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L'or blanc. le marché occulte et illégal du corps humain à  Libreville

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par Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY
Université Omar Bongo - DEA 2010
  

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Chapitre IV : La modernité insécurisée

Nous apprehendons la modernite comme le desenchantement du monde et donc, de la promotion de l'ère de la rationalité et de la rationalisation de tous les domaines de l'organisation sociale. Cependant, l'observation de la formation sociale gabonaise postcoloniale sous l'ère du souverain moderne révèle que nous faisons face à une « modernite insecurisee »266 ; c'est-à-dire, une « modernite associant dans ses fureurs les schèmes de la destruction, de la collection et du cumul des corps et des choses dans les domaines politique, economique, religieux, familial ».267

Aussi, nous voulons nous interesser au religieux qui, au lieu de desenchanter le Gabon postcolonial, l'enchante davantage par la création incessante d'images de guerre contre les demons ; contre les inconvertis consideres comme des sorciers responsables des malheurs familiaux ; tout en diabolisant ce qui n'est pas de l'ordre du christianisme et donc replongerait dans l'obscurantisme. Toutefois, pour MBEMBE, « le projet de modernite reposerait, entre autres, sur la possibilite de réalisation du progrès et sur l'espoir d'une victoire definitive de la raison sur toutes les formes d'obscurantisme ».268

266 L'expression est de Pierre-Joseph LAURENT, Les pentecôtistes du Burkina Faso. Mariage, pouvoir et guérison, Paris, Karthala, 2003, cité par Joseph TONDA in Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique Centrale (Congo/Gabon), 2005, (coll. « Hommes et sociétés »), p.15.

267 Joseph TONDA, op.cit., p.15.

268 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques »), 2000, p.27.

Section 1 : Agression << sans retenue >> de l'espace médiatique à Libreville

Cette section met un accent particulier sur le rôle et la prédominance des Églises pentecôtistes et charismatiques dites de « réveil >> au Gabon. Ces Églises sont donc présentent au Gabon sur l'espace médiatique en proposant des séminaires de délivrances, des veillées de prières pour les malades mais aussi pour le Gabon, afin qu'il soit béni par Dieu.

1. Le matraquage médiatique religieux

Pour mieux vendre leurs images auprès des populations, toutes ces Églises pentecôtistes et charismatiques dites de « réveil >> optent aujourd'hui pour la publicité. Elles deviennent des entreprises commerciales qui vendent leurs produits, ce qui a pour effet la concurrence. Et c'est l'Église qui aura fait plus de publicité, qui se fera plus présente qui tirera son épingle du jeu. D'où le « marketing religieux >> et l' « instrumentalisation des médias privés >>.

1.1. Le << marketing >> religieux

De plus en plus, les quartiers de Libreville se dotent d'Églises dites de « réveil >> qui se créent rapidement. On peut citer par exemple qu'au quartier Kinguélé, l'Église universelle du royaume de Dieu « Arrêtez de souffrir >> ; la même Église au quartier Glass, ou de l'Église Shékina au quartier Derrière l'hôpital ; etc., attestent le fait que dans ce marché religieux, la promotion de séminaires de guérisons et de délivrances programmées des « possédés de Satan >> est une réalité. De même, certaines chaînes de radio et de télévision privées telles R.T.N269 au château d'eau de Sotega ou de la radio Sainte Marie, ne vont pas de main morte dans ce matraquage médiatique ; qui n'est qu'une autre forme de violence symbolique et physique.

Les affiches religieuses déployées dans la ville ne sont pas en reste : ainsi pouvons-nous lire sur certaines d'entre elles des messages tels « la nuit du couvre-

feu spirituel décrétée à Satan » selon le révérend pasteur Max Alexandre NGOUA, pasteur d'une Eglise de réveil de la place. Ou encore, des spots télévisés qui font dans la programmation des miracles de Dieu qui, pour le constat, interviennent généralement lors des périodes de fin du mois. Quand on sait qu'au Gabon, les fonctionnaires en général, sont payés chaque fin de mois, c'est-à-dire, des périodes allant du 25 au 5 du mois suivant.

Un autre fait, toutes ces Eglises disposent d'un matériel de sonorisation performant qui conduit à une production sonore de haute fréquence excédant les 22 heures jusqu'au lendemain. Par ailleurs, nous étions obligé de passer plus de 8 heures dans une Eglise éveillée de la place pour assister au culte de 19 h jusqu'à 21 h car étant l'une des conditions sine qua none, dans l'espoir de pouvoir rencontrer le pasteur de ladite Eglise pour notre travail. Nous nous sommes rendus compte que les prédications sont plus orientées vers la traque de l'esprit du malin ; qu'à Dieu, à la diabolisation des membres inconvertis de la famille270 et des us et coutumes. Comme nous l'avions dit plutôt, la conversion (parfois immédiate pour la rédemption) demeure le leitmotive des prédications dans ces églises.

1.2. L'instrumentalisation des médias privés

Cette instrumentalisation des médias privés se traduit par des consultations et prières en « directe » sur la R.T.N271 ou sur la TV+272 où tous les dimanches à 17 heures, l'animateur Joe Francis reçoit régulièrement un pasteur (la plupart du temps c'est le Dr Louis Francis MBADINGA, pasteur de l'Eglise Shékina de Derrière l'hôpital) pour présenter « les guérisons miraculeuses » à la suite des séminaires bibliques. A ce propos, « il est par exemple banal, dans une Eglise pentecôtiste de Libreville disposant de tranches horaires d'émission dans une radio locale,

270 A ce sujet, dans ladite Eglise du Bishop Sylvain EDZANG située au carrefour Kanté au quartier Ozangué, le jeudi est souvent consacré à ces délivrances et guérisons miraculeuses. Pour cela, il est fortement recommandé de venir avec un témoin, particulièrement un membre de la famille.

271 Notons que le révérend Georges Bruno NGOUSSI anime une émission télévisée lui-même tous les jeudis en soirée aux alentours de 21 heures. Emission dénommée « Allo pasteur », (nous rappelant une vielle émission de santé « Allo docteur » animée par le Dr André Christ NGUEMBET, actuel ministre de la république qui passait sur la RTG 1 dans les années 1980-1990) où le pasteur répond à toutes les questions des téléspectateurs en direct en proposant, prières, conseils bibliques, méditations des versets selon les cas exposés.

272 Il s'agit d'un autre média privé.

d'entendre des "témoignages" de femmes qui accusent publiquement leur père d'être soit leur "mari de nuit" ; se glissant "diaboliquement" dans le lit conjugal, soit d'être des sorciers responsables de leur chômage, stérilité ou célibat. Banal aussi d'écouter des "soeurs et frères en christ" qui, une fois "convertis", rejettent enfants, maris ou femmes sous prétexte que les non-convertis qui sont dans le "monde" sont des gens de Satan, donc des sorciers >>.273

Face au problème de << pollution sonore >>, une rencontre avait été initiée entre les autorités municipales en mai 2009 et les responsables de ces Églises, afin de trouver une solution devant la récurrence de ce phénomène. Car même si le Gabon, dans sa constitution, demeure un État laïc et où la liberté d'association est proclamée, on se demande pourquoi y a-t-il ce matraquage médiatique de la part de certaines communautés religieuses, notamment sur la question relative à la conversion ?

À cette question par exemple, Achille MBEMBE nous propose un début de réponse en affirmant que << l'acte de conversion participe aussi à la déconstruction des mondes. Convertir l'autre c'est l'inciter à abandonner ce en quoi il croyait. Théoriquement, le passage d'une croyance à une autre devrait entraîner la soumission du converti à l'institution et à l'autorité en charge de proclamer la nouvelle croyance (<) Toute conversion devrait donc entraîner, du moins en théorie, une altération fondamentale des modes de penser et de se conduire de celui qui prend sur lui d'y procéder. Dans cette perspective, l'on sous-entend que l'acte de se convertir devrait aller de pair avec l'abandon des repères familiers, que ceux-ci soient culturels ou symboliques. Il s'agirait donc d'une mise à nu >>.274

En fait, le converti est << formaté >> et est << à la merci >> des pasteurs de ces Églises pentecôtistes et charismatiques dites de << réveil >>. Il apparaît clair que la modernité insécurisée s'apparenterait plus à la maintenance d'un enchantement de l'univers symbolique gabonais, amorcé déjà lors de la colonisation et de la mission

273 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de l'invisible en Afrique », p.10 in Politique Africaine n°79, 2000.

274 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques »), 2000, p.212.

civilisatrice. C'est un enchantement lié aux anges, aux démons en conflits sur terre et dont l'enjeu s'avèrerait être le gabonais ; oscillant entre diabolisation, syncrétisme religieux et confessions chez les prêtres le dimanche.

L'Église de ce fait, en tant qu'appareil idéologie d'État, est en fait un pan de la face cachée de l'iceberg du Souverain moderne au Gabon, travaillant pour l'assise de l'hégémonie du pouvoir politique au Gabon. D'où, « la modernité au nord ou au sud, est fort peu synonyme de désenchantement du monde >>.275

2. Le mysticisme exacerbé

Par << mysticisme exacerbé >> nous entendons la prédominance manifeste de l'ésotérisme, des esprits de toute nature, cohabitant avec les hommes et qui influenceraient voire dicteraient leur conduite. Au Gabon, le mysticisme a pris de l'ampleur à tel point que toute explication apportée à un fait social est d'abord d'ordre symbolique et spirituelle.

> La persistance de l'ésotérisme

Le mysticisme exacerbé, dans cette modernité insécurisée, est le résultat des rapports sociaux mortifères entretenus et voulus au Gabon postcolonial. Tous les corps sociaux (Églises, politiques, etc.) sont incriminés de maintenir ce climat mystique, dans un pays où la fracture sociale est importante. À tel point que c'est dans ce même pays que << dominants dominés partagent en effet la croyance, très prégnante au Gabon, que "la réussite sociale", qui signifie l'accès à la consommation des marchandises, trouve son principe dans l'appartenance aux "sectes", "magies" et fraternités qui imprègnent dans l'imaginaire la vie quotidienne diurne et nocturne du "Bord de mer" et des quartiers populaires >>.276

Au Gabon, le fait que l'on voit des personnes aisées (professeurs d'universités voyager tout le temps quand d'autres ne peuvent pas le faire, des fonctionnaires et des étudiants organisés, des cadres d'entreprises, etc.) ne pas vivre dans la misère

275 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de l'invisible en Afrique », p.5 in Politique Africaine n°79, 2000.

276 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit., p.166.

comme la population en general, même quand ils habitent dans des quartiers enclaves, le discours commun ou le Kongossa277 a tendance à tirer des conclusions d'ordres mystiques (le plus souvent sans preuve, parce que fonctionnant sur la base du « on m'a dit<, il paraît que<, ») comme quoi ces personnes sont des francsmaçons, des rosicruciens voire des homosexuels, etc. La competence, les valeurs de travail, le gout de l'effort et de la persévérance ont a priori été gommées pour laisser la place à l'occultisme, mysticisme et au fétichisme.

Joseph TONDA poursuit son argumentaire en disant que « les sectes visees sont la Franc-maçonnerie et la Rose-croix, mais egalement les sectes locales. Même les Églises pentecôtistes sont soupçonnees de se livrer à cette magie, notamment à travers l'imposition des mains, censée rendre les gens idiots en pompant leur "energie" ou leurs "etoiles" ("chance") ».278 Actuellement, le Gabon qui est plonge dans ce mysticisme exacerbe, est un Gabon magifie, enchante, domine par les esprits (bons et mauvais) qui sont en interaction avec les hommes, ceux qui sont en affaire avec eux. En effet, de l'Église où l'on met l'accent sur le diable et ses demons qui sèment la panique dans les familles ; les attaques des sorciers la nuit qui « sortent en vampire » pour devorer leurs victimes ; aux « fusils nocturnes » qui rythment le quotidien des gabonais ; à la criminalisation des mandataires qui profanent les tombes dans les cimetières de la capitale ; voilà le mysticisme exacerbe en postcolonie gabonaise ; prise sous les rêts du Souverain moderne.

D'ailleurs dans cette perspective d'un mysticisme exacerbe et des pratiques occultes, Comi TOULABOR affirme que « dans les postcolonies africaines existent de petits groupes d'individus qui s'y adonnent dans les cercles restreints des pouvoirs en place. Bien qu'ils cherchent à camoufler soigneusement par toutes sortes de

277 Expression gabonaise désignant les commérages de tout genre. Le plus étonnant c'est que le Kongossa est même tr~s présent à l'Université. Cette même expression a donné lieu à une série gabonaise, diffusée d'abord sur TV+, puis sur la RTG 1, le dimanche soir.

278 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit., p.187.

subterfuges les traces de ces pratiques, les échos indirects de celles-ci parviennent jusqu'à l'extérieur, embarrassé de savoir quelles utilisations en faire >>.279

En résumé, << le Souverain moderne apparaît comme un Souverain qui travaille à la destruction des corps et à leur remplacement par l'incorporel" des spectres, des fantômes (<) >>280

Section 2 : La profanation des corps à Libreville

Désacraliser les corps c'est leur nier tout caractère sacré pour ne les considérer que comme des objets marchands, des choses. À Libreville, les profanations des corps illustrent bien cette désacralisation des corps puisque l'on découvre aussi bien sur les plages que dans les rues de Libreville des cadavres d'hommes, de femmes et enfants mutilés de leurs parties génitales. Les coupables, s'ils sont identifiés, ne sont pas inquiétés tel que prévoit le code pénal en son << article 291 >>281. Aussi, la profanation des corps à Libreville est envisagée sous deux angles : la désacralisation des corps et l'économie de la sorcellerie.

1. La désacralisation des corps

GODELIER nous rappelle que << fabriqué culturellement dans chaque société, le corps subit diverses agressions culturellement programmées. Celles-ci expriment, tout autant que les processus de fabrication, l'ordre en vigueur dans les sociétés évoquées >>.282 Cette idée nous conforte dans notre argument de la désacralisation et de la réification des corps en ce sens qu'il s'agit en filigrane, d'une violence exercée sur le corps. On peut aller plus loin, car cette désacralisation des corps montre aussi que nous nous situons dans une économie de la profanation ; en tant que point central dans une société gabonaise ; et finalement, une << modernité insécurisée >>.

279 Comi TOULABOR, << Sacrifices humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique », p.207, in P.KONINGS, W. van BINSBERGEN et G.HESSELINGS (dirs.), Trajectoires de libération en Afrique contemporaine, Paris, Karthala ; Leiden, ASC, 2000, 295 p.

280 Joseph TONDA, op.cit, p.187.

281 Cet article 291 du chapitre 13 du 31 mai 1963 stipule en son second paragraphe que << sera puni les mêmes peines quiconque aura profané ou mutilé un cadavre, même non inhumé ».

282 Maurice GODELIER, Le corps humain. Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé, Paris, CNRS Editions, 2009, p.375.

En tout point, parler de la profanation des corps, c'est d'abord rappeler que le corps humain est une entité dotée de sacralité, donc doté du mana, du charisme, de l'évus ou de l'inyèmba. Le fait d'enterrer un corps est une étape qui marque le passage de la nature vers l'état de la culture. Cela est perçu comme un acte culturel; nous pensons que l'enterrement est un des nombreux mécanismes qui nous permet d'étayer l'argument de la sacralité du corps. On n'enterre pas seulement le corps parce que nous répondons à une pratique culturelle, c'est parce qu'on est guidé par le mobile du sacré et d'une vie dans l'au-delà.

Pour tout dire, profaner un corps aujourd'hui à Libreville, c'est lui ôter sa sacralité, c'est le banaliser, le réifier en ce sens qu'il sert à maintenir et entretenir un autre corps ; qui est peut être social ou politique. De même, Joseph TONDA, pense que << des parties du corps comme le "coeur", la "tête", et même un foetus peuvent être ainsi détachées et circuler indépendamment (<) du corps >>.283

Énoncé 49 :

-<< Il ne fait aucun doute que ceux qui profanent, sont des gens de très mauvaise foi, ils sont prêts à tout pour arriver à leur fin, même vendre leurs propres mères. Car ceux qui profanent les tombes, ce sont des criminels et ne reculent devant rien. Ils s'opposent farouchement à la volonté divine et c'est grave pour le salut de leurs dmes. Je n'ai jamais été confronté à la profanation des tombes ; je m'informe. Mais je remarque que c'est en périodes des élections que les profanations des tombes se passent dans le pays. Je déduis alors que ce sont des gens qui cherchent le pouvoir, ce sont des politiciens de ce pays qui maudissent et souillent le Gabon avec les profanations qu'ils pratiquent. C'est grave figure-toi. Il n'y a plus de respect pour les morts >>.284

Ces arguments prouvent bien que le corps profané fut sacré ; d'où l'importance accordé aux parties du corps ou << pièces détachées >> qui servent à la production d'autres corps, comme fétiches ; en tant qu'« objet dépositaire de la puissance, de l'énergie présente qui (<) justifie la force et l'intelligence (<) des

283 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit, p.148.

284 Propos du vicaire Dieudonné MOULOUNGUI, 35 ans, Punu, de la paroisse de Saint André des 3 Quartiers de Libreville, le 4 mars 2010 à 22 heures, après la messe dite de la Miséricorde.

humains, c'est-à-dire leur existence, leurs differences, leurs inegalites dans tous les domaines ».285

2. L'économie de la sorcellerie

Une autre caracteristique de cette « modernite insecurisee » en postcolonie gabonaise ; en dehors des profanations des corps, c'est certainement « l'économie de la sorcellerie ». Par l'« economie de la sorcellerie », nous voulons dire qu'il s'agit de la production et de la vente des « pièces detachees » humaines aussi bien des corps morts que des corps vivants depieces, demembres ou mutiles. Ce constat se fait generalement au Gabon lors des periodes electorales286. Cette economie de la sorcellerie est mise en evidence non seulement par les profanations des corps et des tombes ; qui elles, produisent de la « matière première », « l'or blanc » c'est-à-dire les organes humains ou « pièces detachees » ; mais aussi par des acheteurs potentiels : les entrepreneurs politiques et les autres hommes du pouvoir tels les ngangas.

Par ailleurs, avec cette notion d'« economie de la sorcellerie », c'est surtout l'illustration de l'existence d'un reel marche occulte et illegal des restes humains à Libreville postcoloniale. Et l'existence de ce marché occulte et illegal explique la profanation des tombes et des corps, notamment à l'approche des élections politiques. Selon Comi TOULABOR, il existe aussi un commerce des organes humains dans les pays de l'Afrique de l'Ouest (Togo, Ghana, Nigeria, Bénin) qui aurait pris encrage à Libreville287. En effet, comment comprendre la floraison des tradi-praticiens et Nganga à Libreville ; qui promettent de « guerir » toutes sortes de maladies288; de restaurer ce qui aurait ete derobe par « les puissances du diable » en utilisant des philtres dont on ignore la composition le plus souvent. Ou encore, des

285 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit, p.149.

286 Nos recherches, entreprises depuis l'année de Licence jusqu'en Maîtrise et sur le terrain, attestent bien de cette économie sorcellaire en périodes électorales.

287 À ce propos, un de nos interlocuteurs nous révèle que la nuit, le marché Mont-Bouët devient un marché où l'on vend les piqces détachées sur commande.

288 Pour Joseph TONDA, la maladie dont il serait question à Libreville, c'est surtout une forme d'infortunes, de malheurs, auxquelles la médecine traditionnelle propose ses services. Lire à ce propos, « La santé en Afrique ou l'esprit contre le corps » pp.65-89 in Palabres actuelles. Revue de la Fondation Raponda-Walker pour la science et la culture, n°2 volume A-2008, « L'homme et la maladie », Editions Raponda-Walker, 2009, 307 p.

guérisseurs qui laveraient leurs patients avec des crânes humains289 ; sans l'intervention de l'État ? De meme, dans l'existence d'une économie de la sorcellerie ; traduite par la réalité d'un marché des « pièces détachées », Comi TOULABOR nous apprend que « s'il se développe actuellement un important trafic du corps humain dans nombre de pays africains, cela suppose en amont l'existence de demande réelle comme le laissent penser les faits divers à travers les dépêches et les organes de journaux ».290 C'est ce meme marché qui a priori serait présent à Libreville. C'est dans le même sens que notre interlocutrice nous a affirmé, au sujet de la profanation, ce qui suit :

Énoncé 50 :

La profanation des tombes c'est tout simplement de la sorcellerie, un acte que je croyais voir seulement au village, maintenant il se retrouve en ville, très franchement si de notre vivant on n'est pas en sécurité et combien de fois mort ? Ce sont les hommes politiques qui font çà, leurs pratiques occultes et fétichistes leur imposent de faire ce genre de chose, comme ils savent qu'ils sont boudés par les populations, alors ils utilisent l'occultisme, le mysticisme et le diable pour gagner. Sache que nous les protestants, nous condamnons ces actes fétichistes avec la dernière énergie. On ne peut plus vivre comme aux temps de nos ancêtres, toujours avoir recours à la sorcellerie, à la magie, aux fétiches ou aux ngangas pour avoir le pouvoir, la richesse, pour être bien vu dans la société, mais à quel prix et pour combien de temps ? »291

Tous ces exemples attestent qu'il y a au Gabon une économie de la sorcellerie, en tant que croyance très présente et réelle dans les représentations sociales des gabonais ; surtout très présentes dans la sphère du politique. Ainsi, de toutes ces observations, nous pensons que la modernité au Gabon postcolonial, est une « modernité insécurisée ».

289 Pour le cas d'esp~ce, on peut retenir l'Union plus du 3 juillet 2008, page 6, rubrique « VocFété WWWFWre ».

290 Comi TOULABOR, « WcrFfFcWWWaFns et polFtFqWWqWWWKWWpVes cWWVpWraFns en WfrFque », p.208, Fn P.KONINGS, W.Van BINBERGEN et G. HESSELINGS (dirs.), VWectoFres VWlFbératFoWWVVWFVVW WVWVpWraFnV, Paris, Karthala ; Leiden, ASC, 2000, 295 p.

291 Propos d'une interlocutrice, victime des profanations des tombes et que nous avons pu rencontrer au cimetière de Mindoubé le 1er novembre 2007. Elle a fortement demandé l'anonymat. Notre interlocutrice a 47 ans, Myènè du Moyen-Ogooué, protestante, agent comptable dans une entreprise privée de la place.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote