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La magie de Diaz

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par Mélissa Perianez
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Histoire de l'art 2013
  

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Section 2. La parole, agent magique

359 À propos du passage des codes mondains d'interactions de l'Ancien Régime (civilité) au code romantique de révélation mutuelle, voir Perrot, Philippe, Le travail des apparences. Le corps féminin, XVIII-XIXe siècle, Paris, Seuil, 1984, notamment p. 90 s.

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Comme dans ses autres scènes de sorcières et devineresses, la magie évoquée renvoie à des phénomènes naturels. La parole est utilisée par la sorcière comme dans L'Horoscope, où la figure de la cliente tournée de façon incrédule vers le spectateur rappelle la composition de Jean Broc360.

Le Maléfice opéré par la parole correspond assez bien à une attaque de sorcellerie, et réciproquement, le pouvoir que Diaz peut prêter à la parole correspond dans une lecture sociologique à ce qu'est la magie, art de créer du sens, de faire.

Dans une étude anthropologique sur la sorcellerie normande des années 1970, Jeanne Favret-Saada explique :

« Sur le terrain, je n'ai pourtant rencontré que du langage. (...) Je soutiens aujourd'hui qu'une attaque de sorcellerie peut se résumer à ceci : une parole prononcée dans une situation de crise par celui qui sera plus tard désigné comme sorcier est interprétée après coup comme ayant pris effet sur le corps et les biens de celui à qui elle s'adressait, le quel se dénommera de ce fait ensorcelé. (..) en sorcellerie, l'acte, c'est le verbe. (...) la sorcellerie, c'est de la parole, mais une parole qui est pouvoir et non savoir

ou information361. »

Pierre Bourdieu dans un travail très différent sur les phénomènes de société courants que sont l'économie et le pouvoir politique, fait remarquer de la même manière que la parole ne sert pas qu'à se faire comprendre, mais est un instrument de pouvoir.

« Les discours ne sont pas réellement (...) des signes destinés à être compris, déchiffrés ; ce sont aussi des signes extérieurs de richesse, destinés à être évalués, appréciés et des signes d'autorité, destinés à être crus et obéis. »

Il pose cette influence de la parole comme un procédé magique : la « prétention à agir sur le monde social par les mots, c'est-à-dire magiquement, est plus ou moins folle ou raisonnable selon qu'elle est plus ou moins fondée dans l'objectivité du monde social. (...) Le principe véritable de la magie des énoncés performatifs réside dans le mystère du ministère362. »

Magie ou efficience, efficacité, la définition prend un tour totalisant duquel aucune action ne peut échapper. Ainsi la baigneuse d'un tableau de Diaz qui entretient son amie pour lui prodiguer conseils entend comme le décrit le sociologue agir sur le monde social magiquement, et l'efficacité de cette

360 Jean Broc, La Magicienne consultée, 1819, huile sur bois, 90x116 cm., Salon de 1819 (n°176), puis musée du Luxembourg, aujourd'hui à Bayeux, musée Baron Gérard, inv. P0055.

361 Favret-Saada, Jeanne, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, 1977, p. 25-26.

362 Bourdieu, Pierre, « La formation des prix et l'anticipation des profits », Langage et pouvoir symbolique (textes de Ce que parler veut dire (1982) revus et augmentés par l'auteur), Paris, Seuil, 2001, p. 113.

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parole, c'est-à-dire le soulagement de son amie, tient au statut amical qu'elle tient pour l'interlocutrice. Radicalement opposée d'une définition fantastique, la magie sociale recouvre toute la réalité de l'efficacité d'une parole prononcée dans un but. L'envergure devient impressionnante si comme Diaz on veut bien attribuer tout l'édifice social à l'existence de mots prononcés pour construire un mythe. Le but vertigineux de contenir tout un groupe en une culture est atteint par la croyance en un discours. Le Maléfice, où tout attribut fantastique est évacué, montre un personnage dont l'âge avancé l'autorise à empiéter sur le libre arbitre de la jeune fille. La sorcière use du symbole dans un but pragmatique.

L'usage de costumes, et le développement de modes, peut réciproquement infléchir la perception que l'on a d'un individu, et autoriser celui-ci à certaines paroles, qui seront efficace sous cette condition. La théâtralisation, et le jeu du paraître et de l'être.

Diaz peut s'intéresser de premier chef à ce qui constitue le groupe, ce qui le lie. Toujours la même scène de conversation, que ce soit entre des nobles ou des orientales, l'entretien pour passer le temps, paraît être un élément intemporel et universel. La figure universalisée est assise à même le sol, au contact de la nature, et souvent en léger contraposto lorsqu'elle se tient debout.

Pour Bourdieu, le parti pris est sans complexe, la magie sociale est un phénomène que la science doit comprendre

« sous peine de s'interdire de comprendre les phénomènes sociaux les plus fondamentaux, et aussi bien dans les sociétés précapitalistes que dans notre propre monde (le diplôme appartient tout autant à la magie que les amulettes) [nous soulignons], la science sociale doit prendre en compte le fait de l'efficacité symbolique des rites d'institution ; c'est-à-dire le pouvoir qui leur appartient d'agir sur le réel en agissant sur la représentation du réel363. »

Les réflexions de Bourdieu nous permettent de regarder d'une façon différente les liens étroits que l'oeuvre de Diaz entretient avec sa propre vie, jusqu'à s'illustrer elle-même comme partie agissante sur la vie de Diaz dans La Fée aux Fleurs.

« "Deviens ce que tu es." Telle est la formule qui sous-tend la magie performative de tous les actes d'institution. L'essence assignée par la nomination, l'investiture, est, au sens vrai, un fatum364. »

363 Bourdieu, Pierre, « Les rites d'institution », op. cit., 178.

364 Idem., p. 181.

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Dans une lecture bourdieusienne des traces de Diaz, on peut dire que son investiture en tant que peintre, qui se vérifie dès ses premiers succès marchands les premières années de 1840, puis au Salon en 1844, lui fait embrasser une vie d'artiste qui lie son oeuvre à sa vie de plus en plus fortement à mesure que les discours agissent « magiquement », au sens de Bourdieu, sur lui. Le fatum de la nomination, du nom d'artiste, a le même sens que la Fata, Fée marraine qui lie son destin.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein