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L'institutionnalisation du pouvoir et l'émergence de l'état en République Démocratique du Congo : 1960-2006

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par Corneille YAMBU -A- NGOYI
Université de Kinshasa - DES 2005
  

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CONCLUSION GENERALE.

Au terme de nos analyses sur l'institutionnalisation du pouvoir et la fondation de l'Etat en République Démocratique du Congo, un choix difficile s'offre à notre esprit entre la synthèse de l'oeuvre élaborée aussi utile que des repères sur une voie tortueuse et les perspectives s'imposant comme une boussole, guide nécessaire sur une mer agitée. Le balancement entre les deux pôles étant susceptible d'engendrer des graves lacunes, il nous semble important d'opter pour une approche globalisante.

Dans une première partie, le cadre conceptuel a permis de clarifier les notions au centre de nos recherches, à savoir l'Etat et le pouvoir dans leur simplicité autant que dans leur complexité. Il a été possible de démontrer le lien indissoluble entre l'existence de l'Etat et l'institutionnalisation du pouvoir, de démontrer que sans elle, la survie de l'Etat est quasi impossible car étant périodiquement compromise par les conflits du pouvoir dont effet le plus néfaste est la disparition même des attributs du pouvoir d'Etat ou de l'une des conditions de son existence.

Il était impérieux, en toute logique de s'apaisentir sur le concept d'institutionnalisation lequel suppose la bonne compréhension du terme institution que nous avons défini. Notre préoccupation majeure ayant été de pénétrer les profondeurs de la situation congolaise en vue de contribuer à la renaissance et à la stabilisation de l'Etat, il fallait en guise de diagnostic préalable à toute thérapeutique, disséquer le parcours historique du Congo pour confronter chaque fois l' « Etat » et le « pouvoir » tels que dessinés par les lignes constitutionnelles et animés par les acteurs politiques mais en rapport avec les données impartiales de l'approche théorique. Cet exercice laborieux de soumettre le phénomène congolais à l'éclairage du principe universel ou scientifique a constitué la seconde partie de notre travail. L'interrogation sur l'institutionnalisation du pouvoir et l'avènement de l'Etat en République Démocratique du Congo s'est déroulée successivement à travers la loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, la constitution du 1er août 1964 dite de Luluabourg, la constitution du 27 juin 1967, l'Acte constitutionnel de la transition du 09 avril 1994, le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 28 mai 1997 relatif à l'organisation et à l'exercice du pouvoir en République Démocratique du Congo, la constitution de transition du 03 juin 2003 et enfin, la constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2005. Nous avons constaté que les constitutions congolaises, exceptée la constitution de la transition du 03 juin 2003 n'ont point réussi à s'imposer sur les pratiques du pouvoir individualisé, aucune constitution n'a pu assumer sa fonction fondamentale de dissocier le siège du pouvoir d'avec ses détenteurs. Le constitutionnalisme congolais est demeuré de façade et, n'a pu marquer la conscience collective des congolais ni parmi les cadres encore moins parmi les masses. Cela est d'autant vrai que la jurisprudence constitutionnelle congolaise au cours de cette période est lamentablement pauvre.

L'encadrement juridique par la voie constitutionnelle semblait étrangère à la mentalité congolaise; dans les années soixante, le Président Mobutu était l'homme tout, au dessus de la constitution, des lois et de l'Etat il a joui dans la conscience collective congolaise d'un prestige supérieur à la loi fondamentale et à  la constitution de Luluabourg au point que les institutions politiques autant que l'armée évoluaient au gré de sa volonté pendant que le peuple dans sa plus grande majorité le redoutait ou l'idolâtrait. Le régime d'avant 1965, dit de la première République fut caractérisé par une crise politique chronique attribuée du moins sur le plan juridique aux ambiguïtés de la loi fondamentale dont l'article 22 autorisait la révocation du Premier Ministre, sans déterminer ce qu'il adviendrait en cas de l'opposition du Parlement. Le manque de maturité politique est aussi évoqué pour justifier cette crise. Nous avons été particulièrement intéressés par ses incidences sur le pouvoir et sur l'Etat. Ni l'un ni l'autre n'ont connu un sort heureux. Dans une agitation politique permanente, le pays s'est retrouvé avec un pouvoir fragmenté, un territoire morcelé et une population écartelée. L'institutionnalisation du pouvoir n'a pas été possible. L'on pouvait constater que l'indépendance ou la décolonisation avait accouché d'un Etat « avorton » du fait que toutes les trois conditions d'existence de l'Etat à savoir, la puissance publique, le territoire et la population étaient défaillantes. De même que la souveraineté sous ses deux aspects ainsi que la personnalité juridique du pays était compromises.

La période des années soixante dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix connut une stabilité politique fondée malheureusement non sur la qualité du pouvoir et le mérite de la constitution mais sur le charisme et l'autoritarisme du Président Mobutu qui rendit l'idée de la constitution aussi banale qu'une simple lettre que son auteur traiterait au gré de ses caprices. Ce régime controversé en ce qui concerne son classement numérique parmi les régimes congolais est distingué par une concentration à outrance des pouvoirs entre les mains d'un homme qui devint à un moment l'Exécutif et le Législatif réunis. La confusion des pouvoirs rendit facile leur personnification.

La constitution du 27 juin 1967 plutôt que de servir d'instrument d'institutionnalisation du pouvoir produisit l'effet contraire par le génie politique du Président Mobutu. La plupart des révisions subies par ladite constitution consistèrent à renforcer toujours de manière croissante son pouvoir et le parti unique le M.P.R. Sous ce régime peut-on parler de l'Etat ? Notre réponse est négative. Elle se fonde telle que nous l'avons montré sur l'absence d'un pouvoir institutionnalisé sans lequel il n'y a pas d'Etat. ce pouvoir doit régner sur des peuples libres et souverains. L'« Etat » mobutien ressemblait parfaitement à l' « Etat » léopoldien. Chacun exerçait un droit de propriété avec tous ses attributs sur les sujets et les biens du Congo. Nous avons montré l'incompatibilité profonde d'un tel pouvoir avec l'idée d'Etat au sens scientifique du terme sous tous les angles. Et pourtant, les trois conditions d'existence de l'Etat étaient bien remplies du moins en apparence. Mais les publicistes avisés parmi lesquels nous avons cité G. Burdeau, Bibombe Muamba, E. Mpongo, M. Prélot reconnaissent que ces conditions dites également éléments constitutifs ne suffisent pas ni dans leur réunion ni pris isolement et insistent sur la mutation qualitative du pouvoir politique, du caractère patrimonial à la forme institutionnelle ainsi qu'à l'adhésion du peuple à la réalisation de l'intérêt général. S'il faut dans tous les cas parler de l'Etat sous le règne du Président Mobutu, nous disons qu'il s'est agit d'une fiction d'Etat autocratique à l'instar du fameux Etat indépendant du Congo ou parlerons-nous d'un « Etat zombi ». Une tentative de réanimer l'avorton de l'Etat post-colonial comme un éventail par la manipulation sans se soucier de soigner le mal dont il s'est éteint : le non respect des règles constitutionnelles relatives à la conquête et à la transmission du pouvoir. Montrant l'absence de l'Etat entant qu'institution sous Mobutu, nous avons dit qu'aussitôt qu'il a déclaré se retirer de la gestion politique et de son parti, tout s'est effondré comme les membres mous d'un mannequin de chiffons dont les fils de soutènement se sont brisés, l'« Etat », le parti, l'Armée, etc. qui n'étaient que son ombre et non des institutions au sens organique disparurent avec lui.

Nous en avons conclu que l'institution étant caractérisée par la dissociation avec ses fondateurs et ses membres, a la capacité de leur survivre. Or l'histoire politique et constitutionnel de notre pays est jalonnée d'organes dits « institutions » politiques ou partis politiques qui ne durent que la vie de leurs fondateurs personnes physiques. Dans le même ordre d'idées, on découvre une logique dans la précarité des « institutions » congolaises. Elles sont apparemment basées sur l'acte créateur : la constitution. Mais la constitution étant souvent la transposition ou le camouflage juridique de l'assouvissement d'intérêts personnels du « prince » : du chef de l'Etat ou du Premier Ministre selon les régimes, elle ne tire sa force que de la vertu charismatique de celui-ci. A sa disparition, même la constitution supposée être le fondement de son pouvoir disparaît aussi. Il s'en suit enfin la disparition des institutions secrétées par la constitution souvent par un coup d'Etat. Ce fut le mode en Afrique noire post-coloniale pendant la première décennie des indépendances. La même situation a prévalu au Congo. Il y a lieu de douter de la valeur de ces « institutions » qui ne survivent guère à leur fondateurs, et du caractère politique d'un pouvoir appelé à disparaître chaque fois avec ses détenteurs. Dans la théorie juridique du Doyen Hauriou, comme l'observe Jean Jacques Yoka Mampunga l'institution politique est un concept fondamental défini comme une organisation sociale, créée par un pouvoir, dont l'autorité et la durée sont fondées sur l'acceptation de la majorité des membres du groupe, et qui repose sur un équilibre de forces ou une séparation de pouvoirs. En assurant une expression ordonnée des intérêts adverses en présence, elle assure un état de paix sociale qui est la contre partie de la contrainte qu'elle fait peser sur ses membres498(*).

La révision constitutionnelle de 1990 par la loi n° 90-002 du 5 juillet 1990 portant révision de certaines dispositions de la constitution, a marqué le commencement de la fin du régime autoritaire du Président Mobutu en introduisant le multipartisme ainsi que les principes classiques de la démocratie libérale dans l'ordonnancement constitutionnel. Cela aurait pu aboutir à l'institutionnalisation du pouvoir et à la réfondation de l'Etat congolais. Mais encore une fois la personnalité du Président Mobutu s'est révélée plus forte que le droit. Entre 1994 et 1997, la société congolaise alors « zaïroise » est demeurée sous la domination d'un pouvoir à double visage : d'une part fondé sur l'Acte constitutionnel de la transition du 04 avril 1994, instituant un régime parlementaire issu du compromis politique global du 31 juillet 1992 et de la Conférence Nationale Souveraine et, d'autre part, fondé sur les « pratiques » politiques de Mobutu, exerçant quand il veut un pouvoir sans base juridique mais ayant souvent plus de force que la loi, fut-elle constitutionnelle. La conséquence d'une telle situation fut l'échec de l'institutionnalisation du pouvoir. La conjugaison des forces internes et externes firent basculer le « baobab » lequel secoué jusqu'aux racines, s'effondra pour de bon. Le gouvernement, le parlement, l'Armée et le MPR toute la création du Maréchal Président disparurent avec sa fuite précitée au Maroc le 16 mai 1997. Nous avons démontré que s'il y avait un Etat au sens juridique ou sociologique du terme, il aurait survécu en tant qu'institution des institutions. Mais non. Il disparu jusqu'au nom qui le symbolise « Zaïre » ainsi que ses emblèmes : « drapeau vert-clair orné au centre d'un cercle jaune dans lequel figure une main droite tenant un flambeau à la flamme rouge ». Comment a-t-il été possible qu'avec Mobutu l'hymne national, la devise et les armoiries de l'« Etat » aient disparu. Ainsi la « zaïroise » comme hymne national a été remplacé par le « débout congolais », « paix - justice - travail » comme devise, par « Démocratie - justice - unité », les armoiries marquées par la tête du Léopard se substituèrent à la tête du Lion. L'explication majeure à cet anéantissement en un jour d'une oeuvre de plusieurs décennies est liée l'absence de cette acceptation de la majorité de membres du groupe reposant sur l'équilibre des forces dont Hauriou a parlé et dont nous venons de parler lorsqu'il s'agit d'une institution. Nous avons retenu que l'acte constitutionnel de la transition n'a pas réussi à métamorphoser le pouvoir politique pour générer une nouvelle culture politique et de ce fait a échoué à recréer l'Etat au Congo jusqu'au 28 mai 1997.

L'étude du pouvoir sous le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 28 mai 1997 nous a fait voir la similitude entre les pratiques du MPR et les pratiques de l'AFDL caractérisée par le désir de concentration de pouvoirs au profit d'un seul homme incarnant l'exécutif, à savoir le Président de la République qui, par moment, cumule également les compétences législatives ou crée un Parlement sur mesure caisse de résonance de ses ordres. Il s'en suivit une situation de crise de légitimité aussi aiguë que celle des années soixante et qui mit en pièces l'« Etat - zombi » ou avorton dont les membres inanimés se trouvèrent éparpillés : un pouvoir sur trois zones de contrôle, Kinshasa-Goma-Gbadolite ; un territoire morcelé est complètement désuni, une population esclavagisée ou libérée selon le camp où on se trouve, une souveraineté méconnue et une personnalité juridique perdue. Une collectivité sociale correspondant à ce tableau ne peut rien être que l'Inti-thèse de l'Etat. A moins qu'il ne s'agisse d'un Etat caricatural. Tel fut le sort de la République Démocratique du Congo après le déclenchement de la guerre du 02 août 1998 où les armées de neuf pays de la région furent directement impliquées sur le sol congolais « chosifiant » à moindre prix les fils et les filles du Congo. Qui doit en porter la responsabilité ? Sans douter de la pertinence de cette question nous disons qu'elle n'est pas l'objet principal de notre réflexion. La meilleure, qui nous intéresse est « comment en arrive - t - on là et comment arrêter cela » ?

Le pouvoir non institutionnalisé est la cause de ces maux. Il est aussi dévastateur qu'une flamme entre les mains d'un enfant inconscient à l'intérieur d'une maison, et la paix que procure les régimes dictatoriaux par la terreur ressemble au calme précaire qui précède la tempête. Tout détenteur du pouvoir politique suprême, investi par la constitution, légitime ou non qui s'obstine à sortir systématiquement du cadre constitutionnel espérant régner ou gouverner par le charisme, la terreur ou la démagogie est en ces temps comme quiconque poserait une flamme sur un fil relié à une dynamique. Quelle que soit la longueur du fil le danger est bien évident. La sentence est en sursis. En combattant le régime du pouvoir personnalisé l'AFDL a produit une réplique du même pouvoir jusqu'au 16 janvier 2001 date du décès du Président Kabila, sans reconstruire l'Etat ni susciter une mutation du pouvoir.

Les forces belligérantes coalisées contre le pouvoir de l'A.F.D.L. n'ont pas réussi à le vaincre par les armes et pendant les cinq années de guerres nous pourrions dire que faute de restaurer un Etat viable fondé sur un pouvoir statutaire, la plupart des chef de guerres se sont révélés sous la duplication des dictateurs qu'ils ont combattu et les espaces contrôlés ainsi que leurs sujets n'ont pas joui des fonctions louables des Etats ou des Administrations étatiques. Il a fallu attendre la constitution de la transition. Entre le 30 juin 2003 et le 18 février 2006, le pouvoir politique régi par la constitution de la transition est un régime sui generis sous la formule restée célèbre de 1 + 4. c'est-à-dire un Président de la République assisté par quatre Vice-Présidents au sein d'un gouvernement formé des ministres et vice-ministres avec lesquels le Président de la République et ses Vice-Présidents composent le gouvernement et l'exécutif. Lequel se trouve en face d'un Parlement bicaméral.

Les deux institutions composées de membres désignés conformément à l'Accord global et inclusif sur base d'un partage négocié des postes, sont dans un parfait équilibre des forces. Bien qu'à la tête de l'Exécutif et présidant le Conseil de Ministres, le Président de la République ne dispose d'aucun pouvoir de sanction ou de révocation d'un membre du gouvernement comme en régime présidentiel. Il est lié dans son pouvoir de nomination et de révocation, par la volonté des composantes et entités. Il ne peut dissoudre le Parlement lequel ne peut renverser le gouvernement ni par motion de censure ni par question de défiance comme en régime parlementaire. C'est un régime hors de classification classique selon nous. Mais notre attention a porté sur la forme du pouvoir et le sort de l'Etat. Nous avons constaté que la constitution de la transition est la seule à avoir secrété des institutions ayant fonctionné jusqu'à son terme dans un équilibre des forces sans que le Président de la République ait réussi à y faire obstacle complètement. Les institutions politiques de la transition ont fonctionné effectivement jusqu'à la promulgation de la constitution de 18 février 2006.

Du point de vue théorique, l'agencement des pouvoirs sous l'empire de la constitution de la transition ne laissait place à aucune possibilité de personnification ou individualisation du pouvoir. Plusieurs garde-fou à la dérive autoritaire sont posés : la réaffirmation du pluralisme politique et syndical, le principe du consensus, le traitement préalable des matières relatives à la conduite de l'Etat au sein des réunions restreintes entre le Président de la République et les Vice-Présidents de la République, conformément à l'article 82, la limitation du pouvoir du Président de la République par l'exigence de discuter préalablement des projets de ses décrets au Conseil de Ministres après un traitement antérieur au niveau de l'une de quatre commissions gouvernementales dont est en charge mutatis mutandis chaque Vice-Président de la République.

Du point de vue pratique, les soubresauts n'ont pas manqué quant à l'application de la constitution de la transition. Mais plusieurs facteurs déterminants ont joué pour calmer la tempête : la disponibilité du leadership de l'Exécutif à la concertation, quelle que soit la gravité de la divergence, le comportement politique du Président de la République en clin plutôt au recours au juge constitutionnel, c'est-à-dire au droit plutôt qu'à l'abus de la force ou du pouvoir499(*), l'encadrement permanent de la Communauté internationale institutionnalisé par l'Accord global et inclusif à travers le Comité international de suivi composé des Ambassadeurs des membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, l'assistance assidue aux moyens considérables de la Mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo (MONUC), l'attention particulière de l'Union Africaine et surtout de l'Union Européenne. Sous l'empire de la constitution de la transition on peut constater la réalité du nouveau constitutionnalisme africain par l'irruption du constitutionnalisme dans le débat politique et l'affirmation de la suprématie constitutionnelle comme l'observe Albert Bourgi500(*). Que fallait-il penser du pouvoir et de l'Etat sous la constitution de la transition ? Le pouvoir a connu un début d'institutionnalisation. Ses détenteurs n'en étaient pas des propriétaires.

La constitution a rempli avec succès son rôle de statut de gouvernants. Le pouvoir s'est exercé sous la forme non personnalisée et les conditions d'existence de l'Etat reconstituées dans leur débris ont refait surface : le gouvernement, le territoire et la population. En plus, les critères de définition de l'Etat ont retrouvé la clarté par la réaffirmation de la souveraineté nationale et internationale ainsi que de l'intégrité territoriale du Congo par le Conseil de sécurité, par l'exigence de retrait des troupes étrangères et par la condamnation de leur retour par la même instance. A cela s'ajoute l'expression de la volonté nationale congolaise unique sur le plan international comme manifestation d'une personne morale de Droit public unique agissant pour tous. C'est la réaffirmation de la personnalité juridique.

L'analyse du pouvoir sous la constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 nous projette dans le second aspect de notre conclusion : les perspectives. Entre la promulgation de la dite constitution et la fin effective de la transition plane un flottement.

Par rapport au présent et à l'avenir, quelques interrogations d'un intérêt évident sont permises ayant trait:

- au fondement juridique des compétences des gouvernants actuels issus de la constitution abrogée ;

- à la fin de la transition et à la promulgation de la constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006.

- à la date qui marque la fin de la période de transition . Est-ce la date du 30 juin 2006 accomplissant les 24 mois, période limite dévolue à la transition conformément à l'article 196 alinéa 1er in fine ou celle de l'investiture du Président de la République élu conformément à la même disposition ?

Sur le plan pratique, nous disons que ces préoccupations sont fondamentales car un moindre dérapage politique prend au Congo des proportions incendiaires dont les effets dévastateurs durent très longtemps. La réponse à la première préoccupation se trouve dans les deux textes constitutionnels . Dans la constitution de la transition du 04 avril 2003, l'article 1er alinéa 2 dispose que l'Accord global et inclusif et la constitution constituent la seule source du pouvoir. Ainsi la base juridique des compétences des institutions de la transition est posée dans ces deux actes politique et juridique. Il s'est fait que cette constitution soit abrogée avant la fin de la période de la transition et qu'elle soit remplacée par la constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006.

En effet, l'article 205 de la constitution de la transition dit que « la constitution de la transition cesse de produire ses effets à l'entrée en vigueur de la constitution adoptée à l'issue de la transition ». En promulguant la nouvelle constitution en cours de la transition, on peut penser que cette disposition n'a pas été suivie. Il s'est posé un problème qui justifierait cela ; Il n'était pas possible d'organiser les élections sans la loi électorale laquelle elle-même est liée à la constitution. D'où l'impérieuse nécessité de la promulgation anticipée. La nouvelle constitution offre également une base juridique aux prérogatives des institutions d'avant les élections à l'article 222 alinéa 1 qui prévoit : « les institutions politiques de transition restent en fonction jusqu'à l'installation effective des institutions correspondantes prévues par la constitution et exercent leurs attributions conformément à la constitution de la transition ». La combinaison des articles 222 ci-dessus et l'article 228 de la nouvelle constitution rend claire la volonté du constituant de respecter le consensus de Sun City, c'est-à-dire la constitution de la transition en ce qui concerne les prérogatives des institutions créées à la suite de l'Accord politique. La parfaite compréhension serait que la constitution de la République Démocratique du Congo abroge l'ancienne constitution sauf dans ses dispositions relatives aux institutions de la transition avant leur remplacement par celles issues des élections. C'est dans ce sens selon nous que l'article 228 de constitution du 18 février 2006 doit être compris. En effet, il est dit : « sans préjudice des dispositions de l'article 222 alinéa 1, la constitution de la transition du 04 avril 2003 est abrogée ».

Dans le même ordre d'idées, il sied de répondre à la deuxième préoccupation sur la fin de la transition en relevant d'abord les thèses et les anti-thèses. Pour les uns la constitution de la nouvelle République aurait mis fin à la transition dont le support constitutionnel est abrogé : la constitution de la transition. Ils enchaînent de même que l'Accord global ne serait plus la source du pouvoir dès lors que le peuple souverain a approuvé le référendum relatif à la nouvelle constitution. Dans le même sens certains pensent que le Président de la République reconnu comme seule institution politique pourrait demeurer en fonction en application des articles 64 de la constitution de la transition et de l'article 222 de la nouvelle constitution. En effet, l'article 64 de la constitution cite le Président République parmi les institutions politiques sans reprendre les Vice-Présidents de la République qui ne seraient pas constitutionnellement des institutions politiques au sens de l'article 222 précité.

L'anti-thèse de ces courants est la tendance qui soutient que la période de la transition se poursuit jusqu'au remplacement des institutions de la transition par celles issues des élections conformément à l'article 196 de la constitution de la transition selon lequel la durée de la transition est de vingt quatre mois et qu'elle court à compter de la formation du gouvernement de transition et prend fin avec l'investiture du Président de la République élu à l'issue des élections marquant la fin de la période transitoire en République Démocratique du Congo. La même disposition prévoit une durée de six mois renouvelable une seule fois. Il faut noter qu'à ce jour ce délais a été prorogé une fois et que juridiquement il n'y a plus une autre voie juridique de tenter une extension de la période transitoire sauf à croire que la disposition précitée est abrogée.

En une synthèse, il importe de rapprocher les tendances en tenant compte des interprétations théologique, génétique et systématique, pour découvrir la ratio legis des dispositions concernées, pour les associer avec d'autres et les replacer dans le contexte général de la période de transition. Il résulte de cet exercice que la constitution de la transition est une tentative ultime du Congo par ses délégués au Dialogue inter congolais de résoudre le problème de légitimité cause des guerres civiles à répétition. Les institutions politiques de la transition sont justifiées par la volonté de tous de retrouver la paix. Au delà des textes constitutionnels, il est convenable d'en sonder l'esprit.

Pour cela, il est utile de considérer les objectifs de la transition dont les principaux sont :

- La réunification, la pacification, la reconstruction du pays, la restauration de l'intégrité territoriale et le rétablissement de l'autorité de l'Etat sur l'ensemble du territoire national ;

- La réconciliation nationale ;

- La formation d'une armée restructurée et intégrée ;

- L'organisation d'élections libres et transparentes à tous les niveaux permettant la mise en place d'un régime constitutionnel démocratique ;

- La mise en place des structures devant aboutir à un nouvel ordre politique.

Ces objectifs découlant de l'Accord global et inclusif devraient servir de balisage.

De ce qui vient d'être dit, nous pouvons tenter une réponse à la question de savoir si la nouvelle constitution met fin à la transition avant terme. Sur le plan formellement juridique la réponse est selon nous négative car aucune disposition de la constitution de la transition du 04 avril 2003 ne lie la fin de la période de transition à la promulgation de la nouvelle constitution. En plus, prétendre que la transition étant arrêtée par le fait de la nouvelle constitution, les institutions non reprises dans la nouvelle constitution tombent laissant au Président de la République seul le champ politique nous semble erronée.

En effet, le Président de la République est compté parmi les institutions politiques de la transition. Le fondement de sa légitimité ne procède pas de la nouvelle constitution par les élections qui n'ont pas encore eu lieu mais du compromis politique de Sun City par l'Accord global et inclusif. C'est là le fondement politique devenu la base légale par l'intégration à la constitution, de toutes les institutions politiques du pays. L'ordre politique entier repose sur cette logique. Par ailleurs, le nouvel ordre politique n'est pas encore mis en place. Il faut alors retenir que la promulgation de la nouvelle constitution ne met pas fin à la période de transition. Mais à quand la fin de cette période  pour répondre à la troisième préoccupation.

Nous l'avons dit dans les lignes précédentes la constitution de la transition et la constitution de la République Démocratique du Congo contiennent des ambiguïtés dangereuses :

- La durée de 24 mois posée en termes claires à l'article 196 de la constitution de la transition ainsi que les conditions, et le délais de prorogation pour 6 mois renouvelable une seule fois est sans équivoque lorsqu'on se place sur la logique numérique, en comptant à partir du 30 juin 2003 date de la formation du gouvernement de transition. Vu sous cet angle, la période de transition se termine le 30 juin 2006. Après cette date le pouvoir politique sera sans base légale et sans légitimité en ce qui concerne toutes les institutions de la transition, y compris le Président de la République ;

- L'expression selon laquelle la période de transition prend fin avec l'investiture du nouveau Président de la République formulée à la même disposition ne peut logiquement se comprendre comme une volonté du même constituant de prolonger la période de la transition au delà du temps numériquement fixé.

Le simple bon sens impose que le constituant de la transition entendait circonscrire la dite investiture dans la période indiquée dont les échéances ultimes seraient les élections. Il n'y aurait aucun problème si le calendrier électoral demeurait dans ses limites. Mais du fait que toutes les opérations électorales sont accomplies conformément à la loi n° 06/006 du 09 mars 2006, et que malgré tout, les élections ne peuvent se tenir avant le 30 juin 2006 date de la fin constitutionnellement admise de la période de transition, le problème juridique et politique qui se pose est réel.

Les efforts d'institutionnalisation du pouvoir amorcé depuis le 04 avril 2003 sont gravement compromis. Sans les élections aucun pouvoir institutionnalisé n'est possible car le détenteur du pouvoir après le 30 juin le fera sans mandat du peuple et sans aucun support légal valide. Il sera dépourvu de la légalité et de la légitimité. Or le vide politique est pire que l'illégitimité. Avant les élections aucune autorité n'a compétence de proroger encore le délais de la période de transition. Certains croient voir la solution dans l'existence de la constitution de la troisième République car dirait-on il n'y a pas de vide juridique. Un tel raisonnement est formellement défendable mais il est dépourvu d'intérêt pratique dans la mesure où le constituant s'est voulu tellement démocratique que toutes les institutions politiques consacrées par la constitution de la République Démocratique, sont issues des élections à tous les niveaux. Le Président de la République issu des élections tel que nous l'avons montré, constitue l'Exécutif avec un gouvernement composé d'un Premier Ministre issu de la majorité ou désigné après consultations, des vice-premiers ministres, ministres d'Etat, ministres et vice-ministres, en face d'un Parlement dont les membres de deux chambres sont également élus. Il est aisé de voir qu'entre le 30 juin 2006 et les prochaines élections il est impossible d'appliquer la nouvelle constitution en ce qui concerne l'organisation et l'exercice du pouvoir.

En considération du passé et du présent, il y a lieu de retenir pour l'avenir que l'apparente institutionnalisation du pouvoir et la renaissance de l'Etat au Congo sous la constitution du 04 avril 2003 est trompeuse et factice. Elle est plus l'oeuvre des garanties internationales par lesquelles le CIAT et l'ONU veillent au chevet du Congo comme sur un bébé prématuré dans une couveuse que du constitutionnalisme congolais. L'avenir très proche sans ces garanties n'offre pas de sécurité faute du consensus politique et de culture politique. Face au dilemme de la fin de la période de transition les pistes de solutions raisonnables et efficaces peuvent être soit celles de renégociations politiques pour canaliser le cadre d'une prolongation aussi courte de la transition sur base d'un acte juridique avant la date du 30 juin 2006 soit celles de la tolérance fondée sur la disposition selon laquelle la transition prend fin par l'investiture du nouveau Président de la République élu pour supporter les quelques mois de prolongation.

Que faut-il conclure de l'institutionnalisation du pouvoir et de la ré fondation de l'Etat en République Démocratique du Congo ? Il s'impose un choix entre deux voies choisies par les pays africains au Sud du Sahara : une pour l'émergence de l'Etat et sa consolidation par un constitutionnalisme affirmé et efficace et, une autre pour le pouvoir personnalisé soutenu par un constitutionnalisme hypocrite, instrumentalisé, obstacle à alternance politique selon les règles démocratiques.

Dans la première, on trouve notamment, le Bénin et le Sénégal dont la vie politique est constamment encadrée par les constitutions au sens formel et matériel du terme. Dans ces pays l'institutionnalisation du pouvoir est effective et pour nous l'Etat y est né au sens juridique du terme et survit grâce non simplement au fait de la décolonisation mais du fait de la mutation qualitative du pouvoir politique dont le siège n'a pas été un Kérékou ou un Senghor mais leurs Etats sous tendus par la constitution. Ni les institutions politiques ni leurs Armées, n'ont chancelé avec la sortie de la course des détenteurs du pouvoir politique suprême. C'est là la preuve éloquente que l'Etat en tant qu'institution des institutions était le seul cadre des fonctions politiques dont les présidents de la République précités n'étaient que de simples agents.

En effet, dans ces pays, les acteurs politiques engagés dans le processus de démocratisation ont tenté de trouver les voies d'opérer de véritables changements. La cause du progrès politique dans ces pays c'est plus la capacité des Présidents de la République en exercice, avant les échéances électorales à se soumettre aux règles constitutionnelles limitant le nombre de leurs mandats et les excluant pour limite d'âge, que la perfection des textes constitutionnels eux-mêmes. Au Sénégal l'article 27 de la constitution adopté par référendum du 7 janvier 2001 relative à la durée du mandat présidentiel est insusceptible de révision sans une loi référendaire ou constitutionnelle. Dans le même ordre d'idées, les Présidents de la République du Bénin M. Kerekou et Soglho se sont conformés à l'esprit et à la lettre de la loi n ° 90632 du 11 décembre 1990 portant constitution de la République du Bénin précisément en ses articles 42 et 43 sans chercher une manipulation politique en vue d'une révision intempestive qui leur soit favorable. Ils ont chacun rendu le tablier se pliant avec élégance à la force du droit, à la vérité des urnes sans gêner le jeu démocratique tel qu'organisé par la constitution. C'est là une grande leçon dont les Chefs d'Etat congolais ont grandement besoin pour l'édification d'un Etat non fictif.

La seconde voie est celle des pays où le pouvoir politique souffre encore du caractère patrimonial au point que les constitutions dans leurs dispositions relatives au mandat politique subissent systématiquement les humeurs des gouvernants. Cela compromet non seulement l'institutionnalisation du pouvoir mais aussi celle de l'Etat. La République Démocratique du Congo est appelé à sortir de cette voie.

Malgré le caractère démocratique de la nouvelle constitution, la réfondation de l'Etat au Congo reposera d'abord et davantage sur la constance du Président de la République en exercice , à se conformer à la règle du droit comme il l'a fait jusqu'à présent, ensuite sur la volonté des animateurs de la transition du 30 juin 2003 d'en faire autant par leur engagement à renoncer définitivement aux armes lesquelles depuis 1960 ont fait preuve d'inefficacité à régler la question du pouvoir légitime au Congo, et enfin sur tous les acteurs politiques congolais non engagés dans le processus électoral par leur lucidité à comprendre qu'ils ne peuvent pas renier l'aboutissement de leurs combat en faisant obstacle aux résultats des élections du 30 juillet 2006.

A l'instar du Mali, de la République Sud-Africaine, du Ghana, de la Zambie, du Sénégal, du Mozambique pour ne citer que ces pays là où le sort de l'Etat n'est plus lié au sort d'un homme soit-il puissant ou charismatique grâce à l'institutionnalisation du pouvoir politique par la vertu constitutionnelle, la République Démocratique du Congo grâce à la volonté politique de ses princes peut se construire en Etat stable.

Nous terminons en disant que contrairement à l'opinion générale selon laquelle le peuple congolais n'est pas mûr, ce peuple n'est pas très différent des autres mais jusqu'à 2003 il n-a pas eu à sa tête un Président de la République qui croit en la vertu du droit. Nous croyons pour notre part que les peuples sont le produit ou les reflets de leurs princes. Celui qui tient les rênes du pouvoir suprême et ceux qui le contestent ont tous un choix historique à faire : consolider l'embryon étatique né du processus transitoire fondé sur la constitution de la transition du 04 avril 2003 et , sur le nouvel ordre politique institué par la constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 ou lui donner la mort et l'enterrer par des querelles politiciennes par lesquelles leurs prédécesseurs en ont fait autant dans les années antérieures. L'exercice du pouvoir autant que sa contestation peuvent dignement se faire dans le cadre tracé par la constitution sans que les uns s'en accaparent comme un bien privé poussant les autres à les combattre par des moyens non constitutionnels. C'est à ce prix que l'institutionnalisation effective du pouvoir est possible pour la renaissance et la stabilité de l'Etat en République Démocratique du Congo.

* 498 YOKA Mampunga (J.J), Analyse critique des aspects politiques de la constitution de transition de la R.D.C., in « la nouvelle constitution de la R.D.C : aspects juridiques, politiques, économiques et socioculturels », publications de la fondation Konrad Adenauer, Décembre 2003, p. 53.

* 499 Plusieurs fois le juge constitutionnel fut saisi en interprétation ou pour donner son avis.Voir notamment l'Avis consultatif qrl 09 de la CSJ. du 20 janvier 2004.

* 500 Bourgi (A.), constitutionnalisme africain, chinois et au Québec, la réalité du nouveau constitutionnalisme africain, http : //www.univ_reins, fr/Labos/CERI/La réalité du nouveau constitutionnalisme africain. htm. p. 1. 7-8 octobre 1998.

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