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Malouet, administrateur en guyane (1776-1778) mise en place d'un projet administratif et technique.

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par Benoît JUNG
Paris Ouest Nanterre - Master 2 2014
  

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3.1.1 L'apport de Guisan

Rendre compte de l'intégralité de ce qu'a effectué Guisan en Guyane sort largement du cadre de notre travail. Toutefois, ses réalisations découlent directement des décisions prises par Malouet, ce qui crée un précédent dans l'administration guyanaise. Ainsi un rapide survol s'avère éclairant pour justifier l'apport qu'il représente. À l'évidence, la collaboration entre les deux hommes est décisive et est à verser au crédit de Malouet. Bien plus qu'un transfert de compétence et de savoir entre le Surinam et la Guyane, l'ordonnateur place sa nouvelle recrue dans une position unique au sein de l'administration locale. Les instructions qu'il laisse au moment de son départ à son successeur Préville est « une initiative [...] inédite dans l'administration locale », écrit Kirsten Sarge1086. Malouet donne également des directives à Guisan qui, dans l'immédiat, doit dessécher 150 carreaux de terre supplémentaires sur l'habitation du roi et y renouveler « toutes les cases à nègre de l'habitation du roi et y bâtir un hôpital », ainsi qu'un moulin à bestiaux. Il doit par ailleurs établir une ménagerie à vaches sur le terrain acheté à M. de Bertancourt (attenant à l'habitation du roi), y construire des écuries et y cultiver des plantes fourragères1087. Malouet définit en outre le cadre dans lequel Guisan doit évoluer. Il ne rendra compte qu'à l'ordonnateur, « qui ne pourra rien changer aux présentes instructions et aux travaux arrêtés. » Celui-ci doit laisser carte blanche à l'ingénieur, qui doit disposer « seul et supérieurement » de l'atelier du roi, et doit recevoir toute l'aide matérielle nécessaire1088.

Malouet impose Guisan auprès de l'administration locale et auprès du ministère comme le seul responsable de tous les nouveaux projets. Il gère les habitations royales l'Atelier du roi, il joue le rôle de consultant auprès des habitants, il prend en charge les nouvelles cultures, bref : il a la haute main sur l'agronomie, la gestion du territoire et l'économie de la colonie. En contrepartie, le ministère exige un rapport trimestriel des activités1089. Ainsi, le 24 avril 1780, Guisan fait parvenir au ministre un Mémoire et observations sur les travaux de terres basses et les opérations que j'ai exécutées à Cayenne, avec des projets pour l'amélioration de cette colonie1090, dans lequel il affirme que l'idée de Malouet de vouloir donner un exemple aux habitants est nécessaire. Il indique que dans ce but, il poursuit les travaux d'assèchements de la zone de palétuvier de la rade de Cayenne, où la terre est plus fertile, pour y planter des vivres et du coton1091. Mais pour lui, fonder des

1086Kirsten SARGE, « Au service du bien public (1777-1791) », op. cit., p. 66. 1087ANOM C14/50 F° 96

1088Ibid.

1089Kirsten SARGE, « Au service du bien public (1777-1791) », op. cit., p. 65. 1090ANOM C14/52 F° 247

1091ANOM C14/52 F° 248

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établissements supplémentaires autour de Cayenne est inutile en raison de la mauvaise qualité des terres. Il faut concentrer les efforts sur les régions de l'Approuague et de Kaw. Cette mise en valeur des zones humides doit, à terme, aboutir à une restructuration de la colonie :

« Lorsque cet établissement sera fait, il lui faut une police, il faudra le gouverner, donc il faut qu'il ressorte du gouvernement de Cayenne, ou il faut transporter le gouvernement de Cayenne à Aprouague. Dans ce dernier cas, Cayenne ressortirait du gouvernement d'Aprouague ; mais dans ces deux cas les canaux de communication sont indispensables, parce que la communication par mer est trop difficulteuse, ou bien il faut établir des paquebots publics qui aillent et viennent sans cesse de ces endroits à l'autre ; ce qui est très facile'°92. »

Guisan atteste également le fait que la bonification des terres basses nécessite un fort investissement, que l'État doit prendre à sa charge. Pour installer 20 habitants dotés de 40 esclaves chacun, la mise s'élève à 800 000 livres sur quatre années, auxquelles s'ajoutent le renouvellement des esclaves, les traitements d'un chirurgien major et de deux chirurgiens ordinaires, la fourniture en médicaments, le traitement de quatre ingénieurs, de six économes, etc., soit un total de 1 286 000 livres, « avec laquelle somme le gouvernement établirait vingt habitations qui la cinquième ou sixième année feraient autant de revenu que toute la colonie actuelle1093. »

En 1779, Malouet le charge de regrouper sur la Gabrielle la culture des épices. La nouvelle épicerie de la Gabrielle devient une habitation royale, et les épices commencent à y être rassemblées en 1783. La première récolte de clous de girofle, très modeste, est effectuée en 1785 et donne deux livres de clous. Elle est de 2 000 livres en 1788. La qualité est contrôlée en France par Lavoisier et atteint un standard proche de celle des Hollandais1094. Indéniablement, Guisan jouit d'une excellente réputation à Versailles. En décembre 1780, il est envoyé à Rochefort pour assécher les marécages. Les travaux tardant à démarrer, il estime qu'il perd son temps et presse Malouet de le renvoyer à Cayenne. Il craint en effet que les projets commencés en Guyane ne partent à vau l'eau sans sa supervision. Il embarque pour Cayenne fin 1781, avec de nouvelles instructions pour le développement des terres basses1095. Il s'agit d'un vaste projet sur l'Approuague, centré sur

1092ANOM C14/52 F° 248-249

1093ANOM C14/52 F° 250

1094Yannick LE ROUX, « L'apport de Guisan dans l'économie de la Guyane », op. cit., p. 48-49. 1095Kirsten SARGE, « Au service du bien public (1777-1791) », op. cit., p. 67.

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l'habitation du Collège, « l'habitation la plus ambitieuse jamais conçue de tout l'Ancien Régime en Guyane1096. » Les travaux débutent en 1782, et deux ans plus tard, sur les 64 carrés asséchés, « 24 carrés sont plantés, tant en vivres qu'en cannes à sucre1097. » En 1787, 84 carrés sont défrichés, l'exploitation emploie 200 esclaves. Guisan fait sortir de terre une sucrerie et une vinaigrerie. Il élabore également un moulin conçu pour tourner à marée montante et descendante1098.

Tant que Malouet reste en place, Guisan jouit d'une relative tranquillité et d'une liberté d'action totale. Mais dès que la nouvelle équipe dirigeante accoste à Cayenne, il rencontre des difficultés croissantes. Il ne cache pas son inimitié à son endroit et fustige largement l'attitude des nouveaux administrateurs. Nommé gouverneur à la place de Fiedmond, le baron de Bessner, « ce qu'on appelle un vrai panier percé », un « fripon1099 », intrigue à la cour et rédige un mémoire contre les projets actuels en Guyane. Guisan réplique :

« Je fis un mémoire qui pulvérisait celui de M. de Bessner, s'il est permis de s'exprimer ainsi. Et comme il avait négligé de le signer, je me permis d'en parler avec un peu de liberté et beaucoup d'énergie, avec tout le feu que donne l'amour du bien public. M. de Bessner n'osa plus rien objecter contre les projets de Cayenne11°°. »

Il éprouve la même défiance à l'égard de Préville, « plein de vanité, [...] hautain et vindicatif », dont il réprouve les malversations et les « rapines1101 ». Il éprouve particulièrement des difficultés avec l'ordonnateur Lescallier, anti-esclavagistes, qui voit en lui un séide de Malouet. De fait, en 1787, il est écarté baïonnette au canon de la gestion de l'habitation du Collège au prétexte que les travaux ne vont pas assez vite et qu'ils coûtent cher1102. En réalité, Lescallier entretien des vues personnelles sur la sucrerie et projette de l'acquérir, mais son éviction en 1788 consacre le retour en grâce de Guisan, qui bénéficie du soutien du gouverneur Villebois jusqu'à son départ définitif de Guyane en 17911103.

1096Yannick LE ROUX, « L'apport de Guisan dans l'économie de la Guyane », op. cit., p. 41.

1097ANOM C14/54 F° 170

1098Yannick LE ROUX, « L'apport de Guisan dans l'économie de la Guyane », op. cit., p. 42-43.

1099Jean Samuel GUISAN, Le Vaudois des terres noyées, op. cit., p. 196.

1100Ibid.

1101Ibid., p. 295-296.

1102Ibid., p. 241-253.

1103Yannick LE ROUX, « L'apport de Guisan dans l'économie de la Guyane », op. cit., p. 43 ; Kirsten SARGE, « Au

service du bien public (1777-1791) », op. cit., p. 68.

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Toutefois, en regard du bagage technique et administratif très faible de la Guyane, l'arrivée de Guisan permet à Malouet de constituer un cadre administratif unique pour cet ingénieur talentueux, clé de voûte du dispositif qu'il entend déployer en Guyane. Si cette collaboration entre les deux hommes est une réussite, les revers rencontrés par l'ordonnateur dans d'autres domaines viennent incontestablement ternir son bilan.

3.1.2 Des projets prometteurs qui n'aboutissent pas

Parmi tous les projets que Malouet a contribué à mettre en place, les résultats s'avèrent pourtant être en deçà de ce qui était projeté à l'origine. De fait, si les travaux préliminaires à ces entreprises montrent des réelles possibilités de succès pour la colonie, leur développement butte sur les réalités locales, les erreurs d'appréciation, le manque de moyens et de compétences, et vient contredire les plans imaginés à Versailles.

C'est le cas pour l'exploitation des bois. S'appuyant sur le rapport de Bagot, Malouet confie à l'ingénieur Brodel la réalisation d'un moulin à planche pour lancer cette industrie. En effet, celui-ci bénéficie d'une certaine expérience en la matière. Le 26 janvier 1770, il adresse au premier commis de la Marine une lettre dans laquelle il rend compte de sa tentative d'installer un moulin à planches sur l'Oyapock, mais qui n'a pas abouti faute de moyens financiers1104. Hélas pour Malouet, c'est un échec complet. Brodel s'avère finalement incapable de réaliser le moulin, malgré l'expérience dont il s'est prévalue auprès de l'ordonnateur. Malouet s'explique au ministre :

« Il étoit bon géographe et mauvais mécanicien . je ne suis ni l'un ni l'autre, et j'ai cru, sur sa parole, qu'il étoit en état de faire un moulin à planche. [...] Il a passé six mois à gaspiller du bois et de l'argent, n'a rien fait qui vaille, et est mort1105. »

L'ordonnateur reconnaît son erreur et prend les frais à sa charge. Il déplore dans sa Collection de mémoires que ce projet, visiblement rentable, n'ait pas été davantage soutenu. Aucune suite ne lui a été donnée, aussi bien par le ministre que par l'Assemblée générale de Guyane1106

Le projet de pépinière tourne court également. Dès la fin 1777, Malouet constate l'échec de

1104ANOM E53 F° 32

1105ANOM C14/50 F° 68

1106Voir la note dans Pierre Victor MALOUET, Collection de mémoires, tome 1, op. cit., p. 380.

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cette entreprise et rend compte au ministre des « essais infructueux, de l'impossibilité de fixer dans un même sol les différentes espèces de bois que produit la Guiane » malgré la collaboration « d'un jardinier de Paris ». Finalement, seul le carapa a levé. Selon lui, la raison de son échec tient au fait que la plupart des espèces qu'il a semées (balata, grignon, coupi, bagasse...) ne pousse pas sur un terrain sec et ensoleillé mais en sous-bois sur sol humide. Le projet est donc abandonné. Malouet ajoute, comme pour se justifier, que de toute façon il voit mal les habitants, « à qui tout manque, savoir, moyens, envie, se livrer à planter des arbres de construction. » Il conclut qu'il faut donc s'en tenir « aux pépinières que la nature prépare toute seule sur chaque espèce de terrein, en reproduisant rapidement les arbres qu'on y détruit1107. » Ainsi, ces explications plus ou moins scientifiques influencent l'action politique de Malouet, qui renonce au projet d'obliger les habitants à entretenir une pépinière sur leur habitation, « une chimère à laquelle il faut renoncer », précise Julien Touchet1108. Pour l'ordonnateur, il « reste donc à gérer le patrimoine forestier et à aider une nature conçue comme un principe d'organisation efficient, thème cher aux Lumières1109 » et pour ne pas rester sur cet échec, il finit par transformer le terrain de la pépinière en jardin public « abondamment pourvu d'arbres fruitiers et de légumes » qu'il intègre dans un projet plus vaste d'aménagement des alentours de la ville de Cayenne, que nous avons évoqué1110.

L'élevage se trouve peu ou prou dans la même situation. Le compte rendu de l'année 1777 dénote des difficultés rencontrées par l'ordonnateur pour développer un haras et une ménagerie. Malouet ne dispose pas assez d'esclaves, aucun habitant n'est motivé, et ses finances ne lui permettent pas d'introduire plus de six juments1111. En revanche, la pêche semble apporter des résultats plus probants. Au moment de son départ de Guyane, il constate les premiers résultats. La salaison de poisson qu'il a installée à Islet-la-Mère et confiée à un certain Jean Ayouba, « un sujet très intelligent », qui produit 2 000 poissons par semaine pendant tout l'été et nourrit les esclaves de l'atelier du roi. De fait, il recommande à son successeur Préville de tripler les appointements d'Ayouba et d'ajouter des gratifications « si sa pêche a un succès soutenu ». Il convient également de lui fournir tous le matériel dont il aura besoin1112.

Enfin, les premiers dessèchements effectués autour de Cayenne, suscitant l'enthousiasme de Malouet, engagent rapidement Guisan à plus de modération :

1107ANOM C14/50 F° 70-71

1108Julien TOUCHET, Botanique et colonisation en Guyane (1720-1848), op. cit., p. 150.

1109Ibid.

1110ANOM C14/50 F° 71

1111ANOM C14/50 F° 84

1112ANOM C14/50 F° 96

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« Dans l'idée que son espoir était bien fondé pour l'exécution des grandes choses qu'on avait en vue, il rendit peut-être, de cette première opération, un compte un peu trop favorable au ministre1113. »

Il s'avère effectivement que le choix de l'emplacement n'est pas idéal en regard des exigences agronomiques et pédologiques, car il empiète en partie sur la rade de Cayenne1114. Les analyses actuelles démontrent que l'acidité trop élevée de ces sols les rend en effet impropres à l'agriculture1115. Il est vraisemblable que l'évolution chimique de la terre l'ait rendue rapidement stérile, estime Yannick Leroux1116. De plus, les travaux entrepris ne sont toujours pas terminés en 1782. En 1788, l'ordonnateur Lescallier signale qu'en plus de n'avoir jamais rien produit, les travaux ont été extrêmement coûteux en capitaux et en esclaves1117. Un rapport de Guisan daté de 1779 sur le fonctionnement de l'habitation du roi fait état de 500 esclaves requis pour ces travaux1118. De fait, il est aisé de constater que cet échec ne contribue pas à enthousiasmer les habitants. Le 6 novembre 1789, Guisan rapporte que l'habitation du roi est abandonnée1119.

Malgré de réelles possibilités, le manque de moyens et de motivation des habitants hypothèque grandement les chances de succès, selon Malouet. S'ajoute des lacunes flagrantes sur le terrain scientifique et technique. Les mutations économiques souhaitées afin de transformer une colonie à l'activité restreinte et peu ouverte sur l'extérieur, en un territoire dynamique, soutenant les Antilles par ses exportations semble, a priori, réalisables si l'on suit les recommandations de Malouet, et avec une intervention massive de l'État1120. Se pose alors la question de la réelle portée du passage de Malouet en Guyane.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway