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L'institutionnalisation du pouvoir et l'émergence de l'état en République Démocratique du Congo : 1960-2006

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par Corneille YAMBU -A- NGOYI
Université de Kinshasa - DES 2005
  

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II. Sublimation du Parti Unique et effondrement de l'Etat.

1. Sublimation du Parti unique.

Sous la constitution du 24 juin 1967, caractérisée par la soumission de la constitution à la volonté suprême du Président-fondateur du MPR, la collectivité congolaise habitant sur le territoire du pays ne mérite pas la qualification d'Etat au sens où nous l'avons scientifiquement défini dans la première partie de cette étude. Cette affirmation semble osée, car c'est à cette période que pour beaucoup, le Congo s'est comporté en Etat.

Pour nous, ce n'était qu'un Etat fictif comme le « fameux » Etat indépendant du Congo. Nous pensons que dans l'appréciation d'un Etat ce qui importe plus c'est la forme du pouvoir. Il convient de mieux clarifier notre pensée, en ce que juridiquement, sociologiquement et pratiquement le système construit par le Président Mobutu et fondé sur le Mobutisme contenait comme on dit les germes de sa propre destruction et était bien loin de favoriser l'éclosion d'un Etat. Nous devons motiver notre avis :

1) Presque tous les analystes conviennent que le Président Mobutu par une habileté juridique et politique sans précédent, a exercé un pouvoir affranchi de tout contrôle, de toute soumission aux règles impersonnelles donc personnalisée à outrance et incapable de se reproduire ou se transmettre après son règne. Il devait s'en suivre que toute l'oeuvre du génie apparent de Mobutu pour autant qu'elle n'avait d'objectif que la sublimation du Parti et de sa propre personne devait s'éteindre avec la fin de sa vie, comme la lumière disparaît avec le coucher du soleil. Nous avons démontré qu'une société politique accède à l'étape d'Etat lorsque seulement le siège du pouvoir politique quitte l'individu vers une institution c'est-à-dire que lorsqu'une distinction claire s'établit de manière durable entre les détenteurs des fonctions étatiques et celles-ci. Or toute la constitution politique et juridique du Président Mobutu s'est dressée en obstacle vers la réalisation et l'achèvement du processus de cette mutation.

C'est à ce propos que le professeur Lumanu dit : « l'avènement du nouveau régime marque une césure avec la nature du régime qui a prévalu entre 1960 et 1965. Un monolithisme autoritaire et personnifié s'est substitué au pluralisme idéologique institutionnalisée408(*). Et il poursuit : « en s'appuyant sur les dispositions de la constitution en vigueur nous pouvons dire que c'est le Président de la République, à la tête de toutes les institutions politiques importantes qui dispose de toutes les ressources du pays. Il contrôle et repartit toutes les charges, tous les postes, tous les avantages liés au pouvoir. Tous revenu, toute nomination, toute promotion dépend, en dernière instance du bon vouloir présidentiel. Aucune position n'est à l'abri d'une décision du Président. Aucune règle impersonnelle ne préside à ce choix. C'est l'heure de l'opportunité personnelle ».

Nous constaterons ici sans risque de subjectivisme que le pouvoir sans limite exercé par le Président de la République Mobutu Sese Seko Kuku Ngendu Wazambanga sur La République Démocratique du Congo et sur ses peuples au plus fort de sa gloire n'a rien de moins que celui exercé par Léopold II Roi de belges en tant que propriétaire du Congo-Léopoldville, sous l'Etat indépendant du Congo. Il s'agit d'un pouvoir patrimonial dépassant de loin en étendue même les pouvoirs de Chefs africains des anciens empires et royaumes lesquels étaient encadrés juridiquement par des coutumes ayant force de loi. Le problème d'institutionnalisation du pouvoir en Afrique est également perçu avec pertinence par C. Clessis, cité par Djelo, lorsqu'il affirme que ce souci sans cesse renouvelé qui a pour enjeu l'accroissement de l'équation personnelle du Chef de l'Etat pose un problème à la fois général et fondamental pour les jeunes Etats d'Afrique, celui de l'institutionnalisation du pouvoir. Il s'agit de faire la distinction juridique entre les fonctions politiques et les hommes appelés à les assumer. Cette exigence suppose la diffusion d'un certain type de mentalité politique au niveau des élites dirigeantes de sorte que le loyalisme au pouvoir passe de la personne détentrice du pouvoir à la fonction exercée elle-même409(*). Or comme l'indique Verhaegen B. trois règles guidaient entre autre la sélection des membres de la classe dirigeante par le Président de la République :

- Le jeu des affinités familiales, ethniques et régionales ;

- Le système d'allégeance par la corruption organisée ;

- La sélection mandarinale410(*).

Le même auteur conclut que l'affirmation de ces trois règles de sélection permet d'identifier trois couches qui composent la classe dirigeante :

- La clique présidentielle ;

- La confrérie régnante ;

- La grande bourgeoisie potentielle.

Selon nous, une telle description qui ne nous paraît nullement loin d'être vraie, se retrouve plus dans les sociétés féodales pré étatiques que dans un Etat.

2) L'absence de séparation des pouvoirs ne s'accommode guère à l'éclosion de l'Etat. Par la concentration des pouvoirs et par la confusion des pouvoirs exécutif, législatif et même judiciaire dans une certaine mesure, dans sa personne, tel qu'avec différents auteurs nous l'avons montré, le Président Mobutu, vidait la constitution de son sens matérielle originaire.

Appliquant le principe cher aux révolutionnaires français qui en vertu de l'article 4 et 16 de la déclaration universelle des droits de l'homme de 1789, déclaraient que tout Etat où la séparation des pouvoirs n'est pas organisée n'a pas de constitution, l'on peut considérer que la constitution du 24 juin 1967 ne fut pas une constitution après avoir subi les révisions du 23 décembre 1970 du 15 août 1974, du 15 février 1978411(*) mais plutôt un simple « jouet » du Président Mobutu manipulable à volonté et lui servant d'instrument d'assouvissement de ses désirs sous un camouflage éminemment juridique.

3) De ce qui précède, nous retiendrons que le système instauré par le Président Mobutu n'ayant rien posé en « institution » ni le pouvoir ni le Parti ne pouvait créer l'Etat qui est d'abord une institution et bien plus l'institution primordiale. Nous voulons nous faire comprendre en précisant que l'institution n'est pas la magie du décret ou de l'acte juridique. On nous opposerait le raisonnement selon lequel le Président fondateur par les dispositions constitutionnelles précitées a décrété l'institutionnalisation du MPR...l'institutionnalisation ne se décrète pas seulement. Il eut fallu que l'essence de l'institution soit respectée : la différenciation entre les membres et l'organisation. Or en refusant de se faire le Représentant du pouvoir et du Parti, pour se vouloir à tout prix leur incarnation, Mobutu l'être mortel a privé à son Parti, le mérite d'être même un parti et à son pouvoir celui d'être un pouvoir d'Etat, un pouvoir politique. A cela il faut ajouter qu'en ayant horreur de penser à la succession par d'autres à la tête du parti et du pouvoir, il en a éloigné les possibilités d'en faire des institutions car dans toutes les définitions de l'institution l'élément « durée » est essentielle également412(*). Or la pérennisation d'une oeuvre institutionnalisée n'est pas non plus garantie à coup de décret et d'ordonnance déclarant la volonté de perpétuation ou à force de slogan413(*) comme se fut le cas pour le MPR et son Président fondateur, mais par des règles juridiques objectives visant à définir avec clarté la succession des dirigeants actuels par ceux des générations futurs. L'Etat en tant qu'institution n'échappe pas à cette exigence. Faute de s'y être conformé, Mobutu s'est laissé attrapé par le sceptre de la crise congolaise mettant à néant sa propre oeuvre par l'écroulement du mythe étatique.

2. Effondrement de l'Etat.

Dans un environnement politique où aucune politique sociale ne permet d'améliorer le vécu quotidien de la population, ou l'écart entre le nouveau bourgeois et la personne démunie ne cesse de se creuser, ni les prouesses médiatiques ni la politique de la terreur, ni la mystification juridique ne sont suffisants pour contenir la contestation et l'opposition. Chaque tentative de protestation étouffée équivaut à une bombe à retardement ; A chaque mesure de renforcement du pouvoir personnel, correspond un gonflement plus ou moins proportionnel des rangs des mécontents adversaires ou ennemis potentiels du pouvoir en place. Au fil de temps l'élément commandement-obéissance entre le gouvernant et le gouverné perd son automaticité alors qu'il est indispensable à la survie de l'Etat. Les divers foyers de tension ou de troubles contestant la légalité ou la légitimité du pouvoir monolithique finissent par devenir un brasier.

Entre 1965 et 1967, le Président Mobutu faisant fi du droit comme régulateur de la vie politique et ne s'est fié qu'à son génie mystificateur compromettant ainsi la grandeur de son oeuvre dont l'apothéose serait l'édification d'un Etat stable réalisé par l'inculcation à ses concitoyens d'une culture politique fondée sur l'arbitrage juridique constitutionnel du jeu politique.

Aussi, les manifestations estudiantines depuis 1968414(*), le mécontentements de l'Armée des années 1970, réprimés dans le sang, les déclarations des évêques catholiques, la littérature anti - mobutistes415(*), les incursions rebelles du FLNC (Front de Libération Nationale du Congo) en 1977 à Kasaji et Kapanga, et Kolwezi en 1978, sans oublier la création de l'Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) comme parti politique étaient autant d'indicateurs que le sceptre du chaos des années 1960 était proche avec tous ses méfaits sur la consistance des conditions d'existence de l'Etat. La crise était bel et bien là, il ne manquait qu'un déclic pour la déclencher. Le déclic vint de l'ex-Union de Républiques socialistes soviétiques (URSS) ou le Président Mikhaïl Gorbatchev élabora une théorie qui fit l'effet d'un cyclone sur tous les régimes autoritaires monolithiques : la perestroïka. De l'Europe de l'Est à l'Afrique ce mouvement qui prônait le changement et la transparence provoqua des bouleversements profonds au niveau de l'exercice du pouvoir. L'empire soviétique s'écroula, le mur de Berlin s'écroula comme un symbole fort de la chute des régimes dictatoriaux, le Zaïre de Mobutu n'en fut pas épargné. Secoué jusqu'aux racines, le régime devait changer ou disparaître. Après les consultations du 14 janvier 1990 le mythe du Parti - Etat et du Mobutisme s'effondrèrent peut - être avec la charpente fissurée de toute part de la virtuosité d'Etat congolais. La constitution du 24 juin 1967 devait subir sa dernière modification après que le 24 avril 1990, Mobutu ait annoncé la mort dans l'âme des mesures qui lui arrachèrent publiquement des larmes : le « congé » du Président fondateur par rapport au MPR, le multipartisme, la fin du rôle directeur du MPR, la libération vestimentaire.

Ces mesures imposèrent la révision de la constitution du 24 juin 1967 par la loi n° 90-002 du 5 juillet 1990 dont les dispositions essentielles par rapport au sujet qui nous préoccupe furent celles relatives à :

- La modification globale des dispositions de la constitution ayant trait à la confusion de l'Etat et du Parti, au rôle directeur du MPR et, à son institutionnalisation ;

- La réhabilitation des trois pouvoirs traditionnels, à savoir, le législatif, l'exécutif et le judiciaire, comme seules institutions constitutionnelles ;

- La consécration du pluralisme politique ;

- L'organisation du référendum416(*).

Cette loi constitutionnelle eut-elle une incidence déterminante sur l'institutionnalisation du Pouvoir et la réfondation de l'Etat ? la réponse n'est pas aussi simple. D'une part elle eu le mérite de désacraliser définitivement la personne de Mobutu comme incarnation des institutions étatiques ravalées au rang d'organe du MPR mais elle n'eut pas assez de force pour concrétiser le nouvel ordre politique. La lutte entre le camp du changement attaché à la constitution constitué de l'opposition et celui de Mobutu soufflant le chaud et le froid, s'enlisa. Aucun n'arrivait à renverser l'adversaire et imprimer une orientation nouvelle au pays. Entre le 24 avril 1990 et le 17 mai 1997, ce fut une période de fortes turbulences. Le passage d'un pouvoir politique patrimonial à un pouvoir politique institutionnalisé ne vint pas. Le Zaïre en tant qu'«Etat » ne disposait plus d'une organisation politique répondant aux caractéristiques d'un pouvoir d'Etat. La crise de légitimité était à son comble417(*). L'on se trouva en face d'une crise institutionnelle aggravée par l'existence de deux exécutifs, et deux textes constitutionnels pour un même pays sur un même territoire dans une même et seule capitale.

Après les négociations du Palais du Peuple conduites par Monseigneur Laurent Mosengwo Président du Haut Conseil de la République418(*), il fut convenu entre les deux camps de réduire le dédoublement institutionnel par la mise au point d'un seul acte dénommé « Acte constitutionnel de la transition »419(*), cet acte consacrera le démarrage juridique de la période de démocratisation et de la transition au Zaïre. Pendant cette période on cru revivre les scènes des années 1960 et 1965 entre le Président Kasa - Vubu et Lumumba d'abord et entre Kasas - Vubu et Tshombe ensuite.

En effet, entre le Premier Ministre Tshisekedi - wa - Mulumba élu à la Conférence Nationale souveraine, le 15 août 1992, à 2 heures du matin eut des relations tumultueuses avec le Président Mobutu qui le nomma par deux fois et le révoqua aussitôt420(*).

Par ailleurs, l'acte juridique issu de résolutions de la Conférence Nationale souveraine, à savoir l'Acte portant dispositions constitutionnelles relatives à la période de transition, se heurta à une forte contestation de la part du camp présidentiel qui tint le conclave politique de Kinshasa470 duquel sorti la loi n° 93/001 du 02 avril 1993 portant Acte constitutionnel harmonisé relatif à la période de transition.

* 408 Lumanu M.B.S., op.cit, p. 521.

* 409 Clessis, (C.), et alii., Exercices pratiques de droit constitutionnel, Paris, Ed. Montchrestien, 1981, p. 26, cité par Djelo (E.O.), op.cit, p. 78.

* 410 Verhaegen B., « Impérialisme technologique et bourgeoisie nationale au Zaïre » in coquery vidrovitch, Connaissance du tiers Monde, Paris, Coll. 1018, Cahier jussieu n° 1, Laboratoire du tiers Monde, UER Géographie et Sciences de la société, 1978, p.p. 347-379, cité par Lumanu M.B.S., op.cit, p. 522.

* 411 Il s'agit respectivement des lois constitutionnelles n° 70-001 du 23 décembre 1970 ; n° 74-020 du 15 août 1974 et n° 78-010 du 15 février 1978.

* 412 Lire Prelot M., op.cit, p.

Mpongo Bokalo (E.), op.cit, p.

* 413 « Tomotombeli » 100ans (Nous lui accordons 100 ans) ; « Oyo akanisaki MPR ekokufa waya » (celui qui a pensé que MPR mourra, Faux).

* 414 De 1968 à 1971.

* 415 Voir notamment Kamitatu - Massamba, Chomé, Bwana Kabwe, cité par Ndaywel (I.), op.cit, p. 754.

* 416 Furent modifiés ou abrogés, les articles 8-9-19-20-26-28-34-38-39-40-42-43-44-45-46-47-48-49-50-51-52-98-99-100-101-103-107-108-109 et 111.

* 417 Pour la chronologie des événements, lire, AFANA (D.), la balance démocratique du Zaïre sept ans de transition tumultueuse (1990-1997), Kinshasa, Hippoc, 1998, p.p. 8 et 143 ; Ndaywel, op.cit, p.p. 770 et s.

* 418 Nouvelle appellation du Parlement de transition après la tenue de la CNS.

* 419 Exposé de motif de l'Acte constitutionnel de la transition du 04 avril 1994, J.O. n° spécial, p. 4.

* 420 Tenue à Kinshasa du 29 avril 1991 au 6 décembre 1992.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon