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Engagement politique et associatif des femmes en Mauritanie. Le « négoféminisme maure »: entre stratégies féminines et pratiques informelles du pouvoir politique

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par Nejwa El Kettab
Université de Picardie Jules Verne - Master 2 recherche sociologie 2012
  

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d) Prolifération d'associations féminines : Typologie des différentes associations existantes,

leurs rôles et leurs fonctions dans la société civile.

C'est cette « démocratie islamique » fondée sur une lecture modérée du Coran qui favorise le maintien d'une forme d'une dynamique féminine que l'on retrouve sur la scène politique. En effet, cette autonomie féminine maure étant tout de même limitée comme nous l'avons expliqué au préalable, la femme reste avant tout un être mineur, fragile, et surtout en dehors des hautes instances décisionnelles. En effet, les décisions politiques, le pouvoir tribal et la gouvernance du pays restent entre les mains des hommes et la femme ne peut y participer que d'un point de vue informel. C'est la raison pour laquelle la femme mauritanienne engagée est largement plus représentée dans la société civile pour des revendications relatives aux affaires sociales, à savoir une sphère monopolisée historiquement par la femme maure.

féminines ayant pour vocation de défendre les intérêts liés aux affaires sociales, au droit de la famille, à la protection de l'enfance mais aussi en ce qui concerne les politiques paritaires, l'émancipation de la femme et son accès à l'éducation. Ce phénomène se traduit également par la création du ministère de la femme, qui deviendra plus tard le ministère des affaires sociales17.

Les interventions de ces associations sur le terrain peuvent prendre diverses formes : collaboration étroite avec l'Etat pour la mise en place de politiques garantissant ces droits, interventions dans le milieu rural pour sensibiliser sur des questions sanitaires les population les plus reculées et précaires, des campagnes luttant contre l'analphabétisme,...

L'empreinte féminine sur les politiques sociales en Mauritanie est considérable, on peut parler d'une « gauche féminine ». On peut reprendre l'analyse de Pierre Bourdieu du pouvoir politique en France en distinguant la Droite de la Gauche : La Droite qui serait « masculine » car elle privilégie les questions économiques et financières orientant l'activité politique alors que la Gauche souvent associée à un intérêt particulier porté sur la sphère sociale : la sécurité sociale, la démocratisation de l'éducation, etc. ce qui la rend dans la conscience collective : « féminine » car plus proche des affaires sociales. Il en va de même s'agissant du paysage politique mauritanien, on peut appliquer ce schéma analytique sur la répartition du pouvoir en Mauritanie dans la mesure où il existe une forme de division politique entre les hommes et les femmes. Une division du pouvoir pas forcément source de parité puisqu'elle crée un espace limité où l'activité des femmes est tolérée. C'est la formation de ces espaces de pouvoirs qui attire notre attention ici car c'est un phénomène qui renferme une idéologie que l'on retrouve de façon universelle à savoir : le confinement de la femme dans l'espace privé et donc l'espace domestique. La particularité de la Mauritanie s'illustre par le fait que les femmes en ont fait une source d'engagement dans la vie active et politique.

17 Ce qui met en évidence l'association de la condition féminine aux questions sociales ( famille, enfance, etc.).

Associations officielles répertoriées au jour d'aujourd'hui en Mauritanie :

· SOS Exclus (pour la protection et l'épanouissement de la famille, de l'enfant et des personnes vulnérables)

· Réseau femmes, solidarité et développement

· Association mauritanienne pour l'action contre la pauvreté et l'analphabétisme des femmes (AMAPAF)

· Forum national pour la promotion des droits de la femme et de l'enfant (FNPDFE)

· Association mauritanienne Espoir

· Association mauritanienne des pratiques ayant effet sur la santé des femmes et des enfants (AMPSFE)

· Réseau mauritanien pour les droits des femmes et de l'enfant et environnement (RMDFE)

· Association mauritanienne des femmes juristes (AMAFEJ)

· Association féminine de bienfaisance pour l'enfance SILATOU RAHIM18

· Association pour la défense des droits de la femme et de l'enfant

· Union mauritanienne des femmes entrepreneurs et commerçantes

18Terme en arabe désignant dans le langage religieux islamique, la charité et la bonté envers les autres


· Association mauritanienne pour la promotion de la famille

· Association mauritanienne pour la promotion du sport

· Association Mauritanie 2000

· Association mauritanienne pour la santé de la mère et de l'enfant

· Association des femmes et enfants démunis (ASFED)

· Association mauritanienne pour la promotion de l'enfant (AMPE)

· Réseau mauritanien pour la promotion des droits de la femme

· Organisation mauritanienne pour l'encadrement et le développement

· Association des femmes chefs de famille (AFCF)19

· Union des ONG de développement

· Association Stop-Sida

· Association pour le bien être familial et le développement durable

· Union des Coopératives féminines du Guidimakha (UCFG)

Ces associations ont pour mission de garantir les droits des populations dans le besoins, des droits s'accordant aux principes républicains pour une justice sociale. Les discours des femmes à la tête de ces associations convergents vers une idée de justice et de défense des droits de l'Homme dépassant le cadre traditionnel maure réputé pour être « féministe » par essence. La culture et les traditions ne suffisent plus pour s'adapter au contexte moderne démocratique.

J'ai, à cet effet, fait un entretien avec une des personnalités féminines les plus actives sur la
scène publique et faisant preuve d'un militantisme multi-sectoriel pour la défense des plus
opprimées (femmes, enfants, population précaire, ...). A la tête d'une association (AFCF), elle a

19.Association dont la présidente, Aminetou Mint El Moctar, femme très active sur le terrain et militante pour les droits de l'Homme, a été interrogé pour cette étude.

également milité sur d'autres fronts luttant contre des pratiques tels que le gavage, l'excision, les mariages précoces etc.

Aminetou mint El Moctar, Présidente de l'AFCF

(Association des Femmes Chef de Famille)
Le 18 mars 2012 à Nouakchott

Quel est votre parcours universitaire et social?

«J'étais une militante de la gauche dès les années 1970. J'ai commencé très jeune dans le mouvement des Kadihine. J'étais déjà militante pour la cause nationale du pays, pour les opprimés, pour les couches les plus marginalisées et particulièrement les femmes. Donc j'ai milité pour le changement (politique et social) de mon pays. J'ai participé aux mouvements qui militaient pour l'unité nationale. Depuis lors je milite pour l'égalité des femmes et des hommes. Pour l'accès des femmes aux décisions, pour la participation politique des femmes.»

« J'estime que vu l'ouverture de la société mauritanienne, particulièrement la société arabe (maure), elle est très ouverte et permet aussi à la femme une certaine indépendance que les autres femmes arabes n'ont pas. Nos traditions et nos coutumes ont permis à la femme une sorte d'émancipation innée dans la société maure. Celle-ci a des spécificités que l'ethnie négroafricaine n'a pas. On a gardé cette culture nomade, cette culture du désert où la femme devait prendre soin de son foyer durant les longues absences de son mari, ce qui la rend aujourd'hui assez indépendante. On prend ainsi en compte la place de la femme et on lui donne une certaine importance parce que dans le reste du monde arabe, la femme est sous le contrôle total du patriarcat. La femme mauritanienne a son indépendance dans sa famille. Son foyer la considère, elle a son mot à dire dans son foyer, on prend en compte sa parole. Depuis l'époque des émirats qui organisaient les tribus en Mauritanie, les femmes avaient leur mot à dire concernant les décisions à prendre. On écoutait la femme et on prenait en compte son avis. Tout ceci explique aujourd'hui le rôle et la place de la femme dans la société maure par rapport à nos soeurs dans les autres pays arabes. Mais ceci n'est qu'un aspect de la question. Il y en a d'autres. C'est-à-dire que malgré cette indépendance de la femme, elle reste tout de même sous le pouvoir des hommes parce que le dernier mot revient à l'homme. Car c'est l'homme qui dirige financièrement le foyer et c'est l'éducation des hommes qui prime, ce dernier étant considéré comme l'avenir de la famille, et celui sur qui on peut compter. C'est lui qu'on éduque au détriment de la fille. C'est à lui que revient les grandes décisions. Il est plus facile pour lui de trouver un travail que pour la femme, même s'ils avaient un même niveau universitaire. Dans le milieu administratif, ce sont toujours les hommes qui ont de meilleurs postes et de meilleurs salaires. La femme restera toujours son auxiliaire. On dit qu'on ne doit pas s'inquiéter pour la femme car elle finira par se marier mais c'est à l'homme en priorité de s'établir professionnellement et donc il faudrait privilégier son éducation et sa promotion. »

Dans la société maure, il y a une spécificité: les femmes ne prennent pas le nom de leur mari. Peut-on alors parler d'une forme d'émancipation symbolique parce qu'en réalité, ce sont les hommes qui bénéficient des avantages liés à l'indépendance financière et matérielle ? De plus, on constate dans les chiffres que le taux d'éducation des filles dans certaines régions est largement supérieur à celui des hommes. Que pensez-vous de tout ça ? Pouvons-nous parler d'une évolution ?

« S'agissant de l'éducation, il est vrai qu'à un moment donné, il y avait une surreprésentation des femmes dans l'enseignement primaire et secondaire pour la simple raison qu'il existe plus de femmes que d'hommes d'un point de vue démographique. C'est le résultat de plusieurs campagnes pour l'éducation des filles qui luttent contre l'analphabétisme. En effet, on ne peut pas accepter que la majeure partie de la population soit analphabète car il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes en Mauritanie. C'est une clé du développement durable. Mais quel est le taux de l'éducation féminine ? Dans l'enseignement primaire, il est assez élevé. Et plus on monte dans le niveau d'études, moins les filles sont représentées. Ceci s'explique par le taux de mariage précoce, la pauvreté puis comme je l'ai dit tout à l'heure, les familles donnent plus d'importance à l'éducation des garçons. Lorsqu'elles n'ont pas les moyens d'éduquer leurs enfants, elles privilégient l'éducation des garçons. Elles investissent plus dans l'éducation de ces derniers. Les filles deviennent comme une marchandise qu'elles « revendent » d'un point de vue matrimonial. Les filles sont à marier, les garçons sont à éduquer. Il existe une concentration démographique dans les régions rurales donc les filles sont plus présentes sur le terrain mais puisque ces régions sont les plus pauvres de la Mauritanie, les écoles s'arrêtent au niveau du collège ce qui signifie que pour continuer les études, il faut les envoyer vers la capitale. Or ces familles pauvres privilégient l'envoi des garçons par rapport aux filles. On retient donc les filles au foyer, on les marie et le peu de revenus de ces familles est consacré à l'éducation des garçons, surtout pour les études supérieures. On privilégie le travail traditionnel, artisanal, ou le commerce pour les femmes. »

Que pensez-vous de la prolifération des associations féminines en Mauritanie ? Comment expliquez-vous ce phénomène ?

« La société civile est au centre de la vie démocratique d'une nation. La société civile reflète les réalités sociales et les réelles attentes de la population. C'est une façon d'attirer l'attention du gouvernement sur les critiques et revendications de celles-ci. C'est un instrument de communication pour transmettre les résultats des politiques locales mises en oeuvre pour cette même population, pour créer un éveil chez elle. La société civile a un poids aussi très important car elle travaille en étroite collaboration avec la population. C'est le plaidoyer pour des investissements auprès des bailleurs de fonds ou de l'Etat. Mais il faut une société civile capable de négocier des marchés, de sensibiliser, d'agir, d'informer, de former et aussi d'avoir un permis

d'action sur les populations. C'est ce genre de société civile qui devrait exister. En réalité, les personnes qui sont à l'origine des associations en Europe sont des gens qui ont un capital économique important alors que malheureusement ici, ce n'est pas le cas. De plus, tout le monde aujourd'hui se dit porte-parole d'une association et le but pour ces ONG c'est de soutirer de l'argent sur le dos du peuple. Ces sociétés civiles demandent de l'argent auprès des institutions susceptibles de les financer alors que normalement, ils ne doivent pas les demander et les recevoir le plus naturellement possible. Elles doivent travailler. Mon local à moi est composé d'un local de comptabilité, d'un bureau juridique, un point d'écoute. Nous avons des centres d'écoute dans des quartiers populaires. Tous ces centres ne sont pas pris en charge. Personne ne prend en charge. Nous sommes une association qui travaille sur le terrain, dans des régions parfois reculées mais nous avons des volontaires, des femmes qui s'engagent à travailler pour la sensibilisation des populations sur ce terrain. L'Etat ne nous aide jamais car nous sommes indépendants et on veut le rester pour pouvoir critiquer. Nous avons toutes sortes d'employés et personne ne les paye. Ni les étrangers, ni les bailleurs de fonds ni nous-mêmes. On aide avec des prestations de service, et c'est comme cela que nous alimentons les populations. C'est ça la société civile. On fait ça pour modifier les lois, le code de la famille. On travaille sur plusieurs aspects, et même sur l'aspect juridique. Par exemple, nous avons modifié certaines lois par rapport à l'héritage.

D'un point de vue juridique, les lois islamiques juridiques sont-elles respectées et comment les percevez-vous au niveau de la justice sociale entre les hommes et les femmes ?

« Nous estimons que le courant obscurantiste évolue en Mauritanie. Je suis pour l'Ijtihad20. Tous les pays musulmans ont opté pour l'Ijtihad pour mettre en exergue cette égalité que les femmes méritent et les traitent en conformité avec les hommes. Cependant en Mauritanie, on assiste à l'évolution du courant obscurantiste depuis quelques années, courant qui est contre l'Ijtihad, contre cette interprétation source d'égalité des sexes. On relègue la femme à son rôle de femme au foyer primitif. D'ailleurs on avait un ministère pour la promotion des femmes qui s'intitule

20.Lecture dite objective du Coran et des textes religieux pour une vision éclairée et plus juste de la religion, un concept repris et défendu par les féministes musulmanes afin de dénoncer les lectures patriarcales du Coran.

aujourd'hui: « le ministère des affaires sociales et de l'enfance ». C'est comme si on reléguait le rôle de la femme à son rôle traditionnel, archaïque, c'est-à-dire le travail social lié à la famille. »

Pourquoi votre association est-elle une association des femmes chef de famile ?

« Au début on ne voulait pas un nom comme ça pour l'association mais lorsqu'on l'a créée, j'étais une militante des droits de l'Homme. J'étais déjà reconnue et j'avais quelques difficultés à me déplacer. On l'avait appelée, à l'origine, l' « Association pour le droit des femmes » et lorsqu'on l'a proposé, les gens avaient refusé de la reconnaître car elle était liée à ma personne à un moment. On a dû changer le nom de l'association pour ne pas voir la notion de droit humain car j'ai été critiquée et rejetée à cause de mes idées. C'était pendant la présidence de Maaouya Ould Taya21 . On était donc dans l'opposition et on critiquait le gouvernement en place à l'époque. »

Donc vos motivations sont plus personnelles ?

« C'est vrai, j'ai toujours été moi-même attirée par les idéaux de la justice sociale et la démocratie. Je n'aime pas la discrimination, j'aime l'égalité. Je me sens frustrée de voir des situations d'injustice et je m'engage à lutter pour que la femme mauritanienne s'engage dans la politique d'une manière honnête et conséquente. »

La trajectoire sociale de Aminetou mint El Moctar reflète un militantisme qui a débuté avec la naissance du mouvement social revendicatif des Kadihine, un mouvement qui a eu un impact considérable non seulement d'un point de vue politique mais aussi sur les trajectoires sociales des individus qui en ont fait parti. Il a constitué une sorte de tremplin à toute une catégorie de personnes en Mauritanie dans leur carrière politique et intellectuelle. Le plus remarquable c'est que toutes les personnalités (influentes et engagées) interrogées pour l'élaboration de ce mémoire de recherche, ont tous fait partie du mouvement des Kadihine.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo