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Sémantique littéraire de l'espace du desert dans la traversée de Mouloud Mammeri

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par Abderrahmane Guetal
Université de Chlef. Algérie - Master en Littératures Francophones. 2015
  

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Chapitre n°2 : Cadre Théorique

Dans le présent chapitre, nous voudrions examiner quelques-unes des approches de l'espace qui nous étaient offertes de telles sortes d'en avoir assuré une certaine vue d'ensemble, et qui nous guidera à mieux localiser la théorie spatiale choisie. Longtemps, la théorie littéraire s'est dévouée à la dimension temporelle du récit. En outre, la critique traditionnelle ne voit dans l'espace romanesque qu'un simple décor, un arrière-plan, ou un mode de description. L'espace ne peut se limiter à une fonction anodine. C'est un véritable enjeu diégétique. Son appréhension comme structures spatiales de l'intrigue permet aux personnages d'exprimer des mondes possibles.

2-1La poétique de l'espace :

Gaston Bachelard, le philosophe, est parmi les premiers à consacrer ses recherches au domaine de la spatialité en littérature. Dans La Poétique de l'espace, Gaston Bachelard propose une approche qu'il nomme topoanalyse. Elle : « Serait donc l'étude psychologique systématique des sites de notre vie intime »22

Selon lui, l'étude de l'espace d'un roman vise à dégager les valeurs symboliques liées aux paysages du point de vue du narrateur ou de ses personnages. Mais cette démarche a été décriée par la critique, en particulier le sémioticien Henri Mitterrand qui estime que La Poétique de l'espace ne permet pas de couvrir toute la dimension du texte.

2-2 Approche linguistique de l'espace :

-Pour Weisgerber, l'espace romanesque n'est pas un espace auquel s'intéresse les sciences exactes mais celui qui s'apparente aux sciences humaines ; c'est un espace :

Jonché d'obstacles, criblé de fissures, défini par des directions et lieux de privilégiés, bourré de sons, de couleurs, de parfums23.

De plus, il conteste, dans son ouvrage L'espace romanesque, la relégation de l'espace aux sphères du décor et de la description. En revanche, Weisgerber élève l'espace au même rang qu'un personnage. Sa démarche prend en considération les points de vues : du narrateur, des

22 G. Bachelard, La Poétique de l'espace, Paris, Presses Universitaires de France, 1957, p. 27

23 J. Weisgerber, L'Espace romanesque, Lausanne, Editions L'Age d'Homme, Bibliothèque de littérature comparée, 1978, p.19

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personnages et du lecteur. Selon Weisgerber, conjonctions, adverbes et prépositions unissent non seulement les différents lieux investis par les personnages, mais créent aussi la tension diégétique.

-Roland Bourneuf met en valeur la relation de l'espace avec les autres éléments constitutifs du roman. Il considère l'espace « Au même titre que l'intrigue, le temps ou les personnages comme un élément constitutif du roman »24. Pour lui, une étude sur l'espace devrait reconstituer la topographie du roman, ou il s'agit : d'identifier et de caractériser chaque lieu de l'espace choisi pas l'auteur, de dégager les relations qui s'établissent entre les lieux et les actions des personnages. Comme il conviendra aussi de distinguer les lieux réels ou évoluent les personnages et l'espace imaginé, évoqué à travers la conscience des personnages, des actions qui se déroulent dans chaque lieu et lui confèrent une fonction dans le récit.

2-3 L'espace comme métaphore :

La narratologie de Gérard Genette ne tient aucun compte de l'espace dans le récit. Cependant, ce théoricien a reconnu l'existence de :

Quelque chose comme une spatialité active et non passive, signifiante et non signifié, propre à la littérature, spécifique à la littérature, une spatialité représentative et non représentée 25

D'autre part, Genette envisage l'espace dans un sens figuré. Il souligne que la métaphore spatiale est utilisée par l'homme pour discuter sur un sujet donné en se référant à l'espace pour avoir des perspectives d'avenir ou, tel le cas de notre roman. L'approche spatiale chez Genette élude le lien essentiel entre fiction et réalité. Néanmoins, Genette confirme la fonction dynamique de l'espace et son autonomie narrative.

2-4 La théorie spatiale narrative de H. Mitterrand:

Mitterrand dans son ouvrage Le Discours du roman met en avant le rôle essentiel de l'espace romanesque qu'il définit comme étant le :

24 R. Bournef, « L'Organisation de l'espace dans le roman ». Etudes littéraires, 1970, Vol, n°1, p.82

25 G. Genette, « La Littérature et l'espace », dans Figure II, Paris, Le Seuil (Points), 1976. p.44

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Champ de déploiement des actants et de leurs actes, comme circonstant, à valeur déterminative, de l'action

romanesque 26

Pour Mitterrand, l'espace fait émerger le récit, détermine les relations entre les personnages et agit sur leurs actions. Une étude spatiale ne peut se limiter à une démarche simplement topographique mais s'attèle à « Dégager les valeurs symboliques et idéologiques attachées à sa représentation »27. Selon Henri Mitterrand, l'espace est muni d'une double dimension : l'une topographique et l'autre fonctionnelle. C'est un instrument qui organise et découpe les sous espaces affectés aux personnages, ordonne leurs places, leurs mouvements, et leurs actes.

L'espace dans lequel évoluent les personnages dans La Traversée est réel et préexiste au roman. Ces lieux et déplacements sont porteurs de sens et de là-même capables de remplir une fonction textuelle. C'est en nous basant sur la théorie de l'espace narratif de Mitterrand que nous allons tenter d'étudier l'espace dans La Traversée. Mais auparavant, nous allons nous pencher sur l'analyse de Ferragus de Balzac. Mitterrand démontre que l'auteur attribue le rôle d'actant à l'espace. Pour lui, l'espace parisien est doublement sémantisé puisqu'il est à la fois représenté et commenté, autrement dit

d'un côté, [l'espace] se trouve inclus dans l'univers raconté [...]; d'un autre côté, il fait l'objet d'un discours, explicite ou implicite, s'inscrivant dans une conception, une vision, une théorie de Paris28

Pour mieux cerner l'analyse faite par Mitterrand, permettez-nous de vous étaler un bref résumé de Ferragus. Dans le Paris de 1818, Auguste de Maulincour, officier appartenant à la société du faubourg Saint-Germain, est secrètement amoureux de Clémence Desmarets, épouse de Jules Desmarets, un agent de change de la rue Ménars. Un jour, Maulincour découvre que la jeune femme rend visite à un homme, rue Soly, et il l'a suspecte rapidement d'avoir un amant. Profitant d'une réception à l'hôtel du baron de Nucingen, rue Saint-Lazare, il révèle à Clémence qu'il a percé son secret. Après cette annonce, Maulincour échappera à la mort à plusieurs reprises avant d'être finalement empoisonné par Ferragus, l'homme à qui la jeune femme rendait visite. Toutefois, avant de mourir, Maulincour a eu le temps de dénoncer

26 H. Mitterrand, Le Discours du roman, Paris, Presses Universitaires de France, coll. `Ecritures', 1980, p.190

27 Mitterrand 1980, p.194

28 Mitterrand 1980, p.189-212.

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Clémence à son mari. Or, il apparaît que Ferragus, un ancien forçat et le chef de la société secrète des Treize, n'est autre que le père de Clémence. Craignant que ce mensonge fait à son mari sur ses rendez-vous secrets ainsi que sur ses pauvres origines n'altère l'amour que celui-ci lui porte, Clémence se laisse mourir. Terrassé par la douleur, Jules quitte maison et travail pour aller vivre à l'extérieur de Paris. Quant à Ferragus, il est aperçu, hagard et perdu, suivant le cochonnet des joueurs de boules. Et toute cette intrigue se noue du fait d'une rencontre fortuite, rue Soly.

Dans son analyse, Mitterrand procède d'une manière rigoureuse. Il étudie d'abord les lieux tels qu'ils figurent dans la diégèse et démontre que l'espace participe à l'action et ne sert pas seulement de décor. Prenant en considération les noms des rues ou se déroule l'intrigue, Mitterrand a choisi la rue comme axe du récit. De notre côté, nous avons choisi les axes Nord-Sud, Est-Ouest et vertical dans l'étude de La Traversée. Cet axe de la rue est mis en relation avec le personnage principal, Clémence Desmarets. Ainsi d'un côté, apparait le Paris traditionnel, soit les rues Soly de Ferragus et de Bourbon de Maulincour, et de l'autre, le Paris moderne, soit les rues Ménars de Jules et l'Hôtel de ville où siège le préfet. D'autre part, le Paris traditionnel représente les relations naturelles, puisque Clémence se déplace d'un lieu à l'autre, allant de chez son mari à son père. Pour ces relations mondaines, Clémence peut fréquenter le Paris moderne c'est-à-dire la rue Ménars et l'Hôtel de ville. En utilisant différents discours sur les lieux pour créer un discours littéraire, Mitterrand démontre que Balzac fait jouer le rôle d'actant à l'espace. En outre, à travers les figurations représentées, c'est l'histoire de la société parisienne qu'il nous est possible de lire.

Afin d'aboutir à une telle conclusion, Mitterrand analyse le récit en procédant de façon rigoureuse. Il étudie d'abord les lieux réels apparaissant dans la diégèse et voit quels sont les discours qui leur sont associés. Cette partie est nommée la "narraticité". Puis, il passe à l'établissement de la mimésis géographique, c'est-à-dire qu'il effectue une répartition des lieux mentionnés dans le récit et voit quelles sont les valeurs qui recouvrent cette répartition. Ensuite, il peut dégager le symbole idéologique contenu dans l'oeuvre pour finalement présenter un modèle narratique ou toposémique. Nous allons décidément appliquer la même démarche que Mitterrand, tout en respectant la totalité du parcours des protagonistes à travers le désert. La poétique de l'espace de Bachelard nous accompagnera aussi tout au long de notre travail. A présent, nous passons à l'application des différentes étapes de l'analyse. Dans le premier chapitre, nous allons donc retracé les lieux réels apparaissant dans l'oeuvre, établissant ainsi la narraticité. Il s'agissait de relever les caractéristiques qui servent à rendre

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l'illusion spatiale romanesque réaliste. Ce chapitre est divisé en deux sections soit le parcours analeptique- c'est-à-dire le voyage qui est effectué avant le présent narratif, il est question de l'article écrit par Mourad - et, les parcours du présent narratif, ces derniers recouvrant les diverses étapes du voyage. Ensuite nous nous consacrons à l'établissement de la mimésis géographique, soit la catégorisation des lieux mentionnés et le système de valeurs qui y est associé. Dans l'oeuvre de Mammeri, cette catégorisation des lieux s'est effectuée suivant les axes de déplacements à travers les régions désertiques et subdésertiques du pays (axes Nord-Sud et Est-Ouest), et suivant les figures verticales, telles les formations naturelles et constructions humaines. À chacun de ces axes correspond un système de valeurs qui vient influencer le récit et qui participe même à l'intrigue. À titre d'exemple, mentionnons le lien entre la caravane devancée par les héros et le voyage des protagonistes. Dans ces déplacements, le Sud représente le rêve, l'espoir d'un avenir meilleur et ce, autant pour les protagonistes de La Traversée que pour les héros. Ce Sud est un ailleurs qu'il est possible de rêver, un futur. Toutefois, tant pour les protagonistes que pour les héros, plus on s'approche du rêve, plus celui-ci s'effrite. Et la localisation du rêve est toujours dans l'ailleurs par rapport à l'ici - qui correspond au présent narratif.

Il est donc possible de voir à quel point l'espace et les déplacements influencent la diégèse du récit. Et non seulement l'espace est-il actantialisé, mais aussi sert-il de véhicule à des notions plus abstraites; ce qui nous a amené à parler des métaphores développées au cours de la narration. Nous traiterons entre autres, dans le second chapitre, celle de l'Algérie, de l'Algérie française, et de celle du Voyage. Nous étudierons le mythe du désert et verrons comment il s'est transformé. Nous analyserons encore la représentation romanesque de l'Algérie des indépendances au désert, ainsi que ce qu'il reste du rêve d'une Algérie française. Les parcours des trois protagonistes -Mourad, Boualem et Serge - sont pour leur part inclus dans la métaphore du voyage où, là encore, il est possible d'observer la dynamique existant entre les systèmes topologique, actantiel et diégétique. Nous réservons pour la conclusion la présentation du système topologique apparaissant sous la forme d'un carré sémiotique dans lequel nous pourrons suivre les déplacements d'un personnage principal, Mourad. Le modèle que nous proposerons intègre les axes et le système narratif de l'oeuvre. Il sera ainsi démontré que l'espace est un élément actif dans l'oeuvre étudiée, que La Traversée se révèle un roman bien ancré dans son époque et qu'une expérience de l'espace mythique du désert y est largement narrée et vécue par les personnages du roman.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire