<<<<<<.24
    > Tableau n°2 : Les Églises à proximité des cimetières<<<<<<<<<<<. 25

    Introduction générale

    En sciences sociales, l'objet d'étude est toujours un rapport social rappelant l'écart, la distorsion entre une situation considérée comme « normale >> et une autre dite « pathologique >> pour parler comme DURKHEIM. On notera que « l'explication sociologique consiste exclusivement à établir des rapports de causalité, qu'il s'agisse de rattacher un phénomène à sa causalité, ou, au contraire, une cause à ses effets utiles >>.1

    Cette étude porte sur le rapport entre la mort et le pouvoir politique au Gabon. Le constat qui la justifie est qu'en période électorale au Gabon, et à Libreville singulièrement, les élections politiques sont considérées comme la période où « il ne se passe pas un seul jour où l'on ne signale pas la découverte de corps d'hommes ou de femmes délestés de leurs organes génitaux >>2 ; et où les cimetières de Libreville sont profanés pour la collecte des organes humains ou « pièces détachées >>, alimentant le marché occulte et illégal des restes humains.

    Ce constat donne du pouvoir politique une image d'un pouvoir mortifère, englué dans des croyances3 en la sorcellerie et aux fétiches, confirmant ainsi que « l'impact des forces occultes sur la politique nationale est devenu plus manifeste au cours des dernières décennies >>4.

    En effet, la profanation des tombes sert à prélever des crânes, des langues, des cheveux, des coeurs, des tibias, des fémurs, des phalanges, des foies, des poumons, des sexes, des testicules, des clitoris, pour la fabrication des fétiches. Ces organes humains, encore appelés « or blanc >>, sont censés être chargés de mana, de charisme, de l'évus, de l'inyèmba; qui permettrait de garantir les succès électoraux, le maintien ou l'acquisition des postes politiques.

    1 Émile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, 11ème édition, Paris, Puf/Quadrige, 2002, p.124.

    2 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, (coll. « Hommes et sociétés »), 2005, pp.19-21.

    3 Florence BERNAULT, << De la modernité comme impuissance. Fétichisme et crise politique en Afrique équatoriale et ailleurs », p.749 in Cahiers d'études africaines, XLIX (3), 195, 2009, pp.747-774.

    4 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, (coll. << Les Afriques »), 1995, p.23.

    Pour tout dire, ce marché occulte et illégal des restes humains à Libreville traduit un problème qui renvoie aux rapports sociaux de domination, d'exploitation ou d'assujettissement d'une classe sociale (c'est-à-dire ceux qui ont une position sociale importante qui commandent et achètent ces fétiches) sur une autre (c'est-àdire ceux qui ne possèdent rien). En un mot, pour tout << homme politique, pour devenir chef, il ne faut rien négliger et être pragmatique. Tout ce qui peut contribuer à renforcer sa stature est bon, y compris la magie, la religion, la sorcellerie dès lors qu'elles constituent des schèmes d'interprétation privilégiés pour la définition du vainqueur >>5.

    En l'occurrence, les profanations des tombes ou encore l'économie occulte et illégale << fait désormais partie de la panoplie profane des stratégies de survie en même temps qu'elle sert les ambitions des dirigeants >>6 au Gabon.

    5 Marc-Eric GRUENAIS, Florent MOUANDA MBAMBI, Joseph TONDA, << Messies, fétiches et lutte de pouvoirs entre les "grands hommes" du Congo démocratique », p.166 in Cahiers d'études africaines, année 1995, volume 35, numéro 137, pp.163-193.

    6 Jean et John COMAROFF, << Economies occultes et nouveaux mouvements religieux : la privatisation du nouveau millénaire », p.138, in Zombies et frontières à l'qre néolibérale. Le cas de l'Afrique du Sud post-Apartheid, Préface de Jérôme DAVID, Paris, Les prairies ordinaires, (coll. << Penser/croiser »), 2010, 188 p.

    Ce chapitre liminaire présente l'objet et le champ de l'étude.

    Section 1 : Objet et champ de l'étude

    1. Le marché occulte et illégal de la production et de la vente du corps humain à Libreville comme objet d'étude

    << Face au réel, ce qu'on croit savoir offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'dge de ses préjugés. Accéder à la science, c'est simplement rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé ».7 Aussi, « construire l'objet sociologique, c'est deviner sous les apparences les vrais problèmes et poser les bonnes questions >>.8

    L'observation de la réalité sociale gabonaise à l'orée des élections atteste que des profanations des corps et des tombes sont pratiquées dans les différents cimetières de Libreville que sont par exemple Lalala et Mindoubé dans le 5ème arrondissement. D'où l'existence d'un marché occulte et illégal de production et de vente du corps humain sous forme de << pièces détachées >> ou << or blanc >>. Par profanation des tombes et des corps, nous voulons dire qu'au-delà de la violation d'un lieu considéré comme sacré, telle une sépulture, il s'agit d'une appropriation, d'une expropriation ou d'une dépossession du corps de l'autre pour un trafic comme n'importe quel produit commercial, sauf qu'il s'agit d'un produit chargé de mana, de charisme, de magie et donc sacré.

    Cette économie occulte des corps explique le fait qu'il y a des cimetières9 construits autour des Églises afin de protéger les corps des religieux. Cette protection se fait contre la profanation des tombes qui conduit à la marchandisation du corps chargé de << charisme >>, de << mana >> et donc de << puissance extra-quotidienne >> pour parler comme WEBER et DURKHEIM. Ce qui est donc au coeur du problème de la profanation des corps et des tombes, c'est la valeur « extraordinaire >> et << extra-

    7 Gaston BACHELARD, La formation de l'esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance, Paris, Librairie philosophique J.VRIN, 2004, p.16.

    8 Madeleine GRAWITZ Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 11ème éd. 2001, p.384.

    9 Pour attester notre constat, nous vous proposons une série de photos prises lors de notre enquête de terrain du mois de juillet-août 2009, des pages 26 à 30.

    quotidienne » accordee aux organes humains ou « pièces detachees»10.Ce commerce des organes humains existe en Occident et ne participe pas à la sacralisation des corps puisque les parties du corps humain11 servent à fabriquer des prothèses pour le corps vivant. On parlerait ici de la marchandisation desacralisante.

    En fait, en Occident ces « pièces detachees » ne relèvent pas des mêmes logiques que les pièces detachees produites au Gabon et en Afrique. Quand les tombes sont profanees en Afrique pour prélever les organes humains, c'est dans l'optique de produire des fétiches. Pour tout dire, en Afrique, nous sommes dans le registre de la croyance des pouvoirs extraordinaires (le mana chez DURKHEIM, le charisme de WEBER, l'évus des fang, le dikundu des Punu ou l'inyèmba chez les Myènè) des organes humains.

    Ainsi, « les pièces detachees » que sont les mains, le coeur, le foie, le crane, le clitoris, les testicules, les phalanges, la langue sont des objets fetiches pour « le capitalisme occulte ». Du coup, profaner c'est paradoxalement produire du fetiche, du charisme ou du mana pour le marché d'un capitalisme particulier : le capitalisme de l'occulte ou du fétichisme.

    Autrement dit ce marche occulte et illegal de la production et de la vente du corps humain nous rappelle que le « fetichisme de la marchandise » de Karl MARX, theorise dans le Capital12 n'est qu'une métaphore de ce capitalisme de l'occulte. En effet, chez MARX, le « fétichisme de la marchandise » designe le phenomène par lequel, dans la production capitaliste, la marchandise sert de support aux rapports de production entre les hommes, donnant ainsi l'apparence que les rapports sociaux de production sont des rapports entre les choses. A posteriori, le fetichisme de la marchandise opère une confusion dans le système capitaliste entre les relations

    10 L'expression est de Joseph TONDA in « Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) », p.5 in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Étude d'Afrique NoireInstitut d'Études politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, 13 p.

    11 Markus GRILL et Martina KELLER, « Un trafic légal de tissus humains. 42 € le fémur, 14 € la trachée » p.42 in Courrier international, n°993 du 12 au 18 novembre 2009, 59 p.

    12 Karl MARX, Le Capital, Livre I, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, 699 p.

    sociales et les marchandises. Dans ce capitalisme de l'occulte nous avons affaire à une situation dépassant la métaphore marxiste.

    2. L'anthropologie symbolique du pouvoir comme champ d'étude

    Tout objet d'étude doit pouvoir s'inscrire dans un champ précis pour dégager les relations entre les différentes composantes de l'objet. Mesmin-Noël SOUMAHO rappelle que le champ d'étude est le « cadre théorique général dans lequel s'intègre la problématique de l'étude >>.13 De plus, « toute science cherche à définir son domaine, à mettre en évidence des faits en vue d'établir des lois >>.14

    Le choix de l'anthropologie symbolique du pouvoir comme cadre de référence de notre étude, nous permet de retrouver le sens des pratiques des profanations des corps et des tombes. En outre, toute culture est un ensemble de systèmes symboliques qui nous renseignent sur la façon dont les hommes conçoivent et interprètent leurs mondes et les rapports sociaux qu'ils établissent. D'ailleurs, « tout objet symbolique est un instrument de communication (<) d'une pratique sociale »15.

    Nous avons montré qu'en introduction générale, ce n'est pas seulement la logique capitaliste qui régit la société gabonaise, mais un mixte entre les logiques capitalistes et les logiques fétichistes. C'est ce que Joseph TONDA appelle « le Souverain moderne », qui traduit une situation oil les logiques capitalistes sont la métonymie des logiques fétichistes et inversement.

    L'anthropologie symbolique du pouvoir que nous convoquons nous aide à lire un rapport social conflictuel, basé sur le pouvoir d'exploitation et d'extorsion entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent rien. De même, elle nous autorise en outre à comprendre que dans la production des hommes de « pouvoirs », « le discours de l'autre est donc constitutif des positions de pouvoir et des rapports de

    13 Mesmin-Noël SOUMAHO, Eléments de méthodologie pour une lecture critique, Préface de J.COPANS et Postface de J.G BIDIMA, (coll. « Recherche Gabonaises ») mi-FuIPumumwo Bbanaux, C( 5* ( 3 1( CIMECNIg 1, 2002, p.123.

    14 Gaston MIALARET, Introduction aux sciences de l'éducation, Paris-Genève, Unesco-Delachaux et Niestlé, 1985, p.25, cité par Max Alexandre NGOUA in La sorcellerie du Kong à Bitam : Une manifestation symbolique de l'économie et de l'Etat capitaliste, rapport de Licence en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, Septembre 2003, p.5.

    15 Marc AUGÉ, Le Dieu objet, Paris, Flammarion, (« Nouvelle Bibliothèque scientifique »), 1988, p.46.

    force. Cette réalité, quel que soit le domaine envisagé (le système lignager, la vie politique), fondée sur une théorie de la sorcellerie, des pouvoirs et de la personne, relève nécessairement de l'univers des croyances< »16

    16 Marc-Eric GRUENAIS, Florent MOUANDA MBAMBI, Joseph TONDA, « Messies, fétiches et luttes de pouvoirs entre les "grands hommes" du Congo démocratique », p.164, in Cahiers d'études africaines, 1995, volume 35, numéro 137, pp.163-193.

    Section 2 : Construction du modèle d'analyse

    La construction du modèle d'analyse est le cheminement scientifique sur la base duquel nous bâtirons notre problématique ou encore notre démonstration. Car << tout travail de recherche s'inscrit dans un continuum et peut être situé dans ou par rapport à des courants de pensées qui le précèdent et l'influencent >>.17 Mieux, << la problématique est l'approche théorique ou perspective théorique qu'on décide d'adopter pour traiter le problème posé par la question de départ. Elle est une manière d'interroger les phénomènes étudiés >>.18

    Ainsi commencerons-nous dans un premier temps par << exploiter les lectures et les entretiens et faire le point sur les différents aspects du problème qui y sont mis en évidence >>19, pour arriver dans un deuxième temps à << choisir et construire sa propre problématique>>.20 Pour notre étude, nous entamerons l'exploration des acquis scientifiques qui portent sur les imaginaires (religieux) en Afrique, le fétichisme et le l'importance du corps.

    1. Les imaginaires fétichistes et le corps dans la littérature occidentale

    Pour DURKHEIM, le chercheur doit au préalable << définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question >>.21 Cela dit, nous devons préciser ce que nous entendons par la notion d' << imaginaire >>. Pour cela, nous avons retenu deux approches qui nous semblent appropriées pour notre travail: celles de CASTORIADIS22 et de GODELIER23.

    17 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, Manuel de recherche en sciences sociales, 2ème éd, Paris, Dunod, 1995, p.43.

    18 Ibid., p.85.

    19 Ibid., p.85.

    20 Ibid., p.86.

    21 Émile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, 11ème éd., Paris, PUF (coll. « Quadrige »), 2002, p.34.

    22 Cornélius CASTORIADIS, L'institution de l'imaginaire de la société, (3ème édition revue et corrigée), Paris, Editions du Seuil, 1975, 497 p.

    23 Maurice GODELIER, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l'Anthropologie, Paris, Editions Albin Michel, (coll. « Bibliothèque Albin Michel Idées »), 2007, 287 p.

    Pour Cornélius CASTORIADIS, << l'imaginaire » dont il parle dans ses recherches est une << création incessante et essentiellement indéterminée (socialhistorique et psychique) de figures/formes/images, à partir desquelles seulement il peut être question de "quelque chose"».24 Cette définition est intéressante parce qu'elle nous permet de retenir finalement que l'imaginaire, c'est cette faculté de création des images; ces mêmes images qui sont des symboles et l'imaginaire utilise les symboles pour se faire voir.

    Il en est de même pour Maurice GODELIER pour qui << l'imaginaire, c'est de la pensée. C'est l'ensemble des représentations que les humains se sont faites et se font de la nature et de l'origine de l'univers qui les entoure, des êtres qui le peuplent ou sont supposés le peupler, et des humains eux-mêmes pensés dans leurs différences et/ou leurs représentations (<), l'Imaginaire c'est l'ensemble des interprétations (religieuses, scientifiques, littéraires) que l'Humanité a inventées pour s'expliquer l'ordre ou le désordre qui règne dans l'univers ou dans la société, et pour en tirer des leçons quant à la manière dont les humains doivent se comporter entre eux et vis-à-vis du monde qui les entoure ».25 Retenons que l'imaginaire s'incarne dans les réalités matérielles et dans les pratiques.

    Après avoir tenté une explicitation du concept de << l'imaginaire » sur la base de deux approches qui sont, nous le pensons, complémentaires, venons-en à présent à la question relative aux imaginaires religieux et l'importance du corps en Afrique dans la littérature occidentale.

    Maurice GODELIER26 montre comment l'imaginaire religieux gravite autour du corps humain et la place que ce dernier peut occuper dans le système des croyances, des représentations et des symboles. Pour le comprendre, il part d'une

    24 Cornélius CASTORIADIS, L'institution de l'imaginaire de la société, ibid.p.7.

    25 Maurice GODELIER, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l'Anthropologie, ibid., p.38.

    26 Maurice GODELIER, Le corps humain. Conçu, possédé, supplicié, cannibalisé, Paris, CNRS Editions, 2009, 546 p.

    question dont la science n'a pas encore trouvé une réponse qui se veut rassurante pour l'humanité ; à savoir : pourquoi mourir ? Comment survivre ? De plus, de la naissance à la mort, c'est par le corps c'est-à-dire cet habitacle que l'homme se situe dans l'univers et fait l'expérience de ses congénères.

    Toujours et partout on a imaginé une ou plusieurs entités qui assurent la continuité de la personne à travers le temps et en illuminent les traits : âme, ombre, double, esprit, etc. Comment de telles entités accompagnent-elles le corps, le fortifient, s'en détachent ou se dressent contre lui, c'est ce que chaque culture a codifié à sa manière par des pratiques que l'on nomme par exemple << épreuves initiatiques >>, << actes sorcellaires >>, << possession >> ou << cannibalisme. >> L'auteur nous présente ici les traitements et les considérations réservées au corps humain et ce, quelque soit la culture.

    Jeanne FAVRET-SAADA27 se focalise sur l'ethnologie religieuse classique. Dans cette démarche, elle s'intéresse aux effets de la croyance à la sorcellerie et des pratiques magiques et religieuses dans le Bocage. Elle insiste sur le fait que la sorcellerie et les combats magiques sont réels et affectent la vie des populations du Bocage : en témoigne le cas de la famille BABIN. Jeanne FAVRET-SAADA retient notre attention parce qu'elle montre que les mots, la mort et les sorts sont liés puisqu'ils désacralisent le corps humain pour le resacraliser. Pour tout dire, être ensorcelé, c'est être sous l'emprise du « diable >>28. Il faut à cet effet se désensorceler en convoquant << les prêtres et plus spécialement les exorcistes diocésains >>29. Nous retiendrons que pour l'auteur, la sorcellerie et les pratiques magiques sont réelles. Aussi le combat mené par les prêtres sur le diable relève du quotidien.

    27Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, (coll. « Bibliothèque des Sciences humaines »), 1977, 332 p.

    28 Ibid, p.167.

    29 Ibid., p.167.

    AGAMBEN a proposé le concept de "la profanation". << Il s'agit d'un terme qui provient de la sphère du droit et de la religion romaine (droit et religion sont étroitement liés, et pas seulement à Rome) ».30

    Aussi précise t-il que << selon le droit romain, les choses qui, d'une manière ou d'une autre, appartiennent aux dieux étaient sacrées ou religieuses. Comme telles, elles se voyaient soustraites au libre usage et au commerce des hommes et on ne pouvait ni les vendre, ni les prêter sur gage, ni les céder en usufruit ou les mettre en servitude. Il était sacrilège de violer ou de transgresser cette indisponibilité spéciale qui les réservait aux dieux du ciel (on les appelait<< sacrées ») ou à ceux des enfers (on les disait alors simplement << religieuse »). Tandis que consacrer (sacrare) désignait la sortie des choses de la sphère du droit humain, profaner signifiait au contraire leur restitution au libre usage des hommes. Ainsi le grand juriste Trebatius peut-il écrire : "au sens propre est profane ce qui, de sacré ou religieux qu'il était, se trouve restitué à l'usage et à la propriété des hommes">.31

    Retenons que "profaner" c'est surtout restituer à l'usage et à la propriété des hommes, quelque chose qui fut certainement d'abord de la sphère du droit humain et qui fut par la suite consacré au religieux. C'est donc là une définition qui justifie les profanations des tombes à Libreville en périodes électorales. Grosso modo, << la profanation est le contre-dispositif qui restitue à l'usage commun ce que le sacrifice avait séparé et divisé ».32

    MARX a élaboré le concept de << fétichisme de la marchandise »33 qui désigne le phénomène par lequel, dans la production capitaliste, la marchandise sert de support aux rapports de production entre les hommes , donnant ainsi l'apparence que les rapports de production sont des rapports entre les choses. En fait, les rapports sociaux sont remplacés par le marché d'échange des marchandises, qui semble décider de lui-même qui fait quoi, et pour qui. Ces rapports sociaux deviennent ainsi

    30 Giorgio AGAMBEN, Qu'est-ce qu'un dispositif ? Traduit de l'italien par Martin RUEFF, Paris, Editions Payot & Rivages, p.38.

    31 Ibid., pp.38-39.

    32 Ibid., p.40.

    33 Karl MARX, Le Capital, Livre I, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, 699 p.

    confondus avec la marchandise qui semble alors empreinte des pouvoirs humains et qui devient le fétiche de ces pouvoirs. Par ailleurs, les rapports de production sont essentiellement sociaux, mais cet aspect social n'apparaît qu'être une relation entre les objets, entre les marchandises. D'où, la marchandise devient le support de ce rapport de production marchande.

    La marchandise est alors l'objet fétiche ayant pour rôle d'assurer la coordination de la production de toute la société, et elle le fait en occultant le caractère social de la production. En outre, les liens sociaux entre les unités de production se font uniquement par l'intermédiaire de la marchandise, lorsque celle-ci est mise sur le marché. Ce n'est qu'une fois qu'ils ont mis leurs marchandises sur le marché que les producteurs privés peuvent savoir si leur produit correspond aux exigences sociales, et si leur mode de production particulier correspond au mode de production social. Le marché opère donc une régulation de la production sociale, mais exclusivement par l'échange des marchandises. Pour tout dire, le fétichisme de la marchandise se traduit par un double mouvement : la réification des rapports sociaux et la personnification des choses. Et c'est ce qui arrive dans le marché occulte et illégal des restes humains où il y a transposition du fétichisme de la marchandise dans les rapports sociaux entre les hommes assujettis à leurs propres productions.

    Markus GRILL et Martina KELLER34 à travers leur article « Un trafic légal de tissus humains. 42 € le fémur, 14 € la trachée >>, posent le problème de la production des « pièces détachées >> ou de la « matière première >> pour le marché économique, pharmaceutique et médical ; dans le contexte régi par le capitalisme occidental et à l'ère de la mondialisation. A cet effet, les auteurs de l'article parlent de la « fabrication des pièces détachées humaines à partir des cadavres >> ou tout simplement le recyclage des morts. C'est un recyclage destiné aux grandes firmes médicales internationales américaines surtout. L'objectif de cette production est donc l'approvisionnement à bas coüt des chirurgiens américains.

    En rapport avec notre mémoire, l'article fait un parallélisme entre la sorcellerie des pièces détachées chez nous au Gabon en périodes électorales et celle du capitalisme qui parle aussi des << pièces détachées >>. Tout se passe comme si la sorcellerie africaine était le reflet de la sorcellerie capitaliste ; à tel point qu'on se demande si la notion de système n'est pas plus englobante et ne correspond pas à l'ordre capitaliste mondial.

    Cet article est donc en résonnance avec l'article des COMAROFF35 où ils montrent les effets du capitalisme néolibéral en Afrique du Sud post apartheid. Celui-ci procède, dans un contexte marqué par une crise économique et un chômage accru des sud-africains et la xénophobie, à la production des << zombies >>. Pour tout dire, nous nous rendons compte que le capitalisme et la sorcellerie ont en commun d'être des producteurs de « matières premières >> ou << pièces détachées >>. L'un et l'autre ayant de fait des affinités électives qui rendent ineptes les accusations de sauvagerie portées contre la sorcellerie.

    2. Les africanistes et universitaires gabonais face au fétichisme et l'importance du corps

    André MARY36 décrit le Gabon comme un vrai carrefour des religions et où le fétichisme, les Églises pentecôtistes, l'Islam, les sectes, l'argent, les cultes syncrétiques et le paganisme africain se rencontrent et se côtoient. Ce point de vue est partagé par Joseph TONDA avec le concept du << Souverain moderne >>. Dans cet imaginaire << diabolique >>, selon André MARY, certains personnages créés parfois par les Églises que sont << les sorciers et les féticheurs, le diable et les démons, sont des personnages omniprésents dans le Gabon d'aujourd'hui, dans les médias comme dans la vie quotidienne. L'indifférenciation des schèmes d'interprétation qui relèvent du registre

    35 Jean et John COMAROFF, << Nations étrangères, zombies, immigrants et capitalisme millénaire », pp.19-32 in Bulletin du CODESRIA 3 et 4, 1999.

    36 André MARY, << La violence symbolique de la pentecôte gabonaise » pp.143-163, in André CORTEN et André MARY (éds), Imaginaires politiques et pentecôtismes. Afrique /Amérique latine, Paris, Karthala, (coll. << Hommes et sociétés »), 2000, 365 p.

    de la sorcellerie et de la possession, du fétichisme et de la magie, de l'anthropologie ou des sacrifices humains, mais aussi de la démonologie est désormais chose commune. Les journaux locaux, les médias, aussi bien que les rumeurs véhiculées par radio trottoir ou les conversations privées, se font complaisamment, jour après jour, le relais d'affaires de sorcellerie, de meurtres rituels, de pactes diaboliques qui touchent tous les domaines de l'existence >>.37

    De même, c'est cet imaginaire diabolique qui prend forme dans cette violence symbolique de l'Église pentecôtiste gabonaise et constitue le lot quotidien de ces Églises à Libreville et qui fait dire à Joseph TONDA que << la violence de l'imaginaire, violence du fétichisme, s'exerce au moyen des images, des gestes corporels, des mots, c'est-à-dire des fétiches, supports d'idéologies. Cette violence a pour contexte privilégié celui des camps, espaces de déshérence, espaces déshérités, instables, mouvants, incertains ; autrement dit, espaces de dérégulation des ordres symboliques coutumiers >>.38

    On se rend compte que l'Église pentecôtiste gabonaise, pour mieux s'asseoir, amplifie l'enchantement de la réalité sociale gabonaise. Cet enchantement introduit une sorte de confusion où celui qui n'est pas converti est de facto responsable des malheurs dans sa famille. C'est dans ce genre de contexte social d'enchantement et de magification du monde social que << s'exerce la violence de l'imaginaire violence du fétichisme, les gens croient massivement à la réalité matérielle des entités imaginaires mais cette croyance est travestie par l'idéologie ~.39

    Joël NORET40 nous propose une réflexion axée sur l'imaginaire religieux et la place des morts au Sud Bénin dans son article intitulé << De la conversion au basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les milieux

    37 André MARY, « La violence symbolique de la pentecôte gabonaise », ibid., p.152.

    38 Joseph TONDA, le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, (coll. « Hommes et sociétés »), 2005, p.39.

    39 Ibid., p.44.

    40 Joël NORET, « De la conversion au basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », pp.143-155, in Politique Africaine « Globalisation et illicite en Afrique », n°93, mars 2004, Paris, Karthala, 193 p.

    pentecôtistes du Sud Bénin. » En effet, cet article examine la problematique de la place reservee aux morts dans les milieux pentecôtistes du Sud-Benin. Il s'appesantit à clarifier les enjeux et les implications de ce qui s'apparente fortement à « une evacuation des defunts ». Les morts, à travers le culte des ancêtres, sont fortement vénérés parce qu'étant les protecteurs des vivants ; les vivants leur doivent un total dévouement. D'où, le culte des ancetres apparaît comme un moment important dans la vie sociale des communautes du Sud-Benin, pour la simple raison que la croyance au pouvoir des morts est fondamentale.

    Florence BERNAULT41 utilise l'histoire coloniale pour comprendre la naissance de ces representations modernes du lien entre la religion et le politique, ou plus exactement les angoisses produites par l'imaginaire historique de ce lien. Elle affirme que l'impuissance de l'Afrique s'expliquerait par son encrage dans le fetichisme ; comme concept omnipresent dans les imaginations religieuses et politiques. Pour cela, elle constate que pendant la periode coloniale, le fetichisme africain fut une erreur religieuse et politique. Et que si dans la metropole le concept de fetichisme est abandonne par les chercheurs à ce qui semble, il demeure toujours d'actualité en colonies ; comme modèle explicatif en vigueur.

    En fait, BERNAULT pense que le fétichisme serait jusqu'alors « une constellation de superstitions primitives ou degenerees, responsables de la dissolution et de l'impuissance de l'Afrique »42. Enfin, elle souligne l'idée suivante : pendant que le christianisme occidental est perçu comme une instance principale du declin des croyances, superstitions dans la societe, les analyses sur les nouveaux christianismes africains insistent au contraire sur leur essor « quasi-incontrôlables » « sous forme hautement dramatisee et emotionnelle (lire irrationnelle) du pentecôtisme et des Eglises universelles dont le succès sans cesse grandissant ne

    41 Florence BERNAULT, « De la modernité comme impuissance. Fétichisme et crise du politique en Afrique équatoriale et ailleurs », pp.747-774 in Cahiers d'Études africaine, XLIX, 195, 2009.

    42 Ibid., p. 750.

    peut, dans cette perspective, que confirmer le statut du continent comme terreau inépuisable de tous les revivals mystico-spirituels >>43.

    Nous insistons également sur le lien qui unit les représentations symboliques et le capitalisme classique en convoquant les analyses des COMAROFF.44

    À travers leur article que nous avons cité supra, les COMAROFF parlent des effets du capitalisme classique néolibéral dans les campagnes sud-africaines postcoloniales ; envahies par des << zombies >>. Ils partent de la question << quel peut bien être le rapport entre les zombies et l'implosion du capitalisme néolibéral à la fin du vingtième siècle ? >> En fait, les COMAROFF disent que ces << zombies >> ne sont autres que des travailleurs immigrés, la plupart du temps clandestins qui, se savant en situation irrégulière et par peur d'être expulsés, démoniser voire assassinés par les autochtones, préfèrent vivre dans la discrétion et ne sortent travailler que la nuit. De plus, ils représentent une main-d'oeuvre bon marché pour les entrepreneurs, contrairement aux autochtones qui revendiquent de meilleures conditions de travail et de vie.

    Les COMAROFF ajoutent aussi que les Sud-africains, en post-apartheid, sont frappés de pleins fouets pas le chômage. Ainsi, étant victimes du chômage, ce sont plutôt les étrangers, les immigrés qui trouvent du travail, créant la xénophobie illustrée par la << zombification de l'étranger >>. Cette situation, découlant d'une crise économique, cause également une crise identitaire chez les Sud-africains. Pour les auteurs, dans de telles conditions, les étrangers, craignant pour leur sécurité, n'ont d'autres choix que d'organiser leurs vies sociales que la nuit. Ainsi, les étrangers, assimilés aux zombies qui viennent remplacer les autochtones dans les usines, << sont des citoyens qui donnent le cauchemar, le fait qu'ils soient sans racine risquant de

    43 Florence BERNAULT, << De la modernité comme impuissance. Fétichisme et crise du politique en Afrique équatoriale et ailleurs », ibid., p. 753.

    44 Jean et John COMAROFF, << Nations étrangères, zombies, immigrants et capitalisme millénaires » pp.19-32, in Bulletin du CODESRIA 3 & 4,1999.

    détourner ce qui reste de la prospérité de la population locale, prospérité qui diminue rapidement >>45.

    Florence BERNAULT46 met en relief les symboles qui gravitent autour du corps humain, aussi bien vivant que mort de la période coloniale à la période postcoloniale africaine. En effet, << il y a quelque chose de pourri dans le post-empire >> signale que le pouvoir se construit sur la puissance extraordinaire du corps humain resacralisé. Pour tout dire, l'existence et l'importance du trafic des corps est une des clés du pouvoir politique au Congo et au Gabon. Par ailleurs, il est évident que << le rapport entre pouvoir moderne et corps des hommes >>47 est basé sur l'exploitation et l'assujettissement du premier sur le second et dans cette perspective de négation de la sacralité du corps humain. BERNAULT en conclut que si on parle de la biopolitique ou primauté de la vie en Europe, en Afrique postcoloniale, c'est plutôt la primauté de la mort. Enfin, le corps humain est donc supplicié et transformé en objet marchand, en matière première, mieux, en fétiche politique.

    Ceci est d'autant plus vrai que « le rapatriement des cendres de BRAZZA au Congo rappelle ce que la pensée de la modernité occulte quotidiennement : le trafic des corps humains est une technique centrale de la politique moderne. La circulation des corps vivants (la traite et les migrants), des corps morts (les spécimens raflés par la science impériale, les os des Blancs recyclés dans les charmes indigènes, les dépouilles des héros statufiés, les transactions opérées sur les organes et le sang (transplants, médicaments magiques), a été, et reste, un enjeu central du pouvoir domestique, lignager et finalement national dans le monde pré- et post-impérial >>48.

    Pour nous, Florence BERNAULT nous aide à comprendre que le trafic du corps humain est une des clés du pouvoir politique puisqu'il rend compte d'une réification des personnes et des corps humains, présentés comme sacrés, << mais aussi l'existence de processus intenses et profonds de resacralisation de ces derniers à des

    45 Jean et John COMAROFF, << Nations étrangères, zombies, immigrants et capitalisme millénaires », p.25.

    46 Florence BERNAULT, << Il y a quelque chose de pourri dans le post-empire » pp.1-11; à paraître dans Cahiers d'études africaines en 2010.

    47 Ibid., p.1.

    48 Ibid., p.1.

    fins politiques, que ce soit en Afrique ou dans l'Occident impérial. Sacré ici signifiant que le corps humain est perçu comme dépositaire d'un pouvoir et d'une valeur dépassant sa nature physique, mesurable et dégradable. Ainsi la politique du trafic des corps, si essentielle aux hiérarchies de pouvoir des gouvernements modernes, ne peut être réduite à un échange de marchandises organiques et quantifiables, ou de ressources politico-économiques »49.

    Enfin, dans le même ordre d'idée, Florence BERNAULT50 montre bien qu'en Afrique centrale, le besoin d'insertion et surtout d'acquisition du pouvoir politique au sein de la société motivent les individus à s'adonner au commerce de l'or blanc, dans l'optique d'aborder la mondialisation avec sérénité. Elle nous rappelle ici que le corps humain est un fétiche51, dépositaire d'une « matière-sorcière >>, l'inyèmba, expliquant << le commerce des organes humains par des spécialistes des rituels, la circulation internationale de charmes et l'utilisation des morts en tant que travailleurs forcés pour le point de puissants appuis à des équations intrigantes entre le corps humain, l'argent et le pouvoir>>52. Au demeurant, l'auteur s'est penchée sur les représentations sociales du corps humain en Afrique centrale en rapport étroit au pouvoir, pour dire que << le corps n'a pas été considéré comme une réalité physique dont l'existence dérive de l'intégrité biologique, mais comme un multiple fragment de l'entité qui a conservé le pouvoir au-delà de la mort et de la mutilation »53.

    Après avoir convoqué les diverses contributions de ces africanistes, venons-en à présent à la contribution des universitaires et chercheurs gabonais face au fétichisme et l'importance du corps.

    49 Florence BERNAULT, << Il y a quelque chose de pourri dans le post-empire » pp.1-2; à paraître dans Cahiers d'études africaines en 2010.

    50 Florence BERNAULT, << Corps, pouvoir et sacrifice en Afrique équatoriale », pp.207-239 in Journal de l'histoire africaine, juin 2006.

    51 Ibid., p.210.

    52 Ibid., p.209.

    53 Ibid., p. 212.

    Joseph TONDA54 se propose de rendre compte de l'imaginaire politique et religieux au Gabon en conceptualisant les rapports sociaux existant sous toutes ses formes par l'emploi d'une notion chargée de sens : le Souverain moderne (il faut dire que cette notion de souverain s'est retrouvée employée par Michel FOUCAULT). C'est ce souverain moderne qui, selon Joseph TONDA, est mieux adapté pour décrire les rapports sociaux existant au Gabon. Car il aurait pour fondement la violence de l'imaginaire, qui s'exprime par la transgression de l'ordre coutumier des traditions.

    Celle-ci sera redoublée par la violence du fétichisme, qui trouve pour sa part son soubassement dans la reconnaissance de la réalité d'entités imaginaires tels que les génies ou les ancêtres et dont l'action concrète s'exerce à travers notamment des morts ou des images dans les espaces de dérégulations. Partant du fait que l'imposition et la conversion au christianisme constituent une resacralisation des corps, notons à ce sujet que pour les missionnaires, « les Africains seraient, dans cette perspective, des sujets sociaux du dieu du mal, ami du corps et de la matière. C'est dans cette perspective que Charles De BROSSES a défini "le fétichisme" c'est-à-dire la religion de l'humanité primitive surtout africaine (mais, pour De BROSSES, on peut douter de l'humanité des africains), caractérisée comme non intellectuelle, résultant d'un "procès purement aveugle, impulsif, affectif, " n'expriment que "des passions, des besoins, des craintes, mais jamais aucun discernement"».55 En définitive, Joseph TONDA évoque une disposition sociale singulière des rapports sociaux basée sur« l'organisation et à l'administration de la violence comme forme particulière des rapports aux corps, aux choses et au pouvoir».56

    Pour tout dire, la revue de la littérature a consisté à présenter les travaux des chercheurs (occidentaux, africanistes et gabonais) au sujet des imaginaires liés au fétichisme et à l'usage du corps humain en Afrique, au Gabon particulièrement. Cependant, nous voulons montrer que l'idée de la profanation des tombes et des

    54 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, (coll. « Hommes et sociétés »), 2005, 297 p.

    55 Ibid., p.21.

    56 Ibid., p.23.

    corps soit au coeur même de la production des rapports sociaux et du pouvoir politique au Gabon, surtout en periodes electorales.

    Autrement dit, nous considerons que le corps humain, sinon les organes humains qui le composent sont dotes de pouvoirs surnaturels, extraordinaires (tels le « mana », « le charisme », « l'évus », « l'inyèmba ») pour permettre à son utilisateur d'être « puissant », « un grand quelqu'un »57.

    3. Notre perspective sur la question du marché occulte et illégal des restes humains à Libreville

    En annee de Maîtrise, nous avons montre qu'il existe un marché des restes humains mis en evidence par les profanations des tombes58 en periodes electorales au Gabon. Ce qui atteste effectivement que « de jour comme de nuit, les cimetières sont visites. Les ossements humains foisonnent. Et il semble que dans cette affaire là, les parties genitales sont recherchees et que les « clitos » sont devenus des barres d'or >>.59 En effet, pour Joseph TONDA, la collecte des organes humains ou «pièces detachees »60 que sont la langue, les oreilles, le nez, le crâne, les mains, les doigts, le fémur, coeur, les organes génitaux, est l'objectif des acteurs politiques ou mandataires61 pour assurer leurs divers succès electoraux. Neanmoins, il faut souligner qu'il existe plusieurs sortes de profanation : la profanation des tombes ou des sépultures, profanation de la mémoire d'un défunt, blasphème en l'encontre

    57 Expression gabonaise utilisée pour qualifier ceux-là, c'est-à-dire, les grands barons qui bénéficient des privil4ges, des avantages et des faveurs du pouvoir politique mis en place depuis plus de 42 ans sous l're d'Omar BONGO ONDIMBA.

    58 Au sujet de ces profanations des tombes, nous pouvons citer par exemple que le cimetière de Mindoubé en a fait les frais; nous avions recensés plus de quatre-vingt dix tombes profanées sur la période électorale de 2006 à 2008. Pour être plus précis, il s'agit de 87 tombes, qui présentaient une caractéristique commune : ces tombes n'étaient pas carrelées.

    59 Joseph TONDA, « Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) » in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Étude d'Afrique Noire-Institut d'Études politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, p.4.

    60 L'expression est de Joseph TONDA in « Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) » in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons, p.3.

    61 L'expression est de Pierre BOURDIEU in Choses dites, Paris, Editions de Minuit, (coll. « Le sens Commun »), 1987, 228 p.

    d'une divinité ou encore, profanation des tombes illustrées par le marché occulte et illégal des restes humains en tant qu'objet de ce mémoire.

    Avec la profanation des tombes, il est question de violer un lieu considéré comme sacré (ici le cimetière), pour aller prélever les organes humains qui servent à renforcer voire consolider le pouvoir de son utilisateur. Toutefois il n'y a pas que les mandataires politiques qui profanent. C'est fort des contributions de nos prédécesseurs, que notre démarche est adossée à l'idée que pour nous, le marché occulte et illégal des restes humains est une pratique sociale réelle et traduit la nature véritable des rapports sociaux au Gabon; dans un contexte régi par le capitalisme.

    Dans un tel contexte de commerce, tout est objet de marchandise ; le corps humain n'en est pas en reste puisqu'il est devenu une marchandise pour le marché fétichiste et aux politiques. À la limite, la profanation conduit à une économie de la réification des personnes et des corps. Pour cela, notre objet d'étude s'inscrit donc dans le cadre théorique du fétichisme de la marchandise d'intuition marxiste et inspirée par les travaux des COMAROFF. Car ce sont ceux qui ont une position sociale importante qui commanditent et achètent ces produits. Et c'est le vécu des populations qui exprime un rapport social conflictuel, d'exploitation, de domination et d'assujettissement entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent rien.

    4- Énonciation de notre hypothèse de recherche

    « L'hypothèse est une proposition de réponse à une question posée. Elle tend à formuler une relation entre les faits significatifs >>.62 Elle est à la base du modèle d'analyse parce qu'elle se définie comme une supposition (du grec « hypothesis »), « une explication provisoire de la nature des relations entre deux ou plusieurs phénomènes. L'hypothèse scientifique doit être confirmée ou infirmée par les faits >>.63 Avant d'émettre notre hypothèse, nous nous sommes posé la question de savoir : quel lien existe-t-il entre d'une part les économies occultes de la vente des restes humains et d'autre part le pouvoir politique ?

    A cela, nous proposons la réponse suivante : il s'agit d'un lien de dépendance entre les économies occultes et le pouvoir politique, car le pouvoir politique est un pouvoir mortifère, alimenté par la mort. Par économies occultes, j'entends la collecte ou la production des << pièces détachées humaines >> dans les cimetières de Libreville (Mindoubé par exemple) et leur mise vente en période électorale au politique, dans l'optique d'assurer le succès électoral. C'est ce que nous avons appelé le « fétichisme politique >>. Enfin, << par "pouvoirs"-au pluriel- il faut entendre les vertus efficaces attribuées, dans les représentations<, aux différentes instances psychiques de la personne, qui sont aussi fonction des positions respectives<de l'individu qui est censé les exercer et de celui qui est censé en subir les effets bénéfiques ou maléfiques. Les "pouvoirs", en ce sens, correspondent à ce que Leach a appelé dans Critique de l'anthropologie "influence mystique" ou "agression surnaturelle". Les "pouvoirs" sont également ceux des morts, des génies, des nains de la forêt, de ceux qui savent voir clair et ceux qui peuvent guérir >>64.

    La question des économies occultes dans la société gabonaise c'est l'énigme du rapport à la mort. Elle fonctionne sur la vente des restes humains, sur l'exploitation de la mort. La mort qui permet d'alimenter tous les domaines de la vie sociale (politique, familiale, économique, etc.). C'est donc un rapport de la mort au pouvoir.

    Une préoccupation est celle de voir aussi comment le christianisme se situe par rapport à la relation entre le capitalisme et la sorcellerie. Pour résumer, le véritable enjeu que nous posons dans ce mémoire est que la profanation des corps et leur << consommation >> est commune au capitalisme et à la sorcellerie. N'oublions pas que << ceci est mon corps qui est donné pour vous >>65 dans l'Eucharistie où les chrétiens << consomment >> le corps du Christ<Non pas pour le profaner, mais pour s'approprier ses qualités purificatrices. Et que le pentecôtisme nous rappelle que le

    64 Marc-Eric GRUENAIS, Florent MOUANDA MBAMBI, Joseph TONDA, « Messies, fétiches et lutte de pouvoirs entre "les grands hommes" du Congo démocratique », p.164, citant Marc AUGE in Théories des pouvoirs et idéologies. Etude de cas en Côte-d'Ivoire, Paris, Hermann, 1975,439 p.

    65 Cf. les textes bibliques de Luc 22 v 19, Matthieu 26 v 26 ou 1 Corinthiens 11 v 24.

    corps humain << est le temple du Saint Esprit >>66, donc un objet sacré. Les photos des pages 26 à 30 montrent bien que l'Église chrétienne protège les corps; elle les protège de leur mise en vente sur le marché et du coup, elle se range ainsi du côté de la loi, c'est-à-dire de l'État. Aussi, ceux qui consomment les pièces détachées dans la sorcellerie et dans la médecine capitaliste, le font dans quel but ?

    5- Définition et construction du concept central

    << Le concept en tant qu'outil, fournit non seulement un point de départ, mais également un moyen de désigner par abstraction, d'imaginer ce qui n'est pas directement perceptible >>.67 Plus important encore, pour le chercheur, c'est qu'il doit << définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question >>.68 La définition du concept, bien qu'étant qu'une simple « convention terminologique >>, opère un tri des faits que cherche à rendre intelligible le chercheur. Après être prêtés à cette exigence méthodologique, nous avons retenu le concept fondamental suivant de notre travail: l'or blanc.

    5.1. Définition du concept de « l'or blanc» comme concept fondamental de notre étude

    Nous entendons par le concept de << l'or blanc », la collecte et la production des << pièces détachées >> humaines dans les cimetières de Libreville à travers la profanation des tombes et leur mise en vente en période électorale au politique, sur le marché du fétiche, dans le but de fabriquer les amulettes et autres artifices cultuels pour assurer les succès électoraux.

    Pour tout dire, << l'or blanc » que nous proposons dans le contexte gabonais, se décline sous deux dimensions : le marché illégal du corps humain et l'occulte.

    66 Cf. I Corinthiens 6 verset 19.

    67 Madeleine GRAWITZ, Méthode des sciences sociales, op.cit., p.385.

    68 Émile DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, 11ème éd., Paris, PUF (coll. « Quadrige »), 2002, p.34.

    5.2. Tableau n°1: Construction du concept de «l'or blanc »

    Concept

    Dimensions

    Indicateurs

    L'or blanc

    Le marché illégal du
    corps humain

    > La production et mise en vente des << pièces détachées >>

    > Problème juridique/ l'illégalité

    > Désacralisation des cimetières

    > Profanation des tombes/corps

    Occulte

    > Vénérer Satan

    > Croyances aux pouvoirs des morts : la nécromancie

    > << Ceux qui pratiquent >>

    > Fabrication des fétiches

    Section 3 : Démarche méthodologique

    La notion de << terrain >>, notion clé en sciences sociales en ce sens que c'est le terrain qui est le premier << guide du chercheur >>, il est également le laboratoire où le chercheur va puiser le matériau brut de son enquête et il est enfin le lieu idéal où l'on peut observer les pratiques sociales, sinon la réalité sociale. En effet, << faire du terrain, c'est avoir envie de se colleter avec les faits, de discuter avec les enquêtés, de mieux comprendre les individus et les processus sociaux >>.69 Il va de soit qu'il n'y a pas de recherche sans terrain, surtout en sciences humaines.

    1- Cadre empirique de la recherche

    Indépendamment du cimetière de Mindoubé comme cadre empirique principal de notre recherche, nous avons aussi retenu deux autres sites : la Mission protestante de Baraka et la cathédrale Sainte Marie de Libreville. Ces deux sites présentent une même caractéristique : ils sont construits aux abords des cimetières (comme le montrent les photos qui suivent). D'où le tableau suivant :

    69 Stéphane BEAUD et Florence WEBER, Guide de l'enquête de terrain. Produire et analyser des données ethnographiques, Nouvelle édition, Paris, éd. La Découverte, 2003, p.16.

    Tableau n°2 : les Églises à proximité des cimetières

    Arrondissement

    Église

    Cimetière
    clôturé

    Cimetière
    éclairé

    Cimetière
    Gardé

    Obédience

    2ème

    Sainte Marie

    Oui

    Non

    Non

    Catholique

    4ème

    La Mission Baraka

    Partiellement

    Non

    De jour

    Protestante

    Nous voulons apporter quelques précisions. La Mission protestante de Baraka est construite à côté de son cimetière et comme nous l'a fait remarqué le pasteur Raymond AKITA de la paroisse :

    Énoncé n°1 :

    - « La construction du cimetière répondait déjà à un souci de sécurité des morts. Depuis l'antiquité, les cimetières doivent être mis en sécurité par les hommes d'Église pour éviter les profanations des tombes. L'Église étant mieux placée pour connaître les lois ésotériques. L'Église se faisait garante de veiller sur les cimetières. Et l'Église a compris et a réalisé que le pôle central de toutes les Églises du monde entier doit regarder le coucher du soleil. Tout simplement parce que le coucher du soleil est le repos de l'dme. Tout n'est que la symbolique du reflet du visible et de l'invisible selon les enseignements de l'Église et des dimensions supérieures. Alors quand tu viens à l'Église le dimanche c'est pour chercher le repos de ton dme. Et la porte centrale regardant le coucher du soleil c'est le symbole de l'homme qui a travaillé toute la journée et qui rentre dans sa maison le soir se reposer. Et l'Église, pour l'orientation de la vérification de la porte centrale face au coucher du soleil, l'Église a jugé mieux non seulement pour la sécurité, pour éviter la profanation des tombes, a trouvé mieux de mettre les cimetières derrière les Églises. Et la tête et la croix se situent au niveau du levé du soleil tout simplement parce que le levé du soleil est le symbole de la résurrection, de la naissance, le réveil du matin. Comme l'homme se réveille, celui qui est parti aussi a besoin d'un réveil par l'orientation de la croix sur la zone du soleil ».70

    Ce que montrent surtout ces propos, c'est que la mission de l'Église est de protéger les cadavres de la profanation. Autre fait, c'est que les propos du pasteur, le

    70 Propos du pasteur Raymond AKITA, pasteur de la Mission protestante de Baraka de Libreville, 42 ans, Galoa. Entretien réalisé le 6 août 2009 à 13 heures. Il exerce le sacerdoce depuis 2000.

    seul qui a bien voulu nous recevoir, nous éclairent sur la façon dont sont disposées les tombes dans un cimetière et cela peut expliquer les propos selon lesquels il y'aurait une vie après la mort. La Mission protestante de Baraka est construite autour des habitations et Sainte Marie, est plutôt entourée de cimetières, nonobstant l'école catholique qui est située dans sa concession. De même, pour avoir une idée précise de ce que nous avançons ici, nous proposons aussi quelques photos de La Mission Baraka et de la cathédrale Sainte Marie qui viennent illustrer notre argumentation :

    Photo n°1 : Une des vues de la Mission protestante de Baraka
    de Libreville dans le 4ème arrondissement

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6 août 2009

    Au premier plan, on peut apercevoir la bâtisse en bois construite dans les années 1880 par les missionnaires américains au Gabon. On note également une route secondaire visible qui conduit au cimetière de la Mission. Enfin, au second plan le nouvel édifice abritant la paroisse et au milieu la route principale goudronnée. De plus, le site est dans l'obscurité. Enfin, pour revenir au premier plan, la bâtisse en bois sert de centre de documentation et peut, selon les circonstances, prêter son cadre pour des réunions importantes etc.

    Photo n°2 : Une vue principale du cimetière de Baraka

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6 août 2009

    Le portail principal du cimetière est fait de bois et c'est un site qui n'est pas éclairé comme Plaine Niger, Mindoubé et Lalala. On observe lors de notre passage un travailleur qui préparait le caveau pour un enterrement. De plus, le pasteur AKITA nous a rappelé qu'il n'y a aucune profanation dans ce site. Ce qui prouve que l'Église protège de la profanation des tombes et des corps.

    Photo n°3 : Un aperçu de la Mission protestante de Baraka

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6 août 2009

    Notons que la paroisse est sans barrière de protection et est traversée de jour comme de nuit par les habitants qui vivent aux alentours.

    Photo n°4 : Une vue latérale de la cathédrale Sainte Marie de
    Libreville

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6 août 2009

    Ici en premier plan, nous avons le cimetière catholique de Sainte Marie qui est protégé par une barrière. Notons que seules les tombes des missionnaires et les hommes qui ont servi l'Église y sont enterrés. Le site toutefois est dans l'obscurité. Dans la concession, il existe ce genre de cimetière, surtout lorsque l'on fait le tour de la cathédrale. Il ya plus de 2 ans que cette cathédrale fut fermée au public pour des travaux de réfection et d'agrandissement. Il semblerait que ces travaux ne furent qu'un alibi pour mieux déplacer la dépouille du défunt archevêque Monseigneur ANGUILET qui fut enterré à l'intérieur comme le veut la tradition catholique. Il fut canonisé.

    Photo n°5 : Une vue partielle du cimetière catholique de
    Sainte Marie

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6 août 2009

    De près cette photo montre bien la disposition des stèles dont faisait allusion le pasteur AKITA. Au second plan, nous avons la cathédrale et juste sur son flan gauche, des statuettes d'hommes d'église qui ont fait son histoire. C'est comme si il s'agit d'un culte des morts un peu à l'européenne.

    Photo n°6 : Une prise de vue faciale de Sainte Marie

    Toujours pour renchérir les propos du pasteur AKITA, nous voyons que sur ce plan, une tombe a été érigée juste à l'entrée de l'église et est toujours disposée de telle sorte que le défunt puisse « ressusciter » selon le levé du soleil.

    Photo n°7 : Des stèles à Sainte Marie

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6 août 2009

    On se rend compte finalement que Sainte Marie est un grand cimetière et nonobstant le fait que la cathédrale soit un lieu de prière, ce qui fascine les visiteurs et donc l'Église est un « cimetière » fait pour protéger les corps de la profanation.

    2- Caractéristiques de notre population d'enquête

    Sur un échantillon de cinquante-deux (52) personnes, nous n'avons retenu que 25 personnes dont les réponses nous paraissent plus pertinentes pour le travail. Aussi, en références documentaires, nous avons détaillé cet échantillon de vingt-cinq (25) personnes.

    3. Techniques de collecte et de traitement des données

    3.1. L'entretien et la photographie comme techniques de collecte des données

    La technique utilisée pour collecter l'information repose sur un guide d'entretien, technique que nous avons trouvé pertinente car elle met en situation d'échange le chercheur et l'informateur ; mieux, comme on dit, il s'agit d'« une technique qui consiste à organiser une conversation entre enquêté et enquêteur. Dans cet esprit, celui-ci doit préparer un guide d'entretien, dans lequel figurent les thèmes qui doivent être impérativement abordés ».71 De même, le travail ethnographique est délicat puisque « être ethnographe, en effet, c'est d'abord consigner les dires d'informateurs indigènes convenablement choisis ».72

    En somme, il existe plusieurs modalités d'organisation des entretiens ; dont nous avons retenu l'entretien semi-directif comme modalité utilisée. Cet entretien semi-directif « suppose que le chercheur annonce à son interlocuteur le thème de l'entretien. Il fait en sorte que celui-ci se déroule le plus « naturellement » possible (non standardisation de la forme et de l'ordre des questions), tout en abordant l'ensemble des sujets fixés au départ ».73

    La photographie pour sa part nous permet de mieux apprécier le phénomène étudié parce qu'elle raconte l'objet en le rendant plus vivant, plus concret. En fait, elle suscite les émotions et la sensibilité du chercheur et des lecteurs face à l'objet d'étude. Mieux, les « photographies pourront (<) servir de document, d'aidemémoire »74 et font du chercheur un « spectateur au carré, caisse de résonance du spectacle»75 ou un témoin oculaire. La photographie est donc une preuve

    71 Alain BEITONE et al., Sciences sociales, Paris, Sirey, (coll. « aide-mémoire »), 3ème éd., 2002, p.27.

    72 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, 1977, p.26.

    73 Alain BEITONE et al., ibid., p.28.

    74 Stéphane BEAUD et Florence WEBER, Guide de l'enquête de terrain. Produire et analyser des données ethnographiques, Nouvelle édition, Paris, éd. La Découverte, 2003, p.154.

    75 Ibid., p.155.

    immensément importante au sujet de la nature même de l'objet d'étude observé et sur le rôle que l'on occupe souvent sans le savoir sur le terrain.

    3.2. L'analyse de contenu comme technique d'analyse des données

    « L'analyse de contenu porte sur des messages aussi variés que des oeuvres littéraires, des articles de journaux, des documents officiels, des programmes audiovisuels, des déclarations politiques, des rapports de réunion ou des comptes rendus d'entretiens semi-directifs. Le choix des termes utilisés par le locuteur, leur fréquence et leur et leur mode d'agencement, la construction du « discours » et son développement constituent des sources d'informations à partir desquelles le chercheur tente de construire une connaissance ».76

    En un mot, l'analyse de contenu est un des outils d'analyse qui nous permet, en tant que technique de traitement des données, de confronter l'idée selon laquelle les faits scientifiques sont à la fois « conquis, construits et constatés ». Au coeur du dispositif : le recueil des données et leur analyse. Elle nous permet de rendre explicite l'implicite, pour lire au-delà des textes, pour décrypter les idéologies de nature qualitative et quantitative. Surtout, elle est à la base de la construction de notre concept fondamental d'étude : l'« or blanc ».

    3.3. Limites de l'étude

    Une des difficultés majeures n'est pas tant celle de la documentation en tant que telle, plutôt de pouvoir obtenir des entretiens avec les différents responsables religieux de Libreville. En effet, nous n'avons pas pu rencontrer un des prêtres du séminaire Saint Augustin assermenté sur la question et ce ; indépendamment du fait que nous étions recommandés. Cependant, seul le vicaire de la Paroisse de Saint André, l'abbé Dieudonné nous a apporté des informations précieuses. Il en est de même pour le pasteur de la Mission protestante de Baraka qui a été très coopératif.

    76 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT, op.cit., pp.229-230.

    Par ailleurs, certains pasteurs des Églises dites de réveil qui, lors de nos premiers passages, acceptaient de nous recevoir puis, refusèrent sous prétexte qu'ils n'avaient jamais le temps disponible.

    Précisons que nous assistions à toutes les messes comme ces pasteurs nous le recommandaient mais après, des parades étaient mises en place pour ne plus nous recevoir. De même, nous nous rendons compte que travailler de manière générale sur la problématique de la mort à Libreville pose d'énormes difficultés : la réticence de nos interlocuteurs de nous recevoir. Parfois même, on a été victime d'injures (les plus fréquentes faisaient toujours allusion à une possible adhésion aux loges rosicrucienne et franc-maçonne de la place) parce que selon eux, on ne peut pas travailler sur de tels sujets sans être un des leurs.

    Pour finir, signalons que l'anonymat et les agressions verbales des interlocuteurs au cimetière ont constitué aussi des limites. En effet, si certains de nos interlocuteurs ont accepté que nous déclinions leurs identités dans ce mémoire, il n'en demeure pas moins que la majorité de nos interlocuteurs (surtout les familles des victimes des profanations des tombes et certains habitants de Mindoubé) a préféré l'anonymat et les menaces verbales à notre égard ; due certainement à la sensibilité et à la délicatesse du sujet que nous traitons présentement.

    Introduction de la première partie

    Cette partie intitulée << Approche historique des profanations des tombes >> est centrée sur l'interrogation du passé ; en tant que matériau indispensable et susceptible de nous apporter des éclaircissements, afin de mieux connaître la réalité sociale d'aujourd'hui. En effet, nous pensons que la profanation des tombes et des corps prend ses racines dans le culte des ancêtres et où les ossements humains, particulièrement le crâne humain, en sont les principaux éléments. Des éléments sans lesquels aucune vénération, aucune supplication ne peut être faite aux ancêtres.

    En fait, le culte des ancêtres montre que les ossements humains qui y sont conservés et utilisés, apparaissent comme des fétiches (c'est-à-dire comme des choses, des objets censés détenir un quelconque pouvoir surnaturel, surhumain ou extraordinaire et se présentant comme des intermédiaires permettant aux vivants de dialoguer avec leurs ancêtres).

    Par ailleurs, dans ces sociétés symboliques et lignagères, le culte des ancêtres (le << Byéri >>, le << Melan >> chez les Fang, l'« Agombé Nèrô >> chez les Myènè, le << Malumbi >> chez les Eshira ou encore le << Ndjobi >> chez les Adouma, les Massango et les Obamba ou encore du Bwiti chez les Mitsogho, etc.) était exclusivement familial et clanique parce qu'on vénérait ses propres ancêtres responsables des lignées des vivants. Les Fang par exemple << mettaient le meilleur d'eux-mêmes à vénérer leurs Ancêtres, dans le culte. Le byer est le fondement des valeurs morales auxquelles les individus doivent se conformer dans les usages, les rites, les croyances. Tous les sacrifices et les formules invocatoires se réfèrent à lui >>.77

    Pour tout dire, le byéri est le socle de la société Fang car << la société Fang était inconcevable sans le byer >>.78 Il est << simplement une pratique rituelle -tout comme " la flamme du souvenir"- consistant en un "culte" privé, familial, rendu aux mânes des ancêtres, afin d'obtenir, à la fois leur bienveillance et leur protection et d'honorer leur

    77Paulin NGUEMA OBAM, Aspects de la religion Fang, Essai d'interprétation de la formule de bénédiction, Paris, Karthala/A.C.C.T, 1983, p.54.

    78 Ibid., p.42.

    mémoire ».79 Ce qui prouverait que la puissance dans le crâne est sociale et elle est là pour protéger, non pas pour détruire.

    Nous verrons d'abord dans le premier chapitre, le rôle des reliques au Gabon avec toutes leurs implications. Ensuite, dans le seconde chapitre, nous montrerons comment la conversion des gabonais au christianisme, donc à un autre sacré, conduira à la criminalisation de leurs propres pratiques reliquaires.

    79André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et croyances des peuples du Gabon. Essai sur les pratiques religieuses d'autrefois et d'aujourd'hui, Libreville, éd. Raponda-Walker, (coll. « Hommes et société »), 2005, p.147.

    Chapitre I : Les reliques au Gabon

    Les reliques désignent les ossements humains ou alors ce qui reste du corps d'une personne et qui a été conservé à des usages divers. Par exemple, on parle des reliques des saints, ou celles d'une personne qui, de son vivant, avait la capacité d'accomplir des choses « extraordinaires » et dont les restes demeurent à ce titre précieux. Ce chapitre s'attellera à montrer le rôle prédominant des reliques dans l'organisation sociale des gabonais à un moment donné ; en tête duquel le culte des ancêtres.

    Section 1 : Le culte des ancêtres comme illustration des pratiques reliquaires

    1. Le rôle du culte des ancêtres dans l'organisation sociale

    Le culte des ancêtres est une institution sociale qui rassemble les individus d'un meme lignage autour d'un ancetre commun. D'où le culte qui est voué à ce dernier parce qu'étant ce médiateur entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés. Le culte des ancetres permet d'asseoir l'autorité d'un clan sur un autre et protège ses membres ; leur assure richesse, fécondité. Pour nous, le culte des ancêtres est « un fait social total » au sens de MAUSS ; parce qu'il est collectif et il met en branle les différentes sphères de la société. D'où, « il est religieux, mythologique, parce que les chefs incarnent les ancêtres et les dieux ; il est économique et il faut mesurer la valeur, l'importance, les raisons et les efforts de ces transactions énormes. Il est aussi un phénomène de morphologie sociale ; la réunion des tribus, des clans et des familles, un phénomène esthétique, par les fetes qui s'y déroulent (<) »80

    Pour tout dire, les ancêtres jouaient un rôle prédominant dans la vie quotidienne des vivants parce qu'« ils pouvaient ainsi punir ceux qui se conduisent mal envers leurs congénères, récompenser ceux qui agissent bien et d'une façon générale, veiller sur l'ensemble des membres du groupe familial ou clanique pour les

    protéger de toute menace venant du monde des vivants ou celui des morts. C'est ce qui expliquait l'importance, chez tous les peuples du Gabon antique, du culte des ancêtres qui était censé assurer le lien entre les membres encore vivants de la famille et du clan et ceux qui étaient déjà morts, manifestant ainsi leur unité et leur solidarité à travers les siècles »81.

    Ce sont finalement eux qui régulaient l'existence sociale des vivants parce que rien ne pouvait se faire sans les consulter, étant donné que « les peuples du Gabon antique étaient persuadés que tous ceux qui étaient morts continuaient à côtoyer les vivants et à influencer leur destin »82.

    2. Qui en est le gardien et le prêtre ?

    Comme nous venons de le voir, le culte des ancêtres est « simplement une pratique rituelle -tout comme " la flamme du souvenir"- consistant en un "culte" privé, familial, rendu aux manes des ancetres, afin d'obtenir, à la fois leur bienveillance et leur protection et d'honorer leur mémoire ».83 Et puisqu'il se pratique strictement dans le cadre familial, l'honneur revient donc au chef de famille, en tant que chef du clan, du lignage ou chef de la maison, d'en assurer la garde et d'en etre le prêtre du culte. A cet effet, il « en donne connaissance seulement à l'un de ses garçons lui transmettant ainsi la charge et le pouvoir de perpétuer ce culte dans la famille »84.

    C'est donc un culte familial qui se transmet de génération en génération, de père en fils car par exemple, « quand un chef de famille fang choisit un de ses garçons pour lui donner connaissance du Byéri, il s'agit d'un jeune homme de 25 à 30 ans, environ, marié, avec des enfants, afin que la perpétuation du culte puisse être assurée, et qu'il juge digne de garder les reliques de famille et d'en transmettre le

    81 Nicolas METEGUE N'NAH, Histoire du Gabon. Des origines à l'aube du XXIe siècle, Paris, l'Harmattan, (coll. « Études africaines »), 2006, p.47.

    82 Ibid., p.47.

    83André RAPONDA-WALKER et Roger SILLANS, Rites et croyances des peuples du Gabon. Essai sur les pratiques religieuses d'autrefois et d'aujourd'hui, Libreville, éd. Raponda-Walker, (coll. « Hommes ,et ,société »), 2005, p.147.

    84 Ibid., p.147.

    culte aux descendants >>.85 Plus important encore, c'est que « chaque jeune homme n'a le droit de voir que les cranes de ses propres ancêtres. Il n'est jamais permis de lui montrer ceux des autres familles (<) car c'est de cette façon que Byéri garde son culte familial et individuel >>86. Toute chose qui nous amène à penser que les reliques des ancêtres ; sous la forme d'ossements et en particulier sous la forme des crânes, « sont la réplique exacte du culte des saints dans la religion catholique. Ces cultes sont d'autant plus parlants, si l'on peut dire, qu'ils établissent réellement, par l'intermédiaire de phénomènes médiatisés par les transes, le contact avec les défunts. Cette communication avec les défunts est souvent établie dans un cadre thérapeutique, soit pour faire la guérison, soit pour réparer les jeteurs de mauvais sorts et conjurer ainsi, dans son sens littéral, le mauvais sort >>.87

    Par ailleurs, notons que la mise en ancêtre d'un défunt (parfois d'une défunte dans la mesure où elle fut à l'origine du clan) qui se serait distingué par une vie exemplaire et « extraordinaire >>, ne nécessitait pas que l'on aille profaner sa sépulture afin de « dépiécer >> le cadavre de ses parties. Il pouvait arriver que la demande de mise en ancêtre du défunt se fasse quelques jours par lui-même avant son décès et se faisait devant un nombre restreint de personnes ; généralement des initiés. C'est la raison pour laquelle, « avant l'enterrement du défunt, on lui ôtait la tête très souvent et quelques autres parties du corps (les gros os). Le crâne et les autres os constituaient alors le patrimoine jalousement gardé par les héritiers du disparu >>.88 De même, « quand meurt le chef de famille, son fils aîné, après maintes cérémonies *<+ détache soigneusement le crane du mort, et le place ensuite dans la

    85 André RAPONDA WALKER et Roger SILLANS, Rites et croyances des peuples du Gabon. Essai sur les pratiques religieuses d'autrefois et d'aujourd'hui, Libreville, éd. Raponda-Walker, (coll. « Hommes et société »), 2005, p.147.

    86 Ibid., p. 147.

    87 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise, 2ème éd. revue et augmentée, Libreville, Éditions du LUTO, 2002, p.49.

    88 Jonas OSSOMBEY, Société Kélè du Gabon précolonial : Milieu de vie, sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à 1910, Mémoire de Maîtrise en Histoire et Archéologie, Libreville, UOB/FLSH, sept.2005, p.70.

    boîte d'écorce où, barbouillé de rouge, il va rejoindre les aïeux et attendre son successeur ».89

    L'entretien du culte des ancetres permet ainsi à celui qui officie la cérémonie, en l'occurrence le chef ou le roi, d'asseoir son autorité et son pouvoir. En ce sens qu'il exerce la domination symbolique au sens bourdieusien, dans le double mouvement de la reconnaissance (dans l'adhésion du dominé à l'ordre dominant qui lui parait légitime, « normal », « naturel ») et de la méconnaissance (dans l'ignorance qu'il s'agit d'une domination arbitraire, « non nécessaire », « non naturelle »). Les fonctions du chef de clan sont de protéger ceux qu'il gouverne, en dehors de l'entretien du culte des ancêtres. « Cette protection s'exerce d'abord d'une manière matérielle : si le chef possède des richesses, et reçoit un pourcentage sur le commerce qui se fait sur son territoire, il se doit de les redistribuer aux membres de son clan ».90 Puis, par le culte des ancetres qu'il a la charge de présider, il protège moralement les siens ; car il peut devenir juge pour toutes les affaires criminelles qui ont lieu à l'intérieur du clan ; et pouvant se faire assister de l'oganga, ministre du culte des esprits et guérisseur. Selon un interlocuteur :

    Énoncé n°2 :

    Pour moi, le culte des ancêtres est le fondement des profanations des tombes car les restes humains étaient vénérés pour de la protection, l'argent, la puissance. Pour moi, il ne fait aucun doute que c'est la cause de ce que nous constatons aujourd'hui. Or si les gens priaient Dieu au lieu des ancêtres, tu vois qu'il ne devait pas avoir ces actes de fétichisme et d'occultisme »91.

    Pour tout dire, « le chef de clan ou de lignage est le pont de jonction entre le clan (ou le lignage) actuel, constitué par les vivants, et le clan (ou lignage) idéalisé,

    89 Annie MERLET, Le pays de trois estuaires (1471-1900). Quatre siècles de relations extérieures dans les trois estuaires du Muni, de la Mondah et du Gabon, Libreville, CCF St Exupéry/Sépia, (coll. « Découvertes du Gabon »), 1990, p.283.

    90François GAULME, Le pays de Cama. Un ancien Etat côtier du Gabon et ses origines. Préface de Jean PING, Paris, Karthala, 1981, p.215.

    91 Propos de monsieur M.G.B, chrétien catholique, 46 ans, cadre dans une entreprise privée. La tombe de son oncle a été profanée à Mindoubé. Entretien réalisé le 1er novembre 2007 au cimetière de Mindoubé. Il a demandé l'anonymat. D'où nous mentionnant ses initiales.

    porteur des valeurs ultimes, symbolisé par la totalité des ancêtres aux vivants, celle des vivants aux ancêtres ».92

    Section 2 : Les reliques comme symbole du pouvoir

    L'univers socioculturel et politique au Gabon est un univers de forces, de puissances. Et il peut arriver que ces forces ou puissances puissent se révéler, selon les cas, antisociales. Et pour réussir à les maîtriser, les populations utilisaient les reliques considérées comme symbole d'autorité et de pouvoir. Car « en suivant AGAMBEN, les corps vivants aussi bien que morts, possèdent ou peuvent posséder, au-delà de leur valeur biologique et biopolitique (c'est-à-dire le biologique en tant qu'il est soumis à la régulation et à la surveillance de l'État), une valeur sacrée »93.

    1. Les reliques comme « objets-fétiches »

    Les reliques sont dépositaires du Mana pour parler comme DURKHEIM ou MAUSS, du charisme chez WEBER, de l'évus, de l'inyèmba ou du dikundu dans le sens local gabonais, et apparaissent comme des << objets-fétiches >> (c'est-à-dire des intermédiaires qui permettent de parler, de communiquer avec les ancêtres). En fait, pour BERNAULT, les parties du corps sont donc sacrées signifierait que << le corps humain est perçu comme dépositaire d'un pouvoir et d'une valeur dépassant sa nature physique, mesurable et dégradable »94.

    Le fétiche c'est aussi cet objet considéré comme sacré (le talisman, un crane humain ou des ossements humains ou animaux, une statuette, etc.) qui a la capacité magique de répondre favorablement aux sollicitudes de son propriétaire, à la suite de prières, d'offrandes voire des sacrifices. Ces cultes reliquaires sont prédominants dans les sociétés symboliques lignagères locales et permettent d'attester d'une relation vraie unissant les populations autochtones à leur sacré, à leurs ancêtres. C'est

    92 Georges BALANDIER, Anthropologie politique, Paris, Puf /Quadrige, 1999, p.118.

    93 Florence BERNAULT, « Il y a quelque chose de pourri dans le post-empire », p.3, à paraître dans Cahiers d'études africaines en 2010.

    94 Ibid., p.1.

    ce que BERNAULT nomme << la religion de l'os »95. Pour nous, nous parlerons de << pièces détachées », mieux, << d'or blanc ».

    Selon Albert ALEWINA-CHAVIHOT, l'adoration des reliques en tant qu'objets-fétiches, conduit au fétichisme qu'il entrevoit comme « un dialogue invocatoire à l'adresse des esprits bienfaiteurs qu'ils matérialisent »96.Le fétichisme serait donc la vénération des objets-fétiches telles les reliques humaines. Ces restes humains (organes génitaux, le foie, le coeur, la langue, le crane, les ossements humains, etc.) sont supposés être les réceptacles de l'énergie vitale d'un individu. De même, les reliques sont << des objets auxquels on attribue une vertu bénéfique ou maléfique »97.

    Toujours est-il que les reliques envisagées comme objets-fétiches mettent en avant un point important dans l'univers socioculturel et politique au Gabon ; influencé et géré par des forces et des génies de tout genre : le pouvoir des corps ou des parties du corps humain. Par ailleurs, cette réalité des pouvoirs attribuée aux reliques humaines rejoint l'idée biblique selon laquelle « notre corps est le temple du Saint Esprit que vous avez reçu de Dieu »98. Pour résumer, les reliques comme symbole d'autorité et de pouvoir traduiraient déjà les rapports de force entre les populations autochtones elles-mêmes et au sein des sociétés symboliques lignagères également. Car c'est celui qui détenait le plus de reliques, donc de fétiches, qui pouvait s'assurer d'être un « grand », un homme puissant, adulé et respecté. Cela montre aussi que le soubassement du pouvoir et de l'autorité en cette période fût l'« or blanc » ou les fétiches.

    2. Le crâne comme élément principal du pouvoir

    Le principal élément des reliques dans le culte des ancêtres soit le crâne ; en tant qu'objet du pouvoir. On notera en rappel que le Byéri, exemple retenu pour

    95 Florence BERNAULT, « Il y a quelque chose de pourri dans le post-empire », p.7, à paraître dans Cahiers d'études africaines en 2010.

    96 Albert ALEWINA-CHAVIHOT, Les Adyumba du Gabon. De la petite Valise de Nènè. Préface de Jean-Avéno DAVIN, Libreville, Éditions Raponda-Walker, 1999, p.140.

    97 André RAPONDA WALKER et Roger SILLANS, op.cit., p.262.

    98 I corinthiens 6 verset 19.

    notre étude, est la forme la plus caractéristique du culte des ancêtres ; particulièrement développé dans les tribus Fang. << Le prêtre en était l'ancêtre vivant, le père, ésa, avec une hiérarchie de fait correspondant aux différents niveaux de la structure sociale et clanique, hiérarchie à caractère plus religieux que politique, l'autorité qui en découlait étant constitué par les crânes des ancêtres masculins, gardés par le père, l'aîné, dans le panier à cranes, évora biéri (éwolé biéti), sorte d'arche que le groupe familial transportait avec lui au cours des migrations. L'évora biéri était une boîte cylindrique en écorce de ficus, ornée de perles et d'emblèmes claniques (mindem), dont le couvercle portait la statue du premier ancêtre ».99

    Le crâne est un objet de pouvoir, une pièce maîtresse du culte des ancêtres en ce sens que << quand un nouveau village était créé par un cadet, le crâne du fondateur était le premier à prendre place dans l'arche, le village d'où il était parti conservant ceux des précédents ancêtres de la lignée. On conçoit dès lors que le gardien des crânes de la lignée ait eu une certaine autorité, déléguée par les ancêtres de rang supérieur ».100

    Plus important encore c'est le fait que « les crânes étaient, en effet le siège ou le réceptacle de la capacité d'action de l'individu (rappelons : bo=faire, boo= cerveau), et leur utilisation magique n'était pas restreinte aux seuls cranes d'ancêtres : on conservait également les cranes d'ennemis tués à la guerre ou sacrifiés dans les cérémonies anthropophagiques qui la précédaient ou la suivaient, ou bien des crânes volés à des voisins, de même qu'on utilisait pour les rites de chasses des cranes d'animaux de l'espèce qu'on désirait chasser. Il semble, toutefois, qu'une distinction ait été faite entre les crânes familiaux et crânes étrangers, les premiers seuls ayant place dans l'éwolé biéti et prenant part aux rites familiaux. On augmentait la force des crânes en les aspergeant du sang des sacrifices ».101

    99 Pierre ALEXANDRE et Jacques BINET, Le groupe pahouin (Fang-Boulou-Béti), Paris, l'Harmattan, 2005, p.110.

    100 Ibid., p.110.

    101 Ibid., p.111.

    Dans la lutte du pouvoir (politique en l'occurrence) entre les chefs de clans et des villages, il apparaît clair que les crânes humains detenus par ces « grands hommes »102 structurent les rapports sociaux voire les rapports sociaux de force et suscitent les interpretations magico-religieuses de la longevite des chefs, leurs façons de gerer les affaires quotidiennes incluant leurs prises de decisions. Le crâne (surtout celui de son ancetre ou d'un grand guerrier, d'un chef de village, etc.) est, comme nous l'avons dit, un puissant intermédiaire permettant à son détenteur d'entrer en contact avec ses ancêtres. Il est donc « charge » de puissances (benefique ou malefique) et prêt à servir son proprietaire, pourvu que ce dernier lui offrait des sacrifices et des cultes en hommage « dans le but d'accéder à un avantage, politique en l'espèce, et de protéger et de conserver cet avantage aussi longtemps que possible »103.

    Ce qui expliquera la persistance des profanations des tombes dans les cimetières de Libreville à l'orée des élections ou des conseils des ministres et pour seul et unique but du recyclage des morts ; c'est-à-dire des « pièces detachees » ou de « l'or blanc ». D'où, « de jour comme de nuit, les cimetières sont visites. Les ossements humains foisonnent. Et (<) sont devenus des barres d'or »104. Pour tout dire « l'or blanc », c'est-à-dire les « pièces detachees », a encore un avenir au Gabon.

    102 Marc-Éric GRUÉNAIS, Florent MOUANDA MBAMBI, Joseph TONDA, « Messies, fétiches et luttes de pouvoirs entre les "grands hommes" du Congo démocratique », p.165, in Cahiers d'études africaines, 1995, volume 35, numéro 137, pp.163-193.

    103 Comi TOULABOR, « Sacrifices humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique », p.208, in P.KONINGS, W. van BINSBERGEN et G.HESSELINGS (dirs.), Trajectoires de libération en Afrique contemporaine, Paris, Karthala ; Leiden, ASC, 2000, 295 p.

    104

    Joseph TONDA, « Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) », p.4, in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Étude d'Afrique Noire-Institut d'Études politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002.

    Chapitre II : La conversion des africains au christianisme et à l'islam

    Plusieurs significations du mot « conversion » existent pour exprimer une réalité qui est a priori ambivalente. Par exemple, pour le dictionnaire Larousse illustré 2008, la conversion se définit comme l' « action de se convertir à une croyance, et particulièrement, abandonner une religion pour une autre : passage de l'incroyance à la foi religieuse ». Mieux, Larousse précise un autre sens de la conversion comme le «passage à une conviction, à une opinion, à une conduite nouvelle. » Toutefois, le sens que nous voulons donner à la « conversion » dont nous faisons allusion ici, se trouve mieux élaborée en psychologie comme « changement complet d'opinion, impliquant l'adhésion à une nouvelle croyance (religieuse et par extension, politique ou idéologique) et de fait une restructuration plus ou moins profonde de la personnalité ».105

    Cette conversion traduit et illustre non seulement l'inculturation mais surtout ce que nous appelons la domination politique, physique et symbolique du colonisateur à travers le christianisme106. C'est de cette conversion au sacré judéochrétien que va naître la criminalisation des pratiques reliquaires africaines par l'Église et par les autochtones eux-mêmes, devenus les« nouveaux convertis ».

    Section 1 : Pourquoi la conversion ?

    Une première remarque s'impose quant à cette notion de « conversion » et surtout son contexte de production. Rappelons que nous sommes en pleine situation coloniale c'est-à-dire que nous faisons face à un contexte régi par des logiques capitalistes et de déstructuration sociale en Afrique. Par ailleurs, n'oublions pas que la conversion se définit comme l'action qui consiste à abandonner une religion pour une autre ; c'est le passage d'une conduite à une autre mais surtout, c'est changer une chose en une autre, donc une profanation des corps.

    105 Madeleine GRAWITZ, Lexique des sciences sociales, 7ème édition, Paris, Dalloz, 2000, 424 p.

    106 Nous tenons à rappeler ici que le christianisme n'a été qu'un alibi politique et économique dans « la mission civilisatrice 1 pour asseoir l'hégémonie occidentale. En effet, sur cette question, le discours du roi des Belges LEOPOLD II illustre bien l'idée selon laquelle la colonisation n'a pas eu pour but d'apporter Dieu étant donné que les peuples indigènes le connaissaient déjà ; plutôt d'assujettir l'indig~ne et le désintéresser de ses terres et de ses richesses.

    D'autant plus que « la conversion, soit à une des formes du christianisme, soit à l'islam ou, à l'intérieur de ces religions, à un nouveau courant de piété, a suscité dans les années 1970 un débat qui trouvera ici de nouveaux exemples. L'effet de contraintes extérieures accompagnant la conquête coloniale, jihad des XVIIIe et XIXe siècles, pénétration de marchands étrangers venus de l'Atlantique ou du Sahel. Mais les faits les plus importants sont ceux qui éclairent les crises internes des sociétés et des religions "autochtones" et les inquiétudes ou les calculs des pouvoirs, des groupes sociaux ou des personnes qui se portent vers une nouvelle foi >>.107 En un mot, << la conversion s'effectue ainsi comme un approvisionnement du secret des Blancs, du moins dans un premier temps (<) >>108

    1. Le christianisme et son rôle dans l'hégémonie coloniale 1.1. La conversion comme appareil idéologique d'État au Gabon

    Selon Achille MBEMBE, << la conversion de l'indigène a été tout, sauf neutre ou gratuite. En toute hypothèse- et au risque de heurter une certaine théologie romantique- elle n'a pas été, fondamentalement, le fait de l'Esprit-Saint. Que les sociétés indigènes se soient, pour ainsi dire, laissées << appâter >>, puis << capturer>> par certaines régions -et non la totalité- du christianisme signifie précisément que leur << conversion >> fut sélective. Mieux, elle prit constamment en compte les perspectives de gains et de profits symboliques et matériels qu'était de nature à entraîner le troc des idiomes religieux ancestraux contre les idiomes des vainqueurs. Dès l'origine, l'indigène s'avisa, par conséquent, d'instrumentaliser cette modalité neuve >>.109

    De toute évidence, il apparaît bien clair que la conversion pour Achille MBEMBE et donc le christianisme, est un appareil idéologique d'État qui fonctionne à l'idéologie, au sens d'ALTHUSSER. La conversion a été et est cet outil qui permet

    107 Yves PERSON, << Pour une histoire des religions africaines », p.237, in Jean-Pierre CHRETIEN, L'invention religieuse en Afrique. Histoire et religion en Afrique noire, Paris, Karthala, (coll. << Hommes et sociétés »), 1993, 479 p.

    108 Ibid., p.238.

    109 Achille MBEMBE, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, Paris, Karthala, (coll. << Chrétiens en liberté »), 1988, p.10.

    d'asseoir l'hégémonie coloniale et donc, elle n'a jamais été neutre. Bien au contraire, elle a été orientée l'assise de l'hégémonie coloniale car toute religion sert une politique. De même, ce point de vue d'Achille MBEMBE est illustré par nos informateurs, même si ces derniers a priori et inconsciemment ne le sentent pas mais ils le disent, quand nous leur avons posé la question de savoir ce qu'ils entendent par la conversion et à quoi sert-elle.

    Les discours de nos interlocuteurs110 attestent qu'il s'agit bien d'un contrôle social dans le but de << produire » un être converti, totalement soumis et docile. Énoncé n°3 :

    - << La conversion est quelque chose qui nous permet de changer nos vies. C'est pour devenir un soldat du Christ, c'est-à-dire suivre le Christ en tout et pour tout. L'élément qui m'a emmené à me convertir est d'abord mon age et toutes les difficultés que j'ai rencontrées dans ma vie comme problèmes de santé, la perte de ma grande soeur et la perte d'un ami. Parce que je me suis dis que la vie est éphémère, ce que nous faisons n'a pas de sens, que le paradis se prépare sur Terre avant les cieux (<) La conversion m'a apportée la stabilité dans ma vie, une prise de conscience de mes actes et changement ; en fait toujours dans ma vie, comment il faut voir son prochain ».111

    Énoncé n°4 :

    - << La conversion c'est quitter d'un état A à un état B. C'est changer de direction, changer de vie, c'est décider de changer sa manière de vivre, sa manière d'être, de penser. On se convertit c'est pour devenir chrétien, pour avoir une nouvelle vision des choses. Je me suis convertie depuis l'dge de 6 ans, mes parents m'ont amené à l'église et j'ai été baptisée, j'ai suivi les soeurs. Je suis restée jusqu'à présent ancrée dans ma religion. Ce sont les parents qui ont décidé ; j'ai fais la volonté des parents ; j'étais inconsciente et au fur et à mesure, j'ai trouvé mon compte. A l'église, on a appris les valeurs de la femme, du corps humain et d'avoir l'amour du prochain, la patience. J'ajoute que j'ai pris un chemin qui est celui que je suis

    110 Nous précisons ici que pour mieux faire ressortir les discours de nos interlocuteurs, nous avons décidé de rapporter leurs discours in extenso.

    111 Propos de mademoiselle Janny Esther DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, 25 ans, chrétienne catholique, étudiante au département de Sociologie de l'UOB,en année de Maîtrise, Akélé-Punu.

    depuis que j'ai 6 ans. 6 ans, c'est l'âge de l'innocence. La conversion m'a appris à pardonner à pardonner véritablement et à m'ouvrir aux autres. La conversion m'a apportée l'ouverture aux autres, l'amour du prochain parce que je n'étais pas ouverte aux autres ».112

    Énoncé n°5 :

    - « La conversion c'est l'acceptation des valeurs, des us et coutumes qui sont totalement étrangères à nos croyances. Le but de la conversion c'est de pouvoir rompre avec ce qui n'est pas essentiel à la vie notamment les pratiques qui ne participent pas à la compréhension du monde dans lequel nous vivons ; c'est-à-dire nos coutumes africaines. Certaines pratiques n'ont pas lieu d'être avec le modèle occidental que nous avons accepté. Un exemple précis : le culte des ancêtres ; la vénération des plantes, des totems, le sacrifice aux génies. Ce sont des abominations qui limitent l'homme dans sa réalisation ; c'est le refus du salut de Jésus-Christ. Tout individu selon moi, à un moment de sa vie, se trouve le dos contre le mur, et il m'est arrivé la même chose ; j'ai regardé autour de moi, aucun secours, j'ai puisé dans nos coutumes sans succès. C'est ma conversion en Christ qui m'a permis d'émerger à nouveau<Oui je peux affirmer et soutenir que quiconque qui a de bonnes motivations (réussir dans sa vie) avec Jésus-Christ, on réussit toujours. Le socle est la parole de Dieu et c'est elle qui change. La conversion m'a apportée la stabilité, la paix du coeur ; elle m'apportée ce qu'un parent, un homme, une mre, un père, un individu ne peut apporter : l'amour ; le respect de l'autre et le désir de voir un plus grand nombre s'accrocher au salut de Jésus-Christ car c'est là où il ya la vraie vie ».113

    Énoncé n°6 :

    - « Le changement de mentalité d'une étape à une autre ; changer ses habitudes, sa manière de voir les choses. On se convertit c'est pour devenir meilleur, mieux que ce que l'on était avant. C'est la recherche de Dieu dans la vie et vu ce qui se passe dans nos traditions c'est-à-dire les méandres, il nous faut quelqu'un qui soit notre assurance. Et étant issue d'une famille catholique, il est normal de poursuivre dans ce chemin. La conversion a changé ma vie,

    112 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA, 27 ans, chrétienne catholique, étudiante au département G- 6RFIRlRTI- G-R'S 2 V,i-Q BQQé- G- BîAUs-, N] pEi-Sango.

    113 Propos de monsieur John SATURDAY, 29 ans, chrétien pentecôtiste charismatique, étudiant au département G- 6RFIRlRTI- G-R'S 2 V,i-Q BQQé-1G- BîM-,:g XrXEB-Fang.

    elle me permet de mieux voir, d'agir et d'appréhender autrui. Elle m'a apporté la paix, pas totale, la confiance en moi et avoir que je peux tout avec celui qui me fortifie ».114

    Énoncé n°7:

    - « La conversion c'est un changement de vie positif. Quand on se convertit s'est pour se rapprocher d'avantage du Christ et se détacher de tout ce qui n'honore pas le christ. Je me suis converti parce que j'ai eu l'expérience de la grace en étant avec le Christ et je veux toujours vivre cette grace. Elle m'a apporté des graces, la sagesse, l'humilité et le pardon ».115 Énoncé n°8 :

    - « Se convertir c'est accepter ouvertement le Seigneur, c'est naître de nouveau. On se convertit c'est pour devenir une nouvelle créature ; repartir sur de nouvelles bases. Je me suis convertie dès la classe de CM2 comme ma maman a vu que je ne pouvais grandir sans conversion. Ma décision est venue des parents. Ma mere me l'a imposé. Selon les parents c'est un chemin obligatoire et on ne peut pas échapper. Dès le bas age, c'était inconscient ; car jusqu'à 26 ans, je ne mesurais pas la portée de mon acte. A 27 ans, j'ai réessayé et j'ai vu certaines réalités. La conversion c'est le nouvel individu, quand il suit les normes de l'Eglise, il obtient ce qu'il veut. Si tu ne suis pas le cheminement tu échoueras ».116

    Énoncé n°9 :

    - « La conversion c'est l'acte de s'engager et d'aller mettre en pratique une philosophie spirituelle révélée et non révélée. On se convertit c'est pour devenir adepte d'une philosophie révélée. C'est l'amour du sacerdoce qui m'a conduit à me convertir parce que je suis issu d'une famille de cinq (5) générations de cinq (5) pasteurs : OGOUERA, NDJAVE, OMBAGHO, OGOULA-M'BEYE, etc. Elle m'a apportée beaucoup, j'ai une autre appréhension du monde et que la vie est une vanité des vanités devant la mort. Elle m'a

    114 Propos de mademoiselle Carine PENDY BOUANGA, 25 ans, chrétienne catholique, Nzébi, étudiante au département de Géographie de l'UOB, en année de Maîtrise.

    115 Propos de mademoiselle Maéva Juliette WAMBONGO YABOZO, chrétienne catholique, 23 ans, Sango, étudiante au département de Lettres Modernes, en Licence 2.

    116 Propos de mademoiselle Graziella MENGUE, 29 ans, agent marketing à Multi-chimie/Haut de Gué-Gué, chrétienne catholique, Fang/Odzipe.

    amenée à comprendre que la plus grande initiation c'est accepter Jésus car le plus grand temple du monde c'est le coeur de l'homme >>.117

    Nous voulons préciser ici que notre objectif n'est pas d'aligner les points de vue de nos interlocuteurs et de faire une quelconque apologie de la conversion ou son contraire. Ces divers points de vue illustrent bien le travail d'acculturation faite par l'Église et qui, finira par déboucher sur une nouvelle façon de vivre et de percevoir les pratiques traditionnelles.

    1.2. La production « officielle » des convertis

    A travers les discours de nos interlocuteurs, nous nous rendons compte que le travail des missionnaires a été effectif c'est-à-dire que l'évangélisation a bien fonctionné comme l'avait recommandé le roi des Belges LEOPOLD II dans son discours118 aux missionnaires : - « votre rôle essentiel est de faciliter la tâche aux administratifs et aux industriels. C'est dire donc que vous interprétez l'Evangile de façon qui sert à mieux protéger nos intérêts dans cette partie du monde (<) Vous devez les détacher et les faire mépriser tout ce qui leur procure le courage de nous affronter. Je fais allusion ici principalement à leurs fétiches de guerre. Qu'ils ne prétendent point ne pas les abandonner et vous mettre tous à l'oeuvre pour les faire disparaître. Votre action doit se porter essentiellement sur les jeunes afin qu'ils ne se révoltent pas. Si le commandement du Père est conducteur à celui des parents, l'enfant devra apprendre à obéir à ce que lui recommande le missionnaire qui est le père de son âme. Insistez particulièrement sur la soumission et l'obéissance. Eviter de développer l'esprit de critique dans vos écoles. Apprenez aux élèves à croire et non à raisonner >>.119

    Comme nous l'avons dit supra, ces illustrations témoignent à suffisance que l'Église a servi l'administration coloniale pour « fabriquer >> des fidèles obéissants, soumis et totalement dévoués au christianisme. Et donc, qui n'opposeraient aucune résistance quant à l'irruption du monde occidental et ses corollaires. Il en va de

    117 Propos du Pasteur Raymond AKITA, 42 ans, pasteur à la Mission protestante de Baraka de Libreville, Galoa, protestant. Il est au sacerdoce depuis 2000.

    118 Discours prononcé devant les missionnaires se rendant en Afrique en 1883 ; voir en annexes.

    119 Discours prononcé par le roi des belges devant les missionnaires se rendant en Afrique en 1883.

    même pour André MARY qui entrevoit << la conversion comme choix personnel et sincère, comme réponse ferme à une alternative tranchée, ou comme rupture radicale et irréversible avec la "coutume" >>.120

    Toute réflexion faite, André MARY soutient que << l'idéologie de la conversion est fondée sur la guerre déclarée aux puissances des ténèbres et dans cette guerre l'autre maléfique, satanique c'est le "païen".Le premier travail de l'évangélisme colonial c'est la démonisation, la diabolisation de la différence culturelle. Un bon chrétien ne peut pas vivre nu, sale, habiter dans les huttes, etc. Toutes les conditions étaient donc réunies pour que l'entreprise missionnaire des non-conformistes prenne la dimension d'un conflit idéologique et d'une guerre culturelle (une « guerre des esprits >>), sans possibilité de compromis >>.121 Comme il le dit enfin, << la conversion attendue relève moins de l'adhésion à une vérité que d'un "changement de vie", d'un changement d'être qui fait du converti un "nouveau né">>.122

    Néanmoins, c'est Achille MBEMBE qui nous donne une réponse assez pertinente comparativement à celle d'André MARY, au sujet de la conversion. Pour MBEMBE, la conversion traduirait plutôt une tactique, une stratégie des colonisés pour mieux percevoir de << l'intérieur >> la logique culturelle des croyances du colonisateur et pour mieux le combattre. Aussi, << en répondant à la question de savoir " pourquoi se sont-ils convertis ", l'on a trop souvent négligé la part de ruse et de calcul qui convainquit les natifs de "fréquenter" les systèmes religieux et symboliques victorieux des confrontations qu'ils ne pouvaient plus différer. On n'a pas jeté suffisamment de soupçon sur ce qu'il eut de simulacre dans la manière dont ils théâtralisèrent ce qui s'apparente bel et bien à la défaite de leurs dieux et de leurs codes de référence >>.123

    120 André MARY, « Conversion et conversation ; les paradoxes de l'entreprise missionnaire », p.791 in Cahiers d'Études africaines, 160, XL-4, 2000, pp.779-799.

    121 Ibid., pp.779-799.

    122 Ibid., p.787.

    123 Achille MBEMBE, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, Paris, Karthala, (coll. « Chrétiens en liberté »), 1988, p.77.

    D'ailleurs à la suite de MBEMBE, nous pensons aussi qu'il s'agit d'une conversion volontaire et qu'« au fond, il n'y a pas eu de "vraie" conversion. Il eut surtout le désir d'épouser le genre de vie missionnaire. Les exigences religieuses imposées par lui n'étaient que le moyen d'obtenir des avantages matériels. Elles étaient plus révérées qu'observées (<) L'Église a réussi sur le point de l'éducation. Pour ce qui est de l'ame, elle a échoué ».124 Finalement, « le christianisme s'est toujours développé dans un type de civilisation de cité-état-empire oil la paysannerie a perdu son autonomie et est devenue tributaire. Il est plus facile à un peuple déjà étatisé ou citadin de devenir chrétien, qu'à des chasseurs-cueilleurs, à des nomades ou à des agriculteurs indépendants. L'histoire montre que le christianisme ne peut vivre que sur la mort de certaines civilisations -genres de vie ».125

    En un mot, le colonisateur a démagifié et démystifié l'univers symbolique et religieux des croyances des colonisés. Achille MBEMBE pousse sa réflexion en soulignant que « le refus de prendre institutionnellement en compte les symboliques rattachées aux us et coutumes ancestraux coûte certes cher au christianisme aujourd'hui, compte tenu de l'irruption d'autres concurrents sur le marché religieux ».126 Ce qui conduit Florence BERNAULT127 à parler de la reformulation du sacré en Afrique avec la floraison de sectes transnationales (Rose-Croix, Francmaçonnerie, Ekankar, Fraternité Blanche Universelle, etc.), ou des cultes syncrétiques religieux ; mais surtout, la persistance et la survivance des pratiques fétichistes telles les sacrifices humains, la sorcellerie du Kong128, ou des profanations des tombes à l'orée des élections politiques au Gabon. D'autant plus que cette persistance traduit l'échec de l'évangélisation au Gabon.

    124 Guy MUSY, Après 75 ans..., dans Au coeur de l'Afrique, t.15, 1975/4, p.227 in « Conversion », prof. Henry DERROITTE, Faculté de théologie de l'UCL, s.d.n.l, 3p. ; tiré sur www.google.fr

    125 H.MAURIER, Religions africaines : Les paysans, dans Vivant Univers, n°342, déc. 1982, p.39 in « Conversion », prof. Henry DERROITTE, Faculté de théologie de l'UCL, s.d.n.l, 3p. ; tiré sur www.google.fr

    126 Achille MBEMBE, Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale, ibid., p.76.

    127 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie et politique au Gabon et Congo Brazzaville » in MBEKALE
    M.M Démocratie et mutations cultures en Afrique Noire, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.

    128 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong à Bitam : Une manifestation symbolique de l'économie et de l'Etat capitaliste, Rapport de Licence en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, Septembre 2003, 25 p.

    Nous ne saurions conclure ce débat consacré au christianisme et son rôle dans l'hégémonie coloniale sans convoquer la contribution de Chinua ACHEBE129. Il a qualifié d'ambiguïté" l'action des missionnaires en Afrique. En effet, dans son ouvrage intitulé << le monde s'effondre >>, le romancier y relate l'histoire du peuple Ibo en pleine situation coloniale occidentale sous l'impulsion des missionnaires qui, déterminés à apporter << la civilisation >> et l'évangélisation, profanent les lieux sacrés Ibo pour imposer le christianisme. Cela a pour conséquences la déstructuration de la vie tribale et la tragédie d'un homme dont toute sa vie a tendu à devenir l'un des personnages les plus influents de son clan et qui finit de façon << misérable ».

    Sans omettre la conversion au christianisme de son fils pourtant destiné à continuer la tradition de ses ancêtres : à ce moment, le monde africain, symbolique et lignager s'effondre". Les profanations des lieux sacrés ont été les actes quotidiens que les missionnaires firent subir aux indigènes ; leur montrant la puissance du Dieu chrétien sur les dieux ancestraux africains. Le roman met donc en évidence les rapports sociaux de force.

    En témoigne ce bref passage du roman qui met en évidence cette dialectique de la profanation basée sur le défit, l'imposition. C'est donc l'imposition de la violence symbolique et religieuse occidentale en Afrique dont cet extrait en est une des illustrations : << les missionnaires passèrent leurs quatre ou cinq premières nuits sur la place du marché, et le matin se rendirent au village pour prêcher l'évangile. Ils demandèrent qui était le roi du village, mais les villageois leurs dirent qu'il n'y avait pas de roi (<) Ils demandèrent une pièce de terre pour bâtir leur église. Chaque clan et chaque village avait sa "Forêt Maudite".Là étaient enterrés tous ceux qui mourraient de maladie réellement mauvaise, comme la lèpre ou la petite vérole. C'était aussi le dépotoir des puissants fétiches des grands hommes-médecine quand ils mourraient. Une << forêt maudite » était donc tout animée de forces sinistres et de puissances de ténèbres. Ce fut une telle forêt que les dirigeants de Mbanta donnèrent aux missionnaires (<) Le lendemain matin ces hommes fous se mirent bel et bien à

    nettoyer une partie de la forêt et à bâtir leur maison. Les habitants de Mbanta s'attendaient à ce qu'ils soient tous morts dans les quatre jours. Le premier jour passa et le second et le troisième et le quatrième, et aucun d'entre eux en mourut. Tout le monde était intrigué. Et alors il devint connu que le fétiche de l'homme blanc avait d'incroyables pouvoirs. On disait qu'il portait des verres sur les yeux de sorte qu'il pouvait voir les esprits du mal et leur parler ».130

    Et n'oublions pas qu' « il était bien connu chez les gens de Mbanta que leurs dieux et leurs ancêtres étaient parfois d'une grande patience et laissaient délibérément un homme continuer à les défier. Mais même dans de tels cas ils fixaient la limite à sept semaines de marché ou vingt-huit jours. Au-delà de cette limite on ne laissait personne continuer. C'est pourquoi l'excitation augmentait au village tandis que la septième semaine approchait depuis que ces impudents missionnaires avaient bâti leur église dans la Forêt Maudite. Les villageois étaient si certains du destin fatal qui attendait ces hommes qu'un ou deux convertis jugèrent sage de suspendre temporairement leur fidélité à la foi nouvelle. Enfin le jour vint où tous les missionnaires auraient dû être déjà morts. Mais ils étaient toujours vivants, et construisaient une nouvelle maison de terre rouge et de chaume pour leur instructeur, M.Kiaga. Cette semaine là, ils gagnèrent une poignée de convertis de plus ».131

    Nous avons vu dans cet extrait que, bien qu'étant issu d'une histoire imagée, la conversion repose néanmoins sur un fait historique réel qu'est la colonisation en Afrique. Ce que nous voulons montrer, c'est que l'Église, par l'entremise des missionnaires, aura profané les lieux sacrés africains pour imposer le Dieu chrétien tout en diabolisant les rites et les dieux ancestraux africains. Par ailleurs, cet extrait nous renseigne sur la façon dont le christianisme s'est implanté et comporté en Afrique : il a été un mouvement religieux du défit, de déstructuration de l'ordre social ancestral africain, un juge des valeurs morales en présence et une mise en

    évidence de l'européocentrisme. Or n'est-il pas écrit dans la sainte Bible que le chrétien ne doit ni juger, ni porter de faux témoignages sur son prochain, encore moins blasphémer ? D'autant plus qu'on assiste à une diabolisation des rites ancestraux africains depuis la colonisation jusqu'à la postcolonie.

    2. L'islam

    2.1. Le rôle de l'islam dans l'hégémonie coloniale

    Nous avons vu finalement que la conversion ou la profanation des corps en Afrique s'est faite par l'Église et surtout, que « les missionnaires rejetaient les pratiques religieuses précoloniales et cherchaient à imposer une morale victorienne qui légitimait la hiérarchie coloniale >>.132 De même, l'Islam s'est comporté de façon identique que le christianisme en Afrique ; c'est-à-dire qu'il a été également un appareil idéologique d'État qui a servi à asseoir la domination coloniale arabomusulmane. Et n'oublions pas que la structuration de la population informe sur l'appartenance religieuse des groupes sociaux : on retrouve les chrétiens, les musulmans, des animistes, sans oublier les adeptes des sectes ésotériques.

    Mais cela ne change en rien le rôle de la conversion à l'islam comme une profanation des corps. Comme pour le christianisme, nous avons recueilli les discours de deux (2) de nos interlocuteurs musulmans ; dans l'édification de notre préoccupation. Aussi, il leur a été posé la question de savoir ce qu'est la conversion. Ils répondent à cet effet que :

    Énoncé n°10 :

    - « Être converti c'est être croyant, c'est aimer sa religion. Se convertir c'est devenir

    un vrai musulman et c'est pour avoir l'islam en soi, j'ai grandi dedans. Ça m'a apportél'amélioration des conditions de vie ; je ne fais plus de bêtises comme avant et çà m'a appris à savoir me maîtriser quand je suis dans les problèmes >>.133

    132 Helen CALLAWAY, << Purity and Exotica in Legitaming the Empire : cultural constructions of Gender, sexuality and race » cité par André CORTEN et André MARY (éds) in Imaginaires politiques et pentecôtismes Afrique/Amérique Latine, Paris, Karthala, (coll. << Hommes et sociétés »), 2000, p.92.

    133 Propos de monsieur Moussa TOGOLA, 35 ans, entretien réalisé le 26 mai 2009 à 20h18 à son domicile. Il est malien, coutume Dogon. C'est un musulman.

    Énoncé n°11 :

    - « La conversion c'est s'intégrer dans une religion et changer d'habitudes ; suivre les instructions du Coran pour nous, de la Bible pour les chrétiens. L'évenement qui m'a amené à me convertir c'est mon opération chirurgicale. Quand je me suis faite opérée, j'ai pensé que ce n'est pas tout le monde qui peut revenir. Je me suis faite convertir parce que j'avais besoin d'une assise, d'un endroit où je peux adorer mon Dieu ; Allah. Je dois dire qu'elle m'a apportée beaucoup de choses ; le bien-être, l'humour, la joie, mon coeur est libre car avant, je me cherchais vraiment ; tous les jours je pouvais être malade, ce qui n'est plus le cas ».134

    Rappelons ici que comme le christianisme, l'islam de Mahomet s'est imposé et s'est diffusé en Afrique dans un contexte colonial de déstructuration sociale de l'ordre social des sociétés symboliques africaines. On se rend compte aussi que « la mise en ordre religieuse par l'érection de monuments procède d'un désir de visibilité et d'affichage public des cultes. Les cultes, musulman comme catholique, s'affirment contre génies et les esprits ancestraux, désormais retranchés dans l'espace privé, les lieux obscurs et de la mémoire »135 des autochtones.

    C'est dans cette déstructuration sociale que le temps de la régulation et du contrôle social ont la coloration coloniale. Il s'agit donc d'une conversion qui a la capacité d'inscription du corps social colonisé dans un universel irréductible à l'ethnologie et la (dé)tribalisation coloniale ; voire une négation de son identité africaine sous le prétexte colonial.

    Dans ce marché religieux et politique, une bataille à caractère religieux voit le jour mais dont les soubassements, en filigrane, restent politico-administratifs; c'est le fait que face à l'islam, « la préoccupation principale de l'Église est d'imposer des pratiques religieuses orthodoxes pour faire pièce à Mahomet *< et+ sa religion absurde et rétrograde qui a détruit < Je dirais seulement qu'une religion qui s'est établie par la force, et qui promet à ses adeptes des voluptés charnelles pour

    134 Propos de mademoiselle Khadidjatou MAROUNDOU, gabonaise, reprographe à l'UOB, 33 ans, coutume Punu, musulmane ; entretien réalisé le 5 aoLt 2009 à 16h à l'UOB.

    135 Mamadou DIOUF, « Assimilation coloniale et identités religieuses de la civilité des originaires des Quatre Communes du Sénégal » paru in Le CODESRIA, Dakar, Sénégal, sans date, p.839.

    récompenses ne pouvait que s'étendre rapidement : l'État d'ignominie, de stupidité, de servitude, de corruption, dans lequel sont plonges tous les peuples soumis à la loi de Mahomet en est une demonstration evidente ».136

    Le discours de ce pretre nous permet de voir les paradoxes de l'entreprise missionnaire (de telle sorte qu'il ne s'agit pas de juger pour ne pas etre juge, seulement de proclamer la Bonne Nouvelle dans le monde). Il va plus loin dans son propos en affirmant qu'au sujet des Africains, « ils etaient donc chretiens par le bapteme *<+ superstitieux comme les mahométans et les fétichistes. Leurs moeurs etaient à peu près les memes *<+ C'étaient des chrétiens sans instruction, dans un pays eminemment mahometan ».137 Nous rajouterons egalement que le processus de diabolisation des us et coutumes africaines ne datent pas d'aujourd'hui, plutôt depuis la colonisation.

    C'est d'ailleurs pour quoi « la revendication de l'instauration d'un tribunal musulman doit se lire non comme une lutte pour un regime juridique inscrit dans une tradition religieuse, mais la circonscription d'un espace de production d'une identite indigène, soustraite à la violence de la domination et l'arrogance culturelle coloniale. Lorsqu'on suit à la trace les objets autour desquels se nouent l'opposition entre communaute musulmane et les acteurs metropolitains (juges et fonctionnaires coloniaux), sont en cause la polygamie, qui travaille l'imaginaire des colons- et le fantasme d'une sexualité indigène torride, débridée et fertile-, la gestion, par la communaute, des orphelins- qui engage à la fois les problèmes d'héritage, de succession, mais egalement de conversion (<) »138

    Loin d'être un jugement de valeur, plutôt un jugement de fait basé sur un constat, on se rend compte que le pentecôtisme repose sur la capacite de diaboliser et de demoniser les us et coutumes des autochtones en creant des images negatives.

    136 L'abbé BOILAT, 1984 :232 cite par Mamadou DIOUF, ibid., p.842.

    137 L'abbé BOILAT, 1984 :214-215 cite par Mamadou DIOUF in « Assimilation coloniale et identités religieuses de la civilité des originaires des Quatre Communes du Sénégal », ibid.,p.842.

    138 Mamadou DIOUF, op.cit., p.842.

    Sans oublier que le pentecôtisme participe à renforcer les stratifications sociales en Afrique.

    En résumé, par le pentecôtisme, l'espace public est un espace de guerre où l'autre doit être « démoli », consommé et consumé. On est dans un discours métonymique.

    2.2. Les effets de l'islam

    Grosso modo, nous proposons aussi un passage, mettant en scène le père de Samba DIALLO, un personnage central et un instituteur, tiré du livre de Cheik HAMIDOU KANE139 titré << L'aventure ambiguë », dans le but de montrer justement les paradoxes de la rencontre entre le << civilisé >>(l'homme blanc) et le « sauvage » (le noir) ; dans une perspective d'une certaine résistance, d'un échec de la gestion du champ religieux et symbolique africain par les européens comme le pense Achille MBEME. << Il est certain que rien n'est aussi bruyamment envahissant que les besoins auxquels leur école permet de satisfaire. Nous n'avons plus rien<grace à eux, et c'est par là qu'ils nous tiennent. Qui veut vivre, qui veut demeurer soi-même, doit se compromettre. Les forgerons et les bûcherons sont partout victorieux dans le monde et leur fer nous maintient sous leur loi. S'il ne s'agissait encore que de nous, que de la conservation de notre substance, le problème eût moins compliqué : ne pouvant les vaincre, nous eussions choisi de disparaître. Plutôt que de leur céder. Mais nous sommes parmi les derniers hommes au monde à posséder Dieu tel qu'Il est véritablement dans Son Unicité<Comment Le Sauver ? Lorsque la main est faible, l'esprit court de grands risques, car c'est elle qui le défend< -Oui, dit l'instituteur, mais aussi l'esprit court de grands risques lorsque la main est trop forte. Le maître, tout à sa pensée, leva lentement la tête et considéra les trois hommes. - Peut-être estce mieux ainsi ? Si Dieu a assuré leur victoire sur nous, c'est qu'apparemment, nous qui sommes Ses zélateurs, nous l'avons offensé. Longtemps, les adorateurs de Dieu

    ont gouverné le monde. L'ont-ils fait selon Sa loi ? Je ne sais pas<J'ai appris qu'au pays des blancs, la révolte contre la misère ne se distingue pas de la révolte contre Dieu. L'on dit que le mouvement s'étend, et que, bientôt, dans le monde, le même grand cri contre la misère couvrira partout la voix des muezzins. Quelle n'a pas dii être la faute de ceux qui croient en Dieu si, au terme de leur règne sur le monde, le nom de Dieu suscite le ressentiment des affamés ? »140

    En un mot, on s'aperçoit d'abord qu'il ya là comme un discours sur la théodicée prophétique de Max WEBER. Un détour chez Jean-François BAYART141 est intéressant. En effet, dans cette perspective de la conversion des Africains au christianisme et à l'islam et qui s'apparente à un conflit symbolique de profanation des corps, BAYART attire notre attention en nous apprenant que « le travail d'inculturation ne se fera que par les Églises d'Afrique elles-mêmes. Et si le Pape préside, c'est par la charité et non la culture. C'est entre autre pour ne pas avoir compris cette distinction qu'il y a eu, au cours de l'histoire de l'Église, les ruptures des mondes byzantin, slave et germanique (<) Nos Églises ont été fondées par des missionnaires venus du monde latin mais cela ne signifie pas que nous sommes devenus des Latins. Les Occidentaux eux-mêmes ont été évangélisés par des Judéochrétiens et des Grecs ; ils sont restés latins et romains. De même les Églises copte et éthiopienne ont été évangélisées par Byzance. Cependant, elles se sont développées selon leur manière et leur génie propres (<) Les Occidentaux ont vécu jusqu'ici selon une vie culture unifiée et monolithique. Ils ont fait d'une contingence (la manière dont le christianisme s'est développé en Europe) une nécessité et considèrent le mode européen comme indispensable. Ils contestent la diversité culturelle, la seule culture étant la leur (<) Il y a eu de fait confusion entre l'ordre de la charité et l'ordre de la culture. Il faut donc reconnaître qu'aujourd'hui encore, l'admission d'un

    140 Cheik HAMIDOU KANE, L'aventure ambiguë. Préface de Vincent MONTEIL, ibid., pp.20-21.

    141 Jean-François BAYART, « Les Églises chrétiennes et la politique du ventre : le partage du gâteau ecclésial », CERI-CNRS, 26 p, document en pdf tiré sur le site www.google.fr

    pluralisme culturel de la part de l'Occident est purement théorique : il n'y a pas admission effective d'un tel pluralisme ».142

    Section 2 : Criminalisation des pratiques ancestrales par l'Église

    « Ne portez de jugement contre personne, afin que Dieu ne vous juge pas non plus. Car Dieu vous jugera comme vous jugez les autres ; il vous mesurera avec la mesure que vous employez pour eux. Pourquoi regardes-tu le brin de paille qui est dans l'oeil de ton frere, alors que tu ne remarques pas la poutre qui est dans ton oeil ? Comment peux-tu dire à ton frère : " laisse-moi enlever cette paille de ton oeil", alors que tu as une poutre dans le tien ? »143

    Cette maxime biblique est intéressante en ce sens qu'elle nous permet de relever un des nombreux commandements auxquels les chrétiens du monde entier doivent s'astreindre pour etre en phase avec Dieu. Cependant, entre ce qui est recommandé et ce qui se fait sur le terrain, nous nous rendons compte qu'il y a un écart. Autrement dit, l'observation des faits empiriques de la réalité sociale et historique montre que le christianisme (qu'il soit pentecôtiste charismatique, catholique, etc.) est allé à l'encontre de cette prescription divine, en jugeant, en diabolisant par exemple les us et les coutumes autochtones, tout en créant des images négatives. C'est du moins ce que plusieurs chercheurs (notamment Florence BERNAULT pour ne citer qu'elle) ont appelé la criminalisation des pratiques ancestrales.

    142 Jean-Francois BAYART, « Les Églises chrétiennes et la politique du ventre : le partage du gâteau ecclésial », CERI-CNRS, ibid., p.7.

    143 3EIRleMliTNEDWIRIIIl4 NOOJIle dER1 IttICIENFICaSBIBI versets 1-4.

    1. Criminalisation et persistance des pratiques ancestrales

    1.1. La criminalisation des pratiques ancestrales par l'administration coloniale

    La criminalisation découle d'un jugement de valeur européocentriste imposé par l'administration coloniale et partant, de l'Église, qui considérait que toute pratique n'honorant pas le sacré judéo-chrétien et universel, c'est-à-dire Yahvé, était qualifiée de "pratique sorcellaire", de paganisme. D'ailleurs, Florence BERNAULT nous apprend que << le terme "sorcellerie" en français renvoyait systématiquement à toute croyance religieuse qui tentait de résister au christianisme, et qui servit de référent intellectuel à la criminalisation des pratiques anciennes qui composaient l'essence de l'ordre moral et social des sociétés équatoriales >>.144

    Puisque nous travaillons sur la mort, cela inclut nécessairement les croyances qui y gravitent. Nous voulons montrer dans cette partie relative à la criminalisation des pratiques reliquaires que le cas de la mort et de tout rituel (exposition du corps, condamnation du coupable, réconciliation jusqu'à l'enterrement du défunt), nous permet d'évaluer l'ampleur des bouleversements imposés par la colonisation, voire les missionnaires. Sans parler du fait que << la législation française en effet interdit immédiatement après la conquête la pratique des autopsies et l'exposition des défunts. Elle décréta l'obligation simultanément de l'enterrement dans les cimetières publics, la condamnation des reliques sous la rubrique << profanation des tombes >>, et conduisit avec l'aide des missionnaires chrétiens la destruction des autels mobiles et des reliquaires considérés comme << fétiches >> et fatras sorcier indésirables >>.145

    Par ailleurs, cette criminalisation des pratiques ancestrales s'accompagnait également d'autres éléments importants que nous ne pouvons omettre pour notre démonstration. Dans un tel contexte, il n'y a pas de doute que « la fabrication rituelle

    144 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie et politique au Gabon et Congo-Brazzaville », p.9, in MBEKALE M.N, Démocratie et mutations cultures en Afrique Noire, Paris, l'Harmattan, 2005, pp.21-39.

    145 Florence BERNAULT, « Économie de la mort et reproduction sociale au Gabon », p.10, in Mama Africa : Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.

    des reliques des morts familiaux, par exemple, pouvait s'avérer paradoxalement plus risquée. Sous l'oeil de la force coloniale, que l'utilisation d'organes et ossements prélevés sur des cadavres "discrets", mais extérieurs au lignage. Le vol ou l'accaparement de reliques et d'organes hors des limites mais il est probable que ces transgressions devirent plus fréquentes face aux assauts de la législation coloniale ».146

    Pour beaucoup d'auteurs, cette criminalisation des pratiques ancestrales par l'Église expliquerait les différents changements sociaux vis-à-vis du sacré des autochtones.

    En effet, s'agissant du christianisme, « on ne saurait sous-estimer le traumatisme qui a été la conséquence de l'abandon des dieux et des religions traditionnelles. Il serait maladroit d'affirmer que leurs institutions sociales religieuses étaient "mauvaises". Plus simplement, elles ont pris un coup sérieux pour la pseudo-raison qu'elles ne cadraient pas avec le contenu de la dignité humaine telle que l'entendait la théologie chrétienne occidentale, tributaire vraisemblable de la culture et de la civilisation qui l'ont construite >>.147

    Nous pensons même que ces pratiques ancestrales sont des marqueurs identitaires pour les autochtones ; les seuls moments qui leur permettent d'unir et de renforcer l'ordre social, le lien social entre eux. Or, « que ce soit l'église catholique ou protestante, toutes deux ont conduit à la destruction des anciens systèmes de croyances. Aujourd'hui, le chrétien qui ose encore parler du culte des ancêtres est interdit de sacrements ou considéré comme un paria. C'est la preuve que toutes les croyances et coutumes traditionnelles sont jugées mauvaises par la religion chrétienne, contraire à ce que dit la Bible ».148

    146 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie et politique au Gabon et Congo-Brazzaville », ibid., p.10.

    147 Bernardin MINKO-MVE, Gabon entre tradition et postmodernité. Dynamique des structures d'accueil Fang. Préface de Jean POIRIER, Paris, l'Harmattan, (coll. « Études africaines »), 2003, p.183.

    148 Ibid., p.206.

    D'ailleurs pour l'Église, cela voudrait dire que « vous annulez ainsi la parole de Dieu au profit de votre tradition ».149 Ce décryptage des pratiques coloniales dans la criminalisation des us et coutumes autochtones nous poussent à dire que puisqu'ils (les missionnaires et administrateurs coloniaux) interdirent les cultes des ancêtres, cette prohibition conduisit les autochtones à profaner. Notons ici que les cimetières publics naissent avec la colonisation ; en tant qu'archive nécrologique et qui renforce le contrôle social occidental. Pour rester dans cette pratique de criminalisation, il faut noter que « dans son empressement à interdire ce qu'elle assimilait à un (des) ordre rétrograde criminel, voire à des pratiques cannibales, la colonisation française attaqua ces cultes anciens, et ce faisant, commença de démanteler la logique de la reproduction familiale et collective ».150

    Florence BERNAULT nous permet de voire que le christianisme est une religion de la guerre ; qui use de la violence physique et symbolique pour imposer son sacré universel et donc ; pour se faire voir ; connaître. Cette situation montre que « le premier travail de l'évangélisme colonial c'est la démonisation, la diabolisation de la différence culturelle »151 dans laquelle le plus faible ou celui qui refuse la conversion est automatiquement diabolisé.

    Cette criminalisation « désagrège les rapports familiaux en créant deux "camps" distincts: ceux qui sont supposés être les adeptes de Satan: les inconvertis en un enfer qui n'est pas censé avoir d'autres solutions que la conversion de tous dans le "cercle" du sang de Jésus ».152

    1.2. La persistance ou survivance des pratiques reliquaires

    À ce stade, la persistance des pratiques ancestrales au Gabon apparaît ici comme une réponse à une interdiction par l'administration coloniale de l'époque des

    149 Lire à ce sujet le livre de Matthieu chapitre 15 verset 6.

    150 Florence BERNAULT, « Économie de la mort et reproduction sociale au Gabon », p.7, in Mama Africa ; Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, CI-F LIP aAAWTIELI, ILIS.

    151 André MARY, « Conversion et conversation: les paradoxes de l'entreprise missionnaire », p.787 in Cahiers d'Études africaines, 160 XL-4, 2000, pp.779-799.

    152André MARY, « Actualité du paganisme contemporanéité des prophétismes », p.384 in L'Homme, l'anthropologue et le contemporain: autour de Marc-Auge, 185-186/2008, pp.365-386.

    pratiques culturelles autochtones dites"païennes" et de rendre hommage aux ancêtres ; ces médiateurs probables entre eux et << Nzame >>, << Nzèmbi >>, << Anyambyè >> ; en un mot, Dieu. Pour Florence BERNAULT, << la loi coloniale provoqua donc une extrême fragilisation de la reproduction sociale basée sur le deuil et la collecte des reliques. Certaines pratiques ne purent survivre qu'en devenant illégales et clandestines. La fabrication rituelle des reliques familiales, par exemple, pouvait s'avérer paradoxalement plus risquée, sous surveillance coloniale, que l'utilisation d'organes et d'ossements prélevés sur des cadavres "discrets", mais extérieurs aux lignages. S'il est établi que le vol ou l'accaparement de reliques et d'organes hors des limites lignagères existait devant la conquête coloniale, il est probable que ces transgressions devirent plus fréquentes face aux assauts de la législation coloniale >>.153

    Pour clore ce premier point, nous devons compter aussi sur les différents points de vue de nos interlocuteurs sur la criminalisation des pratiques ancestrales. En effet, en leur posant trois questions fondamentales pour notre travail à savoir : << pour vous, le culte des ancêtres signifie quoi et quelle est sa place dans la société gabonaise aujourd'hui ? A qui profite la criminalisation des reliques et enfin pourquoi cette criminalisation ? >> Nos interlocuteurs ont des points de vue que nous vous exposons ici.

    Énoncé n°12 :

    - << Pour moi, le culte des ancêtres signifie qu'on est attaché à la coutume à laquelle on appartient car pour obtenir quelque chose de bien il faut invoquer les ancêtres. Sa place dans la société gabonaise aujourd'hui ; il n'a plus d'importance comme dans le passé car on a recourt au fétichisme ; aux différentes sectes et à l'Église. Et la criminalisation, ça profite aux prêtres qui exercent dans les Églises, d'avoir un dessus sur les fideles. Parce que ces prêtes;

    153 Florence BERNAULT, « Économie de la mort et reproduction sociale au Gabon » , p.8, in Mama Africa ; Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.

    par exemple lorsqu'ils se retrouvent dans une situation qu'ils ne contrôlent plus, ils font recours à ces reliques qui sont une deuxième puissance pour eux ».154

    Le discours de notre interlocutrice suppose que la criminalisation des reliques et pratiques ancestrales par l'Église, sert cette même Église. Pour elle, un « homme de Dieu » qui crie aux profanations des tombes, qui crie aux reliques humaines ou « pièces détachées » humaines, tire certainement profit de cette façon de faire et de ce comportement. Cela lui permet dans un premier temps de remplir sa paroisse de fidèles pour la plupart du temps incrédules pour s'assurer un profit financier important. Dans un second temps, est-ce que ces reliques, qu'on leur apporte pour soit disant les détruire à l'Église, ne sont-elles pas utilisées par ces mêmes pasteurs pour consolider leurs pouvoirs de domination et de contrôle de la vie des fidèles?

    Énoncé n°13 :

    - « Le culte des ancêtres c'est vénérer les ancêtres, c'est faire appel aux morts c'est-àdire les invoquer, car les morts ne sont pas morts, puisque nous savons qu'ils nous protégent et qu'ils nous apportent la guérison, le bonheur, ils viennent nous aider. Je sais que ce culte des ancêtres, malgré l'évolution de la société, occupe une grande place. Même les gens convertis ont toujours recours aux ancêtres, ils n'ont pas fait une rupture totale. Aprés tout, on est d'abord africain. Au sujet de la criminalisation, je dirai que ça profite aux chrétiens car pour ceux qui sont ancrés dans la tradition c'est une bonne chose et ceux qui sont à l'église c'est une mauvaise chose. Car on ne doit pas travailler avec le crâne des grands-parents. Cela apporte le pouvoir à ceux qui sont dans la tradition. Cette criminalisation est là peut être parce que les chrétiens veulent convertir ceux qui pratiquent ces actes. C'est tout ce que je peux dire ».155 Ces propos nous révèlent aussi que ce sont les chrétiens qui profitent de cette criminalisation pour certainement drainer de nouveaux adeptes à la conversion, donc à leur propre réification, leur propre profanation.

    154 Propos de mademoiselle Janny Esther DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, 25 ans, chrétienne catholique, étudiante au département de Sociologie de l'UOB,en année de Maîtrise, Akélé-Punu.

    155 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA, 27 ans, chrétienne catholique, étudiante au département de Sociologie de l'UOB, en année de Maîtrise, Nzébi-Sango.

    Énoncé n°14 :

    - « Le culte des ancêtres signifie pour moi la vénération des morts. C'est vrai que les morts ne sont pas morts et pour nous qui avons adopté la culture occidentale de la Bible ; nous ne pouvons accepter le culte des ancêtres qui désigne l'invocation des morts. On parle de retraits de deuil, sacrifices, l'invocation des totems et donc en contradiction avec la parole de Dieu. Celui qui participe à ces choses est un Nganga, un sorcier, un enchanteur en langage chrétien. Et la Bible dit " dehors les enchanteurs" (Apocalypse 22). J'ajouterai qu'en milieu citadin, sa place n'est pas omniprésente toutefois pendant les vacances il est prédominant dans l'arrière pays et c'est un moyen de se ressourcer dans les ancêtres. Il occupe une place importante et comme la religion, il permet de s'affirmer dans la société. En Afrique, la croyance autour des pouvoirs, privilèges et prestiges s'articulent autour de la capacité d'un individu d'acquérir les pouvoirs mystiques. "Être un grand"dans le sens africain du terme c'est posséder les pouvoirs qu'avaient les ancêtres. C'est un trafic d'influence à travers la capacité de pouvoir dominer son semblable. Non seulement par le discours soit par la capacité de mettre en pratique ce discours. Ce sont les politiciens qui ont un pouvoir développé grâce à ces reliques ; et aussi aux Ngangas car pouvoir guérir il faut qu'ils s'accaparent les forces des génies qui ne parlent qu'à travers les reliques. Cette criminalisation est là parce que le monde est ce qu'il est là parce que le monde est ce qu'il est, un homme ambitionne de pouvoir être grand au milieu de ses semblables ; qui est dépourvu de certaines qualités spirituelles. Il a besoin d'autres choses ; les reliques, les profanations de tombes sont un moyen d'arriver aux reliques. Les hommes d'Église remplissent leurs Églises des gens en dénonçant ces pratiques pour informer les populations face aux dangers des pièces détachées. Les fidèles, par la foi, affluent dans les églises pour être protégés ».156

    Les propos de notre interlocuteur témoignent d'un certain engouement constaté pour la criminalisation des reliques et autres pratiques ancestrales par l'Église. Par ailleurs, l'informateur stipule que même les hommes politiques et les

    Ngangas y ont recours mais il nous rappelle que la bible est formelle dessus, on ne peut pas être chrétien et attaché encore aux reliques.

    Énoncé n°15 :

    - << Le culte des ancêtres n'existe pas pour nous, mais pour les profanes il s'agit de tenter de rentrer en contact avec des entités surnaturelles." Laissez les morts enterrer les morts." Tout culte d'ancêtre n'a pas d'apport positif pour notre société c'est la vanité des vanités. D'ailleurs, la criminalité des reliques profite à Satan, pas à aucun homme normal, aux hommes politiques. Je peux te citer des grands noms du Moyen-Ogooué où les familles connaissent la malédiction à cause de ces reliques. Il ya criminalisation parce qu'il ya des hommes qui pactisent avec le diable ; pour le paraître. Il faut accepter Jésus pour le salut de son âme >>.157 Le point de vue du pasteur AKITA vient confirmer l'idée d'une criminalisation des pratiques ancestrales autochtones par l'Église. Or la Bible, en tant que Livre Saint contenant la Parole divine, nous rappelle qu'il ne faut pas << porter de jugement contre untel afin que Dieu ne nous juge pas non plus >>. Ce passage biblique tiré de l'Évangile de << Matthieu >> montre les paradoxes de la mission évangélisatrice de l'Église.

    Dans cette criminalisation, il faut dire que << tout geste (ou toute parole) culturel à l'attention des défunts est désormais considéré au mieux comme sans objet, au pire comme satanique. Il n'est donc plus question de participer aux cérémonies familiales dédiées aux ancêtres, voie par lequel le non-converti marque périodiquement son inscription dans la lignée croyante du culte familial. De même, les pentecôtistes sont les seuls à considérer que les défunts qui leur apparaissent en rêve sont de mauvais esprits, éventuellement envoyés par un sorcier pour les amener à se compromettre, et non les esprits des défunts eux-mêmes (qui ne peuvent plus se

    manifester), ce qui les pousse à prier pour chasser ces esprits "au nom de Jésus" >>.158 C'est une sorte de diabolisation des défunts.

    Pour finir, << le pentecôtisme (<) sape non seulement un fondement de l'institution familiale comme le culte des ancêtres lignagers, mais encore le principe même de l'échange symbolique avec les morts. C'est en effet autour de leurs morts que les familles et, plus largement, les lignages se retrouvent annuellement. Même les milieux qui tendent aujourd'hui à refuser les cultes ancestraux (comme les chrétiens célestes ou les catholiques engagés) organisent régulièrement des cultes ou des messes pour les morts qui rassemblent une part non négligeable des familles >>.159

    2. Le respect de la mort

    > Le culte des ancêtres

    Le culte des ancêtres est une illustration du respect de la mort. A ce sujet, on ne peut exclure que toutes les représentations sociales africaines en général, gabonaises singulièrement gravitent autour d'une vie après la mort. Autre fait, « la science et la médecine sont en mesure de nous protéger contre maintes maladies et dans une certaine mesure de prolonger notre existence, elles ne proposent toutefois aucune solution au problème de la mort. Nous devons nous tourner vers la philosophie et la religion pour trouver des réponses ultimes >>.160

    C'est dire donc que la place des morts demeure une des préoccupations pour les vivants, mieux pour l'institution familiale qui est « un des lieux par excellence de l'accumulation du capital sous ses différentes espèces et de sa transmission entre les générations >>.161 Ce qui voudrait dire que dans la place des morts et la construction des sujets, << le refus des cérémonies familiales (et en particulier des cultes aux ancêtres) qui caractérise notamment les convertis born again se présente comme un

    158 Joël NORET, « De la conversion au basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », p.150, in Politique Africaine « Globalisation et illicite en Afrique », n°93, mars 2004, Paris, Karthala, 193 p.

    159Ibid., p.151.

    160 Daisâku IKELA, La vie à la lumiqre du Bouddhisme. Traduit de l'anglais par Paul COUTURIAU, Monaco, Editions du Rocher, 1985, p.237.

    161 Joël NORET, op.cit., p.149.

    rejet des rites d'institution familiaux et comme un refus de s'inscrire dans la lignée croyante du culte familial, situation qui débouche sur une forme de " sécularisation" de la famille >>.162

    Énoncé n°16 :

    - « Les années 1940 et 1950 au Gabon ont été caractérisées par le fait d'un fort respect de la mort. En effet, il fut quasiment difficile de voir les corps exposés sur les rues de Libreville ou dans les villes de l'intérieur du pays parce que tout le monde a été élevé et préparé à respecter la mort. Les morts ont toujours occupé le temps des vivants et on devait leur préparer les meilleures funérailles pour qu'ils ne viennent pas en songes demander. Chez nous les Myènè, on a ce qu'on appelle Agombé Nèrô ou culte des ancêtres ; qu'on faisait quelques temps après le décès. Ce n'est pas une mauvaise chose mais ce qui est mauvais ce sont plutôt les motivations des individus malveillants dans nos familles qui pensent bénéficier de certaines faveurs de ce culte. Même quand nos aînés nous racontent que quand ils allaient à l'Église, les prêtres insistaient sur la solidarité et notre respect des morts. Je te rassure même que les femmes n'allaient pas au cimetière car il se passait souvent des choses bizarres. Il pouvait arriver que le mort revienne à la vie. Retiens aussi que quand on demandait aux gens de rentrer au cimetière avec le cercueil on rentre toujours par la tête. Tout simplement parce que quand un enfant naît, il sort des entrailles de sa mère par la tête. Et quand tu retournes c'est-à-dire quand tu meurs tu retournes avec tes deux pieds tu vas assumer ton arrivée au monde de ta mère. Aujourd'hui on a tout oublié, on profane les tombes et les corps, on coupe la langue, les mains, les testicules, le clitoris quand on tue quelqu'un >>.163

    D'autre part, « la croyance fondamentale sous-jacente au culte des ancêtres est que les morts ne sont pas morts, mais continuent à être liés au destin des humains visibles >>.164 Les reliques des ancêtres ; sous la forme d'ossements et en particulier sous la forme des crânes, « sont la réplique exacte du culte des saints dans la religion catholique. Ces cultes sont d'autant plus parlants, si l'on peut dire, qu'ils établissent

    162 Joël NORET, « De la conversion au basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », p.152.

    163 Propos du pasteur Raymond AKITA de la Mission protestante de Baraka.

    164 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise, 2ème éd. revue et augmentée, Libreville, Editions du LUTO, 2002, p.48.

    réellement, par l'intermédiaire de phénomènes médiatisés par les transes, le contact avec les défunts. Cette communication avec les défunts est souvent établie dans un cadre thérapeutique, soit pour faire la guérison, soit pour réparer les jeteurs de mauvais sorts et conjurer ainsi, dans son sens littéral, le mauvais sort >>.165

    Somme toute, « les messes catholiques pour les défunts, assimilées à des cultes aux morts, sont interprétées à partir de la même grille : la position des prêtres (qui demandent de l'argent pour dire les messes) est associée à celle des chefs de famille, les uns comme les autres jouant le même rôle de spécialistes religieux ou rituels à l'intérêt politique évident. Et l'on souligne que la basilique Saint-Pierre a été construite sur le tombeau de Pierre pour sceller le caractère déviant de l'Eglise catholique >>.166

    Nous voulons juste montrer que le respect des morts, illustré par le culte des ancêtres représente la mémoire collective des familles. Et dans l'imaginaire gabonais, la croyance aux pouvoirs et l'influence des morts sur les vivants est bien manifeste. Le culte des ancêtres a été une donnée fondamentale dans la construction des identités des sujets. On se rend compte que selon les propos du pasteur Raymond AKITA, il n'était pas facile de faire des découvertes macabres à Libreville. Or l'observation de la réalité sociale actuelle démontre qu'aujourd'hui, la mort est banalisée voire désacralisée. Ainsi, le corps du gabonais est, comme l'affirme Maurice GODELIER167 , « conçu, supplicié, possédé et cannibalisé >>.

    165 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise, 2ème éd. revue et augmentée, Libreville, Éditions du LUTO, 2002, p.49.

    166 Joël NORET, « De la conversion au basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », p.151.

    167 Maurice GODELIER et Michel PANOFF, Le corps humain. Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé, Paris, CNRS Editions, 2009, 572p.

    Conclusion de la première partie

    Le recours à l'histoire montre que « les historiens sont des sociologues qui s'ignorent. Et inversement, les sociologues s'ils veulent construire et mettre à l'épreuve leurs théories, doivent puiser dans les matériaux livrés par les historiens >>168. Nous avons donc vu que le culte des ancêtres demeure un culte prédominant au sein des sociétés symboliques lignagères gabonaises ; et dont les reliques jouent un rôle de premier choix. En témoigne l'exemple des cranes humains qui en sont la parfaite illustration en ce sens qu'ils « étaient, en effet, le siège et le réceptacle de la capacité d'action de l'individu >>169 ; et constituaient l'élément principal, le soubassement du pouvoir et de l'autorité des chefs de lignages à travers le culte des ancêtres.

    En nous focalisant sur les reliques et le culte des ancêtres, nous avons voulu, par là, choisir de revisiter l'époque coloniale, sinon l'époque précoloniale, pour comprendre d'une part les fondements du pouvoir de certains individus, en l'occurrence les chefs de familles, de clans, de lignages etc., en relation étroite avec le sacré, le religieux. Mais surtout, de voir que cette période précoloniale et coloniale nous révèle la « domination du religieux, du sacré sur la société toute entière *<+ L'arrivée des occidentaux au XVème siècle va changer la société gabonaise >>.170

    Il s'agit ici de voir l'influence de la période coloniale sur la société lignagère gabonaise ; qui subit surtout la domination du pouvoir religieux, donc du christianisme ; par la criminalisation des reliques et l'ordonnancement de la destruction des autels reliquaires en collaboration avec l'administration coloniale de l'époque.

    Après tout, nous nous sommes rendus compte de l'importance et de l'intérêt accordés par les autochtones sur les ossements humains ou l' « or blanc >> ; censés

    168 Patrick CHAMPAGNE, La Sociologie, Toulouse, les Essentielles Milan, 2005, p.28.

    169 Pierre ALEXANDRE et Jacques BINET, Le groupe pahouin (Fang-Boulou-Béti), Paris, l'Harmattan, 2005, p.111.

    170 Davy Willis KOUMBI-OVENGA, Mort et pouvoir. Violence politique et société initiatique Ndjembè en postcolonie gabonaise, Mémoire de Maîtrise en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, 2006, p.82.

    détenir des pouvoirs extraordinaires. Ce qui nous a donc conduit à explorer cette piste pour comprendre l'origine des « pièces détachées », ou de cet « or blanc », dans la persistance des profanations des tombes observées à Libreville à l'orée des élections.

    D'autant plus que « la démarcation entre ce qui est " imaginaire" et ce qui est " réel" n'est pas si nette en ce domaine. Si la croyance en l'efficacité de la sorcellerie est tellement répandue dans la société, il est très probable que certains individus au moins essayeront d'en profiter »171.

    Introduction de la deuxième partie

    Cette deuxième partie est consacrée à l'analyse du marché occulte et illégal des restes humains en présentant la prise de position de l'Église sur les profanations des tombes et des corps à Libreville. D'une part, comme nous l'avons montré dans nos préalables épistémologiques, l'Église a pour mission de préserver les corps des religieux des profanations des tombes, en construisant les cimetières sur son terrain pour mieux les sécuriser.

    Simplement parce que notre corps est le temple du Saint Esprit172 et que, << le corps n'est pas une matière première que l'on peut vendre à sa guise. Ce n'est pas pour rien que de nombreuses personnes refusent de donner le corps d'un proche à la science même à des fins médicales >>173. D'autre part, on assiste à la production d'un discours moraliste contre le fétichisme, tout comme l'existence du matraquage médiatique et religieux, pour ce qui est des campagnes dites << d'évangélisation >> et d'un mysticisme exacerbé.

    Par ailleurs, nous insistons sur le fait qu'au Gabon, tout est devenu marchandise ; le corps humain dans cette perspective n'échappe pas à cette logique d'objet marchand. Or << l'économie marchande pervertit littéralement le système traditionnel et trouve dans la sorcellerie son alliée naturelle puisque la première implique la capture systématique d'êtres humains, réduits en esclavage, et la seconde le sacrifice humain (<) Au lieu de l'or et de l'argent et d'autres biens qui servent de monnaie ailleurs, ici la monnaie est faite de personnes, qui ne sont ni or ni tissu, mais qui sont des créatures >>.174

    Ce qui justifie l'idée selon laquelle la croyance aux pouvoirs des morts et de leur recours lors des élections politiques est bien réelle. Parce que les pratiques

    172 Lire à ce propos I corinthiens 6 verset 19.

    173 Ingrid SCHEINDER cité par Markus GRILL et Martina KELLER, « Un trafic légal de tissus humains. 42 € le fémur, 14 € la trachée », p.42 in Courrier International, n°993 du 12 au 18 novembre 2009, 59 p.

    174 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des monstres sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions Gallimard, 2000, p.122.

    occultes et fétichistes rythment le Gabon et « font du corps de l'autre, et surtout de sa vie, une vulgaire ressource politique qu'on peut actionner à sa guise >>175.

    Pour finir, « il arrive aussi que l'on prélève des morceaux choisis sur des cadavres ou qu'on les achète sur le marché de trafic du corps humain qu'alimente la criminalité dans certains pays africains >>176, en particulier au Gabon ; et où la recrudescence des crimes rituels et profanations de tombes et accusations d'actes de fétichisme se multiplient à la veille des élections ; parce que « le discours sur le pouvoir continue d'être marqué par des références multiples et directes (<) aux forces occultes >>177.

    175 Comi TOULABOR, << Sacrifices humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique », pp.220-221.

    176 Ibid., p.209.

    177 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, (coll. << Les Afriques »), 1995, p.14.

    Chapitre III : La production d'un discours moraliste des Église sur les profanations des tombes

    En tant que gardienne de la morale, l'Église, nous rappelle vivement que le corps humain est << le temple du Saint Esprit >>178 et qu'il est important de le protéger. Car à Libreville, les profanations des tombes et des corps deviennent une << arme >> qui traduit l'exercice de la violence symbolique et imaginaire par le pouvoir politique.

    Section 1 : Prise de position de l'Église et de l'État face aux profanations des tombes et des corps à Libreville

    1. Le point de vue de l'Église

    1.1. Une dérive morale ?

    L'Église, au sens durkheimien179, est un rassemblement en une même communauté morale qui unit par les croyances et les pratiques tous les individus qui y adhèrent. L'Église se définit aussi comme un groupe dont les membres défendent la même doctrine. Par ailleurs, << parce qu'elle est la gardienne de la morale, l'Église ne pouvait continuer à demeurer muette face aux phénomènes des crimes rituels, prélèvements d'organes et même de destruction odieuse des vies humaines devenus légion au Gabon ces derniers temps, même s'il est vrai que ces crimes rituels ne datent pas d'aujourd'hui >>.180

    Nous retenons donc que pour l'Église, les profanations des tombes et des corps à Libreville constituent << une dérive morale >>.181 En effet, interrogé sur la question par le journaliste Olivier NDEMBI de l'Union, organe de presse, « le

    178 Lire I Corinthiens 6 verset 19.

    179 Émile DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, (coll. << Le livre de Poche »), classiques de philosophie, 1991, 758 p.

    180 L'Union Plus, premier quotidien d'informations gabonais, du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, Multipress, Libreville/Gabon, rubrique << Société et culture », page 6, en annexes.

    révérend pasteur Gaspard OBIANG estime que la protection des sépultures doit constituer une des priorités gouvernementales ».182

    Par ailleurs, « en sa qualité de citoyen, mais encore et surtout de serviteur de Dieu, il dit condamner avec force, le caractère pervers et infâme de la profanation des tombes et la commercialisation des restes humains au Gabon. Ce, d'autant plus que, de son point de vue, les taux de crimes rituels et des actes de sacrilège deviennent impressionnants dans notre pays. C'est un déshonneur, un opprobre pour le Gabon! Assène-t-il, ajoutant que (<) la profanation des tombes à des fins commerciales ou fétichistes rime avec abomination, colère divine et malédiction. Selon le pasteur Gaspard, il est impensable qu'en ce millénaire dit de l'excellence, de la compétence et de la performance, des personnes se livrent à un commerce aussi criminel, au lieu d'utiliser leurs mains briseuses de tombes pour pratiquer l'agriculture, la peche ou la menuiserie. De meme, il est insoutenable que les autorités municipales se montrent incapables d'entretenir et de sécuriser les cimetières existants et de disponibiliser un autre site à l'heure où le taux de mortalité augmente ».183

    Le pasteur que nous avons rencontré nous a édifié sur certaines questions ; entre autre, « pourquoi cette recrudescence des profanations des tombes, surtout en périodes électorales ? » Pour notre interlocuteur, il y a recrudescence des profanations des tombes en périodes électorales :

    Énoncé n°17 :

    - « Tout simplement parce qu'il faut d'abord partir d'un principe ; pour ne pas rentrer dans la doctrine de la dichotomie et la trichotomie ; il faut dire que Lucifer passe par la matière afin de pouvoir donner à l'homme l'impression d'atteindre une lumiére spirituelle qui n'est vraiment pas la volonté divine et le reflet divin. C'est pour cela que les profanations des tombes sont des vecteurs qui permettent au commun des mortels de briller. Alors que JésusChrist ; il est le seul qui fait briller l'intérieur. La profanation des tombes favorise l'être. Et

    182

    L'Union Plus, premier quotidien d'informations gabonais, du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, Multipress, Libreville/Gabon, rubrique « Société et culture », p.6.

    pour prendre cette explication dans le Livre de 1 Samuel 28 je crois, lorsque Saül a voulu invoquer l'esprit de Samuel dans la Bible. La Bible nous précise que Samuel, dans sa tombe, a dit à Saül" ne me dérange pas je suis ici en paix. "Face à ce cas là, la Bible nous montre qu'il peut avoir naissance de communication entre celui qui est parti et celui qui reste. Et pour les initiés pervertis, les initiés démesurés, les initiés qui ne maîtrisent pas le respect de cette portée nécrologique ancestrale, profitent des naïfs qui n'honorent pas le Seigneur, viennent de temps en temps pour commettre des bêtises; en espérant avoir le pouvoir, l'influence, l'argent

    1

    » .84

    Les propos du pasteur AKITA nous donne une explication ésotérique quant à la recrudescence des profanations des tombes à l'orée des élections politiques. Par ailleurs, il est clair que la croyance au pouvoir des morts est réelle et que la Bible interdit la nécromancie, parce qu'elle n'honore pas Dieu plutôt Lucifer. Au fond, en nous référant aux prescriptions bibliques conseillées par notre interlocuteur, l'Église nous apprend que « les pratiques païennes » souillent la fidélité en Dieu d'où, « ne cherchez d'aucune manière à entrer en contact avec les esprits des morts, car cela vous rendrait impurs. Je suis le Seigneur votre Dieu ».185 De même, comme le Révérend pasteur Gaspard OBIANG l'a rappelé lors de son interview accordée à l'Union, « quiconque touche un cadavre humain est impur pour une semaine ».186

    À la suite de ces passages bibliques, le Révérend pasteur Gaspard OBIANG termine en disant « qu'un peuple qui n'est plus alarmé par la mort et banalise la vie est comme un navire sans boussole. Il est voué à l'échec et meurt lentement mais sûrement ».187 Ce qui nous amène à nous poser la question de la perception des reliques aujourd'hui à Libreville.

    184 Propos du pasteur de la Mission protestante de Baraka de Libreville, monsieur Raymond AKITA, 42 ans, en II IrncIEdIpuoEl'pnE2iii.

    185 Parole biblique tirée du Livre de Lévitique 19 verset 31.

    186 Parole biblique tirée du Livre de Nombres 19 verset 11.

    187 Propos du Révérend pasteur Gaspard OBIANG, in l'Union du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, p.6, en annexe.

    Énoncé n°18 :

    - « L'Église est contre ça, car en Christ, on est une nouvelle créature. Il ne faut plus compter sur ces choses parce que cela n'honore pas Dieu ; et on peut devenir fou ».188 Énoncé n°19 :

    - « Moi je pense que la criminalisation des reliques est faite par les chrétiens car c'est une mauvaise chose. On ne doit pas travailler avec le crâne des grands-parents. C'est la nécromancie, la divination, c'est même démoniaque. Et je crois que ceux qui sont ancrés dans la tradition c'est une bonne chose pour eux puisque cela leur apporte le pouvoir. Et cette criminalisation comme vous dites, est là parce que les chrétiens veulent convertir ceux qui pratiquent ces actes ».189

    Énoncé n°20 :

    - « Pour ma part, je pense que prendre le crâne du papa et du grand-père je ne vois pas ce que cela peut apporter à la personne qui garde ça. Même si les morts ne sont pas morts, cela c'est de l'idolatrie. Cette criminalité est faite par les convertis, ceux qui ne sont pas d'accord avec cette pratique. Si les gens critiquent cet acte, c'est parce que c'est un acte inhumain immoral, un acte déshonorable à la société. On ne peut pas prendre le crane de quelqu'un décédé depuis et le mettre dans un coin et le vénérer parce qu'il n'apporte rien. Pour nous il n'ya que Allah qui résout les problèmes, c'est l'unique créateur ».190 Selon le pasteur Raymond AKITA par contre,

    Énoncé n°21 :

    - « Tout ceci profite à Satan, pas à aucun homme normal, aux hommes politiques qui sont nécromanciens, je peux te citer les grands noms du Moyen-Ogooué où les familles connaissent les malédictions. Ces gens pactisent avec le diable ; pour le paraître, il faut accepter Jésus pour le salut de son âme ».191

    188 Propos de mademoiselle Graziella MENGUE, 29 ans, chrétienne catholique, fang, agent marketing.

    189 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA, 27 ans, chrétienne catholique, Nzébi-Sango, étudiante en Maîtrise au département de Sociologie de l'UOB.

    190 Propos de mademoiselle Khadidjatou MAROUNDOU, 33 ans, Punu, musulmane, reprographe à l'UOB.

    191 Propos du pasteur Raymond AKITA de la mission de Baraka de Libreville, 42 ans, Galoa, exerce depuis l'an 2000.

    - << La criminalisation des reliques est faite par l'Église car elle s'oppose aux reliques en affirmant que c'est de la vénération des choses mortes. Les reliques n'honorent pas Dieu et souillent ceux qui les pratiquent ; eux et leurs générations. C'est la malédiction ».192

    1.2. La protection des corps religieux et des cimetières

    En fait, il s'agit de l'assise du pouvoir et les reliques serviraient les hommes du pouvoir. Selon les propos du pasteur AKITA, certains individus ont le souci du paraître, de leur insertion sociale au sein de l'appareil d'État ; au lieu de se préoccuper du salut de leurs âmes. Ce qui explique les profanations des tombes. Face à ce phénomène, l'Église se donne pour mission de protéger les corps des religieux en construisant les cimetières dans sa concession. En témoigne les photos n°2,4 et 5 des pages 26 à 29 de la cathédrale Sainte Marie de Libreville et de la mission Baraka; et dont nous avons fait mention dans la partie consacrée aux préalables épistémologiques de notre travail.

    Par ailleurs, il y a aussi la protection des cimetières car << l'omniprésence de l'Église médiévale dans la société s'amorce à partir du moment où les chrétiens cessent d'attendre une fin du monde imminente. L'Église s'investit, dès lors, dans la mise en oeuvre de fonctions normatives et juridiques qui touchent pratiquement tous les domaines de la vie, du mariage à l'usure, en passant par l'état-civil, les procédures judiciaires, la création d'un système scolaire, la sacralisation de l'autorité sociale, la condamnation des hérésies, la définition des normes régissant les usages du sexe et du plaisir ».193 À la question de savoir pourquoi l'Église a-t-elle décidé d'enterrer les corps des religieux dans sa concession, notre interlocuteur nous a répondu ainsi :

    192 Propos de mademoiselle Janny Esther DIVAGOU IBRAHIM KUMBA, chrétienne catholique, 26 ans, étudiante en Maîtrise au département de Sociologie de l'UOB, Akélé-Punu.

    193 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques »), 2000, p.209.

    - << Pour l'Église, les cimetières sont des lieux sacrés, selon le canon 1205194. Alors les cimetières méritent respect, vénération, reconnaissance. De plus, le sacré nous renvoie à l'invisible car nous croyons que la vie n'est pas finie, elle est transformée : il y a la continuité des défunts. Par ailleurs, comme la Bible bénit les tombes, alors l'Église bénit les tombes des fidèles en ce sens que le cimetière est un lieu sacré. Et elle protège les cimetières ce qui fait qu'elle les construit sur sa concession. En outre, la profanation des tombes est une malédiction ; un péché grave car c'est une entrave à la volonté divine. Nous croyons à la résurrection non à la mort. C'est pour cela que l'Église condamne avec la dernière énergie les profanations des tombes »195.

    2. Le point de vue du législateur gabonais sur les profanations des tombes

    2.1. Le code pénal de 1963

    Avant d'aborder le point de vue du législateur gabonais sur les profanations des tombes, il est important d'apporter quelques éclaircissements sur la violence du pouvoir au sens de Georges BALANDIER au Gabon ; mais aussi, comme l'entend Florence BERNAULT qui se base sur le concept dominant du << le Souverain moderne » de Joseph TONDA. De prime abord, la violence ne s'exprimerait pas sans un appui sur le symbolique et l'imaginaire ; étant entendu que ces deux modes d'expression laissent entrevoir la violence.

    Les recherches de BALANDIER sur la violence du pouvoir montrent que la violence du pouvoir intervient dans toutes les sociétés, qu'elle recourt à des moyens divers et que la violence du pouvoir apparaît comme une agression indirecte et masquée. Mieux, elle se présente comme une manipulation de symboles et de forces à des fins offensives. Enfin, elle est identifiée à partir de ses effets. Florence

    194 Code De droit canonique Bilingue et annoté.2ème édition révisée et mise à jour, Montréal, Wilson & La fleur Itée, 1999, 1888 p. Ce canon 1205, réservé aux lieux sacrés, stipule que « les lieux sacrés sont ceux qui sont destinés au culte divin ou à la sépulture des fidèles par la dédicace ou la bénédiction que prescrivent à cet effet les livres liturgiques ». À voir en annexes.

    195 Propos du Père Dieudonné MOULOUNGUI, 35 ans, Punu, vicaire de la Paroisse Saint André des 3 Quartiers de Libreville. Entretien réalisé le 4 mars 2010 à 21 heures à Saint André.

    BERNAULT196 nous suggère une relecture de Joseph TONDA, parce qu'étant un auteur complexe, on se rend compte que « le Souverain-moderne est l'ensemble des rapports qui, pour TONDA, gouvernent la production du monde de l'après-colonial, et imposent à ceux qui sont pris dans ses rets une culture du tourment, de la persecution et de la violence retournee sur soi ».197

    On peut ajouter aussi que le « Souverain moderne » , bien qu'étant complexe, présente l'avantage d'une lecture au microscope des rapports sociaux qui predominent au Gabon ; mais surtout comment ils s'enracinent et se diffusent dans la societe postcoloniale d'Afrique centrale. D'ailleurs, « le Souverain moderne prive les hommes d'eux-mêmes et de leur histoire, depossède les individus de leur integrite (corps voles, depenses), de la possibilite de leur reproduction sociale et biologique (organes sexuels arraches ou instrumentalises), le fascine et les apeure par les violences quotidiennes dont ils sont eux-mêmes les participants implacables ».198 En un mot, « le Souverain moderne inaugure une nouvelle definition des rapports entre imaginaire, fetichisme et symbolique »199 : la profanation des corps et des tombes pendant les élections politiques c'est-à-dire, le « fetichisme politique »200.

    Enfin, le legislateur gabonais a elabore son code penal201 et qui, selon son article 347, stipule que « la presente loi sera exécutée comme loi de l'État ». Rappelons ici que l'élaboration de ce Code pénal a tenu compte du fait que l'univers sociopolitique et culturel est un univers de forces, de puissances. Et que ces puissances ou surpuissances peuvent, à un moment donne, devenir antisociales, comme c'est le cas des profanations des tombes qui s'observent en périodes electorales.

    196 Florence BERNAULT, « Autour du livre Joseph TONDA », le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, 2005, 297 p, in Politique africaine, n°104, décembre 2006, pp.159-177.

    197 Ibid., p.159.

    198Ibid., p.161.

    199 Ibid., p.162.

    200 Par « fétichisme politique », nous voulons dire qu'il existe un marché occulte et illégal de la production et de la vente des restes humains ou « pièces détachées » jà Libreville. L'existence de ce marché explique la profanation des tombes, notamment à l'approche des élections politiques. D'où, il existe un rapport très fort entre la mort et le pouvoir politique au Gabon.

    201 Le Code pénal de la République gabonaise du 31 mai 1963, Libreville, 109 p, voir en annexes.

    D'ailleurs, en illustrations, nous citerons par exemple le Chapitre XIX, intitulé « De la sorcellerie, du charlatanisme et des actes d'anthropophagie »202 ou encore, et objet de ce sous-point, le Chapitre XIII, intitulé « Des violations des sépultures et profanations de cadavres ».203 En voici l'extrait de son article 291 : « quiconque aura profané ou mutilé un cadavre, même non inhumé sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 24.000 à 120.000 fcfa. D'autant plus que dégrader tout tombeau et/ou ses ornements (croix, couronnes, dalle, etc.) constitue un délit qui peut rendre un individu coupable de violation de tombeaux ou de sépultures (qui) sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 24.000 à 120.000 francs sans préjudice des peines réprimant les crimes ou délits qui se seraient joints à celui-ci ». Ce qui poserait problème ici, c'est certainement l'applicabilité et l'effectivité de cette loi sur le terrain. Ce qui nous permet de dire qu'il est certes bien de promulguer des lois, le plus dur demeure leur applicabilité.

    2.2. L'obligation de saisir le tribunal

    La loi prévoit en outre, après avoir constaté l'acte de profanation, d'adresser une plainte contre X au greffe correctionnel pour entamer des poursuites judiciaires. Cependant, nous avons dit que nous sommes dans l'univers du Souverain moderne, au sens de Joseph TONDA. Et selon nos constats et nos enquêtes réalisés et après s'etre rapproché de plusieurs victimes des profanations des tombes à Mindoubé, certaines familles ont eu à porter plainte contre X sans succès. Dès lors, monsieur MBADINGA204 affirme :

    Énoncé n°24 :

    - « Il y a au Gabon des prédateurs qui chassent les gens dans la ville et ceux qui viennent profaner les tombes à des heures tardives de la nuit. Comment expliquer que quand nous sommes vivants on n'est pas en sécurité, à plus forte raison mort ? Tu vois, porter plainte dans ce pays ne sert plus à rien, surtout pour ce genre d'affaire, ces plaintes que nous

    202 Le Code pénal de la République gabonaise du 31 mai 1963, Libreville, p.63.

    203 Ibid., p.84.

    204 Monsieur MBADINGA est l'un des parents des trente victimes des profanations des tombes que nous avons eu à rencontrer lors de notre passage le 1er novembre 2007 au cimetière de Mindoubé, dans le cadre de notre mois de terrain et dans la rédaction de notre Mémoire de Maîtrise.

    adressons sont oubliées expressément par l'État, il s'en fou puisque ces gens là n'enterrent pas leurs parents ici. Ils font leurs caveaux familiaux et viennent prendre ce qui reste de nos parents. C'est révoltant ce que l'État fait, il profane nos tombes et fais semblant de réagir. La preuve c'est qu'il ne punit pas les vrais coupables qu'il connaît >>.205

    Les propos de monsieur MBADINGA attestent que nous sommes dans les rets du << Souverain moderne >>, dans une culture du tourment, de la persécution et de la violence ; violence de l'imaginaire, du fétichisme exercée par le pouvoir politique. D'où, « à l'ombre de la postcolonie ont ainsi grandi des monstres (<) Il s'agit simplement d'administrer une violence lapidaire et improductive dans le but de prélever, d'extorquer et de terroriser >>.206 Car << le pouvoir ne peut s'exercer sur les personnes et sur les choses que s'il recourt, autant qu'à la contrainte légitimée, à des outils symboliques et à l'imaginaire >>.207 D'où, « aucun groupement, aucune organisation sociale ne peut se donner à voir si ce n'est à travers des symboles qui manifestent son existence >>.208

    C'est l'occasion de revisiter le code pénal parce qu'il est caduque, désuet face à la situation présente en postcolonie gabonaise ; surtout en matière de profanations des tombes. Finalement, si l'État gabonais, qui se doit de veiller sur la sécurité des biens et des personnes, et considérant que le cimetière est une archive nécrologique qui figure dans le patrimoine culturel du pays ; ne réagit pas devant cette violence, c'est parce qu'il est << l'institution qui possède, dans une collectivité donnée, le monopôle de la violence légitime. Entrer dans la politique, c'est participer à des conflits dont l'enjeu est la puissance - puissance d'influencer sur l'État et par là même sur la collectivité >>.209

    205 Propos de monsieur MBADINGA, au cimetière de Mindoubé le 1er novembre 2007.

    206 Achille MBEMBE, << Désordres, résistances et productivités », p.2 in Politique africaine : << Violence et pouvoir », n°42, juin 1991, 163 p.

    207 Georges BALANDIER, le Détour. Pouvoir et modernité, Paris, Fayard, 1985, p.88.

    208 Philip BRAUD, Sociologie politique, op.cit., p.103.

    209 Max WEBER, Le savant et le politique. Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. << Editions 10/18 »), 1963, p.32.

    Toute chose qui indique que le pouvoir au Gabon est un pouvoir mortifère, voulu et entretenu. Il s'agit de se nourrir de la mort en la recyclant pour faire (re)vivre ; et donc, de (re)produire de la vie à partir de la mort.

    Section 2 : Les profanations des tombes et des cadavres

    « C'est en s'incarnant dans les pratiques et des objets qui le symbolisent que l'Imaginaire peut agir non seulement sur les rapports sociaux déjà existants entre les individus et les groupes, mais être aussi à l'origine de nouveaux rapports entre eux qui modifient ou remplacent ceux qui existaient auparavant >>.210

    À cet effet, l'image symbolique du mort, très prisée par les mandataires en périodes électorales, est celle d'un être humain enterré, couché, qui ne peut plus bouger. Et comme le symbolique et l'imaginaire dominent l'univers culturel gabonais, les hommes politiques, mandataires ou fétiches politiques211, devenus autonomes et auto-consacrés, pour conserver et consolider leurs acquis politiques, ont recours, grâce à des subterfuges, aux profanations des tombes ; parce qu'étant convaincus du pouvoir éventuel des morts ; dans la garantie de leurs succès électoraux.

    Il y a un parallèle entre la profanation des tombes et celles des corps car la profanation des tombes est une manière de profaner les corps via la tombe de quelqu'un ; en ce sens que la tombe est symboliquement et métonymiquement son corps. La tombe étant métonymiquement le corps de la personne, c'est comme la maison. À ce propos, Jeanne FAVRET-SAADA pense que dans l'ensorcellement de quelqu'un, « son corps et celui des siens, son domaine et l'ensemble de ses possessions constituaient une même et unique surface criblée de trous par où la violence du sorcier ferait irruption à tout moment >>212. Pour dire simplement qu'attaquer ou ensorceler quelqu'un, c'est aussi s'attaquer à tout ce qu'il possède

    210 Maurice GODELIER, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l'Anthropologie, Paris, Editions Albin Michel, (coll. << Bibliothèque Albin Michel Idées »), 2007, pp.38-39.

    211 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de Minuit, (coll. << Le sens commun »), 1987, p.187.

    212 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, (Coll. << Folio essais »), 1977, p.24.

    métonymiquement. D'ailleurs, les discours de nos interlocuteurs et des photos prises sur le terrain à ce sujet et que nous proposons dans ce mémoire en sont l'illustration. D'où, nous leur avons posé la question de savoir ce qu'est ce que la profanation des tombes ?

    Énoncé n°25 :

    - « La profanation des tombes pour moi, c'est pénétrer sans autorisation dans le cimetière surtout la nuit pour faire le travail pour lequel on te paies très bien, c'est-à-dire, aller récupérer les os surtout le crane ou ce que l'on appelle sur le réseau et ce que les grands féticheurs du pays appellent les articles ou ingrédients et qui sont utiles pour les grands hommes du pays »213.

    Énoncé n°26 :

    - « La profanation des tombes est quelque chose de diabolique à mon sens, il faut être vampireux et surtout ne pas craindre Dieu pour venir voler les ossements humains dans les cimetières »214.

    Énoncé n°27 :

    - « Pour moi, ce sont les gens qui viennent détruire et casser les tombes la nuit pour dépouiller les morts. Ces choses n'arrivent que quand il ya les élections. À Mindoubé ici, c'est la 4ème fois que ça arrive. Il y a même 1 qui venait voler les gerbes de fleurs pour aller les vendre à Akébé et dans certaines pompes funèbres de Libreville »215.

    Énoncé n°28 :

    - « Ce sont les gens qui viennent dans la nuit pour casser et dépouiller nos morts de ce qui leur reste et troubler leur repos éternel. Moi en tant que catholique, je condamne ça, il faut

    213 Propos de notre interlocuteur monsieur M.D, 43 ans, Myènè, ancien profanateur devenu à la fois pêcheur de poisson selon ses dires et croyant. Il a demandé l'anonymat. Entretien réalisé à Ambow~, le 17 mai 2008 à 22 heures, lors d'une cérémonie des jumeaux à laquelle nous avons assisté. La rencontre était une coïncidence.

    214 Propos d'un ex personnel naviguant commercial de Air Gabon, gabonais, Fang de Bitam, 46 ans, chrétien pentecôtiste depuis 7 ans. L'entretien s'est déroulé au cimeti~re de Mindoubé le 1er novembre 2007 vers 9 heures. Par ailleurs, il fait parti des nombreuses familles des victimes des profanations que nous avons rencontrées sur le site et qui a bien voulu nous répondre en insistant sur le fait que notre travail doit servir pour dénoncer ce phénomène.

    215 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du dudit cimeti4re actuellement en poste. C'est un gabonais d'une quarantaine d'années, qui travaille seul dans des conditions difficiles nous a-t-il confié, de 8 h30 à 15heures.

    que l'État et Basile MVE ENGONE prennent leurs responsabilités car c'est un acte indigne, méchant, cruel et diabolique »216.

    Énoncé n°29 :

    - « Ce que vous étudiez c'est simplement le fait de déterrer les morts par des gens pas bien, des gens qui utilisent les ossements pour se faire de l'argent. Ce n'est pas une bonne chose parce qu'on se sert du corps humain cadavérique pour se faire de l'argent et avoir du pouvoir. C'est un manque de respect pour nos morts car il ya les huiles de vidange ici. D'autres viennent voler les costumes pour les revendre après tout comme les gerbes de fleurs »217.

    Énoncé n°30 :

    - « C'est quand les grands hommes viennent voler les os des morts la nuit. Ils n'ont pas de compte à rendre, ils font ce qu'ils veulent, d'abord ils mentent, puis la fatale, ils pillent les tombes comme en Egypte pour voler les cranes. J'habite juste à côté du cimetière, derrière le garage, mais nous voyons beaucoup de choses, des grosses cylindrées et beaucoup de gens la nuit munis de torches et de lampes tempête. On est habitué car ce n'est pas d'aujourd'hui. Alors on se dit, à qui le tour d'être dépouillé cette nuit car ils font du bruit avec les motos pompes qu'ils utilisent la nuit très tard surtout. Je n'ose pas sortir »218.

    Énoncé n°31 :

    - « Pour moi et selon le constat des parents qui se plaignent auprès de nous, ce sont les gens de la ville, ceux qui ont de grosses voitures vitres fumées la journée qu'on voit passer et la nuit qui reviennent qui font cela. Ils n'opèrent que la nuit. C'est satanique, cruel, car pour

    216 Propos de madame M.T, gabonaise, Punu-Fang, secrétaire comptable, 37 ans, catholique. Elle aussi fait partie des nombreuses familles des victimes des profanations que nous avons rencontrées sur le site et qui a bien voulu nous répondre pendant la fête de la Toussaint le 1er novembre 2007.

    217 Propos d'un jeune homme de 27 ans, chrétien protestant, agent commercial à City Sport de Mbolo, que nous avons rencontré le 26 mars 2007 à 10 heures, lors de notre 2ème passage à Mindoubé. Il habite tout près du cimetière.

    218 Propos d'un habitant à proximité du cimeti~re de Mindoubé, il est garagiste, 38 ans, c'est un chrétien et cela fait 15 ans qu'il habite le coin.

    qu'on puisse profaner les tombes, il faut être dans les loges, un féticheur, un homme politique car c'est quand il ya les élections que l'on voit tout cela ici »219.

    Énoncé n°32 :

    -« C'est simplement venir nuitamment ou très tard dans la nuit pour déterrer les morts dans les cimetiéres, c'est un endroit sacré et on fait cela pour de l'argent, pour le pouvoir. C'est tout simplement une abomination aux yeux de Dieu. Si vous voulez, c'est même dégoatant car c'est tuer une 2ème fois le mort et surtout troubler son repos éternel et le priver d'une résurrection. C'est toujours quand on fait les élections que tu vas entendre ce genre de chose »220.

    De manière générale et en ce qui concerne nos interlocuteurs, les profanations
    des tombes montrent que le pouvoir des morts et donc celui des « pièces détachées »
    ou de « l'or blanc »221 est bien réel car il sert à se faire oublier lors des conseils des
    ministres, ou lors des élections ou alors pour ne pas bouger du poste administratif
    que l'on occupe. Car un mort ne bouge plus puisqu'il est allongé pour l'éternité. Cela
    montre aussi que certains individus sont prêts à tout pour obtenir une quelconque
    promotion sociale au Gabon. Comme pour dire avec Max WEBER222 que le politique
    a les mains sales. De même, les discours exposés ici ne sont pas en réalité
    différents car ils confirment que le pouvoir politique au Gabon est en fait un pouvoir
    mortifère et enraciné dans la mort. Enfin, il ya une étroite relation de dépendance
    entre les économies occultes de la production de « l'or blanc » et le pouvoir politique.
    Pour finir, retenons que le chercheur en sciences sociales « a la particularité,
    qui n'a rien d'un privilège, d'être celui qui a pour tiche de dire les choses du monde

    219 Propos d'un protestant Fang, gabonais, 55 ans et cela fait 7 ans qu'il habite à côté du cimeti4re. Le monsieur est un retraité de gendarmerie.

    220 Propos d'un monsieur victime des profanations des tombes que nous avons rencontré le 1er novembre 2007 à 11 heures. Il a 56 ans, gabonais, Nzébi de Koulamoutou et chômeur. C'est un chrétien de l'Alliance chrétienne.

    221 Cette expression « or blanc » désigne ici les « pièces détachées » puisque nous nous trouvons dans un marché occulte et illégal des restes humains, nous pensons que l'or blanc illustre bien cette idée de marché.

    222 Max WEBER, Le savant et le politique. Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. « Bibliothèques 10- 18 »), 1963, 222 p.

    social, et de les dire autant que possible, comme elles sont : rien que de normal, de trivial même, en cela ».223

    1. Le cimetière de Mindoubé dans le 5ème arrondissement de Libreville

    Figure n°1 : Localisation géographique du cimetière de Mindoubé

    Le cimetière est situé dans le quartier Mindoubé (que nous apercevons cidessus sur la présente carte avec les croix en noir), précisément dans le 5ème arrondissement oil il fait face à la décharge publique d'ordures de Libreville. D'ailleurs, une description224 de celui-ci s'impose. Par exemple, l'accès au site se fait par voie terrestre non goudronnée, praticable véritablement qu'en saison sèche ; les hautes herbes aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du site sont visibles depuis la route, ce qui fait qu'on ne puisse plus retrouver les tombes de nos disparus. A cela,

    223 Claude JAVEAU, Leçons de sociologie, Paris, coll. Armand Colin, 1997, p.5 citant Pierre BOURDIEU.

    224 Description que nous avons effectuée en année de Licence le 26 mars 2007 dans le cadre du mois de terrain. Une seconde visite en février 2008 a été faite pour voir les éventuels changements après la fête de Toussaint de 2007 mais rien n'a été fait. Le site est resté dans les mêmes conditions telles que décrites lors de notre premier passage. Signalons que nous sommes repartis en avril et en novembre 2009, et il est resté dans le même état, excepté les herbes qui sont devenues encore plus hautes et la route qui se dégrade sans cesse.

    s'ajoute une forte concentration de débits de boisson à proximité du cimetière. On note aussi que les constructions anarchiques d'habitations et la présence de tas d'immondices et des dépôts de ferrail. À ce propos, nous proposons quelques photos pour présenter la description du cimetière de Mindoubé tel qu'il a été photographié lors de notre passage.

    Photo n°8 : «Le portail principal du cimetière »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, mars 2007

    La photo n°8 nous présente, comme son titre l'indique, une vue de l'entrée principale du cimetière. Au premier plan de la photo, nous apercevons le portail amorti par le poids de l'âge, il est rouillé, et se ferme à l'aide d'une vieille chaîne et d'un cadenas. Ensuite, on voit bien sur cette photo que la route qui nous conduit au cimetière de Mindoubé est, comme nous l'avons dit plus haut, une route secondaire, praticable qu'en saison sèche. S'ajoute aussi les hautes herbes que nous évoquions déjà. Au second plan, nous voyons que le site est envahi des hautes herbes mais aussi d'arbres fruitiers tels les manguiers ou d'arbres à noix : des palmiers. C'est à peine si on peut apercevoir au loin quelques stèles visibles par leurs couleurs blanches. Enfin, la clôture qui existe mesure près de 1 m 70 et ne peut pas dissuader les profanateurs.

    Photo n°9 : «Une tombe immergée dans les huiles de vidange »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

    Mindoubé n'est pas seulement victime que des profanations des tombes. On peut aussi parler d'un autre type de profanation orchestrée par les garagistes des alentours avec les huiles moteurs qui se déversent sur le cimetière. Formant au passage un petit ruisseau et noyant du même coup d'abord les quelques tombes encore visibles mais méconnaissables pour les parents ; ensuite, et à la longue, va faire tomber la barrière qui tient encore le coup. Au second plan, on peut aussi apercevoir les hautes herbes qui ont occupé l'espace et empêchant aussi la reconnaissance des tombes à cet endroit. Les autorités de l'Hôtel de Ville sont pourtant au courant de la situation actuelle du site mais restent silencieuses.

    Photo n°10 : « La tombe d'un chinois »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

    Mindoubé est un cimetière qui accueil tout le monde. La preuve est là ; il s'agit de la tombe d'un chinois qui a été profanée. Cette tombe est vidée de son contenu, il ne reste qu'un fragment de crane que nous avons filmé aussi. La tombe subit les incendies.

    Photo n°11 : « Le crane chinois »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

    Comme nous venons de le dire, il s'agit du « crâne chinois ». Le fait de voir aussi cette tombe profanée nous permet d'émettre de nombreuses hypothèses. Mais celle qui nous vient à l'esprit, c'est l'idée que l'homme est le même et que la couleur de la peau, la race, etc. importe peu. Ce ne sont que des détails car pour les profanateurs, un crane est un crane, c'est un fétiche, un produit marchand, d'ailleurs, qui coûte extrêmement cher. Ce crâne a été privé de tout son corps et de la fontanelle. En outre, la fontanelle est cette membrane que l'on voit battre sur la tête des bébés avant qu'elle ne se solidifie. C'est elle qui permettrait au bébé de vivre et vient d'être ici prélevée.

    Photo n°12 : « La face cachée d'une tombe »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

    Il s'agit d'une bonne dizaine de tombes qui sont dans l'immersion des huiles de vidange. Cette situation nous permet de voir à quel point le site demeure dans l'insalubrité ; en témoigne les pneus de voitures et la barrière qui est pratiquement prête à s'écrouler.

    Photo n°13 : cc Un exemple de tombes profanées »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

    Ces exemples de tombes illustrent bien le type de sépultures profanées. On remarque aussi que ces stèles présentent les mêmes marques de cassures. De même, on observe une caractéristique commune : celle de ne pas être carrelée. Cela nous permet de dire qu'il s'agit des tombes abandonnées par leurs parents depuis longtemps.

    Photo n°14 : « Une vue d'ensemble du cimetiere »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

    Cette photo donne une vue panoramique du cimetière. Notons que la question de l'entretien du site demeure une préoccupation. L'arrière plan témoigne d'un récent passage d'un incendie. A ce propos, les incendies peuvent avoir deux origines : soit humaine, c'est-à-dire que le gardien met le feu pour brûler les herbes qui surabondent sous son contrôle. Ou alors, les incendies sont dus en grande partie à la chaleur225, à cause du méthane qui se dégage des tombes profanées, donc qui restent ouvertes. En effet, lorsque le corps est en décomposition, il y a la production du méthane qui est un gaz incolore, inodore, inflammable et très toxique. Ce gaz a des effets nocifs pour l'environnement puisqu'il perce la couche d'ozone et expose les profanateurs à des brûlures de peaux à long terme. De plus ; il y a de l'« azote ; le dioxyde de carbone ; l'ammoniac et l'acide sulfurique »226 qui sont produits lors de la décomposition des corps.

    225 Cette information émane des habitants qui environnent le site et qui affirment qu'il fait tr~s chaud dans leur quartier. Ce qui fait que des incendies sont souvent enregistrés en période de saison sche. D'autre part, c'est le gardien qui br~le parce qu'il ne peut pas désherber.

    226 Cf. la revue scientifique SCIENCE & VIE, n°248, hors série, « La mort. La comprendre. La vivre. La vaincre », p.98, septembre 2009.

    Photo n°15 : « L'organisation sociale autour de la décharge »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

    Au premier plan, on voit l'état de la route mais surtout, les ordures recyclées par les hommes, femmes et enfants que nous avons photographiées sur le terrain. En effet, ils récupèrent les ordures dans la décharge, pour venir les trier, les laver et les laisser sécher sur la barrière du cimetière. Ensuite, femmes les emballent dans des sacs de farine, pour aller les vendre soit à la Gare routière de Libreville ou au marché de la Peyrie. Il faut dire que c'est tout un nouveau marché de la mort qui est reintroduit dans le circuit du marché économique. Par ailleurs, Ce poteau électrique témoigne de la volonté des pouvoirs publics d'éclairer le site. Néanmoins, depuis vingt ans, le cimetière est dans l'obscurité. Les femmes recyclent les ordures pour les vendre à la Gare routière ; elles vendent des bouteilles plastiques, des cannettes, et autres détritus susceptibles de rapporter un peu d'argent.

    Après avoir traité de la question de la localisation géographique du cimetière et de sa description, venons-en à présent à la question de l'historique du cimetière proprement dit.

    1.1. Historique du cimetière de Mindoubé

    Lors d'une séance de travail avec monsieur Toussaint ELLANGMANE227, conseiller du D.G.S.T la Mairie de Libreville, il ressort que le cimetière de Mindoubé a été créé en 1950 et a été fermé vers 1980 pour cause de difficulté d'accès dii essentiellement à la route impraticable.

    Énoncé n°33 :

    - « Cela n'a pas nécessité la mise en place de textes juridiques car on avait estimé qu'il fallait de véritables travaux d'aménagements pour que les enterrements se passent dans les conditions les meilleures >>.228 Puis, à l'époque du maire DAMAS, 1996 voit la réouverture du site.

    Énoncé n°34 :

    - « Je précise ici que Mindoubé n'est pas totalement saturé, il reste encore de l'espace. On pense à le réhabiliter sérieusement. Cela va nécessiter des moyens humains et financiers importants car il s'agit du désherbage, l'électrification, l'adduction de l'eau,la réhabilitation de la maison du gardien dans le site car elle a brillé lors d'un incendie dil à la forte chaleur qui y prévaut. Il faudra aussi refaire toute la clôture qui est aujourd'hui quasi-existante. Tout cela nécessite, comme je l'ai dis tantôt, des moyens financiers et humains importants. J'ai soumis à cet effet le dossier à ma hiérarchie depuis 9 mois, on m'a affirmé que c'est en étude. Alors je continue à conjuguer le verbe attendre >>.229

    Au sortir de cette séance de travail, on retient qu'il y a une volonté manifeste de la part des pouvoirs publics de ne pas réhabiliter le site de Mindoubé. Nous affirmons ceci par ce que le Conseiller et le gardien du site ne cessent d'attirer l'attention de leur hiérarchie, afin qu'elle trouve des solutions (immédiates) pour faire cesser les profanations. Or depuis 2007, date à laquelle le conseiller ELLANGMANE a saisi sa hiérarchie, celle-ci est restée muette. Enfin, c'est certainement pour avoir posé des questions et proposer un plan d'action immédiat

    227 Séance de travail du 30 mars 2007 à la D.G.S.T sise dans les locaux de la Mairie de Libreville.

    228 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.

    229 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.

    que la D.G.S.T s'est séparée de son conseiller depuis 2009. Cela atteste que les pouvoirs publics tirent profit des profanations des tombes, donc de « l'or blanc » parce qu'ils ne font rien. D'où, le pouvoir se nourrit bien de la mort.

    1.2. La sécurité des morts au cimetière de Mindoubé

    Par sécurité des morts, nous entendons ici l'électrification, la clôture, une voie d'accès praticable en toute saison de l'année, l'entretien du site tel le désherbage. Cependant, Mindoubé est privé de ces normes de sécurité, preuve aussi du non respect pour nos morts. Le respect des morts s'effrite davantage. Mindoubé n'est donc pas le seul site qui présente cette absence de normes de sécurisation ; Plaine Niger, Baraka, Lalala, pour ne citer que ceux-là présentent les mêmes difficultés. Face à une telle situation, comment ne pas comprendre que nos cimetières soient visités à des heures tardives de la nuit et ce, en périodes électorales ?

    1.3. Mindoubé, un site particulier

    Mindoubé est un site particulier parce qu'il s'agit ici d'un endroit où s'exerce deux activités parallèles : l'une étant la récupération des « pièces détachées » pour le cimetière et l'autre, le recyclage des ordures pour ce qui est de la décharge publique à ordures. On comprend donc qu'il existe deux structures communales. Or ce site est du domaine municipal, donc de la Mairie de Libreville. En outre, la décharge publique et le cimetière sont des éléments morts, c'est-à-dire que ce sont des lieux où l'on vient jeter ce qui ne sert plus (le cas de la décharge publique) et pour l'autre, où l'on vient déposer, enterrer les morts, ceux qui ne vivent plus (le cas du cimetière).

    Aussi, deux directions se déclinent : la première est liée au pouvoir en relation avec l'occultisme et la seconde, au recyclage des ordures qui vont être ainsi réintroduits dans le marché économique. De toute façon, il s'agit d'un recyclage général. En ce qui concerne la décharge publique de Mindoubé, les populations habitant le site vivent d'elle. Ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui recyclent les ordures. Cette situation se présente en Bolivie, au Pérou ou au Brésil, où l'on parle de « bidonvilles » ou « favelas >>. Pour le cimetière, il s'agit de la

    problématique de la récupération d'ordre magique et économique des restes humains. Cependant l'État est incapable de rendre justice sur cette exploitation des corps ; ce qui fait que l'État, in fine, organise les pratiques magiques. C'est aussi l'exercice du pouvoir par des moyens symboliques ; puisque la commune est liée à l'État et donc, il doit régir.

    Ce que nous pouvons retenir ici c'est le fait que le pouvoir, qui gère la cité, est impliqué dans le fétichisme politique. Face à ces profanations des tombes au cimetière de Mindoubé, des familles se plaignent mais l'État demeure incapable de réagir. En filigrane, les profanations des tombes posent le problème de l'État et du droit dans cette récupération des restes humains.

    Le cimetière se définit comme une archive nécrologique qui renseigne sur la façon dont on conçoit et traite les morts et partant, notre conception de l'au-delà. Par ailleurs, il faut ajouter qu'il participe de la mémoire collective d'un peuple. De plus, il est << le lieu liminal par excellence, situé entre vie et mort, et pour d'aucuns, entre présent et futur eschatologique >>.230 D'où, la profanation des tombes à Mindoubé dans le 5e arrondissement de Libreville, s'explique aussi bien lors des élections politiques au Gabon que dans une << crise politique économique en tant que crise morale >>231. Aussi partageons-nous le point de vue de J-L GROOTAERS quant à <<l'importance de préserver la mémoire collective, menacée par la crise économique et morale qui affecte l'attitude que l'on a envers les morts >>.232

    À Mindoubé233, c'est un véritable recyclage de tout qui est produit ; on profane pour récupère les stèles, les croix, les gerbes de fleurs, parfois les cercueils pour être revendus. Les morts eux-mêmes subissent le même sort, quand se ne sont pas les parties génitales ou les organes vitaux ; ce sont les crânes qui sont collectés sous le vocable d'« or blanc >> ou de << pièces détachées >> et vendus aux politiques sur le

    230 J-L GROOTAERS, « Mort et maladie au Zaïre », p.39 in Cahiers africains, Paris, l'Harmattan, Année 90, volume 8, n°31-32, 1998, 172 p.

    231 Ibid., p.39.

    232Ibid., p.40.

    233 Toutes les informations que nous communiquons dans ce Mémoire de DEA ont été produites lors de notre enquête de terrain depuis l'année de Licence à celle de Maîtrise ; tout comme les photos du site, aussi bien les photos de mars 2007 que celles du 2 novembre 2009.

    marche économique et fétichiste. Il en est de même pour leurs habits et autres objets de valeur et "énergies vitales".

    La photo n° 16 : Cc Ce qui reste de la décharge »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

    Cette photo vient illustrer la particularité de Mindoubé : ici c'est la décharge.

    On aperçoit des résidus de détritus qui étaient recyclés par les populations de Mindoubé. On constate qu'aujourd'hui la décharge est devenue une bananeraie.

    La photo n° 17 : Cc Le logement du gardien »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

    En face de la décharge, il y a le cimetière qui est abandonné à lui-même. Le

    réfection. Le gardien que nous avions rencontré en mars 2007 nous avait confié que si il habitait sur place, il n'y aurait pas trop de profanations.

    Énoncé n°35 :

    - << La mairie ne fait pas cas de ma demande de logement sur le site alors qu'il faut que je sois dans de bonnes conditions pour mieux faire mon travail. C'est pourquoi je viens ici à 8heures pour rentrer chez moi vers 16heures. Ici c'est dans l'obscurité totale alors comme je suis seul, je rentre tôt. Les clandos finissent tôt, 18 heures par là »234. C'est encore là la preuve qu'il y a vraiment une volonté manifeste de la part des pouvoirs publics de ne pas sécuriser le site. Ce qui nous conforte dans notre idée comme quoi la mort alimente le pouvoir politique au Gabon.

    Plus important encore, c'est que selon le pasteur Raymond AKITA, il existe différentes techniques de profanations ; des incantations sur les tombes235 à la technique des tuyaux en p.v.c (PolyVinylChlory). Cela montre l'ingéniosité et la créativité des profanateurs des tombes pour atteindre leurs objectifs. Notons qu'ils opèrent très tard la nuit munis de lampes tempêtes et torches, de marteaux, de burins aux dires des populations riveraines.

    Énoncé n°36 :

    - << On est habitué, c'est monnaie courante d'écouter des grosses cylindrées qui garent, puis s'en vont. Le lendemain, nous ne pouvons que constater les dégâts et nous sommes impuissants face à ça. Je constate que c'est un quartier misérable, les gens vivent à cause de la poubelle. Tu es là, tu écoutes, tu vois, tu appelles la police, elle te promet de passer jusqu'à maintenant cela dure depuis près de 10 ans. On est dans l'insécurité, pas de lumière publique, le gardien ne vient que de jour jusqu'à 16 h. Il y a longtemps que nous, habitants du coin, on n'enterre plus nos proches ici. On préf'ere repartir chez nous, à l'intérieur du pays enterrer nos proches parce qu'on a peur qu'ils finissent comme des trophées de foot chez les personnes politiques ou chez les Nganga. Ce qui fait qu'on a peur, on est obligé d'être vigilant vis-à-vis

    234 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du cimetière de Mindoubé. Propos recueillis en mars 2007.

    235 Une technique très répandue au Congo-Brazzaville et qui, selon un informateur de ce pays, marche très bien et que les congolais connaissent sous le nom de « Moudjoulamvombi ».

    des autres ; on ne sait pas qui est qui ».236 Revenons aux techniques de profanations telles que nous les rapportent le pasteur AKITA de la mission protestante de Baraka de Libreville.

    Énoncé n°37 :

    - « Il y a des techniques de profanations comme la technique du tuyau p.v.c. Qu'est-ce qu'ils font ? Vous voyez les tuyaux de p.v.c, les gros tuyaux, ils cognent, cognent, cognent, ça rentre. Si le cercueil était en bois, ils savent que cela n'a pas été monté ; donc le bois va pourrir. C'est donc prendre les parties car quand quelqu'un meurt ya l'eau qui ruisselle et c'est la preuve que des pratiques occultes des profanations des tombes sont synonymes des profanations des corps morts. Parce que profaner une tombe c'est une chose. Mais profaner les corps des morts s'en est une autre chose. Déjà il faut souligner que dans tous les cimetières du monde entier, après 1m 50 ce sont les tanières de rats ; parce que les rats bouffent le formol, c'est leur meilleur aliment. Donc les rats bouffent d'abord le bois et après le formol sur le cadavre. C'est pour cela qu'il existe des cercueils en fer pour les empêcher de bouffer. Avec la méthode d'incantation, ils placent les mains sur la tombe et ils se mettent à faire une grande concentration spirituelle et ésotérique qui leur permet de rentrer en contact avec certains corps spirituels de ceux qui sont partis. Autre technique, c'est complètement ouvrir la tombe et puis prendre les parties. Autre technique encore, c'est celle qui marche mieux aujourd'hui, c'est que dans les cimetières, et je suis contre ça, quelqu'un est enterré en bas ; on fait le reste en caveau extérieur et on fait rentrer le cercueil comme une bière. Et quand vous regardez ces enterrements, on met toujours des briques de 10 et non les 15 ou de 20. On ne veut pas arranger. C'est facile à pousser avec le pied, on tire la nuit on ouvre la bière, on prend les parties on ferme. On refait le crépissage, personne ne viendra jamais regarder. Et ça c'est ce qui passe bien à la une ces derniers temps avec les grands initiés. On enterre dehors et ils viennent la nuit prendre les parties ».237

    236 Propos d'un ancien du quartier de Mindoubé, habitant tout juste à proximité du cimeti4re , il a 57 ans, marié et retraité, protestant, fang d'Oyem. Il nous a demandé l'anonymat.

    237 Propos du pasteur Raymond AKITA.

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

    Nous parlons de technique dite « classique >> parce que c'est la plus utilisée par les profanateurs entre octobre 2006 et mars 2007. En fait, lors de nos précédents passages, nous avons pu recenser plus de quarante tombes qui présentaient ce type de cassure. C'est la preuve que le matériel utilisé est lourd pour casser la tombe de cette manière. Mais ce n'est que l'une des techniques qu'ils utilisent. Il existe aussi la technique du tuyau de p.v.c que nous présentons dans les photos suivantes.

    Photo n°19 « La technique du p.v.c >>

    La photo n° 18 : « La technique classique »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

    Cette tombe témoigne bien des différentes techniques dont le pasteur AKITA nous a parlé, telle celle des tuyaux en p.v.c. Le constat qui se dégage de l'observation des tombes nous permet de dire qu'à Mindoubé, deux groupes de profanateurs opèrent. Il y a ceux qui cassent les tombes par-dessus pour faire sortir le cercueil et ceux qui utilisent les tuyaux p.v.c, certainement pour limiter les dégâts. Mais le but reste le même : prélever les organes, en tête desquelles, le crâne, les fémurs, etc. tout comme les vêtements, qui finissent étalés dans les prêts-à-porter de Libreville.

    La photo n°20 : « Ce qui reste d'un corps profané »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

    Elle illustre bien le type de stratégies adoptées par les mandataires à l'orée des élections politiques. En effet, la photo montre bien que la tombe présente a été vidée de son contenu. Il ne reste plus qu'un vêtement détérioré et le crane fracassé. De plus, il ne reste plus que la mâchoire inférieure. Il y a lieu de préciser qu'à Mindoubé, s'est tissé un vaste réseau de vente des restes humains, mais aussi, les vestes et autres

    habits des morts, les gerbes de fleurs sont re-introduits dans le marché économique238. C'est donc le recyclage de << la mort >>.

    Par ailleurs et selon les chercheurs du laboratoire << la Ferme des corps >> du département d'Anthropologie de l'Université du Tennessee. Cette photo atteste que l'autolyse, c'est-à-dire la destruction des tissus par ses propres enzymes, a conduit d'abord à la décoloration du corps et à la production de gaz toxiques tels l'azote, le dioxyde de carbone, l'ammoniac, l'acide sulfurique. En outre, le processus de décomposition a été bien effectué, ce qui fait qu'il ne reste que des os. Car après tout, il est écrit << tu es né poussière et tu retourneras poussière >>. C'est l'occasion ici de dire, selon monsieur M.D que :

    Énoncé n°38 :

    - << Ces os sont parfaits pour travailler avec, en les grattant pour en faire des poudres magiques que les grands hommes de ton pays utilisent pour se protéger. Car en politique, les ennemis sont visibles et invisibles. Donc il faut être fort et si tu veux, bien blindé. Quand à l'époque je travaillais pour mon patron, ses ngangas lui demandaient toujours d'aller récupérer les os bien séchés car cela leur permettait de bien les gratter et ensuite de les mélanger avec d'autres décoctions à base de feuilles et d'huiles dont eux-mêmes ont les secrets. Alors j'avais pour mission principale de faire des tours la journée dans les différents cimetières ici à Libreville ou parfois à l'intérieur pour regarder les tombes qu'il fallait profaner. Et le soir, avec mon équipe, j'opérais. Je te le répète, mon parton me disais toujours qu'il fallait qu'il se protege des attaques mystiques de ses ennemis car la politique, c'est un monde sale et très dangereux >>239.

    238 A ce propos, nous avons recueilli sur le terrain des informations selon lesquelles les vestes des défunts se retrouvent à Akébé dans un prêt à porté. En février 2007 au pressing de Mbolo, le gérant a été enfermé à la D.G.R pour avoir possédé et vendu une veste qui appartenait à un monsieur décédé depuis septembre 2006 selon la veuve que nous avons pu rencontré à Mindoubé en novembre 2007.

    239 Ce sont les propos de monsieur M.D, ex- profanateur converti à la pêche ; quand nous lui avons montré cette photo pour recueillir son sentiment sur son ancien métier.

    La photo n°21 : « La veste rouge »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

    Cette image montre les dégâts commis par les profanateurs des tombes à Mindoubé. Juste en premier plan, à droite, se trouve le crâne du défunt sur lequel une partie seulement a été récupérée. Sur la gauche, il y a les restes de la mâchoire et enfin, notons qu'il ne reste que la veste du défunt. Le corps et le reste des vêtements ont été emportés par les profanateurs. Les vêtements récupérés peuvent être revendus sur le marché économique comme nous l'a confirmé un interlocuteur, devenu méfiant quant aux vêtements qu'il achète au marché de Mont-Bouët, de la Peyrie ou dans les prêts-à-porter d'Akébé.

    Photo n°22: « Autre manière de profaner »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

    La tombe que l'on voit présentement est vide de son contenu, information que nous avons recueillie au cours d'un entretien avec les membres de sa famille lors de notre passage le 1er novembre 2007. Ne sachant pas à quel saint se vouer, il nous a été clairement dit par l'aîné du défunt qu'il n'espère pas en la justice du pays, puisque ceux qui ont la responsabilité de faire justice, sont eux-mêmes les auteurs de ces actes.

    Énoncé n°39 :

    - « Nous attendons les vacances pour taper le diable au village et tant pis pour ceux qui ont fait ça et j'espère qu'ils iront brIller en enfer, car de tels individus sans moralité ne doivent pas aller au Ciel ».240 Il importe de dire que tous nos enquêtés tiennent le même discours, en ce qui concerne les profanations des tombes et les commanditaires à savoir que ce sont les hommes politiques. À cet effet, nous avons retenu les discours de monsieur MBADINGA, de Guy-Joseph MBOUMBA, pour mieux rendre compte du phénomène que nous étudions.

    240 Propos de monsieur Jean-Claude, victime des profanations à Mindoubé le 10 octobre 2006.

    Photo n°23 : « La tombe vide »

    Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

    L'entretien que nous avons eu avec le fils aîné de la défunte nous a permis de nous rendre compte de l'ampleur des profanations des tombes mais aussi de l'usage politico-criminel de « l'or » en périodes électorales. La tombe que nous voyons cidessus est vide de son contenu ; le corps de la dame qui a été enterrée a été dérobé par les profanateurs. Le fils de la défunte a entrepris des démarches auprès de la Mairie et de la police judiciaire et a porté plainte contre X mais sans succès. Ayant constaté que la tombe a été visitée en octobre 2006 la première fois, puis en novembre 2007, il a décidé en conseil de famille de refermer cette tombe d'une part ; en témoigne la marque blanche qu'on observe, c'est du ciment blanc. D'autre part, d'aller au village pour châtier les coupables à la traditionnelle c'est-à-dire :

    Énoncé n°40:

    - « J'attends les vacances puisque la famille m'a chargé d'aller à Fougamou pour frapper le diable. Dans ces conditions, on n'est jamais mieux servi que par soi-même car la justice c'est pour ceux qui gouvernent ».241

    Le fétichisme se développe sur la base de la faiblesse de la justice, car elle n'arrive pas à punir les coupables. C'est un problème de justice, les gens recourent, par désespoir, aux génies dans un contexte de déstructuration sociale. Il faut une puissance pour rendre justice à la place du "Blanc". On « frappe le diable pour punir ceux qui ont volé les crânes. Les expressions « frapper le diable », ou « fermer le mwiri » sont courantes au Gabon et à Libreville par exemple lorsque des actes de fétichisme sont constatés et que l'État ne peut pas réagir. Le mwiri242 est convoqué parce qu'étant considéré comme une façon de réduire les tensions et de demander aux génies d'intervenir; quand les moyens rationnels et judiciaires échouent ou ne fonctionnement pas.

    Figure n°2 : Histogramme des tombes profanées à Mindoubé de 2004 à 2009

    Années (xi)

    2004

    2006

    2007

    2008

    2009

    Total

    241 Propos de monsieur Guy-Joseph MBOUMBA, Gisir, qui, pour la circonstance, a bien voulu nous donner son identité et profiter de notre canal pour exprimer son mécontentement par rapport aux profanations des tombes. Cet entretien s'est déroulé à 13 heures à 0 doub OKImars IM07 IIrs de notre 2ème passage.

    242,Il s'agitRI'uQ- soIléyiinitiatique masculiQ- IQet secrAte dEKpHCOMu Sud du01 abIVuLVMW

    Effectifs (ni)

    20

    46

    32

    9

    40

    147

    Comme on peut le constater, les chiffres que nous donnons dans ce tableau, proviennent de notre propre comptage des tombes profanées sur le terrain. Excepté les 20 tombes profanées en 2004 dont nous avons reçu les chiffres par M. Toussaint ELLANGMANE, à cette époque243, ancien conseiller du Directeur général des services techniques de l'hôtel de ville de Libreville. Aussi, nous pouvons émettre quelques points de vue ; par exemple, en 2006, date des élections législatives de décembre, on peut supposer qu'il s'agissait du renouvellement de la classe politique des députés. Il en est de même pour 2007, qui a vu les partielles et enfin, l'élection présidentielle de 2009 illustre donc la détermination pour les politiques de remporter l'échéance électorale à tout prix.

    Ce qui nous permet de donner la représentation sociale de la fonction d'homme politique au Gabon à travers nos interlocuteurs.

    Énoncé n°41:

    Ce sont les hommes politiques qui passent la plupart de leur temps à féticher et à casser les tombes de nos disparus, au lieu de s'occuper de faire leurs campagnes. S'ils le font c'est parce qu'ils savent qu'on ne va plus les voter, ce sont des criminels, des assassins, des menteurs, des gens sans aucun respect des morts. On espère qu'ils ne vont jamais mourir et quand ils vont mourir, ils vont être enterrés dans les nuages et non pas à Mindoubé, car ce qu'ils font c'est cruel ; déranger des morts et s'attaquer à ceux qui ne peuvent plus se défendre ».244

    Énoncé n°42:

    Je te dis que ce sont les hommes politiques. Moi je travaillais pour un grand dignitaire du régime de BONGO. Il y a aussi les ngangas, il ya même des pasteurs qui font ce genre de chose pour seulement être nommés, pour avoir de l'argent, les clients, les fideles, pour être de grands types et pour avoir le pouvoir. Même moi, mon patron a voulu que je rentre dans la loge mais j'ai dis non. Et il n'était pas content que je refuse. Aujourd'hui j'ai

    243 Séance de travail du 30 mars 2007 à la D.G.S.T sise dans les locaux de la Mairie de Libreville.

    244 Extrait du point de vue général des familles victimes des profanations à Mindoubé le 1er novembre 2007.

    laissé tout çà, je fume mon gros tabac, je bois ma biére, je m'occupe de ma pêche qui marche bien et je prie quand même. Car j'ai fais du mal. La nuit je ne dors plus, je vois des gens filchés dans un cimetière qui viennent me taper et me couper la tête et jouent avec. Alors pour dormir, je fume beaucoup le gros tabac et je prie un peu »245.

    Énoncé n°43:

    - « À mon avis, il n'y a que les gens qui veulent le pouvoir, c'est-à-dire les politiciens du pays car il n'y a qu'eux que pour faire çà, sans compter qu'on leur demande çà dans leurs sectes et les loges pour rester au pouvoir »246.

    Énoncé n°44:

    - « Les politiciens sont ceux qui font cela. Car à chaque fois que j'ai appelé la hiérarchie pour venir constater les déglits ici, elle ma toujours dit que ce n'était pas mon travail, et que je devais juste garder, m'occuper d'ouvrir le cimetiére le matin et le refermer le soir, c'est tout ce que j'ai à faire. Le reste c'est pas mon problème. Alors je reste tranquille dans mon coin »247. Énoncé n°45:

    - « Pour moi, il ne faut pas chercher loin. Vois toi-même mon petit, ce sont les hommes politiques qui font ces choses abominables et je crois qu'ils n'ont pas peur de Dieu. Et celui qui a peur de Dieu ne peut pas faire çà tu comprends ? Il faut prier car notre pays est en danger, le pouvoir tue ses concitoyens vivants et aussi les morts, si je peux dire çà ainsi »248. Énoncé n°46:

    - « Pour moi, il n'ya plus aucun doute, ce sont ceux là qui sont les grands hommes du pays qui font çà car là où nous vivons, nous voyons pleins de choses, les grosses voitures vitres fumées et noires qui font trop de tours ici la journée et la nuit, tu vois du mouvement dans le cimetière et le lendemain, le pauvre gardien ne peut que constater les déglits. C'est

    245 Propos de monsieur M.D, 43 ans, gabonais et se dit « ex profanateur a~. L'entretien a été réalisé à 22 heures au quartier Ambow~ de Libreville le 17 mai 2008, lors d'une cérémonie de jumeaux.

    246 Propos d'une dame de 32 ans, gabonaise, ethnie Lumbu, catholique et agent commercial. La tombe de son parent a été profanée à Mindoubé. L'entretien a été réalisé le 1er novembre 2007 en matinée à Mindoubé.

    247 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du cimetière de Mindoubé.

    248 Propos d'un monsieur de 56 ans, retraité, Nzébi de Koulamoutou, Il prie à l'Alliance chrétienne du Gabon. Nous l'avions interviewé le 1er novembre 2007 à Mindoubé alors qu'il était entrain de refaire la tombe de son parent qui a été profané.

    toujours quand on fait les élections que tu vois ce phénoméne. C'est tout simplement triste et désolant ».249

    Énoncé n°47:

    Oh toi aussi, comment peux-tu me demander qui fait ce genre de choses ? Ce sont vos fameux hommes politiques qui font des choses pareilles. Pour moi, ce sont des vampireux mais ils oublient que qu'il y a Dieu et Lui seul sait. D'ailleurs, cela ne sert à rien de porter plainte pour çà, ce sont les mêmes gens là de la Sablière qui font çà et tu vois que l'on ne va pas te suivre ou t'aider. Alors en tant que chrétien, on remet tout entre les mains de Dieu. Lui seul connaît »250.

    Énoncé n°48:

    -« C'est clair pour moi, ce sont les hommes politiques et tous les charlatans du pays qui font tout ce désordre spirituel. Ce sont des démons. Ils le font pour le pouvoir, la richesse, ils veulent la gloire ici bas sans savoir qu'ils pactisent tous avec le Diable et je crois qu'ils savent où ils iront après leurs morts. Chacun fait ce qui veut dans ce pays au point que l'immoral est devenu tolérable et on ne peut pas dire qu'on est dans un État de droit, plutôt un État de force et de sorciers. Quelle tristesse et sache que l'argent c'est le Diable incarné, ce qu'il te donne ne dure jamais et t'es obligé de refaire l'immoral pour avoir encore. Il faut prier »251.

    En somme, il s'agit d'une vision négative et sorcellaire des hommes politiques au Gabon et confirme les analyses de BALANDIER sur la représentation sociale du pouvoir politique, en ce sens que « le pouvoir sépare, isole, enferme ; c'est bien connu. Surtout, il change celui qui y accède ».252 De même, WEBER nous rappelle métaphoriquement que « celui qui, en général, veut faire de la politique et surtout celui qui veut en faire sa vocation doit prendre conscience de ces paradoxes éthiques

    249 Propos d'une habitante à proximité du cimeti4re depuis 15 ans. Elle a 40 ans, gabonaise d'ethnie Fang. Elle est technicienne de surface. L'entretien s'est réalisé chez elle le 1er novembre 2007 à 16 heures. Elle prie chez les pentecôtistes.

    250 Propos de madame M.T, catholique, Punu-Fang, gabonaise de 37 ans. Elle est secrétaire comptable. L'entretien a été réalisé le 1er novembre 2007 et la tombe de son défunt grand-frère a été profanée.

    251 Propos d'un monsieur de 46ans, chrétien pentecôtiste depuis 7 ans. Il est Fang. Il est un ancien personnel navigant commercial de l'ancienne compagnie Air Gabon. Enfin, nous l'avons rencontré le 1er novembre 2007 à Mindoubé et la tombe d'un de ses parents a été profanée.

    252

    Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, pp.30-31.

    et de la responsabilité de ce qu'il peut lui-même devenir sous leur pression. Je le répète, il se compromet avec des puissances diaboliques qui sont aux aguets dans toute violence ».253

    2. La banalisation de la mort en postcolonie gabonaise

    Il faut d'abord rappeler que « banaliser >> désigne l'action qui consiste à dépouiller de son originalité ou de son caractère exceptionnel quelque chose. De là, la banalisation est synonyme de désacralisation. En effet, ce sous-chapitre a pour objet de montrer qu'en postcolonie gabonaise actuelle, ce qui passait pour quelque chose de sacré, dont on parlait avec le plus grand respect ; voire un tabou : la mort, a été banalisée, désacralisée.

    2.1. La mort a-t-elle encore un sens aujourd'hui à Libreville ?

    Des mécanismes symboliques ont été mis en place pour arriver à produire de tels résultats : les mutilations des corps ou profanations des cadavres, les profanations des tombes.

    DURKHEIM nous apprend que << le mort fait partie du sacré, tout ce qui est ou a été en rapport avec lui se trouve par contagion, dans un état religieux, exclut tout contact avec les choses de la vie profane ».254 Il nous permet de voir toute la complexité d'un phénomène plus social que biologique et qui conduit l'homme à s'interroger sur sa nature même ; parce qu'étant un fait social total. De même, si avec cet auteur, la sacralité de la mort est mise en relief, la société gabonaise, à un moment donné de son évolution vers le << modernisme », privilégiait ces valeurs de respect et de sacralité accordées à la mort. Aussi, devant le passage d'un corps (pendant la période précoloniale et pour quoi pas coloniale), les Gabonais s'inclinaient chacun à sa manière en signe de respect.

    Aujourd'hui le Gabon présente un tout autre visage ; si bien que le passage d'un corbillard dans les rues de Libreville, a perdu son sens. Les Librevillois ne témoignent plus leur respect devant celui ou celle qui vient de les précéder.

    Certainement que les decouvertes macabres des corps « depieces » ; mutiles deviennent leurs lots quotidiens. D'autant plus que « le nombre de victimes des crimes rituels pour ce début d'année 2008 ne cesse de croître à Libreville. Après la découverte du corps mutilé d'une jeune lycéenne, avant-hier , à la plage qui jouxte le siège du Conseil economique et social (C.E.S) , le tour est revenu, hier, à un homme d'une trentaine d'années, d'être retrouvé mort à proximité du stade Omnisports Omar Bongo. De ce fait, la victime portait des signes de mutilation. Il lui a ete preleve la langue et d'autres organes. Cette découverte macabre a provoqué une véritable onde de choc dans le quartier et même au-delà ».255

    Ce qui vient conforter notre point de vue concernant la banalisation de la mort aujourd'hui c'est que, selon le même journal, « dès l'annonce de cette decouverte macabre, de nombreux riverains ont deferle sur les lieux pour contempler le spectacle désolant qu'offrait le corps gisant dans une mare de sang ».256

    Cet article de presse met en evidence les effets du «Souverain moderne ». Cet etat de fait plonge Libreville dans une violence, qui n'est plus symbolique, mais bien physique. Au fond, nous soutenons le point de vue de Joseph TONDA selon lequel, « absurdement anachronique, le cannibalisme est revenu au galop dans notre societe. Il ne se passe pas un seul jour où l'on ne signale la découverte de corps d'hommes ou de femmes delestes de leurs organes genitaux. Non plus, il ne se passe pas un seul jour où l'on arrête d'étranges voyageurs avec des glacières remplies de restes d'humains soigneusement dépiécés (<) Et jamais peut-être en aucun temps comme le nôtre, la consommation de la chair humaine n'a été si vive et si ouverte (<) Nos ancêtres avaient des methodes plus discrètes, liees plus à la protection du clan qu'à la promotion individuelle (<) Aujourd'hui c'est régulièrement que l'on mange son semblable, et les consommateurs sont de tous âges. La course aux nominations et la regeneration des cellules vitales expliquent la voie sans issue oil tous sont engages (<) Toutes ces personnes n'ont pas le sommeil tranquille, malgré la fortune acquise

    pas l'effraction et l'éternelle jouvence. Satan, leur maître, sur ce point, ne leur assure rien >>.257

    2.2. Le sens ou les effets de cette banalisation

    Face à la banalisation de la mort, mais surtout, de la description des rapports sociaux et de la production des corps et des imaginaires en postcolonie gabonaise, << il découle que, parce que le Souverain moderne produit, à notre sens, une forme de connaissance ou d'imagination de la valeur des corps et des choses qui travestit les liens sociaux intimes, il est producteur de rapports de connaissance et de pouvoir constitutifs de rapports sociaux dont le principe est l'aveuglement et le travestissement >>.258

    Dans cette prédation, ce cannibalisme du corps humain voire du corps social, Pierre LEMONNIER nous révèle que << l'esprit mauvais cannibale (mauvais pour ceux qu'il attaque) dévore les vivants ou les morts, soit de l'intérieur, soit après avoir découpé et emporté leur chair ou leurs organes lors des festins collectifs >>.259 Pour sa part, Filip de BOECK260 pense que << dans le processus de cette production croissante de violence, les corps sont progressivement devenus des entités à perturber et démembrer >>261 et << la logique du démembrement corporel est également présente au niveau de l'imaginaire collectif >>.262

    Autrement dit, << à travers une attaque contre le corps humain par la violence, la mutilation, la torture, la sorcellerie, le cannibalisme et l'inceste, il ya démembrement de ce corps individuel mais social. Cela provoque un traumatisme révélé dans l'incapacité d'oublier ce démembrement ou, autrement dit, de re-

    257 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, 2005, (coll. « Hommes et sociétés »), pp.19-20 ; citant le Nganga, 55, 21 février 2003, p.2.

    258 Ibid., p.14.

    259 Pierre LEMONNIER, « Maladie, cannibalisme et sorcellerie chez les Anga de Papouasie, Nouvelle-Guinée » p.398 in Maurice GODELIER et Michel PANOFF, Le corps humain. Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé, Paris, Éditions CNRS, 2009, 546 p.

    260 Filip DE BOECK, « Au-delà du tombeau : histoire, mémoire et mort dans le Congo/Zaïre postcolonial », pp.129-169 in Cahiers africains, Paris, l'Harmattan, volume 8, 1998, n°31-32, 172 p.

    261 Ibid., p.160.

    262 Ibid., p.160.

    membrer (to re-membrer) ce qui fut déconnecté (<), cela veut dire la destruction d'un habitus, d'une identité sociale profondément incarnée >>.263

    En un mot, << le démembrement transforme les vivants en morts vivants, tandis que les morts, par leur désincarnation, semblent de plus en plus étendre leur présence dans le domaine des vivants >>.264

    Pour tout dire, la banalisation de la mort aujourd'hui au Gabon, produite par les cadavres en exposition et en décomposition dans les rues et sur les plages de Libreville, laisse sans réactions les autorités compétentes d'un côté et les populations de l'autre côté qui subissent au quotidien ces violences symboliques et physiques.

    Surtout lorsqu'il s'agit de corps de femmes ou d'hommes dépossédés de leurs organes génitaux et autres, voire désossés. Ce type de constat qui s'impose à nous avec force et récurrence, nous laisse déduire qu'« une autorité qui dévore la vie est une autorité productrice de morts, ou, ce qui revient au même, de morts-vivants, c'est-à-dire des zombies, des vampires, au sens où l'imagination populaire donne à ce mot au Gabon, à savoir les sorciers. Les "cités africaines" sont, dans cette perspective, des cités de "vampires" >>265 où prospère le commerce illégal et occulte de << l'or blanc >>.

    263Filip DE BOECK, « Au-delà du tombeau : histoire, mémoire et mort dans le Congo/Zaïre postcolonial », pp.162-163.

    264 Ibid., p.163.

    265 Joseph TONDA, op.cit., p. 10.

    Chapitre IV : La modernité insécurisée

    Nous apprehendons la modernite comme le desenchantement du monde et donc, de la promotion de l'ère de la rationalité et de la rationalisation de tous les domaines de l'organisation sociale. Cependant, l'observation de la formation sociale gabonaise postcoloniale sous l'ère du souverain moderne révèle que nous faisons face à une « modernite insecurisee »266 ; c'est-à-dire, une « modernite associant dans ses fureurs les schèmes de la destruction, de la collection et du cumul des corps et des choses dans les domaines politique, economique, religieux, familial ».267

    Aussi, nous voulons nous interesser au religieux qui, au lieu de desenchanter le Gabon postcolonial, l'enchante davantage par la création incessante d'images de guerre contre les demons ; contre les inconvertis consideres comme des sorciers responsables des malheurs familiaux ; tout en diabolisant ce qui n'est pas de l'ordre du christianisme et donc replongerait dans l'obscurantisme. Toutefois, pour MBEMBE, « le projet de modernite reposerait, entre autres, sur la possibilite de réalisation du progrès et sur l'espoir d'une victoire definitive de la raison sur toutes les formes d'obscurantisme ».268

    266 L'expression est de Pierre-Joseph LAURENT, Les pentecôtistes du Burkina Faso. Mariage, pouvoir et guérison, Paris, Karthala, 2003, cité par Joseph TONDA in Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique Centrale (Congo/Gabon), 2005, (coll. « Hommes et sociétés »), p.15.

    267 Joseph TONDA, op.cit., p.15.

    268 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques »), 2000, p.27.

    Section 1 : Agression << sans retenue >> de l'espace médiatique à Libreville

    Cette section met un accent particulier sur le rôle et la prédominance des Églises pentecôtistes et charismatiques dites de « réveil >> au Gabon. Ces Églises sont donc présentent au Gabon sur l'espace médiatique en proposant des séminaires de délivrances, des veillées de prières pour les malades mais aussi pour le Gabon, afin qu'il soit béni par Dieu.

    1. Le matraquage médiatique religieux

    Pour mieux vendre leurs images auprès des populations, toutes ces Églises pentecôtistes et charismatiques dites de « réveil >> optent aujourd'hui pour la publicité. Elles deviennent des entreprises commerciales qui vendent leurs produits, ce qui a pour effet la concurrence. Et c'est l'Église qui aura fait plus de publicité, qui se fera plus présente qui tirera son épingle du jeu. D'où le « marketing religieux >> et l' « instrumentalisation des médias privés >>.

    1.1. Le << marketing >> religieux

    De plus en plus, les quartiers de Libreville se dotent d'Églises dites de « réveil >> qui se créent rapidement. On peut citer par exemple qu'au quartier Kinguélé, l'Église universelle du royaume de Dieu « Arrêtez de souffrir >> ; la même Église au quartier Glass, ou de l'Église Shékina au quartier Derrière l'hôpital ; etc., attestent le fait que dans ce marché religieux, la promotion de séminaires de guérisons et de délivrances programmées des « possédés de Satan >> est une réalité. De même, certaines chaînes de radio et de télévision privées telles R.T.N269 au château d'eau de Sotega ou de la radio Sainte Marie, ne vont pas de main morte dans ce matraquage médiatique ; qui n'est qu'une autre forme de violence symbolique et physique.

    Les affiches religieuses déployées dans la ville ne sont pas en reste : ainsi pouvons-nous lire sur certaines d'entre elles des messages tels « la nuit du couvre-

    feu spirituel décrétée à Satan » selon le révérend pasteur Max Alexandre NGOUA, pasteur d'une Eglise de réveil de la place. Ou encore, des spots télévisés qui font dans la programmation des miracles de Dieu qui, pour le constat, interviennent généralement lors des périodes de fin du mois. Quand on sait qu'au Gabon, les fonctionnaires en général, sont payés chaque fin de mois, c'est-à-dire, des périodes allant du 25 au 5 du mois suivant.

    Un autre fait, toutes ces Eglises disposent d'un matériel de sonorisation performant qui conduit à une production sonore de haute fréquence excédant les 22 heures jusqu'au lendemain. Par ailleurs, nous étions obligé de passer plus de 8 heures dans une Eglise éveillée de la place pour assister au culte de 19 h jusqu'à 21 h car étant l'une des conditions sine qua none, dans l'espoir de pouvoir rencontrer le pasteur de ladite Eglise pour notre travail. Nous nous sommes rendus compte que les prédications sont plus orientées vers la traque de l'esprit du malin ; qu'à Dieu, à la diabolisation des membres inconvertis de la famille270 et des us et coutumes. Comme nous l'avions dit plutôt, la conversion (parfois immédiate pour la rédemption) demeure le leitmotive des prédications dans ces églises.

    1.2. L'instrumentalisation des médias privés

    Cette instrumentalisation des médias privés se traduit par des consultations et prières en « directe » sur la R.T.N271 ou sur la TV+272 où tous les dimanches à 17 heures, l'animateur Joe Francis reçoit régulièrement un pasteur (la plupart du temps c'est le Dr Louis Francis MBADINGA, pasteur de l'Eglise Shékina de Derrière l'hôpital) pour présenter « les guérisons miraculeuses » à la suite des séminaires bibliques. A ce propos, « il est par exemple banal, dans une Eglise pentecôtiste de Libreville disposant de tranches horaires d'émission dans une radio locale,

    270 A ce sujet, dans ladite Eglise du Bishop Sylvain EDZANG située au carrefour Kanté au quartier Ozangué, le jeudi est souvent consacré à ces délivrances et guérisons miraculeuses. Pour cela, il est fortement recommandé de venir avec un témoin, particulièrement un membre de la famille.

    271 Notons que le révérend Georges Bruno NGOUSSI anime une émission télévisée lui-même tous les jeudis en soirée aux alentours de 21 heures. Emission dénommée « Allo pasteur », (nous rappelant une vielle émission de santé « Allo docteur » animée par le Dr André Christ NGUEMBET, actuel ministre de la république qui passait sur la RTG 1 dans les années 1980-1990) où le pasteur répond à toutes les questions des téléspectateurs en direct en proposant, prières, conseils bibliques, méditations des versets selon les cas exposés.

    272 Il s'agit d'un autre média privé.

    d'entendre des "témoignages" de femmes qui accusent publiquement leur père d'être soit leur "mari de nuit" ; se glissant "diaboliquement" dans le lit conjugal, soit d'être des sorciers responsables de leur chômage, stérilité ou célibat. Banal aussi d'écouter des "soeurs et frères en christ" qui, une fois "convertis", rejettent enfants, maris ou femmes sous prétexte que les non-convertis qui sont dans le "monde" sont des gens de Satan, donc des sorciers >>.273

    Face au problème de << pollution sonore >>, une rencontre avait été initiée entre les autorités municipales en mai 2009 et les responsables de ces Églises, afin de trouver une solution devant la récurrence de ce phénomène. Car même si le Gabon, dans sa constitution, demeure un État laïc et où la liberté d'association est proclamée, on se demande pourquoi y a-t-il ce matraquage médiatique de la part de certaines communautés religieuses, notamment sur la question relative à la conversion ?

    À cette question par exemple, Achille MBEMBE nous propose un début de réponse en affirmant que << l'acte de conversion participe aussi à la déconstruction des mondes. Convertir l'autre c'est l'inciter à abandonner ce en quoi il croyait. Théoriquement, le passage d'une croyance à une autre devrait entraîner la soumission du converti à l'institution et à l'autorité en charge de proclamer la nouvelle croyance (<) Toute conversion devrait donc entraîner, du moins en théorie, une altération fondamentale des modes de penser et de se conduire de celui qui prend sur lui d'y procéder. Dans cette perspective, l'on sous-entend que l'acte de se convertir devrait aller de pair avec l'abandon des repères familiers, que ceux-ci soient culturels ou symboliques. Il s'agirait donc d'une mise à nu >>.274

    En fait, le converti est << formaté >> et est << à la merci >> des pasteurs de ces Églises pentecôtistes et charismatiques dites de << réveil >>. Il apparaît clair que la modernité insécurisée s'apparenterait plus à la maintenance d'un enchantement de l'univers symbolique gabonais, amorcé déjà lors de la colonisation et de la mission

    273 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de l'invisible en Afrique », p.10 in Politique Africaine n°79, 2000.

    274 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques »), 2000, p.212.

    civilisatrice. C'est un enchantement lié aux anges, aux démons en conflits sur terre et dont l'enjeu s'avèrerait être le gabonais ; oscillant entre diabolisation, syncrétisme religieux et confessions chez les prêtres le dimanche.

    L'Église de ce fait, en tant qu'appareil idéologie d'État, est en fait un pan de la face cachée de l'iceberg du Souverain moderne au Gabon, travaillant pour l'assise de l'hégémonie du pouvoir politique au Gabon. D'où, « la modernité au nord ou au sud, est fort peu synonyme de désenchantement du monde >>.275

    2. Le mysticisme exacerbé

    Par << mysticisme exacerbé >> nous entendons la prédominance manifeste de l'ésotérisme, des esprits de toute nature, cohabitant avec les hommes et qui influenceraient voire dicteraient leur conduite. Au Gabon, le mysticisme a pris de l'ampleur à tel point que toute explication apportée à un fait social est d'abord d'ordre symbolique et spirituelle.

    > La persistance de l'ésotérisme

    Le mysticisme exacerbé, dans cette modernité insécurisée, est le résultat des rapports sociaux mortifères entretenus et voulus au Gabon postcolonial. Tous les corps sociaux (Églises, politiques, etc.) sont incriminés de maintenir ce climat mystique, dans un pays où la fracture sociale est importante. À tel point que c'est dans ce même pays que << dominants dominés partagent en effet la croyance, très prégnante au Gabon, que "la réussite sociale", qui signifie l'accès à la consommation des marchandises, trouve son principe dans l'appartenance aux "sectes", "magies" et fraternités qui imprègnent dans l'imaginaire la vie quotidienne diurne et nocturne du "Bord de mer" et des quartiers populaires >>.276

    Au Gabon, le fait que l'on voit des personnes aisées (professeurs d'universités voyager tout le temps quand d'autres ne peuvent pas le faire, des fonctionnaires et des étudiants organisés, des cadres d'entreprises, etc.) ne pas vivre dans la misère

    275 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de l'invisible en Afrique », p.5 in Politique Africaine n°79, 2000.

    276 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit., p.166.

    comme la population en general, même quand ils habitent dans des quartiers enclaves, le discours commun ou le Kongossa277 a tendance à tirer des conclusions d'ordres mystiques (le plus souvent sans preuve, parce que fonctionnant sur la base du « on m'a dit<, il paraît que<, ») comme quoi ces personnes sont des francsmaçons, des rosicruciens voire des homosexuels, etc. La competence, les valeurs de travail, le gout de l'effort et de la persévérance ont a priori été gommées pour laisser la place à l'occultisme, mysticisme et au fétichisme.

    Joseph TONDA poursuit son argumentaire en disant que « les sectes visees sont la Franc-maçonnerie et la Rose-croix, mais egalement les sectes locales. Même les Églises pentecôtistes sont soupçonnees de se livrer à cette magie, notamment à travers l'imposition des mains, censée rendre les gens idiots en pompant leur "energie" ou leurs "etoiles" ("chance") ».278 Actuellement, le Gabon qui est plonge dans ce mysticisme exacerbe, est un Gabon magifie, enchante, domine par les esprits (bons et mauvais) qui sont en interaction avec les hommes, ceux qui sont en affaire avec eux. En effet, de l'Église où l'on met l'accent sur le diable et ses demons qui sèment la panique dans les familles ; les attaques des sorciers la nuit qui « sortent en vampire » pour devorer leurs victimes ; aux « fusils nocturnes » qui rythment le quotidien des gabonais ; à la criminalisation des mandataires qui profanent les tombes dans les cimetières de la capitale ; voilà le mysticisme exacerbe en postcolonie gabonaise ; prise sous les rêts du Souverain moderne.

    D'ailleurs dans cette perspective d'un mysticisme exacerbe et des pratiques occultes, Comi TOULABOR affirme que « dans les postcolonies africaines existent de petits groupes d'individus qui s'y adonnent dans les cercles restreints des pouvoirs en place. Bien qu'ils cherchent à camoufler soigneusement par toutes sortes de

    277 Expression gabonaise désignant les commérages de tout genre. Le plus étonnant c'est que le Kongossa est même tr~s présent à l'Université. Cette même expression a donné lieu à une série gabonaise, diffusée d'abord sur TV+, puis sur la RTG 1, le dimanche soir.

    278 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit., p.187.

    subterfuges les traces de ces pratiques, les échos indirects de celles-ci parviennent jusqu'à l'extérieur, embarrassé de savoir quelles utilisations en faire >>.279

    En résumé, << le Souverain moderne apparaît comme un Souverain qui travaille à la destruction des corps et à leur remplacement par l'incorporel" des spectres, des fantômes (<) >>280

    Section 2 : La profanation des corps à Libreville

    Désacraliser les corps c'est leur nier tout caractère sacré pour ne les considérer que comme des objets marchands, des choses. À Libreville, les profanations des corps illustrent bien cette désacralisation des corps puisque l'on découvre aussi bien sur les plages que dans les rues de Libreville des cadavres d'hommes, de femmes et enfants mutilés de leurs parties génitales. Les coupables, s'ils sont identifiés, ne sont pas inquiétés tel que prévoit le code pénal en son << article 291 >>281. Aussi, la profanation des corps à Libreville est envisagée sous deux angles : la désacralisation des corps et l'économie de la sorcellerie.

    1. La désacralisation des corps

    GODELIER nous rappelle que << fabriqué culturellement dans chaque société, le corps subit diverses agressions culturellement programmées. Celles-ci expriment, tout autant que les processus de fabrication, l'ordre en vigueur dans les sociétés évoquées >>.282 Cette idée nous conforte dans notre argument de la désacralisation et de la réification des corps en ce sens qu'il s'agit en filigrane, d'une violence exercée sur le corps. On peut aller plus loin, car cette désacralisation des corps montre aussi que nous nous situons dans une économie de la profanation ; en tant que point central dans une société gabonaise ; et finalement, une << modernité insécurisée >>.

    279 Comi TOULABOR, << Sacrifices humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique », p.207, in P.KONINGS, W. van BINSBERGEN et G.HESSELINGS (dirs.), Trajectoires de libération en Afrique contemporaine, Paris, Karthala ; Leiden, ASC, 2000, 295 p.

    280 Joseph TONDA, op.cit, p.187.

    281 Cet article 291 du chapitre 13 du 31 mai 1963 stipule en son second paragraphe que << sera puni les mêmes peines quiconque aura profané ou mutilé un cadavre, même non inhumé ».

    282 Maurice GODELIER, Le corps humain. Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé, Paris, CNRS Editions, 2009, p.375.

    En tout point, parler de la profanation des corps, c'est d'abord rappeler que le corps humain est une entité dotée de sacralité, donc doté du mana, du charisme, de l'évus ou de l'inyèmba. Le fait d'enterrer un corps est une étape qui marque le passage de la nature vers l'état de la culture. Cela est perçu comme un acte culturel; nous pensons que l'enterrement est un des nombreux mécanismes qui nous permet d'étayer l'argument de la sacralité du corps. On n'enterre pas seulement le corps parce que nous répondons à une pratique culturelle, c'est parce qu'on est guidé par le mobile du sacré et d'une vie dans l'au-delà.

    Pour tout dire, profaner un corps aujourd'hui à Libreville, c'est lui ôter sa sacralité, c'est le banaliser, le réifier en ce sens qu'il sert à maintenir et entretenir un autre corps ; qui est peut être social ou politique. De même, Joseph TONDA, pense que << des parties du corps comme le "coeur", la "tête", et même un foetus peuvent être ainsi détachées et circuler indépendamment (<) du corps >>.283

    Énoncé 49 :

    -<< Il ne fait aucun doute que ceux qui profanent, sont des gens de très mauvaise foi, ils sont prêts à tout pour arriver à leur fin, même vendre leurs propres mères. Car ceux qui profanent les tombes, ce sont des criminels et ne reculent devant rien. Ils s'opposent farouchement à la volonté divine et c'est grave pour le salut de leurs dmes. Je n'ai jamais été confronté à la profanation des tombes ; je m'informe. Mais je remarque que c'est en périodes des élections que les profanations des tombes se passent dans le pays. Je déduis alors que ce sont des gens qui cherchent le pouvoir, ce sont des politiciens de ce pays qui maudissent et souillent le Gabon avec les profanations qu'ils pratiquent. C'est grave figure-toi. Il n'y a plus de respect pour les morts >>.284

    Ces arguments prouvent bien que le corps profané fut sacré ; d'où l'importance accordé aux parties du corps ou << pièces détachées >> qui servent à la production d'autres corps, comme fétiches ; en tant qu'« objet dépositaire de la puissance, de l'énergie présente qui (<) justifie la force et l'intelligence (<) des

    283 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit, p.148.

    284 Propos du vicaire Dieudonné MOULOUNGUI, 35 ans, Punu, de la paroisse de Saint André des 3 Quartiers de Libreville, le 4 mars 2010 à 22 heures, après la messe dite de la Miséricorde.

    humains, c'est-à-dire leur existence, leurs differences, leurs inegalites dans tous les domaines ».285

    2. L'économie de la sorcellerie

    Une autre caracteristique de cette « modernite insecurisee » en postcolonie gabonaise ; en dehors des profanations des corps, c'est certainement « l'économie de la sorcellerie ». Par l'« economie de la sorcellerie », nous voulons dire qu'il s'agit de la production et de la vente des « pièces detachees » humaines aussi bien des corps morts que des corps vivants depieces, demembres ou mutiles. Ce constat se fait generalement au Gabon lors des periodes electorales286. Cette economie de la sorcellerie est mise en evidence non seulement par les profanations des corps et des tombes ; qui elles, produisent de la « matière première », « l'or blanc » c'est-à-dire les organes humains ou « pièces detachees » ; mais aussi par des acheteurs potentiels : les entrepreneurs politiques et les autres hommes du pouvoir tels les ngangas.

    Par ailleurs, avec cette notion d'« economie de la sorcellerie », c'est surtout l'illustration de l'existence d'un reel marche occulte et illegal des restes humains à Libreville postcoloniale. Et l'existence de ce marché occulte et illegal explique la profanation des tombes et des corps, notamment à l'approche des élections politiques. Selon Comi TOULABOR, il existe aussi un commerce des organes humains dans les pays de l'Afrique de l'Ouest (Togo, Ghana, Nigeria, Bénin) qui aurait pris encrage à Libreville287. En effet, comment comprendre la floraison des tradi-praticiens et Nganga à Libreville ; qui promettent de « guerir » toutes sortes de maladies288; de restaurer ce qui aurait ete derobe par « les puissances du diable » en utilisant des philtres dont on ignore la composition le plus souvent. Ou encore, des

    285 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit, p.149.

    286 Nos recherches, entreprises depuis l'année de Licence jusqu'en Maîtrise et sur le terrain, attestent bien de cette économie sorcellaire en périodes électorales.

    287 À ce propos, un de nos interlocuteurs nous révèle que la nuit, le marché Mont-Bouët devient un marché où l'on vend les piqces détachées sur commande.

    288 Pour Joseph TONDA, la maladie dont il serait question à Libreville, c'est surtout une forme d'infortunes, de malheurs, auxquelles la médecine traditionnelle propose ses services. Lire à ce propos, « La santé en Afrique ou l'esprit contre le corps » pp.65-89 in Palabres actuelles. Revue de la Fondation Raponda-Walker pour la science et la culture, n°2 volume A-2008, « L'homme et la maladie », Editions Raponda-Walker, 2009, 307 p.

    guérisseurs qui laveraient leurs patients avec des crânes humains289 ; sans l'intervention de l'État ? De meme, dans l'existence d'une économie de la sorcellerie ; traduite par la réalité d'un marché des « pièces détachées », Comi TOULABOR nous apprend que « s'il se développe actuellement un important trafic du corps humain dans nombre de pays africains, cela suppose en amont l'existence de demande réelle comme le laissent penser les faits divers à travers les dépêches et les organes de journaux ».290 C'est ce meme marché qui a priori serait présent à Libreville. C'est dans le même sens que notre interlocutrice nous a affirmé, au sujet de la profanation, ce qui suit :

    Énoncé 50 :

    La profanation des tombes c'est tout simplement de la sorcellerie, un acte que je croyais voir seulement au village, maintenant il se retrouve en ville, très franchement si de notre vivant on n'est pas en sécurité et combien de fois mort ? Ce sont les hommes politiques qui font çà, leurs pratiques occultes et fétichistes leur imposent de faire ce genre de chose, comme ils savent qu'ils sont boudés par les populations, alors ils utilisent l'occultisme, le mysticisme et le diable pour gagner. Sache que nous les protestants, nous condamnons ces actes fétichistes avec la dernière énergie. On ne peut plus vivre comme aux temps de nos ancêtres, toujours avoir recours à la sorcellerie, à la magie, aux fétiches ou aux ngangas pour avoir le pouvoir, la richesse, pour être bien vu dans la société, mais à quel prix et pour combien de temps ? »291

    Tous ces exemples attestent qu'il y a au Gabon une économie de la sorcellerie, en tant que croyance très présente et réelle dans les représentations sociales des gabonais ; surtout très présentes dans la sphère du politique. Ainsi, de toutes ces observations, nous pensons que la modernité au Gabon postcolonial, est une « modernité insécurisée ».

    289 Pour le cas d'esp~ce, on peut retenir l'Union plus du 3 juillet 2008, page 6, rubrique « VocFété WWWFWre ».

    290 Comi TOULABOR, « WcrFfFcWWWaFns et polFtFqWWqWWWKWWpVes cWWVpWraFns en WfrFque », p.208, Fn P.KONINGS, W.Van BINBERGEN et G. HESSELINGS (dirs.), VWectoFres VWlFbératFoWWVVWFVVW WVWVpWraFnV, Paris, Karthala ; Leiden, ASC, 2000, 295 p.

    291 Propos d'une interlocutrice, victime des profanations des tombes et que nous avons pu rencontrer au cimetière de Mindoubé le 1er novembre 2007. Elle a fortement demandé l'anonymat. Notre interlocutrice a 47 ans, Myènè du Moyen-Ogooué, protestante, agent comptable dans une entreprise privée de la place.

    Conclusion de la deuxième partie

    In fine, la situation postcoloniale gabonaise illustre bien les rapports mortifères et les rapports sociaux de forces qui existent au Gabon, et qui font de l'église gabonaise, un pouvoir de décisions et d'influences non négligeables. Si nous avons vu en début d'analyse que l'Église, par la construction des cimetières, défend et protège les corps des religieux enterrés dans sa concession, nous nous rendons compte qu'elle place les morts au coeur de ses homélies. Ceci s'illustre par la célébration de la fête de << Toussaint » chaque année ; tout comme << les messes catholiques pour les défunts, assimilées à des cultes aux morts, sont interprétées à partir de la même grille : la position des prêtres (qui demandent de l'argent pour dire les messes) est associée à celle des chefs de famille, les uns comme les autres jouant le même rôle de spécialistes religieux ou rituels à l'intérêt politique évident ».292

    Cela laisse à supposer que les morts ont un pouvoir et que la croyance en leur pouvoir susciterait les hantises et les convoitises de certains individus ; en quête de pouvoir, de position et d'ascension sociales au sein de l'appareil administratif et politique de l'État.

    Néanmoins, dans un contexte marqué par la logique capitaliste de l'accumulation, de l'exploitation ou de l'assujettissement, l'Église montre un autre aspect, celui de la lutte contre les inconvertis, la diabolisation des us gabonais et une << guerre » incessante contre les démons, les esprits qui habiteraient dans les corps des gens.

    Ceci pour dire que l'Église enchante et exerce son hégémonie, et crée une forme de dépendance sociale ; par la légitimation de forces diaboliques et un matraquage médiatique religieux important. C'est donc un Gabon postcolonial magifié, enchanté, dominé et habité par les esprits (bons et mauvais) en interaction avec les hommes et les profanations des tombes, qui font que la modernité au Gabon soit une modernité << insécurisée ».

    Les profanations des tombes et des corps observées illustrent bien qu'il y a au Gabon, à Libreville singulièrement, un marché occulte et illégal des restes humains et que cette commercialisation des << pièces détachées >> ou << or blanc >> en périodes électorales fait donc des cimetières de Libreville des pourvoyeurs de << matières premières >>. C'est dire que le fétichisme se développe sur la base d'un contexte gouverné par le capitalisme de l'occulte et de fétichisme.

    Toutefois, le code pénal gabonais nous rappelle fortement en son article 210 l'interdiction de la commercialisation des organes humains ou «or blanc >>, ainsi qu'il suit : << sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de 50.000 à 200.000 francs, ou l'une de ces deux peines seulement, quiconque aura participé à une transaction portant sur des restes ou ossements humains, ou se sera livré à des pratiques de sorcellerie, magie ou charlatanisme susceptibles de troubler l'ordre public ou de porter atteinte aux personnes ou à la propriété >>.293

    Pour tout dire, rappelons à toute fin utile qu'au cimetière municipal de Mindoubé, il s'agit d'un recyclage de tout, des gerbes des fleurs, à « l'or blanc >> en passant par les vêtements des morts où tout est (ré)introduit dans le marché économique et fétichiste. Par ailleurs, l'État sera jugé aux pieds du mur par les populations, dans sa capacité de réaction et dans le domaine de la sorcellerie et du fétichisme, même si << la sorcellerie, par définition, se cache et se fait insaisissable >>294, se pratiquant de préférence dans le noir.

    293 Le Code Pénal, chapitre XIX : « De la sorcellerie, du charlatanisme et des actes d'anthropophagie », Libreville, le 31 mai 1963, p.45.

    294 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques »), 1995, p.31.

    Conclusion générale

    À la lumière de ce qui précède, nous nous rendons compte que notre analyse repose sur deux temps : d'un côté, l'existence du marché occulte et illégal des restes humains et de l'autre, une modernité insécurisée ; illustrée par la magification et les luttes acharnées des Églises dites de réveil aux esprits mauvais qui influenceraient les vies des populations locales aujourd'hui. Sur un tout autre plan, Giorgio AGAMBEN295 nous apprend que la profanation, se perçoit aussi comme la restitution à l'usage commun ce qui a été séparé dans la sphère du sacré, c'est-à-dire, le corps humain.

    Cependant, les profanations des tombes et des corps montrent qu'il est question d'une violence du fétichisme organisée autour d'un vaste recyclage de l'or blanc ou organes humains dans l'illégalité et à des fins occultes par une certaine catégorie d'hommes étant en compétition et à la recherche du pouvoir. Ce qui fait que « la lutte entre les grands hommes prend la forme de compétitions magiques »296 et fait des cimetières de Libreville, de véritables centres magico-économiques d'approvisionnement en matières premières ou « pièces détachées » ; censées leur assurer les succès aux élections politiques ou lors des nominations en Conseils de Ministres.

    Cela montre également que « l'or blanc » constitue le socle du pouvoir politique au Gabon, de même que « la magie et sorcellerie sont essentielles à la structuration des rapports sociaux et partant, des rapports de forces (<) et les hommes politiques n'échappent pas à l'emprise des interprétations magicoreligieuses »297 comme à leur criminalisation. À cet effet, le pouvoir politique au Gabon est un pouvoir mortifère, issu d'un contexte où la croyance au pouvoir des

    295 Giorgio AGAMBEN, Profanations. Traduit de l'italien par Martin RUEFF, Rivages Poche, (coll. « Petite bibliothèque »), 2006, 123 p. et aussi dans Qu'est-ce qu'un dispositif ? Traduit de l'italien par Martin RUEFF, Paris, Editions Payot & Rivages, 2007, 50 p.

    296 Marc-Éric GRUÉNAIS, Florent MOUANDA MBAMBI, Joseph TONDA, « Messies, fétiches et lutte de pouvoirs entre les "grands hommes" du Congo démocratique », p.165 in Cahiers d'études africaines, année 1995, volume 35, numéro 137, pp.163-193.

    297 Ibid., p.166.

    fetiches et des morts est bien manifeste. Alors, être un « grand » au Gabon signifierait être un adepte du fetiche, un grand feticheur parce que « l'or blanc » est un fetiche du pouvoir.

    Ainsi, les « rumeurs de meurtres diaboliques, politiciens accusés d'utiliser associations secrètes et "medicaments" pour assurer leur succès, psychoses urbaines d'enlèvements d'enfants ou de jeunes femmes victimes de démembrements rituels »298, deviennent le lot quotidien des Librevillois et ce, durant les elections politiques ou aux lendemains de celles-ci. Ce qui atteste que donc que « la sorcellerie n'a pas disparu en Afrique et s'affirme aujourd'hui comme une catégorie incontournable de la vie publique et privee ».299

    Pour tout dire, « lorsqu'on analyse les anxiétés contemporaines liées au trafic des organes humains à la lumière de cette longue crise du sacre, il faut remarquer d'abord une grande continuité avec les representations anciennes : la qualite metonymique du corps humain, à la fois plus etendu que son enveloppe charnelle et contenu entier dans chacune de ses parcelles, reste bien aujourd'hui un attribut de la pensee equatoriale sur le corps et le pouvoir »300.

    Somme toute, notre travail repose bien sur la theorie du « fetichisme de la marchandise » de MARX, inspiree surtout des travaux des COMAROFF et de BERNAULT.

    298 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de l'invisible en Afrique et pouvoirs sorciers W, in

    VoFWWWfWWWE n°79, octobre 2000, p.1.

    299 ww, p.1.

    300

    Florence BERNAULT, WWWWVWWWFWVort et reproduction sociaFe au GWW W Vp.8, in MAMA

    AFRICA : Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE, 3MIME UP EVEQUIELL, MIS.

    Références documentaires

    A. Sources écrites

    I. Ouvrages généraux

    1. BEITONE A. et al., Sciences Sociales, Paris, (coll. << aide-mémoire »), 3ème éd., Dalloz, 2002, 409 p.

    2. Bible Expliquée, Ancien et Nouveau Testament, Traduite de l'Hébreu et du grec en français courant, Paris, Société biblique française, 2004, 1139 p.

    3. BRAUD Ph., Sociologie politique, 8ème édition, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence/Montchrestien, 2006, 738 p.

    4. GRAWITZ M., Lexique des sciences sociales, Paris, Dalloz, 7ème édition, 2000, 424 p.

    5. LOMBARD J., Introduction à l'ethnologie, 2ème éd., Paris, (coll. Cursus, série « Sociologie »), Armand Colin, 1998, 191 p.

    6. MARX K. et ENGELS F., Le manifeste du parti communiste, Paris, Classique de poche, 197 p.

    II. Ouvrages de méthodologie

    7. BACHELARD G., La formation de l'esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance, Paris, Librairie philosophique J.VRIN, 2004, 306 p.

    8. BEAUD S. et WEBER F., Guide de l'enquête de terrain. Produire et analyser des données ethnographiques, Nouvelle édition, Paris, éd. La Découverte, 2003, 356 p.

    9. DURKHEIM É., Les règles de la méthode sociologique, 11ème éd., Paris, PUF (coll. « Quadrige »), 2002, 149 p.

    10. GRAWITZ M., Méthodes des sciences sociales, 11ème éd., Paris, Dalloz, 2001, 989 p.

    11. GRAWITZ M., Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1993, 920 p.

    12. QUIVY R. et VAN CAMPENHOUDT L., Manuel de recherche en sciences sociales, 2ème éd., Paris, Dunod 1995, 287 p.

    13. SOUMAHO M-N., Eléments de méthodologie pour une lecture critique, Préface de J.COPANS et Postface de J.G BIDIMA, (coll. << Recherche Gabonaises ») , l'Harmattan, et Libreville, CERGEP Editions, T.1, 2002, 143 p.

    III. Ouvrages spécialisés

    14. AGAMBEN G., Qu'est-ce qu'un dispositif ? Traduit de l'italien par Martin RUEFF, Paris, Editions Payot & Rivages, 2007, 50 p.

    15. AGAMBEN G., Profanations. Traduit de l'italien par Martin RUEFF, Rivages Poche, (coll. << Petite bibliothèque »), 2006, 123 p.

    16. ACHEBE C., Le monde s'effondre, Paris, Présence Africaine, 1972, 254 p.

    17. ALEXANDRE P. et BINET J., Le groupe pahouin (Fang-Boulou-Béti), Paris, L'Harmattan, 2005, 152 p.

    18. AUGÉ M., Le Dieu objet, Paris, Flammarion, (<< Nouvelle Bibliothèque scientifique »), 1988, 147 p.

    19. BALANDIER G., Anthropologie politique, Paris, Puf /Quadrige, 1999, 240 p.

    20. BALANDIER G., Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, 172 p.

    21. BALANDIER G., Le détour. Pouvoir et modernité. Paris, Fayard, 1985,

    22. BETI M., Le pauvre christ de Bomba, Paris, Présence Africaine, 1976, 346p.

    23. BOURDIEU P., Choses dites, Paris, Editions de Minuit, (coll. << Le sens Commun »), 1987, 228 p.

    24. CASTORIADIS C., L'institution de l'imaginaire de la société, (3ème édition revue et corrigée), Paris, Editions du Seuil, 1975, 497 p.

    25. CHAVIHOT A.A, Les Adyumba du Gabon. De la petite valise de Nènè. Préface de JeanAvéno DAVIN, Libreville, Éditions Raponda-Walker, 1999, 196 p.

    26. DURKHEIM É., Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, (coll. << Le livre de Poche »), classiques de Philosophie, 1991, 758 p.

    27. FAVRET-SAADA J., Les mots, la mort, les sorts. La sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard, (coll. << Bibliothèque des Sciences humaines »), 1977, 332 p.

    28. GAULME F., Le pays de Cama .Un ancien Etat côtier du Gabon et ses origines. Préface de Jean PING, Paris, Karthala, 1981, 269 p.

    29. GESCHIERE P., Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, 1995, 287 p.

    30. GODELIER M., Le corps humain. Conçu, possédé, supplicié, cannibalisé, Paris, CNRS Éditions, mars 2009, 546 p.

    31. GODELIER M., Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l'Anthropologie, Paris, Editions Albin Michel, (coll. << Bibliothèque Albin Michel Idées »), 2007, 287 p.

    32. HAMIDOU KANE C., L'aventure ambiguë. Préface de Vincent MONTEIL, Paris, Juillard, (coll. <<10/18 »), n°617, 191 p.

    33. HEUSCH L. (de), Le roi du Kongo et des monstres sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions Gallimard, 2000, 420 p.

    34. IKELA D., La vie à la lumière du Bouddhisme. Traduit de l'anglais par Paul COUTURIAU, Monaco, Editions du Rocher, 1985, 327 p.

    35. LEMONNIER P., << Maladie, cannibalisme et sorcellerie chez les Anga de Papouasie, Nouvelle-Guinée » pp.396-416 in Maurice GODELIER et Michel PANOFF, Le corps humain. Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé, Paris, Editions CNRS, 2009, 546 p.

    36. MARX K., Le Capital, Livre I, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, 699 p.

    37. MAYER R., Histoire de la famille gabonaise, 2ème éd., revue et augmentée, Libreville, Editions du LUTO, 2002, 269 p.

    38. MBEMBE A., De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, (coll. << Les Afriques »), 2000, 277 p.

    39. MBEMBE A., Afriques indociles. Christianisme, pouvoir et Etat en société postcoloniale, Paris, Karthala, (coll. << Chrétiens en liberté »), 1988, 212 p.

    40. MERLET A., Le pays des trois estuaires (1471-1900). Quatre siècles de relations extérieures dans les estuaires du Muni, de la Mondah et du Gabon, Libreville, CCF St Exupéry/Sépia, (coll. « Découvertes du Gabon »), 1990, 349 p.

    41. METEGUE N'NAH, Histoire du Gabon. Des origines à l'aube du XXIe siècle, Paris, l'Harmattan, (coll. << Études africaines »), 2006, 366 p.

    42. MINKO-MVE B., Gabon entre tradition et postmodernité. Dynamique des structures d'accueil Fang. Préface de Jean POIRIER, Paris, l'Harmattan, (coll. << Études africaines »), 2003, 250 p.

    43. NGUEMA-OBAM P., Aspects de la religion Fang. Essai d'interprétation de la formule de bénédiction, Paris, Karthala/ A.C.C.T, 1983, 99 p.

    44. RAPONDA WALKER A. et SILLANS R., Rites et croyances des peuples du Gabon, Libreville, Editions Raponda-Walker, (coll. « Hommes et sociétés »), 2005, 383 p.

    45. TONDA J., Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, (coll. << Hommes et sociétés »), 2005, 243 p.

    46. WEBER M., Le savant et le politique. Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. << Bibliothèques 10-18 »), 1963, 222 p.

    IV. Articles, périodiques et revues

    47. BAYART J-F., << Les Églises chrétiennes et la politique du ventre : le partage du gâteau ecclésial », CERI-CNRS, 26 p, document en pdf tiré sur le site www.google.fr

    48. BERNAULT Fl., « Il y a quelque chose de pourri dans le post-empire », pp.1-11, à paraître dans Cahiers d'études africaines en 2010.

    49. BERNAULT Fl., « De la modernité comme impuissance. Fétichisme et crise du politique en Afrique équatoriale et ailleurs » in Cahiers d'Etudes africaines, XLIX (3), 195, 2009, pp.747-774.

    50. BERNAULT Fl, << Corps, pouvoir et sacrifice en Afrique équatoriale », pp.207-239 in Journal de l'histoire africaine, juin 2006.

    51. BERNAULT Fl., << Autour du livre Joseph TONDA », le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, 2005, 297 p, in Politique africaine, n°104, décembre 2006, pp.159-177.

    52. BERNAULT Fl., << Magie, sorcellerie et politique au Gabon et Congo-Brazzaville in MBEKALE M.N, Démocratie et mutations cultures en Afrique Noire », Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.

    53. BERNAULT Fl., « Économie de la mort et reproduction sociale au Gabon, in Mama AFRICA : Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH », édité par Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.

    54. BERNAULT Fl. et TONDA J., << Dynamiques de l'invisible en Afrique », 13 p. in Politique Africaine, n°79, 2000.

    55. BOECK (De) F., « Au-delà du tombeau : histoire, mémoire et mort dans le Congo/Zaïre postcolonial », pp.129-169 in Cahiers africains, Paris, l'Harmattan, volume 8, 1998, n°31- 32, 172 p.

    56. COMAROFF J. & J, << Économies occultes et nouveaux mouvements religieux : la privatisation du nouveau millénaire », pp.136-188 in COMAROFF Jean et John, Zombies et frontieres à l'ère néolibérale. Le cas de l'Afrique du Sud post-Apartheid, Préface de Jérôme DAVID, Paris, Les prairies ordinaires, (coll. << Penser/croiser »), 2010, 188 p.

    57. COMAROFF J. & J., << Nations étrangères, zombies, immigrants et capitalisme millénaires » pp.19-32, in Bulletin du CODESRIA 3 & 4,1999.

    58. DIOUF M., << Assimilation coloniale et identités religieuses de la civilité des originaires des Quatre Communes du Sénégal » paru in Le CODESRIA, Dakar, Sénégal, sans date, pp.837-850.

    59. GRILL M. et KELLER M., << Un trafic légal de tissus humains. 42 € le fémur, 14 € la trachée », pp.42-44 in Courrier International, n°993 du 12 au 18 novembre 2009, 59 p.

    60. GROOTAERS J-L., << Mort et maladie au Zaïre », pp.35-61 in Cahiers africains, Paris, l'Harmattan, Année 90, volume 8, n°31-32, 1998, 172 p.

    61. GRUÉNAIS M-É, MOUANDA-MBAMBI Fl. et TONDA J., << Messies, fétiches et lutte de pouvoirs entre les "les grands hommes" du Congo démocratique », in Cahiers d'études africaines, 1995, volume 35, numéro 137, pp.163-193.

    62. MARY A., << Actualité du paganisme et contemporanéité des prophétismes » in L'Homme, l'anthropologue et le contemporain : autour de Marc AUGE, 185-186/2008, pp.365-386.

    63. MARY A., << La violence symbolique de la pentecôte gabonaise » pp.143-163, in CORTEN A. et MARY A. (éds), Imaginaires politiques et pentecôtismes. Afrique /Amérique latine, Paris, Karthala, (coll. << Hommes et sociétés »), 2000, 365 p.

    64. MARY A., << Conversion et conversation : les paradoxes de l'entreprise missionnaire », in Cahiers d'Etudes africaines, 160, XL-4, 2000, pp.779-799.

    65. MAURIER H., Religions africaines : Les paysans, dans Vivant Univers, n°342, déc. 1982, p.39 in << Conversion », prof. Henry DERROITTE, Faculté de théologie de l'UCL, s.d.n.l, 3p. ; tiré sur www.google.fr

    66. MBEMBE A., << Des rapports entre la disette, la pénurie et la démocratie en Afrique subsaharienne », p.46, in << Etat, démocratie, sociétés et culture en Afrique », ouvrage collectif, paru aux Editions Démocraties Africaines, s.d.n.l.

    67. MBEMBE A., << Désordres, résistances et productivités » pp.2-8, in Politique Africaine, n°42 : << Violence et pouvoir », juin 1991, 163 p.

    68. MUSY G., Après 75 ans<, dans Au coeur de l'Afrique, t.15, 1975/4, p.227 in << Conversion », prof. Henry DERROITTE, Faculté de théologie de l'UCL, s.d.n.l, 3p. ; tiré sur www.google.fr

    69. NORET J., << De la conversion au basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », pp.143-155, in Politique Africaine << Globalisation et illicite en Afrique », n°93, mars 2004, Paris, Karthala, 193 p.

    70. PERSON Y., << Pour une histoire des religions africaines », p.21, in Jean-Pierre CHRETIEN, L'invention religieuse en Afrique. Histoire et religion en Afrique noire, Paris, Karthala, (coll. << Hommes et sociétés »), 1993, 479 p.

    71. Science et vie : « La Mort. La comprendre. La vivre. La vaincre », revue scientifique, trimestrielle, n° 248, hors série, septembre 2009, 151 pages.

    72. TONDA J., << Fétichisme politique, fétichisme de la marchandise et criminalité électorale au Gabon (Note sur l'imaginaire politique contemporain en Afrique Centrale) » in Voter en Afrique : différenciations et comparaisons ; colloque organisé par l'AFSP, Centre d'Étude d'Afrique Noire-Institut d'Études politiques de Bordeaux, 7-8 mars 2002, 13 p.

    73. TOULABOR C., « Sacrifices humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique », pp.207-221, in P.KONINGS, W. van BINSBERGEN et G.HESSELINGS (dirs.), Trajectoires de libération en Afrique contemporaine, Paris, Karthala ; Leiden, ASC, 2000, 295 p.

    74. L'Union plus, 1er quotidien gabonais d'informations, du vendredi 29 février 2008, Libreville, Multipress/ Gabon, et l'Union Plus du samedi 19 au dimanche 20 juillet 2008, Libreville, Multipress/ Gabon.

    V. Thèse(s) de Doctorat, Mémoire(s) de Maîtrise et Rapport (s) de Licence

    75. KOUMBI OVENGA D-W., Mort et pouvoir. Violence politique et société initiatique Ndjembè en post-colonie gabonaise, Mémoire de Maîtrise en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, 2006, 134 p.

    76. NGOUA M.A., La sorcellerie du Kong à Bitam : Une manifestation symbolique de l'économie et de l'Etat capitaliste, Rapport de Licence en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH, septembre 2003, 25 p.

    77. OSSOMBEY J., Société Kélè du Gabon précolonial : milieu de vie, sociétés initiatiques et pouvoir politique. Des origines à 1910, Libreville, UOB/FLSH, Mémoire de Maîtrise en Histoire et Archéologie, sept.2005, 100 p.

    VI. Documents officiels

    78. Discours prononcé par le roi LEOPOLD II devant les missionnaires se rendant en Afrique en 1883 ; tiré de << L'Afric-Nature », n°005, octobre 1994, journal camerounais et << Le Réformateur chrétien », n°004, p.11.

    79. Le Code pénal de la République gabonaise du 31 mai 1963, Libreville, 109 p. B. Source phonographique

    80. 1 heure d'enregistrement du 6 août 2009 avec le pasteur Raymond AKITA de la Mission protestante de Baraka de Libreville.

    C. Sources orales

    81. Pasteur Raymond AKITA de la Mission protestante de Baraka de Libreville, 42 ans, Galoa.

    82. Mademoiselle Janny Esther DIVAGOU IBRAHIM KUMBA, 27 ans, Punu-Akele, etudiante.

    83. Mademoiselle Graziella MENGUE, 29 ans, agent marketing, Fang.

    84. Mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA, 28 ans, Nzebi-Sango, etudiante

    85. Monsieur John SATURDAY, 29 ans, Yuruba-Fang, etudiant

    86. Mademoiselle Juliette Maeva WAMBONGO YABOZO, 29 ans ; Sango

    87. Mademoiselle Carine PENDY BOUANGA, Nzebi, 27 ans.

    88. Monsieur Moussa TOGOLA

    89. Mademoiselle Kadjidjatou MAROUNDOU, 32 ans, Punu, reprographe

    90. Monsieur Toussaint ELLANGMANE

    91. Monsieur MBADINGA

    92. Un « ancien » du quartier Mindoube habitant à cote du cimetière

    93. L'abbé Dieudonne MOULOUNGUI, vicaire à la Paroisse de Saint Andre des 3 Quartiers de Libreville, 35 ans, Punu

    94. Une interlocutrice, victime des profanations des tombes et que nous avons pu rencontrer au cimetière de Mindoube le 1er novembre 2007

    95. Monsieur M.G.B, chretien catholique, 46 ans

    96. Monsieur Jean-Noël, gardien du cimetière de Mindoube

    97. Un interlocuteur, victime des profanations des tombes, 46 ans, Fang (Bitam), ex personnel navigant commercial Air Gabon, chretien pentecôtiste depuis 7 ans

    98. Madame M.T, 37 ans, Punu-Fang, secretaire comptable, catholique, victime des profanations des tombes à Mindoube

    99. Une habitante à proximite du cimetière de Mindoube, 40 ans, Fang, chretienne pentecôtiste, technicienne de surface

    100. Un chômeur, chretien (Alliance chretienne), Nzebi (Koulamoutou), 56 ans. Il fait parti des familles victimes des profanations des tombes à Mindoube que nous avons pu rencontrer

    101. Une interlocutrice, de 32 ans, Lumbu, catholique, agent commercial, elle fait partie des familles victimes des profanations des tombes à Mindoube que nous avons pu rencontrer

    102. Un habitant à proximite du cimetière de Mindoubé, 38 ans, chrétien, 15 ans d'ancienneté sur le site, mecanicien

    103. « Ancien profanateur a~, monsieur M.D, 43 ans, aujourd'hui pêcheur et il croit en Dieu

    104. Un interlocuteur de 27 ans, chretien protestant, agent à City Sport de Mbolo, rencontre le 26 mars 2007.

    105. Entretien avec, monsieur Guy-Joseph MBOUMBA au cimetière de Mindoube en mars 2007 lors de notre 2' passage.

    D. Sitographie

    106. www.google.fr

    Table des matières

    Dédicace

    Remerciements

    Sigles et abréviations Liste des illustrations Indexe des tableaux Sommaire

    Introduction générale<<<<<. <<<<<<<<<< 1

    Les préalables épistémologiques<<<<<<<<<<<<<<<<<<.<<< 3

    Section 1 : Objet et Champ de l'étude<<<. < <<<. <<<<<<.<. 4

    1-Le marché occulte et illégal des restes humains comme objet d'étude<<<<..<...4 2- L'anthropologie symbolique du pouvoir champ d'étude<<<<<<<<<..< 6

    Section 2 : Construction du modèle d'analyse<<<<<.<<..<.< <<<<.< 8

    1- Les imaginaires fétichistes et le corps dans la littérature occidentale<<<<<. 8

    2- Les africanistes et universitaires gabonais face au fétichisme et l'importance du corps<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<<13

    3- Notre perspective sur la question du marché occulte et illégal des restes humains à Libreville<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.20

    4- Énonciation de notre hypothèse de recherche<<<<<<<<<<<<<<<..21

    5- Définition et construction du concept central<<<<<<<<<<<<<<<...22 5.1-Définition du concept de « l'or blanc » comme concept fondamental de notre étude<<<<<<<<<<<<<.<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<..<.23 5.2-Tableau n°1: Construction du concept de «l'or blanc »<<<<<.<<<<..<<24

    Section 3 : Démarche méthodologique<<<<<.<<..<. <<<<<.<<<. 24

    1- Cadre empirique de la recherche<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<..24 Tableau n°2 : les Églises à proximité des cimetières<<<<<<<<<<<<<<.25 Photo n°1 : Une des vues de la Mission protestante de Baraka de Libreville dans le 4ème arrondissement<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<...26 Photo n°2 : Une vue principale du cimetière de Baraka<<<<<<<<<<<<<27 Photo n°3 : Un aperçu de la Mission protestante de Baraka<<<<<<<<<<<.27 Photo n°4 : Une vue latérale de la cathédrale Sainte Marie de Libreville<<<<...<28 Photo n°5 : Une vue partielle du cimetière catholique de Sainte Marie<<<<<<..29 Photo n°6 : Une prise de vue faciale de Sainte Marie<<<<<<<<<<<<<<.29 Photo n°7 : Des stèles à Sainte Marie<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<30 2-Caractéristiques de notre population d'enquête <<<<<<<<<<<<<<...30 3. Techniques de collecte et de traitement des données<<<<<<<<<<<..<.31 3.1. L'entretien et la photographie comme techniques de collecte des données<<...31 3.2. L'analyse de contenu comme technique d'analyse des données<<<<<<<.32 3.3. Limites de l'étude<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<32

    Première partie : Approche historique des profanations des tombes<<..<<34

    Introduction de la première partie<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.35 Chapitre I : Les reliques au Gabon <<<<<<<<..<<<<<<<<<..<<.<37

    Section 1 : Le culte des ancêtres comme illustration des pratiques reliquaires<...<37

    1. Le rôle du culte des ancêtres dans l'organisation sociale<<<..<< <<<<<.37

    2. Qui en est le prêtre ? <<<<<<<<<38

    Section 2 : Les reliques comme symbole du pouvoir<<<..<<<<<<<<<<.41 1.Les reliques comme « objets-fétiches >><<<<<<< <. <<<<<<<<<<.41 2. Le crane comme élément principal du pouvoir<<<.<<<<<<<<<<<<42

    Chapitre II : La conversion des africains au christianisme et à l'islam<<<<<< 45

    Section 1 : Pourquoi la conversion ? 45

    1. Le christianisme et son rôle dans l'hégémonie coloniale<<<<<<<<<<.<46

    1.1. La conversion comme appareil idéologique d'État au Gabon<<<<<<<. 46

    1.2. La production "officielle"des convertis<<<<<<.<<<<<<<<<<< 50

    2. L'islam<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<< 55

    2.1. Le rôle de l'islam dans l'hégémonie coloniale<<. 55

    2.2. Les effets de l'islam<<<<<<<<.<<<<<<<<<<<<<<<<<<58

    Section 2 : Criminalisation des pratiques ancestrales par l'Église<<<<<<<..<60 1.Criminalisation et persistance des pratiques ancestrales<<<<<<<<<..<<61 1.1. La criminalisation des pratiques ancestrales par l'administration coloniale<<.61 1.2. La persistance ou survivance des pratiques ancestrales<<<<<<<<<<...63 2. Le respect de la mort<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.68 > Le culte des ancêtres<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<68 Conclusion de la première partie<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.71

    Deuxième partie : les profanations des tombes et des corps<<<<<...<..<..73

    Introduction de la deuxième partie<<<<<<<<<<<<<<<<<<..74

    Chapitre III : La production d'un discours moraliste des Églises sur les profanations des tombes<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.<<<<<<76

    Section 1 : Prise de position de l'Église et de l'État face aux profanations des tombes et des corps à Libreville<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<...76

    1. Le point de vue de l'Église<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<76

    1.1. Une dérive morale ? 76

    1.2. La protection des corps religieux et des cimetières<<<<<.<<<<<<< 80

    2. Le point de vue du législateur gabonais sur les profanations des tombes<<<<81 2.1. Le code pénal de 1963<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.81 2.2.L'obligation de saisir le tribunal<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.< 83

    Section 2 : Les profanations des tombes (voire des cadavres)<<<<<<<<< 85

    1. Le cimetière de Mindoubé dans le 5ème arrondissement de Libreville<<<<< 89

    Figure n°1 : Localisation géographique du cimetière de Mindoubé <<<<<<< 89

    Photo n°8 : <<Le portail principal du cimetière >><<<<<<<<<<<<<<<<.90 Photo n°9 : <<Une tombe immergée dans les huiles de vidange.>><<<<<<<<<.91 Photo n°10 : « La tombe d'un chinois >><<<<<<<<<<<<<<<<<<<<91 Photo n°11 : «Le crane chinois>><<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.92 Photo n°12 : « La face cachée d'une tombe >><<<<<<<<<<<<<<<<<...93 Photo n°13 : << Un exemple de tombes profanées >><<<<<<<<<<<<<<<.93 Photo n°14 : « Une vue d'ensemble du cimetière >><<<<<<<<<<<<<<<94 Photo n° 15 : « L'organisation sociale autour de la décharge >>< <<<<<<<< 95 1.1.Historique du cimetière de Mindoubé<<<<<<<<<<<<<<<<<<..96 1.2.La sécurité des morts au cimetière de Mindoubé<<<<<<<<<<<<<<97 1.3.Mindoubé, un site particulier<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<. 97 Photo n°16 : << Ce qui reste de la décharge >><<<<<<<<<<<<<<<<<<99 Photo n°17 :<< Le logement du gardien>><<<<<<<<<<<<<<<<<<<...99 Photo n°18:<< La technique classique>><<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.102 Photo n°19 :<< La technique du p.v.c.>><<<<<<<<<<<<<<<<<<< 102 Photo n°20 :<< Ce qui reste d'un corps profané>><<<<<<<<<<<<<<<<103 Photo n°21 :<< La veste rouge>><<<<<<<<..<<<<<<<<<<<<<<<105 Photo n°22 :<< Autre manière de profaner >><<<...<<<<<<<<<<<<<<106 Photo n°23:<< La tombe vide >><<<<<<<<<..<<<<<<<<<<<<<<107 Figure n°2 : Histogramme des tombes profanées de 2004 à 2009<<<<<<. <108 2. La banalisation de la mort en aujourd'hui<<<<..<<<<<<<<<<<<.112

    2.1. La mort a-t-elle encore un sens aujourd'hui à Libreville ? 112

    2.2. Le sens ou les effets de cette banalisation de la mort<<<<<<<<<<< 114

    Chapitre IV : La modernité insécurisée<<<<<<<<<<<<<<<<<<<116

    Section 1 : Agression sans retenue de l'espace médiatique à Libreville<<<<<.117
    Le matraquage médiatique religieux<<<<<<<<<<<<<<<<<<<117 1.1. Le marketing religieux<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.117 1.2. L'instrumentalisation religieuse des médias privés<<<.<<<<<<<<<118

    2. Le mysticisme exacerbé<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<< 120

    > La persistance de l'ésotérisme<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<< 120

    Section 2 : La profanation des corps à Libreville<<<<<<<<<<<<<<< 122

    1. La désacralisation des corps<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<< 122

    2. L'économie de la sorcellerie<<<<<<<<<<<<<<<<<<. 124

    Conclusion de la deuxième partie<<<<<<<<<<<<<<. <<<<< 126

    Conclusion générale<<<..<<<<<<.<<<<<<<<<<.<<<<<< 128

    Références documentaires<<<<.<<<..< <<<<<<< <<<<<<<130
    Annexes<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<<.137
    Table des matières
    < <<<.<<<<<<<<<<<<<<<<< 138

    Résumé du Mémoire

    << Corps désacralisé >>, << corps resacralisé >> à travers la profanation tels sont les constats qui se dégagent de l'observation de la réalité sociale gabonaise, surtout en périodes électorales dans la postcolonie. Ce mémoire se propose d'étudier un phénomène social complexe qu'est le « marché occulte et illégal des restes humains >> sous deux modalités : la première est lue à partir de la profanation des tombes et des corps lors des consultations électorales et de la mise en vente des << pièces détachées >>. Enfin, la seconde est perçue dans sa dimension occulte où la croyance aux pouvoirs des morts fait partie de l'imaginaire collectif gabonais.

    Toutefois, l'Église en tant qu'appareil idéologique d'État, nous rappelle fortement que << notre corps est le temple du Saint Esprit >> et a pour mission de sauvegarder et de protéger les morts en construisant les cimetières sur son territoire.

    Retenons pour l'essentiel que par la « profanation >>, nous voulons dire qu'audelà de la violation d'un lieu considéré comme sacré, d'une sépulture, il est plutôt question d' << une appropriation, d'une expropriation ou d'une dépossession du corps de l'autre pour une resocialisation, voire une recapitalisation dans l'optique de faire de ce corps ce que l'on en veut. Mieux, la profanation aboutit une économie occulte et illégale de la production et de la vente des restes humains >>.

    Body desecrated "," body resacralization "through the desecration are the findings that emerge from observation of the social reality of Gabon, especially during election periods in post-colonial era. This thesis proposes to study a complex social phenomenon that is the "secret and illegal market of human remains" in two ways: the first is read from the desecration of graves and bodies during elections and the setting sale of "parts". Finally, the second is seen in its occult dimension where belief in the powers of the dead is part of the collective imagination of Gabon.

    However, the Church as an apparatus of ideological state, strongly reminds us that "our body is the temple of the Holy Spirit" and a mission of safeguarding and protecting the dead in cemeteries, building on its territory.

    Retain essentially by the "desecration", we mean that beyond the violation of a place considered sacred, burial, it is more a question of "appropriation, expropriation or dispossession of another body for re-socialization, or a recapitalization from the perspective of this body do what it wants. Better still, the desecration leads a hidden economy and illegal production and sale of human remains. "

    Mots clés : << Marché occulte et illégal >>, << pièces détachées >>, << situation coloniale >>, << situation postcoloniale >>, << profanation >>, << capitalisme >>, << Église >>, << cimetières >>.






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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon