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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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2.4.3 L'avenir des colonies : le « système colonial » de Malouet

Malouet s'efforce de rattacher la domination blanche des colonies à une interprétation singulière du droit naturel. « Le propriétaire et celui qui ne l'est pas, le soldat et le magistrat n'ont pas les mêmes droits ; mais le riche et le pauvre, le fort et le faible, l'homme libre libre et celui qui ne l'est pas, tous ont des droits relatifs qui doivent être respectés388. » Si Malouet se targue de faire preuve de bon sens, nous voyons qu'en réalité il ne parvient pas à s'extraire du modèle de la société d'ordre. Pour Yves Benot, ces lignes sont « menaçantes tout autant pour les classes subalternes des sociétés européennes que pour les Noirs des colonies. [...] Quand Malouet parle d'unir les Européens contre les Noirs libérés, il convient d'entendre par Européens les propriétaires et leurs valets, et ceux-là seulement389. » Ainsi, Malouet théorise un système colonial fondé sur trois principes destinés à assurer un ordre colonial durable, expurgé des erreurs du passé, un système rénové et efficient, aux finalités économiques évidentes390.

L'autonomie législative des colonies

Malouet généralise l'idée du droit relatif aux colonies. Celles-ci doivent avoir un régime législatif différent de celui de la métropole, relatif à leur état, ce qui constitue le premier principe du système colonial. S'il concède que les colonies doivent rester subordonnées à la France au titre des richesses, des débouchés commerciaux et du prestige qu'elles confèrent, l'autorité métropolitaine ne doit s'étendre que sur ce qui lui est utile, et « qu'elle ne s'arrête qu'à ce qui [lui] est inutile ou étranger, ou contradictoire à [ses] lois, et à [ses] moeurs nationales. » Partant, il recycle l'idée qu'il développe dès son retour de Saint-Domingue et qu'il redit après sa visite du Surinam en 1777. Les colonies doivent avoir la responsabilité de leur police intérieure. La France ne peut imposer ses directives sur les propriétés et sur l'état des personnes dans les colonies sans le consentement des propriétaires, sous-entendu des Blancs391. Pour Malouet, il est inutile de chercher à savoir si la gouvernance adoptée par les colons est bonne ou mauvaise : cette question ne concerne pas Paris. La seule question qui vaille pour la France est le respect des droits fondamentaux des colons, qui consistent à disposer des moyens d'assurer eux-mêmes leur propre sécurité et de maintenir les

388 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 4, op. cit., p. 3.

389 Yves BENOT, La démence coloniale sous Napoléon, op. cit., p. 191-192.

390 Abel POITRINEAU, « L'état et l'avenir des colonies françaises », op. cit., p. 46.

391 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 4, op. cit., p. 5.

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esclaves au travail392 car « la liberté des noirs, c'est leur domination ! c'est le massacre ou l'esclavage des blancs, c'est l'incendie de nos champs, de nos cités. Ces noirs ont bien évidemment forfait à la liberté : qu'ils rentrent sous le joug !393 » Les colonies doivent donc garder l'initiative des lois sur leur régime intérieur, thèse que Malouet propose déjà à son retour de Saint-Domingue394.

En complément de cette réforme du statut des colonies, il suggère également une action en direction de l'esclavage, corollaire indispensable de leur exploitation.

De l'esclave au travailleur non-libre

Il convient de reconsidérer le statut des captifs. Malouet propose de faire évoluer leur statut, au motif que l'Europe moderne ne peut se satisfaire de l'esclavage tel qu'il est pratiqué. Selon lui, cette institution est héritée de l'Antiquité, qui la plaçait par delà le bien et le mal, extérieure à toute législation. La validité de cet argument reste bien évidemment discutable, toutefois Malouet s'en sert pour justifier le fait que l'Europe moderne doive légiférer à ce sujet. Dans une société coloniale où une minorité de propriétaires Blancs accapare richesse, foncier et pouvoir face à une large majorité d'esclaves, la loi doit garantir aux uns la propriété et la sécurité, aux autres la protection et l'entretien en retour de leur travail. Ainsi « i1 faut définir et constituer les droits du serf, comme ceux du maître ; car un homme dépourvu de toute espèce de droits, à la disposition absolue d'un autre homme, est l'esclave des anciens, et ne doit point être le nôtre395. » L'idée que Malouet envisage une évolution du statut juridique de l'esclavage est évoquée chez différents auteurs. Nous retrouvons par exemple cette assertion chez Gaston Raphanaud396 ou chez Abel Poitrineau397, qui laissent entendre que Malouet serait favorable à la mise en place d'une sorte de régime féodal pour les colonies, dans lequel les esclaves seraient assimilés à des serfs attachés à la glèbe, c'est-à-dire la terre du domaine. À l'évidence il s'agit là d'une lecture rapide. En effet, Malouet réfute cette possibilité398. Pour lui, cette éventualité comporte des aspects qui la rende impraticable, voire tout simplement impensable :

392 Ibid., p. 49.

393 Ibid., p. 46-47.

394 Yves BENOT, La démence coloniale sous Napoléon, op. cit., p. 190.

395 Ibid., p. 22.

396 Gaston RAPITANAUD, Le baron Malouet, op. cit., p. 100.

397 Abel POITRINEAU, « L'état et l'avenir des colonies françaises », op. cit., p. 50.

398 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 5, op. cit., p. 50.

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« Faut-il partager ma terre avec lui [le serf] ? Qui m'en remboursera le prix ? Comment le forcerai-je à cultiver pour lui et pour moi les deux moitiés, si une heure, un jour de travail dans la semaine, suffit à sa subsistance ? Il faudra donc opposer encore à sa paresse les voies coactives ? Et me voilà, avec le droit de châtiment, redevenu maître et lui esclave ,
· ou si je n'ai aucune autorité sur lui, il en aura bientôt sur moi et me réduira à labourer pour lui399. »

Le poids des arguments économiques l'emporte, si ce n'est celui de la mauvaise foi. Cependant Malouet, en politicien, envisage une ouverture en proposant un changement de terme. Il souhaite substituer le mot « esclave », qui véhicule une image déplorable de la condition des Noirs, par celui de « non-libre », plus politiquement correct. L'idée, surprenante, est également que le qualificatif de « non-libre » renvoie à l'achat, non pas de la personne morale de l'esclave, mais de sa force de travail, de ses services. Face à ses obligations vis-à-vis de son maître, le statut de « non-libre » doit permettre à l'esclave de faire contre mauvaise fortune bon coeur en se consolant par l'exercice de ses droits.

Ainsi, Malouet milite en faveur d'une plus large autonomie des colonies et d'une réforme du statut de l'esclavage. Pour arriver à cette finalité, il faut garantir le bon fonctionnement et la préservation par une « loi conservatrice. »

Une loi conservatrice

Afin de conserver les débouchés commerciaux des colonies, il convient de réduire au maximum les risques de conflits qui nuisent au commerce. D'une part, sur la plan intérieur, par crainte des soulèvements d'esclaves et du marronnage, les colons sont soumis à la nécessité de se défendre. Néanmoins, cette contrainte impose de limiter les débordements de part et d'autre pour éviter de retomber dans les travers qui ont conduit à la situation dans laquelle s'est retrouvée Saint-Domingue dans les années 1790. Aussi, Malouet propose l'instauration d'une loi qui « civilise » les rapports entre maîtres et esclaves. « Voilà la loi conservatrice !400 » D'autre part, sur le plan extérieur, Malouet reprend les idées qu'il a mises en oeuvre dans les années 1790, notamment lors de la signature du traité de Whitehall. Il est favorable à une neutralisation des colonies en cas de

399 Ibid., p. 51.

400 Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 4, op. cit., p. 19.

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conflit, dans « l'intérêt général des peuples commerçants d'Europe401. » Pour ce faire, il rencontre Napoléon et Talleyrand et plaide pour un front commun des puissances esclavagistes. Ce faisant, en porte-parole des colons, Malouet révèle que ces derniers ne se sentent pas concernés par la guerre entre l'Angleterre et la France. « Ils se sentent plus proches d'un planteur esclavagiste anglais que d'un sans-culotte imbu de l'idée de la fraternité et de l'égalité, écrit Yves Benot. [...] Pour eux, leurs alliés « naturels » [...] ce sont les esclavagistes de toutes les nations européennes présentes dans la colonisation des Antilles402. »

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille